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Psychologie sociale

des valeurs

Pascal
Morchain
Psychologie sociale
des valeurs
Pascal Morchain

Psychologie sociale
des valeurs
Conseiller éditorial : Sylvain Delouvée

© Dunod, Paris, 2009


ISBN 978-2-10-054286-4
Sommaire

Remerciements IX
Avant-propos 1
Prologue : un peu d’histoire 3

C
hapitre 1
Que sont les valeurs ? Tentative de définition(s)

I. Étymologie 7

II. Du côté de la philosophie 8


1. Définitions 8
2. Valeurs, morale, éthique 9

III. Du côté de la psychologie 11


1. Définitions 11
19
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

2. Spranger ; Vernon et Allport


3. Une classification dérivée de Vernon et Allport 20
4. La question du lien affect-valeurs 24

Chapitre 2
Caractéristiques des valeurs

I. Origines 29
1. Fondements motivationnels 29
2. Fondement social : apprentissage 31
VI PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

II. Hiérarchie, structure


et mesure des systèmes de valeurs 34
1. Hiérarchie 34
2. Structure 37
3. Comment mesure-t-on la structure des valeurs ?
Une approche intuitive 37
4. Structure des valeurs chez Rokeach et chez Schwartz 42

III. Relativité des valeurs 52


1. Idéologie 52
2. Culture 58
3. Nationalité 61
4. Genre 62
5. Âge 64
6. Type d’études 66
7. Valeurs et personnalité 67
8. Le lien aux contextes et aux pratiques 70

IV. La question du changement de valeurs 72

Chapitre 3
À quoi servent les valeurs ?

I. Les valeurs sont des guides :


elles ont une fonction d’orientation 75
1. Perception et jugement social 75
2. Orientation des conduites 88

II. Les valeurs servent aussi (surtout ?) la justification 101


1. Valeurs et justification dans les représentations sociales
et les stéréotypes 103
2. Les valeurs utilisées pour la justification ne sont
pas toujours celles que la personne met en avant 107
SOMMAIRE VII

En guise de conclusion 111


Bibliographie 113
Index des notions 143
Index des auteurs 145
Remerciements

Un livre peut être perçu par le lecteur comme le fruit d’un travail
individuel, surtout quand l’auteur est une seule personne. C’est vrai
en partie. Mais un livre est aussi le maillon d’une chaîne. Comme
objet, il découle du travail d’une équipe, de plusieurs corps pro-
fessionnels œuvrant en commun. Quant à son contenu, il découle
du travail des chercheurs (ou plus largement des penseurs) qui ont
précédé l’auteur, et des échanges qu’il a eus avec les collègues et les
amis. Un livre est forcément un témoin, il transmet les lumières
reçues d’autrui. Mes parents m’ont fait comprendre la relativité
des conduites et l’importance des valeurs. Aujourd’hui mes amis
m’amènent à confronter avec respect nos systèmes de valeurs, et
à tenter de porter haut, voire défendre, ce qui est important (du
moins à mes yeux) : la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Qu’ils en
soient remerciés. Ma rencontre avec le grand chercheur qu’était
Jean-Pierre Di Giacomo (décédé en 2001) m’a orienté tardivement
vers la recherche en psychologie sociale. J’ai le privilège d’avoir pu
bénéficier de sa rigueur et de son intégrité, et surtout de partager
son amitié. Ce livre n’aurait jamais vu le jour sans l’amitié et la
confiance de Georges Schadron (à ce niveau, je ne compte plus les
années de profonde amitié) et d’Eva Drozda-Senkovska, de Domi-
nique Oberlé, et plus récemment celle de Sylvain Delouvée. Parmi
les collègues et amis du CRPCC (Centre de Recherches en Psycho-
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logie, Cognition et Communication, EA1285), il m’est agréable de


nommer particulièrement ceux du LAUREPS (Laboratoire Armo-
ricain Universitaire de REcherche en Psychologie Sociale) : Christelle
Maisonneuve, Gérard Guingouain, Alain Somat et Benoît Testé,
avec lesquels j’ai le plaisir d’échanger et de mener des recherches.
Yvonnick Noël (CRPCC-LPE, Laboratoire de Psychologie Expéri-
mentale) m’a permis de préciser certains points relatifs aux traite-
ments statistiques. Je tiens aussi à remercier Christine Chataigné,
qui termine sa thèse à l’Université de Nice (LPCS, Laboratoire de
Psychologie Cognitive et Sociale, EA1189/UNSA), pour la grande
qualité de ses travaux et de ses réflexions. Son influence sur ce livre
est discrète, mais indéniable ; j’ai appris et je continue d’apprendre
X PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

grâce à ses travaux. Enfin, je remercie Brigitte Lecat, ma compagne.


Avec son expertise de psychologue sociale, elle a relu le manuscrit
initial, m’a conseillé dans sa restructuration, enfin m’a soutenu dans
la phase finale de son écriture et, parfois, de ré-écriture. Elle m’a
permis de mettre de l’ordre dans le chaos initial des idées. Je l’em-
brasse.
Avant- propos

Mon cheminement, ma sensibilité personnelle, mes recherches en


psychologie sociale, et le constat que les valeurs se retrouvent dans
différents domaines de la vie, m’ont amené à m’intéresser à la ques-
tion des valeurs. Tous les grands systèmes « philosophiques »1 affi-
chent des valeurs essentielles censées orienter la vie des personnes,
et plus particulièrement leurs relations à autrui. Ces valeurs sont
partout, semble-t-il, très similaires : une valeur centrale étant le res-
pect si ce n’est l’amour (de l’autre, de Dieu, ou de l’humanité). La
simple observation quotidienne indique en outre que nous pensons
nos actes fondés sur des valeurs, mais aussi que nous les justifions
d’après elles. Par exemple on envoie – ou on laisse – les hommes
s’entre-déchirer au nom du « respect du droit international », de la
« non-ingérence », ou pire, « au nom de la race ». C’est sur des valeurs
que le Président Clinton a été mis en difficulté lors du « Monica-
gate », référence évidente au « Watergate » sous Nixon. On pourrait
remarquer, certes naïvement, qu’il se fit des gorges chaudes pour
une affaire concernant deux adultes a priori consentants. Tout aussi
naïvement, on notera en même temps l’oubli – ou la minimisation
– du fait qu’un Président des USA peut être directement impliqué
dans la déstabilisation de régimes étrangers (Argentine) et dans la
mort de centaines de milliers de civils (Irak). Certains s’émeuvent
du fait que la télévision diffuse des émissions sur la sexualité, mais
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ne s’émeuvent pas des images de violence dans les journaux télé-


visés. Le sexe serait-il moins moral et à ce titre plus critiquable que
la guerre ? Vu du côté de Monsieur Toutlemonde, c’est une bien
curieuse « balance de valeurs ». Mais ne restons pas naïfs. Allons
donc plus loin. Si l’on en croit la littérature en psychologie sociale,
le rôle des valeurs dans les activités humaines apparaît très impor-
tant, voire déterminant. Comme dans toute science, plusieurs ques-
tions se posent. Par exemple, les valeurs semblent orienter l’action,
ou, mieux, l’intention d’agir. Mais si le contexte ne s’y prête pas,

1. Ce terme fait référence ici aux religions révélées ou non, mais encore aux courants de
pensée issus des Lumières.
2 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

si la personne est amenée à agir différemment, que deviennent les


valeurs ? Peuvent-elles changer, ou encore se renforcer, ou être uti-
lisées comme rationalisation a posteriori ? La question de savoir si
les valeurs sont antérieures ou postérieures aux comportements ne
se pose peut-être pas, en tout cas pas en ces termes, parce que les
valeurs sont à la fois antérieures, et postérieures aux comportements :
elles préexistent dans le système social, orientent les conduites, et
permettent de les justifier, de rationaliser. Pourtant cette question
de la double fonction des valeurs est fondamentale, et la manière de
la traiter dépend finalement du positionnement du chercheur. En
outre, le chercheur travaillant sur les valeurs ne parle pas toujours
du même objet : soit il parle bien de valeurs (sous différentes décli-
naisons), soit il parle en termes de valence (de traits de personnalité
par exemple), soit en termes plus généraux d’évaluation. Un autre
point fondamental est que les valeurs sont toujours à considérer en
fonction des contextes sociaux. En ce sens je suis proche de Georges
Schadron, pour qui l’observateur social est très attentif à produire
le « bon jugement » dans la « bonne situation ». Si les hôteliers inter-
rogés par La Piere (1934) ont refusé lorsqu’on leur demandait s’ils
accueilleraient des Chinois dans leur établissement, c’est bien aussi
parce qu’ils pensaient cette réponse socialement acceptable, compte
tenu des normes et des valeurs de l’époque (et cela ne les empêchait
pas d’accueillir certains Chinois). De la même manière, avec ce que
nous connaissons de l’Histoire, nous allons probablement contrôler
la formulation de nos jugements concernant les Juifs (on peut à ce
propos constater que, semble-t-il, toute critique envers certaine
politique de l’État d’Israël est très vite interprétée comme de l’anti-
sémitisme). Dans cet ouvrage j’aborderai à grands traits différentes
définitions des valeurs. Nous verrons aussi comment elles s’orga-
nisent en systèmes, comment le chercheur les saisit, et quels sont
leurs impacts à différents niveaux de la perception, du jugement, et
des comportements. C’est essentiellement dans le champ théorique
de la psychologie sociale que je situerai ma réflexion. Dans le cadre
de cet ouvrage, je traiterai de manière partielle la question, en me
concentrant sur le domaine de la perception sociale.
Prologue : un peu d’histoire

Ce sont des gens d’amour et ils ne sont pas envieux et ils sont serviables
pour toute chose, et je certifie à vos Altesses que dans le monde, je crois
qu’il n’y a ni meilleure personne ni meilleure terre ; ils aiment leur pro-
chain comme eux-mêmes, et ils ont un parler le plus doux et le plus calme
du monde, et sont toujours souriants. Ils vont nus, hommes et femmes,
comme leurs mères les mirent au monde. Mais, vos Altesses peuvent le
croire, entre eux ils ont de bonnes mœurs et il règne une si merveilleuse
ambiance que c’est un plaisir de voir tout cela réuni.
Journal de Christophe Colomb (cité par Kerchache, 1994).

12 octobre 1492 : Christophe Colomb aborde l’île de Guanahani et


rencontre les Arawaks, restés dans l’histoire sous le nom de Taïnos,
nom dérivé du mot nitaïno qui désignait entre eux l’homme « noble
et prudent » (Daubert, 1994 ; Kerchache, 1994). 5 décembre 1492 :
Colomb débarque en Haïti. Bartolomé de Las Casas note « alors
ils virent des gens nus », et les premières descriptions de Colomb
concernant les Arawaks sont positives. Elles concernent leur appa-
rence physique : « ces gens sont très beaux (…) » ; « les yeux [sont]
très beaux et non petits (…) ils ont tous semblablement les jambes
très droites et le ventre plat, très bien fait (…) ils sont tous, sans
exception, de grande taille et de bonne figure et très bien faits de
leur personne (…) ». Elles concernent aussi leur mentalité, soit en
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termes de caractère : « (…) ils ont l’esprit éveillé, car je vois qu’ils
répètent tout de suite ce que je leur dis (…) » ; « (...) ils étaient très
sensés et judicieux (…) » (cité par Tolentino, 1984 et par Daubert,
1994) ; soit en références à la chrétienté : « [ils] se livreraient et se
convertiraient à notre sainte religion, par l’amour plutôt que par la
force (…) ». Paradoxalement, en dépit de ces premiers jugements
évoquant le jardin d’Éden, il faut relever quelques dates et quelques
chiffres (Daubert, 1994). En 1492, il y a plus d’un million d’In-
diens taïnos sur Hispaniola (Haïti/Saint-Domingue), en 1542, on
en recense 200, et, en 1568, treize. En moins d’un siècle, massacres,
épidémies, suicides collectifs, esclavage se sont succédé. Des valeurs
positives attribuées aux indigènes, on passera peu à peu, pour des
4 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

raisons économiques essentiellement, à l’attribution de valeurs néga-


tives (Tolentino, 1984), qui permirent de justifier l’esclavage. Ainsi,
dès le 15 février 1493, Colomb informe Luis Santangel, intendant
des monarques, des richesses qu’il pourrait expédier en Espagne :
l’or, le coton, le mastic, l’aloès, « et des esclaves, autant qu’on voudra
prendre, et qui seront idolâtres ». Ailleurs, dans un mémoire du
30 janvier 1494, il écrit : « Leurs Altesses pourront donner licence
et permission à une quantité suffisante de caravelles, pour qu’elles
viennent ici chaque année et qu’elles apportent du bétail et du maté-
riel pour peupler la campagne et exploiter la terre : et cela à des
prix raisonnables et aux frais de ceux qui les apporteraient. L’en-
semble pourrait être payé en esclaves faits parmi ces cannibales qui
sont des gens très féroces, fort dispos, bien proportionnés et de
très bon entendement ; nous croyons que s’ils arrivent à perdre leur
condition inhumaine ils seront meilleurs que tout autre esclave… »
(cité par Tolentino, 1984). L’idolâtrie est prétexte pour l’asservis-
sement d’hommes adorant des dieux dont l’existence contrariait
l’ordre catholique. Quant au cannibalisme, il est un autre prétexte :
les « Indiens », décrits comme inhumains, peuvent donc être uti-
lisés comme esclaves. L’action de Las Casas, qui se battra lors de
la controverse de Valladolid (1551) pour leur faire reconnaître la
qualité d’êtres humains (l’Église leur reconnaîtra une âme), aura
toutefois pour conséquence le transfert de l’esclavage vers une autre
population, les Noirs… Plus récemment, le Président G.W. Bush
évoqua une « croisade » contre « l’axe du Mal », ou décrivit Saddam
Hussein comme un boucher sanguinaire (il ne s’agit évidemment
pas ici de nier les crimes de ce dernier, il s’agit de montrer à quoi sert
l’appel aux valeurs, ou l’utilisation d’un label négatif). À plusieurs
siècles d’intervalle, le mécanisme est le même, et le but est toujours
de légitimer soit une décision, soit des actes effectués ou à venir.
Cette légitimation ne fait référence qu’à des valeurs : la « solution
finale » se fait au nom de la purification de la race (dans le contexte
où elle est formulée, cette justification est positive), et les inter-
ventions (ou les non-interventions, d’ailleurs) dans des pays étran-
gers sont légitimées par l’appel au respect des peuples, au droit à
l’autodétermination, à la démocratie ou à la liberté ; ces dernières
étant semble-t-il conçues dans nos sociétés comme étant des valeurs
universelles. Dans ces quelques exemples (mais l’histoire peut en
fournir de nombreux autres), une des questions sous-jacentes
est : « Qu’est-ce qu’un “être humain” ? » ou « Qu’est-ce qu’“être”
PROLOGUE : UN PEU D’HISTOIRE 5

humain ? » Cette question, fréquemment posée, entre autres dans


le roman de science-fiction (Dick, 1968), revient aussi au cœur de
la psychologie sociale (Deconchy, 2000 ; Mazé, 2000 ; Schwartz et
Struch, 1989 ; Leyens et al., 2000 ; Vaes, Paladino et Leyens, 2006).
L’idée de l’Homme est clairement une construction sociale (Berger
et Luckmann, 1967), et ses définitions font toujours référence aux
relations intergroupes, à certaines conduites, à l’affect et aux valeurs
qui contribuent à la différenciation. Éminemment sociale, cette
« perception » renvoie au moins autant à l’évaluation qu’à la descrip-
tion (Leyens, Yzerbyt et Schadron, 1996), et le jugement posé fait
toujours, d’une manière ou d’une autre, référence aux valeurs (pour
une réflexion sur les droits de l’homme, voir Doise, 2009).
Chapitre 1
Que sont les valeurs ?
Tentative de définition (s)

I. ÉTYMOLOGIE
Le terme « valeur » est ancien : le verbe latin valere signifie à la fois
« être en bonne santé » et « être fort, puissant » (Morfaux, 1990).
Pour l’anecdote (citée par Carfantan 2006), les Latins terminaient
leurs lettres par des formules Si vales, bene est (si tu te portes bien,
c’est bien) ou encore Si vales, gaude (si tu te portes bien, je me
réjouis). C’est donc de cette idée de santé et de force que vient
celle de vaillance, de bravoure. Au sens le plus ancien dans la langue
française, le mot valeur signifie d’ailleurs « vaillance ». Il est aussi la
caractéristique de ce qui est désirable. « Vaillant » lui-même signifie
« résistant, fort », mais aussi « utile » et « généreux » (Lavelle, 1950).
Le mot « valeur » apparaît dès 1694 dans le Dictionnaire de l’Aca-
démie. Le terme « valeur » signifie alors soit la qualité (par exemple
la générosité), soit la personne qui en est dotée (une personne « de
valeur », une personne généreuse). Il passera du langage courant
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

au langage technique, et finira par être associé aux choses, en éco-


nomie (1705), en musique (1740), en peinture (1792), et en mathé-
matiques en 1845. Fin XIX e siècle, Weber et Durkheim utilisèrent
le terme « valeur » en sociologie (Feertchak, 1996). C’est cette
dernière signification que la psychologie sociale retiendra prin-
cipalement. Le terme « axiologie », en usage lorsque l’on parle de
valeurs, est synonyme de « philosophie des valeurs » (Encyclopaedia
universalis, accès via Internet le 25 septembre 2008). Étymologi-
quement, « axiologie » signifie étude ou théorie (du grec logos) de
ce qui est digne d’estime (axion), de ce qui vaut, de ce qui peut être
objet d’un jugement de valeur. L’axiologie est développée, depuis
1892, à la suite des travaux de Rickert, qui reprit une distinction
8 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

de Kant, puis de Fichte, selon lesquels la valeur l’emporte sur la


réalité. L’axiologie s’est entre autres posé la question de l’origine des
valeurs (ou de la relation du jugement d’évaluation à la valeur). Elle
s’est aussi demandé si le sujet recevait ou créait les valeurs, questions
auxquelles la psychologie a également apporté quelques réponses.

II. DU CÔTÉ DE LA PHILOSOPHIE

Il n’existe pas de communauté humaine, pour primitive qu’elle soit, qui


ne connaisse de règles et ne distingue pas le bien d’avec le mal : règles de
mariage (interdiction de l’inceste, etc.), de distinction entre nourritures
permises, interdites, parfois prescrites au cours de certaines cérémonies ;
d’obligations dans le processus du travail du groupe, etc.
Weil, 2000.

Les valeurs sont considérées comme centrales dans l’activité


humaine. Toute société définit en effet ce qui est « bien » et « mal »,
« beau » et « laid », etc. D’après Lavelle (1950), les valeurs fonda-
mentales forment une triade, issue de la philosophie platonicienne :
le Vrai (valeur intellectuelle), le Beau (valeur esthétique), le Bien
(valeur morale). D’après Platon, on ne peut désirer que le Bien, et
le désir est le mouvement pour atteindre ce bien, ce qui nécessite
des règles (voir Blondel, 1999). Pour Spinoza en revanche, « nous
ne désirons pas les choses parce qu’elles sont bonnes, mais nous les
déclarons bonnes parce que nous les désirons » (Éthique, prop. 9,
scolie). Il définit le mauvais comme « ce que nous savons avec cer-
titude empêcher que nous ne possédions un bien », tandis que le
bon est « ce que nous savons avec certitude nous être utile ». Dans
cette optique, les valeurs renvoient à une utilité, peut-être bien
une utilité sociale (Beauvois, 1995 ; Robert, Tarquinio, Le Manio
et Guingouain, 1998). Notons que si Platon et Spinoza lient les
valeurs au désir, moteur des conduites, pour Platon les valeurs sont
orientatrices des conduites, tandis que pour Spinoza elles renvoient
à la justification.

1. Définitions
En philosophie, les valeurs sont « d’abord ce qui vaut socialement, ce
sur quoi on s’entend » (Blanquart, 1992). Similairement pour Châ-
teau (1985), « une valeur, c’est plus qu’une simple motivation, c’est
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 9

un appel entendu et accepté (…) une ligne que l’on se donne, un


devoir, une consigne morale. Qui parle de valeur parle de conscience
morale et sociale, de rites et de cérémonies » (p. 22). Dans ces défi-
nitions, par ailleurs très larges, la notion du « devoir » est centrale,
et les valeurs sont conçues comme consensuelles et éminemment
pro-sociales : provenant d’un consensus, elles régulent les rapports
sociaux (Moscovici et Doise, 1992). Cependant les valeurs renvoient
également au conflit (Tostain, 1999). En effet, d’une part elles peu-
vent être discutées voire rejetées au sein des groupes, d’autre part les
valeurs sur lesquelles s’entendent les membres d’un groupe s’oppo-
sent (ou, à tout le moins, se différencient) aux valeurs des membres
d’autres groupes. En d’autres termes, les valeurs s’inscrivent dans
un processus de comparaison sociale : les personnes comparent leurs
perceptions, sensations, croyances, à celles des autres personnes.
Une des conséquences de la comparaison est un clivage net entre les
groupes (« Ils n’ont pas les mêmes valeurs que nous ! »). Toutefois ce
clivage n’est pas forcément le produit biaisé des évaluations : l’orga-
nisation des valeurs est bien sûr différente d’un groupe social à un
autre. Par exemple, pour un chercheur, le savoir constitue une très
haute valeur, pour un juge d’instruction, c’est la justice, pour un
croyant, l’amour, pour un « cherchant », la transcendance, et pour
un fervent républicain, la laïcité. Mais l’individu qui privilégie telle
valeur le fait en référence à son appartenance groupale, ou plutôt en
référence à la signification émotionnelle et évaluative qu’il accorde
à cette appartenance. Ainsi je peux être à la fois chercheur, républi-
cain, et « cherchant ». Si, à un moment donné, je me définis comme
chercheur, je valoriserai le savoir, et probablement moins la laïcité.
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Et quand je me définis comme républicain ou « cherchant », c’est la


laïcité ou la transcendance que je mettrai en avant.

2. Valeurs, morale, éthique


Les valeurs renvoient à la morale et à l’éthique. Mais que signi-
fient ces termes si proches ? Selon Weil (2000), « étymologique-
ment, “morale” vient du latin (philosophia) “moralis”, traduction
par Cicéron du grec “ta èthica” ; les deux termes désignent ce qui
a trait aux mœurs, au caractère, aux attitudes humaines en général
et, en particulier, aux règles de conduite et à leur justification. On
réserve parfois, mais sans qu’il y ait accord sur ce point, le terme
latin à l’analyse des phénomènes moraux concrets, celui d’origine
10 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

grecque au problème du fondement de toute morale et à l’étude des


concepts fondamentaux, tels que bien et mal, obligation, devoir,
etc. La morale apparaît d’abord, et légitimement, comme le sys-
tème des règles que l’homme suit (ou doit suivre) dans sa vie aussi
bien personnelle que sociale. » (Encyclopaedia universalis, version
CD-ROM). Similairement pour Blondel (1999, p. 24) « on appelle
morale, pratique ou théorique, l’ensemble des questions et des
réponses sur ce problème du mode de vie, des mœurs (…) que l’on
se donne, que l’on subit, que l’on s’impose ». D’après Ricoeur (1995,
cité par Blondel, 1999), « la première question d’ordre moral n’est
pas que dois-je faire ? Mais comment voudrais-je mener ma vie ? ».
La morale a donc une fonction d’orientation des conduites, bien que
Weil (2000) lui reconnaisse une fonction de justification. La morale
réfère aux mœurs, qui sont les « actions et les jugements coutumiers
d’une société et d’une époque. (…) le mot de mœurs recouvre tout
ce qui, venu de la société par institution, par tradition et par habi-
tude, modèle la vie des hommes » (Blondel, 1999, p. 16-28). Ceci
implique qu’il ne peut être de morale universelle, comme il ne peut
en théorie y avoir de systèmes de valeurs universels (en psychologie
sociale, les travaux de Schwartz questionnent cette idée). Hegel
s’élève contre l’idéalisme vide des morales pures et absolues, mais fait
l’éloge des mœurs, qui constituent pour lui la seule moralité réelle,
en acte, et le seul fondement effectif de la moralité. En psychologie
sociale, Milgram constatera en effet que « le sens moral est moins
contraignant que ne voudrait le faire croire le mythe social » (1974,
p. 23). Souchée sur des normes et des valeurs, la morale a aussi pour
fonction de développer, via l’éducation, des règles universelles, que
Weil (2000) appelle valeurs. Si la morale concerne les mœurs, les
us et coutumes d’une société (Baechler, 1976, p. 156 sq. ; Bologne,
1986 ; Elias, 1973), l’éthique est conçue, d’une part comme une
élaboration consciente et individuelle du Bien et du Mal, d’autre
part comme une tentative de conformer sa conduite à des principes.
L’éthique renvoie donc essentiellement aux valeurs fondamentales
d’un individu au sein d’un groupe social. Dans l’éthique, l’indi-
vidu choisit ses principes de vie en connaissance de cause et s’efforce
d’en faire un art de vivre. Si le contenu des actions éthiques varie,
la forme semble constante et universelle : elle consiste toujours à
faire passer des principes ou des normes universels avant les désirs
personnels. L’éthique renvoie à une certaine conception de ce qu’est
l’humain et le bien pour l’humain. Selon Baechler (1976, p. 167),
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 11

l’éthique devient idéologie quand l’individu se trouve dans la situa-


tion de défendre ses principes contre une situation politique qui les
bafoue. L’éthique est sous-tendue par les valeurs, la morale par les
normes. De ce fait l’éthique pourrait être moins contraignante que
la morale. La déontologie renvoie quant à elle à des règles d’ordre
professionnel : elle réfère aux principes d’exercice d’une profession.

III. DU CÔTÉ DE LA PSYCHOLOGIE


La psychologie s’est détachée de la philosophie et s’est développée
comme science expérimentale à la fin du XIX e siècle : en 1879,
Wundt crée le premier laboratoire de psychologie expérimentale à
Leipzig (Fraisse et Piaget, 1963) ; en psychologie sociale, la pre-
mière expérience connue porte sur les effets de facilitation sociale
(Triplett, 1897). Ce faisant, la psychologie a adopté les préceptes
de la médecine expérimentale de Claude Bernard. Depuis, à quel-
ques exceptions près, la démarche scientifique est prépondérante en
psychologie. Bien que théoriquement séparée de la philosophie, la
psychologie reste souchée sur elle et fortement influencée par elle
(il peut difficilement en être autrement), et l’on retrouve cet étayage
non seulement dans les définitions des valeurs mais aussi dans les
différents modèles explicatifs, en particulier dans le champ de la
perception sociale.

1. Définitions
En psychologie aussi, le terme valeur(s) est polysémique (Rohan,
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

2000). On présentera succinctement la manière dont les valeurs sont


conçues dans quelques champs, mais on s’attachera principalement à
traiter de leurs définitions en psychologie sociale.

• Méthodologie
Dans ce champ transdisciplinaire relatif à la recherche en psychologie,
la valeur est définie comme la « modalité d’une variable ». Par défi-
nition, une variable est une quantité susceptible de varier : âge d’une
personne, son sexe biologique, et son origine socioculturelle… L’âge
varie entre 0 et X ans, le sexe biologique comprend deux modalités
(trois, en fait, si l’on comprend aussi les hermaphrodites), l’origine
socioculturelle peut être appréhendée via la classification INSEE,
12 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

etc. La notion de valeur d’une variable concerne également la mesure


des phénomènes : l’intensité de stress perçu peut être mesurée avec
une échelle de mesure continue allant de 0 (absence de stress) à 100
(intensité maximale). L’adhésion aux valeurs sociales peut aussi être
mesurée de cette manière.

• Renforcement des conduites


Selon Hull (1952, cité par Poitou, 1973, p. 49), la valeur « peut-être
considérée comme fondée sur le caractère d’une substance ou d’un
bien qui fait de celui-ci un agent renforçateur pour l’organisme…
Une substance ne sera pas valorisée (recherchée) tant que le procès
de renforcement ne s’est pas produit ». Autrement dit, la valeur de
l’objet joue un rôle dans l’apprentissage : la valeur conditionne les
conduites dans le sens où l’individu va rechercher ce qui est agréable
et éviter ce qui est désagréable. Les valeurs attribuées à l’objet
influencent l’interprétation des conséquences des réponses, de telle
manière que certaines réponses et leurs conséquences deviennent
des renforcements positifs, et d’autres des renforcements négatifs.
Selon Triandis (1979), le fait qu’un événement est consistant avec
les valeurs du sujet le rend plaisant, et les événements plaisants
tendent à augmenter la probabilité d’actes perçus comme à l’origine
de ces événements.

• Cognition : la valeur comme relation entre des catégories


Pour Jones et Gerard (1967), le concept de valeur exprime une relation
entre les sentiments d’une personne et certaines catégories cognitives.
Cette relation, renvoyant à l’affect, est liée à l’action (Triandis, Vassi-
liou, Tanaka et Shanmugan, 1972, cités par Triandis, 1979). Ainsi les
valeurs sont en partie affectives, en partie cognitives. Dans le même
ordre d’idées, mais dans le cadre de la catégorisation sociale (c’est-à-
dire la manière dont nous classons les personnes), pour Tajfel (1972,
p. 279-280) la notion de valeur renvoie d’une part aux termes qui ont
une valeur connotative (bon vs mauvais par exemple), quand ils sont
facilement applicables à une catégorie sociale. Elle renvoie d’autre part
au fait que les catégories diffèrent les unes des autres selon un (ou plu-
sieurs) groupe(s) de valeurs connotatives (quand l’une est meilleure
et/ou plus aimée que l’autre).
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 13

• Valeurs et motivations
Ces termes sont proches, parce qu’ils ont à voir avec l’action (de
nombreux modèles en explicitent d’ailleurs les liens, voir Eccles et
Wigfield, 2002). Tentons d’en établir les différences. Si le terme
valeur relève de champs différents (philosophie, sociologie, psycho-
logie, économie…), le terme motivation relève essentiellement de
la psychologie (Feertchak, 1996). Il vient du latin movere : bouger.
De la racine latine découleront moteur, mouvement, locomotion ;
au XIII e siècle, émoi, émouvant, commotion ; au XVIII e siècle, meute,
émeute, mutinerie. Selon Maugeri (2008), le concept de motivation
est sous-tendu par celui d’énergie, et la motivation est liée aux émo-
tions et à la volonté. Une motivation est donc ce qui nous met en
mouvement, mais elle ne peut pas être saisie directement. Comme
l’attitude, c’est une construction hypothétique qui n’est accessible
qu’à travers les comportements. Selon Feather (1982), les valeurs
sont une des motivations qui poussent les individus à effectuer les
actes qu’ils pensent devoir être réalisés. Il pense que les valeurs de
l’individu l’influencent dans l’attractivité perçue de différents buts,
et par conséquent, affectent sa motivation à les atteindre (voir aussi
Eccles et Wigfield, 2002). En d’autres termes, une personne aura
d’autant plus de chances de s’engager dans une activité à laquelle
elle accorde de la valeur et qu’elle croit en ses chances de réussite
(Bourgeois, 2008). Si les valeurs sont parfois définies comme des
motivations, en ce sens où elles sont conçues comme étant à l’ori-
gine des conduites, elles sont aussi corrélées à certaines motivations,
par exemple le bien-être (Tartakovsky et Schwartz, 2001).
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• Les valeurs comme croyances


Selon Rokeach, une valeur est un type de croyance, centrale dans un
système de croyances individuel. Elle porte sur la manière dont on
devrait se comporter, ou sur les finalités de l’existence qu’il est bien
d’atteindre. Les valeurs sont des idéaux abstraits, positifs ou néga-
tifs, non reliés spécifiquement à un objet d’attitude ou à une situa-
tion, qui représentent les croyances des sujets sur les modes idéaux
de conduite et sur les finalités idéales (Rokeach, 1968, p. 124).
Un mode idéal de conduite peut être de rechercher la vérité, de se
conduire avec honnêteté et authenticité ; une finalité idéale est l’éga-
lité, la liberté, la renommée, le salut. Notons que les modes idéaux
de conduite se situent à un niveau plus concret que les finalités
14 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

idéales. Plus généralement, pour Rokeach (1973, cité par Doise,


1999), « une valeur est une croyance persistante qu’une manière
spécifique de se conduire ou qu’un but final à atteindre dans la vie
est personnellement et socialement préférable à une forme opposée
ou inversée de conduite ou de but final dans l’existence. Un sys-
tème de valeurs est une organisation durable de croyances quant
à l’importance relative de formes de conduites ou de buts finaux ».
Cette définition s’appuie sur celle de Kluckhohn (1951), pour qui
les valeurs sont des principes partagés concernant ce qui est dési-
rable dans une communauté, guidant et coordonnant les actions de
ses membres (voir Braithwaite, 1998). Pour Rokeach, une valeur
est une croyance pouvant être appréhendée à deux niveaux : indivi-
duel et social. Pour lui, cette croyance est stable dans le temps, et
donc peu susceptible de changer. Sa définition évoque enfin le lien
entre les valeurs et l’action, mais aussi la comparaison des valeurs :
le sujet compare les valeurs les unes aux autres, le produit pouvant
être le conflit de valeurs, soit au niveau individuel, soit au niveau
social. Selon Norman Feather (e.a. 1992), qui développa ses travaux
d’après Rokeach, le terme valeurs réfère à un ensemble stable de
croyances générales concernant ce qui est désirable. Pour lui, ces
croyances sont issues à la fois des normes sociétales, du sens de soi
de l’individu, et des besoins psychologiques fondamentaux. Sur ce
dernier point, Feather apparaît comme un auteur charnière entre
Maslow et Schwartz. On notera que le sens de soi n’est certes pas
inné, mais vient des relations avec l’entourage, porteur des valeurs,
et peut donc tout aussi bien découler de ces dernières. Enfin une
définition synthétique, intégrant les réflexions de Rokeach (1968)
et celles de Beauvois (1995), dit que la valeur est une « croyance
partagée concernant ce qui est désirable ou utile, c’est-à-dire ce
qui doit être prescrit ou proscrit, en matière de comportements et
de finalités » (Bloch, Depret, Gallo, Garnier, Gineste, Leconte, Le
Ny, Postel et Reuchlin, 1997, 2, p. 1351-1362). Outre la référence
à l’utilité et la désirabilité, cette définition relie très clairement la
notion de valeur à celle de normes sociales.

