Vous êtes sur la page 1sur 38

République Algérienne Démocratique et Populaire

Lycée Cheikh Bouamama (Ex Descartes)

Descriptif des lectures analytiques de


l’épreuve anticipée oral de français

Nom et Prénom de l’élève : Bourouina Hamza Rayan


Classe : 1ere science économique et sociale
Session : 2023-2024

Signature du proviseur : Signature du professeur :


SOMMAIRE
Objet d’étude 1 : Le personnage du roman du Moyen âge à nos jours.
Séquence 1 : Le roman classique.
Œuvre intégrale : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678.
 Texte 1 : Le portrait élogieux de la Princesse de Clèves.
 Texte 2 : L’aveu.
Séquence 2 : Le roman de l’absurde.
Œuvre intégrale : Albert Camus, L’Étranger, 1942.
 Texte 3 : L’incipit.
Séquence 3 : Le roman romantique/réaliste.
Extrait d’œuvre : Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839.
 Texte 4 : La Chartreuse de Parme, Partie II, Chapitre XVIII, 1839

Objet d’étude 2 : L’Écriture poétique et quête du sens du moyen âge à


nos jours.
Séquence 4 : Poésie lyrique.
Groupement de poèmes :
 Texte 5 : « Les Voiles », Alphonse de Lamartine, Œuvre Posthume, 1873.
 Texte 6 : « Spleen : quand le ciel bas est lourd pèse comme un couvercle »,
Baudelaire, Les Fleurs Du Mal, 1857.
Séquence 5 : Poésie engagée.
Groupement de poèmes :
 Texte 7 : « Le Dormeur Du Val », Arthur Rimbaud, Le Cahier De Douai, 1870.
 Texte 8 : « Mélancholia », Victor Hugo, Les Contemplations, 1838.
Objet d’étude 3 : Le texte théâtral et sa représentation du XVII eme
siècle à nos jours.
Séquence 6 : Théâtre Classique.
Œuvre intégrale : Molière, Dom Juan, 1665.
 Texte 9 : « La scène d’exposition », Acte I, scène 1.
 Texte 10 : « La scène du pauvre », Acte III, scène 2.
 Texte 11 : « Le Dénouement », Acte V, scène 5 et 6.
Séquence 7 : Théâtre de l’absurde.
Œuvre intégrale : Eugene Ionesco, Rhinocéros, 1959.
 Texte 12 : Le Dénouement, La scène finale.

Objet d’étude 4 : La question de l’homme dans les genres de


l’argumentation du XVI éme siècles à nos jours.
Séquence 8 : L’argumentation d’idées,
Groupement de textes :
 Texte 13 : La Bruyère, Les Caractères, livre V à X. Jean de La Bruyère, Les Caractères
ou les Mœurs de ce siècles, Chapitre XI « De l’homme » -121-(IV)-1688.

 Texte 14 : « L’Eldorado », Voltaire, Candide ou L’optimiste, 1759.

 Texte 15 : « Détruire la Misère », Victor Hugo, Discours, 1849.

 Texte 16 : « L’avare qui a perdu son trésor », Jean de La Fontaine, Livre IV, Fables,
fables 20, 1668.
OBJET D’ÉTUDE No1
Le personnage du roman du
XVIIéme siècle à nos jours.
Objet d’étude 1 : Le personnage du roman
du XVIIéme siècle à nos jours.

Séquences Lectures analytiques


Séquence 1 : Le roman Classique. -- Madame
Madame dede La
La Fayette
Fayette –– La
La princesse
Princesse de Clèves, 1678.
Œuvre intégrale : Madame de La
Fayette – La Princesse de Clèves, 1678.
Problématiques : Texte 1 : Le portrait de Mlle de
-Dans quelle mesure cette œuvre révèle-t-elle à la Chartres.
fois de l’esthétique classique et précieuse ?
-Dans quelle mesure Mme et M de Clèves
incarnent-ils l’honnête homme ? Texte 2 : L’aveu.

Séquence 2 : Le roman de l’absurde


Œuvre intégrale : Albert Camus – - Albert Camus – L’Étranger, 1942.
L’Étranger, 1942.
Problématique : Texte 3 : L’incipit.

