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31/01/2024 20:48 Apprentissage moteur et difficulté de la tâche - Chapitre 4.

Habileté motrice - INSEP-Éditions

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Apprentissage moteur et difficulté de la tâche | Jean-Pierre Famose

Chapitre 4. Habileté
motrice
p. 97-123

Texte intégral

Difficulté et habileté
1 L’approche par les ressources montre que la notion de difficulté de la tâche
existe rarement de manière absolue. Au contraire, elle apparaît comme
quelque chose de relatif par rapport au niveau d’habileté des sujets. Certes,
une tâche peut être difficile de par ses caractéristiques intrinsèques si l’on
compare les performances réalisées sur elle à celles réalisées sur d’autres
tâches. Cependant, pour une même tâche, le degré de difficulté varie en
fonction du degré d’habileté du sujet.
2 Avec l’apprentissage, les ressources sont mieux gérées : une même
performance est obtenue avec moins de ressources lorsque l’apprentissage
progresse. La difficulté est ainsi une notion relative qui évolue inversement
avec l’efficience déployée par le pratiquant dans la mise en œuvre de son
activité. Autrement dit, avec l’entraînement, l’efficience s’accroît et ainsi
décroît la difficulté. Cette ambiguïté a conduit un certain nombre de
chercheurs à établir une distinction entre les termes difficulté et
complexité.
3 Hayes et Marteniuk (1976) ont différencié les notions de complexité et de
difficulté dans les opérations de traitement de l’information à partir des deux
sources d’incertitude : l’environnement et le feedback, la première
concernant plus particulièrement la complexité et la seconde la difficulté.
Cette distinction est aussi reprise par Alain et Salmela (1980) : « Sur le plan

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de l’intervention pédagogique, il est possible de modifier la complexité d’une


tâche en ajoutant ou en enlevant une ou plusieurs des conditions qui doivent
absolument être rencontrées pour réussir la tâche. Par ailleurs, il est possible
de maintenir constante la complexité de la tâche et d’en changer la difficulté
en augmentant ou en réduisant la grandeur de l’erreur, d’ordre spatial ou
d’ordre temporel, en deçà de laquelle la tâche est jugée comme étant
réussie. »
4 Meister (1976) puis Billing (1980) ont proposé une autre distinction. Ils
parlent de complexité chaque fois qu’est envisagée la difficulté objective
d’une tâche, et de difficulté lorsque celle-ci est envisagée d’un point de vue
relatif (c’est-à-dire faisant intervenir l’habileté du sujet). Chez ces deux
auteurs, la complexité a donc une signification très proche de celle de
difficulté objective. Comme la difficulté objective, la complexité de la tâche
est généralement considérée comme produisant une augmentation de la
probabilité d’erreur et, donc, une diminution de la performance.
5 Pour sortir de la confusion et surmonter le problème lié aux aspects
simultanément objectifs et subjectifs de la difficulté, II est possible de définir
la complexité comme le composant objectif (stimulus) de la difficulté. Ce que
l’on appelle ordinairement difficulté peut être le composant subjectif (perçu
ou observé) de la complexité. Celle-ci devient alors la variable indépendante
et la difficulté la variable dépendante d’un phénomène complexe
inexactement appelé « difficulté » (Meister, 1976).
6 Un modèle proposé par Desharnais (1971) va tout à fait dans ce sens. Ce
modèle met en relation la difficulté objective (appelée alors complexité) avec
la difficulté relative d’une tâche (appelée difficulté).

Complexité et difficulté de la tâche selon le modèle de


Desharnais
7 Desharnais suppose que le degré de difficulté de la tâche est principalement
le produit de l’interaction de deux facteurs de base. Le premier se rapporte au
niveau de complexité de la tâche (NC) et le deuxième au niveau d’habileté
(NH). L’interaction de ces deux facteurs déterminerait le niveau de difficulté
(ND) pour un sujet particulier face à une tâche spécifique. Ainsi, le niveau de
difficulté serait : ND = NC/NH.

1 — Le niveau d’habileté (nh)


8 Le niveau d’habileté (NH) serait le produit de l’interaction de deux facteurs
généraux, le potentiel (POT), ou composants héréditaires d’ordre
morphologique, organique et psychologique (par exemple, les aptitudes), et
l’apprentissage (APP), correspondant aux conditions et aux taux de
pratique, à l’entraînement spécifique, etc. Ces deux éléments généraux
représentent les ressources mises à la disposition de l’individu dans sa
tentative de rencontrer les exigences de la tâche. Elles diffèrent d’un individu
à l’autre quant aux stratégies, au niveau dans les aptitudes fondamentales,
etc.
9 L’importance de NH dans la détermination de ND de la tâche vient de la mise
en jeu des différences individuelles par rapport à une tâche à effectuer. En
effet, à niveau de complexité égal, le niveau d’habileté peut offrir la
possibilité de diminuer le niveau de difficulté {figure 23).
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Figure 23 — Illustration de l’interaction des différents facteurs de la difficulté


(d’après Desharnais, 1971).

2 — Le niveau de difficulté (nd)


10 Le niveau de difficulté est donc le résultat de l’interaction du niveau de
complexité avec le niveau d’habileté (figure 24). Si l’on fait abstraction de
l’activité physique ou sportive concrète et si l’on considère seulement les
facteurs sous-jacents qui la composent et qui en font sa complexité objective,
on peut en déduire que deux individus pratiquant des activités sportives
différentes peuvent faire face au même niveau de difficulté, et inversement.

Figure 24 — Figure hypothétique illustrant le niveau de difficulté générale


(ND), produit de l’interaction NC et NH (d’après Desharnais, 1971).
11 Desharnais fait remarquer à juste titre que l’importance du niveau de
complexité dans la détermination du niveau de difficulté est grande en ce
sens qu’il limite les variations provoquées par le niveau d’habileté. En effet,
même si, par rapport à une activité sportive possédant un niveau de
complexité élevé, un athlète acquiert un niveau d’habileté également élevé, le
niveau de difficulté diminuera, certes, mais demeurera malgré tout à un
niveau relativement élevé.
12 Ainsi donc, le niveau de difficulté peut varier à long terme grâce aux
fluctuations du niveau d’habileté. Il peut aussi subir des modifications plus
ou moins sensibles, à court terme, par ce que Desharnais appelle les facteurs

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situationnels (FS). Ces derniers touchent principalement les variations


immédiates apportées par les conditions atmosphériques, l’échauffement, la
condition physique « pré-tâche », les variations inhérentes à l’habileté
sportive, etc. Dans le cadre de ce modèle, ces facteurs influenceraient la
performance par une action indirecte sur le niveau de difficulté.

Niveau de difficulté, niveau d’habileté et effort consenti


13 À ce stade, il est possible d’intégrer les idées développées ci-dessus
concernant le rôle du niveau d’habileté des sujets dans la détermination du
niveau de difficulté d’une tâche. Considérons une tâche de difficulté objective
donnée. Si les sujets décident d’investir plus d’effort afin d’augmenter leur
performance, on peut imaginer qu’il existe une relation linéaire entre la
performance obtenue et l’effort investi. La pente de cette relation effort —
performance dépend en partie du niveau de difficulté de la tâche, mais pas
uniquement de lui. Normalement, la relation (comme on le voit sur la figure
25) est positive, avec une pente qui peut varier en fonction des tâches mais
aussi des différences individuelles. Une faible augmentation de la
performance (ligne I) peut être en rapport avec une forte augmentation de
l’effort, indiquant soit une tâche très complexe, soit un sujet peu habile, soit
les deux. Inversement, une forte augmentation de la performance (ligne II)
peut être en rapport avec une faible augmentation de l’effort, révélant que la
tâche est facile et/ou que le sujet est très habile, ou les deux.

Figure 25 — Relations possibles entre effort et performance en fonction du


niveau d’habileté.
14 Ce qui précède nous conduit au problème du niveau d’habileté des sujets. On
sait que cette notion a été avancée dans le cadre de l’évaluation des
apprentissages à l’école, au collège et au lycée (Hébrard, 1986). Or, si l’on
tient compte des idées développées depuis le début de cet ouvrage, cette
notion fait référence à trois entités distinctes :
15 ▪ le sujet a un niveau d’habileté plus grand que celui d’un autre parce qu’il est
capable d’accomplir des tâches objectivement plus difficiles.

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16 Ici, deux cas se présentent ; la tâche est plus difficile parce que le but est plus
difficile à atteindre (nombre de sous-buts, par exemple) ou bien parce que les
conditions qui accompagnent l’accomplissement du but sont plus difficiles,
ou enfin parce que les deux cas sont réunis ;
17 ▪ dans une même tâche accomplie avec succès par deux sujets, le plus habile
utilise moins de ressources, moins d’effort ;
18 ▪ comme nous le verrons par la suite, le sujet peut avoir le potentiel requis
mais la perception qu’il a de sa propre compétence lui fait considérer la
difficulté trop grande pour lui. Ainsi, son échec relève non de son niveau
d’habileté trop faible, mais d’une insuffisante mobilisation de ressource
disponible.
19 L’importance du niveau réel d’habileté des sujets dans la détermination de la
difficulté relative et quant au niveau d’effort que le sujet doit consentir nous
amène à approfondir plus avant le concept d’habileté motrice.

L’habileté motrice
20 Nous développerons ici les idées essentielles qui émergent de la recherche
scientifique actuelle quant aux principaux traits caractéristiques des
habiletés motrices : « L’habileté motrice est la capacité acquise par
apprentissage à atteindre des résultats fixés à l’avance avec un maximum
de réussite et souvent un minimum de temps, d’énergie, ou des deux »
(Guthrie, 1957).
21 Cette définition souligne clairement le caractère appris de l’habileté motrice,
produit d’un apprentissage moteur. D’autres caractéristiques de l’habileté
sont à préciser :

l’habileté motrice se définit par rapport à un but à atteindre (résultat


fixé à l’avance). Elle ne se définit pas, comme c’est souvent le cas dans le
domaine de l’EPS, par rapport à une configuration de mouvement à
réaliser. C’est l’aspect finalisé de l’habileté ;
l’habileté motrice est hiérarchiquement organisée. Le but principal peut
se décomposer en sous-buts ;
l’habileté motrice est efficiente ;
l’habileté motrice est adaptative. Les mouvements sont régulés à la fois
par le pratiquant et par l’environnement ;
l’habileté motrice est coordonnée.

22 Les principaux traits énoncés ci-dessus sont aussi caractéristiques des


habiletés cognitives complexes (Leplat. 1988).

