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32
S’OFFRENT PARIS FRANCE TÉLÉCOM LE FILM P. 48
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AFR. CFA 3800 F CFA, ALG. 410 DA, ALL. 5,90 €, AND. 5,50 €, AUT. 5,90 €, BELG. 5,30 €, CAN. 8,35 $CAN, DOM 5,30 €, ESP. 5,50 €, GB 4,90 £, GRÈCE 5,50 €, ITA. 5,50 €, LUX. 5,50 €, LIB. 9500 LBP, MAR. 45 DH, PAYS-BAS 5,60 €, PORT. CONT. 5,50 €, SUI. 7,20 CHF, TOM 950 XPF, TUNISIE 6,00 DT
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Ses écoles
M 02228 - 2855 - F: 4,90 E
de la
la deuxième
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éthique
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L’AUTRE Son
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M A RX
LES MOTS CROISÉS L’OPINION
Oui, où est
Parr RO B E RT S C I PI O N
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Steve?
I
II
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IV
Q Par PA S CA L R I C H É
V
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VII
Q Q ela a forcément com- eu, lors des charges contre les « gilets
VIII
Q mencé par un premier jaunes », tant de mains arrachées, tant
IX
Q panneau, posé à de personnes éborgnées ? Pourquoi la
X Nantes, avec écrit, en police des polices (l’IGPN) n’a-t-elle sus-
noir sur fond blanc : pendu aucun policier à ce jour ? Pour-
Problème du 22/2/1985 « Où est Steve ? » Puis quoi l’octogénaire Zineb Redouane est-
Horizontalement deux, puis trois, puis des centaines. Puis elle morte, atteinte par une grenade
I. Bon à rien tant qu’il n’est pas dans la un hashtag sur les réseaux sociaux : lacrymogène en pleine face, alors qu’elle
lune ! – II. Les parents terribles. Cogne #OuEstSteve. La question n’est pas agres- fermait les volets de son appartement
fort mais plaît à certaines femelles. sive. Elle est terrible, car elle sonne marseillais lors d’une manifestation ?
– III. Se tapait parfois les secrétaires
après les heures de bureaux. Mol comme une devinette frivole (« Où est Pourquoi celui qui a tiré cette grenade
anarchiste. – IV. Pour tous les champs Charlie ? », « Where’s Waldo ? ») alors n’a-t-il toujours pas été identifié (c’était
ou pour un sol assez spécial. Au qu’elle évoque un drame effroyable : la début décembre) ? Pourquoi Christophe
goutte à goutte. – V. Fin de travaux. disparition d’un jeune homme de 24 ans, Castaner, ministre de l’Intérieur, a-t-il
Donna un handicap. En observation.
– VI. Notes de service. Fait des selon toute vraisemblance tombé à l’eau décoré une « promotion “gilets jaunes” »
reproductions dans le paysage. au cours d’une intervention policière. Le (sic) de policiers, parmi lesquels certains
– VII. Ne faisait pas des affaires à 21 juin, Steve Maia Caniço, animateur faisaient l’objet d’enquêtes pour des
moitié… mais en faisait parfois à demi. périscolaire, participait à la Fête de la actions controversées ? Pourquoi le pou-
– VIII. George V à Berlin. Ils ont
presque tous mérité le bâton.
Musique au bord de la Loire, sur le quai voir persiste-t-il à nier ces abus qui
– IX. Voici des fruits, des fleurs, des Wilson, à Nantes. La fête a duré jusque effarent pourtant le reste du monde –
feuilles et des branches. Pronom. tard dans la nuit, la police est arrivée, a Emmanuel Macron se scandalisant
– X. Procédèrent lancé des grenades lacrymogènes et de même de l’usage des mots « violences
à l’instruction. désencerclement et a même tiré une policières » ? Pourquoi un président qui
Verticalement
1. Bière étrangère de luxe. – 2. Bons
dizaine de balles de défense (LBD). Qua- se présente comme l’adversaire de « l’il-
pour le service. Son histoire n’en finit torze personnes sont tombées à l’eau. libéralisme » ferme-t-il les yeux, malgré
pas de se perdre dans les sables. Steve, qui ne savait pas nager, a disparu. les multiples condamnations des orga-
– 3. Très en avance. – 4. Le boulot s’y Chaque samedi, depuis lors, des gens se nisations de défense des droits de
fait d’une traite. Heure de pointe. rassemblent sur le quai pour demander : l’homme ?
– 5. Ne marchent pas très longtemps
avec les pieds plats. Pagaille à Milan. « Où est Steve ? » Vendredi, l’interroga- On a beau souligner la fatigue de la
– 6. Vivotent en faisant des piges. tion a rebondi à l’Assemblée nationale police ou la violence des black blocs, la
Symbole. – 7. Par monts et par vaux. lors d’une séance de questions au gou- gestion de l’ordre n’est pas une affaire
Cardinaux. – 8. Vache enragée. vernement. Le parquet enquête, l’IGPN autonome et incontrôlée. Elle est le
– 9. Rejoint par Tom en Sibérie. Faire
son marché en plein air. – 10. La prise enquête, le Défenseur des droits enquête, résultat de décisions politiques. Le degré
du fort. Commit une distraction. – 11. et dix policiers ont déposé plainte pour de brutalité, dans les interventions, est
La nouvelle vague. N’a pas lieu quand des violences qu’ils auraient subies… Mais un choix. En Mai-68, il y avait eu sept
il a lieu. – 12. Vont violer une gousse ! Steve, où est-il ? Personne n’a la réponse. morts. Mais à Paris, zéro, malgré des
Solution du n° 2854 La question en appelle évidemment journées d’une extrême violence, avec
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
bien d’autres : pourquoi la police a-t-elle des pluies de pavés et de cocktails Molo-
I C H A T E A U V A L L O N chargé ces jeunes dont le seul tort était tov. A juste titre, tout le monde a loué le
II R E M I S E A Q V O I N E d’avoir prolongé une nuit festive ? Et puis professionnalisme du préfet d’alors,
III E R A T O S T H E N E Q C pourquoi, fin juin à Paris, des manifes- Maurice Grimaud.
IV S O D A S Q
A I Q G R U E tants de l’organisation écologiste Extinc- « Frapper un manifestant tombé à
V C I O N Q
S I N U S Q L S tion Rebellion ont-ils été aspergés de gaz terre, c’est se frapper soi-même », disait-il.
VI E Q U E S T R E S Q
A S S lacrymogène à bout portant, alors qu’ils Une société qui resterait indifférente au
VII N U E Q U A E Q S O R T I étaient assis sur le pont Sully et qu’ils sort de Steve serait une société qui se
VIII D E N T E S V Q E R D E T scandaient « Policiers, doucement, on fait noierait elle-même.
IX O S T R E I C U L T U R E ça pour vos enfants ! » ? Pourquoi y a-t-il PASCAL RICHÉ
e livre « Bad Blood », écrit par le logie de prise de sang et d’analyse) et un risque d’accès
L
Franco-Américain John Carrey- au marché (il fallait convaincre des partenaires et les
rou (fils du journaliste de télévi- patients eux-mêmes de recourir à cette nouvelle
sion français Gérard Carreyrou), technologie). L’échec était presque écrit d’avance.
a été lu par tous les gens qui Deux risques, c’était déjà un de trop.
comptent dans la Silicon Valley. Elizabeth Holmes s’est engagée dans cette voie, car
Dans cet ouvrage captivant, tra- elle avait un précédent mythique en tête : celui des pre-
duit en français il y a quelques mois miers ordinateurs Apple, qui ont popularisé l’informa-
(Larousse, avril 2019), l’auteur, journaliste au « Wall tique personnelle. Mais il y avait deux différences de taille
Street Journal », relate l’histoire de la société Theranos, créée entre Theranos en 2003 et Apple en 1976. La première, c’est
en 2003 par Elizabeth Holmes, âgée de 19 ans à l’époque. que les ordinateurs assemblés dans le légendaire garage de Steve Jobs
L’obsession de Holmes était de faire en sorte qu’avec une seule à Los Altos pouvaient être vendus directement à des particuliers. Tel
goutte de sang, prélevée en piquant un doigt, on puisse réaliser la plu- n’était pas le cas des appareils de Theranos. Leur commercialisation
part des tests sanguins chez soi sur un seul appareil. Grâce à Theranos, était possible auprès des médecins et des pharmacies – pas, évidem-
c’en serait bientôt fini du prélèvement de litres de sang à l’aide de ment, auprès des patients eux-mêmes.
seringues dans ces laboratoires glauques et lointains. Mais l’histoire Deuxième différence, le choix des partenaires. Steve Jobs a réussi
ne s’est pas déroulée comme prévu. Theranos n’existe plus aujourd’hui. le lancement d’Apple car il s’est associé à l’époque avec Steve Wozniak,
Ses investisseurs, qui y ont placé près d’un milliard de dollars de 2003 un informaticien de génie capable à lui tout seul d’assembler ces ordi-
à 2018, ont tout perdu. Holmes et son bras droit Ramesh Balwani ont nateurs révolutionnaires. Elizabeth Holmes, elle, s’est associée à
été condamnés à de lourdes amendes et à des interdictions de gestion. Ramesh Balwani, un entrepreneur médiocre ayant fait une fortune
Beaucoup se sont réjouis des malheurs de Theranos. Pour eux, facile pendant la bulle internet et dont la principale compétence
cette entreprise était devenue un symbole et sa chute n’a fait que semble avoir été son goût pervers pour le harcèlement de ses employés.
révéler les excès d’une Silicon Valley grisée par son succès : folie Beaucoup des lecteurs de « Bad Blood » dans la Silicon Valley n’ont
des grandeurs, petits arrangements avec la réalité, mauvais traite- pas vraiment reconnu leur univers dans le livre de John Carreyrou.
ment des employés, des partenaires et des patients eux-mêmes. Malgré son succès fulgurant dans la presse grand public, Elizabeth
La réalité, évidemment, est plus nuancée et la lecture du livre de Holmes n’a en effet jamais convaincu de capital-risqueurs de pre-
Carreyrou permet de mieux comprendre comment et pourquoi mier plan. Ses actionnaires étaient surtout des individus fortunés
cette belle histoire a si mal fini. mais ignorants, séduits par cette jeune femme ambitieuse et rassu-
Le défi que Theranos cherchait à relever était atypique. Rares, en rés par la présence, à son conseil d’administration, de personnalités
effet, sont les entreprises innovantes qui prennent plusieurs risques comme Henry Kissinger ou James Mattis.
en même temps. Certaines, comme dans les biotech, sont prêtes à On a beaucoup reproché aux entrepreneurs de la Silicon Valley
s’engager dans des années de recherche et développement (R & D). leur culture du « faire semblant » et leur propension à vendre des
Elles savent que si elles mettent au point une nouvelle molécule, alors beaux rêves bien avant qu’ils ne soient réalisés. Dans le cas de The-
celle-ci sera remboursée par l’assurance maladie et l’accès au marché ranos, cette pratique s’est révélée intolérable car c’était la vie de
sera donc facile. D’autres start-up, en revanche, s’attaquent à un mar- patients qui était ainsi mise en danger. Mais l’échec de Theranos est
ché difficile à pénétrer, mais elles évitent alors de s’engager dans trop annonciateur de succès à venir. Des progrès seront faits tôt ou tard
de R & D. Elles préfèrent utiliser des technologies disponibles et bien dans le domaine des analyses médicales. Une nouvelle génération
comprises pour mettre au point leur produit et interagir aussitôt que d’entrepreneurs s’emparera alors de ces nouvelles technologies pour
possible avec leurs premiers clients. réaliser enfin le rêve d’Elizabeth Holmes : des analyses de sang réa-
Theranos n’entrait dans aucune de ces catégories. Elle a pris à la lisées à domicile, sans seringue et sans douleur, par les patients eux-
fois un risque de R & D (il fallait mettre au point une nouvelle techno- mêmes. La suite au prochain épisode ! N. C.
Jean‑Guy Le Floch
Président d’Armor‑Lux
* Étude TNS Kantar 2017 ‑ Banque Populaire : 1re banque des PME incluant les Banques Populaires, le Crédit Coopératif et les caisses de Crédit Maritime Mutuel.
BPCE, société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 170 384 630 euros ‑ Siège social : 50 avenue Pierre Mendès France 75201 Paris Cedex 13 ‑ RCS Paris n° 493 455 042 ‑
Crédit photo : Aurélien Chauvaud ‑
RIEN QUE SUR LE WEB LES CHRONIQUES
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débats… découvrez-en d’autres tous les jours, inédits
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D E L’A P P L I Par
PI E R R E H A S K I
YUICHI A 32 ENFANTS. SON MÉTIER :
PÈRE À LOUER
Pour un week-end ou une soirée,
onnaissez-vous dépasse celle d’Uber ; elle compte
C
Yuichi Ishii se loue comme « faux
père » à des familles monoparentales. TikTok et parmi ses actionnaires le japo-
Reportage au Japon. FaceApp ? Si nais SoftBank. Quant au fonda-
PAR DOAN BUI vous n’en avez teur de FaceApp, Yaroslav Gon-
bit.ly/Perejapon pas entendu charov, il a le parcours classique
parler, deman- d’un informaticien, diplômé
dez à un ado autour de vous : il est d’une université de Saint-
probable qu’il utilise l’une ou l’autre Pétersbourg, recruté par Microsoft
de ces applications pour smartphone qui aux Etats-Unis avant de retourner en
font fureur en ce moment. Le réseau de par- Russie où il est devenu un « serial entrepre-
tage de vidéos TikTok a franchi cette année la neur » installé à Skolkovo, la « Silicon Valley
barre du milliard de téléchargements dans le russe », à une trentaine de kilomètres de Mos-
monde, et un tiers des ados français l’utilisent ; cou. Lancée en 2009 par Dimitri Medvedev,
ILS SONT VENUS, ILS SONT TOUS LÀ FaceApp a envahi la Toile récemment avec un alors président, celle-ci n’avait jusqu’ici jamais
POUR LE DERNIER VERRE système fondé sur l’intelligence artificielle, qui été réellement prise au sérieux dans le monde.
DES ÉLÉPHANTS DU PS permet de découvrir ce que sera votre visage Cette diffusion de la culture d’innovation
Pour fêter la fin de la session dans trente ans à partir d’une photo d’au- pourrait être considérée comme le stade
parlementaire, la famille socialiste jourd’hui. Mais au-delà des polémiques suprême de la mondialisation, après l’étape de
s’est retrouvée le temps d’une qu’elles suscitent, ce qui est véritablement nou- la délocalisation de la fabrication d’objets
soirée. Récit. veau, c’est leur pays d’origine : la Chine pour la inventés et développés dans l’ancien monde
PAR CÉCILE AMAR première, la Russie pour la seconde. industriel. C’est là que les problèmes géo-
bit.ly/elephantsPS Jamais, jusqu’ici, des services gérés dans ces politiques surgissent : et si cette capacité d’in-
deux pays n’avaient percé à l’échelle mondiale. novation (dont TikTok et FaceApp ne sont
La Chine règne en maître sur le hardware, que les parties visibles et ludiques) était, au
c’est-à-dire la fabrication des objets du numé- moins en partie, à l’origine des tensions du
rique, smartphones, tablettes, ordinateurs, monde actuel ?
équipements télécoms ; mais ses géants du ser- Depuis la fin des années 1950, les Améri-
vice, comme le moteur de recherche Baidu ou cains sont obsédés par le « moment Spoutnik »,
l’application multiservices WeChat, peinent à c’est-à-dire la prise de conscience, lors du lan-
s’exporter, même s’ils sont parfois plus inno- cement par l’URSS du premier engin mis en
J’AI DÉJEUNÉ AVEC UN « MONEY SLAVE » vants que leurs équivalents occidentaux. orbite autour de la Terre, qu’une autre puis-
(ET J’AI RÉGLÉ L’ADDITION) Quant à la Russie, on lui doit indirectement la sance pouvait les dépasser dans un secteur
Rencontre avec Benoît, qui messagerie Telegram, très populaire parmi le technologique clé. Un an après le lancement
prend du plaisir à donner de personnel politique en France : ses fondateurs, de Spoutnik, le président Eisenhower créait la
l’argent à des femmes
les frères russes Dourov, ont créé ce service à Darpa, l’institut de recherche du département
dominantes.
PAR RENÉE GREUSARD Berlin après avoir été dépossédés de leur plate- de la Défense, pour garder un coup d’avance
bit.ly/moneysla forme VKontakte par le pouvoir de Vladimir dans les technologies de rupture. C’est cette
Poutine en 2014. C’est donc un tournant dans avance qui est menacée aujourd’hui dans de
la brève histoire de la révolution numérique, à nouveaux domaines comme l’intelligence arti-
un moment bien particulier. ficielle, qui permet de développer FaceApp,
VOUS ÊTES ABONNÉ(E) ? Aussi bien TikTok que FaceApp sont des mais aussi, potentiellement, les armements de
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SOMMAIRE
N° 2855 - DU 25 AU 3 1 JUIL L E T 20 19
AFR. CFA 3800 F CFA, ALG. 410 DA, ALL. 5,90 €, AND. 5,50 €, AUT. 5,90 €, BELG. 5,30 €, CAN. 8,35 $CAN, DOM 5,30 €, ESP. 5,50 €, GB 4,90 £, GRÈCE 5,50 €, ITA. 5,50 €, LUX. 5,50 €, LIB. 9500 LBP, MAR. 45 DH, PAYS-BAS 5,60 €, PORT. CONT. 5,50 €, SUI. 7,20 CHF, TOM 950 XPF, TUNISIE 6,00 DT
L’AUTRE MARX
Champion de la cuisine moléculaire et des arts
martiaux, ex-cancre soucieux de secourir les
18
cabossés du système, Thierry Marx est aussi
un as de la com qui a su imposer une image de
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3’:HIKMMC=]UY^UX:?c@s@f@f@k";
Ses écoles
sage oriental. Avec une obsession : recréer du
M A RX
Grands formats 28
32
36
« Gilets jaunes » Inspecteur Lacrymo
Algérie Oligarchie sur Seine
Portfolio Sous la Chine, la plage
28
42 Trafic Les Uber de la drogue
44 Les plus belles cavales (3/4) Marco Mouly, le fugitif
qui donnait des interviews
48 Procès France Telecom L’histoire du film qui accuse
51 Fiction 2049 (2/6) Le doux sirop de la revanche
54 In vivo L’amour après quarante ans d’amitié
56
Cette semaine, Pierre Zaoui nous parle de la médiocrité
61
66 Cinéma Rencontre avec l’acteur Pio Marmaï
68 Littérature Kafka sous les tropiques
69 L’humeur de Jérôme Garcin
70 Le cahier critique Livres, cinéma, musique, expos, théâtre…
Notre sélection
Tendances 76
80
Les fake news de l’histoire de la gastronomie (3/3)
Le croissant, une viennoiserie peu ordinaire
L’Observatrice par Sophie Fontanel
Origine du papier : Allemagne. Taux de fibres recyclées : 0%. La publication comporte 84 pages. Pour les abonnés, un cahier « Télé Obs » de 24 pages est joint. Chiffre de tirage : 237.195 exemplaires. Imprimerie NEWSPRINT et MAURY. Directrice du journal, directrice de la rédaction : Dominique Nora. Président du directoire,
Ce magazine est imprimé chez Newsprint, certifié PEFC. directeur de la publication : Grégoire de Vaissière. Numéro CPPAP : 0120 C 85929. Numéro I.S.S.N : 2416-8793. Dépôt légal : à parution. Abonnements : France (un an) : 160 €. Etudiants : 109 €. Etranger et entreprises : nous consulter. Relations abonnés , 8 rue Jean-
Eutrophisation : PTot = 0.005 kg/tonne de papier. Antoine de Baïf CS 51402, 75647 Paris cedex 13 – Tél : 01-40-26-86-13 / abonnements@nouvelobs.com. L’Obs (ISSN 2416-8793) is published weekly by Le Nouvel Observateur and distributed in the USA by UKP Worldwide, 3390 Rand Road, South Plainfield, NJ 07080.
