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www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0697-6
Décoder et comprendre
Lire c’est extraire d’une représentation graphique du langage la
prononciation et la signification qui lui correspondent (Fayol & Morais,
2004). Lire implique normalement deux activités : le décodage et la
compréhension. Le décodage consiste à retrouver la prononciation des mots
écrits. La compréhension est l’accès à leur signification. Néanmoins il doit
être bien clair que la compréhension n’est pas une activité spécifique à la
lecture car elle s’exerce aussi lorsqu’on entend quelqu’un parler. Ce qui est
spécifique de la lecture c’est le décodage et l’on peut très bien lire des mots
dont on ignore la signification ou même des suites de lettres qui ne forment
pas un vrai mot, par exemple « trupon ».
Il est classique, après Uta Frith (1985), de distinguer trois phases dans
l’apprentissage de la lecture correspondant à la mise en œuvre, par l’enfant,
de trois procédures différentes pour identifier les mots : la phase
logographique, la phase alphabétique et la phase orthographique.
Bien que dans les programmes officiels il n’y ait jamais eu aucune
prescription enjoignant aux enseignants d’apprendre aux élèves à reconnaître
globalement des mots, les activités de ce type, en lien avec les différents
domaines d’apprentissage, sont néanmoins abondamment pratiquées dans les
classes, de la petite à la grande section de maternelle. On y utilise surtout des
étiquettes de mots qui finissent par constituer un corpus important : les
prénoms des élèves de la classe, les jours de la semaine, les mois, les saisons,
les fêtes et tout leur vocabulaire, les vêtements, les membres de la famille, les
personnages des albums, les animaux, les lieux de l’école et de la classe, les
couleurs… Parmi les tâches proposées, les élèves doivent par exemple isoler
des prénoms dans une liste de mots, retrouver le jour pour écrire la date,
identifier le titre d’une histoire parmi d’autres, remettre dans l’ordre les mots
d’une phrase ou d’un titre d’album, apparier des mots avec leur
représentation illustrée, compléter des phrases à trous avec des mots,
reproduire, avec des étiquettes-mots, d’après un modèle ou de mémoire, de
courtes phrases extraites par exemple d’une histoire qui a été lue. Toutes ces
activités supposent une appréhension globale des mots écrits mis en relation
directe avec leur signification sans aucune analyse de leur construction en
termes de syllabes ou de lettres.
Nous allons donc examiner les questions suivantes : ces activités
constituent-elles une préparation efficace à l’apprentissage de la lecture ?
Sont-elles compatibles avec le point de vue développé dans le guide de
2020 ?
L’importance incontestable
de la conscience phonologique
Trois compétences ont été mises en évidence comme importantes pour
l’apprentissage de la lecture : la conscience phonologique, la mémoire
verbale et la facilité à nommer les objets. Mais les études sur l’origine des
difficultés qu’ont certains élèves pour apprendre à lire montrent que la
conscience phonologique est la plus importante des trois (Bryant, 1993). En
effet :
1° Quel que soit le moment où l’on fait passer les tests, ce sont toujours
les épreuves de conscience phonologique qui prédisent le mieux le niveau
de lecture ultérieur.
2° On retrouve toujours dans le passé des dyslexiques suivis depuis la
petite enfance une infériorité dans les épreuves phonologiques dès la
maternelle, même si tous les enfants qui ont des scores faibles dans ce
domaine ne deviennent pas dyslexiques. Par contre, on ne retrouve pas
systématiquement des difficultés de dénomination et de mémoire verbale.
3° Lorsqu’on met en œuvre en maternelle un entraînement dans les trois
domaines, c’est l’entraînement phonologique qui a les effets positifs les
plus importants sur l’apprentissage de la lecture, ces effets se généralisant
aux activités de mémorisation et de dénomination. C’est évidemment
cette dernière constatation qui est la plus importante d’un point de vue
pédagogique.
Enseigner le nom des lettres aux enfants peut signifier des choses
différentes : cela peut vouloir dire leur enseigner à réciter l’alphabet. Souvent
en maternelle on apprend une comptine de l’alphabet. C’est une façon de
familiariser l’enfant avec le nom des lettres mais ce n’est pas la répétition de
cette ritournelle sans véritable signification pour lui qui peut le préparer
efficacement à l’apprentissage de la lecture. Elle constitue une approche de
l’ordre alphabétique des lettres mais celui-ci ne sera utile que bien plus tard,
une fois que les élèves sauront déjà lire et qu’on leur demandera de chercher
des mots dans un dictionnaire, compétence qui est au programme de la
deuxième année d’école élémentaire.
