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N° 13
JANVIER 2016
LA RÉVOLUTION
DES GRACQUES
PLÈBE CONTRE
ARISTOCRATIE À ROME
CHINE
LES MERVEILLES
MILLÉNAIRES
DU GRAND CANAL
TROIE, CITÉ
DE LÉGENDE
CE QUE RÉVÈLE
L'ARCHÉOLOGIE
LOUIS XVIII
L'IMPOSSIBLE
RESTAURATION
CROISIÈRE
DE L’ISLANDE AU GROENLAND VOYAGES
En partenariat avec
Du 3 au 15 août 2016
Dossiers Rubriques
Posé sur la 4e de couverture, pour les abonnés France métropolitaine, un encart « Beaux-Arts Magazine »
, FL
LA
et un catalogue « Linvosges ».
ORE ILLUSTRANT LE SACRIFICE
SCA
DIRECTEUR DU MONDE,
Histoire & Civilisations est publié sous licence de RBA REVISTAS, S.L. Il contient MEMBRE DU DIRECTOIRE : JÉRÔME FENOGLIO
des matériaux dont les droits d’exploitation appartiennent à RBA Revistas, S.L.
Toute reproduction, totale ou partielle, sans l’autorisation de la Direction est interdite.
COMITÉ SCIENTIFIQUE
MÉSOPOTAMIE GRÈCE MOYEN ÂGE
FRANCIS JOANNÈS SOPHIE BOUFFIER DIDIER LETT
Professeur d'histoire ancienne Professeure d’histoire grecque Médiéviste, professeur
à l'université Paris 1 Panthéon- à l’université d’Aix-Marseille, à l’université de Paris Diderot-
Sorbonne où il enseigne spécialiste de l’expansion Paris 7. Il est spécialiste
l'histoire mésopotamienne, grecque en Méditerranée de la fin du Moyen Âge,
les rapports entre la Bible et entre le VIIIe et le IIIe s. av. J.-C., de l’histoire de l’enfance,
la Mésopotamie, et les langues notamment en Italie et de la famille, de la parenté
anciennes du Proche-Orient. en Gaule méridionale. et du genre.
LE PLATEAU de Corent,
vu du ciel, est fouillé
KAPARCHEO.COM
de façon systématique
par les archéologues.
GAULE CELTIQUE
QuandlesGauloisstockaient
leurs céréales en Auvergne
La découverte de silos à grains datant d’avant la conquête romaine offre une nouvelle clé
de lecture sur une civilisation gauloise plus avancée qu’on ne le croirait.
U
ne gigantesque silos à grains – il pourrait Une telle concentration cela démontre l’existence
zone de stockage y en avoir jusqu’à 1 500 – et est rare : les fosses ont été d’un pouvoir centralisateur
de céréales datant leur ancienneté – l’âge du creusées dans un sol argi- fort et de capacités d’orga-
des Gaulois : voici fer – rendent le site excep- leux sur un plateau hu- nisation développées chez
ce qu’ont découvert les ar- tionnel. Les datations sont mide et étaient remplies les Gaulois. Leur économie
chéologues qui travaillent en cours, mais d’ores et déjà à ras bord de céréales, sans n’était pas si rudimentaire
en Auvergne, sur le plateau « on sait que ces silos datent doute du blé et de l’orge, qu’on le croyait », poursuit
de Corent. Le nombre de d’avant les Romains, car en chacune pouvant contenir Alfredo Mayoral.
50 av. J.-C. au plus tard, du- entre 500 kg et 1,5 tonne Le site, qui est fouillé
rant la conquête, ils ont été de grains. Elles étaient fer- depuis une quinzaine
comblés », explique Alfredo mées hermétiquement, ce d’années par l’équipe de
Mayoral, doctorant en qui permettait une conser- Matthieu Poux, profes-
géoarchéologie au CNRS- vation sur plusieurs dé- seur à l’université Lumière
université Blaise-Pascal de cennies. De quoi tenir un Lyon 2, a déjà révélé la pré-
Clermont-Ferrand. siège ou voir venir en cas sence d’une aggloméra-
de mauvaise récolte ! Des tion de plusieurs milliers
traces de charbon indiquent d’habitants avec son centre
VUE en coupe de l’un des
que les silos étaient sans de frappe monétaire, son
silos en cours de fouilles.
doute purifiés par le feu théâtre, son sanctuaire... Le
pour être réutilisés. « Tout chantier continue.
E
n plein cœur de dieu du Soleil, afin de s’as-
Mexico, à deux surer que l’astre renaisse
rues de la cathé- chaque jour. Les Aztèques
drale qui marque leur tranchaient la tête puis
le centre historique de la la décharnaient. Les tzom-
ville, le nouveau proprié- pantli étaient considérés
taire d’une maison colo- comme des arbres à crânes,
niale a eu la surprise de ces derniers étant les fruits,
tomber sur 35 crânes hu- liés à la fertilité. Ces struc-
mains pris dans un mortier : tures n’avaient donc pas
daté entre 1488 et 1502, ce pour but de terrifier la po-
râtelier à crânes, un tzom- pulation, mais de favoriser
pantli, était utilisé par les la prospérité et la survie.
Aztèques pour exposer les Les analyses ADN des
têtes des sacrifiés. Mexico a crânes sont en cours. Les
été construite sur les ruines fouilles vont se poursuivre,
de la capitale de l’empire d’autant plus coûteuses
aztèque conquise en 1521 que le sol de Mexico, ville
par les colons espagnols. construite sur un lac, s’ef-
Le râtelier, trouvé à fondre et qu’il faut combler
deux mètres de profon- chaque mètre creusé. Quant
deur, comptait sans doute au propriétaire de la maison
HECTOR MONTANO/AP/SIPA
de la Nouvelle-Espagne la
pestilence qui émanait de
AUTEL SACRIFICIEL
ces restes humains, les
aztèque, à côté duquel
mouches, le sang… Les vic- se dresse un tzompantli.
times étaient des captifs Illustration tirée
sacrifiés en l’honneur du du Codex Ramírez, 1587.
LE CRÂNE DÉCOUVERT à
Neuilly-sur-Marne appartient
à une sépulture datée vers
SYLVAIN HITAU
6700-6200 av. J.-C.
PRÉHISTOIRE
Premiers habitants
de Seine-Saint-Denis
La mise au jour de sépultures exceptionnelles vieille de huit millénaires permet
d’approfondir la connaissance d’une période méconnue de la préhistoire.
L
a campagne de fouilles méconnue jusqu’alors en
de l’été 2015 sur la France, faute de vestiges
Haute-Île de Neuilly- significatifs. D’après les es-
sur-Marne touchait à timations de datation, les
sa fin lorsque, soudain, une quatre sépultures remon-
calotte crânienne fragmen- teraient à un laps de temps
taire émergea du sol. Une compris entre 6700 et 6200
découverte inespérée, qui av. J.-C. Une période qui cor-
aurait pu passer inaperçue si respond en Île-de-France
elle n’était intervenue après au mésolithique, phase de
la mise au jour de trois autres la préhistoire intercalée
sépultures similaires lors de entre le paléolithique et le
diagnostics archéologiques néolithique, et caractéri-
pratiqués sur la Haute-Île sée par une population de
depuis 2001. La proximité chasseurs-cueilleurs non selon les mots de Claude que les examens ADN, per-
des corps, leur disposition sédentarisés. Les sépul- Héron, chef du bureau du mettront à partir de 2016
identique (accroupis, le crâne tures mésolithiques étant patrimoine archéologique d’en connaître davantage sur
reposant sur les genoux) per- très rares, ces découvertes de Seine-Saint-Denis. En la santé et l’alimentation de
met d’éclairer les pratiques multiples confirme le carac- attendant de futures fouilles ces individus ensevelis voici
funéraires d’une période tère « exceptionnel » du site, fructueuses, les analyses, tels huit millénaires.
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LE PERSONNAGE
Crassus, le fugitif
qui devint richissime
Il fut, au Ier siècle av. J.-C., l’égal de Pompée et César. Rapace et opportuniste, Crassus
ne recula devant aucune affaire trouble pour se constituer une fortune légendaire.
M
arcus Licinius Crassus par la suite épouser la veuve de l’un
53 av. J.-C.
Face à l’Empire parthe,
Durant la guerre civile romaine,
en Syrie, Crassus Crassus se réfugie dans
est défait à la bataille
de Carrhes, où une grotte pendant huit mois.
il trouve la mort.
DENIER FRAPPÉ SOUS LE PREMIER TRIUMVIRAT. IER SIÈCLE AV. J.-C. JEAN VINCHON, PARIS.
ART ARCHIVE
10 HISTOIRE & CIVILISATIONS
BRIDGEMAN / ACI
ACCUSÉ
DE SÉDUIRE
UNE VESTALE
DANS SA JEUNESSE, Crassus fut
accusé par un dénommé Plotin
d’avoir séduit une vestale du
nom de Licinia. Les vestales
faisant vœu de chasteté, un
tel sacrilège devait être puni
par la mort des deux individus.
Crassus reconnut s’être rendu
à plusieurs reprises auprès de
Licinia et justifia ces visites en
se disant intéressé par l’achat
d’une villa appartenant à la
prêtresse. Les juges crurent
Crassus, car il s’était forgé une
réputation de spéculateur im-
mobilier. Une fois les charges
levées, on raconte que Crassus
insista auprès de Licinia jusqu’à
ce qu’elle accepte de lui vendre
la propriété en question.
quoi manger. Crassus ne revint à Rome nom des personnes déclarées hors la loi, ainsi que Crassus commença à prendre
qu’après l’assassinat de Cinna en 84 autorisant ainsi leur assassinat par qui- part à un colossal et lucratif commerce
av. J.-C. Cette expérience traumatisante conque le souhaitait et la confiscation duquel il tira sa fortune : l’expropriation,
marqua assurément son caractère et de leurs biens. Pas moins de 40 séna- la saisie et l’achat à un prix dérisoire de
peut sans doute expliquer l’avarice et teurs, 1 600 chevaliers et 4 000 citoyens propriétés urbaines appartenant à de
la cupidité qu’il développa pour se pro- subirent cette condamnation. La vente riches citoyens.
téger de ses ennemis, et que beaucoup aux enchères de leurs demeures attira Crassus bénéficia également de
lui reprochèrent. de nombreux acheteurs avides de l’augmentation de la taille du Sénat, une
Le retour au pouvoir de Sylla ren- bonnes affaires, dont Crassus. « Lors- mesure adoptée par Sylla qui nomma
dit à Crassus sa liberté perdue et lui que Sylla prit le contrôle de la ville et 300 sénateurs supplémentaires parmi
permit d’accéder à une position poli- mit progressivement en vente les pro- les chevaliers, les entrepreneurs et les
tique privilégiée. La persécution visait priétés de ceux qu’il tuait de ses propres commerçants. Désireux de se donner
désormais la faction ennemie, contre mains [...], Crassus ne se priva pas de une image noble et digne, ces nouveaux
laquelle Sylla appliqua la proscription se servir ni d’acheter certaines de ces sénateurs se montrèrent fort intéres-
en inscrivant sur une liste publique le propriétés », raconte Plutarque. C’est sés par les grandes demeures de leurs
prédécesseurs déchus. En promoteur drement des maisons étaient un mal entre ses mains. » Il constitua aussi une
immobilier avisé, Crassus leur revendit endémique et inévitable à Rome en équipe de 500 esclaves architectes et
ces biens confisqués, desquels il tira raison de la quantité et du poids des ouvriers chargés d’étayer les bâtiments
une importante marge de bénéfice. bâtiments, il se consacra à acheter les et de déblayer les parcelles pour ensuite
Crassus employa également une édifices qui avaient brûlé et ceux qui louer ou vendre les logements désor-
stratégie qui contribua à renforcer se trouvaient à proximité, car la crainte mais disponibles. Il ne construisait pas
son image d’impitoyable négociateur. et l’incertitude poussaient leurs pro- de nouveaux bâtiments, estimant que
Plutarque l’explique sans détour : priétaires à les céder à bon marché, de « les amateurs de la construction se
« Voyant que les incendies et l’effon- sorte que la plup d R i i i ffisamment eux-mêmes
pas besoin de se faire de
nemis ».
urier de César
UN GÉNÉRAL IMPITOYABLE us possédait des proprié-
Rome et dans la pénin-
APRÈS LA MORT de Spartacus en 71 av. J.-C., au cours de alique, mais aussi des
l’affrontement qui mit un terme à la rébellion, Crassus d’argent, probablement
captura 6 000 esclaves qui avaient survécu. Désireux anie. Toutefois, selon
d’impressionner ses compatriotes par sa sévérité, « tout cela était insigni-
il ordonna de faire crucifier tous les captifs. La route apport à la valeur de ses
qui reliait Capoue à Rome fut ainsi jalonnée de milliers Crassus s’assurait per-
de croix sur lesquelles agonisaient les prisonniers. nt qu’ils reçoivent une
SPARTACUS, PAR DENIS FOYATIER. BRONZE, 1847. PALAIS DES BEAUX-ARTS, LILLE. pécialisée dans différents
( ecteurs, scribes, orfèvres,
RMN PHOTO
BRIDGEMAN / ACI
CAVALIER PARTHE. STATUETTE EN PIERRE
PROVENANT D’IRAN. V-VIE SIÈCLES APR. J.-C.
administrateurs… »). Il était conscient Sa cupidité n’empêcha pas Crassus cette campagne se solda par la défaite
de la nécessité d’exercer sur eux un de s’attirer le soutien du peuple et d’at- romaine de Carrhes, en 53 av. J.-C. Les
contrôle, mais il leur accordait une teindre ses objectifs électoraux. Un an hommes de Crassus le prièrent de né-
certaine autonomie dans leurs tâches, après avoir écrasé la révolte déclenchée gocier avec le vainqueur ; le consul se
car cette méthode lui garantissait une par l’esclave Spartacus, il fit la démons- rendit auprès du campement ennemi,
rentabilité optimale. Si ses esclaves lui tration de sa prodigalité : « Il consacra où il fut capturé et exécuté. Les histo-
servirent de biens de valeur facilement dix pour cent de ses biens à Hercule, riens antiques proposent deux versions
négociables, ils l’assistèrent donc aussi offrit un banquet au peuple et fournit à de ce qu’il advint de son cadavre. Selon
dans la gestion de son négoce. chaque Romain une provision de grains Plutarque, ses ravisseurs lui tranchèrent
Cet immense capital permit à pour trois mois qu’il acheta avec ses la tête et une main, qu’ils envoyèrent
Crassus d’exercer les fonctions de prê- propres fonds », explique Plutarque. au roi vainqueur. Pour Dion Cassius, les
teur. Les taux d’intérêt qu’il demandait Cette générosité lui permit de recueil- Parthes, connaissant la réputation de
était souvent exorbitants. S’il se targuait lir les voix nécessaires à son élection leur prisonnier, auraient coulé de l’or
d’en faire grâce à ses amis, il se montrait comme consul en 71 av. J.-C. fondu dans la gorge du défunt consul,
toutefois intraitable quant au rem- Crassus joua dès lors un rôle cen- afin d’étancher symboliquement son
boursement des sommes prêtées une tral dans la politique romaine. En 59 insatiable soif de richesse...
fois le délai passé, tant et si bien que, av. J.-C., il intégra le premier triumvirat
PEDRO ÁNGEL FERNÁNDEZ VEGA
d’après Plutarque, « le don s’avérait plus aux côtés de Pompée, son grand adver- DOCTEUR EN HISTOIRE
onéreux que le montant élevé des inté- saire, et de César. Son second consu-
rêts ». Ces prêts permirent également lat avec Pompée lui ouvrit les portes
à Crassus de nouer des partenariats d’une ambitieuse entreprise : la guerre Pour TEXTE
Vies parallèles
politiques. Il prêta ainsi la coquette contre les Parthes, ennemis de Rome en en Plutarque, Gallimard, 2002.
somme de 830 talents à Jules César au Orient, dont il espérait tirer un grand savoir
plus
début de sa carrière politique. butin de guerre. Malheureusement,
I
déal d’une société sans classe, sans est nécessaire pour vivre ». Le 5 octo- pas un voleur ; je reprends dans un
État, et où les formes d’organisa- bre 1886, Clément Duval, membre de but social les richesses volées par
tion seraient librement négociées, la Panthère des Batignolles, cambriole les bourgeois. » Duval est condamné
l’anarchisme n’est pas en soi une un hôtel particulier rue de Monceau. aux travaux forcés à perpétuité en
théorie violente. Mais certains C’est à son procès, en janvier 1887, 1887. Mais d’autres prennent la relève,
« compagnons » furent séduits, à la que l’on défend pour la première fois comme Vittorio Pini, fondateur des
fin du XIXe siècle, par la perspective le « droit au vol », principe central Rebelles de Saint-Denis. Plus radi-
d’une violence pensée à la fois comme de l’illégalisme anarchiste. Duval a cal, Charles Gallo lance une bouteille
vengeance et prélude à la révolution. « volé non pour lui, mais pour sou- d’acide à l’intérieur de la Bourse de
Dès 1884, des militants parisiens tenir la propagande. […] C’est un acte Paris, puis tire trois coups de feu sans
avaient appelé dans un tract les ou- de guerre sociale », explique alors le atteindre personne. « Armons-nous
vriers à « fouler aux pieds le respect libre-penseur anarchiste Sébastien de tous les moyens que nous donne
de la propriété, à avoir l’énergie de Faure. Son acte fonde la pratique dite la science : faisons disparaître cette
prendre dans les magasins ce qui leur de la reprise individuelle : « Je ne suis société aux institutions criminelles
AKG-IMAGES
SELVA/LEEMAGE
basées sur l’égoïsme le plus effré- tête d’un vaste complot, mais la plu- sept blessés. Ravachol, l’auteur des
né, pillons, brûlons, détruisons », part des actions sont improvisées. À deux attentats, dîne le soir même au
écrit L’Action révolutionnaire en compter de 1891, les choses se corsent restaurant Véry, boulevard Magenta.
