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ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES

Sorbonne
Section des Sciences Religieuses

LA « FIEVRE DU QIGONG » .

GUERISON, RELIGION ET POLITIQUE

EN CHINE CONTEMPORAINE

Thèse de doctorat « Sciences des religions et des systèmes de pensée »

Présentée par

David A. PALMER

Année universitaire 2001-2002

Directeur de recherche : Kristofer SCHIPPER

Jury : Marc KALINOWSKI, président


Yves CHEVRIER
Kenneth DEAN
Catherine DESPEUX
Danièle HERVIEU-LEGER
Remerciements

Cette thèse n’aurait pas pu être menée à terme sans le soutien


et les conseils judicieux de mon directeur, Kristofer M.
SCHIPPER, à qui je suis particulièrement reconnaissant
d’avoir insisté sur l’orientation historique qui fait tout l’intérêt
de ce travail. Je suis également reconnaissant envers Kenneth
DEAN, qui m’initia à la sinologie et m’encouragea à
poursuivre une voie universitaire.

C’est grâce à mon directeur de DEA, Tobie NATHAN, que


j’ai commencé cette étude sur ce qui semblait être une
pratique traditionnelle du corps, mais qui m’a mené vers la
jonction du religieux et du politique en Chine contemporaine.

Mes remerciements s’étendent aussi à Catherine DESPEUX


pour ses conseils bibliographiques, et à Yves CHEVRIER,
Jean-Luc DOMENACH et Danièle HERVIEU-LEGER, qui
m’ont aidé à placer le qigong dans la plus large perspective
des mutations sociales de la Chine et de la religion dans le
monde contemporain.

FENG Congde, Vincent GOOSSAERT, et surtout ma mère,


Christiane PIGNAN, ont eu la grande gentillesse et patience
de lire, corriger et commenter des parties ou l’intégralité de la
thèse. Caroline GYSS-VERMANDE a également apporté un
précieux soutien logistique au projet.

En Chine, un certain nombre d’amis et collègues m’ont


apporté une aide précieuse; le contexte actuel m’empêche de
citer leurs noms.

Je témoigne enfin et surtout de ma gratitude envers mon


épouse bien-aimée Li, qui m’a toujours soutenu et nourri de
son amour, et mon grand-père Claude PIGNAN, qui a
chaleureusement accueilli ma famille pendant les longs mois
de rédaction.

Ce travail n’aurait pas été possible sans une allocation de


recherches doctorales du Conseil des recherches en sciences
humaines du Canada, dont j’ai bénéficié de 1996 à 1999.
L’Institut d’études religieuses de l’Université du Sichuan m’a
soutenu financièrement durant mon séjour à Chengdu de 1999
à 2000, et un projet de traduction financé par le Taoist Culture
and Information Centre de Hongkong m’a permis de continuer
en 2000-2001. Enfin, je remercie l’équipe « Religion et
société en Chine » du Groupe de sociologie des religions et de
la laïcité pour son soutien moral et matériel, notamment pour
l’impression de la thèse et pour la participation au colloque
« Millenialism in China » tenu à Boston en avril 2002.
Note sur les caractères chinois, leur transcription, les
abbréviations et les traductions

Les noms propres et termes spéciaux sont donnés en


caractères latins et chinois. L’écriture et la transcription du
chinois suivent la norme en vigueur en République populaire
de Chine: caractères simplifiés et hanyu pinyin pour la
transcription. La version chinoise est donnée uniquement à la
première apparition du nom ou du terme.

La seule abbréviation employée dans le texte, ACESQ,


désigne l’Association chinoise d’études sur la science du
qigong.

Sauf indication contraire, les traductions de citations en langue


chinoise ou anglaise sont de moi-même.
SOMMAIRE

INTRODUCTION 6

PREMIERE PARTIE : L’INSTITUTION MEDICALE 29


1. La première vague du qigong, 1949-1964 30

DEUXIEME PARTIE: L’EXPLOSION RELIGIEUSE 58


2. La renaissance du qigong 59

3. La floraison des lignées 75

4. L’idéologie du paranormal 104

5. L’expansion des institutions 145

6. Les maîtres charismatiques 167

7. La « fièvre » du qigong 182

TROISIEME PARTIE: LA CRISE POLITIQUE 207


8. Les instances d’autorité officielle 208

9. Le monde du qigong entre en crise 221

10. Consolidation des lignées de masse 263

11. Une lignée « associative »: le Zangmigong 269

12. Une lignée « industrielle »: le Zhonggong 288

13. Une lignée « militante »: le Falungong 312

14. La campagne de « rectification » du qigong 347

Epilogue: Le démantèlement du monde du qigong 382

CONCLUSION 390

ANNEXES 421

BIBLIOGRAPHIE 459
Liste des tableaux et figures

1. Sexe des maîtres de qigong 80


2. Année de naissance des maîtres 81
3. Période d’initiation des maîtres à la culture corporelle 81
4. Origine de l’initiation traditionnelle des maîtres 83
5. Affiliations institutionnelles des maîtres 83
6. Références traditionnelles des méthodes 86
7. Structure idéologique du qigong 117
8. Les réseaux politiques du qigong 166
9. Affiliations des organisations de qigong 212
10. Le qigong et les instances du pouvoir 220
11. Processus d’intégration de l’adepte dans une lignée 264
12. Niveaux d’implication dans la lignée 265
13. Stages de l’association du Zangmigong 274
14. Figures du taiji et du retour ultime du Zhonggong 289
15. Organigramme du Zhonggong 296
16. Prix des stages du Zhonggong 307
17. Idéologie comparée du qigong et du Falungong 335
18. Structure du Falungong 338
19. Manifestations du Falungong 368
20. Sommaire historique du qigong 394
21. Le qigong dans le système de soins chinois 395
22. Collaborateurs des premiers numéros de la revue Qigong 435
23. Revues régionales et spécialisées de qigong 445
24. Les principales lignées de masse 455
INTRODUCTION
Il y a quelques années encore, quiconque se promenait à l’aube dans les rues
de Pékin pouvait observer les adeptes de qigong s’adonnant à leurs exercices
matinaux. Un jour typique, le promeneur pouvait croiser sur le trottoir des personnes
âgées, debout, immobile face aux buissons, les yeux fermés, les mains en cercle
devant le ventre. Dans la cour d’une cité résidentielle, une douzaine de femmes
décrivant des arcs de cercle avec leurs bras étirés, suivant le rythme d’une cassette de
musique chinoise. Dans un jardin public, un jeune étudiant, assis sur une pierre dans
la position du lotus, marmonnant un mantra. Penché au-dessus d’un malade allongé
sur un banc, un maître d’une quarantaine d’années, à coups de gestes saccadés dans
l’air, écartant les souffles pernicieux. Quelques pas plus loin, une femme grasse
embrassant un arbre des bras, pendant qu’un groupe de personnes en trance roulent
sur le sol, crient, rient ou pleurent, dansent ou imitent des mouvements de boxe
chinoise. Avant huit heures, tous, sauf les retraités et les malades, se dispersent pour
aller au travail.
Le qigong matinal s’était trouvé une place paisible au milieu de la cacophonie
urbaine. Que ne fut alors l’étonnement du monde à la vue d’adeptes de cette culture
du souffle affluer soudainement par milliers, le 25 avril 1999, autour de Zhongnanhai,
centre névralgique du Parti, pour manifester leur mécontentement… Et à nouveau
lorsque, en guise de réponse, ce dernier lança une campagne de propagande et de
suppression systématique de leur mouvement, le Falungong. Depuis, les dirigeants du
Parti et le maître de la Roue du Dharma sont pris dans un bras de fer, manifestations
et arrestations se succédant. Les premiers appellent à la vigilance contre la « secte
hérétique », le deuxième vitupère contre les agissements « démoniaques » des chefs
du Parti…
Pour quelle cause ? Comment en est-on arrivé là ? Qu’y avait-il derrière cette
gymnastique du souffle pour qu’elle aspire dans sa gestuelle des dizaines de millions
de Chinois, et pour qu’elle les entraîne dans un conflit religieux et politique? Cette
thèse est un essai de réponse à ces questions. Dans les pages qui suivent, j’essaierai de
montrer comment le qigong est passé d’une pratique thérapeutique à un mouvement
religieux de masse, pour aboutir à un affrontement politique. Mon objectif est de
contribuer à notre compréhension de la recomposition du religieux en Chine
contemporaine, dans ses rapports avec la guérison et la politique.
1. La genèse et l’évolution du projet

Quelques semaines après mon arrivée à Chengdu en mai 1993, lors de mon
premier séjour en Chine, je fus invité à une conférence charismatique de qigong.
Voici comment je décrivais l’événement dans mon journal de voyage:
Le cinéma de l’unité de travail [la Société de transport du gaz naturel] est une
grande salle d’environ 500 places. La société l’emploie pour les activités d’animation
culturelle des deux mille habitants de l’unité. Des slogans politiques ornent les murs:
« Renforcer les réformes et l’ouverture », « Approfondir le travail idéologique », etc.
Une centaine de personnes étaient venues assister à la conférence. Deux
maîtres de qigong, habillés en complet-cravate, occupaient l’estrade. Le plus âgé
restait immobile, assis sur une chaise, les deux mains sur les genoux. Le deuxième
délivra un discours sur le qigong. Il faisait parfois des gestes comme pour attraper de
l’air.
Après une dizaine de minutes, une dame est entrée en convulsions, suivie de
quelques autres. Plusieurs personnes se sont mises à éructer, et d’autres ont émis des
cris et des baillements. Une femme a vomi. Environ le tiers de l’assistance fut touchée
par ce phénomène qui dura une bonne vingtaine de minutes. Entre-temps, des enfants
imitaient ces comportements en rigolant. A la fin de la séance, un de mes amis me dit
qu’il venait d’être guéri d’une douleur chronique du dos.

Ce fut mon premier contact avec ce qigong dont la Chine était alors
« enfiévrée ». J’étais professeur d’anglais dans une école de cadres du Parti. Tous les
matins à 6h30, alors que les hauts-parleurs de l’école commençaient à cracher les
bulletins d’informations de la Radio centrale du peuple, et que je sortais pour chercher
mon bol quotidien de lait frais, je croisais un groupe de vielles dames qui pratiquaient
le Xianggong 香功, le « qigong des arômes ». Elles secouaient leurs mains devant
leur corps et leur figure : elles disaient que cela dégageait des odeurs parfumées. Mes
élèves parlaient de maîtres de qigong qui pouvaient changer la structure moléculaire
de l’eau et éteindre des incendies de forêt par un simple jet de pensée. L’un de mes
étudiants, un ingénieur géologue dans un champ pétrolifère, était lui-même maître de
qigong. Il organisa un petit stage du premier niveau du « Qigong des neuf immortels »
(jiuxian gong 九仙功), auquel je participai. Pendant que nous essayions de répéter les
mouvements gymniques de la méthode, il circulait entre nous, et nous lançait des
bouffées de qi que je ressentais comme des nuées de picotements dans mon corps.

Je venais de terminer mes études d’anthropologie et de chinois à l’université


McGill, durant lesquelles je m’étais intéressé aux cultures et aux modes de pensée des
peuples non occidentaux. Après quatre années d’études théoriques, je voulais me
plonger dans l’altérité totale d’une culture étrangère, connaître et pratiquer de
l’intérieur un mode de pensée et de vie complètement différent de celui dans lequel
j’avais grandi. Je m’intéressais aussi de plus en plus au lien entre la culture et la
psychologie. Avant mon départ pour la Chine, je rencontrai à Paris le Prof. Tobie
Nathan : il me conseilla de m’apprentir à un maître traditionnel chinois, en vue de
préparer un DEA sur l’ethnopsychiatrie chinoise.
Je choisis donc le qigong comme sujet d’enquête, ayant constaté la popularité
de cette pratique après mon arrivée en Chine. J’ai commencé à fréquenter les milieux
du qigong, et j’ai pratiqué plusieurs méthodes. Je suis devenu le disciple personnel
d’un maître, le Professeur Wang, qui m’enseigna une méthode à laquelle était intégrée
l’étude du Laozi.
Mais l’enquête de terrain par observation participante fut difficile à mener. Les
effets de la pratique du qigong étaient puissants. J’entrais dans des états dont je
n’avais jamais auparavant soupçonné l’existence. Les limites de mon corps et de mon
monde s’effritèrent. Je me sentais imbu d’une énergie immense, tout semblait
possible. Je ne pensais plus en mots mais en formes et en symboles, qui surgissaient
de mon ventre, de mes mains, de mes bras autant que de ma tête. Je voyais mes
pensées comme des objets concrets et actifs, aussi réels et palpables que les choses
matérielles du monde extérieur. La frontière entre l’imaginaire et le réel s’effaçait. Je
lisais les textes chinois classiques avec un regard nouveau. Je plongeais dans la
découverte de la mystique chinoise antique.
Mais en même temps, j’éprouvais peu de plaisir à fréquenter le monde du
qigong. Le principal sujet de conversation des adeptes tournait autour des guérisons
attribuées au qigong, et aux pouvoirs paranormaux des maîtres. On faisait beaucoup
de cas de la capacité de lire avec les oreilles ou de retirer une pilule d’une bouteille
sans l’ouvrir. Quand aux maîtres et aux organisations de qigong, ils me semblaient
s’intéresser démesurément à l’argent et à la renommée personnelle. Cas extrême : un
maître m’a demandé l’équivalent de mille dollars pour un stage d’une demi-journée.
Son disciple m’expliqua que c’était un bon investissement : je pourrais faire fortune
en enseignant la méthode à l’étranger. D’autres se sont intéressés à moi, soit pour un
gain financier immédiat, soit pour des avantages à long-terme, par ma collaboration
pour fonder une branche de leur organisation dans un pays occidental.
Il était normal que la collaboration des maîtres à mon enquête se monnaie
d’une manière ou d’une autre. Ce qui devint clair, c’est qu’il faudrait que je
m’implique profondément dans leurs réseaux. J’avais des doutes. Les exercices de
qigong étaient enseignés par des personnes ou des organisations auxquelles je ne
désirais pas m’affilier, et étaient accompagnés d’une idéologie à laquelle, souvent, je
ne pouvais souscrire. Je me rendais compte que ces organisations et ces discours
étaient des productions modernes, très liées à configuration politique et sociale de la
Chine populaire. Il fallait donc faire une distinction entre (1) les techniques
enseignées, qui remontent à l’antiquité, (2) les modalités de leur transmission par des
organisations sociales spécifiques, et (3) l’idéologie véhiculée par ces dernières. Cette
division du qigong en trois composantes est la prémisse de cette étude. Elle fait l’objet
d’une discussion détaillée plus bas.
Une fois cette distinction faite, cette étude pouvait s’inscrire dans un cadre
plus précis. Pour la thèse de doctorat, avec le conseil de mon directeur d’études, le Pr.
Kristofer Schipper, il fut convenu qu’une enquête sur les techniques de qigong en
elles-mêmes présenterait peu d’intérêt. Par contre, une étude sur les associations
populaires de qigong – les lignées de transmission des techniques – comblerait un
vide dans la recherche. Comment ces associations sont-elles organisées? Quelles sont
leurs activités? Qui sont les membres? Quels sont leurs rapports avec le Parti et
l’Etat?
Je me préparai à réaliser une enquête sur l’une des plus grandes organisations
de qigong, le Zhonggong. Mais il devint évident que le Zhonggong était apparu à un
moment particulier de l’histoire des milieux du qigong. Cette histoire mouvementée
est largement inconnue; elle n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Or, avant
de mener une recherche détaillée sur un cas particulier d’association, il fallait
comprendre l’histoire et la configuration générale du monde du qigong, afin de
restituer le contexte dans lequel se meuvent les différents maîtres et leurs
organisations.
Plus l’analyse des données historiques du qigong depuis 1949 avançait, plus
elle devenait fascinante. Un pan inédit de l’histoire de la société et de la religion
chinoises se reconstituait. Les similitudes entre les lignées de transmission du qigong
et les groupes « hétérodoxes » de la période pré-communiste, soulevaient de
nombreuses questions : le qigong est-il le dernier avatar du sectarisme populaire
chinois? En même temps, l’engouement de l’élite du Parti et de certains chefs
militaires et scientifiques se révélait comme un facteur déterminant dans l’invention
du qigong moderne et dans sa propagation massive. Le qigong apparaissait comme le
résultat d’un étrange mariage entre les institutions politiques et le monde sectaire.
L’étude historique des organisations de qigong depuis 1949 s’imposa dès lors
comme le noyau central de cette thèse. Au début de 1999, je commençais à rédiger les
premières épreuves. Je voulais souligner la dimension organisée du qigong : jusque là,
le qigong était universellement considéré comme un simple ensemble de techniques;
rares étaient ceux qui avaient remarqué, derrière ces techniques, un monde immense
et bouillonnant, composé de milliers d’associations, de lignées, d’organisations dont
la taille pouvait rivaliser avec celle du Parti communiste lui-même, et constituer un
pouvoir politique en puissance.
Je fus rattrapé par les événements : la manifestation de dix mille adeptes du
Falungong autour de Zhongnanhai, le 25 avril 1999, montra de façon éclatante au
monde entier que le qigong était plus qu’une simple gymnastique pratiquée par les
vieux dans les parcs. En Chine, pour réussir une manifestation d’une telle ampleur, à
un tel endroit, à l’insu des services de sécurité, il fallait une organisation soudée et
bien rodée. La thèse des liens entre le qigong et le sectarisme se confirmait. Avec la
campagne de suppression du Falungong, un nouveau chapitre s’ouvrait dans
l’évolution du qigong. L’histoire avançait plus vite que mon travail. Je fixai donc le
début de la campagne anti-Falungong, en juillet 1999, comme marquant la fin de
l’enquête. Depuis, je me suis efforcé de restituer les événements qui ont jalonné
l’histoire du qigong de 1949 à 1999, et qui sont présentés dans cette thèse.

2. Un modèle anthropologique

Marcel Mauss écrivait en 1902 que les religions sont des agrégats de
représentations, de pratiques et d’organisations qui ont une existence historique
définie, dans des groupes d’hommes et dans des temps déterminés1. C’est sous cet
angle que nous allons considérer le qigong.

1
Mauss 1968.
2.1 Représentations

Le terme de qigong apparaît pour la première fois dans un texte taoïste de la


dynastie des Tang (618-910), avec le sens de « procédés du souffle ». Quelques
siècles plus tard, sous les Song (960-1279), on le retrouve dans deux textes, avec le
sens d’ « efficience du souffle »2. Mais l’occurrence du terme est rarissime jusqu’au
début du vingtième siècle. Paraît alors un ouvrage d’arts martiaux par Zun Waohai
尊我斋, les « Explications subtiles sur le qigong » (qigong miaojie 气功妙解), et un
livre de Dong Hao 董浩 intitulé « Procédés thérapeutiques du qigong » (qigong liaofa
气功疗法)3. Le mot qigong apparaît aussi dans le Yi qigong xiangjie 意气功详解,
« Explication précise du travail du souffle mental », de Wang Zhulin 王竹林.
L’ouvrage décrit la pratique par laquelle la pensée (yi 意) suit le qi et dirige le qi dans
le corps. La méthode prescrite est la suivante : « concentrer l’esprit sur une seule
volonté et supprimer les pensées désordonnées ; dans le vide, penser à la seule idée
suivante : que le qi circulant dans tout mon corps se réunisse autour du coeur et forme
une sphère ; et ensuite se concentrer sur cette sphère »4. En 1934, l’hôpital Xianglin
祥林 de Hangzhou publie le livre Feilaobing teshu liaoyangfa – qigong liaofa
肺痨病特殊疗养法—气功疗法, « Un traitement spécial pour la tuberculose : la
thérapie du qigong » 5. Egalement dans les années 30, Fang Gongpu 方公蒲 fonde
l’Institut thérapeutique de qigong de Gongpu (Gongpu qigong zhiliaoyuan
公蒲气功治疗院), la premiere clinique à porter le nom de qigong dans l’histoire
moderne. Fang publie également les « Expériences de thérapie par qigong », qigong
zhiyan lu 气功治验录 en 19386. Mais ce n’est qu’après 1949 que le qigong devient
une catégorie générale et autonome, universellement utilisée dans les discours
médical, scientifique et populaire, et regroupant toutes les techniques traditionnelles
de respiration, de méditation, de visualisation et de gymnastique, auxquelles
s’agrègent au fil des années des techniques martiales, de spectacle, de transe, de

2
Sur l’étymologie du terme qigong et pour les références de ses premières utilisations, voir Despeux
1997: 267.
3
Despeux 1997: 267.
4
cité dans Li Zhiyong 1988 : 404-405.
5
Hu Meicheng 1981:42.
divination, de guérison charismatique et d’utilisation de talismans, ainsi que l’étude
des phénomènes paranormaux, des ovnis, du Livre des mutations (yijing 易经), etc.
Le qigong évoque en chinois une foule d’images et de concepts qu’il convient
d’expliquer ici. Le mot qigong, d’abord, est formé des deux caractères qi 气 et gong
功. Le qi est souvent traduit comme souffle, et gong comme travail, ce qui explique le
choix du terme de qigong pour désigner les techniques chinoises de respiration. Mais
examinons les nuances des caractères tels qu’ils sont employés dans le monde du
qigong. Le qi est compris comme l’énergie animatrice de l’univers, une substance qui
circule dans et à travers le corps. Dans son acception officielle, le terme découle de la
théorie de la médecine chinoise; mais il renvoie aussi plus loin, à toute la cosmologie
traditionnelle. Dans la pratique, le qi peut être dirigé mentalement (xingqi 行气), il
peut être projeté vers l’extérieur du corps (faqi 发气), il peut s’écouler du corps
involontairement (xieqi 泄气), il peut être extrait d’autres objets (chaiqi 柴气), il peut
même être volé d’une autre personne (touqi 偷气). Il peut être disposé pour créer un
champ énergétique (qichang 气场) entre les pratiquants réunis dans un même espace,
ce qui augmente l’efficacité du qigong.
Le gong est un terme qui renvoie aux arts martiaux : composé des deux
caractères travail 工 et force 力, le gong s’apparente au gongfu 功夫, terme
intraduisible qui désigne le talent de virtuose des arts de combat : une maîtrise du
corps et de l’esprit, qui est le fruit d’une longue discipline de pratique courronnée par
la manifestation de pouvoirs magiques. Le gong est inséparable de la substance
essentielle d’une personne, de son caractère moral; il se manifeste dans la lutte contre
un mal ou contre un ennemi. Le gong est parfois entendu comme la force magique
d’une personne d’un haut niveau de gongfu; dans ce cas, je traduis le terme par le mot
« Force ». Celle-ci peut être projetée vers d’autres personnes (fagong 发功), c’est ici
une manière différente de parler de l’émission de qi. Elle peut aussi émaner d’un objet
ou d’une action : on parle alors de « cassettes imbues de Force » (daigong cidai
带功磁带) ou de « conférences imbues de Force » (daigong baogao 带功报告). On
retrouve le caractère gong dans le mot gongneng 功能 qui signifie « fonction », terme
qui prend un sens particulier dans le qigong car il désigne souvent les « fonctions
exceptionnelles du corps humain » (renti teyigongneng 人体特异功能), c’est-à-dire

6
Li Zhiyong 1988 : 409.
les pouvoirs magiques ou paranormaux qui apparaissent à un niveau élevé de pratique
de qigong. Dans le même sens, on emploie parfois l’expression shengong 神功,
« Force divine », pour dénoter les aspects magiques du qigong. La pratique du qigong
(lian qigong 练气功) est souvent abrégé comme liangong 练功, formulation qui peut
connoter l’entraînement ou l’exercice de la force magique du gongfu, afin d’entrer
dans l’ « état de qigong » (qigong tai 气功态), état de relaxation profonde qui peut
ressembler à l’hypnose7. Un autre terme employé pour parler de cet entraînement, à
un niveau supérieur, est le xiulian 修炼 : travail de discipline spirituelle nécessaire
pour forger l’elixir de l’immortalité, qui renvoie aux traditions taoïstes d’alchimie
intérieure (neidan 内丹) et que je traduis comme « ascèse ». Dans les mots composés,
le caractère gong est souvent une abréviation de qigong, comme dans les noms de
méthodes : le Falungong, par exemple, signifie donc le « Qigong de la Roue du
Dharma », mais, en même temps, peut connoter le sens de « la Force de la Roue du
Dharma ».
Les concepts et images associés au qigong sont des objets intellectuels qui
donnent un sens aux techniques et aux expériences que celles-ci provoquent, et
indiquent le but ou l’idéal recherché à travers la pratique. Ils fournissent aussi un
langage commun aux adeptes. Les représentations recouvrent les noms des puissances
et énergies invisibles mises en jeu par la pratique, les noms des phénomènes, des
sensations et des effets produits par les exercices, et les théories expliquant le sens de
ces phénomènes et les reliant à des systèmes conceptuels religieux, scientifiques ou
philosophiques.
Ce bref exposé du champ sémantique du qigong montre la facilité avec
laquelle on peut glisser d’une description purement technique à des images magiques
ou religieuses. Or le terme qigong exprime, lors de son adoption officielle par des
cadres du Parti en 1949, un projet politique : celui d’unifier les pratiques corporelles
chinoises extraites de leur contexte « féodal » et religieux, pour les mettre au service
de la construction d’un Etat laïc et communiste. Mais dans les années 1980, le qigong
devient synonyme, dans le discours populaire, de divination, de guérison miraculeuse
et de pouvoirs magiques, pendant que des intellectuels et dirigeants politiques
construisent une idéologie de la renaissance de la nation chinoise à travers une
nouvelle révolution scientifique mondiale déclenchée par la maîtrise des pouvoirs

7
Cf. Despeux 1997: 275.
paranormaux du qigong. Quelques années plus tard, cette vision est attaquée comme
du « pseudo-qigong » par des polémistes qui appellent à un retour au « vrai » qigong
épuré de « superstitions », pendant que Li Hongzhi propose aux pratiquants de
transcender le qigong, pratique « inférieure » d’attachement au monde ici-bas, par
l’ascèse spirituelle du Falungong.
Cette étude trace l’évolution des représentations et des pratiques qui se sont
coagulées autour du terme de qigong de 1949 à 1999, ainsi que les stratégies
d’uniformisation, de systématisation et de contrôle mis en oeuvre par certains groupes
officiels et populaires. Le qigong est une tradition inventée8. Comme l’explique
Catherine Despeux,
« Dans cette affaire du qigong, l’enjeu principal de la Chine est certainement à
l’origine le maintien d’une tradition typiquement chinoise et son adaptation à la
modernité. Pour cela est créé, à partir d’un terme déjà attesté dans le passé, un
nouveau champ sémantique regroupant des techniques qui étaient jadis désignées par
des termes différents et avaient pour base commune un travail sur le qi. Pour garantir
l’authenticité de cette « nouvelle technique », il convenait de la faire remonter le plus
loin possible dans l’antiquité. Aussi, par effet rétroactif, les historiens du qigong en
commencent-ils l’histoire à la période des Royaumes Combattants, y englobant les
techniques de daoyin9, de méditation, de visualisation, etc. »10.

2.2 Pratiques

Cette tradition inventée répond au projet idéologique de constituer le qigong


en tant que science chinoise. L’objet est de présenter le qigong sous un angle
purement technique, de reconstituer l’histoire de ces techniques en les séparant de leur
contexte religieux, politique et social. On procède ensuite à leur classification
raisonnée. On divise normalement les techniques en formes « dures » (ying qigong
硬气功) dérivées des arts martiaux et comportant une dimension spectalulaire (avaler
une bouteille de verre cassée, casser des briques ou des pierres avec la main, soulever
une voiture avec la langue, etc.), et en formes « souples » (ruan qigong 软气功)11.

8
Sur la notion de « tradition inventée”, voir Hobsbaum & Ranger (éds.) 1983.
9
Le daoyin 导引 est une forme traditionnelle de gymnastique. Pour une brève description du daoyin,
voir Despeux 1988: 38-44. Plus loin dans le même ouvrage, Despeux présente une traduction des
méthodes de daoyin décrites dans le texte La moelle du phénix rouge (pp. 101-221). Voir aussi
Despeux 1989.
10
Despeux 1997: 276. Certaines généalogies du qigong font remonter son histoire encore plus loin,
comme Lin Zhongpeng qui, dans son Histoire du qigong chinois, situe son origine durant la préhistoire,
il y a 1,7 millions d’années (Lin Zhongpeng 1988 : 32). Un autre auteur situe l’origine du qigong dans
le culte de la fertilité au commencement de la culture chinoise (Zhang Fangsong 1994 : 6, 17).
11
Cf. Despeux 1997: 268.
Celles-ci sont regroupées en formes « immobiles » (jinggong 静功), qui comprennent
les techniques de méditation, de concentration et de visualisation pratiquées en
position assise, debout ou allongée, et en formes « mobiles » (donggong 动功),
dérivées des traditions gymniques du daoyin ou encore, lorsqu’il s’agit du « qigong
des mouvements spontanés » (zifa donggong 自发动功), de pratiques comparables à
des phénomènes de transe et de possession.
La quasi totalité des travaux savants sur le qigong suivent cette approche
technique. Les recherches en Chine continentale ont porté essentiellement sur trois
domaines: (1) l’extraction, à partir de la littérature religieuse et médicale classique,
des techniques du souffle, et leur classification, leur systématisation et leur
explication12; (2) l’observation empirique des effets chimiques, physiques,
biologiques, cliniques, etc. de ces techniques sur des sujets humains, sur des animaux,
des végétaux, ou des formules chimiques13; (3) enfin, des élaborations conceptuelles
et théoriques « scientifiques » sur ces techniques et leurs effets14.
La définition technique du qigong est parfois reprise de manière non
critique dans des articles d’auteurs occidentaux sur le phénomène social du
qigong. Exemple:
« Le qigong contemporain, « exercices de l’énergie vitale », « pratiques du qi », ou
encore « travail du qi », est un ensemble de techniques corporelles à fins
thérapeutiques qui s’enracinent dans la tradition chinoise […] Ces pratiques […]
visent à l’entretien de la santé, au prolongement de la vie humaine et à la régression
des états pathologiques. »15

Or j’affirmerai que stricto sensu, il n’y a pas de techniques de qigong. Les techniques
de gymnastique, de respiration et de méditation définies comme du qigong, étaient
largement pratiquées dans la société chinoise d’avant 1949, mais n’étaient pas
connues par le nom de qigong. Ces techniques n’étaient pas regroupées sous une seule
catégorie distincte. Elles étaient pratiquées dans des contextes différents, et rattachées
à différents systèmes de représentations et d’organisations sociales : institutions
monastiques, groupes « sectaires », groupes d’arts martiaux, milieux lettrés, lignées
de thérapeutes traditionnels. Ce n’est qu’en 1949 que le qigong devient une catégorie

12
Voir par exemple Li Yuanguo 1987, 1988; Zhang Wenjiang & Chang Jin 1989; Li Zhiyong 1988;
Zhang Youjun et al 1996, etc.
13
Voir par exemple Wang Jisheng 1989, Liu Shanglin 1999.
14
Voir par exemple Lu Liu 1994; Liu Zhidong s.d.; Qian Xuesen 1996, 1998a, 1998b.
15
Micollier 1999: 22. Cette approche est également suivie par Miura 1989 et Heise 1999.
globale regroupant l’ensemble des techniques de respiration, de méditation et de
gymnastique chinoises. Comme le remarque Xu Jian,
« Dans un certain sens, les différentes formes d’exercices du qi désignées par le terme
moderne de qigong ont toujours été au centre de la culture chinoise, bien qu’elles ne
fussent jamais considérées comme des pratiques culturelles autonomes, mais toujours
comme auxiliaires d’autres pratiques culturelles. […] Les maîtres et élèves qui
transmettaient la connaissance des techniques du qi le faisaient habituellement au nom
d’une religion, ou d’une école de médecine ou d’arts martiaux. Il était inimaginable
d’étudier le qi uniquement pour ses formes et techniques et non au service d’autres
buts.16 »

Or cette étude montrera que la vision purement technique du qigong sert elle-même
des fins politiques. Il est impossible de séparer la dimension technique du qigong de
ses dimensions idéologique et sociale.

Cependant, il est indéniable que la Chine a une riche histoire de pratiques


gymniques, respiratoires et de méditation, et que, bien qu’on les retrouve toujours
intégrées à d’autres traditions, ces techniques ont leur propre histoire dont la trame
entre et ressort de celles-ci17. Ainsi, une distinction s’impose entre les pratiques en tant
que telles et le qigong en tant que forme particulière d’organisation idéologique et
sociale de ces mêmes pratiques. Afin de faciliter cette distinction, je propose le terme
de « culture corporelle » pour désigner l’ensemble des pratiques corporelles chinoises
dans leur sens général. La notion de culture corporelle intègre deux sens qui sont
pertinents pour notre analyse: en premier lieu, la « culture corporelle » chinoise est
analogue à la « culture physique » en occident, définie comme le « développement
méthodique du corps par des exercices appropriés et gradués »18. Le choix du mot
« corporel » plutôt que « physique » se rapproche de la notion chinoise du corps
comme contenant aussi bien la pensée, les émotions et les souffles, que la chair
physique19. Dans la culture corporelle chinoise, à l’aide de différentes techniques, on
cultive le corps, on « nourrit le principe vital »20. Deuxièmement, l’emploi du mot
« culture » renvoie également au sens anthropologique du terme: un ensemble de
conceptions, de pratiques et de traditions en rapport avec le corps, qui se transmettent

16
Xu Jian 1999: 968.
17
Cet aspect est souligné par Michel Strickmann, concernant le rapport entre les techniques de
longévité et le taoïsme (Strickmann 1979: 166).
18
Dictionnaire le Robert.
19
Schipper 1982.
20
Maspero 1971 [1937].
et se modifient au fil des générations, et dont les configurations particulières à
différents lieux et époques sont liées à un contexte social précis. Dans cette optique, le
qigong est une expression moderne de la culture corporelle chinoise21. Il est le produit
d’un changement de structure politique qui provoque une redistribution de formes
techniques, conceptuelles et sociales. Cette redistribution se manifeste par de
nouvelles combinaisons de techniques, de nouvelles constructions idéologiques, et de
nouveaux modèles de transmission et de pratique collective.

2.3 Organisations

Cette enquête prend donc le qigong comme objet social. Il s’agit d’étudier la
naissance et l’évolution d’un groupe social constitué par la pratique, l’étude et la
promotion des techniques de culture corporelle, qui se désigne par le nom de « monde
du qigong » (qigong jie 气功界). Il s’agit d’une bouillonnante nébuleuse de réseaux et
d’associations qui, avec l’encouragement des élites du Parti, de l’Armée et des
institutions scientifiques chinoises, ont connu une expansion fulgurante dans les
années 1980: à tel point qu’on parla d’une « fièvre de qigong » (qigong re 气功热) en
Chine. Le monde du qigong était un espace de relative liberté dans lequel, entre 1979
et 1999, foisonnèrent toutes sortes d’activités et de réseaux populaires : groupes de
pratiquants dans les jardins publics, associations de chercheurs, revues, colloques,
échanges internationaux, événements artistiques et écologiques, etc. On y pratiquait
aussi bien la voyance que des expériences de laboratoire; les discussions touchaient au
bouddhisme, au taoïsme, à la méthode scientifique, aux techniques d’hygiène, au
progrès de la culture chinoise… Des milliers de maîtres et de lignées se faisaient

21
Sur les configurations antérieures de la culture corporelle chinoise, voir Maspero 1971 [1937]. Sur
les origines chamaniques de la culture corporelle, voir Eliade 1968. Sur l’évolution historique des
concepts chinois du corps en rapport avec la structure politique, voir Unschuld 1985. Sur la culture
corporelle taoïste, voir Kohn (éd.) 1989, Kohn 1992, Stein 1999. Sur les techniques corporelles des
« hommes à recettes” (fangshi 方士), voir Robinet 1990: 39. Sur la méditation du « garder l’Un” du
mouvement taoïste des Maîtres célestes, voir Schipper 1982: chap. 8. Sur la culture corporelle des
écoles taoïstes du Shangqing et du Lingbao, voir Robinet 1979. Sur l’alchimie intérieure taoïste, voir
Baldrian-Hussein 1984, Robinet 1991 et 1995, Baryosher-Chemouny 1996. Sur l’alchimie intérieure
féminine, voir Despeux 1990. Sur la cartographie taoïste du corps, voir Despeux 1992. Sur les
techniques néo-confucéennes de contemplation, voir Gernet 1981. Sur la culture corporelle des
mouvements sectaires dits du « Lotus Blanc”, voir Overmyer 1976: 188-191, Naquin 1976: 26-32,
Naquin 1985. Sur les techniques corporelles des Boxers, voir Escherick 1987: 50-62, Cohen 1997: 16,
99-118. Sur le Taijiquan, voir Despeux 1981. Sur les arts sexuels chinois, voir Wile 1992. Sur le
yangge en Chine contemporaine, voir Graezer 1999. Sur la construction sociale et politique du corps en
Chine, voir Zito & Barlow (éds.) 1994. Pour la généalogie historique du qigong contemporain, voir Lin
Zhongpeng 1986, Li Yuanguo 1988.
concurrence, chacune proposant sa palette d’exercices et de concepts. Des débats
faisaient rage sur les effets et pouvoirs attribués au qigong. Jusqu’à cent millions de
personnes pratiquaient le qigong, constituant la principale expression de religion
populaire urbaine dans la Chine post-maoïste, son plus grand ensemble d’associations
populaires, et, comme le soulignent Zhu Xiaoyang et Benjamin Penny,
« possiblement le plus grand mouvement de masse en Chine moderne hors du
contrôle direct du gouvernement »22. Malgré son ampleur et son influence, ce monde
a presque totalement échappé au regard des chercheurs universitaires. Jusqu’à ce jour,
aucune étude d’envergure n’a été réalisée sur le monde du qigong. Comment s’est-il
constitué? Quelle est sa configuration interne? Comment est-il devenu si rapidement
un mouvement de masse d’une telle ampleur? Quelle furent les phases de sa
formation et de sa décomposition? Comment a-t-il donné naissance au Falungong?
Quels sont ses rapports avec le Parti et l’Etat? Quel est son discours idéologique?
Voilà quelques-unes des questions auxquelles cette thèse tentera d’apporter des
réponses.
Depuis l’affaire du Falungong, la question de la nature « sectaire » de ces
groupes s’est posée. Aussi bien le gouvernement chinois que des commentateurs et
chercheurs occidentaux23 ont soulevé l’hypothèse des liens entre le qigong et ce que
les spécialistes appellent le sectarisme chinois d’avant la période communiste, ainsi
que des analogies avec les « sectes » en occident ou ailleurs dans le monde. Etant
donné la nature problématique du terme « secte » et sa connotation politique très
chargée dans le contexte chinois, il est a manier avec prudence, et je l’éviterai dans le
corps du récit. Je n’aborderai la problématique du sectarisme en Chine qu’en
conclusion, après avoir présenté l’ensemble des faits.
Je suivrai plutôt la nomenclature proposée par Barend ter Haar dans sa
discussion du problème de la dénomination des groupements populaires dits du
« Lotus Blanc » qui se sont largement propagés en Chine depuis la dynastie des Yuan
(13e s.)24, et dont on peut considérer le qigong comme l’avatar le plus récent en Chine
contemporaine. Ter Haar propose de remplacer le nom vague de « secte » par les
termes de « groupe » et de « mouvement », selon leur forme d’organisation interne :
Un « groupe religieux » est une collection d’êtres humains qui entrent
individuellement et volontairement dans des rapports sociaux mutuels et distincts, sur
22
Zhu Xiaoyang et Penny, Benjamin 1994: 3.
23
Voir notamment D. Ownby 2000 et 2002.
24
Ter Haar 1992.
la base de convictions religieuses et de pratiques partagées. Le manque de spécificité
sur leur degré d’organisation, ou sur leur type de croyance, est intentionnel. Un
ensemble de tels groupes religieux qui partagent un certain nombre de convictions et
de pratiques religieuses distinctes, sera dénommé « mouvement » religieux. Les
groupes dans un tel mouvement sont possiblement tous issus des adeptes d’un même
prédicateur, ou bien sa cohésion religieuse peut être le résultat d’une diffusion et de
propagande à long terme, sans traces concrètes dans d’autres sources. Ces groupes
peuvent, mais pas nécessairement, interagir les uns avec les autres, et expriment leurs
idéaux religieux dans la même forme sociale. Une organisation commune n’est pas un
attribut nécessaire d’un mouvement. »25

Suivant la définition de ter Haar, le qigong est un mouvement social composé


d’un ensemble de groupes qui partagent un certain nombre de pratiques et de
croyances relatives au corps. Mais, contrairement au nom de Lotus Blanc qui fut
souvent une étiquette employée par le gouvernement impérial pour désigner certains
groupes comme hérétiques, et pas forcément le nom employé par ces groupes eux-
mêmes, qui n’avaient pas d’organisation unifiée, le qigong est un mouvement qui se
reconnaît par son nom et qui, à travers des notions comme la « cause du qigong » et
des associations semi-officielles fondées avec le patronage de dirigeants politiques,
entend agir collectivement sur le cours de l’histoire. Il ne s’agit pas d’un classement
opéré de l’extérieur, regroupant arbitrairement tous les pratiquants de certaines
techniques corporelles sans que ceux-ci aient pris conscience de ces éléments
communs comme le fondement d’une identité collective26. Les pratiquants de qigong
sont engagés, consciemment ou non, dans un projet idéologique, politique et religieux
qui les distingue de ceux qui pratiquent des techniques semblables, voire identiques,
dans le cadre de mouvements ou de traditions comme le taijiquan, le taoïsme ou le
bouddhisme.
Le qigong en tant que mouvement comprend quatre principaux types de
groupes organisés. Dans leur ordre d’apparition historique, il s’agit d’institutions
médicales, de lignées de masse, d’associations semi-officielles et d’entreprises
commerciales. Les institutions médicales sont des cliniques et sanatoria de qigong
intégrées au système médical de l’Etat. J’appelle « lignées de masse » des chaînes de
transmission de méthodes de qigong, créées par des maîtres et disséminées à travers la
Chine et dans le monde par des réseaux d’animateurs et de formateurs reliant les
niveaux national, provincial, municipal, de quartier et jusque dans les jardins publics.

25
Ter Haar 1992: 12.
Les associations semi-officielles dépendent d’institutions de l’Etat telles que
l’Association scientifique nationale, le Bureau d’administration des sports, etc.. Leur
l’objectif est de promouvoir le qigong tout en unissant et en contrôlant les maîtres et
leurs lignées. Les entreprises commerciales proposent des services thérapeutiques ou
des stages de formation payants; ils dépendent souvent d’un groupe appartenant à l’un
des trois autres types. Entre ces organisations circule la masse des pratiquants, qui
peuvent aussi former des petits groupes ou réseaux éphémères d’ « amis de qigong »
(gongyou 功友).
Les groupes de qigong sont des réseaux plus ou moins structurés de
transmission. Ils créent des dispositifs d’interaction entre maîtres et élèves et entre
thérapeutes et patients, permettant l’enseignement et la diffusion des pratiques et des
représentations. Sans ces groupes, les pratiques et les représentations ne pourraient
être conservés ou transmis; et de nouveaux adeptes, maîtres ou spécialistes ne
pourraient être formés. Cette étude décrit la formation, l’organisation et les stratégies
de ces groupes, et leurs rapports avec l’Etat. Elle démontre que le qigong en tant que
mouvement social fut le produit d’un mariage ambigu entre l’Etat et ces groupes
populaires, et que la crise du Falungong est le résultat du délitement de cette alliance.

Les représentations, les pratiques et les organisations forment, dans le concret,


un agrégat inséparable. Mais chaque élément possède sa propre histoire: ce sont des
objets « nomades »27 qui circulent et évoluent dans l’espace et dans le temps. A des
époques ou en des lieux différents, les mêmes pratiques peuvent être associées à des
concepts différents et être diffusées d’une organisation vers une autre. Par exemple,
en 1949, une technique de méditation en position debout est transmise, à travers Liu
Guizhen, d’une lignée traditionnelle vers les institutions médicales modernes de
l’Armée populaire de libération, donnant naissance au qigong moderne. Avec ce
changement d’organisation, l’on essaie, tout en gardant la même technique, de
remplacer des concepts religieux par des concepts matérialistes compatibles avec
l’idéologie du Parti communiste chinois. Catherine Despeux souligne l’analogie entre
cette situation et celle qui permit la propagation à grande échelle du Taiji quan: cette
technique était en effet transmise par une famille du Henan alliée à la secte anti-

26
Elizabeth Allès fait une distinction analogue dans son étude de la construction politique des
musulmans chinois en tant qu’ethnie huizu 回族 . cf. Allès 2000 : 17.
27
Stengers 1996.
mandchoue des Piques Rouges, jusqu’à ce que l’un des disciples, Yang Luchan
杨露禅, originaire de Pékin, retourne à la capitale pour l’enseigner à grande échelle
avec l’aide de ses enfants et avec le soutien visible de fonctionnaires du palais
impérial:
« Ainsi, dans le cas du taiji quan comme dans celui du qigong, le résultat est le
même : l’appropriation par le pouvoir central d’une technique sortie d’un contexte
gênant pour être répandue et diffusée »28.

Les mêmes images peuvent, dans des contextes différents, être appliquées à
des techniques différentes et être transmis par des organisations différentes. Par
exemple, la notion de la « roue du Dharma », symbolisée par la swastika et diffusée
en Chine par la philosophie et l’art bouddhiques, devient dans le Falungong une sorte
de talisman giratoire déposé télépathiquement par Li Hongzhi dans le bas-ventre de
l’adepte, créant un lien viscéral entre le maître et le disciple dans la chaîne de
transmission et dans les pratiques de méditation29.
Une même organisation peut se perpétuer tout en modifiant les techniques et
l’idéologie conceptuelle qu’il diffuse. Ainsi le Falungong, dans ses premières années,
propose une méthode de qigong, mais plus tard abandonne la notion de qigong pour
celle d’une « ascèse » de niveau supérieur et insiste sur la primauté du livre sacré sur
les exercices de culture corporelle.
Nous nous retrouvons donc devant des combinaisons plus ou moins éphémères
d’éléments « nomades ». Un agrégat peut éclater ou se disperser, certains des
éléments constitutifs se recombinant ultérieurement sous une forme différente. Ainsi
le qigong, dans ses débuts, veut séparer les techniques corporelles du monde de la
religion populaire. Mais dans les années 1980 et 90, des formes d’organisation
religieuse se reconstituent autour du qigong, et des notions messianistes, millénaristes
et eschatologiques s’y rattachent. Notre modèle pour l’étude du qigong doit donc tenir
compte de sa nature composite et instable et donc de l’histoire de la distribution et de
la recomposition de ses éléments constitutifs.

3. Un schéma thématique

28
Despeux 1997: 270.
29
Voir section 13.3.2, p. 325.
Le récit est divisé en trois parties qui correspondent à des phases distinctes de
l’histoire du qigong. La première partie relate la phase de l’institution médicale, de la
fondation du qigong par l’Etat en tant que composante du système de santé, de 1949 à
la Révolution culturelle. La deuxième partie décrit l’explosion religieuse du qigong,
de la fin de la Révolution culturelle à 1989, période où le qigong devient un
mouvement religieux de masse et acquiert une idéologie légitimatrice se référant aussi
bien à la tradition antique qu’à la Science. La troisième partie analyse la crise
politique du qigong des années 1990, durant laquelle s’affrontent plusieurs stratégies
visant le contrôle des milliers de maîtres et des millions d’adeptes, et la gestion du
potentiel symbolique, economique et politique du mouvement. Au bout du compte,
c’est une radicalisation idéologique, religieuse et politique qui prend le dessus,
exprimée par le militantisme du Falungong et la répression par l’Etat.
Le qigong peut être appréhendé sous l’angle de ses dimensions thérapeutique,
religieuse et politique. En simplifiant de manière schématique, on peut dire que durant
la première période décrite dans le récit historique, c’est la fonction thérapeutique qui
est mise en avant pour justifier l’institutionnalisation du qigong. Dans la deuxième
période, c’est l’aspect religieux qui explique l’engouement des masses comme de
l’élite pour le qigong. Et dans la troisième période, c’est l’enjeu politique qui est au
centre des préoccupations des acteurs. Mais comme on le verra, les trois aspects sont
en réalité toujours présents et imbriqués.

3.1 Guérison

En tant que méthode de guérison, le qigong a déjà été l’objet de cinq études
d’anthropologie médicale menées par Thomas Ots30, Nancy Chen31, Evelyne
Micollier32, Thomas Heise33 et Elizabeth Hsu34. Chen et Ots ont souligné comment, à
travers le qigong, les adeptes se réapproprient leur corps et entrent dans des états
altérés de conscience qui leur permettent de pénétrer dans un univers autre, libre des
contraintes et des pressions de l’Etat, du travail et de la famille. Dans le même sens,
Micollier explique comment différentes formes de qigong peuvent servir soit comme

30
Cf. Ots 1994.
31
Cf. Chen 1995.
32
Cf. Micollier 1995, 1999.
33
Cf. Heise 1999.
34
Cf. Hsu 1999.
moyen de défoulement, soit, au contraire, comme méthode de contrôle des émotions.
Micollier et Hsu ont analysé, lors d’enquêtes de terrain à Canton et à Kunming, les
interactions entre maîtres et patients de qigong, ainsi que les concepts de maladie et
de guérison qui ressortent de différents types de dispositif thérapeutique. Hsu s’est
également penchée sur la transmission d’une lignée secrète de qigong par un maître
vers son beau-frère, et les rapports entre cette transmission et les relations familiales.
Les travaux de Ots et de Hsu restituent la richesse du ressenti des acteurs et de
leurs interactions. Mais ces études se sont focalisées sur des cas spécifiques et locaux.
Ici, nous allons plutôt suivre le qigong dans une perspective générale et historique. Ce
sont des politiques de l’Etat, des interventions de personnalités influentes ou
charismatiques, et des lignées de masse qui ont créé le cadre dans et autour duquel se
sont réunies des millions de trajectoires thérapeutiques et de rencontres cliniques
individuelles. Le corps, la maladie et la guérison sont la terre fertile dans laquelle les
groupes de qigong se sont enracinés au sein du peuple; la santé et la médecine sont les
instances auprès desquelles ils ont d’abord acquis une légitimité institutionnelle. Mais
rester au niveau de l’analyse des interactions thérapeutiques, c’est manquer la
question essentielle soulevée par le qigong, qui est son glissement inexorable vers le
religieux et le politique.

3.2 Religion

Dire que le qigong est un mouvement religieux, c’est une affirmation


qu’opposeront avec véhémence tous les groupes de qigong, et pas seulement par
conformisme de façade aux normes idéologiques du Parti. En effet, bien que les
groupes de qigong puisent volontiers dans le fonds symbolique de la religion chinoise,
il existe un discours de la supériorité scientifique et morale du qigong sur la religion35.
Il convient donc de justifier dans quel sens j’emploie le concept de religion.
Danièle Hervieu-Léger a remarqué que les définitions de la religion peuvent se
diviser en deux types : d’une part, les définitions substantives, basées sur le contenu
des croyances, notamment la croyance en des puissances surnaturelles, d’autre part,
les définitions fonctionnelles, basées sur la capacité des religions à donner du sens à la
vie, à proposer des systèmes globalisants de significations36. On peut très bien

35
Voir section 4.4.
36
Hervieu-Léger 1993: 49.
appliquer ces deux types de définition au qigong. Au niveau du contenu des
croyances, aussi bien le qi que le gong sont des substances ou des forces magiques ou
immatérielles, et la croyance dans les phénomènes paranormaux caractérise une
grande partie du discours du qigong. Certes, le courant intellectuel du qigong a fait un
grand effort pour accorder ces phénomènes au matérialisme, mais ce travail a produit
des théories globalisantes qui intègrent en un seul système la nature ordinaire et le
supra-normal, tout en gardant la fascination pour le potentiel miraculeux des pouvoirs
paranormaux37.
Mais se limiter à relever les éléments du qigong qui rentrent dans de telles
définitions de la religon, serait un exercice sans utilité38. Définir la religion en
fonction du contenu des croyances nous obligerait à opérer une distinction artificielle
entre les éléments « religieux » du qigong de ses éléments « non-religieux »
(médicaux, scientifiques, etc.) – ce qui fut d’ailleurs le projet des institutions
officielles et des intellectuels du monde du qigong. Et si l’on suit la définition
fonctionnelle, on « “noit” alors les phénomènes religieux dans la nébuleuse
insaisissable des “systèmes de significations” »39.
La réflexion menée par Hervieu-Léger pour sortir de cette impasse ouvre des
voies fécondes et pertinentes pour l’étude du qigong. Elle considère la religion
comme étant fondée sur une « lignée croyante » réunissant trois éléments: (1)
l’expression d’un croire, le « croire » étant ici compris dans un sens large englobant
aussi bien les « croyances » que les pratiques dans lesquelles celles-ci prennent corps
de manière consciente ou inconsciente; (2) la mémoire d’une continuité; et (3) la
référence légitimatrice à une tradition, c’est-à-dire à une version autorisée de cette
mémoire40. Une « religion » est donc « un dispositif idéologique, pratique et
symbolique par lequel est constituée, entretenue, développée et contrôlée la
conscience (individuelle et collective) de l’appartenance à une lignée croyante
particulière.41 » Rejoignant l’analyse de C. K. Yang sur la religion dans la société
chinoise42, Hervieu-Léger souligne que le croire est répandu de manière diffuse dans
toutes les dimensions de la vie individuelle et sociale. La question qui se pose alors

37
Voir par exemple le marxisme paranormal de Qian Xuesen (section 4.4.2, p. 119), la science
omnisciente de Yan Xin (section 4.4.5, p.127-128), la culture totale de Zhang Hongbao (section 12.1,
p. 288-290) et le Grand Dharma cosmique de Li Hongzhi (section 13.3, pp. 318-336).
38
Hervieu-Léger 1993: 162.
39
Hervieu-Léger 1993: couverure arrière.
40
Hervieu-Léger 1993: 142.
41
Hervieu-Léger 1993: 119.
est « celle des facteurs qui produisent, dans des circonstances historiques concrètes,
l’émergence de ces traits religieux, leur cristallisation, et éventuellement leur
organisation sous la forme d’une « religion ». Il s’agit de comprendre comment
s’opère le « passage de ce croire virtuellement religieux au croire proprement
religieux, voire à la religion organisée.43 »
C’est là le problème fondamental du qigong: comment est-on passé d’une
simple gymnastique à une explosion religieuse de masse, avec toutes les
conséquences politiques que cela implique dans le contexte chinois? Suivant le sentier
balisé par Hervieu-Léger, on partira de la conscience de l’existence d’un croire
« virtuellement religieux » inégalement diffusé dans la culture chinoise
contemporaine. Ensuite, on tentera de situer le moment où le qigong devient une
expression concrète d’un croire qui réunit sous une forme spécifique des pratiques et
des notions autour du corps et de la guérison, des récits de divination et de guérison
miraculeuse, des discours apocalyptiques, des symboles bouddhiques et taoïstes, etc.
On se posera la question de l’élaboration d’une mémoire de l’origine du qigong
remontant toujours plus loin dans le passé et de comment, par la pratique du qigong,
l’adepte cherche à donner corps à cette mémoire, en s’inscrivant dans sa continuité.
On suivra les maîtres, les intellectuels et les institutions qui s’attellent à l’élaboration
de traditions qui font autorité. Et on étudiera les dispositifs qu’ils construisent afin de
produire, gérer et diffuser des lignées spécifiques de qigong, établir des normes de
légitimité, et lutter contre des formes rivales, « fausses » ou « pernicieuses » de
qigong. Il s’agit donc, pour reprendre l’expression de Jean-Paul Willaime, de « placer,
au centre de l’investigation, la question du pouvoir, celle de sa légitimation et celle de
sa transmission.44 »

3.3 Politique

Ces considérations relient la dimension religieuse du qigong à sa dimension


politique. L’histoire du qigong est une histoire politique. Qu’il s’agisse de la
naissance institutionnelle du qigong en 1949, de l’élaboration d’une idéologie
national-scientiste du qigong, de la promotion des pratiques par des dirigeants du

42
Yang 1961: 295.
43
Hervieu-Léger 1993: 163.
44
Willaime 1995: 123.
Parti, des tentatives de régulation des maîtres ou de la suppression du Falungong en
1999, les enjeux politiques ont été centraux à chaque étape de son développement. Le
qigong est le produit d’une interaction entre l’Etat et des groupes populaires. Cette
étude restitue les étapes de cette interaction, ses retournements et son dénouement.

4. Le cadre de référence

Précisons les limites dans lesquelles se cadre cette étude.


Le qigong institutionnel est fondé en mars 1949; la répression du Falungong
en juillet 1999 entraîne la fin du monde du qigong tel qu’il avait existé depuis 1979.
Le cadre temporel de cette thèse se situe donc entre ces deux dates.
Géographiquement, l’enquête porte uniquement sur la Chine continentale. Le
qigong s’est répandu et a pris des formes nouvelles à Hongkong, à Taïwan, et en
Occident. Mais ces développements sont hors du cadre de la présente étude. Celle-ci
porte sur la configuration générale du qigong en Chine continentale : bien qu’il y ait
des particularités régionales en Chine même, celles-ci ne sont pas traitées45.
Le monde du qigong englobe une très grande diversité de pratiques et de
lignées. Il aurait été impossible de dépeindre tous ces groupes dans le détail. Cette
étude tente de présenter une image d’ensemble, de fournir le canevas sur lequel
pourront se baser, dans l’avenir, des études subséquentes sur des lignées particulières.
Dans la troisième partie, l’organisation de trois groupes est décrite en détail : il ne
s’agit pas d’études exhaustives, mais plutôt d’exemples concrets de cas représentatifs,
présentés dans le but de donner au lecteur une meilleure idée des points communs,
mais aussi de la diversité des stratégies d’organisation au sein du qigong.
Le cas du Falungong présente une difficulté supplémentaire. Le Falungong et
le monde du qigong s’accordent pour dire que le celui-là n’appartient pas à celui-ci.
Sur cette base, on aurait pu justifier d’exclure le Falungong de cette étude. Le
Falungong possède ses caractéristiques propres au niveau de la pratique et de
l’idéologie, qui représentent à certains égards une rupture radicale par rapport au
qigong. Il a aussi sa propre histoire qui, depuis 1996 et surtout 1999, est de moins en
moins liée à celle du qigong. L’étude approfondie des volumineux écrits de Li
Hongzhi suffirait à elle seule pour faire l’objet d’une thèse. Mais étant donné que le
Falungong est né en tant que méthode de qigong, qu’il a connu ses premières années
de développement dans le giron du monde du qigong, que son évolution fut fortement
influencée par les problèmes qui travaillaient le monde du qigong, et que la campagne
anti-Falungong a été fatale pour le monde du qigong, j’ai jugé qu’il était nécessaire
d’en intégrer les aspects essentiels dans cette étude. Il est impossible de comprendre
l’évolution récente du qigong sans étudier le Falungong, tout comme il est impossible
de comprendre le Falungong sans étudier ses racines dans le qigong.

45
Sur la géographie du Falungong, voir la thèse de maîtrise de Robin Evrard sous la direction de
Thierry Sanjuan, Université de Paris-I, en cours de préparation.
PREMIERE PARTIE:

L’INSTITUTION MEDICALE
1. LA PREMIERE VAGUE DU QIGONG, 1949-1964

Dans la première moitié du 20e siècle, les pratiques de culture corporelle étaient
très répandues dans toutes les strates de la société chinoise. En plus de leur
transmission dans les communautés monastiques et religieuses, dans des lignées
médicales et dans des milieux lettrés, elles étaient diffusées jusque dans les
campagnes les plus reculées par la prolifération de groupes sectaires qui enseignaient
des techniques d’arts martiaux, de respiration, de méditation et de possession46. Mais
il n’existait aucun mouvement cherchant à unifier tous les pratiquants autour d’un
concept unique de culture corporelle. Bien que le terme qigong soit apparu, il n’était
pas encore répandu et n’avait pas encore pris un sens large englobant aussi bien la

46
L’historiographie du qigong, soucieuse de démontrer la popularisation du qigong sous la direction du
Parti communiste à la suite d’une longue période de déclin, prétend que les techniques étaient limitées
à une petite élite et occulte complètement leur rôle dans les groupes sectaires (voir section 4.4.4, pp.
124-25). Cette idée est reprise dans plusieurs des articles universitaires occidentaux sur le qigong.
Ainsi, selon Kunio Miura, « Au tournant du siècle, les pratiques traditionnelles de longévité n’étaient
pratiquées que par quelques chercheurs ésotériques, initiés taoïstes, et reclus. Ces personnes étaient
surtout des spécialistes qui consacraient tout leur temps à ces techniques et ne se préoccupaient pas de
les transmettre à un public plus vaste. » (Miura 1989 : 332). Dans sa thèse sur le qigong, Evelyne
Micollier affirme que « l’origine sociale des pratiquants [contemporains] montre un déplacement […]
vers les catégories populaires et moyennes, alors que dans la tradition, ces pratiques sont réservées à
une élite intellectuelle ou religieuse » (Micollier 1995 : 361). Dans la même veine, Xu Jian, dans son
article « Body, Discourse, and the Cultural Politics of Contemporary Chinese Qigong » (1999), affirme
que « la culture traditionnelle du corps à l’aide du qi s’est aussi désagrégée après les guerres de
l’opium. La croyance taoïste dans les ressources infinies du corps individuel et son potentiel
psychosomatique de transcendance, a cédé à des soucis plus urgents de souveraineté nationale » (Xu
Jian 1999: 970). Plus loin, parlant des pratiques du qi durant la période républicaine, il dit que « la
guerre anti-japonaise et la révolution communiste chinoise ont complètement occupé l’histoire, de sorte
que tout le reste est devenu insignifiant. S’il y avait une littérature sur le qi et sa pratique, elle fut
assurément perdue. Mais il y a raison de croire que la pratique du qi a continué, bien que seulement
dans une petite partie de la population » (p. 973). Or le monde intellectuel chinois connaît ce que Li
Zhiyong 李志庸 appelle une « mode de méditation assise » (jingzuo rechao 静坐热潮) dans la
première moitié du 20e siècle (Li Zhiyong 1988 : 409). Et la littérature sur les groupes sectaires nous
apprend que ceux-ci, qui se propagent souvent à travers la transmission de techniques de culture
corporelle, connaissent une grande expansion dans les milieux populaires. Sur les pratiques de
circulation du souffle dans les groupes du « Lotus Blanc », voir Overmyer 1976: 188-191. Sur les
« sectes méditatives » et le rôle de la culture corporelle dans leur propagation, voir Naquin 1976: 26-32
et 1985. Sur la prolifération des sectes à la fin des Qing et durant la période républicaine (1911-1949),
à la faveur de la destruction des structures sociales et religieuses traditionnelles, voir Naquin 1985: 258,
Perry 1980: 152-203, Duara 1995: 96-109. Sur les techniques de culture corporelle du mouvement des
Boxers, voir Esherick 1987: 50-53, Cohen 1997: 16-30, 99-118. Sur la culture corporelle dans les
sectes du Sichuan, voir Zheng Guanglu 1995. Sur les pratiques du souffle dans la secte des Piques
Rouges dans la première moitié du 20e siècle, voir Perry 1980: 195. Toutes les techniques corporelles
décrites dans cette littérature comme pratiquées dans les milieux populaires, réapparaissent en Chine
communiste sous la guise du qigong.
gymnastique, la méditation assise et des techniques d’arts martiaux, permettant ainsi
d’unifier des pratiquants de toutes ces traditions en un seul mouvement.
Ce n’est que sous l’impulsion du Parti communiste chinois qu’une telle
communauté va se constituer à partir de 1949. En effet, peu avant la fondation de la
République populaire de Chine, Liu Guizhen (1920-1983), cadre du Parti, crée une
méthode thérapeutique du qigong à partir d’une technique de culture corporelle qui lui
a été transmise par un maître d’une tradition populaire. Cette section commence avec
le récit des circonstances qui ont mené à la naissance du qigong en tant que
composante du paysage médical de la Chine communiste. Jusqu’à la Révolution
culturelle, le qigong est intégré aux nouvelles institutions de la médecine chinoise. Le
développement du qigong est donc indissociable du développement de ces
institutions, dans un contexte hautement politisé. Je continue donc par une
présentation des changements dans la politique médicale du nouveau régime. Dans les
cinq premières années, de 1949 à 1954, la médecine chinoise s’institutionnalise sous
la direction de l’Etat, qui lui donne une forme d’organisation moderne. L’équipe de
recherches cliniques sur le qigong de Liu Guizhen poursuit ses travaux au sein de ces
institutions. De 1954 à 1959, à la faveur d’un retournement politique contre la
médecine occidentale et pour une expansion massive de la médecine chinoise, des
établissements spécialisés dans le qigong sont créés et se développement rapidement.
Le « Grand bond en avant », de 1959 à 1961, favorise la dissémination à grande
échelle du qigong. Ensuite, de 1962 à 1964, l’activité ralentit, jusqu’à ce que le
qigong soit interdit juste avant la Révolution culturelle.

1.1 La naissance du qigong moderne

Le qigong moderne est « né » le 3 mars 1949, dans la « région libérée » du sud


du Hebei. Ce jour-là, le cadre Huang Yueting 黄月庭 proclame l’adoption officielle
du terme qigong pour désigner les techniques corporelles étudiées depuis quelques
années par une équipe de chercheurs cliniciens sous sa direction. La création du
qigong est un acte politique : tout en voulant détruire le cadre social et symbolique
imprégné de « superstition féodale » des maîtres traditionnels, les nouvelles
institutions médicales cherchent à récupérer les techniques corporelles qu’ils
pratiquent, et de former un nouveau corps de « travailleurs médicaux » pour les
enseigner dans un cadre institutionnel communiste47.
Avant de relater les circonstances de cette « naissance », il est utile de
comprendre l’évolution de l’attitude du PCC envers la médecine traditionnelle. Les
premiers marxistes chinois de la génération du mouvement du Quatre mai, bien que
peu intéressés par la question médicale, étaient, de par leur orientation moderniste,
opposés à la médecine traditionnelle associée à la vielle société chinoise48. La
première génération de dirigeants du Parti communiste chinois était opposée à la
médecine chinoise. En 1929, lors de la première réunion de Comité central d’hygiène
du Parti, un plan fut proposé, visant à « abolir l’ancienne médecine et déblayer les
obstacles au développement de la médecine et de l’hygiène », qui ne fut cependant
pas adopté49.
Mais après l’établissement des Soviets du Jiangxi et du Shaanxi, et la Longue
marche et l’enracinement du Parti dans les campagnes à partir des années 1930,
l’attitude du Parti commença à changer. Face au blocus des bases communistes par les
forces nationalistes, les armées de guérilla communistes durent se fier à des
thérapeutes traditionnels. Dans les années 1940, une politique consciente est formulée
dans les « régions libérées » du nord-ouest, pour l’usage des ressources thérapeutiques
locales dans le cadre d’une « orientation scientifique ».
Mao légitima la nouvelle approche favorable à la médecine traditionnelle, lors
d’un célèbre discours à la Conférence sur la culture et l’éducation de la Région
frontalière de Yan’an. Affirmant que « la médecine occidentale est plus scientifique
que la médecine chinoise », il reconnaît que les thérapeutes traditionnels sont plus
près des préoccupations du peuple. Il pousse les médecins de formation moderne à
« s’unir aux docteurs chinois et vétérinaires traditionnels et les aider à se réformer ».
« Il est faux de capituler devant l’ancienne école ; il est également faux de l’abolir ou
de la rejeter. Notre responsabilité est d’unifier ceux de l’ancienne école qui peuvent
être utilisés et de les aider, les stimuler et les réformer.» Ainsi, les médecins
traditionnels ne sont plus les ennemis du progrès que la génération du Quatre mai
voulait combattre et éliminer. Indispensables sur le terrain où des structures médicales
modernes sont absentes, ils peuvent être utilisés et réformés dans le sens de la

47
Sur la dimension anticléricale du qigong des années 1950, voir Palmer 2002.
48
Les données sur l’histoire de la politique du PCC et de l’Etat communiste chinois envers la
médecine chinoise, sont tirées de Agren 1975, Croizier 1968, Croizier 1973, et Croizier 1975.
médecine scientifique qui remplacera graduellement et naturellement la médecine
ancienne.
Dans le cadre de cette orientation globale, les dirigeants locaux du Parti sont
donc libres de recourir aux thérapeutes traditionnels pour répondre à des besoins
pratiques. C’est dans ce contexte que le qigong officiel naîtra dans le Hebei à la fin
des annees 1940. L’innovation aura lieu dans la région administrative du sud du
Hebei (Jinan xingshu 冀南行署), une base d’opérations anti-japonaises depuis le
début de la guerre sino-japonaise, qui sera incorporée à la Région libérée du Huabei
en 194850.
Dans cette région, l’administration du Parti se trouvait dans l’impossibilité de
fournir un traitement médical adéquat au grand nombre de cadres et de soldats de
l’armée rouge malades et blessés. Le dirigeant Guo Xianrui 郭献瑞51 eut vent de la
renommée d’un certain guérisseur, Liu Duzhou 刘渡舟 du district de Wei 威. Ce
dernier avait en effet guéri plusieurs malades graves, dont le jeune cadre du Parti et
natif de Wei, Liu Guizhen.
Né en 1920, Liu Guizhen, qui s’était joint à la révolution en 1944, travaillait
dans le Bureau du commerce de la quatrième section de supervision de la zone libérée
du Hebei méridional (Jinan disi ducha zhuanyuan gongshu maoyiju
冀南第四督察专员公署贸易局). Il souffrait d’ulcères gastriques et d’insomnie
depuis 1940; son poids ne dépassait guère 35 kg. En 1947, lors d’un congé de
maladie, il était rentré dans son village natal de Dasi 大寺庄, dans la préfecture de
Wei, où il se fit soigner par son oncle paternel Liu Duzhou, qui lui enseigna le
« travail de culture interne » (neiyang gong 内养功) dont il était l’héritier de la 5e
génération.
D’après Wang Puxiong et Zhou Zhirong52, l’origine de la transmission de cette
méthode remonte à Hao Xiangwu 郝湘武, du village de Shuangmiao 双庙村 dans le
district de Nangong (Hebei), à la fin des Ming / début des Qing (milieu du 17e siècle).
C. Despeux53 spécifie que la tradition est issue du temple Dongshuang miao 东双庙,
dans ce village. La méthode fut ensuite transmise au fils de Xue Wenzhan 薛文占,

49
cité dans Agren 1975 : 41.
50
Che & Ke 1997 : 21.
51
Futur Vice-maire de Pékin et président honoraire de la Société de recherches de qigong de Pékin.
52
Wang Puxiong & Zhou Zhirong 1989: 511.
53
Despeux 1997: 269.
puis à Zhang Xuezhong 张学忠 (Zhang Laoshan 张老善 selon Despeux), puis à
Zhang Chunhe 张春和 de la même lignée. Ce dernier enseigna la méthode à Liu
Zanhua 刘赞华 du district de Wei; à la suite de la mort de celui-ci, Zhang Chunhe
transmit la méthode à Liu Duzhou, également ressortissant du district de Wei. La
méthode était transmise oralement du maître à un seul disciple.
Après 102 jours de pratique, l’ulcère de Liu Guizhen fut complètement guéri,
les autres syndrômes furent considérablement allégés, et son poids augmenta de plus
de 15 kg54. Liu Guizhen retourna à son poste de travail et parla de sa cure au
secrétaire du Parti de Xingtai, Cheng Yulin 程玉琳. Celui-ci, ainsi que Guo Xianrui et
Wang Yuechen 王悦尘, dirigeants du gouvernement de la région administrative du
Hebei méridional, permirent à Liu Guizhen de retourner à son village pour devenir
disciple de Liu Duzhou et étudier sa méthode du Neiyanggong, et décidèrent de lui
allouer une ration de riz pour couvrir ses dépenses55. Guo Xianrui apprit lui-même la
méthode, qu’il se mit à pratiquer une demi-heure tous les jours. Plusieurs décennies
plus tard, Guo témoigna ainsi de sa décision :
« En 1942 (sic)56, alors que nous combattions les diables japonais, nos
conditions de vie étaient extrêmement difficiles, et nous manquions de médecins
et de médicaments. A cette époque j’étais à Handan 邯郸 dans le Hebei, et j’ai
demandé à Liu Guizhen et à quelques autres camarades de mettre en pratique la
thérapie par qigong, avec des résultats qui ne furent pas du tout décevants. »57

Liu Guizhen devint alors héritier de la sixième génération du Neiyanggong.


Cheng Yulin assigne alors Lui Guizhen à l’enseignement du qigong dans le
sanatorium des cadres du district, et l’entoure d’un groupe de recherche pour
systématiser les expériences recueillies sur le Neiyanggong. Le groupe, dont Liu
Guizhen et quelques médecins étaient membres, fut dirigé par Huang Yueting,
Directeur du Bureau de recherches du Département de santé du Hebei méridional ; les
directeurs adjoints du groupe étaient Li Junchuan 李浚川, vice-directeur de l’Hôpital
du peuple du 4e sous-district du Hebei méridional, et Zhao Jingchun 赵景春 du

54
Li Zhiyong 1988 : 417-418.
55
Li Zhiyong 1988 : 418; Ji Shoukang s.d.
56
D’après Li Zhiyong 1988, Che & Ke 1997, Wang & Zhou 1989 et Ji Shoukang (s.d.), c’est à la fin
des années 1940 et non en 1942 que Liu Guizhen reçoit la mission de mener des recherches sur le
Neiyanggong. D’après les données biographiques dont nous disposons sur Liu Guizhen, celui-ci n’a
commencé son travail pour le Parti qu’en 1944.
57
DF 66 : 24.
sanatorium des cadres du Hebei méridional (Jinan ganbu liaoyangsuo
冀南干部疗养所)58.
Le groupe commença alors un travail d’extraction de la méthode de son cadre
religieux et « superstitieux ». La méthode fut comparée avec les textes de la médecine
classique, et sa conceptualisation reformulée. A partir de cette recherche et
d’expériences cliniques menées par Liu Guizhen au sanatorium des cadres du Hebei
méridional, trois méthodes furent développées : le Neiyanggong, méthode de
respiration allongée ou assise, le Qiangzhuanggong 强壮功, « travail de force et de
robustesse », méthode de respiration dans la position du lotus, et le Baojiangong
保健功, « travail pour préserver la santé », qui combine l’exercice de la respiration
avec des techniques d’auto-massage59.
Le groupe se penche également sur l’appelation générale à donner aux méthodes
thérapeutiques ainsi développées. Les termes « Méthode thérapeutique pour l’esprit »
(jingshen liaofa 精神疗法), « Méthode thérapeutique psychologique » (xinli liaofa
心里疗法), « Méthode thérapeutique par incantations » (zhuyou liaofa 祝由疗法)60,
etc. sont considérés, mais le groupe choisit finalement le terme « Méthode
thérapeutique de qigong »(qigong liaofa 气功疗法)61. Huang Yueting explique ainsi
le choix du groupe :
« Je considère que le travail interne [neigong 内功] correspond à la théorie de la
transformation du qi de la médecine nationale : le qi commande le sang ;
lorsque le qi circule, le sang circule naturellement, le qi véritable émerge de la
tranquilité et du vide, et la guérison des maladies découle de la protection de son
esprit intérieur. Ces principes expliquent l’effet thérapeutique du travail interne.
D’après son sens général, le terme « qigong » est un choix tout à fait justifiable,
et nous pouvons considérer son usage préférentiel »62.

En développant le concept de qigong, Liu Guizhen l’a assorti d’une description


des types de techniques qui sont recouvertes par ce concept. Il définit le qigong
comme intégrant la « triple discipline » du corps, de la respiration, et de l’esprit63. Il a
ainsi permis de regrouper sous une seule catégorie, des techniques qui, auparavant,
n’étaient pas toujours regroupées, et a institué une norme qui sera suivie dans toutes

58
Che, Ke 1997 : 21; Ji Shoukang s.d.
59
Hu Meicheng 1981 : 42, Liu Guizhen 1982 [1957].
60
Sur l’expression zhuyou 祝由, voir Fang Ling ____
61
Sur les apparitions du terme qigong avant 1949, voir la section 2.1 de l’introduction, p. 12.
62
Cité dans Che, Ke 1997 : 21.
les recherches chinoises sur le qigong, ainsi que par la plupart des méthodes. Par
exemple, aujourd’hui, la plupart des gongfa comprennent aussi bien des techniques de
gymnastique que des exercices de méditation assise en position du lotus – ce qui
n’était pas nécessairement le cas dans les traditions de culture corporelle d’avant
1949.
La catégorie « qigong » regroupe donc un ensemble de techniques
respiratoires, corporelles, méditatives et magiques pratiquées sous différentes formes
depuis la haute antiquité chinoise sous des noms variés tels que xingqi 行气 (diriger la
circulation du souffle), fuqi 服气 (se nourrir de souffle), tuna 吐呐 (expirer et
inspirer), daoyin 导引 (conduire et étirer), anqiao 按乔 (masser), shushu 数数
(compter les respirations), shiqi 食气 (se nourrir de souffle), jingzuo 静坐 (méditer
en position assise), wogong 卧功 (méditer en position couchée), etc64.
Malgré la diversité des noms traditionnels des techniques, ainsi que des
variations entre les techniques pratiquées dans les différentes lignées et traditions, le
modèle du qigong qui se répandra dans les années 1950 possède certaines
caractéristiques fondamentales :

1. La cultivation de la « triple discipline » : discipline du corps (tiaoxing 调形


ou tiaoshen 调身), discipline respiratoire (tiaoqi 调气 ou tiaoxi 调息), discipline de
l’esprit (tiaoshen 调神 ou tiaoxin 调心). En général, les méthodes de qigong intègrent
la pratique simultanée des trois formes de discipline, parmi lesquelles la discipline
respiratoire forme le pivot central. En effet, l’entraînement conscient de la respiration
nécessite aussi bien l’adoption d’une posture corporelle que l’exercice d’un haut
degré de concentration mentale. Dans la pratique, les trois formes de discipline sont
donc complètement intégrées. Plusieurs méthodes de qigong contiennent également la
récitation de mantras, qui aident à la discipline mentale et respiratoire, et sont souvent
considérées comme possédant une puissance magique.

2. La cultivation de la « sensation de qi » (qigan 气感): la pratique du qigong


suit le principe de la « correspondance entre l’esprit et le qi » (yiqi xiangsui

63
Liu Guizhen 1982 [1957]. Voir en annexes 2 et 3 la méthode modèle de qigong élaborée par Liu
Guizhen et le résumé de son livre dans lequel le concept du qigong est élaboré pour la première fois.
64
cf. Zhang Enqin, ed. 1990 :2.
意气相随) – c’est-à-dire que l’esprit suit le qi, et le qi suit l’esprit. Après avoir
pratiqué assez longtemps, l’adepte peut ressentir certaines sensations dans le corps,
semblables à des courants électriques, qu’il identifie au qi. Il peut ensuite, par un
effort de concentration, facilement augmenter ou diminuer cette sensation de qi et
diriger le courant vers différents points du corps. Notons que l’émission de qi vers
d’autres personnes à des fins thérapeutiques, qui deviendra une forme incontournable
du qigong dans les années 1980, ne figure pas dans le qigong enseigné par Liu
Guizhen, qui est une forme d’ « auto-thérapie » (ziwo liaofa 自我疗法) : « dans cette
méthode, on ne peut bénéficier que par ses propres efforts acharnés, que nulle autre
personne ne peut remplacer »65.

3. Le qigong se pratique sous la forme de rites simples. On pratique le qigong à


une heure précise tous les jours, à un lieu précis, le corps orienté dans une direction
précise, suivant un enchaînement précis de postures et de techniques encadrés par des
« postures préparatoires » (yubeishi 预备式) et des « postures de clôture » (shoushi
收式) pendant une période de temps précise (généralement entre dix minutes et trois
heures). L’heure, le lieu, l’orientation, la forme et la durée du rite quotidien varient
selon la méthode.

Le 3 mars 1949, lors d’une réunion de travail sur la santé du district du Hebei
méridional présidée par Huang Yueting, ce dernier proclame formellement
d’adoption du terme « qigong » 66. A cette occasion, Zhao Jingchun présente un
« Rapport de synthèse sur le traitement de maladies chroniques par le qigong »
(Qigong zhiliao manxing jibing de zongjie baogao 气功治疗慢性疾病的总结报告) ,
et Li Junchuan présente un « Rapport d’observation clinique de la thérapie par

65
Liu Guizhen 1982 [1957]: 43.
66
Le choix du terme « qigong » sera critiqué par d’autres spécialistes durant les années 1950. Jiang
Weiqiao, auteur du Yinshizi jingzuofa don’t l’influence avait été considérable dans la première moitié
du siècle (voir p. 48), dira que « maintenant tout le monde l’appelle ‘qigong’; en fait ce nom n’est pas
approprié, mais comme il est déjà couramment employé, je ne peux que suivre le courant.
Anciennement, on l’appelait « méthode de nourrir la vie » (yangsheng fa 养生法) » . Chen Shou,
fondateur du Sanatorium de qigong de Shanghaï, préviendra que « si on considère le caractère ‘qi’ dans
la méthode thérapeutique de qigong comme signifiant certains phénomènes de l’activité du système
nerveux du corps humain, on peut facilement comprendre [le choix de ce terme], mais si on insiste que
c’est l’effet dans le corps humain du mystérieux qi cosmique, il sera alors impossible de se libérer du
revêtement mystique, et [le qigong ne pourra] devenir une méthode pour soigner les maladies et nourrir
la vie pour la grande masse du peuple » (propos cités dans Zhang Honglin 1995d).
qigong » (Qigong zhiliao de linchuan guancha baogao
气功治疗的临床观察报告)67.
C’est ainsi que, quelques mois avant la fondation de la République populaire de
Chine, la naissance officielle du qigong est proclamée par un dirigeant local du Parti
communiste, dans le contexte d’une réunion officielle, justifiée par des données
scientifiques. En transmettant le neiyanggong à Liu Guizhen, le maître populaire Liu
Duzhou faisait plus que transmettre à un disciple personnel : c’est l’institution du
Parti communiste et de son nouveau gouvernement, dont Liu Guizhen était
l’instrument, qui en devint le nouvel héritier. En autorisant et en supervisant
l’apprentissage de Liu Guizhen, en recueillant, reformulant, renommant et
proclamant la méthode conformément à son idéologie, le Parti a consciemment créé le
qigong pour en faire un instrument de sa politique. La technique de culture corporelle
est ainsi passée du domaine populaire et « superstitieux » au domaine officiel et
légitime.

1.2 Institutionnalisation de la médecine chinoise, de 1949 à 1954.

Dès sa prise de pouvoir, le Parti communiste chinois se retrouva face à l’état


lamentable du système de soins en Chine. Le pays entier ne comptait que 12 000
médecins de formation scientifique – une proportion de seulement un médecin pour
26 000 personnes. Et la grande majorité de ces derniers étaient concentrés dans les
grandes villes. Pourtant, il y avait plus de 400000 thérapeutes traditionnels68.
Face à cette situation, le nouveau gouvernement continua la politique de 1944
du Parti – intégrer les thérapeutes traditionnels dans le nouveau système de santé de
la Chine, jusqu’à ce qu’ils puissent être remplacés par un corps médical moderne.
Dès octobre 1949, la Conférence nationale sur l’administration de la santé publique
reçut la directive d’ « unifier les praticiens de médecine chinoise et les aider à
augmenter leur niveau technique »69.
En mars 1950, les plus réputés des docteurs traditionnels de Pékin furent
convoqués à une réunion avec le ministre de la santé Li Dequan 李德全. On leur

67
Che, Ke 1997 : 21.
68
Agren 1975 : 42, Croizier 1973 : 4.
69
Croizier 1973 : 9, Croizier 1968 : 158.
expliqua que leurs longues années de souffrance et de négligence sous les
impérialistes étaient finies, et que la médecine traditionnelle était désormais libre de
s’unifier et de progresser pour servir le peuple. En tant que force sociale ayant des
liens intimes avec le peuple, la médecine chinoise serait respectée par le ministère de
la santé. Mais les médecins traditionnels devraient abandonner leurs préjugés
conservateurs, accepter des connaissances nouvelles, étudier la science, et collaborer
avec des spécialistes de médecine occidentale pour relever leur niveau technique70.
En juillet 1950, lors de la première Conférence nationale de santé, Guo Moruo
郭沫若 (1892-1978) 71 affirma dans son allocution officielle que « la médecine
chinoise doit étudier les connaissances scientifiques de la médecine occidentale, et la
médecine occidentale doit étudier l’esprit populaire et universel de la médecine
chinoise ». Le rapport de la conférence souligne cependant que « dans cette
coopération, la médecine occidentale devrait assumer la responsabilité principale dans
la recherche sur la médecine chinoise et l’amélioration de son niveau. »72
L’Etat lança alors une série de mesures visant l’institutionnalisation des
praticiens de médecine chinoise. L’objet était d’unifier les thérapeutes qui,
traditionnellement, travaillaient en lignées isolées, sans collaboration mutuelle,
gardant leurs connaissances secrètes, et de les intégrer à des unités médicales
modernes. Tous les médecins modernes et traditionnels furent rattachés à des
« associations des travailleurs de la santé » de niveau provincial, et une campagne
intensive fut lancée pour persuader les médecins traditionnels de partager leurs secrets
et de servir le peuple sous le socialisme.
Des règlements provisoires concernant les docteurs de médecine chinoise
furent promulgués en 1951, donnant à tous les thérapeutes ayant cinq années
d’expérience la possibilité de demander un permis de pratique médicale.
Des « Associations d’études de médecine chinoise » furent également créées
pour stimuler la collaboration entre les thérapeutes traditionnels. L’Association
d’étude de médecine chinoise de Pékin (Beijing zhongyi xuehui 北京中医学会),
fondée en 1950, regroupa dès sa première année 861 docteurs traditionnels, fonda
une école de perfectionnement et une clinique, mena des recherches, et publia un

70
Croizier 1968 : 159.
71
Ecrivain célèbre, président de la Fédération de cercles littéraires et artistiques de 1949 à 1966,
président de l’Académie chinoise des sciences de 1949 à 1978, président du Comité pour la culture et
l’éducation du Conseil central du gouvernement du peuple de 1949 à 1954.
72
cité dans Croizier 1968 : 160-161.
journal. Jusqu’en 1954, une quinzaine de périodiques furent lancés par les
Associations d’études de médecine chinoise, et 17 écoles de perfectionnement furent
fondées et reconnues comme des établissements d’enseignement formels dispensant
des programmes d’études d’un an73.
Le gouvernement institua également les « cliniques unifiées » et les « hôpitaux
unifiés » dont le personnel était formé de thérapeutes qui avaient auparavant leur
propre pratique privée. L’objet était d’abolir la pratique privée de la médecine et
d’instituer des cliniques communes regroupant les docteurs modernes et traditionnels.
Mais, étant donné la rareté des médecins modernes, la grande majorité des membres
de ces cliniques étaient des docteurs traditionnels. La médecine chinoise ne
nécessitant pas d’équipements coûteux, ces cliniques et hôpitaux recevaient peu ou
pas de financement de l’Etat. En 1952, la Chine comptait déjà plus de 15 000
cliniques unifiées.
Le tableau général présenté par les années 1949 à 1954 se caractérise donc par
la reconnaissance officielle et l’institutionnalisation de la médecine chinoise. L’Etat
organise les thérapeutes traditionnels, cherche à les retirer de leurs structures de
transmission traditionnelles, et les intègre à des institutions de style moderne
contrôlées par l’Etat. L’étatisation des professions médicales traditionnelles est
justifiée par des motifs pragmatiques – le manque de personnel médical moderne et le
faible coût des soins traditionnels. Mais, bien que légitimée, la médecine chinoise
occupe toujours une place inférieure par rapport à la médecine occidentale. Les
docteurs traditionnels sont exclus de la prestigieuse Association médicale chinoise,
ainsi que des meilleures institutions médicales des grandes villes. La reconnaissance
de la médecine chinoise est vue par les responsables de la politique nationale de la
santé comme une mesure temporaire, la médecine moderne étant destinée à la
remplacer graduellement. « Le Parti, tout en encourageant les docteurs modernes à ne
pas négliger les ressources médicales autochtones, avait peu fait pour changer leurs
préjugés contre la médecine chinoise […] l’apprentissage était à sens unique : les
médecins chinois étudiant des éléments de médecine occidentale »74.

1.3 Les premiers établissements de qigong

73
Croizier 1968 : 161-163.
74
Croizier 1968 : 166.
La « médecine chinoise » ainsi institutionnalisée incorpore essentiellement les
professions traditionnelles d’acupuncteur et d’herboriste. Entre 1949 et 1954, le
qigong n’a pas encore été reconnu ou disséminé à l’échelle nationale. Mais son
développement institutionnel continue dans la province du Hebei. Durant cette
période, Liu Guizhen continue ses travaux cliniques sur le qigong. Le directeur du
Département provincial de la santé (Weisheng ting 卫生厅) Duan Huixuan75 obtient
sa mutation en mars 1953 au nouveau Sanatorium no. 2 des cadres du Hebei, situé à
Baoding 保定, où il est nommé directeur de la nouvelle section de qigong,
accompagné de six de ses collaborateurs de Xingtai76.
Mais ce sanatorium n’avait pas encore été construit, et l’équipe de Liu Guizhen
manque de locaux pour travailler. En cette même année, son protecteur politique
Cheng Yulin est promu Secrétaire du Parti de la ville de Tangshan. Celui-ci organise
la mutation de Liu Guizhen et de son équipe dans cette ville en mars 1954, pour
fonder un centre de qigong au Sanatorium des travailleurs de Tangshan, où on leur
accorde une aile d’une dizaine de chambres, sous la direction du département
provincial de la santé du Hebei et du gouvernement municipal de Tangshan. Ce centre
de qigong est la première institution du monde spécialisée dans le qigong. Duan
Huixuan organise le financement de la construction d’un édifice de trois étages avec
une capacité de 100 lits pour des malades traités par qigong. Cheng Yulin autorise le
remboursement des frais de traitement (principalement la nourriture des malades
pensionnaires) des malades pratiquant le qigong en tant que « médicament » , allant
ainsi à l’encontre des réglements sur le remboursement des dépenses médicales. Ceci
permet au traitement par qigong de se développer plus rapidement. Dans sa première
année, le centre de Tangshan organise trois stages de traitement par qigong et deux
stages de formation77.

1.4 La première vague nationale de qigong, 1954 – 1959

Il faut placer le plus grand soutien officiel pour les travaux de Liu Guizhen dans
le contexte d’un retournement idéologique contre la médecine occidentale qui s’inscrit

75
Duan Huixuan est un intellectuel ayant fait ses études au Japon et membre d’un ‘Parti démocratique’,
qui est nommé Directeur de la santé du Hebei après l’établissement du régime communiste. Il soutient
fortement la médecine chinoise et le qigong (Ji Shoukang s.d.).
76
Che, Ke 1997 : 21; Ji Shoukang s.d.
77
Li Zhiyong 1988 : 418; QG 2-1:48; Ji Shoukang s.d.
dans la lutte entre « rouges » et « experts ». Cette lutte s’amorce en 1953 et prendra de
l’ampleur jusqu’à son expression la plus extrême durant le « Grand bond en avant »
de 1959 à 1961.
Les premiers signes de ce nouveau vent politique se font sentir en juin 1953,
lorsque le Département de la santé du Centre-Sud organise une série de réunions
régionales de docteurs traditionnels, dans le but de clarifier et mettre en œuvre la
politique nationale sur la médecine chinoise. Lors de ces réunions, certaines critiques
sont émises sur l’attitude arrogante de certains cadres envers la médecine chinoise.
Peu après, le Quotidien du Peuple publie des critiques contre certains éléments du
ministère de la Santé accusés de « mépriser l’héritage médical de la patrie ». Ces
critiques deviennent alors de plus en plus fortes dans des réunions tenues à travers la
Chine78.
En réponse au torrent de critiques, le gouvernement explique, à travers le
quotidien Guangming en décembre 1953, que son intention n’est pas l’
« occidentalisation de la médecine chinoise ». L’Association médicale de Chine
établit un comité de liaison avec les médecins traditionnels, et, lors d’une réunion
spéciale tenue par le Comité sur la culture et l’éducation de la Conférence
consultative politique du peuple, le ministre de la Santé Li Dequan et d’autres
dirigeants soulignent l’importance de l’unification des médecines occidentales et
chinoise79.
En été 1954, le quotidien Guangming critique les fautes idéologiques des
médecins modernes. « Trop longtemps influencés par la médecine de la classe
bourgeoise de l’Europe et des Etats-Unis, nos travailleurs d’éducation médicale non
seulement ne respectent pas la médecine chinoise, mais font preuve d’une attitude
sectaire erronnée qui consiste à mépriser et détester la médecine chinoise. » Par la
suite, les médecins modernes furent convoqués à une série de réunions où leurs
erreurs idéologiques furent systématiquement attaquées80.
Certains hauts fonctionnaires de la Santé devinrent alors les cibles de la
campagne politique. Le 20 octobre 1954, un éditorial du Quotidien du Peuple accuse
certains éléments du ministère de la Santé qui, « empoisonnés par des concepts
bourgeois », méprisaient l’héritage médical de la patrie. Les médecins modernes

78
Croizier 1968 : 168.
79
Croizier 1968 : 168.
80
Croizier 1968 : 169.
devaient se réformer pour étudier et développer la médecine chinoise et produire une
nouvelle médecine chinoise, moderne et adaptée aux réalités de la Chine81.
Peu après, plusieurs fonctionnaires médicaux commencèrent à confesser leurs
fautes idéologiques. Par exemple, Ni Baochun 倪宝春, directeur-adjoint de l’Hôpital
municipal no. 2 de Shanghai, avoua avoir ridiculisé la médecine chinoise, une attitude
« non-scientifique » due à son éducation dans des écoles missionnaires et ensuite dans
une université aux Etats-Unis. Mais depuis la Libération, sa conscience idéologique
avait progressé, et il pouvait maintenant apprécier la signification de la politique du
Parti et la valeur de la médecine chinoise. Il se dit prêt à devenir l’humble élève des
docteurs traditionnels.
Au début de 1955, Wang Bin, membre vétéran du Parti et ancien directeur de la
Santé publique en Mandchourie, fut vivement critiqué pour ses références à la
« médecine féodale » dans un périodique de santé publique.
Ce fut ensuite le tour de He Cheng 贺诚 (1901-1979), premier adjoint au
ministre de la Santé, personnalité la plus influente dans le ministère et ancien
directeur médical de l’Armée de la 8e Route, à être accusé des erreurs du ministère
vis-à-vis de la médecine chinoise. Accusé de mépriser la médecine chinoise et de
« réfuter la capacité du Parti à superviser le travail scientifique et technique », il avoua
sa faute. Il fut publiquement condamné lors de la prochaine Conférence nationale de
santé publique et démis de ses fonctions82.
L’enjeu de cette campagne politique était la lutte entre « rouges » et « experts ».
Fortement sollicités pour leur expertise médicale moderne qui faisait si gravement
défaut à la Chine, les professionnels de la médecine occidentale, en vertu de leur
formation scientifique, étaient enclins à voir leur profession comme étant
indépendante de la politique. Pour eux, les considérations techniques étaient plus
importantes que les facteurs politiques dans la prise de décisions et l’élaboration de
stratégies thérapeutiques. Une telle attitude mettait en doute la capacité du Parti à
superviser le travail scientifique et technique des médecins. De plus, les médecins
modernes ayant été pour la plupart formés dans des institutions missionnaires ou
occidentales en Chine ou à l’étranger, on pouvait facilement les accuser d’attachement
aux valeurs « bourgeoises » et « impérialistes ».

81
RR 54/10/20:1.
82
Croizier 1968 : 171-172 ; Croizier 1973 : 13.
Les médecins traditionnels, par contre, ne sont pas ciblés pour leurs liens avec
l’ancienne société « féodale ». Ralph Croizier explique que, arrachés de l’ancienne
société, ils dépendent entièrement du nouveau régime et n’ont plus d’existence
indépendante. On les a incités à étudier des méthodes scientifiques et à partager leurs
secrets médicaux, mais on ne les a pas soumis à des critiques intensives ou à des
campagnes de réforme idéologique: ceci, non pas parce que qu’ils s’étaient libérés de
toute influence « féodale » , mais parce qu’ils ne posaient aucune menace au nouvel
ordre politique et idéologique.
« Au contraire, depuis 1954, ils sont d’habitude loués pour leurs talents
médicaux et leur attitude politique correcte. L’image familière du vénérable
médecin chinois à la barbe blanche, diffusée dans d’innombrables articles de
presse, en vint à symboliser l’attention pleine d’amour du régime pour les
éléments sains de la culture ancienne. Typiquement, après avoir vécu de longues
années d’indifférence et de souffrance avant 1949, il assume un poste de
responsabilité et contribue vigoureusement à la construction de la Chine
nouvelle » 83.

Les médecins de formation moderne, par contre, de par leurs liens avec la
communauté scientifique occidentale et leur revendications d’autonomie en tant que
spécialistes, présentaient une menace potentielle.
La campagne contre la médecine occidentale peut aussi être liée au
refroidissement des rapports de la Chine avec l’URSS, menant à un nationalisme et à
un isolationnisme accrus. L’exaltation de l’ « héritage culturel de la patrie » se
manifeste non seulement en médecine mais aussi en architecture, dans le théâtre, la
peinture, etc. En effet, la campagne contre Wang Bin coïncide avec la chute de la
faction pro-russe du Parti, auquel il était lié84.
L’offensive contre la faction pro-médecine occidentale est accompagnée d’une
expansion sans précédent des institutions de la médecine chinoise. En 1955, l’Institut
de recherches en médecine chinoise (Zhongyi yanjiuyuan 中医研究院) est fondé à
Pékin, avec des antennes dans la plupart des provinces de Chine. Bien équipé et
regroupant des spécialistes de médecine moderne et chinoise, l’Institut reçoit le
mandat du Parti de mener des recherches non seulement sur les propriétés chimiques
de la pharmacopée chinoise, mais de prendre la médecine chinoise comme un tout
cohérent, possédant sa propre base théorique, à réconcilier dans son ensemble avec la
science moderne.

83
Croizier 1968: 174.
Les revues médicales commencèrent à publier des articles sur la médecine
chinoise, et plusieurs revues de médecine chinoise furent fondées. Le nombre de
publications sur la médecine chinoise augmenta, passant de 7% du total des
publications médicales en Chine en 1953, à 27% en 1955. Parmi les publications de
cette époque figurent des rééditions de classiques médicaux, des monographies sur
divers aspects de la médecine chinoise, des ouvrages sur la pharmacopée, des récits
historiques, et des biographies de personnages célèbres de la médecine chinoise. On
souligne la dimension populaire de l’histoire de la médecine chinoise ; les liens avec
la société « féodale » et lettrée confucéenne sont occultés. Les médias de masse
publient fréquemment des reportages élogieux sur le développement de la médecine
chinoise et sur ses cures remarquables85.
En 1955, l’acupuncture devient un sujet obligatoire dans les facultés de
médecine occidentale. Quatre cents jeunes diplômés des meilleures facultés de
médecine sont également choisis pour suivre une formation de trois ans en
acupuncture comportant deux années d’instruction théorique et technique par des
docteurs traditionnels célèbres, et une année de stage clinique. Cinq mille autres
étudiants s’inscrivent à des formations à temps partiel d’une durée de trois ans. En
1956, des facultés spécialisées de médecine chinoise sont fondées à Pékin, Shanghai,
Canton et Chengdu. Suit l’établissement de treize autres instituts de formation
supérieure en 1958. Des centaines d’écoles de médecine chinoise de niveau inférieur
sont également fondées. Plus de 50 000 élèves deviennent apprentis de médecins
traditionnels suivant l’ancienne méthode d’enseignement de maître à disciple qui,
malgré ses aspects « féodaux », est reconnu et officialisé.
Le nombre de cliniques unifiées augmente de 22 000 en 1954 à 50 000 en 1957.
Plusieurs hôpitaux spécialisés de médecine chinoise sont aussi ouverts : dans le
Guangdong, le nombre d’hôpitaux de médecine chinoise passe de 1 en 1955 à 22 en
1957. En cette même année, la Chine compte 144 hôpitaux de médecine chinoise86.
Dans les trois années de 1955 à 1958, nous assistons donc à une construction à
grande échelle d’un vaste système institutionnel moderne de médecine chinoise –
système qui continue d’exister en Chine jusqu’à ce jour. Parallèlement, la théorie

84
Croizier 1973 : 11; Croizier 1968 : 176.
85
Agren 1975 : 42 ; Croizier 1968 : 175.
86
Croizier 1973 : 10-11, Croizier 1968 : 167-180.
médicale traditionnelle est uniformisée et rendue conforme à l’idéologie marxiste et
matérialiste.

Ces trois années sont également marquées par la prolifération du qigong sur la
scène nationale, en tant que branche de la médecine chinoise. Le Département de la
santé du Hebei envoie Liu Guizhen à Pékin trois fois (juillet 1954, novembre 1954 et
juin 1955), pour présenter ses travaux sur le qigong aux autorités supérieures. Le 19
décembre 1955, le ministère national de la Santé félicite le rapport de Liu Guizhen; la
nouvelle est publiée dans le Quotidien du Peuple87. A la cérémonie de fondation de
l’Institut de recherches en médecine chinoise, le ministre de la santé Li Dequan
reconnaît, honore et encourage les travaux du centre de qigong de Tangshan et lui
offre une récompense financière de 3000 yuan – une somme importante à l’époque88.
Dans sa lettre de félicitations, le ministre reconnaît le qigong comme « protégeant la
santé du peuple et diffusant l’héritage culturel traditionnel de notre patrie ». Une
année plus tard, Liu Guizhen est honoré par Mao comme « travailleur avancé »
(quanguo xianjin gongzuozhe 全国先进工作者) à l’occasion du rassemblement
national des héros (Quanguo qunying hui 全国群英会); il sera reçu en personne par
les dirigeants les plus puissants du Parti dont le vice-président de la République
populaire Liu Shaoqi 刘少奇89 (1898-1969), et les vice-présidents du Conseil d’Etat
Chen Yi 陈毅90 (1901–1972) et Li Fuchun 李富春91 (1900-1975) 92 .
Egalement en 1955, Wang Juemin 王觉民, le secrétaire-général du Parti de la
ville de Baoding, où Liu Guizhen avait été basé de 1949 à 1950, commence à suivre
un traitement de qigong pour des blessures à sa jambe. Durant la guerre anti-
japonaise, il avait été blessé à la jambe gauche en 1942, et avait reçu cinq balles dans
la jambe droite en 1943, provoquant une fracture presque paralysante qui, faute d’un
traitement adéquat, ne s’était jamais rétablie. La blessure avait suppuré pendant des
années, affaiblissant son état de santé jusqu’à ce qu’il devienne victime de maladies et

87
RR 55/12/20:1, Zhang Honglin 1995d.
88
Che, Ke 1997 : 21; Ji Shoukang s.d.
89
Vice-président de la République populaire de Chine de 1949 à 1965.
90
Maire de Shanghaï de 1949 à 1954, Vice-président du Conseil d’Etat en 1954, obtient le grade
militaire de Maréchal en 1955, Ministre des Affaires extérieures en 1958.
91
Membre du Parti depuis 1922, Commissaire politique dans l’Armée populaire de Libération, premier
ministre adjoint de 1954 à 1975, président de la Commission nationale du Plan de 1954 à 1972,
membre du bureau politique du Comité central du Parti de 1956 à 1969.
92
Xiao Yuzhu 1996 : 4 ; Zheng Guanglu 1991 : 6.
de douleurs sur son corps entier. Malgré l’amélioration des conditions médicales après
la fondation de la République populaire, aucun traitement ne s’était avéré efficace, et
il se retrouvait à la limite de la mort. Après avoir entendu dire que le qigong pouvait
guérir des maladies chroniques, il décida d’essayer et commença un traitement sous la
direction de quelques membres de l’équipe de Liu Guizhen. Après quelques mois de
pratique, sa douleur disparut complètement et son état de santé revint presque à son
état d’avant ses blessures de guerre. Wang Juemin devint alors passionné du qigong
dont il se fit l’ardent promoteur à travers ses réseaux politiques ; il devint une
célébrité dans la région du Hebei. Des camarades du gouvernement municipal et des
dirigeants du gouvernement provincial le consultèrent au sujet du qigong, et il se lia
avec plusieurs maîtres dont Zhou Qianchuan 周潜川 (1908-1971) de la lignée
d’Emei, qui avait pratiqué la culture corporelle après une maladie en 1939, et qui fut
engagé par l’institut de recherches en médecine chinoise du Shanxi en 195893.
En juin 1956, Duan Huixuan, chef du Bureau d’administration de la santé du
Hebei, décide de transférer le centre de Tangshan au Sanatorium des cadres du Hebei
à Beidaihe, qui sera dorénavant spécialisé dans le qigong, avec Liu Guizhen à sa tête.
Le Sanatorium de qigong de Beidaihe (Beidaihe qigong liaoyangyuan
北戴河气功疗养院) sera jusqu’en 1965 la principale institution de qigong en Chine.
Durant cette période, cet établissement traitera 3000 patients (avec un taux de
guérison déclaré de 85% et un taux d’amélioration déclaré de 98%). En 1957, le
ministère national de la Santé et le Département provincial de la santé donnent au
sanatorium de Beidaihe la tâche de former des maîtres de qigong pour toute la
Chine94. Jusqu’en 1964, il organisera sept cours nationaux de formation et formera
700 travailleurs médicaux de qigong envoyés par d’autres unités à travers la Chine.
Centre de repos et de récupération pour les cadres du Parti, il accueillera plusieurs
dirigeants politiques du plus haut niveau qui y suivront des traitements et formations
de qigong, dont Liu Shaoqi, Chen Yi, Li Fuchun, Dong Biwu 董必武 (1886-1975)95,

93
Heise 1999: 98, Zheng Guanglu 1991 : 5. Durant les années 1980, Wang Juemin fondera l’Hôpital de
qigong de Baoding et sera l’animateur principal de l’Association de qigong de Baoding (Sumrall 1998:
chap. 4).
94
Xiao Yuzhu 1996 : 4-5.
95
Membre fondateur du Parti communiste chinois, membre du bureau politique du Comité central du
PCC, premier ministre adjoint de 1949 à 1954, président de la Cour suprême du Peuple de 1954 à 1959,
vice-président de la République populaire de 1959 à 1967.
Lin Boqu 林伯娶 (1886-1960)96, Ye Jianying 叶剑英 (1897-1986)97 et Ye Jizhuang
叶季壮 (1893-1967)98. Liu Shaoqi serait personnellement intervenu pour allouer les
fonds nécessaires à l’achat d’instruments et à la construction d’une résidence pour le
personnel du sanatorium99.
Peu après, Chen Shou 陈寿, un élève de Liu Guizhen, fonde le Sanatorium de
qigong de Shanghai (Shanghai qigong liaoyangsuo 上海气功疗养所). En 1957, ce
centre organise deux cours de formation100, et publie un recueil de dix conférences.
En moins de deux années, plus de 70 unités thérapeutiques de qigong sont fondées
dans toute la Chine, y compris à Pékin, à Tianjin, dans le Liaoning, le Gansu, le
Zhejiang, etc. : sanatoria, centres de traitement et sections de qigong dans des
hôpitaux101.
Plusieurs de ces centres développent leurs propres méthodes de qigong, qui sont
efficaces dans le traitement de catégories spécifiques de maladies, et qui se répandent
dans leurs régions respectives. Le Neiyanggong, transmis par Liu Duzhou et modifié
par Liu Guizhen, disséminé à partir du sanatorium de Beidaihe, est réputé pour son
efficacité sur les maladies digestives et d’autres maladies chroniques. Liu Guizhen
enseigne également trois autres formes de qigong: le Zhanzhuanggong 站壮功
« qigong robuste dans la position debout », méthode tirée des traditions d’arts
martiaux; le baojiangong, forme d’auto-massage102; et le xingbugong 行步功, «
qigong ambulant » , forme de daoyin. Le Sanatorium de qigong de Shanghai, après
avoir découvert que la tension nerveuse est un obstacle à la pratique efficace du
qigong, crée le fangsonggong 放松功 (qigong de relaxation), dérivé de la technique
de méditation publiée par Jiang Weiqiao et déjà très répandue avant 1949103. Cette
méthode est efficace sur le système nerveux central, le système circulatoire, et le
système respiratoire ; elle est employée dans le traitement de la haute pression

96
Membre du Parti depuis 1921, vétéran de la Longue marche, membre du bureau politique du Comité
central du Parti de 1945 à 1960.
97
Vétéran de la Longue marche, Maréchal dans l’Armée populaire de Libération, vice-président du
Conseil national de la défense de 1954 à 1967, il sera nommé ministre de la Défense en 1975 et
renversera la Bande des Quatre après la mort de Mao (voir section 4.6, pp. 140-141 sa rencontre avec
Zhang Baosheng).
98
Ministre du commerce extérieur de 1952 à 1967.
99
Xiao Yuzhu 1996 : 4, Ji Shoukang s.d.
100
He Qingnian 1984 : 282.
101
Zheng Guanglu 1991 : 348.
102
Voir section 1.1 p. 35, annexe 2 p. 427.
103
voir Despeux 1997: 270.
sanguine, le glaucome, l’asthme, etc. A Pékin, les méthodes les plus répandues sont le
Zhanzhuanggong de Liu Guizhen et le Jeu des cinq animaux de Hua Tuo 华佗 (142-
219)104. Toutes ces méthodes se conforment aux principes de base du neiyanggong et
des autres méthodes développées par Liu Guizhen105.
Dans le Zhejiang, le qigong de la Cloche de bronze (tongzhong qigong
铜钟气功) est employé dans le traitement de la neurasthénie, des tumeurs du système
digestif, et d’autres maladies chroniques, avec un taux d’efficacité déclaré de 98,1%.
L’histoire de la transmission de cette méthode illustre très bien le processus
d’institutionnalisation du qigong durant cette période. En effet, le qigong de la Cloche
de bronze, dont le nom originel est « Force de l’Horloge de bronze » (tongzhong jin
铜钟劲), fut transmis dans une lignée traditionnelle jusqu’en 1956, lorsqu’il fut
intégré aux institutions médicales. La légende veut que le fondateur de la méthode fût
Bodhidharma 菩提达磨(6e s. ap. J-C), créateur du bouddhisme Chan et des arts
martiaux de Shaolin. Après la fin des Ming, la méthode est répandue dans le Sichuan.
Vers les années 1860, le bonze Honghong 宏弘法师 quitta le mont Emei pour le
Zhejiang, où il transmit la méthode à Bi Xuejing 薜雪景. N’ayant eu qu’une fille,
celui-ci l’enseigne à son beau-fils Chen Chucai 陈楚材, qui la transmet en 1903 à Dai
Junying 戴俊英. Ce dernier commence à enseigner la méthode en 1926, et fonde
l’Association d’étude de l’art central de souplesse de la louange éternelle de Wenzhou
(Wenzhou yongjia zhongyang roushu yanjiushe 温州永嘉中央柔术研究社), voué au

104
Li Zhiyong 1988 : 418-419. Hua Tuo était un « maître des techniques » (fangshi 方士) et médecin à
la cour de Cao Cao 曹操. D’après sa biographie dans la Chronique des trois royaumes (Sanguo zhi
三国志), il aurait dit à son disciple Wu Pu : « Le corps a besoin de mouvements modérés. En le
remuant et le balançant de droite et de gauche, le souffle issu des céréales est convenablement réparti et
assimilé, le sang circule bien, et les maladies ne peuvent naître. Il en est du corps humain comme du
gond d’une porte qui ne rouille jamais. C’est pourquoi les taoïstes pratiquent des mouvements
gymniques (daoyin). Ils imitaient les mouvements de l’ours qui se suspend, du hibou qui tourne la tête;
ils étiraient et fléchissaient la taille, faisaient mouvoir toutes les articulations et les passes du corps afin
d’éviter le vieillissement. J’ai moi-même une technique appelée « Jeu des cinq animaux » c’est-à-dire
le tigre, le cerf, l’ours, le singe et l’oiseau. Elle permet d’éliminer les maladies et d’accroître le bon
fonctionnement des membres inférieurs. Dès qu’un désordre est ressenti dans le corps, il convient
d’exécuter le jeu d’un animal jusqu’à la transpiration. Si l’on transpire beaucoup, il convient de
s’enduire le corps de poudre. Après cela, le corps devient léger, vigoureux, et l’appétit
revient. »[Sanguo zhi, 29.2a, traduction de C. Despeux (1988 :23-24)]. Le Jeu des cinq animaux était
très répandu sous les Jin (265-420) et les Six dynasties (420-581). Il est cité par les célèbres taoïstes Ge
Hong et Tao Hongjing, et dans plusieurs poèmes des Tang. Par la suite, une version différente du Jeu
s’impose, décrite dans la Moelle du phénix rouge (Chifeng sui 赤凤髓) de Zhou Lüjing 舟履靖 de la
fin des Ming (1368-1644), Cette version est reprise dans le Livre illustré du travail intérieur (Neigong
tushuo 内功图说) de Wang Zouyuan en 1881. Cf. Despeux 1988 : 24-25. Despeux donne plus loin une
traduction du Jeu des cinq animaux tel que décrit dans la Moelle du phénix rouge (1988 :103-111).
traitement des maladies chroniques par la technique de la Cloche de bronze. En 1956,
invité par le Département de la santé du Zhejiang, il fonde une clinique de qigong à
l’hôpital de médecine chinoise du Zhejiang. Il publie les résultats de ses travaux
cliniques dans la Revue de médecine chinoise du Zhejiang en 1958 et en 1959106.
Les méthodes de qigong se pratiquent individuellement, dans un cadre
thérapeutique institutionnel (sanatorium, clinique, etc), sous la direction d’un médecin
spécialiste de qigong. Ce dernier, après avoir examiné le patient, lui prescrit un
traitement individualisé, composé de différentes techniques de qigong à pratiquer à
des heures précises et pour une durée spécifiée. Les techniques choisies varient en
fonction de la maladie, et le traitement peut aussi comporter des séances
d’acupuncture, de massage ou la consommation de prescriptions herbales.
Ces méthodes sont présentées dans le livre de Liu Guizhen Qigong liaofa
shixian 气功疗法实现, « Application de la méthode thérapeutique du qigong » ,
publié par les Editions provinciales du Hebei en 1957107. Cet ouvrage, qui est le
premier livre publié sur le qigong moderne, aura une influence considérable : ré-édité
en 1982, son tirage total est de 2 millions108. Il popularise le concept de qigong, qui ne
sera désormais plus un terme spécialisé employé uniquement dans les unités
officielles de qigong. Son élaboration du concept et sa présentation de la méthode de
pratique du qigong, sont devenus un modèle qui sera reproduit dans ses grandes lignes
par toute la littérature ultérieure du qigong jusque dans les années 1990109. Dans la
foulée de la publication du livre de Liu Guizhen, une douzaine d’autres ouvrages sur
le qigong sont publiés, avec un tirage important, entre 1957 et 1964110.

1.5 Grand bond du qigong durant le « Grand bond en avant » , 1959 – 1961

L’intérêt populaire et le soutien officiel pour le qigong s’accentuèrent durant


le Grand bond en avant de 1959 à 1961. Durant cette période, la notion d’une science
médicale dirigée par une caste de spécialistes est condamnée. Tout comme l’ingénieur

105
Voir la description de certaines de ces méthodes en annexe 2.
106
Shou Rusong 1983.
107
Liu Guizhen 1982 [1957].
108
He Qingnian 1984 : 282.
109
Voir le résumé de cet ouvrage, annexe 3.
110
Li Zhiyong 1988: 419-420. Voir par exemple Hu Yaozhen 1959; Jiang Weiqiao & Li Guizhen 1958;
Qin Chongsan 1959 (tirage de 120 000); Zhou Qianchuan 1959, 1960; Shanghai shi qigong
liaoyangsuo 1958; Zhejiang sheng zhongyiyao yanjiusuo 1959.
doit devenir l’élève du travailleur et l’agronome l’apprenti du paysan, le médecin doit
étudier la connaissance du paysan111. En novembre 1958, le directeur adjoint du
Bureau de la propagande du Parti, Zhang Zhizhun, souligne lors d’une conférence de
travailleurs médicaux que la question médicale chinoise est un aspect important dans
la lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat. Rester neutre face à cette question et ne
pas accepter le rôle dirigeant du Parti concernant la médecine traditionnelle, est une
« attitude erronée inacceptable »112.
Un éditorial du quotidien Guangming condamne le « préjugé bourgeois » selon
lequel la médecine est un art scientifique réservé à un petit nombre de spécialistes. La
médecine provient de l’expérience des masses et doit donc susciter une participation
des masses à grande échelle. Il faut lutter contre la notion capitaliste de « l’autorité »
qui fait obstacle à la politique du Parti113. La médecine chinoise doit devenir une
partie de la « culture démocratique populaire » préconisée par Mao114.
Le Comité central du Parti émit donc une directive augmentant de 400 à 2000 le
nombre de médecins modernes suivant des cours de médecine traditionnelle, et
augmentant le nombre de cours obligatoires de médecine chinoise dans les facultés de
médecine.
Une quantité énorme de remèdes secrets et populaires furent alors collectionnés
et publiés, dans un mouvement pour promouvoir la sagesse médicale des masses. La
presse publia d’innombrables récits de cures remarquables dues à de simples
méthodes, et des « experts populaires » furent invités dans des hôpitaux et facultés de
médecine. C’est grâce à cette identification à la culture populaire non-spécialiste, que
la médecine chinoise – et, par extension, le qigong – fut un élément majeur de la
politique de santé du Grand bond en avant115. Ainsi, durant cette période, plusieurs
institutions scientifiques et médicales chinoises commencèrent à mener des
recherches et des expériences sur les effets du qigong.
En 1958, le Groupe d’enseignement et de recherche en physiologie de l’Hôpital
no. 1 de Shanghai organise un groupe de recherches sur le qigong, afin de rechercher
le mécanisme physiologique de la pratique du qigong. A la suite d’une étude des
effets de la respiration, le groupe découvre que lorsqu’un animal expire, l’excitation

111
Croizier 1973 : 13.
112
Croizier 1968 : 184.
113
GM 58/11/03: 3.
114
Croizier 1968 : 186.
115
Croizier 1968 : 187-88; cf. GM 58/12/06:1, 2 a,b.
du système nerveux central se répand dans le système nerveux parasympathique du
corps entier ; lorsqu’il inspire, l’excitation se répand à travers le système nerveux
sympathique. D’après le groupe, ceci prouve l’importance et l’effet de la respiration
dans le qigong. Lors d’une expérience sur 27 sujets pratiquant le qigong, la réduction
moyenne du taux de métabolisme énergétique est de 19,7%, et s’élève à 34 % dans six
cas. Le taux reste inférieur de 11% par rapport à la moyenne 15 minutes après la fin
de la pratique. Le groupe mène aussi des recherches sur l’effet du qigong sur les
réflexes musculaires, sur les vaisseaux sanguins, et sur le métabolisme des sucres
sanguins.
Le Département de biologie de l’université Fudan et l’Hôpital du Peuple no.6 de
Shanghai mènent une recherche sur l’effet du qigong sur le potentiel électrique de la
peau. L’étude conclut que lors de la pratique du qigong, le potentiel électrique des
acupoints baisse dans l’ensemble, mais que le potentiel électrique de l’acupoint sur
lequel on concentre l’esprit augmente.
A la section psychiatrique de l’Hôpital d’enseignement no.1 de l’Institut de
médecine no. 1 de Shanghai, une étude est menée sur les effets de la pratique du
qigong sur l’électroencéphalogramme. A l’Hôpital central du district de Hongkou
虹口 de Shanghai, des recherches sont entamées sur les effets du qigong sur les
mouvements du diaphragme et de l’estomac.
L’Hôpital municipal no. 1 de Fuzhou commence une étude longitudinale à
l’aide de rayons-X sur les effets de la pratique du qigong sur les mécanismes des
systèmes respiratoire et circulatoire. A la section de médecine sportive de l’hôpital de
l’Institut de médecine de l’Anhui, à Hefei, c’est l’influence du qigong sur le système
sanguin qui fait l’objet d’une étude.
L’Institut de médecine de Chongqing, en collaboration avec trois sanatoria de la
région de Chongqing116, entame une série d’études sur sept aspects de l’effet
physiologique du qigong :
influence du qigong sur la physiologie respiratoire ;
influence du qigong sur le rythme cardiaque ;
influence du qigong sur la circulation dans les vaisseaux sanguins ;
influence du qigong sur la pression sanguine ;
influence du qigong sur la composition du fluide sanguin ;

116
Il s’agit des sanatoria de Huangshan 黄山, de Jiangbei 江北 et de Nanshan 南山.
influence du qigong sur le mécanisme digestif ;
influence du qigong sur le système nerveux central.

En tout, de 1954 à 1965, plus de 320 articles sont publiés dans des revues et
périodiques sur des expériences cliniques et scientifiques sur la méthode
thérapeutique du qigong117.
Le qigong est même enseigné en URSS. En 1958, cinq cents tuberculeux
suivent un traitement de qigong d’une année dans un sanatorium soviétique118. Lors
de la « réunion nationale d’échanges sur le Bond en avant pour la cause de la santé »
tenue à Pékin en 1959, le ministère de la Santé loue à nouveau la contribution du
qigong à la prévention et à la thérapie, et accorde une récompense au Sanatorium de
qigong de Shanghaï119. Le qigong fait partie des réalisations exposées à l’Exposition
révolutionnaire nationale des techniques de santé120. Un article intitulé « Etude sur le
mécanisme de la thérapie par qigong » par l’équipe de physiologie de l’Institut de
médecine no. 1 de Shanghaï, est publié dans le « Recueil des succès de la science
médicale pour commémorer les dix années de fondation de la République populaire
de Chine » 庆祝建国十周年医学成就论文集, édité par le ministère de la Santé121.
Les spécialistes du qigong répartis dans différentes unités médicales
commencent à se constituer en communauté. En juillet 1959, le ministère national de
la Santé organise à Beidaihe une « première réunion nationale de travail sur le qigong
thérapeutique de la médecine chinoise » 全国第一届中医气功医疗工作会, puis en
octobre, sous les auspices de la Commission municipale du Parti de Qinghuangdao,
un « Colloque national d’échange d’expériences sur le qigong »

117
Li Zhiyong 1988 : 419-422. D’après Ji Shoukang (s.d.), le nombre d’articles publiés chaque année
est le suivant:
1956: 41
1957 et 1958: 57 (moyenne de 28.5 en chacune de ces deux années)
1959: 51
1960: 47
1961: 38
1962: 36
1963: 38
1964: 11
1965: 1
A partir de 1966: 0.
118
Jiankangbao 健康报, 11 octobre 1958, p. 4, cité par Heise 1999 : 96.
119
Lin Housheng 1988: 37.
120
Heise 1999: 255.
121
Lin Housheng 1988: 37.
全国气功经验交流会, d’une durée de 16 jours et réunissant des participants de 64
unités provenant de 17 provinces, villes et régions autonomes122.
En 1960, un « cours national de perfectionnement des formateurs de qigong »
est organisé à Shanghai sur l’ordre du ministère de la Santé, à l’intention de 39
spécialistes de qigong des facultés de médecine et des unités médicales. Par la suite,
des cours similaires sont également organisés à Shenyang, Luda, Tianjin, etc.123. En
cette même année, une section de qigong est ouverte sous la direction de Hu Wu à
l’hôpital Xiyuan 西苑 de l’Académie chinoise de médecine chinoise.
Le qigong continue de se développer et de bénéficier du statut politique exalté
donné à la médecine chinoise durant le Grand bond en avant. Le qigong est enseigné
ou employé dans la thérapie dans 86 unités de travail à Shanghaï. Le 25 juillet 1961,
le ministre de la Santé publie dans le Journal des Jeunes de Chine un article intitulé
« Les avantages de la pratique du qigong sont nombreux » , dans lequel il énumère les
bienfaits du qigong sur la santé124.

1.6 Retournement politique contre le Qigong, 1962-64

Cependant, le vent politique tourne au début des années 1960, et l’attitude


officielle envers la médecine traditionnelle se refroidit quelque peu. De 1961 à 1964,
les activités relatives au qigong continuent, mais ne semblent pas se développer
comme dans les années précédentes. Il faut peut-ête lier ce retournement à la lutte qui
s’engage entre Mao et l’appareil du Parti à partir du début des années 1960. Fortement
lié à cet appareil et à ses responsables, le qigong ne pouvait qu’être la victime de la
campagne menée par Mao contre l’élite du Parti duquel sont issus ses fondateurs, ses
animateurs et sa clientèle.
Au début de 1964, des bruits commençaient à courir contre le secrétaire du Parti
de la ville de Baoding, Wang Juemin, qui était devenu un promoteur passionné du
qigong125. On laisse entendre qu’il ne convient pas à un secrétaire municipal du Parti
de s’intéresser au qigong. Une série de critiques et d’interrogatoires commence,
culminant avec sa punition dans l’été 1965, qui est publiée dans tout le pays.

122
Zheng Guanglu 1991 : 349; Xiao Yuzhu 1996 : 5; Ji Shoukang s.d.
123
Zheng 1981 : 348.
124
Wang Puxiong, Zhou Zhirong 1989: 516.
125
voir ci-dessus p. 46.
Aucun texte sur le qigong n’est publié après 1965. En mars de cette année, un
article dans la revue Nouvelle éducation physique critique certains abus dans la
pratique du qigong, condamnant l’existence d’escrocs qui profitent de la croyance
dans les pouvoirs de guérison du qigong, et dénonçant les concepts « superstitieux »
du qigong sur la tranquillité et l’harmonie, qui sont « complètement contraires à notre
entraînement physique actif… dans l’intérêt de faire des contributions encore plus
grandes à la construction socialiste »126.
Une pluie d’attaques contre le qigong commence à paraître dans la presse. Le
qigong est dénoncé comme « reste pourri du féodalisme », « déchet de l’histoire »,
« idéalisme », « histoires absurdes », etc. Lui Guizhen lui-même est accusé d’être
« créateur de l'herbe à poisons du qigong » et « membre des classes exclues » . Il est
expulsé du parti et de son poste, perd sept points dans le classement hiérarchique, et
est envoyé en rééducation à la ferme de Shanhaiguan. Les autres membres du
sanatorium de Beidaihe sont également victimes à différents degrés de la campagne
anti-qigong. Le Sanatorium de qigong de Beidaihe est fermé, suivi d’autres unités de
qigong en Chine. Les dernières unités restantes seront fermées durant la campagne
contre les « quatre vieilles choses », au milieu des années 1960127.

1.7 Conclusion

Les années 1949 à 1964 représentent la première époque de l’histoire du qigong,


période durant laquelle le qigong prit naissance et acquit une forme institutionnelle
qui se reconstituera à la fin des années 1970 pour devenir la base de la vague du
qigong des années 1980 et 90. Soulignons deux aspects du qigong durant cette
période : la constitution d’une forme définie de pratique institutionnelle ; et l’intimité
des liens entre le qigong et l’élite du Parti communiste chinois.
La forme de qigong élaborée par Liu Guizhen à partir de la méthode qu’il a
reçue d’un maître populaire, devient le modèle de pratique et d’organisation du
qigong, qui est reproduit dans des institutions médicales dans toute la Chine. Ce
modèle se distingue à plusieurs égards de la pratique traditionnelle de la culture
corporelle ; il importe d’analyser ces différences afin de saisir l’identité distincte et
moderne du qigong par rapport aux pratiques traditionnelles d’avant 1949.

126
XTY, mars 1965: 25-26, cité dans Agren 1975 : 43.
127
Zheng Guanglu 1991: 7.
Le système de transmission est entièrement changé. L’enseignement secret de
maître à disciple dans un contexte souvent religieux, devient un enseignement ouvert
et public, d’un médecin de style moderne à son patient, dans le cadre d’une institution
médicale. Si le terme de « maître de qigong » apparaît, son usage n’est pas fréquent ;
la notion traditionnelle du « maître » avec ses connotations charismatiques, est
remplacée par la notion du clinicien, le « travailleur médical de qigong » engagé dans
une entreprise scientifique. Les anciens réseaux sectaires et lignées de thérapeutes
sont remplacés par une communauté de spécialistes de qigong, formés à la médecine
dans des institutions de l’Etat, qui oeuvrent au sein d’établissements officiels, se
rencontrent pour échanger leurs expériences, publient les résultats de leurs travaux, et
organisent des cours ouverts de formation.
Les références conceptuelles sont reformulées. Les concepts et symboles
traditionnels et religieux sont éliminés, à l’exception des concepts uniformisés de la
médecine chinoise officielle (yin-yang, qi, méridiens, etc.), et remplacés par des
références psychologiques et scientifiques, aussi bien dans la catégorisation des
maladies qui suit le schéma de la médecine occidentale, que dans les formules et
incantations à réciter, et dans les modèles théoriques et les explications des effets du
qigong, qui sont renvoyés à des actions physiologiques et matérielles plutôt qu’à des
intentionnalités ou forces invisibles.
Le qigong des années 1950 est donc une entreprise résolument moderne, en
rupture radicale avec les formes du passé. C’est grâce à cette approche
« révolutionnaire » que le Parti et le qigong s’accommodent si bien jusqu’en 1965.
Nous avons vu dans la section précédente que c’est sous la direction directe du Parti
que Liu Guizhen a créé le qigong à la fin des années 40 ; jusqu’à la Révolution
culturelle, le qigong restera essentiellement une activité de cadres du Parti. Les
sanatoria spécialisés et les hôpitaux prestigieux des grands centres urbains où se
développe le qigong durant cette période, sont des lieux réservés à l’élite du Parti.
Mais avec ses racines dans la culture populaire chinoise, sans lien avec l’Occident,
facile et peu dispendieux à apprendre et enseigner, capable de rétablir et de renforcer
la santé sans nécessiter de coûteuse technologie, le qigong s’accommodait bien avec
l’esprit du Grand bond en avant. En effet, il y a une profonde affinité entre le qigong,
qui vise la guérison par pure volonté mentale, et le Grand bond en avant, qui voulait
propulser la Chine à la tête du monde industrialisé par un simple effort de volonté
collective.
Mais le qigong des années précédant la révolution culturelle n’est pas un
mouvement de masse comme il le deviendra dans les années 1980. Les éléments
nouveaux permettant sa dissémination populaire à grande échelle ne sont pas encore
incorporés au qigong : pratique collective, transmission dans les parcs et lieux publics,
thérapie par émission de qi externe, séances de guérison de masse, réintroduction
d’éléments religieux tels que le charisme du maître, l’emploi de symboles mystiques
et la constitution d’organisations de transmission autonomes. Avant la révolution
culturelle, le qigong jouit d’un important soutien officiel – car il se pratique par des
cadres d’élite du Parti, strictement dans le cadre d’institutions créées par le Parti.
L’offensive de Mao contre l’appareil du Parti devait donc nécessairement discréditer
le qigong.
DEUXIEME PARTIE:

L’EXPLOSION RELIGIEUSE
2. LA RENAISSANCE DU QIGONG

Durant la Révolution culturelle, les institutions de qigong sont donc fermées, les
principaux animateurs du monde du qigong critiqués et, dans quelques cas, envoyés
dans des camps de rééducation. Le qigong n’est plus une activité légitime, plus
personne n’ose le pratiquer ouvertement.

2.1 Guo Lin et la résurrection du qigong

Une artiste peintre, Guo Lin, fait exception à cette tendance. Dès 1970, elle
pratique et enseigne publiquement le qigong dans les parcs de Pékin, s’attirant des
centaines d’adeptes en pleine Révolution culturelle. Sa « Nouvelle méthode
thérapeutique de qigong »(Xin qigong liaofa 新气功疗法) inaugure une nouvelle
forme, collective et populaire, de pratique et d’enseignement du qigong qui sera
adoptée par la plupart des futurs « maîtres de qigong », et stimulera un nouvel
engouement pour le qigong à la fin des années 1970. On peut donc dire que Guo Lin
est à l’origine de la grande vague du qigong des années 1980.
Guo Lin est née Lin Guanming 林冠明 – elle adoptera plus tard le nom de Guo
Lin, combinant les noms patronymiques de sa mère et de son père – près de la ville de
Zhongshan dans le Guangdong, en 1909. Son père Lin Wen 林文 est tué lors de la
révolution de 1911, alors que la petite Guanming n’a que deux ans. La famille se
réfugie alors à Macao. C’est là que son grand-père paternel, un maître taoïste du
« Temple de l’esprit de la Médecine » (Yiling miao 医灵庙) lui enseigne une
méthode de culture corporelle pour enfants dès l’âge de six ans. Plus tard, elle
apprendra également le Jeu des cinq animaux de Hua Tuo.
Diplômée de l’Ecole normale no. 1 de beaux-arts pour filles du Guangdong, Lin
Guanming devient artiste peintre de renom de l’école paysagiste de Lingnan 岭南. En
tant que peintre paysagiste, elle visite plusieurs montagnes sacrées de Chine ; la
méthode de respiration qu’elle emploie pour l’escalade des montagnes deviendra la
base de sa future méthode de qigong. Elle enseigne aux académies Tongde 同德书院
et Hua'nan de Hongkong, et à l’Académie de peinture des femmes de Shanghai
(Shanghai nüzi huayuan 上海女子画院). Après la guerre sino-japonaise, elle se rend
trois fois à Taïwan pour enseigner et participer à des expositions, puis retourne à
Shanghaï peu avant la prise de cette ville par les forces communistes.
En 1949, elle est atteinte d’un cancer de l’utérus, qui se propage vers sa vessie.
Lors de son traitement, son utérus est entièrement amputé ainsi qu’une partie de sa
vessie. En 1956, elle est assignée à la nouvelle Académie de peinture de Pékin
(Beijing huayuan 北京画院).
Mais son cancer n’avait pas complètement guéri, et il reparut en 1959. A cette
époque, la première vague du qigong était à son sommet. Guo Lin se souvient des
techniques qu’elle avait apprises durant son enfance, et décide de tenter de traiter son
cancer à l’aide du qigong. Elle recommence sa pratique du Jeu des cinq animaux, et se
plonge dans la lecture de la théorie du qigong, de la médecine chinoise et occidentale,
de la physiologie, de la pathologie, de l’acupuncture et de la théorie des méridiens,
etc.
Après dix années de pratique et d’expérimentation, elle guérit de son cancer.
Comme synthèse de son expérience, elle développe une méthode de qigong pour le
traitement des maladies chroniques et du cancer, dans laquelle certains aspects de la
culture corporelle traditionnelle et du qigong de Liu Guizhen sont modifiés: la
« nouvelle méthode thérapeutique de qigong », basée sur la méthode inédite de
« respiration éolienne » (feng huxifa 风呼吸法).
En 1970, Guo Lin commence à enseigner sa méthode à des travailleurs souffrant
de cancer ou de maladies chroniques. Son premier élève, un ouvrier victime d’une
maladie cardiaque grave, est guéri suite à la pratique de la méthode.
Son deuxième élève est également ouvrier dans une usine de Pékin. En 1969, à
l’âge de 61 ans, il avait soudain perdu l’appétit et ressenti une douleur aiguë dans
l’estomac. L’hôpital des tumeurs de Pékin diagnostique un cancer de l’estomac. En
1970, Guo Lin lui enseigne sa méthode : après plus d’une année de pratique assidue, il
retourne au travail à temps plein en 1972. En 1973, après un examen médical,
l’Hôpital des tumeurs de Pékin déclare que la tumeur a complètement disparu.
Guo Lin commence l’enseignement public de sa méthode dans le parc Dongdan
东单 de Pékin en 1971. La nouvelle circule, le nombre de pratiquants augmente et
plusieurs sont guéris de leurs maladies. Elle organise les élèves en groupes de
pratique, leur enseigne la théorie et la méthode de la « nouvelle méthode
thérapeutique du qigong », les postures, et les principes de la pratique. Aux victimes
de maladies graves et de cancer, elle enseigne des techniques différentes selon leur
condition. « Elle enseigne le qigong avec sérieux et dévouement, consciencieuse de
chaque détail, pleine d’affection pour les malades, honnête et patiente. »128
Elle suit et encourage chaque malade individuellement. Par exemple, Li **129,
victime d’un cancer du pharynx et du larynx, commence à pratiquer le qigong de Guo
Lin en 1975. Tous les matins, il pratique le qigong dans le parc. « Comme il supporte
mal de ne pas porter de masque de gaze durant la pratique, et a des doutes quant à
l’efficacité de la ‘nouvelle thérapie de qigong’ pour guérir le cancer, il ne persiste pas
à pratiquer tous les jours. Guo Lin non seulement travaille méticuleusement sur son
attitude idéologique, mais elle le mène personnellement à la pratique. Elle lui fixe
rendez-vous tous les matins à six heures à l’arrêt d’autobus du parc Longtanhu
龙坛湖, et l’accompagne au parc à pied, profitant de la distance à marcher pour
pratiquer le qigong ambulant. Parfois, Li ** découvre en descendant de l’autobus que
Guo Lin l’attend déjà, ce qui le touche profondément. Il prend donc la résolution de
persister dans la pratique ; après deux années de pratique assidue, il remporte enfin la
victoire sur le cancer, et retourne à nouveau à son poste de travail130.»
Accusée de tromper les gens et de s’engager dans des pratiques superstitieuses,
Guo Lin est chassée du parc Dongdan. Elle recommence alors son enseignement du
qigong au parc Longtanhu. Il ne faudra pas longtemps avant qu’elle y soit également
poursuivie. Deux entraîneurs de sa méthode sont arrêtés et emprisonnés durant vingt
jours, et des agents pénètrent chez elle, fouillent son appartement, et confisquent du
matériel lié à ses activités d’enseignement de qigong131.
De 1971 à 1977, Guo Lin sera interrogée sept fois par le Bureau de sécurité
publique, et critiquée à maintes reprises par son unité de travail. Elle sera obligée de
déplacer ses activités à plusieurs reprises, migrant du parc Longtanhu au Temple de la
Terre (Ditan 地坛) puis vers les berges de la rivière Liupukang 刘铺炕132.
Un moment découragée par ce harcèlement continu, elle soumet une demande
pour quitter la Chine et rejoindre sa fille qui réside aux Etats-Unis. Sa demande est
acceptée, elle attend son visa américain, mais elle change d’idée : elle décide de se

128
Tao Bingfu (éd.) 1994 : 13.
129
Le nom complet de cette personne n’est pas donné dans le récit.
130
Tao Bingfu (éd.) 1994 : 13.
131
Zheng Ping 1994 : 302.
132
Tao Bingfu (éd.) 1994: 14, Zheng Ping 1994: 302.
consacrer entièrement à la propagation du qigong pour traiter les victimes du cancer
en Chine133.
Faisant fi des risques et obstacles, elle enseigne à un nombre grandissant de
malades. Sa méthode est publiée informellement sous forme ronéotypée, en 1975.
Edité par Chang Li 长礼 du « Groupe amateur d’étude de la Nouvelle méthode
thérapeutique de qigong de Guo Lin de Longtan », la publication, intitulée « Nouvelle
méthode thérapeutique de qigong » (Xin qigong liaofa 新气功疗法), explique en six
chapitres la théorie et la pratique de la méthode, ainsi que le mécanisme du traitement
du cancer par qigong134.
Le 9 avril 1976, une nouvelle édition du livre est édité par Zhang Li 张礼,
intitulé « Traitement et prévention du cancer par la Nouvelle méthode thérapeutique
de qigong » (Xin qigong liaofa zhi ai yu fang ai 新气功疗法治癌与防癌). Cet
ouvrage décrit brièvement la méthode de respiration éolienne135.
Guo Lin commence à bénéficier du soutien de cadres du Parti guéris par sa
méthode. Ainsi Gao Wenshan 高文杉, cadre retraité de la Marine, devient un ardent
promoteur de la méthode de Guo Lin. Disposant d’un véhicule de fonction, il présente
Guo Lin et ses élèves à plusieurs unités de travail, afin de trouver un lieu pour
l’enseignement et la pratique. Enfin, en 1977, Tao Bingfu 陶秉福 et Zhang Ling 张棂
de l’Université normale de Pékin prennent le risque de les accueillir dans leur
établissement, qui devient leur nouvelle base d’activités136.
En cette année 1977, Mao est déjà mort et la Révolution culturelle tire à sa fin.
Guo Lin profite de ce changement de conjoncture pour briguer la reconnaissance et
l’appui de l’Etat. En se basant sur l’expérience accumulée de sept années et de
plusieurs milliers de patients et d’élèves, elle rédige un rapport d’une centaine de
pages qu’elle soumet au ministère de la Santé, dans lequel elle déclare que le qigong
peut guérir le cancer, et propose d’intégrer le qigong au traitement combiné du cancer
par la médecine occidentale et chinoise137.
Guo Lin organise de plus en plus d’activités formelles. Elle est accueillie et
écoutée par un nombre croissant de personnalités et d’institutions. Dès 1977, elle

133
Tao Bingfu (éd.) 1994: 15.
134
Zheng Ping (éd.) 1994: 305.
135
Zheng Ping (éd.) 1994: 305.
136
Tao Bingfu (éd.) 1994: 10.
137
Zheng Guanglu 1991: 31.
commence à organiser des cours réguliers de sa « Nouvelle méthode thérapeutique de
qigong » à l’Université normale de Pékin. A cet établissement sont également tenues
des « Assemblées d’échange d’expériences » de la méthode, auxquelles sont invités
les pratiquants de Pékin, dans le but de synthétiser et de propager leur expérience138.
Le « Groupe amateur d’étude de la ‘Nouvelle méthode thérapeutique de qigong’ de
l’Université normale de Pékin », dirigé par Tao Bingfu et Zhang Ling, publie deux
nouvelles éditions, l’une typographiée, l’autre ronéotypée, de l’ « Introduction à la
Nouvelle méthode thérapeutique de qigong » (Xin qigong liaofa jieshao
新气功疗法介绍), en 1978139.
Guo Lin est invitée à donner des conférences et enseigner sa méthode dans
plusieurs unités médicales, sportives, éducatives et autres : l’Institut des postes,
l’Aéroport international de Pékin, l’Hôpital no. 6 de Pékin, la prestigieuse Université
Qinghua, la Faculté de médecine de Qingdao, un sanatorium des Forces aériennes du
Liaoning, etc140.
La Révolution culturelle n’a donc nullement réussi à éradiquer le qigong.
Comme nous le verrons plus loin, la plupart des maîtres de culture corporelle ont
simplement continué de transmettre leur savoir de manière souterraine. Et Guo Lin,
qui, elle, ne craint pas d’enseigner publiquement la méthode, apporte même une
innovation capitale au qigong: en instituant la pratique collective dans les parcs, elle
libère le qigong du cadre institutionnel médical. Le qigong devient une activité de
masse qui peut être enseigné dans d’autres établissements, voire dans les espaces
publics. C’est ce nouveau dispositif qui rend possible la dissémination massive et
rapide du qigong dans la population.

