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des valeurs
Pascal
Morchain
Psychologie sociale
des valeurs
Pascal Morchain
Psychologie sociale
des valeurs
Conseiller éditorial : Sylvain Delouvée
Remerciements IX
Avant-propos 1
Prologue : un peu d’histoire 3
C
hapitre 1
Que sont les valeurs ? Tentative de définition(s)
I. Étymologie 7
Chapitre 2
Caractéristiques des valeurs
I. Origines 29
1. Fondements motivationnels 29
2. Fondement social : apprentissage 31
VI PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
Chapitre 3
À quoi servent les valeurs ?
Un livre peut être perçu par le lecteur comme le fruit d’un travail
individuel, surtout quand l’auteur est une seule personne. C’est vrai
en partie. Mais un livre est aussi le maillon d’une chaîne. Comme
objet, il découle du travail d’une équipe, de plusieurs corps pro-
fessionnels œuvrant en commun. Quant à son contenu, il découle
du travail des chercheurs (ou plus largement des penseurs) qui ont
précédé l’auteur, et des échanges qu’il a eus avec les collègues et les
amis. Un livre est forcément un témoin, il transmet les lumières
reçues d’autrui. Mes parents m’ont fait comprendre la relativité
des conduites et l’importance des valeurs. Aujourd’hui mes amis
m’amènent à confronter avec respect nos systèmes de valeurs, et
à tenter de porter haut, voire défendre, ce qui est important (du
moins à mes yeux) : la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Qu’ils en
soient remerciés. Ma rencontre avec le grand chercheur qu’était
Jean-Pierre Di Giacomo (décédé en 2001) m’a orienté tardivement
vers la recherche en psychologie sociale. J’ai le privilège d’avoir pu
bénéficier de sa rigueur et de son intégrité, et surtout de partager
son amitié. Ce livre n’aurait jamais vu le jour sans l’amitié et la
confiance de Georges Schadron (à ce niveau, je ne compte plus les
années de profonde amitié) et d’Eva Drozda-Senkovska, de Domi-
nique Oberlé, et plus récemment celle de Sylvain Delouvée. Parmi
les collègues et amis du CRPCC (Centre de Recherches en Psycho-
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1. Ce terme fait référence ici aux religions révélées ou non, mais encore aux courants de
pensée issus des Lumières.
2 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
Ce sont des gens d’amour et ils ne sont pas envieux et ils sont serviables
pour toute chose, et je certifie à vos Altesses que dans le monde, je crois
qu’il n’y a ni meilleure personne ni meilleure terre ; ils aiment leur pro-
chain comme eux-mêmes, et ils ont un parler le plus doux et le plus calme
du monde, et sont toujours souriants. Ils vont nus, hommes et femmes,
comme leurs mères les mirent au monde. Mais, vos Altesses peuvent le
croire, entre eux ils ont de bonnes mœurs et il règne une si merveilleuse
ambiance que c’est un plaisir de voir tout cela réuni.
Journal de Christophe Colomb (cité par Kerchache, 1994).
termes de caractère : « (…) ils ont l’esprit éveillé, car je vois qu’ils
répètent tout de suite ce que je leur dis (…) » ; « (...) ils étaient très
sensés et judicieux (…) » (cité par Tolentino, 1984 et par Daubert,
1994) ; soit en références à la chrétienté : « [ils] se livreraient et se
convertiraient à notre sainte religion, par l’amour plutôt que par la
force (…) ». Paradoxalement, en dépit de ces premiers jugements
évoquant le jardin d’Éden, il faut relever quelques dates et quelques
chiffres (Daubert, 1994). En 1492, il y a plus d’un million d’In-
diens taïnos sur Hispaniola (Haïti/Saint-Domingue), en 1542, on
en recense 200, et, en 1568, treize. En moins d’un siècle, massacres,
épidémies, suicides collectifs, esclavage se sont succédé. Des valeurs
positives attribuées aux indigènes, on passera peu à peu, pour des
4 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
I. ÉTYMOLOGIE
Le terme « valeur » est ancien : le verbe latin valere signifie à la fois
« être en bonne santé » et « être fort, puissant » (Morfaux, 1990).
Pour l’anecdote (citée par Carfantan 2006), les Latins terminaient
leurs lettres par des formules Si vales, bene est (si tu te portes bien,
c’est bien) ou encore Si vales, gaude (si tu te portes bien, je me
réjouis). C’est donc de cette idée de santé et de force que vient
celle de vaillance, de bravoure. Au sens le plus ancien dans la langue
française, le mot valeur signifie d’ailleurs « vaillance ». Il est aussi la
caractéristique de ce qui est désirable. « Vaillant » lui-même signifie
« résistant, fort », mais aussi « utile » et « généreux » (Lavelle, 1950).
Le mot « valeur » apparaît dès 1694 dans le Dictionnaire de l’Aca-
démie. Le terme « valeur » signifie alors soit la qualité (par exemple
la générosité), soit la personne qui en est dotée (une personne « de
valeur », une personne généreuse). Il passera du langage courant
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1. Définitions
En philosophie, les valeurs sont « d’abord ce qui vaut socialement, ce
sur quoi on s’entend » (Blanquart, 1992). Similairement pour Châ-
teau (1985), « une valeur, c’est plus qu’une simple motivation, c’est
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 9
1. Définitions
En psychologie aussi, le terme valeur(s) est polysémique (Rohan,
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• Méthodologie
Dans ce champ transdisciplinaire relatif à la recherche en psychologie,
la valeur est définie comme la « modalité d’une variable ». Par défi-
nition, une variable est une quantité susceptible de varier : âge d’une
personne, son sexe biologique, et son origine socioculturelle… L’âge
varie entre 0 et X ans, le sexe biologique comprend deux modalités
(trois, en fait, si l’on comprend aussi les hermaphrodites), l’origine
socioculturelle peut être appréhendée via la classification INSEE,
12 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
• Valeurs et motivations
Ces termes sont proches, parce qu’ils ont à voir avec l’action (de
nombreux modèles en explicitent d’ailleurs les liens, voir Eccles et
Wigfield, 2002). Tentons d’en établir les différences. Si le terme
valeur relève de champs différents (philosophie, sociologie, psycho-
logie, économie…), le terme motivation relève essentiellement de
la psychologie (Feertchak, 1996). Il vient du latin movere : bouger.
De la racine latine découleront moteur, mouvement, locomotion ;
au XIII e siècle, émoi, émouvant, commotion ; au XVIII e siècle, meute,
émeute, mutinerie. Selon Maugeri (2008), le concept de motivation
est sous-tendu par celui d’énergie, et la motivation est liée aux émo-
tions et à la volonté. Une motivation est donc ce qui nous met en
mouvement, mais elle ne peut pas être saisie directement. Comme
l’attitude, c’est une construction hypothétique qui n’est accessible
qu’à travers les comportements. Selon Feather (1982), les valeurs
sont une des motivations qui poussent les individus à effectuer les
actes qu’ils pensent devoir être réalisés. Il pense que les valeurs de
l’individu l’influencent dans l’attractivité perçue de différents buts,
et par conséquent, affectent sa motivation à les atteindre (voir aussi
Eccles et Wigfield, 2002). En d’autres termes, une personne aura
d’autant plus de chances de s’engager dans une activité à laquelle
elle accorde de la valeur et qu’elle croit en ses chances de réussite
(Bourgeois, 2008). Si les valeurs sont parfois définies comme des
motivations, en ce sens où elles sont conçues comme étant à l’ori-
gine des conduites, elles sont aussi corrélées à certaines motivations,
par exemple le bien-être (Tartakovsky et Schwartz, 2001).
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• Valeurs et normes
La simple observation indique que les valeurs et les normes sont liées,
et que les valeurs ont une fonction normative, puisqu’elles prescrivent
une orientation générale des conduites. Par exemple, la manière dont
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 15
Pôle de la valeur
(modèles sociaux,
jugements de valeur...)
Normes
générales
Normes
spécifiques Concret Conditionnel
• Valeurs et attitudes
Le terme « valeur » est parfois conçu comme un synonyme de celui
d’« attitude », parce que l’objet d’attitude a une valence, ou cathexis
(Campbell, 1963 ; Jones et Gerard, 1967 ; cités par Rokeach, 1968,
p. 124). Pour Connie Kristiansen (1990), une valeur, tout comme
une attitude, peut être conçue comme une disposition individuelle.
La notion d’attitude naît dans le contexte de la psychologie du
comportement ; en psychologie sociale, elle est définie comme une
orientation générale d’un sujet envers un objet donné. Elle n’existe
pas dans un vide social, mais s’ancre dans un système de catégories
d’appartenance (Doise, 1989). À la différence des valeurs, conçues
comme des dispositions stables, les attitudes sont plus malléables et
instables (Maio et Olson, 1998). Selon Rokeach (1973), cinq points
différencient les valeurs des attitudes : (1) la valeur est une croyance
unique, l’attitude réfère à une organisation de plusieurs croyances
centrées sur un objet. (2) La valeur transcende les objets et les situa-
tions, l’attitude concerne un objet et/ou une situation. (3) Une
valeur est un « standard », une attitude ne l’est pas : les évaluations
favorables ou non des objets d’attitude peuvent être sous-tendues
par un nombre relativement faible de valeurs servant de standards.
