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Raymond Abellio

Biographie

Naissance

11 novembre 1907

Toulouse

Décès

26 août 1986 (à 78 ans)

Nice

Sépulture

Cimetière d'Auteuil

Nom de naissance

Georges Raymond Alexis Soulès

Nationalité

française

Formation

École polytechnique

Activité

écrivain, philosophe, ingénieur

Autres informations

Parti politique

Section française de l'Internationale ouvrière

Membre de

Association des amis de Robert Brasillach (d)

Genre artistique

roman, essai, souvenirs


Distinction

Prix Sainte-Beuve (1946)

Prix des Deux-Magots (1980)

Œuvres principales

Heureux les pacifiques (1946)

Les yeux d’Ezéchiel sont ouverts (1947)

La Structure absolue (1965)

"Montségur" (1982)

"Visages Immobiles" (1983)

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Georges Soulès, dit Raymond Abellio (né à Toulouse le 11 novembre 1907 - mort à Nice le 26 août 1986),
est un écrivain et philosophe gnostique français.

Il a également été un homme politique des années 1930 et 40, occupant des postes de responsabilité à
la SFIO avant-guerre puis, durant l'Occupation, au Mouvement social révolutionnaire (MSR) dont il sera
l'un des dirigeants aux côtés de son fondateur Eugène Deloncle, puis à sa place.

Son œuvre romanesque, d’inspiration et d’essence métaphysiques, se compose d’abord d’un premier
roman (Heureux les pacifiques), puis d’une trilogie (Les yeux d’Ezéchiel sont ouverts, La fosse de Babel,
Visages immobiles) qui occupera Abellio jusqu’à la fin de sa vie. Ces quatre romans font évoluer le
narrateur (d’abord nommé Saveilhan, puis Dupastre) qui est sur la voie de l’homme intérieur et qui,
progressivement, prend part sans prendre parti, au cœur de l’histoire planétaire contemporaine et de
ses soubresauts.

Son œuvre philosophique se développe à travers plusieurs essais et de nombreux articles montrant son
approche de la gnose, questionnant le sens et les enjeux de la connaissance. On lui doit aussi des
mémoires, Ma dernière mémoire, trois tomes qui couvrent les quarante premières années de sa vie.

Biographie

Georges Soulès nait à Toulouse le 11 novembre 19071. Issu d’une famille pauvre du faubourg des
Minimes de Toulouse, il entre en 1927 à l’École polytechnique pour en sortir dans les Ponts et
Chaussées.
Après avoir adhéré au Groupe parisien des étudiants socialistes, puis aux Jeunesses socialistes du XIVe
arrondissement, ce marxiste, « converti » en 1928, entre en 1932 à la SFIO, puis rejoint le Centre
polytechnicien d'Études Économiques (X-Crise). Le roman écrit entre-temps, Le Grand Chelem, ne sera
jamais publié et finira détruit par un bombardement en 1940.

À la suite de sa rencontre avec le mouvement surréaliste et l'écriture automatique (1932), il rompt avec
le parti communiste en 1935. L'année suivante, sous le gouvernement de Léon Blum, le futur écrivain se
retrouve chargé de mission au ministère de l'Économie nationale. D'abord en service, en tant
qu'ingénieur des Ponts, dans la Drôme (mi-1932 à mi-1936), puis à Paris et Versailles, Georges Soulès
milite dans l'opposition de gauche du Parti socialiste, représentant celle-ci au comité directeur du parti
en 1937 et 1939.

