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GUINÉE, 3 AVRIL 1984 Cheick Fantamady Condé

Cheick Fantamady Condé


Une date et ses conséquences

GUINÉE, 3 AVRIL 1984


Le 3 avril 1984, une semaine après la disparition du président Ahmed Sékou Touré, l’armée s’empara du
pouvoir en Guinée. Les causes du coup d’État qui a placé le Comité militaire de redressement national (CMRN)
à la tête du pays sont diversement interprétées. Les arguments invoqués par les militaires se heurtent aux
démentis des anciens compagnons du père de l’indépendance guinéenne. Toujours est-il que la prise en main
des destinées de la nation par les Forces armées provoqua une grande effervescence dans les rues de Conakry
et sur toute l’étendue du territoire national. Des foules en liesse scandant ‘’Vive la liberté’’ acclamèrent les
nouveaux maîtres du pays. Le CMRN ne tarda pas à afficher sa volonté de rupture avec l’ancien régime. Le
Une date et ses conséquences
même jour, il fit libérer les prisonniers politiques détenus au Camp Boiro.
Placé à la tête du pays par ses pairs, le colonel Lansana Conté apparut comme le symbole d’une Guinée nouvelle
débarrassée des tares et des excès du régime précédent. Le nouveau président réaffirma l’adhésion de son
gouvernement aux principes des droits humains et son attachement à la charte de l’OUA et à celle de l’ONU.
Il parla de démocratie en promettant que plus personne ne serait poursuivi en Guinée à cause de ses idées.

GUINÉE, 3 AVRIL 1984


Cependant des contradictions internes éclatèrent très rapidement au sein de la nouvelle équipe dirigeante.
Elles atteignirent leur point d’orgue le 4 juillet 1985 lors de la tentative de coup d’État perpétrée par le colonel
Diarra Traoré. L’ancien numéro deux du régime évincé de la tête du gouvernement six mois plus tôt croyait
tenir sa revanche en profitant de l’absence de Lansana Conté pour le renverser. Mais l’échec fut cuisant et
les représailles impitoyables. Diarra Traoré y perdit la vie en même temps que la quasi-totalité des officiers
supérieurs de son ethnie. Avaient-ils tous été ses complices dans son ambition de se hisser à la première
place occupée par Lansana Conté ? Des amalgames et autres règlements de comptes ont-ils eu cours pour se
débarrasser d’individus, dont le nombre et la brillante carrière agaçaient des proches du président ?
Comment expliquer surtout la violence d’État et la férocité qui s’est abattue sur l’ensemble des membres
de l’ethnie du colonel putschiste ? En effet, la tentative de coup d’État fomentée par l’ancien Premier
ministre provoqua des arrestations multiples parmi les Malinkés et des exécutions sommaires difficilement
quantifiables. C’est à ces questions et à d’autres encore que l’auteur tente de répondre au lendemain de ces
événements qui contribuèrent à faire du général Lansana Conté le maître incontesté de la Guinée.

Cheick Fantamady Condé, né à Siguiri, est diplômé d’histoire de l’Institut polytechnique


de Conakry. Ancien ministre de l’Information et de la Culture, il est actuellement secrétaire
général de la Cour constitutionnelle de la République de Guinée. Il a une longue expérience
professionnelle dans l’administration et les médias, est membre de l’Association des historiens
de Guinée et titulaire de plusieurs distinctions honorifiques.
Préface d’Alpha Tayiré Diallo

En couverture : © Syli Photos.

ISBN : 978-2-343-17012-1
42 €
GUINÉE, 3 AVRIL 1984

UNE DATE ET SES CONSÉQUENCES


Cheick Fantamady CONDÉ

GUINÉE, 3 AVRIL 1984

UNE DATE ET SES CONSÉQUENCES

Préface d'Alpha Tayiré Diallo


© L’Harmattan, 2020
5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75005 Paris
www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-17012-1
EAN : 9782343170121
Je dédie ce livre
A mon père Mamadou Condé, à ma mère Fatoumata Diallo, à Hadja Tata
Kalo qui m’a mis à l’école et m’a entouré d’une affection toute filiale.

A mon regretté frère Kassory, très tôt arraché à notre affection.

Enfin, à la nation guinéenne réconciliée, unie et fraternelle.


Préface

En acceptant de préfacer ce livre, j’accorde finalement à Cheick Fantamady


Condé ce que j’ai refusé à plusieurs autres auteurs. Ce n’est pas là un privilège,
mais un crédit que je porte à l’homme qu’il m’est donné de fréquenter depuis
plus d’une trentaine d’années et que j’ai rencontré pour la première fois alors
que, frais émoulu de l’université, il faisait ses premiers pas dans le journalisme.
Ce métier qui est devenu le nôtre et le restera à jamais malgré les hauts et les
bas qui rythment toute évolution humaine. C’est la marque de l’estime
personnelle que je lui porte à la fois pour une nature d’homme plutôt
respectueuse des valeurs profondes souvent ignorées de nos jours et la
reconnaissance de qualités intellectuelles certaines. Ce livre qui nous en offre
le magnifique témoignage porte sur une période cruciale de la vie de l’Etat
Guinéen. Il est l’aboutissement d’une étude approfondie des événements qui y
sont relatés, basée sur quelques documents uniques et des témoignages de
nombreux protagonistes. Le 3 avril 1984, alors que quelques semaines
auparavant rien ne la laissait présager, une rupture brutale s’est produite dans
notre pays. L’armée s’est emparée des rênes du pouvoir et a commencé à
inspirer à la nation les changements qui lui ont paru en rapport avec les
nouveaux objectifs qu’elle s’est tracés. Elle a pris des mesures, engagé une série
de réformes dont les historiens auront à parler un jour en précisant leur nature
et en relevant les effets réels qui en ont découlé. Comme dans la plupart des cas
en Afrique et ailleurs au lendemain du coup d’Etat du 3 avril 1984, les nouveaux
dirigeants du pays ont été en proie à des dissensions internes. En Guinée,
comme partout, celles-ci se sont soldées par des mises à l’index ou à l’écart.
Elles ont comporté leurs cortèges de morts tant parmi les conjurés qu’au sein
des populations civiles. Témoin privilégié de la plupart de ces faits retracés
avec minutie par l’auteur, je puis me porter garant de l’exactitude des faits
rapportés tout en appréciant la pertinence de l’analyse.
C’est l’hommage qu’il convient du reste d’adresser d’entrée à l’auteur de
ce livre dont le moindre mérite n’est certes pas celui d’éviter de tout expliquer
par l’idéologie, de tout justifier par la politique.
En effet, depuis plus de cinquante ans que j’observe les hommes de mon pays
agir et les phénomènes sociaux se nouer et se dérouler, je suis sidéré de lire les
choses qu’on en écrit, faisant tout naître et croître à partir de l’impérialisme et
du communisme pour aboutir à un seul et unique lieu géométrique : le camp
Boiro. Ce déterminisme, me semble-t-il, ôte à la chronique et à l’histoire leur
dimension fondamentale, la dimension humaine. La linéarité des récits, ce mode

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manichéen de rendre compte de faits pourtant variés et complexes, exalte le
militantisme plus qu’il ne cultive la citoyenneté.
Dès la première ligne, dès la première phrase, dès le premier mot jusqu’à la
dernière proposition, jusqu’à la dernière idée, jusqu’au dernier souffle de son
livre, Cheick Fantamady Condé nous montre et nous fait rencontrer les
hommes, les grands acteurs tout comme les petites gens pour peu que l’intérêt
en vaille la peine, et que l’information correcte et précise se vautre sous les
lambris des palaces et les ors de la République ou se désole dans les
encoignures des chaumières et les bahuts de nulle part.
L’auteur n’a donc pas écrit son livre pour plaire ou pour nuire, mais pour
montrer ce qui s’est réellement passé dans notre pays, essentiellement depuis
30 ans, mais incidemment depuis 60 ans. Pour ce faire, il va traquer l’acteur
des faits ou ressusciter la parole au premier degré en prenant soin de s’assurer
de la proximité tout en proscrivant la promiscuité et les arrière-pensées.
Et justement, les acteurs ! Disons-en un mot ! Le journaliste, j’allais dire
l’historien -chercheur les a tous ou presque tous connus.
Il eut à fréquenter un grand nombre du fait de sa double casquette
d’historien et de journaliste reporteur. Etant moi-même journaliste de vocation,
de formation et de profession, ayant moi-même enseigné le journalisme dans
des universités européennes, il m’était loisible de surprendre l’auteur du livre
dans des relations trompeuses ou sur, des positions douteuses par rapport à tel
acteur important ou tel autre acteur moins décisif. Je m’en serais alors détourné
et éloigné en lui déniant la seule qualité qui fonde universellement l’honneur du
journaliste : l’honnêteté.
Si je chemine donc avec Cheick Fantamady Condé, c’est que je le crois
propre de ces turpitudes qui inhibent les facultés de tout essayiste politique qui
ne se protège pas suffisamment de l’égarement sentimental ou partisan ou qui
ne s’engage que pour l’argent. Indemne de ces travers affligeants, Cheick
Fantamady Condé déjà insensible à toute forme de corruption ne saurait être
soupçonné de vouloir régler des comptes personnels. On ne lui en connaît pas
puisqu’il a justement la réputation de ne pas être porté sur ces comptes qui sont
souvent à la base des comptes personnels à régler à coups de canifs ou de
plumes, à savoir les comptes en banques et leurs sources.
Vous lirez ce livre avec délectation, j’en suis sûr. Vous reviendrez
probablement de certitudes que vous croyez immuables parce qu’évidentes.
Vous aurez le réconfort de relativiser nombre de poncifs. Vous ne vous prendrez
plus pour des disciples, mais pour des partenaires d’une réflexion qui, en fait et
en conséquence ne saurait être que féconde. L’auteur provoque à la prise de
conscience et de responsabilité individuelle et sociale pour que la Guinée
s’assume dans le partage de ces deux sentiments basiques, à la fois
antagoniques et complémentaires, diviseurs et pourtant rassembleurs,

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sentiments de douleur et de gloire qui caressent et ensemencent les flancs de
toute nation.
Ce livre de Cheick Fantamady Condé nous invite à la méditation non plus
sur le dos, mais aux pieds de la Guinée.

Alpha Tayiré Diallo


Journaliste-Ecrivain

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Avant-propos

Participer aux efforts de recherche en vue de permettre aux jeunes


générations et à celles qui vont leur succéder de se familiariser avec les temps
forts qui ont rythmé l’évolution de notre pays, a toujours passionné l’historien
et le journaliste que je suis.
Aussi me suis-je évertué à travers les lignes qui suivent de cerner les contours
du grand bouleversement sociopolitique intervenu en Guinée à partir du 3 avril
1984.
Je m’empresse de souligner cependant que je n’ai pas du tout la prétention
d’avoir appréhendé dans toutes ses dimensions un sujet aussi délicat et plein de
mystères avec la maîtrise, l’aisance et la précision dont feront preuve, à n’en pas
douter, dans leurs récits les historiens de renom et surtout les protagonistes des
événements en question.
Du reste, nous attendons ces instants avec impatience et intérêt. Je m’étonne
simplement que plus de 30 ans après, ces grands architectes et témoins de
l’histoire continuent de garder le silence. En effet, il vaut mieux que ce soient
eux qui écrivent ce qu’ils ont fait. Déjà, nombre d’entre eux s’en sont allés avec
leurs secrets enfouis dans la terre de Guinée d’où ils ne ressurgiront peut-être
plus jamais1. S’ils continuent tous de se taire, le risque devient grand que ces
fresques ne soient pas restituées avec l’exactitude souhaitée. Ce serait là,
assurément, un coup sérieux porté à l’histoire de notre pays.
Dès lors, on ne connaîtra plus tout ce qui doit l’être. Or l’histoire étant
tributaire de la parole, des imposteurs seraient tentés de mettre la situation à
profit pour imposer leur « vérité » à la postérité. On assistera alors à un scénario
identique à celui qui caractérise l’interprétation des 26 années écoulées avant
l’irruption de l’armée au-devant de la scène politique en Guinée.
En un mot, il eût été plus exaltant, en effet, de lire les épisodes que nous nous
efforçons de retracer sous la plume ou la dictée des artisans de la prise du
pouvoir en 1984. De toute façon, ces pages ne peuvent s’écrire sans leurs
témoignages. Aussi en me mettant étroitement à l’écoute de quelques-uns
d’entre eux, ne me suis-je pas soustrait à cette obligation.

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A l’approche de l’an 30 de la prise du pouvoir par l’armée, le Colonel Joseph Bago
Zoumanigui voulut apporter son témoignage sur les événements du 3 avril 1984.
Le projet a échoué parce que ses anciens compagnons sollicités par ses soins ont
préféré garder le silence.

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Le livre fourmille de déclarations recueillies auprès de ces hommes. Il
exploite un ensemble de faits, d’anecdotes, de citations... puisés dans des
travaux antérieurs consacrés à certains points qui y sont développés.
Ceux-ci se sont déroulés dans un contexte correspondant à une période
charnière de l’évolution de la République de Guinée. Le 3 avril 1984 a vu naître
une nouvelle Guinée sous la férule du Comité Militaire de Redressement
National connu sous l’acronyme de CMRN.
Le pays a entamé une autre phase de son existence. Un changement radical
a été opéré dans ses orientations politique, économique et sociale…
La Guinée a amorcé un nouveau virage. En l’espace de quelques années, par
certains aspects, elle a changé du tout au tout. Des hommes nouveaux sont
apparus à sa tête. D’entrée, ils ont entrepris la démolition de l’héritage légué par
le régime du P.D.G. Le pays a présenté un visage différent. Le centre de gravité
du pouvoir s’étant déplacé, les contradictions intestines épousèrent de nouvelles
caractéristiques.
Des tragédies nouvelles et de nouveaux massacres furent enregistrés à peine
plus d’un an après l’arrivée au pouvoir du CMRN, notamment après la tentative
de coup d’Etat du 4 juillet 1985.
Ce sont les péripéties liées à ces différentes phases que nous avons voulu
relater dans ce livre. Notre démarche se termine par un jugement d’ensemble du
règne qui s’est achevé le 22 décembre 2008 après avoir duré pendant une
période presque aussi longue que le précédent.
Nous serions heureux si ce ballon d’essai suscitait des réactions
susceptibles de nous apprendre ce que nous ignorons. Nous implorons votre
indulgence pour les imperfections décélées dans notre travail.
Je tiens, en attendant, à remercier les personnes sans le concours desquelles,
cet ouvrage n’aurait sans doute pas vu le jour.
Je voudrais me faire l’agréable devoir de les citer toutes. Je demande
toutefois humblement pardon à celles dont les noms n’apparaîtront pas à travers
ces lignes. Il s’explique par des raisons liées aux défaillances de la mémoire
humaine et ne saurait se justifier en aucun cas par la volonté de relativiser
l’importance de leur apport. J’ai également pris en compte le souhait de
certaines personnes témoignant dans cet ouvrage de garder l’anonymat. J’ai
masqué des identités à la demande d’autres qui n’ont accepté de répondre à mes
questions que sous cette condition.
Aussi mon premier mot sera-t-il pour l’enseignant-chercheur Sidiki Kobélé
Keita. Mon ancien professeur fut le premier à se pencher sur le manuscrit. Il m’a
fourni de la documentation, prodigué des conseils qui ont contribué à donner
une orientation précise à mon travail et à le rendre plus lisible.
Les ministres Galéma Guilavogui, Faciné Touré, Bago Zoumanigui, A.
Gilbert Iffono, Bassirou Barry, N’Fanly Sangaré, Ahmadou Tidiane Traoré,

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Boubacar Lombonna Diallo, El Hadj Soriba Camara, Kémoko Keita, Lamine
Kamara Capi, Kader Sangaré, le Général Amadou Mangatta Bangoura, les
journalistes Tayiré Diallo, Ansoumane Bangoura... se sont prêtés, eux aussi,
avec patience à mes questions. Ils m’ont livré des renseignements utiles
concernant des événements dont ils ont été les acteurs ou les témoins. J’ai été
sensible à la disponibilité dont ils ont fait montre. Tout en louant le précieux
concours de mon grand-frère Capi, je retiens surtout qu’il m’a mis aussi en
garde contre les réactions désapprobatrices qui ne se feront pas attendre avec
pour auteurs des personnes ne souhaitant pas que certaines choses contenues
dans ce livre soient dites. Mais elles « ne mettront pas cependant en doute le
caractère scientifique de ton travail », m’a-t-il dit. Des mots qui ne m’ont pas
surpris. Mais l’histoire n’est-elle pas têtue et impersonnelle ?
Toute ma gratitude va à titre posthume à mon regretté confrère et ami, le
talentueux Sékou Mady Traoré. Ce grand professionnel, arraché à notre
affection alors qu’il multipliait les initiatives et les efforts visant à faire connaître
l’histoire contemporaine de notre pays, m’a fait largement profiter du fruit de
son travail. Soigneusement conservés, les documents qu’il a produits
constitueront une importante banque de données pour tous ceux qui travailleront
un jour sur l’histoire de la Guinée de ces cinquante dernières années. Je remercie
par ailleurs mes frères Koffi Cissé, Karinka Kourouma, El Hadj Lansana Condé,
président du Bureau de la Coordination des Associations des Victimes du 4
juillet 1985 et son vice-président, Ibrahima Sory Dioumessi... qui ont été des
informateurs précieux. Ils ont mis à ma disposition une documentation qui a
facilité ma tâche. Le dernier nommé, en l’occurrence, a fait preuve d’une
disponibilité exemplaire. Il m’a aidé sans compter en m’accordant autant
d’interviews que souhaité et m’a servi de guide auprès d’autres témoins dont les
récits sont rapportés dans cet ouvrage. Mes remerciements s’adressent à la
direction de la Bibliothèque Nationale et au personnel des Archives Nationales,
deux centres de recherche et de documentation qui constituent un passage obligé
pour toute personne désireuse de faire un travail de ce genre. Je remercie, enfin,
toutes les personnes dont les conseils avisés et la présence précieuse à mes côtés
m’ont permis de mieux connaître le parcours de quelques personnages cités
dans le livre. Mais encore une fois, je ne perds nullement de vue que certains ne
seront pas d’accord avec le portrait que je dresse d’eux. Ils pourraient être tentés
de récuser des propos ou des intentions difficiles à assumer avec le temps. Je ne
tremble point à l’idée d’avoir dit ce que d’aucuns voudront qu’on taise.
De toute façon, l’historien qui n’est pas un homme de théâtre ne doit pas être
obnubilé par le souci de plaire. Je tiens donc à souligner que seule la recherche
de la vérité a été la pierre angulaire de ma démarche. J’ai pu me tromper parfois
mais aucune idée de falsifier quoi que ce soit n’a effleuré mon esprit. C’est
pourquoi, nullement habité par une quelconque pulsion narcissique, je
considérerai, le cas échéant, toute observation pertinente comme une
contribution à un travail que je n’aurai fait qu’ébaucher.

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Enfin, mon dernier mot est pour le professeur Abdoulaye Bamba et mes
chers collaborateurs Fatou, Albertine, Keïta, Dialikatou, Gaoussou Sano qui
occupent une place non négligeable parmi ceux auxquels je pense en ce
moment. Leur abnégation à déchiffrer mes « hiéroglyphes » n’a pas été l’aspect
le plus aisé de l’entreprise. Je leur dis à tous merci. Je n’oublie pas mon fils
Mohamed, le premier à avoir fait une lecture critique de mon manuscrit.
Puisse ce modeste travail inspirer des études ultérieures plus détaillées sur
chaque sujet soulevé.

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Prologue

Un nouveau rendez-vous
avec l’histoire

Quasiment, 25 ans après son premier grand rendez-vous avec l’histoire, le


peuple de Guinée a vu s’inscrire, le lundi 23 décembre 2008, une nouvelle page
de son destin avec le décès de l’homme qui avait succédé au père de
l’indépendance. Celui-là même qui, 26 ans avant sa disparition, avait surpris le
monde par le NON catégorique et sans retour qu’il avait opposé à la volonté de
l’ancienne puissance coloniale de poursuivre sa domination sur la Guinée.
Au Palais du Peuple, la nouvelle avait été portée officiellement à la
connaissance de l’élite politique et administrative de la nation avant qu’elle ne
parvienne au pays tout entier et au reste du monde. Présent ce jour en ces lieux,
je n’eus aucune peine à comprendre qu’un nouveau changement devenait
inévitable à l’instar de la rupture intervenue le 3 avril 1984. L’idée d’entamer
ce récit a traversé aussitôt mon esprit en commençant par relater les faits que
j’étais en train de suivre en guise de prologue.
En effet, tout a commencé dans la soirée de ce lundi 22 décembre 2008
lorsque mon téléphone se mit à sonner et que j’entendis :
« Chef de cabinet, rejoignez-moi de toute urgence au Palais du Peuple. Vous
me trouverez dans le bureau du Président de l’Assemblée Nationale ». Il était
21 h à peu près quand je reçus ce message du ministre de la Défense nationale,
M. Almamy Kabèlè Camara. Je me trouvais alors à quelques encablures de mon
domicile distant de 25 kilomètres du Camp Almamy Samory Touré, siège du
ministère de la Défense Nationale où j’étais entré en fonction un mois plus tôt.
Ce coup de fil me parvenait deux heures environ après mon départ des lieux.
Il est vrai qu’en chemin, il avait fallu compter avec les énormes
embouteillages dans la circulation entre la commune de Kaloum et les quartiers
périphériques de la capitale comme le mien. Toujours est-il qu’en moins d’une
heure après, je répondais effectivement présent à l’appel du ministre. A mon
arrivée au Palais du Peuple, il m’a fallu franchir un important cordon de
militaires armés jusqu’aux dents, visiblement nerveux, en déclinant mon
identité à l’intention de tous ceux qui m’en avaient fait la demande.

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J’ai constaté par la suite que tous les principaux dignitaires de l’Etat avaient
pris place dans le bureau de l’honorable Aboubacar Somparé, le Président de
l’Assemblée Nationale.
Le Premier ministre, Dr Ahmed Tidiane Souaré, et plusieurs de ses
ministres, Me Lamine Sidimé, Premier président de la Cour Suprême,
Mohamed Mounir Camara, Président du Conseil National de la
Communication, Soriba Sorel Camara, gouverneur de la ville de Conakry… se
trouvaient dans l’immense salle de travail du numéro un du Parlement guinéen.
La hiérarchie militaire était fortement représentée. Tous les hauts gradés en
activité étaient regroupés dans la salle. On y notait la présence des Généraux :
Diarra Camara, chef d’Etat-Major général des Armées ;
Kandé Touré, directeur de cabinet du ministère de la Défense Nationale ;
Mamadouba Toto Camara, chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre ;
Ibrahima Sory Diallo, conseiller militaire et ancien gouverneur de région ;
Ibrahima Diallo, président de la Commission Nationale de Lutte Contre la
Prolifération des Armes légères, ancien ministre ;
Latyr Sylla, chef d’Etat-major de l’Armée de l’Air ;
Kaba 41 Camara, inspecteur général des Forces Armées ;
Chérif Diallo, ancien ministre ;
Kerfalla Souaré, chef d’Etat-major adjoint de l’Armée de Terre ;
Officiers supérieurs d’un certain âge, blanchis sous le harnais, ils comptaient
tous une longue relation de collaboration, voire de camaraderie avec le président
Lansana Conté.
Je fis rapidement le tour de la salle du regard en vue d’identifier la personne
susceptible de me dire la cause de la présence de tant de personnalités en ces
lieux. Je ne pouvais m’adresser au ministre de la Défense, dont j’étais séparé
par plusieurs rangées de chaises.
Je n’eus d’autre recours que de me pencher vers mon voisin immédiat pour
m’enquérir des raisons de la convocation de cette assemblée.
Sans détours, Yamoussa Sylla, le maire de la commune de Dixinn, m’a dit :
« C’est le Président qui est décédé ». Malgré l’émotion qui me gagna, je ne fus
pas surpris outre-mesure par ce que je venais d’entendre.
Depuis quelque temps, en effet, les nouvelles alarmistes sur la santé du chef
de l’Etat et son rappel à Dieu avaient souvent constitué le sujet de beaucoup de
conversations.
Les premiers signes du mal qui devait l’emporter, se manifestèrent en 2002,
au cours d’un meeting organisé devant une foule acquise à sa cause dans
l’enceinte du stade de la Mission à Conakry. Subitement pris d’un malaise, le
président eut besoin de sa garde rapprochée pour ne pas se retrouver au sol.

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Rumeurs et démentis allaient désormais se succéder, provoquant une véritable
psychose au sein des populations.
Dans la nuit du 17 au 18 mars 2006, le général Lansana Conté avait été
évacué en Suisse. Ce voyage avait fait les choux gras de la presse. Radio France
Internationale avait annoncé que le chef de l’Etat avait été « placé sous
respiration artificielle ». Elle a été ensuite sèchement désavouée. De sa chambre
d’hôpital, le président avait répondu aux questions posées par Louis Auguste
Leroy, le directeur du Bureau de Presse de la Présidence de la République. Ses
propos furent retransmis en direct sur les antennes de la Radiodiffusion
Télévision Guinéenne (RTG). Un scénario comparable à celui qui s’était produit
deux années auparavant lors de son voyage en Russie. Lansana Conté avait
accordé alors une interview à Issa Condé, le directeur général de la RTG pour
dissiper les rumeurs.
Néanmoins, c’est à Genève où il s’était rendu, semble-t-il sur l’insistance de
son "ami" italien, Guido Santulo, que fut posé le diagnostic du mal révélant que
le général Lansana Conté souffrait de "diabète et de leucémie aigüe".

RUMEURS PERSISTANTES
Les bruits sur l’aggravation de son état de santé s’étaient répandus à
l’approche de la deuxième quinzaine du mois de décembre 2008.
Le lundi 15 décembre, la nouvelle s’était amplifiée dans les rues de Conakry.
Dans cette Guinée qui connaissait depuis un certain temps le boom de la
téléphonie mobile, les fameux SMS se firent l’écho de la rumeur. Cette journée
et le lendemain furent marqués par un net ralentissement des activités dans la
capitale. Le lendemain mardi, le ministre de la Communication et des Nouvelles
Technologies de l’Information et porte-parole du gouvernement, était obligé
d’intervenir dans le journal de 20h de la télévision pour souligner que le chef de
l’Etat «poursuit ses activités comme d’habitude, comme il l’a toujours fait 2 ».
Le ministre avait ajouté que, dans la journée du lundi, le président avait donné
des instructions au Premier ministre afin qu’il se rende à Bissau pour renouveler
le soutien de la Guinée au président Joao Bernardo Vieira Nino qui venait
d’échapper à un attentat. Conclusion : « ces rumeurs visent à déstabiliser le
pouvoir de façon insidieuse et à perturber la paix dans la cité », ajouta-t-il.
Les dénégations de Tibou Kamara, n’avaient pas suffi cependant à mettre fin
aux cancans. Toutefois, les émissaires dépêchés à Bissau furent effectivement
reçus à leur retour par le président Conté dans la soirée du 17 décembre.
L’atmosphère était « détendue, enjouée », selon le témoignage du ministre de la
Défense Nationale.
Les visiteurs reprirent le chemin de leurs domiciles, tard dans la soirée,
totalement rassérénés sur la forme de leur hôte.

2
Journal de 20 h 30 mn de la RTG du mardi 16 décembre 2008.

19
Ces informations rapportées par la télévision nationale n’avaient pas produit
l’effet escompté sur l’opinion publique.
Je me souviens que, deux jours plus tard, mon ami Doura Chérif en visite à
Kankan m’avait téléphoné. Il s’interrogeait sur la nature de la rumeur
concernant la mort du président qui avait empli la ville. Il avait dû en être ainsi
dans tous les coins et recoins du territoire où nul n’ignorait plus que le général
Lansana Conté avait cessé d’être le fringant officier, dont la vitalité
exceptionnelle forçait l’admiration.
Cette image du président avait été écornée dès l’entame de son troisième
mandat. Un an après sa réélection en 2003, les forces du général avaient
commencé en effet à décliner jusqu’à cette fatidique soirée du 22 décembre
2008 au cours de laquelle le vieux chef arriva à la fin de son parcours.
Le second président de la République de Guinée abandonnait le pouvoir
après l’avoir gardé presque aussi longtemps que l’homme à qui il avait succédé
officiellement dans la nuit du 5 avril 1984.

UNE ATMOSPHÈRE SÉREINE


Une atmosphère empreinte de sérénité régnait dans le bureau du président
de l’Assemblée Nationale. Les plus proches collaborateurs, les protégés, les
amis du défunt pendant les derniers moments de sa vie ne laissaient apparaître
aucun signe de nervosité ou d’inquiétude.
La machine chargée d’actionner le dispositif institutionnel prévu en cas de
vacance du pouvoir était en marche.
Des ordres avaient été donnés pour que les émissions de la RTG se
poursuivent au-delà de 00H, l’heure habituelle de la fermeture de l’antenne.
L’équipe mobilisée pour l’enregistrement de la déclaration des principaux
dirigeants chargés d'annoncer le décès du président était prête. Ces personnalités
mandatées pour porter officiellement la funeste nouvelle aux Guinéens et au
reste du monde mettaient la dernière main à leurs textes. Elles se prêteront à
l’exercice dans l’ordre suivant : président de l’Assemblée Nationale, Premier
ministre chef du gouvernement, Chef d’Etat-major général des Armées.
Le premier dira notamment: « Nous avons le regret d’annoncer au peuple
de Guinée le décès du général Lansana Conté des suites d’une longue maladie,
à 18h45 3 ». Aboubacar Somparé avait prononcé la vacance du pouvoir
conformément à la Constitution. Il avait décrété un deuil national de 40 jours.
Le Premier ministre, Ahmed Tidiane Souaré, avait confirmé la nouvelle et a
présenté ses condoléances au peuple de Guinée et à la famille du chef de l’Etat
défunt.

3
Message diffusé par la RTG, le 23 décembre 2008, dans son journal de 20h30.

20
Enfin, le général Diarra Camara avait déclaré que toutes les dispositions
avaient été prises par l'armée pour préserver la paix et la stabilité dans le pays.
On assistait ainsi à l’épilogue d’un scénario entamé moins de six heures plus
tôt mais auquel bon nombre de personnes s’étaient préparées. Le président, dont
la maladie s’était aggravée, avait fini par se fixer définitivement depuis quelques
jours dans sa résidence sise dans l’enceinte du Camp Almamy Samory Touré.
Couvé par Madame Henriette Conté, Première dame de la République, il n’en
sortait plus que pour des apparitions fugitives à l’intérieur du Camp. Il lui
arrivait aussi de se rendre sur le chantier du Palais des Nations où il aimait
s’étendre dans son lit pliant à l’ombre d’un caïlcédrat géant pour deviser avec
ses visiteurs. De cette position, le général se plaisait à observer les travaux de
reconstruction de l’édifice sérieusement endommagé par une pluie d’obus lors
de la mutinerie des 2 et 3 février 1996. C’est là que je l’ai vu pour la dernière
fois le 12 décembre 2008. J’étais venu lui présenter mes vœux en compagnie
des chefs des Etats-majors de l’armée à l’occasion de la fête de Tabaski avant
qu’il ne reçoive ceux du Gouvernement et des autres corps constitués.
J’espérais le revoir le samedi 20 décembre lors d’une visite à son domicile
en compagnie du ministre de la Défense Nationale et des généraux. Mais, nous
avions été accueillis par Madame Henriette Conté et conduits au salon où je fus
présenté à la Première Dame en ma qualité de nouveau chef de cabinet du
département de la Défense. Elle accueillit la nouvelle, le sourire aux lèvres,
avant de me « souhaiter la bienvenue parmi nous ».
Ce jour-là, la Première dame se montra particulièrement avenante envers le
général Mamadouba Toto Camara. Elle l’aborda avec une gaieté débordante.
Sur un ton badin, elle lui dit : « Je vais te retirer ma fille. » « Je vous demande
pardon et promets de me racheter », répondit l’officier supérieur avec un gros
rire tout aussi enjoué. Un échange d’aménité témoignant de la proximité de leurs
liens comme j’en eus la confirmation à notre sortie. J’appris, en effet, que le
général Camara avait épousé la fille adoptive de Mme Conté qui le considérait
dès lors comme son beau-fils.
Mais, détail important, nous ne pûmes rencontrer le président. Ce fait aiguisa
ma curiosité. Je m’abstins cependant de poser la moindre question à mes
compagnons. J’ai été tout de même intrigué après notre départ par les propos
d’Almamy Kabélé Camara louant la force morale de l’épouse du président et le
courage admirable, dont elle faisait preuve. J’appris que Madame Henriette
Conté avait en effet annulé un voyage pour le Nigeria. Elle devrait prendre part
à une rencontre projetée à Abuja par la Synergie des Premières Dames
d’Afrique. Préoccupée par l’état de santé de son mari, si ce n’était celui-là qui
le lui avait demandé, elle avait finalement décidé de rester à ses côtés.
Cependant, la veille, dans l’après-midi, le président avait fait venir à sa
résidence du Camp Samory, le Premier ministre et le ministre de la Défense
Nationale.

21
Le chef d’Etat-major des Armées les y avait précédés. La première question
posée à ses hôtes par Lansana Conté fut la suivante : « Des dispositions ont-
elles été prises pour que le Palais Sékoutouréya soit en état d’accueillir, avec
toutes les commodités requises, le futur président de la République ?» En un
mot, son successeur.
Le président, ignorant les mesures constitutionnelles, à moins que la maladie
ne l’ait rendu amnésique, a voulu savoir ensuite qui, parmi ses trois visiteurs,
était le plus apte à lui succéder. Malgré leur réaction visant à lui faire croire que
de belles années l’attendaient à la tête de l’Etat qui ne pouvait encore se passer
de son expérience et de sa sagesse, le général tint bon. Rompant avec la langue
de bois, il soutint jusqu’au bout que l’avènement d’un nouvel homme était
imminent à la Présidence de la République.
Ces propos rapportés à l’auteur par M. Almamy Kabélé Camara furent
confirmés par le dernier Premier ministre de Lansana Conté au cours d’un
entretien à bâtons rompus avec le journaliste Cheick Yérim Seck. Voici ce qu’il
en dit :
« Il nous a imposé une longue veillée, alternativement assis ou allongé sur
son divan. A un moment, il arrête de parler, puis introduit un tout autre sujet en
posant la question de savoir si l'entretien et le ménage se font correctement au
Palais Sékoutouréya. J'ai répondu que ce palais est bien entretenu. Il reprend
que c'est bon car ce palais est destiné au nouveau président de la Guinée et que
lui ne va plus y travailler, il restera au Camp. Il ajoute : « Il faudra bien qu'on
prépare quelqu'un pour être président ! ». Il enchaîne « C'est toi qu'on va
préparer Premier ministre ? Ou bien c'est toi Kabèlè ? » j'ai répondu en ces
termes :
« Président, la Guinée est un pays difficile, nous souhaitons que Dieu vous
garde encore longtemps pour nous permettre de continuer à être à votre école,
sous votre parapluie »4.
En un mot, l’état de santé du président n’avait pas cessé de défrayer la
chronique pendant toute la semaine écoulée. La scène qui était en train de se
dérouler au cours de cette soirée mémorable, n’en était que le dénouement
logique.

ABOUBACAR SOMPARÉ : DAUPHIN CONSTITUTIONNEL


Ainsi ce lundi 23 décembre 2008, comme un peu moins d’un quart de siècle
plus tôt, une page de l’histoire de la République de Guinée s’était refermée.
Unique pays en 2008 parmi les anciennes possessions françaises et
britanniques d’Afrique de l’Ouest où le pouvoir n’avait changé de main qu’une
seule fois pendant les 50 premières années de son indépendance, il devenait

4
SOUARE Ahmed Tidjane, A mon tour de parler, P.145, éd. Harmattan-Guinée,
Conakry 2010.

22
évident qu’un troisième homme serait appelé bientôt à diriger les destinées de
la nation guinéenne.
C’est pourquoi, tous les regards étaient braqués sur le président de
l’Assemblée Nationale. La Loi Fondamentale adoptée le 23 décembre 1990
disposait en effet en son article 34 qu’« en cas de vacances de la fonction du
Président de la République consécutive au décès ou à la démission du Président
de la République ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, la
suppléance est assurée par le Président de l’Assemblée Nationale ou, en cas
d’empêchement de celui-ci par l’un des vice-présidents de l’Assemblée
Nationale par ordre de préséance ».
Ce dauphin constitutionnel avait pour nom, Aboubacar Somparé. Agé de 64
ans, il était, depuis 2002, à la tête de l’Assemblée Nationale guinéenne. Vêtu
d’un boubou blanc et installé dans un fauteuil moelleux, il avait le port altier.
Nul signe sur son visage ne permettait de deviner ses sentiments. Tout porte à
croire cependant que l’homme devrait être en proie à un bouillonnement
intérieur intense.
Ce brillant sujet, titulaire en 1968 d’un diplôme d’études supérieures en
mathématiques modernes de la Faculté des Sciences de l’Institut Polytechnique
de Conakry, croyait-il que le rêve qu’il n’avait eu de cesse de caresser depuis
son élection à la tête du parlement guinéen allait enfin se concrétiser ? Il est à
relever cependant que son avènement à ce haut poste, six ans auparavant s’était
fait un peu contre la volonté de Lansana Conté. En effet, tout le monde savait
que les deux hommes n’avaient pas d’atomes crochus et les réticences
renouvelées du Général à l’égard de Somparé étaient connues. Au premier chef,
dès 1984, Lansana Conté et certains de ses compagnons avaient accusé
Aboubacar Somparé de nostalgie chronique pour le P.D.G. Alors ambassadeur
à Paris où les nouveaux dirigeants se rendaient en masse, la plupart d’entre eux
en étaient revenus avec le sentiment que le chef de la mission diplomatique
guinéenne dans la capitale française n’épousait pas leurs vues sur la nature et le
bilan de l’ancien régime. Il est vrai que Somparé fut l’une des coqueluches du
président Sékou Touré. Celui-ci aimait bien ce jeune intellectuel ‘’engagé’’ pas
du tout infatué de ses mérites et qui partageait sa passion de l’histoire de
l’Almamy Samory Touré. Aussi l’avait-il placé sous son aile protectrice,
veillant à sa carrière et le protégeant contre les tentatives de nuisance de certains
de ses proches qui, eux, le regardaient différemment et voulaient même le jeter
dans la fosse aux lions. Cependant Somparé parvint à transcender le climat de
méfiance des nouveaux dirigeants à son endroit au point d’être quelques années
plus tard, après avoir exercé d’importantes fonctions dans des cabinets
ministériels, l’un des fondateurs et l’un des responsables les plus en vue du parti
présidentiel, le Parti de l’Unité et du Progrés (PUP). Mais à l’époque déjà tout
avait été mis en œuvre lors du congrés constitutif du PUP pour l’empêcher d’en
prendre la tête. Toutefois en 1995 après l’élection de Boubacar Biro Diallo, le
premier secrétaire général du PUP à la présidence de l’Assemblée Nationale,

23
Somparé hérita de la direction du parti. Ses rapports personnels avec le chef de
l’Etat ne semblent pas cependant s’être améliorés par la suite car il était
soupçonné désormais de nourrir des velléités régicides. Sidiki Kobélé Kéita, qui
a été le chef de cabinet civil du Président, de 1994 à 1997, témoigne à ce sujet
que Lansana Conté ne voulait pas du tout que Somparé lui succèdât. Celui-ci le
savait, affirme-t-il, parce que le Président lui aurait dit un jour au Camp
Samory :
« Tu ne me remplaceras jamais 5 ». C’est pourquoi, ajoute-t-il, « Lansana
Conté a voulu plus tard, mais en vain, que le mandat du président de
l’Assemblée soit d’une année renouvelable et non de cinq ans6 ». Auparavant
les murmures sur la dégradation de la santé du président avaient rendu la bataille
pour le perchoir assez rude à l’issue du scrutin de 2002. D’ailleurs, la liste
concoctée par le Parti de l’Unité et du Progrès (P.U.P) avait été profondément
écrémée par le président Conté.
Tous les barons du parti ayant pris part quelques mois plus tôt à une réunion
secrète, dont l’objectif était de désigner le successeur putatif du Général à la
santé vacillante, avaient été mis au rencart. Curieusement, seul Somparé,
considéré par les ‘’conjurés’’ comme l’homme de la situation, échappa à la
purge.
On notera aussi que tout en se prévalant plus tard de la légitimité naturelle à
occuper le poste de président de l’Assemblée Nationale au lendemain du scrutin
largement remporté par le parti présidentiel, dont il était le chef de file, Somparé,
à la fois secrétaire général du PUP et numéro un dans sa liste aux législatives,
avait dû compter avec quelques prétendants présomptueux. Ces hommes étaient
des proches du président pour la plupart tel que le banquier Saïkou Yaya Baldé,
bienfaiteur et ami de longue date du Général que le chef de l’Etat avait connu à
Boké avant son accession à la tête du pays. Le député Sékou Tounkara ne
cachait pas non plus ses prétentions au nom d’une certaine forme
communautariste de répartition du pouvoir. Pour lui, le successeur de Boubacar
Biro Diallo devrait être un autre ressortissant de la Moyenne-Guinée. La partie
n’était donc pas gagnée d’avance.
En un mot devant le peu d’enthousiasme manifesté par Lansana Conté au
sujet de la candidature de Somparé, ses adversaires usèrent de tous les

5
Conversation de l’auteur avec Sidiki Kobélé KEITA, le 6 novembre 2013 à Conakry.
Interrogé à son tour sur la même question, Aboubacar Somparé reconnut que « les
gens le disaient ». En revanche, il nia l’avoir entendu lui-même de la bouche du
président. (Observateur no 2631-14 janvier 2013, p.6.). Revenant cependant sur le
même sujet quelques années plus tard, il écrira dans ses mémoires :
« Personnellement, je ne m’étais jamais fait d’illusions. Je savais que le Président
Lansana Conté s’était organisé pour que je ne sois pas son successeur, et sa femme
Henriette le chantait à qui voulait l’entendre » in Itinéraire 2- Les coulisses du
pouvoir p. 152
6
Conversation de l’auteur avec Sidiki Kobélé KEITA, le 6 novembre 2013 à Conakry.

24
subterfuges pour l’éloigner de l’antichambre du pouvoir. En définitive,
Somparé aurait dû son salut au bloc formé par les femmes du PUP. Le soutien
des ‘’amazones’’ du parti et l’intercession de quelques personnes de bonne
volonté qui avaient l’oreille du président, finirent semble-t-il, par faire plier
Lansana Conté.
Mais lorsqu’après avoir brisé tous les écueils, Somparé avait arraché
l’accord du chef de l’Etat pour occuper en 2002 la présidence de l’Assemblée
Nationale, son ascension avait été généralement interprétée comme un signe du
destin. La voie vers la conquête du pouvoir suprême semblait s’ouvrir devant
lui. L’événement aurait même pu se produire avant la mort du président. En
effet, deux ans à peine après sa réélection en 2003, on avait commencé, dit-on,
à se poser la question de savoir si Lansana Conté était capable ou non d’assumer
physiquement ses fonctions7.
Somparé avouera quelques années plus tard avoir été contacté par des
missions diplomatiques occidentales, estimant à l’époque que le pouvoir était
‘’vacant’’ et qu’il fallait agir conformément aux dispositions constitutionnelles.
Mais il n’en avait rien été du tout « parce que le premier président de la Cour
suprême ne m’avait pas suivi », ajouta-t-il.
Alors le jour tant attendu était-il enfin arrivé ? On pouvait lire cette
interrogation sur tous les visages au cours de cette soirée de décembre 2008.
Une personne au moins avait voulu imprimer cette trajectoire à la marche de
l’histoire. C’est le médecin personnel du chef de l’Etat défunt, le professeur
Amara Cissé. L’ancien ministre de la Santé était présent au chevet de son illustre
patient au moment où celui-ci rendait l’ultime soupir.
Après lui avoir refermé les paupières, le médecin avait dit à Madame
Henriette Conté devenue veuve sans le savoir que son mari dormait. Il lui donna
la ferme consigne de ne point perturber son repos. Le Dr Cissé prit ensuite le
chemin conduisant au domicile du président de l’Assemblée Nationale, situé à
une quinzaine de kilomètres du Camp Samory pour lui donner la primeur de la
nouvelle. C’est par les soins de Somparé que les membres de la nomenklatura
guinéenne furent mis au courant du décès à 18h45 du président de la
République.
Le chef du gouvernement, les ministres, les généraux de l’armée, furent les
premiers à rallier le Palais du Peuple. Lamine Sidimé, le premier président de la
Cour Suprême y arriva un peu plus tard. Selon un témoin, il aurait demandé, dès
son entrée dans la salle, quelles preuves formelles on avait de la mort du
président. Son instinct d’homme de loi avait-il pris le dessus, le poussant à ne
tenir pour vrai que ce que l’on peut vérifier ?

7
Entretien publié par le journal ‘’La République’’.

25
Avait-il été rendu prudent par les rumeurs qui avaient circulé par le passé ?
Toujours est-il qu’il fallut le témoignage du Dr Cissé pour avoir raison de ses
derniers doutes.
Tous les dignitaires du régime affluèrent ensuite dans l’immense bureau du
président de l’Assemblée nationale qui finit par se révéler exigü. Détail curieux :
aucun ne semblait plongé dans une profonde affliction, même les amis
personnels du défunt affichaient un visage détendu.
Confirmaient-ils l’adage selon lequel les grandes douleurs sont muettes ?
Les nombreux canulars sur la disparition du président avaient-ils préparé tout
ce beau monde à vivre cet évènement sans manifester d’émotion particulière ?
La réponse était peut-être entre les deux.
Pendant ce temps, au Camp Samory, on croyait le malade plongé dans un
profond sommeil. Des membres de la garde présidentielle, alertés par des appels
téléphoniques en provenance du Palais du Peuple, continuaient de soutenir, en
effet, qu’il ne pouvait s’agir que de nouvelles farces. Ce carré d’incrédules fut
le dernier à se rendre à l’évidence que le président n’était plus de ce monde.
Mais revenons en arrière pour voir comment l’aventure avait commencé un
peu moins d’un quart de siècle plus tôt. En effet, notre propos vise à appréhender
les contours des premières années du règne qui s’achevait ce 22 décembre 2008.
Il prend en compte la période comprise entre les préparatifs et l’exécution du
coup d’Etat du 3 avril 1984, les lendemains immédiats qui suivirent le Discours-
Programme prononcé par le président Lansana Conté le 22 décembre 1985 et
quelques événements importants y liés. Il s’achève par le bilan succint d’un
régime qui a vu la Guinée basculer dans une nouvelle ère au lendemain de la
disparition du président Ahmed Sékou Touré.

26
PREMIÈRE PARTIE

La Guinée au lendemain
de la disparition du président
Ahmed Sékou TOURÉ
CHAPITRE I

Ahmed Sékou Touré

DIMENSION DE L’HOMME POLITIQUE


Au moment de sa disparition, le 26 mars 1984 à Cleveland, aux Etats-Unis,
le président Ahmed Sékou Touré était le doyen des chefs d’Etat africains. Un
statut qu’il devait, non pas à son âge, mais aux 26 années qu’il venait de passer
à la tête de son pays. Dans le monde, seuls quelques monarques du Moyen
Orient et de la vieille Europe étaient restés aussi longuement au pouvoir avant
lui 8 . Le jeune dirigeant-syndicaliste était entré de plain-pied dans l’histoire
depuis le rejet par la Guinée de la Communauté proposée par le général de
Gaulle, le 28 septembre 1958. En effet, que cela plaise ou non, l’option prise à
cette occasion par le peuple de Guinée a fait de Sékou Touré un personnage
politique de premier plan dans l’évolution des colonies françaises d’Afrique
noire. Il avait été le seul au moment où il l’a fallu, à indiquer à ses compatriotes
le chemin de l’honneur et de la dignité. La France coloniale ébranlée par ce
choix courageux, dut se résoudre moins de deux ans plus tard, à octroyer
l’indépendance à ses autres territoires, dont la plupart des dirigeants n’en
voulaient pas. Mais l’indépendance acquise, le pays ne tarda pas à s’enfoncer
dans la spirale des complots et des répressions sanglantes qui hypothéquèrent
ses perspectives de développement et affectèrent l’image du héros de
l’indépendance.
La mort d’un tel homme devait donc susciter forcément des réactions
contrastées. Celles-ci se traduisirent par un concert d’éloges et un déluge de
critiques.
Sékou Touré était, en effet, autant idolâtré par ses admirateurs que détesté
par ses détracteurs. L’historien guinéen, Ibrahima Baba Kaké semble avoir
résumé ce sentiment à travers ces mots : « la vie de Sékou Touré est
exceptionnelle, c’est qu’il est de ces rares hommes dont on n’a jamais fini de
parler en bien ou en mal ». Auteur du livre « Sékou Touré, le héros et le tyran »,
il fait cependant peu dans la nuance en évoquant le parcours du leader guinéen

8
Dans l’Afrique des indépendances, mis à part Haïlé Sélassié, le négus d’Ethiopie qui
régna de 1930 à 1974, seul le président tunisien Habib Bourguiba (1957-1987)
avait atteint la barre des 20 ans de pouvoir avant Sékou Touré.

