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DROIT DU MARCHE INTÉRIEUR

Année universitaire 2022/2023

Cours de Madame Lamprini Xenou


Travaux dirigés : M. Thomas Caracache

Séance 7
La justification de l’entrave

Document 1 : CJCE, 17 juin 1981, Commission/Irlande, aff. 113/80 (souvenirs d'Irlande) 2


Document 2 : CJCE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes, C-171/07 et C-
172/07............................................................................................................................................7
Document 3 : CJUE, 13 avril 2010, Bressol, C-73/08.............................................................20
Document 4 : CJUE, 21 décembre 2011, Commission c/ Autriche, C-28/09 (affaire de
l’autoroute du Tyrol)................................................................................................................39
Document 5 : CJUE, 11 septembre 2014, Essent, C-204/12 à 208/12...................................67

Pour aller plus loin …

V. Hatzopoulos, « La justification des atteintes aux libertés de circulation : cadre


méthodologique et spécificités matérielles » in E. Dubout et A. Maitrot de La Motte
(dir.), L’unité des libertés de circulation, Bruylant, 2013, pp. 205-229

1
Document 1 : CJCE, 17 juin 1981, Commission/Irlande, aff. 113/80 (souvenirs
d'Irlande)

mots clés

1 . libre circulation des marchandises - derogations - article 36 du traite - interpretation


stricte - defense des consommateurs - loyaute des transactions commerciales - non-
inclusion

( traite cee , art . 36 )

2 . libre circulation des marchandises - restrictions quantitatives - mesures d ' effet


equivalent - reglementation exigeant une indication d ' origine sur les articles de
bijouterie importes

( traite cee , art . 30 )

sommaire

1 . l ' article 36 du traite cee , en tant que derogation a la regle fondamentale de l '
elimination de tous les obstacles a la libre circulation des marchandises entre les etats
membres , est d ' interpretation stricte ; les exceptions qu ' il enumere ne peuvent etre
etendues a des cas autres que ceux limitativement prevus . or , ni la defense des
consommateurs , ni la loyaute des transactions commerciales n ' etant mentionnees
parmi les exceptions figurant a l ' article 36 , il apparait que ces raisons ne peuvent etre
invoquees - en tant que telles - dans le cadre dudit article .

2 . constitue une mesure d ' effet equivalent , au sens de l ' article 30 du traite cee , une
reglementation nationale exigeant que tous les ' souvenirs ' et articles de bijouterie
importes des autres etats membres portent une indication d ' origine ou soient revetus du
terme ' foreign ' .

parties

dans l ' affaire 113/80 ,

commission des communautes europeennes , representee par m . rolf wagenbaur , en


qualite d ' agent , assiste de m . peter oliver , membre du service juridique , ayant elu
domicile a luxembourg , chez m . mario cervino , conseiller juridique a la commission ,
batiment jean monnet ,

partie requerante ,

2
contre

irlande , representee par m . louis j . dockery , chief state solicitor , en qualite d ' agent ,
ayant elu domicile a luxembourg , au siege de son ambassade , 28 , route d ' arlon ,

partie defenderesse ,

objet du litige

ayant pour objet le manquement resultant du maintien en vigueur par l ' irlande des
arretes statutory instrument ( si ) n 306 de 1971 , relatif aux marques de fabrique -
restriction des ventes d ' articles de bijouterie importes ( iris oifigiuil du 21 . 11 . 1971 )
et si n 307 de 1971 , relatif aux marques de fabrique - restrictions a l ' importation d '
articles de bijouterie ( iris oifigiuil du 21 . 11 . 1971 ) qui seraient contraires a l ' article
30 du traite cee ,

motifs de l'arrêt

1 par requete deposee au greffe de la cour , le 28 avril 1980 , la commission a introduit ,


en vertu de l ' article 169 du traite cee , un recours visant a faire reconnaitre que l '
irlande a manque aux obligations qui lui incombent au titre de l ' article 30 du traite cee ,
en exigeant que les articles importes , tombant sous le coup de l ' application de l ' arrete
- statutory instrument ( si ) n 306 de 1971 - relatif aux marques de fabrique ( restrictions
a la vente d ' articles de bijouterie importes ) ( iris oifigiuil du 21 . 11 . 1971 ) et de l '
arrete - si n 307 de 1971 - relatif aux marques de fabrique ( restrictions a l ' importation
d ' articles de bijouterie ) ( iris oifigiuil du 21 . 11 . 1971 ), portent une indication d '
origine ou soient revetus du terme ' foreign ' .

2 selon leur notice explicative , ces deux arretes interdisent , le premier , la vente ou l '
exposition en vue de la vente d ' articles de bijouterie importes portant des motifs ou des
caracteristiques suggerant qu ' ils sont des souvenirs d ' irlande , par exemple un
personnage irlandais , un evenement ou un paysage irlandais , un levrier irlandais , une
tour ronde , un trefle irlandais , etc ., et le second , l ' importation de ces memes articles ,
a moins qu ' ils ne comportent , dans les deux cas , l ' indication de leur pays d ' origine
ou qu ' ils soient revetus du terme ' foreign ' .

3 ces objets sont enumeres en annexe de chaque arrete ; toutefois , pour entrer dans le
champ d ' application desdits arretes , ils doivent etre constitues , soit d ' un metal
precieux ou d ' un metal precieux plaque , soit d ' un metal vil y compris les articles
polis ou plaques se pretant au sertissage .

4 la commission est d ' avis que les restrictions a la libre circulation des marchandises
figurant dans les deux arretes constituent des mesures d ' effet equivalant a des
restrictions quantitatives a l ' importation contraires aux dispositions de l ' article 30 du

3
traite et elle precise que , selon l ' article 2 , paragraphe 3 , point f ), de la directive 70/50
, du 22 decembre 1969 , fondee sur les dispositions de l ' article 33 , paragraphe 7 ,
portant suppression des mesures d ' effet equivalant a des restrictions quantitatives a l '
importation non visees par d ' autres dispositions prises en vertu du traite cee ( jo 1970 ,
l 13 , p . 29 ), il faut considerer comme mesures d ' effet equivalent contraires a l ' article
30 du traite cee ' les mesures qui deprecient un produit importe , notamment en
provoquant une diminution de sa valeur intrinseque ou son rencherissement ' .

5 le gouvernement irlandais ne conteste pas que ces arretes ont des effets restrictifs sur
la libre circulation des marchandises , il soutient toutefois que ces mesures litigieuses se
justifieraient par l ' interet de la defense des consommateurs et celui de la loyaute dans
les transactions commerciales entre les producteurs . a cet effet , il s ' appuie sur l '
article 36 du traite qui dispose que les articles 30 a 34 ne font pas obstacle aux
interdictions ou restrictions d ' importation justifiees par des raisons notamment d ' ordre
public ou de protection de la propriete industrielle et commerciale .

6 mais c ' est toutefois a tort que la defenderesse invoque l ' article 36 du traite comme
base legale au soutien de son moyen .

7 en effet , la cour ayant precise dans l ' arret du 25 janvier 1977 ( bauhuis , affaire
46/76 , recueil , p . 5 ) que l ' article 36 du traite , ' en tant que derogation a la regle
fondamentale de l ' elimination de tous les obstacles a la libre circulation des
marchandises entre les etats membres , est d ' interpretation stricte ' , les exceptions qu '
il enumere ne peuvent etre etendues a des cas autres que ceux limitativement prevus .

8 or , ni la defense des consommateurs , ni la loyaute des transactions commerciales n '


etant mentionnees parmi les exceptions figurant a l ' article 36 , il apparait que ces
raisons ne peuvent etre invoquees - en tant que telles - dans le cadre dudit article .

9 cependant , le recours a ces notions ayant ete qualifie par le gouvernement irlandais de
' point fondamental dans cette affaire ' , il y a lieu d ' apprecier cet argument dans le
cadre de l ' article 30 et d ' examiner si ces notions permettent de nier l ' existence de
mesures d ' effet equivalant aux restrictions quantitatives a l ' importation au sens de cet
article , compte tenu de ce que , selon la jurisprudence constante de la cour , celles-ci
englobent ' toute reglementation commerciale des etats membres susceptible d ' entraver
directement ou indirectement , actuellement ou potentiellement le commerce
intracommunautaire ' ( arret du 11 juillet 1974 , dassonville , affaire 8/74 , recueil , p .
837 ).

10 a cet egard , la cour a iterativement affirme ( arret du 20 fevrier 1979 , rewe , affaire
120/78 , recueil , p . 649 ; arret du 26 juin 1980 , gilli , affaire 788/79 , recueil , p .
2071 ; arret du 19 fevrier 1981 , kelderman , affaire 130/80 , non encore publie ) qu ' ' en
l ' absence de reglementation commune de la production et de la commercialisation d '
un produit , il appartient aux etats membres de regler , chacun sur son territoire , tout ce
qui concerne la production , la distribution et la consommation de celui-ci , a la
condition toutefois que ces reglementations ne fassent pas obstacle . . . au commerce

4
intracommunautaire ' et que ' ce ne serait que lorsqu ' une reglementation nationale
indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importes , pourrait
etre justifiee comme etant necessaire pour satisfaire a des exigences imperatives tenant
en particulier a . . . la defense des consommateurs et a la loyaute des transactions
commerciales qu ' elle pourrait deroger aux exigences decoulant de l ' article 30 ' .

11 or , en l ' espece , il ne s ' agit pas d ' une reglementation applicable indistinctement
aux produits nationaux et aux produits importes , mais d ' un ensemble de regles qui ne
visent que les seuls produits importes , et qui a , de ce fait , un caractere discriminatoire
excluant l ' application aux mesures en cause de la jurisprudence susvisee , qui ne
concerne que les dispositions des legislations regissant d ' une maniere uniforme la
commercialisation des produits nationaux et des produits importes .

12 le gouvernement irlandais , tout en reconnaissant que les mesures incriminees ne


concernent que les objets importes et qu ' elles rendent l ' importation et la vente de
ceux-ci plus difficiles que l ' ecoulement de la production nationale , soutient toutefois
que cette difference de traitement de l ' objet national et de l ' objet importe ne constitue
pas une discrimination au motif que les objets vises par les deux arretes litigieux
seraient surtout constitues par ce qu ' on appelle des ' souvenirs ' et que ces ' souvenirs ' -
dont la qualite substantielle serait d ' etre fabriques au lieu ou ils sont achetes -
porteraient en eux-memes la marque implicite de leur origine irlandaise , si bien que l '
acheteur serait trompe lorsque le souvenir achete en irlande est fabrique ailleurs ; en
consequence l ' exigence que tous les ' souvenirs ' importes - vises par les deux arretes -
soient revetus d ' une marque d ' origine serait justifiee et ne constituerait aucunement
une discrimination puisque les objets seraient differents , leurs qualites substantielles
etant differentes .

13 la commission rejette cette argumentation . s ' appuyant sur l ' arret du 20 fevrier
1975 ( commission/republique federale d ' allemagne , affaire 12/74 , recueil , p . 191 ),
elle releve qu ' il n ' est pas necessaire pour l ' acheteur de savoir si un produit a ou non
une origine precise , a moins que cette origine n ' implique une certaine qualite , des
matieres de base particulieres ou un procede de fabrication determine ou encore un
certain role dans le folklore ou la tradition de la region en question ; or , aucun des
articles vises dans les arretes ne repondant a ces caracteristiques , les mesures en cause
ne seraient pas justifiees et auraient par consequent ' manifestement un caractere
discriminatoire ' .

14 il convient donc d ' examiner si les mesures litigieuses ont effectivement un caractere
discriminatoire ou si elles ne constituent qu ' une discrimination apparente .

15 il apparait que le ' souvenir ' - tel qu ' il est decrit dans les arretes n 306 et 307 - est
constitue en general par un objet d ' ornement de faible valeur marchande representant
ou comportant un motif ou un embleme rappelant un lieu , une chose , un personnage ,
un evenement historique evoquant un symbole irlandais , tenant sa valeur du fait que l '
acheteur , le plus souvent un touriste , l ' acquiert sur place ; il a en l ' espece une qualite
substantielle : la remi niscence imagee du lieu visite , qualite qui n ' impose pas par elle-

5
meme qu ' un ' souvenir ' tel que defini par les arretes irlandais soit fabrique dans le pays
d ' origine .

16 au surplus , tout en reservant la question soulevee par la commission - en ce qui


concerne les objets vises par les arretes litigieux - qu ' il ne suffirait pas que l '
apposition d ' une mention d ' origine soit egalement exigee pour les produits nationaux ,
il importe d ' observer que l ' interet des consommateurs et la loyaute des transactions
commerciales seraient suffisamment sauvegardes s ' il etait laisse aux fabricants
nationaux la possibilite d ' utiliser des moyens adequats tels que l ' apposition , a leur gre
, de leur marque d ' origine sur leurs propres produits ou leurs conditionnements .

17 ainsi , en subordonnant l ' acces au marche national de ces ' souvenirs ' importes des
autres etats membres a la condition de l ' apposition d ' une mention d ' origine qui n ' est
pas exigee pour les produits nationaux , il apparait de maniere non contestable que les
dispositions prevues aux arretes 306 et 307 constituent une mesure discriminatoire .

18 il convient donc de conclure que , en exigeant que tous les ' souvenirs ' et articles de
bijouterie importes des autres etats membres , relevant des arretes 306 et 307 , doivent
porter une indication d ' origine ou etre revetus du terme ' foreign ' , la reglementation
irlandaise constitue une mesure d ' effet equivalent au sens de l ' article 30 du traite cee .
l ' irlande a , par consequent , manque aux obligations qui lui incombent en vertu dudit
article .

décisions sur les dépenses

sur les depens

19 aux termes de l ' article 69 , paragraphe 2 , du reglement de procedure , toute partie


qui succombe est condamnee aux depens s ' il est conclu en ce sens .

20 en l ' espece , la defenderesse ayant succombe en ses moyens , il y a lieu de la


condamner aux depens .

par ces motifs ,

dispositif

la cour

declare et arrete :

1 ) en exigeant que tous les articles importes des autres etats membres , relevant des
arretes n 306 et 307 de 1971 , portent une indication d ' origine ou soient revetus du

6
terme ' foreign ' , l ' irlande a manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l '
article 30 du traite cee .

2)la defenderesse est condamnee aux depens .

Document 2 : CJCE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes, C-171/07 et


C-172/07

«Liberté d’établissement – Article 43 CE – Santé publique – Pharmacies – Dispositions


réservant aux seuls pharmaciens le droit d’exploiter une pharmacie – Justification –
Approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité – Indépendance
professionnelle des pharmaciens»

Dans les affaires jointes C-171/07 et C-172/07,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE,
introduites par le Verwaltungsgericht des Saarlandes (Allemagne), par décisions
respectivement des 20 mars et 21 mars 2007, parvenues à la Cour le 30 mars 2007, dans
les procédures

Apothekerkammer des Saarlandes,

Marion Schneider,

Michael Holzapfel,

Fritz Trennheuser,

Deutscher Apothekerverband eV (C-171/07),

Helga Neumann-Seiwert (C-172/07)

contre

Saarland,

Ministerium für Justiz, Gesundheit und Soziales,

en présence de:

DocMorris NV,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, K.


Lenaerts, J.-C. Bonichot et T. von Danwitz, présidents de chambre, MM. J. Makarczyk,

7
P. Kūris, E. Juhász, G. Arestis, J. Malenovský (rapporteur), L. Bay Larsen et Mme P.
Lindh, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 septembre 2008,

considérant les observations présentées:

– pour l’Apothekerkammer des Saarlandes, Mme Schneider, M. Holzapfel, M.


Trennheuser et le Deutscher Apothekerverband eV, par M. J. Schwarze, professeur,
assisté de Me C. Dechamps, Rechtsanwalt,

– pour Mme Neumann-Seiwert, par Me H.-U. Dettling, Rechtsanwalt,

– pour le Saarland et le Ministerium für Justiz, Gesundheit und Soziales, par M. W.


Schild, en qualité d’agent, assisté de Me H. Kröninger, Rechtsanwalt,

– pour DocMorris NV, par M. C. König, professeur, assisté de Me F. Diekmann,


Rechtsanwältin,

– pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme C. Schulze-Bar, en


qualité d’agents,

– pour le gouvernement hellénique, par Mme E. Skandalou, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et B. Messmer, en qualité


d’agents,

– pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de MM. A. Collins,


SC, et N. Travers, BL,

– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté


de M. G. Fiengo, avvocato dello Stato,

– pour le gouvernement néerlandais, par M. Y. de Vries, en qualité d'agent,

– pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer et M. T. Kröll, en


qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par Mmes E. Ośniecka-Tamecka et M. Kapko, en


qualité d’agents,

8
– pour le gouvernement finlandais, par Mmes J. Himmanen et A. Guimaraes-
Purokoski, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et H.


Krämer, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 décembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 43


CE et 48 CE ainsi que des principes du droit communautaire.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une
part, l’Apothekerkammer des Saarlandes, Mme Schneider, M. Holzapfel, M.
Trennheuser et le Deutscher Apothekerverband eV (C-171/07) ainsi que, d’autre part,
Mme Neumann-Seiwert (C-172/07) au Saarland (Land de Sarre) et au Ministerium für
Justiz, Gesundheit und Soziales (ministère de la Justice, de la Santé et des Affaires
sociales, ci-après le «Ministerium») au sujet d’une réglementation nationale réservant la
détention et l’exploitation des pharmacies aux seules personnes ayant la qualité de
pharmaciens.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le vingt-sixième considérant de la directive 2005/36/CE du Parlement européen


et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications
professionnelles (JO L 255, p. 22), énonce:

«La présente directive n’assure pas la coordination de toutes les conditions d’accès aux
activités du domaine de la pharmacie et de leur exercice. La répartition géographique
des officines, notamment, et le monopole de dispense de médicaments devraient
continuer de relever de la compétence des États membres. La présente directive
n’affecte pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États
membres qui interdisent aux sociétés l’exercice de certaines activités de pharmacien ou
soumettent cet exercice à certaines conditions.»

4 Ce considérant reprend, en substance, le deuxième considérant de la directive


85/432/CEE du Conseil, du 16 septembre 1985, visant à la coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives concernant certaines activités du domaine
de la pharmacie (JO L 253, p. 34), et le dixième considérant de la directive 85/433/CEE
du Conseil, du 16 septembre 1985, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes,
certificats et autres titres en pharmacie, et comportant des mesures destinées à faciliter

9
l’exercice effectif du droit d’établissement pour certaines activités du domaine de la
pharmacie (JO L 253, p. 37), ces directives ayant été abrogées avec effet à compter du
20 octobre 2007 et remplacées par la directive 2005/36.

La réglementation nationale

5 Aux termes de l’article 1er de la loi sur les pharmacies (Gesetz über das
Apothekenwesen), dans sa version publiée au BGBl. 1980 I, p. 1993, telle que modifiée
par le règlement du 31 octobre 2006 (BGBl. 2006 I, p. 2407, ci-après l’«ApoG»):

«(1) Conformément à l’intérêt général, les pharmacies assurent l’approvisionnement


de la population en médicaments dans le respect de la législation.

(2) Toute personne souhaitant exploiter une pharmacie, et jusqu’à trois succursales,
doit obtenir l’autorisation de l’autorité compétente.

(3) L’autorisation vaut pour le seul pharmacien auquel elle a été accordée et pour les
seuls locaux désignés dans le document d’autorisation.»

6 L’article 2 de l’ApoG dispose:

«(1) L’autorisation est octroyée sur demande dès lors que le demandeur:

1. est allemand, au sens de l’article 116 de la Loi fondamentale [Grundgesetz],


ressortissant de l’un des autres États membres de l’Union européenne ou d’un autre État
signataire de l’accord sur l’Espace économique européen […];

2. a la pleine capacité juridique;

3. est habilité, au sens de la législation allemande, à exercer en tant que pharmacien;

4. présente les garanties de fiabilité nécessaires à l’exploitation d’une pharmacie;

[…]

7. n’est pas inapte, du point de vue de sa santé, à la gestion d’une pharmacie;

[…]

(4) Sur demande, l’autorisation pour l’exploitation de plusieurs officines est accordée
si

1. le demandeur remplit les conditions énoncées aux paragraphes 1 à 3 en ce qui


concerne toute officine envisagée;

10
2. la pharmacie et les succursales envisagées se situent à l’intérieur du même
arrondissement [«Kreis»], à l’intérieur de la même ville, ou dans les arrondissements ou
villes voisins.

(5) Les dispositions de la présente loi s’appliquent mutatis mutandis à l’exploitation


de plusieurs officines étant entendu que

1. l’exploitant est tenu de gérer personnellement la pharmacie;

2. pour chaque succursale, l’exploitant est tenu de désigner par écrit un pharmacien
responsable qui doit garantir le respect des obligations imposées par la présente loi et
par le règlement relatif aux pharmaciens gérants en ce qui concerne la gestion de la
pharmacie.

[…]»

7 L’article 7 de l’ApoG énonce:

«L’autorisation oblige le pharmacien à gérer personnellement la pharmacie sous sa


propre responsabilité. […]»

8 L’article 8 de l’ApoG est libellé comme suit:

«Plusieurs personnes ensemble peuvent gérer une pharmacie uniquement sous la forme
d’une société de droit civil ou d’une société en nom collectif, tous les associés devant
dans ce cas obtenir l’autorisation. […]»

9 L’article 13, paragraphe 1, de l’ApoG dispose:

«Après le décès du titulaire de l’autorisation, les héritiers de ce dernier peuvent confier à


un pharmacien le soin de la gérance de la pharmacie pendant douze mois au maximum.»

10 Conformément à l’article 14 de l’ApoG, les hôpitaux ont le choix de confier leur


approvisionnement en médicaments soit à une pharmacie interne, c’est-à-dire une
pharmacie exploitée dans les locaux de l’hôpital concerné, soit à la pharmacie d’un
autre hôpital ou encore à une pharmacie située en dehors d’un établissement hospitalier.
L’autorisation d’exploiter une pharmacie interne est accordée dès lors que
l’établissement hospitalier prouve notamment qu’il a recruté un pharmacien qui satisfait
aux conditions fixées à l’article 2, paragraphe 1, points 1 à 4, 7 et 8, de la même loi.

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

11 DocMorris NV (ci-après «DocMorris») est une société anonyme établie aux Pays-
Bas qui exerce, notamment, une activité de vente de médicaments par correspondance.
Par décision du 29 juin 2006, le Ministerium lui a accordé, avec effet au 1er juillet 2006,
l’autorisation d’exploiter en tant que succursale une pharmacie à Sarrebruck

11
(Allemagne), sous réserve de l’engagement par cette société d’un pharmacien chargé de
diriger personnellement et sous sa propre responsabilité la pharmacie en question (ci-
après la «décision du 29 juin 2006»).

12 Les 2 et 18 août 2006, les requérants au principal ont introduit des recours devant
le Verwaltungsgericht des Saarlandes ayant pour objet l’annulation de la décision du 29
juin 2006.

13 Dans ces recours, ils soutenaient que cette décision est contraire à l’ApoG, car
elle méconnaît le principe dit du «Fremdbesitzverbot», c’est-à-dire le principe qui
réserve aux seuls pharmaciens le droit d’être propriétaires et d’exploiter une pharmacie,
tel qu’il ressort des dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, point 3, ainsi
que 7 et 8 de l’ApoG (ci-après la «règle d’exclusion des non-pharmaciens»).

14 Le Ministerium, soutenu par DocMorris, a fait valoir que la décision du 29 juin


2006 est valide dès lors qu’il était tenu d’écarter l’application desdites dispositions de
l’ApoG au motif qu’elles enfreignent l’article 43 CE qui garantit la liberté
d’établissement. En effet, une société de capitaux exploitant légalement une pharmacie
dans un État membre n’aurait pas accès au marché allemand des pharmacies. Or, une
telle restriction ne serait pas nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime de
protection de la santé publique.

15 Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht des Saarlandes a décidé de surseoir à


statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, lesquelles sont
rédigées en des termes identiques dans les deux affaires C-171/07 et C-172/07:

«1) Les dispositions relatives à la liberté d’établissement des sociétés de capitaux


(articles 43 CE, 48 CE) doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à la
[règle d’exclusion des non-pharmaciens] telle qu’elle ressort des dispositions combinées
des articles 2, paragraphe 1, points 1 à 4 et 7, ainsi que 7, première phrase, et 8,
première phrase, de l’[ApoG]?

2) En cas de réponse affirmative à la première question:

Une autorité nationale a-t-elle le pouvoir et le devoir, en application du droit


communautaire, et en particulier compte tenu de l’article 10 CE et du principe de l’effet
utile du droit communautaire, d’écarter l’application des dispositions nationales qu’elle
considère comme contraires au droit communautaire, même s’il ne s’agit pas d’une
violation manifeste du droit communautaire et si la Cour de justice […] n’a pas constaté
l’incompatibilité des dispositions en cause avec le droit communautaire?»

16 Par ordonnance du président de la Cour du 1er juin 2007, les affaires C-171/07 et
C-172/07 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur les questions préjudicielles

12
Sur la première question

17 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si les articles 43 CE et


48 CE s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal,
qui empêche des personnes n’ayant pas la qualité de pharmaciens de détenir et
d’exploiter des pharmacies.

Observations liminaires

18 Premièrement, il ressort tant de la jurisprudence de la Cour que de l’article 152,


paragraphe 5, CE et du vingt-sixième considérant de la directive 2005/36 que le droit
communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager
leurs systèmes de sécurité sociale et pour prendre, en particulier, des dispositions
destinées à organiser des services de santé tels que les officines de pharmacie.
Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le
droit communautaire, notamment les dispositions du traité relatives aux libertés de
circulation, y compris la liberté d’établissement. Lesdites dispositions comportent
l’interdiction pour les États membres d’introduire ou de maintenir des restrictions
injustifiées à l’exercice de ces libertés dans le domaine des soins de santé (voir, en ce
sens, arrêts du 16 mai 2006, Watts, C-372/04, Rec. p. I-4325, points 92 et 146, ainsi que
du 10 mars 2009, Hartlauer, C-169/07, non encore publié au Recueil, point 29).

19 Dans l’appréciation du respect de cette obligation, il doit être tenu compte du fait
que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et intérêts
protégés par le traité et qu’il appartient aux États membres de décider du niveau auquel
ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit
être atteint. Ce niveau pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de
reconnaître aux États membres une marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 11
décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C-322/01, Rec. p. I-14887, point 103; du
11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C-141/07, non encore publié au Recueil,
point 51, et Hartlauer, précité, point 30).

20 Deuxièmement, il convient de constater que ni la directive 2005/36 ni aucune


autre mesure mettant en œuvre les libertés de circulation garanties par le traité ne
prévoient des conditions d’accès aux activités du domaine de la pharmacie qui
préciseraient le cercle des personnes qui ont le droit d’exploiter une officine. Par
conséquent, la réglementation nationale doit être examinée au regard des seules
dispositions du traité.

21 Troisièmement, il y a lieu de relever que le régime applicable aux personnes


chargées de la distribution des médicaments au détail varie d’un État membre à l’autre.
Tandis que, dans certains États membres, seuls les pharmaciens indépendants peuvent
détenir et exploiter des pharmacies, d’autres États membres acceptent que des personnes
n’ayant pas la qualité de pharmacien indépendant soient propriétaires d’une pharmacie
tout en confiant la gérance de cette dernière à des pharmaciens salariés.

13
Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement

22 Selon une jurisprudence constante, l’article 43 CE s’oppose à toute mesure


nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est
susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants
communautaires, de la liberté d’établissement garantie par le traité (voir, notamment,
arrêts du 31 mars 1993, Kraus, C-19/92, Rec. p. I-1663, point 32, et du 14 octobre 2004,
Commission/Pays-Bas, C-299/02, Rec. p. I-9761, point 15).

23 Constitue notamment une restriction au sens de l’article 43 CE une


réglementation qui subordonne l’établissement dans l’État membre d’accueil d’un
opérateur économique d’un autre État membre à la délivrance d’une autorisation
préalable et qui réserve l’exercice d’une activité non salariée à certains opérateurs
économiques qui répondent à des exigences prédéterminées dont le respect conditionne
la délivrance de cette autorisation. Une telle réglementation décourage, voire empêche,
des opérateurs économiques d’autres États membres d’exercer, dans l’État membre
d’accueil, leurs activités par l’intermédiaire d’un établissement stable (voir, en ce sens,
arrêt Hartlauer, précité, points 34, 35 et 38).

24 La règle d’exclusion des non-pharmaciens constitue une telle restriction


puisqu’elle réserve l’exploitation de pharmacies aux seuls pharmaciens, en privant les
autres opérateurs économiques de l’accès à cette activité non salariée dans l’État
membre concerné.

Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement

25 Les restrictions à la liberté d’établissement, qui sont applicables sans


discrimination tenant à la nationalité, peuvent être justifiées par des raisons impérieuses
d’intérêt général, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif
poursuivi et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir
arrêt Hartlauer, précité, point 44).

26 Dans les affaires au principal, il convient de constater, en premier lieu, que la


réglementation nationale en cause s’applique sans discrimination tenant à la nationalité.

27 En deuxième lieu, la protection de la santé publique figure parmi les raisons


impérieuses d’intérêt général qui peuvent justifier des restrictions aux libertés de
circulation garanties par le traité telles que la liberté d’établissement (voir, notamment,
arrêt Hartlauer, précité, point 46).

28 Plus précisément, des restrictions auxdites libertés de circulation peuvent être


justifiées par l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la
population sûr et de qualité (voir, en ce sens, arrêts précités Deutscher
Apothekerverband, point 106, et du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, point
47).

14
29 Il convient d’examiner, en troisième lieu, si la règle d’exclusion des non-
pharmaciens est propre à garantir un tel objectif.

30 À cet égard, il importe que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence
ou à l’importance de risques pour la santé des personnes, l’État membre puisse prendre
des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité de ces risques soient
pleinement démontrée. En outre, l’État membre peut prendre les mesures qui réduisent,
autant que possible, un risque pour la santé publique (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin
2007, Rosengren e.a., C-170/04, Rec. p. I-4071, point 49), y compris, plus précisément,
un risque pour l’approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité.

31 Dans ce contexte, il convient de souligner le caractère très particulier des


médicaments, les effets thérapeutiques de ceux-ci les distinguant substantiellement des
autres marchandises (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 1991, Delattre, C-369/88, Rec.
p. I-1487, point 54).

32 Ces effets thérapeutiques ont pour conséquence que, si les médicaments sont
consommés sans nécessité ou de manière incorrecte, ils peuvent gravement nuire à la
santé, sans que le patient soit en mesure d’en prendre conscience lors de leur
administration.

33 Une surconsommation ou une utilisation incorrecte de médicaments entraîne, en


outre, un gaspillage de ressources financières qui est d’autant plus dommageable que le
secteur pharmaceutique engendre des coûts considérables et doit répondre à des besoins
croissants, tandis que les ressources financières pouvant être consacrées aux soins de
santé ne sont, quel que soit le mode de financement utilisé, pas illimitées (voir, par
analogie, concernant les soins hospitaliers, arrêts du 13 mai 2003, Müller-Fauré et van
Riet, C-385/99, Rec. p. I-4509, point 80, ainsi que Watts, précité, point 109). À cet
égard, il convient de relever qu’il existe un lien direct entre ces ressources financières et
les bénéfices d’opérateurs économiques actifs dans le secteur pharmaceutique, car la
prescription de médicaments est prise en charge, dans la plupart des États membres, par
les organismes d’assurance maladie concernés.

34 Au regard de ces risques pour la santé publique et pour l’équilibre financier des
systèmes de sécurité sociale, les États membres peuvent soumettre les personnes
chargées de la distribution des médicaments au détail à des exigences strictes, s’agissant
notamment des modalités de commercialisation de ceux-ci et de la recherche de
bénéfices. En particulier, ils peuvent réserver la vente de médicaments au détail, en
principe, aux seuls pharmaciens, en raison des garanties que ces derniers doivent
présenter et des informations qu’ils doivent être en mesure de donner au consommateur
(voir, en ce sens, arrêt Delattre, précité, point 56).

35 À cet égard, compte tenu de la faculté reconnue aux États membres de décider du
niveau de protection de la santé publique, il y a lieu d’admettre que ces derniers peuvent
exiger que les médicaments soient distribués par des pharmaciens jouissant d’une
indépendance professionnelle réelle. Ils peuvent également prendre des mesures

15
susceptibles d’éliminer ou de réduire un risque d’atteinte à cette indépendance dès lors
qu’une telle atteinte serait de nature à affecter le niveau de la sûreté et de la qualité de
l’approvisionnement en médicaments de la population.

36 Dans ce contexte, trois catégories d’exploitants potentiels d’une pharmacie


doivent être distinguées, à savoir celle des personnes physiques ayant la qualité de
pharmacien, celle des personnes actives dans le secteur des produits pharmaceutiques en
tant que fabricants ou grossistes et celle des personnes n’ayant ni la qualité de
pharmacien ni une activité dans ledit secteur.

37 En ce qui concerne l’exploitant ayant la qualité de pharmacien, il ne saurait être


nié qu’il poursuit, à l’instar d’autres personnes, l’objectif de la recherche de bénéfices.
Cependant, en tant que pharmacien de profession, il est censé exploiter la pharmacie
non pas dans un objectif purement économique, mais également dans une optique
professionnelle. Son intérêt privé lié à la réalisation de bénéfices se trouve ainsi tempéré
par sa formation, par son expérience professionnelle et par la responsabilité qui lui
incombe, étant donné qu’une éventuelle violation des règles légales ou déontologiques
fragilise non seulement la valeur de son investissement, mais également sa propre
existence professionnelle.

38 À la différence des pharmaciens, les non-pharmaciens n’ont pas, par définition,


une formation, une expérience et une responsabilité équivalentes à celles des
pharmaciens. Dans ces conditions, il convient de constater qu’ils ne présentent pas les
mêmes garanties que celles fournies par les pharmaciens.

39 Par conséquent, un État membre peut estimer, dans le cadre de sa marge


d’appréciation évoquée au point 19 du présent arrêt, que, à la différence d’une officine
exploitée par un pharmacien, l’exploitation d’une pharmacie par un non-pharmacien
peut représenter un risque pour la santé publique, en particulier pour la sûreté et la
qualité de la distribution des médicaments au détail, puisque la recherche de bénéfices
dans le cadre d’une telle exploitation ne comporte pas d’éléments modérateurs tels que
ceux, rappelés au point 37 du présent arrêt, qui caractérisent l’activité des pharmaciens
(voir par analogie, en ce qui concerne la prestation de services d’assistance sociale, arrêt
du 17 juin 1997, Sodemare e.a., C-70/95, Rec. p. I-3395, point 32).

40 Il est ainsi notamment loisible à un État membre d’évaluer, dans le cadre de ladite
marge d’appréciation, si un tel risque existe s’agissant des fabricants et des grossistes de
produits pharmaceutiques au motif que ceux-ci pourraient porter atteinte à
l’indépendance des pharmaciens salariés en les incitant à promouvoir les médicaments
qu’ils produisent ou commercialisent eux-mêmes. De même, un État membre peut
apprécier si les exploitants n’ayant pas la qualité de pharmaciens risquent de porter
atteinte à l’indépendance des pharmaciens salariés en les incitant à écouler des
médicaments dont le stockage n’est plus rentable ou si ces exploitants risquent de
procéder à des réductions de frais de fonctionnement qui sont susceptibles d’affecter les
modalités selon lesquelles les médicaments sont distribués au détail.

16
41 Dans leurs observations déposées devant la Cour, DocMorris ainsi que la
Commission des Communautés européennes ont également fait valoir que, dans les
affaires au principal, la règle d’exclusion des non-pharmaciens ne saurait être justifiée
par l’intérêt général, car la manière dont cet objectif est poursuivi est dépourvue de
cohérence.

42 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une législation nationale


n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond
véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique
(voir arrêts du 6 mars 2007, Placanica e.a., C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Rec. p.
I-1891, points 53 et 58; du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética, C-500/06, non
encore publié au Recueil, points 39 et 40, ainsi que Hartlauer, précité, point 55).

43 Dans ce contexte, il convient de relever que la réglementation nationale n’exclut


pas de manière absolue l’exploitation de pharmacies par des non-pharmaciens.

44 Tout d’abord, l’article 13, paragraphe 1, de l’ApoG prévoit, à titre d’exception,


que les héritiers d’un pharmacien qui n’ont pas eux-mêmes la qualité de pharmaciens
peuvent exploiter la pharmacie dont ils ont hérité pendant une période maximale de
douze mois.