138
Zheng Ping 1994 : 303.
139
Zheng Ping 1994 : 305.
140
Bing Fu, Xiang Xiu 1980 : 23.
2.2 Gu Hansen découvre la nature matérielle du « qi externe »

La fin des années 1970 est une période de bouillonnement: un vent de liberté
souffle sur le monde scientifique, le scientisme devient le nouveau crédo de la
politique de développement du pays. La science et la technique sont vus comme les
clefs de l’avenir de la Chine. C’est dans ce contexte que le Qigong refait surface, non
seulement comme thérapie, mais aussi comme découverte scientifique, voire comme
une nouvelle forme de haute technologie.
Après la chute de la « Bande des quatre » , la nouvelle équipe dirigeante dirigée
par Deng Xiaoping instaure, dès 1977, la nouvelle politique des « Quatre
modernisations » pour diriger le développement de la Chine: modernisation de
l’agriculture, de l’industrie, de la défense nationale et des sciences et techniques. La
modernisation scientifique est la plus importante des quatre: c’est en effet sur le
développement scientifique que reposent les trois autres. Le 18 mars 1978, à un
congrès national des sciences qui réunit 6000 délégués, des plans pour le
développement scientifique sont dévoilés dans les secteurs prioritaires de
l’agriculture, de l’énergie, de la science des matériaux, de l’informatique, des lasers,
de l’aérospatiale, de la physique des particules de haute énergie, et de la génétique141.
Le gouvernement lance aussi un « mouvement patriotique pour la santé » (Aiguo
weisheng yundong 爱国卫生运动) pour augmenter le niveau de santé et d’hygiène de
la population142, et décide d’un « développement accéléré » de la médecine
chinoise143. Le qigong, par sa simplicité, son efficacité et son aspect économique,
s’inscrira très bien dans les objectifs de ces campagnes.
Dès la fin de la Révolution culturelle, quelques scientifiques commencent des
recherches sur le qigong. Mais contrairement aux cliniciens des années 1950 et 1960
qui étudiaient les effets de la pratique du qigong sur le traitement de différentes
maladies, cette nouvelle génération de chercheurs s’intéresse surtout au phénomène
du « qi externe » que le maître de qigong peut émettre de ses mains et de son corps en
direction d’un patient ou d’un objet144. En 1979, Gu Hansen 顾函森, de l’Institut de

141
RR 78/03/12
142
RR 78/04/08
143
RR 78/11/02
144
Cette technique est mentionnée pour la première fois dans l’Histoire des Jin (Jinshu 晋书), et
décrite dans le Livre de monsieur Yanling sur les anciennes et nouvelles techniques d’absorption du
recherches atomiques de Shanghai (Shanghai yuanzihe yanjiusuo
上海原子核研究所), fait sensation en annonçant que le « qi externe » est une
substance matérielle mesurable. Par la suite, le concept du « qi externe » en tant que
forme de matière sera accepté par l’ensemble des scientifiques chinois travaillant sur
le qigong.
Gu Hansen avait commencé ses expériences dès la fin de 1977,
indépendamment et sans le soutien de son unité scientifique, mais en collaboration
avec l’Institut de recherches en médecine chinoise de Shanghaï145 qui venait, sous la
direction de Lin Hai 林海, d’ouvrir une clinique de qigong146. Voici comment il
relate les circonstances de sa « découverte » :
« J'étudie la radio-électronique, ce qui, à l'origine, n'a strictement aucun
rapport avec le qigong. En plus de dix ans de travail à l'Institut de recherches
nucléaires, je me suis principalement consacré à l'étude d'appareils
d'agrandissement de micro-signaux relatifs à l'électricité nucléaire. A la fin de
1977, par hasard, j'ai connu la méthode thérapeutique de mouvement du qi. De
mes propres yeux, j'ai vu cette méthode thérapeutique sans médicament, sans
aiguille, et sans contact avec le corps du malade, faire en sorte qu'un
paraplégique des deux jambes, paralysé, puisse s’accroupir et se redresser,
s'accroupir et se redresser. Ce fait miraculeux m'a ouvert un horizon nouveau, à
tel point que je ne pouvais plus rester tranquille. Je me sentais à la porte d'entrée
d'un nouveau domaine -- la science de la vie. Aurais-je le courage d'ouvrir cette
porte mystérieuse?
[…] Ainsi, j'ai pris ma résolution, et j'ai commencé dans mon temps libre.
Mais c'est un travail entièrement nouveau, sans aucun matériel auquel se référer,
sans aucune expérience préalable à suivre. D'un côté je tâtonnais, de l'autre
j'expérimentais. Comme mon travail était 'individuel et souterrain', je devais
tout considérer, concevoir et faire moi-même: les difficultés étaient nombreuses.
Comment juger des propriétés physiques d'un quelconque phénomène de
qigong; comment concevoir et fabriquer des appareils détecteurs; comment
procéder à l'expérience de détection, et ainsi de suite. Mais les perspectives
d'avenir de l'étude des phénomènes miraculeux du qigong m'ont profondément
attiré: le point et le temps d'émission de Force par le maître de qigong étaient

souffle (Yanling xiansheng xinjiu fuqi jing 延龄先生新旧服气经) (Canon taoïste, T. 825, fasc. 570),
qui regroupe des matériaux des Tang et antérieurs. Cf. Despeux (1988 : 20). Avant la période du
qigong moderne, cette technique s’appelait « prodiguer le qi » (buqi 布气). Despeux (1988 :21)
remarque que cette expression également employée dans l’utilisation de talismans pour soiger des
maladies : le talisman contient le souffle du corps du maître, qui vient compléter le manque de souffle
chez le patient (voir aussi Schipper 1982 : 102). Cette équivalence resurgit dans le qigong des années
1980, lorsque paraîtront des « objets à informations » (xinxi wu 信息物), qui contiennent le qi émis par
un maître et sont employés à des fins thérapeutiques. Voir section 4.5 pp. 137-138, section 5.1 pp. 147-
149.
145
Les maîtres de qigong qui ont collaboré avec les expériences de Gu Hansen sont Lin Housheng, Que
Ashui 阙阿水, Zhao Guang 赵光, Liu Jinrong 刘锦荣, et Zhao Wei 赵伟 (Lin Hai 2000).
146
Des activités de qigong avaient refait surface à Shanghai depuis 1976 ou avant: en cette année, le
livre Dix-huit méthodes de pratique du gong est publié conjointement par trois unités médicales et
sportives de la ville, sans toutefois employer le terme de qigong. (cf. Shanghai shi… 1976)
entièrement identiques avec les changements détectés par l'appareil; certaines
sensations et même des propriétés physiques coïncident avec régularité -- par
exemple, lorsque le point d'émission de Force produit une sensation de
changement de chaleur, l'appareil détecte une fluctuation de la modulation de
basse fréquence des rayons électromagnétiques ultra-rouges; lorsqu'un
sentiment d'endormissement suit les méridiens jusqu'à atteindre le point
d'émission de Force, l'appareil détecte une concentration d'électricité statique ou
des signaux magnétiques de basse fréquence; lorsque, précédant l'émission de
Force, l'extrémité du doigt est enflé, lorsque durant l'émission de Force il y a
une sensation de matière émise vers l'extérieur, et lorsque, suite à l'émission de
Force, le doigt se rétrécit, l'appareil détecte un courant micro-particulaire. Les
détecteurs physiques éloignés du corps [du sujet] que j'ai employés ont détecté
les quatre types de signaux de qi externe décrits ci-dessus. Ces faits nous disent
que ce 'qi' invisible et intouchable possède une fondation matérielle objective;
c'est une forme (ou plusieurs formes) de mouvement matériel, c'est une
manifestation particulière de la forme de la vie »147.

Etant donné que les appareils disponibles à Shanghaï ne sont pas suffisamment
modernes, les expériences sont poursuivies à Pékin, à l’Institut de mécanique de
l’Académie chinoise des sciences, avec l’aide des chercheurs Hao Jingyao 郝敬尧 et
Lin Zhongpeng 林中鹏. Les résultats sont tout aussi encourageants148. Gu Hansen
conclut que le « qi externe » est une forme de courant de particules.
Les expériences de Gu Hansen seront ultérieurement acclamées dans le monde
du qigong comme un moment historique, où l’existence matérielle qi externe est
« prouvée » à l’aide d’ « appareils modernes ». Ainsi, les défenseurs du qigong Li
Jianxin et Zheng Qin écriront en 1996 :
« Le 10 mars 1978 peut être considéré comme un jour hors du commun. Ce jour
marque le début d'une nouvelle époque dans l'histoire du qigong de Chine. En
collaboration, Gu Hansen du Centre de recherches atomiques de l’Académie
chinoise des sciences à Shanghai et Lin Housheng 林厚省 de l'Institut de
médecine chinoise de Shanghai, employant des appareils scientifiques
modernes pour effectuer des mesures préliminaires sur le « qi externe » déplacé
lors de la thérapie par qigong, ont détecté des modulations a basse fréquence de
rayons ultra-rouges. Cela confirme que le pratiquant de qigong a émis des ondes
électromagnétiques contenant des informations. C'est la première fois que la
nature matérielle du « qi » fut prouvée. La publication des résultats de
l’expérience a suscité des vagues à l’intérieur du pays, et attiré l’intérêt et
l'attention de nombreux scientifiques envers la recherche du qigong. Leur
entreprise héroïque a eu un effet déterminant sur l'essor du qigong en Chine
contemporaine, lui permettant de se débarrasser définitivement de l’étiquette de

147
Gu Hansen 1980 : 4-5. L’instrument de mesure fut inventé par Gu Hansen lui-même, mais ce
dernier refusa de divulguer le dispositif expérimental afin de permettre à d’autres chercheurs de répéter
l’expérience (Li & Zheng 1996 : 224).
148
Lin Hai 2000.
« superstition » et de « sorcellerie » depuis si longtemps collée à son
visage »149.

L’équipe de recherche, dirigée par Lin Hai, présente un rapport aux dirigeants
de l’Association scientifique de Shanghaï en automne 1978, puis, au printemps 1979,
fait une démonstration des expériences auprès de responsables de la Commission
scientifique nationale, de l’Association scientifique nationale, du ministère de la Santé
et de la Commission nationale des sports. Le ministre de la Santé Qian Xinzhong
钱信忠 fait part de la « découverte » au vice-Premier ministre Fang Yi 方毅,
responsable de la recherche scientifique au Conseil d’Etat: ensemble, ils décident que
le moment est venu de faire une synthèse formelle sur tout ce qui se passe en rapport
avec le qigong150.

2.3 La « réunion de synthèse » de Pékin

En effet, le rapport de Guo Lin et les expériences de Gu Hansen ont attiré


l’attention des dirigeants du pays et des autorités médicales. Les 14 et 19 juillet 1979,
le Bureau d’administration de la médecine chinoise du ministère de la Santé organise
une « Réunion de synthèse sur la science du qigong »(Qigong kexue huibaohui
气功科学汇报会) à l’hôtel Xiyuan de Pékin. Sont présents le ministre de la Santé et
plusieurs membres du Conseil d’Etat : le vice-Premier ministre Fang Yi 方毅 (1916-
)151, Geng Biao (1909- ) 耿飚152, Chen Muhua 陈慕华 (1920- )153, Tan Zhenlin
谭震林 (1902-1983)154, Bo Yibo 薄一波 (1908- )155, et quelques centaines d’experts
scientifiques et dirigeants politiques156. L’équipe de recherche de Shanghaï, dont les
expériences de Gu Hansen sur le qi externe avaient fait sensation, donne une
démonstration de l’expérience de l’impact matériel de l’émission de qi. Zhu Runlong

149
Li & Zheng 1996 : 224.
150
Lin Hai 2000.
151
Vice-premier ministre, Président de l’Académie chinoise des sciences, Président de la Commission
scientifique nationale, membre du bureau politique du Comité central du Parti.
152
Vétéran de la Longue marche, membre du bureau politique du Comité central du Parti en 1977,
Vice-premier ministre en 1978, Secrétaire-général de la Commission centrale militaire en 1979, il sera
nommé ministre de la Défense en 1981.
153
Vice-présidente du Noyau central du Parti, vice-premier ministre du Conseil d’Etat, directrice de la
Commission du Mouvement central patriotique pour la Santé.
154
Vice-premier ministre de 1959 à 1967, membre du Comité central du Parti de 1973 à 1982.
155
Vice-premier ministre de 1979 à 1982.
156
Lin Hai 2000.
朱润龙 de la revue Nature 自然杂志157 présente le phénomène d’enfants capables de
lire des caractères chinois avec leurs oreilles158. Le maître de « qigong dur » Hou
Shuying 侯树英 donne un spectacle de ses talents. Plusieurs adeptes de la méthode de
Guo Lin sont représentés, dont Tao Bingfu et Yang Dianxue 杨殿学 qui présentent un
rapport intitulé « Rapport d’enquête sur le résultat thérapeutique du traitement de
différentes sortes de cancer par la « Nouvelle méthode thérapeutique de qigong ».
Gao Wenshan, directeur de la Section culturelle du Département politique de la
Marine, victime de cancer guéri par le qigong de Guo Lin, donne un discours sur son
expérience de guérison, à la suite duquel le dirigeant politique Tan Zhenlin
s’exclame : « l’allocution de Gao Wenshan était excellente, et mérite d’être
étudiée »159.
Cette réunion marque un tournant historique pour le qigong. En réunissant dans
une même salle la plupart des acteurs intéressés au qigong, elle donne naissance à une
nouvelle communauté qui s’appelera le « monde du qigong » . Communauté qui
regroupe non seulement des maîtres et adeptes de qigong, mais aussi des chercheurs
scientifiques: le qigong n’est plus, comme dans les années 1950, une simple branche
de la médecine chinoise, mais une « science du qigong » – une nouvelle science de
pointe ayant déjà découvert une nouvelle substance matérielle, le « qi externe » , qui
peut être contrôlée et projetée par la pensée. En présentant des rapports d’enfants qui
lisent avec leurs oreilles et les prouesses du « qigong dur » , on commence déjà à faire
un lien entre le qigong et le paranormal. Un nouveau concept de qigong commence à
émerger: substance matérielle du « qi externe » + contrôle mental de cette substance
par le qigong = pouvoirs paranormaux.
Un tel concept aurait pu n’être qu’une idée sans suites’il n’avait pas été
cautionné par les membres du Conseil d’Etat. Or cette « réunion de synthèse »
marque la réhabilitation publique du qigong par le Parti et le gouvernement, qui
confirment et encouragent son développement. Elle est interprétée comme un feu vert
pour l’organisation et l’expansion d’activités de qigong qui, dans l’espace d’une
année, exploseront dans toute la Chine. Du 9 au 12 septembre 1979, un premier
colloque d’échanges académiques sur le qigong fut organisé avec l’appui du ministère

157
A ne pas confondre avec la revue américaine du même nom. Toutes les mentions de la revue Nature
dans cette thèse se réfèrent à la revue chinoise.
158
Voir la section 4.1 p. 104.
159
Zheng Ping 1994 : 303.
de la Santé et de l’Association scientifique nationale160. Signe de la caution politique
donnée au qigong: les expériences de Gu Hansen sur le « qi externe » font l’objet
d’un reportage sur la Télévision centrale en janvier 1980161, et sont publiées dans la
revue scientifique Nature162.

2.4 Propagation de la méthode de Guo Lin

La première bénéficiaire de cet appui est Guo Lin, qui voit disparaître tous les
obstacles jadis opposés à ses activités d’enseignement et de propagation de sa
méthode. Les médias commencent à s’intéresser au qigong: le 25 octobre 1979, la
revue L’univers des sciences (Kexue yuandi 科学园地) publie l’article « Qigong
ambulatoire naturel de respiration éolienne modérée » (Zhongdu feng ziran xinggong
中度风自然行功), dicté par Guo Lin et arrangé par Tao Bingfu. C’est l’un des
premiers articles de presse sur le qigong à paraître depuis la Révolution culturelle163.
Par la suite, d’autres articles sur la méthode de Guo Lin paraissent dans la revue
Nature, le Journal d’Education Physique (Tiyu bao 体育报) et le supplément du
journal Nouvelle Education Physique (Xin tiyu 新体育)164.
Plusieurs livres sur le qigong sont republiés, dont les ouvrages de Jiang Weiqiao
et de Zhou Qianchuan165. En juillet 1980, la Maison d’éditions des sciences et
technologies de la province d’Anhui publie le livre « Nouvelle méthode thérapeutique
du qigong (niveau débutant)» dicté par Guo Lin et arrangé par Tao Bingfu166.
Grâce à cette publicité médiatique, la méthode de Guo Lin attire un nombre
grandissant de pratiquants. De nombreux malades affluent sur Pékin de toute la Chine
et même de l’étranger à la recherche d’une cure pour leurs maladies. Dès 1980, la
méthode de Guo Lin est déjà pratiquée dans plus de 20 provinces, villes et régions
autonomes de Chine, ainsi qu’à Hongkong, Macao, Singapour, au Japon, aux Etats-
Unis et au Canada167.

160
Despeux 1997: 271.
161
Lin Hai 2000.
162
Gu Hansen 1980 b,c.
163
Zheng Ping 1994 : 305.
164
Bing Fu, Xiang Xiu 1980 : 23.
165
Hu Meicheng 1981 : 43. Cf. Jiang Weiqiao 1917, Zhou Qianchuan 1959.
166
Guo Lin 1980 ; Zheng Ping 1994 : 305.
167
Zheng Guanglu 1991 : 31.
Peu après, une nouvelle méthode apparaît, issue d’une scission du groupe de
Guo Lin. En été 1979, un élève de Guo Lin, Zhang Mingwu 张明武, après une
brouille avec cette dernière, fonde sa propre, qu’il appelle la « Méthode thérapeutique
d’auto-contrôle par le qigong » (Qigong zikong liaofa 气功自控疗法). Il installe son
poste d’entraînement juste en face de celui de Guo Lin dans le parc Ditan, et inaugure
sa première session avec force pétards. Zhang Mingwu sera l’un des fondateurs de
l’Association d’études du qigong de Pékin, dont il sera nommé directeur-adjoint. Il
prétend dériver sa méthode des antiques « Procédés secrets du joyau magique »
« lingbao bifa 灵宝毕法 » de l’alchimie intérieure taoïste168 et de la médecine
chinoise. Sa « Méthode thérapeutique d’auto-contrôle par qigong » comprend 35
méthodes spécifiques. La méthode de base consiste à réciter neuf sons différents pour
neuf types de maladies169.

2.5 Fondation des premières associations semi-officielles de qigong

La reconnaissance officielle du qigong se concrétise avec la fondation, le 14


décembre 1979, autorisée par le Comité scientifique de Pékin, de l’Association
d’études du qigong de Pékin (Beijing qigong yanjiuhui 北京气功研究会). Animée
par des cadres retraités adeptes de qigong et par des chercheurs scientifiques
intéressés par le qigong, cette « association académique de masse » (qunzhong xueshu
tuanti 群众学术团体) est la première de ce genre en Chine, et jouit du soutien actif
du Syndicat général de la Ville de Pékin. Les fondateurs de l’association, passionnés
de qigong, se donnent la mission de préserver le qigong pour les générations futures.
Face au scepticisme de certains de leurs leaders, ils répondent que le qigong est une
perle de la culture de la patrie, riche d’une histoire ininterrompue de plus de 2000 ans.
L’un des fondateurs de l’association, He Qingnian 何庆年, se rappelle avoir lancé cet
appel : « Maintenant, qu’allons-nous faire ? le laisser décliner ou le faire
progresser ? »170.
En tant qu’association « de masse » jouissant d’un statut officiel, l’Association
d’études du qigong de Pékin devient l’intermédiaire entre les maîtres de qigong – qui
commencent soudain à apparaître en grand nombre – et l’Etat. En peu de temps,

168
Sur cette école d’alchimie intérieure fondée au 11e siècle, voir F. Baldrian-Hussein 1984.
169
Zheng Ping 1994 : 303; Wu Hao (éd.) 1993 : 169, 555.
plusieurs anciens maîtres de différentes techniques de culture corporelle se présentent
à l’association, déclarant leur désir de transmettre leurs méthodes au grand public.
Ainsi des demandes d’affiliation à l’association sont soumises pour plus de 40
méthodes de qigong ; très vite, des postes d’entraînement de différentes méthodes
apparaissent dans presque tous les parcs de Pékin171.
Devant les demandes d’affiliation de tous ces maîtres, l’association décide de
suivre la politique déjà adoptée par l’université Qinghua envers les groupes de qigong
qui demandent à pratiquer sur son campus : « laisser les cent fleurs s’épanouir et les
cent écoles se concurrencer », ne pas favoriser une méthode plus qu’une autre. « Il
suffit que l’expérience prouve que les méthodes sont bénéfiques et non dangereuses,
elles sont les bienvenues sur le campus de Qinghua. [Les maîtres de ces méthodes]
peuvent enseigner, entraîner, et établir des postes d’entraînement dans différentes
parties du campus. Les masses sont libres de choisir la méthode qu’ils préfèrent.172 »
Peu après, des associations semi-officielles semblables seront fondées dans
d’autres villes et provinces – celle de la province du Zhejiang sera l’une des plus
actives. Et le qigong médical institutionnel d’avant la Révolution culturelle est
reconstitué : les sections de qigong des hôpitaux sont réouverts, Liu Guizhen et sa
génération de médecins thérapeutes de qigong sont réhabilités. Le Département de la
santé du Hebei proclame la réouverture du Sanatorium de qigong de Beidaihe le 28
octobre 1980, et demande à Liu Guizhen de reprendre son poste de directeur173. Le
Sanatorium restauré comprend plus de deux cents lits, ainsi qu’un nouveau bâtiment
réservé à l’enseignement du qigong174.

2.6 Fondation de la revue Qigong

Nous assistons donc à l’émergence d’une véritable communauté de pratiquants,


de thérapeutes et de chercheurs du qigong. La naissance publique de ce « monde de
qigong », est marquée par le lancement en automne 1980 d’une revue nationale par
l’Institut de recherche en médecine chinoise du Zhejiang, et éditée par la Revue de
médecine chinoise du Zhejiang (Zhejiang zhongyi zazhi 浙江中医杂志). Le premier

170
He Qingnian 1989 : 3.
171
He Qingnian 1989 : 3.
172
He Qingnian 1989 : 3.
173
QG 2-1 : 48.
numéro est préfacé par Lü Bingkui 吕炳奎, directeur du Bureau d’administration de
la médecine chinoise du ministère de la Santé et secrétaire-général de l’Association
nationale de médecine chinoise, qui déclare qu’ « une nouvelle discipline scientifique
s’est ajoutée au domaine des sciences et techniques : la science du qigong »175. La
revue Qigong, trimestrielle à ses débuts (elle deviendra mensuelle en 1987), permet de
relier entre eux les différents spécialistes, maîtres et adeptes du qigong, et de
constituer un discours commun du qigong qui transcende les expériences particulières
des lecteurs éparpillés dans tout le pays176.

174
Despeux 1997: 270. Après la mort de Liu Guizhen en 1983, celui-ci fut remplacé par sa fille Liu
Yafei.
175
Lü Bingkui 1980 : 1.
176
Le contenu des premiers numéros de la revue nous révèle l’étendue du champ considéré comme
légitime du discours du qigong dans ses premières années. Les 119 articles des cinq premiers numéros
(automne 1980 à automne 1981) peuvent être classés en six catégories principales :

Catégorie Articles %
Méthodes de qigong : 29 24.4
Articles scientifiques : 26 21.8
Articles historiques : 17 14.3
Pratique du qigong : 17 14.3
Fonctions exceptionnelles : 3 2.5
Le qigong à l’étranger : 3 2.5
Autres 24 20.2
Total 119 100

La première catégorie comprend principalement des articles didactiques sur différentes


méthodes de qigong, tels que le « qigong du Taiji », le « qigong de la Cloche de bronze » , la
« méthode thérapeutique de relaxation », etc. Les différentes postures sont expliquées et illustrées.
Quelques articles présentent également des maîtres et personnalités du monde du qigong tels que Yang
Meijun, Guo Lin, Liang Shifeng, etc.
Les articles scientifiques rapportent des résultats de recherches cliniques et de laboratoire sur
les effets du qigong. On parle de l’application du qigong dans le traitement de diverses maladies telles
que la gastroptose, l’hypertension artérielle, la nausée routière, etc ; de l’usage d’un « appareil
thérapeutique de qigong » comme substitut du maître de qigong, des messages ultrarouges du qigong,
du qigong et des ondes magnétiques, etc.
Les articles historiques tentent de reconstituer la généalogie du qigong : l’origine du qigong, le
qigong de Peng Zu 彭祖, l’un des fondateurs mythiques de la race chinoise, la théorie du qigong de Ge
Hong, etc. Certains textes et concepts classiques sont aussi présentés : le « xingqi yupeiming »
(行气玉佩铭), le « daoyintu » (导引图), etc.
Les articles sur la pratique donnent des conseils sur comment pratiquer le qigong de manière
correcte et efficace : comment entrer dans l’état de relaxation, comment choisir une méthode, comment
trouver l’emplacement du champ de cinabre, etc.
Une poignée d’articles traite des « fonctions exceptionnelles » : relation de l’exploit d’un
Indien qui vécut huit jours complètement enterré, discussion de l’origine des fonctions exceptionnelles,
discussion du lien entre le qigong et les fonctions exceptionnelles (voir infra).
Les auteurs des articles comprennent un grand nombre de scientifiques attachés
à de prestigieuses unités de recherche. Le noyau actif de la communauté scientifique
du qigong177 est constitué de membres des prestigieuses institutions que sont
l’Académie chinoise des sciences, l’Académie nationale de médecine chinoise, et
l’Institut de recherches en médecine chinoise de Shanghai, ainsi que le cadre Hu
Meicheng 胡美成 du gouvernement provincial du Zhejiang, Zhang Huimin 张惠民
de l’Institut de recherches sur les instruments thérapeutiques de Pékin, et Pang
Heming 庞鹤鸣178 de l’Usine pharmaceutique de Pékin. Le reste appartiennent en
majorité à des unités médicales.

2.7 Fondation d’une association nationale semi-officielle

Le média pour la diffusion d’informations sur le qigong ayant été créé, il ne


manquait plus au monde du qigong que de se donner une structure institutionnelle.
Cela se produit lorsque l’Association nationale de la science du qigong médical
全国气功科学研究会179 est fondée le 9 août 1981, affiliée à l’Association nationale
de médecine chinoise, avec l’appui de l’Association nationale des sciences et du
ministère de la Santé. Cent vingt délégués, y compris les principales personnalités du
monde du qigong tels que Liu Guizhen, Guo Lin et Zhao Guang 赵光, ainsi que des
maîtres de qigong, des chercheurs scientifiques spécialistes du qigong et des
représentants d’unités de l’Etat, assistent à la réunion de fondation de l’association
dans la ville de Baoding (Hebei), où Liu Guizhen avait ouvert sa première clinique de
qigong en 1949. Les délégués débattent et approuvent les actes constitutifs de
l’association et élisent son premier conseil d’administration. Ils se réunissent ensuite

Quelques autres articles traitent de nouvelles de l’étranger : le Taijiquan à Taiwan, la


méditation en Allemagne fédérale, etc.
177
Voir en annexe 4, la liste des principaux auteurs d’articles, leurs unités de travail, et le nombre
d’articles publiés des membres de chaque unité.
178
Né en 1940 dans le district de Baoxing (宝兴)dans le Hebei, Pang Heming fait ses études de
médecine occidentale élémentaire à l’Ecole des médecins de Pékin (北京医士学校) dans les années
1950, puis suit une formation de trois ans de médecine chinoise. Il commence sa carrière dans une
clinique de médecine chinoise. En 1979, il participe à l’organisation de la Réunion de sysnthèse sur le
qigong organisée par le ministère de la Santé, et figure parmi les premiers « chercheurs scientifiques »
à publier dans les revues de qigong. Il est professeur adjoint à l’Académie des sports du Hebei et
rédateur-en-chef adjoint de la revue Dongfang qigong publiée par l’Association de qigong de Pékin Il
est aussi connu sous le nom de Pang Ming 庞明 (Wu Hao ed. 1993 : 566).
179
. Le mot « médical » sera ajouté au nom de l’organisation après 1985, afin de distinguer celle-ci de
l’Association chinoise de recherches en science du qigong, fondée en 1985.
en colloque scientifique, écoutent des présentations académiques d’une dizaine de
chercheurs et maîtres de qigong, et se divisent en petits groupes pour discuter de
l’origine du qigong, des méthodes, des techniques de longévité, de la prévention et de
la guérison de maladies, et de la recherche scientifique sur le qigong180.
Quelques mois plus tard, durant l’hiver 1981, la nouvelle association organise
un colloque à Pékin sur le thème de « la science moderne et le qigong ». Plus de vingt
scientifiques de renom prennent la parole et discutent des rapports entre le qigong
traditionnel et la science moderne, ainsi que la direction des recherches sur le
qigong181.
Avec la fondation de l’Association nationale de la science du qigong médical,
relate le chroniqueur Zheng Guanglu, le qigong « obtint la reconnaissance formelle du
monde médical et entra d’un pas ferme dans le temple de la Science. A partir de ce
moment, le flot de ce « qi » mystérieux qu’on ne peut ni voir ni toucher, se met à
circuler non seulement dans les parcs et dans les rues, mais pénètre également dans
l’intérieur des établissements d’enseignement supérieur et les laboratoires des instituts
de recherche »182.

180
QG 2-4 : 170.
181
Li Zhiyong 1988 : 426.
182
Zheng Guanglu 1991 : 52.
3. LA FLORAISON DES LIGNEES

Dans la foulée du succès de la méthode de Guo Lin, d’autres nouvelles


méthodes apparaissent en succession rapide entre 1979 et 1981. En automne 1981,
l’Association d’études de la science du qigong du Zhejiang organise une réunion
d’échange de méthodes de qigong. De nombreux maîtres populaires participent et font
la démonstration de leurs talents, y compris de vieux hermites tels que Baxun
Daozhang 八旬道长, qui « sort des montagnes pour contribuer sa propre méthode
secrète à la patrie socialiste »183.
La majorité des maîtres qui commencent à enseigner ouvertement leurs
techniques à partir de 1978 ne sont pas issus des institutions de qigong d’avant la
Révolution culturelle. Ce sont plutôt les héritiers de lignées de culture corporelle
transmises de façon souterraine depuis l’instauration du régime communiste. Dans le
nouveau climat d’ouverture, ils « sortent des montagnes » et transmettent leurs
techniques sous la forme reconnue du qigong. Les lignées traditionnelles sont
modifiées pour cadrer avec le dispositif de transmission de masse instauré par Guo
Lin. Cette section retrace l’émergence du nouveau modèle du « maître de qigong »
qui enseigne une « méthode de qigong » (gongfa 功法) à travers un réseau de
transmission dans les parcs et espaces publics.

3.1 Transmission populaire de la culture corporelle de 1949 à 1979

Alors que le qigong moderne, institutionnel et élitiste avait été largement


supprimé durant la Révolution culturelle, les lignées de transmission souterraine de
culture corporelle avaient continué de se perpétuer dans les mondes marginaux des
arts martiaux, des lignées familiales de médecine traditionnelle, et des lignées de
religion populaire. Ces lignées n’ont, en fait, pas cessé d’exister depuis 1949. Coupé
du monde populaire, le qigong de 1949 à 1965 n’avait récupéré qu’une petite poignée
de maîtres populaires. La plupart étaient restés hors des institutions du qigong. Il y
avait donc coexistence de deux mondes distincts dans lesquels était pratiquée la
culture corporelle : le monde institutionnel du qigong, et le monde populaire dans

183
Li Zhiyong 1988 : 426.
lequel, comme auparavant, une grande variété de techniques étaient transmises dans
différentes lignées isolées les unes des autres, sans qu’il existe de concept unificateur
ou de communauté de pratiquants transcendant les différentes traditions.
Plusieurs maîtres de qigong des années 1980 affirment avoir appris la culture
corporelle dans des lignées traditionnelles, durant les premières années du régime
communiste, sans mentionner de contact avec les structures officielles de qigong de
l’époque. Prenons trois de ces maîtres à titre d’exemple :
(1) Yin Yaokui 尹耀奎, né en 1950 dans le district de Lianshui 涟水 dans le
Jiangsu. Descendant du maître taoïste Yin Xi 尹喜, il apprend de son père une
méthode de culture corporelle pour enfants, le tongzi gong 童子功 à l’âge de six ans.
Par la suite, son père lui apprendra les méthodes du « Travail authentique de la pureté
et du calme suprêmes » (Taishang qingjing zhengong 太上清静真功),la
« gymnastique du pur équilibre » (Qingping daoyin gong 清平导引功), le « Travail
de la Lumière tournante de l’ancêtre unique » (yizong lunming gong 一宗轮明功) et
presque trente autre techniques. Dans les années 1980, il se joindra au monde du
qigong, fondera la lignée du « Qigong authentique de la pureté et du calme
suprêmes » , et deviendra membre d’associations nationales de qigong184.
(2) En 1950, Liu Zhongxin 刘忠信, un cadre du Liaoning, apprend la
méditation bouddhiste du maître Shi Rukong 释如空. Malgré sa pratique de cette
méthode, il ne mentionne aucune affiliation avec le monde du qigong avant les années
1980, période durant laquelle il devient une personnalité dans les milieux du qigong
du Liaoning, et fondera sa propre méthode du Shiru gong 释如功185.
(3) En 1958, le petit Li Baolong 李宝龙, âgé de six ans, commence à apprendre
les arts martiaux de son père, héritier de la 8e génération d’une lignée traditionnelle.
En 1969, durant la Révolution culturelle, il remplacera son père dans la police armée
de Tianjin et y enseignera la méthode familiale du Bajiquan 八极拳, la « boxe des
huit pôles ». Après 1980, il fondera la méthode du « Qigong des huit pôles » ,
voyagera à l’étranger et donnera des conférences publiques sur le qigong186.
Ces trois individus se proclameront « maîtres de qigong » dans les années 1980,
inscrivant les techniques dont ils sont les héritiers dans la catégorie du qigong et

184
Wu Hao (éd.) 1993 : 512.
185
Wu Hao (éd.) 1993 : 523.
186
Wu Hao (éd.) 1993 : 533.
s’associant à la communauté du qigong. Mais dans les années 1950 et 60, leur
apprentissage de techniques de culture corporelle s’était fait dans des réseaux
familiaux ou religieux, indépendamment du développement du qigong dans les
institutions de santé à cette époque.
De la même manière, un grand nombre de « maîtres de qigong » qui sortent de
l’anonymat au début des années 1980, avaient appris la culture corporelle durant la
Révolution culturelle. C’est notamment le cas de certains des plus célèbres maîtres de
qigong tels que Yan Xin et Li Hongzhi187.
Avec l’aide du catalogue biographique des maîtres de qigong dans le Zhongguo
dangdai qigong quanshu 中国当代气功全书, « Livre complet du qigong chinois
contemporain »188, nous pouvons nous former une image de la transmission de la
culture corporelle durant cette période. Dans la plupart des cas, cette transmission suit
un modèle de transmission populaire et non institutionnelle. Nous trouvons les types
suivants de transmission durant la Révolution culturelle:
- Transmission dans des réseaux familiaux. Exemple:
Huang Yuanfu 黄元福, natif du Jilin, commence l’apprentissage des arts
martiaux et de la culture corporelle taoïste en 1968, à l’âge de 11 ans, de son père et
du frère aîné de celui-ci. Il devient également l’élève de deux autres maîtres, Wang
Peiwen 王佩文 et Yang Zijun 杨子君. Dans les années 1980, il deviendra une
personnalité très active dans les associations semi-officielles liées au monde des
sports : membre des comités directeurs de l’Association chinoise d’études du qigong
sportif et de la Fédération internationale de la science du qigong; conseiller auprès de
la revue Qigong et sports, etc189.
- Transmission dans des réseaux religieux. Exemple:
Su Huaren 苏华仁 devient disciple à 16 ans en 1967 de Li Lanfeng 李岚峰,
maître du Temple des Trois Doctrines (Sanjiaosi 三教寺) de Anyang 安阳, dans le
Henan. Celui-ci lui apprend l’ « alchimie intérieure de l’école de la Montagne d’or de
la secte Longmen » (Longmen Jinshanpai neidangong 龙门金山派内丹功) et une
méthode de méditation dérivée du bouddhisme chan. Par la suite, il étudiera sous
plusieurs maîtres traditionnels taoïstes et bouddhistes. Après 1980, il s’impliquera

187
Voir section 6.1.
188
Wu Hao (éd.) 1993: 500-599.
189
Wu Hao (éd.) 1993 : 585-586.
dans le monde du qigong et deviendra membre de plusieurs associations nationales et
internationales de qigong190.
- Transmission dans des réseaux de médecine traditionnelle. Exemple:
Xiao Chongmei 肖崇美, né en 1966 dans le Hunan, apprend à 8 ans, en 1974,
une méthode pour enfants (tongzi gong 童子功) et la « boxe des cinq poisons des
fleurs de lotus (lianhua wudu zhang 莲花五毒掌) d’un médecin traditionnel. Trois
ans plus tard, il devient le disciple de l’ermite Xu Youming 徐有名, qui lui transmet
une « méthode de protection corporelle de Shaolin » (Shaolin huti gong
少林护体功), dont il devient l’héritier de la 16e génération. Dans les années 1980, il
enseignera le « qigong dur » à plus de 3000 gardiens et policiers, et soignera des
malades à l’aide du qigong, de l’acupuncture et du massage191.
- Transmission dans des réseaux d’arts martiaux. Exemple:
Sun Hongbao 孙鸿宝, du Heilongjiang, apprend les arts martiaux auprès du
maître populaire Li Fuxuan 李福轩, à partir de 1972, à l’âge de 12 ans. Ce dernier lui
enseigne le « Travail intérieur taoïste pour cultiver l’authenticité » (daojia xiuzhen
neigong 道家修真内功) , le « Travail des immortels aux épées » (jianxiangong
剑仙功), la « Boxe du travail intérieur » (neigongjuan 内功卷), etc. Après 1980, il
fondera la méthode du « Qigong mystérieux des anneaux de jade réunis » (jubi
xuangong 聚璧玄功) et sera actif dans les associations de qigong du Heilongjiang192.
- Continuation dans des réseaux souterrains d’un apprentissage commencé
dans les institutions officielles de qigong avant son interdiction. Exemple:
Wang Xuchang 王须昌, de Shenyang, avait appris le neiyanggong de Liu
Guizhen en 1960. Dans les années qui suivent, il affirme être devenu disciple de Tian
Zongjie 田宗杰, 23e héritier de la secte taoïste du Longmen, et de Kong Zongren
孔宗仁, 2e héritier du « Qigong de Laozi du Temple des Trois purs » (Sanqingguan
Laozi qigong 三清官老子气功). Après 1980, il deviendra maître de qigong, auteur
d’ouvrages sur le qigong, et membre d’associations semi-officielles de qigong dans le
Liaoning193.
- Apprentissage dans des institutions médicales de l’Etat. Exemple:

190
Wu Hao (éd.) 1993 : 529.
191
Wu Hao (éd.) 1993: 542.
192
Wu Hao (éd.) 1993 : 528.
193
Wu Hao (éd.) 1993 : 508.
He Yuyuan 何玉缘, de la préfecture de Panwan dans le Guangdong, avait
obtenu son diplôme de médecine à Tianjin en 1962. En 1976, lors d’un cours de
perfectionnement à l’Institut de médecine chinoise de Tianjin, un vieux professeur de
médecine chinoise lui enseigne la méthode du Jeu des cinq animaux. Cet exemple
montre que la culture corporelle n’a pas entièrement disparu des institutions
médicales durant cette période – précisons cependant que la Révolution culturelle tire
déjà à sa fin en 1976.
- Apprentissage dans des formations pour médecins aux pieds nus. Exemple:
Su Zhenbiao 素镇标, de Chaozhou dans le Guangdong, apprend une technique
de qigong hygiénique lors de sa classe de formation en « médecine rouge » pour
médecins aux pieds nus, à l’âge de 16 ans, en 1971. Après 1980, il s’impliquera dans
le monde du qigong et proposera ses talents de guérisseur au public de malades194.
- Apprentissage lors de l’exil à la campagne durant la Révolution culturelle.
Exemple:
Wang Hanwen 王汉文, de Shijiazhuang, est envoyé à la campagne en 1968 à
l’âge de 16 ans. C’est là qu’il rencontre Liu Suxi 刘素喜, 5e héritier de la lignée d’arts
martiaux du « Travail interne de la poigne de He » (Hezhang neigong 何掌内功).
Celui-ci lui enseigne les arts martiaux durs et le consacre héritier de la 6e génération.
Dans les années 1980, Wang Hanwen deviendra une personnalité importante du
monde de qigong de Shijiazhuang : créateur de la méthode du « Qigong des hauts
nuages » (lingyun qigong 凌云气功), il est auteur d’un livre sur cette méthode et
fondateur et directeur d’une école d’arts martiaux et de qigong195.
Après 1965, donc, si les institutions de qigong cessent d’exister, les techniques
de culture corporelle continuent de se transmettre dans les milieux populaires, suivant
le schéma traditionnel : transmission individuelle et souvent secrète, dans des lignées
familiales, médicales, religieuses ou d’arts martiaux. Dans certains cas, c’est grâce
aux circonstances particulières de la Révolution culturelle que la culture corporelle est
apprise: médecin aux pieds nus, rencontre d’un maître à la campagne où l’on a été
envoyé, etc. En grand nombre, les héritiers de ces techniques se proclameront
« maîtres de qigong » dans les années 1980.

194
Wu Hao (éd.) 1993 : 529.
195
Wu Hao (éd.) 1993 : 504.
Nous n’avons cité que quelques exemples à titre indicatif. D’après le répertoire
biographique des maîtres de qigong édité par Wu Hao, nous pouvons estimer que
plus du cinquième des maîtres de qigong ont commencé leur apprentissage de la
culture corporelle entre 1965 et 1977196. Il n’y a donc pas de « trou » dans la
transmission de ces techniques durant la Révolution culturelle.

3.2 Les maîtres

Pour aller plus loin dans l’étude des origines et du profil de la communauté des
maîtres de qigong des années 1980, j’ai établi une base de données sur 554 Maîtres de
qigong dont les notices biographiques apparaissent dans le Livre complet du qigong
chinois contemporain197.
D’après ces données, les Maîtres de qigong forment un groupe composé
principalement d’hommes, dont le noyau est constitué de petits intellectuels (membres
des corps médical, enseignant ou scientifique). Ils n’ont presque aucun lien avec les
institutions religieuses officielles (bouddhistes ou taoïstes). Par contre, une importante
minorité affirme hériter d’une tradition d’arts martiaux ou de médecine chinoise.
Au moins 72% des maîtres de l’échantillon sont des hommes – mais le qigong
n’est pas un domaine exclusivement masculin: au moins 14% des maîtres sont des
femmes.

Sexe Nombre %
Non déclaré 75 13.5%
Femme 80 14.4%
Homme 399 72.0%
Fig. 1. Sexe des maîtres de qigong.

Quant à l’âge, les maîtres de qigong sont des produits de la Chine maoïste: a
peine 10 % sont assez vieux pour avoir passé une partie significative de leur vie avant
le régime communiste; moins du sixième fait partie de la jeune génération post-

196
Sur un répertoire biographique de 514 maîtres, 223 déclarent l’année du commencement de leur
apprentissage. De ces derniers, 52 affirment avoir débuté entre 1965 et 1978 (d’après Wu Hao, ed.
1993 : 501-599). Voir la fig. 3, p. 81.
197
Wu Hao (éd.) 1993: 500-599. Ce livre contient un répertoire de 554 Maîtres de qigong. Pour chaque
Maître de qigong, un bref article donne des renseignements biographiques sommaires. Ces
renseignements ayant été soumis par les Maîtres eux-mêmes, nous ne pouvons confirmer l’exactitude
des données fournies.
maoïste198. A l’apogée de la « fièvre du qigong » en 1990, la majorité des maîtres de
qigong sont des hommes d’âge moyen qui ont passé la plus grande partie de leur vie
dans les années maoïstes (1949 à 1976).

Année de Age en 1990 Nombre %199


naissance
Non déclaré 68
1900-09 80 à 89 ans 4 0.8
1910-19 70 à 79 ans 7 1.4
1920-29 60 à 69 ans 41 8.4
1930-39 50 à 59 ans 119 24.5
1940-49 40 à 49 ans 120 24.6
1950-59 30 à 39 ans 105 21.6
1960-69 20 à 29 ans 80 16.5
1970-79 10 à 19 ans 9 1.8
1980-89 0 à 9 ans 1 0.2
Fig. 2. Année de naissance des maîtres.

Les maîtres de qigong forment une communauté récemment initiée à la culture


corporelle200: sur 223 maîtres qui ont indiqué l’année de leur première initiation aux
techniques de culture corporelle, la moitié ont été initiés en ou après 1979, en plein
« boum » de qigong. Comme il a été mentionné plus haut, un nombre important de
maîtres ont commencé leur apprentissage durant la Révolution culturelle, alors que le
qigong est officiellement interdit: la suppression officielle n’a nullement empêché la
transmission de la culture corporelle.
Période d’initiation Nombre %
Période républicaine: 15 6,7
1911-1949
Première vague de qigong: 45 20,2
1950-1964
Interdiction du qigong: 52 23,3
1965-1978
Deuxième vague de 111 49,8
qigong: 1979-1991
Total 223 100
Fig. 3. Période d’initiation des maîtres à la culture corporelle

198
Née peu d’années avant, durant, ou après la Révolution culturelle, cette génération possède une
mentalité très différente de celle qui la précède, entièrement moulée par le système maoïste.
199
Pourcentages calculés après avoir éliminé les maîtres dont l’année de naissance n’est pas déclarée.
200
Voir la définition de la culture corporelle dans la section 2.2 de l’introduction, p. 17. Ici, je regroupe
sous la rubrique de « culture corporelle » toutes les techniques et traditions corporelles mentionnées
par les maîtres en tant que leur premier apprentissage du « qigong » .
Les maîtres de qigong forment une communauté moderne qui, dans l’ensemble,
possède peu de liens concrets avec les lignées traditionnelles du passé (dans lesquelles
la culture corporelle est pratiquée, mais qui ne constituent pas des lignées modernes
de qigong): presque trois quarts des maîtres de l’échantillon (71.5%) ne se déclarent
pas héritiers d’une lignée traditionnelle.
Le reste, presque 30%, affirment avoir été initiés dans une lignée traditionnelle
durant leur enfance ou adolescence201. Parmi ceux-ci, presque la moitié déclarent
qu’ils ont appris les arts martiaux, et plus du tiers se réclame d’une tradition médicale.
Le dixième déclare être initié à une tradition bouddhiste et taoïste respectivement.
Enfin, d’autres cas se présentent: tradition lettrée/confucianiste, apprentissage du
Livre des mutations, transmission de « fonctions exceptionnelles », Islam. Ces lignées
traditionnelles ont été transmises soit au sein de la lignée familiale (par le père, le
grand-pêre, l’oncle, etc), soit à l’extérieur de la famille (par un maître d’arts martiaux,
un bonze, etc.)202.
En somme, l’étude de l’échantillon indique que les traditions martiale et
médicale prédominent chez les maîtres initiés à une lignée traditionnelle. Nous
pouvons conclure que le qigong est issu des milieux populaires des arts martiaux et de
la médecine traditionnelle. Mais une énigme demeure: combien de ces lignées
traditionnelles sont des groupes sectaires203 ? Un maître de qigong n’affichera jamais
une telle affiliation. Or nous savons que les sectes sont en grande partie responsables
de la dissémination des arts martiaux dans les milieux populaires, et qu’elles
employaient les techniques de guérison comme moyen de recrutement204.

201
Notons que nous pouvons douter de l’authenticité des déclarations de certains maîtres qui
s’inventent une généalogie, se proclamant héritiers d’une lignée traditionnelle, afin d’augmenter leur
crédibilité.
202
Il ressort de l’étude de l’échantillon, que la tradition médicale se transmet plutôt au sein de la lignée
familiale, alors que les traditions martiales se transmettent plutôt hors de la famille. Et si les traditions
taoïstes sont de transmission plutôt intra-familiale, les traditions bouddhiques sont plutôt transmises en
dehors de la lignée familiale.
203
Voir la conclusion, pp. 399-405 pour une discussion du sectarisme chinois.
204
Naquin 1976: 29-30, 1985: 282.
Tradition Nombre %
Martiale (wu 武) 75 47.5
Médicale (yi 医) 55 34.8
Bouddhiste (fo 佛) 16 10.2
Taoïste (dao 道) 15 9.5
Lettrée/ confucianiste (wen 文 / ru 儒) 7 4.4
Livre des mutations (zhouyi 周易, yijing 易经) 4 2.5
Pouvoirs paranormaux (teyigongneng 特异功能) 3 1.9
Musulmane (musilin 穆斯林) 1 0.6
205
Fig. 4. Origine de l’initination traditionnelle des maîtres

Quant à leur rattachement institutionnel, la moitié (51%) des maîtres déclarent


appartenir à des institutions médicales, éducatives, scientifiques ou politiques: le
noyau de monde du qigong est constitué d’intellectuels. Notons cependant que ce sont
des « petits » intellectuels: parmi les maîtres, nous comptons peu ou pas de
professeurs d’université ou de chercheurs scientifiques de haut niveau. Il s’agit plutôt
de travailleurs médicaux, de professeurs d’école primaire et secondaire, d’ingénieurs
et de techniciens.

Affiliation Nombre %
Médicale: médecin ou infirmière dans une institution de soins; 130 23,5
diplômé d’une faculté de médecine
Educative: enseignant dans un établissement d’enseignement 73 13,2
primaire, secondaire ou universitaire
Scientifique ou technique: chercheur dans une unité de recherche 52 9,3
dans une discipline reconnue; ingénieur dans une unite technique
Politique: secrétaire-général ou adjoint d’une section du Parti; 26 5,0
directeur-général ou adjoint d’une société d’Etat
Arts martiaux: entraîneur ou membre d’une association d’arts 25 4,5
martiaux
Sportive: membre d’une commission ou association des sports 23 4,0
Culturelle: écrivain, journaliste, peintre, musicien, danseur, 21 4,0
calligraphe, photographe, membre d’une association littéraire ou
artistique
Militaire/policière: cadre ou entraîneur dans une unité militaire ou 20 3,6
de police
Religieuse: moine dans un monastère bouddhiste; prêtre dans un 3 0,5
temple taoïste
Fig. 5. Affiliations institutionnelles des maîtres

205
Analyse des 158 maîtres de l’échantillon (28.5%) qui affirment avoir reçu leur première initiation
par transmission familiale ou durant leur enfance/adolescence.
Ces données indiquent que dans l’ensemble, les maîtres de qigong forment une
communauté nouvelle et marginale, issue en partie de traditions populaires
(principalement d’arts martiaux et de médecine traditionnelle), et en marge des
institutions savantes modernes. Les maîtres de qigong occupent une position précaire
aussi bien vis-à-vis des grandes traditions orthodoxes (religions instituées et
reconnues par l’Etat) que des institutions modernes.

3.3 Les méthodes

Si un grand nombre de maîtres se contentent de prodiguer thérapie et


transmission directe à des patients et disciples – dispositif très individualisé où les
soins et les initiations proférés peuvent varier énormément d’un patient ou disciple à
un autre206, d’autres, en imitant les modèles de transmission mis au point par Liu
Guizhen et Guo Lin, créent des méthodes uniformisées qui peuvent être rapidement
disséminées à grande échelle. La « méthode de qigong » est un ensemble coordonné
et structuré de techniques respiratoires, de méditation et de gymnastique, présenté de
manière simple et concrète et souvent à l’aide d’illustrations. Toute personne peut
essayer de la pratiquer, sans obligation de croire dans le maître, ni d’adhérer
formellement à sa lignée.
Les méthodes de qigong comprennent généralement les éléments suivants:

1. Un nom spécifique, qui sert à identifier la lignée du maître et à la distinguer


des autres méthodes. Les noms de méthodes emploient le plus souvent un vocabulaire
tiré de la mystique chinoise ou de la tradition religieuse. Par exemple, « le qigong des
Huit trigrammes » (Baguagong 八卦功), le « Qigong de l’Ancêtre céleste »
(Tianzugong 天祖功), le « Qigong de l’Origine primordiale » (Taishi qigong
太始气功), le « Qigong de la Roue du Dharma » (Falungong 法轮功), le « Qigong
du Mystère obscur » (Xuangong 玄功), etc.

2. Une échelle de niveaux ascendants: le qigong du « premier niveau »


(yibugong 一步功), du « deuxième niveau » , et ainsi de suite jusqu’au « huitième
niveau » ou plus. Chaque niveau contient un ensemble de techniques, sensées devenir
de plus en plus difficiles suivant la progression des niveaux. Chaque niveau donne à
l’adepte de nouveaux pouvoirs de plus en plus difficiles à maîtriser.207

3. Un éventail de techniques: la plupart des méthodes de qigong comportent une


gamme de pratiques courantes dans le monde du qigong, telles que la gymnastique,
les pratiques respiratoires, la méditation en position fixe (assise, debout, allongée),
des mantras et incantations, etc.

4. Un environnement symbolique: les différentes postures à pratiquer ont des


noms qui sont le plus souvent tirés du répertoire symbolique de la tradition chinoise.
Dans la pratique de la méthode, l’adepte entre dans un monde imaginaire et
symbolique différent de la vie quotidienne. Par exemple, les postures du « qigong
chinois de l’Ancêtre immortel de l’origine de la sagesse » (Zhongguo xianzu huiyuan
qigong 中国仙祖慧元气功) ont des noms tels que « La grue étend ses ailes », « l’oie
se pose sur le sable », « le dragon jaune se tient ferme comme un brûle-encens », « la
porte de jade bloque la gorge », « arracher le qian et le kun208 avec force », « le
ventre du Bouddha est sans limite », etc209.

5. Un enseignement théorique ou « gongli 功理, qui consiste généralement en


un simple exposé des concepts de base de la méthode, tirés d’une ou plusieurs
traditions religieuses ou philosophiques chinoises: taoïsme, bouddhisme, médecine
chinoise, cosmologie traditionnelle chinoise, etc. Dans certaines méthodes, le gongli
devient une philosophie très élaborée sur le fonctionnement de l’univers210.
Selon les concepts du gongli, certains auteurs ont classé les méthodes de qigong
en cinq ou six « écoles »: le « qigong taoïste » , le « qigong bouddhiste » , le « qigong
médical » , le « qigong martial » et le « qigong confucéen » . Il faut cependant définir
sur quoi se base un tel classement. Toutes les lignées de qigong émergent de la culture
populaire et empruntent volontiers, et souvent de manière syncrétique, les symboles et

206
Voir par exemple le maître étudié par Elizabeth Xu (1999).
207
Par exemple, voir la description des huit niveaux du Zhonggong de Zhang Hongbao, dans la section
12.9, pp.307-308.
208
Qian (乾) et Kun (坤) sont des hexagrammes du Livre des mutations, représentant le yang et le yin
respectivement.
209
Ran Dexi 1993: 216-217.
210
Cf. la « culture du Qilin » de Zhang Hongbao, section 12.1, pp. 289-291, et la « Grande Loi » de Li
Hongzhi, section 13.3, pp. 319-317.
concepts de toutes ces grandes traditions. Les méthodes se définissent couramment
comme « absorbant les points forts des écoles taoïste, bouddhique, confucéenne,
médicale et martiale » .
Un classement des méthodes d’après ces traditions ne peut se fonder que sur
l’enveloppe symbolique et conceptuelle de chaque méthode: certaines lignées
emploient plutôt des symboles bouddhistes, d’autres, une terminologie médicale…
mais, au niveau des techniques elles-mêmes, il est difficile d’isoler des techniques
particulières qui relèveraient exclusivement d’une tradition plutôt que d’une autre.
Seule exception, le qigong de tradition martiale possède des techniques spécifiques à
l’art du combat et de la boxe chinoise.
Afin de connaître le poids relatif des différentes traditions dans le symbolisme
du qigong, j’ai classé un échantillon de 100 méthodes tirées du Livre complet du
qigong contemporain chinois211 d’après les termes symboliques employés dans les
noms des méthodes et des postures212:

Tradition Symboles et concepts Nombre de


lignées
Cosmologie chinose Taiji 太极, Yinyang 阴阳, huit trigrammes 45
traditionnelle (bagua 八卦), animaux mythologiques (dragon,
phénix), etc.
Médecine chinoise Méridiens, cinq viscères, acupoints, etc. 30
Taoïsme Tao 道, chaos primordial (hunyuan 混元), 21
accession à l’état d’Immortel (chengxian 成仙),
alchimie (liandan 炼丹), etc.
Arts martiaux Images de combat et de boxe 11
Bouddhisme Bouddha (fo 佛), Boddhisatva (pusa 菩萨) 10
Dharma (fa 法), lotus, etc.
Scientisme Science, information, ingénierie biologique 3
(shengwu gongcheng 生物工程), etc.

Soleil, dieu solaire (taiyang shen 太阳神) 2


Confucianisme 0

211
Wu Hao 1993: 1-453.
212
Le total s’élève à plus de 100, plusieurs méthodes ayant été classées dans plus d’une tradition.
Fig. 6. Références traditionnelles des méthodes

Rappelons cependant que la référence de différentes méthodes à une même


tradition, n'implique nullement que ces lignées sont liées entre elles par une
organisation commune. Cette classification ne repose que sur le revêtement
symbolique des méthodes -- dans la réalité sociale, il n'existe aucun regroupement
effectif de méthodes, aucune commuanuté de lignées « bouddhistes » qui se
distinguerait d’une commaunauté de lignées « taoistes » , etc.
Quelle que soit son enveloppe conceptuelle particulière, la méthode est un
vecteur pour la transmission de concepts et de symboles. Les adeptes de qigong sont,
au début de leur pratique, le plus souvent intéressés par l’aspect technique et pratique
de la méthode – notamment son efficacité thérapeutique. De même, c’est au nom de
ses bienfaits concrets pour la santé et pour l’éclosion du potentiel humain que le
monde du qigong vante ses mérites auprès des administrations. Mais, à travers les
techniques, les méthodes transmettent au pratiquant des concepts traditionnels et
religieux, qu’il en soit conscient ou non.
Ces concepts peuvent être véhiculés par les exercices aussi bien corporels que
mentaux des méthodes. Par exemple, la méthode que j’ai pratiquée le plus longtemps,
le « Qigong de la pensée du taiji » (taiji siwei gong 太极思维功)213, comprenait une
gymnastique dont les gestes étaient sensés recréer le mouvement circulaire du taiji, la
succession des cinq éléments de la cosmologie chinoise214, et le mouvement implicite
dans le sens de certains hexagrammes du Livre des mutations. Pratiquer la
gymnastique consiste à incarner corporellement des concepts traditionnels. Les
visualisations qui accompagnent les mouvements corporels permettent d’intégrer la
conscience du corps à la conscience de ces concepts. Exemple: la quatrième posture,
intitulée « Echanger le qi du lac et de la montagne » , est décrite comme suit par le
maître créateur de la méthode, Wang Kecheng 王克诚, dans son guide de pratique:
« Rapprocher les pieds. Mettre les deux paumes l’une en face de l’autre comme
si elles tenaient une balle, puis porter cette balle en face de votre figure.
Doucement s’accroupir et se relever, en huit cycles. S’imaginer un ruisseau de

213
Cf. Wang Kecheng 1995.
214
c.-à.d. le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau, qui sont associés respectivement au foie, au coeur, à
la rate, aux poumons et aux reins.
montagne qui coule tranquillement vers le bas, et le yang de la montagne qui
s’élève lentement, formant ensemble l’hexagramme xian [咸] »215.

Après avoir pratiqué cette méthode pendant quelques mois, des formes du taiji
ou représentant la même relation commencèrent à apparaître dans mes rêves et même
dans mon esprit à l’état d’éveil. Je me découvris en train de penser à tout en termes de
relations yin-yang, même inconsciemment. Je sentais un rapport viscéral avec ces
formes, comme si elles pénétraient mon corps et le mouvement de mon esprit à tout
moment – une expérience de ces concepts qui est très différente de celle qui résulte
d’une étude purement intellectuelle ou rationnelle.
Les mantras que l’on récite dans plusieurs méthodes sont souvent pleines
d’images, de symboles ou de concepts traditionnels ou religieux, qui, sous l’effet
hypnotique de la répétition, pénètrent l’esprit de l’adepte comme par osmose.
Exemple: ce mantra, utilisé dans la méthode du « Qigong des huit pôles » (baji
qigong 八极气功), induit l’adepte à s’identifier à la cosmologie traditionnelle du Ciel-
Terre-Homme (Tian di ren 天地人), au néant bouddhique, et à la figure mythique de
l’Immortel taoïste:
« Jing, jing, jing216, je suis le seul à exister entre le Ciel et la Terre ---
Jing, jing, jing, tous les êtres sont de néant --- le coeur de compassion de
Bouddha ---
Jing, jing, jing, je suis comme un Immortel, qui voltige dans le vide… qui
voltige dans le vide… … 217.

D’autres exercices contiennent des mantras occultes et incompréhensibles,


dérivés de soutras bouddhiques en sanskrit. Exemple: cette incantation de la méthode
du « qigong du Lotus de sagesse » (Huilian Gong 慧莲功) peut induire l’adepte à
donner libre cours à son imagination, sur les pouvoirs magiques que renferme ces
sons mystérieux218:

215
Wang Kecheng 1995. Le Grand Ricci définit le sens de cet hexagramme comme: « Attraction
mutuelle, moment où les contraires s’attirent et se stimulent réciproquement » (t. VII, p. 413).

216
Jing (静) signifie « calme », « silence ».
217
Li Baolong 1993: 156.
218
Chen Linfeng 1993: 39. Sur l’aspect mystérieux et exotique du « pseudo-sanskrit » dans les textes
religieux chinois, voir Zürcher 1980: 107-112.
La méthode du « qigong de la Triple intégration de la lignée des Tian »
(Tianshi sanhe gong 田氏三合功) combine, dans des versets denses et obscurs, des
instructions sur les mouvements de pensée à suivre, des descriptions et explications
des effets à ressentir, et une visualisation du corps transformé en paysage mythique:

« Méditation no.1:
Les affaires de ce monde, ont déjà été purifiées et écartées.
Le yin monte et le yang descend, s’unifiant pour former le Palais des esprits
[神阙].
L’essence, le souffle et l’esprit, forment le feu des Immortels,
Plus il brûle, et plus il éclaire le Royaume des Cieux.
La pilule de l’esprit, la serrure des rayons blancs,
Illumine les cinq viscères et passe à travers le squelette,
la forme des cinq viscères, la couleur des cinq viscères,
la couleur correcte des cinq viscères permet de former un fruit correct.
Les poumons blancs comme la neige, le coeur rouge comme le feu,
Le foie vert et la rate jaune,
L’eau noire dissimulée derrière la Porte de la Vie219, dans les reins.
Doucement respirer dans le Palais des Dieux.
La pilule de l’esprit allume le feu blanc,
Et illumine les cinq viscères et le squelette.
Les os sont gris,
On peut les observer avec plus de précision qu’une sculpture.

[Explication:]
Les affaires de ce monde sont comme un vêtement que tu portes sur ton corps.
Lors de la pratique, tu te débarrasses complètement de ce vêtement. La grande
surface de yang du Ciel descend, et la grande surface de yin de la Terre monte.
Le yang céleste et le yin terrestre se rejoignent dans le Palais des esprits220. Le
feu grandit graduellement et devient blanc; il entre dans le Champ de cinabre
supérieur221 et émet des rayons de lumière puissants. Les rayons, projetés vers le
bas, éclairent les cinq viscères, éclairant leur forme et leur couleur: les poumons
sont blancs, le coeur rouge, le foie vert, la rate jaune, les reins noirs. Lors de la
pratique, il faut oublier sa respiration, jusqu’à ressentir un courant de qi
indistinct dans le Palais des Dieux. Après avoir éclairé les cinq viscères, éclaire

219
c.-à-d. l’acupoint mingmen (命门)
220
c.-à-d. les trois Champs de cinabre (dantian 丹田) – supérieur, moyen et inférieur --, sièges des
diverses divinités dans le corps qu’il faut visualiser dans l’alchimie intérieure taoïste pour accéder à
l’immortalité.
221
Shang dantian (上丹田), situé à la glande pinéale.
ton squelette: soudain, tu ne vois rien sauf un squelette complet, de couleur
grise. A ce moment, examine chaque os soigneusement, de haut en bas. Plus tu
vois clairement, et plus les os semblent concrets, mieux c’est. Après avoir
illuminé le squelette, encore une fois tu ne vois plus rien. Tu ne vois qu’un
système de circuits sanguins recouvrant le corps entier et émettant du noir, et un
système de nerfs recouvrant le corps entier et émettant de la lumière » 222 .

Ces exemples illustrent que l’exercice du qigong est plus qu’un simple
entraînement corporel ou de concentration: c’est un entraînement conceptuel
consistant à façonner le corps dans la forme de symboles mythiques et
traditionnels223. Au lieu de voir ces concepts et symboles comme des notions
abstraites et sans vie, comme le fait la réflexion intellectuelle et rationnelle, il s’agit
ici d’entrer en relation intime avec eux, comme si c’étaient des choses concrètes
imbues de puissance, et de se laisser posséder par eux.
Pour conclure, les méthodes de qigong sont des objets compacts et denses,
fabriqués par les maîtres de qigong, qui combinent un assortiment de techniques et de
symboles qui font référence à la mémoire d’un passé traditionnel ou mythique. Ceux-
ci, à travers la pratique, pénètrent le corps et l’esprit de l’adepte qui s’engage dans un
processus de métamorphose corporelle et mentale. Il peut faire l’expérience de
sensations entièrement nouvelles, parfois très fortes ou étranges: réchauffement du
corps, picotements, courants de qi, augmentation de l’appétit sexuel, augmentation de
l’activité mentale, sensation d’agrandissement ou de rapetissement du corps,
relaxation profonde, hypnose, transe, délire de puissance, états altérés de conscience,
visions, hallucinations224. Il entre dans un monde entièrement nouveau, différent du
monde ordinaire, pour lequel il n’a jamais été préparé dans son éducation antérieure.
Son ancienne personnalité peut se désagréger; l’adepte se retrouve alors dans une
situation de vulnérabilité psychique extrême. Il doit se constituer une nouvelle
identité, capable de contenir son nouveau monde d’expérience.

222
Tian Fangkai 1993: 242.
223
cf. Robinet 1979, Schipper 1982, Despeux 1994.
224
Cette liste sommaire résume les effets que j’ai observé dans ma propre pratique du qigong ou dans
celle d’autes adeptes. Une étude approfondie des effets physiologiques, neurologiques et
psychologiques de la pratique du qigong dépasserait le cadre de cette thèse. Benson (1975) a étudié les
changements physiologiques à la base de l’effet de relaxation induit par les méthodes de méditation.
Kohn (1992: 20-26) a analysé le concept de « peak experience » en relation avec les expériences
mystiques des taoïstes, provoquées par des techniques semblables à celles de qigong. Voir Wang
Jisheng (1989) pour une une étude des effets psychologiques du qigong.
Livia Kohn, dans son étude sur la mystique taoïste225, emploie le concept de
« peak experience » pour décrire la transformation de l’expérience de soi provoquée
par les pratiques de culture corporelle. D’après Kohn, le peak experience est suivi
d’un travail graduel de conceptualisation de l’expérience. L’adepte essaie de
comprendre son expérience, de la mettre en lien avec d’autres expériences, de
l’intégrer dans son système cognitif. Il se met donc à la recherche d’éléments
supplémentaires qui lui permettront de créer un cadre cognitif cohérent pour son
expérience. Dans le cas du qigong, il interroge son maître et d’autres adeptes, dévore
des revues, livres, cassettes et vidéos sur le qigong ou sur la méthode qu’il pratique, et
finit par lier son expérience personnelle et intime avec le système symbolique et
conceptuel de sa méthode et du qigong en général226.

3.4 Les lignées de masse

La méthode de qigong constitue donc un lien transformateur, réplicable à


l’infini et opératoire dans l’absence d’un contact personnel entre le maître et les
pratiquants. La méthode est le maillon d’une lignée de transmission, mais il s’agit ici
de lignées de masse: là où le maître traditionnel ne pouvait, par enseignement direct et
oral, transmettre qu’à une poignée de personnes durant sa vie, le maître de qigong
peut, grâce à la méthode de qigong, toucher des millions d’adeptes simultanément
dans toutes les parties de la Chine, voire du monde. La lignée de masse, dont le
modèle avait été inventé par Guo Lin, est généralement constituée des éléments
suivants:
- Un maître, fondateur ou héritier, transmetteur de la lignée.
- La méthode, qui donne son nom à la lignée, composée de deux parties: une partie
technique et une partie conceptuelle (gongfa 功法, gongli 功理).
- Une palette d’outils de transmission: livres, cassettes et vidéocassettes, qui exaltent
le maître et ses pouvoirs et expliquent la méthode de pratique.
- Un réseau de transmission, reliant le maître à la base des pratiquants à travers la
Chine et le monde, constitué d’animateurs de groupes de pratique dans les parcs et
espaces publics.

225
Kohn 1992.
226
Pour une analyse de l’idéologie du qigong, voir le chapitre 4.
- Un réseau d’associations, d’écoles, de cliniques, etc., souvent inscrites auprès des
instances gouvernementales ou dépendant des associations semi-officielles de qigong.
La dimension organisée du monde du qigong est restée largement ignorée par
les adeptes et par les observateurs jusqu’à la campagne anti-Falungong de 1999. Or,
les méthodes de qigong sont des instruments de transmission qui ont pour effet
d’élargir le réseau des adeptes et d’affilier ceux-ci à la lignée.
Le nombre de lignées de qigong est difficile à chiffrer, et le nombre d’adeptes
d’une lignée peut varier d’une poignée de disciples, jusqu’à plus de dix millions de
personnes. Selon certaines sources, il existerait plus de trois mille méthodes de
qigong, c’est-à-dire autant de lignées. La durée de vie des lignées est souvent courte,
et certaines lignées connaissent une période d’effervescence et d’expansion
phénoménale, suivie d’une rechute dans l’obscurité. Leurs adeptes sont alors
récupérés par d’autres lignées. Les premières lignées à se répandre à grande échelle en
1980 et 1981 sont les suivantes:

3.4.1 Yang Meijun et le Qigong de la Grande oie

Parmi les lignées de qigong qui ont vu le jour en 1980, citons d’abord le
« Qigong de la Grande oie » (Dayan qigong 大雁气功) de Yang Meijun 杨梅君, une
femme âgée de presque 80 ans qui, suivant l’exemple de Guo Lin, avait commencé à
soigner informellement dans le parc Xuanwu 玄武 de Pékin dès 1978, et dont la
renommée s’était vite propagée.
Née en 1903 à Pékin, Yang Meijun se dit héritière de la 27e génération de
l’école supérieure de la lignée taoïste du Kunlun 昆仑. Son grand-père paternel Yang
Deshan 杨德山 était, dit-elle, le seul détenteur de cette lignée ; assistant dans une
pharmacie, celui-ci avait connu son maître un jour par hasard. Yang Meijun a 13 ans
lorsque son grand-père commence à lui transmettre la tradition. Etant formellement
devenue disciple de son grand-père, elle l’accompagne au temple de la Pagode
Blanche de Pékin où, dans le grand sanctuaire, il lui montre huit oies sauvages en
bronze qu’elle doit prendre pour modèles et imiter consciencieusement afin de
maîtriser l’enseignement véritable. Après un apprentissage ardu, Yang Meijun
maîtrise plusieurs techniques qui lui sont transmises secrètement par son grand-père.
Membres de la résistance communiste, Yang Meijun et son mari Chen Guoyi
陈果毅 participent à la guérilla anti-japonaise. Par la suite, ils séjournent à la base
communiste de Yan’an. Après la prise de Pékin et la fondation de la République
populaire, elle retourne à Pékin mais reste dans l’anonymat, et ne dévoile pas ses
pouvoirs de guérison et de culture corporelle avant 1978, quand elle décide de
transmettre son héritage à la société.
Le « Qigong de la grande Oie » de Yang Meijun affiche une filiation
explicitement taoïste, première méthode non rattachée à la médecine chinoise
moderne227. Elle comprend plusieurs méthodes parmi lesquelles les deux méthodes
de base consistent chacune en un enchaînement de 64 postures, un peu à la manière du
taijiquan.
Durant les années 1980, Yang Meijun s’entourera d’une centaine de disciples
personnels et propagera sa méthode dans toute la Chine et à l’étranger. Le nombre de
pratiquants de sa méthode, d’après ses disciples, est de deux millions ; des
associations du « Qigong de la grande Oie » seront établies à Hongkong, en Asie du
sud-est, au Japon et aux Etats-Unis.
Avec Yang Meijun apparaît une nouvelle image du maître de qigong : après Liu
Guizhen, le cadre et médecin communiste, et Guo Lin, l’intrépide combattante
autodidacte, apparaît Yang Meijun, la vénérable héritière d’une lignée ancestrale et
possesseur de pouvoirs magiques dissimulés. Elle ne se limite pas à l’enseignement
d’une gymnastique, mais emploie ses pouvoirs extraordinaires pour guérir
directement des malades. L’extrait suivant, rédigé par des membres de la prestigieuse
Académie chinoise des sciences et publié au début de 1981, laisse entrevoir le début
du culte de la personnalité du maître charismatique et de ses pouvoirs mystiques, ainsi
que la fascination des scientifiques chinois pour les prodiges associés au qigong :
« Sur la base de la méthode ancestrale, maître Yang étudie partout auprès
de maîtres réputés, atteignant enfin un haut degré d’accomplissement. Pour
employer le vocabulaire technique du qigong, elle atteint le niveau de la
‘cultivation intégrée de la nature spirituelle et de la vie corporelle’. Sa méthode
est complète ; il n’y a pas une technique qu’elle ne maîtrise pas, qu’il s’agisse
des arts du corps mobile, immobile, ou du maniement de l’épée, ou encore du
qigong allongé, assis ou ambulant, du qigong léger ou lourd, de l’émission de
qi, au discernement des maladies ou de la sensation à distance. Pour parler
uniquement de l’émission de qi externe, les enfants doués de fonctions

227
J’appelle « médecine chinoise moderne » la forme de médecine chinoise (zhongyi)
institutionnalisée, standardisée et laïcisée par l’Etat depuis le début du régime communiste. Cf. Section
1.2, pp. 38-40.
exceptionnelles et les détenteurs d’un haut degré d’accomplissement de qigong,
peuvent voir que le qi externe émis de ses mains contient une profusion de
couleurs. Selon les besoins et conditions différentes des malades, elle peut
émettre à volonté du qi externe de différentes couleurs pour soigner les
maladies. En ajoutant sa technique ancestrale de pression sur acupoints, les
résultats de ses thérapies sont très bons et d’une haute efficacité. Ajoutons
encore sa technique de diagnostic : maître Yang maîtrise les techniques de la
circulation de qi et de vision à distance ainsi que d’autres méthodes de
diagnostic par qigong. […]
[…] Elle a utilisé des méthodes de qigong pour découvrir, préserver et
développer les fonctions exceptionnelles de plusieurs enfants, permettant à leurs
fonctions de se stabiliser et de sans cesse acquérir des fonctions nouvelles. Elle
a aussi ouvert notre capacité de télépathie, nous permettant de communiquer
mentalement à volonté avec des enfants doués de fonctions exceptionnelles […]
Parmi les disciples de Yang Meijun, la grande majorité sont des
chercheurs scientifiques ; ceci est le résultat des efforts assidus du maître. En
général, les chercheurs scientifiques […] ont une difficulté particulière à étudier
le qigong. Mais maître Yang sait très bien que si la cause du qigong veut se
développer, elle ne peut se séparer de la technologie scientifique moderne. Si
nous ne transmettons pas la virtuosité de qigong de haut niveau à des personnes
capables de mener des recherches scientifiques, ils ne pourront pas comprendre
la nature du qigong ni mener à bien des recherches sur le qigong. Ainsi, avec
une grande patience et sincérité, elle nous a enseigné par les paroles et par
l’exemple toutes sortes de méthodes ; nous avons pu progresser rapidement dans
une courte période de temps, tout cela est grâce à la direction chaleureuse du
maître.
Le qigong est un précieux héritage scientifique qui nous a été laissé par
nos ancêtres. Conserver et transmettre cet héritage est une glorieuse mission qui
nous est conférée par l’histoire. Si la transmission millénaire de cette haute et
profonde virtuosité se perdait avec notre génération, de sorte que nos
descendants ne puissent rechercher le qigong qu’à travers les méthodes de
l’archéologie, nous serions alors condamnés par l’histoire. Nous profitons de
cette occasion pour lancer cet appel : levons-nous, pour conserver et transmettre
la haute et profonde virtuosité du maître Yang et d’autres personnalités
semblables du qigong, afin que nous puissions contribuer comme il se doit aux
recherches dans le système des sciences somatiques de notre patrie228. »

3.4.2 Zhao Jinxiang et l’Envol de la grue

En même temps que le « Qigong de la grande Oie » apparaît une autre méthode,
la « Posture de l’envol de la grue » (Hexiang zhuang 鹤翔庄). Cette méthode, fondée
par Zhao Jinxiang 赵金香, consiste à imiter l’état d’esprit et les mouvements de la
grue229. La pratique commence par une méditation immobile en position debout, qui

228
Zhang Wenjie & Cao Jian 1981 : 16-17. Les auteurs sont chercheurs à l’Institut de recherches sur
les semi-conducteurs de l’Académie chinoise des sciences.
229
La grue est un symbole chinois de longévité et d’immortalité.
stimule l’excitation du qi interne et déclenche des mouvements spontanés chez
l’adepte, qui demeure néanmoins dans un état de relaxation profonde230.
Né en octobre 1936 à Lingxian dans le Shandong, affecté d’une faible santé,
Zhao Jinxiang souffrait de plusieurs maladies durant sa jeunesse. Adolescent, il est
victime d’une tuberculose pulmonaire. En 1962, il doit séjourner dans un sanatorium,
où il est initié au qigong. Après dix années de pratique et de recherche, sa maladie
guérit et il crée la nouvelle méthode de l’ « Envol de la grue ». Cette méthode, qui
provoque la transe du « qigong des mouvements spontanés », embrase rapidement la
Chine : en moins d’une année, elle se propage dans 29 provinces, villes et régions
autonomes, ainsi qu’à Hongkong, à Macao, à Taïwan, en Asie du sud-est, au Japon,
aux Etats-Unis, au Mexique, en Argentine, en Suisse, en Pologne, etc. Un chroniqueur
estime que durant les années 1980, plus de mille cours de l’ « Envol de la grue » ont
été donnés et que 14 millions de personnes ont pratiqué la méthode.

3.4.3 Liang Shifeng et le Qigong des mouvements spontanés du Jeu des cinq animaux

Une méthode similaire, le « Qigong des mouvements spontanés du Jeu des cinq
animaux » (Zifa wuqinxi donggong 自发五禽戏动功)231, est propagée en même
temps par le champion d’arts martiaux Liang Shifeng 梁士丰. Basée sur le concept
que le « nombril – champ de cinabre » (dantian 丹田)232 est la racine de la vie et du
mouvement spontané, cette méthode consiste à se concentrer sur le champ de cinabre
en appuyant à répétition sur le nombril avec un doigt, et à réciter le mantra suivant :
« je voltige comme un immortel dans les nuages… je fixe mon esprit sur le champ de
cinabre, le repos extrême donne naissance au mouvement. » Après être entré dans un
état de relaxation profonde, l’adepte entre en transe pendant une demi-heure à deux
heures. Dans cet état, il arrive que l’adepte se masse, se frappe, fasse de l’acupression,
ou pratique spontanément des mouvements d’arts martiaux, de taijiquan ou de danse.
On peut même tomber et rouler sur terre ou se trouver à faire des gestes très difficiles
à accomplir dans un état normal. La méthode guide le mouvement spontané vers
l’imitation des gestes et sons du tigre, du chevreuil, de l’ours, de l’oiseau ou du singe,

230
Zhao Jinxiang 1993 : 453.
231
Cette méthode s’inspire du Jeu des cinq animaux de Hua Tuo. (Voir Despeux 1988: 23-25, 103-111,
sur l’origine et le développement de la méthode, résumé ci-dessus p. 48, note en bas de page).
chacun de ces fauves correspondant à un des cinq éléments et cinq organes de la
cosmologie classique233.
Liang Shifeng est né à Taishan, dans le Guangdong, en 1942. Durant sa
jeunesse, il avait appris la méthode de méditation assise de Jiang Weiqiao234. Dans les
années 1960 et 1970, il est champion national du style méridional nanquan 南拳
d’arts martiaux, et devient entraîneur d’arts martiaux à l’Académie d’éducation
physique de Canton. Il commence à apprendre le qigong en 1960 sous le vénérable
docteur traditionnel Chen Juchang 陈巨昌, qui l’entraînera pendant cinq ans.
Il crée sa méthode du « Qigong des mouvements spontanés du Jeu des cinq
animaux » en 1980. Peu après le commencement de son enseignement public, le
phénomène de foules tombant en transe dans les parcs et de guérison de malades,
attire l’attention des médias cantonais. Le Journal du Soir de Canton (Yangcheng
wanbao 羊城晚报) publie une série d’articles sur le phénomène. La télévision
provinciale du Guangdong diffuse également un reportage sur Zhao Jinxiang, ses
tours d’arts martiaux, sa méthode et ses guérisons235.

3.4.4 Ma Litang et le Qigong nourrissant

Un autre vénérable maître septuagénaire apparaît également en 1980 : Ma


Litang 马礼堂. Né en 1903 dans la préfecture de Hejian 河涧 dans le Hebei, il avait
appris la médecine traditionnelle de son grand-père paternel durant son adolescence. Il
s’était adonné aux arts martiaux depuis son enfance, et avait étudié avec les fameux
maîtres Zhang Zhankui 张占魁, She Xinwu 社心武, Liu Weixiang 刘卫祥, etc : dès
les années 1930, il était considéré comme un combattant accompli. Il fut aussi l’élève
d’un maître confucianiste, duquel il affirme avoir appris « la véritable signification de
nourrir le qi ». En 1929, durant ses études dans le Département de l’éducation de
l’Université Huabei, il fonde l’Association d’études des arts nationaux de combat du
Huabei, et en devient le président. En 1935, il devient le directeur pédagogique de
l’Académie des arts nationaux de combat du Shandong, où il organise des
associations expérimentales de culture physique et des arts de combat. Il fonde la

232
Point situé dans le bassin abdominal, le champ de cinabre occupe une place centrale dans les
traditions taoïstes de méditation, en particulier de l’alchimie intérieure.
233
Liang Shifeng 1981 : 60-72.
234
Voir p. 48.
revue mensuelle « Chercher la vérité » (Qiushi 求实) et appelle à une révolution des
arts martiaux. Après la fondation de la République populaire, il pratique la médecine
chinoise dans des sanatoria pour cadres supérieurs et s’implique dans l’animation
d’associations semi-officielles d’arts martiaux236.
Ma Litang enseigne une série de méthodes de qigong assis, debout, allongé et
ambulant, la « formule en six caractères » (lizijue 六字诀) 237, etc. Il propose
également une méthode pour personnes âgées, qui comporte des mouvements des bras
et des jambes en position assise, avec des gestes d’auto-massage et la récitation des
six sons238.

3.4.5 Wei Ping’an et le Travail intérieur de Shaolin de la contemplation du doigt

Le « Travail intérieur de Shaolin de la contemplation du doigt239 » (Shaolin


neijin yizhichan 少林内劲一指禅) est une autre méthode qui se répand rapidement
dès son lancement en 1981 par Wei Ping’an 魏平安. Cette méthode, dérivée des arts
martiaux, n’implique pas d’effort conscient pour entrer dans un état de relaxation ou
se concentrer l’esprit. L’objet de la pratique, qui est une gymnastique en position
debout, est d’acquérir rapidement la capacité d’émettre du qi externe pour soigner des
malades240.
Né en 1935, Wei Ping’an se dit le 19e héritier de la « Force intérieure du doigt
unique du Chan de Shaolin » . En 1956, il devient disciple du maître d’arts martiaux
Ma Xiaohai 马小海 qui lui enseigne la « boxe des six harmonies du coeur » (xinyi

235
Wu Hao (éd.) 1993 : 589. Liang Shifeng émigre en Australie en 1987.
236
Wu Hao (éd.) 1993 : 502.
237
Cette méthode classique comporte l’expiration de six sons ayant chacun une résonance particulière
avec l’un des six organes de la médecine chinoise. Selon l’organe affecté, on pratique la méthode
d’expiration du son correspondant. D’après C. Despeux, deux versions de la méthode sont décrites dans
le Canon taoïste (dans le Shangqing huangting wuzang liufu zhenren yuchou jing
上清黄庭五脏六腑真人玉 由经 [t. 1402, fasc. 1050] et dans le Huangting dunjia yuanzhen jing
黄庭盾甲元真经 du Yunji qiqian 云芨七签 juan 14, pp. 1-14); elle « appartient au groupe des écrits de
la tradition Shangqing 上清 fondés sur le Livre de la Cour jaune (Huangting jing 黄庭经) et exposant
les méthodes de visualisation ou autres techniques relatives aux cinq viscères et à la vésicule biliaire »
(Despeux 1988 : 15-16). Pour une description de la méthode, voir Despeux 1988 : 32-27; pour une
traduction de la version décrite dans le texte La moelle du phénix rouge de la fin des Ming, voir
Despeux 1988 : 59-64.
238
Ma Litang 1993 : 37-41.
239
Allusion à la manière dont Tianlong 天龙, un moine de la dynastie des Song, donna à un autre
bonze venu le visiter, l’intuition de l’unité fondamentale de toutes les choses, en tenant simplement un
doigt levé.
240
Wei Ping’an 1993 : 91.
liuhe quan 心意六合拳). Il apprend ensuite le taijiquan de la lignée Yang de Zhang
Yonghe 张永和 en 1964. En 1971, il organise un cours de « boxe des six harmonies
du coeur » ; deux années plus tard, il devient disciple du moine de Shaolin Que Ashui
阙阿水, héritier de la 18e génération du « Force intérieure du doigt unique du Chan de
Shaolin ». Il ouvre une clinique de qigong à Shanghai en 1981241.

3.5 Les pratiquants

La propagation du qigong est stimulée par la masse de plus en plus nombreuse


de pratiquants de qigong et de malades guéris par le qigong, qui sont des promoteurs
passionnés de cette voie de guérison miraculeuse. Leur nombre exact est difficile à
chiffrer, et les estimations varient de 10 millions à 100 millions242, soit jusqu’à 8 % de
la population chinoise. A titre indicatif, le nombre de pratiquants réguliers à Pékin en
1985, vers le début de la vague du qigong, est de 300.000243, dont environ la moitié
pratiquent aux 77 postes d’entraînement animés par différentes lignées sous l’égide de
l’Association d’études du qigong de Pékin, et le reste à des postes d’entraînement
dépendant d’organisations syndicales, de jeunes ou de femmes244.
Le noyau minoritaire de ce groupe est constitué des « disciples » (dizi 弟子)
adeptes d’un seul maître, qui constituent les maillons des chaînes de transmission de
chaque méthode de qigong: « moniteurs » (fudaoyuan 辅导员), ils animent les
« postes d’entraînement » (fudaozhan 辅导站) de chaque école dans les parcs et
dirigent la pratique collective. La masse flottante des pratiquants ordinaires, elle,
passe facilement d’une méthode à une autre.
Le chroniqueur Zheng Guanglu245 divise l’ensemble des pratiquants en trois
groupes246: ceux qui pratiquent pour rester en forme, ceux qui pratiquent pour guérir,

241
Wu Hao (éd). 1993 : 599.
242
Selon la date et selon que l’on compte uniquement les pratiquants réguliers ou si l’on inclut tous
ceux qui ont pratiqué le qigong à un moment ou un autre – Zheng Guanglu 1991:12
243
Zheng Guanglu 1991:12.
244
Zheng Guanglu 1991 : 12.
245
Zheng Guanglu 1991:24.
246
Guo Bowen (1989) divise les adeptes selon les catégories suivantes: les malades incurables qui
cherchent désespérément un sauveur; ceux qui cherchent un moyen de s’enrichir par l’apprentissage de
pouvoirs magiques; ceux qui croient dans les esprits et sont convaincus de pouvoir devenir des
Immortels par la pratique du qigong; les curieux; et les personnes âgées en quête de longévité, mais
qui, manquant d’énergie, sont ravis de ‘recevoir le qi’ émis par un maître sans faire d’effort
supplémentaire.
et les curieux. D’après mon expérience de terrain, nous pouvons ajouter un troisième
groupe, les chercheurs spirituels.
a) La majorité des adeptes pratiquent pour améliorer leur état de santé et
prolonger leur vie. Ce sont le plus souvent des retraités; la pratique du qigong les aide
aussi à sortir de leur solitude. Zheng cite en exemple le cas d’un vieillard retraité, qui
ne sait presque rien du qigong. Un jour il entend parler d'un endroit au parc où il y a
beaucoup de monde, on fait du qigong, les malades guérissent; quelques jours plus
tard il y va par curiosité, il discute avec des pratiquants, il revient voir deux ou trois
fois, puis s'inscrit lui-même dans une formation. Après un mois de pratique, les
résultats sont étonnants, il sent le qi, et se sent en bien meilleure forme. Il achète des
livres et des revues, entre dans le monde des Huit Trigrammes (bagua 八卦), du yin et
du yang et des cinq agents (yinyang wuxing 阴阳五行), des circuits de qi dans le
corps, des orbites macrocosmique et microcosmique, de l’essence, du souffle et de
l’esprit (jing-qi-shen 精气神), etc.: tant de connaissances et de questions nouvelles! Il
se fait des amis adeptes comme lui, ils discutent de qigong dans leur temps libre, il est
devenu « accro » du qigong247. Dans le même esprit, Li Jianxin et Zheng Qin248 citent
des adeptes du qigong de la Montagne céleste (Tianshan qigong 天山气功): « A
travers la pratique du qigong, tous sont devenus bons amis. Dans la société actuelle,
les gens ont tous les sentiment qu'il y a moins de chaleur humaine. Mais entre amis de
qigong (gongyou 功友), il y a du coeur; si une personne a un problème, tout le monde
l'aide, il y a une entraide réciproque. C'est vraiment même mieux que les collègues de
l'unité de travail. »
b) Les malades, qui pratiquent le qigong dans l’espoir de guérir. Certains
guérissent, et d’autres échouent. Ceux qui guérissent deviennent de fervents croyants,
pratiquants et défenseurs du qigong. Les pionniers du qigong moderne, tels que Liu
Guizhen, Wang Juemin et Guo Lin appartiennent à cette catégorie. Citons en exemple
Guo Xianling, directeur adjoint de la Station générale d’entraînement du « Qigong
tantrique » (Zangmi qigong 藏密气功) dans la ville de Jiamusi dans le Heilongjiang.
Avant de pratiquer le qigong, il souffrait de huit maladies, ne pouvait se tenir debout
de manière stable, ne pouvait s’accroupir, et avait de la peine à marcher, au point où il
était incapable de faire grand chose. Mais après deux années de pratique du

247
Zheng Guanglu 1991: 18-21.
248
Li & Zheng 1996: 287-289.
Zangmigong, toutes ses maladies sont guéries, et des cheveux noirs apparaissent dans
sa chevelure toute blanche. Il considère que « sans le Zangmigong, je ne serais pas là
aujourd’hui », et se dévoue corps et âme à la propagation de cette méthode. Les
matins, il enseigne le qigong au bord de la rivière, les soirs, il recommence au parc.
Dans la journée, il écrit des matériaux pour expliquer et promouvoir le Zangmigong.
Il est souvent invité pour donner des conférences. Même lorsque sa compagne est
envoyée aux urgences pour une crise cardiaque, il trouve le temps de retourner au lieu
de pratique de qigong qu’il dirige249.
c) Les curieux, qui s’initient au qigong dans l’espoir de découvrir, par
expérience personnelle, les phénomènes attribués au qigong. Très peu nombreux au
début des années 1980, ils augmentent en nombre lors de l’apogée du qigong
quelques années plus tard. Ils ont tendance à abandonner après une courte période de
pratique. Mais certains font du qigong leur carrière: tel cet adolescent cité par Zheng
Guanglu, passionné des romans d'arts martiaux. Il entend parler des maîtres de qigong
qui peuvent émettre du qi, et découvre que ce qu'on racontait dans les romans existait
peut-être réellement. Il cherche un professeur de qigong sans succès, puis pratique une
méthode de Shaolin qu'il trouve dans une revue de qigong. Les résultats sont
étonnants après un mois de pratique. Ouvrier, il s’inscrit dans une formation de
médecine chinoise, et veut éventuellement ouvrir une clinique de qigong et gagner de
l'argent250.
d) Les chercheurs spirituels. Ceux-ci voient dans le qigong un moyen
d’entrer dans le monde mystique de la tradition. Souvent des intellectuels de
formation scientifique et matérialiste, leur implication dans le qigong débouche dans
un grand nombre de cas sur un intérêt accru pour la religion en tant que tel. Ainsi, ce
jeune diplômé de Chengdu, de tempérament rêveur, qui dévorait les romans
européens tout comme la littérature classique chinoise, et qui s’interrogeait sur
l’identité chinoise par rapport à la civilisation occidentale. Pour lui, le qigong
apportait la preuve palpable de la sagesse chinoise. Il ne pratiquait pas régulièrement,
mais l’existence du qigong et de ses effets manifestes apportait une base empirique et
contemporaine à ses lectures sur le taoïsme et le bouddhisme.
Nombreux sont les adeptes qui, ayant commencé la pratique du qigong pour des
raisons de santé, de guérison ou de curiosité, deviennent chercheurs spirituels après

249
Shu Fan et al. 1997.
250
Zheng Guanglu 1991: 22.
leur expérience du qigong. Le qigong est en effet ce que D. Hervieu-Léger appelle un
« convertisseur » qui permet de passer aisément « d’un registre d’expérience dans un
autre et d’un univers symbolique dans un autre 251». Les lignées de qigong ont des
caractéristiques religieuses de « lignées croyantes » dans le sens de Hervieu-Léger, en
ce qu’elles peuvent déclencher, en transformant le rapport de l’adepte avec son corps,
une recomposition de son univers mental et corporel autour d’une tradition mise en
forme par le maître par le biais de sa méthode. Mais un tel engendrement religieux
n’est pas nécessaire ou inévitable : un grand nombre, sinon la majorité, des
pratiquants ne vont pas plus loin que l’objectif de santé ou de guérison.

3.6 Conclusion: la configuration du « monde du qigong ».

Le monde du qigong a, dès 1981, pris une forme définitive qui restera inchangée
dans sa structure fondamentale jusqu’à son déchirement en 1999 : un espace public et
légitime ouvert par des organisations semi-officielles nationales et locales, avec
l’encouragement de dirigeants supérieurs du Conseil d’Etat. Un réseau de
scientifiques tente de fonder une nouvelle « science du qigong » , pendant que des
centaines de maîtres traditionnels émergent de l’obscurité pour entrer dans ce champ
et y propager des méthodes dérivées de lignées dont ils sont les héritiers ou bien qu’ils
ont eux-mêmes créées.
Cet espace du qigong trouve sa légitimité dans le concept unificateur et
matérialiste de qigong créé par l’équipe de Liu Guizhen en 1949, et qui a été
réhabilité après la Révolution culturelle. Les institutions médicales du qigong ont
également été reconstituées. Mais si le qigong des années 1950 restait confiné dans un
cadre institutionnel restreint, depuis l’imitation du dispositif de Guo Lin par des
dizaines d’autres maîtres à partir de 1980 – pratique collective dans les parcs et
réseaux nationaux de postes de formation -- le qigong devient un mouvement
populaire et de masse d’envergure nationale. Et, depuis la « découverte » de la nature
matérielle du « qi externe » par Gu Hansen, le qigong se pose comme un champ de
recherche dont les ramifications s’étendent à l’ensemble de la Science.
Le qigong devient un concept fédérateur et légitimant, attirant dans le même
giron des maîtres issus de traditions et lignées différentes qui peuvent, sous l’étiquette

251
Hervieu-Léger 2001: 136.
du qigong, transmettre ouvertement et trouver une clientèle nombreuse d’adeptes et de
patients. Ce mouvement de « récupération » de traditions diverses par le qigong
s’accompagne dès 1980, avec Yang Meijun, de l’apparition de concepts mystiques et
religieux liés à ces traditions – l’image du maître charismatique, détenteur d’un savoir
caché et d’une puissance magique. Si Liu Guizhen et Guo Lin inscrivaient leurs
méthodes strictement dans le cadre conceptuel de la médecine chinoise moderne, et ne
se faisaient pas connaître comme « maîtres de qigong » , Yang Meijun inscrit sa
méthode dans une référence explicitement taoïste ; d’autres, par la suite, n’hésiteront
pas à emprunter des concepts tirés du bouddhisme, du taoïsme, du Livre des
mutations, etc.
Les formes de techniques se diversifient ; certaines techniques « chamaniques »
s’attachent durablement au concept du qigong. Les méthodes de Liu Guizhen et de
Guo Lin insistaient sur la maîtrise de soi et sur l’aspect non passif du qigong, dans
lequel le pratiquant est le « commandant » de sa lutte contre la maladie, contrairement
aux autres formes de thérapie où le patient est passif devant le thérapeute. Mais depuis
les expériences de Gu Hansen, le « qi externe » devient un élément central du
concept du qigong. Yang Meijun, en propageant la technique de guérison par « qi
externe », répand un nouveau type de dispositif thérapeutique dans lequel le patient
n’a plus besoin de pratiquer le qigong, mais reçoit directement la force guérissante du
thérapeute, sans la médiation d’instruments, de médicaments, ou de contact corporel
physique. Par la suite, l’entraînement à l’émission de qi deviendra une composante de
la plupart des méthodes de qigong – on pratique le qigong non seulement pour se
soigner, mais pour soigner d’autres.
Et Zhao Jinxiang et Liang Shifeng, dont les méthodes de l’ « Envol de la grue »
et du « Jeu spontané des cinq animaux » visent à déclencher une transe, mènent le
qigong dans la direction d’un défoulement collectif qui s’éloigne de la maîtrise
individuelle de soi préconisée par les méthodes de Liu Guizhen. Après vingt ans de
campagnes politiques dans les années 1960 et 70, un tel défoulement put répondre à
un besoin populaire de catharsis.
Le phénomène des maîtres qui « sortent des montagnes » et enseignent
publiquement des techniques issues de lignées de transmission populaires, taoïstes,
confucianistes, martiales et médicales, est une première dans l’histoire de la Chine,
une transformation aussi bien quantitative que qualitative. Quantitativement, des
traditions qui étaient jadis transmises à des réseaux de disciples restreints par les
formes primitives de communication, sont propagées à des millions de pratiquants
dans l’espace de quelques années seulement. Qualitativement, des traditions issues de
milieux hétérogènes se reconnaissent pour la première fois sous la bannière commune
du « qigong », se constituent en communauté reconnue par l’Etat, et s’engagent dans
un processus de partage d’information à travers colloques, conférences, réunions et
revues, phénomène impensable dans l’ancien régime de lignées souvent secrètes et
isolées les unes des autres. Ce processus est lié à un phénomène sans précédent dans
les annales de la science moderne : une histoire d’amour entre une grande partie de la
communauté scientifique chinoise et le monde des maîtres traditionnels, qui débute
dès 1977 et durera jusqu’en 1995.
4. L’IDEOLOGIE DU PARANORMAL

En même temps que se forme le « monde du qigong » constitué de maîtres, de


scientifiques et d’adeptes, une autre communauté voit le jour, celle-ci vouée aux
phénomènes paranormaux appelés « fonctions exceptionnelles ». L’intérêt porté par
les scientifiques au qigong joue un rôle essentiel dans la légitimation et la fédération
du monde du qigong autour d’un projet « scientifique » . Et lorsque les spécialistes du
paranormal concluent à l’existence d’un lien entre le qigong et les « fonctions
exceptionnelles », ils déclenchent un processus menant à la fusion des concepts de
qigong et de fonctions exceptionnelles, transformant le qigong en moyen
d’acquisition de ces « fonctions »: on ouvre ainsi la porte à un engouement massif
pour les phénomènes étranges, miraculeux, magiques et mystiques sous le couvert du
concept « scientifique » des « fonctions exceptionnelles ». Et ceci qui provoque un
mouvement d’opposition qui assimile le qigong à la « pseudo-science » (weikexue
伪科学).

4.1 Apparition du concept des « fonctions exceptionnelles »

Parallèlement à l’émergence de réseaux scientifiques autour du qigong, se


constitue donc une autre communauté, distincte à l’origine mais de plus en plus liée
au qigong, celle des « fonctions exceptionnelles ». Remontons encore une fois à
l’année 1978, dans le district de Dazu 大足 dans le Sichuan, où la découverte d’un
enfant capable de lire avec ses oreilles déclenche une vague de phénomènes
paranormaux.
Deux écoliers, Chen Xiaoming 陈小明 et Tang Yu 唐雨, se dirigent vers l’école
lorsque, soudain, Tang Yu pointe le doigt vers la poche de Chen Xiaoming et l’accuse
de dissimuler un paquet de cigarettes de marque Feiyan. Devant le déni de ce dernier,
Tang Yu s’empare de Chen Xiaoming et soutire le paquet de cigarettes de sa poche.
Face à l’étonnement de Chen Xiaoming que Tang Yu ait pu deviner l’existence du
paquet de cigarettes dissimulé, ce dernier affirme qu’il ne l’a pas vu avec ses yeux,
mais que l’image est venue directement à son cerveau.
Tang Yu était déjà connu par ses camarades pour son jeu de « deviner les
caractères » : les écoliers s’amusaient à écrire des caractères ou des dessins sur des
morceaux de papier, qu’ils roulaient ensuite en boule et plaçaient dans l’oreille de
Tang Yu, qui, invariablement, devinait correctement les signes écrits sur le bout de
papier.
Cette fois, Chen Xiaoming rapporte l’incident du paquet de cigarettes à
l’instituteur, qui prend intérêt pour le phénomène, et convoque Tang Yu à son bureau
pour un jeu de « deviner les caractères ». Ce dernier devine correctement chaque
phrase écrite par l’instituteur et placée dans son oreille. La nouvelle du phénomène
étrange, racontée par l’instituteur, se répand ; tour à tour les gouvernements de la
commune populaire, du district et de la région envoient des enquêteurs à l’école de
Tang Yu pour jouer à « deviner les caractères » avec ce dernier, et confirment
l’existence du phénomène.
Le journaliste Zhang Naiming 张乃明 du Quotidien du Sichuan, ayant entendu
parler du phénomène, décide de se rendre à Dazu pour enquêter sur cet étrange enfant
qui lit avec ses oreilles. Encore une fois, Tang Yu passe le test sans faute. Le
journaliste demande au garçon par quel moyen il arrive à lire les caractères avec ses
oreilles ; Tang Yu répond que « lorsque la boule de papier est placée dans mon
oreille, je ressens des picotements, et une image des caractères apparaît dans ma tête
comme une projection de film sur un écran »252.
Le reportage de Zhang Naiming est publié en première page du Quotidien du
Sichuan du 11 mars 1979, intitulé « Découverte au district de Dazu d’un enfant
capable de reconnaître des caractères avec ses oreilles »253. L’article est accompagné
d’une photo du Secrétaire provincial du Parti chargé du travail scientifique, Yang
Chao, avec Tang Yu.
La publication de cette nouvelle dans un journal officiel, ouvertement appuyée
par un des plus hauts dirigeants politiques d’une des plus grandes provinces de la
Chine, et de surcroît chargé des recherches scientifiques, ne pouvait qu’être
interprétée comme un encouragement à enquêter et publier sur ce type de phénomène.
Le reportage sur Tang Yu est repris par des journaux dans tout le pays ; puis, dans
l’espace d’une vingtaine de jours, des journaux de Pékin, du Hebei, de l’Anhui, du
Hubei, du Heilongjiang et du Jiangsu publient des nouvelles similaires d’enfants
capables de lire non seulement avec leurs oreilles, mais aussi avec la paume de leur
main, avec l’aisselle, avec le pied, ou encore après avoir mastiqué et avalé la boule de

252
Zheng Guanglu 1991 : 69.
papier. Le phénomène des enfants possédant ces pouvoirs extraordinaires de lecture
fit sensation dans toute la Chine254.
Le Quotidien du Peuple intervint alors pour mettre fin à cette fascination. Le 5
mai 1979, dans le cadre de la commémoration du mouvement du Quatre mai 1919, le
journal publia un article de l’influent économiste et théoricien marxiste Yu
Guangyuan 于光元255 (1915- ), intitulé «De “sentir un texte avec le nez” à
“reconnaître des caractères avec l’oreille” », dans lequel il ridiculise ces phénomènes
comme une « grosse blague » et rappele que l’oreille est et a toujours été un organe
d’ouïe. « Il est étrange » , écrit-il, « que quelques camarades des instances
scientifiques et quelques camarades dirigeants n’aillent pas s’instruire auprès de la
science et des scientifiques, mais prennent l'initiative d’applaudir après des
démonstrations d’illusionnisme, sont pleins de louanges pour les “oreilles magiques” ,
et vont jusqu’à s’empresser d’ordonner qu’on assure la bonne nutrition de ces
enfants » 256. Le 2 juin, le journal rapporte qu’une équipe d’enquêteurs de l’Académie
de médecine du Sichuan a conclu que la « lecture avec les oreilles » de Tang Yu est
une tromperie. Après des tests répétés, l’enfant aurait soit triché pour lire les
caractères à l’aide de techniques de prestidigitation, soit refusé de « lire » lorsqu’il
était dans l’impossibilité de tricher257. A la suite de la publication de ces articles, des
textes semblables furent publiés par la plupart des grands journaux chinois y compris
le Journal des jeunes de Chine (Zhongguo qingnian bao 中国青年报), le Quotidien
de la Libération (Jiefang Ribao 解放日报) et la Gazette littéraire (Wenhui bao
文汇报)258, attaquant la « fraude » des enfants qui lisent avec leurs oreilles, contraire
à une connaissance élémentaire de la science et du matérialisme. Après cette
campagne éditoriale, ces phénomènes disparurent des pages des journaux pour une
période d’environ six mois.

253
Zhang Naiming 1979.
254
Zheng Guanglu 1991 : 70.
255
Directeur du Bureau scientifique du Département de la propagande du Comité central du Parti des
années 1950 jusqu’à la Révolution culturelle, Yu Guangyuan fut le principal responsable de la
supervision de l’activité scientifique par le Parti. Il est vice-ministre de la Commission d’Etat des
sciences de 1964 à la Révolution culturelle puis de 1977 à 1982; vice-président de l’Académie des
sciences sociales de 1978 à 1982; directeur de l’Institut de recherches sur le marxisme-léninisme et la
pensée de Mao Zedong de 1979 à 1983; membre de l’Académie chinoise des sciences à partir de 1981.
D’après Miller, Yu Guangyuan a toujours défendu les normes professionnelles dans la communauté
scientifique en opposition aux approches excessivement idéologiques (Miller 1996: 92).
256
Article publié sous le pseudonyme Zu Jia 祖甲. Cf. Zu Jia 1979.
257
RR 79/06/02: 4.
258
RR 82/02/25.
Mais le journal Mingbao 明报 de Hong Kong publie une critique de l’éditorial
de Yu Guangyuan, d’après laquelle l’opposition de certains dirigeants à la perception
extrasensorielle (ESP) est un signe d’une mauvaise connaissance scientifique, qui ne
peut qu’entraver les Quatre modernisations259. Ce lien, entre les recherches sur le
paranormal, qui ont une longue histoire en Occident, et la modernisation de la Chine,
sera repris par les partisans de l’existence réelle de ces phénomènes en Chine. Ceux-ci
se regroupent pour mener des recherches systématiques afin de prouver et d’expliquer
scientifiquement leur existence. Parmi ces individus, citons un des rédacteurs de la
revue Nature, Zhu Runlong260 qui présente à la « Réunion de synthèse » sur le qigong
de juillet 1979261, un rapport d’une enquête sur deux sœurs fillettes de Pékin capables
de lire avec leurs oreilles :
« En tout, 24 expériences ont été faites sur [la capacité] des deux [filles] à
reconnaître des caractères avec leurs oreilles ou dans leurs aisselles. [Les
réponses] entièrement ou partiellement correctes ont dépassé les 80 p. cent. Ces
24 expériences ont été menées en trois jours différents, avec une participation de
plus de 10 personnes chaque jour. Nous avons eu la chance de participer, et
avons observé plusieurs des expériences de nos propres yeux. Nous étions tous
assis en cercle autour des deux sœurs, l’observateur le plus proche étant à une
distance de seulement 40 cm d’elles. Les filles prenaient d’une main à
l’intérieur de leur vêtement, l’échantillon donné par un enquêteur ; elles ne
pouvaient retirer leur main de l’intérieur de l’habit qu’après la fin de
l’expérience, lorsque l’enquêteur avait déjà retiré l’échantillon de leur main. Sur
les échantillons étaient écrits des caractères chinois, de l’anglais, des chiffres,
des images, etc. L’expérience la plus convaincante était la suivante : chacune
des deux filles enfila un gant, à travers duquel il était impossible d’apercevoir la
moindre trace du bout de papier ; ensuite on serra une ficelle autour de
l’ouverture du gant [au poignet], et l’on plaça la main portant le gant dans
l’aisselle sous le vêtement, pour mener le test de reconnaissance [des
caractères]. Sous ces conditions, les deux filles réussirent séparément à
reconnaître des échantillons sur lesquels étaient écrits ou dessinés des caractères
ou des figures… »262

En septembre 1979, la nouvelle revue Nature, l’un des plus influents


périodiques scientifiques de Chine, publia un article intitulé « Rapport d’observation
sur la reconnaissance d’images sans [l’emploi d’] organe de vision » (Fei shijue
qiguan tuxiang shibie 非视觉器官图像识别) ; les numéros suivants contiennent
également une série d’articles sur des enfants capables de lire avec leurs oreilles, par

259
Li Xuelian 1979, cité dans Yu Guangyuan 1982: 33.
260
Celui-ci deviendra, dans le début des années 1980, Secrétaire-général de la Association chinoise des
sciences somatiques et rédacteur-en-chef du journal Recherches en Fonctions Exceptionnelles
261
Sur cette réunion, voir la section 2.3, pp. 67-69 ci-dessus.
262
Zheng Guanglu 1991 : 72.
des chercheurs de l’Université de Pékin, de l’Académie normale de Pékin, de
l’Université normale de l’Anhui, de l’Université de Wuhan, et de l’Institut de
médecine chinoise du Hubei. La couverture de ces phénomènes par une importante
revue scientifique donna une grande crédibilité à ce type de recherches. Or la revue
Nature publiera des éditoriaux et articles sur les « sciences somatiques » dans
presque chaque numéro, tout au long des années 1980263.
Parmi les recherches publiées dans la revue Nature, citons celles de quelques
professeurs de l’Université de Pékin qui constatent que l’apparition soudaine de tant
d’enfants capables de lire avec leurs oreilles se produit lorsque des enfants, ayant
entendu parler de l’histoire de Tang Yu, s’amusent à imiter ce dernier et découvrent
qu’ils ont la même capacité. Se pourrait-il que cette capacité soit latente chez tous les
hommes ? Y aurait-il un moyen de développer cette capacité latente ? Partant de cette
hypothèse, ils entraînent dix enfants âgés d’une dizaine d’années dans la pratique de
techniques de respiration, de relaxation et de suggestion verbale empruntées au
qigong, et découvrent qu’à la suite d’un tel entraînement simple, 60% des sujets ont
acquis la faculté de reconnaître des caractères ou des illustrations scellés dans des sacs
en tissu ou dans des bouteilles d’encre de Chine. Suite à la publication de ces
résultats, des chercheurs d’autres institutions mènent des expériences semblables, et
concluent que de 40 à 60 p. cent des enfants de 10 ans peuvent manifester des
« fonctions exceptionnelles » suite à un entraînement264.

4.2 Rapprochement du qigong et des « fonctions exceptionnelles »

En février 1980, la revue Nature organise le premier colloque scientifique


national sur les fonctions exceptionnelles du corps humain265. Ce colloque marque
l’entrée du concept des « fonctions exceptionnelles du corps humain » dans le
vocabulaire scientifique chinois. Quatorze enfants à fonctions exceptionnelles, y
compris Tang Yu, y font des démonstrations de lecture avec leurs oreilles ou leurs
aisselles.
Quelques maîtres et chercheurs sur le qigong assistent également au colloque,
stimulant une discussion animée sur le lien entre les « fonctions exceptionnelles » et

263
cf. Ji Yi 1991 : 82; ZZ 3-3:163; Gu Hansen 1980b,c; He Qingnian 1980; Qian Xuesen 1981; Nie
Chunrong 1981; He Chongyin 1981, etc.
264
Chen Shouliang et al 1980; Wang Chu et al 1980; He Muyan et al 1980; Zhang Zuqi et al 1980.
le qigong. En effet, si des enfants tels que Tang Yu ont découvert leurs fonctions
exceptionnelles par hasard, chez d’autres sujets enfants ou adultes, c’est la pratique du
qigong qui semblait avoir déclenché l’apparition de ces fonctions. C’est le cas du
maître Qu Hanrong 区汉荣, présent au colloque, pour qui le qigong avait non
seulement guéri sa paralysie des jambes, mais aussi fait apparaître des fonctions
exceptionnelles. De la discussion émerge l’idée que les « fonctions exceptionnelles »
sont latentes chez tout être humain, et que le qigong est un moyen de faire éclore et de
cultiver ce potentiel :
« Chez les adultes, les fonctions exceptionnelles peuvent se développer par
l’entraînement du qigong ; les fonctions exceptionnelles des enfants peuvent
être induites en grand nombre. De la perspective de l’induction et de
l’entraînement des fonctions exceptionnelles, ce type de fonction n’est pas un
rare phénomène conféré à quelques individus privilégiés, mais un phénomène
physiologique potentiel universel et inné de l’homme. On peut conjecturer que
la phase de naissance et de perfectionnement de ce type de fonction dure de
l’âge de 6 ou 7 ans jusqu’à l’âge de 14 ou 15 ans ; si elle n’est pas exploitée, ce
type de fonction va graduellement décliner et disparaître. Or le qigong est une
méthode et une technique qui permet de restaurer ce type de fonction. Bien sûr,
toutes les méthodes de pratique du qigong ne permettent pas d’induire des
fonctions exceptionnelles »266.

Pendant ce temps, les pouvoirs paranormaux découverts par les chercheurs


deviennent de plus en plus étranges. Au début de 1980, on rapporte le cas d’un
adolescent du district de Sihong 泗洪 dans le Jiangsu, dont le bracelet-montre
fonctionnait de manière bizarre : il avait parfois plusieurs heures de retard, et d’autres
fois des heures d’avance. Or lorsque d’autres personnes portaient la même montre, il
ne se passait rien d’anormal. Les chercheurs en fonctions exceptionnelles
s’intéressèrent à ce phénomène, qu’ils appelèrent la « motion induite par la pensée »
(yinian zhidong 意念致动)267.
De mars à décembre 1980, l’Université du Yunnan mène des expériences
d’entraînement d’enfants pour stimuler l’éclosion de leurs « fonctions
exceptionnelles ». Les chercheurs affirment avoir réussi à les entraîner à lire des
morceaux de papier sans les voir et dissimulés de l’autre côté d’un mur ; à 10 m des
sujets de l’expérience ; à localiser une pièce de monnaie cachée dans un pot de fleurs ;
à communiquer entre eux par télépathie (siwei chuangan 思维传感); à soutirer, en

265
ZZ 3-4, couverture intérieure.
266
Bai Sha 1981 : 88.
employant uniquement la pensée, des objets de la poche de leur grand-mère ; à
déplacer par la pensée une cigarette, un paquet de cigarettes, une clef, un couteau, une
montre, etc ; à briser les branches d’un arbre ; à placer une fleur dans un bocal fermé ;
à faire éclore une fleur dans le bocal fermé ; etc.

4.3 Défense politique des « fonctions exceptionnelles » : les interventions de Qian


Xuesen

Des expériences similaires sont rapportées à Wuhan, à Xi’an, etc.268. Le vice-


président de l’Association scientifique nationale et de la Commission scientifique de
la Défense nationale, le célèbre concepteur de la bombe atomique chinoise Qian
Xuesen 钱学森 (1912- ), encourage vivement ce type de recherches, et propose de
créer une nouvelle discipline scientifique, les « sciences somatiques » (renti kexue
人体科学)269, dont la mission serait d’étudier les « fonctions exceptionnelles » dans
le cadre d’une étude globale de l’ensemble des fonctions du corps humain270. En juin
1980, il rencontre à Shanghaï les rédacteurs de la revue Nature et exprime son appui
pour la publication d’articles sur le qigong et les « fonctions exceptionnelles » . En
août de la même année, il rencontre à Pékin des journalistes de la revue Nature, du
quotidien Guangming, de l’agence de presse Chine Nouvelle, du Quotidien du Peuple,
du Journal des sciences et techniques de Pékin, et leur manifeste son appui pour la
recherche sur les « fonctions exceptionnelles » . De concert avec Nie Chunrong
聂春荣, secrétaire-général de l’Association scientifique nationale, il invite les

267
Zheng Guanglu 1991 : 73.
268
Zheng Guanglu 1991 : 74.
269
Qian Xuesen 1981a.
270
Qian Xuesen 1981b: 217. Né à Shanghaï en 1912, Qian Xuesen fit ses études supérieures au
Massachusetts Institute of Technology et au California Institute of Technology. Durant la deuxième
guerre mondiale, il travailla pour l’Armée de l’air américaine comme spécialiste des fusées. Il fut
envoyé en Allemagne pour participer au démantèlement du centre de production de fusées de
Peenemunde. De 1949 à 1955, il dirigea le Guggenheim Jet Propulsion Laboratory au California
Institute of Technology. Il rentra en Chine en 1955, où il joua un rôle instrumental dans le
développement du programme nucléaire et spacial chinois (Wortzel 1999: 211).Il appuya avec
enthousiasme l’ « Ebauche du plan pour le développement agricole » , mélange de projets irréalistes
qui fut l’inspiration technique du « Grand bond en avant » (MacKennas 1998: 99). Il fut élu membre
alterne des 9e, 10e, 11e et 12e Bureaux politiques du Comité central du Parti (1969, 1973, 1977, 1982).
Il est vice-président de la Commission scientifique de la Défemse nationale de 1978 à 1982, aux côtés
de Zhang Zhenhuan. Qian Xuesen affirme qu’il ne croyait pas dans les « fonctions exceptionnelles »
jusqu’à ce qu’il observe une démonstration à l’Institut de génie médical aéronautique
(航空医学工程研究所). Ayant alors vu le phénomène de ses propres yeux, il dit qu’il ne pouvait pas
ne pas y croire. (Témoignage de Qian Xuesen tiré de son livre « Les sciences somatiques et la
technologie moderne » (Lun renti kexue yu xiandai keji 《论人体科学与现代科技》), pp. 142,143,
cité dans http//www.qg100.com/news.
membres de l’Association à étudier des rapports sur les phénomènes de fonctions
exceptionnelles, et conçoit la fondation d’une association de recherches vouée à ce
domaine271.
Le premier pas vers la fondation d’une telle association est franchi en mai 1981,
lors du deuxième colloque scientifique national sur les fonctions exceptionnelles, tenu
à Chongqing avec une participation de 500 personnes et présidé par Yang Chao, le
Secrétaire-général du Parti pour le Sichuan272. Lors du colloque, Nie Chunrong et He
Chongyin, rédacteurs de la revue Nature, prirent la parole, soulignant l’importance
des recherches sur les fonctions exceptionnelles du point de vue de la théorie de la
connaissance273. Un article de Qian Xuesen y fut présenté, intitulé « Démarrer la
recherche fondamentale en sciences somatiques » 274. Une commission préparatoire
pour la future Association chinoise des sciences somatiques fut également fondée
sous la direction de l’Association scientifique nationale275; cette dernière se réunit à
Shanghaï le 9 novembre. Les participants élurent respectivement comme président et
secrétaire-général les rédacteurs de la revue Nature He Chongyin et Zhu Runlong276.
Le principal sujet des discussions fut la controverse sur les « fonctions
exceptionnelles » ; les participants s’accordèrent pour reconnaître que ce débat était
une chose saine, mais que les « fonctions exceptionnelles » ne devraient pas être
rejetées uniquement parce que les théories scientifiques actuelles sont incapables de
les expliquer277. La reconnaissance du nouveau champ de recherches par la
communauté scientifique chinoise fut consacrée par la parution dans l’ « Annuaire
encyclopédique de Chine » de 1981 (Zhongguo baike nianjian 中国百科年鉴) d’un
article sur les « fonctions exceptionnelles ». De même, l’établissement de relations de
coopération scientifique avec des chercheurs d’universités occidentales intéressés par
la parapsychologie, notamment à l’université d’Edimbourg, donna une plus grande
légitimité aux « fonctions exceptionnelles »278.

271
Ji Yi 1991 : 82.
272
Ce dernier avait encouragé la diffusion de la nouvelle sur Tang Yu, le garçon de Dazu capable de
lire avec ses oreilles. Le Quotidien des travailleurs du Sichuan avait publié sa photo avec ce garçon
(voir section 4.1, p. 105).
273
Nie Chunrong 1981, He Chongyin 1981.
274
Qian Xuesen 1981a.
275
ZZ vol. 4, no. 6.
276
Qin Yue 1982.
277
ZZ 5-2: 106.
278
Yu Guangyuan 1982: 34.
Mais ces événements ravivèrent les critiques du théoricien marxiste Yu
Guangyuan et d’autres adversaires des recherches sur les « fonctions
exceptionnelles » , y compris Zhou Jianren, frère de l’écrivain Lu Xun, et l’éducateur
célèbre Ye Shengtao279. A partir d’août 1981, une série d’articles parut dans la presse,
critiquant la recherche sur les « fonctions exceptionnelles » comme une
« résurrection de la superstition », un « déni de la vérité scientifique », un « abandon
des principes du matérialisme scientifique », et avertissant contre le danger de
« tomber dans le piège de l’idéalisme »280. Entre 1979 et 1982, Yu Guangyuan publia
plusieurs articles attaquant la « pseudo-science » des fonctions exceptionnelles. Dans
ses articles, il affirme que les « fonctions exceptionnelles » ne sont que de
l’illusionisme. Mais alors que l’illusioniste est un personnage honnête qui dit
ouvertement à son public qu’il ne fait que jouer des tours à notre vision, le détenteur
de « fonctions exceptionnelles » trompe le monde en prétendant réellement déplacer
des objets par pure force mentale281. Dans la revue Sciences sociales en Chine, il
compare les « fonctions exceptionnelles » avec les recherches sur la parapsychologie
en Occident, affirmant que ces dernières n’ont produit aucun résultat significatif
depuis cent ans. La seule différence entre les « fonctions exceptionnelles » et la
parapsychologie est que celle-ci oppose ouvertement le matérialisme, alors que les
défenseurs des « fonctions exceptionnelles », dans la Chine marxiste, prétendent
défendre le matérialisme, alors que ce sont en réalité des « idéalistes282 ». Mais malgré
ses critiques, Yu Guangyuan soutient que les défenseurs des « fonctions
exceptionnelles » devraient pouvoir exprimer leurs opinions afin de stimuler un débat
ouvert entre les idéalistes et les marxistes: cela permettra à ceux-ci de s’exercer dans
la controverse et d’approfondir leur compréhension de la dialectique matérialiste283.
Les défenseurs des fonctions exceptionnelles répliquèrent, et la controverse fit
rage dans les journaux pendant neuf mois. Le 24 février 1982, l’Académie des
sciences de Chine tient une réunion où Yu Guangyuan et Li Chang 李昌, secrétaire du
Parti de l’Académie, critiquent avec virulence ce type de recherches comme une

279
Zhu Xiaoyang 1984 [1989]: 36.
280
Ji Yi 1991 : 83.
281
cité dans Zheng 1991 : 240. Voir aussi Yu Guangyuan, « Yao lingxue, haishi ziran bianzhengfa
要灵学,还是自然辩证法 », dans Ziran bianzhengfa tongxun 自然辩证法通讯, no. 1, 1982, pp. 8-
15.
282
Dans le sens marxiste, signifie la théorie, opposée au matérialisme, qui considère que la réalité
n’existe que dans nos pensées.
283
Yu Guangyuan 1982: 31, 39-41.
« pseudo-science ». Leurs propos sont repris le lendemain par le Quotidien du Peuple,
qui cite : « nous demandons de stopper ce type de propagande non-scientifique »284.
L’article rapporte également que des psychologues de l’Académie des sciences de
Chine ont enquêté sur les enfants capables de lire avec leurs oreilles, et conclu que
c’est une supercherie. Un autre article résume avec sarcasme les « découvertes » des
« fonctions exceptionnelles » depuis 1979 et les critiques soulevées par de nombreux
lecteurs et scientifiques célèbres285. Le Département de la propagande du Comité
central du Parti intervint le 20 avril 1982, par une circulaire ordonnant aux journaux
de « ni promouvoir, ni critiquer » les recherches sur les « fonctions exceptionnelles »
286
.
Quelques semaines plus tard, Qian Xuesen écrivit une lettre aux dirigeants du
Département de la propagande du Comité central, présentant son point de vue en
réaction à la nouvelle circulaire. Le directeur-adjoint de la Commission scientifique et
industrielle de la défense nationale (Guofang kegongwei 国防科工委)287, Zhang
Zhenhuan 张震寰 (1915-1994)288, ainsi que Wu Shaozu 伍绍祖 (1939- )289,
directeur-adjoint du Bureau no. 2 du cette même commission, intervinrent aussi
auprès des autorités supérieures. Leurs lettres attirèrent l’attention des plus hauts
échelons du pouvoir : Hu Yaobang 胡耀邦 (1915-1989)290, Secrétaire-général du

284
RR 82/02/25a.
285
RR 82/02/25b.
286
Zheng Guanglu 1991 : 116; Ji Yi 1991 : 83; jiu guojia…2001.
287
La Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale fut fondée en août 1982, et
dirigea le complexe militaro-industriel chinois jusqu’en juillet 1998. Elle combine et remplace la
Commission scientifique de la défense nationale et deux autres organes de l’armée et du Parti. La
Commission dirige les industries de la défense et de la « Troisième ligne » (complexes industriels
construits dans les zones isolées de l’intérieur pour une meilleure protection en cas d’attaque militaire).
Elle est responsable des finances de la recherche et production militaire, ainsi que de l’industrie
spatiale, et de la production de satellites, de missiles et d’armes nucléaires. Cette organisation est
réputée pour son haut degré de corruption (Wortzel 1999: 57-58).
288
Zhang Zhenhuan, natif de Pékin, né en 1915, avait participé à la révolution en 1935 et s’était enrôlé
dans le Parti communiste en 1938. Il devient Général de brigade dans l’Armée populaire de libération,
et Vice-Président de la Commission scientifique de la Défense nationale de l’Armée populaire de
libération) (Wu Hao (éd.) 1993 :559).
289
Celui-ci sera élu membre du 12e Comité central du PCC en 1982, et deviendra Vice-ministre de la
Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale en 1983. Il sera nommé ministre des
Sports en 1988, et sera chargé par le gouvernement des questions relatives au qigong dans les années
1990 (voir p. 240 et section 14.4, pp. 354-355). Il fut « converti » aux recherches sur les « fonctions
exceptionnelles » après avoir vu une démonstration des pouvoirs de Zhang Baosheng (voir section 4.6,
pp. 140-142). Il considère que même si 99 démonstrations de « fonctions exceptionnelles » s’avèrent
être fausses, il suffit qu’une seule démonstration soit véridique pour justifier de la poursuite de ces
recherches ( jiu guojia… 2001).
290
Hu Yaobang est considéré comme un chef de file de la tendance libérale dans le Parti. Les
manifestations de deuil à la suite de sa mort le 15 avril 1989 feront boule-de-neige, déclenchant le
mouvement étudiant de Tiananmen.
Comité central du Parti, écrit une directive au Département de la propagande,
permettant la poursuite de recherches sur les « fonctions exceptionnelles » 291. En
conséquence, le Département émit une nouvelle circulaire le 15 juin 1982, permettant
la publication des résultats et données de recherches sur les « fonctions
exceptionnelles » à des fins de communication scientifique. Dès lors, comme le
commente Zheng Guanglu, « les fonctions exceptionnelles ont gagné une position
légale et se sont débarrassées de leur statut flou et de leur condition incertaine»292.

4.4 Elaboration d’un système idéologique

Le chroniqueur Zheng Guanglu décrit comme suit l’impact sur l’imagination


populaire de l’amalgame des « fonctions exceptionnelles » avec le qigong :
« De la fin des années 1970 au début des années 1980, le qigong demeure
principalement une méthode efficace de culture physique, de prévention et de
thérapie. Par la suite, certaines personnes donnèrent la désignation de « qigong
traditionnel » à cette conception du qigong.
A l’orée du milieu des années 80, depuis que les fonctions exceptionnelles
sont considérées comme le niveau supérieur de qigong, et ont donc été intégrées
au champ du qigong, la signification du qigong s’est profondément enrichie et
élargie. L’efficacité hygiénique et thérapeutique du qigong est désormais
considérée comme n’étant qu’une fonction élémentaire, voire accessoire, du
qigong. On considère déjà qu’enfermer le qigong dans le domaine thérapeutique
entrave sérieusement son développement.
Ainsi, un nouveau qigong est né.
Ce nouveau qigong est considéré comme un art de culture physique, de
prévention de maladies, de thérapie, de spectacle, d’adresse de combat,
d’investigation policière, de prospection géologique, de développement de
l’intelligence, de stimulation de fonctions, d’augmentation de pouvoirs.
Son niveau supérieur se manifeste par les fonctions exceptionnelles :
vision pénétrante, vision à distance, sensation à distance, faculté d’immobiliser
son corps, échappée miraculeuse, aptitude à traverser des murs, randonnée de
l’âme, appeler le vent et provoquer la pluie, connaître le passé et l’avenir…
Le qigong est devenu un « art des immortels » pour lequel rien n’est
impossible… »293

291
Les membres du Bureau politique Ye Jianying et Zhao Ziyang 赵紫阳 (1919- , premier ministre de
1980 à 1987 et dauphin de Deng Xiaoping) auraient également apporté leur soutien aux recherches sur
les « fonctions exceptionnelles ». Ce dernier aurait vu un cas d’enfant capable de lire avec ses oreilles
en 1964, lorsqu’il était secrétaire provincial du Parti du Guangdong, en compagnie du vice-premier
ministre He Long 贺龙 (1896-1969). Dans l’éventualité où les pouvoirs du garçon auraient des
applications militaires, les dirigeants décidèrent d’accorder une protection spéciale et confidentielle à
l’enfant (Li Peicai 1988: 8-9, cité dans Kane 1993: 161). Zhao Ziyang, considéré comme un chef de
file de la tendance libérale au sein du Parti, fut démis de ses fonctions lors du mouvement étudiant de
Tiananmen, en 1989.
292
Zheng 1991 : 117; Ji Yi 1991 : 83; jiu guojia…2001.
293
Zheng Guanglu 1991 : 58.
Ce qigong à la sauce paranormale suscite un espoir et un enthousiasme
immenses – et l’élaboration d’un système idéologique qui conjugue l’imaginaire
magique des romans des arts martiaux à l’utopie futuriste de la science-fiction,
nourrissant l’espoir d’une résurrection de la civilisation chinoise, du salut de
l’humanité entière, et d’un avenir paradisiaque où rien ne sera impossible pour
l’homme. Cette idéologie, dont les artisans sont des personnalités scientifiques et
intellectuelles éprises du qigong, crée un pont entre les pratiques populaires et les
valeurs officielles et lettrées. Elle joue donc un rôle important dans la légitimation
politique du qigong.

4.4.1 Le discours de base

Li Jianxin et Zheng Qin, dans le passage suivant, décrivent leur réaction à la


suite d’une démonstration de « fonctions exceptionnelles » : le sentiment d’assister à
un moment historique, de voir les pouvoirs magiques des personnages de romans
d’arts martiaux se manifester réellement devant leurs propres yeux. Le passage, dans
lequel on retrouve plusieurs éléments sous-jacents de l’idéologie du qigong, décrit une
scène dans un restaurant de Pékin, où le maître de qigong Liu Xinyu 刘心宇 vient de
faire bouger, sans contact physique, un mégot de cigarette posé sous une feuille de
persil et un morceau de papier :
[Liu Xinyu] « se tourna de côté, pencha la tête, et regarda les objets de
travers.
Au moment où il se pencha la tête, le mégot de cigarette bougea d’un
coup.
Tous s’exclamèrent et applaudirent.
Le mouvement du mégot était très étrange… comme si une force informe
liait la tête de Liu Xinyu au mégot de cigarette – il suffisait qu’il fasse un
mouvement de tête, pour faire bouger le mégot.
C’était comme si le mégot avait sa propre conscience vitale, et qu’elle
voulait sortir de la feuille de persil et du bout de papier qui le recouvrait. Par ce
tour, le mégot se libéra [du persil et du papier] et se mit complètement à
découvert.[…]
[Ensuite, le mégot se lève comme pour saluer Zhang Yaoting 张耀庭294.]

294
Directeur du bureau du « Groupe de travail sur les sciences somatiques » . Sur ce groupe, voir
section 5.2, p.154.
Lorsque Liu Xinyu avait fait bouger le mégot la première fois, il lui avait
déjà donné une sorte de force vitale, une sorte d’âme. A partir de ce moment, ce
n’était plus un mégot sans vie, mais un petit esprit doté d’une âme. Liu Xinyu
pouvait communiquer avec lui, lui demander de faire différents types de
mouvements; lorsqu’il lui donnait un ordre, le mégot obéissait – et cela sans le
fixer intensément du regard. Donc, Liu Xinyu pouvait se détendre et boire, et le
mégot continuait de saluer de la tête.
Les dix mille créatures ont tous une âme.
Les dix mille créatures peuvent communiquer spirituellement.
Liu Xinyu dit : je communique avec eux, je leur ai donné une force vitale.
[…]
Liu Xinyu prit la plume de Li Jianxin, signa son autographe sur le mégot
de cigarette, et inscrivit la date : le 1er novembre 1994. Et il pria Zhang Yaoting
de signer le mégot également.
Ainsi, ce petit mégot de cigarette devint un souvenir important : la trace
d’une importante expérience des sciences somatiques. Son existence […]
prouve que dans notre monde, il existe effectivement certaines forces
d’efficacité, qui ne peuvent pas encore être expliquées par les forces déjà
connues par la physique.
Liu Xinyu dit : « ce mégot de cigarette peut guérir des maladies : par
exemple, dans le cas d’un mal de tête ou d’un malaise dans telle partie du corps,
il suffit de pointer le mégot vers la zone affectée pendant un moment, et vous
constaterez le résultat. »
Zhang Yaoting demanda une serviette blanche, avec laquelle il enveloppa
le mégot de cigarette, qu’il déposa ensuite dans la poche de son manteau, pour
le conserver chez lui.
[…]
[Liu Xinyu] emploie une force intérieure.
C’est une force hors de l’ordinaire.
Peut-être est-ce là la force merveilleuse employée par les héros des
romans de chevaliers errants… […]
Dans un petit restaurant de Pékin, nous fûmes témoins de nos propres
yeux de cette aptitude merveilleuse : une force que, dans le passé, on ne
retrouvait que dans les romans de chevaliers errants. Mais cette fois, elle s’est
absolument et véritablement manifestée devant nos yeux, sortant de la main de
notre propre ami. 295»

Notons dans ce passage les concepts animistes et magiques (toutes les créatures
ont une âme, avec laquelle le maître de qigong communique); l’association avec les
romans de chevaliers errants, genre de littérature populaire mettant en scène des
maîtres d’arts martiaux aux pouvoirs magiques; et la réalisation que ces pouvoirs,
encore méconnus de la physique moderne, sont donc véritables et prouvés lors de
cette « importante expérience des sciences somatiques ». L’idée que le qigong est la
manifestation réelle de la magie des légendes populaires, et qu’il est donc une grande

295
Li & Zheng 1996 : 156-57.
découverte scientifique aux implications historiques, est le fondement de l’idéologie
du qigong. Celle-ci se se résume en six propositions :

1. Le qigong permet de produire des « fonctions exceptionnelles ».


2. Le « qi externe » et les « fonctions exceptionnelles » sont des faits
matériels et scientifiques, fondements des « sciences somatiques ».
3. Le qigong est la source et l’essence de la civilisation chinoise.
4. Les « sciences somatiques » vont déclencher une nouvelle révolution
scientifique.
5. Cette révolution scientifique permettra à la Chine de retrouver sa place au
premier rang des nations.
6. Le qigong apportera un avenir radieux à l’humanité tout entière.

Ces propositions peuvent être disposées en figure pour illustrer une structure
idéologique :

Fig. 7. Structure idéologique du qigong.

4.4.2 Les « fonctions exceptionnelles »

La figure no. 7 montre que les « fonctions exceptionnelles » sont le noyau


idéologique du qigong. C’est à travers les « fonctions exceptionnelles » que l’adepte
du qigong peut atteindre la délivrance individuelle de la maladie et des limitations de
ce monde, à travers elles que rien ne sera impossible pour l’homme. C’est grâce aux
« fonctions » que la civilisation chinoise est unique, et qu’elle reprendra la tête des
nations. C’est encore grâce à elles que le qigong présente un grand intérêt
scientifique, et qu’il déclenchera la nouvelle révolution des sciences. L’objet ultime
de la pratique du qigong est donc l’acquisition de « fonctions exceptionnelles ».
Que désigne au juste le terme de « fonctions exceptionnelles »? D’après le
maître de « qigong dur » Ding Mingyue, les « fonctions » comprennent les aptitudes
suivantes : empêcher les moustiques de piquer les hommes; donner un coup de pied à
une poule sans qu’elle caquète; provoquer un combat entre deux objets inanimés;
attirer un poisson hors de l’eau; éteindre une lumière avec sa pensée; faire voler un
oeuf; rassembler des rats; allumer un feu par la pensée; ne pas avoir froid en plein
hiver; créer un brouillard pour cacher son corps; faire apparaître des caractères chinois
sur une surface d’eau; faire entendre des coups sur une porte en pleine nuit, alors qu’il
n’y a personne; faire rouler un camion sur son propre corps, sans être blessé; percer
une brique avec son doigt; boire une boisson avec son nez; tirer une voiture avec sa
langue; manger du feu; marcher dans le feu sans blessure; avaler du verre; briser une
bouteille de vin avec sa tête; se tenir debout sur une boîte d’alumettes, sur une
ampoule, sur un oeuf, etc.; faire monter ou baisser la pression artérielle d’une
personne; faire changer l’odeur de l’eau; transformer un oeuf de canard en cube, sans
le briser; transformer une poule en perroquet; ramollir un morceau de jade; etc296.
Le célèbre écrivain Ke Yunlu 柯云路297 divise les « fonctions
exceptionnelles » en quelques grandes catégories : le pouvoir de guérir des maladies;
le pouvoir de vivre normalement sans manger (le bigu); les pouvoirs de perception
extra-sensorielle; le pouvoir de prédiction de l’avenir; la psychokinésie; la
transformation de la matière par la pensée298.
Zhang Hongbao, en se basant sur des concepts bouddhistes, décrit cinq niveaux
ascendants de « fonctions » :
Le premier niveau, dit de l’ « oeil de chair » (rouyangong 肉眼功) : c’est la
capacité de voir des auras autour de personnes et d’objets, ainsi que de voir des
photons et des ondes lumineuses. L’ « oeil de chair » comprend aussi la capacité de
ressentir le qi ou les ondes par les mains ou par le corps, et de diagnostiquer par

296
Ding Mingyue 1993 : 147-149.
297
Auteur d’un roman et de plusieurs ouvrages de vulgarisation sur le qigong (voir section 7.6, p.200-
202) et fondateur de sa propre lignée (voir section 9.13, pp. 244-245).
298
cité dans Li & Zheng 1996 : 44-50.
l’oreille, le pied et la figure. Ce sont des « fonctions exceptionnelles » de niveau
inférieur.
Le deuxième niveau, dit de l’ « oeil du ciel » (tianyangong 天眼功) : ce sont les
pouvoirs de la glande pinéale – du « troisième oeil ». Il s’agit de la « vision
intérieure »(neishi 内视) (la capacité de voir l’intérieur de son propre corps), de la
« vision pénétrante »(toushi 透视) (capacité de voir à travers des objets solides, de
voir le squelette ou les organes d’une autre personne, de voir à travers un mur, de voir
à l’intérieur des valises d’un voyageur à la douane…), de la « vision à
distance »(yaoshi 遥视) capable de voir à travers l’univers, et de la « vision
microscopique »(weishi 微视) qui permet de voir des objets minuscules.
Le troisième niveau est l’ « oeil de sagesse »(huiyangong 慧眼功). Il s’agit de la
capacité de voir à travers le temps. Il comprend la vision du passé, qui « consiste à
remonter dans le temps, à attraper et ramener le message, puis, suite à un traitement
instantané par la machine biologique interne, à obtenir le résultat par un effet d’écran
ou un effet de sensation »; de la vision de l’avenir; et de la capacité de juger de
l’opportunité d’un certain acte après avoir vu les événements du passé et de l’avenir.
Le quatrième niveau est l’ « oeil du Dharma » (fayangong 法眼功) : c’est la
psychokinésie (en chinois : banyun 搬运). La psychokinésie « mineure » est la
capacité de déplacer par force mentale des petits objets, tels qu’attraper une pilule
dans le vide, faire bouger une bouteille d’alcool, faire tomber puis remonter les
feuilles d’un arbre, etc. La psychokinésie « moyenne », c’est déchirer une feuille ou
une carte de visite puis la remettre dans son état intact, provoquer le vent et la pluie,
etc. La psychokinésie « majeure » consiste à déplacer une montagne et transformer un
paysage, à faire arrêter le battement du coeur d’un animal, à redonner la vie à une
créature morte, à passer de la vieillesse à l’enfance…
Enfin, le cinquième niveau est l’ « oeil de Bouddha » (foyangong 佛眼功) :
c’est la capacité de changer le sens de la vie d’une personne, de le faire passer de
l’état d’ignorance à celui d’illumination. C’est aussi la capacité de faire éclore les
« fonctions exceptionnelles » d’autres personnes, et de pouvoir exercer une attraction
magnétique sur elles299.

