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Corticothérapie en pratique
rhumatologique
G. Nocturne
Résumé : Depuis leur découverte au milieu du XXe siècle, les corticoïdes sont les molécules anti-
inflammatoires de référence. Les indications sont désormais très larges : des maladies auto-immunes
aux pathologies allergiques, en passant par l’oncologie. Si les effets bénéfiques des corticoïdes sont indis-
cutables, leurs effets secondaires sont particulièrement fréquents dans les traitements prolongés. Or ce
sont particulièrement les pathologies ostéoarticulaires qui sont à l’origine de ces prescriptions prolon-
gées. Mieux connaitre les effets secondaires de la corticothérapie permet de prévenir sa morbidité. Ainsi,
l’objectif de cette mise au point est de fournir des connaissances actualisées sur la corticothérapie, ses
effets secondaires et les moyens de les prévenir, en se focalisant sur trois indications rhumatologiques :
polyarthrite rhumatoïde (PR), pseudopolyarthrite rhizomélique (PPR) et artérite à cellules géantes (ACG).
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Tableau 1.
Pharmacologie comparée des principaux glucocorticoïdes utilisés en thérapeutique.
Principe actif Nom de la spécialité et voies Activité Activité Équivalence de Demi-vie (heures)
d’administration anti-inflammatoire minéralocorticoïde doses (mg)
Hydrocortisone Hydrocortisone Roussel® 1 1 20 8-12
p.o., i.m., i.v.
Cortisone Cortisone Roussel® 0,8 0,8 25 8-12
p.o.
Prednisone Cortancyl® 4 0,8 5 12-36
p.o.
Prednisolone Hydrocortancyl® , Solupred® 4 0,8 5 12-36
p.o., injectable
Méthylprednisolone Médrol® , Dépomédrol® , 5 0,5 4 12-36
Solumédrol® , Solpredone®
p.o., i.m., i.v., injectable
Triamcinolone Hexatrione® , Kenacort® 5 0 4 12-36
injectable, i.m.
Bétaméthasone Betnesol® , Céléstene® , Diprostène® 25 0 0,75 36-54
p.o., injectable, i.m., i.v.
Dexaméthasone Décadron® , soludécadron® , 25 0 0,75 36-54
Déxaméthasone® , Dectancyl®
p.o., i.m., i.v., injectable
Cortivazol Altim® 60 0 0,3 > 60
injectable
Propriétés Tableau 2.
Principaux effets secondaires liés à la corticothérapie.
Les glucocorticoïdes ont un effet sur un grand nombre de fonc- Hypercorticisme Obésité faciotronculaire
tions et de tissus de l’organisme. Certains sont recherchés dans Troubles endocriniens
leur utilisation thérapeutique (activité immunosuppressive, anti- Hypertension artérielle
allergique), d’autres vont être à l’origine des effets secondaires de Hypertriglycéridémie et
la corticothérapie. Parmi les propriétés majeures des glucocorti- hypercatabolisme protéique
coïdes, on peut citer : Complications musculosquelettiques
• l’activité anti-inflammatoire. C’est elle qui est le plus souvent (ostéoporose/fracture, ostéonécrose,
recherchée. L’action anti-inflammatoire des glucocorticoïdes rupture tendineuse, myopathie)
est puissante. Comme évoqué plus haut, elle passe par Complications cutanées
l’inhibition de voies importantes de l’inflammation, comme Augmentation du risque Tout agent infectieux
la voie des prostaglandines et des leucotriènes. Les glucocorti- infectieux
coïdes agissent aux 3 étapes clés de l’inflammation. À la phase Augmentation du risque Augmentation du risque
initiale, ils diminuent la vasodilatation et la perméabilité vas- cardiovasculaire d’événements cardiovasculaires
culaire, diminuant ainsi les phénomènes d’œdème. À la phase Complications digestives Pancréatites
d’état, ils limitent le chimiotactisme et ainsi l’infiltrat inflam- Perforations digestives
matoire. Enfin, à la phase de résolution, ils vont limiter la
Complications oculaires Cataracte
prolifération fibroblastique et ainsi la mise en place de la fibrose. Glaucome
• l’activité antiallergique. Là encore, il s’agit d’une propriété
Complications Hyperexcitabilité, insomnie