45 Toutefois, cette exception s’avère justifiée au regard de la protection des droits et


intérêts patrimoniaux légitimes des membres de la famille du pharmacien décédé. À cet
égard, il y a lieu de constater que les États membres peuvent considérer que les intérêts
des héritiers d’un pharmacien ne sont pas de nature à remettre en cause les exigences et
garanties découlant de leurs ordres juridiques respectifs auxquelles les exploitants qui
ont la qualité de pharmaciens doivent répondre. Dans ce contexte, doit surtout être prise
en considération la circonstance que la pharmacie héritée doit être exploitée, pendant
toute la période transitoire, sous la responsabilité d’un pharmacien diplômé. Partant, les
héritiers ne sauraient, dans ce contexte concret, être assimilés à d’autres exploitants
n’ayant pas la qualité de pharmaciens.

46 En outre, il convient de relever que ladite exception n’a que des effets temporaires
dès lors que les héritiers doivent effectuer le transfert des droits d’exploitation de la
pharmacie à un pharmacien dans un délai de douze mois.

47 Cette exception vise ainsi à permettre aux ayants droit de céder la pharmacie à un
pharmacien dans un délai qui ne s’avère pas déraisonnable et elle peut être ainsi
considérée comme ne présentant pas un risque pour la sûreté et la qualité de
l’approvisionnement en médicaments de la population.

48 Ensuite, un tel risque ne saurait davantage découler du fait que les hôpitaux
peuvent exploiter des pharmacies internes. En effet, ces dernières sont destinées non pas
à assurer l’approvisionnement en médicaments de personnes extérieures à ces hôpitaux,
mais à procurer des médicaments aux établissements dans lesquels elles sont établies.
Ainsi, les hôpitaux qui exploitent de telles pharmacies ne sont pas, en principe,

17
susceptibles d’influer sur le niveau général de sûreté et de qualité de
l’approvisionnement en médicaments de l’ensemble de la population. En outre, compte
tenu du fait que ces établissements hospitaliers sont des prestataires de soins médicaux,
aucun élément ne permet de présumer qu’ils auraient un intérêt à la réalisation de
bénéfices au détriment des patients auxquels les médicaments des pharmacies qu’ils
abritent sont destinés.

49 Enfin, bien que ladite réglementation permette aux pharmaciens d’exploiter


jusqu’à trois succursales d’une même pharmacie, une telle possibilité est soumise à
plusieurs conditions qui visent à sauvegarder les impératifs relatifs à la santé publique.
Tout d’abord, les succursales sont exploitées sous la propre responsabilité du
pharmacien concerné qui détermine donc la politique commerciale générale de celles-ci.
Lesdites succursales sont ainsi censées être exploitées également dans une optique
professionnelle, l’intérêt privé lié à la réalisation de bénéfices étant tempéré dans la
même mesure qu’il l’est dans le cas de l’exploitation de pharmacies n’ayant pas le statut
de succursales. Ensuite, ces succursales doivent se situer dans un rayon géographique
déterminé afin d’assurer une présence suffisante du pharmacien exploitant dans celles-ci
et une surveillance effective par ce pharmacien. Enfin, le pharmacien exploitant doit
désigner, pour chaque succursale, un pharmacien responsable qui doit veiller au respect
des obligations légales et de la conformité de la gestion de la succursale concernée avec
la politique générale commerciale déterminée par le pharmacien exploitant.

50 Dès lors que l’exploitation desdites succursales est assortie de ces conditions, la
réglementation en cause au principal ne peut être considérée comme incohérente.

51 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de constater que la réglementation en


cause au principal est propre à garantir la réalisation de l’objectif visant à assurer un
approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité ainsi que, partant,
la protection de la santé publique.

52 En quatrième lieu, il convient d’examiner si la restriction à la liberté


d’établissement ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif,
c’est-à-dire s’il n’existe pas des mesures moins restrictives de la liberté garantie par
l’article 43 CE qui permettraient de l’atteindre de manière aussi efficace.

53 À cet égard, DocMorris et la Commission ont fait valoir devant la Cour que ledit
objectif pourrait être atteint par des mesures moins restrictives, telles que l’obligation de
présence d’un pharmacien dans l’officine, l’obligation de contracter une assurance ou
un système de contrôles adéquats et de sanctions efficaces.

54 Toutefois, eu égard à la marge d’appréciation laissée aux États membres, telle que
rappelée au point 19 du présent arrêt, un État membre peut estimer qu’il existe un risque
que les règles législatives visant à assurer l’indépendance professionnelle des
pharmaciens soient méconnues dans la pratique, étant donné que l’intérêt d’un non-
pharmacien à la réalisation de bénéfices ne serait pas modéré d’une manière équivalente
à celui des pharmaciens indépendants et que la subordination de pharmaciens, en tant

18
que salariés, à un exploitant pourrait rendre difficile pour ceux-ci de s’opposer aux
instructions données par cet exploitant.

55 Or, la Commission n’a présenté, hormis des considérations générales, aucun


élément de nature à démontrer quel serait le système concret susceptible de garantir –
avec la même efficacité que la règle d’exclusion des non-pharmaciens – que lesdites
règles législatives ne seront pas méconnues dans la pratique nonobstant les
considérations énoncées au point précédent du présent arrêt.

56 En outre, contrairement à ce que soutiennent DocMorris et la Commission, les


risques pour l’indépendance de la profession de pharmacien ne peuvent pas davantage
être écartés, avec la même efficacité, par le moyen consistant à imposer une obligation
de contracter une assurance, telle que l’assurance civile du fait d’autrui. En effet, si cette
mesure pourrait permettre au patient d’obtenir une réparation financière au titre du
préjudice éventuellement subi par lui, elle intervient a posteriori et serait moins efficace
que ladite règle en ce sens qu’elle n’empêcherait nullement l’exploitant concerné
d’exercer une influence sur les pharmaciens salariés.

57 Dans ces conditions, il n’est pas établi qu’une mesure moins restrictive de la
liberté garantie par l’article 43 CE, autre que la règle d’exclusion des non-pharmaciens,
permettrait d’assurer, de manière aussi efficace, le niveau de sûreté et de qualité
d’approvisionnement en médicaments de la population qui résulte de l’application de
cette règle.

58 Par conséquent, la réglementation nationale en cause au principal s’avère propre à


garantir la réalisation de l’objectif poursuivi par celle-ci et ne va pas au-delà de ce qui
est nécessaire pour l’atteindre. Dès lors, il convient d’admettre que les restrictions
découlant de cette réglementation peuvent être justifiées par cet objectif.

59 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt du 21 avril 2005,
Commission/Grèce (C-140/03, Rec. p. I-3177), invoqué par le Saarland, le
Ministerium, DocMorris et la Commission, dans lequel la Cour a dit pour droit que la
République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles
43 CE et 48 CE en adoptant et en maintenant en vigueur des dispositions nationales qui
subordonnent la possibilité pour une personne morale d’ouvrir un magasin d’optique
notamment à la condition que l’autorisation de créer et d’exploiter ce magasin soit
délivrée au nom d’un opticien personne physique agréé et que la personne qui possède
l’autorisation d’exploiter le magasin participe à raison de 50 % au moins au capital de la
société ainsi qu’à ses bénéfices et pertes.

60 Compte tenu du caractère particulier des médicaments ainsi que de leur marché et
en l’état actuel du droit communautaire, les constatations de la Cour dans l’arrêt
Commission/Grèce, précité, ne sont pas transposables dans le domaine de la distribution
de médicaments au détail. En effet, à la différence des produits d’optique, les
médicaments prescrits ou utilisés pour des raisons thérapeutiques peuvent malgré tout se
révéler gravement nuisibles à la santé s’ils sont consommés sans nécessité ou de

19
manière incorrecte, sans que le consommateur soit en mesure d’en prendre conscience
lors de leur administration. En outre, une vente médicalement injustifiée de
médicaments entraîne un gaspillage des ressources financières publiques qui n’est pas
comparable à celui résultant de ventes injustifiées de produits d’optique.

61 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question que


les articles 43 CE et 48 CE ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que
celle en cause au principal, qui empêche des personnes n’ayant pas la qualité de
pharmaciens de détenir et d’exploiter des pharmacies.

Sur la seconde question

62 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de


répondre à la seconde question.

Sur les dépens

63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident


soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

Les articles 43 CE et 48 CE ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que


celle en cause au principal, qui empêche des personnes n’ayant pas la qualité de
pharmaciens de détenir et d’exploiter des pharmacies.

Document 3 : CJUE, 13 avril 2010, Bressol, C-73/08

«Citoyenneté de l’Union – Articles 18 et 21 TFUE – Directive 2004/38/CE – Article 24,


paragraphe 1 – Liberté de séjour – Principe de non-discrimination – Accès à
l’enseignement supérieur – Étudiants ressortissants d’un État membre se rendant dans
un autre État membre pour y suivre une formation – Contingentement des inscriptions
d’étudiants non résidents à des formations universitaires dans le domaine de la santé
publique – Justification – Proportionnalité – Risque pour la qualité de l’enseignement
des matières médicales et paramédicales – Risque de pénurie de diplômés dans les
secteurs professionnels de la santé publique»

Dans l’affaire C-73/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE,
introduite par la Cour constitutionnelle (Belgique), par décision du 14 février 2008,
parvenue à la Cour le 22 février 2008, dans la procédure

Nicolas Bressol e.a.,

20
Céline Chaverot e.a.

contre

Gouvernement de la Communauté française,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C.


Bonichot, Mmes R. Silva de Lapuerta et C. Toader, présidents de chambre, MM. C. W.
A. Timmermans, A. Rosas, K. Schiemann, J. Malenovský (rapporteur), T. von Danwitz,
A. Arabadjiev et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 mars 2009,

considérant les observations présentées:

– pour M. Bressol e.a., par Mes M. Snoeck et J. Troeder, avocats,

– pour Mme Chaverot e.a., par Mes J. Troeder et M. Mareschal, avocats,

– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,
assistée de Me M. Nihoul, avocat,

– pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

– pour la Commission des Communautés européennes, par Mme C. Cattabriga et


M. G. Rozet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juin 2009,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 12,


premier alinéa, CE et 18, paragraphe 1, CE, lus en combinaison avec les articles 149,
paragraphes 1 et 2, CE et 150, paragraphe 2, CE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Bressol e.a.
et Mme Chaverot e.a. au gouvernement de la Communauté française, aux fins

21
d’apprécier la constitutionnalité du décret de la Communauté française du 16 juin 2006
régulant le nombre d’étudiants dans certains cursus de premier cycle de l’enseignement
supérieur (Moniteur belge du 6 juillet 2006, p. 34055, ci-après le «décret du 16 juin
2006»).

Le cadre juridique

Le droit international

3 Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, du pacte international relatif aux droits


économiques, sociaux et culturels, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies
le 16 décembre 1966, et entré en vigueur le 3 janvier 1976 (ci-après le «pacte»):

«Les États parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont
énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur […] l’origine nationale
[…]»

4 L’article 13, paragraphe 2, sous c), du pacte dispose:

«Les États parties au présent Pacte reconnaissent qu’en vue d’assurer le plein exercice
[du droit de toute personne à l’éducation]:

[…]

c) L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en


fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par
l’instauration progressive de la gratuité; […]»

Le droit de l’Union

5 La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004,


relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et
de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE)
n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE,
73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L
158, p. 77, et – rectificatifs – JO 2004, L 229, p. 35; JO 2005, L 197, p. 34, ainsi que JO
2007, L 204, p. 28), qui a été adoptée conformément aux articles 12, deuxième alinéa,
CE, 18, paragraphe 2, CE, 40 CE, 44 CE et 52 CE, énonce aux premier, troisième et
vingtième considérants:

«(1) La citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit


fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États
membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité et des
mesures adoptées en vue de leur application.

[…]

22
(3) La citoyenneté de l’Union devrait constituer le statut de base des ressortissants
des États membres lorsqu’ils exercent leur droit de circuler et de séjourner librement. Il
est par conséquent nécessaire de codifier et de revoir les instruments communautaires
existants qui visent séparément les travailleurs salariés, les non-salariés, les étudiants et
autres personnes sans emploi en vue de simplifier et de renforcer le droit à la liberté de
circulation et de séjour de tous les citoyens de l’Union.

[…]

(20) En vertu de l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, chaque


citoyen de l’Union et les membres de sa famille séjournant dans un État membre sur la
base de la présente directive devraient bénéficier, dans cet État membre, de l’égalité de
traitement avec ses ressortissants dans les domaines d’application du traité, sous réserve
des dispositions spécifiques figurant expressément dans le traité et le droit dérivé.»

6 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 énonce:

«La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans
un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa
famille […]»

7 Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, intitulé «Égalité


de traitement»:

«Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit
dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil
en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les
ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice
de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État
membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.»

Le droit national

8 Selon le décret du 16 juin 2006, les universités et les hautes écoles de la


Communauté française sont tenues de limiter, en respectant certaines modalités, le
nombre d’étudiants non considérés comme résidents en Belgique (ci-après les
«étudiants non-résidents») au sens dudit décret à la date de leur inscription qui peuvent
s’inscrire pour la première fois dans l’un des neuf cursus médicaux et paramédicaux
visés par ce décret.

9 Aux termes de l’article 1er du décret du 16 juin 2006:

«Par étudiant résident au sens du présent décret, il y a lieu d’entendre l’étudiant qui, au
moment de son inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, apporte la

23
preuve qu’il a sa résidence principale en Belgique et qu’il remplit une des conditions
suivantes:

1° Avoir le droit de séjourner en Belgique de manière permanente;

2° Avoir sa résidence principale en Belgique depuis au moins 6 mois au moment de


l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, en y exerçant une activité
professionnelle salariée ou non ou en bénéficiant d’un revenu de remplacement octroyé
par un service public belge;

3° Être autorisé à séjourner pour une durée illimitée sur la base [de la législation
belge];

4° Être autorisé à séjourner en Belgique en raison de la reconnaissance de la qualité


de réfugié en vertu [de la législation belge], ou d’une demande à cet effet;

5° Être autorisé à séjourner en Belgique en bénéficiant de la protection temporaire


visée [aux dispositions nationales applicables];

6° Avoir pour père, mère, tuteur légal ou conjoint une personne qui remplit une des
conditions visées ci-dessus;

7° Avoir sa résidence principale en Belgique depuis au moins trois ans au moment de


l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur;

8° Être titulaire d’une attestation de boursier délivrée dans le cadre de la coopération


au développement pour l’année académique et pour les études pour lesquelles la
demande d’inscription est introduite.

Par ‘droit de séjourner de manière permanente’ au sens de l’alinéa 1er, 1°, il y a lieu
d’entendre pour les ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne, le
droit reconnu en vertu des articles 16 et 17 de la [directive 2004/38] […]»

10 Le chapitre II dudit décret, composé des articles 2 à 5, contient des dispositions


relatives aux universités.

11 Aux termes de l’article 2 de ce décret:

«Les autorités académiques limitent le nombre des étudiants qui s’inscrivent pour la
première fois auprès d’une université de la Communauté française dans un des cursus
visés à l’article 3, de la manière visée à l’article 4.

[…]»

12 L’article 3 de ce décret énonce:

24
«Les dispositions du [chapitre II] sont applicables aux cursus menant aux grades
académiques suivants:

1° Bachelier en kinésithérapie et réadaptation;

2° Bachelier en médecine vétérinaire.»

13 L’article 4 de ce même décret est libellé comme suit:

«Pour chaque institution universitaire et pour chacun des cursus visés à l’article 3, il est
établi un nombre T égal au nombre total d’étudiants qui s’inscrivent pour la première
fois dans le cursus concerné et qui sont pris en compte pour le financement, ainsi qu’un
nombre NR égal au nombre des étudiants qui s’inscrivent pour la première fois dans le
cursus concerné et qui ne sont pas considérés comme étudiants résidents au sens de
l’article 1er.

Lorsque le rapport entre le nombre NR, d’une part, et le nombre T de l’année


académique précédente, d’autre part, atteint un pourcentage P, les autorités académiques
refusent l’inscription supplémentaire d’étudiants qui n’ont jamais été inscrits dans le
cursus concerné et qui ne sont pas considérés comme étudiants résidents au sens de
l’article 1er.

Le P visé à l’alinéa précédent est fixé à 30 pour cent. Toutefois, lorsque pour une année
académique, la part des étudiants qui poursuivent leurs études ailleurs que dans le pays
où ils ont obtenu leur diplôme d’études secondaires dépasse dix pour cent en moyenne
dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de l’Union européenne, le
P est égal, pour l’année académique suivante, à ce pourcentage multiplié par trois.»

14 L’article 5 du décret du 16 juin 2006 dispose:

«[…] les étudiants qui ne sont pas considérés comme étudiants résidents au sens de
l’article 1er introduisent leur demande d’inscription dans un des cursus visés à l’article 3
au plus tôt le troisième jour ouvrable qui précède le 2 septembre précédant l’année
académique concernée. […]

[…]

Par dérogation à l’alinéa 1er, pour les étudiants non résidents qui se présentent pour
introduire une demande d’inscription dans un des cursus visés à l’article 3 au plus tard
le dernier jour ouvrable précédant le 2 septembre précédant l’année académique, si le
nombre de ces étudiants qui se sont ainsi présentés excède le nombre NR visé à l’article
4, alinéa 2, l’ordre de priorité entre ces étudiants est déterminé par un tirage au sort. […]

[…]»

25
15 Le chapitre III du décret du 16 juin 2006, composé des articles 6 à 9, contient des
dispositions relatives aux hautes écoles. Les articles 6, premier alinéa, 8 et 9 de ce
décret contiennent des dispositions analogues à celles des articles 2, premier alinéa, 4 et
5 du même décret.

16 Aux termes de l’article 7 dudit décret, ces dispositions sont applicables aux cursus
menant aux grades académiques suivants:

«1° Accoucheuse-bachelier;

2° Bachelier en ergothérapie;

3° Bachelier en logopédie;

4° Bachelier en podologie-podothérapie;

5° Bachelier en kinésithérapie;

6° Bachelier en audiologie;

7° Éducateur(trice) spécialisé(e) en accompagnement psycho-éducatif.»

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

17 Le système d’enseignement supérieur de la Communauté française est fondé sur


un accès libre à la formation, sans limitation d’inscription des étudiants.

18 Cependant, depuis plusieurs années, cette Communauté a constaté une


augmentation sensible du nombre d’étudiants provenant d’autres États membres que le
Royaume de Belgique et s’inscrivant dans les établissements relevant de son système
d’enseignement supérieur, et ce en particulier dans neuf cursus médicaux et
paramédicaux. Selon la décision de renvoi, ladite augmentation a été due, notamment, à
l’afflux des étudiants français qui s’orientent vers la Communauté française, étant donné
que l’enseignement supérieur y est dispensé dans la même langue qu’en France et que la
République française a restreint l’accès aux études concernées.

19 Considérant que le nombre de ces étudiants a atteint un niveau trop élevé dans
lesdits cursus, la Communauté française a adopté le décret du 16 juin 2006.

20 Les 9 août et 13 décembre 2006, les requérants au principal ont déposé devant la
Cour constitutionnelle un recours en annulation contre ce décret.

21 Une partie de ces requérants est constituée d’étudiants, notamment de nationalité


française et n’appartenant à aucune des catégories visées à l’article 1er du décret du 16
juin 2006, qui ont introduit, pour l’année académique 2006-2007, une demande

26
d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur de la Communauté
française, afin d’y suivre l’un des cursus visés par ce décret.

22 Le nombre d’étudiants non-résidents ayant excédé le seuil fixé par ledit décret, les
établissements concernés ont organisé un tirage au sort entre ces étudiants qui s’est
révélé défavorable pour les requérants au principal. Par conséquent, les établissements
concernés ont refusé d’accéder à leur demande d’inscription.

23 Une autre partie des requérants au principal est constituée d’enseignants des
universités et des hautes écoles visées par le décret du 16 juin 2006, qui estiment que
l’application de ce décret menace directement et immédiatement leur emploi, car il
provoquera, à terme, une diminution du nombre d’étudiants inscrits auprès de leurs
établissements d’enseignement.

24 À l’appui de leur recours, les requérants au principal ont notamment fait valoir
que le décret du 16 juin 2006 viole le principe de non-discrimination, car ses
dispositions traiteraient, sans aucune justification valable, de manière différente les
étudiants résidents et non-résidents. En effet, alors que les étudiants résidents
continueraient à jouir d’un accès libre aux cursus visés par ce décret, l’accès des
étudiants non-résidents à ces cursus serait limité de telle manière que le nombre
d’étudiants de cette catégorie, inscrit dans lesdits cursus, ne pourrait dépasser le seuil de
30 %.

25 La juridiction de renvoi a émis des doutes quant à la légalité du décret du 16 juin


2006, en estimant que les dispositions de la Constitution belge, dont le contrôle relève
de sa compétence et dont la violation est alléguée, devaient être lues en combinaison
avec les articles 12, premier alinéa, CE, 18, paragraphe 1, CE, 149, paragraphes 1 et 2,
deuxième tiret, CE et 150, paragraphe 2, troisième tiret, CE.

26 Dans ces conditions, la Cour constitutionnelle a décidé de surseoir à statuer et de


poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Les articles 12, premier alinéa, [CE] et 18, paragraphe l, [CE], lus en
combinaison avec l’article 149, paragraphes 1 et 2, deuxième tiret, [CE] et avec l’article
150, paragraphe 2, troisième tiret, [CE] doivent-ils être interprétés en ce sens que ces
dispositions s’opposent à ce qu’une communauté autonome d’un État membre
compétente pour l’enseignement supérieur, qui est confrontée à un afflux d’étudiants
d’un État membre voisin dans plusieurs formations à caractère médical financées
principalement par des deniers publics, à la suite d’une politique restrictive menée dans
cet État voisin, prenne des mesures telles que celles inscrites dans le [décret du 16 juin
2006], lorsque cette Communauté invoque des raisons valables pour affirmer que cette
situation risque de peser excessivement sur les finances publiques et d’hypothéquer la
qualité de l’enseignement dispensé?

2) En va-t-il autrement, pour répondre à la première question, si cette Communauté


démontre que cette situation a pour effet que trop peu d’étudiants résidant dans cette

27
Communauté obtiennent leur diplôme pour qu’il y ait durablement en suffisance du
personnel médical qualifié afin de garantir la qualité du régime de santé publique au
sein de cette Communauté?

3) En va-t-il autrement, pour répondre à la première question, si cette Communauté,


compte tenu de l’article 149, premier alinéa, in fine, [CE] et de l’article 13.2, c), du
[pacte], qui contient une obligation de standstill, opte pour le maintien d’un accès large
et démocratique à un enseignement supérieur de qualité pour la population de cette
Communauté?»

Sur les première et deuxième questions

27 Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la


juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union s’oppose à une
réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui limite le
nombre d’étudiants non-résidents pouvant s’inscrire pour la première fois dans des
cursus médicaux et paramédicaux auprès d’établissements de l’enseignement supérieur,
lorsque cet État est confronté à un afflux d’étudiants en provenance d’un État membre
voisin à la suite d’une politique restrictive menée par ce dernier État et lorsque cette
situation a pour effet que trop peu d’étudiants résidant dans ce premier État membre
obtiennent leur diplôme dans lesdits cursus.

Sur la compétence des États membres en matière d’éducation

28 À titre liminaire, il convient de rappeler que si le droit de l’Union ne porte pas


atteinte à la compétence des États membres en ce qui concerne l’organisation de leurs
systèmes éducatifs et de la formation professionnelle – en vertu des articles 165,
paragraphe 1, et 166, paragraphe 1, TFUE –, il demeure toutefois que, dans l’exercice
de cette compétence, ces États doivent respecter le droit de l’Union et, notamment, les
dispositions relatives à la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États
membres (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz,
C-76/05, Rec. p. I-6849, point 70, ainsi que du 23 octobre 2007, Morgan et Bucher,
C-11/06 et C-12/06, Rec. p. I-9161, point 24).

29 Les États membres sont ainsi libres d’opter soit pour un système d’enseignement
fondé sur un accès libre à la formation – sans limitation d’inscription du nombre
d’étudiants –, soit pour un système fondé sur un accès régulé qui sélectionne les
étudiants. Cependant, dès lors qu’ils optent pour l’un de ces systèmes ou pour une
combinaison de ceux-ci, les modalités du système choisi doivent respecter le droit de
l’Union, et, en particulier, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité.

Sur l’identification des dispositions applicables aux litiges au principal

30 L’article 21, paragraphe 1, TFUE dispose que tout citoyen de l’Union a le droit de
circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des

28
limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur
application.

31 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que tout citoyen de l’Union peut


se prévaloir de l’article 18 TFUE, interdisant toute discrimination en raison de la
nationalité, dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiæ
du droit de l’Union, ces situations comprenant l’exercice de la liberté de circuler et de
séjourner sur le territoire des États membres conférée par l’article 21 TFUE (voir, en ce
sens, arrêts du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02, Rec. p. I-11613, point 24; du
15 mars 2005, Bidar, C-209/03, Rec. p. I-2119, points 32 et 33, ainsi que du 18
novembre 2008, Förster, C-158/07, Rec. p. I-8507, points 36 et 37).

32 Par ailleurs, il ressort de cette même jurisprudence que ladite interdiction couvre
également les situations concernant les conditions d’accès à la formation
professionnelle, étant entendu que tant l’enseignement supérieur que l’enseignement
universitaire constituent une formation professionnelle (arrêt du 7 juillet 2005,
Commission/Autriche, C-147/03, Rec. p. I-5969, points 32 et 33 ainsi que
jurisprudence citée).

33 Il s’ensuit que les étudiants en cause au principal peuvent se prévaloir du droit,


consacré aux articles 18 et 21 TFUE, de circuler et de séjourner librement sur le
territoire d’un État membre, tel que le Royaume de Belgique, sans subir de
discriminations directes ou indirectes en raison de leur nationalité.

34 Cela étant, il ne saurait être exclu que la situation de certains requérants au


principal puisse être régie par l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, qui vise
tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu
de cette directive.

35 À cet égard, il ressort du dossier, premièrement, que les étudiants en cause au


principal sont des citoyens de l’Union.

36 Deuxièmement, le fait qu’ils n’exercent, le cas échéant, aucune activité


économique en Belgique est sans pertinence, car la directive 2004/38 s’applique à tous
les citoyens de l’Union indépendamment de la question de savoir si ces citoyens
exercent, sur le territoire d’un autre État membre, une activité économique salariée ou
une activité économique non salariée ou s’ils n’y exercent aucune activité économique.

37 Troisièmement, il ne saurait être exclu que certains requérants en cause au


principal aient déjà séjourné en Belgique avant de vouloir s’inscrire dans l’un des cursus
concernés.

38 Quatrièmement, il y a lieu de constater que la directive 2004/38 s’applique ratione


temporis aux litiges au principal. En effet, les États membres étaient tenus, d’une part,
de transposer cette directive avant le 30 avril 2006. D’autre part, le décret en cause au
principal a été adopté le 16 juin 2006, à savoir postérieurement à cette date. En outre, il

29
est constant que les étudiants en cause au principal ont introduit une demande
d’inscription auprès des établissements d’enseignement supérieur concernés pour
l’année académique 2006-2007, et que cette inscription leur a été refusée sur la base de
ce décret. Le refus de satisfaire à leur demande a ainsi nécessairement eu lieu
postérieurement au 30 avril 2006.

39 Cependant, comme la Cour ne dispose pas de tous les éléments qui lui
permettraient de constater que la situation des requérants au principal relève également
de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38, il appartient à la juridiction de
renvoi d’apprécier si cette disposition est effectivement applicable aux litiges au
principal.

Sur l’existence d’une inégalité de traitement

40 Il convient de rappeler que le principe de non-discrimination prohibe non


seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toutes
formes indirectes de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction,
aboutissent en fait au même résultat (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007,
Hartmann, C-212/05, Rec. p. I-6303, point 29).

41 À moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif


poursuivi, une disposition nationale doit être considérée comme indirectement
discriminatoire, lorsqu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les
ressortissants d’autres États membres que les ressortissants nationaux et qu’elle risque,
par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (voir, en ce sens,
arrêts du 30 novembre 2000, Österreichischer Gewerkschaftsbund, C-195/98, Rec. p. I-
10497, point 40, et Hartmann, précité, point 30).

42 Dans les affaires au principal, le décret du 16 juin 2006 prévoit que l’accès des
étudiants aux cursus médicaux et paramédicaux visés par ce décret n’est ouvert sans
restriction qu’aux étudiants résidents, à savoir ceux qui remplissent à la fois la condition
de résidence principale en Belgique et l’une des huit autres conditions alternatives
énumérées aux points 1° à 8° de l’article 1er, premier alinéa, dudit décret.

43 Les étudiants qui ne remplissent pas ces conditions ne bénéficient, en revanche,


que d’un accès restreint auxdits établissements, car le nombre total de ces étudiants est
en principe limité, pour chaque institution universitaire et pour chacun des cursus, à 30
% de l’ensemble des inscrits de l’année académique précédente. Dans le cadre de ce
pourcentage imparti, les étudiants non-résidents se voient sélectionnés, en vue de leur
inscription, par un tirage au sort.

44 Ainsi, la réglementation nationale en cause au principal crée une inégalité de


traitement entre les étudiants résidents et les étudiants non-résidents.

45 Or, une condition de résidence, telle que celle exigée par cette réglementation, est
plus aisément remplie par les ressortissants nationaux, qui ont leur résidence le plus

30
souvent en Belgique, que par les ressortissants d’autres États membres, dont la
résidence est en revanche située, en règle générale, dans un autre État membre que la
Belgique (voir, par analogie, arrêts du 8 juin 1999, Meeusen, C-337/97, Rec. p. I-3289,
points 23 et 24, ainsi que Hartmann, précité, point 31).

46 Il s’ensuit, ainsi que le gouvernement belge l’admet d’ailleurs, que la


réglementation nationale en cause au principal affecte, par sa nature même, davantage
les ressortissants des États membres autres que le Royaume de Belgique que les
ressortissants nationaux et qu’elle défavorise ainsi plus particulièrement les premiers.

Sur la justification de l’inégalité de traitement

47 Ainsi qu’il a été constaté au point 41 du présent arrêt, une inégalité de traitement,
telle que celle instaurée par le décret du 16 juin 2006, constitue une discrimination
indirecte sur la base de la nationalité qui est prohibée, à moins qu’elle ne soit
objectivement justifiée.

48 En outre, pour être justifiée, la mesure concernée doit être propre à garantir la
réalisation de l’objectif légitime qu’elle poursuit et ne saurait aller au-delà de ce qui est
nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2008, Renneberg, C-
527/06, Rec. p. I-7735, point 81, ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des
Saarlandes e.a., C-171/07 et C-172/07, non encore publié au Recueil, point 25).

Sur la justification tirée de charges excessives pour le financement de l’enseignement


supérieur

49 Le gouvernement belge, soutenu par le gouvernement autrichien, soutient tout


d’abord que l’inégalité de traitement entre les étudiants résidents et les étudiants non-
résidents est nécessaire afin d’éviter des charges excessives pour le financement de
l’enseignement supérieur, ces charges découlant du fait que, à défaut d’un traitement
différent, le nombre d’étudiants non-résidents, inscrits dans les établissements
d’enseignement supérieur de la Communauté française, atteindrait un niveau
excessivement élevé.

50 À cet égard, il y a lieu de constater que, selon les explications de la Communauté


française telles qu’elles ressortent de la décision de renvoi, la charge financière ne
constitue pas un motif essentiel ayant justifié l’adoption du décret du 16 juin 2006. En
effet, selon ces explications, le financement de l’enseignement est organisé sur la base
d’un système d’«enveloppe fermée» dans lequel l’allocation globale ne varie pas en
fonction du nombre total d’étudiants.

51 Dans ces conditions, la crainte d’une charge excessive pour le financement de


l’enseignement supérieur ne saurait justifier l’inégalité de traitement entre les étudiants
résidents et les étudiants non-résidents.

31
Sur la justification tirée d’une sauvegarde de l’homogénéité du système de
l’enseignement supérieur

52 Le gouvernement belge, soutenu par le gouvernement autrichien, fait valoir que la


présence des étudiants non-résidents dans les cursus concernés a atteint un niveau qui
risque d’entraîner une diminution de la qualité de l’enseignement supérieur en raison
des limites inhérentes à la capacité d’accueil des établissements d’enseignement et à la
disponibilité de leur personnel. Ainsi, en vue de sauvegarder l’homogénéité de ce
système et d’assurer un accès large et démocratique, pour la population de la
Communauté française, à un enseignement supérieur de qualité, il s’avérerait nécessaire
d’instaurer une inégalité de traitement entre des étudiants résidents et des étudiants non-
résidents, et de limiter le nombre de ces derniers.

53 Certes, il ne saurait être d’emblée exclu que la prévention d’un risque pour
l’existence d’un système national d’enseignement et pour son homogénéité puisse
justifier une inégalité de traitement entre certains étudiants (voir, en ce sens, arrêt
Commission/Autriche, précité, point 66).

54 Cependant, les éléments de justification invoqués à cet égard coïncident avec


ceux liés à la protection de la santé publique, tous les cursus concernés relevant de ce
dernier domaine. Il convient, dès lors, de les examiner uniquement au regard des
justifications tirées des exigences liées à la protection de la santé publique.

Sur la justification tirée des exigences liées à la santé publique

– Observations soumises à la Cour

55 Le gouvernement belge, soutenu par le gouvernement autrichien, affirme que la


réglementation en cause au principal est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à
assurer la qualité et la pérennité des soins médicaux et paramédicaux au sein de la
Communauté française.

56 Le nombre élevé d’étudiants non-résidents entraînerait, premièrement, une


diminution importante de la qualité de l’enseignement dans les cursus médicaux et
paramédicaux, laquelle requiert, en particulier, que soient dispensées de nombreuses
heures de formation pratique. Or, il serait avéré qu’une telle formation ne peut être
correctement dispensée au-delà d’un certain nombre d’étudiants, car la capacité
d’accueil des établissements d’enseignement supérieur, la disponibilité de leur
personnel ainsi que les possibilités de formation pratique ne seraient pas illimitées.

57 Afin d’illustrer les difficultés rencontrées en matière d’enseignement, le


gouvernement belge évoque, notamment, la situation dans le domaine des études en
médecine vétérinaire. Il fait valoir que, sur la base des normes de qualité de la formation
vétérinaire – qui impliquent notamment une pratique clinique par chaque étudiant sur un
nombre suffisant d’animaux –, il a été constaté qu’il n’était pas possible de former, au
sein de la Communauté française, plus de 200 vétérinaires par an dans le deuxième

32
cycle d’études supérieures. Cependant, en raison d’un afflux d’étudiants non-résidents,
le nombre total d’étudiants répartis sur les six années d’études serait passé de 1233 à
2343 entre les années académiques 1995-1996 et 2002-2003.

58 La situation serait similaire pour les autres cursus visés par le décret du 16 juin
2006.

59 Deuxièmement, le gouvernement belge soutient que la présence élevée


d’étudiants non-résidents est susceptible d’entraîner, à terme, une pénurie de personnel
médical qualifié sur l’ensemble du territoire, ce qui compromettrait le système de santé
publique au sein de la Communauté française. Ce risque découlerait du fait que, après
leurs études, les étudiants non-résidents retourneraient dans leur pays d’origine pour y
exercer leur profession, tandis que le nombre de diplômés résidents resterait trop faible
dans certaines spécialités.

60 Les requérants au principal font valoir, en particulier, que, même si ces éléments
de justification étaient admissibles, le gouvernement belge n’a pas démontré la réalité
des circonstances susmentionnées.

61 La Commission affirme qu’elle prend très au sérieux les risques invoqués par le
gouvernement belge. Elle estime cependant ne pas avoir, à l’heure actuelle, tous les
éléments qui lui permettraient de se prononcer sur le bien-fondé de la justification.

– Réponse de la Cour

62 Il ressort de la jurisprudence qu’une inégalité de traitement fondée indirectement


sur la nationalité peut être justifiée par l’objectif visant à maintenir un service médical
de qualité, équilibré et accessible à tous, dans la mesure où il contribue à la réalisation
d’un niveau élevé de protection de la santé publique (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars
2009, Hartlauer, C-169/07, non encore publié au Recueil, point 47 et jurisprudence
citée).

63 Ainsi, il convient d’apprécier si la réglementation en cause au principal est propre


à garantir la réalisation de cet objectif légitime et si elle ne va pas au-delà de ce qui est
nécessaire pour l’atteindre.