299
Ji Yi 1991 : 121-142.
En bref, les « fonctions exceptionnelles » désignent la capacité de produire ce
qu’on appelle en occident des « phénomènes paranormaux ». Or, affirment les
spécialistes chinois du qigong, tous les hommes possèdent des « fonctions
exceptionnelles » à l’état latent. La différence entre les individus ne provient que du
fait que chacun possède un potentiel différent, et que la majorité des gens ne l’ont
jamais exploité300. Or la « grande découverte » est que le qigong est une technique
efficace pour développer les pouvoirs exceptionnels latents du corps humain301.
L’idéologie du qigong repose sur l’idée que le qigong est beaucoup plus qu’une
simple technique d’ « hygiène » ou de « thérapie », et que la dimension magique,
mystique, exceptionnelle – est intrinsèque à la définition du qigong302.
En même temps, cette dimension est matérielle, elle existe empiriquement. Le
23 février 1986, Qian Xuesen expose sa vision pour la fondation d’une « science
empirique du qigong ». Il dit que toute véritable discipline scientifique est une
composante du système scientifique dans son ensemble, peut communiquer sur une
base commune avec toutes les autres disciplines scientifiques, et que son principe
général est la philosophie marxiste. Actuellement, en plus des disciplines scientifiques
établies, il existe de nombreux domaines d’expérience accumulée qui n’ont pas encore
été intégrées dans le système scientifique : on peut appeler ces domaines « pré-
scientifiques ». La médecine chinoise, par exemple, est un système autonome qui ne
peut être décrit avec la physique et la chimie moderne, c’est donc une pré-science.
Pour qu’un domaine pré-scientifique puisse être intégré à la science, il faut d’abord
passer par l’étape intermédiaire de la « science phénoménologique » qui consiste à
connaître les faits empiriques sans pouvoir les expliquer. Dès que l’on connaît
l’explication (conforme à la philosophie marxiste et ayant un langage commun avec
les autres disciplines), le stade de la science moderne est atteint.
Qian explique ensuite sa vision de l’être humain en tant que « méga-système »
ouvert, en relation intime avec son environnement. Suivant une perspective
dialectique marxiste, l’esprit est le mouvement de la matière (du cerveau), qui affecte
la matière (des organes). Le qigong arrange et ordonne des éléments pré-existants

300
Zhang Hongbao, cité dans Ji Yi 1991 : 120.
301
Ke Yunlu 1996: 30.
302
Dans les années 1990, une petite minorité de personnalités du monde du qigong, tels que Zhang
Honglin 张洪林 et Sima Nan 司马南, refusera de faire ce lien entre le qigong et les « fonctions
exceptionnelles ».
dans le corps humain, produisant un état fonctionnel sain qui permet de résister à la
maladie.
Qian considère que l’on peut utiliser les méthodes de la science des systèmes
pour élaborer une stratégie de recherche sur le qigong. Il propose trois principes pour
la recherche :
1. Se baser sur l’expérience des pratiquants de qigong, et sur les changements
objectifs observés lors de la thérapie par qigong ;
2. A un niveau plus élévé, synthétiser l’expérience des maîtres de qigong ; sur cette
base, rédiger des manuels pour l’enseignement du qigong ;
3. A un niveau encore plus élevé, étudier et arranger les textes théoriques du qigong.
Qian Xuesen appelle ce processus la construction d’une « phénoménologie du
qigong » (weixiang qigongxue 唯象气功学), qui consiste à recueillir, classer et
systématiser des connaissances, des données et des documents sur le qigong. Ensuite,
à partir d’une synthèse de plus en plus cohérente des documents, l’on pourra
commencer à élaborer un modèle scientifique du qigong, qui soit conforme à la
philosophie marxiste et à la science des systèmes. Le qigong pourra ainsi passer du
statut d’étude empirique au statut de science véritable303.

4.4.3 Les « sciences somatiques »

Le sens des « fonctions exceptionnelles » est presque identique à celui des


phénomènes « paranormaux » en occident : des phénomènes dont le mécanisme et les
causes, inexpliqués dans l’état actuel des connaissances, seraient imputables à des
forces de nature inconnue, d’origine notamment psychique (perception extra-
sensorielle, psychokinésie, etc.) ». La force du qigong et des « fonctions
exceptionnelles » n’est pas surnaturelle dans le sens où elle relèverait d’un monde
ontologique autre que le monde matériel : il s’agit d’une force matérielle, universelle,
dont le mystère ne provient que du fait que ses mécanismes précis sont pour le
moment inconnus de la science. Le qigong et les fonctions exceptionnelles peuvent
donc faire l’objet d’une recherche scientifique légitime, dans le cadre d’une nouvelle
discipline appelée par Qian Xuesen : les « sciences somatiques », dont le but est de
découvrir les mécanismes de cette force afin permettre à l’homme de la maîtriser. Les
« sciences somatiques », d’après Qian Xuesen, étudient le corps humain, la protection

303
QG 7-3 : 99.
des fonctions ordinaires du corps humain, et l’exploitation de nouvelles fonctions
latentes du corps humain 304.»
Le programme que se donnent les « sciences somatiques » est donc le suivant :
(1) Mener des recherches empiriques sur les phénomènes de « fonctions
exceptionnelles ».
(2) Etablir une classification des différents types de « fonctions exceptionnelles ».
(3) Découvrir les mécanismes physiques et physiologiques des « fonctions
exceptionnelles ».
(4) Explorer les applications sociales et culturelles des « fonctions
exceptionnelles.305»
Aspect significatif des « sciences somatiques », l’absence de dualisme entre
psychisme et somatisme. On ne parle pas de « parapsychologie » : le terme des
« fonctions exceptionnelles du corps humain » pourrait être plutôt traduit comme
« parasomatologie », l’activité mentale sensée déclencher ces phénomènes n’étant
qu’une manifestation du fonctionnement somatique pris comme un tout. Ainsi, l’agent
causal des phénomènes paranormaux – le « qi externe »-- est considéré comme une
substance matérielle projetée vers l’extérieur par un corps possédant une quantité
abondante de « qi interne ». Les « sciences somatiques » pratiquent un monisme
absolu.
Pour établir la nature matérielle du « qi externe », les recherches en « sciences
somatiques » cherchent à mesurer les effets de l’émission du qi sur différentes
matières. D’après Li et Zheng306, l’émission du « qi externe » produit les effets
suivants :
« Effets physiques : ondes électromagnétiques, champ électrique, champ
magnétique, courant particulaire, ondes infrasoniques, rayons d’émission r,
rayons ultraviolets, changement de polarisation du laser, etc.
Effets chimiques : changement du niveau d’adsorption ultraviolette de
l’eau, changement du niveau d’adsorption ultraviolette du DNA, changer la
nature moléculaire de cristaux liquides, influencer la courbe dynamique d’une
réaction enzymatique, changer les conditions d’équilibre de la réaction du
Bromine, etc.
Effets biologiques : influence sur la croissance microbiologique de
personnes soumises à des conditions d’entraînement artificielles, influence sur
la physiologie d’échantillons de liquide sanguin et de tissus cellulaires,
influence sur l’état de croissance de certains végétaux, influence sur certains

304
Qian Xuesen 1998b.
305
Ke Yunlu, cité dans Li & Zheng 1996 : 67-68; Qian Xuesen 1998a : 2-6.
306
Li & Zheng 1996 : 220-222.
mécanismes physiologiques et changements d’états pathologiques chez des
souris et autres animaux de laboratoire, influence sur certains mécanismes
physiologiques du corps humain, etc. »

Certaines lignées de qigong projetaient de mener des recherches sur l’effet de


l’émission de « qi externe » sur les variables suivantes : l’incidence de maladies du
blé, le traitement de graines de sorgho, la productivité de récoltes de blé printanier, les
variations de l’azote, la qualité des tomates, la fertilité des crevettes en élevage, le
déclenchement de la pluie, la conscience de personnes dans le coma, etc307.
Après avoir mesuré les effets du qi externe, les chercheurs en « sciences
somatiques » tentent d’élaborer des explications scientifiques. Les spéculations sont
nombreuses. Un livre sur le qigong de Yan Xin 严新 énumère sept théories pour
expliquer l’action du « qi externe » :

1. La théorie des photons : lorsque l’adepte entre dans l’état méditatif du


qigong, le corps humain produit et émet des photons, produisant un effet de
rayons lumineux (auras) émis par le corps de l’adepte.
2. La théorie de la matière vitale : la pratique du qigong augmente la
vitalité de la « matière vitale » (shengming wuzhi 生命物质) du corps, émettant
des substances à hautes capacités.
3. La théorie des fonctions ATP: la pratique du qigong augmente les
fonctions ATP, libérant une grande quantité de force.
4. La théorie du système nerveux endocrinal et central : l’essence du
qigong est à situer dans les changements du système nerveux endocrinal.
5. La théorie des cellules vivantes : le qigong peut augmenter le nombre
de cellules ayant un haut niveau de vitalité à plusieurs niveaux, y compris le
niveau moléculaire, le niveau particulaire de base, et le niveau global.
6. La théorie de l’adsorption d’électricité : la pratique du qigong affecte
l’état d’inhibition des couches superficielles du cerveau. Ceci provoque un
bouillonnement des cellules des couches profondes du cerveau sous l’effet du
qigong et mène à une excitation de la bio-électicité cérébrale, dont le courant
peut affecter la sensibilité de certains points du corps. Lorsque le courant bio-
électrique atteint ces points du corps, les protéines des fluides corporels
deviennent des conducteurs de courants micro-particulaires. Cela produit la
force d’attraction d’un champ magnétique. Ce courant électrique peut provoquer
un effet de mouvement spontané, ainsi que des sensations d’acidité,
d’endormissement, d’enflement, de douleur, de froid, de fraîcheur, de chaleur,
de flottement, de coulement, d’agrandissement, de rapetissement, ou de
mouvement giratoire dans différentes parties du corps.
7. La théorie des informations vitales : le qi externe est une lumière froide
faite de matière, d’énergie et d’informations. Il contient des neutrinos ou une

307
Ji Yi 1990 : 89-90.
substance analogue, ce qui lui permet de transformer la matière sans contact
physique, car les neutrinos peuvent traverser tout obstacle matériel308 .

Pour résumer, les « sciences somatiques » se basent sur le postulat que les
« fonctions exceptionnelles » sont des phénomènes matériels, que le « qi externe » est
une forme de matière, et qu’il est possible de trouver des explications scientifiques à
ces phénomènes.

4.4.4 Le qigong et la civilisation chinoise

Si les chercheurs en « sciences somatiques » chinoises étudient les mêmes


phénomènes que les recherches sur le paranormal en occident, ils considèrent qu’ils
possèdent un immense avantage sur leurs collègues occidentaux : à travers le qigong,
ils disposent d’une méthode systématique pour produire de tels phénomèmes,
éprouvée depuis 7000 ans, et dont les applications sont déjà décrites dans un immense
corpus de textes théoriques et techniques anciens.
La réflexion chinoise sur le qi, que l’on retrouve dans les principaux textes
philosophiques, religieux et médicaux, fournit un cadre explicatif qui manque aux
études occidentales du paranormal. En effet, d’après la littérature du qigong, les
« fonctions exceptionnelles » étaient parfaitement maîtrisées par les Chinois de
l’antiquité, qui s’en sont servis pour fonder leur civilisation. Comme dit Yan Xin :
« Que le qigong puisse activer certains pouvoirs, était une chose tout à fait
naturelle dans la haute antiquité. Entre le Ciel et la Terre il y a les
transformations des cinq phases, et les hommes pouvaient voir à des distances
infinies et entendre aussi loin que le vent peut souffler… cela était chose
commune. 309»

Ailleurs, une brochure de la lignée de Yan Xin explique :


« De leur longue lutte avec la nature, les gens graduellement réalisèrent que le
mouvement du corps, la concentration mentale et différentes façons de respirer
pouvaient les aider à régler certaines fonctions de leurs corps. Ils pouvaient se
mettre dans un état mental qui leur permettait de communiquer avec les forces
agissantes de l’univers. Cet état mental est ce que nous appelons maintenant
l’état de qigong, et la force agissante de l’univers, est appelé le Dao. […] De
grands esprits et de grands maîtres émergèrent tels que Lao Zi […], et
parvinrent à un haut niveau de qigong et à la longévité. Ils comprirent la nature
du Dao et la manifestation physique, le qi. Ils comprirent les règles du
changement et de la transformation du qi et son effet sur le monde physique,

308
Qian Xin, Pei Jin eds. 1990 : 20-23.
309
Yan Xin 1998 : 60.
passé, présent et futur. Ils furent les gardiens du qigong chinois traditionnel.
Certains furent mentionnés dans les livres historiques de cette époque. Pendant
cette période, le qigong fut largement utilisé par la société dans tous les aspects
de la vie humaine. Il servait à préserver la santé, prévenir et soigner les
maladies. Il fut aussi utilisé pour le développement de certaines fonctions
exceptionnelles comme la prédiction des événements (le Livre des mutations en
est un exemple), pour le contrôle social (politique), la guerre et la
communication avec la nature. Il fut à la base du développement de la culture, y
compris la création du langage écrit, la découverte de la médecine par les herbes
et l’émergence de diverses formes d’art. Et, plus important, il jeta les fondations
sur lesquelles furent créées les religions .»310

Le qigong est la source de la civilisation chinoise311; en même temps, comme nous


l’avons vu dans la section précédente, c’est une méthode scientifique : les fondateurs
de la civilisation chinoise possédaient une science véritable, une science qui leur
procurait les pouvoirs magiques décrits dans la littérature ancienne, et qui a permis à
la Chine de connaître son âge d’or.
Mais par la suite, le qigong a perdu sa pureté. Les responsables de cette
perversion de la science originelle sont la religion, le féodalisme et les superstitions.
Ainsi affirme Yan Xin :
« Sous l’influence de la conscience féodale, certaines personnes ont mystifié [le
qigong], l’ont rabaissé, l’ont transformé. Dans ce processus, on l’a recouvert
d’une fausse enveloppe, et ajouté des contenus erronés. Afin de renforcer leur
domination, les seigneurs féodaux ont ajouté au qigong des contenus horribles;
et les personnes purement religieuses, afin de se conformer aux exigences du
féodalisme, ont aussi ajouté des éléments horribles. Consciemment ou non, le
qigong a été transformé par les hommes, et a perdu son contenu de la haute
antiquité. 312»

Durant cette période, le qigong continua d’exercer une grande influence sur la culture
chinoise, malgré un contexte peu favorable à son développement.
« La seconde période [de l’histoire du qigong] va d’il y a 2000 ans jusqu’aux
temps modernes. Au cours de cette période, les religions furent fondées par
certains maîtres accomplis en qigong. Alors que les religions se développaient
et devenaient plus formelles, les éléments particuliers du qigong furent
graduellement écartés au profit des doctrines religieuses, et l’enseignement
formel du qigong fut découragé. A cause de ceci et d’autres raisons, le qigong
310
IYXQA 1995 : 3-4. Cette brochure est en français. J’ai apporté quelques modifications mineures à
la citation pour la rendre conforme à l’emploi uniforme des termes (« fonctions exceptionnelles »,
« Livre des mutations » ) dans cette thèse.
311
Ailleurs, Qian Xuesen exprime l’idée répandue que le qigong est à l’origine de la médecine
chinoise: « Certains camarades considèrent que les grands médecins de l’antiquité chinoise étaient
probablement des maîtres de qigong accomplis; ces camarades considèrent par ailleurs que le qigong
est la source de la théorie de la médecine chinoise » (Qian Xuesen 1981b: 219).
312
Yan Xin 1998 :60.
sous sa forme originale battit en retraite et les grands maîtres s’isolèrent dans les
montagnes. De nouvelles formes de qigong furent créées et se répandirent : le
qigong taoïste, le qigong bouddhiste, le qigong confucianiste, le qigong
médical, l’art martial du qigong et le qigong populaire. Par conséquent, les
éléments essentiels de la culture chinoise peuvent être rattachés au qigong, alors
qu’en même temps, le qigong chinois de cette période a des empreintes
culturelles distinctes, dont l’apport d’une certaine quantité de termes religieux et
superstitieux. Durant cette période, plusieurs maîtres avancés en qigong
émergèrent et certains d’entre eux ainsi que leurs réalisations furent bien
documentées. Le nombre d’adeptes de qigong était très faible parce que même
ces maîtres de qigong, à cause des pressions qui s’exerçaient de toutes parts,
firent très attention pour garder le secret sur leur savoir 313»

Selon cette version de l’histoire, durant les 2000 dernières années, qui correspondent
au déclin de la civilisation chinoise provoqué par le féodalisme et la religion, le
qigong authentique se dissimule dans les montagnes, tout en continuant de produire
« les éléments essentiels de la culture chinoise » de cette époque. Il s’ensuit que le
retour en force du qigong depuis les années 1970, provoquera une purification et une
renaissance de la civilisation chinoise :
« La troisième période est la période contemporaine. Après deux mille ans de
répression officielle des pratiques de qigong, ce dernier refit surface dans la
société moderne, d’abord sous la forme de fonctions exceptionnelles du corps
humain vers la fin des années 1970, en Chine. Après bien des débats et des
démonstrations publiques, ces fonctions exceptionnelles du corps humain furent
reconnues par la société chinoise. Par la suite, plusieurs pratiquants de qigong
ayant atteint des niveaux variables de réalisations se firent connaître
publiquement. Les maîtres de qigong contemporains commencèrent à soigner
les patients et à enseigner le qigong à une échelle que l’on n’avait pas vue
depuis au moins mille ans. Ils commencèrent aussi à collaborer avec des
hommes de science, afin de fournir une base scientifique pour qu’il survive et
prospère dans la société moderne. Les résultats sont spectaculaires : il existe
plus de deux cents méthodes de pratique du qigong; plus de 100 millions de
personnes pratiquent le qigong sous une forme ou une autre; et le traitement
médical par le qigong est maintenant officiellement reconnu en Chine. 314»

4.4.5 La nouvelle révolution scientifique et la résurrection de la Chine

Or le qigong est plus qu’une simple renaissance de traditions anciennes. Pour


Qian Xuesen, il s’agit d’une nouvelle école de pensée, dont le concept central est que
« l’homme est un supersystème au sein de l’environnement du mégasystème de

313
IYXQA 1995 :4-5.
314
IYXQA 1995 :5.
l’univers 315». Elle ne peut donc être rattachée ni à la médecine chinoise, qui ne
contient que le concept du holisme, ni à la médecine occidentale, qui est
réductionniste. Elle intègre le holisme et le réductionnisme dans un cadre dialectique
qui permettra le renouvellement du marxisme :
« Je suis confiant que lorsque le qigong, la médecine traditionnelle de
notre pays (comprenant la médecine chinoise, la médecine mongole, la
médecine tibétaine et la médecine des autres ethnies) et les fonctions
exceptionnelles seront intégrées ensemble, et lorsqu’elles seront unifiées avec la
science et technologie modernes, elles deviendront certainement des sciences
marxistes, c’est-à-dire des sciences véritables. En même temps, durant ce
processus d’intégration, elles transformeront la science moderne, lui permettant
d’avancer d’un pas de plus. Voici la grande mission que nous devons accomplir.
Dès que cette mission sera accomplie, cela provoquera inévitablement
l’explosion d’une nouvelle révolution scientifique. Comme nous intégrerons le
qigong, la médecine traditionnelle chinoise, et les fonctions exceptionnelles du
corps humain à la science moderne et au marxisme, ce ne sera plus la même
science moderne : il faudra aller un pas plus loin, donc il s’agira certainement
d’une nouvelle révolution scientifique. Nous pouvons tous considérer que ce
sera la révolution scientifique de l’Orient. Durant ce processus, la philosophie
marxiste s’approfondira et se développera. Ceci est possible parce que la
philosophie marxiste n’est pas rigide. En provoquant une révolution
scientifique, nous stimulerons nécessairement le développement de la
philosophie marxiste elle-même. Cette question n’est pas simple, car elle touche
au corps humain lui-même, et c’est donc une question de l’union dialectique de
la matière et de l’esprit, de l’objectif et du subjectif, du cerveau et de la
conscience. Ceci est le problème le plus difficile, le plus difficile.
J’ai lu certains commentaires de scientifiques occidentaux sur la
pensée et la conscience, et j’ai découvert qu’ils font deux fautes : la première est
celle du matérialisme mécaniste, et la deuxième est le dualisme. Ceci est
incorrect. Ce n’est qu’en se servant de la philosophie marxiste et du
matérialisme dialectique que l’on peut résoudre le problème du rapport entre la
matière et l’esprit, l’objectivité et la subjectivité, le cerveau et la conscience.
Actuellement, à l’étranger, ils disent tous qu’il faut développer la technologie ;
or je considère que la plus haute des technologies est la technologie scientifique
du qigong … »316.
315
Qian Xuesen 1996 : 471.
316
Zheng Guanglu 1991 : 118. L’enthousiasme de Qian Xuesen, qui est nommé président de
l’Association scientifique nationale en juin 1986, pour les « fonctions exceptionnelles » est évident
dans cette anecdote où il n’hésite pas à employer sa « face » pour obliger Yu Guangyuan, critique des
« fonctions exceptionnelles », à admettre publiquement le point de vue de Qian. Le 14 décembre 1986,
celui-ci est invité à une cérémonie pour célébrer 50 ans de travail scientifique de Yu Guangyuan. Un
recueil tout juste publié des articles écrits par ce dernier, intitulé « Critique des soi-disant fonctions
exceptionnelles » (评所谓特异功能), est distribué à tous les invités. Qian Xuesen, en fort désaccord
avec le contenu du recueil, demande à être inscrit sur la liste des orateurs et critique publiquement le
point de vue de Yu Guangyuan, en particulier le refus de ce dernier d’assister à des démonstrations de
« fonctions exceptionnelles » et d’appuyer des recherches sur ces phénomènes. Après son intervention,
d’autres participants expriment leur accord avec Qian Xuesen et demandent à Yu Guanyuan, le visage
rouge d’embarras devant cette confrontation publique avec le président de l’Association scientifique
nationale, de soutenir ces recherches. Qian Xuesen témoigne : « j’ai dit, « tu peux toujours aller voir
[une démonstration de « fonctions »] » , et [Yu Guangyuan] sembla hocher de la tête. Donc j’ai dit, « tu
En effet, le qigong englobe tout : c’est une véritable « omni-science ». Le
journaliste Ji Yi 记一, auteur de plusieurs livres sur le qigong, explique qu’ «une idée
importante dans l’étude du qigong par Zhang Hongbao 张宏堡317 est que si l’on
arrive à relier l’essence des civilisations orientale et occidentale, et à intégrer les
cultures antique et moderne, une nouvelle révolution scientifique et technologique
explosera, ayant comme noyau l’étude des corps vitaux. Cette révolution provoquera
une envolée de la connaissance humaine 318». La conflation de la tradition chinoise
avec la science moderne est parfaitement illustrée par Zhang Zhenhuan, lorsqu’il
évoque l’image d’astronautes dans l’espace qui pratiquent le qigong pour s’ajuster à
l’apesanteur :
« …le sommet de la réussite technologique est de voyager dans l’espace, mais
voyager dans l’espace peut donner le vertige. Les Chinois devraient pouvoir
dépasser les autres dans ce domaine. Des expériences ont été menées sur des
personnes qui ne pratiquent pas le qigong, où on les a assis sur une chaise qu’on
a ensuite tourné en rond. Ils se sentaient malades après seulement cinq tours,
alors que des pratiquants de qigong peuvent tourner en rond sans arrêt 108 fois,
sans ressentir de malaise. […] La théorie du qigong comprend aussi le yin-yang
et les cinq éléments, le Livre des mutations et les huit trigrammes; et elle
comprend aussi la science moderne ».319

L’extrait suivant d’une conférence de Yan Xin illustre une vision semblable du
qigong comme science globalisante aussi bien que chemin moral et spirituel :
« Qu’est-ce que le qigong, qu’est-ce que la signification du qigong? On
peut dire que le qigong est une discipline scientifique idéale aux techniques
multiples de cultivation hygiénique, de culture physique, d’esthétisme corporel,
de prévention de maladies, de diagnostic, de guérison par auto-régulation, de
thérapie, de longévité, d’éducation prénatale [taijiao 胎教]320, de spectacle, de
développement de l’intelligence, de cultivation de fonctions exceptionnelles,

as hoché la tête, c’est le premier point ». Ensuite il s’est mis à parler, et a dit que s’il y a une
controverse, on peut étudier la question. J’ai dit « bon, c’est le deuxième point » . [Yu Guanyuan dit
qu’il est d’accord avec Qian Xuesen sur plusieurs points, mais pas sur la question des « fonctions
exceptionnelles ». Qian Xuesen dit :] « aujourd’hui n’as-tu pas donné ton accord sur deux points? Un :
d’accord pour observer; deux : d’accord pour étudier » . Car je savais que ceci était totalement
contraire à ce qu’il disait dans son livre. A ce moment, il ne pouvait rien dire, il ne pouvait que hocher
de la tête. Les personnes autour ont dit, « bon, ils sont arrivés à un accord » . » (Témoignage de Qian
Xuesen tiré de son livre Lun renti kexue yu xiandai keji 《论人体科学与现代科技》, pp. 142,143,
cité dans www.qg100.com/news
317
Aussi écrit 张洪宝. Fondateur de la lignée du Zhonggong : voir section 7.2, pp. 192-197.
318
Ji Yi 1990 : 57-58.
319
Zhang Zhenhuan 1988b: 19-20. Sur ce sujet, ce dernier mentionne que l’Ecole d’aéronautique de
Pékin offre des cours de qigong dans le cadre de la formation des pilotes (p. 17).
320
« Education » donnée par la mère enceinte à son enfant à travers la régulation de la pensée et de la
respiration.
etc., caractérisée par l’entraînement simultané de l’esprit et du corps, dont le
contenu est la cultivation duelle de la nature spirituelle et de la vie corporelle
[Xingming shuangxiu 姓命双修], dont la forme est l’alternance entre le
mouvement et le repos, et dont la spécificité méthodologique est la coordination
entre la forme et l’esprit. C’est aussi une haute technologie parmi les hautes
technologies modernes, à tel point qu’un célèbre professeur expert321 considère
que c’est la plus haute des hautes technologies. C’est aussi une discipline
scientifique multidisciplinaire en rapport avec les sciences sociales et naturelles
modernes. C’est aussi une érudition aux connaissances multiples idéale et
hautement englobante, permettant à l’humanité de se connaître soi-même et
l’univers, qui comprend une épistémologie et une méthodologie, et une
philosophie de la vie, du monde et du cosmos. Voilà la signification du qigong.
Cette signification se réfère au « travail interne » (neigong 内功) du
qigong chinois qui fait l’objet de discussions de nos jours. C’est n’est pas le
simple qigong de spectacle du qigong dur, ni le simple qigong hygiénique et
thérapeutique, ni le simple qigong qui est souvent considéré comme pouvant
développer quelques fonctions exceptionnelles, tel que le comprennent nos
amis. C’est une grande discipline, une grande science, un grand savoir
multidisciplinaire de haute technologie aux techniques multiples et aux savoirs
multiples. C’est une discipline scientifique complète. Car les Anciens
considéraient que « toutes les créatures ont du qi », « toutes les choses et
créatures se meuvent dans les transformations du qi », donc, le qigong est une
discipline scientifique qui touche à toutes les choses et créatures. C’est donc une
grande discipline scientifique.
Etant donné que la vague du qigong a déjà pénétré [la société] jusqu’au
[point] actuel; étant donné que nous développons actuellement le qigong, on
devrait employer des méthodes aussi bien antiques et traditionnelles que
nouvelles, on devrait employer des concepts, des perspectives et attitudes
scientifiques modernes, et utiliser des théories et des technologies scientifiques,
pour faire face à la vague du qigong et à certains phénomènes de qigong. Il faut
faire comme le Professeur Qian Xuesen a suggéré : il faut fonder la science
somatique, fonder une science empirique du qigong, ... et déclencher une
révolution scientifique moderne. Il faut, en accord avec la technique centrée sur
l’homme, s’efforcer d’employer primordialement la technique de qigong de la
régulation de l’esprit pour y faire face. Toujours harmoniser notre état d’esprit
avec toutes les créatures, tous les hommes et objets. Les Anciens considéraient
que « l’homme et le Ciel sont en correspondance » et enseignaient la technique
de « l’unité de l’homme et du Ciel ». C’est-à dire que les Anciens étudiaient le
qigong à partir de la discipline la plus fondamentale, la plus macroscopique, la
plus englobante. [...] C’est-à-dire qu’il faut toujours, à tout lieu et à tout
moment, garder un état d’esprit éclairé, vertueux, moral, et nourri d’un idéal
élevé. Les Anciens du qigong de la haute antiquité avaient déjà reconnu que
l’homme, s’il veut le bonheur véritable, doit avoir le coeur intérieur lumineux et
infini, être bon envers les hommes et envers les choses. L’entraînement
simultané de l’esprit et du corps dans le qigong est très important. [...] Les
Anciens, dans la haute antiquité, d’après des sources primaires de qigong d’il y
a 7000 ans, [...] [soulignaient l’importance] d’une phrase, qui est : « s’enraciner
dans la vertu » (zhongde weiben 重德为本). La vertu, c’est-à-dire la vertu de

321
Qian Xuesen
dans le mot pour ‘morale’ daode, est la fondation : si vous insistez sur les
conditions d’un esprit vertueux, d’un caractère vertueux et d’un comportement
vertueux, vous êtes des initiés [...] Donc, l’entraînement simultané de l’esprit et
du corps est la plus importante particularité du qigong. Il ne s’agit pas de gestes
mécaniques, ni de l’entraînement ardu mais superficiel des arts martiaux
ordinaires, mais d’un entraînement de l’esprit intérieur. Il s’agit de relier notre
pensée humaine à la grande aspiration commune du monde entier [...], d’utiliser
notre sagesse pour harmoniser toutes les choses en besoin d’harmonie. Plus
notre contribution est grande, plus notre mérite est grand, et plus le bénéfice est
élevé; l’effet corporel et spirituel devient alors évident. Donc, l’entraînement
concret du corps est d’importance secondaire. On dit : « trois parts
d’entraînement [corporel], sept parts d’ascèse [spirituelle] ». Dans
l’entraînement simultané de l’esprit et du corps, on considère que la cultivation
spirituelle est importante, et que l’entraînement corporel est secondaire. 322»

En tant que mode d’explication globalisant, qui touche à tout dans l’univers, le
qigong unit les tendances cosmologiques de la science et de la religion. En tant que
méthode de conduite morale, le qigong unit la pratique technique, et donc
scientifique, à la voie spirituelle des enseignements moraux de la religion
traditionnelle. Sur le plan idéologique, la popularité du qigong s’explique en partie par
la synthèse parfaite qu’il semble réaliser entre la tradition chinoise et le culte moderne
du scientisme. Cette synthèse, par la révolution scientifique qu’elle promet de
déclencher, transcende aussi bien la science actuelle que la religion du passé.
En effet, cette « science du qigong », si elle est vraie, provoquera une remise en
cause de tout l’édifice de la science moderne. Qian Xuesen, en effet, considère que les
« sciences somatiques » vont mener à une « deuxième Renaissance323». Ke Yunlu,
quant à lui, affirme que la question des « fonctions exceptionnelles » est d’
« importance mondiale », car leur preuve scientifique devrait être considérée comme
la « troisième plus importante découverte scientifique » de l’humanité, après la
théorie de la relativité et la mécanique quantique324. Un autre auteur, Liu Zhidong, ne
retient pas son enthousiasme :
« La fondation de cette théorie entièrement nouvelle, est sans aucun doute une
sensation qui a secoué le monde entier. C’est l’envol des sciences de la vie et un
pas en avant dans la connaissance de l’humanité.[…] Nous sommes
profondément convaincus que ce système théorique d’avant-garde, suivant le
progrès de la science, sera graduellement prouvé, accepté, et, tout comme la

322
Yan Xin 1996 : Face B.
323
Zheng Guanglu 1991 : 236.
324
Ke Yunlu 1996: 28.
théorie de l’évolution de Darwin, influencera toute une génération, et
déclenchera une série de révolutions scientifiques! 325»

Si les révolutions scientifiques du passé sont l’oeuvre d’occidentaux, cette fois,


c’est la Chine qui, grâce à sa tradition millénaire du qigong, a une grande avance sur
le reste du monde : la nouvelle révolution scientifique sera l’oeuvre de Chinois, et
propulsera la Chine à la tête des nations. Ainsi, Qian Xuesen de s’exclamer, à la suite
de l’expérience de Yan Xin dans laquelle ce dernier aurait changé la structure
moléculaire de l’eau à une distance de 2000 km326 : « Il faut publier immédiatement,
et annoncer le succès des Chinois au monde entier! 327» Ailleurs, il insiste sur l’enjeu
capital représenté par les recherches sur le qigong :

« Ce fait est d’une importance extrême. Le 21e siècle sera celui de l’intelligence
dans ce monde. Si le qigong peut augmenter l’intelligence des gens, quelle sera
sa signification? […] Le qigong augmente le niveau de santé : cela est certain; il
peut augmenter l’intelligence : les faits le prouvent; finalement, il y a un lien
entre le qigong et les fonctions exceptionnelles : le qigong peut activer les
capacités innées latentes de l’homme.[...] Ceci est un travail dont l’influence
sera profonde: nous devons tous nous y mettre avec enthousiasme : d’abord en
mettant de l’ordre dans toutes les données,en construisant une science empirique
du qigong; ensuite, après avoir systématisé le qigong, le transformer en science
véritable : ce sera alors une révolution scientifique. Arrivés à ce point, nous
autres descendants de l’Empereur Jaune328 n’auront plus honte de nos ancêtres,
et notre renommée sera connue à travers le monde. 329»

Pour assurer que la renommée revienne aux Chinois et pas aux étrangers, Yan
Xin pose comme condition à toute collaboration scientifique avec des chercheurs
américains, que le premier signataire de toute publication découlant de l’expérience
soit un chinois330. Zhang Yaoting, directeur du bureau du « Groupe de travail sur les
sciences somatiques », affirme que le qigong permettra à la Chine d’accéder au
premier rang des nations et de devenir une grande puissance sur la scène
internationale331. Ji Yi insiste : « les scientifiques prédisent que le pays qui sera le
premier à percer le secret des fonctions exceptionnelles deviendra le premier le et plus
puissant des pays du nouveau siècle 332». Zhang Zhenhuan s’interroge : « Assumons

325
Liu Zhidong, ed. s.d. : 159.
326
Voir section 7.1.2, pp. 185-190.
327
Qian Xuesen 1987.
328
Sur l’Empereur Jaune comme figure du nationalisme chinois contemporain, voir Billeter 2001.
329
Qian Xuesen 1998a : 7-8.
330
Cité dans Li & Zheng 1996: 98.
331
Li & Zheng 1996 : 203.
332
Ji Yi 1991 : 37.
que plus d’un milliard de personnes utilisent le qigong pour augmenter leur
intelligence, quelle serait la magnitude d’une telle force combinée? »333
La perspective de cette révolution scientifique dont les Chinois seraient les
champions, fut un grand facteur dans l’enthousiasme généré par le qigong. Sima Nan
司马南 témoigne ainsi :
« Au début des années 1980, lorsque j’étais étudiant, j’ai un jour ressenti
une expérience puissante. Un dimanche matin…, ayant appris dans un article de
journal l’existence de cette « science somatique » qui allait provoquer la
nécessité de réécrire toutes les connaissances scientifiques de l’humanité, je
voulus foncer en avant avec un enthousiasme sans bornes. Comme de
nombreuses personnes, je m’imaginais ce « monde futuriste » , ce monde
merveilleux et mystérieux, vers lequel on ne pouvait s’empêcher de se diriger.
De nombreux jeunes furent profondément attirés par cette description de
ce monde de « fonctions exceptionnelles » .334 »

En effet, tous les rêves sont permis dans ce monde futur où, grâce au qigong,
aucun obstacle matériel ne pourra s’opposer aux désirs de l’homme. Citons Li et
Zheng :
« A la suite de ces expériences […] nous pouvons arriver à la conclusion
suivante : le qi externe du qigong, ou, pour parler précisément, l’effet externe du
corps humain sous l’état de qigong, peut produire n’importe quel type de
résultat, y compris physique, chimique ou biologique. Il suffit que la méthode
d’observation soit appropriée, que les instruments aient un niveau de sensibilité
suffisamment élevé : tout procédé scientifique peut enregistrer l’effet causé par
le qi externe. […]
Pour aller un peu plus loin, nous devrions avoir l’intuition suivante : le qi
du qigong est de nature omnipotente […] il peut produire n’importe quel effet
recherché par l’observateur.335 »

Le « qi externe », donc, fera de l’homme un être omnipotent, capable de


produire tout ce qu’il désire. Zhang Hongbao évoque ce paradis futur :

« Actuellement, le monde est enceint de la quatrième révolution technologique


(qu’on appelle aussi la quatrième vague). Celle-ci diffère des trois précédentes,
en ce que sa problématique centrale sera l’ingénierie biologique. […] Il n’est
pas difficile d’imaginer que dans plusieurs années, lorsque le qigong sera
pratiqué par la population entière, et lorsque les sciences somatiques auront
réalisé d’importantes percées, alors non seulement l’humanité connaîtra la
pleine santé et vigueur corporelle et mentale, ainsi qu’une intelligence
supérieure, mais il y aura aussi d’innombrables grands maîtres de qigong et

333
Zhang Zhenhuan 1988b: 19.
334
cité dans Li Liyan 1998 : 7-8.
335
Li & Zheng 1996 :221-22.
personnes aux fonctions exceptionnelles déclenchées par le qigong, actives dans
le domaine des sciences somatiques. Peut-être bien que ce monde-là sera un
paradis d’immortels [shenxian leyuan 神仙乐园.336 »

Pour conclure, le qigong propage une idéologie nationaliste de la rédemption de


la Chine par une nouvelle révolution scientifique, déclenchée en Chine mais aux
répercussions mondiales. C’est une pensée utopique qui aspire à une fusion de
l’antiquité et de la modernité, de l’orient et de l’occident, par les pouvoirs du qigong.
C’est la Science elle-même, dans son entièreté et jusque dans ses fondements, que le
qigong se fixe pour objet. Le qigong va non seulement se « scientificiser » (kexuehua
科学化), adoptant les formes superficielles de la science – associations d’études,
écoles, revues, concepts matérialistes – mais, encore plus, il va chercher à conquérir la
place forte du savoir, à sauver la science. Avec une confiance sans bornes, le qigong –
cet agrégat de pratiques que la modernité voulait reléguer aux poubelles de l’histoire –
mariant le millénarisme de ses racines sectaires337 à l’utopisme scientiste, se considère
comme l’avenir même de la science et la clef du salut de l’humanité.

4.5 La stratégie de légitimation

C’est autour de cette idéologie inspiratrice et légitimatrice qu’une communauté


de qigong se forme, attirant vers elle une grande partie des pratiques dédaignées,
exclues ou marginalisées non seulement par la médecine occidentale, mais aussi par la
médecine chinoise moderne et précédemment par la médecine lettrée, depuis des
siècles : méditation, incantations, divination, combats magiques, arts martiaux,
transes, pratiques alchimiques, occultes et chamaniques, etc338. Les exclus de la
grande tradition médicale officielle, cherchant à se débarrasser de l’odieuse étiquette
de « superstition » , se regroupent sous la bannière du qigong et se donnent une
nouvelle identité de « joyau de la civilisation chinoise » qui est en même temps
« discipline scientifique de pointe » .
Le concept des « fonctions exceptionnelles du corps humain » englobe en effet
tous les phénomènes qui n’ont pas de place dans la vision scientifique orthodoxe,
mais la définition de ces fonctions comme étant « exceptionnelles » plutôt que

336
cité par Ji Yi 1990 : 141.
337
Voir la conclusion, pp. 399-405.
« surnaturelles » traduit un désir de les inscrire dans un seul monde matériel commun
avec les phénomènes ordinaires, plutôt que dans un autre monde ontologique. Ce
choix conceptuel est imposé par le monisme matérialiste de l’idéologie officielle.
Mais ceci a de profondes implications : il est donc nécessaire de faire accepter ces
phénomènes et pratiques par l’ensemble de la communauté scientifique. Les rapports
entre le qigong et la communauté scientifique acquièrent alors une importance
fondamentale, cette dernière devenant le juge en dernière instance de la légitimité du
qigong.
Afin d’ « entrer solennellement dans le Sanctuaire de la Science » (tangtang
zhengzhengde mairu kexue shengdian 堂堂正正地迈入科学圣殿)339, le monde du
qigong adopte deux stratégies parallèles: (1) stratégie de la « preuve » : obtenir la
preuve scientifique du qigong à travers des expériences de laboratoire; (2) stratégie du
mimétisme: adopter les formes extérieures de la structure organisationnelle des
institutions scientifiques, jusqu’au point de proclamer le qigong comme super-
science, unifiant et dépassant toutes les disciplines scientifiques traditionnelles.
Certaines personnalités du qigong résument ainsi la stratégie: « la science sauve le
qigong… le qigong sauve la science » 340.
La stratégie de la preuve consiste généralement à instaurer une collaboration
entre des maîtres de qigong et des chercheurs scientifiques dans la réalisation
d’expériences de laboratoire. Dans le scénario typique, le maître « émet sa Force » en
direction d’un échantillon – un patient malade, une culture de champignons, un lapin,
une solution liquide – et le chercheur observe ou mesure le changement produit dans
l’échantillon. Dans l’idéal, les mesures sont faites à l’aide d’un instrument capable de
chiffrer instantanément l’effet du qi.
Un dérivé de l’expérience de laboratoire est le spectacle de « fonctions
exceptionnelles » , démonstration publique des effets du qigong devant un auditoire.
Les effets perçus ou ressentis par l’auditoire sont considérés comme autant de
« preuves » scientifiques. En effet, dans l’esprit d’une grande partie du public, tout ce
qui est palpable ou visible, même subjectivement, est considéré comme étant
scientifiquement véridique341.

338
Sur la sécularisation de la médecine lettrée chinoise depuis le 11e siècle, voir Schipper & Neuberger
1989, Fang Ling 2002.
339
Zheng Guanglu 1991: 119.
340
Yan Xin 1988: 26-27.
341
Voir par exemple les démonstrations de Zhang Baosheng, section 4.6, pp. 141-42.
Dans tous les cas, la stratégie de la preuve exige de produire des « faits »
démontrant les effets matériels et immédiats du qigong: prouver que le qigong existe,
comme s’il s’agissait d’une entité matérielle; que les « fonctions exceptionnelles »
existent, que le qi est une substance matérielle produisant des effets palpables et
mesurables par un appareil, comme toute autre substance physique. La stratégie de la
preuve néglige ce que certains pratiquants de culture corporelle, dans des traditions
autres que le qigong, pourraient considérer comme les dimensions spirituelle,
philosophique et métaphysique de la culture corporelle. Le monde du qigong, lui,
cherche à apporter des preuves concrètes, matérielles, scientifiques.
La stratégie de la preuve néglige aussi les effets matériels à long terme du
qigong: les études longitudinales sur l’effet global et à long terme de la pratique du
qigong sur différents aspects de la santé physique ou mentale de différentes catégories
de sujets, n’ont pas l’attrait de « découvertes » révolutionnaires comme la
transformation de la structure moléculaire de l’eau à une distance de 2000 km. Le
monde du qigong veut faire sensation: il cherche à produire de la science dure, aux
conclusions claires et immédiates, confirmant et prouvant ses prétentions sans
l’ombre d’un doute.
Comment convaincre le public et l’Etat, ignorants de la méthode scientifique et
du détail des « recherches » et « expériences » menées sur le qigong, de l’existence
de ces preuves? Il suffit d’obtenir la sanction de scientifiques de renom, tels que Qian
Xuesen, attachés à des institutions prestigieuses telles que l’université Qinghua ou
l’Académie chinoise des sciences. S’abriter sous le prestige et le renom d’institutions
scientifiques est un moyen efficace d’obtenir une protection politique et idéologique
et une crédibilité auprès du public. Peu importe que les résultats scientifiques soient
concluants ou non342: l’important est que le public soit convaincu de l’appui de la
communauté scientifique pour le qigong.
La deuxième stratégie du qigong face à la science est celle du mimétisme:
s’organiser suivant le modèle de la communauté scientifique, afin de donner à l’Etat,
au public et au monde du qigong lui-même, l’image d’une discipline scientifique
contribuant activement au progrès de la science.

342
Citons en exemple les célèbres expériences de Gu Hansen (section 2.2, pp. 64-67) et de Yan Xin
(section 7.1.2, pp. 185-190). Dans les deux cas, le nom d’institutions scientifiques prestigieuses
(Institut de recherches nucléaires et l’université Qinghua) a été emprunté; bien que ces expériences
n’aient jamais été publiées dans des revues à comité de rédaction scientifique et n’aient jamais été
Le maître Zhang Hongbao de la lignée du Zhonggong s’appuyait sur cette
stratégie:
« En tant que discipline scientifique, le qigong doit entrer dans la vie des
intellectuels. Souvent, les gens associent le qigong … aux superstitions féodales
les plus arriérées et imbéciles; une barrière sépare le monde intellectuel du
monde du qigong. Dans le monde du qigong, on considère les intellectuels
commes des « poupées étrangères » [yangwawa 洋娃娃] ou des « esclaves de
l’étranger » [yangnu 洋奴]; alors que les intellectuels considèrent le qigong
comme une voie hérétique et perverse, une superstition féodale. Il faut aplanir
les obstacles qui séparent les mondes intellectuel et du qigong; la technologie
scientifique moderne et les déchets de la superstition féodale doivent être
séparés. Le qigong et la science doivent se favoriser mutuellement, progresser
ensemble et s’intégrer en un seul corps, afin d’entrer dans un domaine nouveau
et s’élever à un niveau supérieur.
Comment aplanir les obstacles entre les mondes scientifique et du qigong?
Deux méthodes sont proposées: l’une s’appelle « la science sauve le qigong » ,
l’autre s’appelle « le qigong favorise la science » . Fondamentalement, le
qigong et la science sont une seule et même chose; il n’y a pas de question
quant à qui sauve qui ou qui favorise qui. Certains maîtres de qigong, afin de se
faire reconnaître par le monde scientifique, soignent [les scientifiques], font des
expériences pour eux. Ils jouent constamment le rôle de la petite souris qui
cherche l’approbation du monde scientifique. […] Zhang Hongbao ne suit pas
cette voie. Il veut disséminer sa méthode à grande échelle parmi les
intellectuels; il veut attirer d’un coup les intellectuels, afin que le qigong entre
dignement et majestueusement dans le Temple de la Science.
[…]
Zhang Hongbao considère qu’en expliquant la théorie du qigong, il est
insuffisant de se baser uniquement sur la théorie traditionnelle. Il prend le
qigong comme l’ingénierie d’auto-contrôle de la vie. Il combine les cadres
théoriques de la physique moderne, de la théorie de l’information, de la théorie
de la relativité, de la science des systèmes, avec les théories traditionnelles de la
Chine antique – la science des mutations, des images et de la numérologie –
absorbant l’essence de la connaissance humaine, et formant le système de
pensée et la perspective académique propres du Zhonggong » 343.

L’organisation du monde du qigong suivant le modèle de la communauté


scientifique s’exprime à travers les éléments suivants:
- Emploi d’appelations telles que « science du qigong » , « qigong scientifique » ,
« sciences somatiques » ;
- Auto-attribution par des maîtres de qigong de titres tels que « homme de sciences »;
voire auto-attribution frauduleuse de titres universitaires (doctorat, professeur). Par

reproduites, cela n’a pas empêché le monde du qigong à publier ces expériences comme ‘preuves’ des
miracles du qigong.
343
Ji Yi 1990a: 55-57.
exemple, le livre Le Grand Maître Yan Xin en Amérique du Nord344 reproduit
plusieurs certificats d’honneur et de remerciement décernés par diverses organisations
américaines au « Dr. Yan Xin » , traduit comme Yan Xin boshi 严新博士, alors que
ce dernier n’a jamais obtenu de titre universitaire de troisième cycle. Zhang Hongbao
et Chen Linfeng 陈林峰 s’appellent « chercheur en sciences de la vie » (shengming
kexuejia 生命科学家), etc.
- Constitution d’organisations semi-officielles de qigong en tant qu’associations
scientifiques, souvent sous l’égide de l’Association scientifique nationale, provinciale
ou municipale;
- Inscription de lignées de qigong auprès de ces organisations officielles, en tant qu’
« associations scientifiques » ou « sections » de l’association semi-officielle;
- Organisation régulière de colloques, séminaires et conférences ostensiblement
voués à la présentation d’exposés de recherches et de rapports d’expériences345;
- Publication de « revues scientifiques » contenant, entre autres, des articles et
rapports d’expériences de laboratoire (ce sont en vérité des revues populaires,
dépourvues d’un comité de rédaction scientifique)346;
- Elaboration d’une discipline scientifique du qigong ayant sa généalogie, un corpus
théorique et un ensemble de concepts; des matériaux pédagogiques et des cours
spécialisés347.
Mais en adoptant l’idéologie scientiste, autant par opportunisme que par
conviction, le monde du qigong a engagé une nouvelle dynamique dans ses rapports
internes et externes. Un nouveau discours « orthodoxe » s’impose, donnant une
interprétation matérialiste aux pratiques et aux concepts hérités par le qigong. La
vision de l’histoire citée plus haut, considère que des « superstitions » ont été mêlées
au qigong à cause du système féodal et religieux du passé, déformant la nature
véritable de celui-ci. La renaissance du qigong a lieu lorsqu’on se débarrasse de ces
impuretés. On veut éradiquer les « superstitions » , afin de créer un qigong
« scientifique » . Mais quelles sont ces superstitions? Comment les identifier et
comment les éradiquer? Aucun consensus n’existe sur ce point. Souvent, on ne

344
Wu Xutian (éd.) 1992.
345
Voir section 5.4, pp. 157-160.
346
Voir annexe 6, pp. 440-445.
347
Le programme de formation de l’Académie de perfectionnement du qigong chinois est un excellent
exemple de la présentation du qigong sur le modèle d’une discipline scientifique. Voir en annexe 7, pp.
446-449 le plan de ce programme.
cherche pas du tout à supprimer les pratiques dites « superstitieuses »: on cherche
plutôt à les récupérer, à les ré-interpréter, à les expliquer dans le cadre d’une théorie
matérialiste du qigong, des informations, etc348.
Par exemple, Yan Xin explique que la pratique ancienne du koutou 叩头 (se
prosterner devant un maître ou une icône en frappant du front la terre) n’est pas une
superstition, mais une forme de qigong qui permet d’exercer l’os pariétal, qui
n’apparaît qu’après la naissance. « Les Anciens ont découvert qu’exercer les os post-
nataux permet de vérifier l’effet de la pratique du qigong sur les os. Ils ont donc
employé la méthode du koutou pour s’entraîner.349»
Toujours selon Yan Xin, la pratique de brûler de l’encens devant les icônes de
divinités permet de créer une atmosphère propice à la méditation, de stimuler la
circulation des méridiens, et de mesurer le passage du temps. Les pouvoirs des
sorcières sont en vérité des aptitudes de qigong. La pratique de brûler de la monnaie
d’offrande pour les ancêtres provient de pratiquants de qigong aux « fonctions
exceptionnelles » , qui, ayant eu des visions d’ancêtres dans le besoin, décidèrent de
leur envoyer de l’argent en brûlant des monnaies d’offrande. En fait, ils avaient mal
compris la provenance de ces messages d’ancêtres : il ne s’agissait pas d’âmes
d’ancêtres leur demandant de l’argent, mais d’ « informations » résiduelles émises
par ces ancêtres lorsqu’ils étaient toujours en vie. Et ainsi de suite. Yan Xin reconnaît,
du point de vue de la science du qigong, l’efficacité de pratiques considérées comme
« superstitieuses » en Chine populaire, affirmant qu’il s’agit de formes de qigong,
mais seulement, de nos jours, « les formes ont changé » : la forme de qigong qu’il
enseigne est encore plus efficace350.
Mais souvent, les formes ne changent pas: on ne change que leur dénomination.
Comme le remarque Catherine Despeux, « on parle d’ « aire du qi » [气场] et non
plus « d’aire du dao » [道场], de qigong et non plus d’entretien du principe vital
351
(yangsheng 养生), de relaxation (fangsong) et non plus de calme (jing) » . L’eau

348
Dans les années 1990, cette approche sera vivement critiquée par quelques personnalités dont Zhang
Honglin et Sima Nan, qui considèrent que le qigong est effectivement un joyau de la civilisation
chinoise, mais que le terme de qigong ne devrait s’appliquer qu’aux exercices d’entraînement corporel,
respiratoire et mental, dont les effets peuvent être entièrement mesurés et expliqués avec des concepts
scientifiques modernes. Pour eux, tout le reste n’est que « pseudo-qigong » : de la superstition
déguisée, qu’il faut éliminer. Voir section 9.8, pp. 232-234, section 9.11, pp. 238-240, sections 9.15 et
9.16, pp. 248-253.
349
Zheng Guanglu 1991 : 162-63.
350
Zheng Guanglu 1991 : 162-178.
351
Despeux 1997: 276
talismanique (fushui 符水) devient de l’ « eau à informations » (xinxi shui 信息水).
Des adeptes m’ont affirmé que les miracles et la résurrection de Jésus, le yoga indien,
le soufisme, la géomancie chinoise (fengshui 风水), les exploits du « Roi des singes »
Sun Wukong 孙悟空 dans le roman Le voyage en Occident (xiyouji 西游记),
finalement tous les phénomènes magiques et religieux sont en réalité des formes de
qigong. D’après Xie Huanzhang, les auras qui entourent la tête des bouddhas et du
Christ dans l’art religieux ne sont pas des produits de l’imagination : « dans l’esprit
des maîtres de qigong anciens et modernes de notre pays, ils ont une existence
matérielle. Ce sont les images du qi et des champs biogéniques »352. La superstition
consiste à ne pas savoir que la puissance qui se manifeste dans chacun de ces cas est
du qi, et non une divinité ou une autre puissance surnaturelle.

4.6 Engouement des médias et de la classe politique pour les hommes à


« fonctions exceptionnelles »

Grâce aux interventions personnelles de Qian Xuesen et de la légitimité


idéologique du qigong, les médias relayent sans crainte les exploits extraordinaires de
personnes à « fonctions exceptionnelles ». Citons par exemple le cas de Li Qingheng
李庆恒, médecin dans un hôpital du ministère des Chemins de fer, qui popularise la
notion du « qigong électrique ». Ayant commencé la pratique du qigong en 1964 à
l’âge de 14 ans, il réussit en 1985 à utiliser son corps comme conducteur d’un courant
électrique de 220 watts. Tenant deux fils électriques avec ses mains et utilisant son
corps comme conducteur, il allume une ampoule liée au fil, sans transpirer ni subir
d’électrochoc. Dans un entretien télévisé, il cuit une brochette de mouton avec sa
main reliée à un fil électrique, jusqu’à ce qu’une fumée blanche émerge de la
brochette. Ses exploits sont décrits par les journaux Electronique chinoise, le
Quotidien du Peuple, et le quotidien Guangming, ainsi que par la télévision centrale
chinoise353.
Les applications du qigong semblent sans limite. On parle de maîtres de qigong
engagés par des sociétés minières pour leur capacité à détecter des gisements d’or

352
Xie Huanzhang 1988: 287, cité dans Jian Xu 1999: 977.
353
Zheng Guanglu 1991 : 261-262.
souterrain354, et de maîtres qui prédisent avec précision des tremblements de terre :
ainsi Tao Zhangyuan 陶章元, natif de la ville de Benxi 本溪 (Liaoning), qui aurait
prédit trois tremblements de terre en 1988, après avoir vu des chiffres apparaître
durant sa pratique de qigong, indiquant la date, l’heure, la latitude, et le degré
d’intensité de tremblements de terre qui eurent lieu à Haicheng 海城, à Yingkou
营口, dans le Yunnan, et en Union Soviétique.
Le plus célèbre de ces personnes à « fonctions exceptionnelles » est un certain
Zhang Baosheng 张宝胜, également de la ville de Benxi. Celui-ci était un homme
tout à fait ordinaire, de niveau d’éducation primaire, qui possédait depuis l’enfance
des capacités étranges : il pouvait en effet voir à travers les corps, prendre des objets
dans le vide, et les mettre dans des contenants fermés. Cette capacité avait été
découverte par hasard durant les années 1970, alors que Zhang Baosheng travaillait
dans une mine. La nouvelle s’était vite propagée à Benxi. La police municipale
demanda ses services pour résoudre des cas criminels, et l’Hôpital de médecine
chinoise du Liaoning l’engagea pour « voir à travers » le corps de patients.
D’avril à juillet 1982, Zhang Baosheng est invité à Pékin par la commission
préparatoire de l’Association chinoise des sciences somatiques, pour des expériences
menées par des experts influents d’une vingtaine d’universités et unités de recherches,
sur onze personnes aux fonctions exceptionnelles élevées. Ces experts, après avoir
observé Zhang Baosheng en action, sont convaincus de ses « fonctions
exceptionnelles » 355. La renommée de Zhang Baosheng circule dans Pékin, suscitant
la curiosité de certains dirigeants politiques de haut niveau 356.
Le 18 mai 1982, Zhu Runlong, rédacteur en chef de la revue Nature, emmène
Zhang Baosheng à la résidence du maréchal Ye Jianying, de passage à Xishan, près de
Pékin. A plusieurs reprises, Zhang Baosheng devine correctement le contenu de
messages écrits par Ye Jianying sur des bouts de papier pliés et fermés. Le maréchal
Ye, de sa chaise roulante, s’écrie : « Il a reconnu des caractères que j’avais moi-même
écrits, sans lui faire voir. Ceci prouve que ce phénomène existe véritablement…. Je
pense qu’il faudrait continuer les recherches sur ce genre de phénomène »357.

354
Zheng Guanglu 1991 : 86-88.
355
Chen Xin 1995.
356
Une rumeur non confirmée dit que Zhang Baosheng aurait rencontré Deng Xiaoping en personne. Il
aurait ensuite été placé en résidence surveillée par l’armée, qui voulait utiliser ses pouvoirs à des fins
militaires et l’empêcher de tomber dans d’autres mains.
357
Zheng Guanglu 1991 : 79.
Une autre version de l’histoire est la suivante:
« Un soir, le téléphone rouge de Zhang Baosheng sonna. C’était un message
urgent: « Le maréchal Ye est gravement malade. Allez immédiatement à
Xishan! » Zhang Baosheng fonce en voiture vers la maison du maréchal Ye. La
salle de réception était bondée. Zhang vit que la situation était grave: plusieurs
des personnes présentes étaient des camarades dirigeants du Comité central et
de la Commission militaire. « La santé du camarade Ye Jianying est dans un état
très grave. Il est déjà inconscient. Il a de la difficulté à respirer, et, à cause de
son opération, la machine pour extraire le phlegme ne peut pas être utilisée.
Essayez de trouver un moyen d’extraire le phlegme… » Avant qu’ils eurent fini
de parler, Zhang Baosheng était déjà entré dans un état d’agitation. Ceux qui
étaient aux côtés du maréchal Ye virent qu’il s’apprêtait à émettre la Force. Les
dirigeants ne dirent pas un mot de plus. Zhang Baosheng commença à caresser
légèrement la poitrine de Ye. Ensuite, il secoua deux fois les bouts des cinq
doigts de sa main droite, au-dessus de la gorge du maréchal. Toutes les
personnes présentes furent abasourdies. Zhang Baosheng retourna sa main
droite, et un objet épais et visqueux apparut sur sa paume. Quand les gens
l’eurent regardé clairement, il y eut une commotion excitée. « Il est sorti! Le
phlegme est sorti! » Zhang prit un morceau de papier de toilette pour essuyer le
phlegme de sa main, puis recommença la procédure. Après qu’il eut employé
son pouvoir miraculeux pour extraire tout le phlegme de la trachée du maréchal
Ye, celui-ci put respirer plus aisément, et son expression de douleur disparut.
Tous sourirent en voyant le visage du camarade Ye Jianying, et lorsqu’ils virent
le visage rouge et enflé de Zhang Baosheng, ils furent pleins de gratitude.
Lorsque le maréchal Ye reprit connaissance, il regarda Zhang Baosheng avec
gratitude » 358.

Zhang Baosheng est un favori des dirigeants chinois et le plus célèbre des
personnalités à « fonctions exceptionnelles » . Le 18 septembre 1986, Zhang
Zhenhuan359 organise une démonstration publique de ses pouvoirs devant l’élite
politique et médiatique de la province du Guangdong. Dans la grande salle du Comité
municipal du Parti de Canton, Zhang Baosheng est, sur l’estrade, flanqué du
Secrétaire-général du Comité municipal du Parti, Xu Shijie 徐士杰, et du Président de
la Commission permanente du Congrès municipal du Peuple, Ou Chu 欧初. La salle
est remplie de cadres du gouvernement municipal, de personnalités influentes de
Canton et de journalistes.

358
Baokan wenzhai, 31 décembre 1991, p. 3, cité dans Kane 1993: 162. Je n’ai pas pu établir si ces
deux histoires sont deux versions différentes de la même rencontre, ou si le deuxième récit décrit une
rencontre ultérieure entre le maître et le maréchal. Toujours est-il qu’une légende se crée autour de
Zhang Baosheng, qui devient connu pour les traitements qu’il donne aux plus hauts dirigeants du pays.
359
La passion de Zhang Zhenhuan pour le paranormal va au-delà de son intérêt pour le qigong. En
février 1985, il aurait demandé à Shao Weihua, célèbre praticien de la divination par le Yi jing, de
prédire la date de la mort de Constantin Chernenko, Premier secrétaire de Parti communiste de l’URSS
– prédiction qui s’avéra correcte (Cheng Ying 1991, cité dans Kane 1993: 155).
Les membres de l’assistance écrivent des messages sur des feuilles de papier
qu’ils scellent dans des enveloppes épaisses. Zhang Baosheng choisit une des
enveloppes et l’enroule autour d’un bonbon de chocolat. Il demande alors à Xu Shijie
de tenir l’enveloppe dans sa main, souffle dessus, et demande au secrétaire-général de
dérouler l’enveloppe. Le chocolat a disparu !
Ensuite, Zhang Baosheng prend une feuille et écrit ces trois lignes:
« les fonctions exceptionnelles du corps humain sont une discipline scientifique.
X002807049
Cinq yuan ».

Le secrétaire-général ouvre l’enveloppe et y trouve la phrase que Zhang


Baosheng venait d’écrire, et un billet de cinq yuan portant le numéro de série
X002807049. Or c’était justement ce que l’ancien adjoint au maire de Canton avait
écrit sur sa feuille de papier. Et le chocolat se trouve à l’intérieur de l’enveloppe !
Ensuite, Zhang Baosheng retire des capsules de médicaments d’une bouteille fermée,
et y insère, sans l’ouvrir, l’enveloppe et le chocolat.
Toute l’assistance est convaincue des pouvoirs de Zhang Baosheng. Il est
ensuite invité à la ville de Zhuhai, où la classe politique locale est également séduite
par sa démonstration360. Zhang Baosheng devient un personnage légendaire. On dit
qu’il peut mettre des vêtements en feu avec ses doigts, qu’il peut parfaitement
reconstituer une carte de visite qui a été déchirée, mastiquée et recrachée par un autre,
qu’il peut vider une bouteille de pilules sans l’ouvrir, etc361. Et le bruit court qu’il est
admis à Zhongnanhai, centre nerveux du Parti et du gouvernement, où’il jouit d’une
protection spéciale.

4.7 Conclusion : les réseaux politiques du qigong

Dans la section précédente, nous avons vu comment le qigong, dans les années
1979-1981, est devenu une activité de masse, englobant des pratiques à coloration
chamanique de transe et de guérison, et fédérant sous une même bannière des maîtres
traditionnels transmetteurs de « méthodes » de qigong à l’aide de réseaux nationaux
reliant des millions d’adeptes.

360
Zheng Guanglu 1991 : 79-80.
361
Zheng Guanglu 1991 : 81-85.
Nous avons aussi suivi le développement du qigong en tant que sujet
scientifique et idéologie nationaliste durant les mêmes années 1979-1981 -- sujet qui
relie des chercheurs de plusieurs disciplines provenant des institutions scientifiques
les plus prestigieuses de Chine, qui se dotent d’un embryon d’organisation
institutionnelle et d’un journal de diffusion nationale. La définition du « qi externe »
comme une substance matérielle permet d’étudier des phénomènes étranges et
paranormaux dans le cadre légitime du matérialisme scientifique ; l’hypothèse du
qigong comme moyen pratique de faire éclore des « fonctions exceptionnelles »
latentes chez tous les hommes, laisse espérer que les pouvoirs mystiques jadis
transmis de manière ésotérique à un nombre extrêmement restreint de personnes, sont
non seulement matériellement réels, mais peuvent désormais, grâce à la science, être
généralisés à l’ensemble de la population. Le qigong permet de rêver à une
démocratisation scientifique de la tradition chinoise dont les techniques d’hygiène et
de « fonctions exceptionnelles » seront ouvertement transmises aux masses, mettant
la nation chinoise à la tête d’une nouvelle révolution scientifique mondiale.
Ainsi, de 1979 à 1981, le qigong se propage hors de son foyer initial dans les
institutions de la médecine chinoise, formant des réseaux populaires d’une part et des
réseaux scientifiques de l’autre, ces deux types de réseaux étant d’ailleurs fortement
imbriqués : collaboration entre maîtres de qigong et experts scientifiques pour des
expériences de laboratoire, pratique du qigong par des chercheurs scientifiques, etc.
Le conflit entre défenseurs et adversaires des « fonctions exceptionnelles » est
résolu de manière politique. Nous avons vu comment Qian Xuesen utilise son
influence comme grand scientifique chinois, et comme principal leader des
institutions scientifiques de l’Etat, pour encourager les médias à publier des nouvelles
et recherches sur les « fonctions exceptionnelles » (en Chine, la publication d’un fait
par les médias est interprété comme le signe d’une volonté politique) et, plus tard,
pour intervenir directement auprès des leaders du Parti pour changer sa politique.
Résultat : la critique des « fonctions exceptionnelles » est interdite, mais la
publication de résultats de recherches est permise « à des fins scientifiques » . La
victoire politique du camp des « fonctions exceptionnelles » est claire.
Au moins trois des six membres du Comité permanent du 12e Bureau politique
du PCC (1982-1987) – ce directoire qui, sous le leadership de Deng Xiaoping,
possède un pouvoir politique absolu sur la Chine: Ye Jianying362, Hu Yaobang et
Zhao Ziyang, sont des supporters connus du qigong et des « fonctions
exceptionnelles » . Peng Zhen, l’un des membres les plus anciens du Bureau politique
du PCC (de 1945 à 1966 et de 1979 à 1987), aurait aussi écrit une lettre exprimant son
appui pour les recherches sur le qigong363
Trois personnes sont intervenues auprès des autorités supérieures du pays, afin
d’obtenir une intervention de Hu Yaobang favorable au monde du Qigong: Qian
Xuesen, Zhang Zhenhuan et Wu Shaozu. Ces trois personnes deviendront les piliers
politiques du monde du qigong: Qian Xuesen, par ses discours pour la fondation des
« sciences somatiques » , apportera au qigong un prestige indispensable à sa
légitimation. Zhang Zhenhuan fondera, en 1985, la plus grande association semi-
officielle du qigong de Chine, sous l’égide de laquelle se dérouleront les principales
activités de qigong. Wu Shaozu, qui deviendra ministre des Sports en 1988, sera
chargé de l’administration officielle du qigong. Or ces trois individus ont tous fait
carrière au sein de la Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale
et de son prédecesseur avant 1982, la Commission scientifique de la Défense
nationale: Qian Xuesen en tant que vice-président de son Comité technologique de
1970 à 1982, Zhang Zhenhuan en tant que président de ce comité jusqu’à sa retraite
en 1985, Wu Shaozu en tant que directeur de bureau de 1975 à 1982, puis comme
vice-ministre chargé de la Commission de 1983 à 1985, et ensuite comme
commissaire politique à partir de 1985. Qian Xuesen est le concepteur de la bombe
atomique chinoise; Wu Shaozu et Zhang Zhenhuan ont été vice-présidents de
l’Association nucléaire de Chine. Ce dernier est Général de brigade de l’Armée
populaire de libération, grade qui sera décerné à Wu Shaozu en 1988. Bref, les
parrains politiques du qigong sont au centre des dispositifs du complexe militaro-
industriel de la Défense nationale.

362
Vétéran de la Longue Marche, Ye Jianying, ministre de la défense en 1975, renverse la Bande des
Quatre après la mort de Mao, ce qui lui apporte un immense prestige dans le pays. En 1978, il est élu
Directeur de la Commission permanente du 5e Congrès national du Peuple. Il sera nommé vice-
président de la Commission militaire centrale en 1983. Ye Jianying avait suivi des traitements de
qigong dans les années 1950 (voir p. 47)
363
Lettre du 7 mars 1983 au ministre de la Santé Cui Yueli 崔月梨, dans laquelle il dit: « Les étrangers
mènent des recherches sur les aspects de notre médecine traditionnelle qui sont faciles à apprendre et à
mettre en pratique, tels que l’anesthésie par l’acupuncture et le qigong, et ils sont déjà en avance sur
nous. Nous devrions être en avance sur eux. Nous avons les conditions nécessaires pour être en avance
sur eux. » (Cité par Zhang Zhenhuan 1988b: 15).
5. L’EXPANSION DES INSTITUTIONS

La vague du qigong s’intensifie dans le milieu des années 1980. Les sections
précédentes ont détaillé la prolifération des lignées de masse, l’élaboration d’une
idéologie inspiratrice et légitimatrice, et la constitution de réseaux politiques. Tous
ces facteurs facilitent le développement des activités institutionnelles du qigong.

5.1 Recherches scientifiques

La communauté de scientifiques intéressés par les recherches sur le qigong joue


un rôle de premier plan dans ce développement. Une des pionnières en ce domaine est
le médecin Feng Lida 冯理达, qui mène des expériences à l’Hôpital général de la
Marine. Feng Lida avait une renommée certaine au sein du monde médical chinois.
Fille du général Feng Yuxiang 冯玉祥 (1882-1948)364, elle avait, durant la guerre
sino-japonaise, commencé des études d’acupuncture à Chongqing sous le maître Yang
Jisheng, puis s’était inscrite à la faculté de médecine de l’Université Huaxi de
Chengdu. De 1946 à 1948, elle avait suivi ses parents en Amérique et poursuivi ses
études à l’Université de Californie, puis, à partir de 1949, se joignit au premier
contingent d’étudiants de la Chine communiste à partir en Union Soviétique, ou elle
continua ses études médicales a l'université de Leningrad. Lors de ses vacances, elle
rentrait en Chine ou elle continuait son apprentissage d’acupuncture auprès de son
maître Yang Jisheng, qui était alors conseiller auprès de l’Hôpital de Pékin. Elle
rentra définitivement en Chine en 1958. C’est alors que sa carrière médicale en Chine
commença. Elle publia de nombreux articles, reçut un prix du ministre de la Santé, et
fut nommée directrice-adjointe de l’hôpital général de la Marine365.
Son intérêt pour le qigong commence en 1977 suite à la guérison d'une victime
du cancer, à qui on n’avait donné que quelques mois de vie, grâce au qigong de Guo
Lin. Elle veut alors faire des expériences pour déterminer si le qigong a une base
scientifique. Ses expériences consistent a inviter des maîtres a émettre du qi sur des
objets ou substances et à observer les résultats, et à les comparer avec ceux obtenus

364
Seigneur de guerre durant la période républicaine, il contrôla une grande partie de la Chine du nord
durant les années 1920, grâce à son armée personnelle, le guominjun 国民军, jusqu’à sa défaite par le
gouvernement nationaliste en 1930. Converti à l’église méthodiste en 1914, il était connu comme le
« général chrétien ».
365
Dans les années 1980, elle sera nommé à un poste dirigeant de la Fédération nationale des femmes.
dans un groupe de contrôle dans lequel une personne ordinaire fait les mêmes gestes
sur les mêmes types d’objets ou substances.
Dans une série d’expériences sur l’effet du « qi externe » sur des bacilles du
colon, son hypothèse est la suivante :
« si le qi externe est effectivement de nature matérielle, possédant une efficacité
thérapeutique, alors les bacilles du colon dans l’éprouvette seront tuées ou
endommagées. La conclusion désirée est la suivante: suite a la culture, les
bacilles vivantes seront moins nombreuses que celles dans l’éprouvette du
groupe de contrôle »366.

L’hypothèse est vérifiée dans une série d’expériences. Après avoir compilé les
données, Feng Lida émet la conclusion suivante: « le taux d'extermination de bacilles
du colon par le qi externe du qigong est de 44 a 89.8 %. »
Elle poursuit alors ses expériences sur d’autres types de micro-organismes:
bacilles de typhoïde, bacilles de dysenterie, staphylocoques blancs, staphylocoques
argentés, virus contagieux, etc. Elle conclut que le qi externe a l'effet d'affaiblir ou de
tuer tous ces micro-organismes. En octobre 1981, elle commence des expériences sur
des cellules cancéreuses, et arrive à la conclusion que sous l'effet du qi externe, le
niveau d'endommagement des cellules cancéreuses peut atteindre 30%367.
Se lançant dans le nouveau champ de recherches ouvert par Gu Hansen et Feng
Lida, plusieurs autres unités scientifiques et médicales commencent des investigations
sur le qigong dès 1980. L’Hôpital du peuple no. 6 de Shanghai et la Clinique de
médecine chinoise de Shanghai étudient les images thermiques ultrarouges
d’asthmatiques avant et après la pratique du qigong. L’Institut de recherches en
médecine chinoise du Zhejiang, lui, analyse la composition chimique et bactérienne
de la salive avant et après la pratique du qigong368.
Partant de l’idée que le qi externe est une substance matérielle, il était inévitable
que certains essayent de reproduire cette substance à l’aide d’un appareil. C’est ce qui
se produira dès 1979, lorsqu’une équipe de chercheurs de Pékin invente l’ « appareil
thérapeutique électronique MHZ – 792 simulateur de qigong », qui simule les
« informations ultra-rouges » émis par le maître Zhao Guang lors de l’émission de qi
externe369. L’appareil est conçu pour être employé dans le contexte d'un traitement de

366
Li & Zheng 1996 : 115.
367
Feng Lida, Bao Guiwen et al 1982; Feng Lida, Qian Juqing et al 1982; Feng Lida, Qian Juqing et al
1985; Li & Zheng 1996 : 113-116.
368
Li Zhiyong 1988 : 423-424.
369
Zhang Huimin 1979, He Qingnian et al 1980 : 30-34.
médecine chinoise, employant les méthodes diagnostiques et thérapeutiques de cette
dernière.
L’article scientifique présentant l’appareil emploie pour la première fois le
concept d’ « information » (xinxi 信息) pour désigner le phénomène du qi externe. Ce
concept deviendra très répandu, et une composante essentielle de la théorie de la
« science du qigong » qui commence à se former :
« L’utilisation des méthodes des théories de l’information et du contrôle, est une
nouvelle méthode actuellement de plus en plus utilisée en Chine et à l’étranger
pour l’étude des phénomènes vitaux du corps humain. Le corps humain contient
différents organes, qui doivent communiquer entre eux à l’aide d’informations
émises à travers des conduits d’informations, afin de garder l’équilibre et
maintenir un état fonctionnel normal en harmonie globale. Selon la perspective
du contrôle de l’information, l’entraînement du qigong fait en sorte que des
informations saines et claires augmentent sans cesse, de manière à ce que les
conduits d’informations se dégagent et le gaspillage se réduise, permettant une
amélioration importante des processus ordonnés du corps humain, produisant
un état fonctionnel de niveau plus élevé que chez l’homme ordinaire. Les
maîtres de qigong étant des personnes accomplies dans l’entraînement du
qigong, les informations qu’ils émettent peuvent avoir un effet thérapeutique sur
des malades ou des personnes ordinaires370. »

D’autres unités inventent également des appareils d’émission de qi en 1980 :


l’Institut de médecine de Qingdao produit un instrument simulant les « informations »
de Lin Housheng ; et l’Institut de recherche de médecine chinoise produit l’ « appareil
thérapeutique à informations de qigong ZY-100 »371.
L’année 1980 est aussi marquée par la découverte de l’ « anesthésie par
qigong » par trois établissements de Shanghaï372. Dans l’essai clinique, un maître de
qigong émet du qi externe vers des patients subissant une opération chirurgicale, sans
employer d’autre forme d’anesthésie. Lors de 12 cas d’opérations chirurgicales sur la
glande thyroïde, 11 patients sont opérés avec succès ; l’échec du douzième cas est
attribué à la « force insuffisante » du maître. Trois gastrectomies sont également
réalisées sous anesthésie par qigong, avec un succès relatif. Lors de ces opérations, le
patient est parfaitement conscient ; il peut même parler durant l’opération. Après
l’opération, son corps se rétablit rapidement373.

370
He Qingnian et al 1980 : 34.
371
Li Zhiyong 1988 : 425.
372
Il s’agit de l’Institut de recherche de médecine chinoise de Shanghaï, l’Hôpital du Peuple no. 8 de
Shanghaï et l’hôpital Shuguang 曙光 de Shanghaï.
373
Li Zhiyong 1988 : 425.
Plusieurs autres unités commencent également des recherches sur le qigong.
Parmi ces dernières, comptons la prestigieuse université Qinghua, qui tente de
mesurer les effets du qigong à l’aide d’appareils à micro-ondes et à images thermales,
mais sans résultats définitifs374. D’autres mesurent les effets du « qi externe » et de l’
« eau à informations » (xinxishui 信息水) – de l’eau vers laquelle un maître de
qigong à émis du qi – sur les fonctions immunitaires de la souris blanche375.
En juillet 1985, Feng Lida fonde le Centre de recherches en immunologie
chinoise. L’objectif de ce centre est de mener des recherches sur les effets du qigong
sur le système immunitaire. Il compte plusieurs laboratoires dont des laboratoires
d’examen de cellules, de virus, de micro-circulation, d’expériences animales, et
d’immunologie globale376.
Les recherches sur les « fonctions exceptionnelles » sont validées par les
médias officiels. Le 29 juillet 1986, le quotidien Guangming se base sur un article de
l’édition internationale du Quotidien du peuple, pour résumer ainsi les fruits des huit
années de recherches scientifiques sur les « fonctions exceptionnelles » depuis 1979 :
1. L’existence réelle de ces fonctions est prouvée ;
2. Leur nature potentielle et universelle, et la possibilité de les induire ;
3. La multiplicité des types de manifestation des fonctions exceptionnelles ;
4. Les changements physiologiques des personnes à fonctions exceptionnelles ;
5. L’observation physique de certains phénomènes miraculeux manifestés par les
échantillons déplacés par psychokynèse ;
6. Observation préliminaire des mécanismes des fonctions exceptionnelles ;
7. Relation entre les fonctions exceptionnelles et le qigong ;
8. Exploration de la théorie de Qian Xuesen sur l’ « état fonctionnel du corps
humain » ;
9. Développement d’une vision plus systématique du corps humain ;
10. Influence des fonctions exceptionnelles sur la philosophie ;
11. Etude sur le rapport entre les fonctions exceptionnelles et la société377.
A Shanghaï, on utilise même le qigong pour réformer les criminels. En janvier
1989, cinquante-sept prisonniers de la Brigade municipale de rééducation par le
travail apprennent la méthode du « Qigong des capacités de l’intelligence » de Pang

374
Zheng Guanglu 1991 : 138.
375
Li Caixi, Jin Long, Zhao Guang 1985; Li Caixi, Jin Long, Zhao Guang, Zhang Yu 1985.
376
Li & Zheng 1996 : 122-129.
Heming. L’objet est de guérir leurs maladies et d’améliorer leur tempérament et leur
morale. Lors de l’expérience, menée par l’Institut de recherches en sciences
correctionnelles de Shanghaï, les prisonniers prirent le « test de personalité multiple
de Minnesota » (Minnesota Multiple-Personality Test -- MMPT), outil de mesure
psychologique, avant et après la période de pratique du qigong. Les chercheurs
concluent que « ceux qui ont pratiqué le qigong désobéissent moins aux règles que les
prisonniers qui ne l’ont pas fait, à un degré de 60%. Si l’on compare le comportement
de la même personne avant et après elle a commencé à pratiquer le qigong, la
diminution de l’incidence de la désobéissance est encore plus évidente » . A la suite
du succès de cette expérience, un nouveau groupe de pratique est organisé en février
1990, comptant cette fois une centaine de prisonniers378.

5.2 Les associations semi-officielles nationales

Pendant ce temps, les institutions semi-officielles du qigong se développent et


lancent successivement de nouvelles revues de qigong. En août 1982, l’Association
d’études de la science du qigong du Guangdong fonde la revue Qigong et science
(Qigong yu kexue 气功与科学). L’Association nationale de la science du qigong
médical379, affiliée à l’Association nationale de médecine chinoise, présidée par Lü
Bingkui et dont Feng Lida occupe le poste de vice-présidente, lance la revue Le
qigong chinois (Zhonghua qigong 中华气功) en 1983. En mars de cette même année,
le gouvernement municipal de Shanghai approuve le lancement de la Revue de
recherches sur les fonctions exceptionnelles du corps humain (Renti teyigongneng
yanjiu zazhi 人体特异功能研究杂志) dirigé par Zhu Runlong de la revue Nature. En
septembre 1984, le Sanatorium de qigong de Beidaihe380 lance la revue Le qigong de
Beidaihe qui sera renommé Le qigong de Chine (Zhongguo qigong 中国气功) en
1986. En mars 1985, le Bureau d’administration culturelle de la Ville de Pékin
approuve la fondation de la revue Oriental Science Qigong (Dongfang qigong
东方气功) éditée par l’Association d’études du qigong de Pékin, et dont le premier

377
Shao Jia 1986.
378
Zheng Chuangming et al. 1992.
379
Sur la fondation de cette organisation, voir section 2.7, pp. 73-74.
380
Le sanatorium sera renommé Hôpital de qigong de Beidaihe en 1986 (Xiao Yuzhu 1996 : 4).
numéro sera lancé en février 1986381. En cette année, Zhang Zhenhuan estime que le
tirage total des différentes revues de qigong est d’environ un million382.
Le 17 novembre 1983, le membre du Conseil d’Etat Fang Yi annonce les six
points de la nouvelle politique scientifique du gouvernement, qui libéralise et
dépolitise la recherche scientifique. Cette politique encourage la libre discussion de
problèmes scientifiques et condamne l’usage de labels politiques chargés dans le
débat scientifique: on ne doit plus parler de « pollution spirituelle » (jingshen wuran
精神污染), d’ « opinions hérétiques » (yiduan xieshuo 异端邪说), de « bombes
capitalistes au revêtement sucré » (zichan jieji tangyi zhadan 资产阶级糖衣炸弹)383.
Cette politique est interprétée comme un feu vert pour les recherches sur les
« fonctions exceptionnelles » et pour le développement de la « science du qigong » .
Le qigong et les « fonctions exceptionnelles » sont considérées comme des matières
scientifiques que l’on peut librement rechercher sans craindre des dénonciations
idéologiques.
Les 28 au 30 avril 1986, une nouvelle organisation nationale de qigong est née,
d’envergure plus grande que la première association nationale affiliée aux instances
de médecine chinoise, et jouissant d’un soutien politique plus important. L’
« Association chinoise d’études de la science du qigong » (Zhongguo qigong kexue
yanjiuhui 中国气功科学研究会) -- que je désignerai par l’abbréviation ACESQ -- est
autorisée le 25 décembre 1985 par la Commission des réformes du système
économique national (Guojia jingji tizhi gaige weiyuan hui 国家经济体制改革委员)
du Conseil d’Etat, et formellement rattachée au Centre chinois d’échanges culturels
internationaux (Zhongguo guoji wenhua jiaoliu zhongxin 中国国际文化交流中心).
Pour le commentateur Zheng Guanglu, « la fondation de l’ACESQ symbolise
que l’antique qigong a enfin quitté la religion et le folklore pour entrer d’un pas ferme
et digne dans le temple sacré de la science. Ceci mérite d’être célébré »384. Le 23
février 1986, la nouvelle association organise un colloque auquel Qian Xuesen expose
sa vision pour la fondation d’une « science empirique du qigong ». Deux mois plus
tard, du 28 au 30 avril 1986, la fondation de l’association est célébrée par une
cérémonie officielle à Pékin. Plus de deux cents délégués de toutes les parties de la

381
DF 26 :37.
382
Zhang Zhenhuan 1988b: 17.
383
Gu Mainan 1983a,b.
384
Zheng Guanglu 1991 : 119.
Chine et de Hong Kong participent à la réunion. Dans le discours-programme de la
rencontre, Qian Xuesen pousse encore plus loin sa vision de la science du qigong.
Le président et fondateur de l’association est Zhang Zhenhuan. Celui-ci, dans
son discours, explique que l’ACESQ sera une organisation nationale de haut niveau,
dont la fonction sera de contrôler la direction politique du qigong. Elle s’occupera de
coordonner les stratégies des différentes organisations impliquées dans le qigong, tout
en laissant les différents groupes et associations de qigong choisir eux-mêmes les
moyens pour mettre en oeuvre ces stratégies. Il appelle à utiliser le qigong pour
améliorer le rendement agricole, le niveau de santé, les résultats scolaires des élèves,
les performances sportives, et la performance des astronautes385. Le Conseil
d’administration de l’association est formé de représentants de différents ministères et
de dirigeants politiques de différentes provinces et régions intéressés par le
développement du qigong. L’association projette d’ouvrir des sections dans chaque
province du pays386.
Les cadres et dirigeants retraités du Parti forment le noyau de la nouvelle
association. Presque la moitié des 247 personnes présentes à cette réunion sont âgés
de plus de 60 ans: il y a des anciens gouverneurs de provinces, des vice-présidents de
Conférences consultatives politiques, et des représentants de fédérations syndicales et
de femmes. Le président honorifique de l’association est Peng Chong 彭冲, membre
retraité du Bureau politique du Comité central du PCC387.
Dans le but de fédérer et de contrôler les différentes écoles de qigong, l’ACESQ
fonde une Commission des méthodes et théories, lors d’une grande assemblée de
maîtres convoqués à cet effet, tenue à Xi’an du 12 au 19 octobre 1987. Plus de 500
délégués, représentant des lignées de qigong de la Chine entière, participent à
l’assemblée présidée par Zhang Zhenhuan, et à laquelle le maître Yan Xin388 donne
une conférence sur la thérapie par qigong389. Les différentes lignées peuvent s’affilier
à cette commission, qui leur donne ainsi un statut légal tout en exerçant un certain
contrôle (plus symbolique que réel) sur elles.
L’ACESQ établit également quatre autre commissions : la commission de
recherche documentaire, la commission de recherche scientifique, la commission de

385
Zhang Zhenhuan 1988b: 19.
386
QG 7-3: 100.
387
Né en 1915, il fut membre du Bureau politique de 1977 à 1982. Il fut aussi commissaire politique
dans l’Armée, maire de nankin (1955-59), maire et secrétaire du Parti de Shanghaï (1979-80).
388
sur Yan Xin, voir la section 7 ci-dessous.
recherches appliquées, et la commission des finances. De plus, l’association établit
quatre bureaux : le bureau administratif, le bureau de liaison avec les associations, le
bureau des affaires étrangères, et le bureau éditorial et service de renseignements390.
Un an après la fondation de l’ACESQ, deux nouvelles associations nationales
voient le jour. L’Association chinoise d’études du qigong sportif (Zhongguo tiyu
qigong yanjiuhui 中国体育气功研究会) est fondée en 1987 par Zuo Lin 左林 et Guo
Zhouli 郭周礼. Cette association est affiliée à la Commission nationale des sports.
Elle établit une commission scientifique, une commission de conseil sur les
applications, un institut de recherches sur le qigong sportif, une équipe de services, un
centre d’échanges internationaux, un centre de réhabilitation à Shenzhen, et la revue
Qigong et sports (Qigong yu tiyu 气功与体育), lancée en 1987 par le Front uni391 du
Comité provincial du Parti du Shaanxi392.
L’autre association nationale fondée en 1987 est l’Association chinoise des
sciences somatiques (Zhongguo renti kexue xuehui 中国人体科学学会). Egalement
sous la direction de Zhang Zhenhuan, l’association comptera 245 membres en début
1990, dont plus de 50% de scientifiques professionnels393. L’association considère
que « la recherche sur les fonctions exceptionnelles est le noyau de la recherche en
sciences somatiques »394. Au premier conseil d’administration de la nouvelle
association, dans une allocation intitulée « L’investigation scientifique véritable n’a
pas peur », Zhan Zhenhuan souligne la victoire et la légitimation que signifie la
fondation de cette association, face aux adversaires des fonctions exceptionnelles:
« Depuis la publication de la « reconnaissance de caractères à l’aide des
oreilles » par le Quotidien du Sichuan du 11 mars 1979, de nombreux
travailleurs technologiques du pays entier ont entamé des recherches sur les
fonctions exceptionnelles du corps humain pendant huit années, jusqu’à ce jour
où la fondation de notre association d’études a été autorisée. Ces huit années ne
furent pas tranquilles. Cette autorisation officielle marque une nouvelle étape
pour les recherches sur les fonctions exceptionnelles du corps humain. Notre
organisation a été autorisée, mais notre travail de recherche est loin d’être
terminé. Le point d’ancrage de la science est la pratique ; le quête des
travailleurs scientifiques est la vérité. La science véritable n’a pas peur, et

389
QG 8-12 : 545; QK 58, couverture intérieure.
390
Wu Hao (éd.) 1993 : 604.
391
Le Front Uni (tongzhanbu 统战部) est un organe du Parti qui a pour objectif de fédérer les
différentes organisations sociales, politiques et religieuses (partis politiques non communistes,
associations officielles des cinq religions instituées, etc.) autour de la direction du Parti.
392
Wu Hao (éd.) 1993: 602, 604.
393
QG11-5 : 236.
394
Wu Hao (éd.) 1993 : 604.
aucune force ne peut l’arrêter. Dans le passé, certaines personnes ont utilisé
leur pouvoir pour critiquer les recherches sur les fonctions exceptionnelles
comme étant de la « pseudo-science idéaliste ». Maintenant que la Commission
d’Etat pour les sciences a autorisé la fondation de notre association d’études en
sciences somatiques, ceci n’est pas une victoire de « l’idéalisme », mais c’est la
victoire du matérialisme et du marxisme véritables, c’est la victoire de la
science. En réalité, notre travail est une lutte pour défendre le matérialisme
dialectique, qui mène à la victoire de la théorie de la connaissance du marxisme,
et symbolise l’esprit de sacrifice pour la quête de la vérité scientifique. […]
Qian Xuesen a dit : cette recherche aura un effet sur la question de la révolution
scientifique ; on peut la comparer à une deuxième Renaissance; … elle implique
le déploiement stratégique du 21e siècle… »395.

Le Comité central du Parti communiste prend cette vision au sérieux et nomme,


en 1986, un « Groupe de travail sur les sciences somatiques » composé de
responsables de la Sécurité nationale, de la Propagande, et de la Commission
scientifique et industrielle de la Défense nationale, auquel s’ajoutera peu après un
directeur-adjoint de l’Association scientifique nationale396. Le « Groupe de travail »
s’occupe de la surveillance des différentes associations et lignées de qigong, et de la
coordination de l’action des différents ministères face au qigong. Le « Groupe » est en
même temps un centre du lobby pro-qigong : Wu Shaozu, infatigable défenseur du
qigong et des « fonctions exceptionnelles » , qui deviendra président du « Groupe »
en 1990, dit espérer qu’un jour, le qigong aura un siège au Conseil d’Etat.
Le 26 mai 1988, l’ACESQ fonde le Centre chinois de recherche scientifique sur
le qigong, avec la mission de coordonner et d’organiser la recherche scientifique sur
le qigong. De nombreux dirigeants politiques assistent à l’assemblée fondatrice, ainsi
que Yan Xin, et Zhang Zhenhuan qui est nommé directeur du Centre.
Dans son discours, Zhang Zhenhuan fait le point sur la situation du qigong en
Chine. Il constate que seulement dix ans auparavant, le qigong était encore condamné
comme sorcellerie et comme superstition. Maintenant, le qigong exerce une influence
grandissante sur la société, ayant pénétré jusque dans les foyers, les familles et les
corps des Chinois. Du centre jusqu’aux provinces, villes et préfectures, des comités et
associations de qigong ont été fondées; le qigong est incorporé aux programmes
scolaires; et les recherches sur le qigong sont financées par la Fondation nationale des
sciences naturelles.

395
Cité dans Zheng Guanglu 1991 : 236.
396
Chen Xin 1995 ; Che, Ke 1997 : 23 ; DF 66 :21-24; jiu guojia…2001.
Dans la décennie entre 1978 et 1988, dit Zhang Zhenhuan, les recherches
scientifiques ont prouvé l’existence de l’ « état de qigong » (qigongtai 气功态)397,
l’existence du qi, et l’interaction entre la pensée et le qi. Mais on ne peut toujours pas
parler de véritables hypothèses ou théories scientifiques. Il reste donc de grands
besoins en matière de recherche. A long terme, il faut avancer vers une nouvelle
méthode scientifique adaptée au qigong, afin d’avancer vers la révolution scientifique
de l’avenir: « la science de l’avenir a besoin du qigong, et le développement du
qigong contemporain ne peut se passer de la science » . A court terme, il faut
confirmer l’existence de « phénomènes exceptionnels » ; résoudre les contradictions
entre ces phénomènes et les théories scientifiques actuelles; et chercher des
applications dans les domaines du développement de l’intelligence des jeunes, de
l’augmentation du niveau général de la population, et de la production économique.
Le général Zhang appelle à la généralisation de la pratique du qigong,
particulièrement parmi les personnes ayant une culture scientifique, afin d’augmenter
le niveau général de la population, d’améliorer la qualité de vie, de renforcer la santé
des habitants et développer leur intelligence, et d’augmenter la production
économique398.
Les espoirs sont encore grands: lors de l’assemblée représentative de
l’Association d’études du qigong de Pékin tenue à la fin de 1988, les 108 délégués
assistent à la démonstration d’un maître de qigong qui, sans employer d’aiguilles
d’acupuncture, produit à distance une forte sensation de qi sur certains acupoints d’un
volontaire. « Après avoir observé ce tour merveilleux, tous les délégués considèrent
que cela est encore plus conforme aux besoins physiologiques de l’homme que la
technologie inventée par les étrangers, qui substitue des rayons laser aux aiguilles
d’acupuncture. [Employer le qi externe au lieu de rayons laser] n’est-ce pas aussi de
la haute technologie? » 399.
Le 17 mars 1989, lors d’une assemblée des membres et formateurs de
l’Association d’études du qigong de Pékin, le maire adjoint de Pékin Zhang Jianmin
张建民 déclare que le qigong est une science, et qu’il faut renforcer le travail de
popularisation du qigong auprès des masses. Pékin a une très grande population et de

397
Etat de relaxation profonde dans lequel on entre lors de la pratique du qigong. Herbert Benson, de la
faculté de médecine de l’université Harvard, a la suite d’une étude sur les effets physiologiques des
techniques de méditation et de yoga , a appelé cet état le « relaxation response » . Cf. Benson 1975.
398
Zhang Zhenhuan 1988: 2-3; QG 9-8: 353.
399
DF 13:2-3.
grands besoins en matière de santé: or le qigong donne de très bons résultats sans
nécessiter d’investissement de l’Etat. Le gouvernement, dit-il, encourage et appuie
donc le qigong400.

5.3 Multiplication des échanges internationaux

L’expansion des lignées de qigong et la consolidation des institutions semi-


officielles nationales en Chine s’accompagnent de la propagation du qigong vers
l’étranger. Le 4 octobre 1983, l’Association d’études de la science du qigong chinois
de Hongkong est fondé401. Le 14 juillet 1986, une association de qigong est fondée
aux Philippines402. En juin 1986, une délégation de dix maîtres et spécialistes de
qigong, dirigée par Lin Housheng et Lu Guozhu 陆国柱, visite le Japon. Leurs
démonstrations de qigong, diffusées à la télévision, font sensation ; il en résulte la
création d’une association japonaise de qigong, qui a pour but de former des maîtres
de qigong japonais, de poursuivre des recherches et de publier sur le qigong. En 1987,
d’autres associations régionales apparaissent dans différentes parties du Japon403.
Le 17 mai 1987, le premier congrès mondial du qigong est organisé à Shenzhen
par l’Université de Shenzhen et la revue Qigong et sports, avec l’encouragement de la
Commission nationale des sports. Quatre cents délégués venant de 12 pays et
territoires assistent au congrès, qui débouche sur l’idée de fonder une fédération
internationale de qigong. Celle-ci, la Fédération internationale de la science du qigong
(Guoji qigong kexue lianhehui 国际气功科学联合会 ) verra le jour à Singapour en
mars 1988, présidée par Wu Shaozu, et choisissant la revue Qigong et sports comme
son périodique officiel. Quatre cents délégués -- des chercheurs, des thérapeutes, et
des maîtres de qigong et d’arts martiaux – participent au colloque, représentant la
Chine, la Malaisie, l’Indonésie, la France, la Suisse, l’Argentine, l’Allemagne
fédérale, le Royaume-Uni, et le Japon. Le siège temporaire de la nouvelle fédération
est fixé à Singapour; une année plus tard, le siège permanent est établi à Xi’an où aura
lieu le deuxième congrès mondial de qigong.
En parallèle, les échanges universitaires se développent et s’intensifient. En
juillet 1983, une délégation de la faculté de médecine de l’université Harvard, dirigée

400
DF 15: couverture intérieure.
401
Li Zhiyong 1988 : 427.
402
QG 7-6: 275.
par le prof. Herbert Benson, spécialiste de l’ « effet de relaxation » produit par les
techniques psycho-physiologiques404, visite le Sanatorium de qigong de Beidaihe.
Benson et Liu Guizhen405 partagent les résultats de leurs recherches sur les effets de la
méditation, pendant la visite qui dure trois jours406. Benson retourne en Chine en
octobre 1985, pour un colloque sino-américain sur la médecine du comportement
organisé par l’Institut de médecine chinoise de Shanghaï. Benson et sa délégation de
six professeurs et doctorants de la faculté de médecine de Harvard présentent leurs
recherches sur l’effet de relaxation, et rencontrent des maîtres et spécialistes de
qigong407.

5.4 Multiplication des colloques de qigong

Les colloques sur le qigong et les « fonctions exceptionnelles » sont de plus en


plus nombreux. En novembre 1985, des spécialistes venus du Yunnan, de Shanghaï,
du Guangdong, de Hongkong et de Macao participent au premier colloque
scientifique du Guangdong sur le qigong. Ils présentent des articles et assistent à des
démonstrations de qigong408. Du 4 au 7 juin 1986, à Nanchang, 120 délégués
présentent 80 articles à un colloque sur les applications du qigong dans le système de
santé de la Chine orientale409. Deux semaines plus tard, du 20 au 26 juin, plus de 60
participants venant de plus de 20 provinces et régions se rencontrent à Pékin pour une
conférence nationale sur l’histoire de la culture physique en Chine, organisé par la
Commission nationale de culture physique et la revue Culture physique chinoise410.
Le 21 janvier 1987, un colloque sur le « qi externe » organisé par le
département de physique appliquée de l’Université de Chongqing et l’Association
d’études de la science du qigong de Chongqing, réunit une dizaine de maîtres de
qigong et quelques dizaines de professeurs d’université. Quelques mois plus tard, on
discutera de l’utilisation du qigong comme moyen de prévention de la myopie, à une
conférence tenue à l’Université normale de Huadong et parrainée par la Commission
nationale des sports, du 2 au 8 juin. Quarante spécialistes participent au colloque

403
QG 7-5 : 236, 237; Li & Zheng 1996 : 122.
404
cf. Benson 1975.
405
Sur le rôle de Lui Guizhen dans la naissance du qigong moderne, voir la section 1.1, pp. 33-38.
406
QG 5-1 : 48.
407
QG 7-1 : 20.
408
QG 7-1 : 44.
409
QG 7-4 : 164.
auquel 17 articles sont présentés411. Du 10 au 20 juillet de la même année, la
Commission nationale des sciences parraine un colloque intitulé « Ciel, terre, vie » à
l’Institut de recherches scientifiques du Bureau national de météorologie. Une
conférence est donnée sur le rapport entre le Livre des mutations et le climat, et le
maître Li Zhaosheng 李兆生 donne une allocution et enseigne sa méthode de
qigong412.
Le premier grand colloque d’envergure nationale a lieu du 8 au 13 août 1987,
dans la ville de Xingcheng 兴城 dans le Liaoning. Le colloque est organisée par
l’ACESQ. Zhang Zhenhuan et la direction de l’organisation sont présents, ainsi que
107 auteurs d’articles et 32 invités spéciaux. Parmi les auteurs, plus de 60 sont
professeurs titulaires ou adjoints. Les organisateurs du colloque avaient reçu 470
articles et en avaient séléctionné 120 pour être présentés413.
Le 11 décémbre 1987, 33 représentants de 14 unités de l’Armée populaire de
libération se réunissent à Pékin pour un colloque sur le qigong, au cours duquel 29
articles sont présentés sur les applications du qigong dans les unités militaires. Les
délégués fondent le Groupe spécialisé de qigong de l’Association de médecine
chinoise de l’Armée populaire de libération414.
Du 10 au 13 octobre 1988, le premier colloque international de qigong médical
a lieu à Pékin, avec une participation de 600 personnes venant de plusieurs pays dont
le Japon, la France, l’Italie, les Etats-Unis et l’Australie. Cinquante-sept
communications sont présentées sur les effets biologiques du qigong, 47 sur des
observations cliniques, 26 sur les effets chimiques et physiques, et 12 sur les théories
traditionnelles du qigong. Pour cette occasion, le musée historique de Tianjin exposa
l’ « inscription sur la circulation du qi » (xingqiming 行气铭) datant des Royaumes
combattants, et laissa libre l’entrée du public415.
Ces colloques et rencontres témoignent de la vitalité de la nouvelle communauté
scientifique qui se constitue autour du qigong. Je n’ai cité que quelques exemples
d’activités d’envergure régionale, nationale ou internationale. Au niveau local et

410
QG 7-5 : 211.
411
QG 8-9 : 389.
412
QG 8-10 :481.
413
QG 8-11 :493.
414
QG 9-3 : 112.
415
Despeux 1997: 272.
provincial, nous pouvons observer un foisonnement d’activités. Prenons par exemple
les activités tenues dans la seule province du Zhejiang, dans la seule année 1987 :
En janvier, la branche provinciale de l’Association nationale de médecine
chinoise fonde une association de qigong médical416. Du 10 au 13 mars, c’est
l’Association d’études de la science du qigong du Zhejiang qui est fondée à
Hangzhou, lors d’un colloque de plus de 150 personnes représentant des unités
scientifiques, de santé, d’éducation, de culture physique et du monde du qigong, ainsi
que des dirigeants politiques qui donnent les discours d’ouverture et expriment leur
soutien à la cause du qigong. Le premier avril, l’association de qigong médical ouvre
l’Hôpital de qigong de Hangzhou. Plus de 100 personnes assistent à la cérémonie
d’ouverture, y compris des dirigeants politiques, des représentants de différentes
associations de qigong, etc. Cet hôpital s’ajoute aux autres institutions thérapeutiques
de qigong qui existent déjà dans le Zhejiang : sanatorium de qigong, clinique de
qigong, etc417. Deux semaines plus tard, la même association de qigong médical
organise son premier colloque scientifique, dans la ville de Wenzhou, du 16 au 19
avril. Soixante-dix participants assistent au colloque, où 26 articles sont présentés418.
Le 30 mai, le comité de qigong de l’Université du Zhejiang fonde une association
d’études de qigong419. Du 1er au 2 décembre, l’Association de la science du qigong
du Zhejiang organise un colloque multidisciplinaire sur le qigong à Hangzhou, qui
réunit 40 chercheurs420. Et le 27 décembre, l’Association de la science du qigong
fonde l’Académie de qigong et d’arts martiaux de culture physique à Hangzhou, dont
le président honoraire est le célèbre moine Haideng Fashi 海灯法师421.
Des liens se créent également entre le monde du qigong et le monde tibétain des
traditions vivantes du tantrisme. Le 26 février 1988, le colloque de fondation de
l’Association de qigong tantrique422, affiliée à l’ACESQ, est tenu à Pékin. Zhang
Zhenhuan est élu président honorifique de l’association. Le colloque attire plus de 380
participants, dont plusieurs grands maîtres et moines tibétains. Des allocutions sont
données par des représentants des quatre grandes sectes du lamaïsme. Plus de vingt

416
QG 8-6 : 276.
417
QG 8-6 : 276.
418
QG 8-7 : 303.
419
QG 8-9 : 397.
420
QG 9-3 : 118.
421
QG 9-3 :101. Le maître de qigong Yan Xin fut un disciple de Haideng (voir p. 182).
422
A ne pas confondre avec l’association du qigong tantrique Zangmigong décrite dans le chap. 11.
agences de presse, journaux, stations de télévision et revues de qigong envoient des
journalistes à l’événement423.
Vers la même période, le Comité du qigong du Tibet est fondé sur l’initiative du
Syndicat général des travailleurs du Tibet, avec l’appui de plusieurs instances
gouvernementales de la Région autonome telles que la Commission des sports, le
Bureau d’administration de la santé, le Bureau d’administration des affaires civiles, la
Fédération des femmes, l’Académie des sciences sociales, etc424. Peu après, la lignée
du Zhonggong établira une présence considérable au Tibet425.

5.5 Institutionnalisation de la formation des maîtres de qigong

Paralèllement au développement des institutions et des activités du monde


académique du qigong, la formation de maîtres de qigong se systématise et s’implante
dans la structure éducative de l’Etat.
En août 1982, l’Association nationale de la science du qigong médical426
organise le premier cours officiel de qigong depuis la révolution culturelle. Animée
par Lin Housheng et d’autres experts de l’Institut de médecine chinoise de Shanghaï,
la formation, tenue au mont Lushan, comprend la théorie de base du qigong, l’histoire
du qigong, les principes et méthodes de la pratique, ainsi que six méthodes d’écoles
différentes : le « Travail de force et de robustesse » de Liu Guizhen427, le « Qigong de
la Grande oie » de Yang Meijun428, le « Travail interne de Shaolin » (Shaolin
neigong 少林内功), la « méthode en six étapes »(liubu gongfa 六步功法), et les
« dix-huit postures du qigong du Taiji » (Taiji qigong shiba shi 太极气功十八式)429.
En novembre 1983, le Sanatorium de qigong de Beidaihe reprend sa vocation de
formation de maîtres et organise un premier cours pour thérapeutes de qigong430. En
1985, le Bureau national d’administration de la médecine chinoise et le Bureau
provincial de la santé du Hebei financent l’expansion du Sanatorium de qigong de
Beidaihe, qui devient la Base nationale de formation en qigong médical. Entre 1985 et

423
QG 9-5: 237; QK 63: couverture intérieure.
424
QK 63: 33.
425
Voir section 12.2, pp. 292-293.
426
Voir section 2.7, pp. 73-74, sur la fondation de cette association.
427
Voir p. 35.
428
Voir section 3.4.1, pp. 92-94.
429
Li Zhiyong 1988 : 422, 426-27.
430
Li Zhiyong 1988 : 427.
1996, le Sanatorium organisera 43 cours nationaux de formation de maîtres de qigong,
15 cours provinciaux, et 26 cours internationaux. Plus de 50 000 personnes seront
formées durant cette période, dont plus de la moitié travaillent dans le domaine du
qigong thérapeutique431.
Le deuxième cours national de formation de maîtres de qigong offert par le
Sanatorium de Beidaihe a lieu de la mi-avril à la mi-mai 1985. Plus de 60 participants,
provenant d’hôpitaux et d’unités thérapeutiques de différentes villes, provinces,
régions autonomes et d’unités de l’Armée populaire de libération s’inscrivent au cours
qui est parrainé par le Bureau national d’administration de la médecine chinoise.
L’objectif du cours est de répandre le qigong, d’augmenter le niveau clinique,
scientifique et de formation du qigong, et d’avancer la systématisation et la
« scientifisation » du qigong. Son contenu comprend les bases théoriques du qigong
dérivées de la théorie de la médecine chinoise ; les résultats de la recherche
scientifique sur le qigong ; les concepts, méthodes et mécanismes du qigong ;
l’histoire du qigong ; et les applications cliniques du qigong. A la fin de la formation,
le groupe de participants visite les principales unités de qigong dans la région de
Pékin : le Centre de recherches sur le qigong de l’Institut de médecine chinoise de
Pékin animé par Song Tianbin 宋天彬, le Laboratoire de recherche du qigong de
l’Académie nationale de médecine chinoise animé par Zhang Honglin, l’Institut de
recherche en immunologie de l’Hôpital général de la Marine, animé par Feng Lida, et
l’Association d’études du qigong de Pékin432. Ces formations, dont la durée sera
prolongée à deux mois, seront offertes à Beidaihe chaque année, suivant le même
format433.
En 1984, l’Académie chinoise de perfectionnement en qigong (Zhonghua
qigong jinxiu xueyuan 中华气功进修学院), une école de formation par
correspondance, est fondée par l’ACESQ, la prestigieuse Université Guangming
spécialisée dans les formations par correspondance en Médecine chinoise, et le Centre
de développement de la technologie traditionnelle434. L’Académie, dont le Président
honoraire est Zhang Zhenhuan, est dirigée par Lü Bingkui, directeur du Bureau
national d’administration de la médecine chinoise. Une première promotion, de 2752
étudiants, suit des cours de 1984 à 1987. Durant la formation, des cours directs sont

431
Xiao Yuzhu 1996 : 4.
432
Zhang Tiange 1985 :221.
433
QG 8-12 : 557.
donnés 18 fois dans 18 régions, un total de 86 conférences d’une durée totale de 256
heures435.
Les institutions de médecine chinoise intègrent le qigong dans leurs formations.
En septembre 1984, l’Office de recherches sur le qigong de l’Académie chinoise de
médecine chinoise offre sa première formation pour le grade universitaire de maîtrise
en qigong, dirigée par Jiao Guorui 焦国瑞 et Zhang Honglin. La première classe de
deux étudiants est promue le 18 juillet 1987. Ce programme de 2e cycle avait été
approuvé par la Commission des diplômes du Conseil d’Etat436.
A partir de 1985, l’Institut de médecine chinoise de Pékin ajoute un cours
obligatoire de qigong au cursus des futurs diplômés de médecine chinoise. Chaque
année, les étudiants doivent suivre 36 heures de cours sur le qigong: 18 heures de
conférences et 18 heures de pratique. Chaque jour, on demande aux étudiants de
s’exercer au qigong pendant 30 minutes en dehors des heures de cours437. Une année
plus tard, le qigong est reconnu comme discipline scientifique de la médecine
chinoise par la Commission nationale des sciences438.
Dès le début de 1985, la Commission nationale de l’éducation s’intéresse à
l’intégration du qigong dans les programmes officiels d’éducation. Elle encourage la
tenue d’un colloque national sur la culture physique traditionnelle dans les
établissements d’enseignement supérieur, à Shangrao 上饶, du 25 au 27 janvier 1985.
Le colloque souligne l’importance d’intégrer les méthodes de culture physique
traditionnelles dans les programmes d’éducation physique de l’enseignement
supérieur439.
A partir de l’été 1985, la Commission nationale de l’Education organise des
cours d’été annuels de qigong pour des enseignants et professeurs d’université de
toute la Chine. En juin 1986, la Commission organise un colloque à Taiyuan sur
l’enseignement de la culture physique traditionnelle dans les écoles, qui souligne
l’importance et la faisabilité de ce travail. Une ébauche de programme de cours
spécialisé de qigong pour les institutions d’enseignement supérieur est élaboré. Après
le colloque, une circulaire est envoyée à toutes les commissions provinciales et

434
QG 9-9 : 392. Voir en annexe 7 le programme d’études de cet établissement.
435
QG 8-9 : 389.
436
QG 9-10 : 477.
437
Song Tianbin 1985 : 40.
438
Zheng 1991: 349.
439
QG 7-1 : 45.
municipales de l’éducation et aux institutions d’enseignement supérieur, disséminant
les résultats du colloque ainsi que l’ébauche de programme.
En 1987, la Cinquième réunion du 6e Congrès national représentatif du Peuple
considère la question de l’enseignement formel du qigong dans les écoles. Zhang
Zhenhuan, chef du 4e groupe de la délégation de l’Armée populaire de Libération,
soumet un document au congrès intitulé « Avis concernant le développement de
l’enseignement et de la recherche sur le qigong en commençant par l’éducation ». La
Commission nationale de l’Education répond à l’avis de Zhang le 16 juillet énumérant
les accomplissements de la Commission relatifs au qigong. Le document440 énumère
les mesures suivantes prises par la Commission durant les années précédentes :
- Ouverture d’unités de recherche dans différents établissements d’enseignement
supérieur ;
- Intégration du qigong hygiénique au cursus d’éducation physique en tant que cours
spécialisé et préparation d’un curriculum spécialisé ;
- Intégration du qigong aux matières obligatoires des programmes d’éducation
physique des Universités normales ;
- Recherches entreprises sur la prévention de la myopie par qigong : lorsque le temps
sera mûr, on projette d’appliquer cette méthode dans les écoles primaires et
secondaires441.
En juillet 1987, la Commission nationale de l’Education organise un cours de
qigong hygiénique à l’Université normale de l’Anhui, destiné à former des formateurs
qualifiés de qigong dans les départements d’éducation physique des universités. Les
37 participants sont des professeurs titulaires, professeurs adjoints et maîtres de
conférences de 20 universités et établissements d’enseignement supérieur de toute la
Chine442.
Le qigong est accepté comme une science à part entière dans certains
établissements d’enseignement supérieur, tel que l’Université du Shandong qui offre
un cours optionnel à crédit de 36 heures sur les « sciences somatiques -- le qigong et
les études sur les fonctions exceptionnelles » , à partir de la rentrée 1988. Le
programme du cours comprend les éléments qui sont devenus vérités reçues dans le
monde du qigong:

440
Document no. 128 du Congrès, 教办[87]字.
441
Zhang Zhenhuan 1989 : 2-3 ; QK 58 : 4.
442
QG 8 –10 : 476.
1. La réalité des « fonctions exceptionnelles » du corps humain
2. Emploi de méthodes scientifiques modernes dans l’étude des états
fonctionnels du qigong et dans les expériences sur le qi externe
3. Les processus du fonctionnement de qigong
4. Le qigong traditionnel
5. Le qigong et la culture chinoise antique
6. Le qigong et les sociétés archaïque, antique, moderne et future
7. « Pourquoi les sciences somatiques mèneront probablement à une révolution
scientifique et technologique qui changera la face du monde » 443
L’organisation de ces différentes formations par les institutions médicales et
éducatives a pour effet non seulement d’intégrer le qigong aux rouages du système
éducatif chinois, mais aussi de constituer une « discipline » cohérente et standardisée
du « qigong scientifique » dorénavant présentée comme possédant sa propre histoire
remontant jusqu’à l’antiquité chinoise, sa propre théorie, sa propre méthodologie, ses
propres applications, etc.

5.6 Les sportifs chinois s’entraînent au qigong

D’autres se penchent sur les applications du qigong dans les sports. En juin
1988, une équipe de soutien de qigong est fondée lors d’une réunion tenue à Xi’an par
l’Association chinoise d’études du qigong sportif, à laquelle assiste Yan Xin qui
donne une « conférence imbue de Force ». La mission de cette équipe est d’entraîner
des sportifs dans la pratique du qigong, en guise d’entraînement pour les 6e et 7e Jeux
nationaux et pour les 3e Championnats asiatiques de natation444.
En été 1990, à l’occasion des jeux asiatiques, une équipe de six maîtres de
qigong est consituée pour soutenir les sportifs de l’équipe chinoise. A l’aide de
l’émission de « qi externe » et d’audiocassettes à messages de qigong, les maîtres
soignent leurs blessures et leurs maladies des organes internes, et organisent des
séances de relaxation et de récupération rapide de la fatigue445.
Deux colloques sur le qigong sportif sont organisés en 1990, à Pékin (27-30
avril) et à Xi’an (16 novembre). On y présente des articles sur le qigong et l’éducation

443
QG 11-2: 92.
444
QG 9-9 : 429.
445
Xia Shuangquan 1990.
physique, la prévention et la cure de blessures sportives, l’augmentation de la
performance sportive, et la psychologie des sports. Le deuxième colloque accueille
des délégations des pays membres de la Fédération internationale de la science du
qigong, qui profitent de cette réunion pour élire comme président le directeur de la
Commission nationale des sports, Wu Shaozu446.

5.7 Conclusion : élargissement des réseaux politiques du qigong

Ce résumé du développement institutionnel du qigong dans les années 1980


nous montre comment le qigong a été successivement encouragé et protégé par les
dirigeants de différentes institutions de l’Etat chinois, tels que:
- Plusieurs membres du Conseil d’Etat, depuis la « Réunion de synthèse » sur le
qigong de juillet 1979447 ;
- le ministère de la Santé, dont le ministre a participé à la « Réunion de
synthèse », et dont le directeur du Bureau national de médecine chinoise, Lü Bingkui,
dirige l’Association nationale de la science du qigong médical;
- l’Association scientifique nationale, dirigée par Qian Xuesen, qui appuie la
fondation d’organisations semi-officielles nationales, élabore le programme du qigong
en tant que discipline scientifique, et intervient auprès des médias et des organes de
propagande pour soutenir la diffusion sur le qigong, les « fonctions exceptionnelles »
et la « science somatique » ;
- la Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale, dans
laquelle Qian Xuesen et Zhang Zhenhuan ont occupé des postes de direction. Ce
dernier anime les deux principales organisations semi-officielles nationales de qigong
et des « sciences somatiques », utilise son réseau personnel pour promouvoir le
qigong au sein de la classe politique, et fait pression sur la Commission de l’éducation
pour intégrer le qigong aux programmes scolaires ;
- la Commission nationale des sports, dont dépendent l’Association chinoise
d’études du qigong sportif et la Fédération internationale de la science du qigong .
Elle est dirigée de 1988 à 1999 par Wu Shaozu, qui est lui-même issu de la
Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale;

446
QG 11-8: 381; Li & Zheng 1996: 5.
447
Voir section 2.3, pp. 67-69.
- la Commission nationale de l’éducation, qui intègre le qigong aux
programmes obligatoires d’éducation physique.

La figure no. 8 illustre les réseaux liant les principales organisations semi-
officielles de qigong aux institutions politiques à travers les personnages clefs que
sont Qian Xuesen, Wu Shaozu et Lü Bingkui, qui sont les personnalités les plus
influentes en Chine dans les mondes de la science, des sports et de la médecine
chinoise respectivement, et Zhang Zhenhuan qui occupe une position d’influence dans
l’Armée. Il n’est pas exagéré de dire que le sort du qigong en Chine et celui de ces
quatre personalités sont intimement liés448.

448
Notons que vers le milieu des années 1980, les relations se dégradent entre les personnalités liées au
Bureau d’administration de la médecine chinoise, et le groupe issu de la Commission scientifique et
militaire de la Défense nationale. La vieillesse de Qian Xuesen et la mort de Zhang Zhenhuan en 1994
permettront la résurgence médiatique du courant anti-qigong dans le monde scientifique. Wu Shaozu
sera limogé de ses fonctions suite à l’affaire Falungong (Jean-Pierre Cabestan, communication
personnelle, 2001). Voir chapitres 9 et 14.
Fig. 8. Les réseaux politiques du qigong449.

449
Notons que le ministère de la Santé et le Bureau d’administration de la médecine chinoise, après le
remplacement de Lü Bingkui, s’implique dans la réglementation du qigong thérapeutique mais cesse de
6. LES MAITRES CHARISMATIQUES

Dans la section précédente, nous avons suivi le processus d’institutionnalisation


du qigong pendant les années 1980. Durant cette période, les réseaux populaires,
scientifiques et politiques du qigong se développent, se propagent, et commencent un
processus d’enracinement dans le système institutionnel chinois.
Parallèlement à ce processus, nous assistons, dans la première moitié des années
1980, à un renouveau religieux en Chine, conséquence de la relative ouverture du
régime de Deng Xiaoping. Si, dans les campagnes, ce renouveau se manifeste par la
reconstruction de temples saccagés durant la Révolution culturelle et par la
reconstitution de réseaux de culte, dans les villes, le regain d’intérêt pour la religion se
manifeste de manière plus diffuse : de nombreux livres sur la religion sont publiés et
trouvent un grand public de lecteurs; des séries télévisées sur des histoires à
coloration religieuse ou magique, tel que le Voyage en Occident (Xiyouji 西游记)450,
jouissent d’un succès retentissant. La religion est « dans l’air » dans la Chine urbaine
des années 1980, même si elle ne s’exprime pas dans des formes de vie
communautaire concrètes.
La « fièvre des arts martiaux »(gongfu re 功夫热) vient s’ajouter à ce
bouillonnement spirituel. Depuis le début de la politique d’ouverture, les films et
romans d’arts martiaux de Hong Kong et de Taïwan déferlent sur le continent. Les
troupes d’arts martiaux refont surface, divertissant les foules avec leurs exploits. Des
films tels que Le temple de Shaolin (Shaolin si 少林寺) suscitent l’engouement de la
jeunesse pour le gongfu, et les temples de Shaolin, de Wudang, d’Emei accueillent des
milliers d’adeptes à la quête des techniques secrètes d’un grand maître.
L’imaginaire des films et romans d’arts martiaux est riche en exploits magiques
– capacité de voler, de disparaître et de réapparaître ailleurs instantanément, de
voyance et de télépathie – que les grands maîtres en arts martiaux, souvent moines
bouddhistes ou maîtres taoïstes, ont acquis par la pratique du neigong 内功, de la
« Force intérieure » . Or les techniques de concentration et de respiration du neigong

soutenir activement son développement. Après la mort de Zhang Zhenhuan en 1994, Wu Shaozu sera le
seul grand parrain politique du qigong. Voir les sections 9.9, pp. 233-235, et 14.3 et 14.4, pp. 350-354.
entrent dans la catégorie du qigong qui, croit-on, permettent d’acquérir ces « fonctions
exceptionnelles ». Pour des milliers de passionnés de gongfu, les prouesses magiques
des légendes du passé et des films et romans d’arts martiaux ne sont plus de la
fiction : elles sont tout à fait véridiques; pour les maîtriser, il suffit de s’initier à un
bon maître de qigong.

6.1 L’image du Grand Maître

Cet espoir est incarné dans la personne du Grand Maître, qui combine en son
propre corps les pouvoirs du magicien de l’antiquité et le savoir d’un grand homme de
science. De plus en plus, il devient une figure charismatique qui vole la vedette aux
pratiques corporelles qu’il n’est, à la limite, pas nécessaire de pratiquer: on peut être
directement guéri par le maître. Dans la section 4, j’ai analysé l’idéologie du qigong;
ici, nous verrons comment l’image du Grand Maître vient à vehiculer celle-ci.
La littérature du qigong et les publications des différentes lignées contiennent
souvent des biographies de maîtres célèbres. L’étude de ces récits hagiographiques
nous montre qu’elles possèdent généralement une structure mythique commune qui
contient quelques-uns ou plusieurs des thèmes suivants:
- thème de l’enfant prodige;
- thème de l’élection de l’enfant par un mystérieux viellard qui transmet une
tradition secrète au futur maître, suivi éventuellement par l’initiation par une
succession de maîtres;
- thème du surhomme doté de pouvoir surnaturels;
- thème de la « sortie des montagnes »: le maître sort de l’obscurité pour sauver
l’humanité;
- thème du miracle de laboratoire: le maître, introduit dans un laboratoire par
des chercheurs scientifiques, produit un miracle qui est enregistré par des appareils
sophistiqués.
Pour illustrer ces thèmes, j’ai choisi des extraits des biographies de quatre
« Grands Maîtres », pour lesquels on trouve une abondance de matériaux
hagiographiques: Yan Xin, Zhang Hongbao (fondateur du Zhonggong), Chen Linfeng

450
Roman de la dynastie Ming basé sur des légendes plus anciennes, qui décrit les exploits du moine
Tangzeng et de son escorte, le singe Sun Wukong, le long de leur périple de la cour des Tang jusqu’en
Inde, à la recherche des soutras bouddhistes.
陈林峰, (fondateur du Qigong de l’Origine de la sagesse [Huiyuangong 慧元功]), et
Li Hongzhi 李洪志 (fondateur du Falungong).

6.1.1 L’enfant prodige

Enfant de la campagne, le futur maître de qigong partage les rigueurs de la vie


paysanne de sa famille et se distingue par ses qualités uniques:

« Dès son enfance, Monsieur Li Hongzhi, plein d'intelligence et de bon coeur,


se distinguait déjà parmi les enfants de son âge. Quand il voyait sa mère
occupée, il partageait activement sa besogne: garder la maison, préparer le
repas, fendre le bois et surveiller ses petits frères et soeurs. Ces derniers et ses
petits copains aimaient tous jouer avec lui et se sentaient toujours en sécurité
auprès de lui. » 451

Son village natal est entouré de paysages féériques, de grottes et de temples,


qu’il explore et fréquente dès son jeune âge:

«Yan Xin est né dans un vallon sur un col de montagne dans le village de
Fu Yan, commune de Dong An, Ville de Jiangyou [江油], province du Sichuan,
entouré de rochers étranges aux formes grotesques, de bambous verdoyants, de
forêts de pins et de cyprès, dans un paysage merveilleux. Aux alentours du
vallon se trouvent de nombreux anciens temples: à l’est le temple Ma’an
[Ma’an si 马安寺], à l’ouest le temple du Joyau d’Or [jinbao si 金宝寺], au sud
le temple de la Source Sacrée [shengquan si 圣泉寺], au nord le temple taoïste
du Dragon Noir [wulong guan 乌龙观]. …. Durant son enfance, Yan Xin
fréquentait souvent ces temples, mais ce n’était pas pour y brûler de l’encens et
se prosterner, mais pour lire et apprendre les caractères et versets gravés à
l’intérieur et à l’extérieur du temple. Lorsqu’il ne comprenait pas un verset, il
demandait aux bonzes ou aux maîtres taoïstes du temple de lui expliquer le sens.
Ainsi, naturellement, les bonzes et maîtres eurent de l’affection pour Yan Xin,
qui aimait tant discuter avec eux qu’il n’avait pas envie de partir, et restait avec
eux pour leurs repas végétariens. Il observait aussi les bonzes réciter les soutras
et imitait leur position de méditation assise. Il se rendait le plus souvent au
temple taoïste du Dragon Noir, et mérita l’affection du maître du temple, qui
était versé dans les arts médicaux. Souvent, Yan Xin l’aidait à moudre des
herbes chinoises, et à fabriquer des médicaments. La plus grande passion de
Yan Xin était de pénétrer dans la grotte du temple du Dragon Noir. Cette grotte
contient encore d’autres grottes, dans lesquelles on trouve des chaises de pierre,
des tables en pierre, un lit de pierre, et même une grande chambre de pierre.
Yan Xin a pénétré de nombreuses grottes, dont la grotte du Vieux Bouddha

451
Equipe de traduction… 1998. J’ai corrigé les nombreuses fautes de français dans ce texte traduit par
l’association du Falungong. La version originale chinoise (de même que les traductions) ont disparu
des sites internet du Falungong.
[Foye dong 佛爷洞], la grotte des Rayons Dorés [jinguang dong 金光洞], la
grotte du Roi des Singes [Yuan wang dong 猿王洞], la grotte des Carpes
Argentées [lianyu dong 鲢鱼洞], la grotte du Dragon Noir [heilong dong
黑龙洞]. Il a aussi pénétré dans une grotte sacrée, dont l’entrée est si petite
qu’on n’y entre qu’en se glissant de travers. L’entrée de la grotte est protégée
naturellement par une ruche d’abeilles; nombreux sont ceux qui n’osent
pénétrer, mais Yan Xin y entra, et découvrit un cercueil accroché au mur de la
caverne. Il se mit debout devant le cercueil suspendu et pratiqua le qigong, ce
qui lui fit ressentir beaucoup de choses. Par la suite, il visita de nombreux
temples et pénétra dans de nombreuses grottes452. »

Encore tout jeune, le futur maître découvre qu’il possède des pouvoirs
extraordinaires :
Comme sa famille habite une région pauvre où la vie est difficile, [Chen
Linfeng] commence à pratiquer les arts martiaux sous l’ordre de son père dès
l’âge de 5 ans pour protéger la maison et rester en bonne santé. Tous les jours de
4h à 5h30 et de 21h à 22h, il pratique les arts martiaux. Souvent il reste debout,
immobile, pendant deux heures.
Le petit Linfeng avait un caractère turbulent. Un jour, un garçon agé de
quelques années de plus que lui et plus grand d’une tête, tente de le faire
trébucher. Le petit Linfeng n’allait naturellement pas se montrer faible et, d’un
tour du dos, il projette sur terre l’autre garçon, qui se retrouve avec une fracture.
En peu d’années, parmi les enfants, le petit Linfeng devient le ‘chef’. Il
n’offense personne, mais ne montre aucune politesse envers ceux qui cherchent
à le provoquer.
Le père Chen est très sévère envers le petit Linfeng. Il doit respecter de
nombreuses règles, telles qu’étudier assidûment, être résolu, patient dans
l’adversité, ne pas bavarder inutilement, ne pas se comparer aux autres ni
chercher la bagarre. A tout propos, il est puni dès son retour à la maison. Des
fois, lorsque le petit Linfeng se dispute avec ses camarades, son père le bat sans
chercher à savoir qui avait raison. Sa famille étant très pauvre, il donnait aux
repas son riz à ses frères.
Pendant qu’il grandit, certains messages et intuitions pénétrent dans le
cerveau du petit Linfeng, le rendant plus rusé et intelligent que les enfants du
même âge. A l’école, il est toujours parmi les cinq premiers, même sans étudier
assidûment.
[…] Les anciens disent que le ‘8’ est le chiffre du succès – c’est à huit
ans que Linfeng vivra une expérience qui déterminera le reste de sa vie.
Cet été-là, il n’avait pas plu dans le village depuis deux mois. La récolte
était sur le point de périr de sécheresse. Les villageois étaient très anxieux et
plusieurs priaient les esprits et les Bouddhas en cachette. La sécheresse rendit
Linfeng furieux; il accuse le Ciel de ne pas aider les justes.
Un jour, alors que Linfeng était debout sur le seuil de sa porte, il lèva son
petit visage et cria au ciel bleu et sans nuage: « Ciel! Ciel! Si tu as de la
puissance, fais tomber de la pluie! Sinon, tu es de la merde! [goupi 狗屁] »

452
Zhang Bangshen 1992: 304.
On ne sait pas pourquoi, mais la pluie commença à tomber deux heures
plus tard. Linfeng en fut heureux à mourir et cria vers le ciel: ‘Si tu as du culot,
fais descendre deux ou trois jours de pluie!’
Et effectivement, la pluie lui obéit et tomba pendant trois jours. Mais
Linfeng fut soudain pris d’une maladie pendant six jours. Il ne pouvait pas
discerner de quelle maladie il s’agissait, mais avait mal dans tout le corps, et
éprouvait de vertige et de la fièvre. Sa mère devint anxieuse et voulut lui faire
une ordonnance, mais Linfeng refuse de la laisser faire un diagnostic. Il dit
vaguement: « je guérirai tout seul, l’hôpital ne pourra rien voir. »
Linfeng, étourdi, s’allongea sur son lit de planches. Il entendit soudain une
voix obscure et vénérable dans son oreille: « Petit, il ne faut pas crier n’importe
quand; si tu veux la pluie, il suffit d’en faire le voeu. Dans l’avenir tu ne dois
pas faire comme tu as fait. » Linfeng resta étonné. De qui était cette voix? Il se
força à ouvrir les yeux pour regarder autour, mais il n’y avait personne. Il pensa
alors: « je devrais rester allongé. Que la pluie tombe pour tant de monde, quelle
bonne chose! »
A partir de ce moment, il se mit à penser: « je devrais prendre un maître
pour apprendre certaines techniques. Lorsque je serai devenu très fort, je pourrai
sauver les souffrants, et personne n’osera me maltraiter » 453.

6.1.2 L’élection

Le Sage joue un rôle prépondérant dans le cheminement du futur Maître de


qigong. Personnage mystérieux dont on ignore l’identité, sans domicile fixe et errant
d’une région à une autre, parfois bonze ou maître taoïste, ‘surhomme’ capable de
manifester prodiges et miracles, vieillard à la recherche d’un disciple pour transmettre
un enseignement ancien et secret, le Sage repère son futur élève alors que ce dernier
est encore dans sa tendre enfance.
« Certains commencent à reconnaître graduellement que, étant donné la
nature mystérieuse et énigmatique des phénomènes de qigong de haut niveau,
qui le plus souvent ne sont pas reconnus, de nombreuses personnes possédant
des fonctions exceptionnelles se dissimulent dans des grottes ou dans des forêts
profondes dans des montagnes lointaines, ou alors dans des temples, afin
d’éviter d’être dérangés. Ils craignent de ne pouvoir transmettre leur Force, et
comme des nuages, errent d’une région à une autre à la recherche d’un
successeur. Ils sont très sévères dans le choix d’un successeur…
A l’âge de quatre ans, Yan Xin fut découvert et choisi comme successeur
par un surhomme [chaoren 超人] dénommé « le Vieux Montagnard »
[laoshanbo 老山伯]. Lorsque Yan Xin jouait à cache-cache dans la dense forêt
rocailleuse derrière sa maison, le Vieux Montagnard s’aperçut qu’il était le plus
habile, et que ses camarades ne réussissaient jamais à le découvrir; il le qualifia
d’ « enfant esprit » [jilingtong 机灵童]. Après l’avoir observé pendant
longtemps et par différents moyens, le Vieux Montagnard le prit en affection et
graduellement l’initia, l’aida, l’entraîna à exercer la Force et à pratiquer la boxe,
453
Chen Linfeng 1993: 254-262.
l’emmena à des temples, l’accompagna à de grands monastères éloignés de 90
km, l’entraîna à pénétrer des grottes; il lui apprit à lire les inscriptions sur des
stèles et des sentences parallèles, lui ranconta de nombreuses histoires et
répondait à toutes ses questions. Yan Xin aimait beaucoup le Vieux Montagnard
et ils connurent une amitié franchissant les générations. Ce n’est qu’après avoir
grandi que Yan Xin sut que le Vieux Montagnard était en vérité son maître; il
vénère son maître et sa Voie. Au fond, qui était ce Vieux Montagnard? D’où
venait-il? Quel était son nom? Son âge? C’est un mystère! Yan Xin refuse de le
dire -- il semble qu’il sache mais il ne peut le dire » 454.

L’enfant, qui se distingue de ses camarades par son intelligence, sa ruse, sa piété
envers ses parents, est élu, choisi par le Sage. Celui-ci apparaît dans les rêves de
l’enfant, il l’observe pendant ses jeux, corrige magiquement son comportement, lui
insuffle des enseignements moraux et ésotériques, et lui fait suivre un entraînement
sévère et rigoureux comprenant les arts martiaux, la méditation, la récitation de
mantras, des techniques de guérison et l’étude des écritures bouddhistes ou taoïstes.

On dit qu’il est difficile pour un disciple de trouver un maître, et qu’il est
encore plus difficile pour un maître de trouver un disciple. Cela dépend du
karma. Il faut que les destins se joignent. […]
[Un soir à l’âge de huit ans, Linfeng] écrivait ses devoirs à côté d’une
lampe à huile. Dans l’obscurité, il aperçut un vieillard à la longue barbe blanche
qui vogua vers lui sur un nuage. Il lui dit: « Petit, je suis le maître que tu
cherches. J’ai quitté le temple de la Montagne Sacrée [da sheng shan si
大圣山寺]; je t’attends dans un village non loin d’ici. » Sitôt dit, il disparut.
« Pépé, qui es-tu? » L’appel de Linfeng réveilla ses parents – c’était donc
un rêve. Le lendemain matin, sans dire mot à personne, il prit sa bicyclette et
suivit les indications données dans trois rêves de la nuit précédente.
Linfeng arriva devant la porte indiquée dans le rêve. Il était sur le point de
frapper lorsqu’il entendit la voix d’un vieux: « Disciple, tu es enfin arrivé! Cela
fait quatre ans que je te cherche. » […] « Maître, me voici », dit doucement
Linfeng.
Ce vieil homme était l’abbé du temple de la Montagne Sacrée. A partir de
ce jour, Linfeng devint son disciple.
Sans rien dire de plus à Linfeng, le maître lui révéla son passé, son avenir,
le rêve de la nuit précédente, la situation de sa famille, la route qu’il avait
empruntée pour le rejoindre et ce qu’il avait vu sur le chemin – il lui dit tout,
laissant Linfeng tout pantois. ‘C’est un dieu! Comment peut-il savoir tant de
choses sur moi?’ Pensa Linfeng tout étonné.
Le maître prit le poignet de Linfeng, sur lequel était une enflure rouge
provenant d’une bagarre qu’il avait eue avec un camarade deux mois
auparavant. Il souffla sur son poignet et l’enflure disparut ausitôt. […]

454
Zhang Bangshen 1992: 305-306.
Depuis ce jour, le comportement et la manière de parler de Linfeng
changèrent. Comme s’il avait grandi, il comprenait mieux les choses du monde,
et ne se comportait plus comme un enfant polisson. Son père lui demanda:
« Linfeng, tu as trouvé un maître? » « Mm. » Linfeng hocha la tête
vigoureusement.
Après avoir trouvé son maître, suivant ses indications, Linfeng alla le voir
au moins une fois par semaine pour recevoir son enseignement et pratiquer
l’ascèse. De retour chez lui, il se lèvait tous les matins à quatre heures pour
exercer la Force.
Dans son petit coeur enfantin, il y avait une forte conviction: ‘même si le
ciel me tombe dessus, rien ne pourra m’empêcher d’exercer la Force. En
exerçant la Force, je me coupe complètement du monde extérieur: cela, c’est
cela; moi, je suis moi. En exerçant la Force, je ne subis aucune restriction de
temps, de lieu ou de situation.’ Ainsi, il réalisa la méthode des Souffles réunis
[heqifa 和气法], « Entrer en résonance avec n’importe quel élément de
l’univers. » […]
En plus d’exercer la Force, Linfeng avait aussi un ‘cours obligatoire’ à
étudier tous les jours: voir et mémoriser des soutras bouddhistes. ‘Voir’, selon
Linfeng, ne signifie pas ici regarder avec ses yeux charnels, mais voir le sens
avec le coeur, et en ressentir l’essence. Le maître supérieur Sengke [僧科] dit à
Linfeng qu’en voyant les textes avec un coeur tranquille, des pouvoirs spéciaux
pourraient se manifester. Ainsi, ayant utilisé son coeur pour voir un certain
nombre de textes, Linfeng put soudain prononcer correctement des caractères
complexes et sanskrits que même les adultes reconnaissaient difficilement, et il
put prononcer les mantras qu’ils contenaient » 455.

Après son initiation par le Sage, l’enfant devient alors l’apprenti d’une
succession de maîtres représentant différentes traditions et lignées: taoïsme,
bouddhisme, arts martiaux, médecine, confucianisme, etc. Il acquiert lui-même des
pouvoirs extraordinaires:

A l'âge de quatre ans, Monsieur Li Hongzhi reçut la transmission du


Maître du Plein Eveil [Quanjue Fashi 全觉法师], dixième successeur de la
Grande Loi bouddhique, qui n’est transmise qu’à un seul disciple, et il fut alors
initié au suprême mystère (porte de Loi [famen 法门]) de « Vérité, Bonté,
Endurance » [Zhen-Shan-Ren 真善忍]. […] Quelquefois, son naturel enfantin
l'inclinait à faire exprès des malices, comme de se battre avec ses petits copains,
etc.; mais à cette bagarre succédait toujours quelque petit incident. Soit il
trébuchait sans raison, tombant par terre à plusieurs reprises, sans pouvoir se
tenir debout; ou alors ses mains commençaient à saigner, sans qu’il sache
pourquoi ni comment. A ce moment là, son maître le regardait toujours de loin,
sans mot dire. […].
A huit ans, Monsieur Li Hongzhi trouva par hasard dans le coin de son
oeil quelque chose d'étrange, et y déchiffra peu à peu les trois caractères ‘Zhen
Shan Ren’, que son maître avait inscrits dans le coin de son oeil, et qui étaient

455
Chen Linfeng 1993: 254-262.
imperceptibles aux autres mais visibles pour lui à tout moment. Plus tard, son
maître lui expliqua la signification de ces trois mots: ‘Zhen’ veut dire agir
honnêtement, dire vrai, s'abstenir de duperie et de mentir, et ne pas dissimuler
les fautes commises pour parvenir enfin à retrouver l'authenticité naturelle;
‘Shan’ veut dire avoir un coeur de compassion, ne pas humilier les autres, avoir
pitié des faibles, assister les pauvres; ‘Ren’ signifie que, dans l'adversité ou face
aux humiliations, on doit tenir le coup et voir plus loin et généreusement, sans
rancune ni grief; on ne doit pas garder du ressentiment ni se venger; on doit être
capable de subir les épreuves et d'endurer ce que l'homme ordinaire ne peut
endurer. Ces trois mots bien simples en apparence ont un sens d'une richesse
incomparable: ils sont en effet le secret ultime de l'univers. Il dit avec émotion:
c'était seulement pour ces trois mots-là que mon premier maître m'a
accompagné pendant huit années entières, ce qui montre ses efforts avec tant de
ténacité dans cette entreprise. […]
Quand il eut douze ans, son premier maître le quitta, avec ces paroles:
« Tu auras encore d'autres maîtres qui t'enseigneront » . Son second maître
l'engageait principalement dans la méthode taoïste caractérisée par une
combinaison de pratiques interne et externe, tout en lui transmettant la Force
taoïste, comme des arts martiaux avec le sabre, la lance, l'épée et d'autres armes.
Son maître l'emmenait toujours dans un lieu écarté et lui tenait souvent
compagnie en s'exerçant avec lui. Les exercices de position debout à cheval
duraient souvent plusieurs heures, et son corps était tout ruisselant de sueur;
mais ainsi travaillé, son corps devint souple et mou comme du coton et à la fois
rigide comme du fer. Le temps filait, et après deux années il avait peiné et sué
plus qu’un homme ordinaire ne pourrait croire possible, si bien qu'à la fin il
atteignit le comble de la perfection dans cette méthode sous tous les aspects.
Mais, quand leur intimité fut devenue une affection bien profonde, son second
Maître fut sur le point de le quitter. Au moment de partir, il lui confia: « Je
m'appelle l’Homme Véritable des Huit Pôles [Baji Zhenren 八极真人], j'erre
aux quatre coins du pays sans attache. Après mon départ, la société va connaître
une catastrophe, mais toi, ne t'en mêle pas, et retiens seulement une chose: la
pratique assidue » 456.