(4) Une personne a autant de valeurs qu’elle a appris de finalités
désirables, autant d’attitudes qu’elle a rencontré de personnes et
d’objets/situations spécifiques : on peut donc estimer les valeurs à
quelques dizaines, les attitudes à plusieurs centaines. (5) Les valeurs
sont plus centrales dans le système cognitif des personnes, à ce titre
elles peuvent déterminer aussi bien les attitudes que les comporte-
ments. En d’autres termes, une valeur est plus fondamentale qu’une
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• Classification
André Comte-Sponville, se demandant quelles « dispositions de
cœur, d’esprit ou de caractère dont la présence, chez un individu,
augmentait l’estime morale [qu’il avait] pour lui, et dont l’absence
(…) la diminuait » (1995, p. 10), isole dix-huit valeurs (appelées
vertus) : la politesse, la fidélité, puis les quatre vertus cardinales que
sont la prudence, la tempérance, le courage, et la justice. Suivent la
générosité, la compassion, la miséricorde, la gratitude, l’humilité, la
simplicité, et la tolérance, la pureté, la douceur, la bonne foi, l’hu-
mour, et enfin l’amour sous ses trois formes (Éros, Philia, Agape).
Le critère choisi par l’auteur est un critère social : l’estime d’autrui,
et il réfère à la relation potentielle entre les personnes. Il n’y a pas,
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• Valeurs vitales
Ces valeurs ne sont pas mentionnées par Vernon et Allport. Il
semble que la santé soit l’une des premières valeurs citées par les
personnes. Remarquons qu’à la nouvelle année, on se souhaite une
bonne santé. Elle est associée au bonheur et à la satisfaction géné-
rale de la vie (Stoetzel, 1983). La santé est probablement liée à une
valeur centrale : la vie, elle-même reliée selon Carfantan au respect de
la Nature, de l’environnement.
• Valeurs intellectuelles
Ces valeurs font référence aux valeurs théoriques chez Vernon et
Allport. En France, la pensée (et plus particulièrement, depuis le
siècle des Lumières, la pensée scientifique) semble être fortement
valorisée. Depuis les Lumières, nous sommes marqués par l’ap-
proche objective de la connaissance que constitue la science comme
moyen de développer les connaissances en dehors des positions reli-
gieuses : « La démarche scientifique n’utilise pas le verbe croire ; la
science se contente de proposer des modèles explicatifs provisoires
de la réalité ; et elle est prête à les modifier dès qu’une information
nouvelle apporte une contradiction » (Jacquard et Plannés, 1999).
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 21
• Valeurs économiques
Carfantan utilise ici la même appellation que Vernon et Allport. La
réussite sociale est l’exemple de ces valeurs, partagées semble-t-il
principalement dans les sociétés libérales, dans lesquelles les valeurs
dominantes sont le gain, le profit, et l’argent. Ce sont donc des
valeurs liées à l’avoir. Pour l’anecdote, la première réponse à une
recherche sur Internet avec le mot-clé valeur (au singulier ou au
pluriel) renvoie aux cours de la bourse. En économie, la valeur est
la propriété qu’a une chose de procurer à un individu la satisfaction
d’un besoin. Dans ce domaine, depuis Aristote et avec Adam Smith
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• Valeurs esthétiques
Ici aussi, Carfantan utilise la même appellation que Vernon et
Allport. Dans les arts plastiques, et surtout les gravures et dessins
monochromes, le terme valeur désigne la quantité de clair ou de
sombre contenue dans un ton (Fromentin, cité par Morfaux, 1990) ;
en sculpture il a trait aux formes. Socialement, parler de valeurs
esthétiques renvoie à l’appréciation portée sur une œuvre, un pay-
sage, ou le corps humain (Braun, Gründl, Marberger et Scherber,
2001). Ces valeurs sont donc relatives au Beau platonicien. Selon
Carfantan, les valeurs esthétiques ne seraient pas soumises à une
emprise de la pensée duelle aussi forte que les valeurs morales, et
le sens esthétique serait tout en nuance. Cela semble quelque peu
illusoire, car le Beau fait partie des trois valeurs essentielles et, à
ce titre, il est susceptible d’entraîner des réactions tranchées tant
au niveau interpersonnel qu’intergroupes. Les valeurs esthétiques,
variables selon les époques (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer,
1981), peuvent présider aux jugements (le Beau est lié au Bien, en
particulier dans la perception d’autrui ; Dion, Berscheid et Walster,
dès 1972), mais d’autres facteurs de contexte vont également
influencer la perception de ce qui est beau. Elle dépend par exemple
de l’expérience des sujets (Winkler et Rhodes, 2005) et du contexte
du jugement, qui sert d’ancrage pour le jugement ultérieur : les per-
sonnes comparant, parfois sans en avoir conscience, les différentes
cibles1. Ainsi des étudiants ayant visionné un épisode du feuilleton
Drôles de dames estimèrent ensuite une inconnue (ou leur propre
partenaire) moins attirante que ceux ne l’ayant pas vu (Kenrick et
Gutierres, 1980 ; Kenrick, Gutierres et Goldberg, 1989).
1. Le mot n’est peut-être pas très élégant, mais c’est l’expression consacrée en psychologie
sociale.
PROLOGUE : UN PEU D’HISTOIRE 23
• Valeurs affectives
Ces valeurs ne sont pas mentionnées par Vernon et Allport. La
première de ces valeurs est l’amour (dont sont proches l’amitié, le
24 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
• Tableau récapitulatif
Le tableau 1.1 propose différentes classifications des valeurs, sous
l’angle de la philosophie et sous celui la psychologie. Les cinq pre-
mières colonnes les classent selon leur type (en fait d’après la typo-
logie platonicienne) et selon leur niveau (selon que les valeurs sont
des valeurs basiques – ou instrumentales – ou des abstractions de
plus haut niveau). La dernière colonne propose une autre classi-
fication, relative à leurs fonctions (ces deux derniers points seront
développés dans un prochain chapitre). On constatera aussi, ce qui
ne devrait étonner personne, que des psychologues comme Vernon
et Allport, ou Spranger dont ils s’inspirent, ont développé leurs
réflexions sur une classification relevant originellement de la phi-
losophie. Ce tableau tente de préciser le lien potentiel entre dif-
férentes valeurs. C’est pourquoi au Bien correspondent les valeurs
(morales, sociales, affectives, religieuses et politiques) ; les valeurs
vitales et politiques se trouvent à la charnière du Bien et du Vrai. Il
reste que ce classement pourrait être précisé, car il n’est pas certain
que les valeurs morales par exemple ne soient relatives qu’au Bien
platonicien. Elles pourraient aussi relever du Beau, voire du Vrai.
Mais ceci est très relatif à une analyse personnelle. En fait, il fau-
drait interroger un échantillon représentatif de la population pour
pouvoir préciser cette proposition de classement. Qui ne vaudrait
probablement que dans notre culture.
1. Le terme endogroupe fait référence au groupe auquel appartient une personne. Le terme
exogroupe fait référence au(x) groupe(s) au(x)quel(s) n’appartient pas la personne.
QUE SONT LES VALEURS ? TENTATIVE DE DÉFINITION(S) 27
Valeurs Valeurs
affectives religieuses
Le Beau Valeurs Valeurs
esthétiques esthétiques
Chapitre 2
Caractéristiques des valeurs
I. ORIGINES
1. Fondements motivationnels
La question du fondement motivationnel des valeurs n’est pas
récente. On peut en trouver trace chez Épicure mais surtout
chez Maslow1, selon qui les besoins biologiques sont à la base des
conduites humaines. Pour Newcomb, Turner et Converse (1970 ;
présentés par Feertchak, 1996), il existe un continuum qui va des
besoins (niveau biologique) aux valeurs (niveau abstrait), en passant
par les motivations et les attitudes.
Valeurs
Attitudes
Motivations
Besoins
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de pairs (voir aussi Bücher, 1998). Ils ont aussi montré l’effet du
statut social des parents et de leurs croyances religieuses (ici, chré-
tiennes). L’influence des parents est particulièrement forte sur les
valeurs de conservation, elles-mêmes d’ailleurs en général liées à la
religion (Saroglou, Delpierre et Dernelle, 2004 ; Schwartz et Huis-
mans, 1995). Toutefois, pour Harris (1995) les comportements des
parents ont peu d’effet direct sur le développement des caractéris-
tiques de leurs enfants ; elle propose une explication en termes de
socialisation collective. D’après elle, les processus de groupe, l’iden-
tification au groupe de pairs, et le conformisme à ses normes et à ses
valeurs sont essentiels dans la transmission culturelle.
Levy, West et Ramirez (2005) se sont intéressées au développe-
ment de l’éthique protestante (PWE, Protestant Work Ethic), dont
le noyau idéologique est « travailler dur pour réussir ». Par exemple,
elles montrent que le PWE a d’abord une signification égalitaire
pour les enfants les plus jeunes, mais qu’avec l’âge, sa signification
discriminante augmente (figure 2.2). Elles pensent que cela vient
du fait que les enfants ont été moins exposés et ont moins utilisé
la signification de justification des inégalités que porte le PWE (si
on ne réussit pas, c’est que l’on n’a pas assez travaillé, donc la situa-
tion dans laquelle on se trouve est légitime). Dans le même ordre
d’idées, elles montrent que de nombreux adultes exposés au PWE
utilisent davantage d’arguments permettant de justifier les inéga-
lités sociales.