Periodicals postage paid at Rahway, NJ. and additional mailingd offices.POSTMASTER : Send address changes to L’Obs, (Publisher) C/O 3390 Rand Road, South Plainfield NJ 07080.
✎ ILLUSTRATION : PIERRE MORNET POUR « L’OBS » AUDOUIN DESFORGES POUR « L’OBS » – BRUNO COUTIER POUR « L’OBS »– SUNSET BOULEVARD/GETTY IMAGES – GIANNI DAGLI ORTI/AURIMAGES 9
LE TÉLÉPHONE ROUGE
LES ESPIONS PASSENT À TABLE
C’est un peu comme si le récit détaillé de
leurs faits d’armes leur brûlait la langue.
Alors que les services de renseignement
n’ont, par nature, pas vocation à raconter
par le menu leurs activités, tous doivent
rendre à l’histoire leurs témoignages.
Deux livres prévus à la rentrée
prétendent satisfaire ces curiosités.
Outre « l’Histoire secrète de la DGSE », du
journaliste Jean Guisnel (Robert Laffont),
qui doit parvenir « au cœur du véritable
bureau des légendes », deux spécialistes
de la défense et du renseignement
offrent pour la première fois une
radiographie de la puissante mais
souvent méconnue structure de
renseignement nichée au sein même
de la présidence de la République. Dans
« les Espions de l’Elysée » (Tallandier),
Alexandre Papaemmanuel et Floran
MUNICIPALES Vadillo se penchent sur le rôle du
coordonnateur national du
C
édric Villani et Benjamin Gri définitif en septembre. Un petit sup plus vives face à l’hyperprésidence alors
veaux (photo) se sont rencon plice que Benjamin Griveaux voudrait en cours. Cependant, « en dépit des
trés en toute discrétion dans la interrompre au plus vite. Mais Cédric critiques et des chausse-trapes, le poste
soirée du 22 juillet, à Paris, pour Villani est resté campé sur ses positions, survit aux alternances et aux crises sans
rien perdre de son caractère
chercher un accord dans le conflit qui sur le thème « Laissons passer l’été ». énigmatique », notent les auteurs.
les oppose au sujet de la tentative de Pour le convaincre de se retirer du jeu, Alexandre Papaemmanuel, cadre dans
ravir la mairie de Paris à Anne Hidalgo. la direction du parti présidentiel lui une grande société du numérique et
L’entourage de l’ancien porteparole aurait proposé la tête de liste aux élec spécialiste des questions de défense, et
d’Emmanuel Macron est très inquiet de tions régionales en IledeFrance, face Floran Vadillo, ancien conseiller spécial
de Jean-
cette situation. Selon un sondage de à Valérie Pécresse. Démenti catégo Jacques Urvoas
l’Ifop, réalisé entre le 12 et le 16 juillet, rique du mathématicien rebelle qui à la Justice, ont
Cédric Villani, qui n’a pas abandonné n’est visiblement pas tenté par l’aven recueilli les
l’ambition d’être candidat malgré le ture régionale et qui n’a pas été appro confidences des
choix de la direction de LREM en faveur ché à ce sujet, ni par les responsables de coordonnateurs,
conseillers,
de Benjamin Griveaux, arrive large LREM ni par l’exécutif. Ses proches le ministres et
ment en tête en matière de popularité. poussent à ne rien lâcher. Ils sentent un présidents de la
Avec 51% d’avis favorables, le député de « effet Villani » dans la capitale, répétant République qui
l’Essonne devance Anne Hidalgo (41%) que « les Parisiens ont l’esprit frondeur ont accepté de
se livrer… dans le
et Benjamin Griveaux (38%). Le soir de et n’aiment pas les hommes d’appareil ».
strict respect du
la désignation de ce dernier pour diriger Il faudra donc attendre septembre pour sacro-saint
la liste LREM, Cédric Villani s’était connaître le choix définitif de l’homme secret-défense
réservé le droit d’annoncer son choix à la lavallière. SERGE RAFFY bien sûr.
*Depuis
Depuis 1074, les moines de ll’abbaye
abbaye d’Affligem
d Affligem sont garants du goût de la bière Affligem. Aujourd’hui
Aujourd hui encore, ils approuvent avec soin chaque recette.
L ’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . À C O N S O M M E R A V E C M O D É R AT I O N .
PHOTO DE LA SEMAINE
Duel
tricolore
MARCO BERTORELLO/AFP
L’INSTANT D’ AVANT
12 L’OBS/N°2855-25/07/2019
L’OBS/N°2855-25/07/2019 13
10 CHOSES À SAVOIR SUR…
1 Benjamin 7
AMBITION COUPLE
Dès la campagne Au moins, son couple
présidentielle de 2017, n’aura pas connu de
Benjamin-Blaise Griveaux divergence politique
Griveaux
(son identité complète) en 2017. Au sein de
ne fait pas mystère de l’organigramme de
son ambition de se présenter campagne du candidat Macron,
à l’élection à la mairie de Paris le groupe justice est dirigé par
en 2020. Au point de finir par Julia Minkowski, l’épouse de
agacer le « patron » qui, une fois Benjamin Griveaux à la ville
à l’Elysée, ne le nommera et la mère de ses trois enfants.
« que » secrétaire d’Etat, sans Le candidat LREM à la mairie de Paris est-il à Avocate chevronnée, elle a
attribution et sous l’autorité notamment travaillé sur les
du ministre de l’Economie. Vite
la hauteur ? A 41 ans, il est chargé d’une mission dossiers Clearstream, Bygmalion
revenu en grâce, il est ensuite politique de la plus haute importance… ou plus récemment Tapie, dont
désigné porte-parole du elle vient d’obtenir la relaxe avec
gouvernement, avant de son associé Hervé Temime.
démissionner en mars dernier
8
pour se lancer officiellement Matthias Fekl et Olivier Ferrand. la majorité. » Cet été, il
BUREAUX
dans la course des municipales. Les « petits frères », eux, se retrouvera la Bourgogne
Au ministère de Bercy,
Le 10 juillet, sans surprise, nomment alors Ismaël Emelien, (puis le sud de la France) il s’était installé dans
c’est à lui – plutôt qu’à Cédric Stanislas Guerini ou Cédric O. pour quelques jours l’ancien bureau
Villani – que la commission Il les retrouvera près de dix ans de « déconnexion ». d’Emmanuel Macron.
nationale d’investiture confie plus tard à En Marche !
5
Tout un symbole pour
la mission d’affronter
“SALAUDS” lui. De huit jours son cadet, il a
4
Anne Hidalgo. coutume de dire, sourire en coin,
BOURGOGNE Conseiller chargé des
Fils d’une avocate questions sociales au qu’il a « perdu beaucoup de
2
et d’un notaire sein de la Fondation temps » par rapport au parcours
IMAGE Jean-Jaurès, l’un des de l’actuel président. Et depuis
bourguignons,
Même ses proches plus influents think sa sortie du gouvernement,
le diplômé de
le reconnaissent : tanks de gauche, il y publie il occupe un autre bureau chargé
Sciences-Po et de
le candidat souffre en 2012 « Salauds de pauvres », d’histoire à l’Assemblée
HEC, qui a cependant raté
d’un problème d’image. un livre en forme de réponse nationale : celui qui appartenait
l’ENA, part se faire élire en
Il est jugé arrogant, à Laurent Wauquiez, qui avait jadis à Pierre Bérégovoy, mais
2008 au conseil municipal
cassant… Ses propos sur ses aussi Manuel Valls et même
de Chalon-sur-Saône, avant déclaré quelques mois plus
adversaires LREM, tenus en Cédric Villani, son adversaire
de devenir vice-président du tôt : « L’assistanat est l’un des
privé mais révélés par « le malheureux dans cette bataille
conseil général de Bourgogne, vrais cancers de la société
Point » (« Il y a un abruti chaque interne à la mairie de Paris.
dirigé à l’époque par Arnaud française. » Il y a quelques mois,
jour qui dit qu’il veut être maire
Montebourg, dont il dit : il lâche à propos de ce même
de Paris ») n’ont rien arrangé.
9
« J’étais son opposant dans Wauquiez qu’il est « le candidat
« Quand je lis les portraits qui DELANOË
me sont consacrés, je me dis des gars qui fument des clopes
et roulent au diesel ». Une En février dernier, il a
que je suis un vrai Parisien. […] discrètement rencontré
Je râle quand les choses ne formule qui passe mal chez
les « gilets jaunes »… Bertrand Delanoë lors
me plaisent pas. Parfois, je râle d’un déjeuner organisé à
beaucoup et je râle très fort »,
6
La Cantina, un restaurant
a commenté l’intéressé, PRIVÉ italien du 15e arrondissement de
qui espère pouvoir recoller Après deux années Paris. Mais lorsque Griveaux se
les morceaux avec ses passées au cabinet vante du soutien officieux de
ex-compétiteurs, qui ont tous de la ministre des l’ancien maire de la capitale, ce
séché son meeting de Affaires sociales et de la dernier sort de sa réserve pour
lancement de campagne. Santé, Marisol Touraine, démentir : « Nul n’est autorisé
il part en 2014 dans le privé, à la à parler en mon nom. »
3
STRAUSS-KAHN direction de la communication
10
d’Unibail-Rodamco, géant de
Il est tombé très tôt DVD
dans la marmite l’immobilier spécialisé dans
Un ami lui a
politique. En 2006, les centres commerciaux.
récemment offert le
il fait partie de Parallèlement, il œuvre DVD de « Paris à tout
l’équipe de jeunes à la constitution prix », documentaire
pousses qui préparent d’En Marche ! à partir de plus de deux
la candidature de de l’automne 2015, heures sur la rocambolesque
Dominique Strauss-Kahn rappelé par un certain campagne parisienne de 2001,
à la primaire socialiste. Ismaël Emelien. Mais marquée par le crash de la droite
Au sein de la « bande ce n’est qu’un an plus parisienne et les querelles
de la Planche » tard, en octobre 2016, incessantes entre Panafieu,
(en référence à qu’il quittera son Séguin et Tiberi. Le voilà donc
la rue du QG), entreprise pour prévenu : pour gagner Paris,
il fait office le mouvement dont il faut savoir avant tout réunir
de « grand il deviendra le sa propre famille politique !
frère », aux porte-parole durant la
côtés de campagne présidentielle. ALEXANDRE LE DROLLEC ET JULIEN MARTIN
Anne-Marie Leroyer
est juriste, spécialiste du droit de la filiation et des successions.
Elle a corédigé le rapport « Filiation, origines, parentalité » (2014).
PMA : FAUT-
Vous êtes favorable à ce que tous les culturellement, elles ne sont pas « don-
gens nés d’un don de gamètes puissent nées » naturellement. Le cadre juridique est
avoir accès à l’identité de leur don- ici très clair : il ne peut pas y avoir de filiation
établie avec un donneur. L’accès aux
IL AUTORISER
neur. Pourquoi?
Il ne faut pas confondre l’accès aux origines origines concerne donc une quête d’iden-
et la levée de l’anonymat. La levée de l’ano- tité – « quelles sont mes origines géné-
nymat supposerait qu’un couple ayant tiques ? » –, pas de parenté. Du reste, les per-
recours à la PMA puisse choisir son don-
neur. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais
d’autoriser une personne majeure, conçue
sonnes nées d’un don font la distinction :
elles ne cherchent pas leur « père » (ou leur
mère, dans le cas plus rare d’un don d’ovo- L’ACCÈS AUX
ORIGINES ?
avec don, à accéder à ses origines person- cytes), mais leur « géniteur ».
nelles. Les modalités de cet accès devraient L’accès aux origines ne menacerait-il
être clairement définies : le donneur, averti, pas la tranquillité des donneurs, qui
devra-t-il donner son accord ? Je pense que n’ont pas forcément envie de rencon-
cet accès devrait être de droit : les donneurs Par CA RO L E BA R J O N
trer les personnes nées de leurs
seraient prévenus dès le départ que leur gamètes?
identité pourrait être dévoilée dans le futur. Connaître l’identité du donneur ne donne-
On passerait d’une logique du « ni vu ni rait pas le droit de le rencontrer. Un orga- L’anonymat des donneurs
connu » à un principe de responsabilité. nisme peut s’occuper de le mettre en rela- de gamètes n’est qu’une des
Les banques de sperme ne risquent- tion avec la personne née du don mais rien questions qui occuperont le grand
elles pas d’être désertées? ne contraindrait celui-ci. débat, à venir cet automne, sur
Ce n’est pas ce qui s’est passé en Suède. Le Il est très facile de trouver une adresse l’extension de la procréation
profil des donneurs s’est modifié : moins de sur internet… médicalement assistée (PMA)
jeunes gens, plus de personnes « installées », Et alors ? Un donneur qui n’aurait pas envie aux femmes seules et aux couples
ayant une vie de famille, qui comprennent à de répondre l’expliquera à la personne née de lesbiennes. Mais ce n’est
quel point le don de gamètes est important. de don. Le droit marque clairement qu’il ne pas la moins complexe :
En facilitant l’identification du peut y avoir de lien de paternité ; et il y a des le gouvernement lui-même n’avait
donneur, voire sa rencontre avec la lois contre la violation de la vie privée. Que pas voulu la trancher en envoyant,
personne née du don, ne risquerait-on voulez-vous qu’il arrive ? Le « Coucou à la mi-juin, deux versions
pas de « biologiser la filiation » ? papa ! », vingt ans après, est un fantasme. possibles au Conseil d’Etat.
Dans ce débat, la filiation et l’accès aux ori- Les personnes qui recherchent leurs ori- Présenté cette semaine en conseil
gines sont souvent confondus. Il faut le gines ne sont pas dans une démarche de des ministres, le projet de loi ne
redire : la parenté n’est pas liée à la biologie. « retrouvailles ». Elles veulent une histoire, revient pas sur l’anonymat des
C’est ce que nous apprend l’anthropologie : pas un visage. donneurs, qui sera « préservé ».
les structures familiales se construisent Propos recueillis par R É M I N OYO N Mais comme le souhaitait Agnès
“Valoriser le lien du
sang, un jeu dangereux”
Buzyn, il propose de « lever le voile Certains militent pour que tous les Le terme « père biologique » est le symp-
sur la filiation » pour les enfants gens nés d’un don de gamètes puissent tôme de cette confusion quant à ce qu’est
nés de don qui en feront la accéder à leurs origines biologiques. un père pour un enfant, dans notre société.
demande. A 18 ans, s’il le souhaite, Est-ce une bonne idée? L’identité d’une personne n’est-elle pas
le jeune pourra « avoir accès C’est une mauvaise réponse à un vrai pro- aussi biologique?
à son histoire ». Il recevra des blème. Sur les 90 000 personnes nées Non, l’identité est narrative. La construc-
informations sur le donneur. d’un don de gamètes en France depuis les tion identitaire de l’enfant s’élabore au sein
En revanche, sauf accord années 1970, seules quelques centaines de son psychisme, à partir des corps qui
de ce dernier, il ne pourra pas militent pour la levée de l’anonymat du créent l’engendrement. Sous l’Empire
en connaître l’identité. donneur. Dans l’immense majorité des romain, on ne faisait aucune différence
A l’automne, les séances au cas, les gens ne ressentent pas ce besoin entre un enfant naturel ou adopté : il deve-
Parlement promettent d’être « identitaire » biologique. Le problème ne nait fils ou fille grâce à la fiction juridique
animées, avec une pluie se pose que lorsque les parents receveurs universelle de l’acte de naissance. A l’in-
d’amendements en tous sens. ressentent un malaise par rapport au don verse, si la conception par PMA devait être
Car, au-delà du principe même car il y a un « impensé » de cette technique inscrite sur cet acte, comme cela a été envi-
de l’extension de la PMA, sur dont on sous-estime l’impact psychique. sagé, ce serait une discrimination scanda-
lequel les Français sont plus S’il est un secret qui peut poser problème, leuse ! Différencier les enfants au nom de la
partagés qu’on ne le croit d’après ce n’est pas celui de l’identité du don- Vérité biologique ? Ce retour à une consé-
un récent sondage de l’Ifop, le neur : c’est celui qui entoure le recours à cration du lien du sang est une idée por-
sujet de l’accès aux origines et de la PMA, l’infertilité. Lorsque les parents teuse de toutes les dérives. On sous-estime
la filiation divise tout le monde, éprouvent des difficultés à dépasser le la force du lien psychique et la puissance
entre « protection de toutes les lien du sang, quand ils se relèguent en métaphorique du « lieu » familial, qui est
familles » et « intérêt de l’enfant » : seconde position par rapport aux don- capable de transcender le lien du sang.
juristes, spécialistes de l’adoption, neurs, ils ont du mal à se transformer en Même si l’enfant n’est pas né biologique-
médecins, psychiatres, père et mère, et l’enfant en fils ou fille. ment de ses père et mère, le lien de filiation
psychanalystes… et même les Permettre d’accéder à l’identité du don- peut reposer sur une scène d’engendre-
associations pro-PMA ! D’où la neur ne résoudrait aucun problème. Au ment symbolique « comme si » il venait du
mise en place, dès cette semaine, contraire, cette « biologisation » des ori- couple et de leur histoire, alors même que
d’une commission spéciale de gines risquerait de tout embrouiller. Elle la science est intervenue à un moment déci-
70 députés chargée de déminer compliquerait la construction de la filia- sif. Valoriser le lien du sang au détriment de
le terrain, avant le débat dans tion pour l’enfant qui, devenu adulte, la construction psychique originaire qui
l’Hémicycle. Une précaution devrait résoudre l’impensé parental. s’opère dans la cellule familiale serait un jeu
qui en dit long sur les craintes Mais que répondez-vous à ceux qui dangereux pour l’enfant qui pourrait rester
de l’exécutif malgré la sérénité désirent connaître leur père biolo- indéfiniment un « enfant de la science ».
affichée. gique? Propos recueillis par TIMOTHÉE VILARS
E
Champion de la cuisine
moléculaire et des arts
martiaux, ex-cancre
R
soucieux de secourir
les cabossés du système,
l’hyperactif chef est aussi
T
un as de la com qui a
su imposer une image
de sage oriental. Avec
U
une obsession : recréer
du lien dans une société n décembre dernier, Thierry
dont il a éprouvé la
E Marx a participé à la remise
A
des diplômes de l’une des
rudesse nombreuses écoles qu’il
parraine (voir p. 21) –
celle-ci est dédiée à la photographie
culinaire. Le raout se déroulait au sep-
’
tième étage du ministère de l’Economie
X
et des Finances, mais l’important est le
nom de cette formation : Media Social
Food. Les médias, le social et la cuisine,
L AR
un résumé parfait de ce qui travaille, en
profondeur, le chef parisien de 59 ans.