Le 24 août 1939, il est mobilisé au 6e régiment du Génie à Angers, puis fait prisonnier le 26 mai 1940 à
Calais. Dès son retour de captivité, en 1941, le militant entre au Mouvement social révolutionnaire
(MSR) d'Eugène Deloncle (certains[réf. souhaitée] ont parlé de « tentation totalitaire »), mouvement
d'inspiration fasciste, partisan de la collaboration, proche du Rassemblement national populaire de
Marcel Déat et comme lui rival du Parti populaire français de Jacques Doriot. Avec d'autres membres, il
aurait participé à une action fractionnelle clandestine2. Il est membre de la faction qui exclut Deloncle
en 1942 et qui dirige le parti jusqu'à sa disparition en 1944. Ce MSR rénové se serait mis en rapport avec
la Résistance sans que l'on puisse discerner la motivation exacte de cette démarche[réf. souhaitée]. En
1943, il est membre du Front révolutionnaire national3, rassemblement sans lendemain créé par Marcel
Déat, qui regroupe la majorité des partis collaborationnistes à l'exception du Parti populaire français.

Georges Soulès, est à l'origine de la fondation, en 1943, du groupe clandestin des « Unitaires », publiant
le bulletin Force Libre.[réf. souhaitée] C'est aussi pour lui l'année décisive de sa rencontre avec Jane L. et
Pierre de Combas. Soulès sort progressivement du champ de l'action politique et commence à « renaître
» en tant que Raymond Abellio.

Contraint de se cacher parce que poursuivi par la justice à la Libération, il déménage plusieurs fois entre
1944 et 1947, année où il se réfugie en Suisse. Il y devint le précepteur du fils de Jean Jardin, ancien
directeur de cabinet de Pierre Laval. Durant cette période de clandestinité, il écrit ses premiers livres, et
son premier roman, Heureux les pacifiques, est publié.

En 1945, Georges Soulès devient dès lors officiellement et définitivement Raymond Abellio1.
Le 10 octobre 1948, parce que confondu avec un homonyme, Jules Soulès, gérant de biens juifs sous
l'Occupation, il est condamné par contumace à dix ans de travaux forcés. Gracié en 1952 grâce à
l'intervention de résistants (et, en particulier, au témoignage du général Pierre Guillain de Bénouville,
qui intervint en plusieurs occasions pour des proches ou sympathisants d'Eugène Deloncle), Abellio
revient définitivement à Paris en 1953.

Tombe de Raymond Abellio au cimetière d'Auteuil.

En 1950, il adhère à l'Association des amis de Robert Brasillach4.

Ayant abandonné la politique, cet ancien activiste fonde et dirige une société d'ingénieurs-conseils sans
jamais cesser, parallèlement, de se consacrer à la quête de la connaissance, tant à travers la littérature
que la philosophie et l'ésotérisme. À partir de 1970, il appartient toutefois au comité de patronage de
Nouvelle École5.

Régulièrement invité à exposer ses idées dans des émissions audiovisuelles et radiophoniques, c'est
surtout par ses livres que Raymond Abellio a tenté de transmettre la gnose qu'il avait constituée.

Il meurt le 26 août 1986 à Nice1 et est inhumé au cimetière d'Auteuil (16e arrondissement deParis).

Un Cahier de l'Herne lui est consacré en 19796.