Le caractère finalisé de l’habileté motrice

1 — Habileté et but
23 Par habileté motrice (l’habileté sportive étant une sous-catégorie de celle-
ci), on désigne habituellement le niveau de compétence ou de savoir-faire
acquis par un pratiquant dans l’atteinte d’un but particulier. Les exemples
abondent : au basket, c’est mettre la balle dans le panier ; en natation, en
athlétisme, en aviron, c’est aller le plus vite possible ; au football, c’est être
précis dans les passes ou dans les tirs ; en danse classique, c’est reproduire

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fidèlement une forme gestuelle. Sans l’atteinte de ces objectifs, il n’y a pas
d’habileté. L’habileté est donc la capacité d’un sujet à atteindre un objectif de
manière efficace mais aussi, nous le verrons, de manière efficiente.
24 Plus généralement, un pratiquant est habile s’il est capable d’atteindre de
manière appropriée l’objectif ou le but préalablement fixé.
25 D’autres auteurs viennent enrichir la définition de Guthrie. Ainsi Robb
(1972b) définit l’habileté comme l’accomplissement d’une tâche motrice sans
considération de la qualité du mouvement ; Arnold (1985) présente l’habileté
comme la réalisation fidèle de l’objectif de la tâche motrice. Si l’objectif est,
par exemple, d’attraper une balle au vol, l’habileté de l’exécutant ne dépend
pas de la forme du mouvement réalisé, mais de la capacité démontrée à
intercepter la balle. Par contre, dans le cas d’un salto et demi avant en
plongeon, l’habileté dépend totalement, cette fois, de la forme du mouvement
réalisé. Dès lors, si l’on veut évaluer le degré d’habileté d’un sujet, il importe
d’identifier au préalable et avec précision l’objectif de l’activité.
26 Cette capacité à atteindre des résultats fixés à l’avance se traduit
concrètement par la mise en œuvre de mouvements corporels appropriés.
Cependant, la définition de l’habileté par rapport à l’atteinte d’un but a pour
conséquence d’éliminer :

toute configuration de mouvement qui est techniquement parfaite mais


inefficace. Ce dernier cas se rencontre fréquemment dans la pratique
sportive. Ainsi, on ne peut pas dire qu’un pratiquant est habile s’il est
capable de réussir un saut ventral uniquement à de faibles hauteurs. De
même, pour un lanceur de poids qui possède un style très correct et qui,
pourtant, ne peut lancer le poids qu’à une courte distance ; ou encore
pour un joueur de tennis qui peut avoir un style parfait et ne pas toucher
la balle. Comme le fait très justement remarquer Arnold (1985) :
« Quelle que soit la perfection des formes de mouvements produites, un
hockeyeur sur gazon sera jugé incompétent s’il n’est pas à même de
marquer des buts, de construire le jeu avec ses coéquipiers et de
tromper ses adversaires, c’est-à-dire au regard de l’objectif de l’activité.
Il en va de même pour un joueur de bowling : peu importe que ses
gestes soient techniquement parfaits, l’essentiel est qu’il parvienne à
marquer le plus de points possibles et, au minimum, 100. »
toute activité réflexe ou tout déplacement corporel non dirigé
consciemment vers un but. Les actes moteurs sont, nous l’avons dit,
dirigés par une intention particulière d’atteindre un but. Si celui-ci est
atteint accidentellement, nous ne parlerons pas d’habileté.

2 — L’habileté n’est pas le mouvement


27 Dans le milieu de l’éducation physique et du sport, on pense trop souvent
qu’être habile, c’est posséder une technique gestuelle parfaite, une
configuration idéale de mouvement. L’efficacité de l’habileté réside dans la
forme du geste réalisé et l’apprentissage moteur est considéré
essentiellement comme un apprentissage de mouvements. Le caractère
finalisé de l’habileté, et donc la notion de but par rapport à laquelle se définit
l’habileté, modifient considérablement cette façon de voir.

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28 L’habileté motrice sous-tend deux aspects : l’aspect moteur proprement dit


et l’aspect que l’on peut appeler direction intentionnelle objective. En
d’autres termes, il y a lieu de distinguer, d’une part, le mode d’exécution,
c’est-à-dire les déplacements objectifs des segments du corps les uns par
rapport aux autres, observables par différentes méthodes d’analyse, et
d’autre part, la signification précise de ce mouvement déterminée par le but à
atteindre. C’est ce dernier qui confère à l’aspect moteur sa signification
comportementale. Le comportement moteur est réglé et modulé à chaque
moment de son exécution par ce but cognitivement élaboré. Dire qu’un
mouvement est finalisé ou régulé par un but revient à dire qu’il est
instrumental par rapport à l’effet à obtenir et que, dans certains cas, il
procède à une restructuration de ses éléments en fonction de l’atteinte de cet
objectif. C’est le but qui règle chaque séquence du mouvement et lui donne sa
direction. Avant d’analyser les relations but — mouvement illustrées par le
concept d’équivalence fonctionnelle, étudions la structure cinématique du
mouvement.
29 Le mouvement est une totalité complexe caractérisée par une structure
particulière de contractions musculaires intégrées et coordonnées et se
traduit par un comportement manifeste, c’est-à-dire par un transport du
corps et/ou une mobilisation des membres dans le temps et l’espace. La
configuration cinématique du mouvement qui en résulte est donc un
ensemble de forces générées à l’intérieur de l’organisme, mais aussi
combinées parfois à des forces externes imposées sur l’individu. Cette
configuration cinétique s’acquiert par la pratique et grâce à la régulation
environnementale fournie par le but. Elle est aussi contrôlée par les
contraintes environnementales, biomécaniques et morphologiques.
30 Dans la tâche consistant à lancer une balle sur une cible, nous dirons que
l’enfant est habile s’il parvient à donner à son mouvement une direction
spatiale, une vitesse, une amplitude, un rythme, une force globale
susceptibles de donner à la balle la trajectoire requise pour atteindre la cible.
L’efficacité de l’habileté dépend donc de cette capacité à mettre en œuvre la
bonne configuration du mouvement requise par l’atteinte du résultat.
31 Dès lors, des questions surgissent :

quelle est la relation entre le mouvement et le résultat recherché ? Pour


atteindre celui-ci, doit-on acquérir, comme on le pense généralement,
une configuration « idéale » de mouvement, une technique ? Cette
configuration « idéale » particulière de mouvement n’a d’importance
que dans la mesure où elle conduit de manière constante à l’atteinte du
but. En bref, qu’est-ce qui est appris d’un point de vue moteur lorsque
l’on acquiert une habileté sportive ?
quels changements fondamentaux dans la configuration du mouvement
se produisent à mesure que progresse l’acquisition ?

32 L’étude de l’équivalence fonctionnelle, puis de la recherche de l’efficience,


permettront de proposer des éléments de réponses.

3 — L’équivalence fonctionnelle

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33 La notion d’équivalence motrice ou d’équivalence fonctionnelle (Hebb, 1949 ;


Lashley, 1938) se réfère à la non-spécificité des commandes motrices, c’est-à-
dire à des situations où le même résultat (ou un résultat similaire) peut être
atteint à travers l’utilisation de plusieurs combinaisons musculaires
différentes.
34 Pew (1970) a ainsi noté qu’au tennis un joueur ne réalise jamais deux coups
de la même manière, bien que chacun puisse servir le même objectif. Ainsi,
ce qui est stocké, une fois l’habileté bien apprise, n’est pas nécessairement
une configuration fixe de mouvement, mais une série de relations pour
diriger l’habileté. On conçoit donc que l’apprentissage de l’habileté conduit à
une mémoire de celle-ci dans laquelle une infinie variété de configurations de
mouvement est possible.
35 Il a aussi été démontré que la parole intelligible peut être produite lorsque les
articulateurs sont entravés, ce qui suppose l’utilisation de voies vocales
différentes pour atteindre la phonation désirée (Mac Neilage, 1970).
36 Les muscles semblent donc capables de varier leur rôle fonctionnel d’un
mouvement à l’autre. Si l’on observe, par exemple, la manière dont on écrit, il
apparaît que le système moteur peut produire une grande variété de
mouvements intentionnels qui servent des buts ou des résultats identiques,
ou étroitement en rapport, mais à travers l’action de muscles et de
mouvements différents. Par exemple, une lettre ou un mot peut être écrit très
grand ou très petit, avec chaque main ou même le pied, etc. (Greene, 1972 ;
Turvey, 1977).
37 « Prenons un exemple de façon à établir la distinction entre mouvements,
actions et habiletés. Tout d’abord, imaginez-vous écrivant la première lettre
de votre nom avec un stylo tenu par votre main préférentielle sur un
pupitre. Puis imaginez que vous écrivez avec un morceau de craie attachée
à un manche à balai, demandant l’usage des deux mains, sur un mur ou une
surface verticale. Vous pouvez accomplir l’une et l’autre de ces tâches et
l’habileté en question est l’écriture. Toutefois, il est intéressant et important
de noter que des groupes musculaires tout à fait différents et, donc, que des
mouvements différents sont impliqués. Nous arrivons au même résultat par
des voies différentes... Aussi suis-je capable d’écrire sur une surface
verticale, une surface horizontale, une surface inclinée, dans différentes
orientations de mon bloc de papier, avec un stylo, un crayon, une brosse,
etc. Si un programme d’ordre supérieur est disponible, il est possible
d’exécuter des mouvements habiles bien qu’ils n’aient jamais été réalisés
auparavant » (Stelmach et Larish, 1978).
38 De toute évidence, l’écriture d’une lettre ou d’un mot n’est pas accomplie par
une série fixe de commandes motrices. Comment l’est-elle ? La réponse,
proposée par Turvey (1977), est fournie, dans le domaine du langage, par les
concepts de structure profonde et structure de surface. Comme pour le
langage, la programmation du système de contrôle moteur peut être
considérée comme comprenant des mots (peut-être des structures
coordinatives ou des sous-routines, nous le verrons plus loin) et des phrases
(organisation syntaxique) dans lesquelles les mots sont placés. Le
mouvement habile observable est le résultat d’une abstraction et d’une
structure générative qui est capable de produire un nombre infini de

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mouvements possibles, de la même façon que la structure profonde du


langage produit un nombre infini de phrases.
39 La structure profonde est un système abstrait de règles ou principes à partir
desquels celui qui apprend peut générer un nombre infini de mouvements.
Les mouvements qui sont produits représentent la structure de surface.
« L’habileté est au-delà de ce que l’on observe, en arrière-plan de ses
manifestations, comme ce qui les génère » (Leplat et Pailhous, 1981).
L’habileté fait donc naître les comportements moteurs efficaces pour une
tâche particulière ou pour un groupe limité de tâches. Même dans le cas où le
comportement moteur se limite à une action répétitive — par exemple, un
saut de cheval —, on ne peut confondre l’habileté avec la manifestation des
différents mouvements exécutés.
40 Ainsi, l’habileté à écrire la lettre capitale A peut être conçue comme reposant
sur une série de règles abstraites issues des tentatives antérieures d’écriture
de cette lettre ou d’autres lettres. Si la règle est appliquée aux mouvements
d’un bras ou d’une jambe (déplacer vers le haut, puis vers le bas et en
travers), la même forme fondamentale peut ainsi être produite. Ainsi, il y a
une structure qui détermine l’ordre et la séquentialisation des unités
élémentaires des mouvements qui sont recrutés pour une action particulière.
41 Si l’on accepte cette analogie du langage, il est alors évident que les questions
concernant la programmation de la réponse doivent se centrer sur la nature
de cette structure profonde et sur la manière dont on l’acquiert, c’est-à-dire
sur la manière dont elle peut se modifier avec l’expérience.
42 Cette capacité à atteindre le but, par des mouvements différents, qui est
l’essence même de l’habileté motrice, implique qu’être habile ne consiste pas
à rechercher en mémoire un mouvement particulier, ou du moins son
programme, mais au contraire à le construire à chaque fois : « Le
« programme » ne serait pas écrit d’avance dans le câblage de ses modalités
d’exécution, mais existerait au niveau d’un générateur de fonction capable
de mobiliser les instruments moteurs en asservissant leur exécution à
certains critères d’évaluation de l’objectif à atteindre. Ces générateurs de
fonction existent certainement dans le système. Nous savons que nous
pouvons reproduire avec la même aisance une forme de trajectoire motrice
dans l’espace (dessiner un huit, par exemple) en utilisant les segments les
plus variés de notre corps (la main, le pied, le nez, etc.), qui mobilisent des
coordinations musculaires d’une infinie complexité. On conçoit la nécessité
d’introduire des notions telles que celles « d’image de but », « d’image
motrice » pour rendre compte des prescriptions dont doit disposer
l’hypothétique générateur de fonction, pour organiser ces sorties de
commandes. Dans cette ligne de réflexion, c’est moins le détail de l’exécution
qui doit être programmé qu’une certaine représentation de l’état final à
atteindre. Une telle représentation serait susceptible d’engendrer et de
corriger une construction progressive de la modalité d’exécution. J’hésite,
ici, sur les termes, car la notion de programmes moteurs n’est plus adéquate
puisqu’elle connote la notion de quelque chose qui est écrit d’avance et qu’il
suffit de relire. Le générateur de fonction ne relit pas des programmes
inscrits d’avance, il les recrée chaque fois à la demande » (Paillard, 1978).
43 Parce que les résultats peuvent être atteints par une variété de moyens,
comment un large domaine de configurations de mouvements possibles
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peut-il être stocké, accessible et retrouvé dans le cerveau ? S’il n’y a pas
correspondance directe entre le stockage et l’action (qui, bien que possible,
semble encombrante, inefficace et peu probable), alors nous sommes
concernés par un processus constructiviste ou génératif, dont les réponses
sont construites ou générées selon une série limitée de règles ou principes à
partir d’une large variété de sous-unités ou éléments, qui peuvent être
utilisés pour une variété d’intentions (Bernstein, 1967 ; Greene, 1972 ;
Turvey, 1977).
44 Cette perspective constructiviste (équivalence motrice) laisse entrevoir la
possibilité de processus verticaux dans l’acquisition des habiletés motrices.
Nous y reviendrons ultérieurement.