• Valeurs et normes
La simple observation indique que les valeurs et les normes sont liées,
et que les valeurs ont une fonction normative, puisqu’elles prescrivent
une orientation générale des conduites. Par exemple, la manière dont
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 15

nous nous exprimons est normée, et sous-tendue de valeurs : nous


savons non seulement qu’il faut parler de telle ou telle manière, mais
aussi qu’il est bien de le faire. Selon Sherif (1936), les normes sont
des prescriptions qui nous guident en ce qui concerne les manières de
penser, percevoir, sentir, et agir. En d’autres termes, les normes cadrent
l’ensemble des activités humaines. Les personnes ne s’aperçoivent en
général pas de leur présence, car le cadre qu’elles fournissent est assez
large. Les normes peuvent être descriptives et injonctives. Les pre-
mières caractérisent la perception de ce que la plupart des gens font,
les secondes la perception de ce que la plupart des gens approuvent ou
désapprouvent (Cialdini, Kallgren et Reno, 1991).
Selon Nicole Dubois (1994, 2003 ; voir figure 1.1 tirée de Testé,
2009), on peut repérer trois pôles dans la définition de la norme
en psychologie sociale : un pôle de la contrainte, un pôle de la pra-
tique et un pôle de la valeur. En d’autres termes, parler de « norme »
fait référence à l’un, l’autre, ou aux trois pôles simultanément. Si
les valeurs et les normes sont liées, elles différent toutefois en ce
que les normes réfèrent uniquement au mode comportemental, les
valeurs renvoyant au mode comportemental et aux finalités dans
l’existence. En outre, les normes concernent des situations spéci-
fiques, les valeurs transcendent les situations. Enfin, selon Rokeach
(1973), les valeurs sont davantage personnelles, alors que les normes
sont consensuelles et externes à la personne. Il faudrait plutôt dire
que les valeurs sont, du fait de leur internalisation, davantage per-
çues comme personnelles, alors que les normes sont perçues comme
extérieures.
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Pôle de la valeur
(modèles sociaux,
jugements de valeur...)

Pôle de la pratique Pôle de la contrainte


(coutumes, habitudes (lois, règles,
sociales, conventions…) règlements)

Figure 1.1 – Les 3 pôles de la norme


16 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

Selon Rokeach (1973), les valeurs sous-tendent les normes et les


attitudes. Selon Shalom Schwartz (1977), les normes et les valeurs
sont organisées en structures verticales reliant des valeurs à des
normes générales qui favorisent leur réalisation, et à des normes
plus spécifiques qui les articulent dans des situations concrètes
(voir figure 1.2). En d’autres termes, au niveau le plus concret et
conditionnel se trouvent les normes spécifiques (ou situationnelles),
au niveau le plus abstrait et inconditionnel se trouvent les valeurs
(transcendant les situations). Par exemple, la valeur « égalité » peut
faire partie des normes de relations entre frères, entre mari et
femme, entre professeur et étudiant, etc. Il en découle que la même
valeur peut prendre différentes significations selon le contexte (entre
autres, selon l’identité et les objectifs des personnes en situation).
De ce fait, les normes comportementales liées aux valeurs seront
différentes, et les personnes seront amenées à agir différemment.

Valeurs Abstrait Inconditionnel

Normes
générales

Normes
spécifiques Concret Conditionnel

Figure 1.2 – Lien normes-valeurs

Dans cette structure verticale, chaque norme spécifique est liée à


des normes plus abstraites et à des valeurs auxquelles elle donne
sens. Par exemple, la norme « des témoins devraient se jeter à l’eau
pour sauver un enfant qui se noie » peut impliquer des normes plus
générales prescrivant l’aide aux victimes innocentes et interdisant la
prise de risques inutiles, et des valeurs telles que l’humanité, la sécu-
rité et la vie. Mais, à certains niveaux d’abstraction, les normes et
les valeurs seraient également liées de manière horizontale, dans le
sens où elles contribuent à l’articulation de normes – ou valeurs – de
même niveau. C’est par exemple, chez Schwartz (1992), l’articula-
tion entre les valeurs d’universalisme (préoccupation envers le bien-
être de toute l’humanité et de la nature) et celles de bienveillance
(préoccupation envers le bien-être des personnes proches).
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 17

• Valeurs et attitudes
Le terme « valeur » est parfois conçu comme un synonyme de celui
d’« attitude », parce que l’objet d’attitude a une valence, ou cathexis
(Campbell, 1963 ; Jones et Gerard, 1967 ; cités par Rokeach, 1968,
p. 124). Pour Connie Kristiansen (1990), une valeur, tout comme
une attitude, peut être conçue comme une disposition individuelle.
La notion d’attitude naît dans le contexte de la psychologie du
comportement ; en psychologie sociale, elle est définie comme une
orientation générale d’un sujet envers un objet donné. Elle n’existe
pas dans un vide social, mais s’ancre dans un système de catégories
d’appartenance (Doise, 1989). À la différence des valeurs, conçues
comme des dispositions stables, les attitudes sont plus malléables et
instables (Maio et Olson, 1998). Selon Rokeach (1973), cinq points
différencient les valeurs des attitudes : (1) la valeur est une croyance
unique, l’attitude réfère à une organisation de plusieurs croyances
centrées sur un objet. (2) La valeur transcende les objets et les situa-
tions, l’attitude concerne un objet et/ou une situation. (3) Une
valeur est un « standard », une attitude ne l’est pas : les évaluations
favorables ou non des objets d’attitude peuvent être sous-tendues
par un nombre relativement faible de valeurs servant de standards.
(4) Une personne a autant de valeurs qu’elle a appris de finalités
désirables, autant d’attitudes qu’elle a rencontré de personnes et
d’objets/situations spécifiques : on peut donc estimer les valeurs à
quelques dizaines, les attitudes à plusieurs centaines. (5) Les valeurs
sont plus centrales dans le système cognitif des personnes, à ce titre
elles peuvent déterminer aussi bien les attitudes que les comporte-
ments. En d’autres termes, une valeur est plus fondamentale qu’une
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

attitude, et parfois elle la sous-tend (Kristiansen, 1990).

• Définitions centrées sur les fonctions : coordination et justification


Pour Kluckhohn (1951), la fonction des valeurs est de guider et
coordonner les actions des membres de la société. Les valeurs,
contribuant à l’élaboration de conduites coopératives, servent donc
le lien social. Elles sont par ailleurs définies comme des construc-
tions cognitives qui servent à expliquer les choix des sujets (Renner,
2003). On reviendra ultérieurement sur ce point, mais arrêtons-
nous un instant sur deux exemples. Lorsque la « solution finale »
à l’encontre des Juifs a été décidée en 1942 par les dirigeants alle-
mands et français, ceux-ci se sont appuyés sur certaines valeurs (en
18 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

particulier sur le fait que les Juifs menaçaient le système de valeurs


national). Dans un autre ordre d’idées, depuis quelques années, un
discours politique prônant la sécurité est développé en France. La
mise en avant de cette valeur permet d’expliquer, ou de justifier, les
choix politiques, en particulier une certaine restriction des libertés.

• LES valeurs ou LA valeur ? Utilité et désirabilité


La notion de valeur est (…) sociale et se distingue très clairement des
valeurs humaines et philosophiques. Elle renvoie (…), pour une part
importante, à l’aspect plus ou moins nécessaire des conduites sociales, et
n’est jamais indépendante des conséquences, en termes de sanctions ou
de renforcements, du jugement porté à l’égard d’une personne.
Robert, Tarquinio, Le Manio et Guingouain, 1998, p. 156.

Dans cette définition, comme dans les précédentes d’ailleurs, le mot


valeur est parfois au singulier, parfois au pluriel. C’est à Jean-Léon
Beauvois (1995) que l’on doit l’introduction de la distinction entre
désirabilité et utilité sociale de la valeur. La désirabilité sociale ren-
voie à la sociabilité (chaleureux) ainsi qu’à la moralité (honnête).
Elle permet de juger à quel degré la personne cible peut être aimée.
L’utilité sociale est relative au fonctionnement social, elle repré-
sente le côté quasi économique de l’évaluation, elle peut renvoyer
au travail (scolaire/professionnel). Par exemple, une personne de
statut élevé est surtout jugée en termes d’utilité (Cambon, 2006).
Si une personne peut être jugée comme étant socialement désirable
ou utile, les individus tendent à attribuer plus facilement de l’utilité
sociale à une personne désirable, et à l’attribuer moins facilement
quand ils jugent qu’elle ne l’est pas. Ces deux facteurs ne sont pas
forcément corrélés, tout dépend du contexte (Judd, James-Hawkins,
Yzerbyt et Kashima, 2005). De plus « (…) les utilités sociales peu-
vent être ou devenir désirables sur la seule base du fait que ce sont
des utilités sociales » (Beauvois, 1995, p. 376). Ces deux dimensions
jouent un rôle dans les pratiques évaluatives (Pansu et Beauvois,
2004), et s’expriment dans les traits féminins et masculins (De Wit
dès 1963, p. 102). Les traits « masculins » (stéréotypiquement attri-
bués aux hommes) sont ceux qui permettent de réussir socialement,
d’accéder à un haut statut. Ils sont relatifs à l’utilité sociale. Les
traits « féminins » (stéréotypiquement attribués aux femmes) sont
ceux permettant de se faire apprécier d’autrui, de se faire aimer.
Ils sont relatifs à la désirabilité sociale. Cela étant, la hiérarchisa-
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 19

tion des qualités plus « masculines » ou plus « féminines » n’est pas


monolithique, elle dépend des contextes (Testé et Simon, 2005). Si
l’on élargit le champ, le cadre idéologique apparaît. Nicole Dubois
a ainsi montré, dès 1994, que les personnes qui fournissent des
explications internes (faisant référence à leurs compétences, à leur
personnalité) sont préférées à celles expliquant les événements en
termes externes (ce qui leur arrive est dû au hasard, aux autres, etc.).
C’est qu’il existe dans nos sociétés libérales une norme d’internalité,
une valorisation systématique des explications internes, indépen-
damment de la valeur de vérité de ces explications. Si ces personnes
sont préférées, c’est parce que les explications internes sont utiles
socialement, elles sont porteuses de valeur sociale (Dubois, 2006).
Au final, on parlera de « la » valeur lorsqu’on décrit des personnes,
et « des » valeurs lorsqu’on parle d’idéaux.

• Classification
André Comte-Sponville, se demandant quelles « dispositions de
cœur, d’esprit ou de caractère dont la présence, chez un individu,
augmentait l’estime morale [qu’il avait] pour lui, et dont l’absence
(…) la diminuait » (1995, p. 10), isole dix-huit valeurs (appelées
vertus) : la politesse, la fidélité, puis les quatre vertus cardinales que
sont la prudence, la tempérance, le courage, et la justice. Suivent la
générosité, la compassion, la miséricorde, la gratitude, l’humilité, la
simplicité, et la tolérance, la pureté, la douceur, la bonne foi, l’hu-
mour, et enfin l’amour sous ses trois formes (Éros, Philia, Agape).
Le critère choisi par l’auteur est un critère social : l’estime d’autrui,
et il réfère à la relation potentielle entre les personnes. Il n’y a pas,
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

a priori, de relation d’ordre dans ce classement, hormis sous un


critère que l’auteur décrit comme personnel.

2. Spranger ; Vernon et Allport


Selon Eduard Spranger (1922 ; traduction américaine 1928), l’éva-
luation domine dans les caractéristiques psychologiques des indi-
vidus, et dans la manière d’appréhender le monde. Elle renvoie à
six dimensions, qui ne sont pas forcément indépendantes les unes
des autres. Par exemple, une bague de fiançailles peut être conçue
comme un objet joli et brillant (évaluation esthétique), comme faite
d’or de 14 carats (évaluation théorique), comme un objet achetable/
20 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

vendable (évaluation économique), comme un symbole d’amour et


de loyauté (évaluation sociale), comme un emblème des droits et
devoirs (évaluation politique), enfin comme un objet porteur d’une
signification mystique (évaluation religieuse).
S’appuyant sur Spranger, Vernon et Allport (1931) proposèrent une
classification en six familles de valeurs : valeurs théoriques (recherche
de vérité et de savoir), valeurs économiques (recherche de ce qui est
utile), valeurs esthétiques (sensibilité à la beauté, la symétrie, et
l’harmonie), valeurs sociales (sympathie, altruisme, philanthropie),
valeurs politiques (goût du pouvoir et de la compétition), valeurs
religieuses voire mystiques.

3. Une classification dérivée de Vernon et Allport


Dans un cours publié sur Internet, Carfantan (2006) propose une
classification très proche de celle de Vernon et Allport – peut-être
d’ailleurs s’en inspire-t-elle – pour laquelle il ne propose aucun
ordonnancement particulier.

• Valeurs vitales
Ces valeurs ne sont pas mentionnées par Vernon et Allport. Il
semble que la santé soit l’une des premières valeurs citées par les
personnes. Remarquons qu’à la nouvelle année, on se souhaite une
bonne santé. Elle est associée au bonheur et à la satisfaction géné-
rale de la vie (Stoetzel, 1983). La santé est probablement liée à une
valeur centrale : la vie, elle-même reliée selon Carfantan au respect de
la Nature, de l’environnement.

• Valeurs intellectuelles
Ces valeurs font référence aux valeurs théoriques chez Vernon et
Allport. En France, la pensée (et plus particulièrement, depuis le
siècle des Lumières, la pensée scientifique) semble être fortement
valorisée. Depuis les Lumières, nous sommes marqués par l’ap-
proche objective de la connaissance que constitue la science comme
moyen de développer les connaissances en dehors des positions reli-
gieuses : « La démarche scientifique n’utilise pas le verbe croire ; la
science se contente de proposer des modèles explicatifs provisoires
de la réalité ; et elle est prête à les modifier dès qu’une information
nouvelle apporte une contradiction » (Jacquard et Plannés, 1999).
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 21

Et s’il ne semble pas forcément bien vu de mettre en avant des exi-


gences intellectuelles élevées (il peut être de bon ton de railler les
téléspectateurs « intellos » d’Arte), la sélection scolaire se fait pour-
tant par l’intellect. Le choix des mathématiques comme outil de
sélection n’est pas seulement une question de facilité (ou d’objecti-
vité), il vient de ce que nous privilégions les valeurs intellectuelles,
sous leur aspect le plus formel. Platon avait fait inscrire au fronton
de l’Académie « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre », mais pour lui la
culture physique et l’esthétique étaient importantes, et le développe-
ment de l’intuition et l’art du raisonnement en vue de l’acquisition
de la sagesse étaient placés au sommet du développement humain
(voir Carfantan, 2006). Pour Carfantan les valeurs intellectuelles
peuvent être aisément traduites en jugements moraux permettant
l’opposition et le rejet de l’autre. Ce type de valeurs, liées à la Vérité,
a été récemment ajouté par Wach et Hammer (2003a) au circumplex
de Schwartz (1992).

• Valeurs économiques
Carfantan utilise ici la même appellation que Vernon et Allport. La
réussite sociale est l’exemple de ces valeurs, partagées semble-t-il
principalement dans les sociétés libérales, dans lesquelles les valeurs
dominantes sont le gain, le profit, et l’argent. Ce sont donc des
valeurs liées à l’avoir. Pour l’anecdote, la première réponse à une
recherche sur Internet avec le mot-clé valeur (au singulier ou au
pluriel) renvoie aux cours de la bourse. En économie, la valeur est
la propriété qu’a une chose de procurer à un individu la satisfaction
d’un besoin. Dans ce domaine, depuis Aristote et avec Adam Smith
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

(1776), on distingue classiquement la valeur d’usage et la valeur


d’échange. La valeur d’usage est l’importance subjective qu’un sujet
attribue à un objet, elle est basée sur l’utilité, le besoin, ou l’usage
que nous avons de l’objet. La valeur d’échange réfère à la possibilité
qu’ont les personnes qui possèdent en excès des objets ayant valeur
d’usage d’en échanger contre d’autres dont ils manquent. La valeur
d’usage est donc liée à la personne elle-même, à ses besoins, la valeur
d’échange fait référence à la relation à autrui. La valeur d’échange
d’un objet est en pratique déterminée par le temps de travail néces-
saire pour le produire. Bien qu’en théorie il n’y ait pas de lien entre
valeur d’usage et valeur d’échange (Feertchak, 1996), existe-t-il des
objets ayant valeur d’usage sans valeur d’échange ? Pour éviter les
22 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

difficultés du troc (toujours déséquilibré, c’est d’ailleurs une des


caractéristiques de l’échange), la valeur de chaque chose est estimée
par rapport à une valeur conventionnelle, appelée monnaie.

• Valeurs esthétiques
Ici aussi, Carfantan utilise la même appellation que Vernon et
Allport. Dans les arts plastiques, et surtout les gravures et dessins
monochromes, le terme valeur désigne la quantité de clair ou de
sombre contenue dans un ton (Fromentin, cité par Morfaux, 1990) ;
en sculpture il a trait aux formes. Socialement, parler de valeurs
esthétiques renvoie à l’appréciation portée sur une œuvre, un pay-
sage, ou le corps humain (Braun, Gründl, Marberger et Scherber,
2001). Ces valeurs sont donc relatives au Beau platonicien. Selon
Carfantan, les valeurs esthétiques ne seraient pas soumises à une
emprise de la pensée duelle aussi forte que les valeurs morales, et
le sens esthétique serait tout en nuance. Cela semble quelque peu
illusoire, car le Beau fait partie des trois valeurs essentielles et, à
ce titre, il est susceptible d’entraîner des réactions tranchées tant
au niveau interpersonnel qu’intergroupes. Les valeurs esthétiques,
variables selon les époques (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer,
1981), peuvent présider aux jugements (le Beau est lié au Bien, en
particulier dans la perception d’autrui ; Dion, Berscheid et Walster,
dès 1972), mais d’autres facteurs de contexte vont également
influencer la perception de ce qui est beau. Elle dépend par exemple
de l’expérience des sujets (Winkler et Rhodes, 2005) et du contexte
du jugement, qui sert d’ancrage pour le jugement ultérieur : les per-
sonnes comparant, parfois sans en avoir conscience, les différentes
cibles1. Ainsi des étudiants ayant visionné un épisode du feuilleton
Drôles de dames estimèrent ensuite une inconnue (ou leur propre
partenaire) moins attirante que ceux ne l’ayant pas vu (Kenrick et
Gutierres, 1980 ; Kenrick, Gutierres et Goldberg, 1989).

• Valeurs morales et religieuses


Il semble que ces valeurs, chez Carfantan, fassent référence aux
valeurs sociales, politiques, et bien sûr aux valeurs religieuses chez
Vernon et Allport. Il s’agit de la grandeur, la droiture, l’honnêteté, la

1. Le mot n’est peut-être pas très élégant, mais c’est l’expression consacrée en psychologie
sociale.
PROLOGUE : UN PEU D’HISTOIRE 23

véracité, le courage, le sens élevé des responsabilités. Le terme valeurs


morales est venu remplacer celui, plus ancien, de vertus. Pour Aris-
tote, la raison est la vertu première, la vertu proprement humaine.
Une vertu, pour le philosophe, est une force qui agit ou qui peut
agir (la vertu d’un médicament est de soigner). Elle est une puis-
sance spécifique (la vertu du couteau n’est pas celle de la houe). La
vertu d’un être est ce qui en fait sa valeur, son excellence propre ;
elle est en outre indépendante des buts : « le couteau n’a pas moins
de vertu dans les mains de l’assassin que dans celles du cuisinier »
(Comte-Sponville, 1995, p. 8). Nous disons de celui qui manifeste
de grandes qualités morales qu’il est un homme vertueux, qu’il a un
certain sens des valeurs. Corneille note qu’elles ne proviennent pas
de l’expérience : « La valeur n’attend pas le nombre des années » (Le
Cid, II, 2). Vues sous cet angle, ces valeurs sont conçues comme
étant de nature essentialiste (elles réfèrent à ce qui ferait l’essence de
l’être humain, voir Rothbart et Taylor, 1992 ; Yzerbyt, Judd et Cor-
neille, 2004). Corneille suggère en effet que ces valeurs sont intrin-
sèques à la personne, en quelque sorte qu’elles sont innées (cela vaut
pour les « âmes bien nées »). Comme pour les autres valeurs, ces
valeurs sont aussi sociales : reconnues collectivement, elles permet-
tent aux groupes de se donner une identité forte. Ainsi les anciens
devoirs des Compagnons bâtisseurs supposent l’attachement à des
valeurs morales très clairement explicitées (Statuts de Bologne, 1248,
Manuscrit Regius, 1390). Certaines valeurs morales ont une dimen-
sion politique forte : la liberté, l’égalité, la fraternité, la solidarité,
la suprématie du droit, etc. Les valeurs religieuses enfin peuvent
être rattachées aux valeurs morales, car elles sont sous-tendues par
l’opposition bien vs mal. Le croyant fait siennes certaines valeurs
qu’il considère comme la spécificité de sa religion et c’est par là
qu’il peut s’opposer à la spécificité des autres religions. Toutefois, les
valeurs religieuses ne constituent peut-être pas une catégorie à part,
mais une manière différente de fonder les valeurs morales, en les
appuyant sur une autorité incontestable : celle du texte sacré, celle de
Dieu. Pour autant qu’elles soient conçues comme constitutives de
l’humanité, ces valeurs sont aussi de nature essentialiste.

• Valeurs affectives
Ces valeurs ne sont pas mentionnées par Vernon et Allport. La
première de ces valeurs est l’amour (dont sont proches l’amitié, le
24 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

bonheur, la compassion). Selon Carfantan, il est très difficile de


préciser le contenu d’une valeur affective, « elle parle davantage au
cœur qu’à l’intellect, mais elle commande aussi de manière plus
forte et plus impérative ». On peut se demander comment une
valeur « parlerait » plus au cœur qu’à l’intellect quand on sait l’in-
fluence des préconceptions dans le décodage et l’interprétation des
émotions (voir Schachter et Singer, dès 1962). Les valeurs affec-
tives paraissent davantage personnelles que sociales (la drêche de
mon salon vient de mes grands-parents, et j’y tiens, même si elle est
abîmée. Sa valeur n’est pas économique, mais affective ; si j’y tiens,
c’est que mes souvenirs d’enfance y sont associés). Toutefois, si les
valeurs affectives font l’objet de préférences personnelles, elles ren-
voient aussi aux groupes sociaux, et plus largement à la culture (la
définition de l’amour par exemple varie selon les cultures et les épo-
ques, voir Lippa, 1994). Enfin, valeurs et affects étant liés, on peut
se demander s’il est légitime d’utiliser le terme valeur affective au
risque d’introduire une ambiguïté supplémentaire. Sauf à considérer
la valeur accordée par les individus ou les groupes sociaux à l’affect/
émotion, ne vaudrait-il mieux pas parler simplement d’émotions, ou
d’affects ?

4. La question du lien affect-valeurs


Les termes évaluatif et affectif sont parfois considérés comme syno-
nymes (Peeters, 1999) sans compter que l’on confond aisément
émotions, affects, et humeurs (voir Mackie et Hamilton, 1993).
L’observation quotidienne indique que les jugements de valeurs
sont très largement sous-tendus par des émotions, et que les valeurs
déclenchent des réactions émotionnelles. Sur le plan théorique, on
l’a vu, les valeurs et les affects sont conçus comme liés. L’adhésion à
une valeur résulterait plus d’un mélange de raisonnement et d’intui-
tion directe dans lequel l’affectivité joue un rôle plus important que
de la pure rationalité (Rocher, 1968, tome I, p. 76). Cette charge
affective forte que revêt la valeur en ferait un facteur de l’orientation
de l’action des personnes et des collectivités. De plus, elle explique-
rait pour une part la stabilité des valeurs dans le temps et leur résis-
tance au changement. Enfin, elle expliquerait le fait que l’univers
des valeurs comporte une part d’ambiguïté et que des valeurs
contradictoires puissent assez aisément cohabiter : les affects faisant
le lien entre les valeurs, lien qui pourrait être difficilement soutenu
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 25

par la seule rationalité (Rocher, 1968). Rokeach (1960) mit en évi-


dence le lien entre les valeurs et l’affect (plus spécifiquement entre
des valeurs religieuses et l’humeur), en montrant que les croyants
étaient psychologiquement plus tendus que les non-croyants. Quant
à Seligman et Katz (1996), ils ont montré que la divergence dans la
hiérarchie de valeurs chez une même personne est corrélée avec une
humeur négative : plus il y a divergence, plus l’humeur est négative.
Maio et Olson (1998, expérience 2) enfin ont montré que la cor-
rélation moyenne entre l’affect et l’importance accordée à la valeur
était assez élevée (.53), les affects expliquant 29 % de la variance
de l’importance accordée à la valeur. Pour eux, le support originel
des valeurs est bien plus affectif que cognitif, et c’est de ce soutien
affectif que les valeurs tirent toute leur force. Toutefois le fait que
valeurs et affects soient liés n’implique pas que leurs effets soient
toujours comparables (Tesser et Martin, 1996).

• Un exemple du lien entre valeurs et émotions :


les émotions morales
Les émotions morales sont ressenties à a suite de l’évaluation morale
d’un comportement. La culpabilité, la honte, la fierté en sont des
exemples. Elles renvoient aux comportements ou aux événements
sociaux (Faucher, 2007, p. 6). On en relève trois types. Les émotions
individuelles sont liées à l’évaluation de nos propres comportements,
et disparaissent en général rapidement. Les émotions vicariantes
sont ressenties quand on évalue le comportement d’une autre per-
sonne, généralement proche de nous. Ainsi, si je remarque qu’un
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

ami a laissé un papier gras par terre, je peux me sentir coupable,


même si je n’ai pas moi-même eu de comportement négatif. Enfin,
les émotions collectives sont ressenties à la suite de l’évaluation des
comportements du groupe social auquel nous appartenons : je peux
me sentir coupable ou honteux parce que les habitants de mon pays
produisent beaucoup de CO2, même si je ne suis pas responsable
de cette situation (Dardenne, 2008-2009). Les émotions morales
peuvent aussi me pousser à manifester du contrôle social (signifier
à des pairs que leurs comportements contreviennent aux normes
sociales en vigueur). Peggy Chekroun et Armelle Nugier (2005)
ont ainsi montré que lorsqu’un contrevenant à une norme sociale
(en l’occurrence, allumer une cigarette dans un lieu non fumeur) est
26 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

étiqueté comme membre de l’endogroupe1, les personnes ressentent


plus fortement les émotions morales, qui les conduisent à émettre
davantage de contrôle social envers le déviant. Pour elles, le fait
d’exercer du contrôle social est motivé par la volonté de restaurer
une identité sociale menacée (les personnes craignent d’être identi-
fiées au déviant).

• Tableau récapitulatif
Le tableau 1.1 propose différentes classifications des valeurs, sous
l’angle de la philosophie et sous celui la psychologie. Les cinq pre-
mières colonnes les classent selon leur type (en fait d’après la typo-
logie platonicienne) et selon leur niveau (selon que les valeurs sont
des valeurs basiques – ou instrumentales – ou des abstractions de
plus haut niveau). La dernière colonne propose une autre classi-
fication, relative à leurs fonctions (ces deux derniers points seront
développés dans un prochain chapitre). On constatera aussi, ce qui
ne devrait étonner personne, que des psychologues comme Vernon
et Allport, ou Spranger dont ils s’inspirent, ont développé leurs
réflexions sur une classification relevant originellement de la phi-
losophie. Ce tableau tente de préciser le lien potentiel entre dif-
férentes valeurs. C’est pourquoi au Bien correspondent les valeurs
(morales, sociales, affectives, religieuses et politiques) ; les valeurs
vitales et politiques se trouvent à la charnière du Bien et du Vrai. Il
reste que ce classement pourrait être précisé, car il n’est pas certain
que les valeurs morales par exemple ne soient relatives qu’au Bien
platonicien. Elles pourraient aussi relever du Beau, voire du Vrai.
Mais ceci est très relatif à une analyse personnelle. En fait, il fau-
drait interroger un échantillon représentatif de la population pour
pouvoir préciser cette proposition de classement. Qui ne vaudrait
probablement que dans notre culture.

1. Le terme endogroupe fait référence au groupe auquel appartient une personne. Le terme
exogroupe fait référence au(x) groupe(s) au(x)quel(s) n’appartient pas la personne.
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 27

Tableau 1.1 – Une classification des valeurs


Philosophie Psychologie
Classification
Classification Classification
selon
selon le type selon le niveau
la fonction
Platon Carfantan Spranger Rokeach Schwartz Kristiansen
(2006) (1922) (1973) (1992, et Zanna
Vernon 1996) (1988, 1994)
Lavelle et Allport
(1950) (1931)

Valeurs Valeurs Valeurs Valeurs Orientation


intellec- Théoriques instru- isolées
tuelles mentales [single]
Le Vrai
Valeurs Valeurs Valeurs Valeurs Justification
économi- économi- terminales de haut
ques ques niveau
Valeurs Valeurs
vitales politiques

Le Bien Valeurs Valeurs


morales sociales

Valeurs Valeurs
affectives religieuses
Le Beau Valeurs Valeurs
esthétiques esthétiques
Chapitre 2
Caractéristiques des valeurs

I. ORIGINES
1. Fondements motivationnels
La question du fondement motivationnel des valeurs n’est pas
récente. On peut en trouver trace chez Épicure mais surtout
chez Maslow1, selon qui les besoins biologiques sont à la base des
conduites humaines. Pour Newcomb, Turner et Converse (1970 ;
présentés par Feertchak, 1996), il existe un continuum qui va des
besoins (niveau biologique) aux valeurs (niveau abstrait), en passant
par les motivations et les attitudes.