Marx a besoin de séduire les médias
pour mieux faire la promotion de ses
formations auprès du grand public ;
besoin de la cuisine pour attirer la
lumière et recréer du lien social ; besoin
de social pour donner un peu de sens à
la grande quincaillerie médiatique.
On sent que chez lui, tout se tient
étroitement. L’ego et l’envie d’être utile,
l’engagement sincère et l’habileté du
bon storyteller, la capacité de serrer la main aux poli-
tiques comme aux géants de l’agroalimentaire, mais
aussi de prêter une oreille bienveillante à M. Tout-le-
M
Monde. Et d’intervenir aussi bien dans les centres péni-
tentiaires et les écoles que sous les ors d’un ministère.
« Bien sûr que c’est quelqu’un qui a envie de faire par-
tie des grands, de ceux qui laissent une trace, décrypte
Raphaël Haumont, le physico-chimiste avec lequel il a
fondé le Centre français d’Innovation culinaire à l’uni-
versité d’Orsay (Essonne). Mais c’est aussi une person-
nalité authentique, ouverte et généreuse. Les gens qui
travaillent avec lui ne claquent jamais la porte. » C’est
Par A R N AU D cet alliage qui fait qu’avec Thierry Marx, on a moins
G O N Z AG U E envie de parler de jus de viande ou d’émulsions de
légumes que de la société française comme elle va. Pour
Photos AU D O I N lui, elle va mal d’ailleurs, comme la planète en général.
D E S F O RG E S Mais l’homme a le sens du consensus : il tacle la
lement, les ordres sont impitoyablement aboyés. Il a difficile de trouver un critique gastronomique qui ose
même claqué la porte de l’émission « Top Chef » en en dire du mal. « Je n’ai pas très envie de m’exprimer sur
2014 parce que, a-t-il dit, M6 exigeait de lui un compor- lui. J’espère que vous comprendrez… », s’excuse l’un
tement d’adjudant des arrière-salles, ce qu’il n’est pas. d’entre eux contacté par nos soins. Les autres ne nous
Ses trouvailles culinaires elles-mêmes tranchent avec ont pas répondu, à l’exception de Philippe Couderc,
les standards français. « Il privilégie l’épure extrême : plume au magazine « Challenges ». « Marx, c’est de la
trois gestes, trois ingrédients et un assaisonnement, point. “IL DONNE cuisine qui épate peu le bourgeois, ce qui n’empêche pas
On est loin des plats noyés de sauce, de crème et de cham- qu’il a un grand talent. Mais c’est un homme protée : il est
pignons, sourit Raphaël Haumont. C’est un expérimen- UNE MISSION tellement partout, tellement dans une course à la réus-
tateur. Lui, il aime d’abord la science et les innovations. » site… Cela provoque un peu de lassitude. » Thierry Marx,
Ce scientisme avide, cette curiosité envers la nouveauté
AUX AUTRES homme trop pressé ? En 2018, l’un de ses partenariats
ont un côté très anglo-saxon – ne pas oublier qu’il a POUR LES a valu à ce dézingueur de malbouffe un carton rouge,
étudié le management à Berkeley au début des années distribué par l’association Foodwatch : certains parfums
1990 – tout comme l’est son amour sans complexe pour FAIRE de la barre alimentaire bio qu’il a concoctée avec l’en-
l’ambition professionnelle. GRANDIR.” treprise Feed étaient notés « C » et « D » au Nutri-Score
Et s’il y a eu bien d’autres chefs français qui ont accepté – le baromètre alimentaire des autorités sanitaires. En
de frayer avec les géants de l’agro-industrie, on n’en IVAN cause, notamment, la présence riquiqui de fruits lyo-
connaît pas qui se reconnaissent aussi volontiers chefs DARRAULT-HARRIS, philisés (3% de l’ensemble) et l’ajout de maltodextrine,
d’entreprise que lui, et qui citent aussi régulièrement le PROFESSEUR un dérivé ultra-transformé du sucre, 100% industriel.
businessman américain Warren Buffett. Cela ne lui attire À L’UNIVERSITÉ Thierry Marx est partout : il n’est pas anormal qu’il se
pas forcément les suffrages de la profession. Pour autant, DE LIMOGES trouve aussi, quelquefois, là où il est dispensable. Q
L’OBS/N°2855-25/07/2019 21
“COMMENT verticalité, avec 100 hyper-riches aux îles
Caïmans, pour 100 millions de pauvres, ça
va exploser.
Vous pensez aux « gilets jaunes »?
Je les connais : ce sont mes oncles, mes cou-
sins… Des gens qui n’ont connu que la pré-
carité. Mon grand-père, ouvrier du bâti-
ment, a pu créer sa petite entreprise
INVERSER
pendant les Trente Glorieuses ; la vie de
Par mes parents a été plus dure ; ma génération
N ATAC H A est souvent à découvert dès le 15 du mois…
TAT U On ne peut pas continuer comme ça. C’est
la métaphore de la bouilloire. Mettez-la sur
le feu, fermez toutes les ouvertures : vous
ne savez pas quand, mais forcément, ça va
exploser. Je suis pour un capitalisme
durable et « environnementalement »
responsable.
Vous avez été « décrocheur scolaire »…
LA SPIRALE
J’ai grandi dans des quartiers pas faciles,
avec la conviction, malgré une scolarité
chaotique, que je pouvais m’en sortir. Qu’il
n’y avait aucune raison pour que je reste
assigné à ces quartiers, à mon statut social.
J’entendais autour de moi : « Ce n’est pas
pour des gens comme nous. » Je ne supporte
pas cette phrase. J’étais décidé à taper dans
le système. Ce n’est pas parce que c’est dur
que ce n’est pas possible. J’ai aimé l’école
primaire, mais au collège, je n’ai pas
DE L’ÉCHEC”
compris ce qu’on attendait de moi. J’ai été
Photos envoyé dans une classe de transition, où
ST É PH A N E l’on ne faisait rien. On n’allait même pas
L AG O U T T E en récréation avec les autres. Ça reste une
blessure…
Pas facile d’être un autodidacte, y
compris dans le monde de la haute
cuisine…
Créatif et franc-tireur, Vous dirigez des restaurants étoilés et
« en même temps » des écoles d’inser-
En effet. J’ai passé mon bac à 25 ans. J’ai
beaucoup lu. Adulte, j’ai pu suivre quelques
formations managériales. Quand vous avez
Thierry Marx, chef tion. Vous défendez l’agriculture res-
ponsable et « en même temps », vous eu du mal à remplir des papiers, quand vous
collaborez avec la grande distribu- avez été un « exclu » au collège, ce sont des
étoilé cathodique, veut tion. Vous êtes très macronien, au cadeaux de la vie. En même temps, les
fond… plaies du passé ne cicatrisent pas facile-
réparer l’ascenseur Il n’y a pas forcément de contradiction. Le ment. Aujourd’hui encore, je doute.
luxe n’est pas une insulte à la misère, mais Vous avez été révolté?
social. Rencontre avec à la médiocrité. Quant à la grande distri- J’étais en révolte contre l’idée d’assigna-
bution, si je peux contribuer à en améliorer tion à ma condition sociale. Au début,
un cuisinier engagé qui les procédés sans renier mes principes, j’étais dangereusement revanchard, figh-
pourquoi pas ? J’ai apprécié qu’Emmanuel ter même. L’apprentissage du bouddhisme,
veut remettre l’humain Marron fasse campagne en proposant des la découverte de la philosophie, des ren-
solutions, sans critiquer ses prédécesseurs. contres, la formation, m’ont aidé à dépas-
au cœur de l’économie Mais je trouve que le « nouveau monde » ser ce stade. La vengeance est un poison.
ressemble beaucoup trop à l’ancien. L’éco- Ce n’est qu’à 40 ans que je suis sorti de
nomie doit être sociale, l’hyperprofit ne sert cette envie d’en découdre. J’ai renoncé au
à rien. Après avoir été le champion des fantasme che guevarien. Aujourd’hui, je
découverts et des saisies sur salaire, j’as- crois à la France des solutions. Arrêtons
sume ma réussite. Mais si on reste dans la de chercher des coupables, allons à
Pour Thierry
Marx, tout le
monde peut avoir
un projet, même
en prison…
l’essentiel, faisons des propositions. lignée de cuisiniers. Je me suis exposé… n’est pas de savoir pourquoi le stagiaire
Marx – l’autre – l’a dit : le capitalisme est et j’ai reçu un courrier de dingue ! Ça m’a en est là, pourquoi il est au RSA, pourquoi
efficace mais il est injuste. Eh bien, ren- boosté. Je me suis dit qu’on pouvait mettre il porte un bracelet électronique… mais
dons-le plus juste. Sinon on va s’entre-tuer. en place une formation qui permettrait comment lui permettre d’avancer, et
Votre grand-père était communiste. de ramener rapidement des gens motivés inverser la spirale de l’échec.
Vous ne croyez plus aux utopies poli- à l’emploi. Ces personnes n’ont ni le temps Quelle différence entre CME et d’autres
tiques ? ni l’envie de retourner sur les bancs de centres de formation?
La contestation pure et simple du capi- l’école. Il leur faut de la pratique. Je me Quand j’étais jeune, je voulais faire une
talisme, ça ne marche pas. Regardez les suis engagé dans les deux secteurs que je école hôtelière. Avec mon look de petit
grandes manifestations contre les fer- connaissais : la cuisine et le sport, qui offre loubard, on m’a envoyé en mécanique,
metures d’usine. A quoi ça a servi ? Les également de nombreux débouchés, aux comme la plupart des jeunes de ma
ouvriers ont manifesté, les usines ont jeunes des quartiers notamment. classe… Les jeunes sont trop souvent casés
fermé. On a distribué des chèques, ce qui Quels sont vos critères de recrutement dans des formations qui ne les intéressent
revenait à dire aux gens : voilà ce que vous pour votre réseau d’écoles Cuisine pas. A CME, les stagiaires ne sont pas là
valez… Il y a eu tant de drames humains. Mode d’Emploi(s) (CME)? par hasard. Je leur demande un engage-
On aurait mieux fait d’investir dans la for- Pour les stagiaires, tout est gratuit. La ment. S’ils ne le respectent pas, ils doivent
mation professionnelle. Si en amont on contrepartie que je leur demande, c’est de partir. Et puis, nos formations sont courtes.
avait amené les salariés à construire un s’engager. Peu importe leur passé, leur CV, Onze semaines de pratique, contre deux
projet, on n’en serait pas là. leurs fautes d’orthographe. Ils doivent ans pour un CAP. Aujourd’hui, les jeunes
Vous avez créé des écoles d’insertion, avoir un projet. Tant que tu n’as pas de apprennent plus vite : ça ne sert à rien de
formé 3000 stagiaires… Une sorte de projet, tu restes à genoux, sans motiva- passer des mois à apprendre par cœur des
rédemption? tion. On passe trop de temps à chercher recettes qu’on peut trouver sur son smart-
Je n’oublie pas d’où je viens, je sais ce qui des boucs émissaires responsables de nos phone. Dans nos écoles, les jeunes n’ap-
m’a manqué dans mon parcours, et ce qui échecs : la société, l’Education nationale, prennent pas pour faire, ils font pour
m’a permis d’en sortir. Le sport et les Com- le quartier… Moi, ce qui m’intéresse, ce apprendre.
pagnons du devoir unis m’ont sauvé. Il y a
aussi eu des rencontres, qui m’ont aidé à
me structurer et à développer un réseau…
Très vite, j’ai eu envie de rendre à d’autres
ce capital. J’ai commencé à m’intéresser à
l’insertion des jeunes des quartiers, des per-
sonnes en difficulté, ou en milieu carcéral.
En 2006, rencontre mémorable avec Véro-
nique Colucci, des Restos du cœur. J’ai
donné quelques cours de cuisine, et je me
suis interrogé : ces personnes sont en
grande précarité, mais rien n’est prévu pour
elles. On ne répond qu’à leur urgence ali-
mentaire, et c’est déjà formidable, mais ils
ne sont plus en capacité de construire un
projet professionnel. Et en même temps,
qu’est-ce qu’ils sont doués ! Il y a énormé-
ment de postes à pourvoir dans l’hôtellerie-
restauration, dans le bâtiment. Quel gâchis !
Je me suis alors dit : « Là, je tiens un truc… »
J’ai rencontré le maire du 20e, qui a mis des
locaux à ma disposition. On a trouvé les
premiers fonds auprès de la formation pro-
fessionnelle. Et c’était parti.
Quel a été le déclic?
En 2004 et 2006, j’avais été désigné chef
de l’année. J’avais 19,5/20 au Gault et Mil-
lau. Tout marchait bien pour moi. Inter-
rogé par une journaliste, je commence
mon baratin de chef pêcheur, chef jardi-
nier, et elle me dit : ça ne m’intéresse pas.
Parlez-moi de vous… Je me suis révélé tel
que j’étais : un chef, un chef d’entreprise,
parti de rien, sans appartenance à une
24 L’OBS/N°2855-25/07/2019
EN COUVERTURE
Les débuts n’ont pas été simples. Vous travail sont difficiles : la seule solution, c’est teurs de leurs envies et de leurs projets.
avez encaissé pas mal de critiques… de proposer une montée en compétences Quand l’un d’eux me quitte, je peux le vivre
En effet ! Innover a toujours suscité la cri- dans l’entreprise. Je ne peux pas promettre comme un échec… ou comme une oppor-
tique. Ça a été le cas en 2004, quand je me d’embaucher au-dessus des tarifs du mar- tunité, heureux de le voir s’épanouir. On
suis lancé dans la cuisine moléculaire. On ché. En revanche, je peux aider à grimper. doit coconstruire nos projets. Et appliquer
était à peine fréquentable ! Trois ans plus Quand j’embauche un commis, je lui pose une méthode simple : « bienveillants avec
tard, c’est devenu un outil largement par- deux questions : pourquoi veux-tu travail- les gens, durs avec les faits. »
tagé. Même chose avec le Centre d’inno- ler pour moi ? Où te vois-tu dans deux ans ? Vous êtes opposé au low cost. Pour-
vation culinaire (voir p. 19) qui bénéficie Et c’est ma responsabilité de l’aider à tant, le low cost, c’est plus de pouvoir
aujourd’hui d’une reconnaissance mon- atteindre son objectif. Voilà mon combat. d’achat pour les plus démunis…
diale. Idem avec mes écoles : la formation Ce qu’on ne peut pas faire par la redistri- Le low cost a appauvri notre société. Il a
est « trop courte », j’étais le « chef de la télé- bution financière, on peut le faire par la appauvri l’agriculture, tué des pans entiers
réalité », c’était « du vent »… L’innovation formation professionnelle. du secteur rural, abîmé les sols, ruiné notre
est moquée, puis bien souvent, elle s’im- Votre approche est assez anglo- planète. Vendre une baguette à 80 cen-
pose comme une évidence. J’ai formé saxonne au fond… Vouloir, c’est pou- times n’a aucun sens. Vous la payez trois
3 000 stagiaires, avec 92% de retours à l’em- voir, à chacun de prendre son destin fois : 1) Elle sera sèche avant d’être finie ;
ploi. Il y a eu 70 créations d’entreprise. en main… 2) Elle n’apporte rien de bon à l’organisme ;
Vous croyez donc que l’ascenseur Je demande à mes stagiaires d’être com- 3) La produire a abîmé la terre. Regardez
social peut être réparé… batifs, à condition que ce combat soit posi- nos plaines envahies d’intrants chimiques,
Je préfère parler d’escalier. Dans les quar- tif. Quand ils arrivent, souvent, ils ont peur. des terres quasiment mortes ! Je défends
tiers où j’ai grandi, l’ascenseur ne marchait Mais de qui ? A CME, on fait tout pour leur le lien du vivant. L’explosion des intolé-
jamais et on n’y pouvait rien ! Monter l’es- redonner confiance, on leur apprend à rances au gluten pourrait être évitée et l’on
calier dépend de vous, il donne le sens de lâcher la main du passé, à se remettre sur n’a pas fini de mesurer le coût phénomé-
l’effort. Dans notre secteur, les salaires la ligne de départ. C’est la méthode RER : nal du diabète, du surpoids, du cancer… Et
d’embauche sont faibles, les conditions de Rigueur, Engagement, Régularité. Une je ne parle pas de la rémunération des agri-
approche assez luthérienne, c’est vrai, mais culteurs. On ne peut négliger l’impact
que l’on retrouve dans la plupart des reli- social et environnemental de nos actes.
“J’APPRENDS gions. « Aide-toi et le ciel t’aidera », « il faut L’agriculture doit être responsable. Sinon,
croire en Bouddha mais ne pas compter sur on va à la catastrophe.
À MES lui »… Tout le monde peut avoir un projet, En même temps, vous êtes méfiant vis-
STAGIAIRES même en prison… Quand je donne des à-vis du bio…
cours en univers carcéral je demande aux Le bio, c’est les années 1970. Il faut aller
À ÊTRE participants de dépasser leur statut de beaucoup plus loin. Faire du 200% bio.
COMBATIFS, détenu. Je n’aime pas entendre : « Je n’ai Qu’est-ce qu’un bon produit ? Quel est son
pas eu de chance. » La chance se construit. impact social et environnemental ? Voilà
À CONDITION Récemment, j’ai proposé un très beau les vraies questions. Le bio est marqueté
QUE CE poste à un stagiaire au RSA. Il me dit : « Je et je me méfie du green washing. Je connais
pars en vacances. » On envisage des amé- des petits producteurs qui font des pro-
COMBAT SOIT nagements, il refuse. Tant pis pour lui ! duits exceptionnels sans jamais avoir
POSITIF.” Dans les quartiers, on a fait trop de clien-
télisme, en promettant d’aider ceux qui
demandé le label bio.