1887. « Sortez de vos poches le cou- cependant. Une vague d’attentats, Un garçon le reconnaît et le dénonce.
teau libérateur ! Pillez ! Incendiez ! qui prend la forme d’une véritable Le 25 avril, c’est le restaurant qui
Détruisez ! Anéantissez ! Purifiez ! » vendetta, ensanglante la capitale. saute, faisant deux morts. La presse
renchérit L’Idée ouvrière en 1888. anarchiste parle de « Véryfication ».
Ces actions, pourtant éparses, pro- Ravachol sévit au Véry Le lendemain débute le procès de
voquent l’inquiétude des autorités. La L’origine est l’affaire dite « de Ravachol, guillotiné le 11 juillet.
police recense alors 2 400 anarchistes Clichy » : le 1er mai 1891, une rixe op- Mais la série continue. Le 8 no-
en France, dont 852 sont considé- pose un groupe de « compagnons » à vembre, un autre militant de 22 ans,
é d eux. La des policiers, et des coups de feu sont Émile Henry, dépose une bombe au
risiens. tirés ; deux militants sont condam- siège de la Compagnie des mines de
lleville nés à de très lourdes peines. La pre- Carmaux, avenue de l’Opéra. Des
arron- mière bombe, qui explose boulevard employés la découvrent, appellent
ment. Saint-Germain le 11 mars 1892, vise les agents, qui la transportent au
tains le domicile d’Edmond Benoît, le pré- commissariat du Palais-Royal, où
quent sident du tribunal qui a dirigé les elle explose, tuant cinq personnes.
comité débats. Le 27 mars, la dynamite frappe Le 13 novembre, le cordonnier Léon-
chiste l’immeuble du substitut Bulot, qui Jules Léauthier frappe d’un coup de
llé à avait requis la peine capitale contre tranchet l’ambassadeur de Serbie.
es, à la les militants de Clichy. On relève Le mois suivant, le 9 décembre,
Auguste Vaillant lance une bombe
dans l’enceinte de la Chambre des
DE RAVACHOL, PAR EMMANUEL FRÉMIET. députés. L’émotion est immense, et,
MUSÉE D’ORSAY, PARIS.
bien qu’il n’ait tué personne, Vaillant de l’explosion est terrible. Il éventre On voit partout des anarchistes,
est condamné à mort et exécuté le les tables, projette les chaises, les on croit entendre des bombes par-
5 février 1894. lustres, les verres, et provoque tout. La ville entière vit « au son d’la
Un nouveau pas est franchi le 12 fé- une indescriptible panique. Vingt dynamite », que certains journaux
vrier 1894,lorsque Émile Henry lance consommateurs sont grièvement anarchistes encouragent explicite-
dans la grande salle du café Terminus, blessés, l’un d’eux décède peu après. ment. D’autres bombes explosent
au coin de la gare Saint-Lazare, la Henry est le premier à inaugurer d’ailleurs : le Belge Joseph Pauwels,
bombe artisanale qu’il vient de fabri- l’attentat en aveugle, qui prend pour un ami d’Henry, en installe dans les
quer dans sa mansarde de Belleville. cible les citoyens ordinaires. La psy- hôtels où il loge, rue Saint-Jacques et
Le souffle chose est alors à son comble. rue du Faubourg Saint-Martin, afin
de tuer les policiers qui
le traquent. Le 15 mars
1894, il entre à la Ma-
L’ASSASSIN DU PRÉSIDENT deleine une bombe à
la main, mais meurt
LORSQU’IL POIGNARDE à Lyon le président de la République Sadi
dans l’explosion. Le
Carnot en criant « Vive l’anarchie ! », Jeronimo Caserio a 19 ans. 4 avril, c’est le restau-
Véritable archange du mouvement, cet immigré italien quitte sa rant Foyot qui saute.
famille à 10 ans pour ne pas être à la charge de sa mère. Apprenti Le poète libertaire
boulanger, il dépense une part de son salaire pour venir en aide Laurent Tailhade, qui
aux chômeurs. « Si j’ai commis cet acte, c’est parce que j’étais las avait déclaré quelques
de voir le monde aussi infâme », écrit-il peu avant son exécution. mois plus tôt : « Qu’im-
SANTE JERONIMO CASERIO, PAR ÉDOUARD NAVELLIER. GRAVURE, 1894.
porte les victimes, si
le geste est beau ! »,
BIANCHETTI/LEEMAGE
AKG-IMAGES
présent dans l’établissement, perd un l’anarchisme comme Jean Grave ou place de la Concorde un officier de
œil dans l’explosion. Contre l’anar- Sébastien Faure, pourtant hostiles la Garde républicaine, afin de donner
chisme, que l’on assimile dès lors à à des actions qui déconsidèrent l’exemple à ses « frères ouvriers ».
une théorie criminelle, la répression « l’Idée ». La très grande majorité L’année suivante, la police arrête
s’accélère. Henry est guillotiné le d’entre eux sont d’ailleurs acquittés. encore Georges Roussel et Joseph
21 mai. En représailles, le 24 juin, Les bombes ont cessé de séduire les Roux, dit Melchior, porteurs de
l’anarchiste italien Caserio assas- anarchistes, dont la plupart s’en- dix cartouches de dynamite. L’illé-
sine à Lyon le président Sadi Carnot, gagent dans l’action syndicale, galisme anarchiste connaît ses der-
qui avait refusé de gracier Vaillant et notamment à la CGT, créée en 1895. niers feux en 1911 avec l’épopée de
Henry. Le 15 août, Caserio monte à L’illégalisme ne disparaît pas pour la bande à Bonnot. Mais c’est à des
son tour sur l’échafaud. autant, mais s’exprime surtout dans hold-up, pas à des attentats, que
les cambriolages, comme en banlieue se livrent les fameux bandits en
Les théoriciens en procès parisienne, où sévit la bande à automobile. La bombe, la dynamite
La « terreur noire » s’arrêtera là. À Spagannel, ou à Marseille, où Marius n’appartiennent alors plus au voca-
l’implacable répression policière se Jacob organise les Travailleurs de la bulaire anarchiste.
sont ajoutées les « lois scélérates » nuit. D’autres, plus isolés, pour-
DOMINIQUE KALIFA
de décembre 1893 et juillet 1894, que suivent les attentats. En juillet 1898, PROFESSEUR, UNIVERSITÉ PARIS 1 PANTHÉON-SORBONNE
le gouvernement fait voter dans Georges Étiévant poignarde un plan-
l’urgence pour criminaliser l’anar- ton et blesse plusieurs autres poli-
chisme et interdire toute propagande ciers dans le poste de la rue Berzelius. Pour ESSAIS
Dynamite Club. L’invention
en sa faveur. Le 6 août 1894 s’ouvre En mai 1905, des bombes explosent en du terrorisme à Paris
savoir J. Merriman, Tallandier, 2009.
devant la cour d’assises de la Seine rue de Rivoli, sur le cortège du roi plus Les Anarchistes contre
le fameux procès des Trente, où d’Espagne Alphonse XIII. Le 1er mai la République
V. Bouhey, PUR, 2009.
comparaissent des théoriciens de 1907, l’individualiste Jacob Law abat
Comment le
sucre est devenu
irrésistible
Le miel, roi des édulcorants depuis l’Antiquité, est détrôné au
Moyen Âge par l’arrivée de ce séduisant ingrédient exotique.
E
n 1099, alors que les croisés des musulmans, était arrivée jusqu’au
arrivés en Palestine pour re- nord de l’Afrique et en al-Andalus.
prendre la Terre sainte ap- Les techniques qui permettaient de
prochaient de Jérusalem, ils transformer le jus de canne en cris-
découvrirent des plaines où taux, développées en Inde depuis le
poussaient « des cannes pleines de Ve siècle, ont facilité son transport,
miel », une plante qu’ils ne connais- ce qui a permis à sa consommation
saient pas et grâce à laquelle il purent de croître. Mais ce sont les croisades
atténuer la faim qui les tenaillait de- qui ont définitivement introduit en
puis des semaines. C’est ainsi que Europe chrétienne ce produit bientôt
l’épisode est rapporté par Foucher connu sous sa dénomination arabe :
de Chartres, chroniqueur de la pre- sukkar, le sucre.
mière croisade, en écho à un passage Malgré tout, la consommation du
célèbre de la Bible racontant com- sucre ne s’est pas immédiatement CETTE MINIATURE
ment l’armée israélite commandée popularisée. Comme tout produit extraite du Tacuinum sanitatis
par Jonathan, fils de Saül, arriva dans importé, le sucre était cher et, pen- d’Ibn Butlan représente un
marchand de sucre. Milieu
BNF / RMN-GRAND PALAIS
une forêt où « il y avait tant de miel dant longtemps, il n’a été à la portée du XVe siècle. Bibliothèque
qu’il paraissait jaillir du sol » (Livre de que de quelques bourses.Le miel était nationale, Paris.
Samuel I 14, 25). depuis l’Antiquité le principal ingré-
La « canne de miel » était en réa- dient grâce auquel on adoucissait les
lité de la canne à sucre, un produit plats, et il l’est resté pendant presque
consommé en Inde depuis déjà deux tout le Moyen Âge,tant dans le monde
hrétien que dans le monde musul- On l’employait également à des fins
man. Avec le miel, on préparait des médicinales, pour élaborer des sirops
auces, des boissons et des desserts. et des onguents. Ainsi, le sucre n’a ja-
maisréussi à remplacer complètement
le miel.D’autant que certaines régions
disposaient aussi d’autres produits
UTES LES RECETTES édulcorants, comme le miel de dattes
et le moût (le jus de raisin).
A CONSOMMATION du sucre en
nte, mais inéluctable. À la fin du Blanc de poulet au sucre
ns les livres de cuisine de l’Italie Les édulcorants étaient importants
e et du Portugal, les deux tiers des dans la gastronomie médiévale. Le
ncluaient dans leurs ingrédients. miel et le sucre s’employaient aussi
NT DU CAFÉ, AVEC DU SUCRE DEVANT ELLE. bien dans les pâtisseries – confec-
BIBLIOTHÈQUE DES ARTS DÉCORATIFS, PARIS.
tionnées à partir de farine, d’œufs,
de graisses, de fromages et de fruits
GE
Bon pour la digestion
secs, et parfois condimentées avec
comme pour les poumons
des épices – que dans des recettes DANS L’ANTIQUITÉ, des auteurs comme Dioscoride et Galien
de viande. Le blanc-manger, l’un des attribuaient au sucre des vertus médicinales. Les médecins mu-
plats les plus populaires de la cuisine
sulmans ont repris cette idée, qu’ils ont transmise à l’Occident
médiévale, était composé de blanc de
poule ou de poulet, de farine de riz, de chrétien. Elle reposait sur la croyance selon laquelle la santé se
lait d’amande et de sucre, et aroma- fondait sur l’équilibre de quatre si son abus pouvait avoir des ef-
tisé avec de l’eau de rose ou de fleur HUMEURS : le chaud, le sec, le fets secondaires. Au XIIIe siècle,
d’oranger. Que ce soit dans la cuisine froid et l’humide. Le sucre était le médecin espagnol ARNAUD DE
chrétienne, musulmane ou juive, le très prisé, car il était à la fois VILLENEUVE a compilé de nom-
miel était ajouté dans la plupart des chaud et humide. On pensait breuses recettes qui incorpo-
plats cuits à l’étouffée et des ragoûts, pour cette raison qu’il agissait raient du sucre en exploitant ses
ainsi que, souvent, dans la pâte à pain. comme un DIURÉTIQUE et un vertus thérapeutiques ou diété-
Au fil du Moyen Âge, l’usage du digestif, et qu’il guérissait les tiques, dont un sirop de sucre
sucre se popularisa, et il est devenu affections pulmonaires, même purifié avec du blanc d’œuf.
de plus en plus courant de le mélanger
DÉLICIEUX
ET NUTRITIF
AU XVe SIÈCLE, un traité nasride
consacré aux aliments fait ré-
férence au sucre : « Bien que
ce ne soit pas un produit dérivé
des animaux, nous le mention-
nerons pour sa proximité avec
le miel par sa douceur et ses
effets. Il est de nature équili-
brée, avec une tendance à la
chaleur, mais il ne donne pas
soif comme le miel et il est plus
nutritif que ce dernier. »
CÔN
MOU
DE L
ALINARI ARCHIVES / CORDON PRESS
LA RÉCOLTE DE LA CANNE
à sucre. Miniature du Codex
Vindobonensis. XIVe siècle.
Bibliothèque nationale, Vienne.
au miel. Les sauces, presque toujours employé dans ces recettes comme simple, plus le sucre était blanc, plus il
aigres-douces (qui associaient des un condiment, à la manière d’une était pur, et par conséquent plus il était
ingrédients comme l’oignon, la gro- épice. Il atténuait des saveurs acides cher. Des plats comme le blanc-manger,
seille, l’œuf, la bière ou le vin), étaient ou amères, parfois très prononcées que nous avons déjà évoqué, fondaient
fréquemment agrémentées de gin- dans des viandes conservées pen- une partie de leur prestige sur cette
gembre, de cannelle, de poivre, de sel dant des mois sans réfrigération. Il couleur. Pour les grandes célébrations,
et de sucre. Ce genre de préparation compensait en même temps les goûts on élaborait des figures faites de sucre
accompagnait les viandes de bœuf, de d’autres épices. À tout cela s’ajoutait mélangé à des amandes, du riz et de
porc, de mouton, de volaille, certains le fait qu’il était facile à conserver. l’eau parfumée. Certains témoignages
poissons et même les huîtres. Son emploi dans les confitures, les prouvent par ailleurs que les chrétiens
On peut s’étonner de l’utilisation marmelades, les sirops ou les gelées connaissaient le massepain au moins
du sucre dans des plats aujourd’hui – lesquels servaient aussi à conserver depuis la fin du XIIe siècle.
considérés comme « salés » plutôt d’autres aliments – était cependant
que « doux », mais il faut tenir plus réduit, étant donné sa valeur rela- Au service du roi Mouton
jusqu’au XVIe siècle. Article de luxe, le sucre représentait
ngembre, la rhubarbe un facteur de différenciation sociale.
sucre venait surtout Un texte arabe du XVe siècle, le Kitab
aisait de lui un aliment al-harb, raconte une bataille entre les
en petites quantités. aliments consommés par les riches
se et le sucre brun, il et ceux à la portée des pauvres. Les
tes qualités de sucre, armées du puissant roi Mouton, for-
r leurs tonalités qui mées par différentes viandes, des pains
DEA / ALBUM
De la canne
au morceau
de sucre
LES RAFFINERIES de sucre des
îles de l’Atlantique puis d’Amé-
rique s’installaient près des
champs dans lesquels la canne
était cultivée et récoltée. Elles
comprenaient les meules qui
pressaient la canne pour en ex-
trairelejus.Celui-ciétaitensuite
cuit dans des chaudrons et la
substance obtenue était versée
dans des moules pour que le
sucre cristallise . Si, dans les
premières raffineries, travail-
laient autant de salariés que d’es-
claves, ce sont ces derniers qui
firent tourner celles d’Amérique.
lait et ses dérivés, le beurre, les légumes transformée du nord de l’Afrique et de baisse et sa consommation augmente
et les conserves au vinaigre. Le Sucre, la Méditerranée orientale. Toutes les de façon notable : au XVIe siècle, par
placé chez les pauvres au commande- régions d’Europe n’avaient donc pas exemple, elle est multipliée par 18. Son
ment des boissons, se plaint d’être tout le même accès à ce produit, et l’utili- usage gastronomique a également
juste destiné aux médicaments. Il finit sation du sucre s’est généralisée dans changé : au lieu de l’ajouter aux plats
par déserter pour donner la victoire au certaines aires géographiques plus tôt principaux comme condiment pour
roi Mouton, qui lui a offert de le mettre que dans d’autres. Ce n’est qu’à partir contrebalancer les saveurs acides, on
à la tête des pâtisseries et remporte la du XVe siècle que le sucre devient un l’emploie désormais dans les entre-
bataille, protégé « par une cuirasse de produit commun dans presque toute mets et les desserts, ou pour adoucir
sucre blanc et dur ». l’Europe. À cette époque débute la le café et le thé, les boissons à la mode
L’introduction tardive de l’usage du culture de la canne dans les îles de à partir du XVIIe siècle. Ainsi, ce qui
sucre dans la cuisine, surtout dans les l’Atlantique (Madère, les Açores et était au Moyen Âge un condiment
maisons les plus humbles, était due les Canaries), que Castillans et Portu- exotique, employé avec mesure en
autant à son prix élevé qu’à la lente gais commençent alors à occuper de raison de son prix, a fini par atteindre
évolution des régimes alimentaires. manière permanente, peu de temps une primauté qu’il conserve encore
Tous les sucres n’étaient pas consi- avant que l’Amérique ne devienne le aujourd’hui.
dérés comme de la même qualité, car principal centre de production.