29
qui, à ses yeux, n’aura été au bout du compte qu’un dictateur au ‘’destin
manqué’’. D’autres auteurs sont encore beaucoup plus sévères. Ils ne
s’encombrent pas du sens de la mesure pour camper le premier chef de l’Etat
indépendant de Guinée.
Dans une biographie au vitriol du Secrétaire Général du PDG, Maurice
Jeanjean, un ancien travailleur expatrié de l’usine de Friguia écrit : « Mon
propos est de montrer que Sékou Touré a mis en place la totalisation qui a réduit
le peuple guinéen au rang d’esclave. Son but était identique à celui que
poursuivaient Staline et Hitler »9. Un autre dira : « Sékou Touré, c’est Staline
moins le développement »10. Certains Guinéens de la diaspora ont logiquement
leur place dans la catégorie de ceux qui attendaient l’occasion rêvée pour
exprimer leur ressentiment à l’endroit d’un homme qu’ils haissaient.
Maligui Soumah11 est l’un d’eux. Pour lui, «La mort de de Sékou Touré
‘’responsable suprême de la Révolution sanglante’’ a révélé au monde qui
l’ignorait (ou qui le savait mais se taisait), la fragilité d’un régime dont
l’instauration et son maintien, 26 ans durant, n’ont été possibles qu’au prix de
la terreur, des larmes et du sang de milliers de patriotes, de la misère entretenue
de millions d’hommes et de femmes sur un territoire riche en sol et en sous-sol
mais dont les cadres ont été exterminés, emprisonnés ou en fuite ».
Dans son livre, ‘’La vérité du ministre’’, Alpha Abdoulaye Diallo, secrétaire
d’Etat à la jeunesse, aux arts et aux sports (1969-1971), écrit qu’au même titre
que « Mussolini et Hitler », la « galerie des maudits » est la place dévolue dans
l’histoire à l’homme, dont il avait été le collaborateur avant d’en être le
prisonnier.
Auteur d’une histoire de l’Eglise en Guinée, le spiritain, Georges Vieira
considère la période allant de 1958 à 1984 coïncidant avec le « règne sans
partage de Sékou Touré » comme celle au cours de laquelle « l’Eglise
Catholique a connu son épreuve la plus sévère depuis l’évangélisation en
1875 ». Le curé reproche principalement au président guinéen d’avoir demandé
en 1967, le remplacement des missionnaires étrangers par des prêtres et des
religieuses africains.
Enfin, il n’est guère surprenant que parmi les pourfendeurs d’Ahmed Sékou
Touré, figurent d’anciens collaborateurs du premier président sénégalais,
Léopold Sédar Senghor avec lequel ses rapports ont été traversés par de
nombreux nuages.
Celui-ci, Christian Valantin parlant de ses premiers pas en Guinée,
écrira : « J’ai fait connaissance avec ce pays magnifique (la Guinée NDLA) qui

9
JEANJEAN, Maurice, Sékou Touré, un totalitarisme africain, P.10, Conakry,
Harmattan Guinée.
10
BENOT, Yves, cité par M. JEANJEAN, op. déjà cité, P.63.
11
SOUMAH Maligui : Guinée de Sékou Touré à Lansana Conté, Deuxième partie
Harmattan Guinée 2012.

30
venait d’élire, le 2 janvier 1956, parmi ses députés Sékou Touré, le triste
mémoire ».
La liste est longue d’historiens, journalistes, politiques…sous la plume
desquels l’homme d’Etat guinéen a été brocardé, voué aux gémonies, mis en
flammes... On a le choix de la formule. Ses adversaires qui disposent des
moyens qui agissent sur l’opinion ne se lassent pas encore de nos jours de
défigurer son visage et son oeuvre.
Dans la deuxième catégorie, on recense ceux, au moins aussi nombreux, qui
n’ont eu de cesse de glorifier le grand combattant de la liberté, l’homme qui
défia de Gaulle pour redonner à l’Afrique sa fierté en déclarant au nom de son
peuple le 25 août 1958 : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la
richesse dans l’esclavage ». Au nombre de ceux-là, on peut citer des hommes
politiques du Tiers-monde pour lesquels, à l’instar de l’ancien président du
Conseil du Sénégal, Mamadou Dia, « Ahmed Sékou Touré a été un africain et
un grand démocrate ».
Magatte Lô, ancien président du Conseil Economique et Social du Sénégal,
plusieurs fois ministre du président Senghor, dépassera les limites imposées par
les vicissitudes des relations entre les deux premiers présidents du Sénégal et de
la Guinée pour parler du défunt en ces termes : « La mort du président Sékou
Touré est une très grande perte pour l’Afrique toute entière qui l’admirait pour
son intransigeance.
J’ai connu Sékou Touré quand nous étions jeunes, au moment où il faisait
du syndicalisme au Sénégal. C’est lui qui a poussé à détacher le mouvement
syndical africain de la CGT. Notre amitié est née et s’est consolidée depuis la
discussion très dure, mais sincère, que j’ai eue avec lui au moment de la
« Grande Crise » entre nos deux pays. J’étais alors mandaté par le président
Senghor. Sékou Touré fait partie de ces hommes exceptionnels apparaissant de
temps à autre dans l’histoire. Il a tenu à former un homme guinéen
consciencieux et respectable. Et, sur ce plan, il a réussi. Il mesurait le progrès
au progrès de la conscience et d’une certaine harmonie intérieure, et non d’un
point de vue occidental.
Il a été un militant de l’unité africaine et un défenseur de l’enracinement
culturel. Si mourir est pénible, cette mort est meilleure pour Sékou Touré qui a
ainsi échappé jusqu’au bout aux coups d’Etat.
Sékou Touré était un homme généreux, extrêmement fidèle dans ses amitiés
et très simple. Ce sont sans doute ces qualités qui rendaient l’homme très
séduisant.
Seulement, il était intransigeant dans sa démarche politique. Même si on peut
déceler quelques erreurs dans sa méthode, on ne peut pas ne pas reconnaître et
admirer son dévouement total à son peuple. »
Seyni Niang connut Sékou Touré alors qu’il était le représentant du Parti
Africain de l’Indépendance (P.A.I.) du Sénégal à Conakry. Condamné et

31
emprisonné pendant 4 ans et demi pour participation au mouvement des
enseignants en 1961, il avait, dit-il, « un souvenir mitigé fait de sympathie et
d’antipathie de Ahmed Sékou Touré ». Malgré ce revers, il est, comme il
l’affirme lui-même « resté à ma libération un grand admirateur du leader
guinéen. Je voulais même rester travailler avec lui, mais des raisons politiques
(dislocation du PAI) m’ont poussé à revenir au Sénégal. » Il estime que « ce qui
est certain, Sékou Touré était un grand Africain qui avait une ferme volonté de
réhabiliter l’homme africain le plus aliéné. Et ça, c’est l’œuvre de Sékou Touré.
Entre Sékou Touré et l’Occident, la collaboration était impossible car Sékou ne
pouvait accepter d’être le fantoche de qui que ce soit. »
La première rencontre entre l’éminent poète Aimé Césaire et le futur
président de la Guinée eut lieu sur les bancs de l’Assemblée Nationale française
entre 1956 et 1958. Le Martiniquais visiblement conquis par l’ardeur patriotique
du Guinéen, le compara plus tard, à un dirigeant entretenant une liaison quasi
charnelle avec la masse dont il parlait non seulement la langue, mais ce qui est
plus important, le langage.
Le général de Gaulle lui-même, malgré le choc frontal qui se produisit le 25
août 1958 à Conakry entre lui et le jeune leader guinéen, parlera dans ses
Mémoires d’espoir du « jeune, brillant et ambitieux Sékou Touré ; voulant jouer
le rôle de champion du nationalisme intégral et de la revanche sur
l’impérialisme » et qui « le lui fit savoir ».
D’autres prises de position ont tendance à se situer sur une ligne plutôt
médiane comme celle du Dr Charles Diané, figure connue de l’opposition
extérieure au P.D.G.
Parlant de la relation entre le président Sékou Touré et les intellectuels
guinéens à la veille de la célébration du 50e anniversaire de l’indépendance,
l’ancien leader de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire (FEANF) laissa
entendre dans une interview accordée au journaliste Benn Pepito : « Sékou
Touré avait en épouvante les intellectuels. Il n’a pas poussé les études, mais il
n’avait aucune raison. Parce que Sékou Touré était brillant. J’avais beaucoup de
respect pour lui »11

11
Le Lynx no 860-3 novembre 2008, p.7. Toutefois des recherches que nous avons
effectuées, nous ont révélé que l’élève Touré Sékou de l’école régionale de
Kissidougou a été déclaré effectivement admis en 1931 (sic) aux examens du
Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires et au concours d’entrée à l’Ecole
Primaire Supérieure (E.P.S.) de Conakry, l’établissement le plus huppé de la
Guinée française donnant accès à la prestigieuse Ecole Normale Willam Ponty. Si
les choses avaient donc suivi leur cours normal, il aurait poursuivi ses études dans
la plus grande école d’AOF à l’instar de plusieurs futurs chefs d’Etat de l’Afrique
francophone (Houphouët-Boigny, Modibo Keita, Sourou Migan Apithy, Hamani
Diori … » Mais le futur président fut injustement orienté vers l’Ecole
Professionnelle Georges Poiret alors que nulle trace de son nom n’apparaît dans

32
A la question de savoir si Sékou Touré savait ce qui se passait au Camp
Boiro, il répondit : qu’« à un moment donné, c’est évident que Sékou Touré a
su ce qui se passait au Camp Boiro, mais il était dépassé par les évènements. Il
ne pouvait plus agir. Parce que ceux qui agissaient au Camp Boiro, le faisaient
en son nom donc, il était un peu dépassé par ces choses-là 12».

UN TOURNANT DANS L’HISTOIRE DE LA GUINÉE


Les funérailles du président furent à la dimension de sa haute stature. En
effet, Ahmed Sékou Touré est de la lignée des personnages historiques qui ont
bâti leur propre destin. Le héros de l’indépendance guinéenne est né sans fortune
ni titre. Handicapé par une scolarité escamotée mais intelligent, l’homme
parvint à force de courage, de témérité et d’une certaine dose d’habileté
indispensable en certaines circonstances, à être le meilleur. En tout cas, le
numéro un de sa génération.
Ses obsèques furent grandioses, marquées par la mobilisation de plusieurs
centaines de milliers de ses compatriotes 13 . Elles enregistrèrent la présence
d’une vingtaine de chefs d’Etat africains et de dignitaires de haut rang en
provenance du monde entier, dont le vice-président des Etats-Unis, George
Bush. Le futur président américain était à la tête d’une délégation composée
d’au moins deux cent personnes. Le Premier ministre français et d’autres hauts
dignitaires occidentaux et des pays de l’Est confirmèrent par leur présence que
la personnalité du défunt dépassait largement le cadre de son pays.
Mais pour tous les observateurs attentifs de la scène politique africaine, la
disparition du président Ahmed Sékou Touré signifiait que rien ne serait plus
comme avant en Guinée. J’en eus la conviction, pour ma part, le jour de ses
funérailles, c’est-à-dire au lendemain de mon retour à Conakry. Je me trouvais,
en effet, à l’étranger au moment de la mort du chef de l’Etat. Il y avait eu les
rencontres de la Coupe d’Afrique des Nations de Football organisée par la Côte-
d’Ivoire qui requéraient ma présence en ma double qualité de président de
l’Union des Journalistes Sportifs Africains (UJSA) et de membre de la
Commission de Presse de la Confédération Africaine de Football (CAF). Je
m’étais rendu ensuite à l’invitation de Monsieur Ibrahima M’Bombo N’Joya, le
ministre des Sports du Cameroun à Yaoundé et à Douala pour fêter le premier

la liste officielle des élèves appelés à fréquenter ce centre qui avait été créé à
l’intention des sujets les moins doués (cf Journal Officiel de la Guinée Française
1935). La mention 1931 est cependant inexacte et tout porte à croire qu’elle relève
d’une erreur de typographie.
11
Idem.
12
Le Soleil n°4182 lundi 2 avril 1984 P.20
13
Elles ont été imposantes à telle enseigne que Jeanne Martin Cissé devait écrire plus
tard : « La Guinée, cette année-là, devait accueillir le sommet de l’O.U.A. La
Guinée n’eut pas son sommet, mais le Président Ahmed Sékou Touré eut le sien.»
In Jeanne Martin Cissé, La fille du Milo, Ed. Présence Africaine, 2009, p.149.

33
titre de champion d’Afrique des Lions Indomptables. Aussitôt que la nouvelle
me parvint à Abidjan ce mardi matin à 6h28 par la voix d’Anne Toulouse de
Radio France Internationale, je pris la direction de l’ambassade de Guinée à
l’orée du quartier du Plateau. Etaient présents dans le bureau de l’ambassadeur
Marcel Martin, le Dr Mamouna Touré, ministre du Commerce Extérieur,
membre du Bureau Politique National du P.D.G et Monsieur Toumany Dakoum
Sakho, haut fonctionnaire et diplomate.
Ils étaient en route pour Abuja afin de participer à une réunion de la
CEDEAO 14 . Les deux hommes avaient décidé de rebrousser chemin en
apprenant la terrible nouvelle et avaient hâte de rejoindre Conakry. Nous
écoutâmes ensemble la « Voix de la Révolution ». La station rediffusait le
discours du Premier ministre Béavogui annonçant la mort du Responsable
Suprême de la Révolution. Mes réflexes de journaliste ayant pris le dessus, je ne
pus m’empêcher de demander au Dr Touré comment il entrevoyait la succession
du Président. Il me répondit sans ambages : « Bien sûr que c’est le Premier
ministre qui lui succédera. A moins qu’il n’y ait des ambitions », ajouta-t-il. Des
termes contenus dans cette réponse laissaient-ils supposer qu’une surprise
n’était pas à écarter ? Cela voulait-il dire surtout que tout était à prévoir
désormais, y compris une violation de la discipline du parti par certains
ambitieux ? La boussole pouvait-elle tourner dans tous les sens ? En un mot, le
Dr Touré voulait-il dire que plus rien n’était sûr comme du vivant du président
Ahmed Sékou Touré ?
Toutefois, on peut croire, le cas échéant, que mon interlocuteur pensait
beaucoup plus aux rivalités internes au sein du Parti et qu’il n’envisageait, pour
l’instant tout au moins, aucune intervention de l’armée sur la scène ne politique.
Assimilé au personnel de la mission diplomatique, je fus invité par
l’ambassadeur Martin à me joindre au conseiller Lansana Kouyaté pour recevoir
les journalistes de plus en plus nombreux à arpenter les couloirs. Une seule
question fusait : « Qui va succéder au président ? » La Constitution de la
République Populaire Révolutionnaire de Guinée adoptée le 10 mai 1982 ne
permettait pas de déchiffrer l’énigme. Elle disposait en son Article 51 qu’: « En
cas de vacance de la présidence pour quelque cause que ce soit, le
Gouvernement Révolutionnaire reste en fonction pour expédier les affaires
courantes jusqu’à l’élection d’un nouveau chef d’Etat, ceci dans un délai
maximum de quarante-cinq jours au cours duquel des élections présidentielles
sont organisées ».
Ces contours indécis, vagues de la Constitution auraient-ils poussé chaque
hiérarque du parti et du gouvernement à se prévaloir de la légitimité nécessaire
pour prétendre à la plus haute charge de l’Etat ?

14
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui regroupe 15 Etats
dont la République de Guinée.

34
DES DIVERGENCES AURAIENT-ELLES ÉCLATÉ AU PALAIS
DU PEUPLE LE 2 AVRIL 1984 ?
On a soutenu dans certains milieux, en effet, que tous les compagnons du
défunt président n’auraient pas affiché une solidarité sans faille avec le Premier
ministre après son élévation par ses pairs au rang de chef du gouvernement. Ce
choix aurait suscité des récriminations. Des contestataires n’auraient pas fait
mystère de leurs prétentions personnelles. Ce serait le cas, disait-on, du frère
cadet de l’ancien président, Ismaël Touré. Le ministre des mines avait été accusé
d’avoir exprimé au grand jour ses prétentions vers une forme de dévolution
dynastique du système.
Cette curieuse ambition se serait notamment manifestée dans la journée du
2 avril 1984 au cours de la réunion regroupant les dirigeants du Parti-Etat. Elle
intervenait 72 heures après les obsèques nationales du président. Pour le CMRN,
ce fut la rencontre de la discorde marquée par le déballage des divergences qui
caractérisaient le fonctionnement de la direction nationale du Parti-Etat.
Particulièrement houleuse, toujours aux dires des militaires, cette rencontre
aurait mis à nu les appétits et les querelles intestines que la présence du président
Sékou Touré masquait à moins que ce ne fût lui qui les avaient entretenus dans
la logique du « diviser pour régner ». En se déclarant candidat publiquement,
balayant d’un revers de main tout droit au Premier ministre Lansana Béavogui
désigné chef du gouvernement en son absence, Ismaël Touré aurait ouvert la
boîte de pandore. Les candidatures auraient alors jailli de toutes parts,
transformant la salle de réunion en champ de bataille. La rencontre prit fin en
queue de poisson, ôtant tout espoir de voir les compagnons d’Ahmed Sékou
Touré parvenir à un accord au risque de conduire la Guinée à la guerre civile
selon les tenants de cette thèse. Les protagonistes du coup d’Etat du 3 avril 1984
firent flèche de tout bois pour asseoir sa crédibilité.
C’est tout naturellement, l’un des principaux arguments développés par leur
porte-parole dans le communiqué annonçant la prise du pouvoir par le CMRN.
Le capitaine Faciné Touré s’adressant au peuple de Guinée a, en effet,
déploré que « tu n’as même pas séché tes larmes, qu’une lutte pour sa succession
s’est engagée entre ses compagnons avides de pouvoir et coupables de la
corruption généralisée du Gouvernement et de ses Institutions.»15(Voir annexe).
Dix sept ans après les événements, le président Lansana Conté va abonder
dans le même sens. Il confiera à un magazine panafricain : « Il y avait une
division totale entre les hommes de son entourage, entre ceux qui pensaient

15
Extrait de la déclaration de prise du pouvoir par l’armée guinéenne, ‘’Voix de la
Révolution’’, Conakry, 3 avril 1984. Pour André Lewin également,
l’effondrement subit du P.D.G serait causé par « les dissensions et les ambitions
qui s’étaient produites entre les anciens dignitaires du régime et au sein même de
la famille ».

35
qu’ils devaient le remplacer. Aucune règle n’était suivie. Notre constitution
prévoyait qu’après la mort du président, l’intérim serait assuré par le Premier
ministre jusqu’aux prochaines élections16. Les gens n’ont pas pris en compte la
Constitution, ils l’ont carrément sabotée. Pour certains, celui qui était Premier
ministre ne devait pas accéder au pouvoir. D’autres personnes se sont déclarées
« successeur ». Il y a eu tellement de tractations que l’armée était obligée
d’intervenir »17.
Un point de vue que partage le colonel Bago Zoumanigui. Ce parachutiste,
en service au Camp Alpha Yaya au moment des faits, affirme en effet de son
côté que « le coup d’Etat du 3 avril 1984 a été facilité par le vide qui s’est installé
au sommet de l’Etat après la disparition du président Ahmed Sékou Touré. Les
dirigeants ne sont pas parvenus à accorder leurs violons. Ils se sont montrés
incapables de désigner rapidement le successeur du Président. Or, poursuit-il,
l’histoire fourmille d’exemples où, dans des circonstances à peu près identiques,
la réaction des héritiers à reprendre les choses en main a été instantanée. Lyndon
Baines Johnson a prêté serment dans l’avion transportant le corps du Président
Kennedy à Washington, quelques heures seulement après l’assassinat de Dallas,
le 22 novembre 1963. Les atermoiements au sein de la classe dirigeante nous
ont donné des idées. Ils nous ont motivés et ont renforcé en nous l’idée que le
coup était jouable »18, conclut-il.
Le Général à la retraite Mamadou Baldet, explique l’irruption de l’armée au
devant de la scène politique en Guinée en reprenant les mêmes arguments :
« Quand le pays est en difficulté, il appartient au militaire de remplir son devoir
comme je l’ai fait le 3 avril 1984 en me joignant à mes camarades pour prendre
les destinées de la nation en mains face à l’incompréhension qui régnait parmi
les compagnons du président Ahmed Sékou Touré19 » nous avait-il confié.
Au cours d’un meeting organisé au Palais du Peuple le 8 avril 1984, le
colonel Diarra Traoré avait campé sur les mêmes positions. D’ailleurs, avait
ajouté, le Premier ministre du nouveau régime, la « Première Dame voulant
profiter de l’acuité de la tiraillerie au sein de la classe dirigeante, avait tenté
d’instaurer une dictature héréditaire en suggérant que son fils succédât à son
père », avait-il laissé entendre.

16
Interprétation erronée de la Constitution de 1982 qui prévoyait que le
‘’Gouvernement Révolutionnaire’’ restait en fonction jusqu’à l’élection du futur
président. Elle ne faisait mention d’aucun rôle particulier dévolu au Premier
ministre.
17
Jeune Afrique Economie, no 276 du 30/11/98 au 13/12/98, cité par Fodé Momo
Camara, op.cit, p.57.
18
Entretien avec l’auteur, le 8 décembre 2013, à Conakry.
19
Entretien avec l’auteur le 9 juin 2015, à son domicile de Yimbaya.

36
DÉMENTI DES ANCIENS DIRIGEANTS DU PDG
Murés pendant longtemps dans un profond silence pour des raisons parfois
indépendantes de leur volonté, les anciens dirigeants du PDG ont fini au fil du
temps par faire entendre leur voix. Certains d’entre eux ont œuvré depuis pour
que l’opinion publique s’affranchisse des affirmations canonisées sur les motifs
pour lesquels le pouvoir leur a été arraché.
Les objections ne portent pas forcément sur des frictions internes qui
auraient pu éclater dans les cercles du pouvoir plus tard. Ils sont même un certain
nombre fondé à les trouver prévisibles, voire normales pour certaines raisons. Il
n’était, en effet, un secret pour personne que la question de sa succession n’avait
jamais été effleurée du vivant de l’ancien président. L’homme était hostile à
l’émergence de toute forte tête dans son entourage. Ce réflexe propre à tous les
chefs africains (seulement ?) le caractérisait à un niveau sans doute supérieur.
Sans compter que malgré l’usure du pouvoir, âgé de 62 ans, le président donnait
l’impression de pouvoir tenir la barre encore pendant de longues années.
De toute façon, trouver un successeur à un homme de la stature de Sékou
Touré ne relevait pas de l’évidence. En effet, personne parmi ses collaborateurs
n’avait son charisme, son panache, sa puissance de travail et sa stature
internationale.
Mais les anciens collaborateurs du président disparu affirment en chœur que
des efforts certains ont été fournis pour dépasser leurs divergences et former un
bloc monolithique à ces moments difficiles. Lansana Béavogui est apparu très
rapidement, aux yeux de la grande majorité, comme l’homme le mieux indiqué
pour assurer la relève. Des atouts lui étaient reconnus telle que sa proximité
d’avec le président Sékou Touré. En outre, ses compagnons prenaient en compte
sa longue expérience des affaires de l’Etat, sa connaissance des grands dossiers
économiques et politiques, son passé de diplomate chevronné20. Ses qualités de
rassembleur furent également mises en relief d’autant plus qu’elles étaient
susceptibles dans la nouvelle conjoncture qui s’ouvrait de séduire même au-delà
des cercles traditionnels du pouvoir.
Les réunions et les conciliabules qui se multiplièrent après le 26 mars 1984
avec pour thème central ou unique le problème de la succession, intégrèrent ces
données. Madame Jeanne Martin Cissé, membre du Bureau Politique National
du PDG et ministre des Affaires Sociales était présente à chacune d’elles.

20
Pendant 26 années de présence ininterrompue au gouvernement, le docteur
Béavogui assuma entre autres fonctions, celles de ministre de l’Economie, de
l’Industrie, des Affaires Etrangères, du Domaine du Développement Economique
comprenant, notamment le secteur des mines avant d’être élevé au rang de Premier
ministre chargé du Plan et de la Statistique. Cette dernière position lui permit de
continuer à parcourir le monde pour représenter le président à plusieurs sommets
internationaux entre 1972 et 1978.

37
Le récit qu’elle livre à propos de la première session du BPN qui eut lieu dès
le lendemain bat en brèche les allégations des militaires21. Il confirme le choix
unanime de Béavogui par ses pairs pour succéder au président défunt. Elle le dit
dans son ouvrage autobiographique à travers ces mots : « A propos du coup
d’Etat du 3 avril 1984, des rumeurs ont laissé entendre que la mésentente au
sein du Bureau Politique National serait à l’origine de la prise du pouvoir par
les militaires. Seule femme au Bureau Politique National, je n’ai manqué aucune
de ses réunions. J’étais présente à celle dont est issu le troisième communiqué,
joint en annexe.
A l’unanimité, nous avions porté notre choix sur la personne du Premier
ministre Lansana Béavogui pour la succession du feu Président Ahmed Sékou
Touré. Nous avions décidé qu’il serait en charge des affaires de l’Etat jusqu’aux
élections. Ismaël Touré et Abdoulaye Touré, absents de Conakry, n’ont pas
participé à la rédaction de nos communiqués, étant revenus par le même vol que
le corps du feu Président. Informés de notre décision, à la réunion, ils ne
manifestèrent pas de désaccord. »22
Propos confirmés par Abdoulaye Diao Baldé, membre du Bureau Politique
National. L’ancien ministre du Commerce a affirmé également sans ambages
que le choix du Premier ministre, Lansana Béavogui avait été approuvé par
l’ensemble de l’équipe dirigeante du pays.
Le point de vue de Denis Galéma Guilavogui sur la question n’est guère
différent. 23
Membre du BPN et ministre de l’Enseignement Pré-Universitaire pendant
onze ans, il a pris part à toutes les réunions organisées après le décès du
président.
Son témoignage ne s’écarte pas des déclarations précédentes laissant
entendre que le Premier ministre avait été désigné par l’ensemble de ses pairs
pour reprendre le flambeau que tenait le Responsable Suprême de la Révolution.
Il nous en a livré les grandes lignes en ces termes : « Dès l’annonce de la mort
du Président, le Bureau Politique National et le Gouvernement se sont réunis
sans tarder pour estimer que ‘’le pouvoir a horreur du vide et ne doit être
considéré vacant sous aucun prétexte. Malgré le deuil qui nous affligeait, les
participants ont décidé unanimement de se ranger derrière le Premier ministre.
La réunion du 2 avril 1984 au Palais a confirmé cet engagement. Le B.P.N a
désigné par acclamations le camarade Lansana Béavogui candidat du parti à
l’élection présidentielle. Le scrutin devrait intervenir au terme des délais prévus
par la Constitution’’. J’insiste sur le fait qu’aucune opinion dissidente n’a été
exprimée ».24

21
Cissé Jeanne Martin, op.cité, p.149.
22
Idem.
23
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 6 avril 2012.
24
Idem

38
L’ambiance jugée ‘’consensuelle’’ est même devenue ‘’franchement
conviviale’’ selon le ministre de l’enseignement pré-universitaire après la
déclaration d’Ismaël Touré. Le ministre des Mines tint en effet à mettre les
choses au clair concernant sa position personnelle et celle de la famille Touré.
Pour commencer, il se présenta comme « un tout petit frère de Béavogui ». Il fit
l’éloge du Premier ministre pour sa loyauté envers son frère et la solide amitié
qui les a unis.

ISMAËL TOURÉ APPORTE SON SOUTIEN À LANSANA BÉAVOGUI


Ismaël Touré déclara « être un partisan inconditionnel de la cause de
Béavogui, « l’homme le mieux indiqué pour prendre la direction de l’Etat et du
Parti ». Il a annoncé enfin que « la famille Touré approuvait à 1000% la
désignation du Premier ministre pour succéder au regretté Leader25».
Si l’on en croit d’autres témoignages, Ismaël Touré ne s’était pas arrêté en si
bon chemin26.
Le ministre des Mines suggéra que la session du Comité Central convoquée
pour le lendemain soit érigée en ‘’Congrès extraordinaire’’. La mesure aurait
deux effets, a-t-il poursuivi :
− L’élection du Premier ministre au poste de Secrétaire Général du Parti.
− La convocation de l’Assemblée Nationale Populaire.
Le Parlement aurait alors à statuer sur une proposition de loi visant à
modifier l’article 51 de la Constitution pour permettre au Premier ministre de
succéder directement au président. Cette disposition inspirée du modèle
américain accorderait au Premier ministre le pouvoir de terminer le mandat en
cours.
Damantang Camara, membre du Bureau Politique National et président de
l’Assemblée Populaire Nationale fut invité à préparer un communiqué
convoquant les députés à cette session spéciale.
Les allégations faisant état d’empoignades ou d’échanges de souflets dans la
salle sont réfutées par Galéma Guilavogui. Il affirme que des propos attribués à
Ismaël Touré tels que : « Le pouvoir ne sera jamais exercé en Guinée par un
mangeur de singes » ainsi que la « paire de gifles administrée à l’impudent qui
les a prononcés relèvent de l’affabulation pure et simple27».
Dès lors, forts du climat de concorde et de l’esprit de cohésion régnant dans
leurs rangs, le 2 avril 1984, les héritiers de Sékou Touré tinrent à rassurer les
principaux officiers de l’armée que les chuchotements portant sur des
incompréhensions en leur sein ne contenaient aucune once de vérité.

25
Entretien avec Galéma Guilavogui.
26
Entretien avec N’Fanly SANGARE, Conakry, septembre 2013.
27
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 6 avril 2012.

39
Au cours d’un entretien à bâtons rompus avec Sidiki Kobélé, Fodé Momo
Camara le confirme en parlant de la visite effectuée au camp par le ministre de
la Défense nationale. Selon lui, lors de « l’ultime réunion avec le général
Lansana Diané dans la salle de conférences des officiers du Camp Samory, il
est venu nous dire que voilà, il y a des rumeurs qui courent comme quoi ils ne
s’entendent pas au sein du Bureau Politique National ; on prétend que moi-
même je suis candidat ; c’est faux ; je tiens à vous le dire »28. N’épargnant pas
à cette occasion son ancien compagnon de lutte, Lansana Diané aurait laissé
poindre la lueur d’un changement de cap en déclarant : « Le président Ahmed
Sékou Touré est mort. Tout ce qui est gâté dans ce pays, c’est sa faute. Il avait
réponse à tout. Lorsque tu émettais une opinion contraire à son point de vue, il
te rabrouait, mais à partir de l’instant tout va changer. Des informations circulent
que le BPN est en désaccord pour sa succession et que moi-même, je serais
candidat. Je ne suis pas du tout candidat et si je le faisais ouvertement, tuez-moi.
Nous, les pères fondateurs du PDG respectons les statuts du parti. Après Sékou
Touré, c’est maintenant Lansana Béavogui dans l’ordre de préséance. Certains
qui sont membres du BPN étaient étudiants29 quand on créait le parti. Soutenez
le BPN qui est informé de la préparation d’un coup d’Etat militaire. Retournez
auprès des soldats pour les tranquilliser de ne rien entreprendre contre le
gouvernement.30 »
Lansana Diané donna l’assurance aux officiers que la session commune du
B.P.N. et du Comité central convoquée pour le lendemain allait régler
officiellement la question de la succession conformément aux statuts du parti.
Dans ‘’La fille du Milo’’, on peut lire à cet égard que : « le Congrès National
du PDG (Parti Démocratique de Guinée) avait été convoqué pour le 3 avril
1984, la réunion du Comité Central (CC) du parti, afin de discuter de la
situation qui prévalait au sein du parti et dans le pays. On devait entériner les
propositions que le bureau politique national (BNP) soumettrait au conseil pour
la suite des évènements.
Dans ses diverses réunions, le BPN avait décidé que le Premier ministre, le
camarade Lansana Béavogui, assumerait l’intérim du président Ahmed Sékou
Touré et qu’après le quarantième jour, le BPN et le CC décideraient de la tenue
d’un congrès pour l’élection d’un nouveau Secrétaire Général, ainsi que pour
élire le Président de la République. Donc, nous nous attendions à la tenue du
Conseil National de la Révolution (CNR). Plusieurs délégués étaient déjà venus
à Conakry pour y assister. » 31 Le Dr Béavogui bénéficiait en outre du soutien

28
Fodé Momo Camara, op.cit, p.19
2929
Allusion sans nul doute à des dirigeants comme Ismael Touré et qui, du même
chef, apportait un certain crédit aux rumeurs concernant les prétentions prêtées à
ce dernier.
30
Jeanne Martin Cissé, op. cité, p.19.
31
CISSE Jeanne Martin, op.cité, P.151

40
discret et précieux de la Première Dame de la République. Par ailleurs,
l’entourage de Madame Andrée Touré dément catégoriquement les allégations
selon lesquelles, elle aurait tenté d’imposer son fils en remplacement de son
défunt mari.
Béavogui se tenait donc prêt à assumer ses nouvelles responsabilités. Le
futur président avait jeté son dévolu sur El. Hadj Moussa Diakité, le ministre de
l’Urbanisme et de l’Habitat pour lui succéder au poste de Premier ministre. Il
avait peaufiné son discours d’acceptation dans lequel il envisageait de déclarer
en substance : « Voici que, conscients du caractère exceptionnel des
circonstances que nous vivons, marquées par la terrible tragédie de la brutale et
cruelle disparition du Secrétaire Général du Parti Démocratique de Guinée,
Responsable Suprême de la Révolution, le camarade Ahmed Sékou Touré,
Président de la République Populaire Révolutionnaire de Guinée, décidés à ne
laisser aucune vacance dans la conduite des affaires du Parti et de l’Etat,
vacances que les ennemis du Peuple de Guinée et de sa Révolution n’auraient
pas manqué d’exploiter pour tenter de détruire notre Régime et de plonger la
Nation dans un bain de sang, vous venez de m’investir, successivement, des
redoutables responsabilités de Secrétaire Général du Parti Démocratique de
Guinée, Parti-Etat, et de Président de la République Populaire Révolutionnaire
de Guinée. Je sais l’immensité des charges que vous venez de me confier mais
je n’en tremble point. Je n’en tremble pas car votre décision est claire, votre
message est limpide. » (voir annexe).
Mais à côté de l’assurance se dégageant des propos donnant l’impression
que l’horizon était dégagé pour une succession en douceur ne doit-on pas
s’interroger sur le sens des déclarations attribuées à certains dirigeants du PDG ?
En effet, l’avis de ces derniers sur l’ambiance qui régnait au sein de
l’instance dirigeante du Parti avant le mouvement des militaires est plutôt
nuancé ? C’est à se demander si, pour ces derniers, la situation ne devrait pas
ressembler à une foire d’empoigne. Des atavismes enterrés, des velléités
étouffées, des pratiques et tant d’autres travers naguère combattus et interdits,
notamment l’ethnocentrisme et l’ethnostratégie refirent surface. Pour d’aucuns,
en effet, le pouvoir était devenu après la mort de Sékou Touré une couverture
que chacun voulait tirer vers soi. Les malinkés estimaient qu’il était leur
propriété, les peulhs s’agitaient se disant que l’heure avait sonné pour qu’ils y
accèdent à leur tour tandis que les Soussou comptaient s’en emparer grâce à
leurs officiers minoritaires, mais drôlement bien organisés au sein des forces
armées. Une impression qui ressort de l’analyse de la situation par deux des
principaux idéologues du parti.

ANALYSE DE SÉNAÏNON BÉHANZIN


Ce courant était incarné par deux des idéologues du parti, Sénainon
Béhanzin et Sékou Kaba. Les deux hommes estimaient en effet que plus de

41
cohésion et de promptitude auraient pu contribuer à sauver le régime. Selon
Béhanzin intérrogé par un magazine panafricain après sa libération, « quand un
camarade tombe, il faut reprendre immédiatement le flambeau et continuer la
lutte. Au lieu de cela, nous nous sommes réunis pour dire qu’il fallait 7 jours
pour faire ceci, 5 autres pour faire cela, etc. Nous savions que les militaires
s’agitaient. Ils réclamaient déjà les tenues que le Maroc leur avait envoyées pour
le sommet de l’OUA qui devait se tenir en juin 1984, le paiement des arriérés
de deux mois et une augmentation de salaires. Trois choses que nous aurions pu
régler facilement. Nous n’avions pas compris que l’armée nous testait. Pour
nous, l’urgence était de terminer les cérémonies mortuaires avant de nous
occuper du reste. Mais, ce que nous ignorions, c’est que sitôt la mort du
Président connue, les militaires se sont réunis pour décider d’un coup d’Etat32. »
Le Guinéo-béninois reconnaît par ailleurs que « nous étions très divisés 33 »,
mais ne mentionne nulle part que des discussions violentes aient caractérisé les
différentes rencontres organisées par les dirigeants du Parti. A l’entendre, ces
« divisions » étaient incarnées par des camps voulant chacun imposer ses
prétentions sans pour autant préciser comment.34

LE COUP DE GUEULE DE SÉKOU KABA ‘’ELVAREZ’’


Membre du Comité Central et Commissaire Général à l’information, Sékou
Kaba était un des collaborateurs préférés du chef de l’Etat. Le président Sékou
Touré aimait bien cet intellectuel contre lequel il faisait cependant usage de la
carotte ou du bâton pour sévir parfois contre certains de ses penchants. Il
l’appelait familièrement N’Töman (homonyme). La proximité entre les deux
hommes était si étroite qu’Elvarez donnait son point de vue sur le contenu et la
forme des discours présidentiels quand il n’ébauchait ou n’écrivait tout
simplement l’intégralité de certaines allocutions du Responsable Suprême de la
Révolution. Sékou Kaba était connu aussi pour un franc-parler, dont il ne s’est
pas départi au lendemain de la disparition du président. Voyons sur quel ton il
se serait adressé dans la soirée du 2 avril 1984 au Premier ministre Lansana
Béavogui tel que le rapporte Fodé Momo Camara. C’était pour obliger le
nouveau chef du gouvernement à sévir contre tous ceux qui s’aviseraient de
contester son autorité :

32
Trimestriel Construire l’Afrique, no mars-mai 1995, cité dans Ma Part de Vérité sur
le 3 avril 1984, p. 61. Selon un proche collaborateur du commissaire général à
l’information, celui-ci de retour de l’aéroport en février 1984 où il venait de saluer
le président en partance pour l’Algérie, se serait écrié publiquement que le moment
était venu pour la Guinée de tourner la page en mettant fin aux arrestations et aux
tortures pour des raisons politiques. Propos susceptibles à l’époque de valoir les
pires ennuis à leur auteur.
33
Idem.
34
Idem.

42
« Lorsque Béa a été désigné pour assurer l’intérim, malgré Ismaël et ses
admirateurs, deux amis m’ont suggéré de lui rendre visite à son domicile pour
le féliciter. J’y suis allé avec eux. Arrivé au salon, je fis lever tout le monde à
l’apparition de Béa, en proclamant : « Le Président de la République ». Tout le
monde se lève, y compris son épouse. Au salon, Béa me tire dans une chambre
où se trouvait Aguibou Thiam, commandant de la Milice Populaire. Il nous
raconte les difficultés qui ont entouré sa désignation plutôt précaire. Je lui
propose aussitôt d’arrêter Ismaël qui s’apprêtait à renverser le président
pressenti. Un Béa, incapable de tuer une mouche me répond par la négative.
Découragé, je me suis retiré pour regagner mon domicile convaincu que je suis,
que Ismaël devenu un jour président, moi et mes collègues ne serons voués
qu’au poteau »35. Sékou Kaba à qui ces propos sont attribués ne vit plus, mais
son directeur de cabinet de l’époque, l’un de ces « deux amis » qui
l’accompagnaient chez le Premier ministre, interrogé par l’auteur, reproche au
capitaine Fodé Momo Camara d’en avoir pris à son aise en relatant la scène. En
somme « d’avoir tout inventé, de toute pièce ». Ansoumane Bangoura
36
précise : « Dans la nuit du 2 avril 1984, je me suis rendu à la résidence du
Premier ministre Lansana Béavogui. J’étais en compagnie de deux amis : Sékou
Kaba Elvarez et Sékou Top respectivement commissaire général à l’Information
et directeur de cabinet du Premier ministre.
Malgré l’heure tardive, nous avons trouvé le Premier ministre en entretien
avec un groupe de personnes parmi lesquelles j’ai reconnu le ministre de
l’Agriculture, Alaphaix Kourouma (ce dernier était plutôt à la tête du Ministère
des Postes et Télécommunications NDA).
Nous avons évité de nous associer à ce groupe. Nous avons donc emprunté
un couloir détourné menant à la terrasse. Le Premier ministre, ayant compris
notre manège, nous a rejoints pour nous demander de patienter le temps de
laisser partir ses visiteurs. Ceux-ci ne tardèrent pas à prendre congé.
Le maître de céans est revenu vers nous. Il nous a invités à nous installer au
salon. Nous avons poliment décliné cette offre. Top et moi avons demandé à
Elvarez de lui faire part de l’objet de notre visite. La conversation entre notre
porte-parole et notre hôte a tenu en ces termes :
− Sékou Kaba Elvarez : Premier, l’heure est grave. Est-ce que vous nous
connaissez ?

35
Fodé Momo Camara, op. cité, p.12.
36
Neveu de Hadja Mafory Bangoura, présidente nationale des Femmes de Guinée et
pendant longtemps ministre des Affaires sociales, Ansoumane Bangoura assumait
à l’époque les fonctions de directeur de cabinet du Commissariat Général à
l’Information. Il était très proche du Premier ministre Béavogui qu’il avait
accompagné par le passé en qualité de reporter de la Voix de la Révolution partout
où il représentait le chef de l’Etat lors des grandes rencontres internationales.

43
− Lansana Béavogui : Oui, Vous êtes Sékou Kaba, ministre de
l’Information, Sékou Top, mon directeur de cabinet et Ansoumane Bangoura,
mon ami personnel, ton directeur de cabinet à l’lnformation.
− Sékou Kaba : Comment m’appelez-vous dans le cercle du gouvernement ?
− Lansana Béavogui : Nous t’appelons ‘’Concentration‘’.
− Sékou Kaba : Alors, c’est Concentration qui vous parle. Et Concentration
vous dit ceci : « Premier, demain 3 avril 1984, vous serez le président de la
République de notre pays. Top, Ansoumane et moi sommes venus vous rappeler
que c’est là une charge très lourde. Pour être bien portée, cette charge exige
force de caractère et fermeté. C’est pourquoi nous vous demandons de ne pas
faire comme vous avez fait au stade du 28 Septembre lors des obsèques de notre
très regretté Ahmed Sékou Touré. Nous vous demandons de ne pas pleurer, mais
de vous montrer fort et ferme. Si vous ne vous sentez pas cette force
caractéristique du guide qu’il faut à la Guinée, dites-le nous, dites-le à nous trois
qui comptons parmi vos amis les plus sûrs. Dans ce cas, nous irons de ce pas,
activer nos réseaux d’amis pour conjurer le malheur d’une Guinée à la merci
d’opportunistes et de démagogues insatiables. Nous sommes des jeunes très
écoutés par les jeunes officiers de l’armée guinéenne, des patriotes dévoués à la
cause du Peuple. Nous allons faire appel à ces patriotes pour sauver la Guinée.
− Lansana Béavogui : Je vous remercie. Vous avez en face de vous un
homme prêt à relever le défi qui interpelle tous les patriotes guinéens engagés à
poursuivre et améliorer l’œuvre de notre grand leader qui vient de nous quitter.
Vous pouvez compter sur moi.
− Kaba, Top, et moi : Nous comptons sur vous. Comptez sur nous.
Le Premier ministre nous a demandé de partager son dîner. Nous lui avons
répondu que nous n’avions pas faim. « Moi, non plus d’ailleurs, je suis fatigué.
Je rentre me coucher. », tels furent ses derniers mots.
Voilà ce qui s’est passé ce soir-là, lundi 2 avril 1984 entre le Premier ministre
Lansana Béavogui, Sékou Kaba, Sékou Top et Ansoumane Bangoura. Sur ces
entrefaites, le Premier ministre nous a raccompagnés à notre voiture. Il était
presque 23H00 lorsque nous quittions les lieux. Aucun de nous trois n’y a dit
quoi que ce soit d’autre. Aucun d’entre nous n’y a fait quoi que ce soit
d’autre. »37 Notre informateur se déclare prêt à une confrontation avec toute
personne soutenant le contraire et regrette que certains usent de leur position
passée ou présente pour se livrer à des témoignages, souffrant parfois, de libertés
prises avec la réalité en falsifiant les faits.
Par ailleurs, la neutralisation d’Ismaël au lendemain de la disparition de
Sékou Touré était une perspective, qui, semble-t-il, séduisait un certain nombre
de membres du BPN. Toumany Sangaré et Fily Cissoko, appartenant pourtant

37
Entretien avec l’auteur, le 18 mai 2014.

44
à l’aile droite du Parti comme le frère du Président, ne s’en cachaient pas.
Redoutant toujours sa capacité de nuisance, ils n’écartaient pas le risque de voir
le Premier ministre qu’il n’avait jamais porté dans son cœur, en faire les frais à
tout moment. La « survie et la stabilité du régime (et sans doute leur propre
avenir politique NDLA) étaient à cette condition », estimaient-ils. Mais
Toumany et Fily ne parvinrent pas à convaincre leur ami « Temple »
(pseudonyme de Béa) à s’engager dans cette voie.38
Boubacar Lombonna Diallo, le ministre du Contrôle d’Etat, se rappelle, pour
sa part, que pendant les jours qui précédèrent le coup d’Etat, deux clans s’étaient
formés au sein de la famille présidentielle. Le premier avait à sa tête son épouse
tandis que les frères faisaient bloc autour d’Ismaël Touré. Ils se « sont livrés une
sourde bataille pour le pouvoir dont l’ampleur ne pouvait que s’accroître au fil
du temps39 », soutient-il.
De toute façon, nous sommes ici du reste en face de l’éternelle question de
la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Personne n’a raison à cent pour
cent et nul n’a tort entièrement. Des ‘’ambitions’’ latentes ont pu se manifester
comme le redoutait le regretté Docteur Mamouna Touré lors de notre bref
entretien à Abidjan. Les pages suivantes ont d’ailleurs tendance à le confirmer.
Mais, faut-il, pour autant, croire en l’interprétation apocalyptique qu’en ont
faite les auteurs du coup d’Etat du 3 avril 84 ? Qui veut noyer son chien ne
l’accuse-t-il pas de rage ? En tout cas, dans les sphères du pouvoir, à la veille
du putsch, le climat était apparemment à la concorde à telle enseigne que, ne se
doutant de rien, le mardi 3 avril 1984, des membres du gouvernement étaient
déjà installés dans leur bureau alors que les militaires avaient déclenché leur
opération.
Ce fut le cas en particulier pour le ministre des Fermes Agro-pastorales
d’Arrondissement (FAPA). En effet, selon un de ses anciens collègues, c’est
derrière sa table de travail que Sénaïnon Béhanzin fut appréhendé à 7 heures par
les brigades chargées de procéder à l’arrestation des principaux dignitaires du
P.D.G. L’homme, qui était un brin rieur, confiera en prison à ses compagnons
qu’il eut peur d’être défenestré par les militaires venus s’emparer de lui. Mais,
« c’est plutôt, selon le général Faciné Touré, aux abords de l’aéroport que
Béhanzin aurait été surpris à l’aube au volant de son véhicule de
commandement ». De toute façon, le ministre d’origine béninoise fut le premier
transféré au Camp Alpha Yaya où ses collègues du BPN et du gouvernement ne
tardèrent pas à le rejoindre.
Ainsi, le sort en avait décidé. Béavogui ne serait pas président non pas à
cause des dissensions internes au sein du parti, mais parce que l’armée ne
pouvait plus attendre. Ambitieux et embusqués, voire conditionnés depuis

38
Entretien avec Jean Baptiste Williams, au Musée National, le 10 septembre 2014.
39
Entretien avec l’auteur le 12 janvier 2015.

45
longtemps, c’était plus que jamais pour les militaires le moment de se lancer à
l’assaut du pouvoir.
Une thèse soutenue par Fodé Momo Camara dans une interview accordée à
la revue Matalana. Le capitaine y note l’impatience qui rongeait les militaires à
prendre les commandes du pays. Il exprime en des termes sans nuance
qu’ausitôt la mort du président « l’idée de renverser le régime a germé. Il s’en
est fallu de peu pour que les obsèques de Sékou Touré ne soient interrompues
tellement la tension était à son comble. Il a fallu beaucoup de négociations pour
calmer les soldats. » 40
Les propos du sémillant officier ont le mérite de la clarté et de la sincérité.
Quand on y ajoute la rencontre à Manéah entre les capitaines Faciné Touré et
Amadou Kouyaté, le 28 mars 1984 (soit deux jours avant les obsèques de Sékou
Touré), on s’aperçoit que l’envie que les militaires avaient de se saisir du
pouvoir est née bien avant la réunion « houleuse » du BPN la veille du coup
d’Etat.

40
Matalana, H.S., p. 82.

46
CHAPITRE II

Les militaires étaient-ils seuls


à envisager un coup de force ?

À ce stade de notre récit, un retour sur le témoignage de Galéma Guilavogui


paraît cependant opportun. Il laisse apparaître que certaines déclarations
enregistrées au Palais du Peuple lors de la réunion du Comité Central du 2 avril
1984 masquaient la pensée profonde de leur auteur et manquaient d’honnêteté.
La prison n’est-elle pas sous tous les cieux, un lieu propice à la méditation et
aux confidences ?
Après le renversement du régime du P.D.G, les deux généraux de l’armée
guinéenne : le chef d’Etat-major Inter armes Toya Condé et celui de l’Armée de
Terre, Soma Kourouma, furent également jetés en prison.
Dans les cellules, les langues se délièrent et Galéma Guilavogui se souvient
de ce que lui dit un jour le général Soma Kourouma :
« Mon ami, je dois avouer que tu as eu beaucoup de chance. Ton nom figurait
dans la liste des dirigeants du Parti et du gouvernement que nous devrions
abattre pour permettre à Ismaël Touré d’accéder au pouvoir. Mais l’intervention
de l’armée a coupé court à nos projets. Tu peux donc t’estimer heureux. En effet,
à bien y penser, ton sort actuel est plus enviable que celui que nous te réservions.
‘’J’eus alors la confirmation que les intentions prêtées à Ismaël Touré n’étaient
pas dénuées de tout fondement. J’aurais dû m’en douter avant’’, ajoute Galéma
Guilavogui ».
En effet, poursuit-il, « entre le 29 mars et le 2 avril 1984, je me rendis une
nuit à son domicile pour lui passer un message. Il y avait foule dans sa cour dont
une flopée de griots entonnant des airs à sa gloire. De leurs paroles surnageait
principalement l’idée selon laquelle « seul un Mandjou (autre appellation de
Touré) peut succéder à un autre ». Je compris que mon hôte était visiblement
embarrassé par ma présence. Je m’empressai de repartir en remarquant
cependant que le colonel Diarra Traoré figurait parmi les courtisans qui
l’entouraient. En sortant, je pus deviser un court instant avec son neveu, Samory
Touré alors directeur général de l’entreprise Sonatex. Ce personnage plutôt bon

47
vivant et totalement éloigné de la chose politique ne manqua pas pourtant de me
confier ses inquiétudes. » 41
Cette scène, affirme-t-il, « est revenue avec force dans mon esprit après les
propos que venait de tenir le général Soma Kourouma. ».
Ainsi, conclut l’ancien ministre, l’hommage rendu par Ismaël lors de son
discours du 2 avril au Palais du Peuple, au Premier ministre n’était-il qu’un
moment de grande hypocrisie comme seule la politique peut en offrir.