recherchée dans l’utilisation des glucocorticoïdes. Les glucocor-
neuropsychiatriques Épisodes psychotiques aigus
ticoïdes sont capables de bloquer la sécrétion des médiateurs de
l’allergie, comme l’histamine, les leucotriènes. Cette action est Complications du sevrage Syndrome de sevrage
obtenue de manière très rapide ; Insuffisance surrénalienne
• l’activité immunosuppressive. Elle passe par une action très
large des glucocorticoïdes sur les différents acteurs cellulaires
de l’immunité. nologiques. La fréquence et l’intensité de ces effets secondaires
• l’activité métabolique. Les glucocorticoïdes de synthèse ont une varient en fonction du terrain et des modalités de prescription
action hyperglycémiante, une action sur le métabolisme lipi- de la corticothérapie (molécule, voie d’administration, posologie,
dique, en activant la lipolyse, et une action sur le métabolisme durée du traitement), qui sont autant de paramètres sur lesquels le
protidique en stimulant le catabolisme protidique. Par ailleurs, prescripteur peut agir pour limiter la toxicité du traitement. Dans
même si les glucocorticoïdes de synthèse ont été conçus pour une enquête menée chez des patients sous corticothérapie au long
limiter leur effet minéralocorticoïde, cet effet persiste avec cer- cours, l’effet secondaire le plus fréquent était la prise de poids,
taines molécules impactant l’homéostasie hydroélectrolytique. présente chez 90 % des patients [5] . Le lien entre dose utilisée et
Le Tableau 1 résume l’effet glucocorticoïde et minéralocor- fréquence des effets secondaires est parfaitement démontré [5, 6] .
ticoïdes des différentes molécules utilisées en thérapeutique, Chez les patients exposés à de plus faibles posologies (< 7,5 mg/j
ainsi que les équivalences de dose et leur demi-vie. d’équivalent prednisone), c’est la durée de prescription qui est le
principal facteur de risque de la survenue d’effets secondaires [7] .
Effets secondaires
Syndrome de Cushing iatrogène
Les glucocorticoïdes de synthèse ont donc une action puissante
mais non ciblée et vont ainsi être pourvoyeurs de nombreux effets L’exposition aux glucocorticoïdes de synthèse va provoquer un
secondaires en lien avec leurs propriétés métaboliques et immu- hypercorticisme (Tableau 2).
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Obésité faciotronculaire 5 mg/j d’équivalent prednisone. Elle maximale dans les 6 pre-
miers mois de traitement, d’où la nécessité d’instaurer rapidement
Elle correspond à une anomalie de répartition des graisses au
un traitement préventif afin de pouvoir réduire le risque de frac-
niveau de la partie supérieure du corps qui s’associe à une amyo-
ture [12] .
trophie des ceintures. Les patients présentent alors un visage rond
La corticothérapie prolongée fait partie des causes
avec comblement des creux sus-claviculaires et apparition d’une
d’ostéonécrose aseptique de la tête fémorale. Cette compli-
bosse de bison correspondant à l’accumulation des graisses au
cation survient plus fréquemment lorsque la corticothérapie est
niveau de la nuque. Il peut survenir une lipomatose, hypertrophie
administrée à forte dose, notamment chez les patients trans-
du tissu adipeux qui va s’accumuler dans les tissus, notamment
plantés ou à visée oncologique [13] . La corticothérapie pourrait
dans l’espace épidural, le médiastin, les espaces retro-orbitaires.
entraîner des ruptures tendineuses, décrites le plus souvent au
niveau du tendon d’Achille ou du tendon du long biceps. Une
Troubles endocriniens coprescription avec des fluoroquinolones majore ce risque. Enfin,
La complication endocrinienne majeure est le diabète cortico- chez les enfants et adolescents, la corticothérapie est responsable
induit. Il s’explique par plusieurs effets des glucocorticoïdes : d’un retard de croissance.