La controverse
Cela amène à se demander s’il est judicieux d’enseigner aux jeunes
enfants le nom des lettres avant de leur en enseigner le son. Certes, la
connaissance du nom des lettres s’avère nécessaire en avançant dans
l’apprentissage de la lecture car l’élève ne peut s’en tenir à la valeur sonore la
plus courante pour chaque lettre. Il doit apprendre que la valeur sonore d’une
lettre dépend des lettres qui l’entourent. Par exemple, après avoir appris le
phonème habituel correspondant à la lettre « p », il doit apprendre que
l’association de la lettre « p » avec la lettre « h » se lit [f]. Mais les
digrammes ne sont pas abordés en tout début d’apprentissage et la question se
pose donc de l’opportunité d’enseigner le nom des lettres avant que l’enfant
ait compris le principe alphabétique.
L’apprentissage formel
de la lecture
et son enseignement à l’école
élémentaire
« Les enfants ont plus besoin de guides pour lire que pour marcher. »
PLUTARQUE, Préceptes et maximes, IIe siècle.
CHAPITRE 13
Pourquoi les enseignants sont-ils
encore aussi attachés aux méthodes
mixtes à départ global ?
Il faut commencer par dire qu’en France la méthode globale n’a jamais
ou très peu été utilisée comme méthode intégrale et exclusive d’apprentissage
de la lecture. Par contre elle a eu et a encore beaucoup d’influence sur les
pratiques de classe, en maternelle et en début de CP. Les pratiques de la
maternelle faisant l’objet du chapitre 7, nous ne parlerons ici que du CP,
moment décisif pour l’apprentissage de la lecture.
Tout lecteur décode les signes graphiques soit par la voie phonologique,
soit par la voie orthographique. Le terme « déchiffrage » s’utilise
spécifiquement pour le lecteur débutant dont le décodage par la procédure
phonologique est lent et ne permet pas une lecture fluide.
Lorsque nous lisons silencieusement, nous nous entendons lire dans notre
tête. Cette prononciation intérieure des mots s’appelle « subvocalisation ».
Certains théoriciens de l’apprentissage de la lecture 1, tout comme les
vendeurs de recettes de lecture rapide, pensent que l’on ferait mieux
d’éliminer cette petite voix intérieure et d’aller directement du signe
graphique au concept. Selon eux, on gagnerait en rapidité sans perdre en
compréhension. Ils appuient leur argumentation sur le modèle de l’activité
cognitive du lecteur expert, selon lequel il est effectivement possible
d’accéder directement à la signification des mots à partir de l’information sur
leur orthographe. C’est la lecture par la voie directe ou adressage 2.
Plusieurs questions se posent cependant : le passage par une
représentation phonologique de l’écrit est-il, comme le prétendent ces
auteurs, totalement inutile, ayant pour seul effet de ralentir la lecture et de
gêner la compréhension ? Peut-il être éliminé ? Qu’en est-il de l’apprenti
lecteur ?
Deux processus phonologiques différents
pendant la lecture
Il faut, en fait, distinguer deux processus phonologiques différents qui
interviennent lors de la lecture : la subvocalisation ou parole intérieure et
l’information phonologique abstraite (l’image sonore des mots) que l’on
extrait en lisant, sans en avoir clairement conscience, comme conséquence
des correspondances graphophonémiques. La subvocalisation étant plus lente
que la lecture normale, on pense qu’elle n’intervient dans l’identification des
mots que lorsque celle-ci s’avère difficile. Par contre, de nombreux résultats
expérimentaux confirment le rôle de l’information phonologique abstraite,
même en lecture silencieuse, et ce pour toutes les langues écrites, y compris
les langues non alphabétiques telles que le chinois et le japonais. Par
exemple, lorsqu’on demande à des sujets francophones de barrer toutes les
lettres « e » dans un texte en français, ils oublient davantage les « e » muets
que les autres, ce qui montre qu’ils se sont, au moins en partie, guidés par
l’image sonore des mots et pas seulement par la configuration graphique de la
lettre « e ».