0,6
0,5 Égalitarisme
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Distance interraciale
0,4
0,3
0,2
0,1
0
-0,1
-0,2
Se
réaliser
Estime de soi
et d’autrui
Appartenance
Amour
Sécurité
Besoins physiologiques
2. Structure
Les valeurs sont donc liées les unes aux autres par une relation hié-
rarchique. Elles forment aussi une structure de signification. En
d’autres termes, elles forment des systèmes, qui d’ailleurs sont assez
souples : « Collectivement, les systèmes de valeurs sont des construc-
tions complexes dont la géométrie est variable, à la fois dans l’espace
(différence culturelle), dans le temps (différence historique). Ils
sont changeants et ne font pas l’objet d’une unanimité, et cepen-
dant, ils ne sont jamais neutres » (Carfantan, 2006). Vernon et
Allport (1931) ont montré que les valeurs économiques et politiques
étaient liées, comme l’étaient les valeurs sociales et religieuses, ainsi
que l’étaient les valeurs théoriques et esthétiques. En revanche, les
valeurs sociales et religieuses sont opposées aux valeurs théoriques ; et
les valeurs économiques et politiques opposées aux valeurs esthétiques
et religieuses. Il apparaît donc, dès 1931, que l’on puisse parler en
termes de proximité, de distance, entre les valeurs.
Taille
S1
c a
S2
b
Poids
Ceci est donc très simple, quand on n’a que deux observations. Mais
comment faire quand nous avons, ce qui est le cas dans les recher-
ches en psychologie sociale, plusieurs sujets et plusieurs concepts ?
Il faut revenir aux travaux d’Osgood, pour qui la signification d’un
mot n’est pas tant dans sa signification lexicale que dans les réac-
tions émotionnelles et comportementales qu’il provoque. Selon lui,
la signification affective d’un mot peut être située dans un espace
à n dimensions (en général, deux dimensions). Osgood, Suci, et
Tannenbaum (1957) mirent ainsi en évidence la prédominance de la
dimension de la valeur dans la signification des concepts (voir la pré-
sentation de Kerlinger, 1973). Ils mirent au point un outil, appelé
différenciateur sémantique, constitué de plusieurs échelles bipo-
laires (en général en sept points) permettant de mesurer la significa-
tion des concepts relativement à plusieurs dimensions. Le tableau 1
présente un exemple d’échelles du différenciateur (ici à propos du
mot homme), et un exemple des dimensions généralement extraites.
Les adjectifs choisis pour décrire l’objet doivent satisfaire à deux
critères : la représentativité des concepts, et, bien sûr, leur rapport
à la recherche. On ne discutera pas en détail les questions que pose
l’usage du différenciateur. Disons rapidement que se posent celles
des échelles utilisées, de leur pertinence, d’où celle de leur sélec-
tion. Un autre problème est celui des fausses bipolarités : les adjectifs
doivent clairement être des antonymes, ce qui n’est pas toujours le
cas.
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 39
1. Qui est en réalité une mesure de distance géométrique inventée par Euclide il y a
2 300 ans.
40 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
Puissance
+7
°
Proviseur
°
Principal
°
Discipline
Apprentissage Professeur
° Parent ° °
Enseigner
°
°
Étude °
École
Évaluation
-7 +7
°
Élève
-7
(n1 et n 2). Ainsi, l’analyse des espaces obtenus par associations libres
a montré après projection d’une bande dessinée, que l’image de la
femme était plus proche de celle de l’homme tel qu’il était perçu
initialement, et vice-versa : la femme était perçue comme plus mas-
culine, l’homme comme plus féminin (Morchain, 1982).
Valeurs finales
Valeurs
instrumentales
Attitudes
Comportements
en tant que principes qui guident votre vie. Chaque valeur est imprimée
sur une étiquette qui se détache facilement afin d’être placée dans une des
cases à droite de la page. Lisez soigneusement la liste complète des valeurs ;
puis choisissez la première, celle qui est la plus importante pour vous ; décol-
lez-la et placez-la dans la case 1 de la colonne de droite. Ensuite, choisissez la
deuxième valeur la plus importante pour vous ; décollez-la et placez-la dans
la case 2 de la colonne de droite. Ensuite, faites la même chose pour toutes
les valeurs restantes. La valeur la moins importante pour vous doit figurer
dans la case 18.
Travaillez lentement en réfléchissant. Si vous changez d’avis, vous êtes libre
de modifier votre réponse : les étiquettes se détachent facilement et peuvent
être déplacées d’une case à l’autre. Le résultat de ce travail devrait bien mon-
trer ce que vous ressentez et pensez vraiment. »
☞
44 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
☞
[Valeurs terminales] [Valeurs instrumentales]
Une vie confortable (une vie pros- Ambitieux (travaillant dur
père et aisée) et volontaire)
Une vie passionnante (une vie stimu- Large d’esprit (l’esprit ouvert)
lante et active) Compétent (capable, efficace)
Le sentiment d’avoir réussi (jouer un Joyeux (enjoué, gai)
rôle important) Propre (ordonné, soigné)
Un monde en paix (un monde sans Courageux (sachant faire partager
guerre ni conflit) ses convictions)
Un monde de beauté (beauté de la Indulgent (voulant pardonner)
nature et des arts) Serviable (au service du bien-être des
L’égalité (fraternité, chances égales autres)
pour tous) Honnête (sincère, vrai)
La sécurité familiale (prendre soin Imaginatif (créatif et audacieux)
de ceux qui nous sont chers) Indépendant (autosuffisant et auto-
La liberté (indépendance et liberté nome)
de choix) Intellectuel (intelligent, réfléchi)
Le bonheur (contentement et satis- Logique (cohérent et rationnel)
faction) Aimant (affectueux et tendre)
L’harmonie intérieure (libre Obéissant (dévoué et respectueux)
de conflits intérieurs, en paix avec Poli (courtois et bien élevé)
soi-même) Responsable (fiable, digne de
L’amour adulte (intimité sexuelle et confiance)
spirituelle) Auto-discipliné (posé, contrôlé)
La sécurité nationale (protection
contre les agressions)
Le plaisir (une vie agréable et calme)
Le salut (une vie éternelle, sauvée
pour l’éternité)
Le respect de soi (estime et considé-
ration de soi)
La reconnaissance sociale (respect,
admiration)
L’amitié véritable (des compagnons
proches)
La sagesse (maturité)
Consigne : voici une liste de valeurs qui peuvent servir de principes qui gui-
dent votre vie. Nous vous demandons d’en évaluer l’importance pour vous.
Avant de commencer, lisez la liste complète des valeurs. Choisissez celle qui
est la plus importante pour vous et notez-la. Puis choisissez celle qui est la
plus opposée à vos valeurs ou la moins importante pour vous et notez-la.
Ensuite, notez toutes les autres valeurs en essayant de bien les distinguer, en
utilisant tous les échelons.
1. Égalité (chances égales pour tous) 12. Richesses (biens matériels, argent)
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☞
20. Autodiscipline 39. Influent (exercer un impact
(résistance aux tentations) sur les gens et les événements)
21. Droit à une vie privée 40. Honorant ses parents et les anciens
(non exposée aux regards indiscrets) (montrant du respect)
22. Sécurité familiale 41. Choisissant ses propres buts
(sécurité pour ceux qu’on aime) (sélectionnant ses propres objectifs)
23. Reconnaissance sociale 42. En bonne santé (ne pas être malade
(respect, approbation émanant des autres) physiquement ou mentalement)
24. Unité avec la nature 43. Compétent
(adéquation à la nature) (capable et efficace)
25. Une vie variée (remplie de défis, 44. Acceptant ma part dans la vie
de nouveautés, de changements) (se soumettre aux circonstances de la vie)
26. Sagesse 45. Honnête
(compréhension adulte de la vie) (authentique, sincère)
27. Autorité (le droit de diriger 46. Préservant mon image publique
ou de commander) (soucieux de ne pas perdre la face)
28. Amitié vraie (des amis proches 47. Obéissant (remplissant ses obligations,
et sur qui l’on peut compter) ayant le sens du devoir)
29. Un monde de beauté 48. Intelligent (logique, réfléchi)
(beauté de la nature et des arts) 49. Secourable (travaillant en vue
30. Justice sociale (corriger les injustices, du bien-être d’autrui)
secourir les faibles) 50. Aimant la vie (aimant la nourriture,
31. Indépendant (ne compter que sur soi, le sexe, les loisirs)
autosuffisant) 51. Religieux (attaché aux croyances
32. Modéré (évitant les extrêmes et à la foi religieuse)
dans les sentiments et les actions) 52. Responsable
33. Loyal (fidèle à ses amis, (sur qui l’on peut compter)
au groupe des proches) 53. Curieux
34. Ambitieux (travaillant dur, volontaire) (intéressé en toutes choses, explorateur)
35. Large d’esprit (tolérant les croyances 54. Indulgent
et les idées différentes) (désireux de pardonner aux autres)
36. Humble (modeste, effacé) 55. Orienté vers le succès
37. Audacieux (objectif : réussir)
(cherchant l’aventure, le risque) 56. Propre (net, soigné)
38. Protégeant l’environnement 57. Se faire plaisir
(préserver la nature) (faire des choses agréables)
– Une vie variée aux autres et violer les attentes sociales ou les
– Audacieux normes)
– Poli
– Autodiscipline
– Honorant ses parents et les anciens
– Discipliné
AUTONOMIE (self-centration) (indépen- SÉCURITÉ (sécurité et stabilité
dance de pensée et d’action) de la société, des relations, et de soi)
– Liberté – Sécurité familiale
– Créativité – Sécurité nationale
– Indépendant – Ordre social
– Curieux – Propre
– Choisissant ses propres buts – Réciprocité des services
– [Respect de soi] – [Sentiment de n’être pas isolé]
– [Être en bonne santé]
48 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
Universalisme Bienveillance
Autonomie Tradition
Ouverture Conformité
au changement Conservatisme
Stimulation Sécurité
Hédonisme Pouvoir
Accomplissement
Affirmation de soi
Schwartz, comme Rokeach avant lui, montre ainsi que les valeurs
sont organisées en une structure appelée circumplex, parce que leur
organisation est plus ou moins circulaire. Mais si pour Rokeach
cette organisation suggère que les valeurs sont du même niveau de
généralité, Schwartz cherchera à en caractériser la structure. Dans
le circumplex, des valeurs contiguës ont une signification proche,
des valeurs opposées ont une signification opposée. En d’autres
termes, pour les gens, universalisme et bienveillance ont à peu près
la même signification ; à l’opposé, accomplissement et pouvoir sont
proches. Mais universalisme et bienveillance ont une signification
opposée à accomplissement et pouvoir. Cette signification est indé-
pendante des cultures et du sexe des sujets : on l’observe pour 95 %
des échantillons observés, provenant de 60 pays des cinq continents
(Schwartz et al., 2001). Struch, Schwartz et Van der Kloot (2002)
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 49
ont montré que dans huit cultures différentes (11 245 répondants),
les valeurs ont la même signification pour les hommes et les femmes
(voir aussi Wach et Hammer, 2003b). Chez Struch et al. (2002),
les valeurs conformité et tradition ne forment pas des régions dis-
tinctes comme c’est généralement le cas, mais on retrouve la même
organisation conceptuelle des valeurs selon deux dimensions
« conservatisme – ouverture au changement » et « transcendance de
soi – affirmation de soi ». Le système de Schwartz est ouvert, dans le
sens où l’auteur pense que l’on peut très bien ajouter des valeurs au
circumplex. Wach et Hammer (2003a, b) mirent ainsi en évidence
que le circumplex comprenait des valeurs liées à la vérité. Schwartz
pense que l’on peut ajouter des valeurs permettant de mesurer une
valeur spirituelle possible, constituée des valeurs une vie spirituelle,
signification dans la vie, harmonie intérieure et détachement. Toute-
fois ces valeurs sont culturellement variables, elles n’occupent pas
la même place dans le circumplex. Elles en ont donc été exclues,
et cette question n’est quasiment jamais traitée dans les recherches
portant sur la structure des valeurs. Ceci pose problème, car la spi-
ritualité, ou la démarche spirituelle (entendue dans le sens de cher-
cher à s’élever) fait partie de ce qui est important pour les êtres
humains. D’autres questions, d’ordre méthodologique, se posent.