64 À cet égard, il appartient en dernier ressort au juge national, qui est seul
compétent pour apprécier les faits du litige au principal et pour interpréter la législation
nationale, de déterminer si et dans quelle mesure une telle réglementation satisfait à ces
exigences (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1989, Rinner-Kühn, 171/88, Rec. p.
2743, point 15, ainsi que du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker, C-4/02 et C-5/02,
Rec. p. I-12575, point 82).

65 Toutefois, la Cour, appelée à fournir au juge national une réponse utile, est
compétente pour lui donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal
ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à

33
permettre à la juridiction nationale de statuer (arrêts du 20 mars 2003, Kutz-Bauer,
C-187/00, Rec. p. I-2741, point 52, ainsi que Schönheit et Becker, précité, point 83).

66 Dans un premier temps, il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier que de


véritables risques pour la protection de la santé publique existent.

67 À cet égard, il ne saurait être a priori exclu qu’une éventuelle diminution de la


qualité de la formation de futurs professionnels de la santé soit susceptible de porter
atteinte, à terme, à la qualité des soins dispensés sur le territoire concerné dès lors que la
qualité du service médical ou paramédical sur un territoire donné dépend des
compétences des professionnels de la santé y exerçant leur activité.

68 Il ne saurait être non plus exclu qu’une éventuelle limitation du nombre total
d’étudiants dans les cursus concernés – notamment en vue de garantir la qualité de la
formation – soit susceptible de diminuer, proportionnellement, le nombre de diplômés
qui sont disposés à assurer, à terme, la disponibilité du service de santé sur le territoire
concerné, ce qui pourrait ensuite avoir une incidence sur le niveau de protection de la
santé publique. Sur ce point, il convient de reconnaître qu’une pénurie de professionnels
de la santé poserait de graves problèmes pour la protection de la santé publique et que la
prévention de ce risque exige qu’un nombre suffisant de diplômés s’installent sur ledit
territoire pour y exercer l’une des professions médicales ou paramédicales concernées
par le décret en cause au principal.

69 Dans le cadre de l’appréciation de ces risques, la juridiction de renvoi doit


prendre en considération, tout d’abord, que le lien entre la formation des futurs
professionnels de la santé et l’objectif visant à maintenir un service médical de qualité,
équilibré et accessible à tous n’est qu’indirect et moins causal que le lien entre l’objectif
de la santé publique et l’activité de professionnels de la santé déjà présents sur le
marché (voir arrêts précités Hartlauer, points 51 à 53 ainsi que Apothekerkammer des
Saarlandes e.a., points 34 à 40). L’appréciation d’un tel lien dépendra en effet
notamment d’une analyse prospective qui devra extrapoler à partir de nombreux
éléments aléatoires et incertains et tenir compte de l’évolution future du domaine de la
santé concerné, mais aussi de l’analyse de la situation telle qu’elle se présente au départ,
à savoir actuellement.

70 Ensuite, lors de l’appréciation concrète des circonstances des affaires au principal,


la juridiction de renvoi doit tenir compte du fait que, lorsque des incertitudes subsistent
quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la protection de la santé publique
sur son territoire, l’État membre peut prendre des mesures de protection sans avoir à
attendre que la pénurie des professionnels de la santé se matérialise (voir, par analogie,
arrêt Apothekerkammer des Saarlandes, précité, point 30 et jurisprudence citée). Il doit
en aller de même en ce qui concerne les risques pour la qualité de l’enseignement dans
ce domaine.

71 Cela étant, il incombe aux autorités nationales compétentes de démontrer que de


tels risques existent effectivement (voir, par analogie, arrêt Apothekerkammer des

34
Saarlandes e.a., précité, point 39). Selon une jurisprudence constante, il appartient en
effet auxdites autorités, lorsqu’elles adoptent une mesure dérogatoire à un principe
consacré par le droit de l’Union, de prouver, dans chaque cas d’espèce, que ladite
mesure est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué et ne va pas au-delà de
ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Les raisons justificatives susceptibles d’être
invoquées par un État membre doivent donc être accompagnées d’une analyse de
l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure adoptée par cet État, ainsi que des
éléments précis permettant d’étayer son argumentation (voir, en ce sens, arrêts du 18
mars 2004, Leichtle, C-8/02, Rec. p. I-2641, point 45, et Commission/Autriche, précité,
point 63). Il importe qu’une telle analyse objective, circonstanciée et chiffrée soit en
mesure de démontrer, à l’aide de données sérieuses, convergentes et de nature probante,
qu’il existe effectivement des risques pour la santé publique.

72 Dans les affaires au principal, cette analyse doit notamment permettre d’évaluer,
pour chacun des neuf cursus visés par le décret du 16 juin 2006, le nombre maximal
d’étudiants qui peut être formé en respectant les normes souhaitées de qualité de la
formation. Elle doit, en outre, indiquer le nombre requis de diplômés qui doivent
s’installer au sein de la Communauté française pour y exercer une profession médicale
ou paramédicale afin d’assurer une disponibilité suffisante du service de santé publique.

73 Par ailleurs, ladite analyse ne saurait se limiter à mentionner les chiffres


concernant l’un et l’autre groupe d’étudiants en se fondant, en particulier, sur
l’extrapolation selon laquelle, à l’issue de leurs études, l’ensemble des étudiants non-
résidents s’installent dans l’État dans lequel ils avaient leur résidence avant d’entamer
leurs études pour y exercer l’une des professions en cause au principal. Par conséquent,
ladite analyse doit prendre en compte l’impact du groupe des étudiants non-résidents sur
la poursuite de l’objectif visant à garantir une disponibilité de professionnels au sein de
la Communauté française. En outre, elle doit prendre en considération la possibilité que
des étudiants résidents décident d’exercer leur profession dans un État autre que le
Royaume de Belgique au terme de leurs études. De même, elle doit tenir compte de la
mesure dans laquelle des personnes qui n’ont pas étudié au sein de la Communauté
française s’y installent ultérieurement pour y exercer l’une desdites professions.

74 Il incombe aux autorités compétentes de fournir à la juridiction de renvoi une


analyse qui répond à ces exigences.

75 Dans un deuxième temps, si la juridiction de renvoi considère que de véritables


risques pour la protection de la santé publique existent, cette juridiction doit apprécier,
eu égard aux éléments fournis par les autorités compétentes, si la réglementation en
cause au principal peut être considérée comme propre à garantir la réalisation de
l’objectif de protection de la santé publique.

76 Dans ce contexte, il lui appartient notamment d’évaluer si une limitation du


nombre d’étudiants non-résidents est véritablement de nature à augmenter le nombre de
diplômés prêts à assurer, à terme, la disponibilité du service de santé au sein de la
Communauté française.

35
77 Dans un troisième temps, il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si la
réglementation en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre l’objectif invoqué, c’est-à-dire s’il n’existe pas de mesures moins restrictives
qui permettraient de l’atteindre.

78 À cet égard, il y a lieu de préciser qu’il appartient à cette juridiction de vérifier, en


particulier, si l’objectif d’intérêt général invoqué ne pourrait être atteint par des mesures
moins restrictives qui viseraient à encourager les étudiants accomplissant leurs études
dans la Communauté française à s’y installer au terme de leurs études ou qui viseraient à
inciter les professionnels formés en dehors de la Communauté française à s’installer au
sein de cette dernière.

79 De même, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si les autorités


compétentes ont concilié, d’une manière appropriée, la réalisation dudit objectif avec les
exigences découlant du droit de l’Union, et, notamment, avec la faculté pour les
étudiants provenant d’autres États membres d’accéder aux études d’enseignement
supérieur, cette faculté constituant l’essence même du principe de la libre circulation des
étudiants (voir, en ce sens, arrêt Commission/Autriche, précité, point 70). Les
restrictions à l’accès auxdites études, introduites par un État membre, doivent être ainsi
limitées à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis et doivent
permettre un accès suffisamment large desdits étudiants aux études supérieures.

80 À cet égard, il ressort du dossier que les étudiants non-résidents qui sont
intéressés par l’enseignement supérieur se voient sélectionnés, en vue de leur
inscription, par un tirage au sort qui, en soi, ne tient pas compte de leurs connaissances
et de leurs expériences.

81 Dans ces conditions, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si le


processus de sélection des étudiants non-résidents se limite au tirage au sort et, si tel est
le cas, si ce mode de sélection fondé non sur les capacités des candidats concernés, mais
sur le hasard s’avère nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

82 En conséquence, il convient de répondre aux première et deuxième questions


préjudicielles que les articles 18 et 21 TFUE s’opposent à une réglementation nationale,
telle que celle en cause au principal, qui limite le nombre d’étudiants non résidents
pouvant s’inscrire pour la première fois dans les cursus médicaux et paramédicaux
d’établissements de l’enseignement supérieur, à moins que la juridiction de renvoi,
ayant apprécié tous les éléments pertinents présentés par les autorités compétentes, ne
constate que ladite réglementation s’avère justifiée au regard de l’objectif de protection
de la santé publique.

Sur la troisième question

83 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser,


en substance, quelle est l’incidence sur la situation en cause au principal des exigences

36
qui s’imposent aux États membres en vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous c), du
pacte.

84 Le gouvernement belge soutient que l’adoption du décret du 16 juin 2006 était


indispensable pour respecter le droit à l’éducation de la population de la Communauté
française tel que ce droit à l’éducation découle de l’article 13, paragraphe 2, sous c), du
pacte. La disposition concernée contiendrait en effet une clause de gel contraignant cette
Communauté à maintenir un accès large et démocratique à un enseignement supérieur
de qualité. Or, en l’absence de ce décret, le maintien d’un tel accès serait compromis.

85 À cet égard, il convient cependant de relever qu’il n’existe aucune incompatibilité


entre le pacte et les exigences découlant, le cas échéant, des articles 18 et 21 TFUE.

86 En effet, il ressort du libellé de l’article 13, paragraphe 2, sous c), du pacte que
celui-ci poursuit en substance le même but que les articles 18 et 21 TFUE, à savoir
garantir le principe de non-discrimination dans l’accès à l’enseignement supérieur. Ceci
est confirmé par l’article 2, paragraphe 2, du pacte, selon lequel les États parties au
pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés soient exercés sans
discrimination aucune fondée, notamment, sur l’origine nationale.

87 En revanche, l’article 13, paragraphe 2, sous c), du pacte n’exige pas d’un État
partie, ni d’ailleurs n’autorise celui-ci, à garantir un accès large à un enseignement
supérieur de qualité à ses seuls ressortissants.

88 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que les


autorités compétentes ne sauraient se prévaloir de l’article 13, paragraphe 2, sous c), du
pacte si la juridiction de renvoi constate que le décret du 16 juin 2006 n’est pas
compatible avec les articles 18 et 21 TFUE.

Sur l’application dans le temps de l’arrêt

89 Dans l’hypothèse où la Cour conclurait que le droit de l’Union s’oppose à la


réglementation nationale en cause au principal, le gouvernement belge demande de
limiter les effets dans le temps de l’arrêt prononcé. Cette limitation serait nécessaire au
motif que le nombre de rapports juridiques constitués de bonne foi est élevé puisque de
nombreux étudiants non-résidents ont déposé un dossier en vue d’une inscription, pour
l’année académique 2006-2007, dans l’un des cursus visés par le décret du 16 juin 2006.
La remise en cause de ces rapports juridiques serait, par conséquent, susceptible d’avoir
de graves répercussions économiques de nature à déséquilibrer le budget de la
Communauté française en matière d’enseignement.

90 Conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne


d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère
l’article 267 TFUE, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée
de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le
moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit

37
être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt
statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de
porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle
se trouvent réunies (voir arrêts du 2 février 1988, Blaizot e.a., 24/86, Rec. p. 379, point
27, ainsi que du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 141).

91 Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe
général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à
limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée
en vue de remettre en cause des rapports juridiques établis de bonne foi. Pour qu’une
telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient
réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (voir,
notamment, arrêts du 28 septembre 1994, Vroege, C-57/93, Rec. p. I-4541, point 21,
ainsi que du 10 janvier 2006, Skov et Bilka, C-402/03, Rec. p. I-199, point 51).

92 En outre, il est de jurisprudence constante que les conséquences financières qui


pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient
pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps (voir,
notamment, arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, Rec. p. I-6193, point
52).

93 En effet, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien
précises, lorsque, d’une part, il existait un risque de répercussions économiques graves
dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la
base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et que, d’autre
part, il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un
comportement non conforme à la réglementation de l’Union en raison d’une incertitude
objective et importante quant à la portée des dispositions de l’Union, incertitude à
laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par
d’autres États membres ou par la Commission (voir arrêt Grzelczyk, précité, point 53).

94 Dans les affaires au principal, il convient de constater que le gouvernement belge


n’a soumis à la Cour aucun élément concret permettant d’affirmer que les auteurs du
décret du 16 juin 2006 auraient été incités à un comportement éventuellement non
conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à
la portée de ce droit.

95 De même, ce gouvernement n’a aucunement étayé, par des éléments concrets, son
argumentation selon laquelle le présent arrêt risquerait, si les effets de celui-ci n’étaient
pas limités dans le temps, d’entraîner des conséquences financières graves.

96 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent
arrêt.

Sur les dépens

38
97 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident
soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) Les articles 18 et 21 TFUE s’opposent à une réglementation nationale, telle que


celle en cause au principal, qui limite le nombre d’étudiants non considérés comme
résidents en Belgique pouvant s’inscrire pour la première fois dans les cursus médicaux
et paramédicaux d’établissements de l’enseignement supérieur, à moins que la
juridiction de renvoi, ayant apprécié tous les éléments pertinents présentés par les
autorités compétentes, ne constate que ladite réglementation s’avère justifiée au regard
de l’objectif de protection de la santé publique.

2) Les autorités compétentes ne sauraient se prévaloir de l’article 13, paragraphe 2,


sous c), du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966, si la
juridiction de renvoi constate que le décret de la Communauté française du 16 juin 2006
régulant le nombre d’étudiants dans certains cursus de premier cycle de l’enseignement
supérieur n’est pas compatible avec les articles 18 et 21 TFUE.

Document 4 : CJUE, 21 décembre 2011, Commission c/ Autriche, C-28/09 (affaire


de l’autoroute du Tyrol)

«Manquement d’État – Articles 28 CE et 29 CE – Libre circulation des marchandises –


Mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’importation et à
l’exportation – Transports – Directives 96/62/CE et 1999/30/CE – Interdiction
sectorielle de la circulation des camions de plus de 7,5 tonnes transportant certaines
marchandises – Qualité de l’air – Protection de la santé et de l’environnement – Principe
de proportionnalité – Cohérence»

Dans l’affaire C-28/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 21
janvier 2009,

Commission européenne, représentée par M. P. Oliver, Mme A. Alcover San Pedro et


M. B. Schima, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par:

39
République italienne, représentée initialement par Mme I. Bruni, puis par Mme G.
Palmieri, en qualité d’agents, assistées de M. G. De Bellis, avvocato dello Stato, ayant
élu domicile à Luxembourg,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme C. Wissels, M. Y. de Vries et Mme M.


Noort, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

contre

République d’Autriche, représentée par MM. E. Riedl, G. Eberhard et C. Ranacher, en


qualité d’agents, assistés de MM. L. Schmutzhard et J. Thudium,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K.


Lenaerts, J. Malenovský, U. Lõhmus et Mme A. Prechal, présidents de chambre, MM.
A. Rosas (rapporteur), E. Levits, A. Ó Caoimh et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 octobre 2010,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 décembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour


de constater que, en imposant aux camions de plus de 7,5 tonnes transportant certaines
marchandises une interdiction de circuler sur un tronçon de l’autoroute A 12 dans la
vallée de l’Inn (Autriche), la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui
incombent en vertu des articles 28 CE et 29 CE.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2 La réglementation de l’Union relative à la protection de la qualité de l’air ambiant


est constituée, notamment, de la directive 96/62/CE du Conseil, du 27 septembre 1996,

40
concernant l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air ambiant (JO L 296, p. 55), et
de la directive 1999/30/CE du Conseil, du 22 avril 1999, relative à la fixation de valeurs
limites pour l’anhydride sulfureux, le dioxyde d’azote et les oxydes d’azote, les
particules et le plomb dans l’air ambiant (JO L 163, p. 41), telle que modifiée par la
décision 2001/744/CE de la Commission, du 17 octobre 2001 (JO L 278, p. 35, ci-après
la «directive 1999/30»). Ces deux directives visent, aux termes de leurs considérants, à
protéger l’environnement, ainsi que la santé des personnes.

3 Ces directives sont abrogées depuis le 11 juin 2010 par la directive 2008/50/CE
du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air
ambiant et un air pur pour l’Europe (JO L 152, p. 1), sans préjudice des obligations des
États membres concernant les délais de transposition ou d’application desdites
directives. Néanmoins, compte tenu de la date des faits, celles-ci demeurent applicables
au présent litige.

4 Conformément à son article 1er, la directive 96/62 a pour objectif général de


définir les principes de base d’une stratégie commune visant à:

– définir et fixer des objectifs concernant la qualité de l’air ambiant dans la


Communauté, afin d’éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé
humaine et pour l’environnement dans son ensemble;

– évaluer, sur la base de méthodes et de critères communs, la qualité de l’air


ambiant dans les États membres;

– disposer d’informations adéquates sur la qualité de l’air ambiant et faire en sorte


que le public en soit informé, entre autres par des seuils d’alerte, et

– maintenir la qualité de l’air ambiant, lorsqu’elle est bonne, et l’améliorer dans les
autres cas.

5 L’article 4 de la directive 96/62 prévoit que le Conseil de l’Union européenne, sur


proposition de la Commission, fixe des valeurs limites pour les polluants énumérés à
l’annexe I de cette directive. Dans cette annexe, intitulée «Liste des polluants
atmosphériques à prendre en considération dans le cadre de l’évaluation et de la gestion
de la qualité de l’air ambiant», figure notamment le dioxyde d’azote (NO2).

6 L’article 7 de la directive 96/62 dispose:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer le respect des
valeurs limites.

[…]

3. Les États membres établissent des plans d’action indiquant les mesures à prendre à
court terme en cas de risque de dépassement des valeurs limites et/ou des seuils d’alerte,

41
afin de réduire le risque de dépassement et d’en limiter la durée. Ces plans peuvent
prévoir, selon le cas, des mesures de contrôle et, lorsque cela est nécessaire, de
suspension des activités, y compris le trafic automobile, qui concourent au dépassement
des valeurs limites.»

7 L’article 8, paragraphe 3, de la directive 96/62 prévoit par ailleurs:

«Dans les zones et les agglomérations [où les niveaux d’un ou de plusieurs polluants
dépassent la valeur limite augmentée de la marge de dépassement], les États membres
prennent des mesures pour assurer l’élaboration ou la mise en œuvre d’un plan ou
programme permettant d’atteindre la valeur limite dans le délai fixé.

Ledit plan ou programme, auquel la population doit avoir accès, contient au moins les
informations énumérées à l’annexe IV.»

8 Parmi les informations énumérées à ladite annexe IV figurent notamment celles


concernant le lieu du dépassement, les principales sources d’émissions responsables de
la pollution ainsi que les mesures existantes et les mesures envisagées.

9 Des valeurs limites pour le dioxyde d’azote sont fixées dans la directive 1999/30.
Selon le quatrième considérant de celle-ci, ces valeurs constituent des exigences
minimales et les États membres peuvent, conformément à l’article 130 T du traité CE
(devenu, après modification, article 176 CE), maintenir ou établir des mesures de
protection renforcées.

10 Aux termes de l’article 4 de la directive 1999/30, intitulé «Dioxyde d’azote et


oxydes d’azote»:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les concentrations
de dioxyde d’azote et, le cas échéant, d’oxydes d’azote, dans l’air ambiant, évaluées
conformément à l’article 7, ne dépassent pas les valeurs limites indiquées au point I de
l’annexe II, à partir des dates y spécifiées.

Les marges de dépassement indiquées au point I de l’annexe II s’appliquent


conformément à l’article 8 de la directive 96/62/CE.

2. Le seuil d’alerte de concentration de dioxyde d’azote dans l’air ambiant est fixé au
point II de l’annexe II.»

11 Il résulte de l’annexe II, point I, de la directive 1999/30 que, s’agissant du


dioxyde d’azote:

– la valeur limite horaire pour la protection de la santé humaine est fixée à 200
μg/m3 «à ne pas dépasser plus de 18 fois par année civile», majorée d’un pourcentage
de dépassement dégressif jusqu’au 1er janvier 2010;

42
– la valeur limite annuelle pour la protection de la santé humaine est fixée à 40
μg/m3, également majorée du même pourcentage de dépassement dégressif jusqu’au 1er
janvier 2010, soit à 48 μg/m3 pour l’année 2006, à 46 μg/m3 pour l’année 2007, à 44
μg/ m3 pour l’année 2008 et à 42 μg/m3 pour l’année 2009.

12 La réglementation de l’Union fixe, pour les véhicules automobiles à moteur neufs


vendus dans les États membres, des limites maximales d’émissions de polluants,
notamment en ce qui concerne les particules et les oxydes d’azote (NOx). Pour les
émissions de gaz polluants et de particules polluantes provenant des moteurs à allumage
par compression destinés à la propulsion des véhicules et les émissions de gaz polluants
provenant des moteurs à allumage commandé fonctionnant au gaz naturel ou au gaz de
pétrole liquéfié et destinés à la propulsion des véhicules, ces normes sont reprises sous
les dénominations Euro I, II, etc., alors que pour les émissions des véhicules particuliers
et utilitaires légers, la forme Euro 0, 1, 2, etc., est employée.

Le droit national

13 Les directives 96/62 et 1999/30 ont été transposées en droit autrichien,


notamment par la voie de modifications de la loi sur la protection de l’air contre les
pollutions (Immissionsschutzgesetz-Luft, BGBl. I, 115/1997, ci-après l’«IG-L»).

14 Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de l’IG-L, les valeurs limites


d’immission prévues aux annexes 1 et 2 de cette même loi sont applicables à la
protection de la santé humaine sur l’ensemble du territoire. L’annexe 1 fixe une valeur
limite d’immission annuelle de 30 μg/m3 pour le dioxyde d’azote. Cette annexe prévoit
également une marge de dépassement de 30 μg/m3 qui décroît progressivement. Selon
ces données, les valeurs limites d’immission pour le dioxyde d’azote s’élèvent, in fine, à
40 μg/m3 pour les années 2006 à 2009 et à 35 μg/m3 pour l’année 2010.

15 En application de l’article 10 de l’IG-L, des mesures doivent être édictées par


voie de règlement au plus tard 24 mois suivant l’année au cours de laquelle le
dépassement d’une valeur limite a été constaté. Parmi les mesures susceptibles d’être
édictées figurent, conformément à l’article 16, paragraphe 1, point 4, de cette même loi,
des interdictions de circulation des véhicules automobiles.

16 Le Landeshauptmann von Tirol (ministre président du Tyrol) a arrêté, le 17


décembre 2007, sur le fondement des dispositions de l’IG-L, un règlement par lequel le
transport de certaines marchandises est interdit sur l’autoroute A 12 de la vallée de l’Inn
(interdiction sectorielle de circuler) [Verordnung des Landeshauptmannes vom 17.
Dezember 2007, mit der auf der A 12 Inntalautobahn der Transport bestimmter Güter
verboten wird (Sektorales Fahrverbot-Verordnung) Landesgesetzblatt für Tirol, n°
92/2007, ci-après le «règlement litigieux»]. Ce règlement, qui impose aux poids lourds
de plus de 7,5 tonnes transportant certaines marchandises une interdiction de circuler sur
un tronçon de cette autoroute (ci-après l’«interdiction sectorielle de circuler»), est entré
en vigueur le 1er janvier 2008.

43
17 Ledit règlement vise, aux termes de son article 1er, à réduire les émissions de
polluants liées aux activités humaines et à améliorer ainsi la qualité de l’air pour assurer
la protection durable de la santé de l’homme ainsi que de la faune et de la flore.

18 L’article 2 du règlement litigieux délimite une «zone sanitaire»


(«Sanierungsgebiet»). Celle-ci comprend un tronçon de 90 kilomètres de l’autoroute A
12, situé entre la commune de Zirl (à environ 12 kilomètres à l’ouest de la ville
d’Innsbruck) et la frontière entre l’Allemagne et l’Autriche (à environ 78 kilomètres à
l’est de la ville d’Innsbruck), ainsi qu’une bande de 100 mètres de chaque côté de cet
axe routier.

19 Aux termes de l’article 3 du même règlement:

«La circulation sur l’autoroute A 12 de la vallée de l’Inn est interdite dans les deux sens
entre le kilomètre 6,350, sur le territoire de la commune de Langkampfen, et le
kilomètre 90,00, sur le territoire de la commune de Zirl, aux véhicules suivants:

poids lourds ou semi-remorques dont la masse maximale autorisée est supérieure à 7,5
tonnes et aux poids lourds avec remorques, dont les masses maximales autorisées
additionnées dépassent 7,5 tonnes, en transportant les marchandises suivantes:

a) à partir du 2 mai 2008 («Première phase»):

1. tous les déchets repris dans la liste européenne des déchets figurant dans la
décision 2000/532/CE de la Commission [, du 3 mai 2000, remplaçant la décision
94/3/CE établissant une liste de déchets en application de l’article 1er, point a), de la
directive 75/442/CEE du Conseil relative aux déchets et la décision 94/904/CE du
Conseil établissant une liste de déchets dangereux en application de l’article 1er,
paragraphe 4, de la directive 91/689/CEE du Conseil relative aux déchets dangereux (JO
L 226, p. 3)], telle que modifiée par la décision 2001/573/CE du Conseil [, du 23 juillet
2001 (JO L 203, p. 18)],

2. les cailloux, les terres et les déblais.

b) à partir du 1er janvier 2009 («Deuxième phase»):

1. les rondins, les écorces et le liège,

2. les minerais ferreux et non ferreux,

3. les véhicules à moteur et les remorques,

4. l’acier, à l’exception de l’acier de ferraillage et de construction pour la livraison de


chantiers,

5. le marbre et le travertin,

44
6. les carreaux en céramique.»

20 L’article 4 du règlement litigieux soustrait à l’interdiction sectorielle de circuler


certains véhicules automobiles à moteur, à savoir notamment ceux qui sont chargés ou
déchargés dans la «zone principale» et ceux qui sont chargés et déchargés dans la «zone
élargie», l’usage des véhicules à moteur précédant le transbordement ferroviaire en
direction est vers le terminal ferroviaire de Hall ou en direction ouest vers le terminal
ferroviaire de Wörgl, ainsi que l’usage des véhicules à moteur consécutif au
transbordement ferroviaire en direction ouest en provenance du terminal ferroviaire de
Hall et en direction est en provenance du terminal ferroviaire de Wörgl.

21 Les districts politiques d’Imst, d’Innsbruck-Land, d’Innsbruck-Stadt, de Kufstein


et de Schwaz sont compris dans la «zone principale». La «zone élargie» recouvre, en
Autriche, les districts politiques de Kitzbühel, de Landeck, de Lienz, de Reutte et de
Zell am See, en Allemagne, ceux de Bad Tölz, de Garmisch-Partenkirchen, de
Miesbach, de Rosenheim (y compris la ville) ainsi que de Traunstein et, enfin, en Italie,
les communautés de districts d’Eisacktal, de Pustertal et de Wipptal.

22 Ce même article renvoie également aux dérogations prévues par l’IG-L. Ainsi,
sont exclues de l’interdiction sectorielle de circuler certaines catégories de véhicules
automobiles, au nombre desquels figurent les véhicules d’entretien de la voirie,
d’enlèvement des ordures ainsi que les véhicules agricoles et forestiers. Elle prévoit
qu’une dérogation particulière peut, en outre, être sollicitée pour d’autres véhicules pour
cause d’intérêt public ou d’un intérêt privé important.

23 Après l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, à savoir le 8 juin 2008,
plusieurs modifications ont été apportées au règlement litigieux.

24 La mise en œuvre de l’interdiction sectorielle de circuler a été partiellement


retardée. Pour le secteur situé à l’est de la ville d’Innsbruck, il a été prévu que, à partir
du 1er janvier 2009, cette mesure ne s’applique, en sus du transport des marchandises
déjà concernées auparavant, à savoir les déchets, les cailloux, les terres et les déblais,
qu’au transport des rondins et du liège ainsi qu’à celui des véhicules à moteur et des
remorques. En ce qui concerne le transport des carreaux en céramique ainsi que de
l’acier, l’interdiction sectorielle de circuler n’a pris effet que le 1er juillet 2009
(troisième phase) et, en ce qui concerne le transport des minerais ferreux et non ferreux
ainsi que du marbre et du travertin, le 1er juillet 2010 (quatrième phase).

25 Quant au secteur situé à l’ouest de la ville d’Innsbruck (Innsbruck-Zirl), la mise


en œuvre de l’interdiction sectorielle de circuler a été repoussée au 1er janvier 2011
pour l’ensemble des marchandises visées par le règlement litigieux.

26 Enfin, diverses exceptions ont été inscrites dans un décret. Celles-ci concernaient
notamment les convois d’aide d’organisations reconnues, ainsi que les transports
militaires.

45
Les antécédents du recours

27 L’autoroute A 12, d’une longueur d’environ 145 kilomètres, relie la commune de


Kufstein, située à l’est de la ville d’Innsbruck, à la commune de Landeck, située à
l’ouest de cette même ville. Des dépassements de la valeur limite annuelle pour le
dioxyde d’azote, telle que celle-ci a été fixée à l’annexe II, point I, de la directive
1999/30, ont été constatés sur cette autoroute depuis l’année 2002. Les plus fortes
concentrations de ce polluant atmosphérique ont été mesurées au point de contrôle de
Vomp/Raststätte. Au cours de cette même année, la concentration moyenne annuelle
enregistrée pour ledit polluant était de 61 μg/m3, tandis que, en vertu dudit point I, la
valeur limite annuelle augmentée de la marge de dépassement avait été fixée à 56
μg/m3. Pour les années 2003 à 2008, des dépassements encore supérieurs ont été
constatés. À titre d’exemple, au cours de l’année 2008, la concentration de dioxyde
d’azote enregistrée au point de contrôle en cause était de 66 µg/m3, ce qui représentait
un dépassement de 50 % de la valeur limite établie pour l’année en cause augmentée de
la marge de dépassement, à savoir, in fine, 44 μg/m3. Les dépassements ont été encore
plus importants au regard des valeurs limites établies pour le dioxyde d’azote par
l’IG-L, les marges de dépassement prévues par celle-ci comprises.

28 Afin d’assurer le respect des valeurs limites pour le dioxyde d’azote, les autorités
autrichiennes ont arrêté plusieurs mesures visant à réduire les émissions spécifiques des
véhicules automobiles à moteur et la densité du trafic routier.

29 Le 1er octobre 2002, ces autorités ont imposé une interdiction temporaire de
circulation nocturne visant les poids lourds, applicable sur un tronçon de l’autoroute A
12. Par la suite, cette mesure a été prolongée, puis remplacée, à compter du 1er juin
2003, par une interdiction permanente de circulation nocturne frappant le transport de
marchandises par des poids lourds de plus de 7,5 tonnes, une telle interdiction étant
valable toute l’année.

30 Le 27 mai 2003, le ministre président du Tyrol a adopté un règlement interdisant,


à partir du 1er août 2003 et pour une durée indéterminée, la circulation sur un tronçon
de cette même autoroute, entre les communes de Kundl et d’Ampass, aux poids lourds
de plus de 7,5 tonnes transportant les marchandises énumérées dans ce règlement. Il
s’agissait plus particulièrement du transport de déchets, de céréales, de rondins,
d’écorces et de liège, de minerais ferreux et non ferreux, de cailloux, de terres, de
déblais, de véhicules à moteur et de remorques ainsi que de l’acier. Toutefois, le
transport de marchandises en provenance ou à destination du territoire de la ville
d’Innsbruck, des districts de Kufstein, de Schwaz ou d’Innsbruck-Land était soustrait à
cette interdiction. Par ailleurs, l’interdiction sectorielle de circuler ne s’appliquait pas à
certaines catégories de véhicules automobiles, tels que les véhicules d’entretien de la
voirie et d’enlèvement des ordures, ainsi que les véhicules agricoles et forestiers. Enfin,
une dérogation particulière pouvait, dans certains cas, être demandée pour d’autres
véhicules automobiles lorsqu’il existait un intérêt public ou un intérêt privé important.
Cette mesure devait s’appliquer immédiatement à compter du 1er août 2003.

46
31 Considérant que l’interdiction édictée par ce règlement constituait une restriction
à la libre circulation des marchandises au sens des articles 28 CE et 29 CE, la
Commission a introduit, le 24 juillet 2003, un recours en manquement au titre de
l’article 226 CE contre la République d’Autriche.

32 Après avoir ordonné, à titre conservatoire, à cet État membre de surseoir à


l’exécution de ladite interdiction, la Cour a constaté, dans son arrêt du 15 novembre
2005, Commission/Autriche (C-320/03, Rec. p. I-9871), que celui-ci avait manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 29 CE, le règlement en
cause devant être considéré comme constituant une mesure d’effet équivalant à des
restrictions quantitatives qui, en raison de son caractère disproportionné, ne pouvait être
valablement justifiée par la protection de la qualité de l’air.

33 À la suite de cet arrêt, les autorités autrichiennes ont préparé de nouvelles


mesures visant à améliorer la qualité de l’air sur l’autoroute A 12. Depuis l’année 2006,
un ensemble de mesures, dont l’interdiction sectorielle de circuler faisant l’objet du
présent recours, a progressivement été mis en œuvre.

34 Ainsi, du 1er novembre 2006 au 30 avril 2007, une limitation de vitesse à 100
km/h a été imposée sur l’autoroute A 12 entre, d’une part, la frontière entre l’Autriche et
l’Allemagne et, d’autre part, la commune de Zirl. Au cours du mois de novembre de
l’année 2007, cette mesure temporaire a été remplacée par une limitation de vitesse
variant selon le niveau général d’immission effectivement mesuré et les facteurs
météorologiques (ci-après la «limitation de vitesse variable»).

35 En outre, une interdiction de circuler pour les semi-remorques et les poids lourds
avec remorque, de plus de 7,5 tonnes, non conformes à la norme Euro II a été mise en
place entre les communes de Zirl et de Kufstein, avec effet au 1er janvier 2007. Depuis
le 1er novembre 2008, cette mesure s’applique également à ce type de véhicules
automobiles lorsqu’ils ne respectent pas la norme Euro III. À compter du 1er novembre
2009, une interdiction générale de circuler s’applique aux poids lourds de plus de 7,5
tonnes dont les émissions sont non conformes à la norme Euro II, dans leur ensemble.

36 Enfin, à compter du 1er janvier 2007, le champ d’application territorial de


l’interdiction de circulation nocturne visant les poids lourds sur un tronçon de
l’autoroute A 12 a été étendu. Une dérogation avait été prévue temporairement pour les
poids lourds relevant des classes Euro IV et Euro V, mais celle-ci a été supprimée à la
date du 31 octobre 2009.

37 L’interdiction sectorielle de circuler ainsi que les autres mesures énumérées aux
points 34 à 36 du présent arrêt font partie d’un plan, élaboré par les autorités
autrichiennes, en vertu de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 96/62, pour assurer
dans le Land du Tyrol le respect de la valeur limite pour le dioxyde d’azote, fixée à
l’annexe II, point I, de la directive 1999/30.

47
La procédure précontentieuse

38 L’interdiction sectorielle de circuler envisagée a été communiquée à la


Commission par la République d’Autriche, le 11 janvier 2007, dans le cadre de la
procédure de consultation préalable prévue par la décision du Conseil, du 21 mars 1962,
instituant une procédure d’examen et de consultation préalables pour certaines
dispositions législatives, réglementaires ou administratives envisagées par les États
membres dans le domaine des transports (JO 1962, 23, p. 720), telle que modifiée par la
décision 73/402/CEE du Conseil, du 22 novembre 1973 (JO L 347, p. 48).

39 La Commission a, le 20 juillet 2007, émis un avis en réponse, par lequel elle a


conclu que l’interdiction sectorielle de circuler, si elle devait être adoptée, serait
constitutive d’une restriction à la libre circulation des marchandises non conforme aux
obligations découlant des articles 28 CE et 29 CE.

40 Le règlement litigieux ayant néanmoins été adopté le 17 décembre 2007, et étant


entré en vigueur le 1er janvier 2008, la Commission a, le 31 janvier 2008, adressé à la
République d’Autriche une lettre de mise en demeure confirmant sa position antérieure
et invitant cet État membre à présenter ses observations dans un délai de quinze jours à
compter de la réception de cette lettre.

