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Radiothérapie
Situation et évolution
de la physique médicale
The physicist’s place in radiotherapy
T. Sarrazin*
D
epuis les premiers traitements du cancer par de la technicité des équipements de radiothérapie,
les rayons X au tout début du xixe siècle, la une évolution conséquente de l’imagerie médicale
radiothérapie a vécu plusieurs révolutions est apparue au début des années 1990 grâce à l’in-
technologiques. Ces révolutions ont entraîné une formatique. Le repérage du volume cible tumoral
modification majeure des pratiques et une progres- et des organes à risque est passé du simple cliché
sion importante des résultats. Ce changement a orthogonal à une définition millimétrique, grâce
commencé avec l’arrivée de ce que l’on nomma à l’imagerie tridimensionnelle par scanographe :
trop rapidement les “bombes au cobalt”, vers le imagerie par résonance magnétique (IRM), tomo-
milieu des années 1950. Dix ans plus tard, à la fin graphie par émission de positrons (TEP), voire fusion
des années 1960, apparurent les premiers accélé- multimodale des images incluant le facteur temps
rateurs linéaires de particules. La technicité de ces (imagerie 4D), ce afin de tenir compte de la mobilité
machines de près de 8 mètres de long nécessitant des organes internes ou de la respiration du patient.
une salle de traitement avec plancher escamotable Le troisième pilier de l’acte de soins utilisant les
et proposant une vaste gamme d’énergie de rayons X rayonnements ionisants est un système informatique
et d’électrons a incité le législateur à imposer, par de calcul de la distribution de dose dans les tissus, qui
un arrêté du 23 avril 1969, la présence de physiciens est passé d’une estimation en un point (1960) à un
médicaux dans les centres de radiothérapie équipés calcul bidimensionnel assisté par ordinateur (début
de “Sagittaire”, appareil de traitement mis au point des années 1970), puis à un calcul de traitement
par la société Thomson CSF. Par conséquent, et sauf individualisé en trois dimensions incluant le facteur
exceptions, durant les 60 ou 70 premières années temps et, bientôt, l’horloge biologique.
d’utilisation des rayonnements ionisants en méde- Nous assistons de fait, depuis le début des
cine, la connaissance de la dose et sa distribution années 2000, à une sorte de “loi de Moore” en
dans les tissus sont restées cantonnées au domaine technicité de la radiothérapie, avec des durées de
de l’empirisme ; durant cette même période, la dose calcul dosimétrique qui sont passées de 10 minutes
à administrer aux organes à risque et aux tissus sains par patient (télécobalt et deux champs opposés)
était totalement inconnue. à plusieurs heures de simulation d’interaction de
Après une trentaine d’années sans évolution majeure particules dans les tissus, à l’aide, dans certains cas,
de ces accélérateurs médicaux sont apparus : les de processeurs parallèles (radiothérapie robotisée,
collimateurs à lames variables dans les années 90, la tomothérapie ou radiothérapie à modulation d’in-
modulation d’intensité des faisceaux au tout début tensité). Cette évolution majeure, et probablement
des années 2000 et, en cette fin de décennie, les sans précédent dans le domaine de la médecine
équipements de radiothérapie assistée par robot de haute technicité, s’est effectuée sans réflexion
(ou cyber-radiothérapie), concomitamment à ce qui profonde sur la modification de la formation des
est peut-être actuellement le sommet de la tech- utilisateurs, sans culture de gestion du risque et sans
nologie : la fusion du scanner et de l’accélérateur attitude proactive sur une nécessaire évolution des
* Président de la Société française
en une machine unique appelée “tomothérapie”. facteurs sécuritaires, organisationnels et humains. de physique médicale ; chef du service
Il n’existe pas de bonne radiothérapie sans une Après 35 ans d’incertitudes réglementaires en radio- de physique médicale, centre Oscar-
Lambret, Lille.