RENCONTRE AVEC LE GÉNÉRAL SOMA KOUROUMA À MADINA


L’auteur est en mesure de relater pour sa part un petit fait curieux auquel il
a assisté dans la soirée du 30 mars 1984 dans une villa située dans le quartier de
Madina. La scène s’est déroulée au domicile de M. Kaba, riche homme
d’affaires, proche de la famille présidentielle.
Nous en étions à évoquer la mémoire du chef de l’Etat disparu lorsqu’un
personnage que je voyais pour la première fois fit son entrée. Le visiteur était
habillé en tenue de ville. Je sus cependant qu’il s’agissait d’un officier de haut
rang. En effet, mon hôte et une visiteuse que j’avais trouvée en sa compagnie,
une douanière de son état, prénommée Antoinette, lui donnèrent du ‘’ Mon
Général’’ en le saluant.
Antoinette me révèlera que l’inconnu était le général Soma Kourouma
lorsque l’officier supérieur et M. Kaba s’isolèrent dans une des chambres de la
somptueuse demeure de notre hôte pour un long conciliabule.
Je ne posai pas de question lorsqu’ils nous rejoignirent. Mais l’image resta
gravée dans ma tête. Des années plus tard, je relatai la scène à un ami de M.
Kaba, officier de police et répondant au nom de Pathé Diallo. Celui-ci n’hésita
pas à me répondre que les deux hommes étaient en train de préparer un coup
d’Etat pour porter Ismaël Touré au pouvoir.
D’après le commissaire Dioumessi, Seydou Keita, un ancien ambassadeur
de Guinée en France, ennemi juré mais caché d'Ismaël, le redoutant plus qu’il
n’épousait sa cause, était chargé des contacts. Il avait effectué les premiers
recrutements en privilégiant la piste des ‘’Compagnons de l’indépendance’’
conduisant à des hommes et des femmes figurant parmi ceux qui les premiers
crurent en l’étoile du jeune leader syndicaliste, Sékou Touré. Ces meneurs
d’hommes et grands activistes de la capitale, avaient largement contribué par la
suite grâce à leur témérité à asseoir la suprématie du RDA sur ses rivaux. Ils
devraient donc considérer le ministre Ismaël comme l’héritier naturel et le digne
continuateur de l’œuvre de son frère. Momo Joe Sylla, Momo Khulikhagnè,
Mabinty Bangoura… des fers de lance du P.D.G avant l’indépendance, étaient
prêts à reprendre du service avec la même intrépidité que celle qu’ils avaient

41
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 6 avril 2012.

48
mise à en découdre avec les adversaires de Syli Sèkhou42. Ils nièrent en bloc
toute implication dans pareille aventure quand ils furent interrogés plus tard par
les militaires triomphants.
Les révélations faites par Sénaïnon Béhanzin après sa libération par les
militaires sont également de nature à confirmer les calculs secrèts prêtés à
Ismaël Touré. Le Guinéen d’adoption et le frère cadet du président, il est vrai,
ne s’appréciaient pas du tout. Mais ceux qui ont approché l’ancien ministre de
l’Idéologie retiennent que l’homme développait une certaine rigueur dans ses
jugements. Son témoignage peut donc contenir une certaine dose de fiabilité.
Ecoutons ce qu’il dit : « Ismaël préparait lui aussi son coup pour le lundi 2
avril 1984, le jour où Béavogui devait être porté au pouvoir. Ismaël avait préparé
ses hommes pour qu’ils envahissent la salle quand le Comité Central serait au
complet et exiger qu’Ismaël soit intronisé à la place de Béavogui » 43
Le Guinéo-Béninois qualifie la nuit du 2 avril de ‘’nuit des dupes’’ dans la
mesure où, « en réalité, les militaires n’avaient jamais envisagé de prendre un
Moussa Diakité ou un Mamadi Keita comme chef d’Etat. Diarra voulait le
pouvoir ». Des insinuations et témoignages amenant à se demander et à tenter
de répondre à la question de savoir quel personnage se cachait véritablement
derrière le ministre des mines et qu’ambitionnait-il ?

QUI ÉTAIT ISMAËL TOURÉ ?


La seule évocation de ce nom suffit pour soulever un flot de passions. En
effet, il est abondamment cité dans la littérature carcérale guinéenne où il
symbolise la torture et les abus du régime du PDG. Différents auteurs
l’assimilent volontiers aux sévices enregistrés au Camp Boiro. Aussi nous a-t-il
paru nécessaire d’évoquer le parcours de l’homme qui était au centre de tous les
regards au cours de ces journées décisives qui suivirent la disparition du
président Ahmed Sékou Touré. A quoi aspirait-il après la mort de son frère ?
On peut affirmer cependant pour commencer qu’Ismaël Touré était l’un des
hommes publics de premier plan que le grand public connaissait le moins ?
Frère du chef de l’Etat, il était l’un des sept enfants d’Alpha Touré et le benjamin
de ses trois garçons nés de trois épouses différentes.

42
Il se raconte que le groupe aurait été réduit à l’impuissance du fait d’un
regroupement grégaire qui s’est formé autour des militaires dirigés par Lansana
Conté. Une idée qui fait penser aux « coordinations de la Basse Guinée et de la
Moyenne Guinée » évoquées par Faciné Touré au cours de notre entretien. Celles-
ci auraient pu non seulement noyauter l’action des partisans d’Ismaël Touré, mais
auraient également servi d‘embryon au futur comité de soutien au CMRN. Ses
principaux animateurs, tous originaires de la Basse-Guinée étaient Maminté
Bangoura, Nana Souna Yansané, Momo Joe et d’autres notables de la Fédération
de Conakry I (actuelle commune de Kaloum).
43
SENAINON, Béhanzin, cité par Fodé Momo CAMARA, op.cit.

49
Des trois frères Touré, il fut le seul à connaître une scolarité normale et
accéda à l’Ecole Primaire Supérieure (EPS) Camille Guy de Conakry,
l’établissement secondaire le plus huppé de la Guinée française. Il y entra en
même temps qu’un certain Diallo Telly et les deux jeunes gens se lièrent
d’amitié, à en croire le témoignage de Mohamed Lamine Touré, leur ancien
condisciple et futur collègue au gouvernement44.
Brillant élève, Ismaël Touré effectua par la suite des études supérieures pour
décrocher un diplôme d’ingénieur météorologue. Sur le plan professionnel, ses
collaborateurs parlent du sérieux, de la rigueur et du goût de l’excellence qu’il
affectionnait. Il était entouré d’une pléiade de jeunes cadres dynamiques et
compétents, issus de toutes les communautés comme Thierno Oumar Bah,
Ibrahima Soumah, Abdourahamane Bah, Abdoulaye Sylla, Momo Keita… Il
assura leur promotion à la tête des grandes compagnies minières ou à des postes
de choix dans les ministères qu'il a dirigés. Il exigeait d’eux et des autres
courtisans, en contrepartie une loyauté sans faille.
Mais sa réussite académique fut-elle à l’origine d’un complexe qu’il aurait
gardé jusqu’au bout dans ses relations avec les siens, notamment vis-à-vis du
futur président Sékou Touré qui ne lui aurait pas ménagé cependant son aide et
son soutien, comme l’assurent certains de leurs proches ?
Si oui, celui-ci qui n’était pas dupe, a dû prendre très tôt à son tour la mesure
des sentiments de son cadet à son égard. Une lettre reproduite par Sidiki Kobélé
Keïta en donne la preuve. La correspondance datant de 1949 est adressée par le
dirigeant syndicaliste d’alors à une amie française répondant au nom de
Raymonde Jonvaux. En voici quelques extraits : « Mon jeune frère Ismaïla, un
peu grisé par ses connaissances en mathématiques supérieures, croit résoudre
les problèmes courants de la vie à l’aide des théorèmes de règles absolues ».
Plus loin, il enfonce le clou : « ses défauts sont : la sournoiserie, l’orgueil, la
susceptibilité, la légèreté de ses propos. »45
Un « florilège » qui laisse transpirer le sentiment que l’aîné avait une nette
conscience des faiblesses du cadet et semblait déplorer un certain manque de
reconnaissance ou de respect que celui-ci lui témoignait. Des mots permettant
de deviner par ailleurs la nature ambigüe des rapports que les deux hommes
entretinrent plus tard à la tête de l’Etat. En effet, Sékou Touré qui aimait
profondément les siens, a malgré tout, placé ce petit-frère au caractère revêche
aux principaux postes de commande de l’Etat d’un bout à l’autre de son règne.

44
Mohamed Lamine Touré, ingénieur des Travaux publics et cousin du président
Sékou Touré, a été plusieurs fois ministre et fonctionnaire international. Il est, en
ce moment, le Doyen de la famille Touré, regroupant tous les descendants de
l’Almamy Samory. « Mémoires d’un compagnon de l’indépendance guinéenne »
publié par les Editions Harmattan en 2009, p.29.
45
Keita Sidiki Kobélé, Ahmed Sékou Touré – l’homme et son combat anticolonial
1922-1985, Ed. SKK. Conakry, p.37.

50
EXCLUSION DU BPN ET DU GOUVERNEMENT
Dès le 14 mai 1957, Ismaël Touré fut associé à la gestion des affaires de
l’Etat. Il est nommé ministre des Travaux Publics dans le gouvernement de la
loi-cadre. Après l’indépendance, membre inamovible du BPN, il passa
successivement du ministère des Travaux Publics et Transports à ceux de
l’Industrie et de l’Energie, du Développement Economique, de l’Economie et
des Finances et enfin aux Mines… Seul couac à cette ‘’cohabitation’’
fraternelle, le communiqué du 11 avril 1979 limogeant le ministre de
l’Economie et des Finances. Ismaël Touré a été exclu par la même occasion
du Bureau Politique National pour « violations délibérées et réitérées de la
ligne du Parti ». Le communiqué dénonça ses « activités fractionnelles qui
risquent de mettre en danger le Parti-Etat et de compromettre la Révolution
entreprise par le peuple guinéen »18. Le soir, le Premier ministre présida un
meeting d’information au Palais du Peuple. Savourant ces instants, Lansana
Béavogui étala sur la place publique les excès du personnage qui, auréolé de
sa parenté avec le président, considérait tous les autres comme des ploucs et
des manants.
La semaine suivante, à l’occasion d’une conférence organisée sur les
questions économiques, le président monta au créneau en personne. Il stigmatisa
le comportement révisionniste et irrévérencieux de son ancien ministre et frère.
Il a, en substance, employé cette formule digne de Napoléon : « Même le prince
doit rendre compte au roi ».

TENDANCES BOURGEOISES AFFIRMÉES ET DIFFICILE COHABITATION


AVEC SES PAIRS
L’incident porta sur la place publique un secret de polichinelle. Il n’était, en
effet, un secret pour personne dans les sphères dirigeantes du Parti-Etat que des
zones d’ombre striaient souvent les rapports entre le président et son frère cadet.
Ismaël Touré, semble-t-il, contestait assez souvent l’autorité du président que
ce soit en Conseil du gouvernement ou en réunion du B.P.N.
Il ne faisait pas non plus mystère de ses tendances bourgeoises contraires à
l’option prônée par le PDG. Une attitude déviationniste que le président
n’ignorait pas selon Youssef A. Maïga, homme politique d’origine nigérienne,
expulsé du Sénégal vers la Guinée par les autorités coloniales françaises au
lendemain du référendum du 28 septembre 1958. Celui-ci en fera cas en 2011
sur les antennes d’une radio privée. A cette occasion, il mit également l’accent
sur l’opposition larvée d’Ismaël Touré à la création de la milice populaire en
1966. D’autres penchants et des signes extérieurs contribuaient par ailleurs à
entretenir son image droitière comme les relations d’affaires qu’il aurait
entretenues avec des industriels et banquiers helvétiques, les longues voitures

51
américaines dont il raffolait ainsi que ses fréquents séjours dans le pays de
l’Oncle Sam46.
Ses rapports avec ses collègues étaient compassés, à en juger par les
confidences de Galéma Guilavogui. Selon celui-ci, avec son air supérieur,
Ismaël Touré n’était pas loin de penser qu’il était le meilleur. Il acceptait
rarement le dialogue et, le plus souvent, regardait tout le monde de haut. « Il
m’appelait le ‘’Petit Diallo’’ lorsque j’avais le dos tourné », nous a confié un
ancien ministre47.
Au cours de sa longue carrière ministérielle, le frère du président s’est fait
ainsi « plus d’ennemis que d’amis au gouvernement. Certes, il y avait ses
inconditionnels, ses sous-fifres comme Kabassan qui poussaient parfois
l’obséquiosité jusqu’à l’appeler patron », note l’ancien ministre de
l’enseignement pré-universitaire. Mais, « l’écrasante majorité des membres de
l’équipe se bornait à n’avoir avec lui que des relations officielles se méfiant
généralement d’un homme pouvant causer leur perte à tout moment ». Galéma
Guilavogui a ajouté que parmi les têtes qu’Ismaël Touré voulait voir tomber,
plusieurs se sont en effet retrouvées sur le billot. Mais il en restait encore et une
lutte contre la montre s’était engagée entre lui et ceux-ci d’autant plus que
n’ignorant pas ses intentions ces derniers étaient constamment sur leurs gardes.
Il en voulait surtout à Sénaïnon Béhanzin, Mamady Keita (de l’Enseignement
Supérieur et membre du BPN), Ibrahima Fofana (Pêche) et à lui-même. Mais
Marcel Cross, le ministre de la Coopération, un ancien protégé coupable de la
pire des infâmies, c’est-à-dire celle d’être passé chez l’ennemi, était celui qui
focalisait le plus sa haine. Ismaël Touré éprouvait une vive rancœur contre ce
métis, que le président avait fini par adopter. Il rabrouait la plupart de ses
collègues. Le président en personne n’échappait pas à ses colères. Face à Ismaël,
semble-t-il, ‘’Sékou Touré n’avait pas toujours le dernier mot’’. Mais ce 11 avril
1979, le vase avait fini par déborder au point que le président avait jugé
indispensable de lui donner une leçon pour ne pas voir son autorité partir en
lambeaux. D’où son limogeage intervenu à la faveur de la session du Conseil
des ministres qui eut à son ordre du jour l’attribution du marché de construction

46
André Lewin évoque l’affaire Berthaud, du nom d’un homme d’affaires français
avec qui Ismaël Touré aurait « longuement négocié la construction d’un nouvel
hôtel. La rumeur disait que le montant exigé de la Guinée était extrêmement élevé
et qu’il y avait forcément de la corruption ». Selon l’ancien diplomate, le président
se serait opposé à la transaction. L’homme d’affaires en visite en Guinée a été
placé en résidence surveillée parce que « les billets à ordre signés par Ismaël se
trouvaient à Paris. Le Français ne sera libéré que sur la promesse de les remettre
aux autorités guinéennes », selon André Lewin. Ce dernier précise par ailleurs que
le montant de la transaction portait sur « plusieurs centaines de millions de dollars.
Une somme sans commune mesure avec le coût raisonnable de la construction
d’un hôtel », conclut-il (Lewin A., op.cité, p.171.).
47
Entretien avec Boubacar Lombonna le 12 janvier 2015.

52
de l’Hôtel de l’Unité. Ismaël Touré qui avait l’habitude d’apporter la
contradiction au président, l’interrompit sèchement au détour de son exposé
d’autant plus que l’entreprise élue n’avait pas ses faveurs.
Perdant patience, le chef de l’Etat demanda à son indiscipliné ministre de se
taire. Ses propos eurent le don d’aiguiser la colère d’Ismaël Touré qui s’écria :
« Non, ça ne se passera pas comme ça! ». Galéma Guilavogui, qui nous a
rapporté cette scène, a poursuivi que, poussé à bout, le président a mis alors
précipitamment fin au Conseil pour rejoindre son bureau. Il y a été rejoint par
les membres du B.P.N venus lui faire part de leurs regrets suite à ce fâcheux
incident. Pendant ce temps, le ministre de l’Economie et des Finances s’en était
allé du Palais. Le lendemain, il rédigea sa lettre de démission à l’adresse du
ministre de la Fonction Publique.
Il y exprimait son souhait d’être affecté à la Trésorerie régionale de Faranah
comme « complément d’effectif » avant de prendre la direction de sa ville natale.

LEVÉE DE LA SUSPENSION
La traversée du désert d’Ismaël Touré fut cependant de courte durée. En
effet, l’esprit de famille l’emportant, le 1er juin 1979 sous la pression des siens,
Sékou Touré le nomma, ministre des Mines et de la Géologie. Le président
ivoirien Félix Houphoüet Boigny aurait aussi contribué, semble-t-il, à
reconcilier les deux frères.
Le ministre déchu avait été officiellement absous le 25 mai 1979, à la faveur
d’une session ordinaire du Bureau Politique National, placée sous la présidence
du Responsable Suprême de la Révolution.
Le cas avait été évoqué « Au chapitre des autres questions ». Le BPN avait
rappelé à cette occasion qu’ « une lettre d’autocritique et d’excuses» avait été
adressée le 22 mai 1979 par le Camarade Ismaël Touré à la Direction nationale
du parti lors de la 42e session du Conseil National de la Révolution (CNR). Une
lettre dont le CNR « avait pris acte » à l’initiative du Premier ministre Lansana
Béavogui. Il avait alors « fait confiance au Bureau Politique National pour lui
réserver toute suite qu’il jugerait juste et utile ». Conclusion : « après
délibération, le Bureau politique national a décidé à l’unanimité la levée de la
sanction prise et diffusée le 11 avril 1979 contre le camarade Ismaël Touré. »48
Le lundi 4 juin 1979, ce dernier effectua son grand retour. Si le communiqué
ne décrit pas l’atmosphère qui régnait dans la salle avant le début des travaux,
il souligne cependant que d’entrée, endossant le costume du pénitent, le
‘’revenant’’ exprima sa joie de se retrouver parmi ses pairs. On y lit que « le
Bureau Politique a eu à écouter le camarade Ismaël Touré qui, dans une
intervention émue, a eu à exprimer sa reconnaissance au Peuple de Guinée, au
Bureau Politique National et singulièrement au camarade Responsable Suprême

48
Horoya du dimanche 27- lundi 28 mai 1979, p.2.

53
de la Révolution, pour la solution heureuse du problème de son exclusion de la
Direction Nationale, sa joie à reprendre sa place au milieu de l’équipe
dirigeante, son engagement à œuvrer à l’unité de l’équipe dirigeante et sa
détermination à donner le meilleur de lui-même à l’œuvre commune ». Ensuite,
« le camarade Mamady Keita, au nom du Bureau Politique, a exprimé la joie
profonde que chacun ressent face aux propos et à l’attitude pleine d’humilité du
camarade Ismaël Touré. Il a exprimé la volonté du Bureau Politique de travailler
au coude à coude serré, dans l’unité militante autour du camarade Secrétaire
général du Parti, Responsable Suprême de la Révolution, pour de plus grandes
victoires. »49

SOUPÇONS D’AMBITIONS ET DE VELLÉITÉS FRATRICIDES


De lourds soupçons ont pesé par ailleurs sur le frère du président quant à ses
intentions de devenir calife à la place du calife.
Selon André Lewin, cette idée commença à trotter dans la tête d’Ismaël
Touré dès l’aube de l’indépendance. L’ancien fonctionnaire onusien laisse
entendre à cet effet que, du 10 au 25 septembre 1960, pendant que le président
Sékou Touré effectuait une visite officielle dans une dizaine de pays d’Afrique
et du sud-est asiatique tels que le Vietnam, la Chine, l’Indonésie, la
Mongolie … : « en son absence, Ismaël Touré aurait songé à un coup d’Etat»50.
Il évoque aussi une ‘’confidence’’ que lui aurait faite Alassane Diop. Il tiendrait
de l’ancien ministre des Postes et Télécommunications, l’information selon
laquelle Fodéba Keïta et Ismaël Touré, lui auraient proposé de se joindre à eux
en vue de renverser Sékou Touré alors en visite officielle à l’étranger, toujours
au début des années 60.
Une vingtaine d’années plus tard, à en croire l’ancien diplomate onusien,
l’intention de déposer son frère pour exercer le pouvoir à sa place figurait
toujours dans les plans d’Ismaël Touré. En effet, d’après le diplomate français,
il réçut un jour à sa résidence de Conakry la visite impromptue d’un émissaire
d’Ismaël Touré, dont il tait le nom. Il relate son entrevue avec cette personne en
ces termes : «Je pus même révéler aujourd’hui que pendant la disgrâce d’Ismaël
Touré, au printemps 1979, alors qu’il était exilé dans la concession familiale à
Faranah, l’un de ses proches est venu me voir discrètement à ma résidence de
Gbessia pour me dire que si la France lui fournissait armes, argent et soutien,
Ismaël se faisait fort de renverser Sékou Touré et s’engageait à ce que la France
ne regrette pas son appui, je pense que cette approche était sérieuse, bien que
je ne puisse exclure totalement une provocation ; en tout cas j’ai dit à cet
émissaire, qui me demandait ce que j’étais prêt à faire en faveur d’Ismaël, que

49
Communiqué du Bureau Politique National, Conakry, le 4 juin 1779, Horoya du
mercredi 6 juin 1979, p.1.
50
Idem, p.128.

54
le mieux que je puisse faire pour Ismaël était d’oublier cet épisode et de ne pas
en parler à Sékou.» 51
Ces témoignages et d’autres que l’avenir permettra d’exhumer donnent à
penser que les soupçons « fratricides » pesant sur le frère du président n’étaient
pas à jeter au rebut. Aussi paraît-il important aujourd’hui de poser la question
suivante que d’avoir une réponse : Toutes les exactions commises ou attribuées
à Ismael Touré à Boiro avaient-elles eu pour unique mobile la sauvegarde de la
Révolution ? N’y avait-il pas en son for intérieur la volonté de noircir l’image
du régime et de son chef, séduit qu’il aurait été, le cas échéant, par la perspective
de le supplanter ? Ne voulait-il pas aussi se débarrasser de tous ceux qui, plus
tard pourraient être tentés de s’opposer à sa marche vers le pouvoir ? Comme
pour illustrer cette thèse, un de nos informateurs accuse ouvertement Ismael
Touré d’être le principal responsable de la mise à mort de Diallo Telli. Mamady
Traoré était venu, ce jour, livrer, nous a-t-il dit, des tenues au président dont il
était l’un des couturiers préférés. Le chef de l’Etat était en train de les observer
lorsqu’Ismaël entra sans frapper dans la salle. Retenant à peine son souffle, il
s’adressa à son frère en ces termes :
− N’körö (grand-frère) je viens t’annoncer la mort de Telli.
Celui-ci, après l’avoir écouté, observa un long silence avant de laisser
éclater sa colère en l’interpellant sur ce ton :
− Comment ? Tu as tué celui-là aussi ? Je connais tes motivations,
Soumaïla. Elles visent à jeter l’opprobre sur mon nom. Mais, sache que la gloire
personnelle que tu comptes en tirer ainsi que l’ambition que tu poursuis ne se
réaliseront jamais. Tu le payeras cher un jour 52 ».
La veuve du président Sékou Touré faisait-elle allusion à son tour à son
beau-frère lorsqu’elle a déclaré dans un entretien accordé à une radio privée le
19 octobre 2015 que des individus malintentionnés se sont opposés à la
libération de Diallo Telli ? L’auraient-ils mis à mort ensuite contre la volonté
du président ? Mystère et boule de gomme.
Aboubacar Somparé qui partageait parfois les confidences du président
rapporte dans ses mémoires que le chef de l’Etat lui a parlé un soir sans les
nommer de « certains de mes collaborateurs qui m’ont fait perdre beaucoup de
cadres ». Selon celui qui était à l’époque ambassadeur de Guinée en France, son
interlocuteur a cité les noms de « Telli, Karim Bangoura et beaucoup d’autres »
pour illustrer son propos.
En tout cas, ces sous-entendus perfides dans certains cas, apportent de l’eau
au moulin de ceux qui accusaient Ismaël Touré d’avoir toujours caressé le rêve

51
LEWIN, André, Ahmed Sékou Touré (1922-1984), Président de la Guinée, tome 8,
Paris, Harmattam Guinée, 2011, P.127.
52
Entretien avec Mamady Traoré, ancien couturier du président Sékou Touré,
Conakry, 12 février 2010.

55
de se retrouver un jour à la tête de l’Etat. L’envie, le cas échéant ne pouvait que
se renforcer après la disparition du président et on ne l’ignorait pas dans les
milieux bien renseignés.
Un échange de propos aigres-doux se serait produit entre Lansana Diané et
Ismaël Touré dès sa descente de l’avion transportant le corps de son frère, avant
l’ouverture de la soute, rapporte à ce propos, l’ancien commissaire de police,
Ibrahima Sory Dioumessi.
S’adressant au ministre de la Défense, Ismael Touré n’aurait pu s’empêcher
de condamner la décision prise, en son absence, élevant le Premier ministre au
rang de chef du gouvernement. Le général Diané, rarement en retard d’une
guerre, aurait rétorqué sèchement : « C’est la majorité qui l’a décidé. Les
absents doivent l'accepter. Des chefs d’Etat étrangers sont attendus en grand
nombre pour prendre part aux obsèques du président. Les nouvelles
responsabilités confiées à Béavogui vont lui permettre de les recevoir avec les
égards dûs à leur rang. »53 Le général Diané aurait été soutenu dans sa position
par plusieurs de ses pairs, principalement par Mamady Keita et Senaïnon
Béhanzin pour lesquels il n’était peut-être pas trop tôt d’extérioriser des
rancœurs longtemps emmagasinées.
Ismaël Touré se serait ingénié par la suite en cachette à faire adopter le
principe de la séparation des fonctions de Secrétaire Général du Parti, président
de la République et Premier ministre. L’échec de ces manœuvres souterraines
lui a fait toucher du doigt l’étendue de son isolement au sein de l’appareil du
parti et de l’Etat. Il était obligé d’en tenir compte en s’alignant publiquement
sur la position de ses pairs. Si toutes ces allusions se confirmaient, on en
déduirait en toute logique que l’hommage qu’il a rendu dans son discours du 2
avril 1984 au Premier ministre et le serment d’allégeance qu’il a prêté, étaient
dépourvus de toute sincérité. Ils lui auraient été imposés par l’environnement et
les circonstances.
Ismaël Touré ne pouvait en effet se dissocier publiquement de ses pairs pour
deux raisons au moins :
Sa propre impopularité et la crainte qu’il inspirait à la plupart de ses
collègues.
La grande estime dont jouissait le Premier ministre Lansana Béavogui
auprès de l’écrassante majorité des membres du BPN et du gouvernement.
De toute façon, comme l’a noté un ancien ministre qui a requis l’anonymat,
la force d’Ismaël, c’était Sékou Touré. Le président en vie, il disposait d’une
armature en béton.
Après la disparition du Responsable Suprême de la Révolution, la donne
avait changé. « Monsieur Frère » n’inspirait plus la même crainte. Il n’exerçait

53
Entretien avec le commissaire de police, Ibrahima Sory Dioumessi, Conakry, le 20
février 2012.

56
plus la même influence. Il était fragilisé, voire marginalisé d’autant plus qu’au
sein du B.P.N et du Gouvernement ses amis se comptaient sur les doigts d’une
main.
Il a dû se résoudre dans ces conditions à faire bon cœur contre mauvaise
fortune.
En un mot, malgré le caractère brutal de la disparition du président Ahmed
Sékou Touré, l’héritier présomptueux et ses soutiens savaient que Lansana
Béavogui était l’homme capable de rassembler. Le Premier ministre était la
seule figure dégageant la dynamique unitaire pouvant obliger ses pairs à
transcender les querelles intestines et à taire les ambitions personnelles.
Réaliste, le ministre des Mines dut opter pour la tactique consistant à reculer
pour mieux sauter. Si oui, les paroles qu’il aurait prononcées au Palais du
Peuple, le 2 avril 1984, tendraient à dissimuler ses intentions véritables en
attendant le moment propice pour porter l’estocade à Béavogui.

LANSANA BÉAVOGUI L’HOMME QUI AURAIT DÛ SUCCÉDER À SÉKOU


TOURÉ
Né le 28 décembre 1923 à Macenta, Lansana Béavogui fait partie au même
titre que Saifoulaye Diallo, Mafory Bangoura, N’Famara Keita, Damantang
Camara, Abdourahamane Diallo,… des chefs historiques de la Révolution
guinéenne 54 . Il a été membre du Bureau Politique National et de tous les
gouvernements formés en application de la loi-cadre le 14 mai 1957 jusqu’au 3
avril 1984.
Point d’orgue d’une carrière exceptionnelle, le 26 avril 1972, il est nommé
Premier ministre, chef du Gouvernement. Son rôle de véritable numéro deux du
régime se confirmait. Mais c’est sur le front des relations extérieures que le
Docteur Béavogui s’est le plus affirmé. Ministre des Affaires Etrangères de
1961 à 1969, il a conduit plusieurs délégations guinéennes à l’étranger. Il fut
arrêté deux fois au cours de ces missions, au Ghana (le 29 décembre 1966) et en
Côte-d’Ivoire où il est resté l’otage des personnalités locales pendant six longs
mois en 1967.
Lansana Béavogui fut, avec Saïfoulaye Diallo, l’un des compagnons de la
première heure de Sékou Touré, l’homme de confiance du président de la
République. Il l’a longtemps représenté sur la scène internationale, notamment

54
Ces cinq personnalités de premier plan du PDG ont été des compagnons fidèles et
inséparables du président Sékou Touré jusqu’à la fin de leur vie. Les deux
premières ont eu droit à des funérailles nationales après leur disparition intervenue
respectivement en 1981 et 1976. Saifoulaye Diallo avait été successivement maire
de Mamou, président de l’Assemblée territoriale avant l’indépendance, puis
président de l’Assemblée Nationale, ministre d’Etat et ministre sans interruption
jusqu’à sa mort survenue en 1981. Mafory Bangoura fut présidente de l’Union
Révolutionaire des Femmes de Guinée et ministre des Affaires Sociales.

57
lors des sommets de l’O.U.A. et du Mouvement des Non Alignés ou encore
pendant des sessions de l’Assemblée générale des Nations Unies, à une époque
où le président sans doute de crainte de voir ses adversaires en profiter,
dédaignait tout voyage à l’étranger.
Celui que tout le monde appelait affectueusement ‘’Béa’’ était un homme
affable, généreux, ne comptant que des amis au Parti et au gouvernement, à
l’exception notable d’Ismaël Touré comme nous l’a confié un ancien familier
des cercles du pouvoir.
Au fil des années, les relations entre le chef de l'Etat et son Premier ministre
ne cessèrent de se renforcer. Vis-à-vis de Sékou Touré, Béavogui était d’une
loyauté sans faille. Le numéro deux du régime ne prenait aucune décision,
même la plus insignifiante sans en référer préalablement au Responsable
Suprême de la Révolution, entendait-on dire dans l’entourage des deux
hommes. C’est pourquoi, on peut affirmer sans aucun risque de se tromper que
le Premier ministre était l’une des rares personnes auxquelles le Président faisait
confiance à cent pour cent. Les deux hommes se rencontraient tous les jours et
semblaient être d’accord sur tout. Au bout du compte, leurs relations épousèrent
un caractère franchement amical. Une dimension humaine qui se manifesta
pleinement lorsque le Dr. Béavogui éclata en sanglots en prononçant l’oraison
funèbre du président disparu, son ami à qui il devrait succéder conformément à
la volonté de l’écrasante majorité des membres du BPN et du gouvernement.
Mais dans le contexte nouvellement créé par la mort du chef de l’Etat, le Dr
Béavogui n’a pas su forcer sa nature à un moment où il était indispensable de le
faire pour résister aux assauts des vagues qui se préparaient. Car l’unité, la
cohésion et la discipline étaient indispensables pour sauver le régime. Il fallait
une main de fer pour les instaurer. Ce ne fut pas le cas.
Bago Zoumanigui estime que « si les positions avaient été inversées, à
savoir Sékou Touré à la place de Béavogui et vice versa, le coup d’Etat du 3
avril 1984 aurait échoué.»55
Le lundi 2 avril, j’avais eu la possibilité de mesurer de près la justesse de ses
propos en compagnie des autres membres de la Fédération Guinéenne de
Football. En effet, la réunion convoquée par Sékou Cissoko, le commissaire
général aux Sports, ne put se tenir. Son but était de trouver une solution à
l’équation posée par la période de deuil national de 40 jours, décrétée par le
gouvernement. Elle interdisait toutes les manifestations festives et ludiques sur
le territoire donc l’organisation des matches de Coupes d’Afrique dans lesquels
des clubs guinéens étaient engagés. Un véritable casse-tête pour les dirigeants
sportifs que nous étions. La CAF ne consent en effet de report dans une telle
alternative que pour une durée maximum de quinze jours.

55
Entretien avec l’auteur, le 8 décembre 2013, à Conakry.

58
A la recherche d’une hypothétique solution, nous nous sommes rendus dans
le sillage du chef du Département des Sports, au ministère de l’Enseignement
Supérieur pour rencontrer Mamady Keita, le président de la Commission
Culturelle du Comité Central. Nous avons atterri ensuite au Cabinet du Premier
ministre avant de prendre la direction du Palais du Peuple. De l'endroit où je me
trouvais, j'ai assisté à l’arrivée de plusieurs hauts dirigeants du Parti dont mon
oncle El Hadj Abdoulaye Touré, ministre des Affaires Etrangères et Ismaël
Touré, ministre des Mines. Je compris très rapidement en lisant sur leur visage
qu'ils n’avaient pas le cœur à parler de ballon rond. J'ai senti surtout que cette
capacité qu'avait la Révolution à réagir avec promptitude quelque soit la
complexité ou la multiplicité des problèmes à résoudre s'était émoussée. De
petits détails que j'avais relevés lors des funérailles du président revinrent
subitement à l'esprit. Elles avaient été impressionnantes, c'était indiscutable.
Cependant on avait noté un léger flottement au Stade du 28 Septembre où la
population et les hôtes de marque venus du monde entier s'étaient rassemblés
pour rendre un ultime hommage à l'illustre disparu. Tirant les leçons de ces
fausses notes inconnues jusqu'ici, j'en conclus que la machine avait perdu de sa
superbe. On se rendait compte que le Président défunt était vraiment au centre
de l’impulsion nationale. Le chef de l’Etat s’intéressait à tout. Sa formule
préférée était : « La Révolution, ce sont les détails ». Dans cette logique, il
suivait tout jusqu’au bout. Depuis quelques jours, les choses avaient changé.
Je quittai donc les lieux en me disant que tout devenait désormais possible :
« On sentait la désorganisation, tout le monde était désemparé », a noté un
observateur.
La forte présomption que j’avais depuis Abidjan de voir la Guinée basculer
dans le camp des pays africains évoluant sous la férule de l’armée se précisait
de plus en plus. De toute évidence, l’armée restait la seule force organisée car
c’était presque partout l’anxiété, la peur du lendemain ou en tout cas le
sentiment du vide. J’avais évoqué cette perspective avec mon ami Lansana
Kouyaté dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire. De retour à Conakry,
j’ai été conforté dans mon opinion en découvrant un pays où, visiblement le
pouvoir se cherchait. La disparition subite du président avait créé un vide. Ses
compagnons se montraient incapables de le combler en prenant les mesures
nécessaires pour conjurer un péril dont ils n'étaient pas tous conscients de
l'ampleur et de l'imminence.

59
CHAPITRE III

Que sait-on de l’armée


qui se préparait à passer
de l’ombre à la lumière ?

Fille aînée de l’indépendance, la naissance de l’armée guinéenne a précédé


celle de la quasi-totalité des institutions de la République. Créée officiellement
le 1er novembre 1958, elle vit le jour moins d’un mois après la proclamation de
l’indépendance et dix jours avant que le nouvel Etat ne se dotât de sa première
Constitution. Signe prémonitoire de cette volonté de disposer très rapidement
de forces armées nationales, M. Sékou Touré, président du Conseil de
gouvernement de la Guinée française, soutenait le 25 août 1958, en recevant le
général de Gaulle : « Un pays qui exclut toute interdépendance dispose de
quatre pouvoirs essentiels : premièrement, la Défense, deuxièmement la
monnaie, troisièmement les Relations extérieures et la Diplomatie,
quatrièmement la justice et la législation56.» La victoire du Non le 28 septembre
1958 ne pouvait qu’accélérer le processus.
Considérée de ce fait comme un attribut majeur de la souveraineté
fraîchement reconquise, elle s’est formée sur les ruines fumantes de la
colonisation par l’incorporation massive de soldats issus de l’armée coloniale.
Plus de 18.000 sur les 20.000 ressortissants de l’ex-Guinée Française,
enrôlés sous le drapeau français choisirent de rompre avec l’ancienne métropole
pour rejoindre les rangs de la nouvelle armée nationale.
Le premier recrutement local eut lieu le 5 octobre 1959 avec l’enrôlement de
68 nouveaux soldats. Les trois premières recrues furent : Baldé Mamadou 1/g,
Bah Saïdou, Bangoura Baba Gallé57. (Voir annexe)
Depuis sa mise en place, l’armée a été présente sur tous les fronts du combat
engagé par le P.D.G. Outre sa mission première de défense de l’intégrité du
territoire, elle a été redéployée sur maints théâtres où se sont produits des

56
Discours prononcé par M. Sékou Touré le 25 août 1958 à l’occasion du passage du
général de Gaulle à Conakry.
57
Sylla Himi, Forces Armées Guinéennes, p.26, 2008.

61
conflits opposant les courants nationalistes du continent luttant pour
l’indépendance aux puissances d’asservissement colonial.
En juillet 1960 par exemple, le Conseil de Sécurité a décidé de l’envoi de
Casques Bleus au Congo Léopoldville pour obtenir le retrait des troupes belges
qui avaient envahi le jeune Etat. La Guinée a proposé de s’associer à l’opération
et obtenu l’accord de l’O.N.U. à condition d’assurer elle-même l’entretien de
ses troupes.
En août 1960, environ 800 soldats guinéens ont débarqué à Léopoldville
(actuel Kinshasa) sous le commandement du général Diané Lansana58, membre
du BPN. Il était secondé par un militaire de carrière, le commandant Barry
Mamadou Siradiou. Le contingent guinéen restera au Congo jusqu’à l’annonce
officielle de l’assassinat du Premier ministre, Patrice Emery Lumumba en
février 1961.
Les militaires guinéens ont contribué ensuite à la formation des combattants
de l’ancienne Guinée portugaise dans le cadre de la lutte de libération nationale
de leur pays.
L’armée guinéenne a combattu également en Angola aux côtés des
nationalistes du Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA)
d’Agostinho Neto. Il ne faut pas perdre de vue l’aide logistique appréciable
qu’elle a apportée par ailleurs aux combattants de la liberté en Algérie, au
Mozambique, en Afrique du Sud…
Elle n’a pas été absente non plus sur le chantier du développement
économique. Les différents génies militaires spécialisés dans le bâtiment,
l’agronomie ou le génie civil comptent à leur actif de nombreuses réalisations
économiques et sociales.
Il ressort de ce qui précède que l’évolution de l’armée guinéenne s’est faite
en corrélation étroite avec celle du régime qui l’a engendrée.
En conséquence, elle a été éclaboussée par les soubresauts politiques qui
caractérisèrent cette période. Des militaires et des paramilitaires sévirent dans
les camps de détention des prisonniers politiques. D’autres y furent incarcérés
et certains parmi eux y trouvèrent la mort.
Toutefois, il convient de noter que seuls quelques rares militaires furent cités
parmi les auteurs des premières tentatives de déstabilisation du régime du
P.D.G.
Il en fut ainsi en 1960 avec l’affaire, dont l’avocat Diallo Ibrahima fut le
personnage central, le mouvement des enseignants en 1961 ou encore l’épisode
de 1965 avec Petit Touré comme chef de file. Le gouvernement avait indexé
principalement en ces occasions des « civils et des commanditaires

58
Le Dr. Diané, vétérinaire de formation a été promu général pour la circonstance.

62
occidentaux » comme les principaux instigateurs de ces manœuvres
subversives.

LA ‘’POLITISATION’’ DE L’ARMÉE
C’est à partir de 1969 que la situation prit un relief particulier.
L’environnement extérieur n’était sans doute pas totalement étranger à la
nouvelle donne. Le 18 novembre 1968, en effet, la Révolution guinéenne se
retrouva subitement orpheline dans la région ouest-africaine avec le
renversement du président Modibo Keita au Mali. Avec lui, s’écroulait le
deuxième pan de la troïka à l’origine de la création de l’union Ghana-Guinée-
Mali qui se voulait l’embryon de la future Union Africaine. La chute du chef de
l’Etat malien est intervenue moins de trois ans après celle de l’Osagyefo Kwamé
N’krumah déposé par les militaires ghanéens. En effet, le 23 février 1966 alors
qu’il se rendait en visite officielle en Chine, une junte dirigée par le major-
général Joseph Ankrah s’installa au pouvoir à Accra sous l’égide d’un Conseil
National de Rédemption.
La disparition de la scène politique de son vieux compagnon de lutte affecta
le président guinéen. Mais elle n’altèra pas son ardeur combative. D’ailleurs, il
nomma son ami exilé en Guinée co-président de la République, titre que ce
dernier va conserver jusqu’à sa mort en Roumanie le 27 avril 1972. Une
décision mal vécue par Houphouët Boigny, le président ivoirien. Déjà en
délicatesse avec son homologue guinéen avant l’indépendance des deux Etats à
cause de la question du NON au référendum, celui-ci patronnait l’opposition au
régime du P.D.G. Les adversaires de la Révolution guinéenne, installés en Côte
d’Ivoire, furent l’objet de toutes sortes d’attention et bénéficièrent de différentes
formes d’appui : importantes subventions financières, temps d’antenne à la
radio, liberté de mouvement... Pour Sékou Touré, il ne fallait, dès lors, plus se
faire d’illusion : l’Occident et ses suppôts étaient résolus à l’éliminer après
l’éviction de la tête de leurs Etats respectifs de tous les héros du progressisme
africain tels que Lumumba au Congo, N’Krumah au Ghana et Ben Bella en
Algérie.
La menace d’un coup d’Etat militaire organisé dans ce but se fera encore
plus pressante après le putsch exécuté au Mali voisin par le lieutenant Moussa
Traoré au détriment du président Modibo Keita.
Désormais unique survivant du triumvirat qui avait fondé l’axe Accra-
Conakry-Bamako, le président guinéen était plus que jamais sur ses gardes vis-
à-vis de son armée. Sentant souffler, en effet le danger, le P.D.G prit un certain
nombre de mesures conservatoires. Elles étaient destinées à se prémunir contre
toute tentative identique à celles qui avaient abouti à Accra et à Bamako au
renversement des deux régimes révolutionnaires.
Les autorités guinéennes étaient persuadées, en effet, que les succès
enregistrés dans ces deux pays par les auteurs des putschs pouvaient mettre de

63
l’eau à la bouche de leurs camarades guinéens. Déjà, au lendemain de la chute
de N’Krumah, le président guinéen avait lancé à son armée une mise en garde
dépouillée de toute ambiguïté selon laquelle « si, dans d’autres pays, des
officiers indignes ont pu trahir le peuple dont ils devaient assurer la sécurité et
défendre les droits souverains, il est clair qu’en République de Guinée, de telles
tentatives seraient réprimées avec la dernière rigueur59». Un bras de fer entre le
pouvoir et des militaires tentés de le renverser, semblait donc inéluctable. Mais
l’organisation mise en place par le Parti lui permettait d’exercer un contrôle
permanent sur toutes les structures de l’Etat et l’ensemble de la vie de la nation.
Elle autorisait d’augurer de l’échec de toute entreprise visant à lui nuire.
Cette période fut marquée par ce que d’aucuns ont appelé la « politisation de
l’Armée ». Si, jusqu’ici, le militaire « qui le désirait » se rendait à la réunion du
Parti à la Permanence de son quartier (futur Pouvoir Révolutionnaire Local ou
PRL, NDLA), désormais c’était la caserne qui était érigée en cellule du Parti.
On assista à la naissance des Comités d’Unité Militaire (CUM) au sein desquels
les militaires et leurs familles devaient militer. Les CUM étaient dirigés, sans
distinction de grade, par des militaires ou des membres de leurs familles élus
par les militants du camp (entendez tous ceux qui y vivent). L’interdiction du
salut militaire figurait parmi les dispositions arrêtées. Ainsi l’armée ne devait
plus se borner à construire des bâtiments, faire fonctionner des industries, veiller
à l’entretien des routes ou participer à la production agricole. Il lui fallait à
présent « militer dans le Parti qui l’inspire, l’instruit, l’organise et la dirige60 ».
Le militaire est appelé désormais ‘’militant en uniforme’’ dans le jargon de la
Révolution. Le colonel Himy Sylla notera qu’il devenait « important, pour le
pouvoir en place à l’époque, que les corps militaires et paramilitaires soient
eux aussi associés désormais à la gestion de toutes les affaires (politiques,
économiques, sociales, etc61…) ».
Pour certains observateurs, ces mesures sont à l’origine de la chienlit qui
affecta plus tard le fonctionnement des forces armées guinéennes. Si oui, il est
à remarquer cependant que l’indiscipline a pris des proportions encore plus
grandes sous le pouvoir militaire.
De toute façon, en 1969, tout porte à croire que le Parti et l’Armée (certains
éléments de son élite, tout au moins) étaient sur le qui-vive et s’observaient en
chiens de faïence comme les faits ne vont pas tarder à le démontrer.
Le 17 mars 1969, le président annonça la découverte d’un complot
impliquant des personnalités civiles et… militaires. Les prémisses de la
nouvelle conspiration furent découvertes à la faveur d’une conjonction de
circonstances comme :

59
Touré Ahmed Sékou, Défendre la Révolution, p.126.
60
Touré Ahmed Sékou, L’Afrique et la Révolution, p.100.
61
Sylla Himy, Forces Armées Guinéennes : 50 ans au service de la nation, 2008,
P.45.

64
L'ASSASSINAT DU COMMISSAIRE MAMADOU BOIRO
Le 26 février 1969, des parachutistes basés à Labé, suspects dans leurs
propos et leurs attitudes, furent embarqués dans un aéronef en direction de la
capitale pour y être entendus. L’Antonov 24 de fabrication soviétique fit un
détour pour se rendre à Kankan où une passagère, Madame Djédoua Kourouma,
membre du bureau fédéral de cette localité, était attendue. Dès après le décollage
de l’aérodrome de cette ville, le lieutenant Mouctar Diallo, l’adjudant Namory
Keita, et le sous-lieutenant Camara Boubacar M’Bengue qui n’étaient pas
menottés tentèrent de détourner l’appareil vers un pays voisin.
Les acteurs et témoins de ce drame ne sont plus de ce monde, à l’exception
d’une frêle gamine âgée de moins de 10 ans à l’époque. En effet, raconte
Téninké Touré, aujourd’hui avocate au barreau de Conakry, « ma mère avait
demandé à son cousin, le lieutenant Abdourahamane Kaba, de mettre à profit
son prochain voyage à Kankan pour me ramener à Conakry. On m’a donc
conduite à l’aéroport ce jour-là et je me suis embarquée à bord de l’Antonov
24. Mais ce vol avait ceci de particulier que nous n’étions que cinq personnes
à bord, mis à part les membres de l’équipage.
C’est presqu’instinctivement que je me suis installée non loin du
commissaire Boiro qui me paraissait plus sympathique que les trois autres assis
côte à côte. L’avion décolla ensuite et prit de la hauteur. Mais une quinzaine de
minutes à peine après son envol, les trois hommes se précipitèrent vers notre
siège. Ils intimèrent au commissaire Boiro de se lever pour les suivre. Devant
ses protestations, ses agresseurs se montrèrent plus précis et menaçants. Ils
dévoilèrent à Mamadou Boiro avoir compris son plan. En effet, ajoutèrent-ils,
nous t’avons filé à l’escale de Kankan. Nous t’avons entendu confier à un de tes
amis que tu avais pour mission de conduire des comploteurs à Conakry. Mais,
avant que tu n’exécutes ta sale besogne, nous serons les premiers à te faire
payer le prix de ta forfaiture.
Passant de la parole à l’acte, ils se ruèrent sur lui malgré sa résistance et
ses hurlements. Ils ouvrirent ensuite la portière pour le précipiter dans le vide.
Selon toute vraisemblance, cette scène a dû se produire entre les villes de
Kouroussa et Dabola. Je le dis en tenant compte du temps qui s’est écoulé entre
le décollage de l’appareil et les faits. Ensuite, les assaillants se sont dirigés vers
la cabine de pilotage. L’équipage a été sommé de mettre le cap sur la Côte
d’Ivoire62. »
Un choix qui ne devait rien au hasard. En effet, à l’époque, les relations entre
le président Ahmed Sékou Touré et son homologue ivoirien, Félix Houphouët
Boigny, étaient particulièrement tendues. Les deux hommes n’arrêtaient pas de
s’invectiver directement ou par médias interposés. La Côte d’Ivoire était

62
Entretien avec l’auteur.

65
devenue dans ces conditions la terre d’asile par excellence de tous les opposants
et autres personnes hostiles au régime guinéen.
Les parachutistes espéraient être à l’abri de tout danger au bord de la lagune
Ebrié. Finalement, ils décidèrent avec les pilotes de se diriger vers le Mali
lorsque ceux-ci firent remarquer que la capitale malienne pouvait être ralliée
plus rapidement. Le commandant de bord ajouta que, de toute façon, à Bamako,
les fugitifs ne couraient aucun risque car le Mali avait désormais à sa tête un des
leurs. Mais, prétextant de l’imminence d’une panne de carburant, l’équipage
composé des sous lieutenants Rachid Bah, Abdourahamane Kaba et
Souleymane Bangoura parviendra à persuader les ravisseurs de la nécessité de
se poser sur une piste de fortune. C’était dans le village de Maléah, à Siguiri.