41 Dans sa réponse du 15 février 2008, la République d’Autriche a contesté le grief


soulevé par la Commission. L’interdiction sectorielle de circuler, visant à améliorer la
qualité de l’air sur l’autoroute A 12, aurait pour objectif d’orienter les marchandises
ayant une «affinité avec le rail» vers ce mode de transport. Dès lors, cette interdiction ne
constituerait pas une restriction à la libre circulation des marchandises et serait, en tout
état de cause, justifiée par les objectifs de protection de la santé et de l’environnement.
En outre, il conviendrait de tenir compte de la situation géographique de l’Autriche. La
croissance rapide du transport routier dans l’Union aurait entraîné une pression accrue
sur l’environnement dans les couloirs alpins et dans leurs alentours immédiats.

42 Cette réponse n’ayant pas emporté la conviction de la Commission, celle-ci a, le 8


mai 2008, adressé un avis motivé audit État membre, l’invitant à prendre les mesures
nécessaires pour se conformer à celui-ci dans un délai d’un mois à compter de la
réception de cet avis.

43 La République d’Autriche a répondu audit avis motivé, par une lettre du 9 juin
2008, en maintenant sa position antérieure. Dans une lettre complémentaire du 2
décembre 2008, elle a porté à la connaissance de la Commission que, pour le secteur
situé à l’ouest de la ville d’Innsbruck, l’interdiction sectorielle de circuler n’entrerait en
vigueur que le 1er janvier 2011.

44 N’étant pas satisfaite de ces explications, la Commission a décidé d’introduire le


présent recours.

La procédure devant la Cour

48
45 Par ordonnance du président de la Cour du 19 juin 2009, la République italienne
ainsi que le Royaume des Pays-Bas ont été admis à intervenir au soutien des
conclusions de la Commission.

46 Par ordonnance du président de la Cour du 19 août 2009, le Royaume de


Danemark a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la République
d’Autriche. Le Royaume de Danemark ayant informé la Cour, par lettre du 2 mars 2010,
qu’il se désistait de son intervention, le président de la Cour a, par ordonnance du 7 mai
2010, ordonné la radiation de celui-ci comme partie intervenante au litige.

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

47 La République d’Autriche soulève une exception d’irrecevabilité à l’encontre de


la requête en intervention du Royaume des Pays-Bas. Ce dernier tenterait d’étendre
l’objet du recours en soutenant que l’interdiction sectorielle de circuler constitue une
discrimination indirecte du fait qu’elle affecte non pas l’ensemble du trafic de poids
lourds, mais seulement le trafic de poids lourds de plus de 7,5 tonnes.

48 La République d’Autriche soulève également une exception d’irrecevabilité à


l’encontre de la requête en intervention de la République italienne. Cette dernière
présenterait un moyen nouveau en mentionnant, en tant que mesure alternative à
l’interdiction sectorielle de circuler, une mesure n’ayant pas été envisagée par la
Commission, à savoir la possibilité d’introduire une interdiction de circuler portant sur
les véhicules automobiles privés et utilitaires de moins de 7,5 tonnes, en fonction de la
classe Euro à laquelle ils appartiennent.

49 Cette dernière exception d’irrecevabilité a été contestée par le gouvernement


italien lors de l’audience de plaidoiries.

Appréciation de la Cour

50 Afin d’apprécier le bien-fondé des exceptions d’irrecevabilité soulevées à


l’encontre des requêtes en intervention, il importe de rappeler que, selon l’article 40,
paragraphe 4, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les conclusions de
telles requêtes ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des
parties. Cette disposition ne s’oppose cependant pas à ce qu’un intervenant présente des
arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’il soutient, pourvu qu’il vise à
soutenir les conclusions de cette partie (voir, notamment, arrêts du 23 février 1961, De
Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30/59, Rec. p. 1; du 19
novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil, C-150/94, Rec. p. I-7235, point 36, et du 8
juillet 2010, Commission/Italie, C-334/08, non encore publié au Recueil, points 53 à
55).

49
51 Il convient de constater que l’allégation du Royaume des Pays-Bas concerne le
grief de la Commission tiré du caractère discriminatoire de l’interdiction sectorielle de
circuler. Celle émanant de la République italienne se rapporte au caractère
prétendument disproportionné de ladite interdiction et, plus particulièrement, au grief
selon lequel la République d’Autriche n’aurait pas examiné attentivement la possibilité
de recourir à des mesures moins restrictives de la libre circulation des marchandises.

52 S’il est vrai que ces allégations comportent des arguments différents de ceux de la
Commission, il n’en demeure pas moins qu’elles portent sur des griefs invoqués par
cette dernière et visent à soutenir les conclusions de celle-ci. Elles tendent à contribuer
au succès du recours en manquement, en apportant au litige un éclairage
complémentaire (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2003, Commission/Finlande,
C-185/00, Rec. p. I-14189, point 92).

53 Il s’ensuit que ces exceptions d’irrecevabilité doivent être rejetées.

Sur le fond

Argumentation des parties

54 La Commission souligne d’emblée qu’elle ne sous-estime aucunement les


problèmes liés au trafic transalpin. Elle reconnaît également que, depuis l’année 2002,
des dépassements de la valeur limite pour le dioxyde d’azote, fixée à l’annexe II, point
I, de la directive 1999/30, ont été constatés sur l’autoroute A 12, et que la directive
96/62 prévoyait, dans de telles circonstances, une obligation d’agir pour la République
d’Autriche. Si la plupart des mesures proposées, visant à améliorer la qualité de l’air
dans la zone concernée, auraient pu être approuvées, il n’en demeurerait pas moins que
le règlement litigieux ne serait pas conforme au droit de l’Union.

55 Selon la Commission, l’interdiction sectorielle de circuler constitue une mesure


d’effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens des articles 28 CE et 29 CE,
dans la mesure où elle entrave la libre circulation des marchandises et, en particulier,
leur libre transit.

56 À cet égard, la circonstance que le règlement litigieux fait partie d’un ensemble
de mesures adoptées par les autorités autrichiennes serait sans incidence sur l’existence
ou non d’une restriction à l’exercice de cette liberté, toute mesure nationale devant être
appréciée de manière individualisée afin d’établir sa conformité auxdits articles.

57 En l’occurrence, il s’agirait d’une mesure plus radicale que celle à l’origine de


l’arrêt Commission/Autriche, précité. En effet, seraient concernées par la mise en œuvre
de ladite interdiction non seulement la circulation sur l’«axe nord-sud» (la liaison Italie
– Brenner – Innsbruck – Langkampfen – Allemagne) et celle sur l’«axe nord-ouest» (la
liaison Vorarlberg – Europe orientale), mais également la circulation sur l’«axe sud-
ouest» (la liaison Italie – Innsbruck – Vorarlberg/région du lac de Constance). Selon les
estimations, lors de la mise en œuvre de la première phase de l’interdiction sectorielle

50
de circuler, soit à partir du 2 mai 2008, 35 000 trajets effectués par des poids lourds par
an auraient dû être affectés. À partir de la mise en œuvre de la deuxième phase, soit le
1er janvier 2009, la mesure en cause aurait dû toucher 200 000 trajets par an, ce qui
représenterait 7,3 % de l’ensemble des trajets effectués par des poids lourds sur
l’autoroute A 12. Les effets de cette mesure s’étendraient sur environ 300 kilomètres du
réseau autrichien de voies rapides.

58 La Commission soutient que, pour assurer le transport des marchandises visées


par le règlement litigieux, il faudrait soit recourir au trafic ferroviaire, soit emprunter
des itinéraires routiers plus longs, ce qui générerait des frais supplémentaires pour les
opérateurs concernés. Ainsi, l’interdiction sectorielle de circuler aurait des répercussions
économiques importantes, non seulement pour l’industrie du transport, mais également
pour les fabricants des marchandises visées par ce règlement, lesquels seraient amenés à
supporter des coûts de transport plus élevés, ce qui porterait atteinte à leur compétitivité.

59 Selon la Commission, le règlement litigieux est discriminatoire. Le trafic local et


régional ayant été exempté du champ d’application de l’interdiction sectorielle de
circuler, celle-ci toucherait de facto de manière prépondérante le transit international des
marchandises. En outre, il pourrait être à craindre que des entreprises de transport
pouvant bénéficier dudit régime dérogatoire tirent parti des dispositions d’exemption
pour proposer des transports sur route à longue distance, ceux-ci ne pouvant plus être
proposés par des entreprises établies en dehors de cette région.

60 Par ailleurs, dans la mesure où l’interdiction sectorielle de circuler porte


directement non pas sur les émissions produites par les véhicules automobiles de
transport, mais sur les marchandises à transporter par ceux-ci, elle pourrait avoir un effet
discriminatoire sur le commerce entre les États membres. La Commission relève,
notamment, que le commerce de bois et de produits dérivés de bois ainsi que le
commerce du marbre et de travertin pourraient en être affectés.

61 Quant à l’existence d’une éventuelle justification à l’interdiction sectorielle de


circuler, la Commission reconnaît que cette interdiction peut contribuer à atteindre
l’objectif de protection de l’environnement. Elle remet cependant en cause la conformité
de ladite mesure au principe de proportionnalité.

62 L’interdiction sectorielle de circuler serait entachée de contradictions internes, de


sorte que son adéquation par rapport à l’objectif recherché ne serait pas établie.

63 Selon la Commission, l’objectif principal du règlement litigieux est non pas la


réduction des émissions produites par les véhicules automobiles à moteur, mais celle du
trafic routier. Or, une telle réduction n’aurait qu’une incidence indirecte sur la qualité de
l’air.

64 L’interdiction sectorielle de circuler portant sur les marchandises à transporter et


non pas directement sur les émissions produites par les véhicules automobiles de
transport, elle aurait pour conséquence d’autoriser la circulation de poids lourds plus

51
polluants lorsqu’ils transportent des marchandises ne relevant pas du champ
d’application de ladite interdiction, alors que la circulation des poids lourds moins
polluants serait interdite lorsqu’ils transportent par exemple des carreaux en céramique.

65 En outre, le choix d’orienter les marchandises ayant une «affinité avec le rail»
vers ce dernier mode de transport ferait abstraction du fait que la possibilité de recourir
au mode de transport ferroviaire dépend souvent de différents paramètres logistiques de
la mission de transport, tels que le volume à transporter. Par ailleurs, ce critère serait
trop vague et il ne saurait être exclu que les marchandises devant être concernées par
une telle interdiction soient sélectionnées de manière arbitraire ou discriminatoire et que
ce choix soit ensuite étendu à d’autres catégories de produits.

66 Selon la Commission, les alternatives envisageables à l’interdiction sectorielle de


circuler n’ont pas toutes été examinées et, le cas échéant, adoptées par les autorités
autrichiennes. Parmi les diverses mesures de nature à restreindre, selon elle, dans une
moindre mesure, la libre circulation des marchandises figurerait le remplacement de la
limitation de vitesse variable par une limitation de vitesse permanente à 100 km/h.

67 L’étude de l’Institut für Energie- und Umweltforschung Heidelberg, du 30


novembre 2007 (ci-après l’«étude IFEU»), démontrerait qu’une limitation de vitesse
permanente à 100 km/h pourrait conduire à une réduction, jusqu’à l’année 2010,
d’environ 7,5 % des émissions de dioxyde d’azote. Pour ce qui est plus particulièrement
des effets d’une telle limitation par rapport à ceux de la limitation de vitesse variable,
selon les calculs présentés par les autorités autrichiennes, l’application de cette dernière
mesure permettrait de réduire annuellement d’environ 3,6 % à 3,8 % les émissions de
dioxyde d’azote dans la zone concernée. La République d’Autriche aurait admis, dans
sa réponse à l’avis motivé, que les effets de la limitation de vitesse variable
correspondent à 67 % des effets d’une limitation de vitesse permanente à 100 km/h. Il
en résulterait que le remplacement de la limitation de vitesse variable par une telle
mesure permettrait d’obtenir une réduction supplémentaire de 1,8 % desdites émissions,
ce qui serait supérieur aux effets de l’interdiction sectorielle de circuler, à savoir une
réduction annuelle de 1,5 % desdits polluants atmosphériques.

68 Quant à l’analyse d’Ökoscience sur les effets sur la qualité de l’air de


l’application de la limitation de vitesse variable entre le mois de novembre de l’année
2007 et celui d’octobre de l’année 2008 (ci-après l’«étude Ökoscience»), invoquée par
la République d’Autriche pour démontrer qu’un tel remplacement ne permettrait
d’obtenir qu’une réduction annuelle supplémentaire de 1,1 % des émissions de dioxyde
d’azote, celle-ci aurait été publiée au cours du mois de mars de l’année 2009 et
comporterait des informations n’ayant pu être acquises qu’après l’expiration du délai
imparti dans l’avis motivé, à savoir le 8 juin 2008.

69 En outre, il aurait pu être envisagé d’étendre l’interdiction de circuler frappant les


poids lourds relevant de certaines classes Euro à ceux relevant d’autres classes plus
avancées. La République d’Autriche se serait opposée à cette proposition dans sa
réponse à l’avis motivé, en soutenant que les poids lourds correspondant à la norme

52
Euro IV émettraient souvent plus de dioxyde d’azote que ceux correspondant à la norme
Euro III. Même si cette allégation devait être avérée, il n’en demeurerait pas moins
qu’une interdiction de circuler portant sur les poids lourds relevant de la classe Euro III
inciterait de nombreuses entreprises à passer de manière anticipée à la classe Euro V.

70 La Commission fait également mention de la possibilité d’introduire des mesures


de contrôle de la circulation, telles que le système du compte-gouttes, d’instaurer des
systèmes de péage en fonction de la quantité de polluants émise par les véhicules et
d’adapter la taxe sur les huiles minérales ou la taxe à la consommation, et ce afin
d’inciter à l’achat de véhicules automobiles équipés d’un moteur à essence.

71 La Commission soutient que, avant de décider de mettre en œuvre l’interdiction


sectorielle de circuler, les autorités autrichiennes ne se seraient pas assurées de
l’existence de capacités ferroviaires suffisantes et appropriées permettant le transfert du
transport routier des marchandises concernées vers le transport ferroviaire. L’existence
de telles capacités ne serait aucunement prouvée ni pour le secteur situé à l’ouest de la
ville d’Innsbruck ni pour le secteur situé à l’est de cette ville en ce qui concerne la mise
en œuvre de la deuxième phase de cette interdiction.

72 Pour ce qui est de la possibilité de recourir à l’autoroute ferroviaire («Rollende


Landstrasse»), à savoir un mode de transport dans lequel les poids lourds sont placés sur
le rail pour une partie seulement de l’itinéraire, cette alternative n’existerait que pour le
secteur situé à l’est de la ville d’Innsbruck. Pour ce secteur, il n’aurait été possible
d’assurer qu’une partie des transports des marchandises concernées par la mise en
œuvre, le 1er janvier 2009, de la deuxième phase de l’interdiction sectorielle de circuler,
telle qu’elle avait été prévue initialement. En effet, si les capacités de l’autoroute
ferroviaire étaient suffisantes au 1er janvier 2009, cela était simplement imputable aux
modifications opérées par la République d’Autriche après l’expiration du délai imparti
dans l’avis motivé.

73 Pour ce qui est de l’alternative que constituerait le transport combiné non


accompagné, celui-ci n’aurait d’intérêt d’un point de vue économique et logistique que
sur de longues distances.

74 S’agissant de la possibilité de recourir à des itinéraires de remplacement, il


apparaîtrait que les routes alternatives locales seraient soit interdites au trafic de transit,
soit non adaptées aux poids lourds. Ainsi, les transports en transit de poids lourds
étrangers concernés devraient être détournés soit vers la Suisse, soit vers la route des
Tauern en Autriche, ce qui impliquerait un allongement considérable du parcours. En
outre, il y aurait également lieu de tenir compte des coûts supplémentaires occasionnés
par les formalités douanières suisses.

75 Enfin, en l’absence de solutions de remplacement réalistes permettant d’assurer le


transport des marchandises visées par le règlement litigieux, les délais prévus pour la
mise en œuvre de l’interdiction sectorielle de circuler seraient insuffisants pour

53
permettre raisonnablement aux opérateurs concernés par cette mesure de s’adapter aux
nouvelles circonstances.

76 Quant au secteur situé à l’ouest de la ville d’Innsbruck (Zirl-Innsbruck), la


nécessité de l’interdiction sectorielle de circuler ne serait pas établie à défaut
d’évaluations suffisantes indiquant dans quelle mesure ce secteur est affecté. En outre,
une analyse d’impact concrète, susceptible de démontrer le caractère approprié et
nécessaire d’une telle mesure, ferait défaut.

77 En tout état de cause, le fait que le règlement litigieux ait été modifié à plusieurs
reprises après l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé démontrerait que la
République d’Autriche n’a pas analysé correctement le caractère proportionné de
l’interdiction sectorielle de circuler.

78 Le Royaume des Pays-Bas soutient, dans son mémoire en intervention, que le


règlement litigieux est constitutif d’une discrimination indirecte. Celui-ci affecterait
dans une plus grande mesure le trafic de transit effectué par des entreprises étrangères
que celui assuré par les entreprises autrichiennes, en raison du fait, d’une part, qu’il
porte non pas sur l’ensemble du trafic de poids lourds, mais seulement sur le trafic de
poids lourds de plus de 7,5 tonnes, ces derniers véhicules étant ceux par lesquels le
trafic de transit s’effectue en règle générale et, d’autre part, qu’il concerne un axe
routier déterminant pour ce type de trafic.

79 La République italienne, quant à elle, propose, en tant que mesure alternative à


l’interdiction sectorielle de circuler, l’introduction d’une interdiction de circuler portant
sur les véhicules automobiles privés et utilitaires de moins de 7,5 tonnes, en fonction de
la classe Euro à laquelle ils appartiennent. Pour ce qui est de l’alternative, proposée par
la Commission, qui consisterait à étendre les interdictions de circuler imposées aux
poids lourds plus anciens à ceux relevant d’autres classes Euro plus avancées, et plus
particulièrement à ceux relevant de la classe Euro III, celle-ci pourrait avoir des
répercussions économiques importantes pour l’économie de cet État membre en raison
de la composition de la flotte de camions.

80 En outre, les États intervenants font état des problèmes résultant de la mise en
œuvre de l’interdiction sectorielle de circuler. Les alternatives offertes par le transport
ferroviaire et par les itinéraires de remplacement ne permettraient pas de satisfaire aux
besoins des opérateurs concernés. La République italienne insiste notamment sur la
charge administrative et financière supplémentaire que générerait un transport de
marchandises par la Suisse.

81 La République d’Autriche conteste l’existence d’une restriction à la libre


circulation des marchandises au sens des articles 28 CE et 29 CE.

82 Pour ce qui est du cadre factuel, cet État membre fait valoir que, en dépit des
mesures visant à améliorer la qualité de l’air ambiant dans le Land du Tyrol, la
concentration en dioxyde d’azote sur l’autoroute A 12 dépasse nettement les valeurs

54
limites annuelles fixées à l’annexe II, point I, de la directive 1999/30, augmentées de la
marge de dépassement. La situation s’aggraverait en raison de l’évolution dégressive de
cette marge. Environ 60 % des émissions de dioxyde d’azote sur cette autoroute seraient
imputables aux poids lourds. Ainsi, le transport routier de marchandises constituerait la
principale source d’émissions de ce polluant atmosphérique dans la zone concernée.

83 La République d’Autriche souligne que la directive 96/62, lue en combinaison


avec la directive 1999/30, impose, en cas de dépassement de la valeur limite annuelle de
dioxyde d’azote, une obligation d’agir pour l’État membre concerné. En outre, les
autorités autrichiennes seraient dans l’obligation d’assurer le respect de la vie privée et
familiale des citoyens, consacré à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne (ci-après la «charte») et à l’article 8, paragraphe 2, de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à
Rome le 4 novembre 1950, y compris le droit d’être protégé contre les atteintes à la
santé et à la qualité de la vie. En l’occurrence, un juste équilibre entre les intérêts en
présence aurait été trouvé conformément à la jurisprudence inaugurée par l’arrêt de la
Cour du 12 juin 2003, Schmidberger (C-112/00, Rec. p. I-5659).

84 Cet État membre soutient que la conformité du règlement litigieux au droit de


l’Union doit être appréciée non pas de manière isolée, mais au regard de l’ensemble des
mesures dont il fait partie. En effet, pour parvenir à une réduction aussi importante et
efficace que possible des émissions provoquées par le trafic routier, un plan d’ensemble
combinant différentes mesures aurait été nécessaire. Ces dernières porteraient non
seulement sur les émissions spécifiques des véhicules automobiles à moteur, mais
également sur la densité du trafic routier. La mise en œuvre de ce plan permettrait de
réduire sensiblement la pollution due au dioxyde d’azote dans la zone concernée et
d’atteindre, au cours de l’année 2010, une concentration annuelle moyenne d’environ 55
µg/m3 de ce polluant atmosphérique dans cette zone. Cependant, en dépit de l’adoption
d’un tel plan, la concentration dans l’air de ce polluant atmosphérique dépasserait
largement la valeur limite de 40 µg/m3, fixée à l’annexe II, point I, de la directive
1999/30 pour l’année en cause.

85 L’interdiction sectorielle de circuler, dans son aménagement final, à savoir après


la décision de ne pas inclure le transport de céréales dans le champ d’application de
celle-ci, concernerait environ 194 000 trajets de poids lourds par an, ce qui
représenterait 6,6 % de l’ensemble des trajets effectués par des poids lourds sur
l’autoroute A 12. Elle ne serait pas de nature à entraver les échanges des marchandises
entre les États membres, mais ferait uniquement obstacle à l’utilisation d’un mode de
transport dans un couloir de transit transalpin. Les trajets en cause pourraient être
effectués, en partie, en transférant le transport routier des marchandises visées par le
règlement litigieux vers le rail et, en partie, en empruntant des itinéraires de
remplacement.

86 Selon la République d’Autriche, cette interdiction n’aurait pas entraîné des


conséquences économiques importantes. Les répercussions de celle-ci seraient trop
aléatoires et trop indirectes pour pouvoir être considérées comme étant de nature à

55
entraver le commerce entre les États membres. En pratique, aucune entrave aux
échanges des marchandises n’aurait été constatée depuis la mise en œuvre de la
première phase de ladite interdiction, à savoir le 2 mai 2008.

87 En ce qui concerne le caractère prétendument discriminatoire du règlement


litigieux, le choix des marchandises visées par celui-ci aurait été effectué en fonction de
critères objectifs et non discriminatoires.

88 Quant à la dérogation applicable au trafic routier régional et local, celle-ci


s’expliquerait par le fait que le transfert de ce type de trafic vers le transport ferroviaire,
par hypothèse à l’intérieur même de la zone, entraînerait des trajets supplémentaires à
destination des terminaux ferroviaires, ce qui aurait un effet contraire à l’objectif
recherché par le règlement litigieux. Par ailleurs, la «zone élargie» définie par ce
règlement comprendrait des circonscriptions administratives situées en dehors du
territoire autrichien ce qui renforcerait le caractère non discriminatoire du régime en
cause.

89 Pour ce qui est de la crainte que des entreprises de transport bénéficiant de


l’application des dispositions dérogatoires puissent proposer des services de transport
routier de longue distance, les autorités autrichiennes auraient pris des mesures
permettant de lutter contre les éventuels contournements ou abus.

90 Par ailleurs, la République d’Autriche précise que, pour certains transports, des
dérogations à l’interdiction sectorielle de circuler pourraient être accordées, au cas par
cas, sur présentation d’une demande en ce sens. Ces dispositions dérogatoires
permettraient d’organiser des transports routiers de marchandises dont il est établi qu’ils
ne peuvent pas être transférés vers le rail, en raison de circonstances particulières. Les
dispositions en cause seraient appliquées de manière souple par les autorités
compétentes.

91 À titre subsidiaire, cet État membre soutient que l’interdiction sectorielle de


circuler est justifiée par des motifs de protection de la santé ainsi que de
l’environnement et est proportionnée aux objectifs recherchés.

92 La Commission reprocherait à tort à la République d’Autriche d’avoir décidé de


viser le transport routier de marchandises. Une telle mesure serait conforme aux
objectifs reconnus dans le cadre de la politique commune des transports, notamment
dans la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen «Pour
une Europe en mouvement – Mobilité durable pour notre continent – Examen à mi-
parcours du livre blanc sur les transports publié en 2001 par la Commission
européenne» [COM(2006) 314 final du 22 juin 2006].

93 En outre, les recherches scientifiques démontreraient clairement le bien-fondé de


l’approche retenue par cet État membre. La Commission se fonderait sur des études
reprenant des hypothèses incorrectes, ce qui aboutirait à une surestimation, par celle-ci,
de l’effet des mesures relatives aux voitures particulières.

56
94 Pour ce qui est de la décision des autorités autrichiennes d’étendre le champ
d’application de l’interdiction sectorielle de circuler au secteur situé à l’ouest de la ville
d’Innsbruck, cette mesure serait nécessaire en raison du niveau de pollution de l’air
ambiant dans la zone concernée. Par ailleurs, ce secteur ne représentant qu’une faible
proportion du trafic de poids lourds dans le couloir du Brenner, à savoir environ 1,8 %,
les effets de ladite extension sur le trafic transfrontalier de tels véhicules seraient
modestes.

95 Avant d’adopter l’interdiction sectorielle de circuler, les autorités autrichiennes


auraient soigneusement examiné la possibilité d’adopter des mesures alternatives moins
restrictives de la libre circulation des marchandises. Les mesures étudiées auraient été
introduites et appliquées dans la mesure où elles étaient adaptées et efficaces. Ainsi,
lesdites autorités auraient opté pour la mise en place d’une limitation de la vitesse
variable en fonction de la pollution et d’une interdiction de circuler pour certains poids
lourds non conformes à la norme Euro II ou Euro III. En outre, le champ d’application
géographique de l’interdiction de circulation nocturne aurait été étendu et la dérogation
prévue pour les poids lourds relevant des classes Euro IV et Euro V aurait été levée.

96 Pour ce qui est de la possibilité de mettre en place une mesure limitant de manière
permanente la vitesse à 100 km/h, la Commission soutiendrait, à tort, qu’une telle
mesure pourrait permettre une réduction d’environ 7,5 % des émissions de dioxyde
d’azote dans la zone concernée et que cette limitation réduirait davantage la
concentration annuelle de ce polluant atmosphérique dans ladite zone que l’interdiction
sectorielle de circuler. Selon la République d’Autriche, l’étude IFEU, invoquée par la
Commission pour démontrer le bien-fondé de ces assertions, serait fondée sur des
données et des hypothèses non vérifiables.

97 Pour évaluer l’effet du remplacement de la limitation de vitesse variable par une


limitation de vitesse permanente à 100 km/h, il conviendrait de se fonder sur l’étude
Ökoscience qui contiendrait des données portant sur l’application de la limitation de
vitesse variable entre le mois de novembre de l’année 2007 et celui d’octobre de l’année
2008. Selon ces données, l’effet d’un tel remplacement permettrait d’obtenir une
réduction annuelle supplémentaire de 1,1 % des émissions de dioxyde d’azote dans des
conditions optimales, ce qui représenterait un résultat nettement inférieur à celui de
l’interdiction sectorielle de circuler pour laquelle une réduction de 1,5 % desdites
émissions est avancée.

98 Dans ce contexte, la République d’Autriche souligne que le niveau de réduction


des émissions découlant d’une limitation de vitesse permanente à 100 km/h dépend
essentiellement de l’effet de cette mesure sur la vitesse effectivement pratiquée par les
usagers de la route, qui dépendrait elle-même de l’acceptation de la mesure par lesdits
usagers. La vitesse moyenne de circulation n’équivaudrait pas à la vitesse maximale
autorisée. À l’époque où une limitation de vitesse à 130 km/h était appliquée à Vomp, la
vitesse moyenne des voitures particulières aurait été d’environ 116 km/h, tandis que
pendant la période d’enquête impliquant l’introduction d’une limitation de vitesse

57
permanente à 100 km/h, cette vitesse n’aurait baissé que jusqu’à 103 km/h. La baisse
effective de la vitesse moyenne aurait donc été non pas de 30 km/h, mais seulement de
13 km/h.

99 Quant à la possibilité d’étendre les interdictions de circuler imposées aux poids


lourds plus anciens à ceux relevant d’autres classes Euro, une telle extension conduirait
à des résultats contradictoires. Les émissions de dioxyde d’azote seraient supérieures
pour les poids lourds relevant de la classe Euro IV à celles des véhicules automobiles
correspondant à la classe Euro III. En outre, il conviendrait de tenir compte de la date à
partir de laquelle les véhicules de la classe Euro concernée par l’interdiction de circuler
ne correspondent plus à la norme ainsi que du point de savoir si l’obligation de
remplacer les véhicules en cause par de nouveaux véhicules pourrait être imposée. Au
moment où l’ensemble des mesures visant à améliorer la qualité de l’air ambiant dans le
Land du Tyrol avait été proposé, les trois quarts de la flotte de camions auraient toujours
été constitués des véhicules correspondant à la norme Euro III.

100 Les autorités autrichiennes auraient étudié les effets sur la pollution de l’air des
mesures de suivi du trafic, des mesures relatives aux péages et d’autres mesures de
pilotage. Celles-ci auraient, en partie, été écartées en raison de leurs inconvénients et
seraient, en partie, en cours d’application.

101 En outre, la Commission présenterait, en tant que mesures alternatives à


l’interdiction sectorielle de circuler, des mesures ne produisant des effets qu’à long
terme, telles que les mesures économiques visant à réduire la part des voitures
particulières fonctionnant avec un moteur diesel. En tout état de cause, de telles mesures
auraient déjà été adoptées.

102 Pour ce qui est de la possibilité d’assurer le transport des marchandises visées par
le règlement litigieux, la République d’Autriche opère une distinction entre les
transports de marchandises dont le trajet sur l’autoroute A 12 est le plus court
(«itinéraire privilégié»), ceux ayant un trajet alternatif au moins équivalent («itinéraire
alternatif») et ceux disposant d’un trajet alternatif de meilleure qualité («itinéraire de
contournement»). Parmi les transports concernés par l’interdiction sectorielle de
circuler, 45 % d’entre eux devraient être classés dans la catégorie des transports
bénéficiant d’itinéraires privilégiés, 25 % dans la catégorie des transports pouvant
recourir aux itinéraires alternatifs et 30 % dans celle correspondant à un itinéraire de
contournement.

103 Lorsque les transports de marchandises sont effectués dans le cadre d’un trafic de
transit, ils devraient, selon la République d’Autriche, être réalisés en recourant au mode
de transport ferroviaire s’ils correspondent à un «itinéraire privilégié» ou à un
«itinéraire alternatif». Dans ce contexte, il conviendrait de prendre en compte
l’ensemble des capacités résultant de toutes les formes de transport ferroviaire
disponibles.

58
104 Les capacités disponibles de l’autoroute ferroviaire, du transport conventionnel
par wagons isolés et du transport combiné non accompagné seraient plus que suffisantes
pour prendre en charge toutes les marchandises visées par le règlement litigieux. Pour
ce qui concerne, plus particulièrement, l’utilisation de l’autoroute ferroviaire, celle-ci ne
nécessiterait pas une restructuration logistique.

105 En dépit de l’existence et de la disponibilité de capacités ferroviaires suffisantes


et appropriées, les autorités autrichiennes auraient reporté l’entrée en vigueur de la
deuxième phase de l’interdiction sectorielle de circuler en introduisant une troisième
phase, à compter du 1er juillet 2009, puis une quatrième phase, à compter du 1er juillet
2010. Ces délais supplémentaires auraient permis à une plus grande partie des
entreprises concernées par cette interdiction d’effectuer les transports concernés en
recourant à l’autoroute ferroviaire, ce qui les aurait dispensées de procéder à des
adaptations logistiques.

106 Contrairement à ce que soutient la Commission, les itinéraires de remplacement


par le Reschenpass ne seraient pas réservés aux transports régionaux et locaux. Les
transports en transit de poids lourds étrangers pour lesquels cet itinéraire correspond à
un «itinéraire privilégié» pourraient y recourir. Pour modifier les trajets des transports
de marchandises relevant des catégories «itinéraire alternatif» et «itinéraire de
contournement», de nombreux itinéraires de remplacement seraient disponibles. Pour ce
qui est des itinéraires routiers passant par la Suisse, l’accord conclu le 21 juin 1999
entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport de
marchandises et de voyageurs par rail et par route (JO 2002, L 114, p. 91) garantirait
que les transports d’un État membre vers un autre État membre puissent transiter par ce
pays sans contingentement.

107 Enfin, les délais prévus pour la mise en œuvre de l’interdiction sectorielle de
circuler auraient permis aux opérateurs concernés de s’adapter aux nouvelles
circonstances. L’échelonnement des différentes mesures renforcerait la proportionnalité
du plan d’ensemble. La Commission n’aurait pas pu démontrer l’existence de problèmes
imputables à la mise en œuvre prétendument trop rapide de ladite interdiction.

Appréciation de la Cour

– Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des marchandises

108 D’emblée, il importe d’examiner le bien-fondé de l’allégation de la République


d’Autriche selon laquelle le règlement litigieux ne saurait constituer une violation des
articles 28 CE et suivants compte tenu de l’obligation d’agir résultant de l’article 8,
paragraphe 3, de la directive 96/62, lu en combinaison avec la directive 1999/30.

109 En l’occurrence, cet État membre et la Commission s’accordent pour considérer


que, pour les années 2002 à 2009, la valeur limite annuelle des concentrations de
dioxyde d’azote dans l’air ambiant, fixée à l’annexe II, point I, de la directive 1999/30, a
été dépassée au point de contrôle de Vomp/Raststätte. Ainsi, la République d’Autriche

59
devait assurer, compte tenu des termes de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 96/62,
l’élaboration ou la mise en œuvre d’un plan ou programme permettant de respecter la
valeur limite. Or, il n’est pas contesté que, du point de vue formel, le règlement litigieux
fasse partie d’un tel plan.

110 Conformément à cette même disposition, un tel plan doit comporter les
informations énumérées à l’annexe IV de la directive 96/62, telles que des informations
concernant le lieu du dépassement, les principales sources d’émissions responsables de
la pollution ou les mesures existantes et envisagées. Ladite directive ne contient
cependant pas d’indications précises quant à la portée et au contenu des mesures devant
être prises par les États membres.

111 Dans de telles circonstances, il appartient auxdits États membres de prendre des
mesures appropriées et cohérentes destinées à respecter la valeur limite, compte tenu de
l’ensemble des circonstances du moment et des intérêts en présence (voir, en ce sens,
arrêts Commission/Autriche, précité, point 81, et du 25 juillet 2008, Janecek, C-237/07,
Rec. p. I-6221, points 45 et 46). S’ils jouissent d’un pouvoir d’appréciation à cet égard,
il n’en demeure pas moins qu’ils doivent l’exercer dans le respect des dispositions du
traité CE, y compris le principe fondamental de la libre circulation des marchandises.

112 Dès lors, il convient d’apprécier le règlement litigieux au regard des articles 28
CE à 30 CE.

113 À cet égard, il importe de rappeler que la libre circulation des marchandises
constitue l’un des principes fondamentaux du traité. Cette liberté a pour conséquence
l’existence d’un principe général de liberté du transit des marchandises à l’intérieur de
l’Union européenne (voir, notamment, arrêts du 16 mars 1983, SIOT, 266/81, Rec. p.
731, point 16; du 4 octobre 1991, Richardt et «Les Accessoires Scientifiques»,
C-367/89, Rec. p. I-4621, point 14, ainsi que Commission/Autriche, précité, points 63
et 65).

114 En l’occurrence, le règlement litigieux interdit aux poids lourds de plus de 7,5
tonnes transportant certaines marchandises qui, selon les autorités autrichiennes, ont une
«affinité avec le rail», de circuler sur un tronçon de l’autoroute A 12. Il fait ainsi
obstacle à l’utilisation, dans ce couloir de transit transalpin, d’un mode de transport pour
ces produits.

115 La République d’Autriche soutient qu’il existe des itinéraires de remplacement ou


d’autres modes de transport de nature à permettre l’acheminement des marchandises en
cause.