Un cheminement menant à la gnose

De l’engagement politique à l’éveil phénoménologique

L’adolescence de Georges Soulès fut traversée de « crises mystiques » qui, à intervalles irréguliers,
vinrent rythmer une existence solitaire, intérieure et studieuse. S’exprimant spontanément par une
religiosité vécue à part des autres et une liturgie toute personnelle, cette mystique « du dedans », si elle
était déjà aspiration à l’absolu, restait cependant sans structure définie, sans objet précis, sans motif
conscient, une mystique diffuse et instinctive. En 1928, à la suite d’un entretien avec l’aumônier de
l’École polytechnique qui lui indiqua à cette occasion l’existence de l’homme intérieur de saint Paul et,
surtout, qui l’invitait à évangéliser les masses socialistes, entretien qui constitue l’un des événements
marquants de sa vie et qui fut à l’origine d’une nouvelle expérience intérieure décisive, Soulès amorça
son virage marxiste. Sa mystique trouva ainsi dans ce qu’Abellio nomma plus tard une « physique sociale
» à la fois un objectif (« la révolution socialiste ») et un terrain d’exercice (l’activisme politique), mais
aussi un système rigoureux capable de canaliser, d’ordonner et de polariser ses enthousiasmes et de
leur donner un sens. Le marxisme fut donc pour Soulès le premier contact véritable et vivant avec le
monde des idées et de la rationalité. Le thème de l’affrontement dialectique de l’âme et de l’esprit, de la
chaleur et de la lumière, thème qui trouvera par la suite chez Abellio sa clef de voûte et sa juste
formulation dans le rapport gnose/mystique, prit ainsi corps pour la première fois dans le cours de son
existence. Tout au long de son engagement marxiste, qui dura jusqu’en 1938, mais aussi durant la
période qui s’étend de 1939 à 1943, Soulès chercha aussi à concilier ce qu’il appelle « volonté de
puissance » et « idéal de pureté », mêlant ainsi le domaine des idées avec celui du pouvoir. Mais ses
expériences politiques ratées, une progressive prise de conscience de l’impossibilité de concilier les
enjeux de l’individu et ceux de l’espèce et, enfin, une faim toujours plus intense de connaissance l’ont
fait revenir de ses illusions. C’est là encore une rencontre, plus précisément une double rencontre, qui
acheva définitivement de l’arracher au monde des faits, des gestes et des rôles sociopolitiques et qui le
fit pénétrer dans celui des mystères de la connaissance. En effet, quasiment au même moment (mars
1943), celui qui s’appelait encore Georges Soulès fit la connaissance à la fois d’une femme : Jane L., qui
devait le « faire entrer dans ces au-delà énigmatiques de l’amour qui sont la raison même de l’amour »,
mais aussi de celui qui allait devenir son maître spirituel : Pierre de Combas. Soulès se trouva dès lors
engagé dans sa « seconde naissance », qui devait très bientôt le faire renaître sous le nom de Raymond
Abellio.

De l’ésotérisme à la philosophie moderne

Pierre de Combas est cet être singulier, ancien instituteur puis guérisseur et enfin reclus, qui initia Soulès
à l’ésotérisme. Ce dernier terme est ici à entendre comme un ensemble hétérogène de doctrines faisant
référence à une Tradition universelle. Grâce à cet homme, dont l’enseignement reposait notamment sur
deux ouvrages majeurs : la Bible et la Bhagavad-Gita, Soulès a véritablement découvert les traditions et
les sciences traditionnelles (plus particulièrement la Numérologie et la Kabbale), et est « réellement
entré dans l’ésotérisme en tant que tel ». Cette rencontre survint à une période critique où Soulès était
en pleine phase de remise en question de son engagement politique. Son entrée dans l’ésotérisme
marqua dès lors sa sortie hors du champ de l’idéologie et de l’action politiques. C’est plus
particulièrement par l’ésotérisme chrétien que se fit cette entrée, c’est-à-dire, plus précisément, par ce
qui devint par la suite le rapport ésotérique d’Abellio au christianisme. Le christianisme vint donc
occuper une place privilégiée dans la quête de la connaissance entreprise par Abellio, sans pour autant
exclure les autres ésotérismes, les autres traditions particulières. Finalement, ce que Soulès chercha
dans l’ésotérisme, dans ce corps de doctrines qui se présentait soudain à lui dans son ampleur, sa
richesse et ses enseignements, ce fut « une base éthique pour justifier et légitimer une transformation
vitale profonde ». Il y trouva des éléments qui, une fois réappropriés, allaient devenir, pour certains, les
fondements de sa philosophie gnostique, pour d’autres, des repères symboliques lui permettant de
mieux comprendre le présent et le devenir des choses : l’existence d’une unité primordiale voilée
reposant sur une interdépendance universelle ; le principe de similitude ; la non-dualité ; l’existence
d’une influence spirituelle ; la valeur qualitative des nombres ; le précepte selon lequel il faut voir de la
positivité et du sens en toute chose ; la conception du véritable savoir à la fois comme doctrine et
comme praxis ; la désignation du monde contemporain comme « âge noir » ou « fin de cycle » ; la
possible construction d’une Arche (intérieure). Cette entrée dans l’ésotérisme fut aussi pour Soulès le
moment et le geste déterminants de sa première rentrée conséquente et réfléchie en lui-même, dans
son intériorité, « seul ancrage fidèle ». Cet enseignement lui apparut pourtant assez vite insuffisant,
incapable à ses yeux de répondre à l’exigence de clarté, d’universalité et d’épreuve personnelle qui
l’habitait. Les deux principales critiques qu’il formula à l’encontre de l’enseignement de son maître
comme à l’encontre des multiples gloses et doctrines ésotériques modernes et contemporaines sont,
d’une part, leur dogmatisme, et, d’autre part, le caractère externe de leur critique de la Tradition. C’est
en réalité plus les ésotéristes que l’ésotérisme lui-même que commença à attaquer celui qui, à partir de
1944, pris définitivement le nom de Raymond Abellio.