CME est né en 2012. Vous dites avoir un
« n’ont pas eu de chance ». On en a fait des nouveau grand projet tous les sept
victimes. Je préfère leur proposer un nou- ans… Quel est le vôtre aujourd’hui?
veau départ, une nouvelle énergie. Je suis en train de monter un fonds d’in-
En même temps, vous prônez un mana- vestissement à impact éthique. Les fonds
gement bienveillant, qui n’est pas for- classiques exigent des retours à trois ans.
cément la culture de l’hôtellerie… Le Dans la restauration, on ne peut dévelop-
turnover dans vos établissements est per une affaire sur une durée aussi courte.
faible. Comment faites-vous? On ne peut exiger de pay back à moins de
La théorie de la bouilloire s’applique aussi cinq ans, dix ans. Il faut parler investisse-
au management. Je ne suis pas favorable ment durable. J’espère réunir des grands
à la gestion des équipes par la pression de la finance autour de ce projet.
excessive. J’ai vu des gens souffrir, se faire Qu’est-ce qui vous rend fier?
débarquer manu militari. La maltraitance J’adorerais avoir une troisième étoile, ce
au travail, ça existe. Trop de poids hiérar- serait une reconnaissance. Mais rien ne me
chique, pas d’élévation en compétence… touche plus qu’un stagiaire qui me dit
Le rapport au travail ne peut se limiter à « Merci d’avoir changé le cours de ma vie ».
l’argent, il faut de la bienveillance. Tous La misère est insupportable. Ne rien faire
les six mois, je parle avec mes collabora- pour la combattre l’est encore plus. Q
T immaculées, Pauline*,
30 ans, a choisi de moder-
niser sa recette d’œufs
mimosa, présentés en
tapas… « C’est créatif, mais attention à la
promesse au client. Quand il commande
un classique, il ne s’attend pas forcément
à ça », commente le chef Thierry Marx.
Concentré, Aboubakar, 22 ans, sert sur
des assiettes un magret aux petits
légumes. Steve, 25 ans, rougit sous les
compliments du chef pour sa tarte fine
aux pommes caramélisées. Ils sont une
vingtaine ce jour-là à passer leur examen
de fin de cycle devant un jury de forma-
teurs et de cuisiniers. Trois plats impo-
sés jugés sur la cuisson, le goût, la pré-
sentation. La présence de Thierry Marx,
bienveillant mais ferme, ajoute forcé-
À L’ÉCOLE
ment à la pression. Le niveau est impressionnant, tout
comme la cohésion de l’équipe. Ils ont entre 20 et 55 ans
et viennent de tous horizons. L’une a un doctorat de
chimie, la plupart n’ont connu que l’échec scolaire et
les petits boulots. Beaucoup sont au RSA, certains
DE LA
portent un bracelet électronique. « Mais ici, on ne parle
pas de ça, dit Véronique Carrion, directrice de cette
école pas comme les autres. Leur passé ne nous inté-
resse pas. Ils sont là pour prendre un nouveau départ. »
Après deux mois de formation, ils partiront pour trois
DEUXIÈME
semaines de stage en cuisine. Aboubakar est pris dans
un bistro gastronomique de Ménilmontant ; Steve et
Pauline, dans une brasserie ; Danièle, décidée à créer
son entreprise de plats cuisinés ivoiriens, entrera chez
un traiteur de Boulogne… Cette quinqua drôle et éner-
CHANCE
gique est un peu la maman du groupe. Elle ne connais-
sait pas du tout Thierry Marx quand elle a postulé. Elle
était au RSA, une amie lui en a parlé, elle a envoyé sa
candidature sans trop y croire. Comme les autres sta-
giaires, elle est enthousiaste : « C’est une nouvelle vie qui
démarre. » « Ici, on voit la finalité de ce qu’on apprend, et
on se serre tous les coudes », ajoute Aboubakar, qui avait
Ils sont chômeurs de longue durée, décrocheurs abandonné un CAP de cuisine il y a quatre ans…
scolaires ou contraints par un bracelet 110 000 POSTES À POURVOIR
électronique. Qu’ils aient 20 ans ou 50 ans, Cuisine Mode d’Emploi(s) (CME) est l’école créée
en 2012 par Thierry Marx pour remettre des adultes
dans les écoles Cuisine Mode d’Emploi(s), sur le chemin de l’emploi. Ici, dans les anciens ateliers
réhabilités de cette petite rue du 20e arrondissement
on leur propose de prendre un nouveau départ encore populaire de Paris, l’espace est clair, moderne,
convivial, la déco épurée. Dans l’entrée, un grand pan-
Par N ATAC H A TAT U neau fait office de livre d’or, couvert d’éloges rédigés
par Emmanuel Macron (pas encore président), la ainsi qu’une école de formation par le sport… Sur
ministre du Travail, Muriel Pénicaud, le patron d’En- 3 000 stagiaires formés, 94% ont retrouvé un emploi,
gie Gérard Mestrallet ou encore Latifa Ibn Ziaten, la 70% ont créé leur propre entreprise. « Leur réussite est
mère de la première victime de Mohammed Merah à une immense fierté », insiste Aurélien Haroutel, 39 ans,
Toulouse. Et bien d’autres… cuisinier baroudeur formateur, qui a formé 120 commis
Après onze semaines de formation, les stagiaires, qui en cinq ans. La profession, d’abord dubitative, applau-
obtiennent leur Certificat de Qualification profession- dit. « Ce qui frappe, c’est leur envie d’y arriver, insiste
nelle (CQP), doivent maîtriser les 4 cuissons, les Bruno Doucet, aux fourneaux des restaurants La Réga-
50 gestes et les 70 recettes de base permettant d’être lade, deux adresses parisiennes qui montent, rive
commis de cuisine. Beaucoup passent ensuite un CAP, droite et rive gauche… « Ils ont été présélectionnés sur
mieux reconnu par la profession, en candidats libres. cette envie, et ça se sent. Même s’ils sont jeunes en cui-
“MÊME S’ILS
Et ils ont toutes les chances de l’obtenir. Car malgré la sine, 80% d’entre eux tiennent la route. » La plupart de SONT JEUNES
brièveté de la formation CME, le niveau est bon. ses stagiaires issus de CME, il les a embauchés. Et pour
Pour les stagiaires, l’école est gratuite et ils peuvent cause : avec 110 000 postes non pourvus dans l’hôtel- EN CUISINE,
garder leur minimum social. La première promotion a lerie, 45 000 dans la restauration, le métier peine à 80% TIENNENT
reçu 400 candidatures pour 40 places. Principal critère recruter. « C’est sans doute notre faute, assume le jeune
d’embauche : la motivation. « C’est la seule contrepartie chef. Nos prédécesseurs ont trop véhiculé le mythe de LA ROUTE.”
que nous leur demandons. Il faut qu’ils aient un projet, brigades quasi militaires, avec un chef hurlant et des
sinon, ça ne marche pas, insiste Véronique Carrion, qui commis maltraités. Il y a eu une crise des vocations. Notre VÉRONIQUE CARRION,
DIRECTRICE D’UNE CME
ne tolère ni absence, ni retard, ni parole déplacée. Ils génération essaie de changer ça et Thierry Marx y a d’ail-
peuvent avoir un rapport difficile à l’autorité, se chercher leurs largement contribué, mais l’image reste. »
des excuses. On les recadre assez vite. La règle du jeu est Face au succès de la formation, Véronique Carrion
claire : on n’est pas allé vous chercher et on ne vous retient reçoit aujourd’hui des demandes de création d’écoles
pas… Ici, on n’est pas gentil, on est vrai. » Autre critère : de tout le pays. « Notre premier critère, c’est le bassin
la composition du groupe. « Pour que ça marche, on ne d’emplois. Il faut que les stagiaires puissent trouver du
peut pas réunir que des jeunes de cité… Il faut un groupe travail à proximité. » Autre frein : la bureaucratie,
diversifié en âge, en milieu, en parcours, en projets… » Des constante, avec laquelle il faut jongler. Dernier épisode
sorties sont organisées, au Sénat, à l’Assemblée, dans en date : une enveloppe de 700 000 euros bloquée par
des restaurants étoilés… Environ 10% décrochent en la commission paritaire qui gère l’argent de la forma-
cours de route. C’est peu, compte tenu des profils ; mais tion professionnelle, en bisbille avec l’Etat depuis la
beaucoup trop pour Véronique Carrion : « C’est souvent réforme du secteur, à l’automne dernier. Financées à
parce qu’ils ne maîtrisent pas les fondamentaux, la langue, 30% avec leurs propres recettes (restaurants d’applica-
le calcul de base… » Résultat : une « prépa CME » vient tions, événementiel…), les écoles arrivent tout juste à
d’être mise sur pied pour apprendre en deux semaines l’équilibre. Elles se trouvent de facto prises en otage,
à ces stagiaires, primo-arrivants ou grands décrocheurs comme tous les centres de formation, en attente que Ci-dessous,
scolaires, à faire le marché, transposer une recette, maî- l’imbroglio soit réglé. Véronique Carrion voit arriver la préparation
triser les premiers rudiments de français… Et pour ceux avec angoisse la rentrée. Les engagements sont pris, les d’un menu
qui veulent se perfectionner, une « CME Sup » sera promotions constituées, les formateurs dans les star- par l’école de
bientôt créée. Un parcours complet, directement ins- ting-blocks… Que va-t-il se passer ? « On va forcément Toulouse. Ci-contre,
piré de celui des grandes écoles. trouver une solution, répond Thierry Marx. Je ne peux Emmanuel Macron
Sept ans après l’ouverture du premier centre de for- pas croire qu’on laisse toutes ces personnes sur le bord de en visite à l’école
mation, CME compte huit écoles dans toute la France, la route. » Optimiste et combatif, toujours. Q de Besançon,
qui préparent aux différents métiers de la restauration, (*) Le prénom a été changé. en 2016.
Prof de maths et docteur en « Alex est un chercheur qui trouve, témoigne Guil
laume, un ancien camarade de l’époque. Il accumu-
biologie, Alexander Samuel lait des preuves, récupérait des documents, enregistrait
les conversations. Il combinait les méthodes d’un
enquête sur les dangers du gaz enquêteur et d’un scientifique. »
Alexander s’apprête à rejoindre le cœur de la manif, à Montpellier. Christiane, une ophtalmologue, fait partie de cette équipe de choc.
L’équipe réalise des analyses de sang à chaud dans un fast-food. Après l’exposition au gaz, Alexander doit s’allonger pour récupérer.
L’OBS/N°2855-25/07/2019 33
Les Champs-Elysées restent très prisés des hommes politiques : il y a quelques années, l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal
y a acheté un luxueux appartement pour sa fille.
mandat d’arrêt international a été émis à son encontre. Les Quelle est l’origine de ce qui, pour un haut fonctionnaire algérien,
juges cherchent à démêler ses liens, non seulement avec ces représente une fortune ? Témoin privilégié du quotidien d’Abde-
chefs d’entreprise, mais aussi avec le frère de l’ex-président laziz Bouteflika à la résidence de Zéralda ces quatorze dernières
Bouteflika, Saïd, emprisonné depuis le 5 mai. années, Mokhtar Reguieg n’est malheureusement pas un homme
Epinglé en 2015 dans un ouvrage (1), Abdeslam Bouchouareb facile à joindre, nous n’avons donc pas pu l’interroger…
avait assuré aux auteurs « être résident en France depuis 1978 et Les adresses parisiennes de politiques algériens, y compris les
n’avoir rien à cacher » sans donner davantage de détails sur les plus puissants, ne manquent pas. On a beaucoup parlé, il y a
revenus perçus en dehors de son pays et qui lui auraient permis quelques années, du luxueux appartement sur les Champs-
d’acquérir un bien aussi prestigieux au cœur de Paris. Il n’avait Elysées, près de l’hôtel Claridge, acheté 860 000 euros par la fille,
alors aucune activité privée connue. Depuis, les « Panama encore étudiante, de l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal.
Papers » ont révélé qu’il était également propriétaire d’une Mais il y en a d’autres. Une recherche au cadastre nous confirme
société offshore basée au Panama. Existe-t-il un lien entre l’ap- les biens à Neuilly-sur-Seine d’Amar Saïdani, président de l’As-
partement parisien et cette société ? Abdeslam Bouchouareb n’a semblée populaire nationale de 2002 à 2004 puis secrétaire géné-
pas répondu à nos messages laissés sur son répondeur parisien. ral du FLN, le parti majoritaire, de septembre 2013 à octobre 2016.
Dans le 12e arrondissement, un quartier résidentiel familial, Acheté en 2009 pour 665 000 euros – payé pour moitié par prêt
nous avons trouvé un bien de l’ex-chef du protocole de la prési- bancaire et pour moitié sur deniers personnels –, le quatre-pièces
dence algérienne, Mokhtar Reguieg. Indétrônable auprès du pré- de 101 mètres carrés situé boulevard Victor-Hugo est toujours au
sident Bouteflika durant quatorze ans et jusqu’au dernier jour de nom de la SCI L’Olivier qui associe cet homme politique de pre-
son mandat le 2 avril, Reguieg occupait un poste clé, aux pre- mier plan à plusieurs membres de sa famille.
mières loges du pouvoir, au sein du petit cercle de confiance du
chef de l’Etat. C’est avec sa fille, étudiante, et sa femme qu’il a SCI, PRÊTE-NOMS OU MONTAGES OPAQUES
acheté au nom d’une société civile immobilière (SCI), Deberg, Très souvent les acheteurs n’apparaissent pas au grand jour. Ils
un petit deux-pièces à deux pas de la mairie en février 2018. Une se font discrets derrière des SCI, des prête-noms ou des montages
transaction à « seulement » 320 000 euros, mais payée comptant. plus opaques encore. Pour comprendre ces mécanismes, nous
avons interrogé l’un des militants les plus investis dans la traque
des avoirs algériens à Paris, Hocine Djidel. C’est à la suite
autrefois à l’école d’un contentieux personnel avec le wali (préfet) d’Alger Chérif
DE LONDRES À DUBAÏ soviétique et ayant Rahmani que cet anthropologue installé en France a commencé
maintenu des liens sur à enquêter sur les biens immobiliers à Paris de cet influent per-
Les grandes fortunes place. Les Algériens en sonnage qui sera plusieurs fois ministre. Un travail de longue
algériennes ne limitent général, et les plus haleine qui permettra au militant de révéler à la fois le patrimoine
pas leurs investissements fortunés en particulier, de ce dernier et les méthodes étonnantes employées pour acqué-
immobiliers à la France. ont également investi rir un 84-mètres carrés situé au deuxième étage d’un immeuble
Londres, Dubaï, Genève, ces dernières années en moderne du 16e arrondissement, acheté 878 000 francs et estimé
Montréal… on parle Espagne. C’est le cas du aujourd’hui à un peu moins d’un million d’euros.
même d’investissements patron des patrons Comme le révélera « le Canard enchaîné » grâce au travail de
en Ukraine de la part de Ali Haddad, propriétaire fourmi de l’anthropologue et comme nous l’ont confirmé les
généraux formés d’un hôtel à Barcelone. documents obtenus aux greffes du tribunal de commerce, la pre-
36 L’OBS/N°2855-25/07/2019
PORTFOLIO
Sous
la Chine,
la plage
Les Chinois ont longtemps ignoré les plaisirs des vacances. Mais depuis quelques années,
ils découvrent les joies de la trempette et apprivoisent peu à peu les bords de mer. Avec
humour, la photographe Corinne Rozotte a documenté les pratiques balnéaires de
l’empire du Milieu — Texte par U RSU LA GAUTHIER — Photos COR I N N E ROZOTTE
38
PORTFOLIO
La plupart des
Chinois ne sachant
pas nager,
la bouée est
un accessoire
indispensable.
Vacancière se
protégeant du
soleil grâce à une
ombrelle et un
foulard, à Sanya.
I
Homme portant
vu déferler les premières vagues de vacanciers. Presque en même
un « facekini »,
temps est apparu un accessoire vestimentaire bizarre, baptisé
un masque pour
« facekini », une cagoule aux allures inquiétantes malgré ses couleurs
éviter d’avoir
fluo, couvrant intégralement la tête et le visage, à l’exception des yeux,
un teint hâlé, du nez et de la bouche. Le but de cet accoutrement ? Non pas de se livrer
synonyme de incognito aux joies de la baignade. Ni de se protéger des coups de soleil.
travail dans Mais… d’éviter tout risque de hâle. Pour les Chinoises, en effet, envieuses
les champs. du teint diaphane des blondes, le bronzage, c’est pour les bouseux, et la
pâleur, le signe suprême de la classe. Les
plus élégantes s’emmitouflent de fou-
lards en soie et de paréos pour se livrer
à l’activité la plus répandue en Chine :
prendre des selfies en rafale – et les par-
tager sur les réseaux sociaux.
Historiquement, cet empire agraire
cerné de murailles a longtemps tourné
le dos à la mer. Mao lui-même, paysan
jusqu’au bout des ongles, avait hérité de
cette méfiance millénaire vis-à-vis du
grand large. Pour le régime communiste,
les Chinois devaient vivre là où ils
étaient nés, travailler sans relâche,
« Le monde est
grand et tu es libre
de choisir ».
A Tianya Haijiao,
situé à l’extrême
sud du territoire
chinois, on se
photographie
devant des
rochers aux
inscriptions
évoquant des
poèmes célèbres.
vivre et mourir pour le Parti. Toute autre préoccupation était non seu-
lement frivole, mais aussi contre-révolutionnaire. Résultat : pas de congés
payés, pas de vacances à la mer, pas de juillettistes, ni d’aoûtiens. Malgré
ses 15 000 kilomètres de côtes, le pays comptait à peine une poignée de
plages, en général réservées à la nomenklatura. C’est avec les réformes
économiques que ce tropisme terrien s’est fissuré. Aiguillonné par sa stra-
tégie de puissance, le régime a fini par découvrir l’importance de la maî-
trise des océans. Quant aux Chinois ordinaires, ils ont plongé avec délice
dans les joies du farniente et du tourisme balnéaire – avec une absence
totale de repères, de traditions et de savoir-faire. D’où un spectacle infini-
ment pittoresque et bon enfant, qui fascine beaucoup. Q
Le travail de Corinne Rozotte est à découvrir au festival Les Femmes s’exposent, à Houlgate, jusqu’au 31 août.
Le « facekini » est
parfois associé
à une combinaison
pour éviter tout
brunissement de la
peau et se protéger
des méduses.
40
Se couvrir
de sable est une
pratique très
répandue chez
les hommes :
elle aurait
des vertus
thérapeutiques.