116 Toutefois, l’existence de telles solutions de remplacement n’est pas de nature à


écarter l’existence d’une restriction à la libre circulation des marchandises (voir, en ce
sens, arrêt Commission/Autriche, précité, point 67). En effet, le tronçon de l’autoroute
A 12 constitue l’une des principales voies de communication terrestres entre le sud de
l’Allemagne et le nord de l’Italie. En contraignant les entreprises concernées à

60
rechercher des solutions de remplacement rentables pour le transport des marchandises
visées par le règlement litigieux, l’interdiction sectorielle de circuler est susceptible
d’affecter de manière substantielle le transit des marchandises entre l’Europe
septentrionale et le nord de l’Italie (voir, en ce sens, arrêt Commission/Autriche, précité,
points 66 et 68).

117 Dans de telles conditions, l’interdiction sectorielle de circuler doit être considérée
comme constituant une mesure d’effet équivalant à des restrictions quantitatives, en
principe incompatible avec les obligations résultant des articles 28 CE et 29 CE, à moins
que cette mesure ne puisse être justifiée.

– Sur la justification éventuelle de la restriction

118 La République d’Autriche soutient que l’interdiction sectorielle de circuler est


justifiée par des motifs de protection de la santé et de l’environnement ainsi que par la
nécessité d’assurer le droit au respect de la vie privée et familiale, consacré à l’article 7
de la charte et à l’article 8, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

119 Selon une jurisprudence constante, des mesures nationales susceptibles d’entraver
le commerce intracommunautaire peuvent être justifiées par l’une des raisons d’intérêt
général énumérées à l’article 30 CE, telles que la protection de la santé et de la vie des
personnes, ou par l’une des exigences impératives tendant, entre autres, à la protection
de l’environnement, pourvu que les mesures en question soient proportionnées à l’objet
recherché (voir, notamment, arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de
Dijon», 120/78, Rec. p. 649; du 20 septembre 1988, Commission/Danemark, 302/86,
Rec. p. 4607, point 9; du 5 février 2004, Commission/Italie, C-270/02, Rec. p. I-1559,
point 21; du 14 décembre 2004, Commission/Allemagne, C-463/01, Rec. p. I-11705,
point 75, ainsi que Commission/Autriche, précité, point 70).

120 Il convient de rappeler que la protection de la santé et celle de l’environnement


constituent des objectifs essentiels de l’Union. En ce sens, l’article 2 CE énonce que la
Communauté a notamment pour mission de promouvoir un «niveau élevé de protection
et d’amélioration de la qualité de l’environnement» et l’article 3, paragraphe 1, sous p),
CE dispose que l’action de la Communauté comporte une contribution à la réalisation
d’«un niveau élevé de protection de la santé» (voir, en ce sens, arrêts du 7 février 1985,
ADBHU, 240/83, Rec. p. 531, point 13; du 19 mai 1992, Commission/Allemagne,
C-195/90, Rec. p. I-3141, point 29, et du 22 décembre 2008, British
Aggregates/Commission, C-487/06 P, Rec. p. I-10515, point 91).

121 En outre, aux termes des articles 6 CE et 152, paragraphe 1, CE, les exigences de
protection de l’environnement et de la santé publique doivent être prises en compte dans
la définition et la mise en œuvre des politiques et des actions de la Communauté (voir,
en ce sens, arrêt du 23 octobre 2007, Commission/Conseil, C-440/05, Rec. p. I-9097,
point 60). Le caractère transversal et fondamental desdits objectifs est, par ailleurs,
réaffirmé respectivement aux articles 37 et 35 de la charte.

61
122 Quant au rapport entre les objectifs de protection de l’environnement et de
protection de la santé, il ressort de l’article 174, paragraphe 1, CE que la protection de la
santé des personnes relève des objectifs de la politique de la Communauté dans le
domaine de l’environnement (voir, notamment, arrêts du 8 juillet 2010, Afton Chemical,
C-343/09, non encore publié au Recueil, point 32, et du 22 décembre 2010, Gowan
Comércio Internacional e Serviços, C-77/09, non encore publié au Recueil, point 71).
Ces objectifs sont intimement liés l’un à l’autre, notamment dans le cadre de la lutte
contre la pollution de l’air qui a pour finalité de limiter les dangers pour la santé liés à
une dégradation de l’environnement. L’objectif de la protection de la santé se trouve
ainsi déjà, en principe, englobé dans l’objectif de protection de l’environnement (voir,
en ce sens, arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Autriche, C-524/07, point 56).

123 Dans de telles conditions, il n’y a pas lieu d’examiner les arguments de la
République d’Autriche relatifs à la protection de la santé séparément de ceux portant sur
la protection de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2008,
Commission/Autriche, précité, point 56).

124 En l’occurrence, l’interdiction sectorielle de circuler a été adoptée dans le but de


garantir la qualité de l’air ambiant dans la zone concernée conformément aux
obligations résultant de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 96/62, lu en
combinaison avec la directive 1999/30.

125 Il est de jurisprudence constante que des exigences impératives relevant de la


protection de l’environnement peuvent justifier des mesures nationales susceptibles
d’entraver le commerce intracommunautaire, pourvu que ces mesures soient propres à
garantir la réalisation de cet objectif et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour
qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1998, Aher-Waggon, C-389/96,
Rec. p. I-4473, points 19 et 20; du 14 décembre 2004, Commission/Allemagne, précité,
point 75, ainsi que du 11 décembre 2008, Commission/Autriche, précité, point 57).

126 Or, une mesure restrictive ne saurait être considérée comme propre à garantir la
réalisation de l’objectif recherché que si elle répond véritablement au souci d’atteindre
celui-ci d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars
2009, Hartlauer, C-169/07, Rec. p. I-1721, point 55; du 19 mai 2009,
Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C-171/07 et C-172/07, Rec. p. I-4171, point 42,
ainsi que du 16 décembre 2010, Josemans, C-137/09, non encore publié au Recueil,
point 70).

127 Tout d’abord, pour ce qui est du caractère approprié du règlement litigieux, la
Commission considère que le choix opéré par les autorités autrichiennes d’adopter une
mesure portant sur le transport routier de marchandises est inadéquat. La République
d’Autriche viserait à réduire non pas les émissions des véhicules automobiles à moteur,
mais la densité du trafic routier. La Commission soutient également que le règlement
litigieux ne répond pas véritablement au souci d’atteindre l’objectif poursuivi d’une
manière cohérente et systématique.

62
128 D’emblée, il y a lieu de relever que, afin d’améliorer la qualité de l’air dans la
zone concernée, les autorités autrichiennes ont adopté différentes mesures pour réduire
les émissions des véhicules automobiles à moteur, à savoir une limitation de vitesse à
100 km/h sur un tronçon de l’autoroute A 12, remplacée par la suite par une limitation
de vitesse variable, ainsi que l’interdiction sous certaines conditions sur cette même
autoroute, d’une part, de la circulation nocturne pour les poids lourds et, d’autre part, de
la circulation des poids lourds relevant de certaines classes Euro. Estimant ces mesures
insuffisantes, la République d’Autriche a également adopté une mesure visant à réduire
le nombre total des transports par des poids lourds, à savoir l’interdiction sectorielle de
circuler. Par l’adoption de ces mesures, la concentration annuelle moyenne de dioxyde
d’azote dans la zone concernée aurait dû être, au cours de l’année 2010, d’environ 55
µg/m3.

129 Il est constant que la mise en œuvre des mesures visant à limiter la circulation
routière, telles que l’interdiction sectorielle de circuler, entraîne une réduction des
émissions de polluants atmosphériques et contribue ainsi à l’amélioration de la qualité
de l’air. En l’occurrence, il n’est pas contesté que cette dernière mesure permet de
réduire d’environ 1,5 % les émissions de ce polluant atmosphérique sur l’année dans la
zone concernée.

130 Dans ce contexte, il importe de rappeler que la nécessité de réduire le transport


routier de marchandises, le cas échéant en orientant les opérateurs vers d’autres modes
de transport, plus respectueux de l’environnement, tels que le transport ferroviaire, a été
reconnue dans le cadre de la politique commune des transports, ainsi que l’a admis la
Commission lors de l’audience de plaidoiries. Il y a également lieu de mentionner la
directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l’établissement de
règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États
membres (JO L 368, p. 38), dont le troisième considérant énonce que «les problèmes
croissants afférents à l’encombrement des routes, à l’environnement et à la sécurité
routière exigent, dans l’intérêt public, un développement plus poussé des transports
combinés comme alternative au transport routier».

131 Pour ce qui est du critère de l’«affinité avec le rail», retenu par les autorités
autrichiennes pour désigner les marchandises devant relever du champ d’application de
l’interdiction sectorielle de circuler, il est constant que certaines marchandises sont
particulièrement adaptées au transport ferroviaire.

132 Quant à l’allégation de la Commission selon laquelle le critère retenu laisse à


craindre que les marchandises concernées par l’interdiction sectorielle de circuler soient
sélectionnées de manière arbitraire, il suffit de relever que celle-ci n’a pas développé
des arguments pour soutenir que tel aurait été le cas en ce qui concerne les marchandises
énumérées à l’article 3 du règlement litigieux. La Cour devant se prononcer, dans le
cadre d’un recours en manquement, en tenant compte des seuls éléments factuels de
l’affaire, à l’exclusion de toute supposition, il y a lieu de rejeter cet argument (voir,
notamment, arrêts du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C-494/01, Rec. p. I-3331,

63
point 41, et du 6 octobre 2009, Commission/Finlande, C-335/07, Rec. p. I-9459, point
46).

133 Pour ce qui concerne la question de savoir si le règlement litigieux répond au


souci d’atteindre l’objectif poursuivi d’une manière cohérente et systématique, il est vrai
qu’il a pour conséquence d’autoriser la circulation de poids lourds plus polluants
lorsqu’ils transportent des marchandises ne relevant pas du champ d’application de
ladite interdiction, alors que la circulation des poids lourds moins polluants est interdite
lorsqu’ils transportent, notamment, des carreaux en céramique. Il ne saurait cependant
être jugé incohérent qu’un État membre qui a décidé d’orienter, en conformité avec un
objectif reconnu dans le cadre de la politique commune des transports, le transport de
marchandises vers le rail, adopte une mesure se focalisant sur des produits aptes à être
transportés par différents modes de transport ferroviaire.

134 Quant à l’exclusion du trafic local et régional du champ d’application de


l’interdiction sectorielle de circuler, il importe de relever que l’une des caractéristiques
des mesures nationales destinées à canaliser les flux de transport ou à influer sur les
modes de transport est qu’elles incluent, en règle générale, des dérogations en faveur
des transports dont le point de départ ou de destination se situe à l’intérieur de la zone
concernée. En effet, il apparaît, ainsi que le soutient à juste titre la République
d’Autriche, que le recours au transport ferroviaire pour ce type de trafic est susceptible
d’entraîner un allongement des trajets, dès lors que s’ajoutent aux trajets initiaux ceux à
destination des terminaux ferroviaires, ce qui aurait un effet contraire à l’objectif
recherché par l’interdiction sectorielle de circuler. En outre, il n’est pas contesté que le
transport ferroviaire ne constitue une alternative rentable au transport routier que pour
les trajets d’une certaine distance.

135 Par ailleurs, dans la mesure où la dérogation porte sur des poids lourds qui sont
chargés et déchargés dans la «zone élargie», il importe de rappeler que cette zone
comprend également des circonscriptions administratives situées en dehors du territoire
autrichien.

136 En outre, il ressort du dossier soumis à la Cour que la République d’Autriche a


pris des mesures pour lutter contre les éventuels contournements ou abus dans
l’application de cette dérogation.

137 Dans de telles conditions, l’exclusion du trafic local et régional du champ


d’application de l’interdiction sectorielle de circuler ne saurait remettre en cause le
caractère cohérent et systématique du règlement litigieux.

138 Eu égard à ces éléments, il convient de constater que l’interdiction sectorielle de


circuler est propre à garantir la réalisation de l’objectif de protection de
l’environnement.

139 Ensuite, pour ce qui est de la question de savoir si la restriction à la libre


circulation des marchandises va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet

64
objectif, la Commission soutient que des mesures telles que l’extension de l’interdiction
de circuler frappant les poids lourds relevant de certaines classes Euro à ceux relevant
d’autres classes, ou encore le remplacement de la limitation de vitesse variable par une
limitation de vitesse permanente à 100 km/h, tout en étant susceptibles d’affecter la libre
circulation des marchandises, auraient permis d’atteindre l’objectif recherché en
restreignant, dans une moindre mesure, l’exercice de cette liberté.

140 Ainsi que la Cour l’a souligné, au point 87 de son arrêt du 15 novembre 2005,
Commission/Autriche, précité, avant l’adoption d’une mesure aussi radicale qu’une
interdiction de circuler sur un tronçon d’autoroute constituant une voie de
communication vitale entre certains États membres, il incombait aux autorités
autrichiennes d’examiner attentivement la possibilité de recourir à des mesures moins
restrictives de la liberté de circulation et de ne les écarter que si leur caractère inadéquat,
au regard de l’objectif poursuivi, était clairement établi.

141 S’agissant, en premier lieu, de la solution consistant à étendre l’interdiction de


circuler frappant les poids lourds relevant de certaines classes Euro à ceux relevant
d’autres classes, il convient de rappeler que la limite pour les émissions d’oxydes
d’azote est fixée à 5 g/kWh pour les poids lourds relevant de la classe Euro III et que la
classe Euro IV a introduit une réduction à 3,5 g/kWh.

142 La République d’Autriche est cependant d’avis que les poids lourds
correspondant à la classe Euro IV émettraient souvent plus de dioxyde d’azote que ceux
correspondant à la norme Euro III. Pour cette raison, elle considère qu’il conviendrait,
avant d’étendre l’interdiction de circuler frappant les poids lourds à ceux relevant de la
classe Euro III, d’étudier de manière plus approfondie l’impact sur l’environnement des
émissions de dioxyde d’azote.

143 Or, compte tenu du fait que les différentes classes Euro successives comportent
incontestablement une réduction à chaque fois substantielle des émissions des oxydes
d’azote, il n’est pas établi que l’extension de l’interdiction de circuler frappant les poids
lourds relevant de certaines classes Euro à ceux relevant d’autres classes n’aurait pas pu
contribuer à l’objectif recherché de manière aussi efficace que la mise en œuvre de
l’interdiction sectorielle de circuler.

144 Pour ce qui concerne, en second lieu, la solution proposée par la Commission
consistant à remplacer la limitation de vitesse variable par une limitation de vitesse
permanente à 100 km/h, la République d’Autriche soutient, en s’appuyant sur les
données contenues dans l’étude Ökoscience, qu’un tel remplacement n’aboutirait qu’à
une réduction annuelle supplémentaire de 1,1 % des émissions de dioxyde d’azote dans
la zone concernée, tandis que pour l’interdiction sectorielle de circuler une réduction de
1,5 % desdites émissions est avancée.

145 À cet égard, il importe de relever que les données contenues dans l’étude
Ökoscience concernent notamment les vitesses effectivement pratiquées par les usagers
de la route dans cette zone entre le mois de novembre de l’année 2007 et celui d’octobre

65
de l’année 2008. Ainsi, une partie substantielle de celles-ci portent sur la situation de la
République d’Autriche telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis
motivé, à savoir le 8 juin 2008. Ces données peuvent être utilement prises en compte
pour apprécier le bien-fondé du présent recours.

146 Selon cette étude, à l’époque où une limitation de vitesse à 130 km/h était
appliquée à Vomp, la vitesse moyenne des voitures particulières aurait été d’environ
116 km/h, tandis que pendant la période d’enquête, impliquant l’introduction d’une
limitation de vitesse permanente à 100 km/h, la vitesse moyenne de ces voitures aurait
été de 103 km/h. Ainsi, l’instauration de cette dernière mesure n’aurait entraîné qu’une
réduction de 13 km/h par rapport aux périodes de limitation de vitesse à 130 km/h.

147 S’il est vrai que l’effet d’une limitation de vitesse sur la vitesse effectivement
pratiquée par les usagers de la route peut être influencé par la manière dont ceux-ci
acceptent la mesure, il n’en demeure pas moins qu’il incombe à l’État membre concerné
d’assurer le respect effectif d’une telle mesure par l’adoption de mesures contraignantes
assorties, le cas échéant, de sanctions. Ainsi, la République d’Autriche ne saurait se
fonder sur la vitesse moyenne mesurée sur la zone concernée, à savoir 103 km/h, pour
apprécier les effets de la mise en œuvre d’une limitation de vitesse permanente à 100
km/h.

148 Dès lors, il apparaît que le remplacement de la limitation de vitesse variable par
une limitation de vitesse permanente à 100 km/h présente un potentiel de réduction des
émissions de dioxyde d’azote qui n’a pas été suffisamment pris en compte par la
République d’Autriche. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 67 du présent arrêt,
l’existence d’un tel potentiel est corroborée par l’étude IFEU.

149 En outre, il importe de relever que les effets restrictifs sur la libre circulation des
marchandises d’un remplacement de la limitation de vitesse variable par une limitation
de vitesse permanente à 100 km/h sont moindres que ceux de la mise en œuvre de
l’interdiction sectorielle de circuler. En effet, un tel remplacement n’est pas de nature à
affecter la circulation des poids lourds pour lesquels la vitesse maximale autorisée est,
en tout état de cause, limitée.

150 Dans de telles circonstances, il convient de conclure, eu égard aux critères


présentés au point 140 du présent arrêt, que le caractère inadéquat des deux principales
mesures alternatives mises en avant par la Commission en tant que mesures moins
restrictives de la libre circulation des marchandises n’a pas été établi. Sans qu’il ne soit
nécessaire d’examiner les autres mesures proposées par la Commission, il y a donc lieu
d’accueillir le présent recours.

151 Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de constater


que, en imposant aux camions de plus de 7,5 tonnes transportant certaines marchandises
une interdiction de circuler sur un tronçon de l’autoroute A 12 dans la vallée de l’Inn
(Autriche), la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en
vertu des articles 28 CE et 29 CE.

66
Sur les dépens

152 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission
ayant conclu à la condamnation de la République d’Autriche et celle-ci ayant succombé
en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

153 En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la République


italienne et le Royaume des Pays-Bas, qui sont intervenus au présent litige, supporteront
leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1) En imposant aux camions de plus de 7,5 tonnes transportant certaines


marchandises une interdiction de circuler sur un tronçon de l’autoroute A 12 dans la
vallée de l’Inn (Autriche), la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui
incombent en vertu des articles 28 CE et 29 CE.

2) La République d’Autriche est condamnée aux dépens.

3) La République italienne et le Royaume des Pays-Bas supportent leurs propres


dépens.

Document 5 : CJUE, 11 septembre 2014, Essent, C-204/12 à 208/12

«Renvoi préjudiciel – Régime régional de soutien prévoyant l’octroi de certificats verts


négociables pour les installations sises dans la région concernée produisant de
l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables – Obligation pour les
fournisseurs d’électricité de remettre annuellement à l’autorité compétente un certain
quota de certificats – Refus de prise en compte des garanties d’origine provenant
d’autres États membres de l’Union européenne et des États parties à l’accord EEE –
Amende administrative en cas de non-remise de certificats – Directive 2001/77/CE –
Article 5 – Libre circulation des marchandises – Article 28 CE – Articles 11 et 13 de
l’accord EEE – Directive 2003/54/CE – Article 3»

Dans les affaires jointes C-204/12 à C-208/12,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE,
introduites par le rechtbank van eerste aanleg te Brussel (Belgique), par décisions du 16
avril 2012, parvenues à la Cour le 30 avril 2012, dans les procédures

Essent Belgium NV

contre

67
Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en Gasmarkt,

en présence de:

Vlaams Gewest,

Vlaamse Gemeenschap (C-204/12, C-206/12 et C-208/12),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, M. J. Malenovský et Mme A.


Prechal (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 mars 2013,

considérant les observations présentées:

– pour Essent Belgium NV, par Mes D. Haverbeke et W. Vandorpe, advocaten,

– pour la Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en Gasmarkt, le


Vlaams Gewest et la Vlaamse Gemeenschap, par Mes S. Vernaillen et B. Goosens,
advocaten,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes B. Koopman, M. Bulterman et C.


Wissels, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes O. Beynet et K. Herrmann ainsi que


par M. E. Manhaeve, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mai 2013,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 18


TFUE, 34 TFUE et 36 TFUE, des articles 4, 11 et 13 de l’accord sur l’Espace
économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), de
l’article 5 de la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27
septembre 2001, relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources
d’énergie renouvelables sur le marché intérieur de l’électricité (JO L 283, p. 33), et de

68
l’article 3 de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin
2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et
abrogeant la directive 96/92/CE (JO L 176, p. 37).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Essent Belgium
NV (ci-après «Essent») à la Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en
Gasmarkt (Autorité de régulation du marché du gaz et de l’électricité, ci-après la
«VREG»), au Vlaams Gewest (Région flamande) et à la Vlaamse Gemeenschap
(Communauté flamande), au sujet d’amendes administratives infligées par la VREG à
Essent pour défaut de présentation de certificats établissant que la quantité d’électricité
y figurant a été produite à partir de sources d’énergie renouvelables (ci-après les
«certificats verts»).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2001/77

3 La directive 2001/77 a été abrogée, à compter du 1er janvier 2012, par la directive
2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la
promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et
modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO L 140, p. 16).
Néanmoins, compte tenu de la date des faits relatifs aux litiges au principal, il y a lieu
d’avoir égard aux dispositions de la directive 2001/77.

4 Aux termes des considérants 1 à 3, 10, 11, 14 et 15 de la directive 2001/77:

«(1) Le potentiel d’exploitation des sources d’énergie renouvelables est actuellement


sous-utilisé dans la Communauté. La Communauté reconnaît la nécessité de promouvoir
en priorité les sources d’énergie renouvelables, car leur exploitation contribue à la
protection de l’environnement et au développement durable. En outre, cela peut aussi
générer des emplois sur place, avoir une incidence positive sur la cohésion sociale,
contribuer à la sécurité des approvisionnements et accélérer la réalisation des objectifs
de Kyoto. Il est, par conséquent, nécessaire de veiller à ce que ce potentiel soit mieux
exploité dans le cadre du marché intérieur de l’électricité.

(2) La promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables


est au premier rang des priorités de la Communauté [...] pour des raisons de sécurité et
de diversification de l’approvisionnement en énergie ainsi que de protection de
l’environnement et pour des motifs liés à la cohésion économique et sociale. [...]

(3) L’utilisation accrue de l’électricité produite à partir de sources d’énergie


renouvelables constitue un volet important de l’ensemble des mesures requises pour
respecter le protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les

69
changements climatiques et de tout train de mesures destiné à respecter des
engagements ultérieurs.

[...]

(10) En vertu de la présente directive, les États membres ne sont pas tenus de
reconnaître que l’acquisition d’une garantie d’origine auprès d’autres États membres ou
l’achat correspondant d’électricité constitue une contribution au respect d’un quota
national obligatoire. Toutefois, pour faciliter les échanges d’électricité produite à partir
de sources d’énergie renouvelables et pour accroître la transparence pour le choix du
consommateur entre l’électricité produite à partir de sources d’énergie non
renouvelables et l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, la
garantie d’origine de cette électricité est requise. Les régimes prévus pour la garantie
d’origine n’entraînent pas par nature le droit de bénéficier des mécanismes de soutien
nationaux instaurés dans différents États membres. Il importe que toutes les formes
d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables soient couvertes par de
telles garanties d’origine.

(11) Il importe de bien distinguer les garanties d’origine des certificats verts
échangeables.

[...]

(14) Les États membres appliquent différents mécanismes de soutien des sources
d’énergie renouvelables au niveau national, notamment des certificats verts, une aide à
l’investissement, des exonérations ou réductions fiscales, des remboursements d’impôt
ou des régimes de soutien direct des prix. Un moyen important pour réaliser l’objectif
de la présente directive est de garantir le bon fonctionnement de ces mécanismes,
jusqu’à ce qu’un cadre communautaire soit mis en œuvre, de façon à conserver la
confiance des investisseurs.

(15) Il est prématuré d’arrêter un cadre communautaire concernant les régimes de


soutien, étant donné l’expérience limitée des régimes nationaux et la part actuellement
assez faible de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables dont le
prix est soutenu dans la Communauté.»

5 L’article 1er de la directive 2001/77 disposait:

«La présente directive a pour objet de favoriser une augmentation de la contribution des
sources d’énergie renouvelables dans la production d’électricité sur le marché intérieur
de l’électricité et de jeter les bases d’un futur cadre communautaire en la matière.»

6 Aux termes de l’article 2 de cette directive, intitulé «Définitions»:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

70
[...]

d) ‘consommation d’électricité’: la production nationale d’électricité, y compris


l’autoproduction, plus les importations, moins les exportations (consommation
intérieure brute d’électricité).

[...]»

7 L’article 3, paragraphes 1 et 2, de ladite directive prévoyait:

«1. Les États membres prennent des mesures appropriées pour promouvoir
l’accroissement de la consommation d’électricité produite à partir de sources d’énergie
renouvelables conformément aux objectifs indicatifs nationaux visés au paragraphe 2.
Ces mesures doivent être proportionnées à l’objectif à atteindre.

2. Au plus tard le 27 octobre 2002, et par la suite tous les cinq ans, les États membres
adoptent et publient un rapport fixant, pour les dix années suivantes, les objectifs
indicatifs nationaux de consommation future d’électricité produite à partir de sources
d’énergie renouvelables en pourcentage de la consommation d’électricité. [...] Pour fixer
ces objectifs jusqu’en 2010, les États membres:

– prennent en compte les valeurs de référence figurant à l’annexe,

– veillent à ce que ces objectifs soient compatibles avec tout engagement national
pris dans le cadre des engagements relatifs au changement climatique acceptés par la
Communauté au titre du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur
les changements climatiques.»

8 Sous l’intitulé «Régimes de soutien», l’article 4 de la même directive était rédigé


dans les termes suivants:

«1. Sans préjudice des articles 87 et 88 du traité [CE], la Commission [européenne]


évalue l’application des mécanismes mis en œuvre dans les États membres par lesquels
un producteur d’électricité bénéficie, sur la base d’une réglementation édictée par les
autorités publiques, d’aides directes ou indirectes, et qui pourraient avoir pour effet de
limiter les échanges, en tenant compte du fait que ces mécanismes contribuent à la
réalisation des objectifs visés aux articles 6 et 174 du traité.

2. La Commission présente, au plus tard le 27 octobre 2005, un rapport bien


documenté sur l’expérience acquise concernant l’application et la coexistence des
différents mécanismes visés au paragraphe 1. Ce rapport évalue le succès, y compris le
rapport coût-efficacité, des régimes d’aide visés au paragraphe 1 en ce qui concerne la
promotion de la consommation d’électricité produite à partir de sources d’énergie
renouvelables, dans le respect des objectifs indicatifs nationaux visés à l’article 3,
paragraphe 2. Ce rapport est accompagné, le cas échéant, d’une proposition de cadre

71
communautaire relatif aux régimes de soutien de l’électricité produite à partir de sources
renouvelables.

[...]»

9 L’article 5 de la directive 2001/77 disposait, sous le titre «Garantie d’origine de


l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables»:

«1. Au plus tard le 27 octobre 2003, les États membres font en sorte que l’origine de
l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables puisse être garantie
comme telle au sens de la présente directive, selon des critères objectifs, transparents et
non discriminatoires définis par chaque État membre. Ils veillent à ce que des garanties
d’origine soient délivrées à cet effet en réponse à une demande.

[...]

3. Les garanties d’origine:

– mentionnent la source d’énergie à partir de laquelle l’électricité a été produite,


spécifient les dates et lieux de production et, dans le cas des installations
hydroélectriques, précisent la capacité,

– ont pour but de permettre aux producteurs d’électricité utilisant des sources
d’énergie renouvelables d’établir que l’électricité qu’ils vendent est produite à partir de
sources d’énergie renouvelables.

4. Les garanties d’origine délivrées conformément au paragraphe 2 devraient être


mutuellement reconnues par les États membres, exclusivement à titre de preuve des
éléments visés au paragraphe 3. Tout refus de reconnaître des garanties d’origine
comme une telle preuve, notamment pour des raisons liées à la prévention des fraudes,
doit se fonder sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires. En cas de
refus de reconnaissance d’une garantie d’origine, la Commission peut obliger la partie
qui refuse à reconnaître une garantie d’origine, compte tenu notamment des critères
objectifs, transparents et non discriminatoires sur lesquels la reconnaissance est fondée.

[...]»

10 Ainsi qu’il ressort de son premier alinéa, l’annexe à la directive 2001/77 fournit
des valeurs de référence pour la fixation des objectifs indicatifs nationaux concernant
l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, tels que visés à l’article
3, paragraphe 2, de cette directive. Il ressort du tableau figurant à cette annexe et des
explications afférents à celui-ci que lesdites valeurs de référence tiennent, pour chaque
État membre, d’une part, dans la «production intérieure» d’électricité produite à partir
de sources d’énergie renouvelables en 1997 et, d’autre part, dans la part, en
pourcentage, respectivement pour les années 1997 et 2010, de l’électricité produite à
partir de sources d’énergie renouvelables dans la consommation d’électricité, cette part

72
étant «calculée à partir de la production intérieure d’[électricité produite à partir de
sources d’énergie renouvelables] divisée par la consommation intérieure brute
d’électricité».

11 La directive 2001/77 a été intégrée dans l’accord EEE par la décision du Comité
mixte de l’EEE no 102/2005, du 8 juillet 2005, modifiant l’annexe IV (Énergie) de
l’accord EEE (JO L 306, p. 34). Ladite décision est entrée en vigueur le 1er septembre
2006.

La directive 2003/54

12 La directive 2003/54 a été abrogée, à compter du 3 mars 2011, par la directive


2009/72/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des
règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive
2003/54/CE (JO L 211, p. 55). Néanmoins, compte tenu de la date des faits relatifs aux
litiges au principal, il y a lieu d’avoir égard aux dispositions de la directive 2003/54.

13 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/54 disposait:

«Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect
du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises d’électricité, sans préjudice
du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive,
en vue de réaliser un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan
environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et
des obligations de ces entreprises.»

14 La directive 2003/54 a été intégrée dans l’accord EEE par la décision du Comité
mixte de l’EEE no 146/2005, du 2 décembre 2005, modifiant l’annexe IV (Énergie) de
l’accord EEE (JO 2006, L 53, p. 43). Cette décision est entrée en vigueur le 1er juin
2007.

Le droit belge

Le décret flamand relatif à l’organisation du marché de l’électricité

15 Le décret flamand relatif à l’organisation du marché de l’électricité (vlaams


decreet houdende de organisatie van de elektriciteitmarkt), du 17 juillet 2000 (Belgisch
Staatsblad, 22 septembre 2000, p. 32166, ci-après le «décret relatif à l’électricité»),
visait notamment à assurer la mise en œuvre des directives 2001/77 et 2003/54. Ledit
décret instituait un régime de soutien à l’électricité produite à partir de sources d’énergie
renouvelables (ci-après, l’«électricité verte»). Ce décret a été abrogé par un décret du 8
mai 2009.

16 L’article 2, point 17, du décret relatif à l’électricité définissait le certificat vert


comme étant «un bien immatériel cessible faisant apparaître qu’un producteur a produit,

73
au cours d’une année déterminée, une quantité déterminée d’électricité verte, exprimée
en kWh».

17 L’article 22 de ce décret prévoyait que «[p]our l’électricité verte dont le


producteur démontre qu’elle a été produite en Région flamande [...], l’autorité de
régulation délivre sur demande du producteur un [certificat vert] par tranche de 1 000
kWh».

18 L’article 23, paragraphe 1, dudit décret disposait que «[c]haque fournisseur qui
fournit de l’électricité aux clients finals raccordés au réseau de distribution ou au réseau
de transport est tenu de soumettre à l’autorité de régulation chaque année avant le 31
mars le nombre de certificats verts déterminé en application du § 2».

19 Il ressort de l’article 23, paragraphe 2, de ce même décret que le nombre de


certificats verts devant ainsi être remis était déterminé, en substance, en multipliant la
quantité totale d’électricité fournie par le fournisseur concerné durant l’année antérieure
par un coefficient fixé, pour les années 2005 à 2009, respectivement à 0,020, à 0,025, à
0,030, à 0,0375 et à 0,0450.

20 Aux termes de l’article 24 du décret relatif à l’électricité, «[l]e vlaamse regering


[(gouvernement flamand)] arrête les modalités et les procédures en matière d’octroi de
certificats verts et détermine les certificats susceptibles de répondre à l’obligation visée
à l’article 23».

21 L’article 25 de ce décret prévoyait que «[s]ans préjudice de l’article [23], le


vlaamse regering est habilité à autoriser, après avis de l’autorité de régulation et compte
tenu de l’existence de garanties égales ou équivalentes en matière d’octroi de pareils
certificats, à accepter des certificats relatifs à de l’électricité verte qui n’est pas produite
en Région flamande».

22 L’article 37, paragraphe 2, dudit décret disposait que, à partir du 31 mars 2005,
l’amende administrative encourue pour une infraction à l’article 23, paragraphe 1, du
même décret était fixée à 125 euros par certificat manquant.

L’arrêté du vlaamse regering favorisant la production d’électricité à partir des sources


d’énergie renouvelables

23 La mise en œuvre de l’article 24 du décret relatif à l’électricité est assurée par


l’arrêté du vlaamse regering favorisant la production d’électricité à partir des sources
d’énergie renouvelables (besluit van de vlaamse regering inzake de bevordering van
elektriciteitsopwekking uit hernieuwbare energiebronnen), du 5 mars 2004 (Belgisch
Staatsblad, 23 mars 2004, p. 16296, ci-après l’«arrêté du 5 mars 2004»).

24 Dans sa version résultant des modifications y apportées par l’arrêté du vlaamse


regering du 25 février 2005 (Belgisch Staatsblad, 8 mars 2005, p. 9490, ci-après
l’«arrêté du 25 février 2005»), applicable dans le cadre de l’affaire C-204/12, l’arrêté du

74
5 mars 2004 comportait notamment un article 15, paragraphe 1, qui énumérait les
sources d’énergie à partir desquelles l’électricité produite pouvait donner lieu à
l’émission d’un certificat vert accepté par la VREG.

25 Dans sa version résultant des modifications y apportées par l’arrêté du vlaamse


regering du 8 juillet 2005 (Belgisch Staatsblad, 17 février 2006, p. 8515, ci-après
l’«arrêté du 8 juillet 2005»), applicable dans le cadre des affaires C-205/12 à C-208/12,
l’arrêté du 5 mars 2004 comportait, en outre, les dispositions suivantes.

26 Cet arrêté définissait la «garantie d’origine» comme une «pièce justificative en


vue de démontrer qu’une quantité d’électricité fournie aux clients finals provient de
sources d’énergie renouvelables».

27 L’article 13 dudit arrêté prévoyait:

«§ 1er. Les données portant sur les certificats verts attribués sont enregistrées dans
une base de données centralisée par la VREG. [...]

§ 2. Au moins les données suivantes sont enregistrées par certificat vert:

[...]

6° si le certificat vert est ou non susceptible d’être accepté pour satisfaire à


l’obligation de certificats, telle que visée à l’article 15;

[...]

§ 3. La mention, visée au § 2, 6°, est:

1° ‘acceptable’, dans le cas où le certificat vert répond aux conditions de l’article 15,
§ 1er [...]

2° ‘non acceptable’, dans le cas où le certificat vert ne répond pas aux conditions de
l’article 15, § 1er [...]

[...]»

28 L’article 15, paragraphe 3, de ce même arrêté disposait:

«Les certificats verts qui ont été utilisés comme garanties d’origine conformément aux
dispositions de la sous-section III peuvent encore être utilisés dans le cadre de
l’obligation de certificats, à condition que la mention, visée à l’article 13, § 2, 6°, soit
‘acceptable’ [...]»

75
29 Les articles 15 bis et 15 quater dudit arrêté figuraient sous la sous-section III de
celui-ci, intitulée «[l]’usage de certificats verts comme garantie d’origine». Ces articles
prévoyaient:

«Article 15 bis. § 1. Les certificats verts sont utilisés comme garantie d’origine
lorsqu’ils sont présentés dans le cadre de la vente d’électricité à des clients finals
comme de l’électricité [verte].

[...]

Article 15 quater. § 1. Une garantie d’origine provenant d’une autre région ou


d’un autre pays peut être importée en Région flamande en vue d’être utilisée comme
garantie d’origine [...]

[...]

§2 Lorsque la garantie d’origine est importée d’une autre région ou d’un autre pays,
les données sont enregistrées dans la banque de données centrale sous forme d’un
certificat vert portant les mentions suivantes:

1° ‘non acceptable’ [...]