À partir du XVIe siècle, c’est le sucre COVADONGA VALDALISO
à mesure que se répandait sa consom- DOCTEUR EN HISTOIRE
mation, les types de produits se diver- qui gagne la vieille bataille contre le
sifiaient. La production aussi avait miel. Dans les pays protestants, la pro-
une influence : la canne ne pouvait duction de miel a décliné après la dis- Pour ESSAI
Le Sucre, une histoire
être cultivée qu’en certains endroits, solution des monastères, qui étaient en douce-amère
savoir E. Abbott, Fidès, 2009.
comme la Sicile ou le sud de la pé- au Moyen Âge de grands centres api- plus
ninsule Ibérique, ou importée déjà coles. Progressivement, le prix du sucre
TROIE
Redécouverte à la fin du XIXe siècle, la cité mythique
immortalisée par Homère est toujours l’objet de fouilles,
qui éclairent sous un jour nouveau ses 3 000 ans d’histoire.
MIREIA MOVELLÁN LUIS
UNIVERSITÉ COMPLUTENSE DE MADRID
D
epuis qu’Heinrich Schliemann a entrepris
en 1870 ses célèbres fouilles sur la colline
de Hissarlik en Turquie, l’étude des ruines
de Troie a toujours été médiatisée en raison
du dénommé « syndrome de L’Iliade », soit
l’opiniâtre volonté de retrouver les traces exactes de ce
SCALA, FLORENCE
L
E E DÉCHIFFRAGE du hittite et la décou-
R
GRÈCE ÉGÉE ASIE verte du « Traité d’Alaksandu » ont
MINEURE fait évoluer les études sur Troie, dont
le centre d’intérêt s’est déplacé vers
l’Orient. Il ressort des termes du traité
que l’alliance entre Troie et l’Empire hittite
était très ancienne et que la cité, bien que
soumise, constituait une entité autonome.
E
let Ce traité ainsi que d’autres textes montrent
que les Hittites désignaient la Troade, la
région de Troie, sous le nom de « Wilusa » et
appelaient la ville « Taruwisa », deux noms
IO
M NI
CARTE : EOSGIS.COM
en particulier avec l’Empire hittite, apparu les cités grecques et une forteresse hittite.
dans la péninsule d’Anatolie entre le XVIIIe et La « Troie escarpée » de L’Iliade se dressait
le XIIe siècle av. J.-C. C’est ce qu’a prouvé la sur l’éperon abrupt que forme le plateau cal-
découverte dans sa capitale Hattousa, parmi caire d’Hissarlik, haut de 37 mètres et d’une
les documents des archives impériales, d’un surface d’environ 3 hectares, situé à 6 kilo-
document connu sous le nom de « Traité mètres à l’est du rivage de la mer Égée et à
d’Alaksandu » : un pacte de vassalité signé 4,5 kilomètres au sud du détroit des Dar-
entre Alaksandu, le souverain du Wilusa, et danelles. Les archéologues ont constaté que
le roi hittite Muwatalli II en 1290 av. J.-C. s’y superposaient jusqu’à neuf cités de dif-
« Wilusa » semble être le nom hittite de la férentes époques, renfermant les vestiges
région de Troie, ce qui explique par défor- de plus de 3 000 ans d’histoire ininter-
mation le nom grec de cette cité, « Ilion », rompue. La couche stratigraphique dé-
qui a donné son titre à L’Iliade. La guerre nommée « Troie VI » (qui se prolonge
de Troie devenait ainsi un conflit entre dans Troie VIi), approximativement
C H R O N O LO G I E
Troie est fondée près du L’établissement de Troie VI
LA COLLINE
ALA , FL
SC
BPK /
vers 2700 av. J.-C. Une autre grande ville placée dans l’orbite
CITÉS cité (Troie II) est construite,
considérée par Schliemann
hittite. Certains chercheurs
la considèrent comme la cité
comme la Troie homérique. du mythe homérique.
BOUCLE D’OREILLE EN OR DU « TRÉSOR DE PRIAM ». BERLIN.
24 HISTOIRE & CIVILISATIONS
GEORG GERSTER / AGE FOTOSTOCK
datée entre 1700 et 1180 av. J.-C., pourrait cinq portes monumentales, bien défendues UNE COLLINE
être identifiée au théâtre des événements par des tours de guet, comme les fameuses LÉGENDAIRE
relatés dans L’Iliade. Portes Scées mentionnées par Homère. Hissarlik, dans
la Turquie actuelle,
Troie VI correspond à ce que l’on peut
attendre d’une ville de l’âge du bronze dans Un artisanat florissant correspond à
l’emplacement
la péninsule d’Anatolie. Elle était divisée en Les archéologues ont constaté que la ville de la Troie antique.
deux parties : sur le plateau se dressait la basse s’est développée précisément à Les archéologues y
citadelle, centre administratif et religieux, l’époque de Troie VI, avec des rues pavées ont découvert neuf
villes superposées
protégé par une grande muraille en pierres, et des canaux de drainage, ce qui indique- datant d’époques
tandis que sur le versant sud de la colline rait une augmentation de la population. Dans différentes.
s’étendait la ville basse, entourée et défendue les quelque 20 hectares de la ville pouvaient
par un long fossé. Derrière ce dernier se dres- vivre entre 7 000 et 10 000 habitants selon
sait une muraille en briques crues, dans la- les calculs. Une telle densité de population
quelle nous savons que s’ouvraient au moins s’explique par l’essor économique de la cité,
L’
UN DES ÉPISODES les plus célèbres de L’Iliade est le combat la baie de Besika, Troie faisait ainsi le com-
entre Hector et Achille. Tous deux s’obstinent dans une pour- merce de chevaux originaires des steppes du
suite qui les amène vers les sources du fleuve Scamandre, nord de la mer Noire et de l’Anatolie centrale,
d’où « jaillissait une eau tiède, et autour [duquel] s’élevait celui de l’ambre de la Baltique et de la cor-
de la vapeur comme la fumée d’un feu, de l’autre de l’eau aussi froide naline de Colchide, ou encore du cuivre des
que de la grêle », description qui a donné une piste précise à Schlie- Balkans et de l’Asie centrale. Ce rôle com-
mann pour fouiller à Hissarlik. Après avoir tué le Troyen, Achille « lui mercial est la clé pour comprendre le fond
perça par derrière les tendons des deux pieds de la cheville au talon, historique de la guerre de Troie, car il expli-
il passa des courroies en peau de bovin qu’il attacha à son char » querait pourquoi s’est formée une ligue si
et il le traîna jusqu’au campement grec. Bientôt, Priam arriva dans
importante de cités grecques, qui désiraient
la tente d’Achille à qui, au milieu de larmes et lui prenant la main, il
demanda la restitution du cadavre : « Aie pitié de moi, souviens-toi
vraisemblablement s’assurer le contrôle du
aussi de ton père ; je suis plus digne de compassion que lui, car j’ai passage des Dardanelles et du commerce
osé ce qu’aucun mortel n’a jamais osé : approcher ma bouche de la entre la mer Noire et la mer Égée.
main de l’assassin de mon fils. » Il ne restait à Priam aucun de ses fils Les habitations de la ville basse étaient
pour le défendre et lui succéder sur le trône, seulement le courage pourvues de toits plats sur lesquels on
d’essayer d’offrir à son fils Hector des funérailles dignes. pouvait faire sécher fruits et légumes. Elles
comprenaient un patio doté d’une zone
LE HÉROS GREC ACHILLE TRAÎNE AVEC SON CHAR LE CADAVRE D’HECTOR. pavée, probablement réservée au battage.
CÉRAMIQUE ATTIQUE. 510 AV. J.-C. MUSÉE DE L’ERMITAGE, SAINT-PÉTERSBOURG.
Les produits étaient conservés dans de
grandes jarres enfouies sous terre. Le gros
de la population devait se consacrer à des LUXUEUSE quantités d’os de chevaux. Le IIe millénaire
tâches artisanales, comme la fabrication de VAISSELLE av. J.-C. est l’âge d’or des chars de combat, et il
céramiques au tour, surtout de la vaisselle Lors des banquets, semble que les Troyens se soient spécialisés
à décoration géométrique. La présence im- les élites troyennes dans le dressage de chevaux sauvages à des
buvaient du vin
portante d’outils pour filer et tisser, comme dans des coupes fins militaires, en particulier pour l’armée
des pesons de métiers à tisser, indique que d’argent comme hittite. Lors de la fameuse bataille de Qadesh
les textiles troyens, principalement en laine celle montrée ci- contre les Égyptiens, vers 1279 av. J.-C., le
et en lin, ont dû être très appréciés des com- dessous, trouvée contingent hittite était en effet formé de près
dans les ruines
merçants. Les Troyens fabriquaient égale- de Troie. 2300 de 4 000 chars de guerre. Ce n’est donc pas
ment la précieuse teinture pourpre obtenue av. J.-C. British un hasard si la principale épithète appliquée
à partir du murex, un coquillage de mer qui Museum, Londres. au Troyens dans L’Iliade est « dresseurs de
servait à colorer les tissus, les peaux tannées chevaux ». Homère affirme également que
et les objets d’os ou d’ivoire. La cité possédait Priam possédait de grandes écuries royales
aussi de nombreux ateliers de métallurgie, dans la cité et qu’Andromaque nourrissait
dans lesquels on fabriquait des objets en mieux les chevaux d’Hector, auxquels
bronze, fer, argent et or. elle donnait du grain et du vin, que
son époux lui-même.
Dresseurs de chevaux Le site a enfin livré des vestiges de
SCALA, FLORENCE
H
EINRICH SCHLIEMANN s’est chargé
seul des fouilles de Troie jusqu’en
1879, lorsque le rejoignit l’architecte
et archéologue Wilhelm Dörpfeld,
auteur d’une étude détaillée sur les niveaux
archéologiques de la cité. Grâce à lui, on en
vint à la conclusion que Troie VIi fut l’objet
d’une attaque, même si subsiste encore un
doute quant à savoir si cette strate corres-
pond au conflit narré dans L’Iliade. Par la
suite, c’est Manfred Korfmann et, à l’heure
actuelle, Ernst Pernicka, de l’université de
Tübingen, qui ont apporté les données les
plus innovantes. Ils ont découvert l’énorme
étendue de la ville basse grâce à des pros-
pections géomagnétiques et des coupes
aléatoires. Cependant, après 150 années
de fouilles, seuls moins de 5 % de l’étendue
totale de Troie ont été exhumés, si bien
que la cité recèle encore bien des secrets.
pierre qui, selon les chercheurs, sont typiques PRINCESSE royale et les autres familles nobles vivaient
du culte anatolien des rochers, dans lesquels SACRIFIÉE dans ces édifices somptueux, mais à la déco-
on croyait que résidaient dieux et esprits. La scène de cette ration plutôt austère si l’on en croit l’absence
amphore illustre
de fresques et d’objets de grand luxe.
Une aristocratie polygame le sacrifice de
L’aristocratie pratiquait la polygamie,
Polyxène, la plus
La citadelle de Troie VI qui, dans L’Iliade, est jeune des filles du comme Priam qui, d’après L’Iliade, eut cin-
appelée « Pergame », a dû constituer un grand roi Priam, sacrifiée quante fils et douze filles de différentes
complexe avec des constructions hautes de en l’honneur du épouses dont la première, Hécube, occupait
héros Achille.
plus d’un étage. Il est possible qu’elle ait British Museum, le rang de reine. L’élite comprenait aussi les
combiné les fonctions de temple, de palais, Londres. familles de gros commerçants, qui exerçaient
de trésorerie et d’archives, suivant le mo- des fonctions diplomatiques et occupaient
dèle du « palais mégaron » répandu dan es postes de commandement dans l’armée.
l’Anatolie hittite, la Crète minoenne et la Les autres habitants de Troie devaient
Grèce mycénienne, composé d’une série composer le gros des troupes d’infan-
d’édifices et de pièces disposées autour terie, formées d’archers et de frondeurs
d’une vaste salle centrale. La citadelle secondés par les chars de combat que
était entourée d’une énorme muraille, la seuls les plus riches pouvaient s’offrir.
même, peut-on imaginer, que celle de la- L’archéologie a démontré que Troie VI
quelle le légendaire roi Priam regardait la connut une fin dramatique. Vers 1250
bataille où s’activaient les troupes com- av. J.-C., la cité a été dévastée par une
mandées par son fils Hector. Elle com- catastrophe naturelle, sûrement un trem-
prenait en outre un réseau de tunnels qui blement de terre, mais elle fut rapidement
garantissaient l’approvisionnement en eau reconstruite par les habitants eux-mêmes.
à partir d’une source souterraine. La famill ’est la raison pour laquelle de nombreux
E
NC
RE
FLO
A,
AL
SC
chercheurs préfèrent depuis quelque temps et arrive à Troie, il ne trouve que les vestiges PORTE
qualifier le stade suivant de « Troie VIi », car de l’ancienne cité et un seul temple debout, MONUMENTALE
il existe une évidente continuité culturelle dans lequel il ordonne des sacrifices en Cette porte flanquée
de deux lions était
entre ce dernier et Troie VI. l’honneur d’Athéna et des héros de L’Iliade. l’une des entrées
Sous ses auspices, une nouvelle ville est d’Hattousa, la
La cité part à l’abandon érigée sur les ruines ; elle survivra jusqu’au capitale hittite. À
L’établissement de Troie VIi a également VIe siècle apr. J.-C., époque où elle est dé- Troie ont également
été retrouvées des
connu une fin tragique vers 1180 av. J.-C. finitivement abandonnée. Avec l’arrivée de
stèles qui ornaient
C’est vers cette époque qu’ont été datés des l’Empire turc, la colline sur laquelle Troie se les portes de la ville.
restes d’édifices détruits par le feu et des dressait est baptisée « Hissarlik », « le lieu de
ossements humains fossilisés, ainsi qu’une la forteresse ». Entouré de nombreuses col-
grande quantité de projectiles de catapulte. lines identiques, recouvert par la végétation,
Ces découvertes signifieraient que la popula- l’emplacement exact de la citadelle est alors
tion a subi une attaque extérieure, autrement tombé dans l’oubli, jusqu’à ce qu’Heinrich
dit une guerre. S’agit-il de celle narrée par Schliemann le mette de nouveau au jour.