Valeurs
Attitudes
Motivations
Besoins
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Figure 2.1 – Continuum besoins-valeurs


(d’après Newcomb, Turner et Converse, 1970)

Selon ces auteurs, à la base du comportement se trouvent les besoins :


états de l’organisme à l’origine d’une activité générale (par exemple,
la faim). Au fur et à mesure que le sujet voit une réponse apportée à
ses besoins par les objets-buts (la nourriture), il apprend que quand
le même besoin apparaît, il doit rechercher ces objets-buts. La moti-
vation se caractérise à la fois par la mobilisation d’énergie et par

1. On les présentera plus loin.


30 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

l’existence du but. La motivation lie un besoin à un but. Le besoin


n’est pas appris, en revanche le but l’est (je n’ai pas appris à avoir
faim, j’ai appris ce que je dois manger). Les attitudes sont défi-
nies comme des états généralisés de disposition à un comportement
motivé. Les motivations et les attitudes diffèrent par leur durée et
leur niveau de généralité : une motivation est spécifique et dure tant
que le besoin n’est pas satisfait, une attitude est plus générale et plus
durable. Quant aux valeurs, elles résultent aussi d’un apprentissage
sur une longue période : les attitudes se structurant autour d’un
« noyau de convictions fortes », guide pour de nombreuses activités
(Feertchak, 1996, p. 97). Les valeurs sont ainsi des buts très larges
autour desquels s’organisent diverses structures d’attitudes. Ce qui
les différencie des fins et des buts, c’est que si ces derniers sont tou-
jours concrets et singuliers, les valeurs sont abstraites et générales
(Baechler, 1976). Le schéma de Newcomb et al. (1970) est unidi-
rectionnel, ce qui implique par exemple que les valeurs découlent
des attitudes mais que ces dernières ne peuvent pas découler des
premières. Or, si les valeurs et les attitudes sont liées, il n’y a a priori
aucune raison que ce lien soit univoque. Plus probablement, comme
c’est souvent le cas quand on s’intéresse aux mécanismes psychoso-
ciaux, on devrait parler d’une boucle de rétroaction. Il reste que le
continuum proposé par Newcomb et ses collègues nous fait passer
d’un niveau très restreint et contextualisé (besoins) à un niveau très
général et a priori décontextualisé (valeurs). C’est par apprentissage
que le sujet passe du niveau des besoins à celui des valeurs. Dans une
étude sur le lien entre les besoins et les valeurs, et s’appuyant sur la
classification de Maslow (1943, 1954, 1955), Bilsky et Schwartz
(1994) ont classé les 10 types de valeurs repérées par Schwartz
selon qu’elles représentent des besoins de croissance (growth needs)
ou de déficience (deficiency needs). Les premiers continuent à être
recherchés même quand un haut niveau de satisfaction est atteint (le
prestige qu’on leur attribue est très gratifiant pour une personne,
pour autant elle continuera à les rechercher). Les seconds seraient
exprimés principalement en situation de déficience. Une fois les
sujets satisfaits, ces besoins disparaissent. Par exemple, quand le
besoin de sécurité est satisfait, les personnes cessent de le recher-
cher. Pour Bilsky et Schwartz, les valeurs autonomie, bienveillance,
réussite (achievement), stimulation, et universalisme, sont représen-
tatives des besoins de croissance, alors que les valeurs de confor-
mité et de sécurité sont représentatives des besoins de déficience. Au
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 31

final, considérer les besoins comme à la base des valeurs conduit à


penser qu’elles pourraient être « naturelles ».
Or il est étonnant d’associer les mots valeurs et naturel, ou de consi-
dérer les valeurs comme naturelles, car parler de valeurs fait réfé-
rence à des « principes précisément supérieurs à toute référence au
fonctionnement d’un ensemble naturel » (Touraine, 2002, p. 65).
Pourtant, s’appuyant sur les travaux de Mauss, Caillé (2002) consi-
dère le don comme la première de toutes les valeurs, dont décou-
lent toutes les autres. En ce sens, cette première obligation de toute
société humaine est naturelle, mais elle est aussi « culturelle puisque
pour l’homme la nature est la culture ». Finalement, on a l’impres-
sion d’être face à un raisonnement paradoxal (les valeurs sont natu-
relles parce qu’elles sont culturelles). Il vaut probablement mieux
poser la question en termes d’apprentissage.

2. Fondement social : apprentissage


Les choses se contentent d’être, elles ne sont ni vraies ni fausses, ni justes
ni injustes, ni bonnes ni mauvaises, ni laides ni belles, en dehors des
conditionnements du système nerveux humain qui les fait trouver telles.
Les choses sont. Selon l’expérience que nous en avons, qui varie avec
notre classe sociale, notre hérédité génétique, notre mémoire sémantique
et personnelle, nous les classons hiérarchiquement dans une échelle de
valeurs qui n’est que l’expression de nos déterminismes innombrables.
Laborit, 1970, p. 16.

La vertu, pensait Aristote, est une manière d’être, acquise et durable :


elle est ce que nous sommes, pas parce qu’elle est en notre essence,
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

mais parce que nous le sommes devenus (Comte-Sponville, 1995).


L’acquisition des valeurs semble suivre des stades particuliers. Ainsi
pour Piaget (1932 ; cité par Vandenplas-Holper, 1999), l’évolution
du sens moral chez l’enfant passe d’une morale hétéronome (l’en-
fant perçoit les règles comme intangibles, sacrées et émanant d’une
autorité extérieure qu’il respecte de manière unilatérale) à une
morale autonome, résultant des relations de coopération, du déve-
loppement d’un respect mutuel. Pour Kohlberg (1976), les formes
morales constituent des principes organisateurs, des configurations
de pensée plutôt que des croyances ou des opinions morales spéci-
fiques. Elles sont apprises, mais pas indépendamment les unes des
autres. Le jugement moral est de nature prescriptive : il réfère à ce
32 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

qui devrait être, à des droits et des responsabilités, et non pas à


des goûts et des préférences. Kohlberg décrit six stades de déve-
loppement moral, s’articulant autour de trois niveaux de moralité.
À chaque niveau, le sujet adopte une perspective particulière. Au
niveau de la moralité pré-conventionnelle, il se considère comme un
individu ; au niveau conventionnel, comme un sujet membre de la
société ; enfin au niveau post-conventionnel, comme un sujet anté-
rieur à la société et qui oriente sa conduite en fonction de principes
moraux généraux et universels. Le modèle de Kohlberg, privilégiant
l’autonomie, l’impartialité et la justice, a été critiqué entre autres par
Carol Gilligan (1982), qui le pense très entaché de stéréotypes mas-
culins ; mais plus largement, il est à relier à l’idéologie dominante
des sociétés libérales. Dès l’enfance, les valeurs sont inculquées à
l’individu, et s’imposent à lui comme une évidence, un absolu qu’il
ne peut remettre en question (Mendras, 1967). Mais elles ne sont
pas qu’imposées par l’entourage proche, elles sont acquises plus
généralement dans les relations avec d’autres personnes, entre autres
par l’intermédiaire du jeu ; elles se développent par la multiplicité
des expériences personnelles (Triandis, 1979, p. 210), le processus
de socialisation étant continu.
Bar-Tal et Harel (2002) ont montré en Israël que certains profes-
seurs sont un des agents de socialisation des valeurs idéologiques.
Les enseignants les plus influents sont surtout ceux des sciences
humaines et sociales, comparativement à ceux des « sciences exactes »
et de biologie. En fait il ne semble pas que seule la matière enseignée
soit en jeu. Il faut prendre en compte la manière dont les enseignants
se représentent leur fonction : les premiers se définissent davantage
comme des éducateurs, les seconds comme des experts. Les pre-
miers sont aussi plus progressistes et moins traditionnels dans leurs
attitudes éducatives, plus démocratiques et souples dans leurs atti-
tudes politiques, en outre ils sont plus impliqués et ouverts quant
à la politique. L’influence de ces enseignants vaut surtout pour les
étudiants plus âgés (d’une part parce que les enseignants seraient
plus interactifs avec les élèves plus âgés, d’autre part parce que ces
derniers sont plus intéressés par la politique).
Astill, Feather et Keeves (2002) souhaitent déterminer ce qui, de
l’école, des parents et des pairs influence l’élève dans ses valeurs. Se
basant sur le système de Schwartz (1992), ils ont montré notam-
ment l’influence primordiale des valeurs des parents et des groupes
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 33

de pairs (voir aussi Bücher, 1998). Ils ont aussi montré l’effet du
statut social des parents et de leurs croyances religieuses (ici, chré-
tiennes). L’influence des parents est particulièrement forte sur les
valeurs de conservation, elles-mêmes d’ailleurs en général liées à la
religion (Saroglou, Delpierre et Dernelle, 2004 ; Schwartz et Huis-
mans, 1995). Toutefois, pour Harris (1995) les comportements des
parents ont peu d’effet direct sur le développement des caractéris-
tiques de leurs enfants ; elle propose une explication en termes de
socialisation collective. D’après elle, les processus de groupe, l’iden-
tification au groupe de pairs, et le conformisme à ses normes et à ses
valeurs sont essentiels dans la transmission culturelle.
Levy, West et Ramirez (2005) se sont intéressées au développe-
ment de l’éthique protestante (PWE, Protestant Work Ethic), dont
le noyau idéologique est « travailler dur pour réussir ». Par exemple,
elles montrent que le PWE a d’abord une signification égalitaire
pour les enfants les plus jeunes, mais qu’avec l’âge, sa signification
discriminante augmente (figure 2.2). Elles pensent que cela vient
du fait que les enfants ont été moins exposés et ont moins utilisé
la signification de justification des inégalités que porte le PWE (si
on ne réussit pas, c’est que l’on n’a pas assez travaillé, donc la situa-
tion dans laquelle on se trouve est légitime). Dans le même ordre
d’idées, elles montrent que de nombreux adultes exposés au PWE
utilisent davantage d’arguments permettant de justifier les inéga-
lités sociales.

0,6
0,5 Égalitarisme
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Distance interraciale
0,4

0,3

0,2
0,1

0
-0,1
-0,2

-0,3 10-12 ans 14-16 ans 20 ans

Figure 2.2 – Corrélations entre PWE et âge


34 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

Reflet des fonctionnements institutionnels (Spranger, 1913, cité


par Helkama, 1999, p. 61) les valeurs sont ainsi apprises et inter-
nalisées (Beauvois et Dubois, 1999). L’internalisation des valeurs,
posée par Jones et Gerard (1967), renvoie au fait que la personne
fait siennes les valeurs de la société dans laquelle elle est insérée, et
que ses comportements acceptables sont perçus comme motivés par
des facteurs internes et non pas par l’anticipation de conséquences
externes (Grusec et Goodnow, 1994). Par exemple, quelqu’un qui
ne vole pas parce qu’il pense que l’acte est mal en soi a internalisé
cette valeur. En revanche s’il ne vole pas parce qu’il a peur de se
faire prendre, l’internalisation de cette valeur n’a probablement pas
eu lieu ; ce qui bien sûr ne signifie pas que le sujet n’a pas interna-
lisé d’autres valeurs. Ainsi pour qu’une valeur soit internalisée, « sa
manifestation comportementale doit venir d’une croyance apparem-
ment naturelle et innée en son bien-fondé » (Grusec, 1999, p. 279).
Au final, dans le processus de socialisation, la personne apprend qui
elle est et quelles sont ses valeurs.

II. HIÉRARCHIE, STRUCTURE


ET MESURE DES SYSTÈMES DE VALEURS
1. Hiérarchie
La question de la hiérarchie des valeurs (ou, dans ce cas précis,
des besoins) se pose depuis longtemps. Par exemple Épicure (fin
–342 (ou début –341)–270) évoquait quatre types de besoins qui
semblent hiérarchisés. Il distinguait en effet les besoins « naturels »
(indispensables à la vie) ; les aspirations « naturelles » dont on peut
à la rigueur se passer ; les aspirations de création humaine, donc
artificielles ; et les aspirations mystiques et non réalisables. Certains
besoins évoqués sont en fait des valeurs (sagesse, par exemple). Plus
que chez Épicure, c’est surtout chez Abraham Maslow (1943) que
l’on voit apparaître la question de la hiérarchie des besoins, certains
étant en fait des valeurs. Selon Maslow, les besoins sont hiérarchisés
de manière pyramidale ; à leur base se trouvent les besoins biolo-
giques.
Ainsi, la satisfaction d’un besoin « supérieur » ne peut apparaître que
si un besoin « inférieur » est satisfait. En d’autres termes, ce n’est
qu’une fois les besoins physiologiques (nourriture, eau, repos…)
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 35

satisfaits que l’être humain va rechercher la sécurité (au niveau fami-


lial et sociétal). Une fois ce besoin satisfait, il recherchera l’apparte-
nance (enfants, amis, amour…), etc. Ce modèle implique toutefois
des présupposés.

Se
réaliser

Estime de soi
et d’autrui
Appartenance
Amour
Sécurité

Besoins physiologiques

Figure 2.3 – Pyramide de Maslow

Le premier est qu’une personne ne chercherait pas à satisfaire des


besoins d’identité si ses besoins physiologiques n’étaient pas satis-
faits. Or on peut très bien rechercher l’estime d’autrui avant sa nour-
riture, voire mourir pour défendre des valeurs. En d’autres termes,
les besoins de réalisation peuvent passer avant les besoins biolo-
giques : Lieury (2008) note que durant ses études, Marie Curie
fut trouvée plusieurs fois inanimée par manque de nutrition. Le
deuxième présupposé postule une cohérence entre les besoins. Or le
besoin d’estime peut amener à négliger le besoin de sécurité au cours
d’activités dangereuses mais socialement valorisées. Par ailleurs il
n’y a pas de différences tranchées entre les besoins : l’achat d’un
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

vêtement ou d’une montre peut correspondre à la fois à un besoin


d’appartenance (être reconnu comme membre d’un groupe) et à un
besoin d’estime de soi, voire à un besoin de réalisation. Une autre
remarque concerne la nature des besoins : si l’on peut considérer la
sécurité comme un besoin, ce n’est certes pas un besoin du même
ordre que les besoins physiologiques ; elle peut être conçue comme
sécurité au niveau matériel ou au niveau social. Par ailleurs, elle est
aussi définie par Rokeach et par Schwartz comme une valeur. Quant
à l’amour, c’est aussi une valeur. Enfin, mais cette remarque vaut
pour tout modèle, ce modèle traduit toute une idéologie. C’est un
modèle, plus implicite, de l’homme « inférieur » et/ou « supérieur »,
très imprégné de la culture occidentale et de l’idéologie libérale (la
36 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

réalisation de soi placée au sommet de la pyramide). Simple, immé-


diatement compréhensible, faisant écho à l’idéologie libérale, ce
n’est donc peut-être pas par hasard qu’il est très utilisé en marketing
et management.
Les valeurs elles-mêmes sont hiérarchisées selon leur importance,
ou selon les intérêts du moment. Pour certains, la vérité, la beauté
et la liberté seront les premières, l’ordre et la propreté les dernières,
pour d’autres ce sera l’inverse (Rokeach, 1968 ; voir aussi Schwartz et
Struch, 1989, p. 161). Nos jugements font toujours référence à une
échelle de valeurs, reflet de ce que nous sommes, en tout cas de ce que
nous croyons être, individuellement et comme membre de groupe
ou de société. Par exemple, la question de la hiérarchie des valeurs
se retrouve dans les croyances concernant l’après-vie. À la question
« Où vont les morts ? », la réponse, relativement récente d’ailleurs
(voir Werber, 1994, p. 142)1, est « au ciel » ou « dans les enfers »,
c’est-à-dire dans les entrailles de la Terre. Tout se passe comme si les
personnes se représentaient les choses d’après un axe vertical : le Bien
est en haut, et le Mal en bas ; du moins dans une acception catho-
lique, car dans la Grèce antique, les enfers étaient simplement le lieu
de séjour des morts. Dans Deconstructing Harry (Woody Allen,
1997), plus l’ascenseur qui accède au « pays des morts » descend sous
la surface de la terre, plus le défunt a eu des actions coupables. Au
plus bas niveau, bien en dessous des criminels de droit commun et
des criminels de guerre, se trouvent les avocats2. La hiérarchie des
valeurs est en fait très variable. Elle peut même varier, chez un même
individu, selon le contexte dans lequel il se trouve. Ainsi Seligman
et Katz (1996) ont montré que la hiérarchie de valeurs, chez une
même personne, varie selon qu’elle réfléchit à ses valeurs dans la vie
en général, ou bien relativement à un thème particulier (par exemple,
l’avortement). Les valeurs sont réorganisées, les personnes choisis-
sant les valeurs pertinentes pour le thème activé. Enfin chez une
même personne, la hiérarchie de valeurs varie selon le niveau d’iden-
tité personnelle activé, en l’occurrence selon ce qu’elle est réellement
(actual-self ) ou ce qu’elle doit être (ought-self ).

1. Les romans de Werber sont aussi une excellente vulgarisation scientifique.


2. Cette représentation des avocats se retrouve dans nombre d’histoires drôles en prove-
nance des États-Unis, et doit bien sûr être reliée à ce contexte socioculturel particulier,
dans lequel le droit et les avocats jouent un rôle prépondérant.
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 37

2. Structure
Les valeurs sont donc liées les unes aux autres par une relation hié-
rarchique. Elles forment aussi une structure de signification. En
d’autres termes, elles forment des systèmes, qui d’ailleurs sont assez
souples : « Collectivement, les systèmes de valeurs sont des construc-
tions complexes dont la géométrie est variable, à la fois dans l’espace
(différence culturelle), dans le temps (différence historique). Ils
sont changeants et ne font pas l’objet d’une unanimité, et cepen-
dant, ils ne sont jamais neutres » (Carfantan, 2006). Vernon et
Allport (1931) ont montré que les valeurs économiques et politiques
étaient liées, comme l’étaient les valeurs sociales et religieuses, ainsi
que l’étaient les valeurs théoriques et esthétiques. En revanche, les
valeurs sociales et religieuses sont opposées aux valeurs théoriques ; et
les valeurs économiques et politiques opposées aux valeurs esthétiques
et religieuses. Il apparaît donc, dès 1931, que l’on puisse parler en
termes de proximité, de distance, entre les valeurs.

3. Comment mesure-t-on la structure des valeurs ?


Une approche intuitive
Parler de structure de valeurs implique de considérer que les valeurs
sont unies par des liens de proximité. Mais comment peut-on
mesurer la distance entre des valeurs ? On présentera ici succinc-
tement différents outils utilisés dans le domaine de la mesure de la
distance perçue entre des concepts ou des personnes, utilisés aussi
dans la recherche sur les systèmes de valeurs. Il n’est pas question
ici de développer une présentation fouillée de chaque technique (de
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

nombreux ouvrages sont disponibles). Il s’agit plutôt de faire com-


prendre, intuitivement, comment les psychologues abordent cette
question. Commençons par un petit retour à la géométrie, en se
basant sur le théorème de Pythagore (-569 – -494). Prenons le cas
de deux sujets, dont on connaît la taille et le poids, et entre lesquels
on voudrait déterminer la distance. Deux mesures de la distance
entre le sujet 1 (S1) et le sujet 2 (S2) sont possibles : soit on se base
sur le théorème de Pythagore (suivant lequel a² = b² + c²), soit on
mesure l’angle α. Toutefois, les mesures en distance euclidienne et
en angle ne sont équivalentes que sur des variables standardisées et
pas sur des distances inter-sujets.
38 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

Taille

S1

c a

S2
b

Poids

Figure 2.4 – Mesures de distance

Ceci est donc très simple, quand on n’a que deux observations. Mais
comment faire quand nous avons, ce qui est le cas dans les recher-
ches en psychologie sociale, plusieurs sujets et plusieurs concepts ?
Il faut revenir aux travaux d’Osgood, pour qui la signification d’un
mot n’est pas tant dans sa signification lexicale que dans les réac-
tions émotionnelles et comportementales qu’il provoque. Selon lui,
la signification affective d’un mot peut être située dans un espace
à n dimensions (en général, deux dimensions). Osgood, Suci, et
Tannenbaum (1957) mirent ainsi en évidence la prédominance de la
dimension de la valeur dans la signification des concepts (voir la pré-
sentation de Kerlinger, 1973). Ils mirent au point un outil, appelé
différenciateur sémantique, constitué de plusieurs échelles bipo-
laires (en général en sept points) permettant de mesurer la significa-
tion des concepts relativement à plusieurs dimensions. Le tableau 1
présente un exemple d’échelles du différenciateur (ici à propos du
mot homme), et un exemple des dimensions généralement extraites.
Les adjectifs choisis pour décrire l’objet doivent satisfaire à deux
critères : la représentativité des concepts, et, bien sûr, leur rapport
à la recherche. On ne discutera pas en détail les questions que pose
l’usage du différenciateur. Disons rapidement que se posent celles
des échelles utilisées, de leur pertinence, d’où celle de leur sélec-
tion. Un autre problème est celui des fausses bipolarités : les adjectifs
doivent clairement être des antonymes, ce qui n’est pas toujours le
cas.
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 39

Tableau 2.1 – Exemple d’échelles et dimensions


Échelles du différenciateur
« Homme »
Bon 1 2 3 4 5 6 7 Mauvais
Actif 1 2 3 4 5 6 7 Passif
Fort 1 2 3 4 5 6 7 Faible
Les trois dimensions extraites
Activité Puissance Évaluation
Actif- Passif Grand-Petit Bon-Mauvais
Malin-Lourd Lourd-Léger Beau-Laid
Rapide-Lent Fort-Faible Propre-Sale

Mais revenons à la question initiale : comment comparer la distance


entre des concepts ? La réponse est simple : soit l’on compare les
moyennes, soit on calcule le D de Osgood1 [Dij = √Σ(x i-xj)²]. Plus
le D est faible, plus les concepts sont proches dans l’espace séman-
tique, plus leur signification est semblable. Voici un exemple (Ker-
linger, 1975, p. 568-573). Soit une matrice des réponses d’un sujet
ayant estimé la signification de cinq concepts (A-E) sur six échelles
(1-6) du différenciateur sémantique. Quelle est la distance entre les
concepts A et B ? Appliquons la formule d’Osgood : DAB = √(6 – 2)²
+ (5 – 2)² + … + (5 – 3)² + (6 – 2)² = √106 = 10.3. Calculant toutes
les distances entre les concepts, on en arrive à élaborer une matrice
triangulaire (voir tableau 2.2). Rappelons que plus D est petit, plus
les concepts sont perçus comme proches. Ainsi, A et B sont perçus
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comme plus éloignés que A et D ; et la distance entre A et C est qua-


siment la même que celle entre A et D. On serait arrivé à la même
conclusion avec le calcul des moyennes (M A = 5.83 ; M B = 1.83 ; MC
= 5.33 ; M D = 6 ; M E = 2.17).

1. Qui est en réalité une mesure de distance géométrique inventée par Euclide il y a
2 300 ans.
40 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

Tableau 2.2 – Des réponses individuelles à la matrice de distances


Concepts
Échelles A B C D E
1 6 2 6 5 3 A B C D E
2 5 2 5 5 2 A
3
4
6
7
1
1
4
5
6
6
2
3
˜ B
C
10.3
3.00 8.89
5 5 3 5 7 1 D 2.65 10.44 3.16
6 6 2 7 7 2 E 9.06 3.16 8.19 9.95
Moyenne 5.83 1.83 5.33 6 2.17

Dans l’exemple, le chercheur s’intéresse aux réponses d’un seul sujet.


C’est par la même méthode qu’il traite l’ensemble des réponses de
plusieurs sujets. On voit l’intérêt de la méthode : elle permet de saisir
immédiatement, globalement, les proximités entre des concepts.
Osgood et ses collaborateurs montreront ainsi que les mots sont
sous-tendus par trois facteurs, dans l’ordre valeur, puissance, acti-
vité. Ces trois dimensions semblent se retrouver dans toutes les
cultures. Par la suite, Osgood et ses collaborateurs les réduiront
à deux dimensions (évaluation et dynamisme, voir par exemple
Cambon, Djouari et Beauvois, 2006). Ainsi, quand on s’intéresse à
la signification sous-jacente des mots, le premier facteur est toujours
la valeur, l’évaluation.
La figure 2.5 présente un exemple d’espace bidimensionnel dans
lequel sont situés différents concepts relatifs à l’école (d’après Ker-
linger, 1975, 568) : les mots proviseur, principal et discipline sont
perçus comme proches les uns des autres et renvoient essentielle-
ment au facteur puissance. En revanche les mots professeur, étude,
enseigner et école, perçus comme proches, renvoient essentiellement
au facteur évaluation.
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 41

Puissance
+7

°
Proviseur
°
Principal

°
Discipline

Apprentissage Professeur
° Parent ° °
Enseigner
°
°
Étude °
École

Évaluation
-7 +7
°
Élève

-7

Figure 2.5 – Espace sémantique relatif au mot « école »

D’autres outils, comme le MDSCAL (Multi Dimensional SCALing ;


Kruskal et Wish, 1978), sont disponibles. Son principe de base est
très simple : comment construit-on une table de distances entre
villes ? (1) On prend une carte, (2) on mesure, (3) on convertit en
km. On obtient ainsi une matrice symétrique des distances entre
les villes. La MDSCAL répond à la question inverse : à partir de la
matrice de distances, comment construire la carte ? Comme pour le
différenciateur sémantique, le recueil de données se fait par échelles
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

bipolaires. Les applications concrètes sont toutefois plus compli-


quées. En particulier se pose la question du nombre de dimensions
de la « carte ». Deux dimensions suffisent-elles pour avoir une bonne
représentation des choses ? Le chercheur dispose d’un indicateur sta-
tistique appelé stress, qui donne une approximation de la meilleure
adéquation de l’espace obtenu. Il est enfin possible de travailler
avec des outils non paramétriques et de traiter des données alpha-
numériques, recueillies par associations libres. Sans rentrer dans les
détails, le calcul se fait à partir de la fréquence de similitudes des
mots associés (en boucles successives) en utilisant l’indice d’Elle-
gard [rn = nc/√(n1 x n 2)], basé sur le nombre de mots communs (nc)
à deux indices et le nombre de mots différents dans chaque indice
42 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

(n1 et n 2). Ainsi, l’analyse des espaces obtenus par associations libres
a montré après projection d’une bande dessinée, que l’image de la
femme était plus proche de celle de l’homme tel qu’il était perçu
initialement, et vice-versa : la femme était perçue comme plus mas-
culine, l’homme comme plus féminin (Morchain, 1982).

4. Structure des valeurs chez Rokeach et chez Schwartz


Milton Rokeach (1973) pense que les valeurs sont structurées sui-
vant qu’elles sont, d’après la terminologie de Lovejoy (1950), ter-
minales ou instrumentales. Il s’agit d’une structuration verticale
(figure 2.6, d’après Rokeach, 1968, p. 162).

Valeurs finales

Valeurs
instrumentales

Attitudes

Comportements

Figure 2.6 – Structure des valeurs

Une valeur instrumentale peut s’exprimer de cette manière : « Je


pense que tel et tel mode comportemental est personnellement et
socialement préférable dans toutes les situations, pour n’importe
quel objet. » Une valeur terminale peut s’exprimer ainsi : « Je pense
que ça vaut la peine, de se battre personnellement et socialement,
pour tel ou tel but de l’existence. » Les valeurs terminales représen-
tent donc les buts que l’on peut avoir dans l’existence, et sont quali-
fiées par des substantifs. Les valeurs instrumentales renvoient à des
modes de conduite, à des qualités morales, et sont qualifiées par des
adjectifs (Wach et Hammer, 2003b). Elles permettent d’atteindre les
valeurs terminales, qui peuvent être auto-justifiantes, ne nécessitant
pas d’autre justification qu’elles-mêmes. Par exemple, un farouche
opposant à l’avortement justifiera sa position par « la VIE est sacrée »,
et n’aura pas besoin de justifier davantage son propos (Tetlock,
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 43

Peterson et Lerner, 1996). L’appel à la valeur terminale se suffit à lui-


même. Ces valeurs auto-justifiantes semblent renvoyer à des noyaux
idéologiques ou des nexus, et sont très probablement les plus char-
gées affectivement. Afin de cerner l’univers de valeurs des personnes,
Rokeach conçoit l’« Inventaire de valeurs » (Rokeach Value Survey),
composé de 36 valeurs, parmi lesquelles des valeurs instrumentales
(l’ambition, la tolérance, la politesse, etc.) et des valeurs terminales (la
liberté, l’harmonie intérieure, etc.), de plus haut niveau. Le choix des
valeurs instrumentales s’est fait par l’usage d’une liste de 555 mots
relatifs à des traits de personnalité connotés plus ou moins positive-
ment (Anderson, 1968), issue d’une liste de 18 000 traits compilés
par Allport et Odber (1936, cités par Rokeach, 1973), dont ont été
éliminés les mots extrêmes, les mots relatifs aux caractéristiques phy-
siques, à l’état temporel, ceux ayant une signification liée au sexe,
ainsi que les mots peu familiers. Rokeach ne garda également que
les mots positifs, et s’efforça de retenir les valeurs ayant un sens dans
toutes les cultures et celles que l’on peut s’attribuer sans paraître
prétentieux. Le choix des valeurs terminales se fit par une revue de la
littérature évoquant les valeurs, par un recueil auprès de 30 étudiants
de second cycle en psychologie, et auprès d’un échantillon représen-
tatif de 100 adultes. Les synonymes, les valeurs qui se chevauchent,
les valeurs trop spécifiques, et celles ne représentant pas un but dans
l’existence, furent éliminés. La traduction suivante de la Rokeach
Values Survey est de Monique Wach et Béatrice Hammer (2003b).

« La page suivante comporte 18 valeurs présentées par ordre alphabétique.


Votre tâche consiste à les ordonner selon l’importance qu’elles ont pour vous
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en tant que principes qui guident votre vie. Chaque valeur est imprimée
sur une étiquette qui se détache facilement afin d’être placée dans une des
cases à droite de la page. Lisez soigneusement la liste complète des valeurs ;
puis choisissez la première, celle qui est la plus importante pour vous ; décol-
lez-la et placez-la dans la case 1 de la colonne de droite. Ensuite, choisissez la
deuxième valeur la plus importante pour vous ; décollez-la et placez-la dans
la case 2 de la colonne de droite. Ensuite, faites la même chose pour toutes
les valeurs restantes. La valeur la moins importante pour vous doit figurer
dans la case 18.
Travaillez lentement en réfléchissant. Si vous changez d’avis, vous êtes libre
de modifier votre réponse : les étiquettes se détachent facilement et peuvent
être déplacées d’une case à l’autre. Le résultat de ce travail devrait bien mon-
trer ce que vous ressentez et pensez vraiment. »

44 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS


[Valeurs terminales] [Valeurs instrumentales]
Une vie confortable (une vie pros- Ambitieux (travaillant dur
père et aisée) et volontaire)
Une vie passionnante (une vie stimu- Large d’esprit (l’esprit ouvert)
lante et active) Compétent (capable, efficace)
Le sentiment d’avoir réussi (jouer un Joyeux (enjoué, gai)
rôle important) Propre (ordonné, soigné)
Un monde en paix (un monde sans Courageux (sachant faire partager
guerre ni conflit) ses convictions)
Un monde de beauté (beauté de la Indulgent (voulant pardonner)
nature et des arts) Serviable (au service du bien-être des
L’égalité (fraternité, chances égales autres)
pour tous) Honnête (sincère, vrai)
La sécurité familiale (prendre soin Imaginatif (créatif et audacieux)
de ceux qui nous sont chers) Indépendant (autosuffisant et auto-
La liberté (indépendance et liberté nome)
de choix) Intellectuel (intelligent, réfléchi)
Le bonheur (contentement et satis- Logique (cohérent et rationnel)
faction) Aimant (affectueux et tendre)
L’harmonie intérieure (libre Obéissant (dévoué et respectueux)
de conflits intérieurs, en paix avec Poli (courtois et bien élevé)
soi-même) Responsable (fiable, digne de
L’amour adulte (intimité sexuelle et confiance)
spirituelle) Auto-discipliné (posé, contrôlé)
La sécurité nationale (protection
contre les agressions)
Le plaisir (une vie agréable et calme)
Le salut (une vie éternelle, sauvée
pour l’éternité)
Le respect de soi (estime et considé-
ration de soi)
La reconnaissance sociale (respect,
admiration)
L’amitié véritable (des compagnons
proches)
La sagesse (maturité)

Ce questionnaire pouvant être sensible à la désirabilité sociale,


des sujets ont été placés dans la situation standard, puis dans une
situation d’autoprésentation (Kelly, Silverman et Cochrane, 1972,
cités par Wach et Hammer, 2003b), c’est-à-dire une situation dans
laquelle ils devaient se présenter de la manière la plus désirable pos-
sible. La corrélation par rang entre les valeurs du premier et du
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 45

second questionnaire étant quasi nulle (-.09), Rokeach en déduit que la


désirabilité ne joue pas quand les personnes ordonnent spontanément
les valeurs. Par ailleurs, les mesures sont stables dans le temps (Penner,
Homant et Rokeach, 1968, cités par Wach et Hammer, 2003b).
Shalom Schwartz (1992, 1996) a développé ses réflexions à partir
des travaux de Rokeach. Selon lui, les valeurs correspondent aux
exigences universelles caractéristiques de l’espèce humaine (besoins
biologiques, besoin de coordination interindividuelle et besoin
d’une continuité au niveau d’une société). Il estime pour sa part
que les valeurs sont dotées d’un contenu et d’une structure univer-
sels. Se basant sur la liste de Rokeach, Schwartz repère 10 valeurs
« de haut niveau » représentées par 57 valeurs. Le questionnaire
(Schwartz Values Survey, SVS) est le suivant.