La première est relative à la nature des valeurs. En effet, dans l’éla-
boration du circumplex (la même remarque vaut pour Spranger et
Rokeach), la consigne et les mesures font bien référence à ce qui
est important pour les personnes ; mais la nature de ces différentes
valeurs est variable. Ainsi certaines sont effectivement des valeurs
(liberté, égalité, justice), d’autres sont des traits de personnalité (être
poli, être honnête, être clément), d’autres enfin renvoient à la relation
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
☞
9. Cette personne pense qu’il ne faut 21. C’est important pour cette personne
pas demander plus que ce que l’on a. Il/ que tout soit propre et organisé.
Elle croit que les gens devraient Il/Elle n’aime vraiment pas le désordre.
se contenter de ce qu’ils ont. 22. Cette personne pense qu’il est important
10. Cette personne recherche toutes les de s’intéresser aux choses. Il/Elle aime
occasions de s’amuser. C’est important être curieux/curieuse et essaie de comprendre
pour lui/elle de faire des choses qui lui toutes sortes de choses.
procurent du plaisir. 23. Cette personne croit que tous les gens
11. C’est important pour cette personne du monde devraient vivre en harmonie.
de décider lui/elle-même de ce qu’elle fait. Promouvoir la paix partout dans le monde
Il/Elle aime être libre de planifier et de est important pour lui/elle.
choisir lui/elle-même ses activités. 24. Cette personne pense qu’il est important
12. C’est très important pour cette d’être ambitieux/se. Il/Elle veut montrer
personne d’aider les gens qui l’entourent. à quel point il/elle est compétent/e.
Il/Elle veut prendre soin de leur bien-être. 25. Il/Elle pense que c’est mieux de faire
13. Réussir brillamment les choses de façon traditionnelle.
est important pour lui/elle. C’est important pour lui/elle de se conformer
Il/Elle aime impressionner les autres. aux coutumes qu’il/elle a apprises.
14. C’est très important pour cette personne 26. Profiter des plaisirs de la vie
que son pays soit en sécurité. Il/Elle pense est important pour lui/elle. Il/Elle aime
que l’État doit prendre garde aux menaces se donner du bon temps.
venant de l’intérieur comme de l’extérieur. 27. C’est important pour cette personne
15. Cette personne aime prendre des risques. de répondre aux besoins des autres.
Il/Elle recherche toujours l’aventure. Il/Elle essaie de soutenir ceux et celles
16. C’est important pour lui/elle de qu’il/elle connaît.
se comporter comme il faut. Il/Elle veut 28. Il/Elle croit qu’il lui faut toujours montrer
éviter de faire quoi que ce soit que les autres du respect à ses parents et aux personnes plus
jugeraient incorrect. âgées. C’est important pour cette personne
17. Cette personne aime les responsabilités d’être obéissante.
et aime dire aux autres ce qu’ils doivent faire. 29. Il/Elle veut que tout le monde
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
Il/Elle veut que les autres fassent soit traité de manière juste, même les gens
ce qu’il/elle dit. qu’il/elle ne connaît pas. C’est important
18. C’est important pour cette personne pour cette personne de protéger les plus faibles
d’être loyale envers ses amis. Il/Elle veut dans la société.
se dévouer à ceux qui sont proches 30. Il/Elle aime les surprises.
de lui/d’elle. C’est important pour lui/elle d’avoir
19. Il/Elle est tout à fait convaincu(e) une vie passionnante.
que les gens devraient protéger la nature. 31. Il/Elle fait tout ce qu’il/elle peut pour
Préserver l’environnement est important éviter de tomber malade. Rester en bonne
pour cette personne. santé est très important pour cette personne.
20. Être religieux est important pour lui/elle. 32. Progresser dans la vie est très important
Il/Elle fait tout pour être en accord pour lui/elle. Il/Elle s’efforce de faire
avec ses croyances religieuses. mieux que les autres.
☞
52 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
☞
33. Pardonner à ceux qui l’ont blessé(e) 37. Il/Elle veut vraiment profiter de la vie.
est important pour lui/elle. Il/Elle essaie C’est très important pour cette personne
de voir ce qui est bon chez eux de s’amuser.
et de ne pas avoir de rancune. 38. C’est important pour lui/elle
34. C’est important pour cette personne d’être d’être humble et modeste. Il/Elle
indépendant(e). Il/Elle aime ne compter essaie de ne pas attirer l’attention
que sur lui-même/elle-même. sur lui/elle.
35. C’est important pour lui/elle d’avoir 39. Cette personne veut toujours être
un gouvernement stable. Il/Elle s’inquiète celui/celle qui prend les décisions.
du maintien de l’ordre social. Il/Elle aime être celui/celle qui dirige.
36. C’est important pour cette personne 40. C’est important pour cette personne
d’être toujours polie avec les autres. de s’adapter à la nature et de s’y intégrer.
Il/Elle essaie de ne jamais déranger Il/Elle croit qu’on ne devrait pas
ou irriter les autres. modifier la nature.
1. Idéologie
S’il est une notion lourdement chargée de valeurs, dans laquelle on
voit explicitement les valeurs à l’œuvre, c’est bien celle d’idéologie.
En raison de son histoire, le terme idéologie est polysémique. En
effet les réflexions sur les fonctions des croyances sont anciennes :
Platon met en évidence les fonctions des thèmes mythiques (intégra-
tion et contrôle des comportements), Aristote oriente sa réflexion
sur l’emprise par le discours, et Machiavel découvre l’usage que l’ac-
teur politique peut faire des croyances et des systèmes d’emprise
symbolique. Dans les années 1820, Saint-Simon développe l’hy-
pothèse de l’historicité des croyances, de leur fonctionnalité et de
leur adéquation à la spécificité de l’organisation sociale. Il lie donc
étroitement la formation des croyances aux pratiques des classes
sociales. Marx, Weber et Durkheim reformuleront cette question
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 53
Fréquence*
Fréquence*
Fréquence*
Fréquence*
Rang
Rang
Rang
Rang
Liberté 66 1 - 48 16 85 1 - 47 17
Egalité 62 2 - 71 17 - 10 16 88 1
(*nombre de mentions favorables moins nombre de mentions défavorables)
Égalité +
Communisme Socialisme
Liberté - Liberté +
Fascisme Capitalisme
Égalité –
2. Culture
Le terme culture renvoie à une nébuleuse de comportements, de
sentiments, d’attitudes, de croyances, de confessions, de modes de
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 59
3. Nationalité
Au sein d’un même pays, les valeurs sont hiérarchisées : en 1998,
les valeurs déclarées par des Français comme les plus importantes
étaient bienveillance, universalisme, et sécurité ; d’importance
moyenne conformité, hédonisme, autonomie ; de moindre impor-
tance accomplissement, tradition, stimulation, pouvoir (figure 2.9
adaptée de Wach et Hammer, 2003b). Par ailleurs l’ordre des dif-
62 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
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4. Genre
Dès 1931, Vernon et Allport, sur un échantillon de 463 hommes
et 313 femmes, avaient trouvé que les hommes privilégiaient davan-
tage les valeurs théoriques, économiques et politiques, tandis que les
femmes privilégiaient les valeurs esthétiques, sociales et religieuses.