-Dans quelle mesure le personnage de Meursault


incarne-t-il la vision du monde e l’absurde de
Camus ?

Séquence 3 : Le roman
romantique/réaliste. - Stendhal – La Chartreuse de Parme,
1839.
Extrait d’œuvre : Stendhal – La
Chartreuse De Parme, 1839. Texte 4 : Partie II, Chapitre XVIII.

Séquence 1 :
Le Roman Classique.

Œuvre intégral :
Madame de La Fayette – La Princesse de Clèves, 1678.

Texte 1 : « Le Portrait de Melle de Chartres. »


Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que
c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à
voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus
grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame
de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu
son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait
donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et
sa beauté ; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères
s'imaginent qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en
éloigner. Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des
peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce
qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs
tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui
faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la
vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. Mais elle
lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance
de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d'une femme, qui
est d'aimer son mari et d'en être aimée.
Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fût dans
une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était
extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année,
elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le vidame alla au-devant d'elle ; il fut surpris de la
grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son
teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits
étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes.

La Princesse De Clèves, Madame de La Fayette, 1678.


Texte 2 : « L’aveu »
Eh bien ! monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à
son mari ; mais l’innocence de ma conduite et de mes intentions m’en donne la force. Il est vrai que j’ai des
raisons de m’éloigner de la cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon
âge. Je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d’en laisser paraître, si vous me
laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j’avais encore madame de Chartres pour aider à me conduire.
Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d’être à vous.
Je vous demande mille pardons, si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais
par mes actions. Songez que, pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari
que l’on n’en a jamais eu. Conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore si vous pouvez.
M. de Clèves était demeuré, pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il
n’avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu’il jeta les yeux sur elle, qu’il la vit à
ses genoux, le visage couvert de larmes, et d’une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et
l’embrassant en la relevant :
Ayez pitié de moi, vous-même, madame, lui dit-il, j’en suis digne, et pardonnez si, dans les premiers moments
d’une affliction aussi violente qu’est la mienne, je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre.
Vous me paraissez plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il n’y a jamais eu de femmes au monde ;
mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m’avez donné de la passion dès le
premier moment que je vous ai vue ; vos rigueurs et votre possession n’ont pu l’éteindre : elle dure encore : je
n’ai jamais pu vous donner de l’amour, et je vois que vous craignez d’en avoir pour un autre. Et qui est-il,
madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? depuis quand vous plaît-il ? qu’a-t-il fait pour vous
plaire ? quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur ? Je m’étais consolé en quelque sorte de ne l’avoir pas
touché, par la pensée qu’il était incapable de l’être ; cependant un autre fait ce que je n’ai pu faire ; j’ai tout
ensemble la jalousie d’un mari et celle d’un amant ; mais il est impossible d’avoir celle d’un mari après un
procédé comme le vôtre. Il est trop noble pour ne me pas donner une sûreté entière ; il me console même
comme votre amant. La confiance et la sincérité que vous avez pour moi sont d’un prix infini : vous m’estimez
assez pour croire que je n’abuserai pas de cet aveu. Vous avez raison, madame, je n’en abuserai pas, et je ne
vous en aimerai pas moins. Vous me rendez malheureux par la plus grande marque de fidélité que jamais une
femme ait donnée à son mari : mais, madame, achevez, et apprenez-moi qui est celui que vous voulez éviter.

La princesse de Clèves, Madame de La Fayette, 1678.

Séquence 2 :
Le roman de l’absurde.
Œuvre intégrale :
Albert Camus – L’Étranger, 1942

Texte 3 : « L’incipit de L’Etranger ».


Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : «
Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être
hier.

L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux
heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé
deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il
n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé
alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me
présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le
moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera
une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.

J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme
d’habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : « On n ’a qu’une mère. »
Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. J’étais un peu étourdi parce qu’il a fallu que je
monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a
quelques mois.

J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute,
ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi.
J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire
qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler.

Albert Camus, L’Étranger,1942.

Séquence 3 :
Le roman romantique/réaliste.
Extrait d’œuvre :
Stendhal – La Chartreuse de Parme, 1839.