imagerie de qualité. Parallèlement à l’amélioration thérapie et de non-respect des textes, notamment
Keywords sur les effectifs minimaux de physiciens – dont la physique médicale en milieu hospitalier à missions
Medical physics présence n’est pas systématiquement contrôlée par de soins, dépistage, enseignement et recherche
les autorités, donc non respectée par tous les établis- (centres hospitaliers universitaires – CHU – et centres
Organization
sements –, un nouvel arrêté du 19 novembre 2004 de lutte contre le cancer – CLCC). Une harmonisa-
est venu préciser le rôle du physicien médical. tion européenne des formations fera passer cette
Nous sommes alors passés de la réductrice notion de formation complémentaire à 2 ans à partir de 2012 ;
“présence” du radiophysicien, devenu depuis spécia- elle est d’ailleurs actuellement de 3 ans en Suisse
lisé en radiophysique médicale, à une responsabilité et de 4 ans en Italie.
de “garantie de la dose”, puis à une covalidation de Garantir les doses issues des dispositifs médicaux,
la préparation de chaque traitement avec le médecin maîtriser tous les moyens mis en œuvre pour les
qualifié en oncologie radiothérapique ou avec le calculer et assurer leur métrologie dans l’ensemble
médecin qualifié spécialiste en médecine nucléaire des processus utilisant les rayonnements ionisants
(article R. 1333-60 du Code de la santé publique en médecine conduit désormais à une nouvelle
et décret n° 2007-389 du 21 mars 2007 relatif aux responsabilité et amène à une nouvelle organisa-
conditions techniques de fonctionnement appli- tion. Les missions sont désormais précises et obli-
cables à l’activité de soins de traitement du cancer). gent le physicien médical à repenser ses activités,
De profondes modifications législatives et réglemen- sa formation continue et ses pratiques, en termes
taires (radioprotection du personnel et du patient, de responsabilité assumée et/ou partagée avec le
management de la gestion des risques, décisions de corps médical. Ces changements obligent à une sorte
l’Agence française de sécurité sanitaire), liées essen- de conversion du regard de la part d’établissements
tiellement au plan Cancer 1 initié par le précédent ou de responsables de départements de radiothé-
Président de la République, Jacques Chirac, sont rapie ou autres unités fonctionnelles de soins peu
venues renforcer ces textes majeurs dans le sens habitués, voire dans certains cas peu enthousiastes,
d’une meilleure qualité et d’une meilleure sécurité à travailler avec des scientifiques non médicaux.
des actes médicaux utilisant les rayonnements ioni- Ces changements dans l’organisation et une transver-
sants. Toutes ces évolutions génèrent une augmenta- salité de la physique dans tous les domaines utilisant
tion conséquente des activités de physique médicale. les rayonnements ionisants ou non imposent, notam-
Les physiciens médicaux, spécialistes des rayonne- ment par voie réglementaire depuis 2004, de “définir
ments ionisants en milieu hospitalier, interviennent et mettre en œuvre avec le chef d’établissement une
désormais dans les domaines de la radiothérapie, organisation en physique médicale adaptée aux activités
de la curiethérapie, de la médecine nucléaire, du de l’établissement”. Ceux-ci fixent ainsi les fondements
radiodiagnostic, de la radiologie interventionnelle et des nouvelles organisations de la physique médicale
en radioprotection. Dans ce cadre, ils mettent leurs en France en affirmant leur transversalité.
connaissances spécifiques de physique théorique et Les facteurs organisationnels et humains sont impli-
pratique au service du patient, du monde médical et, qués dans plus de 90 % des incidents ou accidents de
dans le cadre de la radioprotection, des travailleurs radiothérapie ; il faut donc s’étonner qu’il faille plus
et du public. Le plan Cancer 2, initié par le Président de 5 ans pour qu’un texte opposable de la République
Nicolas Sarkozy sur la base d’un travail piloté par française, somme toute simplissime et de bon sens
le Pr Jean-Pierre Grünfeld, poursuit le premier plan sur le plan de l’organisation de la physique médicale,
Cancer dans le sens d’une amélioration de la qualité, entre dans les mœurs et soit mis en application. Le
de la sécurité et de la “connaissance de la dose” des parler vrai oblige à dire qu’il existe une volonté des
actes utilisant les rayonnements ionisants. établissements et de certaines fédérations de santé,
Cette “culture de la dose” et cette connaissance du qui devrait être exemplaire, de mettre en œuvre
risque radiologique sont acquises par le physicien avec “des pieds de plomb”, voire à ne pas mettre
médical lors d’un master 2 de physique spécialisée, en œuvre, cette nouvelle organisation voulue par le
très souvent complété par un doctorat de physique, législateur dans l’intérêt de la qualité des traitements
puis obligatoirement par une année d’internat de et de la sécurité des patients.