L’habileté motrice est hiérarchiquement organisée


45 Pour approfondir cette notion, nous nous servirons de l’exemple bien connu
du tir au fusil, proposé par Leontiev (1972), qui conclut que toute habileté
principale peut être décomposée en sous-habiletés élémentaires.
46 Les sous-habiletés peuvent être considérées comme des anciennes habiletés
principales. Lacer un lacet de chaussure a été, à un moment donné de la vie,
une habileté principale pour devenir ensuite une sous-habileté se déroulant
automatiquement. On entend par là des unités d’habiletés (habiletés
partielles) qui ont été reléguées à un niveau de contrôle plus bas. Bruner
(1971) appelle aussi sous-routines ces habiletés élémentaires. En tant que
telles, elles sont chacune dirigées vers un but particulier. L’apprentissage se
traduit par la fusion de différentes habiletés partielles en une habileté
unique, c’est-à-dire par la transformation de chacune de ces habiletés
particulières en sous-buts au service d’une habileté plus grande. L’analyse
effectuée par le psychologue soviétique Leontiev (1972) illustre bien cette
transformation. À noter qu’il appelle « opérations » ce que nous décrivons
comme des sous-habiletés. Leontiev considère l’exemple d’un tireur au fusil :
lorsqu’il atteint la cible, but final, il réalise une habileté bien déterminée. Par
quoi se caractérise-t-elle ? Par les procédés et les opérations, ou sous-
habiletés, grâce auxquelles elle s’accomplit. Un tir ajusté requiert de
nombreuses opérations, chacune d’elles répondant aux conditions
déterminées de l’action donnée : prendre une certaine pose, mettre en joue,
déterminer correctement la ligne de visée, épauler, retenir son souffle et
appuyer correctement sur la gâchette.
47 Pour le tireur expérimenté, ces différents processus ne sont pas des actions
indépendantes. Les buts correspondants ne se distinguent pas chaque fois au
niveau de la conscience. Le tireur ne se dit pas : « Il faut maintenant que
j’épaule, maintenant que je retienne ma respiration », etc. Un seul but est
consciemment retenu : atteindre la cible. En clair, cela signifie qu’il maîtrise
les opérations motrices qu’exige le tir.
48 Il en va tout autrement pour celui qui s’initie au tir. II doit d’abord avoir pour
but de tenir correctement le fusil ; c’est en cela que réside son action ;
ensuite, son action consciente consiste à viser, etc. En étudiant
l’apprentissage du tir ou de n’importe quelle autre action complexe, nous
voyons donc que les chaînons qui la composent se forment initialement
comme des habiletés principales séparées et ne se transforment en
opérations (ou habiletés élémentaires) qu’ultérieurement.
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49 Ainsi, apprendre à tirer au fusil consiste d’abord à apprendre à réaliser un


certain nombre de buts indépendants : prendre une pose, épauler, appuyer
correctement sur la gâchette, puis intégrer ces buts dans une habileté plus
complexe : atteindre la cible. Dès lors, chacun des buts indépendants devient
un sous-but au service d’un but principal : atteindre la cible.
50 Leplat (1988) fait justement remarquer à propos des habiletés cognitives
complexes : « Le caractère hiérarchique des habiletés ne signifie pas que les
unités composantes restent inchangées en s’intégrant à l’habileté d’ordre
supérieur. Quand l’habileté a été acquise à un niveau élevé, il sera difficile
d’en extraire des composantes initiales pour en faire les éléments d’une
autre habileté. Ces composantes initiales se sont transformées par leur
intégration et ont perdu, en quelque sorte, leur individualité ». Cette
remarque vaut aussi pour les habiletés motrices complexes, où le pratiquant
doit combiner d’une manière nouvelle des éléments appris antérieurement
afin d’atteindre le but désiré. Ultérieurement, il semble raisonnable de
penser que ces habiletés partielles sont regroupées en unités plus grandes.
Cela a l’avantage, comme nous le verrons plus loin, de soulager les stades de
traitement de l’information. Un auteur américain, Keele (1982), a suggéré, en
prenant l’exemple de l’habileté à changer de vitesse dans une voiture, une
explication à ce regroupement. Selon lui, les programmes moteurs peuvent
être construits en regroupant des unités de comportements plus petites en
une unité plus vaste. Souvenez-vous de l’action de changer de vitesse dans
une voiture lorsque vous étiez débutant. Votre comportement était lent,
saccadé, procédant par étape : vous leviez le pied de l’accélérateur, puis
enfonciez la pédale d’embrayage, puis déplaciez le levier de vitesse. Vous
accomplissiez probablement cela en trois mouvements distincts. À l’opposé
de ce comportement de débutant, se trouve celui du pilote de course, qui
change les vitesses en une simple action unique. Son comportement moteur,
non seulement se déroule beaucoup plus vite mais, en outre, les éléments de
cet acte sont réalisés à un rythme précis, et les mouvements des pieds et des
mains sont coordonnés de façon relativement complexe. À la différence du
comportement du débutant, l’action semble surtout être contrôlée comme
une simple unité programmée.
51 La figure 26 illustre comment ce changement peut se produire. Supposons
qu’il y ait au départ sept éléments pour accomplir la séquence entière et,
qu’au début, ces sept éléments soient contrôlés chacun séparément par un
programme moteur différent. Avec l’entraînement, les deux premiers
éléments peuvent se constituer comme une simple unité, les trois éléments
suivants en une autre et les deux derniers en une troisième. Finalement, avec
une longue pratique, la séquence entière peut être contrôlée comme une
simple unité.

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Figure 26 — L’analogie du changement de vitesse (d’après Keele, 1982).


52 Cette conception a des implications pédagogiques intéressantes. En effet, si
la sous-habileté n’est pas développée, on devra la faire acquérir au pratiquant
afin de lui permettre de l’incorporer dans la séquence correcte de l’habileté
principale. Aux pratiquants inexpérimentés, l’éducateur doit donc faire
acquérir les sous-habiletés appartenant à un niveau plus bas que
l’organisation et puis les intégrer progressivement jusqu’à ce qu’il parvienne
au niveau supérieur de l’organisation. Ainsi, l’éducateur doit non seulement
être conscient des niveaux initiaux d’habileté de ses élèves mais aussi être
capable de placer de manière judicieuse ses élèves au bon niveau dans la
hiérarchie des composants d’une habileté motrice.
53 Initialement, sept éléments sont contrôlés par des programmes séparés. Plus
tard, ils sont regroupés afin d’être organisés en peu d’unités ou même en une
simple unité.
54 L’exemple du changement de vitesse permet d’illustrer aussi le changement
qui se produit au niveau de la conscience, lorsqu’une habileté élémentaire
s’intègre dans une habileté plus large. L’exemple de la conduite automobile
proposé par Leontiev (1975) souligne bien cette transformation. Au départ,
chaque opération — par exemple, celle d’embrayer — se forme comme une
action soumise précisément à ce but et ayant son fondement orientateur
conscient. Par la suite, cette action s’insère dans une autre action (par
exemple, changer le régime de l’automobile) : « Désormais, l’action
d’embrayer devient l’un des moyens d’exécuter l’opération de changer de
régime — une opération qui la réalise — et elle cesse d’être effectuée comme
un processus orienté vers un but particulier. Son but n’est plus distinct (..),
l’action d’embrayer semble n’être plus du tout consciente » (Leontiev, 1975 ;
cité par Leplat, 1988).
55 En résumé, l’apprentissage d’une habileté motrice peut être défini comme
une intégration et un ordonnancement de sous-habiletés, puisque beaucoup
de celles-ci sont transférées à partir des activités antérieurement apprises.
Une partie importante du processus d’apprentissage est concernée par le
choix et l’organisation temporelle de ces sous-habiletés au service de
l’habileté principale.
56 Fitts (1964) maintient que, passé l’âge d’environ 6 ans, tous les êtres humains
possèdent les sous-habiletés nécessaires pour apprendre chaque habileté

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nouvelle. Il considère la première phase de l’apprentissage comme étant


caractérisée par la sélection des habiletés élémentaires qui doivent faire
partie de la nouvelle habileté et qui ont été développées antérieurement par
d’autres habiletés. L’apprentissage de l’habileté dans cette phase est un
travail d’assemblage des habiletés existantes. Une fois atteinte
l’approximation grossière de la nouvelle habileté, une seconde phase de
l’apprentissage commence, où l’accent est mis sur le regroupement et
l’intégration des sous-habiletés préalablement indépendantes afin de
produire un mouvement coordonné.
57 Cette explication va dans le sens de l’organisation hiérarchique des habiletés
motrices. Celles-ci sont organisées hiérarchiquement en ce sens que
plusieurs parties composantes d’une habileté sont regroupées sous une unité
composante plus large. De même, plusieurs grands composants ainsi créés
peuvent à leur tour être regroupés sous un plus grand encore. Ce processus
de regroupement des petits éléments en des composants plus grands
continue jusqu’à ce que l’habileté toute entière puisse être décrite.

L’habileté motrice n’est pas l’automatisme


58 Plusieurs auteurs (Fitts, 1964 ; Gentile, 1972a ; Adams, 1971 ; Paillard, 1987)
reconnaissent plusieurs phases, étapes ou stades dans le processus
d’apprentissage moteur.

Pour Fitts, il y a trois stades : un stade cognitif, un stade associatif et un


stade d’automatisation.
Pour Adams, il existe deux stades : le stade verbal — moteur et le stade
moteur.
Pour Gentile, il existe deux phases : une phase d’exploration et une
phase de fixation — différenciation.
Pour Paillard, il y a deux phases : une phase de mise en place de la
solution au problème moteur posé et une phase d’automatisation de
cette solution.

59 Ces différents modèles des stades de l’apprentissage ont des points


communs. Durant la première étape, le pratiquant met en place une
configuration motrice générale qui permet de résoudre le problème moteur
posé. Cette phase est généralement conçue comme étant essentiellement de
nature cognitive. La dernière étape de l’apprentissage est une phase
d’automatisation dont le caractère est beaucoup plus moteur que
précédemment.
60 La description de ces stades laisse à penser que l’habileté et l’automatisme
sont synonymes. L’automatisme et l’habileté semblent similaires en ce sens
qu’ils sont tous les deux mis en place grâce à une longue pratique.
Cependant, Logan (1985) distingue la notion d’habileté de celle
d’automatisme. Seuls les composants de l’habileté sont automatisés,
notamment les sous-routines, constituant son organisation hiérarchique.
L’habileté consiste certes en une collection de processus automatiques qui
sont recrutés pour accomplir la tâche, mais elle est plus que la somme de ses
parties automatiques : « L’habileté, comme recoordination de
composantes automatisées à des degrés divers, constitue une

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activité globale, totale, différente de l’automatisme, qui met en


jeu des formes de contrôles cognitifs différentes de celles qui
interviennent lors de la phase contrôlée d’une automatisation »
(Camus, 1988).

