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Souvenirs et nostalgie, autour de la

langue française au royaume du


sourire
En débarquant à l’aéroport de Pochentong, le 25 juillet 1973, une chaleur
étouffante d’une moiteur intense me cloua sur le tarmac. À cette touffeur
accablante se mêlait une odeur tenace, saisissante, indéfinissable et
envoûtante. Ce fervent mélange révélait les nombreuses senteurs présentes sur
ce continent. Ces parfums que l’on décèle, peu importe le pays où l’on se
trouve, restent les mêmes par-delà les frontières. Invisibles et subtils, ils
s’insinuaient dans mes narines, me pénétraient à mon insu, j’étais sous le
charme de l’Asie.

Charme français
Sous le charme oui ! Mais un charme qui allait me surprendre ! Je découvrais que
toutes les inscriptions, les noms des rues, des enseignes, des bâtiments
administratifs, étaient rédigés en français, parfois en khmer, témoignant de la
présence française du temps de son protectorat. Plus étrange encore, mon
étonnement fut de constater que de nombreux adolescents, ainsi que leurs
parents, étaient tous bilingues, même au plus profond des provinces et pas
seulement dans les grandes villes. Et que l’on effectuait toutes les démarches
administratives dans la langue de Molière.
« Quelle était donc cette fée qui berça les tout-petits dans une langue venue du bout du monde ? »

De 1930 à 1970, la langue française avait une place prépondérante dans


l’enseignement primaire et secondaire. Pourtant, l’histoire de l’enseignement
français au Cambodge n’est pas aussi ancienne que le protectorat. L’action de la
France telle que la définissait le traité conclu à Oudong, le 11 août 1863, n’était que
superficielle et précaire, excluant l’enseignement qui, à l’époque, se réduisait aux
écoles des pagodes.
Première école
Ce n’est que dix ans plus tard, que l’idée de coloniser un peuple en lui imposant
une langue germa dans l’esprit du gouverneur d’Indochine. II importait donc de ne
pas enseigner la langue seulement aux notabilités, aux classes dirigeantes ; il fallait
viser tous les enfants du peuple, les filles aussi bien que les garçons.
« La première école française au Cambodge vit le jour en 1873. Elle fut fondée à Phnom Penh par
l’officier d’infanterie Ferreyrolles. Certains élèves de cette école poursuivirent leurs études en France et
formèrent le premier groupe d’administrateurs initiés aux méthodes européennes. »

Au cours des années suivantes, sur l’initiative des résidents supérieurs et des
gouverneurs de province, des écoles élémentaires s’ouvrirent dans les principales
villes du Cambodge.
En 1903 fut créée l’École pratique d’industrie, devenue par la suite collège
technique. En 1911, le Service local de l’enseignement était institué et assumait la
direction d’une trentaine d’écoles. Les communes reçurent à cette époque
l’autorisation d’établir des écoles dans leur circonscription. Jusque-là, les écoles
relevaient des résidents supérieurs. Désireuse de former les auxiliaires dont elle
avait besoin pour son œuvre coloniale, l’administration française fonda le Collège
du protectorat, qui, à la suite de diverses transformations, deviendra le lycée
Sisowath (1933).
Plan pour l’Indochine
En 1918, le gouverneur-général Albert Sarraut approuva un plan scolaire applicable
à toutes les parties de l’Indochine (Tonkin, Annam, Cochinchine, Cambodge, Laos).
La réforme faisait table rase de la réglementation antérieure et déterminait une
politique générale visant à établir un statut stable de l’enseignement. Le plan
prévoyait, pour les enfants français résidant en Indochine, un enseignement qui
était la réplique de celui qui était donné en France, et, pour les Indochinois, un
enseignement parallèle, en français, avec un cours primaire d’une durée de six
années, suivi d’un cours primaire supérieur de quatre années, puis d’un cours
secondaire de trois années, sanctionné par un baccalauréat équivalant au
baccalauréat français et donnant accès aux institutions universitaires d’Indochine et
de France.
Ainsi, en 1930, le nombre d’écoles communales enseignant le français s’élevait à
203. Par la suite, elles furent graduellement transformées en écoles officielles,
administrées par l’État.
« Puis le plan Sarraut fut appliqué à toutes les écoles cambodgiennes, imposant le français comme
véhicule d’enseignement, avec le même programme qu’en France. »