Texte 4 : « La Chartreuse de Parme, Partie II, chapitre XVII ».


Il courut aux fenêtres ; la vue qu’on avait de ces fenêtres grillées était sublime : un seul
petit coin de l’horizon était caché, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du
gouverneur, qui n’avait que deux étages ; le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux
de l’état-major ; et d’abord les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du
second étage, où se trouvaient, dans de jolies cages, une grande quantité d’oiseaux de
toute sorte. Fabrice s’amusait à les entendre chanter, et à les voir saluer les derniers
rayons du crépuscule du soir, tandis que les geôliers s’agitaient autour de lui. Cette
fenêtre de la volière n’était pas à plus de vingt-cinq pieds de l’une des siennes, et se
trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu’il plongeait sur les oiseaux.

Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levait
majestueusement à l’horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trévise. Il
n’était que huit heures et demie du soir, et à l’autre extrémité de l’horizon, au couchant,
un brillant crépuscule rouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et
des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le mont Cenis et Turin ; sans songer
autrement à son malheur, Fabrice fut ému et ravi par ce spectacle sublime. « C’est donc
dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti ! avec son âme pensive et sérieuse, elle doit
jouir de cette vue plus qu’un autre ; on est ici comme dans des montagnes solitaires à cent
lieues de Parme. » Ce ne fut qu’après avoir passé plus de deux heures à la fenêtre,
admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue sur le joli
palais du gouverneur que Fabrice s’écria tout à coup : « Mais ceci est-il une prison ? est-ce
là ce que j’ai tant redouté ? » Au lieu d’apercevoir à chaque pas des désagréments et des
motifs d’aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison.

Stendhal, La Chartreuse De Parme, Partie II, Chapitre XVIII, 1839.

o
Objet d’étude N 2 :
L’Écriture poétique et quête du sens
du moyen âge à nos jours.
Objet d’étude 2 : L’Écriture poétique et quête du
sens du moyen âge à nos jours.

Séquences Lectures analytiques


Séquence 4 : Poésie lyrique.
Groupement de poèmes : Texte 5 : « Les voiles », Alphonse De
Lamartine, Œuvre posthume, 1873.

Problématique :
Texte 6 : « Spleen : quand le ciel bas
-Comment les poètes exaltent-ils leurs sentiments ?
et lourd pèse comme un couvercle »,
Baudelaire, Les Fleurs Du Mal, 1857.

Séquence 5 : Poésie engage


Groupement de poèmes : Texte 7 : « Le Dormeur Du Val »,
Arthur Rimbaud, Le Cahier De Douai,
1857.
Problématique :
-Comment la versification au XIXeme siècle peut-elle
se mettre au service d’une cause ?
Texte 8 : « Mélancholia », Victor
Hugo, Les Contemplations, 1838.

Séquence 4 :
Poésie lyrique.

Groupement de poèmes :
Texte 5 : « Les Voiles », Œuvre posthume, 1873.

Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes,


Les ailes de mon âme à tous les vents des mers,
Les voiles emportaient ma pensée avec elles,
Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers.
Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie
Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin
Des continents de vie et des îles de joie
Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main.

J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume,


Heureuse d’aspirer au rivage inconnu,
Et maintenant, assis au bord du cap qui fume,
J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu.

Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées,


Non plus comme le champ de mes rêves chéris,
Mais comme un champ de mort où mes ailes semées
De moi-même partout me montrent les débris.

Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste,


Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ;
La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste
Et chacun de ces flots roule un peu de mon cœur.

« Les Voiles », Alphonse de Lamartine, Œuvre posthume, 1873.

Texte 6 : « Spleen », Les Fleurs Du Mal, 1857.

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle


Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées


D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie


Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

« Spleen IV », Baudelaire, Les Fleurs Du Mal, 1857.

Séquences 5 :
Poésie engagée

Groupement de poèmes :
Texte 7 : « Le Dormeur Du Val », Le Cahier De Douai, 1870.

C'est un trou de verdure où chante une rivière


Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,


Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme


Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;


Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

« Le Dormeur Du Val », Arthur Rimbaud, Le Cahier De Douai, 1870.

