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L'AUGUSTINISME.
ARISTOTE ET LE THOMISME.
Lorsque les versions latines d'Aristote et des Arabes, ses commentateurs,
commencèrent à se répandre, on ne saurait douter que l'abondance des
renseignements, vrais ou faux, qu'elles apportaient sur les choses de la
nature, n'ait été l'une des causes principales du vif empressement qui les
accueillit. Aussi voyons-nous le grand Albert, fondateur de la scolastique
péripatéticienne, reprendre l'étude des sciences naturelles, avec plus de zèle,
il est vrai, que de méthode. Nos campagnes ont conservé la mémoire de son
prodigieux savoir. Cependant, dès l'origine, les disciples chrétiens du
péripatétisme y cherchèrent et crurent y trouver de nouveaux moyens de
remplir le programme un peu compromis d'Anselme: comprendre,
systématiser, démontrer l'objet de la foi....
...David de Dinant, l'une des premières victimes de l'unité romaine, en
appelait beaucoup à Aristote. C'est à l'influence d'Aristote que ses juges
attribuèrent l'origine d'un panthéisme qu'il aurait pu tirer plus directement
d'ailleurs. Traduites en latin dès le commencement du XIIe siècle, par les
soins d'un archevêque de Tolède, les œuvres d'Aristote et celles de ses
commentateurs sarrasins n'en furent pas moins accueillies avec avidité dans
la Faculté des Arts de Paris. Aristote interprété par Averroès y devint pour
un grand nombre de docteurs l'autorité suprême, irréfragable, le Philosophe,
identique à la raison même. Les premiers péripatéticiens français
constatèrent hardiment le désaccord entre le dogme et la pensée du
philosophe, ne craignant pas d'ajouter que la doctrine de l'Église fourmille
d'erreurs. Cette attitude eut pour effet naturel l'interdiction de lire la
physique et la métaphysique du savant Macédonien. Non moins
naturellement l'interdiction ne fut pas respectée; les meilleurs mêmes
cédaient à la curiosité, et, parmi les conseillers les plus autorisés du Saint-
Siège, Aristote trouva bientôt des défenseurs. Aussi la prohibition primitive
reçut-elle, en 1231 déjà, une forme moins absolue; Grégoire IX maintint
alors et renouvela la défense d'étudier les textes suspects «jusqu'à ce qu'ils
eussent été corrigés et expurgés». Cette opération singulièrement délicate ne
s'exécuta jamais d'une manière officielle. Mais sous l'empire de ces
ordonnances, qui rigoureusement ne s'appliquaient qu'au diocèse de Paris,
des dominicains fort attachés au Saint-Siège et possédant son entière
confiance, à Cologne Albert de Bollstaedt, à Rome son disciple Thomas
d'Aquin, continuèrent à commenter assidûment les textes interdits, qu'ils
s'efforçaient d'interpréter dans un sens orthodoxe partout où la chose était
praticable, sans hésiter à les combattre et à les condamner sur les points où
le désaccord ne pouvait pas être déguisé. Leurs ouvrages, particulièrement
ceux de saint Thomas, qui ont acquis dans l'Église une autorité souveraine,
officiellement consacrée aujourd'hui, peuvent donc être considérés comme
l'équivalent de la correction promise....
Saint Thomas, contesté, combattu, réfuté peut-être jadis par des génies
égaux, sinon supérieurs au sien, n'en reste pas moins aujourd'hui le
représentant de toute l'École. Rappelons en peu de mots les points
principaux de sa philosophie.
Et d'abord, dans la manière dont il conçoit le but de la vie, Thomas est
franchement grec, disciple d'Aristote et de Platon. Saint Paul écrit: «Quand
je connaîtrais tous les mystères de la science de toutes choses, si je n'ai pas
la charité, je ne suis rien». Saint Jean nous enseigne que Dieu est amour, et
Jésus dit à ses disciples: «Soyez mes imitateurs». La tendance du
christianisme est toute pratique; son idéal est la perfection de sa volonté; il
n'y a pour lui rien au delà. Pour saint Thomas, il y a quelque chose au delà.