• augmentation de la néoglucogenèse hépatique ; Des myopathies cortisoniques peuvent survenir. Il n’y pas de
• augmentation de la protéolyse et de la lipolyse ; relation bien établie avec la posologie de corticoïdes. Elle est
• développement d’une insulinorésistance périphérique ; d’installation insidieuse, indolore et est à l’origine d’un tableau
• atteinte de la cellule bêta du pancréas ; de faiblesse musculaire prédominant aux ceintures, notamment
• action synergique des corticoïdes avec les hormones de stress la ceinture pelvienne [14] . Les examens paracliniques permettent
(glucagon et adrénaline). essentiellement d’éliminer d’autres causes de myopathie, notam-
Il peut survenir, soit une décompensation d’un diabète pré- ment une myopathie inflammatoire. En cas de myopathie
existant, soit l’apparition d’un diabète. On estime qu’en milieu cortisonique, les CPK sont normales, l’EMG montre un tracé
hospitalier près de la moitié des patients sous corticothérapie au myogène, et l’IRM objective une atrophie musculaire sans signe
long cours ont au moins un épisode d’hyperglycémie, et la moitié inflammatoire. Le traitement est le sevrage, puisque cette myopa-
un diabète [8] . Les principaux facteurs de risque de développement thie est généralement réversible à l’arrêt de la corticothérapie.
d’un diabète cortico-induit sont la dose et la durée de la corticothé-
rapie et des facteurs liés au patient, comme l’âge, le sexe masculin, Complications cutanées
l’indice de masse corporelle, l’existence d’une hypertension arté-
Ces complications sont fréquentes [6] . Peuvent survenir une
rielle [9] .
acné, une folliculite bactérienne, des vergetures, une érythrose,
D’autres complications endocriniennes peuvent survenir,
un retard de cicatrisation qui majore le risque de complications
comme l’hirsutisme, une aménorrhée, des troubles de la libido.
infectieuses en postopératoire. On observe également une atro-
phie cutanée qui augmente le risque de plaie. Enfin, on peut
Hypertension artérielle (HTA) observer l’apparition d’un purpura vasculaire ecchymotique : le
Comme pour le diabète, sous corticothérapie peuvent être purpura de Bateman.
observés, soit le déséquilibre d’une HTA préexistante, soit la
révélation d’une HTA de novo. Alors qu’en pratique clinique
cet effet secondaire est bien décrit, les études sont assez rares
Risque infectieux
et anciennes. Dans un travail publié en 1996, il était retrouvé L’augmentation du risque infectieux liée à la corticothérapie
qu’environ 20 % des patients sous corticothérapie majoraient ou est bien connue. Les études les plus récentes démontrent que
développaient une HTA [10] . Le principal facteur de risque reste ce risque est présent même chez les patients exposés à une cor-
la posologie de la corticothérapie. Le type de molécule impacte ticothérapie considérée comme faible dose, c’est-à-dire avec des
également ce risque, puisque les traitements avec effet minéra- posologie inferieures à 5 mg/j d’équivalent prednisone. Ainsi, à
locorticoïde en favorisant la rétention hydrosodée et l’activation partir du registre américain SABER (Safety Assessment in Biologic
du système rénine-angiotensine majorent ce risque. Mais d’autres Therapy), il a pu être établi que le risque d’infection bactérienne
mécanismes indépendants de l’effet minéralocorticoïde peuvent sévère, c’est-à-dire nécessitant une hospitalisation et/ou une anti-
participer au développement de l’HTA, comme l’effet sur le biothérapie par voie intraveineuse, était augmenté, même chez
métabolisme du NO, l’augmentation des résistances vasculaires les patients exposés à moins de 5 mg/j d’équivalent prednisone.
périphériques, le développement d’une apnée du sommeil favori- Le hasard-ratio ajusté d’infection bactérienne sévère dans cette
sée par l’obésité faciotronculaire et l’insulinorésistance. population de patients atteints de PR était ainsi de 1,32 (soit 30 %
d’augmentation de risque) pour une dose inférieure à 5 mg/j, de
Métabolisme lipidique et protéique 1,78 entre 5 et 10 mg/j, de 2,95 au-delà de 10 mg/jour, soit près
Comme indiqué plus haut, les glucocorticoïdes vont moduler de 3 fois plus de risque d’infection bactérienne sévère [15] . Chez
les métabolismes lipidique et protéique. Ainsi, la corticothérapie les patients âgé de plus de 65 ans, il a pu être montré que sous
prolongée va aboutir à une hypertriglycéridémie par augmenta- 5 mg/j d’équivalent prednisone, le risque était présent dès 3 mois
tion de synthèse de triglycérides. Cette hypertriglycéridémie va d’exposition et augmentait progressivement avec la durée de la
participer à la majoration du risque cardiovasculaire, avec un effet corticothérapie : augmentation de 30 %, 46 % et 100 %, après
additif sur les autres complications de la corticothérapie comme respectivement 3 mois, 6 mois et 3 ans d’exposition [16] .