CORINNE ROZOTTE/DIVERGENCE 41
RÉSEAUX
Le e-business
de la drogue
Commandes en ligne, livraisons Les dealers en profitaient aussi parfois pour passer des messages
à caractère « sanitaire » : début juin, en raison des chaleurs, ils ont
à domicile, promotions… par exemple expliqué à leurs clients qu’ils arrêtaient momenta-
nément la distribution de space cakes maison. Une secrétaire était
En Ile-de-France, le nouveau chargée de prendre les commandes via un numéro uniquement
joignable sur WhatsApp. Les produits conditionnés dans des
business des stupéfiants a lieu boîtes de conserve arborant des étiquettes flashy étaient ensuite
acheminés à domicile par une flottille de livreurs. Le jour des
désormais sur internet interpellations, 100 000 euros en liquide ont été saisis, plusieurs
armes et des milliers de boîtes de conserve…
Par V I N C E N T M O N N I E R Caliweed ou l’ubérisation du marché de la drogue. Dans son der-
nier rapport, présenté début juillet, le Sirasco, le service de rensei-
L
es community managers sont-ils l’avenir des dealers ? gnement de la police judiciaire, pointe l’utilisation croissante des
En démantelant, le 11 juin dernier, un réseau d’une nouvelles technologies par les groupes criminels et notamment
dizaine de trafiquants de Villejuif, les stups sont tombés sur le marché des stupéfiants où se multiplient les « centrales d’ap-
sur une véritable start-up du shit baptisée Caliweed, pels ». Toutes ne sont pas aussi perfectionnées que Caliweed, mais
weed comme « herbe », et Cali en référence à la ville grâce à un seul numéro de téléphone, le consommateur peut désor-
du narcotrafiquant Pablo Escobar. Pour faire tourner ce point de mais se faire livrer à domicile herbe, résine de cannabis ou cocaïne.
vente, l’un des plus gros du Val-de-Marne, les patrons n’avaient Du deal simple comme un coup de fil. « Ces plateformes sont appa-
pas hésité à prendre le tournant du numérique en animant plu- rues voici trois ou quatre ans en région parisienne et elles se déve-
sieurs comptes sur Snapchat et Instagram. Les abonnés pouvaient loppent aujourd’hui dans d’autres grandes agglomérations, notam-
ainsi se tenir informés des disponibilités et offres spéciales en ment à Marseille », confie Cécile Augereau, la patronne du Sirasco.
cours, à l’aide de vidéos promotionnelles ou de « menus du jour ». « Nous avons actuellement une affaire de ce genre par mois »,
42 L’OBS/N°2855-25/07/2019
ENQUÊTE
mande aux livreurs. « Les trafiquants savent très bien que la clientèle
de ces centrales peut balancer, ils cherchent donc à compartimenter
les maillons de la chaîne », explique le patron de la brigade des stups.
Pour se faire discrets, les réseaux rivalisent d’ingéniosité. Le chef
d’une équipe démantelée en février dernier, propriétaire par ail-
leurs d’un bar à chicha dans le 19e arrondissement, faisait rouler
ses trois livreurs dans des utilitaires blancs de type Kangoo. Il leur
demandait de porter un gilet de chantier lors de leurs déplace-
ments. « Un soir, après avoir passé commande, j’ai vu débarquer chez
moi un type en tenue de livreur Deliveroo, commente Lara, une qua-
dra adepte de ces call centers. Sauf que dans sa glacière, il transpor-
tait uniquement de l’herbe et du cannabis. Une autre fois, c’était un
faux chauffeur VTC qui planquait sa drogue dans une cache derrière
l’autoradio. Je suis montée à l’arrière comme s’il s’agissait d’une
course. Il m’a déposée un peu plus loin. »
L ES
LES
3 4
CAV
ALES
M
Par ais où est-il passé ? Il est 10 heures, ce photos accompagnent le SMS. Sur la première, on voit
VINCENT 7 juillet 2016, au palais de justice de Marco Mouly, en chemise blanche, dépoitraillé, le teint
MONNIER Paris. Dans la salle d’audience de la hâlé, prenant la pose à l’arrière d’une calèche dans les
32e chambre correctionnelle, qui juge rues de Rome. Sur la seconde, sourire en coin, il fait
Illustrations les délits financiers, les rangs sont mine d’ouvrir la porte avant d’une voiture de police
ST É PH A N E pleins. L’angoisse au ventre, les prévenus attendent, italienne. Plus de doute : il a pris la poudre d’escampette.
O I RY entourés d’un essaim de robes noires. Seul Marco Une bravade de plus pour ce drôle de lascar dont l’exis-
Mouly se fait toujours désirer. Je guette son arrivée, tence ressemble à une vaste partie de poker.
curieux de savoir s’il va venir affronter la sentence,
comme il me l’a annoncé la veille. D’un instant à l’autre, UN CASTING DIGNE DE MICHEL DRUCKER
le tribunal doit rendre sa décision dans cette affaire à J’avais fait sa connaissance quelques semaines plus tôt
283 millions d’euros, l’escroquerie à la TVA sur les quo- à l’occasion du procès. Inénarrable tchatcheur sapé
tas carbone. Il y a quelques semaines, fustigeant une comme un milord, ce père de trois enfants, âgé de 51 ans
brochette d’affairistes davantage « portés sur le kif que à l’époque, avait ravi l’assistance avec son bagout des
sur le spleen », les deux procureurs du Parquet national faubourgs, sa fausse décoration accrochée au revers
financier (PNF) ont requis à son encontre une peine de son veston (« J’ai acheté la veste comme cela », assu-
de dix ans de prison, assortie d’un mandat de dépôt à rait-il) et son toupet monumental. « Quand l’enquête
la barre. Autrement dit, à moins d’un rebondissement, s’est arrêtée, les enquêteurs m’ont dit : “On a les boules,
il dormira dans une cellule de 9 mètres carrés ce soir. on s’éclatait bien avec toi” », avait-il lancé un jour à la
Le genre de perspective qui pousse un homme, barre. J’avais un peu gratté sur sa vie, son histoire. Parti
« kiffeur » ou non, à retarder jusqu’à l’ultime seconde de pas grand-chose, Mardoché Mouly dit « Marco »
son entrée dans une salle d’audience. avait toujours mené grand train, entre ses habitudes
Le tribunal arrive. « M. Mouly n’est pas là ? » s’en- aux meilleures tables de Paris et ses entrées dans les
quiert le président. Les avocats du prévenu lui banques suisses. Pour la bar-mitsva de son fils, organi-
remettent le (faux) certificat d’hospitalisation qu’ils sée dans la boîte de nuit parisienne le Showcase, ce fils
viennent de recevoir. Moue dubitative du magistrat. de boucher né à Tunis, élevé ensuite dans le quar-
Manifestation des salariés de France que… Ne pensez pas que c’est obligatoire-
Télécom à Strasbourg en octobre 2009 ment… C’est les accords qu’on avait au
après une vague de suicides au sein de début… Je ne sais pas ce qu’on va faire. – Le
l’entreprise. film vous appartient, je vais le monter au
mieux, au mieux, c’est-à-dire honnête et
tout ça… » Personne n’imagine alors que
SUD-PTT. « Depuis un mois et demi, on durant les six mois du tournage, les sui-
travaillait sur des écrits, des interroga- cides vont continuer, les dirigeants, être
toires, des témoignages. Tout à coup, débarqués, que le questionnaire du cabi-
abonde Me Sylvie Topaloff, avocate du net Technologia rempli par 80 000 des
syndicat, on s’est trouvés plongés in vivo 105 000 salariés dressera un état des lieux
dans cet automne-hiver 2009. C’était alarmant, qu’une information judiciaire
vivant, charnel, à chaud, incroyable, un enverra les huiles du groupe au pénal.
choc ! » Cette résurrection, les prévenus Lâché dans la boîte, le prolifique réali-
s’en seraient bien passés. Histoire d’un sateur entame un tour de France, ren-
film boomerang. contre les employés des centres d’appel,
Flash-back, dix ans plus tôt. En ce prin- le médecin du travail, les dirigeants, les
temps 2009, le hasard réunit, chez un ami syndicalistes, les chercheurs de Lannion…
commun, Didier Lombard et Serge Moati. Une vaste psychanalyse. « Qu’il soit connu
Deux passionnés. Le premier, qui connaît a aidé, confie l’assistante réalisatrice
tous les patrons de la Silicon Valley et Laetitia Arnoult qui enquêtait en amont.
porte haut les couleurs de son entreprise Il était parfois accueilli à bras ouverts. Il est
jusqu’à arborer cravate et chaussettes populaire, Serge. » Les syndicats sont plus
orange, a reçu quatre années plus tôt, à défiants. « Il a fallu montrer que nous
63 balais, le bâton de maréchal dont il n’étions pas “tenus”. » Mais l’empathie
rêvait : la présidence de France Télécom. dont Moati enveloppe ses interlocuteurs
Ses derniers mois ont été tout entiers a raison des plus coriaces : il se place à
absorbés à transformer cet empire. Vingt- quelques centimètres, ponctue les propos
deux mille salariés sont partis ! Ce soir-là, de ses mains, hoche la tête, fraternel. « Je
le second, désabusé, ressasse l’arrêt décidé suis un vrai séfarade, j’aime entendre battre
par France 5 de « Ripostes », l’émission le cœur des gens. » Une force pour certains,
politique dominicale qui, depuis dix ans, une faute pour d’autres (quand il inter-
l’a rendu populaire. Lui aussi a dirigé une roge Jean-Marie Le Pen, par exemple). En
entreprise publique, la chaîne FR3, dans tout cas, une marque de fabrique. Patrick
les années 1980, en remerciement de sa Ackermann se souvient du réalisateur
contribution à l’imagerie mitterran- après son interview du redouté Louis-
dienne : il avait scénographié la déambu- Pierre Wenès, numéro deux du groupe :
bracadabra ! Au beau milieu lation du tout nouveau chef de l’Etat au « Tenez-vous bien, cet homme inflexible a
poignée seulement l’avait vu avant qu’il mutation hors norme menée tambour
ne tombe aux oubliettes pour l’éternité, battant. Un film pour la postérité, quoi !
croyait-on. Alors au faîte de sa gloire, le Mais quand Moati débarque avec sa
PDG, Didier Lombard, avait engagé le caméra en septembre, tout a changé. L’été
réalisateur Serge Moati pour exalter l’ex- a été plombé par les suicides. Que faire ?
cellence de ce fleuron français, bientôt Annuler, payer un dédit et basta ? « Si le
rebaptisé Orange. Mais la succession de projet n’avait pas préexisté à la crise, nous
suicides tuera dans l’œuf cette rutilante n’en aurions même pas eu l’idée », confiera
hagiographie, désormais baptisée « Chro- plus tard Caroline Mille, la directrice de la
nique d’une crise ». La projection de ce communication, au « Figaro ». « Puisque
document magistral, traversé de larmes, de tu es là... continue », dit-elle à Moati, avec
doutes, d’incompréhensions, a constitué, l’aval du boss. Pourtant, le premier échange
le 21 juin, « le tournant émotionnel du (filmé) Lombard-Moati est nimbé de gêne. Serge Moati a mené son tournage
procès » selon Patrick Ackermann, délégué « Je sais pas ce qu’on fera du film, hein, parce comme une vaste psychanalyse.
L’OBS/N°2855-25/07/2019 51
FICTION
“L’Obs” a décidé de se projeter en 2049 à travers une série
d’événements et d’articles pour penser notre quotidien dans
trente ans. Cet été, place à la science-fiction avec le feuilleton
écrit en exclusivité par l’auteure Catherine Dufour, dont voici
le deuxième épisode
Par CAT H E R I N E D U F O U R Illustration R I K I B L A N C O
52 L’OBS/N°2855-25/07/2019
originales. Je n’ai étudié que des gamins de bonne famille, dorés sur podcasts et VR-casts, journalistes enthousiastes, collègues
tranche, qui n’ont jamais manqué ni d’eau, ni d’air, ni d’éducation, rageurs, déchaînement sur les réseaux et, surtout, ventes en ligne
enfin, tu vois ça d’ici ? Résultat, je n’ai pas de biais avec les risques par pétaoctets. Bien sûr, son étude, qui étiquetait comme
psychosociaux. Il m’a suffi d’éplucher leur dossier santé pendant toxiques des enfants maltraités, fit blanchir les cheveux des
l’enfance, puis leur dossier judiciaire à l’âge adulte et tadam ! J’ai pédopsys et des criminologues. Mais leur voix ne fit qu’ampli-
dégoté un lien de causalité entre le fait d’avoir été sexuellement fier un brouhaha où dominait l’approbation. Le public s’enthou-
agressé et le fait de devenir un pédocriminel plus tard. Je le savais ! siasmait pour cette vue en coupe des beaux milieux, qui révélait
Tout le monde dit le contraire mais moi, je l’ai prouvé ! des strates sordides. Surfant sur son succès avec légèreté, Walid
Blanket écouta encore dix minutes Walid lui expliquer à quel fut de toutes les cérémonies de l’année, de la plus scientifique à
point tous les sociologues du monde allaient le jalouser, lui, la plus festive. Il tint sa promesse, et y convia Blanket.
Walid, et à quel point ça allait lui procurer de la joie ! Comment Celui-ci se regarda dans la glace sans complaisance : vingt-cinq
il allait boire à longs traits le doux sirop de la gloire et de la ans à barouder n’avaient pas affiné son style. Il appela son ami
revanche ! Puis il arriva ce que Blanket avait prévu : Smiley, un vlogueur mode homme bordelais, et lui demanda des
– Hey bro ? J’ai encore un service à te demander… conseils. La facture le fit tousser, et il refusa absolument de tes-
Pour mener son étude, Walid avait utilisé le wami (l’IA per- ter le rimmel pour homme (« Tu as tort, insista Smiley, ça donne
sonnelle) de Blanket, qui le lui avait prêté par amitié – et, un peu, un regard de street fighter fatigué »). Mais quand il retourna
par curiosité. Walid avait déjà connecté le wami à d’innombrables devant son miroir, il se trouva bonne allure.
bases : données sociologiques, données médicales, données juri- – Tu sors ? lui demanda Smiley qui, de l’autre côté de l’écran,
diques. Blanket avait toujours donné son accord. Cette fois-ci, testait un nanogel à raser à l’extrait de baobab.
Walid avait besoin de connecter le wami à une IA d’évaluation – Je sors. Je vais à une soirée nommée… (Blanket jeta un œil
des statistiques, pour certifier ses résultats. L’accès coûtait un à l’invitation) « Petit con en sneakers Badidass ». C’est à Firenze,
rein. Blanket refusa. Walid couina : au palazzo Gondi.
– S’il te plaît ? Et tu sais quoi ? Dès que je serai devenu le socio- – Oh-mon-Dieu. Le Gondi. Mon rêve. Au fait, tu as des Badidass ?
logue le plus célèbre du monde, je serai fêté partout, et pour te – Non, pourquoi ?
remercier, je t’inviterai. On ira tous les deux chasser la saundaria – Pour pouvoir entrer. Moi, j’en ai. Deux paires. Elle est pour
dans les soirées les plus chaudes ! Qu’est-ce que tu en dis ? deux, ton invitation ?
Blanket ne savait pas ce qu’était une saundaria mais il se sen- – Elle est pour deux. Saute dans une aile, je t’attends à l’entrée.
tait seul. Il accepta.
Walid tint parole. Il publia son étude, et fit carton plein : cita- ➠ La semaine prochaine, retrouvez le troisième épisode :
tions, conférences, colloques, articles, émissions, blogs et vlogs, « Danser au-dessus d’un volcan ».
IN VIVO
“L’amour-
après 40 ans
-d’amitié”
C
’est assez particulier. On était chez des Propos bungalows pour la soirée. Corinne et moi étions les
amis proches, chez qui l’on se voit sou- recueillis par deux seuls célibataires de la bande et, sur le ton de
vent. En tout cas, j’étais régulièrement HENRI l’humour, une amie nous l’a fait remarquer. C’était
invité parce qu’ils pensaient que ma der- RO U I L L I E R pénible. Il ne restait qu’une seule chambre libre et
nière rupture me laissait malheureux. on a tous les deux levé le doigt pour dire qu’elle nous
C’est vrai que je n’y étais pas indifférent, mais ce intéressait. « Oui, mais c’est une chambre commune ! »
n’était pas aussi grave que ce qu’ils imaginaient. Ils Avec Corinne, on s’est dit : « On se connaît, on peut
se sont dit : « Il est tout seul maintenant, il faut s’oc- partager une chambre sans se sauter dessus, y a pas
cuper de lui. » Le truc classique. Quand je l’ai su, j’ai d’ambiguïté. » Et là, une amie a relancé la plaisante-
trouvé ça adorable, gentil comme tout. Mais je leur rie en disant que ce serait quand même mieux si on
ai dit aussi que je n’avais pas vraiment besoin d’eux, était en couple. Alors on a joué le jeu tout l’après-
que j’étais un grand garçon. Et puis les ruptures, ça midi. « Chérie, effectivement, il faut qu’on songe à se
me connaît quand même… marier », etc. On n’y avait évidemment jamais pensé
Donc on était chez ces amis, au printemps 2018, ni l’un ni l’autre. Et puis ça a duré quelques semaines
on préparait le mariage d’une de leurs filles. C’est comme ça. On ne s’écrivait pas tous les jours, mais
parti d’une histoire très matérielle de location de quand on se voyait, c’était reparti. « Et notre futur
54 L’OBS/N°2855-25/07/2019
mariage, quand est-ce qu’on fait ça ? » On s’est aper-
çus à peu près simultanément que ça ne nous faisait
plus tellement rire, qu’il se passait quelque chose. Là,
nous nous sommes dit : soit on arrête cette espèce de
délire, soit on concrétise cette relation. C’est ce qui
s’est produit.
Corinne et moi, nous nous connaissions depuis
toujours, sans aucune arrière-pensée. C’était une
amie. Et puis vers le mois de juillet, je me suis
rendu compte que je la draguais vraiment, en fait.
Que ça ne relevait plus de ce truc poli qu’on peut
faire avec une amie, de cette espèce de marivau-
dage qui, on le sait, n’ira pas plus loin. J’ai senti un
grand trouble chez elle aussi.
J’aime sa personnalité, son humour. On rit beau-
coup. Son pragmatisme, sa façon de résoudre des
problèmes, ses idées. C’est la première fois de ma
vie que je parle vraiment de politique avec une
femme, même si on peut avoir des divergences de
fond, et encore, pas tellement. C’était déjà vrai avant
d’ailleurs. Quand je voyais ses publications sur Face-
book, je « likais », parce que c’était souvent bien pun-
chy. Et puis on se connaît. On n’est pas surpris.
Corinne m’a dit récemment : « Tu sais, je connais
toutes tes ex et je connais tes défauts, donc ce n’est pas
la peine de t’excuser à l’avance. Je sais comment ça
va se passer et tu vois, je ne proteste pas. »
Je me disais qu’à mon âge, c’était mieux d’avoir une
conjointe fixe. Je ne voulais pas tomber à nouveau
dans un travers qui consiste à passer d’une rencontre
à l’autre. Ce n’était pas satisfaisant. Je cherchais
quelque chose de durable et de respectueux. Mais
en même temps je trouve que les femmes veulent
beaucoup de choses et très vite. Elles disent parfois :
« Moi, j’attends un type comme ci, comme ça », etc.
Une boîte est déjà prête pour vous.
