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Note thématique #4
Dans une première partie, sont abordées les raisons théoriques de la nécessité de soutenir, ré-
guler et protéger les marchés et les prix agricoles. Le modèle basé sur la théorie de l’équilibre
général représente un monde qui n’existe pas dans la réalité. En particulier, il ne permet pas de
représenter le développement économique, le temps requis pour les processus de production,
le profit en tant que moteur de l’accumulation ou encore l’incapacité pour des millions d’agri-
culteurs d’avoir de véritables avantages comparatifs dans une situation de mise en concurrence
généralisée. Surtout il n’intègre aucune des sources d’instabilité des marchés agricoles. Ainsi, en
réalité, réduire la gouvernance mondiale de l’agriculture et de la sécurité alimentaire aux seuls
préceptes du libre-échange relève d’une approche idéologique.
1
Dans une seconde partie, nous présentons une revue des outils de politique agricole et commer-
ciale utilisés au cours de l’histoire pour réguler les marchés et les prix agricoles : outils de maîtrise
des productions, intervention sur les marchés, protection douanière, règlementations relatives
aux prix au sein des filières, application de normes aux produits importés, auquel s’ajoute un
outil de plus en plus en discussion : la taxation des importations sur la base de leur contribution
aux émissions de GES ou de leur contenu énergétique.
Dans la troisième partie, nous faisons un retour sur les les politiques de régulation des marchés
agricoles en Europe et en France depuis les années 1960 : au niveau européen, la Politique Agri-
cole Commune (PAC) basée initialement sur la promotion d’un modèle unique de développement
puis ayant connu des infléchissements progressifs ; au niveau français les Etats Généraux de l’Ali-
mentation (EGA) et la loi Egalim.
Dans la quatrième partie, nous préconisons des objectifs et des outils de régulation des marchés
et des prix agricoles, en Europe et en France et dans le cadre d’un projet de transformation agri-
cole et alimentaire. Nous soulignons tout d’abord sur le choix de se placer dans le cadre d’une dé-
marche visant l’intérêt général. Puis sont abordés les différents objectifs préconisés : prix rému-
nérateurs et stables, relocalisation de certaines productions, responsabilité sociale et écologique
globale quant aux importations. Sont abordés ensuite les outils correspondants en matière de
politique agricole (principe de prix minimal contribuant à un revenu agricole décent permettant
en outre une réorientation des financements de la PAC, modalités de régulation des marchés) et
commerciale (mise en œuvre du principe de responsabilité écologique et sociale globale, méca-
nismes de protection nécessaires à la viabilité du principe de prix minimum, outils permettant
d’éviter le dumping sur les marchés mondiaux). La prise en compte des principales contraintes
est également abordée.
Dans une cinquième partie conclusive, nous soulignons la nécessité d’une régulation des marchés
et des prix mondiaux à l’heure où s’annonce une nouvelle flambée des prix agricoles mondiaux.
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Introduction
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1. Pourquoi soutenir, réguler et protéger
les marchés et les prix agricoles ?
1.1 Retour sur l’histoire de la gique bien comprise des enjeux commer-
théorie du libre-échange ciaux.
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l’accumulation ou encore l’incapacité pour marchés financiers. Mais d’un point de vue
des millions d’agriculteurs d’avoir de vé- de la sécurité alimentaire, dans une situa-
ritables avantages comparatifs dans une tion de libre-échange, lorsque le prix inter-
situation de mise en concurrence générali- national augmente, le prix augmente dans
sée. Surtout il n’intègre aucune des sources la même proportion dans tous les pays (aux
d’instabilité des marchés agricoles. coûts de transport près), ce qui du point de
vue de la lutte contre la pauvreté mondiale
La crise alimentaire de 2008 agit comme
n’est pas une situation optimale.
une force de rappel. Devant l’incertitude
radicale qu’elle occasionne concernant Face aux menaces de déstabilisation poli-
les conditions de l’approvisionnement ali- tique des pays importateurs et aux risques
mentaire, plusieurs pays s’interrogent sur d’inflation importée, les gouvernements
les instruments de politique publique à dé- ont souvent répondu par des politiques
ployer pour sécuriser leurs approvisionne- appropriées de sécurisation de leurs ap-
ments alimentaires. Par crise alimentaire, provisionnements alimentaires. Ces déci-
il faut entendre la brusque et forte hausse sions, largement médiatisées, ont marqué
des prix des matières premières agricoles la résurgence des notions de sécurité et de
qui s’est produite sur les marchés mon- souveraineté alimentaires dans les débats
diaux et ses répercussions sur les approvi- sur les politiques agricoles partout dans le
sionnements intérieurs de certains pays. monde.
1 Franck Galtier. « Le libre-échange est-il compatible avec la sécurité alimentaire mondiale ? Quelques leçons de
la crise de 2008 ». Le Blog de la Fondation FARM, 14 juin 2019.
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1.2 Pour en finir avec l’équilibre chés agricoles basée sur le modèle d’équi-
général libre général :
Les faits ayant donc invalidé la doctrine • La première tient au fait que nombre
de l’équilibre général, assiste-t-on pour au- d’hypothèses pour un équilibre concur-
tant à une remise en cause des approches rentiel ne sont pas remplies : les « imper-
dominantes dans les sphères économiques fections » au fonctionnement des mar-
et dans les instances internationales ? A chés comme l’asymétrie d’information,
considérer les publications de l’OCDE, qui l’existence de monopoles et oligopoles
continuent de reposer sur les mêmes hypo- ou la non-atomicité rendent illusoire
thèses irréalistes, il est permis d’en douter. tout équilibre. De surcroit, l’existence
La figure ci-dessous extraite des prévisions d’aléas climatiques mais aussi la finan-
de moyen terme de l’OCDE montre que ciarisation croissante des marchés agri-
l’instabilité structurelle des marchés agri- coles ne peuvent plus être considérées
coles n’est toujours pas prise en compte : comme quantités négligeables.
sur la partie droite du graphique, les prix • La deuxième raison est que ce modèle
prévus pour les 10 prochaines années sont théorique ne peut représenter la réalité
toujours stables, alors que les prix observés et la diversité des économies agricoles.
depuis 1990 sur la partie gauche sont bien Dans une économie idéale de concur-
plus chaotiques2. rence, les prix agricoles se forment sur
D’un point de vue théorique, il y a trois rai- la base des coûts de production sur les
sons principales qui plaident pour arrêter terres marginales, c’est-à-dire celles qui
de s’en tenir à une représentation des mar- ont le plus faible niveau de productivi-
2 http://www.agri-outlook.org/Agricultural-Outlook-2018.pdf
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té. Ils sont donc relativement élevés. Se rémunérateurs. Le chômage s’accroit,
créent alors des rentes différentielles alors qu’il serait plus pertinent du point
sur les terres plus productives. Or on ne de vue économique et social de créer les
peut que constater que, sur le marché conditions du maintien d’un plus grand
mondial, c’est le contraire qui se pro- nombre d’agriculteurs en activité. Ceci
duit. L’ouverture des marchés se tra- est bien entendu le cas dans les pays
duit par un alignement sur le prix des du Sud, mais également dans une cer-
produits provenant des terres les plus taine mesure dans les pays du Nord. En
productives -c’est-à-dire là où se déve- France, par exemple, alors que la popu-
loppent des types d’agriculture fondés lation active agricole a régressé d’envi-
sur l’exportation et visant donc à être les ron 1,2 million en 40 ans (1980-2020), le
plus compétitifs sur les marchés mon- nombre de personnes au chômage s’est
diaux-, alors que les modèles reposent accru de plus de 1,5 million.