LE COMPLOT KAMAN-FODÉBA
Le plan d’évasion des parachitustes fut déjoué grâce à ce stratagème. Une
fois au sol, ils ont été capturés par les villageois et conduits à Conakry pour être
interrogés par le Comité Révolutionnaire. Un complot est découvert. Il prendra
la dénomination officielle de « complot Kaman/Fodéba » du nom de ses deux
principaux protagonistes. Deux hommes au nombre de ceux qui guidèrent les
premiers pas de la jeune armée guinéenne.
Lieutenant d’aviation au moment de l’indépendance, diplômé de l’Ecole de
l’Air et titulaire d’un baccalauréat en mathématiques générales, le colonel
Kaman Diaby est né en 1929 à Faranah. Le 30 décembre 1958, il a été nommé
chef d’Etat-major Général Adjoint et officier d’Ordonnance du président de la
République. Promu colonel en 1965, il est entré au gouvernement en 1969 en
qualité de Secrétaire d’Etat au service civique.
Né en 1921 à Siguiri, Keïta Fodéba, quant à lui, s’est fait connaître sur les
scènes de théâtre du monde entier à la tête de ses célèbres Ballets Africains
fondés en 1949.
Membre du gouvernement depuis la loi-cadre en 1957, il a été nommé
ministre de la Défense Nationale et de la Sécurité en 1960. Il est alors l’homme
de confiance du président, « son âme damnée », écrira Ibrahima Baba Kaké. A
ce titre, Fodéba Keita a assumé à plusieurs reprises l’intérim de la présidence de
la République lors des nombreux et longs déplacements du président à
l’étranger.
Organisateur-né, sous son impulsion, la jeune armée s’est développée sous
tous les angles. Il serait aussi l’homme qui conçut et mit en place le système de
torture pratiqué au Camp Boiro. Fodéba est considéré par ceux qui l’ont connu
comme l’un des plus grands commis de l’histoire de la Guinée indépendante.
Mais, visiblement, son étoile a commencé à pâlir à partir de 1965. Sans être
officiellement incriminé dans le « complot Petit Touré », il ne jouissait plus de
la confiance absolue du président. Conséquence : il avait été délesté du
prestigieux ministère de la Défense et de la Sécurité pour se contenter après le

66
huitième Congrès du PDG en 1967 du strapontin de secrétaire d’Etat à
l’Economie Rurale.
Le fondateur des Ballets Africains est considéré comme la figure de proue
du complot de 1969 qui s’est soldé par une vague d’arrestations au sein de
l’armée, peu affectée par les purges précédentes. Ainsi le commandant Cheick
Mohamed Keita, titulaire du brevet militaire décerné par une académie
allemande et qui avait auparavant obtenu son premier certificat en droit avant
d’intégrer les rangs de l’armée, fut l’un des premiers à être interpellé. Au
moment de son arrestation, il dirigeait le camp des parachutistes de Labé. Les
capitaines Kouyaté Sanbgan, Camara Boubacar dit M’Bengue, Diallo Thierno
Ibrahima, les lieutenants Mara Sékou Charles, Koïvogui Pierre et tant d’autres
furent arrêtés à leur tour et exécutés. La fine fleur de l’armée composée de Saint-
Cyriens et autres produits de grandes académies militaires soviétiques et
occidentales, avait été décimée.

L’AGRESSION DU 22 NOVEMBRE 1970


L’armée sera une nouvelle fois mise à rude épreuve après le débarquement
du 22 novembre 1970. Sa combativité et sa loyauté furent magnifiées au cours
d’une première phase. Les troupes venues en renfort du Camp Kèmè Bouréma
de Kindia avaient alors joué un rôle déterminant dans la mise en déroute des
assaillants. Avant qu’elles n’entrent en action, les agresseurs avaient fait régner
leur loi. Les corps de leurs victimes jonchaient les abords du Camp Almamy
Samory Touré. En effet, des mercenaires juchés dans les arbres, profitant de
l’effet de surprise, avaient réussi à les abattre froidement. Des militaires, mais
aussi des civils ont été tués sur d’autres fronts. Selon les estimations officielles,
le nombre de personnes tombées sous les balles des assaillants portugais et de
leurs acolytes guinéens, varierait entre 400 et 500 personnes. Chiffres qu’il faut
cependant considérer avec circonspection en raison de la forte propension qu’on
a dans ce pays à gonfler les chiffres des victimes. Une pratique qui n’a pris
aucune ride avec le temps.
Mais peu de militaires ont été inquiétés au lendemain du débarquement
marqué par l’arrestation des premières personnalités gouvernementales à
l’instar des ministres Barry Ibrahima dit Barry III, Baldé Ousmane, Magassouba
Moriba ainsi que le commissaire de police, Keita Kara de Soufiana.
C’est à partir de juin 1971 que le nombre de militaires s’est accru dans les
prisons politiques situées principalement à Conakry, Kindia et Kankan.
Des officiers généraux aux hommes de rang, aucune catégorie ne fut
épargnée. A leur tête, se trouvait le général Keïta Noumandian, ancien élève de
l’Ecole Primaire Supérieure Camille Guy et diplômé de l’Ecole d’Officiers de
Montauban. Il était l’un des officiers guinéens les plus anciens dans le grade le
plus élevé au sein de l’armée coloniale à la veille de l’indépendance. Promu au
grade de général en 1965, il assumait les fonctions de chef d’Etat-major général

67
des Forces Armées au moment de son arrestation. Celle-ci est intervenue
presque en même temps que celle du colonel Diallo Mamadou, chef d’état major
général adjoint et des commandants Mara Ibrahima Khalil, chef d’état major de
l’armée de terre et Sylla Ibrahima dit Tri Boy, chef d’Etat major de l’armée de
l’air. Le même sort fut réservé à d’autres officiers de haut rang à l’instar des
commandants Barry Siradiou, le numéro deux du corps expéditionnaire dépêché
par la Guinée au Congo en 1960, Zoumanigui Kékoura, gouverneur de la région
administrative de Kérouané et ancien commandant de la gendarmerie nationale,
Bavogui Kékoura, Camara Diouma, Sylla Théoury, les capitaines Condé
Mamadou (commandant du camp Boiro), Bah Mamadou (ancien garde du corps
du président), Doumbouya Kèmoko (ancien officier d’ordonnance du président)
et plusieurs lieutenants et autres sous-officiers.
Au sortir de ces événements, le régime se radicalisa. La prépotence du P.D.G
se renforça sur l’armée et les autres secteurs de la vie de la nation.
Sidiki Kobélé Keita rapporte que « Ninki Yanfa (si je te trahis) faisait à
présent partie du répertoire de l’Armée Populaire qui le chantait chaque année
à l’occasion du premier novembre, date de sa création ». Selon lui, cette chanson
voudrait dire : « si je te trahis (…) la Révolution (…) mon père Sékou qu’Allah
me le fasse payer. »63
Les « militants en uniforme » ne représentaient plus aucun danger pour le
régime. Ils affichaient une discrétion totale dont ils ne sortaient qu’à l’occasion
des grandes parades organisées pour célébrer l’anniversaire des dates
marquantes de l’évolution du PDG et de l’Etat guinéen. D’où le sentiment
qu’avait l’écrasante majorité de la population avant le 3 avril 1984, que l’armée
ne renfermait plus aucune forte tête. Elle était considérée comme sans histoire,
sans envergure, éclipsée par les milices populaires. De l’examen de sa situation,
à la veille du coup d’Etat, un ensemble d’autres faits réels ou apparents se
détachent. De l’extérieur, on avait en effet, le sentiment que la hiérarchie
militaire était impliquée dans la gestion du pouvoir. En effet, des officiers
étaient ministres, membres du Comité Central et des organes de répression de
l’Etat, gouverneurs de région, députés, directeurs de sociétés et d’entreprises,
chefs de grands projets routiers et agricoles, membres du Comité
Révolutionnaire. Positions dont ils tiraient de la notoriété et probablement
quelques profits matériels. L’armée guinéenne était composée majoritairement
d’officiers et de soldats appartenant à l’ethnie malinké. Un langage très souvent
entendu a voulu faire croire que cette supériorité numérique découlait de
l’orientation imprimée aux forces armées pour favoriser les malinkés au
détriment des autres. Des allégations tendancieuses que le Général Amadou
Mangatta Bangoura, que nous avons interrogé, juge totalement aux antipodes
de la vérité. Dans une de ses nombreuses publications se rapportant à la prise du
pouvoir par l’armée en 1984, Fodé Momo Camara a précisé du reste que « ce

63
Keita Sidiki Kobélé des Complots contre la Guinée de Sékou Touré’’ (1958-1984),
éd. P. 48.

68
constat n’a rien de discriminatoire et s’explique simplement par la vocation des
malinké à embrasser la carrière militaire en raison de leur tempérament bouillant
et de leur instinct guerrier. Ils ont préféré le métier des armes plus que toutes les
autres ethnies de la Guinée. 64» Les malinké furent aussi les plus nombreux à se
mettre au service de la nouvelle armée guinéenne après l’indépendance. Les
gradés payant d’exemple renoncèrent les premiers à l’armée coloniale, même si
certains eurent maille à partir plus tard avec le P.D.G. En revanche, les officiers
originaires du Fouta Djalon, en particulier, choisirent en grand nombre le
chemin inverse. Ils poursuivirent leur carrière dans les rangs de l’armée
française avant de s’aboucher aux services secrets de l’Hexagone et aux
gouvernements africains qui luttaient contre Sékou Touré. Le régime du P.D.G.
et ces hommes se feront la guerre pendant 26 ans. A la veille du coup d’Etat, le
commandement militaire était donc exercé tout à fait logiquement à plus de 90
pour cent par les officiers malinkés. Ceux-ci occupaient la quasi-totalité des
postes-clés. Mais de l’avis général, l’armée guinéenne constituée au lendemain
de l’indépendance était éloignée des conceptions ethnocentriques et
régionalistes. L’amitié, la fraternité régnaient entre les officiers et les hommes
de rang sur la foi du témoignage de différents interlocuteurs.
Si la théorie douteuse du nombre et de la qualité obsédait tout le monde, le
coup d’Etat du 3 avril 1984 se serait traduit par l’avènement d’un militaire
malinké à la tête du pays. Enfin, cette armée avait un caractère élitiste. Elle
comprenait à peine une vingtaine d’officiers supérieurs dont : 2 généraux : Toya
Condé et Soma Kourouma ayant le grade de général de division et 4 colonels
parmi lesquels figurait le chef d’Etat-major adjoint de l’Armée de Terre, le futur
président, Lansana Conté. Les trois autres colonels avaient pour noms : Fodé
Doumbouya, à la fois chef de cabinet militaire et aide de camp du président de
la République, Diarra Traoré, gouverneur de la Région administrative de Boké
et membre du Comité Central, Idrissa Condé, commandant de la zone militaire
de N’Zérékoré. On dénombrait une dizaine de chefs de bataillon ou
commandants et un nombre beaucoup plus important de capitaines. Ce sont
ceux-là qui, en conséquence, vont occuper majoritairement les rangs du
nouveau pouvoir mis en place en Guinée à partir du 3 avril 1984 et que d’aucuns
appelleront, par dérision, ‘’la République des capitaines’’ ou ‘’la révolution
kaki’’.

64
Dans la suite du récit de Fodé Momo Camara on peut lire : « Les Peulhs de
tempérament flegmatique, les chefs féodaux n’envoyaient sous les drapeaux pour
le service militaire obligatoire que des hommes de caste. Les nobles étant envoyés
dans des écoles militaires (Kati, Bingerville, Saint-Louis) ; les Forestiers, de
tempérament docile, étaient candidats pour les services paramilitaires :
Gendarmerie, Police, Douane, Garde Républicaine ; tandis que les Soussous de
tempérament récalcitrant étaient moins candidats pour les services militaires et
paramilitaires en raison de la rigueur de la discipline », Fodé Momo Camara,
extrait de : Etat desLlieux dans l’Armée le 3 avril 1984.p.p.56-57.

69
DEUXIÈME PARTIE

Le CMRN prend le pouvoir


CHAPITRE IV

Mobiles du coup d’État

Pendant les premiers mois qui suivirent l’installation des militaires aux
commandes de l’Etat, les nouveaux dirigeants et leurs supporters n’avaient
qu’un seul but : expliquer le putsch du 3 avril 1984 par le « caractère dictatorial
et les échecs économiques » du régime dont ils héritaient.
Il a été répété à l’envie que le système mis en place par le PDG avait fait son
temps. Il avait montré ses limites. L’heure de la libération avait sonné pour le
Guinéen maintenu dans l’obscurantisme, la pauvreté et les exactions de toutes
sortes. Le régime avait été assimilé aux systèmes les plus répressifs de l’histoire
de l’humanité. Son premier dirigeant fut comparé aux personnages tristement
célébres de l’histoire. Des pièces de théâtre l’ont présenté sous les traits de
Néron, Caligula, Hitler… Il ne fallait donc pas chercher ailleurs, selon les
chantres de cette campagne, les causes du renversement du régime implanté en
Guinée par le PDG au lendemain de l’indépendance. A l’analyse de ces
arguments, force est de reconnaître que si des succès étaient à mettre à l’actif du
PDG dans les domaines social, culturel, politique, voire économique, des échecs
avaient jalonné aussi son parcours à l’évocation de ces paramètres. A cause de
ses propres limites et sous les coups de boutoir de ses adversaires camouflés
dans ses rangs ou éparpillés à travers le monde et puissamment soutenus par
l’ancienne puissance coloniale, le régime avait été le plus souvent réduit à un
strict repli sur lui-même. Il avait été constamment poussé à la faute et sa réaction
a paru démesurée dans certaines circonstances, donnant l’occasion à ses
détracteurs de le dépeindre sous le visage le plus ignominieux. En effet, le PDG
s’est rendu coupable de l’élimination brutale de plusieurs ennemis politiques
supposés ou réels au nombre desquels on comptait d’illustres figures issues des
milieux aristocratiques et intellectuels ainsi que du monde des affaires. Il a forcé
des milliers d’autres à prendre la route de l’exil. Un nombre égal sinon plus
important de citoyens a été emprisonné et torturé dans des maisons de détention
infâmes tel que le camp Boiro. En définitive, les tentatives de déstabilisation, la
capacité du régime à les juguler, les sanctions administrées à leurs auteurs, les
règlements de compte qui s’en sont suivis ont eu pour effets :
Les répressions répétitives et sanglantes relayées par la propagande
occidentale et celle de ses adversaires vivant en exil.

73
L’omniprésence d’un parti unique auquel tous les Guinéens étaient obligés
d’adhérer.
L’incapacité de se concentrer sur les programmes de développement ou de
les conduire jusqu’à leur terme :
Les pénuries récurrentes s’expliquant par des difficultés économiques
conjoncturelles ou volontairement entretenues. L’index de développement
humain de la Guinée était l’un des moins élevés du continent. Le produit per
habita était estimé à moins de 300 dollars US par les institutions onusiennes.
Une situation jugée paradoxale eu égard aux énormes potentialités que son sol
et son sous-sol récélent.
Le contrôle des médias qui diffusaient principalement les slogans du Parti-
Etat et les discours du Responsable Suprême de la Révolution.
A l’intérieur même du régime, la nécessité d’observer une petite pause
révolutionnaire semblait s’être manifestée.
Après la rencontre de Monrovia en mars 1978 qui scella la réconciliation
entre les présidents Houphouët Boigny, Senghor, d’une part et Sékou Touré,
d’autre part, un vent de libéralisme commença à souffler.
A titre d’exemple, la police des frontières ne confisquait plus les passeports
des voyageurs rentrant de l’étranger.
La compagnie Air Guinée renovée et équipée d’appareils neufs, assurait
désormais la desserte des principales capitales de la sous-région.
Des efforts avaient été amorcés en vue de la réhabilitation et de la
construction de nouvelles infrastructures hôtelières.
Un embryon d’hommes d’affaires locaux s’était constitué dans certains
secteurs d’acitivité.
Selon certaines sources, au cours de cette période, le président Sékou Touré
voulut même renouer avec l’opposition extérieure. En tout cas, lors d’une de ses
dernières visites à l’étranger, à Libreville, il reçut à l’aéroport plusieurs
membres de la diaspora parmi lesquels des Guinéens exilés que le Tribunal
Révolutionnaire avait condamnés à la peine capitale par le passé.
André Lewin rapporte pour sa part que le président avait conféré en 1982 à
Paris avec Madame Nadine Barry, veuve d’un prisonnier politique disparu au
Camp Boiro.
Malgré tout, nombre de Guinéens rêvaient de vivre autrement depuis un
certain temps et la prise du pouvoir par les militaires devrait répondre à cette
attente.
Les ‘’miracles’’ réalisés dans certains pays voisins colportés par des
voyageurs donnaient à certains Guinéens le sentiment qu’il suffisait de se
soustraire à l’autorité du PDG pour que la Guinée devienne une corne
d’abondance.

74
Mais, les mobiles du coup d’Etat du 3 avril 1984, nonobstant ces préalables
et ceux que nous avions formulés sur l’incapacité des héritiers de Sékou Touré
à conjurer le sort qui les menaçait, sont surtout en rapport avec les réalités qui
caractérisaient cette époque.
Il convient de signaler, en effet, que, depuis l’aube des indépendances
africaines, le passage de la caserne au palais était une pratique très répandue sur
le continent. Des militaires guinéens rêvaient, à n’en pas douter, de se hisser au
pouvoir comme l’avaient fait, avant eux, plusieurs de leurs camarades dans
d’autres pays. Plusieurs tentatives de coup d’Etat auxquelles des militaires
étaient mêlés, avaient échoué par le passé. Aussi, après la disparition du
président, ne pouvaient-ils plus attendre. On peut affirmer, sans hésitation
aucune, que le bloc formé autour du nouveau chef du gouvernement n’aurait
pas suffi à sauver le régime.
D’éventuelles zizanies au sein de la classe politique auraient-elles représenté
le facteur dominant dans la préparation et l’exécution du coup d’Etat du 3 avril
1984 ? Rien n’est moins sûr. D’hypothétiques tiraillements entre impétrants à
la fonction suprême n’auraient servi, dans un tel contexte, que de prétexte à des
militaires qui lorgnaient depuis longtemps du côté du pouvoir.
Un pas qu’ils auraient franchi allègrement s’il n’y avait eu en face la forte
personnalité du président Sékou Touré, la crainte qu’il inspirait et le système
mis en place pour détecter et prévenir tout danger avant de prendre des sanctions
draconiennes contre ses auteurs. Donc un coup d’Etat avant la mort du président
était une mission impossible mais une fois que celui-ci n’était plus là, sa réussite
paraissait assurée. Les déclarations de certains protagonistes de l’opération du
3 avril 1984 parlent d’elles-mêmes.
Le colonel Bago Zoumanigui avoua au cours de notre entretien que « les
militaires guinéens qui observaient avec envie leurs camarades réussir leurs
coups d’Etat ici est là en Afrique, étaient acquis depuis longtemps à l’idée
qu’aucun complot ne pouvait réussir en Guinée tant que Sékou Touré était à la
tête de l’État. Certes, nous étions séduits par la perspective d’imiter nos
camarades du Mali, du Togo, du Ghana ou d’ailleurs. Mais, nous savions que
nous courions vers notre perte en engageant la moindre tentative de
renversement du régime. »65
Avant le 3 avril, se souvient-il en effet, personne ne disposait en Guinée de
la force de frappe nécessaire pour entreprendre et réaliser un coup d’Etat. Il
ajoute que l’armée était par ailleurs majoritairement fidèle au PDG. Elle l’avait
prouvé, se souvient-il, « lors des événements du 27 août 1977 lorsque le régime
avait été bruyamment désavoué par les femmes de la capitale. Mais, les
militaires n’en avaient pas profité pour le déposer66. »

65
Entretien avec l’auteur.
66
Entretien avec l’auteur.

75
Il est ainsi évident que l’annonce de la mort du président a été le premier
mobile qui donna à l’armée l’occasion et le courage nécessaires pour
entreprendre l’opération ayant abouti au coup d’Etat du 3 avril 1984. Une fois
l’homme du 28 Septembre sous terre, les militaires qui piaffaient d’impatience
depuis longtemps se saisirent de l’aubaine. Ils avaient hâte de tourner la page et
de se prélasser dans les délices du pouvoir. Et la Guinée eut son coup d’État.
Les témoignages de certains officiers qui jouèrent un rôle majeur ou
prétendument considéré comme tel dans la prise du pouvoir par l’armée
guinéenne, sont concordants à ce sujet. Le général Fodé Momo Camara est de
ceux-là. Dans un pays où les acteurs des principaux événements qui ont émaillé
son évolution se dérobent le plus souvent à leur devoir de témoignage, l’ancien
ministre de la Coopération a fait figure d’exception ou de précurseur. L’audace
et l’aplomb, la constance et le toupet avec lesquels il a abordé certains sujets au
moment où l’homme au centre de ses critiques pesait de tout son poids sur la
scène politique, forcent l’admiration. Ils lui ont fait connaître une longue
traversée du désert. Fodé Momo Camara a reçu des menaces à peine voilées et
a été confronté à un cortège de difficultés.
Mais selon ses détracteurs, sa forte propension à ne rien cacher ou à présenter
sa ‘’Part de vérité’’ par ailleurs mise en doute par certains de ses anciens
compagnons n’est pas tout à fait étrangère à son éloignement des affaires. Privé
très tôt de sa part du gâteau, il aurait décidé, semble-t-il de prendre sa plume
pour régler des comptes et l’aurait avoué au cours d’une réunion organisée par
ses pairs pour l’inviter à se taire.
Officiellement d’un an, l’aîné de Lansana Conté, il fut en tout cas, le premier
à se montrer disert dans l’évocation des faits qui conduisirent à la chute du
régime du PDG. Pour lui pas de doute : « Accord ou non entre les membres du
BPN, nous prenions le pouvoir. »67 Selon le capitaine, au lendemain de la mort
de Sékou Touré « une force mystique s’est emparée soudain de l’armée de la
base vers le sommet, telle une lame de fond qui grossissait inexorablement le
jour ». Parlant de son implication personnelle dans l’opération, Fodé Momo
Camara précise : « C’est le 29 mars 1984 dans la matinée, que les capitaines
Kaba Kabiné et Barry Mamadou Pathé en raison du capital de confiance
réciproque qui existait entre nous, étaient venus me trouver jusque dans ma
chambre à coucher. »27 Il poursuit dans une interview accordée à la revue
‘‘Matalana’’ en octobre 2007 : « Ils m’ont dit que l’occasion était propice pour
faire le coup. C’est là que j’ai dicté à Kaba Kabiné une liste d’officiers en qui
j’avais confiance, dont Lansana Conté. Aucune date n’a été fixée. Kaba Kabiné
était chargé des contacts. Et il a contacté beaucoup de militaires. »68
Le point de vue du général Faciné Touré est quasiment identique, même si
sur un plan personnel celui-ci laisse entendre que le renversement du régime du

67
Fodé Momo Camara, op.cit, p.20.
68
Interview accordée à la revue Matalana, Hors Série Guinée, octobre 2008, P.82.

76
PDG faisait partie de ses plans depuis 1977. L’idée aurait commencé à prendre
forme dans sa tête au lendemain du festival panafricain de Lagos où il fut l’un
des acteurs de la pièce « Thiaroye69 » présentée par la Guinée et primée par le
jury. A son retour du rendez-vous culturel continental, le lieutenant Faciné
Touré avait été interpellé et conduit au Camp Boiro, le 21 mai 1977. Il y est
resté incarcéré pendant 1 mois 26 jours, « sans raison », tient-il à préciser70.
Dès lors, l’envie d’en finir avec le régime de Sékou Touré ne l’avait plus
abandonné d’autant plus que ses conditions de détention et celles de ses
infortunés compagnons dont de grandes figures de la vie politique et sociale
guinéenne tels que les anciens ministres Kassory Bangoura, Alhassane Diop ou
le premier archevêque africain de Conakry, Monseigneur Raymond Marie
Tchidimbo, lui avaient « ouvert les yeux sur la face cachée du système », dit-il.
Il mesura le fossé abyssal séparant la théorie du P.D.G présentant l’homme
comme le capital le plus précieux de la réalité. Mais en se fondant sur son propre
récit tel qu’il s’est confié à un journal de la place une vingtaine d’années plus
tard, le lieutenant Faciné Touré fut un prisonnier choyé : intimidant le régisseur
du camp Boiro par ses accès de colère, repoussant avec mépris l’offre de
téléphoner à sa famille, choisissant lui-même la ville où il devait purger sa peine
et excluant toute demande de grâce présidentielle71... On retiendra surtout que
son incarcération au Camp Boiroi lui fit prendre selon ses propres mots « la
ferme résolution de se joindre un jour, s’il s’en sortait, à d’autres fils du pays
pour renverser le régime72 ».

69
Cette pièce s’inspire de la tragédie du 7 décembre 1944 marquée par le massacre,
dans un camp situé dans la banlieue de Dakar, d’au moins 35 tirailleurs sénégalais
revendiquant le payement de leurs droits par l’armée française. La pièce présentée
par la troupe de Dabola, a été ensuite essentiellement montée par Ismaël Touré en
1977 pour le festival de Lagos. Les rôles principaux étaient tenus par des militaires
et paramilitaires dont des métis tels que Charles Destephen, Jean Douramodou…
jouant le rôle des chefs militaires blancs. Sékou Décazy, un civil, en était le héros.
Les figurants étaient aussi en grand nombre des militaires.
70
Idem.
71
L’Indépendant no 803 du jeudi 6 novembre 2008, p.4.
72
L’Association des Victimes de la Répression (AVR), fondée en 1987 et regroupant
les personnes arrêtées au lendemain de la tentative de coup d’Etat perpétrée le 4
juillet 1985 par Diarra Traoré, conteste le statut de prisonnier politique dont se
prévaut Faciné Touré. Pour elle, l’ancien ministre des Affaires Etrangères a été
conduit deux fois au Camp Boiro pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la
politique. Son vice-président, Ibrahima Sory Dioumessi précise d’ailleurs à cet
effet que « le Camp Boiro était aussi un centre de rééducation pour militaires ayant
commis des infractions ». Ce fut, dit-il, le cas pour le lieutenant Faciné Touré qui
« y fut conduit une première fois pour des raisons privées qu’il reconnaît lui-même
comme ayant porté atteinte à son honneur ». La deuxième fois, il s’y serait
retrouvé brièvement pour une affaire de passeport mal négociée au Nigeria ».
Selon notre informateur, le lieutenant Touré, victime alors de l’indélicatesse de

77
Aussi, après le 26 mars 1984, le capitaine Touré était-il tout à fait disposé à
participer à la chute du système en place quand on vint frapper à sa porte.
Comme pour tous ceux qui nourrissaient le même rêve que lui, l’occasion tant
attendue était enfin arrivée. Ecoutons-le : « Dès la mort du président, les
militaires ont compris que le ver était dans le fruit. Les préparatifs ont été
entamés. A l’époque, officier major à l’Ecole Normale Supérieure de Manéah,
je me souviens de la visite que me rendit le capitaine Amadou Kouyaté dit Djol
dans la journée du 28 mars 1984. Il était venu m’informer de l’imminence du
déclenchement d’un coup d’Etat. Ma seule réponse fut la suivante : vous savez
que je suis préparé à une telle éventualité depuis mon incarcération au Camp
Boiro. Je suis donc votre homme si vous êtes prêts. »73 Quarante-huit heures
après, Faciné Touré débarquait au Camp Samory où ce qu’il appelle le ‘’noyau
dur’’ de la conjuration s’était formé autour du colonel Lansana Conté, du
commandant Alhoussény Fofana, des capitaines Kerfalla Camara, Jean Traoré,
Oumar Soumah, Fodé Momo Camara.
Le général Amadou Mangatta Bangoura est quasiment du même avis quand
il affirme que : « dès après les funérailles du président Sékou Touré, Faciné
Touré est venu me voir au Bataillon du Quartier Général (BQG) au Camp
Almamy Samory Touré où j’étais à la tête du bureau de recrutement national. Il
m’a confié qu’un groupe d’officiers dont il se voulait le porte-parole a décidé
de passer à l’action sans plus attendre. Leur objectif est de s’emparer du pouvoir
pour porter le colonel Lansana Conté à la tête de l’Etat. Il a ajouté que, de toute
façon, les dés étaient jetés, car si les officiers ne prennent pas leurs
responsabilités, les hommes de troupes le feront à leur place. Dans l’armée, la
situation est devenue insupportable et les choses doivent
changer. L’engagement devant le général Lansana Diané venu nous rassurer en
nous promettant de meilleures conditions d’existence si nous nous tenions
tranquilles n’était que parole de façade. »74 , A-t-il dit pour conclure.

LE 2 AVRIL 1984, L’ÉMISSAIRE DU BPN RENCONTRE LES MILITAIRES


AU CAMP SAMORY
Le ministre de la Défense, reconnu pour ses boutades et sa gouaille, avait été
en effet mandaté par le Bureau Politique National pour conférer dans la journée

son compagnon de voyage, s’était retrouvé au ‘’mauvais endroit et au mauvais


moment’’. Des faits certes, anodins au regard de ce qu’ils représenteraient de nos
jours, mais qui à l’époque, conduisaient le régime extrêmement vigilant et craintif
du PDG à ‘’vérifier’’ pour tout le moins avant de faire éventuellement la part des
choses. En defintive, l’affaire fut « requalifiée en délit de droit commun avec la
condamnation de Faciné Touré à une année de prison ferme qu’il purgea à la
Maison centrale de Dubréka avant de poursuivre sa carrière au sein de l’armée »,
soutient Dioumessy.
73
Idem.
74
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 20 mai 2009, au Camp Almamy Samory Touré.

78
du 2 avril 1984 avec les officiers réunis pour la circonstance au mess du camp
Samory. Le général Lansana Diané tenta de les émouvoir en leur donnant le
conseil de ne pas « souiller inutilement leurs mains de sang dans la mesure où,
rongés par la maladie, ses compagnons et lui, avaient tous un pied dans la tombe
déjà. », leur a-t-il dit.75 Il leur promit de meilleures conditions de vie et de travail
maintenant que Sékou Touré n’était plus là. Les avait-t-il convaincus ? C’est,
selon toute vraisemblance, l’impression que les militaires lui ont laissée. Faciné
Touré a confié à l’auteur qu’il fut le premier des ‘’huit militants en uniforme’’,
à prendre la parole pour rasssurer le BPN de la loyauté de l’armée. Ses
camarades et lui auraient souligné cependant que leur engagement deviendrait
caduc pour peu que le pouvoir s’ingénierait à toucher à un seul cheveu de l’un
d’entre eux.
Pour le général Faciné Touré, les autorités furent les premières à rompre ce
pacte. Le compte-rendu de la rencontre en séance du BPN aurait fait sortir le
terrible Ismaël Touré de ses gonds. Le ministre des Mines ordonna, séance
tenante que tous ceux qui avaient eu l’outrecuidance de prendre la parole soient
arrêtés et fusillés sans autre forme de procès. La nouvelle ne tarda pas à se
répandre comme une traînée de poudre dans les camps Samory et Alpha Yaya,
où on décida sans plus attendre de passer aux choses sérieuses.
Le général Fodé Momo Camara ôte cependant du crédit à des passages
contenus dans ce récit. S’il admet que le ministre de la Défense a rencontré
effectivement les chefs militaires dans la matinée du 2 avril 1984, en revanche,
il assène sans détours que : « C’est du théâtre qu’il a raconté là. »76, s’agissant
d’éventuelles déclarations prononcées en présence du général Diané. Il soutient
avec fermeté qu’aucune prise de parole n’a été enregistrée après la
communication de l’émissaire du B.P.N.
C’est lorsque les soldats se retrouvèrent autour des généraux Toya Condé et
Somah Kourouma que certains donnèrent libre cours à leur désir de se faire
entendre.
L’ancien ministre de la Coopération est catégorique à ce sujet : « Moi, j’étais
présent dans la salle. C’est seulement après son départ (le général Lansana
Diané, NDLA) qu’il y a eu des interventions. » 77 Ecoutons ce qu’il aurait
déclaré lui-même à cette occasion tel que Sidiki Kobélé Keita le rapporte : « On
a eu trop d’arrestations dans l’armée ; ce qui est passé est passé, d’après le
discours de Diané ; il y a un complot dont on parle, mais à partir de maintenant,
il ne sera plus question de mettre la main sur un officier, on est prêt à mourir
avec les armes à la main, ça été dit aux deux généraux. »78

75
Propos rapportés à l’auteur par le général Faciné Touré.
76
CAMARA, Fodé Momo, Ma part de vérité sur le 3 avril 1984.
77
Idem.

79
Les témoignages des deux officiers convergent cependant quant au refus
essuyé par la hiérarchie militaire de l’époque lorsque celle-ci proposa « une
marche de soutien en faveur du B.P.N. »

LANSANA CONTÉ CONVOQUÉ PAR LE HAUT COMMANDEMENT


Le même jour, renchérit Amadou Mangatta Bangoura, le colonel Lansana
Conté, chef d’Etat-major adjoint de l’Armée de Terre et député à l’Assemblée
Nationale Populaire, a été convoqué au Haut commandement. Il avait été
désigné pour siéger au sein du Comité Révolutionnaire chargé de juger le
colonel Diarra Traoré, gouverneur de la région administrative de Boké et le
commandant Sidi Mohamed Keïta, gouverneur de la région administrative de
N’Zérékoré, soupçonnés de tentative de coup d’Etat. Les deux hommes étaient
en fuite et le colonel Conté devait aider à les capturer ou à les mettre hors d’état
de nuire. Cette convocation est intervenue après la réunion houleuse présidée
par les deux généraux.
Vérité ou traquenard pour mettre la main sur un officier, dont la popularité
et l’ascendant sur les troupes étaient incontestables ? Toujours est-il, soutient-il
que, prudent, le Colonel avant d’obtempérer tint à peu près ce langage à
l’endroit de ses compagnons : « Je vais répondre à l’appel des autorités. Si au-
delà d’une certaine heure, vous n’avez aucune nouvelle de moi et de nos
camarades, passez à l’action. »79
Fodé Momo Camara rapporte que les esprits étaient surchauffés. Le
capitaine Lanciné Kéïta dit Fankama (l’homme fort), en particulier ne cachait
pas son envie d’en finir avec le régime. Des soldats exhortaient leurs supérieurs
à engager les opérations. Ils menaçaient de le faire à leur place s’ils ne se
décidaient pas et promettaient, le cas échéant de les supprimer tous, en
s’inspirant de l’exemple de Samuel Doe au Liberia en 1979. Aussi peut-on dire
que si, à l’origine, la rencontre du 2 avril 1984 visait à sauver le régime, elle
aura œuvré au bout du compte à créer les conditions objectives qui ont précipité
sa chute.

UNE RENCONTRE DÉCISIVE


Avec Bago Zoumanigui, nous mesurons davantage l’impact de la journée du
2 avril sur le cours des événements. En effet, pour cet ancien parachutiste, la

79
Ils sont trois témoins à rapporter ces propos (Faciné Touré, Amadou Mangatta
Bangoura et Joseph Bago Zoumanigui). Fodé Momo Camara reprend également
l’idée dans Matalana Hors série no 1, p.82, en ces termes : « Je vais répondre à une
convocation. Si je ne reviens pas d’ici minuit, passez à l’action. » Le Comité
Révolutionnaire, dont Lansana Conté devait faire partie était dirigé par le général
Lansana Diané et avait pour membres Moussa Diakité, Mamady Bayo, Makan
Camara, Sidi Cissoko (entretien de ce dernier avec l’auteur-Conakry, le 7
novembre 2016).

80
rencontre entre le général Diané et la hiérarchie militaire a revêtu un caractère
déterminant. Elle a permis aux militaires qui vivaient éparpillés de se regrouper
au grand jour. Ils ont pu ainsi se concerter en dépassant les limites des
conciliabules qu’ils tenaient la peur au ventre à cause du degré de vigilance du
régime et de l’existence au sein des forces armées de plusieurs officines de
renseignements et de délation.
Il admet volontiers que même si la perspective de prendre le pouvoir trottait
dans les esprits, le rassemblement du 2 avril a offert aux militaires l’opportunité
de modifier leur plan initial et de déclencher l’opération plus tôt que prévu. Déjà,
au Camp Samory, avant que la réunion ne s’ouvre, se souvient-il, « certains
manifestaient visiblement leur impatience. Lorsque le soir, nous avons appris
que le colonel Lansana Conté était sous la menace d’une arrestation, ce fut la
goutte d’eau de trop. Sinon, nous aurions pu encore attendre pendant quelques
jours, voire plus. Je me souviens que trois jours avant, j’avais accompagné le
capitaine Fankama en ville. En chemin, je n’ai pas pu m’empêcher
d’extérioriser l’idée qui me tenaillait. Je me suis livré à cette description
allégorique du contexte que traversait le pays : « Le dragon est mort, il est
couché dans le village. On ne peut pas dégager le corps ? » Mon interlocuteur
qui avait compris le sens de mon message me répondit qu’une initiative était
envisagée. Elle n’interviendra pas cependant avant le 4 avril ou plus tard, a-t-
il précisé. Mais, le 2, nous avons été conviés par le BPN à rencontrer ses
émissaires. Ce fut le déclic ». La consigne a été donnée de passer à l’action le
soir même ». La nouvelle ne devait pas tarder à ‘’fuiter’’ pour parvenir à
quelques proches de la classe dirigeante. C’est ainsi que le capitaine Amadou
Kouyaté, l’un des principaux instigateurs de l’opération s’était rendu l’après-
midi au domicile de son ami, le commissaire de police Mouloukou Souleymane
Touré, neveu du président pour lui dire de se « tenir prêt car dans quelques
heures, l’armée prendrait le pouvoir ». Dès lors, les chances de survie du régime
du PDG, dont les dirigeants étaient débordés sur tous les flancs se réduisaient
comme peau de chagrin.

L’ARMÉE PASSE À L’ACTION


En définitive, le mardi 3 avril 1984, une semaine après le décès du président
Ahmed Sékou Touré, l’armée mit fin au système du PDG.
Depuis quelques jours, le premier cercle formé autour du colonel Lansana
Conté travaillait d’arrache-pied et dans la clandestinité à mettre la dernière main
aux préparatifs du putsch. Il était composé d’ « officiers triés sur le volet se
faisant pleinement confiance pour garantir l’anonymat », d’après Faciné Touré.
Les conjurés parvinrent sans peine à convaincre plusieurs de leurs camarades à
épouser leur cause. Parmi les intimes du colonel Conté, seul le capitaine
Mohamed Lamine Traoré se serait fendu d’une réaction plutôt mitigée. Celui-ci
n’avait manifesté aucun enthousiasme à participer à l’opération. Il prit
cependant l’engagement de ne rien faire pour s’y opposer. Des dispositions

81
furent prises pour que les maillons de la chaîne s’ignorent réciproquement afin
que le secret soit bien gardé.
Selon Faciné Touré, seuls neuf officiers et sous-officiers méritent d’être
considérés comme les chefs historiques du coup d’Etat du 3 avril 1984. Ce sont :
Jean Traoré, Alhousseny Fofana, Kerfalla Camara, Lansana Conté, Faciné
Touré, Fodé Momo Camara, Pathé Barry, Bagbo Zoumanigui, Abdourahamane
Diallo80.
Toutefois l’action de ce ‘’noyau’’ ne pouvait suffire à l’aboutissement de
l’opération. En effet, la capitale guinéenne dispose de deux grands camps
militaires : le Camp Almamy Samory Touré situé dans la Commune de Kaloum
et le Camp Alpha Yaya Diallo qui se dresse une quinzaine de kilomètres plus
loin.
Le premier est dénommé officiellement Bataillon du Quartier Général
(BQG). Il renferme essentiellement l’administration, les différents Etat-majors
et services assurant le fonctionnement de l’Institution.
Le second est le Bataillon Spécial de Conakry (BSC). C’est ici qu’est basée
la force de frappe de l’armée : blindés, poudrière, armurerie. C’est aussi le siège
du Bataillon Autonome des Troupes Aéroportées (BATA), … Toutes choses
sans lesquelles aucune opération militaire d’envergure ne peut être envisagée.
Pour le commissaire de police, Ibrahima Dioumessi, des officiers du BSC ont
joué un rôle déterminant dans les préparatifs et l’exécution du coup d’Etat du 3
avril 1984. Ce sont eux qui commenceront par neutraliser le commandant du
camp, Sidiki Condé, dont l’attitude timorée agaçait et inquiétait ses compagnons
d’armes. Parmi les personnes venues l’arrêter, figurait le futur colonel Bago
Zoumanigui que nous avons rencontré pour les besoins de notre enquête.

‘‘C’EST À DEUX HEURES DU MATIN QUE LE DRAPEAU DE LA VICTOIRE


A ÉTÉ HISSÉ AU CAMP ALPHA YAYA’’
Le Colonel à la retraite, Joseph Bago Zoumanigui, parachutiste de formation
appartenait à l’élite de l’armée. Il fut un personnage clef du coup d’Etat du 3
avril 1984. Mais l’homme ne s’en est jamais vanté. Malgré l’emballement
médiatique autour de cette affaire, avec parfois des chantres qui étaient loin du
théâtre des opérations, il reste discret et mesuré. Le Colonel parle d’une voix
douce et affiche de temps en temps un sourire bienveillant. Avec l’humilité
naturelle qui le caractérise, il souligne qu’il n’assumait aucune responsabilité
particulière au sein de l’armée au moment des faits que nous relatons. Toutefois,

80
Liste déclinée par le général Faciné Touré sur les antennes de Radio Soleil. Mais en
2016, le Général Touré ne cita aucun nom dans l’émission ‘’Archives de Guinée’’
du 28 juin 2016. Il se borna à parler d’ « une partie » des deux camps Samory et
Alpha Yaya. Il ajouta que la gendarmerie, la milice et d’autres corps n’étaient pas
au courant de ce qui se tramait.

82
plusieurs de ses anciens camarades reconnaissent l’ascendant qu’il exerçait sur
eux comme son propre récit a tendance à le confirmer : « Après la réunion
dirigée au Camp Samory par le général Diané, j’ai rejoint le Camp Alpha Yaya
où, dans la nuit du 2 avril, avec Fankama et Abdourahamane, nous avons mis
un plan en marche. C’est ainsi que je me suis mis à la tête d’un groupe
d’hommes pour m’assurer le contrôle du Camp Alpha Yaya. Nous avons
commencé par neutraliser le commandant Sidiki Condé dont nous connaissions
l’attachement au régime », se rappelle le colonel Zoumanigui.
Les insurgés se rendirent ensuite au domicile du commandant Döbö
Sovogui, le directeur de l’Armement Munition de l’armée. Homme de
confiance du chef de l’Etat défunt, le commandant Sovogui exerçait cette
fonction depuis une vingtaine d’années. C’est, semble-t-il sur recommandation
du ministre Béavogui, que la décision de le nommer à cette importante
responsabilité avait été prise par le président Sékou Touré en 1964. Les visiteurs
étaient venus chercher les clés de l’armurerie jalousement gardées par le
commandant. Son fils, Joseph, jeune avocat au barreau de Conakry se
souvient : « Cette nuit là, mon père est revenu à la maison au-delà de 0 h, après
la patrouille qu’il effectuait chaque soir en compagnie des autres officiers
depuis la mort du président. Mais, à l’inverse des jours précédents, après le
départ du chauffeur, il s’est lui-même mis au volant pour une destination
inconnue. Deux groupes de militaires se sont succédé à la maison ensuite pour,
ont-ils dit, ‘’prendre possession du sac du commandant contenant les clés du
magasin d’armement’’. Ils essuyèrent le refus catégorique de ma sœur d’ouvrir
la porte. C’est lorsqu’un troisième groupe dirigé par le lieutenant Zangbalama,
un ami de la famille, se présenta que la donne a changé : « Le commandant
nous envoie prendre les clés du magasin de l’armement. Elles se trouvent dans
le sac en cuir placé sous son armoire. », dit-il. Les détails fournis par
Zangbalama nous permirent de savoir qu’il avait effectivement pris langue avec
notre père. Il est donc reparti avec les clés.
Plus tard, papa nous a expliqué qu’il avait adhéré au projet de coup d’Etat
après un entretien par talkee walkee avec le colonel Lansana Conté. Celui-ci
l’avait rassuré à cette occasion que c’est toute l’armée qui était en train de faire
front commun pour prendre les destinées du pays en main. C’est ainsi, nous
avait-t-il dit, qu’il a rallié le mouvement. »81
Le magasin ouvert, les armes furent distribuées aux insurgés qui prirent
position. Le sous-lieutenant Zoumanigui qui était à la tête du groupe, a ordonna

81
Que n’a-t-on dit à propos des clés de l’armurerie ? C’est le président Sékou Touré
qui les détenait le 22 novembre 1970, a affirmé Porto dans : ‘’La Vérité du
Ministre’’. « Pas du tout vrai. Les clés de l’Armurerie et de la Poudrière étaient
entre mes mains depuis 1964 et je n’ai pas cessé de les conserver jusqu’en 1984 »
a rétorqué le colonel à la retraite, Döbö Sovogui au cours d’un entretien
téléphonique (1er mai 2018) avec l’auteur.

83
que l’alerte soit donnée. Au son de la trompette, tous les hommes vinrent se
regrouper sur la Place d’arme. En peu de temps, l’endroit était noir de monde.
Bago Zoumanigui se rappelle que « c’est à ce moment que j’ai remarqué pour
la première fois la présence du chef de bataillon Baldet Mamadou 1G dit
Goldner, commandant adjoint du BSC, et celle du capitaine Baldet Mamadou,
directeur de l’Ecole Militaire Inter-Armées82, parmi nous ».
Il était à peu près deux heures du matin quand, au Camp Alpha Yaya, Bago
et ses compagnons annoncèrent le renversement du régime et la prise du pouvoir
par l’armée. La nouvelle sera confirmée à l’aube par un communiqué lu à la
radio. En effet, dit le colonel Zoumanigui, le reste n’était plus qu’une question
de formalité ou de procédure. Quoi qu’il en soit, soutient-il, « après le ralliement
du Camp Alpha Yaya au mouvement, plus aucun obstacle sérieux ne se dressait
sur notre chemin. La suite devait se dérouler très rapidement et avec une grande
facilité ».

LE COUP D’ÉTAT DU 3 AVRIL 84 : L’ARMÉE SE PLACE AU DEVANT DE


LA SCÈNE
La situation maîtrisée par Fankama, Bago, Sékou Touré, Abdourahamane
Diallo et les autres, le sous-lieutenant Fodé Moudou Keita fut chargé de dire
aux officiers regroupés autour de Lansana Conté au Camp Samory de les
rejoindre. Le Camp Alpha Yaya où l’armée, principale force oganisée de l’Etat,
a destitué le régime du PDG devint tout naturellement le premier centre de
l’exercice du nouveau pouvoir.
Le ralliement de tous les corps a été enregistré après le communiqué n°2 du
CMRN indiquant qu’« en ce jour du 3 avril 1984, les Forces Armées
Guinéennes, Terre, Air, Mer, Gendarmerie, Police, Douane, Milice, Garde
Républicaine, ont pris les destinées du pays sans effusion de sang dans un calme
total et dans l’enthousiasme populaire. » 83 Les premiers responsables de la
milice et de la douane se rendirent au Camp Alpha Yaya dès les premières
heures de la journée. C’est après l’avoir écouté, nous a dit, le directeur général
de la Douane, Kémo Keita que « je suis allé au bureau. Vers 12 heures, le
capitaine de police, Lamine Diakité, est venu me transmettre le message du
colonel Lansana Conté me demandant de me rendre au camp Alpha Yaya où à
mon arrivée, j’ai été invité à prendre part aux discussions qui s’étaient engagées
en vue de la mise en place du nouveau gouvernement ».
L’adhésion de la milice populaire, aguerrie et bien équipée, a été, quant à
elle déterminante. En effet, c’est dans le but de contrecarrer toute action

82
D’autres sources indiquent cependant que le capitaine Baldet avait été approché par
le colonel Conté avant le déclenchement des hostilités. Mais son nom ne figure
pas dans la liste établie par Facinet Touré et que nous reproduisons plus haut.
83
Extrait de la déclaration de prise du pouvoir par l’armée le 3 avril 1984, lue par le
capitaine Faciné Touré.

