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Compression Médullaire
Compression Médullaire
Elisabeth Langenskiöld
Dans InfoKara 2003/3 (Vol. 18), pages 130 à 135
Éditions Médecine & Hygiène
ISSN 1021-9056
DOI 10.3917/inka.033.0130
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 20/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.154.245.223)
Elisabeth Langenskiöld
Médecin
Résumé : La compression médullaire métastatique – La compression médullaire métastatique est une urgence médicale régulièrement ren-
contrée dans un milieu de soins palliatifs. L’IRM permet un diagnostic sensible, spécifique et non invasif. Le traitement de première in-
tention reste actuellement la radiothérapie associée aux corticostéroïdes, la chirurgie – laminectomie ou corpectomie – étant réservée à des
indications particulières. La situation clinique neurologique constituant le facteur pronostique principal, le diagnostic précoce et une prise
en charge rapide sont essentiels.
Summary : Metastatic cord compression – Cord compression is a medical emergency that is regularly seen in palliative care. MRI allows sen-
sitive, specific and non invasive diagnosis. First line treatment relies on radiation therapy in association with corticosteroids and surgery –
laminectomy or corpectomy – remains indicated for particular situations. Major prognostic factor is determined by neurological examina-
tion emphasizing on the necessity for early diagnosis and management.
n’est pas connue de façon précise mais peut néanmoins Rein 7-13%
faire l’objet d’une estimation. En effet, dans les séries Colon-rectum, myélome,
d’autopsies, on retrouve entre 5 et 33% de métastases sarcome, cancer indéterminé < 5%
épidurales chez les patients cancéreux [2, 3], bon nombre
d’entre elles étant probablement asymptomatiques. On
estime par ailleurs que 5-10% des patients atteints d’un
Toute proportion gardée, les vertèbres thoraciques
cancer vont développer une compression médullaire mé-
sont les plus fréquemment touchées (50-70% cas), suivies
tastatique symptomatique dans le courant de leur vie [3-
des lombaires (20-30%) et des cervicales (10%) [4, 5, 8, 9].
6]. Parmi ceux-ci, 15-30% souffrent de métastases
Certaines études ont suggéré une tendance plus spéci-
épidurales multiples [4, 5, 7, 8].
fique selon la localisation primaire, soit le cancer du pou-
mon ou du sein au niveau thoracique, le côlon ou la
Correspondance: Cesco, 11, ch. de la Savonnière, CH-1245 Collonge- prostate au niveau lombo-sacré [4, 11]. D’autres auteurs
Bellerive. n’ont pas pu confirmer cette hypothèse [5].
Une étude assez récente a montré qu’environ 20% des de la métastase qui détruit le périoste. Une aggravation
compressions médullaires métastatiques étaient la mani- brutale doit faire évoquer une fracture tassement de la
festation initiale de la maladie carcinologique. Dans ce vertèbre concernée. La seconde douleur est radiculaire
contexte, les étiologies primaires les plus souvent retrou- car elle est liée à la compression d’une racine nerveuse.
vées sont différentes, puisque 78% des cas sont représentés En cas d’atteinte lombaire ou cervicale, elle est générale-
par le cancer du poumon, le myélome multiple, le lympho- ment unilatérale, alors qu’à l’étage thoracique, elle se
me non hodgkinien ou une origine indéterminée [12]. manifeste comme une douleur en ceinture [4, 11, 14]. Dans
50-90% des cas, la douleur de la compression médullaire
nécessite un traitement d’opiacés [6, 8].
Physiopathologie Les troubles neurologiques d’accompagnement com-
prennent les troubles moteurs, sensitifs et sphinctériens
La moelle épinière est entourée par un anneau osseux qui surviennent généralement dans cet ordre en raison de
protecteur composé du corps vertébral antérieurement, la sensibilité respective des différentes fibres nerveuses.