Plusieurs études nord-américaines (voir Schwartz et Rubel, 2005)
utilisant les échelles de Rokeach, indiquèrent que les hommes
attribuent plus d’importance à des valeurs que Schwartz appelle
accomplissement, autonomie, hédonisme et stimulation, tandis que
les femmes attribuent plus d’importance aux valeurs appelées par
Schwartz bienveillance, universalisme et tradition. Feather (1984)
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 63
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© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
Ces données vont dans le sens de Gilligan (1982), qui pensait que
les hommes développent une morale de l’impartialité et de la justice,
et les femmes une morale de la sollicitude1. Schwartz et Rubel
(2005) notent également que, en général, les différences de sexe
1. Il semble toutefois que les deux types de morale coexistent chez les deux sexes (voir
Tostain, 1999), et plus généralement on doit les relier aux rôles effectifs dans un
contexte particulier, ainsi qu’aux situations que les sujets ont à justifier : par exemple
des femmes utiliseront dans certains cas une morale de la sollicitude, dans d’autres,
une morale de l’impartialité et de la justice.
64 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
5. Âge
Feather (1977), utilisant le système de Rokeach (1973), a montré
d’une part l’existence d’une corrélation entre l’âge et le conserva-
tisme, d’autre part que ce lien dépend du type de valeurs. Ainsi, les
valeurs terminales sécurité et respect de soi sont positivement corré-
lées avec l’âge. Il en est de même pour les valeurs instrumentales
être poli et être propre. En revanche les valeurs terminales une vie
excitante et liberté, et les valeurs instrumentales être imaginatif et
être ouvert d’esprit le sont négativement. D’autres valeurs ne sont pas
du tout corrélées à l’âge (une vie confortable, joie, courageux, réjoui
(cheerful)).
En 1983, Stoetzel a montré également, sur un échantillon européen,
que les personnes les plus jeunes privilégiaient des valeurs morales
innovatrices, tandis que les plus âgés privilégiaient des valeurs
morales traditionnelles (figure 2.11). Similairement, Helkama
(1999) a montré que les personnes plus âgées accordent une plus
grande importance aux valeurs de conservation (tradition, sécurité,
conformité), tandis que les plus jeunes privilégient la stimulation
et l’hédonisme. Enfin une étude européenne (1999) portant en
France sur un échantillon de 1 615 personnes (tirée de la World
Values Survey, 2005), indique que plus on est âgé, plus on pense
qu’il y a des guides inconditionnels concernant le Bien et le Mal.
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 65
Valeurs traditionnelles
40 Pourcentage de choix Valeurs innovatrices
35
30
25
20
15 s
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60 s
70 s
an
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50
Selon Schwartz (2003), les personnes les plus âgées ont davantage
intériorisé les normes, sont moins exposées aux changements et
aux défis. L’âge doit donc corréler positivement avec les valeurs de
conservation (tradition, conformité, sécurité), et négativement avec
des valeurs d’ouverture au changement (autonomie, stimulation) et
avec l’hédonisme. En outre, le fait de fonder une famille et d’occuper
une position stable amène les gens à être moins préoccupés par leur
propre personne et plus orientés vers le bien-être d’autrui. L’âge
devrait donc corréler positivement avec les valeurs de transcendance
de soi (bienveillance, universalisme) et négativement avec les valeurs
d’affirmation de soi (pouvoir, accomplissement). Une recherche
menée en Italie et en Afrique du Sud1 confirme ces hypothèses : en
avançant en âge, non seulement on accorde plus d’importance aux
valeurs de conservation, mais aussi aux valeurs de transcendance de
soi (figure 2.12).
1. L’échantillon d’Afrique du Sud comprend des Asiatiques, des Noirs, des « personnes de
couleur » (« coloured ») et des Blancs.
66 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
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Figure 2.12 – Corrélations âge-valeurs (d’après Schwartz, 2003)
6. Type d’études
Vernon et Allport (1931) ont comparé les résultats de différents
groupes d’étudiants ou professionnels à ceux de la moyenne
d’hommes non étudiants. Ils ont ainsi montré que les psychologues
privilégiaient davantage les valeurs théoriques et esthétiques, mais
étaient moins attirés par les valeurs économiques ; les scientifiques
étaient plus théoriques et moins économiques (mais dans cette caté-
gorie, les étudiants en biologie privilégiaient plus les valeurs esthé-
tiques que les étudiants en physique) ; les ingénieurs et les étudiants
CARACTÉRISTIQUES DES VALEURS 67
7. Valeurs et personnalité
Ce que voit un homme dans la valeur, particulièrement ce qu’il voit dans
la valeur la plus élevée de sa vie, celle qui rend la vie importante à ses
yeux, c’est cela que nous devons savoir, si nous voulons comprendre sa
personnalité.
Stern, 1923, cité par Allport et Vernon, 1930, p. 697.
Selon Shri Aurobindo (Le Cycle humain, cité par Carfantan, 2006), il
y aurait trois types d’humains. L’homme-vital place la réussite sociale
et le profit au sommet de l’échelle des valeurs, et, en bas, les valeurs
esthétiques et intellectuelles. L’homme-mental place au sommet
les valeurs intellectuelles et les valeurs esthétique et en dessous,
68 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
Self-monitoring ?
Les personnes peuvent agir suivant les pressions du contexte ou de manière
cohérente avec leurs valeurs personnelles (Snyder, 1979, 1987). Selon cette
optique, les personnes dites « low monitors » agissent de manière cohérente
avec leurs valeurs, avec ce qu’elles sont censées être ; tandis que les per-
sonnes « high monitors » agissent davantage en accord avec les demandes
de leur entourage. Ce mode de fonctionnement psychologique amène les
personnes à être sensibles à des arguments différents, à choisir leurs parte-
naires pour des raisons différentes, etc.
70 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
Étudiantes
Étudiantes
Étudiantes
Parents
Parents
Parents
Landon (républicain) 62 66 43 69 15 60
Roosevelt (démocrate libéral) 29 26 43 22 64 36
Thomas (socialiste) 9 7 15 8 30 4
Bowder (communiste)
part les gens devraient montrer un haut degré d’accord avec elles,
d’autre part ils devraient manquer de support cognitif. De ce fait,
amener les personnes à réfléchir aux fondements des valeurs devrait
les faire changer.
Dans une étude pilote, Maio et Olson ont montré que les valeurs
de transcendance de soi (Schwartz, 1992) s’imposent plus que les
truismes médicaux utilisés par McGuire (1964). Une première
expérience montre clairement que quand les sujets disposent d’un
support cognitif (ils ont listé les raisons sous-tendant les valeurs),
l’importance qu’ils accordent aux valeurs change. En particulier, le
fait de lister des raisons sous-tendant les valeurs de transcendance les
fait changer davantage qu’il ne fait changer les valeurs d’ouverture
74 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
1. Décrite soit comme intelligent, adroit, travailleur, chaleureux, déterminé, pratique et pru-
dent, soit comme intelligent, adroit, travailleur, froid, déterminé, pratique et prudent.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 79
p. 276). Les valeurs jouent ensuite un rôle sur le plan du maintien des
catégories. D’une part, elles permettent l’assignation à des catégories
sociales : toute information est sélectionnée et réinterprétée dans le
but de renforcer et de confirmer la structure des catégories évalua-
tives. Plus particulièrement, « plus il existe des différences de valeurs
entre catégories sociales, plus les valeurs d’assignation tendront à l’in-
clusion dans la catégorie valorisée négativement et à l’exclusion dans
la catégorie valorisée positivement » (p. 283-284). En des termes plus
triviaux, cela signifie qu’il ne faut pas « manquer » un sujet perçu
comme « impur » (voir Tajfel, 1969, voir aussi Marques, 1990 ; Mar-
ques et Yzerbyt, 1988). Cette tendance semble particulièrement nette
quand les critères de reconnaissance de la cible à juger sont incertains
(Pettigrew, Allport et Barnett, 1958 ; cités par Tajfel, 1972). Outre
l’assignation à des catégories sociales, les valeurs contribuent à les déli-
miter clairement. Enfin les systèmes de catégories chargés de valeur
résistent plus fortement au feedback d’une information contradictoire,
qui est souvent transformée de manière à éliminer la contradiction et
à maintenir les différences intercatégorielles. Les systèmes catégoriels
chargés de valeur tendent ainsi à « amplifier des différences minimes
ou à minimiser des différences notables » (Tajfel, 1972, p. 287), dans
ce cas « on doit généralement s’attendre à rencontrer une sur-simpli-
fication considérable » (ibid).
groupe allait souvent de pair avec des évaluations plus positives des
membres de l’exogroupe blanc que de l’endogroupe afro-américain
(Brown, 1986). Des recherches menées dans les années soixante-dix
ont montré que les enfants noirs préféraient une poupée noire, et que
les enfants préférant la poupée noire avaient une estime de soi plus
élevée que ceux qui préféraient la poupée blanche. Ce changement
coïncidait avec le fait que les Noirs américains étaient majoritaire-
ment devenus plus fiers de leur couleur depuis les années cinquante
(Schadron, 1997).
vant des critères culturels (tous les groupes n’ont pas un accès égal à
l’information) et normatifs (on ne retient que ce qui est concordance
avec le système de valeurs ambiant, voir Echebarria-Echabe et Paez-
Rovira, 1989). Ce travail aboutit à ce que Herzlich (1972) appelle
schéma figuratif, sorte de résumé essentiel de la représentation. Par
exemple, le schéma figuratif de la psychanalyse « oublie » la libido,
notion essentielle chez Freud mais qui, renvoyant à la sexualité, met
en jeu les valeurs et normes sociales (voir aussi Jodelet, 1989a). La
seconde étape de l’objectivation est la naturalisation, qui confère une
réalité tangible à ce qui était originellement une abstraction, qui a
tendance à « figer l’autre dans un statut de nature » (Jodelet, 1984,
p. 371) et permet de justifier toute ségrégation (voir les théories biolo-
gisant l’intelligence, Gould, 1983 ; Mugny et Carugati, 1985). Quant
au second processus, l’ancrage, il concerne l’enracinement social de
la représentation et de son objet (Moscovici, 1961). Il permet à l’in-
dividu de rendre l’insolite familier (la psychanalyse est assimilée à la
confession, l’ordinateur à l’être humain : il « ne veut pas sortir les don-
nées »). « En amont, [l’ancrage] enracine la représentation et son objet
dans un réseau de significations qui permet de les situer en regard
des valeurs sociales et de leur donner cohérence (…). En aval (…)
l’ancrage sert à l’instrumentalisation du savoir en lui conférant une
valeur fonctionnelle pour l’interprétation et la gestion de l’environ-
nement » (Jodelet, 1989a, p. 56). En fin de compte, par l’ancrage, le
groupe exprime ses contours et son identité, son système de valeurs.