C’est souvent moi qui ai été quitté, finalement. Moi,
je ne sais pas le faire. J’essaie toujours de raccommo-
der la relation, y compris quand ce n’est plus raccom-
modable. Et ça, c’est un défaut. A un moment, il faut
trancher le nerf. Dire « voilà, ça ne marche plus ».
Avec l’âge, je perds en vigueur mais je gagne en
sagesse. Cela se manifeste par une espèce de mélan-
colie. Mais je le savais, je ne me suis jamais dit que Aujourd’hui, nous l’assumons très bien mais nous
je serais une bête physique toute ma vie. Il y a deux l’avons annoncé progressivement à nos amis parce
ans, je skiais mieux que mon fils. Aujourd’hui, il skie qu’au début, ce n’était pas évident. On a quasi una-
mieux que moi. Il y a des indicateurs qui vous nimement eu l’accord de l’entourage. A part celui de
disent : « Tu n’es plus ce que tu as été. » l’ancien mari de Corinne. Là, j’ai perdu un ami, je
Cette histoire d’amour, on la vit tous les deux pense. Ou alors, il va nous falloir du temps. Cela me
comme une anomalie. Dans l’ordre des choses, on gêne, on était vraiment proches. Il aurait souhaité
aurait dû rester amis. Ce n’est pas courant quand EXCLUSIF que je lui en parle mais l’idée ne m’en est pas venue.
même d’avoir une relation après quarante ans d’ami- Retrouvez C’est peut-être une maladresse, mais je ne me suis
tié. On se dit encore aujourd’hui : « Qu’est-ce qui s’est l’intégralité pas vu lui demander la permission de débuter une
passé ? » On essaie de comprendre les raisons de ce de la série relation avec une femme dont il était séparé depuis
rapprochement, qui est vraiment amoureux en plus. « Love is Old » dix ans. Si on inversait la situation, je me dirais que
Il y a un emballement qui n’est pas du tout retombé. sur le site je n’ai pas d’autorisation à donner, qu’elle fait ce
Un truc qu’on n’avait pas vu jusque-là, quelque chose de l’Obs qu’elle veut. Par contre, je dirais peut-être : « Essaie
qui sommeillait en nous. Moi, je ne me souviens que nouvelobs.com de la rendre heureuse. » Q
d’admiration. De considération à son égard. (*) Tous les prénoms ont été changés.
LA MÉDIOCRITÉ PA R
PIERRE ZAOUI
tre considéré comme médiocre est insupportable la vertu est un juste milieu entre deux vices : le courage, par
conditions. En ce sens-là, c’est une belle idée. Le À LIRE Pour moi, le livre de Despentes est moins une apologie
moyen, ce n’est pas le médiocre, c’est l’égale potentia- « Ainsi parlait de la médiocrité qu’un éloge de la marginalité. Or le
lité à l’excellence. Zarathoustra », marginal est celui qui est sorti de l’échelle hiérar-
Mais si tout le monde peut être excellent, tout le Nietzsche ; chique, ce qui est très beau. Pour être médiocre, il faut
monde peut aussi être médiocre… « Bouvard et Pécuchet », encore se situer dans une échelle hiérarchique com-
Certes. Si on postule l’égale potentialité à l’excellence, Flaubert ; « Une nouvelle mune. De toute façon, je ne crois pas qu’on puisse faire
on efface la médiocrité, mais en même temps, on la Amérique encore l’éloge de la médiocrité. D’abord, dire : « La médiocrité,
diffuse prodigieusement. Chacun se demande : « Ne inapprochable. c’est super », c’est un mensonge. Certains lieux de la
suis-je pas médiocre ? Ne suis-je pas en train de De Wittgenstein à vie ne la supportent pas. On ne peut pas dire : « Je vais
gâcher mes potentialités ? » Il y a là un immense para- Emerson », Stanley t’aimer, mais ce sera médiocre, ne t’attends pas à ce que
doxe. Et une grande dureté. Car c’est dur de se penser ce soit génial au lit, et ne tombe pas malade parce que
Cavell (Editions
médiocre. Cela veut dire qu’on est paresseux, qu’on je ne m’occuperai pas de toi. » Ensuite, ce n’est pas pos-
de l’Eclat).
se laisse aller. Alors que si on est nul, ce n’est pas grave, sible de faire l’éloge de la médiocrité parce qu’il y a une
on naturalise : « C’est ma nature, je ne peux pas m’en vouloir. » complaisance dans celle-ci. Au fond, je pense qu’il y a deux posi-
La course à l’excellence qui caractérise nos sociétés peut- tions insupportables. D’une part, la haine de la médiocrité qui est
elle engendrer la médiocrité? une pathologie toujours suspecte : quelqu’un qui la hait s’y recon-
Oui, ça s’appelle le conformisme. Nietzsche a porté à son point naît nécessairement. D’autre part, l’assomption de sa médiocrité
d’incandescence la haine de la médiocrité en expliquant que l’idée qui marque la fin de la perfectibilité humaine. Si être médiocre
de « bien commun » était une contradiction. Un bien ne peut pas suffit, il n’y a plus de raison de faire le moindre effort.
être commun parce que si c’est un bien, il est exceptionnel, créé Y a-t-il un remède à la médiocrité?
par une personne elle-même exceptionnelle. C’est la pointe Il ne faut surtout pas en chercher car la médiocrité doit rester un
extrême de la pensée aristocratique, dans ce qu’elle a de plus fort problème. Elle doit faire partie de la problématique de l’être
et de plus terrifiant. Cela signifie que l’excellence ne peut pas s’en- humain, au sens où Nietzsche dit que l’homme est cet animal dont
seigner, qu’on peut seulement sélectionner les quelques esprits le genre n’est pas encore fixé. On ne sait pas si on va devenir un
excellents que l’on repère et les protéger de tout enseignement. monstre, un homme moyen ou un être exceptionnel. Il faut garder
Dans cette logique, quand on crée des « pôles d’excellence », on ces potentialités ouvertes aussi longtemps que possible. Assumer
crée en fait des pôles de médiocrité. Pour être reçu selon des cri- trop fort sa médiocrité, c’est vouloir se débarrasser de l’angoisse du
tères institutionnels définis clairement, chacun essaie de s’adapter possible, qui est l’oxygène de la vie. La seule position tenable me
au maximum. Or l’intelligence adaptative, c’est l’intelligence du semble être de l’assumer et de tenter de la dépasser. Quand on est
médiocre. L’homme exceptionnel n’imite pas, il crée des modèles de gauche, la vraie valeur, ce n’est pas la nature, ce n’est pas le talent,
que vont imiter les médiocres. c’est le travail. Savoir qu’on est médiocre nous oblige à travailler, le
N’y a-t-il pas dans la médiocrité une forme de modestie qui, but étant de l’être un peu moins à la fin qu’au début. J’ai vu telle-
elle, est vertueuse? ment de jeunes étudiants qui gâchaient leur talent en n’assumant
Au sens ancien, la modestie (aïdos) est l’inverse de la médiocrité. pas leur médiocrité, ou en s’en contentant, c’est-à-dire, dans les
C’est d’abord le courage dans son sens archaïque, c’est-à-dire le fait deux cas, en faisant l’impasse sur l’exigence de travailler.
de ne pas vouloir perdre la face, de refuser de se présenter à l’autre Il est donc impossible de nous débarrasser de notre
dans sa médiocrité. La modestie, c’est être soucieux de l’opinion médiocrité?
des autres : « Aïdos ! » crie Diomède aux Achéens fuyant face aux Deleuze l’explique à propos de la bêtise : avant de critiquer la bêtise
Troyens. Or, quand on est soucieux de l’opinion des autres, on ne de l’autre, il faut penser à la bêtise transcendantale, celle qui est en
peut pas donner une image médiocre de soi-même parce que ce nous tous et nous structure avant toute expérience. La médiocrité
serait s’abîmer devant l’autre. Les gens véritablement modestes est une structure transcendantale de notre existence : on est tous
sont donc très rares et à l’opposé de toute médiocrité. aux prises avec le sentiment d’être médiocre, avec la peur d’être
Cela signifie que le médiocre est forcément vaniteux? dévoilé comme tel, avec la volonté de ne pas l’être, avec la tentation
C’est l’une des caractéristiques de la médiocrité que de se présen- d’assumer sa médiocrité pour rendre les choses plus faciles. Bref,
ter comme une valeur. Donald Trump est d’une médiocrité confon- la médiocrité n’est pas une question de choix mais d’usage.
dante, mais il dit : « Je suis le meilleur président que les Etats-Unis Le bonheur n’est-il pas une ambition médiocre?
aient connu. » C’est la vanité du médiocre. Puisqu’il n’y a pas de Le bonheur, c’est la simplicité. On se sent heureux quand quelque
satisfaction interne dans la médiocrité – le médiocre est au fond chose s’est simplifié dans sa vie, quand on sort du conditionnel, du
de lui dans une insatisfaction permanente –, il est obligé d’être dans « si j’avais cela, si j’étais ceci… ». Mais si un tel état existe, personne
la surenchère vis-à-vis de l’extérieur. Le père Karamazov de ne sait comment on y parvient. De ce point de vue, cela me semble
Dostoïevski, un Trump avant la lettre, expose son obscène et cruelle un peu ridicule de croire qu’en restant médiocre on a plus de
médiocrité aux yeux des autres, et en tire vanité parce qu’il a l’im- chances d’être heureux qu’en se battant pour réussir quelque chose.
pression de bien arnaquer tout le monde. Au fond, sa médiocrité A ma connaissance, il n’y a aucune corrélation entre médiocrité et
lui permet de laisser libre cours à toutes ses perversions. bonheur, pas plus qu’entre génie et malheur. Etre heureux, c’est
Le meilleur moyen de critiquer notre monde qui promeut splendide, mais j’ai peur que cela dépende très peu de nos qualités,
l’excellence n’est-il pas de faire l’éloge des médiocres? de nos mérites ou de nos calculs. Q
Je pense par exemple à Vernon Subutex, le personnage de
Virginie Despentes, qui devient un gourou précisément LA SEMAINE PROCHAINE
parce qu’il n’ambitionne plus rien… L’ARROGANCE par MICHAËL FŒSSEL
L’OBS/N°2855-25/07/2019 59
7<)30*0;i
quand
vous refermez
u n m a g a z i n e,
une nouvelle vie
s’ouvre à lui.
___________________________________
Sexe, drogues
& Harley-Davidson
Avec “EASY RIDER”, ses dealers à moto
et sa BO culte, Peter Fonda et Dennis Hopper
inventent le ROAD TRIP musical. Le film a coûté
501 000 dollars, il en rapportera 60 millions
Par F R A N Ç O I S F O R E ST I E R
E D’ÉTÉ · 4
ÉR I
/7
S
1969 ANNÉE
FANTASTIQUE
—
S
usan Fonda pose son robot mixeur, regarde
son mari Peter, envapé jusqu’aux orteils et,
gentiment, lui dit : « C’est l’idée la plus conne
du monde. » Il vient de fumer la moquette du
salon, les rideaux de l’entrée, la batavia de la
voisine, et, un peu chancelant, a exposé l’idée
– la révélation ! – qu’il a eue au Lakeshore
Motel à Toronto, en plein festival, alors qu’il
faisait la promo d’un film. Habillé en costard
trois pièces Battistoni, cravate Charvet,
comme un bourgeois, « mais sans chaussures lion, qui surfent sur la vague peace & love. Hopper est le fils d’un
et sans chaussettes », il a descendu quelques barbouze de l’OSS (l’ancêtre de la CIA) qui a côtoyé Mao Zedong
bières, fumé un pétard de Hawaiian Gold, et en Chine avant de devenir postier à LA ; Fonda est le rejeton de
eu une vision grandiose. « Deux mecs, des Henry, la star des « Raisins de la colère ». Le premier a décou-
motos, du sexe, de la came et des bouseux – des vert la bière à 11 ans et n’a plus jamais dessoûlé. Il a tâté de la
braconniers – en pick-up qui les flinguent. Le marijuana, de la cocaïne, de l’héroïne, de la mescaline, du LSD,
pick-up sera plein de canards morts. Voilà. » du protoxyde d’azote, de l’opium, de la méthadone, de la
Peter Fonda a immédiatement téléphoné à colle Uhu et des Camel filtre. Un tantinet parano, il a pris des
son pote Dennis Hopper pour lui pitcher le cours de comédie et, devenu acteur, s’est donné une mission sur
truc : « Balèze, man, putain de balèze ! Tu veux Terre, emmerder le monde. Il a une idole, James Dean, dont il
faire quoi ? – Tu réalises, je produis, on écrit ensemble et on joue les reproduit le comportement. Sur le plateau des « Quatre Fils de
deux types. – Tu veux que… euh… je fasse la mise en scène ? – Putain Katie Elder », il a refusé de suivre les indications du metteur en
oui, man ! » Nous sommes le 27 septembre 1967, le cauchemar scène, Henry Hathaway. Mal lui en a pris. Le cinéaste, un dur à
commence. « Easy Rider » sera tout, sauf easy. Tournage dément, cuire, était l’un des plus gros actionnaires du studio. Hathaway
batailles rangées, « Born to Be Wild », succès planétaire, sexe et a fait fermer le plateau et a exigé de refaire la prise. Elle a été
choppers Harley-Davidson. Pas de canards, cependant. refaite quatre-vingt-six fois. Le rebelle a bouffé son Stetson.
Aujourd’hui encore, les ego fracassés sur le plateau ne sont pas Peter Fonda, lui, est d’une autre nature. Il est grand, beau, char-
calmés : Dennis Hopper, jusqu’au bout, a gueulé qu’il était le seul mant. Il a grandi sans son père, toujours absent, avec sa sœur
auteur du film, Peter Fonda, à 79 ans, s’emporte au seul nom de Jane. La maman, Frances Seymour Brokaw, riche héritière aris-
son partenaire. La devise « Sex & Drugs & Rock’n’roll », alors pro- tocratique dont la famille est apparentée aux Tudor, s’est suici-
vocatrice, se décline aujourd’hui sur des tee-shirts à Dinard. dée en s’égorgeant d’une oreille à l’autre, en 1950. Violemment
Dennis Hopper et Peter Fonda : deux enfants de Hollywood, traumatisé, le gamin a vu son père épouser une jeune femme de
nés au cœur même du « système ». Des fils de bourges en rébel- 21 ans, huit mois après. Le lendemain, il a tenté de se suicider
L’OBS/N°2855-25/07/2019 63
moitié part au Nouveau-Mexique poursuivre la saga. Deux
problèmes se posent. Le premier, c’est la came. Dans le scéna-
rio, les deux héros, Captain America et Billy, veulent faire un
gros coup en vendant quoi ? Du hasch ? De la marie-jeanne ? De
l’héro ? Ça fait bas de gamme. De la coke, alors. Le second pro-
blème ? Les motos. Dennis Hopper, depuis qu’il s’est cassé la
gueule en deux-roues, se méfie. Peter Fonda, lui, n’a jamais
conduit un chopper. Et il faut acheter ces sacrés véhicules. L’ac-
cessoiriste dégotte trois Harley-Davidson pourries à une vente
du Domaine : il s’agit de bécanes du Los Angeles Police Depart-
ment. Des motos de flics ? Damned ! L’accessoiriste les trans-
forme en girafes mécaniques, méconnaissables. Peter Fonda
essaie la sienne : il se fait immédiatement arrêter, et, au commis-
sariat, fouillé au corps, à poil, il avoue : « Je prépare un film. » Les
cops lui rient au nez.
Pour le rôle de l’avocat ramassé en chemin, on contacte Rip
Torn, le gars qui a joué Judas dans « le Roi des rois », méga-pâ-
tisserie biblique. Rip Torn écoute Hopper lui décrire son rôle au
petit déjeuner. Ce dernier est chargé, pas seulement à la caféine.
Le ton monte, les deux hommes se battent à coups de couteau à
beurre. Fonda intervient avant qu’ils se tartinent mutuellement.
Hopper cherche son Magnum 365, qu’il ne trouve pas. Fonda lui
glisse un Placidyl, puissant somnifère, dans son café-bour-
bon-vodka. En plein milieu d’une phrase, Hopper tombe d’un
bloc dans son assiette de donuts. Fonda le couche, inconscient.
S’apprête à lui retirer ses bottes. L’autre ouvre un œil, saisit son
flingue, et gueule : « Personne ne doit toucher mes santiags ! Per-
sonne ! », puis retombe dans le coma. Il dormira avec ses godasses,
pendant tout le tournage. Fonda cherche un autre acteur pour
remplacer le Judas Iscariote qui s’est éclipsé. Il pense à Jack
Nicholson, qui arrive aussitôt, se choisit un costume bizarre,
casque de base-ball et bretelles de golden boy. Il invente un cri
de guerre : « Nik… Nik… Nik… INDIANS ! » Il va devenir la star
d’« Easy Rider ».
“ON A MERDÉ”
Le 13 mai 1969, le film est présenté à Cannes. Silence d’une minute
après le mot « Fin », puis explosion d’applaudissements, un
triomphe. Peter Fonda salue, en costume de général sudiste, avec
une fausse barbe, pour bien faire comprendre que la guerre civile
est déclarée. Les distributeurs – Columbia Pictures – sont atterrés.
Le 10 juillet, sortie à New York. La critique est partagée. Le public,
Sur le tournage d’une scène au Nouveau-Mexique, lui, ne l’est pas. L’affluence est telle qu’il faut enlever les portes de
Dennis Hopper et son chef opérateur, László Kovács. toilettes au Beekman Theatre pour empêcher les gens de fumer
des pétards en groupe. Les producteurs changent d’avis : le film a
coûté 501 000 dollars. Il est remboursé en une semaine, dans une
seule salle. Il rapportera 20 millions de dollars la première année
(60 millions au total). A Paris, « Easy Rider » restera à l’affiche plu-
sieurs années, rue Saint-Séverin. Les enfants de Mai-1968 sont
clients. Et désormais, tous les producteurs de Hollywod veulent
des films low cost, avec de la drogue et des litanies contre-cultu-
relles. La liberté, le free love, les minijupes et les colliers de fleurs
se vendent bien. C’est une nouvelle vague ? C’est une illusion. Elle
ne va pas durer longtemps. Le 9 août 1969, les nervis de Charles
Manson pénètrent chez Roman Polanski et poignardent cinq per-
sonnes dont le coiffeur Jay Sebring. Sharon Tate, enceinte de huit
mois, est éventrée. Buck Henry, par hasard en réunion avec les pro-
ducteurs de « Easy Rider », raconte qu’on a retrouvé le pénis de Jay
Sebring dans la boîte à gants de sa voiture. C’est the end, la fin de
l’utopie californienne.