Ne se résumant pas sur Dieu, il ne dit pas que Dieu s'absorbe dans la
science de lui-même; il ne le croit probablement pas, mais la logique
l'obligerait à l'avouer, car sa notion du souverain bien est purement
intellectuelle: c'est la connaissance de Dieu, l'intuition parfaite de Dieu, que
la théologie désigne sous le nom de vision béatifique: «Naturaliter inest
omnibus hominibus desiderium cognoscere causas; prima autem causa
Deus est. Est igitur ultimus finis hominis cognoscere Deum.»
...Tout en dissertant à loisir sur les attributs divins, Thomas sait bien que
nous ne pouvons pas connaître Dieu d'une manière adéquate, et cependant il
nous faut ordonner l'ensemble de nos pensées et de nos croyances sur cette
idée que nous n'avons pas. De propos délibéré, Thomas lui cherche un
succédané dans un anthropomorphisme qui a rendu sa philosophie
accessible au vulgaire, et par là doit avoir contribué, pour une grande part, à
sa merveilleuse fortune. Nous ne connaissons Dieu que dans ses œuvres;
dès lors, c'est de la plus parfaite de ses œuvres qu'il faut nous aider pour
nous faire une idée de ses perfections; il nous faut donc concevoir Dieu
d'après l'analogie de l'esprit humain.
Cette conclusion place la théologie de saint Thomas dans la dépendance
de sa psychologie, laquelle, au jugement des panégyristes les plus jaloux
d'établir l'indépendance philosophique de ce docteur, est foncièrement
péripatéticienne. Quels que soient les soins apportés à corriger les
conclusions d'Aristote inconciliables avec la doctrine de l'Église, la racine
de ce système théologique plonge ainsi dans l'hellénisme païen....
Le Docteur Angélique était sans doute un chrétien; il était pieux, de cette
piété du moyen âge faite d'ascétisme et de contemplation, qui est bien
malgré tout une forme du christianisme, puisque c'est une forme de l'amour.
Rien ne ressemble moins à la vie de Jésus-Christ, telle que les plus anciens
documents nous la représentent, que celle de son disciple dans l'Imitation.
Ce livre nourrira néanmoins l'activité pratique des chrétiens les plus
généreux, parce qu'il est tout pénétré d'un amour sincère, auquel,
malheureusement, il ne sait assigner qu'un stérile emploi. Thomas touche à
l'Imitation par quelques côtés de sa théologie, mais l'esprit général en est
différent: l'amour n'est pas le but à ses yeux; l'amour n'exprime pas la nature
divine. Tout pour lui revient à l'intelligence. La pensée de la pensée a
fasciné son âme. Le dernier mot de sa théologie est dicté par le
paganisme....
L'Ange de l'École a triomphé par la puissance du péripatétisme, cette
religion des clercs dévots et des clercs incrédules au XIIIe siècle. Il a été
servi par la spécieuse clarté de son anthropomorphisme, par l'art de son
exposition, et par la superficialité de ses analyses. Il a été servi par ses
contradictions mêmes qui permettent aux opinions divergentes d'alléguer en
leur faveur quelques passages de ses écrits. Sa manière cauteleuse devait
mieux plaire à la cour de Rome qu'une philosophie trop libre, trop forte et
trop personnelle. D'ailleurs il avait prêté l'appui de sa plume aux aspirations
du Saint-Siège vers la suprématie absolue, en s'appuyant de bonne foi sur
des textes dont Rome elle-même ne défend plus l'authenticité. Mais le but
est atteint, l'autorité du saint reste acquise, et Rome a montré sa
reconnaissance. La doctrine thomiste favorisait par ses conclusions
pratiques la tendance du pouvoir spirituel, qui s'appuyait dès cette époque
sur les ordres religieux, comme elle l'a fait constamment depuis. Le Livre
des Sentences avait acquis l'autorité presque officielle d'un texte classique
parce qu'il grandissait le prêtre. La morale de saint Thomas, héritier de cette
autorité, glorifie le moine: les vertus théologales telles qu'il les conçoit, la
vie contemplative, image de la béatitude éternelle et qui seule peut vraiment
nous en rapprocher, ne sauraient se pratiquer que dans le cloître. Cette
observation de Ritter est importante. Peut-être faudrait-il la généraliser [et
dire]: «L'intellectualisme est conforme à l'esprit permanent d'une hiérarchie
qui cherche à justifier sa domination en présentant l'unité et la pureté de la
doctrine, qu'elle prétend garantir, comme l'intérêt religieux par excellence,
auquel tout doit être sacrifié....»