Consigne : voici une liste de valeurs qui peuvent servir de principes qui gui-
dent votre vie. Nous vous demandons d’en évaluer l’importance pour vous.
Avant de commencer, lisez la liste complète des valeurs. Choisissez celle qui
est la plus importante pour vous et notez-la. Puis choisissez celle qui est la
plus opposée à vos valeurs ou la moins importante pour vous et notez-la.
Ensuite, notez toutes les autres valeurs en essayant de bien les distinguer, en
utilisant tous les échelons.

Opposée Sans Très D’importance


Importante
à mes valeurs importance importante extrême
–1 0 1 2 3 4 5 6 7

1. Égalité (chances égales pour tous) 12. Richesses (biens matériels, argent)
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2. Harmonie intérieure 13. Sécurité nationale (protection


(en paix avec soi-même) de mon pays contre les ennemis)
3. Pouvoir social 14. Respect de soi
(avoir du pouvoir sur autrui, dominance) (croyance en sa propre valeur)
4. Plaisir (satisfaction des désirs) 15. Réciprocité des services rendus
5. Liberté (liberté de pensée et d’action) (éviter d’être débiteur des autres)
6. Vie spirituelle (accent mis sur les 16. Créativité
aspects spirituels et non matériels) (originalité, imagination)
7. Sentiment de ne pas être isolé (senti- 17. Un monde en paix
ment que les autres se soucient de moi) (libéré des guerres et des conflits)
8. Ordre social (stabilité de la société) 18. Respect de la tradition (préserver
9. Vie excitante (expériences stimulantes) les coutumes consacrées par le temps)
10. Sens de la vie (un objectif dans la vie) 19. Amour adulte (intimité profonde,
11. Politesse (courtoisie, bonnes manières) émotionnelle et spirituelle)

46 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS


20. Autodiscipline 39. Influent (exercer un impact
(résistance aux tentations) sur les gens et les événements)
21. Droit à une vie privée 40. Honorant ses parents et les anciens
(non exposée aux regards indiscrets) (montrant du respect)
22. Sécurité familiale 41. Choisissant ses propres buts
(sécurité pour ceux qu’on aime) (sélectionnant ses propres objectifs)
23. Reconnaissance sociale 42. En bonne santé (ne pas être malade
(respect, approbation émanant des autres) physiquement ou mentalement)
24. Unité avec la nature 43. Compétent
(adéquation à la nature) (capable et efficace)
25. Une vie variée (remplie de défis, 44. Acceptant ma part dans la vie
de nouveautés, de changements) (se soumettre aux circonstances de la vie)
26. Sagesse 45. Honnête
(compréhension adulte de la vie) (authentique, sincère)
27. Autorité (le droit de diriger 46. Préservant mon image publique
ou de commander) (soucieux de ne pas perdre la face)
28. Amitié vraie (des amis proches 47. Obéissant (remplissant ses obligations,
et sur qui l’on peut compter) ayant le sens du devoir)
29. Un monde de beauté 48. Intelligent (logique, réfléchi)
(beauté de la nature et des arts) 49. Secourable (travaillant en vue
30. Justice sociale (corriger les injustices, du bien-être d’autrui)
secourir les faibles) 50. Aimant la vie (aimant la nourriture,
31. Indépendant (ne compter que sur soi, le sexe, les loisirs)
autosuffisant) 51. Religieux (attaché aux croyances
32. Modéré (évitant les extrêmes et à la foi religieuse)
dans les sentiments et les actions) 52. Responsable
33. Loyal (fidèle à ses amis, (sur qui l’on peut compter)
au groupe des proches) 53. Curieux
34. Ambitieux (travaillant dur, volontaire) (intéressé en toutes choses, explorateur)
35. Large d’esprit (tolérant les croyances 54. Indulgent
et les idées différentes) (désireux de pardonner aux autres)
36. Humble (modeste, effacé) 55. Orienté vers le succès
37. Audacieux (objectif : réussir)
(cherchant l’aventure, le risque) 56. Propre (net, soigné)
38. Protégeant l’environnement 57. Se faire plaisir
(préserver la nature) (faire des choses agréables)

Le traitement statistique se fait par « l’analyse des plus petits espaces »


de Guttman, qui découle du MDS de Kruskal. L’analyse porte donc
sur des régions, et pas sur des axes comme dans une analyse facto-
rielle en composantes principales.
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 47

Tableau 2.3 – Les valeurs de Schwartz


POUVOIR (statut social, domination de UNIVERSALISME (compréhension,
personnes et de ressources) appréciation, tolérance et protection du bien-
– Pouvoir social être de tout le monde et de la nature)
– Richesse – Ouverture d’esprit
– Autorité – Sagesse
– [Préservant mon image publique] – Justice sociale
– [Reconnaissance sociale] – Égalité
– Un monde de paix
– Un monde de beauté
– Unité avec la nature
– Protégeant l’environnement
ACCOMPLISSEMENT (réussite person- BIENVEILLANCE (préserver et promouvoir
nelle, selon les standards sociaux) le bien-être des gens proches)
– Ambitieux – Loyal
– Influent – Honnête
– Capable – Secourable
– [Respect de soi] – Responsable
– [Intelligent] – Clément
– [Amitié vraie]
– [Amour adulte]
– [Une vie spirituelle]
– [Sens de la vie]
HÉDONISME (plaisir ou satisfaction TRADITION (respect et engagement envers
sensuelle) les traditions et idées culturelles et religieuses)
– Plaisir – Respect des traditions
– Une vie de plaisir – Modéré
– Indulgent envers soi-même – Humble
– Dévot
– Acceptant ma part dans la vie
STIMULATION (excitation et nouveauté) CONFORMITÉ (restreindre les actions,
– Une vie excitante inclinations, impulsions qui pourraient nuire
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

– Une vie variée aux autres et violer les attentes sociales ou les
– Audacieux normes)
– Poli
– Autodiscipline
– Honorant ses parents et les anciens
– Discipliné
AUTONOMIE (self-centration) (indépen- SÉCURITÉ (sécurité et stabilité
dance de pensée et d’action) de la société, des relations, et de soi)
– Liberté – Sécurité familiale
– Créativité – Sécurité nationale
– Indépendant – Ordre social
– Curieux – Propre
– Choisissant ses propres buts – Réciprocité des services
– [Respect de soi] – [Sentiment de n’être pas isolé]
– [Être en bonne santé]
48 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

De cette manière Schwartz isole 10 types de valeurs. Le tableau 2.3


indique les 10 types, ainsi que les valeurs qui les constituent. Les
valeurs entre crochets ne sont pas utilisées par Schwartz pour cal-
culer les indices, car leur signification diffère selon les échantillons
et les cultures (Schwartz, 1996, p. 3).
Transcendance de soi

Universalisme Bienveillance

Autonomie Tradition

Ouverture Conformité
au changement Conservatisme
Stimulation Sécurité

Hédonisme Pouvoir

Accomplissement

Affirmation de soi

Figure 2.7 – Le circumplex de Schwartz

Schwartz, comme Rokeach avant lui, montre ainsi que les valeurs
sont organisées en une structure appelée circumplex, parce que leur
organisation est plus ou moins circulaire. Mais si pour Rokeach
cette organisation suggère que les valeurs sont du même niveau de
généralité, Schwartz cherchera à en caractériser la structure. Dans
le circumplex, des valeurs contiguës ont une signification proche,
des valeurs opposées ont une signification opposée. En d’autres
termes, pour les gens, universalisme et bienveillance ont à peu près
la même signification ; à l’opposé, accomplissement et pouvoir sont
proches. Mais universalisme et bienveillance ont une signification
opposée à accomplissement et pouvoir. Cette signification est indé-
pendante des cultures et du sexe des sujets : on l’observe pour 95 %
des échantillons observés, provenant de 60 pays des cinq continents
(Schwartz et al., 2001). Struch, Schwartz et Van der Kloot (2002)
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 49

ont montré que dans huit cultures différentes (11 245 répondants),
les valeurs ont la même signification pour les hommes et les femmes
(voir aussi Wach et Hammer, 2003b). Chez Struch et al. (2002),
les valeurs conformité et tradition ne forment pas des régions dis-
tinctes comme c’est généralement le cas, mais on retrouve la même
organisation conceptuelle des valeurs selon deux dimensions
« conservatisme – ouverture au changement » et « transcendance de
soi – affirmation de soi ». Le système de Schwartz est ouvert, dans le
sens où l’auteur pense que l’on peut très bien ajouter des valeurs au
circumplex. Wach et Hammer (2003a, b) mirent ainsi en évidence
que le circumplex comprenait des valeurs liées à la vérité. Schwartz
pense que l’on peut ajouter des valeurs permettant de mesurer une
valeur spirituelle possible, constituée des valeurs une vie spirituelle,
signification dans la vie, harmonie intérieure et détachement. Toute-
fois ces valeurs sont culturellement variables, elles n’occupent pas
la même place dans le circumplex. Elles en ont donc été exclues,
et cette question n’est quasiment jamais traitée dans les recherches
portant sur la structure des valeurs. Ceci pose problème, car la spi-
ritualité, ou la démarche spirituelle (entendue dans le sens de cher-
cher à s’élever) fait partie de ce qui est important pour les êtres
humains. D’autres questions, d’ordre méthodologique, se posent.
La première est relative à la nature des valeurs. En effet, dans l’éla-
boration du circumplex (la même remarque vaut pour Spranger et
Rokeach), la consigne et les mesures font bien référence à ce qui
est important pour les personnes ; mais la nature de ces différentes
valeurs est variable. Ainsi certaines sont effectivement des valeurs
(liberté, égalité, justice), d’autres sont des traits de personnalité (être
poli, être honnête, être clément), d’autres enfin renvoient à la relation
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

à autrui (sentiment de n’être pas isolé). Toutes ces valeurs ne sont


pas sur le même plan, certaines sont immédiatement accessibles,
d’autres restent des idéaux inaccessibles ; certaines sont du niveau
de la morale, d’autres de l’éthique. Il manque donc peut-être une
dimension supplémentaire au circumplex, il faudrait peut-être envi-
sager de passer du plan à la verticale. La deuxième question porte sur
la mesure. D’abord, l’échelle est bidimensionnelle (« opposé à mes
valeurs » vs « d’importance extrême »). Un méthodologue préférerait
deux échelles : la première proposerait un continuum allant de
« opposé à mes valeurs » à « en accord avec mes valeurs » ; la seconde,
de « sans importance » à « d’importance extrême ». L’échelle est aussi
déséquilibrée (– 1 à + 7). En général un méthodologue équilibre les
50 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

échelles (impaire, de 1 à 5 ; ou paire, de 1 à 4 par exemple). Schwartz


justifie ce choix par des raisons pratiques : il est plus facile pour
les personnes de répondre à son échelle. La troisième et dernière
question porte sur la compréhension des items dans les différentes
populations testées : la SVS pouvant être trop abstraite pour certains
sujets. Schwartz proposa donc un autre outil : le questionnaire des
valeurs par portrait (Personality Value Questionary, QVP en fran-
çais), moins abstrait que la SVS et mieux adapté à certaines popula-
tions. Dans le mode de réponse, les chiffres ont été évités pour des
raisons culturelles. Ce questionnaire est composé de quarante items
relevant des 10 types de valeurs. Pour chaque item, les sujets doivent
cocher dans quelle mesure la personne décrite leur ressemble.

Jusqu’à quel point cette personne est-elle comme vous ?


Pas du tout Un petit Un peu Tout à fait
Pas comme Comme
comme peu comme comme comme
moi moi
moi moi moi moi
❏ ❏ ❏ ❏ ❏ ❏

Consigne : « Chaque phrase ci-dessous décrit rapidement une personne.


Lisez attentivement chaque phrase et mettez une croix [X] sur ce qui vous
correspond le mieux. Pour chaque ligne, vous mettrez une seule croix [X]. »

1. C’est important pour 5. C’est important pour cette personne


cette personne d’avoir des idées nouvelles de vivre dans un endroit où il/elle se sent
et d’être créative. en sécurité. Il/Elle évite tout ce qui
Il/Elle aime faire des choses pourrait le/la mettre en danger.
à sa façon, de manière originale. 6. Cette personne pense qu’il est important
2. C’est important pour de faire une foule de choses
cette personne d’être riche. différentes dans sa vie. Il/Elle
Il/Elle veut avoir beaucoup d’argent est toujours à la recherche
et posséder des choses qui coûtent cher. de nouvelles choses à essayer.
3. Il/Elle pense que c’est important 7. Il/Elle croit que les gens devraient
que tous les hommes du monde faire ce qu’on leur dit de faire. Il/Elle
soient traités de manière égale. pense que l’on doit toujours suivre les
Il/Elle croit que tout le monde devrait règles, même si personne ne vous surveille.
avoir les mêmes chances dans la vie. 8. C’est important pour cette personne
4. Il est très important d’écouter des gens différents
pour cette personne de montrer de lui/elle. Même si il/elle n’est pas
ses capacités. Il/Elle veut que les gens d’accord avec eux, il/elle veut malgré tout
admirent ce qu’il/elle fait. les comprendre.

CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 51


9. Cette personne pense qu’il ne faut 21. C’est important pour cette personne
pas demander plus que ce que l’on a. Il/ que tout soit propre et organisé.
Elle croit que les gens devraient Il/Elle n’aime vraiment pas le désordre.
se contenter de ce qu’ils ont. 22. Cette personne pense qu’il est important
10. Cette personne recherche toutes les de s’intéresser aux choses. Il/Elle aime
occasions de s’amuser. C’est important être curieux/curieuse et essaie de comprendre
pour lui/elle de faire des choses qui lui toutes sortes de choses.
procurent du plaisir. 23. Cette personne croit que tous les gens
11. C’est important pour cette personne du monde devraient vivre en harmonie.
de décider lui/elle-même de ce qu’elle fait. Promouvoir la paix partout dans le monde
Il/Elle aime être libre de planifier et de est important pour lui/elle.
choisir lui/elle-même ses activités. 24. Cette personne pense qu’il est important
12. C’est très important pour cette d’être ambitieux/se. Il/Elle veut montrer
personne d’aider les gens qui l’entourent. à quel point il/elle est compétent/e.
Il/Elle veut prendre soin de leur bien-être. 25. Il/Elle pense que c’est mieux de faire
13. Réussir brillamment les choses de façon traditionnelle.
est important pour lui/elle. C’est important pour lui/elle de se conformer
Il/Elle aime impressionner les autres. aux coutumes qu’il/elle a apprises.
14. C’est très important pour cette personne 26. Profiter des plaisirs de la vie
que son pays soit en sécurité. Il/Elle pense est important pour lui/elle. Il/Elle aime
que l’État doit prendre garde aux menaces se donner du bon temps.
venant de l’intérieur comme de l’extérieur. 27. C’est important pour cette personne
15. Cette personne aime prendre des risques. de répondre aux besoins des autres.
Il/Elle recherche toujours l’aventure. Il/Elle essaie de soutenir ceux et celles
16. C’est important pour lui/elle de qu’il/elle connaît.
se comporter comme il faut. Il/Elle veut 28. Il/Elle croit qu’il lui faut toujours montrer
éviter de faire quoi que ce soit que les autres du respect à ses parents et aux personnes plus
jugeraient incorrect. âgées. C’est important pour cette personne
17. Cette personne aime les responsabilités d’être obéissante.
et aime dire aux autres ce qu’ils doivent faire. 29. Il/Elle veut que tout le monde
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Il/Elle veut que les autres fassent soit traité de manière juste, même les gens
ce qu’il/elle dit. qu’il/elle ne connaît pas. C’est important
18. C’est important pour cette personne pour cette personne de protéger les plus faibles
d’être loyale envers ses amis. Il/Elle veut dans la société.
se dévouer à ceux qui sont proches 30. Il/Elle aime les surprises.
de lui/d’elle. C’est important pour lui/elle d’avoir
19. Il/Elle est tout à fait convaincu(e) une vie passionnante.
que les gens devraient protéger la nature. 31. Il/Elle fait tout ce qu’il/elle peut pour
Préserver l’environnement est important éviter de tomber malade. Rester en bonne
pour cette personne. santé est très important pour cette personne.
20. Être religieux est important pour lui/elle. 32. Progresser dans la vie est très important
Il/Elle fait tout pour être en accord pour lui/elle. Il/Elle s’efforce de faire
avec ses croyances religieuses. mieux que les autres.

52 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS


33. Pardonner à ceux qui l’ont blessé(e) 37. Il/Elle veut vraiment profiter de la vie.
est important pour lui/elle. Il/Elle essaie C’est très important pour cette personne
de voir ce qui est bon chez eux de s’amuser.
et de ne pas avoir de rancune. 38. C’est important pour lui/elle
34. C’est important pour cette personne d’être d’être humble et modeste. Il/Elle
indépendant(e). Il/Elle aime ne compter essaie de ne pas attirer l’attention
que sur lui-même/elle-même. sur lui/elle.
35. C’est important pour lui/elle d’avoir 39. Cette personne veut toujours être
un gouvernement stable. Il/Elle s’inquiète celui/celle qui prend les décisions.
du maintien de l’ordre social. Il/Elle aime être celui/celle qui dirige.
36. C’est important pour cette personne 40. C’est important pour cette personne
d’être toujours polie avec les autres. de s’adapter à la nature et de s’y intégrer.
Il/Elle essaie de ne jamais déranger Il/Elle croit qu’on ne devrait pas
ou irriter les autres. modifier la nature.

Les corrélations entre les échelles du SVS et le QVP sont toujours


très élevées (>.83 ; voir Schwartz et al., 2001).

III. RELATIVITÉ DES VALEURS


Il est trivial de parler de relativité des valeurs (Tostain, 1999). Tou-
tefois dire que les valeurs sont relatives ne signifie pas qu’on puisse
les mettre toutes sur le même plan. Mais voyons quelques facteurs
de leur relativité.

1. Idéologie
S’il est une notion lourdement chargée de valeurs, dans laquelle on
voit explicitement les valeurs à l’œuvre, c’est bien celle d’idéologie.
En raison de son histoire, le terme idéologie est polysémique. En
effet les réflexions sur les fonctions des croyances sont anciennes :
Platon met en évidence les fonctions des thèmes mythiques (intégra-
tion et contrôle des comportements), Aristote oriente sa réflexion
sur l’emprise par le discours, et Machiavel découvre l’usage que l’ac-
teur politique peut faire des croyances et des systèmes d’emprise
symbolique. Dans les années 1820, Saint-Simon développe l’hy-
pothèse de l’historicité des croyances, de leur fonctionnalité et de
leur adéquation à la spécificité de l’organisation sociale. Il lie donc
étroitement la formation des croyances aux pratiques des classes
sociales. Marx, Weber et Durkheim reformuleront cette question
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 53

différemment : Marx recherche les déterminations des idéologies,


Weber leurs fonctions, et Durkheim leurs corrélations avec le sys-
tème social (voir Ansart, 1977). L’idéologie est une notion poly-
sémique, et son usage est si problématique que certains auteurs
préconisent son remplacement (Chabrol, 1991). Essayons toutefois
de la définir. Dans son sens le plus trivial, le terme désigne la façon
de penser de ceux avec qui l’on n’est pas d’accord. Dans un sens
très vague, l’idéologie est l’ensemble des représentations mentales
qui apparaissent dès que des hommes nouent entre eux des liens.
Elle est ainsi décrite comme un « système de pensées, de croyances
et de normes » (Ansart, 1977, p. 47 ; Beauvois et Joulé, 1981, p. 8 ;
Hogg et Abrams, 1988), « (…) voire de projets d’actions virtuelles »
(Beauvois et Joulé, 1981, p. 17). Pour Deconchy (1989, p. 13),
l’idéologie est un « système d’interactions et de représentations ».
Lipianski (1991) précise qu’elle est d’abord un système de représen-
tations, partagé par un groupe et ayant un caractère dominant dans
le champ des représentations groupales (Moscovici, 1991, p. 82).
Dans ce sens large, les mythes, les religions, les principes éthiques,
les us et coutumes, les programmes politiques sont des idéologies.
Dans un sens plus restreint, l’idéologie désigne un système de
pensée très cohérent et clos, fermé à toute objection de la réalité.
Ainsi, pour Palmonari et Doise (1986, p. 14), « une idéologie vit
par la force du système conceptuel, quasi logique, qui la soutient
(…). Une idéologie a un appareil qui la défend et en sauvegarde
l’orthodoxie (…) ». Ce système reçoit l’adhésion totale d’un individu
ou d’un groupe, et donne lieu à des conduites pouvant être perçues
comme aberrantes par l’observateur extérieur, mais qui sont tout à
fait conformes, vues de l’intérieur du système. En sciences sociales,
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

c’est à Marx que l’on doit l’emploi généralisé du terme d’idéologie.


Or il en a donné une très grande extension et une signification
équivoque : le terme recouvre toutes les productions de civilisation
(Rocher, 1968, tome I). Il désigne aussi une école de pensée qui
s’est attachée à la formation des idées dans la conscience à partir des
sens mus par la réalité extérieure. Ce qui peut nous aider à préciser
la notion d’idéologie chez Marx est qu’elle est « la conscience et
la représentation que la classe dominante se fait de la réalité, sui-
vant sa position et ses intérêts (…) » (Rocher, 1968, tome I, p. 126 ;
Rokeach, 1968, p. 123-124). Selon lui, « les idées dominantes ne
sont rien d’autre que l’expression idéale des conditions matérielles
dominantes, les conditions matérielles dominantes prises comme
54 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

idées » (Marx, 1937, cité par Rocher, 1968, tome I, p. 126). Le


terme idéologie réfère donc à des états de conscience et à des dis-
cours liés à l’action politique et à la dominance, au pouvoir.
Au niveau individuel, l’idéologie sert la rationalisation des conduites, la
défense, l’articulation de l’individuel et du groupal. Ces fonctions ren-
voient à la position qu’occupe le sujet dans le champ social (Lipianski,
1991, p. 50). Au niveau social, l’idéologie vise l’unanimité, en faisant
référence à des valeurs. Cependant elle est souvent principe de conflit
(Ansart, 1977 ; Rocher, 1968). Elle remplit cinq fonctions spécifi-
ques (Baechler, 1976) contribuant à la conception d’un monde stable,
réifié, dans lequel les incertitudes sont réduites (Doise et Palmonari,
1986, p. 14). Le ralliement renvoie à la reconnaissance des membres
de l’endogroupe, par l’utilisation de signes spécifiques (badges, dra-
peaux, hymnes), il renvoie à l’instauration d’une identité et à l’inté-
gration groupale. L’idéologie crée un nous, servant à symboliser et
à cristalliser les valeurs auxquelles elle fait appel et sur lesquelles elle
s’appuie (Rocher, 1968, tome III, p. 90). Le voilement consiste au
masquage, par la classe dominante, de ses intérêts. Il consiste égale-
ment en un détournement de la morale au service de la politique. Un
exemple est celui de l’intervention de quelques nations occidentales
au Koweït contre l’Irak au nom, non pas d’intérêts économiques liés
au pétrole, mais du respect du droit international. La désignation des
valeurs, des fins et des buts est la quatrième fonction de l’idéologie.
Le bonheur collectif, l’indépendance, la justice, l’égalité, la sécurité,
peuvent être autant de valeurs à atteindre. L’idéologie va désigner
quelle valeur est la plus importante, elle dit aussi le juste et l’injuste.
Elle désigne aussi les fins et les but : comment par exemple atteindre la
sécurité ? Par le renforcement des contrôles d’identité, par l’expulsion,
par la création de milices, par la discussion ? Le discours idéologique
impose une vérité morale à laquelle il serait indigne et dégradant de
se soustraire (Ansart, 1977, p. 46). En outre, l’idéologie permet de
percevoir l’environnement de manière simple et figée. Elle rend possible
la perception de la réalité sociale comme transparente et permet en
conséquence de supputer les conséquences d’une action (Baechler,
1976, p. 100). Cette fonction est importante pour le(s) groupe(s) en
position de pouvoir car, comme la fonction de justification, elle évite
la remise en question des structures sociales (voir l’encadré suivant).
Enfin, l’idéologie a pour fonction de justifier les rapports sociaux.
Pour Hogg et Abrams (1988, p. 82-83) comme pour Rocher (1968,
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 55

tome I, p. 127), l’explication1 est d’ailleurs la fonction première de


l’idéologie. Pour synthétiser, l’idéologie a une fonction régulatrice
des rapports sociaux et participe à sa reproduction, qui n’est pas for-
cément consciente (Ansart, 1977).

Idéologie et maintien des rapports sociaux


L’empereur Joseph II interdit Le Mariage de Figaro de Beaumarchais
(1784), car il craignait que le discours de la pièce ne menace l’équilibre
social. Louis XVI l’avait d’ailleurs interdite durant six ans pour les mêmes
raisons. Mozart et Da Ponte risquèrent cette même censure pour l’adapta-
tion des Nozze di Figaro (Noces de Figaro), mais ils la déjouèrent et l’opéra
sera représenté en 1786. Les valeurs révolutionnaires de Beaumarchais
restent affichées dans le texte comme dans la musique, mais elles sont
quelque peu masquées. Dès le premier acte de la pièce, Figaro se rebelle
contre le Comte Almaviva qui tente de lui ravir Suzanna, sa fiancée : « Ah
Monseigneur ! Mon cher Monseigneur ! Vous voulez m’en donner... à garder ?
(...) Faire à Londres, en même temps, les affaires de votre maître et celles de
votre valet ! Représenter, à la fois, le Roi et moi, dans une cour étrangère,
c’est trop de moitié, c’est trop. » Dans l’opéra, Figaro est plus insolent, voire
insultant : « Si vous voulez danser, Monsieur le petit Comte, je jouerai de
la guitare. Si vous voulez venir à mon école, je vous apprendrai la cabriole
(...). » Et la cavatine sur laquelle chante Figaro est une parodie du menuet,
la danse noble par excellence (Stricker, 1980). C’est avec Le Mariage de
Figaro que la revendication des opprimés est exprimée pour la première
fois sur une scène française. La force de contestation de cette pièce (qui
est parfois présentée comme précurseur de l’esprit de la Révolution) la fera
interdire un siècle et demi plus tard, sous le gouvernement de Vichy.
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• Noyaux idéologiques, valeurs et nexus


On vient de le voir, l’idéologie se trouve non dans la forme d’un dis-
cours, mais dans son contenu, qui est d’orientation politique. Ce dis-
cours peut-être extrêmement développé ou, à l’inverse, extrêmement
bref. On parle alors de noyau idéologique (Baechler, 1976, 24-27).
Un même noyau peut recevoir des formulations diverses, mais plus
la formulation idéologique est brève, plus le noyau exprime l’infor-
mation minimale et exhaustive fondant son originalité. Par exemple,
« Ein Folk, ein Reich, ein Führer » concentre toute une vision de la

1. L’explication est toutefois différente de la justification : la première renvoie à la


recherche des causes, la seconde à celle des raisons.
56 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

vie en société, bien différente de « Liberté, égalité, Fraternité ». Le


premier slogan réfère à l’idée d’unité et à une hiérarchie des catégo-
ries sociales : le peuple, qui forme un empire, conduit par un homme.
Le second réfère à trois valeurs de haut niveau, très abstraites, issues
des Lumières et qui renvoient à une vision humaniste de la société,
et d’une certaine manière à un programme politique. Quant à un
des slogans du Front national des années quatre-vingt et quatre-
vingt-dix, « Mains propres et tête haute », il renvoyait non seule-
ment aux valeurs d’honnêteté (mais surtout de propreté, peut-être
de pureté) et de fierté, mais s’ancrait évidemment dans les relations
intergroupes : ce sont les autres, ceux qui sont au pouvoir, qui ont les
mains sales. Un dernier exemple, plus récent, est le slogan de la cam-
pagne présidentielle de 2007 : « Travailler plus pour gagner plus » où
la « valeur » travail est instrumentale, la valeur argent (et l’avoir) sont
des valeurs terminales. Selon Baechler, les noyaux idéologiques sont
relativement peu nombreux : il s’agit de la liberté, la volonté de puis-
sance, l’avoir, la vanité (recherche de l’estime d’autrui par l’affirma-
tion d’une supériorité), l’opposition aux inégalités, l’obéissance (et son
contraire, la révolte), l’amour (où autrui est perçu comme une valeur
absolue, où le sujet cherche à être perçu comme tel par autrui, où
la règle de réciprocité absolue est recherchée), la haine, et le plaisir.
Ces noyaux sont toutefois de nature différente : les trois derniers
sont en fait des émotions. Selon Baechler (1976, p. 189), ils sont
« consubstantiels à la psyché humaine » et unissent une « passion » et
une valeur (p. 201-256). De ce fait, ils seraient universels et impli-
queraient une adhésion quasi immédiate des personnes. Une notion
proche est celle des nexus, évoquée par Rouquette dès 1988. Ils
sont définis comme des « nœuds affectifs prélogiques » (Rouquette,
1994, p. 68-69), fortement marqués affectivement, et « leur mise en
œuvre à l’émission ou à la réception désigne des jugements préformés
et s’accompagne d’une impression émotive marquée. (…) Il n’est pas
de levier plus efficace pour la mobilisation collective ». Prélogiques,
ils ne découlent pas de la rationalité, de l’argumentation. Communs
à plusieurs individus dans une société particulière, les nexus ne se
discutent pas, ils s’imposent comme des évidences et entraînent des
réactions marquées. Ce sont des idéaux servant de justification pour
les jugements et les conduites. Dans une recherche portant sur le
nexus nazi, Rouquette demande aux sujets d’évaluer huit proposi-
tions tirées d’un discours d’Hitler en 1920. Ces propositions ont été
présentées soit comme émanant d’un parti politique (sans précision),
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 57

soit du parti national-socialiste, soit du parti nazi. Les sujets devaient


indiquer leur degré d’accord avec chaque proposition. Le taux de
rejet passe de 29 % quand les propositions sont étiquetées parti poli-
tique (les réponses sont les mêmes quand elles sont étiquetées parti
national-socialiste) à 48 % quand elles émanent du parti nazi. Ceci
indique un effet de nexus, puisque le contenu des propositions est
le même ; de plus si les sujets répondaient « logiquement », le même
taux de rejet devrait être noté lorsque les propositions sont attri-
buées au parti national-socialiste ou au parti nazi. Les personnes
devaient aussi justifier leurs positions. D’une part on relève 32.9 %
de justifications « de principe » chez les personnes évaluant des pro-
positions nazies, contre 14.4 % et 18.6 % chez celles évaluant des
propositions émanant respectivement d’un parti politique et du
parti national-socialiste. D’autre part, les justifications argumentées
et/ou faisant référence à la personne sont plus nombreuses chez les
sujets évaluant les propositions d’un parti politique (63.1 %), plus
faibles chez ceux évaluant celles du parti national-socialiste (45.3 %),
et encore plus faible chez ceux évaluant celles du parti nazi (35.1 % ;
voir Rouquette, 1994). On voit bien ici combien les nexus sont liés à
l’affect, mais aussi à l’Histoire, et surtout à sa connaissance. De son
côté, Wolter (2008) montre que les personnes rejettent davantage
les caractéristiques les plus neutres (estimées comme ni positives,
ni négatives) du CPE que les mêmes caractéristiques relatives à un
contrat de travail, et ce d’autant plus que le recueil des opinions est
fait « à chaud » (pendant les manifestations du 7 et 19 mars 2006 ; le
recueil « à froid » se faisant en octobre 2006).
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• Un exemple du lien entre les valeurs et l’idéologie


C’est encore à Rokeach (1968, p. 171-172) que l’on doit le fait
d’avoir montré le lien entre la hiérarchie des valeurs liberté et égalité
et l’idéologie. Il analysa un échantillon de 25 000 mots tirés d’écrits
politiques. Comme le montre le tableau 4, sur 17 valeurs termi-
nales, la liberté et l’égalité sont classées respectivement en rang 1 et
2 par les socialistes (Norman Thomas, Erich Fromm) ; alors qu’elles
sont aux rangs 16 et 17 dans Mein Kampf de Hitler, publié en 1925.
Chez un conservateur comme Goldwater, la liberté est au rang 1,
l’égalité au rang 16. Chez Lénine enfin, c’est l’inverse, la liberté est
au rang 17 et l’égalité au rang 1.
58 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

Tableau 2.4 – Fréquence et rang des valeurs


Socialistes Hitler Goldwater Lénine

Fréquence*

Fréquence*

Fréquence*

Fréquence*
Rang

Rang

Rang

Rang
Liberté 66 1 - 48 16 85 1 - 47 17
Egalité 62 2 - 71 17 - 10 16 88 1
(*nombre de mentions favorables moins nombre de mentions défavorables)

Ces données confirment l’existence d’un modèle bipolaire, postulé


par Rokeach, et qui décrit les variations des différentes orienta-
tions politiques (figure 2.8, d’après Rokeach, 1973, dans Wach et
Hammer, 2003a) : le premier axe oppose les groupes qui attribuent
une forte valeur à la liberté et à l’égalité aux groupes qui attribuent
une faible valeur à ces idéaux. Le second axe oppose les groupes qui
attribuent une faible valeur à la liberté et une forte valeur à l’éga-
lité aux groupes qui attribuent une forte valeur à la liberté et une
faible valeur à l’égalité. Plus récemment, il a été montré que plus un
groupe se situe à droite sur l’échiquier politique, plus il choisit la
liberté plutôt que l’égalité (Stoetzel, 1983).