La suppression de la subvocalisation,
un non-sens pour le lecteur débutant
En ce qui concerne le lecteur débutant, la subvocalisation accompagne
normalement l’activité de déchiffrage par application des règles de
conversion graphème-phonème. Elle apparaît quand on demande à l’élève de
lire à voix basse ou dans sa tête plutôt que tout haut. Il apprend ainsi à réduire
progressivement le volume sonore de sa parole jusqu’à une totale
intériorisation. Les partisans des méthodes globales voulant éliminer toute
oralisation de l’écrit, il est logique qu’ils aient voulu supprimer la
subvocalisation chez les élèves au même titre que le déchiffrage et la lecture
à voix haute. Ces auteurs n’ont jamais reconnu la spécificité du lecteur
débutant. Or si on peut, à la rigueur, s’appuyer sur l’existence de la voie
directe orthographique d’identification des mots chez le lecteur adulte pour
défendre la lecture sans subvocalisation, elle est un non-sens pour le lecteur
débutant. Tant qu’un mot donné n’a pas de représentation orthographique
dans la mémoire de l’élève, celui-ci n’a pas d’autre possibilité pour
l’identifier que de reconstituer sa forme sonore. C’est la pratique répétée de
cette activité de décodage par la voie phonologique qui permet de construire
progressivement le lexique orthographique. La subvocalisation est donc tout
aussi importante pour l’automatisation du décodage que pour la
compréhension.
Lire à voix haute, un apprentissage à part
entière
Quant à la lecture à voix haute, un aspect trivial de la problématique
autour de son utilisation est qu’elle seule permet d’évaluer les compétences
de l’élève en lecture. En tout début d’apprentissage, alors que le décodage est
très lent, la reprise à haute voix du mot ou de la phrase lue, plusieurs fois si
nécessaire, permet d’atteindre la vitesse requise pour la reconnaissance du
mot et sa compréhension. Plus tard, quand les élèves ont progressé, on peut
certes s’assurer de leur compréhension des textes lus silencieusement par des
questionnaires écrits, mais cela ne mettra en évidence ni les erreurs de
décodage, ni la fluidité, ni l’expressivité de la lecture. Cela dit, on doit
reconnaître que la lecture à voix haute constitue un apprentissage à part
entière. C’est une situation de double tâche : lecture et communication, car
c’est pour autrui qu’on lit à voix haute. C’est pourquoi, lorsqu’un texte est
nouveau, on le comprend moins bien quand on le lit à voix haute que si on le
lit silencieusement. Au moins à l’école, toute lecture à voix haute devrait
donc être précédée d’une lecture silencieuse et d’une évaluation de la
compréhension du texte. Ensuite, il y a un travail spécifique à faire à la fois
sur les compétences propres à la lecture – la fluidité, le phrasé, l’intonation –
et sur les compétences plus générales de communication orale telles que la
puissance de la voix.
1. Par exemple Jean Foucambert, Éveline Charmeux.
2. Voir le chapitre 1 « Que se passe-t-il dans notre tête quand nous lisons un mot ? », ici.
CHAPITRE 21
Les bons lecteurs, ceux qui comprennent bien ce qu’ils lisent, lisent vite.
Faut-il en déduire que c’est parce qu’ils lisent vite qu’ils comprennent bien ?
Et faut-il donc, comme le préconisent les partisans de la lecture rapide, non
seulement supprimer la subvocalisation qui, selon eux, ralentit la lecture,
mais aussi ne lire qu’un ou deux mots, porteurs de sens, par ligne ?
La surcharge de la mémoire
Les méthodes globales impliquent la mémorisation par l’élève de tous les
mots à lire. Il est évident que c’est un travail impossible pour la mémoire. La
limite semble se situer aux alentours d’une centaine de mots. Au-delà, les
confusions commencent à s’installer entre mots qui ont les mêmes
silhouettes. Ainsi, les petits mots « outils » qui sont introduits par cœur pour
pouvoir faire lire rapidement des phrases sont très souvent mémorisés de
façon approximative et confondus pendant longtemps : l’enfant lit « elle »
pour « les », « avait » pour « avant », « par » au lieu de « pour » ou
inversement… Or ces mots sont fondamentaux pour la compréhension. La
difficulté d’apprendre à lire par une méthode globale a été bien comprise par
les Chinois, qui ont introduit dans les années 1970 le pinyin, qui traduit
l’écriture idéographique du mandarin en alphabet latin. Ce système est
devenu obligatoire dans les écoles élémentaires, les caractères chinois étant
introduits progressivement.
Les errances de la devinette
Lorsque la lecture globale d’un mot échoue, l’enseignant adepte de ces
méthodes suggère à l’élève une autre stratégie pour identifier le mot, en
évitant toujours le décodage : deviner en s’aidant du contexte (y compris des
illustrations). En tant que stratégie alternative au décodage, la « devinette »
est encore plus dangereuse que la mémorisation globale car on n’en éprouve
pas aussi vite les limites. Le lecteur-devineur peut proposer un mot qui
convient au contexte mais qui n’est qu’approchant, sans être corrigé, car sa
réponse est considérée comme bonne dès lors qu’elle préserve le sens. C’est
ainsi qu’une enseignante a validé la lecture « le lapin est sous l’arbre » alors
que la phrase écrite sous l’illustration était « le lapin est sous le sapin ». La
plupart du temps, le résultat est bien plus éloigné du texte. La nocivité de la
« lecture-devinette » est traitée de façon spécifique au chapitre 16, ici.
