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Documents pour l'histoire du français

langue étrangère ou seconde

Histoire de l’enseignement du français au Cameroun


Gérard Vigner

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Vigner Gérard. Histoire de l’enseignement du français au Cameroun. In: Documents pour l'histoire du français langue
étrangère ou seconde, n°2, 1988. pp. 12-14;

doi : https://doi.org/10.3406/docum.1988.879;

https://www.persee.fr/doc/docum_0992-7654_1988_num_2_1_879;

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Histoire de l'enseignement
du français au Cameroun

l’ensemble de l’A.O.F. et de l’A.E.F., Dakar et


ment du français au Cameroun comme Brazzaville. Seul le Cameroun échappe partielle¬
en Afrique francophone de manière plus ment à cette contrainte dans la mesure où son
TOUTE générale, ne peuthistorique
approche de l’enseigne¬
être dissociée de l’his¬ statut politique spécifique, territoire placé sous
toire des institutions qui ont permis sa mise en mandat de 1916 à 1945, le situait à part par
œuvre et sa diffusion. rapport aux deux grands ensembles fédéraux qui
• Trois institutions ont joué un rôle majeur organisaient l’Afrique française.
dans la politique de diffusion du français : • La découverte et l’apprentissage du français
— les Missions, pour l’essentiel catholiques se faisant à l’école primaire, c’est à ce niveau
(mais le Cameroun a connu une très forte qu’il conviendra d’apprécier prioritairement la
implantation des missons protestantes dans la nature et l’évolution des choix méthodologiques
suite de la colonisation allemande), qui histori¬ effectués. L’enseignement secondaire, très peu
quement ont été les premières à avoir implanté développé avant la deuxième Guerre Mondiale,
un réseau éducatif en Afrique ; ne revêtira en ce qui le concerne, que très peu
— l’Enseignement Public, mis en place par les de traits spécifiques.
autorités coloniales à partir de la fin du XIXe siècle ;
— l’Armée qui a de son côté organisé un
enseignement du français à destination des
troupes indigènes, enseignement assuré le plus POUR UNE HISTOIRE
souvent par des sous-officiers français, mais sur
la nature et l’importance duquel on ne dispose DE L'ENSEIGNEMENT
que de très peu de renseignements. C’est dans
ce domaine que pourrait certainement s’exercer
DU FRANÇAIS
la recherche la plus neuve. EN AFRIQUE
• Les manuels, communs à l’ensemble de FRANCOPHONE
l’Afrique coloniale jusqu’au début des indépendan¬
ces, ont très largement contribué à diffuser un
même modèle d’enseignement (rôle important
Chronologie générale
joué par la collection Mamadou et Bineta de A. 1816/17 : création de la première école mutuelle
Davesne et J. Gouin) qui offre d’ailleurs des au Sénégal, par Jean Dard, instituteur bourgui¬
parentés évidentes avec ce qui se pratiquait en gnon. Mise en place de la méthode de traduction,
France à la même époque. wolof-français.
• Il n’est pas toujours aisé d’organiser d’em¬ 1822 : création d’une école d’enseignement ména¬
blée une chronologie spécifique à chaque pays ger à Saint-Louis par la Mère Javouhey.
dans la mesure où deux centres de décisions 1841 : fondation au Sénégal du futur lycée
géraient l’ensemble des problèmes éducatifs pour Faidherbe par les Frères des Écoles chrétiennes.

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1854 : création de « l’École des Fils de Chef »
à Saint-Louis par Faidherbe.
1876 : création d’une école en Guinée par les
Frères Saint-Joseph de Cluny.
1889: mise en place des missions de Kita,
Kayes au Soudan par les Pères du Saint-Esprit.
1903 (24 nov.) : création de la première école
normale d’instituteurs à Saint-Louis puis transfert
à Gorée en 1913 ; elle prend le nom de William
Ponty.
1912: nomination de Georges Hardy comme
premier directeur de l’enseignement en A.O.F.
1931 : à l’occasion de l’Exposition coloniale,
tenue du Congrès intercolonial sur l’enseignement
dans les colonies et territoires d’Outre-Mer (Paris, 1918 (24 janvier) : création de l’enseignement
25-27 septembre 1931). officiel français au Cameroun (30 écoles d’État
sont ouvertes sur l’ensemble du territoire.
Le Cameroun 1921 : arrêté du 21 juillet 1921 (complété ulté¬
rieurement par l’arrêté du 26 décembre 1924)
Période précoloniale et colonisation allemande. signé du Commissaire de la République Carde,
1843: création de la première école à Douala définissant l’organisation de l’enseignement offi¬
par Joseph Merrick. ciel et des programmes scolaires. Texte essentiel
1845 / ouverture d’autres écoles par Alfred Saker. qui définit une structure de programme et une
1871 : installation de la Mission presbytérienne orientation méthodologique dont l’influence se
américaine. fait encore sentir aujourd’hui. Sont créés :
1884 : annexion du Cameroun à l’Empire colonial — des écoles de village (C.P., C.E.) : « ensei¬
allemand. gnement du français parlé appliqué à des leçons
1886 : installation de la Mission de Bâle. de choses sur l’hygiène, l’agriculture, l’élevage,
1887 (février) : ouverture de la première école les industries locales, la lecture et l’écriture,
publique à Douala par le premier instituteur éléments de calcul et de système métrique, chant
allemand installé au Cameroun, Théodor Christal¬ et dessin » ; scolarité de quatre années au plus ;
ler. — des écoles régionales (C.M.) : trois années
1910 : promulgation de la première loi scolaire de scolarité pour les meilleurs élèves des écoles
qui organise un cycle primaire de cinq ans ; de village et notamment les fils de chef. Y sera
durant les deux premières années, l’allemand est dispensé : « un enseignement méthodique et
matière d’enseignement ; pour les trois années précis de la langue française » ;
suivantes, il devient véhicule d’enseignement. La — des cours d’adulte, avec notamment « une
promulgation de cette loi a d’ailleurs été à initiation au français parlé ».
l’origine de conflits entre l’administration coloniale Citons, à cette occasion, un certain nombre
favorable à une diffusion de la langue allemande d’extraits de cet arrêté :