des pédicules latéralement et des lames et processus épi- Lors du diagnostic, les troubles moteurs tels que la sensa-
neux postérieurement. Entre l’os et la dure-mère, la plus tion de lourdeur, de raideur, la parésie, la paraplégie de
externe des méninges, se trouve l’espace épidural, qui type pyramidal avec hyperréflexie et cutané plantaire en
contient normalement de la graisse et un plexus veineux. extension sont présents dans 82% des cas. Les troubles
La compression médullaire survient quand la tumeur en- sensitifs comme les paresthésies, la perte de la sensibilité
vahit l’espace épidural et comprime le sac dural. thermoalgique puis de la proprioception et des vibrations
La majorité des cas de compression médullaire méta- et très rarement un syndrome de Lhermitte sont présents
statique sont la conséquence de métastases vertébrales. dans environ 65% des cas. Quant aux troubles sphincté-
Au niveau anatomique, la majorité d’entre elles sont loca- riens caractérisés par des urgences mictionnelles, une ré-
lisées primairement au niveau du pédicule, et évoluent tention urinaire, une constipation ou incontinence fécale
antéro- ou postéro-latéralement. La deuxième atteinte la et une impuissance sexuelle sont eux présents dans 57%
plus fréquente se situe au niveau du corps vertébral en- des cas [4, 14]. Seuls 11-48% des patients marchent dont
traînant une compression de la moelle épinière par voie 10% sans aide [5, 2] au moment du diagnostic, et jusqu’à
antérieure. Les lames et le processus épineux sont quant 45% des patients présentent des troubles urinaires invali-
à eux rarement atteints de façon isolée [13]. dants ayant nécessité une cathétérisation [9]. Il faut savoir
La métastatisation dans l’espace épidural se fait le que les troubles sphinctériens ne sont en général pas au
plus communément par voie hématologique via le plexus premier plan sauf en cas de syndrome de la queue de
veineux para-vertébral et extra-dural ou via un processus cheval. En cas d’atteinte thoracique, où la moelle épiniè-
emboligène artériel. Elle peut également résulter de la re se trouve dans un canal étroit, les métastases vont com-
croissance d’adénopathies pré-vertébrales à travers les fo- primer de façon préférentielle les tractus cortico-spinaux
ramens vertébraux ou de la dissémination de cancers du et provoquer des troubles moteurs, alors qu’au niveau
système nerveux central via le liquide céphalo-rachidien. lombaire, où les racines nerveuses de la queue de cheval
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douleur radiculaire, de 21 jours en présence d’une fai- moelle et des racines nerveuses ainsi que le degré de des-
blesse musculaire, de 14 jours pour des troubles sensitifs truction osseuse. En revanche, l’espace épidural n’est pas
et de 3 jours pour les troubles sphinctériens avant que le aussi bien visualisé qu’avec une IRM et les images ne
diagnostic de compression médullaire ne soit posé [14]. peuvent être examinées que dans le plan horizontal [13].
La difficulté d’établir un diagnostic précoce, à savoir La myélographie, bien que d’un rendement relative-
avant l’apparition des troubles neurologiques, réside en ment équivalent à l’IRM pour le diagnostic d’une com-
partie dans le diagnostic différentiel des douleurs dorso- pression médullaire métastatique [5, 15], n’est pour ainsi
lombaires, à savoir l’ensemble des troubles dégénératifs, dire plus utilisée en raison de son caractère agressif et de
les spasmes musculaires et les métastases vertébrales la mauvaise visualisation des structures adjacentes.
sans composante épidurale. La douleur est cependant un Enfin, la scintigraphie osseuse permet une détection
symptôme d’appel cardinal de compression médullaire, des anomalies de manière plus précoce que la radiogra-
et à laquelle il convient d’attacher beaucoup plus d’im- phie standard mais elle est grevée d’un important
portance. Elle est d’autant plus suspecte qu’elle est diffi- manque de spécificité [13].