Pour résumer, le maître de qigong ne choisit pas de devenir maître; il est lui-
même choisi par le Sage qui lui transmet l’enseignement secret. La rencontre entre le
Sage et son disciple est souvent considérée comme étant prédestinée – le yuanfen ou
fruit du karma.
Le maître de qigong est donc une personne hors de l’ordinaire, non seulement
en vertu de ses pouvoirs magiques, mais aussi parce qu’il est l’un des rares élus,
récipiendaires par volonté karmique d’une Force transmise secrètement par le
vieillard incarnant la figure du Sage.457

456
Equipe…1998.
457
Cette notion se retrouve aussi dans le discours populaire sur le qigong. Plusieurs personnes m’ont
expliqué qu’elles ne pratiquaient pas le qigong parce qu’elles n’avaient pas cette prédestination
(yuanfen), disant que c’est normalement par yuanfen et non par volonté personnelle qu’on trouve un
maître de qigong.
6.1.3 Le surhomme aux pouvoirs magiques

Les exploits magiques des maîtres occupent une grand part dans la légende qui
les entoure. En bref, les maîtres appartiennent à une catégorie autre que celle des
hommes ordinaires. Leur nature exceptionnelle se manifeste par leur aptitude à
transcender les lois de la physique, qui leur donne la capacité de guérir des maux
incurables.
Dès l’âge de huit ans, Monsieur Li Hongzhi se trouvait initié dans la
Grande Loi pour l’étape supérieure et fut pourvu d’immenses pouvoirs
supranaturels. Quand il jouait à cache- cache avec ses copains, pour peu qu’il
eût l’idée d’être invisible aux autres, personne ne pouvait l’apercevoir, même
lorsque la lumière d’une lampe de poche était projetée sur son visage. Un long
clou courbé et rouillé, enfoncé dans un morceau de bois, il pouvait l’arracher
sans peine avec la main. En hiver, le tuyau d’eau gelait, dès qu’il le touchait
avec les mains, le tuyau se courbait sans qu’il sût lui-même pourquoi. En
s’ébattant avec ses copains dans la neige, dans ses sauts et dans ses courses, il
pouvait bondir en l’air s’il rencontrait deux personnes qui allaient en venir aux
mains, tant qu’il gardait l’idée d’empêcher l’une des deux de s’approcher, cette
personne là ne pouvait plus avancer d’un pas. Quand il était en quatrième année
de l’école primaire, un jour il oublia son sac dans la classe fermée à clef et
même les fenêtres closes, il pensa alors: « Pourvu que je puisse entrer! » L’idée
l’avait à peine effleuré qu’il se trouva promptement dans la salle de classe. Il
pensa de nouveau et, il en ressortit; lui-même croyait au miracle. Et un moment,
par boutade, il eut l’idée de tenter l’expérience de rester dans la vitre; cette
pensée une fois venue à l’esprit, son corps fut coincé dans la vitre, et il sentait
aussitôt son corps et sa tête encombrés d’éclats de verre qui le faisaient
beaucoup souffrir, il fallait en sortir tout de suite. Dès qu’il pensa ainsi, il se
trouva aussitôt hors du verre. Pourtant, il ignorait alors ce qu’étaient les
pouvoirs de Force, il croyait que tout le monde pouvait le faire, et il n’y prêtait
aucune attention458.

6.1.4 La « sortie des montagnes »

Le jeune maître continue donc d’exercer la Force qu’il a acquise, ses pouvoirs
augmentent, et il commence à acquérir une certaine renommée. Mais il reste
relativement anonyme, jusqu’au jour où, suivant l’ordre ou la direction de ses Maîtres,
il décide de « sortir de la montagne » (chushan 出山) pour manifester sa Force et
délivrer le monde de ses agonies:
[Des années plus tard, après que Linfeng eut grandi,] « au printemps de 1981, le
vénérable Maître Sengke appela son disciple Linfeng à son côté et, d’une voix
458
Equipe…1998.
pleine d’amour maternel et d’un air tranquille et spirituel, lui dit: « à partir de
maintenant, tu peux sortir de la montagne et fonder ta lignée, afin de sauver
toutes les créatures vivantes. Utilise ta sagesse et ton éloquence pour réduire la
souffrance des vivants. Je te commande de fonder le Qigong du Lotus de
sagesse (Huiliangong 慧莲功).[…] Les graines du qigong du Lotus de sagesse ,
sorties du terroir natal et suivant la trace du fondateur Chen Linfeng, furent
semées vers le pays entier et jusqu’en Asie du sud-est. » 459

La biographie de Li Hongzhi relate de la manière suivante le cheminement qui


le mène vers la fondation et l’enseignement public de sa méthode:

« En marge de sa dure pratique, une question le hantait toujours au fond


de son coeur: pourquoi ses maîtres lui transmettaient-ils leurs méthodes?
Pourquoi est-il venu dans ce monde? […]
L'humanité devrait vivre dans des conditions superbes mais son égarement
spirituel l'entraîne dans cette situation où l'âme et le corps se voient rongés et
torturés. Si maintenant le niveau de vie matérielle de l'homme s'élève de jour en
jour, il n'en va pas de même de sa mentalité. Chaque fois qu’il a cette pensée,
Monsieur Li Hongzhi en a le coeur navré. Le peuple a besoin d'une bonne santé
et d'une âme noble pour constituer une belle société et une belle humanité. Tout
conscient de ses devoirs, il se résolut à faire tout son possible pour rendre la
santé au peuple et pour édifier un paradis des âmes nobles. Pour cela, il se
décida à créer une méthode de la Grande Loi praticable par les gens ordinaires,
en la basant sur sa propre Grande Loi avec transmission à un seul disciple,
pratiquée en secret par lui- même pendant de nombreuses années. Il se rendit
compte que ce but magnifique serait néanmoins plein de difficultés et que ce
serait une voie jonchée d'obstacles et de détours. Mais ayant pris son parti, il
s'engagea dans l'action sans aucune hésitation.
A partir de 1984, Monsieur Li Hongzhi commença à faire des recherches
sur le qigong à l'échelle du pays et du monde, et à participer en même temps à
des stages de qigong. Il fit l'analyse des besoins de ses contemporains et en
conclut que, comme la Grande Loi se propagerait parmi les masses, elle devait
s'adapter à la vie normale des gens ordinaires. Chaque individu ordinaire a son
travail, son temps réservé chaque jour à la pratique lui paraît bien restreint, mais
les méthodes de pratique traditionnelles s'avèrent trop compliquées dans leurs
techniques et trop lentes dans l'accroissement de la Force. La Grande Loi devait
pouvoir éviter ces inconvénients et permettre d'assimiler leurs qualités. Il
constatait que la santé de l'homme dépend essentiellement de son état d'âme, et
que, si chacun aspire au bonheur, c'est seulement l'égarement spirituel des
hommes qui engendre toutes sortes de maux et de vices. Par conséquent, il
décida de créer par adaptation une Grande Loi d’entraînement et de pratique
convenable aux gens actuels, appelée Falungong, car la Grande Loi bouddhique
de la Roue du Dharma pratiquée autrefois par Monsieur Li Hongzhi, est une
école de la Loi de niveau si élevé qu'elle ne se prête pas à une large propagation.
Monsieur Li Hongzhi se dévoua à partir de 1984 corps et âme à la création
du Falungong, il fit le bilan des avantages et inconvénients de toutes les écoles

459
Chen Linfeng 1993: 262
apparues dans l'histoire du qigong en en assimilant l'essence pour l’intégrer dans
le Falungong. Ainsi, la Roue du Dharma de l'école bouddhique, le Yin-Yang
taoïste et tout ce qui existe dans les dix directions de l'univers, se reflètent tous
dans le Falungong. Au cours de la création du Falungong, tous ses maîtres
vinrent l'aider, y compris les bouddhistes et les taoïstes, ceux des écoles de la
Grande Voie ainsi que ceux d'autres écoles. Chaque geste ou position du
Falungong fut ainsi fixé sous la directive de ses maîtres, à travers tant
d'élaborations et de tests répétés, et tant d'évolutions et de constatations
physiques. Dans un certain sens, le Falungong a assimilé non seulement le
caractère propre à Monsieur Li Hongzhi, ou l'essence d'une ou deux ou
plusieurs écoles, mais il rassemble en réalité toutes les sortes de pouvoirs
prodigieux de l'univers, autrement dit son essence même, qui se cristallise
dorénavant dans la seule personne de Monsieur Li Hongzhi. » 460

Ainsi, le maître contrôle tous les pouvoirs de l’univers. Son pouvoir magique est
tel qu’il est souvent représenté comme un dieu. On compare Yan Xin à un
« Immortel » , à un « Bouddha vivant ». Li Hongzhi se pose en esprit omniscient de
l’univers, auprès duquel même les « bouddhas, taos et dieux » apprennent la
« Grande Loi » 461.

6.2 La carrière du maître charismatique

Vers la fin des années 1980 et sous l’influence de l’idéologie du paranormal, la


dimension charismatique devient une partie incontournable du rôle du maître. Il n’est
plus suffisant de créer et d’enseigner une méthode de qigong. Or nous avons vu dans
la section 3.2 que les maîtres de qigong sont un groupe d’hommes d’âge moyen,
marginaux par rapport aux institutions aussi bien traditionnelles que modernes.
Cependant, la fonction de maître de qigong exige qu’ils soient des surhommes,
détenteurs d’une force mystique héritée de traditions secrètes remontant à la haute
antiquité, et transmetteurs d’une voie du salut de l’humanité. Comment leur personne
peut-elle être identifiée à cette image? La carrière du maître de qigong est un
processus de création d’une personalité publique entourée d’une légende, jusqu’au
point où il vient à être naturellement et inconsciemment perçu comme une incarnation
de l’archétype. Le facteur essentiel dans l’émergence du maître est le charisme de sa
personalité publique: l’identité entre le maître et la figure de l’archétype doit être
convaincante et non artificielle. Il doit donner l’image d’un « vrai » maître de qigong

460
Equipe… 1998.
et non d’un charlatan, dans un contexte ou les « faux » sont de plus en plus nombreux
dans la foulée de la vague du qigong. Le statut de « maître de qigong » n’est jamais
objectivement acquis ni universellement reconnu: il fait l’objet d’une lutte
perpétuelle.
Le charisme du maître est fait de quatre ingrédients majeurs: ses pouvoirs de
guérison; sa vertu; son initiation dans une tradition; et son statut d’homme de science.
D’abord, ses pouvoirs: c’est le critère le plus important. Etant donné qu’il n’existe
aucune tradition « orthodoxe » de qigong qui pourrait trancher entre les « vrais » et
les « faux » , la démonstration de pouvoirs réels est la seule manière de prouver son
aptitude de maître authentique. Ainsi les démonstrations publiques de « fonctions
exceptionnelles », les séances d’émission de « qi externe », les conférences
charismatiques, les témoignages de malades guéris sont autant de contextes dans
lesquels se constitue autour du maître l’image d’une personne dotée de pouvoirs hors
de l’ordinaire, qui peuvent néanmoins être vus et ressentis par l’homme moyen. Si
une « légende » se crée autour du maître, il prendra vite une stature surhumaine.
Ensuite, sa vertu: cette qualité est reconnue lorsque le maître mène une vie
simple et soigne les malades gratuitement. Le critère de la vertu sert à juger les
intentions du maître: soigne-t-il pour gagner de l’argent, ce qui peut l’inciter à
tromper les gens, ou son oeuvre est-elle un sacrifice pour les autres?
Troisième ingrédient: c’est un initié, un héritier d’une tradition secrète transmise
depuis l’antiquité à un très petit nombre d’élus. Cette notion crée un lien entre le
maître et les pouvoirs magiques des figures mythiques – sages, immortels et éveillés -
- du passé. Le maître devient une incarnation de ces mythes, créant, à travers sa
relation avec ses adeptes, un lien concret et vivant entre ceux-ci et la tradition
mythique. En même temps – et c’est le quatrième ingrédient – il se présente comme
homme de sciences, « chercheur en sciences de la vie » qui mène des expériences de
laboratoire, incarnant dans son corps et sa personne les pouvoirs de la science. Ainsi
sa quête de collaborateurs dans des universités et établissements prestigieux dont il
cherche à coller l’aura scientifique à son image.
Mais la crédibilité des maîtres n’est jamais définitivement acquise. Toujours
mise en doute par une partie du public et toujours contestée par les adversaires du
qigong, l’aura entourant les maîtres repose sur des fondations fragiles. Les affiliations

461
Li Hongzhi 1998b: 37.
à des lignées traditionnelles sont difficiles voire impossibles à prouver, et c’est un fait
connu dans le monde du qigong qu’elles sont souvent inventées462. La reconnaissance
par le monde officiel et scientifique peut être retirée suivant l’évolution de l’opinion
scientifique et de la conjoncture politique. Et les prétendus pouvoirs de guérison et
« fonctions exceptionnelles » des maîtres font l’objet d’une vive controverse463.
A lui seul, le charisme du maître est donc insuffisant. Pour consolider
l’adhésion de milliers, voire de millions de personnes, le maître doit tisser deux
réseaux: en direction du monde officiel, un réseau de guanxi – de relations fondées
sur des obligations réciproques464 -- et en direction du monde populaire, un réseau de
transmission de sa méthode. La carrière typique du maître de qigong passe par donc
par les phases suivantes:
D’abord, il commence par l’apprentissage des techniques de culture corporelle –
soit auprès d’un maître traditionnel, soit auprès d’un maître de qigong, soit seul avec
l’aide de manuels de pratique.
Ayant maîtrisé les postures de base ainsi que les techniques employées dans la
guérison (émission de qi externe, voyance, etc.), il commence à soigner dans son
entourage. Autour de lui se constitue un groupe de patients et d’élèves, qui croient
dans ses « fonctions exceptionnelles » et le considèrent comme « maître de qigong » .
La prochaine étape consiste à être reconnu comme maître dans le monde du
qigong: c’est l’étape de la « sortie des montagnes » (chushan 出山), terme qui
renvoie à l’image d’un sage qui renonce à sa vie cachée d’ermite pour sauver
l’humanité. Pour ce faire, il doit fonder sa propre méthode de qigong – qui, au début,
peut n’être qu’un nom de méthode avec un simple enchaînement de postures. Il doit
nouer des relations avec les dirigeants d’une association semi-officielle de qigong;
donner des conférences dans une université; collaborer avec des chercheurs
scientifiques sur les « fonctions exceptionnelles »; se faire engager par un hôpital ou
une clinique; être le sujet d’un article de presse ou d’un reportage à la télévision. Par
ces moyens, le maître entre dans le circuit du qigong.
A travers ces activités, il acquiert une certaine renommée. Le nombre d’élèves
augmente, de plus en plus de malades implorent son aide pour les soigner. Des
établissements d’autres villes et régions de Chine, y compris des associations semi-

462
Li Yuanguo: communication personnelle.
463
Voir le chapitre 9.
464
Sur la pratique du guanxi en Chine, voir Yang 1994.
officielles locales de qigong, l’invitent à donner des conférences et des stages. Ces
événements lui permettent de gagner de l’argent et d’étendre son réseau d’élèves. Il
peut même prendre des disciples personnels (tudi 徒弟)465.
A ce stade, ses élèves se trouvant dans plusieurs villes, il doit commencer à
construire une organisation. Avec ses disciples les plus proches, il fonde une
organisation centrale, inscrite auprès d’une association semi-officielle de qigong avec
laquelle il entretient de bonnes relations et partage les revenus des ses activités. Il
commence aussi à établir un réseau de postes généraux de formation dans chaque ville
où il donne des cours ou conférences. Ainsi le réseau s’étendra graduellement sur
toute la Chine466.
En même temps, afin de pouvoir créer un système de transmission efficace et
réplicable à grande échelle, la méthode du maître doit maintenant être bien rôdée,
compacte, facile à enseigner, et offrir une voie claire de progression. Surtout, elle doit
être disséminable par support écrit: le maître doit faire publier un livre sur lui-même
et sa méthode. Comme la plupart des maîtres ne sont pas capables d’écrire un livre, le
livre est souvent composé de transcriptions remaniées des conférences du maître. Ou
alors, ils engagent un écrivain pour la rédaction. Et, dans son réseau de relations, le
maître demande à un dirigeant politique de rédiger et signer une dédicace au livre467.
Armé de sa méthode, de son livre, et de son réseau de transmission, la lignée du
maître peut s’implanter à grande échelle. Mais s’il veut monter à un cran supérieur:
devenir une célébrité, être le plus grand des maîtres de qigong, l’aide de personnalités
politiques sera essentielle afin d’ouvrir des portes, d’asseoir la légitimité de sa lignée,
et d’assurer sa protection en cas d’actions de certaines administrations contre lui ou sa
lignée. Les médias de masse jouent aussi un rôle capital dans la « déification » de
certains maîtres – ce qu’illustrent les exemples de Yan Xin et de Zhang Hongbao.

465
Ji Yi, l’écrivain qui a fondé sa propre lignée de qigong après être devenu célèbre grâce à ses livres
sur le qigong, présente un intéressant cas de figure: à la question « prenez-vous des disciples? » , il
répond: « je prends des disciples. Je ne veux pas le faire, mais d’autres veulent absolument devenir mes
disciples, alors je ne peux faire autrement que de les accepter comme disciples. […] Maintenant, je ne
peux plus me considérer uniquement comme un écrivain célèbre, je suis aussi maître de qigong. Au
début, je n’avais pas l’habitude, mais maintenant, je suis entré dans cette voie, il faut bien que je me
reconnaisse comme maître de qigong. » (cité dans Li & Zheng 1996: 141-2). Ces propos montrent que
le rôle de maître de qigong peut être aussi bien assigné par des adeptes que revendiqué par le maître
lui-même.
466
Pour une analyse du modèle d’organisation et de transmission de ces réseaux, voir le chapitre 10.
467
Quant au problème de trouver un éditeur: le principal obstacle est de trouver les fonds nécessaires à
l’impression. En Chine des années 1980 et 1990, les éditeurs sont réticents à assumer le risque
commercial de publier les ouvrages de particuliers: à moins que ces derniers assument les frais
d’impression. Dans ce cas, il n’y a pas de problème.
Yan Xin est un thérapeute de médecine chinoise inconnu, jusqu’à ce qu’un
journal régional publie un article sur une guérison qui lui est attribuée. Il est invité à
Pékin par Zhang Zhenhuan, la personnalité politique la plus importante du monde du
qigong, qui l’introduit dans les circuits du monde du qigong. Il soigne et donne des
conférences dans plusieurs villes, et collabore avec des chercheurs de l’université
Qinghua sur une expérience sur le « qi externe ». La publication des résultats par les
journaux nationaux le transforme en célébrité. Il publie sa méthode, le « qigong de
Yan Xin » , et commence une tournée de conférences charismatiques à travers la
Chine. Il crée aussi un réseau de transmission, mais quitte la Chine avant que ce
réseau ne se consolide. En conséquence, son organisation est peu influente au sein des
réseaux de qigong.
Zhang Hongbao est un étudiant inconnu qui apprend le qigong seul, s’inscrivant
dans différents stages à Pékin. Il se constitue un noyau initial de disciples composé de
quelques-uns de ses professeurs et camarades de classe, et se fait inviter pour donner
une conférence dans une université. Il fonde sa méthode, le « qigong pour nourrir la
vie et augmenter l’intelligence » et une organisation pour la diffuser. Invité à donner
des stages dans les universités, les administrations et les médias de Pékin, il entre
rapidement dans les circuits d’influence. La télévision le fait connaître à toute la
Chine, et un best-seller écrit sur lui par le journaliste Ji Yi achève de le consacrer
comme idole. Avec l’aide de responsables militaires et politiques dans les provinces –
Sichuan et Shaanxi notamment --, il construit son immense réseau de transmission –
qui continue de se développer même après sa disparition en 1995.
Les trajectoires de ces duex maîtres sont traitées en détail dans la prochaine
section. Pour résumer, la carrière du maître consiste à créer autour de soi : (1) une
aura; (2) un réseau de relations politiques; (3) une masse d’adeptes. Le maître de
qigong n’est pas un modeste hermite ou un sage inconnu comme ceux dont il prétend
être l’héritier. C’est une personnalité publique engagée dans une lutte perpétuelle pour
être reconnu et accepté comme Grand Maître par le grand public.
7. LA « FIEVRE » DU QIGONG

7.1 Le phénomène Yan Xin

C’est dans ce contexte que Yan Xin, un obscur praticien de médecine chinoise
du Sichuan, devient soudain une célébrité nationale dans la deuxième moitié des
années 1980. Adulé comme un dieu par les foules, sa personne viendra à incarner
l’image du Grand Maître de qigong, possesseur de pouvoirs infinis et héraut de la
nouvelle révolution scientifique.

7.1.1 L’éruption de Yan Xin sur la scène médiatique

Né en 1950 dans une famille de paysans du village de Fuyan 福严村, dans la


commune de Dong’an 东安乡située dans les collines à proximité de la ville de
Jiangyou, Yan Xin avait, suite à ses études collégiales, été envoyé à la campagne
comme « médecin aux pieds nus » durant la Révolution culturelle. De 1974 à 1977, il
étudie à l’Institut de médecine chinoise de Chengdu, puis devient professeur à l’Ecole
de médecine chinoise de Mianyang; vers cette période, il devient disciple du célèbre
maître d’arts martiaux du monastère de Shaolin, le bonze Haideng, dont la commune
natale de Chonghua 重华镇 est tout proche de celle de Yan Xin. En 1981, il est
transféré à l’Institut de recherches en médecine chinoise de Chongqing. Durant ces
années à Chengdu, à Mianyang et Chongqing, il mène une vie très ordinaire et ne se
distingue nullement. Il ne laisse aucune impression de talent particulier auprès de ses
professeurs, des autres disciples de Haideng, ou de ses collègues de travail. A
Chongqing, ses relations de travail sont malheureuses; critiqué et puni par les
dirigeants de l’institut pour avoir aidé un patient à obtenir des médicaments par la
« porte arrière »468, il prend un congé de maladie dans la deuxième moitié de 1984469.
Or quelques mois plus tard, au début de 1985, le Journal des travailleurs du
Sichuan publie un article décrivant l’art thérapeutique « merveilleux » de Yan Xin470.

468
C’est-à-dire en court-circuitant les procédures normales à l’aide de relations personnelles. Sur la
« porte arrière » , voir Yang 1994.
469
Zheng Guanglu 1991 : 121.
470
Ao Dalun 1995.
L’article relate le cas de l’ouvrier Jiang Zili 蒋自立 qui, heurté par un camion, se fait
écraser une vertèbre. Certains médecins considèrent qu’il devra rester allongé sur une
planche de bois pour au moins six mois, et qu’il est fort possible qu’il ne recouvre
jamais. Mais, grâce à Yan Xin, il guérit après seulement dix jours :
«… les dirigeants de la société de transports [responsable de l’accident]
ont invité Yan Xin, médecin de l’Institut de recherche en médecine chinoise de
Chongqing. Yan Xin entre dans la chambre et jette un coup d’oeil au malade;
ensuite, il demande à toutes les personnes présentes de sortir et d’attendre
[dehors], et ferme la porte de la chambre.
Avant qu’une heure ne passe, la porte s’ouvre, et Jiang Zili sort, marchant
tout seul, sans soutien et sans béquilles. D’emblée il va dehors et parcourt à pied
une distance d’un kilomètre. Tous s’écrient : c’est un médecin à miracles
[shenyi 神医]!.
Comment le Dr. Yan Xin a-t-il pu guérir la blessure du jeune Jiang? Votre
journaliste s’est rendu au domicile du jeune Jiang. Ce dernier, le visage
rayonnant, explique : « le Dr. Yan est resté debout à une distance de quelques
centimètres de moi, et m’a soigné par le qigong. Après une demi-heure, je
pouvais sortir du lit, me plier aux hanches, sauter, et me mouvoir suivant mon
désir. Je n’ai pris aucun médicament. »
« Médecin à merveilles »! « Miracle! » En un mois et demie d’entretiens,
tous nous ont fait part de la même réaction. »

La nouvelle est reprise par le Journal des travailleurs de Chongqing et par les
revues Passion des sports (Tiyu aihaozhe 体育爱好者) et Qigong et science. Yan Xin
devient soudain une personnalité réputée comme « médecin à miracles »471.
Des malades lui écrivent du pays entier, le priant de les soigner. Commence
alors une période d’errance à travers la Chine. En mai 1986, une société de
construction de Shijiazhuang envoie un représentant à Chongqing pour l’inviter dans
le Hebei pour soigner un de ses employés. Il se rend ensuite de ville en ville,
répondant aux appels des malades. Sa renommée se répand; il est connu pour sa vertu
(il refuse tout paiement ou cadeau de la part des patients) et pour ses pouvoirs de
guérison, sa capacité, par exemple, de faire marcher des paralysés.
Vers l’été 1986, la nouvelle arrive à l’oreille de Zhang Zhenhuan, qui devient
curieux de rencontrer ce personnage. Or à ce moment, le célèbre scientifique Deng
Jiaxian 邓稼先, l’un des principaux spécialistes chinois de l’énergie atomique, qui
était alors dans la phase terminale d’un cancer et souffrait de douleurs aigües,
demande à son ami Wan Li 万里 (1916- ), membre du Bureau politique du Comité

471
Zheng Guanglu 1991 : 123-124; Pang Youzhong & Chen Guangman 1986.
central du PCC, de l’aider à trouver un moyen de réduire la douleur. Ce dernier, à
travers la Commission militaire centrale, entre en contact avec Zhang Zhenhuan qui
suggère de convoquer Yan Xin pour soigner le malade. Avec l’accord du ministre de
la Défense Zhang Aiping472, la Commission scientifique et industrielle de la Défense
nationale obtient de l’unité de travail de Yan Xin à Chongqing la permission de le
faire venir à Pékin. Il réussit à réduire considérablement la douleur du malade473, et
soigne de nombreuses autres personnes qui témoignent toutes de leur satisfaction474.
Avec la protection de Zhang Zhenhuan et de ses réseaux politiques, militaires et
scientifiques, la crédibilité et la renommée de Yan Xin font boule-de-neige. Le 18
novembre 1986, il est consacré par le quotidien Guanming qui écrit de lui :
« Avez-vous jamais rencontré un médecin qui voyage des milliers de li
pour trouver des malades? Quelle coïncidence : votre journaliste en a rencontré
un tout récemment. Portant les lettres et télégrammes de malades en quête d’une
cure, il quitte Chongqing et traverse les villes de Rangfan [壤番], Wuchang,
Shijiazhuang, Pékin, Tianjin, Miyun [密云]... dans chaque ville, il soigne les
patients. Les malades décrivent son art médical comme sublime et sa morale
médicale comme d’une grande vertu. [...] Il combine en un seul corps la
médecine chinoise, le qigong, les arts martiaux et les fonctions exceptionnelles;
ses traitements donnent souvent des résultats incroyables. »475

7.1.2 Les expériences de Yan Xin à l’université Qinghua

Le Groupe de recherches sur le qigong de l’université Qinghua, qui menait des


recherches sur le qigong depuis 1980, s’intéresse au cas de Yan Xin. Les responsables
du groupe, Lu Zuyin 陆祖荫 et Li Shengping 李升平, l’invitent à collaborer à des
expériences de laboratoire. La première expérience a lieu le 22 décembre 1986. Le
maître aux pouvoirs magiques se retrouve face à face avec les instruments froids et
précis de la science objective. Quel sera le résultat de cette rencontre? Li Shengping
décrit ainsi la scène:
« Accompagné des professeurs du groupe de recherche, le docteur Yan
Xin entre dans le laboratoire à laser du Pavillon des sciences. Les professeurs
lui présentent d’abord l’usage des différents instruments, et expliquent comment
ils avaient auparavant mené des expériences sur [l’effet du qi externe sur] la
réfraction de crystaux liquides. Ce jour-là, c’est la première fois que Yan Xin
collabore avec des chercheurs scientifiques, il était de très bonne humeur; il a

472
Li Peicai 1988: 246-258, cité dans Kane 1993: 162.
473
Ce dernier est néanmoins mort peu après le traitement de Yan Xin.
474
Zheng Guanglu 1991 : 124-26.
475
Pang Youzhong, Chen Guangman 1986.
donc, dès son entrée dans la salle, émis sa Force, à l’insu des hommes au corps
ordinaire de l’entourage. L’expérience étant sur le point de commencer, les
professeurs demandent à Yan Xin la permission d’éteindre les lumières. Yan
Xin, souriant, fait un signe de tête en assentiment. Mais un phénomène
inexplicable se produit; peu importe comment ils s’y prennent pour agiter
l’interrupteur, [ ...] la lumière ne s’éteint pas! D’autres professeurs essayent à
leur tour, toujours sans effet. L’atmosphère dans le laboratoire se tendit : si l’on
ne peut éteindre la lumière, cela signifie que le phototube ne peut fonctionner
normalement, et donc que la première journée d’expériences à peine entamée, la
première expérience ne pourra se réaliser. Chacun se regarde, rien à faire. A ce
moment Yan Xin dévoila la réponse à l’énigme, et dit, souriant : « si, tout à
l’heure, vous ne m’aviez pas parlé d’éteindre la lumière, la lumière aurait pu
s’éteindre; comme vous m’avez dit qu’il fallait éteindre la lumière, j’ai pu vous
empêcher de l’éteindre. » Et il s’avança, appuya légèrement sur l’interrupteur, et
toutes les lumières du laboratoire s’éteignirent. Cette démonstration inattendue
[des pouvoirs] de Yan Xin, mena tout le monde à penser à l’épisode où, après
avoir émis sa Force dans l’espace de dix minutes, il put demander à un malade
aux omoplates pulvérisées de faire des tractions. Tout d’un coup, l’atmosphère
dans le laboratoire s’anima. Tous pressentent que l’expérience de ce jour aura
peut-être un dénouement inimaginable. Mais Yan Xin semble avoir peu
d’intérêt pour le crystal liquide. Il s’avance vers le l’enregistreur automatique et
demande à un professeur : « comment étaient les figures transcrites lors de
l’expérience précédente? » Lorsque le professeur eut fini de lui décrire la figure,
le transcripteur se mit bizarrement à dessiner une figure ressemblant à celle de
l’expérience passée. En un instant, sous l’impulsion du qigong de Yan Xin,
plusieurs ‘figures expérimentales’ complètes furent dessinées. Les professeurs
présents se rendirent aussitôt compte que Yan Xin n’avait pas émis de Force
vers le crystal liquide, mais qu’il contrôlait [directement] le transcripteur. Mais
avant qu’ils aient fini leur pensée, le transcripteur se mit à émettre un bruit
strident qu’il n’émet normalement que lorsque les signaux enregistrés sont trop
grands ou trop petits. Mais tout le monde se fixa les yeux sur le crayon du
transcripteur, qui n’était pas allé vers les deux bords, mais s’était immobilisé au
centre, des bruits désordonnés se faisant entendre. Aucun des professurs
présents n’avait jamais vu ce type de phénomène. Alors que tout le monde était
encore hébété, Yan Xin commença son prochain numéro. Il pénètre dans un
autre laboratoire distant de plus de dix mètres du transcripteur, émet sa Force
d’un cri, et le transcripteur enregistre aussitôt une pulsation. Encore un cri, et un
deuxième, et une première, une deuxième pulsation sont en même temps
enregistrées. Il s’approche ensuite du transcripteur, et se frappe la tête des mains
– un coup, deux coups, le crayon enregistre des pulsations d’une forme
différente. C’était tout simplement trop miraculeux. Tous regardaient ses
démonstrations dans un état d’excitation extrême. Ils se rendirent cependant
compte que l’étrange est bien étrange, mais que si l’on continuait de la sorte,
l’objectif de l’expérience serait dénaturé; la première expérience fut donc
conclue. […]

[Les professeurs accompagnent alors Yan Xin vers le Centre d’analyses


de qinghua pour réaliser la deuxième expérience.]
Ensuite, le professeur du laboratoire donne au docteur Yan deux
échantillons d’eau courante préparés à l’avance, et lui demandent d’émettre la
Force. Le docteur Yan, après avoir jeté un coup d’oeil sur les éprouvettes, dit
d’un ton confiant : « c’est bon, vous pouvez mesurer » . « C’est bon? Après
moins d’une minute? » Les professeurs furent tout étonnés, car les maîtres de
qigong qu’ils avaient vus auparavant avaient d’abord dû se mettre dans une
position appropriée, gesticuler des bras et des pieds, des fois jusqu’à ce que leur
figure et leurs oreilles deviennent tout rouges. Or ce jeune homme devant eux
dit qu’il a émis sa Force d’un simple coup d’oeil. »

[On accompagne alors Yan Xin au laboratoire de catalyse du département


de chimie.]

« Dans une salle du vaste laboratoire de catalyse, un récipient de quartz de


qualité supérieure est posé sur le comptoir de travail en granit. L’extérieur de ce
contenant semble ordinaire, mais ce qu’il contient pose un problème très
difficile au docteur Yan Xin. Ce contenant est rempli d’hydrogène et de
monoxyde de carbone; son nom scientifique est « gaz de synthèse » . Si l’on
veut provoquer un changement dans un gaz de synthèse, cela est tout
simplement impossible si l’on n’a pas un peu de talent de surhomme. Car dans
l’industrie, il faut normalement plusieurs [unités de] pression atmosphérique
pour provoquer une réaction de gaz de synthèse, alors qu’il n’y a qu’une seule
[unité de] pression atmosphérique dans le contenant. Pour une réaction, il faut
une température de 300º C ou plus, alors que la température ambiante n’est que
de 13º C. Pour une réaction, il faut un agent catalyseur, or, en dehors du gaz, il
n’y a absolument rien dans le contenant. Rien de surprenant alors qu’une fois
l’explication finie, le Docteur Yan fronce les sourcils et s’arrête un instant. Il
dit enfin qu’il doit émettre une Force puissante, et demande à tous de sortir.
Tout le monde se rend dans une autre salle et attend en silence. Après cinq
minutes, la porte s’ouvre, Yan Xin sort et dit qu’il ne peut plus continuer
d’employer la Force, car le contenant a commencé à faire le bruit ‘keke’, et
qu’il faudrait prendre un instrument et mesurer. [...] Bien sûr, afin d’éviter que
l’instrument ne soit sujet à interférence, les professeurs du Groupe de recherche
ont accompagné Yan Xin de retour au Centre d’analyses. Au moment d’entrer
dans le laboratoire, une nouvelle encourageante les attend : l’analyse au laser de
l’eau du robinet contenant des informations secrètes de qi externe est sortie.
Après examen, l’instrument fonctionne normalement; l’analyse de l’Effet
Raman de l’eau à informations est effectivement différente de l’eau ordinaire.
Bonne nouvelle, ceci est vraiment une nouvelle réjouissante! Il faut savoir que
le corps d’un homme ordinaire est constitué d’eau à 65%; l’effet du qi externe
du qigong sur l’eau ordinaire et sur l’eau dans le corps suivent la même logique.
La découverte du secret de l’eau à informations équivaut à la découverte du
secret du pouvoir du qi externe à guérir les maladies. Ceci est un résultat lourd
de signification! Tout le monde a les yeux fixés sur les lignes tracées par cet
appareil ayant coûté plusieurs centaines de milliers de dollars américains.
Soudain, tout le monde se rappelle la réaction chimique, et s’empresse en coup
de vent vers le laboratoire de catalyse. Dans le laboratoire, le graphique traité
par ordinateur est apparu sur l’écran couleur. Un nouveau produit chimique est
effectivement apparu, une réaction chimique a été provoquée par l’effet du qi
externe; l’expérience est un succès. Les professurs experts présents dans le
laboratoire entérinent [le résultat] et confirment que l’expérience est véridique,
que ce n’est pas n’est pas un tour de magie, mais que c’est un miracle créé par
l’homme! »476

Le 27 décembre, les mêmes expériences sont répétées, à une différence près,


que Yan Xin émet sa Force à partir d’une distance de sept kilomètres du laboratoire.
Dans le mois qui suit, une série d’expériences sont menées, avec différents types
d’échantillons (eau salée, eau à glucose, etc.), et à différentes distances, allant jusqu’à
2000 km. Dans tous les cas des changements sont observés dans les échantillons:
Suite à la série d’expériences, les chercheurs concluent que le « qi externe » émis par
le maître de qigong peut produire un effet sur plusieurs types de matière entrant dans
la composition de cellules, et que ceci est certainement une cause majeure de de la
guérison par qigong. L’émission de « qi externe » à une distance de 2000 km peut
changer la structure moléculaire de l’eau!477.
Les inscriptions enregistrées par les appareils sont les signes immuables du
pouvoir du maître, faisant de celui-ci un grand scientifique. En effet, grâce à ces
appareils, l’effet du qi invisible et ineffable de la tradition chinoise devient une
inscription chiffrée et décodable: un fait rapportable dans les annales de la science478.
A travers le qi, le corps du maître entre en contact avec la machine du laboratoire: le
mariage entre la magie antique et la science moderne est consommé.
Fin janvier 1987, une série d’articles annonce la nouvelle dans le quotidien
Guangming479, l’édition internationale du Quotidien du Peuple480 et le China Daily.
Les chercheurs de l’université Qinghua rédigent six articles intitulés « Etude sur les
fondements bio-physiques de la thérapie par qigong » 481. Qian Xuesen déborde
d’enthousiame dans son compte-rendu des articles: « le contenu de ce manuscrit est
une première mondiale, il prouve indiscutablement que le corps humain peut
influencer la matière sans y toucher, et changer son état moléculaire. Ceci est un
travail jamais vu dans le passé. Il faut donc publier immédiatement, et sans retard

476
Zheng Guanglu 1991: 138-141 (récit originellement publié dans Zhonghua Qigong, no. 2, 1987.
477
Zheng Guanglu 1991 : 142.
478
Sur la science comme processus de transformation de signes en inscriptions, voir Latour & Woolgar
1988.
479
Chen Guangman 1987.
480
HW 87/01/25: 4.
481
Cf. Li Shengping et al 1988; Yan Xin, Zheng Changxue et al 1988; Yan Xin, Li Shengping, Liu
Chongwei et al 1988; Yan Xin, Li Shengping, Yang Zengjia et al 1988.
proclamer la réussite des Chinois au monde entier! [...] [C’est] une nouvelle
découverte scientifique, le héraut d’une révolution scientifique482. »
La nouvelle fit sensation. L’image captive les esprits: le maître de qigong dans
un laboratoire moderne, entouré de scientifiques de renom, émet son qi vers des
appareils de précision qui enregistrent des signes traduits dans un jargon technique
ésotérique483. Une des plus prestigieuses institutions scientifiques de la Chine venait
d’apporter une preuve apparemment irréfutable des phénomènes extraordinaires du
qigong, phénomènes relatés par une longue tradition religieuse et d’arts martiaux,
phénomènes dont Yan Xin était devenu l’icarnation vivante. Toutes les portes étaient
dorénavant ouvertes à l’imagination. Le « miracle de laboratoire » est la réalisation
du rêve de réconcilier la magie antique et la science moderne. Ecrivains et journalistes
poussent de plus en plus loin les conclusions des expériences de Yan Xin. Un maître
de qigong peut, en changeant la composition de cellules pathologiques, guérir le
cancer et le sida. Il peut transformer l’eau ordinaire en médicament ou en liquide
anti-viral. Il peut, en changeant la pression atmosphérique, faire venir le vent et
provoquer la pluie. Il peut même intercepter des missiles nucléaires ennemis et
modifier leur trajectoire, de sorte qu’ils explosent sur le territoire ennemi484.
Quelques mois plus tard, un immense incendie ravage les forêts de Daxing
Anling 大兴安岭 dans la province du Liaoning. Les responsables politiques de la
province invitent Yan Xin à faire une ‘expérience’ sur le pouvoir du qi externe à
éteindre un feu de forêt. Leur hypothèse : s’il est possible de changer la structure
moléculaire de l’oxygène et de l’hydrogène dans la zone entourant l’incendie et les
transformer en dioxyde de carbone, cela permettra de contrôler l’étendue de
l’incendie. S’il est possible de changer la structure moléculaire de l’eau, il sera
possible de déplacer les nuages environnants vers le lieu de l’incendie et provoquer la
pluie. S’il est possible de changer la structure moléculaire des substances
inflammables, cela permettra de ralentir le progrès du feu. Changer la pression
atmosphérique permettra de faire remonter l’eau souterraine, etc485.

482
Qian Xuesen 1987.
483
Le best-seller de Ke Yunlu, Da qigongshi (Ke Yunlu 1989), est un roman dont la trame tourne
découle d’un tel dispositif, mettant en scène le Grand Maître fictif Yao Jiu (inspiré de Yan Xin) et le
chercheur scientifique Ouyang Jue, qui organise des expériences avec le maître. Voir section 7.6, pp.
199-201.
484
Zheng Guanglu 1991 : 144.
485
Yan Xin, cité dans Zheng Guanglu 1991 : 181.
Yan Xin reçoit l’invitation des autorités du Liaoning le 15 mai 1987. Il prédit
que les résultats de « l’expérience » devraient se manifester dans l’espace de trois
jours. D’après le journaliste de l’agence Xinhua qui suit Yan Xin, l’après-midi du 17
mai, à 16h31, le ciel de Shenyang est entièrement découvert, sans trace de nuage. Dix
minutes plus tard, le ciel est entièrement recouvert de nuages noirs. Encore dix
minutes, et commence un grand orage qui dure 47 minutes. Le bruit circule dans toute
la Chine : par sa Force surhumaine, Yan Xin a arrêté l’incendie de Daxing Anling!

7.1.3 Les « conférences imbues de Force »

Depuis la publication de ses expériences à l’université Qinghua, Yan Xin est


inondé de lettres et d’invitations de malades sollicitant son aide. Afin de répondre à
cette demande, les responsables de l’ACESQ proposent un nouveau moyen de
propagation du qigong : la « conférence imbue de Force sur la science du qigong »
(daigong qigong kexue baogaohui 带功气功科学报告会). Il s’agit de conférences
données par Yan Xin sur les aspects scientifiques du qigong, sur les méthodes de
pratique et de guérison de qigong, durant lesquelles il émet sa Force vers l’auditoire.
Il explique que les conférences sont des « expériences scientifiques » sur les effets de
l’émission de « messages » (xinxi 信息) de qigong sur l’auditoire.
Bien que les Chinois, après des décennies d’administration communiste, soient
saturés de réunions et de conférences et ne participent que par obligation à ce type
d’activité, les « conférences imbues de force » de Yan Xin attirent des foules de plus
en plus nombreuses. Ses conférences sont d’une longueur extraordinaire, allant de
cinq heures jusqu'à quatorze heures sans pause ni interruption, mais l’auditoire reste
attentif à chacune de ses paroles. On n’observe ni papotage, ni tricotage, ni lecture de
journaux, ni sorties fréquentes aux toilettes comme d’ordinaire dans les réunions et
conférences en Chine. Au contraire, l’auditoire est comme hypnotisé, certains entrent
en transe, et il n’est pas rare que des paralysés se lèvent et marchent486.
Les unités de travail, les ministères et les villes se précipitent pour inviter Yan
Xin à donner des conférences. Dans les deux années 1987 et 1988, il donne plus de
200 conférences, attirant en tout plus d’un million de spectateurs, à Pékin, à l’Ecole
centrale du Parti, à l’Académie politique de l’Armée populaire de libération, et dans

486
Zheng Guanglu 1991 : 152.
les stades des grandes villes du nord-est, en Mongolie intérieure, au Shaanxi, au
Shanxi, au Guangdong, au Sichuan, au Hubei, à Shanghaï, à Hong Kong.... A chaque
conférence, il remplit les salles. Il donne 27 conférences dans le Liaoning; plus de
7000 personnes viennent assister à sa conférence à Shenyang. A Canton, plus de 8000
billets sont vendus; le prix des billets sur le marché noir grimpe jusqu’à 100 yuan, un
prix astronomique à cette période487. A Shanghaï, 23 000 tickets pour deux
conférences sont vendus en une demi-journée488.
Le 8 octobre 1987, lors de sa conférence à l’université de Pékin, Yan Xin
allume une ampoule de 40 watts avec sa main. Un professeur de génie électronique
s’élance sur l’estrade et s’écrie : son corps a conduit une charge électrique de 220
volts!489 Les cures miraculeuses se multiplient. On parle d’une fille qui, suite à une
conférence de Yan Xin, entre dans un état de jeûne bigu490 et s’arrête de manger
pendant plus de huit ans sans que son poids diminue491. D’un homme dans un fauteil
roulant qui, durant la conférence, se lève et marche. D’une femme dont le calcul du
rein disparaît complètement après avoir écouté une conférence de Yan Xin. D’un
jeune homme chez qui des « fonctions exceptionnelles » de vision pénétrante et de
photokinèse – il peut déplacer téléphones et bicyclettes par force mentale --
apparaissent après la conférence. D’un sourd qui retrouve l’ouïe. D’un médecin de
l’armée dont le calcul du foie de son père, à des milliers de kilomètres de distance,
disparaît après sa participation à une conférence de Yan Xin à l’université
Qinghua...492.

7.1.4 Le village natal de Yan Xin, lieu de pélerinage

Yan Xin prend la stature d’un dieu, d’un « bouddha vivant ». Son village natal
de Dong’an devient un lieu de pélerinage. Des milliers de malades de toute la Chine,
même de Hong Kong et de Taïwan, voyagent des dizaines, de centaines ou des
milliers de kilomètres pour attendre le Grand Maître devant sa maison familiale. Yan
Xin revient rarement au village, mais les malades n’hésitent pas à attendre des
semaines dans l’espoir de son arrivée. D’autres caressent l’espoir d’absorber les

487
QG 60 :17; Zheng Guanglu 1991 : 155-156.
488
Zheng Guanglu 1991 : 220.
489
Sima Nan 1995b.
490
Sur le bigu, voir section 7.4, pp. 197-198.
491
Ke Yunlu 1996: 29.
énergies spéciales du lieu, grâce à son excellent fengshui493 et son « champ
magnétique », afin d’acquérir eux-même des pouvoirs extraordinaires. Durant les
vacances du nouvel an chinois de 1988, anticipant le retour de Yan Xin pour le
festival traditionnel, plus de 2400 personnes envahissent les rues du village et pressent
les autorités communales de questions sur l’arrivée prochaine du Grand Maître. Après
son arrivée, Yan Xin loge une trentaine de malades graves dans la cour arrière de la
maison familiale. Il les soigne à tour de rôle; en attendant leur tour, les autres
pleurent, poussent des cris, tombent en convulsions; entrés dans un « état de qigong »,
ils se mettent eux-mêmes à soigner les autres.
Yan Xin refusant tout paiment, les « pélerins » organisent spontanément une
collecte de fonds pour contribuer à la propreté et à l’amélioration du village de
Dong’an. En une journée et demie, plus de 560 personnes contribuent en tout plus de
10 000 yuan – inaugurant une nouvelle tradition494. En effet, des années plus tard, ce
sont les adeptes de Yan Xin au Canada et aux Etats-Unis qui contribueront environ 85
000 dollars canadiens pour goudronner les rues et construire un parking pour l’accueil
des pélerins, planter des arbres, construire un barrage, et protéger l’environnement495.

7.2 La montée de Zhang Hongbao

Peu après l’irruption de Yan Xin sur la scène nationale en 1986, un autre
« Grand maître » « sort de la montagne » muni d’une stratégie pour la récupération,
l’organisation et la conquète systématique du monde foisonnant du qigong et de ses
masses d’adeptes : il s’agit de Zhang Hongbao, dont le mouvement du Zhonggong
tentera d’intégrer le qigong dans une structure sectaire moderne et commerciale.
Né à Harbin le 5 janvier 1954 d’une famille d’ouvriers d’une mine de charbon,
Zhang Hongbao avait passé dix ans, de l’âge de 14 à 24 ans, dans une ferme durant la
Révolution culturelle. Durant cette période, il s’était initié aux arts martiaux auprès
d’autres jeunes venus de Pékin et de Shanghaï, en même temps, il gravissait les
échelons de la hiérarchie de la ferme : de casseur de pierres il devient membre du
corps de garde, statisticien, technicien, puis professeur à l’école de la ferme. En 1977,

492
Zheng Guanglu 1991 : 156.
493
Le fengshui 风水 est l’art chinois de la géomancie, à l’aide duquel on choisit l’emplacement d’une
maison en fonction des courants de qi terrestre, de la forme des collines, des rivières et des objets
environnants, et du calendrier.
494
Zheng Guanglu 1991 : 144-149.
495
Yang 1997; Parsons 1997; Zhu Xiaojie 1996.
il est envoyé à l’Ecole de metallurgie de Harbin; à la suite de ses études, il devient
membre du Parti et est affecté au poste de professeur de physique dans un collège
d’une région minière. Mais il se consacre au travail du Parti et gravit rapidement les
échelons de l’organisation politique dans son unité minière. Il ne manque aucune
occasion de poursuivre ses études: formations de cadre, cours de soir de chinois,
diplôme par correspondance en psychologie de la gestion offerte par l’Académie
chinoise des sciences. En 1985, il entre à l’Université des Sciences et technologies de
Pékin pour des études d’administration économique496.
Durant ses années d’étudiant à Pékin, Zhang Hongbao se distingue peu dans ses
études formelles. Le sujet de son mémoire sur la théorie du leadership est mal reçu par
ses professeurs. Ses domaines d’intérêt sont vastes: il suit des cours de droit à
l’Université du Peuple; étudie la médecine chinoise et occidentale; et s’inscrit à
l’Académie chinoise de perfectionnement en qigong. Ce dernier sujet le passionne: il
s’instruit auprès de nombreux maîtres. Finalement, il développe sa propre méthode, le
Qigong Chinois pour Nourrir la Vie et Augmenter l’Intelligence (Zhonghua
yangsheng yizhigong 中华养生益智功) ou Zhonggong, caractérisé par l’emploi de
concepts et de langage tirés du génie mécanique : la méthode consiste en un
« chantier principal » (zhuti gongcheng 主体工程) et de « chantiers auxiliaires »
(fuzhu gongcheng 辅助工程) et prétend s’appuyer sur les théories de l’automation, de
la physique, de l’information, de la relativité, des systèmes, et de la bionique
(shengwu yiqi shuo 生物仪器说)497.
Les capacités de voyance et de guérison de Zhang Hongbao donnent à cet
étudiant hors de l’ordinaire une renommée qui se propage vers l’extérieur de
l’université. Ses dons sont « découverts » lorsque son camarade de dortoir, dont la
couche est au-dessous de celle de Zhang Hongbao, trouve que sa maladie du ventre a
soudain disparu, et attribue cette guérison à la pratique du qigong de son camarade au-
dessus de lui. Lorsque Zhang Hongbao termine ses études, son université l’engage
pour mener des recherches sur le qigong498. Un jour de printemps 1987, il est invité à
donner sa première conférence publique à l’Institut de l’acier de Pékin, où il fait une
démonstration publique de ses « fonctions exceptionnelles » : sur des volontaires de

496
Ji Yi 1990 : 46-52; Zhang Hongbao 2001: 1-2.
497
Ji Yi 1990 : 57; Zhang Hongbao 2001: 2.
498
Luo Qin, Li Zhiqiang 1988.
l’assistance alignés debout sur l’estrade et entrés en état de méditation, il provoque
des secousses corporelles et des titubements499.
Sous d’heureux auspices, le huitième jour du huitième mois de 1987, Zhang
Hongbao « sort de la montagne » pour la lancée officielle de sa méthode, en fondant
l’Institut de recherches en sciences du qigong du district de Haidian de Pékin. Durant
l’année qui suit, il met en oeuvre une stratégie pour la pénétration systématique des
élites universitaire, scientifique, médiatique et judiciaire de Pékin. Après avoir
enseigné le Zhonggong dans différentes écoles et universités, il est invité à
l’Université de Pékin en novembre 1987, où il donne deux « stages accélérés » d’une
semaine à 1400 personnes, dont 39% de professeurs, de chercheurs, de maîtres de
conférences et de docteurs de 17 universités y compris l’Université Qinghua,
l’Université du Peuple et l’Académie des Sciences, et même le président de
l’université de Pékin, Ding Shisun 丁石孙 500. Plus de 120 participants déclarent une
amélioration sensible de vieilles maladies, et nombreux sont les étudiants et
professeurs de l’université qui, suite au stage, deviennent adeptes passionnés de
qigong. La plupart, après sept jours de stage, peuvent « émettre du qi » , « recueillir
du qi » , « transformer du qi » , etc. L’événement est rapporté dans le Quotidien du
Peuple, ce qui donne une renommée nationale à Zhang Hongbao.
Deuxième cible de Zhang Hongbao : les piliers des institutions scientifiques que
sont l’Académie chinoise des Sciences, l’Académie chinoise des Sciences sociales et
l’Académie chinoise des Sciences agricoles. Il donne des stages dans chacun de ces
établissements. Son cours à l’Académie chinoise des Sciences fait l’objet d’un
reportage de trois minutes dans le journal de la Télévision centrale501. Dans
l’émission, on voit Zhang Hongbao faire chanceler cinq ou six personnes debout à
plusieurs mètres de lui, en pointant du doigt vers eux. Il devient dès lors une célébrité
nationale502.
Cette couverture médiatique permet à Zhang Hongbao de pénétrer sa troisième
cible : l’élite médiatique de Pékin. Le 4 janvier 1988, il organise un stage accéléré
pour les mondes journalistique et cultureli de la capitale. Cent trente personnes
représentant 70 médias et établissements culturels s’inscrivent à la formation de 22
heures étalées sur cinq demi-journées. Parmi ces derniers, on compte le vice-ministre

499
Ji Yi 1990 : 59.
500
Ji Yi 1990 : 61.
501
Ji Yi 1990 : 64.
de la Culture Gao Zhanxiang 高占祥, les vice-présidents du Comité des écrivains de
Chine Ai Qing 艾青 et Feng Mu 冯牧, et le chanteur célèbre Li Guyi 李谷一503. Le
Quotidien du Peuple publie le 10 janvier un article sur le stage, qui mentionne que
depuis l’automne 1987, plus de 7000 personnes ont suivi 14 stages de Zhang Hongbao
donnés à l’Université de Pékin, à l’Académie des sciences, aux bureaux du Quotidien
du Peuple et du Journal des Jeunes de Chine, etc.504 Des reportages sont aussi publiés
par de nombreux autres journaux tels que le Journal des Jeunes de Chine505, le
Journal des Jeunes de Pékin506, l’Electronique chinoise507, le Quotidien de Tianjin, le
Journal culturel de Chine, etc.508. Grâce à Zhang Hongbao, dit le Journal des Jeunes
de Pékin, les intellectuels ne trouvent plus le qigong trop incroyable pour le prendre
au sérieux. « Ses conférences ont secoué le monde intellectuel. Il est évident qu’il
n’est pas si difficile d’ouvrir la porte du qigong. » Or dès qu’on l’ouvre, continue le
journal, l’on jouit d’un renforcement des capacités mentales et spirituelles, et nos
maladies peuvent guérir509.
A peine terminée son opération de séduction auprès du monde médiatique,
Zhang Hongbao se lance à l’assaut des centres politiques de la capitale. Le 10 janvier,
il donne une « conférence imbue de force » à l’Ecole du Comité central du Parti. La
salle déborde et 1500 auditeurs doivent suivre la conférence sur des écrans de
télévision dans des salles annexes. Zhang Hongbao invite le président de l’Ecole à
monter sur l’estrade et à émettre du qi vers les membres de l’auditoire qui s’apprêtent
à recevoir le qi avec une main: à peine cinq minutes plus tard, ces dérniers, étonnés,
découvrent que les doigts de la main « réceptrice » se sont allongés par rapport aux
doigts de l’autre main. Un ministre est guéri d’une maladie à la jambe510. Le stage de
Zhang Hongbao à l’Ecole du Comité central dure une semaine511.
Le « Grand Maître » de qigong continuent d’avoir le vent en poupe. Par la
suite, c’est dans des unités de la police et de la justice nationales que Zhang Hongbao
est invité à donner ses stages. En tout, de 1987 à 1990, Zhang Hongbao a donné

502
BQB 88/01/08.
503
Ji Yi 1990 : 75.
504
Ma Licheng 1988.
505
Luo Qin, Li Zhiqiang 1995.
506
BQB 88/01/08.
507
Zhang Huimin 1988a.
508
Ji Yi 1990 : 73.
509
BQB 88/01/08.
510
Ji Yi 1990 : 76.
511
Zhang Huimin 1988a.
environ 50 stages accélérés de sa méthode de qigong sur invitation des principaux
ministères et organes du gouvernement et de la recherche, avec une participation
moyenne de plus de 1000 personnes par stage512. On parle d’une « fièvre du
Zhonggong » à Pékin.
Commence alors un culte de la personnalité de Zhang Hongbao, auquel
contribue largement le best-seller hagiographique « Le Grand Maître de qigong sort
des montagnes » publié par le journaliste Ji Yi en 1990, récit des miracles attribués à
Zhang Hongbao et au qigong, et ouvrage de propagande de la méthode du
Zhonggong513, dont le tirage aurait atteint dix millions d’exemplaires514.
Ce livre contient quantité de spéculations et d’histoires de phénomènes
miraculeux : des maîtres qui peuvent soigner à une distance de mille kilomètres, tuer
un poisson rouge par leur regard ou faire éclater un pneu par leur colère… Il parle du
poids de l’âme de l’homme (7,1 g), de l’aura autour de la tête de tous les hommes, du
premièr être humain (une femme asiatique), de la conquête de la citadelle de la
science par l’esprit du qigong, de la « guerre de la pensée » qui aura lieu en 2020… et
du « miraculeux tourbillon » du Zhonggong dont il décrit ainsi le maître :
« Trois incroyables idéogrammes orientaux secouent la Chine et le
monde: Zhang Hong Bao!
Zhang Hongbao, un homme tourmenté par la maladie.
Zhang Hongbao, un homme ayant eu une carrière officielle brillante.
Zhang Hongbao, un homme mystérieux et énigmatique.
Zhang Hongbao, un homme aux pouvoirs magiques illimités.
Est-il homme, ou dieu?
D’où vient-il, et où va-t-il?
Sa force de pensée et de concentration, sa force de sagesse et sa force
spirituelle, sa force de virtuose et sa technique magique, sa capacité et
communication et de transformation spirituelles… les a-t-il obtenus d’un Maître
fameux? De la Voie Céleste? D’un esprit?
Qui le sait? Vous? Moi? Lui?
Phénomène céleste? Phénomène terrestre? Phénomène humain?
L’univers. L’univers. L’univers.
Mutation. Mutation. Mutation.
Une quête entamée durant sa maladie, l’oeil ouvert durant sa quête, une
illumination complète et subite de tout ce qui existe dans l’univers, il comprend

512
Zhang Hongbao 2001: 3.
513
Grâce au succès de cet ouvrage, l’auteur Ji Yi devient également une célébrité nationale. Par la
suite, il publiera d’autres livres sur Zhang Hongbao et d’autres maîtres de qigong, jusqu’à fonder sa
propre lignée de qigong, le « Qigong du Grand Bouddha » , en 1994. (cf. Ji Yi 1990a, 1990b, 1991. )
Voir section 9.13, p. 244.
514
Li & Zheng 96: 132.
sa mission d’apporter des bienfaits aux hommes des trois mondes515, et de
sauver les hommes et toutes les créatures.
Il n’y a pas de Loi dans le monde. […] L’illumination complète est la
Loi.
Voici donc Zhang Hongbao. Dans l’obscurité, assis sur le sol, il devient
un dieu. Il réunit dans le coeur de sa main toutes les fonctions et pouvoirs
magiques transmises et documentées dans l’histoire écrite et orale, y compris les
techniques magiques bouddhistes, taoïstes, confucianistes, thérapeutiques,
martiales et populaires, ainsi que du yoga indien et du christianisme
occidental… » 516

7.3 Vague des « conférences imbues de Force »

Avec la vague des grands maîtres charismatiques, la « fièvre du qigong » atteint


son paroxisme. Les émules de Yan Xin furent nombreux, et les « conférences imbues
de Force » devinrent monnaie courante dans le monde du qigong : tout maître de
qigong respectable devait être capable de guérir des auditeurs ou produire des
phénomènes durant ses allocutions publiques. En même temps, le public se laisse
facilement séduire : il suffit de donner à un discours ordinaire sur la théorie du qigong
le nom de « conférence imbue de Force » pour que des membres de l’auditoire
tombent en trance517.
Pour répondre à la demande de conférences de qigong, des unités de travail
organisent des projections de cassettes audio et vidéo des conférences de Yan Xin.
L’on considère que le « qi externe » étant une forme de « message », l’efficacité des
conférences enregistrées est aussi grande que la présence du Maître lui-même.
La Radio centrale du Peuple invite Yan Xin à donner une « conférence imbue
de Force » sur les ondes nationales. La Télévision centrale invite Zhang Hongbao et
Zhang Jialing 张加陵, à donner des démonstrations de qigong au cours de l’émission
spéciale du nouvel an chinois -- l’émission avec le plus haut taux d’écoute en Chine.
Zhang Hongbao fait frire du poisson dans ses mains grâce au « qigong électrique ».
Les célèbres comédiens Ma Ji 马季 et Hou Yuewen 侯跃文 dégustent les brochettes
en direct518. Zhang Jialing, maître d’arts martiaux virtuose du « qigong léger »

515
Référence aux triloka du bouddhiste : le monde des désirs des sens (yujie 欲界), le monde matériel
et sensible (sejie 色界), et le monde sans formes des choses invisibles et de l’esprit (wusejie 无色界
516
Ji Yi 1990a: 66-67.
517
Zheng Guanglu 1991 : 200.
518
Ji Yi 1990 : 73.
(qinggong 轻功), se tient debout sur un ballon gonflable et sur une feuille de papier
suspendue dans l’air entre deux échelles de bois.
Le numéro de Zhang Jialing fait de ce dernier une célébrité. Le président de la
Télévision centrale déborde d’enthousiasme et l’invite à se reproduire l’année
suivante. Les journalistes affluent vers son école d’arts martiaux à Jingzhou, dans la
province du Hubei, et témoignent de sa capacité de marcher sur la surface de l’eau
d’une rivière. Les prouesses extraordinaires des combattants qui volent dans l’air dans
les films et romans d’arts martiaux sont donc véritables!519

7.4 Vague du bigu

Durant les conférences de Yan Xin, de nombreux participants entrent dans un


état de jeûne, s’abstenant de boire ou de manger durant des jours ou des semaines
entières, voire, prétend-on, pendant plus d’une année. Ce phénomène, appelé bigu
辟谷520, devient alors une nouvelle mode dans le monde du qigong. Le jeûne du bigu
peut être pratiqué à différents degrés d’intensité. Le jeûne partiel consiste à ne
consommer qu’une légère quantité d’eau, de fruits ou d’autres aliments; dans le jeûne
complet, l’adepte s’abstient de toute consommation de liquides ou de solides pendant
une période définie: des jours, des semaines, voire des mois ou jusqu’à la mort (non
intentionnée). Les adeptes de bigu considèrent qu’ils se « nourrissent de qi » durant
la pratique de qigong, et aspirent à rester en pleine forme durant la période du jeûne:
ils travaillent, étudient, grimpent des montagnes avec autant ou plus d’entrain que les
personnes qui continuent de manger.
En juin 1988, la revue qigong publie les résultats d’une expérience de bigu sur
le maître Zhang Rongtang 张荣堂, menée par l’Institut de recherches en médecine
chinoise du Zhejiang. Ce maître, fondateur de la méthode du « qigong
giratoire »(xuanzhuan qigong 旋转气功) est capable de pivoter son corps en 1700
rotations de 540 degrés en vingt minutes, tout en restant dans un état mental
normal521. Dans l’expérience sur le bigu, la consommation quotidienne du maître se
limite à 100 ml de miel, 200 ml de solution saline et 700 ml d’eau bouillie. Pendant

519
Zheng Guanglu 1991 : 254-55.
520
Le sens littéral de bigu est « abstention de céréales » , terme ayant son origine dans la diététique
taoïste. Mais dans le monde du qigong, le bigu devient un terme flou qui peut désigner toute forme de
jeûne ou d’abstention alimentaire. Sur le bigu taoïste, voir Schipper 1982.
neuf jours, sous surveillance constante à l’hôpital, il pratique ce jeûne et continue de
donner des cours de qigong, de grimper le mont Yuhuang 玉皇山, etc. Après les neuf
jours, son état de santé demeure parfaitement normal522.
Dès la publication de cette expérience, nous assistons à une explosion d’intérêt
pour le bigu. Certains imaginent déjà les applications du bigu dans l’armée, dans
l’aéronautique, en médecine, etc. En juillet 1988, un colloque sur le bigu est organisé
à Hangzhou par l’Association de qigong du Zhejiang523. Et en décembre de cette
même année, la revue qigong rapporte que treize disciples de Zhang Rongtang, après
avoir pratiqué le « qigong giratoire » pendant vingt jours, commencent un jeûne de
trois jours, se limitant à la consommation d’une petite quantité de miel et de fruits,
durant lequel ils grimpent sur une montagne près de Hangzhou, et pratiquent le
qigong et la marche à pied. Sans fatigue et avec grande vigueur, ils accèdent au
sommet le matin du troisième jour. Certains disent que « si les astronautes avaient la
force du bigu, on pourrait faire en sorte que les engins spaciaux à équipage humain
volent plus loin et portent un plus grand nombre de passagers »524.

7.5 Zhang Xiangyu et le « langage cosmique »

Un autre phénomène se répand dans le mouvement du qigong: la glossolalie,


qu’on appelle « langage cosmique » (yuzhou yu 宇宙语) ou « informations
cosmiques » (yuzhou xinxi 宇宙信息). A la crête de cette vague est Zhang Xiangyu
张香玉525, une actrice de la ville de Xining (Qinghai) qui, le 6 août 1985, aurait été
poussée par une bouffée de qi à se lever subitement et à courir de jour comme de nuit.
Cent jours plus tard, elle dispose des raisins et des pommes sur la table de sa salle à
manger pour recevoir l’Empereur de Jade, Notre Reine-Mère (wangmu niangniang
王母娘娘), Guanyin, Sakyamuni, le Souverain Vénérable d’en Haut (Taishang
Laojun 太上老君) et d’autres divinités populaires : « grands et les petits, dit-elle, tous

521
Zheng 1991 : 289.
522
Cf. Huang Guanghua et al. 1988.
523
QG 9-9 :405.
524
QG 10-6 : 285.
525
Née à Pékin en 1944, Zhang Xiangyu abandonna ses études après l’école primaire. En 1959, elle
commence à travailler dans une usine de caméras, puis, en 1964, elle passe le concours d’actrice et
entre dans la troupe de théâtre de Datong (Shanxi). En 1969, elle est mutée à la troupe de Zhangjiakou,
et encore une fois à la troupe de théâtre du Qinghai en 1972.
sont venus »526. Peu après, elle entend une voix lui dire qu’elle peut soigner les
malades. Elle arrête de travailler pour se consacrer à sa nouvelle vocation de
guérisseuse, puis se rend à Pékin en 1986, où elle réussit à entrer dans les circuits du
qigong. En 1987, elle est invitée par l’ACESQ à mener des expériences sur ses
capacités de guérison, qui se montrent non concluantes527. Un jour, lorsqu’elle se
demandait comment transmettre son pouvoir aux autres,
« soudain la voix familière lui arriva de l’obscurité: ‘cette Force s’appelle la
Force du Centre de la Nature [daziran zhongxin gong 大自然中心功]; cela fait
longtemps qu’elle n’est plus transmise. Ta mission est de répandre largement
cette méthode, et de délivrer l’humanité528. »

Elle se proclame « Grand Maître de qigong », en communication directe avec


l’univers dont elle transmet les messages à travers des révélations de « langage
cosmique » (yuzhouyu 宇宙语) et de « chants cosmiques » (yuzhouge 宇宙歌). Elle
enseigne sa méthode à Pékin, Luoyang, Shantou, Hainan, Shenzhen, en Mongolie
intérieure et dans le Qinghai. En 1989, elle crée l’Association d’études du qigong du
centre de la nature à Pékin. La méthode attire des dizaines de milliers d’adeptes. Li
Peicai 李培才, membre du département de propagande de la Commission scientifique
et industrielle de la Défense nationale, rédige un best-seller, L’âme de la nature, qui
décrit les exploits miraculeux de Zhang Xiangyu et ses combats contre les âmes des
ancêtres des malades, et souligne le caractère messianique de sa mission:
« Cette Force se répandra dans le monde; il n’y a que cette Force qui puisse
sauver l’humanité. Sans cette Force, une grande calamité sera inévitable. Il faut
urgemment propager cette méthode en Chine et le monde; il ne faut absolument
pas hésiter. L’an 2000 approche – le monde du 21e siècle connaîtra des
changements propres à bouleverser le ciel et la terre. Que faire? Il faut
absolument propager le plus rapidement possible cette Force […]
Courageusement mener les hommes vers la Nature: voilà la meilleure méthode
de salut. Sans quoi, vous ferez face à l’extinction et à la mort 529. »

7.6 Les best-sellers du qigong

Ces livres hagiographiques sur les maîtres de qigong deviennent un nouveau


genre de littérature populaire. Avec le livre sur Zhang Hongbao cité plus haut,

526
Li Peicai 1989: 7.
527
Zheng Guanglu 1991 : 328.
528
Li Peicai 89: 28.
529
Li Peicai 1989: 417.
l’ouvrage le plus connu est un roman de fiction par le célèbre écrivain Ke Yunlu
柯云路, Le Grand Maître de Qigong530, publié en octobre 1989, avec un tirage total
de 700 000 exemplaires en plusieurs rééditions531. Le récit raconte les recherches d’un
jeune homme sur les mystères du qigong, des « fonctions exceptionnelles », du Livre
des mutations, du Laozi, du yin-yang et des cinq agents532, de la médecine chinoise,
de la physiognomonie, de la géomancie, des idéogrammes, du mysticisme oriental,
des ovnis, etc. Dans sa quête de réponses, le protagoniste se lie d’amitié avec un grand
maître de qigong (qui ressemble en tous points à Yan Xin) et confronte un haut
fonctionnaire qui refuse de croire dans les performances miraculeuses du maître,
même après les avoir observées soi-même. L’histoire est celle d’une lutte contre la
superficialité et l’ignorance, pour découvrir le sens profond de la vie. Ainsi écrit
l’auteur dans sa préface intitulée « La transcendance de soi de l’être humain: la
somato-cosmologie »:
« Jeunes, vous me dites: notre plus grande angoisse est que nous ne
parvenons pas à trouver le sens de la vie!
Je comprends.
Nous sommes devant un monde qui semble prospère mais qui est en fait
plein de danger, de conflit, de souffrance et d’incertitude. La guerre, les armes
nucléaires, la pollution de l’environnement, la crise de l’énergie et du capital, la
vénalité, l’écart entre les riches et les pauvres, le sida, le cancer, le crime,
l’absence de foi, la solitude, l’indifférence, toutes sortes de maladies mentales
modernes…
Toute philosophie de la vie doit faire face à de telles paroles sur la réalité.
Et moi, mes chers amis, que vais-je vous dire?
En écrivant Le grand maître de qigong, je ne traite pas le qigong comme
une méthode de longévité – bien qu’il puisse effectivement apporter la longue
vie.
Encore moins comme un havre de paix ou un bouclier contre les différents
conflits et crises du monde moderne.
Le qigong est une forme élevée de technique, mais c’est plus que cela. Le
grand qigong devrait avoir un esprit noble. Disons plutôt que nous voulons
découvrir un esprit noble dans le qigong.
A présent, l’homme a besoin d’un nouvel esprit.
Notre époque a besoin de trouver un nouveau sens.
Je veux dire:
Les rapports de richesse dans le monde actuel ne sont pas sacrés et
inchangeables;

530
Ke Yunlu 1989.
531
Li & Zheng 96: 33.
532
Le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau. Les wuxing 五行 sont souvent traduits comme les « cinq
éléments », mais il s’agit plutôt de phases évolutives des cycles naturels et fonctionnels. Pour une étude
approfondie de ce thème, voir Porkert 1974.
L’ordre economique, politique et social du monde actuel ne suit pas un
principe inviolable;
Les rapports internationaux et interpersonnels du monde actuel ne sont pas
si justes que ça;
L’éthique et la morale du monde actuel ne sont pas parfaits et inaltérables;
La culture et les idées du monde actuel ne manquent pas de fermeture et
de stupidité;
La vision de l’univers des gens du monde actuel n’est certainement pas si
intelligente que ça;
La vie humaine dans le monde actuel est ridicule et limitée.
Nous méprisons l’état actuel des choses. […]
Nous pensons que toute chose devrait se dépasser. Toute chose devrait
changer. Toute chose devrait tendre vers la vérité. Ainsi, toute chose devrait
devenir plus belle.
Toute personne devrait encore mieux réaliser sa valeur.
L’humanité tout entière devrait mieux réaliser la valeur humaine.
Nous devrions nous consacrer à soutenir toute action positive et pleine de
sens. Nous devrions être plus courageux.
Mais nous ne devons pas nous satisfaire d’une attitude positive à un seul
niveau d’action – qu’il s’agisse de la vie, de l’économie, de la politique ou de la
culture.
Nous devons, en commençant avec la « somato-cosmologie »,
complètement renouveler la pensée humaine.
La pensée scientifique, philosophique et artistique.
Nous sommes en quête de sagesse.
La sagesse n’est pas seulement un moyen pour vivre, mais c’est surtout le
sens supérieur de la vie. […]
Nous allons nous éveiller à une vérité humaine et cosmique plus élevée.
Ceci va entraîner un grand bond en avant pour l’humanité.
Ceci ne peut pas être qualifié de « quatrième vague »ou de « deuxième
renaissance » Il a une signification beaucoup plus grande.
Si l’on peut dire que le feu et le travail humain ont créé l’homme, la vérité
dévoilée par la « somato-cosmologie » mènera l’homme à un niveau de sagesse
comparable à la maîtrise du feu, mais à un niveau bien plus élevé. Elle
permettra à l’homme d’évoluer vers un stade de vie supérieur.
Cette période de progrès sera peut-être longue et douloureuse, pleine de
conflits, et traversera plusieurs phases. Elle forcera un changement radical dans
tous les mondes existants, matériels et conceptuels (car ils sont traditionnels).
Les rapports économiques, politiques, sociaux et éthiques, la science, la
philosophie, la religion, l’art actuels subiront une transformation fondamentale.
Nous deviendrons une humanité plus capables de converser avec
l’intelligence supérieure de l’univers.
Nous allons tourner le dos à la fermeture d’esprit, à la superficialité et à la
stupidité actuelles.
Nous serons plus ouverts, plus directs, plus sincères, plus altruistes, plus
tolérants, plus artistiques, plus détendus, plus naturels, plus capables de réaliser
notre coopération historique et notre mission dans la vie.
Nous serons comme un enfançon d’or.
Nous serons comme le soleil de l’aube.
Nous serons positifs, transcendants et radieux.
Nous éclairerons le monde.533 »

7.7 Conclusion : le qigong, mouvement religieux de masse

Le grands maître charismatique cristallise l’évolution du qigong vers une forme


de religion de masse. Il combine en un seul corps la figure légendaire du surhomme
immortel et l’image moderne du technicien scientifique, permettant d’intégrer en sa
personne la religion traditionnelle et la foi moderne dans la science. Il incarne les
cultes de la modernité et du passé, dans sa seule personne. Toutes les contradictions
de la Chine moderne semblent se résoudre dans la puissance de son corps.
Nous avons vu comment le qigong a pris un sens de plus en plus étendu depuis
ses débuts. Thérapie et discipline de santé dans les années 50, il devient moyen
d’acquisition de « fonctions exceptionnelles » à la fin des années 70, puis
annonciateur d’une nouvelle révolution scientifique au milieu des années 80... Avec
Yan Xin et les grands maîtres charismatiques, le qigong devient une « omni-science »
reliant toutes les dimensions de la connaissance et de la culture humaines, et acquiert
une dimension éthique et morale qui transcende la pratique corporelle. Le qigong
touchent à tous les thèmes: l’hygiène, l’esthétisme, la médecine, l’éducation, la
science, la philosophie traditionnelle, la religion…, domaines qui prennent un sens
nouveau sous la lumière du qigong, et qui sont, à travers le qigong, intégrés dans un
seul tout. Et la morale occupe une grande importance dans le discours: « s’enraciner
dans la vertu » (yi de wei ben 以德为本) est, dit Yan Xin, le fondement du qigong.
Les séries d’exercices corporels et de respiration du style introduit par Liu
Guizhen existent toujours, mais sont reléguées à un rang secondaire dans le
« qigong » charismatique qui consiste principalement dans la réception de la Force de
Yan Xin par le malade ou le spectateur. Or, cette « transmission de Force »
n’implique plus l’adoption de postures de transmission par le maître, ni la circulation
de qi sensible entre le maître et le patient : la Force du maître s’exerce instantanément.
Son seul contenant, s’il y en a, est sa parole. La « méthode thérapeutique » d’un Yan
Xin consiste à « causer de la pluie et du beau temps » avec le malade. Ses

533
Ke Yunlu 1989: 26-28.
conférences sont un interminable flot de paroles. Les techniques sont presque
oubliées, on cherche seulement à plonger dans le champ de Force du Grand Maître.
De l’enseignement secret des lignées d’avant 1949, nous étions passés à
l’enseignement public mais individuel des années 1950. Puis, dans les années 1970, la
transmission devenait collective dans les parcs. A la vague des transes du
« mouvement spontané » du début des années 1980534, Yan Xin a ajouté la formule
des « conférences imbues de Force » pour des foules de milliers de personnes, menant
le phénomème de masse du qigong à son apogée.

Nous avons vu la diversité des thèmes et des valeurs qui sont exprimées à travers
le qigong. Une « archéologie idéologique » du qigong nous révèlerait qu’au niveau des
représentations, le qigong est composé de quatre couches ou strates distinctes:
La première couche, la plus profonde et archaïque, est un substrat animiste.
L’univers est perçu comme étant pénétré de puissances et de forces invisibles, qu’il est
possible de manipuler grâce à la maîtrise de techniques précises. La gymnastique du
qigong représente une sorte de danse entre le pratiquant et les souffles invisibles. Les
pratiques méditatives visent à permettre à l’adepte d’agir sur le monde à travers ces
forces, par le simple exercice de la pensée et de la puissance mentale. L’emploi de
charmes, d’ « objets à messages » et d’incantations exprime la notion que certains
objets et sons possèdent une puissance magique.
La deuxième strate est une forme implicite de messianisme et d’eschatologie
millénariste. A ce niveau apparaissent les Grands Maîtres, dont le contrôle des forces
invisibles atteint un tel degré qu’ils ont le pouvoir de sauver l’humanité entière. Les
Grands Maîtres transmettent non seulement des techniques permettant d’accéder à leur
Force, mais aussi un enseignement sur l’avenir du monde, et un système de
propagation destiné à créer le plus grand nombre possible d’adeptes. A ce niveau, la
quête de pouvoirs invisibles n’est plus une quête strictement individuelle comme au
premier niveau, mais s’inscrit dans un processus de renouvellement collectif, lui-
même lié à un enjeu fondamental: l’avenir du monde et de l’humanité.
La troisième couche est formée par le scientisme moderne. L’idéologie scientiste
repose, en Chine, sur l’eschatologie de la couche précédente: l’ancien monde sera
détruit et remplacé par un nouveau monde, une nouvelle civilisation qui sauvera

534
Pour une étude plus approfondie du phénomène du qigong des mouvements spontanés, voir Ots
1994.
l’humanité: la civilisation scientifique. La science peut faire des miracles; elle permet
de contrôler les forces invisibles de l’univers. La science sauvera la Chine; la Chine
doit donc accepter la science; le qigong doit devenir une science.
Enfin, une couche de nationalisme romantique: une réaction à la forme
occidentale de la science et de la modernité. Elle préconise la supériorité de la
civilisation chinoise sur la civilisation occidentale moderne, arguant que le qigong est
une forme supérieure de science. Ainsi, le retour sur la sagesse traditionnelle de la
Chine permettra à la Chine de dépasser la science de l’Occident: la science qui sauvera
le monde sera la science chinoise.
Le qigong cherche à réconcilier les visions opposées de la tradition et de la
modernité qui se sont affrontées en Chine au long du 20e siècle. En tant que
phénomène post-maoïste, la « fièvre du qigong » a été expliquée sous plusieurs angles.
Au-delà de la réponse pratique et économique offerte par le qigong aux besoins
médicaux de la population – facteur peu fascinant mais incontournable535 -- Thomas
Ots et Evelyne Micollier ont relevé le défoulement émotif qu’expriment les
mouvements spontanés536. Nancy Chen a souligné la création d’un monde mental
alternatif, hors de l’Etat et de la politique, durant la pratique du qigong537. Allant plus
loin dans le même sens, Xu Jian explique que le qigong ouvre un espace de désir de
puissance et de fantaisie, répondant au besoin de réinventer un corps autre que le corps
maoïste. Zhu Xiaoyang et Benjamin Penny notent que les séances collectives et
charismatiques de qigong remplacent les rituels de masse du maoïsme, mais sous une
forme dépolitisée538. Ailleurs, Zhu Xiaoyang, comme Elizabeth Hsu539, considère le
qigong comme une réponse à la crise spirituelle et morale des années 1980540. Thomas
Heise met la « fièvre du qigong » en parallèle avec les « fièvres » de la culture
(wenhuare 文化热), des « études nationales » (guoxuere 国学热) et du confucianisme
(rujiare 儒家热) qui ont également connu des vagues dans les années 1980,
témoignant d’une remise en question de l’identité nationale541. Ces perspectives ont en
commun d’expliquer la fièvre du qigong comme un phénomène post-Révolution
culturelle, qui cherche à remplir un vide corporel, émotif, imaginaire, social, culturel,

535
Penny 1993: 179.
536
Ots 1994: 126, Micollier 1999.
537
Chen 1995: 361.
538
Zhu Xiaoyang & Benjamin Penny 1994: 7.
539
Hsu 1999: 24.
540
Zhu Xiaoyang 1994 [1989].
541
Heise 1999: 110.
moral ou spirituel laissé par la fin du maoïsme. J’aimerais souligner ici la voie de
réconciliation proposée par le qigong, qui, certes, pouvait trouver un profond écho
dans une Chine épuisée par les luttes et la destruction de la période maoïste. Elle va
pourtant bien plus loin, en promettant de résoudre des contradictions qui travaillent et
déchirent la Chine depuis le début du 20e siècle: le scientisme moderniste et
l’ambiguité face à l’Occident, la fierté d’une civilisation millénaire et la honte devant
sa faiblesse actuelle. Le qigong donne à la Chine l’espoir retrouver sa dignité et ses
traditions, tout en prenant le leadership du développement scientifique mondial.
C’est cette promesse qui séduit tant d’intellectuels, de scientifiques et
d’hommes politiques chinois, les incitant à promouvoir des pratiques souvent
méprisées par les lettrés en Chine. Car le qigong est un mouvement intellectuel et
officiel autant que populaire, un mouvement du haut vers le bas autant que du bas vers
le haut. Certes, différentes sensibilités sont exprimées dans des contextes sociaux
variés: les transes des « mouvements spontanés » ont une mauvaise image dans les
milieux plus éduqués du qigong542, où, de même, on considère les visions de dieux
durant la pratique comme une dérive hallucinatoire543, et l’on tente de remplacer les
croyances « superstitieuses » par des explications rationnelles544. Mais, dans les
années 1980, ces approches divergentes coexistent, sans qu’il y ait réel conflit. Des
maîtres de qigong tels que Yan Xin et Zhang Hongbao, qui ont une éducation
universitaire, sont capables de toucher un public aussi bien populaire qu’intellectuel:
ils font le pont entre les milieux sociaux, qu’ils peuvent réunir dans leurs séances.

Dans l’introduction, j’ai posé la question du processus par lequel les pratiques
de qigong prennent une forme religieuse. Nous avons vu comment, à des moments
précis, des pratiques et des concepts se sont ajoutés au qigong, donnant naissance à
des lignées croyantes, expressions d’une foi dans l’efficacité d’une tradition
reconstituée autant que dans la promesse d’un avenir utopique, et que les pratiquants
peuvent vivre intimement -- jusqu’au fond de leur corps et de leur conscience. Ils
peuvent entrer mentalement et physiologiquement dans le monde des légendes, des
ermites, des Immortels et des Sages, des animaux mythiques et des surhommes, vus

542
Ots 1994: 124, 131.
543
Sur ce thème, voir Zhang Guoli 1993.
544
Ce processus est le même que celui constaté par Giordana Charuty sur le spiritisme en Europe au
début du 20e siècle: le « plaidoyer pour la métapsychique comme science s’accompagne d’une
disqualification du spiritisme comme croyance » (Charuty 2001b: 360-61).
comme sources de la civilisation chinoise et qui, à travers le qigong, sont ressuscités.
Les questions profondes que l’adepte se pose suite à la pratique, et son interprétation
des phénomènes qu’il ressent, peuvent lui donner le sentiment de participer à une
recherche scientifique d’avant-garde et à la transformation de soi-même et du monde.
La configuration du mouvement du qigong des années 1980 est le produit
combiné d’actions d’hommes politiques, de maîtres, de scientifiques et de pratiquants
ordinaires. La question de l’autorité ne s’est pas encore posée de manière aiguë. C’est
durant les années 1990 que celle-ci prendra le devant de la scène.
TROISIEME PARTIE:

LA CRISE POLITIQUE
8. LES INSTANCES D’AUTORITE OFFICIELLE

Avec ses dizaines de millions de pratiquants, le qigong représente un


mouvement d’une ampleur et d’une influence significative à la fin des années 1980.
Son potentiel de mobilisation populaire, de même que le marché économique qu’il
représente, n’échappent pas à la conscience de certains maîtres et dirigeants
politiques. Mais il est encore faiblement organisé. A partir ce ce moment se pose la
question du contrôle du qigong. Les années 1990 seront marquées par des tentatives
d’unifier, de réglementer, de gérer ou de récupérer les adeptes, les maîtres et les
groupes de qigong, mises en oeuvre aussi bien par des organes officiels que par
certaines lignées de masse. Pendant que l’enthousiasme politique pour le qigong
diminue et que l’Etat tente d’imposer une réglementation de plus en plus astreignante,
certaines lignées deviennent des organisations massives, hautement structurées et
disposant de puissantes ressources financières, humaines et symboliques. Qu’il
s’agisse de l’Etat ou de ces organisations, tous cherchent à imposer des formes plus
stables d’autorité sur le qigong.
Afin de comprendre cette dynamique, il importe de se pencher sur les
mécanismes normatifs de l’autorité officielle, par rapport auxquels toutes les autres
formes d’autorité doivent se définir. Le Parti communiste, les institutions scientifiques
et les médias sont les trois instances à travers lesquelles l’autorité normative de l’Etat
se fait sentir sur le monde du qigong.

8.1 Le Parti Communiste et le gouvernement

Dans les discours prononcés lors des réunions d’associations semi-officielles et


dans les éditoriaux des revues de qigong, on souligne que c’est grâce au Parti et au
gouvernement que le qigong a connu depuis les années 80 un niveau de
développement sans précédent dans l’histoire de Chine:
« Le qigong a une histoire longue de plusieurs millénaires sur le grand sol de
Chine. Né dans la société primitive, il a traversé la société esclavagiste, la
société féodale, la société semi-coloniale et semi-féodale, et la société socialiste.
Il possède un immense dynamisme lui permettant de traverser les ères
historiques sans faiblir. Or dans l’histoire de Chine, […] le qigong n’a jamais
été officiellement et ouvertement approuvé, soutenu, dirigé et administré que
par un seul parti et gouvernement: le Parti communiste chinois et le
Gouvernement populaire chinois » 545.

L’étude de l’histoire du qigong depuis l’instauration du régime communiste


démontre l’exactitude de ce propos. La premiere partie de cette thèse a permis de
décrire le rôle de certains dirigeants du Parti et de l’Etat dans « l’invention » du
qigong, puis dans chaque étape de son développement. Ici, étudions brièvement la
structure et les exigences normatives des principales institutions officielles influant
sur le développement du qigong, afin de cerner le moule idéologique et institutionnel
dans lequel évolue le monde du qigong.
En Chine populaire, le pouvoir idéologique est conféré au Parti communiste
chinois, le pouvoir matériel étant dans les mains du Gouvernement populaire de la
Chine. Le contrôle idéologique du Parti s’exerce en principe sur le monde du qigong
comme sur tous les autres secteurs de la société chinoise. La ligne du Parti par rapport
au qigong peut être résumée par les points suivants:
1. Soumission à la direction du Parti Communiste chinois et reconnaissance de
son rôle dirigeant et irremplaçable dans le développement de la Chine et du qigong –
en d’autres termes, il est interdit de tenter de se substituer au Parti, d’entrer en
concurrence avec lui, ou de se mêler aux affaires politiques du pays. Ce principe est
incontournable. L’histoire du qigong depuis 1949 nous montre que si le Pouvoir s’est
montré remarquablement tolérant devant le non-respect des autres aspects de la
politique officielle relative au qigong, l’action politique par une organisation de
qigong, telle que celle du Falungong en 1999, sera sévèrement réprimée.
2. Adhésion et mise en application de la philosophie marxiste, du matérialisme
dialectique et du matérialisme historique comme idéologie directrice – l’
« idéalisme », le théisme et les doctrines religieuses doivent être combattues.
« Le monde est matériel, la matière est en mouvement, la matière et l’esprit
peuvent se transformer l’une en l’autre. Ceci est le principe fondamental du
marxisme-léninisme, et c’est aussi la seule méthode correcte de la connaissance
et de l’amélioration du monde par les hommes. Cette perspective matérialiste
dialectique est également la seule idéologie directrice correcte de la cultivation
du qigong. […] Dans la cultivation du qigong, toutes les écoles recherchent
l’esprit, la pensée et la conscience: cela mène certaines personnes à une fausse
conception, que le qigong en soi est idéaliste ou immatériel, et contraire au
matérialisme dialectique marxiste-léniniste. […] En fait, ceci est un préjugé et
une erreur relative au qigong. Soulignons que l’esprit, la pensée et la conscience

545
Che Guocheng, Ke Yuwen 1997: 21.
recherchés lors de la cultivation du qigong sont essentiellement distincts du
mouvement de l’esprit par la pensée pure dans le vide de l’idéalisme. [Les effets
du qigong sont produits par] un contenant de qi […], c’est une réaction
particulière dans le cerveau humain d’une matière existant objectivement, qui, à
travers une forme particulière de mouvement matériel, agit sur la matière » 546.

3. Protéger et universaliser la science, « scientificiser » (kexuehua 科学化) le


qigong – rejeter et combattre les « superstitions féodales ».
4. Contribuer à la « construction de la civilisation matérielle »: améliorer le
niveau de santé de la population par la pratique de masse du qigong hygiénique et
thérapeutique; contribuer au développement économique en employant le qigong pour
augmenter la production ou par l’établissement d’entreprises commerciales de qigong.
5. Contribuer à la « construction de la civilisation spirituelle »: promouvoir un
bon comportement moral par la pratique du qigong; augmenter le niveau
d’intelligence de la population par la pratique du qigong; protéger et renouveler les
« joyaux de la civilisation chinoise » et son héritage de cinq mille années d’histoire.
6. Unifier les différents éléments de la société et du monde du qigong sous la
bannière du Parti; promouvoir la libre floraison des différentes écoles de qigong et
éviter le sectarisme au sein du monde du qigong – le Parti ne soutiendra pas une
lignée de qigong à l’exclusion des autres, pas plus qu’il ne permettra à une lignée de
tenter d’exclure ou d’agresser les autres547.
La création et la promotion du qigong par le Parti est un facteur essentiel dans la
mise en oeuvre de sa politique. En effet, le qigong, en tant que catégorie nouvelle,
transcende la myriade de lignées, de méthodes et d’écoles de culture corporelle de
l’époque pré-communiste, dont la plupart étaient plus ou moins intégrées à une
pratique religieuse, et constituaient une masse divisée. La ligne du Parti cherche à
créer à partir des maîtres issus de ce monde désordonné, une nouvelle communauté
unifiée, consciente d’elle-même, et soumise à sa direction idéologique.
La stratégie du Parti cherche à neutraliser la menace politique potentielle posée
par les lignées de qigong; à séparer le monde du qigong du monde religieux; à obtenir
l’adhésion du monde du qigong à l’idéologie scientiste et matérialiste; à promouvoir
des formes de pratique collectives et publiques plutôt qu’individuelles ou secrètes
selon les formes traditionnelles; et à orienter le développement du qigong dans le sens

546
Yin Quan 1997: 2.
547
cf. Zhao Shi 1995; Pan Gu 1995; Xu Yixing 1995; Huang Jingbo 1996.
de la réalisation d’objectifs nationaux en matière de santé, de sports, d’éducation et de
recherche scientifique.
Les institutions officielles sont les instruments externes à l’aide duquel le Parti
impose sa direction idéologique sur le monde du qigong. En effet, la constitution de
lignées de qigong en associations légales, la tenue d’événements publics, l’obtention
d’une couverture médiatique, l’usage d’espaces publics pour des activités de pratique
sont presque toujours soumis à l’approbation des « instances concernées » (youguan
bumen 有关部门) de l’Etat.
Quelles sont ces ‘instances concernées’? Il n’y a souvent pas de réponse précise
à cette question. Jusque dans la deuxième moitié des années 1990, l’Association
scientifique nationale , la Commission nationale des sports, le ministère de la Santé et
le Bureau d’administration de la médecine chinoise qui dépend de lui, et la
Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale, ont tous joué un rôle
actif dans le monde du qigong, chacune de ces instances ayant autorisé la fondation de
différentes organisations semi-officielles de qigong. Le qigong touche également aux
domaines de compétence d’autres ministères et agences nationales de l’Etat qui sont,
à diverses reprises, intervenus dans son développement : le Département de la
propagande du Comité central du Parti, le ministère de l’Education, le ministère des
Affaires civiles, le ministère de la Sécurité publique, et le Bureau national
d’administration de l’industrie et du commerce. Le gouvernement a tenté de
coordonner l’action des différents ministères à partir de 1986, en créant un « groupe
de travail » chargé des sciences somatiques548.
La coordination entre les niveaux local, provincial et national est encore plus
complexe qu’entre les différents ministères nationaux. En conséquence, le monde du
qigong du début des années 1990 présente un tableau à l’allure d’arbre de Noël,
différentes associations et organisations étant accrochées à différentes branches de
l’Etat comme autant de boules, différents réseaux étant liés à différentes branches et à
différents niveaux comme autant de guirlandes, enrobant l’Etat mais sans être
formellement liés dans une administration unique chargée du qigong.
Le Livre complet du qigong contemporain chinois (Wu Hao ed. 1993) contient
un annuaire de 141 associations de qigong (revues et périodiques non compris); les
descriptifs de 76 de celles-ci mentionnent l’instance gouvernementale ou

548
Che Guocheng, Ke Yuwen 1997: 23.
l’organisation de laquelle elle dépendent administrativement. Ces affiliations sont
résumées dans la table suivante549:

Institution ou organisation d’affiliation Nombre


Association semi-officielle de qigong 39
Association scientifique nationale, provinciale ou locale (kexie 协) 36
Commission des sports (tiwei 体委) 14
Institution ou organisation médicale 9
Bureau de l'administration civile (minzhengju 民政局) 4
Commssion de l'éducation (jiaowei教委) 3
Association académique 2
Association d'arts martiaux 2
Association semi-officielle taoïste (daojiao xiehui 道教协会) 1
Parc municipal 1
Fédération des jeunes (qingnian lianhehui 青年联合会) 1
Association de taijiquan 1
Fig. 9. Affiliations des organisations de qigong

Vis-à-vis de l’Etat, les lignées de qigong ont deux alternatives. La première est
d’échapper complètement au contrôle officiel en évitant de chercher l’approbation des
« instances concernées ». Dans ce cas, le mouvement se trouve, sinon dans l’illégalité,
du moins hors de la loi. Cette approche est adoptée par la plupart des mouvements
obscurs et de petite taille, dont les membres ignorent la loi et préfèrent, comme la
plupart des Chinois dans leur vie quotidienne, éviter le contact avec la bureaucratie
afin de ne pas « s’attirer d’ennuis » . En général, si les membres du mouvement ne se
livrent pas à des activités publiques de grande échelle, ne font pas de causent pas de
problèmes et n’attirent pas l’attention des autorités, ils pourront agir sans gêne
majeure. Etant hors du contrôle de l’Etat, ils n’ont aucune nécessité de se conformer à
la ligne idéologique du Parti et sont libres au niveau de la croyance et de l’idéologie.
L’autre alternative est de chercher l’approbation et le soutien des « instances
concernées ». En général, plus une organisation se développe, plus elle sera obligée de
suivre cette voie: non seulement pour se soumettre aux exigences de l’Etat mais aussi
pour établir sa crédibilité auprès d’un public méfiant des escrocs et charlatans qui sont
nombreux dans le monde du qigong.

549
Source des données: Wu Hao (éd.) 1993: 600-619. Compte tenu des double et triple affiliations, le
total est supérieur à 76.
Au niveau local, on ne sait pas toujours quelles sont les « instances
concernées »; de plus, l’approche directe d’une administration porte rarement de fruit
en Chine. Le maître de qigong en quête de légitimation doit cultiver des relations
(guanxi 关系) dans le milieu des dirigeants politiques et personnes d’influence, le
plus souvent à l’aide de ses talents de guérisseur mis au profit de dirigeants malades,
ou par le moyen du partage des bénéfices économiques (pots-de-vin). Il pourra alors,
à l’aide de ses relations, obtenir un certificat ou un permis d’approbation officielle
émis par une autorité quelconque – il peut s’agir du comité scientifique du
gouvernement municipal, d’une association semi-officielle de qigong, du syndicat des
travailleurs d’une petite usine, etc. En effet, certaines instances sont plus faciles à
approcher que d’autres. L’important est que l’unité (danwei) approbatrice soit elle-
même une organisation officiellement soumise à une unité supérieure, la chaîne de
légitimation remontant ainsi d’une unité à une autre, comme des poupées russes,
jusqu’au pouvoir central à Pékin. En principe, les associations semi-officielles, elles-
même dépendantes d’organes de l’Etat, étaient censées être l’ « instance » auprès de
laquelle toute organisation de qigong devait s’inscrire. Mais dans la pratique, les
associations semi-officielles ont eu beaucoup de difficulté à s’imposer comme
autorité.
Le rôle des dirigeants politiques dans la propagation du qigong est illustré par le
cas suivant à Shijiazhuang:
« L’opinion publique [manipulée] intentionnellement a dernièrement eu un effet
encore plus grand sur le développement du qigong [que l’opinion publique
spontanée]. Dans l’article « A propos de la thérapie par qigong à
Shijiazhuang » paru dans le journal Santé du 5 juin 1988, le journaliste Shi Bo
souligne qu’à l’aide de pistes fournies par la rumeur populaire ainsi que par
l’Association municipale de la science du qigong, il a pu visiter, au sein même
de l’immeuble du Comité municipal du Parti communiste chinois de
Shijiazhuang, trois ‘immortels vivants’ capables d’émettre du qi et de soigner
des maladies. Parmi ceux-ci, nous trouvons Cao Hefang 曹鹤芳, membre
permanent du Comité municipal du Parti, Secrétaire de la Commisson
municipale d’inspection de discipline et Directeur-général de l’Association
municipale de la science du qigong. A l’origine, il souffrait de nombreuses
maladies, sa pression artérielle s’élevait à 100/100 …. Il était victime
d’hyperplasie des vertèbres des hanches, d’inflammations de l’estomac,
d’hémmoroïdes, de migraines nerveuses, etc. En 1983, il a commencé à
apprendre le Zhanzhuanggong. Après trois ans de pratique, ses maux ont
complètement disparu. Le jour, il participe à des réunions [au travail]; la nuit, il
lit documents et rapports; il marche d’un pas léger mais ferme. En 1987, les
gens ont découvert que l’émission de qi et la guérison de maladies n’étaient
pour lui que des jeux d’enfant. Les gens se pressaient nombreux chez lui à la
quête de soins, avec l’espoir d’obtenir son ‘qi’ personnel. A Shijiazhuang, le
nombre de dirigeants du Parti et du gouvernement qui, comme Cao Hefang,
‘étudient la Force, exercent la Force, comprennent la Force, émettent la Force’
[xuegong, liangong, minggong, fagong 学功,练功,明功,发功), augmente
de jour en jour. Jia Ran 贾然, le Secrétaire du Comité municipal du Parti, ainsi
que des dirigeants concernés du gouvernement, ont demandé à plusieurs reprises
des rapports sur le développement du qigong et sur l’aspect thérapeutique du
qigong, et ont enquêté consciencieusement sur les fondements scientifiques
modernes du qigong. Actuellement, parmi les six vice-maires de la Ville, cinq
pratiquent le qigong; parmi les 42 dirigeants du rang égal aux membres du
Comité municipal du Parti […] 16 pratiquent le qigong. Cette dépêche eut un
effet très favorable sur la généralisation et l’approfondissement de l’opinion
publique concernant le qigong à Shijiazhuang » 550.

L’aide personnelle de dirigeants politiques, obtenue grâce à l’entretien de


guanxi, est le facteur essentiel dans l’obtention d’une approbation officielle. Le
système des guanxi, bien qu’il subvertisse les circuits officiels, n’empêche néanmoins
pas au conformisme idéologique de se faire sentir, bien que de manière défensive et
superficielle. En effet, en encourageant et en légitimant les activités d’une lignée de
qigong, le dirigeant politique se rend vulnérable aux attaques de ses rivaux et ennemis
dans l’éventualité d’un dérapage des activités de la lignée. Plus une lignée de qigong
semble conforme à l’orthodoxie idéologique dans son discours et ses activités publics,
moins le soutien d’une telle lignée comporte de risque pour un dirigeant politique. Les
lignées présentant une image d’orthodoxie idéologique obtiendront plus facilement le
soutien public de dirigeants politiques que celles qui affichent une image hétérodoxe.
Ainsi, le conformisme à l’idéologie du Parti s’impose de manière subtile et indirecte,
à travers les dirigeants politiques – dont la plupart sont membres du Parti – qui
soutiennent les activités d’une organisation de qigong. Plus on s’éloigne du centre de
pouvoir à Pékin, moins l’orthodoxie idéologique est un facteur déterminant dans la
légitimation d’une lignée de qigong. Ainsi les associations semi-officielles sises à
Pékin, se rapprochent plus de la ligne « dure » du Parti que les associations basées
dans les villes de province.
Le conformisme à la ligne du Parti se fait donc de manière « volontaire » , c’est-
à-dire qu’il est rarement imposé par la force, comme pourrait le faire croire une vision
simpliste d’un régime communiste. Le conformisme se réalise plutôt à travers des
relations personnelles de réciprocité entre les maîtres et les dirigeants politiques. Bien
que ce conformise ne soit affiché que pour les apparences, il exerce néanmoins une

550
Wang Jisheng 1989: 316-317.
certaine influence normative sur le monde du qigong. Mais lorsqu’il y a des dérapages
graves, d’autres instances gouvernementales peuvent intervenir pour mettre fin aux
abus. Dans ce cas, si l’influence du parrain politique du maître n’est pas assez grande,
ou s’il décide, par opportunisme, de ne plus le soutenir, le maître visé ou son réseau
risquent de faire l’objet de mesures punitives.
Citons en exemple le cas du maître Chen Linfeng qui, grâce à des relations au
sein du ministère de l’Industrie aéronautique, aurait été invité à faire un pronostic sur
la fusée Aoxing B1 avant son lancement. Chen Linfeng aurait « vu » par télépathie
des fautes dans le programme de lancement de la fusée, permettant d’éviter des pertes
d’un milliard de yuan. Après le succès du lancement de la fusée (dont le programme
de lancement avait été corrigé), certains journaux rapportèrent que le ministère de
l’Industrie aéronautique avait remercié Chen Linfeng par un prix de 200 000 yuan.
Le Quotidien des Travailleurs révéla les dessous de l’affaire dans un article de
première page le 23 septembre 1995: après le lancement du satellite, le Groupe
Fajing, société commerciale de Hongkong, et l’ « Association mondiale des Chinois »
(shijie huaren xiehui) offrent un don de 400.000 yuan à l’Institut de recherches sur les
fusées à réaction, pour féliciter les chercheurs impliqués dans le lancement de la
fusée. Mais une condition est liée à ce don: la moitié de la somme doit être décernée à
Chen Linfeng sous forme de prix pour le remercier d’avoir mis ses « fonctions
exceptionnelles » à contribution au succès du lancement. Or il se trouve que certains
chercheurs de l’Institut étaient disciples de Chen Linfeng, et que ce dernier est
fondateur et vice-président de l’ « Association mondiale des Chinois » . En clair,
Chen Linfeng, à travers le don de l’organisation qu’il contrôle, se fait décerner un prix
par la prestigieuse institution scientifique, et donne 200.000 yuan en récompense à ses
disciples et amis dans l’institut qui l’ont aidé dans cette manoeuvre.
En automne 1995, à la suite du dévoilement de cette affaire, la Société générale
d’aéronautique émet une circulaire interdisant à son personnel d’entrer en
communication avec Chen Linfeng ou d’autres maîtres de qigong, et déclare que
Chen Linfeng n’a jamais participé au travaux de préparation au lancement de la
fusée551.
Nous verrons de même plus bas comment des soutiens au sein de
l’administration ont permis au Falungong de continuer ouvertement son expansion de

551
GR 95/09/23.
1996 à 1999, alors même qu’il était déjà illégal et que plusieurs mesures de répression
avaient été décidées. Mais après que la manifestation de Zhongnanhai eut provoqué
l’ire personnelle de Jiang Zemin, les amis politiques du Falungong ne purent rien faire
pour empêcher la camagne massive de répression.
Le cas du Falungong est l’exception qui prouve la règle, les autres lignées de
qigong ayant, pour la plupart, toujours choisi d’assumer une posture d’obéissance
envers les autorités. Ce processus de soumission « volontaire » et subtil aux normes
du Parti nécéssite que toutes les parties soient au courant de la ligne officielle: c’est
ici que le système de propagande entre en jeu dans le monde du qigong. Les politiques
et directives du Parti sont transmises aux membres du Parti -- particulièrement à ceux
qui occupent des positions de pouvoir dans le gouvernement -- au cours de réunions
d’études où ils écoutent les discours des dirigeants supérieurs et étudient des
documents politiques. Les dirigeants des associations semi-officielles de qigong, étant
souvent membres du Parti et anciens dirigeants politiques, participent souvent à ces
réunions d’études. La ligne du parti est ensuite transmise au monde du qigong lors des
discours d’ouverture ou de fermeture des assemblées et colloques des associations
semi-officielles de qigong, donnés par les dirigeants de ces associations ou par des
personnalités politiques amies du qigong.
Parfois, ces discours sont ensuite publiés dans la presse spécialisée du qigong,
permettant à l’ensemble du monde du qigong de connaître la ligne officielle. En
principe, la presse du qigong est censée se conformer à l’orthodoxie du Parti; c’est
loin d’être le cas dans la pratique. Seule la revue Dongfang qigong de l’Association
d’études du qigong de Pékin publie régulièrement des articles et discours politiques et
présente un contenu conforme dans l’ensemble à l’orientation exigée par le Parti.
En principe, les lignées de qigong devraient retransmettre les directives
politiques à leurs membres à la base, en organisant des réunions d’études, mais cela
ne se fait presque jamais dans la pratique. Quelques lignées seulement, telles que le
Zangmigong et Zhinenggong, organisent régulièrement des activités de sensibilisation
politique552.
Pour conclure, le Parti communiste chinois a peu d’influence directe sur la base
du monde du qigong et sur les pratiques des adeptes. Néanmoins, par son influence
déterminante sur le processus de légitimation des lignées de qigong, il joue un rôle

552
Voir section 11.10, p. 284-286, et section 14.5, p. 357.
incontournable dans l’évolution de la configuration générale du qigong. Dans la
mesure où les lignées de masse « jouent le jeu » du Parti, elles sont relativement libres
dans leurs activités. Mais lorsqu’une organisation, telle que le Falungong, refuse de
jouer le jeu ou prend une ampleur telle que le Parti sente sa suprématie absolue
menacée, l’Etat interviendra pour la supprimer.

8.2 Les établissements scientifiques et universitaires

L’athéisme et le scientisme faisant partie du noyau de l’idéologie du Parti, les


institutions scientifiques chinoises sont dépositaires d’un pouvoir politique capital:
arbitres et garantes de la vérité scientifique, elles sont, ipso facto, défenseurs de
l’idéologie scientiste officielle. En Chine, un fait scientifique n’est jamais neutre: un
fait ouvertement admis par la communauté scientifique doit être reconnu comme vrai
non seulement matériellement, mais idéologiquement et politiquement. Inversement,
tout ce qui est rejetté par la communauté scientifique comme étant faux, anti-
scientifique ou pseudo-scientifique, relève de l’hérésie politique et de la
« superstitition féodale » .
L’attitude du monde scientifique face au qigong devient donc un enjeu capital
pour le monde du qigong. Le qigong étant hors de l’orthodoxie religieuse reconnue et
protégée par l’Etat (associations religieuses officielles), mais comportant des
pratiques, des concepts, une symbolique et des racines historiques liées à la religion
populaire et donc hétérodoxe, il se trouve dans une situation politiquement et
idéologiquement précaire. La caution de la communauté scientifique est une condition
sine qua non de son existence légitime; celle-ci exerce donc une influence normative
sur le monde du qigong. Directement, c’est la communauté scientifique, et non le
monde du qigong lui-même, qui a le pouvoir de valider ou de réfuter les prétentions
du qigong. Indirectement, afin de donner une image de conformisme à la doctrine
scientiste du Parti et de l’Etat, le monde du qigong prend la communauté scientifique
comme modèle d’organisation institutionnelle et idéologique553.
Lyman Miller, dans son étude sur les rapports entre les mondes scienfique et
politique de la Chine contemporaine, a décrit la confrontation de deux tendances
opposées: la première, qu’il appelle « moniste », et dont les chefs de file sont Qian

553
Sur ce sujet, voir la section 4.5, pp. 133-139.
Xuesen et He Zuoxiu 何祚庥554, partisans de l’ingérence active du Parti dans le
travail scientifique et de l’usage de la philosophie marxiste pour diriger la science; la
deuxième tendance, « pluraliste », dont Yu Guangyuan555 et Fang Lizhi556 sont les
figures de proue, préfère respecter l’indépendance de la science et le libre débat
d’idées557. Les principales personnalités de ce débat dans la communauté scientifique
jouent un rôle de premier plan dans l’évolution du qigong. Nous avons vu comment,
dans les années 1980, Qian Xuesen utilise son influence politique pour bloquer les
critiques contre le qigong et veut développer celui-ci au service d’une idéologie
nationaliste, alors que le principal critique des phénomènes associés au qigong, Yu
Guangyuan, est partisan d’un débat ouvert et scientifique entre défenseurs et
adversaires de ces recherches558. Mais à partir du milieu des années 1995, l’influence
protectrice de Qian Xuesen s’effacera au profit de He Zuoxiu, qui jouera un rôle de
premier plan dans la politisation des attaques contre le qigong.

8.3 Les médias de masse

Les médias de masse jouent un rôle fondamental dans la propagation du qigong


dans la société chinoise. Depuis son commencement à la fin des années 1970, la
« fièvre de qigong » fut un phénomène médiatique, enclenché puis amplifié par les
médias de masse. Les « Grands Maîtres de qigong » tels Yan Xin et Zhang Hongbao
doivent leur célébrité aux médias, qui, dans les années 80, se sont plongés à fond dans
la vague du qigong. Mais au milieu des années 1990, ce seront les mêmes médias qui

554
He Zuoxiu jouera un rôle de premier plan dans la campagne de polémique anti-qigong de 1995. Ses
critiques du Falungong en avril 1999 ont déclenché la suite d’événements qui ont mené à la
manifestation du Falungong autour de Zhongnanhai et à la répression du Falungong. Né à Shanghaï en
1927, il se joint au PCC à l’âge de 20 ans. Après des études de chimie à l’université Jiaotong de
Shanghaï et de physique à l’université Qinghua, il travaille au ministère central de la Propagande du
nouvel état communiste, puis est affecté à l’Institut de recherche sur l’énergie atomique de l’Académie
des sciences de Chine. Il est envoyé en URSS pour étudier la physique nucléaire et la cosmologie. Dans
les années 1960, il participe aux recherches sur la bombe à hydrogène (A De 1999). D’après Miller,
He Zuoxiu est un farouche défenseur du rôle de la philosophie marxiste dans le développement de la
science, y compris dans les débats sur le « Big Bang » et la physique quantique. Il participa aux
critiques contre Fang Lizhi, physicien libéral et dissident de 1989 réfugié aux Etats-Unis. Ce dernier
qualifie He Zuoxiu de « KGB idéologique de la science » (Miller 1996: 170, 315).
555
Le Bulletin de dialectique naturelle, dont il est rédacteur-en-chef dans les années 1980, fut un forum
de discussions et de réinterprétations souvent libérales et osées de la philosophie marxiste, et fut
attaqué comme une source de « pollution spirituelle » par Qian Xuesen (Miller 1996: 130).
556
Fang Lizhi, fortement critiqué par He Zuoxiu pour ses positions sur l’indépendance de la science,
fut arrêté le 11 juin 1989, puis se réfugia dans l’ambassade américaine à Pékin pendant un an, avant de
pouvoir gagner les Etats-Unis.
557
Voir Miller 1996.
donneront une tribune aux adversaires du monde du qigong, mettant au grand jour la
polémique entourant le qigong. Et ce seront encore eux qui, en tant qu’instruments de
la propagande officielle, seront les fers de lance de la campagne anti-Falungong de
l’été 1999.
Les médias chinois possèdent un pouvoir considérable mais empreint
d’ambiguité, dans l’interface entre les mondes officiel et populaire. D’une part, ce
sont les organes de propagande du gouvernement dans un environnement où la
circulation de l’information est, en principe, contrôlée. Dans ce contexte,
l’information diffusée par les médias est perçue comme étant , sinon
« objectivement » correcte, du moins « politiquement » correcte, et étant conforme
avec la volonté du Parti. En principe, le degré et l’orientation de la couverture d’un
phénomène par les médias, représente l’attitude du pouvoir face à ce phénomène.
L’information diffusée par les médias en Chine rapporte plus que des faits en eux-
mêmes: elle rapporte la pensée du pouvoir. Les phénomènes qui jouissent d’une
couverture positive seront perçus comme des valeurs sûres, jouissant de la bénédiction
du pouvoir – et, dans le cas contraire, les phénomènes qui font l’objet d’une
couverture négative, indiquent qu’il est politiquement dangereux d’être lié à de tels
phénomènes.
Mais en même temps, les médias fonctionnent dans une logique de marché: il
faut attirer des lecteurs dans un contexte où la concurrence entre journaux, bien que
tous contrôlés par l’Etat, est féroce. On peut dire qu’un médias chinois a deux maîtres:
le Parti et le public. Il a la tâche délicate de satisfaire aux deux à la fois. Dans ce
contexte, les phénomènes sensationnels qui peuvent fasciner les lecteurs, tels que les
récits de miracles de maîtres de qigong, se prêtent parfaitement à une couverture
médiatique, surtout lorsqu’elles sont présentées comme étant des « faits
scientifiques » .
L’attitude des médias envers le qigong devient, dans ce contexte, un enjeu
capital pour les défenseurs et adversaires du qigong. Presque tous les points tournants
de l’histoire du qigong sont provoqués ou amplifiés de manière exponentielle par des
articles de presse ou des émissions de télévision.

558
Voir Yu Guangyuan 1982.
En bref, l’Etat n’est pas une instance monolithique face à laquelle se dresserait
le monde populaire du qigong. Si, d’une part, le Parti, la communauté scientifique et
les médias exercent un pouvoir normatif sur le qigong, l’influence va également dans
l’autre sens: à travers leurs alliances dans les médias, la communauté scientifique, et
les milieux politiques, les maîtres et les lignées de qigong défendent et propagent leur
cause. La ligne entre les mondes officiel et populaire est difficile à tracer: il s’agit
plutôt d’une interpénétration de réseaux.
Dans les années 1980, malgré l’existence de quelques voix d’opposition au
qigong, celui-ci jouit du soutien actif de quelques réseaux politiques et de la neutralité
de l’Etat en général. Mais de 1989 à 1999, malgré des poches de soutien actif, le
pouvoir dans son ensemble glisse vers une attitude de méfiance, puis d’hostilité pour
le monde du qigong.

Fig. 10. Le qigong et les instances du pouvoir


9. LE MONDE DU QIGONG ENTRE EN CRISE

Le deuxième congrès mondial de qigong, tenu à Xi’an du 10 au 14 septembre


1989, donna l’occasion de célébrer les victoires du qigong depuis une décennie. Plus
de 500 délégués participent au congrès, venant de Chine, de l’Union soviétique, des
Etats-Unis, du Japon, du Canada, d’Australie, de Yougoslavie, de Thailande, des
Philippines, du Togo, de Singapour, de Malaisie, d’Indonésie, de Corée du Sud, de
Taïwan et de Hong Kong. Des milliers de passionnés de qigong et de malades en
quête de guérison se massèrent autour des locaux du congrès, dans l’espoir de
recevoir le qi de quelque Grand Maître. Les maîtres qui convergèrent sur Xi’an de
toutes les régions de Chine pour assister au congrès, furent sollicités de toutes parts
pour donner des « conférences imbues de Force » à différentes unités de travail de
l’ancienne capitale559.
Mais malgré les foules et l’atmosphère animée de la rencontre, les délégués
arrivent au constat que le monde de qigong est dans un état de crise : l’escroquerie et
les dérives du qigong ternissent l’image du qigong. La controverse anti-qigong se
ranime après sept années de silence.

9.1 Le phénomène du Zouhuo Rumo

Le syndrome du zouhuo rumo 走火入魔 – « s’embraser et sombrer dans la


fascination » -- est devenu un problème grave avec l’augmentation des adeptes de
qigong. Il s’agit d’un état où la pratique du qigong provoque des effets négatifs
incontrôlables, de nature soit physiologique (maux de tête ou dans d’autres parties du
corps, circulation du qi déréglée, augmentation du rythme cardiaque, nausée,
mouvements incontrôlés du corps, déréglement des menstruations, etc.), soit mentale
(délire, perte de maîtrise de soi, passivité, perte des facultés mentales, paroles
insensées, comportement injurieux envers soi ou d’autres). Le zouhuo rumo avait
suscité l’attention publique depuis que des adeptes de la méthode de l’ « Envol de la

559
Zheng Guanglu 1991: 340-47.
grue560 », entrés dans un état de « qigong de mouvements spontanés », furent
incapables d’en sortir561.
Les victimes du zouhuo rumo finissaient souvent dans des hôpitaux
psychiatriques qui durent ouvrir des sections spéciales pour les accueillir562 :
individus qui se croyaient invincibles et omniscients qui se prenaient pour des
incarnations de l’Empereur de Jade, qui refusaient de boire ou de manger, etc563.
Zhang Tongling 张彤玲, psychiatre à la Faculté de médecine de Pékin, affirme que
certaines personnes vulnérables se mettent en danger psychologique par une
implication obsessionnelle dans le qigong. Dans une étude de 145 patients de dix
provinces, elle conclut que les victimes du qigong sont relativement bien éduqués: la
moitié ont terminé leurs études secondaires. 44 patients sont des ouvriers, 39 sont des
fonctionnaires, 30 sont étudiants et 31 sont des chercheurs scientifiques. Ils sont
hautement suggestibles, et leurs symptômes sont liés aux effets du qi décrits dans les
livres sur le qigong. Son exposé est résumé comme suit, dans les termes de la
psychiatrie occidentale, par les délégués américains Sampson et Beyerstein, du
Comité pour l’investigation scientifique des prétentions relatives au paranormal
(CSICOP) :
« Plusieurs des réactions ressemblaient à ce que nous appellerions des
symptômes hystériques ou psychosomatiques. Par exemple, ils affirment une
sensation de qi traversant différentes parties de leur corps, et certains ressentent
une lassitude extrême qu’ils attribuent au qi s’écoulant subitement de leur corps.
Dans d’autres cas, des expériences psychotiques sont provoquées, y compris des
hallucinations visuelles et auditoires, du délire, et le sentiment d’être possédé
par des esprits animaux. Certains ont manifesté des symptômes que nous
classerions comme paranoïaques, tels que la conviction qu’ils étaient attaqués
par le pouvoir du maître, ou que le qi les avait imbus de pouvoirs
extraordinaires et d’une mission de sauver l’humanité. Quelques patients se
sentaient remplis d’allégresse, ou parfois maniaques, après un entraînement
prolongé, alors que d’autres se sentaient anxieux, déprimés, ou suicidaires. Les
cas les plus graves concernaient ceux qui passaient plusieurs heures par jour
immergés dans les exercices de qigong et ceux qui avaient une longue histoire
de préoccupations religieuses ou superstitieuses564 » .

560
Voir section 3.4.2, pp. 94-95.
561
cf. Miura 1989: 353.
562
Citons en exemple la clinique spéciale pour désordres relatifs au qigong fondée à la Faculté de
médecine de Pékin en 1989, dirigée par le Dr. Zhang Tongling. De 1989 à 1995, celle-ci traitera
personnellement 392 patientes venant de Chine et de Hong Kong (Zhang Tongling 1995).
563
Pour des descriptions de cas de zouhuo rumo, voir Zhang Tongling 1996.
564
Sampson, Beyerstein 1996; cf. Zhang Tongling 1996.
D’autres victimes du qigong trouvèrent la mort. Parmi ces derniers, comptons
ceux qui s’affament en pratiquant le bigu; ceux qui se suicident volontairement pour
« monter au Ciel », et ceux qui trouvent la mort suite à des actes dangereux – tels que
sauter du toit d’un immeuble dans l’intention de voler -- commis parce qu’ils se
prennent pour invincibles ou omnipotents565.
Bien que le développement du monde du qigong se stabilise durant la période
1991-1994, le nombre de malades mentaux hospitalisés pour cause de la pratique des
« arts hygiéniques populaires » (minjian jianshen shu 民间健身术), c’est-à-dire, dans
la plupart des cas, du qigong -- continue d’augmenter. Les malades de ce type sont
presque quinze fois plus nombreux à l’hôpital Anding de Pékin en 1993 qu’en 1988.
D’après une enquête à cet hôpital sur 141 malades de ce type, 63% des sujets ont une
personnalité introvertie : solitude, soucis, sensibilité excessive, haut niveau de
suggestibilité, etc. Un rapport conclut que la pratique du qigong n’est pas à
recommander pour ce type de personnalité566.
Mais ces conclusions ne sont pas diffusées dans le monde du qigong. Certains
journaux publient des cas de familles « victimes » de qigong. Par exemple, le journal
Santé publie le récit d’une mère dont le fils a sombré dans le zouhuo rumo après deux
semaines de pratique du Zhineng qigong. Malgré qu’il soit toujours dans cet état
depuis trois ans, la mère n’a toujours pas trouvé de traitement efficace pour son fils.
Ce dernier aurait découvert le Zhineng qigong en lisant un livre du maître de cette
lignée, Pang Heming; il aurait alors suivi un stage de cette méthode. Après une
douzaine de jours de pratique, il ressent des courants chaotiques de qi à travers son
corps, et arrête de pratiquer le qigong. Mais les courants de qi continuent de perturber
le garçon. Pendant trois ans, sa mère cherche des médecins pour le traiter à
Changchun, à Harbin, Shenyang, Luoyang et Pékin, mais sans succès. Elle s’adresse
enfin au poste de formation du Zhineng qigong pour demander de l’aide. L’entraîneur
exige que le garçon s’inscrive dans un stage de la méthode afin de recevoir un
traitement. Mais, lors du stage, sa condition s’empire; il souffre de douleurs
d’estomac, ne peut plus manger, et s’évanouit. L’entraîneur explique que c’est là une
réaction naturelle, un phénomène de bigu spontané, mais demande au garçon de
cesser de suivre le stage. Sa mère demande à rencontrer le maître Pang Heming, mais

565
Zheng Guanglu 1991 : 276-292. Les cas de « victimes » du Falungong rapportés par la presse
chinoise en 1999-2000 sont des exemples typiques de zouhuo rumo.
566
Huang Hong 1995.
l’entraîneur affirme ignorer les coordonnées de ce dernier. Après maints efforts, elle
réussit enfin à rejoindre Pang, mais celui-ci lui répond qu’il est trop occupé et refuse
de la voir.
La mère écrit dans le journal Santé que, au cours de ses efforts pour assigner la
responsabilité du désordre de son fils, les personnalités du monde du qigong lui
opposent toujours « deux boucliers » et ont recours à un « parapluie » . Premier
« bouclier » : le qigong est un joyau de la culture nationale; oser remettre en cause les
bienfaits de qigong serait faire montre d’un manque de patriotisme. Deuxième
« bouclier » : le qigong est une science nouvelle, qui suscite de la résistence parmi
ceux qui s’accrochent aux vielles idées. Avoir des doutes sur le qigong, c’est faire
montre d’un manque de réceptivité aux idées nouvelles. Enfin, le « parachute »
invoqué lorsque des faits convaincants sont apportés, c’est que tel dirigeant politique
a dit qu’il ne faut pas débattre publiquement du qigong567.

9.2 Le problème de l’escroquerie

L’organisation de conférences de qigong, de « séances de projection vidéo


imbues de Force », la vente de cassettes vidéo, sont des activités fort profitables. Avec
l’explosion du « marché » d’événements et de produits de qigong, la dimension
commerciale du qigong prend de plus en plus d’importance. Les « Grands Maîtres »
autoproclamés sont devenus légion, promettant de guérir toutes les maladies et
demandant souvent des frais exhorbitants pour leurs soins, pour leur participation à
des conférences, ou pour les « produits à informations » (xinxiwu 信息物)568, les
« peintures à messages » (xinxi hua 信息画) et les « peintures de qigong » (qigong
hua 气功画) qui émettent des « messages » capables de guérir la myopie, la haute
pression artérielle, etc. Les maîtres au « pouvoir divin »(shengong 神功), les
« guérisseurs divins »(shenyi 神医), les « guérisseurs bouddhiques »(foyi 佛医), les
« Grands Maîtres aux fonctions exceptionnelles »(teyigongneng dashi
特异功能大师), les possesseurs de « traditions secrètes »(michuan 秘传), etc.,
promettent des cures pour tous les maux allant jusqu’au sida. Des chiromanciens
proposent leurs talents de divination sous l’étiquette du qigong. Il n’est pas rare que

567
Liu Huaiqing 1992.
des maîtres demandent plus de 100 ou 200 yuan, voire 2000 $HK pour les résidents
de Hongkong, pour leurs « diagnostics à informations » ou pour « voir à travers le
corps » du patient. Un journaliste raconte que certains de ces « maîtres » utilisent
leurs « fonctions exceptionnelles » pour diagnostiquer des maladies dont la victime ne
souffre pas, pour ensuite les « guérir » à un prix exhorbitant.569. Tel maître va jusqu’à
prétendre que lors d’une « expérience scientifique » de 44 jours, il a réussi à
transformer, par émission de qi externe, 90% des moustiques du monde, qui
dorénavant piqueront non les hommes, mais les feuilles des arbres, les herbes et les
pucerons570. Du fait de ce genre d’histoire, l’image des maîtres de qigong commence
à se dégrader.

9.3 La visite du CSICOP et le démasquage des prestidigitateurs

A l’étranger, la « fièvre du qigong » attire l’attention non seulement des


partisans de la « médecine alternative » et du « New Age », mais aussi des adversaires
du paranormal et de la parapsychologie. Fin mars 1988, une délégation du Comité
pour l’investigation scientifique des prétentions relatives au paranormal (CSICOP)571
visite Pékin et Xi’an sur l’invitation de Lin Zixin 林自新, rédacteur-en-chef du
Quotidien des sciences et techniques. Le Comité promet une récompense de dix mille
dollars à quiconque peut prouver l’existence de ses « fonctions exceptionnelles ». La
plupart des maîtres de qigong ne répondent pas au défi. Seule une poignée d’individus
à « fonctions exceptionnelles », y compris quelques enfants, acceptent de faire
démonstration de leurs dons aux délégués du CSICOP. Dans ces expériences
contrôlées, aucune « fonction exceptionnelle » ne fut observée par les observateurs
américains et canadiens. Leur conclusion : ces fonctions n’existent pas572.
La visite du CSICOP fut un coup dur pour la crédibilité du qigong. Les
promoteurs du qigong critiquèrent Lin Zixin pour manque de patriotisme, pour avoir

568
Ce sont des produits tel que du thé, sur lesquels un maître de qigong a émis du qi, donnant une force
magique à l’objet.
569
Ying Ying 1991.
570
Zheng Guanglu 1991 : 344.
571
Le « Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal » est une association
américaine de scientifiques et de magiciens professionels, voué à la vérification scientifique des
prétendus phénomènes paranormaux. Il publie le journal Skeptical Enquirer.
572
Kurtz 1988 a,b; Alcock et al 1988; Zheng Guanglu 1991 : 267-271.
invité des « brigades de fusilliers étrangers »573 qui ont endommagé un joyau de
l’héritage culturel chinois et nui au développement des recherches sur les « fonctions
exceptionnelles ». D’autres affirmèrent que l’un des membres de la délégation
américaine, James Randi, était lui-même détenteur de « fonctions exceptionnelles »
qu’il avait utilisées lors des expériences, afin de bloquer la force des sujets chinois574.
Ce James Randi est un magicien professionnel qui se donne pour mission de
démasquer les individus qui prétendent que leurs simples tours de prestidigitation sont
des manifestations de pouvoirs psychiques ou surnaturels. Or plusieurs des tours de
« fonctions exceptionnelles » ont été démasqués comme des tours de magie. Le cas
des enfants qui lisent avec leurs oreilles, par exemple, n’a rien de mystique : par un
tour de main rapide, l’ « enfant prodige » remplace par une boulette de papier blanc
le morceau de papier affichant les caractères écrits par l’enquêteur, sur lequel il jette
un coup d’oeil en cachette pour « deviner » son contenu. Depuis le début des années
1980, les cas de charlatans dont les tours sont découverts sont nombreux575, mais ont
rarement été rapportés par les médias: ce n’est qu’en 1995 que la débâcle face au
CSICOP sera rendue publique par un journal chinois576.

9.4 Echec de Zhang Baosheng devant He Zuoxiu

Le 21 mai 1988, sur la demande de scientifiques de l’Académie chinoise des


sciences y compris le physicien He Zuoxiu 何祚庥577, le « Groupe de travail sur les
sciences somatiques » demande à l’unité 507 de la Commission scientifique et

573
Le terme de « brigade de fusilliers étrangers » (yangqiang dui 杨枪队), était jadis employé pour
désigner les armées occidentales venues en Chine pour écraser les rebelles Boxeurs qui caressaient
l’illusion de pouvoir vaincre les fusils occidentaux avec les pouvoirs magiques de la culture corporelle.
L’usage de ce terme suggère que les défenseurs des « fonctions exceptionnelles » se reconnaissent,
consciemment ou non, dans les Boxeurs du début du 20e siècle.
574
Zheng Guanglu 1991 : 271.
575
Zheng Guanglu 1991 : 294-300.
576
Voir p. 250.
577
He Zuoxiu jouera un rôle de premier plan dans la campagne de polémique anti-qigong de 1995. Ses
critiques du Falungong en avril 1999 ont déclenché la suite d’événements qui ont mené à la
manifestation du Falungong autour de Zhongnanhai et à la répression du Falungong. Né à Shanghaï en
1927, il se joint au PCC à l’âge de 20 ans. Après des études de chimie à l’université Jiaotong de
Shanghaï et de physique à l’université Qinghua, il travaille au ministère central de la Propagande du
nouvel état communiste, puis est affecté à l’Institut de recherche sur l’énergie atomique de l’Académie
des sciences de Chine. Il est envoyé en URSS pour étudier la physique nucléaire et la cosmologie. Dans
les années 1960, il participe aux recherches sur la bombe à hydrogène (A De 1999). D’après Miller,
He Zuoxiu est un farouche défenseur du rôle de la philosophie marxiste dans le développement de la
science, y compris dans les débats sur le « Big Bang » et la physique quantique. Il participa aux
critiques contre Fang Lizhi, physicien libéral et dissident de 1989 réfugié aux Etats-Unis. Ce dernier
qualifie He Zuoxiu de « KGB idéologique de la science » (Miller 1996: 170, 315).
industrielle de la Défense nationale578 d’organiser une expérience à l’Institut de
physiologie aéronautique, pour vérifier les pouvoirs du célèbre Zhang Baosheng. Des
dirigeants du ministère de la Sécurité nationale, de la Commission scientifique et
industrielle de la Défense nationale, de l’Association scientifique nationale, et du
Département de la propagande du Comité central du Parti sont également présents.
Les pouvoirs dont Zhang Baosheng avait fait des centaines de fois la démonstration
publique avec grand tapage médiatique, disparurent complètement sous les conditions
expérimentales contrôlées imposées par les chercheurs.

He Zuoxiu, Lin Zixin et un autre scientifique furent invités à soumettre un


échantillon pour la démonstration, sous deux conditions: ils doivent laisser un petit
trou dans la bouteille de verre contenant l’échantillon, et permettre à Zhang Baosheng
d’entrer et sortir de la salle à volonté, afin de « réguler son humeur » (tiaozheng
qingxu 调整情绪). Les scientifiques acceptent la première condition, car le trou est
beaucoup plus petit que l’objet dans la bouteille; quand à la deuxième demande, ils
donnent leur accord à condition que l’échantillon reste toujours sur une table à la vue
de tous. De plus, ils exigent que des magiciens professionnels assistent à l’expérience
pour détecter d’éventuels tours d’illusionnisme, mais que Zhang Baosheng ne soit pas
mis au courant de cette décision avant l’expérience, « afin de ne pas affecter ses
pouvoirs miraculeux » . Cinq magiciens et acrobates accomplis des troupes des
Acrobates de Pékin et des Chemins de fer furent donc invités.

La séance commence à 8h30. Soixante personnes assistent à la démonstration.


Les sceptiques sont au premier rang; les magiciens observent des deux côtés. Les
organisateurs commencent par des discours d’introduction. A 9h30, Zhang Baosheng
monte sur l’estrade pour observer l’échantillon. D’après les organisateurs, il pourra
retirer l’objet de la bouteille scellée en moins d’une demi-heure. Zhang Baosheng
reste assis devant la bouteille pendant 30 minutes, rien ne se produit. Il reste assis une
heure, une heure et demie, toujours rien. A 11h30, deux autres personnes à « fonctions
exceptionnelles » se mettent devant une autre table et réussissent à soutirer plusieurs
pilules de bouteilles qui n’avaient pas été préparées par He Zuoxiu et Lin Zixin. Toute

578
Un membre de cette unité, Chen Xin 陈信, également directeur de l’Institut de génie médical
aérospacial (Hangtian yixue gongcheng yanjiusuo 航天医学工程研究所) de la Commission
scientifique et industrielle de la Défense nationale depuis 1986, sera nommé président de l’Association
chinoise des sciences somatiques en 1995.
l’assistance tourne son regard vers ces deux individus. He Zuoxiu crie « fixez votre
regard sur Zhang Baosheng, ne vous laissez pas distraire! » .

A 12h30, Zhang Baosheng n’avait toujours rien fait. Les organisateurs


suggèrent d’arrêter l’expérience pour le moment, et de faire un spectacle de
divertissement, afin de permettre à Zhang de rétablir ses émotions.

Première démonstration: lecture de caractères sans les regarder. Deux billets de


deux jiao neufs sont placés dans une enveloppe. On demande à He Zuoxiu et à Lin
Zixin d’écrire des caractères dessus. He Zuoxiu écrit une longue formule de physique
et un poème de la dynastie Tang. Sur le bord du rabat fermé de l’enveloppe, il écrit le
caractère he (何). Zhang Baosheng prend l’enveloppe, la retourne dans ses mains, la
plie, la place sur la table, la reprend, mais n’arrive pas à « lire » le contenu de
l’enveloppe. Il propose alors de faire un autre numéro : de mâcher une carte de visite
puis la restituer à son état original d’un seul coup de main. Un des dirigeants présents
tend une carte de visite bleue, sur laquelle He Zuoxiu signe son nom. Puis le directeur
de la séance la déchire et la place dans sa bouche. Mais Zhang Baosheng chuchote
dans l’oreille de ce dernier qu’il ne fera pas cette démonstration, et propose un aute
numéro : il va insérer un morceau de sucre dans l’enveloppe que He Zuoxiu venait de
sceller.

Zhang Baosheng enroule l’envelope autour d’une plume, la donne à un des


ministres présents, puis il quitte la salle pour « réguler son humeur ». Zhang Baosheng
sorti, un magicien demande au ministre de dérouler l’enveloppe, pour voir si c’est
bien celle que He Zuoxiu avait scellée? – Non! Il n’y a rien dans l’enveloppe, même
pas le caractère he sur le rabat!

Zhang Baosheng revient et prend connaissance du retournement de la situation.


Il dit tout de suite que l’enveloppe originelle s’est « transformée » vers l’autre bout de
la table. Mais les personnes à ce bout de la table cherchent partout l’enveloppe, et ne
trouvent rien.

Zhang Baosheng retourne à l’expérience originelle sur la bouteille, mais


toujours sans résultat. He Zuoxiu quitte les lieux à 14h. Zhang Baosheng réussit enfin
à extraire les pillules de la bouteille à 15h30, mais on découvre que le sceau de la
bouteille est brisé, preuve qu’elle avait été ouverte
He Zuoxiu et les autres scientifiques demandent qu’un rapport objectif des faits
soit diffusé, mais cela n’est jamais fait. Il faudra attendre jusqu’en 1995 avant que He
Zuoxiu puisse publier la relation de cette séance. Les organisateurs admettent l’échec
de l’expérience, expliquant que Zhang Baosheng triche parfois, mais qu’il fait parfois
preuve de pouvoirs réels. Et la rumeur circule que l’échec de Zhang Baosheng est dû
aux « fonctions exceptionnelles » de He Zuoxiu… 579.

Dans l’année qui s’ensuivit, les prouesses de « qigong léger » et le « qigong


électrique »580 furent également dévoilées comme étant de simples tours que toute
personne peut apprendre sans avoir jamais pratiqué le qigong. Ainsi le journal Santé
rapporte qu’un professeur de physique dans un lycée, ayant lu dans un article de
journal que, grâce au qigong, un maître peut réduire son poids à 3 kg et marcher sur
un ballon gonflable sans le faire éclater, décide d’essayer lui-même. Le professeur,
qui pèse 62 kg, gonfle un ballon, pose une plaque de verre dessus comme le maître de
qigong, et marche dessus: le ballon le supporte grâce au simple principe de la
distribution de son poids par la plaque de verre581. Quant au « qigong électrique » ,
c’est le département de physique de la Faculté de médecine de Pékin, qui découvre
que la puissance du courant électrique qui traverse le corps des maîtres de qigong
durant la plupart de leurs démonstrations – moins de 3 ampères -- est bien en-deça de
la limite tolérable par l’homme moyen (la respiration et la circulation s’excitent entre
50 et 100 ampères, et un danger de mort se présente à 200 ampères)582.

9.5 Renouveau de la polémique anti-qigong

Les adversaires du qigong, forcés au silence depuis l’intervention de Qian


Xuesen en 1982, commencèrent à retrouver le courage. Les dérives du qigong
reçoivent une plus grande couverture médiatique. Dès le 12 juillet 1988, un article fort
critique de Yan Xin paraît dans le journal Aurore (Chen Bao 晨报), ridiculisant les
affirmations exagérées de ce dernier et dévoilant son incapacité à faire montre de ses

579
He Zuoxiu, Lin Zixin, Qing Chengrui 1995; He Zuoxiu 1996 : 8-9; Li & Zheng 1996 : 96, 230. Un
informateur m’a expliqué que Zhang Baosheng avait perdu ses pouvoirs extraordinaires à la suite de
son mariage…
580
Sur ces formes de qigong, voir pp. 139 et 196.
581
Guo Bowen 1989.
582
Dong Zhixiang, Peng Hong 1989.
prétendus pouvoirs lorsque mis au défi583. Le 20 aoùt 1988, le Quotidien du soir de
Pékin affirme qu’il faut pratiquer le qigong et non la « religion du qigong ». L’article
souligne que le qigong ne peut pas guérir toutes les maladies ni empêcher le
viellissement. Il critique les ordres de certains maîtres de qigong lors de « conférences
imbues de force », tels que de conseiller à l’assistance de ne pas quitter la salle avant
la fin, sinon, ils risquent de ramener des maladies chez eux584.
C’est à Hong Kong, où les critiques du qigong peuvent s’exprimer librement,
que ces derniers déclarent la guerre ouverte. Déjà, le débordement de la fièvre du
qigong sur la colonie britannique suscitait la controverse, que les visites de Yan Xin
ne firent qu’alimenter de plus belle. En septembre 1988, le professeur de chimie Gan
Chenting publie dans le journal Dagong bao un long article ridiculisant les
expériences de Yan Xin, soulignant leur manque de rigueur et les graves lacunes dans
la connaissance scientifique du « Grand Maître ». Le 9 janvier 1989, l’économiste Yu
Guangyuan renouvelle son attaque contre le qigong après sept années de silence, dans
un article publié dans le Dagong bao : « Je persiste à récuser les soi-disant « fonctions
exceptionnelles » anti-scientifiques » .
Peu après, en avril 1989, l’université Qinghua déclare dans le journal Santé que
les célèbres expériences de Yan Xin n’ont aucun rapport avec l’université, et qu’elles
ne peuvent être considérées comme étant concluantes. Le « groupe de recherche sur le
qigong » qui avait organisé l’expérience n’est pas une unité reconnue, mais dépend de
l’association responsable d’organiser la pratique collective du qigong sur le campus
de l’université. L’expérience n’a pas suivi une méthodologie rigoureuse, et le chef du
département de biologie Zhao Nanming 赵南明 avait refusé de donner sa permission
pour la publication de l’article585.
Doutant des prétendus pouvoirs de Yan Xin, des professeurs de l’université de
Pékin invitent ce dernier à faire une expérience de traitement de calculs biliaires.
Lorsqu’il se présente au lieu de l’expérience, les professeurs lui présentent un calcul
biliaire et lui demandent de le briser par son seul pouvoir mental. Yan Xin se lance
dans un long discours de deux heures sur le qigong, mais ne réussit pas à casser la

583
Zheng Guanglu 1991 : 203-205.
584
Tao Ranweng 1988.
585
Liu Yanling, Wang Guochen 1989.
pierre : il affirme qu’il ne traite les calculs que lorsqu’ils sont dans le corps d’un
malade586.