l’HTA, l’obésité, le diabète. L’hypercatabolisme protéique participe Outre les infections bactériennes graves, le risque d’infections
aux complications osseuses, musculaires et cutanées. opportunistes est accru sous corticothérapie. Le risque de
tuberculose est néanmoins débattu. Les études anglo-saxonnes
s’accordent pour une augmentation du risque de réactivation
Complications musculosquelettiques tuberculeuse, avec un risque retrouvé multiplié par 5 chez les
La complication osseuse la plus fréquente sous corticothérapie patients sous corticothérapie [17] . En revanche, le risque de pneu-
est l’ostéoporose. Une fracture vertébrale est détectée chez environ mocystose est bien documenté, avec un risque variable selon la
20 % des patients sous corticothérapie au long cours, soit 3 fois pathologie sous-jacente, avec notamment un risque plus impor-
plus que dans la population du même âge sans corticoïdes [11] . Le tant au cours de vascularites des petits vaisseaux, des myopathies
mécanisme à l’origine de l’ostéoporose cortico-induite est mul- inflammatoires et des connectivites avec atteinte pulmonaire,
tiple et passe à la fois par les effets directs des glucocorticoïdes avec proposition de traitement prophylactique au-delà d’une dose
sur les cellules osseuses avec une réduction de l’activité de for- de 20 mg/j d’équivalent prednisone pendant plus de 1 mois [18] .
mation osseuse par les ostéoblastes et par une augmentation de Au cours de la PR, le risque augmente en fonction de l’âge, de la
l’apoptose des ostéoblastes et des ostéocytes. L’os trabéculaire est dose de corticoïdes et du nombres d’immunosuppresseurs, avec
d’avantage impacté que l’os cortical. La perte osseuse induite un rôle particulier du méthotrexate [19] . Enfin, le risque d’infection
par les corticoïdes survient rapidement après leur initiation, dès virale est également augmenté, notamment pour les virus du
groupe herpès (HSV, VZV), mais également le risque de réactiva- Modalités d’utilisation au cours
tion de l’hépatite B, sous forte dose de corticothérapie (> 20 mg/j
d’équivalent prednisone) [20] . de la PR, de la PPR et de l’ACG
Au cours de la PR
Complications cardiovasculaires
La prednisone est la molécule de référence, car certains patients
La corticothérapie au long cours est associée à une augmenta- sont moins améliorés par la prednisolone. Au cours de la PR,
tion du risque cardiovasculaire. Une méta-analyse réalisée chez les corticoïdes ne sont pas un traitement de fond, ce qui signi-
les patients atteints de PR, rhumatisme psoriasique et psoriasis a fie qu’ils n’ont pas vocation à être maintenus au long cours. La
montré que la corticothérapie était associée à un risque augmenté corticothérapie est proposée en traitement d’attaque ou en cas
d’événement cardiovasculaire global (RR = 1,47) ainsi qu’à un de poussée. Selon les recommandations de la Société française de
risque spécifique d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire rhumatologie éditées en 2019, un traitement de fond synthétique
cérébral et d’insuffisance cardiaque [21] . Ce risque cardiovasculaire conventionnel doit être débuté chez tout patient chez qui le diag-
est lié à la fois à l’impact des corticoïdes sur le risque de diabète, nostic de PR a été posé [27] . En première intention, il est proposé un
le risque d’HTA, la prise de poids et le métabolisme lipidique. De traitement par méthotrexate (MTX). Dans l’attente de l’efficacité
manière importante, au cours de la PR, la corticothérapie a été d’un traitement de fond synthétique conventionnel, une cortico-
montrée associée à une augmentation de la mortalité, à partir thérapie orale ou injectable peut être proposée en respectant une
d’une dose seuil de 8 mg/j d’équivalent prednisone [22] . dose cumulée faible, si possible sur une période maximale de 3 à 6
mois. La corticothérapie sera diminuée et arrêtée aussi rapidement
que possible. Le Tableau 3 résume les modalités de prescription de
Complications digestives la corticothérapie au cours de la PR.