Les valeurs permettent ainsi de définir les clivages des groupes (pour
une critique, voir Jahoda, 1988 ; Trognon et Larrue, 1988).
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
− Préjugés et stéréotypes
Le préjugé est un pré-jugement, un jugement antérieur à toute ren-
contre effective avec l’autre. On peut avoir des préjugés à l’endroit de
membres de n’importe quelle catégorie sociale autre que la sienne.
Des personnes peuvent ainsi être la cible de préjugés en raison de
leur appartenance confessionnelle, ethnique, ou encore sexuelle. Le
préjugé est clairement un jugement de valeurs, mais contrairement
à ce que l’on peut croire (Allport, 1954 ; Gardner, 1994), il n’est
pas forcément négatif (Saenger, 1953). Les stéréotypes réfèrent à un
ensemble de traits, de comportements, attribués à l’ensemble des
membres d’un groupe (pour une synthèse, voir Morchain, 1998). Ils
sont liés aux valeurs d’abord par leur contenu. Ensuite, même s’ils ne
84 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
sont pas forcément liés à des réactions négatives (Secord, dès 1959),
ils colorent les évaluations que nous faisons d’autrui. Enfin ils expli-
quent pourquoi des groupes diffèrent et nous amènent à justifier
nos prises de position et nos conduites : d’après Tajfel (1981), ils per-
mettent l’explication des événements (causalité) ; la différenciation
sociale (se différencier des autres) ; et la justification. Ainsi la phrase
« les jeunes des banlieues sont casseurs » ne fait pas que décrire une
soi-disant particularité des jeunes des banlieues, le fait d’être « cas-
seur » est connoté négativement et permet de justifier la multiplica-
tion des rondes de police, ou la nécessité de légiférer. On voit donc
apparaître les valeurs dans le contenu des stéréotypes. D’anciennes
études sur la bande dessinée ont montré par exemple que la femme
était conçue comme quantité négligeable : elle était rarement héroïne
(Pierre, 1976, cité par Bourgeois, 1978). Même héroïne, la femme
restait dominée (elle avait le plus souvent besoin de l’homme pour la
sauver). Falconnet et Lefaucheur (1975) ont montré que la femme
des années soixante-dix, dans les publicités et bandes dessinées,
était perçue de manière plutôt négative, l’homme de manière posi-
tive (voir aussi Doise et Weinberger, 1972-1973). Nos jugements de
valeurs dépendent par ailleurs des stéréotypes. Par exemple, Duncan
(1976) a montré que des Blancs jugent le comportement d’un Noir
plus violent que le même comportement émis par un Blanc.
Van Knippenberg, Dijksterhuis et Vermeulen (1999) ont étudié le
rôle des valeurs liées au stéréotype dans le jugement et la mémori-
sation. Dans leur expérience, les sujets apprennent d’abord qu’un
homme est suspecté d’être entré par effraction dans un domicile
et d’avoir volé quelques objets. Le suspect est présenté soit comme
employé de banque « sérieux, respectable et digne de confiance »,
soit comme drogué « ayant déjà purgé une peine de prison pour vol ».
Dans un second temps, des informations concernant le vol sont don-
nées par l’intermédiaire de 14 textes brefs, que les personnes lisent
soit à leur rythme (condition de charge cognitive légère), soit à la
vitesse de présentation de 8 secondes par information (charge cogni-
tive lourde). Lorsque la charge cognitive est lourde, le stéréotype
négatif a entraîné un jugement de culpabilité plus important, une
punition plus lourde, et une meilleure mémorisation des preuves que
le stéréotype positif. La dimension de valeur morale d’une personne
semble ainsi particulièrement importante dans les jugements stéréo-
typés (Morchain et Schadron, 1999 ; voir aussi Wojciszke, 2005).
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 85
Même si elles ne sont pas, loin s’en faut, le seul facteur en cause, les
valeurs peuvent être considérées comme à l’origine des préjugés et
des stéréotypes. Le racisme anti-Noirs aux USA par exemple serait
lié au fait que les Blancs croient que les Noirs violent leurs valeurs les
plus importantes, issues du protestantisme. Mais le phénomène est
plus général : si le fait d’adhérer à des valeurs humanitaires ou égali-
taires corrèle négativement aux préjugés et à la discrimination envers
plusieurs exogroupes (les Noirs, les homosexuels, ou les obèses), les
préjugés sont effectivement liés au fait que les sujets perçoivent que
les membres de l’exogroupe ne respectent pas les valeurs de leur
endogroupe (Biernat, Vescio, Theno et Crandall, 1996 ; voir aussi
Kristiansen, 1990 ; Esses, Haddock et Zanna, 1993b). C’est ce que
l’on appelle le racisme symbolique.
Dans une série de recherches (Morchain, 2006), l’impact de l’acti-
vation de valeurs sur la perception stéréotypée (abordée sous l’angle
de l’entitativité1) a été testé via un amorçage (voir Croizet, 1991 ;
Bargh, 2006). Dans l’étude 1, 120 étudiants en IUT ont été amorcés
soit sur des valeurs de transcendance de soi, soit sur des valeurs d’af-
firmation de soi. Après l’amorçage de valeurs, les sujets devaient lire
un article de presse fictif mais présenté comme réel, présentant un fait
divers : un groupe de jeunes personnes, présenté comme endogroupe
(des jeunes Français) ou comme exogroupe (des jeunes Italiens) était
aussi présenté comme vivant un sort positif (un voyage intégralement
remboursé à des voyageurs) ou négatif (une collision ayant entraîné
la mort de voyageurs). Une photo de ce groupe illustrait cet article.
Les sujets répondaient ensuite à une série de questions. Cette étude
a montré que les valeurs de transcendance de soi amènent les sujets
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
1. Selon Campbell (1958), les groupes humains varient en entitativité, en unité. On peut
dire que plus un groupe est stéréotypé, plus il est perçu comme entitatif (« ils sont tous
les mêmes »).
86 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
1. Dans cette étude, la mesure implicite réfère au biais linguistique intergroupe, tendance
qu’ont les gens à décrire les comportements positifs de l’endogroupe et les compor-
tements négatifs d’un exogroupe en des termes linguistiques plus abstraits (ou moins
concrets) que les comportements négatifs de l’endogroupe et positifs de l’exogroupe.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 87
9
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fon
Figure 3.1 – Acceptabilité des opinions négatives selon les groupes
confessionnels visés (d’après Franco et Maass, 1999)
si elle peut être inférée d’après ces dernières. D’ailleurs pour Lavelle
(1950), même si la valeur est de l’ordre de l’idéal (elle renvoie aux
idées, on la désire, elle est une projection), elle « porte en elle une
réalité actuelle qui réside dans une exigence de réalisation à laquelle
sans doute notre activité ne répond pas toujours » (p. 20). Les valeurs
contribuent à l’intégration sociale des personnes : elles sont partagées
par les membres d’une collectivité, et l’adhésion aux valeurs communes
est la condition de leur participation à la collectivité (Rocher, 1968,
tomes I et III). Cette intégration passe par des jugements et par des
conduites. Mais d’une part, les valeurs peuvent être conçues comme
guides des conduites, d’autre part elles peuvent en découler, consé-
cutivement à un processus de rationalisation, de justification. Pour
Château par exemple (1985, p. 23), l’acte crée et désigne la valeur1.
• Choix sociaux
Pour Rokeach (1960), un déterminant essentiel de l’attitude d’une
personne à l’égard d’une autre est le degré de similitude (ou de
congruence) de leurs systèmes de croyances. Comme Festinger
(1954), il pense que la similitude d’opinion mène à une attraction
mutuelle tandis que la dissemblance cause du rejet et de l’aversion car
elle met à l’épreuve le système de croyances propre. Pour Rokeach,
les préjugés résulteraient plutôt de la congruence des croyances, de la
perception du fait que d’autres personnes possèdent des systèmes
de croyance incompatibles avec le nôtre. Dans un grand nombre
d’études, cette hypothèse a été confirmée (Rokeach, Smith et
Evans, 1960 ; Rokeach et Mezei, 1966). Rohan et Zanna (1996) ont
demandé à des couples de classer des valeurs selon leur importance.
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
Les résultats ont montré une corrélation moyenne élevée (.68) entre
les profils de valeurs dans un couple. Cela étant, on ne sait pas si
chacun avait un profil proche ou similaire avant la rencontre, et l’on
doit supposer qu’un ajustement des profils se soit produit.