Égalité +

Communisme Socialisme

Liberté - Liberté +

Fascisme Capitalisme

Égalité –

Figure 2.8 – Valeurs et idéologies

2. Culture
Le terme culture renvoie à une nébuleuse de comportements, de
sentiments, d’attitudes, de croyances, de confessions, de modes de
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 59

production économique, de productions artistiques, etc., partagés


et transmis par les personnes d’un groupe social. Zohra Guerraoui
(2000) note que l’on distingue pas moins de 160 définitions de la
culture entre 1871 (date de la première définition de Tylor) et 1950,
et montre que la culture peut être définie selon huit dimensions. La
culture est la part humaine de l’environnement (Triandis, 1979).
Elle a des aspects objectifs (routes, habitations, etc.) et subjectifs
(mythes, valeurs, idéologies). On peut aussi la définir comme un
« ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou
moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité
de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbo-
lique, à constituer ces personnes en une collectivité distincte et par-
ticulière » (Rocher, 1968, tome I, p. 111). C’est particulièrement
Geert Hofstede (1980, 2001, voir aussi son site personnel et celui de
J. Richard, UQAM) qui a développé une cartographie des cultures,
sur la base de recherches portant sur les valeurs reliées au travail, ini-
tialement menées sur 116 000 employés d’IBM originaires de qua-
rante pays. L’objectif était de mesurer l’adéquation entre les cultures
des différentes filiales d’IBM, dans le but d’améliorer le travail en
commun. D’autres recherches, menées par la suite sur d’autres popu-
lations, confirmèrent les quatre dimensions initialement repérées,
permettant de différencier les cultures selon leurs valeurs. La dis-
tance hiérarchique (power distance) réfère à l’acceptation de l’inéga-
lité. Cette acceptation est abordée du côté des dominés, mais pour
Hofstede le niveau d’inégalité est accepté tant par les subordonnés
que par les supérieurs hiérarchiques. L’individualisme/collectivisme
renvoie au degré auquel l’individu est intégré au groupe : dans une
société individualiste, les personnes ne sont censées compter que sur
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

elles-mêmes, ou leur famille proche ; dans une société collectiviste,


elles sont intégrées dans des groupes très cohésifs. La masculinité/
féminité renvoie à la distribution des rôles selon les genres. Enfin,
l’évitement de l’incertitude réfère à la tolérance envers l’ambiguïté et
l’incertitude. Pour Hofstede, cette dimension renvoie à la recherche
de la vérité, elle indique dans quelle mesure la culture amène les
gens à se sentir bien dans des situations inconnues. Les cultures évi-
tant l’incertitude tentent de la minimiser par l’élaboration de lois, de
mesures de santé et de sécurité ; au niveau philosophique et religieux
elles développent des croyances en un absolu. À l’inverse, les cultures
acceptant l’incertitude tolèrent davantage la diversité d’opinions, ten-
tent d’avoir le moins de règles possibles ; au niveau philosophique et
60 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

religieux elles sont relativistes et acceptent différents courants. Dans


les premières, les personnes sont plus émotives, nerveuses ; dans les
secondes elles se montrent plus flegmatiques et contemplatives, leur
entourage ne s’attend pas à les voir manifester leurs émotions. Selon
Goodwin et Tinker (2002), les dimensions distance au pouvoir et
masculinité/féminité renvoient à la dimension transcendance de soi/
accomplissement de soi chez Schwartz. Une cinquième dimension
(orientation à long terme/court terme) a été par la suite découverte
par Bond et une équipe chinoise (1987). Bien que souchée sur la
pensée de Confucius, elle semble s’appliquer à d’autres cultures. Les
valeurs associées à l’orientation à long terme sont la parcimonie et la
persévérance ; le respect pour la tradition, le respect des obligations
sociales et le fait de garder la face sont elles associées à l’orientation
à court terme. Globalement, il a été montré que les scores de dis-
tance hiérarchique sont hauts dans les pays asiatiques, africains, et
latins ; plus faibles dans les pays de langue allemande. L’individua-
lisme est développé dans les pays développés et les pays occidentaux,
alors que le collectivisme prévaut dans les pays moins développés et
les pays orientaux. Sur cette dimension, le Japon occupe une posi-
tion médiane. En fait, cette dimension est liée à la richesse du pays.
La masculinité est développée au Japon et dans quelques pays euro-
péens (Allemagne, Autriche, Suisse), modérément développée dans
les pays anglo-saxons. Elle est basse dans les pays nordiques et en
Hollande, et un peu moins dans certains pays latins et asiatiques
(France, Espagne, Thaïlande). Les scores d’évitement de l’incertitude
sont plus élevés dans les pays latins, au Japon, et dans les pays de
langue allemande. Ils sont plus bas dans la culture anglo-saxonne,
nordique, et chinoise. Enfin l’orientation à long terme est principa-
lement retrouvée dans les pays asiatiques, en particulier la Chine,
Hong Kong, Taïwan, Japon, et la Corée du Sud. Wan, Chiu, Tam,
Lee, Lau et Peng (2007) ont montré le lien des valeurs individua-
listes/collectivistes avec la culture. Des étudiants américains et chinois
(de Hong Kong) devaient choisir les 10 valeurs les plus importantes
pour eux dans une liste, constituée à partir de l’étude de l’histoire
des idées et des dictons populaires, de 18 composantes de l’indivi-
dualisme et du collectivisme. Comme attendu (tableau 5 : en gras, les
différences significatives dans les choix des sujets), on constate des
différences entre Chinois et Américains dans l’importance accordée
aux valeurs. Bien que les résultats indiquent des incohérences par
rapport au modèle théorique (présence d’effets inverses par rapport
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 61

aux prédictions), globalement, les Américains adhèrent plus aux


valeurs individualistes qu’aux valeurs collectivistes ; l’inverse se passe
pour les Chinois.

Tableau 2.5 – Pourcentage de valeurs choisies.


Valeurs individualistes USA Chine
Autonomie 19.7 76,0
Compétition 50 32,3
Indépendance financière 66,7 53,8
Effort individuel 65,2 9,2
Intérêts individuels 62,1 41,5
Responsabilité individuelle 84,8 49,2
Individualité 81,8 53,8
Droit à la vie privée 71,2 67,7
Ne compter que sur soi 84,8 72,3

Valeurs collectivistes USA Chine


Effort collectif 40,9 72,3
Responsabilité collective 25,8 67,7
Conformité 3 18,5
Coopération 69,7 81,5
Esprit de groupe 37,9 66,2
Règle majoritaire 21,2 30,8
Soutien mutuel entre pairs 57,6 98,5
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Sacrifice de soi 45,5 29,2


Œuvrer pour le bien commun 74,2 35,4

3. Nationalité
Au sein d’un même pays, les valeurs sont hiérarchisées : en 1998,
les valeurs déclarées par des Français comme les plus importantes
étaient bienveillance, universalisme, et sécurité ; d’importance
moyenne conformité, hédonisme, autonomie ; de moindre impor-
tance accomplissement, tradition, stimulation, pouvoir (figure 2.9
adaptée de Wach et Hammer, 2003b). Par ailleurs l’ordre des dif-
62 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

férentes valeurs différant peu d’un pays européen à l’autre (Wach


et Hammer, 2003b), on peut parler en termes plus généraux d’un
classement culturel de valeurs. Cela étant, si l’ordre est dans l’en-
semble le même, il n’en va pas tout à fait de même pour le niveau
d’importance qu’on leur accorde. Par exemple, la Suède se distingue
nettement des autres pays, en ce sens que les valeurs bienveillance,
hédonisme-stimulation et conformité sont nettement mieux considé-
rées ; en revanche, tradition, sécurité et accomplissement sont nette-
ment moins populaires que dans les autres pays. Et si en France, les
personnes valorisent nettement les valeurs de transcendance de soi
(universalisme et bienveillance), en Espagne la préférence va davan-
tage aux valeurs de tradition. Notons toutefois qu’il s’agit ici d’un
déclaratif, fortement sujet à désirabilité.
1,5 Moyenne centrée
1
0,5
0
-0,5
-1
-1,5
-2
-2,5
ce

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Figure 2.9 – Importance des 10 types de valeurs

4. Genre
Dès 1931, Vernon et Allport, sur un échantillon de 463 hommes
et 313 femmes, avaient trouvé que les hommes privilégiaient davan-
tage les valeurs théoriques, économiques et politiques, tandis que les
femmes privilégiaient les valeurs esthétiques, sociales et religieuses.
Plusieurs études nord-américaines (voir Schwartz et Rubel, 2005)
utilisant les échelles de Rokeach, indiquèrent que les hommes
attribuent plus d’importance à des valeurs que Schwartz appelle
accomplissement, autonomie, hédonisme et stimulation, tandis que
les femmes attribuent plus d’importance aux valeurs appelées par
Schwartz bienveillance, universalisme et tradition. Feather (1984)
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 63

retrouve des différences sexuées au niveau des valeurs d’affirmation


de soi vs de transcendance de soi : les hommes privilégient les items
plaisir, vie excitante ; les femmes amour et pardon. Ainsi on observe
le plus fréquemment que les hommes tendent à privilégier l’affirma-
tion de soi, tandis que les femmes tendent à privilégier les valeurs
de transcendance de soi et de bienveillance. Une étude de Schwartz
et Rubel (2005), portant sur 127 échantillons de 70 pays (77 528
sujets) va dans le même sens. Elle indique que les hommes accordent
plus d’importance que les femmes aux valeurs pouvoir, stimulation,
hédonisme, accomplissement et autonomie. L’inverse se passe pour les
valeurs bienveillance et universalisme, et, de manière moins nette,
pour la valeur sécurité, privilégiées par les femmes (figure 2.10).
70
Étude 3 (adultes) Femmes
60 Étude 3 (adultes) Hommes
Étude 4 (étudiants) Femmes
50 Étude 4 (étudiants) Hommes

40

30

20

10

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Figure 2.10 – Préférence de valeurs selon le genre


(Études 3 et 4, SVS)

Ces données vont dans le sens de Gilligan (1982), qui pensait que
les hommes développent une morale de l’impartialité et de la justice,
et les femmes une morale de la sollicitude1. Schwartz et Rubel
(2005) notent également que, en général, les différences de sexe

1. Il semble toutefois que les deux types de morale coexistent chez les deux sexes (voir
Tostain, 1999), et plus généralement on doit les relier aux rôles effectifs dans un
contexte particulier, ainsi qu’aux situations que les sujets ont à justifier : par exemple
des femmes utiliseront dans certains cas une morale de la sollicitude, dans d’autres,
une morale de l’impartialité et de la justice.
64 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

sont faibles, que l’âge et encore plus la culture expliquent davantage


la variance, et que parfois les résultats divergent. Les travaux de
Hofstede ont ainsi montré que les valeurs féminines diffèrent des
valeurs masculines selon les sociétés. En effet, les hommes peuvent
développer des valeurs « masculines » d’assertivité et de compéti-
tivité très opposées à celles, « féminines », de modestie et de pré-
occupation envers autrui ; mais ils peuvent aussi développer des
valeurs très similaires. En général, dans les cultures « féminines »,
les femmes ont les mêmes valeurs de modestie et de préoccupation
envers autrui que les hommes. Dans les cultures « masculines », elles
développent des valeurs d’assertivité et de compétitivité, moindres
toutefois que les hommes.

5. Âge
Feather (1977), utilisant le système de Rokeach (1973), a montré
d’une part l’existence d’une corrélation entre l’âge et le conserva-
tisme, d’autre part que ce lien dépend du type de valeurs. Ainsi, les
valeurs terminales sécurité et respect de soi sont positivement corré-
lées avec l’âge. Il en est de même pour les valeurs instrumentales
être poli et être propre. En revanche les valeurs terminales une vie
excitante et liberté, et les valeurs instrumentales être imaginatif et
être ouvert d’esprit le sont négativement. D’autres valeurs ne sont pas
du tout corrélées à l’âge (une vie confortable, joie, courageux, réjoui
(cheerful)).
En 1983, Stoetzel a montré également, sur un échantillon européen,
que les personnes les plus jeunes privilégiaient des valeurs morales
innovatrices, tandis que les plus âgés privilégiaient des valeurs
morales traditionnelles (figure 2.11). Similairement, Helkama
(1999) a montré que les personnes plus âgées accordent une plus
grande importance aux valeurs de conservation (tradition, sécurité,
conformité), tandis que les plus jeunes privilégient la stimulation
et l’hédonisme. Enfin une étude européenne (1999) portant en
France sur un échantillon de 1 615 personnes (tirée de la World
Values Survey, 2005), indique que plus on est âgé, plus on pense
qu’il y a des guides inconditionnels concernant le Bien et le Mal.
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 65

Valeurs traditionnelles
40 Pourcentage de choix Valeurs innovatrices

35

30

25

20

15 s

s
30 s

40 s

60 s

70 s
an

an

an
an

an

an

an

80
20

50

Figure 2.11 – Choix de différents types de valeurs en fonction de l’âge


(d’après Stoetzel, 1983, p. 31).

Selon Schwartz (2003), les personnes les plus âgées ont davantage
intériorisé les normes, sont moins exposées aux changements et
aux défis. L’âge doit donc corréler positivement avec les valeurs de
conservation (tradition, conformité, sécurité), et négativement avec
des valeurs d’ouverture au changement (autonomie, stimulation) et
avec l’hédonisme. En outre, le fait de fonder une famille et d’occuper
une position stable amène les gens à être moins préoccupés par leur
propre personne et plus orientés vers le bien-être d’autrui. L’âge
devrait donc corréler positivement avec les valeurs de transcendance
de soi (bienveillance, universalisme) et négativement avec les valeurs
d’affirmation de soi (pouvoir, accomplissement). Une recherche
menée en Italie et en Afrique du Sud1 confirme ces hypothèses : en
avançant en âge, non seulement on accorde plus d’importance aux
valeurs de conservation, mais aussi aux valeurs de transcendance de
soi (figure 2.12).

1. L’échantillon d’Afrique du Sud comprend des Asiatiques, des Noirs, des « personnes de
couleur » (« coloured ») et des Blancs.
66 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

0,3 Italie (N = 5867)


Afrique du Sud (N = 3210)
0,2
0,1
0
-0,1
-0,2
-0,3
-0,4

n
on

ce

ie
e

Po t

r
é

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C

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U

co
Ac
Figure 2.12 – Corrélations âge-valeurs (d’après Schwartz, 2003)

Chataigné, Schadron et Morchain (2009) ont montré en outre une


interaction entre l’âge des personnes et leur groupe social. En ce
qui concerne les valeurs de conservation, plus les participants sont
âgés, plus ils leur accordent de l’importance. Mais ceci vaut surtout
pour les personnes tout-venants, comparées à des étudiants en psy-
chologie et en biologie. En ce qui concerne l’importance attachée
à la transcendance de soi, le type de groupe et l’âge interagissent
également, mais de manière différente : ce sont essentiellement les
étudiants en psychologie qui attachent d’autant plus d’importance
à la transcendance de soi qu’ils sont âgés. Cet effet est probablement
lié à l’intériorisation de ces valeurs, importantes pour des futurs
psychologues. Ainsi, si l’importance accordée aux valeurs dépend
clairement de l’âge des sujets, elle dépend non seulement des valeurs
considérées, mais aussi du type d’études.

6. Type d’études
Vernon et Allport (1931) ont comparé les résultats de différents
groupes d’étudiants ou professionnels à ceux de la moyenne
d’hommes non étudiants. Ils ont ainsi montré que les psychologues
privilégiaient davantage les valeurs théoriques et esthétiques, mais
étaient moins attirés par les valeurs économiques ; les scientifiques
étaient plus théoriques et moins économiques (mais dans cette caté-
gorie, les étudiants en biologie privilégiaient plus les valeurs esthé-
tiques que les étudiants en physique) ; les ingénieurs et les étudiants
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 67

en affaires étaient plus économiques, les étudiants en droit plus poli-


tiques ; enfin les étudiants en littérature moins théoriques et plus
esthétiques. Les vendeurs se montraient plus économiques et plus
politiques ; et les théologiens plus sociaux et beaucoup plus religieux
que la moyenne. Les étudiants en théologie se montraient toute-
fois moins religieux et moins économiques que les catholiques en
général. Verkasalo, Daun et Niit (1994, cités par Helkama, 1999)
ont comparé des étudiants de trois filières (commerce, technologie,
sciences humaines et sociales) de trois pays (Suède, Finlande et
Estonie). Indépendamment du pays, les étudiants des filières com-
merciales valorisent davantage le pouvoir et l’accomplissement de soi
que les étudiants en technologie. Ces derniers accordent une plus
grande priorité à ces valeurs que les étudiants en sciences humaines
et sociales. Ces deux types de valeurs semblent ainsi davantage
reliées à l’économie qu’à la nationalité. Sagiv et Schwartz (2000,
p. 189) ont montré que les étudiants en psychologie attribuent plus
d’importance à la bienveillance et à l’universalisme que des étudiants
en commerce, ces derniers accordant plus d’importance aux valeurs
de pouvoir et d’accomplissement. Or les étudiants en psychologie
développant plutôt des croyances et des pratiques en lien avec la rela-
tion à autrui, les étudiants en commerce, des croyances plutôt liées
à l’individualisme, ceci est aussi à relier à l’idéologie. Enfin, plus
généralement, quand le niveau d’éducation augmente, les valeurs
d’autonomie gagnent en importance. Quant à l’indépendance pro-
fessionnelle, elle semble aller de pair avec une priorité accordée aux
valeurs universalistes et à l’autonomie (Helkama, 1999).
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7. Valeurs et personnalité
Ce que voit un homme dans la valeur, particulièrement ce qu’il voit dans
la valeur la plus élevée de sa vie, celle qui rend la vie importante à ses
yeux, c’est cela que nous devons savoir, si nous voulons comprendre sa
personnalité.
Stern, 1923, cité par Allport et Vernon, 1930, p. 697.

Selon Shri Aurobindo (Le Cycle humain, cité par Carfantan, 2006), il
y aurait trois types d’humains. L’homme-vital place la réussite sociale
et le profit au sommet de l’échelle des valeurs, et, en bas, les valeurs
esthétiques et intellectuelles. L’homme-mental place au sommet
les valeurs intellectuelles et les valeurs esthétique et en dessous,
68 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

les valeurs économiques. L’homme-éthique porte au sommet de


l’échelle des valeurs, les valeurs morales. Pour Spranger (1928), la
compréhension du fonctionnement humain passe par la prise en
compte des valeurs, qui sont en nombre limité ; les caractéristi-
ques psychologiques sont toutes marquées par l’évaluation, et per-
mettent de définir différents types humains. Pour lui, les valeurs
sont des motivations amenant les personnes à privilégier telle ou
telle dimension d’un objet. Pour Spranger, l’homme « théorique »
est surtout préoccupé de la découverte de la vérité, l’important est
d’observer et de raisonner, il cherche à ordonner et à systématiser ses
connaissances. L’homme « politique » est principalement intéressé
par le pouvoir, mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, il
ne se situe pas forcément dans le champ politique. L’homme « éco-
nomique » s’intéresse à ce qui est utile. Il cherche à accumuler les
biens, il est orienté vers la consommation, le monde des affaires.
L’homme « esthétique » voit dans la forme et l’harmonie les plus
hautes valeurs. Spranger voit dans ce type d’homme un type opposé
au type théorique. Pour l’homme « social », l’amour (quelle que
soit sa manifestation) est la plus haute des valeurs. Dans sa forme
extrême, le « social » peut se rapprocher d’une attitude religieuse.
Pour l’homme « religieux » enfin, l’unité est la plus haute valeur.
Il cherche à comprendre le cosmos, et se conçoit comme relié à ce
dernier. Il peut être mystique. Spranger pense que chaque type de
valeur coexiste à des degrés divers chez chacun, et que ces valeurs
sont liées les unes aux autres de différentes manières. Il n’y a donc
pas, pour lui, de type « pur ». Pour Lavelle (1950, p. 17) : « (…) ce
n’est pas assez de dire de la personne qu’elle a une valeur, car cette
valeur qui est en elle, c’est ce qui la fait être, c’est elle-même ». Selon
Norman Feather on l’a vu, les valeurs proviennent aussi du sens de
soi de la personne. Clairement, en tout cas, les valeurs sont liées à
certaines dimensions de la personnalité. Il a par exemple été montré
que les valeurs (d’après Schwartz) les plus corrélées positivement à
l’autoritarisme sont conformité, tradition, sécurité, pouvoir et bien-
veillance (Rohan et Zanna, 1996). En d’autres termes, ces valeurs
sont privilégiées par les personnes autoritaires. Dans le cas du moni-
torage de soi (self-monitoring, voir encadré), il a été montré que
des sujets qui croient que leurs attitudes remplissent une fonction
d’expression de leurs valeurs personnelles (De Bono, 1987) sont
plus sensibles à des arguments orientés vers des valeurs, tandis que
des sujets croyant que leurs attitudes remplissent une fonction
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 69

d’ajustement social sont plus sensibles à des arguments censés pro-


venir de leurs pairs (Murray, Haddock et Zanna, 1996). Bilsky et
Schwartz, dès 1994, ont montré pour leur part l’existence d’un lien
entre différentes variables de personnalité et la priorité de valeurs
des personnes. Par exemple, la franchise et l’agressivité sont liées
aux valeurs de pouvoir et de réussite, et les préoccupations pour la
santé et l’inhibition le sont aux valeurs de sécurité et de conformité.
L’extraversion est quant à elle liée aux valeurs d’hédonisme et de
stimulation. Roccas, Sagiv, Schwartz et Knafo (2002) ont pu mon-
trer le lien entre les valeurs et le Big Five (modèle de personnalité,
voir Rolland, 2004). En particulier, la dimension caractère agréable
corrèle avec les valeurs bienveillance et tradition, la dimension
ouverture avec les valeurs autonomie et universalisme, la dimension
extraversion avec les valeurs accomplissement et stimulation, enfin la
dimension consciencieux avec les valeurs accomplissement et confor-
mité. Toutefois si deux dimensions sont liées, rien ne nous indique
que l’une soit l’origine, la cause, de l’autre. La corrélation peut tout
simplement venir du fait que les sujets répondent à deux question-
naires et cherchent à se montrer cohérents dans leurs réponses.
Enfin, si les valeurs et les traits de personnalité sont liés, ils doivent
être clairement différenciés. En effet, les valeurs renvoient à ce que
la personne pense désirable ou important, les traits de personnalité
renvoient à ce qu’est la personne, ou à ce qu’elle est censée être
(Roccas et al., 2002). Si l’on peut faire le lien entre les valeurs et la
personnalité, il serait hasardeux de les réduire les unes à l’autre. Car
bien que les personnes privilégient certaines valeurs, et que cette
hiérarchie puisse être reliée à ce que les personnes sont ou seraient,
elle n’est pas indépendante des situations.

Self-monitoring ?
Les personnes peuvent agir suivant les pressions du contexte ou de manière
cohérente avec leurs valeurs personnelles (Snyder, 1979, 1987). Selon cette
optique, les personnes dites « low monitors » agissent de manière cohérente
avec leurs valeurs, avec ce qu’elles sont censées être ; tandis que les per-
sonnes « high monitors » agissent davantage en accord avec les demandes
de leur entourage. Ce mode de fonctionnement psychologique amène les
personnes à être sensibles à des arguments différents, à choisir leurs parte-
naires pour des raisons différentes, etc.
70 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

8. Le lien aux contextes et aux pratiques


Si l’on s’intéresse par exemple à l’évolution des « images » et des
croyances au fil des siècles, le lien entre valeurs, pratiques sociales et
systèmes de croyances est évident. Par exemple, Élisabeth Badinter
(1980) analyse l’évolution du sentiment maternel et discute la ques-
tion de la dimension idéologique sous-jacente, en particulier la jus-
tification du système. Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer (1981)
ont analysé l’évolution de l’image du corps, éminemment évalua-
tive. Quant à Chombart de Lauwe (1979) et Ariès (1973), ils ont
étudié l’évolution de la représentation de l’enfant : d’une représenta-
tion connotée négativement, on est passé à une idéalisation de l’en-
fance, que Chombart de Lauwe (1984) assimile à un mythe. D’une
manière ou d’une autre, ces auteurs évoquent le fait que quand les
pratiques changent, les valeurs changent. Mais allons plus loin. On
sait depuis les travaux de Newcomb (1943) que les valeurs (et plus
généralement les systèmes de croyances) des personnes sont fonc-
tion de leur intégration dans différents groupes sociaux (Bourhis et
Gagnon, 1994 ; Bourhis et Leyens, 1994). Ainsi Newcomb et ses
collaborateurs ont étudié l’évolution des attitudes politiques des étu-
diantes du collège de Bennington. Comme le montre le tableau 2.6,
comparativement aux attitudes de leurs parents envers les candidats
à l’élection présidentielle de 1936, celles des jeunes filles s’en écar-
tent selon leur année d’études (surtout selon leur intégration dans le
groupe social). Plusieurs années plus tard, les auteurs ont interrogé
d’anciennes étudiantes, et ont montré que les valeurs libérales déve-
loppées à Bennington avaient persisté (voir la présentation synthé-
tique de Tiboulet, 2005).
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 71

Tableau 2.6 – Opinions (%) des étudiantes


et de leurs parents quant à différents candidats
1re année 2e année 3e et 4e années

Étudiantes

Étudiantes

Étudiantes
Parents

Parents

Parents
Landon (républicain) 62 66 43 69 15 60
Roosevelt (démocrate libéral) 29 26 43 22 64 36
Thomas (socialiste) 9 7 15 8 30 4
Bowder (communiste)

L’intégration dans le groupe n’est certes pas le seul facteur de


contexte susceptible de jouer sur les valeurs. Le fait de vivre une
expérience particulière peut également jouer. Ainsi une étude pilote,
menée sur un échantillon très restreint (le tableau 2.7 est donné à
titre indicatif, car aucune statistique inférentielle n’a été calculée
du fait de la taille limitée de l’échantillon), a montré également que
la hiérarchie des valeurs chez des astronautes de la NASA change
après un vol spatial (Suedfeld, 2006). En particulier, l’importance
accordée aux valeurs de transcendance (ici, spiritualité et univer-
salisme) augmente fortement, tant chez les hommes que chez les
femmes. On note aussi chez les femmes une baisse dans l’impor-
tance accordée aux valeurs d’accomplissement. Chez le personnel au
sol en revanche, aucun changement n’est relevé. Si l’on revient sur
Terre, une autre étude a montré combien les systèmes de valeurs
sont sensibles à des événements extérieurs, en l’occurrence les actes
de terrorisme. Ainsi, après les attentats de Madrid (11 mars 2004),
les personnes interrogées en Espagne ont montré un plus haut degré
d’autoritarisme, de conservatisme et de préjugés racistes, non seule-
ment envers le groupe des Arabes, mais aussi envers celui des Juifs.
En outre, leur adhésion à des valeurs conservatrices a augmenté,
tandis que celle à des valeurs de liberté a décru (Echebarria-Echabe
et Fernandez-Guede, 2006).
72 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

Tableau 2.7 – Changement de valeurs chez des astronautes


Hommes Femmes
Avant le vol Après le vol Avant le vol Après le vol
Accomplissement 1.43 1.60 1 .13
Hédonisme .46 .90 .52 .10
Bienveillance .46 .90 .23 0
Transcendance .11 1.20 .58 1.10