et la Mission de Bâle qui fondait son enseignement « L’enseignement primaire a pour objet essentiel
et l’instruction religieuse sur les langues locales. de rapprocher de nous, par une grande diffusion
de la langue française, le plus grand nombre
Colonisation française possible d’indigènes, de les familiariser avec nos
1916 (6 mars) : accord franco-anglais sur la intentions
et nos méthodes et de les conduire
délimitation des zones d’influence au Cameroun. prudemment au progrès économique et social

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en leur donnant une éducation soigneusement réservée à langues dans les écoles de
ces
adaptée au milieu dans lequel ils sont appelés mission. Les autorités coloniales françaises (à
à vivre. » la différence, il faut le noter, des autorités
« Destinée à diffuser la langue française à travers coloniales belges et anglaises) voulaient au con¬
les masses indigènes, l’école de village doit traire intégrer très vite les populations indigènes
apprendre aux élèves la langue française parlée. dans l’espace politique et culturel français et en
Cet enseignement doit garder son caractère même temps former des auxiliaires administratifs,
pratique et concret. Le vocabulaire sera restreint ainsi que des employés aux écritures pour les
aux termes usuels, les difficultés grammaticales sociétés implantées dans les colonies (commis
seront écartées, on cherchera avant tout à ce aux écritures ou commis d’ordre). Ce qui explique
que l’enfant s’exprime clairement, simplement, à la place exclusive occupée par le français dans
ce qu’il comprenne ce qu’il dit et ce qu’il entend. » les écoles coloniales.
« Le but essentiel à poursuivre est la diffusion 2. Jusqu’au début du xxe siècle, et l’arrêté du
du français, d’abord parlé et accessoirement lu 21-7-1921 portant sur l’organisation des program¬
et écrit. La leçon de langage est donc la base mes de l’enseignement primaire y fait écho, le
de l’enseignement. Ces leçons seront données débat méthodologique a porté sur les mérites
sous forme de leçons de choses afin de ne pas comparés de la méthode de traduction et de la
constituer un enseignement de mots. Les exer¬ méthode directe. C’est finalement cette dernière
cices de la journée, calcul, lecture, écriture, qui l’a emporté, sans qu’il faille pour autant
exercices écrits, dessin, doivent tourner autour l’assimiler entièrement à ce que fut stricto sensu
des “ centres d’intérêt ” retenus pour la leçon la méthode directe dans l’enseignement des
de langage. » langues étrangères. On retrouve en fait une
« La langue française sera la seule employée. parenté très marquée avec ce qu’étaient à la
La méthode de traduction ne permet que des même époque en France les leçons de langage
progrès lents, la mémoire y joue un rôle principal, ou leçons d’élocution.
de plus l’enfant n’arrive jamais à penser dans 3. Ce choix méthodologique est allé de pair
la langue étudiée et encore moins à s’en servir avec celui d’une langue d’information, c’est-à-dire
dans les conversations. C’est donc à l’emploi d’une langue où la fonction de représentation
de la méthode directe qu’il faut recourir. » l’emporte sur la fonction communicative au sens
1939 (8 mars) les écoles de village définies que nous donnons à ce terme aujourd’hui (cf.
:

par l’arrêté du 25 juillet 1921 portent désormais notre article Français langue seconde : une dis¬
le nom d’écoles rurales. Les programmes définis
cipline spécifique in Diagonales n° 4). Ces choix,
par la circulaire du 5 août 1921 restent inchangés. opérés très tôt au début de ce siècle, marquent
encore les pratiques de classe d’aujourd’hui et
Commentaire expliquent très certainement l’échec des tentatives
Nous ne ferons ici que commenter brièvement de mise en place d’une méthodologie type F.L.E.
ces premières données chronologiques :
dans les années 60-70.
1. La politique linguistique des missions et
celle des autorités coloniales n’ont jamais été
Gérard Vigner
en concordance stricte. Soucieuses d’abord Mission française de Coopération
d’évangéliser les masses indigènes, les missions au Cameroun
ont mis en place un enseignement en langues Sources :
locales en vue de former des futurs lecteurs — Joseph Jean Benjamin Mballa, Législation et réglementation scolaire
des Livres Saints. Très tôt en effet, les mission¬ au Cameroun, Yaoundé, éd. Ceper, 1980.
Jean-Pierre Makouta-Mboukou, Le français en Afrique Noire, Paris,
naires se sont attachés à traduire la Bible dans éd. Bordas, 1973.
les langues africaines, d’où la place importante — Mémoire d’un Continent, Rencontres de Dakar, 17-20-12-1984.

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