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WILLIAM SHAKESPEARE
COUVERTURE
fornication générale : NOS DOUTES SONT DES
QUE LA COPULATION PROSPÈRE :[…]/ TRAÎTRES QUI NOUS FONT
[…]VAS-Y, LUXURE, PÊLE-MÊLE,/ SOUVENT PERDRE PAR CRAINTE

• RÉPLIQUES •
CAR IL ME FAUT DES SOLDATS […]9. ”
Mais c’est dans Macbeth que le sentiment de l’absurdité de la vie
est à son comble :
D’ENTREPRENDRE LA BATAILLE
QUE NOUS

CÉLÈBRES
POURRIONS
LA VIE N’EST QU’UNE OMBRE QUI PASSE, UN PAUVRE GAGNER15. ”
ACTEUR/ QUI S’AGITE ET PARADE UNE HEURE, SUR LA Dans Richard III,
• • SCÈNE,/PUIS ON NE L’ENTEND PLUS. C’EST UN RÉCIT/ Shakespeare ajoute
PLEIN DE BRUIT, DE FUREUR, QU’UN IDIOT RACONTE/ qu’il ne fait pas bon
ET QUI N’A PAS DE SENS10. ” de s’embarrasser de
« Des mots, des mots, des mots », répond Hamlet à Polonius qui s'enquiert de ce qu'il lit Ainsi parle le régicide Macbeth au moment où, au dernier acte, scrupules de conscience :
s’effondrent dans le sang les ambitions mêmes qui l’ont conduit au NE SOUFFRONS PAS
(Hamlet, II, 2). Des mots ? Ils abondent dans l'œuvre de Shakespeare. Et certains sont même crime et qui fait prononcer à Lady Macbeth cette célèbre réplique : QUE DES RÊVES
passés à la postérité. Florilège. ENCORE CETTE ODEUR DE SANG ! QUE TOUS LES PARFUMS BAVARDS EFFRAIENT
DE L’ARABIE NE PURIFIENT PAS CETTE PETITE MAIN11. ” NOS ÂMES !/
« CONSCIENCE » N’EST