9.6 Zhang Honglin réfute l’existence du « qi externe »

Vers la même période, une nouvelle bombe vient secouer le monde du qigong,
cette fois de l’intérieur même de ses rangs : Zhang Honglin, directeur du Laboratoire
de qigong de l’Institut chinois de médecine chinoise, publie dans plusieurs journaux et
revues des articles qui nient l’existence du « qi externe ». Il affirme que suite à ses
expériences, il conclut que le soi-disant effet du « qi externe » ne représente rien
d’autre que des modifications des propriétés physiques et physiologiques possédées
par chaque être humain. On n’a jamais découvert un homme capable d’utiliser ces
propriétés de son propre corps pour modifier ces propriétés chez une autre personne.
Chaque fois que le « qi externe » est employé pour soigner un malade, il faut toujours
employer des techniques de suggestion psychologique telles que la parole, des
mouvements corporels, l’expression du visage, etc. Si l’on n’emploie pas ces
techniques ou si elles sont interrompues,.le « qi externe » n’a aucun effet587. En bref,
le « qi externe » est « une sorte de suggestion psychologiques aux caractéristiques de
la culture nationale chinoise » 588.
Dans un long article publié dans la revue Le qigong de Chine, Zhang Honglin
réfute les expériences ayant prétendument prouvé l’existence matérielle du qi
externe : les travaux de Gu Hansen589, de Feng Lida590 et de Yan Xin591 souffrent d’un
manque de rigueur méthodologique et n’ont jamais été répétés. Il affirme que les
défenseurs du « qi externe » ont une compréhension fort défectueuse de la physiologie
humaine. Il souligne également que le « qi externe » n’est pas mentionné dans la
littérature classique de la médecine chinoise et qu’il n’y avait pas de « maîtres de qi
externe » dans les traditions dont dérive le qigong. A ceux qui affirment que la
thérapie par qi externe s’apprend par la pratique du qigong et non par l’étude des
techniques d’hypnose et de suggestion, il réplique qu’

586
Meng Dongming, Zhu Haiyan 1995.
587
Liu Yanling 1989.
588
Zhang Honglin 1989a.
589
Voir section 2.2 pp. 64-67.
590
Voir section 5.1 pp. 145-146.
« il est facile de prouver qu’il n’est pas nécessaire de pratiquer le qigong pour
acquérir l’aptitide à pratiquer la thérapie par « qi externe ». Nombreux sont ceux
qui, dans la société, croient éperdument dans le « qi externe » et aspirent à
apprendre la capacité de soigner par émission de qi, et n’hésitent pas à dépenser
de grandes sommes pour se faire disciple d’un maître afin d’apprendre son art.
En fait, il n’est pas nécessaire de tant dépenser; cette forme de thérapie est très
simple : il suffit de se rendre dans une région où vous êtes inconnu, et de faire
croire aux gens que vous êtes maître de qi externe grâce à votre langue bien
pendue ou un certificat quelqconque, mieux, de faire croire aux gens que vous
êtes disciple de la n ième génération de tel grand maître, et de parler de vérités
«scientifiques » à moitié compréhensibles, moitié incompréhensibles pour la
personne ordinaire, et vous deviendrez maître de qi externe en un clin d’oeil. A
ce moment, il vous suffit de tendre le bras pour que des gens ressentent votre
« qi externe » ou le qi pathologique d’un malade, et [votre thérapie] sera
efficace pour certaines personnes ».

Zhang Honglin affirme qu’il y a trois types de « maîtres de qi externe » : le


premier type comprend ceux qui, à cause d’un manque de connaissances et
d’éducation, croient sincèrement dans l’existence du « qi externe ». Le deuxième type
désigne ceux qui savent que le « qi externe » est en vérité un effet de suggestion
psychologique dont ils connaissent très bien l’histoire, les effets et les méthodes, mais
qui, dans leur intérêt personnel, trompent les masses ignorantes et s’abritent derrière
le qigong et la science pour s’ériger en fondateurs d’une nouvelle religion. Ceux-ci
sont de véritables « charlatans » et « sorcières » qui ont un impact négatif sur le
qigong scientifique. Le troisième type désigne ceux, fort peu nombreux, qui savent
parfaitement que le « qi externe » est produit par la suggestion psychologique et
utilisent des moyens scientifiques pour améliorer et développer la « psychothérapie
par qigong » aux caractéristiques chinoises592.
Le point de vue de Zhang Honglin est soutenu par Chai Jianyu, de l’Institut de
recherches sur le qigong de Shanghaï, qui s’exprime contre la thérapie par « qi
externe » dans le journal Santé. Chai affirme que le qigong doit être pratiqué
volontairement et activement, plutôt que de devenir un moyen passif de réception du
« qi » d’un maître. Il souligne que les recherches scientifiques sur le qi externe sont
non concluantes, et qu’il n’y a donc aucun moyen de vérifier l’authenticité du « qi
externe » d’un maître, d’autant plus que dans l’absence de politique administrative,
tous les maîtres sont auto-proclamés. Et même si le maître est « authentique », sa
capacité d’émettre du « qi externe » est instable en fonction de son humeur, ce qui

591
Voir section 7.1.2 pp. 184-189.
592
Zhang Honglin 1989b.
rend cette méthode non fiable pour la thérapie. Enfin, Chai affirme que l’anesthésie
par qigong est en réalité de l’hypnose, qui n’a aucun rapport avec le qigong en tant
que tel593.

9.7 L’intervention du Bureau national d’administration de la médecine chinoise

L’escroquerie et les dérives qui se répandaient autour du qigong suscita


l’intervention d’instances de l’Etat qui tentèrent d’instituer des règles pour gérer et
contrôler le monde du qigong. Peu après le Congrès de Xi’an, le ministère des
Affaires civiles exigea la réinscription des associations de qigong594, et le service des
Impôts commença à percevoir des taxes sur les activités du qigong. Ces deux mesures
eurent pour effet la fermeture de nombreuses organisations.
Le 19 octobre 1989, le ministère de la Santé promulgue des « Réglements pour
renforcer l’administration de la thérapie par qigong » (Guanyu jiaqiang qigong yiliao
guanli ruogan guiding 关于加强气功医疗管理若干规定). Ces réglements stipulent
que les maîtres qui pratiquent la thérapie par qigong doivent posséder des
qualifications médicales et obtenir un « permis de thérapie par qigong » , et que les
organisations qui proposent des activités de qigong thérapeutique doivent obtenir la
permission des instances locales de la santé. Ce réglement représente la première
énonciation d’une politique officielle sur le qigong par une instance de l’Etat.
Selon un porte-parole du Bureau d’administration de la médecine chinoise, cette
politique signifie qu’ « à présent, les titres courramment employés par les praticiens
médicaux et autres, tels que « maître de qigong » , « Grand Maître de qigong »
(qigong dashi 气功大师), « Grand maître de qigong » (da qigongshi 大气功师),
«maître international de qigong » (guoji qigongshi 国际气功师), et ainsi de suite,
sont sont complètement invalides et ne sont pas reconnus par lu bureau
d’administration. » 595 La nouvelle politique menace le statut et les emplois d’au

593
Chai Jianyu 1989. Wang Shui 王水, médecin à l’hôpital Guang’anmen 广安门 de l’Académie
chinoise de médecine chinoise, donne un avis similaire dans un article dans la revue Qigong en mai
1989 (Wang Shui 1989).
594
Ji Yi 1990: 104.
595
Réponse de Xing Sishao à des journalistes de l’agence Xinhua, du Quotidien du peuple, de la
Télévision centrale, etc.; entretien publié dans la revue Qigong yu kexue, no. 3 (1991), traduction
publiée dans Zhu Xiaoyang & Benjamin Penny, eds. 1994: 21-25.
moins la moitié des maîtres de qigong596. Mais est-elle applicable? L’intervention du
ministère de la Santé représente une tentative de reprendre le contrôle d’un monde du
qigong qui lui échappe. Elle reflète des divisions au sein du gouvernement et du
monde du qigong lui-même sur l’attitude à prendre face à la vague du qigong et les
problèmes qu’elle provoque.
Le nouveau directeur du Bureau national d’administration de la médecine
chinoise et vice-ministre de la Santé, Hu Ximing 胡熙明, explique la nouvelle
politique lors d’une conférence de presse tenue à Pékin en octobre 1989597. Dans son
discours, Hu Ximing, qui décrit les accomplissements du passé, laisse entrevoir une
nostalgie pour la période des années 1950, où le qigong restait strictement confiné aux
institutions médicales de l’Etat. On y devine aussi l’influence de la thèse de Zhang
Honglin qui met en doute l’existence du qi externe et prône un retour au qigong
comme entraînement du contrôle de soi. Il contient une attaque voilée contre Yan Xin,
ses expériences, ses conférences, et ses prétendus pouvoirs de guérison par qi externe
à des milliers de kilomètres de distance. Parmi les coupables du ‘désordre’ qui règne
dans le monde du qigong, il désigne les « associations d’études » et les « comités »
qui « s’arrogent le droit » de permettre des activités de qigong thérapeutique. Entre
les lignes, il s’agit d’une critique de Zhang Zhenhuan, promoteur et directeur d’un
grand nombre de ces associations d’études, et protecteur de Yan Xin.
Or si Hu Ximing désire regrouper le qigong sous le contrôle du Bureau
d’administration de la médecine chinoise du ministère de la Santé, Zhang Zhenhuan
prône la création d’un nouvel organe créé par le Conseil d’Etat, qui serait responsable
de la planification, de l’organisation et de la coordination des « sciences somatiques »
-- qui, selon la définition de Qian Xuesen, comprennent le qigong, la médecine
chinoise et les « fonctions exceptionnelles ». Dans ce schéma, le qigong n’est pas
subordonné à la médecine chinoise, mais repose sur un pied d’égalité avec elle. Une
proposition à cet effet avait été soumise par l’ACESQ au Congrès national du Peuple
et au Conseil d’Etat598. L’espoir de Zhang Zhenhuan ne fut jamais réalisé. Mais le
projet de Hu Ximing buta également sur des obstacles majeurs. Peu après la
promulgation des « réglements » , Zhang Zhenhuan appuie les nouvelles directives du
bout des lèvres, mais émet des réserves quant à leur mise en oeuvre:

596
Zheng Guanglu 1991: 354, Ji Yi 1990: 104.
597
Voir en annexe 8, pp. 449-452, un extrait de ce discours.
598
Zheng Guanglu 1991: 356-357.
« Maintenant qu’une instance gouvernementale s’est mise en avant pour gérer
[le qigong], c’est une bonne chose, et nous allons activement concourir à la mise
en oeuvre [de la politique]. Mais nous considérons que la bonne mise en oeuvre
de ce document nécessitera beaucoup de travail: ce n’est pas avec une simple
directive sur papier que tous les problèmes seront résolus. Nous espérons que
les instances administratives, dans la mise en application pratique, feront une
enquête complète, et écouteront largement les opinions des masses, des
associations de recherche, et d’autres, afin d’établir des détails de la
réglementation qui soient complets, rigoureux et raisonnables, et de ne pas tout
couper d’un seul coup de couteau. Nous proposons qu’un système de
qualification professionnelle soit établi pour les maîtres de qigong sans
autorisation de pratique médicale, pour permettre à ceux qui sont
particulièrement accomplis de soigner des patients après avoir passé la
qualification. La généralité des masses ont besoin de [ce système], nous ne
pouvons pas ne pas considérer [cette idée]599 » .

La coopération des autres instances (des sciences, de l’éducation, des sports,


etc.) ne sera jamais vraiment acquise pour la mise en oeuvre des nouveaux
réglements. Le fait que Hu Ximing demande l’aide des médias pour faire connaître la
nouvelle politique aux nouvelles instances, laisse entendre que les autres ministères
n’ont pas collaboré dans l’élaboration et la propagation des nouvelles directives au
sein de leurs appareils bureaucratiques respectifs. Et l’imprécision des conditions
d’accréditation des maîtres et organisations de qigong thérapeutique, de même que
l’absence de critères uniques nationaux, rend inévitable que les permis de pratique du
qigong thérapeutique soient accordés sur la base de réseaux personnels (guanxi 关系)
plutôt que sur des critères objectifs.
Mais alors que, sous la direction de Lü Bingkui durant les années 1980, le
Bureau d’administration de la médecine chinoise avait activement encouragé le
développement du qigong, il se concentre dorénavant sur sa régulation.
L’enthousiasme des années 1980 a clairement disparu, et des personnalités sceptiques
telles que Zhang Honglin et le nouveau directeur du Bureau, Hu Ximing, ont
l’ascendant. Les institutions de la médecine chinoise cessent définitivement d’être les
locomotives du qigong comme durant les années 1950 et au tournant des années
1970-80.

9.8 Arrestation de Zhang Xiangyu et exil de Yan Xin

599
Zheng Guanglu 1991: 358.
Toujours est-il que la nouvelle réglementation alimente un vent contraire à la
vague du qigong durant l’année 1990, qui touche certaines des personnalités les plus
en vue et controversées du qigong. Zhang Xiangyu est arrêtée en mai pour escroquerie
et pratique médicale illégale. Ses conférences, au prix d’entrée de 35 yuan – un prix
astronomique à fin des années 1980 – se vendaient au complet, les foules débordant
dans les rues autour de la salle. En moins de deux années d’activité, les revenus de ses
conférences auraient dépassé le million de yuan600. Un seul stage de six jours à
Taipingzhuang, près de Pékin, avec une participation de dix mille personnes, lui aurait
rapporté 420 000 yuan601. Des habitants locaux, excédés par les déchets et les dégâts
causés dans le voisinage par la cohue d’adeptes, auraient appelé la police. Ces
derniers découvrirent que Zhang Xiangyu n’était pas médecin, et qu’elle ne détenait
pas de « permis de thérapie par qigong ». Ils constatent également qu’elle enseigne
publiquement le qigong sans l’autorisation des instances locales de la santé, et qu’elle
organise un grand rassemblement public sans l’autorisation de la police. L’enquête
policière note les plaintes des victimes de son « escroquerie », et qu’un grand nombre
des patients de Zhang Xiangyu sont morts sous le coup de ses traitements602.
Autre victime de taille: Yan Xin, dont les deux dernières « conférences imbues
de Force » les 5 et 6 mars 1990 au stade de Shanghai, devant un public de 23000
personnes à chaque séance – les billets, vendus à 6 yuan, furent vendus au complet en
une demi-journée – furent des échecs. Cette fois, le public et la presse restaient
sceptiques: seule une minorité de l’assistance ressentit la Force de Yan Xin. Puis parut
une nouvelle accablante pour la renommée du « Grand Maître » : un homme de 38 ans
mourut durant la conférence. Souffrant de troubles cardiaques, il était tombé dans un
état de transe, sautant et gesticulant, puis s’affaissa, la bouche écumante. Croyant
qu’il était entré dans un état d’hypnose, les personnes autour de lui ne crurent en rien
d’anormal – ce n’est que plus tard qu’on découvrit qu’il avait cessé de respirer603.
Le 20 juin, Yan Xin quitte la Chine pour les Etats-Unis, ostensiblement pour
présenter les résultats de ses recherches à un colloque international sur le qigong et la
médecine chinoise à l’université de Californie à Berkeley604. La délégation est
organisée par Zhang Zhenhuan: mais, alors que les autres membres n’obtiennent que

600
Zheng Guanglu 1991 : 330.
601
Zhang Honglin 1995a.
602
Zhang Minghui, Zhang Yang 1994 [1991].
603
Zheng Guanglu 1991: 222-223.
604
IYXQA 1995.
des passeports pour voyages d’affaires valables pour un seul voyage, Yan Xin obtient
un passeport personnel valable pour cinq ans et renouvelable. « Le vieux Zhang
voulait dire par là que je devais me préparer pour [un séjour] de longue durée, que je
ne devais pas m’empresser de revenir » , aurait dit Yan Xin dans un entretien rapporté
par Li et Zheng605. Zhang Zhenhuan aurait dit à Yan Xin que cette mesure était une
précaution nécessaire pour sa propre protection, certains ayant accusé le qigong
d’alimenter le soulèvement étudiant de 1989606. Il aurait également encouragé Yan
Xin à promouvoir le qigong en Occident, d’y continuer ses recherches en employant
les méthodes avancées de l’Occident, et d’augmenter les ressources matérielles du
qigong. C’est ainsi que Yan Xin, qui était devenu trop gênant, fut discrètement écarté
de la scène.

9.9 L’opposition s’organise

Certaines personnalités du qigong, qui s’opposent au « qi externe » et aux


phénomènes quasi-religieux du monde du qigong, commencent à s’organiser pour
attaquer ce qu’ils appellent le « pseudo-qigong » en référence à la campagne pour
combattre le retour des « superstitions féodales » sous le couvert de la « pseudo-
science » . Les principales figures de cette tendance se rassemblent le 10 août 1990
pour une réunion intitulée « Propager le qigong scientifique, écarter la superstition
féodale » , organisée sous l’égide de l’Institut chinois pour la popularisation
scientifique (Zhongguo kepu yanjiusuo 中国科普研究所). Les ministères de la Santé
et de la Sécurité publique, le Bureau national d’administration de la médecine
chinoise, l’Académie chinoise des sciences et plusieurs médias sont représentés.
Zhan Wentao 詹文涛, directeur de la section de politique médicale du Bureau
national d’administration de la médecine chinoise, déclare que le « marché »
thérapeutique du qigong est dans le chaos, et qu’il faut rectifier le qigong afin de
protéger sa réputation. Il faut interdire la superstition féodale et arrêter de polluer la
science du qigong avec des légendes exagérées.

605
Li & Zheng 1996:87-88.
606
S’il y a réellement eu de telles accusations, elles n’ont pas eu beaucoup d’effet. L’intervention de
l’Etat dans le monde du qigong après l’été 1989 est le résultat d’une crispation générale suite aux
événements de Tiananmen, ainsi qu’une réaction face au « chaos » qui prévalait dans le qigong. Je n’ai
trouvé aucune indication que le monde du qigong ait joué un quelconque rôle dans le mouvement
étudiant de 1989.
Song Tianbin, directeur de l’office de recherches sur le qigong de l’Institut de
médecine chinoise de Pékin souligne que la science du qigong reste au sein des
limites des « trois disciplines » (du corps, de la respiration, de l’activité mentale), et
qu’on ne peut pas dire que le qigong est omnipotent et sans limites. Zhang Honglin,
quant à lui, décrit les différents types de ‘pseudo-qigong’: « planter le qi » (zhongqi
种气), le « diagnostic par sensation à distance » , la « guérison de maladies à
distance » , les « pierres à messages » , les « cassettes à messages » , les « conférences
imbues de Force » , le « qigong léger » , le « qigong électrique » , etc.
Zhang Tongling607, directrice de l’Institut de recherches psychiatriques de la
faculté de médecine de Pékin, donne un rapport sur les différents désordres mentaux
provoqués par le qigong et leurs causes: un manque de connaissances scientifiques, un
culte excessif du maître, et la poursuite des « sensations de qi » (qigan 气感), des
« messages » , des « fonctions exceptionnelles », etc608.
Un journaliste du journal Santé analyse et ridiculise le livre L’âme de la nature
sur Zhang Xiangyu609, alors que le journaliste Sima Nan donne une démonstration des
différents tours d’illusioniste pratiqués par les maîtres de qigong, tels qu’interrompre
un courant électrique, lire des caractères chinois sans les ‘voir’, tirer une motocyclette
avec sa langue, etc. Il montre que ces tours n’ont aucun lien avec le qigong610. Un
autre maître de qigong raconte une conférence qu’il avait donnée où, voyant les gestes

607
cf. p. 222.
608
cf. Zhang Tongling 1996.
609
Li Peicai 1989. Sur Zhang Xiangyu, voir section 7.5, pp. 198-199.
610
Sima Nan jouera un rôle de premier plan dans la polémique qui finira par faire éclater le monde du
qigong à partir de 1995 (voir sections 9.11, pp. 238-240, 9.13 et 9.14, pp. 248-253). Sima Nan est un
ancien adepte de qigong, qu’il a commencé à étudier durant ses études universitaires de 1977 à 1981.
Durant cette période, il assiste à des démonstrations de « fonctions exceptionnelles » de maîtres qui
peuvent tordre une cuiller par le seul pouvoir de leur esprit, ou briser des briques avec leur tête sans
souffir de blessure… il se plonge dans l’étude des « sciences somatiques » et se joint au groupe
fondateur de l’Association chinoise des sciences somatiques. Il affirme avoir étudié deux ans auprès
d’un maître qui prétend être le « thérapeute des leaders suprêmes du pouvoir central » . Or lorsque le
fils du maître est pris de fièvre, ce dernier l’envoie à l’hôpital plutôt que de le soigner lui-même ou
même de chercher un autre maître de qigong. C’est alors que Sima Nan conclut qu’il y a supercherie. Il
se rend compte que les maîtres et chercheurs qu’il fréquente, et qu’il admirait tant, se consacrent plus à
rechercher l’appui public de personnalités influentes, et à trouver des moyens de gagner de l’argent,
que de mener de véritables recherches scientifiques. Il décide d’apprendre tous les tours des ‘escrocs’
qui passent pour être maîtres de qigong . Lors d’une table ronde en août 1990, il donne une
démonstration de « fonctions exceptionnelles » (briser sept briques avec sa tête, lire avec ses oreilles,
changer le goût de l’eau), en réalité des tours d’illusionnisme, devant des scientifiques sceptiques face
au qigong, et réussit à leur faire croire dans les « pouvoirs mystérieux » du qigong: il se rend alors
compte qu’il est facile de tromper même des scientifiques. Sima Nan décide alors de révéler
publiquement l’ « arrière-scène » du qigong – ce qui lui vaut d’être expulsé de l’Association chinoise
de sciences somatiques, d’être sévèrement critiqué pour son « manque de vertu » , et même d’être
attaqué et battu par des voyous sur l’ordre de maîtres furieux de voir leurs tours exposés (Mainfort
1998; He Pingping, Shi Wei 1995).
de sa main et entendant son souffle dans le micro, l’assistance se mit à tomber en
transe, alors qu’il n’avait envoyé aucun qi 611.

9.10 Activité de l’axe Zhang Zhenhuan – Qian Xuesen -- Wu Shaozu

Comme une décennie auparavant, le qigong est désormais au centre de la


controverse. En juillet 1990, le « Groupe de travail sur les sciences somatiques »
demande par écrit l’appui du gouvernement: résultat, le Comité central du Parti et le
Conseil d’Etat décident que les recherches sur les « fonctions exceptionnelles »
peuvent continuer. Comme en 1982, l’Etat intervient pour imposer la trève. Li
Tieying 李铁映 (1936- )612, membre du Conseil d’Etat, est chargé du dossier du
qigong. Le 12 décembre 1990, il convoque une réunion du « Groupe de travail » , à
laquelle il annonce la politique officielle des « cinq principes pour le travail des
sciences du corps humain » (Renti kexue gongzuo de wutiao fangzhen
人体科学工作的五条方针). Ces principes répètent essentiellement la politique
décidée en 1982 suite à l’intervention de Qian Xuesen613:
1. Ne pas critiquer
2. Ne pas propager
3. Ne pas polémiquer
4. Organiser des recherches scientifiques solides
5. Interdire et extirper l’usage des noms de qigong et de « fonctions
exceptionnelles » dans les cas où ils ne font que masquer la superstition féodale et
l’escroquerie614.
Wu Shaozu, ministre des Sports, est nommé président du « Groupe de travail »
qui est élargi à six personnes. La tâche du « Groupe » est définie: diriger
l’administration et la recherche scientifique du qigong et des « fonctions
exceptionnelles », en facilitant la communication et la coordination des actions des
différents ministères dans ce domaine. Ce n’est donc pas, comme l’aurait souhaité

611
QG 11-11: 492.
612
Li Tieying, qui avait étudié la physique à l’université Charles de Prague, a travaillé dans l’industrie
de la défense nationale jusqu’en 1980. Dans la première moitié des années 1980, il occupe des postes
de direction du Parti aux niveau provincial, devenant Secrétaire du Parti de la province du Liaoning de
1983 à 1984. En 1985, il est nommé ministre de l’Industrie électronique. Il soutient fermement la
répression du mouvement étudiant de 1989. Il est nommé au Conseil d’Etat en 1993 (MacKerras 1998:
138-39).
613
Voir section 4.3, pp. 113-114.
Zhang Zhenhuan, un organe administratif. Les bureaux du « Groupe » sont établis à
l’Institut de recherche sur les arts martiaux de la Commission nationale des sports615.
Comme en 1982, cette politique aura pour effet concret de taire les adversaires
du qigong616, alors que le monde du qigong continuera à se développer en toute
impunité. L’influence politique des réseaux de qigong s’est à nouveau manifestée. Si
les institutions médicales commencent à prendre leurs distances face au qigong, il en
est tout autrement des réseaux de trois parrains politiques du qigong issus de la
Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale: Qian Xuesen, Zhang
Zhenhuan et Wu Shaozu.
Zhang Zhenhuan et ses réseaux demeurent très actifs à travers l’ACESQ, le
ministère de l’Education, et le monde des sciences somatiques. Le 28 juin 1990, il
convoque, avec Qian Xuesen et Zhu Runlong, rédacteur-en-chef de la revue Nature,
le premier conseil d’administration de l’Association chinoise des sciences somatiques,
qui décide de lancer une nouvelle revue intitulée Sciences somatiques chinoises
(Zhongguo renti kexue 中国人体科学). L’association organise en juillet 1991 un
colloque national à Jilin sur les moyens d’entraîner l’éclosion des potentialités
latentes du corps humain617.
Le 19 novembre 1990, l’ACESQ organise à Canton la troisième Conférence
nationale de recherches scientifiques sur le qigong. Sur les 304 articles soumis aux
organisateurs, 132 sont acceptés, dont 84 sur les effets physiologiques, biologiques,
thérapeutiques, physiques, chimiques, etc. du « qi externe ». 124 personnes
s’inscrivent au colloque, dont six étrangers venus des Etats-Unis, du Japon, de Hong
Kong, de Taïwan, et de Corée. Conséquence de la controverse dont le qigong a été la
cible, les sujets brûlants des discussions informelles sont le « qi externe » et les
moyens de le reconnaître; les moyens de reconnaître un maître de qigong véritable; et
la méthodologie des recherches sur le qigong618.

614
Li & Zheng 1996: 202.
615
jiu guojia… 2001.
616
Par exemple, Sima Nan avait en 1990 réalisé un vidéo dans lequel les tours d’illusionisme des
maîtres de qigong étaient mis au grand jour. Jusqu’en 1995 aucun éditeur n’osa publier le vidéo, et
aucune chaîne de télévision n’osa le diffuser, alors que les livres vantant les prodigieux pouvoirs de
Yan Xin et de Zhang Hongbao étaient publiés à tirages répétés. Sima Nan put cependant montrer le
vidéo aux producteurs de l’émission spéciale télévisée du nouvel an chinois de 1991; après avoir
visionné la cassette, ces derniers décidèrent de ne plus inviter de maîtres de qigong à se présenter dans
l’émission (Sima Nan 1995a).
617
QK 102 : 39.
618
DF 26 : 45.
Au printemps 1993, l’Association ouvre le « Grand monde du qigong » (Qigong
dashijie 气功大世界), un marché thérapeutique de qigong dans le centre commercial
Fangzhuang 方庄 à Pékin. Il s’agit d’un centre de services et de traitement par
qigong, où différents maîtres de qigong, chacun ayant son propre kiosque, donnent
des consultations payantes à des malades. Afin d’obtenir la permission d’ouvrir un
kiosque, les maîtres doivent d’abord se soumettre à un examen à l’Institut de physique
des hautes énergies de l’Académie chinoise des sciences, afin de vérifier leur aptitude
à émettre du « qi externe ». Ils doivent aussi montrer leur aptitude à soigner
efficacement des maladies, et posséder quelque pouvoir ou technique inhabituelle. Le
« Grand monde du qigong » organise également des causeries et des formations. Dans
sa première année d’existence, 20 000 personnes s’y font soigner619. L’ouverture de
ce « Grand monde » fait suite à la fondation d’un établissement similaire par
l’Association d’études du qigong de Pékin: le « Centre de services de qigong de
Pékin », le 19 novembre 1992. Ce centre, fondé « dans l’esprit du 14e congrès
national du Parti : avancer vers l’économie de marché, participer à la concurrence »,
se consacre à l’exploitation commerciale du qigong, à l’organisation d’échanges et de
formations, et à la vente de produits thérapeutiques620.
Zhang Zhenhuan continue de promouvoir le qigong dans le système éducatif. Il
participe à l’organisation d’un colloque national sur l’application du qigong dans
l’éducation primaire et secondaire, du 22 au 25 août 1991. La centaine de délégués
discute un rapport de la Commission nationale de l’éducation, qui propose de
renforcer les expériences de qigong dans les écoles primaires et secondaires. Le
rapport cite les avantages d’une telle mesure : augmenter l’intelligence des élèves et
leur performance académique; prévention et guérison de la myopie; amélioration de
l’état de santé physique des élèves621. En 1992, l’Académie des sports de Wuhan
enrôle sa première classe d’étudiants d’un premier cycle spécialisé dans le qigong622.
Le 10 décembre 1993, quelques centaines de scientifiques, d’ingénieurs et
d’intellectuels convergent sur l’Institut d’ingénierie de la Commission scientifique et
industrielle de la Défense nationale (Guofang kegongwei gongcheng shejiyuan
国防科工委工程设计元) pour assister à une séance de guérison de tumeurs du sein

619
Lin Zhong 1994.
620
DF 37 :34.
621
QG 13-5 :238; QK 102 :39.
622
TY 36:16.
par les « fonctions exceptionnelles » du maître Shen Chang 沈昌. Sur les 156 patients
traités par le maître ce jour-là, 49 auraient vu leurs tumeurs disparaître sur le
champ623.
Les institutions « sportives » du qigong, centrées autour de Wu Shaozu de la
Commission des sports, jouent un rôle de plus en plus important dans le monde du
qigong, et dominent les échanges internationaux à travers la Fédération internationale
de la science du qigong. Une édition russe de leur revue Qigong et sports est lancée à
la fin de 1991, avec un tirage de 80 000 exemplaires624. A la même période, du 3 au 6
novembre, a lieu à Xi’an la réunion de préparation du troisième Congrès mondial de
qigong, prévu pour le printemps 1992 à Tokyo. Près de 100 délégués participent à la
réunion et plus de 1000 personnes assistent à la cérémonie de clôture.
Lors de la réunion de préparation, plus de 200 articles sont sélectionnés pour le
congrès et traduits en anglais et en japonais. On tente aussi de sélectionner les maîtres
de qigong pour la délégation chinoise au congrès : 87 candidats se présentent, âgés de
22 à 80 ans. Chaque candidat fait une démonstration de ses techniques
« exceptionnelles » , mais la sélection s’avère difficile et le comité de sélection ne
parvient pas à se mette d’accord sur des critères de sélection. Lu Xuezhi 卢学智,
fondateur de la méthode du Fanteng Gong, donne une « conférence imbue de Force »
à un public de 500 personnes, et d’autres maîtres démontrent leurs pouvoirs :
diagnostic et soulagement de douleur à distance; hypnose; danse disco qigong; qigong
dur; calligraphie et peinture qigong; etc.
Finalement, c’est la Commission nationale des sports qui choisit une délégation
de 25 maîtres de qigong et chercheurs scientifiques, avec l’approbation du Conseil
d’Etat, pour représenter la Chine au Congrès de Tokyo. Au total, plus de 600
personnes d’une dizaine de pays participent au Congrès du 21 au 24 avril 1992625.
En 1993, Wu Shaozu préside le premier Congrès national de l’ascèse du Taiji
(Shijie taiji xiulian dahui 世界太极修炼大会). La méditation tranquille du qigong
figure, avec la boxe du Taiji et le massage hygiénique familial, parmi les trois
principales formes de pratique au centre du thème du congrès626.

623
Ke Yunlu 1996: 28.
624
TY 36 : 47; Li & Zheng 1996 : 6.
625
Li & Zheng 1996 : 5.
626
Li & Zheng 1996 : 192.
En novembre de cette même année, au troisième colloque national de qigong
sportif tenu à Shanghai, le Directeur-adjoint de la Commission nationale des sports
Liu Ji 刘吉 annonce que le qigong occupe une place importante dans le nouveau
« Plan national de culture physique pour tous les chinois» (Quanmin jianshen jihua
gangyao 全民健身计划纲要), qui doit être publié en 1994. Les associations de
qigong accueillent ce plan avec enthousiasme et participent activement à sa
propagation, dans l’espoir de se protéger contre les opposants du qigong627.

9.11 Les écrivains Ke Yunlu et Ji Yi lancent leurs propres lignées de qigong

Les écrivains du qigong deviennent eux-mêmes maîtres de qigong. Ke Yunlu,


fort du succès de son roman Le grand maître de qigong628, s’implique de plus en plus
directement dans le monde du qigong. Fin 1992, il participe comme conseiller à la
première exposition de santé orientale à Pékin629. En octobre 1993, il participe à
l’organisation d’une grande escalade du mont Taishan par des pratiquants du bigu :
1000 personnes assistent à la « conférence imbue de Force » du maître Yu Xin 宇心,
après laquelle 260 personnes s’inscrivent dans un cours de bigu d’une durée de huit
jours. Parmi celles-ci, seules 30 réussissent à persister dans un jeûne total, sans
manger ni boire, pendant les huit jours et nuits complets. Après les huit jours, les
participants au stage, âgés de 12 à 78 ans, grimpent jusqu’au sommet de la
montagne630.
Cet événement s’inscrit dans le cadre d’une série de 13 reportages télévisés sur
le qigong, dirigée par Ke Yunlu631. Les émissions, qui présentent différents maîtres de
qigong et personnes dotées de « fonctions exceptionnelles », passèrent à la télévision
centrale en automne 1994632. Vers la même période, Ke Yunlu fonde sa propre école,
l’Académie chinoise de recherches en sciences de la vie. L’académie se donne la
mission suivante :
1. Résoudre le problème de la myopie des jeunes

627
Li & Zheng 1996 : 281-282.
628
Voir section 7.6, pp. 199-201.
629
Li & Zheng 1996 : 34.
630
Sun Yinyue 1994.
631
Cf. QG 15-11: 526.
632
Ces émissions sont publiées par Ke Yunlu sous forme de 24 vidéocassettes, à un prix total de plus
de 1000 yuan. Trois mille exemplaires de la série de cassettes auraient été vendues (Li & Zheng 1996:
38-39).
2. Développer les « fonctions exceptionnelles » des enfants
3. Enquête, classification et théorisation systématiques des « fonctions
exceptionnelles »
4. Trouver des cures pour des maladies telles que le sida et le cancer
5. Recherche scientifique systématique sur le qigong
6. Employer les fruits des « sciences de la vie » , y compris le qigong et les
« fonctions exceptionnelles », pour arriver à une nouvelle théorie et pratique de la
santé de l’homme contemporain633.
En mai 1995, c’est le tour du journaliste Ji Yi, devenu célèbre après le succès de
son livre sur Zhang Hongbao, de lancer sa propre lignée, le « Qigong du Grand
bouddha » (Dafo gong 大佛功)634. Il déclare que cette méthode est dérivée du
« bouddhisme originel » (yuanshi fojiao 原始佛教), par contraste avec le
« bouddhisme politique » (zhengzhi fojiao 政治佛教) et le « bouddhisme déifié »
(shenhua fojiao 神化佛教)635. Quelques mois plus tard, il proclame que, lors d’une
série d’expériences menées à la prestigieuse université Nankai, il a réussi à changer la
nature du DNA par émission de son « qi externe ». Lors de la première expérience, le
2 juillet, Ji Yi a donné une « conférence imbue de Force » dans la salle de congrès Ba
Yi de l’université. Un échantillon « A » est placé sur l’estrade; un autre échantillon
« B » est placé en dessous de l’estrade. Lorsque Ji Yi emploie sa pensée pour projeter
sa Force sur l’échantillon « A », un changement dans l’échantillon est détecté durant
l’analyse. Le 11 juillet, dans un laboratoire de biologie de l’université, Ji Yi aurait
réussi à briser une chaîne de molécules DNA par l’exercice de sa pensée636. En août
1998, Ji Yi proclame la « Grande tournée des monastères de Chine » (Zhongguo
simiao wanli xing 中国寺庙万里行) et invite les grands temples et monastères
bouddhistes et taoïstes, ainsi que les associations semi-officielles de qigong, à
l’inviter à y donner des conférences et stages.

9.12 La mort de Zhang Zhenhuan vulnérabilise le monde du qigong

633
Li & Zheng 1996 : 57.
634
Li Jingping 1995: 3; QG 76: 44. Désireux de profiter de la célébrité de Ji Yi, de nombreuses
organisations collaborent avec ce dernier pour organiser des cours par correspondance de la méthode,
créant de graves problèmes d’organisation. A la suite du mécontentement des élèves, Ji Yi réorganise la
lignée en août 1996. Pour plus de détails sur l’organisation du Dafo gong, voir le chapitre 10, pp. 265-
266.
635
Cité dans Li & Zheng 1996: 139.
636
Li & Zheng 1996 : 146.
Le général Zhang Zhenhuan meurt le 23 mars 1994. Des maîtres de qigong, y
compris Yan Xin, affluent sur Pékin de toute la Chine et de l’étranger pour assister à
ses funérailles. Surnommé le « père du qigong »(qigong zhi fu 气功之父) et « l’esprit
gardien du qigong »(qigong de shouhushen 气功的守护神), Zhang Zhenghuan avait
joué un rôle clef dans la défense politique du qigong : sa mort laisse vulnérable le
monde du qigong, qui se demande qui va pouvoir dorénavant protéger le qigong face
à l’ennemi. Or quelques jours seulement avant son décès, Zhang Zhenhuan avait écrit
plusieurs lettres aux principales personnalités du monde du qigong, les avertissant que
l’opposition préparait une offensive, et qu’il fallait être plus scientifique et rigoureux,
afin que l’ennemi n’ait point prise sur eux. Et il aurait confié à son vieux camarade
Qian Xuesen qu’il avait participé à plusieurs luttes scientifiques dans sa vie : la lutte
pour la bombe à hydrogène dans les années 60, et pour le super-ordinateur dans les
années 70 et jusqu’au début des années 1980. « Chaque fois, j’ai conquis la forteresse.
Durant mes vieux jours, j’aurai lutté pour les sciences somatiques, mais il semble que
cette fois, la victoire n’est pas acquise »637.
Quelques mois après le décès du général, le camp adverse passe à l’attaque. Le
11 octobre 1994, la Fédération internationale de la science du qigong est dissoute sur
ordre du ministère des Affaires civiles, sous prétexte que c’est une organisation non
inscrite auprès du ministère et donc illégale, et qui exerce une « mauvaise influence
sur la société » 638. Les bureaux de l’organisation à Xi’an sont scellés par la police,
qui fouille également la résidence du secrétaire-général de la Fédération, Guo Zhouli.
Cette nouvelle, diffusée à travers toute la Chine dans l’émission de revue de presse de
la Radio centrale du Peuple, a l’effet d’une « bombe atomique » dans le monde du
qigong. On appelle ce jour l’ « incident de Xi’an » du monde du qigong639. En effet,
la Fédération internationale de la science du qigong, dont le président n’est autre que
le ministre des Sports Wu Shaozu, est un noeud central du réseau politique du qigong.
La dissolution de cette organisation vise le coeur même du monde du qigong. Peu
après, le Conseil d’Etat émet une circulaire intitulée « Quelques recommandations sur
le renforcement du travail de popularisation scientifique » (Guanyu jiaqiang kexue

637
Li & Zheng 1996 : 1,2.
638
RR 94/10/13.
639
Li & Zheng 1996 :3,7. En histoire chinoise, l’expression « incident de Xi’an » (Xi’an shijian
西安事件) désigne l’enlèvement à Xi’an du général Jiang Jieshi, président de la Chine, par le général
pro-communiste Zhang Xueliang en décembre 1936.
jishu puji gongzuo de ruogan yijian 关于加强科学技术普及工作的若干意见), qui
présage le début de la campagne contre la « pseudo-science » et sera interprétée
comme un feu vert pour la publication d’attaques contre le « pseudo-qigong » 640.
Mais Wu Shaozu réussira à se défendre. Malgré la suppression officielle de la
Fédération, celle-ci continue ses activités à l’étranger, et organise le quatrième
Congrès mondial de qigong à Vancouver, les 7 au 9 avril 1995. Zhang Yaoting,
directeur du Bureau permanent du « Groupe de travail sur les sciences somatiques » ,
et le vice-président de la Fédération internarionale, Dong Xuchang 董继昌, dirigent la
délégation chinoise à cet événement qui attire 400 participants à la cérémonie
d’ouverture. Comme à l’habitude, le congrès comprend des démonstrations de
« fonctions exceptionnelles » et des présentations de recherches scientifiques sur le qi
externe641.
A cause du statut illégal de la Fédération internationale, la tenue de ce congrès
mondial n’est pas mentionée dans les médias chinois, ni même dans les revues de
qigong, avant l’été. Le 19 juillet, le Journal international de qigong publie un article
de première page intitulé « La reconstitution de la Fédération internationale de la
science du qigong illumine le quatrième Congrès mondial de qigong ». Cette nouvelle
signale la réhabilitation publique de cette organisation. L’article précise que « du 7 au
9 avril de cette année, la Fédération internationale de la science du qigong a organisé
le quatrième Congrès mondial de qigong à Vancouver, au Canada. Pour diverses
raisons, notre journal n’avait pas publié de dépêches sur ce congrès. Suivant les
instructions récentes du Bureau du « Groupe de travail sur les sciences somatiques » ,
notre journal publiera dans les prochains numéros une série d’articles sur ce congrès.
Bien qu’en retard de quelques mois, ces informations aideront les adeptes de qigong à
comprendre la situation internationale de qigong, et à raffermir leur confiance dans
l’amélioration et le renforcement du travail des sciences somatiques642 ».
Pendant ce temps, l’ACESQ se réorganise suivant la mort de Zhang Zhenhuan.
Le 1er mars, l’Association scientifique nationale approuve officiellement le choix de
Huang Jingbo 黄静波 pour succéder à Zhang Zhenhuan à la tête de l’Association : il
s’agit d’un vétéran de la révolution qui s’était enrôlé en 1934 dans l’armée de terrain
du nord-ouest. Depuis la victoire communiste, il a occupé les postes de secrétaire-

640
He Pingping, Shi Wei 1995.
641
Li & Zheng 1996 : 217.
642
Guoji qigong bao国际气功报, 19 juillet 1995, cité dans Li & Zheng 1996 : 271.
général adjoint de la Commission provinciale du Parti, de Vice-gouverneur et de
Gouverneur des provinces du Shanxi, du Guangdong et du Qinghai; il a été
emprisonné pendant onze ans durant la Révolution culturelle643.
Huang Jingbo est un vétéran des luttes politiques chinoises. Dès sa prise de
fonctions, ce vieux révolutionnaire devra lutter sur deux fronts à la fois : à l’extérieur,
il doit défendre le qigong face à une campagne de plus en plus virulente; à l’intérieur,
il doit purger le monde du qigong des éléments qui nuisent à sa crédibilité et à son
image dans son ensemble. Mais il échouera sur les deux fronts.

9.13 Sima Nan et Yu Guangyuan relancent la polémique

Quelques jours seulement après la nomination de Huang Jingbo, la polémique


anti-qigong reprend de plus belle. Le 18 mars, dans une soirée de popularisation
scientifique diffusée par la Télévision centrale, Sima Nan fait une démonstration des
tours d’illusionisme qui passent pour des « fonctions exceptionnelles » dans le monde
du qigong. Il révèle au pays entier que lorsque ce ne sont pas des phénomènes
entièrement explicables par la science ordinaire, ce ne sont que des tours de
prestidigitation qui ne nécessitent aucune pratique de qigong ni la possession de
pouvoirs paranormaux644.
Le 14 avril, le Journal des jeunes de Pékin publie un article de couverture
intitulé « Sima Nan dévoile l’arrière-scène du qigong »645. Le 11 mai, ce même
journal poursuit ses attaques sur le monde du qigong dans un article intitulé
« Mensonges, sectes, actions répréhensibles »646. Puis, du 12 mai au 2 juin, il publie
une série de quatre articles de Sima Nan sur l’escroquerie dans le monde du qigong,
intitulée « Discussion en long et en large sur le pseudo-qigong 647».
En même temps, le vieil ennemi du qigong Yu Guangyuan renouvelle ses
critiques des « fonctions exceptionnelles » dans le journal Nouvelles de Macao et de
Hong Kong (Aogang xinxi ribao 澳港信息日报) qui, le 26 mars, rapporte que lors
d’un colloque sur l’économie à Shanghai, il déclare que les « fonctions

643
Kexie 1995; DF 51 : 2-3.
644
He Pingping, Shi Wei 1995; Li Jianxin, Zheng Qin 1996 : 163. Sima Nan affirme qu’il avait déjà
plusieurs fois enregistré des émissions semblables, mais qu’il avait toujours été impossible de les
diffuser.
645
He Pingping, Shi Wei 1995.
646
Zhao Qiuli 1995.
647
Sima Nan 1995 a,b,c,d.
exceptionnelles » sont de la « pseudo-science » non conforme au matérialisme
dialectique648. En mai, le Quotidien de Haikou rapporte les propos tenus lors d’une
conférence, où, selon lui, « le qigong est une forme d’entraînement sportif que je ne
récuse pas plus que je ne l’appuie. Mais tout ce qui est « externe » dans le qigong est
contraire aux lois de la physique, et je suis déterminé à m’y opposer et à le
démasquer ». Cette déclaration ouvre la porte à une vague de critiques du qigong dans
les médias, qui dénoncent les pratiques du « pseudo-qigong » et de la « pseudo-
science » des « sciences somatiques 649».

9.14 La communauté scientifique chinoise se retourne contre le qigong

Le 26 mai, jour de la convocation du Congrès national des sciences, le président


de l’Académie chinoise des sciences Zhou Guangzhao 周光召, dans son discours
d’ouverture, répudie catégoriquement l’existence des « fonctions exceptionnelles »,
disant qu’ « il y a dans la société actuelle des individus qui affirment qu’il existe
probablement une nouvelle force d’attraction mutuelle. La justification des soi-disant
« fonctions exceptionnelles du corps humain » est sans aucun fondement. Le corps
humain, comme toute forme de matière, est formé d’électrons et de noyaux
atomiques, et suit les mêmes lois fondamentales. Le matérialisme considère que la
pensée est une forme de mouvement de la matière; elle n’a aucune existence
indépendante et ne peut créer une nouvelle forme d’attraction mutuelle 650». Le même
jour, le Journal des jeunes de Pékin publie en première page une enquête par Sima
Nan sur une femme-maître de qigong qui aurait volé de l’argent de son disciple à
l’insu de ce dernier, puis employé ses « fonctions exceptionnelles » pour l’aider à
« retrouver » la somme perdue651.
Aussi en première page de ce journal, He Zuoxiu révèle l’incapacité de Zhang
Baosheng à faire preuve de ses pouvoirs, lors de l’expérience de 1988652. Que cette
nouvelle ne soit publiée que sept ans après le fait, en dit beaucoup sur la capacité des
réseaux politiques du qigong à museler ses adversaires. Mais, depuis la mort de Zhang
Zhenhuan, cette capacité semble fort réduite. La publication de cet article de He

648
Li & Zheng 1996 : 8.
649
Li & Zheng 1996 : 9.
650
Li & Zheng 1996 : 11, 229-230.
651
Cong Cong 1995.
652
He Zuoxiu, Lin Zixin, Qing Chengrui 1995. Sur cette expérience, voir la section 9.6, pp. 226-229.
Zuoxiu signale le début d’une guerre ouverte contre le qigong dans les médias. Et le
discours de Zhou Guangzhao ce même jour signale le retournement définitif de la
communauté scientifique chinoise, dont certaines personnalités avaient soutenu le
qigong avec tant d’ardeur dans les années 1980, contre ce mouvement. En effet, les
interventions de plus en plus fréquentes de He Zuoxiu dans la polémique anti-qigong
font parallèle à celles de Qian Xuesen dans les années 1980.
Les articles du Journal des jeunes de Pékin sont repris par la presse régionale653.
Puis, le 2 juin, c’est le tour du Quotidien de Pékin de publier un article signé par He
Zuoxiu, Zhang Honglin, Zhang Tonglin et d’autres membres de l’Académie chinoise
des sciences654, qui relie le qigong à la secte japonaise Aum Shimrikyo, affirme que le
noyau du « pseudo-qigong » et des « fonctions exceptionnelles » est le culte du
surnaturel, forme de « superstition féodale », et accuse les médias et certaines
personnalités politiques d’être complices dans la propagation du « pseudo-qigong »:
les « histoires de fantômes » du pseudo-qigong ont

« ébloui certaines personnalités influentes, certains chercheurs experts dans des


domaines de pointe, et certains journalistes qui ont de l’influence dans les
médias. A cause de « l’effet de célébrité » et la participation et l’appui des
médias, le pseudo-qigong et les soi-disant « fonctions exceptionnelles » ne
cessent de chauffer, la « fièvre » ne cesse de monter. Les avertissements répétés
de professionnels scientifiques et médicaux dans les journaux ont été en vain.
Les gens répliquent: comment des émissions de la Télévision centrale chinoise
peuvent-elles nous tromper? Ou encore: sur quelle base pouvez-vous dire
qu’est faux un qigong dans lequel croient des experts en physique du cosmos?
… Depuis le premier cas rapporté de lecture de caractères avec les oreilles et
jusqu’à présent, depuis seize ans, aucune expérience conforme aux règles
scientifiques n’a pu prouver l’existence des « fonctions exceptionnelles ». Au
contraire, les tours de passe-passe de celui qu’on appelle le « premier
surhomme » 655, ce « grand maître de fonctions exceptionnelles » , ont été
dévoilées à plusieurs reprises lors de ses démonstrations. Si l’on retirait leur

653
Li & Zheng 1996 :11.
654
Les auteurs de l’article sont:
- He Zuoxiu, physicien théorique, membre de l’Académie chinoise des sciences, et membre de la
Conférence consultative politique du peuple chinois.
- Guo Zhengyi 郭正谊, chercheur à l’Institut de recherches sur la popularisation scientifique, membre
de la Conférence consultative politique du peuple chinois.
- Hu Yadong 胡亚东, membre de l’Institut de chimie de l’Académie chinoise des sciences
- Qiu Renzong 邱仁宗, membre de l’Institut de philosophie de l’Académie chinoise de sciences
sociales
- Zhang Honglin, Directeur du Laboratoire de qigong de l’Académie chinoise de recherches en
médecine chinoise
- Zhang Tonglin, Psychiatre à l’Institut de santé mentale de la Faculté de médecine de Pékin.
655
C’est-à-dire Zhang Baosheng.
protection spéciale656, il n’y aurait aucune difficulté à les exposer au grand jour
[…] Etant donné que le pseudo-qigong et les prétendues « fonctions
exceptionnelles » ne sont pas encore devenues des sectes de type Aum
Shimrikyo, et qu’ils n’ont pas encore provoqué de décès à grande échelle (en
fait, depuis plus de dix ans, les décès dus au pseudo-qigong et les anormalités
mentales dues à la pratique du pseudo-qigong sont déjà innombrables), le
moment est venu de purger le pseudo-qigong et les prétendues « fonctions
exceptionnelles »657.

Vers la même période, Sima Nan publie son livre L’arrière-scène du qigong
magique » 658, dans lequel il accuse certains maîtres (sans les nommer) de nourrir des
ambitions politiques, et questionne le fait qu’ils recrutent des dirigeants du Parti
comme disciples et s’arrangent pour donner des conférences et stages à l’Ecole
centrale du Parti et à d’autres unités d’influence659. Il avertit :
« Si les Grands Maîtres se mettent jouer à la politique, ce sera comme un
enfant polisson qui joue avec le feu : soit ils se brûleront eux-mêmes, soit ils
feront subir un grand tort au peuple.
Pour une société stable régie par l’état de droit, ces Grands Maîtres aux
allures mafieuses, qui tentent de pénétrer les coeurs des gens par le biais de la
conscience religieuse, sont de grands ennemis politiques […]. Alors que les
réformes s’approfondissent, que la société traverse d’énormes mutations, que les
relations d’intérêt entre les gens se modifient, et que certains membres de la
société se sentent laissés pour compte et perdus, le soulèvement de ce type de
force dissidente (un soulèvement extrêmement rapide et massif), n’est
certainement pas de bon augure. Dès que surviendra le chaos social, il ne faudra
pas sous-estimer la puissance de ces personnes, car ils auront une base sociale.
Les leçons de l’histoire sont déjà trop nombreuses! » 660

Le 30 juin, un article de première page dans l’hebdomadaire Le Weekend du Sud


(Nanfang Zhoumo 南方周末) donne un récit détaillé de l’échec des personnes à
« fonctions exceptionnelles » durant la visite de la délégation du CSICOP en Chine en
mars 1988661. C’est la première diffusion publique de cet événement dans les médias
chinois, sept ans après le fait. L’éditorialiste du journal écrit : « en seize années de
recherches, à part le gaspillage de ressources de l’Etat et la création de chaos dans les
pensées du peuple dans le pays entier, quelle réalisation les « fonctions

656
c.-à-d. politique.
657
He Zuoxiu, Guo Zhengyi et al. 1995.
658
Sima Nan 1995f. Ce livre est basé sur la série d’articles de Sima Nan publiés dans le Journal des
jeunes de Chine (Sima Nan 1995a,b,c,d), à laquelle il ajoute d’autres faits démontrant que les
« fonctions exceptionnelles » ne sont que de la prestidigitation, et critique très fortement le monde du
qigong.
659
Cette critique vise probablement avant tout le Zhonggong de Zhang Hongbao. Cf. Sima Nan 1995f:
660, cité dans Li & Zheng 1996: 23.
660
Sima Nan 1995f: 356, cité dans Li & Zheng 1996: 22.
exceptionnelles » peuvent-elles porter à leur crédit? » C’est une « honte », continue
l’auteur, qu’un pays de plus d’un milliard d’habitants se laisse tromper par une
pseudo-science et qu’il ne s’en aperçoive pas après si longtemps662.
Le 26 juillet, le Quotidien des travailleurs publie un article de couverture
intitulé « Le temple de la science n’admet pas la souillure ». L’article cite plusieurs
scientifiques qui déclarent que les expériences de Yan Xin sont complètement non
scientifiques et non conformes aux principes de l’expérimentation de laboratoire. He
Zuoxiu ridiculise les commentaires de Qian Xuesen sur ces expériences663 : « qualifier
des expériences complètement non conformes aux règles scientifiques comme une
« nouvelle découverte scientifique » , le « signe avant-coureur d’une révolution
scientifique » , d’une « expérience de haut niveau » , cela n’est pas de la science, c’est
une farce! 664». Ces commentaires de He Zuoxiu sont les premiers qui osent
directement critiquer l’appui de Qian Xuesen pour les « sciences somatiques ».
Entre les 3 août et le 23 septembre, le Quotidien des travailleurs publie ensuite
une suite d’articles de couverture attaquant le « pseudo-qigong »665. Le 8 août, le
directeur de l’Ecole centrale du Parti et chef du département de propagande du Parti
communiste chinois, Gong Yuzhi 龚育之, déclare qu’il ne faut pas se fier à ses
propres yeux lorsque l’on voit un phénomène de « fonctions exceptionnelles », cela ne
suffit pas pour prouver que quelquechose existe. En effet, dit-il, il ne faut pas croire
que le soleil tourne autour de la terre simplement parce qu’on voit tous les jours de
nos propres yeux le soleil se lever à l’est et se coucher à l’ouest. Gong Yuzhi souligne
que la question posée par les partisans des « fonctions exceptionnelles »: comment
expliquer ces phénomènes de manière scientifique? – est une fausse question, qui
assume que ces phénomènes existent déjà. Or il ne s’agit que de représentations de
spectacle qui n’ont jamais été confirmés de manière scientifique666.
Le 21 août, c’est le tour de quatre prix nobel d’origine chinoise, Yang Zhenning
杨振宁, Li Zhengdao 李政道, Ding Zhaozhong 丁肇中 et Li Yuanzhe 李远哲, de

661
Voir section 9.5, pp. 225-226.
662
Zong Chunqi 1995.
663
Voir p. 187.
664
Meng Dongming, Zhu Haiyan 1995.
665
GR 95/07/26; GR 95/08/03; GR 95/08/09; GR 95/08/11; GR 95/08/16; GR 95/08/18; GR 95/09/23;
Xing Fangqun 1995; Zhang Honglin 1995a, b,c,d,e,f; Song Shiqi, Jin Kuan 1995, Qi Dianbin 1995;
Zhao Yan, Wang Jinhai 1995; Zhu Haiyan 1995 a,b; Sima Nan 1995e; Hu Peicheng 1995; Wu Yanjie
1995; Zhang Tongling 1995; Du Xuwen 1995; Guo Zhengyi 1995; Qiu Renzong 1995; Yuan Zhong
1995; Quan Ming 1995; Yi Weiqian 1995; Zhu Guizi et al 1995; Yuan Chao 1995; Zhongguo kexie...
1995.
déclarer leur appui pour He Zuoxiu dans son combat contre la pseudo-science, lors du
Premier congrès international des physiciens chinois tenu à Shantou, dans le
Guangdong667.
Les 20 et 21 septembre, l’Association scientifique nationale organise une table
ronde de scientifiques et d’hommes politiques, à laquelle He Zuoxiu et Gong Yuzhi
critiquent les organes d’Etat qui donnent leur permission à des activités de divination,
de voyance, etc. au nom de la diffusion d’ « informations scientifiques et
technologiques » . Ils s’insurgent contre la publication de « pseudo-science » et de
« pseudo-qigong » comme vérité scientifique, citant en exemple une Encyclopédie
des jeunes dans laquelle il est écrit qu’avec l’aide de « fonctions exceptionnelles »,
« on peut empêcher aux joueurs de l’équipe adverse de football de marquer un but » .
Les participants lancent un « appel pour défendre le respect de la science et éradiquer
la superstition ignorante » , et souhaitent une mobilisation générale de la société
contre la pseudo-science et le pseudo-qigong668.

9.15 Sima Nan confronte Ke Yunlu

La polémique ne reste pas limitée à la critique dans les journaux. En début


juillet, lors d’une conférence de presse donnée par l’écrivain Ke Yunlu à Shenzhen, le
maître de qigong Zhou Derong 周德荣 fait une démonstration de son pouvoir d’
« arracher des dents par la pensée ». Un membre du public demande au maître : Si
Sima Nan arrivait de Pékin, seriez-vous capable de lui arracher une dent? Il répond :
« s’il ose venir, je lui arracherai toutes les dents de la bouche 669».
Le 21 juillet, Sima Nan confronte Ke Yunlu à sa conférence de presse à
l’occasion du lancement du nouveau livre de ce dernier, La nouvelle science des
maladies670. Il déclare que si Zhou Derong est capable de lui arracher une seule dent,
il est prêt à reconnaître l’existence des « fonctions exceptionnelles »; il somme
également Ke Yunlu à expliquer ses critiques contre sa personne, qui ont été

666
GR 95/09/18.
667
Zhu Haiyan 1995b.
668
Yuan Chao 1995, Zhongguo kexie… 1995.
669
Li & Zheng 1996 : 59.
670
Ke Yunlu 1995.
rapportées dans les médias de Shenzhen. Ke Yunlu refuse de répondre à Sima Nan et
quitte la salle671.
Le 16 août, Li Zhongwen 李忠文, un maître de qigong de l’ethnie Yi du
Yunnan, lance à son tour un défi à Sima Nan : il propose que l’ACESQ et
l’Association chinoise des sciences somatiques organisent conjointement la joute
suivante :
- Que Sima Nan et lui-même boivent chacun un verre d’alcool, et avalent non
seulement l’alcool mais aussi le verre.
- Que chacun fasse bouillir cinq oeufs crus par émission de qi externe.
- Que chacun donne trois coups à l’adversaire. Sima Nan peut commencer la
joute. Celui qui touche le sol le premier sera perdant; il est interdit de battre
mortellement l’adversaire672.

9.16 Wu Shaozu intervient pour mettre fin à la polémique

Le même jour, Wu Shaozu sort du silence pour défendre publiquement le


qigong. Dans le Journal des jeunes de Chine, il déclare qu’il faut s’opposer à ce qui
est faux dans le qigong, mais préserver et mener des recherches sur ce qui est vrai. Il
ne faut pas prendre une attitude trop absolue et rejeter tout le qigong, dit-il673. Le 6
septembre, il explique sa position dans un entretien avec le Journal international du
qigong, lors de la Quatrième réunion représentative de l’Association chinoise de
recherches en sciences sportives :
- Le qigong est un joyau de la culture traditionnelle du peuple chinois et une
méthode traditionnelle de cultivation de la santé;
- Dans l’ensemble, l’exercice du qigong au niveau populaire est une bonne
chose;
- Les recherches scientifiques sur le qigong et sur les « sciences somatiques »
sont un travail exploratoire très significatif;
- Il faut maintenir la perspective du matérialisme marxiste pour rechercher et
diriger le qigong;

671
Li & Zheng 1996 : 59.
672
Li & Zheng 1996 : 184.
673
cité dans Li & Zheng 1996 : 17.
- Il faut ouvrir un débat libre et calme entre la diversité de lignées et de
perspectives, sans faire d’attaques personnelles;
- On ne peut pas affirmer que les « sciences somatiques » sont de la pseudo-
science uniquement sur la base de quelques expériences ratées;
- Le monde du qigong doit parler d’unité, de réalisme et de science, et doit
contribuer à la stabilité sociale et à l’amélioration de la santé physique du peuple674.
Wu Shaozu intervient auprès du pouvoir central pour mettre fin à la polémique
contre le qigong. Suite à ses efforts, le Conseil d’Etat transmet une circulaire aux
organes centraux de presse, réaffirmant la politique des « cinq principes de travail des
sciences somatiques » promulguée en 1990, qui interdit de critiquer les « sciences
somatiques » dans les médias. La circulaire affirme que l’expérience prouve que cette
politique est la bonne675. Grâce à cette intervention du Conseil d’Etat, le camp des
ennemis du qigong est encore une fois réduit au silence676. Durant l’automne, le
monde du qigong prend la contre-offensive.

9.17 Le monde du qigong contre-attaque

Les critiques du « qigong magique » se résument à deux arguments. Un


argument théorique : si les « fonctions exceptionnelles » existaient, tout l’édifice de la
science s’écroulerait. Selon Yu Guangyuan, « …il n’y aurait donc aucun moyen
d’ériger les lois fondamentales de la science. Par exemple, déplacer une pilule à
travers du verre : mais alors la physique, la mécanique peuvent-ils encore
exister? »677. Et un argument empirique : il n’y a aucune preuve scientifique des
« fonctions exceptionnelles » : aucune démonstration de ces pouvoirs n’a été fait ou
reproduit dans un dispositif expérimental contrôlé.
Les critiques des « fonctions exceptionnelles » soulignent toujours qu’ils n’ont
aucune objection à la pratique du qigong en soi, certainement bénéfique pour la santé
et un précieux héritage de la culture chinoise, mais s’attaquent seulement aux
« fonctions exceptionnelles » et à l’amalgame des « fonctions » et du qigong.

674
Li & Zheng 1996 : 188.
675
Li & Zheng 1996 : 202.
676
Même au plus haut point de la polémique, Zhang Baosheng continuait de recevoir une protection
politique spéciale: le 11 août, il donne une démonstration privée de ses « pouvoirs » à des dirigeants
d’organes médiatiques qui lui sont sympatiques, alors que des journalistes et magiciens professionnels,
y compris Sima Nan, sont interdits d’entrée au restaurant où a lieu la démonstration (Zhu Guizi et al
1995).
Pourquoi l’immense majorité des maîtres et personnalités du qigong insistent-ils sur
cet amalgame, et prennent-ils les critiques des « fonctions » comme des attaques sur
le qigong dans son ensemble ?
La réponse à cette question est à situer au niveau de la méthodologie prônée par
les « sciences somatiques ». Dans le monde du qigong, on répète souvent :
« l’efficacité découle de la croyance; sans croyance, il n’y a pas d’efficacité » (xing
ze ling, bu xing ze bu ling 信则灵,不信则不灵)678 : ce dicton, qui signifie tout
simplement qu’il faut y croire pour que ça marche, est élevé en principe
méthodologique qu’il faut intégrer aux expériences sur les « fonctions
exceptionnelles ». Si les personnes à « fonctions exceptionnelles » échouent devant
des personnes sceptiques, c’est parce que celles-ci émettent inconsciemment des
« informations » qui perturbent les « fonctions exceptionnelles » du sujet de
l’expérience. Pour Chen Xin 陈信, le « sarcasme » des polémistes « a un effet
d’interférence » sur l’état psychologique des personnes à fonctions exceptionnelles,
ce qui nuit à leur concentration dans les expériences679. D’après Ke Yunlu, les
« fonctions exceptionnelles » sont intimement liées à l’état physiologique et
psychologique du sujet, qui est lui-même fortement influencé par son environnement.
Le dispositif expérimental doit donc créer un environnement propice à la
manifestation des « fonctions » : il faut assurer un « taux de soutien psychologique »
élevé : détente, confiance et enthousiasme. En effet, d’après la mécanique quantique,
nous savons que dans un dispositif expérimental, l’observateur et l’appareil
d’observation influencent la configuration de l’observé. Il faut donc garder une
approche holiste et relier l’observateur, le dispositif d’observation et l’observé680. Yan
Xin insiste que les maîtres de qigong sur lesquels on mêne des expériences, doivent
participer pleinement à la conception du dispositif expérimental, qui doit être
conforme à leurs conditions.
Le qigong refuse le dualisme sujet-objet de la science conventionnelle. Il
considère la croyance comme une variable qui produit des effets concrets, et qu’il
convient donc de manipuler pour obtenir les résultats voulus. Alors que, dans une
approche scientifique conventionnelle, la croyance est un facteur à éliminer. Comme
nous avons vu, Zhang Honglin arrive donc à la conclusion que le « qi externe » n’est

677
Yu Guangyuan, cité dans Zheng Guanglu 1991: 240).
678
Cf. Jian Xu 1999: 983.
679
Chen Xin 1995.
rien de plus que de la « suggestion psychologique »681. D’autres parleront de l’ « effet
placebo »682.
La controverse se réduit à une querelle sur le nom à donner à ce qui se produit
lors de l’interaction entre le maître de qigong et le patient ou l’adepte : « qi externe »
ou « suggestion »? Or le choix du terme représente un enjeu capital : Ke Yunlu
affirme que des scientifiques refusent d’admettre l’existence des « fonctions
exceptionnelles » parce que cela entraînerait l’écroulement de l’autorité et de la
position sociale pour laquelle ils ont investi leur carrière. De la même manière, l’aura
des maîtres de qigong, sur laquelle repose leur célébrité et leur fortune, se dissipe si
leurs pouvoirs ne sont que de la « suggestion ». Dans tel cas, le qigong ne relève pas
de la science de pointe, mais de la psychologie. Il n’y a ni magie, ni découverte
scientifique. Ce n’est pas une invention chinoise. La suggestion étant perçue comme
une forme d’illusion, ou d’induction de la conscience, il n’y a pas de savoir
ésotérique. Les vrais experts ne sont pas les maîtres de qigong, mais les psychologues.
Pour Zhang Honglin,
« si des psychologues qui ont systématiquement maîtrisé les techniques de
suggestion et d’hypnose, pratiquaient la thérapie par « qi externe », leur
efficacité thérapeutique serait assurément plus grande que celle des maîtres de
qi externe, car ils ont une meilleure compréhension des méthodes de
suggestion. » 683
Dans ce cas, les maîtres de qigong n’ont rien d’extraordinaire : ils devraient,
pour être qualifiés, prendre des cours de psychologie! Le lien avec les théories
antiques sur le qi n’est plus évident. Tout l’aspect mystique, « exceptionnel »
disparaît. En bref, toute l’idéologie du qigong s’écroule si l’on considère que le « qi
externe » est de la suggestion psychologique. Et, derrière l’idéologie, la configuration
même du monde du qigong est ébranlée. Toutes les lignées, toutes les pratiques de
qigong tournent autour des concepts du qi, du « qi externe » et des « fonctions
exceptionnelles » comme relevant à la fois de l’héritage antique et de la grande percée
scientifique. Les séances de thérapie par « qi externe », les « conférences imbues de
Force », les « champs de qi » produits par la pratique collective du qigong, la
« Force » des « Grands Maîtres » qui attire les foules d’adeptes, la nouvelle discipline
des « sciences somatiques » : tous ces éléments fondamentaux de l’organisation des

680
Ke Yunlu 1996: 32.
681
cf. Zhang Honglin 1989
682
cf. Eisenberg 1985
683
Zhang Honglin 1989.
réseaux du qigong ne peuvent exister sans les concepts du « qi externe » et des
« fonctions exceptionnelles ».
La polémique défensive des partisans du qigong est donc vigoureuse. Six types
d’arguments sont employés pour répondre aux critiques:
1. L’argument moderniste : la science n’arrête jamais de progresser et de
remplacer d’anciennes théories par des nouvelles. Le qigong est une science d’avant-
garde, il est donc normal que des scientifiques s’y opposent, tout comme on s’est
opposé à Copernic, à Galilée, à Darwin, à Einstein684. Si les phénomènes du qigong
semblent être contraires à la science, c’est parce que la science moderne n’a pas
encore trouvé de concepts et de méthodes adéquats pour les observer, les définir et les
expliquer685. Ke Yunlu décrit ainsi la réaction de certains scientifiques à une
expérience fictive de « fonctions exceptionnelles », dans son roman Le Grand Maître
de qigong :
« La réaction des scientifiques [dans l’auditoire] fut assez complexe.
Certains crièrent d’excitation et de surprise, d’autres froncèrent les sourcils.
Certains affichèrent un air de confusion, d’autres semblèrent peinés. Cela, on
peut le comprendre. Ils ont étudié la physique toute leur vie. Les sujets d’étude
et les systèmes théoriques sur lesquels ils dépendent pour survivre sont menacés
d’écroulement : un homme peut-il prendre cela à la légère? […]
Il en est de même pour les philosophes. S’il est sensible, jeune, original;
s’il peut renverser la vieille autorité pour créer une nouvelle pensée et une
nouvelle gloire, [le philosophe] appuiera vigoureusement l’étude des fonctions
exceptionnelles; s’il est lent, vieux-jeu, rigide, s’il tient à sa propre position
d’autorité et à son ancien système théorique, il résistera probablement
instinctivement. »686

Le monde du qigong se présente donc comme un mouvement jeune, d’avant-


garde, révolutionnaire, qui s’oppose à la rigidité conventionnelle, et qui n’a pas peur
d’accepter les idées nouvelles et de renverser les anciennes structures d’autorité.
2. L’argument nationaliste : le qigong est un joyau de la civilisation chinoise,
riche d’une histoire de 5000 ans. Attaquer le qigong, c’est attaquer ce précieux
héritage de nos ancêtres et dévaloriser la culture chinoise. De plus, c’est permettre aux
occidentaux de surpasser la Chine dans un domaine où les Chinois sont maîtres. « Si
nous ne faisons pas de recherches assidues dans ce domaine, nous tomberons en

684
cf. Li & Zheng 1996: 252.
685
Cf. Jian Xu 1999: 978.
686
Ke Yunlu 1989: 122,127
arrière », dit Zhang Zhenhuan687. Pour Feng Lida, le qigong risque de suivre la même
pente désastreuse que les « quatre grandes inventions »688 de la Chine antique :
« La racine est en Chine, les fleurs et les fruits sont à l’étranger. […] Les
étrangers, maniant la force de la technologie moderne, aussitôt qu’ils auront
emporté le qigong chez eux, y feront probablement de grandes percées, qui
pourront même déclencher une révolution scientifique. Dans ce cas, nous ne
serons que des spectateurs impuissants. »689

Pour souligner que la Chine risque de perdre sa chance, Ji Yi décrit les recherches
scientifiques sérieuses menées en Occident et dans l’URSS sur les fonctions
exceptionnelles depuis plus de cent ans 690.
Ici, le monde du qigong se veut donc comme détenteur de la tradition chinoise
et défenseur de la Chine contre la puissance étrangère.
3. L’argument de la popularité : si tant de personnes pratiquent le qigong et font
des recherches dessus, il doit certainement être véridique. Ainsi s’exprime le
professeur Wang Xiubi 王修壁:
« Alors vous dites que les quelques dizaines de millions de gens qui pratiquent
le qigong, les nombreux établissements d’enseignement supérieur, les
universités Jiaotong, Fudan, Qinghua, les nombreuses institutions de recherche,
qui croient tous dans le qigong, et qui consacrent un effort énorme dans la
recherche, tous ces gens seraient des écervelés? »691

Le monde du qigong ne se perçoit pas comme un mouvement marginal, mais


comme jouissant aussi bien du soutien populaire que de l’élite intellectuelle.
S’attaquer au qigong, c’est attaquer toute la société chinoise.
4. L’argument ésotérique : ce n’est pas tout le monde qui est capable d’accepter
ou de voir des « fonctions exceptionnelles ». Ceux qui refusent d’y croire sont tout
simplement d’un niveau inférieur. En effet, les « fonctions exceptionnelles » sont des
phénomènes contraires à notre expérience ordinaire. Il est donc inévitable qu’elles

687
Discours inaugural de Zhang Zhenhuan à la première réunion du Comité directeur de l’Association
chinoise de sciences somatiques, mai 1987, cité dans Zheng Guanglu 1991: 239.
688
Le papier, l’imprimerie, la boussole et la poudre à canon.
689
Feng Lida, entretien diffusé sur la Radio centrale du peuple, cité dans Li & Zheng 1996: 122-23.
690
Ji Yi 1991 : 37-78. Un autre auteur, Xu Dai, se demande, « Si les sciences somatiques américaines
dépassent la Chine, que pourra faire la Chine? ». Il commente un rapport de la CIA publié en 1995, sur
les recherches sur le paranormal menées par cette agence depuis 1975, au coût de $20 millions. Preuve
de l’importance accordée par les Américains aux fonctions exceptionnelles, il cite un cas où la CIA
avait employé une personne aux fonctions exceptionnelles pour tuer le Colonel Kadhafy en 1986, lors
du conflit contre la Libye (comme Kadhafy était entouré d’un corps de garde de 100 femmes,
l’émetteur de la force ne pouvait tuer le colonel…) (Xu Dai 1996).
691
Wang Xiubi, cité dans Li & Zheng 1996: 252.
provoquent une forte réaction de déni, qui affecte l’objectivité de l’observateur692. A
propos de Zhang Honglin, le maître de qigong qui, à la suite de ses recherches
cliniques, arrive à la conclusion que le « qi externe » n’est que de la suggestion
psychologique693, Ji Yi s’exprime :
« L’ascèse du qigong a plusieurs niveaux. Si Zhang Honglin dit que le qigong
n’est que du daoyin, il n’a pas tort, mais, dans le processus de l’ascèse du
qigong, le daoyin n’est qu’un passage (tongdao 通道). Ce n’est qu’après avoir
traversé ce passage qu’on entre dans le vrai paysage merveilleux. Mais Zhang
Honglin est toujours bloqué dans ce passage, et toutes ses recherches ne portent
que sur celui-ci. »694.

Dans la même veine, Yan Xin dit que nier le « qi externe », c’est nier la
médecine chinoise et toute la science. La controverse sur le « qi externe » n’est qu’un
débat sans intérêt entre « initiés » (neihang 内行) et « non-initiés » (waihang
外行)695. D’autres vont encore plus loin, affirmant que les adversaires du qigong sont
eux-mêmes des initiés qui utilisent leurs propres « fonctions exceptionnelles » contre
le monde du qigong. On accuse le magicien américain Randi, membre de la
délégation du Comité pour l’investigation scientifique des prétentions de paranormal
(SCICOP), d’avoir utilisé ses pouvoirs magiques pour perturber les « fonctions
exceptionnelles » des Chinois observés par la délégation. Un autre auteur prétend que
même Yu Guangyuan, l’un des principaux adversaires du qigong, possède des
« fonctions exceptionnelles » qui font échouer Zhang Baosheng chaque fois qu’il y a
un face-à-face entre les deux personnalités :
« Yu Guangyuan est un grand savant, qui a de nombreux élèves et une grande
masse de croyants, tout comme une personnalité religieuse. Son champ
d’informations virtuel est très puissant, et il occupe une place importante dans la
base de données compréhensive de l’univers. Yu Guangyuan ne pratique pas le
qigong, mais grâce à l’effet de ses nombreux fidèles, où qu’il aille, son corps
émet un champ d’informations puissant. […] Lorsque [Zhang Baosheng] subit
l’interférence de ce puissant champ d’informations, il se retrouve incapable de
réagir, donc il échoue. »696

Le monde du qigong se perçoit donc comme un cercle d’initiés, qui


comprennent et possèdent des pouvoirs que seuls d’autres initiés peuvent vaincre.

692
Ke Yunlu, cité dans Li & Zheng 1996 : 54-55.
693
Voir section 9.8, pp. 230-232.
694
Ji Yi, cité dans Li & Zheng 1996: 138.
695
Yan Xin 1998: 111
696
Citation du chap. 4 du livre « Le secret de Yu Guangyuan » (Yu Guangyuan Xiansheng zhi mi
于光远先生之谜), publié en 1993, cité dans Yu Guangyuan 1993 : 6.
5. L’argument de la peur: Yan Xin utilise cet argument pour expliquer pourquoi
aucune revue scientifique américaine n’a publié les articles de ses collaborateurs sur
ses expériences sur le « qi externe ». Les professeurs américains craignent de publier
les expériences dans lesquelles il a réussi à faire revivre des protéines mortes, car cela
remettrait en question la doctrine que la résurrection de Jésus est l’oeuvre de Dieu.
« …Ils craignent pour leur cervelle. Dès que le dogme théologique est secoué, il y a
plusieurs universités où l’on enseigne la théologie, nombreux sont ceux qui y croient
jusqu’à l’égarement, […] en plus, ils sont tous armés, […] ils peuvent simplement
vous éliminer ». Ils craignent aussi de se faire assassiner par l’industrie de
l’alimentation : si le bigu est prouvé, il ne sera plus nécessaire de manger697.
Ici, le qigong est dépeint comme ouvrant la porte à un pouvoir si révolutionnaire
qu’il effraie certains groupes puissants dans la société, qui sont prêts à tuer pour
empêcher sa propagation.
6. L’argument des imitateurs: on répète souvent que s’il y a tant de charlatans
dans le monde du qigong, c’est parce que les pouvoirs du qigong sont véritables, et
que des gens sans scrupules veulent en profiter. Pour Zhang Yaoting, « s’il y a de la
fausse liqueur Maotai 茅台698, c’est parce que la liqueur Maotai est bonne; s’il y a du
faux qigong, c’est parce que le qigong est bénéfique »699.
Dans les trois arguments précédents, les échecs du qigong deviennent preuves
de sa force : ils sont dûs à l’incompréhension des non-initiés, aux « fonctions
exceptionnelles » de ses adversaires, à la peur de révéler une découverte trop
révlutionnaire, enfin à ses vertus bénéfiques qui attirent les escrocs.
Pour résumer, les arguments soulevés en faveur du qigong nous montrent que le
monde du qigong s’imagine comme un mouvement scientifique d’avant-garde qui
possède une connaissance ésotérique, détient l’essence de la culture chinoise, jouit de
l’appui des masses et des élites, et suscite la peur et la convoitise.

En automne 1995, Chen Xin 陈信, président de l’Association chinoise des


sciences somatiques, publie une réplique officielle aux critiques du qigong. Il souligne
que les pouvoirs exceptionnels de Zhang Baosheng ont été prouvés lors de
démonstrations devant des scientifiques de renom sous des conditions expérimentales

697
Yan Xin, cité dans Li & Zheng 1996: 97-99.
698
Liqueur produite dans la ville de Maotai (Guizhou), considéré comme le meilleur alcool de Chine.
699
Zhang Yaoting 1998: 24.
rigoureuses; que les recherches sur les « sciences somatiques » ont toujours bénéficié
de l’appui du Parti et ont toujours suivi la politique de « ne pas propager, ne pas
critiquer » ; qu’elles ont toujours suivi la méthode scientifique; et que la virulence de
la critique a un impact négatif sur l'émotion des personnes à fonctions
exceptionnelles, nuisant à leur participation aux expériences700. Le 1er septembre, Ke
Yunlu publie une lettre ouverte aux quatre prix Nobel d’origine chinoise qui avaient
critiqué les « fonctions exceptionnelles », dans laquelle il défend et explique ces
recherches, et les invite à faire entraîner leurs propres enfants dans des techniques de
qigong susceptibles de faire éclore leurs « fonctions exceptionnelles » latentes701. Le
1er novembre, il lance un « grand registre d’innombrables cas de réhabilittion de
maladies par qigong ». L’objectif est de légitimer le qigong et les sciences somatiques
en regroupant systématiquement les dossiers de cas de réhabilitation par qigong.
Trente-cinq lignées de qigong participent à la campagne. On demande à tous ceux qui
ont retrouvé la santé grâce au qigong, d’aider la cause du qigong en envoyant des
matériaux véridiques sur leur cas. Trois conditions sont stipulées :
1. La réhabilitation doit être attribuable principalement au qigong ou aux
« fonctions exceptionnelles »;
2. Il faut envoyer un dossier médical d’un hôpital de niveau municipal ou
supérieur, décrivant la condition pathologique du malade précédant sa pratique ou sa
thérapie par qigong;
3. Suite à la guérison du sujet, au moins un an doit s’être écoulé sans
retour de la maladie702.

L’automne 1995 est aussi marqué par le retour en Chine pour un séjour de
quelques mois de Yan Xin, qui remobilise quelque peu la confiance du monde du
qigong. Le 20 octobre, il fait une brève apparition-surprise lors de la cérémonie
d’ouverture du deuxième Congrès mondial du Taiji. Il ne prend pas la parole, mais la
nouvelle se propage rapidement : Yan Xin est de retour!
Durant son séjour à Pékin, il se cache et change plusieurs fois de demeure;
néanmoins, il est toujours suivi par des adorateurs et des curieux703. Le 21 octobre, il
est reçu par Zhang Yaoting, directeur du bureau permanent du « Groupe de travail sur

700
Cf. Chen Xin 1995.
701
Cf. Ke Yunlu 1996.
702
Li & Zheng 1996 : 68.
les sciences somatiques » . Cette rencontre, à laquelle participe Guo Zhouli de la
Fédération internationale de la science du qigong, implique une reconnaissance
officielle de Yan Xin et de ses activités à l’étranger. Mais Zhang Yaoting lui avertit de
ne pas se prendre pour un dieu, de ne pas tenir de propos trop exagérés, et de lutter
pour que le qigong occupe une place dans l’histoire de la science humaine704.
Une semaine plus tard, Yan Xin est invité à Xi’an pour rencontrer la rédaction
du Journal international de qigong à l’occasion de la commémoration de son 100e
numéro. Bien que gardée secrète, la nouvelle de son arrivée à Xi’an circule, et mille
personnes affluent sur les lieux de la rencontre. Pour répondre aux attentes de tous ces
adeptes de Yan Xin, une « conférence imbue de Force » est organisée à l’improviste,
à laquelle participent plus de mille personnes. Puis, de retour à son village natal en
novembre, il donne une « conférence imbue de Force » pour un public de 8000
personnes dans la ville de Mianyang, dans le Sichuan705. Durant ce séjour en Chine,
l’Association chinoise d’études scientifiques du qigong de Yan Xin est fondée706.

703
Li & Zheng 1996 : 100.
704
Cité dans Li & Zheng 1996: 105-106.
705
Li, Zheng 1996 : 101.
706
cf. . document sur internet http://www.chinaqigong.net/dongtai/6.html (sans auteur ni titre)
10. L’ORGANISATION DES LIGNEES DE MASSE

Alors même que le qigong se trouve au centre de la controverse, une nouvelle


génération de lignées voit le jour, possédant une organisation plus structurée, une
idéologie plus élaborée, une gamme d’activités plus variée, et une stratégie
d’expansion plus systématique, que la première génération de méthodes apparues au
début des années 1980. L’ambition de certaines, telles que le Zhonggong et le
Falungong, ne se limite pas à être une lignée de qigong parmi les autres, mais de
récupérer l’ensemble du monde du qigong et d’exercer une influence profonde sur
toute la société chinoise. Cette ambition met ces deux lignées aux prises avec les
associations semi-officielles du qigong qui tentent d’asseoir leur autorité, et même
avec le Parti, qui ne voit jamais d’un oeil favorable la constitution de grandes
organisations populaires. Mais les organisations de masse que Zhang Hongbao et Li
Hongzhi contruisent pour réaliser leurs ambitions, et les réseaux politiques parallèles
qu’ils se constituent au sein du Parti et de l’administration, font qu’il est pratiquement
impossible pour les instances officielles et semi-officielles de qigong de les contrôler.
Les centaines de lignées suivent un modèle d’organisation et de transmission
relativement homogène. Les organisations de qigong tentent de structurer et de relier
la masse flottante de pratiquants actuels et potentiels dans un réseau centralisé.
L’organisation de la lignée constitue un réseau intégré, reliant le maître et son noyau
aux pratiquants dans l’ensemble du pays. A chaque palier d’organisation, des
« moniteurs » ou « entraîneurs » occupent de la propagation de la méthode dans une
circonscription géographique définie.
Les différents niveaux d’apprentissage de la méthode sont offerts par des
niveaux correspondants de la hiérarchie de la lignée. Aux points de pratique dans les
parcs et espaces publics, toute personne peut apprendre gratuitement les postures de
base de la méthode, en se joignant au groupe de pratiquants tous les matins ou soirs, et
en imitant le moniteur et les pratiquants expérimentés.
L’adepte peut ensuite, moyennant des frais de participation, s’inscrire dans des
formations ponctuelles de niveau débutant et intermédiaire d’une durée de une à deux
semaines, organisées par des centres généraux d’entraînement. A la suite de leur
participation dans ces stages, certains adeptes capables et enthousiastes seront choisis
pour animer des points de pratique et enseigner les postures de base de la méthode.
Les stages de niveau élevé ne sont offerts que par le maître en personne. Parmi
les élèves de ce niveau, se recrutent les « cadres » (gugan 骨干) animateurs des
centres généraux d’entraînement et de l’organisation centrale. En effet, les formations
avancées enseignent aussi les méthodes d’organisation des activités de la lignée.
Le passage à un niveau supérieur de formation est ainsi lié à une intensification
de l’implication dans la lignée. Ce processus peut être illustré par le schéma ci-
dessous (fig.11), qui montre comment la transformation de l’adepte peut être liée à
son intégration progressive dans l’organisation. D’après le schéma, les lignées de
qigong capables de mener leurs adeptes tout le long du processus, des techniques
corporelles jusqu’à l’intégration à une structure communautaire, sont celles qui auront
la plus grande capacité à retenir leurs adeptes et à se propager pendant une longue
période. Par contre, un grand nombre de lignées, incapables de fournir tous les
éléments nécessaires au processus, produisent une masse flottante de pratiquants qui
errent d’une méthode à l’autre et finissent souvent par s’affilier à une lignée mieux
organisée. Ainsi, des organisations comme le Zhonggong et le Falungong ont pu
récupérer une grande partie des adeptes d’autres lignées.

Fig. 11. Processus d’ntégration de l’adepte dans une lignée


Le système de transmission de la méthode peut être illustré en plaçant les
adeptes en cercles concentriques autour du maître, suivant leur niveau de progression
et leur degré d'implication dans la transmission. La figure no. 12 ci-dessous illustre
l’exemple du Qigong du Grand bouddha (Dafo gong 大佛功) fondé par l’écrivain Ji
Yi en 1995707:

Fig. 12 Niveaux d’implication dans la lignée

Legende:

E: Les pratiquants occasionnels et de courte durée, qui passent facilement d'une méthode à une
autre.
D: Les pratiquants se consacrant à la seule méthode du maître, qu'ils pratiquent régulièrement à
l'exclusion des autres méthodes. Dans le Dafo gong, ceux-ci peuvent devenir « maîtres en hygiène
familiale » (jiating baojian shi 家庭保健师). Après avoir suivi un stage par correspondance pour 100
yuan, comprenant des guides illustrés, des cassettes « imbues de Force », et des « cartes magiques du
Grand bouddha » (dafo tongling ka 大佛通灵卡), on obtient le « certificat de maître en hygiène
familiale » (jiating baojianshi jieye zheng 家庭保健师结业证).
C: Les adeptes engagés, actifs dans la transmission de la méthode, intégrés aux circuits de
transmission de l'organisation sectaire. Dans le Dafo gong, les maîtres en hygiène familiale peuvent, en
suivant des stages supplémentaires, progresser vers les niveaux suivants:
« Maître de santé » (jiankang fashi 健康法师) : après avoir suivi ce stage de 300 yuan, on peut
devenir membre de l’Association générale du Dafo gong (Dafo gong zonghui 大佛功总会) et fonder
des postes d’entraînement (fudaozhan 辅导站) du Dafo gong.
« Enseignant » (chuanren 传人) : à ce niveau, on peut devenir président, vice-président ou
secrétaire-général d’une association locale du Dafo gong affiliée à l’association semi-officielle de
qigong du district, ainsi que moniteur d’un poste d’entraînement (fudaozhan zhanzhang 辅导站站长).
« Maître supérieur » (gaoji fashi 高级法师).
B: Les disciples personnels et « initiés » du Maître (rumen dizi 入门弟子, qinchuan dizi
亲传弟子), en relation directe avec lui et voués à la protection et à la propagation de sa lignée. Dans le
Dafo gong, les principaux disciples personnels sont Yin Ai 印爱 et Li Shun 李顺, qui portent les titres
de « Grand maître de l’enseignement de la Loi » (shouxi chuanfashi 首席传法师), « Grand maître
guérisseur aux pouvoirs exceptionnels » (teyi zhibing dashi 特异治病大师), et vice-président de

707
Cf. QG 76: 44a,b,c. Sur la fondation du Dafogong, voir la section 9.13, p. 244.
l’Association générale du Dafo gong. Ils sont habilités à donner des conférences publiques sur la
« science de la vie et de la santé du Dafo gong » dans toute la Chine.
A: Le maître. Dans le Dafo gong, il s’agit de Ji Yi, maître et fondateur, président de
l’Association générale du Dafo gong.

Cette hiérarchie constitue le réseau de transmission de la lignée de qigong qui,


dans le cas des organisations les plus importantes, s’étend sur tout le territoire chinois
et même jusqu’à l’étranger. Ces réseaux structurés servent comme appareils de
transmission de la méthode du maître, tout en créant une hiérarchie de disciples
s’élevant jusqu’à lui.
La lignée typique possède les niveaux d’organisation suivants:

Organisation centrale
(Zonghui 总会)
(Dirige les activités à l’échelle internationale, nationale ou provinciale
selon l’étendue du réseau)
Exemple: Association d’études du Falun Dafa

Postes généraux d’entraînement


(Zong fudaozhan 总辅导站)
(Dans les villes importantes)
Exemple: Centre général de formation du Falun Dafa de la municipalité de
Chongqing

Postes locaux d’entraînement


(Fudaozhan 辅导站)
(Dans les principaux districts des grandes villes et dans les villes secondaires)
Exemple: 3 Postes de formation du Falun Dafa dans la municipalité de
Chongqing

Postes secondaires d’entraînement


(Erji fudaozhan 二级辅导站)
(Dans les quartiers)
Exemple: 56 Postes secondaires de formation dans la municipalité de
Chongqing

Points de pratique
(Liangongdian 练功点
(Dans les parcs et espaces publics)
Exemple: 890 Points de pratique dans la municipalité de Chongqing

Fig. 12. Niveaux d’organisation d’une lignée


Les organisations centrales sont dirigées officiellement ou en coulisses par le
maître, et sont normalement affiliées à une association semi-officielle de qigong. Elles
dirigent l’expansion globale du réseau et représentent la lignée auprès des associations
semi-officielles nationales et des instances de l’Etat708.
Les branches locales (« postes d’entraînement »), actives à l’échelle régionale,
municipale ou de quartier, sont animées par des adeptes actifs de la lignée. Ces
derniers, qui peuvent être bénévoles ou rémunérés selon la lignée, sont le lien entre
l’organisation centrale et les points de pratique à la base. Ils représentent la lignée
auprès des associations semi-officielles et des instances gouvernementales locales.
Les organisations intermédiaires s’assurent de la permanence des lieux de pratique et
organisent des formations ponctuelles de niveau débutant et intermédiaire.
Les points de pratique sont des lieux spécifiques dans des parcs et espaces
publics où des séances de pratique gratuite de la méthode sont animées par des
adeptes bénévoles. Ces séances ont lieu tous les jours à heure fixe. L’animateur
accroche une banderole de la méthode sur des arbres ou sur un mur avoisinant le point
de pratique, et apporte un magnétophone portable pour jouer la cassette de musique
d’accompagnement des exercices de gymnastique et de méditation. Il n’est pas rare de
trouver, dans un même parc, plusieurs points de pratique de méthodes différentes.
La lignée peut fonctionner presque sans support ni investissement matériel: la
plupart des activités publiques ont lieu dans des parcs et espaces publics, que l’on
peut utiliser gratuitement. Les stages peuvent être donnés dans des salles louées à un
prix modique dans des écoles ou autres institutions (ou encore gratuitement,
l’établissement hôte recevant une partie des recettes du stage). Les lignées de qigong
sont des réseaux « virtuels » capables de mobiliser efficacement des milliers, voire
des dizaines de millions d’adeptes dans toute la Chine, dans une organisation à la fois
souple et fortement hiérarchisée, sans la nécéssité de gérer de biens matériels lourds.
Les activités de qigong, nécessitant peu d’investissement, sont donc immensément
profitables pour les maîtres et les organisations centrales709.
Cela dit, plusieurs lignées de qigong possèdent néanmoins des propriétés, des
instituts de formation, des cliniques et des hôpitaux – voire des entreprises
commerciales, comme dans le cas du Zhonggong. Mais le véritable « système

708
Pour un tableau des organisations centrales de quelques lignées importantes, voir l’annexe 9, pp.
453-54.
nerveux » de la lignée peut fonctionner efficacement sans ces propriétés. En 1999, le
Falungong démontrera l’organisation efficace de son immense réseau, sans autres
équipements matériels que le téléphone, le télécopieur et l’Internet.
La fonction des lignées, qui relient l'ensemble des pratiquants au maître à
travers une structure organisée, dépasse la simple transmission de la méthode. A
travers lui circule l'argent de la lignée et ses biens materiels, ainsi que les ordres et
directives du maître et des organes supérieurs vers la base des pratiquants. La lignée
s'assure de sa propre expansion, veille à la protection du maître, et mobilise les
adeptes sur l'ordre du maître ou des dirigeants supérieurs -- comme dans le cas des
manifestations du Falungong. En même temps, il s’infiltre dans les réseaux politiques
et institutionnels de l’Etat.
Ainsi, les regroupements d’adeptes qui pratiquent différentes méthodes dans les
parcs tous les matins, faisant partie du paysage urbain chinois, ne sont pas des
phénomènes spontanés: au contraire, ce sont les antennes locales des lignées, liées a
travers une chaîne de liens locaux, municipaux, provinciaux et national, au maître et à
son noyau de disciples personnels. Cependant, la grande majorité des adeptes ne
s’intéresse pas à la structure organisationnelle de la lignée et se préoccupent
uniquement des méthodes à pratiquer et des enseignements du maître.
Afin d’illustrer concrètement le système de transmission et d’organisation, je
propose dans les sections suivantes une étude de trois cas spécifiques : le
Zangmigong, le Zhonggong et le Falungong. Le Zhonggong et le Falungong étant les
organisations de qigong qui ont connu la plus grande expansion grâce à une
organisation perfectionnée, leur analyse s’impose naturellement. Quant au
Zangmigong, il s’agit d’une petite lignée régionale, qu’il est utile de comparer avec
les deux autres710.

709
La participation est gratuite aux points de pratique et chez soi, mais les livres, cassettes, vidéos et
cours de formation sont payants.
710
Les maîtres des trois lignées données en exemple sont originaires du nord-est chinois. Il est
intéressant de noter que les réseaux de qigong les mieux organisés semblent venir de cette région. Les
causes de ce particularisme restent à analyser.
11. UNE LIGNEE « ASSOCIATIVE »: LE ZANGMIGONG711

Le Zangmigong est un cas « idéal » de lignée de qigong : dérivé directement du


bouddhisme tibétain, il se définit comme science plutôt que comme religion, et tente
scrupuleusement de respecter les consignes et politiques du Parti. Malgré sa petite
taille, son système de transmission possède les mêmes éléments que l’on retrouve
dans les organisations plus grandes. C’est un cas réussi d’intégration d’une lignée
dans les réseaux institutionnels de l’Etat.
L’association qui anime le Zangmigong, la Commission spécialisée du qigong
tantrique (Zangmi qigong zhuanye weiyuanhui 藏密气功专业委员会) ou Zangzhuan,
fut fondée en 1990 par M. Liu Shanglin 刘尚林712, disciple du lama tibétain Fahai
法海, maître de la 40e génération de la secte Gelupka du bouddhisme tibétain. La
méthode du Zangmi qigong 藏密气功 ou « qigong tantrique », basée sur les pratiques
du bouddhisme tibétain apprises par Liu Shanglin, consiste principalement de
méditation assise, de récitation d’incantations, et de l’étude du Soutra du diamant.
Elle insiste sur la « cultivation de la vertu » (xiude 修德) dans la vie quotidienne, qui
doit occuper 70% de l’effort de l’adepte, les exercices corporels ne représentant que
30% du travail de pratique.
L’association, basée dans la ville de Tieli 铁力 dans le Heilongjiang, anime un
réseau de postes d’entraînement à travers la province, et organise des stages de
formation qui sont sa principale source de revenus. Ses activités se limitent au
Heilongjiang et à quelques villes d’autres provinces du nord-est chinois. Active dans
la vie communautaire, l’association participe aux événements et commémorations du
Parti et organise des campagnes de collecte de fonds pour les victimes d’inondations.
Depuis 1994, elle possède un édifice de cinq étages dans la ville de Tieli713.

11.1 Les méthodes de propagation

711
Les données présentées dans cette section sont tirées du journal interne de cette association,
Informations sur le qigong tantrique, années 1997 à 1999. Ce journal mensuel polycopié (une page A3
recto-verso) contient des informations détaillées sur les activités et l’organisation de l’association.
712
Celui-ci ne se donne pas le titre de « maître de qigong » , mais d’ « entraîneur de qigong »
(jiaolianyuan 教练员).
713
Li Ci 1998.
En 1997, la stratégie de propagation du Zangmigong comporte deux axes:
l’ouverture de nouvelles régions à la méthode, et la revitalisation du réseau dans les
régions anciennement ouvertes. Du moment que les autorités locales n’interviennent
pas pour s’y opposer, tout endroit public est bon pour organiser des activités de
promotion. Dans une région vierge, on commence par enseigner les techniques de
base (récitation de mantras et qigong gymnastique) à un petit groupe de nouveaux
pratiquants. Lorsque ces pratiquants commencent à ressentir les bienfaits
thérapeutiques, on mène une campagne de recrutement pour un stage qui sera donné
dans la localité par un formateur venu de l’extérieur. Puis, on crée un poste local
d’entraînement, qui s’occupera d’organiser une série de stages par la suite714.
Citons en exemple la stratégie de recrutement mise en oeuvre en 1997 par le
poste d’entraînement de Jiamusi, qui rencontre un grand succès, alors que c’est une
période où le qigong dans son ensemble est dans un état morose. La stratégie suit les
principes suivants :
- Cinq points sont soulignés lors de la présentation du Zangmigong aux adeptes
potentiels: (1) son accréditation par les instances nationales et provinciales
responsables du qigong; (2) la méthode est conforme aux critères d’excellence de
qigong stipulés par la Commission nationale des sports : elle est claire, complète,
scientifique et se développe sainement; (3) le fondateur Liu Shanglin est un homme
de haute vertu, et les effets miraculeux de sa méthode sont prouvés; (4) la lignée
possède son propre édifice à Tieli; (5) les volontaires parlent de leur propre
expérience de pratique et de ses bienfaits.
- Des lieux de propagation permanents sont établis à quinze lieux publics
précis : parcs, berges de la rivière, bords de rue, cités résidentielles, où les volontaires
déploient des bannières publicitaires, mettent de la musique, et installent des
pancartes illustrées avec descriptions de cas.
- Lors des séances de pratique collective dans les lieux publics, les adeptes
prennent l’initiative de causer avec les spectateurs et curieux, de leur enseigner la
méthode, et de traiter leurs maux par le qigong.
- On invite les adeptes dont la pratique a donné des résultats remarquables, à
parler de leur expérience lors des « assemblées de Force ».

714
Wang Yanqing, Li Shuqing 1997.
- Les adeptes sont encouragés à promouvoir le Zangmigong auprès des parents,
des amis et des voisins; et à profiter de différentes réunions et activités sociales et
collectives pour parler de la méthode.
L’efficacité de la propagation repose sur l’esprit de dévotion et de gratitude des
adeptes. Tian Yugeng, l’un des principaux animateurs du Zangmigong, résume ainsi
leur motivation, clef du succès de la campagne de recrutement : l’adepte se dit :
« Je suis un bénéficiaire du Zangmi Gong, je dois penser à la source de mon
bonheur, et ne pas oublier la grâce que j’ai reçue du Zangmi Gong. Je peux
exprimer ma gratitude en propageant avec enthousiasme la méthode. Mes
nombreuses maladies ont été éradiquées grâce au Zangmi Gong. Les malades
comprennent le mieux la souffrance des [autres] malades : je suis maintenant en
bonne santé, mais je ne peux pas oublier que des multitudes de malades vivent
toujours dans la souffrance. Je dois partager mon vécu avec eux, et annoncer
l’effet miraculeux du Zangmigong : voilà mon devoir sacré ».

Tian Yugeng ajoute que « la motivation des élèves s’élève graduellement : en


partant de l’idée d’exprimer leur gratitude, ils arrivent au service pour le salut de tous
les êtres, manifestent [l’esprit de] profiter à soi-même en profitant aux autres
[自利利他], et produisent des résultats très encourageants 715».
Le dévouement des adeptes se manifeste non seulement par l’enseignement
bénévole de la méthode, mais aussi par des sacrifices financiers : souvent, les
membres d’équipes d’enseignement payent eux-mêmes leurs frais de déplacement
dans d’autres villes. Il arrive aussi que des adeptes prennent en charge les frais
d’inscription à un stage d’une personne démunie. Par exemple, pour un paysan
incapable de payer les frais de stage, cinq adeptes offrent un total de 560 yuan pour
couvrir ses dépenses716.
En juillet 1997, le poste d’entraînement de Jiamusi organise une campagne de
promotion du Zangmigong pour prépaper l’arrivée de Liu Shanglin à cette ville pour
donner un stage. Une centaine de volontaires de l’association descendent dans les rues
et dans les parcs pour promouvoir la méthode de qigong et recruter des participants
aux activités animées par Liu Shanglin. Campagne qui sera courronnée de succès :
presque 3000 personnes assistent à la « conférence imbue de Force » donnée par Liu
Shanglin le 20 juillet, et plus de 750 personnes s’inscrivent au stage.

715
Tian Yugeng 1997 :1.
716
ZM 61 :2.
Dans la foulée de cet événement, les volontaires se dispersent dans les
communes et grandes unités de travail avoisinant la ville, et y organisent des cours
pour plus de 1400 personnes.
A Qiqihaer, des équipes se rendent aux comités de rue des différents quartiers
de la ville, et obtiennent la permission de promouvoir les stages dans les zones
résidentielles. Ils rencontrent les habitants, causent avec eux, traitent leur maladies par
qigong, et les invitent à participer à de petits stages organisés par le groupe local
d’enseignement. Dans un cas, la moitié des 41 nouveaux élèves ayant suivi un petit
stage local, décident de s’inscrire dans un stage plus important donné par Liu
Shanglin, et quatre personnes décident de participer à un stage au Centre de
l’association à Tieli717.
Des campagnes systématiques sont également menées pour revitaliser des
régions ouvertes au Zangmigong il y a plusieurs années, mais tombées en désuétude.
A Harbin en 1998, l’équipe du poste de formation étudie les dossiers de 2800
personnes de Harbin ayant participé à des stages ou activités, et envoie des volontaires
dans différentes parties de la ville pour visiter les anciens adeptes devenus inactifs, et
tenter de les convaincre de rejoindre le mouvement. Cet effort résulte dans le retour
de 70 à 80 adeptes dans les rangs du Zangmigong. Ensuite, la région de Harbin est
divisée en sept districts, dans chacune desquelles est fondé un poste d’entraînement,
pour ranimer les activités locales. Enfin, le système des « assemblées de qigong » est
mis en place718.

11.2 Les assemblées

En plus de la pratique régulière de la méthode dans les parcs et espaces publics,


le Zangmigong a institué des rencontres périodiques qu’on appelle « assemblées de
Qigong » (huigong 会功). Dans la ville de Jiamusi, par exemple, ces assemblées ont
lieu une fois par semaine à l’Hôpital gynécologique et pédiatrique municipal. Elles
sont organisées suivant un plan annuel et mensuel, et comprennent les activités
suivantes : pratique de la méthode, partage d’expériences, distribution et étude de
textes et de documents. Des visites sont occasionnellement organisées dans des
résidences pour personnes âgées ou dans des orphelinats, afin de « pratiquer le qigong

717
ZM 61:2.
et enquêter sur la société, pour faire éclore l’esprit de compassion et raffermir la foi
dans le salut universel ». Des « assemblées de Force » sont parfois tenues sous forme
de sorties dans des lieux naturels hors de la ville. Ces assemblées ont pour résultat de
renforcer l’esprit de communauté parmi les pratiquants du Zangmigong719.
A Harbin, les « assemblées de qigong » sont organisées une fois par mois. Cent
huit personnes assistent à la première de ces assemblées tenue le 5 avril 1998; ce
chiffre atteint 300 lors de la deuxième assemblée tenue à l’Université des sciences et
du génie de Harbin. A l’ordre du jour de ce rassemblement: d’abord, méditation
collective avec récitation du Sutra du diamant; ensuite, allocution du secrétaire
général de l’Association du Zangmigong. Celui-ci résume l’historique du
Zangmigong et exhorte les pratiquants à étudier la pensée bouddhique. Enfin,
l’organisateur de l’assemblée donne un rapport sur le développement du Zangmigong
dans la région de Harbin et parle des perspectives d’avenir720.

11.3 Les stages

L’Association organise des stages dans toutes les régions du Heilongjiang et


dans d’autres provinces du nord-est chinois. Le fondateur Liu Shanglin passe une
grande partie de son temps à animer ces stages, en particulier ceux qui ont lieu dans
l’Edifice de l’association à Tieli; des « groupes d’enseignement » formés de disciples
de haut niveau s’occupent de l’organisation de stages dans les régions721.
Voici un tableau des principaux stages organisés par l’association entre
décembre 1996 et mars 1998722:

No. Dates Durée en Lieu Nom du stage


jours
1 22.12.96 au 10.01.97 20 Edifice de Stage de formation pour maîtres
l’association
2 13.01.97 au 27.01.97 15 Edifice... Cours de culture traditionnelle
3 12.02.97 au 26.02.97 15 Edifice... Cours de base (maladies chroniques et
gynécologie)
4 28.02.97 au 14.03.97 15 Edifice... Idem
5 16.03.97 au 25.03.97 10 Edifice... Cours de santé pour personnes âgées
6 27.03.97 au 10.04.97 15 Edifice... Stage de perfectionnement technique
pour maîtres de qigong

718
Qing 1998.
719
Tian Yugeng 1997 :2.
720
Qing 1998.
721
ZM 59 :1b.
722
Basé sur ZM 41: 4b.
7 31.05.97 au 22.06.97 23 Jiagedaqi Cours de base et d’approfondissement
加格达奇
8 23.06.97 au 28.06.97 5 Huma 呼玛 Idem
9 29.06.97 au 18.07.97 20 Daqing 大庆 3 cours de base, 1 cours
d’approfondissement
10 20.07.97 au 31.07.97 11 Jiamusi 2 cours de base, 1 cours
佳木斯 d’approfondissement
11 03.08.97 au 14.08.97 12 Qitaihe Idem
七台河
12 17.08.97 au 04.09.97 19 Dalian Cours de base
13 06.09.97 au 13.09.97 8 Qiqihaer Cours de base et d’approfondissement
齐齐哈尔
14 15.09.97 au 26.09.97 12 Heihe 黑河 Idem
15 28.09.97 au 05.10.97 8 Jiayin 嘉荫 Cours de base
16 07.10.97 au 14.10.97 8 Harbin Cours de base et d’approfondissement
17 20.06.97 au 16.08.97 60 Dalian Circuit tourisme, cure et cours de base
18 01.11.97 au 15.11.97 15 Edifice... Cours de base (maladies chroniques et
gynécologie)
19 18.11.97 au 02.12.97 15 Edifice... Idem
20 05.12.97 au 19.12.97 15 Edifice... Cours d’approfondissement
21 22.12.97 au 05.01.98 15 Edifice... Idem
22 03.02.98 au 18.02.98 15 Edifice... Cours final d’approfondissement
23 03.02.98 au 18.02.98 15 Edifice... Cours de base (maladies chroniques et
gynécologie)
24 21.02.98 au 07.03.98 15 Edifice... Idem
25 09.03.98 au 23.03.98 15 Edifice... Cours de santé pour personnes âgées

Fig. 13. Stages de l’association du Zangmigong

En 1998, l’association a organisé 126 stages, dont 14 au centre de l’association,


pour un total de 6989 participants: une augmentation de 5,5% par rapport à l’année
précédente723.

Les principaux stages sont les suivants:


Le cours de base pour malades chroniques et gynécologiques vise à soigner des
malades en leur apprenant la pratique de la méthode de qigong. Exemple: en février
1997, 275 personnes venant de 7 provinces participent à ce cours de 15 jours dans
lequel les malades pratiquent le Zangmi Gong et le jeûne bigu, leur état médical étant
constamment suivi à l’aide de scanners et autres appareils. Les élèves souffrent de
cancer (17 personnes), de maladies gynécologiques (35 personnes), de sclérose en
plaques, de paralysie cérébrale, d’urémie, etc. Deux tiers des participants réussissent
à persister dans le bigu pendant huit jours. A la fin du stage, 17% des malades

723
Liu Shanglin 1999.
gynécologiques et 10% des malades chroniques sont guéris; 90% ressentent une
amélioration724.

Cours de culture traditionnelle: en janvier 1997, il s’agit d’un cours de quinze


jours sur le Soutra du diamant (jingang jing 金刚经), donné par Liu Shanglin.
D’après Liu, son maître tibétain lui a enseigné que le Soutra du diamant contient le
niveau le plus élevé de l’ascèse tantrique; il « transcende toute religion » et « contient
toute la religion » . A la suite des conférences de Liu, les élèves révisent leurs notes
en petits groupes et partagent leurs points de vue725.

Le cours de santé pour personnes âgées, d’une durée de 10 jours, vise à


enseigner aux personnes âgées comment cultiver une bonne forme physique et
spirituelle. La première fois que ce cours fut donné en mars 1997, des professeurs et
spécialistes de différents hôpitaux et facultés de médecine de la région furent invités
pour donner des conférences sur l’hygiène sexuelle des personnes âgées, la prévention
de maladies, la santé psychologique des personnes âgées, l’anatomie, la circulation du
qi, etc. Le maître Liu Shanglin enseigne trois méthodes de méditation assise et cinq
méthodes de méditation debout. Durant le stage, les participants discutent et partagent
leurs opinions sur comment résoudre les problèmes personnels de vieillesse, et
comment profiter au maximum des dernières années de la vie, afin de se connaître, se
maîtriser, se perfectionner, et contribuer à la société. Le stage leur permet de trouver
une valeur aux années de viellesse et un sens à la vie, leur donnant un nouvel espoir
dans une société où les personnes âgées sont souvent considérés comme un fardeau
inutile726.

Le stage de perfectionnement technique pour maîtres de qigong d’une durée de


15 jours est destiné aux maîtres de qigong, maîtres assistants, formateurs,
responsables de sections et de postes d’entraînement locaux, et adeptes actifs du
Zangmi qigong (182 personnes participent au stage en mars-avril 1997). Animé par le
maître Liu Shanglin et par un professeur de l’institut de médecine chinoise de Harbin,
le stage couvre les sujets suivants: la théorie des méridiens en médecine chinoise; la

724
ZM 42: 1.
725
ZM 41: 1.
726
ZM 42 :2.
« méthode de diagnostic et de traitement rapide par l’information biologique totale du
qigong » ; le traitement par grattage de l’insolation (guasha liaofa 刮痧疗法); le
massage de la plante des pieds; comment résoudre des urgences et accidents lors de la
pratique collective du qigong; et le « qigong hygiénique de l’oeil de lumière du
tantra » (Zangmi mingmu baojian gong 藏密明目保健功).

Un grand nombre d’élèves restent au Centre pour assister à plusieurs stages


d’affilée – jusqu’à cinq dans certains cas. D’après le journal Informations du Zangmi
qigong, cette tendance serait due au fait que les maladies chroniques dont souffrent les
élèves sont intraitables par les médecines occidentale ou chinoise, que les conditions
d’hygiène et d’hébergement du Centre sont meilleures que celles d’un hôpital, bien
que le séjour y soit moins dispendieux; et que le personnel du Centre étant formé de
pratiquants du Zangmigong, il est en mesure d’apporter un soutien moral aux malades
et créer une atmosphère chaleureuse et détendue727.

11.4 Construction de locaux

J’ai mentionné que l’association a construit un « Edifice de la recherche


scientifique du qigong » . Elle projette également de construire une deuxième base
d’activités, un ensemble d’édifices en forme de pyramide, dans la campagne
avoisinant la ville de Tieli. Visant à devenir un centre de qigong, de tourisme et de
cure de niveau international, le projet comporte un investissement de 25 millions de
yuan. Une pyramide centrale pouvant loger 200 personnes sera entourée de huit
petites pyramides de 16 chambres doubles chacune, donnant une capacité d’accueil
totale de 256 personnes. La fin des travaux est prévue pour 2003728.

11.5 Echanges internationaux

L’association est active sur le plan international. Le Zangmigong est enseigné


en Finlande, pays avec lequel Liu Shanglin organise des échanges économiques pour
l’exploitation des ressources forestières de la région de Tieli. Les visiteurs de

727
ZM 65 :1.
728
Xi Hong 1997, ZM55:1a.
Singapour au centre de l’association sont nombreux. Liu Shanglin a voyagé aux Etats-
Unis où des articles ont été présentés à la cinquième conférence de médecine holiste
tenue à l’université de Californie du Sud. Mais c’est avec le Japon que les échanges
sont le plus actifs: l’association a organisé deux colloques internationaux sur le
Zangmigong en partenariat avec une association de qigong japonaise. Le deuxième
colloque, tenu à Tieli du 19 au 24 septembre 1999, réunit plus de 300 participants729.
11.6 Recherche scientifique

L’association mène un programme systématique de recherches et de publication


sur les résultats et effets de la pratique du Zangmigong. Lors de chaque stage, les
participants font l’objet de tests et de mesures. Un effort est entrepris pour que ces
recherches soient prises en charge par l’Académie de médecine chinoise du
Heilongjiang, voire par la province730. Elles sont présentées lors de colloques
(colloque national du Zangmigong en 1994, colloques internationaux en 1996 et
1999), et publiées dans des recueils731.

11.7 Activités communautaires

L’association participe à plusieurs activités communautaires. En avril 1998, elle


participe à des activités d’anti-tabagisme et déclare son édifice « immeuble non-
fumeurs » 732. En juin de la même année, la commission municipale de culture
physique organise un grand spectacle de démonstration de neuf groupes de culture
physique (l’Ecole secondaire no. 3, l’école primaire Xinhua, le Zangmigong, le Xiang
Gong, le Zhonggong, et la troupe de Yangge733 des personnes âgées des parcs), afin de
promouvoir l’hygiène et la culture physique. Plus de 100 adeptes du Zangmigong
s’entraînent et participent à la performance, pour lequel ils gagnent le premier prix.
Egalement en juin, la Commission municipale de l’éducation demande à l’association

729
Liu Shanglin 1999.
730
En Chine, les enquêtes scientifiques sont classées d’après leur niveau de financement: recherches de
niveau national (guojia ji 国家级), provincial (shengji 省级), local (difangji 地方级) ou interne à
l’unité de recherche (ex. Yuanji 院级, suoji 所级). Deux projets de l’association du Zangmi qigong sont
classées de niveau provincial: une étude sur l’effet du Zangmigong sur l’augmentation des fonctions
immunitaires du système nerveux, et une étude sur l’effet de la pratique du Zangmigong sur la santé
physique et psychologique d’élèves du primaire et du secondaire (Chao Wenqing 1999).
731
cf. Liu Shanglin (éd.) 1999.
732
Tong Weijun 1998.
de former plus de 50 moniteurs de qigong pour entraîner les eleves du primaire et du
secondaire à exercer leurs yeux et leur capacité de concentration (ZM57:1).
A la suite des inondations de l’été 1998, l’association lance une campagne de
collecte de fonds à travers son réseau d’adeptes, pour venir en aide aux victimes du
désastre. La Commission permanente de l’association émet un avis à tous les postes
généraux et locaux d’entraînement, demandant à tous les postes de concentrer tout
leur travail sur la collecte de fonds et de biens pour les victimes. L’association est une
des plus actives de la région pour l’aide aux victimes, et le directeur Liu Shanglin est
interviewé par la Télévision centrale chinoise. En tout, les différents postes de
l’association ont recueilli 43 313 yuan en espèces, 3347 vêtements et 128 paires de
chaussures, pour une valeur totale de 165 683 yuan734.
L’association organise également des stages gratuits de Zangmigong dans des
campagnes isolées de la province. En 1999, 45 de ces stages ont été offerts, avec une
participation de 789 personnes735.

11.8 Organisation du Zangzhuan

La Commission du Zangzhuan est composée d’un nombre variable de membres


(52 en 1997, 86 en 1998) élus par les anciens membres lors d’une assemblée annuelle.
Une commission permanente de 12 personnes supervise le travail quotidien de
l’association, qui est assuré par un comité résident. M. Liu Shanglin, fondateur de
l’organisation, est le directeur de la Commission ainsi que du comité résident. Il
anime lui-même une grande partie des activités de formation de l’association.
La Commission gère l’Institut de recherches sur le qigong oriental pour nourrir
la vie, et possède un immeuble, l’Edifice de la recherche scientifique du qigong, qui
est la base des activités de l’association, et où les stages les plus importants sont
organisés. Afin de pouvoir s’occuper des enfants des adeptes en stage au Centre, une
garderie y a été établie en février 1997, sur la suggestion d’une adepte de 12 ans. La
garderie est animée par trois adeptes de 12 à 14 ans, aidés par deux adultes
bénévoles736.

733
Le Yangge est une danse populaire originaire des campagnes du nord de la Chine, actuellement
pratiquée par des groupes de personnes âgées dans les villes. Cf. Graezer 1999.
734
ZM 59:1; ZM 60:1.
735
Liu Shanglin 1999.
736
ZM 41: 4a.
La Commission dirige également neuf Centres généraux d’entraînement dans
les villes de Qiqihaer 齐齐哈尔, Qitaihe 七台河 , Harbin 哈尔滨, Jiamusi 佳木斯,
Mudanjiang 牡丹江, Bei’an 北安, Sajiang 撒江, Heihe 黑河 et Jiagedaqi 加格达奇
737
. Ces centres s’occupent de la promotion et de l’expansion de la méthode du
Zangmigong dans leur district, et coordonnent les points de pratique locaux.
L’association est une branche du Comité de qigong du Heilongjiang, qui dépend
de la Commission provinciale des Sports. Elle relève également de l’Association
d’études de la science du qigong du Heilongjiang, qui dépend de l’ACESQ738.
L’association possède aussi une branche du Parti, dont les membres occupent
des postes de direction dans la Commission permanente de l’association. Le directeur
Liu Shanglin est lui-même membre du Parti.

11.9 Intégration de l’association aux institutions de l’Etat

L’intégration de l’association à la structure de l’Etat est régulièrement


réaffirmée à travers la participation de dirigeants de l’association à des réunions des
instances supérieures, dont le principal objet est la transmission de directives
provenant du pouvoir central; et par la convocation de réunions de l’association ayant
le même objet. Ceci est illustré par l’historique des réunions de l’association tenues en
1997. Durant cette année, la principale préoccupation du gouvernement était la
« rectification » du monde du qigong et l’instauration d’un système d’administration
uniforme, en réaction au chaos qui semblait sévir au sein du monde du qigong739. La
nouvelle ligne du gouvernement avait été promulguée dans une circulaire émise
conjointement par sept ministères du gouvernement central740. Depuis lors, la
principale préoccupation des instances officielles et des organisations semi-officielles
concerne la mise en œuvre de la campagne de rectification et l’application des
grandes lignes du document des sept ministères.
Ainsi, à la première grande réunion de l’Association en 1997, tenue le 19
janvier avec la participation de 49 délégués de 21 centres d’entraînement, le rapport

737
ZM 60: 1.
738
Depuis 1998, suivant l’instauration de la nouvelle politique de l’Etat sur le qigong, l’ACESQ est
rattachée à la Commission nationale des Sports. Voir la section 14.7, pp. 363-365.
739
Voir section 14.1, pp. 347-348.
740
Voir section 14.4, pp. 358-355.
des activités de 1996 souligne que l’application du document des sept ministères fut la
principale préoccupation de l’année741.
A la réunion suivante de l’Association, tenue le 3 juillet 1997, le vice-directeur
Tian Yugeng transmet les thèmes principaux de réunions importantes auxquelles il a
assisté: premièrement, une réunion de l’Association d’études de la science du qigong
du Heilongjiang, tenue le 19 avril 1997, durant laquelle avait été transmis le mot
d’ordre d’une réunion de l’ACESQ, exigeant que la rectification se termine en
novembre et que toutes les associations se ré-inscrivent auprès des autorités à partir de
ce moment. Deuxièmement, une réunion de la Commission provinciale des sports
tenue le 11 mai 1997, durant laquelle le directeur Zhao avait transmis le thème d’une
réunion de la Commission nationale des sports, concernant l’administration du
qigong. Cette même réunion nationale avait étudié un discours important prononcé
par Wu Shaozu, ministre des Sports, au sujet de la résolution des problemes au sein
du monde du qigong742.
Une nouvelle série de réunions eut lieu durant l’automne. Le 13 septembre
1997, Tian Yugeng transmet aux travailleurs du Centre, les grandes lignes d’une
réunion de la Commission provinciale des sports du 7 septembre, sur le renforcement
de l’administration du qigong. Le but de cette réunion était l’application des mots
d’ordre d’une réunion de la Commission nationale des sports tenue à Taiyuan les 11 et
12 aout, au sujet de l’administration du qigong743.
Ces épisodes nous montrent comment des réunions de l’association sont
convoquées pour transmettre les directives de réunions tenues par des ministères et
organisations semi-officielles de niveau provincial, elles-mêmes tenues pour
transmettre les mots d’ordre de réunions tenues au niveau national par la Commission
nationale des sports ou par une association semi-officielle nationale relevant elle-
même de cette dernière. Le pouvoir étatique central tente de récupérer les réseaux du
qigong à travers un système d’organisations semi-officielles reliant les réseaux
sectaires à l’espace officiel, ces organisations fonctionnant selon le mode officiel mais
regroupant les membres du réseau sectaire. L’Etat tente d’influer sur ces organisations
en impliquant les membres dans la transmission de sa politique du sommet jusqu'à la
base, à travers l’organisation d’une serie de réunions en cascade.

741
ZM40: 3.
742
ZM46: 1.
743
ZM48: 1b.
En même temps, le réseau sectaire profite de son intégration dans la structure
bureaucratique pour défendre ses interêts et augmenter son réseau d’influence. Cette
dynamique d’interpénétration de l’influence sectaire et étatique se manifeste dans le
cas de la « Réunion provinciale de travail d’administration du qigong hygiénique » ,
tenu a Harbin les 22 et 23 juillet 1998 » .
Convoquée par l’Association provinciale de l’éducation physique et des sports
du Heilongjiang, une organisation semi-officielle dépendant le la Commission
provinciale des sports, la réunion réunit les dirigeants et secrétaires généraux des
groupes et associations de qigong gérées par la Commission provinciale des sports,
les représentants de l’Association provinciale de qigong (sheng qigong xiehui
省气功协会), de l’Association provinciale d’études de la science du qigong, et de
l’Institut de recherches sur le qigong oriental pour nourrir la vie, ainsi que les
représentants de six administrations et ministères provinciaux. Le directeur-adjoint de
la Commission provinciale des sports Ye Caiyun 叶彩云, ainsi que deux anciens vice-
presidents du Congrès provincial du Peuple assistèrent également à la réunion. En
tout, 20 délégués et 17 observateurs étaient présents.
Ye Caiyun, qui présidait la réunion, fut le premier à prendre la parole. Il parla
(1) des tendances du développement du qigong hygiénique dans le Heilongjiang; (2)
de comment mettre en œuvre les lignes directrices de la Réunion nationale pour
renforcer l’administration du qigong hygienique744; et (3) de l’importance de lever les
étendards de la science, du droit, du rassemblement et de la civilisation.
Ensuite, Song Yuntian 宋云田, responsable du qigong dans la Commission
provinciale des sports, prit la parole pour transmettre le discours de Wu Shaozu
prononcé lors de la Réunion nationale, intitulé « Saisir les opportunités, surmonter les
difficultés – lutter assidûment pour un développement encore plus sain sous tous ses
aspects de la cause du qigong! » , ainsi que le discours de Li Jie 李杰, directeur du
Bureau permanent du « Groupe de travail sur les sciences somatiques » et directeur
du Centre d’administration des arts martiaux de la Commission nationale des sports,
intitulé « Persister dans la science, rechercher la verité dans les faits, commencer une
nouvelle phase dans le travail d’administration du qigong » .
La prochaine allocution fut donnée par Qi Guiyuan 戚贵元, ancien directeur-
adjoint du Congrès provincial du Peuple et président du Comité provincial du qigong.
Il souligna le développement impressionnant du qigong dans le Heilongjiang,
l’importance d’appliquer l’esprit de l’« avis des sept ministères » , et la nécessité de
lever l’étendard du rassemblement.
Après les discours des dirigeants, les délégués se divisèrent en deux groupes
pour discuter des questions suivantes:
- Comment comprendre la signification et l’urgence de renforcer le travail
d’administration du qigong hygienique?
- Comment renforcer l’administration du qigong dans le contexte local?
- Quelles leçons pouvons-nous apprendre des tendances du développement du
qigong dans la province?
- Quelles recommandations peuvent être données pour renforcer
l’administration du qigong dans la province?

Le représentant de l’ « Institut de recherches sur le qigong oriental pour nourrir


la vie » profita des discussions de goupe pour promouvoir le Zangmigong:

« Sous la demande pressante des délégués réunis en petit groupe, [il] résuma
quatre points: d’abord, que l’objectif principal de sa participation à cette réunion
est d’étudier l’esprit de l’administration du qigong [proné] par les Commissions
provinciale et nationale des sports, afin d’en faire l’idéologie directrice du futur
travail du Zangmi qigong; deuxièmement, il traça les grandes lignes du
développement du Zangmi qigong dans le Heilongjiang; troisièmement, le
Zangmi qigong a depuis 9 ans solidement développé des activités de qigong en
appliquant la ligne de la politique nationale pour la santé du peuple entier;
quatrièmement, depuis quelques années, avant l’intégration du qigong à
l’administration de la Commission des Sports, deux instances provinciales
étaient responsables de l’administration des communautés de qigong – avec
plusieurs belles-mères, il n’est pas facile d’être gendre; pis encore, les deux
instances étaient responsables de territoires différents, ce qui rendait très
difficile la promotion et la dissémination de la méthode. Nous recommandons
de résoudre ce problème aussitôt que possible. Notre intervention eut l’effet de
faire la publicité du Zangmi qigong, et d’engendrer un sentiment de
bienveillance envers le Zangmi qigong de la part des délégués présents, qui
exprimèrent leur appui pour le travail futur » 745.

Enfin, Song Yuntian résuma les accomplissements de la réunion. Des réponses


furent apportées aux grandes préoccupations des délégués: la coexistence de deux
associations semi-officielles provinciales ne peut continuer; le problème de

744
Réunion tenue du 7 au 9 mai 1997, présidée par Wu Shaozu.
745
ZM 58: 1-2.
l’expansion du Falungong746 et la forte réaction sociale à ce mouvement; le problème
de maîtres de qigong venant de l’extérieur de la province pour donner des cours; et le
problème de l’homologation des maîtres de qigong. De plus, on commença la
planification des activités de qigong pour les six mois à suivre, et l’on décida de
mesures pour mettre en oeuvre les points importants de la réunion747.
Du compte-rendu de cette réunion, nous pouvons voir comment l’Etat tente de
réunir tous les principaux acteurs du qigong de la province, et de les souder en une
seule communaute sous sa direction. La participation de dirigeants politiques à la
réunion signifie à la fois le soutien de l’Etat pour le développement du qigong, mais
aussi l’intention de l’Etat de surveiller et de diriger ce développement. L’Etat impose
le cadre de la réunion et l’ordre du jour, qui est voué à la transmission de l’ « esprit »
de réunions et de discours de dirigeants nationaux, et à la discussion de son
application dans le contexte local. Ici, les représentants des différentes associations et
réseaux sectaires tels que le Zangmigong, en participant à ces discussions, en jouant le
jeu de l’Etat et de ses dirigeants, se lient subtilement à ce processus et donnent
l’apparence de se conformer à l’« esprit » du pouvoir central.
En même temps, le Zangmigong joue aussi son propre jeu, qui est de se protéger
en se présentant comme ayant toujours été fidèle a la politique de l’Etat, de se faire
connaître, et de trouver des appuis parmi les dirigeants présents à la réunion. En
entrant dans la sphère d’influence de l’Etat, le Zangmigong veut élargir sa propre
sphere d’influence à travers les réseaux et structures créées par l’Etat.

11.10 Activités politiques de l’association

La cellule du Parti et le comité permanent de l’Association organisent


régulièrement des activités lors d’événements politiques majeurs. Le 25 fevrier 1997,
l’ensemble du personnel et des élèves présents à l’édifice du centre sont convoqués
pour visionner la transmission télévisée des funérailles de Deng Xiaoping748.
A l’occasion du retour de Hongkong à la souveraineté chinoise, l’association
organise des événements dans plusieurs villes. Le 25 mai 1997, un grand spectacle de
chant est organisé à Qiqihaer par la section locale de l’association. Plus de 150

746
Le nom du Falungong n’est pas explicitement mentionné dans l’article, qui utilise le terme « telle
méthode de qigong » (某功法).
747
ZM 58 : 1-2.
pratiquants participent à la démonstration publique et collective des mouvements de la
méthode, ainsi qu’à des représentations de chant en solo, en duo et en chœur. Le
directeur-adjoint de l’Association déclare à l’occasion: « le fait que les élèves de
Qiqihaer se réunissent pour célébrer le retour de Hongkong à la mère-patrie, est une
initative patriotique et une démonstration de conscience politique. Depuis toujours, le
Zangmigong a fortement insisté sur l’importance de servir le socialisme
politiquement. Ce n’est qu’ainsi que nous éviterons de nous séparer de la direction du
Parti et du Gouvernement; ce n’est qu’ainsi que le Zangmigong peut connaître un
développement et une floraison ininterrompues. » Un des numéros du spectacle,
intitulé « se fier au Timonier749 pour naviguer sur la grande mer » , « exprime la
détermination des élèves à développer la cause du qigong, à lutter à l’unisson, à
accroître de dynamisme pour marcher de l’avant le long de la voie du socialisme aux
caracteristiques chinoises, sous la direction du noyau central du Parti formé par le
camarade Jiang Zemin. »
A Harbin, dans le cadre d’une série de célébrations organisées le 21 juin par le
Comité municipal de qigong, le chef de la section locale du Zangmigong, une femme
âgée de 70 ans, coordonne bénévolement l’organisation d’expositions, d’activités
thérapeutiques, de kiosques à renseignements et d’activités d’enseignement de la
méthode. Au Stade du Peuple, cent pratiquants habillés en chemise blanche et en
pantalons bleus, firent une performance collective de Zangmigong.
Dans la ville de Yichun 伊春, la Commission municipale des sports et le
Comité municipal du qigong invitèrent les differentes associations de qigong à
célébrer le retour de Hongkong à la mère-patrie en installant des stands de publicité
sur les trottoirs, dans les centres commerciaux et dans les lieux les plus fréquentés de
la ville750.
Le 12 septembre 1997, les dirigeants de l’Association se réunissent pour suivre
la transmission télévisée du 15e Congrès du Parti. Quelques jours plus tard, le
directeur de l’association Liu Shanglin organise une réunion de la branche du Parti
pour étudier l’esprit du congrès. Il se préoccupe des problèmes qui existent dans
l’organisation de cours dans differentes villes et de l’absence de profits. « Nous
devons, à travers l’étude, augmenter nos qualités morales, faire une percée à l’aide de

748
ZM41: 1.
749
Mao Zedong.
750
Xi Hong 1997.
l’esprit du 15e congrès, afin de nous libérer des difficultés et sortir du creux; tous
doivent réfléchir aux moyens de donner un nouvel élan à la cause du Zangmigong, et
de trouver des solutions » 751.
Lors de la reunion, les membres du Parti discutent des questions suivantes:
« D’après Deng Xiaoping, quels sont les trois bénéfices que nous devons
rechercher en entreprenant toute chose? Quels sont les deux points
fondamentaux au cœur de la phase initiale du socialisme? Quelle est l’âme du
15e congrès? Quels sont les deux grands sauts faits par le marxisme dans
l’experience de la révolution chinoise? Quelle sorte de théorie est la théorie de
Deng Xiaoping? Quel est le rapport entre la théorie de Deng Xiaoping, le
Marxisme-Léninisme, et la pensée Mao Zedong? D’où émergent la ligne
fondamentale et le programme du socialisme dans sa phase initiale? Quels sont
les principes de la réforme des institutions de l’Etat? Quel est le concept général
du socialisme aux caracteristiques chinoises? Quelle est la principale difficulté à
long terme de la construction culturelle? Pourquoi, à la fin du 15e congrès, le
camarade Jiang Zemin a-t-il souligné le rassemblement? Quelle en est la
significatiom majeure? Comment utiliser l’esprit du 15e congrès pour guider le
travail du Zangmi qigong? »

A cette derniere question, les participants arrivent aux conclusions suivantes


relatives aux activités futures du Zangmigong: renforcer l’enseignement du
Zangmigong, disséminer le Zangmigong vers une plus large assise populaire, et sur
cette base faire avancer la recherche scientifique pour employer le Zangmigong dans
le sens de l’amélioration de la santé du peuple entier, et trouver de nouvelles percées
dans le traitement de maladies chroniques. Il faut aussi réaliser la civilisation
spirituelle, augmenter la qualité morale, et faire un immense effort pour la
construction du deuxième centre de l’association, un ensemble de pyramides de
méditation752.
Les activités politiques de l’association ont pour effet de transformer
l’association en vecteur du discours du Parti. Mais en même temps, l’association
profite de sa participation à des événements politiques pour véhiculer, à l’intention du
Parti et du gouvernement, une image de loyauté utile pour l’obtention d’un soutien
politique pour ses activités, et pour faire sa propre publicité auprès de la population.
Remarquons que le contenu des activités politiques consiste presque exclusivement
dans la dissémination du discours du Parti, alors que les modalités de la mise en
pratique du discours ne sont pas spécifiées. Les différentes organisations officielles et

751
ZM48: 1a.
752
ZM49: 1. Il s’agit d’un groupe d’édifices en forme de pyramide, dans lesquelles seront aménagées
des chambres individuelles pour des retraites méditatives.
semi-officielles doivent donc se réunir pour étudier le discours politique et réfléchir
sur sa mise en pratique dans le contexte spécifique de l’organisation locale. Cette
grande latitude laissée à l’organisation locale permet à celle-ci de subvertir le discours
du Parti pour légitimer ses activités. Dans le cas du Zangmigong, ceci devient évident
dans l’extrait suivant:
« Les tâches principales pour 1998 sont les suivantes:
Vigoureusement appliquer l’esprit du document des sept ministères
nationaux, comprendre que les activités de propagation de qigong sont
essentielles pour l’application de la politique de santé du peuple entier, et que
l’esprit du 15e congrès du Parti, concernant la stimulation de toutes les forces
pour servir la construction du socialisme aux caracteristiques chinoises, crée une
excellente opportunité pour le développement du qigong. Il faut complètement
saisir l’opportunité et se mettre au travail avec acharnement.
Comprendre que le qigong tantrique est une composante importante de la
culture traditionnelle chinoise. Etudier les théories bouddhiques pertinentes est
nécessaire pour augmenter son niveau de pratique, ainsi que pour édifier la
culture du socialisme aux caracteristiques chinoises dans l’esprit du 15e
congrès du Parti… » 753.

11.11 Conclusion

Le Zangmigong a, mieux que d’autres lignées, réussi à conjuguer dans


l’harmonie les tendances apparemment contradictoires du qigong. D’une part, les
pratiques transmises par le Zangmigong dérivent directement de la religion lamaïque.
Les formes de méditation, la lecture collective de soutras bouddhiques, l’initiation
guanding754, sont toutes des pratiques religieuses que le Zangmigong, en tant que
réseau de transmission, enseigne ouvertement à des milliers de personnes.
D’autre part, l’organisation est un « bon élève » du Parti, avec une branche
active du Parti en son sein, qui soutient le gouvernement lors des grandes
commémorations politiques, et s’efforce de rester dans la légalité et de suivre les
politiques de l’Etat. Sa sphère d’activités reste régionale, le nombre d’adeptes n’est
pas trop élevé: l’organisation ne présente aucune menace. Elle tente sincèrement de
mener des recherches scientifiques, et participe à la vie économique de la région: la
construction des pyramides de méditation dans une région naturelle, et les échanges
qu’elle facilite avec des compagnies d’exploitation forestière de Finlande, contribuent
à l’exploitation des ressources de la région. En bref, le Zangmigong s’intègre bien

753
ZM 53:1. Italiques ajoutées par moi-même.
754
Rituel d’initiation tantrique dans lequel le maître asperge d’eau le sommet du crâne de l’adepte.
dans le tissu social local. Au lieu d’insister sur la poursuite des « fonctions
exceptionnelles » qui sont critiquées comme « superstitions féodales » , on assimile le
détachement et la compassion bouddhistes à l’esprit communiste du service à la
société. Cette lignée est l’un des rares à ne pas avoir été ciblé par les autorités à la
suite de la campagne anti-Falungong755. Ceci illustre l’accord tacite qui réglait le
monde du qigong avant 1999: tant que les lignées de qigong restaient soumises au
Parti, contribuaient au développement social et économique, et ne présentaient aucune
menace politique, ils étaient libres de se propager et d’agir à leur guise.

755
Li Yuanguo: communication personnelle. Il n’empêche que l’association a presque entièrement
arrêté ses activités depuis l’an 2000, à la suite de la promulgation de la nouvelle politique restrictive
relative au qigong.
12. UNE LIGNEE « INDUSTRIELLE » : LE ZHONGGONG

Nous avons déjà vu comment Zhang Hongbao, dans la foulée de Yan Xin, est
devenu un maître célèbre à la fin des années 1980, et comment il a pénétré les milieux
universitaires, scientifiques, médiatiques et politiques de la capitale756. Contrairement
à Yan Xin qui faisait partie d’une vague spontanée qui le dépassait, Zhang Hongbao
comprend très bien le fonctionnement du monde du qigong et le profit qu’il peut en
tirer. L’expansion du Zhonggong suit une stratégie calculée et ciblée. L’ambition
n’est pas seulement de rationaliser le qigong pour le commercialiser : Zhang Hongbao
veut créer son propre système culturel autour du qigong, et construire une
organisation nationale et commerciale pour le diffuser et le gérer.