au contraire sur l’hypothèse que le prix
• La troisième raison est tout aussi fonda-
correspond au coût de production mar-
mentale. Aux « imperfections » de mar-
ginal, c’est-à-dire le coût de production
chés, il convient d’ajouter l’existence de
sur les terres les moins productives. En
biens publics pour lesquels il n’existe ni
réalité, les centaines de millions d’agri-
marchés internationaux, ni institutions
culteurs produisant sur des terres moins
capables de protéger les communs. Ain-
productives et avec une faible producti-
si en est-il de la sécurité alimentaire,
vité du travail, dégagent une rémunéra-
des paysages, du climat ou de la protec-
tion très inférieure aux autres revenus,
tion des écosystèmes et de la biodiversi-
mais ne disparaissent pas pour autant
té. Dans ce dernier cas, par exemple, le
pour aller s’employer dans d’autres
marché n’est clairement pas en mesure
secteurs d’activités comme le suppose
d’assurer par lui-même une conserva-
la théorie libérale. Du fait que l’écono-
tion suffisante de la biodiversité. Pour-
mie mondiale n’est pas une économie
tant, selon un diagnostic largement
de concurrence conforme au modèle
partagé, la biodiversité est essentielle
théorique, cette ouverture peut être
pour la survie de l’humanité et la biodi-
dévastatrice pour ces agricultures les
versité agricole en est une composante
moins productives. Les prix beaucoup
majeure.
trop bas ne peuvent couvrir les coûts de
production et garantir une rémunéra- L’emprise de la doctrine de l’équilibre géné-
tion minimale aux familles paysannes. ral sur les recommandations de politiques
Cela concerne plus de trois milliards agricoles dans les principales institutions
de personnes de par le monde. De plus, internationales reste importante en dépit
lorsque les faibles rémunérations du du discrédit engendré par les flambées de
travail agricole se traduisent in fine par prix de 2007-2008 qu’elles n’avaient pas
un abandon de l’activité agricole par prévues. Les travaux alternatifs cherchant
les agriculteurs et par un exode rural, à modéliser les nombreuses sources d’ins-
les autres secteurs de l’économie ne tabilité des marchés agricoles ont égale-
sont pas nécessairement en mesure de ment contribué à alerter sur les limites des
leur proposer des emplois productifs et modèles en équilibre général. Citons les tra-
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vaux de Momagri3, repris maintenant par international car elle empêche toute ap-
Agriculture Stratégies, ainsi que les travaux proche pragmatique visant à tenir compte
de Jean-Marc Boussard et de son équipe . 4
des enjeux de sécurité alimentaire et des li-
mites de l’ajustement par les prix5. »
3 https://www.researchgate.net/publication/287258792_Modeling_price_volatility_on_agricultural_markets_
The_momagri_modular_approach
4 Voir notamment le modèle ID3 : http://agents.cirad.fr/pjjimg/francoise.gerard@cirad.fr/rapport_final_ID3.pdf
5 http://www.agriculture-strategies.eu/wp-content/uploads/2018/06/Note_Reference_Strategique_Consensus_Re-
forme_PAC_250518-1.pdf
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2. Quels sont les outils de politique agricole et
commerciale utilisés au cours de l’histoire pour
réguler les marchés et les prix agricoles ?
Au cours de histoire, les Etats ont utilisé di- certaines surfaces du bénéfice de
vers outils pour réguler les marchés et les subventions publiques à la surface,
prix agricoles. comme c’est le cas avec la PAC avec
les surfaces qui n’avaient pas été
cultivées auparavant- peut aussi
2.1 Les outils de maîtrise des jouer un rôle en matière de limita-
productions tion des surfaces. Dans la PAC des
années 1990 et 2000 (1992-2008), le
Lorsqu’il existe un risque de surproduc-
bénéfice des subventions à la sur-
tion structurelle, il est possible de mettre
face était également soumis à une
en place des mécanismes de maîtrise des
obligation de laisser une partie de la
productions. Les différents outils de maî-
surface cultivée en grandes cultures
trise structurelle des productions sont les
(céréales, oléagineux et protéagi-
suivants :
neux) en jachère, ce qui, compte
• Les quotas de production, qui sont des tenu de l’importance des aides à
limites de production individuelle pour la constitution du revenu, consti-
chaque agriculteur. Cet outil a notam- tuait de facto un outil de maîtrise
ment été utilisé pour réguler le secteur des surfaces, la quasi-totalité des
laitier européen entre 1984 et 2015 avec agriculteurs concernés choisissant
les quotas laitiers. Lorsqu’un éleveur de mettre en jachère une partie de
dépassait son quota de production, il leurs terres. Des politiques visant
devait détruire l’excédent sous peine de à encourager la réduction des sur-
devoir être lourdement taxé. faces –sans obligation de facto à le
faire- peuvent aussi être mises en
• Les limites portant sur un facteur de
œuvre. Ainsi, dans les années 1980,
production. Il s’agit :
90 et 2000, l’Union européenne ver-
° Des limites de surface. Cela est no- sait-elle une subvention aux viticul-
tamment le cas dans l’Union euro- teurs en contrepartie de la destruc-
péenne avec le régime des planta- tion de vignobles.
tions viticoles, l’établissement de
° Des limites portant sur le nombre
nouvelles surfaces devant être pré-
d’animaux. La PAC incluait dans les
alablement utilisé. L’exclusion de
années 1990 (1992-2002) des sub-
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ventions à la tête de bétail (depuis intervenaient pratiquement tous les ans
lors, les Etats ont cependant la pos- pour financer la destruction d’une partie
sibilité de maintenir certaines aides de la production de certains fruits comme
par tête d’animal). Pour chaque les pêches. De même, afin d’éviter les excé-
éleveur, le nombre d’animaux éli- dents vinicoles, une partie de la production
gibles par hectare à ces primes était de vin était détruite. Dans la pratique, elle
limité, ce qui là aussi, compte tenu était distillée pour fabriquer de l’alcool.
de l’importance de la prime dans la
constitution du revenu, constituait
de facto une limitation du nombre 2.2 L’intervention sur les marchés
d’animaux, pratiquement aucun
éleveur ne pouvant s’en passer. L’Etat peut intervenir directement sur les
marchés agricoles en se portant acqué-
° Des limites portant sur les rende-
reur de produits à un prix minimum en
ments à l’hectare. La réglementation
en constituant ainsi des stocks publics. Un
française prévoit des limitations de
tel mécanisme permet de garantir que le
rendements.Notons que les oléagi-
prix de marché ne descende en deçà d’un
neux, et notamment le soja, sont res-
certain niveau. C’est le principe de l’inter-
tés à l’écart de cette politique, dans
vention qui a été mise en œuvre par la PAC
le cadre d’un accord avec les Etats-
des années 1980 à 2000, et encore de façon
Unis et en échange d’une accepta-
exceptionnelle aujourd’hui en cas de crise.
tion par ces-derniers de la PAC.
Il peut également financer le stockage de la
part d’opérateurs privés. Les produits stoc-
kés peuvent être par la suite revendus sur
L’Etat peut aussi encourager les disposi-
le marché intérieur une fois la crise passée.
tifs d’organisation des producteurs et des
Ils peuvent aussi être revendus sur le mar-
filières qui incluent des mécanismes de
ché international, éventuellement à un prix
maîtrise des productions. C’est notamment
plus faible que le prix du marché intérieur,
le cas avec les Appellations d’Origine Proté-
ce qui implique l’existence d’une subven-
gée (AOP).
tion aux exportations. Les subventions aux
En cas de surproduction ponctuelle ou de exportations peuvent également être ver-
risque de surproduction, l’Etat peut aussi sées à des opérateurs privés pour compen-
imposer ou encourager des limites tem- ser la différence entre le prix d’achat sur le
poraires de production. On a alors une marché intérieur et le prix de revente. C’est
limitation obligatoire ou volontaire des vo- le principe des restitutions à l’exportation
lumes de production, laquelle est compen- de la PAC, qui ont concerné divers produits
sée par une indemnisation. Dans le cas de des années 1980 à 2000 et qui sont devenues
la PAC, des limitations volontaires de vo- aujourd’hui exceptionnelles. Les stocks pu-
lumes de production sont prévues en cas blics peuvent également être écoulés sur
de surproduction temporaire. Lorsque la le marché intérieur ou international à des
surproduction n’est pas évitable, l’Etat peut fins humanitaires.
favoriser la destruction des excédents. Ain-
si, dans les années 1980, 90 et 2000, les Etats
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2.3 La protection douanière et légumes, ce type de dispositif est mis en
place par l’Union européenne sur une base
La protection douanière vise, en appliquant
saisonnière, de façon à accroître la protec-
une taxe aux importations sur les produits,
tion pendant les mois de l’année où la pro-
à élever leur prix de revente sur le marché
duction européenne est écoulée sur le mar-
domestique, de façon à diminuer ou annu-
ché.
ler la concurrence exercée par ceux-ci vis-
à-vis de la production intérieure. Les droits
de douane sont les outils les plus courants.