L
Cette vérité noire de la tragédie est un lieu commun shakespearien QU’UN MOT À L’USAGE
e théâtre de Shakespeare fourmille de répliques quasi TOURMENTS,/ET, EN LES AFFRONTANT, Y METTRE FIN ?/ qui se retrouve aussi dans les comédies : DES LÂCHES,/ INVENTÉ
proverbiales. Il faut se garder toutefois d’y voir l’expres- MOURIR, DORMIR, RIEN DE PLUS/ LE MONDE ENTIER EST UNE SCÈNE,/ TOUT D’ABORD POUR
sion d’une pensée systématique, Shakespeare, drama- […] MOURIR, DORMIR,/DORMIR ! RÊVER PEUT-ÊTRE4 ! ” HOMMES ET FEMMES, TOUS N’Y SONT QUE DES ACTEURS,/ TENIR LES FORTS EN
turge et poète, n’était pas un philosophe. Sa pensée théâ- CHACUN FAIT SES ENTRÉES, CHACUN FAIT SES SORTIES,/ RESPECT16. ”
trale, par essence plurielle, donne d’abord à voir la La musique, chez Shakespeare, joue un rôle essentiel dans le retour ET NOTRE VIE DURANT NOUS JOUONS PLUSIEURS RÔLES./ Thème qu’on retrouve à la fin
grande complexité du réel et en fait sentir, grâce à la force et à la à la concorde et à l’harmonie. Lorsque Hamlet meurt, Horatio de- C’EST UN DRAME EN SEPT ÂGES12. ” du monologue d’Hamlet :
richesse de son verbe poétique, les reliefs, les abîmes, les sublimités, mande que son âme soit escortée par une musique divine : « Ainsi Jacques, le seigneur mélancolique de Comme il vous plaira, décline
le tout à hauteur d’homme, faisant toujours cas de l’extraordinaire se brise un noble cœur, bonne nuit cher Prince/Que des cohortes aussitôt les sept âges de la vie : depuis le nourrisson « vagissant et LA CONSCIENCE FAIT
fragilité de la vie, tout cela au service de la peinture d’une « réalité » d’anges te chantent vers ton repos5 » tandis que résonnent les tam- bavant » jusqu’à cette « seconde enfance, oublieuse de tout, sans DE NOUS TOUS DES
– entendue au sens le plus large, c’est-à-dire incluant aussi bien bours de Fortinbras annonçant la fin de désordre. Lorsque Lear re- dents, sans yeux, sans goût, sans rien du tout », en passant par « l’éco- COUARDS 17.”
l’imaginaire, l’irréel, le surnaturel : trouve sa lucidité, c’est encore en musique. Celle-ci est aussi bien lier pleurnicheur », « l’amoureux aux soupirs de forge », le soldat Et lors de la bataille finale
IL Y A PLUS DE CHOSES/ présente au tout début de la dernière des comédies dites lyriques « en chasse de l’éphémère gloriole », le juge « plein de sages dictons pourtant, alors que son
SUR LA TERRE ET DANS LES CIEUX QUE N’EN RÊVA/ de Shakespeare, La Nuit des rois, quand le duc Orsino dit : et de jugements récents » et le sixième âge « aux mollets ratatinés » cheval est tombé sous lui,
JAMAIS VOTRE PHILOSOPHIE1 ” SI LA MUSIQUE EST LA PÂTURE DE L’AMOUR/ préludant le retour à l’enfance du vieillard sénile. Le théâtre est Richard III réclame :
confie Hamlet à son ami et condisciple Horatio, alors que la vision JOUEZ ENCORE, DONNEZ-M’EN JUSQU’À L’EXCÈS/ bien ce « miroir de la nature », Hamlet le rappelle aux comédiens UN CHEVAL ! UN
du spectre en armure hantant le château d’Elseneur l’a convaincu EN SORTE QUE MA FAIM GAVÉE LANGUISSE ET MEURE6. ” dans la pièce qu’il fait représenter pour prendre au piège « la CHEVAL ! MON
que l’au-delà existe. Et, dans Le Marchand de Venise, Lorenzo répond à Jessica, la fille conscience du roi » (II, 2) : ROYAUME POUR UN
QUELQUE CHOSE EST POURRI DANS LE ROYAUME DE de Shylock, qui vient de lui dire qu’elle n’est « jamais gaie » quand TOUT CE QUI EST FORCÉ S’ÉCARTE DU PROPOS DU JEU CHEVAL18 ! ”
DANEMARK2 ” elle entend « une douce musique » : THÉÂTRAL, DONT LE BUT, DÈS L’ORIGINE ET AUJOURD’HUI, A vrai dire, le mot est controversé.
s’exclame le garde Marcellus tandis que le spectre s’apprête à révéler L’HOMME QUI N’A PAS DE MUSIQUE EN LUI,/ ÉTAIT ET DEMEURE DE TENDRE, POUR AINSI DIRE, UN MIROIR La chronique dont s’inspire Shakes-
à Hamlet que son père a été assassiné par le propre frère de ce der- ET QUE NE TOUCHE PAS UN CONCERT DE DOUX SONS,/ À LA NATURE, DE MONTRER À LA VERTU SES TRAITS, AU peare prétend que Richard III au-
nier, Claudius. Ce fratricide sacrilège aggravé par le crime d’adultère EST PROPRE AUX TRAHISONS, AUX STRATAGÈMES ET AUX RIDICULE SON IMAGE, ET AU CORPS DE NOTRE TEMPS, SA rait demandé non un cheval pour fuir,
est signe de la corruption du royaume. Empruntée dans ses grandes PILLAGES,/LES MOUVEMENTS DE SON ESPRIT SONT FORME ET SON EFFIGIE13. ” mais sa hache de combat et sa couronne
lignes à une chronique danoise de Saxo Grammaticus remise au TÉNÉBREUX COMME LA NUIT/ET SES DÉSIRS SOMBRES On retrouve le thème voisin du sommeil, frère de la mort, en conclu- pour vaincre ou mourir en roi.
goût du jour quelques années auparavant par Thomas Kyd, l’intrigue COMME L’ERÈBE :/MÉFIEZ-VOUS D’UN TEL HOMME7. ” sion de La Tempête : Jean Montenot
complexe de la pièce a pour fil rouge les atermoiements du mélan- NOUS SOMMES DE L’ÉTOFFE/
colique Hamlet qui, par manque de « nature », hésite à venger ce Thème shakespearien récurrent, l’intrication du rêve et de la réalité DONT LES SONGES SONT FAITS. NOTRE PETITE VIE/
crime. La réplique symbolise la situation initiale de la pièce : l’ordre fait que son théâtre oscille constamment entre le réalisme le plus EST AU CREUX D’UN SOMMEIL14. ”