12.1 La « culture du Qilin »

Il réussit d’abord à implanter son organisation dans la capitale et à se lier aux


sphères du pouvoir. En juillet 1989, il crée la première société mixte sino-américaine
de qigong : la Compagnie internationale de services de qigong de Pékin (Beijing guoji
qigong fuwu youxian gongsi 北京国际气功服务有限公司) -- qui est aussi l’une des
premières sociétés commerciales privées du monde du qigong757. Du 3 au 6 novembre
1990, dans une série de conférences, il lance officiellement une nouvelle idéologie, la
« Culture du Qilin 758» (Qilin wenhua 麒麟文化), dans la Grande salle des sciences de
Pékin (Beijing kexue dahuitang 北京科学大会堂). Le tout-Pékin politique vient
assister à son allocution intitulée « Les sciences de la vie et l’ordre du Grand Tao »
(Shengming kexue yu dadao zhi li 生命科学与大道之理): les membres de l’auditoire
comprennent un grand nombre de dirigeants du Parti et de l’armée: le secrétaire-
général du Département de la propagande du Comité central du Parti, le vice-
président de l’Ecole centrale du Parti, le vice-président de l’Académie des sciences
militaires, plusieurs secrétaires du Parti et vice-gouverneurs provinciaux retraités ou
en fonction, des commandants-adjoints de la Marine et de l’Armée de l’air, etc.
D’après le chroniqueur Ji Yi,

756
Voir section 7.2, pp. 191-195.
757
Wu Hao (éd.) 1993 : 556.
« Durant la conférence, M. Zhang proclame solennellement à la Chine et
au monde que le système culturel du Zhonggong qui lui est venu par inspiration,
sera formellement nommé la culture du Qilin. Ainsi, cette créature reconnue par
la nation chinoise comme porte bonheur, retrouve un nouvel éclat. Le Qilin
combine en un seul corps l’essence des espèces différentes de vie que sont la
tête du dragon, le nez du cochon, les écailles du serpent, le corps du chevreuil,
le dos du tigre, les hanches de l’ours, les sabots du boeuf et la queue du lion. Il
n’appartient à aucune de ces espèces, mais combine les forces de chacune. En
nommant ainsi son système de recherche scientifique, cela symbolise que la
culture du Qilin est l’étincelle produite par le choc des cultures antique et
moderne, de même que le fruit de l’intégration des philosophies occidentale et
orientale. Elle absorbe largement l’essence de la nation chinoise, et repose sur
les épaules des géants de l’histoire des sciences. Des hauteurs de la cosmologie
et de la méthodologie, et à partir des différents aspects de la philosophie, des
sciences naturelles et des sciences sociales, elle explore les différentes lois de la
vie et du mouvement. C’est une sagesse profonde au riche contenu.
La culture du Qilin est la cristallisation de la grande inspiration, de la
grande illumination et de la grande sagesse du Maître Zhang Hongbao...Elle
refond en un seul fourneau la Voie du Ciel, la Voie de la Terre, la Voie de
l’Homme, le gouvernement, l’économie, les affaires militaires, l’art et la
philosophie. Elle recouvre aussi bien la Vertu, l’Intelligence et le Corps; elle ne
néglige ni les sciences naturelles, ni les sciences sociales, ni les sciences de la
vie. [...] Elle repose sur le sol du Continent des Esprits [la Chine]; c’est une
contribution remarquable de la nation chinoise envers l’univers et envers la race
humaine. »

La culture du Qilin de Zhang Hongbao comprend huit systèmes:


(1) D’abord, un système philosophique fondé sur la « Figure du retour ultime »
(xuanjitu 旋极图), une variation de la figure du taiji (太极图), qui explique l’origine
des créatures et de leur fonctionnement, de leur destination finale et de leur évolution
en spirale:
« La figure du taiji a sa raison d’être. Elle semble être le niveau le plus élevé de
la connaissance humaine: comment les formes de matière sont-elles générées,
sous quelles formes existent-elles après leur génération, comment évoluent-
elles, elle contient presque tout. Mais où va-t-on après la mort? Quelle est
l’évolution dans l’au-delà? De plus, la limite extrême du développement des
choses est-elle uniquement de nature ondulante [comme le suggère la figure du
taiji] ? Pour que les choses progressent vers l’avant, à quoi faut-il faire
attention? Ces lois ne sont pas exprimées par la figure du taiji. Donc, celle-ci
n’est pas le modèle le plus élevé de la connaissance humaine, il faut encore
progresser. Comment progresser? Lorsque l’on progresse vers la culture du
Qilin, émerge alors la Figure du retour ultime.[…]

758
Le Qi et la lin désignent respectivement le mâle et la femelle de la licorne mythologique chinoise,
qui a le corps du daim, la queue du boeuf, les sabots du cheval et une seule corne. Son apparition
présage la venue d’un grand sage.
Fig. 14. Figures du taiji et du retour ultime du Zhonggong

Regardons encore la ligne de séparation entre le yin et le yang dans la Figure du


retournement ultime. La forme du yin-yang dans la figure du taiji ressemble à
deux poissons […]. Alors que la forme du yin-yang dans la Figure du
retournement ultime ressemble à deux têtes d’aigle […], reflétant le caractère
inévitable de lutte dans le processus de développement des choses […]. »759

(2) Un système des sciences de la vie, qui est l’application de la philosophie du


Qilin pour percer les secrets de la vie. Le système comprend deux parties: une
méhodologie, qui comprend les théories de la machine biologique, du contrôle, des
catégories de sensation de qi, du pouvoir de l’information biologique totale, de la
nature des pouvoirs mentaux. Deuxièmement, une théorie des « fonctions
exceptionnelles », comprenant les types de fonctions, les six moyens de les faire
éclore, les méthodes pour les faire augmenter, leur localisation précise dans le corps,
et les huit types d’homme aux capacités supérieures.
(3) Un système de « médecine exceptionnelle » qui diffère en sept points des
médecines chinoise, occidentale et de qigong.
(4) Un système d’art et d’esthétique, comprenant un style architectural et de
sculpture, la danse de qigong, la musique de qigong, la peinture de qigong, les arts
martiaux, la poésie spontanée, etc.
(5) Un système d’éducation: une méthode accélérée d’augmentation de
l’intelligence et de formation de personnes à « fonctions exceptionnelles » .
(6) Un système de gestion industrielle et politique: une science du leadership, de
l’administration, du comportement et de la psychologie commerciale, combinant les
arts politiques et stratégiques de la Chine antique et du Livre des mutations avec
l’administration des entreprises modernes.
(7) Un système de comportement: des règles pour marcher, s’asseoir ou
s’allonger; une morale de travail; une discipline pour créer un homme nouveau.
(8) Un système de pratiques corporelles en huit niveaux, connu sous le nom du
Zhonggong760.

759
Zhang Hongbao (s.d) a.: 151-152.
760
Ji Yi 1991: 155-160; Liu Zhidong, ed. 1993: 219.
12.2 Pénétration des provinces

Le Grand Maître se lance alors à l’assaut des provinces chinoises. Grâce à ses
liens avec des personnalités politiques et militaires régionales, le Sichuan, le Shaanxi
et Tianjin deviendront les bases principales de son empire. Dès le 4 juin 1989 – jour
de la répression des manifestations étudiantes de la place Tiananmen -- Zhang
Hongbao quittait Pékin pour le Sichuan, où il choisit le mont Qingcheng comme base
d’opérations du Zhonggong. En avril 1990, l’Institut international des sciences de la
vie y sera établi, dans une caserne reconvertie, avec le concours de la Commission
scientifique du Sichuan. L’Institut abritera l’ « Ecole de formation de personnes de
talent dotées de fonctions exceptionnelles » , située dans une caserne reconvertie au
mont Qingcheng, près de Chengdu. Cette école, habilitée à décerner les diplômes
collégial et universitaire zhongzhuan et dazhuan, recrute des jeunes dotés de
« fonctions exceptionnelles » et les entraîne à l’augmentation et à l’utilisation de leurs
pouvoirs761. En décembre 1990, Zhang Hongbao fonde l’Université internationale des
sciences de la vie de Chongqing, destinée à la formation des cadres administrateurs
des organes du Zhonggong. Pour la première classe, il choisit un groupe de disciples
dévoués, talentueux et diplômés de l’enseignement supérieur, auxquels il enseigne
pendant un an le système d’administration du Zhonggong762. Durant et à la suite de ce
stage, ce noyau de disciples gère les différents organes du Zhonggong, assure
l’expansion de l’organisation dans les provinces du Qinghai, du Ningxia, du Yunnan,
du Guangxi, du Guangdong, du Sichuan et du Shanxi, et crée différentes entreprises
commerciales, telles que Compagnie générale des technologies vitales du fleuve
Changjiang763.
Quelques mois plus tard, en avril 1991, avec l’appui du gouvernement
provincial du Shaanxi, Zhang Hongbao fonde à Xi’an l’Université de
perfectionnement en culture traditionnelle chinoise, aussi connue sous le nom
d’Université de la Culture du Qilin de Xi’an764. Les programmes d’étude offerts par
cette université, approuvés par la Commission provinciale de l’éducation,

761
Ling Yan 1992 : 55; Yan Qinxin 1992: 59.
762
Pour les biographies de ces disciples, voir l’annexe 10, p. 456.
763
Zhang Hongbao 2001: 2; Lin Xi 1992.
comprennent, en plus de l’étude de la « Culture du Qilin », des diplômes de tourisme,
de gestion hôtelière, de gestion économique, de commerce international, de finance,
des arts hygiéniques traditionnels, de secrétariat et de relations publiques, de gestion
d’établissements éducatifs, d’arts martiaux, de publicité d’entreprises. L’objectif de
l’université est de former des ressources humaines pour la gestion et l’expansion des
organismes de formation et sociétés commerciales du Zhonggong. Des cours par
correspondance sont également offerts en collaboration avec des organes du
Zhonggong de Hong Kong et d’Australie765. En 1995, l’université passe avec succès
une inspection de la Commission de l’éducation. L’équipe d’inspecteurs, chargée
d’évaluer 26 établisssments supérieurs du Shaanxi, juge l’Université de la Culture du
Qilin de Xi’an comme l’une des meilleures de la province au niveau de l’efficacité de
l’enseignement, de la discipline, de l’éducation politique, de l’état du campus, etc.766.
Egalement dans le Shaanxi, Zhang Hongbao fonde un centre de recherches sur
la réincarnation767 et, en septembre 1992, un centre de recherches sur la « médecine
exceptionnelle » (teyi 特医)768. Ce centre est établi dans le sanatorium des cadres de
Changninggong, l’un des plus importants sanatoria de la province, réservé aux cadres
dirigeants du gouvernement provincial769. Un mois plus tard, c’est le tour de l’Hôpital
provincial de réhabilitation du Shaanxi d’accueillir une clinique de « médecine
exceptionnelle » du Zhonggong770.
Le Zhonggong s’implante au Tibet à partir du 9 juillet 1991. Plus de 30
dirigeants politiques provinciaux participent à la fondation du Poste général de
formation du Zhonggong du Tibet, qui chapeautera 11 postes de formation locaux
dans différentes localités. Le 11 octobre 1992, la Commission municipale de
l’éducation de Lhasa approuve la fondation de l’Ecole de formation du Zhonggong du
Tibet. De 1991 à 1994, 5000 personnes étudient le niveau 1 du Zhonggong et 2000
personnes étudient le niveau 2 dans ces centres de formation (pour les niveaux
supérieurs, il faut se rendre dans d’autres provinces). D’après un journal du
Zhonggong, 2 p. cent de la population du Tibet aurait bénéficié d’un traitement par la
« médecine exceptionnelle » du Zhonggong. Une revue locale du Zhonggong est

764
Wu Hao (éd.) 1993 : 556.
765
KL1 : 54.
766
SMK20 : 9.
767
KL1 : 27.
768
Système thérapeutique de qigong de la Culture du Qilin.
769
KL1 : 32.
770
KL1 : 35.
lancée. En 1994, l’Association scientifique du Tibet reconnaît le Zhonggong comme
discipline scientifique et alloue 20 000 yuan pour financer des recherches de membres
du Zhonggong sur les effets du tantrisme et d’autres méthodes de qigong sur la vie
des habitants des hauts-plateaux du Tibet, pour « explorer les mystères de la vie » , et
mener des expériences sur l’application du Zhonggong pour augmenter l’intelligence
d’élèves du primaire et du secondaire771.

12.3 Le système de gestion

Une organisation nationale du Zhonggong unifiant les unités d’entraînement du


Zhonggong dans toute la Chine se met en place en 1994, à travers une nouvelle
société commerciale fondée par Zhang Hongbao: la Société de services de santé
Taiweike (Taiweike yangsheng fuwu gongsi 泰威克养生服务公司)772. En avril 1995,
les organes du Zhonggong de Qingchengshan et de Chongqing s’allient pour fonder, à
Tianjin, le Groupe Qilin (Qilin jituan 麒麟集团), une société privée sous laquelle sont
consolidées les trois grands ‘systèmes’ du Zhonggong: les organismes de formation;
les produits affiliés (médicaments, thés, liqueurs, etc.); et les propriétés immobilières
vouées à la pratique et à la recherche. En tout, le Groupe affirme diriger plus de 3000
organismes de Zhonggong, 30 propriétés, presque 100 000 groupes de pratique, et 100
000 employés 773.
Dans l’été 1995, le Zhonggong déclare que sa période initiale de croissance est
révolue, et décide d’entrer dans une « période d’ajustement » de trois ans. Durant
cette période, Zhang Hongbao demande aux cadres de niveau provincial et supérieur
de son organisation d’étudier l’administration des affaires afin d’attendre le niveau du
MBA en trois ans, en suivant les textes du MBA du Harvard Business School774.
L’organisation systématique du Zhonggong permettra à cette lignée de
récupérer une grande partie des adeptes d’autres lignées de qigong moins bien
organisées : en 1995, la mouvance de Zhang Hongbao se targue d’avoir trente

771
Yang Congbiao 1994.
772
Zhang Hongbao 2001: 4.
773
Zhang Hongbao 2001: 5; SMK 21 : 16-17. Ce Groupe, fondé avec la permission de la Commission
des réformes du système économique national (Guojia jingji tizhi gaige weiyuan hui
国家经济体制改革委员), remplace les fonctions de la Compagnie internationale de services de qigong
de Pékin, dissoute par le gouvernement municipal de Pékin en mars 1994 (voir ci-dessous p. 311).
774
Zhang Hongbao 2001: 5.
millions d’adeptes775.Si le Zhonggong a connu une expansion si massive, c'est
largement grâce à son système de transmission systématique et de gestion
commerciale, dont les principes sont expliqués dans le livre Guide de la philosophie
du Qilin de Zhang Hongbao776. Celui-ci, partant d’une cosmologie basée sur les
théories traditionnelles du yin-yang, des cinq éléments, etc., élabore une théorie
moderne de la gestion, appliquable au gouvernement d’un Etat comme à
l’administration d’entreprises et de la famille, et qui est mise en pratique dans le
Zhonggong.
La philosophie du Qilin vise à incorporer dans son système d’administration les
meilleurs points des cinq phases du développement de la société humaine: la société
primitive, la société esclavagiste, la société féodale, la société capitaliste et la société
communiste. Si elle reprend le schéma marxiste des phases de l’histoire, elle récuse
l’idée selon laquelle chaque phase s’oppose à la précédente pour la remplacer.
« …Chaque forme de société a ses méthodes d’administration excellentes, que l’on
peut emprunter » . On gardera la notion du bien commun (gong 公) de la société
primitive et du communisme, mais on incorpore également les notions du « privé » (si
私) des phases esclavagiste, féodale et capitaliste, ainsi que leurs notions de la
hiérarchie entre aînés et cadets et entre prince et ministres. Enfin, on absorbera les
méthodes de gestion capitalistes777.
Le « système de relations interpersonnelles » du Zhonggong est basé sur
l’égalité et l’entraide amicale de la société primitive, le respect du maître dans une
atmosphère familiale des lignées historiques, et la notion de hiérarchie rituelle dans la
culture lettrée (rujia 儒家).
Le « système de partage des bénéfices » fait du profit le seul critère de
distribution des revenus. Peu importe que la personne travaille avec acharnement
toute la journée, si elle ne réalise pas de profits, elle ne touchera à rien et sera même
punie. Le salaire comporte trois composantes : un traitement en fonction des
bénéfices, un salaire annuel fixe, et un salaire sur la base de l’ancienneté.
Le « système d’administration interne » se décline sous trois modalités. Le
Comité directeur (Dongshihui 董事会) décide des stratégies, la Commission

775
Ce chiffre est sans doute exagéré, mais il on peux raisonnablement croire que le Zhonggong avait au
moins dix millions de pratiquants.
776
Liu Zhidong, ed. 1993.
777
Ce système est décrit dans Lü Feng 1993: 221-226.
d’administration (Shiye guanli weiyuanhui 实业管理委员会) oriente l’exploitation
économique d’après la stratégie du Comité directeur, et la Commission de contrôle
(Shiye jianweihui 实业监委会) s’occupe de la supervision778.
Le « système de gestion du personnel » prévoit l’embauche d’employés dans
des contrats à durée déterminée (de six mois à trois ans); après plusieurs contrats
successifs, la personne peut être engagée à vie et bénéficier d’un logement, d’une
retraite, d’assurance-maladie, etc.
Globalement, la « culture du Qilin » propose de répondre aux besoins humains
à trois niveaux, qu’elle dénomme « trois grands caractères » (san da xingge
三大性格). D’abord, au niveau matériel, elle prétend résoudre les problèmes de vie
matérielle et transmettre les concepts d’entreprise, de capital, de prix, de profit, de
marché, etc. (ces concepts n’étaient pas encore très répandus dans la Chine du début
des années 1990)779. Ensuite, au niveau « spirituel » et des « valeurs » , elle prétend
créer différents types de « formes collectives » (qunti xingshi 群体形式) et de
« rites » (li yi 礼仪, ligui 礼规), permettant de développer des concepts de la famille,
de la société, et une aspiration vers la perfection qui « débouche sur la foi, l’esthétique
et la morale » 780. Le troisième niveau consiste à « sauver et illuminer les hommes,
guérir et augmenter le mérite » (duren kaihui, zhibing changgong
度人开慧,治病长功); un niveau « transcendant » qui permet aux gens de faire eux-
mêmes l’expérience de l’illumination subite (dunwu 顿悟), de connaître la nature
humaine et de l’univers781.
Au niveau national et international, les activités de la lignée sont dirigées par
l’Assemblée générale internationale du Zhonggong (Guoji zhonggong zonghui
国际中功总会). Des organisations régionales basées à Pékin, Xi’an, Chengdu, etc.
coordonnent l’expansion du réseau dans des districts englobant plusieurs provinces.
Le district de Chengdu, par exemple, englobe le Sichuan, le Yunnan, le Guizhou, le
Hubei, le Guangxi et le Tibet. Des centres généraux (zongzhan 总站) et/ou « écoles
des sciences de la vie » (shengming kexue xuexiao 生命科学学校), établis dans

778
Lü Feng 1993: 223.
779
Lü Feng 1993: 225.
780
Lü Feng 1993: 226.
781
Lü Feng 1993: 226.
chaque ville de la région, chapeautent des réseaux de postes locaux de formation.
Chaque organisme local est en principe enregistré auprès des autorités locales782.
En plus de cette ossature de base, le Zhonggong possède des organes centraux
de formation et de commercialisation basés à Pékin, à Xi’an, dans le Sichuan et à
Hong Kong. Les cadres de l’organisation sont formés à l’Université internationale des
sciences et technologies de la vie à Chongqing, où ils suivent des formations
intensives en administration du Zhonggong. L’Université de la culture du Qilin de
Xi’an (Xi’an Qilin wenhua daxue 西安麒麟文化大学) enseigne l’idéologie et la
méthode du Zhonggong. L’Institut international des sciences de la vie au mont
Qingcheng organise des activités de recherche, de publication et d’enseignement.
L’Ecole de formation des fonctions exceptionnelles du mont Qingcheng entraîne les
personnes possédant des « fonctions exceptionnelles » à maîtriser et à développer
leurs pouvoirs. La Société internationale de services de qigong, société mixte sino-
américaine basée à Pékin, ainsi qu’une multitude de filiales, commercialise les livres,
les produits audio-visuels, les « centres de vacances qigong » , le « thé à
informations » , etc. A Hong Kong, des filiales de ces compagnies et organisations
propagent le Zhonggong vers les Chinois d’outre-mer. Enfin, des antennes sont
établies aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne, au Canada, en Russie, en Corée, à
Taïwan, etc. En tout, le Zhonggong possède 60 organes administratifs et 5000
organes de propagation783.

782
Lorsque l'organisme est inscrit aupres du Bureau d’administration industrielle et commerciale
(工商局) il portera le nom de 'poste d'entrainement' (辅导站); mais si l'organisme est inscrit auprès de
la Commission de l'éducation, il sera designé comme « école » .
Fig. 14. Organigramme du Zhonggong

Notons que le système d’administration décrit ci-dessus, basé sur la gestion


commerciale à l’occidentale, a été élaboré et mis en place au début des années 1990,
alors que ces notions venaient tout juste de faire leur apparition en Chine. Le
démantèlement du système chinois des « unités de travail » (danwei 单位) et le
secteur privé de l’économie n’en étaient qu’à leurs premiers débuts.

12.4 Les organes supérieurs

Au sommet de la hiérarchie du Zhonggong sont les disciples personnels du


maître, qui dirigent avec lui les organes suprêmes de l'organisation. Zhang Hongbao a
créé pour eux l'« Association mondiale des célébrités du qigong » (shijie qigong
mingjia lianyihui 世界气功明家联谊会) dont il est le président honoraire à vie, et les
nomme aux postes de direction des organes supérieurs de son organisation. Ces
disciples mènent une véritable carrière au sein du Zhonggong. Ils cumulent les
fonctions, progressent d'un organe à un autre, et souvent fondent des institutions
nouvelles. La majorité des disciples personnels de Zhang Hongbao ont été choisis par
ce dernier pour suivre des « cours de gestion industrielle et commerciale » à
l'Université internationale des technologies de la vie, organe de formation avancée du
Zhonggong situé à Chongqing.
Le noyau central du Zhonggong est formé d’une dizaine de personnes, qui
siègent au comité directeur de l’Association générale internationale du Zhonggong.
L’analyse de leurs biographies nous révèle qu’ils sont pour la plupart issus de trois
milieux: l’université, les médias, et le district de Chengdude l’Armée populaire de
libération784; et que les principaux centres d’activité du Zhonggong sont Pékin, le
Sichuan (Chongqing et le mont Qingcheng) et Xi’an.

783
Wu Hao (éd.) 1993: 556.
784
Quartier-général des forces armées pour la Chine du sud-ouest et le Tibet
Les organes supérieurs du Zhonggong sont calqués sur le modèle du Parti
communiste chinois. On y trouve la même emphase sur l’idéologie et la propagande,
la même structure bureaucratique constituée d’une hiérarchie d’unités de travail
(danwei), la même domination par un noyau de cadres choisis parmi les disciples
personnels du Maître, le même style de réunions, d’assemblées, et de discours, la
même rhétorique enflammée contre les ‘ennemis’ extérieurs au mouvement et contre
les éléments de pensée et de comportement ‘incorrects’ au sein de la secte.
Lors d’une assemblée annuelle de travail de la région de Chengdu, tenue du 28
février au 4 mars 1994 à l’Institut des sciences de la vie du Mont Qingcheng et
réunissant 3000 cadres, la dirigeante Huang Guojun donne une longue allocution sur
la « transmission de l’esprit du congrès annuel 1994 de l’Association Générale
Internationale du Zhonggong. » Elle résume les accomplissements de l’année 1993:
victoires du travail de propagande; fondation de nouveaux organes dans plusieurs
régions et pays; renforcement du contrôle, de la discipline, et de la punition des
cadres ayant commis de ‘graves erreurs’; protection des droits et des intérêts du
groupe Zhonggong à travers des procès intentés avec succès contre des organismes et
médias ayant nui aux intérêts du Zhonggong; succès et reconnaissance publique de la
« Médecine exceptionnelle » du Zhonggong par de nombreux dirigeants politiques et
du Parti ainsi que par des Etats et médias étrangers; expansion de la construction des
grands centres d’activité du Zhonggong à Pékin, Xi’an, Chongqing, Qingchengshan,
etc.; amélioration de l’enseignement du Zhonggong et augmentation du nombre de
pratiquants; augmentation du salaire et amélioration des bénéfices des employés du
Zhonggong. En même temps, elle souligne les problèmes qui se posent toujours:
augmentation des cas de manquement à la discipline (production et vente illégale de
produits et de cours Zhonggong par des cadres, sans l’autorisation de l’Assemblée
Centrale et sans payer leur part de profits à cette dernière); insuffisances du système
administratif; manque de personnel qualifié pour répondre à la demande de
formations et de thérapie. Elle parle ensuite du travail à faire en 1994, exhortant les
membres à lutter avec cinq fois plus d’ardeur et dix fois plus d’efforts, afin
« d’assumer notre nouvelle mission pour le bénéfice de la société humaine! »785.
Ensuite, le Directeur du District de Chengdu Zhou Qiansan 周乾三 présente, à
la manière d’un secrétaire-général du Parti, un rapport de travail annuel présentant les

785
Huang Guojun 1994: 3.
victoires du Zhonggong dans le district, dans les domaines de la propagande, du
contrôle interne des membres, du travail thérapeutique, de l’invention de nouveaux
produits, de l’accroissement de l’influence sociale et des bonnes oeuvres. Il reconnaît
les faiblesses du système d’administration, le manque de rigueur dans l’inspection des
activités786, le faible niveau de culture des cadres. Citant la direction prise par le 14e
congrès du Parti, il promet d’accélérer l’expansion du Zhonggong dans les régions
pauvres et de minorités nationales. Il exprime la résolution d’augmenter le niveau
moral des dirigeants et des travailleurs à la base, d’assainir le système
d’administration, d’exploiter les capacités latentes des formateurs et thérapeutes, de
resserer la discipline, et d’organiser plus d’activités publiques de thérapie gratuite lors
des jours fériés. Et, pour conclure, d’exclamer « ainsi, nous devons clairement
reconnaître les tendances, connaître nos devoirs, chérir l’occasion qui se présente à
nous, et s’appuyer sur le champ de qi du Grand Maître pour mettre en oeuvre les six
directives, bien maîtriser les trois points cruciaux, travailler avec détermination, afin
d’accéder à de nouveaux sommets dans la transmission de la Force, la propagation de
la Loi et le salut des hommes, et faire une encore plus grande contribution afin de
glorifier le Zhonggong, disséminer la culture du Qilin, servir la société, et apporter du
bien à l’humanité! 787»
Ensuite, des directeurs de centres, de postes et d’écoles de formation prennent la
parole et se réunissent en petits groupes pour discuter de leurs expériences et
problèmes.
Le deuxième jour, le directeur-adjoint du district, Li Zhenhua, dévoile une liste
d’honneur de 177 « unités avancées » (xianjin danwei 先进单位) -- titre tiré du
jargon du Parti -- pour récompenser les organismes de base du Zhonggong de leur
fidélité aux principes du Zhonggong et leur succès dans la propagation de la méthode.
Vingt-six unités reçoivent le prix de première classe, 50 unités le prix de deuxième
classe et 101 le prix de troisième classe. Chacune de ces unités reçoit un certificat
portant la mention d’unité avancée.

12.5 Les postes d’entraînement: un exemple

786
c.à.d. l’existence de corruption.
787
Zhou Qiansan 1994: 2.
Situé dans l’édifice d’un ancien temple, le poste d’entraînement no. 9251, situé
rue du Temple du Roi Dragon de Chengdu, dans un vieux quartier populaire de la
ville, est à la fois un centre de rencontres et d’activités sociales pour les adeptes, un
lieu de pratique, et une entreprise offrant une gamme de produits, de services et de
formations de base du Zhonggong.
Une activité collective des adeptes du quartier a lieu tous les samedi soirs. Dans
une grande salle décorée de portraits du maître Zhang Hongbao, les adeptes,
hommes, femmes et jeunes de tous âges, s’asseoient pour méditer sur des bancs
adossés aux quatre murs de la grande salle, pendant que d’autres, au centre de la salle,
pratiquent la ‘danse qigong’ aux mouvements fluides et spontanés, suivant les
rythmes d’une cassette de musique chinoise traditionnelle. Après la danse, un des
responsables du poste dirige une séance de méditation collective.
Les adeptes peuvent aussi se rendre au poste à tout moment pour pratiquer la
méthode. Le jour, le poste est fréquenté par des personnes âgées qui viennent méditer
dans une petite salle annexe où l’on brûle de l’encens devant des portraits de Zhang
Hongbao et des symboles du Zhonggong, et où l’on joue des cassettes de musique
Zhonggong.
Le dépliant du poste propose une gamme de services aux habitants du quartier:
- Cours du premier et deuxième niveau du Zhonggong
- Activités d’étude et de recherche sur la culture du Qilin, les sciences de la vie, la
« médecine exceptionnelle » , etc.
- Diagnostic de maladies par « fonctions exceptionnelles »: vision pénétrante, vision à
distance, diagnostic à distance, divination à distance, etc.
- Thérapie de maladies par « médecine exceptionnelle » donnant des résultats
miraculeux: cancer, tumeurs, maladies cardiaques, « maladies étranges » , maladies
sexuelles, etc.
- Diagnostic et thérapie à distance: envoi par la poste de prescriptions imbues d’
« informations », émission ininterrompue de Force vers les malades, etc.
- Divination et prédiction de l’avenir à l’aide de « fonctions exceptionnelles »-
Correction des aberrations et pathologies survenant suite à la pratique.
- Organisation du logement, de la nourriture, et des titres de transport pour les
personnes venant de loin.
Les prix des services offerts sont décidés selon les normes fixées par les
‘instances concernées’ d’après le règlement du Zhonggong.
Le dépliant fait valoir les capacités et l’expérience en recherche scientifique, en
enseignement et en pratique clinique de l’équipe du Poste, qui comprend des disciples
du 4e niveau. Parmi eux, certains ont la capacité de ‘voir des auras’, de ‘diagnostiquer
à l’aide des mains’, de ‘vision pénétrante traversant le corps humain’, de pratiquer le
bigu pendant 558 jours, 385 jours ou 188 jours, et d’autres capacités encore. De plus,
l’équipe du poste comprend des spécialistes de médecine chinoise et occidentale ayant
une riche expérience clinique et d’enseignement788.
Les activités du poste local sont principalement à caractère social et
thérapeutique. A la base, le Zhonggong s’enracine dans les besoins de thérapie et de
convivialité, pour transmettre sa méthode à la population et intégrer des adeptes dans
son système de formation.

12.6 L’organisation financière

Les activités du Zhonggong sont payantes et très profitables. A partir de là se


pose la question de la gestion et de la distribution des revenus, dans une organisation
aussi vaste que le Zhonggong. Zhang Hongbao situe le problème dans le cadre de sa
« théorie du capital invisible ». Il explique que le Zhonggong se fonde sur le capital
invisible constitué par le « champ de qi » (qichang 气场) de Zhang Hongbao lui-
même, à l’aide duquel on peut générer des profits économiques ainsi que des
bénéfices sociaux; et que l’on peut transformer en capital matériel. Le ‘capital
invisible’ est aussi constitué des brevets, de la propriété intellectuelle, du droit
d’exploitation, des marques commerciales, du copyright, de l’utilisation des
équipements, des logiciels informatiques, etc. -- qui relèvent tous du monopole
exclusif de Zhang Hongbao, cédé pour fins d’exploitation aux principaux organes
centraux du Zhonggong789.
En règle générale, le capital invisible est considéré comme constituant 70% du
capital des entreprises du Zhonggong. Ainsi, si un poste de formation possède 3000
yuan de capitaux matériels, on évalue l’investissement du Zhonggong en capital
invisible à 7000 yuan, pour un capital total de 10.000 yuan. Suivant cette logique, « si
ce petit poste de formation a un revenu annuel de 10.000 yuan provenant de la

788
Zhonggong...1994.
transmission de la méthode, il devrait payer au moins 7000 yuan aux [organes]
supérieurs. Dans la pratique, les postes de formation payent environ 20 à 30%. Selon
ces proportions, le Zhonggong a cédé de 30 à 50% [de sa part] au poste de
formation 790». Ainsi, les unités de formation gardent environ 70% des revenus et
payent le reste aux organes supérieurs.
Dans la pratique, se pose le problème du contrôle des recettes. Les formateurs et
unités de base sont tentés de ne pas déclarer une partie des formations données afin
d’éviter la redevance de 30%, ou encore de produire des copies illégales de livres, de
cassettes et de matériaux pour vendre directement au public sans que les organes
centraux ne perçoivent leur redevance. Certains vont jusqu’à créer leur propre lignée,
enseignant la méthode du Zhonggong sous un nouveau nom. La ‘fuite’ des profits du
Zhonggong semble être un problème assez grave, au point où cette question, analysée
à l’aide de la théorie du capital invisible, est incorporée au programme de formation
dès le niveau 2. On insiste que, loin d’obliger les disciples à payer de fortes sommes
aux organes centraux, au contraire c’est Zhang Hongbao lui-même qui sacrifie plus de
la moitié des bénéfices qui lui sont dûs, afin d’encourager les centres, postes et écoles
de formation à se développer rapidement et afin que les enseignants reçoivent des
profits791. Le problème de ‘discipline’ est soulevé par les dirigeants lors de leurs
assemblées, comme en témoigne le discours cité plus haut, et mes informateurs m’ont
parlé d’un problème de corruption dans les institutions du Zhonggong à
Qingchengshan.

12.7 La discipline interne

Le Zhonggong possède un organe de contrôle interne chargé de veiller à la


conformité des cadres aux règlements du Zhonggong. « L'Etat a ses lois, la lignée a
ses règles » (guo you guofa, men you mengui 国有国法,门有门规) … « Nos
organes de discipline et de contrôle sont les organes de supervision internes du
Zhonggong. Ils ont le droit d'inspecter et de contrôler le travail et le comportement
des dirigeants et des travailleurs des organes du Zhonggong à tout moment et en tout
lieu. Nous devons intégrer la loi nationale et le règlement de la lignée dans le travail

789
Qingchengshan... 1994b: 26-28.
790
Qingchengshan... 1994b: 25.
791
Qingchengshan... 1994b: 24.
d'administration: ceci est aussi une manière d'exalter l'excellence de la culture
traditionnelle 792».
Formellement, trois méthodes, calquées sur les procédures disciplinaires du
Parti communiste, sont employées pour punir les infractions à la discipline interne:
l'auto-critique, la perte des titres et fonctions, et l'expulsion. Ces décisions peuvent
être rendues publiques pour servir d'exemple. Dans son discours à l'assemblée
annuelle du district de Chengdu, Huang Guojun dénonce publiquement les cadres du
Zhonggong coupables de « graves erreurs » :
« Nous avons purgé notre lignée de Lu De qui persistait dans ses fautes graves
malgré nos avertissements répétés. En ce qui concerne Chen Mingsheng, dont les
fautes sont graves mais qui est disposé à se corriger, nous l'avons privé de ses
fonctions et avons pris des mesures punitives. Dans le cas de Hua Xia, nous avons
ordonné qu'elle fasse son auto-critique et nous surveillerons l'amélioration de son
comportement » 793.

Dans des cas plus graves, Zhang Hongbao signe lui-même des décrets
d'expulsion, comme dans le cas d'un chef de poste local du Yunnan qui se proclame
Bouddha Amitabha et successeur de Zhang Hongbao:

ORDRE D'EXPULSION
de Tian Shaoming [田少明], chef du poste de formation du Zhonggong
de la FermeYingde des Chinois d'Outre-Mer794

Tian Shaoming, de sexe masculin, âgé de 37 ans cette année, natif du


Yunnan. Ayant étudié le Zhonggong au debut des années 1990, il se lia
d'affinité avec le Grand Maître. Il devint le chef du poste de propagation du
Zhonggong de la Ferme Yingde des Chinois d'outre-mer.
Grâce au développement du Zhonggong à Yingde et dans les districts
avoisinants, Tian Shaoming, bien que chef de poste depuis peu de temps, acquit
une certaine célébrité locale. Mais Tian Shaoming, qui devait sa bonne fortune
au Grand Maître et jouissait de sa renommée, n'eut aucune gratitude envers son
maître, et voulut s'approprier le Zhonggong pour lui-même. Avide de pouvoir
personnel, il dissémina des soi-disant « dernières paroles » faussement
imputées au Grand Maitre, et proclama le « dernier jour » , ce qui produisit des
effets extrêmement néfastes dans la société, et porta grave atteinte a la
réputation du Grand Maître. Pis, Tian se proclame être le « Bouddha
Amitabha » , et que ce « Bouddha Amitabha » est le « Nouveau Grand Maître »
du Zhonggong. Il déçoit les foules en abusant de son maître et en niant son
patriarche.

792
Huang Guojun 1994: 3.
793
Huang Guojun 1994: 3.
794
Il s’agit d’une exploitation agricole pour Chinois de l’étranger revenus en Chine continentale après
la fondation de la République populaire.
A plusieurs reprises, nous avons tenté d'éduquer Tian Shaoming par la
critique, mais Tian nous a opposé un refus obstiné. Au contraire, il a intensifié
ses offenses en enseignant publiquement sa pretendue méthode du « qigong de
la course à pied » [paogong 跑功] sous le nom du Zhonggong, en induisant les
gens en erreur et en s'adonnant a des activites de superstition féodale à grande
échelle, en incitant les gens à ne pas travailler, à ne pas étudier, et à pratiquer le
« qigong de la course à pied » pour attendre la venue du dernier jour, brisant
l'ordre social normal et troublant la sécurité publique.
Tian Shaoming a complètement perdu le mérite que devrait avoir tout
disciple du Zhonggong, endommageant gravement la réputation de notre lignée.
Afin de corriger les tendances au sein de notre lignée et protéger l'ordre normal
de la société, nous avons spécialement décidé d'expulser Tian Shaoming qui a
trahi sa lignée et a abusé de son maître.
Cette décision prend effet à partir du jour de sa publication.

Zhang Hongbao
19 janvier 1995795

12.8 La protection externe

Le Zhonggong n'hésite pas à intenter des procès contre les médias et organismes
qui tenteraient de nuire à l'image de la lignée. Dans un discours, le cadre Yan Qingxin
souligne que
« Nous devons en premier lieu tous comprendre ce que c'est que l'intérêt
du Groupe [jituan 集团], quelle est l'expression primordiale de l'intérêt du
groupe, et pourquoi l'intérêt du groupe est un principe fondamental. Si nous
n'avons pas compris cette question, nous n'avons pas d'objectif. […]
Notre maître est l'âme de la cause du Zhonggong et de la culture du Qilin;
c'est le représentant collectif de 30 millions de personnes. Par conséquent, nous
devons considérer la protection de l'image de notre maître comme quelquechose
de plus important que la protection de nos propres yeux, voire de notre propre
vie. Il faut considérer le prestige du chef de notre groupe, le prestige de notre
maître, comme une partie de notre vie, la partie la plus importante. Ce n'est que
lorsque nous sommes clairs sur ce point que, lorsque le prestige de notre maître
est atteint, chaque membre de notre groupe pourra voir avec perspicacité le
dommage fait à l'intérêt du groupe, que c'est une question capitale de bien ou de
mal, et pourra réagir de manière decisive et efficace […] Cette question est la
meilleure épreuve pour nous, c'est une pierre de touche. Etes-vous vraiment de
ceux qui honorent le maître et aiment sa cause? Il suffit de voir votre attitude sur
cette question, et la reponse sera claire…796. »

795
Qingchengshan…1997b: 39.
796
Yan Qingxin 1997: 22-23.
Parmi plusieurs poursuites judiciaires menées par le Zhonggong, citons le
procès intenté en 1993 contre le journaliste Lu Shangde 陆尚德, qui avait publié dans
le Quotidien Xinhua et dans le Soir du Yangzi du 25 mars un article intitulé « La
démonstration de guérison par qigong au Wutaishan était une fraude » . Cet article
avait alors été repris par des journaux des villes de Nanchang, de Jilin et de Tianjin.
Les avocats du Zhonggong saisirent la Cour du Peuple du district de Xuanwu de
Nankin, soutenant que les affirmations contenues dans l'article étaient sans fondement
et portaient préjudice à l'honneur du Zhonggong, et exigeant reconnaissance de la
responsabilité civile et une compensation financière. Le 20 septembre, le verdict fut
prononcé en faveur du Zhonggong. Un document interne du Zhonggong commente
que « Nous sommes un pays socialiste, où l'on ne doit pas se livrer à cette « liberté de
la presse » de la classe capitaliste -- utiliser le pouvoir d'influence particulier de la
presse pour injurier l'adversaire est une conduite immorale » 797. Ailleurs, toujours au
sujet de ce procès, la responsable Huang Guojun affirme que « dans l'économie de
marché socialiste, et dans l'environnement de réformes et d'ouverture avancées, il est
parfaitement normal que les différents groupes et entreprises protègent leurs intérêts
au milieu de la concurrence… » 798.

12.9 Le système de formation

L’étude de documents internes des stages du Zhonggong799 nous indique que la


transmission de la méthode du Zhonggong possède un certain nombre de
caractéristiques:
- Un modèle de formation standardisé, répliquable dans les milliers de postes et
de centres de formation à travers la Chine;
- Une emphase sur la productivité, avec des objectifs chiffrés de ventes de
stages et de formation d’adeptes;
- Une organisation du temps très structurée, où chaque tâche ainsi que le
moment de son exécution par le transmetteur, sont clairement assignés;
- Une emphase sur l'état de suggestibilité dans lequel il faut systématiquement
induire les élèves, présenté comme une méthode pour entrer dans l’ « état de réception

797
Qingchengshan…1997b: 21.
798
Huang Guojun 1994: 3.
799
Qingchengshan… 1997a, 1997b.
de force » (jiegongtai 接功态), état dans lequel l’adepte pratique la méthode de
« demander la Force du maître » (qing shifu liaofa 清师父疗法), et considéré comme
la base fondamentale de la méthode.
- Des formations axées sur la transmission de concepts, par le biais de
techniques corporelles. Par exemple, la simple technique de prolonger son doigt de
quelques millimètres par effort mental, est un support pour la transmission de la
« théorie de la force mentale »(yininianli lilun 意念力理论), composante du système
idéologique du Zhonggong. Se voyant capable de prolonger visiblement son doigt,
l’élève se croit déjà possesseur d’une « fonction exceptionnelle » mineure; il croit
intimement, à travers cette expérience personnelle, dans l’existence de toutes les
« fonctions exceptionnelles », dont la théorie du Zhonggong donne un cadre
conceptuel. L’idée que s’il persiste dans la méthode du Zhonggong, il pourra lui-
même acquérir des « fonctions exceptionnelles », le motive fortement pour continuer
la formation et la pratique avec enthousiasme.
- L’insistance sur la loyauté envers le maître et le Zhonggong: « devenir un
modèle de respect pour le maître et d’amour pour la cause, faire de l’intérêt du groupe
son premier critère, être loyal envers la cause de la culture du Qilin, avoir le courage
de sacrifier »800.
- L'organisation de la méthode en huit niveaux ascendants, fournissant à l'adepte
une voie de progression clairement tracée et le stimulant à avancer toujours plus haut:

Premier niveau: enseignement des techniques et postures de base;


manipulation du qi (collecte, émission, réception et échange de qi); méditation
de l’ « orbite microcosmique » ; techniques de diagnostic et de thérapie de la
« médecine exceptionnelle » du Zhonggong, etc.
Deuxième niveau: méthodes d’organisation et de contrôle de séances
collectives; arts du spectacle de qigong (marcher sur une feuille de papier
suspendue dans l’air, se tenir debout sur une ampoule, changer le degré d’alcool
du vin, etc.); correction de huit formes d’aberrations dues à la pratique du
qigong; les « secrets des secrets » des méthodes bouddhistes et taoïstes;
traitements spécifiques pour plus de 30 maladies, etc.
Troisième niveau: méthodes de méditation immobile et de visualisation,
hypnose par qigong, qigong mobile spontané (danse, musique, poésie et boxe
spontanées); techniques thérapeutiques supplémentaires, etc.
Quatrième niveau: qigong électrique; qigong dur; « fonctions
exceptionnelles »: télépathie, vision à distance, prédiction de l’avenir.

800
Qingchengshan...1997a: 16.
Cinquième niveau: concepts et méthodes pour la création d’un espace
de vie (techniques dérivées de la géomancie chinoise); arts de la chambre
(techniques sexuelles); diététique, l’art de retrouver la jeunesse; techniques de
massage; régulation des émotions; démasquage des huit ‘arts pervers’ (xieshu):
le démon qui frappe à la porte, percer les joues avec des clous, l’oeuf qui peut
marcher, avaler du feu, etc.

Le contenu des 6e, 7e et 8e niveaux ne sont pas divulgués publiquement. Ces


niveaux dispensent une formation à l’administration et à la direction d’organisations
du Zhonggong. Chaque niveau est enseigné dans des cours d’une durée de 6 à 12
jours801.
Les cours de niveau 1 et 2 sont offerts dans les postes locaux de formation ou
dans des institutions spécialisées telles que l’Ecole de formation des fonctions
exceptionnelles du mont Qingcheng, qui offre aussi les niveaux 3, 4 et 5. La durée et
le prix des formations en 1994 sont indiqués dans le tableau ci-dessous802:

Niveau Durée Frais Pension complète Total des frais


d'inscription
1 6 jours 72 yuan 72 yuan 144 yuan
2 6 jours 72 yuan 72 yuan 144 yuan
3 12 jours 160 yuan 144 yuan 304 yuan
4 12 jours 160 yuan 144 yuan 304 yuan
Fig. 16. Prix des stages du Zhonggong

Pour un chinois ordinaire gagnant 500 yuan par mois en 1994, de tels frais sont
assez élevés mais demeurent toutefois abordables. Les prix sont multipliés par 6 pour
les étrangers.
Les cours sont hautement structurés et standardisés. Les responsabilités des
formateurs sont précisées dans le plus grand détail. Examinons un extrait du manuel
de l’entraîneur du niveau 1:

Premier jour: Ordre et contenu de la cérémonie d’ouverture:


I. L’animateur saisit le champ (kongchang 控场) et crée l’ambiance de la Salle
du Dharma de Sagesse (Huifating 慧法厅) :

801
Qingchengshan... 1994.
802
Données dérivées de Qingchengshan... 1994.
1. Arranger les postures des élèves de manière à ce qu’ils soient dans l’état de
réception de Force (jiegongtai 接功态), en laissant l’explication des concepts et
principes de l’état de réceptivité de Force pour plus tard dans l’enseignement.
2. Arranger l’état mental des élèves.
II. L’animateur souhaite la bienvenue au dirigeant XXX pour prononcer les
paroles d’ouverture;
III. XXX prononce les paroles d’ouverture et présente l’équipe de formateurs;
IV. Démonstration de fonctions exceptionnelles et présentation de cas de
guérison;
V. Le moniteur de classe explique les règlements à suivre par les élèves;
VI. Le moniteur de classe énumère les tâches ménagères pour l’entretien de la
résidence;
VII. Annoncer la division des élèves en groupes et les noms des chefs de
groupe;
VIII. Après la fin de la cérémonie d’ouverture, tenir une réunion des chefs de
groupe et leur expliquer leurs tâches.

[…]

Troisième jour:
[...]
Matin:
1. Révision de l’état de réception de Force, corriger tout en pratiquant. Le point
crucial pour percer dans l’état de réception de Force est de « laisser grandir la
sublimité, entrer dans une réceptivité respectueuse ». C’est la grande clef pour
augmenter la Force et cultiver une santé robuste, et c’est le contenu principal du
premier niveau de formation.
2. Transmettre les Clefs d’Or numéros 3 à 6: théorie des types de sensation de
qi, théorie des niveaux de pouvoir, théorie du contrôle de la forme, théorie du pouvoir
de l’information biologique totale (shengwu quanxi neng 生物全息能).
3. La deuxième des Quatre Grandes Portes (sida qiaomen 四大窍门): les huit
éléments du succès. Parmi eux, purifier certaines idées confuses relatives aux
éléments du ‘maître’, de la ‘vertu’, de la ‘richesse’, et corriger l’état mental de
l’apprentissage. Afin de solidifier la base idéologique de l’apprentissage, renforcer le
désir personnel de devenir une meilleure personne.
4. Révision de la pratique du qigong: la « posture du doigt en épée pour nourrir
la vie (yangsheng jianzhizhuang 养生剑指桩).
5. Transmettre les Neuf Portes Subtiles de la Loi (Jiumiao famen 九妙法门):
qigong du tremblement (expliquer en cinq segments); utiliser de la musique pour
faciliter la maîtrise du qi.
6. Méthode rapide de l’orbite microcosmique: (1) théorie. (2) méthode secrète
d’ouverture de l’orbite microcosmique (méthode d’ouverture mutuelle, méthode pour
diriger le qi, méthode d’ouverture individuelle).
7. Correction des élèves par l’organisation de pratique collective. Jouer la
cassette imbue de Force des Six Sons Parfaits (liuzi zhenyin 六字真音)
8. Enseigner comment prolonger la pointe des doigts et émettre du qi par
l’extrémité des doigts en dehors du cours.
Après-midi: fondements de la médecine du qigong (deuxieme partie)
Soir: révision de la pratique, répondre aux questions, organiser la pratique
collective. De 22h à 22h30, réception de Force. […]803.

En même temps, les tâches administratives et logistiques sont clairement


assignées aux formateurs:

Premier jour:
Matin:
1. Procéder aux formalités d’inscription
2. Arrivée et vérification des formateurs du premier niveau
3. Préparer la Salle du Dharma de Sagesse d’après les normes.
Après-midi:
1. Annoncer les heures et lieux des cours
2. Etudier la liste des inscriptions
3. Convoquer une réunion de préparation
Soir:
1. Cérémonie d’ouverture
2. Assigner les tâches ménagères
Deuxième jour:
Matin:
1. Diriger les élèves d’après le Règlement des élèves
2. Commencer le cours ainsi que la pratique de l’aube
3. Annoncer la prise de photographies pour le certificat à midi.
Troisième jour:
Matin:
1. annoncer que la prise de photos officielles continuera à midi; finir la prise de
photos.
2. aller chercher les certificats et les objets-souvenir
3. encourager les élèves à acheter des objets des sciences de la vie pour les
personnes qui leur sont chères804.

Les formateurs doivent en plus respecter un certain nombre de ‘normes de


qualité’:

Pureté doctrinale et orthopraxie: Transmettre les formations en suivant une


organisation du temps, un contenu, une méthode et un ordre corrects; sans erreurs et
sans s’écarter du matériel d’enseignement, sans enseigner des éléments d’un niveau
supérieur, sans insérer d’éléments d’autres écoles de qigong; expliquer les « fonctions
exceptionnelles » de manière scientifique, sans explications superstitieuses ou
mystiques.

803
Qingchengshan... 1997a: 6-7.
Objectifs numériques de productivité dans la formation de disciples et dans la
vente de produits: chaque formateur doit enseigner le niveau 1 à plus de 600
personnes par année, parmi lesquelles plus de 50% devraient progresser jusqu’au
niveau 2; et 60% des élèves de niveau 2 devraient progresser jusqu’au niveau 3.
Quant à la vente de livres et de cassettes, l’objectif est 100% des élèves de niveau 1 et
85% des élèves de niveau 2. 40% des élèves de niveau 1 et 60% des élèves de niveau
2 devraient acheter des objets-souvenirs (100% dans les zones économiques
spéciales805).
Découverte et recrutement de ressources humaines: recommander un nombre
important de personnes à « fonctions exceptionnelles », et de personnes aptes à
l’enseignement et à l’administration. L’enregistrement de cas médicaux exceptionnels
doit dépasser 50% pour le niveau 1 et 20% pour le niveau 2.
Ne pas commettre de fautes graves et garder le secret806.

12.10 Conclusion : une organisation de masse

Avec Yan Xin était apparu le phénomène du charisme du « Grand Maître » de


qigong. A cet élément charismatique, Zhang Hongbao ajoute une organisation
nationale avec son propre système de formation de ressources humaines, permettant
de consolider et d’approfondir l’engagement des adeptes et de transformer l’énergie
humaine libérée par le qigong en bénéfices économiques. Si les autres maîtres de
qigong avaient créé leurs propres lignées de transmission couvrant toute la Chine,
avec des postes d’entraînement provinciaux, municipaux et de quartier, aucun n’était
allé aussi loin que Zhang Hongbao dans sa stratégie d’expansion, de
commercialisation et de gestion. Nous pouvons décrire le Zhonggong comme une
organisation bureaucratico-commerciale, dont le système d’administration, calqué sur
celui du Parti, gère une vaste entreprise économique. Son activité principale est la
vente de stages de qigong. Afin de s’assurer de l’uniformité des pratiques et de la
loyauté des animateurs, le Zhonggong choisit les moyens de la prescription
minutieuse de chaque aspect de la transmission, de l’exhortation au sacrifice, et des
sanctions et récompenses administratives. Si le Zangmigong se réfère à une religion

804
Qingchengshan... 1997a: 13-14.
805
Les « zones économiques spéciales » sont les villes côtières de Shenzhen, Zhuhai, Xiamen, et l’île
de Hainan
instituée – le bouddhisme – , le Zhonggong possède son propre système idéologique,
la « culture du Qilin ». Alors que le Zangmigong possède une branche active du Parti
et participe aux réunions et événements organisés par le gouvernement, le Zhonggong
tente plutôt de créer une organisation indépendante qui imite celle du Parti. Le
Zhonggong est devenu la plus grande organisation de masse de Chine en dehors du
Parti communiste. Le nom Zhonggong 中功 est un homophone du nom abrégé du
Parti, Zhonggong 中共. Les rumeurs commencent à circuler : Zhang Hongbao serait-il
en train de récupérer le qigong pour construire un mouvement populaire susceptible
de se transformer en parti politique?
Une organisation de la taille du Zhonggong ne pouvait que susciter la méfiance
et l’opposition de certains dirigeants politiques. Dès mars 1994, le Secrétaire du Parti
de la Ville de Pékin, Chen Xitong 陈希同, ordonne la fermeture de la Compagnie
internationale de services de qigong de Pékin et la police reçoit l’ordre d’arrêter
Zhang Hongbao807. Ce dernier s’évade et dirigera désormais son mouvement
clandestinement808. De 1995 à 1998, divers moyens sont employés pour restreindre le
développement du Zhonggong. Tous les organismes du Zhonggong font l’objet
d’enquêtes policières. Mais Zhang Hongbao reste introuvable. Fin 1998, les autorités
préparent un plan pour la suppression du Zhonggong -- mais la manifestation de
Zhongnanhai du Falungong, quelques mois plus tard, focalise toute l’attention des
autorités sur ce dernier, donnant au Zhonggong quelques mois de répit809.

806
Qingchengshan...1994b: 14.
807
Je n’ai pas encore trouvé sur quel prétexte Chen Xitong cherche à arrêter Zhang Hongbao. Le fait
que les autres organes du Zhonggong continuent d’exister, et que de nouvelles strucures (légales) sont
fondées par le Zhonggong après 1994, semble indiquer que cette mesure prise contre le Zhonggong
reste de portée locale.
808
Zhang Hongbao 2001: 4.
809
Zhang Hongbao 2001: 7.
13. UNE LIGNEE « MILITANTE »: LE FALUNGONG

A la suite de la disparition de Zhang Hongbao, le Zhonggong commence en


effet à être éclipsé par le Falungong en tant que plus importante lignée de qigong en
Chine. Vers cette époque – de 1996 à 1999 – pendant que le Zhonggong décline
rapidement, nous assistons à une expansion fulgurante du Falungong, méthode qui
pourtant n’avait vu le jour que quelques années auparavant. Or tout comme le
Zhonggong, le Falungong est, depuis 1996, une lignée non reconnue par les
associations semi-officielles du qigong, et qui subit aussi des pressions de la police.
Le succès du Falungong, dans cet environnement officiel hostile, peut être imputé à
deux facteurs: (1) alors que le Zhonggong avait créé une administration de style
bureaucratique relativement lourde, avec ses cadres, ses locaux et ses ressources
financières, susceptibles d’attirer l’attention des autorités et difficiles à entretenir dans
un contexte défavorable, le Falungong a plutôt perfectionné le modèle souple et léger
des réseaux de transmission qui est la norme dans les lignées de qigong; et (2) alors
que le Zhonggong, en tant qu’organisation commerciale, tente de motiver ses cadres
par l’appât du gain – primes et commissions pour la vente de stages --, motivation
difficile à stimuler dans un contexte où le qigong n’a plus le vent dans les poupes -- le
Falungong, lui, cristallise, renforce et radicalise les concepts et aspirations religieuses
qui avaient été libérées par le qigong, provoquant ainsi l’éclosion d’une grande
puissance de mobilisation individuelle et collective. En effet, la « science du qigong »,
incapable de fournir les preuves réplicables de ses hypothèses, s’était confondue dans
le charlatanisme et dans le ridicule, et n’avait pu réaliser l’union tant désirée avec la
science. Les premières années du Falungong coincident avec une période
d’essouflement et de confusion dans le monde du qigong, alors que la polémique
contre la « pseudo-science » du qigong commence à faire rage dans les médias. Dans
ce contexte, Li Hongzhi se démarque du monde du qigong et définit sa méthode dans
un cadre entièrement distinct : l’objectif de la pratique n’est ni la santé physique, ni
l’acquisition de « fonctions exceptionnelles », mais la purification du coeur et le salut
spirituel.
13.1 Li Hongzhi « sort des montagnes »: 1992 à 1994

Né le 27 juillet 1952 à Gongzhulin 公主岭 (Jilin), Li Hongzhi déménage à


Changchun avec sa famille en 1955. C’est là qu’il va à l’école primaire et secondaire
jusqu’en 1969, et que, d’après sa biographie hagiographique, il commence à être initié
dès l’âge de quatre ans par une série de maîtres mystiques810. Il travaille ensuite
comme trompettiste, comme employé d’hôtel, et enfin comme employé de bureau
dans la Société d’approvisionnement en céréales et en huiles de la municipalité de
Changchun.
Vers le milieu des années 1980, il participe à des stages de qigong organisés par
différents maîtres811. Il suit deux stages du « Qigong secret du chan » (Chanmigong
禅密功) auprès du maître Li Weidong 李卫东 et apprend aussi le « Qigong des neuf
palais et des huit trigrammes » (Jiugong bagua gong 九宫八卦功) du maître Yu
Guangsheng 于光生. Il commence à préparer sa propre méthode, sans l’enseigner
publiquement. Il quitte son poste de travail en 1991 pour se vouer entièrement au
qigong. Le lancement public de sa lignée a lieu le 8 mai 1992 à Changchun, lorsque
Li Hongzhi « sort des montagnes » et enseigne le « Falungong » pour la première
fois à un petit groupe de pratiquants au parc des Victoires de la ville.
Li Hongzhi organise alors deux stages de Falungong à Changchun812. Peu après,
il arrive à Pékin accompagné de quelques disciples, pour participer à la Foire de santé
de l’Orient (Dongfang jiankang bolanhui 东方健康博览会). C’est un parfait inconnu
dans la capitale: son groupe passe les premières nuits sur les bancs de la gare. Mais ils
se font vite remarquer à la foire. D’après le directeur de cet événement, Li Rusong
李如松, « le Falungong a reçu le plus d’éloges à la foire, et ses résultats
thérapeutiques furent très bons » 813. Grâce au pouvoir du Falungong, des personnes
handicapées abandonnent leurs béquilles et leurs chaises roulantes: « le Falungong est
miraculeux! » La nouvelle se répand dans l’exposition, on s’attroupe autour du
kiosque du Falungong, les uns quêtant des soins, les autres achetant des documents du
Falungong ou demandant la signature du maître. En réponse à la demande du public,
les organisateurs de l’exposition invitent Li Hongzhi à donner une conférence sur le

810
Pour le récit de ces initiations, voir la section 6.1, pp. 168-177.
811
Yi pi Falungong xueyuan… 1999:1.
812
Yi pi Falungong xueyuan… 1999:1.
813
Cité dans Yipi Falungong xueyuan… 1999:6.
qigong. Sa conférence est si bien accueillie que le maître est invité à donner de
nouvelles allocutions pendant deux jours supplémentaires814.
Li Hongzhi est invité à siéger sur le comité organisateur de l’édition 1993 de la
Foire de santé de l’Orient815, où il il soigne des milliers de personnes qui, dans 95%
des cas, affirment avoir ressenti une amélioration de leur état. Li Hongzhi est le
gagnant du plus haut prix décerné à la foire : le « prix pour l’avancement des sciences
de pointe »; il reçoit le titre de « maître de qigong le plus populaire »; sur plus de
cinquante lignées de qigong représentés à la foire, le Falungong reçoit le plus de
distinctions816.
Le 31 août, la Fondation du Combat pour une juste cause (Zhonghua jianyi
yongwei jijinhui 中华见义勇为基金会), affiliée au ministère de la Sécurité publique,
invite Li Hongzhi et quelques-uns de ses élèves à soigner des policiers blessés lors de
luttes avec des criminels, lors d’une cérémonie d’honneur organisée par la ministère
central de la Propagande et le ministère de la Sécurité publique. Presque tous les
blessés soignés ressentent une amélioration de leur état. Pour exprimer sa gratitude, la
Fondation décerne un certificat d’honneur à Li Hongzhi et le ministère de la Sécurité
publique envoie une lettre de remerciement à l’ACESQ, qui avait participé à
l’organisation de l’événement817. Le 21 septembre, le Journal de la sécurité du
peuple (Renmin gongan bao 人民公安报) publie un article sur Li Hongzhi, dans
lequel celui-ci déclare que tous les « héros » reconnus par la Fondation peuvent
recevoir un traitement gratuit du Falungong818. Le 27 décembre, Li Hongzhi fait don à
la Fondation des 4000 yuan gagnés à la Foire de santé de l’Orient. Les 14 et 15 mai
1994, pour lever des fonds pour la Fondation, il donne deux grandes conférences à
l’université de la Sécurité publique de Pékin (Beijing gongan daxue 北京公安大学),
qui rapportent plus de 50 000 yuan, et offre mille expemplaires de son livre Le
Falungong chinois. Le 27 août 1994, il donne un stage à la préfecture autonome des
Coréens de Yanbian 延边, et offre les revenus de 7000 yuan à la Croix-rouge
locale819.

814
Lishi... 2000 :1.
815
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 6.
816
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 6.
817
Lishi...2000 : 2; Yi pi Falungong xueyuan… 5
818
Yipi Falungong xueyuan… 1999:5.
819
Yipi Falungong xueyuan… 1999:5.
De 1992 à 1994, Li Hongzhi s’intègre dans le monde du qigong de Pékin. Il
présente sa méthode à l’ACESQ, qui soutient ses efforts et s’associe à l’organisation
des stages du Falungong. Il est invité par des organisations semi-officielles de qigong
de plusieurs grandes villes chinoises pour donner des conférences et des stages:
notamment à Changchun, à Pékin, à Tianjin, à Canton, dans le Hebei, le Jilin, le
Shandong, le Zhejiang, le Henan et le Shaanxi820 .
Les stages attirent jusqu’à cinq mille personnes par session. La renommée de Li
Hngzhi se répand et le nombre des pratiquants de sa méthode monte en flèche,
atteignant des millions en moins de trois ans. En août 1993, Li Hongzhi fonde une
organisation à Pékin, l’Association d’études de la Grande Loi de la Roue du Dharma
(Falun dafa yanjiuhui 法论大法研究会), qui s’occupe des liens entre adeptes de
villes différentes, de la création de postes d’entraînement, de la transmission de la
méthode, et de la publication et de la distribution des nouveaux articles du maître821.
Cette organisation dépend directement de l’ACESQ. Zhang Zhenhuan facilite
l’invitation de dirigeants politiques pour les discours d’ouverture et de clôture des
stages. A une occasion, le secrétaire général de l’ACESQ, Li Zhinan 李之楠,
accompagne Li Hongzhi pour un stage à Jijihaer822. Le maître ne donne de stages que
sur l’invitation d’associations semi-officielles de qigong ou d’agences du
gouvernement, ce qui lui donne prestige et légitimité. Les stages durent dix jours; le
prix par personne est de 40 yuan pour les nouveaux élèves et 20 yuan pour les
anciens823. Les organisateurs obtiennent 40% des recettes et l’association du
Falungong le reste824. Ainsi, Li Hongzhi explique pourquoi il n’a jamais donné de
conférence à Shanghaï:
« Je regrette de ne pas être allé à Shanghaï lorsque je transmettais la méthode. A
cette époque, je voulais établir une voie correcte pour cette Loi. Je n’ai pas fait
comme ces maîtres de qigong qui sont comme des colporteurs itinérants
d’herbes médicinales. Je me déplaçais uniquement sur l’invitation d’une
organisation de qigong, d’une association d’études en science du qigong ou
d’une agence du gouvernement. Shanghaï ne m’avait pas invité, l’occasion a été
perdue »825.

820
Deng Zixian, Fang Zhimin 2000: 27.
821
Lishi...2000 :1.
822
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 7.
823
Yipi Falungong xueyuan 1999:5.
824
Yi pi Falungong xueyuan… 1999: 4.
13.2 La mutation du Falungong

Durant cette première période d’expansion du Falungong, de 1992 à 1994, Li


Hongzhi est donc entré dans les circuits du qigong et en a bien profité pour propulser
son mouvement. Il donne des conférences très réussies – et très rentables pour les
associations semi-officielles de qigong, trop heureuses d’organiser ses tournées. Il
guérit des malades, acquiert une aura de maître à « fonctions exceptionnelles ». En
avril 1993, il investit 40 000 yuan826 pour publier un livre827 qui expose sa méthode. Il
crée un réseau de transmission qui suit le même modèle d’organisation que les autres
lignées de qigong. Il cultive ses liens au sein des associations semi-officielles et des
administrations – particulièrement au sein du ministère de la Sécurité publique, où il
dispose d’appuis. En bref, c’est le parcours typique d’un maître de qigong qui réussit.
Le contenu de ses conférences est dominé par des thèmes moraux, ésotériques,
démonologiques, apocalyptiques, messianiques et sectaires828. En soi, ceci n’est pas
atypique pour un maître de qigong: des prédécesseurs de Li Hongzhi, y compris Yang
Meijun, Yan Xin, Zhang Xiangyu, Zhang Xiaoping, etc., ont tous touché à ces thèmes
avec une insistance plus ou moins grande. Mais, vers la fin 1994 – début 1995, Li
Hongzhi introduit de nouveaux éléments qui changeront subtilement mais
profondément la nature de sa méthode, jusqu’à ce que l’idéologie religieuse remplace
la pratique corporelle comme noyau du Falungong.
En septembre 1994, Li Hongzhi signifie à l’ACESQ son désir de retirer le
Falungong de cette organisation829. Le 18 septembre, il explique la nouvelle
orientation aux moniteurs830 de sa ville natale de Changchun. Il leur dit de fixer une
heure pour l’étude collective régulière du « Dharma » , d’étudier le livre du
Falungong « chapitre par chapitre et section par section » , afin de créér un modèle à
suivre par tous les postes d’entraînement à travers le pays831. Li Hongzhi indique aux
moniteurs que leur rôle n’est pas uniquement d’enseigner les techniques corporelles:
ils doivent également maîtriser et transmettre les concepts du Dharma, par la lecture

825
Li Hongzhi 1997a: 33.
826
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 2.
827
Li Hongzhi 1993.
828
Nous pouvons inférer le contenu des conférences de Li Hongzhi entre 1992 et 1994, à travers le
Zhuan Falun (Li Hongzhi 1998) qui est une version éditée de celles-ci.
829
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 7.
830
辅导员, « assistants » dans les versions françaises des écrits de Li Hongzhi disponibles sur internet
(www.falundafa.org).
831
Li Hongzhi 1994: 39.
répétée du livre, et par l’écoute régulière des enregistrements des conférences. Ils
doivent mieux comprendre la Loi que les adeptes ordinaires, car leur rôle est
comparable à celui de l’abbé d’un temple, qui doit guider les pratiquants vers le salut.
Et il explique que le Falungong n’est en réalité pas du qigong: il n’a fait
qu’employer le qigong pour rendre sa Loi plus facile à accepter dans la phase initiale
de la transmission. Il laisse entendre que le Falungong ne sera dorénavant plus
présenté en tant que qigong:
« …Au début, nous nous sommes présentés sous la forme du qigong ordinaire :
si j’avais parlé à un niveau trop élevé, les gens auraient été incapables
d’accepter. Donc, nous avons traversé un processus dans lequel nous avons
permis aux gens de comprendre graduellement. Vous savez tous que lors des
premiers stages à Changchun, je parlais à un niveau très élevé, mais j’avais
toujours le qigong au bout des lèvres. A partir de maintenant, comme nous
transmettons à un niveau supérieur, je ne parlerai plus de ces choses-là.»832

Autre innovation significative: Li Hongzhi souligne l’interdiction de soigner des


adeptes, pratique courante dans les autres mouvements de qigong:
« Il y a des gens qui soignent les autres, ou qui disent aux autres de venir à nos
points de pratique pour se faire soigner. Il est interdit à toute personne de
détruire la Grande Loi de la sorte. Ceci est un problème extrêmement grave.
Quiconque se livre à une telle activité n’est pas mon disciple. Si un moniteur
fait de la sorte, il faut le remplacer tout de suite. Il faut absolument refuser ces
deux types de phénomène. »833

Peu après, le 20 octobre, Li Hongzhi obtient du poste de police de Luyuan à


Changchun une nouvelle carte d’identité officielle, sur laquelle sa date de naissance a
été changée pour le 13 mai 1951, anniversaire selon le calendrier chinois de la
naissance du Bouddha Sakyamouni (le huitième jour du troisième mois lunaire). Les
adeptes du Falungong insistent que cela n’est que pur hasard, la démarche de Li
Hongzhi ayant eu comme seul but de corriger une erreur sur sa date de naissance
originelle834. Quoi qu’il en soit, ce changement de date de naissance coincide avec
une orientation de plus en plus religieuse du Falungong, qui commence à prendre une
forme fort différente que les autres lignées de qigong: l’aspect corporel et
thérapeutique n’est plus que le premier pas dans l’apprentissage de la Grande Loi de
l’Univers. Celle-ci s’apprend par l’étude collective de textes sacrés sous la direction
des moines laïcs que sont les moniteurs des postes d’entraînement.

832
Li Hongzhi 1994: 21.
833
Li Hongzhi 1994: 2.
En décembre 1994, Li Hongzhi donne à Canton son dernier stage de Falungong
en Chine. En tout, il a donné 54 stages depuis 1992835. Dorénavant, l’apprentissage du
Falungong doit passer par l’étude de son nouveau livre, Tourner la roue du Dharma
(Zhuan Falun 转法轮), lancé le 4 janvier 1995 lors d’une cérémonie officielle dans le
Grand auditorium de l’université de la Sécurité publique de Pékin. A cette occasion,
Li Hongzhi déclare qu’il n’y aura plus de stages ou de conférences de Falungong en
Chine : « la transmission du Falungong est conclue »836.

13.3 La doctrine de Li Hongzhi837

Le Zhuan Falun, qui est un recueil édité de conférences de Li Hongzhi, occupe


une place à part dans la littérature du qigong. En effet, les livres des méthodes de
qigong sont presque tous à peu près du même style: présentation du maître et de la
méthode, discussion de points techniques relatifs à la pratique, description des
exploits de « fonctions exceptionnelles » du maître, témoignages de guérisons de
malades, rapports d’expériences scientifiques. On essaie toujours de présenter ce
contenu de manière systématique et rationnelle, afin de donner, dans la forme comme
dans le fond, l’image d’un qigong scientifique. Dans le Zhuan Falun de Li Hongzhi,
un discours entièrement différent se fait entendre: un langage puissant, cru,
désordonné, hallucinant, méprisant des conventions de l’ « homme ordinaire » , la
voix d’un maître omnicient et menaçant. Ici les démons, les corps possédés, le karma
et l’apocalypse imminente ne sont pas « expliqués » par la « science du qigong » ou
coupés du texte publié: ils sont au centre d’une cosmologie complexe que Li Hongzhi
dévoile au lecteur. L’emphase n’est plus sur la guérison: le maître ordonne aux
adeptes de se débarrasser de ce désir. Il faut se concentrer sur la « nature du coeur » ,
le xinxing: les exercices corporels doivent être pratiqués mais ne jouent qu’un rôle
secondaire. Dans le Falungong les techniques ne sont qu'un support pour la
transmission de la doctrine: « Apprendre la Grande Loi et lire le livre doit être pris

834
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 3; Zhou Wen 1999: 13.
835
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 7.
836
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 7.
837
Une version modifée de cette section a été publiée dans Perspectives chinoises, no. 64 (Palmer
2001b)
comme un apprentissage obligatoire de tous les jours » 838. L'etude répétée des mêmes
paroles permet d'accéder à de nouveaux niveaux de comprehension:

« Car ce dont j'ai parlé combine des choses de haut niveau, sa signification est
très profonde. Vous effectuez l’ascèse à de differents niveaux: quand vous aurez
progressé à l'avenir, vous écouterez cet enregistrement de nouveau, vous
pourrez vous élever sans cesse, vous l'écouterez sans cesse, vous aurez toujours
de nouvelles comprehensions et de nouveaux acquis, et il en est d’autant plus
pour la lecture du livre » 839.

Le Zhuan Falun n’est donc pas un livre technique ou théorique: c’est un


véritable Livre sacré. Un adepte me dit que c’est la « Bible » du Falungong.
Cette section propose une brève analyse de l’enseignement doctrinal du Zhuan
Falun et des autres écrits de Li Hongzhi840. Quatre thèmes principaux se dégagent de
cette oeuvre : (1) un thème apocalyptique, soulignant la décadence morale de
l’humanité et l’omniprésence des forces du mal. Des extraterrestres s’infiltrent dans le
corps de l’humanité à travers la science moderne, ennemie de la morale; la prophétie
bouddhiste sur la destruction imminente du monde suivie de l’inauguration d’un
nouveau cycle universel, est près de se réaliser. (2) Un thème messianique : Li
Hongzhi est le sauveur omniscient et omnipotent de l’univers entier. Il dévoile, pour
la première fois dans l’histoire, la Loi fondamentale de l’univers, qui est la seule
protection contre l’apocalypse. (3) Une exhortation à l’ascèse spirituelle, appelant les

838
Li Hongzhi 1996a: 31.
839
Li Hongzhi 1998a: 165.
840
A part le Zhuan Falun, les principaux écrits de Li Hongzhi sont le Zhuan Falun, tome 2 (Li Hongzhi
1995a), les Explications du sens de la Grande loi de la Roue du Dharma (Falun dafa yijie
法轮大法义解, Li Hongzhi 1995b), Le Dharma du Grand Accomplissement (Dayuanman fa
大圆满法, Li Hongzhi 1996a), les Conférences sur le Dharma à Sydney (zai Xini jiangfa 在悉尼讲法,
Li Hongzhi 1996b), les Conférences sur le Dharma aux Etats-Unis (Zai meiguo jiangfa 在美国讲法,
Li Hongzhi 1997a), les Explications sur le Zhuan Falun (Zhuan Falun Fajie 转法轮法解, Li Hongzhi
1997b), la Conférence pour les moniteurs de Changchun (Zai Changchun fudaoyuan fahuishang
jiangfa 在长春辅导员法会上讲法, Li Hongzhi 1998b), les Conférences sur le Dharma en Suisse (Zai
Ruishi fahuishang jiangfa 在瑞士法会上讲法, Li Hongzhi 1998c), les Conférences aux premières
Assemblées du Dharma en Amérique du Nord (zai Beimei shoujie fahui shang jiangfa
在北美首届法会上讲法, Li Hongzhi 1999a), les Conférences aux Assemblées du Dharma en Europe
(zai Ouzhou fahui shang jiangfa 在欧洲法会上讲法, Li Hongzhi 1999b), les Conférences à
l’Assemblée du Dharma à Singapour (zai Xinjiapo fahui shang jiangfa在新加坡法会上讲法, Li
Hongzhi 1999d), les Conférences à l’Assemblée du Dharma pour l’Ouest américain (Zai Meiguo xibu
fahuishang jiangfa 在美国西部法会上讲法, Li Hongzhi 1999e), les Conférences à l’Assemblée du
Dharma pour l’Est américain (Zai Meiguo dongbu fahuishang jiangfa 在美国东部法会上讲法, Li
Hongzhi 1999f), les Conférences à l’Assemblée du Dharma en Nouvelle-Zélande (Zai Xinxilan fahui
shang jiangfa 在新西兰法会上讲法, Li Hongzhi 1999g), les Conférences à l’Assemblée du Dharma
adeptes à se purifier le coeur de tout attachement aux choses de ce monde. Les dieux
ont abandonné les religions orthodoxes du passé, qui ont déjà complètement perdu
l’esprit de la Loi spirituelle. (4) L’imposition d’une pratique exclusive : l’adepte de Li
Hongzhi doit se concentrer exclusivement sur le Falungong; il lui est interdit de lire
ou même de penser à toute autre religion, philosophie, école de pensée ou de qigong.

13.3.1 Le thème apocalyptique841

Li Hongzhi annonce que nous sommes dans la « période de la fin du Dharma »


prophétisée par le Bouddha Sakyamouni, période qui s’accompagne d’une corruption
morale sans précédent dans l’histoire. « Actuellement, l’univers subit un grand
changement. Chaque fois que ce changement se produit, toute la vie dans l’univers se
trouve dans un état d’extinction.... toutes les caractéristiques et matières qui existaient
dans l’univers explosent, et la plupart sont exterminés.... Un nouvel univers est alors
créé par des Grands Illuminés d’un niveau extrêmement, extrêmement élevé... »842.
Ces extinctions sont un phénomène cyclique qui se produit à chaque fois que la
civilisation atteint un niveau de développement scientifique dépassant sont niveau
moral. Il y a des centaines de milliers, voire de millions d’années, des civilisations au
niveau matériel, technologique et artistique extrèmement avancées existèrent. Ce sont
elles qui ont fabriqué la lune, ainsi que les pyramides, qui n’ont rien à voir avec
l’Egypte. Mais la morale de ces civilisations s’était perdue, donc les Eveillés les
exterminèrent843. « En fait, c’est une culture préhistorique qui s’est engloutie au fond
de la mer. Par la suite, la terre a connu des changements, il y a eu plusieurs
déplacements de plaques continentales, et [les pyramides] ont refait surface »844. Lors
de l’apocalypse, toutes les sciences et techniques disparaissent, et la poignée de

au Canada (Zai Jianada fahuishang jiangfa 在加拿大法会上讲法, Li Hongzhi 1999h), et les


Principes Essentiels (Jingjin yaozhi 经进要旨, Li Hongzhi 1999i).
841
L’eschatologie du Falungong renoue avec une longue tradition chinoise datant de la dynastie des
Han et, selon Erik Zürcher, cristallisée depuis le 4e siècle de notre ère en un complexe eschalotogique
intégrant des éléments bouddhiques (notion des cycles universels ou kalpas, prophétie de la fin du
Dharma (mofa 末法), attente de Maitreya comme Bouddha du futur) à une structure apocalyptique
taoïste (combat final entre les forces du bien et du mal, sauveur messianique, nouveau monde
utopique): voir Zürcher 1982.
842
Li Hongzhi 1998a: 165.
843
Li Hongzhi 1996b : 23.
844
Li Hongzhi 1995a: 13-14.
survivants doivent recommencer l’histoire de l’humanité à l’âge de pierre845. La terre
aurait déjà connu 81 exterminations de la sorte.
Une partie des vivants, humains ou autres, sont épargnés de l’apocalypse et
envoyés sur d’autres planètes. Ces extra-terrestres veulent maintenant revenir sur
terre846. Leur arme : la science moderne, à l’aide de laquelle ils s’infiltrent dans les
esprits des hommes. « Je vous le dis, le développement de la société actuelle est
entièrement produit et contrôlé par des extra-terrestres »847. La science est une
religion avec son clergé de licenciés, de maîtres, de docteurs, de post-doctorants et de
directeurs de recherche. Mais contrairement aux religions transmises par les dieux,
c’est une religion transmise aux hommes par les extra-terrestres afin de les
contrôler848. Ces extra-terrestres veulent faire des expériences sur les hommes et les
enlèvent pour en faire des animaux domestiques sur leur planète. Ils se sont aperçus
que l’homme possède un corps parfait, et veulent donc se l’approprier. En s’infiltrant
dans les corps des hommes à travers la science, ils veulent se substituer à eux. Ils
injectent leurs ‘choses’ dans les molécules et cellules des humains, afin qu’ils
deviennent esclaves des ordinateurs et des machines, jusqu’à qu’ils soient remplacés
par les extra-terrestres. « Pourquoi les ordinateurs se développent-ils si vite ?
Comment se fait-il que le cerveau humain soit soudain si actif ? C’est l’effet de la
manipulation de la pensée humaine par les extra-terrestres. Ces derniers ont assigné
un numéro de série à chaque humain capable d’utiliser un ordinateur »849.
Cette science moderne est le plus grand ennemi de la morale. « Dès que nous
parlons de la morale et de la distinction entre le bien et le mal, ces choses hors de la
science sont vues commes des superstitions. Mais n’est-ce pas là prendre la massue de
la science moderne, pour assommer la dimension essentielle de l’homme – la morale
humaine ? »850 Car la science ne peut confirmer l’existence des dieux ou de la vertu,
elle ne connaît pas la rétribution morale de cause à effet du karma851.
La tyrannie de la science amorale est symptomatique du déclin moral de la
société contemporaine et de la fin du cycle universel. En Chine ancienne, ceux qui
cultivaient une voie spirituelle étaient admirés par les hommes. Mais aujourd’hui, une

845
Li Hongzhi 1995a : 38-40.
846
Li Hongzhi 1999b : 70-71.
847
Li Hongzhi 1999a: 4.
848
Li Hongzhi 1999b : 28.
849
Li Hongzhi 1999b : 70-71.
850
Li Hongzhi 1996b : 21.
851
Li Hongzhi 1999b :29.
telle personne devient l’objet de ridicule. « En Chine continentale, la « Révolution
culturelle » a éliminé les soit-disant vielles idées des hommes, interdisant aux
hommes de croire aux dires de Confucius. Les gens n’ont plus la maîtrise de soi, ils
n’ont plus de norme, et ils ne croient plus dans la religion. Et ils ne croient plus qu’ils
seront sanctionnés pour leur mauvaise conduite »852. Depuis la politique d’ouverture,
l’économie s’anime, mais de mauvaises choses pénètrent également dans le pays853.
Si les personnes âgées gardent encore leurs valeurs, préservant l’ordre social, la
jeunesse chinoise n’a pas la moindre notion de morale854. « Aujourd’hui, quand les
gens étudient (l’histoire de) Lei Feng855, ils disent qu’il était cinglé. Mais dans les
années 50 et 60, qui aurait pu dire qu’il était cinglé? Le niveau moral de l’humanité
dégringole de plus en plus. Il n’y a que l’ambition du gain, on fait du mal aux autres
pour son intérêt personnel, les gens luttent et machinent sans scrupule les uns contre
les autres »856.
« Aujourd’hui, écrit Li Hongzhi, le beau ne vaut pas le laid, le bon ne vaut pas
le mauvais, une toilette soignée ne vaut pas une tenue toute débraillée »857. Dans le
passé, les chanteurs étaient formés à l’art musical, aujourd’hui n’importe quelle
personne laide et négligée peut monter sur l’estrade, crier de toutes ses forces, et
devenir du coup une vedette. Les bruits du ‘Disco’ et du ‘Rock’ remplissent les salles
élégantes. Dans le passé, l’art recherchait la beauté ; aujourd’hui, il y a une éruption
du démoniaque dans l’art, conséquence de la liberté sexuelle des artistes. La
prostitution, la mode, le défoulement des foules lors des matches de football, tous ces
phénomènes sont des signes de puissance démoniaque858. « Quant aux jouets vendus
dans les magasins, dans le passé les poupées étaient belles à voir. Aujourd’hui, plus
elles sont laides, et mieux elles se vendent. Des crânes, des fantômes, on vend même
des jouets en forme de matière fécale, plus c’est horrible et mieux ça se vend ! »859
« On ne reconnaît que l’argent et pas les hommes, il n’y a plus de sentiment, les
rapports humains sont devenus des rapports d’argent ». Pour l’argent, on n’hésite plus
à offenser l’ordre cosmique : des produits, revues et films promouvant la license

852
Li Hongzhi 1995a : 123-4.
853
Li Hongzhi 1998a : 310.
854
Li Hongzhi 1997b: 3.
855
Soldat de l’Armée populaire de libération dans les années 1960, Lei Feng est érigé en héros et
modèle par la propagande chinoise pour son abnégation de soi et sa dévotion au service du peuple.
856
Li Hongzhi 1998a: 13.
857
Li Hongzhi 1995a : 126-7.
858
Li Hongzhi 1995a : 126 ; Li Hongzhi 1997a : 89-90.
859
Li Hongzhi 1995a : 129.
sexuelle sont partout en vue ; l’on fabrique et l’on revend de la drogue ; les drogués
n’hésitent pas à voler et tromper les autres pour acheter leur dose ; « les hommes en
sont déjà au stade de l’inceste entre générations » ; « l’abomination de
l’homosexualité reflète la dégoûtante perversion psychologique et perte
d’entendement de notre époque ». Les mafias pénètrent dans tous les secteurs de la
société, leurs chefs sont devenus des idoles de la jeunesse, qui s’empressent de les
suivre860. Si la société continue d’évoluer comme cela, dans quel état allons-nous nous
retrouver ?861
« Les hommes portent les cheveux longs et les femmes se coupent les cheveux
courts : le yin s’affirme et le yang faiblit, les rôles du yin et du yang s’inversent »862.
Pour Li Hongzhi, la libération des femmes destabilise les rapports cosmiques. Dans
l’ordre naturel, la femme yin est douce et l’homme yang dur. Dans le passé, l’homme
savait aimer et protéger sa femme, et la femme savait s’occuper de son mari. Mais
depuis que les femmes se libèrent, nous ne voyons que du divorce, des conflits, des
enfants abandonnés863.
Le souci de pureté de Li Hongzhi s’étend aux races humaines. « Il n’est pas
permis de mélanger les races du monde. Maintenant que les races sont mélangées,
cela crée un problème extrêmement grave ». Car chaque race a son propre monde
céleste : la race blanche a son Paradis, qui occupe une toute petite partie de l’univers ;
la race jaune possède ses mondes du Bouddha et du Tao qui remplissent presque tout
l’univers. Or les enfants issus de mélanges raciaux ne sont liés à aucun monde céleste,
« ils ont perdu leur racine »864. La loi cosmique interdit les mélanges culturels et
raciaux : ainsi, selon Li Hongzhi, Jésus interdit à ses disciples de transmettre sa foi
vers l’Orient . C’est pour cela qu’à l’origine, l’Occident et l’Orient étaient séparés par
d’infranchissables déserts, une barrière que la technique moderne a détruite.
« Suite au mélange racial... le corps et l’ intelligence de l’enfant sont malsains... La
science moderne le sait, chaque génération est inférieure à la précédente... »865.
Le monde est saturé de la matière noire karmique produite par les mauvaises
actions des hommes. Même les pierres, les briques, les plantes, les arbres, les animaux
sont pleins de matière karmique impure – a tel point que les médicaments ne

860
Li Hongzhi 1995a : 141-142.
861
Li Hongzhi 1995a : 131.
862
Li Hongzhi 1995a : 139.
863
Li Hongzhi 1997a : 104-105.
864
Li Hongzhi 1996b : 110-111.
réussissent plus à guérir les malades, et des maladies de plus en plus bizarres
apparaissent866. Les « créanciers » de nos dettes karmiques viennent nous chercher en
nous apportant des malheurs867.
Li Hongzhi dépeint un monde peuplé de démons et de corps possédés. Les
animaux veulent se sauver de l’apocalypse, et se mettent donc à pratiquer l’ascèse.
Mais comme ils ne possèdent pas les qualités humaines, ils ne peuvent qu’atteindre le
stade de démon, à partir duquel ils tentent de posséder des corps humains868. Ces
démons animaux possèdent les corps de bonzes taïwanais, de gourous indiens, de
sectes japonaises, de maîtres et d’adeptes de qigong. Ils se manifestent lors de visions
et de mouvements spontanés qui se produisent lors de rêves ou de la pratique du
qigong869. Même les tablettes des autels pour les ancêtres sont des démons de niveau
inférieur870. Les icônes de bouddhas dans les temples sont possédés par des esprits
maléfiques de renards, de serpents et de belettes jaunes. Si vous avez un désir impur,
par exemple de vous enrichir, la statue vous accorde le voeu, mais en échange de
posséder votre corps à votre insu871. Et Li Hongzhi de conclure : « La terre est une
poubelle de l’univers...les hommes mauvais de l’univers tombent vers le bas, jusqu’à
ce qu’ils atteingnent le centre de l’univers -- la terre »872.

13.3.2 Le thème messianique

Nous avons vu plus haut873 que Li Hongzhi a pris conscience que « L’humanité
devrait vivre dans des conditions superbes mais son égarement spirituel l’entraîne
dans cette situation où l’âme et le corps se voient rongés et torturés » ; il a donc
décidé d’enseigner la Grande Loi pour sauver toutes les créatures de l’univers. « Je
n’ai que l’apparence d’un homme », dit-il874. « La différence entre moi et vous, c’est
que mon cerveau est complètement ouvert, et pas le vôtre »875.

865
Li Hongzhi 1996b : 112-113.
866
Li Hongzhi 1998a : 257 ; 1995a : 45-46.
867
Li Hongzhi 1998a : 195.
868
Li Hongzhi 1998a: 102.
869
Li Hongzhi 1995a: 131-132, 138 ; Li Hongzhi 1998a : 183-196, 250 ; Li Hongzhi 1997b : 118, 218,
245.
870
Li Hongzhi 1997b : 238.
871
Li Hongzhi 1995a : 121-122.
872
Li Hongzhi 1995a : 43-45.
873
Cf. pp. 176-77.
874
Li Hongzhi 1999a : 45.
875
Li Hongzhi 1996b: 20.
Il a déjà exorcisé les démons et impuretés des corps des disciples véritables, de
même qu’une quantité énorme de leur mauvais karma. Mais il n’a pas tout éliminé,
afin qu’ils puissent traverser les epreuves et la souffrance résultant de leurs dettes
karmiques. Ces épreuves sont nécessaires pour le progrès spirituel876. En un seul stage
de formation, Li Hongzhi élimine les maladies de 80 à 90 p.cent des élèves et leur
donne des pouvoirs paranormaux qu’une vie entière d’ascèse serait incapable de faire
éclore877. En effet, le Falungong permet, en une courte période de temps, de dépasser
le niveau d’accomplissement spirituel des hermites qui pratiquent l’ascèse dans des
grottes depuis des siècles878. Car ce n’est pas l’adepte qui se raffine soi-même par son
ascèse, mais la Roue du Dharma (swastika) plantée par Li Hongzhi dans le bas-ventre
de chaque adepte, qui raffine ce dernier et augmente ses pouvoirs. La swastika tourne
sans arrêt, même lorsque l’adepte ne pratique pas les exercices879.
Li Hongzhi est venu non seulement pour sauver les hommes, mais pour
« rectifier » toutes les formes de vie et de matière dans l’univers880. « (J’ai déjà)
essentiellement rectifié l’univers. Il ne reste que l’humanité, cette couche de
matière la plus superficielle, mais cela est aussi sur le point d’être accompli. Ma Force
(gong) est entièrement capable d’empêcher cette couche matérielle de se disloquer,
d’exploser ou quoi que ce soit, tout à fait capable de l’empêcher (applaudissements).
Ainsi ces phénomènes prophétisés durant l’histoire ne se produiront tout simplement
pas »881. Avant qu’il accomplisse sa mission, l’univers n’avait pas d’avenir. En effet,
si Li Hongzhi parlait en 1994 de l’explosion imminente de l’univers, il déclare en
1997 qu’il a déjà empêché la destruction du monde882.
La Force de Li Hongzhi est transmise à travers son livre, le Zhuan Falun, un
livre « omnipotent »883, dont chaque mot contient une multitude de bouddhas, de taos,
de dieux et de corps dharmiques de Li Hongzhi, qui apportent l’illumination au
lecteur. Chaque fois que l’adepte lit le livre, son niveau de compréhension progresse
vers un niveau supérieur, et il trouve des vérités nouvelles qui lui avaient échappé la

876
Li Hongzhi 1998a : 113, 131-132.
877
Li Hongzhi 1998a : 221.
878
Li Hongzhi 1997b: 110.
879
Li Hongzhi 1998a : 270.
880
Les caractères Li 李 et Hong 洪 dans le nom de Li Hongzhi évoquent le nom de Li Hong 李弘, un
sauveur messianique prophétisé dans de nombreuses traditions chinoises depuis au moins le 4e s. de
notre ère. Voir Seidel 1969-70 et Zurcher 1982: 3. Sur la tradition de Li Hong dans les Triades, voir ter
Haar 1993: 156-162, et ter Haar 1998: 254-257.
881
Li Hongzhi 1999a : 46.
882
Li Hongzhi 1999a : 94.
fois précédente884 – révélations qui, pourtant, ne représentent qu’une petite fraction
des connaissances du Maître885. « Le Zhuan Falun a fortement secoué les milieux
scientifiques et technologiques du monde entier ! »886 : il dévoile et explique des
mystères jamais auparavant révélés à l’humanité887. Les dieux supérieurs disent : « tu
as donné aux hommes une échelle vers le Ciel – Zhuan Falun »888.
Le Zhuan Falun décrit la Grande Loi de l’univers entier, que Li Hongzhi
transmet à l’humanité pour la première fois dans l’histoire de notre civilisation (bien
qu’elle fût déjà transmise à grande échelle dans une époque cyclique précédente, il y a
des centaines de milliers d’années)889. C’est un Dharma qui va bien au-delà de ce que
toute autre religion ou philosophie a jamais enseigné à l’humanité. Tous les
enseignements religieux et formes d’ascèse du passé ne représentent que des formes
de niveau très inférieur de la Grande Loi de l’Univers890. Les enseignements de Laozi
et de Sakyamouni, fondateurs du taoïsme et du bouddhisme, ne concernent que la
Voie lactée, alors que le Falungong comprend l’univers entier891. « Les doctrines de la
religion bouddhiste ne représentent que la partie la plus infîme du Dharma
bouddhique »892. Et comparer le Falungong au christianisme, c’est comme comparer
un somptueux et majestueux palais avec une petite cabane rudimentaire893.
Les religions orthodoxes que sont le taoïsme et le bouddhisme (pour Li
Hongzhi, le christianisme est une forme de bouddhisme894) sont depuis longtemps
dans le déclin, et ne pratiquent que des formes extérieures. Elles sont aujourd’hui
incapables de sauver les hommes. Les bouddhas et dieux ne s’occupent plus de ces
religions895 ; au contraire, ils sont innombrables à étudier eux-mêmes le Falungong896.
Car les bouddhas et les dieux ne reconnaissent que les coeurs des gens et pas les
formes religieuses extérieures897. Ainsi, de nos jours, les religieux ne reçoivent plus

883
Li Hongzhi 1999a : 122.
884
Li Hongzhi 1996b : 10.
885
Li Hongzhi 1997b : 106.
886
Li Hongzhi 1999b : 18-19.
887
Li Hongzhi 1996b: 4 .
888
Li Hongzhi 1996b: 16.
889
Li Hongzhi 1998a : 33.
890
Li Hongzhi 1999a : 7.
891
Li Hongzhi 1998a : 35.
892
Li Hongzhi 1995a : 146.
893
Li Hongzhi 1999b : 57.
894
Li Hongzhi 1998a : 159.
895
Li Hongzhi 1999b : 31.
896
Li Hongzhi 1997b : 37.
897
Li Hongzhi 1999a : 59.
de réponses à leurs prières898. Li Hongzhi rejette la plupart des formes extérieures de
la religion : pour devenir son disciple, il n est pas nécessaire de se prosterner devant le
maître, il suffit d’avoir le coeur pur.
« Actuellement, dans le monde entier je suis le seul à transmettre ouvertement le
Dharma orthodoxe (zhengfa) ; j’ai fait une chose qu’aucun homme dans le passé
n’avait jamais fait, et j’ai ouvert une grande porte en cette période de la fin du
Dharma. En fait, cela n’arrive même pas une seule fois en mille, voire dix mille
ans... »899. Devenir adepte du Falungong est donc une chance à ne pas manquer : Li
Hongzhi arrêtera son enseignement dans l’avenir proche. « Je dis que le temps
presse... je ne fais pas que sauver les hommes. Lorsque vous aurez atteint
l’illumination, j’aurai d’autres choses à faire, je ne pourrai plus vous enseigner. Je ne
transmettrai pas le Dharma parmi les hommes pour longtemps.... Il y aura un jour où
l’ascèse arrivera à terme. D’un seul éclat, tout s’arrêtera, il ne sera alors pas facile de
pratiquer l’ascèse... »900. A ce moment, toute trace du Falungong disparaîtra ; toute
l’encre disparaîtra des livres de Li Hongzhi qui ne deviendront que des feuilles
blanches901.
Avec la propagation du Falungong, l’humanité connaîtra un meilleur avenir :
« si tout le monde pratiquait l’ascèse intérieure, si tous se tournaient vers leur propre
coeur, ... s’ils pensaient aux autres dans leurs actions, la société humaine deviendrait
alors bonne, la morale s’élèverait, la civilisation spirituelle changerait dans le bon
sens, la sécurité publique serait assurée, peut-être qu’il n’y aurait même plus de
policiers. Pas besoin que les gens s’en occupent, chacun s’occuperait de soi-même,
chercheant dans son propre coeur -- n’est-ce pas que ce serait merveilleux »902.

13.3.3 L’ascèse spirituelle

Comment devient-on disciple de Li Hongzhi ? Il faut d’abord garder le coeur


pur, et s’engager dans sa voie d’ascèse mentale et corporelle. Ceci implique l’étude

898
Li Hongzhi 1996b : 17.
899
Li Hongzhi 1998a: 90.
900
Li Hongzhi 1999a : 92.
901
Li Hongzhi 1999a : 131. L’idée de la disparition des écritures sacrées au moment de l’apocalypse
apparaît dans un texte bouddhique apocryphe, le Soutra de l’annihilation du Dharma (法灭尽经) dès le
5e siècle. Cette notion se retrouve également dans des écrits taoïstes. Voir Zürcher 1982 : 27-28.
902
Li Hongzhi 1998a: 329-330.
régulière du Zhuan Falun qu’il faut, au premier abord, lire d’un seul trait903, puis
relire à répétition904 le plus souvent possible905 ; certains adeptes vont jusqu’à
mémoriser le livre entier. Il faut aussi pratiquer quotidiennement cinq séries
d’exercices de gymnastique et de méditation. Les formes gymnastiques du Falungong
sont relativement simples, mais il faut les pratiquer strictement, sans rien modifier
aux postures corporelles, y compris pour les enfants906. Il faut pratiquer le plus
possible, même cinq heures par jour si l’on a le temps, tout en donnant la priorité à
l’étude des écrits de Li Hongzhi907. La pratique doit se faire au sein de la société ;
même s’il a des disciples qui pratiquent l’ascèse à l’exclusion de toute autre activité,
Li Hongzhi n’encourage pas la vie monastique : il faut subir les épreuves de ce monde
corrompu pour progresser dans sa voie.
Li Hongzhi possède d’innombrables « corps dharmiques » (fashen) qui
accompagnent le disciple, le protègent et le guérissent908, à condition qu’ils aient le
coeur pur de tout désir de égoïste de guérison909. Le vrai disciple est celui qui pratique
avec un coeur absolument pur et dévoué. S’il a le moindre désir personnel, même s’il
pratique toutes les formes extérieures du Falungong, ce n’est pas un disciple et Li
Hongzhi ne fera rien pour lui. Or les « corps dharmiques » de Li Hongzhi connaissent
tout ce qui traverse l’esprit des adeptes910.
« Celui qui veut guérir de ses maladies, écarter le malheur, et éliminer le
mauvais karma, doit pratiquer l’ascèse (xiulian), et retourner vers sa racine
authentique », vers la nature bonne de l’homme. « ... C’est là le but véritable de l’être
humain, affirme Li Hongzhi ... Comment faire ? nous devons purifier le corps (de
l’adepte), et le rendre capable s’exercer vers un niveau supérieur. Durant l’ascèse au
niveau inférieur, il y a un processus.... où il faut se purifier de toutes les mauvaises
choses dans sa pensée, du champ karmique autour de son corps, et des facteurs
nuisant à la santé du corps »911.
Dans ce processus de purification par l’ascèse, la sustance du corps est
graduellement remplacée, jusque dans ses particules les plus infinitésimales, par une

903
Li Hongzhi 1999a : 19.
904
Li Hongzhi 1995a: 155.
905
Li Hongzhi 1997a: 154.
906
Li Hongzhi 1997b: 87.
907
Li Hongzhi 1999d: 72.
908
Li Hongzhi 1997b : 61 ; Li Hongzhi 1998a :111.
909
Li Hongzhi 1998a : 114-15.
910
Li Hongzhi 1998a : 148-149.
911
Li Hongzhi 1998a : 4-5.
matière énergétique d’une densité cent millions de fois supérieure à celle d’une
molécule d’eau912. Mais pour ce faire, il faut se tourner vers l’intérieur et se purifier le
coeur, abandonner ses désirs, passions et sentiments, cultiver les vertus de la patience,
de l’entendement et du détachement, et se conformer aux attributs de base de l’univers
que sont la Vérité, la Bonté et l’Endurance913.
Tout au long de ce processus, Li Hongzhi souligne donc l’importance capitale
de la morale et de la pureté du coeur. En ceci, il prend à contre-pied le cynisme post-
maoïste qui, déçu des idéaux communistes, considère l’appât du gain comme la seule
véritable motivation humaine, et l’hédonisme hollywoodien de la culture pop
véhiculée par les vedettes de la chanson et de la télévision chinoises. Or la morale du
Falungong est perçue par ses adeptes comme étant d’une autre nature que le discours
moraliste creux et hypocrite de la propagande d’Etat : l’enseignement gratuit de la
méthode, l’ambiance chaleureuse des séances de pratique et de partage d’expériences,
la discipline des formateurs bénévoles sont perçus comme autant de signes d’une rare
vertu authentique. Alors que la personne qui tente de vivre une vie simple, honnête et
morale est souvent ridiculisée et abusée par ses collègues de travail en Chine actuelle,
le Falungong élève sa souffrance au rang d’un héroïque combat spirituel où il doit se
résigner et asseoir les coups, chaque insulte et chaque blessure étant porteuse de
‘matière blanche’ le permettant de monter un cran plus haut vers la perfection
céleste914.
En effet, la Vertu ou Mérite (de 德) est une matière blanche qui pénètre notre
corps à chaque fois que nous faisons une bonne oeuvre ou sommes victimes de la
cruauté des autres. Or le mauvais karma est une matière noire qui nous pénètre
lorsque nous commettons une mauvaise action. Ainsi, si quelqu’un m’insulte, la
matière blanche de l’agresseur passe de son corps dans le mien et ma matière noire
passe de mon corps dans le sien. Si, dans les apparences, je suis humilié, en réalité,
c’est l’aggresseur qui est perdant, car il a absorbé ma matière noire et m’a transmis sa
matière blanche915.
Il y a une raison pour tous les maux qui affligent la société : l’homme doit
repayer les dettes karmiques qu’il a commises par ses mauvais actes dans des vies
antérieures. Mais c’est cette souffrance qui nous pousse à chercher une issue et à

912
Li Hongzhi 1998a : 6, 66.
913
Li Hongzhi 1998a : 25-26.
914
Li Hongzhi 1998a: 135-36, 317-18.
chercher à monter vers un niveau supérieur. Si la vie était agréable et sans peine, y
aurait-il raison de chercher mieux ?916. Les malheurs de la vie mettent notre esprit
d’attachement à l’épreuve et nous donnent l’occasion d’élever le niveau de
purification de notre coeur. La transformation de la « matière noire » en « matière
blanche » est un processus extrêmenent douloureux917.
Si l’on réussit son ascèse, l’on pourra réaliser sa nature de bouddha, atteindre
l’illumination, entrer dans le paradis. Si l’on échoue, par contre, le mérite accumulé
par nos efforts nous permettra de renaître comme personne riche ou puissante dans
notre prochaine vie918. L’essentiel, pour réussir son ascèse, est de reconnaître que « la
pratique est le fait de l’adepte, la Force est le fait du Maître »919. En effet, l’ascèse est
un processus complexe, dans lequel le corps est transformé dans des espaces
multiples. « Peux-tu faire cela tout seul ? Non, tu ne le peux pas. Ces choses sont
arrangées par le Maître... »920.

13.3.4 La pratique exclusive

Règle cardinale : « la pratique doit être exclusive » . Li Hongzhi n’oblige


personne à pratiquer le Falungong, mais celui qui s’engage dans sa Loi doit s’y vouer
exclusivement. Il ne s’oppose pas à ce que l’on choisisse une autre voie que le
Falungong – mais « actuellement, il n’y a pas une seule autre personne qui, comme
moi, puisse véritablement élever [le pratiquant] vers un niveau supérieur »921.
La notion de pratique exclusive est courante dans les écoles de méditation, qui
exigent la concentration de l’esprit et interdisent la dispersion mentale. Suivant cette
logique, les disciples du Falungong doivent se fixer exclusivement sur les pratiques et
textes de Li Hongzhi922. Mais cette règle est portée à l’extrême : bien qu’il puise lui-
même volontiers dans les concepts de diverses traditions du bouddhisme, du taoïsme
et du christianisme, Li Hongzhi affirme que le mélange des traditions est le plus grave
problème de la période de la fin du Dharma923. « Il est interdit de mélanger même la

915
Li Hongzhi 1998a : 28 .
916
Li Hongzhi 1998a : 62.
917
Li Hongzhi 1998a : 129.
918
Li Hongzhi 1997b : 72.
919
Li Hongzhi 1998a : 29.
920
Li Hongzhi 1998a : 48.
921
Li Hongzhi 1998a : 40.
922
Li Hongzhi 1998a : 88-89.
923
Li Hongzhi 1995a: 56.
moindre pensée d’une autre méthode de qigong » à la pratique du Falungong924.
Penser à une autre méthode risque de déformer la swastika tournante plantée par Li
Hongzhi dans le bas-ventre de l’adepte, provoquant des conséquences néfastes925.
« Il est strictement interdit aux disciples de la Grande Loi de pratiquer d’autres
méthodes de qigong (lorsqu’il y a dérive, c’est toujours à ce type de personne
que cela arrive). Ceux qui ne prêtent pas attention à cet avertissement sont eux-
mêmes responsables s’il leur arrive un problème. Faites-le savoir à la masse des
disciples: il n’est pas permis de mélanger les idées ou activités mentales
d’autres méthodes à la pratique du Falungong. Rien que de penser un instant à
ces choses signifie que l’on les recherche. Dès que l’on mélange des choses
dans l’ascèse, la Roue de la Loi [plantée par Li Hongzhi dans le bassin
abdominal de l’adepte] sera déformée et ne sera plus efficace. » 926

Il ne faut pas lire, ni même feuilleter les livres d’autres maîtres de qigong, car ils
sont remplis d’esprits de serpents, de renards et de belettes. « Une petite pensée surgit
dans votre cerveau : ah oui, cette phrase a du bon sens. Dès que s’allume cette pensée,
les démons possesseurs [dans le livre] vont sortir »927. Li Hongzhi va jusqu’à suggérer
de brûler ces livres, qui empêchent à ses corps dharmiques de protéger ses
disciples928. La plupart des maîtres de qigong sont des démons qui ne recherchent que
la fortune et la célébrité929 . Ils sont des centaines de fois plus nombreux que les
maîtres authentiques930, « et vous êtes incapables de les distinguer »931. De la même
manière, il est « absolument interdit »932 de lire des classiques religieux et médicaux
tels que le Canon taoïste, le Livre interne de l’Empereur jaune, le Livre des monts et
des mers, le Livre des mutations ou des soutras bouddhistes933. «...A quelle fin voulez-
vous lire ces livres ? Ces livres ne traitent pas de la pratique de la Grande Loi, à quoi
bon les lire ? Quelles choses voulez-vous obtenir dedans ? »934.
La pratique du Taijiquan est interdite935 ainsi que les arts martiaux comportant
une discipline intérieure936. Sont également proscrits le massage937, les talismans

924
Li Hongzhi 1998a : 90.
925
Li Hongzhi 1998a: 108.
926
Li Hongzhi 1996a: 31.
927
Li Hongzhi 1998a: 150 ; 1997b : 279.
928
Li Hongzhi 1998a : 215.
929
Li Hongzhi 1994.
930
Li Hongzhi 1997b : 204.
931
Li Hongzhi 1998a : 107.
932
Li Hongzhi 1997b : 125.
933
Li Hongzhi 1998a : 217.
934
Li Hongzhi 1997b : 139, 82.
935
Li Hongzhi 1997b: 161.
936
Li Hongzhi 1997b: 324.
937
Li Hongzhi 1997b: 198.
vendus dans les temples938, la récitation d’incantations939, les donations pour la
construction de temples940, le culte des ancêtres941, et même l’élevage d’animaux
domestiques, car ces derniers risquent de devenir des démons après avoir été en
contact avec les énergies spirituelles de l’adepte942.
Un de mes informateurs, un adepte de Chengdu, lors d'un voyage organisé en
Thailande, a refusé de pénétrer dans les temples bouddhistes, afin de ne pas être
pollué par une religion différente du Falungong. Pour les mêmes raisons, il refusait de
lire des articles sur le taoïsme – bien qu’il s’intéressait énormément à cette religion
avant sa conversion au Falungong. Un autre adepte retraité se disputait régulièrement
avec son épouse bouddhiste, parce qu’il considérait que le petit autel domestique
consacré au Boddhisatva de la compassion (guanyin 观音) dégageait des
« informations néfastes » dans la maison.
Le véritable disciple de Li Hongzhi ne doit pas prendre de médicament en cas
de maladie. Les soins thérapeutiques ne font que déplacer la maladie943, qui provient
d’un corps subtil dans un espace profond qui n’est nullement touché par le
traitement944. La maladie est un moyen de repayer sa dette karmique : il faut donc la
laisser suivre son cours naturel, à moins que Li Hongzhi lui-même n’intervienne pour
l’éradiquer. Si l’homme ordinaire peut prendre des médicaments, l’adepte de l’ascèse,
s’il veut éliminer son mauvais karma, doit s’en abstenir945. Un de mes informateurs
allait jusqu'à refuser l'application d'un pansement sur ses muscles endoloris après
avoir grimpé une montagne 946.

938
Li Hongzhi 1997b: 175.
939
Li Hongzhi 1997b : 85.
940
Li Hongzhi 1997b : 234.
941
Li Hongzhi 1997b : 270.
942
Li Hongzhi 1997b : 117-118.
943
Li Hongzhi 1998a : 63.
944
Li Hongzhi 1998a: 251.
945
Li Hongzhi 1997a: 17.
946
Aux journalistes, Li Hongzhi insiste qu’il n’interdit pas aux adeptes de prendre des médicaments.
En fait, il ne force personne, mais, comme l’indique le passage suivant, l’adepte, une fois arrivé à un
certain stade dans son ascèse, devra s’abstenir s’il veut continuer de progresser vers l’illumination:
« Si une personne ordinaire est malade et ne prend pas de médicaments ou ne va pas à l’hôpital, cela
serait contraire aux principes des gens ordinaires et de ce monde; les gens n’accepteraient pas cela.
Quand une personne est malade, bien sûr qu’il doit prendre des médicaments, bien sûr qu’il doit se
faire soigner à l’hôpital. Les gens ordinaires se fixent sur cette question, qui n’est pas fausse.
Cependant, en tant que pratiquants, vous ne pouvez plus vous considérer comme des gens ordinaires. Je
viens de le mentionner, l’homme a sept passions et six désirs et vit pour ces passions. Depuis que vous
avez commencé votre ascèse, vous prenez ces choses de moins en moins sérieusement; à la fin, vous
renoncerez complètement à tout. Les gens ordinaires vivent pour ces passions et affections, mais pas
vous. Etes-vous pareils comme eux? Certainement pas. Si c’est le cas, pourquoi n’utilisez-vous pas un
principe supérieur que celui des gens ordinaires pour vous mesurer, vos problèmes, et tout ce que vous
Il est également interdit à l’adepte de soigner d’autres personnes par le
Falungong. En ceci le Falungong se distingue des autres écoles de qigong, qui
enseignent à leurs adeptes comment soigner des malades par émission de qi. Pour Li
Hongzhi, l’adepte qui soigne par qigong ne fait qu’absorber les énergies morbides du
malade dans son propre corps947. Ceux qui prétendent soigner ont le corps possédé948.
« Nous ne permettons pas non plus à nos élèves de donner des soins aux autres.
Cela est absolument interdit pour les adeptes du Falun Dafa. Nous vous
enseignons à pratiquer l’ascèse vers un niveau élevé, nous ne vous permettons
pas d'avoir le moindre esprit d'attachement, ni de ruiner votre santé. Notre
champ de pratique est meilleur que celui de toute autre méthode, vous n'avez
qu'à faire des exercices sur notre champ de pratique, c'est beaucoup plus
efficace que tout traitement thérapeutique » 949.

Il est interdit d’insérer des idées personnelles lorsqu’on parle du Falungong: on


ne peut que citer les paroles litérales du maître et partager ses propres expériences et
ressentiments. Il faut clairement distinguer la parole sacrée de Li Hongzhi et ses
propres opinions personnelles. La pureté absolue de la doctrine du maître doit être
préservée.
« Vous ne pouvez que répéter mes paroles originelles en signalant que c'est
ainsi qu'a dit le Maître et que c'est ecrit dans son livre. Vous ne pouvez que
parler ainsi. Pourquoi? Parce que quand vous parlez de cette façon, la
transmission porte la force de la grande Loi. Vous ne pouvez pas transmettre ce
que vous savez comme le Falun Dafa, sinon ce que vous transmettez ne sera pas
le Falun Dafa, ce qui revient a nuire à notre Falun Dafa. Quand vous parlez
selon vos idées et votre pensée, ce que vous dites n'est pas la Loi, il ne peut ni
donner le salut aux êtres humains ni produire d'effet. C'est pourquoi personne
n'est capable de prêcher cette Loi. » 950

En bref, la pureté de la transmission et par l’autorité absolue du maître sont des


éléments centraux du Falungong. Les autres pratiques, les autres lectures, les autres
formes de thérapie sont interdites: il faut anéantir le jugement individuel de l'adepte,
le couper de toute autre source d’information ou d’influence. Il ne peut pas recevoir
ce qui ne vient pas de Li Hongzhi, pas plus qu’il ne peut, par ses propres soins

croisez? Pour la même raison, lorsque des pratiquants ressentent un malaise quelquepart dans le corps,
je leur dis que ce n’est pas une maladie. Mais une personne ordinaire trouverait que ce que le pratiquant
ressent lors du processus de dissolution du karma est la même chose que les symptômes d’une maladie.
Il est très difficile pour une personne ordinaire de faire la différence. […] Donc, l’ascèse est un
processus qui vous met à l’épreuve, [et sépare] les vrais des faux [disciples], pour voir comment vous
approchez le problème » (Li Hongzhi 1997a: 3).
947
Li Hongzhi 1998a : 74.
948
Li Hongzhi 1998a : 250.
949
Li Hongzhi 1998a: 167.
950
Li Hongzhi 1998a: 165.
thérapeutiques ou ses propres paroles, donner ce qui ne vient pas du maître. Il doit se
mettre en position de dépendance totale envers le Falungong qui représente la vérité
absolue. Le système de transmission du Falungong comporte non seulement la
propagation zélée de la méthode et de la doctrine de Li Hongzhi, mais le verrouillage
de l'adepte contre toute autre forme de pensée et de pratique.

13.3.5 La rupture avec le qigong

La doctrine de Li Hongzhi s’éloigne de l’idéal de réconciliation du qigong. Si


celui-ci peut être décrit par les termes d’optimisme et de fusion, le Falungong lui
oppose pessimisme et séparation. Ici, comparons, point par point, les éléments
idéologiques du qigong et du Falungong.
L’un comme l’autre ont une structure millénariste et un idéal de salut universel.
Mais si le qigong envisage un avenir radieux pour l’humanité dans ce monde, le
Falungong prévoit la fin apocalyptique de l’univers et situe le salut dans un autre
monde.
L’un comme l’autre s’enracinent dans les techniques de culture corporelle. Mais
si, pour le qigong, la révolution passe par la maîtrise des « fonctions
exceptionnelles », dans le Falungong, c’est l’ascèse morale et spirituelle qui ouvre la
porte du salut.
L’un comme l’autre reconnaissent les limites de la culture traditionnelle et de
la science actuelle. Le qigong veut produire une révolution et une renaissance en
fusionnant les deux; il se voit comme la clef de cette union. Le Falungong, lui,
emprunte un vocabulaire religieux et scientifique, mais se méfie des « démons » et
des extra-terrestres qui se cachent derrière les religions caduques et des sciences
amorales. Il se présente comme une Loi qui n’a besoin ni des unes, ni des autres. En
bref, dans le qigong, tout se mélange; dans le Falungong, tout doit rester séparé.
La figure 17 illustre les différences idéologiques entre le qigong et du
Falungong:
Fig. 17. Idéologie comparée du qigong et du Falungong
Cette figure nous permet aussi de voir qu’en dessous des différences, le qigong
et le Falungong reposent sur une structure millénariste commune. On peut alors
aisément comprendre comment quelques simples mutations – le remplacement des
« fonctions exceptionnelles » par la « nature spirituelle », de l’utopie dans ce monde
par le paradis de l’au-delà, de l’amour de la tradition et de la science par leur rejet –
ont pu produire une doctrine entièrement différente. On peut aussi comprendre
comment tant de pratiquants de qigong aient pu facilement basculer du qigong au
Falungong. En effet, après l’enthousiasme des années 1980, les espoirs du monde du
qigong ne font que s’assombrir le long des années 1990. La doctrine et le moralisme
du Falungong ont permi au mouvement de ratisser large dans le monde déboussolé du
qigong des années 1994-1999. Les dérives, l’escroquerie, la division interne, les
critiques de plus en plus nombreuses, la perte de l’appui de personnalités scientifiques
et politiques, mettent le monde du qigong devant l’évidence que la « révolution
scientifique » et la « renaissance de la civilisation chinoise » tant attendues, sont
encore loin de se produire. Le qigong, s’il est toujours pratiqué par des dizaines de
millions de personnes, devient de plus en plus marginal dans les préoccupations des
élites politiques et culturelles du pays. Il est, au mieux, toléré, au pis, ridiculisé. La
doctrine de Li Hongzhi vient alors à point pour non seulement fournir un cadre
explicatif, mais aussi mener les pratiquants de qigong vers un nouveau niveau qui
dépasse les problèmes éthiques et scientifiques du monde du qigong : celui de la
religion apocalyptique.
Dans le Falungong, les exercices de qigong ne sont que le pendant corporel
d’une doctrine de salut clairement élaborée et définie951. Celle-ci rappelle à l’homme
son essence spirituelle et lui indique un chemin de transcendance, menant à l’abandon
des désirs et attachements égoïstes afin de « retourner à sa nature originelle ».
Souligant la corruption morale du monde contemporain, elle prône le détachement des
normes sociales ordinaires basées sur l’argent et la concurrence, leur substituant un
idéal transcendant de conformité aux attributs universels « Vérité, Bonté et
Endurance ». Elle donne un sens à la souffrance, qu’elle explique à la fois comme
conséquence de nos propres fautes, et comme épreuve nécessaire pour notre progrès
spirituel. Elle inscrit l’état actuel de l’humanité dans un cadre temporel, expliquant
l’origine, le développement et la décadence de l’humanité dans chaque cycle
cosmique. Et elle trace une voie claire et simple pour se libérer des souffrances de ce
monde : un maître unique, un livre unique, une pratique unique.
A travers l’étude de l’oeuvre de Li Hongzhi, le cadre de la pratique change donc
complètement. La plupart des adeptes du Falungong ont commencé leur pratique en
considérant la méthode comme une forme de qigong susceptible de renforcer la santé
de l’adepte et de guérir ses maladies. Mais, dans ses écrits, Li Hongzhi insiste que le
but du Falungong n’est pas la santé ou la guérison, mais l’illumination spirituelle.
L’objet, c’est de se détacher du monde des « hommes ordinaires » (changren 常人)
pour grimper dans la hiérarchie spirituelle des arhat, des boddhisatvas, des tathagatas,
des bouddhas et des dieux. La maladie étant un moyen de rembourser ses dettes
karmiques accumulées dans des vies antérieures, il ne faut pas chercher à la guérir.
Seule l’illumination par l’ascèse du Falungong permet d’effacer complètement ces
dettes. Or pour atteindre cette illumination, il faut se détacher des désirs égoïstes qui
entraînent l’homme dans l’enfer démoniaque, y compris celui de guérir ses maladies.
Li Hongzhi affiche un mépris total pour ceux qui gardent encore le désir de guérir.
Pour plaire au maître et monter dans la hiérarchie, il faut suivre la Loi universelle et
non se soucier de ses propres problèmes. Ainsi, le Falungong opère un transfert, du
désir de guérison à celui d’illumination et de salut religieux. On passe d’un discours
de maladie / guérison à un discours beaucoup plus vaste de souffrance / délivrance.
Au nom de ce but, Li Hongzhi peut alors motiver les adeptes à s’engager dans une

951
Notons cependant que Li Hongzhi nie catégoriquement avoir fondé une religion: « ...je ne fais pas
de la religion, aussi notre Falun Dafa n'est absolument pas une religion » (Li Hongzhi 1999a : 41).
voie qui s’éloigne de la simple hygiène et thérapie: il faut « propager le Dharma »
(hongfa 弘法) et « défendre le Dharma (hufa 护法) .

13.4 L’organisation de la propagation

Alors que le Zhonggong s'appuyait sur une importante organisation logistique


pour transmettre une méthode complexe, le Falungong mise sur la simplicité de sa
méthode et sur la ferveur de ses adeptes pour assurer sa propagation rapide. Li
Hongzhi construit un réseau de transmission typique, qui suit le même modèle que
celui des autres lignées de qigong. Jusqu’en 1996, l’Association d’études de la Grande
Loi de la Roue du Dharma (Falun Dafa yanjiuhui 法论大法研究会) est affiliée à
l’ACESQ: ceci lui donne une existence légale et exempte d’impôts. Li Hongzhi est le
président de l’association, qui compte une douzaine de membres. Le noyau, qui reste
en contact régulier avec le maître, est formé de Wang Wenzhi, Li Chang (un dirigeant
politique retraité de rang intermédiaire), Rao Jie (un cadre supérieur de la
municipalité de Pékin), et Ji Liewu 纪烈武. Un général retraité de l’armée de l’air et
un professeur de philosophie à l’Ecole centrale du Parti figurent également parmi les
proches collaborateurs de Li Hongzhi952. Sous la direction de l’Association d’études
de la Grande Loi, le réseau national de postes d’entraînement et de points de pratique
suit le même modèle que les autres lignées de qigong:

952
Deng Zixian, Fang Shimin 2000.
A: Organisation centrale: Association d’études du Falun Dafa, Pekin
B: Centres généraux d’entraînement (Zong fudaozhan总辅导站) (39 centres dans les capitales
provinciales et autres grandes villes à travers la Chine)
C: Postes locaux s’entraînement (fudaozhan 辅导站): (1900 postes dans les villes secondaires et
districts des grandes villes)
D: Points de pratique: (plus de 28000 points situés dans des sites spécifiques: parcs, trottoirs, places
publiques, dans toute la Chine)953

Fig. 18. Structure du Falungong

Deng et Fang soulignent que le Falungong est centré sur un système de foi et de
croyance, plutôt que sur la négotiation et les échanges entre les membres.
L’organisation peut donc fonctionner efficacement à partir de directives à sens unique
émanant du maître, diffusées à travers le réseau de transmission aux millions
d’adeptes, et suivies automatiquement grâce à la foi dans le maître954.
Les séances de pratique quotidienne sont le principal moyen de transmission du
Falungong. Exemple: au point de pratique de Yulin dans la ville de Chengdu, les
séances commençaient à 19h, et étaient divisées en trois parties d'une heure: (1)
pratique de la méthode gymnastique; (2) pratique de la méditation assise; (3) lecture
communale à haute voix des écrits de Li Hongzhi. D’autres séances avaient lieu le
matin. Les moniteurs organisaient aussi chez eux des projections de videocassettes de
Li Hongzhi et des « assemblées de témoignage d’expériences » (xinde jiaoliuhui
心得交流会), où les adeptes parlent tour à tour des bienfaits du Falungong et sur
comment le Falungong a changé leur vie.
Les maillons essentiels de la chaîne de transmission sont les « moniteurs » des
points de pratique, qui relient les adeptes à l’organisation du Falungong. Alors que,
dans les lignées de qigong typiques, leur fonction se limite à l’animation du point de
pratique et à l’enseignement des postures correctes de la méthode, ils ont une mission
sacrée dans le Falungong.
« Pour parler franchement, le responsable d’un point de pratique est comme
l’abbé ou le supérieur d’un temple. Je ne fais qu’une comparaison, personne ne
nous a jamais promis de poste officiel. Nous pratiquons l’ascèse sous cette
forme. N’est-ce pas la même chose? Mener un groupe d’adeptes est un acte aux
mérite incalculable. » 955

953
Source des statistiques: Bureau de sécurite publique de Chongqing (Kwang 1999)cf. RR 31/10/99.
954
Deng & Fang 2000: 58.
955
Li Hongzhi 1994: 1-2.
Ils doivent, en premier lieu, corriger les gestes erronés des nouveaux adeptes.
Ensuite, ils doivent pouvoir répondre aux questions des pratiquants sur les thèmes
doctrinaux du « Dharma » . Ils doivent donc étudier assidûment les écrits de Li
Hongzhi, écouter ses cassettes à plusieurs reprises, afin d’avoir une meilleure
compréhension que les adeptes moyens:

« Les moniteurs ici présents doivent prendre leurs responsabilités. S’occuper


uniquement de guider les gestes est insuffisant. Il faut clairement comprendre la
Loi, la maîtriser réellement. […] Les nouveaux élèves ont besoin d’être guidés.
Lorsqu’ils posent des questions, il fait y répondre avec patience. Tous les élèves
des points de pratique ont cette responsabilité, d’apporter le salut à tous les
êtres. Qu’est-ce que le salut de tous les êtres? Le véritable salut de tous les êtres,
c’est lorsqu’ils accèdent au Dharma [le Falungong]. » 956

Les moniteurs doivent donc oeuvrer pour le salut universel des êtres, par la
propagation du Falungong. Mais leur rôle est uniquement celui de transmetteur: le
salut ne vient pas d’eux-mêmes, mais uniquement de la Loi et du maître:

« Depuis peu, une parole circule lorsque les adeptes sont en train de propager la
Grande Loi, et attirent des personnes prédisposées à recevoir la Loi et à choisir
la voie de l’ascèse : ils disent qu’ils ont eux-même sauvé ces personnes. Ils
disent : Aujourd’hui j’ai sauvé tel nombre de personnes, combien en as-tu
sauvé, etc. En fait, c’est la Loi qui sauve les hommes, il n’y a que le Maître qui
peut le faire »957.

Li Hongzhi insiste sur ce point: les moniteurs ne doivent absolument pas se


prendre pour des maîtres ou se donner la moindre illusion d’autorité personnelle:
« vous ne pouvez pas représenter le maître » 958.
Dans cette logique, les disciples ne doivent pas donner de conférences, mais
plutôt se réunir en petits groupes pour lire les écrits ou écouter les cassettes de Li
Hongzhi: la presentation de conferences publiques et de discours par des adeptes est
interdite. « Il n’est pas permis de transmettre la Loi comme moi dans les grands
auditoriums. Personne autre que moi n’est capable de parler de la Grande Loi, de
comprendre le vrai sens de la Loi à mon niveau hiérarchique » 959.
L’attitude de Li Hongzhi est illustrée par le cas suivant: un disciple du
Falungong, Jing Zhanyi 景占义, prétend avoir observé la formation de nouvelles

956
Li Hongzhi 1994: 1.
957
Li Hongzhi 1999i: 38.
958
Li Hongzhi 1998c: 22.
959
Li Hongzhi 1996a: 32.
compositions chimiques créées par sa « conscience primaire » (yuanshen 元神), et
tente d’obtenir un brevet pour sa nouvelle méthode d’observation. En 1995 et 1996,
Zhan devient l’exemple favori cité par les adeptes du Falungong pour démontrer la
valeur scientifique de la méthode960. Li Hongzhi ne permet ce type de conférence que
devant un public de scientifiques non adeptes du Falungong, à des fins de propagation
de celui-ci, mais pas pour les adeptes eux-mêmes: Li Hongzhi explique que ces
conférences n’ont « aucune utilité » pour eux et ne peuvent que déranger la pratique
normale du Falungong961.
Comme il est décrit plus haut, les moniteurs ne peuvent pas non plus proférer de
soins par qigong aux adeptes, ce qui pourrait donner une certaine influence ou
prestige individuel à ce dernier.
« Si quelqu’un soigne les maladies des autres ou invite d’autres personnes à
venir à notre point de pratique pour se faire soigner, c’est une violation de la
Grande Loi. Ceci est une question sérieuse, personne n’a le droit de le faire. Si
une telle chose arrive, cette personne n’est pas mon disciple. Si un moniteur fait
une telle chose, remplacez-le tout de suite. Ces deux phénomènes doivent être
résolument éliminés962 » .

Et les moniteurs et postes d’entraînement ne doivent absolument pas toucher à


de l’argent dans leurs activités. Il est interdit d’organiser des stages payants comme le
faisait Li Hongzhi:
« Vous ne pourrez pas organiser des stages payants comme moi. […] La
premiere demande est de ne pas demander d’argent. Si nous vous avons donné
tant de choses, ce n'est pas pour que vous fassiez ou recherchiez la célébrité,
mais c’est pour vous sauver, c’est pour que vous pratiquiez l’ascèse. Si vous
faites payer, mon corps dharmique reprendra tout ce que vous avez, alors vous
ne serez plus un homme de notre Falun Dafa, et ce que vous transmettez ne sera
pas non plus notre Falun Dafa. » 963

Lorsqu’un moniteur lui demande s’il est permissible de reproduire des


photographies du maître et de les vendre aux adeptes sans faire de profit, Li Hongzhi
répond que la vente de matériels, y compris les photos, sera centralisée par
l’Association d’études de la Grande Loi de la Roue du Dharma. « Les postes généraux
d’entraînement, les postes secondaires et les points de pratique n’ont pas la
permission de toucher à de l’argent. Toutes ces choses sont contrôlées par

960
Deng Zixian, Fang Shimin 2000: 30
961
Li Hongzhi 1999i: 45.
962
Li Hongzhi 1994: 6.
963
Li Hongzhi 1998a: 165.
l’Association d’études de la Grande Loi d’ascèse de la Roue du Dharma, qui ne fait
rien dans ma permission. Toute action personnelle sous divers prétextes est
inacceptable, c’est une violation de droits et une chose interdite par la loi de la
société »964
Tous les revenus provenant de la vente des livres, des cassettes, et des matériaux
du Falungong vont donc directement à Li Hongzhi. Les organisations intermédiaires
du Falungong ne disposent d’aucune ressource financière. Elles ne doivent pas
accepter de dons : si des adeptes hommes d’affaires veulent faire un don, le poste
d’entraînement ne doit pas accepter l’argent, mais référer le donateur à l’Association
d’études du Falungong, qui utilisera les somme données pour construire des centres
de retraite965.
Centralisation absolue de la parole, de la guérison, de l’argent: ces mesures
traduisent la rigueur morale du Falungong dans un monde du qigong où les escrocs et
charlatans sont légion -- mais ils expriment aussi la détermination de Li Hongzhi
d'empêcher l'émergence au sein de la lignée de centres d'influence autonomes, par la
création d’une renommée personnelle ou par l'accumulation de profits. Tout doit
revenir au seul maître.
Li Hongzhi insiste souvent sur l’aspect « sans forme » de son organisation qui
ne gère pas d’argent et ne distribue pas de titres et de fonctions administratives, et
dont les adeptes et moniteurs doivent rester dans ce monde pour pratiquer l’ascèse.
Les moniteurs, nous l’avons vu, sont comparés à des moines, mais ne doivent pas
pour autant abandonner la vie sociale ordinaire. Et le maître insiste à plusieurs
reprises que le Falungong n’est pas une religion, que les formes extérieures de la
religion sont sans importance pour l’ascèse.
Malgré cela, les adeptes ont une tendance à vouloir incorporer des pratiques de
la religion populaire au Falungong. Dans les séances de questions et de réponses entre
Li Hongzhi et ses adeptes, dont plusieurs ont été publiées, ce thème se révèle comme
une des préoccupations principales. Dans la plupart des cas, lorsque l’adepte demande
l’avis de Li Hongzhi sur une quelconque pratique, telle que réciter des incantations ou
donner des offrandes dans des temples, il interdit catégoriquement ces pratiques966.
Dans un cas, un groupe d’adeptes du Shandong propose de construire un temple du

964
Li Hongzhi 1994: 24.
965
Li Hongzhi 1994: 57-58.
966
Voir ci-dessus p. 331-332.
Falungong, et lancent une collecte de fonds à cette fin: Li Hongzhi, dans une
communication du 3 mars 1999, refuse fermement cette initiative967. Par contre, il
décourage mais ne s’oppose pas à la pratique de certains adeptes qui brûlent de
l’encens ou donnent des offrandes de fruits devant son portrait968.
Et il envisage parfois la constitution future d’une communauté monastique du
Falungong:

« Vous avez tous vu cette photo de moi portant un habit de bonze. Elle a été
prise pour ceux qui, dans l’avenir, seront des disciples exclusivement voués à
l’ascèse. Mais le fait que je transmets la Loi en costume occidental, est une
première depuis la création du monde. Cela ne s’est jamais produit avant969 ».

Ailleurs, il dit qu’ « il y aura des disciples spécialisés dans l’ascèse du Falun
Dafa dans l’avenir, mais nous ne sommes pas encore arrivés à ce stade »970

Pour le présent, le Falungong est une organisation qui, à la base, garde la forme
typique des lignées de qigong: association centrale, centres généraux de formation
dans les grandes villes, centres locaux de formation dans les districts et villes
secondaires, points de pratique dans les espaces publics. Mais Li Hongzhi a
transformé ce type de réseau en une puissante structure centralisée. A sa fonction
originelle de transmission d’une méthode d’exercices, il ajoute le rôle de propagation
et de défense de la « Grande Loi de l’Univers » . En interdisant toute autre forme de
pratique ou de pensée, il fait de sa personne et de sa méthode la seule source légitime
de pensée et de guérison. Et il donne aux moniteurs un rôle sacré basé sur le sacrifice,
évoquant une future évolution vers une communauté monastique. En bref, en prenant
les formes du qigong comme base, le Falungong tend à devenir une véritable
organisation religieuse.

Le Zhonggong avait, pour souder son organisation, construit un système de


distribution de guérisons, de richesse économique (commission sur les bénéfices des
stages), et de reconnaissance sociale (titres et positions dans l’organisation). Le
Falungong, par contraste, se construit sur l’abnégation de soi: il ne faut ni donner, ni
s’attendre à recevoir des guérisons971. Il ne faut pas chercher un seul yuan de bénéfice

967
Li Hongzhi 1999i: 88.
968
Li Hongzhi 1997b : 89 ; 1999a : 115.
969
Li Hongzhi 1997a: 30.
970
Li Hongzhi 1994: 35.
971
Si l’on guérit, il faut attribuer la guérison à Li Hongzhi; sinon, la maladie est un remboursement de
dette karmique qu’il ne faut pas empêcher.
personnel. Il ne faut pas avoir la moindre ambition ou rechercher une quelconque
influence ou renommée, mais se dévouer humblement à Grande Loi. C’est là le
caractère véritablement radicalement religieux du Falungong, qui fera sa force face à
la répression. Comparons avec le Zhonggong: dès que cette lignée éprouva de la
difficulté à distribuer des bénéfices matériels ou sociaux, elle eut du mal à motiver ses
adeptes, et l’organisation périclita dans la deuxième moitié des années 1990, après la
disparition du maître et la fin de la « fièvre » du qigong. Or le Falungong cherche à
rendre l’adepte insensible à ces facteurs: malade, il paie sa dette karmique, vilipendié
par la société, il se rapproche de l’illumination. Ce qui, dans la société des « hommes
ordinaires » , est vu comme un échec physique ou social, est transformé par le
Falungong en victoire, et devient source de Force contre la puissance démoniaque.

13.5 Les conséquences d’une dissidence interne

Il semble que certains des premiers disciples de Li Hongzhi, y compris Song


Bingchen 宋炳臣, Zhao Jiemin 赵杰民 et d’autres, n’ont pas accepté la nouvelle
orientation du Falungong. Ce groupe dirigeait le poste d’entraînement de Changchun
depuis 1992. A la suite du lancement de la méthode, le maître les avait formés à
soigner des maladies par le qigong et à donner eux-mêmes des stages et conférences
sur le Falungong. Or dorénavant, ces deux types d’activité sont strictement interdites
par Li Hongzhi. Ce groupe avaient acquis une certaine influence au sein de la lignée
et projetait de fonder une clinique de thérapie par le Falungong. Li Hongzhi s’oppose
au projet, dans lequel il voit le désir du groupe de profiter du Falungong pour gagner
de l’argent. Critiqués à maintes reprises par le maître, les disciples perdent leur
enthousiasme et sont finalement déchus de leurs responsabilités au sein de
l’association972.
En guise de vengeance, la faction dissidente rédige un long mémoire contre le
Falungong, qu’elle envoie à plusieurs ministères du gouvernement central973 à la fin
de 1994. Long de trois volumes, le mémoire porte plusieurs accusations contre Li
Hongzhi et le Falungong:
1. Li Hongzhi a intentionnellement changé de date de naissance pour la faire
coincider avec celle du Bouddha Sakyamouni;

972
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 1-2.
973
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 1-3.
2. Il n’a pas de « fonctions exceptionnelles »;
3. Il prétend que « la terre va exploser » ;
4. Il a créé une nouvelle lignée religieuse;
5. Il n’a pas payé d’impôts pour les stages rémunérés qu’il a donnés;
6. Il garde pour lui-même la presque totalité des revenus des stages du
Falungong.
7. Il n’a pas la capacité de soigner les maladies;
8. Les affiches du Falungong contiennent des images superstitieuses;
9. La mère de Li Hongzhi affirme qu’il n’a aucun pouvoir spécial;
10. Avant de « sortir des montagnes » , Li Hongzhi a suivi les stages d’autres
maîtres de qigong974.
Le document « Le complot d’une infime minorité de gens de Changchun
démasqué »975 énumère ces accusations pour ensuite y répliquer au point par point. Le
document affirme que la coincidence de la date de naissance de Li Hongzhi avec celle
de Shakyamuni est un pur hasard; que Li Hongzhi refuse par principe d’étaler ses
« fonctions exceptionnelles », que Li Hongzhi n’a jamais parlé d’une future explosion
du monde; que le Falungong est une forme d’ascèse et non une religion; que les
associations semi-officielles de qigong qui ont organisé les stages de Li Hongzhi se
sont chargés de payer les impôts; qu’il a donné de grandes sommes d’argent à des
organisations caritatives; qu’il a démontré ses pouvoirs de guérison aux Foires de
santé orientale de 1992 et 93; que les auras et lotus figurant sur les images du
Falungong sont des phénomènes réels perçus pas les adeptes; que Li Hongzhi a
pratiqué secrètement l’ascèse durant son enfance et que sa mère ne s’en est pas
aperçue; et qu’il a suivi des stages de qigong par humilité, pour apprendre comment
organiser un stage.

974
Le document « Yipi Falungong xueyuan… » (1999: pp. 3-7) énumère ces accusations pour ensuite y
répliquer au point par point. Le document affirme que la coincidence de la date de naissance de Li
Hongzhi avec celle de Shakyamuni est un pur hasard; que Li Hongzhi refuse par principe d’étaler ses
« fonctions exceptionnelles », que Li Hongzhi n’a jamais parlé d’une future explosion du monde; que
le Falungong est une forme d’ascèse et non une religion; que les associations semi-officielles de qigong
qui ont organisé les stages de Li Hongzhi se sont chargés de payer les impôts; qu’il a donné de grandes
sommes d’argent à des organisations caritatives; qu’il a démontré ses pouvoirs de guérison aux Foires
de santé orientale de 1992 et 93; que les auras et lotus figurant sur les images du Falungong sont des
phénomènes réels perçus pas les adeptes; que Li Hongzhi a pratiqué secrètement l’ascèse durant son
enfance et que sa mère ne s’en est pas aperçue; et qu’il a suivi des stages de qigong par humilité, pour
apprendre comment organiser un stage.
975
Yipi Falungong xueyuan 1999: pp. 3-7.
Le 2 février 1995, le Falungong envoie un mémoire à l’ACESQ, apportant une
réponse détaillée à chacune des accusations, qui est ensuite retransmise aux ministères
qui avaient reçu le mémoire anti-Falungong. Des représentants de Li Hongzhi
réussissent à prévaloir leur point de vue auprès des responsables politiques du
qigong976. L’attaque lancée par la faction de Changchun semble avoir échoué. Mais le
mémoire d’accusation lancé contre Li Hongzhi continue de circuler : la campagne de
propagande anti-Falungong de l’été 1999 reprendra presque point par point les
accusations qu’il contient.
L’évolution des rapports entre Li Hongzhi est l’ACESQ en 1995 et 1996 n’est
pas claire. D’après un document du Falungong, l’ACESQ, la Commission nationale
des sports et le ministère de la Sécurité publique sont pleins de louanges pour le
Falungong et demandent à Li Hongzhi de formaliser et de renforcer son organisation,
pour répondre aux besoins administratifs d’une grande lignée comme la sienne. Or Li
Hongzhi refuse cette suggestion : sous prétexte que l’enseignement du Falungong est
terminé, il réitère sa demande de retirer le Falungong de l’ACESQ, et en mars 1996
envoie trois représentants pour négocier avec celle-ci977.
N’oublions pas que le monde du qigong fut la cible, en 1995, d’une campagne
de polémique dans les journaux978. Alors que le nombre d’adeptes du Falungong ne
cesse d’augmenter, le qigong dans son ensemble est sur la défensive. Nous ne
pouvons pas exclure l’hypothèse que la décision de Li Hongzhi de quitter l’ACESQ
soit en partie motivée par le désir de déserter le navire. De plus, le Falungong refuse
la politique du nouveau directeur de l’ACESQ, Huang Jingbo, qui exige que les
revenus des activités des lignées de qigong soient versés à l’ACESQ et que toutes les
lignées se dotent d’une cellule du Parti979.
D’après le document cité, les dirigeants de l’ACESQ tentent de convaincre les
représentants de Li Hongzhi de revenir sur la décision de quitter l’ACESQ. Les vice-
présidents Zhang Jian 张建 et Qiu Yucai 邱玉才 leur auraient dit qu’au moment
même où le qigong est la victime d’attaques et de calomnies, le Falungong, qui
connaît une croissance si rapide, devrait se lever et contribuer à la défense de la cause
du qigong, plutôt que se retirer de l’association. Les représentants de Li Hongzhi
insistent que celui-ci se consacre dorénavant exclusivement aux études bouddhiques

976
Yipi Falungong xueyuan 1999: 2-3.
977
Yipi Falungong xueyuan 1999: 7.
978
Voir les sections 9.15 et 9.16, pp. 247-252.
et ne s’intéresse plus aux affaires de ce monde. Les dirigeants de l’ACESQ auraient
finalement accepté, et les formalités pour mettre fin à l’adhésion du Falungong
auraient été conclues dans une atmosphère amiable.
Par contre, d’après le même document, les représentants du Falungong auraient
en même temps demandé d’inscrire auprès de l’ACESQ une nouvelle « association
des adeptes du Falungong » (Falungong xiulianzhe xuehui 法轮功修炼者学会). Les
dirigeants de l’ACESQ auraient répondu qu’il leur faudrait d’abord trouver l’appui
d’un ministère, puis présenter une demande de constitution d’association auprès du
ministère des Affaires civiles, et ensuite s’inscire auprès de l’ACESQ. Une telle
réponse bureaucratique, dans le contexte chinois, signifie que les dirigeants de
l’ACESQ ne veulent rien faire pour soutenir cette démarche. D’une part, l’ACESQ ne
veut pas que le Falungong retire son adhésion, d’autre part, elle ne veut rien faire pour
aider la nouvelle association d’adeptes à s’inscrire. Et pourquoi les représentants du
Falungong veulent-ils remplacer une association par une autre? Ceci reste à
élucider980.

