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II- Des courants de pensée au XXe siècle

1- Le surréalisme

Le XXe siècle serait le « le siècle du surréalisme » comme le XIXe aurait été le


siècle du romantisme. L’aventure surréaliste a duré un demi siècle, de 1919, date de
la publication de Les Champs magnétiques (André BRETON et Philippe
SOUPAULT), à 1969, date de l’autodissolution du groupe après la mort d’André
BRETON. L’importance de ce mouvement révolutionnaire, car il s’agit d’une révolution
de l’esprit et du corps (nous y reviendrons), ne se mesure pas seulement par cette
longévité, mais aussi par sa diffusion à travers le monde, en France, en Espagne
(Savador DALÍ), en Belgique (Henri MICHAUX) , en Amérique du Sud (Octavio PAZ),
aux Etats-Unis (le groupe surréaliste de Chicago ), dans le monde arabe (Abdulkader
EL JANABI)… et par sa présence dans la littérature (BRETON, Louis ARAGON, Paul
ELUARD…), dans l’art (Marcel DUCHAMP, Pablo PICASO…), dans la photographie
(Henri CARTIER-BRESSON, André KERTÈSZ, Man RAY), dans le cinéma (Luis
BUÑEL). Car le surréalisme incarne un idéal, ce pourquoi il est une révolution, celui de
libérer totalement l’homme de toutes les contraintes qui l’entravent, morales,
religieuses, politiques, la famille, la patrie…, de façon à lui permettre de vivre
pleinement et de disposer librement de son corps et de son esprit à travers une
imagination déchaînée. « Liberté couleur d’homme » dit BRETON dans Clair de
terre (recueil de poèmes publié en 1923). Ou encore : « Le seul mot de liberté est tout
ce qui m’exalte encore », écrit-il dans le premier Manifeste du surréalisme (1924).
Rappelons à ce propos les positions anticolonialistes des surréalistes en faveur des
Marocains en 1925 lors de la guerre du Rif, en faveur des vietnamiens dans la guerre
d’Indochine en 1947, en faveur des Algériens en 1960. Ce que cherche le surréalisme
c’est un homme nouveau. La poésie qui est au centre du mouvement surréaliste,
celle que René CHAR appelle la « soupçonnée », n’est pas seulement un art
poétique, elle est une manière d’être-au-monde, une façon d’agir sur le monde.
L’idéal d’une vie totalement libre, d’une création brisant toutes les censures, d’un
homme intégral ne pouvaient être imaginables sans la célébration de l’amour - et sans
la célébration de la femme : « Amour, seul amour qui soit, amour charnel, je t'adore, je
n'ai jamais cessé d'adorer ton ombre vénéneuse, ton ombre mortelle. » (BRETON,
L’Amour fou, Éditions Gallimard, Paris, 1937). Le feu de la révolution surréaliste est
indissociable de l’amour et la femme, chantée par les poètes surréalistes, est au
centre de cette révolution, son inspiratrice.
La « Philosophie surréaliste » (titre de l’ouvrage de Ferdinand ALQUIÉ, Éditions
Flammarion, Paris, 1977) repose sur quelques concepts :

- le « hasard objectif » : il désigne des coïncidences tellement mystérieuses au point


qu’elles paraissent comme, dans le rêve, la « réalisation d’un désir ». C’est « la
rencontre d’une causalité externe et d’une finalité interne ». De la sorte le monde est
un réseau de signes, de « correspondances » (Charles BAUDELAIRE) dont l’homme,
le poète en l’occurrence, est le médium et l’interprète.

- l’« humour noir » : à l’origine de la notion « humour noir » il y a d’abord HEGEL puis
FREUD. HEGEL parle plutôt d’« humour objectif ». Il s’agit, parlant des romantiques,
d’une résolution entre la nécessité d’imiter la nature servilement et la nécessité de
s’en détacher par l’humour, entre l’hyperréalisme et la subjectivité totalement
indépendante. Selon FREUD l’humour est « libérateur » ; il permet au moi de
triompher face à l’adversité du monde (Le Mot d’esprit et ses rapports à
l’inconscient, ouvrage publié en 1905, traduit de l'allemand par Marie BONAPARTE
et le Dr. M. NATHAN, Éditions Gallimard, 1930). Il est « sublime et élevé ».
L’« humour noir » est un néologisme de BRETON. Par « noir » BRETON n’entend
pas quelque chose de triste, de macabre. Il s’agit plutôt d’un humour exalté, qui va à
l’extrême comme on peut le voir dans la peinture de Savador DALÍ, dans la Joconde
de Marcel DUCHAMP…
- le « point sublime » ou le « point suprême » : point où les contraires se réunissent :
la chair et l’esprit ; la vie et la mort ; le sensible et le rationnel ; le passé et le futur ; le
haut et le bas… C’est la condition essentielle pour atteindre l’homme intégral,
absolument libre que cherchent les surréalistes. L’art est à ce titre défini, par référence
à HEGEL, comme « quelque chose de spirituel qui apparaît comme matériel » ;
« L’objet d’art tient le milieu entre le sensible et rationnel ». L’amour est célébré
comme expérience de la chair et de l’esprit. L’étreinte amoureuse est « un lieu-état où
mort et naissance se rencontrent à mi-chemin ». La référence philosophique des
surréalistes sur ce point est la dialectique hégelienne. Leur référence littéraire est
l’écrivain malgache Malcolm CHAZAL.
- l’« écriture automatique » : l’automatisme est le mécanisme fondamental du
surréalisme. L’écriture automatique est une parole-écriture qui échappe au contrôle
de la raison, de la conscience, de la réflexion, de toute sorte de règle. Ce que le
premier Manifeste du surréalisme appelle « le fonctionnement réel de la pensée ».
C’est ce que BRETON va expérimenter en écrivant à différentes vitesses. C’est ce
que Henri MICHAUX expérimente en écrivant sous différentes drogues – assisté par
un médecin – ce qui a donné lieu à un recueil de poésie, La Connaissance par les
gouffres, en 1948. L’écriture automatique a été inspirée en partie le spiritisme
(capacité de certaines personnes, qu’on appelle siprite ou médium, à communiquer
avec les esprits des morts) et la psychanalyse (BRETON découvre FREUD en 1916
alors qu’il était interne dans UN centre neuropsychiatrique d’où son intérêt pour le
rêve, les associations libres des idées chez les malades mentaux, les pantomimes des
hystériques). Mais elle a surtout ses références dans la poésie : Stéphane
MALLARMÉ avec sa poésie hermétique, Arthur RIMBAUD pour qui le poète est un
« Voyant » qui accède « à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens », et
LAUTRÉAMONT avec sa célèbre formule : « Beau comme la rencontre fortuite, sur
une table de dissection, d’une machine à coudre et d’un parapluie. » qui
deviendra le modèle de l’écriture surréaliste. L’image surréaliste (comparaison ou
métaphore) doit faire l’effet d’une surprise. Celle-ci serait d’autant plus grande que
l’écart entre le comparant et le comparé est aussi grand : « La terre est bleu comme
une orange » (Paul ELUARD) ; « ma femmes aux fesses de printemps »
(BRETON) ; « Dans la bouche de l’hirondelle un orage s’informe, un jardin se
construit » (René CHAR), « Le revolver à cheveux blancs » (titre d’un recueil de
poèmes de BRETON)… L’écriture automatique inspirera un des jeux les plus célèbres
du surréalisme, à savoir le « cadavre exquis ».

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