84
susceptible de lui porter préjudice que le PDG avait instauré la phase dite du
‘’Peuple en armes’’, symbolisée par la création de la milice populaire.
Structurée quasiment à l’instar de l’armée, la milice comprenait la totalité ou
presque des corps que cette dernière renfermait. Formés à Cuba, ses officiers
étaient, tout au moins, aussi bien endurcis que ceux évoluant au sein de l’armée
conventionnelle. Le 3 avril 1984, la milice dirigée par le capitaine Mamady
Bayo s’est mise entièrement au service du CMRN et sa caution a influé sur le
cours des choses d’une manière prépondérante. Toute autre option qu’elle aurait
prise était en effet de nature à compliquer l’épilogue de la conquête du pouvoir
par le CMRN. La milice n’était-elle pas l’instrument majeur sur lequel le PDG
comptait s’appuyer pour renforcer ses moyens de défense et son dispositif de
sécurité ? Mais le 3 avril 1984, aucune dualité n’a éclaté entre l’armée et la
milice. Tout au contraire, les deux corps se sont associés, fondus dans le même
moule en entretenant des rapports d’étroite coopération et de complémentarité.
Des dispositions furent prises ensuite sans rencontrer le moindre obstacle
pour occuper les points stratégiques de la capitale par les blindés commandés
par les capitaines Lancinè Keita Fankama et Baourou Condé… Fodé Momo
Camara fut chargé d’occuper le centre des télécommunications, le commandant
Oumar Soumah devait sécuriser la maison de la radio84, le capitaine M’Bemba
Keita prendre l’Energie. Faciné Touré a été désigné pour lire le communiqué
annonçant la prise du pouvoir par l’armée à la radio. Ces opérations menées
sans se heurter à la moindre résistance ne méritent pas de développement
particulier. Sans coup férir, les conjurés se rendirent maîtres du pays. En effet,
aucun coup de feu contradictoire, aucune barricade dressée par quelque
opposant que ce soit au coup d’Etat, aucune déclaration hostile ne furent
enregistrés.
Au final, ce mardi matin, lorsque ma femme dut renoncer à se rendre au
marché et revint précipitamment à la maison, pour m’informer que des soldats,
armes au poing, occupaient tous les carrefours, je n’eus qu’à tourner le bouton
de mon récepteur. Mes appréhensions ne tardèrent pas à se confirmer. La radio
diffusait de la musique militaire. J’entendis ensuite le communiqué numéro un
des nouvelles autorités qui passait pour la nième fois sur les antennes de ce qui
n’était plus la ‘’Voix de la Révolution ‘’ mais ‘’Radio-Guinée’’. En voici
quelques extraits : « Peuple de Guinée, tu viens de conduire à sa dernière
demeure l’un de tes fils les plus prestigieux auquel l’Afrique et le monde entier

84
Avant 6 heures, les insurgés s’étaient déjà saisis de la maison de la radio. Voici le
récit que nous en fit en son temps, le chef des studios, M’Baye N’Diaye dit Black :
« A 5h30, un groupe de soldats frappa violemment à la porte de mon domicile
situé à un quart d’heure de marche à peine de la radio. C’est au pas de charge que
nous avons parcouru le trajet conduisant à la Voix de la Révolution. A notre
arrivée, j’ai fait démarrer l’antenne et programmé de la musique militaire à la
demande de mes compagnons avant que ne se présente le porte-parole du CMRN
muni du communiqué annonçant la prise du pouvoir par l’armée ».

85
ont tenu à rendre un hommage mérité. L’œuvre immortelle d’Ahmed Sékou
Touré aura été de conduire notre pays à l’indépendance nationale et de faire
rayonner sur le plan africain et international tes idéaux et tes aspirations
nobles. Cependant, si sur le plan extérieur, son œuvre a été couronnée de
succès, il n’en est pas de même sur le plan intérieur où sous l’influence de
certains compagnons de lutte, malhonnêtes et sous la pression féodale de sa
famille, les espoirs de voir se créer une société plus juste se sont envolés, très
tôt, balayés par une dictature sanglante et impitoyable qui a broyé ta lumineuse
espérance. » Le premier communiqué du CMRN eut le don de mettre les
populations guinéennes et la communauté mondiale en émoi. C’est à peine si
certaines personnes ne se sont pas pincées pour se convaincre qu’elles n’étaient
point en train de rêver.

FACINÉ TOURÉ : « JE SUIS L’UNIQUE AUTEUR DU PREMIER


COMMUNIQUÉ »
Son auteur, en tout cas celui qui le lut d’une manière remarquable, était le
capitaine Faciné Touré. Je le sus personnellement le même jour grâce à un ami
qui avait été un de ses codétenus à la Maison Centrale de Dubréka.
C’est, en effet, dans l’anonymat le plus complet que le futur ministre des
affaires étrangères annonça aux Guinéens que c’en était fini du régime du PDG.
Je ne connaissais donc pas le porte-parole de l’armée. J’appris cependant plus
tard que sa famille était installée à Mamou et qu’il y aurait lui-même vu le jour
pendant les années 1930.
La ville où j’ai débarqué moi-même à peine sorti des langes pour être placé
en éducation par mon père, Mamadou Condé chez son frère Sékou Condé,
chauffeur à la subdivision des Travaux Publics, domicilié au quartier de la
Poudrière. Je ne l’ai quittée qu’après mon admission à l’Institut Polytechnique
de Conakry. Parmi les petits camarades que je me fis à cette époque et avec
lesquels nous disputions d’interminables parties de football figurait le frère
cadet du capitaine, Fodé Touré. Avec sa femme Djiba, celui qui a été plus tard
ambassadeur de Guinée au Brésil m’a accueilli à plusieurs reprises à son
domicile parisien lorsqu’il était en poste à la mission diplomatique guinéenne
en France.
Les paroles du capitaine Touré eurent un profond écho dans le pays et en
dehors. Elles arrachèrent quasiment l’unanimité par la forme comme par le fond.
Est-ce pour ce motif que certains ont tenté de lui en contester la paternité comme
cela arrive souvent en Guinée ? Le capitaine Fodé Momo Camara, par exemple
dont les relations avec son compagnon d’armes n’ont jamais été cordiales
semble-t-il, a allégué que : « le texte a été écrit par Zaïnoul. C’est la raison pour
laquelle, il a fait partie du Gouvernement ». Un avis que partage, au moins en
partie, Sidiki Kobélé d’après qui ‘’Faciné’’ n’est pas seul à l’avoir rédigé
comme ‘’Zainoul’’ le lui aurait confié39.

86
Marchant sur ses brisées, Ibrahima Kaké soutient que le texte a été « rédigé
par un groupe d’officiers et d’intellectuels parmi lesquels Richard Abbas (sic)
et Zaïnoul Sanoussi que les militaires ont réussi à mobiliser au cours de la nuit. »
Mais, interrogé sur la question, Faciné Touré soutient énergiquement être
l’unique auteur du texte. Tel fut le cas le 4 avril 2007 sur les antennes de la
station privée Radio Familia lorsqu’il répondit d’une manière sans équivoque :
« C’est moi qui l’ai rédigé et lu. Pas lu seulement, c’est moi qui ai rédigé et lu
le premier communiqué. Ce sont les autres communiqués qui ont été rédigés
par une commission et on me les envoyait à la radio. Mais le premier
communiqué, j’en suis le père ». Il ajouta en 2016 dans le cadre de l’émission,
‘’Archives de Guinée’’ de la RTG que son épouse était la seule personne
présente à ses côtés au moment où il le rédigeait.
Le Général Amadou Mangatta Bangoura est-il sur le point de lui donner
raison quand il affirme : « Le 2 avril 1984, Faciné m’a convié avec Jean Traoré
à lui donner mon avis sur le texte devant servir de déclaration annonçant la
prise du pouvoir par l’armée. Tout en ignorant dans quelles circonstances, il a
été rédigé, nous l’avons approuvé séance tenante ». Par ailleurs, l’auteur qui a
côtoyé le professeur Zaïnoul Abidine Sanoussi, dont il fut un des plus proches
collaborateurs aux ministères de l’Information et de l’Intérieur, ne se souvient
pas de l’avoir entendu s’arroger la moindre part de responsabilité dans la
rédaction du premier communiqué diffusé le 3 avril 1984. Mais cette remarque
n’infirme pas forcément la thèse de sa participation à un tel travail. Du reste, lui
et moi n’avons jamais évoqué la question.
D'une manière fondamentale, la première déclaration radiodiffusée du 3 avril
1984 a marqué l’avènement d’une nouvelle ère en Guinée. En effet, si la réalité
du pouvoir était entre les mains des militaires depuis les premières heures de
l’aube, c’est la voix du capitaine Faciné Touré qui a sonné le glas de l’ancien
régime dans la conscience populaire.
Le même jour, la presse du monde entier s’en est fait l’écho. Comme partout
où est enregistré un coup d’Etat sur le continent, les journalistes de la radio
nationale furent les premiers à se mettre au service des nouvelles autorités. Les
éditorialistes dont les commentaires dithyrambiques emplissaient les oreilles à
l’endroit de la Révolution quelques heures plus tôt retournèrent leur veste en
changeant systématiquement de langage. Ils disaient à présent pis que pendre de
la Révolution. Ils rivalisaient dans l’art de pourfendre ceux qu’ils accablaient de
louanges et de flatteries quelques heures auparavant.
Les nombreuses chansons à la gloire de l’ancien régime et de son leader
furent immédiatement proscrites ou ciselées de manière à en extraire ce qui
appartenait à un passé désormais exécré. Le régime du PDG subissait en quelque
sorte le contrecoup d’une pratique qu’il avait créée et favorisée, la censure
systématique. Les chroniqueurs en langues nationales, frileux dans un premier
temps à l’exception de leur collègue en langue peulhe, montèrent

87
progressivement en puissance dans leurs critiques envers « la dictature
totalitaire et sanguinaire du PDG. »85
Pendant ce temps, la presse internationale ne resta pas inactive, Radio
France Internationale (RFI) en tête. La station française bouleversa son
programme pour consacrer des émissions spéciales à la situation en Guinée. Elle
avait réussi auparavant l’exploit de s’arroger la primeur de l’information dans
son journal de 6h30 grâce au dynamisme de son correspondant en Guinée, le
coordinateur du Journal parlé, Cheick Sylla.
Opposant de longue date, ayant pris une part active à l’agression du 22
novembre 1970 et chef de la rédaction de Jeune Afrique (J.A), Siradiou Diallo86
était au centre des sollicitations. Il partageait ‘’ce privilège’’ avec d’autres
opposants exilés de la première heure : Ibrahima Baba Kaké, Julien Condé, Sow
Thierno... L’homme s’est voulu équilibré cependant quand l’occasion se
présenta, en réponse à une question portant sur le bilan de l’ère Sékou Touré :
« Depuis ces dernières années, disons depuis 1978, depuis la réconciliation
entre Sékou Touré d’une part et le président Senghor et le président Houphouët
Boigny d’autre part, cette réconciliation a eu lieu le 18 mars 1978 à Monrovia
de toute cette période, nous n’avons rien eu à reprocher à Sékou Touré sur le
plan extérieur, mais nous sommes des Guinéens. Ce qui nous intéressait, ce
n’est pas ce qu’il faisait dehors, mais ce qu’il faisait à l’intérieur du pays, ce
qu’il faisait pour et contre le pays, contre le peuple, à l’intérieur du pays»,87 a-
t-il conclu.

DES SCÈNES DE LIESSE SALUENT L’ÉVÉNEMENT


Le pays que le nouveau chef de l’État, le colonel Lansana Conté et ses
compagnons prirent en main en 1984 n’était pas au mieux. Le long règne du
président Ahmed Sékou Touré avait fini par avoir raison des ardeurs militantes
de la population. L’aspiration au changement était réelle. Des hommes et des
femmes s’époumonant par le passé à porter aux nues le PDG et son régime et
qui, dans certains cas, avaient été grassement payés en retour, se mirent à crier
haro sur le baudet. Le régime s’écroula comme un château de sable sans que

85
Plus tard, le capitaine Mohamed Traoré, devenu le ministre de l’Information du
nouveau régime, se souvenant de l’engagement ferme dont Abdoulaye Porédaka
Diallo avait fait montre, le 3 avril 1984 pour transmettre le message du CMRN,
voulut en faire le directeur général de la RTG. Mais il se heurta à l’opposition de
cercles gravitant autour du Président qui finirent par imposer le directeur sortant.
86
Figure importante de l’opposition extérieure au P.D.G. entre 1959 et 1984 et futur
leader d’un parti politique fondé après la prise du pouvoir par les militaires. Son
nom est associé à la presque totalité des complots dénoncés par la Révolution. Sa
participation aux événements du 22 novembre 1970 est relatée avec précision par
Bilguissa Diallo dans son ouvrage Guinée, 22 novembre 1970, éd. Harmattan, P.94
et 149.
87
RFI, émission du 3 avril 1984.

88
personne ne levât le petit doigt pour le sauver. Aussi, le nouvel organe dirigeant
n’eut-il aucune peine à se faire adouber. D’ailleurs, le communiqué n°1 du
Comité Militaire du Redressement National(CMRN), invitant la population au
calme et interdisant toute circulation, a produit l’effet contraire. Des
mouvements de masse spontanés se formèrent pour saluer les ‘’libérateurs’’.
Assoiffés de changement et scandant ‘‘Vive la liberté’’, des milliers de
citoyens envahirent les rues de la capitale pour manifester leur joie. Des scènes
de liesse identiques furent enregistrées sur tout le territoire. Il importait peu de
connaître qui serait le nouvel homme fort du pays, d’où il venait, quel pouvait
être son âge… ? Ces femmes, ces enfants et ces hommes de toutes les
générations et de toutes conditions étaient transportés par un même
enthousiasme parce que le pays venait de changer de mains, pour ne pas dire de
maître. Fodé Momo Camara écrira à ce propos avec une certaine justesse : « Le
3 avril n’a pas été un coup d’Etat militaire, mais un coup d’Eclat populaire »88.
Tel est, du reste, le sort réservé à la plupart des régimes qui défient le temps,
surmontent les adversités et donnent l’impression d’être aussi solides qu’un roc.
Dans la journée du 3 avril 1984, la junte multiplia les communiqués et les
messages avant la composition du Gouvernement89. Son premier message a été
adressé à tous les chefs d’Etat. Le CMRN y affirma « sa totale disponibilité à
renforcer les liens de fraternelle coopération fructueuse dans l’intérêt de nos
peuples ». Aux secrétaires généraux de l’O.N.U et de l’O.U.A, l’assurance fut
donnée que le nouveau régime allait « respecter tous les accords internationaux
dans le cadre strict de sa souveraineté nationale sans immixtion dans les affaires
intérieures d’un autre pays ». Il y était également question du « respect des
engagements internationaux passés entre notre pays et les Etats membres de la
communauté internationale » (voir annexe).

RÉUNION À L’AMBASSADE DE FRANCE ?


Reste une grosse inconnue : les putschistes ont-ils pris le pouvoir sans
aucune ingérence étrangère ? Ont-ils œuvré en l’absence de tout appui
extérieur ? A ce propos, des témoignages amènent à penser que le coup d’Etat
du 3 avril 1984 n’a pas surpris quelques chancelleries en poste dans la capitale
guinéenne. Celles-ci ne se seraient pas limitées à formuler des vœux pieux. Elles
sont soupçonnées à travers des déclarations ou allusions d’avoir donné un
sérieux coup d’éperon aux conjurés. C’est ainsi que sans les citer, Sidiki Kobélé
Keita parle de « l’appui de chefs de délégations étrangères » qui auraient

88
Camara Fodé Momo in Ma part de vérité sur le 3 avril 1984.
89
Si une polémique a alimenté les circonstances dans lesquelles le communiqué
numéro 1 a été rédigé et le nom de son auteur, en revanche, il semble admis que
c’est une commission qui a rédigé les communiqués qui ont suivi. Elle était
composée, semble-t-il, de l’ancien journaliste Morou Baldé, du professeur Zainoul
Sanoussi, des capitaines Jean Traoré, Fodé Momo Camara…

89
convaincu « les officiers guinéens d’agir immédiatement ». Abordant le sujet,
Faciné Touré lors de notre entretien a laissé plainer pour sa part un certain flou
artistique. L’opération du 3 avril 1984, selon lui, « n’a bénéficié d’aucune aide
extérieure ». Il a admis cependant, que l’ambassade des USA avait promis un
appui logistique aux conjurés. Elle envisageait de leur fournir du carburant :
« Mais, nous n’en eûmes pas besoin » tint-il à souligner90.
Le général Touré n’a pas indiqué pour autant les circonstances dans
lesquelles la mission diplomatique américaine fit son offre. Des renseignements
attestent en effet que des puissances occidentales (France, USA) ne sont pas
restées les bras croisés face à l’évolution de la situation politique en Guinée, au
lendemain de la disparition du président Ahmed Sékou Touré.
L’oraison funèbre prononcée par le Premier ministre Lansana Béavogui dans
laquelle, s’adressant à son camarade de lutte défunt, il avait déclaré : « Nous
allons continuer ton œuvre », aurait fait se hérisser les cheveux des représentants
américain et français. Ces paroles ont convaincu les occidentaux qu’avec les
compagnons de Sékou Touré, il ne fallait pas s’attendre à un changement
d’orientation en Guinée. Selon certaines versions en rapport avec les faits, les
plans de l’ambassadeur de France, Yvon Omnès (1974-1984), très actif depuis
la mort du président, furent approuvés. C’est lui qui aurait, notamment contacté
le capitaine Amadou Kouyaté à moins que ce dernier qui était en charge des
renseignements dans l’armée n’agissait en tant qu’agent double depuis
longtemps.
Dans l’après-midi du 30 mars 1984 une réunion s’était tenue, selon le
commissaire Ibrahima Dioumessi, à l’ambassade de France. Elle avait été
dirigée par le Premier ministre Pierre Mauroy. George Bush, le vice-président
des Etats-Unis, ancien directeur de la C.I.A, était présent. A l’ordre du jour :
aider un groupe d’officiers à s’emparer du pouvoir en neutralisant si nécessaire
la milice d’obédience communiste et le C.U.M, émanation du P.D.G, les deux
piliers sécuritaires du régime. Le capitaine Amadou Kouyaté dit Djol a participé
à cette réunion. C'est lui qui servira de relais entre ses organisateurs et quelques
officiers de l’armée.
Dioumessi poursuit qu’à cette occasion, l’Américain aurait insisté sur la
nécessité de faire vite. En effet, George Bush, vantant la capacité de
mobilisation du régime guinéen, a estimé qu’il ne fallait pas lui donner la
possibilité de se remettre du coup que le sort venait de lui administrer. Bientôt,
aurait-il dit, « les grand-messes révolutionnaires vont se succéder. Un coup
d’Etat serait difficilement envisageable dans l’environnement ainsi reconstitué.
Les recommandations du vice-président des Etats-Unis ont bénéficié de
l’adhésion des participants91.

90
Keita Sidiki Kobélé (conversation avec l’auteur).
91
Avant de s’envoler pour Washington, le successeur de Ronald Reagan aurait
proposé, mais en vain, une place à bord de son avion spécial à un membre du

90
La décision fut prise de « passer à l’action avant la réunion des instances du
parti qui avait été convoquée par la direction nationale du PDG », affirme-t-il.
Pour sa part, l’hebdomadaire, L’Oeil du Peuple, dans sa livraison no 237 du
4 au 10 avril 2011, fait allusion à une « chancellerie de la place » qui accepta de
consulter des officiers pour une éventuelle prise du pouvoir. 92»
Dans le même ordre d’idée, malgré l’esquive que nous avions essuyée en
l’interrogeant, le général Faciné Touré a été moins énigmatique en répondant à
Sékou Mady Traoré de Radio Soleil lorsque le journaliste a abordé la même
question. Il s’était exprimé alors à peu près en ces termes : « Si ceux qui nous
ont aidés ne trouvent pas d’objection à ce que leurs noms soient dévoilés, alors
nous le ferons ». Il ne reste plus que des noms à mettre à la place de « ceux qui
nous ont aidés » pour identifier les forces externes qui ont tiré les ficelles dans
cette affaire.
Dans tous les cas, il paraît évident que dans la guerre d’influence qui l’a
opposé au bloc socialiste, pendant longtemps omniprésent en Guinée,
l’Occident ne pouvait voir d’un mauvais œil un régime plus libéral s’installer
dans le pays. La France était particulièrement intéressée à voir la Guinée
amorcer un virage de 180 degrés sur le plan politique. Deux raisons au moins
pourraient l’expliquer : la méfiance résultant de la rupture intervenue entre les
deux pays au lendemain du référendum du 28 septembre 1958 laissait encore
des traces. François Mitterrand, au pouvoir dans l’Hexagone après sa victoire à
l’élection présidentielle du 10 mai 1981, n’entretenait plus depuis un certain
temps le même type de relation avec son ami Sékou Touré. En effet, par le passé,
les deux hommes avaient cultivé des rapports les plus cordiaux nés à l’époque
où ils siégeaient au Palais Bourbon au sein d’un même groupe parlementaire
(l’U.D.S.R — R.D.A.) entre 1956 et 1958. Amis voire complices, aucun des
deux, n’avait voté l’investiture du général de Gaulle en juin 1958. Il s’en suivit
une longue traversée du désert pour le député de la Nièvre et de Gaulle devenu
leur bête noire commune, leurs rapports se sont approfondis. C’est ainsi que
Mitterrand s’est rendu trois fois en Guinée à l’invitation du président. Son séjour
en 1972 a même été couronné par la libération de trois prisonniers français
arrêtés après les événements du 22 novembre 1970.
Mais en 1977, changement de décor : Sékou Touré s’en est pris violemment
au premier secrétaire du Parti Socialiste français (PS). Il a traité François
Mitterrand de « franc-maçon » et le PS de « Parti de la Souillure Française ».
A l’origine de sa colère, les propos malveillants prononcés par un dissident
guinéen, à l’occasion d’une rencontre organisée sous l’égide du parti que
dirigeait alors le successeur de Valéry Giscard d’Estaing.

Bureau Politique National de ses amis. Il aurait confié à la personne vouloir la


mettre à l’abri, compte tenu du déclenchement prochain d’un coup d’Etat militaire
en Guinée (entretien avec le commissaire Dioumessi).
92
L’œil du Peuple, p. 5 ;

91
La visite du président guinéen en 1982 en France et sa participation au
sommet franco-africain de Vittel l’année suivante n’ont pas contribué
réellement à refermer entièrement la plaie provoquée par cet incident.
Dans ces conditions, Mitterrand ne pouvait être hostile à un changement de
cap en Guinée. Les autorités françaises étaient persuadées qu’en balayant le
régime du PDG, celui-ci laisserait place à un système moins intransigeant sur
certains principes de grandeur et de dignité vis-à-vis de l’ancienne métropole et
du ‘’monde libre’’ en général. On connaîtra peut-être un jour avec force détails
le rôle que la France et ses alliés occidentaux, voire africains, ont joué dans les
préparatifs et le déclenchement des évènements du 3 avril 1984 en Guinée.
De toute façon, les relations entre Paris et l’ancienne colonie rebelle se sont
sensiblement améliorées après le putsch de l’armée. L’influence de la France
s’est accrue dans un pays où, jusqu’ici, elle faisait profil bas et avec lequel elle
avait repris sa coopération sur la base du principe du respect mutuel cher au
dirigeant guinéen qui venait de disparaître.

L’IMPLICATION DU GÉNÉRAL MOUSSA TRAORÉ DU MALI


On invoque aussi en identifiant les facteurs externes qui ont galvanisé les
militaires guinéens dans leur quête du pouvoir, le rôle joué par le chef de l’Etat
malien.
En effet, le général Moussa Traoré à la tête de son pays depuis 1968, après
avoir renversé le président Modibo Keita fut le seul parmi ses pairs à prolonger
son séjour dans la capitale guinéenne au-delà du 28 mars 1984. Un choix qui ne
devrait rien au hasard. Il l’aurait fait sur « insistance de deux chefs de délégation
occidentale 93 », dit-on. La mission assignée au général malien était de
convaincre les militaires guinéens de prendre le pouvoir. Moussa Traoré aurait
donc pris langue avec quelques officiers, dont Diarra Traoré.94 Il leur aurait dit
que c’était le moment ou jamais de passer à l’action, ajoutant que toute
hésitation, rendrait l’objectif irréalisable à court terme.
Si ces informations se confirmaient, c’est donc à la suite de l’entrevue entre
le Malien, le général Moussa Traoré que le Guinéen, le colonel Diarra Traoré,
son ancien condisciple à l’Ecole des Enfants de Troupe, a dû se décider ou a été
ragaillardi dans l’idée de se lancer à la conquête du pouvoir devenu ‘‘vacant’’.
En effet, à en juger par certains témoignages, Diarra Traoré avait été
profondément affecté dans un premier temps par l’annonce de la disparition du
président Sékou Touré. Un ancien collaborateur du gouverneur de Boké se
rappelle que celui-ci est resté prostré pendant de longues minutes, incapable de

93
Keita Sidiki Kobélé, La Guinée de Sékou Touré, Pourquoi la prison du camp
Boiro ?, Paris, Harmattan, 2014, P.32.
94
Les deux hommes partageaient une longue relation commune datant de l’époque où
ils commencèrent à fréquenter l’école des sous-officiers de Kati. Selon des
témoins, Diarra et Moussa sont restés ensuite amis jusqu’au bout.

92
dissimuler sa peine, lorsqu’il était venu lui apporter la nouvelle. Son premier
mot fut ensuite de déplorer l’évacuation du président malade aux Etats-Unis où
« les impérialistes ne pouvaient que l’achever95 ». Ce sentiment était du reste
partagé à Boké parmi les responsables locaux regroupés autour du commissaire
général de la Révolution, Fily Cissoko. L’abattement était général à la suite de
ce coup du sort. Notre informateur se souvient de la détresse dans laquelle était
plongé Guirane N’Diaye, le secrétaire fédéral du PDG à Boké. L’homme
pleurait comme un nouveau-né privé de lait. Il était inconsolable pour avoir
perdu son « père ». Il est permis de croire que Diarra Traoré ne pensait pas à un
coup d’Etat dans un tel contexte et que sa rencontre avec Moussa Traoré a peut-
être été déterminante.

95
Entretien avec Ibrahima Kaba, le 6 mars 2012.

93
CHAPITRE V

Arrestation d’officiers, membres


de la famille TOURÉ

Le coup d’Etat du 3 avril 1984 ne fut pas exempt de tout esprit de règlement
de compte au sein de l’armée. Des officiers furent arrêtés dès après son
déclenchement. Certains d’entre eux, payèrent plus tard de leur vie, leur
appartenance à la famille du président Sékou Touré. D’autres, furent victimes
de leur attachement à l’ancien régime en refusant de participer à sa destitution.
C’est le cas du commandant Sidiki Condé du Camp Alpha Yaya96. Sa veuve,
Hadja Mame Diawara, se rappelle que son mari était pourtant lié à Lansana
Conté par une longue et vieille amitié. Les deux hommes sont issus de la même
promotion de l’Ecole Militaire Inter-Armées (EMIA). Mais, légaliste, le
commandant Sidiki Condé estimait que la place des soldats était dans les
casernes. De son point de vue, « une intervention de l’armée ne pouvait se
justifier que si les civils ne parvenaient pas à accorder leurs violons au terme
des 40 jours de deuil officiel 97».
Une prise de position suffisante pour que ses compagnons décident de le
neutraliser. Aussi, nous confia-t-elle, « depuis que mon mari a quitté la maison
dans la matinée du 3 avril 1984 en compagnie des hommes de Fangama venus
le chercher, nous ne l’avons plus revu. Il a disparu à jamais, abandonnant entre
mes mains une douzaine d’enfants dont l’aîné était encore au collège. »98
De toute façon, l’unité tant vantée de l’armée dans sa quête du pouvoir le 3
avril 1984 appelle quelques réserves. La volonté d’exclusion ou de régler des
comptes semblait déjà habiter certains esprits. En effet, dans son communiqué
N°9, le CMRN a mis en garde des éléments soupçonnés de vouloir
compromettre son action. Son porte-parole déclarera à ce propos : « Le CMRN
suit avec beaucoup d’attention les mouvements d’un groupuscule visant à nuire
à ses activités en connivence avec certaines ambassades étrangères de la
capitale ». Le CMRN l’a accusé d’être « nostalgique de l’arbitraire du passé,

96
Le commandant Condé aurait-il été fusillé en même temps que les dignitaires du
PDG dans la nuit du 8 août 1985 ou avant ? Question à élucider.
97
Entretien avec l’auteur à son domicile de Kissosso, le 3 mai 2012.
98
Entretien avec l’auteur à son domicile de Kissosso, le 3 mai 2012.

95
du régime totalitaire qui, pendant 26 années, ont baigné notre peuple dans le
sang et dans les larmes ».
Le nouvel organe dirigeant du pays a lancé « un appel pressant à la
population de Conakry pour qu’elle demeure vigilante et garde jalousement sa
liberté reconquise ».
Dans la foulée, le public apprit l’arrestation d’un groupe de militaires et de
paramilitaires, tous proches de l’ancien président. Le commandant Siaka Touré,
ex-ministre des Transports et ancien administrateur du Camp Boiro fut pointé
du doigt comme la tête de pont du mouvement. Son ‘’cas’’ avait fait l’objet dans
la matinée de discussions passionnées parmi les militaires regroupés autour de
Lansana Conté après le déclenchement du coup d’Etat. Ce ‘’frère d’armes’’
devrait-il être ‘’intégré’’ ou ‘’écarté’’ ? Les avis étaient partagés et ‘’un vote a
été organisé’’, affirme Fodé Momo Camara.
En effet, bien que claudicant après une chute qui avait entraîné son
hospitalisation au Maroc, le commandant Touré avait répondu à l’appel de
l’Armée. Il avait pris dès les premières heures la direction des Usines Militaires
de Conakry qui servaient de Quartier Général aux nouvelles autorités du pays.
Selon un officier présent sur les lieux, il aurait déclaré à son arrivée dans le but
évident de se faire légitimer que le président Sékou Touré, le soupçonnant de
vouloir fomenter un coup d’Etat, avait décidé de le mettre aux arrêts99. Des
propos qui ont été, dit-on, confirmés par Diarra Traoré.
C’est le colonel Conté qui est parvenu avec beaucoup de tact à mettre fin à
sa présence au milieu d’une assemblée où celle-ci était loin de faire l’unanimité.
Fodé Momo Camara et Faciné Touré selon le premier nommé, y étaient
farouchement hostiles. Le premier la jugeait contreproductive en ce sens que
Siaka Touré avait « un passé peu glorieux qu’il traînait comme un boulet ». Le
second, absent au moment du vote, réagira « rageusement » en apprenant plus
tard que la majorité avait décidé de l’admettre au sein du groupe100.
A en croire le commissaire Dioumessi, le futur président lui tint à peu près
ce langage pour l’éloigner d’une assemblée où sa présence était jugée
indésirable par certains membres qui l’exprimaient trop bruyamment :
« Commandant, vous pouvez rentrer parce que vous êtes convalescent. Nous
vous tiendrons au courant de l’évolution de la situation. »101

99
Information relayée par Diarra Traoré, selon Ibrahima Sory Dioumessi.
100
Op.cité, p.35. Le vote aurait été organisé à l’initiative de Fodé Momo Camara et
traduisait l’opposition de cet officier à l’intégration du commandant Siaka Touré.
Mis en minorité, Fodé Momo Camara aurait continué, malgré tout, à pester en
parlant de « majorité négative » avant de trouver un puissant allié en la personne
de Faciné Touré et d’obtenir finalement gain de cause. (Ma Part de Vérité sur le 3
avril 1984, p.35).
101
Propos confiés à l’auteur par le commissaire I.Dioumessi.

96
Le même jour, Siaka Touré avait été accusé de tentative de déstabilisation
du nouveau régime. Diarra Traoré qui a porté la nouvelle à ses camarades aurait
été alerté par un membre de sa famille. Il avait été demandé à cette personne
d’intercéder auprès du futur numéro deux du CMRN en faveur de l’ancien
ministre Moussa Diakité malade pour que ses médicaments lui parviennent en
prison102.
La démarche servit de prétexte pour crier au complot et procéder à
l’arrestation de personnes contre lesquelles certains en avaient gros sur le cœur.
Mais, pour Fodé Momo Camara, user d’un tel ton est une manière édulcorée de
rapporter des faits, dont il soutient fermement l’authenticité. En effet, selon lui
« dans l’après-midi (le 3 avril 1984, NDLA), vers 16 heures, un commando
avait débarqué aux Usines militaires ayant à sa tête le commandant Siaka
Touré 103 censé être au lit et le colonel Doumbouya Fodé, aide de camp du
président Sékou Touré, mécontents de n’avoir pas été associés aux préparatifs
du putsch. L’alerte lancée dans la salle du Haut Commandement fort
heureusement par un soldat avait permis au colonel Diarra Traoré de donner
promptement les ordres appropriés pour neutraliser et mettre aux arrêts tout le
commando sans tirer un seul coup de feu. Nous l’avions échappé belle. » Il en
conclut, hilare : « Les événements nous avaient donné raison à mon frère Faciné
Touré et à moi-même. »104
Ainsi, l’accusation de tentative de contrecoup d’Etat venait à point nommé
pour trancher le débat qui commençait à mettre à mal l’unité au sein du futur
CMRN. Parmi les personnes jouissant d’une certaine notoriété, incarcérées,
pour les mêmes motifs, figurait le commissaire de police, Mouloukou
Souleymane Touré. L’ancien ambassadeur et directeur de cabinet au ministère
de l’Urbanisme et de l’Habitat, avait été arrêté pour une première fois le 3 avril
1984 avant d’être relâché. Mais il fut reconduit en prison deux ou trois jours
après. Il lui était reproché officiellement d’avoir tenté d’assassiner Diarra
Traoré. « Des allégations aux antipodes de ses intentions réelles », nous a confié
un de ses amis. Selon ce dernier, si l’officier de police s’était démené ce jour-là
pour rencontrer le nouveau Premier ministre, c’était pour que celui-ci usât de
son influence afin que des produits pharmaceutiques destinés à l’usage de
Moussa Diakité lui soient remis. Kaba Camara ‘’de Gaulle’’, ancien garde du
corps du président, avait subi le même sort. Le capitaine Alpha Touré dit
Wassakara, commandant de bord à Air Guinée ne fut pas épargné non plus bien
qu’il n'avait jamais fait de politique. Son univers était circonscrit à son domicile
et au cockpit des aéronefs qu'il pilotait. Cousin et voisin du commandant Siaka
Touré, il était venu s'enquérir des nouvelles de sa santé quand ils furent arrêtés

102
Idem.
103
Pourtant, « le groupe de Diarra Traoré », selon Fodé Momo Camara (op.cité, p.35)
aurait été le principal soutien à l’intégration du commandant Siaka Touré dans
l’équipe des militaires qui venaient de prendre le pouvoir.
104
Ma Part de Vérité, p.35.

97
ensemble. Le 5 avril, les jumeaux Lanciné (Lalmas), et Louncény Keita (Bud),
frères cadets de madame Andrée Touré, furent appréhendés à leur tour.
Ingénieurs en aéronautique et diplômés de l’Ecole Supérieure d’Aviation
Militaire de Kiev, l’un était spécialisé en équipements électriques des aéronefs
et l’autre en moteurs et tellule. Pour le colonel Lansiné, « notre arrestation ne
m’a pas surpris outre-mesure. En effet, dès après le décès du président, certains
n’ont pas tardé à nous faire découvrir la véritable nature de l’homme. Les
regards qui se posaient sur nous n’étaient plus les mêmes. J’avais donc
vaguement le pressentiment que quelque chose se produirait et que nous ne
serions pas épargnés. Nous en avons parlé avec plusieurs de nos proches qui
partagèrent nos inquiétudes, nous conseillant même parfois de disparaître
momentanément de la circulation. Toutefois, nous avons appris après notre
libération que tous les membres du CMRN ne voulaient pas qu’on nous arrête.
Le capitaine Mamadou Baldet, notre ancien directeur à l’école militaire, s’y
serait opposé. Il ne souhaitait pas du tout que nous soyions inquiétés, parce que,
disait-il, ‘’nous avons toujours su rester humbles et modestes malgré notre
appartenance à la famille du président’’. Sa commisération s’étendait d’ailleurs
à d’autres jeunes officiers. C’est suite à son intervention par exemple que le
lieutenant Kader Doumbouya fut libéré après son incarcération le jour même où
l’armée prit le pouvoir. Mais le chef d’Etat-major de l’Armée de l’Air, le
commandant Abdourahamane Kaba avait une opinion tout à fait différente. Pour
lui, nous constituions un danger potentiel à exorciser. Finalement, son avis a
prévalu et nous avons été jetés en prison ».
Ils seront au total, une trentaine d’officiers et de sous-officiers appartenant
au clan Touré ou à la famille de son épouse à connaître le même sort. Tous
furent arrêtés dans la matinée du 5 avril 1984 alors que comme de coutume, la
plupart d’entre eux se trouvaient à leur poste de travail. En effet, selon le colonel
Amara Touré, frère cadet du commandant Siaka Touré « nous nous trouvions
tous ce jour à la base militaire lorsque le capitaine Hady Kanté au prétexte que
des mesures visant à nous ‘’sécuriser’’ avaient été prises, nous a enjoints de
rendre nos armes et de prendre la direction du camp Alpha Yaya. A notre
arrivée, une longue garde à vue nous a été imposée par le lieutenant Balla
Camara avant notre incarcération dans la prison du camp dénommée les ‘’32
escaliers’’. Quelques jours plus tard, nous avons rejoint les anciens ministres au
camp Boiro avant de prendre avec eux la direction de la maison centrale de
Kindia. Je me souviens avoir effectué le voyage avec mes compagnons d’armes
et amis, Biya Sangaré, Mamy Sangaré, Bud, Lalmas, Diawadou Sow…Des
dirigeants de premier plan de l’ancien régime tels que le Premier ministre
Béavogui et le général Toya Condé se trouvaient dans le même fourgon que
nous », a-t-il précisé.

98
L’OUVERTURE DES CELLULES DU CAMP BOIRO
Mais l’évènement principal de la journée fut l’ouverture des cellules du
Camp Boiro et la libération de leurs occupants. Dans son communiqué n°2, le
CMRN souligna à ce propos qu’il ordonnait : « à compter de ce jour la
libération de tous les détenus politiques, arbitrairement privés de leur droit à la
liberté et à la justice sociale. ».
Le cardinal Robert Sarah évalue à « plus de deux mille prisonniers
politiques » 105 le nombre de personnes qui ont recouvré la liberté à cette
occasion. Un chiffre qui, sans nul doute, gonfle les capacités d’accueil du site.
En effet, le Camp Boiro qui était, certes un centre de détention, abritait surtout
des logements réservés aux agents de la garde républicaine et leurs progénitures
souvent nombreuses. De toute façon, s’agissant de ce cas précis, aucune
statistique n’a été établie par les nouvelles autorités dans les déclarations
officielles enregistrées après la fermeture de la prison. Aucune indication non
plus n’a été fournie sur l’état de santé des prisonniers libérés. On peut considérer
dès lors les estimations effectuées plus tard comme relevant de la pure
spéculation.
Ancien camp de la Garde Républicaine, transformé en centre de détention
au milieu des années soixante, le pénitencier situé dans le quartier de
Camayenne avait fini par s’identifier à la face la plus redoutable et la plus
violente du régime guinéen. Comme la Bastille, le Camp Boiro était le symbole
de l’absolutisme du PDG. Des écrits sous la plume d’anciens pensionnaires ou
de personnes qui n’y ont pas mis les pieds évoquent les horreurs vécues par les
prisonniers qui y ont été incarcérés. Ibrahima Baba Kaké le dépeint comme « un
sinistre domaine entouré de hautes murailles surmonté de barbelés, sur lequel
veillaient près de cent soldats et policiers appuyés par deux chars d’assaut
pointant leur canon vers la mer et une mitrailleuse lourde. A quelques mètres
de la plage, des « blocs » de béton érigés sur ces terrains marécageux, infestés
de moustiques, renfermant des prisonniers politiques des deux sexes et de toutes
conditions. » 106 Une description romancée, d’autant plus qu’elle émane d’un
auteur se fondant sur des récits aux origines parfois douteuses et qui par ailleurs
entretenait lui-même des relations antagoniques avec le régime du PDG.
Jean Paul Alata, ancien collaborateur du président, français de souche, déchu
de sa nationalité et naturalisé guinéen, y a été emprisonné pendant cinq ans. Il a
publié en 1976, le premier récit sur le camp intitulé ‘’Prison d’Afrique’’.

105
Cardinal Robert Sarah, Dieu ou rien, entretien sur la foi avec Nicolas Diat, Paris,
Fayrd, février 2015, p.p/93-94.
106
Kaké Ibrahima Baba, Sékou Touré, le héros et le tyran, Paris, Jeune Afrique p.159,

99
Il a parlé de « Boiro » avec « ses puanteurs, sa dalle aux morts, sa chambre
de tortures où aucun homme ne peut oublier le message de désespoir des
milliers de morts vivants, les zombies du maléfique Ismael Touré. »107
Alpha Abdoulaye Diallo connu sous le pseudonyme de Porto, auteur de la
"Vérité du Ministre" a occupé entre 1965 et 1971 successivement les fonctions
de secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, puis de la Jeunesse, des Arts et du
Sport.
Incarcéré au Camp Boiro 108 (1971-1980), il donne un aperçu du régime
auquel les détenus étaient soumis : « Isolement total au départ avec privation
de nourriture et de boisson pendant trois à cinq jours (« diète d’accueil »), délai
qui peut se prolonger aussi longtemps que l’intéressé n’a pas reconnu ses
crimes et n’a pas déposé, ou qui peut aller même jusqu’à ce qu’il rende l’âme
(« diète noire »). Tortures indifféremment appliquées aux hommes et aux
femmes. Pas d’installation sanitaire dans des cellules de dix mètres carrés qui
ne comportent que deux petites lucarnes d’aération de quinze à vingt
centimètres sur trois à cinq de large. Dans ces cellules on retrouve empilés les
uns sur les autres jusqu’à dix détenus disposant, aux meilleurs moments, d’un
pot de chambre chacun et, aux pires, d’un pot de chambre pour l’ensemble,
avec vidange toutes les vingt-quatre heures. Communication strictement
interdite des détenus avec leurs familles, une seule sanction pour le garde qui
aura servi d’intermédiaire : la mort. Nourriture délibérément et notoirement
insuffisante… » Le portrait-robot du « pensionnaire idéal » de ce centre de
détention, résumerait la haine du régime contre « tous ceux qui avaient le savoir,
la fortune, la naissance. Tous n’étaient que des condamnés en sursis. Tous
étaient fichés et « programmés » pour un "complot" à venir qui tombait chaque
fois à point nommé pour distraire le peuple de sa misère et de ses
souffrances. » 109 Le livre de Porto est aujourd’hui considéré par ses zélateurs
comme l’ouvrage qui dépeint avec le plus de précisions et apporte le maximum
de renseignements sur le terrible camp de la mort que fut cette prison où le PDG
envoyait la plupart de ses adversaires politiques. Son contenu est loin cependant,
de faire l’unanimité. N'Fanly Sangaré, vieil ami de l’auteur, dira que ce « livre
à maints égards ressemble beaucoup plus à un roman de fiction tellement
certaines de ses affirmations paraissent gratuites ». Selon lui, Porto « affirme
des choses qu'il n'a ni vécues ni vues. »110

107
ALATA Jean Paul, Prison d’Afrique, Paris, éd. Seuil, 1976, P.247
108
Des visites guidées du Camp ont été organisées. Elles permirent aux journalistes,
diplomates et autres curieux de découvrir les lieux. Les guides étaient le plus
souvent des anciens geôliers et même parfois des membres du Comité
Révolutionnaire, comme le dénommé Youssouf Sylla, qui est resté à la tête des
services pénitentiaires encore pendant plus de trente ans après les faits que nous
évoquons.
109
Diallo Alpha Abdoulaye, La Vérité du ministre, Paris, Calman Levy, 1985.
110
Revue Matalana, Hors Série Guinée 2008, p.23.

100
Que retenir en définitive du récit de l’ancien secrétaire d’Etat sinon qu’il
ressemble à la quasi-totalité de tout ce qu’on a pu entendre à propos du camp
Boiro ? Impossible donc d’en parler autrement, même si des témoignages sur
cette époque sont parfois l’œuvre de personnes fortement soupçonnées, voire
accusées vertement de répandre des contrevérités. Admettons toutefois qu’il est
hasardeux, voire indécent, de la part de celui qui n’y a pas vécu d’avoir une idée
tranchée sur cette question très discutée. Il est surtout impossible de procéder à
une analyse pointue des réalités du camp, d’autant plus que les anciens geôliers,
les membres du Comité révolutionnaire et les autorités du CMRN sont restés
muets sur le sujet, laissant la porte ouverte à toutes sortes de généralisation. Tout
porte à croire cependant que le camp Boiro et les autres centres de détention ont
été le haut lieu d’interrogatoires qui tournaient le plus souvent à la torture. Des
détenus étaient frappés, brûlés, électrocutés et finissaient par craquer. De hauts
cadres y ont perdu la vie, leurs capacités intellectuelles émoussées, des
prisonniers en sont sortis diminués, estropiés…

DÉCLARATIONS D’ANCIENS PRISONNIERS


Parmi les détenus qui recouvrèrent la liberté le 3 avril 1984, ne figurait aucun
personnage marquant de l’ère Sékou Touré ou de l’opposition extérieure111.
En 1984, en effet, toutes les personnalités de premier plan, dont la Révolution
s’était saisi auparavant, avaient été soit exécutées, soit libérées, ou étaient
décédées en prison. Certes, un nouveau complot susceptible de déboucher sur
des arrestations de premier plan venait d’être dénoncé. Le magistrat Karifa
Doumbouya, ayant la triple nationalité française, sénégalaise et guinéenne,
rentré au bercail après un long séjour au Sénégal et fonctionnaire à la Banque
Centrale de la République de Guinée, était considéré comme le cerveau de cette
énième conspiration. Karifa Doumbouya était passé aux « aveux ». Mais le
Responsable Suprême de la Révolution avait interrompu volontairement au
Palais du Peuple la partie de « sa déposition » enregistrée concernant les noms
« de ses complices intérieurs et extérieurs ». Le suspens était donc entier au sein
de la classe dirigeante quand les portes du Camp Boiro se sont ouvertes libérant
ses derniers pensionnaires, le 3 avril 1984.
L’un de ceux-ci répondait, a-t-il dit, au nom d’Amadou Mouctar Barry. Il
prétendit être un ancien fonctionnaire international au service des Nations Unies
et résident à Dakar, arrêté le 10 juin 1980 au cours d’une visite privée en Guinée.
Un second se présenta sous le nom de Tamanléi Camara. Il aurait été incarcéré
le 23 mars 1981 « parce qu’un parent a passé la nuit chez moi », affirma-t-il. Il
ajouta que son père l’avait précédé au Camp Boiro.

111
Si l’évocation du Camp Boiro est automatiquement synonyme d’emprisonnement
pour des raisons d’ordre politique, il semble cependant que cette prison accueillait
également des détenus de droit commun.

101
Le maréchal des logis, Mamady Bamba soutint avoir été conduit au Camp
Boiro pour « tentative de complot alors qu’il n’était au courant de rien. Je n’ai
même pas été interrogé », souligna-t-il.
Mahmoud Bah, un prisonnier qui reçut en 1981 la visite de son avocat
français a été également libéré.
Un étudiant, en tout cas quelqu’un qui se présenta comme tel déclara avoir
été emprisonné le 26 avril 1982 « pour complot avec le ministre Kabassan ».
Des propos difficiles à vérifier parce que provenant de personnes dont on a
plus entendu parler. Encore une fois, la plupart des détenus libérés le 3 avril
1984 étaient des personnages anonymes ou des aventuriers appréhendés
généralement le long des frontières. Le seul d’entre eux, connu de tout le monde
avant son incarcération était le commandant Abraham Kabassan Keïta, arrêté le
20 mars 1982.
Ancien élève de l’Ecole des Travaux Publics de Bamako et grand sportif,
Ibou (le diminutif de son prénom) est le premier officier de marine de l’armée
guinéenne. Il a été élevé au grade de sous-lieutenant de marine par un décret
présidentiel en date du 29 décembre 1961. Le lieutenant Keita s’est distingué en
dirigeant en janvier 1973 l’expédition qui permit d’intercepter en haute mer le
navire des dissidents portugais transportant vers Bissau, après l’assassinat
d’Amilcar Cabral, le numéro deux du PAIGC et futur président du Cap Vert,
Aristides Pereira. A l’époque gouverneur de la région administrative de Boké,
l’officier de marine entra plus tard au gouvernement au poste de ministre des
Travaux Publics. Les causes de son arrestation au moment où il exerçait cette
fonction sont diversement interprétées. Pour les autorités, le commandant Keita
s’etait rendu coupable de « dilapidation de fonds, vol et détournement » dans la
gestion d’équipements destinés à la fabrication de bitume. Pour l’intéressé lui-
même, s’exprimant après sa libération et pour les adversaires du régime, il ne
s’agissait que d’un « montage grotesque 112».
Les anciens prisonniers furent ensuite conduits aux Usines Militaires de
Conakry où ils furent reçus par les officiers qui venaient de s’emparer du
pouvoir. Lansana Conté, dont les fonctions officielles n’avaient pas encore été
divulguées, s’était avancé vers eux pour leur confirmer leur libération avant de

112
Selon une publication dénommée L’Eclair dans son édition de mai-juin 82 que
Fodé Momo Camara reprend dans ‘’Ma Part de Vérité’’, (p.250), les vrais mobiles
de l’arrestation d’Abraham Kabassan Keita, releveraient d’une imprudence dont il
se rendit coupable en déclarant, au cours d’un séjour à l’étranger, en présence de
personnes ayant l’oreille du président : « J’avoue qu’il est arrivé à l’actuel
gouvernement guinéen de ne pas tenir ses engagements. Mais, rassurez-vous,
bientôt Ismaël Touré prendra le pouvoir ; lui est un homme de parole. Cela ira
mieux et pour vous et pour la Guinée.» Le commandant Keita purgeait une peine
de quinze ans de prison quand il a été libéré le 3 avril 1984.

102
les autoriser à rejoindre leurs familles. Des hourras, des effusions de joie, des
accolades mirent fin à la cérémonie.