Homère ? Si Troie était une enclave straté-
gique pour les routes commerciales hittites,
ce qui a pu éveiller la méfiance des Grecs Pour ESSAI
L’Or de Troie ou le Rêve de Schliemann
mycéniens, il est cependant actuellement en H. Duchêne, Gallimard, 1995.
impossible d’affirmer la véracité du conflit savoir RÉCIT
plus La Fabuleuse Découverte des ruines
raconté dans L’Iliade. de Troie
H. Schliemann, Tallandier, 2011.
Après cette ultime destruction, l’agglomé- TEXTE
ration a subi un lent déclin. Quand Alexandre L’Iliade
Homère, Gallimard, 2013.
le Grand traverse l’Hellespont en 334 av. J.-C.
DEA / ALBUM
DEA / AGE FOTOSTOCK
MÉDAILLON
à l’effigie de Louis XVIII
(page de droite). Vers 1830.
Cité de la céramique, Sèvres.
LA
RESTAURATION
L’impossible
retour en arrière
Exilés sous la Révolution et l’Empire, les Bourbons
reviennent sur le trône en 1814. Mais, en 25 ans,
la France a changé. Comment Louis XVIII,
vieux souverain issu de l’ancien monde, s’est-il
accommodé des réalités nouvelles de son pays ?
AKG-IMAGES ET RMN / MARTINE BECK COPPOLA
JEAN-JOËL BRÉGEON
HISTORIEN
RÉUNION DES
VAINQUEURS
Après avoir défait
Napoléon, la
Russie, l’Autriche,
la Prusse et la
Grande-Bretagne
se réunissent en
mai 1814 lors du
congrès de Vienne
pour évoquer
le sort de la France.
UN ROI
VIEILLISSANT
C’est un souverain
de 59 ans, obèse
et à demi-impotent,
qui prend le pouvoir
A
PRESTIGIEUSE vril 1814. Napoléon vaincu par Frère cadet de Louis XVI, Louis Stanislas
DÉCORATION l’Europe coalisée, les Bourbons Xavier de Bourbon, comte de Provence, s’est
Louis XVIII aura rentrent en France, comme si proclamé roi de France après la mort de son
l’habileté de ne pas
remettre en cause
la chose allait de soi. Cependant, neveu au Temple. Émigré dès juin 1791, il a
tous les apports de « aucune logique ne conduisait parcouru l’Europe à la recherche d’un refuge
ses prédécesseurs. la France de l’Empire à la Restauration, de sûr, séjournant à Bruxelles, à Coblence, dans
Il conserve ainsi Napoléon à Louis XVIII », affirme l’historien le Brunswick, à Mitau en Lettonie, à Londres…
l’ordre de la Légion Patrice Gueniffey. En un quart de siècle, les Au final peu apprécié de ses hôtes, au point
d’honneur créé
par Napoléon. Français semblaient avoir tourné la page, et que le tsar confiera à l’un de ses proches en
Chateaubriand ira jusqu’à dire que plus per- janvier 1807 : « La France ne le connaît pas,
sonne ne se souvenait des derniers descen- elle n’en voudra pas. » Pourtant, sept ans
dants des Capétiens. Et pourtant… plus tard, le choix de Louis XVIII lui apparaît
Alors que Napoléon, privé d’armée, erre comme le moins mauvais, une fois écartée
dans le parc de Fontainebleau, contraint à la régence de Marie-Louise, fille de François II
l’abdication le 6 avril et désespéré au point et épouse de Napoléon, pour son fils le roi
d’attenter à sa vie, son ancien ministre des de Rome, et même une république « consu-
Affaires étrangères, Charles Maurice de laire » confiée à l’ancien maréchal de France
Talleyrand-Périgord, traite avec les « puis- Bernadotte, devenu roi de Suède.
sances » du sort de la France. Tout se règle L’idée d’un Bourbon renonçant à l’hégé-
dans Paris occupé, rue Saint-Florentin, en monisme français vieux de deux siècles,
l’hôtel particulier de Talleyrand. Il y reçoit gouvernant avec modération, ne gommant
GIANNI DAGLI ORTI / AURIMAGES
le tsar Alexandre Ier, l’empereur d’Autriche pas les avantages tirés par de nombreux
François II, le roi de Prusse Frédéric-Guil- Français de la Révolution, fait figure de moin-
laume III et le représentant de l’Angleterre dre mal. C’est le Sénat impérial qui, toute
Castlereagh. Et c’est bien Talleyrand qui honte bue, appelle « librement » le prétendant
impose aux Alliés le choix de Louis XVIII. à devenir « roi des Français » par le « vœu de
LA MONARCHIE
FRANÇAISE
REVIENT D’EXIL
2 mai 1814
Après l’abdication de Napoléon
le 6 avril, Louis XVIII revient d’exil
et promet une Constitution libérale.
La Charte du nouveau régime est
promulguée le 4 juin.
30 mai 1814
Le premier traité de Paris, signé
avec les Alliés, ramène la France
à ses frontières de 1792.
20 mars-22 juin 1815
La tentative de Napoléon, échappé
de l’île d’Elbe, pour reprendre le
pouvoir tourne à l’échec lors de la
bataille de Waterloo (18 juin 1815).
Le 20 novembre, la France doit
signer un second traité de Paris,
aux termes plus durs et garanti
par l’occupation du pays.
14-22 août 1815
Élections de la Chambre LA LIBERTÉ
« introuvable », à majorité ultra. DES CULTES la nation ». Napoléon embarqué pour l’île
La Charte signée d’Elbe, Louis XVIII retrouve le palais des
7 décembre 1815
L’exécution de Ney, ancien maréchal en 1814 reconnaît Tuileries le 3 mai 1814.
d’Empire, témoigne de la Terreur et autorise tous les Épuisée, la France est désormais entre les
blanche, la répression orchestrée cultes. Dans cette mains d’un homme qui n’a rien d’un foudre
contre les ennemis du régime. gravure de Merry-
Joseph Blondel, de guerre. À 59 ans, Louis XVIII est déjà un
26 décembre 1819 le roi trône entre vieux monsieur, obèse, à demi-impotent, à
Richelieu quitte le ministère un évêque, un la sexualité défaillante, ce qui le prive de
où domine désormais Élie Decazes, pope, un pasteur descendance directe. Son long exil lui a fait
plus obscur, mais qui a gagné et un rabbin (de
gauche à droite).
perdre de vue les Français, à l’exception de
la confiance du souverain.
Dessin, vers 1826- la noblesse émigrée, peu encline à comprendre
13 février 1820 1827. Musée les raisons de sa mise à l’écart. En revanche,
Louvel poignarde le duc de Berry, du Louvre, Paris. il a beaucoup appris sur l’Europe et s’est
neveu de Louis XVIII. L’assassinat
entraîne le retour en grâce nourri d’une culture éclectique. Épicurien,
des ultras, menés par Villèle. juste déiste, porté vers le scepticisme, il en
est venu à considérer les aléas de l’Histoire
7 avril 1823 avec philosophie. Mais Louis XVIII est aussi
Les troupes françaises entrent
en Espagne pour restaurer très attaché à sa dignité, aux règles du savoir-
Ferdinand VII sur le trône. vivre de l’Ancien Régime. En même temps,
il sait qu’il lui faut amadouer les élites nées
14 septembre 1824
Mort de Louis XVIII et avènement de la Révolution, confortées et élargies sous
de son frère sous le nom l’Empire. En nombre et en influence, elles
de Charles X, sacré à Reims dominent la vieille noblesse, appauvrie et
le 29 mai 1825. souvent dépréciée. L’historien Guillaume
de Bertier de Sauvigny fait le tour de ces
contradictions : « Louis XVIII sait se faire
mutineriede1905etlefilmd’Eisenstein,LeCuirasséPotemkine(1925).Cedescendant
du cardinal fut le plus remarquable des ministres de Louis XVIII.
respecter, mais non pas aimer. Il était trop nouvelle noblesse, exercent une influence
facile de sentir, derrière la façade de bonté délétère. Leur seul souci : retrouver leur pré-
paternelle dont il aimait à faire parade, un éminence, être indemnisés de tout ce qu’ils
fonds d’égoïsme olympien (…). Arrivé au ont perdu après 1789. Ils ignorent tout d’une
terme de ses aspirations, il entendait bien France meurtrie qui doit survivre à l’effon-
s’y maintenir, et c’est pourquoi, tout jaloux drement d’un régime qui l’a portée au pinacle.
qu’il fût de son autorité, il était prêt à faire
les concessions nécessaires (…). Assez réa- Une Charte pour le royaume
liste et assez sage pour ménager la France Aussi le retour de « Louis le Désiré » s’effec-
nouvelle et s’en accommoder, il ne pouvait, tue-t-il dans la douleur. Pourtant, deux actes
au fond, ni la comprendre ni l’aimer. » majeurs semblent asseoir le nouveau régime.
L’entourage de Louis XVIII valait moins Il y a d’abord le traité de Paris, signé le 30 mai
que lui. Son cadet, le comte d’Artois, était 1814, qui ménage la France. Si elle retourne
frivole, entiché de son rang, sans recul poli- à ses frontières de 1792, elle conserve plu-
tique ; les deux fils de ce dernier, le duc d’An- sieurs annexions ultérieures, en Savoie et
goulême et le duc de Berry, se montraient en Alsace, et garde le Comtat Venaissin. Elle
« limités », pour ne pas dire plus. Une femme retrouve aussi ses colonies, à l’exception de
cependant, la fille du roi guillotiné, Madame Tobago, de Sainte-Lucie et de l’île de France
Royale, mariée au duc d’Angoulême, son cou- (l’actuelle île Maurice). Surtout, la France
sin, méritera par ses actes d’être qualifiée de n’est soumise à aucune occupation et ne paie
« seul homme de la famille ». Mais son intran- aucune indemnité de guerre. Visiblement,
sigeance politique et sa piété démonstrative les coalisés n’ont pas cherché à profiter de
ne pouvaient guère aider Louis XVIII. Autour leur victoire.
de la famille restaurée se constitue une cour Quatre jours plus tard, une nouvelle Consti-
où les émigrés irréductibles, qui n’ont jamais tution est proclamée. C’est la « Charte »,
composé avec l’Empire, qui méprisent la rédigée dans la hâte, courte mais remarquable
AKG-IMAGES
LE DIPLOMATE à bien des points de vue. Elle avalise l’essen- hexagonale, dans ses dotations foncières et
CHATEAUBRIAND tiel des conquêtes de la Révolution codifiées immobilières. Appréciation, très juste, de
À partir de 1814, sous le Consulat. La Charte proclame l’éga- l’historien Emmanuel de Waresquiel : « On
l’auteur du Génie
du christianisme lité civile de tous devant la loi, la justice, pouvait difficilement aller plus loin, surtout
(édition annotée l’impôt et les emplois publics. Elle garantit si l’on considère le niveau des libertés pu-
ci-dessous), la liberté individuelle, la liberté de la presse. bliques dans le reste de l’Europe. Même en
figure majeure Tous les cultes sont reconnus et autorisés, Angleterre, à la même époque, les minorités
du romantisme,
même si la religion catholique est confirmée religieuses ne sont pas égales devant la loi. »
mène une brillante
carrière politique religion d’État. Louis XVIII rassure encore L’organisation politique du royaume appa-
d’ambassadeur en décidant la suppression de la conscrip- raît moins audacieuse. Le roi réunit en sa
et de diplomate. tion, devenue insupportable au fil des défaites personne, inviolable et sacrée, le triple pou-
u régime déchu. La dette publique voir exécutif, législatif et judiciaire. À côté
t garantie, et toutes les proprié- du monarque, deux assemblées qui procèdent
s, y compris celles procédant de de celles de l’Empire : une Chambre des pairs,
cquisition des biens nationaux, dont les membres sont nommés à vie ou
nt déclarées inviolables. Le père héréditairement par le roi ; une Chambre des
oriot,héros de Balzac,peut retrou- députés, élue par cinquième pour cinq ans,
r le sommeil. qui procède d’un corps électoral très censi-
Pour mieux rallier les élites na- taire. Sont électeurs les hommes âgés de plus
léoniennes, civiles et militaires, de 30 ans, payant plus de 300 francs de contri-
n conserve la Légion d’honneur ; bution ; sont éligibles les hommes de plus
noblesse d’Empire est confirmée de 40 ans, payant au moins 1 000 francs
CCI/COLL DAGLI ORTI
ns ses titres et, dans la mesure d’impôt. Au total, moins de 100 000 élec-
elles se trouvent dans la France teurs et 16 000 éligibles. Il reste que les deux
assemblées profitent d’un pouvoir effectif Alliés, déjà en veillée d’armes. On connaît UNE RÉPRESSION
de contrôle et de sanction des ministres ; la suite… Trois semaines après la défaite SANGLANTE
elles votent l’impôt et peuvent présenter napoléonienne de Waterloo, Louis XVIII Rallié à Louis XVIII
en 1814, le maréchal
des projets de loi. Autant de concessions qui rentre en France, « dans les fourgons de Ney passe de nouveau
ulcèrent les ultraroyalistes, sans pour autant l’ennemi », diront ses détracteurs. dans le camp
rassurer les élites bourgeoises. Son premier geste est de former un nou- napoléonien lors des
veau ministère où se côtoient les transfuges Cent-Jours. Condamné
La Terreur blanche s’installe de l’Empire – Talleyrand, Fouché, Gouvion- pour trahison envers
le roi, il est fusillé
La première année du règne montre un pou- Saint-Cyr, le baron Louis – et des proches le 7 décembre 1815,
voir hésitant et mal affirmé, pris souvent du roi tel Élie Decazes. Fils d’un notaire de comme le montre
à partie par la fraction ultra, intraitable sur Libourne, ce dernier est un favori à l’ancienne, ce tableau de Jean
ses exigences qu’elle justifie par deux décen- chéri par Louis XVIII qui l’appelle « mon Léon Gérôme. Huile
sur toile, 1868. Graves
nies d’exil synonymes de pauvreté et de fils ». Arriviste et pragmatique, il ne chu- Gallery, Sheffield.
spoliation. À l’autre bord, l’armée, réduite tera qu’après l’assassinat du duc de Berry,
à peu, est « dégraissée » d’hommes mis en le 13 février 1820.
congé illimité, d’officiers de l’Empire en Après le ministère, le corps législatif, que
demi-solde qui répandent leur aigreur dans le roi voudrait docile. C’est chose aisée pour
la société civile. Aussi la Restauration va- la Chambre haute, il suffit d’une fournée de
t-elle hoqueter, moins par ses maladresses pairs ; des élections anticipées amènent une
RMN-GRAND PALAIS/AGENCE BULLOZ
que par l’effet du dernier coup de dés tenté écrasante majorité de royalistes ultras. Une
par Napoléon. Débarqué à Golfe-Juan le Chambre qualifiée d’« introuvable », qui ne
1er mars 1815, il s’installe aux Tuileries vingt risque pas d’apaiser les esprits. Car il faut
jours plus tard. Quant à Louis XVIII, il gagne éteindre les désordres d’une Terreur blanche
Gand pour se placer sous la protection des qui s’acharne sur les partisans de Napoléon.
CHAISE, ÉBÉNISTE
ANONYME. VERS 1830.
DOMAINE DÉPARTEMENTAL
DE LA VALLÉE-AUX-LOUPS –
MAISON DE CHATEAUBRIAND,
CHÂTENAY MALABRY
LES SCYTHES
Pour les Grecs, ils étaient le modèle du « Barbare ».
Ces cavaliers nomades se taillèrent un vaste
royaume au nord de la mer Noire. Ils effrayèrent
et fascinèrent leurs contemporains.