cilement contrôlable, à type de brûlure ou de dysesthésie,
ou d’aggravation progressive. Toute modification d’une
douleur préalablement bien connue (fréquence, intensi- Traitements
té, localisation, type) doit également faire évoquer le dia-
gnostic de compression médullaire. Radiothérapie
En ce qui concerne le diagnostic différentiel des
troubles neurologiques chez le patient cancéreux, on La radiothérapie est actuellement le traitement de choix
retrouve les syndromes paranéoplasiques, la myélopathie de la majorité des compressions médullaires métasta-
radique, les métastases leptoméningées (généralement tiques. La profondeur de l’irradiation est généralement de
accompagnées de troubles neuropsychologiques et d’at- 5-8 centimètres pour une largeur de 8-10 centimètres en
teintes des nerfs crâniens), l’abcès épidural ou la hernie l’absence de masse para-vertébrale d’accompagnement et
discale [11]. le champ englobe 1 ou 2 vertèbres saines en dessus et en
dessous de la compression [1]. Le schéma optimal n’est en
revanche pas déterminé. Dans un modèle animal murin,
Radiologie une meilleure efficacité de doses moyennes fractionnées
par rapport à une dose élevée unique ou à de petites doses
La radiographie standard est le premier examen à prati- hyper-fractionnées semble avoir été démontrée [17]. Les
quer. Elle peut montrer une image de lyse osseuse ou d’ap- doses utilisées varient entre 8 Gy en une seule séance et
position osseuse anormale, typiquement un effacement du 40 Gy en 20 séances [1]. Peu d’études comparent différents
pédicule vertébral sur une incidence de face, un collapsus protocoles et aucun régime n’a montré de supériorité
vertébral, une fracture, une dislocation, un ante- ou un significative par rapport aux autres [1, 18]. Le schéma le plus
retro-listhésis, une ombre des tissus mous para-vertébraux souvent utilisé reste celui de 30 Gy délivrés en 10 séances
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et lymphome) [8, 19]. Les troubles sphinctériens sont Les corticoïdes ne sont par ailleurs pas dénués d’effets
quant à eux améliorés dans 40-45% des cas [8, 16, 19]. secondaires. Hyperglycémie, infections, gastrite, ulcère
Les complications potentielles d’une irradiation dans gastro-intestinal, myopathie proximale, œdèmes périphé-
ce contexte sont inférieures à celles de la chirurgie car riques, prise pondérale et psychose sont souvent men-
seule une toxicité gastro-intestinale transitoire est atten- tionnés, liés à la dose ainsi qu’à la durée de la prise. Un
due pendant ou immédiatement après le traitement. taux d’effets secondaires significatifs de 11% ayant moti-
Deux à six mois plus tard, une myélopathie transitoire ou vé l’arrêt du traitement en raison d’une hypomanie,
encore plus tard une myélopathie progressive chronique d’une psychose, d’un état confusionnel ou de la perfora-
peut se développer. Cependant, le pronostic vital de ces tion d’un ulcère gastro-intestinal perforé a par exemple
patients étant la plupart du temps limité, il est extrême- été rapporté [23]. Certains auteurs recommandent donc
ment rare que ce genre d’effets secondaires se traduise l’utilisation de doses plus faibles en se basant sur des don-
cliniquement [6, 20, 21]. De surcroît, pour éviter des doses nées pronostiques similaires en termes de douleur, de
cumulatives dangereuses sur la moelle épinière, on consi- marche et de troubles sphinctériens entre deux groupes
dère qu’une récidive après radiothérapie doit plutôt faire ayant reçu respectivement 100 mg et 10 mg de dexamé-
l’objet d’un traitement chirurgical. Cependant, dans une thasone en bolus, suivis dans les deux cas de 16 mg par
étude portant sur 54 patients, la faisabilité d’une ré-irra- jour per os car le taux d’effets secondaires était inférieur
diation (doses cumulées 50-80 Gy) a été démontrée avec avec les doses modérées [25]. Un essai clinique de phase
des résultats fonctionnels comparables à ceux décrits ci- II a quant à lui souligné le succès d’une radiothérapie
dessus sans qu’aucun patient n’ait développé de myélo- sans stéroïdes chez des patients dépourvus de symp-
pathie clinique [21]. Il faut aussi se rappeler que la chirurgie tômes neurologiques avec un rétrécissement du canal
après radiothérapie entraîne davantage de complications médullaire inférieur à 50%. En effet, tous les patients
et un pronostic fonctionnel inférieur par rapport à la chirur- traités étaient capables de marcher après le traitement et
gie de première intention [22]. 85% n’avaient plus de douleurs [26].
Les recommandations basées sur les preuves de la
Canadian Task Force affirment que les stéroïdes de-
Corticoïdes vraient être utilisés à haute dose dans cette indication.
Malgré cela, nombre de centres spécialisés administrent
Il n’existe qu’une seule étude prospective randomisée des doses modérées de dexaméthasone à raison de 16
ayant comparé la radiothérapie associée ou non à l’admi- mg/jour – la dose standard dans les cas de métastases cé-
nistration de corticoïdes à hautes doses. Dans cette étude, rébrales – en réservant les doses plus élevées pour les cas
96 mg/j de dexaméthasone ont été administrés pendant de menaces de paraplégie ou d’évolution rapidement
trois jours, suivis d’un sevrage dégressif sur dix jours, ce progressive [8, 19, 20].