PRIVATE COLLECTION/THE STAPLETON COLLECTION/BRIDGEMAN IMAGES


du monde est défait, la situation appelle réparation. Y fait écho à cru et le surnaturel, monde fantastique qu’illustrent, notamment, Prospero, ému, vient d’annoncer à sa fille Miranda que la fête est Hamlet, lithographie de William
la scène suivante une parole d’Hamlet non moins fameuse : le spectre qui hante le château d’Elseneur dans Hamlet, les sorcières finie, que les visions sans substances « se sont évaporées dans l’air, Nicholson et James Pryde.
LE TEMPS EST DISLOQUÉ. O DESTIN MAUDIT,/ de Macbeth, la reine des fées dans Le Songe d’une nuit d’été ou le l’air si léger ».
POURQUOI SUIS-JE NÉ POUR LE REMETTRE EN PLACE3 ! ” magicien Prospero dans La Tempête. Mundus est fabula (« Le 1. Hamlet (I, V), trad. André Markowicz, Babel, p. 47. Une autre lecture de l’original
Le monologue d’Hamlet est souvent étudié séparément de la pièce – monde est une fable ») donc, mais par contrecoup la vie réelle de- Mais Shakespeare insiste aussi sur les nécessités de l’action, qui tiré du Folio donne «notre philosophie». 2. Hamlet (I, IV), trad. Yves Bonnefoy, Club
français du livre, 7, p. 299. 3. Hamlet (I, 5), trad. Jean-Michel Déprats, Gisèle Venet,
ainsi Voltaire en proposa une première adaptation-traduction. Cer- vient elle aussi une sorte de théâtre ainsi que le rappelait l’adage exigent avant tout le courage. Mesure pour mesure raconte ainsi, Tragédies I, La Pléiade, p.744. 4. Hamlet (III, 1), Tragédies I, La Pléiade, p.806. 5. Hamlet
tains y ont même vu un morceau de « bravoure » exogène et trop de Pétrone, gravé au fronton du Théâtre du Globe où jouait la dans une Vienne imaginaire, les efforts d’un potentat, le duc (V, 2), Tragédies I, La Pléiade, p. 987 ; Folio, p. 349. 6. La Nuit des rois (I, 1), trad. Pierre
Leyris, Garnier-Flammarion, p. 35. 7. Le Marchand de Venise (V 1), trad. Jean-Michel
philosophique. Cette méditation sur le suicide, sujet hautement tabou troupe de Shakespeare : Totus mundus agit histrionem (« Tout le Vincentio, pour faire coïncider la vie réelle et un idéal moral pu- Déprats, Gisèle Venet, Comédies, La Pléiade, p. 1213. 8. Le Roi Lear (IV, 6), trad. Jean-
à l’époque, a une fonction dramatique puisque Hamlet s’y demande monde joue la comédie »). En voici des échos : ritain. Lucio, au début de la pièce, informe Isabella que le frère de Michel Déprats, Gisèle Venet, Tragédies II, La Pléiade, p. 235 ; Folio, p. 180. 9. Le Roi
Lear (IV, 6), Tragédies II, La Pléiade, p. 231. 10. Macbeth (V, 5), trad. Yves Bonnefoy,
s’il est préférable de renoncer à la vie plutôt que d’en porter le faix : EN NAISSANT, NOUS PLEURONS DE PARAÎTRE/ cette dernière, Claudio, a été condamné à mort au motif d’avoir Folio, p. 141. 11. Macbeth (V, 1), trad. Y. Bonnefoy, Folio, p. 130. 12. Comme il vous
ETRE OU NE PAS ÊTRE, TELLE EST LA QUESTION :/ SUR CE GRAND THÉÂTRE DES FOUS8 ” engrossé sa fiancée ! Isabella déclare douter de pouvoir intercéder plaira (II, 7), trad. Jules Supervielle, Œuvres complètes, La Pléiade, tome II, p. 114. 13.
Hamlet (III, 2), Tragédies I, La Pléiade, p. 817 ; Folio, p. 179. 14. La Tempête (IV, 1),
EST-IL PLUS NOBLE POUR L’ESPRIT DE SOUFFRIR/ déclare Lear devant Edgar ou Gloucester, peu après que le vieux efficacement auprès d’Angelo, le représentant du duc. Lucio lui trad.Y. Bonnefoy, Folio, p. 297. 15. Mesure pour mesure (II, 1), Œuvres complètes, Club
LES COUPS ET LES FLÈCHES D’UNE INJURIEUSE FORTUNE,/ roi a multiplié les considérations où la misogynie et le sentiment rétorque : français du livre, p. 607. 16. Richard III (V, 4), trad. J.-M. Desprats, G. Venet, Histoires I,
La Pléiade, p. 1049. 17. Hamlet (III, 1), trad. François Maguin, GF/Flammarion,1995,
OU DE PRENDRE LES ARMES CONTRE UNE MER DE obsessionnel de l’ingratitude culminent dans un curieux appel à la p. 189. 18. Richard III (V, 4), Histoires I, La Pléiade, p. 1051.

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