JAIME ALVAR
PROFESSEUR D’HISTOIRE ANCIENNE
UNIVERSITÉ CARLOS III DE MADRID
lga
Vo
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Dnie
Sarmates
Don
Grande Scythie
SOLOKHA
TCHERTOMLYK TOLSTAÏA MOGUILA
Cimmériens
Crimée KOUL-OBA
KELERMÈS
Me
Mer Noire Cauca
rC
Sinope se
asp
Byzance
ienne
Ninive
Assyrie
Sidon
Tyr
Jérusalem Babylone Persépolis
Me
d’Arabie
Nil
rR
ou
À
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LA VIE DANS la fin du VIe siècle av.J.-C.,quand
LA STEPPE CARTE : EOSGIS.COM
les Grecs traversent le Bosphore
Les Scythes
s’établirent sur un
pour établir des colonies sur la
immense territoire côte septentrionale de la mer
dans la steppe russe, Noire, ils rencontrent un mys-
allant des monts térieux peuple de guerriers nomades qui oc-
Altaï jusqu’à la mer cupe les steppes de l’actuelle Ukraine et du « civilisé ».Des « Barbares » qui ont cependant
Noire. Cavaliers
remarquables, ils sud de la Russie. Les écrivains grecs, notam- su défier les plus grands empires mésopota-
vivaient dans des ment l’historien Hérodote, ont recueilli de miens et créer un État complexe,une puissante
tentes semblables nombreuses histoires à propos de ces hommes monarchie qui jouera un rôle historique im-
aux yourtes des « aux yeux bleus et aux cheveux couleur de portant jusqu’à son déclin et sa disparition
Mongols nomades
feu », cavaliers invincibles, virtuoses du ma- au IIe siècle av. J.-C.
actuels (ci-dessus).
niement de l’arc et aux coutumes aussi si- Hérodote avait recueilli en son temps un
nistres que celles consistant à boire le sang récit sur l’origine des Scythes qui était, semble-
du premier ennemi abattu et à collecter les t-il, répandu au Ve siècle av. J.-C. Les Scythes
têtes de leurs rivaux morts pour les offrir à racontaient que sur une terre autrefois déserte
leur roi. C’est en se fondant sur des informa- étaitnéle premier homme, Targitaos, de l’union
tions de cette sorte que les Grecs firent des de Zeus et de la fille du fleuve Borysthène,
Scythes le modèle du peuple « barbare », en ancien nom du Dniepr. Targitaos eut trois
tous points opposé à leur propre mode de vie fils : Lipoxaïs, Arpoxaïs et Coloxaïs. À la mort
VAILLANTS
qui menaçaient l’Empire sous Scythes émigrent dans la région
le règne d’Assarhaddon. du Caucase et de la mer Noire.
AR
TA
RC
HIV
E
S. 150 AV. J.-C. MUSÉE D’HISTOIRE DE CRIMÉE, SIMFEROPOL.
46 HISTOIRE & CIVILISATIONS
GRANDE SCYTHIE Royaumes
Cimmériens Peuples
Région sous
Issedones influence scythe L’ÉNIGME DES ORIGINES
l
ïka
Nécropoles de kourganes
Ba
ARZHAN Lac
TUEKTA
LA TRAVERSÉE
BACHADAR
PAZYRYK
D’UN CONTINENT
Saces ach M Mongols
Balkh
L’
onts origine exacte des Scythes est le sujet
Lac A lt a ï
Mer
Massagètes d’une grande controverse parmi les
d’Aral scientifiques. Certains chercheurs les
Huns considèrent comme les descendants
Shan Dé de la culture de Srubnaya, également connue
n ser
Samarcande ia t d sous le nom de « culture des tombeaux de
T e Gobi bois », un ensemble de communautés originaires
ne
Jau
de la région de la Volga qui, à l’âge du bronze,
ve
eu
Gandhara se déplacent dans un espace géographique
Yuezhi
Fl
Perse coïncidant en partie avec celui des Scythes
Chine au nord de la mer Noire. D’autres auteurs, en
Saces Kaboul Taxila revanche, pensent que leur foyer d’origine se
Indus
de leur père, ceux-ci régnèrent ensemble, chercheurs actuels, cette histoire serait une LES ARCHERS
jusqu’au jour où des objets en or tombèrent métaphore de l’organisation de la société en SCYTHES
du ciel : une charrue, un joug, une coupe et trois ordres, caractéristique des peuples Cet archer tirant
une flèche de son
une hache à double tranchant. Lorsque les indo-européens, c’est-à-dire une société carquois porte
deux aînés tentèrent de les saisir, l’or devient constituée d’une classe se consacrant à la prière un vêtement typique,
rouge et incandescent, et ils furent contraints (symbolisée par la coupe), une autre à la guerre composé d’un long
d’y renoncer. Mais le cadet réussit à s’en em- (incarnée par la hache) et la troisième dévolue pantalon et d’un
capuchon pointu.
parer et les emporta chez lui, de sorte que les au travail de la terre (représenté par la charrue
V tti (dét il)
deux autres frères se mirent d’accord pour et le joug). On sait aujourd’hui que, sur le plan
lui confier le royaume. ethnique et linguistique, les Scythes étaient
Le récit est évidemment un mythe sans des Indo-Européens appartenant au groupe
fondement historique réel, mais qui renferme nord-iranien, et apparentés aux autres peuples
peut-être une clé permettant de comprendre nomades d’Asie comme les Sarmates, les
l’origine du peuple scythe. Selon certains Massagètes et les Saces.
Le cavalier et la déesse
alement expulsés par les Mèdes. L’histo- En contrepartie,quelques artisans grecs com-
n grec raconte même qu’à leur retour les mencent à travailler pour les Scythes, créant
BRIDGEMAN / ACI
LE SACRIFICE DES PRISONNIERS BATAILLE ENTRE GRECS
ET BARBARES SUR LE
FOURREAU D’UNE ÉPÉE.
DÉTAIL. VE SIÈCLE AV. J.-C.
DES COUTUMES MUSÉE DE L’ERMITAGE,
SAINT-PÉTERSBOURG.
SANGLANTES
L
es Scythes vénéraient la Grande Déesse
Mère, les phénomènes naturels et les
tombes de leurs ancêtres. Ils n’érigeaient
ni statues de dieux, ni autels, ni temples,
sauf pour le dieu de la Guerre, qui avait droit
à un sanctuaire collectif où toutes les tribus
apportaient des offrandes annuelles. Un pri-
sonnier de guerre était choisi parmi dix autres,
puis immolé selon le rituel suivant : on lui versait
du vin sur la tête, on l’égorgeait au-dessus d’un
récipient, et le sang se répandait sur l’épée
symbolisant le dieu de la Guerre. On lui coupait
ensuite l’épaule et le bras droit, que l’on jetait
en l’air. Hérodote parle aussi d’une méthode
DAGLI ORTI / ART ARCHIVE
LA FABRICATION
DU LAIT
H
érodote raconte que les Scythes
aveuglaient les esclaves chargés
de fabriquer le lait, leur boisson ha-
bituelle. Pour la traite, ils utilisaient
des tubes en os ressemblant à des flûtes, qu’ils
introduisaient dans le vagin des juments pour
y souffler de l’air. Pendant que les uns soufflaient,
les autres trayaient. Ils s’assuraient que l’air
faisait gonfler les veines de la jument et dilatait
les mamelles. Lorsque la jument était traite, ils
versaient le lait dans de grands récipients en
bois et plaçaient les aveugles devant pour qu’ils
le barattent. Ils recueillaient ensuite la subs-
tance formée en surface, qu’ils considéraient
comme de meilleure qualité. Certains peuples
africains usent encore de cette technique pour
augmenter la lactation, comme les Massaïs, qui
titillent leurs vaches avec la bouche et la langue
pour qu’elles donnent plus de lait. En revanche,
la raison pour laquelle les esclaves des Scythes
devaient être aveugles pour effectuer ce travail
n’est pas éclaircie par Hérodote.
L’apogée de l’expansion scythe a lieu au des sources classiques, jusqu’à ce que leur GUERRIERS
milieu du IVe siècle av. J.-C., sous le règne piste se perde, parallèlement à la montée en ET ÉLEVEURS
d’Ateas. D’après l’historien Strabon, le roi, puissance des Gaulois et des Sarmates. La partie supérieure
de ce pectoral
galvanisé par son succès politique, rassemble Pourtant, certains renseignements per- en or découvert
toutes les tribus sous son commandement mettent de rêver à une fin légendaire du peuple à Tolstaïa Moguila
et recherche la gloire militaire en étendant son scythe, qui aurait su s’adapter à un nouveau montre des scènes
royaume jusqu’au Danube. Mais Philippe II territoire. En effet, à la fin du IIe siècle av. J.-C., de la vie quotidienne
de Macédoine, s’opposant à son avancée, le un groupe de tribus émigra vers la Bactriane, comme la traite des
brebis et le travail
vainc lors d’une bataille à proximité du fleuve, la Sogdiane et l’Arachosie, satrapies les plus du cuir et de la laine.
au cours de laquelle meurt Ateas. Cependant, orientales du vieil Empire perse. Ces popu- IVe siècle av. J.-C.
quelques années plus tard, les Scythes re- lations étaient menées par Maues, dont l’ex- Musée de l’Ermitage,
pousseront une campagne punitive envoyée ploit surpasse celui d’Alexandre le Grand, Saint-Pétersbourg.
par Alexandre le Grand, tuant son général. puisqu’après avoir traversé l’Indus, à l’instar
Le déclin du royaume scythe commence au du Macédonien, il arriva au Cachemire et au
IIe siècle av. J.-C. Les Celtes occupent alors la Pendjab. C’est là que s’installèrent les derniers
région des Balkans, tandis que les cavaliers Scythes vers l’an 85 av. J.- C. Après quoi l’on
sarmates maraudent dans les territoires du n’entendit plus jamais parler d’eux.
sud de la Russie, dont ils finissent par se rendre
maîtres. Les rois scythes Scilur et Palac auront
encore le courage d’affronter Mithridate VI Pour ESSAIS
le Grand au Ier siècle av. J.-C., pour contrôler en L’Or des rois scythes
Catalogue d’exposition, RMN, 2001.
le littoral de Crimée et d’autres régions de la savoir
La Redécouverte de l’or des Scythes.
plus Histoires de kourganes
mer Noire. Mais les informations concernant V. Schiltz, Gallimard, 2001.
les Scythes disparaissent progressivement
/ AC I
Koul-Oba, construit entre 400 et 350 av. J
MAN
DGE
sans doute par des artisans grecs. À l’intér
BRI
se trouvait le corps d’un homme reposant s
un lit en bois, avec à sa gauche un sarcopha
en bois de cyprès contenant les restes
d’une femme, peut-être son épouse ou une
L’art de soigner
concubine. Dans la tombe gisait également Ce vase en électrum (un alliage
la dépouille d’un esclave. Le mobilier funéraire d’or et d’argent) se trouvait au
se composait de joyaux de valeur, d’objets en pied de la dépouille de la femme.
Il est orné de scènes de la vie
or et en argent et de vases de facture grecque, quotidienne. Sur l’illustration
réalisés pour ce prince scythe et illustrant ci-dessus, on voit un homme
le mode de vie de ces cavaliers des steppes. bandant la jambe d’un blessé.
L’illustration ci-dessous montre
une extraction de dents. On
pense que les Scythes avaient
développé des techniques de
chirurgie dentaire grâce à leurs
contacts avec la médecine
hippocratique grecque.
VASE EN ÉLECTRUM. IVE SIÈCLE AV. J.-C.
MUSÉE DE L’ERMITAGE, SAINT-PÉTERSBOURG.
WOJTEK BUSS / AGE FOTOSTOCK
/ AC I
MAN
DGE
ICI, LE KOURGANE TSARSKY, UN GRAND TUMULUS ROYAL QUI FUT PILLÉ DANS L’ANTIQUITÉ.
/ GTRES
FORMAN
WERNER
Cavalier au galop
Les Scythes fabriquaient de petites plaques en or Visage divin
avec des scènes minutieusement gravées, dont Une paire de boucles
ils ornaient leurs vêtements. Celle-ci représente d’oreilles en or encadrait
D’habiles archers
Cette petite plaque en or montre deux archers tirant
leurs flèches dans des directions opposées. Même si les
Scythes préféraient combattre à cheval, ils disposaient
aussi de troupes d’infanterie légère armées d’arcs.
ARCHERS SCYTHES. IVE SIÈCLE AV. J.-C. MUSÉE DE L’ERMITAGE, SAINT-PÉTERSBOURG.
BRIDGEMAN / ACI
Le serment de fraternité
Les nomades des steppes avaient pour coutume
BRIDGEMAN / ACI
ABBÈS ZOUACHE
HISTORIEN, CHERCHEUR AU CNRS (CIHAM - UMR 5648, LYON)
SALADIN CONTRE LES CROISÉS
Épique et tragique, la prise de Jérusalem en
1187 a inspiré Alexandre Évariste Fragonard :
le sultan déferle au centre du tableau dans
une vision grandiose. Huile sur toile, vers
1830-1850. Musée des Beaux-Arts, Quimper.
MUSÉE DES BEAUX-ARTS, QUIMPER / BRIDGEMAN IMAGES
L e 15 juillet 1099, à l’issue de la première croisade lancée
pour reconquérir les Lieux saints, les Francs s’étaient em-
parés de Jérusalem dans le sang. Les musulmans, désunis,
n’avaient pu leur résister. Il leur fallut quelques décennies
pour se ressaisir. En 1154, un prince turc, Nur al-Din Ibn Zangi, réus-
sit à unifier l’ensemble de la Syrie musulmane. Soucieux de son
image et désireux de se gagner les masses arabes, il mit en œuvre une
intense propagande le présentant comme Bien vite, Saladin comprit que, pour susciter
l’étendard du djihad. Si Nur al-Din, occupé à l’adhésion de ses sujets, il avait tout intérêt à
consolider et à étendre ses territoires, n’atta- se présenter comme le défenseur de l’islam
qua pas Jérusalem, il en fit en revanche l’un des et des musulmans. Comme Nur al-Din avant
axes de sa propagande. Il fit même construire lui, il fit de Jérusalem l’un des axes de sa pro-
à Alep un minbar (chaire à prêcher) destiné à pagande. Dans quelle mesure son djihad était
être installé dans la mosquée al-Aqsa lorsqu’il sincère, il est difficile de le savoir : les sources
s’emparerait de la ville. sont trop orientées pour pouvoir affirmer quoi
À la mort de Nur al-Din en 1174, l’un de que ce soit. Toujours est-il que dès 1175 il sou-
ses officiers nommé Saladin s’affirma rapide- tint, pour justifier ses campagnes contre les
ment comme son successeur. Il contrôlait déjà descendants du souverain défunt, que réunir
l’Égypte, où il avait été envoyé aux côtés de la Syrie sous son autorité était une nécessité,
son oncle Chirkuh par Nur al-Din lui-même. lui qui souhaitait conquérir Jérusalem. Mais
Il entreprit de déposséder les descendants de il ne l’attaqua qu’en 1187.
ce dernier de leurs États. En moins de dix ans,
il créa un immense empire, qui réunissait en Les Francs rompent la trève
particulier l’Égypte et la Syrie. Ses ennemis musulmans ne représentaient
A priori, rien ne prédisposait Saladin, qui plus une menace : même les descendants de
était kurde, à un tel destin. Il avait reçu une Nur al-Din, les Zangides de Djézireh, recon-
éducation digne du guerrier de haut rang que naissaient sa suzeraineté. Quant aux Francs,
l’on aspirait qu’il fût. À en croire ses biographes ils avaient perdu de leur superbe. Depuis la
et thuriféraires, qui le dépeignent comme un mort du roi Amaury Ier en 1174, ils étaient affai-
souverain idéal, c’était un cavalier émérite et blis. Certes, Baudouin IV (1174-1185) fut un roi
un guerrier complet, courageux et endurant, vaillant, mais il souffrait de la lèpre. L’autorité
mais aussi un lettré, féru de poésie arabe. Un royale était fragilisée. Le royaume était affaibli
homme de religion, venu de Téhéran, avait par des luttes de factions : les Hospitaliers et
été chargé d’en faire un bon les Templiers s’affirmaient comme des acteurs
musulman, pieux et res- puissants sans lesquels nulle décision ne pou-
pectueux de l’ortho- vait être prise. Enfin, Baudouin V, le fils du roi
doxie sunnite. lépreux, ne survécut pas longtemps à son père.
FL
A,
OR
EN
CE DIRHAM D’ARGENT FRAPPÉ PAR SALADIN. BRITISH MUSEUM, LONDRES.
56 HISTOIRE & CIVILISATIONS
C H R O N O LO G I E
LE HÉROS
PROCLAMÉ
DE L’ISLAM
1099
Le 15 juillet, les
combattants de
la première croisade
prennent Jérusalem
aux musulmans.
1169
À la mort de son oncle,
Saladin est nommé vizir et
chef de l’armée d’Égypte. Il
s’affirme rapidement comme
le successeur de Nur al-Din.