La suprême autorité de l'Église ayant recommandé l'étude et la
profession du thomisme comme un remède aux maux dont ce grand corps
est affligé, il convenait d'apprécier avant tout cette doctrine dans ses
rapports avec l'esprit du christianisme. Quant à ceux qu'elle pourrait
soutenir avec la science moderne, il sera permis d'être bref. Il n'y a pas
d'entente possible entre la science et une école qui invoque la chose jugée et
pense trancher une question quelconque par un appel à l'autorité.
Ch. Secrétan, La restauration du
thomisme, dans la
Revue philosophique, XVIII (1884).
Passim.
BIBLIOGRAPHIE.
L'Histoire générale de la littérature du moyen âge en Occident, par A.
Ebert (trad. de l'all., Paris, 1883-1889, 3 vol. in-8º), s'arrête au
commencement du XIe siècle. Il faut recourir, pour la suite, à des ouvrages
spéciaux.—Pour l'histoire de la littérature en latin, voir un bref
inventaire, le seul qui existe, par A. Gröber, dans le t. II du Grundriss der
romanischen Philologie, Strassburg, 1893-1894, in-8º. Cf. ci-dessus, p. 155,
l. 23.—Le Grundriss der germanischen Philologie, publ. sous la direction
de H. Paul (Strassburg, 1891-1893, 2 vol. in-8º) contient un bref exposé de
l'histoire des littératures germaniques (gothique, nordique, allemande,
anglaise, etc.).—Le Grundriss der romanischen Philologie, publ. sous la
direction de A. Gröber, en cours de publication, contiendra un exposé
analogue de l'histoire des littératures romanes (française, provençale,
catalane, espagnole, portugaise, etc.).—La meilleure histoire de la
littérature française au moyen âge est présentement[85] celle de M. G.
Paris: La littérature française au moyen âge, Paris, 1890, in-16, 2e éd., qui
donne une bibliographie complète[86].—Pour l'histoire de la littérature
anglaise: J.-J. Jusserand, Histoire littéraire du peuple anglais, des origines
à la Renaissance, Paris, 1895, in-8º.—Pour l'histoire de la littérature
allemande: W. Scherer, Geschichte der deutschen Litteratur, Berlin, 1891,
in-8º, 6e éd.; A. Bossert, La littérature allemande au moyen âge, Paris,
1894, in-16, 3e éd.—Pour l'histoire de la littérature italienne: A. Gaspary,
Geschichte der italianischen Litteratur, Berlin, 1885-1888, 2 vol. in-8º; A.
d'Ancona et O. Bacci, Manuale della letteratura Italiana, I, 1, Firenze,
1892, in-12.—Pour l'histoire de la littérature en grec, voir plus haut, ch.
III[87].
L'histoire de l'écriture se rattache, si l'on veut, à celle de la littérature.
Voir: M. Prou, Manuel élémentaire de paléographie latine et française,
Paris, 1892, 2e éd.;—W. Wattenbach, Das Schriftwesen im Mittelalter,
Leipzig, 1875, in-8º;—C. Paoli, Programma scolastico di paleografia
latina, Firenze, 1888-1894, 2 vol. in-8º.
*
* *
Dans les Grundriss de A. Gröber et de H. Paul, il est traité
sommairement de l'histoire de l'art au moyen âge. Mais on lira volontiers
des livres plus développés.
Il existe de grands ouvrages originaux, somptueusement illustrés, sur
l'histoire de l'art au moyen âge, dont on ne saurait recommander la lecture
aux commençants, mais qu'il faut connaître, pour les consulter au besoin.