De la philosophie moderne à la gnose

Il existe selon Abellio un noyau central, un fonds de vérité propre à la Tradition qu’il s’agit de «
désocculter » à partir d’une « critique interne ». Cette conduite qu’il nous faut mettre en œuvre
correspond à la troisième signification de l’ésotérisme, véritable vision-vécue mettant en relief et
articulant rationnellement le message de la Tradition à partir de son épreuve interne, conduite
personnelle donnant accès, par une « conversion et une présence à soi de l’être intérieur », à un état «
illuminatif » qu’Abellio nomme « transfiguration » du monde et qui correspond à la fin de l’ésotérisme,
au double sens du terme. L’ésotérisme entendu dès lors comme « désoccultation » se présente comme
la voie gnostique ouverte par Abellio, une voie conduisant à une connaissance régénérée. Si cette voie
fut possible c’est notamment grâce à la rencontre qu’il fit avec certaines philosophies modernes,
rencontre qui lui permit de mettre en œuvre ses exigences, de clarifier ses intuitions et d’organiser les
nombreux matériaux hérités des doctrines ésotériques. La philosophie moderne joua en effet le rôle de
catalyseur lui fournissant à la fois l’impulsion, par réaction contre la pensée de Sartre, mais aussi
l’orientation, l’armature et les outils nécessaires à la constitution de sa propre philosophie. Comme il le
fait remarquer lui-même, c’est en effet en réaction contre la philosophie du père de l’existentialisme,
contre les principes et les inférences de sa pensée (la transcendance de l’ego ou projet ; la conscience
comme forme vide et réalité impersonnelle ; la néantisation du moment présent ; la non
communicabilité des consciences ; la réduction à deux régions des dimensions de l’être : être en-soi et
être pour-soi), qu’il commença à concevoir et à expliciter ce qui allait devenir les principes fondateurs de
sa propre philosophie. C’est alors en cherchant, à l’encontre de Sartre, à refonder l’ancestrale relation
sujet/objet, refondation prenant pour point d’appui et pour objet premier d’analyse ce qui est
généralement reconnu aujourd’hui comme une problématique centrale et incontournable mais aussi
comme un enjeu épistémologique fondamental de la recherche phénoménologique, à savoir la
perception, refondation ayant pour corollaire la découverte de la structure de l’intuition et du «
moment présent », qu’Abellio déboucha sur la « structure absolue » et la logique qui lui est liée, à savoir
la « dialectique de la double contradiction croisée ». Nous pouvons dire aussi que c’est sans doute de sa
rencontre avec l’œuvre de Sartre, plus particulièrement avec L’Être et le Néant, que lui est venue l’idée
de corréler ontologie et phénoménologie. De Sartre, jugé donc insuffisant et agnostique, Abellio
remonta à Husserl, pour le versant phénoménologique, mais aussi à Heidegger, pour le versant
ontologique. Du premier, considéré par lui comme le philosophe venant couronner la philosophie, celui
en tout cas dont la philosophie le marqua le plus profondément, il s’appropria, intégra et accomplit, non
pas d’un point de vue analytique ou conceptuel mais en les constituant comme pouvoirs réels et en les
complétant, les grands axes de sa phénoménologie transcendantale, à savoir : la réduction eidétique ;
l’épochè ; le champ transcendantal ; la réduction phénoménologique ; le sujet transcendantal ;
l’intentionnalité (à laquelle Abellio associa, d’une part, l’intensité, par laquelle la conscience fond en elle
et se remplit de l’objet visé, et, d’autre part, l’intensification, pouvoir concret et personnel
d’accroissement qualitatif de l’intensité) ; l’intuition ; la constitution ; le « monde de la vie » ;
l’intersubjectivité transcendantale. Quant au rapport qu’Abellio entretint avec la philosophie de
Heidegger, c’est-à-dire avec son ontologie fondamentale, sa position nous paraît avoir quelque peu
changé au fil du temps. Si dans La Structure Absolue « la nouvelle ontologie de Heidegger » apparaît aux
yeux d’Abellio « comme complément de la phénoménologie transcendantale », il écrit en revanche dans
son Manifeste de la nouvelle Gnose, son dernier livre, que les « affirmations réitérées de Heidegger sur
la radicalité du problème de l’Être par rapport à celui de la conscience nous paraissent d’ailleurs plus
péremptoires que claires. » Cela dit, le projet d’une fondation ontologique de la phénoménologie
n’ayant jamais été remis en cause par Abellio, il reconnut à Heidegger, plus ou moins explicitement, le
mérite d’avoir ouvert à l’esprit certaines pistes fécondes, d’avoir introduit dans l’histoire des idées des
catégories éclairantes et d’avoir opéré des mises au point salutaires. Voici quelques-uns des éléments
clés de la philosophie de Heidegger repris par Abellio : la différence ontologique ; la différence entre la
Présence et ce qui en et par elle est présent ; l’historialité ; l’Ouvert ; la Stimmung ; le projet de
dépassement de l’ancienne métaphysique.