1177
En route vers laTerre sainte,
Saladin lance des razzias
contre les Francs. Mais il
est vaincu par Baudouin IV
à la bataille de Montgisard.
1182
Le chevalier Renaud
de Châtillon massacre
des marchands qui
se rendent à La Mecque.
Saladin jure vengeance.
1187
En juillet, les croisés
sont vaincus par Saladin
à la bataille de Hattin.
En octobre, ses troupes
entrent dans Jérusalem.
TOMBEAU DU SULTAN
En 1174, Saladin occupe Damas,
E. LESSING / ALBUM
Eu
ph
Alexandrie ra
te DE SALADIN
Waddan Jérusalem
Une fois devenu
Le Caire sultan d’Égypte en
1171, Saladin étend
ÉGY PTE sa domination sur
Koush Médine le nord de l’Afrique,
l’Arabie et la Syrie.
M
Qasr Ibrim La Mecque L’APPEL
ER
À LA GUERRE
Nil
R
En Égypte,
O
U
Saladin proclame
G
E
la guerre sainte
pour reprendre
Progression de Saladin Sanaa Jérusalem. Vue
Possessions de Saladin en 1193 de la mosquée
d’Ibn Tulun, la plus
ancienne du Caire.
CARTE : EOSGIS.COM
EN
OR
CE
RICHARD IER, SUR UN CARREAU DE FAÏENCE DE L’ABBAYE ANGLAISE DE CHERTSEY. XIIIE SIÈCLE. BRITISH MUSEUM,
LONDRES.
58 HISTOIRE & CIVILISATIONS
SALADIN ET LE GRAAL
LA SAINTE
RELIQUE
GUÉRISSEUSE
Le calice de la Cène
est la relique la plus
précieuse de la chrétienté
médiévale. Diverses traditions
considèrent comme
authentiques chacune des
dizaines de coupes réparties
dans toute l’Europe : en Italie,
en Espagne, au pays de Galles,
en Angleterre, en France…
Un document
en arabe, dont une copie
du XIVe siècle se trouve
à la bibliothèque de
l’université d’al-Azhar
au Caire, rattache Saladin
au Saint Graal. Afin de guérir
la maladie dont souffrait
sa fille, le chef de l’islam
sollicita l’utilisation, en guise
de talisman, d’un fragment
de l’un de ces nombreux
« Graals », envoyé un siècle
plus tôt au Caire. Il s’agit
probablement d’un morceau
du « calice de Doña Urraca »,
offert par le souverain
musulman de la taifa de Dénia
à Ferdinand Ier de León au
XIe siècle, et conservé alors
à la collégiale de San Isidoro
de León, en Espagne.
Le morceau de pierre
aurait été posé sur le corps
de la jeune fille, rapidement
guérie. En remerciement,
Saladin ordonna que ce
fragment, aujourd’hui perdu,
soit conservé à la maison
du Trésor de Damas.
CHUTE DE
LA VILLE SAINTE
Cette miniature de
La Perte de la Sainte
Croix, de Vincent
de Beauvais,
montre la prise
de Jérusalem.
Musée Condé,
Chantilly.
LE MONT
DU TEMPLE
Après la prise de
Jérusalem en 1187,
Saladin aurait
purifié avec de l’eau
de rose le Dôme
du Rocher, visible ici
au-dessus du Mur
des lamentations.
BRIDGEMAN / ACI
paravant ? Fut-il impressionné par la ténacité sième ville sainte de l’islam resta pendant des
de Balian, qui menaçait de massacrer les mil- siècles aux musulmans.
liersdeprisonniersmusulmansenfermésdans
lavilleetdedétruireleslieuxsaintsdel’islam,
la mosquée al-Aqsa et le Dôme du Rocher ? Pour ESSAIS
« Saladin, l’histoire, la légende »
Toujoursest-ilquecommesouventenOrient, en A. Zouache, in Le Bilãd al-Šãm face
où les hommes de guerre et de pouvoir préfé- savoir aux mondes extérieurs. La perception
plus de l’autre et la représentation du souverain.
raient s’emparer d’unecité qu’ils assiégeaient D. Aigle (dir.), Ifpo, 2012.
Saladin
par la négociation plutôt que par la force,il ac- A.-M. Eddé, Flammarion, 2012.
ceptadenégocier.Ons’accordale2octobre.Les Croisades et croisés au Moyen Âge
A. Demurger, Flammarion, 2010.
Francs pouvant payer dix dinars par homme,
SALADIN,
UN VAINQUEUR
MAGNANIME
La mansuétude
de Saladin envers les chrétiens
vaincus a été manifeste après
la conquête de Jérusalem.
Le sultan avait fixé une rançon
pour les chrétiens de la ville :
dix dinars par homme, cinq
par femme et un par enfant.
Pour de nombreuses familles,
cela représentait les revenus
d’une ou deux années.
VÉNÉRÉ
Selon les chroniqueurs arabes,
Saladin entra avec solennité dans
la ville reconquise. Il n’y eut ni pillages
PAR L’ISLAM
ni représailles. Le sultan refusa
de détruire l’église du Saint-Sépulcre,
comme l’exigeaient certains de ses
compagnons. Entouré d’une grande
La mosquée al-Aqsa et le Dôme du Rocher, foule, il monta à l’esplanade du
les deux sanctuaires qui se dressent Temple, où se dressent la mosquée
BRIDGEMAN / ACI
sur les hauteurs de l’esplanade du Temple al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Il pleura, pria et se prosterna
dans les deux sanctuaires. Après avoir purifié les murs des
à Jérusalem, constituent le troisième lieu mosquées avec de l’eau de rose, Saladin assista à un long
sacré de l’islam. Le Dôme est très sermon prononcé par un imam qui pria les soldats de
important, car selon la tradition le prophète ne pas se laisser emporter par la vanité, car la victoire était
Mahomet est monté aux cieux due à la main de Dieu et non à leur courage. La cérémonie
se termina par une prière pour la vie de Saladin.
accompagné de l’archange Gabriel depuis
le rocher qui se trouve à l’intérieur.
LA LITHOGRAPHIE CI-DESSUS MONTRE, EN HAUT, UNE SECTION DE LA MOSQUÉE
AL-AQSA ET, EN BAS, LE DÔME DU ROCHER. XIXE SIÈCLE. COLLECTION PRIVÉE.
LE TAMBOUR
La partie extérieure du tambour
circulaire qui soutient le dôme
est couverte de céramiques, dont
certaines reproduisent sur deux
bandes des passages du Coran.
LE DÉCOR EXTÉRIEUR
Chacune des huit faces
de l’édifice est revêtue dans
sa partie inférieure de marbre
blanc et de céramiques de
couleur. Les fenêtres de la partie
supérieure sont fermées par
ras
ole.
DK IMAGES
LE GRAND CANAL TRAVERSANT SUZHOU
Cette peinture de 1770 illustre le voyage
d’inspection effectué par l’empereur Qianlong
sur le Grand Canal dans les provinces du Sud.
Metropolitan Museum, New York.
C
inq siècles au moins avant notre ère, hommes d’État
et ingénieurs chinois avaient conscience que le
transport par voie d’eau était plus efficace et moins
coûteux que le transport terrestre. Si ce constat
était partagé par toutes les grandes civilisations,
les Chinois eurent la particularité de concevoir et de réaliser
une voie d’eau artificielle reliant leur capitale à des régions très
éloignées en évitant les dangers et les remous qui ponctuaient
le cours des grands fleuves. Ainsi naquit le Grand Canal, qui
traverse depuis le VIIe siècle apr. J.-C. la Chine du nord au sud
sur presque 1 800 kilomètres. Malgré un coût de construction
et d’entretien très élevé, il permit de diminuer sensiblement
le prix du trafic de lourdes marchandises dans tout l’Empire,
OCK
comme le feraient les trains en Europe douze siècles plus tard. DEA / AG
E FOTOST
YANGDI
NAVIGUANT
SUR LE CANAL
Yangdi, second
empereur
de la dynastie
Sui, acheva
le premier tracé
du Grand Canal
au VIIe siècle.
Peinture sur
soie. XVIIe siècle.
Bibliothèque
nationale, Paris.
BRIDGEMAN / ACI
Le creusement du Grand Canal résulte de (qui étaient recouvrés sous forme de grains
plusieurs facteurs. L’un est géographique : si dans le Sud), les troupes et les marchandises.
les grands fleuves de Chine coulent d’ouest Même si quelques canaux locaux impor-
en est, la nature n’offre en revanche aucune tants avaient déjà été creusés, c’est à Yangdi,
communication entre le Nord et le Sud. La second et dernier empereur de la dynastie
Chine disposait par ailleurs d’ingénieurs Sui, que revient le mérite de créer, au début
hydrauliques très compétents qui, travail- du VIIe siècle, le premier système de transport
lant depuis des temps immémoriaux sur par voie d’eau à l’échelle de l’Empire.
le fleuve Jaune, avaient appris à creuser des Le Grand Canal sui, qui raccordait déjà plu-
canaux d’irrigation et à concevoir des sys- sieurs fleuves et canaux existants, entraîna
tèmes pour contenir les fréquentes inon- la fondation de nouveaux grands tronçons.
BEST VIEW STOCK / AGE FOTOSTOCK
la cité que Marco Polo appellerait « Kinsay » du voyage et de prier pour le respect des délais
allait fasciner l’Europe pendant des siècles. obligatoires exigés par le transport officiel ;
Le Grand Canal sui est creusé grâce au travail leurs silhouettes grises jalonnent aujourd’hui
annuel obligatoire. Selon le Livre des Sui (le encore le tracé du Grand Canal.
tome des Vingt-Quatre Histoires consacré Quelques années après la réalisation du pre-
à cette dynastie), la réalisation du premier mier tronçon en direction du sud, le Grand
tronçon mobilisa plus d’un million d’ouvriers. Canal est prolongé vers la frontière nord afin
de faciliter le transport des troupes en Corée,
Un canal blâmé par les intellectuels pays que Yangdi tente d’envahir à plusieurs
Le nouveau canal était bordé d’un chemin reprises. Pour réaliser cette section, la plus
empierré pour faciliter l’éventuel halage longue du Grand Canal sui, les femmes sont
de bateaux et par d’interminables rangées mobilisées pour les travaux obligatoires, une
d’arbres, surtout des saules, qui en affermis- mesure alors inédite. Mais les campagnes me-
saient le lit. De nombreux ponts aux arches nées par Yangdi contre la Corée se concluent
hautes permettaient le passage des bateaux par un désastre qui précipite la chute de l’em-
à mâts, tandis que les berges présentaient un pereur ainsi que celle de la dynastie des Sui.
li t i é lier de bâtiments destinés Les historiens confucéens ont blâmé Yangdi
s et à entreposer les ma- pour les dépenses induites par la construction
ils servant à draguer le lit du Grand Canal et de Luoyang, la nouvelle ca-
me sur toute grande voie pitale. Le Livre des Sui critique avec acerbité les
merciale chinoise, des coûts occasionnés par les luxueuses embarca-
pagodes sont rapide- tions impériales et leurs escortes, les longues
ment édifiées afin de files de bateaux manœuvrés par des eunuques,
ERIC GREGORI POWELL / GETTY IMAGES
rendre grâce aux dieux ainsi que les amendes infligées aux populations
pour le bon déroulement qui devaient assurer l’approvisionnement et
l’entretien du canal et de tous ces bateaux.
STATUETTE D’HOMME MONTÉ SUR Ils avaient probablement raison, même s’il
UN CHAMEAU. TERRE CUITE. DYNASTIE
TANG. VIIE SIÈCLE. MUSÉE GUIMET, PARIS. convient de rappeler que ces historiens, sous
DEA / SC
ALA , FL
ORENCE
LE TRACÉ
DU GRAND CANAL
Pendant des siècles, le pouvoir des empereurs fut lié au
contrôle qu’ils exerçaient sur le canal, creusé pour raccorder
les régions productrices de riz de la baie du Yangzi Jiang,
au sud, avec les capitales impériales du Nord, au-delà du
fleuve Jaune. Les soldats organisaient une bonne partie du
transport du riz par cette voie d’eau sur laquelle circulaient de
nombreux produits, vivres, bois, tissus, laques et porcelaines.
« GRAND CANAL » EN CHINOIS TRADITIONNEL
La barque-dragon
En 1751, l’empereur Qianlong part
en tournée d’inspection sur le canal.
Sa visite est fêtée par des régates
et de nombreuses réjouissances.
Les maîtres
d’ouvrage L’empereur L’empereur
Yangdi Qubilaï Khan
DÉBUT DES TRAVAUX RÉHABILITATION DU CANAL
605 1279-1293
nal
scènes illustrent l’intérêt qu’il portait au canal et
Ca
aux monuments historiques comme le temple
bouddhiste de la Colline du Tigre.
d
an
r
G
D’une rive à l’autre
La suite de Qianlong
naviguant sur
le canal à Dezhou,
un important centre
de stockage du riz.
1 524 m
Huai He
L’empereur
Qianlong
ÂGE D’OR
1368-1855
Temple bouddhiste
de la Colline du Tigre
La dynastie Qing, dernière des dynasties
impériales chinoises, accède au pouvoir
en 1644 et hérite d’un canal qui a été amplifié ALEJANDRO TUMAS, AMANDA
HOBBS, MARGUERITE B. HUNSIKER
et remodelé par la dynastie Ming au cours des ILLUSTRATIONS : JORGE PORTAZ,
INSPIRÉES DES ROULEAUX DE XU
trois siècles précédents. L’empereur Qianlong YANG, METROPOLITAN MUSEUM OF
ART DE NEW YORK ET COLLECTION
effectue six visites d’inspection, dont la première D’ART MACTAGGART, UNIVERSITY
OF ALBERTA MUSEUMS.
CALLIGRAPHIE : FU CHUN.
en 1751, ce qui souligne l’importance politique EMPEREURS (DE GAUCHE À
DROITE) : COLLECTION BURSTEIN,
et économique du canal. Vers 1855, l’impétueux CORBIS ; FOTOSEARCH, GETTY
IMAGES ; RMN-GRAND PALAIS / ART
fleuve Jaune a changé de cours et a dévasté des RESOURCE, NY. SOURCES : PETER K.
BOL, UNIVERSITÉ DE HARVARD ;
tronçons du canal, affaiblissant par conséquent RUTH MOSTERN, UNIVERSITÉ DE
CALIFORNIE À MERCED ; XU LIYAN
le pouvoir économique et politique de la dynastie.
HISTOIRE & CIVILISATIONS 71
VERS LE PONT
QINGMING
À Wuxi, dans
la province du
Jiangsu, le Grand
Canal a conservé
l’apparence qu’il
avait à l’époque de
sa splendeur, sous
la dynastie Ming.
La ville est célèbre
pour le pont qui
se trouve à l’arrière-
plan de cette photo.