Goodwin et Tinker (2002) se sont intéressés pour leur part aux liens
entre les priorités de valeurs des personnes et leur choix d’un parte-
naire idéal. Ils ont montré que plus les personnes accordent de l’im-
portance aux valeurs de dépassement de soi, plus elles accordent de
l’importance à l’attractivité du partenaire, au fait qu’il gagne bien sa
vie, au cursus universitaire, au fait qu’il soit issu d’une bonne famille,
– Discrimination
Ce terme renvoie à un traitement différent des personnes effectué
sur base de leur appartenance catégorielle, indépendamment de leurs
propriétés ou de leurs qualités individuelles, et se traduit par un rejet
d’autrui (voir par exemple Bourhis et Leyens, 1994). En droit du
travail, elle est définie comme « le traitement inégal et défavorable
appliqué à certaines personnes en raison, notamment, de leur ori-
gine, de leur nom, de leur sexe, de leur apparence physique ou de leur
appartenance à un mouvement philosophique, syndical ou politique »
(voir site http://www.juritravail.com/lexique). Les valeurs sont donc
considérées comme un des critères potentiels de discrimination. Par
exemple Simpson (1976) a observé, chez le personnel médical des
urgences, qu’en général les alcooliques, prostitué(e)s, drogués, vaga-
bonds étaient moins souvent jugés comme ayant un besoin urgent
d’attention. Selon Simpson, le personnel médical semble croire que
ces personnes méritent moins d’aide que celles qui ont un caractère
moral « supérieur ». Quant à Beaton et al. (2003), ils ont montré que
les valeurs de conservatisme et les attitudes racistes sont liées, et ont
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 91
0,8 Catholiques
0,6 Musulmans
0,4 Juifs
0,2
0
-0,2
-0,4
-0,6
on
n
Tr ce
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pl
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C
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Bi
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co
Ac
– Comportements pro-sociaux
Dans un premier temps, les valeurs affectent tout au moins les inten-
tions d’agir avec autrui. Par exemple, Sagiv et Schwartz (1995) ont
demandé à des étudiants Juifs israéliens (groupe majoritaire) s’ils
étaient prêts à entrer en contact avec des Arabes israéliens (groupe
minoritaire). Comme le montre la figure 3.3, et conformément aux
hypothèses, le fait de privilégier des valeurs d’universalisme corrèle
positivement avec l’intention de contact avec l’autre groupe, tandis
que le fait de privilégier des valeurs de sécurité et de tradition cor-
rèle négativement. Les sujets ayant un score élevé en universalisme
et faible en tradition se sont montrés les plus ouverts aux contacts
intergroupes que ceux ayant un score faible en universalisme et élevé
en tradition. En outre, les sujets privilégiant hautement l’universa-
lisme se sont montrés plus ouverts que ceux le privilégiant moins.
De même, les sujets privilégiant hautement la tradition se sont mon-
trés moins ouverts que ceux la privilégiant moins (figure 3.4).
96 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
0,5
0,4
0,4
0,32
0,3
0,2
0,1 0,05 0,13
0,12 0,1 0,12
0
-0,1
-0,2 -0,19
-0,3
-0,4 -0,31
-0,5 -0,41
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St
C
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U
co
Ac
4,5
3,98 Universalisme faible
4 Universalisme élevé
3,5
3,01 2,94
3
2,5 2,31
2
1,5
1
Faible Élevé
Tradition
0,5
0,4 0,38
0,32
0,3
0,2 0,12
0,1 0,06 0,01
0
-0,1
-0,08
-0,2 -0,08
-0,18
-0,3 -0,19
-0,4 -0,37
-0,5
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en
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St
C
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U
co
Ac
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
des forces contradictoires qui s’exercent sur les sujets. » Enfin, dans
l’exemple du Chambon-sur-Lignon, les valeurs affichées par les pas-
teurs Trocmé et Theis semblent avoir joué un rôle déclencheur des
comportements, mais le village avait déjà une « tradition » d’accueil,
et les personnes se sont aussi trouvées engagées dans un processus
d’aide, qu’elles ont pu rationaliser en faisant appel à leurs valeurs.
Au final, si les valeurs ont un impact sur les attitudes, les juge-
ments, les perceptions, il n’est guère évident qu’elles influencent
directement les comportements. D’après Schwartz (1996), elles
jouent même un rôle mineur dans les comportements, sauf dans
le cas d’un conflit de valeurs. Pour lui, en l’absence de conflit de
valeurs, les réponses scriptées suffisent (un script est une séquence
comportementale apprise qui permet de nous adapter1). Plusieurs
variables situationnelles peuvent affecter la consistance entre valeurs
et comportements. Ainsi des normes sociales fortes, par la pression
qu’elles exercent à se comporter en fonction des attentes d’autrui,
sont susceptibles de diminuer la consistance valeurs-comportements
(Schwartz, 1977 ; Bardi et Schwartz, 2003) ; et de fortes incitations
externes (par exemple récompenses ou punitions) peuvent amener
à se comporter d’une manière opposée aux valeurs. Les pressions
temporelles peuvent également diminuer cette consistance : par
exemple des séminaristes, qui étaient en retard pour aller donner
une conférence sur l’importance de l’aide à autrui, aidaient moins
une personne malade rencontrée sur leur chemin que ceux qui
n’étaient pas en retard (Darley et Batson, 1973). À l’inverse, aug-
menter la saillance des valeurs (augmenter leur accessibilité) accroît
la consistance valeurs-comportements.
Ainsi Maio, Olson, Allen et Bernard (2001) ont comparé l’im-
pact de la saillance des valeurs égalité et aide à celui de la saillance
des raisons des mêmes valeurs sur la consistance entre valeurs et
compor tements. Ils supposent que le fait de rendre saillantes les rai-
sons d’une valeur l’insère dans un réseau argumentatif (le support
cognitif la rend plus concrète), tandis que la saillance de la valeur
se rapporte à un amorçage simple (la valeur est simplement activée
dans la tête des gens). Donc, le fait de rendre saillantes les raisons
des valeurs devrait entraîner une plus grande consistance entre les
1. On doit toutefois supposer que les réponses scriptées sont elles-mêmes chargées de
valeurs : les personnes n’apprennent pas n’importe quel script en observant n’importe
qui ou en faisant n’importe quoi dans n’importe quel contexte.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 101
40
30
20
10
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1. Sidaïque est proche de judaïque ; quant à sidatorium, même s’il évoque sanatorium,
dans ce contexte particulier, il évoquait aussi crématorium.
104 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
• Stéréotypes
« Dans les races les plus intelligentes comme les Parisiens, il y a une notable
proportion de la population féminine dont les crânes se rapprochent plus
par le volume de ceux des gorilles que des crânes du sexe masculin les plus
1. Ce qui n’est pas la même chose : un acte peut être explicable sans pour autant être excu-
sable. D’un côté, on se situe dans le domaine de l’intellect ; de l’autre, on est davantage
dans celui de la valeur et de l’affect.
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 105
développés (…). Cette infériorité est trop évidente pour être contestée un
instant, et on ne peut guère discuter que sur son degré. Tous les psy-
chologistes qui ont étudié l’intelligence féminine ailleurs que chez les
romanciers et les poètes reconnaissent aujourd’hui qu’elles représentent
les formes les plus inférieures de l’évolution humaine et sont beaucoup
plus près des enfants et des sauvages que de l’homme adulte civilisé. Elles
ont des premiers la mobilité et l’inconstance, l’imprévoyance et l’habi-
tude de n’avoir que l’instinct du moment pour guide. (…) On ne saurait
nier sans doute qu’il existe des femmes fort distinguées, très supérieures
à la moyenne des hommes, mais ce sont là des cas aussi exceptionnels
que la naissance d’une monstruosité quelconque, telle par exemple qu’un
gorille à deux têtes, et par conséquent négligeables entièrement. » [Il en
découle que] « vouloir donner aux deux sexes (…) la même éducation,
et par suite leur proposer les mêmes buts, est une chimère dangereuse.
(…) Le jour où, méprisant les occupations inférieures que la nature lui a
données, la femme quittera son foyer et viendra prendre part à nos luttes,
ce jour-là commencera une révolution sociale où disparaîtra tout ce qui
constitue aujourd’hui les liens sacrés de la famille et dont l’avenir dira
qu’aucune n’a jamais été plus funeste. »
G. Le Bon, 1879, cité par Gould, 1983, p. 120.
dans certains cas, elle peut afficher clairement des « valeurs néga-
tives » (racisme ou sexisme par exemple), particulièrement en cas
de conflit intergroupes (Bar-Tal, 1989 ; Schwartz et Struch, 1989).
Dans ces cas, la fonction de justification est évidente : le fait de
définir les autres groupes comme moins bons ou comme inhumains
permet de justifier le sort qu’on leur fait subir. La notion de « race »
par exemple a son origine en biologie et désigne une espèce géné-
tiquement distincte d’une autre (Osborne, 1971). Cette notion fut
utilisée au XIX e siècle par les ethnologues, qui divisèrent l’espèce
humaine en trois « races » selon leur couleur de peau : noire, jaune,
et blanche. Depuis, les généticiens ont montré que les différences
entre personnes d’une même race sont bien plus importantes que les
106 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
différences entre les « races » (Stringer, 1991 ; voir aussi les recher-
ches sur le génome humain). En conséquence, le terme « race » ne
peut s’appliquer aux êtres humains (Unesco, 1969). Si donc cette
notion n’a guère de fondements biologiques, elle reste pourtant
utilisée par certains groupes racistes, et plus généralement on en
trouve trace dans le langage commun. C’est qu’elle a une fonction
sociale importante. Elle permet en effet d’expliquer les événements,
les différences entre les êtres humains, de justifier les exclusions et
finalement de maintenir les inégalités sociales. Dès 1953 (p. 88-89),
Saenger écrivait « La propagation de la théorie de l’infériorité raciale
ne sert pas seulement à apaiser la conscience des groupes exploi-
tants majoritaires, elle est souvent spécifiquement adaptée à leurs
besoins économiques changeants. Elle ne dit pas uniquement que
les minorités opprimées sont “heureuses” de leur situation, mais elle
explique plus particulièrement que le groupe dominé ne peut pas
effectuer le travail duquel il a été exclu au bénéfice du dominant ».