[...]

Les certificats verts provenant d’une autre région ou d’un autre pays peuvent être
enregistrés avec la mention ‘acceptable’ au cas où le gouvernement flamand décide
d’accepter les certificats concernés en application de l’article 25 [du décret relatif à
l’électricité].

Cet enregistrement se fait après le transfert des données nécessaires de la garantie


d’origine à la VREG par l’instance compétente de l’autre région ou pays et après que la
garantie d’origine a été rendue inutilisable dans l’autre pays ou région.

[...]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

30 En tant que fournisseur d’électricité, Essent a, conformément à l’article 23,


paragraphe 1, du décret relatif à l’électricité, été soumise, entre les années 2003 et 2009,
à l’obligation de remettre annuellement à la VREG un certain nombre de certificats
verts (ci-après l’«obligation de quota»).

31 Aux fins de s’acquitter de son obligation de quota venant à échéance au 31 mars


2005, Essent a notamment remis à la VREG des garanties d’origine attestant de la
production d’électricité verte respectivement aux Pays-Bas et en Norvège.

76
32 Considérant que, en l’absence de toutes mesures d’exécution de l’article 25 du
décret relatif à l’électricité adoptées par le vlaamse regering, seuls les certificats verts
délivrés en vertu de ce décret à des producteurs d’électricité verte établis en Région
flamande pouvaient être acceptés aux fins de satisfaire à ladite obligation de quota, la
VREG a, par une décision du 24 mai 2005 adoptée en application de l’article 37,
paragraphe 2, dudit décret, infligé à Essent une amende administrative d’un montant de
125 euros par certificat vert manquant soit, au total, 542 125 euros.

33 Le 30 septembre 2005, Essent a saisi le rechtbank van eerste aanleg te Brussel


(tribunal de première instance de Bruxelles, Belgique) d’un recours visant à entendre
déclarer que cette décision est illégale et que, en conséquence, l’amende concernée ne
peut être recouvrée. Essent demande que le jugement à intervenir soit déclaré commun
au Vlaams Gewest et à la Vlaamse Gemeenschap (affaire C-204/12).

34 Durant les années suivantes, la VREG a, pour des motifs analogues, infligé à
Essent des amendes s’élevant respectivement à 234 750 euros, par décision du 13 juillet
2006, à 166 125 euros, par décision du 4 juillet 2007, ainsi qu’à 281 250 euros et à 302
375 euros par deux décisions du 18 mai 2009 afférentes, la première, à l’année 2008 et,
la seconde, à l’année 2009.

35 Les décisions des 13 juillet 2006 et 4 juillet 2007 faisaient suite au refus de prise
en compte par la VREG de garanties d’origine attestant de la production d’électricité
verte respectivement au Danemark (et/ou en Suède) ainsi qu’en Norvège, et celles du 18
mai 2009 au refus de prise en compte de garanties d’origine attestant de la production
d’électricité verte en Norvège.

36 Le 16 juillet 2010, Essent a saisi le rechtbank van eerste aanleg te Brussel de


recours dirigés contre ces quatre décisions (affaires C-205/12 à C-208/12).

37 À l’appui de chacun de ses cinq recours susmentionnés, Essent invoque un


premier moyen tiré de la violation des articles 34 TFUE et 11 de l’accord EEE.

38 À cet égard, le rechtbank van eerste aanleg te Brussel tend à considérer que, dans
la mesure où les fournisseurs d’électricité sont tenus d’acheter des certificats verts
délivrés par la VREG, ils sont empêchés de couvrir une partie de leurs besoins en
certificats en s’adressant à des opérateurs situés à l’étranger, de sorte qu’il paraît, à
première vue, en résulter une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à
l’importation de tels certificats, au sens des articles 34 TFUE et 11 de l’accord EEE.

39 Ladite juridiction relève, par ailleurs, que, pour sa défense, la VREG a fait valoir
que les garanties d’origine en cause dans les affaires dont elle est saisie ne constituent
pas des certificats verts et qu’il découle de l’article 5 de la directive 2001/77, lu à la
lumière du considérant 10 de celle-ci, que de telles garanties n’emportent notamment
aucun droit à bénéficier des mécanismes de soutien nationaux aux énergies vertes.

77
40 Le second moyen avancé par Essent à l’appui de ses recours est tiré de la
violation du principe de non-discrimination consacré aux articles 18 TFUE, 4 de
l’accord EEE, 5 de la directive 2001/77 et 3 de la directive 2003/54. S’agissant de
l’article 3 de la directive 2003/54, la juridiction de renvoi précise que, dans ses recours,
Essent se prévaut de ce qu’il ressortirait du paragraphe 1 de ladite disposition que les
États membres doivent s’abstenir d’opérer des discriminations dans l’organisation
institutionnelle du marché de l’électricité.

41 Selon Essent, les diverses dispositions du droit de l’Union ainsi invoquées


seraient méconnues dans la mesure où la réglementation nationale en cause protège les
producteurs locaux d’électricité et entrave de ce fait la réalisation du marché intérieur et
où, en refusant les garanties d’origine délivrées dans d’autres pays, la VREG traite
différemment des situations identiques.

42 C’est dans ce contexte que le rechtbank van eerste aanleg te Brussel a décidé de
surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, rédigées en
termes substantiellement similaires dans chacune des cinq affaires dont il se trouve
saisi:

«1) Un régime national, tel que celui figurant dans le décret [relatif à l’électricité],
mis en œuvre par l’arrêté [du 5 mars 2004], tel que modifié par l’arrêté [du 25 février
2005] et par [l’arrêté du 8 juillet 2005] [(la référence à l’arrêté du 8 juillet 2005 ne
figure pas dans la question posée dans l’affaire C-204/12)], régime dans lequel:

– les opérateurs fournissant de l’électricité aux clients finals raccordés au réseau de


distribution ou au réseau de transmission ont l’obligation de remettre chaque année un
certain nombre de certificats verts à l’autorité de régulation (article 23 du [décret relatif
à l’électricité]);

– les opérateurs fournissant de l’électricité aux clients finals raccordés au réseau de


distribution ou au réseau de transmission se voient infliger une amende administrative
par la [VREG] lorsqu’ils ont remis un nombre de certificats verts insuffisant pour
répondre à un quota obligatoire de certificats verts (article 37, paragraphe 2, du [décret
relatif à l’électricité]);

– il est expressément précisé que les garanties d’origine provenant d’autres pays
peuvent être acceptées à certaines conditions pour répondre au quota obligatoire (article
15 quater, paragraphe 2, de l’arrêté [du 5 mars 2004 tel que modifié par l’arrêté du 8
juillet 2005]) [(le présent tiret ne figure pas dans la question posée dans l’affaire
C-204/12)];

– la [VREG] ne peut pas ou ne veut pas prendre en compte des garanties d’origine
de Norvège [et des Pays-Bas (précision propre à la question posée dans l’affaire
C-204/12)] [et du Danemark (précision propre à la question posée dans l’affaire
C-205/12)] [et du Danemark/de la Suède (précision propre à la question dans l’affaire
C-206/12)] faute de mesures d’application adoptées par le vlaams regering

78
reconnaissant que la remise de ces certificats est égale ou équivalente (article 25 du
décret [relatif à l’électricité] et [i) s’agissant de l’affaire C-204/12] article 15,
paragraphe 1, de l’arrêté [du 5 mars 2004, tel que modifié par l’arrêté du 25 février
2005], [ii) s’agissant des affaires C-205/12 à C-108/12], article 15 quater, paragraphe 2,
de l’arrêté [du 5 mars 2004, tel que modifié par l’arrêté du 8 juillet 2005]), sans que [la
VREG] ait examiné concrètement cette égalité ou cette équivalence;

– en fait, durant toute la période pendant laquelle le décret [relatif à l’électricité]


était en vigueur, seuls les certificats attestant la production d’électricité verte dans la
Région flamande ont été pris en compte pour vérifier le respect du quota obligatoire
alors que les opérateurs fournissant de l’électricité aux clients finals raccordés au réseau
de distribution ou au réseau de transmission n’ont absolument pas eu la possibilité de
démontrer que les garanties d’origine remises [provenant d’autres États membres de
l’Union européenne (cette précision ne figure pas dans la question posée dans l’affaire
C-204/12)] répondaient à la condition voulant que des garanties égales ou équivalentes
entourent l’attribution de ces certificats,

est-il conforme à l’article 34 TFUE ainsi qu’à l’article 11 de l’accord EEE et/ou à
l’article 36 TFUE et à l’article 13 de l’accord EEE [(dans les affaires C-207/12 et
C-208/12, la question posée vise uniquement les articles 11 et 13 de l’accord EEE)]?

2) Le régime national visé [à la première question] est-il conforme à l’article 5 de la


directive [2001/77] [(dans les affaires C-207/12 et C-208/12, la question n’est posée
que ‘dans la mesure où ladite disposition est pertinente pour l’EEE’)]?

3) Le régime national visé [à la première question] est-il conforme aux principes


d’égalité et de non-discrimination figurant notamment à l’article 18 TFUE [(affaires
C-204/12 à C-206/12)], à l’article 4 de l’accord EEE [(affaires C-207/12 et C-208/12)]
et à l’article 3 de la directive [2003/54] [(dans les affaires C-207/12 et C-208/12, la
question posée ne porte sur ledit article 3 que ‘dans la mesure où cette disposition est
pertinente pour l’EEE’)]?»

La procédure devant la Cour

43 Par ordonnance du président de la Cour du 20 juin 2012 [ordonnance Essent


Belgium (C-204/12 à C-208/12, EU:C:2012:363)], les affaires C-204/12 à C-208/12
ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

44 À la suite du prononcé des conclusions de M. l’avocat général, la VREG, le


Vlaams gewest et la Vlaamse Gemeenschap (ci-après, ensemble, «VREG e.a.») ont, par
acte déposé au greffe de la Cour le 30 mai 2013, demandé la réouverture de la phase
orale de la procédure en faisant valoir, en substance, que diverses clarifications de
nature factuelle sont nécessaires afin que la Cour soit en mesure de répondre
précisément aux questions préjudicielles. VREG e.a. souhaitent, en outre, pouvoir
s’exprimer à propos de la nécessité qu’il y aurait, dans l’hypothèse où la Cour jugerait
que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une

79
réglementation telle que celle en cause au principal, de limiter les effets dans le temps
de l’arrêt à intervenir.

45 Après avoir reçu du greffe de la Cour un courrier du 16 juillet 2014 l’informant de


ce que l’arrêt à intervenir dans les présentes affaires sera prononcé le 11 septembre
2014, Essent a également, par acte déposé à ce même greffe le 28 juillet 2014, demandé
la réouverture de la phase orale de la procédure.

46 Dans cette demande, Essent fait en substance valoir qu’il conviendrait de


permettre aux parties de débattre de certaines appréciations contenues dans l’arrêt
Ålands Vindkraft (C-573/12, EU:C:2014:2037), prononcé le 1er juillet 2014. Essent
souligne, à cet égard, que tant la situation factuelle que le cadre juridique caractérisant
l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt différeraient de ceux caractérisant les présentes
affaires.

47 Selon l’article 83 du règlement de procédure de la Cour, celle-ci peut, l’avocat


général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment
si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis,
après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence
décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la
base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à
l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

48 En l’occurrence, la Cour, l’avocat général entendu, considère qu’elle dispose de


tous les éléments nécessaires pour statuer. Elle observe, par ailleurs, que les demandes
de réouverture de la phase orale de la procédure ne font état d’aucun fait nouveau qui
serait de nature à exercer une influence sur la décision à intervenir. Elle relève, en outre,
que les présentes affaires ne sont pas tranchées sur la base d’arguments qui n’auraient
pas été débattus entre les parties.

49 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale
de la procédure.

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité des questions

50 Selon VREG e.a., les questions préjudicielles sont irrecevables à deux titres. En
premier lieu, la Cour serait sans compétence pour se prononcer sur la compatibilité du
droit national avec le droit de l’Union. En second lieu, ces questions seraient
dépourvues de pertinence aux fins de trancher les litiges au principal en ce qu’elles
reposent sur une interprétation erronée du droit interne. En effet, la juridiction de renvoi
aurait considéré à tort que l’article 25 du décret relatif à l’électricité et l’article 15
quater, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’arrêté du 5 mars 2004 envisagent la prise en
compte éventuelle non seulement des certificats verts provenant d’autres pays, mais
également des garanties d’origine ayant une telle provenance.

80
51 À cet égard, il convient toutefois de rappeler, d’une part, que si la Cour n’est pas
compétente, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, pour statuer sur la compatibilité
d’une mesure nationale avec le droit de l’Union, elle est toutefois compétente pour
fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de
l’Union qui peuvent lui permettre d’apprécier cette compatibilité en vue du jugement de
l’affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêt Azienda Agro-Zootecnica Franchini
et Eolica di Altamura, C-2/10, EU:C:2011:502, point 35 et jurisprudence citée).

52 D’autre part, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de


dispositions nationales, une telle interprétation relevant en effet de la compétence
exclusive des juridictions nationales. Aussi la Cour doit-elle, lorsqu’elle est saisie à titre
préjudiciel par une juridiction nationale, s’en tenir à l’interprétation du droit national qui
lui a été exposée par ladite juridiction (voir, notamment, arrêt ČEZ, C-115/08,
EU:C:2009:660, point 57 et jurisprudence citée).

53 En outre, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de la procédure


instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige
et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir,
d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision
préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions
qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur
l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir,
notamment, arrêt Carmen Media Group, C-46/08, EU:C:2010:505, point 75 et
jurisprudence citée).

54 Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction
nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation
du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au
principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne
dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux
questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt Carmen Media Group,
EU:C:2010:505, point 76 et jurisprudence citée).

55 Or, force est de constater, à cet égard, que les interprétations des dispositions du
droit de l’Union sollicitées par la juridiction de renvoi présentent d’évidents rapports
avec l’objet des litiges au principal puisqu’elles visent en substance à savoir si lesdites
dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’application qui a
en l’occurrence été faite des dispositions internes en cause au principal à l’endroit
d’Essent et que de telles interprétations sont ainsi susceptibles d’exercer un effet sur la
solution desdits litiges.

56 Il découle des considérations qui précèdent que les objections formulées par
VREG e.a. doivent être écartées et que les demandes de décisions préjudicielles sont
recevables.

81
Sur la deuxième question

57 Par sa deuxième question qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction


de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2001/77 doit être
interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime de soutien national, tel que celui en
cause au principal, qui prévoit l’allocation, par l’autorité de régulation régionale
compétente, de certificats négociables en considération de l’électricité verte produite sur
le territoire de la région concernée et qui soumet les fournisseurs d’électricité à une
obligation de remettre, annuellement, à ladite autorité, sous peine d’une amende
administrative, une certaine quantité de tels certificats correspondant à une quote-part
du total de leurs livraisons d’électricité dans cette région, sans que ces fournisseurs
soient autorisés à satisfaire à ladite obligation en utilisant des garanties d’origine
provenant d’autres États membres de l’Union ou d’États tiers parties à l’accord EEE.

58 À titre liminaire, et s’agissant de l’interrogation de la juridiction de renvoi


portant, dans le cadre spécifique aux affaires C-207/12 et C-208/12, sur le point de
savoir dans quelle mesure l’article 5 de la directive 2001/77 est pertinent en ce qui
concerne l’Espace économique européen (EEE), il a été relevé au point 11 du présent
arrêt que la décision no 102/2005 ayant intégré ladite directive dans l’accord EEE est
entrée en vigueur le 1er septembre 2006. Dans ces conditions, et eu égard à la
circonstance que ces deux affaires sont relatives à des décisions de la VREG datant du
18 mai 2009 et afférentes à des amendes imposées au titre des années 2008 et 2009, il y
a lieu de constater que ledit article 5 est applicable ratione temporis dans le cadre
desdites affaires.

59 En ce qui concerne la portée matérielle de ce même article 5, il convient de


rappeler que ladite disposition a, en substance, pour objet, ainsi qu’il ressort de son
intitulé et de son paragraphe 1, de faire en sorte que l’origine de l’électricité verte puisse
être attestée par une garantie d’origine.

60 Pour leur part, les régimes de soutien nationaux par lesquels des producteurs
d’électricité verte bénéficient d’aides directes ou indirectes et qui, ainsi qu’il ressort du
considérant 14 de la directive 2001/77, peuvent, comme c’est le cas du régime de
soutien en cause au principal, recourir au mécanisme des certificats verts font l’objet
d’une disposition distincte de ladite directive, à savoir l’article 4 de celle-ci.

61 Or, rien dans le texte desdits articles 4 et 5 ou dans les considérants de la directive
2001/77 ne suggère que le législateur de l’Union aurait entendu instaurer un lien entre
les garanties d’origine et les régimes de soutien nationaux à la production d’énergie
verte.

62 Tout d’abord, il convient de tenir compte, à cet égard, de ce que, ainsi qu’il
ressort des considérants 14 et 15 ainsi que de l’article 4 de la directive 2001/77, celle-ci
n’a pas pour objet d’arrêter un cadre communautaire concernant les régimes de soutien
nationaux, mais vise plutôt à garantir le bon fonctionnement des régimes existants, de

82
façon à conserver la confiance des investisseurs, et ce jusqu’à ce qu’un tel cadre
communautaire soit, le cas échéant, mis en œuvre.

63 Ensuite, le considérant 10 de la directive 2001/77 précise que les régimes prévus


pour la garantie d’origine n’entraînent pas par nature le droit de bénéficier des
mécanismes de soutien nationaux instaurés dans différents États membres. À cet égard,
et s’agissant plus spécifiquement des mécanismes de soutien recourant aux certificats
verts échangeables, le considérant 11 de ladite directive souligne qu’il importe de bien
distinguer les garanties d’origine desdits certificats.

64 S’agissant de la finalité des garanties d’origine, le considérant 10 de la directive


2001/77 indique que celles-ci sont requises pour faciliter les échanges d’électricité verte
et pour accroître la transparence pour le choix du consommateur entre une telle
électricité et celle qui est produite à partir de sources d’énergie non renouvelables.
L’article 5, paragraphe 3, second tiret, de ladite directive précise, pour sa part, que de
telles garanties d’origine ont pour but de permettre aux producteurs d’électricité
d’établir que l’électricité qu’ils vendent est produite à partir de sources d’énergie
renouvelables.

65 Par ailleurs, aux termes du paragraphe 4 dudit article 5, les garanties d’origine
devraient être mutuellement reconnues par les États membres exclusivement à titre de
preuve des éléments visés au paragraphe 3 de ce même article.

66 Or, les précisions ainsi reproduites aux points 63 à 65 du présent arrêt indiquent
que le législateur de l’Union n’a pas entendu imposer aux États membres ayant opté
pour un régime de soutien utilisant des certificats verts d’étendre le bénéfice de celui-ci
à l’électricité verte produite sur le territoire d’un autre État membre (voir, par analogie,
arrêt Ålands Vindkraft, C-573/12, EU:C:2014:2037, points 53 et 54).

67 Enfin, il y a également lieu de tenir compte, à cet égard, de ce que, ainsi qu’il
résulte de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2001/77, lu en combinaison avec
l’annexe de celle-ci, les États membres doivent notamment fixer des objectifs indicatifs
nationaux de consommation future d’électricité verte en prenant en compte, comme
valeurs de référence, d’une part, la «production intérieure» d’électricité verte en 1997 et,
d’autre part, la part, en pourcentage, respectivement pour les années 1997 et 2010, de
l’électricité verte dans la consommation brute d’électricité, cette part étant calculée à
partir de la «production intérieure» d’électricité verte divisée par la consommation
intérieure brute d’électricité.

68 Il s’ensuit que les mécanismes de soutien nationaux aux producteurs d’électricité


visés à l’article 4 de la directive 2001/77, lesquels sont notamment appelés à contribuer
à la réalisation, par les États membres, de ces objectifs indicatifs nationaux respectifs,
doivent en principe conduire à un renforcement de la production intérieure d’électricité
verte. À cet égard, le considérant 10 de cette directive souligne notamment que les États
membres ne sont pas tenus de reconnaître que l’acquisition d’une garantie d’origine

83
auprès d’autres États membres ou l’achat correspondant d’électricité constitue une
contribution au respect d’un quota national.

69 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à


la deuxième question que l’article 5 de la directive 2001/77 doit être interprété en ce
sens qu’il ne s’oppose pas à un régime de soutien national, tel que celui en cause au
principal, qui prévoit l’allocation, par l’autorité de régulation régionale compétente, de
certificats négociables en considération de l’électricité verte produite sur le territoire de
la région concernée et qui soumet les fournisseurs d’électricité à une obligation de
remettre, annuellement, à ladite autorité, sous peine d’une amende administrative, une
certaine quantité de tels certificats correspondant à une quote-part du total de leurs
livraisons d’électricité dans cette région, sans que lesdits fournisseurs soient autorisés à
satisfaire à ladite obligation en utilisant des garanties d’origine provenant d’autres États
membres de l’Union ou d’États tiers membres de l’EEE.

Sur la première question

70 À titre liminaire, il convient de rappeler que les affaires au principal sont


afférentes à des décisions de la VREG ayant, entre le 15 avril 2005 et le 28 mai 2009,
infligé des amendes administratives à Essent au motif que celle-ci n’aurait pas satisfait à
ses obligations de présentation annuelle de certificat verts. Dans ces conditions, et eu
égard au fait que le traité de Lisbonne n’est entré en vigueur que le 1er décembre 2009,
il convient, aux fins de répondre à l’interrogation que soulève la première question
préjudicielle, d’avoir égard aux articles 28 CE et 30 CE plutôt qu’aux articles 34 TFUE
et 36 TFUE auxquels s’est formellement référée la juridiction de renvoi.

71 Ainsi doit-il être considéré que, par sa première question, ladite juridiction
demande, en substance, si les articles 28 CE et 30 CE ainsi que les articles 11 et 13 de
l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime de
soutien national, tel que celui en cause au principal, qui prévoit l’allocation, par
l’autorité de régulation régionale compétente, de certificats négociables en considération
de l’électricité verte produite sur le territoire de la région concernée et qui soumet les
fournisseurs d’électricité à une obligation de remettre, annuellement, à ladite autorité,
sous peine d’une amende administrative, une certaine quantité de tels certificats
correspondant à une quote-part du total de leurs livraisons d’électricité dans cette
région, sans que ces fournisseurs soient autorisés à satisfaire à ladite obligation en
utilisant des garanties d’origine provenant d’autres États membres de l’Union ou d’États
tiers membres de l’EEE.

72 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les articles 11 et 13 de l’accord EEE sont
libellés en termes quasi identiques à ceux des articles 28 CE et 30 CE, de sorte que,
ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, ces règles doivent être
interprétées d’une manière uniforme (voir en ce sens, notamment, arrêts Bellio F.lli,
C-286/02, EU:C:2004:212, points 34 et 35, et Commission/Portugal, C-265/06,
EU:C:2008:210, point 30). Les considérations qui suivent consacrées aux articles 28 CE

84
et 30 CE doivent dès lors être entendues comme s’appliquant également mutatis
mutandis aux articles 11 et 13 de l’accord EEE.

Sur l’existence d’une entrave à la libre circulation des marchandises

– Argumentation des parties

73 D’une part, VREG e.a. et la Commission font valoir que les garanties d’origine ne
constituent pas des marchandises au sens des articles 28 CE et 30 CE. La Commission
soutient, à cet égard, que lesdites garanties ont pour seule fonction d’attester le caractère
«vert» de l’électricité à laquelle elles se rapportent, de sorte qu’elles ne constituent que
l’accessoire de celle-ci et non une marchandise distincte.

74 Selon VREG e.a., la circonstance que, dans la pratique, de telles garanties fassent
parfois l’objet de transactions commerciales autonomes distinctes de celles portant sur
l’électricité ne remet pas en cause ce caractère accessoire. Même en pareil cas, ces
garanties auraient en effet pour seule fonction de permettre de vendre une certaine
quantité d’électricité à un client en tant qu’électricité verte. En outre, le caractère
immatériel des garanties d’origine empêcherait également que celles-ci puissent être
qualifiées de «marchandises», au sens de l’article 28 CE.

75 En revanche, Essent est d’avis que, dans la mesure où les garanties d’origine font
ainsi en pratique l’objet de cessions à titre onéreux, elles doivent être considérées
comme de telles marchandises.

76 D’autre part, Essent et la Commission font valoir que, indépendamment de la


question de savoir si des garanties d’origine doivent ou non être qualifiées de
marchandises au sens de l’article 28 CE, la réglementation en cause au principal induit
en tout état de cause une mesure d’effet équivalent à une restriction à l’importation de
l’électricité elle-même.

– Appréciation de la Cour

77 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’article 28 CE, en


interdisant entre les États membres les mesures d’effet équivalent à des restrictions
quantitatives à l’importation, vise toute mesure nationale susceptible d’entraver
directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce
intracommunautaire (voir, notamment, arrêts Dassonville, 8/74, EU:C:1974:82, point 5,
et PreussenElektra, C-379/98, EU:C:2001:160, point 69).

78 S’agissant, en premier lieu, des questions de savoir si des garanties d’origine


telles que celles en cause au principal peuvent être qualifiées de «marchandises», au
sens des articles 23 CE et 28 CE, et si leur libre circulation s’est en ce cas trouvée
entravée par un régime de soutien tel que celui en cause au principal, il convient de
souligner d’emblée que de telles garanties constituent des instruments dont l’existence
même, le contenu, la portée et les fonctions découlent de la directive 2001/77.

85
79 À cet égard, il ressort des points 63 à 65 du présent arrêt que, en vertu de cette
directive, de tels instruments ont pour objectifs de permettre aux producteurs
d’électricité d’établir que l’électricité qu’ils vendent est produite à partir de sources
d’énergie renouvelables, de faciliter les échanges d’une telle électricité et d’accroître la
transparence pour le choix du consommateur entre une telle électricité et celle qui est
produite à partir de sources d’énergie non renouvelables. Cependant, ils n’entraînent
pas, par nature, le droit de bénéficier des mécanismes de soutien nationaux instaurés
dans les différents États membres, lesdites garanties d’origine devant à cet égard
notamment être distinguées des certificats verts échangeables utilisés dans le cadre de
tels mécanismes.

80 Il apparaît ainsi, d’une part, que les garanties d’origine sont conçues comme un
accessoire, d’abord, de l’électricité verte produite par un producteur et, ensuite, de
l’électricité qu’un fournisseur vend aux consommateurs. D’autre part, la libre
circulation de tels instruments entre les États membres, au moins aux fins qui leur sont
ainsi consubstantiellement attachées en vertu de la directive 2001/77, ne paraît pas
pouvoir se trouver entravée du fait qu’un régime de soutien national à la production
d’énergie verte recourant aux certificats verts ne prévoit pas la prise en compte desdits
instruments.

81 En vue de répondre à la présente question préjudicielle, il n’est toutefois pas


nécessaire de trancher de manière définitive les questions visées au point 78 du présent
arrêt. En effet, il suffit de constater que, à supposer même qu’il faille considérer que des
garanties d’origine telles que celles en cause au principal constituent des
«marchandises», au sens des articles 23 CE et 28 CE, et qu’un régime de soutien, tel que
celui en cause au principal, est constitutif d’une entrave à la libre circulation de celles-
ci, au sens de la seconde de ces dispositions, il demeurerait, en tout état de cause, que
ladite entrave se trouverait alors justifiée, au vu des considérations énoncées aux points
89 à 103 du présent arrêt.

82 S’agissant, en second lieu, de l’existence d’éventuelles entraves à l’importation


d’électricité, il convient de relever que, bien que la décision de renvoi ne comporte pas
d’indications sur le point de savoir si les garanties d’origine en cause dans les litiges au
principal ont été acquises par Essent en relation avec une acquisition et une importation
effectives d’électricité, il peut être supposé que tel a bien été le cas.

83 Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu’une réglementation telle que celle
en cause au principal est effectivement susceptible d’entraver, à tout le moins
indirectement et potentiellement, les importations d’électricité, en particulier verte, en
provenance des autres États membres, et ce à divers titres (voir, en ce sens, arrêt Ålands
Vindkraft, EU:C:2014:2037, points 67 à 75).

84 D’une part, il découle, en effet, de ladite réglementation que les fournisseurs


d’électricité tels qu’Essent sont tenus de détenir, à l’échéance annuelle prévue, une

86
certaine quantité de certificats verts, aux fins de satisfaire à l’obligation de quota qui
pèse sur eux et qui est fonction de la quantité totale d’électricité qu’ils livrent.

85 Or, seuls les certificats verts attribués en vertu de ladite réglementation peuvent
être utilisés pour satisfaire à cette obligation. Ainsi, lesdits fournisseurs sont-ils, en règle
générale, tenus, à raison de l’électricité qu’ils importent, d’acheter de tels certificats
sous peine de devoir s’acquitter d’une amende administrative. Une telle réglementation
est ainsi de nature à pouvoir entraver les importations d’électricité en provenance
d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037,
points 69 et 70 et jurisprudence citée).

86 D’autre part, la circonstance que les producteurs d’électricité verte ont la


possibilité de vendre leurs certificats verts conjointement avec l’électricité qu’ils
produisent paraît, en pratique, de nature à pouvoir favoriser l’ouverture éventuelle de
négociations et la concrétisation de relations contractuelles, le cas échéant de long
terme, portant sur la livraison d’électricité nationale par de tels producteurs aux
fournisseurs, ces derniers étant en effet à même d’obtenir, de la sorte, à la fois de
l’électricité et les certificats verts dont ils ont besoin afin de satisfaire à l’obligation de
quota qui pèse sur eux.

87 Il s’ensuit que, dans cette mesure également, un régime de soutien tel que celui en
cause au principal a pour effet, à tout le moins potentiel, de freiner les importations
d’électricité en provenance d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Ålands
Vindkraft, EU:C:2014:2037, points 72 et 73 et jurisprudence citée).

88 Il découle de ce qui précède qu’une réglementation telle que celle en cause au


principal est susceptible d’entraver les importations d’électricité, en particulier verte, en
provenance d’autres États membres et qu’elle constitue, en conséquence, une mesure
d’effet équivalent à des restrictions quantitatives aux importations, en principe
incompatible avec les obligations du droit de l’Union résultant de l’article 28 CE, à
moins que cette réglementation ne puisse être objectivement justifiée (voir en ce sens,
notamment, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 75 et jurisprudence citée).

Sur la justification éventuelle

89 Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, une réglementation


ou une pratique nationale qui constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions
quantitatives peut être justifiée par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à
l’article 30 CE ou par des exigences impératives. Dans l’un et l’autre cas, la mesure
nationale doit, conformément au principe de proportionnalité, être propre à garantir la
réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour
qu’il soit atteint (voir, notamment, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 76 et
jurisprudence citée).

– Sur l’objectif de promotion du recours aux sources d’énergie renouvelables

87
90 Selon une jurisprudence bien établie de la Cour, des mesures nationales
susceptibles d’entraver le commerce intracommunautaire peuvent notamment être
justifiées par des exigences impératives relevant de la protection de l’environnement
(voir, notamment, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 77 et jurisprudence
citée).

91 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’utilisation de sources d’énergie


renouvelables pour la production d’électricité que vise à promouvoir une réglementation
telle que celle en cause au principal est utile à la protection de l’environnement, dans la
mesure où elle contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre qui figurent
parmi les principales causes des changements climatiques que l’Union et ses États
membres se sont engagés à combattre (voir arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037,
point 78 et jurisprudence citée).

92 À ce titre, et ainsi qu’il est notamment explicité aux considérants 1 à 3 de la


directive 2001/77, l’augmentation de cette utilisation qui figure au premier rang des
priorités de l’Union constitue notamment un volet important de l’ensemble des mesures
requises pour respecter le protocole de Kyoto et accélérer la réalisation des objectifs de
celui-ci (voir en ce sens, notamment, arrêt IBV & Cie, C-195/12, EU:C:2013:598, point
56).

93 Comme l’a déjà relevé la Cour, une telle augmentation vise également la
protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ainsi que la préservation
des végétaux, raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE (voir arrêt Ålands
Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 80 et jurisprudence citée).

94 Ainsi que le souligne notamment l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/77,


des mécanismes nationaux de soutien à la production d’électricité verte sont ainsi de
nature à contribuer à la réalisation des objectifs définis aux articles 6 CE et 174,
paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêt IBV & Cie, EU:C:2013:598, point 59).

95 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’admettre qu’un objectif de


promotion de l’utilisation de sources d’énergie renouvelables pour la production
d’électricité, tel que celui poursuivi par la réglementation en cause au principal, est en
principe susceptible de justifier d’éventuelles entraves à la libre circulation des
marchandises.

– Sur la proportionnalité

96 Ainsi qu’il a été rappelé au point 89 du présent arrêt, pour que ladite
réglementation puisse se trouver justifiée, il convient néanmoins qu’elle satisfasse aux
exigences découlant du principe de proportionnalité, c’est-à-dire qu’elle soit apte à
atteindre l’objectif légitime qu’elle poursuit et nécessaire à cet effet.

97 À cet égard, et s’agissant, en premier lieu, de la circonstance que seuls les


certificats verts octroyés en vertu de ladite réglementation à raison de l’électricité verte

88
produite sur le territoire régional concerné et non des garanties d’origine afférentes à de
l’électricité verte produite dans d’autres États membres peuvent être utilisés aux fins de
satisfaire à l’obligation de quota, il convient d’admettre que, dès lors, notamment, que le
droit de l’Union n’a pas procédé à une harmonisation des régimes de soutien nationaux
à l’électricité verte, une telle exclusion peut, en soi, être considérée comme étant
nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif légitime en l’occurrence poursuivi, visant à
promouvoir une augmentation du recours à l’utilisation des sources d’énergie
renouvelables dans la production d’électricité (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft,
EU:C:2014:2037, points 92 à 94).

98 Premièrement, la circonstance qu’un régime de soutien soit conçu de manière à


bénéficier directement à la production d’électricité verte plutôt qu’à la seule
consommation de celle-ci est notamment susceptible de s’expliquer au vu de la
circonstance que le caractère vert de l’électricité n’a trait qu’au mode de production de
celle-ci et que c’est, ainsi, au premier chef, au stade de la production que les objectifs
environnementaux afférents à la réduction des émissions de gaz sont susceptibles d’être
effectivement poursuivis (voir arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 95).

99 Il importe par ailleurs de rappeler que, contrairement à ce que soutient Essent et,
ainsi qu’il a été relevé aux points 67 et 68 du présent arrêt, il découle à cet égard de
l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2001/77, lu en combinaison avec l’annexe
de celle-ci, que le législateur de l’Union a imparti aux différents États membres de fixer
des objectifs indicatifs nationaux en considération de la production intérieure
d’électricité verte.

100 Deuxièmement, et quant au fait que le régime de soutien en cause au principal


n’est pas conçu de manière à bénéficier également à la production d’électricité verte
localisée sur le territoire d’autres États membres notamment au moyen de la prise en
compte de garanties d’origine afférentes à une telle électricité, il convient d’observer
que les situations de départ, les possibilités de développer l’énergie provenant de
sources d’énergie renouvelables et les bouquets énergétiques diffèrent d’un État
membre à l’autre (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 98).

101 Par ailleurs, et ainsi que l’a relevé le législateur de l’Union au considérant 14 de
la directive 2001/77, un moyen important pour réaliser l’objectif de ladite directive est
de garantir le bon fonctionnement des mécanismes de soutien des sources d’énergie
renouvelables au niveau national (voir, en ce sens, arrêt IBV & Cie, EU:C:2013:598,
point 57).

102 Or, il importe à cette fin que les États membres puissent contrôler les effets et les
coûts de ces régimes en fonction de leur potentiel, tout en conservant la confiance des
investisseurs (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 99).

103 Eu égard à ce qui précède, il n’apparaît pas que le simple fait de limiter le
bénéfice d’un régime de soutien utilisant des certificats verts, tel que celui en cause au
principal, à la seule électricité verte produite sur le territoire régional et de refuser de

89
prendre en considération les garanties d’origine afférentes à de l’électricité produite
dans d’autres États membres aux fins de satisfaire à l’obligation de quota puisse être de
nature à méconnaître le principe de proportionnalité (voir, par analogie, arrêt Ålands
Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 104).

104 Il importe toutefois d’examiner, en second lieu, si, envisagées ensemble avec la
restriction dont il vient d’être question, les autres caractéristiques de la réglementation
en cause au principal dont fait état la juridiction de renvoi permettent de conclure que,
considérée dans sa globalité, cette réglementation satisfait bien aux exigences découlant
du principe de proportionnalité.