H. P. HUBER / FOTOTECA 9X12
l’influence du confucianisme, voyaient d’un est ouverte, qui évite le tronçon vers Luoyang
mauvais œil tout renforcement du pouvoir et frôle la péninsule du Shandong, réduisant
central et réprouvaient les campagnes mili- la distance initiale de 2 500 kilomètres aux
tairesàl’étranger.Quiplusest,laprospéritéde 1 770 kilomètres actuels.Cette fois-ci,cepen-
la dynastie postérieure des Tang est en grande dant,il faut creuser des montagnes et franchir
partie due au Grand Canal,un héritage qu’elle des dénivellations de presque 50 mètres entre
améliora, même si l’abandon du projet d’in- le Grand Canal et les cours d’eau adjacents.
vasion de la Corée entraîna la dégradation de Marco Polo, qui voyage en Chine sous la
BRIDGEMAN / ACI
Dans la mesure où Yongle avait patronné la les biens privés.Le Grand Canal permet ainsi
création d’une immense flotte dirigée par le commerce privé entre la Chine du Nord et
l’amiralZhengHeetquisillonnaitalorsl’océan celle du Centre, et dynamise l’apparition de
Indien, il aurait été logique qu’il choisisse la réseaux commerciaux au cœur de l’Empire.
voiemaritimepourrelierlenordausuddeson À la fin du XVIIIe siècle commence pour le
Empire. Mais les fonctionnaires confucéens, Grand Canal un déclin inéluctable, favorisé
quihuitsièclesauparavantavaienttantfustigé notamment par la corruption généralisée
le Grand Canal, s’opposèrent à cette voie, qui des fonctionnaires chargés de son entretien.
bénéficierait avant tout aux régions côtières Au milieu du XIXe siècle, à partir des guerres
du Sud et échapperait à leur contrôle. Ainsi, de l’Opium, le commerce se détourne vers
lorsque la section nord du Grand Canal fut la mer, sous l’influence de la présence euro-
de nouveau exploitable en 1415, le transport péenne qui s’installe dans l’Empire. La partie
maritime reliant le Sud à la capitale cessa dé- la plus septentrionale du tronçon nord pâtit
finitivement.Cela entraîna la disparition des en outre d’une importante accumulation de
grands bateaux des dynasties Song et Yuan au sédiments,tandisquelechemindeferdevient
profitd’autresbateaux,pluspetitsetplusaisés un concurrent redoutable.En dépit de tout,le
à manier sur le canal et les fleuves : ceux que Grand Canal, réhabilité par le gouvernement
les Européens voient à leur arrivée en Chine durant les décennies de 1950 et 1980, reste
au XVIe siècle,et que les missionnaires Martin aujourd’hui encore une artère économique
CHRISTIAN KOBER / AWL IMAGES
de Rada et Matteo Ricci méprisent pour leur importante de la Chine, inscrite en 2014 sur
« mauvaise facture ». la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Le Grand Canal devient une voie navigable
employée non seulement par les bateaux de
l’administration,maiségalementpardesmar-
chands privés. Ce que confirme l’établisse- Pour INTERNET
Site de l’Unesco
ment, à partir de 1429, de six péages entre en whc.unesco.org/fr/list/
savoir
Pékin et Nankin, où est contrôlé le transit de plus
l’impôt en grains et où sont également taxés
L
En l’an 16 de son règne (1751), l’empereur a grande embarcation de l’impératrice Xiao
Qianlong, de la dynastie Qing, effectue Sheng Xian, mère de Qianlong , ornée du dra-
peau impérial sur lequel ondoie le dragon ,
dans les provinces du sud des régions du navigue sur le Grand Canal et entre dans la ville de
Jiangsu et du Zhejiang l’une des six tournées Suzhou. Les fonctionnaires de l’Empire et de nom-
d’inspection qu’il réalisa. En 1770, l’empereur breuses dames de la noblesse , vêtues de leurs plus
ordonne au peintre de la Cour, Xu Yang, beaux atours, s’agenouillent sur les berges au passage
du cortège impérial. Pour éviter que le bas peuple puisse
d’immortaliser ces voyages sur douze grands voir les dames ou l’impératrice, des hommes élèvent
rouleaux de soie. des tentures pour délimiter l’espace . Plus loin, des
DE L’EAU
de Pékin à Hangzhou pour recevoir les hommages de leurs sujets.
LA RÉVOLUTION
DES GRACQUES
Considérés comme de dangereux révolutionnaires
par les oligarques à la tête de la République romaine, Tiberius
et Caius Gracchus paieront de leur vie leurs tentatives
pour réformer, en faveur des citoyens démunis, un État corrompu.
C H R O N O LO G I E
Deux frères
contre
le Sénat
134 av. J.-C.
Tiberius Sempronius
Gracchus est élu tribun
de la plèbe pour l’année
suivante. Il présente son
projet de réforme agraire.
N’
124 av. J.-C.
Caius Sempronius Gracchus, MÈRE MODÈLE est-il pas juste de mettre en
«
frère de Tiberius, est élu Cornélie soutint commun ce qui appartient à
tribun de la plèbe pour l’année toujours ses fils dans la communauté ? Un citoyen
suivante. Il sera réélu une leur action politique.
seconde fois. n’est-il pas toujours mieux
Femme d’influence,
cultivée, elle était né qu’un esclave ? Un soldat
considérée comme n’est-il pas plus utile qu’un homme incapable
123-122 av. J.-C. le modèle de la de se battre ? » L’orateur de génie qui, d’après
En sa qualité de tribun, C
Gracchus réussit à faire l’historien Appien d’Alexandrie, fait vibrer
adopter un programme la foule par son discours patriotique aux
réformes administrative accents populistes n’a que 28 ans. Il se nomme
sociales et judiciaires. Tiberius Sempronius Gracchus et vient d’être
élu tribun de la plèbe pour l’année 133 av. J.-C.
121 av. J.-C. À Rome, cette fonction politique sacrée,
Le Sénat promulgue généralement occupée par de puissantes
le senatus consultum familles d’origine plébéienne, n’est pas une
ultimum contre Caius, magistrature obligatoire dans la carrière des
qui est assassiné
sénateurs. Elle n’est briguée que par des
avec quelques
centaines de partisans. hommes politiques chevronnés. Les neufs
tribuns élus chaque année avaient pour mis-
sion de défendre les intérêts de la plèbe, le
CORNÉLIE, MÈRE DES peuple de Rome exclu de l’aristocratie pour
GRACQUES, PAR PIERRE-JULES
CAVELIER. MARBRE, 1861. des raisons de naissance et de fortune. Cet
MUSÉE D’ORSAY, PARIS. engagement n’est pas un vain mot dans
une République oligarchique et sclérosée,
SCALA, FLORENCE
traversant une crise économique et sociale commerce, activité lucrative pourtant jugée
sans précédent. À peine élu, Tiberius se UN PÈRE dégradante, car la richesse des aristocrates
ILLUSTRE
donne pour mission de mettre fin à la crise par romains doit provenir du sol, de la terre de
Tiberius
une loi qui devait briser, en faveur du peuple, Sempronius leurs ancêtres.
le monopole de fait de l’aristocratie sur les Gracchus, père Les sénateurs tentent d’abord de s’opposer
terres cultivables publiques. des Gracques, par des voies légales à la réforme agraire (la lex
était préteur Sempronia)élaboréeparl’audacieuxtribun,en
Tentatives d’intimidation d’Hispanie
empêchant son vote par le droit de veto d’un
citérieure entre
Son projet est simple. Il consiste à récupérer 181 et 179 av. J.-C. autre tribun de la plèbe acquis à la cause des
les terres de l’ager publicus occupées illéga- Les habitants puissants, Marcus Octavius. Les débats de-
lement par les riches familles sénatoriales d’Iliturgis, ville vant l’assemblée du peuple se multiplient et
et à les redistribuer équitablement entre les qu’il a refondée, Tiberius,qui se sait porté par l’adoration de la
lui ont dédié cette
paysans pauvres et les petits citoyens mi- inscription. plèbe qu’il défend,sait aussi qu’il ne peut pas
séreux de Rome pour qu’ils puissent vivre passer outre la voix de son collègue. Il tente
dignement du travail de leurs mains, alors d’intimider les sénateurs en
conformément au grand idéal abusant des privilèges inhérents
romain du citoyen-soldat. Évi- à sa fonction : il prend ainsi seul
demment, un tel projet de loi est la décision de fermer le temple
perçu par l’aristocratie à la tête de Saturne, qui abrite le Trésor
de l’État comme une spoliation public, en y apposant son sceau
de ce qu’elle considère comme personnel et suspend l’exercice
ses biens propres et sa source de toutes les magistratures. En
principale de revenus. Il lui est sa qualité de tribun, Tiberius
en effet interdit de pratiquer le peut légalement suspendre la vie
ORONOZ / ALBUM
UN GROUPE DE PAYSANS BAT LE BLÉ AVEC LES SEMAILLES. MOSAÏQUE ROMAINE DE SAINT-ROMAIN-EN-GAL.
DES CHEVAUX ET DU BÉTAIL. MOSAÏQUE ROMAINE. IIIE SIÈCLE. MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE, SAINT-GERMAIN-EN-LAYE.
L’ITALIE EN CRISE
M
algré sa victoire lors des guerres puniques,
Rome connut une grave crise au II e siècle La classe dominante de Rome ne cède pas.
av. J.-C. D’une part, les petits paysans italiens Les aristocrates font front contre ce descendant
qui avaient troqué le soc pour le glaive trou- par sa mère de l’illustre famille des Scipions,
vèrent à leur retour leurs terres à l’état sauvage. D’autre part, qui appartient donc à leurs rangs et qui pour-
les riches aristocrates qui avaient financé la guerre en prêtant tant les trahit. Il vient alors à Tiberius une idée
de l’argent au Trésor public de rivaliser. Cette situation théoriquement inconcevable : brisant l’invio-
s’étaient remboursés en inédite engendra un exode labilité de la fonction du tribun, il propose au
s’appropriant l’ager publicus, rural et la paupérisation des peuple de voter la déposition de son collègue
ces champs publics que l’État proletarii, les citoyens les Octavius, devenu indigne de son titre. La foule
mettait en fermage pour les plus pauvres. La crise éco- en délire ratifie la destitution et la loi agraire est
citoyens modestes contre nomique se doubla d’une enfin votée. Tiberius triomphe, mais le héros
une redevance modique. Ils crise sociale. Le peuple avait du peuple réalise que ses jours sont comptés.
s’étaient ainsi constitué des besoin d’un protecteur qui Les sénateurs, qui le considèrent désormais
latifundia, immenses pro- oserait briser les privilèges
comme un dangereux agitateur, un démagogue
priétés cultivées par leurs que les aristocrates tenaient
esclaves, et avaient posé les pour acquis. Rome était une
populiste prêt à régner sur Rome en aiguisant
fondations d’une agricultu- poudrière et n’attendait que la haine de la plèbe contre les élites, sont prêts
re libérale qui asphyxiait les les Gracques pour allumer la à l’assassiner, non pas pour sauver leurs pri-
petits paysans incapables mèche de la révolution. vilèges, mais pour sauver Rome d’un homme
qui, à leurs yeux, se comporte en tyran. La fin
du mandat de Tiberius approche, mais le jeune
populiste, dont on ignore s’il est réellement orateur,il gagne très vite le soutien du peuple,
porté par des idéaux d’équité et de justice ou CARACTÈRES qu’ilprometdedéfendre aussi ardemment que
OPPOSÉS
par son ambition personnelle,n’estpasdécidé l’avaitfaitTiberius. Mais Caius est un meilleur
« Tiberius était
à quitter une fonction qui permet à un seul doux et posé. stratège.Ilacompris que la lex Sempronia, qua-
homme de dominer tout le Sénat. Le peuple Caius, véhément siment inapplicable dans les faits, pâtissait de
même commence à douterdesasincérité.Mais et impulsif », écrit sa trop grande envergure. Il entreprend alors
alors qu’il s’apprête àêtreréélu,uneconjuration Plutarque dans une série de réformes plus ciblées, qui visent
sa biographie sur
de sénateurs menée par Scipion Nasica, son les deux frères. à assainir les institutions gangrenées par la
propre cousin, l’assassine en plein Capitole Les Gracques, par corruption et à délivrer le peuple des liens de
avec 300 de ses partisans. Leurs corps sont Eugène Guillaume. clientélismequi le rendent dépendant des plus
jetés dans le Tibre. Bronze, 1853. riches et redevable envers eux. Il fait d’abord
Muséed’Orsay,Paris. voter une loi, la lex Calpurnia, qui fait entrer
Caius prend la relève hevaliers, issus de la plèbe, que de
Mais l’aventure des Gracques ne d dans les magistratures judiciaires.
pas s’arrêter là. Neuf ans après la ure est un véritable coup de génie.
de Tiberius, son jeune frère Caius denouveaux magistrats n’étant pas
à son tour tribun de la plèbe en 124 de l’aristocratie brise le système
av. J.-C. Ce jeune homme de 30 ans ompu qui faisait dysfonctionner la
possède un tempéramentpluspas- ice.En outre, en rendant accessible
sionné que son aîné, maisiln’enest s magistratures aux plébéiens les
pas moins talentueux. Lors de ses lusriches, Caius obtient le soutien
discours, il a coutume de se faire d’une part du peuple que la lex Sem-
accompagner d’un flûtiste pour ronia ne concernait pas et qui était
l’aider à moduler sa voix. Habile méprisée des sénateurs.
BRIDGEMAN / ACI
UNE SOCIÉTÉ CIVILE TRÈS HIÉRARCHISÉE
À
l’époque républicaine, les citoyens romains étaient prix du blé de manière que chaque citoyen ait
divisés en trois ordres selon des critères de naissance,
l’assurance de pouvoir se nourrir sans compter
de richesse foncière et de prestige. L’ordre sénatorial,
sur la charité des aristocrates, qui se faisaient
l’élite du peuple, formait un groupe aristocratique d’en-
viron 300 membres qui administrait Rome. Il occupait la majorité rembourser de leurs largesses par des voix aux
des magistratures dans le cadre du cursus honorum, la carrière élections. Enfin, Caius entreprend une poli-
tique de grands travaux publics qui favorisent
des honneurs couronnée par la mices tributes » lors des élec-
une reprise économique. Pour cela, il fonde à
fonction de consul. Au IIIe siècle tions des magistrats ou du
Carthage la première colonie romaine hors
av. J.-C., une sorte de « classe vote de lois. Les voix n’étaient
moyenne » se distingua du pas individuelles, et des ré- d’Italie, ce qui l’oblige à passer quelques mois
reste des citoyens. Cette part seaux d’influence proches du en Afrique. Mais s’éloigner de Rome se révèle
riche de la plèbe donna nais- fonctionnement des mafias un mauvais calcul politique. À son retour, il
sance à l’ordre équestre, sorte biaisaient les résultats. Pour constate que le Sénat, qui voit en lui un tyran en
de petite noblesse. Méprisés protester contre la dérive des devenir plus redoutable encore que Tiberius,
par l’ordre sénatorial, les che- privilèges des élites, la plèbe fit lui a opposé un nouveau champion du peuple,
valiers participaient à la vie sécession par trois fois sous la Livius, un démagogue acquis à la cause de
politique à travers l’exercice République. Hormis l’instau- l’aristocratie, qui séduit la foule par des pro-
des magistratures inférieures. ration de la fonction de tribun messes mensongères.
La très grande majorité des de la plèbe en 494 av. J.-C., ces Les sénateurs ne s’arrêtent pas là. Pour éli-
citoyens plus modestes, les démonstrations de force ne se
miner politiquement leur ennemi et réduire à
proletarii, ne participaient à la soldèrent que par des mesures
politique que réunis en « co- mineures.
néant son action, ils attaquent les réformes de
Caius. Ils espèrent ainsi le pousser à montrer ce
que l’on soupçonne être son vrai visage, celui
DE SANG
consistant à nourrir des poulets. Si ces derniers sortaient
de leur cage et mangaient, cela était considéré comme
un bon augure. Ce matin-là, un seul poulet sortit ;
À ROME
il « toucha à peine à sa nourriture et [...] se réfugia de
nouveau dans sa cage ». En se dirigeant vers le Capitole,
Tiberius aperçut « à sa gauche, sur un toit, des corbeaux
qui se battaient, et [...] une pierre poussée par l’un
Dans ses Vies parallèles, l’écrivain grec de ces corbeaux vint tomber à ses pieds ».
Plutarque narre en détail la journée
de juin 133 av. J.-C. au cours de laquelle
Tiberius Gracchus est assassiné. La veille,
sur le Capitole, a eu lieu le vote pour sa 2. LES PARTISANS DE TIBERIUS PRENNENT LES ARMES
réélection comme tribun de la plèbe. Ses Tiberius Gracchus monta jusqu’au Capitole, où il fut reçu
partisans, craignant un résultat défavorable, par les acclamations de ses partisans. Là, le sénateur
Fulvius Flaccus le prévint que le Sénat avait décidé
dissolvent l’assemblée et la convoque de l’assassiner et qu’il « comptait d’un grand nombre
pour le lendemain. Tiberius se rend alors au d’esclaves et d’amis armés » pour accomplir cette tâche.
forum, « abattu et en pleurs », pour supplier Tiberius l’annonça à ses compagnons, qui « ceignirent
le peuple de le soutenir. Puis il se réfugie aussitôt leurs toges, brisèrent les demi-piques qu’ils
utilisaient pour écarter la foule et en prirent les morceaux
dans sa demeure, où il passe la nuit avec de pour se défendre contre ceux qui viendraient les assaillir ».
nombreux partisans venus pour le protéger.
Nimroud,
capitale enfouie
de l’Assyrie
En 1845, Austen Henry Layard découvre dans l’actuel Irak les vestiges
de cette cité fondée au IXe siècle av. J.-C. par Assurnazirpal II.