IV. LA QUESTION DU CHANGEMENT DE VALEURS


Ma grand-mère disait parfois : « Il n’y a plus de valeurs ! », ce à quoi le
voisin répondait : « C’est bien vrai, ça ! » Il est assez trivial d’affirmer
que les valeurs changent, qu’elles peuvent être anciennes, actuelles
ou nouvelles. Mais dans quelles conditions les valeurs changent-elles,
si tant est qu’elles changent vraiment ? Pour Rezsohazy (2006), ce
n’est que lorsqu’un problème survient que les valeurs peuvent être
remises en question. Ce problème peut être de différents ordres,
mais il perturbe le système de valeurs. Si ce dernier peut répondre, le
problème est résolu, et le système est maintenu. Si en revanche il ne
peut répondre, du fait d’un équipement culturel « insuffisant », il y a
effondrement du système de valeurs, ou encore décomposition suivie
de recomposition. L’idéologie est parfois décrite comme un des lieux
où sont créées les valeurs nouvelles : « souvent diffuses ou latentes,
ces nouvelles valeurs trouvent finalement leur formulation dans un
schéma idéologique qui les explicite. Il arrive aussi que ce que l’on
appelle des valeurs nouvelles soient en réalité des valeurs anciennes
ou actuelles, que l’idéologie redéfinit par rapport à un contexte nou-
veau, ou auxquelles elle donne un sens qui était demeuré implicite,
ou encore qu’elle présente sous un jour différent par l’arrangement
qu’elle leur fait subir dans un nouveau système d’idées et de juge-
ments » (Rocher, 1968, tome III, p. 90 ; Rezsohazy, 2006). Ainsi,
il semble qu’un changement de valeurs soit plutôt un changement
dans la hiérarchie des valeurs : les valeurs dominantes s’affaibliraient
et seraient remplacées par une de leurs variantes. Une autre expli-
cation est celle de Milgram (1974), qui pensait par ailleurs que le
sens moral des sujets ayant participé à ses expériences sur la soumis-
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 73

sion à l’autorité n’avait pas changé, mais qu’il changeait simplement


d’objectif : « L’intéressé ne porte plus de jugement de valeur sur ses
actions. Ce qui le préoccupe désormais, c’est de se montrer digne
de ce que l’autorité attend de lui » (p. 25, voir aussi Rocher 1968,
tome I, p. 83 ; Boudon, 1995). Le changement de valeurs est donc
toujours à relier aux contextes (Seligman et Katz, 1996).
Si l’on peut difficilement dire que les valeurs changent, on peut en
revanche s’intéresser aux facteurs qui pourraient entraîner leur chan-
gement. On doit aussi se demander de quel changement il est ques-
tion. Une approche intéressante est celle de Maio et Olson (1998),
qui considèrent les valeurs comme des truismes. Un truisme, selon
McGuire (1964, p. 201), est une information qui paraît évidente
et indiscutable. Les valeurs sont des truismes, car elles ne sont pas
controversées, les personnes y adhèrent totalement. Qui plus est, elles
peuvent être fortement en accord avec une valeur, sans connaître les
raisons la soutenant ou s’y opposant. Les valeurs s’imposent à tous
sans plus de discussion, pour Rokeach grâce à la socialisation et à la
rigidité des processus d’apprentissage ; pour Schwartz car les valeurs
relèvent de besoins humains « universels ». Maio et Olson (1998)
notent que les conflits de valeurs portent sur des questions reliées
aux valeurs, mais pas sur les valeurs elles-mêmes : on peut se battre
au nom de la liberté sans jamais remettre en question l’idée même
de liberté, ses fondements, ses implications. Par conséquent, les gens
devraient présenter un large accord avec les valeurs, tout en étant
très peu conscients des raisons pour lesquelles ils les soutiennent
(c’est d’ailleurs le cas des valeurs auto-justifiantes). Si les valeurs
sont des truismes, elles devraient avoir deux caractéristiques : d’une
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part les gens devraient montrer un haut degré d’accord avec elles,
d’autre part ils devraient manquer de support cognitif. De ce fait,
amener les personnes à réfléchir aux fondements des valeurs devrait
les faire changer.
Dans une étude pilote, Maio et Olson ont montré que les valeurs
de transcendance de soi (Schwartz, 1992) s’imposent plus que les
truismes médicaux utilisés par McGuire (1964). Une première
expérience montre clairement que quand les sujets disposent d’un
support cognitif (ils ont listé les raisons sous-tendant les valeurs),
l’importance qu’ils accordent aux valeurs change. En particulier, le
fait de lister des raisons sous-tendant les valeurs de transcendance les
fait changer davantage qu’il ne fait changer les valeurs d’ouverture
74 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

au changement. Ce changement, bidirectionnel, ne se traduit pas par


une polarisation, une extrêmisation de la valeur. Dans une deuxième
expérience, la force du support cognitif a été manipulée. Les résul-
tats ont montré que lorsque le support cognitif des valeurs est fort,
l’importance qui leur est accordée ne change pas. En revanche, et ce
résultat reproduit ceux de la première expérience, quand le support
cognitif est faible, l’analyse des raisons sous-tendant les valeurs de
transcendance entraîne un plus grand changement dans l’importance
qui leur est accordée que dans celle attribuée aux valeurs d’ouverture
au changement. On notera enfin que le changement relevé par Maio
et Olson est en fait un changement dans l’importance accordée à la
valeur, mais pas un changement de valeur.
Toutes les valeurs sont-elles des truismes ? Probablement pas. Pour
Maio et Olson (1998), certaines valeurs peuvent être davantage
truistiques que d’autres. Au niveau individuel, les valeurs les plus
centrales pour une personne, celles liées à la définition de soi, peu-
vent présenter un support cognitif plus important que d’autres,
donc être moins susceptibles de changer. Il est aussi possible que
les valeurs soient moins truistiques chez les plus âgés que chez
les jeunes. Cependant ceci n’est envisageable que si les plus âgés
ont été amenés à développer un support cognitif aux valeurs ; en
revanche on peut en douter si, du fait de leur insertion dans le sys-
tème culturel, ils ont encore plus intégré les valeurs sans s’interroger
sur leurs fondements. Par ailleurs, des facteurs culturels pourraient
jouer. Par exemple, dans une société proposant plusieurs modèles
idéologiques, du fait de la comparaison induite, les gens peuvent
être amenés à examiner les raisons de leurs valeurs, voire à être
motivés à le faire, pour pouvoir les défendre ; de ce fait elles seraient
moins truistiques. Maio et Olson observent que les pays européens
débattent couramment d’idéologies différentes (socialisme ou com-
munisme vs capitalisme), et que les USA ont la même idéologie
depuis 200 ans. Il en découle que les valeurs devraient être plus
truistiques pour les Américains que pour les Européens. En outre,
selon le contexte culturel et sociétal, certaines valeurs sont suscep-
tibles d’être plus questionnées que d’autres. Quelques valeurs spé-
cifiques, par exemple le pouvoir, ne fonctionnent probablement pas
comme des truismes parce qu’elles sont controversées ou débattues.
D’autres n’ont peut-être jamais été questionnées de façon ouverte
parce qu’elles sont des absolus métaphysiques.
Chapitre 3
À quoi ser vent les valeurs ?

I. LES VALEURS SONT DES GUIDES :


ELLES ONT UNE FONCTION D’ORIENTATION
Selon Kluckhohn et Strodtbeck (1961, cités par Rocher, 1968,
tome I), le nombre de problèmes fondamentaux auxquels l’homme
est confronté, tout comme le nombre des solutions possibles, est
limité. Le choix d’une solution correspond à une valeur dominante
à un moment donné. Les autres solutions non préférentielles demeu-
rent pourtant présentes, à titre de valeurs variantes ou substituts.
Les valeurs sont ici conçues comme orientatrices des choix, jouant
à un niveau conscient : le choix entre différentes valeurs amène les
sujets et les collectivités à décider que certains modèles sont plus
conformes que d’autres à leur vision du monde, à leur idéal de vie, à
l’idée qu’ils se font de l’homme et de sa destinée, etc.

1. Perception et jugement social


L’expression jugement social renvoie ici au fait que le jugement
dépend du contexte social, et que la cible en est un être humain
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(individu ou groupe). Nous vivons dans un contexte historique,


économique, politique (pour le dire succinctement, un contexte
« idéologique ») qui nous amène à percevoir le monde, à prendre
position, à juger autrui, à agir (Amerio, 1991). Ces normes et
valeurs sociétales prennent plus de poids au cours de la discussion
et de la décision collective (Myers et Bach, 1974). Certaines valeurs
culturelles favorisent la prise de risque : parfois les jeunes, voulant
paraître sans peur, tendent à se déplacer vers une position risquée
quand ils interagissent avec leurs pairs (Brown, dès 1965) ; et les
gens aiment souvent ceux qui prennent des décisions risquées (Jel-
lison et Riskind, dès 1970). Nous jugeons donc dans des contextes
particuliers, dans lesquels les déterminants de nos jugements nous
76 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

échappent (Bargh, 1997, 1999, 2006 ; Nisbett et Bellows, 1977 ;


Schadron, 1997), mais dans lesquels les valeurs sont toujours pré-
sentes, soit en termes idéologiques, soit en termes de valeur associée
au jugement, à la personne, etc.

• Perception des objets


Dès 1947, Bruner et Goodman ont montré que des enfants sures-
timaient la taille des pièces de monnaie relativement à des disques
de carton de même diamètre. Cette surestimation variait selon les
contextes sociaux : elle était plus grande pour des enfants de milieux
défavorisés que pour ceux de milieux favorisés. L’objet de jugement
est ici loin d’être quelconque, il est chargé de valeur économique.
Selon Tajfel (1957), l’effet d’accentuation ne se produit que quand il
y a correspondance entre la valeur et une autre dimension de l’objet
(par exemple, plus la valeur des pièces augmente, plus leur taille
croît). De leur côté, Postman, Bruner et McGinnies (1948) ont
montré que des mots ayant une forte valeur pour la personne sont
plus rapidement reconnus que des mots de faible valeur. Selon eux,
l’orientation du système de valeurs a une fonction sensibilisatrice :
elle abaisse le seuil perceptuel. Mais elle peut élever les seuils pour
des objets stimuli non acceptables (fonction de défense perceptuelle).
Enfin, la personne percevra plus volontiers des objets stimuli qui se
situent dans la même zone de valeur que ses hypothèses favorites
(résonance à la valeur ; voir aussi Forgas, 1990, 1992). Jozef Nuttin a
ainsi mis en évidence le Letter’s name effect dès 1985 : nous sommes
inconsciemment influencés dans nos préférences par les lettres de
nos nom et/ou prénom, et les chiffres de notre date de naissance. Il
a été montré aussi que la valeur d’un préjudice affecte la reconnais-
sance ultérieure d’un voleur : quand les sujets sont informés de la
valeur de l’objet avant d’observer une scène de vol, 19 % reconnais-
sent le voleur quand l’objet est de faible valeur (1,50 $), alors qu’ils
sont 56 % quand l’objet est de forte valeur (50 $) (Leippe, Wells et
Ostrom, 1978 ; Py et Ginet, 1996). Quant à Erdelyi et Appelbaum
(1973, cités par Le Floch et Somat, 1998), ils ont montré que la
valeur associée à un objet peut altérer la qualité de rappel d’autres
stimuli. Ils ont présenté à des sujets de confession juive soit une
croix gammée (forte valeur négative), soit une étoile de David (forte
valeur positive), soit un objet sans valeur particulière, entouré de
huit autres objets. Conformément aux hypothèses, la présence de
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 77

l’étoile de David ou de la croix gammée au centre de l’écran altérait


significativement le rappel des autres stimuli, l’attention des sujets
étant focalisée sur l’objet fortement évaluatif. C’est donc l’intensité
de la valeur qui altère la mémorisation, et non pas la valeur en tant
que telle. En outre dans le cas présent, est-ce la valeur en soi de
l’objet qui joue, est-ce l’émotion, est-ce le fait que l’objet chargé
de valeurs renvoie d’une part à l’identité groupale, d’autre part aux
relations intergroupes marquées tragiquement par l’Histoire ? Dans
un contexte plus ambigu, Deconchy (1993) a présenté aux sujets un
stimulus censé représenter le visage du Christ, comme il est repré-
senté dans l’iconographie religieuse. En fait le matériel, ambigu,
était présenté comme renvoyant à une causalité miraculeuse (une
photographie prise par une croyante lors d’un pèlerinage), ou tech-
nologique (un montage photographique). Les résultats ont montré
que les croyants voient moins le visage du Christ dans la condition
« causalité miraculeuse ». Selon Deconchy, tout se passe comme si
les sujets s’immunisaient contre ce qui les remet trop en question
(voir aussi Deconchy, 2000).

• Image de soi, formation d’impressions et jugement d’autrui

La formation d’impressions ne peut pas être réduite à un simple trai-


tement cognitif de l’information, mais est certainement profondément
affectée par les valeurs, les critères et les normes de la culture environ-
nante.
Forgas, 1985, p. 5.
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Pour Rokeach (1973), les valeurs permettent à l’individu de main-


tenir et d’augmenter l’estime de soi. Chin et McClintock (1993) ont
montré que l’estime de soi des sujets compétitifs est plus forte quand
la situation les oblige à attribuer les allocations de manière consis-
tante avec leur orientation de valeur. Cependant ce phénomène ne
se produit pas chez des sujets pro-sociaux obligés d’être équitables.
Par ailleurs, on sait depuis les travaux de Codol (1976) que la per-
sonne a tendance à s’estimer meilleure que la moyenne des autres
personnes, ce qui lui permet de préserver le sentiment d’une identité
positive. Cette tendance dépend des normes et valeurs groupales :
quand la norme est compétitive, les sujets tendent à s’estimer plus
compétitifs que les autres membres du groupe ; à l’inverse, lorsque
78 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

la norme est coopérative, ils tendent à s’estimer plus coopératifs que


les autres (Codol, 1968).
Quand nous parlons d’autrui, nous l’évaluons surtout : la majeure
partie d’entre nous dit ne pas juger autrui, mais n’a aucun problème
à le trouver sympathique et honnête, par exemple. Isabelle Milhabet
et Jean-Marc Monteil (1995) différencient la description, qui révé-
lerait les propriétés ou activités des personnes, et l’évaluation, qui
rendrait compte de leur valeur ou utilité sociale pour autrui. Ils ont
montré que, parlant d’autrui, les sujets puisent principalement dans
le registre évaluatif. Toutefois cela dépend de la nature de la tâche :
l’utilisation des traits de personnalité est massive en évaluation, en
revanche les traits physiques sont davantage utilisés en description.
Depuis les travaux de Asch (1946) sur la formation d’impression,
on sait que certains éléments ont plus d’impact sur les impressions
que nous nous formons d’autrui. Il a montré que, dans une liste
décrivant une personne fictive1, certains mots (en l’occurrence cha-
leureux ou froid, fortement évaluatifs) structurent davantage l’im-
pression. Des termes moins évaluatifs, (poli ou grossier) semblent
moins structurer l’impression. De leur côté, Labourin et Lecourvoi-
sier (1986) ont montré qu’un mot-trait a d’autant plus d’impact dans
la formation d’impression qu’il est polarisé sur une dimension éva-
luative. Anderson (1974) a montré que la formation d’impression se
fait suivant un modèle par moyenne, c’est-à-dire que les personnes
prennent en compte le caractère positif ou négatif des attributs, leur
importance et l’impression initiale. Kanouse et Hanson (1971) ont
montré que les traits négatifs avaient plus de poids que les traits
positifs dans la formation d’impression. Quant à Forgas (1985), il a
montré que les valeurs déterminent les stratégies cognitives adop-
tées par les personnes quand elles ont à juger autrui.
Quant à juger une personne, autant en dire plutôt du bien. Ce phé-
nomène semble général, et renvoie à ce que Boucher et Osgood
(1969) ont appelé l’effet de Pollyanne : les êtres humains parais-
sent utiliser davantage de mots positifs que de mots négatifs, qui
d’ailleurs sont moins fréquents. Pour dire les choses succinctement,
l’être humain montre une très nette tendance à voir le monde de
manière positive, et ses jugements d’autrui sont généralement posi-

1. Décrite soit comme intelligent, adroit, travailleur, chaleureux, déterminé, pratique et pru-
dent, soit comme intelligent, adroit, travailleur, froid, déterminé, pratique et prudent.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 79

tifs. Cela étant, l’effet de Pollyanne est variable. Il apparaît entre 7


et 8 ans : avant cet âge, les enfants jugent moins positivement et sont
moins hésitants à émettre leur jugement ; après cet âge, leurs juge-
ments sont plus positifs et ils se montrent plus hésitants avant de les
poser (Drozda-Senkowska, 1990). En outre, le Pollyanne reste très
dépendant des contextes sociaux (Drozda-Senkowska et Personnaz,
1988 ; Drozda-Senkowska et Débard, 1991 ; Amabile et Glaze-
brook, 1982). Cette norme de bienveillance constitue une norme
de réciprocité de base (chacun attend que l’autre soit bienveillant
envers lui-même), elle est aussi reliée à l’égalité, « une des valeurs
dominantes de notre culture », considérée « comme une condition
de l’harmonie des relations au sein d’une société » (Codol, 1971,
p. 1053-1054).

• Catégorisation sociale et identité sociale


On ne peut pas parler de jugement social sans envisager la catégori-
sation sociale. En effet, il est plus facile de juger des personnes caté-
gorisées comme membres de groupes que des personnes formant un
agrégat (Schadron, Morchain et Yzerbyt, 1996). En outre le fait d’être
catégorisé n’est pas sans conséquences évaluatives. Par exemple, Tajfel
a montré que le simple fait de catégoriser aléatoirement des sujets en
deux groupes entraîne l’apparition du biais pro-endogroupe, c’est-
à-dire la tendance à surévaluer son propre groupe et à sous-évaluer
l’autre groupe (Ferguson et Kelley, 1964 ; Tajfel, Billig, Bundy et Fla-
ment, 1971), ou à lui attribuer des valeurs différentes (Betancor et al.,
2003), un phénomène appelé « ethnocentrisme » par Sumner (1906).
Les valeurs jouent par ailleurs un rôle dans la catégorisation (Tajfel,
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

1972 ; Leyens, Aspeel et Marques, 1987). Par exemple la catégorisa-


tion dépend de ce que les sujets perçoivent comme important. Selon
Tajfel (1972) le rôle des valeurs dans la catégorisation est double.
Au niveau de la formation des catégories d’abord, Tajfel et Jahoda
(1966) ont demandé à des enfants de comparer des pays représentés
par des carrés de plastique noir de taille variable. Les résultats ont
montré que si les enfants plus âgés ordonnent d’abord les pays étran-
gers en termes de grandeur, des enfants âgés de 6-7 ans les classent
d’abord par ordre de préférence, selon qu’ils sont perçus comme bons
ou mauvais. Tajfel note ainsi que « (…) l’assignation aux catégories
sociales est fortement influencée par le mode de validation qu’im-
pose le consensus social, et par les systèmes de valeurs » (Tajfel, 1972,
80 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

p. 276). Les valeurs jouent ensuite un rôle sur le plan du maintien des
catégories. D’une part, elles permettent l’assignation à des catégories
sociales : toute information est sélectionnée et réinterprétée dans le
but de renforcer et de confirmer la structure des catégories évalua-
tives. Plus particulièrement, « plus il existe des différences de valeurs
entre catégories sociales, plus les valeurs d’assignation tendront à l’in-
clusion dans la catégorie valorisée négativement et à l’exclusion dans
la catégorie valorisée positivement » (p. 283-284). En des termes plus
triviaux, cela signifie qu’il ne faut pas « manquer » un sujet perçu
comme « impur » (voir Tajfel, 1969, voir aussi Marques, 1990 ; Mar-
ques et Yzerbyt, 1988). Cette tendance semble particulièrement nette
quand les critères de reconnaissance de la cible à juger sont incertains
(Pettigrew, Allport et Barnett, 1958 ; cités par Tajfel, 1972). Outre
l’assignation à des catégories sociales, les valeurs contribuent à les déli-
miter clairement. Enfin les systèmes de catégories chargés de valeur
résistent plus fortement au feedback d’une information contradictoire,
qui est souvent transformée de manière à éliminer la contradiction et
à maintenir les différences intercatégorielles. Les systèmes catégoriels
chargés de valeur tendent ainsi à « amplifier des différences minimes
ou à minimiser des différences notables » (Tajfel, 1972, p. 287), dans
ce cas « on doit généralement s’attendre à rencontrer une sur-simpli-
fication considérable » (ibid).

La surinclusion dans la catégorie négative : deux exemples


Le premier, dont on ne discutera pas ici de la véracité historique, se trouve
dans l’Ancien testament (Juges 12, 5-6) : « Galaad s’empara des gués du
Jourdain du côté d’Éphraïm. Et quand l’un des fuyards d’Éphraïm disait :
Laissez-moi passer ! Les hommes de Galaad lui demandaient : Es-tu Éphraï-
mite ? Il répondait : Non. Ils lui disaient alors : Hé bien, dis “Schibboleth”.
Et il disait “Sibboleth”, car il ne pouvait pas bien prononcer. Sur quoi les
hommes de Galaad le saisissaient, et l’égorgeaient près des gués du Jour-
dain. Il périt en ce temps-là quarante-deux mille hommes d’Éphraïm. » Le
second exemple est celui des Matines de Bruges (18 mai 1302), où environ
un millier de personnes furent tuées dans leur lit si elles ne prononçaient pas
correctement l’expression flamande « Schild en vriend » (« bouclier et ami » ;
une autre version dit qu’il s’agirait plutôt de la phrase « des gilden vriend »,
« ami des guildes »), difficile à prononcer pour un francophone. Il s’agis-
sait pour les flamands de repérer les soldats de la garnison française, mais
on doit supposer que des personnes enrhumées, ou tout simplement mal
réveillées et inquiètes parce que tirées du lit, ont été massacrées ce jour là.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 81

L’identité sociale réfère au fait qu’une personne est considérée


comme ayant une identité individuelle – qui lui serait spécifique –
et des identités sociales, aussi variables que le nombre de groupes
auxquels le sujet s’identifie (Hogg et Abrams, 1988 ; Tajfel, 1978 ;
Tajfel et Turner, 1979, 1985). Selon Tajfel, « l’identité sociale d’un
individu est liée à la connaissance de son appartenance à certains
groupes sociaux et à la signification émotionnelle et évaluative 1 qui
résulte de cette appartenance » (1972, p. 292). La théorie de l’iden-
tité sociale postule que le besoin fondamental de l’individu est de
construire et préserver une identité positivement évaluée, distincte de
celle d’autrui (Turner et Brown, 1978). Pour ce faire, le sujet dispose
de différentes stratégies, par exemple de surestimer la valeur de son
groupe au détriment de celle de l’autre groupe (Ferguson et Kelley,
1964 ; Tajfel et Jahoda, 1966), ou encore de surestimer sa propre
valeur par rapport à autrui (Codol, 1976). Ainsi Zavalloni (1973) a
montré que des sujets, tous français, jugeaient plus positivement un
groupe décrit comme « Nous, les Français » que comme « Eux, les
Français ». Selon la théorie de l’identité sociale, la personne recherche
une identité positive au sein d’un groupe, qu’elle quittera si ce dernier
ne lui permet pas de la maintenir. Si elle ne peut quitter le groupe,
diverses stratégies cognitives et/ou comportementales sont possibles :
agir pour modifier la situation et/ou la réinterpréter (en se comparant
aux autres : « les autres sont moins bons que nous », ou en réévaluant
une caractéristique du groupe : « Black is beautiful »). Clark et Clark
(1947) ont montré que des enfants noirs américains préféraient des
poupées blanches à des poupées noires, tout en sachant que ces der-
nières leur ressemblaient plus. De plus, ce choix en faveur de l’exo-
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

groupe allait souvent de pair avec des évaluations plus positives des
membres de l’exogroupe blanc que de l’endogroupe afro-américain
(Brown, 1986). Des recherches menées dans les années soixante-dix
ont montré que les enfants noirs préféraient une poupée noire, et que
les enfants préférant la poupée noire avaient une estime de soi plus
élevée que ceux qui préféraient la poupée blanche. Ce changement
coïncidait avec le fait que les Noirs américains étaient majoritaire-
ment devenus plus fiers de leur couleur depuis les années cinquante
(Schadron, 1997).

1. Souligné par moi.


82 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

• Les valeurs dans les représentations sociales, les préjugés,


et les stéréotypes
– Représentations sociales
Dès 1898, Durkheim avançait l’idée que les systèmes de représen-
tations renvoient aux normes et aux valeurs des groupes sociaux.
Fondamentalement de nature évaluative (Di Giacomo, 1980) et
directement reliées à l’idéologie (Aebischer, Deconchy et Lipianski,
1991), c’est d’abord au niveau du contenu des représentations que
l’on peut voir les valeurs à l’œuvre. Elles contribuent à la distorsion,
la supplémentation ou la défalcation de l’objet de représentation.
Dans la distorsion, tous les attributs de l’objet représenté sont pré-
sents, mais accentués ou minorés de façon spécifique (Chombart
de Lauwe, 1984). La défalcation correspond à la suppression d’at-
tributs lui appartenant. Dans la supplémentation, l’objet représenté
se voit relevé d’attributs et connotations ne lui appartenant pas en
propre. Ceci est en lien avec l’idéologie dominante.
Par exemple, le corps a été parfois représenté comme une usine, dont
le cerveau est la direction (Rose, 1975). On trouve une illustration de
cette représentation dans Tout ce que vous avez toujours voulu savoir
sur le sexe sans oser le demander (Woody Allen, 1972), où l’encéphale
est décrit comme un poste de commande géré par des scientifiques
et par ordinateur, tandis que le pénis entre en érection sous l’action
d’ouvriers dirigés par un chef de chantier vociférant. On voit aussi les
valeurs à l’œuvre au niveau de la structure des représentations. Par
exemple, elles structurent le champ de représentation : la représenta-
tion de la psychanalyse dans un même groupe (professions libérales) a
des aspects communs pour tous ses membres, mais une différenciation
s’opère selon leur idéologie. Les sujets de gauche dissocient la psycha-
nalyse des problèmes sociaux et politiques, considérés comme d’un
autre ordre ; tandis que les sujets centristes ou de droite pensent que
les problèmes psychologiques, sociaux et politiques peuvent s’intégrer
dans une image cohérente, faisant partie du même univers (Moscovici,
1961).
Jean-Claude Abric (1987) a posé l’hypothèse d’un noyau structurant
les représentations, dont la nature dépendrait en partie de des normes
et valeurs du système social. Les valeurs jouent aussi un rôle sur les
processus d’objectivation et d’ancrage. L’objectivation s’élabore en
deux étapes. Dans la première, l’information est d’abord sélectionnée,
puis décontextualisée (Jodelet, 1984). Cette sélection s’effectue sui-
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 83

vant des critères culturels (tous les groupes n’ont pas un accès égal à
l’information) et normatifs (on ne retient que ce qui est concordance
avec le système de valeurs ambiant, voir Echebarria-Echabe et Paez-
Rovira, 1989). Ce travail aboutit à ce que Herzlich (1972) appelle
schéma figuratif, sorte de résumé essentiel de la représentation. Par
exemple, le schéma figuratif de la psychanalyse « oublie » la libido,
notion essentielle chez Freud mais qui, renvoyant à la sexualité, met
en jeu les valeurs et normes sociales (voir aussi Jodelet, 1989a). La
seconde étape de l’objectivation est la naturalisation, qui confère une
réalité tangible à ce qui était originellement une abstraction, qui a
tendance à « figer l’autre dans un statut de nature » (Jodelet, 1984,
p. 371) et permet de justifier toute ségrégation (voir les théories biolo-
gisant l’intelligence, Gould, 1983 ; Mugny et Carugati, 1985). Quant
au second processus, l’ancrage, il concerne l’enracinement social de
la représentation et de son objet (Moscovici, 1961). Il permet à l’in-
dividu de rendre l’insolite familier (la psychanalyse est assimilée à la
confession, l’ordinateur à l’être humain : il « ne veut pas sortir les don-
nées »). « En amont, [l’ancrage] enracine la représentation et son objet
dans un réseau de significations qui permet de les situer en regard
des valeurs sociales et de leur donner cohérence (…). En aval (…)
l’ancrage sert à l’instrumentalisation du savoir en lui conférant une
valeur fonctionnelle pour l’interprétation et la gestion de l’environ-
nement » (Jodelet, 1989a, p. 56). En fin de compte, par l’ancrage, le
groupe exprime ses contours et son identité, son système de valeurs.
Les valeurs permettent ainsi de définir les clivages des groupes (pour
une critique, voir Jahoda, 1988 ; Trognon et Larrue, 1988).
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

− Préjugés et stéréotypes
Le préjugé est un pré-jugement, un jugement antérieur à toute ren-
contre effective avec l’autre. On peut avoir des préjugés à l’endroit de
membres de n’importe quelle catégorie sociale autre que la sienne.
Des personnes peuvent ainsi être la cible de préjugés en raison de
leur appartenance confessionnelle, ethnique, ou encore sexuelle. Le
préjugé est clairement un jugement de valeurs, mais contrairement
à ce que l’on peut croire (Allport, 1954 ; Gardner, 1994), il n’est
pas forcément négatif (Saenger, 1953). Les stéréotypes réfèrent à un
ensemble de traits, de comportements, attribués à l’ensemble des
membres d’un groupe (pour une synthèse, voir Morchain, 1998). Ils
sont liés aux valeurs d’abord par leur contenu. Ensuite, même s’ils ne
84 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

sont pas forcément liés à des réactions négatives (Secord, dès 1959),
ils colorent les évaluations que nous faisons d’autrui. Enfin ils expli-
quent pourquoi des groupes diffèrent et nous amènent à justifier
nos prises de position et nos conduites : d’après Tajfel (1981), ils per-
mettent l’explication des événements (causalité) ; la différenciation
sociale (se différencier des autres) ; et la justification. Ainsi la phrase
« les jeunes des banlieues sont casseurs » ne fait pas que décrire une
soi-disant particularité des jeunes des banlieues, le fait d’être « cas-
seur » est connoté négativement et permet de justifier la multiplica-
tion des rondes de police, ou la nécessité de légiférer. On voit donc
apparaître les valeurs dans le contenu des stéréotypes. D’anciennes
études sur la bande dessinée ont montré par exemple que la femme
était conçue comme quantité négligeable : elle était rarement héroïne
(Pierre, 1976, cité par Bourgeois, 1978). Même héroïne, la femme
restait dominée (elle avait le plus souvent besoin de l’homme pour la
sauver). Falconnet et Lefaucheur (1975) ont montré que la femme
des années soixante-dix, dans les publicités et bandes dessinées,
était perçue de manière plutôt négative, l’homme de manière posi-
tive (voir aussi Doise et Weinberger, 1972-1973). Nos jugements de
valeurs dépendent par ailleurs des stéréotypes. Par exemple, Duncan
(1976) a montré que des Blancs jugent le comportement d’un Noir
plus violent que le même comportement émis par un Blanc.
Van Knippenberg, Dijksterhuis et Vermeulen (1999) ont étudié le
rôle des valeurs liées au stéréotype dans le jugement et la mémori-
sation. Dans leur expérience, les sujets apprennent d’abord qu’un
homme est suspecté d’être entré par effraction dans un domicile
et d’avoir volé quelques objets. Le suspect est présenté soit comme
employé de banque « sérieux, respectable et digne de confiance »,
soit comme drogué « ayant déjà purgé une peine de prison pour vol ».
Dans un second temps, des informations concernant le vol sont don-
nées par l’intermédiaire de 14 textes brefs, que les personnes lisent
soit à leur rythme (condition de charge cognitive légère), soit à la
vitesse de présentation de 8 secondes par information (charge cogni-
tive lourde). Lorsque la charge cognitive est lourde, le stéréotype
négatif a entraîné un jugement de culpabilité plus important, une
punition plus lourde, et une meilleure mémorisation des preuves que
le stéréotype positif. La dimension de valeur morale d’une personne
semble ainsi particulièrement importante dans les jugements stéréo-
typés (Morchain et Schadron, 1999 ; voir aussi Wojciszke, 2005).
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 85

Même si elles ne sont pas, loin s’en faut, le seul facteur en cause, les
valeurs peuvent être considérées comme à l’origine des préjugés et
des stéréotypes. Le racisme anti-Noirs aux USA par exemple serait
lié au fait que les Blancs croient que les Noirs violent leurs valeurs les
plus importantes, issues du protestantisme. Mais le phénomène est
plus général : si le fait d’adhérer à des valeurs humanitaires ou égali-
taires corrèle négativement aux préjugés et à la discrimination envers
plusieurs exogroupes (les Noirs, les homosexuels, ou les obèses), les
préjugés sont effectivement liés au fait que les sujets perçoivent que
les membres de l’exogroupe ne respectent pas les valeurs de leur
endogroupe (Biernat, Vescio, Theno et Crandall, 1996 ; voir aussi
Kristiansen, 1990 ; Esses, Haddock et Zanna, 1993b). C’est ce que
l’on appelle le racisme symbolique.
Dans une série de recherches (Morchain, 2006), l’impact de l’acti-
vation de valeurs sur la perception stéréotypée (abordée sous l’angle
de l’entitativité1) a été testé via un amorçage (voir Croizet, 1991 ;
Bargh, 2006). Dans l’étude 1, 120 étudiants en IUT ont été amorcés
soit sur des valeurs de transcendance de soi, soit sur des valeurs d’af-
firmation de soi. Après l’amorçage de valeurs, les sujets devaient lire
un article de presse fictif mais présenté comme réel, présentant un fait
divers : un groupe de jeunes personnes, présenté comme endogroupe
(des jeunes Français) ou comme exogroupe (des jeunes Italiens) était
aussi présenté comme vivant un sort positif (un voyage intégralement
remboursé à des voyageurs) ou négatif (une collision ayant entraîné
la mort de voyageurs). Une photo de ce groupe illustrait cet article.
Les sujets répondaient ensuite à une série de questions. Cette étude
a montré que les valeurs de transcendance de soi amènent les sujets
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

à juger plus positivement les cibles que celles d’affirmation de soi.