L’attention portée par les parents au travail scolaire d’un enfant est un
facteur de réussite avéré. L’apprentissage de la lecture étant un moment
décisif qui a des répercussions sur toute la scolarité ultérieure, il est important
que les parents suivent de près son déroulement. Les enseignants, conscients
de la nécessité de la répétition pour bien fixer les nouvelles connaissances,
sont d’ailleurs demandeurs de cette participation des familles. Il a été montré
que même lorsque les parents sont illettrés, le simple fait de manifester de
l’intérêt pour ce qui a été fait en classe et d’écouter l’enfant réviser ses leçons
a un impact positif. Mais une aide plus éclairée est bien sûr préférable. Ce
chapitre se concentre sur l’année de CP. On ne reviendra donc pas sur les
effets bénéfiques des pratiques familiales qui, depuis le plus jeune âge et bien
au-delà du CP, visent à faire aimer les livres, à développer le vocabulaire, à
jouer avec les mots et les sons.
La dyslexie existe-t-elle ?
Les avancées
Les conséquences positives de ces nouveaux textes sont une meilleure
coopération entre cliniciens, enseignants et parents et une identification plus
précise des difficultés, permettant des aides plus ciblées. Lorsque la
persistance de l’une au moins des difficultés répertoriées et son
retentissement sur les résultats scolaires de l’enfant sont avérés, un premier
bilan diagnostic effectue une évaluation au moyen de tests standardisés dans
les trois domaines académiques majeurs : lecture, expression écrite et
mathématiques. Un examen ultérieur détermine, pour chaque domaine, le
type précis de difficulté et l’aide spécifique à apporter à l’élève. Par exemple,
pour les difficultés en lecture, le bilan pour intervention précise s’il s’agit de
difficulté à lire les mots, d’un problème de vitesse de lecture ou encore d’un
problème de compréhension.
Par ailleurs, les deux textes, tout en excluant les enfants dont les
difficultés pourraient être expliquées par des carences éducatives extrêmes,
ne donnent pas plus de précisions sur la qualité du milieu social, ouvrant ainsi
la possibilité d’une prise en charge spécifique des troubles d’apprentissage
aux enfants de familles défavorisées.
Il n’est pas facile de savoir, sur la seule base des performances lexiques
d’un enfant de CP, s’il éprouve des difficultés en lecture qui pourront être
dépassées par une aide pédagogique adaptée ou s’il est vraiment dyslexique,
c’est-à-dire porteur d’un trouble dont les effets peuvent être en partie
compensés mais qui l’accompagnera à vie. En effet, en début
d’apprentissage, tous les élèves font les mêmes types d’erreurs.
Dyslexie de négligence
Certains dyslexiques distribuent leur attention dans l’espace de façon à la
fois trop diffuse et dissymétrique, généralement avec une négligence du côté
gauche : les lettres les plus à droite d’un mot, qui ne sont pas encore en train
d’être décodées, au lieu d’être inhibées, sont perçues trop clairement et
interfèrent avec le décodage du début du mot. Les premières lettres sont ainsi
soit omises, soit remplacées par d’autres. Ainsi, « cage » est lu « âge »,
« poule » est lu « roule » ou « foule », « table » est lu « câble ». Il y a
beaucoup moins d’erreurs sur les mots écrits verticalement. On obtient des
améliorations significatives quand on attire l’attention sur la région négligée,
par exemple en donnant la consigne de suivre le mot lettre à lettre avec
l’index gauche, en coloriant la première lettre ou bien en traçant une ligne
verte verticale avant la première lettre, ou encore en demandant à l’enfant de
taper avec l’index gauche à gauche de chaque mot.
La difficulté à apprendre
les correspondances graphèmes-phonèmes
Les enfants qui rencontrent cette difficulté sont incapables de dire quel
son produit le graphème (lettre ou combinaison de lettres) qu’on leur montre.