Citons, entre autres: E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de
l'architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, 1854-1870, 10 vol. in-8º;
—le même, Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque
carlovingienne à la Renaissance, Paris, 1865-1875, 6 vol. in-8º (meubles,
ustensiles, orfèvrerie, instruments de musique, jeux, outils, vêtements,
armes de guerre, etc.):—J. Labarte, Histoire des arts industriels au moyen
âge, Paris, 1881, 3 vol. in-4º 2e éd.;—E. Gélis-Didot et H. Laffillée, La
peinture décorative en France du XIe au XIVe siècle, Paris, s. d., in-fol.;—F.
de Lasteyrie, Histoire de la peinture sur verre d'après les monuments en
France, Paris, 1860, 2 vol. in-fol.;—H. Révoil, L'architecture romane dans
le midi de la France, Paris, 1873, 3 vol. in-fol.;—V. Ruprich-Robert,
L'architecture normande aux XIe et XIIe siècles, en Normandie et en
Angleterre, Paris, s. d., 2 vol. in-fol.;—A. de Baudot, La sculpture française
au moyen âge..., Paris, 1878-1884, in-fol.;—G. Dehio et G. v. Bezold, Die
kirchliche Baukunst des Abendlandes, Stuttgart, I, 1889-1892, in-8º;—
Catalogue de la collection Spitzer, Paris, 1890-1894, 6 vol. in-fol.—De
moindre dimension, mais encore très importantes, sont les monographies de
T. Hudson Turner (Some account of domestic architecture in England from
the Conquest to the end of the XIIth century, London, 1877, in-8º);—de R.
Cattanec (L'architettura in Italia dal secolo vi al mille circa, Venezia, 1888,
in-8º; tr. fr., Venise, 1890, in-8º);—de C. Enlart (Origines françaises de
l'architecture gothique en Italie, Paris, 1894, in-8º);—de W. Vöge, Die
Anfänge des monumentalen Stiles im Mittelalter, Strassburg, 1894, in-8º;—
etc.—Principales monographies sur l'architecture militaire: P. Salvisberg,
Die deutsche Kriegs-Architektur von der Urzeit bis auf die Renaissance,
Stuttgart, 1887, in-8º;—G. T. Clark, Mediæval military architecture in
England, London, 1884, 2 vol. in-8º. Cf. ci-dessus, p. 276.
Sur la survivance des traditions de l'art antique pendant le moyen âge: E.
Müntz, La tradition antique au moyen âge (d'après le livre de A. Springer),
dans le Journal des Savants, 1887 et 1888.
Nous recommandons surtout la lecture des bons livres de haute
vulgarisation, qui n'offrent pas, en général, comme quelques-uns des
ouvrages originaux qui précèdent, le danger d'être systématiques. Il y en a
d'excellents. Sans parler des Manuels généraux d'histoire de l'art (Ch.
Bayet, Manuel d'histoire de l'art, Paris, 1886, in-8º;—W. Lübke, Grundriss
der Kunstgeschichte, Stuttgart, 1892, in-8º, 11e éd.; tr. fr. d'après la 9e éd.,
Paris, 1886-1887, in-8º;—R. Rosières, L'évolution de l'architecture en
France, Paris, 1894, in-12), où l'histoire de l'art du moyen âge a sa place,
consulter: H. Otto, Handbuch der kirchlichen Kunst-Archæologie des
deutschen Mittelalters, Leipzig, 1883-1884, 5e éd.;—Ch. H. Moore,
Development and character of gothic architecture, London, 1890, in-8º;—
L. Gonse, L'art gothique, Paris, 1891, in-4º;—J. Quicherat, Histoire du
costume en France, Paris, 1876, in-4º;—E. Molinier, L'émaillerie
(Bibliothèque des Merveilles).—Dans la «Collection pour l'enseignement
des Beaux-Arts» figurent deux volumes de M. Corroyer (L'architecture
romane, L'architecture gothique), dont les conclusions sont très
contestables.—Le livre de A. Lecoy de la Marche, Le treizième siècle
artistique (Lille, 1891, in-8º), est superficiel.—L'Abécédaire d'archéologie
de M. de Caumont (Caen, 1869-1870, 3 vol. in-8º) a été longtemps
classique, et, comme Manuel élémentaire d'archéologie médiévale, il n'a pas
encore été remplacé.—Il existe un grand nombre de bons traités généraux
d'iconographie. Le plus récent est celui de H. Detzel, Christliche
Ikonographie, ein Handbuch zum Verstandniss der christlichen Kunst, I,
Freiburg i. Br., 1894, in-8º.—Un recueil de reproductions de monuments
figurés, commode pour l'enseignement élémentaire, peu coûteux, est celui
de Seeman, Kunsthistorische Bilderbogen. Die Kunst des Mittelalters,
Leipzig, 1886.