105 À cet égard, il convient, en effet, de rappeler qu’il ressort de la décision de renvoi
que cette réglementation est notamment caractérisée par une obligation s’imposant
annuellement aux fournisseurs de détenir et de restituer à l’autorité de régulation
compétente une certaine quantité de certificats verts correspondant à une quote-part de
leurs livraisons, cela sous peine de devoir s’acquitter d’une amende administrative.

106 Il découle ainsi de ladite réglementation que, en cas d’importation d’électricité


verte en provenance d’autres États membres, la commercialisation ou la consommation
de cette électricité exigeront, en règle générale, de la part des fournisseurs concernés
que ceux-ci achètent des certificats verts à raison de la quantité d’électricité ainsi
importée.

107 À ces divers égards, il importe de relever, premièrement, qu’un régime de soutien
utilisant, à l’instar de celui en cause au principal, des certificats verts vise notamment à
faire supporter le surcoût lié à la production d’électricité verte directement par le
marché, à savoir par les fournisseurs d’électricité qui sont astreints à l’obligation de
quota et, in fine, par les consommateurs.

108 En opérant un tel choix, un État membre n’excède pas la marge d’appréciation qui
demeure la sienne dans la poursuite de l’objectif légitime visant à accroître la
production d’électricité verte (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft,
EU:C:2014:2037, points 109 et 110).

109 Deuxièmement, il convient d’observer que, à la différence, par exemple, d’une


aide à l’investissement, ce type de régime vise à soutenir l’exploitation des installations
de production d’électricité verte une fois celles-ci en activité. À cet égard, l’obligation
de quota est notamment destinée à garantir aux producteurs d’électricité verte une
demande pour les certificats qu’ils se sont vu attribuer et à faciliter de la sorte
l’écoulement de l’énergie verte qu’ils produisent à un prix supérieur au prix du marché
de l’énergie classique.

110 L’effet incitatif qu’exerce un tel régime sur les producteurs d’électricité en
général, dont, notamment, ceux qui cumuleraient les qualités de producteur, d’une part,
et de fournisseur, d’autre part, en vue de les amener à accroître leur production
d’électricité verte ne paraît ainsi pas pouvoir être mis en doute, ni, partant, l’aptitude de

90
celui-ci à atteindre l’objectif légitime poursuivi en l’occurrence (voir, en ce sens, arrêt
Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, points 111 et 112).

111 Toutefois, il convient de relever, troisièmement, que le bon fonctionnement d’un


tel régime implique, par essence, l’existence de mécanismes de marché qui soient de
nature à permettre aux opérateurs qui sont soumis à l’obligation de quota et qui ne
disposent pas encore des certificats verts requis aux fins de s’acquitter de ladite
obligation, de s’approvisionner en certificats de manière effective et dans des conditions
équitables (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 113).

112 Il importe, ainsi, que soient institués des mécanismes qui assurent la mise en place
d’un véritable marché des certificats verts où l’offre et la demande puissent
effectivement se rencontrer et tendre vers l’équilibre, de sorte qu’il soit effectivement
possible aux fournisseurs intéressés de s’y approvisionner en de tels certificats dans des
conditions équitables (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point
114).

113 Quant à la circonstance que les fournisseurs qui ne respectent pas l’obligation de
quota à laquelle ils se trouvent soumis sont astreints, à l’instar d’Essent dans les affaires
au principal, au paiement d’une amende administrative, il y a lieu d’indiquer ce qui suit.

114 Si l’imposition d’une telle amende peut, certes, être considérée comme étant
nécessaire afin d’inciter, d’une part, les producteurs à accroître leur production
d’électricité verte et, d’autre part, les opérateurs soumis à une obligation de quota à
procéder à l’acquisition effective des certificats verts requis, encore convient-il,
toutefois, que les modalités de détermination et le montant de cette amende n’aillent pas
au-delà de ce qui est nécessaire à de telles fins incitatives, en évitant notamment, à cet
égard, de pénaliser les opérateurs concernés d’une manière qui s’avérerait excessive
(voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 116). Il appartient, le
cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas en ce qui concerne les
amendes administratives en cause dans les affaires au principal.

115 Enfin, il convient de relever, quatrièmement, que, pour autant qu’existe un


marché des certificats verts satisfaisant aux conditions énoncées aux points 111 et 112
du présent arrêt, sur lequel les fournisseurs ayant importé de l’électricité en provenance
d’autres États membres peuvent s’approvisionner en certificats verts de manière
effective et dans des conditions équitables, la circonstance qu’il demeure le cas échéant
loisible aux producteurs d’électricité verte de vendre, aux fournisseurs soumis à
l’obligation de quota, conjointement de l’électricité et des certificats verts n’implique
pas que les modalités du régime de quota vont au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre l’objectif d’augmentation de la production d’électricité verte. En effet, le fait
que subsiste une telle possibilité paraît de nature à exercer un effet incitatif
supplémentaire sur les producteurs d’accroître leur production d’électricité verte (voir,
en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, EU:C:2014:2037, point 118).

91
116 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à
la première question que les articles 28 CE et 30 CE ainsi que les articles 11 et 13 de
l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à un régime de
soutien national, tel que celui en cause au principal, qui prévoit l’allocation, par
l’autorité de régulation régionale compétente, de certificats négociables en considération
de l’électricité verte produite sur le territoire de la région concernée et qui soumet les
fournisseurs d’électricité à une obligation de remettre, annuellement, à ladite autorité,
sous peine d’une amende administrative, une certaine quantité de tels certificats
correspondant à une quote-part du total de leurs livraisons d’électricité dans cette
région, sans que ces fournisseurs soient autorisés à satisfaire à ladite obligation en
utilisant des garanties d’origine provenant d’autres États membres de l’Union ou d’États
tiers membres de l’EEE, pour autant que:

– sont institués des mécanismes qui assurent la mise en place d’un véritable marché
des certificats où l’offre et la demande puissent se rencontrer et tendre vers l’équilibre,
de sorte qu’il soit possible aux fournisseurs intéressés de s’y approvisionner en
certificats de manière effective et dans des conditions équitables;

– le mode de calcul et le montant de l’amende administrative à acquitter par les


fournisseurs n’ayant pas satisfait à cette obligation sont fixés de manière à ne pas
excéder ce qui est nécessaire aux fins d’inciter les producteurs à accroître effectivement
leur production d’électricité verte et les fournisseurs soumis à ladite obligation à
procéder à l’acquisition effective des certificats requis, en évitant, notamment, de
pénaliser lesdits fournisseurs d’une manière qui serait excessive.

Sur la troisième question

117 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les


règles de non-discrimination que comportent, respectivement, les articles 18 TFUE, 4 de
l’accord EEE et 3 de la directive 2003/54 doivent être interprétées en ce sens qu’elles
s’opposent à un régime de soutien national, tel que celui en cause au principal, qui
prévoit l’allocation, par l’autorité de régulation régionale compétente, de certificats
négociables en considération de l’électricité verte produite sur le territoire de la région
concernée et qui soumet les fournisseurs d’électricité à une obligation de remettre,
annuellement, à ladite autorité, sous peine d’une amende administrative, une certaine
quantité de tels certificats correspondant à une quote-part du total de leurs livraisons
d’électricité dans cette région, sans que ces fournisseurs soient autorisés à satisfaire à
ladite obligation en utilisant des garanties d’origine provenant d’autres États membres
de l’Union ou d’États tiers membres de l’EEE.

118 S’agissant, tout d’abord, de l’article 18 TFUE, celui-ci dispose que, dans le
domaine d’application des traités et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils
prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.

119 Il convient de relever que, dans sa demande de décision préjudicielle, la


juridiction de renvoi n’expose pas en quoi un régime tel que celui en cause au principal

92
serait susceptible d’engendrer une différence de traitement constitutive d’une
discrimination en raison de la nationalité ni en quoi une telle différence de traitement
serait, le cas échéant, à distinguer de celle ayant trait aux garanties d’origine et à
l’électricité importée en provenance d’autres États membres constituant déjà l’objet de
la première question préjudicielle.

120 S’agissant des affaires au principal, il convient de rappeler, par ailleurs, qu’Essent
conteste le fait de ne pas être en mesure, en sa qualité de fournisseur d’électricité,
d’utiliser des garanties d’origine provenant d’autres États membres de l’Union et de
l’EEE aux fins de s’acquitter de l’obligation de quota qui pèse sur elle en vertu de la
réglementation nationale en cause au principal.

121 Or, force est de constater, à cet égard, que l’obligation de quota en cause au
principal s’applique à tous les fournisseurs d’électricité opérant dans la Région
flamande, quelle que soit par ailleurs leur nationalité. De même, la circonstance que
lesdits fournisseurs ne peuvent utiliser des garanties d’origine en lieu et place des
certificats verts concerne-t-elle l’ensemble de ceux-ci indépendamment de leur
nationalité.

122 Quant aux producteurs d’électricité, outre le fait qu’ils ne sont pas destinataires de
l’obligation de quota, il y a lieu de rappeler que la circonstance que l’électricité que
produisent ceux qui sont établis dans d’autres États membres peut éventuellement faire
l’objet d’une différence de traitement et se trouver entravée lorsqu’elle est importée en
Région flamande relève du champ de l’article 34 TFUE et a, à ce titre, déjà été
pleinement appréhendée sous l’angle de ladite disposition, dans le cadre de l’examen de
la première question.

123 Ensuite, et s’agissant de l’article 4 de l’accord EEE dont le libellé est quasi
identique à celui de l’article 18 TFUE, il découle de la jurisprudence rappelée au point
72 du présent arrêt qu’une analyse identique à celle venant d’être menée à propos de cet
article 18 doit prévaloir, de telle sorte qu’il n’apparaît pas davantage en quoi ledit article
4 serait susceptible de s’appliquer en présence de situations telles que celles en cause
dans les litiges au principal.

124 Enfin, en ce qui concerne l’article 3 de la directive 2003/54, et s’agissant, en


premier lieu, de l’interrogation que comporte la troisième question posée dans les
affaires C-207/12 et C-208/12 quant au point de savoir dans quelle mesure ladite
disposition est pertinente en ce qui concerne l’EEE, il y a lieu de rappeler que, ainsi
qu’il a été relevé au point 14 du présent arrêt, la décision no 146/2005 ayant intégré
ladite directive dans l’accord EEE est entrée en vigueur le 1er juin 2007. Dans ces
conditions, et eu égard à la circonstance que ces deux affaires sont relatives à des
décisions de la VREG datant du 18 mai 2009 et afférentes à des amendes infligées au
titre des années 2008 et 2009, il y a lieu de constater que ledit article 3 est applicable
ratione temporis dans le cadre desdites affaires.

93
125 En deuxième lieu, il convient de relever que bien que la question posée par la
juridiction de renvoi se réfère à l’article 3 de la directive 2003/54, il ressort de la
précision que comporte la décision de renvoi telle que reproduite à la seconde phrase du
point 40 du présent arrêt que cette question doit être comprise comme portant sur le
paragraphe 1 de ladite disposition.

126 En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que l’article 3, paragraphe 1, de la


directive 2003/54 prévoit notamment que les États membres s’abstiennent de toute
discrimination pour ce qui est des droits et des obligations des entreprises d’électricité.

127 En l’occurrence, la juridiction de renvoi ne fournit toutefois aucune explication


quant à ce qui, selon elle, pourrait, dans le cadre des présentes affaires, s’avérer
constitutif d’une discrimination, au sens de ladite disposition.

128 Il convient pourtant de rappeler, à cet égard, que, aux termes d’une jurisprudence
constante de la Cour, il importe que les juridictions de renvoi indiquent les raisons
précises qui les ont conduites à s’interroger sur l’interprétation de certaines disposition
du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour
(voir, notamment, ordonnance BVBA De Backer, C-234/05, EU:C:2005:662, point 9 et
jurisprudence citée).

129 Dans ces conditions, la Cour n’est pas en mesure de donner à la juridiction de
renvoi des indications qui iraient au-delà de ce qui ressort déjà des points 120 et 121 du
présent arrêt, à savoir qu’il n’apparaît pas en quoi Essent aurait, dans le cadre des
affaires au principal, fait l’objet d’une discrimination en ce qui concerne ses droits ou
obligations en qualité de fournisseur sur le marché de l’électricité.

130 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à


la troisième question que les règles de non-discrimination que comportent,
respectivement, les articles 18 TFUE, 4 de l’accord EEE et 3, paragraphe 1, de la
directive 2003/54 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à un
régime de soutien national, tel que celui en cause au principal, qui prévoit l’allocation,
par l’autorité de régulation régionale compétente, de certificats négociables en
considération de l’électricité verte produite sur le territoire de la région concernée et qui
soumet les fournisseurs d’électricité à une obligation de remettre, annuellement, à ladite
autorité, sous peine d’une amende administrative, une certaine quantité de tels certificats
correspondant à une quote-part du total de leurs livraisons d’électricité dans cette
région, sans que ces fournisseurs soient autorisés à satisfaire à ladite obligation en
utilisant des garanties d’origine provenant d’autres États membres de l’Union ou d’États
tiers membres de l’EEE.

Sur les dépens

131 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident
soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

94
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1) L’article 5 de la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27


septembre 2001, relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources
d’énergie renouvelables sur le marché intérieur de l’électricité, doit être interprété en ce
sens qu’il ne s’oppose pas à un régime de soutien national, tel que celui en cause au
principal, qui prévoit l’allocation, par l’autorité de régulation régionale compétente, de
certificats négociables en considération de l’électricité produite à partir de sources
d’énergie renouvelables sur le territoire de la région concernée et qui soumet les
fournisseurs d’électricité à une obligation de remettre, annuellement, à ladite autorité,
sous peine d’une amende administrative, une certaine quantité de tels certificats
correspondant à une quote-part du total de leurs livraisons d’électricité dans cette
région, sans que lesdits fournisseurs soient autorisés à satisfaire à ladite obligation en
utilisant des garanties d’origine provenant d’autres États membres de l’Union
européenne ou d’États tiers membres de l’Espace économique européen.

2) Les articles 28 CE et 30 CE ainsi que les articles 11 et 13 de l’accord sur l’Espace


économique européen, du 2 mai 1992, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne
s’opposent pas à un régime de soutien national, tel que décrit au point 1 du présent
dispositif, pour autant que:

– sont institués des mécanismes qui assurent la mise en place d’un véritable marché
des certificats où l’offre et la demande puissent se rencontrer et tendre vers l’équilibre,
de sorte qu’il soit possible aux fournisseurs intéressés de s’y approvisionner en
certificats de manière effective et dans des conditions équitables;

– le mode de calcul et le montant de l’amende administrative à acquitter par les


fournisseurs n’ayant pas satisfait à l’obligation mentionnée au point 1 du présent
dispositif sont fixés de manière à ne pas excéder ce qui est nécessaire aux fins d’inciter
les producteurs à accroître effectivement leur production d’électricité produite à partir
de sources d’énergie renouvelables et les fournisseurs soumis à ladite obligation à
procéder à l’acquisition effective des certificats requis, en évitant, notamment, de
pénaliser lesdits fournisseurs d’une manière qui serait excessive.

3) Les règles de non-discrimination que comportent, respectivement, l’article 18


TFUE, l’article 4 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, et
l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de
l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE, doivent être interprétées en ce sens
qu’elles ne s’opposent pas à un régime de soutien national tel que décrit au point 1 du
présent dispositif.

95
Document 6 : CJUE, 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C-201/15

« Renvoi préjudiciel – Directive 98/59/CE – Rapprochement des législations des États


membres relatives aux licenciements collectifs – Article 49 TFUE – Liberté
d’établissement – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 16 –
Liberté d’entreprise – Réglementation nationale conférant à une autorité administrative
le pouvoir de s’opposer à des licenciements collectifs après évaluation des conditions du
marché du travail, de la situation de l’entreprise et de l’intérêt de l’économie nationale –
Crise économique aiguë – Taux de chômage national particulièrement élevé »

Dans l’affaire C-201/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE,
introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 7
avril 2015, parvenue à la Cour le 29 avril 2015, dans la procédure

Anonymi Geniki Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis)

contre

Ypourgos Ergasias, Koinonikis Asfalisis kai Koinonikis Allilengyis,

en présence de :

Enosi Ergazomenon Tsimenton Chalkidas,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de


Lapuerta, MM. T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, E. Juhász, Mmes M. Berger, A.
Prechal (rapporteur) et M. Vilaras, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Borg
Barthet, D. Šváby et E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 avril 2016,

considérant les observations présentées :

– pour Anonymi Geniki Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis), par Mes C.
Theodorou, A. Vagias, C. Synodinos, S. Staes Polet, A. Papastavrou, dikigoroi, ainsi
que par Me F. Montag, Rechtsanwalt, et Me F. Hoseinian, avocat,

– pour Enosi Ergazomenon Tsimenton Chalkidas, par Me E. Tzovla, dikigoros,

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– pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis et Mme A.
Dimitrakopoulou, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. M. Kellerbauer et Mme H. Tserepa-


Lacombe, en qualité d’agents,

– pour l’Autorité de surveillance AELE, par M. C. Zatschler et Mme M.


Moustakali, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juin 2016,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive


98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations
des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO 1998, L 225, p. 16), et des
articles 49 et 63 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Anonymi Geniki
Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis) à l’Ypourgos Ergasias, Koinonikis Asfalisis
kai Koinonikis Allilengyis (ministre du Travail, de la Sécurité sociale et de la Solidarité
sociale, ci-après le « ministre ») au sujet d’une décision par laquelle ce dernier a décidé
de ne pas autoriser AGET Iraklis à procéder à un licenciement collectif.

Le cadre juridique

La directive 98/59

3 Les considérants 1 à 4 et 7 de la directive 98/59 sont libellés comme suit :

« (1) considérant que, dans un souci de clarté et de rationalité, il convient de


procéder à la codification de la directive 75/129/CEE du Conseil du 17 février 1975
concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux
licenciements collectifs [JO 1975, L 48, p. 29] ;

(2) considérant qu’il importe de renforcer la protection des travailleurs en cas de


licenciements collectifs en tenant compte de la nécessité d’un développement
économique et social équilibré dans la Communauté ;

(3) considérant que, malgré une évolution convergente, des différences subsistent
entre les dispositions en vigueur dans les États membres en ce qui concerne les
modalités et la procédure des licenciements collectifs ainsi que les mesures susceptibles
d’atténuer les conséquences de ces licenciements pour les travailleurs ;

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(4) considérant que ces différences peuvent avoir une incidence directe sur le
fonctionnement du marché intérieur ;

[...]

(7) considérant qu’il est par conséquent nécessaire de promouvoir ce rapprochement


dans le progrès au sens de l’article 117 du traité ».

4 Intitulée « Information et consultation », la section II de la directive 98/59 est


constituée de l’article 2 de celle-ci, disposition aux termes de laquelle :

« 1. Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est


tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des
travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

2. Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les
licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par
le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au
reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

[...]

3. Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions


constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations :

a) de leur fournir tous renseignements utiles et

b) de leur communiquer, en tout cas, par écrit :

i) les motifs du projet de licenciement ;

ii) le nombre et les catégories des travailleurs à licencier ;

iii) le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés ;

iv) la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements ;

v) les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où
les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur ;

vi) la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement


autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

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L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une
copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à
v).

[...] »

5 Intitulée « Procédure de licenciement collectif », la section III de la directive


98/59 se compose des articles 3 et 4 de celle-ci.

6 L’article 3 de cette directive dispose :

« 1. L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à
l’autorité publique compétente.

[...]

La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de


licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à
l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier,
le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il
est envisagé d’effectuer les licenciements.

2. L’employeur est tenu de transmettre aux représentants des travailleurs copie de la


notification prévue au paragraphe 1.

Les représentants des travailleurs peuvent adresser leurs observations éventuelles à


l’autorité publique compétente. »

7 L’article 4, paragraphes 1 à 3, de la directive 98/59 prévoit :

« 1. Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique


compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue à l’article
3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en
matière de délai de préavis.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de


réduire le délai visé au premier alinéa.

2. L’autorité publique compétente met à profit le délai visé au paragraphe 1 pour


chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés.

3. Dans la mesure où le délai initial prévu au paragraphe 1 est inférieur à soixante


jours, les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de
prolonger le délai initial jusqu’à soixante jours après la notification lorsque les
problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés risquent de ne pas trouver de
solution dans le délai initial.

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Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente des facultés de
prolongation plus larges.

L’employeur doit être informé de la prolongation et de ses motifs avant l’expiration du


délai initial prévu au paragraphe 1. »

8 Figurant dans la section IV de la directive 98/59, intitulée « Dispositions finales »,


l’article 5 de celle-ci énonce :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer
ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus
favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions
conventionnelles plus favorables aux travailleurs. »

Le droit grec

9 Intitulé « Obligation d’information et de consultation incombant à l’employeur »,


l’article 3 du Nomos n° 1387/1983 Elenchos Omadikon apolyseon kai alles diataxeis
(loi n° 1387/1983 portant contrôle des licenciements collectifs et autres dispositions),
dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi n° 1387/1983 »),
prévoit :

« 1. Avant tout licenciement collectif, l’employeur doit consulter les représentants des
travailleurs pour examiner la possibilité d’éviter ou d’atténuer les licenciements et leurs
conséquences néfastes.

2. L’employeur doit :

a) fournir aux représentants des travailleurs toutes les informations utiles et

b) leur communiquer par écrit :

aa) les raisons du projet de licenciement ;

bb) le nombre et les catégories des travailleurs menacés ;

cc) le nombre et les catégories de personnes habituellement employées ;

dd) la période au cours de laquelle il est prévu de procéder à des licenciements ;

ee) les critères de choix des travailleurs qui seront licenciés.

[...]

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3. Des copies de ces documents sont présentées par l’employeur au préfet et à
l’inspection du travail. Si l’entreprise ou l’exploitation a des établissements dans
plusieurs départements, les documents en question sont remis au [ministre] et à
l’inspection du travail du lieu de l’exploitation ou de l’établissement où les
licenciements, ou la plupart d’entre eux, sont projetés. »

10 Intitulé « Procédure de licenciement collectif », l’article 5 de la loi n° 1387/1983


dispose :

« 1. La durée des consultations entre les travailleurs et l’employeur est de 20 jours à


partir de l’invitation à participer à des consultations adressée par l’employeur aux
représentants des travailleurs [...] Le résultat des consultations est porté dans un compte
rendu qui doit être signé par les deux parties et qui est soumis par l’employeur au préfet
ou au [ministre], conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 3.

2. Si les parties sont tombées d’accord, les licenciements collectifs sont effectués
conformément à la teneur de l’accord [...]

3. S’il n’y a pas d’accord entre les parties, le préfet ou le [ministre], par décision
motivée prise dans un délai de 10 jours à partir de la date de présentation du compte
rendu précité et après avoir examiné le dossier et évalué les conditions du marché du
travail, la situation de l’entreprise ainsi que l’intérêt de l’économie nationale, peuvent
soit prolonger les consultations de 20 jours supplémentaires, sur demande de l’une des
parties intéressées, soit ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements
prévus. Avant l’adoption de cette décision, le préfet ou le [ministre] peuvent demander
l’avis de la commission du ministère du Travail qui siège dans chaque préfecture ou du
Conseil supérieur du travail respectivement. Ces organes consultatifs, le préfet ou le
[ministre] peuvent convoquer et entendre tant les représentants des travailleurs au sens
de l’article 4 et l’employeur concerné que les personnes qui ont des connaissances
particulières sur des questions techniques pertinentes.

4. L’employeur peut procéder à des licenciements collectifs dans la limite de ce qui


est prévu par la décision du préfet ou du [ministre]. S’il ne prend pas de telles décisions
dans les délais prévus, les licenciements collectifs sont effectués dans la mesure
consentie par l’employeur lors des consultations. »

11 L’article 6, paragraphe 1, de la loi n° 1387/1983 dispose que « les licenciements


collectifs effectués en violation de la présente loi sont nuls ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 AGET Iraklis, dont le principal actionnaire est le groupe multinational français,


Lafarge, produit du ciment dans trois usines situées, respectivement, à Agria Volou, à
Aliveri et à Chalkida (Grèce).

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13 Durant la période s’étant écoulée entre le mois de novembre 2011 et le mois de
décembre 2012, AGET Iraklis a, à diverses reprises, invité les travailleurs de son usine
de Chalkida à des réunions afin d’envisager des adaptations des activités au sein de cette
usine eu égard à une chute de la demande de ciment, tout en évitant des licenciements
collectifs.

14 Invoquant, notamment, une contraction des activités de construction dans la


région de l’Attique (Grèce) et l’existence de capacités de production excédentaires ainsi
que la nécessité de préserver la viabilité de l’entreprise et les conditions du
développement des activités du groupe tant sur le marché grec qu’à l’étranger, le conseil
d’administration d’AGET Iraklis a, par décision du 25 mars 2013, approuvé un plan de
restructuration prévoyant l’arrêt définitif de l’usine de Chalkida, qui occupait alors 236
travailleurs, ainsi qu’un recentrage de la production dans les deux autres usines
moyennant un accroissement de la productivité de celles-ci.

15 Par courriers des 26 mars et 1er avril 2013, AGET Iraklis a invité l’Enosi
Ergazomenon Tsimenton Chalkidas (syndicat représentant les travailleurs de l’usine de
Chalkida, ci-après le « syndicat ») à des rencontres devant se tenir, respectivement, le 29
mars et le 4 avril 2013, à des fins de communication d’informations sur les motifs ayant
conduit à l’adoption du plan susmentionné et sur les modalités des licenciements
envisagés ainsi que de consultation quant aux possibilités d’éviter ou de réduire ces
licenciements et leurs conséquences néfastes.

16 Le syndicat n’ayant donné suite à aucune de ces deux invitations, AGET Iraklis a,
le 16 avril 2013, soumis au ministre une demande d’approbation du projet de
licenciement collectif en cause.

17 La direction de l’emploi du ministère du Travail a établi un rapport prenant en


compte les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de
l’économie nationale et recommandant le rejet de cette demande en raison de l’absence
de plan d’intégration des travailleurs concernés dans d’autres usines appartenant à
AGET Iraklis et de ce que les statistiques de l’Office hellénique de l’emploi révélaient
un taux de chômage de plus en plus élevé.

18 Dans son avis rendu à la demande du ministre, le Conseil supérieur du Travail


s’est, après avoir entendu AGET Iraklis et le syndicat, prononcé en défaveur de
l’autorisation du projet de licenciement collectif en cause, en considérant que la
motivation de ce dernier était insuffisante, dans la mesure, en particulier, où le caractère
nécessaire des licenciements envisagés n’avait pas été étayé par des éléments de preuve
concrets et circonstanciés et où les arguments invoqués par AGET Iraklis apparaissaient
trop vagues.

19 Se fondant sur ledit avis, le ministre a, le 26 avril 2013, décidé de ne pas autoriser
ce projet de licenciement collectif.

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20 À l’appui du recours tendant à l’annulation de cette décision qu’elle a introduit
devant le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), AGET Iraklis soutient,
notamment, que l’article 5, paragraphe 3, de la loi n° 1387/1983, sur la base duquel a été
adoptée ladite décision, viole tant la directive 98/59 que les articles 49 et 63 TFUE, lus
en combinaison avec l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne (ci-après la « Charte »).

21 Ladite juridiction est d’avis que, bien qu’un régime d’autorisation administrative
tel que celui qu’institue ladite disposition nationale ne soit pas prévu par la directive
98/59, une telle mesure pourrait, dès lors qu’elle est plus favorable aux travailleurs que
ne le sont celles que prévoit cette directive, trouver un fondement dans l’article 5 de
cette dernière.

22 À supposer que tel soit le cas, cette même juridiction éprouve, toutefois, des
doutes quant au point de savoir s’il est compatible avec les objectifs et l’effet utile de la
directive 98/59 de faire dépendre la délivrance d’une telle autorisation de critères tels
que les conditions du marché du travail et l’intérêt de l’économie nationale, dans la
mesure où de tels critères, même s’ils sont rattachables aux objectifs légitimes d’intérêt
général que sont la lutte contre le chômage et le développement économique national,
seraient susceptibles de conduire, tout à la fois, à des divergences entre les États
membres, à un remplacement des procédures d’information et de consultation prévues
par cette directive par une procédure d’autorisation et à une restriction disproportionnée
de la liberté d’entreprendre de l’employeur.

23 Par ailleurs, la juridiction de renvoi est d’avis que, compte tenu du caractère
transfrontalier de la situation en cause au principal, découlant de la circonstance
qu’AGET Iraklis fait partie d’un groupe multinational français, les articles 49 et 63
TFUE ont également vocation à s’appliquer en l’occurrence. À cet égard, une
disposition nationale telle que celle en cause au principal serait, en raison de
l’importance de la restriction qu’elle comporte à l’endroit de la liberté de gestion des
entreprises, de nature à décourager, de manière potentiellement considérable, l’exercice,
par les opérateurs établis dans d’autres États membres, des libertés garanties par ces
articles. Ladite juridiction relève également que les dispositions de la Charte, et,
notamment, l’article 16 de celle-ci consacrant la liberté d’entreprise, ont vocation à être
appliquées dans toutes les situations régies par le droit de l’Union.

24 La question se poserait toutefois de savoir si, en dépit de cet impact potentiel sur
lesdites libertés et sur la liberté d’entreprise, une telle entrave ne pourrait pas,
singulièrement en présence d’une crise économique aigüe accompagnée d’un taux de
chômage inhabituellement élevé avoisinant, en Grèce, les 27 %, bénéficier de
justifications tirées de raisons impérieuses d’intérêt général, en particulier au titre de la
politique de l’emploi dans laquelle les États membres conserveraient une large marge
d’appréciation.

25 C’est dans ces conditions que le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) a
décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

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« 1) Une disposition nationale telle que l’article 5, paragraphe 3, de la loi n°
1387/1983, qui subordonne la mise en œuvre de licenciements collectifs dans une
entreprise à une autorisation que l’administration délivre sur la base de critères tenant a)
aux conditions régnant sur le marché du travail, b) à la situation de l’entreprise et c) à
l’intérêt de l’économie nationale, est-elle compatible, en particulier, avec les
dispositions de la directive 98/59 et, plus généralement, avec les articles 49 et 63
TFUE ?

2) En cas de réponse négative à la première question, une telle disposition nationale


est-elle compatible, en particulier, avec les dispositions de la directive 98/59 et, plus
généralement, avec les articles 49 et 63 TFUE, lorsqu’existent pour cela de sérieuses
raisons sociales telles qu’une crise économique aiguë et un taux de chômage
particulièrement élevé ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

26 Par sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir, en substance, si les


dispositions de la directive 98/59 et/ou celles des articles 49 et 63 TFUE doivent être
interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, telle que
celle en cause au principal, en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence
d’accord avec les représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif,
procéder à un tel licenciement qu’à la condition que l’autorité publique nationale
compétente à laquelle doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par
ladite réglementation et après examen du dossier et évaluation des conditions du marché
du travail, de la situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale,
une décision motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des
licenciements envisagés.

Sur la directive 98/59

27 Il ressort du considérant 2 de la directive 98/59 que celle-ci vise à renforcer la


protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs. Selon les considérants 3 et
7 de cette directive, ce sont notamment des différences subsistant entre les dispositions
en vigueur dans les États membres en ce qui concerne les mesures susceptibles
d’atténuer les conséquences des licenciements collectifs qui doivent faire l’objet d’un
rapprochement des législations (voir, notamment, arrêt du 12 octobre 2004,
Commission/Portugal, C-55/02, EU:C:2004:605, point 52).

28 S’agissant de l’objectif principal de la directive 98/59, à savoir faire précéder les


licenciements collectifs d’une consultation des représentants des travailleurs et de
l’information de l’autorité publique compétente, il convient de rappeler que, d’une part,
aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, les consultations portent sur
les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les

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possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales
d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des
travailleurs licenciés. D’autre part, selon l’article 2, paragraphe 3, et l’article 3,
paragraphe 1, de ladite directive, l’employeur doit notifier à l’autorité publique tout
projet de licenciement collectif et lui transmettre les éléments et les renseignements
mentionnés à ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2009, Rodríguez
Mayor e.a., C-323/08, EU:C:2009:770, points 43 et 44).

29 La directive 98/59 de même que, auparavant, la directive 75/129, à laquelle elle


s’est substituée, n’assurent, de la sorte, qu’une harmonisation partielle des règles de
protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs, à savoir la procédure à
suivre lors de tels licenciements (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2009, Rodríguez
Mayor e.a., C-323/08, EU:C:2009:770, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

30 C’est ainsi que ni la directive 98/59 ni, auparavant, la directive 75/129 ne portent
atteinte à la liberté de l’employeur de procéder ou de ne pas procéder à des
licenciements collectifs (voir, à propos de la directive 75/129, arrêts du 12 février 1985,
Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark, 284/83,
EU:C:1985:61, point 10, ainsi que du 7 septembre 2006, Agorastoudis e.a., C-187/05 à
C-190/05, EU:C:2006:535, point 35).

31 Lesdites directives ne précisent notamment pas les circonstances dans lesquelles


l’employeur doit envisager des licenciements collectifs et ne touchent en rien à sa liberté
de jugement quant à savoir si et quand il doit former un projet de licenciement collectif
(voir, à propos de la directive 75/129, arrêt du 12 février 1985, Dansk
Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark, 284/83, EU:C:1985:61,
point 15).

32 Si, en harmonisant ainsi les règles applicables aux licenciements collectifs, le


législateur de l’Union a entendu, tout à la fois, assurer une protection comparable des
droits des travailleurs dans les différents États membres et rapprocher les charges
qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises de l’Union européenne (voir,
notamment, arrêt du 9 juillet 2015, Balkaya, C-229/14, EU:C:2015:455, point 32 et
jurisprudence citée), il n’en ressort pas moins de l’article 1er, paragraphe 1, et de
l’article 5 de la directive 98/59 que celle-ci vise, à cet égard, à instaurer une protection
minimale relative à l’information et à la consultation des travailleurs en cas de
licenciements collectifs et que les États membres restent libres d’adopter des mesures
nationales plus favorables auxdits travailleurs (voir, notamment, arrêt du 18 janvier
2007, Confédération générale du travail e.a., C-385/05, EU:C:2007:37, point 44).

33 Il découle de tout ce qui précède que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au
point 30 de ses conclusions, les conditions de fond auxquelles se trouve, le cas échéant,
soumise la possibilité pour l’employeur de procéder ou non à des licenciements
collectifs ne relèvent pas, en principe, de l’application de la directive 98/59 et
demeurent, en conséquence, du ressort des États membres.

105
34 Il s’ensuit, de même, que ladite directive ne saurait, en principe, être interprétée
en ce sens qu’elle s’oppose à un régime national conférant à une autorité publique le
pouvoir d’empêcher de tels licenciements par une décision motivée adoptée après un
examen du dossier et la prise en compte de critères de fond prédéterminés.

35 Il convient, toutefois, de préciser, à cet égard, qu’il en irait, par exception,


autrement, dans l’hypothèse où un tel régime national aurait, eu égard à ses modalités
plus précises ou à la manière dont il est concrètement mis en œuvre par l’autorité
publique compétente, pour effet de priver les dispositions des articles 2 à 4 de la
directive 98/59 de leur effet utile.

36 En effet, ainsi que l’a itérativement jugé la Cour, s’il est vrai que la directive
98/59 n’assure qu’une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs
en cas de licenciements collectifs, il n’en demeure pas moins que le caractère limité
d’une telle harmonisation ne saurait avoir pour conséquence de priver d’effet utile les
dispositions de cette directive (voir, en ce sens, s’agissant de la directive 75/129, arrêt
du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni, C-383/92, EU:C:1994:234, point 25, et,
s’agissant de la directive 98/59, arrêt du 16 juillet 2009, Mono Car Styling, C-12/08,
EU:C:2009:466, point 35).

37 Partant, un État membre ne saurait, notamment, adopter une mesure nationale qui,
bien que de nature à garantir à un niveau renforcé la protection des droits des
travailleurs contre les licenciements collectifs aurait, cependant, pour conséquence de
priver les articles 2 à 4 de ladite directive de leur effet utile.

38 Il en irait ainsi en présence d’une réglementation nationale soumettant les


licenciements collectifs à l’assentiment préalable d’une autorité publique si, en raison,
par exemple, des critères au regard desquels ladite autorité est appelée à se prononcer ou
de la manière dont celle-ci interprète et applique concrètement ceux-ci, toute possibilité
effective pour l’employeur de procéder à de tels licenciements collectifs se trouvait, en
pratique, exclue.