La suite est un désastre. Peter Fonda et Dennis Hopper se
détestent. Le premier réalise des films médiocres et accepte des
rôles de plus en plus tièdes. Le second se tape trente canettes de
bière et trois grammes de coke par jour. Il parle aux fils élec-
triques, se balade nu au Mexique, échoue dans une cellule capi-
Fin du voyage pour Billy et pour Captain America. tonnée. Déchéance totale : on lui retire ses bottes. Les deux
Les deux compères meurent comme ils ont vécu : sur la route. motos restantes (la troisième a été détruite dans la scène finale)
sont volées, démontées, revendues en pièces détachées. Toutes
les Harley « authentiques » d’« Easy Rider » en vente sur eBay
ter tête-bêche toutes les premières scènes. Il faudra regarder le sont des faux. Régulièrement, il est question de tourner une
film en faisant les pieds au mur. Révolutionnaire, non ? Non. Le suite. « Mais comment ? Les deux mecs sont morts. On imagine
producteur fait jouer le contrat. Hopper est coincé. Il est quand un “Easy Rider 2” au paradis ? »,
même certain qu’« Easy Rider » provoquera une révolution, une demande Fonda. L’idée la plus conne
jacquerie d’enfer, avec des fourches et des Uzi. C’est la lutte le serait encore plus.
finale, l’internationale du shit sera le genre humain, forcément. Dans le film, Captain America dit, SÉRIE D’ÉTÉ
La cerise sur le gâteau, ce sera la musique. Comme le souligne mélancolique : « On a merdé » (« We À SUIVRE…
Philippe Manœuvre, témoin amusé de l’époque : « Le rock, du blew it »). En ce qui concerne « Easy
coup, sentait la liberté. D’un seul coup, le “road trip” musical deve- Rider », c’est faux. En ce qui concerne
nait un genre. » Au début, le groupe Crosby, Stills, Nash and la génération des sixties, c’est vrai. • DE LA NAISSANCE DU CAFÉ
LA GARE, par Jacques Nerson
Young est sollicité. Les quatre arrivent en stretch limousine, une Quant aux motos, réussite totale :
bagnole de nouveaux riches. Hopper pète un câble, et vire les « Il y avait peut-être cinq Harley- • PORTNOY ET SON SCANDALE,
Crosby-Nash-et-tutti : « Des bouffons qui circulent en limo pigent Davidson en France, à l’époque », se par Didier Jacob
rien à mon film », gueule-t-il. En Coccinelle Volkswagen rouil- rappelle Philippe Manœuvre. Il y en • ALTAMONT, LE FESTIVAL
lée, ça aurait été OK. Fonda fait un collage de musiques sixties, a 9 143 aujourd’hui. Q DU DIABLE, par Fabrice Pliskin
MICHAEL OCHS ARCHIVES / GETTY IMAGES – ARCHIVES DU 7 E ART / PHOTO12 / AFP L’OBS/N°2855-25/07/2019 65
BIO
Né en 1984 à Strasbourg,
Pio Marmaï est nominé aux
Césars en 2009 dans la
catégorie meilleur espoir
masculin pour « le Premier
jour du reste de ta vie »
et en 2011 pour « D’amour
et d’eau fraîche ». En 2019,
il concourt pour le césar
du meilleur acteur
grâce à « En liberté ! ».
CINÉMA
Dans le cinéma français, il met l’écran sous parle ? « Je suis tombé dans la marmite, Lellouche et de Zabou Breitman. « J’ai fait
tension. Hors d’haleine, pressé par le enfant. Bsur. » Bien sûr. ce que je savais faire, en roue libre. On m’a
temps qui lui manque, boosté par on ne « Au départ, je voulais être CRS. Rien que suggéré d’avoir un peu de retenue. »
sait quel électron génétique, les cheveux pour faire chier. » Puis il a changé de voca-
en désordre, la barbe apparente, Pio Mar- tion : « Artificier. Pour tout faire péter. Notez,
maï bouscule les mots, demande de l’eau je n’ai pas varié. J’ai toujours envie de tout “JE ME SUIS PRIS EN MAIN”
et du café, puis du café et de l’eau, et s’im- faire péter », dit-il en agitant un avant-bras Brusquement, il comprend. Le cinéma,
patiente devant une vie au ralenti. A 35 ans, tatoué sur lequel on peut lire « Limp c’est un métier. A l’écran, tout est démulti-
pourtant, fort de vingt-quatre films en dix Wrist » (poignet mou), entre autres sigles plié. Pas question de faire le dandy dédai-
ans, nominé trois fois aux Césars, il revient bizarres qui constellent son corps. « Ma gneux, comme son grand-père, qui louait
dans « Je promets d’être sage », de Ronan mère me disait : “Si tu te fais tatouer, je te un caniche pour le week-end histoire de
Le Page, comédie estivale dans laquelle il déshérite.” Du coup, je me suis fait percer les faire le promeneur chic. « Je ne voulais pas
injecte une dose d’hystérie (au début), de oreilles, pour commencer. » Bref, cette ado- être un imposteur. Acteur, c’est une respon-
sagesse (momentanée) et de cynisme (à la lescence remuante à Strasbourg a succédé sabilité. Je me suis pris en main. »
fin). Il incarne un metteur en scène de à une enfance endormie. « Mes parents tra- La simple énumération de ses rôles
théâtre barjo et capricieux, qui, faute de vaillaient à l’Opéra. Mon père comme scé- prouve qu’il a réussi : marginal nomade
mieux, va devenir gardien de musée à nographe, ma mère comme costumière. Moi, dans « D’amour et d’eau fraîche », mort en
Dijon, et trouver d’autres sources de reve- je traînais dans les couloirs, avec les halle- sursis dans « la Délicatesse », dealer de coke
nus, illégales, grâce à une collaboratrice bardiers, puis je m’installais. C’était l’époque dans « Alyah », journaliste de gauche dans
désagréable, vénale, menteuse et délicieu- de l’opéra en perruques et bas de soie. Le « Des lendemains qui chantent », avocat
sement craquante, Léa Drucker. Pio Mar- ténor envoyait la purée, on en avait pour dans « Santa et Cie », et, surtout, braqueur
maï, dans le film, a des comportements trois heures. Je m’ennuyais à mourir. » La de bijouterie dans « En Liberté ! »… Il
infantiles et confus, ce qui lui va bien, particularité de la bâtisse de l’Opéra, là-bas, admire les gens qui savent faire le grand
puisque « au début, j’ai hésité à transformer c’est que seules six muses figurent au fron- écart, comme Joaquin Phoenix, le tueur des
mon nom en Marmaille ». ton, sévères et marmoréennes. Parmi les « Frères Sisters », ou Divine, le travelo obèse
trois qui manquent, il y a Calliope, la déesse de « Pink Flamingos » : « Des acteurs qui
du bien-dire. C’est celle que Pio Marmaï a donnent tout, qui carbonisent l’écran. » Dans
“AU DÉPART, JE VOULAIS ÊTRE CRS ” choisie, évidemment. leur genre, des artificiers. Dans son genre,
« Le cinéma, au départ, je méprisais. J’étais Au Conservatoire de Saint-Etienne, pen- lui, c’est un survolté adouci par le charme.
au-dessus de ça », dit-il avec l’aplomb d’un dant trois ans, Pio apprend à placer sa voix, Enfant, Pio Marmaï collectionnait les
caporal. Pio Marmaï, dans les années à articuler, à bien dire. Simultanément, dans chats « qui se faisaient tous écraser ».
2000, ne jurait que par les grands textes, une ville enchâssée dans la montagne et Heureux possesseur, aujourd’hui, d’un
les tirades mémorables, les personnages l’ennui, arrimée à son passé « de l’arme, du chien dont je n’ai pas compris le nom, qui
du répertoire. « Notamment dans “la Sri- cycle et du ruban », il fréquente les milieux est d’origine chinoise, il préfère
sée” ». La Srisée ? Sans doute une pièce punks. L’époque est au rock garage, aux collationner les mots, les beaux textes,
d’avant-garde, avec des acteurs nus et des crêtes iroquoises, au piercing massif. Des « une langue forte, sans laquelle je deviens
décors branlants ? « Non, “la Srisée” de groupes comme Les Crades Marmots, Los fou ». Dans « Je promets d’être sage », il
Tchekhov. » On apprend ainsi, dans une Fastidios, Les Ramoneurs de menhirs, promet, mais Dieu merci ne tient pas.
conversation en mode avance rapide, qu’il Korrosiv ou Limp Wrist justement se Surveillant assoupi de toiles de maîtres, il
a joué dans « la Cerisaie », « les Temps dif- déchaînent. Pio Marmaï : « On n’avait que intervient pour préciser aux touristes
ficiles » d’Edouard Bourdet puis, plus ça à foutre. Et le foot. » Pour décrire l’am- qu’il ne faut pas manger dans le musée.
récemment, dans « Roberto Zucco » de biance, il suffit de donner le nom de la sta- C’est tout ? Non. Face à la caractérielle
Koltès. Comment a-t-il travaillé sur les tion de radio favorite des jeunes du coin : La Léa Drucker, qui fait tout pour lui mettre
planches ? « Avec énergie », affirme-t-il. France pue. Tout un programme. les nerfs à vif, Pio Marmaï passe de
Ludion souriant, il précise cependant : Un jour, à tout hasard, Pio Marmaï passe l’exaspération à la béatitude, de la rage à
« J’étais un peu demeuré. Je croyais qu’il un casting de cinéma. Rémi Bezançon, le l’état zen. A chaque fois, à chaque rôle, il
n’y avait que le corps, dans ce métier. Or, je metteur en scène, voit en lui une étincelle. cherche l’intensité, le plaisir de jouer, la
me suis aperçu qu’il y a aussi la langue. » Il l’engage pour « le Premier Jour du reste vérité. « S’il faut se taper la tête contre les
D’où tire-t-il pareil train d’enfer ? Prend-il de ta vie », où notre débutant se retrouve murs, dans une scène, je le fais à la lettre. Il
du speed, de la caféine en barre ou est-ce en compagnie de Jacques Gamblin, de faut être remonté, me dit-on. Moi, je ne suis
son sang italien, « 100% macaroni », qui François-Xavier Demaison, de Gilles jamais descendu. » Bsûr. Q
L’OBS/N°2855-25/07/2019 67
tin enseigne l’allemand dans un collège à
Sainte-Marie, mais ses parents habitaient
un HLM à Villeneuve-la-Garenne. Il est
né en 1967. Il a grandi à Conflans-Sainte-
Honorine, étudié la littérature à Paris, vécu
dix ans à Tübingen, en Allemagne, soutenu
une thèse sur Novalis et les sciences de la
terre (« On le sait peu, mais ce grand poète
romantique était aussi géologue »). Il a
enseigné à Epinal, atterri à La Réunion
en 2007. C’est là qu’il s’est « replongé dans
Kafka » : « A 10 000 kilomètres de Paris, on
sent parfois un isolement. Ma femme et moi
voyons des gens, mais la vie insulaire n’offre
pas tellement de distractions. » Avis au
LITTÉRATURE Français de métropole : comme disait
Louis Guilloux, grand lecteur de Kafka,
Kafka sous
« On est bien partout pour être mal ».
Margantin a retraduit de brefs récits
comme « le Terrier » ou « la Colonie péni-
tentiaire », tout en écrivant un anti-
T
oute sa vie, le marchand d’art
britannique Charles
Sprawson, 78 ans, a nagé dans
le bonheur et ses nombreux 70 Lire 72 Voir 74 Ecouter 75 Sortir
affluents, la littérature, la
peinture, le cinéma, voire la
mystique. Sa première extase
aquatique et amniotique, il l’a
éprouvée dans le bassin d’un
collège chic de Karachi, où il
est né, ainsi que dans les caves inondées du palais d’un
prince indien et champion de cricket. Depuis, il s’est
baigné dans les mers, les rivières, les lacs, les piscines
du monde entier, il a pratiqué de Key West à Benghazi
le crawl japonais, la brasse française, la nage indienne,
il a célébré ce que les Romains appelaient l’acqua felice
et n’a jamais cessé de « forniquer avec l’onde », selon le
mot du Sétois Paul Valéry, dont il fait sien le credo
liquide : « Mon corps devient l’instrument direct de
mon esprit, l’auteur de ses idées. Plonger dans l’eau,
mouvoir son corps dans sa beauté sauvage et gracieuse,
c’est un délice qui n’a d’égal que l’amour. » A cette
passion sportive et intellectuelle, qui le submerge,
résume son existence et lui donne un sens, il a
consacré un livre, son unique livre, paru à Londres
en 1992, traduit enfin chez nous par Guillaume
Villeneuve. « Héros et nageurs » (Nevicata, 22 euros)
emprunte aux Mémoires, à l’anthologie, à la
circumnavigation, au traité d’apnée et à l’exercice de
style. Charles Sprawson sait que le maillot de bain en
jersey de soie de Zelda Fitzgerald était couleur chair,
comment Orson Welles piégeait ses invités qui
urinaient dans sa piscine, à quelle date les nageurs
américains commencèrent à s’épiler et se raser, à
quelle page du « Soleil se lève aussi » un personnage
« nage les yeux ouverts et c’était vert et sombre », dans AVANT-PREMIÈRE
quelle ville de l’Arizona l’ex-champion australien
Murray Rose se consacre désormais à une « quête
spirituelle de l’eau », d’où vient que les techniques du
phoque volant, de la grenouille et du moulin à vent ont
Dubois en prison
annoncé le dos crawlé, avec quelle obstination l’Eglise Page 14, tout est dit : « L’homme est un ours qui a mal tourné. » Jean-Paul Dubois
a peuplé la mer de monstres, comment, à Etretat, le (photo) connaît par cœur la dinguerie de ses congénères. L’auteur de « l’Amérique
jeune Maupassant sauva le poète Swinburne de la m’inquiète » le prouve une fois encore, en 240 pages, avec un roman parfait qui
noyade et pourquoi, sur les bords de la Seine, où il se pousse l’élégance jusqu’à faire semblant de n’être qu’un roman de 240 pages. Ici,
baignait deux fois par jour, Flaubert voulait être un brave type croupit dans une cellule, à Montréal, avec un Hells Angel qui a peur
« transformé en eau avec des milliers de tétons liquides qu’on lui coupe les cheveux. Que fait-il là, ce fils de pasteur ? On verra. En atten-
voyageant sur son corps ». « Héros et nageurs », où dant, on l’écoute raconter : son enfance à Toulouse, sa chienne qui lui manque,
l’auteur godille de Byron à Pouchkine et pagaie de la barbarie contemporaine des cost killers, l’absurdité de toute existence. On rit,
Leni Riefenstahl à Esther Williams, est le livre d’une on est ému, on l’aime. Et on se dit que « Tous les hommes n’habitent pas le monde
vie. Il pourrait devenir celui de votre été. Retenez bien de la même façon » (L’Olivier, 14 août) ferait un beau prix Goncourt, si les ours
le nom du maître-nageur, il s’appelle Charles Sprawson. n’avaient pas si mal tourné.
J. G. GRÉGOIRE LEMÉNAGER
LE CHOIX DE L’OBS
Duel au soleil
LES FURIES, PAR NIVEN BUSCH, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR JOSÉ ANDRÉ LACOUR
ET GILLES DANTIN, ACTES SUD, 288 P., 22,50 EUROS.
LES TESTAMENTS Le ranch Jefford : un territoire éloigné, au fin Bertrand Tavernier, le maître d’œuvre de la collection
D’ATWOOD fond du Nouveau-Mexique, sur lequel Temple Caddy « l’Ouest, le vrai », montre qu’on est ici bien loin d’un de
Trente-cinq ans
après « la Servante Jefford, son propriétaire, règne en despote intraitable ces westerns bon marché qui exploitaient, jusqu’à la
écarlate », vendu à comme en politicien avisé. Si son ranch est aussi vaste, et corde, les éternels stéréotypes de l’Ouest américain. C’est
320 000 s’il a gagné le droit d’y battre sa propre monnaie (des bil- bien à un drame œdipien et à une tragédie shakespea-
exemplaires en lets portant son initiale qui rappellent les coupures du rienne que nous avons affaire, avec cet art tout particulier
France (et à plus de
8 millions en langue Monopoly), c’est qu’il a autrefois servi les intérêts du qu’a Busch d’inscrire au centre de ses récits des person-
anglaise) et dont Texas dont il est originaire, et qu’il a reçu, en échange, des nages féminins qui, loin de se résumer au statut de
l’adaptation en série milliers d’hectares de terre qu’il a valorisés sans relâche, potiches, embrasent l’action par leur intelligence acérée
télévisée a avec l’aide de sa fille Vance, 19 ans, une jeune fille intelli- et leur inflammable sensibilité. Le grand réalisateur
remporté un succès
international,
gente et décidée qui semble toute désignée pour lui suc- Anthony Mann ne s’y trompera pas, qui adaptera en 1950
Margaret Atwood céder. Mais Jefford a un faible pour les femmes comme « les Furies » de façon « fidèle et magistrale ». Mais Busch
lui a écrit une suite, cette Flo Burnett qu’il ramène un jour à la maison. Entre fut aussi le scénariste de grands films de Walsh, et l’au-
« les Testaments », Vance, qui voue à son père un amour exclusif, et Flo, on teur d’un roman dont l’adaptation le fit connaître : « Duel
qui paraîtra le ne va s’envoyer que des noms d’oiseaux à la figure. Forte au soleil ». Un film flamboyant dont Bertrand Tavernier,
7 novembre aux
éditions Robert tête jusqu’au bout, Vance décide d’épouser Juan, un colon intarissable comme on imagine, raconte la genèse. David
Laffont. Sortira en mexicain désargenté qui travaille pour son père. Elle est Selznick, le célèbre mogul de Hollywood, se piquait de
même temps une une des « furies » du titre, tout comme sa mère décédée, récrire les scènes du film dont il était le producteur, au
nouvelle édition de fantôme qui hante le domaine et l’âme de Jefford, forcé grand désespoir de Busch. Mais King Vidor, le réalisateur,
« la Servante
écarlate », avec une
d’affronter le regard furibard de son ancienne épouse rassura un jour ce dernier : « Je coupe tout ce qu’il ajoute
préface inédite de dans les recoins les plus obscurs de son âme. Dans sa for- et remets en douce ton dialogue et il ne s’en aperçoit pas. »
Margaret Atwood. midable postface au roman de Niven Busch (1903-1991), DIDIER JACOB
ÉTRANGER LETTRES
En marche !
FLÂNEUSE, PAR LAUREN ELKIN, TRADUIT DE L’ANGLAIS
PAR FRÉDÉRIC LE BERRE, HOËBEKE, 368 P., 23 EUROS.
CLOONEY DANS
L’ARCTIQUE Wanlop Rungkumjad et Aphisit Hama.
George Clooney
réalisera à partir LE CHOIX DE L’OBS
d’octobre « Good
Morning, Midnight »,
un drame
de science-fiction,
dont le scénario est
Un génocide silencieux
une adaptation du
roman éponyme de MANTA RAY, PAR PHUTTIPHONG AROONPHENG. DRAME POLITIQUE THAÏLANDAIS,
Lily Brooks-Dalton. AVEC WANLOP RUNGKUMJAD, APHISIT HAMA, RASMEE WAYRANA (1H45).