Ils peuvent être proportionnels à la valeur 2.4. Les réglementations relatives
du produit, il s’agit alors de droits tarifaires, aux prix au sein des filières
lesquels ont été généralisés suite à l’accord
Sans intervenir directement sur le marché,
de l’OMC de Marrakech de 1994. Certains
l’Etat peut réglementer le niveau des prix
droits de douane sont dits spécifiques, c’est-
aux différents stades des filières, au moyen
à-dire qu’ils sont constitués de montants
de prix administrés, prix minimums (visant
fixes par unité de produit. Jusqu’à la fin des
à protéger les producteurs) ou maximums
années 1990, l’actuelle Union européenne
(visant à protéger les consommateurs).
appliquait des prélèvements variables,
Dans l’après-guerre et jusqu’aux années
c’est-à-dire des taxations variant au cours
1970 , le prix de divers produits alimen-
du temps, de façon à compenser à tout mo-
taires comme le pain était fixé par l’Etat
ment la différence entre un prix de seuil et
avec un objectif de protection du consom-
le prix mondial. Ce mécanisme permettait
mateur. Dans le cadre des réglementations
que les produits importés pénètrent sur le
actuelles sur la concurrence, il n’est pas
marché intérieur au prix de seuil, quel que
aujourd’hui possible de fixer des prix ad-
soit le niveau du prix mondial. Le prix de
ministrés, maximums ou minimums. Sans
seuil étant supérieur au prix d’interven-
fixer de niveau ou de limites de prix, l’Etat
tion, il constituait un complément de la
peut également fixer des règles concernant
politique agricole basée sur l’intervention,
la fixation des prix, avec l’obligation de né-
laquelle garantissait aux agriculteurs un
gociations et la mise en place de critères de
prix rémunérateur et stable. D’une façon
fixation, comme c’est le cas en France dans
générale, lorsqu’un Etat met en place une
le cas de la loi Egalim, même si ces règles
politique de prix rémunérateurs aux pro-
sont peu contraignantes. L’Etat peut aussi
ducteurs supérieurs au prix mondial, une
fixer pour certains produits un coefficient
protection douanière est nécessaire pour
multiplicateur maximum, qui représente
éviter une concurrence des importations à
le rapport entre le prix de vente d’un pro-
un niveau de prix inférieur.
duit au consommateur et le prix d’achat au
producteur. Le coefficient multiplicateur a
été mis en place à la Libération sur certains
Les quotas (voire les interdictions) d’im-
produits (notamment fruits et légumes) afin
portation constituent un autre moyen de
de protéger les paysans et les consomma-
limiter le volume d’importations de pro-
teurs des pratiques abusives des intermé-
duits qui risqueraient de concurrencer les
diaires notamment en matière de marges,
produits d’origine locale. Sur certains fruits
et cela dans une optique de souveraineté
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alimentaire de la nation, l’objectif étant a autorisé les Etats-Unis à appliquer des me-
de permettre la satisfaction des besoins sures de rétorsion commerciale à l’égard de
des Français par une maîtrise publique et l’Union européenne après que celle-ci ait
d’empêcher les spéculateurs de déstabiliser interdit l’importation de viande produite
les prix et de déclencher des crises, comme en utilisant des hormones de croissance,
cela était régulièrement le cas dans les an- l’UE n’ayant pas été capable de prouver la
nées 30. Le coefficient multiplicateur maxi- différence entre la viande produite avec
mum s’applique à la chaîne des différents hormones et celle produite sans hormones.
intermédiaires prise dans son ensemble (et Il est donc prohibé de taxer ou d’interdire
non pas individuellement à chacun d’entre les importations sur la base de critères liés
eux). Si les intermédiaires cherchent à aug- aux conditions de production (conditions
menter le prix au consommateur, une par- sociales, environnementales et relatives
tie de cette hausse doit être répercutée sur au bien-être animal). Ceci constitue une sé-
le prix d’achat au producteur. Inversement, rieuse limitation à la mise en œuvre de poli-
si le prix au producteur est diminué, le prix tiques commerciales qui répondraient soit
de revente au consommateur se trouve lui- à un objectif de protection des agriculteurs
même abaissé. Le coefficient multiplica- européens d’une concurrence que l’on peut
teur a été supprimé en 1986 au moment de qualifier de déloyale, soit à une volonté de
la mise en place de l’Acte unique européen. responsabilité et de cohérence avec les ob-
jectifs de progrès social et de protection des
écosystèmes. Seule une volonté politique
2.5 Les normes relatives aux forte pourrait donc permettre la mise en
œuvre de telles réglementations relatives
produits importés
aux importations.
Les normes appliquées aux produits d’im-
portation permettent de protéger les
consommateurs, mais aussi la santé ani- 2.6 La taxation des importations
male et végétale dans le pays. Elles peuvent
sur la base de leur contribution aux
porter sur des critères relatifs à la qualité
des produits (qualité sanitaire ou gusta-
émissions de GES ou à leur contenu
tive), au conditionnement et à l’étiquetage. énergétique
Le principe dit du traitement national de
Le débat sur la régulation des importations
l’OMC prévoit que les normes appliquées
sur la base des conditions sociales et envi-
aux produits importés ne peuvent être
ronnementales de production est de plus
plus contraignantes que les normes ap-
en plus présent. Elle permettrait notam-
pliquées aux produits d’origine national.
ment de prendre en compte la contribution
Par ailleurs, les règles de l’OMC prévoient
des importations aux émissions de gaz à
que seules des normes portant sur la qua-
effet de serre (GES) ou leur contenu énergé-
lité des produits eux-mêmes peuvent être
tique. Une taxation des importations sur la
appliqués. Ces normes ne peuvent donc
base de ces critères est facilement envisa-
concerner les conditions sociales, environ-
geable dans la mesure où les mêmes règles
nementales ou relatives au bien-être ani-
de taxation seraient appliquées également
mal à l’occasion des processus de produc-
aux produits intérieurs
tion des produits. C’est à ce titre que l’OMC
12
3. Retour sur les politiques de régulation en
Europe en en France
13
rantie d’achat quelle que soit leur produc- culteur était minimum, ce qui explique que
tion, avec les conséquences suivantes : la gestion de l’exploitation a été un terrain
abandonné par la recherche.
• Une stabilisation des prix, permettant
de réduire les risques et d’éliminer toute Dans le domaine économique, ce sont les
concurrence entre les producteurs. modélisations (échanges, marchés) qui ont
pris le relais, dans une approche très néo-
• Des prix intérieurs alignés sur des prix
classique, selon le modèle alors en vigueur
d’intervention élevés permettant des
dans les organisations internationales,
gains de productivité.
notamment à l’OCDE. L’évaluation écono-
• Une croissance de la production, indé- mique du système consiste alors à agréger
pendante de la demande finale, avec des données individuelles, sans prendre en
pour conséquence, à partir du moment compte ni l’efficacité globale de la filière, ni
où l’Europe devenait excédentaire, une les coûts externalisés.
accumulation des stocks et des exporta-
On peut, en résumé, tirer quelques ensei-
tions subventionnées.
gnements du développement de ce modèle
• Un accroissement des dépenses budgé- unique promu par les politiques agricoles :
taires (gestion des stocks, restitutions),
• Une très grande réussite de ces poli-
au bénéfice des exploitations les plus
tiques par rapport aux objectifs initiaux.
productives.