Texte 8 : « Mélancholia », Les Contemplations, 1838.


Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?

Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?

Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?

Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;

Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement

Dans la même prison le même mouvement.

Accroupis sous les dents d'une machine sombre,

Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,

Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,

Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.

Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.


Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.

Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.

Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !

Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,

Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »

O servitude infâme imposée à l'enfant !

Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant

Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,

La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,

Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -

D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !

Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,

Qui produit la richesse en créant la misère,

Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !

Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? »

Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,

Une âme à la machine et la retire à l'homme !

Que ce travail, haï des mères, soit maudit !

Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,

Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !

O Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,

Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,

Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

« Mélancholia », Victor Hugo, Les Contemplations, 1838.

o
Objet d’étude N 3 :
Le texte théâtral et sa représentation du
XVIIéme siècle à nos jours.
Objet d’étude 3 : le théâtre et sa
représentation du XVIIéme siècle à nos jours.

Séquences Lectures analytiques


Séquence 6 : Théâtre Classique.
Œuvre intégrale : Molière – Dom Juan,
1665. Texte 9 : « La scène d’exposition »,
Acte I, scène 1.
Problématique : Texte 10 : « La scène du pauvre »,
-En quoi le personnage de Dom Juan, par ses Acte III, scène 2.
transgressions, présente-t-il la lutte pour la liberté
au théâtre et dans la société ?
Texte 11 : « Le dénouement », Acte
V, scène 5 et 6.

Séquence 7 : Le Théâtre de
l’absurde.
Œuvre intégrale : Eugene Ionesco –
Rhinocéros, 1959. Texte 12 : « Le Dénouement, La
scène finale », Eugene Ionesco,
Rhinocéros, 1959.
Problématique :
-En quoi l’œuvre de Rhinocéros est-elle

Séquence 6 :
Le Théâtre classique.

Œuvre intégrale :
Molière – Dom Juan, 1665.

Texte 9 : « La scène d’exposition », Acte I, scène 1.


SGANARELLE, tenant une tabatière.

Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui
vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les
âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle
manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se
trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le
tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière.
Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est
mise en campagne après nous, et son cœur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans le venir
chercher ici. Veux-tu qu'entre nous je te dise ma pensée ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage
en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.
GUSMAN

Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure ? Ton maître t'a-t-il
ouvert son cœur là-dessus, et t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir ?

SGANARELLE

Non pas ; mais, à vue de pays, je connais à peu près le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerais
presque que l'affaire va là. Je pourrais peut-être me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner
quelques lumières.

GUSMAN

Quoi ? ce départ si peu prévu serait une infidélité de Dom Juan ? Il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done
Elvire ?

SGANARELLE

Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage.

GUSMAN

Un homme de sa qualité ferait une action si lâche ?

SGANARELLE

Eh oui, sa qualité ! La raison en est belle, et c'est par là qu'il s'empêcherait des choses.

GUSMAN

Mais les saints nœuds du mariage le tiennent engagé.

SGANARELLE

Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Dom Juan.

GUSMAN

Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme
après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de vœux, de soupirs et de larmes, tant de
lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements
qu'il a fait paraître, jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance,
je ne comprends pas, dis-je, comme, après tout cela, il aurait le cœur de pouvoir manquer à sa parole.

SGANARELLE
Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je
ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre,
je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu ; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu
vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc,
un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure,
en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que
nous croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse : crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait
encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d'autres pièges pour
attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop
chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce serait un
chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du
personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du
Ciel l'accable quelque jour ; qu'il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant
d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ;
il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie : la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit
d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous. Écoute
au moins : je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il fallait qu'il
en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

« La scène d’exposition », Acte I, scène 1 Molière – Dom Juan, 1665.

Texte 10 : « La scène du pauvre », Acte III, scène 2.

SGANARELLE.- Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.

LE PAUVRE.- Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la
forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps il y a des voleurs ici
autour.

DOM JUAN.- Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur.

LE PAUVRE.- Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône.

DOM JUAN.- Ah, ah, ton avis est intéressé, à ce que je vois.
LE PAUVRE.- Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de
prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens.

DOM JUAN.- Eh, prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.