Ensuite, conformément à l’hypothèse, les valeurs d’affirmation de
soi ont entraîné une plus grande entitativité perçue du groupe cible
que celles de transcendance de soi. Ceci était particulièrement le cas
quand la cible était un exogroupe, et quand son sort était négatif. En
d’autres termes, les sujets ayant en tête des valeurs d’affirmation de
soi ont trouvé que les cibles se ressemblaient vraiment, particulière-
ment quand elles étaient censées vivre un sort défavorable. Enfin, les
valeurs d’affirmation de soi ont amené les personnes à être plus sûres

1. Selon Campbell (1958), les groupes humains varient en entitativité, en unité. On peut
dire que plus un groupe est stéréotypé, plus il est perçu comme entitatif (« ils sont tous
les mêmes »).
86 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

de leurs jugements concernant l’endogroupe vivant un sort positif et


ceux concernant l’exogroupe vivant un sort négatif. Cette recherche
indique en outre que l’influence des valeurs peut se produire sans
qu’il s’agisse forcément de valeurs personnelles.
Plus généralement, les valeurs de l’idéologie dominante peuvent
influencer les jugements. Ainsi, dans plusieurs études expérimen-
tales, Olivier Codou (2008) a utilisé des publicités et des messages
relatifs au développement personnel pour induire certains aspects
du spectre libéral. Comparativement à des sujets amorcés avec du
matériel neutre, des sujets amorcés avec du matériel « libéral » ont
émis plus de comportements compétitifs, adopté plus d’attitudes
compétitives et se sont montrés globalement plus individualistes.
Ils ont aussi plus homogénéisé un groupe, l’ont jugé de façon plus
radicale et ont attribué à ses membres une plus large responsabilité
dans le sort négatif qu’ils subissaient.

• L’influence des valeurs sur les jugements dépend du degré


de conscience des personnes
Certains sondages pourraient faire croire que les Français sont
maintenant moins racistes. Mais les réponses dépendent de nom-
breux facteurs (valeurs dans la situation, statut de la personne qui
interroge, question posée, type de mesure, etc.). Pour accéder à des
réponses moins dépendantes des normes et des valeurs, Fazio et
Olson (2003) ont donc proposé d’utiliser des mesures implicites,
moins contrôlables que des mesures explicites.
Par exemple Franco et Maass (1999) ont testé l’hypothèse sui-
vant laquelle la corrélation entre les mesures explicites et implicites
dépend du fait que les groupes sont ou non protégés normativement
contre la discrimination. L’étude pilote a montré la variabilité de
désirabilité de certains groupes confessionnels : clairement, pour les
sujets interrogés (des catholiques), il est acceptable d’émettre des
opinions défavorables envers les islamistes fondamentalistes, mais
pas envers les Juifs (figure 3.1). Cette étude a montré également
que les mesures explicites et implicites1 corrèlent uniquement pour

1. Dans cette étude, la mesure implicite réfère au biais linguistique intergroupe, tendance
qu’ont les gens à décrire les comportements positifs de l’endogroupe et les compor-
tements négatifs d’un exogroupe en des termes linguistiques plus abstraits (ou moins
concrets) que les comportements négatifs de l’endogroupe et positifs de l’exogroupe.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 87

le groupe cible pour lequel il n’y a pas de normes d’inhibition des


réponses discriminantes : les « islamistes fondamentalistes ».

9
8
7
6
5
4
3
2
1
s s s
ste s oin are a Ju
if
l a mi liste ém ovah Hishn
Is nta T éh
J Kr
me de
da
fon
Figure 3.1 – Acceptabilité des opinions négatives selon les groupes
confessionnels visés (d’après Franco et Maass, 1999)

Ces mesures ne sont pas corrélées (voire corrèlent négativement) pour


le groupe « Juifs », c’est-à-dire l’exogroupe pour lequel il est normati-
vement inacceptable d’émettre des opinions défavorables. En d’autres
termes quand, eu égard aux normes et valeurs sociétales, il est accep-
table de juger un groupe social, peu importe le type de mesure. En
revanche, quand il est socialement inacceptable de juger, les mesures
explicites font l’objet d’un contrôle plus fort des sujets, et peuvent de
ce fait produire des résultats différents, voire opposés, à ce que pro-
duiraient des mesures implicites (Franco et Maass, 1999, p. 476).
Dans le même ordre d’idées, Michaël Dambrun, Serge Guimond et
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Nicolas Michinov (2003) se sont intéressés aux composantes automa-


tique et contrôlée des préjugés ethniques. Ils ont montré que, lorsque
des mesures explicites sont utilisées, les sujets expriment des attitudes
favorables envers les Arabes et moins favorables envers les Français.
Cependant, les résultats sont inversés lorsque la mesure est implicite.
Pourquoi ? Selon l’approche dissociative de Patricia Devine (1989),
les mesures explicites reflètent des processus délibérés et contrôlés
qui permettent aux individus de modifier leurs réactions spontanées.
Les mesures implicites permettent l’accès aux connaissances stéréo-
typiques apprises socialement et culturellement partagées. Au final ces
recherches indiquent clairement que « le type de stratégie utilisée serait
fonction du niveau de pression sociale à ne pas exprimer d’attitudes
88 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

négatives envers l’exogroupe cible » (Dambrun, Guimond et Michinov,


2003, p. 89 ; voir aussi Crandall, Eshleman et O’Brien, 2002).
On sait par ailleurs que nous pouvons tous être influencés à notre
insu par de nombreux facteurs (Nisbett et Bellows, 1977 ; Bargh,
2006 ; Bargh, Chen et Burrows, 1996). L’impact des valeurs pour-
rait donc varier selon que les personnes sont conscientes ou non de
leur activation.
Une étude a été menée auprès de 116 personnes (étudiants en IUT)
afin de montrer d’une part que l’impact des mêmes valeurs diffère
selon le mode d’activation, d’autre part qu’il varie selon la cible du
jugement (Morchain, 2006, expérience 2). Des valeurs (transcen-
dance de soi vs affirmation de soi) ont été activées, soit par asso-
ciations libres (activation non consciente), soit par l’estimation de
l’importance de chaque valeur (activation consciente). Comme dans
l’étude précédemment citée, les sujets lisaient ensuite un article de
presse fictif présenté comme réel, puis répondaient à un question-
naire. Les valeurs d’affirmation de soi ont entraîné une perception
du groupe cible comme plus homogène que les valeurs de transcen-
dance de soi. Surtout, la cible était perçue plus comme un groupe
et comme composée de personnes se ressemblant quand les valeurs
étaient amorcées que lorsque leur activation était consciente. Ce
n’est aussi que lorsque leur activation était non consciente que des
valeurs d’affirmation de soi ont entraîné une perception plus enti-
tative de la cible que des valeurs de transcendance de soi. Enfin, ce
n’est que quand la cible était dite exogroupe que des valeurs d’affir-
mation de soi activées par associations libres ont amené les sujets à la
juger davantage que des valeurs de transcendance de soi.
Ainsi les résultats de cette étude reproduisent globalement ceux de
l’expérience 1 présentée plus haut. De plus, l’impact des valeurs sur
les jugements semble bien dépendre du fait que les sujets ont ou
non conscience de leur activation. Ainsi, contrairement à ce que
l’on pourrait croire quand on étudie l’idéologie et ses fonctions
par exemple (Baechler, 1976 ; Lipianski, 1991 ; Rocher, 1968), les
valeurs influencent aussi les sujets à leur insu.

2. Orientation des conduites


La notion de valeur se situe d’abord dans l’ordre de l’idéal, et non dans
celui du concret, même si elle s’exprime dans des actions concrètes et
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 89

si elle peut être inférée d’après ces dernières. D’ailleurs pour Lavelle
(1950), même si la valeur est de l’ordre de l’idéal (elle renvoie aux
idées, on la désire, elle est une projection), elle « porte en elle une
réalité actuelle qui réside dans une exigence de réalisation à laquelle
sans doute notre activité ne répond pas toujours » (p. 20). Les valeurs
contribuent à l’intégration sociale des personnes : elles sont partagées
par les membres d’une collectivité, et l’adhésion aux valeurs communes
est la condition de leur participation à la collectivité (Rocher, 1968,
tomes I et III). Cette intégration passe par des jugements et par des
conduites. Mais d’une part, les valeurs peuvent être conçues comme
guides des conduites, d’autre part elles peuvent en découler, consé-
cutivement à un processus de rationalisation, de justification. Pour
Château par exemple (1985, p. 23), l’acte crée et désigne la valeur1.

• Choix sociaux
Pour Rokeach (1960), un déterminant essentiel de l’attitude d’une
personne à l’égard d’une autre est le degré de similitude (ou de
congruence) de leurs systèmes de croyances. Comme Festinger
(1954), il pense que la similitude d’opinion mène à une attraction
mutuelle tandis que la dissemblance cause du rejet et de l’aversion car
elle met à l’épreuve le système de croyances propre. Pour Rokeach,
les préjugés résulteraient plutôt de la congruence des croyances, de la
perception du fait que d’autres personnes possèdent des systèmes
de croyance incompatibles avec le nôtre. Dans un grand nombre
d’études, cette hypothèse a été confirmée (Rokeach, Smith et
Evans, 1960 ; Rokeach et Mezei, 1966). Rohan et Zanna (1996) ont
demandé à des couples de classer des valeurs selon leur importance.
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Les résultats ont montré une corrélation moyenne élevée (.68) entre
les profils de valeurs dans un couple. Cela étant, on ne sait pas si
chacun avait un profil proche ou similaire avant la rencontre, et l’on
doit supposer qu’un ajustement des profils se soit produit.
Goodwin et Tinker (2002) se sont intéressés pour leur part aux liens
entre les priorités de valeurs des personnes et leur choix d’un parte-
naire idéal. Ils ont montré que plus les personnes accordent de l’im-
portance aux valeurs de dépassement de soi, plus elles accordent de
l’importance à l’attractivité du partenaire, au fait qu’il gagne bien sa
vie, au cursus universitaire, au fait qu’il soit issu d’une bonne famille,

1. Dans un autre domaine, Leroi-Gourhan (1972) développera une idée similaire.


90 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

et qu’il tienne bien la maison (good housekeeper). L’hédonisme corrèle


positivement avec la recherche d’un partenaire attirant. Les sujets les
plus conservateurs attachent par ailleurs une plus grande importance
à un partenaire privilégiant la famille. Globalement les hommes pri-
vilégient l’attractivité, les femmes valorisent l’éducation, l’intelligence.
Conformément à l’hypothèse de similarité, les sujets plus éduqués
recherchent un partenaire intelligent ayant suivi des études univer-
sitaires. Conformément au lien entre valeurs et âge, les plus jeunes
favorisent les partenaires à la personnalité excitante.
Toutefois il faut noter que l’appartenance ethnique peut l’emporter
sur les valeurs : chez Triandis (1961), la similarité ethnique explique
quatre fois plus la variance que la similarité de valeurs, résultat
contraire à l’hypothèse de la congruence des croyances. Cela peut
provenir du fait que Rokeach manipule la congruence des croyances
via des thématiques spécifiques (par exemple « les filles peuvent se
rendre dans les dortoirs des garçons »), alors que Triandis s’inté-
resse aux valeurs en termes de principes de vie. Rokeach pense que
si des thèmes spécifiques peuvent aisément affecter la sympathie
envers autrui, les valeurs sont si larges qu’elles peuvent permettre de
trouver des raisons selon lesquelles l’autre est différent.

– Discrimination
Ce terme renvoie à un traitement différent des personnes effectué
sur base de leur appartenance catégorielle, indépendamment de leurs
propriétés ou de leurs qualités individuelles, et se traduit par un rejet
d’autrui (voir par exemple Bourhis et Leyens, 1994). En droit du
travail, elle est définie comme « le traitement inégal et défavorable
appliqué à certaines personnes en raison, notamment, de leur ori-
gine, de leur nom, de leur sexe, de leur apparence physique ou de leur
appartenance à un mouvement philosophique, syndical ou politique »
(voir site http://www.juritravail.com/lexique). Les valeurs sont donc
considérées comme un des critères potentiels de discrimination. Par
exemple Simpson (1976) a observé, chez le personnel médical des
urgences, qu’en général les alcooliques, prostitué(e)s, drogués, vaga-
bonds étaient moins souvent jugés comme ayant un besoin urgent
d’attention. Selon Simpson, le personnel médical semble croire que
ces personnes méritent moins d’aide que celles qui ont un caractère
moral « supérieur ». Quant à Beaton et al. (2003), ils ont montré que
les valeurs de conservatisme et les attitudes racistes sont liées, et ont
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 91

une influence sur les estimations du nombre d’immigrants acceptable.


Selon Rokeach (1968, p. 77), la discrimination a lieu parce que les
sujets (blancs) infèrent que les Noirs ont des croyances, des valeurs
et des personnalités différentes des leurs. Sur le plan des valeurs reli-
gieuses, il a montré d’une part que plus il y a dissemblance dans un
couple, plus la probabilité du conflit augmente, tant avant qu’après le
mariage, d’autre part que les croyants se montrent plus rigides, plus
intolérants et moins humanistes que les non-croyants (voir aussi, plus
généralement, Deconchy, 1971). Plus récemment une méta-analyse
de Saroglou, Delpierre, et Dernelle (2004) a montré dans ce domaine
que les personnes religieuses tendent à privilégier les valeurs de conser-
vatisme (social et individuel), et qu’à l’inverse, elles rejettent les valeurs
d’ouverture au changement et d’autonomie ; qu’elles favorisent les
valeurs de bienveillance mais pas vraiment celles d’universalisme. Elles
rejettent l’hédonisme, et, dans une moindre mesure, les valeurs d’ac-
complissement de soi. Comme le montre la figure 3.2, les résultats sont
similaires chez des juifs, des musulmans et des chrétiens. Toutefois la
magnitude des effets dépend aussi du niveau socio-économique.

0,8 Catholiques
0,6 Musulmans
0,4 Juifs
0,2
0
-0,2
-0,4
-0,6
on
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© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

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Figure 3.2 – Corrélations entre les valeurs et la religiosité


(d’après Saroglou et al., 2004)

Les systèmes de croyances religieuses fournissant des théories, des


explications sur la mort (mais surtout sur l’après-vie), ces résultats peu-
vent être reliés aux travaux de Greenberg sur la Terror Management
Theory, qui ont montré que l’idée de mort entraînait des jugements
plus négatifs des cibles socialement déviantes (par exemple, une pros-
tituée). L’idée de mort amène aussi les personnes à préférer une cible
partageant leurs valeurs : des chrétiens évaluent ainsi plus positivement
92 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

une personne cible si elle est définie comme chrétienne, et la dévaluent


si elle est présentée comme juive (Greenberg, Pyszczynski, Solomon,
Rosenblatt, Veeder, Kirkland et Lyon, 1990). Cette dévaluation ne
se passe pas chez les sujets pour qui la tolérance était importante, ou
pour qui la tolérance avait été rendue saillante (Greenberg, Simon,
Pyszczynski, Solomon, et Chatel, 1992). Les effets de la saillance de
l’idée de mort varient également selon l’aspect de la mort qui est rendu
saillant, selon ce que les personnes craignent le plus dans la mort, et
selon le type de transgression à juger (Florian et Mikulincer, 1997).
Greenberg, Simon, Harmon-Jones, Solomon et Pyszczynski (1995)
ont montré que la saillance de l’idée de mort n’a pas le même impact
sur les jugements que la saillance des valeurs : ils sont plus sévères dans
le premier cas que dans le second. Ainsi l’activation de l’idée de mort et
celle des valeurs n’ont pas d’effets comparables, mais il est possible que
la saillance de l’idée de mort augmente l’accessibilité aux valeurs cultu-
relles (Greenberg et al., 1995, p. 423). Pour Greenberg la culture pro-
tège d’une certaine manière les personnes contre la mort, dans les faits
(médecine) et sur le plan symbolique (religion, ou idée que quelque
chose de la personne – sa famille, sa nation, son groupe professionnel,
etc. – continuera à exister après sa mort). La culture, avec son cadre
de normes et de valeurs, permet de gérer l’anxiété suscitée par la
mort. Selon Greenberg, l’idée de mort entraîne ces jugements négatifs
quand la cible est déviante parce que cette dernière remet en cause les
normes et valeurs de la culture du sujet. Comme nous avons besoin de
la protection provenant de notre manière culturelle de voir le monde,
nous répondrions positivement envers ceux qui nous aident à main-
tenir cette confiance, et négativement envers ceux qui remettent cette
confiance en question. Plus généralement, mais dans le même ordre
d’idées, Schwartz et Struch (1989) ont posé que (1) la dissimilarité
de valeurs entre l’endogroupe et l’exogroupe est associée d’une part
à l’antagonisme envers l’exogroupe, d’autre part à l’anticipation d’un
antagonisme de l’exogroupe envers l’endogroupe ; que (2) ces associa-
tions sont plus fortes quand la dissimilarité de valeurs est fondée sur
les valeurs les plus importantes de l’endogroupe ou de l’exogroupe ;
que (3) le fait de croire qu’un exogroupe possède peu de valeurs pro-
sociales et/ou accorde une grande importance à des valeurs hédonistes
est associé avec l’antagonisme envers les membres de cet exogroupe et
avec l’anticipation d’un antagonisme de leur part. (4) La perception
d’humanité est un médiateur entre les valeurs stéréotypiquement asso-
ciées à l’exogroupe et l’antagonisme intergroupes : l’humanité perçue
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 93

d’un exogroupe est positivement corrélée avec la perception de simila-


rité des valeurs entre les groupes.

Le déni d’humanité dans le roman


« Il faut absolument que tu saches comment les gens considèrent ceux qui
font partie de ce que tu appelles le Clan. Comme je te l’ai dit tout à l’heure,
ils pensent que ce sont des animaux.
– Ce ne sont pas des animaux !
– Je n’en savais rien, Ayla. Certaines personnes les détestent. J’ignore
d’ailleurs pourquoi. Les animaux – les vrais, ceux que nous chassons –,
personne ne les hait. Peut-être qu’au fond d’eux-mêmes, les gens savent
que les Têtes Plates – c’est ainsi qu’on les appelle – sont aussi des êtres
humains. Mais ils sont si différents de nous que cela nous fait peur et
représente même une menace à nos yeux. »
(J.M. Auel (1982), La Vallée des chevaux,
Paris, Presses de la Cité, 1991, p. 560)

Bar-Tal (1989, p. 170) décrit la manière dont les valeurs jouent


dans ce qu’il appelle la délégitimation (catégorisation des groupes
en catégories sociales extrêmement négatives définies comme inhu-
maines, hors des normes et des valeurs). La délégitimation se tra-
duit de différentes manières :
1. déshumanisation : l’autre est présenté comme non-humain (les
Juifs sont des rats, disait la propagande vichyste) ou a-humain
(UnMensch) ;
2. déplacement hors du cadre défini par les normes courantes (« les
autres ») sont des meurtriers, des maniaques, des bouchers sangui-
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

naires, ou des fous) ;


3. attribution aux « autres » de traits de personnalité (très) négatifs
(instables, malhonnêtes, voleurs, etc.) ;
4. usage pour les sujets délégitimants des labels politiques idéologi-
quement « marqués » (nazis, communistes, impérialistes) ;
5. comparaison avec d’autres groupes évalués négativement (pendant
la Première Guerre mondiale, les Américains appelaient les Alle-
mands des Huns).
On peut probablement y ajouter la désignation de l’autre par un seul
indicateur physique et/ou vestimentaire, pour peu qu’il soit extrê-
mement négatif aux yeux du groupe à l’origine de la délégitimation.
94 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

L’indicateur physique/vestimentaire peut aussi devenir négatif, sim-


plement parce qu’il est la marque des autres. Selon Bar-Tal (1989,
p. 175), les sources de la délégitimation sont la menace perçue,
le conflit violent, la perception d’une grande différence entre les
groupes, et les valeurs négatives préexistantes. Il est aussi possible
que le simple fait de disposer d’explications en termes de détermi-
nisme biologique (voir par exemple Saenger, 1953 ; Martin et Parker,
1995) puisse être une source de délégitimation, car les sujets ont
alors une théorie explicative forte (voir Gould, 1983 pour l’intelli-
gence ; Fee, 1979 et Mackie, 1987 pour les différences sexuelles).
Ainsi, la déshumanisation chez Bar-Tal est à relier à Schwartz et
Struch (1989) qui montrent que le degré d’humanité attribué à
un groupe influence les comportements envers ses membres. Ce
degré d’humanité est relié à deux systèmes de valeurs opposés (voir
Schwartz et Bilsky, 1987) : la poursuite de valeurs pro-sociales
(égalité, aide, pardon) serait un hallmark d’humanité, tandis que
celle de valeurs hédonistes (plaisir, vie confortable) refléterait des
intérêts personnels, partagés avec des espèces infra-humaines. Ceci
nous amène aux recherches sur l’infra-humanisation (Leyens et al.,
2000). Dans ce cadre on distingue les émotions primaires (ou émo-
tions, pouvant être ressenties aussi par d’autres espèces animales)
des émotions secondaires (ou sentiments, ressentis essentiellement
par l’être humain). En général, les émotions secondaires sont plus
facilement attribuées à l’endogroupe qu’à l’exogroupe, mais aucune
différence n’apparaît pour l’attribution d’émotions primaires entre
l’endogroupe et l’exogroupe. Cette attribution d’émotions est
indépendante de la valence de l’émotion et elle se produit sans que
les personnes n’aient conscience de discriminer (Vaes, Paladino et
Leyens, 2006), ce qui est un moyen de mesurer indirectement la
discrimination. L’infra-humanisation a enfin des conséquences sur
les conduites (Vaes, Paladino et Leyens, 2002, 2003), et a été reliée
à l’idéologie (Bar-Tal, 1989), en particulier dans le cas du sexisme
(Viki et Abrams, 2003).
Si la discrimination est moralement condamnable et punie par la loi,
elle remplit cinq fonctions psychosociales (Graumann et Winter-
mantel, 1989). La séparation réfère au fait que je vais chercher à me
différencier des autres : il y a nous et eux. La distanciation consiste
à introduire une distance psychologique entre les objets des deux
catégories : on parle alors en termes de ceux-là. La dévaluation ren-
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 95

voie au fait que la discrimination contribue à baisser la valeur perçue


des exogroupes et, par voie de conséquence, à augmenter la valeur
attribuée à l’endogroupe. Dans l’assignation, des traits de valence
différente sont associés aux personnes, sur base de leur apparte-
nance catégorielle. Enfin, le typage renvoie au fait que les personnes
ne sont plus perçues comme des personnes variables, mais comme
des membres typiques de leur catégorie. Au niveau des discours,
les termes employés renvoient, directement ou indirectement, aux
valeurs (voir aussi dans un autre domaine, Bateson, 1951). Quant à
la délégitimation, elle sert essentiellement la justification des com-
portements extrêmes, la différenciation intergroupes, le sentiment
de supériorité et l’unité du groupe en termes de croyances, attitudes
et comportements. Enfin l’infra-humanisation paraît surtout avoir
pour fonction de justifier les situations sociales.

– Comportements pro-sociaux
Dans un premier temps, les valeurs affectent tout au moins les inten-
tions d’agir avec autrui. Par exemple, Sagiv et Schwartz (1995) ont
demandé à des étudiants Juifs israéliens (groupe majoritaire) s’ils
étaient prêts à entrer en contact avec des Arabes israéliens (groupe
minoritaire). Comme le montre la figure 3.3, et conformément aux
hypothèses, le fait de privilégier des valeurs d’universalisme corrèle
positivement avec l’intention de contact avec l’autre groupe, tandis
que le fait de privilégier des valeurs de sécurité et de tradition cor-
rèle négativement. Les sujets ayant un score élevé en universalisme
et faible en tradition se sont montrés les plus ouverts aux contacts
intergroupes que ceux ayant un score faible en universalisme et élevé
en tradition. En outre, les sujets privilégiant hautement l’universa-
lisme se sont montrés plus ouverts que ceux le privilégiant moins.
De même, les sujets privilégiant hautement la tradition se sont mon-
trés moins ouverts que ceux la privilégiant moins (figure 3.4).
96 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

0,5
0,4
0,4
0,32
0,3
0,2
0,1 0,05 0,13
0,12 0,1 0,12
0
-0,1
-0,2 -0,19
-0,3
-0,4 -0,31
-0,5 -0,41

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Figure 3.3 – Lien entre valeurs et intentions de contact


avec les membres d’exogroupes (d’après Sagiv et Schwartz, 1995)

4,5
3,98 Universalisme faible
4 Universalisme élevé
3,5
3,01 2,94
3
2,5 2,31
2
1,5
1
Faible Élevé
Tradition

Figure 3.4 – Intentions de contacts intergroupe selon l’importance


des valeurs (d’après Sagiv et Schwartz, 1995)

Schwartz (1996) a montré pour sa part l’existence d’un lien entre


les valeurs et les comportements de coopération. Dans cette étude,
les personnes remplissent d’abord la SVS (Schwartz Values Survey),
puis sont placées dans des situations de jeu inspirées du dilemme
du prisonnier (situation expérimentale dans laquelle elles peuvent
choisir des comportements coopératifs, compétitifs, ou individua-
listes). L’auteur pense que le fait de privilégier le pouvoir, et, à degré
moindre, l’accomplissement (car le fait d’obtenir des ressources via
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 97

la non-coopération n’est probablement pas source d’admiration


sociale, but essentiel des valeurs d’accomplissement), est le prédic-
teur le plus important des conduites non coopératives. En revanche,
privilégier l’universalisme, mais surtout la bienveillance (qui réfère
au bien-être des proches), devrait être un bon prédicteur de la coo-
pération. Même si les hypothèses ne sont pas totalement vérifiées,
c’est effectivement ce qui se passe. Comme le montre la figure 3.5,
privilégier le pouvoir est lié négativement avec la coopération ; à l’in-
verse plus les personnes privilégient la bienveillance et, dans une
moindre mesure, l’universalisme, plus elles se montrent coopéra-
tives avec leur partenaire (ici un membre qu’ils ne connaissent pas,
de l’endogroupe ; agiraient-ils ainsi avec un membre d’un autre
groupe ? c’est moins sûr).

0,5
0,4 0,38
0,32
0,3
0,2 0,12
0,1 0,06 0,01
0
-0,1
-0,08
-0,2 -0,08
-0,18
-0,3 -0,19
-0,4 -0,37
-0,5
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© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Figure 3.5 – Lien entre valeurs et coopération

Un exemple historique du lien entre des valeurs et des compor-


tements, présenté par Rochat et Modigliani (1995), est le cas des
« Justes » du Chambon-sur-Lignon.
Rappelons succinctement le contexte. Dès 1937 ce village accueillait
des réfugiés espagnols, en 1938 des réfugiés du nazisme, et en 1940
des Juifs, sans rencontrer vraiment de réactions des autorités. Le
samedi 22 juin 1940, Philippe Pétain signe l’armistice à 18 h 30 et se
dit prêt à arrêter tous les réfugiés et à les déporter en Allemagne, si
Hitler le demande. Le lendemain, au Chambon, les pasteurs André
Trocmé et Édouard Theis prononcent lors de l’office un sermon
98 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

s’opposant à cette décision : « Cette doctrine [totalitaire] n’est rien


d’autre que de l’antichristianisme. C’est pour nous une question de
conscience que de l’affirmer, aujourd’hui comme hier. Il est à peu
près certain que des enfants de notre église ont donné leur vie pour
combattre cette doctrine. (…) D’abord, abandonnons aujourd’hui
toutes nos divisions entre chrétiens, et toutes nos chicanes entre
Français. Cessons de nous étiqueter, de nous désigner les uns les
autres par ces termes où nous mettons du mépris : droite et gauche,
paysans, ouvriers, intellectuels, prolétaires ou possédants, et de
nous accuser mutuellement de tous les méfaits. Recommençons à
nous faire confiance les uns aux autres, et à nous saluer et à nous
accueillir, en nous rappelant à chaque rencontre, comme le faisaient
les premiers chrétiens, que nous sommes frères et sœurs en Jésus-
Christ. Ensuite, ayant abandonné ces méfiances et ces haines, ainsi
que les passions politiques auxquelles elles sont accrochées, grou-
pons-nous décidément autour de Jésus-Christ, le chef de l’Église
universelle, et adoptons, comme source de pensée, d’obéissance et
d’action, son évangile, rien que son évangile. Enfin comprenons que
le retour à l’obéissance nous oblige à des ruptures, ruptures avec le
monde, ruptures avec des manières de vivre que nous avions accep-
tées jusqu’ici. Des pressions païennes formidables vont s’exercer (…)
sur nous-mêmes et sur nos familles, pour tenter de nous entraîner
à une soumission passive à l’idéologie totalitaire. Si l’on ne parvient
pas tout de suite à soumettre nos âmes, on voudra soumettre tout au
moins nos corps. Le devoir des chrétiens est d’opposer à la violence
exercée sur leur conscience les armes de l’Esprit. » (Retrouvé sur le
site http://www.chambon.org/lcsl_texte_1940_fr.htm)
Ce sermon fait très clairement appel aux valeurs chrétiennes, et
s’oppose non moins clairement à l’idéologie pétainiste. C’est un
appel aux valeurs et à l’identité réunie, pour lutter contre un nouvel
ordre et ses valeurs inhumaines. Il appelle à la désobéissance civile,
au nom des idéaux chrétiens. Les 16 et 17 juillet 1942 la police
française arrêta à Paris environ 13 000 Juifs. Le 13 février 1943,
Trocmé, Theis, et le directeur d’école Darcissac, furent arrêtés,
emprisonnés et subirent des pressions à la dénonciation, mais ils
refusèrent. Les habitants du Chambon ne plièrent pas non plus. Si
une vingtaine de personnes furent arrêtées et déportées, on estime
que 5 000 personnes, dont 3 500 Juifs, ont été sauvées au Chambon
et dans les villages environnants (Rochat et Modigliani, 1995).
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 99

• Les valeurs guident-elles toujours les comportements ?