Plusieurs méthodes ont été développées pour faciliter la mémorisation des
correspondances graphèmes-phonèmes. La méthode Borel-Maisonny associe
un geste à chaque phonème. Le geste est un moyen mnémotechnique qui
évoque la façon dont on articule le phonème et/ou la façon d’écrire le
graphème correspondant. Par exemple le son [o] est représenté par les doigts
formant un cercle, ce qui fait référence à la fois à la forme de la bouche
lorsqu’on le prononce et à la forme de la lettre « o ». Le son [m] est
représenté par trois doigts qui correspondent aux trois pieds du « m ». La
méthode des Alphas est particulièrement intéressante parce que, dans le cadre
d’un conte, elle matérialise le lien lettres-sons. Les personnages du conte, les
Alphas, ont à la fois la forme des lettres et une raison d’émettre leur son
spécifique. C’est ainsi que le « f » est une fusée dont le moteur fait « fffff ».
La difficulté porte parfois uniquement sur les consonnes
phonologiquement proches (p/b ; c/g ; t/d ; b/m ; d/n). Une méthode
prometteuse pour améliorer les discriminations entre phonèmes insiste sur la
prise de conscience des gestes articulatoires et sur leur mise en relation avec
les sons produits et avec leurs symboles graphiques. On attire l’attention de
l’élève sur ce qu’il fait pour produire les différents « sons » élémentaires, par
exemple en lui faisant observer dans un miroir les mouvements des lèvres
effectués pour produire [b] ou [p]. Chaque son est ensuite représenté par un
dessin de la bouche ou du conduit vocal et associé à la lettre correspondante.
Ensuite des blocs colorés peuvent être utilisés pour représenter le nombre,
l’ordre et l’identité des « sons » qui constituent un mot donné. Les blocs
colorés sont ensuite remplacés par des lettres. Mais il faut savoir que lorsqu’il
y a un véritable trouble de la perception des sons du langage, dont les
frontières ne sont pas nettes, celui-ci est très résistant aux méthodes de
remédiation.
Le plus souvent, ce qui pose problème, ce sont les lettres qui ont plusieurs
valeurs sonores en fonction de leur environnement (« c », « g » par exemple)
et les graphèmes complexes tels que ch, ou, on, eau, oin, ain… Il ne faut
jamais les enseigner en début d’apprentissage. On peut aider les élèves en
utilisant temporairement des codes couleur différents pour « c » selon qu’il se
prononce [k] ou [s] et pour « g » selon qu’il se prononce [g] ou [ʒ]. Dans le
cas des graphèmes complexes, ce qui est difficile pour l’élève c’est qu’il a
appris auparavant le son de chacune des lettres prises individuellement.
Maintenant il doit isoler non plus une lettre mais un groupe de deux ou trois
lettres et associer à cette configuration un nouveau phonème. On peut aider
les élèves en écrivant les graphèmes complexes d’une autre couleur, ou en les
entourant dans une bulle, ce qui leur confère une unité et les fait ressortir du
reste du mot.
Lorsqu’un élève a de la difficulté à utiliser le code graphophonologique
on peut s’appuyer aussi sur le code graphosémantique. L’élève peut utiliser
les morphèmes constitutifs des mots qu’il a enregistrés pour décoder de
nouveaux mots. On utilisera les familles de mots : connaître « neige » aide à
décoder « neiger », « enneigé », « déneiger »… On sensibilisera les élèves
aux affixes, par exemple « eur » qui désigne celui qui effectue une activité :
« danseur » peut aider à décoder « menteur », « skieur », « coiffeur 2 »…
La compréhension en lecture
et ses difficultés
CHAPITRE 34
L’hétérogénéité de la population
des mauvais compreneurs
Lorsqu’on examine la population des mauvais compreneurs, on constate
qu’elle est très hétérogène. Certes beaucoup d’enfants sont limités par des
difficultés de traitement de haut niveau mais il y a aussi des enfants qui n’ont
pas de problème dans ce domaine et qui sont gênés par un manque de
vocabulaire ou par un manque de maîtrise des structures syntaxiques. On n’a
trouvé aucun déficit qui soit systématiquement associé aux problèmes de
compréhension (Cain & Oakhill, 2006). Par ailleurs, les compétences en
compréhension évoluent avec l’âge. Dans les études longitudinales (qui
suivent les mêmes enfants sur une longue période de temps), on constate que
certains enfants classés comme mauvais compreneurs à 8 ans sont dans la
norme à 11 ans tandis que d’autres suivent le chemin inverse. Tout cela invite
à ajuster finement les interventions pédagogiques aux faiblesses spécifiques
de chaque enfant.