*
* *
Les Grundriss de A. Gröber et de H. Paul contiennent des chapitres
consacrés à l'histoire des mœurs et de la «civilisation» (Kulturgeschichte)
chez les peuples romans et germaniques au moyen âge.—Les études
relatives à l'histoire de la «civilisation» se sont notablement développées
depuis quelques années, surtout en Allemagne et en Italie.
Il existe des histoires générales de la civilisation (la meilleure est celle
de M. Ch. Seignobos) et des histoires générales de la civilisation en France
(A. Rambaud, Histoire de la civilisation française, Paris, 1893, 5e éd.), en
Allemagne (O. Benne am Rhyn, Kulturgeschichte des deutschen Volkes,
Berlin, 1895, in-8º, 2e éd.), en Angleterre (H. D. Traill, Social England,
précité), où le moyen âge a une place. Mais il existe aussi des histoires
générales de la civilisation au moyen âge. Prématurées, elles sont
provisoires; il faut s'en servir avec précaution: G. B. Adams, Civilisation
during the middle ages, New-York, 1894, in-8º;—G. Grupp,
Kulturgeschichte des Mittelalters, Stuttgart, 1894-1895, 2 vol. in-8º.—Pour
l'histoire de la civilisation en France au moyen âge, sans parler de la
célèbre Histoire de la civilisation en France de Guizot, écrite à un autre
point de vue: P. Lacroix, Les arts, les mœurs, les usages, la vie militaire et
religieuse, les sciences et les lettres au moyen âge, Paris, 1868-1876, 4 vol.
in-4º; ce médiocre ouvrage a eu beaucoup de succès; il a été récemment
adapté en allemand par R. Kleinpaul, sous ce titre: Das Mittelalter;—R.
Rosières, Histoire de la société française au moyen âge, Paris, 1884, 2 vol.
in-8º, 3e éd. (Original, peu sûr);—en Allemagne: Fr. v. Löher,
Kulturgeschichte der Deutschen im Mittelalter; München, 1891-1892, 2
vol. in-8º;—en Suède: H. Hildebrand, Sveriges Medeltid. Kulturhistorisk
Skildring, Stockholm, 1894, in-8º.—L'ouvrage de M. A. Dredsner sur
l'Italie est plus spécial: Kultur-und Sittengeschichte der italianischen
Geistlichkeit im 10 u. 11 Jahrhundert, Breslau, 1890, in-8º.
C'est aux monographies qu'il faut recourir. Nous n'en citerons qu'un
petit nombre, choisies parmi les plus lisibles.—Lire, en allemand: K.
Weinhold, Die deutschen Frauen in dem Mittelalter, Wien, 1882, 2 vol. in-
8º, 2e éd.;—L. Kotelmann, Gesundheitspflege im Mittelalter.
Kulturgeschichtliche Studien, nach Predigten, Hamburg, 1890, in-8º;—A.
Schultz, Das höfische Leben, Leipzig, 1889, 2 vol. in-8º, 2e éd.—En
italien: A. Graf, Miti, leggende e superstizioni del medio evo, Torino, 1892-
1895, 2 vol. in-8º;—D. Merlini, Saggio di ricerche sulla satira contra il
villano, Torino, 1894, in-16.—En anglais: H. C. Lea, Superstition and
force, Philadelphia, 1892, in-8º, 4e éd. (Excellent.).—En français: Ch.-V.