• Des effets pervers : déséquilibre entre
l’offre et la demande, obligation de sub-
a. Un modèle unique de ventionner les exportations, ce qui a no-
tamment entrainé des protestations de
développement
la part des autres grands pays exporta-
Le modèle agricole promu dans les an- teurs comme les Etats-Unis.
nées 60 reposait sur des exploitations fa-
• Une forte dérive budgétaire.
miliales, protégées par la PAC (préférence
communautaire et prix garantis élevés) et • Des dommages causés à l’environne-
en France, en particulier, par une politique ment ; Pratiquement personne ne s’en
des structures. souciait et la question environnemen-
tale n’entrait pas dans le raisonnement
L’offre n’étant pas contrainte par la de-
de gestion d’exploitation.
mande (elle pouvait être infinie en raison
des mécanismes d’intervention sur les • Des mises en garde (notamment le rap-
marchés), l’effort de recherche et déve- port Mansholt en 1968) et des débuts
loppement a porté sur la productivité par d’ajustement (jusqu’à l’instauration des
l’amélioration des techniques et le progrès quotas laitiers en 1984), annonciateurs
génétique. L’objectif final était de bénéfi- des grandes réformes qui vont suivre.
cier au maximum de la rente différentielle
de productivité. Ce modèle devint la réfé-
rence, économique et idéologique (le club
des 100 quintaux). Le risque pris par l’agri-
14
b. Les évolutions de la PAC réductions substantielles du soutien in-
terne à l’agriculture sensé avoir des ef-
Voici un résumé des principales réformes
fets de « distorsion des échanges ». Par
de la PAC à partir des années 1980 :
la suite, l’agriculture constitue l’une des
• Au cours des années 1980, sur un mar- questions centrales du cycle de négo-
ché européen devenu excédentaire, ciations de Doha de l’OMC lancé en no-
des mesures de contingentement de la vembre 2001. La déclaration de Doha
production ont été mises en place, avec réaffirme ces orientations.
notamment l’instauration des quotas
• Avec la réforme de 2008 (bilan de san-
laitiers.
té de la PAC), la diminution du soutien
• En vue de rapprocher les prix de mar- des prix à la production est poursui-
ché européen de ceux du marché mon- vie, alors que la jachère obligatoire est
dial, la réforme de 1992 enclenche une supprimée et la suppression des quotas
diminution des prix de soutien compen- laitiers programmée pour 2015. Enfin,
sée par des aides directes. Des jachères le taux de découplage des aides est ac-
obligatoires sont mises en place. centué.
• La réforme de 1999 poursuit les baisses • Avec la réforme de 2014, l’aide décou-
de prix et met en place le deuxième pi- plée appelée DPU (droit à paiement
lier de la PAC, consacré développement unique) est remplacée en 2015 par une
rural. aide en trois parties : le DPB (droit à
paiement de base), le paiement vert, le
• Avec la réforme de 2003, les aides sont
paiement redistributif. Le paiement re-
découplées (aides indépendante du type
distributif est un paiement découplé en
et du volume de production) avec pour
complément du DPB. Il est mis en œuvre
objectif de renforcer l’ « orientation par
en France dans la limite de 52 ha par
le marché » des choix de production des
exploitation. Il vise donc à réorienter
agriculteurs. La PAC s’inscrit de plus en
une partie des aides vers les plus petites
plus dans un contexte de mondialisation
exploitations, ce qui permet aussi de
du traitement des questions agricoles.
mieux valoriser les productions à forte
Déjà, les réformes de la PAC de 1992 et
valeur ajoutée, en particulier l’élevage
1999 étaient en partie liées aux accords
et les fruits et légumes.
en cours de négociation ou négociés au
sein de l’Organisation mondiale du com- Ces différentes réformes ont eu pour objec-
merce (cycle de l’Uruguay). L’Accord sur tif de réduire les mécanismes de régulation
l’Agriculture (AsA) de l’OMC (1995) vise des marchés et de laisser jouer la concur-
à établir un système de commerce des rence entre producteurs et productions.
produits agricoles axé sur le marché Cela va bien dans le sens d’une plus grande
avec trois objectifs majeurs : obtenir des libéralisation, conduisant à un affaiblisse-
améliorations substantielles de l’accès ment du modèle de l’agriculture familiale
aux marchés, réduire toutes les formes et à un renforcement des formes d’intégra-
de subventions à l’exportation en vue tion par le secteur industriel.
de leur retrait progressif, parvenir à des
15
A noter toutefois que des préoccupations tion afin de stabiliser leurs revenus, en
nouvelles ont fait leur apparition. La Com- dérogeant au droit actuel européen de
mission européenne, prenant en compte la concurrence.
les décisions du Parlement européen qui,
En conclusion, la plupart des outils de ré-
pour la première fois, agit en sa qualité
gulation des marchés agricoles qui avaient
de colégislateur avec le Conseil, pointe des
été mis en place dans le cadre de la PAC et
exigences renforcées en matière environ-
de la politique commerciale ont été déman-
nementale et de développement rural. Les
telés, même s’il existe deux timides avan-
défis identifiés sont d’ordre :
cées dans la dernière PAC. Des dispositifs de
• Economique : sécurité alimentaire et crise existent toujours, mais leur utilisation
mondialisation, tendance à la baisse est exceptionnelle et n’interviennent qu’en
des taux de croissance de la producti- cas d’effondrement des prix agricoles. Les
vité, volatilité des prix, pressions sur protections douanières qui ont été main-
les coûts de production en raison de la tenues sont relativement faibles et bien
hausse des prix des intrants et affaiblis- souvent atténuées par les accords de libre-
sement de la position des agriculteurs échange signés par l’Union européenne.
dans la chaîne d’approvisionnement Aussi, les prix intérieurs européens se sont
alimentaire. progressivement rapprochés des prix mon-
diaux et leur volatilité a-t-elle augmenté.
• Environnemental : utilisation efficace
des ressources, qualité du sol et de l’eau,
menaces portant sur les habitats et la
biodiversité. 3.2 Les Etats généraux de
• Territorial : régions rurales confrontées l’alimentation (EGA) et la loi Egalim
aux changements démographiques,
Chantier clé pour le dynamisme de l’agri-
économiques et sociaux, y compris le
culture, de la pêche et de l’agroalimentaire
dépeuplement et la délocalisation des
français, les États généraux de l’alimenta-
entreprises.
tion, lancés le 20 juillet 2017, avaient voca-
Par ailleurs, grâce au Parlement européen, tion à être un temps de réflexion partagée
la nouvelle PAC contient deux types de me- et de construction de solutions nouvelles.
sures qui vont dans le sens d’un renforce- L’ensemble des attendus et contributions
ment des mécanismes de régulation des des deux grands chantiers (création et ré-
productions et donc des marchés. Il s’agit : partition de la valeur & alimentation saine,
sûre, durable et accessible à tous) avait
• d’une part de la possibilité d’une inter-
pour but d’établir une feuille de route na-
vention sur les marchés en cas de forte
tionale.
baisse de prix, sous forme d’une réduc-
tion volontaire de production ; Les États généraux de l’alimentation vi-
saient officiellement à :
• d’autre part de la possibilité pour les
producteurs bénéficiant d’une Appel- • Relancer la création de valeur et en as-
lation d’origine protégée de maîtriser surer l’équitable répartition.
collectivement leur volume de produc-
16
• Permettre aux agriculteurs de vivre di- objectifs était d’améliorer l’équilibre dans
gnement de leur travail par le paiement les relations commerciales entre les diffé-
de prix justes. rents acteurs des filières agro-alimentaires,
en vue tout particulièrement d’améliorer
• Accompagner la transformation des
les conditions de rémunération des agricul-
modèles de production pour mieux ré-
teurs.
pondre aux attentes des consomma-
teurs. Trois ans après la publication de la loi, s’il
existe une certaine amélioration, le rapport
• Promouvoir les choix de consommation
de force reste encore défavorable aux agri-
privilégiant une alimentation saine et
culteurs au profit de la transformation et
durable.
de la grande distribution.