Trois types de complications digestives peuvent survenir sous
corticothérapie : le risque d’ulcères, qui est nettement majoré en Au cours de la PPR et l’ACG
cas de coprescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens [23] , le
risque de perforation digestive et le risque de pancréatite aiguë ou La prednisone est la molécule de référence, car de nombreux
chronique. auteurs ont rapporté des cas de résistance partielle à la predniso-
lone. À la différence de la PR, la corticothérapie est au centre du
traitement de la PPR et de l’ACG. Le lien entre PPR et ACG est ténu.
Complications oculaires Elles partagent les mêmes caractéristiques épidémiologiques, avec
un âge de début situé après 50 ans et un pic de fréquence entre
La principale complication oculaire liée à la corticothérapie est
70 et 80 ans. La PPR est une pathologie relativement fréquente,
la cataracte postérieure sous-capsulaire. Elle survient tardivement
puisque sa prévalence est d’environ 6 pour 1 000. L’ACG est plus
mais est fréquente, survenant chez plus de 10 % des patients [24] .
rare, avec une prévalence de 1 pour 1 000. Dans la majorité des cas,
Une hypertonie oculaire pouvant aller jusqu’au glaucome à angle
ces deux pathologies surviennent de manière indépendante. Mais
ouvert peut également survenir sous corticothérapie. Là encore,
chez environ 15 % des patients, elles vont être associées, appa-
il semble que la dose et la durée de la corticothérapie soient les
raissant simultanément ou successivement. Finalement, la PPR et
principaux facteurs de risques. Cette hypertonie est réversible à
l’ACG apparaissent désormais comme deux entités cliniques dis-
l’arrêt du traitement [25] .
tinctes d’une même maladie, pouvant se succéder l’une à l’autre
ou être intriquées, et ayant des pronostics évolutifs différents. Sur
Complications neuropsychiatriques le plan thérapeutique, dans les deux cas, la corticothérapie est au
centre de la prise en charge et constitue même un test diagnos-
Des manifestations neuropsychiatriques dites mineures sur- tique, mais les modalités de prescription et la place des traitements
viennent très fréquemment sous corticothérapie. Il peut s’agir associés varient (Tableau 3).
d’une excitation psychomotrice, d’un effet orexigène, d’une
insomnie, d’une logorrhée. Plus rarement, des complications Au cours de la PPR
psychiatriques sévères peuvent survenir : épisode maniaque,
épisode dépressif caractérisé ou épisode psychotique aigu [26] . Des recommandations de la Société européenne de rhumato-
Ces complications semblent apparaître pour des posologies logie (EULAR) concernant la prise en charge de la PPR ont été
> 40 mg/j d’équivalent prednisone. Elles surviennent générale- établies en 2015 [28] . Il est recommandé d’initier la corticothéra-
ment à l’initiation de la corticothérapie, au cours des 2 premières pie à une posologie de 12,5 à 25 mg/j d’équivalent prednisone. Le
semaines. L’existence d’une maladie psychiatrique sous-jacente schéma thérapeutique s’appuie sur une décroissance progressive
n’apparaît pas clairement comme un facteur de risque. En initiale, avec objectif de posologie de 10 mg/j à 4 à 8 semaine puis
revanche, un épisode psychiatrique lors d’une corticothérapie poursuite de la décroissance pour un arrêt après 9 à 12 mois de
antérieure est un facteur de risque. traitement, obtenue par paliers de baisse de 1 mg toutes les 4 à
6 semaines. En cas de rechute, il est recommandé de monter la
posologie de corticoïdes à la dose prérechute.