Langlois, La société du moyen âge d'après les fableaux, dans la Revue
politique et littéraire, août-sept. 1891;—A. Lecoy de la Marche, La chaire
française au moyen âge, spécialement au XIIIe siècle, Paris, 1886, in-8º 2e
éd.;—le même, La société au XIIIe siècle, Paris, 1880, in-12;—E. Sayous, La
France de saint Louis d'après la poésie nationale, Paris, 1866, in-8º;—E.
Berger, Thomæ Cantipratensis (Thomas de Cantimpré) «Bonum universale
de apibus» quid illustrandis sæc. XIII moribus conferat, Paris, 1895, in-8º;—
G. Paris, Les cours d'amour du moyen âge (d'après le livre, en danois, de E.
Trojel) dans le Journal des Savants, 1888;—U. Robert, Les signes d'infamie
au moyen âge, Paris, 1891, in-12.
L'histoire de l'art militaire et de la tactique a été fort étudiée. Les
principaux ouvrages sont ceux de E. Boutaric (Institutions militaires de la
France, Paris, 1863, in-8º), de H. Delpech (La tactique militaire au XIIIe
siècle, Paris, 1885, 2 vol. in-8º) et de M. le général Koehler, Geschichte des
Kriegswesens in der Ritterzeit, I, Leipzig, 1886, in-8º.—Consulter au
surplus la Bibliographie spéciale de J. Pohler, Bibliotheca historico-
militaris, Cassel, 1887 et s., 3 vol. in-8º.
L'histoire du droit privé est une province particulière de l'histoire de la
civilisation où la science est aujourd'hui fort avancée. Il y a beaucoup de
Manuels, pourvus d'une abondante bibliographie, dont quelques-uns sont
des chefs-d'œuvre, pour l'histoire du droit ecclésiastique (R. Sohm.
Kirchenrecht, I, Leipzig, 1892, in-8º;—Ph. Zorn, Lehrbuch des
Kirchenrechts, Stuttgart, 1888, in-8º;—E. Löning, Geschichte des deutschen
Kirchenrechts, Strassburg, 1878, 2 vol. in-8º;—etc.);—pour l'histoire du
droit allemand (A. Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, Leipzig, 1887-
1892, 2 vol. in-8º;—R. Schröder, Lehrbuch der deutschen Rechtsgeschichte,
Leipzig. 1893, in-8º, 2e éd.);—pour l'histoire du droit anglais (Fr. Pollock et
F. W. Maitland, The history of English law before the time of Edward I,
Cambridge, 1895, 2 vol. in-8º);—pour l'histoire du droit français (A.
Esmein, Cours élémentaire d'histoire du droit français, Paris, 1895, in-8º,
2e éd.;—P. Viollet, Précis de l'histoire du droit français, Paris, 1893, 2e éd.).
I—LA LITTÉRATURE FRANÇAISE EN EUROPE AU XIIe
SIÈCLE.
Le domaine littéraire de la France s'étendait, au XIIe siècle, bien au delà
des limites du royaume, et, sans parler des provinces limitrophes dont
l'histoire se rattache naturellement à la nôtre, notre langue et notre poésie, à
la suite de nos armes, avaient conquis en Europe et même au delà de vastes
possessions.
La plus belle et la plus importante pour l'histoire
littéraire, c'est l'Angleterre. Pendant tout le XIIe siècle, la
littérature de l'Angleterre a été la littérature française.
Non seulement nos anciens poèmes furent aussi répandus
que chez nous dans le pays que les Normands avaient
conquis en chantant la chanson de Roland, mais la
littérature sérieuse et la poésie courtoise y déployèrent
une floraison brillante. J'ai déjà parlé de l'influence
considérable exercée par les rois anglais sur les écrivains
et les trouveurs de Normandie, de Touraine et d'Anjou; ils
en appelèrent plus d'un auprès d'eux, et bientôt sous leur
protection et celle de leurs barons se formaient en
Angleterre même des romanceurs habiles et nombreux.