Un point très important à souligner est que, même si les compétences
intellectuelles générales mesurées par le QI – et en particulier le QI verbal –
sont fortement liées à la compréhension, les compétences relatives aux
inférences, à la structure des textes et au pilotage de la compréhension se sont
avérées encore plus importantes. La relation causale entre l’intelligence et la
compréhension en lecture n’est d’ailleurs pas à sens unique. Ce n’est pas
seulement parce qu’un enfant est intelligent qu’il comprend ce qu’il lit ; c’est
aussi parce qu’il comprend ce qu’il lit qu’il devient plus intelligent. Prendre
la relation par cet autre bout a bien évidemment des conséquences
pédagogiques.
1. Le préfixe « méta- » indique une réflexion sur ce dont on parle. Savoir qu’à un mot oral
peuvent correspondre plusieurs mots écrits homophones (par exemple ver, vers, verre, vert, vair)
est une connaissance métalexicale. Les connaissances métasyntaxiques permettent par exemple de
savoir si une phrase est correcte ou pas. La connaissance du schéma narratif ou du rôle du titre
d’un texte sont des exemples de connaissances métatextuelles.
CHAPITRE 36
Un enseignement précoce
Tout d’abord, pour être efficace, l’enseignement de la compréhension
doit débuter très précocement, dès la très petite section de maternelle, car les
enfants des milieux défavorisés arrivent déjà avec un retard de vocabulaire
(129 mots produits en moyenne) par rapport aux enfants de familles de classe
moyenne (613 mots produits en moyenne). Un enseignement centré sur la
compréhension des phrases peut débuter en moyenne section car à 4 ans
toutes les structures de base du langage sont acquises. Il y a déjà à la
maternelle des enfants en difficulté de compréhension. En particulier,
lorsqu’en grande section l’enseignant lit des textes de nature différente, les
élèves sont confrontés à la langue écrite oralisée dont la sophistication
lexicale et syntaxique est bien plus grande que celle de l’oral quotidien.
Lorsque les phrases comportent des tournures peu fréquentes, le repérage des
groupes de mots qui disent qui fait quoi, où et quand l’action se passe est
difficile. Les élèves sont très inégalement préparés à comprendre ces lectures.
Consolider la compréhension du langage par un enseignement spécifique,
orienté vers l’écrit dès avant le début de l’apprentissage systématique du
code, apparaît comme un des moyens de préparer une bonne entrée dans la
lecture et de lutter contre les inégalités scolaires d’origine sociale. La
précocité des interventions en compréhension pourrait être un facteur de
réussite important car les habitudes cognitives se forgent très tôt.
Un enseignement explicite et structuré
Il s’agit d’une alternative efficace au socioconstructivisme pédagogique,
lequel s’appuie trop exclusivement sur les échanges collectifs oraux et la
confrontation entre les différents points de vue pour apprendre à comprendre.
L’enseignement explicite et structuré de la compréhension repose sur les
principes suivants :
1° La compréhension fait l’objet d’un enseignement spécifique, identifié
comme tel.
2° Les différentes compétences de compréhension sont ciblées et
travaillées une par une au moyen d’exercices, avant d’être réutilisées lors
de la lecture de textes longs littéraires ou documentaires.
3° Les activités obéissent à une progression dans le niveau de difficulté.
4° Les élèves ont conscience de l’objectif précis des activités menées.
Par exemple : on apprend à se faire un film dans sa tête de ce que dit le
texte ; on apprend à identifier où se passe l’histoire, etc.
5° L’enseignant sert de modèle et rend visibles, par la pensée à voix
haute, les stratégies cognitives pertinentes. En début d’apprentissage il
utilise l’instruction directe, guidant étroitement l’activité intellectuelle de
l’élève par des directives très précises sur ce qu’il faut faire pour
comprendre. Ce guidage est progressivement allégé à mesure que l’élève
intériorise les opérations à effectuer jusqu’au moment où il peut prendre
en charge l’exécution de l’ensemble des opérations de compréhension de
façon autonome 3.
C’est efficace !
En France une expérimentation obéissant à ces principes a été menée
pendant trois années scolaires de la grande section de maternelle au CE1 dans
huit écoles qui obtenaient régulièrement des résultats inférieurs aux
moyennes nationales 4. Les activités s’effectuaient en petits groupes de six à
huit élèves, de niveau homogène. À l’issue de ce programme, centré à la fois
sur l’acquisition du décodage et sur la compréhension du langage, le niveau
scolaire des élèves en fin de CE1 était nettement supérieur à celui des élèves
du groupe contrôle, issus de classes présentant les mêmes caractéristiques,
mais n’ayant pas participé au programme. Aux évaluations nationales de CE2
les performances du groupe expérimental en compréhension de l’écrit étaient
semblables, voire supérieures, à la moyenne nationale, et la proportion
d’élèves encore en difficulté était de 12 %, ce qui est moins que la moyenne
nationale, alors que dans le groupe contrôle elle s’élevait à 25 % 5.