Les États généraux de l’alimentation se sont
Les dispositions nouvelles (seuil de revente
organisés en deux chantiers :
à perte -SRP6- et encadrement des promo-
° un premier consacré à la création et tions) ont généré une augmentation des
à la répartition de la valeur ; prix pratiqués par la grande distribution
vis-à-vis des consommateurs, sans que les
° un deuxième portant sur une « ali-
effets positifs souhaités sur le revenu des
mentation saine, sûre, durable et ac-
paysans soient garantis. La Confédération
cessible à tous ».
paysanne et UFC Que Choisir ont ainsi qua-
Le débat conduit dans le cadre des États lifié le système du seuil de revente à perte
généraux de l’alimentation a associé l’en- de “chèque en blanc d’1,6 milliards d’euros
semble des parties prenantes : monde à la grande distribution” et d’un “chèque en
agricole et de la pêche, industrie agroali- bois pour les agriculteurs”.
mentaire, distribution, consommateurs,
Mais c’est surtout l’absence de prix mini-
restauration collective, élus, partenaires
mum garanti et calculé sur la base des coûts
sociaux, acteurs de l’économie sociale et
de production et de la marge nécessaire à
solidaire et de la santé, ONG, associations
une juste rémunération du travail agricole
caritatives et d’aide alimentaire à l’inter-
qui interdit toute avancée véritablement
national, banques. Des organisations de la
significative dans le rapport de force. L’in-
société civile se sont rassemblées au sein
version de la négociation commerciale,
d’une « plateforme citoyenne pour une
qui doit maintenant être basée sur la pro-
transition agricole et alimentaire » (PC-
position établie par les représentants des
TAA). Les Etats généraux de l’alimentation
agriculteurs sur la base des coûts de pro-
ont débouché en octobre 2018 sur la loi
duction, est certes positive. Cependant, en
Egalim, « Loi pour l’équilibre des relations
dernier lieu, il n’existe aucune garantie
commerciales dans le secteur agricole et
quant au fait que le prix négocié permet
alimentaire et une alimentation saine, du-
effectivement de garantir une juste rému-
rable et accessible à tous », dont l’un des
nération pour les agriculteurs. La Confédé-
6 SRP : prix en dessous duquel un distributeur a interdiction de revendre un produit. Depuis février 2019, il doit
être au moins égal au prix d’achat majoré de 10 % (vendu 110 s’il a été acheté 100). Extrait de : Loi Alimenta-
tion - Facture salée pour les consommateurs, disette pour les agriculteurs ! - Actualité - UFC-Que Choisir 26 10
2019
17
ration paysanne a souligné que “Les coûts acteurs de l’interprofession concernée (et
de production définis en interprofession donc avec la possibilité d’un veto de la part
n’ont pas ou peu été intégrés dans les né- des industriels ou de la grande distribu-
gociations commerciales. C’est une loi sans tion). Elle interdirait au premier acheteur
contraintes, ni sanctions, comment vou- (par exemple un industriel) d’inclure dans
lez-vous que cela fonctionne ? ”. Elle ajoute les négociations avec les intermédiaires
que « même dans la filière laitière, nous suivants (par exemple le distributeur) le
doutons de l’efficacité de la loi, car une re- prix de la matière première agricole. Mais,
valorisation des prix était attendue, du fait à nouveau, aucun prix minimum ne serait
d’un contexte commercial international garanti par l’Etat et aucun mécanisme de
favorable ». Dans les discussions interpro- maîtrise des volumes n’est envisagé en cas
fessionnelles, la Confédération paysanne de baisse des prix. Comme le dit la Confé-
constate que “L’agro-industrie et la distri- dération paysanne, la loi Egalim 2 « s’ins-
bution s’accaparent les initiatives de mon- crit dans cette même utopie, qui consiste à
tée en gamme, comme sur le lait pâturage croire que les interprofessions et des opéra-
ou le lait sans OGM, alors que les efforts teurs privés «organisés», réunis autour d’un
sont réalisés par les producteurs et produc- contrat, pourraient se substituer à l’État
trices et sont insuffisamment rémunérés”. pour protéger la rémunération des pay-
En outre, les consommateurs et consomma- sannes et des paysans »7.
trices n’en profitent pas car des sur-marges
sont observées sur les segments dont la de-
mande augmente (étude UFC Que choisir
sur les marges des distributeurs sur le bio).
7 « Loi Egalim 2 : l’Etat doit prendre ses responsabilités », communiqué de la Confédération paysanne du 29 juillet
2021. https://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=11686&PHPSESSID=i5l80ue2b9uc423hvcpc5rkf30
18
4. Quels objectifs et outils de régulation des
marchés et des prix agricoles en Europe
et en France dans le cadre d’un projet de
transformation agricole et alimentaire ?
4.1 Une démarche partant de avec les autres8. S’il est donc nécessaire de
l’intérêt général prendre en compte ces contraintes d’ordre
politique, leur existence ne doit pas nous
L’adoption et la mise en œuvre d’une po- interdire de nous en extraire un instant et
litique agricole et commerciale répondant de réfléchir à ce que devrait être une po-
à l’intérêt général serait soumise à un cer- litique agricole et commerciale répondant
tain nombre de contraintes qui ne doivent au mieux à l’intérêt général, que ce soit au
pas être ignorées. La principale est d’ordre niveau national ou européen. Il convient
politique : compte tenu des intérêts écono- ensuite d’évaluer dans quelles mesures les
miques en jeu, un rapport de force favo- contraintes peuvent être contradictoires
rable et une majorité politique forte sont avec une telle politique et d’apprécier dans
nécessaires, tant au niveau national qu’eu- quelle mesure des adaptations pourraient
ropéen. Nombre de décisions sont actuelle- être envisagées afin d’en tenir compte. Ceci
ment du ressort de l’Union européenne, , ce étant, si les contraintes politiques appa-
qui implique des accords majoritaires au raissent si fortes que leur prise en compte
sein de cette dernière si l’on souhaite voir amène à dénaturer totalement le projet de
évoluer les objectifs et les outils de la po- transformation du système agricole et ali-
litique communautaire. C’est le cas notam- mentaire, la question qui doit être posée est
ment de la politique commerciale et dans celle de comment lever politiquement ces
une large mesure de la politique agricole. contraintes. C’est la démarche que nous
Certes, la prochaine PAC accroîtra l’auto- nous proposons de suivre, en commen-
nomie de chaque Etat membre pour l’at- çant donc par examiner ce que devraient
tribution des financements publics, mais être les objectifs puis les outils d’une poli-
cette autonomie pourrait mener à une im- tique de régulation des marchés et des prix
passe dans le cadre d’un marché unique agricoles. Nous abordons par la suite les
européen où les agricultures de chaque contraintes d’ordre politique.
pays sont de fait en concurrence les unes
8 Voir à ce sujet la note d’actualité du laboratoire UTAA « Politique Agricole Commune : enjeux immédiats et à
venir », décembre 2020. https://utaa.fr/2020/12/18/pac2021-1/
19
4.2 Quels devraient être aujourd’hui sur des conditions d’exploitation extrême
en France et en Europe les objectifs de la force de travail. Le choix de l’Union
9 Voir à ce sujet, Laurent Levard, « Pour une nouvelle révolution agricole », Editions Bruno Leprince, 2017.
20
plus faibles. et de la transformation écologique des sys-
tèmes agricoles. La stabilité des prix ap-
• Enfin, il s’agit de se donner les moyens
porte une visibilité aux agriculteurs et faci-
d’utiliser le financement public que
lite donc, à condition que le niveau des prix
constituent les actuelles aides de la PAC
en question soit suffisamment rémunéra-
d’une façon bien plus intelligente et
teur, les projets d’installation dans l’agri-
conforme à l’intérêt général. Concrè-
culture et de transformation écologique
tement, ce financement pourrait être
des systèmes agricoles. Elle évite par ail-
ciblé sur les objectifs suivants :
leurs des à-coups qui génèrent de l’endet-
° La compensation des handicaps tement ou peuvent remettre en question la
naturels qu’affronte l’agriculture viabilité des exploitations.