œuvre pour sa réalisation. Des chiffres raisonnables Nonobstant cette évolution majeure, il n’est plus
en matière d’effectifs ont été publiés dans l’annexe 1 raisonnable de laisser installer de nouveaux équipe-
de la circulaire DHOS n° 2002-299 du 3 mai 2002 ments et de nouvelles techniques de traitement sans
sur l’organisation des soins en cancérologie : qu’une autorité ou une agence vérifie si l’équipe de
➤➤ dans les centres de radiothérapie des établisse- physique médicale est dotée de personnels habilités
ments de santé participant à la formation, à l’ensei- et de matériels suffisants pour assurer la sécurité
gnement et à la recherche (CLCC, CHU), l’équipe de des traitements. Il est surprenant, notamment, de
radiothérapie devrait inclure un physicien médical constater qu’aucune institution ou société savante
pour 300 à 400 traitements annuels de radio- n’est en mesure de fournir une liste exhaustive des
thérapie externe, dont un équivalent temps plein équipes pratiquant la technique de radiothérapie
minimum par centre, un physicien médical équiva- dite à modulation d’intensité, ou le nombre exact
lent temps plein pour 250 curiethérapies par an, et de patients traités annuellement en radiothérapie
un technicien de dosimétrie pour 300 à 500 plani- ou radiochirurgie stéréotaxique.
fications de traitement par an ;
➤➤ dans les autres centres de radiothérapie (centres
publics et établissements participant au service Conclusion
public hospitalier autres que les CLCC et les centres
libéraux), l’équipe devrait inclure un physicien Si nous observons l’évolution de la radiothérapie
médical pour 350 à 500 traitements annuels, dont française au cours des années écoulées, nous consta-
un équivalent temps plein minimum par centre, et tons que la France est passée de la position de leader
au moins un technicien de dosimétrie. technologique et novateur en curiethérapie et en
radiothérapie à la position d’utilisateur, importateur
Ces effectifs recommandés par les professionnels de systèmes de thérapie, de diagnostic et de progi-
dans le cadre des travaux du plan Cancer corres- ciels spécialisés. Ce constat montre que l’absence
pondent aux standards de nombreux pays. Ils sont de position établie d’enseignement et de recherche
pourtant très loin de convenir à la réalité et, plus en physique médicale dans les universités a laissé
de 7 ans après leur publication, il est légitime de se une lacune qu’il nous faut absolument combler
demander si l’intérêt des patients et la sécurité des pour reprendre la place qui est la nôtre au rang des
traitements ont été pris en compte dans les luttes grandes nations scientifiques.
corporatistes ou d’intérêts privés qui ont fait que Pour la mise à niveau de la radiothérapie française,
notre pays a accumulé un tel retard en physique des décisions sont donc à prendre sur le plan poli-
médicale, à la fois dans les domaines de la recherche, tique, car elles ont une incidence non seulement sur le
de l’enseignement, du soin et de l’image. Nous étions budget de la santé mais aussi sur la qualité des actes
en effet, avant le lancement du premier plan Cancer, utilisant les rayonnements ionisants au service des
parmi les plus mauvais élèves de l’Union européenne. patients. Une seule conclusion s’impose : Épinal, plus
Mme Bachelot, ministre de la Santé, a souhaité que jamais ça ! Les audits ou retours d’expérience ont été
nous soyons 600 physiciens médicaux en France effectués, les solutions existent, la volonté politique
vers 2012, et nous devrions être 900 à 1 000 dans nationale est réelle, il suffit de vouloir les mettre en
une petite dizaine d’années ; grâce à cette politique œuvre au niveau des établissements de santé, sous
volontariste, nous atteindrons alors le ratio moyen peine de voir les mêmes causes produire les mêmes
de l’Europe. accidents, voire une autre catastrophe sanitaire. ■
Agenda
2nd European Lung Cancer Conference
Genève, 28 avril-1er mai 2010
Plus de 1 500 spécialistes sont attendus à cette mani- Date limite de soumission des abstracts :
festation qui se tiendra à “Geneva Palexpo” sous la 13 janvier 2010.
présidence du Pr Françoise Mornex (France) et du Programme disponible sur le site
Pr Rafael Rosell (Espagne). www.esmo.org/events/lung-2010-iaslc.html