POLÉMIQUES AUTOUR DES COMPLOTS


On ne peut parler du Camp Boiro sans faire la relation entre ceux qui y ont
perdu la vie ou y ont été incarcérés et les nombreux complots dénoncés par le
PDG. En effet, complot et repression ne sont pas des détails, mais des données
majeures de l’histoire de la Guinée. Ils sont indissociables et aucun de ces
éléments ne peut a priori prendre le pas sur l’autre. Dès le départ, les adversaires
et les dirigeants du régime du PDG n'ont eu de cesse de se livrer à une bataille
sans merci sur ce sujet particulièrement controversé. Les opposants ont produit
une abondante littérature reposant sur la négation pure et simple des thèses
relatives aux tentatives de déstabilisation dont le PDG déclare avoir été l’objet.
Pour d’aucuns, tel que ce diplomate français anciennement en poste à Conakry
que nous paraphrasons, chaque fois que…. Sékou Touré est en difficulté, il
invente un complot pour distraire son peuple. Alpha Abdoulaye Diallo
renchérit : « Dans la Guinée de Sékou Touré, comme dans tout régime
totalitaire, l’opposant politique est un criminel qu’il faut éliminer de façon
radicale : c’est l’ennemi public par excellence. Il ne doit bénéficier d’aucune
mesure d’humanité et les conditions de sa détention quand, pour une raison ou
une autre, on ne l’élimine pas physiquement et immédiatement, doivent être
telles qu’en recouvrant la liberté, un jour lointain, il soit complètement
transformé, qu’il ait « compris » comme on dit en Guinée ».
De son côté, le régime a eu beau jeu de placer les différentes tentatives visant
à le renverser dans le cadre du ‘’complot permanent’’ fomenté par les
puissances impérialistes et leurs valets africains pour l’abattre. Débat éternel.
Toutefois, peut-on soutenir sur un ton péremptoire, en posant la main sur la
Bible ou le Coran, que les complots n’ont existé que dans l’imagination du
président guinéen ? Les mouvements subversifs stigmatisés par le pouvoir du
PDG n’étaient-ils pas avant tout une des conséquences du ‘‘Non’’ exprimé le
28 Septembre 1958 ? Il n’y a aucun doute, le pouvoir français sous l’impulsion
personnelle du général de Gaulle s’était fixé pour objectif la chute du régime de
Conakry dès 1958113.Le chef de la France Libre n’a pas digéré que le peuple de
Guinée ait décidé démocratiquement de son avenir.
Compagnon de l’indépendance et personnalité politique de premier plan
sous l’ère Conté, reconnu surtout pour son franc-parler et son honnêteté morale,
El Hadj Boubacar Biro Diallo, président de l’Assemblée Nationale (1995-
2002), dira en 2015 : « Ils (les Français) nous ont mis les bâtons sur nos routes,
nous n’avons pratiquement pas bougé et nous avons oublié que tous les cadres

113
Le président Georges Pompidou (1969-1974) semble cependant n’avoir pas
attaché à l’affaire guinéenne la même passion, la même volonté de châtier Sékou
Touré que son prédécesseur.

103
intellectuels étaient formés par les Français. Le groupe que la France a pu
détourner pour les sortir du pays, ils ont formé de petits lots dans tous les pays
voisins, pour pouvoir former des coups et ceux de l’intérieur ont joué le jeu du
colon114.»
La responsabilité de l’ancienne puissance coloniale dans les événements
politiques survenus en Guinée au lendemain de son indépendance et son
obstination à chasser Sékou Touré du pouvoir par tous les moyens sont
éloquemment attestés par d’autres récits et témoignages de sources diverses.
Leurs auteurs sont aussi bien des sympathisants du PDG que de farouches
adversaires déclarés de l’ancien parti au pouvoir en Guinée parmi lesquels le
gouvernement français figurait en bonne place. La presse de l’Hexagone l’a
reconnu en le criant presque à l’unisson au lendemain du 3 avril 1984. Elle avait
adopté alors une position résumée à travers ces mots contenus dans les Dossiers
du Canard enchaîné. L’hebdomadaire satirique bien connu avait annoncé avec
son style caractéristique le passage de l’ère de la Révolution à celle du CMRN
en ces termes : « l’ennemi juré de de Gaulle, Sékou Touré meurt en 1984 et
Lansana Conté lui succède. Lui, c’est un ami de la France. »115
Il existe en outre sur le sujet une importante bibliographie que l’on doit à de
hauts responsables français. Les aveux de Jacques Foccart, l’ancien secrétaire
général chargé des Affaires Africaines à l’Elysée en sont l’illustration la plus
parfaite. L’homme qui, d’après, un journaliste français « n’était pas un électron
libre mais une arme aux mains de de Gaulle » admit, tout en le minimisant dans
ses mémoires parus sous la forme d’ "entretien avec le journaliste Philippe
Gaillard" : « qu’il y a eu, effectivement, quelques tentatives de déstabilisation,
mais infiniment moins que ce qui a été dénoncé par Sékou Touré. Des complots
sans grande importance ont été organisés avec d’anciens militaires guinéens
restés chez eux ». Il revèle qu’ « en avril 1960, des armes ont été découvertes
au Sénégal et en Côte d’Ivoire, et Mamadou Dia (Président du Conseil du
Gouvernement du Sénégal (1960-1962) a protesté auprès du gouvernement
français. ». L’homme d’Etat sénégalais écrira pour sa part, dans ses Mémoires
« qu’il y avait bel et bien complot » en parlant de l’affaire de 1961, dont l’avocat
Ibrahima Diallo avait été considéré comme le principal instigateur par les
autorités guinéennes.
De timides tentatives visant à ne pas trop s’écarter de la vérité son notées
parfois dans les propos de certains de ses adversaires.
Dans son livre, ‘’La mort de Diallo Telli’’, Amadou Diallo admet volontiers
que : « Des différents complots en République de Guinée, je dirai qu’ils ont un
fond de réalité ».
Pour Siradiou Diallo dans sa préface de la biographie de Diallo Telli par
André Lewin : « les fameux complots contre le régime étaient à l’évidence

114
Matalana no Spécial Mamou, p.24.
115
Cissé Aly Bocar, Journal mensuel de la famille Touré, éd. Du 7 juillet 2013, P.13.

104
monté de toutes pièces. A quelques rares exceptions près - celles notamment de
certains officiers impliqués dans la tentative de coup d’Etat militaire de Kaman
Diaby en mars 1969- la plupart des condamnés à l’instigation de Sékou Touré
le furent à tort »
Des assertions au caractère ambigü tranchant nettement d’avec les
déclarations sans équivoque provenant des milieux français engagés dans la
même lutte pour la destruction du régime de Sékou Touré.
Ces propos de l’ancien chef des renseignements français, le général
Aussaresses le résume parfaitement : « Tout ce que nous avons tenté pour faire
chuter Sékou Touré a été un fiasco116 ».
L’ancienne puissance coloniale a mené par ailleurs sur le plan international,
une campagne de discrédit à outrance contre le nouvel Etat et son président. Elle
s’est opposée vigoureusement à la réalisation de projets ambitieux susceptibles
d’œuvrer au décollage de son économie. André Lewin rapporte à ce propos
qu’en avril 1960, le général de Gaulle en personne et le Premier ministre, Michel
Debré se rendirent en Union Soviétique où les deux dirigeants français forcèrent
la main au secrétaire général du Parti Communiste et numéro un du pays, Nikita
Kroutchev pour qu’il renonce au financement du barrage hydro-électrique sur
le Konkouré. Ils accusèrent Sékou Touré de se livrer à des manœuvres
subversives contre la sécurité des colonies françaises formant frontière avec la
Guinée. La France menaça surtout de suspendre sa coopération avec l’Union
Soviétique dans certains secteurs où celle-ci avait besoin de son aide. Leur
démarche ayant porté ses fruits, le barrage ne fut pas construit.
L’opération Persil (nom qui lui fut donné par SDECE) fut engagée en 1960
pour « rendre l’économie guinéenne malade », aux dires de ses protagonistes.
Elle fut considérée, à son terme comme ‘’une véritable réussite’’. Elle consista
à fabriquer de la fausse monnaie dans les imprimeries des services de contre-
espionnage français avant de l’introduire sur le territoire guinéen pour saboter
la nouvelle monnaie, dont le jeune Etat venait de se doter.Moralité : si la Guinée
n’est pas parvenue à prendre son essor au plan économique tel que ses nouveaux
dirigeants l’envisageaient au lendemain de son indépendance, c’est parce que le
gouvernement français avait usé de tous les moyens en son pouvoir pour l’en
empêcher pour avoir voté NON.

117 (Diallo Amadou. La mort de Diallo Telli. p15) A propos du premier Secrétaire
Général de l’OUA, l’une des victimes (les plus illustres) du Camp Boiro, les
autorités françaises s’opposent à tout accès à son dossier pour quelque motif que
ce soit à quelque échelle que ce soit jusqu’en 2045. Probablement, pas pour
dissimuler les « crimes » de Sékou Touré.
118
Aussaresses, in Je n’ai pas tout dit : ultimes révélations au service de la France,
éd. Du Rocher, 2008, cité par A. Lewin : Ahmed Sékou Touré, président de la
Guinée, tome IV, p.107.

105
L’existence de maquis d’opposition situés sur certaines parties du territoire
caractérise également cette époque. Des Guinéens réfugiés au Sénégal furent
instrumentalisés en vue de s’attaquer au pouvoir en place à Conakry. La
documentation relatant ces faits a disparu après le coup d’État du 3 avril 1984.
Si elle avait été conservée dans sa totalité, bon nombre d’idées reçues auraient
été balayées comme fétu de paille.
Le journaliste Tayiré Diallo qui, au lendemain du 3 avril 1984, eut accès aux
archives du Camp Boiro, malgré l’obligation de réserve qu’il s’impose, ne nous
a-t-il pas confié : « Après lecture et usage de ces archives, je me dois de dire
que Sékou Touré n’a fait que se défendre » ? Autrement dit, même si la prudence
et le souci d’impartialité invitent à ne pas trancher dans le vif, des éléments
précis inclinent à croire que les adversaires du régime ne restèrent pas les bras
croisés de 1959117 à 1984. Ceux qui, nombreux, souhaitaient le départ de Sékou
Touré et la chute de son régime n’ont pas lésiné sur les moyens. Dès lors, la
problèmatique du débat ne devrait plus porter sur l’authenticité ou non des
complots mais plutôt sur la sincérité des mobiles ayant entraîné l’arrestation des
uns et des autres.En effet, même s’il n’est pas interdit d’envisager que des
conspirateurs dissimulés dans les rangs des instances de décision ou vivant à
l’étranger aient pu passer au travers des mailles des filets tendus par le PDG, il
n’est pas évident non plus que toutes les personnes torturées, exécutées ou
mortes à la suite de leur incarcération dans les prisons de la Première
République étaient des comploteurs. Dans une lettre adressée au président, le
29-12-1971 (voir annexe), Saïfoulaye Diallo écrivait à leur propos : « Nous
devons craindre que le ‘’haké’’ (payer un acte d’injustice ou d’arbitraire commis
envers un tiers NDLA) de ces victimes retombe sur nous, sur nos familles ou
plus grave sur le Régime. » L’exacerbation de la répression qui s’est abattue sur
des têtes innocentes dans des proportions qui restent à définir, pourrait être
interprétée à l’aune de deux facteurs : les règlements de compte et le zèle
déployé par des membres du Comité Révolutionnaire.

LES RÈGLEMENTS DE COMPTE


Des compagnons du père de l’indépendance guinéenne, pour des raisons qui
leur étaient propres, n’ont sans doute pas toujours été guidés par l’esprit de
justice dans l’examen du dossier concernant la cinquième colonne d’une
manière particulière, les complots dénoncés par le PDG d’une manière générale.
Autrement dit, des règlements de compte et autres actes dictés par des soucis de

117
Les premières manifestations du ‘’complot permanent’’ dateraient ainsi du mois
de décembre 1959 avec le déclenchement du « plan Alby », selon l’ancien Haut
Commissaire de l’A.O.F. et futur Premier ministre français, Pierre Messmer cité
par Sidiki Kobélé Keita. Elles consistaient en « une révolte armée dans le massif
montagneux du Fouta Djalon » et de l’éclatement « d’un coup d’Etat à Conakry ».
Sidiki Kobélé Keita, op.cité, p.87.

106
positionnement, ont dû être enregistrés. En témoigne cette préoccupation
contenue dans une lettre adressée au « Camarade Benoît »118 (surnom de Sékou
Touré) par Saïfoulaye, son vieux compagnon de lutte, répondant, lui, au
pseudonyme de « Jean Paul Sartre »119 alors en repos médical à Dalaba.
Nous livrons l’intégralité de cette correspondance qui s’ouvre par des
citations extraites des discours ou publications du Responsable Suprême de la
Révolution :
« Citations du Camarade Sékou Touré Secrétaire Général du PDG…
« La chose que je hais le plus au monde, c’est l’injustice… »
« Soyez juste, même à l’égard de votre pire ennemi… »
« Si après avoir pris une décision, vous vous rendez compte que vous avez
fondé votre jugement sur les éléments d’appréciation erronés, il faut avoir le
courage de revenir sur la décision afin de réparer l’injustice et ne jamais vous
enfermer sur des positions d’amour propre pour perpétuer l’injustice… »
« La justice est le fondement de notre régime populaire et Démocratique… »
C’est en considération de ces nobles principes de justice et à cause de ‘‘ton
amour tyrannique de la justice’’ que je te supplie de créer à ton niveau, en
complément des commissions d’enquête déjà existantes, une commission
spéciale chargée exclusivement de revoir ‘‘au peigne fin’’ :
1°) Les dossiers de tous les Agents de la 5e colonne jugés par les équipes
dirigées par le cynique Emile Cissé. Y compris les cas où les accusés auraient
été déjà exécutés.
2°) Les dossiers de tous les détenus arrêtés sur Dénonciation des Agents de
la 5e colonne interrogés par la même équipe.
J’ai aujourd’hui l’ultime conviction qu’Emile Cissé 120 a fait dire par la
torture tout ce qu’il a voulu par l’ensemble des détenus laissés à sa merci. A cet

118
Pseudonymes empruntés respectivement par Saifoulaye Diallo et Sékou Touré,
notamment au début des années 50 lorsque les deux jeunes gens fréquentaient
assidûment le Groupe d’Etudes Communistes (G.E.C.) à Conakry. Aux dires de
quelques uns de leurs anciens compagnons- et la lettre que nous reproduisons a
tendance à le confirmer- les deux hommes s’interpellaient régulièrement dans la
vie courante en utilisant ces surnoms datant de l’époque de leur jeunesse.
119
Ibidem
120
Professeur de mathématiques, écrivain, auteur de nombreuses pièces de théâtre
primées lors des grands rendez-vous culturels nationaux, Emile Cissé a été un
personnage politique dont la réputation et l’influence étaient sans commune
mesure avec le niveau des responsabilités qu’il a exercées. Jamais ministre, encore
moins membre du Bureau Politique National, il n’en était pas moins un des ténors
de la vie politique nationale jusqu’à son arrestation. En 1969, il est félicité par le
B.P.N. pour avoir permis de démanteler le Complot Kaman-Fodéba. Après
l’agression du 22 novembre 1970, il est membre du Comité Révolutionnaire
chargé de juger les éléments de la 5e colonne. Il semble bénéficier du soutien sans

107
égard je suis hanté à l’idée que les innocents aient pu être exécutés alors que j’ai
la certitude absolue qu’il y a encore actuellement de nombreux innocents
détenus dans nos prisons, victimes du machiavélisme satanique de Cissé Emile
et de ses pareils (il y en a) infiltrés au sein des commissions d’enquêtes. Je
t’assure que depuis le 9e Congrès et surtout à la suite de nos entretiens à 3, je
suis littéralement obsédé par cette question.
Autant que possible les membres des anciennes commissions d’enquête
devraient être écartés de cette commission spéciale.
Très fraternellement
2/11/72 »

LE RÔLE DES TAUPES


Parmi les facteurs qui exacerbèrent le phénomène de la répression en
Guinée, on ne saurait passer sous silence l’action nocive des taupes tapies dans
les rangs de l’opposition extérieure. Des agents doubles ont trompé tout le
monde. Leur duplicité a causé le malheur de nombreuses personnes. En même
temps qu’ils grouillaient officiellement dans les rangs des forces hostiles au
PDG, ils étaient stipendiés également au régime de la Révolution, dont ils
percevaient sans nul doute des prébendes ou qui leur promettait des gages. Mais,
le pire est que la vérité n’a pas toujours guidé leurs pas. Pour maintenir le robinet
ouvert, le recours au mensonge et au montage a dû être pour ceux-ci, un monstre
qu’il fallait nourrir chaque jour de victimes fraîches. Une lettre adressée au
président Sékou Touré par Mamadou Tounkara, ambassadeur de Guinée au
Sénégal et auprès du Royaume d’Espagne,121 en fait foi. En effet, dans la nuit
du 18 au 19 mars 1973, le diplomate guinéen en route pour Madrid où il devait
présenter ses lettres de créances, a effectué une escale à Genève.
Il écrit y avoir rencontré Jean Marie Doré, un exilé guinéen, fonctionnaire
au Bureau International du Travail. L’ambassadeur dit de lui qu’il est « une
figure de premier plan des organisations des Guinéens basés à l’extérieur et
luttant contre le régime du PDG. »
C’est « l’un des principaux cerveaux, mais au moins l’archiviste dudit
mouvement qui, actuellement, se fait appeler ‘’Organisation Clandestine de
Restauration de la Légalité en République de Guinée’’.

faille du Président avant d’être dénoncé à son tour. On apprend alors que le
personnage avait infiltré le Parti et se trouvait aux ordres des réseaux français et
des Guinéens ‘’apatrides’’ qu’ils soutenaient. Emile Cissé a péri à Boiro en 1971.
121
Lettre classée « confidentielle » en date du 21 mars 1977, adressée au « Camarade
Responsable Suprême de la Révolution » par « Mamadou Tounkara, ambassadeur
de Guinée à Dakar (en mission). Courtoisie du commissaire I. Dioumessi.

108
Les contacts ont été facilités par « deux camarades » (Jean Claude Diallo122
et Mouctar Tounkara). La conversation n’a pas tardé à s’engager entre
l’ambassadeur et son visiteur en raison de la prolixité naturelle du personnage
et de l’effet pernicieux d’excellents crus servis à table.
Tounkara a pu « jeter un coup d’œil coupable sur des documents
authentiques bien signés du capitaine Soumah Abou, de certains Ministres
Portugais, dont celui d’Outre-Mer, du Colonel Diallo Thierno, Naby Youla,
Diallo Siradiou… Egalement des lettres de Guinée affranchies à l’extérieur
dont l’une d’elles signée ‘’Antonio’’ qui serait, selon lui, un très proche à vous
(au président Sékou Touré, NDLA) ».
Mais, l’ambassadeur s’est heurté au refus de son interlocuteur « d’en tirer
photocopie ni de prendre note. La raison, dit-il, est qu’on a suffisamment tué et
qu’il voudrait éviter de mettre d’autres armes à notre disposition ».
Il est mentionné dans le document que l’OTAN avait tenu un Conseil en avril
1972. A cette occasion, les Sud-africains, Portugais, Rhodésiens et leurs alliés
britanniques et français avaient imputé au gouvernement guinéen la
responsabilité des échecs que leurs troupes essuyaient face aux mouvements de
libération nationale sur le continent. Il a été décidé que la « République de
Guinée doit payer de son sang ». Des effectifs composés des soldats de ces pays
devaient participer à une attaque contre la Guinée dont la date avait été fixée au
5 avril 1973, puis au mois de mai de la même année123.
Dans le cadre de la mise en place d’un gouvernement fédéral, prônée par les
conjurés, son hôte était pressenti pour exercer la double fonction de chef d’Etat
de la Guinée Forestière et de ministre des Affaires Etrangères du gouvernement
fédéral. Naby Youla, ancien secrétaire d’Etat de Sékou Touré, exilé au Zaïre,
devait être placé à la tête de l’Exécutif fédéral.
Les dirigeants du mouvement 124 étaient, semble-t-il, prêts à tout. Naby
Youla par exemple excluait toute forme d’hésitation pour briser les obstacles

122
Le futur secrétaire d’Etat aux Guinéens de l’Etranger dans le gouvernement de
Lansana Conté était encore un militant actif de la Jeunesse de la Révolution
Démocratique Africaine (JRDA), la branche juvénile du P.D.G. Aux dires d’un de
ses anciens camarades, c’est en 1974 qu’il a adhéré aux mouvements luttant contre
le régime du PDG, sous la pression d’un cousin installé en Suisse.
123
Selon Keita Sidiki Kobélé, in La Guinée de Sékou Touré. Pourquoi le camp
Boiro ? (Ed. Harmattan, 2014, p. 192), il s’agissait de « l’opération Séfra 1974 »,
une agression avortée parce que le message transmis à Georges Pompidou par
Senghor et Houphouët reçut « une réponse négative ». Le successeur de de Gaulle
aurait dit en substance : « Je ne veux, en aucun cas, me mêler de cette affaire. »
124
Le mouvement était dénommé « Organisation Clandestine de Restauration de la
Légalité en Guinée. Ses principaux acteurs étaient : Colonel Diallo Thierno, Naby
Youla, Siradiou Diallo, Capitaine Abou Soumah, Condé Julien, Kaké Ibrahima,
Conté Seydou, Diallo Moustapha « Tout Passe » Kaba Mansour, Doré Jean-Marie,
etc. » In Horoya no 1989, p. 3.

109
qui se dresseraient sur leur chemin après le débarquement : « Il faut tout casser
et recommencer après. Si à Conakry il y a une certaine résistance, il faut tout
détruire, et on choisira par la suite une autre capitale », aurait-il déclaré.
L’ambassadeur avait exhorté le président à ne pas dévoiler le contenu de sa
lettre en Conseil des ministres ni en session du BPN dans la mesure où son
interlocuteur l’a prévenu « que dès que ceci est fait, lui serait dénoncé auprès
de ses collaborateurs et ne pourra plus être efficace parce que, dit-il, leurs
collaborateurs de l’intérieur sont aussi les vôtres, et savent que seul lui peut
détenir de telles informations. » Une recommandation qui n’a pas été
entièrement prise en compte. En effet, peu après, les lecteurs du journal Horoya,
prendront connaissance du contenu d’une lettre adressée au Responsable
Suprême de la Révolution par un ‘’patriote guinéen’’ vivant en France. Elle
ressemblait comme une goutte d’eau à celle de l’ambassadeur mais le nom de
l’informateur était codé.
Si l’hypothèse d’un montage projeté par M. Tounkara pour renforcer sa
position ne peut être écartée125, le contraire n’est pas non plus à jeter aux orties
au regard de ces documents qu’on peut lire en annexe du présent travail. En
effet, on a vu, des années après, d’honorables ’’correspondants’’ de la
Révolution, d’anciens ‘’opposants’’ retourner subitement leur veste pour
revenir vivre en Guinée comme si de rien n’était. Etait-ce la récompense de
services rendus ?
Au cours de la même année, la revue Révolution Démocratique Africaine
(voir annexe) a publié plus d’une cinquantaine de pages comportant des fac-
similés des correspondances échangées entre les ténors de l’opposition
extérieure. David Soumah, Abou Soumah, Charles Diané, Thierno Diallo,
Alpha Camara, Siradiou Diallo, Seydou Conté, Julien Condé, Jean Marie
Doré… sont quelques-uns de leurs auteurs.
Des lettres dont le contenu comporte les phases des différents plans élaborés
pour renverser le régime guinéen en complicité avec des chefs d’Etat africains
et Jacques Foccart126. Ne peut-on affirmer que les faits ainsi relatés et d’autres
encore, dont nous n’avons pu prendre connaissance, ont contribué pour tout le
moins à aiguiser la machine répressive pour les uns, d'auto-défense pour les
autres qui a fonctionné en Guinée ?

125
Il est établi qu’à cette époque, le régime du PDG avait tissé une toile autour de ses
adversaires vivant à l’extérieur. Leurs moindres faits et gestes lui étaient rapportés
par des délateurs de tout poil.
126
R D A no 69, Révélations sur les activités criminelles de la contre-révolution,
Conakry août 1973.

110
DES MOUVEMENTS EXTÉRIEURS
Pour clore ce volet, que dire des gesticulations vaines de ceux-là qui tiraient
les ficelles de l’étranger dans le but de renverser le régime ?
Tout au long des 26 années du règne du P.D.G., des Guinéens exilés en
Europe et dans des pays africains lui ont livré une bataille sans répit. Des
témoignages nombreux et divers corroborent l’idée selon laquelle ces hommes
ont poursuivi, malgré les échecs répétés, l’objectif qu’ils voulaient atteindre
sans lésiner sur les moyens. Dans l’apologie funèbre de Sékou Touré, Magatte
Lô, l’ancien ministre de Senghor qui savait très bien ce qu’il disait, n’a-t-il pas
relevé que le leader guinéen a « échappé jusqu’au bout aux coups d’Etat » ?.
Une vingtaine d’années plus tard, dans sa livraison en date du 7 avril 2003
enregistrée sous le numéro 576, l’hebdomadaire guinéen, Le Lynx a publié une
longue interview de Barry Almamy Ibrahima, se présentant lui-même comme
un "ancien militant du Regroupement des Guinéens de l’Extérieur (RGE)’’ qui
a lutté « farouchement contre le régime de Sékou ». Le R.G.E. a été créé le 1er
mai 1970 sous l’appellation de ‘’Rassemblement des Guinéens en Europe’’.
Fondé et dirigé par Siradiou Diallo, il comptait parmi ses principaux animateurs,
l’architecte Mansour Kaba et le professeur Julien Condé tandis que Tirmiziou
Diallo était à la tête de l’aile allemande du mouvement. Le soutien de la France
lui étant totalement acquis, le R.G.E était déterminé à chasser Sékou Touré du
pouvoir. Dans sa lutte contre le régime du PDG, il avait pour principe de ne pas
lésiner sur les moyens. A cet égard, l’invité du Lynx reconnaît d’emblée avoir
bel et bien pris les armes, « pour tenter de renverser le régime de Sékou Touré,
ce qui était tout à fait normal à l’époque » et on « n’a pas à en avoir honte49. »,
dit-il L’entretien fournit la preuve que jusqu’au bout, le RGE, n’avait pas
renoncé à faire tomber le régime du P.D.G. en usant de la violence. En effet, il
ne s’était avoué vaincu à aucun moment, même lorsque le contexte international
était devenu de moins en moins défavorable à son ennemi juré après la rencontre
de Monrovia. C’est ainsi que « le R.G.E avait décidé d’empêcher Sékou Touré
d’être président de l’OUA en 1984, et il était prêt à tout pour le renverser avant
le mois de mars de cette année, y compris par une intervention armée. Il avait
inclus dans sa stratégie, la lutte armée. Le complot avait été minutieusement
préparé. », y lit-on. Des contacts avaient été établis à différents niveaux, y
compris au sein de l’armée où des officiers étaient en première ligne pour
soutenir l’action sur le plan interne. Le RGE était assuré de réussir grâce à sa
« branche armée basée aux Comores, sous la direction du mercenaire Bob
Denard et ce sont nos militants qui ont dirigé la lutte armée de ce pays pendant
2 ans50. » affirme Barry Almamy Ibrahima.
L’interview lève par ailleurs un coin du voile sur l’attentat à la grenade
perpétré le 14 mai 1980 au Palais du Peuple. C’est le R.G.E qui avait procédé
au « lancement de deux grenades au Palais du Peuple qui ont failli emporter le
Responsable Suprême de la Révolution. », précise l’ancien militant du
mouvement. Signalons à ce sujet qu’après la prise du pouvoir par les militaires,

111
un individu dénommé Bah Lamine, autrefois à la tête d’une structure
commerciale dans la région de Dalaba et qui s’était réfugié en Côte d’Ivoire
après des malversations financières, avait revendiqué bruyamment la paternité
de cet acte 127 . Le personnage est vite devenu la coqueluche des nouvelles
autorités avec voiture, bureau et ressources financières mis à sa disposition par
le régime du CMRN. Enfin, le récit de M. Barry mentionne que jusqu’en
1984 « des militants du R.G.E ont été entraînés à Pô, sous le régime de Sankara
et n’ont quitté le Burkina qu’après la chute de Sékou Touré. J’ai gardé
personnellement une partie de leurs armes dans ma villa à la Riviera », conclut-
il. Cette énième tentative était, semble-t-il, soutenue aussi par le négus rouge,
Mengistu, mécontent de l’attitude favorable de Sékou Touré envers les
séparatistes érythréens. Par ailleurs, les témoignages irrécusables publiés par
Bilguissa Diallo131 dans son ouvrage dédié à la ‘’lutte’’ de son père contre la
‘’dictature de Sékou Touré’’ sont tout aussi éloquents. Ils privent l’esprit le plus
retors de toute possibilité d’enserrer l’agression du 22 novembre 1970 dans les
limites du plan élaboré par le colonialisme portugais moribond pour libérer ses
soldats détenus en Guinée par le Parti Africain pour l’Indépendance de la
Guinée et des Iles du Cap Vert (PAIGC).
Le débarquement était un marché conclu entre le régime fasciste du Portugal
et ses acolytes d’origine guinéenne voulant se rendre maîtres du pays après avoir
liquidé l’homme qui le dirigeait. Le ‘’Commandant en chef‘’ de ladite armée, a
ruminé son échec en ces termes :
« Considérons donc l’opération du 22/11/70 comme une simple répétition,
un exercice d’entraînement, et préparons-nous méticuleusement ; mettons
toutes les chances politiques, militaires et autres de notre côté et nous
réussirons. C’est la seule attitude que commande la raison ainsi que les intérêts
qu’hypothèque le maintien à la tête de l’Etat guinéen d’un dictateur aussi
malfaisant que Sékou Touré. »
S’appuyant sur ce qui précède et d’autres témoignages encore, on est fondé
à dire que les drames et les crises qui ont traversé le règne de Sékou Touré

130
Bah Lamine était, semble-t-il le fils d’un des compagnons politiques de la première
heure de Sékou Touré. Nommé directeur général de l’Entreprise Régionale du
Commerce (ERC) de Dalaba en reconnaissance des services rendus au parti par
son père décédé peu avant l’indépendance, il avait quitté clandestinement la
Guinée pour se réfugier en Côte d’Ivoire après un détournement de deniers
publics. Il y devint un adversaire résolu du régime du PDG. Bah Lamine a échappé
aux mailles des filets après l’attentat du 14 mai 1980 mais dut se résoudre à quitter
la Côte-d’Ivoire pour le Ghana voisin avant de s’établir au Sénégal où il a été arrêté
par les autorités locales alors qu’il recrutait des mercenaires devant intervenir en
Guinée avant le sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) prévu en
juin 1984. Il a été libéré à la suite du voyage au Sénégal de la première mission
gouvernementale du CMRN dirigée par le colonel Diarra Traoré.
131
Diallo Bilguissa, Guinée, 22 novembre 1970, Paris, Ed ; Harmattan, 2014, p.104.

112
étaient caractéristiques d’une époque où la tête du héros de l’indépendance
guinéenne était mise à prix par la France officielle et des Guinéens à sa solde. Il
est évident cependant qu’en se basant sur les paramètres qui ont cours de nos
jours, Sékou Touré passerait indubitablement pour un dictateur. Mais en tenant
compte du contexte et des réalités de l’Afrique des indépendances avant la fin
de la guerre froide, il convient de reconnaître qu’il a dirigé la Guinée à une
époque où les dirigeants des différents Etats africains étaient omnipotents. Dans
la conduite des affaires intérieures de leurs pays respectifs, tous ou presque
faisaient ce que bon leur semblait comme de vrais « dictateurs ». De ce point de
vue, la mainmise qu’avaient par exemple ses homologues ivoiriens,
camerounais, zaïrois, gabonais… sur leurs Etats respectifs n’était en rien
inférieure à celle que Sékou Touré exerçait sur la Guinée. Ils disposaient tous
de pouvoirs illimités sans commune mesure avec ceux reconnus aux chefs
d’Etat issus des nouveaux régimes démocratiques du continent. Un ancien PDG
de la compagnie pétrolière Elf qui rencontra le président ivoirien en 1982, dit
avoir été frappé par cette : « révérence continuelle à l’endroit du Chef-Président
qui me glace un peu le sang…d’autant que je n’ai pas perçu de contre-
pouvoirs ». Il a remarqué en revanche, au tour de Félix Houphouët Boigny « une
bande de béni-oui-oui, conseillers et autres ministres (des moins utiles) au
service d’un chef devenu le Pape de l’Afrique francophone ». Admettons dès
lors, signe des temps que les « pères fondateurs » n’étaient pas des parangons
de la démocratie. Ils étaient généralement (sans en porter nécessairement
l’étiquette) des « présidents à vie » que seul un coup d’Etat ou la mort pouvait
détrôner. Les gouvernements inféodés aux anciennes puissances coloniales
bénéficiaient de leur protection par la présence de bases militaires. Ils arrivaient
grâce à ces dispositifs de dissuasion à se soustraire aux risques d’éventuels
coups de force militaires. Des soldats de l’ancienne métropole ou des
mercenaires intervenaient pour les remettre en selle à la moindre secousse
comme au Gabon en 1964 dans le cadre des fameux accords de défense128 .
L’opposition intérieure et extérieure n’avait, dans ces conditions, aucune
possibilité de faire entendre sa voix, encore moins de remuer le petit doigt parce
que toute velléité contestatrice aurait été immédiatement mâtée129. En ce qui

128
Oumar Bongo, président du Gabon (1967-2009) dira : « Sans le Gabon, la France
est une voiture sans carburant. Sans la France, le Gabon est une voiture sans
conducteur ».
129
En 1967, le chef d’Etat-major de l’armée sénégalaise fut tenté de renverser le
président Senghor. Le colonel Jean Alfred Diallo s’était alors confié à Jacques
Foccart pour qui, le cas échéant, « tout ce que les Français représentaient à Dakar
par leur présence et leurs intérêts aurait pu être remis en cause », Le ‘’Monsieur
Afrique’’ du général de Gaulle n’y est pas allé par quatre chemins pour le dire à
l’officier ambitieux. Il le relate dans ses Mémoires en ces termes : « J’ai coupé
court en lui faisant clairement comprendre qu’en cas de coup dur, la France serait
délibérément aux côtés de Senghor ». in Foccart parle, Fayard, Jeune Afrique,
1995, p.327.

113
concerne la Guinée, il est indéniable que se cachait derrière les crises politiques
récurrentes qui l’avaient secouée au cours de cette période, l’hostilité de la
France envers la personne et le régime de Sékou Touré. L’ancienne mère-patrie
avait mobilisé ses services pour les détruire. Elle avait favorisé la naissance sur
son territoire et soutenu financièrement et matériellement les actions des
groupements d'opposition au PDG130. Leurs démembrements eurent pignon sur
rue dans la capitale d’Etats africains, inféodés à Paris (Dakar, Abidjan,
Libreville...). Parallèlement, la France stimula l’organisation des mouvements
d’opposition à l'intérieur du pays. Foccart ne parle-t-il pas plus haut « d'anciens
militaires guinéens restés chez eux » ? Tout porte à croire que ces ‘’anciens
militaires’’ et d’autres individus encore, ont fait partie des réseaux de l’’’homme
de l’ombre’’ en Guinée.
Selon l’ancien Premier ministre, Jean Marie Doré qui en savait un bout : « la
France a mis un étau, un corset autour de la Guinée pour que l’exemple guinéen
échoue ». Pour lui pas de doute : « Il y a eu de vrais complots qui visaient à
liquider Sékou Touré : le complot de 1960 de Ibrahima Diallo, puis le complot
de Kaman Diaby.131 Et tous les autres complots ont été financés par la France ».
Détail curieux à relever dans ses révélations : Il ajoute que c’est toujours
l’ancienne puissance coloniale qui « s’arrangeait pour que les services secrets
guinéens en soient informés ». Sur la foi de ce témoignage et de plusieurs autres,
il est impossible de nier la responsabilité de la France dans les exactions
commises en Guinée. En effet, sans les complots suscités et soutenus par elle,
la répression n’aurait pas revêtu une telle ampleur.
Plus de trente ans après la disparition d’Ahmed Sékou Touré, la malveillance
de la France officielle à son endroit n’a pas pris une ride. Elle se poursuit par
une campagne de dénigrement systématique orchestrée par ses médias. Des
pages entières, des heures d’émission sont consacrées à le diaboliser. La parole
est donnée à tout-va à ses contempteurs sans jamais chercher à équilibrer
l’information.

La mémoire de l’ancien président ploie ainsi sous les tirs croisés de Français
ne lui pardonnant pas d’avoir défié l’homme du 18 juin, leur héros légendaire,
et de certains Guinéens qui lui vouent une haine éternelle parce que son
émergence sur la scène politique locale leur a barré le chemin du pouvoir. Les
uns et les autres ont été les principaux instigateurs de tous les complots avérés
qui ont coûté la vie à quelques innocentes victimes livrées le plus souvent en
pâture par des taupes confinées dans leurs rangs et sur la mémoire desquelles ils

130
Les travaux effectués par Sidiki Kobélé Keita (op. cité) sur la période 1958-1984
démontrent que la France a été directement ou indirectement à l’origine d’une
dizaine de tentatives de coups d’Etat en Guinée.Fodé Momo Camara indique à cet
effet que c’est le 9e complot ourdi contre le PDG qui a réussi le 3 avril 1984.
131
In La Dépêche Diplomatique, Afrique no 9, novembre 2008, p.33.

114
versent aujourd’hui des larmes de crocodile. Ce sont eux qui placèrent le régime
de Sékou Touré dans une position défensive permanente. En tentant de le
liquider (par exemple lors de l’attaque de la Case de Belle Vue le 22 novembre
1970, le jet de grenades le 14 mai 1980…), ils installèrent dans la logique de
tuer ou d’être tué.
Le mensuel dakarois, la Dépêche diplomatique a dévoilé à ce propos, il y a
quelques années, les aveux de Jacques Foccart, le Monsieur Afrique de de
Gaulle,’’l’homme de l’ombre’’ pour qui la suppression d’Ahmed Sékou Touré
aurait été le plus prestigieux des trophées. Au cours de la rencontre à Paris,
relate-t-il, en 1982 entre les deux hommes qui s’étaient enfin réconciliés,
Foccart « a libéré sa conscience en prenant le courage de se confesser devant
son illustre ennemi (…) Il n’eut pas de gêne à rendre visite à celui-ci et à lui
avouer sa forfaiture en ces termes : « Bravo, Monsieur le Président. J’ai tout
essayé contre vous pour vous démettre du pouvoir et pour vous assassiner.
J’avoue qu’avec vous, j’ai échoué sur toute la ligne. Ce qui m’est rarement
arrivé. Du fond du cœur, je vous demande pardon, Excellence !» Le Président
Sékou Touré en a pris acte et a accordé le pardon demandé »,132 peut-on lire
dans les colonnes du magazine.
Le régime du PDG doit en définitive sa survie, en grande partie, à la
vigilance à toute épreuve, qu’il a observée mais surtout à l’existence des deux
blocs antagoniques qui se partageaient le monde. C’est parce qu’affirme un de
ses dirigeants, il y « avait à l’époque un ‘’Est’’ et un ‘’Ouest’’ que la France «
ne pouvait envoyer alors l’OTAN, comme Sarkozy et Juppé l’ont pu avec
Kadhafi, pour assassiner A.S.T. »133

COMPLOTS ET REPRESSION : À QUOI ACCORDER L’ANTÉRIORITÉ ?


C’est ici l’occasion de chercher à déterminer, comme dans le cas de l’œuf et
de la poule, la relation qu’il convient d’établir entre les complots et la répression
en Guinée sous le règne de Sékou Touré. Les adversaires de ce dernier sont
catégoriques : le ‘’système dictatorial’’ instauré par le P.D.G. devait disparaître
mais sans préciser pour autant à quel moment et surtout pour quelles raisons le
pouvoir a épousé les contours ‘’tyranniques’’ rendant indispensable la lutte à
mort engagée contre lui. L’était-il déjà avant l’indépendance lorsque quelques
opposants vaincus par le P.D.G. dans les urnes commencèrent à émigrer sous
d’autres cieux ? L’est-il devenu après l’affaire des enseignants ou le complot de
1969 ou seulement au lendemain de l’agression portugaise du 22 novembre
1970 ? A en croire leurs récits, la répression qui s’était abattue sur le pays avait
été systématique et permanente.

132
IFFONO Aly Gilbert, La Guinée de Sékou Touré à Alpha Condé…, Harmattan,
2014, p.63
133
Cissé Aly Bocar, Coup de gueule : Bulletin no 125, AST, le plus grand combattant
de la décolonisation en Afrique (1re partie), p.13.

115
Les partisans du régime estiment pour leur part que ses détracteurs se
focalisent « sur les effets plutôt que sur la cause de la répression ». Pour eux, il
n’y a pas de doute, le ‘’complot permanent’’ ourdi par l’impérialisme et ses
sbires locaux et étrangers, au lendemain du vote historique du 28 septembre
1958, a contraint la Révolution à affûter ses armes et à s’adapter au combat que
ses adversaires lui avaient imposé.
Il est attesté que l’origine des premiers complots fomentés contre le régime
du P.D.G. remonte à l’aube de l’indépendance.
De Gaulle, le chef de la France Libre dépeint par un de ses supérieurs
comme « un officier à l’orgueil cosmique » ne pouvait souffrir qu’un ‘’roitelet
négre’’ lui tienne tête.
Déjà, le 23 octobre 1958, il était convaincu que « le régime de Sékou Touré
s’effondrera dans les mois qui viennent ». Il déclara en substance en réponse à
la question d’un journaliste que son gouvernement était prêt à nouer des rapports
de coopération avec la Guinée sans qu’il ait pour autant « l’absolue certitude
que ce qui est aujourd’hui pourra persister demain. ». Dès 1959, reconnut pour
sa part, Pierre Messmer, l’ancien haut-commissaire de l’A.O.F. et futur Premier
ministre de Georges Pompidou, les services français préparèrent une « grosse
opération secrète »134 dans le but de renverser Sékou Touré alors en voyage
officiel à l’étranger. Au même moment, des exilés guinéens s’étaient regroupés
pour participer aux opérations de déstabilisation du régime. Ne l’ignorant pas,
le gouvernement guinéen commença à s’organiser à son tour. Moralité : le pays
entra dans un cycle infernal dominé par de perpétuelles tentatives de complots
et la répression sanglante qu’elles entraînaient. Il est dès lors recommandé,
contrairement à l’attitude adoptée par de nombreux auteurs de faire la relation
intime et radicale entre complots et répression. Les deux camps se partagent la
responsabilité des différentes tragédies qui ont marqué cette époque. L’ancienne
puissance coloniale qui fit de l’éloignement de Sékou Touré du pouvoir sans
jamais y parvenir, l’objectif le plus important de sa relation avec la Guinée en
est tout autant objectivement responsable. Au moment où celle-ci tirait les
leçons de ses échecs répétés pour engager une nouvelle politique de coopération
avec son ancienne colonie, le pli était pris et plus rien ne pouvait désormais
modifier fondamentalement le visage du régime. Le rôle joué par les opposants
exilés qui se lièrent à elle pour renverser le régime afin de prendre les rênes du
pays n’est pas à occulter non plus. En effet, s’il est hors de question de donner
la moindre absolution aux crimes commis, chaque entité devrait cependant
assumer sa part de responsabilité devant l’histoire.
On espère donc que le jour viendra où les Guinéens sauront exactement ce
qui s’est passé. La découverte de la vérité concernant les événements qui se sont
produits en Guinée au cours de cette période dépend, par ailleurs de la

134
PHILIPPE Gaillard, op. cité.

116
contribution de la France. L’ancienne métropole n’est-elle pas au centre du
drame guinéen ?
La déclassification de ses archives serait un pas important dans cette
direction. Même si les choses vraiment secrètes ne sont jamais écrites, il n’en
demeure pas moins que la mesure permettrait d’accéder à certaines pièces
intéressantes.
Des déclarations comme celle de Youssef Atayer Maïga135, sur les antennes
d’une radio privée ne méritent pas non plus de rester sans écho. Elles tendent à
faire croire que certaines personnes disposent de preuves accablantes contre les
opposants au régime du PDG. L’homme, très critique envers quelques anciens
prisonniers du camp Boiro, se dit ‘’prêt’’, à « une confrontation publique sur le
plateau de la RTG » avec toute personne qui oserait le défier. De beaux duels
en perspective qui, le cas échéant, mettront un terme aux sempiternels
monologues auxquels se livrent les deux camps.
De toute façon, les complots ‘’vrais’’ ou ‘’imaginaires’’ et leurs effets
collatéraux ont influé profondément, et plutôt négativement sur l’évolution de
la Guinée. Il appartient désormais à l’histoire détaillante et analysante de se
pencher un jour sur la question afin de l’étudier en toute objectivité.

135
Un Nigérien, ancien dirigeant du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) qui, au
Sénégal, avait prôné le Non en 1958. Il vit en exil en Guinée depuis l'aube de
l'indépendance.

117
CHAPITRE VI

L’arrestation des principaux


dignitaires du parti-État

Le renversement du régime du PDG a été marqué, dès les premiers jours par
des arrestations massives dans l’entourage du président Sékou Touré.
Les personnes incarcérées appartenaient aux catégories suivantes :
− Membres de la famille du président défunt ;
− Membres du Bureau Politique National et du Gouvernement ;
− Officiers et agents de sécurité entretenant des liens de parenté à des degrés
divers avec le président Sékou Touré ou accusés d’avoir fait montre d’un zèle
ardent à défendre le régime ;
Anciens ministres, gouverneurs de région, ambassadeurs, directeurs
d’entreprise ;
Ex-membres du Gouvernement, très vite relâchés quand on se rendit compte
qu’ils n’exerçaient plus de responsabilité ministérielle.
Nous ne pouvons reproduire intégralement les péripéties qui avaient entouré
cette vague d’arrestations.
Elles s’inscrivaient cependant dans une certaine tradition. En effet, en
Afrique, chaque homme d’Etat était un prisonnier potentiel. Son existence
pouvait basculer des ors de la République aux ténèbres des prisons au gré des
coups d’Etat. Les personnalités qui ont dirigé le P.D.G. devraient s’y attendre.
Mais, à en croire le commissaire Dioumessi, les militaires étaient partagés
quant à la conduite à tenir vis-à-vis des anciens « Responsables » du PDG.
Fallait-il les arrêter ou les laisser libres ? On aurait eu recours à un vote136.
C’est, dit-il, la tendance dure qui l’aurait emporté. Elle était personnifiée,
ajoute-t-il, « par les capitaines Faciné Touré (ancien détenu du camp),
Mamadou Baldet (dont l’oncle aurait péri au Camp Boiro), Keita Lanciné dit

136
Selon Jeanne Martin Cissé, des libérations sont intervenues le 3 avril 1984. Elle-
même et Fanly Kesso Bah, ancienne vice-gouverneur de la BCRG, figuraient
parmi les personnes ramenées à leur domicile avant d’être incarcerées à nouveau
toutes les deux le même jour.

119
Fangama (fraîchement sorti du même Camp), le commandant Alhousseyni
Fofana et le colonel Diarra Traoré (toujours placés aux avant-postes pour en
découdre avec les dirigeants déchus) ».
Le colonel Conté est rangé par notre informateur dans le clan des ‘’modérés’’
qui prêchèrent la tolérance et l’apaisement. Mais, il dut s’incliner devant des
compagnons surexcités et assoiffés de vengeance qui ne tinrent aucun compte
de son avis exprimé en ces termes : « Laissons-les en paix. Si nous gérons
convenablement les affaires du pays, le Peuple fera la différence » Cette version
suscite des vagues. Faciné Touré, par exemple, la juge inacceptable. Il s’insurge
contre son auteur qu’il accuse de calomnie pure et simple. Une autre polémique
à élucider.
Mais, une chose est sûre : les dirigeants appartenant aux plus hautes sphères
du Parti et de l’État ont été arrêtés dans leur écrasante majorité le jour même où
le CMRN a pris le pouvoir.
Voici le récit recueilli auprès de certaines personnalités du P.D.G, relatant
les circonstances dans lesquelles, elles furent appréhendées et incarcérées :
C’est en « toute insouciance », nous a confié le ministre des Affaires
islamiques que « j’ai quitté ma résidence ce 3 avril 1984, peu après 7 heures ».
El Hadj Fodé Soriba Camara s’était mis lui-même au volant de son véhicule de
commandement pour pallier l’absence de son chauffeur. Celui-ci, contrairement
à ses habitudes, n’était en effet pas encore à son poste. Un détail auquel le
ministre n’accorda aucune signification particulière. Il lui fallait surtout faire
vite car la journée s’annonçait chargée. Tout d’abord, il était attendu à une
cérémonie familiale au domicile de son beau-père, El Hadj N’Falla Nabé, à
Conakry I (actuelle commune de Kaloum). Il devait ensuite passer par le bureau
avant de se rendre au Palais du Peuple où l’ouverture de la session du Parti pour
désigner le successeur officiel du président était fixée à 10 heures. C’est le cœur
léger que le ministre sortit de sa cour, ne s’interrogeant aucunement sur le sens
à donner au coup de fil insolite qu’il avait reçu pourtant à 6 heures de la part de
son beau-frère, Ismaël Nabé, un cadre de la société d’alumine Friguia. Celui-ci
s’était contenté alors de lui demander si tout allait bien à la maison. Plus tard, il
trouva tout à fait normal qu’un militaire rencontré en chemin lui fasse signe de
s’arrêter, s’embarque à bord de son véhicule et demande à être conduit au Camp
Samory. A cet endroit, nouveau coup de semonce : deux soldats tentent de lui
barrer le passage, mais finissent par le laisser poursuivre son chemin. Il parvint
ainsi, sans autre encombre, jusque dans la concession de sa belle-famille où les
visages étaient plutôt fermés à son approche. Il n’y avait pas ces transports de
joie, ce souci de plaire qu’on observe dans nos sociétés à la vue des têtes
couronnées. Un autre signe qu’il jugea sans intérêt.
Finalement, il ne sut ce qui se passait que lorsque son épouse l’appela au
téléphone pour lui dire que les militaires avaient pris le pouvoir à la suite d’un
coup d’Etat. « Une seule idée vint alors dans ma tête, rebrousser chemin et

120
attendre ce qui adviendra de moi », dit-il. Mais, à proximité du camp Samory,
il fut intercepté par une brigade militaire, poussé sans ménagement hors du
véhicule, embarqué de force dans un autre qui pénétra dans l’enceinte du camp
où, dit-il, « je vis le colonel Diarra Traoré au milieu des soldats qu’il était en
train de haranguer. Quand ma présence lui a été signalée, il a ordonné que je
sois gardé dans une salle en attendant mon transfert au camp Alpha Yaya où je
me suis retrouvé quelques heures plus tard. Il n’y avait pas grand monde quand
j’y arrivais. Je veux dire que seuls deux ou trois de mes anciens collègues y
avaient été conduits avant moi. C’est progressivement que la salle s’est remplie
avec l’arrestation de la totalité des membres du BPN et des ministres et
secrétaires d’Etat… »,137 conclut-il.
Boubacar Lombonna Diallo138 était, quant à lui, l’un des jeunes turcs du
gouvernement depuis sa nomination dix ans plus tôt aux fonctions de secrétaire
d’État au Commerce Intérieur. Il avait alors 34 ans. A l’inverse de la plupart de
ses collégues et futurs codétenus, Boubacar Diallo, déclare n’avoir pas été pris
de court par les événements du 3 avril 1984. Il s’y attendait, « dès les premiers
instants qui suivirent la disparition du président » dit-il.
En effet, appartenant au même titre que Galéma Guilavogui, Sékou Kaba El
Varez, Alya Camara, Cellou Bamban Diallo… aux quadragénaires du
gouvernement, plusieurs officiers et sous-officiers étaient ses amis dans la vie,
d’anciens condisciples dans les lycées ou dans des institutions de formation
supérieure à l’étranger.
Et comme par ailleurs malgré les charges de l’Etat, il fallait bien que jeunesse
se passât, il en croisait bon nombre d’autres en des endroits caractérisés quelque
peu par le relâchement de la discipline du parti et où régnait une certaine
convivialité. Des espaces où étaient organisées de joyeuses agapes souvent bien
arrosées.
Il avait perçu sans peine depuis longtemps que, parmi ceux-ci, certains
n’hésiteraient pas lorsque les circonstances le favoriseront à franchir un jour le
Rubicon. Ne dit-on pas que l’occasion fait le larron ?
Deux jours après la mort du président Sékou Touré, la certitude que ses
appréhensions n’allaient pas tarder à se fondre dans la réalité l’avait envahi.
Il avait remarqué par exemple que le capitaine Amadou Kouyaté ne semblait
pas affecté du tout par ce décès. Il y avait comme de la joie dans son regard.
Une joie maligne comparable à celle qui se lit sur le visage du prédateur
ayant acquis la certitude que sa proie ne peut pas lui échapper.
C’est pourquoi, il ne put s’empêcher d’aller confier ses pressentiments à son
ami et voisin, El Varez.