Le même phénomène se produit dans le cas du sexisme. Selon la
théorie de l’identité sociale, les stéréotypes servent les intérêts des
membres d’un groupe en attestant la supériorité de l’endogroupe
et en justifiant les comportements discriminatoires à l’encontre
de l’exogroupe. Par exemple, Rosette Avigdor (1953) a montré
que le stéréotype est généralement défavorable si les groupes sont
placés en interaction conflictuelle, généralement favorable si l’in-
teraction est amicale ou coopérative. Elle a aussi et surtout montré
que les caractéristiques les plus susceptibles d’exacerber le conflit
sont attribuées à l’autre groupe. Cette stratégie, généralement non
consciente, permet évidemment de justifier les conduites. Dire que
les autres sont sympathiques ne permet pas de justifier le conflit. En
revanche, les décrire comme agressifs peut aider. Dans le cadre de
l’intragroupe, Marques (1990 ; Marques, Yzerbyt et Leyens, 1988)
a montré que des jugements extrêmes concernant les membres de
l’endogroupe ne se produisent que pour les dimensions pertinentes
pour l’endogroupe (si un groupe valorise l’honnêteté et que certains
de ses membres se conduisent malhonnêtement, ils seront perçus
comme extrêmement malhonnêtes, même s’ils sont aussi décrits
comme compétents ou sympathiques ; ce qui justifiera leur exclu-
sion).
À QUOI SERVENT LES VALEURS ? 107
pothèse des valeurs comme guides des attitudes, les évaluations des
modifications de salaires dépendaient des priorités de valeurs : les
personnes proposant le plus des recommandations équitables attri-
buaient plus d’importance aux valeurs égalité et harmonie intérieure
et moins d’importance aux valeurs une vie confortable, une vie exci-
tante et plaisir. Mais les valeurs proposées par les sujets pour justifier
leurs positions étaient largement indépendantes de leurs priorités de
valeurs. La justification faisait appel à des valeurs articulées à la rhé-
torique sociale concernant les revendications salariales plutôt qu’aux
valeurs individuelles.
Kristiansen et Matheson (1990) ont interrogé des étudiants sur le
thème des armes nucléaires au Canada. Les sujets devaient écrire
108 PSYCHOLOGIE SOCIALE DES VALEURS
les gays devraient être reliées à la croyance selon laquelle ces derniers
violent des valeurs importantes. Kristiansen a d’abord montré que
les lesbiennes féministes perçoivent effectivement les gays comme
un groupe distinct du leur, alors que les lesbiennes se perçoivent
comme membres du même groupe que les gays. Une analyse des
corrélations par rangs a montré que les systèmes de valeurs des gays
et des lesbiennes étaient remarquablement similaires. Toutefois, si les
mouvements gays et lesbiens tendaient à surestimer les similitudes
de leurs systèmes de valeurs respectifs, les féministes lesbiennes
n’ont trouvé aucune similarité entre leurs valeurs et celles des gays.
Plus encore, elles percevaient les gays comme accordant moins d’im-
portance à la liberté, l’harmonie intérieure et la joie, valeurs classées
aux rangs 4, 7, et 9 de leur hiérarchie de valeurs. Dans cette étude,
la dissimilarité perçue des systèmes de valeurs a expliqué 36 % de la
variance les attitudes envers les gays.
Ces résultats sont cohérents avec la théorie de l’identité sociale selon
laquelle les membres d’un groupe vont tendre à sous-estimer la simi-
larité entre leurs propres valeurs et celles d’un exogroupe afin de
développer – ou maintenir – une identité sociale positive. Ainsi, de
la même manière que les personnes en appellent aux valeurs afin de
justifier leurs attitudes envers des questions sociétales, elles tendent
aussi à exagérer les différences de valeurs entre les groupes. Pour-
quoi ? Probablement pour maintenir la distinction et la positivité de
leur propre groupe, et pour minimiser à leurs yeux les implications
négatives de leurs attitudes de rejet. Ainsi, les personnes peuvent
faire appel à des valeurs qui ne sont pas forcément prioritaires pour
elles, lorsqu’elles ont une situation à justifier.
En guise de conclusion
quand le produit des valeurs (ou des valences) des associations est
positif [dans l’exemple : (1) moi et mes amis (+) ; (2) mes amis et leurs
amis (+) ; (3) moi et les amis de mes amis (+) ; (+) x (+) x (+) = (+)].
Dans le présent ouvrage, on a vu que les valeurs peuvent influencer
les personnes dans leurs perceptions d’autrui, sans qu’elles en soient
particulièrement conscientes, et que leurs jugements peuvent être
différents quand elles ont conscience des valeurs. Cette question
d’un impact différent des valeurs selon que les personnes en sont
conscientes ou non reste très largement à creuser. En même temps,
si les valeurs orientent les attitudes, les opinions, voire les inten-
tions d’agir, on a vu qu’il est moins sûr qu’elles influencent direc-
tement les comportements : elles sont un des nombreux facteurs de
contexte pouvant amener des personnes à agir. On a vu aussi que
tant les philosophes que les psychologues leur reconnaissent une
fonction justificatrice. Le plus étonnant peut-être est le fait que les
valeurs permettent de justifier des prises de position même quand
elles n’y sont pas reliées, et que les valeurs privilégiées par les per-
sonnes ne sont pas nécessairement celles qu’elles vont utiliser pour
justifier leurs jugements. À l’extrême limite, je ne suis pas loin de
penser que les valeurs n’interviennent le plus souvent qu’a posteriori,
à titre de légitimation. Pour rester dans le questionnement, comme
les valeurs sont à la fois antérieures et postérieures aux comporte-
ments, et comme la recherche est un processus infini, les questions
restent nombreuses. Par exemple : y a-t-il des valeurs qui orientent
davantage les comportements, d’autres qui orientent davantage les
perceptions ? Y en a-t-il qui permettent davantage de les justifier ?
Quand les valeurs orientent-elles les comportements, et quand les
justifient-elles ? À un autre niveau, le circumplex forme-t-il un plan
ou possède-t-il une troisième dimension ? Qu’en est-il des valeurs
spirituelles ? On pourrait très certainement en poser de très nom-
breuses autres, mais ce n’est pas le cadre de cet ouvrage. J’ai essayé
de lever un coin du voile, ce qui forcément nous amène à décou-
vrir d’autres voiles derrière les voiles. Si j’ai pu susciter le désir d’en
savoir plus, si j’ai pu transmettre un peu de ce que j’ai reçu de mes
pères et de mes pairs, j’en serais heureux.
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p. 303-325.
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Index des notions
A J
affect/émotion 24 jugement social 75
attitudes 17 justification 17, 101, 103
C N
catégorisation sociale 79 nexus 55
circumplex 21, 48 normes 14
conduites 88
conscience 86, 88 P
contrôle social 26 perception sociale 75
coopération 97 préjugés 82-83
croyances 9, 13, 17, 31, 33, 36,
52, 58, 89 R
culture 58
représentations sociales 82, 103
D S
discrimination 90, 94
stéréotypes 82-84, 103-104
E V
émotions morales 25-26
valeur 1, 7, 10, 37
I — instrumentale 42
— terminale 42
identité sociale 79
idéologie 52, 74
image de soi 77
Index des auteurs
A M
Allport G.W. 19, 21-22, 26, 43, Maio G.R. 17, 25, 73-74, 100
62, 66, 83 Moscovici S. 9, 53, 82, 103
B O
Baechler J. 102 Osgood C.E. 40, 78
Bargh J.A. 76, 85, 88
Bar-Tal D. 32, 93-94, 105 R
Beauvois J.L. 8, 18, 34, 53 Renner W. 17
Boucher J. 78 Rohan M.J. 68
C Rokeach M. 13-14, 17, 36, 42,
Codol J.P. 79 45, 48, 53, 57-58, 64, 73, 77,
89-91, 107
D
S
Deconchy J.P. 5, 53, 77, 82, 91
Doise W. 5, 9, 14, 17, 84, 103 Schadron G. 76, 79, 81, 84
Dubois N. 15, 19, 34 Schwartz S.H. 5, 45, 48, 50, 62,
65, 92, 95-96, 100, 105
F Seligman C. 25, 73
Feather N.T. 14, 64, 68 Spranger E. 19
H T
© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.
Psychologie sociale
des valeurs
Que sont les valeurs ? Comment sont-elles organisées ? Pascal Morchain
Leur hiérarchie est-elle stable ? Quels sont leurs liens Maître de Conférences
avec d’autres facteurs individuels et sociaux ? À quoi en psychologie sociale
à l’université de
servent-elles ? Rennes 2, il est membre
Cet ouvrage présente les réponses apportées par la du LAUREPS-CRPCC
psychologie sociale à toutes ces questions. Il couvre (Laboratoire Armoricain
Universitaire de
une très large période temporelle et se veut aussi un Recherches en
ouvrage de réflexion dans lequel l’auteur questionne Psychologie Sociale -
les différents champs qu’il présente. Centre de Recherche en
Psychologie-Cognition-
En ce sens, et bien que destiné à toute personne non Communication ;
spécialiste s’intéressant à la question des valeurs, cet EA 1285).
ouvrage s’adresse autant à des étudiants qu’à des
chercheurs en sciences humaines et sociales.