979
Yipi Falungong xueyuan 1999: 8.
980
L’ACESQ, elle, donne une version toute autre des faits : le Falungong aurait tout simplement été
expulsé de l’ACESQ en automne 1996. Voir pp. 360-61.
14. LA CAMPAGNE DE « RECTIFICATION » DU QIGONG: 1996 - 1999

Ces tractations ont lieu alors que le monde du qigong tente de se remettre de la
grande polémique de 1995, et que l’ACESQ est en pleine purge politique.

14.1 Débats au sein du monde du qigong

Fin 1995, le monde du qigong semble avoir encore une fois survécu aux
attaques. Mais en réalité, il est affecté par une crise profonde. Les personnalités du
monde du qigong savent que de graves problèmes internes sont en grande part
responsables pour les attaques contre le qigong. Depuis la mort de Zhang Zhenhuan,
un débat s’ouvre sur les causes de la crise et sur les moyens de la résoudre, qui
devient le sujet principal de plusieurs réunions nationales et régionales des différentes
organisations semi-officielles de qigong. Lors de ces discussions, un certain
consensus se dégage sur la nature du problème :
- La majorité des maîtres de qigong ont un faible niveau de culture. Par
conséquent, ils ont une forte tendance à rechercher la célébrité et la fortune
personnelle981.
- La tendance à déifier les maîtres, à mélanger la religion et le qigong doit être
arrêtée. Pang Heming suggère qu’un tri devrait être fait entre les écoles de qigong qui
se fondent sur l’augmentation de l’activité vitale du corps, et celles qui croient dans le
bouddhisme et le taoïsme, qui aspirent à devenir bouddha, à devenir immortel, à
devenir dieu. Ces dernières, d’après lui, devraient rattachées aux instances religieuses
et administrées par elles982. Xu Yixing 徐一星, de la l’Association d’études du qigong
de Pékin, souligne que certains maîtres de qigong se proclament descendants de
Boddhisatvas, Bouddhas vivants, etc. Il déclare que « certaines personnes ne suivent
pas la ligne du Parti dans le qigong, et propagent l’idéalisme et le théisme. Je ne peux
pas forcer les gens à changer leur croyance, mais on ne peut pas transformer les
organisations de qigong en organisations religieuses »983. Huang Jingbo, dans une
attaque voilée contre le Zhonggong de Zhang Hongbao, déclare que « certains
emploient le qigong pour réaliser leurs ambitions politiques, proclamant la création

981
DF 53 : 2-3; Liu Jingping 1995.
982
Pang Heming 1994.
983
Xu Yixing 1995.
d’une soi-disant « culture » qui viserait à remplacer la culture traditionnelle chinoise,
et à remplacer le matérialisme par le « psycho-matérialisme » (xinwulun 心物论)984,
allant jusqu’à se nommer « soleil rouge » ; certains, par le moyen de livres, se font
déifier, se font attitrer « Grand Maître » (dashi 大师), « Patriarche » (zongshi
宗师)985, « réincarnation de Tathagata » (rulai zhuanshi 如来转世); certains utilisent
la constitution de réseaux de maîtres et de disciples pour propager des superstitions
féodales et s’engager dans du factionnalisme. Ils n’acceptent pas la direction et la
supervision des instances concernées du Parti et du gouvernement »986.
- Le monde du qigong souffre d’un chaos organisationnel. Il existe plusieurs
organisations nationales semi-officielles de qigong987; chacune s’occupe de ses
propres affaires, et il n’y a aucune coordination entre elles. De plus, « de nombreuses
autres [organisations], par divers stratagèmes, ont fondé des organisations nationales
ou internationales, et organisent des colloques et échanges, créant une grande
confusion au niveau de la gestion. » . Certains appellent à l’unification de toutes les
affaires du qigong sous l’égide d’une seule organisation988.
- Il y a trop d’escroquerie dans le qigong: une minorité de maîtres profite du
qigong pour gagner des sommes d’argent pharamineuses. « Certains, dit Huang
Jingbo, utilisent la guérison et la pratique du qigong parmi les masses et profitent de
l’enseignement du qigong, de l’organisation de cours et de la vente massive d’objets à
messages » pour gagner des revenus élevés et faire de l’escroquerie »989.

14.2 La position de Wu Shaozu

A la suite de ces débats, les principales instances concernées par le qigong


prennent des mesures pour « remettre de l’ordre » dans le monde du qigong. En
décembre, l’ACESQ élit son deuxième conseil d’administration. D’après les statuts de
l’Association, le mandat du premier conseil d’administration était arrivé à terme en
1990. Malgré le fait que plusieurs membres du conseil étaient décédés, malades, ou
incapable de faire leur travail, le conseil n’avait jamais été renouvelé. Après

984
concept dans le système philosophique de Zhang Hongbao.
985
titre employé par Zhang Hongbao.
986
DF53 : 2-3.
987
Pour la liste de ces associations, voir l’annexe 5, pp. 436-439.
988
Liu Jingping 1995; Li & Zheng 1996 : 272-273.
989
DF53 : 2-3.
l’élection, Peng Chong, vice-président des commissaires du Congrès national du
Peuple, continue à porter le titre de directeur-général honorifique. Huang Jingbo est
élu directeur-général. Liu Ji, directeur-adjoint de la Commission nationale des sports,
et Xu Yixing assument les postes de directeur-général adjoint. Le reste des 279
membres du conseil est constitué de quatre groupes :
- des dirigeants politiques retraités « fidèles au Parti », de ministères du
gouvernement central, de gouvernements provinciaux, ou de l’armée;
- des cadres de rang de ministre-adjoint dans la Commission nationale des sports, la
Commission nationale de l’éducation, l’Association scientifique nationale, le
ministère de la santé, le Syndicat national des travailleurs, la Fédération nationale des
femmes, et la section centrale de la Ligue des jeunes communistes;
- quelques maîtres de qigong renommés. Auparavant, une règle implicite interdisait
l’élection de maîtres de qigong au conseil d’administration, par peur de sectarisme.
Mais cette fois, on décide de reconnaître la contribution des maîtres et d’en choisir
quelques-uns pour siéger au conseil;
- des personnalités des fédérations semi-officielles régionales de qigong990.
Durant la réunion, Liu Ji prononce un discours rédigé par Wu Shaozu, énonçant
la ligne à suivre dans le monde du qigong. Dans son discours, il énumère les « huit
relations » et « six doubles » qu’il faut considérer pour fixer la direction du monde du
qigong. Les « huit relations » sont les suivantes :
1. Relation entre gauche et droite, où la droite représente la mystification et la
propagation de la superstition, et la gauche représente la simplification excessive et
« capitaliser sur les points vulnérables des autres » et leur « attacher des étiquettes ».
2. Relation entre la science et la superstition. Il faut adopter une attitude scientifique
et s’opposer à la superstition.
3. Relation entre la continuité et le développement. Il faut garder l’essence et
progresser par la création nouvelle.
4. Relation entre l’officiel (guanfang 官方) et le populaire (minjian 民间). Les
instances officielles doivent appuyer et encourager le développement du qigong, mais
son succès final dépend de son acceptation par les milieux populaires.
5. Relations entre les différentes lignées de qigong : les différentes lignées doivent se
rassembler et apprendre les uns des autres.

990
DF 55 : 34.
6. Relation entre les sciences naturelles et sociales.
7. Relation entre la méthode (gongfa 功法) et la vertu (gongde 功德) : il faut prendre
la vertu pour racine.
8. Relation entre le qigong traditionnel et l’éducation physique moderne : les deux
partagent le même objectif de développement de la santé.
Les « six doubles » sont les suivants :
1. Les deux actions : servir le socialisme et servir le peuple.
2. Les deux centaines : « cent fleurs fleurissent et cent familles chantent ensemble ».
Les lignées de qigong doivent survivre grâce à leurs propres points forts; ils ne
doivent pas chercher un appui spécial de l’Etat pour leur lignée ou pour éradiquer une
autre lignée.
3. Les deux emplois : l’emploi de l’ancien pour les besoins actuels; l’emploi de
l’étranger pour les besoins chinois.
4. Les deux nouveautés : il faut toujours créér des choses nouvelles.
5. Les deux respects : respecter la connaissance et respecter les personnes de talent.
6. Les deux mains. Il faut maîtriser les problèmes avec ses deux mains : la fondation
d’une main, le développement de l’autre; la popularisation d’une main, le
perfectionnement de l’autre; la mise en pratique d’une main, la recherche scientifique
de l’autre; la gestion d’une main, l’état de droit de l’autre.
A ces principes directeurs proposés par Wu Shaozu, Liu Ji ajoute six points
résumant le désir du gouvernement face au monde du qigong:
1. Suivez la politique du Parti;
2. Du moment que la loi est respectée, vous êtes libres d’expérimenter et
d’explorer;
3. Développez le potentiel humain à travers le développement des différentes
lignées;
4. Allez de l’avant et crééz, ne vous attardez pas sur les conditions du passé;
5. Produisez des fruits et des résultats;
6. Unissez-vous pour le profit des pratiquants et pour la construction de la
civilisation spirituelle991.
Wu Shaozu et Liu Ji, en énonçant ces principes, ne font que réitérer la politique
générale suivie par le gouvernement face au qigong depuis l979 : une attitude

991
Wu Shaozu & Liu Ji 1996.
relativement « démocratique » qui encourage le développement des différentes lignées
populaires, aussi longtemps qu’ils affichent une loyauté de façade envers le Parti et
soulignent dans les formes l’importance d’une attitude scientifique et le combat contre
la superstition. Les 19 et 20 janvier 1996, Wu Shaozu convoque une réunion nationale
de travail sur les sciences somatiques, à laquelle il confirme aux pricipales
personnalités du monde du qigong l’appui du Parti et de l’Etat pour les sciences
somatiques. Lors de la réunion, on souligne l’effet du qigong sur le niveau de santé
populaire : en effet, on compte 60 millions de pratiquants réguliers du qigong –
chiffre qui dépasse le nombre de pratiquants de tout autre sport en Chine992. Face aux
critiques des polémistes anti-qigong, les institutions « sportives » du qigong décident
donc de maintenir le cap.

14.3 La position des autorités médicales

Il en est autrement pour les institutions médicales. Une tension commence à se


faire sentir entre l’ouverture prônée par les instances sportives et le resserrement
prôné par les instances médicales. En décembre 1995, le directeur-adjoint du Bureau
d’administration de la médecine chinoise, Zhu Guoben 诸国本, constate le manque de
reconnaissance du qigong par les milieux de la médecine chinoise, et la lenteur de son
développement dans ces institutions, par rapport à son foisonnement dans les milieux
populaire. Il considère que les thérapeutes de médecine chinoise ont honte
d’apprendre le qigong. Il compare le qigong avec l’acupuncture qui, abolie comme
discipline reconnue par la cour des Qing en 1822, a connu une résurrection totale
depuis les années 1950, alors que la « fièvre du qigong » reste essentiellement un
phénomène populaire, encore trop marginal dans les institutions médicales. La
situation est « la même que dans les années 30 et 40, lorsque la médecine occidentale
ne reconnaissait pas et méprisait la médecine chinoise. Des gens se soucient que si
l’on ouvre cette spécialité [du qigong], les hôpitaux de médecine chinoise ne vont-ils
pas devenir des lieux d’activité de monstres et de démons? » 993. Un tel discours
reproduit la tendance de la médecine lettrée, rationaliste, qui dédaigne les
superstitions des thaumaturges populaires994. Quelques-unes des principales

992
Li & Zheng 1996b.
993
Zhu Guoben 1995: 6.
994
Cf. Schipper & Neuberger 1989: 32-33; Fang Ling 2001.
personalités du qigong médical nient l’existence du « qi externe », affirmant qu’il n’a
aucun lien avec le qi interne au corps de la médecine chinoise. Le monde de la
médecine chinoise, soucieux de sa respectabilité face à la médecine occidentale, ne
veut pas être associé au chalatanisme et à la « superstition » des guérisseurs du « qi
externe ».
Zhu Guoben identifie aussi des raisons pratiques pour la faiblesse du qigong
dans le dispositif médical. Une première raison est qu’en conséquence des tendances à
la commercialisation, à l’hyperspécialisation, et à la concurrence de plus en plus
féroce dans le milieu médical, la guérison précède sur la prévention et le traitement
par médicaments précède sur la cultivation d’une mode de vie hygiénique995.
Une deuxième raison est que depuis novembre 1989, seuls les praticiens de
médecine chinoise reconnus par l’Etat peuvent exercer la thérapie par le qigong dans
les institutions médicales996. Or la plupart des maîtres de qigong n’ont pas de
qualifications médicales; mais les médecins homologués ont peu de compétences en
qigong. Bien que les instituts de formation en médecine chinoise offrent des cours de
qigong, ils n’occupent qu’une petite partie du cursus, et il est impossible de choisir le
qigong comme spécialité997.
Troisièmement, le qigong n’est pas un traitement rembousable par l’Etat au titre
du système chinois de sécurité sociale en vigueur jusqu’à la fin des années 1990998.
Conséquence: même les unités de qigong les plus réputées manquent de patients. La
clinique de qigong de l’hôpital Xiyuan de l’Académie nationale de médecine chinoise
(Zhongguo zhongyi yanjiuyuan xiyuan yiyuan 中国中医研究院西苑医院), l’un des
plus anciens établissements de qigong, possèdait 24 lits et huit médecins et
thérapeutes qualifiés, mais, faute de patients, le nombre de lits a été réduit à 9. Faute
de reconnaissance, l’institut de recherches sur le qigong de l’Université de médecine
chinoise de Pékin n’a jamais pu obtenir les 30 lits qu’il demande pour ses recherches
cliniques999. En bref, le qigong moderne, bien qu’il doit sa naissance et son
développement initial aux institutions médicales, se propage à partir des années 1980
presque entièrement en dehors d’elles.

995
Zhu Guoben 1995: 4.
996
Voir section 9.9, pp. 232-235.
997
Zhu Guoben 1995: 6
998
Dans ce système, les soins médicaux étaient gratuits pour les membres d’une « unité de travail »
(danwei 单位).
999
Zhu Guoben 1995: 5.
Le Bureau d’administration de la médecine chinoise condamne l’interérence
d’autres départements du gouvernement qui autorisent des activités thérapeutiques de
qigong. Elle laisse la question du « qi externe » ouverte pour la recherche, mais
n’encourage pas sa mise en oeuvre thérapeutique: le qigong doit rester dans le cadre
de la « thérapie, la prévention, l’hygiène et la réhabilitation de la médecine chinoise »
1000
.
La revue Qigong de Chine, qui dépend du ministère de la santé, remplace son
rédacteur en chef et énonce une nouvelle politique éditoriale, promettant de
« retourner à la pureté de ses racines, exclure le chaos et retourner dans l’ordre,
rentrer dans la voie [correcte] et fixer son orientation », qui sera de « faire de son
principe directeur la propagation du qigong médical » suivant la politique et les
réglements du ministère de la Santé et du Bureau national d’administration de la
médecine chinoise, qui interdisent de déifier les maîtres et de propager des contenus
religieux sous l’étiquette du qigong1001.

14.4 Le gouvernement déclare sa politique

Au milieu de 1996, après l’envoi d’un rapport par le « Groupe de travail sur les
sciences somatiques » au Comité central du Parti et au Conseil d’Etat1002, le
gouvernement promulgue une nouvelle déclaration de politique sur le qigong, qui
tente de partager la responsabilité du qigong entre les instances médicales et sportives.
Le document, intitulé « Notice sur le renforcement de l’administration des activités
sociales de qigong » (Guanyu jiaqiang shehui qigong guanli de tongzhi
关于加强社会气功管理的通知), définit deux catégories de qigong : le « qigong
hygiénique » (jianshen qigong 健身气功) par lequel « les masses, en participant à
l’entraînement, améliorent leur santé physique, nourrissent la vie et retrouvent la
santé », relève désormais des autorités sportives; la « thérapie par qigong » (qigong
yiliao 气功医疗) qui consiste à « enseigner le qigong à d’autres personnes, ou
employer des méthodes thérapeutiques de qigong, pour directement soigner les
maladies », relève des instances de la médecine chinoise.

1000
cf. Zhu Guoben 1995: 7.
1001
Ding Ruiming 1995.
1002
jiu guojia… 2001.
Le document énonce également les responsabilités des autres ministères
concernés par le qigong : l’inscription et l’administration d’associations de qigong
relève des instances des Affaires civiles; les activités commerciales relèvent des
instances de l’Insustrie et du commerce; les questions d’ordre public relèvent des
instances de la Sécurité publique; et la diffusion d’informations relève du
Département de la Propagande du Comité central du Parti. C’est aux autorités
sportives – c’est-à-dire, en dernière instance, à Wu Shaozu – que l’on donne la
responsabilité principale d’harmoniser les actions des différents ministères.
Pour le reste, la nouvelle politique insiste sur l’obligation d’obtenir les
permissions nécessaires auprès des « instances concernées », pour organiser des
activités de qigong à grande échelle, des activités menées sur des espaces publics, de
la dissémination d’informations, des activités commerciales, ou des activités touchant
à la politique, à l’ordre public ou aux affaires internationales. Le document souligne
que les activités de masse du qigong doivent garder un caractère positif et
scientifique, et qu’il faut opposer les exagérations illusoires. « Les phénomènes
malsains dans les activités de qigong doivent être réglés par les autorités
concernées »; « la pratique illégale de la médecine, la propagation de superstitions et
l’utilisation du qigong pour se livrer à l’escroquerie doivent être sérieusement
attaqués conformément à la loi. » De plus, les demandes d’inscription d’associations
de qigong doivent être traitées « rigoureusement »; les associations doivent respecter
la loi et se soumettre à la supervision des autorités compétentes1003.
En bref, la nouvelle déclaration de politique n’est qu’une vague déclaration de
principes sans contenu concret, qui exprime cependant un durcissement de ton du
gouvernement face au qigong : les dérapages seront moins tolérés qu’auparavant; la
ligne du Parti sera imposée avec plus de sévérité. Mais l’élément le plus significatif de
la « Notice » est le rôle directeur donné aux instances sportives, c’est-à-dire à Wu
Shaozu. Au début des années 1980, deux réseaux politiques avaient soutenu et
encouragé le développent du qigong : les réseaux de médecine chinoise de Lu
Bingkui, et les réseaux militaro-scientifiques de Zhang Zhenhuan, de Qian Xuesen et
de Wu Shaozu. Depuis le retournement des instances de médecine chinoise au début
des années 1990, la mort de Zhang Zhenhuan en 1994, et l’âge avancé de Qian
Xuesen, Wu Shaozu est désormais la seule personnalité politique à jouer le rôle

1003
Guojia... 1996.
d’intermédiaire entre le gouvernement et le monde du qigong. Or Wu Shaozu, en tant
qu’enthousiaste du qigong, tentera de continuer de protéger le monde du qigong dans
un contexte politique désormais moins favorable.
14.5 La campagne de « rectification » commence

Signe du nouveau durcissement politique à l’égard du qigong : un maître


relativement célèbre, Zhang Xiaoping 张小平, est arrêté le 17 avril 1996 à
Shijiazhuang. Depuis 1986, Zhang Xiaoping se proclame « Grand Maître de niveau
super-exceptionnel » (chao teji dashi 超特级大师) et « Bodhisattva » (fozi 佛子); il
prétend posséder les pouvoirs d’appeler le vent et la pluie, de photokinèse, de vision
pénétrante et à distance, etc. Il affirme qu’il dépasse tous les grands maîtres
contemporains et attaque avec virulence certaines personnalités et méthodes du
monde du qigong. Après son arrestation, on l’accuse d’employer un écrivain pour
écrire des fables miraculeuses à son sujet, de donner des cours publics de son
« Qigong de l’unification des dix mille méthodes » (wanfa guiyi gong 万法归一功)
1004
, de soutirer des sommes importantes de ses disciples, et de séduire ses adoratrices.
Un article dans la revue Le qigong de l’Orient qualifie cet incident de
« véritable « Watergate » du monde du qigong : « L’ironie est que cet escroc sans le
moindre gongfu n’ait pas été démasqué par la multitude d’adeptes du qigong (dont un
grand nombre prétendent être capables de voir le qi, de voir des auras, ou encore
d’examiner le corps par sensation de qi), et n’ait pas été découvert par tant de maîtres
de qigong soi-disant possesseurs de l’ « oeil céleste » , de l’« oeil du Dharma » , de
l’« oeil de Bouddha » ou capables de voir à travers l’esprit des autres. Au contraire,
la tête portant un halo, comme un cardinal, il est partout l’objet d’une adoration
fanatique... 1005».
Le monde du qigong est entré dans une campagne de « rectification » menée par
Huang Jingbo. Or la campagne s’avère difficile. Ce dernier désire unifier toutes les
associations semi-officielles de qigong sous une structure unique encadrant tous les
lignées de qigong. Il veut que l’ACESQ centralise les revenus de tous les maîtres de
qigong, et exige que toutes les lignées créent une cellule du Parti en leur sein1006. Ces
mesures sont mal accueillies dans le monde du qigong. En mai 1996, Huang Jingbo

1004
Sur cette méthode, voir Zhang Xiaoping 1993.
1005
Siyou Jushi 1996.
1006
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 8.
admet que peu de provinces ont réussi ce travail d’unification et de consolidation. De
plus, les associations semi-officielles chargées de la « rectification » dans leur localité
ont souvent peur de poursuites judiciaires lancées par des maîtres défroqués1007.
Par exemple, en février 1995, le maître Chen Letian 陈乐天 décide de
poursuivre pour diffamation l’Association d’études de la science du qigong du
Zhejiang. Celle-ci avait expulsé sa lignée du « Qigong de l’horloge céleste »
(Tianzhong gong 天钟功) de l’association. Dans son journal Qigong daobao du 9
août 1994, un article soulignait les « erreurs politiques » et l’escroquerie financière de
Chen Letian. L’article avait été copié et distribué publiquement, et republié par
d’autres journaux de petites organisations de qigong dans certaines régions.
Chen Letian avait lancé sa lignée de qigong vers le milieu des années 1980; sa
méthode était répandue dans une vingtaine de provinces chinoises et de pays
européens. En 1993, il avait été nommé « maître d’excellence de niveau national » par
l’Association chinoise d’études du qigong sportif. Il considère l’article de
l’Association de qigong du Zhejiang comme une atteinte à sa réputation et engage un
avocat pour porter plainte devant la cour. Il demande à l’Association de qigong du
Zhejiang de cesser ce tort, de restaurer sa réputation, d’éliminer cette mauvaise
influence, de présenter ses excuses, et de payer 300 000 yuan en dommages et
intérêts.
Aspect significatif dans cette affaire, la revue Qigong et sports publie la plainte
de Chen Letian, laissant entendre que Chen Letian jouit de l’appui du réseau politique
« sportif » du qigong contre l’Association de qigong du Zhejiang1008.
Huang Jingbo souligne donc à juste titre qu’une lutte est en train de se produire
dans le monde du qigong. « Sur la surface, le monde du qigong est tranquille. Mais les
camarades doivent savoir que cette lutte n’est pas simple, jusqu’au point où du sang
risque de couler. Par exemple, ces maîtres de qigong illégaux et qui ont été
démasqués, qui ont perdu tout leur argent et leur réputation, n’acceptent pas
facilement leur sort et risquent de se venger »1009.
Huang Jingbo souligne aussi l’objectif d’imposer l’orthodoxie politique dans le
monde du qigong. « Le but de la construction est l’unité. Où s’unir? Pas autour du

1007
Huang Jingbo 1996 : 5.
1008
TY 58 : 40.
1009
Huang Jingbo 1996 : 6. Le comportement de Li Hongzhi et la radicalisation militante du Falungong
depuis son expulsion de l’Association chinoise de qigong en 1996 peuvent s’expliquer en partie par un
tel désir de vengeance. Voir plus bas, section 14.6.
Bouddha, ni autour du Tao, mais s’unir sous la direction du prolétariat, s’unir sous la
direction du Parti communiste, s’unir sous la politique et les lois du Parti communiste
et sous la constitution du gouvernement socialiste. L’unité n’est possible que dans ces
conditions. Quitter ces dernières vous mènera sur une voie déviante, et vous ne
pourrez parcourir la voie orthodoxe1010 ».
Enfin, Huang Jingbo admet qu’il est difficile d’établir des critères objectifs
d’accréditation des maîtres et des lignées de qigong. Après cinq mois de travail, il a
toujours été impossible de se mettre d’accord sur de tels critères1011.
Mais il continue son travail idéologique sur le monde du qigong. Fin 1996, un
colloque de qigong de la Chine du Nord est convoqué, dans le but de faire accepter
par le monde du qigong la direction « absolue » du Parti et du gouvernement sur la
cause du qigong. Huang Jingbo déclare qu’après six mois d’efforts, la question de la
« direction politique » est résolue, mais que la question idéologique n’est toujours pas
résolue : s’engager dans le matérialisme ou l’idéalisme?1012.
Trois cents délégués, des chercheurs scientifiques et des maîtres de qigong,
participent à ce colloque, où l’activité principale consiste à étudier les résolutions du
sixième Congrès national du peuple, particulièrement les « Résolutions du Comité
central du Parti communiste chinois concernant certains problèmes relatifs au
renforcement de la construction de la civilisation spirituelle socialiste ». Suite à
l’étude du document, les participants émettent leur propre résolution concernant
l’application de cette résolution dans le monde du qigong. Une douzaine de lignées de
qigong sont représentées au colloque1013.
La lignée Zhinenggong répond à l’appel de Huang Jingbo, et organise fin
décembre 1996 un colloque avec pour sujet « Comment employer la philosophie
marxiste pour diriger le développement du qigong ». Les 218 délégués venant de toute
la Chine débattent des trois questions suivantes :
1. Quelle est la ligne philosophique du qigong : le matérialisme ou l’idéalisme?
2. Quelle est la position politique et idéologique du qigong : intégrer le qigong au
socialisme ou à la théologie?
3. Quel est le champ d’activité du qigong : faire de la science ou non?

1010
Huang Jingbo 1996 : 7.
1011
Huang Jingbo 1996 : 8.
1012
Huang Jingbo 1997.
1013
DF 60 : 40.
Durant presque deux jours, des discours politiques sont donnés par des
ingénieurs, des professeurs, et des cadres de différentes unités académiques,
scientifiques, militaires, industrielles, de qigong, de gouvernement, etc. C’est la
première réunion de ce type à être tenue dans le monde du qigong. Elle montre la
volonté du Parti d’imposer une ligne idéologique dure sur le monde du qigong, mais
aussi la volonté du Zhineng qigong de Pang Heming de faire le « bon élève » afin de
protéger les intérêts de sa lignée1014.
Malgré ces activités et les efforts de Huang Jingbo, l’ACESQ devient une
association paralysée et sans influence. Depuis que l’Etat a transféré la responsabilité
du qigong aux instances médicales et sportives, l’ACESQ n’a plus d’autorité réelle.
De plus, l’Association scientifique nationale, de laquelle dépend l’ACESQ, ne
reconnaît plus cette dernière1015. Du point de vue pratique, l’ACESQ cesse de
fonctionner après 19961016.

14.6 Premières mesures contre le Falungong

Le Falungong n’avait jamais été une cible de la campagne de presse anti-qigong


de 1995, alors que, avec sa démonologie, ses théories apocalyptiques, son mépris de
la science moderne et son rejet de la médecine, il est le type même du mouvement de
qigong « anti-scientifique » qui propage des « superstitions féodales » . Ceci
s’explique peut-être simplement par le fait que le Falungong n’était pas encore très
bien connu en 1995. Mais en 1996, il finit par être l’objet d’attaques dans un journal,
et pas des moindres: le quotidien Guangming du 17 juin publie un article qui critique
le Zhuan Falun, « livre pseudo-scientifique qui propage des superstitions féodales ».
L’auteur ridiculise le contenu du livre et s’inquiète du fait que celui-ci soit publié de
façon tout à fait légale. Il dit que l’histoire de l’humanité est « l’histoire du combat
entre la science et la superstition, entre la vraie science et la pseudo-science »; le cas
du Zhuan Falun montre que ce combat sera encore long et ardu. Il appelle les éditeurs
à élever leur niveau de culture scientifique et leur sens de responsabilité sociale, et de
refuser de publier les « livres pseudo-scientifiques des escrocs »1017.

1014
DF 62 : 8.
1015
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 8.
1016
Li Yuanguo: communication personnelle.
1017
Xin Ping 1996.
Après la parution de l’article, une campagne de critiques commence dans la
presse. Une vingtaine de journaux dont le Journal des jeunes de Chine, le Weekend du
Sud, et le Quotidien de Shijiazhuang publient des articles critiquant le Falungong1018.
Cette campagne provoque l’intervention d’organes de l’Etat pour interdire la
publication et la distribution du Zhuan Falun: le 24 juillet, l’Office de l’information et
de l’édition (Zhongguo xinwen chuban shu 中国新闻出版署) émet une circulaire
intitulée « Notice sur la confiscation et la garde sous scellés de cinq livres du
Falungong chinois et autres »1019. Et le ministère central de la Propagande interdit aux
éditeurs chinois de publier des livres sur le Falungong1020.
Des milliers d’adeptes écrivent au quotidien Guangming et à l’ACESQ pour
exprimer leur mécontentement face à cette campagne: action encouragée par Li
Hongzhi dans un sermon du 28 août, dans lequel il s’insurge contre les adeptes et
responsables qui n’ont rien fait pour réagir aux attaques. Il souligne que l’activisme
pour défendre le Falungong est une composante essentielle de la pratique de sa
méthode, et déclare que ce retournement de conjoncture contre le Falungong est une
épreuve délibérée, pour séparer le grain de l’ivraie parmi les adeptes:

« A présent, un grand nombre d’adeptes ont réalisé ou sont sur le point de


réaliser l’accomplissement. Lorsqu’un homme a réalisé l’accomplissement,
c’est une chose extrêmement sérieuse, il n’y a rien dans l’univers qui soit plus
remarquable, plus glorieux, plus majestueux. Cela étant le cas, durant l’ascèse,
il faut imposer de strictes exigences à chaque adepte, et pour passer à un niveau
supérieur il faut pleinement atteindre ces critères. En général, les disciples de la
Grande Loi sont à la hauteur, mais il y a des gens qui ont toujours un le coeur
attaché, qui, dans les apparences, disent que la Grande Loi est bonne, mais en
fait ne pratiquent pas l’ascèse. Et ce, particulièrement dans un environnement où
tout le monde disait que la Grande Loi est bonne, tous, des niveaux supérieurs
aux masses populaires, disait qu’elle est bonne, même dans le gouvernement on
disait qu’elle est bonne, tous suivaient les autres pour dire qu’elle est bonne,
mais qui est sincère? Qui ne fait que suivre? Qui a des louanges au bout des
lèvres, mais en réalité fait du mal? Alors nous changeons la tendance de la
société des hommes ordinaires, nous faisons tourner le vent, pour voir qui
continue de dire que la Grande Loi est bonne, et qui change d’attitude: d’un
coup, tout est devenu clair comme du crystal.

1018
Lishi... 2000 : 4.
1019
《关于立即收缴封存中国法论功等五种书的通知》. Les livres interdits sont les tomes 1 et 2 du
Zhuan Falun, le Zhongguo Falungong 《中国法轮功》, le Falun Dafa yijie 《法论大法义解》, le
Shentong dafa 《神通大法》(Chen Xingqiao 1998b : 146).
1020
Ces mesures ne sont respectées que pour une courte période. En 1996 et 1997, les livres de Li
Hongzhi sont publiés à Hong Kong, mais de 1998 à 1999, des éditeurs du continent publient
impunément ses écrits: les Presses culturelles de Mongolie intérieure, les Presses ethniques du
Guangxi, les Presses populaires du Qinghai… (voir bibliographie).
Depuis l’incident du quotidien Guangming jusqu’à maintenant, chaque
disciple de la Grande Loi a joué un rôle: certains ont persisté dans l’ascèse, pour
défendre le renom de la Grande Loi ils ont écrit aux autorités supérieures et
n’ont pas supporté cet article irresponsable. Mais d’autres, dans cette
conjoncture difficile, n’ont pas pratiqué l’ascèse intérieure, mais ont semé la
discorde, compliquant davantage les choses. D’autres, craigant que leur
réputation ou leur intérêt personnel fût affecté, ont abandonné la pratique, et
d’autres encore, indifférents à la paix de la Grande Loi, ont propagé des rumeurs
sans fondement, aggravant les facteurs de déstabilisation de la Loi. […]
Cette affaire n’est-elle pas une épreuve pour la nature spirituelle des
adeptes de la Grande Loi? » 1021

Les associations semi-officielles de qigong de la ville de Changchun et de la


province du Jilin défendent le Falungong contre les critiques. Mais l’ACESQ, qui,
sous son nouveau directeur Huang Jingbo, est en pleine campagne de « rectification »
du monde du qigong, se joint aux attaques contre le Falungong. Le 12 septembre,
l’association produit un rapport sur le Falungong1022, dans lequel Li Hongzhi est
accusé de se déifier, et de propager des superstitions féodales et des calomnies
politiques. Le rapport note de Li Hongzhi a déjà proclamé à plusieurs reprises qu’il
n’enseigne plus le qigong, que son association a déjà coupé ses liens d’affiliation avec
l’ACESQ, et que Li Hongzhi ne remplit plus ses responsabilités en tant que
représentant légal du Falungong. Si le Falungong veut continuer d’exister, il doit donc
soumettre une nouvelle demande d’inscription auprès des instances concernées. Le
rapport suggère d’organiser une campagne d’analyse et de critique du Falungong, afin
de « nettoyer les erreurs dans la propagation du qigong et retourner à l’image
originelle de la science du qigong » 1023. Le 28 novembre, l’ACESQ informe les
instances supérieures de sa décision d’expulser le Falungong de ses rangs, sous
prétexte que Li Hongzhi n’a pas assisté aux réunions de rectification du qigong, que
ses activités sont contraires aux statuts de l’ACESQ, et qu’il refuse de se corriger1024.

1021
Li Hongzhi 1999i: 50-51.
1022
Le rapport est intitulé « Réaction au problème du ‘Falungong’ de Li Hongzhi » (Guanyu Li
Hongzhi ‘Falungong’ wenti de qingkuang fanying 《关于李洪志“法轮功”问题的情况反映》)
1023
Cité dans Chen Xingqiao 1998b: 186.
1024
« Décision sur l’annulation du statut du Falungong comme méthode de qigong affiliée » (Guanyu
zhuxiao falungong zhishu gongfa de jueding 《关于注销法轮功直属功法的决定》), cité dans Chen
Xingqiao 1998b : 186. Le Falungong conteste cette version, affirmant qu’il s’est retiré volontairement
de l’ACESQ en mars 1996, et que l’ACESQ a rétroactivement « expulsé » le Falungong uniquement
pour faire bonne figure auprès du gouvernement, après la campagne de presse contre la lignée de Li
Hongzhi. Cf. Yipi Falungong xueyuan… 1999: 8.
Pour justifier sa décision, elle soumet le mémoire anti-Falungong qui lui avait été
envoyé par les adeptes dissidents de Changchun à la fin de 19941025.
A partir de cette période, Li Hongzhi passe de plus en plus de temps à
l’étranger, où il donne des conférences et stages aux Etats-Unis, en Europe, en
Australie et à Singapour. Il s’installe définitivement à New York en 19981026. A partir
de l’été 1996, l’association du Falungong n’a plus de statut légal mais continue de
fonctionner. De l’étranger, Li Hongzhi dirige l’association par téléphone, par fax et
par courriers électroniques. Ces outils de communication modernes deviennent
également les principaux moyens de transmission d’information entre l’organisation
centrale et les postes d’entraînement régionaux. En effet, l’activité du Falungong ne se
limite pas à la pratique de la méthode, mais comprend aussi des actions ponctuelles de
« défense du Dharma » – envois massifs de lettres aux bureaux du gouvernement et
des médias, organisation de manifestations – qui nécessitent un système de
communication discret, rapide et efficace.
En janvier et en juillet 1997, le ministère de la Sécurité publique lance deux
enquêtes nationales pour vérifier les accusations que le Falungong est une « religion
illégale ». Les deux enquêtes arrivent à la conclusion qu’ « aucun problème n’a été
découvert » 1027. Le 21 juillet 1998, le Bureau no. 1 du ministère émet à nouveau une
circulaire intitulée « Notice sur le déploiement d’une enquête sur le Falungong »1028.
La notice déclare que le Falungong est une « secte hérétique » (xiejiao 邪教) et
ordonne les bureaux de police à se renseigner sur la situation interne du mouvement et
de collecter des preuves criminelles contre le Falungong1029. Le fait que plusieurs
enquêtes successives aient été décidées par le ministère de la Sécurité publique,
semble indiquer que celui-ci est divisé par une lutte d’influence interne entre partisans
et adversaires du Falungong. En effet, nous savons que Li Hongzhi a cultivé
d’excellents rapports avec ce ministère dès son arrivée à Pékin en 19921030. Par
exemple, l’un des principaux responsables du Falungong, Li Chang李昌, est directeur

1025
Voir section 13.5, pp. 343-346. Cf. Yipi Falungong xueyuan… 1999: 8.
1026
Il manque des données précises sur les circonstances de son départ de Chine et des conditions de
son arrivée aux Etats-Unis. Les dissidents de Changchun ont affirmé qu’il s’y est installé en tant
qu’immigrant investisseur (Yipi Falungong xueyuan… 1999: 9). En autome 1996, il fait une tournée de
plusieurs villes américaines, auprès desquelles il obtient la mention de « citoyen honorifique » (ces
titres sont décernés sur simple demande par les mairies des villes américaines). La propagande du
Falungong fait grand état de ces mentions.
1027
Yipi Falungong xueyuan… 1999: 9.
1028
Code de la circulaire: 公政[1998]第555号《关于对法论功开展调查的通知》.
1029
Lishi... 2000 : 4.
des services informatiques du Bureau de la sécurité publique de Pékin1031. En même
temps, si des enquêtes sont lancées à répétition, cela porte à croire que d’autres
éléments influents du ministère sont hostiles au mouvement.
Suivant les consignes de la Notice de juillet 1998, la police infiltre le Falungong
par l’entremise de détectives qui profitent du principe de l’ouverture du Falungong à
toute personne désirant pratiquer. Certains postes de police détiennent des adeptes,
mènent des recherches dans leurs domiciles, confisquent leurs livres du Falungong, et
leur interdisent de pratiquer la méthode. En réaction contre ces événements, des
milliers d’adeptes écrivent directement aux instances de la Sécurité publique et même
au gouvernement central, exprimant leur fort mécontentement et exigeant l’arrêt de ce
comportement policier1032.

Les actions policières contre le Falungong sont les plus sévères dans le
Xinjiang, le Heilongjiang, le Hebei et le Fujian. Les préfectures de police des villes de
Yancheng (Jiangsu), de Chaoyang, de Liaoyang et de Lingyuan (Liaoning), et de
quelques villes dans le Shandong déclarent que la pratique collective du Falungong
est un « rassemblement illégal » et forcent les pratiquants à se disperser. Leurs biens
personnels sont confisqués; certains sont détenus, interrogés et battus. La police de la
ville de Chaoyang, dans l’esprit de la Notice, émet une circulaire aux postes de police
locaux interdisant les activités du Falungong et ordonnant la suppression du
mouvement1033. Les entraîneurs du Falungong dans cette ville sont pénalisés
d’amendes totalisant 4000 yuan; et le Quotidien de Chaoyang publie un article
attaquant le mouvement. Ailleurs dans le Liaoning, la police dit à un entraîneur du
Falungong que les personnes qui continuent de se regrouper pour pratiquer le
Falungong seront soit punis d’une peine de deux à trois années de prison, soit
redevables d’une amende de 10 000 yuan (ou de 6000 yuan si un reçu n’est pas
demandé)1034. En réaction, 40 adeptes se rendent au ministère de la Sécurité publique
pour se plaindre de cette ‘injustice’ , et mille pratiquants déposent une plainte
collective contre « le comportement illégal qui porte atteinte aux intérêts du peuple »
de la Préfecture de police de Chaoyang1035.

1030
Cf. p. 314.
1031
Bobin 1999.
1032
Lishi...2000 : 5.
1033
Code de la circulaire: 潮公发(1998) 37 号《关于禁止法论功非法活动的通知》.
1034
Sans reçu, l’amende est en fait un pot-de-vin que le policier peut lui-même empocher.
1035
Lishi... 2000 : 5.
D’après un adepte du Falungong de la ville de Taiyuan, le 13 décembre 1997, la
police a interrogé neuf entraîneurs de Falungong, confisqué leurs livres et cassettes de
Falungong, leurs magnétoscopes et magnétophones. Leurs lignes téléphoniques ont
été mises sur écoute; leurs résidences mises sous surveillance. Des véhicules de police
sont envoyés aux lieux de pratique pour surveiller les activités des adeptes. Un autre
adepte de cette même ville affirme que la police, munie de la Notice, a visité son
école, après quoi le directeur d’école a interdit aux professeurs de pratiquer le
Falungong et les a menacés d’être renvoyés s’ils continuaient de pratiquer1036.

14.7 L’Etat resserre son contrôle sur le qigong

Le 25 janvier 1998, deux membres du Conseil d’Etat, Li Tieying et Song Jian


宋健, convoquent une réunion de synthèse du « Groupe de travail sur les sciences
somatiques », dans laquelle on conclut que la recherche en sciences somatiques et
l’administration des associations et lignées de qigong sont les deux principales
préoccupations du « Groupe de travail ». Depuis la promulgation de la nouvelle
politique de l’Etat en 1996, de graves problèmes continuent d’exister dans le monde
du qigong : certaines lignées construisent des organisations sans obtenir l’approbation
des instances concernées1037, voire établissent des groupes commerciaux pour diriger
leures lignées1038. Certaines lignées continuent de tromper les masses en organisant
des stages excessivement profitables; la publication de livres et de périodiques relatifs
au qigong continue d’échapper au contrôle ordonné1039.
Fait significatif, on décide durant la réunion qu’il faut, dans la conjoncture
actuelle, décourager les applications sociales des « sciences somatiques » : les
démonstrations publiques de qigong et de « fonctions exceptionnelles », les soins
thérapeutiques par qigong et l’organisation de cours doivent être limitées et
empêchées1040.
Peu après, le 22 février 1998, le Bureau général d’administration des sports,
dans sa circulaire « moyens d’administration du qigong hygiénique » (Jianshen

1036
Lishi... 2000 : 5-6.
1037
Notamment le Falungong.
1038
Notamment le Zhonggong.
1039
Par exemple, des éditeurs continuent de publier les livres du Falungong malgré l’interdiction
promulguée en 1996.
1040
ZM 54 : 1.
qigong guanli banfa 健身气功管理办法), édicte la procédure d’accréditation des
lignées de qigong. La procédure est la suivante: d’abord, le maître fondateur de la
méthode doit se rendre en personne aux instances sportives provinciales pour remplir
un formulaire de demande contentant des informations sur le maître, l’organisation de
sa lignée, les origines et le contenu de sa méthode, le nombre et la distribution des
pratiquants, les principales cassettes, images et livres de la lignée, et des preuves
scientifiques de la valeur hygiénique de la méthode (30 cas au minimum, qui peuvent
être soit des témoignages écrits de bénéficiaires de la méthode, de certificats
médicaux émis par un hôpital, ou de résultats d’études par une unité de recherche
scientifique).
Ces dossiers sont ensuite étudiés par un jury provincial composé de
représentants des instances policières, de l’administration civile, de l’éducation, de la
propagande, et de l’industrie et du commerce, ainsi que d’experts en médecine, en
religion, en philosophie, en psychologie, en technologie, en sports, etc. La
recommendation du jury sera étudiée par la Commission provinciale des sports, qui
donne son avis et soumet les dossiers au Centre d’administration des arts martiaux
(Wushu yundong guanli zhongxin 武术运动管理中心) qui relève du Bureau
d’administration des sports du gouvernement central. Un jury national étudiera les
dossiers et donnera son avis au Centre d’administration des Arts Martiaux qui prendra
la décision finale d’accréditation.
Les critères d’accréditation sont les suivants : d’abord, le fondateur doit se
présenter en personne devant le jury1041. Ce dernier choisira, par scrutin secret, les
méthodes :
(1) qui relèvent du qigong hygiénique;
(2) dont le contenu est sain, conforme aux « quatre principes fondamentaux »1042,
et aux besoins de la construction de la civilisation spirituelle socialiste;
(3) dont les origines sont claires;
(4) dont les concepts théoriques sont systématiques et bien développés;
(5) dont la valeur hygiénique et sociale est prouvée par la pratique des masses et
par les enquêtes d’unités de recherche scientifiques1043.

1041
Cette règle exclut de fait les lignées dont le fondateur s’est exilé (Falungong) ou vit en cachette
(Zhonggong).
1042
Promouvoir la voie socialiste; la direction démocratique du peuple; le rôle dirigeant du Parti
communiste chinois; le marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong.
1043
ZM 61 : 1. Le jury national est composé des membres suivants:
A la suite de ce procesus, onze lignées de qigong sont finalement certifiés par le
Bureau d’administration des sports: le Zhinenggong, le Qigong de Yan Xin, le Qigong
de la Grande oie, la Formule en six caractères de Ma Litang, le Nouveau qigong de
Guo Lin, le Qigong du Bonheur (Xingfu Gong幸福功), le Qigong de la Lumière de
sagesse (Huiming Gong 慧明功), le Qigong du coeur (Xingong 心功), le Qigong du
yinyang du mont Pan (Panshan yinyang Gong 盘山阴阳功), le Qigong de l’esprit
vide (Xuling Gong 虚灵功) et le Qigong de l’origine primordiale (Yuanji Gong
元级功) 1044.

14.8 Expansion militante du Falungong

Le Falungong n’est pas inclus parmi les méthodes de qigong reconnues, ce qui
entérine son statut illégal. En mai 1998, le Falungong est critiqué par He Zuoxiu dans
un entretien transmis par la Télévision de Pékin . Il accuse la lignée d’être une secte
qui répand des idées et des pratiques néfastes et non-scientifiques. Le Falungong
proteste vivement contre le reportage: plus de mille adeptes manifestent devant les
bureaux de la station de télévision, jusqu’à ce que la station de télévision se rétracte et
passe un reportage favorable au mouvement1045. Le journaliste auteur du reportage a
été limogé à la suite de l’incident1046.
Contrairement aux autres organisations de qigong, le Falungong ne garde pas un
profil bas face aux critiques et aux enquêtes policières. Bien au contraire, il répond
vigoureusement par un militantisme visible qui devient une partie intégrante de
l’ascèse: les pratiquants doivent s’afficher ouvertement comme adeptes du

Directrice: Feng Lida, vice-présidente de l’Hôpital général des forces navales.


Directeur-adjoint: Qiu Yucai, vice-président et secrétaire général de l’ACESQ.
Directeur-adjoint: Tao Zucai 陶祖菜, membre de l’Institut de physique de l’Académie des sciences de
Chine.
Song Tianbin, directeur de la section d’enseignement et de recherche de qigong de l’Université de
médecine chinoise de Pékin
Li Zhichao 李志超, chercheur à l’Académie de médecine chinoise de Chine
Wu Limin 吴立民, directeur de l’institut chinois de recherche sur la culture bouddhiste
Lü Danyun 吕丹云, chercheur à l’institut national des sciences sportives
Dai Sihong 戴思鸿, chef de la 3e section du 3e Bureau du Ministère de la sécurité publique
Zhou Lichang 周荔裳, membre du comité éditorial, les Presses sportives du Peuple
Lin Zhongpeng, directeur de l’Académie chinoise de perfectionnement en qigong
Wang Jisheng 王极盛, chercheur à l’Institut de psychologie de l’Académie des sciences de Chine.
1044
cf. le document en ligne http://www.chinaqigong.net/dongtai/6.html .
1045
Vermander 2001: 12.
1046
Deng Zixian, Fang Shimin 2000: 92.
Falungong, même lorsque la lignée est la cible de critiques ou de répression. Li
Hongzhi attaque ceux qui pratiquent chez eux, en cachette:

« Il y a aussi de nombreux nouveaux adeptes qui pratiquent en cachette chez


eux, craignant d’être découverts par d’autres. Pensez un peu : quel type de coeur
est-ce que cela représente? […] L’ascèse est une affaire sérieuse. […] Il y a
encore des gens qui occupent des postes de direction, qui sont embarassés de
sortir pratiquer. S’ils ne peuvent même pas surmonter cette petite crainte,
qu’est-ce qu’ils pourront bien accomplir? »1047
Comme dans les autres lignées de qigong, les points de pratique du Falungong
sont marqués par des affiches, des banderolles, etc. Mais, au-delà de ce moyen
conventionnel, la pratique publique du Falungong est conçue pour attirer l’attention
du public. Souvent, les adeptes se regroupent pour pratiquer la méditation ou réciter le
Zhuan Falun sur des trottoirs achalandés et bruyants, en plein centre ville, ou devant
l’entrée des parcs plutôt qu’à l’intérieur: produisant une scène qui frappe l’oeil des
passants. Des séances massives de plusieurs milliers de pratiquants font sensation. Par
exemple, le rassemblement de 5000 personnes pour une séance de pratique dans un
parc de Guangzhou, en octobre 1998, créa des vagues dans la ville, démontrant la
puissance du mouvement1048.

C’est un « devoir » de l’adepte de propager le Falungong. « Il faut parler du


Dharma et le propager », même si cette obligation n’est pas forcée1049. Mais, plus que
« propager le Dharma » , l’adepte doit aussi s’engager dans la défense du Falungong.
Protester contre les critiques et restrictions contre le Falungong est, déclare Li
Hongzhi, un aspect essentiel de l’ascèse:

Question : Lors d’affaires comme celle de Pékin [la manifestation à la


Télévision de Pékin en mai 1998], qu’en est-il des adeptes qui persistent dans
l’ascèse?
Maître: Que veux-tu dire par persister dans l’ascèse? Comme si tout le monde
n’avait pas compris? Que tu n’as pas participé [à la manifestation], parce que tu
« persistais dans l’ascèse » ? N’est-ce pas ce que tu veux dire? Dans tes paroles,
tu cherches une excuse pour avoir perdu cette chance de parvenir à
l’accomplissement [yuanman 圆满], et tu viens me chercher. J’ai déjà expliqué
on ne peut plus clairement. Chaque fois qu’une affaire se produit, une grosse
affaire comme celle-là, c’est la meilleure étape pour que les disciples traversent
une épreuve pour parvenir à l’accomplissement, c’est la meilleure chance.
1047
Li Hongzhi 1999i: 76.
1048
Deng Zixian, Fang Shimin 2000: 86. De la même manière, la manifestation de Zhongnanhai du 25
avril 1999 fit parler du Falungong dans toute la Chine, et provoqua une augmentation rapide du nombre
de pratiquants.
1049
Li Hongzhi 1998a : 294 ; 1999a : 72, 85.
Parmi nous il y en a qui sont capables de faire ce pas, mais il y en a qui, pensant
qu’ils pratiquent l’ascèse, ne bougent pas. Ils ont une chance pour parvenir à
l’accomplissement, mais ils ne bougent même pas : quoique tu fasses, tu ne
désires même pas l’accomplissement. Rester chez soi pour pratiquer l’ascèse, et
dans quel but? Si ce n’est pas pour l’accomplissement, c’est pour quoi? En fait,
tu ne fais que chercher une excuse…1050.

Les attaques contre le Falungong sont décrites par Li Hongzhi comme des
épreuves qui serviront à tester si les disciples sont véritables1051. En effet, le salut
n’est pas donné à tous: certains doivent être jetés de côté, alors que d’autres pourront
progresser vers l’illumination:
« Les gens parlent du salut universel de tous les êtres [pudu zhongsheng
普度众生], Sakyamuni incluait même les animaux. Sakyamuni parlait du salut
universel de tous les êtres, il pouvait sauver tous les êtres et avoir de la
compassion envers toutes les formes de vie. Pourquoi ne faisont-nous pas cela
aujourd’hui? Pourquoi devons-nous opérer une sélection de gens à sauver?
Pourquoi y a-t-il des conditions pour participer à nos stages? Parce que les
choses ne sont plus les mêmes qu’avant. Il y a des gens qui sont mauvais à un
degré extrême, il faut les purger. »1052

Les adeptes se trouvent donc devant un choix sacré: sont-ils prêts à traverser des
épreuves pour avancer vers un stade supérieur, ou resteront-ils au niveau de l’homme
ordinaire?
« L’ascèse est la chose la plus importante dans l’univers; grâce à elle l’homme
s’élève au niveau des Luohan 罗汉, des Pusa 菩萨, des bouddhas, des taos et
des dieux. Lorsqu’une personne pleine de force karmique veut devenir un dieu,
n’est-ce pas là une affaire sérieuse? Ne faut-il pas se donner une exigence
extrêmement stricte et se mesurer d’après un barème élevé et des pensées
correctes? Si vous continuez d’utiliser les concepts des personnes ordinaires
pour faire face à ce problème, n’est-ce pas que vous êtes toujours des personnes
ordinaires? Une affaire si sérieuse, on vous dit de devenir un bouddha et vous
vous prenez toujours pour un homme, vous voulez encore utiliser les
raisonnements humains pour mesurer ces choses, c’est inacceptable, ce n’est pas
sérieux, on ne peux pas pratiquer comme ça »1053.

Ainsi, le Falungong organise systématiquement des manifestations contre les


médias et instances politiques qui « attaquent » le Falungong et « blessent le

1050
Li Hongzhi 1998b: 19, cité dans Deng & Fang 2000: 37. Deng et Fang ajoutent que le responsable
du poste général d’entraînement de Pékin fut démis de ses fonctions par Li Hongzhi, pour être resté
chez lui au lieu de participer à une manifestation du Falungong (p. 38).
1051
Li Hongzhi 1997b: 18.
1052
Li Hongzhi 1994: 36
1053
Li Hongzhi 1997a: 3.
sentiment » (shanghai ganqing 伤害感情) des adeptes. Voici une liste partielle des
manifestations tenues entre avril 1998 et mars 19991054:
Date Lieu Institution visée
Avril 98 Jinan Journal du soir de Jinan et du Shandong (Jilu wanbao
齐鲁晚报)
Avril 98 Guangzhou Le Quotidien du Sud (Nanfang ribao 南方日报)
Avril 98 Kunming Le journal de l’Avenue de l’est (Donglu shibao
东路时报)
Mai 98 Pékin Journal Santé (Jiankang bao 健康报)
Mai 98 Pékin Le Journal des jeunes de Chine (Zhongguo qingnian bao
中国青年报)
Mai 98 Pékin La station de télévision de Pékin (Beijing dianshitai
北京电视台)
Juin 98 Jinan Le Quotidien des masses (Dazhong ribao 大众日报)
Juil. 98 Chengdu La Métropole de Chine occidentale (Huaxi dushi bao
华西都市报)
Sept 98 Cangzhou Le Quotidien de Cangzhou (Cangzhou ribao 沧州日报)
(Hebei)
Sept 98 Xiamen Le Quotidien de Xiamen (Xiamen ribao 厦门日报)
Oct 98 Chongqing Le Quotidien de Chongqing (Chongqing ribao
重庆日报)
Nov 98 Harbin Le Quotidien de Harbin (Harbin ribao 哈尔滨日报)
Déc 98 Qianjiang Le Soir de Qianjiang (Qianjiang wanbao 乾蒋晚报)
(Zhejiang)
Déc 98 Shenyang Gouvernement provincial et Comité provincial du Parti
du Liaoning
Jan. 99 Shenyang La station de télévision de Shenyang (Shenyang
dianshitai 沈阳电视台)
Mars 99 Changzhou Le quotidien Wujin (Wujin ribao 武进日报)
常州(Jiangsu)

1054
Sources: NF 99/07/30 : 2, HX 99/07/23 : 3.
Fig. 19. Manifestations du Falungong

Souvent, les organes de presse ou de gouvernement visés accèdent aux


demandes des adeptes du Falungong et leur présentent des excuses. Un journaliste du
Journal des jeunes de Chine m’informe que le rédacteur-en-chef du quotidien
ordonna de publier des excuses après avoir consulté ses supérieurs dans le
Département de la propagande du Comité central du Parti. Si le Falungong put obliger
une station de télévision officielle à licencier un journaliste, c’est qu’il représente déjà
une force non négligeable dans la société. En effet, en dépit des actions de la police
contre le Falungong depuis 1996, le mouvement de Li Hongzhi ne cesse de prendre de
l’expansion. Le 13 avril 1996, un nouveau type d’activité voit le jour à Canton: l’
« assemblée de témoignage d’expériences » (xinde jiaoliuhui 心得交流会), où les
adeptes de tous âges et origines sociales montent sur l’estrade pour témoigner de
comment ils ont « atteint le Dharma » (defa 得法) et de comment le Falungong a
changé leur vie1055. Les points de pratique se multiplient. Le nombre de pratiquants
augmente de façon exponentielle. En 1997, Li Hongzhi prétend avoir cent millions
d’adeptes – chiffre certainement exagéré – dont vingt millions de pratiquants
réguliers1056. Les lieux de pratique attirent des foules grandissantes d’adeptes. A
Shenzhen, par exemple, plus de deux mille pratiquants se regroupent régulièrement
devant le stade municipal1057. En octobre 1998, cinq mille adeptes se regroupent
devant l’entrée du Parc commémoratif de Canton, événement qui retentit à travers la
ville, signalant la puissance du mouvement1058. Ce même mois, des milliers d’adeptes
se sont groupés à Wuhan, formant une immense forme humaine de swastika1059. Dans
toute la Chine, on observe la même scène à l’aube : dans les parcs et sur les trottoirs,
des centaines de personnes pratiquent les lents gestes du Falungong ou méditent dans
la position du lotus suivant le rythme d’une musique enregistrée; des drapeaux rouges
et jaunes du Falungong flottent dans les airs et des banderolles illustrées accrochées
aux arbres présentent la méthode et ses principes1060. Le soir, les pratiquants se

1055
Cf. le document « Defa xuefa, zhengwu dafa »
1056
Li Hongzhi 1997a:122.
1057
Lishi...2000 : 2.
1058
Deng Zixian, Fang Shimin 2000: 103.
1059
Smith 1999: A6.
1060
Lishi... 2000 : 4.
réunissent souvent dans le domicile d’un adepte pour lire ensemble le Zhuan Falun,
discuter de ses enseignements, et partager leur expérience.
Le Falungong pénètre l’armée et la police. L’armée de l’air compterait plus de
4000 adeptes, sur un contingent total de 200 000 personnes1061. Et Ye Hao1062, l’un
des plus proches disciples de Li Hongzhi, est un directeur-adjoint du département du
ministère de la Sécurité publique1063. A Pékin, un nombre grandissant de chercheurs
scientifiques, de professeurs d’université et de dirigeants retraités deviennent adeptes
du Falungong1064.
Le Falungong est devenu le plus important des lignées de qigong. Alors que,
durant cette période, le monde du qigong est essoufflé à la suite de la fin de la « fièvre
du qigong » , et déchiré et affaibli par la campagne de « purification » qui se mène en
son sein, le Falungong récupère les anciens adeptes de qigong désorientés.
Les autres lignées de qigong sont désemparés, et ne savent pas comment
reprendre les adeptes qui sont passés au Falungong. Par exemple, la résistance contre
le Falungong est un des principaux objectifs de travail du Zangmigong du
Heilongjiang en 1998. Cette association décide d’organiser des visites aux anciens
adeptes qui sont tombés dans le « piège » du Falungong, et de leur expliquer la
politique des associations semi-officielles de qigong relative à la « rectification » ,
ainsi que le fait que les livres du Falungong sont interdits, afin de les convaincre de
quitter le Falungong1065.
Les bouddhistes s’inquiètent également de l’expansion du Falungong. Depuis
1996, des revues bouddhistes avaient publié des articles déplorant le fait que cette
« secte hérétique » détourne les croyants du bouddhisme1066. L’Association
bouddhiste de Chine convoque une réunion le 13 janvier 1998 pour réfléchir sur les
moyens de réagir au Falungong1067. On se demande pourquoi tant de bouddhistes laïcs

1061
Murphy 2001: 24, cité par Vermander 2001: 9.
1062
Celui-ci animera le site web minghui.net, l’un des principaux sites du Falungong.
1063
Deng Zixian, Fang Zhimin 2000:1, 40.
1064
Chen Xingqiao 1998b: 152.
1065
ZM 53:2. L’article ne mentionne pas le Falungong de nom – on parle du « xx功 », mais il est clair,
par le contexte, qu’il s’agit du Falungong.
1066
Par exemple, la revue Taizhou fojiao (台州佛教), dans le numéro d’août 1998, publie un article de
Jin Gangjian 金刚剑 intitulé « le "Falungong " est une secte hérétique et un art démoniaque drapé d’un
revêtement bouddhiste » (‘Falungong’ shi pizhe fojia waiyi de xiejiao mogong
“法轮功”是披着佛家外衣的邪教魔功) . En novembre, la revue reproduit l’article de Xing Ping du
quotidien Guangming. La revue Le bouddhisme à Shanghaï (Shanghai fojiao 上海佛教) , dans le
numéro 5 de 1997, publie une réponse de l’éditeur à une lettre d’un lecteur, disant que le Falungong est
une « herbe à poison ». Ces articles sont reproduits dans Chen Xingqiao 1998b : 162-184.
1067
Chen Xingqiao 1998b: 5.
sont devenus adeptes du Falungong et comment celui-ci a connu une expansion si
rapide en comparaison avec le bouddhisme1068. On suggère que l’Association
bouddhiste de Chine intervienne auprès du gouvernement pour tracer une ligne claire
entre le bouddhisme et le Falungong, afin que celui-ci ne nuise pas à la réputation et
aux intérêts du bouddhisme1069. En même temps, on craint de susciter l’ire des adeptes
du Falungong en l’attaquant trop fortement1070.
En mars, la revue bouddhiste Fayin – qui, soucieuse de ne pas offenser les
millions d’adeptes du Falungong, avait jusque-là hésité à critiquer celui-ci -- publie un
article qui dénonce le Falungong comme une « hérésie (fufo waidao 附佛外道) aux
caractéristiques d’une religion populaire »1071. Cet article explique d’abord que le
Falungong n’est pas une forme de qigong, que son contenu est presque entièrement
religieux. Ensuite, l’auteur souligne que la doctrine de Li Hongzhi est contraire à celle
du bouddhisme, que le Falungong dénigre le clergé bouddhiste, que Li Hongzhi est
« une tête de démon qui détruit le bouddhisme et extermine le Dharma » :
« Depuis l’apparition du Falungong, de nombreux bouddhistes laïcs qui
psalmodiaient le nom de Bouddha pendant des années ne prononcent plus son
nom; des gens qui venaient juste de commencer à étudier le bouddhisme ne
lisent plus les soutras; afin d’exprimer leur dévotion pour l’apprentissage du
Falungong, ils débarrassent complètement leurs foyers d’icônes, d’écritures et
d’amulettes bouddhistes! Très vite, les affiches géantes de Li Hongzhi
remplacent les bouddhas, la voix de Li Hongzhi remplace le grand nom en six
caractères « Namo Amituofo [南无阿弥陀佛] » … Pis encore, les disciples du
Falungong errent dans les quatre directions, séduisent les coeurs bienveillants,
et persuadent les gens à abandonner le bouddhisme pour étudier le
Falungong. »1072

L’article conclut que le Falungong est une forme de « religion populaire »


(minjian zongjiao 民间宗教) ayant des caractéristiques communes avec les religions
populaires qui ont apparu en Chine depuis la dynastie Yuan : religions du « Lotus
Blanc », du « Patriarche Luo » (luozu jiao 罗祖教), du « Ciel Jaune » (Huangtian jiao
黄天教), des « Parfums » (wenxiang jiao 闻香教), et de la « Voie Unifiée » (Yiguan
dao 一贯道)1073. Pour l’auteur, c’est une « secte hérétique » (xiejiao 邪教) « néfaste

1068
Chen Xingqiao 1998b: 95-96.
1069
Chen Xingqiao 1998b: 150.
1070
Chen Xingqiao 1998b: 156.
1071
Chen Xingqiao 1998a. L’ auteur explique que le terme fufo waidao désigne les voies extérieures au
bouddhisme qui emploient le nom et les symboles de cette religion.
1072
Chen Xingqiao 1998b: 120-21.
1073
Chen Xingqiao 1998b: 122-23.
pour le monde du qigong, néfaste pour le monde religieux, néfaste pour l’Etat,
néfaste pour la société… »1074. En même temps, il reconnaît que certaines critiques de
Li Hongzhi à l’égard du bouddhisme sont justes, et que le monde bouddhiste devrait
réfléchir dessus. Cet article est republié quelques mois plus tard dans le livre Le
« qigong » bouddhiste et le Falungong1075, qui contient également d’autres articles de
polémique anti-Falungong d’un point de vue bouddhiste.
Quant au Bureau d’administration générale des sports, vu le grand nombre
d’adeptes, il décide de ne pas s’opposer directement au Falungong. Song Yuntian,
responsable du qigong dans la Commission provinciale des sports du Heilongjiang,
explique ainsi la ligne à suivre face au Falungong, en juillet 1998:
« Etant donné le grand nombre de pratiquants, nous ne pouvons pas employer le
pouvoir officiel pour imposer des limites. Il faut faire trois séparations: séparer
le fondateur de la méthode et sa méthode; séparer les effets de la méthode et les
dérives de certains individus qui pratiquent de manière inappropriée; séparer la
grande masse des pratiquants et le fondateur » 1076.

Ceci signifie que même si l’on a des critiques envers le fondateur Li Hongzhi,
on respecte la « grande masse des pratiquants » , et on reconnaît les effets positifs de
la méthode du Falungong. Les adeptes malades ou morts sont eux-mêmes
responsables, parce qu’ils ont pratiqué la méthode de façon incorrecte: il ne faut pas
en tirer des généralisations sur les effets du Falungong1077. Un représentant de
l’Institut de recherches sur les arts martiaux, à travers lequel le Bureau des sports gère
le qigong, aurait affirmé à un journaliste américain que « actuellement, personne
n’ose critiquer » le Falungong1078. Toujours selon le même journaliste, un membre de
cet institut, chargé des dossiers sur le Falungong, se révèle comme étant lui-même
adepte de Li Hongzhi1079.
En mai 1998, le Bureau d’administration des sports, devant l’influence
grandissante du Falungong, aurait commandité une enquête systématique des effets du
Falungong par une équipe d’experts de différentes disciplines médicales. Or l’enquête
est dirigée par un disciple de Li Hongzhi, professeur à l’hôpital Nanfang de la

1074
Chen Xingqiao 1998b: 144.
1075
Cf. Chen Xingqiao 1998b.
1076
Song Yuntian 1998.
1077
Dans la campagne de répression du Falungong lancée en juillet 1999, on adopte la ligne contraire:
les cas de maladies et de morts d’adeptes sont présentés comme autant de preuves de la nature
dangereuse et « perverse » du Falungong.
1078
Smith 1999: A1.
1079
Ibid., p. A6.
prestigieuse Faculté de médecine no.1 de l’Armée, à Canton1080. En septembre, plus
de 12 000 adeptes de Canton, de Foshan et d’autres villes de la province du
Guangdong sont interrogés par questionnaire écrit sur leur état de santé physique et
mentale. Dix mille des sujets interrogés affirment avoir souffert d’au moins un type de
maladie; de ces derniers, 70% déclarent être complètement ou presque guéris après
avoir pratiqué le Falungong pendant une période variant de quelques mois à quelques
années, leur permettant d’économiser en moyenne 1700 yuan de frais médicaux par
année, pour des économies totales de 12 millions de yuan1081.
Devant ces conclusions, le Bureau d’administration des sports manifeste donc
une attitude relativement tolérante face au Falungong. Ceci nourrit l’espoir des
adeptes d’obtenir une reconnaissance officielle du Falungong, mais pas en tant que
lignée de qigong. Des responsables du Falungong à Pékin entreprennent des
démarches auprès du Bureau d’administration des sports, en vue d’obtenir cette
reconnaissance. Li Hongzhi, de son exil aux Etats-Unis, leur donne les consignes
suivantes:
1. Le Falungong n’est pas une forme de qigong hygiénique, mais une forme
d’ascèse qui apporte néanmoins la santé et la guérison aux adeptes.
2. Le Falungong n’a pas d’organisation, mais suit la voie sans formes du Grand
Tao. Il n’y a pas d’argent ni possessions matérielles, il n’y a pas de titres officiels ni
de postes administratifs. Il est interdit aux adeptes dans les régions de s’inscrire en
tant qu’associations, ni de participer à des activités conjointes aves des lignées de
qigong hygiénique ou de « faux qigong » .
3. On peut expliquer au Bureau d’administration des sports que le Falungong a
quitté l’ACESQ afin de se séparer des autres lignées de qigong, qui ne s’intéressent
qu’à escroquer les gens. Le Falungong rejette aussi les procédures de qualification de
maîtres de qigong: d’après Li Hongzhi, on ne devient un vrai maître de qigong
qu’après des décennies d’ascèse, et pas en se présentant devant un comité
d’évaluation. Ceci encourage des attachements égoïstes, et donc le Falungong ne veut
pas fréquenter ces personnes1082.
Li Hongzhi encourage l’inscription du Falungong auprès de l’Etat, en tant
qu’inscription unique qui couvrirait toute la Chine. Il souligne que les sections locales

1080
Deng Zixian, Fang Shimin 2000.
1081
Lishi...2000 : 2.
1082
Li Hongzhi 1999i: 83.
du Falungong ne doivent pas s’inscrire auprès des gouvernements provinciaux, et que
le Falungong ne doit pas être assimilé à un groupe de qigong ou relié au monde du
qigong.

14.9 La manifestation de Zhongnanhai

Le 19 avril 1999, He Zuoxiu publie un article dans un journal pour jeunes de


l’Université normale de Tianjin1083, dans lequel il attaque Li Hongzhi et compare le
Falungong à la rébellion des Boxers menaçant de mener le pays à la ruine. Il critique
le recrutement d’enfants dans les cours des écoles primaires par des adeptes du
Falungong, et affirme que les états de conscience provoqués par la méditation du
Falungong sont causes de troubles mentaux1084. L’article est considéré comme
hautement offensant par les adeptes du Falungong, qui se rassemblent en posture de
méditation autour des bureaux administratifs du campus. Leur nombre augmente de
jour en jour, atteignant le 23 avril le chiffre de 6000 personnes1085. Ils se plaignent
que l’article est une fausse représentation du Falungong et viole la politique nationale
qui interdit de critiquer le qigong.
La police envoie 300 policiers anti-émeute sur les lieux de la manifestation. Ils
battent et dispersent les manifestants: 45 adeptes du Falungong sont arrêtés. Un
certain nombre d’adeptes se rendent à la mairie pour exiger leur libération. Mais la
préfecture municipale de police explique que l’intervention a été menée par ordre du
gouvernement central. Sans ordre de Pékin, les détenus ne seront pas libérés.
C’est ainsi que les protestataires du Falungong décident de monter sur Pékin
pour réclamer justice. A l’aube du 25 avril, ils sont déjà dix mille disciples à
converger vers l’entrée du Conseil d’Etat, et demandent à rencontrer le Premier
ministre Zhu Rongji. Un adepte témoigne ainsi de la situation :
« Je suis arrivé à l’entrée ouest du Zhongnanhai vers 7h, et j’ai vu
plusieurs adeptes que je ne connaissais pas qui arrivaient les uns après les
autres. Tout le monde restait debout sur le trottoir du bord ouest de la rue,
attendant en silence de pouvoir expliquer les faits relatifs au Falungong aux
camarades dirigeants [du Comité] central [du Parti]. Vers 8h30, tout le monde a
soudain aperçu le Premier ministre Zhu Rongji et des membres de son personnel

1083
« Je n’approuve pas la pratique du qigong par les jeunes » (Wo bu zancheng qingshaonian lian
qigong 我不赞成青少年练气功), Lectures scientifiques et technologiques pour jeunes (Qingshaonian
keji bolan 青少年科技博览), Université normale de Tianjin, le 19 avril 1999.
1084
Deng Zixian, Fang Shimin 2000: 90.
1085
A De 1999.
se précipiter hors du Zhongnanhai et traverser la rue vers le trottoir où nous
étions debout : « Qu’est-ce que vous faites? Qui vous a dit de venir ici? »,
demande le Premier ministre Zhu1086. Des adeptes répondent : « Nous sommes
venus au sujet de la question du Falungong ». « J’ai [déjà donné] une réponse
officielle à votre problème », dit le Premier ministre. Les adeptes répondent :
« Nous ne l’avons pas reçue ». Le Premier ministre demande trois représentants
pour entrer et expliquer la situation. Tout le monde lève la main, le Premier
ministre choisit trois personnes parmi celles qui lèvent la main pour entrer dans
Zhongnanhai. Je suis une des trois personnes qu’il a choisies. Nous sommes
entrés dans le poste de garde de l’entrée ouest de Zhongnanhai. Le Premier
ministre désigne le directeur-adjoint de la correspondance et des visites
[xinfangchu 信访处] et le secrétaire-général adjoint du Premier ministre pour
s’occuper de nous recevoir. Je leur ai expliqué le but de ma venue à
Zhongnanhai :
- libérer les adeptes de Falungong arrêtés à Tianjin;
- donner au Falungong un environnement juste et légal pour pratiquer
l’ascèse;
- permettre la publication des livres du Falungong par une voie normale
[légale].
Après avoir expliqué ces trois points, je suis sorti »1087.

D’après le Falungong, les manifestants attendent patiemment à l’extérieur,


formant trois ou qutre rangées sur le trottoir. Certains restent debout, d’autres sont
assis, quelques-uns lisent des livres; la foule reste silencieuse. Elle ne crie ni slogans
ni protestations. Les adeptes ne discutent pas avec les passants et n’obstruent pas la
circulation. Afin d’éviter de déborder les toilettes publiques, ils consomment le moins
possible de boissons et d’aliments1088.
En Chine, tout individu a en principe le droit de faire appel aux autorités
supérieures pour demander justice, sans obtenir de permission préalable. Ainsi,
d’après le Falungong, chaque manifestant n’est venu qu’en tant qu’individu et ne
représente que lui-même, pour se plaindre du mauvais traitement infligé à lui-même et
à ses proches. Aucun réglement n’a été enfreint par cette manifestation « spontanée »
d’individus tous venus demander justice pour leur cas personnel1089.

1086
Selon d’autres sources, Zhu Rongji nie avoir rencontré les manifestants.
1087
Lishi... 2000 : 7.
1088
Lishi... 2000 : 7.
1089
Lishi... 2000 : 7. Li Hongzhi n’est pas visible durant la manifestation, et nie avoir joué un rôle dans
son organisation. Or durant la campagne anti-Falungong de juillet-août 1999, les médias chinois
dévoilent que Li Hongzhi était arrivé à Pékin des Etats-Unis le 22 avril , et qu’il était reparti pour Hong
Kong le 25. Les trois jours de son séjour à Pékin correspondent exactement avec les dates des
manifestations à Tianjin et à Pékin. Li Hongzhi admet qu’il était à Pékin ces jours-là, mais uniquement
pour changer d’avions en route pour l’Australie, et qu’il n’a rencontré aucun adepte :
« Quant aux adeptes qui sont allés à Zhongnanhai pour expliquer la situation, ce jour-là j’ai changé
d’avion à Pékin en route vers l’Australie. J’ai quitté Pékin sans avoir la moindre idée de ce qui s’est
passé. Je voyange toujours seul. Pour éviter des ennuis, je ne rencontre jamais les adeptes locaux quand
A 23h, les pourparlers entre les adeptes et les représentants du Premier ministre
ont progressé. Les manifestants concluent qu’ils ont pu transmettre leur avis à la
direction centrale, ils décident donc de se disperser, prenant soin de ne laisser derrière
eux aucune ordure. D’après le Falungong, le lendemain de la manifestation, un
journaliste de l’agence Chine nouvelle aurait interviewé un responsable du Bureau de
la correspondance et des visites: ce dernier aurait dit qu’il avait indiqué aux adeptes
de ne pas croire aux rumeurs d’une suppression imminente du Falungong, et souligné
que les différents paliers du gouvernement n’ont jamais interdit la pratique de
différentes formes de qigong hygiénique, et que différentes opinions et perspectives
sont permises. Cette nouvelle encourage les adeptes du Falungong, qui croient dans
cette assurance qu’ils pourront continuer de pratiquer librement1090.

14.10 Durcissement de la répression

Mais, malgré ces assurances, Jiang Zemin aurait déjà écrit une lettre aux
dirigeants supérieurs du Parti, dans laquelle il aurait déclaré : « je refuse de croire que
le Parti communiste soit incapable de contrôler le Falungong »1091. Cette lettre donne
le feu vert aux actions de répression du Falungong. Un jour plus tard, le bureau
politique de l’Armée populaire de libération émet un ordre interdisant aux membres
de forces armées de pratiquer le Falungong. Le 29 mai, les comités de quartier Pékin
et des alentours, ainsi que les différentes unités de travail, ont reçu l’ordre d’établir la
liste des participants de la manifestation de Zhongnanhai1092.
Le 6 juin, des séances de pratique du Falungong dans la région de Pékin sont
perturbés par des agents du gouvernement. A Canton, des adeptes du Falugong sont
arrêtés et interrogés; la police les oblige à écrire des rapports sur les activités du
mouvement. Début juin, des rumeurs commencent également à circuler sur une
réunion d'urgence du Parti communiste qui s’apprête à désigner le Falungong comme
« secte perverse », et à promettre une récompense de 500 millions de dollars pour
ramener Li Hongzhi en Chine1093.

je voyage, car ils seraient trop nombreux à vouloir me voir. Donc je ne sais pas clairement ce qui s’est
passé ce jour-là » (Li Hongzhi 1999i: 93) Les médias chinois soulignent que Pékin est un choix
invraisemblable pour « changer d’avions » pour un trajet Los Angeles – Sydney… (SB 99/08/13: B5).
1090
Lishi... 2000 :7.
1091
Lishi...2000 : 8.
1092
Lishi...2000 : 8.
1093
Lishi...2000 : 8.
Face à ces actes répressifs, Li Hongzhi commence à se faire menaçant. Dans un
« texte sacré » (jingwen 经文) publié sur internet le 2 juin, il écrit que les dix mille
manifestants de Zhongnanhai ne sont rien par rapport aux cent millions de pratiquants
du Falungong. Laissant entendre que cette grande masse d’hommes risque de se
soulever contre l’injustice dont elle est victime, il déclare:
« La chose la plus effrayante, c’est de perdre l’adhésion du coeur du peuple.
Pour parler franchement, les adeptes du « Falungong » sont encore dans un
processus d’ascèse, leur coeur d’homme subsiste toujours [ils ne sont pas encore
complètement détachés de ce monde]. Face à un traitement injuste, je ne sais
pas pour combien de temps ils pourront encore endurer. C’est ce qui me donne
le plus de souci. » 1094

Le 13 juin, il autorise ses adeptes à employer des moyens légitimes (zhengchang


qudao 正常渠道) pour réclamer justice auprès du gouvernement1095. Le lendemain,
d’après une dépêche de l’agence Chine Nouvelle, des responsables du Bureau de la
correspondance et des visites reçoivent des plaignants du Falungong, et leur assurent
que le gouvernement n’a jamais interdit le Falungong, que les gens sont libres de
croire et de pratiquer la méthode de qigong de leur choix, et qu’il n’est pas question
que les adeptes du Falungong soient expulsés du Parti, de la Ligue des jeunes
communistes, ou de leur unité de travail, et de ne pas croire en ces rumeurs sans
fondement. Le 24 juin, une lettre signée par 13 000 adeptes du Falungong est envoyée
à Jiang Zemin et à Zhu Rongji, demandant que la pratique publique du Falungong soit
officiellement permise1096.
Fin juin, différentes instances du Parti et du gouvernement laissent entendre que
d’après leurs niveaux supérieurs, le Falungong est une secte illégale qu’il est
nécessaire de supprimer. A Pékin, la préfecture de police déploie toutes ses forces
pour repérer, poursuivre et surveiller les responsables des postes d’entraînement du
Falungong, et mener une enquête de porte-à-porte pour dresser la liste des adeptes du
Falungong. Des policiers sont également envoyés aux lieux de pratique pour surveiller
les adeptes et inciter les passants à perturber la pratique1097.
Le 26 juin, trois mille policiers sont envoyés pour « nettoyer » les treize points
de pratique du Falungong le long des deux bords de l’avenue Chang’an. Certains
adeptes qui refusent de partir sont emportés par la police. Le Secrétaire du Parti du

1094
Li Hongzhi 1999i: 89-90.
1095
Li Hongzhi 1999i: 91.
1096
Lishi...2000 : 8.
Shandong déclare qu’il faut éradiquer le Falungong dans les prochaines deux ou trois
années, et empêcher le développement du Falungong dans les campagnes. Dans le
Liaoning, les cadres du Parti reçoivent l’interdiction de pratiquer le Falungong, au
risque d’être expulsés du Parti s’ils persistent. Les livres et matériaux du Falungong
sont confisqués. Dans le Jiangxi, les établissements d’enseignement supérieur
reçoivent l’ordre d’interdire la pratique du Falungong sur leur campus; une circulaire
du Parti stipule que tout regroupement de trois adeptes ou plus est à considérer
comme un rassemblement illégal. Dans le Hubei, des policiers perturbent les lieux de
pratique du Falungong, ordonnent aux adeptes de se disperser, et confisquent leurs
livres. Dans le Guangdong, sous la pression de leurs instances supérieures, certaines
entreprises licencient leurs employés adeptes du Falungong1098.

14.11 La campagne nationale anti-Falungong

Ces actions de suppression restent d’envergure locale et régionale. Ce n’est que


le 19 juillet que commence la campagne nationale de suppression totale du
Falungong. Ce jour-là, un éditorial de première page du Quotidien du Peuple, sans
mentionner le Falungong, condamne la relâche d’organisations de base du Parti qui
tolèrent la participation de membres du Parti dans des « activités de bêtise
supertitieuse »1099. Une centaine de disciples de Li Hongzhi sont arrêtés1100. Le
lendemain, une campagne massive de propagande anti-Falungong est lancée, qui
durera plusieurs mois. Toute la journée, toutes les chaînes de la Télévision centrale
diffusent des images d’adeptes du Falungong qui, suite à leur adhésion au
mouvement, seraient morts, suicidés, tombés gravement malades, auraient perdu la
raison, ou auraient provoqué l’éclatement ou la souffrance de leur famille. Les unités
de travail et les instances de gouvernement convoquent leurs employés pour visionner
ces émissions, reprises par la presse, qui dépeignent le Falungong comme une
organisation ayant trompé les masses, utilisant ces derniers à des fins politiques1101.
A l’aube du même jour, les principaux responsables du Falungong à travers la
Chine avaient été arrêtés, à commencer par Li Chang et Ji Liewu de l’Association

1097
Lishi...2000 : 8.
1098
Lishi... 2000 : 8-9.
1099
RR 99/07/19: 1.
1100
Gittings 1999.
1101
Lishi...2000 : 10.
d’études du Falun Dafa à Pékin, le centre du réseau national du Falungong. A 2h, les
cinq responsables du Falungong de Harbin sont arrêtés, leurs résidences fouillées,
leurs livres et documents du Falungong confisqués. A 3h, des dizaines de
responsables sont arrêtés et enlevés par la police à Shijiazhuang, Tangshan,
Zhangjiakou, Baoding, etc. Trente adeptes sont arrêtés dans la ville de Mudanjiang
dans le Jilin, ainsi que les responsables du mouvement dans d’autres villes de la
province1102.
A Chongqing, la directrice du Poste général d’entraînement Gu Zhiyou 顾志忧,
une femme âgée de 60 ans, est emprisonée; elle aurait été victime de 24 actes de
torture y compris la chaise électrique, l’insertion d’un courant électrique dans l’anus,
le « tabouret du tigre », etc1103.
A Huangshi 黄石, dans le Hubei, le directeur du poste d’entraînement et cinq
autres adeptes sont arrêtés à 3h. Une heure plus tard, une dizaine de véhicules de
police se rendent au différents points de pratique de la ville de Suizhou 随州; les
pratiquants sont emmenés1104.
Et de même à Wuhan, à Changchun, à Nankin, à Kunming, dans huit villes du
Liaoning, à Datong, à Taiyuan, etc. A Xi’an, vers 6h10, des véhicules de police se
rendent simultanément aux différents points de pratique de la ville, confisquent les
bannières du Falungong et les magnétophones, et enlèvent violemment les
responsables de la pratique. A Tianjin, une dizaine d’adeptes sont arrêtés à 2h22. Ils
sont battus par les policiers et entraînés par les cheveux ou par le cou dans le
fourgon1105. En tout, d’après de Centre d’information sur les droits de l’homme, basé
à Hongkong, plus de 30000 personnes aurait été arrêtées lors des ces rafles
simultanées dans 30 villes chinoises1106.
Les disicples du Falungong protestent vivement contre ces arrestations. A
Dalian, presque ving mille adeptes manifestent à 20h pour demander la libération de
leurs responsables: ils sont violemment dispersés par la police. A Taiyuan, plus de
500 adeptes manifestent devant le siège provincial du Parti pour réclamer justice1107.
A Canton, le nombre de manifestants approche dix mille. A Shenzhen, environ mille

1102
Lishi...2000 : 10.
1103
Lishi...2000 : 10.
1104
Lishi...2000 : 10.
1105
Lishi...2000 : 11.
1106
Cernetig 1999.
1107
Lishi...2000 : 11.
manifestants sont arrêtés1108. Pékin, la police arrête plus de deux mille adeptes qui
manifestaient près de la place Tiananmen, et les enferme dans un stade à l’ouest de la
ville1109.
Le 21 juillet, le Comité central du Parti communiste émet une circulaire
déclarant le Falungong organisation illégale et interdisant aux membres du Parti de
participer aux activités du Falungong, sous peine d’être expulsés du Parti. Le même
jour, l’accès aux sites internet du Falungong est bloqué.
Le 22 juillet, le ministère des Affaires civiles décrète que le Falungong est une
organisation illégale, et décide des mesures suivantes: (1) interdiction d’afficher des
images, affiches ou symboles du Falungong dans les espaces publics; (2) interdiction
de distribuer des livres, cassettes ou autres matériaux du Falungong; (3) interdiction
d’organiser des « assemblées de qigong » ou de « propagation du Dharma » ou
d’autres activités pour propager le Falungong; (4) interdiction d’organiser des
rassemblements ou manifestations pour défendre ou propager le Falungong sous
forme de méditation ou d’appels lancés aux dirigeants; (5) interdiction de disséminer
des « mensonges » ou employer d’autres moyens pour déranger l’ordre public; (6)
interdiction d’organiser ou de coordonner toute activité de protestation contre les
décisions du gouvernement1110. Le lendemain, le ministère du Personnel interdit aux
fonctionnaires de pratiquer le Falungong.
Le 22 juillet, Li Hongzhi lance un appel aux gouvernements, aux organisations
internationales et aux « personnes honnêtes » du monde entier à appuyer le
Falungong et contribuer à résoudre la « crise » . Il appelle aussi le gouvernement
chinois de « ne pas traiter les masses du Falungong comme des ennemis. Quoi qu’on
dise, le peuple de toute la Chine comprend très bien le Falungong. Le résultat sera que
le peuple perdra confiance dans le gouvernement et les dirigeants de la Chine » 1111.
Le lendemain, le site web du Falungong fait appel aux disciples et leur demande de
s’organiser pour « agir rapidement » pour demander justice auprès de tous les paliers
du gouvernement, exiger la libération des prisonniers, réclamer la légalisation du
Falungong, et demander la « punition sévère » des responsables de la persécution du
Falungong1112.

1108
Gittings 1999.
1109
Gittings 1999.
1110
http://www.chinaqigong.net/dongtai/6.html
1111
Li Hongzhi 1999i: 93.
1112
Cité dans Ding & Fang 2000: 56.
Par la suite, la teneur apocalyptique des écrits de Li Hongzhi s’accentue. Li
Hongzhi explique la répression par une prophétie de Nostradamus1113. Les
événements ne font que confirmer les thèses du Maître : l’isolement, le harcèlement et
les sévices imposés aux adeptes en Chine continentale sont vécus comme autant
d’évidences des forces démoniaques de la société s’insurgeant contre la Grande Loi,
et comme des épreuves salutaires pour le disciple dans sa quête de « mérite ». Dans
ce contexte, nous pouvons mieux comprendre pourquoi de nombreux adeptes du
Falungong aillent au-devant de la persécution et même, par leurs actions
provocatrices, donnent l’impression de faire exprès pour l’attiser : la persécution
valide leur doctrine et les rapproche du salut promis par Li Hongzhi.
Le fondamentalisme du Falungong renforce cette dynamique génératrice
d’antagonisme confirmant la vision d’un monde partagé entre les disciples sauvés de
Li Hongzhi, et le reste du monde possédé par les démons. Le fondamentalisme du
Falungong qui appelle à l’exclusion mutuelle des croyances, des pratiques et des
races, et qui interdit d’absorber des idées, des techniques ou des substances
(médicaments) étrangers à l’oeuvre du maître, contrarie la tendance syncrétique d’une
certaine tradition chinoise toujours soucieuse d’intégrer dans l’harmonie les meilleurs
éléments du monde. La mort d’adeptes pour cause de refus de soins thérapeutiques
attire l’attention critique des médias sur le Falungong, ajoutant complexe de
persécution du groupe. Et les manifestations répétées d’adeptes avant et après le
commencement de la répression officielle, devant les bureaux de journaux, autour de
Zhongnanhai, sur la Place Tiananmen – qui ne peuvent qu’endurcir une réaction
entièrement prévisible de l’Etat dans la logique du système politique chinois --
semblent calculées pour engager le Pouvoir sur un champ de bataille moral opposant
le Démon persécuteur aux Héros martyrs.

1113
La prophétie citée par Li Hongzhi affirme qu’en juillet 1999, afin de faire renaître le roi Angeluya,
un grand roi terrible descendra du ciel. Mars gouvernera le monde, afin que les hommes vivent une vie
heureuse. Li Hongzhi explique que le « grand roi terrible » désigne une minorité de dirigeants du Parti
communiste chinois qui utilisent tous les moyens imaginables pour détruire le Dharma orthodoxe.
« Mars » , c’est le marxisme, qui gouverne non seulement les pays communistes, mais même les pays
capitalistes, à travers les systèmes de sécurité sociale. Le marxisme prétend apporter une vie heureuse
aux hommes. Dans ce contexte, le processus le l’enseignement du Dharma orthodoxe par le Maître est
comparable à une véritable résurrection (Li Hongzhi 2001: 6).
EPILOGUE: LE DEMANTELEMENT DU MONDE DU QIGONG

Les événements qui ont suivi la campagne de répression contre le Falungong


ont été largement rapportés dans les médias et résumés dans la littérature savante1114.
Une étude plus approfondie de ces événements dépasse le cadre de cette thèse. Ici, je
propose simplement d’étudier l’impact de la répression du Falungong sur le monde du
qigong. En bref, bien que le qigong ne soit pas directement visé par la campagne anti-
Falungong, la plupart des associations et organisations de qigong seront démantelées
par l’Etat entre 1999 et 2001. Plusieurs maîtres de qigong seront arrêtés et
emprisonnés. Si les activités de qigong ne sont pas interdites, elles ne pourront avoir
lieu que sous le contrôle direct et total des instances sportives de l’Etat. Le « monde
du qigong » n’existera plus qu’en tant que réseaux informels et souterrains réduits.
Dès le début le la campagne anti-Falungong, le gouvernement demande aux
personnalités et associations de qigong de participer à celle-ci. Le 23 juillet, les
fondateurs de 11 méthodes de qigong approuvées par le Bureau national
d’administration des sports, ainsi que les responsables de sept grandes organisations
de qigong, sont convoqués à une réunion à l’Institut chinois de recherches sur les arts
martiaux, pour critiquer Li Hongzhi et appuyer la répression du Falungong. Les
maîtres Yan Xin, Zhang Zhixiang et Huang Yuanfu prennent la parole, exprimant « à
l’unisson leur colère face aux crimes de Li Hongzhi contre la nation et le peuple » et
leur appui pour la campagne contre le Falungong1115.
Une semaine plus tard, l’ACESQ convoque tous ses membres et de nombreux
maîtres à une réunion de critique contre Li Hongzhi. Le 11 août 1999, la revue
Science chinoise du qigong organise une réunion de critique du Falungong. Trente
experts, professeurs, maîtres, etc. se joignent au chorus anti- Falungong1116. Et ainsi
de suite, toutes les organisations semi-officielles seront mobilisées pour se joindre à la
campagne.
Le Falungong étant à l’origine un réseau de qigong, les dirigeants chinois voient
désormais toutes les lignées de qigong comme des Falungong potentiels. L’existence
de ces organisations populaires centralisées et couvrant tout le territoire chinois, est
perçu comme une menace politique. L’Etat décide donc de démanteler ces réseaux. Le

1114
Voir par exemple Vermander 2001.
1115
voir le document internet http://www.chinaqigong.net/dongtai/6.html
1116
http://www.chinaqigong.net/dongtai/6.html
ministre Wu Shaozu, qui avait tant encouragé et protégé le monde du qigong, et qui
n’avait rien fait pour empêcher l’expansion du Falungong, est limogé à la tête du
Bureau national d’administration des sports1117. Les organisations de qigong basées
sur une seule lignée, et dont les activités s’étendent au-delà d’une seule localité, sont
interdites.
Cette nouvelle ligne est annoncée dans une circulaire émise en septembre 1999
par le Bureau national d’administration des sports, le ministère des Affaires civiles et
le ministère de la Sécurité publique, intitulée « Avis sur les questions relatives au
renforcement de l’administration du qigong hygiénique » ( Guanyu jiaqiang jianshen
qigong huodong guanli youguan wenti yijian de tongzhi
关于加强健身气功活动管理有关问题意见的通知). La circulaire constate que
certaines activités de qigong « empruntent le nom du qigong pour propager de
l’ignorance superstitieuse », « publient illégalement des livres et matériaux
audiovisuels à coloration superstitieuse et déifiant le fondateur de la méthode »,
« emprutent le nom du qigong pour pratiquer illégalement la médecine, portant
atteinte à la santé physique et mentale des masses », et « utilisent des « Assemblées de
qigong » (huigong 会功) et de « propagation du Dharma » (hongfa 弘法) pour
organiser des rassemblements illégaux, portant atteinte à la sécurité des citoyens et
détruisant la stabilité sociale ». La circulaire énonce les réglements suivants :
- Interdiction de créer des associations sociales basées sur des lignées de
qigong. Il est égalament interdit d’utiliser des moyens détournés pour créer des
organisations hiérarchiques et subsidiaires.
- Des « associations générales de qigong » (Zonghexing qigong shetuan
综合性气功社团 ) -- c’est-à-dire : non affiliées à une lignée particulière -- peuvent
être créées, mais celles-ci doivent recevoir l’approbation des instances concernées, et
doivent être des organisations indépendantes sans liens d’affiliation ou hiérarchiques
entre elles. Leurs activités doivent être de petite taille et dispersées, localisées en un
seul endroit et de nature bénévole. Il est interdit d’organiser des activités allant au-
delà d’une seule région. Il est interdit d’organiser des « Assemblées de qigong » ou de
« propagation du Dharma », des « conférences imbues de Force », etc. Il est interdit
d’organiser des activités de qigong sur des terrains du Parti, des administrations, de

1117
Il est remplacé par Yuan Weimin 袁伟民 (1939- ), ancien chef de l’équipe chinoise de ballon-
volant puis vice-ministre des Sports.
l’armée, des médias, des organisations étrangères, des aéroports, des gares, des places,
ou des rues importantes. Il est interdit de publier, de vendre ou de distribuer des
matériaux imprimés ou audiovisuels à « coloration superstitieuse » ou déifiant le
fondateur de la méthode. Il est interdit de fabriquer, de vendre ou de distribuer des
produits prétendant posséder une efficacité due au qigong. Il est interdit d’organiser
des activités de qigong hygiénique dans des écoles primaires et secondaires, ou de
recruter des écoliers pour des activités de qigong. Il est interdit d’afficher des
bannières, des images ou des sigles à « coloration superstitieuse » ou déifiant le
fondateur de la méthode dans des espaces publics. Les organisations illégales de
qigong seront dissoutes1118.
C’est tout le mode d’organisation et de propagation du monde du qigong qui est
visé par ces réglements. Ils ont pour effet de geler toute les activités de qigong dans le
pays. La « purge » et la « rectification » du monde du qigong, n’est plus un discours
creux comme il l’avait été entre 1996 et 1999. Les associations et lignées de qigong
craignent des mesures répressives et hésitent à organiser des activités. Tous les cours
et stages de qigong sont suspendus1119.
Peu après, le 30 octobre, le Comité permanent de l’Assemblée populaire
nationale passe une résolution interdisant les « sectes hérétiques » et stipulant la
punition de leurs organisateurs. Visant spécifiquement le Falungong, la résolution
interdit les « «sectes hérétiques » qui agissent sous le couvert de la religion, du
qigong ou d’autres formes illicites ». Seront punis tous ceux qui « manipulent les
membres d’organisations sectaires pour enfreindre aux lois et réglements
administratifs de l’Etat, organisent des rassemblements de masse pour déranger
l’ordre social et tromper le public, provoquent des décès, violent les femmes, et
escroquent l’argent et les biens des gens, ou commettent d’autres crimes à l’aide de la
superstition et de l’hérésie ». La masse des pratiquants, victime de la tromperie, sera
distinguée des organisateurs qui doivent être punis1120.
Plusieurs manifestations du Falungong ont lieu sur la place Tiananmen entre les
25 octobre et le 1er novembre, dates de la séance du Comité permanent qui discute et
passe la résolution anti-sectes. Sur la base de cette réglementation, les premiers procès
d’adeptes du Falungong se terminent le 12 novembre: quatre adeptes sont punis de

1118
cf. http://www.my169.com/~qigong/jingzhi.htm.
1119
Li Yuanguo: communication personnelle. Voir aussi www.my169.com/~qigong/qishi.htm. , sur
l’annulation des stages au Sanatorium de qigong de Beidaihe.
peines de deux à douze ans de prison, et plusieurs centaines sont envoyés dans des
camps de rééducation pour trois ans. Le 26 décembre, les quatre principaux dirigeants
de la lignée : Li Chang, Wang Zhiwen, Ji Liewu et Yao Jie, tous membres du Parti,
sont condamnés à des peines de 7 à 17 ans de prison, pour opposition à l’application
de la loi et complicité dans des décès causés par la perpétration des activités
sectaires1121.
Les autorités se tournent alors vers les autres organisations de qigong: en
premier lieu, le Zhonggong, deuxième plus grande lignée de qigong en Chine. En
novembre, une enquête est ouverte sur des accusations contre Zhang Hongbao de
viols qu’il aurait commis en juin et en novembre 1990, en janvier 1991, et en août
1994. Et en décembre, une deuxième enquête est ouverte sur un cas de faux
documents employés par Zhang Hongbao en 19931122. Le 13 décembre 1999, lors
d’une réunion de la Conférence nationale de travail politique et judiciaire, il est décidé
de supprimer le Zhonggong1123. Les bureaux du Zhonggong dans le Shaanxi sont mis
sous scellés1124. Zhang Hongbao, qui vivait en cachette depuis 1995, fuit le territoire
chinois et débarque sur l’île américaine de Guam en février 2000. Après six mois de
détention sur l’île, la demande d’asile politique de Zhang Hongbao est refusée, mais il
obtient en septembre l’autorisation temporaire de demeurer aux Etats-Unis, où il
s’installe à Washington1125.
D’autres lignées de qigong entrent aussi dans le collimateur. En octobre 1999, le
Bureau provincial de la sécurité publique du Sichuan assigne vingt inspecteurs pour
enquêter sur le « Qigong des Trois-trois-neuf pour réaliser l’origine » (Sansanjiu
chengyuan gong 三三九成元功) basé dans la ville de Nanchong. Le maître Qu
Changchun 屈长春 et ses principaux disciples sont détenus le 27 novembre 1999 et
officiellement arrêtés le 6 janvier 2000. Après huit mois d’enquête, Qu Changchun est
déclaré coupable d’avoir escroqué 7 millions de yuan, et est condamné à 20 années de
prison. Le 28 avril 2001, les autorités de la ville organisent une manifestation de 40
000 personnes dans le stade municipal pour proclamer le verdict. Tous les biens du
maître et ceux de sa lignée sont confisqués. Le réseau de transmission de la lignée –

1120
Decision… 1999.
1121
Vermander 2001: 5.
1122
Informations fournies par un informateur anonyme.
1123
Zhang Hongbao 2001: 7.
1124
Bobin 1999.
1125
Pottinger 2000.
avec ses postes d’entraînement à Pékin, Chengdu, Chongqing, Haikou, Urumqi,
Datong, Beihai, Anshan, Shangqiu, Deyang, etc. – est démantelé1126. Cette méthode
du qigong avait été lancée en 1982. Qu Changchun avait ensuite fondé l’Association
d’études du Sansanjiu chengyuan gong et une école de formation à Nanchong, en
1990. Le nombre de disciples était estimé à 30000.
Le 15 janvier 2001, Liu Jineng 刘继能, maître du « Qigong chinois des
fonctions exceptionnelles de la nature » (Zhongguo ziran teyigong 中国自然特异功),
basé dans la ville de Mianyang dans le Sichuan, est condamné à 15 années de prison
pour escroquerie et pour la publication illégale du périodique « La lumière du
guogong » (Guogong zhi guang 国功之光), de matériaux pédagogiques et de
vidéocassettes1127. Né en 1967 à Wanxian dans le Sichuan, Liu Jineng avait été
disciple du « Qigong des Trois-trois-neuf pour réaliser l’origine » avant de fonder sa
propre lignée en 1994.
Et ainsi de suite, un grand nombre de lignées de qigong sont démantelés, leurs
maîtres arrêtés et condamnés. En même temps, l’État renforce sa politique
d’administration du qigong. L’objectif est d’éliminer les associations et réseaux
populaires du qigong, et de mettre tout le qigong sous le contrôle de l’Etat.
En juillet 2000, une nouvelle réglementation du qigong thérapeutique est
promulguée1128, s’appliquant aux thérapeutes qui emploient le qigong pour soigner.
On se rappellera que des réglements avaient déjà été publiés en 19891129, et que cette
catégorie de qigong est gérée par le Bureau d’administration de la médecine chinoise
depuis 19961130. Dans le nouveau réglement, les conditions d’accréditation du qigong
thérapeutique sont resserrées. Toutes les personnes et organisations ayant obtenu un
permis de thérapie par qigong selon les réglements de 1989, doivent soumettre une
nouvelle demande d’homologation.
Le 15 septembre 2000, c’est le qigong hygiénique (géré par le Bureau
d’administration des sports) qui fait l’objet d’une nouvelle réglementation1131. Celle-ci

1126
Sichuan Jingji Ribao, 8 mai 2001, p. 4.
1127
Information citée dans le document internet http://www.qg100.com/news, tirée du Journal des
jeunes du Sichuan.
1128
« Réglements provisoires pour l’administration du qigong thérapeutique » (Yiliao qigong guanli
zhanxing guiding《医疗气功管理暂行规定》) , www.my169.com/~qigong/fagui.htm
1129
voir section 9.9, pp. 232-235.
1130
voir section 14.4, pp. 353-355.
1131
« Méthode provisoire pour gérer le qigong hygiénique » (Jianshen qigong zhanxing banfa
《健身气功暂行办法》), www.my169.com/~qigong/fagui.htm.
réitère la politique décidée en septembre 1999, qui interdit les associations contrôlées
par une seule lignée de qigong, ainsi que les associations transrégionales. Dorénavant,
les associations de qigong doivent être généralistes, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent
pas être vouées à la propagation d’un seule lignée. Leur rôle est d’assister les
instances gouvernementales dans la mise en oeuvre de la politique de l’Etat. Elles
peuvent être formées aux niveau national et provincial, dans certaines régions, et dans
certains danwei1132, mais pas au niveau du district et en-dessous. Il est interdit de créer
des sections d’associations vouées à des régions ou à des lignées spécifiques. Les
associations ne peuvent pas accepter de membres étrangers. Le choix des dirigeants
des associations, leurs principales activités, la résolution de leurs principaux
problèmes, et leurs activités en lien avec l’étranger doivent être décidées en accord
avec les instances sportives. Ces « associations » ne sont donc que des extensions de
l’Etat.
La formation des moniteurs de qigong (la fonction de « maître » n’est pas
reconnue) relèvera désormais exclusivement de l’Etat. La réglementation stipule que
toutes les activités de qigong hygiénique doivent être organisées par des personnes
homologuées par les instances administratives des sports. Cette homologation est
accordée à la suite de stages de formation organisés par les instances sportives.
Suivant le niveau du stage suivi, l’on peut être homologué moniteur de troisième, de
deuxième ou de premier degré.
De plus, l’Etat prévoit l’introduction d’une méthode de qigong unique et
standardisée, qui sera diffusée dans toute la Chine, par exemple aux points de pratique
des personnes âgées dans les parcs1133. Par ces mesures, nous voyons que l’Etat veut
s’arroger le contrôle total des organisations, des maîtres, et du contenu du qigong.
Sur la base de ces réglements, une purge des associations de qigong est menée à
travers le pays. Dans le Shanxi, par exemple, la « rectification » est conclue en mars
2001. Il existait 52 lignées de qigong dans la province : 8 sont jugées dangereuses et
interdites. Soixante dix-neuf associations de qigong et 106 organes dépendant de ces
associations sont dissoutes. Quarante-trois nouvelles associations provinciales sont
créées selon la nouvelle réglementation1134.

1132
Le danwei 单位 ou « unité de travail » est l’unité de base de l’organisation sociale du système
étatique chinois. Le danwei gère la production ainsi que l’organisation résidentielle et sociale des
employés.
1133
Li Yuanguo: communication personnelle.
1134
Shanxi sheng…2001.
Pour chapeauter cette nouvelle structure, une « Association chinoise du qigong
hygiénique » (Zhongguo jianshen qigong xiehui 中国健身气功协会) est créée. La
permanence de l’association est établie dans les bureaux de l’Institut de recherches sur
les arts martiaux, au sein duquel est créé un « Centre d’administration du qigong
hygiénique ». Celui-ci est un organe de l’Etat chargé de l’administration du qigong.
Fondé le 5 juin 2001, il dispose de quatre sections chargées de l’administration, des
activités et de la formation, de la théorie et de l’enseignement, et de la recherche
scientifique. Le directeur du Centre, Huang Ying, a fait carrière dans la Ligue des
jeunes communistes, et a précédemment été directeur-adjoint du Bureau
d’administration des cadres retraités.
Lors de la cérémonie d’ouverture du Centre, le Secrétaire du Parti du Bureau
national d’administration des sports Li Zhijian résume ainsi la nouvelle attitude du
Parti sur le qigong :
« Le qigong hygiénique est une forme de culture physique traditionnelle de la
nation chinoise, c’est une composante de la culture antique de la Chine. C’est
une forme d’entraînement personnel qui combine l’exercice corporel, la
respiration, et la régulation psychologique, dont les exigences quant aux
équipements et aux lieux de pratique ne sont pas élevées, et qui est devenue une
activité sportive de masse. Le qigong possède des éléments raisonnables
bénéfiques à la santé, mais contient aussi des déchets d’ignorance superstitieuse,
tels que la secte pernicieuse « Falungong » qui menaça profondément la stabilité
sociale. Donc, dans la pratique du qigong, le point capital, c’est d’éliminer les
détritus et d’absorber l’essence, et de renforcer l’administration, afin que le
qigong ait un effet positif pour la santé des masses, et qu’il ne soit pas utilisé
par des personnes désireuses de tromper les gens pour leur argent, de disséminer
des théories dévieuses, ou de menacer la stabilité sociale ».

Li souligne que le qigong doit suivre la voie de la « standardisation », de la


« scientifisation » et de la « légalisation 1135». L’Etat a enfin réussi à imposé un
système d’administration centralisé sur le qigong.
Le monde du qigong, cet espace foisonnant d’associations populaires, a
complètement perdu son autonomie. Mais les maîtres de qigong vivent toujours, et
leurs réseaux persistent de manière souterraine. Lors d’entretiens, des personnalités et
adeptes du qigong m’ont exprimé leur colère et leur mépris face au Falungong, qu’ils
accusent d’être une « fausse » méthode, responsable d’avoir attiré les foudres de l’Etat
sur l’ensemble du qigong. Et ils attendent que l’environnement politique se décrispe
après quelques années, permettant un nouvel essor du qigong.
1135
Wang Zumin 2001.
CONCLUSION
Le qigong préconisé par le gouvernement en 2001 ressemble à celui du début
des années 1950: un qigong idéologiquement correct, transmis uniquement dans des
structures étatiques. Nous nous retrouvons à la case départ: dans un contexte où des
lignées populaires de culture corporelle sont très répandues dans la société, le
gouvernement cherche à éliminer celles-ci, tout en purifiant le qigong de ses
« déchets » superstitieux, afin d’en faire une pratique « scientifique » qui apporte des
bienfaits pour la santé du peuple.
Récapitulons d’abord l’histoire événementielle du qigong: à la fin des années
1940, des cadres du Parti communiste chinois fondent une méthode thérapeutique
qu’ils appellent qigong, basée sur une technique de culture corporelle qui leur a été
transmise par un maître populaire. Dans les années 1950, les autorités médicales du
nouvel Etat communiste encouragent la création d’établissements médicaux de qigong,
qui sont fréquentés par l’élite du Parti. Le qigong connaît son premier essor durant le
Grand bond en avant à la fin des années 1950, mais est interdit durant la Révolution
culturelle.
Le qigong est réhabilité en 1979 grâce aux soutien public de plusieurs
membres du Conseil d’Etat. En quelques années, le qigong se propage à travers la
Chine comme un feu de brousse. Mais ce n’est plus le même qigong que celui des
années 1950: un amalgame est fait entre les pratiques du qigong et les phénomènes
paranormaux des « fonctions exceptionnelles ». Des scientifiques de renom rêvent de
fonder une nouvelle discipline scientifique du qigong, les « sciences somatiques », qui
transformeraient les arts magiques du corps en une science moderne et universelle.
Des milliers de maîtres apparaissent et enseignent des « méthodes de qigong » qui
contiennent, en plus de la « triple discipline » corporelle, respiratoire et mentale du
qigong des années 1950, une pléthore de pratiques magiques : la guérison par « qi
externe », le « qigong de mouvements spontanés », les « objets à informations », le
« langage cosmique », etc. Ces méthodes sont diffusées à travers des lignées de masse
qui les transmettent à des points de pratique collective dans les parcs et lieux publics
dans toute la Chine et à l’étranger. Les lignées du « monde du qigong » sont fédérées
dans des associations semi-officielles affiliées aux instances médicales, scientifiques et
sportives du gouvernement. Ils jouissent d’un important appui politique,
particulièrement au sein des réseaux de la Commission scientifique et industrielle de la
Défense nationale, qui fait étouffer les critiques contre le monde du qigong et des
« fonctions exceptionnelles ». Un monde foisonnant de groupes populaires se constitue
sous cette protection, avec ses associations, ses revues, ses colloques, ses activités
hygiéniques, thérapeutiques et culturelles, et ses millions d’adeptes.
La « fièvre du qigong » atteint son paroxysme avec Yan Xin. Ses expériences à
l’université Qinghua, où il aurait transformé la structure moléculaire de l’eau à une
distance de 2000 km, font espérer une nouvelle révolution scientifique menée par la
Chine, et donnent libre cours à tous les fantasmes futuristes d’un avenir où tout sera
possible grâce au qigong. Ses « conférences imbues de Force » produisent un effet de
foule: guérison et transe de masse. Le maître de qigong devient une idole
charismatique, combinant l’image traditionnelle de l’homme à miracles à celle de
l’homme de science moderne.
Les dérives liées au qigong se multiplient. Si, de 1979 à 1989, le qigong
participe à un mouvement de défoulement collectif de l’après-Révolution culturelle,
dans lequel tout est permis, la tendance post-Tiananmen, de 1989 à 1999, est plutôt
celle du développement contrôlé. L’intervention de l’Etat commence, avec pour but de
« rectifier » le qigong. Inefficace, elle se veut de plus en plus sévère après la dure
polémique qui fait rage contre le monde du qigong en 1995. On critique le culte de la
personnalité, le retour de « superstitions féodales », les abus thérapeutiques,
l’escroquerie, et les tours d’illusionisme qui passent pour les « fonctions
exceptionnelles » de la « pseudo-science » du qigong.
Parallèlement, les lignées de qigong deviennent plus sophistiquées et mieux
organisées. La tendance est à la récupération. Dans certains organes d’Etat, dans les
associations semi-officielles et dans les lignées de masse, on cherche à exploiter la
manne à profits que représentent les activités et produits relatifs au qigong. Une
nouvelle génération d’organisations de qigong se développe, qui, sur la base des
réseaux de transmission dans les parcs et espaces publics, mettent en oeuvre des
stratégies d’expansion systématique à grande échelle. Le Zhonggong, par exemple,
s’infiltre dans les mondes politique, scientifique, médiatique et judiciaire. Il construit
une organisation gigantesque qui emploie son propre dispositif d’administration pour
propager un nouveau système philosophique et culturel, la « culture du Qilin », auprès
de ses trente millions d’adeptes. Le Falungong, lui, s’enracine dans la pratique du
qigong pour diffuser un livre sacré, le Zhuan Falun, porteur d’une idéologie
millénariste. Celle-ci est vivement attaquée dans la presse par les polémiciens anti-
qigong. Li Hongzhi mobilise ses adeptes à se militer contre toute critique. Commence
alors, de 1996 à 1999, un cycle de lutte et d’expansion, chaque critique dans les
médias ou action officielle à l’encontre du Falungong provoquant une riposte de celui-
ci, suivie d’une augmentation toujours plus massive du nombre d’adeptes. Li Hongzhi
n’hésite pas à défier ses adversaires : il projette une confiance et une puissance qui
semble plus forte que celle du gouvernement.
Avec la manifestation de Zhongnanhai, en avril 1999, Li Hongzhi va trop loin.
Le gouvernement lance une campagne intense et systématique pour la suppression
totale du Falungong. Dans la foulée, c’est tout le monde du qigong qui est démantelé.
L’Etat tente de lui substituer son propre système uniforme d’enseignement et
d’administration du qigong. Le Falungong devient une société secrète; les réseaux de
qigong, fort réduits, persistent de manière informelle et souterraine. Tous attendent un
retournement du climat politique qui leur permettra, une fois de plus, de « sortir des
montagnes ».
Le tableau suivant résume le chemin parcouru entre 1949 et 2001:
Politique et histoire Pratiques Organisations Concepts
1949: Technique de Institutions médicales Théorie de la médecine
Création officielle du discipline du corps, de chinoise
qigong moderne la respiration et de
l’esprit. Pratique
individuelle, sous la
direction d’un
clinicien.
1956:
Branche de la
médecine chinoise
reconnue par les
autorités nationales
1965-1978 1971: Pratique
interdiction: collective dans les
“superstition féodale” espaces publics (Guo
Lin)
1979: Guérison par “qi Lignées de masse “Fonctions
Encouragement des externe” Associations semi- exceptionnelles”,
membres du Conseil officielles concepts et symboles
d’Etat de la religion et
cosmologie
traditionnelles
1980: Floraison des Qigong des
lignées mouvements spontanés
1982: Super-science et
Interdiction des révolution scientifique
critiques
1987-89: “Fièvre du “Conférences imbues Entreprises “Grand maître” de
qigong” de Force” commerciales qigong; messianisme
(Yan Xin); (Zhonggong) apocalyptique (Zhang
bigu Xiangyu)
1989:
Réglementation du
qigong thérapeutique
Années 1990: “Assemblées de
Consolidation des Force”, réunions de
lignées et des partage
organisations
1995: Lecture rituelle d’écrits “Pseudo-qigong”
Polémique anti-qigong sacrés (Falungong)
dans la presse
1996: Militantisme rituel Organisation militante “Grand Dharma
“Rectification”, (Falungong) à communication universel” qui
Réglementation du électronique transcende le qigong
qigong hygiénique (Falungong) (Falungong)
1999:
Suppression du
Falungong,
démantèlement des
autres associations.

Fig. 20. Sommaire historique du qigong

Pour mieux comprendre la signification de l’épisode du qigong, je propose ici


un début de réflexion sur ses implications dans les systèmes médical, religieux et
politique chinois.

Le qigong dans le système de soins

Les travaux d’histoire et d’anthropologie médicale de la Chine moderne et


contemporaine se sont longuement penchés sur l’institutionnalisation, la
modernisation et la légitimation de la médecine traditionnelle chinoise1136. Celle-ci
jouit actuellement d’une place reconnue et légitime dans le système médical chinois,
avec ses propres hôpitaux, ses universités, son corps professionnel.
Le projet initial du qigong était d’intégrer la culture corporelle dans le même
processus d’institutionnalisation médicale. Mais la médecine chinoise moderne, qui
donna au qigong sa première identité institutionnelle, ne lui accorda plus tard qu’un
statut très marginal, alors que les lignées populaires de qigong proliféraient. Pourquoi
est-ce en dehors des institutions médicales le qigong s’est développé?
Arthur Kleinman, dans son étude des différents types de recours thérapeutiques
à Taïwan, développe la notion du système de soins qui englobe l’ensemble des
activités instrumentales, sociales et symboliques d’une société donnée en rapport avec

1136
Voir Agren 1975 Croizier 1968, 1973.1975; Farquhar 1994; Leslie & Young 1992; Porkert 1975;
Unschuld 1985.
la maladie et la guérison. Il souligne l’importance de voir les différentes pratiques et
institutions thérapeutiques comme des éléments à situer dans un ensemble: les
patients, les guérisseurs, les médecins et les institutions agissent les uns en fonction
des autres, et pas seulement par rapport à leurs propres théories: « les interrelations
entre les parties composantes forment le système et guident les activités de ses
composantes »1137. Dans le cas de Taïwan, il élabore un modèle de la place relative
dans le système des soins des membres de la famille et des proches, des médecins
professionnels, des chamans, des voyants, des géomanciens, etc., autour de malades
qui circulent aisément d’un type de thérapeute à un autre. S’inspirant de la démarche
de Kleinman, nous pouvons illustrer comme suit la position du qigong dans le système
de soins de la Chine populaire des années 1980-90:

Fig. 21. Le qigong dans le système de soins chinois

Le tableau situe les types de guérison en fonction de leur degré de légitimation


officielle. En haut, la zone « institutionnelle » comprend la médecine occidentale (xiyi
西医) et la médecine chinoise moderne (zhongyi 中医) . La zone « populaire »
comprend les formes traditionnelles de traitement qui ne sont pas institutionnalisées
mais qui sont permises et tolérées : par exemple, les médecins, masseurs, acupuncteurs
et herboristes qui pratiquent hors du cadre institutionnel; l’aide et les recettes

1137
Kleinman 1980: 34.
familiales; etc. Enfin, la zone des « superstitions » regroupe les pratiques qui sont
théoriquement interdites (bien que très répandues dans la pratique) : divination,
géomancie, chamanisme, etc. Les frontières entres ces trois zones sont mouvantes
suivant la période, le lieu et les perceptions. Pour les différents types de traitement, il y
a souvent une tendance à chercher à « monter » vers un plus haut degré de légitimité
officielle. On trouve le qigong dans les trois zones : à sa pointe la plus élevée, il jouit
d’une représentation officielle de haut niveau dans le cadre du « Groupe de travail sur
les sciences somatiques » du Conseil d’Etat; il est reconnu comme branche de la
médecine chinoise; à travers ses formes gymniques, il est très répandu dans le domaine
populaire légal; et par ses pratiques talismaniques, de transe, de voyance, etc., il entre
clairement dans le domaine normalement interdit de la « superstition ».
Les formes institutionnelles de la médecine montrent une tendance historique à
rejeter certaines formes de guérison vers le bas. Comme le remarque Fang Ling à
propos des médecins lettrés de la dynastie des Ming, « les motivations derrière cette
hostilité semblent tenir à des considérations théoriques, mais aussi à la volonté des
médecins laïques de se démarquer radicalement des guérisseurs, par rapport auxquels
ils se définissent en négatif. 1138» Par contre, le qigong montre une tendance contraire à
vouloir tirer des pratiques de guérison vers le haut, en leur apportant des changements
cosmétiques (adoption de termes à consonance scientifique, etc.), qu’on considère
suffisants pour les légitimer.
Dans l’ensemble, ce projet a échoué face aux institutions médicales. La raison
tient à ce que le qigong, dès qu’il ne se limite plus à un auto-entraînement psycho-
corporel et inclut l’idée de l’efficacité thérapeuque de la circulation du qi entre
personnes ou objets, devient une forme de guérison essentiellement charismatique. En
tant que telle, elle met en jeu le « don » paranormal du thérapeute, la réceptivité du
patient et le cadre dans lequel s’établit la relation entre les deux acteurs : un maître me
disait que pour qu’il y ait guérison, il faut une « antenne émettrice » et une « antenne
réceptrice ». Le qigong devient alors un dispositif qui permet de faciliter l’éclosion de
pouvoirs de guérison et de réceptivité. Le pouvoir charismatique du maître est sa
source primordiale de légitimité. Toute personne peut aspirer à acquérir ces pouvoirs
après une courte période de pratique.

1138
Fang Ling 2002: 7.
Une telle prolifération de charisme est impossible à institutionnaliser. Cela
nécessiterait le contrôle ou même l’élimination de la dimension charismatique du
qigong, en s’appuyant sur l’autorité de la tradition. C’est effectivement ce que propose
Zhang Honglin, du monde institutionnel de la médecine chinoise, lorsqu’il affirme que
le qi externe n’existe pas et demande un retour au qigong « véritable » en tant que
méthode d’auto-entraînement, justifié par un recours à une généalogie historique du
qigong dans laquelle la guérison par qi externe n’apparaît pas. C’est aussi ce que fait
Li Hongzhi lorsque, se référant à la tradition bouddhique, il interdit de soigner d’autres
adeptes ou de donner des conférences : il interdit de créer les conditions d’émergence
de charisme chez les adeptes du Falungong, afin de centraliser tout le pouvoir autour
du sien. Mais ce faisant, il construit son organisation sur une source de légitimité autre
que celle des institutions médicales.
Même dans un contexte d’auto-entraînement, la pratique du qigong tend à
produire une rupture avec tout dispositif institutionnel. En effet, il est courant dans le
qigong d’entrer dans des états altérés de conscience dont l’expérience est difficile,
voire impossible à expliquer de manière satisfaisante avec des théories matérialistes.
Or ce genre d’expérience provoque une demande de sens, qu’il faudra donc chercher
ailleurs : soit à l’aide de concepts métaphysiques issus des traditions religieuses, soit à
l’aide d’une théorie, comme celle des « sciences somatiques », qui chercherait à
dépasser le modèle matérialiste habituel. Dans les deux cas de figure, on se trouve en
rupture avec le type de discours et de pensée qui domine dans le cadre institutionnel.
Même sans aller aussi loin que ces expériences intenses, la pratique du qigong
renforce une tendance, déjà forte dans la culture chinoise, de ressentir le corporel,
l’émotif, le social, le spirituel comme un seul tout non différencié. On peut facilement
passer des sensations physiques à la souffrance sociale et donc aux questions morales.
Ou encore à l’interrogation sur le sens de la vie et la nature de l’univers. Ceci pousse
le pratiquant à chercher un modèle explicatif globalisant, incompatible avec la pensée
réductionniste ou analytique des institutions médicales1139.
Que ce soit au niveau de l’organisation ou des concepts, le qigong propulse le
pratiquant vers un ailleurs que les institutions ne peuvent intégrer. Le seul moyen de

1139
Bien que la médecine chinoise moderne se base sur une théorie holiste, elle n’est employée par les
thérapeutes que dans un cadre très restreint (détermination du syndrôme et de la stratégie thérapeutique
pour des demandes de soins ponctuelles), et pratiquement jamais par les patients: il est rare qu’une
infusion herbale mène le patient à se poser des questions sur sa place dans l’univers, alors que la
pratique du qigong provoque aisément ce type de questionnement…
donner une forme cohérente à l’expérience du qigong est de faire appel aux maîtres et
aux « témoins du passé »1140, figures de la tradition, de suivre leur exemple et leurs
enseignements. De la technique de santé, le qigong mène inéluctablement vers la
lignée croyante; son organisation se construit hors des institutions médicales pour
prendre une forme de plus en plus religieuse.

Le qigong et la modernité religieuse en Chine

Si, de par la nature même des expériences qu’il produit, le qigong est une porte
d’entrée vers la religion, il faut s’interroger sur la place des organisations qui
propagent et encadrent ce type d’expérience, au sein de l’ensemble du système
religieux chinois. Les lignées de qigong ne relèvent ni de la religion instituée, ni des
cultes locaux ou familiaux. Leur structure, leurs pratiques et leur discours invitent une
comparaison avec ce que la littérature appelle communément le « sectarisme » dans
l’histoire religieuse de la Chine pré-communiste – une nébuleuse de groupements qui
ont occupé une place très importante dans le paysage religieux chinois à partir de la
dynastie des Ming. Certains de ces groupes, connus sous le nom de « Lotus Blanc »,
ont été impliqués dans des rébellions contre le pouvoir impérial, provoquant une
répression sévère. A partir du 19e siècle et dans la première moitié du 20e, ces groupes
ont connu une influence grandissante, remplissant le vide laissé par la destruction des
structures sociales traditionnelles et allant jusqu’à dominer des régions entières. La
dénomination de ces groupes fait encore l’objet de débats dans le milieu universitaire.
Daniel Overmyer parle de « sectes dissidentes » de la religion bouddhiste
populaire1141; Susan Naquin, reprenant l’expression de « religion du Lotus Blanc » en
usage en Chine, considère qu’il s’agit d’une véritable tradition vivante qui, bien que
jamais unifiée dans une seule organisation, partage un discours, une vision de
l’histoire et une forme d’oaganisation communautaire qui est relativement homogène
dans le temps et dans l’espace1142; alors que Barend ter Haar souligne que le terme de
« Lotus Blanc » est une étiquette employée par l’Etat impérial pour désigner toutes
sortes de groupes religieux intedits et persécutés, dont la plupart ne se reconnaissaient
pas par ce nom. David Ownby suggère le terme de « fondamentalisme populaire »

1140
Hervieu-Léger 1993: 118.
1141
Overmyer 1976.
1142
Naquin 1985: 291.
pour désigner une tradition duquel seraient issus aussi bien les groupes dits du « Lotus
Blanc » depuis les Ming, que du qigong et du Falungong aujourd’hui1143. Son objet est
de déterminer à quel point il y a continuité entre les « sectes » de l’histoire religieuse
de Chine et les groupes contemporains de qigong.
Avant d’aller plus loin, précisons en quel sens l’emploi du terme de « secte »
est approprié dans le contexte chinois. Partant d’une définition de la « secte » comme
une branche d’une tradition instituée, Ownby souligne qu’une telle définition
s’applique mal aux groupes chinois en question, qui ne sont pas des branches du
bouddhisme orthodoxe au même titre que les « sectes » chan, de la Terre Pure, du
Huayan, etc1144.
Mais si l’on prend le terme de secte dans son sens sociologique tel que défini
par Weber, nous pouvons mieux cerner la place de ces groupes dans l’ensemble du
système religieux chinois. Weber définit la secte en contraste avec l’église, qui est
« une institution bureaucratisée de salut, une administration de biens de salut où
s’exerce l’autorité de fonction et qui est en symbiose étroite avec la société
englobante »1145. La secte, par contre, est « une association volontaire de croyants en
rupture plus ou moins marquée avec l’environnement social et au sein de laquelle
s’exerce une autorité religieuse de type charismatique. Alors qu’on naît membre d’une
Eglise, on devient membre d’une Secte.1146 »
Si cette distinction est à l’origine basée sur le cas chrétien, elle peut également
s’appliquer, avec des nuances, au cas chinois. Les groupes dont nous parlons ici
n’exigent pas nécessairement un engagement intégral qui, par là même, entraînerait
une rupture avec la société environnante1147. Mais le fait qu’ils ne recoupent pas les
communautés natuelles de la famille, de la localité, de la corporation ou de l’Etat et se
constituent par des choix individuels et volontaires, peut les mettre en en tension avec
la société. L’adhésion à la secte est un acte volontaire, individuel, « qui demande un
travail permanent de purification et de sanctification personnelles »1148, dont l’intensité
peut cependant varier selon le groupe et l’individu. L’autorité est charismatique et les
liens entre adeptes sont de nature égalitaire.

1143
Ownby 2000: 15.
1144
Ownby 2002: 5.
1145
Hervieu-Léger & Willaime 2001: 72.
1146
Hervieu-Léger & Willaime 2001: 73.
1147
Cf. Hervieu-Léger 2001: 144.
1148
Hervieu-Léger 2001: 142.
Une telle définition correspond aussi bien aux lignées de qigong qu’aux sectes
chinoises historiques. En Chine, les sectes peuvent être contrastées avec les cultes
d’Etat et les religions instituées, qu’on peut rapprocher de la définition wébérienne de
l’église, et avec les cultes familiaux, locaux et professionnels (guildes), qu’on pratique
en vertu de sa naissance ou de son statut social. Comme l’expliquent E. Perry et S.
Harrell:
« La société chinoise était composée d’un grand nombre de groupes sociaux
enchevêtrés, structurés sur différents principes, tels que la parenté, la loyauté, la
classe, l’occupation, et ainsi de suite. Typiquement, les groupes organisés sur la
base de ces principes étaient fixés autour de sanctuaires, d’images, de rituels, et
de célébrations. Mais l’appartenance à un groupe religieux ainsi défini dérivait
automatiquement de la naissance, du marriage, de l’adoption, ou de l’intégration
dans un groupe fonctionnel – l’affiliation religieuse était un corrélat automatique
du clan, de la guilde, du village, ou d’une association.1149 »

Par contraste, toute personne pouvait adhérer à une secte du « Lotus Blanc », sans
distinction de statut social, d’âge ou de sexe1150. Les rapports entre maîtres et disciples
ne suivaient pas la hiérarchie sociale confucéenne: un maître pouvait être plus jeune
que ses disciples, un homme élève d’une femme1151. Le même phénomène se retrouve
dans le qigong où, dans le même sens, il est courant que des personnes très éduquées
deviennent disciples de maîtres peu instruits.
Dans leur étude sur les sectes à Taïwan1152, David Jordan et Daniel Overmyer
ont souligné que le sectarisme chinois offre un moyen aux individus de participer de
manière consciente à la « grande tradition » chinoise, qui est pratiquement fermée à
l’homme ordinaire qui n’est pas moine ou mandarin. Les sectes démocratisent la
tradition en donnant un accès facile à ses symboles. Pour Jordan et Overmyer, le
syncrétisme des sectes s’explique à travers cette dynamique d’appropriation de la
tradition:
« Le terme “syncrétisme”, lorsqu’il est appliqué [au sectarisme chinois], se
réfère à la création consciente d’un nouveau système religieux à partir de
matériaux qui sont vus comme des traditions séparées. Il n’y a pas de mélange
des sources, […] mais […] un fort sentiment de les utiliser comme matériaux
bruts pour créer quelquechose de distinct, nouveau, et qui dépasse la somme des
parties. En même temps que les sectaires affirment créer une chose nouvelle, ils
prétendent aussi que celle-ci est primordiale, une restauration de l’unité
« véritable » qui sous-tend les traditions qui la composent. La secte en soi est

1149
Perry & Harrell 1982: 285-86.
1150
Naquin 1976: 38.
1151
Naquin 1976: 41.
1152
Jordan & Overmyer 1986.
nouvelle, la conception sectaire est d’être le tout antique duquel les traditions
contributrices ne sont que des parties. Le syncrétiste sectaire qui nous concerne
n’est pas un meilleur bouddhiste pour se faire expliquer le bouddhisme en
termes confucéens. Il répudie directement les institutions bouddhistes et adhère
à un « nouveau » système conscient qui prétend incorporer la tradition
bouddhique, lui succéder dans le temps, tout en lui précédant temporellement et
logiquement. Il voit le bouddhisme comme une partie et la secte comme le tout.
Le sectarisme donne la possibilité d’une pratique bouddhique (ou son imitation)
sans les limitations du bouddhisme. 1153»

Nous retrouvons exactement la même dynamique à l’oeuvre dans la « science


du qigong »: celle-ci se voit comme un nouveau sytème qui englobe les différentes
traditions tout en les ramenant à leur unité et à leur pureté originelles. Dans la même
veine, un adepte du Falungong me dit avec fierté que si le taoïsme privilégie l’ascèse
corporelle (xiuming 修命) et le bouddhisme l’ascèse spirituelle (xiuxing 修性), le
Falungong intègre les deux (xingming shuangxiu 性命双修1154) dans une totalité
supérieure qui permet de « retourner à la racine » : le Falungong se présente comme
un nouvel enseignement qui succède au bouddhisme et au taoïsme dégénérés, tout en
étant infiniment plus ancien que ces religions historiques. Les techniques de qigong,
faciles à disséminer, permettent au plus grand nombre de participer viscéralement,
dans l’intimité du corps, à la « grande tradition ».
La nature individuelle et participative de la filiation sectaire est en lien avec le
millénarisme implicite ou explicite de ces groupes: le salut ne provient pas du simple
accomplissement des obligations liées au statut social, mais par un travail individuel
et corporel, pour atteindre la promesse d’une regénération de soi et de l’humanité: il
s’agit de mettre en oeuvre un processus de transformation. Le sectarisme crée donc
des groupes nouveaux de volontaires qui adhèrent à une cause commune .
Nous pouvons donc inscrire le qigong dans l’histoire du sectarisme chinois tel
que décrit dans la littérature et défini dans un sens sociologique. En comparant les
lignées de qigong avec les groupes que Naquin appelle les « sectes méditatives » des
dynasties Ming et Qing1155, nous pouvons commencer à élaborer un modèle du
sectarisme chinois tel qu’il se manifeste à travers la transmission de la culture
corporelle. Une fois le qigong inscrit dans la continuité, nous pourrons ensuite tenter
d’identifier son originalité par rapport aux mouvements qui le précèdent.

1153
Jordan & Overmyer 1986: 10.
1154
Cette notion de la complémentarité des deux formes d’ascèse est en fait très ancienne dans le
taoïsme.
1155
Naquin 1985; voir aussi Naquin 1976: 1-63.
Du 16e au 18e siècle, la doctrine apocalyptique de la fin du kalpa (jie 劫)1156
est largement diffusée dans la nébuleuse sectaire, ainsi que l’attente messianiste du
Bouddha Maitreya qui viendra instaurer un nouveau cycle universel, balayant toute la
corruption et les misères de l’ère actuelle1157. Si les notions spécifiques des kalpas et
du maitreyanisme se perdent dans plusieurs lignées à partir du 19e siècle, l’espérance
millénariste demeure, et se manifeste toujours implicitement et même parfois
explicitement dans le qigong. L’idéologie de la science du qigong décrite dans le
chapitre 4 est sa transposition dans les termes du scientisme. Dans le Falungong, le
système eschatologique réapparaît au grand jour.
Lié à ce complexe est le recrutement actif des lignées qui se donnent la mission
de sauver l’humanité. Dans les sectes « méditatives », le recrutement s’appuie sur des
relations de thérapeute à patient et d’enseignant à élève. A travers un processus
thérapeutique ou un entraînement de techniques de longévité ou d’arts martiaux,
l’adepte est initié dans la lignée sectaire1158. La démonstration de prouesses
surnaturelles et la présentation du maître comme personnage entouré d’une aura
mythique suscitent également l’attraction d’adeptes potentiels. Cet expansionisme, qui
distingue les sectes des autres milieux dans lesquels la culture corporelle est pratiquée,
est un trait marquant des lignées de qigong.
Si les pratiques de culture corporelle et de guérison occupent une place
importante dans la vie sectaire, elles ne sont pas une fin en soi, mais servent à la
constitution et à la propagation de la lignée. Les bienfaits immédiats des techniques
attirent un public à priori peu intéressé par les enseignements religieux1159. La
transmission de ces techniques crée des relations de maître à élève et de thérapeute à
patient qui deviennent les maillons de la chaîne sectaire. La pratique des techniques
donne naissance à une sous-culture d’adeptes partageant un maître, une pratique et
une vision communes. La simplicité des techniques1160, la possibilité de leur
transmission rapide et secrète et de leur pratique discrète et individuelle, sans
structures lourdes (temples, institutions), permettant une grande mobilité1161, est

1156
Cycle universel bouddhique qui se termine par la fin du monde et l’émergence d’un monde
nouveau.
1157
Sur les antécédents de cette doctrine dans les sectes du moyen-âge chinois (6e au 9e s.), voir
Zürcher 1982.
1158
Naquin 1976: 29-32; 1985: 282.
1159
Naquin 1985 : 282.
1160
Naquin 1985 : 285-86.
1161
Naquin 1985:281 ; 1976: 41.
adaptée au contexte de répression des mouvements sectaires. Le corps devient le
« temple » de l’adepte sectaire, qu’il porte avec lui, à l’insu des autres, dans tous ses
déplacements. Ainsi, l’incorporation des techniques de culture corporelle et de
guérison aux pratiques sectaires répond à deux contraintes : la nécessité de recruter et
de constituer des chaînes de transmission, et la nécessité de se développer de manière
fluide et souterraine dans un contexte de répression.
Dans le monde du qigong, nous retrouvons un agrégat de techniques semblable
à celles qui étaient enseignées dans les sectes de l’époque pré-communiste.
L’importance relative des techniques change, les formes de gymnastique daoyin
dérivées de la tradition médicale occupant désormais une place dominante, et les
techniques martiales d’invulnérabilité étant reléguées à la dimension du spectacle.
L’adaptation au contexte anti-religieux de la Chine populaire va beaucoup plus loin :
la dimension séculière hygiénique et thérapeutique des techniques est mise en avant,
permettant une expansion publique, ouverte et légale des lignées, masquant la
dimension religieuse qui s’exprime lors des méditations individuelles des adeptes, et
dans leur lien avec le maître.
Une lignée n’a qu’un seul maître, qui est le détenteur du charisme de la lignée
et dont la personne même, plus que les techniques ou enseignements transmis dans la
lignée, est le noyau central. Tout maître est héritier, fondateur ou disciple d’une lignée
: les maîtres sectaires ne sont pas des simples guérisseurs, voyants, philosophes ou
magiciens qui exercent leurs dons hors de toute structure. Horizontalement, à l’égard
des autres lignées, il existe un processus de différentiation, chaque secte cherchant à se
distinguer des autres, à partir d’une base de pratiques et un modèle d’organisation
communs à toutes les lignées. La différentiation est signifiée par le nom de la
méthode, l’image du maître, la combinaison de techniques enseignées et des détails de
doctrine. Dans certains cas comme le Falungong, s’ajoute un fondamentalisme qui
tente de couper toute communication de l’adepte avec d’autres lignées, en interdisant
la pratique de leurs méthodes et la lecture de leurs livres.
Chaque lignée a son nom propre. Avec le qigong, les termes jiao 教, hui 会 ou
men 门, désignant une doctrine, une congrégation ou une lignée religieuse, sont
remplacés par les noms gong 功 ou encore yanjiuhui 研究会, « association d`études »:
l’aspect technique ou savant de la lignée est mis de l’avant, l’organisation religieuse
occultée.
Les sectes méditationnelles et les lignées de qigong forment donc un monde de
réseaux fluides. Bien que l’unité d’organisation de base soit la lignée avec son nom et
son maître, la segmentation des lignées, la fondation de nouvelles lignées et
l’extinction de lignées se produisent constamment et facilement1162. Les individus
circulent aisément d’une lignée à une autre, prenant une succession de maîtres,
pratiquant une succession de méthodes, créant leurs propres réseaux et,
éventuellement, leur propre lignée. Ainsi, bien qu’il n’y ait point de structure fixe
unifiant les pratiquants, les maîtres et les lignées, tous ces réseaux enchevêtrés et
dynamiques forment un monde dans laquelle on circule et se reconnaît, une culture
avec ses références communes, ses personnalités connues, voire des normes et valeurs
partagées.
« En temps normaux, les sectes du Lotus Blanc dispersées dans la plaine de
Chine du nord semblaient isolées les unes des autres, de petite taille, fixées en
une localité, et préoccupées uniquement par leurs activités religieuses
quotidiennes, même inconscientes de leur histoire. […] Afin de voir comment
ces sectes vivaient et changeaient, il est nécessaire de les observer sur une
période de temps plus longue. Nous verrions alors que chaque secte était en
mouvement constant, en expansion, en branchement, circulant d’un lieu à
l’autre, parfois se rétractant presque jusqu’à la disparition, pour ensuite connaître
à nouveau une croissance rapide. Chaque membre de secte était conscient de ce
passé dynamique. La chaîne des relations de maître à disciple duquel il faisait
partie l’encourageait à forger de nouveaux liens vers l’avenir et le reliait
directement aux persécutions et rébellions du passé1163. »

Le monde sectaire a donc pour racine des réseaux souterrains constitués par les
chaînes de maîtres et de disciples, remontant dans le passé et se perpétuant dans le
futur. De ces réseaux souterrains émergent des groupements publics, à différents lieux
et différentes périodes, quand la répression s’atténue et les circonstances le permettent.
Lorsque les lignées publiques sont supprimées ou contrôlées, les réseaux se
contractent et continuent de se perpétuer de manière secrète. Le monde du qigong est
le produit d’une de ces périodes d’efflorescence, où une reconnaissance officielle
permit aux réseaux souterrains de se manifester, aux maîtres de « sortir des
montagnes » et de disséminer au grand public des méthodes adaptées aux réalités
politiques et matérielles de la Chine contemporaine. La répression déclenchée en 1999,
quant à elle, oblige le monde des lignées à se dissimuler une fois de plus.