SGANARELLE.- Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme, il ne croit qu'en deux et deux sont quatre, et en quatre et
quatre sont huit.

DOM JUAN.- Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?

LE PAUVRE.- De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose.

DOM JUAN.- Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise.

LE PAUVRE.- Hélas, Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.

DOM JUAN.- Tu te moques; un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d'être bien dans ses affaires.

LE PAUVRE.- Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents.

DOM JUAN.- Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins; ah, ah, je m'en vais te donner un Louis d'or tout
à l'heure, pourvu que tu veuilles jurer.

LE PAUVRE.- Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?

DOM JUAN.- Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un Louis d'or ou non, en voici un que je te donne si tu jures, tiens il faut
jurer.

LE PAUVRE.- Monsieur.

SGANARELLE.- Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal.

DOM JUAN.- Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc.

LE PAUVRE.- Non Monsieur, j'aime mieux mourir de faim.

DOM JUAN.- Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité, mais que vois-je là ? Un homme attaqué par trois autres ?
La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté. (Il court au lieu du combat.)

« La scène du pauvre », Acte III, scène 2, Molière, Dom Juan, 1665.

Texte 11 : « Le dénouement », Acte V, scène 5 et 6.


Scène 5

Dom Juan, un spectre en femme voilée, Sganarelle.


Le Spectre, en femme voilée
Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se repent ici, sa perte est
résolue.
Sganarelle
Entendez-vous, Monsieur ?
Dom Juan
Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix.
Sganarelle
Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher.
Dom Juan
Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est.
Le Spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main.
Sganarelle
Ô Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ?
Dom Juan
Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou
un esprit.
Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.
Sganarelle
Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir.
Dom Juan

Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis-moi .

Scène 6

La statue, Dom Juan, Sganarelle.


La Statue
Arrêtez, Dom Juan : vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi.
Dom Juan
Oui. Où faut-il aller ?
La Statue
Donnez-moi la main.
Dom Juan
La voilà.
La Statue
Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un
chemin à sa foudre.
Dom Juan
Ô Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent.
Ah !
Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de
grands feux de l'endroit où il est tombé.
Sganarelle
Ah ! mes gages ! mes gages ! Voilà par sa mort un chacun satisfait : Ciel offensé, lois violées, filles séduites,
familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il
n'y a que moi seul de malheureux. Mes gages ! Mes gages ! Mes gages !

« Le dénouement », Acte V, scène 5 et 6, Molière, Dom Juan, 1665.

Séquence 7 :
Le Théâtre de l’absurde.

Œuvre intégrale :
Eugene Ionesco – Rhinocéros, 1959.

Texte 12 : « Le Dénouement, La scène finale » 1959.


BERENGER - (Il retourne vers la glace.) Un homme n'est pas laid, un homme n'est pas laid ! (Il se

regarde en passant la main sur sa figure.) Quelle drôle de chose ! A quoi je ressemble alors ? A quoi ? (Il

se précipite vers un placard, en sort des photos, qu'il regarde.) Des photos ! Qui sont-ils tous ces gens-là ?

M. Papillon, ou Daisy plutôt ? Et celui-là, est-ce Botard ou Dudard, ou Jean ? ou moi, peut-être ! (Il se

précipite de nouveau vers le placard d'où il sort deux ou trois tableaux.) Oui, je me reconnais ; c'est moi,

c'est moi ! (Il va raccrocher les tableaux sur le mur du fond, à côté des têtes des rhinocéros.) C'est moi,

c'est moi. (Lorsqu'il accroche les tableaux, on s'aperçoit que ceux-ci représentent un vieillard, une grosse
femme, un autre homme. La laideur de ces portraits contraste avec les têtes des rhinocéros qui sont

devenues très belles. Bérenger s'écarte pour contempler les tableaux.) Je ne suis pas beau, je ne suis pas

beau. (Il décroche les tableaux, les jette par terre avec fureur, il va vers la glace.) Ce sont eux qui sont

beaux. J'ai eu tort ! Oh, comme je voudrais être comme eux. Je n'ai pas de corne, hélas ! Que c'est laid, un

front plat. Il m'en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ça viendra peut-être, et je

n'aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de

ses mains.) Mes mains sont moites. Deviendront-elles rugueuses ? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa
poitrine dans la glace.) J'ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme

je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur d'un vert sombre, une nudité décente, sans

poils, comme la leur ! (Il écoute les barrissements.) Leurs chants ont du charme, un peu âpre, mais un

charme certain ! Si je pouvais faire comme eux. (Il essaye de les imiter.) Ahh, Ahh, Brr ! Non, ça n'est pas