L’habileté motrice n’est pas un tout homogène


61 Lorsque nous avons analysé la notion d’activité, nous avons signalé que le
mouvement même le plus simple qui traduit une habileté (saisie d’une balle
au vol) est le résultat de l’enchaînement d’une série d’opérations cognitives
élémentaires. La précision finale de la saisie dépend finalement de la
précision de chacune de ces opérations cognitives. Plusieurs expériences
permettent de mettre ce phénomène en évidence.
62 L’analyse des opérations cognitives requises de la tâche de saisie d’une balle
suggère que les mouvements de la main sont organisés en termes d’une
prédiction du mouvement de la balle (Alderson, 1972). Une telle prédiction
constitue une décision centrale prise en réponse à une analyse perceptive de
la trajectoire de la balle et est souvent rendue nécessaire par le faible temps
accordé par la vitesse de la balle et le temps requis pour l’analyse, la sélection
et l’exécution d’un programme moteur approprié. Des données pour cette
hypothèse viennent de l’observation de Kay (1957) montrant un très jeune
enfant qui échoue à attraper une balle parce qu’il n’anticipe pas. Il sait
seulement où la balle est, non où elle sera.
63 Schmidt (1968) a établi la différence entre deux formes d’anticipation
perceptive : l’anticipation spatiale et l’anticipation temporelle. Une
saisie réussie de la balle requiert ces deux composants puisque le sujet doit
prédire où va la balle et quand elle arrivera à cet endroit. Des résultats
expérimentaux confirmant l’implication des deux formes spatiale et
temporelle de l’anticipation ont été fournis par Whiting, Alderson et
Sanderson (1973). Ils ont étudié la performance de saisie à une main en
utilisant une machine lance-balles de tennis qui projetait les balles selon une
même trajectoire. Le but de l’expérience était de comparer les taux de saisies
réussies dans des conditions normales et avec différents degrés d’intensité de
l’éclairage.
64 Dans les conditions normales, les sujets réalisent bien la tâche et lorsqu’on
les questionne sur la stratégie employée ils rapportent qu’ils évaluent
l’endroit où doit se faire la saisie, positionnent la main, puis attendent
qu’arrive la balle. Cette stratégie décrite par les sujets semble valider la
conception, fortement soutenue par les sportifs, que seule l’anticipation
spatiale est importante pour la performance. La prédiction temporelle du
mouvement semble insignifiante. C’est uniquement le contact balle - main
qui fournit le signal pour que le mouvement de saisie soit exécuté.
65 Cependant, lorsque l’information sur la trajectoire est réduite par une
extinction partielle des lumières (approximativement 275 msec.) avant le
contact balle - main, on observe une détérioration de la performance, se
traduisant par une augmentation de balles relâchées bien que normalement
localisées. Ces résultats contrastent avec ceux de la condition précédente où
les balles bien localisées sont gardées. Les sujets, dans cette situation,
rapportent verbalement qu’ils peuvent prédire l’endroit où placer la main
mais qu’ils ne peuvent pas organiser temporellement le mouvement de saisie.
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Cet échec dans l’organisation temporelle du mouvement de saisie suggère


que, sous des conditions normales de vision, l’action de saisie doit inclure un
composant de prédiction temporelle dont le sujet n’est pas conscient.
66 Ces résultats ont été confirmés par Alderson, Sully et Sully (1974), qui ont
étudié le mouvement réussi de saisie de la balle afin de savoir si l’habileté
implique les deux composants de prédiction du mouvement spatial et
temporel sous des conditions de vision normale.
67 Ces études mettent en évidence l’existence de deux opérations cognitives
différentes au niveau de la prédiction de la trajectoire de la balle : la
prédiction spatiale et la prédiction temporelle. Ces opérations sont
indépendantes dans la mesure où la capacité du sujet pour l’une est
indépendante de la capacité qu’il peut posséder pour l’autre. Il en va de
même pour toutes les autres opérations cognitives qui interviennent dans la
production du mouvement.
68 Des conséquences fondamentales peuvent être déduites de cette approche.

Chaque opération peut être plus ou moins requise selon les


caractéristiques objectives de la tâche. L’opération de prédiction
spatiale, par exemple, sera d’autant plus sollicitée que le degré
d’incertitude de la trajectoire de la balle sera plus élevé. On peut
supposer, par ailleurs, que si le niveau requis par la tâche dépasse la
capacité du sujet dans cette opération, il y a un déficit de traitement,
lequel peut être responsable de l’échec constaté dans la réalisation de la
tâche.
Chaque opération de traitement de l’information a des particularités
objectives déterminées quant à la manière dont on peut la solliciter. La
capacité de chacune de ces opérations est, on peut le supposer, tributaire
de ses conditions habituelles de sollicitation, de sa fréquence d’exercice
dans une tâche donnée. Si nous voulons solliciter une opération en vue
de son développement, nous pouvons nous appuyer sur des conditions
objectives qui la mobilisent. Les conditions qui permettent de solliciter
chaque opération sont bien sûr les différentes caractéristiques
intrinsèques des tâches que nous avons identifiées et classifiées en
fonction de leur niveau objectif de difficulté. Reste à savoir comment
cette sollicitation doit être conduite. Nous analyserons ce point
ultérieurement.
Toutes les tâches ne sont pas identiques quant à l’importance relative
des différentes opérations mobilisées. Et, dans une même discipline
sportive, tous les gestes, tous les comportements ne nécessitent pas la
même sollicitation des différents mécanismes de traitement de
l’information. La fonction visuelle, par exemple, n’est pas requise de
manière identique dans chaque sport et ce serait une erreur que de lui
accorder un rôle primordial quelle que soit l’activité sportive. Les
différentes opérations cognitives ne fonctionnent pas de manière isolée.
Le comportement moteur est un phénomène global et intégré où toutes
les fonctions, à des degrés et dans des rôles différents, collaborent pour
atteindre le but. Quelquefois, c’est la fonction perceptive visuelle qui
constitue la composante dominante du comportement. Mais en même
temps, toutes les autres fonctions jouent un rôle et contribuent à

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l’efficacité de l’habileté. Parfois enfin, c’est la sélection de la réponse ou


la fonction effectrice qui joue un rôle dominant.

69 Ainsi, chacune des opérations cognitives élémentaires peut constituer soit la


composante principale, soit un des éléments auxiliaires d’une habileté.
Toutes doivent être considérées dans le rôle qu’elles jouent. Il ne suffit pas
d’affirmer qu’une fonction est impliquée dans la réalisation d’une tâche, il
s’agit aussi d’estimer le poids spécifique qui peut être attribué aux
imprécisions de son fonctionnement dans la réussite de la performance
globale. Cette estimation ne peut se faire qu’en référence aux caractéristiques
objectives des tâches. Par exemple, si l’opération cognitive de traitement des
informations spatiales est faiblement requise, des différences dans les
niveaux ou dans les stratégies du sujet ne produiront pas un écart
fondamental dans la performance. Une imprécision dans le fonctionnement
ne sera pas capitale. Les différences inter-individuelles en matière de
performance ne se manifesteront pas dans les tâches où la capacité de
traitement de l’information n’est pas totalement utilisée. En revanche, si le
niveau requis est élevé, les différences de capacité peuvent répartir les
individus en-dessus ou en-dessous du niveau exigé et l’on pourra observer de
grandes variations dans les performances réalisées, les différences inter-
individuelles devenant alors très sensibles au niveau de la performance.
70 Ce sont le rôle et l’interaction entre les processus qu’il importe d’étudier
plutôt qu’une série de fonctions isolées. D’autant plus que l’Homme est un
organisme complexe, adaptatif, qui est capable, souvent, de compenser les
« déficiences » dans une fonction en produisant un plus haut niveau de
fonctionnement dans une autre. Ce que nous observons dans la façon de
réaliser une tâche, c’est le résultat combiné de la mise en œuvre de
nombreuses fonctions de traitement de l’information du pratiquant.
71 Il sera donc très utile aux enseignants d’éducation physique et aux
éducateurs sportifs de pouvoir caractériser le sport qu’ils enseignent afin de
connaître l’importance relative à accorder aux différents stades de
traitement. La Commission permanente de réflexion sur l’enseignement de
l’éducation physique résume de la manière suivante les objectifs assignés à
l’EPS : « L’EPS conserve et enrichit les moyens et les ressources de
l’activité motrice... L’EPS apprend à sélectionner et à mobiliser
les moyens et les ressources de l’action tout en les
développant... » (Hébrard, 1986). Nous pensons qu’une grande partie de
ces ressources sont des ressources de traitement de l’information. Leur
identification et leur développement doivent pouvoir se faire à l’aide
d’analyses semblables à celles développées ici.

Habileté motrice et efficience


72 Les chercheurs, pour la plupart, ont insisté, nous l’avons vu, sur la
caractéristique des habiletés, orientation vers un but, ainsi que sur la
certitude avec laquelle le but spécifié peut être atteint. Cependant, ne pas
inclure la notion d’efficience dans ces définitions aurait pour effet
l’impossibilité à rendre compte des discontinuités observées dans
l’acquisition des habiletés motrices, et notamment ce que Namikas (1983) a
appelé « les processus verticaux dans l’apprentissage moteur » (voir

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Famose, 1987a et b). C’est la raison pour laquelle certains auteurs ont inclus
cette notion dans leur définition de l’habileté. Rappelons tout d’abord celle
de Guthrie (1957), déjà citée, selon laquelle l’habileté est la capacité à
atteindre des résultats avec un minimum de temps, d’énergie ou des deux.
Pour Welford (1976b), la notion d’habileté doit inclure « les concepts
d’efficience et de précision de la performance ». De même, Singer (1980) et
Robb (1972b) invoquent, respectivement, les termes d’« efficience » et de
« souplesse et efficience » pour décrire la nature de l’habileté motrice.
Sparrow (1983) pense, quant à lui, que le concept d’efficience est
fondamental pour comprendre les habiletés motrices.
73 Dans ce qui va suivre, nous tenterons de montrer en quoi l’efficience est une
caractéristique essentielle des habiletés motrices et, surtout, comment la
recherche de l’efficience se traduit en permanence par des modifications
dans la structure du geste. Il s’agit là d’une variable nécessaire à la
description de l’habileté motrice. Une meilleure compréhension de
l’efficience peut apporter un éclairage nouveau sur les principes
fondamentaux de l’apprentissage des habiletés motrices. Ainsi, l’absence
d’effort ou l’efficience d’une performance peut être considérée comme une
propriété qui émerge des principes organisateurs de l’apprentissage moteur.
En d’autres termes, la recherche de l’efficience serait une condition qui
détermine une organisation cinématique particulière des mouvements.

Efficience et efficacité
74 L’efficience dans la réalisation d’une tâche motrice peut être définie comme
étant le rapport entre le niveau de performance obtenu et le coût de l’activité
mise en œuvre pour l’obtenir. Comme le fait remarquer Leplat (1987), toute
activité (et plus encore quand elle est de niveau élevé) représente un coût.

Coût énergétique, correspondant essentiellement à l’activité


musculaire mise en œuvre ; il peut être évalué, notamment, par des
critères d’ordre physiologique, c’est-à-dire le coût calorique d’une
activité, dérivé d’indices tels que la consommation d’oxygène, le rythme
cardiaque, le rythme respiratoire. D’autres indices peuvent aussi servir à
mesurer ce coût énergétique. Ainsi, pour évaluer les modifications dans
l’apprentissage d’une tâche sensori-motrice, Eason (1963) a utilisé,
comme indicateur de l’effort exercé, le niveau de tension musculaire
mesuré électromyographiquement. L’efficience fait référence, ici, à la
dépense d’énergie relative requise pour accomplir une quantité donnée
de travail mécanique.
Coût dit parfois cognitif, mais aussi charge mentale. Ce coût cognitif
ou effort mental peut être évalué directement grâce à des indices tels que
la dilatation de la pupille, la réponse électrodermale, ou indirectement
par la technique de la tâche ajoutée. L’effort perçu, que nous étudierons
par la suite, peut être, lui aussi, une mesure appropriée du coût mental
de la performance, donc du dénominateur de l’efficience.

75 L’efficience peut ainsi être distinguée de l’efficacité. Cette dernière fait


référence à la qualité de la performance ou encore au niveau de performance
obtenu, indépendamment du coût. II faut signaler, néanmoins, qu’un certain

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nombre d’auteurs (notamment Brown, Simmons et Tickner, 1967 ;


Kahneman, 1973) utilisent ces termes à mauvais escient.
76 L’habileté motrice est donc non seulement efficace, puisqu’elle permet
d’atteindre le but préalablement fixé, mais elle est aussi efficiente, puisqu’elle
permet au sujet de réaliser une performance de haut niveau d’une manière
économique.