À
22 ans, Austen toutefois de détourner son
TURQUIE
Henry Layard esprit de cette découverte, il
travaillait de- M O SSO U L obtint en 1845 une autorisa-
puis six ans Nimroud tion et une modeste somme
dans le cabinet d’argent pour explorer l’énig-
IRAK
desononcle.Lassédelarou- matique monticule.
tine, il décida de partir pour
Ceylan.Silemotifofficielde ARABIE SAOUDITE Monstres ailés
ce voyage était de travailler Les fouilles de Nimroud
dans l’administration colo- furent loin d’être aisées,
niale britannique, le jeune autochtones;lahaute taille et en raison notamment de la
avocatpartaitenréalitépour la formepyramidale de l’une terreur que faisait régner le
réaliser le grand rêve qu’il d’elles attira l’attention du despotique gouverneur lo- DEUX LIONS AILÉS,
nourrissait depuis l’adoles- jeune Britannique. Cette cal au sein de la population. gardiens mythologiques
NICO TONDONI / AGE FOTOSTOCK
cence : parcourir le Proche- colline avait reçu le nom de Une fois arrivé à Mossoul, connus sous le nom
Orient,berceaudesantiques Nimroud en hommage à un Layardnerévélasesdesseins de lamassu, veillent
etmystérieusescivilisations personnage biblique vénéré à personne et se dirigea vers sur l’une des portes
du palais de Nimroud.
mésopotamiennes. par les musulmans, auquel la mystérieuse colline ar-
De l’automne 1839 à l’hi- était attribuée la fondation mé d’un fusil et d’une lance,
ver 1840, Layard et un ami de Ninive ou d’Assour. comme s’il partait chasser le
parcoururent ainsi l’Asie Layard pensa qu’elle ren- sanglier. Une fois sur place,
Mineure et la Syrie. Le pay- fermaitpeut-êtreuneimpor- ils’attiralesoutiend’unchef nuit-là, je parvins à peine à
sage syrien était ponctué tantevilleassyrienne.Aulieu bédouin qui lui accorda sa trouver le sommeil. Les es-
d’étranges departirpourCeylan,ils’ins- protectionainsiqu’unemain- poirs que je caressais depuis
collinesar- talladoncàConstantinopleet d’œuvre de sept hommes. longtemps allaient bientôt
tificielles yentraauservicedel’ambas- La veille des fouilles, l’ar- devenir réalité ou se solder
baptisées sadeurduRoyaume-Uni,sir chéologue était incapable de par une grande déception.
tell par les StratfordCanning.Incapable contenirsanervosité:«Cette Desimagesdepalaisenterrés,
PLAQUE EN IVOIRE D’INSPIRATION ÉGYPTIENNE RETROUVÉE À NIMROUD. VIIIE SIÈCLE AV. J.-C. BRITISH MUSEUM, LONDRES.
88 HISTOIRE & CIVILISATIONS
PATRIMOINE EN PÉRIL
DEPUIS LA DÉCOUVERTE de Layard, les fouilles
de Nimroud se sont poursuivies pendant un
siècle et demi, menées dans les années 1950
par Max Mallowan, le second mari d’Agatha
de gigantesques monstres, ment de relief. » Un ouvrier Christie (ci-dessous). À l’heure actuelle, on
de silhouettes sculptées et le conduisit jusqu’à un grand ignore toutefois ce qu’il reste de ce site, victime
d’inscriptions infinies flot- morceau d’albâtre émergeant de la fureur destructrice de l’État islamique.
taient devant mes yeux. » du sol, qui constituait la
Le jour suivant, peu après partie supérieure d’un relief
avoir commencé à creuser, auprès duquel d’autres furent
il vit toutefois se réaliser ses aussi mis au jour. Les lieux
espoirs les plus fous : « De recelaient incontestablement
toutes parts se dessinaient un palais assyrien.
des morceaux de céramique Layard crut d’abord que
et des restes de briques ce site était l’antique ville
BETTMANN / CORBIS / CORDON PRESS
a 2
ALAMY / ACI
b 3
a Un groupe d’Israélites porte
leur tribut au roi assyrien : des vases,
des bols et des récipients en or.
c 4
ALAMY / ACI
d b Le peuple de Musri offre aussi
un éléphant et plusieurs singes
conduits par leurs gardiens.
MARY EVANS / SCALA, FLORENCE
BRIDGEMAN / ACI
des colosses
assyriens
L’UN DES PLUS GRANDS DÉFIS de Layard
fut l’extraction des gigantesques
statues d’animaux ailés apparues
au cours des fouilles. Le Britannique
décida d’envoyer à Londres deux des
pièces les mieux conservées : un tau-
reau et un lion. Pour les sortir de terre,
on creusa une tranchée de 30 mètres
de long, 5 mètres de
bois. Cette nuit-là, buffles. Comme les animaux ne pou- le Tigre. Lorsque les colosses furent
Layard informa le vaient pas tirer cette charge à eux enfin installés, ils entreprirent un long
cheikh local du suc- seuls, le cheikh fournit 300 hommes voyage autour des côtes africaines
cès de l’entreprise, à l’archéologue pour faire avancer le – le canal de Suez n’étant pas encore
que les ouvriers cé- char au moyen de cordes. Celui-ci se percé – qui les mena jusqu’au British
lébrèrent en danse retrouva malgré tout bloqué à deux Museum, leur destination finale.
U
n médiocre suze- Parmi eux se trouvaient Commetouteslesplanches se dresse une montjoie. La
rain, mais un bril- les frères de Limbourg, dont ducalendrier,celleconsacrée vallée est perçue d’un point de
lant mécène : ainsi les Très Riches Heures repré- au mois de mars est occu- vue unique, en légère plongée,
peut-on caractéri- sentent les travaux des sai- pée, en partie haute, par une qui confère au paysage uni-
ser Jean,duc de Berry (1340- sonsavecunluxederéalisme image allégorique compre- té et cohérence. Les frères de
1416), troisième fils du roi dignedeschefs-d’œuvredece nant signes du zodiaque et Limbourg emploient, comme
de France Jean le Bon. Si sa début du XVe siècle. Détails, informations calendaires et, les premiers paysages sien-
carrière fut marquée par volumétrie des corps, pers- en partie basse, par un large nois d’Ambrogio Lorenzetti
ses années de captivité en pective : ce livre de prières, paysage.Cesdeuxzonessont et de Simone Martini, une
Angleterre et une position ornéd’enluminuresillustrant reliées par le même bleu perspective intuitive : plus
hésitante dans les luttes les douze mois de l’année, éthéré, traversé par le cha- on s’éloigne, et plus les per-
politiques de son temps, sa offre une description minu- riot solaire, qui se retrouve sonnages sont petits.
postérité, en revanche, tire tieusedupaysage,représenté dans le ciel où se découpe Seule légère discordance,
son aura des somptueuses pour la première fois avec un la silhouette du château de le laboureur, vu de façon
commandes passées aux tel sens de l’unité spatiale. Lusignan, dans le Poitou. frontale, et non plongeante,
meilleurs artistes, orfèvres Devantlechâteau,unpay- semble sorti d’une com-
et sculpteurs parisiens, no- Champs et château sage déjà bourgeonnant de position bidimensionnelle
tamment pour les cours de Mais ne doit-on percevoir champs clos, travaillés par archaïque qui tranche avec
Bourges et de Poitiers. dans ce réalisme qu’une re- des paysans plutôt disgra- le reste de la profondeur.
présentationtransparenteet cieux : ici un berger court Tout se passe comme si la
SIMONE MARTINI fidèle de la vie quotidienne après ses bêtes, là trois per- modernité du paysage ser-
déploie un vaste paysage paysanne ? N’y a-t-il pas, sonnages taillent les vignes, vaitl’imageharmonieusedu
en perspective pour dans la confrontation entre à droite un semeur, au pre- quotidien paysan.
représenter Guidoriccio château et laboureurs, le re- mier plan un laboureur. L’économie générale
da Fogliano au siège gard inquiet et condescen- La composition est tra- de l’ouvrage nous conduit
de Montemassi. 1328. dant d’un souverain féodal versée par les diagonales des pourtantàunelecturediffé-
Palais communal, Sienne. sur la société paysanne ? chemins,àlacroiséedesquels rente,mettantl’accentsurla
THE GRANGER COLLECTION, NEW YORK / AURIMAGES
CHRISTIAN JOSCHKE
HISTORIEN D’ART
ESSAI
Les Manuscrits à peintures
en France, 1440-1520
F. Avril, N. Reynaud, Flammarion –
Bibliothèque nationale de France,
1998.
MOYEN ÂGE
À
la suite des tra- raison et au contrôle de soi. traquent et scrutent avec
vaux de Johan Ce livre, dédié à Jacques Le minutie dans le ciel, les
Huizinga et de Goff, récemment disparu monastères, les écoles,
Norbert Elias, et pionnier en la matière, les universités, la famille
les historiens ont long- démontre avec brio que ou dans la rue, au sein des
temps pensé que les cette conception est dé- milieux aristocratiques et
hommes et les femmes des passée. Rédigé par les deux princiers, chez les mys-
époques antérieures aux plus éminents spécialistes tiques ou dans les milieux
XVIIe-XVIIIe siècles étaient francophones du sujet – ils populaires, toutes les émo-
violents, cruels, infan- codirigent le projet de re- tions (l’amour, la haine, la
tiles, instinctifs, et par cherche Emma (Émotions colère, la honte, la mélan-
conséquent incapables de au Moyen Âge) depuis de colie, l’humiliation, l’ami-
D. Boquet, P. Nagy contrôler leurs émotions. nombreuses années –, tié, la joie, la douleur ou la
SENSIBLE MOYEN La manifestation des émo- il représente la première souffrance) des hommes
ÂGE. UNE HISTOIRE tions aurait été un phéno- synthèse sur l’histoire des et des femmes du Moyen
DES ÉMOTIONS mène « naturel » et il aurait émotions au Moyen Âge. Âge. Ils nous proposent
DANS L’OCCIDENT
MÉDIÉVAL fallu attendre le proces- En scrutant une documen- ainsi une plongée au plus
Seuil, 2015, sus de « civilisation des tation très variée prenant profond de l’intimité
480 p., 25 ¤ mœurs » pour passer des en compte tout le millé- médiévale.
émotions-instincts à la naire médiéval, les auteurs DIDIER LETT
ET AUSSI...
GERTRUDE,
« BELL » DU DÉSERT
GERTRUDE BELL fut en Mésopotamie le pendant
féminin de Lawrence d’Arabie. Christel Mouchard
retrace le destin de cette aventurière toujours
fraîche avec le don de conteuse qu’on lui connaît.
Fille d’un grand industriel du Yorshire, celle que
l’on surnommait la « reine du désert » accomplit
BOIRE EN GAULE PALMYRE. entre 1900 et 1914 six expéditions archéologiques
Fanette Laubenheimer L’IRREMPLAÇABLE TRÉSOR
CNRS Éditions, Paul Veyne et diplomatiques entre le Levant et l’Euphrate.
192 p., 22 ¤ Albin Michel, Agent secret durant la Grande Guerre, elle alliait
144 p., 14,50 ¤
courage physique et fragilité
sentimentale. Sa mort en
LES GAULOIS étaient célèbres PAUL VEYNE, grand historien
1926 laisse planer des doutes.
pour leur ivrognerie. Mais de l’Antiquité romaine, nous
J.-M. BASTIÈRE
que buvait-on en Gaule ? De dit au soir de sa vie sa stupé-
l’hydromel, et plus encore de faction devant la destruction
la bière. Puis le vin s’imposa. de la splendide Palmyre par Christel Mouchard
L’auteur nous dit tout ce que Daech, et esquisse un portrait GERTRUDE BELL. ARCHÉOLOGUE,
l’on peut savoir en s’appuyant de cette cité incomparable sur AVENTURIÈRE, AGENT SECRET
sur les textes antiques et les laquelle on sent souffler, dit-il, Tallandier, 336 p., 20,90 ¤
vestiges archéologiques. un « vent de liberté ».
Le christianisme
est aujourd’hui
L’islam la religion
est aujourd’hui la plus pratiquée
l’enjeu de bien
dans le monde.
des passions.
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Retracez ici son histoire
5&( ans d’histoire
!!#2#$&( qui l’ont façonné,
de notre présent et notre civilisation
et de notre avenir. à travers lui.
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LES EXPOSITIONS DU MOIS
XVE-XXE SIÈCLES
Hérosdela«grandepêche»
O
n se laisse agréa-
blement prendre GOÉLETTE ISLANDAISE
DÉBARQUANT SA MORUE
dans«Lesmailles PAR MATHURIN MÉHEUT.
du filet », l’expo- HUILE SUR TOILE, 1939.
RESTAURANT PRUNIER, PARIS.
sition que le musée de la
Marine consacre à l’histoire
de la « grande pêche », la
pêche lointaine à la morue.
Durant 500 ans, à partir
de la fin du XVe siècle,les ma-
rinssontpartischaqueannée
ANTIQUITÉ-XXE SIÈCLE
Moïse,prophètedelaLoi
MUSÉE DE PICARDIE / MARC JEANNETEAU / SERVICE DE PRESSE
D
e p u i s l ’A n t i - du judaïsme trace les diffé- l’intérêt profond porté par
quité, il existe rentes figures du prophète : l’art à ce patriarche, le plus
des représenta- fresques du IIIe siècle pro- représenté tant par les juifs
tions de Moïse, le venant de la synagogue de que par les chrétiens.
prophète à qui Dieu inspira Doura-Europos en Syrie,
les Tables de la Loi et qui enluminures médiévales Moïse,
conduisit son peuple hors ou tableaux de Chagall… figures d’un prophète
LIEU Musée d’Art et d’Histoire
d’Égypte vers la Terre pro- Moïse apparaît barbu, âgé, du judaïsme, 71 rue
MOÏSE PRÉSENTANT LES TABLES
mise. À travers 150 dessins, puissant, parfois doté de du Temple, 75003 Paris
DE LA LOI. PAR PHILIPPE DE CHAMPAIGNE,
WEB www.mahj.org
gravures et manuscrits, le rayons lumineux : une riche HUILE SUR TOILE, 1645-1663.
DATE Jusqu’au 21 février 2016 MUSÉE DE PICARDIE, AMIENS.
musée d’Art et d’Histoire iconographie qui reflète
La chute de Massada
LES EXPLORATEURS GRECS, En 73 apr. J.-C., le siège de la citadelle édifiée par Hérode
UNE GÉOGRAPHIE MYTHIQUE le Grand non loin de la mer Morte fut le dernier épisode
tragique de la résistance juive face aux armées romaines.
DEPUIS L’ODYSSÉE d’Homère et le périple
d’Ulysse en Méditerranée, l’exploration des
confins du monde a toujours suscité l’intérêt La tombe de Néfertari
des Grecs. Colæos de Samos, Mégasthène, La grande épouse royale de Ramsès II fit construire près
Polybe, Néarque... Entre le mythe et de Thèbes, au xiiie siècle av. J.-C., l’un des tombeaux
la science, les navigateurs hellènes ont les plus riches et les plus ornés de la Vallée des Reines.
contribué à la connaissance de terres
et de peuples inconnus, La conquête de l’Ouest
consignant souvent
Mythe fondateur de la nation américaine, la conquête
par écrit leurs
du Far West dès le xviiie siècle constitue
voyages dans
une étape majeure dans la genèse de ce jeune État.
des ouvrages qui
contribuèrent à
fonder la discipline Newton, le prophète scientifique
de la géographie. Au xviie siècle, le savant britannique, qui découvrit
TÊTE DE MÉDUSE. BRONZE DORÉ la célèbre loi de la gravitation, se consacra également
PROVENANT DU TEMPLE D’ESCULAPE À ULPIA à de curieuses recherches alchimiques et théologiques.
TRAIANA SARMIZEGETUSA, ROUMANIE.
DEA / ALBUM
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ω áˣͣЭͣˆϤōβˣ˳ɡϴ ȾϡōϤȂˣ˳ْɡϴ
ω á̚ō͆ϴ ɡЭ ȂōϤЭɡϴ ɡ͆ к4
ω y̚̚ѕϴЭϤōЭ˳ͣ͆ϴ ЭɡȂˣ͆˳ϕѕɡϴ ȾɥЭō˳̚̚ɥɡϴ
YR V EUDV
marquent profondément : « c’est si
difficile de vivree seule dans la rue ! ».
Abandonnée par ses parents, privée
d’affection et de repères, Aina est en
danger. Comme des milliers d’enfants
vulnérables dans le monde !
www.asmae.fr