Les valeurs jouent un rôle au niveau du changement social ou
sociétal. C’est en effet en s’attachant à des valeurs (la liberté et l’éga-
lité d’abord, la fraternité n’apparaîtra qu’en 1848, sous la IIe Répu-
blique) que les jeunes révolutionnaires renversèrent finalement la
monarchie. Mais toutes les valeurs n’ont peut-être pas une influence
sur le changement social. Comme l’a remarqué Weber (cité par
Rocher, 1968, tome III, p. 68-86) certaines valeurs – en l’occur-
rence des valeurs religieuses et morales – peuvent être des facteurs
de changement social et économique. Toutefois les valeurs ne sont
pas l’unique facteur de changement, elles jouent conjointement avec
d’autres facteurs structurels (conditions de vie, famines…). Cer-
taines valeurs peuvent aussi être plus utiles que d’autres, à certains
moments de l’Histoire. Pour Helkama par exemple, « apparemment
les valeurs de pouvoir et d’accomplissement se révèlent plus fonction-
nelles lors d’une transition abrupte vers un capitalisme sauvage où
les institutions démocratiques et légales ne sont pas encore consoli-
dées (en Estonie et Russie) » (1999, p. 73). Si ces valeurs s’avèrent
plus fonctionnelles, c’est probablement parce qu’elles permettent
davantage de justifier l’établissement d’un système économique
particulier (voir aussi Saenger, 1953). Au niveau individuel, il a par
exemple été montré que l’appartenance religieuse des personnes
influe sur leurs attitudes envers la sexualité, mais n’influence pas,
en soi, leur comportement sexuel (Sheeran, Abrams, Abraham et
Spears, 1993). Kristiansen et Zanna (1992, cités par Kristiansen et
Hotte, 1996) ont montré quant à eux que des sujets renforcés dans
leurs valeurs d’universalisme se montrent, quelques semaines plus
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

tard, consistants dans leurs valeurs, attitudes et intentions d’agir en


lien avec l’environnement, mais pas dans leurs comportements éco-
logiques. Plus généralement, dans la vie quotidienne nous croyons
que nos valeurs nous guident, et nous avons tendance à oublier, à
négliger, le poids du contexte. Comme le notait déjà Milgram (1974,
p. 23) : « Lorsqu’on est tranquillement assis dans son fauteuil, il est
facile de s’ériger en juge. (…) Si l’on demande aux gens quel est, du
point de vue moral, la conduite à recommander [face à une auto-
rité malveillante], invariablement tous optent pour la désobéissance.
Mais dans une situation réelle en train de se dérouler, les valeurs
individuelles ne sont pas les seules forces impliquées. Elles ne consti-
tuent qu’une mince bande de motivations dans le spectre complet
100 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

des forces contradictoires qui s’exercent sur les sujets. » Enfin, dans
l’exemple du Chambon-sur-Lignon, les valeurs affichées par les pas-
teurs Trocmé et Theis semblent avoir joué un rôle déclencheur des
comportements, mais le village avait déjà une « tradition » d’accueil,
et les personnes se sont aussi trouvées engagées dans un processus
d’aide, qu’elles ont pu rationaliser en faisant appel à leurs valeurs.
Au final, si les valeurs ont un impact sur les attitudes, les juge-
ments, les perceptions, il n’est guère évident qu’elles influencent
directement les comportements. D’après Schwartz (1996), elles
jouent même un rôle mineur dans les comportements, sauf dans
le cas d’un conflit de valeurs. Pour lui, en l’absence de conflit de
valeurs, les réponses scriptées suffisent (un script est une séquence
comportementale apprise qui permet de nous adapter1). Plusieurs
variables situationnelles peuvent affecter la consistance entre valeurs
et comportements. Ainsi des normes sociales fortes, par la pression
qu’elles exercent à se comporter en fonction des attentes d’autrui,
sont susceptibles de diminuer la consistance valeurs-comportements
(Schwartz, 1977 ; Bardi et Schwartz, 2003) ; et de fortes incitations
externes (par exemple récompenses ou punitions) peuvent amener
à se comporter d’une manière opposée aux valeurs. Les pressions
temporelles peuvent également diminuer cette consistance : par
exemple des séminaristes, qui étaient en retard pour aller donner
une conférence sur l’importance de l’aide à autrui, aidaient moins
une personne malade rencontrée sur leur chemin que ceux qui
n’étaient pas en retard (Darley et Batson, 1973). À l’inverse, aug-
menter la saillance des valeurs (augmenter leur accessibilité) accroît
la consistance valeurs-comportements.
Ainsi Maio, Olson, Allen et Bernard (2001) ont comparé l’im-
pact de la saillance des valeurs égalité et aide à celui de la saillance
des raisons des mêmes valeurs sur la consistance entre valeurs et
compor tements. Ils supposent que le fait de rendre saillantes les rai-
sons d’une valeur l’insère dans un réseau argumentatif (le support
cognitif la rend plus concrète), tandis que la saillance de la valeur
se rapporte à un amorçage simple (la valeur est simplement activée
dans la tête des gens). Donc, le fait de rendre saillantes les raisons
des valeurs devrait entraîner une plus grande consistance entre les

1. On doit toutefois supposer que les réponses scriptées sont elles-mêmes chargées de
valeurs : les personnes n’apprennent pas n’importe quel script en observant n’importe
qui ou en faisant n’importe quoi dans n’importe quel contexte.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 101

valeurs et les comportements. C’est bien ce qui se passe, et ce dans


des situations incitant les personnes à se comporter d’une manière
opposée à la valeur. Ainsi seule la saillance des raisons pour l’égalité
et pour l’aide ont induit des comportements respectivement plus
égalitaires ou plus aidants. Pour les auteurs, la saillance des raisons
permet aux gens de lier la valeur à une information plus concrète et
plus facilement récupérable que la seule saillance de la valeur. De ce
fait ils peuvent percevoir la valeur non seulement comme un concept
idéologique abstrait, mais comme un guide plus rationnel pour le
comportement, ce qui les aide à dépasser les oppositions situation-
nelles à son expression. Il est à noter que les gens qui ont listé le plus
de raisons claires et concrètes pour la valeur sont ceux qui se sont
montrés les plus égalitaires ou les plus aidants.
Ces résultats vont dans le sens des travaux de Roccas, Sagiv, Schwartz
et Knafo (2002), selon qui les valeurs pourraient surtout influencer
les comportements qui sont sous contrôle cognitif. C’est peut-être
pour cela que les valeurs sont autant mises en avant dans les discours
idéologiques, lorsque l’on cherche à fédérer les personnes et, sur-
tout, à les amener à agir.

II. LES VALEURS SERVENT AUSSI (SURTOUT ?)


LA JUSTIFICATION
On commencera par un exemple, assez général d’ailleurs, du lien
entre des valeurs (ici, religieuses) et la justification. Une étude inter-
nationale (1999), menée en ce qui concerne la France sur un échan-
tillon de 1 615 personnes, portait entre autres sur la justification
de l’avortement et de l’euthanasie. Comme le montre la figure 3.6,
cette justification dépend des confessions. La remarquable simili-
tude des deux courbes est à relier aux thèmes à justifier, finalement
similaires, qui réfèrent tous les deux à la mort décidée par autrui.
102 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

60 % de réponses « jamais justifiable »


Avortement
50 Euthanasie

40

30

20

10

0
ho nts

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Figure 3.6 – Justification avortement /euthanasie


(d’après la WVS, 2005)

Au niveau sociétal, c’est dans l’idéologie que l’on voit apparaître


cette fonction essentielle des valeurs (Ansart, 1977). Dans ce cadre,
la justification renvoie à la question des relations intergroupes et
permet de légitimer les rapports sociaux (voir Jost et Banaji, 1994).
Toutefois selon Baechler (1976, p. 74), la justification idéologique
est difficile, voire impossible, car il n’y a pas de raison ultime qui
puisse rendre compte d’une valeur. L’appel explicite ou implicite aux
valeurs fait qu’une personne justifie ses actes ; ou qu’un observateur
social justifie la position d’un groupe par rapport aux autres groupes,
justifie le sort qui échoit à ce groupe, ou encore qu’un groupe jus-
tifie sa position par rapport aux autres. Au niveau individuel, Bilsky
et Schwartz (1994) ont noté que le fait, pour une personne, d’attri-
buer une plus grande importance aux valeurs représentant le besoin
de croissance découle de la réalisation des buts associés ; à l’inverse,
les mêmes personnes réduisent l’importance accordée à ces valeurs
quand ils ne peuvent atteindre ces buts. Le mécanisme psycholo-
gique en jeu est la rationalisation. Quand la situation est inhabi-
tuelle, quand elle pose problème, ou qu’il leur faut expliquer une
décision/situation, les gens recherchent des explications et justifient
leurs jugements ou les comportements qu’ils ont pris (ou décidé de
prendre). Ils font appel dans ce cas aux valeurs.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 103

1. Valeurs et justification dans les représentations sociales


et les stéréotypes
• Représentations sociales
On a montré que les valeurs étaient orientatrices des processus et
des contenus représentationnels. C’est maintenant sur le plan de
leurs fonctions que les représentations sociales sont à nouveau abor-
dées. Elles sont en effet décrites comme ayant des fonctions d’ordre
cognitif : apport d’information et explication (Jodelet, 1989a ; Mos-
covici, 1961, 1981) ; catégorisation (Abric, 1987), différenciation
(Deschamps et Clémence, 1987), attribution (Hewstone, Jaspars et
Lalljee, 1982). Mais elles ont également des fonctions d’ordre adap-
tatif, en lien avec les conduites. Parmi ces dernières, la fonction jus-
tificatrice est la plus importante. En effet les représentations sociales
permettent de justifier les rapports intergroupes et/ou interperson-
nels (Doise, 1969, 1973 ; Jodelet, 1989b). Cette fonction inter-
viendrait avant toute relation (justification anticipatrice) et après
l’interaction (justification a posteriori). Dans le cas de la justifica-
tion anticipatrice, la représentation intervient dans la détermination
de l’action, en l’anticipant. Ainsi, dès 1972, Doise, Csepelli, Dann,
Gouge, Larsen, et Ostelle ont montré que l’anticipation d’une inte-
raction entre groupes détermine les représentations que chaque
groupe a de l’autre. Doise (1969) avait d’ailleurs montré qu’avant
même l’interaction, le groupe adverse était déjà investi de caractères
justifiant un comportement compétitif à son égard. Dans le cas de
la justification a posteriori, la représentation suit le déroulement de
l’action. Il découle de ce qui précède que les représentations peuvent
servir à justifier un comportement éventuellement ségrégationniste
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

(Billig, 1984 ; Jodelet, 1989b). Ainsi a-t-on entendu dans le vocabu-


laire d’extrême droite des années quatre-vingt les mots sidatorium
ou sidaïque, qui non seulement renvoient aux thèmes clés du groupe
considéré1 (Orfali, 1990), mais amènent aussi à classer les sidéens
dans une catégorie à part et à adopter ou à justifier des conduites
éventuelles de discrimination. Cela étant, la question de la justifica-
tion anticipatrice est probablement une fausse question : on ne jus-
tifie pas avant d’avoir pris une décision, ou avant d’avoir agi, mais bien
après. En d’autres termes, la justification est forcément justification

1. Sidaïque est proche de judaïque ; quant à sidatorium, même s’il évoque sanatorium,
dans ce contexte particulier, il évoquait aussi crématorium.
104 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

a posteriori. La justification des conduites semble plus évidente dans


le cas des représentations intergroupes (donc des stéréotypes) que
dans le cas d’autres représentations. Mais dans tous les cas, elle est
éminemment chargée de valeurs. Par exemple la représentation de la
folie (ou le stéréotype des fous) permet de justifier la mise à l’écart
de la personne, conçue comme seule responsable de ce qui lui arrive
(Plaza, 1986, p 25).
Morin et Vergès (1992, p. 59) ont montré que les sujets perçoivent
des maladies excusables ou explicables1 par l’hérédité (comme le
cancer) et d’autres qui renvoient à la responsabilité des victimes
(comme le Sida). D’une part les sujets attribuent une force morale et
une souffrance aux malades du cancer, d’autre part pour les mêmes
symptômes et maladies, ils attribuent plus de souffrance à des
hétérosexuels qu’à des homosexuels atteints du Sida ou de leucémie.
Les auteurs y voient un reflet d’une idéologisation valorisante des
maladies innocentes par rapport aux maladies coupables : « on peut
(…) penser que la construction différentielle de l’objet-Sida est
actuellement encore fondamentalement traversée par un marquage à
caractère stigmatisant (responsabilité, honte), plus particulièrement
marqué dans plusieurs connotations “particularisantes” (…) ».
Ces résultats doivent d’abord être reliés aux travaux de Lerner
(1980), qui ont montré que les gens pensent en général que ce qui
arrive aux autres est juste (croyance en la justice du monde). Ils sont
plus généralement à relier à la justification : « l’explication sociale
du Sida a fait appel à une herméneutique fustigeant une société
aux valeurs « immunodéficientes » et jugée trop permissive dans le
domaine de la sexualité (…), bannissant les personnes porteuses du
virus (…), générant des représentations spécifiques de la contagio-
sité permettant de justifier la mise à distance des groupes suspects »
(Bègue et Morin, 1998, p. 23).

• Stéréotypes
« Dans les races les plus intelligentes comme les Parisiens, il y a une notable
proportion de la population féminine dont les crânes se rapprochent plus
par le volume de ceux des gorilles que des crânes du sexe masculin les plus

1. Ce qui n’est pas la même chose : un acte peut être explicable sans pour autant être excu-
sable. D’un côté, on se situe dans le domaine de l’intellect ; de l’autre, on est davantage
dans celui de la valeur et de l’affect.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 105

développés (…). Cette infériorité est trop évidente pour être contestée un
instant, et on ne peut guère discuter que sur son degré. Tous les psy-
chologistes qui ont étudié l’intelligence féminine ailleurs que chez les
romanciers et les poètes reconnaissent aujourd’hui qu’elles représentent
les formes les plus inférieures de l’évolution humaine et sont beaucoup
plus près des enfants et des sauvages que de l’homme adulte civilisé. Elles
ont des premiers la mobilité et l’inconstance, l’imprévoyance et l’habi-
tude de n’avoir que l’instinct du moment pour guide. (…) On ne saurait
nier sans doute qu’il existe des femmes fort distinguées, très supérieures
à la moyenne des hommes, mais ce sont là des cas aussi exceptionnels
que la naissance d’une monstruosité quelconque, telle par exemple qu’un
gorille à deux têtes, et par conséquent négligeables entièrement. » [Il en
découle que] « vouloir donner aux deux sexes (…) la même éducation,
et par suite leur proposer les mêmes buts, est une chimère dangereuse.
(…) Le jour où, méprisant les occupations inférieures que la nature lui a
données, la femme quittera son foyer et viendra prendre part à nos luttes,
ce jour-là commencera une révolution sociale où disparaîtra tout ce qui
constitue aujourd’hui les liens sacrés de la famille et dont l’avenir dira
qu’aucune n’a jamais été plus funeste. »
G. Le Bon, 1879, cité par Gould, 1983, p. 120.

Cette citation illustre bien la fonction de justification des stéréo-


types et leur lien avec les valeurs dominantes (en particulier ici, les
liens sacrés de la famille). L’appel aux caractéristiques féminines soi-
disant innées et aux valeurs sociétales permet très clairement à Gus-
tave Le Bon de défendre le statu quo en ce qui concerne les rôles
sexuels, et plus largement l’équilibre du système social. Dans la vie
quotidienne on l’a vu, la personne affiche spontanément des valeurs
positives et perçoit en général autrui plutôt positivement. Toutefois
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

dans certains cas, elle peut afficher clairement des « valeurs néga-
tives » (racisme ou sexisme par exemple), particulièrement en cas
de conflit intergroupes (Bar-Tal, 1989 ; Schwartz et Struch, 1989).
Dans ces cas, la fonction de justification est évidente : le fait de
définir les autres groupes comme moins bons ou comme inhumains
permet de justifier le sort qu’on leur fait subir. La notion de « race »
par exemple a son origine en biologie et désigne une espèce géné-
tiquement distincte d’une autre (Osborne, 1971). Cette notion fut
utilisée au XIX e siècle par les ethnologues, qui divisèrent l’espèce
humaine en trois « races » selon leur couleur de peau : noire, jaune,
et blanche. Depuis, les généticiens ont montré que les différences
entre personnes d’une même race sont bien plus importantes que les
106 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

différences entre les « races » (Stringer, 1991 ; voir aussi les recher-
ches sur le génome humain). En conséquence, le terme « race » ne
peut s’appliquer aux êtres humains (Unesco, 1969). Si donc cette
notion n’a guère de fondements biologiques, elle reste pourtant
utilisée par certains groupes racistes, et plus généralement on en
trouve trace dans le langage commun. C’est qu’elle a une fonction
sociale importante. Elle permet en effet d’expliquer les événements,
les différences entre les êtres humains, de justifier les exclusions et
finalement de maintenir les inégalités sociales. Dès 1953 (p. 88-89),
Saenger écrivait « La propagation de la théorie de l’infériorité raciale
ne sert pas seulement à apaiser la conscience des groupes exploi-
tants majoritaires, elle est souvent spécifiquement adaptée à leurs
besoins économiques changeants. Elle ne dit pas uniquement que
les minorités opprimées sont “heureuses” de leur situation, mais elle
explique plus particulièrement que le groupe dominé ne peut pas
effectuer le travail duquel il a été exclu au bénéfice du dominant ».
Le même phénomène se produit dans le cas du sexisme. Selon la
théorie de l’identité sociale, les stéréotypes servent les intérêts des
membres d’un groupe en attestant la supériorité de l’endogroupe
et en justifiant les comportements discriminatoires à l’encontre
de l’exogroupe. Par exemple, Rosette Avigdor (1953) a montré
que le stéréotype est généralement défavorable si les groupes sont
placés en interaction conflictuelle, généralement favorable si l’in-
teraction est amicale ou coopérative. Elle a aussi et surtout montré
que les caractéristiques les plus susceptibles d’exacerber le conflit
sont attribuées à l’autre groupe. Cette stratégie, généralement non
consciente, permet évidemment de justifier les conduites. Dire que
les autres sont sympathiques ne permet pas de justifier le conflit. En
revanche, les décrire comme agressifs peut aider. Dans le cadre de
l’intragroupe, Marques (1990 ; Marques, Yzerbyt et Leyens, 1988)
a montré que des jugements extrêmes concernant les membres de
l’endogroupe ne se produisent que pour les dimensions pertinentes
pour l’endogroupe (si un groupe valorise l’honnêteté et que certains
de ses membres se conduisent malhonnêtement, ils seront perçus
comme extrêmement malhonnêtes, même s’ils sont aussi décrits
comme compétents ou sympathiques ; ce qui justifiera leur exclu-
sion).
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 107

2. Les valeurs utilisées pour la justification


ne sont pas toujours celles que la personne met en avant
Kristiansen et Zanna (1988) ont mesuré les attitudes d’étudiants
envers des thèmes sociétaux (libéralisation de l’avortement et auto-
risation des armes nucléaires).
À partir de l’inventaire de Rokeach, les sujets avaient à indiquer l’im-
portance qu’ont les valeurs dans leur vie. De plus ils devaient indiquer
la pertinence de chaque valeur par rapport au thème de réflexion.
Les résultats ont indiqué d’importantes similarités dans les valeurs
estimées comme pertinentes, tant chez les sujets pro que chez les anti.
Par exemple, tant les pro que les anti-avortement ont estimé que l’éga-
lité, le respect de soi et l’harmonie intérieure étaient pertinents dans le
cadre de l’avortement. Pour les armes nucléaires, tous les sujets étaient
d’accord pour dire que la valeur la plus pertinente était un monde de
paix. Toutefois, l’importance accordée à d’autres valeurs variait en
fonction des attitudes. Ainsi, pro comme anti-armes nucléaires ont
estimé que la sécurité nationale était pertinente pour le thème, mais
les pro l’ont estimée plus pertinente que les anti. Les sujets favorables
à la libéralisation de l’avortement ont jugé la liberté plus pertinente
que ne l’ont estimé les opposants. Les premiers estimaient prioritaires
les valeurs liberté, vie confortable, et plaisir, tandis que les seconds
attribuaient plus d’importance au salut religieux.
De même, Dickinson (1991) a demandé aux sujets de répondre
à l’échelle de Rokeach, puis d’estimer les modifications salariales
requises pour rétablir l’équité pour sept types d’emplois. Ils devaient
également justifier leurs recommandations. Conformément à l’hy-
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

pothèse des valeurs comme guides des attitudes, les évaluations des
modifications de salaires dépendaient des priorités de valeurs : les
personnes proposant le plus des recommandations équitables attri-
buaient plus d’importance aux valeurs égalité et harmonie intérieure
et moins d’importance aux valeurs une vie confortable, une vie exci-
tante et plaisir. Mais les valeurs proposées par les sujets pour justifier
leurs positions étaient largement indépendantes de leurs priorités de
valeurs. La justification faisait appel à des valeurs articulées à la rhé-
torique sociale concernant les revendications salariales plutôt qu’aux
valeurs individuelles.
Kristiansen et Matheson (1990) ont interrogé des étudiants sur le
thème des armes nucléaires au Canada. Les sujets devaient écrire
108 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

ce qu’ils en pensaient, puis complétaient des échelles permettant


d’identifier leurs attitudes envers les armes nucléaires au Canada,
répondaient s’ils étaient confiants dans leurs attitudes, puis remplis-
saient le questionnaire de Rokeach sur les 18 valeurs terminales et
devaient se prononcer sur la pertinence de ces valeurs par rapport
au thème. Les résultats ont indiqué ici encore que les attitudes et les
priorités de valeurs étaient liées : les étudiants privilégiant la sécu-
rité nationale à la paix se sont montrés plus favorables aux armes
nucléaires. En accord avec l’hypothèse des valeurs comme justifica-
tion, les sujets différaient quant à la manière dont ils percevaient la
paix et la sécurité nationale comme des valeurs pertinentes. Même
lorsque l’importance accordée aux valeurs était contrôlée, les étu-
diants opposés aux armes nucléaires ont estimé la paix comme une
valeur plus pertinente que la sécurité nationale, alors que les étu-
diants favorables aux armes nucléaires avaient une perception exac-
tement opposée de la pertinence de ces mêmes valeurs. Enfin, les
sujets en faveur des armes nucléaires, tout comme les sujets opposés,
se sont montrés plus confiants dans leurs attitudes que les sujets
neutres. Ils ont développé aussi un raisonnement moins complexe
que les sujets neutres. Ainsi, les valeurs entraînent plus de confiance
dans les jugements, et sont liées à une simplification du raison-
nement, ce qui doit être relié au fait que les valeurs fonctionnent
comme des truismes. Ces recherches montrent que nous pouvons
privilégier certaines valeurs, mais ne pas les utiliser lorsque nous
avons à justifier nos décisions. Il semble donc que les personnes
font appel aux valeurs pour justifier leurs attitudes, même quand ces
valeurs ne sont, en fait, pas reliées aux attitudes, mais disponibles
dans le contexte (voir Kristiansen et Hotte, 1996).
Dans les études précédentes, on s’intéressait aux valeurs sous l’angle
individuel. Qu’en est-il au niveau des relations intergroupes ?
En 1990, Kristiansen s’est intéressée à la manière dont les valeurs
peuvent permettre de justifier les relations entre des groupes (ici
homosexuels gays et lesbiens). Ces deux groupes ont l’homosexua-
lité en commun, mais peuvent être perçus par leurs membres comme
étant des groupes bien distincts. En particulier, les lesbiennes fémi-
nistes peuvent penser que leur identité féminine est subordonnée à
celle des hommes, et, de ce fait, lutter pour rétablir l’égalité. Si les
attitudes intergroupes sont justifiées symboliquement par des pro-
jections infondées de valeurs, alors les attitudes des lesbiennes envers
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 109

les gays devraient être reliées à la croyance selon laquelle ces derniers
violent des valeurs importantes. Kristiansen a d’abord montré que
les lesbiennes féministes perçoivent effectivement les gays comme
un groupe distinct du leur, alors que les lesbiennes se perçoivent
comme membres du même groupe que les gays. Une analyse des
corrélations par rangs a montré que les systèmes de valeurs des gays
et des lesbiennes étaient remarquablement similaires. Toutefois, si les
mouvements gays et lesbiens tendaient à surestimer les similitudes
de leurs systèmes de valeurs respectifs, les féministes lesbiennes
n’ont trouvé aucune similarité entre leurs valeurs et celles des gays.
Plus encore, elles percevaient les gays comme accordant moins d’im-
portance à la liberté, l’harmonie intérieure et la joie, valeurs classées
aux rangs 4, 7, et 9 de leur hiérarchie de valeurs. Dans cette étude,
la dissimilarité perçue des systèmes de valeurs a expliqué 36 % de la
variance les attitudes envers les gays.
Ces résultats sont cohérents avec la théorie de l’identité sociale selon
laquelle les membres d’un groupe vont tendre à sous-estimer la simi-
larité entre leurs propres valeurs et celles d’un exogroupe afin de
développer – ou maintenir – une identité sociale positive. Ainsi, de
la même manière que les personnes en appellent aux valeurs afin de
justifier leurs attitudes envers des questions sociétales, elles tendent
aussi à exagérer les différences de valeurs entre les groupes. Pour-
quoi ? Probablement pour maintenir la distinction et la positivité de
leur propre groupe, et pour minimiser à leurs yeux les implications
négatives de leurs attitudes de rejet. Ainsi, les personnes peuvent
faire appel à des valeurs qui ne sont pas forcément prioritaires pour
elles, lorsqu’elles ont une situation à justifier.
En guise de conclusion

J’ai commencé cet ouvrage en faisant référence aux raisons qui


m’ont amené à réfléchir aux valeurs. J’ai essayé de montrer que,
vue sous l’angle de la philosophie (que je n’ai fait qu’effleurer) et
sous l’angle de la psychologie sociale, toute valeur est fondamen-
talement sociale : même si ce sont des individus qui s’expriment, il
n’y a probablement pas de valeurs strictement individuelles, et les
jugements de valeur émis par un individu ont toujours un caractère
social si ce n’est collectif. J’ai abordé le lien que les valeurs ont avec
la morale et l’éthique et l’on a vu que, si le terme valeur prend dif-
férentes acceptions, il est un point sur lequel on s’entend : derrière
la notion de valeur se trouvent celles du Bon, du Bien. Il nous est
difficile d’imaginer des « valeurs négatives », du moins il nous est
difficile de penser que nous pourrions porter des valeurs négatives.
En revanche, nous croyons que les autres le peuvent. On a vu que,
d’une manière ou d’une autre, une valeur est un idéal qui donne
une direction, un sens à la vie individuelle ou collective. « Donner
un sens » signifie également « donner une signification » : les valeurs
donnent du sens à la vie, la recherche du sens étant probablement
une des finalités de la communication humaine, comme on le voit
dans le partage des émotions. J’ai essayé de montrer que les valeurs,
même si on peut trouver une certaine universalité dans leur organi-
sation, renvoient à une dynamique : elles s’inscrivent dans l’action,
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

et leur hiérarchie fait montre de beaucoup plus de plasticité que


pourrait le croire « Monsieur Toutlemonde ». On a vu qu’un grand
nombre de recherches considèrent les valeurs comme orientatrices.
Dans nos manières de percevoir le monde, elles sous-tendent lar-
gement les systèmes catégoriels : elles jouent au niveau de la for-
mation et du maintien des catégories sociales, des représentations,
des préjugés et des stéréotypes que nous développons. Je me suis
limité au champ de la perception sociale, mais la psychologie sociale
tout entière, me semble-t-il, traite des valeurs (à tout le moins, de la
valeur accordée à une personne, à un objet). Par exemple, la petite
phrase « les amis de mes amis sont mes amis » réfère à ce que Heider
appelle une triade cognitive équilibrée, et une triade est équilibrée
112 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS

quand le produit des valeurs (ou des valences) des associations est
positif [dans l’exemple : (1) moi et mes amis (+) ; (2) mes amis et leurs
amis (+) ; (3) moi et les amis de mes amis (+) ; (+) x (+) x (+) = (+)].
Dans le présent ouvrage, on a vu que les valeurs peuvent influencer
les personnes dans leurs perceptions d’autrui, sans qu’elles en soient
particulièrement conscientes, et que leurs jugements peuvent être
différents quand elles ont conscience des valeurs. Cette question
d’un impact différent des valeurs selon que les personnes en sont
conscientes ou non reste très largement à creuser. En même temps,
si les valeurs orientent les attitudes, les opinions, voire les inten-
tions d’agir, on a vu qu’il est moins sûr qu’elles influencent direc-
tement les comportements : elles sont un des nombreux facteurs de
contexte pouvant amener des personnes à agir. On a vu aussi que
tant les philosophes que les psychologues leur reconnaissent une
fonction justificatrice. Le plus étonnant peut-être est le fait que les
valeurs permettent de justifier des prises de position même quand
elles n’y sont pas reliées, et que les valeurs privilégiées par les per-
sonnes ne sont pas nécessairement celles qu’elles vont utiliser pour
justifier leurs jugements. À l’extrême limite, je ne suis pas loin de
penser que les valeurs n’interviennent le plus souvent qu’a posteriori,
à titre de légitimation. Pour rester dans le questionnement, comme
les valeurs sont à la fois antérieures et postérieures aux comporte-
ments, et comme la recherche est un processus infini, les questions
restent nombreuses. Par exemple : y a-t-il des valeurs qui orientent
davantage les comportements, d’autres qui orientent davantage les
perceptions ? Y en a-t-il qui permettent davantage de les justifier ?
Quand les valeurs orientent-elles les comportements, et quand les
justifient-elles ? À un autre niveau, le circumplex forme-t-il un plan
ou possède-t-il une troisième dimension ? Qu’en est-il des valeurs
spirituelles ? On pourrait très certainement en poser de très nom-
breuses autres, mais ce n’est pas le cadre de cet ouvrage. J’ai essayé
de lever un coin du voile, ce qui forcément nous amène à décou-
vrir d’autres voiles derrière les voiles. Si j’ai pu susciter le désir d’en
savoir plus, si j’ai pu transmettre un peu de ce que j’ai reçu de mes
pères et de mes pairs, j’en serais heureux.
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Index des notions

A J
affect/émotion 24 jugement social 75
attitudes 17 justification 17, 101, 103

C N
catégorisation sociale 79 nexus 55
circumplex 21, 48 normes 14
conduites 88
conscience 86, 88 P
contrôle social 26 perception sociale 75
coopération 97 préjugés 82-83
croyances 9, 13, 17, 31, 33, 36,
52, 58, 89 R
culture 58
représentations sociales 82, 103
D S
discrimination 90, 94
stéréotypes 82-84, 103-104
E V
émotions morales 25-26
valeur 1, 7, 10, 37
I — instrumentale 42
— terminale 42
identité sociale 79
idéologie 52, 74
image de soi 77
Index des auteurs

A M
Allport G.W. 19, 21-22, 26, 43, Maio G.R. 17, 25, 73-74, 100
62, 66, 83 Moscovici S. 9, 53, 82, 103
B O
Baechler J. 102 Osgood C.E. 40, 78
Bargh J.A. 76, 85, 88
Bar-Tal D. 32, 93-94, 105 R
Beauvois J.L. 8, 18, 34, 53 Renner W. 17
Boucher J. 78 Rohan M.J. 68
C Rokeach M. 13-14, 17, 36, 42,
Codol J.P. 79 45, 48, 53, 57-58, 64, 73, 77,
89-91, 107
D
S
Deconchy J.P. 5, 53, 77, 82, 91
Doise W. 5, 9, 14, 17, 84, 103 Schadron G. 76, 79, 81, 84
Dubois N. 15, 19, 34 Schwartz S.H. 5, 45, 48, 50, 62,
65, 92, 95-96, 100, 105
F Seligman C. 25, 73
Feather N.T. 14, 64, 68 Spranger E. 19
H T
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Hammer B. 43-44, 49, 58, 62 Tajfel H. 12, 76, 79-81, 84


Hofstede G. 59 Tetlock P.E. 42
J Triandis H.C. 12
Jodelet D. 83, 103 V
K Vernon P.E. 19, 21-22, 62, 66
Kluckhohn F.R. 14, 17, 75
W
Kristiansen C. 17
Wach M. 43-44, 49, 58, 62
L Wojciszke B. 84
Lavelle L. 7, 8
Lerner J.S. 43 Z
Lerner M.J. 104 Zanna M.P. 68, 85, 89, 99, 107
les topos +

Pascal Morchain Psychologie

Psychologie sociale
des valeurs
Que sont les valeurs ? Comment sont-elles organisées ? Pascal Morchain
Leur hiérarchie est-elle stable ? Quels sont leurs liens Maître de Conférences
avec d’autres facteurs individuels et sociaux ? À quoi en psychologie sociale
à l’université de
servent-elles ? Rennes 2, il est membre
Cet ouvrage présente les réponses apportées par la du LAUREPS-CRPCC
psychologie sociale à toutes ces questions. Il couvre (Laboratoire Armoricain
Universitaire de
une très large période temporelle et se veut aussi un Recherches en
ouvrage de réflexion dans lequel l’auteur questionne Psychologie Sociale -
les différents champs qu’il présente. Centre de Recherche en
Psychologie-Cognition-
En ce sens, et bien que destiné à toute personne non Communication ;
spécialiste s’intéressant à la question des valeurs, cet EA 1285).
ouvrage s’adresse autant à des étudiants qu’à des
chercheurs en sciences humaines et sociales.

ISBN 978-2-10-054286-4 www.dunod.com

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