Lycée René-Descartes
En octobre 1950, Le Grand Lycée (connu aujourd’hui sous le nom de Lycée René-
Descartes) ouvrit ses portes, et fut officiellement inauguré, en mars 1951, en
présence d’Albert Sarraut. En trente-deux ans, la boucle était bouclée, Albert
Sarraut pouvait constater et apprécier l’aboutissement de son plan, car dans toutes
les provinces on enseignait la langue de Molière.
Ainsi, les jeunes adolescents khmers, des années 30-70, reçurent un enseignement
en français incluant : les mathématiques, la chimie, la biologie, la physique,
l’histoire, la géographie, la géométrie. Complété par l’étude de la civilisation
française et les deux guerres mondiales.
Lorsque je discutais avec ces jeunes gens, ils me disaient qu’ils étudiaient la
littérature française : Bazin (Vipère au poing), Victor Hugo (les poèmes à
Léopoldine), Jean de La Fontaine (les fables), ou bien de George Sand (La Mare au
diable) et bien d’autres. Ils dissertaient sur les œuvres de ces grands auteurs,
jouaient avec les mots et leurs homonymes comme : tou" t », tou" s », en
mentionnant la dernière consonne, ou tou" x » suivi d’une quinte de toux… Ils
avaient une façon ludique d’apprendre et j’aimais discuter avec eux.
Il est vrai que je côtoyais de jeunes intellectuels. Mais il est vrai également que,
dans tout le royaume, la langue française occupait les 4/5 ème du temps d’études,
pas moins de 25 heures par semaine, alors que seulement cinq heures étaient
réservées à langue khmère et deux à l’anglais. Et les élèves ne s’adressaient qu’en
français aux enseignants, pas question de s’excuser ou de demander quoi que ce
soit en khmer. De retour à la maison, les jeunes élèves pouvaient s’adonner aux
plaisirs de leur langue maternelle, sans restrictions.
Abandon
En 1964, le gouvernement royal décida de supprimer les cours en français,
considérant que, sur le plan pédagogique, la langue maternelle était le seul moyen
efficace de transmettre les connaissances du maître à l’élève. Le gouvernement
royal élabora un plan qui s’échelonna sur six années, où chaque année vit un
niveau de classe abandonner le français au profit de la langue khmère.
Ainsi, de 1964 à 1967 ce fut l’école primaire. Puis de 1968 à 1970 l’école secondaire
(du premier cycle).
Le 18 mars 1970, le coup d’État fomenté par le général Lon Nol, destituant le Prince
Norodom Sihanouk de sa fonction de chef-d’État ; suivi de l’appel au peuple de
Norodom Sihanouk, le 23 mars, à rejoindre les révolutionnaires et à se soulever
contre l’usurpateur. Ces deux événements déclenchèrent la guerre civile qui allait
mettre fin à l’enseignement du français dans les écoles cambodgiennes, à
l’exception de quelques écoles, telles que : le lycée français René-Descartes, le lycée
Sisowath et quelques autres, qui résistèrent, mais durent fermer leurs portes au
début 1974.
C’est dans le parc du lycée René-Descartes, déserté par les enseignants et élèves
depuis un an, que mes beaux-parents organisèrent notre mariage, mon épouse
khmère et moi, le 7 janvier 1975.
Nostalgie quand tu nous tiens.
Jean Kroussar
Langues au Cambodge
On compte une vingtaine1 de langues parlées au Cambodge. Elles appartiennent presque toutes à
la branche môn-khmer de la famille des langues austroasiatiques. Deux langues
sont austronésiennes : le cham et le jarai, qui appartiennent à la branche malayo-polynésienne.