ça ! Essayons encore plus fort ! Ahh, Ahh, Brr ! non, non, ce n'est pas ça, que c'est faible, comme cela

manque de vigueur ! Je n'arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, Ahh, Brr ! Les hurlements ne sont

pas des barrissements ! Comme j'ai mauvaise conscience, j'aurais dû les suivre à temps. Trop tard

maintenant ! Hélas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hélas, jamais je ne deviendrai 40 rhinocéros,

jamais, jamais ! Je ne peux plus changer. Je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je

ne peux plus me voir. J'ai trop honte ! (Il tourne le dos à la glace.) Comme je suis laid ! Malheur à celui qui

veut conserver son originalité ! (Il a un brusque sursaut.) Eh bien tant pis ! Je me défendrai contre tout le

monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des

rhinocéros, tout en criant :) Contre tout le monde, je me défendrai, contre tout le monde, je me défendrai

! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu'au bout ! Je ne capitule pas ! - Rideau.

Eugene Ionesco, Rhinocéros, 1959.

o
Objet d’étude N 4 :
La question de l’homme dans les genres de
l’argumentation du XVIéme siècle à nos
jours.
Objet d’ètude 4 : la question de l’homme dans les genres
de l’’argumentation du XVIéme siècles à nos jours

Séquence Lectures analytiques


Séquence 8 : L’argumentation d’idées
Texte 13 : La Bruyère, Les Caractères,
livre V à X. Jean de La Bruyère, Les
Groupement de textes : Caractères ou les Mœurs de ce siècle,
Chapitre XI « De l’homme » -121-(IV)-
1688.

Texte 14 : « L’Eldorado », Voltaire,


Problématique :
Candide ou l’optimiste, 1759.

Texte 15 : « Détruire la Misère»,


-Comment les auteurs d’époques différentes
Victor Hugo, Discours, 1849.
utilisent-ils la littérature au service d’une cause ?
Texte 16 : «L’avare qui a perdu son
trésor », Jean de La Fontaine, Livre IV,
Fables, fables 20, 1668.

Séquence 8 :
L’argumentation d’idée.
Groupement de textes :

Texte 13 : Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, Chapitre XI

Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point. Non
content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est
pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre 1 de chaque service : il ne
s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la
fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes2, les remanie, démembre, déchire, et en use de
manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces
malpropretés dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du
menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la
nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut3 et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour
lui un râtelier4 ; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il se trouve, une manière
d'établissement5, et ne souffre pas d'être plus pressé6 au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n'y a dans
un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit et tombe
en faiblesse. S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient7 dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver
dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d'autrui, courent dans le
même temps pour son service. Tout ce qu'il trouve sous sa main lui est propre, hardes8, équipages9. Il embarrasse
tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa
réplétion10 et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers
de l'extinction du genre humain.

La Bruyère, Les Caractères, livre V à X, Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, Chapitre XI-1688

1. son propre : sa propriété.

2. viandes : se dit pour toute espèce de nourriture.

3. manger haut : manger bruyamment, en se faisant remarquer.

4. râtelier : assemblage de barreaux contenant le fourrage du bétail.

5. une manière d'établissement : il fait comme s'il était chez lui.

6. pressé : serré dans la foule.

7. prévenir : devancer.

8. hardes : bagages.
9. équipage : tout ce qui est nécessaire pour voyager (chevaux, carrosses, habits, etc.).

10 . réplétion : surcharge d'aliments dans l'appareil digestif

Texte 14 : « L’Eldorado », Voltaire, Candide ou l’optimiste, 1759.

Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de

robes d’un tissu de duvet de colibri ; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à

l’appartement de Sa Majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ils approchèrent

de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s’y prendre pour saluer Sa Majesté : si on se jetait à
genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle ; en un mot,

quelle était la cérémonie. « L’usage, dit le grand officier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. » Candide et

Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper.