dans certaines régions (ce qui est
Nous avons expliqué en quoi le marché
déjà le cas pour une partie des aides
seul ne pouvait garantir des prix rémuné-
de la PAC).
rateurs et stables aux agriculteurs. C’est
° Le financement de la transfor- pourquoi des politiques de régulation des
mation écologique des systèmes marchés et des prix agricoles sont néces-
agricoles et de la rémunération de saires. Il importe que les importations ne
certaines externalités positives viennent fragiliser ou remettre en cause la
générées par les agriculteurs (ser- pérennité de tels dispositifs ou encore de
vices non rémunérés par le marché). créer une concurrence déloyale. C’est pour-
quoi il importe que le prix des importations
° Le soutien à l’emploi agricole et
sur le marché national ne soit pas inférieur
aux plus petites exploitations.
au prix des produits nationaux. Des poli-
Il s’agit de construire un modèle
tiques complémentaires concernant les
d’agriculture basé sur un grand
importations sont donc nécessaires.
nombre d’exploitations agricoles
à dimension humaine. Cet objectif
répond à son tour à une volonté de
générer des emplois agricoles bien b. La relocalisation de certaines
rémunérés et épanouissants plutôt productions
que de condamner au chômage des
L’action publique sur les marchés et le prix
millions d’individus, ainsi qu’à une
–et plus précisément des politiques de pro-
volonté de dynamiser les territoires
tection vis-à-vis de prix mondiaux trop
ruraux. Il répond également à une
faibles- répond par ailleurs à un objectif de
volonté de permettre la transforma-
relocalisation de certaines productions
tion écologique de l’agriculture, la-
agricoles. Cette relocalisation constitue de
quelle n’est concevable que dans des
notre point de vue une autre composante
systèmes d’agriculture paysanne re-
essentielle d’un programme de transfor-
lativement intensifs en travail.
mation du système agricole et alimentaire
Au-delà des prix agricoles moyens, leur répondant à l’intérêt général.
stabilité apparait également comme une
La politique de libéralisation des marchés
condition de la viabilité des exploitations
s’est traduite par un éloignement progres-
21
sif de nombreuses productions des lieux 4.3 Quels seraient les outils de
de consommation et par une dépendance régulation des marchés et des prix
de plus en plus forte du pays par rapport les plus pertinents ?
aux importations. C’est notamment le cas
de divers fruits. De même, le libre accès Nous aborderons d’abord les outils de poli-
au marché européen pour les importa- tique agricole puis ceux de politique com-
tions de soja en provenance des Etats-Unis, merciale qui permettent une régulation des
puis de façon prépondérante aujourd’hui marchés et des prix. Les outils de politique
d’Amérique Latine, a joué un rôle détermi- agricole répondant à un objectif de régula-
nant dans l’expansion et le renforcement tion des marchés et des prix doivent sou-
du modèle d’élevage productiviste et dans vent être accompagnés d’outils de politique
la régression de la production de proté- commerciale destinés à éviter que des im-
ines fourragères. La relocalisation de ces portations à bas prix ne viennent remettre
productions répond à des objectifs écolo- en cause la viabilité et l’efficacité de la poli-
giques. C’est notamment le cas pour le soja tique agricole elle-même.
dont l’expansion de la production constitue
une catastrophe écologique en Amérique
du Sud10. Plus généralement, la relocalisa- a. Outils de politique agricole
tion de certaines productions doit contri-
buer à réduire la consommation d’énergie Précisons tout d’abord que la politique de
et l’émission de gaz à effets de serre liées au régulation des marchés et des prix ne peut
transport. être raisonnée indépendamment d’autres
aspects de la politique agricole, notamment
en matière de transferts financiers, de fon-
cier et de contrôle des structures.
c. La responsabilité sociale et
écologique globale quant aux La politique foncière et de contrôle des
importations structures apparait tout particulièrement
comme un outil indispensable pour éviter
Dans le même temps, et au nom d’un prin- que la politique de soutien et de régulation
cipe d’équité des conditions de concur- des prix ne bénéficie pas principalement
rence, mais aussi de responsabilité globale aux plus grandes exploitations agricoles
par rapport au respect des droits humains et aux capitaux financiers investis dans
fondamentaux, à la préservation des éco- l’agriculture. Il convient de rappeler que le
systèmes planétaires et de lutte contre le fait qu’une politique de prix rémunérateur
changement climatique, il nous semble que bénéficie davantage aux plus grandes ex-
la commercialisation des produits agricoles ploitations et peut finalement accroître le
devrait être conditionnée au respect d’un processus de concentration de l’agriculture
certain nombre de règles dans le do- a été l’une des principales critiques faites
maine social et environnemental. par les secteurs progressistes à la PAC des
années 60. En la combinant avec une poli-
10 Voir Coordination Sud, « PAC : Quelle cohérence avec le développement des agricultures paysannes du Sud ? »,
https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/Rapport_PAC_web_24.09.19.pdf
22
tique foncière et des structures ambitieuse, Le principe de prix minimal contribuant
ainsi qu’avec des transferts financiers to- à un revenu agricole décent
talement repensés, la politique de soutien
Nous suggérons que, en premier lieu, soit
et de régulation des prix peut au contraire
déterminé pour chaque type de produit
être un outil au bénéfice d’une agriculture
un prix minimal de telle sorte que, dans
paysanne de taille humaine11.
des conditions moyennes de production
Par ailleurs, la politique de soutien et de ré- (exploitation de dimension moyenne dans
gulation des prix peut également encoura- des conditions agronomiques moyennes),
ger des modèles agricoles basés sur une uti- ce prix soit suffisant pour couvrir les coûts
lisation massive d’intrants chimiques et qui de production et rémunérer le travail
sont à l’opposé de la transformation agroé- agricole à un niveau décent. Nous pro-
cologique que nous défendons,. Là aussi, la posons à ce stade un niveau de 1,35 salaire
PAC des années 60 a été critiquée sous cette minimum, sans nécessité de recourir aux
angle. En effet, la politique de prix élevés aides financières. En intégrant les aides
encourageait une intensification chimique à l’emploi agricole (voir ci-dessous), le re-
à outrance en vue d’obtenir les meilleurs venu atteindrait 1,5 salaire minimum en
rendements possibles. C’est pourquoi, la conditions moyennes de production, soit le
politique de soutien et de régulation des revenu national médian. Ceci signifie que,
prix que nous prônons doit également être en conditions moyennes de production, la
accompagnée d’objectifs et d’outils inter- collectivité prendrait en charge environ
vention ambitieux en vue d’accélérer la 10% de la rémunération du travail agricole
transformation écologique de l’agricultu- (aides à l’emploi).
re : transferts financiers ciblés en fonction
Une politique de prix rémunérateurs tend
de ces objectifs ; réglementation relative
à favoriser les plus grandes exploitations
aux méthodes de production visant à une
qui produisent davantage. Il s’agit d’une
interdiction immédiate des pesticides les
critique souvent formulée à l’attention de
plus nocifs pour la santé et la biodiversité
ce type de politique. La politique des struc-
et à une réduction progressive des doses
tures que nous préconisons compenserait
maximales autorisées des différents in-
cette situation grâce à une limitation de la
trants chimiques ; accompagnement tech-
dimension par actif des exploitations. De
nique et économique des agriculteurs dans
plus, une réglementation plus stricte rela-
la transition. La politique de prix doit donc
tive à la taille des élevages permettrait de
non seulement être articulée à une poli-
stopper et d’inverser le processus d’agran-
tique foncière et des structures ambitieuse,
dissement des exploitations et de concen-
mais également avec une politique visant
tration de la production. Enfin, le nombre
à une transformation écologique rapide de
d’actifs agricoles salariés pouvant bénéfi-
l’agriculture et notamment de la réduction
cier des subventions à l’emploi serait limi-
des intrants de synthèse.
té par exploitation, apportant un avantage
comparatif à l’agriculture paysanne par
rapport aux grandes structures basées sur
l’utilisation intensive de travail salarié.