Efficacité, efficience et niveau d’habileté


77 Cette distinction entre efficience et efficacité établie, nous sommes en mesure
d’aborder le problème des niveaux d’habileté sous des angles différents.

Du point de vue de l’efficacité. On dira alors qu’un pratiquant


progresse dans son niveau d’habileté s’il est capable de faire face à des
niveaux de plus en plus élevés de difficulté objective de la tâche.
Plusieurs cas sont possibles :
la tâche devient plus difficile parce que le but est plus difficile (par
exemple, au tennis, être de plus en plus précis là où l’on dirige la
balle), ou bien encore parce qu’il a plus de sous-habiletés à
intégrer ;
la tâche devient plus difficile car les conditions environnementales
sont de plus en plus complexes (par exemple, dans la même
situation que précédemment, mais avec des balles de plus en plus
rapides) ;
la tâche devient plus difficile par un mélange des deux situations
précédentes. Puisque, dans ces trois conditions, être habile c’est
être capable de rencontrer les exigences objectives de la tâche, il
ressort que le moyen le plus logique d’évaluer le niveau d’habileté
des pratiquants consiste à le référer au niveau de difficulté de la
tâche. Le système quantitatif de classification des tâches motrices
que nous avons présenté dans le troisième chapitre de cet ouvrage
constitue à notre avis un instrument adéquat pour cette évaluation.
Il devient même possible d’établir des niveaux de difficulté
correspondant aux classes de difficulté.
Du point de vue de l’efficience. On dira alors qu’un pratiquant
progresse dans son niveau d’habileté dans la mesure où il réalise
plusieurs fois de suite une tâche d’un niveau de difficulté constant avec
un coût de moins en moins élevé. Prenons l’exemple de jeunes enfants
qui apprennent à skier. La tâche proposée consiste à passer sous un
pont, puis à aller toucher de la main un objet suspendu en hauteur. Dans
un premier temps, ils réaliseront, certes, ces divers objectifs, mais avec
une perte d’équilibre importante qui nécessite un rétablissement de
celui-ci par des mouvements impliquant le corps dans sa globalité. Au
fur et à mesure des répétitions, la perturbation d’équilibre devient
moindre. Seuls des mouvements des bras suffiront à le rétablir. Enfin,
dans un dernier stade, l’enfant anticipera le déséquilibre et le corrigera à
l’avance. Dès lors, aucun rétablissement ne sera nécessaire. Ainsi, nous
comprenons qu’une même tâche peut être accomplie avec succès, mais
avec des coûts différents. Ceux-ci représentent des niveaux différents
dans l’habileté du sujet. C’est par rapport à ce composant de l’habileté, à

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savoir l’efficience, qu’il paraît tout à fait justifié d’évaluer les niveaux
d’habileté à partir de comportements significatifs.
Du point de vue de l’efficacité et de l’efficience. Ici, il s’agit d’une
combinaison des deux types de niveaux d’habileté décrits ci-dessus.

Efficience et apprentissage
78 Si l’apprentissage moteur est le processus qui permet une utilisation plus
économique des ressources, il s’ensuit nécessairement que celles-ci sont
disponibles en plus grande quantité. Elles peuvent ainsi permettre de faire
face à des demandes supplémentaires de la tâche. L’idée principale que nous
développerons dans les pages qui suivent est que cette disponibilité accrue
des ressources est le produit des restructurations dans la disposition spatio-
temporelle du mouvement. Ces restructurations observées ne peuvent se
comprendre que par la mise en place de configurations optimales, c’est-à-
dire déterminées par la tendance à atteindre le but d’une tâche avec le
minimum de dépense d’énergie et le minimum de dépense attentionnelle.
79 Il est étonnant de constater, au travers d’une revue de la littérature sur
l’apprentissage moteur, qu’en dehors des recherches sur l’automatisme, il
existe actuellement très peu de données associant l’efficience, l’absence
d’effort, l’optimisation, etc., avec les progrès dans l’apprentissage.
Traditionnellement, les recherches sur l’acquisition des habiletés motrices
ont été essentiellement concernées par la spécification des conditions
permettant l’atteinte du but. Par exemple, quelles sont les conditions de la
pratique ou de la manipulation du feedback qui font progresser la
performance ? Les modifications dans la manière d’atteindre le but, et
notamment en ce qui concerne la forme du mouvement lui-même, ont été
relativement peu étudiées. Nous pensons cependant que, dans le domaine de
l’apprentissage moteur, la prise en considération de la forme du mouvement
en fonction de la progression de l’apprentissage peut s’avérer
particulièrement bénéfique.
80 De Montpellier (1935) a étudié les altérations morphologiques
progressivement introduites dans des mouvements rapides au cours des
répétitions d’une même tâche. Lorsque l’on tente, par exemple, de suivre de
la main le tracé d’une forme rectiligne plus ou moins complexe, ou bien
d’atteindre un certain nombre de cibles indiquées sur un clavier, la forme de
la trajectoire réalisée est déterminée par l’action de deux tendances
fondamentales opposées. D’une part, une tendance à reproduire
exactement le modèle proposé et, d’autre part, une tendance au
« moindre effort », c’est-à-dire à la simplification du mécanisme effecteur
commandant le mouvement. L’effet de cette tendance au moindre effort
aboutit à modifier la trajectoire du mouvement, de façon à rendre son
exécution plus aisée.
81 Archer (1958), le premier, a montré qu’une telle procédure était réalisable,
même dans des tâches relativement simples comme celles de la poursuite
rotative. Il a conçu un appareil simple qu’il a monté sur un stylet et qui
permet de détecter et de mesurer la durée des mouvements de poursuite
« non circulaires », ou encore angulaires. La manière de réaliser la tâche
semble changer qualitativement entre la phase initiale et la phase terminale
de l’acquisition. Le débutant réalise des mouvements de poursuite plutôt
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incoordonnés, presque balistiques. Ceux-ci se transforment chez les sujets


expérimentés en des mouvements de poursuite plus souples, circulaires et
apparemment plus économiques. Si l’on se contente d’enregistrer la quantité
de temps que les sujets passent sur la cible, on observe, certes, des
changements quantitatifs, mais cela ne fournit aucune preuve quant aux
différences dans la manière dont a été réalisée l’habileté. Dans cette
expérience, l’acquisition de l’habileté de poursuite à l’aide de mouvements
souples et coordonnés était en rapport avec la variable indépendante, à
savoir la distribution de la pratique.
82 Actuellement, il existe un certain nombre d’études portant sur la manière de
réaliser la tâche. Citons notamment Higgins et Spaeth (1972) qui ont étudié
cinématographiquement les modifications de la configuration du geste en
cours d’apprentissage, aussi bien pour des tâches se déroulant dans un
environnement stable que dans un environnement variable.
83 Ces auteurs ont montré que, dans l’accomplissement répété d’une même
tâche, les mouvements qui conduisent au succès se modifient en cours
d’apprentissage, même s’ils sont réalisés dans des conditions
environnementales absolument identiques. Pour ce faire, ils ont utilisé une
technique cinématographique permettant d’analyser les configurations du
mouvement mises en jeu par le pratiquant au cours des différentes
répétitions. La tâche à accomplir consistait à lancer une fléchette sur une
cible immobile à distance fixe. Le pratiquant a réalisé deux cents essais
d’apprentissage. Seuls ont été retenus, pour une analyse image par image, les
mouvements où le but était effectivement atteint, c’est-à-dire les essais dans
lesquels le sujet plaçait la fléchette à l’intérieur de la cible. La configuration
du mouvement de la tête, de l’épaule, du coude et du poignet pendant le
lancer, était pointée sur un graphique à l’aide d’un analyseur d’images. Cette
analyse avait pour but :

d’identifier la configuration du mouvement utilisée lors d’un essai


atteignant le but ;
d’évaluer la constance de cette configuration jour après jour, c’est-à-dire
en fonction du déroulement de l’acquisition.

84 La figure 27 présente les données obtenues pour le déplacement du coude.


Bien que le lancer se déroule dans des conditions environnementales simples
et stables, il apparaît une grande diversité de configurations de mouvement
permettant l’atteinte du but. Les différences sont très nettes, surtout lors des
premiers stades de l’acquisition (jours 1 et 2). Si nous analysons les
graphiques jour après jour, on observe que les changements progressifs
s’orientent vers la trajectoire du déplacement des membres mise en jeu au
stade final de l’acquisition (jour 5).
85 Cette expérience a le mérite de démontrer une très grande variabilité dans la
configuration des mouvements qui permettent une atteinte efficace du but.
Les données de Higgins et Spaeth suggèrent qu’à mesure que l’acquisition
progresse, le sujet révise son programme moteur afin d’optimiser la
réalisation de son mouvement et d’atteindre une configuration de
mouvement souple et coordonnée.

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31/01/2024 20:48 Apprentissage moteur et difficulté de la tâche - Chapitre 4. Habileté motrice - INSEP-Éditions

Figure 27 — Trajectoire de déplacement du coude en fonction des jours de


pratique pour les essais réussis (d’après Higgins et Spaeth, 1972).
86 Cette variabilité se retrouve aussi dans les enregistrements
électromyographiques du mouvement, aussi bien en ce qui concerne les
actions discrètes que les actions répétitives ou cycliques (Glencross, 1973,
1975, 1980). Glencross (1980) a observé que ces petites variations se
produisaient à l’intérieur d’une marge relativement restreinte, dont
l’amplitude n’est pas assez grande pour détériorer la performance.
87 En résumé, la caractéristique principale des actes moteurs est que la
configuration du mouvement n’est pas la même au cours des tentatives
successives pour réaliser la tâche, même quand ces tentatives sont
couronnées de succès. Une variation surprenante est observée, non
seulement à partir des analyses détaillées des configurations du mouvement,
mais aussi à partir des enregistrements électromyographiques. Ce
phénomène s’observe aussi bien dans des actions discrètes comme lancer ou
frapper, mais aussi dans des actions répétitives et cycliques comme marcher,
faire de la bicyclette, ou tourner une manivelle. Il semble exister une marge
de variation ou de tolérance d’erreur. Le mouvement peut varier de
répétition en répétition sans compromettre la performance globale.
Comment expliquer ce phénomène ?