Complications du sevrage La place d’un traitement d’épargne cortisonique est discutée
dans ces recommandations. Il s’appuie sur l’ajout de MTX à la
Il faut distinguer le syndrome de sevrage à l’arrêt d’une cortico- dose de 7,5 à 10 mg/semaine. Cette coprescription pourrait être
thérapie et une authentique insuffisance surrénale. Le syndrome proposée aux patients à plus haut risque de rechute et/ou en cas
de sevrage est lié à l’effet toxicomanogène des corticoïdes. Il de comorbidités exposant aux complications de la corticothérapie
regroupe des symptômes non spécifiques de type nausées, fatigue, (diabète compliqué mal équilibré, dépression ou psychose sévère,
douleurs diffuses, humeur dépressive. Il peut être difficile de le ostéoporose fracturaire sévère, HTA sévère). Quatre études ont éva-
différencier d’une insuffisance surrénale, et en cas de doute, il est lué l’intérêt du MTX dans la PPR et 3 d’entre elles démontrent
nécessaire de réaliser un test au Synacthène® , qui sera normal dans un effet positif du MTX versus placebo sur le taux de rémission
cette situation. et/ou le taux de rechute et/ou la dose cumulée de corticoïdes à un
À l’inverse, en cas d’insuffisance surrénale, le test au an [29–31] . Ces éléments justifient la place du MTX dans l’arsenal
Synacthène® est anormal. L’insuffisance surrénale se manifeste thérapeutique.
par une fatigue intense, une hypotension, des signe digestifs à Enfin, la place des inhibiteurs de l’IL-6 est en cours d’évaluation.
type de nausées, diarrhée, douleurs abdominales, myalgies, fièvre, C’est principalement le tocilizumab (TCZ), anticorps monoclonal
confusion. Elle est rare (prévalence de 0,015 à 0,1 %) et se mani- anti-IL-6 récepteur qui est évalué. Le TCZ apparaît efficace dans
feste le plus souvent à partir d’une dose inférieure à 5 mg/j de nombreuses études rétrospectives. Plus récemment, l’étude
d’équivalent prednisone. ouverte TENOR a fait la preuve de son efficacité [32] . Si son intérêt se
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Tableau 3.
Modalités de prescription de la corticothérapie au cours de la PR, de la PPR, de l’ACG.
PR PPR ACG
Nature du traitement Traitement d’attaque/Traitement Traitement de fond Traitement de fond
d’une poussée
Traitement associé Systématiquement : csDMARD En cas de En cas de
(MTX en 1re intention) rechute/corticodépendance et/ou rechute/corticodépendance et/ou
de comorbidités : MTX de comorbidités : TCZ
Molécules En 1re intention : prednisone En 1re intention : prednisone En première intention :
prednisone
Voie d’administration p.o. p.o. p.o.
Si atteinte 1 ou 2 articulations :
injection intra-articulaire
Posologie initiale (équivalent p.o. : 7 à 15 mg/j en fonction du 12,5 (50 kg) à 25 mg/j (100 kg) 40 à 60 mg/j puis décroissance
prednisone) poids et de l’intensité de la puis décroissance progressive progressive
poussée articulaire Au moins 1 mg/kg/j si signes
oculaires
Durée La plus courte possible 9 à 12 mois 12 à 18 mois
Objectif sevrage à 3-6 mois
csDMARD : traitements de fond conventionnels synthétiques ; MTX : méthotrexate ; p.o. : per os.
confirme, il restera à définir sa place dans l’arsenal thérapeutique, (MTX, TCZ) a ainsi toute sa place dans cet objectif de limitation
probablement en deuxième ou troisième ligne chez des patients à des complications de la corticothérapie.
risque de complication de la corticothérapie.