En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines

d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs de cannes de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places

pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofle et de la cannelle. Candide demanda à

voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des

prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il

vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématiques et de physique.

Après avoir parcouru toute l’après-dînée à peu près la millième partie de la ville, on les ramena chez le roi. Candide se mit à table

entre Sa Majesté, son valet Cacambo, et plusieurs dames. Jamais on ne fit meilleure chère, et jamais on n’eut plus d’esprit à

souper qu’en eut Sa Majesté. Cacambo expliquait les bons mots du roi à Candide, et, quoique traduits, ils paraissaient toujours des

bons mots. De tout ce qui étonnait Candide, ce n’était pas ce qui l’étonna le moins.

« L’Eldorado », Voltaire, Candide ou l’optimiste, 1759

Texte 15 : « Détruire la Misère», Victor Hugo, Discours, 1849.

Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi
divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. (Réclamations – Violentes
dénégations à droite)

Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. (Nouveaux murmures
à droite). La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut
disparaître comme la lèpre a disparu. (Oui, oui ! à gauche). Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les
gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas
rempli. (Sensation universelle)
La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir
jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris,
et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Il y a dans Paris (l’orateur s’interrompt)

Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma
pensée, je voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle
enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au
grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ? (Très bien, très bien !)

Voici donc ces faits :

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des
maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants,
n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en
fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines
s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver (Mouvement).

Voilà un fait. En voici d’autres : Ces jours derniers, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère
n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort
de faim à la lettre, et l’on a constaté après sa mort qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. (Longue interruption) Voulez-
vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une
mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de
Montfaucon ! (Sensation)

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa
force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! je dis que de
tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société toute entière ; que je m’en sens, moi qui parle,
complice et solidaire (Mouvement), et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des
crimes envers Dieu ! (Sensation prolongée)

« Détruire la Misère », Victor Hugo, Discours, 1849.

Texte 16 : « L’avare qui a perdu son trésor », Jean de La Fontaine, Livre IV, Fables, fables 20,
1668.
L'usage seulement fait la possession.

Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,

Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme.

Diogène là-bas1 est aussi riche qu'eux,

Et l'avare ici-haut2 comme lui vit en gueux.

L'homme au trésor caché qu'Esope nous propose,

Servira d'exemple à la chose.


Ce malheureux attendait,

Pour jouir de son bien, une seconde vie ;

Ne possédait pas l'or, mais l'or le possédait.

Il avait dans la terre une somme enfouie,

Son cœur avec, n'ayant autre déduit3

Que d'y ruminer jour et nuit,

Et rendre sa chevance4 à lui-même sacrée.

Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,

On l'eût pris de bien court5, à moins qu'il ne songeât

A l'endroit où gisait cette somme enterrée.

Il y fit tant de tours qu'un Fossoyeur6 le vit,

Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.

Notre avare, un beau jour ne trouva que le nid.

Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire.

Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ses cris.

C'est mon trésor que l'on m'a pris.

Votre trésor ? où pris ? Tout joignant7 cette pierre.

Eh sommes-nous en temps de guerre

Pour l'apporter si loin ? N'eussiez-vous pas mieux fait

De le laisser chez vous en votre cabinet,

Que de le changer de demeure ?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.

A toute heure, bons Dieux ! ne tient-il qu'à cela ?

L'argent vient-il comme il s'en va ?

Je n'y touchais jamais. Dites-moi donc, de grâce,

Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant,

Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent :

Mettez une pierre à la place,

Elle vous vaudra tout autant8.

« L’avare qui a perdu son trésor », Jean de La Fontaine, Livre IV, Fables, fables 20, 1668.

(1) Ce philosophe grec se moquait de l’argent et vivait dans un tonneau ; là-bas veut dire chez les morts ;
(2) ici-haut: sur terre ; (3) distraction, divertissement ; (4) bien, richesse ; (5) il y songeait sans cesse ; (6)
un terrassier ; (7) près de ; (8) elle aura pour vous autant de voleur.

Vous aimerez peut-être aussi