Optimisation du mouvement
88 Il est intéressant de se demander pourquoi on observe ces différences dans la
répétition d’un mouvement identique. Selon Requin, Semjen et Bonnet
(1984), on ne peut pas les attribuer entièrement à la variabilité des
conditions dans lesquelles la traduction d’une commande univoque est
réalisée. Il semble préférable d’admettre qu’elles proviennent d’une variation
de la commande neuromusculaire elle-même lorsque le sujet cherche à
réaliser la tâche d’une manière plus optimale.
89 La variabilité du mouvement ne reflète pas, alors, des changements
d’exécution effectués au hasard, mais plutôt un contrôle de la commande
centrale qui tente d’optimiser ces effets. Ces fluctuations adaptatives reflètent

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la diversité des stratégies d’actions disponibles des systèmes de contrôle


moteur. Cela explique que, d’un mouvement identique dirigé vers un but, des
configurations très différentes d’activité électromyographique peuvent être
observées.
90 Welford (1974), afin d’interpréter la diminution graduelle, en fonction de la
pratique, de la quantité d’imperfections d’un mouvement dirigé vers un but,
a avancé l’idée qu’un programme nouveau doit nécessairement être élaboré
chaque fois qu’il y a une tentative de donner une réponse adéquate au
problème moteur. Un sujet, lorsqu’il est confronté à une tâche nouvelle, doit
d’abord générer une solution approximative au problème à résoudre et, plus
tard, modifier cette solution de manière active, évitant ainsi la stabilisation
de la programmation initiale erronée : « En d’autres termes, il y a
habituellement différentes méthodes ou « stratégies » pour
exécuter la performance adéquate. Quelques stratégies sont plus
efficaces que d’autres, et ce qui est appelé habileté semble se
réduire au choix de la stratégie la plus efficace parmi toute une
gamme de stratégies disponibles. On peut reconnaître deux
étapes dans ce processus, toutes deux étant des critères
d’habileté : en premier lieu, la reconnaissance, lors de
confrontation avec une nouvelle tâche, qu’il existe une stratégie
possible pour l’aborder ; en second lieu, le perfectionnement de la
stratégie utilisée lorsque la même tâche se présente par la suite »
(Welford, 1977).
91 On retrouve une conception similaire chez Paillard (1978), à propos des
stades d’apprentissage : « On peut distinguer, pour la commodité de
l’analyse, deux aspects complémentaires intimement intriqués
dans l’apprentissage d’un nouvel acte. La phase initiale est
caractérisée par la recherche, puis par le choix, d’une stratégie
efficace pour atteindre l’objectif fixé. Il s’agit essentiellement à ce
stade d’une opération sélective de la solution motrice apte à
résoudre le problème posé. La seconde phase concerne
l’apprentissage moteur proprement dit qui va se poursuivre pour
optimaliser la stratégie efficace, à la fois du point de vue de son
coût énergétique, mais aussi du point de vue de la « charge »
qu’elle représente pour le système de contrôle. Cette phase
trouvera son aboutissement dans l’acte automatisé qui délivre
les contrôles supérieurs des détails du contrôle de l’action. »
92 En bref, lorsque l’on acquiert une habileté motrice, on ne cherche pas à
reproduire la forme de mouvement qui a réussi une première fois. Dans les
tentatives ultérieures, on la révise, on la modifie, on l’optimise. C’est
apparemment la raison pour laquelle la plupart des définitions de l’habileté
motrice intègrent cette notion d’optimisation : nous renvoyons pour exemple
à la définition de Guthrie, déjà citée, et à celle de Knapp (1963), pour qui
l’habileté est : « La capacité à produire un résultat prédéterminé avec un
maximum de certitude et un coût énergétique minimal. »
93 On peut donc dire avec Bernstein (1967) que ce qui est appris, c’est la
solution du problème que pose la tâche motrice et non le mouvement qui en
résulte. Le mouvement produit n’est que la conséquence de la solution
appliquée : « Le processus d’entraînement vers l’acquisition de
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nouvelles habiletés motrices réside essentiellement dans la


réussite progressive d’une recherche de solutions motrices
optimales aux problèmes posés. En conséquence, la pratique,
lorsqu’elle est envisagée de manière appropriée, ne consiste pas
à répéter essai après essai les moyens de la solution d’un
problème moteur... et le processus de résolution de ce problème
incluent des techniques qui sont toujours modifiées et
perfectionnées de répétition en répétition. »
94 Il est important de souligner ici que le changement dans le mouvement peut
être interprété de deux manières. Soit il est un changement dans les relations
spatiales et temporelles des segments corporels les uns par rapport aux
autres, soit simplement un changement dans les valeurs assignées au
segment participant sans changer la configuration globale du geste.
95 Qu’en est-il exactement lorsque l’on observe des pratiquants en situation de
terrain ?
96 En étudiant des pratiquants dans leurs tentatives d’acquisition d’habiletés
motrices, non pas dans le cadre du laboratoire, mais dans des situations dites
« naturelles », ou « écologiques », on s’aperçoit qu’ils mettent en jeu un
processus d’apprentissage qui semble correspondre tout à fait à celui qui a
été évoqué ci-dessus. Pour l’illustrer, prenons l’exemple de jeunes enfants,
âgés de 4 à 5 ans, s’entraînant à acquérir l’habileté de tourner à ski (Famose,
Hébrard, Simonet et Vivès, 1979). La tâche qui leur a été proposée, afin de
leur permettre d’apprendre, consiste à suivre une trace de couleur dessinée
sur la neige à l’aide d’un colorant bleu. Cette ligne matérialise la trajectoire
des virages à réaliser. La consigne donnée est de suivre cette trace sans s’en
écarter. Aucune instruction quant à la manière d’y parvenir ne leur est
prescrite. La première solution apportée par les enfants est de suivre la trace
de couleur en pas tournants. Cette réponse est quasi générale. Mais,
contrairement à ce qui est affirmé par les théories traditionnelles, ils ne vont
pas renforcer la trace, le sillon, ou les règles permettant de générer les
paramètres de ces mouvements réussis. Très rapidement, sans qu’on le leur
enseigne, ils vont changer complètement leur comportement moteur et
produire une nouvelle solution motrice. Désormais, leur virage va être
déclenché et conduit par un léger pivotement simultané des deux skis. Il est
remarquable que tous les enfants modifient leurs premières solutions dans le
même sens.
97 Cette observation permet de constater l’existence de discontinuités dans
l’apprentissage moteur. Cela laisse supposer que les habiletés motrices, au
cours de leur acquisition, se réalisent en utilisant des configurations de
mouvement qualitativement différentes.
98 L’apprentissage en situation complexe semble donc impliquer à certains
moments une réorganisation qualitative du comportement. L’acquisition
n’est pas simplement un processus quantitatif qui se développe de manière
continue et linéaire en fonction de la pratique, mais aussi, et peut-être
surtout, un processus discontinu, qualitatif. D’ailleurs, chaque fois que l’on
s’est préoccupé de regarder ce que fait réellement le pratiquant, surtout dans
des tâches de la vie réelle, et que l’on ne s’est pas contenté d’enregistrer des
résultats, on observe des discontinuités (Archer, 1958 ; Book, 1908 ; Bruner,
1971 ; Bryan et Harter, 1899 ; Higgins et Spaeth, 1972).
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L’apprentissage moteur comme processus vertical


99 Ainsi, à mesure que se développe l’apprentissage, les restructurations
observées vont dans le sens de la mise en place de configurations de
mouvement optimales, c’est-à-dire déterminées par la tendance à réaliser la
tâche avec le minimum de dépense d’énergie et le minimum de dépense
attentionnelle. En d’autres termes, le choix d’une configuration spatio-
temporelle particulière du mouvement va dans le sens d’une augmentation
de l’efficience de la performance (Bernstein, 1967).
100 Le processus d’apprentissage peut alors être considéré comme un
« processus vertical », selon l’expression de Namikas (1983), durant lequel le
débutant progresse à travers plusieurs niveaux d’habileté. À chaque niveau,
la configuration spatio-temporelle du mouvement ou la forme dans laquelle
l’habileté se manifeste diffère des niveaux antérieurs. Mais nous insisterons
encore sur ce point : il n’y a pas un simple changement quantitatif d’un
niveau à l’autre dans l’acquisition de l’habileté motrice.
101 Nous suggérons que ces restructurations se produisent jusqu’à un stade très
avancé de la pratique sportive. Témoin cette déclaration de Hagelauer,
entraîneur du champion de tennis Yannick Noah : « Et puis, nous avons
découvert ensemble qu’il était stupide de respecter le vieux principe selon
lequel on doit, au moment de frapper un revers, placer systématiquement la
jambe droite devant la jambe gauche. En fait, en inversant la position des
jambes, Yannick a, sur certains coups, beaucoup plus de puissance »
(Journal du Dimanche, 25 mai 1986).
102 En résumé, la recherche de l’efficience est un principe organisateur
déterminant de l’apprentissage moteur humain. C’est elle qui détermine les
raffinements dans l’organisation bio-cinématique des gestes. Autrement dit,
la diminution de l’effort investi est une variable contribuant
fondamentalement à la description de l’habileté motrice (Sparrow, 1983).
103 Une expérience récente réalisée par Sparrow et lrizarry-Lopez (1987) est très
illustrative à cet égard. Dans le but d’étudier les changements dans
l’efficience des mouvements associés à des modifications qualitatives dans la
configuration des mouvements, les sujets devaient marcher à quatre pattes à
vitesse constante sur un tapis roulant. Trois types de données ont été
enregistrés :

le coût métabolique mesurant l’efficience énergétique ;


la puissance mécanique mesurant l’efficience mécanique ;
la configuration cinématique des déplacements des membres.

104 Les résultats ont montré une amélioration significative à la fois de l’efficience
énergétique et de l’efficience mécanique en fonction de l’entraînement. Cette
amélioration corrélait de manière significative avec les restructurations dans
la structure cinématique des mouvements.

La variabilité du mouvement en fonction des variations dans


l’environnement
105 Toute tentative d’explication des habiletés motrices doit non seulement
rendre compte des raffinements dans la configuration des mouvements
observés dans des situations stables et constantes, mais elle doit aussi inclure

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les modifications de l’action en fonction des variations dans l’environnement.


C’est le problème de la régulation environnementale des
mouvements ou, pour reprendre l’expression de Bernstein (1967), celui de
la dépendance environnementale des mouvements. Ce problème fait
encore référence au caractère adaptatif des habiletés motrices.
106 Les habiletés motrices se réalisent toujours dans un environnement matériel
dont les caractéristiques sont un élément charnière de la performance,
imposant un certain nombre de contraintes sur l’organisation des gestes.

La régulation environnementale des habiletés motrices


107 Tous les mouvements humains sont, nous l’avons vu, spatialement et
temporellement organisés. L’élément spatial est constitué par les
déplacements des segments corporels les uns par rapport aux autres, ou par
le déplacement global du corps. L’élément temporel est constitué par le
« timing », la vitesse, l’accélération de ces déplacements. L’idée directrice
développée dans ce chapitre, s’appuyant sur un certain nombre de résultats
expérimentaux, est que les composants spatiaux et temporels des
mouvements dirigés vers un but extérieur sont régulés et coordonnés par les
caractéristiques spatiales et temporelles de l’environnement. Le concept de
dépendance environnementale signifie que la structure cinématique des
mouvements est sous le contrôle de l’environnement. Par contrôle spatial ou
spatio-temporel, nous signifions que la relation entre l’environnement spatial
et temporel, d’une part, et le pratiquant, d’autre part, réduit les degrés de
liberté que le système de mouvement possède dans une variation libre. On
peut vérifier l’idée que l’environnement contrôle la structure cinématique des
gestes si l’on place le pratiquant face à des conditions variables de la tâche.
Dans ce cas, afin d’atteindre le but désiré, le mouvement doit se conformer
aux caractéristiques spatiales et temporelles de l’environnement dans
lesquelles il se déroule. Ces caractéristiques agissent comme des contraintes.
108 Nous rendons compte ci-après d’une série d’expériences menées par
différents chercheurs. Elles ont la particularité d’avoir utilisé la même
procédure expérimentale, le même appareillage et la même analyse du
mouvement. Cela a pour avantage de permettre une comparaison des
résultats de ces travaux.
109 La tâche consistait à lancer une fléchette sur une cible qui pouvait être fixe ou
mobile, avoir une localisation différente dans la dimension verticale (haute,
moyenne, basse) et se déplacer horizontalement de droite à gauche à des
vitesses variables, selon les essais, mais constantes à l’intérieur d’un essai
(c’est-à-dire sans accélération ni freinage).

Principe général des expériences


110 L’ensemble de ces expériences avait pour objectif d’analyser les
caractéristiques spatio-temporelles du mouvement en regard des différentes
caractéristiques spatio-temporelles de la cible à atteindre. Chaque
mouvement de lancer des sujets a été filmé dans chacune des conditions
expérimentales énumérées ci-dessus. Le déplacement du poignet, dans le
geste de lancer, a servi de base à l’analyse de la structure cinématique des
gestes. Trois phases du mouvement ont été différenciées : la phase

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préparatoire (armé du geste), la phase d’action (lancer proprement dit)


et la phase d’accompagnement (prolongement du geste après le lâcher
de la fléchette). Plusieurs paramètres abstraits du mouvement ont pu ainsi
être déterminés à l’aide d’un analyseur d’images et mis en rapport avec les
différentes conditions environnementales :

le premier paramètre est représenté par l’amplitude du déplacement du


poignet à l’intérieur de chaque phase ;
le second paramètre est la durée de ce déplacement pour chaque phase ;
le troisième paramètre est l’angle constitué par la direction de ce
déplacement par rapport à l’horizontale ;
le quatrième paramètre est le rythme du mouvement, c’est-à-dire le
rapport entre la longueur du déplacement et sa durée.