Quelles sont les principales compétences à développer dans le cadre d’un
enseignement de la compréhension de l’écrit ?
Enrichir le lexique
Étant donné les très grandes disparités de niveau linguistique entre
enfants d’origines sociales différentes dès l’entrée en maternelle, il est crucial
de tout mettre en œuvre pour permettre aux enfants de milieux défavorisés de
rattraper leur retard avant l’apprentissage formel de la lecture. C’est l’un des
objectifs de l’école maternelle, qu’elle n’a toutefois pas réussi à atteindre à ce
jour. Le vocabulaire de l’écrit étant plus sophistiqué que celui de la langue
orale, les enfants qui ne disposent que d’un vocabulaire très pauvre
rencontreront à l’écrit trop de mots inconnus pour saisir la signification de ce
qu’ils lisent. Ils en viendront à penser que lire consiste uniquement à
transformer les lettres en sons et perdront le projet même de comprendre.
Dans ce contexte, l’enrichissement du vocabulaire ne peut être laissé au
hasard des rencontres de nouveaux mots dans les textes et doit faire l’objet de
séances d’apprentissage structurées autour d’un thème 6. Les nouveaux mots
doivent être définis ; leur morphologie doit être décortiquée, ils doivent être
intégrés dans des champs lexicaux, mis en relation avec leurs synonymes,
leurs antonymes, les mots dérivés, les hyponymes et hyperonymes 7, etc. et
souvent réutilisés pour éviter une mémorisation par cœur superficielle. À
partir du moment où l’enfant sait lire, c’est au travers de la lecture qu’il va le
plus enrichir son lexique, ce qui en retour accroît ses capacités de
compréhension. Mais tant que la lecture n’est pas fluide, il faut continuer à
lire aux élèves, et ce d’autant plus que leurs capacités de décodage sont
faibles, afin qu’ils continuent à développer leur lexique.
Nous reprenons ici les principales idées développées dans ce livre sous
forme de conseils aux parents et aux enseignants lorsqu’ils doivent choisir
une méthode d’apprentissage de la lecture ou un manuel. Il est en effet
recommandé, surtout aux enseignants débutants, de suivre un manuel. Voici
les principaux critères qu’ils doivent prendre en compte lors de ce choix.
L’association de l’apprentissage
de l’écriture à celui de la lecture
On apprend aussi à lire en écrivant 7, les compétences de décodage se
trouvant renforcées par les activités inverses d’encodage. L’acquisition de
l’écriture manuscrite cursive étant au programme du CP, les manuels
scolaires prévoient pratiquement tous des activités de ce type parallèlement
aux leçons de lecture. Ce n’est pas le cas des méthodes destinées aux parents.
Il est donc souhaitable qu’ils complètent chaque leçon de lecture en
demandant à l’enfant d’écrire des mots simples, constitués de syllabes déjà
étudiées et comprenant la lettre de la leçon en cours. Selon la motivation du
moment, l’enfant pourra choisir d’écrire à la main ou d’utiliser des lettres
mobiles, par exemple celles d’un jeu de scrabble, ou encore d’écrire sur le
clavier de l’ordinateur. Il faut néanmoins veiller à ce que l’écriture
manuscrite ne soit pas délaissée.
Les résultats obtenus dans les épreuves de lecture par les élèves français
dans le cadre des évaluations internationales (PISA) et nationales (Journée
défense et citoyenneté) sont très préoccupants. Or, pendant de nombreuses
années, l’apprentissage de la lecture a cristallisé de manière exacerbée tous
les conflits que suscitent les pédagogies à l’œuvre aujourd’hui dans notre
système éducatif.
Ces conflits se sont exercés au détriment de la recherche d’efficacité de
l’apprentissage de la lecture au cycle II (CP, CE1, CE2). Force est de
constater qu’un nombre important d’élèves voient leur scolarité compromise
par une insuffisante automatisation des procédures de décodage et les
difficultés de compréhension qui en découlent dans tous les domaines
disciplinaires enseignés. En particulier, ceux qui sont issus de milieux
défavorisés ont été, et continuent d’être, largement pénalisés. Un nombre
beaucoup trop élevé d’élèves d’origine populaire subissent un réel préjudice :
exclus de l’intérieur, tout au long de la scolarité obligatoire, ils deviennent
décrocheurs et quittent le système scolaire après la 3e. Les difficultés liées à
l’apprentissage de la lecture sont d’un coût scolaire et humain extrêmement
élevé. La recherche d’efficacité dans ce domaine constitue donc un enjeu
sociétal fort.