qui a permis à un nombre plus élevé de patients de mar-
cher immédiatement après la fin du traitement (81%)
Chirurgie
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antéro-latérale. La stabilisation est généralement néces- sible Walker 256, il a été démontré que l’administration
saire et peut être réalisée par une greffe osseuse avec des systémique de cyclophosphamide, un agent alkylant,
tiges métalliques ou du méthylmethacrylate. Ce dernier permettait d’obtenir de meilleurs résultats que les traite-
composé est avantageux car il permet une irradiation ra- ments conventionnels [17].
pide contrairement aux autres matériaux qui demandent La brachythérapie para-spinale à l’Iode 125 après chi-
jusqu’à six semaines d’attente. La fixation se fait au mi- rurgie agressive a été testée sur 30 patients avec une bonne
nimum deux niveaux au-dessus et deux niveaux au-des- tolérance et un contrôle durable des symptômes [32].
sous de la vertèbre défectueuse la faisant donc dépendre La vertébroplastie, une technique d’avenir qui consiste
de l’intégrité des os voisins [28]. Malgré des résultats en- en l’injection d’un ciment de méthylmetacrylate dans la
courageants avec une amélioration jusqu’à 82% en termes vertèbre atteinte par voie trans-pédiculaire, permet d’ob-
de douleur et de marche et apparemment une augmenta- tenir des résultats favorables en termes de douleur, de
tion de la survie moyenne [27], cette technique comporte fonction neurologique et de stabilisation de la colonne.
beaucoup de risques et d’effets secondaires. En effet, la Cette technique est particulièrement adaptée aux cas de
mortalité est de 3-10% et la morbidité de 10-54% sous fracture-tassement ou d’instabilité de la colonne et lors-
forme de déhiscence de plaie, de défaut de stabilisation, qu’une stabilisation chirurgicale n’est pas envisagée [33].
d’infection, d’hémorragie, d’insuffisance respiratoire, d’at-
teinte viscérale ou vasculaire per-opératoire, de fuite de
liquide céphalo-rachidien et de thrombose veineuse pro- Pronostic
fonde [1, 12, 27]. La chirurgie demeure une technique
agressive qui peut donc dépasser les objectifs palliatifs de La survie globale après diagnostic de compression médul-
patients dont les ressources physiques et émotionnelles laire métastatique n’est que de 6-9 mois avec 28% de sur-
sont déjà limitées par une néoplasie systémique. vie à 1 an [2, 8, 19, 34]. Le pronostic est meilleur chez les
A ce jour, elle est par conséquent le plus souvent consi- patients qui marchent, dont près de la moitié sont encore
dérée comme un traitement de deuxième choix. Ses indi- en vie à 1 an [19], avec une survie moyenne de 10 mois,
cations sont les suivantes: compression osseuse, fracture, contre 4 mois pour les patients incapables de marcher
instabilité, dislocation, paraplégie, évolution rapidement avant traitement et 1 mois pour les patients grabataires
progressive, récidive après radiothérapie, progression sous après traitement [8]. Les néoplasies mammaires, prosta-
radiothérapie, et tumeur primaire inconnue. Les contre- tiques et les lymphomes autorisent un pronostic de survie
indications relatives sont un pronostic de vie inférieur à plus favorable (10 mois) que les néoplasies pulmonaires ou
3-6 mois, des atteintes vertébrales multiples, un déficit coliques (3 mois) [2, 8]. Au niveau histologique, ces diffé-
neurologique sévère depuis plus de 12-24 heures et les rences sont essentiellement liées à la radio- et chimio-sen-
co-morbidités générales contre-indiquant un tel geste chi- sibilité, ainsi qu’à l’agressivité de la tumeur [34]. Les autres
rurgical [1, 8, 28]. facteurs de bon pronostic sont le développement lent des
troubles neurologiques, l’atteinte vertébrale compressive
unique, la précocité du diagnostic et de la prise en charge –
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manière significative. Le traitement est encore sujet à quer une IRM à tous les patients souffrant d’une néoplasie
débat et doit être discuté individuellement de façon accompagnée d’une douleur de la colonne vertébrale
multidisciplinaire. Un diagnostic précoce est essentiel peut donc se poser. On peut discuter du rapport coût-
pour la réussite du traitement en termes de pronostic efficacité de ce type de mesure. Néanmoins, toute modi-
fonctionnel et vital, mais peu sont les patients chez les- fication dans les caractéristiques ou l’intensité d’une
quels la compression est détectée avant l’apparition de douleur vertébrale connue, même en l’absence d’un dé-
troubles neurologiques invalidants tels qu’une paraparé- ficit neurologique, doit nous faire évoquer en premier
sie ou des troubles sphinctériens. La question de prati- lieu un tel diagnostic.
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