137
Entretien avec l’auteur, le 25 septembre 2014 à, son domicie de Madina.
138
Entretien avec l’auteur, le 24 janvier 2015, à Koulewondy, commune de Kaloum.

121
Eternel optimiste, ce dernier voulut dissiper ses inquiétudes. D’ailleurs, a
ajouté, Sékou Kaba, « si un tel scénario se produisait, nous n’aurions rien à
craindre parce que ce sont nos amis qui prendront le pouvoir ».
Pour le rassurer, il a cité les noms de Faciné Touré, Amadou Kouyaté Jol,
Mohamed Lamine Traoré… Il a conclu que le cas échéant, « ils vont travailler
avec nous ».
Mais ces propos n’ont pas convaincu le ministre du contrôle d’Etat. C’est
pourquoi, celui-ci s’est rendu le même jour au cabinet du Premier ministre et a
suggéré au Dr. Béavogui de s’adresser le soir à la nation à la radio en articulant
son message sur les points suivants :
− réitérer l’hommage rendu au président défunt ;
− inviter le peuple au travail pour donner de l’impulsion à l’économie. Cette
tâche doit être la première priorité pour offrir à nos compatriotes un peu plus de
bien-être ;
− regretter les pages sanglantes qui ont marqué l’évolution du pays et
annoncer l’ouverture prochaine des prisons renfermant les détenus politiques.
Envisager l’adoption de mesures politiques conduisant à une ouverture
graduelle pour renouer avec les Guinéens où qu’ils se trouvent ;
− dénoncer les délits économiques et promettre de châtier leurs auteurs sans
pitié ;
− annoncer l’instauration prochaine d’une économie libérale pour rassurer
les milieux financiers occidentaux afin de les attirer pour œuvrer au
développement du pays.
Après l’avoir écouté attentivement, le Premier ministre promit de soumettre
ses propositions à l’examen du B.P.N. Une réaction qui, nous a-t-il dit, « m’a
déçu car l’heure était grave. Ce n’était pas le moment de se complaire en de
multiples réunions ni de tergiverser. Ses hésitations ont renforcé en moi la
certitude que le pouvoir du PDG ne tenait plus qu’à un fil », fait-il remarquer.
Le 2 avril 1984, le ministre du contrôle d’Etat a passé la soirée en compagnie
de son ami Sékou Kaba au domicile de ce dernier. Les deux hommes ont évoqué
principalement la menace d’une intervention de l’armée sur la scène politique.
Une perspective qui, selon le commissaire général de l’information ne devrait
pas « nous causer de frayeurs particulières étant donné que les militaires vont
nous prendre dans leur équipe ».
Lui, estimait plutôt que si un coup d’Etat militaire intervenait « ses auteurs
vont nous arrêter ». C’est avec ces sentiments partagés que les deux
compagnons se séparèrent à 0 heure.
De retour chez lui, Boubacar Diallo s’était entretenu avec son épouse pour
définir l’attitude à adopter face au danger qui, à ses yeux, se précisait de plus en
plus.

122
Quitter le pays avant qu’il ne soit trop tard ou attendre stoïquement ce qui
pourrait advenir. Que fallait-il faire ? Au bout du compte, le couple opta pour la
seconde voie. Le ministre profita alors des ultimes instants de liberté qui lui
restaient pour dicter ses ‘’dernières volontés’’. Finalement, son instinct ne l’a
pas trompé car les faits, hélas, n’allaient pas tarder à lui donner raison. En effet,
à 7h 30, une jeep de fabrication soviétique fit irruption dans sa cour.
Le commissaire de police Charles Destephen en descendit pour lui
transmettre le message de l’armée lui demandant de se rendre au camp Alpha
Yaya. Le véhicule effectua une halte à la résidence de Sékou Kaba, un second
arrêt chez Fily Sissoko avant de prendre la direction du domicile de Toumany
Sangaré à Taouyah. Tous se rendirent sans broncher.
Chemin faisant dit-il, « j’avais la certitude que nous serions exécutés par les
militaires. El Varez, lui, continuait à croire en notre libération immédiate139. Il
œuvrait à me remonter le moral et tentait de me faire partager son optimisme
jusqu’au moment où le véhicule s’était immobilisé devant un bâtiment du Camp
Alpha Yaya à l’entrée duquel j’ai reconnu le soldat Sama Panival Bangoura
tenant une kalachnikov en main. Sur un ton sentencieux, celui-ci nous informa
de la fin du régime du PDG. Il ajouta que nous n’étions plus ministres, ce qui
nous paraissait évident depuis quelque temps. Il nous a annoncé surtout que
nous étions en état d’arrestation. Plusieurs de nos collègues étaient déjà
regroupés dans la salle où nous les avions rejoints. Nous avons été conduits
ensuite aux « 32 escaliers » avant de prendre la direction du Camp Boiro à 3h
du matin ».
Galéma Guilavogui se souvient pour sa part que c'est à 6h du matin ce mardi
3 avril 1984 que le Premier ministre, Béavogui, lui a annoncé au téléphone que
l’armée avait pris le pouvoir avant de poursuivre : « Je me suis habillé aussitôt
pour parer à toute éventualité. J’étais assis au salon, confiant mon sort à la
providence lorsque mon ami David Goa s’est présenté. Il devrait être
sensiblement 7 heures l5mn. Il estima que je ne pouvais rester dans cette
posture. Il fallait plutôt chercher à se planquer. Il m’a conduit à son domicile
situé à un quart d’heure de marche environ du mien ». Bien m’en prit : car j’ai
appris plus tard que les militaires ont surgi peu après chez moi. Ne me voyant
pas, ils s’en prirent à mon beau-frère. Ils décidèrent de le garder en otage
jusqu’au moment où je leur serais livré. »
Mais il convient de noter que c’est seulement à 15 h que les nouvelles
autorités sommèrent officiellement les dirigeants déchus à se rendre à travers le
communiqué n°3 ainsi libellé : « Le Comité Militaire de Redressement National

Des prédictions qui vont se réaliser plusieurs années après la libération des deux
hommes. Boubacar Lombonna Diallo sera nommé en effet, directeur national des
douanes avant de faire partie du Conseil Transitoire de Redressement National
(CTRN) en 1991. Sékou Kaba sera le premier président du Conseil National de la
Communication (CNC) et le restera jusqu’à sa mort.

123
invite les dignitaires de l’ancien régime à se présenter dans les plus brefs délais,
dans l’une des garnisons militaires de la capitale ». Le même communiqué
exhortait « la population à les dépister et à les mettre à la disposition du Comité
Militaire de Redressement National » (cf. Annexe). Ainsi la chasse à l’homme
qui avait été déclenchée à l’aube s’intensifia.
Le Premier ministre Lansana Béavogui dont la résidence jouxtait les locaux
de la chancellerie de la République Populaire de Chine avait cru pouvoir y
trouver asile. Mais il dut quitter son refuge pour se mettre à la disposition des
nouvelles autorités. En effet, au risque de frôler l’incident diplomatique, les
militaires étaient à deux doigts d’aller l’y chercher de force.
Alaphaix Kourouma, le ministre des Postes et Télécommunications, avait
été appréhendé en pleine circulation. Il confia plus tard à ses codétenus qu’il
était sur la route le conduisant à la résidence du Premier ministre lorsque les
militaires se sont saisis de sa personne.
Ismaël Touré, fut tenté, semble-t-il, demander l’asile politique au
gouvernement américain. Il crut s’être rapproché de son but en se barricadant
dans un appartement du 6e étage de l’Immeuble Friguia situé à proximité de
l’ambassade des Etats-Unis. Dénoncé par des occupants parmi lesquels
figuraient certains de ses anciens collaborateurs, il fut débusqué très rapidement
et conduit au Camp Alpha Yaya. Des badauds et des revanchards, surtout,
l’ayant identifié, auraient, dit-on, avant son transfèrement, profité de l’aubaine
pour le rouer de coups140.
Jeanne Martin Cissé raconte son propre cas dans son autobiographie quand
le commandant chargé de la mettre aux arrêts s’est présenté à son domicile :
« Camarade Ministre, je viens vous arrêter au nom de la loi.
Ah bon ! De quelle loi ? Je pense qu’il y a des mots de trop. Si tu viens
m’arrêter, inutile de dire ‘’camarade Ministre’’ et la ‘’loi’’ ! Je suis là. Je suis
prête. Et puis, pourquoi venez-vous m’arrêter ? Pourquoi ? Ajoutai-je.
J’ai reçu l’instruction de venir vous prendre. On a cherché vos autres
collègues et je suis surpris de vous trouver assise sous la véranda avec votre
mère.
Mais, où voulez-vous que j’aille ? Qu’est-ce que vous aviez espéré ?
J’ai fait seulement une réflexion », ajouta l’officier. » 141
Celui-ci lui dira en chemin avoir reçu l’ordre de l’amener au Camp Alpha
Yaya. Mais, avertit-il, « nous allons passer à Bellevue pour prendre un autre de
vos collègues ministres ». La suite du récit ne précise pas l’identité de ce
ministre ni comment, quand et où il a été arrêté. En effet, ajoute-t-elle,

140
Fodé Momo Camara a confirmé l’information selon laquelle Ismaël Touré a été le
seul ancien dirigeant molesté au moment de son arrestation.
141
CISSE J.M.op. cité, P.154.

124
laconique, à Bellevue « les militaires se dirigèrent chez le ministre et revinrent
sans l’avoir trouvé ».
Diplômé de l’Ecole Primaire Supérieure de Conakry et compagnon de
l’indépendance, Sékou Chérif, le ministre de l’intérieur était un ami d’enfance
du président avec qui il partagea le même toit jusqu’au moment où il devint son
gendre en épousant sa sœur Nounkoumba, le 2 avril 1945. Il se savait donc
particulièrement visé par tout mouvement déclenché contre le régime. Aussi
prit-il de son propre chef la direction du Camp Samory où il se constitua
prisonnier dès après la diffusion du communiqué annonçant la prise du pouvoir
par les militaires, nous a rapporté un membre de sa famille.
En somme, les principaux collaborateurs du président Sékou Touré furent
arrêtés sans difficultés, le plus souvent à leur domicile. Ils n’opposèrent aucune
résistance aux militaires venus leur demander de les suivre.
Après la diffusion du communiqué n°3, les derniers d’entre eux sortirent de
leur cachette pour se mettre à la disposition des nouvelles autorités.
C’est à ce moment que, se rendant compte que tout était perdu, Galéma
Guilavogui demanda à être conduit au Camp Alpha Yaya. Il raconte que son
compagnon, accusé de l’avoir caché, eut beaucoup de mal à se sortir des griffes
des militaires à leur arrivée.
Toujours est-il que le mardi 3 avril 1984, la quasi-totalité de ceux qui
occupaient le haut du pavé dans la hiérarchie du Parti-Etat se retrouvèrent sous
les verrous. De grandes activistes du mouvement féminin du P.D.G : Mariama
Sow et Sophie Maka de l’Union Révolutionaire des Femmes de Guinée furent
arrêtées et libérées le même jour.
Le dernier à rejoindre ses compagnons d’infortune fut le ministre de
l’Energie et du Konkouré. N’Famara Keïta en mission en Sierra-Leone, reprit
le chemin du retour dès après l’annonce du putsch. Il a été arrêté à son arrivée
et conduit à la maison centrale de Kindia où il devait s’éteindre quelques mois
plus tard. Premier maire élu de la commune de plein exercice de Kindia en 1956,
les populations reconnaissantes de la cité fruitière se sont mobilisées
massivement pour lui rendre un ultime hommage à l’occasion de ses obsèques.

ARRESTATION DES MEMBRES DE LA FAMILLE DU PRÉSIDENT SÉKOU


TOURÉ
Si les cas évoqués plus haut relèvent d’une logique d’époque, il est en
revanche beaucoup plus difficile de cerner les motifs qui ont conduit en prison
tous les membres de la famille du président défunt : sa veuve, ses enfants, son
frère Amara, ses sœurs, ses neveux, beaux-frères...
En effet, dans l’esprit des nouveaux dirigeants les plus extrémistes, ce sont
tous les membres du clan qui méritaient de payer. Epouse, fille, fils, beau-fils,
neveux, cousins, beaux-frères, sœurs et frères prirent la direction de la prison.

125
Certains, comme Saïfoulaye Touré (fils d’Ismaël), réussirent, semble-t-il, de
justesse à quitter le territoire avant que l’étau ne se refermât142.
Mais si des frères et beaux-frères parmi lesquels se trouvaient des dirigeants
de premier ordre, pouvaient répondre de faits susceptibles de leur être reprochés
au double plan politique et économique, en revanche l’arrestation de l’épouse
du président, de ses enfants, de ses sœurs et celle de quelques beaux-frères,
totalement absents de la scène politique ainsi que les sévices et humiliations qui
leur ont été infligés en prison, étaient totalement injustifiés.
Comme l’a écrit l’hebdomadaire « Jeune Afrique : que reproche-t-on en
particulier à Madame Andrée Touré et à son fils Mohamed, en dehors de leurs
liens de parenté avec l’ancien chef de l’Etat et, si crimes il y a pourquoi ne pas
les avoir exposés publiquement et donner aux accusés la possibilité de se
défendre ? »
Il est sûr qu’on avait absolument rien à reprocher à Mohamed Touré, à sa
mère, à Aminata Touré (Amy pour les intimes) sa sœur, ainsi qu’à ses tantes
Ramata et Noumkoumba Touré. Les deux sœurs de l’ancien président ont été
de braves ménagères qui n’ont jamais endossé de costume politique. La
première, Ramata a toujours vécu dans l’humilité dans son village natal à une
cinquantaine de kilomètres de Faranah. Elle ne se rendait que de façon
épisodique dans la capitale malgré les hautes fonctions qu’y exerçait son frère.
C’est au cours de la réunion du 3 avril 1984 que la décision aurait été prise
d’arrêter les membres de la famille de l’ancien président. Selon le commissaire
Dioumessi, tout serait parti d’une question posée non sans une certaine perfidie
par le capitaine Faciné Touré : « Et le cas du fameux grand-frère ?» C’est à
partir de ce moment que l’ordre a été donné d’arrêter tous les parents de Sékou
Touré, soutient-il.

ARRESTATION DE MADAME ANDRÉE TOURÉ


C’est en tenue de veuvage que l’ex-Première dame a été arrêtée le 7 avril
1984 par les militaires dépêchés par le CMRN. A leur tête, se trouvait le
lieutenant Arafan Camara, un neveu par alliance du président143, fils de l’époux
de sa sœur Ramata. L’opération eut lieu dans la villa privée de son défunt mari
à Coléah où elle s’était retirée depuis la mort de ce dernier.
L’arrestation de Madame Andrée Touré est intervenue presque en même
temps et au même endroit que celle de son beau-frère, l’économiste, N’Fanly
Sangaré. Ce dernier n’était plus ministre depuis 1979. Administrateur au FMI à

142
Selon Fodé Momo Camara, le fils du ministre aurait quitté la capitale dans la soirée
du 30 mars 1984 à bord de l’avion présidentiel ivoirien sur recommandation de
son père (in Ma Part de Vérité.)
143
Information confirmée par le colonel Lansiné Keita au cours d’un entretien avec
l’auteur le 5 octobre 2017

126
Washington, ce technocrate avait assumé auparavant les fonctions de vice-
gouverneur puis de gouverneur de la BCRG. Durant toute sa carrière, N’Fanly
Sangaré n’a jamais brigué de responsabilité politique. Il n’était membre d’aucun
organisme du parti et pouvait être considéré au plus comme un simple militant
de base. Adversaire acharné du PDG, l’historien Ibrahima Kaké parle de lui en
ces termes : « Ce cadre de haut niveau a cependant l’élégance de profiter de sa
position sans se mêler ni de complots ni de tortures » Transféré à Conakry après
quinze jours de détention à Kindia, N’Fanly Sangaré fut ensuite interné au Camp
Alpha Yaya avant d’être libéré quatre mois plus tard sous la pression des
institutions de Bretton Woods.
En 2008, il raconta sa mésaventure dans les colonnes de la revue Matalana :
« Trois jours après les obsèques, j’avais décidé de retourner à Washington,
mais l’aéroport était fermé. Après la prise du pouvoir par l’Armée, alors que
j’étais assis chez moi ici à Donka, attendant la réouverture de l’aéroport et
croyant que je n’étais pas en cause puisque n’étant plus membre du
Gouvernement depuis longtemps.
Les nouvelles autorités militaires me firent chercher à mon domicile
d’Almamya. Dès que l’aéroport a été rouvert, je suis allé à l’agence Air France
pour faire valider mon billet. Celle-ci avait reçu des consignes pour signaler
ma présence si je venais à passer par là. Et moi, en fait, j’étais allé chez Mme
Andrée Touré à la Villa Syli à Coléah pour lui dire au revoir ».
La Présidente était en train de ranger les habits de son mari dans une malle
qu’elle se proposait d’envoyer à Faranah pour y être partagés comme le veut
la coutume. Tenez-vous bien, tous les vêtements (y compris chaussettes, sous-
vêtements, mouchoirs) ont tenu dans une seule malle de dimension ordinaire.
J’ai proposé à la Présidente, en la quittant, de laisser mon épouse (la cadette
d’Andrée Touré) à ses côtés jusqu’à la fin de son veuvage. Elle a accepté et on
s’est dit aurevoir. Ma femme m’a raccompagné dehors. Et juste quand nous
avons franchi le portail, nous avons trouvé une jeep pleine de soldats qui
m’attendaient.
M’indexant, ils ont demandé : « C’est vous N’Fanly Sangaré ? ». Ils ont dit
qu’ils étaient venus me chercher pour aller répondre à une convocation du
CMRN. J’ai été encadré par les militaires dans la jeep qui m’ont conduit
directement au Camp Boiro.
Ma femme a eu la présence d’esprit d’aller directement au siège du PNUD
(Programme des Nations Unies pour le Développement) pour annoncer mon
arrestation au représentant du système des Nations Unies en Guinée.
Et c’est ce dernier qui a informé simultanément le secrétaire général des
Nations Unies, le directeur général du FMI et le président de la BM (Banque

127
Mondiale) de mon arrestation par les nouvelles autorités militaires
guinéennes. »144
Hadja Nounkoumba Touré, sœur cadette du président, a, au cours d’un
entretien avec le journaliste Sékou Mady Traoré, raconté dans le menu détail les
circonstances de son arrestation : « Je me trouvais dans ma cour qui ne
désemplissait pas depuis le décès de mon frère. Un militaire, allié de la famille
s’est présenté et nous avons engagé la conversation comme d’ordinaire.
Mais je sus plus tard que l’intéressé avait pour mission de connaître ma
position. En effet, peu après son départ une jeep s’est immobilisée dans la cour.
Selon ses occupants, le Haut Commandement souhaitait me rencontrer pour
me dédommager des dégâts causés par des militaires à mon domicile.
Je déclinai l’offre estimant que les objets perdus étaient à tenir pour quantité
négligeable par rapport à l’immense douleur causée par le décès de mon frère.
Mais leur porte-parole insistera à telle enseigne que je finis par accéder à
leur désir.
Je n'allais pas tarder à comprendre que j’étais tombée dans un piège. En
effet, je me suis retrouvée au Camp Alpha Yaya quelques minutes plus tard.
Dans la soirée, j’ai été conduite dans la salle où se trouvaient déjà tous les
miens. Il y avait là mon grand-frère Amara, ma sœur Ramata, ma belle-sœur
Hadja Andrée et nos enfants Amy et Mohamed. »145

L’ÉTAPE DU CAMP BOIRO


Les nouveaux prisonniers furent internés le premier jour dans les cachots du
Camp Alpha Yaya connus sous l’appellation des ‘’32 escaliers’’ décrits plus
loin. Un séjour de courte durée car tard dans la nuit, ils prirent la direction de la
prison du Camp Boiro. Ironie du sort : en moins d’une journée, les membres du
BPN et du Gouvernement remplacèrent ceux que certains d’entre eux y avaient
interrogés ou suppliciés146.
Des gardiens ne manquèrent pas d’ailleurs de bondir sur l’occasion pour se
gausser des nouveaux pensionnaires, estimant comme un juste retour des choses
que les anciens gouvernants soient confrontés à leur tour aux dures réalités du
fameux site pénitentiaire.

144
Matalana, Hors Série, 01, p.27.
145
Entretien avec le journaliste Sékou Mady Traoré, Radio Soleil FM, 2013.
146
C’est là, nous a dit El Hadj Fodé Soriba Camara, que « nous comprîmes, le ministre
Mouctar Diallo et moi, le sens d’un rêve qu’il m’avait demandé d’interpréter sans
que je n’y parvienne. Mon collègue m’avait en effet entrepris, deux semaines plus
tôt, à propos du sens à donner à un rêve qu’il avait fait la veille et dans lequel nous
étions debout l’un à côté de l’autre dans une salle obscure : « De toute évidence,
nous avons à présent la démonstration en grandeur nature de votre rêve », lui dis-
je en plaisantant ».

128
Ceux qui n'y avaient pas encore mis les pieds, trouvèrent la réalité du Camp
Boiro tout à fait conforme à ce qu’ils en savaient à travers les récits. Jetés dans
des cellules étroites, ils devaient se coucher à même le sol.
Du sable avait été répandu partout comme pour en rajouter à leurs
souffrances. Heureux furent ceux auxquels des geôliers compatissants
donnèrent des cartons en guise de nattes.
La ration alimentaire consistait en un petit morceau de pain et une tasse de
quinquéliba sans sucre le matin. Au milieu de la journée, un bol de riz et une
sauce à la couleur et au goût indéfinissables étaient servis aux détenus. Il est vrai
que le menu de cet établissement d’un type particulier ne pouvait pas changer
en si peu de temps.
Enfermés de jour comme de nuit, ils étaient soumis à la volonté des geôliers.
Ils ne pouvaient sortir de ces lugubres cachots que pour satisfaire à certains
besoins naturels à condition que le chef de poste y consentît.
Cette deuxième étape dura sept jours. Le 12 avril, après un contrôle
d’identification, les prisonniers furent alignés à la file indienne. Les femmes
mises à part, ils furent ligotés, les bras au dos comme des saucisses147. Personne
ne fit exception à la règle, même pas le Premier ministre Béavogui. Avec sa
santé fragile, ce dernier suscitait déjà pas mal d’inquiétudes. La volonté
d’humilier des hommes haïs qui étaient enfin à leur merci était manifeste chez
certains militaires. C’est ainsi que lorsque l’ancien ministre de la Défense se
présenta comme étant le général Lansana Diané, l’officier chargé de relever
l’identité des prisonniers le rabroua vertement en lui lançant à la figure avec
mépris : « Depuis quand tu es général, toi ?» L’ancien dirigeant choisit le
silence pour toute réponse148. Mais les militaires se seraient acharnés surtout à
neutraliser un de leurs anciens compagnons d’armes, l’adjudant-chef Kaba
Camara surnommé de Gaulle149.
Ce colosse haut de plus de deux mètres inspirait beaucoup de crainte. On le
savait fort comme un turc et capable d’assommer plus d’une demi-douzaine
d’individus en même temps. Bon nombre d’entre eux avaient éprouvé ses coups
de poing en privé ou sur les terrains de football car chaque défaite de son équipe,
le moindre but encaissé par le dernier rempart qu’il était, le rendaient furieux. Il
fonçait alors sur ses adversaires qui détalaient comme des lapins pour échapper
à ses coups de massue.

147
L’ancien ministre des Affaires islamiques nous a montré au cours de notre entretien
les traces indélébiles laissées sur ses bras par les cordes utilisées par ses geôliers.
148
Témoignage de Fodé Soriba Camara.
149
L’auteur se souvient cependant que l’adjudant-chef de Gaulle n’avait pas réchigné
à se joindre au mouvement déclenché par l’armée le 3 avril 1984. Habitant alors
dans le même quartier que ce soldat, je le revois au volant d’une jeep de fabrication
soviétique en train de patrouiller le jour où l’armée a pris le pouvoir dans les rues
du Pouvoir Révolutionnaire Local (PRL) Maciré Camara du 6ème arrondissement.

129
L’adjudant ‘’de Gaulle’’ était en effet une véritable force de la nature, doté
d’une exceptionnelle vitalité. Lorsqu’il assurait la garde rapprochée du chef de
l’Etat, il était courant de le voir parcourir au petit trot derrière la voiture
présidentielle, les 15 kilomètres séparant l’aéroport de Gbessia du Palais de la
Présidence.
Un traitement spécial lui a été infligé par ses tortionnaires à la fois pour le
maîtriser et se défouler. On utilisa des morceaux de fil de fer barbelés pour le
garrotter. Le géant se tint coi, le corps tout ensanglanté.
Selon Boubacar Lombonna Diallo, les prisonniers craignant d’être fusillés
convinrent de rassurer les militaires qu’ils renonçaient à toute idée d’exercer le
pouvoir pour compter de cette date. Des lettres individuelles furent rédigées
pour le notifier. Mais les nouvelles autorités, exigeant une pétition, celle-ci ne
tarda pas à être signée. Il est curieux, si l’information est avérée que son contenu
n’ait pas été divulgué par le CMRN. En effet, il aurait conféré une certaine
légalité à son autorité naissante bien que celle-ci ait été largement reconnue,
fêtée par les populations dès après la diffusion de son premier communiqué.

DES INTERROGATOIRES MUSCLÉS À LA MAISON CENTRALE DE


KINDIA
Entassés dans des véhicules entièrement recouverts, les prisonniers s’étaient
posé moult questions concernant la destination du convoi qui s’est ébranlé de
l’enceinte du camp Boiro tard dans la nuit du 12 avril 1984. Finalement, il y eut
plus de peur que de mal lorsqu’en descendant des véhicules, après plus de trois
heures de route, ils s’aperçurent qu’ils se trouvaient dans l’enceinte de la Maison
centrale de Kindia. Là, ils furent répartis dans des cellules correspondant aux150
trois catégories de prisonniers sélectionnées par le CMRN :
- cellules réservées aux membres de l’ex Comité Révolutionnaire, présumés
coupables de crimes de sang ;
- cellules où furent regroupées les personnalités soupçonnées de crimes
économiques ;
- cellules des suivistes, abritant celles qui n’appartenaient à aucune des deux
premières catégories, mais auxquelles, il était fait cependant, le reproche de

150
Renseignements recueillis auprès de Boubacar Lombonna Diallo qui, dit avoir été
enfermé dans l’une de ces cellules. Interrogé en effet par le président de la
Commission d’Enquête qui lui demandait pourquoi avait-il fait du suivisme sous
Sékou Touré, il aurait, dit-il, rétorqué que le commandant Ousmane Sow lui-même
n’avait rien fait d’autre à l’époque. Sur un ton ironique, il aurait fait savoir à son
interlocuteur que celui-ci était alors mieux placé que lui pour changer le cours des
choses du fait de son appartenance à la hiérarchie militaire. Le commandant qui
ne gouta pas à ces mots, décida de le punir.

130
n’avoir pas influé sur le cours des choses pour changer le caractère totalitaire et
répressif du régime.
Il y avait enfin trois petites cellules 151 réservées, le cas échéant, aux
récalcitrants et autres prisonniers qui se fourvoieraient en violant la discipline
instaurée par les geôliers.
Moins redoutée que le Camp Boiro, la Maison Centrale de Kindia n’en avait
pas moins une triste réputation. Pour nous en convaincre, reproduisons le
témoignage de deux anciens prisonniers qui y ont séjourné à une quinzaine
d’années d’intervalle l’un de l’autre.
L’ancien ministre des Affaires étrangères, Lamine Kamara qui y fut
incarcéré entre 1971 et 1977 en fait la description suivante : « véritable
forteresse, la maison centrale de Kindia dégageait une extraordinaire
impression de force. Toute de pierre et de béton, la hauteur et l’épaisseur de la
muraille d’enceinte décourageaient toute idée d’évasion.
Une fois que vous y êtes logés, vous êtes chez vous. De manière tout autant
dissuasive, surmontaient cette muraille trois rangées de barbelés aux dents
longues et rocheux, que le détenu à tort ou à raison, croyait reliées à un système
d’électrocution.»152
Jeanne Martin Cissé évoque pour sa part la forme hexagonale de la prison
comprenant huit cellules. Selon son récit : « deux cellules longues et exiguës
furent affectées aux sous-officiers de notre groupe ; une aux ministres, dont le
Premier ministre et certains membres du Gouvernement, la cinquième et la
sixième, les plus petites réservées aux cadres administratifs dont le fils du feu
Président et aux six femmes que nous étions/ la veuve du Président, sa fille, ses
deux sœurs, Kesso (ancienne vice-gouverneur de la Banque Centrale NDLA)
et moi-même. »153
Le colonel Lansiné Keita soutient pour sa part, avoir partagé la même cellule
que les détenus Karim Keira, Samory Touré, Mamadouba Camara (MC), Sékou
Kaba El Varez, Sékou Kaba (CNTG), Alya Camara, Galéma Guilavogui…
Les avis exprimés sur les conditions de détention dans la prison de Kindia
par les anciens dirigeants du PDG ont tendance à faire croire qu’elles se sont
améliorées progressivement.
Le président Lansana Conté « mis au courant des souffrances que nous
avions endurées au Camp Boiro, a fait preuve de magnanimité à notre endroit »,
nous a confié Galéma Guilavogui.
Le chef de l’Etat aurait ordonné que les prisonniers soient mieux traités. Du
riz, des condiments, du bois furent mis à leur disposition. Ils eurent droit à deux
repas par jour : le petit déjeuner et le grand repas de la journée intervenant

152
Kamara Lamine, Sous les verrous de la Révolution, éd. Harmattan, P.145.
153
Cissé Jeanne Martin op. cité, P.160.

131
généralement à partir de 15 heures mais que les détenus devaient préparer eux-
mêmes. Un témoin insiste sur l’habilité dont certains prisonniers faisaient
preuve. Ceux-ci cuisinaient des plats appétissants. A ce jeu, en plus des femmes,
dont Aminata Touré, la fille du président, les anciens ministres Marcel Cros,
Cellou Diallo et des militaires tels que Mamy Sangaré, Diawadou Sow, Bia
Sangaré démontrèrent des qualités de grands maîtres. Le fils du président,
Mohamed Touré, n’était pas en reste. L’adjudant ‘’De Gaulle’’, l’hercule du
groupe, était chargé de la fente du bois.
Des barbiers se rendaient à la Maison Centrale de Kindia pour débarrasser
les prisonniers des touffes de cheveux devenues trop épaisses.
Faisant bon cœur contre mauvaise fortune, ces derniers, jouaient à fond la
carte de la complémentarité. Chacun se voyait attribué le premier rôle dans le
domaine où il excellait. Tel assumait ainsi la fonction d’imam tandis que tel
autre, médecin de son état, se penchait sur les petits bobos qui lui étaient
signalés. Comme dans toute vie en communauté, l’harmonie était rompue
parfois ou mise à mal à la suite de problèmes conjoncturels ou à l’évocation de
quelques sujets datant de l’époque où ils étaient aux affaires.
Des traitements de faveur étaient accordés occasionnellement à certains
prisonniers sur la base de considérations d’ordre ethnique. Les propos d’une
ancienne détenue diffusés par une station de radio privée en 2014 sont
révélateurs à cet égard : « Lorsque j’ai révélé le nom de ma mère, un nom
indiquant clairement qu’elle était une ressortissante de la Basse Guinée, mes
geôliers surpris se sont regardés. Ils m’ont demandé de sortir de la salle pour
un instant et ne m’ont plus rappelée. Je ne devrai les revoir que le jour où ils
sont venus nous annoncer notre libération ». Les interrogatoires étaient menés
par la Commission Nationale d’Enquête dirigée par le chef d’Etat-major des
Armées, le commandant Ousmane Sow. Son vice-président était le chef d’Etat-
major de la Gendarmerie, le commandant Makan Camara. Le lieutenant de
gendarmerie, Abdourahamane Kaba faisait office de rapporteur. Les
commissaires de police, Ibrahima Sory Dioumessi, Charles Destephen,
Mohamed Lamine Somparé et le lieutenant de marine, Sékou Kanté en étaient
les principaux membres.
Pour les détenus de la première catégorie, ce fut l’occasion d’expier des
pêchés réels ou supposés. Chaque jour comportait son lot de supplices corporels
et de tortures morales pour ces hommes qui avaient appartenu par le passé au
Comité Révolutionnaire. Une ‘’juridiction’’ spéciale chargée de se prononcer
sur le sort des personnes accusées de complot contre le régime du PDG. Créé
dès l’aube de l’indépendance, le Comité Révolutionnaire avait été dirigé
successivement par des personnalités de premier plan comme El Hadj
Saïfoulaye Diallo, Léon Maka, Magassouba Moriba, Lansana Diané, Ismaël
Touré, Sékou Chérif. Ses membres provenaient de toutes les sphères de
l’organigramme du Parti-Etat (BPN, Comité Central, Gouvernement, Comités
Nationaux des Jeunes, des Travailleurs, administration pénitentiaire, armée,

132
milice…). Malgré la discrétion qui entourait son existence, les Guinéens le
redoutaient et l’accablaient de tous les maux. Aussi le traitement réservé à ses
anciens membres fut-il à la hauteur de sa mauvaise réputation.
Ils étaient soumis tard dans la nuit à des interrogatoires serrés, musclés. Des
cris et des lamentations s’échappaient constamment des lieux. Les entendre
pétrifiait. On en était transi de peur, soumis à une pression constante à l’idée de
connaître le même sort, comme s’en souvient encore Galéma Guilavogui. Selon
ce dernier, les geôliers venaient interpeller régulièrement entre 2 h et 4h du
matin les détenus : Siaka Touré, Mamady Keita, Ismaël Touré, Seydou Keita,
Karim Keira… Ils comparaissaient devant la Commission d’enquête lorsque de
simples agents ne s’arrogeaient pas le droit de les interroger. Quelles sont les
questions qui leur étaient posées ? Quelles sont les réponses qu’ils avançaient ?
On ne le saura peut-être jamais en entier. Cependant, on peut supposer que ces
interrogatoires nocturnes étaient liés au rôle que ces anciens dirigeants étaient
censés avoir joué dans le fonctionnement du Camp Boiro et des autres centres
de torture.
Un membre de la Commission d’Enquête a laissé entendre qu’au cours de
son face à face avec Ismaël Touré, il s’est appesanti sur deux sujets : ‘‘les
appointements attribués aux éléments de la cinquième colonne et la question
des armes’’. Pour toute réponse, affirme-t-il, il se serait entendu dire par l’ancien
ministre que la Direction générale des Biens saisis et le commandant Siaka
Touré étaient les pistes à explorer pour faire toute la lumière sur ces deux points.
Au total, 78 personnalités de l’ancien régime furent interrogées par la
Commission Nationale d’Enquête. D’après notre interlocuteur, toutes ou
presque ont cherché à se défausser sur le président défunt. Leur principal
argument : « Nous n’avions pas les mains libres. Nous n’étions responsables de
rien. Le président était au départ et à l’arrivée de tout. »154
Tactique bien compréhensible employée par des personnes pensant que si
leur responsabilité était démontrée, à quelque niveau, que ce fut elles risquaient
d’être sévèrement sanctionnées.
Le président du Comité Révolutionnaire au lendemain des événements du 22
novembre 1970 par exemple, aurait minimisé le rôle joué par l’institution dans
le jugement prononcé contre les prévenus. A son sens, le Comité
Révolutionnaire n’était qu’une simple juridiction d’instruction. Le dernier mot
appartenait au Bureau Politique National en tant que juridiction de jugement.
Une assertion que bon nombre de ses pairs auraient, semble-t-il, peu appréciée.
D’ailleurs, à cet effet, trois anciens « responsables » auraient ‘’fait preuve d’un
courage et d’une loyauté admirables jusqu’au bout’’, en reprenant les mots du
commissaire Dioumessi.

154
Propos rapportés par le commissaire Ibrahima Sory Dioumessi.

133
Sénaïnon Béhanzin, Jeanne Martin Cissé et Moussa Diakité avaient placé
l’action du PDG dans le cadre d’une œuvre collégiale. Les trois anciens
dirigeants avaient soutenu que tout se décidait de la base au sommet.
L’application s’effectuait dans le sens inverse, impliquant la responsabilité
collective, professionnelle et individuelle de l’ensemble du peuple.
Les détenus étaient interpellés sur d’autres aspects de la politique menée par
le régime du PDG dans le domaine économique comme les motivations qui
l’avait conduit à créer les Fermes Agro-pastorales d’Arrondissement (FAPA).
Les prisonniers n’ayant exercé aucune parcelle de responsabilité politique mais
qui avaient été arrêtés à cause de leur appartenance aux familles des anciens
dirigeants furent soumis également à un interrogatoire en règle et à des sévices
corporels.
Il faut signaler que ces exactions n’apparaissent pas dans le rapport rédigé
par Amnesty International après sa visite dans les prisons de Kindia en octobre
1984. Son avis sur les conditions de détention des anciens dirigeants guinéens
était plutôt optimiste. Un point de vue que ne partage point la prisonnière que
l’organisation humanitaire avait rencontrée à cette occasion. Certes pour donner
le change, le CMRN avait préparé soigneusement l’arrivée des visiteurs. De la
peinture avait été apportée pour nettoyer les cellules, des moustiquaires
distribuées aux femmes qui avaient eu droit à du savon et de la pommade contre
les plaies, dont leurs corps étaient recouverts. Ces « petites attentions d’un jour
ne m’avaient pas empêchée d’informer les délégués d’Amnesty des traitements
humiliants et inhumains que l’on nous faisait subir régulièrement », Malgré moi,
mes larmes coulaient à flots. J’aurais voulu les ravaler et cacher la souffrance
que je ressentais. J’étais fatiguée et surtout j’avais faim. Un des membres de la
commission m’offrit une tasse de lait que je n’eus pas le courage de boire
entièrement, de peur d’être encore plus malade, car cela faisait très longtemps
que je n’avais pas bu de lait. L’audience dura plus d’une heure »,155 écrit Jeane
Martin Cissé.
De toute façon, rien de surprenant ni de nouveau à un tel scénario. Les
subterfuges qui avaient cours sous la Première République pour brouiller les
pistes lors des visites en Guinée des représentants des ONG luttant pour les
droits de l’homme avaient été ressuscités. Il était donc impossible
d’appréhender toute la réalité du système carcéral mis en place par le CMRN.
Les militaires s’étaient organisés, à leur tour pour ne laisser apparaître que les
aspects qu’ils ne voulaient pas ou ne pouvaient pas cacher.
L’envie du CMRN de s’emparer des biens supposés ou réels (parcelles de
terre, maisons, argent, véhicules…) des détenus, était également manifeste.
Ce faisant, les interrogatoires portaient essentiellement sur l’emplacement
de la fortune planquée par les prisonniers. Le CMRN était vivement alléché par

155
Cissé Jeanne Martin, op. cité, p .168

134
ce sujet. Les militaires trépignaient d’impatience à l’idée de se saisir, si possible,
de l’argent placé à leur domicile, éventuellement chez des amis ou à l’étranger
par les prisonniers. L’un de ceux-ci, au moins, dut se plier à sa volonté. Le
commissaire de police, Mouloukou Souleymane Touré, fut contraint de
reconnaître l’existence et d’indiquer la cachette d’une somme de 10.000.000
CFA que lui avait offerte à Libreville peu avant le coup d’Etat, le président
gabonais, Oumar Bongo. En effet, la somme lui avait été remise en présence
d’un futur membre du CMRN qui se fit fort de vendre la mêche dès après le
coup d’Etat.
L’argent fut récupéré par le CMRN et disparut à jamais.

UNE POLÉMIQUE POUR RIEN


Des questions saugrenues portant sur l’emplacement où reposaient les restes
mortels d’Ahmed Sékou Touré et la « fortune cachée » de l’ancien président
revenaient sans cesse. Deux sujets auxquels il n’est pas superflu de consacrer
quelques pages de la présente étude. En effet, après la mort du président, la
polémique avait enflé au sujet de l’endroit où il avait été inhumé.
Des historiens et des hommes de médias s’étaient perdus en conjectures.
Certains avaient mis en doute que son corps reposât effectivement au mausolée
qu’il avait fait construire à la gloire de nos héros. L’idée qu’il avait été enterré
en Arabie Saoudite où des prières avaient été dites à l’annonce de sa disparition,
fit son chemin.
Le Premier ministre Diarra Traoré parla d’ « une caisse vide » dix jours après
la prise du pouvoir par l’armée, au cours d’un meeting populaire organisé au
Palais du Peuple. Il promit que toute la lumière allait être faite sur la question.
Lansana Conté, selon Faciné Touré, lui aurait demandé le jour des obsèques du
président : « Tu vas prier sur une caisse vide156 ?» Le même rapporte que le
président Houphouët-Boigny l’aurait interpellé à peu près sur ce ton au cours
d’une visite en Côte d’ivoire : « Faciné, est-il vrai que Sékou Touré n’était pas
dans le cercueil157 ?» Sa réponse manquant de précision, son hôte se serait livré
à cette réflexion : « Il a donc trompé tout le monde jusque dans sa tombe. »158
En définitive, pour toute réponse se rapportant à ce mystère, les nouveaux
maîtres du pays n’avaient pas trouvé mieux à faire que de pilonner de questions
les collaborateurs et les membres de la famille de l’ancien président. Irritée par
ces élucubrations, Hadja Nounkoumba Touré s’était bornée, nous a-t-elle dit, à
inviter ses geôliers à se rendre au Mausolée de Cameroun afin de juger sur pièce.

156
Entretien du Général Faciné Touré avec Sékou Mady Traoré, dans Guinée
Mémoire, 2009.
157
Idem.
158
Entretien de l’auteur de ces propos avec Sékou Mady Traoré, dans Guinée
Mémoire, Radio Soleil, 2009.

135
Aussi a-t-on entretenu une vaine polémique sur un sujet qui n’en valait pas la
peine.
En effet, pour dissiper les doutes, El Hadj Fodé Soriba Camara avait été
formel lorsqu’il fut interrogé par la Commission d’Enquête. Il avait participé,
soutint-il, à la toilette funèbre du défunt. Le ministre des Affaires islamiques
avait été désigné, par le BPN, sur proposition d’Ismaël Touré 159 , pour le
représenter à ce rite dirigé par des oulémas marocains. Il avait été organisé dans
la nuit du 29 mars 1984 dans une salle du Palais du Peuple. A l’issue de la
cérémonie, Mohamed Touré s’était vu remettre le bonnet que portait son
regretté père sur la table d’opération à Cleveland. Les nouvelles autorités furent
conviées par les anciens dirigeants à procéder à une expertise si, d’aventure, ces
renseignements ne leur paraissaient pas convaincants. Mais on en resta là

TÉMOIGNAGE DE N’FANLY SANGARÉ


Arrivé à Conakry dans l’avion ramenant la dépouille mortelle du président,
N’Fanly Sangaré, ancien ministre, ancien directeur à la Banque Mondiale, beau-
frère de Madame Andrée Touré, assure que tout ce que l’on a entendu à propos
d’un éventuel enterrement à la Mecque ou ailleurs n’est que pure galéjade.
Que s’était-il passé exactement à Cleveland et à Conakry entre le 25 et le 28
mars 1984 ? L’intéressé répond160 à cette question posée par l’auteur :
« Il était 23 heures à Washington, ce 25 mars 1984 lorsque mon téléphone
a sonné. Me saisissant du combiné, j’ai vite reconnu la voix du ministre de
l’Urbanisme et de l’Habitat. El Hadj Moussa Diakité me dit en substance :
« -N’Fanly, le président est malade. Il a quitté Conakry ce jour pour
Cleveland à bord d’un avion médicalisé mis à sa disposition par le Roi d’Arabie
Saoudite. Il faut que tu te rendes à son chevet ».
J’étais encore sous le coup de l’émotion provoqué par ce que je venais
d’entendre, lorsque l’appareil se mit à crépiter une seconde fois. Cette fois-ci,
c’était un fonctionnaire du Département d’Etat qui me demandait de lui
communiquer le numéro de l’ambassadeur de Guinée à Washington.
Je ne puis m’empêcher d’exprimer mon étonnement. Je trouvais en effet
curieux que le temple de la diplomatie américaine, réputé pour sa parfaite
organisation, ait recours au service d’un tiers dans un tel cas de figure.

159
Ismaël Touré aurait justifié ce choix en mettant en avant les fonctions ministérielles
qu’exerçait El Hadj Camara, son rôle de Grand Imam de la Mosquée Fayçal, son
appartenance à une ancienne famille de dignitaires religieux à la renommée
fortement établie. El Hadj Fodé Soriba Camara affirme par ailleurs être le seul
Guinéen, en faisant abstraction de ceux qui étaient à Cleveland, à avoir vu le corps
du président.
160
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 28 octobre 2013.