Il y incarnera un
scientifique solitaire
en Arctique qui
cherche à entrer en Tout commence en silence, un silence lourd, les sentiments et les gestes, si minimes soient-ils. Quand
contact avec des oppressant, poisseux. Nous sommes près de la frontière le pêcheur apprend à son compagnon muet à danser sous
astronautes tentant avec le Myanmar. Un homme couvert de petites lumières une boule tango ; quand il enseigne la natation ou la
de revenir sur Terre.
LED – un pêcheur ? – avance dans la jungle, découvre un beauté du monde ; quand une femme arrive, poussée par
POELVOORDE, agonisant dans la mangrove, le recueille et lui fournit le l’aridité de la ville, le film est comme porté par une houle
CE HÉROS gîte et le couvert. Les deux hommes, plus tard, cohabitent de grâce. Est-ce une parabole, une énigme politique, une
En tournage
jusqu’au 19 juillet dans la cabane du pêcheur et n’échangent aucune parole. fable onirique ? Passent des indices, semés par le réalisa-
sous la direction de Le blessé parle-t-il une autre langue ? Est-il muet ? Tan- teur : le pêcheur refuse de continuer un sale boulot (on
Jean-Pierre Améris, dis qu’ils contemplent des raies manta et cherchent des ne saura jamais lequel, mais on se doute qu’il s’agit de
« Profession du gemmes, peu à peu, la réalité sinistre s’infiltre. Quelque traquer les immigrants), son patron lui indique que cette
père », adapté d’un
roman de Sorj
part dans la jungle, des hommes meurent : ce sont des désertion ne passera pas inaperçue. Etrange film, où il
Chalandon, met Rohingyas qui fuient la persécution. Puis, à son tour, le faut deviner les saloperies, et où la mer, périodiquement,
en scène Emile, pêcheur ne revient pas. Son compagnon, tout naturelle- rythme les images. Le sound design obsédant, souligné
12 ans, dans les ment, reprend la même activité : raies, gemmes, sauve- par la musique du duo français Snowdrops, colore tout,
années 1960 à Lyon, tage… Phuttiphong Aroonpheng signe un premier film infuse les êtres et les paysages. Ce vernis méditatif, cette
sa mère (Audrey
Dana) et son d’une quiétude menaçante : sous les images, lentes, façon de prolonger la note est en contraste total avec la
père (Benoît calmes, se déroule, en secret, une tragédie. Les Rohingyas violence sous-jacente de ce littoral traversé par des
Poelvoorde), héros sont exterminés, jetés dans des fosses communes, trans- hommes traqués. Influencé, dit-il, par David Lynch, le
d’aventures qui le formés en fantômes qui errent interminablement dans réalisateur termine son film sur des images de raies, pois-
fascinent, mais dont
le comportement
la forêt. Ex-directeur photo passé à la réalisation, sons aux grandes ailes majestueuses, et possédant un
devient de plus Aroonpheng signe un récit profondément humaniste, où dard mortel. Méfiez-vous.
en plus inquiétant. rien n’est expliqué, où nul n’est défini, où seuls comptent FRANÇOIS FORESTIER
72 L’OBS/N°2855-25/07/2019 JOUR2FÊTE
CRITIQUES
GIVE ME LIBERTY
PAR KIRILL MIKHANOVSKY
Comédie dramatique américaine,
avec Chris Galust, Lauren Spencer,
Le gros sac Kelly
Darya Ekamasova (1h51). DONNIE DARKO, PAR RICHARD KELLY.
Vic, jeune chauffeur
d’un bus pour handicapés DRAME DE SF AMÉRICAIN, AVEC JAKE GYLLENHAAL,
à Milwaukee, embarque DREW BARRYMORE, JENA MALONE (2001, 1H53).
successivement un papy gaga, Au rayon « séries B du samedi
une bande de Russes qui vont soir », « Crawl » représente
enterrer un pote, une jeune le haut du panier. Enfant des
femme en chaise roulante, et, vidéoclubs, Alexandre Aja
toujours en retard, rend visite (« Piranhas 3D ») est un des
à sa mère, qui doit donner un derniers faiseurs adroits du
récital de piano. Entre-temps, genre. Qu’importe la minceur
le road trip s’est transformé du scénario, pur prétexte
en joyeuse farandole. Kirill à sensations fortes, tout, dans
Mikhanovsky s’est inspiré de sa ce survival en eaux diluviennes,
propre vie (il a été ambulancier passe par la réalisation,
à son arrivée aux Etats-Unis) modèle d’efficacité, de brio
et insuffle à ce film bordélique discret. On tremble, on sursaute.
une électricité joyeuse. Il aime Claustrophobes et crocophobes,
ses personnages et les filme ne pas s’abstenir.
avec un entrain communicatif. N. S.
Seul défaut : la saga est un poil THE OPERATIVE
trop longue, mais il y a là une PAR YUVAL ADLER
vraie nature de cinoche. Film d’espionnage germano-israélien,
F. F. avec Diane Kruger, Martin
FACTORY Freeman, Cas Anvar (1h56).
Où est passé Richard Kelly ? En 2001, à 26 ans, il signait « Don-
PAR YURI BYKOV
Polar russe, avec Vladislav Abashin, nie Darko », où se mêlaient le quotidien d’une bourgade californienne,
Andrey Smolyakov, le duel Bush-Dukakis à la présidentielle de 1988, la physique quan-
Dmitry Kulichkov (1h49). tique, le voyage dans le temps, les gourous de la pensée positive, la fin
Revendue par du monde et un lapin imaginaire pour raconter le mal-être adolescent.
son propriétaire, une usine
sidérurgique s’apprête à fermer
Avec cette fable culte, mezze pop-culturel, Richard Kelly imposait un
et à mettre ses employés au univers et révélait Jake Gyllenhaal dans le rôle-titre. Revoir « Donnie
chômage. C’est sans compter Darko », que personne aujourd’hui à Hollywood ne produirait, c’est
sur l’un d’eux, un vétéran de humer l’air d’un temps révolu, des angoisses millénaristes pré-11-Sep-
guerre défiguré, qui convainc tembre et du dernier âge d’or du cinéma indépendant américain.
des collègues de prendre en
otage l’oligarque sans scrupule Depuis, Kelly a subi l’hallali cannois avec « Southland Tales », et tous
en échange d’une rançon. ses projets sont tombés à l’eau. Son dernier film, « The Box », remonte
C’est noir, cruel et sans espoir. à dix ans. NICOLAS SCHALLER
On reconnaît le style de Yuri
Bykov, forte tête du cinéma Début des années
russe actuel, qui étale sa vision Admirablement filmé, « Factory » des riches capitalistes 2000. Après avoir mené à bien
très critique de son pays dans convainc moins, la parabole et de la corruption policière) une mission d’infiltration auprès
des thrillers impitoyables. politique (la prise d’otages prenant le pas sur le suspense, d’un homme d’affaires iranien,
L’excellent « l’Idiot! » fricotait figure la situation d’une société la crédibilité de certains une agente des services secrets
avec un absurde kafkaïen. à sens unique, sous la coupe personnages et l’adhésion israéliens (Diane Kruger, photo)
du spectateur. L’indignation, disparaît. Celui qui l’avait
elle, déborde de chaque plan. recrutée et formée (Martin
N. S. Freeman) tente de la retrouver
pour comprendre sa défection
CRAWL et empêcher son élimination.
PAR ALEXANDRE AJA Un thriller géopolitique
Thriller américain, avec Kaya – officiellement dénoncé
Scodelario, Barry Pepper, par le Mossad – auquel les
Ross Anderson (1h28). actuelles séries sur le même
Un ouragan s’abat sujet (voir le remarquable
sur la Floride. Une jeune « The Little Drummer Girl »,
nageuse tente de sauver son de Park Chan-wook, d’après
père, prisonnier de sa maison, John le Carré) donnent un coup
et se retrouve coincée avec de vieux. Ce que le feuilleton
lui au sous-sol, envahi par complexifie, le film le simplifie
les eaux et les alligators. jusqu’au stéréotype. Distrayant,
Après « les Dents de la mer », certes, mais s’oublie en un éclair.
« Factory », de Yuri Bykov. « les Crocs de la cave »! XAVIER LEHERPEUR
PANDORA INC. TOUS DROITS RÉSERVÉS – BAC FILMS – PARAMOUNT PICTURES CORPORATION – LE PACTE L’OBS/N°2855-25/07/2019 73
ÉCOUTER LA PLAYLIST DE…
BERTRAND BURGALAT
Musicien, dernier album :
BO du film « Yves »
LE CHOIX DE L’OBS
1. BADEN GEHN
Manfred Krug
Comment faire ? D’abord, il faut baisser les Ce dernier montre par ailleurs, au Blockhaus DY10,
yeux pour suivre la ligne verte qui court sur les trot- plusieurs de ses créations, machines animées entiè-
toirs et rues de la ville sur plus d’une dizaine de kilo- rement conçues par ce démiurge qui jongle avec l’ar-
mètres : elle relie entre elles les œuvres pérennes des tisanat, la robotique et l’informatique. On a toujours
éditions antérieures du « Voyage à Nantes » et celles les yeux dirigés vers le ciel pour admirer la treille
de cette cuvée 2019. Cette fois, il faut lever les yeux toute poétique qu’Eva Jospin a déployée rue de la
pour les découvrir. Près de la gare, dans les arbres, Tour-d’Auvergne, dans la cour d’un immeuble. Des
sur les monuments, Tadashi Kawamata a installé ses lianes tissées, des feuillages patiemment découpés
drôles de nids, constructions en bois haut perchées dans des calques, des fils de cuivre et des pende-
qui rappellent les abris des hirondelles. Sur la butte loques en laiton martelé composent un voile fragile
Sainte-Anne, l’artiste japonais a érigé un « Belvédère et poétique. En haut de la façade du légendaire
de l’Hermitage », une passerelle en bois prenant cinéma de la ville, le Katorza, Stéphane Vigny rend
appui sur un enchevêtrement de poutres qui s’élance un hommage drôle à Buster Keaton – l’enseigne de
du bord de la falaise, à plusieurs dizaines de mètres la salle semble s’effondrer sur la silhouette du
au-dessus des rives de la Loire. De là-haut, on comique américain. Le même artiste envahit la place
découvre les toits de la ville et ceux, juste en face, de Royale : il y a disposé des centaines de sculptures
l’île de Nantes. Autre installation, celle de « Human (achetées dans des jardineries) tout aussi kitsch les
Clock », une horloge géante qui a été accrochée sur unes que les autres, composant une assemblée inso-
la façade d’un immeuble de la place Graslin. Toutes lite où les piétons déambulent, entre nains de jardins
les heures (en journée), son mécanisme dissimulé et personnages de la mythologie. Ultime coup d’œil,
ZOOM SUR ZINEB dans un grand coffre ouvre ses portes pour livrer le celui-là jeté dans la « Jungle intérieure » d’Evor,
SEDIRA
Du 15 octobre au
spectacle de rouages insolites qu’un horloger tente extraordinaire jardin qui envahit deux cours inté-
19 janvier, le Jeu de de maîtriser tandis que des plumes et des végétaux rieures du passage Bouchaud. A Nantes, le voyage est
Paume à Paris sont projetés dans l’air. L’œuvre a été conçue par peuplé de surprises…
consacre une Constantin Leu, Ludovic Nobileau et Malachi Farrell. BERNARD GÉNIÈS
grande exposition
à l’artiste anglaise
d’origine algérienne « Reconstituer », une installation de Stéphane Vigny, place Royale.
Zineb Sedira.
Installations, photos,
vidéos retraceront
le parcours d’une
créatrice qui explore
l’histoire
postcoloniale, dont
celle de l’Algérie.
ROCK À
NEW YORK
Le Metropolitan
Museum à New York
propose jusqu’au
1er octobre « Play it
Loud », expo dédiée
aux instruments de
musique qui ont fait
la légende du rock,
depuis l’un des
pianos de Jerry Lee
Lewis jusqu’à la
Gibson de Chuck
Berry en passant
par l’orgue
Hammond de
Keith Emerson.
LES
TENDANCES
DE “L’OBS”
Le croissant,
une viennoiserie
peu ordinaire
Cet été, “l’Obs” part débusquer les mythes alimentaires.
Si le croissant est un emblème national français,
il aurait été inventé en Autriche. Avec l’aide de guerriers
ottomans et de Marie-Antoinette
Par D O R A N E V I G N A N D O
L
’aube se lève à peine sur Manhattan. Un taxi que la belle Audrey avait horreur du croissant. Elle
s’arrête devant le joaillier Tiffany & Co sur aurait même proposé au réalisateur de remplacer ladite
la 5e Avenue. Holly Golightly en descend, viennoiserie par un cornet de glace. Peine perdue. On
ondule sur le trottoir dans une longue robe ne désolidarise pas si aisément le café du petit déjeuner
noire Givenchy. Un café dans une main, un de cette pâte feuilletée bien beurrée. La savourer, c’est
croissant dans l’autre, elle regarde avec envie les bijoux tout un art de vivre : au lit en amoureux dans un hôtel,
en vitrine qu’elle ne pourra jamais s’offrir. Les fans sur le pouce au zinc avant d’aller travailler, pour ses
d’Audrey Hepburn et du film « Diamants sur canapé », bambins au goûter, ou lors du brunch du dimanche
de Blake Edwards, connaissent la scène par cœur. dans une farandole de sucré-salé…
Depuis 1961, on n’a pas trouvé manière plus délicieuse « Un croissant, c’est tactile, charnel, sensuel. Il doit
de croquer dans un croissant, sur fond de « Moon sentir bon, se tripoter avec les doigts, être rebondissant,
River », mélodie signée Henry Mancini. Mythique. Sauf avoir fait un peu de gonflette », décrit le critique gastro-
76 L’OBS/N°2855-25/07/2019
nomique François-Régis Gaudry. Même le philosophe cisément au siège de Vienne, en 1683, qui marqua le début SIÈGE DE VIENNE
Ruwen Ogien reconnaît ses vertus, puisqu’il a intitulé du reflux des Ottomans en Europe […]. Il s’agit de mar- PAR L’EMPIRE
un de ses ouvrages « l’Influence de l’odeur des crois- quer la distinction et l’affrontement séculaire entre OTTOMAN EN 1693,
sants chauds sur la bonté humaine » (Grasset, 2011). musulmans et Européens en Occident. […] La viennoi- TABLEAU
En effet, il serait psychologiquement prouvé que la serie sent bel et bien la croisade. » DE FRANS GEFFELS,
perception des effluves alléchants des viennoiseries Une croisade également gastronomico-scientifique xvii e SIÈCLE.
accroît sensiblement la gentillesse et la générosité des au sujet de laquelle chercheurs et historiens ont mis
gens. A moins que cela ne soit l’inverse… Un article de du temps à se mettre au diapason. Pour certains, la
« Libération » de 2015 décrit à quel point certains pro- première explication sur la naissance du croissant
duits de la cuisine nationale restent un instrument fon- date de 1938, lorsqu’un dénommé Alfred Gottschalk,
dateur de la légende des nations : « Ainsi du croissant, diététicien suisse, lui consacre un premier article dans
directement associé au choc des civilisations et plus pré- le « Larousse gastronomique ». Il écrit que le
« petit pain » est apparu durant le siège de Buda Peu importe. Entre croix chrétienne et croissant
(Budapest) par les Ottomans en 1686. Dix ans plus d’Orient, la mythologie rejoue la scène à Vienne en 1683.
tard, l’auteur affirme qu’il est en fait né à la suite de la Mehmed IV, le sultan, a adressé quelques mois plus tôt
victoire des Autrichiens sur ces mêmes Ottomans lors une déclaration de guerre à l’empereur d’Autriche
du siège de Vienne, en 1683. Afin de démêler le vrai Léopold Ier : « Nous t’ordonnons de nous attendre à
du faux, l’archiviste Franz Rainer y consacre toute une Vienne, ta capitale, pour que nous puissions te trancher
étude en 2007 (1), arguant que, de 1863 à 1962, la plu- la tête. » En pleine nuit, les Turcs assiègent la ville impé-
part des chroniqueurs se sont trompés dans les dates, riale. Ils ont décidé d’y pénétrer en creusant un souter-
les mots, les légendes. rain. Tout le monde dort… Sauf les boulangers, qui déjà
allument leur fournil. Intrigués par des bruits dans les
sous-sols, ils donnent l’alerte. L’assaut est repoussé et
les Turcs sont vaincus. Pour célébrer cette victoire, les
autorités accordent aux boulangers l’honneur de
confectionner un hörnchen, littéralement « petite
corne » en allemand, un petit pain représentant la
forme du croissant figurant sur le drapeau ottoman.
78 L’OBS/N°2855-25/07/2019 J. GRAF/DIVERGENCE
TENDANCES
– L B
CE
Ferré, en ajoutant :
« Viens, on reste là pour
–
regarder les belles pépées
se désaper ! » Quel per-
EL
vers, ce Ferré. Des
N
Pa
A
SO T
PHIE FON pépées ! Pourquoi pas des
mémés tant qu’on y est !
Bref, le voici dehors, à l’air
E
videmment, au début, il est c’est bien lui : Yves. On l’a même réincarné Yves Saint Laurent », il élucide. Mais la
ravi. D’abord, parce que c’est avec ses lunettes de vue. Hélas, ses yeux fille de la caisse, elle n’en a rien à carrer,
Marrakech, et ensuite parce tombent sur une tunique monstrueuse elle appelle deux vigiles qui le soulèvent
qu’en regardant ses mains et dans une matière monstrueuse avec des du sol et le portent vers la rue. C’est gênant
son beau jean délavé et ses lanières monstrueuses qu’une vendeuse comme situation, il voudrait redevenir
longues jambes il comprend que, coup de monstrueuse tend à une cliente mons- invisible, là tout le monde le regarde. Ça
bol, il revient en bel homme des années trueuse en disant : « C’est un mix saha- ne pourrait pas être pire. Ah ben si, ça
1970 et pas en débris moroses. « J’ai le cul rienne-liquette esprit Saint Laurent. » Non, peut : qui l’attend tranquillement sur le
bordé de nouilles ! », s’exclame-t-il. Il mais elle est timbrée, celle-là ! Même pas trottoir ? Léo Ferré. « Viens, je vais chanter
regarde autour de lui, et reconnaît l’en- en rêve que cet oripeau a l’esprit Saint “Jolie Môme” et toi, tu feras la quête. » Une
droit, l’entrée du jardin Majorelle. Il se Laurent ! Du coup, il fiche par terre tout quête ! Ah ben ça, c’est le comble ! Du
sent si beau, avec sa jeunesse retrouvée, il un portant, rien que pour faire chier. Ça coup, il se carapate sans tourner les talons.
fonce dans une boutique qui se trouve là met un de ces bordels ! Personne ne com- Mais s’arrête, pris par un doute : « “Quête”,
pour se checker dans le miroir. Eh oui, prend pourquoi le portant est parti et si c’était juste une abréviation ?! » Q
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