La gnose abellienne

Cette confrontation entre les enseignements fondamentaux de la tradition ésotérique et ceux apportés
par la pensée philosophique moderne conduit à et caractérise donc cette « désoccultation » dont nous
avons parlé. C’est par et en elle que se trouve élucidé le message de la Tradition primordiale, ou
Connaissance primordiale, et que sont retrouvées, plus précisément reconstituées intérieurement, les
clés universelles de la gnose éternelle. Voici, simplement énoncées, les catégories auxquelles
correspondent ces différentes clés ainsi que leur traduction particulière dans la philosophie d’Abellio :
postulat (« interdépendance universelle ») ; outil (« structure absolue ») ; logique (« logique de la double
contradiction croisée ») ; genèse ou cheminement (« intégration » et « intensification ») ; visée et fin («
transfiguration »). La genèse de la gnose abellienne, déjà gnostique dans son parcours, doit dès lors être
comprise comme l’actualisation et la « vision-vécue », s’affirmant comme telles à partir d’un certain
moment de son devenir, de cette désoccultation. Elle incarne la nouvelle approche de la connaissance,
ce qu’Abellio appelle la « nouvelle gnose » ; elle est la voie, la tâche et l’œuvre propres de l’Occident, ce
lieu spirituel d’avènement de la conscience transcendantale mais aussi de mobilisation et de
dépassement de la raison. C’est par cette voie, donc, qui est celle de l’édification de l’homme intérieur,
qu’Abellio aboutit à la constitution, l’exercice et l’application de la « phénoménologie génétique », autre
nom utilisé par lui pour qualifier cette nouvelle gnose. Fort de ces résultats, Abellio pouvait de nouveau
s’immerger, sans se perdre, dans la multiplicité des sciences, des philosophies et des traditions,
cherchant partout la trace et l’illustration du fonds universel. Il ne restait plus alors à Abellio qu’à porter
témoignage, par certains signes lancés aux hommes, de l’existence d’une nouvelle conduite gnostique,
de l’existence d’une nouvelle voie, occidentale, de la connaissance.