Bilan pré-thérapeutique
Au cours de l’ACG
L’objectif de ce bilan est de rechercher des affections sus-
Les recommandations de l’EULAR pour la prise en charge des
ceptibles de se décompenser sous corticoïdes ou des facteurs
patients atteints d’ACG ont été publiées en 2018 [33] . La posolo-
prédisposant à leurs complications. Il faut rappeler qu’il n’existe
gie initiale de corticothérapie recommandée est de 0,5 à 0,7 mg/j
pas de contre-indication absolue à la mise en route de la cor-
d’équivalent prednisone, soit environ 40 à 60 mg/j. Une posolo-
ticothérapie. Néanmoins, il est nécessaire d’évaluer le rapport
gie plus élevée (1 mg/kg/j) est proposée en cas de manifestations
bénéfice/risque de ce traitement. Ainsi, une infection active est en
ischémiques, en particulier oculaires. La décroissance est par la
principe une contre-indication au moins transitoire à la cortico-
suite progressive, avec objectif 15-20 mg/j à 2-3 mois, et posolo-
thérapie, le temps que l’infection soit maîtrisée par un traitement
gie < 5 mg/j après 1 an de traitement. La durée moyenne de la
approprié. Si l’indication à la corticothérapie est urgente, comme
corticothérapie est de 12 à 18 mois.
dans le cas d’une ACG, il est possible de débuter le traitement tout
Comme dans la PPR, une coprescription peut être envisagée
en prenant en charge les contre-indications relatives, comme un
chez les patients corticorésistants ou corticodépendants, notam-
diabète déséquilibré, une poussée hypertensive, un ulcère gastro-
ment en cas de comorbidités, comme celles évoquées dans la PPR.
duodénal.
Cette fois-ci, c’est le TCZ qui est recommandé avant le MTX. Ce
Le Tableau 4 propose un bilan préthérapeutique à réaliser avant
traitement a désormais l’AMM chez les patients atteints d’ACG.
d’initier une corticothérapie prolongée.
L’étude GIACTA a en effet démontré sa supériorité versus placebo,
en association à une corticothérapie décroissante sur 26 semaines,
en termes de taux de rémission à 52 semaines et d’épargne cor- Mesures préventives
tisonique [34] . Le MTX apparaît comme une alternative au TCZ.
Son utilisation est soutenue par la publication d’études positives, Parmi les complications associées à la corticothérapie, toutes
avec notamment une méta-analyse de 3 essais cliniques, incluant ne se préviennent pas par des mesures spécifiques. Seront donc
161 patients (87 sous MTX et 74 sous placebo), et montrant une abordées ici les mesures pouvant limiter la survenue de ces
diminution du risque de rechute (première ou deuxième rechute) complications, en plus de la réduction de la dose cumulée, qui
chez les patients sous MTX [35] . reste le point essentiel. On abordera les règles hygiénodiététiques,
la prévention de l’ostéoporose cortico-induite et la prévention du
risque infectieux.
Tableau 4.
Bilan préthérapeutique et modalités de surveillance chez un patient sous corticothérapie.
Préthérapeutique Surveillance
Clinique Poids, taille, IMC, PA Poids, taille, IMC, PA, température
Recherche de foyers infectieux (ORL, stomatologique, urinaire, Recherche de foyers infectieux (ORL,
etc.) stomatologique, urinaire, etc.)
Vérification du calendrier vaccinal Examen cutané
Séjour prolongé en zone endémie anguillulose Examen musculaire
Recherche d’antécédents digestifs Examen cardiovasculaire
Recherche de facteurs de risque cardiovasculaires Examen ophtalmologique (pression intraoculaire,
Électrocardiogramme si facteurs de risque cardiovasculaires lampe à fente) selon les antécédents
Paraclinique Hémogramme Hémogramme
Ionogramme sanguin Ionogramme sanguin
Glycémie à jeun, HbA1C Bilan lipidique complet à 6 mois
Calcémie, phosphorémie,25(OH)-vitamine D HbA1c tous les 3 mois si diabète
Bilan lipidique Électrophorèse des protéines plasmatiques à 6 mois
Électrophorèse des protéines plasmatiques Ostéodensitométrie au minimum tous les 2 ans
Examen parasitologique des selles uniquement si séjour récent ou
patient originaire d’une région tropicale : anguillulose ?)
Radiographie pulmonaire
Ostéodensitométrie
Radiographies du rachis ou VFA
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Corticothérapie en pratique rhumatologique 7-0840
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Service de rhumatologie, Hôpital Bicêtre, AP-HP, Université Paris-Saclay, Inserm U1184, 78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Nocturne G. Corticothérapie en pratique rhumatologique. EMC - Traité de Médecine Akos 2023;26(1):1-8
[Article 7-0840].
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