Langues de l'Asie du Sud-Est


94,3 % de la population du pays sont locuteurs d’une langue austroasiatique et 1,76 % d’une langue
austronésienne.
Avec 13 millions de locuteurs en 2008, le khmer est de loin la première langue maternelle du pays,
parlée en tant que langue maternelle par 96 % de la population.
Le cham, avec 204 055 locuteurs de langue maternelle en 2008, arrive loin derrière en 2e position.
Le français, l'ancienne langue coloniale, est parlé par environ 463.000 personnes (3% de la
population en 2022)2, surtout des locuteurs en seconde langue de plus de 50 ans. D'après le
recensement de 2008, 873 personnes ont le français en langue maternelle en 2008, surtout des
enfants de réfugiés en France, entre 1976 et 1990, et qui sont de retour au pays. Le français est
surtout parlé à Phnom Penh, par des membres de l'élite du pays, des pharmaciens, et des membres
du personnel médical, des forces armées, des enseignants, ou des hommes d'affaires. Depuis la fin
de la période des Khmers Rouges, en 1979, l'usage du Français a reculé au profit de l'anglais. Une
grande partie de l'élite, ou des locuteurs du Français en seconde langue sont morts durant la
période des Khmers Rouges où parler français ou une autre langue étrangère était jugé
"Impérialiste".
L'anglais est beaucoup plus courant, et s'il a 2 360 locuteurs en langue maternelle en 2008 (surtout
des enfants de Cambodgiens réfugiés dans des pays anglo-saxons et de retour au Cambodge) il est
parlé en seconde langue par au moins 500 000 Cambodgiens, surtout issus des jeunes
générations3. L'anglais a supplanté le français dès les années 1980, et avec la mondialisation, il est
présent en plusieurs organisations économiques mondiales, comme l'ASEAN, ou l'APEC dont le
Cambodge est membre. Dans les années 1990, les casques bleus de l'ONU présents au Cambodge
étaient majoritairement anglophones.
Pendant la période communiste du Cambodge, entre 1979 et 1989, quand le pays était occupé par
les Vietnamiens, le vietnamien et le russe étaient deux langues enseignées dans le pays. Avec la
chute de l'URSS en 1991, le russe n'est plus une langue importante et obligatoire, mais il reste
enseigné à Phnom Penh.
Le chinois reste une langue importante, mais il est surtout parlé au Cambodge sous la forme du
dialecte haka, ou cantonnais.
Langues maternelles

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Langues maternelles au Cambodge selon le recensement de 20084,5

Langue % #

Khmer 96,31 % 12 901 447

Cham de l'ouest 1,52 % 204 080

Vietnamien 0,54 % 72 775

Phnong 0,28 % 37 507

Tampuan 0,23 % 31 013

Kuy 0,21 % 28 612

Jaraï 0,20 % 26 335

Krueng (en) 0,15 % 19 998

Lao 0,14 % 18 515

Proav 0,07 % 9 025

Stieng Bulo (en) 0,05 % 6 541

Chinois 0,05 % 6 530

Kravet (en) 0,05 % 6 218


Langues maternelles au Cambodge selon le recensement de 20084,5

Langue % #

Kraol 0,03 % 4 202

Thaï 0,02 % 2 458

Anglais 0,02 % 2 360

Ra’ong (en) 0,01 % 1 831

Pear (en) 0,01 % 1 827

Mel (en) 0,01 % 1 697

Coréen 0,01 % 904

Français 0,01 % 873

Thmoon 0,01 % 865

Suoy (en) 0,01 % 857

Chong (en) 0,01 % 743

Klueng 0,01 % 702

Sa'och (en) 0,00 % 445


Langues maternelles au Cambodge selon le recensement de 20084,5

Langue % #

Kchruk 0,00 % 408

Japonais 0,00 % 396

Lon 0,00 % 327

Rhade 0,00 % 21

Môn 0,00 % 19

Kchak 0,00 % 10

Autres 0,05 % 6 151

Total 100,00 % 13 395 682

Nombre de locuteurs au
Langue Région
Cambodge

Samre 50 Siemreap Austroasiatique

au nord-ouest de Phnom
Suoy 200 Austroasiatique
Penh

Sa'och 500 Kompong Som Austroasiatique

Lamam 1 000 nord-est Austroasiatique


Langues maternelles au Cambodge selon le recensement de 20084,5

Langue % #

Pear 1 300 Kompong Thom Austroasiatique

Kachok 2 000 Rotanah Kiri Austroasiatique

Somray 2 000 Phum Tasanh Austroasiatique

Kraol 2 600 Kratie Austroasiatique

Kravet 3 012 nord-est Austroasiatique

Chong 5 000 Chantaburi, Pursat Austroasiatique

Bru 5 286 Rotanah Kiri Austroasiatique

Stieng
6 059 Kratie, Mondolkiri Austroasiatique
Bulo (en)

Kreung 9 368 Rotanah Kiri Stung Treng Austroasiatique

Jaraï 15 000 Rotanah Kiri Austronésienne

Kuy 15 495 nord-est Austroasiatique

Mnong central 20 000 Mondolkiri Austroasiatique


Langues maternelles au Cambodge selon le recensement de 20084,5

Langue % #

Tampuan 25 000 Rotanah Kiri Austroasiatique

Cham occidental 220 000 villes le long du Mékong Austronésienne

Khmer central 12 110 065 tout le pays Austroasiatique

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