L’Œuvre

L’œuvre, la pensée et le sens


Une telle philosophie gnostique, à la fois doctrine, méthode et praxis, implique de la part de ceux qui s’y
intéressent de se confronter au plus tôt, de façon conséquente et intègre, aux œuvres qui la révèlent,
l’illustrent, la nomment, la démontrent, l’évoquent, l’appliquent. Les œuvres du corpus abellien
constituent ainsi chacune une expression particulière de cette philosophie en quête du sens des choses,
certaines la saisissant en phase de gestation, d’autres en pleine maturation, d’autres encore en évidente
maturité, certaines enfin dévoilant l’ensemble de sa genèse ou récapitulant ses axes essentiels. Quant à
cette philosophie, il faut bien dire, en accord avec un des paradoxes majeurs impliqués par la gnose
qu’elle déploie, qu’elle se trouve tout à la fois contenue en totalité dans chacune d’entre ces œuvres et
pourtant tout entière présente hors de toutes. Si Abellio releva l’épreuve des signes c’est donc afin de
transmettre, d’une part, les signes d’une épreuve gnostique, et, d’autre part, le sens qu’elle conquiert.
Le sens est toujours premier chez Abellio, c’est lui qui impose un style et des signes. L’unicité et l’unité
de l’enjeu commandèrent et ordonnèrent toujours la multiplicité des signes et des perspectives
mobilisés, qu’il soit question de l’œuvre littéraire, de l’œuvre philosophique, de l’œuvre
autobiographique ou de l’œuvre théâtrale. Romans, essais, Mémoires, journal, pièce de théâtre, articles,
entretiens furent tous écrits avec le même souci de dire, selon les moments et selon les possibilités
offertes par chaque genre, l’émergence, la stature et les implications de l’homme intérieur, ils
convergent tous vers cette haute figure de la réalité humaine. Un exemple de cette correspondance
comme de cette complémentarité entre les genres est donné par le rapport qu’établit Abellio entre le
roman et l’essai. Selon lui, si l’essai est nécessaire pour que la vision puisse rendre compte de sa propre
lucidité, de sa propre transparence à elle-même et de sa capacité à articuler les formes, dans le roman,
genre noble et incontournable à ses yeux, la vision s’attache à « saisir la vie à l’état naissant » ; elle est,
en et par lui, parcours et expérience d’une durée vécue et invite au parcours et à l’expérience de cette
même durée. Cette distinction/complémentarité opérée entre l’essai et le roman se trouve par lui
métaphoriquement évoquée : si le premier est « de l’ordre du fruit », le second est « de l’ordre du
germe ».

L’œuvre littéraire

L’œuvre romanesque, d’inspiration et d’essence métaphysiques, se compose d’abord d’un premier


roman (Heureux les pacifiques) écrit à la sortie de la seconde guerre mondiale, roman qui constitue le
premier livre publié par Abellio et qui reçut le Prix Sainte-Beuve en 1947, roman par lequel devint visible
et public le pseudonyme Raymond Abellio, puis d’une trilogie (Les yeux d’Ezéchiel sont ouverts ; La fosse
de Babel ; Visages immobiles) qui occupera Abellio jusqu’à la fin de sa vie. Ces quatre romans font
évoluer le narrateur (d’abord nommé Saveilhan puis Dupastre), c'est-à-dire ici celui qui est sur la voie de
l’homme intérieur et qui, progressivement, prend part sans prendre parti, au cœur de l’histoire
planétaire contemporaine et de ses soubresauts, parmi des personnages incarnant chacun, avec de
multiples nuances et facettes, un type métaphysique particulier : le guerrier, le sage, le prophète, le
sorcier, la femme « originelle », la femme « ultime ». La pièce de théâtre Montségur, qui a pour thème
la croisade contre les Cathares, met en œuvre deux motifs métaphysiques déterminants : d’une part le
conflit de la connaissance et de la puissance, d’autre part l’éveil à ce conflit et à ses enjeux d’une
conscience particulière.