11 Le laboratoire UTAA a publié une note thématique sur la politique foncière et des structures : « Politique fon-
cière et agriculture », sous la coordination de Robert Levesque, Alain Guéringer et Rosalie Maalouf, novembre
2020, https://utaa.fr/notes-thematiques/politique-fonciere-et-agriculture/
23
Grâce à l’existence de prix rémunérateurs, • Rémunérer certaines externalités posi-
une utilisation du budget de la PAC à des tives de l’agriculture écologique16 (env. 1,5
finalités d’intérêt général milliards € initialement)17
Débarrassé du poids des aides découplées à • D’une façon générale, ces quatre types
l’hectare (qui, rappelons-le consomment la d’aides financières permettraient au re-
majeure partie du budget de la PAC), le bud- venu minimum de l’ensemble des agri-
get de la politique agricole (actuellement 10,8 culteurs de se rapprocher du seuil de 1,5
milliards €, y compris le co-financement na- salaire minimum. En effet, le transfert fi-
tional) pourrait être alors utilisé pour :
12
nancier viendrait :
Ces deux premières formes d’utilisation du ° Dans le troisième cas (transition éco-
budget agricole auraient en fin de compte logique), financer le sur-coût, la baisse
un effet similaire à celui d’une subvention de productivité lié au processus de
d’équilibre du revenu par actif agricole. transition et/ou le désendettement
des exploitations sur-endettées du fait
• Contribuer à financer des projets indi-
de choix antérieurs d’approfondisse-
viduels ou collectifs de transition écolo-
ment du modèle productiviste.
gique des systèmes agricoles et alimen-
taires (pratiques agricoles et circuits ° Dans le quatrième cas (rémunération
courts) (env. 4,5 milliards € initialement) 15
des externalités positives), compenser
12 Les aides et subventions agricoles s’élèvent aujourd’hui (2019) à 10,8 milliards €, dont 7,0 milliards € prove-
nant de fonds européens et 3,8 milliards € de fonds nationaux. A ces chiffres s’ajoutent les allègements de
charges (4,1 milliards €) dont il conviendrait de réviser la pertinence en vue d’une éventuelle réaffectation
partielle, que nous ne prenons cependant pas ici en considération. Source : https://www.fipeco.fr/fiche/Les-
d%C3%A9penses-publiques-en-faveur-de-lagriculture
13 Le budget actuellement destiné aux ICHN est de 1,1 milliard €. Le chiffre de 1,5 M€ correspond donc à un ac-
croissement d’environ un tiers.
14 Hypothèses : revenu médian de 1800€ net et taux de cotisations sociales équivalent à 70% du revenu net on
obtient Soit 3060€/mois pour l’ensemble revenu net + cotisations sociales, ou encore 36 720€/an. Une prise en
charge de 10% de ce coût par l’Etat représenterait pour 700 000 actifs agricoles un montant de 2,5 milliards €/
an.
15 Clé de répartition initiale : 75% financement transition (4,5 milliards), 25% Externalités positives agriculture
écologique (1,5 milliards).
16 Clé de répartition initiale : 75% financement transition (4,5 milliards), 25% Externalités positives agriculture
écologique (1,5 milliards).
17 Dans ces hypothèses, une partie du budget (0,8 milliard €) serait également réservée pour les actions diverses
(régulation des marchés, aides à la qualité, etc.). Les aides de marché représentent aujourd’hui 0,7 milliard €.
24
pour partie la moindre productivité lioration des rendements, autonomie
nette du travail de systèmes agroéco- croissante, développement d’activités de
logiques qui génèrent des externalités transformation et de circuits courts).
positives.
N’oublions pas que, dans le même temps,
La moindre productivité nette du travail des une forte incitation à la transformation éco-
systèmes agroécologiques -qui rappelons-le logique des exploitations serait créée du fait
peut être liée à la forte intensité en travail, des exigences accrues en matière écologique
aux moindres rendements et à certains (interdiction des pesticides les plus dange-
coûts supplémentaires- serait donc compen- reux, diminution progressive des doses maxi-
sée par : males d’engrais et de pesticides chimiques,
réglementation relative aux antibiotiques, di-
• Une subvention spécifique dans la phase
minution de la taille maximale des élevages,
de transition.
exigences accrues en termes de bien-être ani-
• Une rémunération des externalités posi- mal).
tives.
A terme, si ces éléments apparaissaient insuf-
• Un surplus de prix apporté par le marché fisants pour garantir un avantage en termes
grâce à l’existence de signes de reconnais- de revenu à ces systèmes agro-écologiques,
sance (label Bio en particulier). une révision à la hausse des prix minimums
pourrait être envisagée.
• Des évolutions progressives du système
de production agricole permettant de gé-
nérer davantage de valeur ajoutée (amé-
25
cennie à venir. En effet : et à la sauvegarde de l’écosystème plané-
taire. Ce principe a des implications en ma-
• La rapide transition écologique de
tière de politique commerciale. Mais il est
l’agriculture promue par la politique
essentiel de bien considérer qu’il ne s’agit
agricole se traduirait globalement par
pas d’une politique commerciale en tant
une diminution des rendements.
que telle, mais de l’extension aux impor-
• Une partie de la surface agricole devrait tations de normes répondant à des prin-
être consacrée à la relocalisation de la cipes de portée universelle. Ces normes
production de protéines végétales et couvriraient :
d’oléagineux en substitution des impor-
• Des normes relatives aux conditions
tations de soja et d’huile de palme.
écologiques de production (intrants
• La politique commerciale permettrait chimiques interdits et doses maximales
d’éviter les importations à bas prix (voir des intrants utilisés, taille des élevages)
ci-dessous). et de précaution sanitaire et environ-
nementale (interdiction des importa-
• Certaines exportations seraient décou-
tions d’OGM).
ragées du fait de l’abolition des pra-
tiques de dumping (taxation des expor- • Des normes relatives aux produits dont
tations équivalente aux subventions la production a un impact direct ou in-
reçues pour la production, voire ci-des- direct en matière de déforestation et
sous). de destruction d’autres écosystèmes
naturels (principe zéro déforestation
Dans le cas des fruits et légumes, et de
intérieure et zéro déforestation impor-
façon à protéger le pouvoir d’achat des
tée).
consommateurs, le prix minimum d’achat
serait complété par l’établissement d’un A noter que le concept de « clauses miroir »
coefficient multiplicateur maximal re- s’inscrit dans ce type d’approche.
présentant le rapport entre le prix de vente
• Des normes relatives aux conditions
au consommateur et le prix d’achat au pro-
sociales de production et de valorisa-
ducteur.
tion de la production. Ceci inclurait :
26
produits (notamment le café et le D’un montant proportionnel au prix en
cacao et les produits qui en sont is- douane (prix mondiaux), ils ne peuvent
sus), un label public de commerce donc pas compenser les hausses ou
équitable serait créé, visant à garan- baisses des prix mondiaux. La volatilité
tir un prix minimal au bénéfice des de ces-derniers est ainsi transmise sur
paysans producteurs, sur la base de le marché intérieur. Ils génèrent des
l’expérience des actuelles organisa- recettes fiscales, mais ne génèrent pas
tions de commerce équitable. Seules d’effets positifs en amont de l’importa-
des importations de produits res- tion (à la différence du principe d’exten-
pectant ce label seraient donc auto- sion aux produits importés du principe
risées. de prix minimum aux producteurs agri-
coles, voir ci-après). Ils sont compatibles
Par ailleurs, la politique de taxation des
avec les règles actuelles de l’OMC.