1162
Naquin 1976 : 7.
1163
Naquin 1976 : 55.
Le qigong apparaît donc comme une manifestation publique et contemporaine
de la nébuleuse sectaire qui, depuis les Ming, est une composante majeure du paysage
religieux chinois. Le qigong s’inscrit ainsi dans la continuité de l’histoire de la religion
populaire de Chine. Or nous ne pouvons pas comprendre l’histoire du sectarisme sans
étudier le rôle de l’Etat chinois qui, sans le vouloir, a accéléré le processus de
« dérégulation institutionnelle du croire » qui caractérise la modernité religieuse1164.
En cherchant à contrôler et à limiter l’expansion des religions instituées (bouddhisme
et taoïsme) depuis la dynastie des Song (960-1279), de manière plus intensive sous les
Ming et les Qing (1368-1911), et encore plus sous le Parti communiste, l’Etat a de fait
affaibli les religions « orthodoxes », créant les conditions pour le foisonnement de la
religion populaire et du sectarisme1165. Depuis le début du 20e siècle, en détruisant les
cultes familiaux et locaux dans lesquels se construisait l’identité et s’exprimait la
religiosité des Chinois1166, il a créé des corps atomisés, des individus « modernes »
coupés de leurs filiations ancestrales. En contrôlant, en affaiblissant et en détruisant les
institutions de la religion traditionnelle, l’Etat communiste a accéléré l’émergence
d’une religiosité moderne exprimée par un engagement individuel et volontaire et des
trajectoires personnelles « en mouvement »1167. En même temps, de par son auto-
définition laïque et athée, l’Etat délégitime ses propres tentatives de régulation des
contenus et des pratiques religieuses1168.
Si la succession de révolutions modernisatrices chinoises du 20e siècle a
largement réussi à détruire les temples et festivals locaux1169, aspects visibles de la
religion, la culture corporelle, de par sa forme de transmission parfaitement adaptée à
un environnement de répression, fut l’une des seules formes de transmission et de
pratique religieuse à survivre et donc, après la Révolution culturelle, à pouvoir se
multiplier rapidement et s’insérer dans le tissu urbain, social et politique. En Chine, le
dernier demi-siècle a donc favorisé la propagation de pratiques centrées sur le corps
individuel, tout en réduisant considérablement la possibilité d’autres formes de
pratique et de communalisation religieuse dans les villes.

1164
Hervieu-Léger 2001: 126.
1165
Ownby 2002.
1166
Voir Schipper 1997, Duara 1995: 85-110. Dans les campagnes, il y a eu une reconstitution de ces
cultes après la fin de la Révolution culturelle (voir Dean 1993), mais ce phénomène ne s’est pas produit
dans les villes, où s’est concentrée la vague du qigong .
1167
Hervieu-Léger 1999.
1168
Weller 1994: 180 (en référence à Taïwan).
1169
Sur le rôle fondamental des temples dans la vie religieuse chinoise et sur leur destruction
systématique tout au long du XXe siècle, voir Goossaert 2000.
Pour Hervieu-Léger, l’individualisation et la subjectivation du croire est au
centre de la modernité religieuse1170. Conjuguée à la dérégulation des systèmes
organisés du croire religieux, cette tendance produit l’ « émiettement » de la religion.
Mais ceci laisse les individus désemparés, à la recherche de nouvelles formes de
communalisation dans lesquelles l’expérience individuelle peut être mise en récit,
partagée et validée :
« Un appel à la recommunautarisation du partage de la vérité peut ainsi
ressurgir, paradoxalement, au point le plus extrême de la dislocation des liens
socio-religieux concrets. Au point le plus extrême de cette crise, le besoin peut
surgir de trouver des « socles de certitude » au sein d’espaces clos où le partage
intensif d’une vérité commune, objective, gagée sur la parole d’un leader
charismatique et la chaleur affective d’un entre-soi, peut réunir les
individus.1171»

En Chine, cette logique peut être d’autant plus forte que si l’individualisation
existe de fait, elle est rarement revendiquée par les sujets eux-mêmes. Le qigong ouvre
un grand espace à la subjectivité personnelle, mais celle-ci ne s’exprime pas par
l’affirmation d’un soi qui veut suivre son propre chemin spirituel, trouver sa propre
vérité unique comme il est plus courant en Occident1172. Au lieu d’aller dans le sens
d’une atomisation et d’un éparpillement croissants, on entre dans le qigong dans un
état de plus grande réceptivité, que les lignées et les institutions tentent d’organiser. A
partir du matériau brut du corps et du fonds symbolique et conceptuel de la tradition et
de la science, on tend à vouloir intégrer une nouvelle totalité.

Le qigong dans le système politique

A un extrême, ce processus de communalisation peut déboucher sur des


groupuscules fermés sur eux-mêmes1173; à l’autre extrême, il peut mener au désir de
recouvrement de la société entière par la nouvelle communauté religieuse. En Chine,
ce deuxième scénario, dès qu’il se déclenche, sera tout de suite vu par tous les acteurs
sous son angle politique : en effet, le politique et le social n’ont jamais été séparés en
Chine. Comme l’explique I. McMorran,
« les rapports entre les éléments constitutifs de l’Etat et de la société en Chine ne
sont pas les mêmes qu`en Occident. Pour les théoriciens chinois – et depuis les

1170
Hervieu-Léger 2001: 123-125, 133.
1171
Hervieu-Léger 2001: 139-140.
1172
Hervieu-Léger 2001: 87.
1173
Hervieu-Léger 2001: 140.
Song il s’agit surtout de théoriciens confucianistes – l’Etat et la société se
chevauchent. De fait, dans la communauté idéale décrite dans les classiques
confucéens, cette communauté qui constituait, d`après eux, la struture naturelle
de la société humaine, et qui avait réellement existé à l`époque ancienne, il n’y
avait pas de séparation – et à fortiori pas d’opposition – entre l’Etat et la société.
Cette communauté, telle qu’on l’évoque dans La grande étude, est un tout
organique où tous les éléments, individus, familles, fils, pères, ministres et
souverain font partie intégrante de l’ensemble.1174 »

Le communisme n’a pas changé cette vision. En conséquence, dans le cas du qigong,
soit l’Etat devait tenter d’intégrer celui-ci dans sa structure, soit, si une lignée devenait
une organisation de masse indépendante, sortant des interstices pour tenter de
recouvrir la société entière, elle ne pouvait qu’être perçue par tous les acteurs, y
compris le maître de la lignée, comme un centre de pouvoir politique et une menace
pour l’Etat.
L’évolution du qigong vers la prédication morale renforce le potentiel de
politisation. Les exhortations morales de Yan Xin et plus encore de Li Hongzhi, qui
renouent avec le moralisme du sectarisme historique1175, trouvent un puissant écho
parmi les pratiquants. Ces maîtres enseignent que la vertu est une condition essentielle
de l’acquisition de pouvoirs : la conduite immorale produit une perte de mérite et de
Force. Le discours sur la morale ouvre la porte à la critique sociale, les problèmes de
société étant perçus en Chine comme le résultat d’un manque de morale chez les gens
en général et chez les dirigeants politiques en particulier. Le désir d’une communauté
basée sur une croyance commune et un comportement moral est fort; la « crise de foi »
(xinyang weiji 信仰危机) est perçue comme une cause de décadence morale. Mais le
glissement vers le politique peut aller plus loin : la légitimité politique en Chine
reposant traditionnellement sur la vertu charismatique1176, il est facile de faire un
amalgame entre le charisme moral du maître de qigong et celui du dirigeant politique.
Si un maître comme Li Hongzhi revendique une source de légitimité morale autre que
l’Etat, et que la comparaison entre la vertu du maître et celle du dirigeant politique ne
favorise pas ce dernier, la légitimité politique de celui-ci sera affaiblie. Dans un
contexte où le Parti communiste souffre d’une crise de légitimité morale, il peut
perpétuer son assise grâce à l’absence d’une alternative : mais si une source autre et

1174
McMorran 1994: 110.
1175
Sur l’importance de la morale dans les enseignements sectaires des 16e et 17e siècle, voir
Overmyer 1999: 274, 282. Sur la place de la morale dans l’enseignement de Yan Xin et de Li Hongzhi,
voir Ownby 2000.
indépendante de légitimité morale émerge et rassemble une partie significative et
grandissante de la population, l’érosion de légitimité du Parti pourrait subitement
accélérer.
La communalisation engendrée par le qigong, lorsqu’elle évolue vers des
organisations de masse indépendantes comme le Zhonggong ou le Falungong, semble
mener inévitablement vers une confrontation politique. Mais il faut nuancer sur la
manière dont cette confrontation se déclenche et se resoud. Sur ce point, mes
conclusions s’accordent avec celles de Robert Weller qui, dans son livre Resistance,
Chaos, and Control in China. Taiping Rebels, Taiwanese Ghosts and Tiananmen,
cherche à dépasser l’opposition habituelle entre « résistance » et « hégémonie » pour
analyser comment un événement, un rituel ou un culte peut passer d’un état de
« saturation » polysémique aux potentiels multiples et indéterminés pour se
« précipiter » vers une forme unique d’interprétation qui risque de se heurter au
pouvoir. Je rejoins aussi l’argument de Yves Chevrier sur les limites de la vision
« dichotomiste » qui décrit l’évolution politique chinoise en termes de contrôle, de
contestation, d’affaiblissement ou de violence du pouvoir. Sans nier l’existence d’une
telle dynamique, il propose un modèle où l’augmentation de l’activité non-officielle ne
signifie pas une érosion ou une corruption du pouvoir, mais le passage à un Etat
« distendu » où existent des autonomies de fait dans une « organisation
interstitielle »1177, et où la répression est circonstantielle, visant à « corriger les
manquements aux principes ritualistes des équilibres interstitiels.1178 »
Dans le même sens, il faut se garder de confondre de qigong avec la
méditation et la « spiritualité orientale » telles qu’elles sont présentées en occident, où
elles sont de nos jours construites comme une tradition « mystique » en opposition
avec le « dogmatisme » de la religion institutionnelle. Il existe une tendance à inscrire
ces pratiques dans des oppositions liberté/autorité, individu/institution,
caractéristiques d’une longue histoire idéologique d’affirmation de l’autonomie
individuelle et de résistance face à l’autorité. Il est facile de placer la répression du
Falungong dans une version caricaturale de ce schéma : l’Etat communiste totalitaire
écrasant la liberté spirituelle de millions d’individus ordinaires. Cette vision est
confortée par le fait que l’affaire du Falungong répète un scénario historique récurrent

1176
Sur la place de l’idéologie du « gouvernement par la vertu” dans la recomposition de l’Etat chinois
depuis les années 1990, voir Chevrier 2001: 111.
1177
Chevrier 1996: 276.
de la répression de mouvements sectaires par le pouvoir chinois. Mais un tel schéma
peut susciter une autre interrogation : si l’Etat est si totalitaire et si le qigong ouvre un
espace de liberté et de résistance, pourquoi le pouvoir a-t-il pendant si longtemps
toléré, encouragé et même protégé l’ouverture et le développement de cet espace?
Etant donné que le qigong répandait ouvertement des pratiques, des concepts et des
formes d’organisation souvent contraires à l’idéologie officielle, pourquoi la
répression est-elle venue si tardivement?
Or la participation ouverte et active de l’Etat est la grande innovation du
qigong par rapport au sectarisme historique (qui continue d’exister à Taïwan, dans les
communautés chinoises d’outre-mer et dans les campagnes chinoises1179). Jamais dans
son histoire le sectarisme chinois n’avait été unifié dans une seule communauté, grâce
à l’Etat, et jamais il n’avait bénéficié d’un si grand soutien politique. Une situation
analogue ne s’est, à ma connaissance, pas plus produite dans d’autres pays : peut-on
imaginer des fonctionnaires de la République française tenter d’unifier l’ésotérisme, le
New Age et la guérison charismatique en un seul système, de créer un comité
interministériel chargé de promouvoir et de gérer l’enseignement de ces pratiques à
l’ensemble de la population, d’ouvrir des sections dans les hôpitaux et des cours dans
les écoles, d’instituer des corporations de maîtres aux niveaux national, régional et
départemental, d’intégrer ces techniques à la recherche militaire, et d’interdire les
critiques d’un tel projet ?
C’est dans un espace intermédiaire, entre les institutions d’Etat et les lignées
sectaires, que se constitue véritablement le « monde du qigong ». Dans cet espace,
ouvert par les associations semi-officielles et les revues de qigong, propagé par les
médias, déployé dans les institutions scientifiques, éducatives et médicales, et rendu
visible dans les parcs, jardins, places et cours de la Chine urbaine, -- dans cet espace,
les personnalités, les maîtres et les adeptes des différentes lignées de qigong
communiquent entre eux et forment une seule communauté. On y tente de construire le
qigong en tant que voie de régénération de l’individu, de la Chine, et du monde. Les
différents maîtres et lignées contribuent à cette « cause du qigong » (qigong shiye
气功事业) par leurs méthodes, leurs guérisons, leurs expériences de laboratoire, leurs
explications conceptuelles, leurs innovations pratiques, et leurs systèmes de
propagation. Les agences et dirigeants politiques y contribuent en élaborant un cadre

1178
Chevrier 1996: 332.
idéologique, en prodiguant encouragements et permissions, en soulevant les obstacles
administratifs, en mettant à disposition des biens de l’Etat, en protégeant contre les
critiques.
Mais cet espace intermédiaire n’est pas autonome. Il subit une double pression
de l’Etat et des lignées : chacun tente d’utiliser le monde du qigong à ses propres fins.
Si l’Etat a encouragé la formation du monde du qigong et lui a donné un appui
institutionnel, c’était en tant qu’instrument de sa politique de santé, de recherche
scientifique et d’identité nationale. S’il a appuyé la constitution d’une communauté
nationale et unifiée, c’était afin de la récupérer et de la contrôler. En contrepartie, dans
le « monde du qigong », les lignées ont pu se voir accorder une dignité institutionnelle,
et trouver un espace de légalisation et de légitimation qui a permis leur expansion
massive1180. Le qigong pouvait prospérer en combinant les appuis institutionnels de
l’Etat et le dynamisme populaire des lignées. Du début des années 1980 au milieu des
années 1990, le monde du qigong fut le produit d’un étrange mariage entre les lignées
sectaires et les institutions d’Etat, créant un espace inédit d’expression du religieux.
Cette enquête, en retraçant le rôle fondamental de l’Etat dans la création et
l’évolution du qigong, souligne cet aspect paradoxal de l’histoire qui a abouti à
l’émergence et à la répression du Falungong. Mon récit a mis à jour deux facteurs qui
ont contribué à cette situation : (1) sur le plan idéologique, la reformulation
conceptuelle du qigong en termes matérialistes lui a donné une base de légitimité : à
ceci s’est ajouté un discours nationaliste qui a trouvé de fortes résonnances avec le
maoïsme des années 1950 et le scientisme des années 1980; (2) sur le plan politique,
le soutien de réseaux d’infuence issus notamment des milieux de l’industrie militaire
et des personnalités politiques retraitées. Le retournement qui mène à la crise du
Falungong peut être expliqué comme suit : le rejet du projet scientiste du qigong par
la communauté scientifique à partir de 1995 laisse le champ libre à la doctrine
apocalyptique du Falungong; le viellissement avancé ou la mort des principaux
défenseurs politiques du qigong ouvre la voie à un durcissement de l’attitude
officielle; cette double radicalisation engendre une dynamique de confrontation qui
aboutit à la répression politique.

1179
Sur la résurgence des sectes dans la Chine rurale, voir Munro (éd.) 1989.
1180
Sur le rôle de la « distinction” dans l’évolution des rapports entre l’Etat et les périphériques et
intersticiels dans l’histoire chinoise, voir Chevrier 1995 : 173-174, note 30 et 1996: 331-332.
Mais ne réduisons pas le conflit entre le Falungong et le Parti à un retour à la
configuration habituelle des rapports entre le sectarisme chinois et le pouvoir, qui
seraient essentiellement caractérisés par la résistance et la répression. Ne nous
arrêtons pas à une explication de l’épisode du qigong qui le précède, avec ses rapports
bien plus ambigus entre les lignées sectaires et l’Etat, comme un cas d’exception qui
s’explique par le rôle joué par certaines personnalités et leurs constructions
idéologiques dans des conjonctures historiques précises. L’épisode du qigong nous
oblige à sortir du schéma conflictuel qui oppose l’autorité de l’Etat à l’autonomie des
individus et des groupes. Il nous montre un mouvement qui se construit à travers
l’interpénétration de réseaux, de lignées, d’institutions, de pratiques et de systèmes
conceptuels, dans lequel il est en fait impossible de distinguer les sectes et l’Etat en
tant qu’unités autonomes. L’Etat en tant qu’entité monolithique se dévoile, laissant
apparaître un enchevêtrement de personnes, de réseaux et d’institutions qui avancent,
reculent, se croisent et se retournent, se relient, se dépassent et s’entrechoquent,
s’étendent, se recoupent et s’influencent jusqu’aux confins de la société, mais sans la
recouvrir complètement. Il est difficile de tracer une ligne claire entre ce qui est dans
l’Etat et hors de lui. « L’extra-institutionnel est co-extensif à l’Etat, […] il est
structurant, pas seulement déformant.1181». C’est dans ce système, et pas au dehors,
que les lignées des maîtres prennent forme et se propagent.
Au lieu de parler d’autonomie et d’autorité, pensons en termes
d’indétermination et d’organisation. L’organisation est ici comprise une mise en
relation stable, harmonieuse et hiérarchisée d’éléments hétérogènes. L’incertitude
engendrée par l’indétermination peut produire un désir d’organisation, une volonté de
faire système. Malléable à l’infini, l’indétermination se laisse organiser sans jamais se
réduire à une seule mise en forme.
Cette dynamique de l’indétermination se retrouve dans plusieurs composantes
de la vie sociale et religieuse chinoise. K. Schipper évoque la nature polysémique du
rituel, l’impossibilité et l’inutilité d’en fixer le sens1182. Dans son étude sur les temples
chinois, V. Goossaert décrit des lieux impossibles à classifier, qui logent une pléthore
de dieux et abritent toutes les pratiques, un « espace privilégié qui accueille tous les
savoirs et toutes les richesses », qui conjugue l’expression de la culture populaire avec

1181
Chevrier 1995: 171.
1182
Schipper 1984.
l’exercice du pouvoir politique1183. K. Dean, dans sa monographie sur le culte du
Seigneur des Trois-en-Un dans le Fujian, dépeint un flux circulatoire, tiré dans des
directions contradictoires dans différents contextes sociaux1184,
« qui se meut en spirale, des besoins rituels individuels aux incantations des
médiums aux textes liturgiques au théâtre rituel aux témoignages sur pierre aux
immenses festivals des temples aux flots transversaux de pouvoir social et
culturel local aux mémoires écrits par les lettrés locaux aux gazettes des temples
aux canonisations officielles, une circulation considérable de textes, de corps, de
nourriture, d’argent, de musique, de légendes, de désir1185. »

R. Weller souligne la dimension « carnavalesque » du Culte des Dix-Huit Seigneurs à


Taïwan, où « personne n’a l’autorité pour imposer une interprétation et le rituel lui-
même est rempli de possibilités innovatrices et complexes1186 ». Et, dans le domaine
des relations sociales de la Chine contemporaine, M. Yang décrit le mode guanxi1187
des relations avec les fonctionnaires comme analogue à des « réseaux
rhizomatiques »1188, que G. Deleuze et F. Guattari contrastent avec les structures
hiérarchiques arborescentes : une mise en relations ouverte,
« connectable dans toutes ses dimensions, démontable, renversable,
susceptible de revoir constamment des modifications. Elle peut être déchirée,
renversée, s’adapter à des montages de toute nature, être mise en chantier par
un individu, un groupe, une formation sociale […] à la différence des arbres
ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre
point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des
traits de même nature, il met en jeu des régimes des signes très différents et
même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l`Un ni au
multiple.1189»

Enfin, E. Micollier décrit le qigong comme « une combinatoire entre les divers
éléments qui le composent, qui semble extensible à l’infini au regard de l’ensemble
des combinaisons possibles.1190 » Le qigong est en effet un objet indéterminé qui
permet un passage entre les éléments les plus hétérogènes : de la gymnastique à la
lecture, des ovnis à la médecine, de la physique à la transe, de la sorcellerie à la

1183
Goossaert 2000: 33, 65, 206.
1184
Dean 1998: 273.
1185
Dean 1998: 276.
1186
Weller 1994: 179-180.
1187
Forme de relation semblable au « piston” en France, mais qui imprègne tous les domaines de la vie
sociale et s’entretient par l’échange ritualisé de dons et de contre-dons sous la forme de services, de
faveurs, de repas, etc.
1188
Yang 1994.
1189
Deleuze & Guattari 1980: 20, 31.
1190
Micollier 1995: 379.
morale, du salut dans l’au-delà à la santé ici-bas, de l’ascèse à l’agriculture.
Socialement, c’est un noeud dans lequel peuvent se rencontrer plusieurs organisations
hétérogènes : le qigong devient gymnastique de santé dans l’institution
bureaucratique, chaîne de transmission dans la lignée sectaire. Ainsi, le pratiquant
peut être simultanément dans plusieurs mondes, ou bien passer de l’un à l’autre
spontanément : monde expérientiel du corps, monde symbolique de la tradition,
monde conceptuel de la science, monde relationnel du social, monde utopique du
futur, etc. L’indétermination du qigong, qui fait qu’on passe en un souffle du médical
au religieux et vice-versa, de la science à la croyance et vice-versa, est parfaitement
adaptée à une culture sécularisée où l’adhésion à une « religion » n’est pas perçue
comme une valeur positive, ni pour les individus dans leur majorité, ni pour l’Etat de
par sa politique. C’est grâce à sa nature indéterminée que le qigong a pu devenir un
espace légitime ouvert par l’Etat lui-même.
L’Etat est une volonté d’organisation à partir du centre, qui vise à recouvrir
l’ensemble de la société. Il s’accomode fort bien de l’indétermination à la périphérie
et dans ses interstices : car la peur du chaos qu’elle engendre justifie le déploiement
du pouvoir organisateur. Les lieux d’indétermination sont des noeuds à travers
lesquels les personnes et les autres organisations peuvent être intégrées à la structure
étatique. En même temps, l’organisation excessive crée une fuite vers
l’indétermination. Ainsi, dans le qigong, les dérives et l’escroquerie ont créé une
demande du public et du monde du qigong lui-même pour une plus grande
intervention de l’Etat : il fallait mieux « administrer » le qigong et réduire le
« désordre » en son sein. A travers le qigong, les lignées sectaires pouvaient obtenir
une reconnaissance et une légitimité officielle en tant que formes de sport ou de
thérapie, pendant que l’Etat les cooptait dans son système institutionnel et
idéologique. En même temps, le qigong permet aux adeptes de trouver refuge dans un
ailleurs subjectif et symbolique, un monde imaginaire et mystique loin de
l’organisation aliénante de la vie dans les unités de travail.
L’organisation étatique se déploie de manière rituelle, à travers des échanges
personnels et formalisés entre les fonctionnaires officiels et avec les administrés. La
forme de l’organisation est plus importante que le contenu. La participation aux
échanges formalisés avec les fonctionnaires implique une mise en harmonie et la
reconnaissance d’obligations mutuelles entre les acteurs et avec l’Etat. Les maîtres de
qigong, en participant à cette pratique, avec ce qu’elle implique comme échange de
dons, de services, de biens matériels et de prestige, ainsi que de conformité de façade,
se sont insérés dans le système, certains plus que d’autresCeci leur a valu la tolérance
de l’appareil dans son ensemble et le soutien des dirigeants avec lesquels ils
cultivaient des rapports personnels. L’indétermination du qigong leur permettait de se
rattacher à l’organisation étatique tout en construisant en parallèle leurs propres
organisations. Ils pouvaient parer leurs livres et articles de termes scientifiques pour
faire passer un message religieux. De la nouvelle politique sur le qigong de 1996 à la
répression du Falungong en 1999, l’intervention accrue de l’Etat dans le monde du
qigong visait uniquement à réguler, à corriger les dérives thérapeutiques, la fraude et
l’escroquerie, et à restreindre l’expansion des plus grandes lignées, sans s’attaquer à
leur existence ou à leur contenu idéologique1191.
Comme l’écrit Weller, la « saturation de sens » des pratiques indéterminées
empêche la focalisation autour d’un objectif politique, tout en rendant la répression
difficile: aucune cible ne se présente. Mais
« les systèmes organisés et explicitement élaborés en dehors de l’Etat, par
contre, perdent leurs défenses multivoques et invitent la répression. En Chine, le
seul acte de créer un tel système explicite peut être vu comme un défi politique,
aussi inoffensif que puisse être le contenu.1192 »

A Taïwan, par exemple, avant la démocratisation dans les années 1990, l’Etat tolérait
les formes inorganisées du chamanisme, mais réprimait sévèrement des sectes telles
que le Yiguandao 一贯道, car elles proposaient une interprétation alternative et
indépendante. A partir de là, l’Etat devait contrôler non plus du « chaos » (luan 乱),
mais de l’ « hérésie » (xie 邪). En général, les sectes taïwanaises étaient politiquement
conservatrices. Mais
« le problème résidait dans leurs sources de légitimité plutôt que dans leur
message, dans leurs implications plus que dans leurs actes. Le gouvernement
n’aimait pas le chaos du rituel indéterminé, mais le tolérait dans la plupart des
cas. Les alternatives interprétatives organisées, cependant, devaient être
écrasées si possible – jusqu’à récemment même dans un état laïc comme
Taïwan.1193»

Dans le cas de la révolte des Taïping, Weller essaie d’identifier comment le


mouvement est passé de l’indétermination à l’organisation contrôlée, engendrant la

1191
Sur le redéploiement de l’Etat durant les années 1990 en tant que régulateur plutôt qu’en tant que
mobilisateur politique, voir Chevrier 2001: 102-103.
1192
Weller 1994: 174.
rébellion. En effet, durant sa gestation dans une région isolée du Guangxi, le
mouvement se dispersait dans la cacophonie des voix d’adeptes possédés par des
esprits. Mais en 1850, le prophète du mouvement, Hong Xiuquan, démarre un
important programme de publication, « afin de contrôler complètement l’information
et l’interprétation, mettant fin à la mêlée interprétative générale de la fin des années
18401194 », et instaure une hiérarchie élaborée de style militaire. Une évolution
analogue se produit lorsque le Falungong émerge de l’indétermination du qigong. A
partir de 1994-95, Li Hongzhi refuse de participer à l’organisation rituelle de l’Etat.
Idéologiquement, il rejette le qigong en tant que technique, proposant dans le Zhuan
Falun une nouvelle organisation idéologique qui ne fait aucune concession au
conformisme d’apparence. En cessant de collaborer avec les associations semi-
officielles de qigong, il sort du circuit des échanges financiers et des relations
personnelles qui intégraient les maîtres et les lignées à l’organisation étatique. Enfin,
par le militantisme public de ses adeptes, il rompt ouvertement avec l’harmonie
d’apparences du système. Il n’affronte pas directement le pouvoir, opposant plutôt un
refus éclatant à son déploiement rituel à travers négotiations, cooptations et échanges
en sous-main pour conduire à l’intégration formelle des acteurs au système. Hors de
ce jeu de relations, fort de sa doctrine de pureté morale et spirituelle, Li Hongzhi crée
un centre de légitimité morale indépendant du pouvoir étatique. Jouant sur
l’indétermination des exercices de qigong, il surimpose à la dimension thérapeutique
et religieuse une critique sociale basée sur un fondamentalisme moral. A
l’entraînement du corps et à la quête mystique s’ajoute le rejet de la direction amorale
de l’évolution sociale de la Chine. Le discours du Falungong résonne avec un dégoût
généralisé pour le système des réseaux d’influence et de la corruption inhérentes au
fonctionnement des institutions, pendant que des officiels parmi ses disciples, toujours
intégrés aux organes de l’Etat, continuent de les subvertir pour protéger la lignée. Les
manifestations qui culminent à Zhongnanhai remettent en cause toute l’organisation
rituelle de l’Etat – voilà le véritable « affront » qui déclenche la campagne de
répression.
Mais il ne faut pas voir dans le Falungong une manifestation d’autonomie
sociale résistant à l’autorité de l’Etat. Bien qu’il s’enracine dans la polysémie du
qigong pour jouer simultanément sur les registres thérapeutique, religieux, moral,

1193
Weller 1994: 174.
1194
Weller 1994: 101.
social et politique, le Falungong vise à intégrer l’adepte dans une organisation
corporelle et idéologique compacte et fermée. Or, paradoxalement, la répression
autoritaire augmente l’indétermination du qigong. Interdit d’organisation ou
d’expression explicite, le monde populaire du qigong se dissout dans des réseaux
particuliers et souterrains. Pendant que, à travers l’Etat et le Falungong, deux modèles
de contrôle s’affrontent sur la place publique, les praticiens du corps se dispersent
dans l’ombre.
EPILOGUE: NOUVEAUX CHAMPS DE RECHERCHE

Cette étude soulève des plusieurs questions qui méritent d’être approfondies
dans des recherches ultérieures: des prolongements de la présente recherche, une étude
comparative, et une enquête sociologique.

Prolongements

1. Les liens entre les réseaux militaires et politiques et les lignées de qigong
n’ont été que superficiellement établis dans cette thèse, à travers certains événements
et personnalités. Ces liens sont sans doute encore plus profonds et complexes que les
données à ma disposition ne le suggèrent. Des entretiens approfondis avec des
personnalités importantes du monde du qigong seraient nécessaires pour éclaircir cette
question.
2. Une étude approfondie et comparative des principales lignées de qigong. La
présente thèse, qui se donne pour objet de donner une vision d’ensemble du qigong, a
décrit sommairement l’organisation et l’histoire du Falungong et du Zhonggong, à
cause de leur influence incontournable, et du Zangmigong, comme exemple d’un
groupement plus local et associatif. L’étude de ces lignées pourrait être plus poussée;
de plus, d’autres lignées importantes telles que le Xianggong, le Qigong de Yan Xin,
le Zhinenggong, le Yuanjigong, etc., qui ont chacune leur originalité au niveau du
maître, de la méthode, de la doctrine ou de l’organisation, méritent aussi d’être
étudiées en détail.
3. Une étude du qigong à Taïwan et dans les pays occidentaux. Depuis les
années 1980 et encore plus depuis les années 1990, un grand nombre de maîtres de
qigong, dont les trois plus célèbres – Yan Xin, Zhang Hongbao et Li Hongzhi -- se
sont installés à l’étranger, et ont commencé à y enseigner leurs méthodes et à y
propager leurs lignées. De plus en plus d’occidentaux deviennent maîtres. En occident,
le qigong a trouvé une place dans le monde du New Age et des thérapies alternatives.
Les formes qu’il prend ici et à Taïwan sont souvent différentes par rapport à la Chine
continentale. L’internationalisation du qigong mérite d’être étudiée. Quel sera son
effet de retour sur la Chine?
4. Une enquête sur les liens concrets entre les sectes de l’époque pré-
communistes et les lignées de qigong. Cette étude a démontré des analogies
structurelles et idéologiques qui nous amènent à conclure que le qigong est
l’expression contemporaine du sectarisme d’avant 1949. Mais il reste à découvrir des
liens concrets de descendance, s’ils existent. Existe-t-il des courants de qigong qui
hériteraient directement de sectes spécifiques de l’époque pré-communiste? Pour citer
un exemple, un des mes informateurs spécule que le Xianggong (Qigong des arômes)
descend directement de la secte Wenxiang 闻香教, « Enseignement des arômes ».
Pour ce qui est du Falungong, la « Congrégation de la swastika » (wanzihui 字会)
était très active dans la ville natale de Li Hongzhi avant 19491195. Ce dernier aurait-il
reçu des enseignements de maîtres de cette secte? Nous savons qu’une grande partie
des maîtres de qigong ont commencé leur apprentissage dans des lignées populaires
traditionnelles. Quelles étaient ces lignées? Lesquelles étaient des sectes ? A quels
courants de qigong ont-elles donné naissance?
5. Une étude des filiations intellectuelles des courants idéologiques qui
s’expriment autour du qigong. Par exemple, la controverse autour du qigong rappelle
en bien des points celle qui opposa les partisans de l’ « essence nationale » (guocui
国粹) et les iconoclastes du mouvement du Quatre mai durant les années 1920. S’agit-
il d’une répétition du même débat, ou le qigong introduit-il de nouveaux éléments?
Quelle est la place du qigong dans l’histoire du nationalisme chinois?

Comparaisons

1. Le qigong et le millénarisme en Chine et ailleurs. Le Falungong est un


mouvement explicitement millénariste, et le qigong de façon implicite. Comment
s’inscrivent-ils dans la longue histoire du millénarisme en Chine? Y a-t-il un lien
entre le millénarisme maoïste et le qigong qui lui succède?
2. Le qigong, le scientisme et le spiritisme en Europe aux 19e et 20e siècles. Il
existe des analogies frappantes entre la « science du qigong » et les sociétés d’
« études psychiques », elles-même issues des sociétés magnétiques dont les pratiques
semblent avoir des points communs avec celles du qigong. Les « études psychiques »
proposent une forme de « religion scientifique » dans laquelle le prédicateur est
remplacé par le conférencier, qui déploie « une diversité de procédures

1195
Chen Xingqiao 1998b: 139.
argumentatives au nom d’une même instance scientifique: « la Science » », et où on
transpose les objets de foi en objets d’enquête expérimentale1196.
3. Le qigong et les mouvements orientalistes, ésotériques et de New Age en
Occident. Dans ces mouvements, on se réfère à des pratiques, des notions et des
traditions semblables ou identiques à celles qui sont réunies dans le qigong. Il serait
intéressant de comparer les similitudes et les différences dans leur mise en forme et
dans leur expression sociale dans différents contextes sociaux, culturels et politiques.
4. Le qigong et la modernité religieuse à Taïwan, au Japon et en Asie du sud-
est. Ici encore, la comparaison permettrait de relever les spécificités du cas chinois
ainsi que les tendances générales du domaine de l’Asie orientale.
Tous ces domaines de comparaison auraient en propre d’inscrire le qigong
dans la problématique des formes modernes du religieux. En effet, le qigong est
analogue en plusieurs points avec ce que D. Hervieu-Léger décrit comme des
caractéristiques de la modernité religieuse en Europe : une orientation vers ce monde-
ci, un impératif de rapidité et d’instantanéité, une attitude pragmatique et éclectique,
un désir de marier la science et la spiritualité, la centralité du thème de la guérison, un
nouveau rapport avec l’argent (commercialisation des biens spirituels), et, comme
nous l’avons déjà vu, l’effacement de communautés religieuses « naturelles » au
profit de regroupements volontaires1197. Mais, sur ce dernier point qui exprime
l’individualisation des parcours religieux, les formes de communalisation et leur
rapport avec le politique, l’histoire du qigong présente des spécificités reliées au
contexte chinois. La mise en parallèle des cas asiatiques et occidentaux permettrait
d’avancer vers un modèle plus universel de la modernité religieuse.

Enquête sociologique

La présente étude s’est penchée sur l’histoire de la nébuleuse des groupes de


qigong, leur structure interne, leur propagation, et leur interpénétration avec les
institutions de l’Etat, sans trop s’interroger sur la masse des adeptes pris
individuellement et collectivement. Qui sont-ils? Quelles sont leurs origines sociales et
géographiques, leurs caractéristiques démographiques? Quels parcours les mènent au
qigong? Quelle est leur vision du monde; comment celle-ci est-elle transformée par la

1196
Charuty 2002.
1197
Hervieu-Léger 2001: 76, 86-88, 105, 111-122, 131-134, 171.
pratique du qigong? Il semble que la grande majorité des pratiquants sont des
personnes âgées, avec un nombre supérieur de femmes. Il y a aussi une minorité non
négligeable d’intellectuels. Les motivations comprennent la recherche de santé et de
sociabilité, ainsi que la quête mystique ou religieuse, le désir de comprendre « les
mystères de l`univers », de pénétrer dans l’essence de la culture chinoise, de devenir
un Immortel ou un Bouddha. Ceci est l’aspect visible du qigong, que tout adepte
racontera volontiers. Les témoignages d’adeptes abondent dans la littérature du
qigong; les pratiquants sont en général très loquaces sur les bienfaits qu’ils en retirent.
Que ces éléments n’aient pas fait l’objet d’une enquête systématique est le résultat
d’un choix délibéré. Jusqu’ici, si les recherches sur les techniques du qigong
abondaient, on s’était peu penché sur les formes d’organisation sociale de ces dizaines
de millions d’adeptes, et sur l’idéologie qui les structure. Il fallait d’abord restituer le
cadre politique et anthropologique ainsi que les faits historiques du qigong.
Cela étant fait, c’est aux pratiquants eux-mêmes qu’il conviendra de
s’intéresser. Une étude des adeptes de qigong en tant que tels serait cependant moins
fructueuse qu’une enquête sur l’ensemble des pratiques religieuses (y compris
thérapeutiques), menée auprès d’un échantillon d’une population donnée. En effet,
afin de mieux situer le qigong dans l’ensemble du paysage religieux chinois et dans
l’évolution historique de celui-ci, il faudrait pouvoir retracer les trajectoires
d’individus qui circulent librement entre les pratiques et les structures. Ceci
permettrait de voir d’où venaient les pratiquants de qigong et vers où le qigong les a
orientés : par exemple, j’ai constaté que certains adeptes, après l’abandon du qigong,
ont poursuivi leur quête auprès des religions instituées. Un grand nombre des
nouveaux adeptes des religions instituées (notamment bouddhisme et taoïsme) sont
d’anciens pratiquants de qigong. Le qigong fut-il une porte d’entrée vers la religion
instituée, ou encore vers d’autres formes de religiosité?
Aujourd’hui, la « fièvre du qigong » étant finie, le nombre de pratiquants est
bien moindre qu’autrefois. Cela n’empêche que le qigong a marqué toute une
génération, qui continue son parcours spirituel. Une enquête sociologique sur
l’ensemble des pratiques religieuses d’une population chinoise donnée permettrait de
restituer les rapports à la base entre les pratiques et les groupes, et de situer le
cheminement spirituel des individus en rapport avec les transformations de la société.
ANNEXES
1. PRESENTATION DES SOURCES

Cette étude a commencé par une enquête de terrain par observation


participante dans la ville de Chengdu (Sichuan) et ses alentours, lors de trois séjours
entre 1994 et 1997. Mais il ne s’agissait pas d’une enquête systématique et
scientifique, celle-ci ayant été abandonnée au profit de la recherche documentaire et
historique. La participation sur le terrain m’a surtout donné une connaisance intime,
de l’intérieur, du monde du qigong, qui a guidé ma réflection et m’a permis d’évaluer
les données d’autres sources.
Les données présentées dans cette thèse sont donc, pour la plupart, tirées de
sources documentaires. Les principales sources sont les suivantes :

1. Les revues de qigong. Ces revues populaires, mensuelles, bimensuelles ou


trimestrielles, sont les principaux médias d’échange d’informations au sein du monde
du qigong. Elles sont décrites dans l’annexe 6. J’ai constitué un corpus de 258
numéros des principales revues, contenant environ 11300 articles. Ces articles, écrits
par des maîtres, des adeptes, des chercheurs, des journalistes et d’autres passionnés du
qigong, donnent une bonne image des tendances et des débats au sein du monde du
qigong. Les articles ont été classés en dix catégories; dans l’ordre de leur importance
numérique, ce sont les suivantes :
- Publicités de stages et d’autres produits
- Discussion de thèmes variés (concepts, sujets historiques, théories, etc.)
- Témoignages d’adeptes
- Discussion et conseils sur la pratique du qigong et ses effets
- Présentation didactique de méthodes de qigong
- Présentation et entretiens avec des maîtres de qigong
- Actualités du monde du qigong
- Rapports sur des recherches et expériences cliniques
- Editoriaux et commentaires sur la « cause du qigong » (qigong shiye
气功事业)
- Rapports d’expériences de laboratoire.
A partir de ce corpus, j’ai créé une base de 309 articles sur les actualités du monde du
qigong, et de 398 articles d’autres catégories, contenant des informations sur les
associations et organisations de qigong. Ces deux séries d’articles sont la source d’une
grande partie des données de la thèse.

2. La presse chinoise. La plupart des points tournants dans l’histoire du qigong sont
marqués par des articles de presse parus dans des journaux tels que le Quotidien du
Peuple (renmin ribao 人民日报), le Quotidien Guangming (Guangming ribao
光明日报), le Journal des jeunes de Pékin (Beijing qingnian bao 北京青年报), etc.
L’intérêt de ces articles provient non seulement des événements qu’ils rapportent, et
qui constituent la charpente du récit historique, mais par l’impact de leur publication
sur le développement du qigong. La couverture positive du qigong dans la presse est
en effet un important facteur dans la propagation rapide et massive du qigong – tout
comme, à partir de 1995, les critiques du qigong dans la presse provoquent une
érosion rapide du soutien politique et populaire pour le qigong1198.

3. Les ouvrages des chroniqueurs du qigong. Il s’agit de livres écrits par des
personnes actives dans le monde du qigong, qui décrivent les événements et
phénomènes entourant le qigong. Le livre Qi juan shenzhou 气卷神州, « Remous de
qi sur le Continent des Esprits [la Chine] » de Zheng Guanglu 郑光路1199, maître de
qigong et d’arts martiaux, décrit avec objectivité la montée de la « fièvre du qigong »,
la vague de Yan Xin 严新, et l’opposition au qigong. C’est le seul livre qui raconte,
dans un ordre chronologique, les événements marquants du monde du qigong dans les
années 1980. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une étude scientifique, le contenu du livre,
basé sur des articles de presse et sur des témoignages, est une source utile
d’informations anecdotiques. « La grande controverse du qigong de 1995 » (1995
qigong da lunzhang 1995年气功达论战), par les journalistes Li Jianxin 李健新 et
Zheng Qin 郑勤 1200, présente les principales prises de position des défenseurs et
adversaires du qigong. Bien qu’il agisse d’un ouvrage de polémique en faveur du
qigong, le livre contient des témoignages utiles et des entretiens inédits avec des
personnalités du monde du qigong. Les livres du journaliste Ji Yi 记一 sur Zhang

1198
Le rôle des médias dans le monde du qigong est analysé dans la section 8.3, pp. 218-219.
1199
Zheng Guanglu 1991.
1200
Li & Zheng 1996.
Hongbao et sur le monde du qigong1201 contiennent aussi des données utiles pour cette
thèse.

4. Les livres et les publications internes des lignées de qigong. Tous les principaux
courants de qigong ont fait publier un ou plusieurs ouvrages sur le maître, sur sa
méthode, sa philosophie, etc. Les livres sur Yan Xin 严新1202, sur le Zhonggong1203, et
l’oeuvre volumineuse de Li Hongzhi 李洪志1204 sont des sources riches en données.
La documentation interne de ces courants est aussi une source précieuse
d’informations inédites : les Informations du Qigong tantrique (Zangmi qigong xinxi
藏密气功信息), journal du Zangmigong publié sur simple feuille A3 polycopiée; le
Journal des sciences de la vie (Shengming kexue daobao 生命科学导报), journal
interne du Zhonggong, ainsi que les manuels des animateurs de stages de cette
organisation1205; des tracts polycopiés et électroniques du Falungong1206 recèlent de
renseignements sur le système d’organisation de ces lignées. Etant donné la nature
polémique et apologiste d’une grande partie de ces documents – de même que les
textes anti-Falungong provenant des organes d’Etat – les données sur le Falungong
sont à manier avec prudence. Dans la mesure du possible, j’ai essayé de reconstituer
les événements en confrontant différentes sources sur le Falungong.

5. Les livres de référence sur le qigong. Le Livre complet du Qigong chinois


contemporain (Zhongguo dangdai qigong quanshu 中国当代气功全书)1207, édité par
Wu Hao 吴昊, directeur du bureau de politique intérieure du Quotidien du Peuple, est
une mine d’informations indispensable pour cette étude. Le livre, organisé comme un
dictionnaire encyclopédique, contient quatre parties, couvrant les méthodes, les livres,
les maîtres, et les organisations de qigong. La première partie présente les méthodes
de qigong de 161 lignées. La deuxième est une bibliographie de 389 ouvrages chinois
sur le qigong. La troisième partie contient des notices biographiques de 556 maîtres
de qigong, et la quatrième partie donne une brève description et les coordonnées de

1201
Ji Yi 1990a, 1990b, 1991, 1993.
1202
Li Lun 1989, Qian Xin & Pei Jin (éds.) 1990, Wu Xutian (éd.) 1992. Voir aussi Yan Xin 1991,
1996, 1998.
1203
Ji Yi 1990a, 1991; Liu Zhidong (éd.) 1993 (?); Zhang Hongbao (s.d.) a,b,c,d.
1204
voir bibliographie pour les références.
1205
Qingchengshan… 1997a,b.
1206
Voir notamment Dafa xuefa…; Lishi huigu; Yipi Falungong xueyuan.
182 associations de qigong. Les données contenues dans ce livre ont servi de
fondement pour la création de bases de données informatiques sur les maîtres et les
associations de qigong, à laquelle j’ai ajouté des données venant d’autres sources.
Notons que ce livre n’est pas édité de manière critique : les entrées sous chaque
catégorie semblent reproduire intégralement des textes soumis par les différentes
lignées. On ne peut donc pas confirmer la vérité des faits. De plus, les articles ne sont
pas uniformes au niveau du contenu ou de la forme, ce qui ne facilite pas la
comparaison de différents maîtres ou organisations. Enfin, d’importantes lacunes se
présentent dans le choix des entrées : par exemple, Yan Xin, pourtant le plus célèbre
des maîtres de qigong, ne figure pas dans la liste des 556 maîtres, alors que tous les
principaux disciples de Zhang Hongbao ont leur propre notice biographique. Ceci
s’explique probablement par le fait que Yan Xin fut exilé aux Etats-Unis au moment
de la compilation de l’ouvrage. Un autre important livre de référence, le Grand livre
du qigong chinois (Zhongguo qigong daquan 中国气功大全)1208 contient aussi la
description de plus de 200 méthodes de qigong, mais peu de données utiles.

6. Les sites internet. Quelques sites internet chinois voués au qigong contiennent des
dépêches sur les actualités du monde du qigong, les textes de la politique officielle, et
des débats intéressants sur les tendances futures du qigong1209. Les sites de Zhang
Hongbao1210et de Yan Xin1211, basés aux Etats-Unis, contiennent des informations
utiles, de même que les sites du Falungong1212. B. ter Haar a créé un site en langue
anglaise qui contient des liens et une description critique et presque complète de tous
les sites web et publications sur le Falungong et le qigong en langues européennes1213.

1207
Wu Hao (éd.) 1993.
1208
Zhang Youjun (éd.) 1996.
1209
Voir notamment www.qg100.com/news.
1210
www.goldkylin.net.
1211
Les meilleurs adresses web du Qigong de Yan Xin n’existaient plus en 2002. Le site actuel de son
association internationale est www.yanxinqigong.net.
1212
www.falundafa.org, www.minghui.ca.
1213
« Falun Gong: Evaluation and Further References », http//www.let.leidenuniv.nl/bth/falun.htm.
2. LES PREMIERES METHODES DE QIGONG DES ANNÉES 1950

Les méthodes de qigong élaborées par Lui Guizhen et ses collègues et


disséminées dans les institutions médicales chinoises des années 1950, sont décrites
comme comportant trois formes d’entraînement ou de discipline (santiao 三调) :
discipline corporelle, discipline respiratoire et discipline mentale1214. A la suite de Liu
Guizhen, les auteurs d’ouvrages d’introduction ou de théorisation sur le qigong
suivront son emploi du schéma de la « triple discipline » pour décrire les pratiques.
Les centaines de méthodes de qigong proposées par les différents courants dans les
années 1980 et 1990 sont essentiellement des variations sur le même thème. Les
méthodes enseignées par Liu Guizhen sont donc les « ancêtres » du qigong, dont les
formes générales seront suivies par tous ses successeurs.
Ces méthodes comportent toutes les caractéristiques suivantes : réduire
l’activité mentale ; se détendre le corps entier ; porter des vêtements amples ; vider
son corps de selles et d’urine avant de commencer la pratique ; répéter
silencieusement une formule orale.
L’entraînement de la pensée consiste à se concentrer sur un point du corps : le
champ de cinabre (dantian), le point shanzhong au centre de la poitrine, ou le point
yongquan dans la plante des pieds.
Le entraînement de la respiration peut être pratiqué de plusieurs manières. Une
première méthode consiste à légèrement fermer la bouche, respirer avec le nez,
d’abord inspirer, et en même temps diriger mentalement le qi vers le ventre. Après
l’inspiration, faire une pause, et ensuite expirer. La séquence de respiration de cette
méthode est donc : inspiration – pause – expiration. On peu aussi choisir les
séquences suivantes : inspiration – expiration – pause ; ou inspiration -- pause –
expiration – pause.
La respiration peut être naturelle, profonde, ou contre-abdominale (le
pratiquant se contracte l’abdomen en inspirant). Il faut lever la langue contre le haut
du palais en inspirant, garder la langue immobile lors de l’arrêt, et baisser la langue
lors de l’expiration.
La respiration est accompagnée de la répétition d’une formule orale de trois à
neuf caractères, dont le sens devrait évoquer des notions de relaxation, de beauté ou
de santé, tels que « je me détends » (ziji jing 自己静), « mon corps entier se
détend »(tongshen songjing 通身松静), « mes organes sont en mouvement, mon
cerveau est tranquille » (neizang dong, danao jing 内脏动,大脑静). La récitation de
la formule doit correspondre avec la respiration. Par exemple, si la formule est « ziji
jing », il faut inspirer en récitant le caractère zi, faire une pause en récitant le caractère
ji, et expirer en récitant le caractère jing. Le choix de la formule à répéter dépend de la
maladie à traiter. Par exemple, les personnes nerveuses diront : « je me détends ».
C’est au niveau du contrôle corporel que diffèrent les méthodes développées
par Liu Guizhen. Dans le neiyanggong 内养功, le pratiquant adopte la position
allongée sur le dos ou sur le côté, ou la position assise sur une chaise. Dans le
qiangzhuanggong 强壮功, on s’asseoit les jambes croisées naturellement ou dans la
position du lotus, ou encore debout, ou sans position précise. Le xingbugong 行步功
est une série de mouvements gymnastiques à pratiquer en position debout. Dans le
baojiangong 保健功, on adopte la position assise les bras croisés ou dans la position
du lotus. L’exercice commence avec 50 respirations, puis on effectue une série de
gestes d’auto-massage des oreilles, des dents, de la salive, du nez, des yeux, de la
figure, du cou, des épaules, des bras, des reins, du ventre, des genoux, de la plante des
pieds, etc.1215
Le fangsonggong (放松功, qigong de relaxation) développé par le Sanatorium
de qigong de Shanghai, utilise les techniques de contrôle du corps et de la respiration
décrits ci-dessus. Quant au contrôle mental, la méthode consiste à se concentrer
successivement sur différentes parties du corps, tout en répétant le caractère song
(relaxation), jusqu’à ce que le corps entier entre dans un état de relaxation
profonde1216.
Une autre méthode, appelée le Qi donggong (气动功, qigong du mouvement),
consiste à induire un état de relaxation jusqu’à provoquer des mouvements fluides et
spontanés du corps1217. Le Yi qigong (意气功, qigong de la pensée) est une méthode
de dirigation du qi le long des méridiens d’acupuncture. Une autre méthode consiste à

1214
Liu Guizhen 1982 [1957].
1215
Liu Guizhen 1982 [1957] : 20-42.
1216
Liu Guizhen 1982 [1957] : 130-132.
1217
Après 1980, on appellera cet état « qigong mobile spontané” (zifa donggong 自发动功); les
méthodes visant à le provoquer seront très populaires.
prononcer des sons particuliers correspondant aux cinq organes et six viscères,
dépendant de la maladie du patient.
Le youdaogong (诱导功, qigong de l’induction ou de la suggestion) est un
moyen pour induire le patient à entrer dans un état de tranquillité. Cette méthode peut
être employée par le patient lui-même, en se répétant une phrase telle que « mon corps
entier se détend », « mon esprit se détend », « mon qi descend dans le champ de
cinabre », etc. Alternativement, le thérapeute peut employer cette méthode en se
positionnant à côté du patient et, d’une voix basse et douce, induire ce dernier à se
détendre et lui indiquer progressivement les étapes de l’exercice. Le thérapeute peut
aussi induire la relaxation du patient en massant certains acupoints du corps de ce
dernier.
D’autres méthodes comprennent des techniques de visualisation et
d’imagination, dans lesquelles le patient imagine qu’il inspire l’essence de la
tranquillité, du bonheur et de la santé, qui, de l’air extérieur, entre dans ses narines et
pénètre son corps entier. Il peut encore visualiser une lumière brillante, pure et
parfaite pénétrant le point dingmen au sommet de son crâne et descendant jusque dans
le Champ de cinabre. La méthode de « cueillette du soleil » (chai taiyang 柴太阳) que
l’on pratique en se positionnant face au soleil à l’aube, consiste à placer mentalement
l’image du soleil levant dans le champ de cinabre. On peut aussi pratiquer la même
méthode face à la lune et les étoiles la nuit1218.
Ces méthodes se pratiquent individuellement, dans un cadre thérapeutique
institutionnel (sanatorium, clinique, etc) dirigé par un médecin spécialiste de qigong.
Ce dernier, après avoir examiné le patient, lui prescrit un traitement individualisé,
composé de différentes techniques de qigong à pratiquer à des heures précises et pour
une durée spécifiée. Les techniques choisies varient en fonction de la maladie, et le
traitement peut aussi comporter des séances d’acupuncture, de massage ou la
consommation de drogues herbales.
Par exemple, la prescription type pour l’hypertension au Sanatorium de
Beidaihe est la suivante :
« (1) Méthode principale : Zhanzhuanggong, en position assise ou debout, respiration
calme ou profonde, raccourcir l’inspiration et rallonger l’expiration, dans la position
debout se concentrer sur le point yongquan (dans la plante des pieds), dans la position
assise se concentrer sur le dantian. Pratiquer de 3 à 5 fois par jour, pour 30 à 60
minutes par séance.
1218
Liu Guizhen 1982 [1957] : 130-148.
(2) Méthodes auxiliaires :
- Songjinggong (松静功, qigong de relaxation silencieuse): choisir soit le sangong
(散功, qigong de dispersion), soit le fangsonggong (qigong de relaxation).
- Taiji neigong (太极内功, qigong interne du Taiji) : position inclinée ; employer la
méthode de concentration sur la ligne reliant les points mingmen et yongquan, ou
bien la méthode de concentration sur le point jiexi.
- Xuming gong (虚明功, qigong de la clarté vide) : position allongée ou inclinée ;
utiliser la méthode de conduite du qi vers les talons ; se concentrer sur la sensation
de circulation de qi.
- Baojian gong (qigong de santé) : choisir quelques mouvements pour pratiquer.
- Xingbu gong (méthode de qigong ambulante) ou Qidong gong (qigong de
mouvements spontanés).
- Yi qigong (qigong de la pensée – méthode de dirigation du qi le long des
méridiens d’acupuncture).
- Taijiquan »1219

1219
Liu Guizhen 1982 [1957] : 85.
3. RÉSUMÉ DU LIVRE APPLICATION DE LA METHODE
THERAPEUTIQUE DU QIGONG DE LIU GUIZHEN

Le livre de Liu Guizhen Qigong liaofa shixian 气功疗法实现, « Application


de la méthode thérapeutique du qigong », publié par les Presses provinciales du Hebei
en 1957, est le premier livre sur le qigong dans sa forme moderne. Il aura une
influence considérable : republié en 1982, son tirage total est de 2 millions1220. Il
popularise le concept de qigong, qui était auparavant un terme spécialisé employé
uniquement dans les unités officielles de qigong. Son élaboration du concept et sa
présentation de la méthode de pratique du qigong, sont devenus un modèle, qui sera
reproduit dans ses grandes lignes par toute la littérature ultérieure du qigong jusque
dans les années 1990.
Le livre est doté d’une préface élogieuse du Ministre de l’intérieur Xie Juezai,
signifiant une caution officielle de haut niveau pour la propagation du qigong : « La
méthode thérapeutique de qigong peut être pratiquée par tous, sans dépenser d’argent,
sans se fatiguer ; elle peut écarter la maladie, elle peut renforcer la santé, elle peut
donner une vie complète, et peut prolonger la vie ». La première édition du livre
contient également des préfaces élogieuses de plusieurs autres dirigeants du
gouvernement central et provincial: Li Shucheng 李书城, Ye Lizhuang 叶李壮, Guo
Zihua 郭子化, Fang Shishan 方石珊, Cheng Yulin 程玉琳 et Duan Huixuan 段慧轩
1221
.
La définition suivante du terme ‘qigong’ est donnée dans la première édition:
« Le caractère ‘qi’ signifie ici la respiration ; le caractère gong signifie l’entraînement
continu de la régulation de la respiration et de la posture, il signifie aussi ce que la
langue courante appelle l’acquisition de ‘gongfu’ par l’entraînement. Comme cette
méthode de qigong emploie une perspective médicale, mène des recherches
ordonnées, est employée dans le traitement de maladies et dans le maintien de la
santé, tout en se débarrassant des déchets superstitieux, elle est appelée ‘méthode
thérapeutique du qigong’ »1222.

La deuxième édition publiée en 1982, donne une définition plus large du qigong et du
qi:

1220
He 1984 : 282.
1221
Liu Guizhen 1982 [1957] : préface 2.
1222
cité dans Hu Meicheng 1981 : 43
« A travers le processus de pratique et de compilation, nous avons compris que bien
que les différentes méthodes aient des noms différents, elles se bases toutes sur les
techniques d’entraînement du corps, de la respiration et de l’esprit pour cultiver les
souffles droits (zhengqi 正气), afin de réaliser le but de la guérison et de la longue vie.
En se basant sur les théories classiques, nous avons baptisé « qigong » cette méthode
d’entraînement de soi axé sur la cultivation du qi sain. Nous considérons que le « qi »
du qigong comprend non seulement les souffles de la respiration, mais comprend
aussi les souffles droits dans le corps humain. Dans l’entraînement du qigong, on peut
renforcer ces souffles droits et guérir les maladies; l’abondance des souffles droits
renforce globalement l’état corporel et augmente les fonctions des organes et viscères,
permettant ainsi d’objectif d’une hygiène de longue vie. Le « gong » du qigong
désigne la virtuosité (gongfu). Sans cette virtuosité, la pratique du qigong ne peut
approter de bon résultat. »1223

Dans le livre, Liu Guizhen présente le qigong comme un « précieux héritage


culturel de notre pays », et comme une « composante importante de la médecine de
notre patrie ». Il explique le concept du « qi » dans la médecine chinoise. Il dresse un
bilan généalogique du qigong qui commence à l’époque des Royaumes combattants,
et décrit les contributions des célèbres médecins de la littérature médicale classique
Hua Tuo, Ge Hong, et Sun Simiao.
Ensuite, il explique les mécanismes du qigong en termes conceptuels tirés de
la théorie de la médecine chinoise telle que standardisée par les nouvelles institutions
de la République populaire, à l’aide de nombreuses citations des classiques médicaux.
Le qigong « tonifie le qi originel », « renforce le correct et écarte le néfaste »,
« rétablit l’équilibre entre yin et yang », « vitalise les méridiens », « régularise la
circulation du qi et du sang » ; se base sur la « vision holiste » de la médecine
chinoise.
Le livre décrit ensuite les connaissances de la médecine moderne sur les effets
physiologiques du qigong sur les systèmes nerveux, respiratoire, digestif, circulatoire,
et des sécrétions internes.
Le deuxième chapitre présente en détail les méthodes de pratique du
neiyanggong, du qiangzhuanggong, du baojiangong et du xingbugong.
Le troisième chapitre élabore sur certains points importants relatifs au qigong
et à sa pratique. Liu souligne que le qigong est une forme d’auto-thérapie. Alors que
les autres disciplines de la médecine chinoise, qui dépendent de l’usage de drogues ou
d’instruments (herbes, aiguilles d’acupuncture…), impliquent une attitude passive du
patient, le qigong se base entièrement sur la volonté personnelle du patient. Il est donc

1223
Liu Guizhen 1982 [1957]: 2.
important d’avoir une forte confiance dans l’efficacité du qigong, afin de pouvoir se
donner la volonté de persister dans la pratique et vaincre la maladie.
Ce chapitre souligne aussi que le qigong est une thérapie holiste, qui n’isole
pas des maux particuliers mais stimule le potentiel du corps humain, et rétablit et
fortifie la santé globale du pratiquant. La pratique soutenue du qigong peut donc
traiter et guérir toutes sortes de maladies.
Enfin, le chapitre souligne l’importance de l’induction mentale dans la
pratique du qigong, à travers les formules à réciter et d’autres techniques. Cette
induction augmente l’efficacité de la technique et facilite l’adoption d’une posture et
d’un rythme de respiration correcte.
Le chapitre 4 explique comment résoudre des problèmes qui peuvent
apparaître durant la pratique : problèmes de posture, de respiration, de concentration,
et réactions négatives à la pratique.
Le chapitre 5 présente des prescriptions de thérapie pour différentes maladies
courantes. Le sixième chapitre explique au thérapeute comment suivre les patients
lors du traitement. Et un annexe présente d’autres méthodes de qigong.
4. NAISSANCE DES RESEAUX SCIENTIFIQUES DU QIGONG : LES
COLLABORATEURS DES PREMIERS NUMEROS DE LA REVUE QIGONG

Ce tableau présente les unités de travail auxquels sont rattachés les auteurs des articles
de la première année de parution de la revue qigong (automne 1980 à l’automne
1981).
Unité Articles
Académie des sciences de Chine (Institut de recherches sur les semi-conducteurs (bandaoti 6
yanjiusuo), Institut de recherches sur l’automatisation (zidonghua yanjiusuo), Institut
d’acoustique (shengxue yanjiusuo)
Cao Jian 曹健, Zhang Wenjie 张文杰, Wang Yonghuai 王永怀, Li Yingbo 李颖伯
Académie nationale de médecine chinoise (zhongyi yanjiuyuan) 6
Zhao Guang 赵光, Zhang Shiqing 张士卿, Jiao Guorui 焦国瑞
Institut de recherches en médecine chinoise de Shanghai (shanghai zhongyi yanjiusuo) , 5
Laboratoire de recherches sur le qigong (qigong Yanjiushi)
Lin Hai 林海, Lin Housheng 林厚省, Chu Weizhong 储维忠, Zheng Changsheng 郑长生, Yang
Yuanjing 杨远京, Cai Kui 蔡奎
Bureau du conseiller du Gouvernement populaire de la Province du Zhejiang (Zhejiang sheng 4
renmin zhengfu canshishi)
Hu Meicheng 胡美成
Institut de recherches sur les instruments thérapeutiques de Pékin (beijing yiliao qixie yanjiusuo) 4
Zhang Huimin 张惠民
Usine pharmaceutique de Pékin (Beijing Zhiyaochang) 4
Pang Heming 庞鹤鸣
Hôpital de la Croix-rouge de Hangzhou (hangzhou shi hongshizihui yiyuan) 3
Jin Guan 金冠, Lu Xi 鲁西, Zu Ziwen 祖梓文, Wang Meihua 王每华, Lou Heming 楼鹤鸣
Hôpital Dongfeng de Wenzhou 3
Ma Youzhong 马有忠, Zheng Runxiang 郑润祥
Sanatorium de qigong de Beidaihe 3
Liu Guizhen 刘贵珍
Centrale thermique des salines de Da’an, Zigong, Sichuan (daan yanchang redianzhan) 2
Li Xianming 李先明
Faculté de médecine de Qingdao (Qingdao yixueyuan) 2
Zhang Pingwu 张平武
Hôpital de tuberculose des sources thermiques de Pékin (beijing shi wenquan jiehebing yiyuan) 2
Dong Shaoming 董绍明, Chen Shou 陈寿, Qin Fan 秦凡
Université du Hebei, département d’histoire 2
Dong Renda 东人达
Université normale de Pékin 2
Tao Bingfu 陶秉福
Académie d’éducation physique de Canton (Guangzhou Tiyu xueyuan) 1
Liang Shifeng 梁士丰
Bureau de médecine chinoise du Ministère de la santé (weishengbu zhongyiju) 1
Lü Bingkui 吕炳奎
Clinique de médecine chinoise de Shanghai (Shanghai zhongyi menzhenbu) 1
Chen Yunhao 陈运浩
Département de la santé du la Préfecture de Leqing, Zhejiang 1
Zhou Chaojin 周朝进
Ecole de pharmacologie chinoise du Shanxi 1
Luo Kuan 罗宽
Faculté de médecine chinoise du Shaanxi (Shaanxi zhongyi xueyuan) 1
Sun Boquan 孙薄泉
Hôpital central des chemins de fer de Shanghai (shanghai tielu zhongxin yiyuan) 1
Wang Peiqin 汪佩琴
Hôpital de la Faculté de médecine Zhongshan de Canton 1
Liang Zhenwei 梁震威
Hôpital de médecine chinoise de Wuhan 1
Liang Fuhuang 梁福煌
Hôpital Hongwei de Wenzhou (rouge, garde) 1
Ye Xiaomai 叶小迈
Hôpital no. 223 de l’Armée populaire de libération (erersan yiyuan) 1
Li Chunyang 李春阳
Hôpital Xinhua de la Faculté de médecine no. 2 de Shanghai 1
Jin Gucheng 金谷城
Institut de médecine chinoise de Pékin 1
He Qingnian 何庆年
Institut de médecine nouvelle du Gansu (Gansu sheng xinyiyao yanjiusuo) 1
Qu Zuyi 曲祖贻
Institut de recherches atomiques de Shanghai (shanghai yuanzihe yanjiusuo) 1
Gu Hansen 顾函森
Institut de recherches en médecine chinoise du Hunan 1
Wang Minghui 王明辉
Institut de recherches sur l’hypertension artérielle de Shanghai (shanghai shi gaoxueya yanjiusuo) 1
Jiang Meida 蒋敏达, Wang Chongxing 王崇行, Xu Dinghai 徐定海
Institut de renseignements technologiques du ministère de l’industrie électrique (dianli gongyebu 1
kexuejishu qingbao yanjiusuo)
Chen Guanhua 陈冠华
Institut provincial de recherches sur la prévention de tumeurs du Hebei 1
Wang Chonghui 王充惠
Maison d’éditions d’éducation physique du peuple (renmin tiyu chubanshe) 1
Yan Hai 阎海
Nouvelle méthode thérapeutique de qigong 1
Guo Lin 郭林
Association d’études du qigong de Pékin 1
Zhang Mingwu 张明武
Université normale Huadong 1
Wang Nengshou 王能守
Usine d’artisanat de Hangzhou (Hangzhou gongyi meishu erchang) 1
Wu Zhixin 吴志辛
Reste des articles : sans mention d’unité 46

Fig. 22. Collaborateurs des premiers numéros de la revue Qigong


5. LES ASSOCIATIONS SEMI-OFFICIELLES DE QIGONG

Les associations semi-officielles relient les maîtres de qigong, les chercheurs


sur le qigong et les cadres de l’Etat. Leur objet est d’unifier le monde du qigong et
d’orienter ses activités dans le sens de la politique et de l’idéologie officielles. La
plupart des lignées de qigong sont inscrites auprès d’une de ces associations semi-
officielles. Ceci leur donne une affliation institutionnelle, et leur permet de jouir du
statut juridique, exempt d’impôts, de l’association semi-officielle. En contrepartie, la
plupart des associations semi-officielles (ou leurs dirigeants) exigent une part des
revenus de l’organisation sectaire. Elles forment le noyau d’une communauté de
qigong consciente de soi et de ses intérêts, légitimement reconnue par l’Etat, et
possédant une voix collective face à l’Etat. Les associations semi-officielles sont
donc les intermédiaires désignés entre l’Etat et le monde du qigong.
Il existe des associations semi-officielles de qigong aux niveaux national,
provincial et municipal, et même dans certains quartiers, préfectures et villages.
Les principales associations semi-officielles sont les suivantes, dans l’ordre de
leur année de fondation:

1. L’Association d’études de qigong de Pékin (Beijing qigong yanjiuhui


北京气功研究会
Fondée en 1979 par des cadres retraités passionnés de qigong, c’est la première
organisation semi-officielle de qigong. Affiliée à l’Association scientifique de Pékin,
l’association coordonne la plupart des activités de qigong dans la capitale. En 1992,
56 courants de qigong sont inscrits auprès de l’association; ceux-ci disposent en tout
de 1000 formateurs qui sont actifs dans 100 postes de formation approuvés par
l’association1224. L’association publie la revue Dongfang qigong qui a toujours été la
plus politiquement ‘orthodoxe’ des périodiques de qigong. Pang Heming et son
courant Zhineng qigong ont une forte influence dans l’association1225.

2. L’Association nationale de la science du qigong médical (Quanguo yixue qigong


kexue yanjiuhui 全国医学气功科学研究会)

1224
Wu Hao (éd.) 1993: 606-607.
Fondée en 1981, c’est la première association semi-officielle nationale de qigong. Elle
est affiliée à l’Association nationale de Médecine chinoise. Son premier président est
le directeur du Bureau d’administration de la médecine chinoise, Lü Bingkui; Feng
Lida est vice-présidente. Cette association eut un grand impact dans le monde du
qigong au moment de sa fondation, mais fut éclipsée par la nouvelle Association
chinoise de qigong après 1985.

3. L’Association chinoise d’études de la science du qigong (ACESQ) (Zhongguo


qigong kexue yanjiuhui 中国气功科学研究会)
Fondée en 1985, cette association, dirigée par le général Zhang Zhenhuan, deviendra
la principale association nationale de qigong. Affiliée à l’Association scientifique
nationale, l’association possède une Commission des théories et méthodes dont la
plupart des grands courants de qigong sont membres. La mort de Zhang Zhenhuan en
1994, la campagne de « purification » de 1995 et la nouvelle politique de 1996 qui
met les courants de qigong sous la responsabilité du ministère des sports, ont affaibli
et divisé l’association au point de la rendre complètement disfonctionnelle, jusqu’à sa
dissolution à la suite de la répression du Falungong.

4. L’association chinoise des sciences somatiques (Zhongguo renti kexue xuehui


中国人体科学学会)
Egalement présidée par le Zhang Zhenhuan1226, cette association, fondée en mai 1987
et affiliée à l’Association scientifique nationale, vise à regrouper la communauté de
scientifiques étudiant les « fonctions exceptionnelles » et à promouvoir la nouvelle
discipline des « sciences somatiques » préconisée par Qian Xuesen. L’association
publie plusieurs journaux et revues sur les « fonctions exceptionnelles ».

5. L’association chinoise d’études du qigong sportif (Zhongguo tiyu qigong yanjiuhui


中国体育气功研究会)
Fondée en 1987 sous l’égide de la Commission nationale des sports, l’association se
donne pour objet la promotion du qigong. Elle organise l’entraînement en qigong des

1225
Ceci se voit au fait que Pang Heming est le président de la commission des conseillers de
l’Association, et que les articles sur le Zhineng qigong dans la revue Dongfang qigong sont plus
nombreux ceux sur tout autre courant.
sportifs chinois participant aux compétitions internationales, et publie la revue Qigong
et sports. L’association a eu, pendant une brève période, des relations proches avec le
Zhonggong de Zhang Hongbao, lui consacrant plusieurs pages dans chaque numéro.
Ses fondateurs et principaux animateurs sont Zuo Lin et Guo Zhouli.

6. La Fédération internationale de la science du qigong (Guoji qigong kexue lianhehui


国际气功科学联合会)
Fondée à Singapour en 1988 à la suite du premier Congrès mondial de qigong
organisé à Shenzhen par la revue Qigong et sports en 1987, la Fédération a parrainé
les Congrès mondiaux subséquents tenus à Xi’an (1989), Tokyo (1992) et Vancouver
(1995). Etablie à Xi’an et affiliée à la Commission nationale des sports, c’est la plus
importante des associations internationales de qigong. Vingt-et-une associations
nationales sont membres de la Fédération, représentant la Chine, le Japon, les Etats-
Unis, Singapour, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande, le Canada, la
France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Argentine, la Russie, la Yougoslavie, la
Suisse, l’Australie, la Corée du Sud, Togo, Hong Kong, et Macao. Wu Shaozu,
ministre des Sports de Chine, est élu président de la Fédération en 1990; le secrétaire-
général est Guo Zhouli ; Feng Lida, Zuo Lin et Chen Jingde 陈敬德 sont vice-
présidents. Guo Zhouli et Zuo Lin sont les principaux animateurs de l’Association
chinoise de qigong sportif : cette dernière et la Fédération internationale ne sont en
réalité qu’un seul réseau. La Fédération commence des échanges avec la Russie en
1990; elle y lance une édition russe de Qigong et sports en 1992 avec un tirage de
80000 exemplaires. En 1994, en collaboration avec l’Association chinoise de qigong
sportif, la Fédération commence la publication du Journal international de qigong.

7. L’Association mondiale de qigong médical (Shijie yixue qigong xuehui


世界医学气功学会)
Fondée en 1989 et affiliée au Bureau d’administration de la médecine chinoise,
l’Association possède des branches en Chine, en Europe, au Japon et aux Etats-Unis.
Elle organise des activités internationales, mais n’a pas été aussi visible que la
Fédération internationale de la science du qigong. Elle est liée au Sanatorium de

1226
Après la mort de celui-ci en 1994, l’association sera dirigée par Chen Xin 陈信, de l’Institut de
recherches no. 507 de la Commission scientifique et industrielle de la Défense nationale.
qigong de Beidaihe, dont le vice-directeur Zhang Tiange est également vice-président
de la section américaine de l’association1227.

1227
ZM 62:1.
6. LA PRESSE SPECIALISEE DU QIGONG

Le monde du qigong compte une dizaine de revues spécialisées de diffusion


nationale. Piliers de la ‘communauté’ du qigong, ces revues relient les différents
maîtres, les courants, les chercheurs sur le qigong, les journalistes et écrivains
spécialisés dans le qigong, les entreprises qui servent le marché du qigong, et les
adeptes et pratiquants de tous les niveaux. Les revues de qigong contiennent des
articles sur différents maîtres et méthodes de qigong; des études de textes classiques
et de concepts théoriques; des rapports d’expériences de laboratoire et d’autres
enquêtes sur les effets du qigong; des conseils pratiques; des témoignages d’adeptes et
de guérisons; des reportages sur différentes activités et événements dans le monde du
qigong; des publicités de différentes écoles de formation et produits thérapeutiques; et
des éditoriaux reflétant la ligne officielle relative aux bonnes et mauvaises tendances
au sein du monde du qigong. A travers les revues de qigong, les différents acteurs du
monde du qigong entrent en interaction, échangent des nouvelles, des idées et des
informations, formant ainsi une communauté nationale, partageant une idéologie
commune, consciente d’elle-même, de ses espoirs et de ses intérêts, allant du sommet
jusqu’à la base des adeptes ordinaires du qigong.
Alors que les médias de masse créeent les grandes célébrités nationales du
qigong, la presse spécialisée joue un rôle important dans la création de la renommée
de certains maîtres et courants. Ainsi, le maître voulant sortir de l’obsurité cherchera
une couverture importante dans les revues de qigong, afin que son courant soit
reconnu par l’ensemble du monde du qigong.
Le rôle de la presse spécialisée du qigong dans la légitimation des maîtres et
courants de qigong est d’autant plus important que les revues de qigong entretiennent
le même type de rapport avec le pouvoir que les autres médias chinois. Ce qui est
publié dans une revue de qigong sera perçu comme ayant l’aval des autorités, et donc
comme jouissant d’un certain degré de soutien politique et de légitimité.
La plupart des revues de qigong appartiennent à une fédération semi-officielle
de qigong. Les comités de rédaction des revues de qigong doivent, en principe,
s’assurer de l’orthodoxie idéologique du contenu de la revue. Ainsi, à travers la presse
spécialisée du qigong, le Parti communiste et l’Etat cherchent à orienter l’évolution
du monde du qigong.
Mais, dans la pratique, la presse du qigong se soucie peu d’orthodoxie
idéologique. Le contenu des revues est souvent en flagrante contradiction avec les
rares éditoriaux édictant la ligne officielle. Seule la revue Dongfang qigong de
l’Association d’études de qigong de Pékin publie régulièrement des éditoriaux et
discours des cadres des fédérations semi-officielles, soulignant la ligne orthodoxe, et
garde un contenu relativement conforme avec cette dernière.
Les principales revues de qigong sont les suivantes1228:

« Qigong » 气功
C’est le plus ancien des périodiques de qigong, publié à Hangzhou par l’Académie de
recherches sur la médecine chinoise de la province du Zhejiang (Zhejiang sheng
zhongyiyao yanjiuyuan 浙江省中医药研究院) et édité par la Revue de médecine
chinoise du Zhejiang (Zhejiang zhongyi zazhi 浙江中医杂志). Le premier numéro est
paru en décembre 1980. La revue est d’abord trimestrielle, puis bimensuelle à partir
de janvier 1983, pour enfin devenir mensuelle en janvier 1987. Le rédacteur-en-chef
est Lu Zheng 陆拯.

« Qigong et science » (Qigong yu kexue 气功与科学)


Revue mensuelle publiée à Canton par l’Association d’études de la science du qigong
de la province du Guangdong (Guangdong sheng qigong kexue yanjiu xiehui
广东省气功科学研究协会), à partir d’août 1982.

« Le qigong en Chine » (Zhonghua qigong 中华气功)


Revue bimensuelle publiée à Pékin par le Comité de la science du qigong de
l’Association nationale de médecine chinoise (Zhonghua quanguo zhongyi xuehui
qigong kexue weiyuanhui 中华全国中医学会气功科学委员会), à partir de 1983. Le
rédacteur-en-chef est Gao Heting 高鹤亭.

« Le qigong de Chine » (Zhongguo qigong 中国气功)

1228
Les rédacteurs-en-chef cités étaient en poste au début des années 1990. Cf. Despeux 1997: 279-
280, Wu Hao (éd.): 600-619.
Revue mensuelle publiée à Beidaihe par l’Hôpital de réhabilitation par le qigong de
Beidaihe (Beidaihe qigong kangfu yiyuan 北戴河气功康复医院), à partir de
septembre 1984. Le nom originel de la revue était Beidaihe qigong 北戴河气功; le
titre actuel fut adopté en 1986. Le rédacteur-en-chef est Lü Zhanshuang 吕占双.

« Qigong et sports » (Qigong yu tiyu 气功与体育)


Revue mensuelle publiée à Xi’an par le bureau du Front uni du Comité du Parti de la
province du Shaanxi (Shaanxi shengwei tongzhanbu 陕西省委统战部) à partir de
1985. En 1987, la revue devient le périodique officiel de la Fédération internationale
de la science du qigong. Une édition russe de la revue est lancée à Moscou en 1991.
Le rédacteur-en-chef honorifique est Zuo Lin; le rédacteur-en-chef est Guo Zhouli.
Ces deux individus sont les principaux animateurs de l’Association d’études du
qigong sportif et de la Fédération internationale de la science du qigong.

« Le qigong de l`Orient » (Dongfang qigong 东方气功)


Revue bimensuelle publiée à Pékin par l’Association d’études du qigong de Pékin, à
partir de février 1986. Le rédacteur-en-chef est Xu Yixing, directeur-général adjoint
de l’ACESQ1229; le rédacteur adjoint permanent est Pang Ming, maître du courant
Zhineng qigong.

« Journal international du qigong » (Guoji qigong bao 国际气功报)


Journal hebdomadaire publié à Xi’an par la Fédération internationale de la science du
qigong à partir de 1994, en collaboration avec l’Association d’études du qigong
sportif. Les rédacteurs sont Zuo Lin et Guo Zhouli (voir ci-dessus la revue Qigong et
sports).

En plus de ces revues, qui, à l’exception du Journal international de qigong,


pouvaient être commandées dans les bureaux de poste à travers la Chine, d’autres
périodiques plus obscurs étaient édités par des associations semi-officielles
provinciales et des lignées populaires. En voici une liste partielle1230:

1229
voir section 14.2, pp. 348-49.
1230
Les périodiques cités ne comprennent pas les revues d’arts martiaux et de médecine chinoise, qui
contiennent aussi de nombreux articles sur le qigong. La plupart des revues mineures dans la liste n’ont
duré que quelques années.
Année de Nom de la revue Ville Association
fondation
1984 L’ami du Zhuan Gong Jilin Association du Zhuan Gong de
mensuel (Zhuangong zhi you la ville de Jilin (Jilin shi Zhuan
砖功之友) gong xiehui 吉林市砖功协会)
1988 Journal du qigong Guiyang Institut de médecine chinoise de
bihebdo- (Qigong bao 气功报) Guiyang
madaire
1988 Journal de la vie du Liaoyuan Le Quotidien de Liaoyuan
qigong (Qigong 辽源 (Jilin) (Liaoyuan ribao she
shenghuo bao 辽源日报社)
气功生活报)
1988 Journal de l’ACESQ Pékin ACESQ
mensuel (Zhongguo qigong
kexue yanjiuhui
huikan
中国气功科学研究会
会刊)
1988 Le qigong des masses Wuhan Association d’études de la
trimestriel (Dazhong qigong science du qigong du Hubei;
大众气功) Institut de médecine chinoise du
Hubei
1989 Journal de Chengdu Fédération des travailleurs
mensuel popularisation retraités du Sichuan (Sichuan
scientifique du qigong sheng lixiu tuixiu gongzuozhe
(Qigong kepu bao lianhehui
气功科普报) 四川省离休退休工作者
联合会), Centre provincial
d’études du qigong de l’Envol
de la grue (sheng hexiangzhuang
qigong yanjiu zhongxin
省鹤翔庄气功研究中心)
1989 Le qigong en long et Shenyang Association d’études de la
mensuel en large (Qigong science du qigong du Liaoning
zongheng 气功纵横)
1989 Journal du qigong Nanjing Association d’études de la
mensuel (Qigong bao 气功报) science du qigong de Nanjing;
Syndicat général de Nanjing
1989 Qigong et santé Xi’an Association d’études de la
bihebdo- (Qigong yu jiankang science du qigong du Shaanxi
madaire 气功与健康)
1989 Réhabilitation par le Shanghaï Centre de recherches sur la
trimestriel qigong (Qigong réhabilitation par le qigong de
kangfu 气功康复) Shanghaï (Shanghai shi qigong
kangfu yanjiu zhongxin
上海市气功康复研究中心)
1989 Dépêches de la Xingguo Association d’études de la
trimestriel science du qigong 兴国县 science du qigong du district de
(Qigong kexue (Jiangxi) Xingguo, province du Jiangxi
tongxun
气功科学通讯)
1989 L’univers du qigong Changsha Association d’études de la
trimestriel (Qigong tiandi science du qigong du Hunan
气功天地)
1989 Journal de navigation Jiading Section du district de Jiading de
du qigong du vaisseau 嘉定县 l’Association d’études de la
de compassion (Shanghaï) science du qigong de la Ville de
(Cizhou qigong Shanghaï (Shanghai shi qigong
daohang bao kexue yanjiuhui Jiading xian
慈舟气功导航报) fenhui
上海市气功科学研究会嘉定县
分会)
1990 Journal du Qigong de Zhengzhou Centre international de l’art
bimensuel Lumière (Guanggong hygiénique du Qigong de
bao 光功报) lumière de Weng Ahong (Guoji
Weng Ahong Guanggong
jianshen yishu zhongxin
国际翁阿烘光功健身艺术
中心)
1990 La quête du corps Wuhan Groupe d’études du Qigong
bimensuel authentique (Zhenti authentique de la clarté et de la
tanqiu 真体探求) tranquilité suprême de l’ACESQ
(Zhongguo qigong kexue
yanjiuhui taishang qingjing
zhengong yanjiuzu
中国气功科学研究会
太上清静真功研究组)
1990 Sciences somatiques Shanghaï Comité éditorial de « Sciences
irrégulier en Chine (Zhongguo somatiques en Chine »
renti kexue (« Zhongguo renti kexue »
中国人体科学) bianji weiyuanhui
《中国人体科学》编辑
委员会)
1990 Dépêches des Linyi 临沂 Association d’études de la
irrégulier Pouvoirs miraculeux (Shandong) science du qigong de la région
de l’esprit (Yishentong de Linyi, Shandong (Shandong
tongxun 意神通通讯) sheng Linyi diqu qigong kexue
yanjiuhui
山东省临沂地区气功科学研究
会)
1991 Etudes d’alchimie Danxian Association d’études de la
mensuel intérieure (Neidan 单县 méthode pour nourrir la vie de
yanjiu 内丹研究) (Shandong) l’alchimie intérieure de Huxi,
Shandong (Shandong Huxi
neidan yangshengshu gongfa
yanjiu fenhui
山东湖西内丹养生术功法研究
分会)
1991 Le Qigong dans le Association d’études du qigong
Zhejiang (Zhejiang traditionnel du Zhejiang
qigong 浙江气功) (Zhejiang chuantong qigong
yanjiuhui
浙江传统气功研究会)
1992 Qigong et sciences de Pékin Société internationale de
bimensuel la vie (Qigong yu services du qigong de Pékin1231;
shengming kexue Nouvelle revue des jeunes de la
气功与生命科学) Ligue des jeunes communistes
de la province du Heilongjiang
(Heilongjiang sheng tuanwei xin
qingnian zazhi she
黑龙江省团委新青年杂志社)
1992 Le qigong dans la Shenzhen Centre municipal de
zone spéciale de réhabilitation par qigong de
Shenzhen (Shenzhen Shenzhen (Shenzhen shi qigong
tequ qigong kangfu zhongxin
深圳特区气功) 深圳市气功康复中心)
1993 Bulletin du Qigong Tieli 铁力, Commission spécialisée du
mensuel tantrique (Zangmi Heilong- qigong tantrique (Zangmi qigong
qigong xinxi jiang zhuanye weiyuanhui
藏密气功信息) 藏密气功专业委员会), Institut
de recherches sur le qigong
oriental pour nourrir la vie
(dongfang qigong yangsheng
keyansuo
东方气功养生科研所)
1993 Qigong et Chengdu Bureau de Chengdu de l’Institut
trimestriel environnement international de recherches sur la
(Qigong yu huanjing médecine traditionnelle (Guoji
气功与环境) chuantong yixue yanjiusuo
Chengdu shiwusuo
国际传统医学研究所成都事务
所)

Fig. 23. Revues régionales et spécialisées de qigong

1231
Société commerciale affiliée au Zhonggong.
7. PROGRAMME DE FORMATION PAR CORRESPONDANCE DE
L’ACADEMIE DE PERFECTIONNEMENT DU QIGONG CHINOIS (Zhonghua
qigong jinxiu xueyuan 中华气功进修学院)1232

Fascicule 1 : DISCUSSION PRELIMINAIRE SUR LA METHODOLOGIE DU


QIGONG DE LA MEDECINE CHINOISE1233

Fascicule 2 : GUIDE SUR L’HISTOIRE DU QIGONG CHINOIS1234

I. Généralités

II. De l’antiquité aux dynasties Xia, Shang et Zhou (avant 722 av. J-C.)

III. L’époque des Royaumes combattants des Printemps et Automnes (722 à 221
av. J-C.)

IV. L’époque des Qin et des Han (221 av. J-C à 280 A.D.)

V. L’époque des dynasties Jin, Sui et Tang (280 à 960)

VI. Le bouddhisme et le qigong.

VII. Les dynasties Song, Jin et Yuan (960 à 1368)

VIII. Les dynasties Ming et Qing (1368 à 1911)

IX. L’époque républicaine (1911 à 1949)

X. La Chine nouvelle

Fascicule 3 : FONDEMENTS DE LA THEORIE CLASSIQUE DU QIGONG


CHINOIS (T.1)1235

Fascicule 4 : FONDEMENTS DE LA THEORIE CLASSIQUE DU QIGONG


CHINOIS (T.2)1236

I. Concepts généraux

II. Utilisation de la pensée (yishi 意识)

III. Cultivation de la vertu

IV. Réglage de la respiration

1232
Voir p. 160.
1233
Je n’ai pas pu consulter ce fascicule.
1234
Zhonghua Qigongxue jichu jiaocheng bianjibu 1985 t.2
1235
Je n’ai pas pu consulter ce fascicule.
1236
Zhonghua Qigongxue… 1985 t.4
V. Mouvement de la forme corporelle

VI. Exigences concernant les positions de différentes parties du corps lors de la


pratique du qigong

VII. Présentation de termes ésotériques et techniques dans les livres anciens de


qigong.

Fascicule 5 : RECHERCHES SCIENTIFIQUES MODERNES SUR LE QIGONG


CHINOIS (t.1)1237

I. Généralités

II. Etudes expérimentales sur les effets internes du qigong.

Appendice : Introduction aux méthodes statistiques en médecine

III Effets biologiques du qi externe du qigong

Appendice : Les concepts de l’immunologie

IV Effets physiologiques du qi externe du qigong

Appendice : Introduction au magnétisme biologique

V Les fonctions exceptionnelles et les effets du qigong – deux « fenêtres » dans


l’exploration des secrets de la vie humaine.

Fascicule 6 : RECHERCHES SCIENTIFIQUES MODERNES SUR LE QIGONG


CHINOIS (t.2)1238

I. Généralités – La science du qigong et la révolution scientifique de l’avenir

II. Le qigong et la psychologie

III. Le qigong et la biologie moderne

IV. Le qigong et la thermodynamique

V. Quelques explorations fondées sur la physique moderne

Fascicule 7 : FONDEMENTS DES APPLICATIONS CLINIQUES DU QIGONG


CHINOIS (t.1)1239

I. Généralités

1237
Zhonghua Qigongxue… 1985 t.5
1238
Zhonghua Qigongxue… 1985 t.6
1239
Zhonghua Qigongxue… 1985 t.7
II. Caractéristiques de la méthode thérapeutique clinique du qigong et des
méthodes de qigong usuelles

III. Mécanisme de l’effet de la thérapie du qigong clinique

IV. Exigences et principes de base de l’entraînement du qigong

V. Méthode thérapeutique du massage de qigong

VI. Déviations dans la pratique du qigong : prévention et correction

VII. Formation théorique et pratique dans l’émission de qi externe

Fascicule 8 : FONDEMENTS DES APPLICATIONS CLINIQUES DU QIGONG


CHINOIS (t.2)1240

I. Thérapie par le qigong de maladies du système nerveux

II. Thérapie par le qigong de maladies du système respiratoire

III. Thérapie par le qigong de maladies du système digestif

IV. Thérapie par le qigong de maladies du système circulatoire

V. Thérapie par le qigong des maladies des cinq sens1241

VI. Thérapie par le qigong des maladies du système métabolique

Fascicule 9 : FONDEMENTS DES APPLICATIONS CLINIQUES DU QIGONG


CHINOIS (t.3)1242

I. Le qigong et la santé des personnes âgées

II. Applications du qigong dans le développement de l’intelligence

III. Applications du qigong dans l’anesthésie et l’hypnose

IV. Applications du qigong dans les sports

V. Le qigong et la thérapie par biofeedback

VI. Le qigong et la bionique du qi externe

Fascicule 10: COMPILATION DE MATERIAUX DE REFERENCE1243

1240
Zhonghua Qigongxue… 1985 t.8
1241
Wuguanke 五官科, c’est-à-dire les problèmes des yeux, des oreilles, du nez, de la bouche et des
dents.
1242
Zhonghua Qigongxue… 1985 t.9
1243
Zhonghua Qigongxue… 1985 t.10
I. Sélection de documents de qigong d’avant la dynastie Qin

1. Le « Laozi »
2. Le « Guanzi »
3. Le « Zhuangzi »

II. Sélection des principes des méthodes répandues de qigong

Fascicule supplémentaire: COMPILATION DE MATERIAUX DE REFERENCE


(t.2)1244

I. « Initiation à l’apprentissage du chan » (Chanxue rumen 禅学入门)

II. « La formule de la nature et de la vie » (Xingming fajue 性命法诀)

Fascicule supplémentaire: COMPILATION DE MATERIAUX DE REFERENCE


(t.3)1245

Version annotée du Zhouyi cantong qi 周易参同契

« La transmission authentique de l’elixir d’or » (« Jindan zhenchuan » juan


zhi ci « 《金丹真传》卷之次 »

Le « Shi jin shi » juan zhi mo 《试金石》卷之末

Notes sur le « Kangjieshaozi shi » 《康节邵子诗》

Notes sur le « Lüzu qinyuan chun » 《吕祖沁园春》

Méthodologie de la méditation assise bouddhiste

Fascicule supplémentaire : COMPILATION DE MATERIAUX DE REFERENCE1246

I. Le « Wuzhenpian chanyou » 悟真篇阐幽

II. Le « Huangting neiwaijing jing zhu » 黄庭内外景经注

1244
Zhonghua Qigongxue… 1988 t.2
1245
Zhonghua Qigongxue… 1988 t.3
1246
Zhonghua Qigongxue… 1988 t.4
8. DISCOURS DE HU XIMING1247 SUR LA NOUVELLE POLITIQUE SUR LE
QIGONG DES INSTITUTIONS MEDICALES (Octobre 1989)1248.

« Le qigong thérapeutique est une composante de notre médecine nationale; c’est une
méthode de prévention et d’hygiène centrée sur l’auto-entraînement psychosomatique,
qui s’est formée à travers l’expérience du peuple chinois dans sa longue lutte contre la
maladie. Son histoire est longue et ses origines lointaines: dans le monumental
classique de la médecine chinoise formé il y a plus de 2000 ans, le « Canon de
l’Empereur Jaune », il existe de nombreuses descriptions des concepts et de la
pratique du qigong; dans le cours de l’histoire, de nombreuses personnalités ont
développé et contribué au qigong. De nombreux textes de médecine chinoise
contiennent des explications spécialisées sur le qigong, progressant dans la preuve et
l’augmentation de ses effets préventifs et hygiéniques.
Depuis la fondation de la République populaire, le qigong thérapeutique a
connu un développement encore plus généralisé. Les méthodes thérapeutiques de
qigong ont été extraites, arrangées et améliorées; sous l’attention et l’appui du Parti,
nous avons fait du qigong un aspect de la cause du développement de la médecine de
notre patrie, et avons oeuvré avec ardeur au sain développement de la cause du
qigong. [...] [Hu Ximing résume ici les accomplissements du qigong médical depuis
les années 1950.]
Depuis quelques années, suite à la montée des vagues de la médecine chinoise
et de l’acupuncture en Chine et à l’étranger, le qigong thérapeutique, en tant que
composante de notre médecine nationale, a attiré l’attention de différentes sphères de
la société. Grâce à l’augmentation continue du niveau culturel de la société [...], la
demande des gens pour le qigong thérapeutique, avec ses aspects préventifs,
hygiéniques et thérapeutiques, augmente de jour en jour. Ceci a créé une vague de
qigong dans la société, qui touche même l’étranger. Dans la tendance des réformes, de
l’ouverture et du dynamisme, plusieurs personnes aux compétences thérapeutiques
véritables en qigong, ainsi que des établissements thérapeutiques relatifs au qigong,
ont activement cherché des moyens, exploité des potentialités, et organisé plusieurs
types d’activités de thérapie, d’enseignement et de recherche sur le qigong. Afin de
satisfaire le mieux possible aux demandes des masses, ils ont largement contribué à
l’amélioration du niveau de santé de l’humanité et au développement de la cause de la
thérapie par qigong. Mais il reste encore de nombreux problèmes à résoudre aux
niveaux clinique, de l’enseignement, de la recherche et de l’administration du qigong
thérapeutique, particulièrement en rapport avec le traitement de maladies par émission
de qi externe, qui se trouve encore au stade de l’exploration et dont le mécanisme
n’est pas clair. Son efficacité reste à être observée, tout au moins est-ce un sujet qui
demande à être recherché. Ceci cause de nombreux problèmes au travail
d’administration.
Ici, nous devons prêter une attention particulière au fait qu’une minorité de
personnes dans la société empruntent le nom de qigong thérapeutique dans une quête
sans scrupules pour la richesse. Quelques établissements et associations se sont
arrogés le droit d’offrir des services thérapeutiques sans permis, ignorant les
réglements administratifs des instances concernées de la médecine chinoise et de la
santé, faisant du qigong un arbre à richesses, sans se préoccuper nullement de
l’efficacité thérapeutique. Par exemple, le bureau de police du district de Xicheng de
1247
Directeur du Bureau national d’administration de la médecine chinoise.
1248
cité dans Zheng Guanglu 1991: 347-353.
Pékin a récemment interrogé le « Prince de la Source de la Montagne »
[Shanquangong 山泉公], de son vrai nom Gu Baoguo, ouvrier retraité de l’usine de
radio-électricité de Zhengzhou, qui, après son arrivée à Pékin en juillet de cette année,
se livre à l’escroquerie dans le parc Ditan, à Tucheng, etc., se proclamant transmetteur
du « Qigong bouddhique de la Nature », et se vante qu’il peut guérir toutes sortes de
maladies difficiles et complexes à travers l’enseignement ou l’utilisation de la
méthode du « bigu ». Non seulement un grand nombre de malades sont victimes de
son charlatanisme, mais, encore plus grave, quatre malades épris [de la méthode] sont
morts affamés. Il y a aussi des établissements et individus qui, au nom de la
« recherche et du développement », de la « dissémination », de « l’échange
d’expériences », ouvrent des hôpitaux, des cliniques et des activités thérapeutiques,
évitent la supervision des instances administratives de la médecine chinoise et de la
santé, et se creusent la cervelle pour trouver des moyens d’escroquer les masses. Par
exemple, certains utilisent frauduleusement le nom de quelque célèbre établissement
de recherche, et se vantent par tous les moyens de leurs prétendues « expériences »,
disant que l’émission de qi externe peut modifier la direction d’un missile, qu’un
malade peut en bénéficier à une distance de plusieurs milliers, voire dizaines de
milliers de kilomètres, etc., et ainsi abusent de la confiance des masses. Certains, au
nom d’ « échanges d’expériences », de « concours final de guérison de toutes les
maladies », distribuent des tracts et affichent des publicités. Ils trompent la masse des
malades ignorants de la médecine et demandent des frais d’inscription et de traitement
exhorbitants. D’autres utilisent tout simplement des publicités pour mener une
« thérapie à distance »: sans contact avec le malade, ils réclament plus de dix, voir
plusieurs dizaines et même jusqu’à plus de 100 yuan. Encore d’autres, au nom de
« conférences imbues de force », abusent de l’espoir de trouver la guérison et de
l’adoration du qigong des masses, et escroquent les gens, demandant des prix d’entrée
de 6 ou 7 yuan, voire plus de 10 yuan, et se promènent ainsi à travers le pays. Certains
vont jusqu’à se lier à des sociétés secrètes réactionnaires. Ces cas ont sévèrement nui
à l’image et à la réputation du qigong et de la médecine chinoise. Actuellement, il y a
aussi des établissements qui, à la recherche de revenus économiques, emploient des
personnes à l’identité douteuse pour mener des activités thérapeutiques de qigong [...]
Il mérite d’être noté que certains établissement non médicaux, tels que des sociétés de
recherche, des comités, des instituts de recherche, en contravention avec la
réglementation, s’arrogent le droit d’autoriser la fondation d’établissements
thérapeutiques de qigong, portant atteinte au maintien de l’ordre dans le qigong
thérapeutique.
[...]
Si nous avons invité tout le monde aujourd’hui, c’est que nous voulons dire
aux camarades que, face à la conjoncture actuelle de désordre grave dans le qigong
thérapeutique, nous sommes résolus à surmonter toutes les difficultés et écarter toutes
les interférences, afin de maîtriser le travail administratif du qigong thérapeutique.
Nous avons établi des « réglements pour renforcer l’administration de la thérapie par
qigong », qui seront instamment promulgués et mis en vigueur. En même temps, nous
espérons qu’avec l’effort de chacun, nous pourrons utiliser les avantages de la
propagation de l’opinion publique par les médias, pour obtenir l’attention et l’appui
des différents secteurs de la société, particulièrement des instances des différents
paliers de gouvernement et des administrations des sciences, de l’éducation, des
sports, de la police, du contrôle des prix, etc., afin de nous aider à réaliser ce travail.
Il faut souligner que le qigong thérapeutique est une composante des méthodes
de thérapie et de prévention de la médecine chinoise, que ses effets sont certains, et
que nous ne pouvons pas nier l’effet et les résultats du développement du qigong
thérapeutique sur la sauvegarde de la santé du peuple. Nous ne voulons absolument
pas restreindre le développement de la cause du qigong thérapeutique; mais espérons
qu’à travers la rectification et le renforcement de l’administration, et le refus du
comportement frauduleux, nous tuerons ce vent d’exagérations excessives, et
garantirons le sain développement du qigong vers une voie normale et scientifique.
D’une part, nous appuyons les activités thérapeutiques cliniques de personnes
possédant une connaissance véritable ainsi que des qualifications de pratique
médicale; d’autre part, afin de protéger la rigueur de la science médicale et les intérêts
des masses populaires, et garantir le niveau des cohortes du qigong thérapeutique,
nous contrôlerons rigoureusement les conditions d’autorisation de pratique médicale.
Nous réglementons que dorénavant, les instances administratives de la médecine
chinoise et de la santé de chaque niveau local [municipalité] et supérieur sont les
instances légales responsables de l’autorisation du qigong thérapeutique, et que les
instances de la médecine chinoise et de la santé de chaque localité doivent, avec
l’appui et le concours des instances de la sécurité publique et du contrôle des prix,
prendre leurs responsabilités activement, remplir loyalement leur devoir, et travailler
assidûment pour assurer une bonne administration du qigong thérapeutique. [Nous ne
pouvons] absolument pas permettre que se perpétue la situation où d’autres
professions, instances ou organisations s’arrogent le droit d’autoriser le qigong
thérapeutique.
Dans un esprit de responsabilité envers les malades, il faut garder une attitude
encore plus rigoureusement scientifique envers les méthodes qui, actuellement, ne
sont pas suffisamment développées, telles que la thérapie par qi externe, etc. [...] En
plus de l’obligation d’obtenir la qualification de médecin ou de travailleur médical, il
faudra, pour chaque maladie pour laquelle on demande l’autorisation de soigner,
soumettre plus de 30 cas cliniques prouvant l’efficacité thérapeutique, reconnus par
des experts concernés. Suite à l’obtention de la permission et du « permis de thérapie
par qigong », on pourra alors exercer la profession et mener des activités de qigong
thérapeutique. Le qigong dur, le qigong martial et les fonctions exceptionnelles ne
sont pas couvertes par ces réglements. Quand aux méthodes de qigong hygiénique
d’auto-entraînement pratiquées dans les parcs et places publiques, il s’agit d’activités
pour le bien commun qui aident à élever le niveau de santé du peuple, et méritent que
l’on continue de les promouvoir et de les appuyer. Mais ceux qui, dans les espaces
publics, transmettent et enseignent le qigong thérapeutique, doivent s’adresser aux
instances de médecine chinoise et de santé de leur district et leur présenter la
méthode, le contenu, l’efficacité thérapeutique, la forme, et les frais de la méthode
enseignée; ils pourront mener leurs activités après avoir reçu l’autorisation. [...] Quant
aux publications sur le qigong thérapeutique, il faut respecter la science, chercher la
vérité d’après les faits, donner une direction correcte, ne pas exagérer ou mystifier,
encore moins y donner une coloration superstitieuse. En ce qui concerne les publicités
sur le qigong thérapeutique, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation des instances de
la médecine chinoise et de la santé.
Quant aux contrevenants des présents « réglements », les instances de la
médecine chinoise et de la santé, de concert avec les instances concernées,
détermineront la gravité de l’affaire, et [imposeront] une pénalité telle que
l’avertissement, l’amende, la rectification ou l’interdiction. Les contrevenants seront
responsables de se soumettre à la pénalité selon la loi.
Afin d’assurer la mise en oeuvre des présents « réglements », les hôpitaux,
cliniques et cabinets individuels de qigong, ainsi que les organismes et individus
poursuivant des activités de qigong thérapeutique sous différentes guises, qui
existaient avant la promulgation de ces « réglements », doivent, suivant les exigences
des présents « réglements », s’inscrire à nouveau et soumettre une nouvelle demande
d’autorisation. Ceux qui ne sont pas conformes au réglement seront supprimés. Etant
donné la situation actuelle, l’autorisation de fonder de [nouveaux] établissements
indépendants de qigong thérapeutique est provisoirement suspendue. [...].
9. LES PRINCIPALES LIGNEES DE MASSE

(En ordre alphabétique des maîtres)


Maître Méthode Organisation Ville Affiliation officielle
Chen Linfeng Qigong chinois Association chinoise d’études Pékin ACESQ
陈林峰 du lotus de de la sagesse
sagesse 中国慧学研究会
中国慧练功
Guo Hanwen Qigong du Comité d’études du Qigong Hangzhou Association d’études
郭汉文 commencement du commencement suprême de la science du
suprême de l’Association d’études de qigong du Zhejiang
太始无功 la science du qigong du
Zhejiang
浙江省气功研究会《太始无
功》研究协会
Guo Lin Nouveau qigong Association d’études du Pékin ACESQ
郭林 de Guo Lin Nouveau qigong de Guo Lin
郭林新气功 郭林新气功研究会
Ji Yi Qigong du grand Association générale du Pékin Association chinoise
记一 Bouddha Qigong du grand Bouddha d’études du qigong
大佛功 大佛功总会 sportif
Li Hongzhi Grande loi de la Association générale d’études Pékin ACESQ (jusqu’en
李洪志 Roue du Dharma de la Grande loi de la Roue 1996)
(Falungong) du Dharma
法轮大法 法轮大法总研究会
Liang Shifeng Qigong des Association d’études du Guangzhou Association d’études
梁士丰 mouvements Qigong des mouvements de la science du
spontanés du Jeu spontanés du Jeu des cinq qigong du
des cinq animaux animaux Guangdong
自发五禽戏动功 自发五禽戏气功研究会
Lin Mengxiang Qigong de l’âme Association d’études du Fuzhou Association d’études
林孟祥 spirituelle Qigong de l’âme spirituelle somatiques du
心灵功 du Fujian Fujian
福建心灵功研究会
Liu Jineng Qigong chinois Institut de recherches sur les Wanxian; Association
刘继能 des fonctions fonctions exceptionnelles de Mianyang scientifique de
exceptionnelles la nature de Wanxian (Sichuan) Wanxian
de la Nature 万县自然特异功研究所
中国自然特异功
Liu Shanglin Qigong tantrique Commission spécialisée du Tieli 铁力 Association d’études
刘尚林 藏密气功 Qigong tantrique (Heilongjiang) de la science du
藏密气功专业委员会 qigong du
Heilongjiang
Liu Zifu Qigong des Centre de formation du Linyi 临沂 Association d’études
刘子富 pouvoirs Qigong des pouvoirs (Shandong) de la science du
miraculeux de la miraculeux de la pensée qigong de Linyi
pensée 意神通功 意神通功培训中心
Luo Sen 罗森 Qigong de la Association d’études du Hangzhou ACESQ
porte vitale du Qigong de la porte vitale du
cosmos cosmos du Zhejiang
周天命门气功 浙江周天命门气功研究协会
Pang Ming Qigong des Centre de formation du Qinhuangdao ACESQ
庞明 capacités de Qigong des capacités de
l’intelligence l’intelligence du Hebei
智能气功 河北华夏智能气功培训中心
Tian Ruisheng Qigong chinois Académie du Qigong des Luoyang ACESQ
田瑞生 de l’intelligence arômes de Chine
et de 中国香功学院.
l’illumination par
les arômes
(Qigong des
arômes)
中国芳香智悟功
Wei Ping’an Méditation de Commission de la méthode Zhengzhou Association de
魏平安 Shaolin du doigt
de la Méditation de Shaolin thérapie et de sports
unique de la du doigt unique de la force du qigong de la
force intérieure
intérieure du Henan province du Henan
少林内劲一指禅 河南省少林内劲一指禅功法
委员会
Xie Shaoying Qigong des Institut de recherches du Nanchong 南充 Association
谢绍英 Trois-Trois-Neuf Qigong des Trois-Trois-Neuf (Sichuan) scientifique de
pour accéder à pour accéder à l’Origine Nanchong
l’Origine 四川南充三三九乘元功科研
三三九成元功 所
Yan Xin Qigong de Yan Association d’etudes Pékin / ACESQ
严新 Xin internationale de la science Chicago
严新气功 du qigong de Yan Xin
严新气功国际学会
Yin Yaokui Qigong Groupe de recherches du Pékin ACESQ
尹耀奎 authentique de la Qigong authentique de la
pureté suprême pureté suprême de l'ACESQ
太上清静真功 中国气功科学研究会太上清
静真功研究组
Zhang Qigong chinois Association générale Pékin Société
Hongbao pour cultiver la internationale du Qigong internationale de
张洪宝/张宏堡 santé et chinois pour cultiver la santé services du qigong.
augmenter et augmenter l’intelligence
l’intelligence 国际中华养生益智功总会
(Zhonggong)
中华养生益智功
Zhang Lin Qigong Groupe de recherches et Kunming ACESQ
张林 scientifique de d'enseignement du Qigong
Chine scientifique de Chine de
中国科学气功 l'ACESQ
中国气功科学研究会中国科
学气功教研组
Zhang Qigong de Association d’études de la Ezhou 鄂州 ACESQ
Zhixiang l’origine suprême méthode du Qigong de (Hebei)
张志祥 元极气功 l’origine suprême du Hebei
河北省元极功法研究会

Fig. 24. Les principales lignées de masse


10. LES PRINCIPAUX CADRES DE L’ORGANISATION DU ZHONGGONG

Long Linyan 龙林炎, née en 1929 dans le Hunan, est un ancien professeur de Zhang
Hongbao dans le département d’administration de l’Université des sciences et
technologies de Pékin. C’est l‘une des premières disciples de Zhang Hongbao. Elle
occupera successivement les principaux postes de direction du Zhonggong: présidente
de l’Institut de recherches en science du qigong de Haidian, présidente de l’Université
internationale des sciences de la vie de Chongqing, enfin présidente de l’Association
générale internationale du Zhonggong1249.

Yan Qingxin 闫庆新, née en 1946 dans le Shanxi, était une dirigeante au Bureau de la
radio-télévision de Chengdu. Elle a aidé Zhang Hongbao a fonder plusieurs des
organes du Zhonggong en Chine et à l’étranger; elle occupe les postes de vice-
présidente et secrétaire-général de l’Association mondiale des célébrités de qigong,
vice-présidente et secrétaire-général de l’Association générale internationale du
Zhonggong, présidente de l’Université de perfectionnement en culture traditionnelle
chinoise de Xi’an, et présidente de l’Université internationale des sciences de la vie de
Chongqing1250.

Chen Wenbin 陈文彬, né dans le Heilongjiang en 1957, est journaliste et ancien


directeur d’une agence de publicité. Vice-président de l’Association générale
internationale du Zhonggong, il est directeur-général de la Société internationale de
services de qigong., et directeur du Zhonggong dans le district de Pékin. Il a dirigé la
traduction des matériaux d’enseignement du Zhonggong en anglais, japonais,
allemand, français, russe, mongole et coréen; joué un rôle de premier plan dans
l’expansion du Zhonggong en Chine du nord, de l’est et du nord-ouest; et créé
plusieurs entreprises commerciales du Zhonggong1251.

Niu Jiaxue 牛家学, né dans le Shanxi en 1933, est un ancien commissaire politique de
la Ligue des jeunes communistes du District militaire de Chengdu. C’est le principal

1249
Wu Hao (éd.) 1993: 514. Les fonctions occupées dans le Zhonggong sont d’après les notices
biographiques dans Wu Hao ed. 1993, et donc reflètent probablement la distribution des responsabilités
dans l’organisation jusqu’en 1992.
1250
Wu Hao (éd.) 1993: 525.
leader du Zhonggong dans le Sichuan, ayant occupé les fonctions de vice-président de
l’Université internationale des sciences de la vie de Chongqing, président de l’Ecole
de formation en sciences somatiques du mont Qingcheng, directeur-général de la
Société internationale de services de qigong du sud-ouest ltée., et secrétaire-général
de l’Association du Zhonggong pour la Chine du sud-ouest. Niu Jiaxue est également
le pionnier du Zhonggong dans la région autonome du Ningxia, où il y fonde les
premières organisations du Zhonggong1252.

Yan Zhiren 闫志仁, né dans le Shanxi en 1932, est un commissaire politique retraité
du district militaire de Chengdu. C’est l’un des principaux animateurs du Zhonggong
dans la région de Xi’an1253.

Yan Chanjuan 严婵娟, née en 1937 dans le Zhejiang, est ingénieur diplômée de
l’université Tongji de Shanghaï. Elle est membre du Bureau permanent de
l’Association générale internationale du Zhonggong et vice-présidente de l’université
internationale des sciences de la vie à Chongqing1254.

Fang Qishun 方其顺, né dans le Henan en 1921, est cadre retraité du District militaire
de Chengdu. Agé de 72 ans, il fonde la branche tibétaine du Zhonggong, et devient
président de l’Ecole de formation du Zhonggong du Tibet1255.

Zhang Xianzheng 张先正, né à Chengdu en 1938, est ancien directeur du Bureau des
réceptions du District militaire de Chengdu. Il a dirigé l’expansion du Zhonggong
dans le Yunnan, où il y dirige les organes du mouvement1256.

Zhou Qiansan 周乾三, né dans le Zhejiang en 1948, est écrivain. Membre du bureau
permanent de l’Association générale internationale du Zhonggong, il est directeur du
Zhonggong pour la région de Chongqing. Il a joué un rôle important dans l’expansion
du Zhonggong en Chine orientale et méridionale, ainsi que dans le développement de

1251
Wu Hao (éd.) 1993: 548.
1252
Wu Hao (éd.) 1993: 511.
1253
Wu Hao (éd.) 1993: 525.
1254
Wu Hao (éd.) 1993: 539.
1255
Wu Hao (éd.) 1993: 512.
1256
Wu Hao (éd.) 1993: 553.
produits commerciaux du Zhonggong, tel que le « thé à informations de la montagne
du Bouddha doré » (Jinfoshan xinxicha 金佛山信息茶)1257.

Huang Guojun 黄国钧, née à Pékin en 1937, est professeur à l’Institut de l’Acier de
Pékin. Guérie d’une grave maladie incurable par Zhang Hongbao, elle s’occupe des
cours par correspondance du Zhonggong1258.

Dai Haishu 戴海树, né dans le Hubei en 1961, est technicien diplômé de l’Université
des sciences et technologies de Pékin. Il est membre du bureau permanent de
l’Association générale internationale du Zhonggong et directeur du Zhonggong pour
la région de Xi’an1259.

1257
Wu Hao (éd.) 1993 : 565-66.
1258
Wu Hao (éd.) 1993: 587.
1259
Wu Hao (éd.) 1993: 599; Lin Xi 1992: 54.
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chinoises. Les dates de journaux sont indiqués en suivant l’ordre année/mois/jour. La pagination des
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« 大庆市智能气功首届年会胜利召开»

DF 37:1 Qigong xinxi « 气功信息 »

DF 37:34 Beijing qigong fuwu zhongxin zhengshi chengli


« 北京气功服务中心正式成立 »
DF 51: 2-3 Relie zhuhe Huang Jingbo tongzhi churen Zhongguo qigong kexue
yanjiuhui dai lishizhang
« 热烈祝贺黄静波同志出任中国气功科学研究会代理事长 »

DF 53: 2-3 Zhongguo qigong kexue yanjiu hui gongzuo huiyi jiyao
« 中国气功科学研究会工作会议记要 »

DF 55: 34 Zhongguo qigong kexue yanjiuhui di er jie lishihui shengli zhaokai


« 中国气功科学研究会第二届理事会胜利召开 »

DF 60: 40 Jiaqiang shehuizhuyi jingshen wenming jianshe – Huabei diqu shoujie


qigong kexue xueshu yantaohui shengli zhaokai
« 加强社会主义精神文明建设 --
华北地区首届气功科学学术研讨会胜利召开 »

DF 62: 8 ‘Ruhe yong Makesi zhuyi zhexue tongshuai Zhineng qigong de fazhan’
de zhexue taolunhui zai Fengrun kangfu zongxin zhaokai
« ‘如何用马克思主义哲学统帅智能气功的发展’的哲学讨论会
在丰润康复中心召开 »

DF 66: 17 Guojia tiwei xiang quanguo tuiguang 21 zhong gongfa


« 国家体委向全国推广21种功法 »

DF 66: 24 Yijiu si er nian balujun jiu kaizhanle qigong liaofa


« 一九四二年八路军就开展了气功疗法 »

GM 58/11/03:3 Wei yixue kexue yuejin saoqing daolu


« 为医学科学跃进扫清道路 ».

GM 58/12/06:1 Da zhangqi gu kaizhan xiyi xue zhongyi yundong


« 大张旗鼓展开西医学中医运动 »

GM 58/12/06 :2a Wei zuguo yixue de yuejin saoqing daolu


« 为祖国医学的跃进扫清道路 »

GM 58/12/06 :2b Hebei kaizhan zhongyi zhongyao gongzuo shida yundong de


jingyan « 河北开展中医中药工作十大运动的经验 »

GR 95/07/26:1 Jianjue fandui wei kexue « 坚决反对伪科学 »

GR 95/08/03:1 Sai xianshen, bu neng chenmo « 赛先生,不能沉默 »

GR 95/08/09:1 Zhaidiao jinzi zhaopai « 摘掉金子招牌»

GR 95/08/11:1 qigong ‘waiqi’ genben bu cunzai


« 气功‘外气’根本不存在»
GR 95/08/11:1 Rang kexue shuohua « 让科学说话 »

GR 95/08/16:1 Quan shehui qingchu wei kexue zhuoliu


« 全社会清除伪科学浊流 »

GR 95/08/16:1 Qili tongxin, qingchu wuran « 起立同心,清除污染 »

GR 95/08/18:1 Makesi zhuyi he kexue jingshen gongmingyun


« 马克思主义和科学精神共命运 »

GR 95/09/23:1 Xingjian fashe helai qigong xiangzhu


« 星箭发射何来气功相助 »

HW 87/01/25: 4 Zhongguo chubu jiekai qigong zhibing zhimi


« 中国初步揭开气功之谜 »

HX 99/07/23:3 Benbao ceng zao weigong « 本报曾遭围攻 »

NF 99/07/30:2 Weigong: qianzhi zhengfu he yulun « 围攻:


钳制政府和舆论 »

QG 2-1: 48 Beidaihe qigong Liaoyangyuan « 北戴河气功疗养院 »

QG 2-2: 61 qigongshi – Liang Shifeng Tongzhi « 气功师--梁士丰同志 »

QG 2-4 : 170 Quanguo qigong kexue yanjiuhui chengli


« 全国气功科学研究会成立 »

QG 5-1: 48 Meiguo qigong kaochatuan fangwen Beidaihe qigong liaoyangyuan


« 美国气功考察团访问北戴河气功疗养院 »。

QG 7-1 : 20 Meizhong xingwei yixue xueshu baogaohui zai lu juxing


« 美中行为医学学术报告会在泸举行 »

QG 7-1 : 44 Guangdong sheng juxing shoujie xueshu jiaoliu he biaoyan


« 广东省举行首届学术交流和表演 »

QG 7-1 : 45 Gushu kai xinhua : qigong jin xiaoyuan « 古树开新花:


气功进校园 »

QG 7-3 : 99 Qian Xuesen jiaoshou tiyi jianli « weixiang qigong xue »


« 钱学森教授提议建立‘唯象气功学’ »

QG 7-3 : 100 Zhongguo qigong kexue yanjiuhui zai Beijing chengli


« 中国气功科学研究会在北京成立 »

QG 7-4 : 164 Huadong diqu weisheng xitong zhuanti xueshu taolunhui zai Nanchang
juxing « 华东地区卫生系统专题学术讨论会在南昌举行 »
QG 7-5 : 236 Renti teyigongneng yanjiu jinkuang « 人体特异功能研究近况 »

QG 7-5 :211 Quanguo jianshen yangsheng shi zuotanhui zai jing zhaokai
« 全国健身养生史座谈会在京召开 »

QG 7-5 : 236 Puji Zhongguo qigongfa Riben chengli ‘qigong xiehui’


« 普及中国气功法日本成立‘气功协会’ »

QG 7-5: 237 Woguo qigong daibiaotuan fangwen Riben


« 我国气功代表团访问日本 »

QG 7-6 : 275 Feilubin Zhongguo qigong xuehui chengli


« 菲律宾中国气功学会成立 »

QG 8-10 :481 Zhongguo kexie zai Jing juban tiandisheng yantaohui


« 中国科协在京举办天地生研讨会 »

QG 8-11 :493 Di yi jie quanguo qigong kexue xueshu jiaoliuhui zhaokai


« 第一届全国气功科学学术交流会召开 »

QG 8-12 : 545 Zhongguo qigong kexue yanjiuhui gongli gongfa weiyuanhui chengli
dahui zai Xi’an juxing
« 中国气功科学研究会功理功法委员会成立大会在西安举行 »

QG 8-12 :557 Di si qi quanguo qigong shizi xunlianban kaixue


« 第四期全国气功师资训练班开学 »

QG 8-5 :195 Zhejiang sheng qigong kexue yanjiuhui chengli dahui zai Hang juxing
« 浙江省气功科学研究会成立大会在杭举行 »

QG 8-6 :276 Hangzhou qigong yiyuan kaizhang « 杭州气功医院开章 »

QG 8-7 :303 Zhejiang sheng yixue qigong yanjiuhui juxing di yi ci qigong xueshu
jiaoliuhui « 浙江省医学气功研究会举行第一次气功学术交流会 »

QG 8-9 : 389 Shoujie quanguo qigong fangzhi jinshiyan jingyan jiaoliuhui zai lu
zhaokai « 首届全国气功防治近视眼经验交流会在泸召开 »

QG 8-9 :389 Zhonghua qigong jinxiuyuan shoujie-erjie hanshouban jieye-kaiye


dianli zai Jing juxing
« 中华气功进修院首届、二届函授班结业、开业典礼在京举行 »

QG 8-9 :397 Zhejiang daxue chengli qigong kexue yanjiuhui


« 浙江大学成立气功科学研究会 »

QG 8 –10 :476 Qigong buru daxuetang « 气功步入大学堂 »


QG 9-10 :477 Shoujie qigong shuoshisheng biye « 首届气功硕士生毕业 »

QG 9-3 :101 Zhejiang wulin qigong jianshenyuan zai Hang chengli – Haideng Fashi
rongren mingyu yuanzhang « 浙江武林气功健身院在杭成立—
海灯法师荣任名誉院长 »

QG 9-3 : 112 Quanjun zhongyi xuehui qigong keyanzu zai Beijing chengli
« 全军中医学会气功科研组在北京成立 »

QG 9-3 :118 Zhejiang sheng duoxueke qigong keyan taolunhui zai Hang juxing
« 浙江省多学科气功科研讨论会在杭举行 »

QG 9-5: 237 Zangmi qigong yanjiuhui di yi jie xueshu jiaoliuhui zai jing zhaokai
« 藏密气功研究会第一届学术交流会在京召开 »

QG 9-7: 332 Guoji qigong lianhehui zai xinjiapo chengli


« 国际气功联合会在新加坡成立 »

QG 9-8: 353 Zhongguo qigong kexue yanjiu zhongxin zai jing chengli
« 中国气功科学研究中心在京成立 »

QG 9-9 :392 Zhonghua qigong jinxiu xueyuan juxing xinwen fabuhui


« 中华气功进修院举行新闻发布会 »

QG 9-9: 405 qigong bigu yanhiu xueshu yantaohui zai hang zhaokai
« 气功辟谷研究学术研讨会在杭召开 »

QG 9-9: 429 Zhongguo tiyu qigong fuwudui chengli


« 中国体育气功服务队成立 »

QG 10-6: 285 Jiti bigu gao hangtian qigong shiyan


« 集体辟谷搞航天气功试验 »

QG 11-2: 92 Shandong Daxue kaishe “qigong yu teyigongneng yanjiu” ke


« 山东大学开设“气功与特异功能研究”课 »

QG 11-5: 236 Renti kexue xin jinzhan « 人体科学新进展 »

QG 11-8: 381 Tiyu qigong xin chengguo « 体育气功新成果»

QG 11-11: 492 Yici biekai shengmian de qigong baogaohui


«一次别开生面的气功报告会 »

QG 13-5: 238 Guojia jiaowei xiwang jiaqiang zhongxiao xuexiao qigong shiyan
« 国家教委希望加强中小学校气功试验 »

QG 13-9: 429 Qigongshi gai dui chupian fuze « 气功师该对出偏负责 »


QG 15-11:526 Renti kexue yanjiu de xin chuangju « 人体科学研究的新创举 »

QK 58-0 Gucheng huicui « 古城荟萃 »

QK 58 :4 Qigong kexue de jiaoxue he yanjiu yi lieru guojia jiaoyu weiyuanhui de


yishi richeng
« 气功科学的教学和研究已列入国家教育委员会的议事日程 »

QK 63: Couverture intérieure


Zangmi qigong yanjiuhui chengli ji xueshu jiaoliuhui zjaokai
« 藏密气功研究会成立及学术交流会召开 »

QK 63:33 Xizang Zixhiqu qigong xiyan xiehui chengli


«西藏自治区气功习研协会成立»

QK 102:39 (Sans titre)

QL 1: 27 Shijie di yige zaisheng xianxiang yanjiushi zai zhongguo chengli


« 世界第一个再生现象研究室在中国成立 »

QL 1: 32 Teyi yanjiu zhongxin zai dalu chengli « 特医研究中心在大陆成立 »

QL 1: 35 Shaanxi sheng kangfu yiyuan yinan bing teyi menzhenbu kaiye


«陕西省康复医院疑难病特医门诊部开业 »

QL 1: 45 (Sans titre).

QL 1: 54 Zhong Gong kuaguo hezuo banxue « 中功跨国合作办学 »

RR 54/10/20:1 Guanche duidai zhongyi de zhengque zhengce


« 贯彻对待中医的正确政策 ».

RR 55/12/20 :1 Zhongyi yanjiuyuan chengli dianli zai jing juxing


« 中医研究院成立典礼在京举行 ».

RR 78/03/12:1 Zhonggong zhongyang fachu tongzhi, quanguo kexue dahui


shiba ri zhaokai « 中共中央发出通知,全国科学大会十八日召开 ».

RR 78/04/08:1 Ba aiguo weisheng yundong guangfande kaizhanqilai


« 把爱国卫生运动广泛的开展起来 ».

RR 78/11/02:2 Dali jiakuai fazhan zhongyi zhongyao shiye


« 大力加快发展中医中药事业 ».

RR 79/06/02: 4 Sichuan yige xiaoxuesheng “yonger renzi” shi jiade


« 四川一个小学生“用耳认字”是假的 »
RR 82/02/25a: 3 Piping suowei “renti teyigongneng” de yanjiu he xuanchuan
« 批评所谓“人体特异功能”的研究和宣传 ».

RR 82/02/25b: 3 Liangnian lai “renti teyigongneng” xuanchuan jiankuang


« 两年来“人体特异功能”宣传简况 », reproduit dans Xinhua
wenzhai no. 4 (avril 1982), p. 228.

RR 94/10/13: 2 Minzhengbu jiesan “guoji qigong kexue lianhehui”


« 民政部解散“国际气功科学联合会”».

RR 99/07/19: 1 Zuohao xin shiqi de sixiang zhengzhi gongzuo – wu lun


chongshang kexue pochu mixin « 做好新时期的思想政治工作—
五论崇尚科学破除迷信 ».

SB 99-7-23: A1 Zhe shi yi chang zhengzhi douzheng « 这是一场政治斗争»

SB 99-8-13: B5 Shijian faduan, Tianjin qi fengyun « 事件发端 天津风云»

SMK 16: 5 Aozhou di si jie qilin wenhua jie lianhuanhui


«澳洲第四届麒麟文化节联欢会»

SMK 17: 4 Shijie qigong bangshou « 世界气功榜首 »

SMK 20: 9 Shaanxi sheng jiaowei pinggu zhonghua chuantong wenhua jinxiu
daxue minglie qianmao
« 陕西省教委评估中华传统文化进修大学名列前茅 »

SMK 21: 16-17 Tianjin Qilin jituan luohu baoshui qu


« 天津麒麟集团落户保水区 »

TY 36:3 Di san ci guoji qigong huiyi choubeihui zai Xi’an bimu


« 第三次国际气功会议筹备会在西安闭幕»

TY 36:16 Guojia tiwei pizhun Wuhan tiyuan zhaoshou qigong benkesheng


« 国家体委批准武汉体院招收气功本科生 »

TY 36:47 (Sans titre)

TY 38:3 Ziye, ‘Dongfang gongfu wangzi’zai xianggang yingjie tiaozhan


« 子夜,‘东方功夫王子’在香港迎接挑战 »

TY 58:40 Tianzhong gong chuangshi ren Chen Letian zhuanggao Zhejiang


sheng qigong kexue yanjiuhui
« 天钟功创始人陈乐天撞告浙江省气功科学研究会 »

XTY 1965-3: 25-26 Bu xu jiajie qigong mingyi sanbu fengjian mixin tusu.
« 不许假借气功名义散布封建迷信土俗 »
ZG 33:6 Quanjun di yi jie yixue qigong yantaohui zai jing zhaokai
« 全军第一届医学气功研讨会在京召开 »

ZG 76: 44a Zhongguo Dafo gong zonghui hangao ge shengshi qigongjie pengyou
yaoqing Ji Yi, Yin Ai, Li Shun chuangong qing tiqian 60 tian gonghan
lianxi
«中国大佛功总会函告个省市气功界朋友邀请记一,印爱,李顺传
功请提前60天公函联系 ».

ZG 76 : 44b Shoujie Zhongguo Dafo gong jiankangfa yantaohui


«首届中国大佛功健康法研讨会 ».

ZG 76 : 44c Zhongguo Dafogong dujia hanshou « 中国大佛功独家函授 ».

ZM 40:3 Sheng zangzhuanwei zhaokai di sanjie di er ci (kuoda) huiyi


« 省藏专委召开第三届二次(扩大)会议»

ZM 41:1a Jidi juban disan qi chuantong wenhua jiangxi ban


« 基地举办第三期传统文化讲习班»

ZM 41:1b Chentong mianhuai Deng Xiaoping tongzhi « 沉痛缅怀邓小平同志»

ZM 41 :4a Xiqing jidi youeryuan chengli « 喜庆基地幼儿园成立»

ZM 41 :4b 97-98.3 gedi banban jihua « 97-98.3 各地办班计划»

ZM 42:1 Yinan zazheng ban bandehao « 疑难杂症班办得好»

ZM 42:2 Shouban laonian yangsheng baojian yanxiuban


« 首办老年养生保健研修班»

ZM 46:1 Sheng zangzhuanwei sanjie sanci changwei (kuoda) huiyi jiyao


« 省藏专委召开第三届三次常委(扩大)会议纪要»

ZM 48:1a Yi shiwuda wei dongli ba hongyang zangmi qigong tuixiang ershiyi


shiji « 以十五大为动力把弘扬藏密气功推向二十一世纪»

ZM 48:1b Chuanda guojia sheng qigong guanli huiyi jingshen


« 传达国家省气功管理会议精神»

ZM 49:1 Tuidong zangmigong gongzuo buduan fazhan


« 推动藏密功工作不断发展»

ZM 53:1 1998 nian gongzuo yaodian « 1998年工作要点»

ZM 55:1a Wo keyansuo yu Tieli linyeju jianding lianhe kaifa ergu Toulongshan


hetong « 我科研所与铁力林业局鉴定联合开发二股透龙山合同»
ZM 57:1 Jidi chenggong juban shouqi yancao fudaoyuan peixunban
« 基地成功举办首期眼操辅导员培训班»

ZM 58: 1-2 Heilongjiang sheng jianshen qigong shouci guanli gongzuo huiyi
shikuang « 黑龙江省健身气功首次管理工作会议实况»

ZM 59:1a Ge zhan, hui xiang miequ juankuan juanwu xian aixin


« 各站、会向灭区捐款捐物献爱心 »

ZM 59: 1b Gedi jiaoxue dongtai « 各地教学动态 »

ZM 60:1 Qingxi miemin – Liu laoshi zai Jiamusi wei miemin juankuan
« 情系灭民-- 刘老师在佳木斯为灭民捐款 »

ZM 61:1 Zenyang shending jianshen qigong gongfa « 怎样审定健身气功功法»

ZM 61:2 Jiji guangfan zhaosheng « 积极广泛招生 »

ZM 62:1 Jidi di 18 qi pujiban kaixue « 基地普及办第18期普及班开学 »

ZM 65:1 `99 kai men hong « ‘ 99开门红 »

ZZ 3-3:163 Xianshen yu kexue de guangyao bangyang « 献身与科学的光耀榜样»

ZZ 3-4: Couverture interieure Dahui jianying « 大会剪影 »

ZZ 4-6 Zhongguo renti kexue yanjiuhui choubei weiyuanhui chengli


« 中国人体科学研究会筹备委员会成立 »
2. OUVRAGES EN LANGUES EUROPÉENNES

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TABLE DES MATIERES
Remerciements 2

Note sur les caractères chinois, leur transcription,


les abbréviations et les traductions 3

Sommaire 4

Liste des tableaux et figures 5

INTRODUCTION 6

1. La genèse et l’évolution du projet 8


2. Un modèle anthropologique 11
2.1 Représentations 12
2.2 Pratiques 15
2.3 Organisations 18
3. Un schéma thématique 22
3.1 Guérison 23
3.2 Religion 24
3.3 Politique 26
4. Le cadre de référence 27

PREMIERE PARTIE : L’INSTITUTION MEDICALE 29

1. La première vague du qigong, 1949-1964 30


1.1 La naissance du qigong moderne 31
1.2 Institutionnalisation de la médecine chinoise,1949 – 1954 38
1.3 Les premiers établissements de qigong 40
1.4 La première vague nationale de qigong, 1954-1959 41
1.5 Grand bond du qigong durant le « Grand bond en avant »,
1959-1961 50
1.6 Retournement politique contre le qigong, 1962-64 54
1.7 Conclusion 55

DEUXIEME PARTIE: L’EXPLOSION RELIGIEUSE 58

2. La renaissance du qigong, 1978 – 1981 59


2.1 Guo Lin et la résurrection du qigong 59
2.2 Gu Hansen découvre la nature matérielle du « qi externe » 64
2.3 La « réunion de synthèse » de Pékin 67
2.4 Propagation de la méthode de Guo Lin 69
2.5 Fondation des premières associations semi-officielles de qigong 70
2.6 Fondation de la revue Qigong 71
2.7 Fondation d’une association nationale semi-officielle 73

3. La floraison des lignées 75


3.1 Transmission populaire de la culture corporelle de 1949 à 1979 75
3.2 Les maîtres 80
3.3 Les méthodes 84
3.4 Les lignées de masse 91
3.4.1 Yang Meijun et le Qigong de la Grande oie 92
3.4.2 Zhao Jinxiang et l’Envol de la grue 94
3.4.3 Liang Shifeng et le Qigong des mouvements spontanés du Jeu
des cinq animaux 95
3.4.4 Ma Litang et le Qigong nourrissant 96
3.4.5 Wei Ping’an et le Travail intérieur de Shaolin de la
contemplation du doigt 97
3.5 Les pratiquants 98
3.6 Conclusion: la configuration du « monde du qigong ». 101

4. L’idéologie du paranormal 104


4.1 Apparition du concept des « fonctions exceptionnelles » 104
4.2 Rapprochement du qigong et des « fonctions exceptionnelles » 108
4.3 Défense politique des « fonctions exceptionnelles »: les interventions de
Qian Xuesen 110
4.4 Elaboration d’un système idéologique 114
4.4.1 Le discours de base 115
4.4.2 Les « fonctions exceptionnelles » 117
4.4.3 Les « sciences somatiques » 121
4.4.4 Le qigong et la civilisation chinoise 124
4.4.5 La nouvelle révolution scientifique et la
résurrection de la Chine 126
4.5 La stratégie de légitimation 133
4.6 Engouement des médias et de la classe politique
pour les « fonctions exceptionnelles » 139
4.7 Conclusion: les réseaux politiques du qigong 142

5. L’expansion des institutions 145


5.1 Recherches scientifiques 145
5.2 Les associations semi-officielles nationales 149
5.3 Multiplication des échanges internationaux 155
5.4 Multiplication des colloques de qigong 156
5.5 Institutionnalisation de la formation des maîtres de qigong 159
5.6 Les sportifs chinois s’entraînent au qigong 163
5.7 Conclusion : élargissement des réseaux politiques du qigong 164

6. Les maîtres charismatiques 167


6.1 L’image du Grand Maître 168
6.1.1 L’enfant prodige 169
6.1.2 L’élection 171
6.1.3 Le surhomme aux pouvoirs magiques 174
6.1.4 La « sortie des montagnes » 175
6.2 L’acquisition du charisme 177

7. La « fièvre » du qigong 182


7.1 Le phénomène Yan Xin 182
7.1.1 L’éruption de Yan Xin sur la scène médiatique 182
7.1.2 Les expériences de Yan Xin à l’université Qinghua 184
7.1.3 Les « conférences imbues de Force » 189
7.1.4 Le village natal de Yan Xin, lieu de pélerinage 190
7.2 La montée de Zhang Hongbao 191
7.3 Vague des « conférences imbues de Force » 196
7.4 Vague du bigu 197
7.5 Zhang Xiangyu et le « langage cosmique » 198
7.6 Les best-sellers du qigong 199
7.7 Conclusion : le qigong, mouvement religieux de masse 202

TROISIEME PARTIE: LA CRISE POLITIQUE 207

8. Les instances d’autorité officielle 208


8.1 Le Parti communiste chinois et le gouvernement 208
8.2 Les établissements scientifiques et universitaires 217
8.3 Les médias de masse 218

9. Le monde du qigong entre en crise 221


9.1 Le phénomène du zouhuo rumo 221
9.2 Le problème de l’escroquerie 224
9.3 La visite du CSICOP et le démasquage des prestidigitateurs 225
9.4 Echec de Zhang Baosheng devant He Zuoxiu 226
9.5 Renouveau de la polémique anti-qigong 229
9.6 Zhang Honglin réfute l’existence du « qi externe » 231
9.7 L’intervention du Bureau national de médecine chinoise 233
9.8 Arrestation de Zhang Xiangyu et exil de Yan Xin 235
9.9 L’opposition s’organise 237
9.10 Activité de l’axe Zhang Zhenhuan – Qian Xuesen – Wu Shaozu 239
9.11 Les écrivains Ke Yunlu et Ji Yi lancent leurs propres courants de
qigong 243
9.12.La mort de Zhang Zhenhuan vulnérabilise le monde du qigong 244
9.13 Sima Nan et Yu Guangyuan relancent la polémique 247
9.14 La communauté scientifique se retourne contre le qigong 248
9.15 Sima Nan confronte Ke Yunlu 252
9.16 Wu Shaozu intervient pour mettre fin à la polémique 253
9.17 Le monde du qigong contre-attaque 254

10. L’organisation des lignées de masse 263

11. Une lignée « associative »: le Zangmigong 269


11.1 Les méthodes de propagation 269
11.2 Les « assemblées de Force » 272
11.3 Les stages 273
11.4 Construction de locaux 276
11.5 Echanges internationaux 276
11.6 Recherche scientifique 277
11.7 Activités communautaires 277
11.8 Organisation du Zangzhuan 278
11.9 Intégration de l’association aux institutions de l’Etat 279
11.10 Activités politiques de l’association 283
11.11Conclusion 286

12. Une lignée « industrielle »: le Zhonggong 288


12.1 La « culture du Qilin » 288
12.2 Pénétration des provinces 291
12.3 Le système de gestion 293
12.4 Les organes supérieurs 297
12.5 Les postes d’entraînement: un exemple 299
12.6 L’organisation financière 301
12.7 La discipline interne 302
12.8 La protection externe 304
12.9 Le système de formation 305
12.11 Conclusion : une organisation de masse 310

13. Une lignée « militante »: le Falungong 312


13.1 Li Hongzhi « sort des montagnes »: 1992 à 1994 313
13.2 La mutation du Falungong 316
13.3 La doctrine de Li Hongzhi 318
13.3.1 Le thème apocalyptique 320
13.3.2 Le thème messianique 324
13.3.3 L’ascèse spirituelle 327
13.3.4 La pratique exclusive 330
13.3.5 La rupture avec le qigong 334
13.4 L’organisation de la propagation 337
13.5 Les conséquences d’une dissidence interne 343

14. La campagne de « rectification » du qigong, 1996-1999 347


14.1 Débats au sein du monde du qigong 347
14.2 La position de Wu Shaozu 348
14.3 La position des autorités médicales 351
14.4 Le gouvernement déclare sa politique 353
14.5 La campagne de « rectification » commence 355
14.6 Premières mesures contre le Falungong 358
14.7 L’Etat resserre son contrôle sur le qigong 363
14.8 Expansion militante du Falungong 365
14.9 La manifestation de Zhongnanhai 374
14.10 Durcissement de la répression 376
14.11 La campagne nationale anti-Falungong 378

Epilogue: Le démantèlement du monde du qigong, 1999 – 2001 382

CONCLUSION 390

Nouveaux champs de recherche 417

ANNEXES 421

1. Présentation des sources 422


2. Les premières méthodes de qigong des années 1950 426
3. Résumé du livre Application de la méthode thérapeutique du
qigong de Liu Guizhen 430
4. Naissance des réseaux scientifiques du qigong: les collaborateurs
des premiers numéros de la revue Qigong 433
5. Les associations semi-officielles de qigong 436
6. La presse spécialisée du qigong 440
7. Programme de formation par correspondance de l’Académie de
perfectionnement du qigong chinois 446
8. Discours de Hu Ximing sur la nouvelle politique sur le qigong
du Bureau d’administration de la médecine chinoise (octobre 1989) 450
9. Les principales lignées de masse 454
10. Les principaux cadres de l’organisation du Zhonggong 456

BIBLIOGRAPHIE 459

1. Sources en langue chinoise 460


2. Sources en langues européennes 492

TABLE DES MATIERES 504

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