Les essais
La série d’essais — six au total, auxquels nous pouvons rattacher Approches de la Nouvelle Gnose qui est
un recueil d’articles et de préfaces — compose ce que nous appelons l’œuvre philosophique d’Abellio. À
l’exception de son tout premier essai : Vers un nouveau prophétisme, qui analyse les rapports que
peuvent et pourraient entretenir, en Occident et au sein de l’époque moderne, le sacré et le profane, le
spirituel et le temporel, la spiritualité et l’univers du politique, le prophétisme et le pouvoir, et qui
dégage les figures métaphysiques du prophète et du magicien, les cinq autres sont à comprendre en
fonction de la place qu’ils occupent par rapport à l’ouvrage majeur qu’est La structure absolue. Ainsi
l’ouvrage intitulé La Bible, document chiffré (en 2 tomes), paru avant celui-là, et même avant la
découverte par Abellio de la structure absolue, n’échappe pourtant pas à cette règle de lecture puisqu’il
sera lui-même, à partir d’une collaboration avec Charles Hirsch, refondu, remanié, clarifié et augmenté
grâce aux nouvelles possibilités opératoires offertes par cette découverte, et réédité sous le titre
d'Introduction à une théorie des nombres bibliques. Il s’agit dans ces deux derniers ouvrages de réaliser
ce qu’Abellio nomme un « essai de numérologie kabbalistique ». Assomption de l’Europe, écrit
antérieurement à La structure absolue mais à l’époque où cette dernière s’impose à Abellio comme
l’outil des outils, peut être perçu comme un ouvrage préparatoire sans négliger pour autant sa propre
spécificité analytique. Abellio y expose le lien qu’il établit entre un Occident compris au sens spirituel et
l’avènement de la conscience transcendantale. Il s’agit en quelque sorte, à partir d’une mise en évidence
de certains concepts clés, d’une lecture métaphysique de l’histoire et de la politique élevant l’une et
l’autre au rang, respectivement, de métahistoire et de métagéopolitique. Lorsqu'enfin ses réflexions sur
la structure absolue furent mûres à ses yeux, il exposa dans le livre éponyme sa découverte, qui
demeure notamment la première tentative pour maîtriser et systématiser la complexité croissante des
sciences humaines, les concepts fondamentaux de sa « phénoménologie génétique », les analyses qu’il
avait effectuées, les implications ontologiques, anthropologiques et théologiques qu’il en avait tirées.
Quant au court essai intitulé La fin de l’ésotérisme, il s’agit d’une réflexion portant sur la méthode
d’approche du message métaphysique de la Tradition universelle à partir de la structure absolue. Abellio
y évoque les doctrines ésotériques, leurs applications et, surtout, la voie de leur dépassement (c’est le
double sens du mot « fin ») par la transfiguration du monde dans l’homme, voie qu’il considère comme
le destin propre de l’Occident et de sa rationalité. Enfin, le Manifeste de la Nouvelle Gnose est un bilan
actualisé des découvertes, méditations et recherches d’Abellio, une sorte de Testament inachevé où
sont une fois de plus précisés le sens et les enjeux de la connaissance, le lieu de son accomplissement, la
méthode phénoménologique abellienne ainsi que les rapports qu’entretient la gnose avec les différents
domaines d’investigation du réel (sciences, philosophies, religions, symbolisme, histoire, éthique).