111 1 — Au cours de la première expérience, que l’on peut considérer comme


l’expérience de référence, Rosen et Horowitz-Hande (1975) ont étudié
l’organisation du mouvement mise en jeu dans deux conditions
environnementales différentes. Dans l’une, l’environnement était
stationnaire avec une localisation fixe de la cible pour tous les essais. Dans
l’autre, la cible était mobile et se déplaçait horizontalement à vitesse
constante et selon une localisation fixe à chaque essai. Les auteurs ont calculé
l’amplitude et la durée moyenne du mouvement du poignet sur les six
derniers essais d’un total de trente essais pour la phase préparatoire et la
phase d’action. La somme des deux phases était considérée comme étant
l’amplitude totale et la durée totale du mouvement. Ces mesures ne
différaient pas d’une condition à l’autre. La longueur totale du déplacement
du poignet était plus courte pour la condition « cible mobile » mais cette
différence n’était pas significative. Les durées étaient, par contre, très
similaires, avec cependant un accroissement de la variabilité autour de la
moyenne dans la phase préparatoire du mouvement pour la condition « cible
mobile ». Cette variabilité portait aussi bien sur la durée que sur l’amplitude.
112 On peut expliquer l’absence de différence significative, dans la configuration
du mouvement, en fonction des deux conditions expérimentales, par la très
grande prévisibilité temporelle du déplacement de la cible. L’incertitude
temporelle étant faible, peu de modifications dans la configuration du
mouvement s’ensuivaient. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.
113 Quoi qu’il en soit, ces résultats vont nous servir, nous l’avons dit, de point de
comparaison avec les résultats d’autres expériences qui ont utilisé le même
appareillage et la même technique d’analyse du mouvement. Seules vont être
changées les conditions environnementales auxquelles les sujets sont
confrontés dans leurs lancers de fléchette.
114 2 — Avec Rosen (1975), la cible restait immobile ; seule changeait, selon les
essais, sa localisation spatiale. Trois cibles de couleurs différentes étaient
placées verticalement les unes au-dessus des autres. Après un signal « prêt »,
l’expérimentateur demandait aux sujets, par l’appel d’une couleur, de lancer
la fléchette sur la cible correspondante. La localisation de la cible variait à
chaque essai de la manière suivante : haute, moyenne, basse, basse, haute,
moyenne. Aucune contrainte temporelle n’était assignée.

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115 En ce qui concerne l’amplitude et la durée de chaque phase du mouvement, il


n’y avait aucune différence significative en fonction des positions de la cible.
Cependant, la proportion de l’amplitude totale du mouvement qui était
allouée à chaque phase variait en fonction de la position de la cible. La phase
préparatoire devenait relativement plus courte et la phase d’action, de
manière correspondante, plus longue lorsque la cible était à la position
centrale.
116 L’analyse des angles, déterminés, d’une part, par l’horizontale et, d’autre
part, par les trajectoires du poignet dans les deux phases préparatoire et
d’action, a mis en évidence que, lors de la phase d’action, les sujets
modifiaient de manière systématique l’angle de la trajectoire du mouvement
par rapport à l’horizontale. La phase d’action était clairement ajustée par
rapport à la position de la cible, permettant ainsi aux sujets de faire
correspondre le point de lâcher de la fléchette avec la hauteur relative de la
cible. Par contre, aucune relation angulaire de ce type n’a été trouvée lors de
la phase préparatoire du mouvement.
117 Par conséquent, face aux contraintes spatiales de l’environnement, se
modifiant à chaque essai, les sujets modifient, altèrent les caractéristiques
spatiales de leur configuration de mouvement de lancer tout en maintenant
constant le cadre général de celui-ci. Cette altération, en fonction de la
localisation de la cible, porte simplement sur le déplacement angulaire du
poignet lors de la phase d’action. Par contre, en ce qui concerne les autres
paramètres spatio-temporels du mouvement, il y a une similarité
remarquable dans l’amplitude et la durée, quelle que soit la position de la
cible. Ces amplitude et durée sont d’ailleurs similaires, de manière plus
remarquable encore, à celles de l’expérience précédente, indiquant par-là,
puisqu’il s’agit de sujets différents, que les contraintes morphologiques
interviennent peu dans la configuration de ce mouvement de lancer.
118 3 — Si Rosen a manipulé les caractéristiques spatiales de l’environnement,
Spaeth (1973) a cherché de son côté à varier les caractéristiques temporelles.
Pour cela, la localisation du déplacement de la cible était constante, seule
variait la vitesse de ce déplacement. La cible était présentée à trois vitesses
différentes : rapide, moyenne, lente. Spaeth a trouvé que la durée de la phase
préparatoire était directement en rapport avec la vitesse du déplacement de
la cible. Plus la vitesse de déplacement de la cible grandissait, plus la durée
de la phase préparatoire raccourcissait. La phase d’action dans les deux
conditions « vitesse moyenne » et « lente » ne différait pas. Par contre, elles
étaient toutes deux significativement plus longues que pour la condition
« vitesse rapide ». Par ailleurs, il n’y avait pas de différence significative dans
les mesures de l’amplitude du déplacement du poignet. Cela indique une
caractéristique spatiale stable du mouvement en dépit de la variabilité de la
vitesse de la cible.
119 Les résultats de cette expérience semblent montrer que lorsque la cible est
plus rapide ou plus lente, les sujets semblent ajuster la caractéristique
temporelle de la phase préparatoire tandis qu’ils maintiennent en gros le
cadre général du mouvement observé dans les études antérieures.
120 4 — Miller, O’Brien et Mauriello (1975) ont étudié l’organisation du
mouvement dans des conditions expérimentales où la vitesse de la cible et sa
localisation spatiale covariaient à chaque essai. Deux vitesses de déplacement
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de la cible (rapide et lente) et deux positions de la cible (haute et basse) ont


été utilisées. La combinaison de ces deux variations produisait quatre
conditions expérimentales : vite - haut (VH), vite - bas (VB), lent - haut (LH)
et lent - bas (LB). Elles ont été présentées dans l’ordre suivant : LH, VH, VB,
LB.
121 L’analyse de variance sur les données d’amplitude du déplacement montre
que les valeurs de celles-ci semblent très différentes des données produites
dans toutes les autres expériences. Ces disparités suggèrent que, dans un
environnement instable dans lequel les dimensions spatiale et temporelle
covarient d’un essai à l’autre, il y a une nette altération dans l’organisation du
mouvement par rapport à celle obtenue dans toutes les autres conditions de
tâche motrice examinées dans les études antérieures.
122 Un certain nombre de conclusions s’imposent à la lumière de ces
expériences. Rappelons tout d’abord que pour chacune, des sujets différents
ont été utilisés. Or, ce qui est remarquable, c’est que dans chaque expérience,
lorsque les conditions spatio-temporelles des tâches sont les mêmes, on
observe des similarités très grandes dans l’organisation spatio-temporelle du
geste de lancer. Cela signifie que le schéma moteur est invariant dans la
plupart de ces études, sauf dans la dernière. Pour toutes les autres
conditions, les caractéristiques spatio-temporelles du mouvement semblent
déterminées par les contraintes de la tâche sans considération des variations
individuelles de la morphologie, de l’expérience passée ou du niveau
d’habileté. On aurait surtout pu penser que l’organisation du mouvement
serait influencée par la morphologie individuelle. Il n’en est rien. La
variabilité inter-essais des conditions n’influençait que les paramètres de la
phase préparatoire du mouvement. Cette modification des caractéristiques
spatiales ou temporelles de la phase préparatoire était une fonction directe
de la nature de la variation environnementale.
123 Par exemple, lorsque la vitesse de la cible variait entre les essais, les sujets
modifiaient la durée temporelle de la phase préparatoire. De même, lorsque
la localisation spatiale de la cible variait, les sujets changeaient la direction
spatiale de leur mouvement.
124 Autrement dit, seul était modifié le paramètre pertinent (ou spécification) à
l’intérieur du cadre général du mouvement.

Les contraintes environnementales


125 Les expériences relatées ci-dessus suggèrent que la configuration du
mouvement qui est efficace pour atteindre un objectif recherché (toucher le
centre de la cible) dépend de la manière dont elle « rencontre » les
caractéristiques des conditions environnementales en rapport avec ce but.
Ces caractéristiques déterminent, limitent et contrôlent la configuration du
mouvement.
126 Ainsi, dans la tâche consistant à lancer une fléchette sur une cible immobile,
la forme du mouvement doit se conformer aux caractéristiques spatiales de
cette tâche. Si la localisation de la cible varie de haut en bas, le déplacement
angulaire lors de la phase d’action varie en conséquence, tandis que tous les
autres paramètres du mouvement restent constants. Cependant, ces autres
paramètres sont aussi déterminés par l’éloignement de la cible, sa forme

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ainsi que par la forme et le poids de la fléchette. On dit que le mouvement est
« sous contrôle spatial ».
127 Si la cible est mobile, le lanceur n’a plus le choix du moment du lancer et doit
se conformer à ce déplacement de la cible. Les caractéristiques temporelles
de son mouvement sont affectées par les caractéristiques temporelles de la
tâche à réaliser. Par contre, lorsque la vitesse de la cible varie d’essai à essai,
on observe une modification des paramètres temporels du mouvement :
modification qui affecte surtout la phase préparatoire. Le mouvement est
« sous contrôle spatio-temporel ».
128 Ces caractéristiques sont des contraintes qui restreignent les possibilités
d’action du sujet, lequel ne peut choisir, parmi tous les mouvements
possibles, que celui qui lui permet de rencontrer ces exigences de la tâche.
Lorsque ces exigences sont spatiales, les paramètres spatiaux du mouvement
varient en conséquence. Lorsqu’elles sont temporelles, les paramètres
temporels du mouvement y correspondent.
129 Ces contraintes sont donc régulatrices, en ce sens que le mouvement doit se
conformer à elles pour que le but soit atteint ; autrement dit, le mouvement
efficace est celui qui parvient à « rencontrer » les contraintes spatio-
temporelles d’une tâche et l’apprentissage de ce mouvement ne peut se faire
que par rapport à elles.
130 Puisque les conditions régulatrices de l’environnement ont un tel impact sur
l’organisation de nos mouvements, il existe une relation spatiale et
temporelle entre l’environnement et le mouvement appelée « le concept de
dépendance environnementale » (Bernstein, 1967 ; Gentile, 1972a). Ce
concept suggère que l’environnement de la performance fournit la fonction
régulatrice à laquelle nos mouvements doivent se soumettre dans le temps et
l’espace. En d’autres termes, les mouvements doivent être organisés
spatialement et temporellement pour se conformer aux conditions
environnementales.