39 En effet, ainsi que l’a déjà relevé la Cour, l’article 2 de la directive 98/59 impose
une obligation de négociation (arrêt du 27 janvier 2005, Junk, C-188/03, EU:C:2005:59,
point 43). Il ressort des termes de cette disposition que les consultations à mener doivent
avoir lieu en vue d’aboutir à un accord, porter au moins sur les possibilités d’éviter ou
de réduire les licenciements collectifs envisagés ainsi que sur les possibilités d’en
atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement et
permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives
sur la base d’une série d’informations devant être mises à leur disposition par
l’employeur.

40 Pour leur part, les articles 3 et 4 de la directive 98/59 prévoient que les projets de
licenciements collectifs doivent être notifiés à l’autorité publique compétente et que de
tels licenciements ne peuvent prendre effet qu’au terme d’un certain délai que cette

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autorité doit mettre à profit pour chercher des solutions aux problèmes posés par les
licenciements collectifs ainsi envisagés.

41 De telles dispositions, qui, ainsi qu’il a été rappelé aux points 27 et 32 du présent
arrêt, visent notamment à renforcer la protection des travailleurs tout en rapprochant les
charges qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises, reposent
manifestement sur le présupposé selon lequel des licenciements collectifs doivent, une
fois épuisées les procédures instituées par ces dispositions, et ce y compris dans
l’hypothèse où les consultations n’ont pas permis d’aboutir à un accord, à tout le moins
demeurer envisageables, fût-ce à la condition qu’il soit par ailleurs satisfait à certaines
exigences objectives qui seraient, le cas échéant, fixées par la réglementation nationale
applicable.

42 À cet égard, AGET Iraklis a notamment soutenu devant la Cour que l’autorité
publique compétente s’est systématiquement opposée aux projets de licenciement
collectif lui ayant été notifiés, ce qui a notamment eu pour conséquence que les
représentants des travailleurs s’abstiennent le plus souvent, ainsi que ce fut le cas dans
le contexte de l’affaire au principal, de participer à des consultations aux fins de tenter
de trouver un accord sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements
envisagés et d’en atténuer les conséquences.

43 C’est, toutefois, à la juridiction de renvoi, qui dispose seule des informations


utiles à cet égard, qu’il appartiendra, s’il y a lieu, de vérifier si, en raison des trois
critères d’évaluation rappelés au point 26 du présent arrêt au regard desquels l’autorité
publique compétente est appelée à se prononcer sur les projets de licenciements
collectifs qui lui ont été notifiés et de la manière dont cette autorité applique
concrètement lesdits critères, la réglementation en cause au principal a pour
conséquence que toute possibilité effective pour l’employeur de procéder à des
licenciements collectifs se trouve, en pratique, exclue, de telle sorte que les dispositions
de la directive 98/59 se seraient trouvées privées d’effet utile.

44 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première branche de la


première question que la directive 98/59 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne
s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause au
principal, en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence d’accord avec les
représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, procéder à un tel
licenciement qu’à la condition que l’autorité publique nationale compétente à laquelle
doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par ladite réglementation et
après examen du dossier et évaluation des conditions du marché du travail, de la
situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale, une décision
motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements envisagés.
Il en va, toutefois, différemment s’il s’avère, ce qu’il appartient, le cas échéant, à la
juridiction de renvoi de vérifier, que, eu égard aux trois critères d’évaluation auxquels
renvoie cette réglementation et à l’application concrète qu’en fait ladite autorité
publique sous le contrôle des juridictions compétentes, ladite réglementation a pour
conséquence de priver les dispositions de cette directive de leur effet utile.

107
Sur les articles 49 et 63 TFUE

– Sur l’applicabilité de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, et/ou


de l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, et sur l’existence d’une
restriction de l’une et/ou de l’autre de ces libertés

45 La liberté d’établissement que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants des


États membres et qui comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et leur
exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, dans les mêmes conditions
que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres
ressortissants, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés
constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège
statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de
l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire
d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (voir, notamment, arrêt du 13 décembre
2005, Marks & Spencer, C-446/03, EU:C:2005:763, point 30 ainsi que jurisprudence
citée).

46 Relève ainsi notamment de la liberté d’établissement la situation dans laquelle


une société établie dans un État membre crée une filiale dans un autre État membre. Il
en va de même, aux termes d’une jurisprudence constante, lorsqu’une telle société ou un
ressortissant d’un État membre acquiert, dans le capital d’une société établie dans un
autre État membre, une participation lui permettant d’exercer une influence certaine sur
les décisions de cette société et d’en déterminer les activités (voir, en ce sens, arrêts du
21 octobre 2010, Idryma Typou, C-81/09, EU:C:2010:622, point 47 et jurisprudence
citée, ainsi que du 8 novembre 2012, Commission/Grèce, C-244/11, EU:C:2012:694,
point 21 et jurisprudence citée).

47 Tel est le cas dans le cadre de l’affaire au principal, dès lors que, ainsi qu’il
ressort de la décision de renvoi, le groupe multinational Lafarge, dont le siège est en
France, détient dans AGET Iraklis des participations qui en font l’actionnaire principal
de cette dernière et qu’AGET Iraklis a précisé, à cet égard, lors de l’audience, en
réponse à une question de la Cour, que lesdites participations s’élevaient, à l’époque à
laquelle a été formé le projet de licenciement litigieux, à 89 % de son capital.

48 Il est de jurisprudence constante que la notion de « restriction » au sens de


l’article 49 TFUE porte, notamment, sur les mesures qui, même applicables sans
discrimination tenant à la nationalité, sont susceptibles de gêner ou de rendre moins
attrayant l’exercice de la liberté d’établissement (voir, notamment, arrêts du 21 avril
2005, Commission/Grèce, C-140/03, EU:C:2005:242, point 27, et du 21 octobre 2010,
Idryma Typou, C-81/09, EU:C:2010:622, point 54).

49 Ladite notion couvre ainsi notamment les mesures prises par un État membre qui,
quoique indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les entreprises
d’autres États membres et entravent ainsi le commerce intracommunautaire (voir,

108
notamment, arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie, C-518/06, EU:C:2009:270, point
64 et jurisprudence citée).

50 S’agissant de l’accès au marché d’un État membre devant ainsi se trouver garanti,
il convient de rappeler que, aux termes d’une jurisprudence constante, l’objectif de la
liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE est de permettre à un ressortissant
d’un État membre ou à une personne morale établie dans celui-ci de créer un
établissement secondaire dans un autre État membre pour y exercer ses activités et de
favoriser ainsi l’interpénétration économique et sociale à l’intérieur de l’Union dans le
domaine des activités non salariées. La liberté d’établissement entend, à cette fin,
permettre à un tel ressortissant ou à une telle personne morale de l’Union de participer,
de façon stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État
membre d’origine et d’en tirer profit en exerçant de manière effective dans l’État
membre d’accueil une activité économique au moyen d’une installation stable et pour
une durée indéterminée (voir, notamment, arrêt du 23 février 2016,
Commission/Hongrie, C-179/14, EU:C:2016:108, point 148 et jurisprudence citée).

51 La notion d’établissement suppose, par conséquent, une implantation réelle de la


société concernée dans cet État et l’exercice d’une activité économique effective dans
celui-ci (voir, notamment, arrêt du 12 juillet 2012, VALE, C-378/10, EU:C:2012:440,
point 34 et jurisprudence citée).

52 L’exercice effectif de la liberté d’établissement implique ainsi, notamment, en


tant que complément nécessaire à celle-ci, que la filiale, l’agence ou la succursale créée
par une personne morale établie dans un autre État membre puisse, le cas échéant, et si
l’activité qu’elle entend déployer dans l’État membre d’accueil le requiert, engager des
travailleurs dans cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 1986, Segers,
79/85, EU:C:1986:308, point 15).

53 Un tel exercice implique, en principe, également, la liberté de déterminer la nature


et l’ampleur de l’activité économique qui sera déployée dans l’État membre d’accueil et
notamment la taille des installations stables et le nombre de travailleurs requis à cette
fin, de même que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 65 de ses
conclusions, la liberté de réduire, par la suite, le volume de cette activité voire celle de
renoncer, le cas échéant, à celle-ci et audit établissement.

54 Il y a lieu de souligner, à ces divers égards, que, en vertu de la réglementation en


cause au principal, c’est la possibilité même, pour un tel établissement, de procéder à un
licenciement collectif qui se trouve en l’occurrence soumise à une exigence d’absence
d’opposition de l’autorité publique compétente. Or, la décision de procéder à un
licenciement collectif constitue une décision fondamentale dans la vie d’une entreprise
(voir, par analogie, à propos de décisions portant sur la dissolution volontaire, la
scission ou la fusion, arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne, C-463/00,
EU:C:2003:272, point 79).

109
55 Force est de constater, à cet égard, qu’une telle réglementation nationale constitue
une ingérence importante dans certaines libertés dont jouissent, généralement, les
opérateurs économiques (voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie,
C-518/06, EU:C:2009:270, point 66). Il en va de la sorte de la liberté de tels opérateurs
de contracter avec les travailleurs aux fins de pouvoir mener leurs activités ou encore de
celle de mettre fin, pour des raisons qui leur sont propres, à l’activité de leur
établissement, ainsi que de leur liberté de jugement quant à savoir si et quand ils doivent
former un projet de licenciement collectif, en fonction, notamment, de facteurs tels que
la cessation ou la réduction de l’activité de l’entreprise, la baisse de la demande du
produit qu’ils fabriquent ou, encore, à la suite d’une réorganisation de l’entreprise
indépendante du niveau d’activités de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 12
février 1985, Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark,
284/83, EU:C:1985:61, point 15, ainsi que du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni,
C-383/92, EU:C:1994:234, points 29 et 32).

56 Une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est ainsi de
nature à rendre moins attrayant un accès au marché grec et, en cas d’accès à ce marché,
à réduire considérablement, voire à supprimer, les possibilités, pour les opérateurs
d’autres États membres ayant ainsi fait le choix de s’installer sur un nouveau marché, de
moduler, par la suite, leur activité sur celui-ci ou d’y renoncer, en se séparant, dans ces
perspectives, des travailleurs précédemment engagés.

57 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’une telle réglementation


nationale est susceptible de constituer un obstacle sérieux à l’exercice de la liberté
d’établissement en Grèce.

58 Quant à l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, relèvent de


cette disposition les investissements directs sous forme de participation à une entreprise
par la détention d’actions qui confère la possibilité de participer effectivement à sa
gestion et à son contrôle, ainsi que les investissements de portefeuille, c’est-à-dire
l’acquisition de titres sur le marché des capitaux effectuée dans la seule intention de
réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de
l’entreprise (voir arrêt du 21 octobre 2010, Idryma Typou, C-81/09, EU:C:2010:622,
point 48 et jurisprudence citée).

59 S’agissant de l’affaire au principal, toutefois, il est constant que la société


envisageant en l’occurrence de procéder à des licenciements collectifs est une société
dans le capital de laquelle un groupe multinational de sociétés établi dans un autre État
membre dispose d’une participation majoritaire lui permettant d’exercer une influence
certaine sur les décisions de ladite société et d’en déterminer les activités et qu’un tel
cas de figure relève, ainsi qu’il a été relevé au point 47 du présent arrêt, de la liberté
d’établissement. Dans ces conditions, à supposer que la réglementation en cause au
principal produise des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, ceux-ci
seraient, dans le cadre d’une telle affaire, la conséquence inéluctable d’une éventuelle
entrave à la liberté d’établissement et ne justifieraient pas un examen autonome au
regard de l’article 63 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2009,

110
Commission/Italie, C-326/07, EU:C:2009:193, point 39 et jurisprudence citée, ainsi que
du 8 novembre 2012, Commission/Grèce, C-244/11, EU:C:2012:694, point 30).

60 Dès lors, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément la réglementation en


cause au principal à la lumière des règles du traité FUE relatives à la libre circulation
des capitaux.

– Sur la justification éventuelle

61 Il résulte d’une jurisprudence constante qu’une restriction à la liberté


d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses
d’intérêt général. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la
réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire
pour atteindre cet objectif (voir, notamment, arrêts du 29 novembre 2011, National Grid
Indus, C-371/10, EU:C:2011:785, point 42 et jurisprudence citée, ainsi que du 23
février 2016, Commission/Hongrie, C-179/14, EU:C:2016:108, point 166).

62 Ainsi que le rappelle, dans le contexte de la présente affaire, la juridiction de


renvoi, il est également de jurisprudence constante que les droits fondamentaux garantis
par la Charte ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit
de l’Union et qu’ils doivent, ainsi, notamment être respectés lorsqu’une réglementation
nationale entre dans le champ d’application de ce droit (voir, notamment, arrêt du 26
février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, EU:C:2013:105, points 19 à 21).

63 Tel est notamment le cas lorsqu’une réglementation nationale est de nature à


entraver l’une ou plusieurs des libertés fondamentales garanties par le traité et que l’État
membre concerné invoque des raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier une
telle entrave. En pareille hypothèse, la réglementation nationale concernée ne pourra
bénéficier des exceptions ainsi prévues que si elle est conforme aux droits
fondamentaux dont la Cour assure le respect (voir arrêts du 18 juin 1991, ERT,
C-260/89, EU:C:1991:254, point 43, ainsi que du 30 avril 2014, Pfleger e.a., C-390/12,
EU:C:2014:281, point 35).

64 En effet, cette obligation de conformité aux droits fondamentaux relève du champ


d’application du droit de l’Union, et, en conséquence, de celui de la Charte. L’emploi,
par un État membre, d’exceptions prévues par le droit de l’Union pour justifier une
entrave à une liberté fondamentale garantie par le traité doit, dès lors, être considéré
comme « mettant en œuvre le droit de l’Union », au sens de l’article 51, paragraphe 1,
de la Charte (voir arrêt du 30 avril 2014, Pfleger e.a., C-390/12, EU:C:2014:281, point
36).

65 Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 54 à 57 du présent arrêt, la réglementation
en cause au principal constitue une restriction à la liberté d’établissement. Dès lors que,
pour justifier cette restriction, sont invoquées, selon les indications de la juridiction de
renvoi mentionnées au point 22 du présent arrêt, des raisons impérieuses d’intérêt

111
général, ladite réglementation ne peut bénéficier d’une telle justification que si elle est
conforme aux droits fondamentaux.

66 En l’occurrence, il y a lieu de constater qu’une réglementation nationale telle que


celle en cause au principal emporte, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, une
limitation à l’exercice de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte.

67 La Cour a, en effet, déjà jugé que la protection conférée par cette dernière
disposition comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la
liberté contractuelle et la concurrence libre (arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich,
C-283/11, EU:C:2013:28, point 42).

68 S’agissant de la liberté contractuelle, la Cour a ainsi jugé, à propos de la


négociation de conventions collectives de travail, que l’article 16 de la Charte impliquait
notamment qu’une entreprise doit avoir la possibilité de faire valoir efficacement ses
intérêts dans un processus contractuel auquel elle participe et de négocier les éléments
déterminant l’évolution des conditions de travail de ses employés en vue de sa future
activité économique (arrêt du 18 juillet 2013, Alemo-Herron e.a., C-426/11,
EU:C:2013:521, point 33).

69 Il ne saurait ainsi être contesté que la mise en place d’un régime d’encadrement
des licenciements collectifs tel que celui en cause au principal est constitutive d’une
ingérence dans l’exercice de la liberté d’entreprise et, en particulier, de la liberté
contractuelle dont disposent en principe les entreprises, notamment à l’égard des
travailleurs qu’elles emploient, puisqu’il est constant que, en vertu de ce régime,
l’opposition de l’autorité nationale à certains projets de licenciement collectif peut
conduire à empêcher la concrétisation de ceux-ci par l’employeur.

70 À cet égard, il convient néanmoins de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, de


la Charte admet que des limitations puissent être apportées à l’exercice de droits
consacrés par celle-ci pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles
respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et que, dans le respect du
principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des
objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et
libertés d’autrui (voir, notamment, arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh, C-12/11,
EU:C:2013:43, point 61).

– Sur les raisons impérieuses d’intérêt général

71 La réglementation en cause au principal, qui confère à l’autorité nationale


compétente, en l’absence d’accord entre l’employeur et les représentants des travailleurs
sur un projet de licenciement collectif, le pouvoir de ne pas autoriser le licenciement
collectif envisagé, fait état de trois critères que cette autorité est appelée à prendre en
compte à l’occasion de l’examen du dossier qui lui est soumis, à savoir, respectivement,
les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie
nationale. Il en découle, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi dans sa décision de

112
renvoi, que les objectifs d’intérêt général en l’occurrence poursuivis par cette
réglementation ont trait, tant à la protection des travailleurs et à la lutte contre le
chômage qu’à la sauvegarde de l’intérêt de l’économie nationale.

72 S’agissant de la sauvegarde de l’intérêt de l’économie nationale, il est de


jurisprudence constante que des motifs de nature purement économique, tels que,
notamment, la promotion de l’économie nationale ou le bon fonctionnement de celle-ci,
ne sauraient servir de justification à des entraves prohibées par le traité (voir en ce sens,
notamment, arrêts du 5 juin 1997, SETTG, C-398/95, EU:C:1997:282, points 22 et 23 ;
du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/98, EU:C:2000:294, points 47 et 48, ainsi que du 4
juin 2002, Commission/Portugal, C-367/98, EU:C:2002:326, point 52 et jurisprudence
citée).

73 Figure, en revanche, parmi les raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par
la Cour, la protection des travailleurs (voir, notamment, arrêts du 23 novembre 1999,
Arblade e.a., C-369/96 et C-376/96, EU:C:1999:575, point 36 ; du 13 décembre 2005,
SEVIC Systems, C-411/03, EU:C:2005:762, point 28, ainsi que du 11 décembre 2007,
International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C-438/05,
EU:C:2007:772, point 77).

74 Il en va de même de la promotion de l’emploi et de l’embauche qui, visant


notamment à diminuer le chômage, constitue un objectif légitime de politique sociale
(voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2007, ITC, C-208/05, EU:C:2007:16, points 38 et
39 ; du 18 janvier 2007, Confédération générale du travail e.a., C-385/05,
EU:C:2007:37, point 28, ainsi que du 13 décembre 2012, Caves Krier Frères, C-379/11,
EU:C:2012:798, point 51).

75 La Cour a ainsi notamment déjà admis que des considérations tenant au maintien
de l’emploi puissent constituer, dans certaines circonstances et sous certaines
conditions, des justifications acceptables d’une réglementation nationale ayant pour
effet d’entraver la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2007,
Geurts et Vogten, C-464/05, EU:C:2007:631, point 26).

76 Il convient d’ajouter, en ce qui concerne les raisons impérieuses d’intérêt général


ainsi rappelées aux points 73 à 75 du présent arrêt, que, ainsi qu’il ressort de l’article 3,
paragraphe 3, TUE, l’Union établit non seulement un marché intérieur, mais œuvre
également pour le développement durable de l’Europe, lequel est notamment fondé sur
une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au
progrès social, et elle promeut, notamment, la protection sociale (voir, à propos du traité
CE, arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish
Seamen’s Union, C-438/05, EU:C:2007:772, point 78).

77 L’Union ayant dès lors non seulement une finalité économique, mais également
une finalité sociale, les droits résultant des dispositions du traité relatives à libre
circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux doivent être
mis en balance avec les objectifs poursuivis par la politique sociale, parmi lesquels

113
figurent, ainsi qu’il ressort de l’article 151, premier alinéa, TFUE, la promotion de
l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation
dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement
des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte
contre les exclusions (voir, en ce sens, à propos des dispositions correspondantes du
traité CE, arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et
Finnish Seamen’s Union, C-438/05, EU:C:2007:772, point 79).

78 Dans le même esprit, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 147,
paragraphe 1, TFUE, l’Union contribue à la réalisation d’un niveau d’emploi élevé en
encourageant la coopération entre les États membres et en soutenant, et, au besoin, en
complétant leur action, et ce tout en respectant pleinement les compétences des États
membres en la matière. Pour sa part, l’article 147, paragraphe 2, TFUE énonce que
l’objectif consistant à atteindre un niveau d’emploi élevé est pris en compte dans la
définition et la mise en œuvre des politiques et des actions de l’Union. L’article 9
TFUE, enfin, précise que, dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et
actions, l’Union prend notamment en compte les exigences liées à la promotion d’un
niveau d’emploi élevé et à la garantie d’une protection sociale adéquate.

– Sur la proportionnalité

79 Il convient à présent de vérifier si les restrictions à la liberté d’établissement et à


la liberté d’entreprendre qu’engendre une réglementation nationale telle que celle en
cause au principal est susceptible d’être justifiée par les raisons d’intérêt général
identifiées aux points 73 à 75 du présent arrêt, à savoir la protection des travailleurs et
de l’emploi.

80 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 61 du présent arrêt, pour


qu’il en aille ainsi, il faut que lesdites restrictions soient propres à garantir l’objectif
d’intérêt général qu’elles poursuivent et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est
nécessaire pour l’atteindre.

81 À cet égard, il importe également de rappeler que, si, ainsi que l’a itérativement
souligné la Cour, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation lors du
choix des mesures susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale, il
demeure, toutefois, que cette marge d’appréciation ne saurait justifier qu’il soit porté
atteinte aux droits que les particuliers tirent des dispositions des traités consacrant leurs
libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2007, ITC, C-208/05,
EU:C:2007:16, points 39 et 40 ; du 18 janvier 2007, Confédération générale du travail
e.a., C-385/05, EU:C:2007:37, points 28 et 29, ainsi que du 13 décembre 2012, Caves
Krier Frères, C-379/11, EU:C:2012:798, points 51 et 52).

82 Par ailleurs, et ainsi qu’il a été rappelé au point 70 du présent arrêt, les limitations
apportées au libre exercice des droits et libertés fondamentales garantis par la Charte, et
en l’occurrence à la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de celle-ci, doivent
également respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés.

114
83 À ces divers égards, il convient, en premier lieu, de constater que le simple fait
pour un État membre de prévoir, dans sa législation nationale, que les projets de
licenciement collectif doivent, préalablement à toute mise en œuvre, être notifiés à une
autorité nationale, laquelle se trouve dotée de pouvoirs de contrôle lui permettant, en
certaines circonstances, de s’opposer à un tel projet pour des motifs ayant trait à la
protection des travailleurs et de l’emploi, ne saurait être tenu pour contraire à la liberté
d’établissement garantie par l’article 49 TFUE ni à la liberté d’entreprise consacrée à
l’article 16 de la Charte.

84 En effet, d’une part, un mécanisme d’encadrement des licenciements collectifs tel


que celui décrit au point précédent ne paraît pas, quant à son principe, de nature à
affecter le contenu essentiel de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la
Charte.

85 Si, ainsi qu’il a été relevé au point 69 du présent arrêt, la mise en place d’un tel
régime d’encadrement est constitutive d’une ingérence dans l’exercice de la liberté
d’entreprise et, en particulier, de la liberté contractuelle dont disposent les entreprises,
notamment à l’égard des travailleurs qu’elles emploient, il convient de rappeler, à cet
égard, que, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, la liberté
d’entreprendre n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être prise en
considération par rapport à sa fonction dans la société (voir, notamment, arrêt du 22
janvier 2013, Sky Österreich, C-283/11, EU:C:2013:28, point 45 et jurisprudence citée).

86 Sur le fondement de cette jurisprudence et eu égard au libellé de l’article 16 de la


Charte, qui se distingue de celui des autres libertés fondamentales consacrées au titre II
de celle-ci tout en étant proche de celui de certaines dispositions du titre IV de cette
même Charte, la liberté d’entreprise peut être soumise à un large éventail
d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général,
des limitations à l’exercice de l’activité économique (arrêt du 22 janvier 2013, Sky
Österreich, C-283/11, EU:C:2013:28, point 46).

87 La Cour a, certes, déjà jugé, à propos d’une réglementation nationale en vertu de


laquelle certaines entreprises n’avaient aucune possibilité de participer à l’organisme de
négociation collective appelé à décider de conventions collectives ni, partant, de faculté
de faire valoir efficacement leurs intérêts dans un processus contractuel ou de négocier
les éléments déterminant l’évolution des conditions de travail de leurs employés en vue
de leur future activité économique, que, en pareil cas, la liberté contractuelle desdites
entreprises se trouvait sérieusement réduite au point qu’une telle limitation était
susceptible de porter atteinte à la substance même de leur droit à la liberté d’entreprise
(arrêt du 18 juillet 2013, Alemo-Herron e.a., C-426/11, EU:C:2013:521, points 34 et
35).

88 Toutefois, il suffit de relever, en l’occurrence, qu’un régime tel que celui décrit au
point 83 du présent arrêt n’a, quant à lui, aucunement pour conséquence d’exclure, de
par sa nature même, toute possibilité pour les entreprises de procéder à des

115
licenciements collectifs, dès lors qu’il vise uniquement à encadrer une telle possibilité.
Partant, il ne saurait être considéré qu’un tel régime affecte le contenu essentiel de la
liberté d’entreprise.

89 D’autre part, il y a lieu de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte


admet que des limitations puissent être apportées à l’exercice de droits consacrés par
celle-ci, pour autant, notamment, que, dans le respect du principe de proportionnalité,
elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêts général
reconnus ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. S’agissant de ces
derniers, il convient de noter que l’article 30 de la Charte énonce que tout travailleur a
droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de
l’Union et aux législations et aux pratiques nationales.

90 Ainsi, un régime national d’encadrement tel que visé au point 83 du présent arrêt
doit tendre, dans ce domaine sensible, à une conciliation et à un juste équilibre entre les
intérêts liés à la protection des travailleurs et de l’emploi, notamment contre des
licenciements injustifiés et contre les conséquences des licenciements collectifs pour les
travailleurs, et, ceux ayant trait à la liberté d’établissement et à la liberté d’entreprendre
des opérateurs économiques que consacrent les articles 49 TFUE et 16 de la Charte.

91 Les décisions dont il est question en l’occurrence sont des décisions économiques
et commerciales pouvant avoir des répercussions sur l’emploi d’un nombre important de
travailleurs au sein d’une entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009,
Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., C-44/08, EU:C:2009:533, point 37).

92 Or, eu égard à l’ampleur potentielle desdites répercussions, un mécanisme


d’encadrement des licenciements collectifs tel que celui décrit aux points 83 et 90 du
présent arrêt peut, en l’absence, singulièrement, de toutes règles du droit de l’Union
destinées à prévenir de tels licenciements et qui iraient au-delà des domaines de
l’information et de la consultation couverts par la directive 98/59, s’avérer de nature à
contribuer à renforcer le niveau de protection effective des travailleurs et de leur emploi,
en réglant, quant au fond, la prise de telles décisions économiques et commerciales par
les entreprises. Un tel mécanisme est ainsi propre à garantir la réalisation des objectifs
d’intérêt général ainsi poursuivis.

93 Par ailleurs, eu égard à la marge d’appréciation dont disposent les États membres
dans la poursuite de leur politique sociale, ceux-ci sont, en principe, fondés à estimer
l’existence d’un tel mécanisme d’encadrement comme étant nécessaire afin de garantir
un niveau renforcé de protection des travailleurs et de leur emploi. En particulier, il
n’apparaît pas que des mesures de type moins contraignant assureraient la réalisation
des objectifs ainsi poursuivis d’une manière aussi efficace que celle qui résulte de la
mise en place d’un tel encadrement.

94 Ainsi envisagé dans son principe, un tel encadrement des conditions dans
lesquelles il peut être procédé à des licenciements collectifs est donc susceptible de

116
satisfaire aux exigences découlant du principe de proportionnalité, et, partant, d’être
compatible, sous cet angle, avec les articles 49 TFUE et 16 de la Charte.

95 En second lieu, il convient de vérifier si les modalités concrètes caractérisant, en


l’occurrence, le régime d’encadrement des licenciements collectifs que prévoit la
réglementation en cause au principal, et singulièrement les trois critères dont l’autorité
publique compétente est appelée à tenir compte aux fins de décider si elle s’oppose ou
non à un licenciement collectif, sont de nature à assurer le respect effectif des exigences
rappelées aux points 79 à 82 du présent arrêt.

96 À cet égard, il y a lieu d’indiquer, d’emblée, que le critère de l’« intérêt de


l’économie nationale » auquel se réfère ladite réglementation ne saurait être admis.

97 En effet, une interdiction de procéder à un licenciement collectif qui serait


notamment commandée par le souci d’éviter qu’un secteur économique, et donc
l’économie du pays, n’en subisse les conséquences négatives, doit être considérée
comme poursuivant un objectif de nature économique qui, ainsi qu’il a déjà été relevé
au point 72 du présent arrêt et que l’a rappelé M. l’avocat général au point 66 de ses
conclusions, ne peut constituer une raison d’intérêt général justifiant une restriction
d’une liberté fondamentale garantie par le traité (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 1997,
SETTG, C-398/95, EU:C:1997:282, point 23).

98 En revanche, s’agissant des deux autres critères d’appréciation auxquels se réfère


la réglementation en cause au principal, à savoir la « situation de l’entreprise » et les «
conditions du marché du travail », ceux-ci paraissent, a priori, certes, pouvoir être
rattachés aux objectifs légitimes d’intérêt général que sont la protection des travailleurs
et de l’emploi.

99 Toutefois, il y a lieu de constater que de tels critères sont formulés de manière très
générale et imprécise. Or, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, lorsque des
pouvoirs d’intervention d’un État membre ou d’une autorité publique, tels que les
pouvoirs d’opposition dont se trouve en l’occurrence investi le ministre, ne sont soumis
à aucune condition, à l’exception d’une référence à de tels critères formulés de manière
générale, sans que soient précisées les circonstances spécifiques et objectives dans
lesquelles ces pouvoirs seront exercés, il en résulte une atteinte grave à la liberté
concernée qui peut aboutir, s’agissant, comme en l’occurrence, de décisions dont le
caractère fondamental dans la vie d’une entreprise a déjà été souligné au point 54 du
présent arrêt, à l’exclusion de ladite liberté (voir en ce sens, notamment, arrêts du 4 juin
2002, Commission/France, C-483/99, EU:C:2002:327, points 50 et 51, ainsi que du 26
mars 2009, Commission/Italie, C-326/07, EU:C:2009:193, points 51 et 52).

100 Même si la réglementation nationale en cause au principal indique que le pouvoir


de ne pas autoriser le licenciement collectif dont se trouve en l’occurrence investie
l’autorité publique doit s’exercer moyennant une analyse du dossier, en tenant compte
de la situation de l’entreprise ainsi que des conditions du marché de l’emploi, et donner
lieu à une décision motivée, force est de constater que, en l’absence de précisions sur les

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circonstances concrètes dans lesquelles le pouvoir en question peut être exercé, les
employeurs concernés ne savent pas dans quelles circonstances spécifiques et objectives
ce pouvoir peut trouver à s’appliquer, les situations permettant d’exercer ce dernier étant
potentiellement nombreuses, indéterminées et indéterminables et laissant à l’autorité
concernée une large marge d’appréciation difficilement contrôlable. De tels critères qui
ne sont pas précis et ne reposent ainsi pas sur des conditions objectives et contrôlables
vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les buts indiqués et ne sauraient dès
lors satisfaire aux exigences du principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 4
juin 2002, Commission/France, C-483/99, EU:C:2002:327, points 51 et 53 ; du 26 mars
2009, Commission/Italie, C-326/07, EU:C:2009:193, points 66 et 72, ainsi que du 8
novembre 2012, Commission/Grèce, C-244/11, EU:C:2012:694, points 74 à 77 et 86).

101 Par ailleurs, ainsi qu’il résulte également de la jurisprudence de la Cour, si la


circonstance que l’exercice d’un tel pouvoir d’opposition peut être soumis au contrôle
du juge national est nécessaire à la protection des entreprises au regard de l’application
des règles sur le libre établissement, elle ne saurait toutefois suffire à elle seule à
remédier à l’incompatibilité avec ces règles des deux critères d’appréciation
susmentionnés (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2009, Commission/Italie, C-326/07,
EU:C:2009:193, points 54 et 72), dès lors, en particulier, que la réglementation
concernée ne fournit pas davantage au juge national des critères suffisamment précis
pour lui permettre de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’autorité
administrative (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne, C-463/00,
EU:C:2003:272, point 79).

102 Il s’ensuit qu’un régime de contrôle et d’opposition tel que celui mis en place par
la réglementation en cause au principal méconnaît, à raison de ses modalités concrètes,
les exigences rappelées au point 61 du présent arrêt et enfreint, dès lors, l’article 49
TFUE.

103 Par identité de motifs, une telle réglementation méconnaît également le principe
de proportionnalité prévu à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et, partant, l’article
16 de celle-ci.

104 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde branche de la


première question que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose,
dans une situation telle que celle en cause au principal, à une réglementation nationale
en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence d’accord avec les représentants
des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, procéder à un tel licenciement
qu’à la condition que l’autorité publique nationale compétente à laquelle doit être notifié
ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par ladite réglementation et après examen du
dossier et évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise
ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale, une décision motivée de ne pas autoriser
la réalisation de tout ou partie des licenciements envisagés.

Sur la seconde question

118
105 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si,
à supposer qu’il soit répondu à la première question que la directive 98/59 et/ou l’article
49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation
nationale telle que celle en cause au principal, une telle réglementation nationale peut
néanmoins être compatible avec ces dispositions pour des raisons sociales sérieuses,
dans un contexte caractérisé par une crise économique aiguë et un taux de chômage
particulièrement élevé.

106 S’agissant, premièrement, de la directive 98/59, il y a lieu de préciser que, à


supposer que la juridiction nationale constate, à l’occasion de l’examen dont il est
question aux points 43 et 44 du présent arrêt, que la réglementation en cause au
principal est de nature à priver les dispositions de cette directive de leur effet utile de
telle sorte qu’elle méconnaît cette dernière, la circonstance que le contexte national est
caractérisé par une crise économique aiguë et un taux de chômage particulièrement
élevé n’autorise assurément pas davantage un État membre à priver d’effet utile les
dispositions de ladite directive, cette dernière ne comportant, en effet, aucune clause de
sauvegarde à l’effet d’autoriser qu’il soit exceptionnellement dérogé aux dispositions
d’harmonisation qu’elle comporte en présence d’un tel contexte national.

107 En ce qui concerne, deuxièmement, l’article 49 TFUE, il convient de rappeler


que, hormis la possibilité que certaines entraves à la liberté d’établissement résultant de
mesures nationales puissent, conformément à la jurisprudence de la Cour et dans les
conditions rappelées au point 61 du présent arrêt, se trouver justifiées au regard de
certaines raisons impérieuses d’intérêt général, les traités ne prévoient, en revanche, pas
qu’il puisse, en dehors desdites hypothèses, être dérogé à cette disposition du droit
primaire ou que celle-ci puisse, ainsi que semble le suggérer la juridiction de renvoi par
sa seconde question, purement et simplement être écartée, du fait de l’existence d’un
contexte national tel que celui mentionné au point 105 du présent arrêt.

108 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que


l’existence éventuelle, dans un État membre, d’un contexte caractérisé par une crise
économique aiguë et un taux de chômage particulièrement élevé n’est pas de nature à
affecter les réponses apportées à la première question.

Sur les dépens

109 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident
soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1) La directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement


des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être
interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation

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nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un employeur ne
peut, en l’absence d’accord avec les représentants des travailleurs sur un projet de
licenciement collectif, procéder à un tel licenciement qu’à la condition que l’autorité
publique nationale compétente à laquelle doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le
délai prévu par ladite réglementation et après examen du dossier et évaluation des
conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de
l’économie nationale, une décision motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou
partie des licenciements envisagés. Il en va, toutefois, différemment s’il s’avère, ce qu’il
appartient, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier que, eu égard aux trois
critères d’évaluation auxquels renvoie cette réglementation et à l’application concrète
qu’en fait ladite autorité publique sous le contrôle des juridictions compétentes, ladite
réglementation a pour conséquence de priver les dispositions de cette directive de leur
effet utile.

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans une situation telle
que celle en cause au principal, à une réglementation nationale telle que celle visée à la
première phrase du premier alinéa du présent point.

2) L’existence éventuelle, dans un État membre, d’un contexte caractérisé par une
crise économique aiguë et un taux de chômage particulièrement élevé n’est pas de
nature à affecter les réponses figurant au point 1 du présent dispositif.

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