Les Mémoires

En ce qui concerne les Mémoires, génériquement et significativement nommées Ma dernière mémoire,


trois tomes qui couvrent les quarante premières années de sa vie, elles sont le fruit de ce qu’Abellio
appelle la « fonction d’historialisation » qui permet à la conscience d’accéder à la « seconde mémoire »,
c'est-à-dire à l’intégration du sens inscrit en filigrane dans le cours des événements d’une vie, sens qui
un jour s’éclaire définitivement pour le penseur et vient transfigurer tous les actes, toutes les pensées,
toutes les situations et tous les changements passés, présents et à venir. Le choix d’interrompre son
autobiographie en 1947 s’explique par le fait qu’il s’agit de l’époque de la seconde naissance d’Abellio
grâce à laquelle il entama son itinéraire gnostique par delà événements et anecdotes. Dans ce domaine,
ajoutons un ouvrage portant sur le cours et le sens d’une vie, publié en 1973 sous le titre Dans une âme
et un corps - Journal 1971 : expérience singulière pour Abellio qui ne s’intéresse qu’au sens et non aux
anecdotes quotidiennes, défi véritable qu’il s’est lancé de rechercher et de trouver un « ordre caché »
derrière « le désordre apparent de la vie quotidienne, tant physique que psychique ».

Autres formes écrites d’expression

Il nous faut citer en tout premier lieu les textes écrits pour le Cercle d’Études Métaphysiques7 dont une
partie (« Dialectique de l’initiation ») fut reprise et refondue dans La structure absolue. L’autre partie,
constituée d’éditoriaux, d’articles et de comptes rendus fut publiée dans le Journal intérieur de ce
même Cercle. Certains de ces éditoriaux ont été repris dans le Cahier de l’Herne consacré à Abellio.
Nous trouvons aussi dans ce Cahier certains textes fondamentaux d’Abellio (« Le postulat de
l’interdépendance universelle » ; « Fondements d’esthétique » ; « Fondements d’éthique » ; «
Fondements de cosmologie ») ainsi qu’une édition partielle d’un Journal de Suisse consacré à l’année
1951. Abellio écrivit de nombreux articles dans différentes revues et certains magazines, nous ne les
citerons pas ici et renvoyons pour cela à la bibliographie présente dans les Actes du Colloque de Cerisy
ou à celle que l’on trouve dans l’ouvrage De la politique à la gnose (entretiens avec Marie-Thérèse de
Brosses). Trois revues peuvent cependant être signalées en raison de l’importance des articles d’Abellio
qui s’y trouvent, trois revues consacrées directement à l’œuvre et à la pensée d’Abellio : Études
abelliennes (publiée par l’Association des Amis de Raymond Abellio, quatre numéro parus entre 1979 et
1982), Cahiers Raymond Abellio (2 numéros publiés en 1983 et 1984) et le numéro 72 de Question de
intitulé « La structure absolue ». De nombreux entretiens et interviews (écrits, radiophoniques ou
audiovisuels) furent réalisés, nous ne retiendrons ici que les plus conséquents, formant une œuvre à
part entière : De la politique à la gnose (entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses) contenant une
conférence fondamentale d’Abellio (« Généalogie et transfiguration de l’Occident ») ; Dialogue avec
Raymond Abellio (réalisé par Jean-Pierre Lombard) ; émission « Portrait » (1973) pour les « Archives du
xxe siècle » avec Dominique de Roux et Jean José Marchand ; émission (1977) « L’homme en question »
produite par Roger Pillaudin dont le no 1 des Études abelliennes reproduit la présentation d’Abellio par
lui-même. Abellio rédigea aussi de nombreuses préfaces. Nous rappelons qu’un choix d’articles et de
préfaces a été rassemblé par Philippe Camby dans l’ouvrage intitulé Approches de la Nouvelle Gnose.

Fonds Abellio et correspondances

À la suite d’un achat intervenu en 1983, la Bibliothèque Nationale de France possède un fonds Abellio
considérable constitué de manuscrits et de tapuscrits mais aussi d’une importante correspondance. Une
partie minime de cette dernière a été publiée dans des revues consacrées à Abellio et dans des ouvrages
écrits par certains de ses correspondants ou consacrés à ceux-ci.

Abellio fut directeur de collection dans trois grandes maisons d’édition : Grasset (collection «
Correspondances »), Publications premières (collection « En marge ») et Fayard (collection « Recherches
avancées »).

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