Les progrès de la recherche sur les processus en jeu dans l’apprentissage
de la lecture ont amené à réévaluer les différentes méthodes utilisées
jusqu’alors. Les travaux de la psychologie cognitive ont mis en évidence
plusieurs points essentiels qui doivent se traduire en pratiques efficaces dans
la classe. Une formation professionnelle des enseignants qui intègre ces
nouvelles données ainsi qu’une solide formation à la recherche demeurent les
conditions essentielles pour améliorer l’efficacité de l’enseignement de la
lecture.
Un motif d’espoir est de constater, lors des colloques, le bouillonnement
des recherches sur l’enseignement du décodage et de la compréhension.
Chercheurs et enseignants travaillent aujourd’hui en équipe pour produire et
tester des dispositifs pédagogiques appuyés sur des hypothèses théoriques. Il
faut encourager l’activité de ces réseaux. En effet, il ne s’agit pas d’appliquer
par un processus descendant les résultats des recherches en laboratoire à la
salle de classe mais de travailler dans une configuration circulaire (Bishop,
2019) : au départ, il y a les besoins des enseignants et les difficultés des
élèves dont les chercheurs proposent des interprétations théoriques en termes
de fonctionnement cognitif des élèves ou de transmission des connaissances ;
à partir de ces théorisations, chercheurs et enseignants imaginent ensemble de
nouveaux scénarios d’enseignement qui sont mis à l’épreuve dans les classes,
et dont l’évaluation contribue en retour à modifier les théories.
Une autre raison d’être optimiste réside dans la constatation des efforts
très importants qui sont déployés pour faire aimer la lecture. En partenariat
avec le ministère de la Culture, le ministère de l’Éducation nationale se
mobilise pour susciter l’envie de lire chez les enfants et les jeunes, avec pour
objectif de former de bons lecteurs aimant la lecture sous toutes ses formes.
Pour favoriser la pratique de la lecture, donner toute sa place au livre et
associer les parents, plusieurs dispositifs ont vu le jour ces dernières années.
Mais la formation de lecteurs qui continueront à lire quand ils seront
adultes et donneront à leurs propres enfants l’envie de lire est l’affaire de
tous. L’école ne peut à elle seule satisfaire à tous les besoins, et même si
l’Éducation nationale reste une actrice majeure dans la prévention de
l’illettrisme et l’apprentissage de la lecture, celui-ci doit se faire de manière
complémentaire à l’école et à la maison. Partager en famille des moments de
complicité avec son enfant, éveiller son intérêt et sa curiosité pour le contenu
des livres renforcent les apprentissages de l’école. Le secret du goût de la
lecture réside dans l’équilibre entre l’effort et le plaisir ; avant de lire de
manière autonome, l’enfant aura plaisir à écouter lire. Lire des histoires à un
jeune lecteur qui peine encore à avoir une lecture fluente, échanger avec lui
sur leur contenu pour enrichir sa compréhension réconcilieront l’enfant avec
la lecture. Parents, enseignants, collectivités territoriales, associations devront
conjuguer leurs efforts, chacun dans leur champ d’intervention respectif, pour
développer le goût de lire.
Bibliographie
Avant-propos
Introduction
Chapitre 1 - Que se passe-t-il dans notre tête quand nous lisons un mot ?
Chapitre 2 - Est-il exact de dire que « lire, c'est comprendre » ?
Chapitre 6 - Faut-il des méthodes d'apprentissage de la lecture différentes pour des enfants au profil
cognitif différent ?
Chapitre 17 - Faut-il partir des lettres pour enseigner les sons correspondants ou partir des sons pour
enseigner les lettres qui les codent ?
Chapitre 18 - Quelle progression pour enseigner les correspondances graphophonémiques ?
Chapitre 23 - Comment les parents peuvent-ils aider leur enfant de CP à apprendre à lire ?
Chapitre 24 - Comment inscrire la lecture dans la vie des enfants ?
Chapitre 29 - Comment aider les élèves qui ont des difficultés d'analyse visuelle des mots écrits ?
Chapitre 30 - Comment aider les élèves qui ont du mal à apprendre à décoder ?
Chapitre 31 - Comment aider les élèves qui peinent à acquérir une lecture fluide ?
Chapitre 32 - Est-il plus difficile d'apprendre à lire en français que dans d'autres langues ?
Chapitre 33 - Comment les enfants sourds apprennent-ils à lire ?
Conclusion
Bibliographie
Remerciements
www.odilejacob.fr