produits en fonction de leur empreinte
carbone ou de leur empreinte énergé- • Les prélèvements variables. S’ajus-
tique, impliquant la prise en considération tant au niveau du prix mondial, ils per-
de l’ensemble du processus de production, mettent de garantir un prix d’importa-
transformation, stockage, conservation et tion sur le marché intérieur constant
distribution (cycle de vie) serait étendue quelle que soit de volatilité sur le mar-
aux produits importés. ché mondial. Ils génèrent des recettes
fiscales, mais ne génèrent pas non plus
d’effets positifs en amont de l’importa-
Garantir la viabilité de la politique de tion. Ils apparaissent particulièrement
prix rémunérateur adaptés pour les grandes matières pre-
mières agricoles (céréales, produits lai-
Par ailleurs, la politique commerciale de- tiers de base, viandes, oléagineux). Ils
vrait permettre que la viabilité de la po- ne sont pas compatibles avec les règles
litique visant à garantir des prix rému- actuelles de l’OMC.
nérateurs (et, dans certains cas, destinés
à promouvoir une relocalisation des pro- • Les prix minimums d’importation.
ductions) ne soit menacée par des impor- Défendus par la Confédération pay-
tations à bas prix. Notons tout d’abord que sanne pour les fruits et légumes, quelle
les normes qui seront appliquées aux im- que soit l’origine des produits (intra
bueront à diminuer la pression sur les prix conditionnée à l’existence d’un prix en
27
prise exportatrice. L’entreprise de pro-
duction de type capitaliste peut aussi en
profiter si celle-ci exporte directement
Ne pas faire de la politique agricole
ou bien si elle est dans un rapport de
un outil de dumping sur les marchés
force favorable vis-à-vis de l’exporta- mondiaux
teur, et si, par ailleurs, elle ne répercute
Les exportations seraient taxées à hauteur
pas le prix élevé sur la rémunération du
du montant moyen des transferts financiers
travail salarié.
perçus par les agriculteurs pour le type de
• L’extension aux produits importés du produit considéré, de façon à ce que la poli-
principe de prix minimum aux pro- tique agricole ne constitue plus un outil de
ducteurs agricoles. L’importateur doit dumping sur les marchés mondiaux.
alors fournir une attestation relative au
prix payé aux producteurs (avec res-
pect du prix minimum). La mesure ne
4.4 La prise en compte des
génère pas de recettes fiscales puisqu’il
n’y a pas de prélèvement. Elle favorise
contraintes d’ordre politique
une amélioration de la rémunération Les orientations proposées en matière de
du travail agricole dans le pays exporta- régulation des marchés et des prix agri-
teur, du fait de l’impact mécanique sur coles entreraient en contradiction avec les
le prix au producteur. Dans le cas où la règles européennes, notamment en matière
production agricole est réalisée par une de droit de la concurrence ou de marché
entreprise capitaliste, elle peut aussi unique (instauration de prix minimums aux
générer une simple rente au profit de producteurs et leur extension aux produits
celle-ci si elle ne répercute pas le prix en provenance d’autres pays européens).
élevé sur la rémunération du travail sa- Il en va de même des mécanismes d’inter-
lariée. Comme nous l’avons mentionné, vention et de maîtrise des productions qui
elle présente l’avantage d’être d’abord sont du ressort de décisions communes.
conçue et donc de pouvoir être défen- Par ailleurs, la politique commerciale vis-
due non pas comme une mesure protec- à-vis du reste du monde est du ressort
tionniste, mais comme une mesure de communautaire, certaines mesures suggé-
responsabilité sociale globale vis-à-vis rées étant de plus contradictoires avec les
de droits sociaux fondamentaux –en actuelles règles de l’OMC. Il est donc prio-
l’occurrence le principe de droit à une ritaire de défendre un changement de ces
juste rémunération de travail agricole- règles et politiques européennes. En ab-
c’est-à-dire répondant à un principe sence de consensus européen, l’alternative
vocation universelle. Elle pourrait être serait l’application unilatérale de certaines
appliquée aux fruits et aux légumes, de ces mesures, notamment au nom d’une
mais également aux produits laitiers et politique de responsabilité sociale et écolo-
autres produits de l’élevage. gique globale. Elle ne pourrait résulter que
d’une forte volonté de faire valoir ce prin-
cipe et le choix d’un modèle agricole et ali-
mentaire y répondant.
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Régulation des marchés agricoles et prise dans la consommation des ménages est
en compte des consommateurs pauvres passé de 29% en 1960 à 17% et 2019. Cette
évolution est allée de pair avec l’expansion
Une politique de prix agricoles rémunéra-
d’un modèle agricole et alimentaire néfaste
teurs peut avoir un impact à la hausse sur
pour la santé et l’environnement. C’est
le prix des produits alimentaires. Cepen-
pourquoi, il serait tout-à-fait cohérent que
dant, cet impact, certes réel, doit être relati-
la bifurcation vers un modèle agricole et ali-
visé, dans la mesure où la matière première
mentaire conforme à l’intérêt général s’ac-
agricole ne représente souvent qu’une
compagne d’un accroissement de quelques
faible part du produit alimentaire acheté
points de la part de l’alimentation dans la
par le consommateur. Un accroissement
consommation des ménages. Pour être so-
de 20% du prix au producteur d’un produit
cialement acceptable, ceci devrait s’accom-
contribuant pour 20% au prix d’un produit
pagner d’une amélioration des revenus des
alimentaire ne devrait finalement avoir un
catégories sociales les plus pauvres et donc
impact que de 4% sur le prix de ce-dernier.
d’une évolution de la répartition des reve-
Par ailleurs, une meilleure répartition de la
nus dans la société au bénéfice des catégo-
valeur au sein des filières de commerciali-
ries populaires.
sation peut également contribuer à réduire
l’impact pour le consommateur final. Ceci
étant dit, le poids des produits alimentaires
18 Voir à ce sujet la note d’actualité du laboratoire UTAA « Politique Agricole Commune : enjeux immédiats et à
venir », décembre 2020. https://utaa.fr/2020/12/18/pac2021-1/
19 Voir à ce sujet la note thématique du laboratoire UTAA « Politique foncière et agriculture », novembre 2020.
https://utaa.fr/notes-thematiques/politique-fonciere-et-agriculture/
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titivité-prix de l’agriculture au moyen de
grandes exploitations productivistes.
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5. Conclusion : au-delà des niveaux national
et européen, contribuer à une régulation
des marchés et prix agricoles mondiaux
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pas les agriculteurs pour la production ° Le droit des Etats et des régions à la
des produits concernés (voir ci-dessus). souveraineté alimentaire, droit qui
devrait cependant être conditionné
• Des discussions devraient être enga-
à l’absence de pratiques de dumping
gées dans le cadre du système des Na-
à l’exportation et au respect du socle
tions-Unies en vue d’une régulation des
social et écologique minimal en ma-
marchés mondiaux des matières pre-
tière de conditions de production.
mières agricoles visant le maintien des
prix dans une certaine bande de prix, ° Le droit des Etats à appliquer des
au moyen notamment de l’existence de normes plus strictes que le socle mi-
stocks régulateurs détenus notamment nimal en matière de conditions de
par les grands pays exportateurs. A dé- production des produits importés
faut, des accords bilatéraux ou régio- (application aux produits importés
naux pourraient permettre aux pays des mêmes règles que les produits
fortement dépendants des importations locaux), en application d’un prin-
de bénéficier d’une telle stabilité tout cipe de responsabilité sociale et éco-
en développant leur propre production. logique globale (prix aux produc-
teurs, conditions de travail, droits
• Des discussions devraient être enga-
des travailleurs, lutte contre le ré-
gées en vue de transformer les règles
chauffement climatique, défense de
actuelles du commerce international,
la biodiversité, protection de l’envi-
en y intégrant :
ronnement).
° Un socle social et écologique mi-
nimal en matière de conditions de
production.
Pour citer ce document : Laurent Levard, Jacques Loyat, UTAA, Régulations des mar-
chés et des prix agricoles, Décembre 2021
https://utaa.fr/ notes-thematiques/ regulation-marches-prix
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