C'est même en Angleterre que nous trouvons les plus Un jongleur, d'après
anciennes dates pour l'existence de cette littérature qui une miniature.
s'efforça de vulgariser l'instruction la plus diverse. La
reine Aélis de Louvain (1121-1135) apporta sans doute de
Brabant à la cour du roi Henri Ier le goût des lettres françaises: dès son
couronnement, nous voyons le clerc Benoît mettre pour elle en vers français
la vie de saint Brandan, curieuse légende sortie de l'imagination celtique et
qu'elle voulut connaître comme un produit de sa nouvelle patrie. C'est en
son honneur que Philippe de Thaon, déjà auteur d'un Comput rimé, a
composé son Bestiaire. Devenue veuve, elle fit écrire par un poète appelé
David, dont l'œuvre est malheureusement perdue, une longue histoire du
mari qu'elle pleurait, en forme de chanson de geste. Sous le règne court et
agité d'Étienne, nous devons surtout mentionner la grande histoire des rois
anglais de Geoffroi Gaimar, dont les poèmes historiques de Wace devaient
faire oublier le succès. Mais c'est le règne de Henri II qui fût l'âge d'or des
lettres françaises en Angleterre. Ce prince, qui joignait aux talents d'un
politique habile et d'un grand roi les qualités les plus brillantes de l'esprit,
donna à sa cour un éclat inouï, où la splendeur matérielle était rehaussée par
la recherche des plaisirs plus délicats de l'esprit. Il joignait à l'amour de la
poésie de pure imagination la curiosité de l'esprit et le goût de l'étude;
seulement il était lettré et n'avait pas besoin de se faire lire les livres
français et traduire les livres des clercs. Aussi son influence s'exerça-t-elle
surtout sur la poésie, dans laquelle il appréciait avant tout les qualités de
correction et d'élégance. «J'ai l'avantage, disait Benoît de Sainte-More, de
travailler pour un roi qui sait mieux que personne distinguer et apprécier un
ouvrage bien fait, bien composé et bien écrit.» Les poètes français les plus
distingués, Garnier de Pont-Sainte-Maxence, Marie de France, peut-être
Chrétien, venaient en Angleterre écrire ou publier leurs ouvrages; à côté
d'eux, des Anglais, comme Thomas, Simon de Fresne, Huon de Rotelande,
Jordan Fantôme, d'autres encore, commençaient cette littérature anglo-
normande qui devait durer au siècle suivant et ne mourir qu'après avoir
suscité et fécondé la véritable littérature anglaise. A côté des romans de la
Table Ronde, où les traditions celtiques, plus ou moins altérées, reçurent la
forme romane, une mention spéciale est due aux poèmes intéressants
composés en Angleterre, dans lesquels la poésie et l'histoire des Anglo-
Saxons ont passé en vers français et ont ainsi été arrachées à l'oubli. J'ai
parlé déjà de Geoffroi Gaimar, qui travaillait sur des sources en partie
saxonnes; la poésie est représentée par les beaux romans de Horn, d'Aerolf,
de Havelok, de Waldef. Les Normands d'Angleterre jouèrent entre les
Bretons et Saxons insulaires et le reste de l'Europe, par l'intermédiaire de la
langue française, un rôle d'interprètes qui, dans l'histoire comparée des
littératures, a une importance capitale.
Ce n'était pas seulement en Angleterre que les Français avaient porté leur
langue avec leur puissance. Le sud de l'Italie et la Sicile avaient aussi pour
rois des Normands, et là aussi la littérature française retrouva une patrie.
Les descendants de Tancré de Hauteville aimèrent les plaisirs de l'esprit
comme les descendants de Guillaume le Bâtard; l'un d'eux, Guillaume le
Bon, gendre de Henri II d'Angleterre, était lettré comme lui et réunissait
également une cour brillante. Le sort qui nous a conservé l'ensemble de la
littérature anglo-normande nous a ravi en majeure partie celle des
Normands d'Italie; cependant on peut leur attribuer avec certitude une