Apprentissage et contrôle environnemental


131 Lorsque nous avons développé la notion d’efficience, nous avons pu montrer
que le sujet modifiait la configuration cinématique de son mouvement afin
d’en réduire le coût. Elle est sous le contrôle du pratiquant. Par ailleurs, nous
avons vu que le mouvement était aussi sous le contrôle de l’environnement.
Ainsi, un acte réalisé dans un contexte naturel a deux sources de contrôle :
l’acteur lui-même et l’environnement dans lequel se déroule l’acte. Comment
ces deux formes de contrôle agissent-elles sur la configuration du
mouvement en cours d’apprentissage ?
132 Une seconde expérience de Higgins et Spaeth (1972) illustre comment la
structure cinématique du mouvement varie en cours d’apprentissage sous le
contrôle à la fois du pratiquant qui tente d’optimiser son action mais aussi
sous le contrôle de l’environnement.
133 Nous avons vu que la structure cinématique du mouvement (c’est-à-dire la
composition des déplacements des segments corporels, leur vitesse et leur
accélération, ainsi que leur relation) n’est pas un invariant universel. Cette
variabilité est due au contrôle de la commande centrale qui cherche à
optimiser le mouvement. Mais elle est aussi sous le contrôle de
l’environnement.
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134 Nous avons montré comment, dans des conditions stables de la tâche, le
sujet modifiait la structure cinématique de son mouvement afin d’optimiser
celui-ci. Qu’en est-il dans des conditions variables de la tâche comme celles
que nous venons de décrire ? Higgins et Spaeth révèlent que le sujet contrôle
toujours son mouvement et essaie de contrôler la commande centrale, en
même temps que son mouvement est contrôlé par l’environnement. La tâche
est la même que lors de la première expérience conduite par ces deux
chercheurs. Le sujet lance la fléchette dans six conditions différentes de
déplacement de la cible résultant de la combinaison de deux conditions de
durée de présentation (DP) et de trois vitesses de déplacement de la cible (V).
Seuls les essais par lesquels le sujet atteint la cible ont été analysés image par
image.
135 L’analyse porte sur :

l’identification de la configuration du mouvement utilisé dans chacune


des combinaisons (DP/V) ;
la détermination du degré de consistance, d’homogénéité, à l’intérieur
des six configurations identifiées ;
la comparaison des configurations mises en œuvre dans les six
conditions au stade final de l’acquisition par rapport au stade précoce.

136 Les données ont mis en évidence une évolution vers une diversité, une
différenciation de configurations de mouvement pour chacune des conditions
environnementales (figure 28).
137 Au début, les configurations de mouvement sont très différentes et sans
rapport entre elles. Les lieux de lâcher de la fléchette sont spatialement
séparés et les différentes courbes se coupent fréquemment. Cette grande
variabilité reflète l’approche initiale du sujet par rapport à la tâche. Il
considère la réalisation de celle-ci, dans chacune des conditions de
présentation de la cible, comme autant de tâches séparées sans aucun
rapport entre elles. En conséquence, il tente de résoudre chacun des
problèmes moteurs en formulant une série de configurations de déplacement
individuelles sans référence aucune avec la similarité de la tâche.
138 Aux stades ultérieurs, pour les différentes combinaisons DP/V, les
configurations sont relativement similaires, les points de lâcher très proches
les uns des autres, les intersections peu fréquentes ou uniquement après le
lâcher.
139 Il semble probable qu’à mesure que l’acquisition progresse, le sujet
commence à considérer la tâche comme un tout unifié, puisque son but est
identique, en dépit des altérations environnementales produites à chaque
combinaison DP/V.
140 La localisation spatiale du segment corporel au moment du lâcher, mais aussi
la vitesse du membre antérieurement au lâcher, gagnent en consistance pour
chaque combinaison DP/V, et cela en fonction de l’entraînement. La variété
des mouvements s’observe dans le trajet du déplacement avant le lâcher. Il y
a une différence dans le temps total pris pour accomplir le mouvement
(comme cela peut se constater au niveau de la distance parcourue qui
diminue et du plus petit nombre d’images entre le commencement du
mouvement et le lâcher). De plus, l’angle du mouvement du coude entre le

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commencement du mouvement et le lâcher est différent pour chaque


condition. Les courbes de mouvement nettement séparées apparaissent
comme une fonction des demandes spécifiques des différentes conditions de
la tâche.
141 La composition spatio-temporelle du mouvement ne conduit donc à l’atteinte
du but que si elle rencontre l’état en cours de l’environnement. Les
recherches de Higgins et Spaeth décrites ci-dessus ont ainsi prouvé que les
mouvements de l’apprenant se différencient en fonction des conditions de
l’environnement. Pour une tâche réalisée dans un environnement stable
(cible immobile), il y a une réduction dans la quantité de variabilité au niveau
de la configuration du mouvement en fonction de la pratique. La
configuration du mouvement largement différenciée au début de la pratique
devient une configuration relativement constante et similaire (figure 28).

Figure 28 — Trajectoire du déplacement du coude (d’après Higgins et


Spaeth, 1972).
142 On observe donc une diversité de moyens vers le but et une constance dans le
résultat final, c’est-à-dire le point de lâcher de la fléchette. Cela veut dire
qu’un sous-but constant pour le mouvement a été formulé tandis que la
diversification porte uniquement sur les parties de la réponse motrice qui
sont pertinentes pour permettre une rencontre avec les conditions
environnementales. Le pratiquant a donc développé, de manière appropriée,
plusieurs configurations souples de mouvement qui lui permettent à la fois
de rencontrer les caractéristiques spatiales stables de la cible (distance,
hauteur) et de s’adapter au changement des caractéristiques temporelles de
la cible.
143 Lorsqu’une tâche est réalisée dans un environnement où les conditions
spatiales et temporelles sont changeantes (une cible mobile), nous voyons
que les configurations du mouvement se différencient en accord avec la
condition de l’environnement (vitesse et localisation spatiale de la cible).
144 Néanmoins, l’analyse cinématique révèle que les mouvements sont
extrêmement flexibles à l’intérieur d’une configuration particulière et cela
pour une condition environnementale spécifique. L’organisation du
mouvement dépend de la position initiale et actuelle des segments corporels
mis en jeu, de la nature des forces résistantes, de la morphologie individuelle,
des facteurs biomécaniques et de l’environnement. Le même résultat de
mouvement peut être obtenu de plusieurs façons. Les mouvements ne sont
jamais reproduits de manière identique : c’est simplement une variabilité à
l’intérieur d’une marge de configuration de mouvement qui peut être
reproductible. Il y a beaucoup trop de facteurs intervenants pour qu’une

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reproduction identique absolue, point par point, d’une configuration de


mouvement puisse surgir.
145 Une marge de configuration de mouvement est définie comme
correspondant à un schéma global pour l’organisation du mouvement dans
une configuration particulière. La condition est en rapport avec la nature des
contraintes environnementales biomécanique et morphologique, imposées
sur l’organisation du système du mouvement. L’organisation d’un
mouvement coordonné habile implique la résolution du problème constant
posé par ces différentes contraintes. Nos mouvements habiles, organisés,
coordonnés, sont le résultat manifeste de processus complexes sous-jacents
de résolution du problème posé par ces contraintes.
146 Malgré le caractère unique de chaque mouvement, une autre caractéristique
de l’habileté motrice démontrée dans l’expérience de Higgins et Spaeth
(1972) est la constance et la stabilité de la réalisation. C’est cette
caractéristique qui nous permet de reconnaître les styles du pratiquant. À
propos du tennis, Bartlett (1932) a écrit : « Lorsque je réalise un coup, je
n’effectue pas en fait quelque chose d’absolument nouveau et je ne répète
pas purement et simplement quelque chose d’ancien. »
147 Que faut-il entendre par là ? Tout simplement, que lorsqu’un pratiquant
réalise un coup au tennis (un coup droit, par exemple), ce geste n’est jamais
entièrement nouveau par rapport à ceux qu’il a exécutés antérieurement.
C’est ce qui constitue le style du joueur, reconnaissable à la manière dont il
frappe la balle. Ce style est propre à chaque joueur : ainsi, le coup droit de
Connors est différent de celui de McEnroe. Cependant, le joueur ne répète
jamais un coup ancien. Quand il fait un coup droit, il n’a jamais fait ce coup
auparavant. Il construit chaque fois un nouveau mouvement, en utilisant,
certes, les connaissances et l’expérience antérieure, mais parce que la
situation est nouvelle (la balle arrive avec des vitesses et à des localisations
différentes sur le court par rapport à chaque coup prévu). Le style reflète
donc la partie invariante du mouvement. C’est ce que l’on retrouve de
commun à tous les coups exécutés par un joueur ou à toutes les tentatives
effectuées par un pratiquant dans n’importe quelle activité sportive. C’est sur
cette caractéristique invariante que repose, en général, ce que l’on appelle
dans le jargon de l’éducation physique et sportive : l’analyse technique.
148 La préoccupation principale des techniciens a été de rechercher dans ces
analyses des invariants gestuels qu’ils ne pouvaient trouver qu’au niveau de
la constance des mouvements observés : « C’est ainsi que l’on pourrait
passer du style ou des styles (qui mettent en relief ce qui distingue les
nageurs) à la technique, qui rassemble dans une même représentation ce
que les meilleurs spécialistes peuvent avoir en commun et pour une époque
donnée : le savoir-faire le plus élaboré » (Catteau et Garoff, 1968).
149 Pour décrire et analyser une habileté sportive, les techniciens se sont tout
naturellement tournés vers l’observation extérieure des structures spatio-
temporelles des mouvements. Les analyses techniques, grâce à des moyens
d’enregistrement cinématographique ou photographique, ont fourni une
quantité énorme de données concernant la réalisation d’habiletés sportives
spécifiques : « Pour s’efforcer de la mieux cerner (la technique), pour
l’enrichir, des moyens d’investigation plus nombreux, mieux adaptés, plus

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précis, sont mis en œuvre : la chronophotographie, la stroboscopie, le cinéma


ou le magnétoscope étudient le geste dans l’eau » (Catteau et Garoff, op. cit.).
150 Malheureusement, de ces analyses techniques découlent des descriptions de
gestes à vide, où les buts poursuivis par le pratiquant et la dépendance
environnementale sont totalement oubliés. On en trouve un exemple parfait
dans la description du lancer de poids citée dans l’introduction de ce livre.
151 Par ailleurs, ces données portent essentiellement sur la description des
mouvements des champions dans une activité sportive. L’évolution de ces
comportements a rarement été étudiée. Ces analyses ont été orientées vers la
recherche d’invariants afin d’établir une technique sportive, ce qui a eu
nécessairement pour conséquence de rejeter les variations inter-individuelles
ou intra-individuelles. À partir du moment où l’on a mis en évidence un
invariant de mouvement, l’étape suivante logique est de penser que
l’apprentissage doit consister à apprendre ce mouvement, d’où tout un
processus d’enseignement qui repose sur le modèle et une conception
horizontale du processus d’apprentissage.
152 La possibilité de larges variations dans un mouvement pour atteindre un but
est une règle universelle.
153 Cette proposition théorique est d’une importance considérable. En vérité, si
la réalisation parfaitement efficace requiert des mouvements diversifiés,
alors les tentatives traditionnelles d’effectuer, de manière constante, une
simple configuration idéale du mouvement, non seulement sont erronées,
mais encore préjudiciables à la réalisation de l’habileté. Même dans des
conditions environnementales relativement similaires, l’exécution répétée
d’une simple configuration de mouvement, parfaitement invariable,
conduirait, de manière peu probable, à une performance réussie (atteinte du
but). Cela ne veut pas dire qu’il ne faut jamais présenter aux élèves des
formes gestuelles à reproduire. Bien au contraire, cela permet d’éviter de
longs tâtonnements. Mais la règle, ici, est :

de toujours faire correspondre cette forme à un but concrètement


clarifié ;
de faire varier, autant que possible, les conditions environnementales
qui accompagnent l’atteinte de ce but.

154 Nous décrirons, dans le chapitre VII (Difficulté et enseignement), un certain


nombre d’expériences qui semblent justifier cette démarche.

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Référence électronique du chapitre


FAMOSE, Jean-Pierre. Chapitre 4. Habileté motrice In : Apprentissage moteur et difficulté
de la tâche [en ligne]. Paris : INSEP-Éditions, 1990 (généré le 31 janvier 2024). Disponible
sur Internet : <http://books.openedition.org/insep/1313>. ISBN : 978-2-86580-255-5.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.insep.1313.

Référence électronique du livre


FAMOSE, Jean-Pierre. Apprentissage moteur et difficulté de la tâche. Nouvelle édition [en
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https://books.openedition.org/insep/1313 33/35
31/01/2024 20:48 Apprentissage moteur et difficulté de la tâche - Chapitre 4. Habileté motrice - INSEP-Éditions
<http://books.openedition.org/insep/1301>. ISBN : 978-2-86580-255-5. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.insep.1301.
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Apprentissage moteur et difficulté de la tâche


Jean-Pierre Famose

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