136
L’Américain me donna raison avant d’ajouter : « Tout porte à croire que
l’ambassadeur a changé de numéro. En tout cas, celui qui figure dans notre
annuaire n’est plus actif ». Je me rappelai soudain que celui-ci disposait en effet
d’un nouveau numéro depuis quelques jours que je ne tardai pas à communiquer
à mon interlocuteur.
Une demi-heure s’était à peine écoulée que Habib Diallo m’appelait à son
tour. J’entretenais une longue relation avec lui. Il avait été mon collaborateur
quand je représentais la Guinée auprès des A.C.P. à Bruxelles. Il était un
véritable frère pour moi, un cadet et il voyait en moi un aîné, un membre de sa
famille en quelque sorte.
Habib m’informa avoir reçu du Département d’Etat des informations selon
lesquelles le président était en train d’être transporté dans un état grave à
Cleveland où son avion devait atterrir à l’aube. Il nous fallait nous rendre à son
chevet.
Nous nous sommes donc donné rendez-vous à l’aéroport de la Guardia pour
emprunter ensemble le prochain avion à destination de Cleveland161. Mais le
dernier vol ayant décollé à 0h, nous dûmes attendre le lendemain. Le 26 mars à
7 heures du matin, nous étions à Cleveland. Nous nous sommes dirigés vers
l’Institut de Cardiologie où le président venait d’être admis. Nous fûmes reçus
par la Présidente, Hadja Andrée Touré.
Nous étions en sa compagnie lorsque le chef de l’équipe médicale vint
l’informer que l’opération allait commencer.
« Elle prendra 2 ou 3 heures. Le patient aura ensuite droit à un repos. Vous
reviendrez à l’hôpital vers 17 heures pour le voir », dit-il.
Un hôtel est situé à quelques mètres de l’Institut. C’est dans cet établissement
que la délégation guinéenne avait installé ses quartiers. Nous avons tous pris la
direction des lieux en attendant le rendez-vous fixé par les médecins. Hadja
Andrée avait embarqué à Conakry avec son mari malade en compagnie de ses
enfants, Amy et Mohamed, du Dr. Abdoulaye Touré, le ministre des Affaires
Extérieures, de l’officier d’Ordonnance du président, le lieutenant Kalagban
Camara et de l’ambassadeur Ben Daouda Touré.
A Cleveland, la petite troupe s’était sensiblement épaissie. Je me souviens
de la présence à l’hôpital des ambassadeurs Habib Diallo (U.S.A) et Mongo
Diallo (ONU), Abraham Doukouré (Canada), des membres de la famille du
président et celle de son épouse vivant aux Etats-Unis ou en stage dans le pays
de l’Oncle Sam tels que Boubacar Keita, N’Famory Keita (frères de madame
Andrée). Kadiatou Saïfoulaye Diallo (directrice à la BCRG) fille du regretté
Saifoulaye Diallo, compagon de la première heure du président, Youssouf Sylla,

161
Agglomération urbaine dans l’Etat de l’Ohio située à une heure de vol de la capitale
fédérale des U.S.A.

137
fonctionnaire à la Banque Mondiale et beau-frère de la Présidente) étaient
également là.
Mais l’instant fatidique n’allait pas tarder. En effet, à 17 h, ce sont plutôt le
chef de l’équipe chirurgicale et ses collègues qui apparurent dans le grand salon
de l’hôtel où nous étions regroupés.
Le professeur se mit à relater toutes les phases de l’intervention qui venait
de prendre fin. Il reconnut que les tentatives visant à remédier à certaines
manifestations du mal dont souffrait le président n’ont pas abouti.
Sans doute, rongée par le suspens provoqué par le récit du praticien, la
Présidente l’interrompit en lui demandant s’il voulait dire que le président était
décédé ?
‘’I’m sorry, the President is dead’’ (Je suis désolé, le Président est décédé)
telle fut la réponse du médecin. Les choses devenaient claires pour tout le
monde.
En apprenant la terrible nouvelle, le lieutenant Kalagban s’était affalé à plat
ventre pour verser des torrents de larmes. Mohamed Touré, le fils du défunt,
stoïque et faisant preuve d’un calme olympien, remercia le corps médical pour
ses efforts louables en vue de sauver son père. Il conclut son propos en
employant cette formule « l’homme propose, Dieu dispose ». Nous étions
pétrifiés, atterrés, incapables pour la plupart de la moindre réaction. Nous eûmes
cependant la force de demander au professeur de nous accorder la possibilité de
jeter un dernier regard sur le visage du président. Il nous le promit dès que
certaines dispositions seraient prises.
Je dois préciser que c’est à ce moment que le ministre Ismaël Touré en
mission en Europe nous a rejoints, ayant appris la maladie de son frère. Il
voyageait en compagnie de Sékou Oumar Keita, haut fonctionnaire au ministère
des Mines. Nous nous sommes tous inclinés ensuite devant la dépouille mortelle
du président. Il avait le visage marmoréen, serein. En plus de la blouse qu’il
avait enfilée avant de monter sur la table d’opération, il portait son éternel
bonnet blanc sur la tête. Une image inoubliable.

LE RETOUR À CONAKRY
Que fallait-il faire à présent ? Cette question taraudait nos esprits. La
Présidente estimait qu’il fallait immédiatement reprendre le chemin du retour.
Après concertation, il fut convenu d’informer Conakry et de se conformer à
toute décision que le B.P.N et le Gouvernement prendraient.
Ainsi, il avait été arrêté en accord avec
le Premier ministre que l’avion transportant le corps du Président et sa suite
arriveraient dans la capitale guinéenne le mercredi 28 mars 1984 à 10 h.
Le Dr. Béavogui avait recommandé vivement qu’aucune déclaration
publique ne fut faite avant l’annonce officielle de la nouvelle au peuple de

138
Guinée. Cette consigne avait été respectée également par les autorités et les
médias américains.
Après avoir assisté à la levée du corps, nous quittâmes Cleveland le même
soir selon un plan de vol conçu pour atterrir à Conakry à l’heure indiquée.
Toutes les personnes citées dans mon récit et d’autres encore, dont les noms
m’échappent étaient dans l’avion. Il faut également signaler que parmi nous se
trouvait un fonctionnaire du Département d’Etat chargé de veiller au retour dans
les conditions adéquates du corps de l’illustre disparu dans son pays. Une
mesure que le gouvernement américain n’aurait pu prendre s’il soupçonnait un
coup foireux.
L’avion avait décollé de Cleveland et n’avait fait escale nulle part avant
d’atterrir à Conakry. Ainsi la foule immense venue à la rencontre de son chef
disparu rendit à ce dernier un ultime hommage gravé dans les annales.
De toute façon, le vice-président américain n’a-t-il pas fait partie des grands
de ce monde qui sont venus assister aux obsèques du président ? George Bush
aurait-il effectué la traversée de l’Atlantique pour tromper la galerie ?
Je pense que ce débat n’a vraiment pas de raison d’être. Ahmed Sékou Touré
repose sur cette terre de Guinée qui a été tout pour lui »

AUTRE SUJET DE POLÉMIQUE : LA « FORTUNE CACHÉE » DU


PRÉSIDENT AHMED SÉKOU TOURÉ
Les anciens gouverneurs et vice-gouverneur de la Banque Centrale de la
République de Guinée (BCRG) ont été interpellés à propos de la ‘’fortune
cachée’’ du président défunt. Cédant aux ragots relayés par des médias
occidentaux, de manière à friser parfois le délire, les nouveaux dirigeants de la
Guinée prêtaient en effet à Ahmed Sékou Touré et aux siens une fortune
comparable au trésor du général nippon, Yamashita.
Au début du mois d’avril 1984, le Premier ministre, Diarra Traoré avait
déclaré, au cours d’un meeting au Palais du Peuple, qu’il avait été découvert un
chèque de quatre millions de dollars US à la BCRG. Le chèque était libellé à
l’ordre de son épouse par « l’homme le plus honnête du monde », avait-il
ironisé. Une information pas tout à fait infondée selon le commissaire
Dioumessi qui tient cependant à préciser que : « Ces fonds représentaient une
partie des droits d’auteur provenant de la vente de l’œuvre du président dans des
pays musulmans du Golfe où notamment son ouvrage ‘’Révolution et
Religion’’ avait été un best-seller. Ils avaient été transférés à la Bank of America
par la Banque Nationale des Services Extérieurs (BNSE) de la République de
Guinée. C’était donc, affirme-t-il, sans conteste, de l’argent propre, obtenu à la
sueur de son front et dont tout bénéficiaire pouvait, le cas échéant disposer à sa
guise et que, pour une fois, l’ancien président avait décidé de léguer à sa famille.
Les nouvelles autorités feront main basse sur le magot en usant de méthodes

139
coercitives sur les héritiers du président défunt. Une fois l’argent récupéré, il ne
prendra pas la direction du Trésor Public, mais se dissipera dans la nature162. »
A son tour, une station française citée par André Lewin « a diffusé le 11 avril
1984 une liste invraisemblable de biens qui lui (le président Sékou Touré
NDLA) auraient appartenu ». Même si la radio en question avait pris le soin
d’indiquer que ces informations étaient à vérifier, l’empressement avec lequel
elle les a rendues publiques était plutôt troublant. Le président posséderait, selon
elle, « 147 millions de dollars en Suisse et 840 millions de dollars en Angleterre,
150 millions de sylis à la Banque Centrale de Guinée, un château à Rabat, un à
Casablanca, un domaine de 36 km² et 42 villas à Fez, un château en
Espagne(sic!), un château en Arabie Saoudite, un château à la Jamaïque et un
immeuble de seize étages à Paris. » 163
Amusé, N’Fanly Sangaré, ancien ministre et haut fonctionnaire de la Banque
Mondiale, a répondu aux détracteurs de l’ancien président l’accusant d’avoir
amassé une immense fortune164 :
« J’en ai ri. Quand ils m’ont interrogé au camp militaire de Kindia. Ils ont
voulu me faire parler sur les supposés avoirs du président Sékou Touré. J’ai
simplement répondu qu’il n’y avait pas d’avoir, ni matériel ni financier, de
Sékou Touré, à l’exception de ce que tout le monde connaissait : Villa Syli à
Coléah et les Cases de Bellevue acquises avant l’indépendance.
Ils m’ont même dit à cet interrogatoire que moi, N’Fanly Sangaré, aurait été
arrêté à l’aéroport de Paris avec une valisette remplie de diamants, que j’allais
placer pour le compte du président Sékou Touré, et n’aurai été libéré que sur
intervention expresse des autorités françaises.
Naturellement, je me suis porté en faux contre cette assertion que j’ai
qualifiée de gratuite et même de trop légère. J’ai répondu : « Maintenant Sékou
Touré est mort, il est alors facile de vérifier auprès des autorités françaises avec
lesquelles le nouveau gouvernement entretenait déjà de très bons rapports. Et
que même à l’époque des supposés faits il était impossible de faire taire tous les
journalistes français, un pays où la presse est très libre, surtout que cette
« arrestation » aurait eu lieu à l’aéroport ».
Ainsi, malgré la vie spartiate que menait le président et qu’il avait imposée
à son épouse et à ses enfants, rien n’y fit. Des esprits voulant coûte que coûte
l’attaquer sur le terrain de la corruption ont donné libre cours à leurs fantasmes.
Mais ces assauts d’affabulation firent long feu. Ses anciens collaborateurs

162
Entretien avec l’auteur, le 12 novembre 2012. Propos confirmés par André Lewin
qui affirme que des « pays arabes (comme le roi d’Arabie Saoudite) versaient sur
un compte spécial des sommes d’argent considérées comme des droits d’auteur
pour ses œuvres traduites en arabe » Lewin André op. Cité Tome 8 p. 72.
163
RFI citée par André Lewin dans Ahmed Sékou Touré, Président de la Guinée
(1926-1984), P.172.
164
Matalana, Hors Série, 01, p. 23.

140
n’eurent aucune peine à démontrer que l’homme n’a jamais été en proie à une
soif inextinguible de propriétés et de richesses.
Des compagnons de Sékou Touré avancent aujourd'hui avec des preuves à
l'appui que c'est plutôt l'Etat guinéen qui doit à l'ancien président.
Youssef A. Maïga soutient que le président s'était délesté volontairement, au
profit du trésor public, de plusieurs dizaines de millions de dollars que les
Princes du Golfe avaient généreusement mis à sa disposition pour son usage
personnel.
Sans compter que les Cases de Bellevue, un des principaux centres d'accueil,
dignes d'hôtes de marque en Guinée, ont été bâties sur un site, que le secrétaire
général du PDG, avait acquis en 1955.
La gestion du patrimoine de l’Etat par le président Sékou Touré était « au-
dessus de tout soupçon », écrit de son côté, Aly Bocar Cissé. D’après lui, le
premier gouverneur de la BCRG, sous l’ère du CMRN, le capitaine Kabiné
Kaba avait révélé à ses pairs, la découverte, le 3 avril 1984 d’ « un dépôt de 600
kg d’or dans les caveaux de la Banque Centrale de la République de Guinée ».
Il précise que cet or qui « avait été abandonné là par les autorités coloniales
après l’accession de la Guinée à l’indépendance était demeuré intact pendant
les 26 années du régime du PDG ».
Aly Bocar Cissé, toujours lui, affirme en outre que la Première République
avait effectué un dépôt de 25 tonnes d’or en Suisse, « qui, à l’avènement des
militaires au pouvoir, a été rapidement transféré à la Banque de France ». Il
mentionne à la même époque « l’existence d’un fonds de trois milliards de sylis,
stock de sécurité en matière budgétaire, et d’une masse de billets de 500 sylis,
s’élevant, selon toute vraisemblance, à plusieurs milliards de syli ».
De source proche de la BCRG, en 2016, le gouvernement avait restitué à la
famille de Sékou Touré, des objets ayant appartenu à l’ancien président. Mis
sous scellés à la BCRG par le CMRN, ils consistaient en des présents : montres
de valeur, oeuvres d’art et objets divers, envoyés par ses homologues ou des
amis étrangers. Certains de ces cadeaux dataient des premières années de
l’indépendance et tous ont été retrouvés tels que le destinataire les avait reçus.
En ce qui concerne la fortune prêtée aux ministres et autres dirigeants du
Parti-Etat, la réponse a été lapidaire : « L’exemple vient d’en haut. »165 Certes,
tous les compagnons de Sékou Touré n’étaient pas vêtus de lin blanc ou de
probité candide. Mais, le président étant irréprochable sur le plan de la
corruption et prompt à sévir en cas de défaillance avérée, il existait des limites
que personne n’osait franchir.
De toute façon, nous n’en saurons pas plus sur le résultat de ces enquêtes
parce que la promesse faite d’organiser le procès des anciens dirigeants
pour « délit économique » a été abandonnée par le CMRN.

165
Cissé Aly Bocar, op. cité, p. 19.

141
TROISIÈME PARTIE

L’administration du CMRN
se met en place
CHAPITRE VII

De nouveaux hommes
à la tête du pays
Mais, revenons en arrière pour parler de la mise en place de la nouvelle
équipe dirigeante du pays. Dans la plupart des cas, après un coup d’Etat, le nom
du nouvel homme fort est divulgué par le communiqué annonçant la prise du
pouvoir par les forces militaires.
En Afrique, il était courant pendant la première décennie des indépendances que
l’intéressé se chargeât de la besogne en personne. Un tel scénario avait eu droit de
cité dans de nombreux cas, notamment au Togo avec le sergent Etienne Eyadéma,
le lieutenant-général Joseph Désiré Mobutu au Congo. Il s’était poursuivi en
République Centre Africaine avec le colonel Jean Bedel Bokassa, le lieutenant
Moussa Traoré au Mali, au Dahomey avec le colonel Christophe Soglo ainsi que
tous les militaires qui, plus tard, lui emboîtèrent le pas pour se placer à la tête de ce
pays qui détient le record du nombre de coups d’Etat dans l’Afrique francophone…
Le cas de la Guinée fut différent. Le 3 avril 1984, personne n’a entendu la
voix du colonel Lansana Conté, même si on a remarqué son visage et sa haute
taille au milieu de ses compagnons le soir à la Télévision Nationale. Toutefois
pour le Guinéen lambda, aucun signe particulier ne laissait deviner sa
désignation imminente par ses pairs pour prendre la tête de leur mouvement et
la direction de l’Etat.
Seules quelques personnes bien informées étaient dans le secret. Elles
savaient que la roue de l’histoire était en train de tourner pour cet officier qui
avait consacré sa vie au métier des armes.
D’anciens compagnons du colonel soutiennent cependant que celui-ci n’était
pas engagé résolument dans la voie de l’organisation d’un coup d’Etat. Il n’était
pas enthousiasmé non plus à l’idée de prendre les rênes du pays en main.
Fodé Momo Camara, l’un des tenants de cette théorie, laisse entendre que
c’est malgré lui166 que Lansana Conté a accepté de diriger leur mouvement et
qu’il a fallu le prier « pour qu’il acceptât le poste de chef d’Etat167 ».

166
Camara Fodé Momo op. cité.
167
Op. cité, p 65.

145
Des insinuations vont jusqu’à prétendre que le Colonel avait invité le BPN à
satisfaire aux revendications des militaires portant essentiellement sur le statut
particulier de l’armée pour qu’ils se tiennent tranquilles.
En effet, Sénainon Béhanzin confiera à une revue internationale : « Lansana
Conté n’était pas dans le coup. Il avait même envoyé des émissaires pour nous
conseiller de donner bonne suite aux revendications des militaires afin qu’ils
n’aient aucun prétexte pour bouger. »168
Des avis voudraient qu’ensuite le colonel Conté fût timoré après la réussite
du putsch, à l’idée d’endosser l’habit de président. Il l’aurait jugé difficile à
porter par un homme comme lui qui n’avait aucune formation politique. Il se
voyait mieux dans un rôle de ministre de la Défense Nationale ou de chef d’Etat-
major général des Armées. Ces fonctions correspondaient mieux à son profil et
à ses ambitions personnelles.
Pour les partisans de cette thèse, le colonel, arguant ensuite de son mauvais
état de santé et de sa méconnaissance de l’administration, avait confié à ses
intimes que ‘’Faciné Touré, Jean Traoré, plus instruits ’’, ou ‘’Kerfalla Camara’’
qui ‘’faisait de la politique (il était membre du Comité Directeur du 3e
Arrondissement de Conakry 1) étaient mieux placés’’ que lui pour prendre la
tête de l’Etat.
Le seul obstacle à l’accomplissement du destin national qui lui était promis
semblait donc être le colonel Lansana Conté lui-même. L’enfant de Bouramaya
avait-il le « pouvoir dans la peau » ? Se sentait-il fait pour le métier ? Avait-il
le courage et la volonté de marcher sur les brisées des officiers et sous-officiers,
et même des simples soldats qui, depuis les indépendances africaines, n’avaient
pas hésité à accaparer la fonction suprême dans leurs pays respectifs ?

DES APPARENCES À LA RÉALITÉ


Mais, ne peut-on supposer que Lansana Conté ait caché son jeu à ce
moment- là comme il le fit tout au long de son règne ? L’hypothèse qu’en fin
matois, le colonel qu’aucun de ses commensaux n’est parvenu à abuser, se soit
fait longtemps désirer n’est pas à écarter. Sa stratégie de faire planer le doute
sur ses intentions ayant pour but de faire monter les enchères afin de disposer
plus tard de la totalité du pouvoir. Car, selon toute vraisemblance, il n’ignorait
pas depuis un certain temps, la volonté partagée par l’écrasante majorité des
auteurs du putsch et des militaires de rang, de le porter à la tête du Comité
Militaire de Redressement National, (CMRN) et à la présidence de la
République en cas de succès. Certains propos du général Touré sont révélateurs
à cet égard avec pour lame de fond l’idée que pour les tombeurs du PDG, il n’y
avait aucune équivoque : le colonel Conté devait être le prochain président de
la République de Guinée.

168
In Construire l’Afrique, no 22, mars-mai 95, cité dans Ma Part de Vérité, p.61.

146
En effet, affirme le futur ministre des affaires étrangères, « avant de prendre
le départ le 3 avril, au petit matin, pour la maison de la radio à Boulbinet, j’ai
eu un ultime échange avec le colonel Conté. Il voulait toujours savoir, comme
pour se rassurer, qui serait le futur Président. Je lui ai alors répondu sur un ton
plutôt sec, parce que visiblement agacé de ressasser la même chose, et en
langue soussou : « kha i wama a tongo, kha i mu wama a luna », en d’autres
termes : « Si tu veux, prends-le ; si tu ne veux pas, ne le prends pas ». Mon
emportement, s’expliquait, en partie par les hésitations, les doutes que je lisais
encore sur son visage alors que la veille, le capitaine Jean Traoré et moi-même
croyions l’avoir convaincu qu’il ne pouvait se dérober devant ses futures
responsabilités. », 169 nous a-t-il dit.

POURQUOI AVOIR CHOISI LANSANA CONTÉ ?


Plusieurs raisons expliquent ce choix :
− Lansana Conté avait été l’âme principale, pas forcément l’inspirateur, mais
en tout cas celui, dont les faits d’arme antérieurs, l’esprit de convivialité et le
calme ont contribué à fédérer des courants divers que renfermait l’armée, à
rassurer que le moment venu sous son égide, chacun était assuré de trouver une
place au soleil.
Le colonel jouissait d’une bonne réputation parmi les officiers, dont la
plupart étaient des amis personnels. Ils partageaient les mêmes idées, étaient
confrontés aux mêmes difficultés et ne pouvaient que nourrir les mêmes projets.
Ils se retrouvaient les soirs à son domicile pour d’interminables parties de
belote.
− La bonhomie qu’il dégageait l’avait rendu populaire au sein des troupes.
Les soldats appréciaient cet officier supérieur nullement imbu de sa personne,
au caractère facétieux et sachant les traiter avec respect et considération.
Par ailleurs, le colonel Lansana Conté qui ne « pouvait faire de mal à une
mouche » selon ses proches, devrait être l’incarnation d’un pouvoir clément,
tolérant et modéré. C’est ainsi que pour Fodé Momo Camara, Lansana Conté
n’a pas été choisi simplement parce qu’il était colonel. Il « avait une certaine
qualité que j’appréciais » à savoir son « flegme » tandis que : « Les capitaines
que nous étions, nous étions bouillants, chaud, chaud ; pour avoir besoin d’un
chef qui avait un tempérament calme, qui était là pour recevoir nos hésitations,
un esprit catalyseur ».
− En outre, la hiérarchie militaire estimait que cet officier débonnaire à
l’image évanescente contrastant avec l’omniprésence de son prédécesseur,
conviendrait parfaitement aux Guinéens.

169
Entretien avec l’auteur.

147
− Lansana Conté disposait d’un autre atout, peu avouable, mais non moins
important : son appartenance à l’ethnie soussou. Il se murmure, en effet, que
plusieurs officiers et une partie de la population ainsi que ‘’quelques amis
extérieurs’’ ne souhaitaient plus la présence d’un Malinké à la tête de la Guinée
après le long règne de Sékou Touré. Cette perspective les rebutait.
En définitive, c’est l’argument de ‘’l’officier le plus ancien dans le grade le
plus élevé’’ qui a été invoqué. Il accordait la prééminence à Lansana Conté dans
la répartition des deux principaux rôles au sommet de l’État. Il aurait
été « recommandé par les ressortissants de la Basse-Guinée et de la Moyenne-
Guinée », selon Faciné Touré.
De ce point de vue, Lansana Conté avait toutes les cartes pour étouffer dans
l’œuf les prétentions de ses rivaux potentiels. Car, au moment du putsch, les
officiers qui le supplantaient au sein de la hiérarchie militaire avaient été
neutralisés, tenus à distance des événements ou occupaient des postes éloignés
de la capitale. En effet, les généraux Toya Condé et Soma Kourouma,
respectivement chef d’Etat-major général des armées et chef d’Etat-major de
l’Armée de Terre avaient été embarqués dans la même charrette que les anciens
dignitaires du PDG et emprisonnés. Le colonel Idrissa Condé, commandant de
la garnison de N’Zérékoré, n’était pas au bon endroit au bon moment et ne
pouvait avoir son mot à dire.
Dans tous les cas, le bon sens incite à deviner que les trois hommes
n’entraient pas du tout dans les plans des protagonistes du coup d’Etat et de ceux
qui leur donnaient conseil dans l’ombre.

DES ORACLES L’AVAIENT PRÉDIT


Il se dit aussi en Afrique et certainement de plus en plus sous d’autres cieux
pourtant rompus à la logique cartésienne que le pouvoir est un don de Dieu. Il
échoit à la personne à laquelle le Créateur le destine. Parfois des signes
prémonitoires sont perçus par la personne ou par ses proches. C’est pourquoi
presque tous les chefs d’Etat africains, musulmans, chrétiens ou athées
entretiennent une armée de marabouts ou de féticheurs.
Il nous a été rapporté à ce propos que le marabout Ibrahima Soumah, installé
au Maroc, est un de ceux qui ont prédit le destin national qui attendait le
principal bénéficiaire des évènements du 3 avril 1984. Il vint alors expressément
à Conakry où les rites sacrificiels recommandés ont été organisés dans la plus
totale discrétion au domicile de Yakhouba Conté. Celui-ci était à la fois le beau-
père du Colonel et le maire du Pouvoir Révolutionnaire Local (PRL) Papa
Jalbar, dans le 3e Arrondissement de la Fédération de Conakry I (actuelle
commune de Kaloum) 170.

170
Entretien avec Alpha Camara, petit neveu de Yakhouba Conté, Conakry, 2
septembre 2014.

148
On peut prêter foi à ce témoignage à en juger par l’influence que ce marabout
a exercée plus tard dans l’entourage du président. Bien que continuant à vivre
au Maroc où il devint l’un des principaux membres de la représentation
diplomatique guinéenne, il a été un des poids lourds du système de Lansana
Conté et l’un des familiers du Palais royal à Rabat en raison de sa proximité
d’avec le chef de l’Etat guinéen.

LE RÊVE DE KEKOURA CAMARA


Le chef de bataillon Kékoura Camara, commandant du Camp Samory fut la
deuxième personne à apporter la bonne nouvelle au colonel Lansana Conté en
lui révélant le contenu d’un message qui lui échut par voie mystique. Le vieil
officier 171 , originaire de Sérédou (préfecture de Macenta), était un proche
collaborateur du colonel Lansana Conté, dont les fonctions de chef d’Etat-major
adjoint de l’Armée de Terre plaçaient sous sa responsabilité la gestion de tous
les camps du pays. Homme calme et mesuré, le commandant avait la réputation
de posséder des dons.
Peu avant que ne se produisent les évènements que nous relatons, ceux-ci lui
seraient apparus pendant son sommeil. Il vit notamment le rappel à Dieu du
président, suivi de l’image du colonel Lansana Conté porté en triomphe par des
soldats dans l’enceinte du camp Alpha Yaya. Il perçut très rapidement le sens
du message. En prenant toutes les précautions d’usage, le commandant Kékoura
Camara fit venir discrètement le colonel Lansana Conté à son domicile et le
reçut dans sa chambre à coucher, dont il barricada la porte d’entrée. Il interpréta
son rêve en indiquant la nature du sacrifice à faire pour qu’il s’accomplisse. Il
s’agissait d’immoler un taureau tacheté tout en veillant à ce qu’aucune goutte
de sang, aucun morceau de viande ne touche terre. La viande devait ensuite être
préparée et mangée exclusivement par des militaires.
Rusé et prudent, le colonel Lansana Conté s’abstint de procéder
immédiatement à l’opération. Il sollicita plutôt une audience du président de la
République. Au cours de sa rencontre avec le chef de l’Etat, Lansana Conté
laissa entendre que le sacrifice était destiné à prévenir des troubles qu’il avait
‘’vus’’ dans l’enceinte des camps dans un songe.
Le président lui donna aussitôt l’argent nécessaire pour effectuer le rituel.
C’était la caution indispensable dont l’officier avait besoin. Mais, plus tard, il
utilisa ses propres deniers pour acheter l’animal. Le sacrifice fut fait ensuite
exactement comme les oracles l’avaient recommandé.

171
Des compagnons du général Lansana Conté lui reprocheront plus tard de n’avoir
jamais révélé pour la postérité ni en public ni en privé les noms des frères d’armes
qui l’ont mis au pouvoir. S’appuyant sur les augures qui avaient prédit son destin
natiopnal, le président aurait toujours soutenu en effet que l’avenir d’un homme
est entre les mains de Dieu et ne peut être tributaire de la volonté d’un tiers.

149
Pour lui exprimer sa gratitude envers le commandant Kékoura Camara,
Lansana Conté devenu chef de l’Etat, veillera à ce que son nom figurât dans la
liste des membres du CMRN. Il l’élevera aux fonctions de chef d’Etat-major de
l’Armée de Terre. A la mort de ce dernier, le président Lansana Conté tint à ce
que des funérailles grandioses soient réservées à celui qu’il appelait
affectueusement « Doyen ».
Il est permis d’affirmer en tenant compte de tous ces facteurs que le 3 avril
1984, les dés étaient jetés. L’accession du colonel Lansana Conté à la
magistrature suprême de la République relevait de l’évidence.
Les rares frondeurs, doutant de sa capacité à gérer l’Etat et qui l’exprimèrent
plus ou moins bruyamment, à l’instar du capitaine Mohamed Lamine Traoré,172
ne pouvaient dans un tel contexte se faire entendre. On a également du mal à
croire en Fodé Momo Camara lorsqu’il soutient que « si on avait voulu, on
aurait pu prendre le capitaine Mamadou Baldet ou le capitaine Lansiné Keita
Fangama comme président de la République, ou encore les capitaines Kerfalla
Camara, Jean Traoré, Faciné Touré, Barry Pathé ou moi. »173 Toute vélleité de
contester, encore moins, de disputer à Lansana Conté l’exercice de la fonction
suprême, semblait, à coup sûr, vouée à l’échec.

COMPOSITION DU COMITÉ MILITAIRE DE REDRESSEMENT NATIONAL


(CMRN) ET DU GOUVERNEMENT
Le 5 avril 1984, les militaires réunis dans l’enceinte des Usines Militaires de
Conakry (UMC), procédèrent à la mise en place des nouvelles structures
dirigeantes du pays et à la désignation de leurs membres (voire communiqué
n°6 cf.Annexe). Le nom du colonel Lansana Conté fut inscrit le premier dans la
liste des 18 membres composant le CMRN. Dès le lendemain, avec la
désignation de 7 nouveaux membres, l’effectif du CMRN passa à 25. Une
évolution dictée par l’adhésion voire la participation de l’ensemble des corps
militaires et paramilitaires au putsch, rendant nécessaire la présence de leurs
premiers responsables au sein de l’instance dirigeante de la nouvelle
administration du pays. Le CMRN accueillit également quelques ouvriers de la
onzième heure. Seize ans après les militaires qui créèrent au Mali le Comité
Militaire de Libération Nationale (CMLN) après avoir déposé le président
Modibo Keita, les tombeurs du PDG fondèrent à leur tour, le 3 avril 1984, le
Comité Militaire de Redressement National (CMRN).

172
On rapporte dans certains milieux que le capitaine Mohamed Lamine Traoré, futur
ministre de l’Information (1984-85) n’aurait pas fait mystère du scepticisme que
lui inspirait la capacité de Lansana Conté à gouverner. Il aurait dit à ce propos en
soussou : « Wo bara mangè khunyi to naama ? » (A-t-il vraiment une tête de
chef ?).
173
Matalana, Spécial Hors Série, p.16.

150
En effet, la création du CMRN semble bien antérieure à la designation des
membres de l’institution intervenue deux jours après le coup d’Etat. En effet, la
denomination apparut d’entrée dans le communiqué no 1 de l’armée : « Le
Comité Militaire de Redressement National, estimant n’avoir fait que son
devoir, en appelle au sens de discipline et d’ordre qui a toujours caractérisé notre
Peuple 174 …», y lit-on. L’acronyme revint ensuite dans toutes les autres
déclarations avant que sa composition ne soit divulguée.
Les colonels « Lansana Conté, Diarra Traoré, les capitaines Jean Traoré et
Fodé Momo » seraient à l’origine de la création du CMRN, selon le dernier
nommé 175 . Le même officier soutient que Lansana Conté souhaitait la
composition d’une équipe restreinte comportant une dizaine de membres au
maximum. Mais, sous la pression de ses pairs, il accepta que le nombre soit fixé
à 18, puis à 25 dès le lendemain. Une décision rendue officielle à travers
l’ordonnance NO 086/PRG 84 du 21 juin 1984.176
Les membres du CMRN étaient issus des catégories ci-après :
− Des chefs historiques du coup d’Etat : le colonel Lansana Conté, le chef
de bataillon Alhousseny Fofana, les capitaines Jean Traoré, Faciné Touré, Fodé
Momo Camara, Lanciné Keita Fankama, Kerfalla Camara, Mamadou Baldet, le
lieutenant Abdourahamane Diallo, le sous-lieutenant Joseph Bago Zoumanigui,
l’adjudant Sékou Touré …
− des amis personnels ou bienfaiteurs de Lansana Conté : Kékoura Camara,
Oumar Kébé, Abou Camara …
− des chefs de corps militaires ou des militaires influents qui n’appartenaient
pas au clan de Lansana Conté, mais étaient favorables à l’idée de renverser le
régime : Diarra Traoré, Mamady Bayo, Fodé Mamoudou Keita, Mohamed
Lamine Sacko ;
− des officiers qui ont pris le train en marche : Bakary Sacko,
Abdourahamane Kaba, Sory Doumbouya ;
− des officiers qui n’ont joué aucun rôle pendant le putsch, avaient peur de
mettre le doigt dans l’engrenage mais ne s’y étaient pas opposés : Makan
Camara, Mohamed Traoré.
− des officiers cooptés à des fins de dosage ethnique : Jean Kolipé Lamah,
Ousmane Sow177, …

174
Allocution radiodiffusée du capitaine Faciné Touré, le 3 avril 1984.
175
Camara Fodé Momo, Ma Part de Vérité, p.16.
176
Toutefois, jusqu’à la date du 18 décembre 1984, le colonel Lansana Conté ne
portait pas officiellement le titre de président du CMRN.
177
Seul officier se trouvant hors de Conakry au moment du coup d’Etat, coopté au
sein du CMRN.

151
Le CMRN se dota ensuite d’un bureau exécutif de 10 membres sous la
direction du duo Conté-Traoré.
Les attributions de l’organe militaire ont été précisées dans l’ordonnance
citée plus haut.
La prééminence du CMRN y est affirmée sans détours. Le Comité Militaire
du Redressement National est chargé de la coordination et de l’orientation des
activités économiques, financières et de la défense de l’intégrité territoriale178.
C’est à lui qu’incombe « la formulation des objetifs socio-économiques à long,
moyen et court termes en collaboration étroite avec tous les départements
ministériels et toutes les institutions du pays. »
Les investissements de capitaux, les plans ou programmes relevant des
domaines économiques, monétaires ou à caractère social ainsi que les sphères
de la coopération bilatérale et multilatérale étaient dépendants de son
approbation. La dignité ministérielle fut reconnue par ailleurs à chacun de ses
membres. En faisant le rapprochement avec un passé récent, le CMRN, du point
de vue de sa composition et de ses prérogatives, remplaçait le défunt BPN du
PDG qui était placé au sommet de la pyramide politico-administrative de l’Etat
guinéen.

LE GOUVERNEMENT
Le communiqué numéro 6 rendit publics également les noms des membres
du nouveau gouvernement de la République de Guinée. Sans aucune surprise,
le colonel Lansana Conté fut désigné « président de la République, chef de
l’Etat ». Son nom était suivi de celui du colonel Diarra Traoré nommé « Premier
ministre, chef du Gouvernement ».
La structure du premier gouvernement sous l’ère Conté était quasiment
identique à celle de l’équipe en place au moment du coup d’Etat. Un seul
ministère avait été supprimé celui des Fermes Agro-Pastorales
d’Arrondissement (FAPA) 179 . Un premier signe marquant la volonté du

178
Le secrétaire d’Etat chargé de la Recherche Scientifique vint en 1986 protester
auprès du président après la destitution du directeur du Centre Agronomique de
Foulaya. La mesure faisait suite à un arrêté du ministre de l’Agriculture. Après
l’avoir lu, le général Lansana Conté fit remarquer à son interlocuteur que celui-ci
n’avait pas soigneusement examiné le libellé de l’arrêté. En effet, a-t-il indiqué, le
ministre a pris la décision en sa qualité de membre du CMRN : « Vous, les civils,
a poursuivi le chef de l’Etat, vous êtes là pour nous aider. Mais, c’est nous qui
décidons. »
179
Une décision interprétée aujourd’hui comme une erreur par des spécialistes. Ceux-
ci estiment en effet, et d’aucuns disent l’avoir signifié en son temps au nouveau
ministre de l’Agriculture, qu’un changement d’appellation, de statut et
d’orientation suffisait. Les FAPA auraient pu alors être remodelées à l’image des
kibboutz israéliens ou des sovkhozes de l’ex-URSS. Elles seraient devenues des

152
nouveau régime de se démarquer de l’option collectiviste de l’économie en
vigueur sous l’ère précédente.
L’équipe était formée essentiellement de militaires et paramilitaires (peu ou
pas) connus du grand public. Les hommes en uniforme et assimilés occupaient
les grands ministères régaliens ou stratégiques comme les Affaires Etrangères
(capitaine Faciné Touré), les Mines (capitaine Jean Traoré), la Justice
(commandant Jean Kolipé Lamah), l’Intérieur et la Sécurité (le commissaire de
police Hervé Vincent Bangoura), la Défense Nationale (capitaine Lansinè Keita
Fankama), l’Information (capitaine Mohamed Lamine Traoré), l’Agriculture
(commandant Alhousseny Fofana), les Transports (commandant
Abdourahamane Kaba), les Travaux Publics (capitaine Youssouf Diallo),
l’Urbanisme et l’Habitat (capitaine Kerfalla Camara)… Le chef d’Etat-major de
la milice populaire, le capitaine Mamady Bayo avait hérité du ministère de la
jeunesse, des arts et des sports…180 Le ministère des Finances avait été confié à
Kémoko Keita, précédemment directeur général de la Douane.
Le chef de bataillon, Abraham Kabassan Keita, longtemps ministre sous le
régime du PDG, libéré au moment du démantèlement du Camp Boiro, avait été
nommé à la tête du ministère de l’Energie et du Konkouré.
A l’inverse du CMRN composé exclusivement de militaires, des civils
faisaient partie de la nouvelle équipe ministérielle. Ils furent choisis
généralement parmi des personnalités n’ayant pas joué de rôle politique majeur
sous l’ancien régime. C’est le cas de l’historien Zaïnoul Abidine Sanoussi placé
à la tête du ministère de l’Enseignement Technique et de la Formation

centres de regroupement de jeunes agriculteurs modernes, dotés d’une solide


formation, propriétaires d’une grande partie des moyens de production (pourquoi
pas de la totalité à court ou long terme ?) et disposant des équipements lourds en
commun. Les FAPA auraient pu occuper l’avant-garde de la politique visant à
l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire conformément aux orientations du
discours programme du 22 décembre 1985. Déjà, sous la Première République.
certaines FAPA commençaient à prendre leur essor. C’était par exemple le cas de
celle de Compaya à Labé sous l’impulsion de Chérif Sala son dynamique
animateur. Elle était parvenue quasiment à asseoir son autonomie en matière
financière grâce aux recettes découlant de la vente de sa production.
Finalement, ils expliquent la précipitation et l’acharnement des nouveaux maîtres du
pays à les démanteler par l’envie qui dévoraient certains d’accaparer les vastes
domaines qui les englobaient et de faire main basse sur les équipements qui s’y
trouvaient.
180
Ces postes ont été attribués à ces deux cadres (civil et paramilitaire) en fonction
des responsabilités qu’ils exerçaient à la tête des forces paramilitaires du pays.
C’est ainsi que Kémo Kéita, le directeur général de la Douane, est devenu le
nouveau ministre des Finances. Hervé Vincent Bangoura, anciennement directeur
général des services de police, a été nommé ministre de l’intérieur et de la Sécurité.

153
Professionnelle181. Diplômé de l’Institut Polytechnique de Conakry (I.P.C), il
avait enseigné auparavant dans les deux grands centres universitaires du pays
avant d’être nommé directeur de l’Ecole Normale Supérieure de
Manéah.L’Enseignement Pré-Universitaire fut confié à Abou Foté Camara, un
ancien pédagogue. Richard Haba, député et directeur de nombreuses entreprises
et sociétés d’Etat par le passé, fut nommé ministre des Affaires Economiques.
Agé de 35 ans, celui-ci était le benjamin de l’équipe. El Hadj Abdourahamane
Bah, un érudit musulman et ancien commandant d’arrondissement, originaire
de Labé, devint le nouveau ministre des Affaires Islamiques182.
Détail à relever : le retour du Dr. Bah Ibrahima Kaba au ministère de la Santé
Publique. Ce praticien de renom assumait les mêmes fonctions dans le
gouvernement précédent jusqu’en janvier de l’année en cours. Il avait été alors
limogé par le Responsable Suprême de la Révolution mécontent de sa gestion
des dons mobilisés en faveur des sinistrés après le tremblement de terre
intervenu en décembre 1983 à Koumbia.
La seule femme du gouvernement, Madame Barry Mariama Djélo, avait été
nommée au ministère des Affaires Sociales.
A leur sujet, le nouveau président, en réponse à la question d’un journaliste,
fera remarquer dans une déclaration radiodiffusée : « Nous connaissons les
civils que nous avons placés en notre sein. Ces messieurs qui sont choisis par
leurs frères militaires et selon leurs connaissances, leurs capacités et selon
certains autres critères, nous sommes convaincus qu’avec nous ils feront un bon
travail et qu’avec nous ils seront à l’aise parce que nous les considérons comme
s’ils étaient habillés comme nous et comme s’ils étaient en tenue comme nous ».
Le nouveau gouvernement s’est réuni le jeudi 5 avril 1984 au Camp Samory.
Occasion pour le président de connaître tous ses ministres et pour la plupart ces
derniers de recontrer leurs nouveaux collègues pour la première fois.

181
Selon Fodé Momo Camara, Zainoul Abidine Sanoussi aurait été proposé par
Faciné Touré tandis que Diarra Traoré aurait avancé les noms d’El Hadj
Abdourahamane Bah, Richard Haba et Saidou Diallo (vice-gouverneur de la
BCRG). Lui-même serait à l’origine de la nomination de Dr. Bah Kaba, Mariama
Djélo Barry, Hervé Vincent Bangoura et Kémoko Keita. Mais le témoignage du
dernier nommé contraste avec ces données. L’ancien ministre des Finances
soutient, en effet que Zaïnoul Abidine Sanoussi et Saïdou Diallo ont été proposés
par lui. En ce qui concerne sa propre présence dans l’équipe, se référer à ce qu’il
nous a dit plus haut.
182
Ce ministère va changer très rapidement de dénomination, voire d’orientation.
L’ordonnance no 83 du 18 juin 1984 va l’ériger en ministère des Affaires
Religieuses. Signe d’une véritable politique de laïcité ou confirmation de la
montée en puissance de l’épiscopat catholique au cours de ces premiers moments
qui suivirent la prise du pouvoir par l’armée ?. Plus tard, le ministère des Affaires
Sociales portera à son tour l’appellation de ministère des Affaires Sociales et de la
Condition Féminine.

154
L’atmosphère était à la détente, à la convivialité et aux professions de foi.
Les nouveaux dirigeants se proposaient de faire oublier « les années de plomb »
de l’ère Sékou Touré. Ils prônaient l’instauration des libertés démocratiques,
l’amélioration des relations de la Guinée avec le monde extérieur par une
politique de détente internationale. Ils lancèrent un appel à l’importante diaspora
qui s’était formée au cours des 25 dernières années à se tourner vers le pays. La
plupart de ces Guinéens avaient cessé de croire en l’éventualité d’un retour à la
terre natale.
En un mot, des défis énormes attendaient le colonel Lansana Conté et ses
compagnons gonflés à bloc par l’ardeur patriotique qui se lisait sur leur visage.
Les nouveaux dépositaires de la puissance de l’Etat étaient conscients que la
tâche qui les attendait ne ressemblait en rien à une sinécure. L’armée guinéenne
devait donc prouver que le coup d’Etat qu’elle venait de réaliser n’était pas un
accident de l’histoire. Il lui fallait en sa qualité de classe sociale organisée et
structurée, comportant des hommes dévoués à la cause de la nation, conduire le
pays vers le chemin du progrès, là où les civils avaient fait preuve de carences
d’autant plus que la Guinée était l’un des territoires les plus pauvres de la planète
malgré ses multiples et importantes potentialités. Le mot « désastreux » était
usité le plus souvent par tous ceux qui émettaient leur avis sur l’état général du
pays. Dès lors, il était facile de comprendre que dans un tel contexte, seule
l’union faisait la force et que celle-ci n’était réalisable que si la confiance règnait
dans un groupe. Ils s’empressèrent donc de prêter serment de loyauté les uns
envers les autres183. La nouvelle ère démarrait ainsi sous de bons auspices dans
une Guinée où tous les clignotants semblaient sur le point de passer au vert sous
la conduite du colonel Lansana Conté.
Mais qui était cet inconnu qui venait de briser le mur de l’anonymat pour se
placer au cœur de l’histoire de son pays ?

LANSANA CONTÉ : NOUVEAU PRÉSIDENT


Lansana Conté est né en 1934 à Moussaya, dans le district de Loumbaya
(actuelle préfecture de Dubréka).
Comme son prédécesseur, il n’a pas eu une enfance privilégiée.
Issu d’une famille paysanne, il est le fils de Sény Conté et de M’Mah
Camara. Le petit Lansana, qui s’était fait remarquer très tôt par ses bonnes
dispositions physiques, commença dès son jeune âge à prendre le chemin des
champs en même temps qu’il suivait des études coraniques. Il fut inscrit ensuite
à l’école française où il n’aurait pas fait montre d’aptitudes particulières.

183
Baptisé ‘’Serment du 5 avril 1984’’ par certains, il aurait été scellé par ses
protagonistes dans le but de gouverner ensemble sans que jamais l’ombre d’une
trahison ne vienne miner leurs rangs.

155
Il dut d’ailleurs tout abandonner après une scolarité, dont la durée n’est pas
determinée avec précision dans les documents que nous avons consultés. Il ne
retourna pas cependant dans l’exploitation agricole familiale. En 1950, ‘’Sana
le grand’’ est inscrit à l’école des enfants de troupe de Bingerville après avoir
« réussi brillamment son examen d’entrée » selon les termes contenus dans sa
biographie officielle184. Le voyage pour rallier Bingerville fut mouvementé. Le
jeune homme dut en effet effectuer un détour qui le conduisit de Conakry à
Bamako, puis de Bobo Dioulasso à Abidjan où il arriva finalement avec 4 jours
de retard.
En 1952, l’enfant de troupe quitta Bingerville pour Saint-Louis où il passa
l’épreuve du Brevet d’Etudes. C’est l’époque où Lansana Conté s’illustrait sur
les terrains de sport. En plus du football qui était sa grande passion, il fut
membre de l’équipe d’athlétisme de l’établissement et se distingua sur les pistes
par diverses performances.
En 1955, il prit une décision qui se révéla déterminante. « Le président avait
un souci permanent de ses parents restés au village. Il était conscient de
l’extrême pauvreté dans laquelle ils vivaient »185, écrira plus tard le colonel Jean
Traoré, alors son condisciple à Bingerville. D’où le choix qu’il fit de mettre fin
à ses études afin de venir en aide à ses parents en s’engageant dans l’armée
française.
En 1957, Lansana Conté incorporé dans le Premier Régiment des Tirailleurs
Sénégalais à titre d’engagé volontaire, obtint le Certificat Interarmes. L’ancien
enfant de troupes fut affecté à Kayes, dans le Soudan Français (actuelle
République du Mali). Reconnu unanimement comme un soldat brave et loyal,
il fit partie du contingent algérien dépêché à l’occasion de l’insurrection qui
entraîna le retour du général de Gaulle au pouvoir.
Mais, en Guinée, c’est l’effervescence pour l’indépendance, après le
référendum du 28 septembre 1958. Le sergent Lansana Conté et plusieurs de
ses camarades ne résistèrent pas à l’appel de la patrie. Ils demandèrent leur
désengagement pour rejoindre la terre natale.
Le 31 décembre 1958, lui et bien d’autres de ses compagnons d’armes
arrivent au pays et se mettent au service de la jeune armée guinéenne, le 1er mars
1959.

184
A ce propos, le colonel Jean Traoré a écrit que « c’est au cours de la rentrée scolaire
1950-1951 que quatre jeunes guinéens, dont Lansana Conté et lui-même ont été
admis à l’Ecole des Enfants de troupe de Bingerville (Côte d’Ivoire), une école
fédérale qui accueillait des jeunes en provenance de tous les territoires de
l’A.O.F ».
185
Carnet de la Présidence de la République, Spécial 3 avril 2003, p.4.

156
Au prix d’une session de perfectionnement et de missions tout à la fois
délicates et périlleuses qu’il remplit avec abnégation, le jeune sergent gravit
inexorablement les échelons de la hiérarchie militaire.
Le 1er janvier 1962, il décrocha le brevet de chef de section en artillerie. Il
accéda au grade d’aspirant à la sortie de la première promotion de l’Ecole
d’Officiers du Camp Alpha Yaya Diallo. Il fit ensuite un séjour remarqué au
centre d’instruction d’artillerie du deuxième bataillon de Kindia. Pour ses bons
et loyaux services, l’aspirant est élevé au grade de sous-lieutenant dès 1963 et
deux années plus tard il passa lieutenant.
Affecté à Koundara, le lieutenant Lansana Conté est nommé commandant
de la Compagnie de Gaoual le 1er mai 1968. Il devient ensuite l’officier adjoint
du 4e bataillon de la Guinée Forestière basé à N’zérékoré. Six mois après, il est
réaffecté au 2ème bataillon de Kindia et rejoint la capitale en 1970.
Le 22 novembre 1970, Conakry est victime d’une lâche agression de la part
des forces coloniales portugaises et de mercenaires africains d’origine
guinéenne. Depuis la base qu’il dirige à l’île de Kassa, le lieutenant Lansana
Conté participe vaillamment à la défense de la capitale. Il prend des risques
énormes pour accomplir sa mission. Fodé Momo Camara rapporte à cet effet
que ce jour, dans l’enceinte du camp Samory, « deux mercenaires étaient
retranchés dans la fosse sceptique : Conté a rampé jusqu’à cette fosse,
dégoupillé une grenade, l’a lancée sur les assaillants qui ont été déchiquetés
dans la fosse. »186
A titre exceptionnel, au regard de ses prouesses, il est élevé au grade de
capitaine le 27 février 1971. Le 8 juin 1971, il devient le commandant de la
Zone Opérationnelle de Boké.
Le capitaine est en première ligne pour défendre le territoire national et
appuyer les combattants du PAIGC en lutte pour l’indépendance de la Guinée
Portugaise. Une tâche qu’il accomplira brillamment, et qui lui vaudra sa
nomination au poste de chef d’Etat-major adjoint de l’Armée de Terre le 9 mai
1975.
Le 28 septembre de la même année, il obtient le galon de Commandant et le
4 mars 1981, les barrettes dorées de Colonel brillent sur ses fortes épaules.
Durant toute sa carrière sous le PDG, Lansana Conté laissa l’image d’un
officier valeureux, fidèle et loyal, à en croire des témoignages nombreux et
divers.
Le président Sékou Touré manifestait, dit-on, de la sympathie pour ce
militaire dégageant simplicité et humilité qui fut son aide de camp187 un certain

186
Camara Fodé Momo, Ma part de vérité, p.
187
Toutefois, Lansana Conté démentira catégoriquement avoir porté son prédécesseur
au dos lors d’un pélérinage à la Mecque. « Ce sont des histoires » qu’il attribue
‘’aux griots’’.

157
nombre de fois, l’accompagnant, notamment, dans ses voyages à l’étranger. La
bienveillance du chef de l’Etat aurait-elle œuvré à lui faire gravir les échelons
avec une certaine rapidité ? En tout cas, c’est l’avis exprimé tout bas par
quelques uns de ses anciens frères d’armes. Mais, pour d’autres, son ascension
eût été plus fulgurante si des voix hostiles ne s’opposaient à la volonté du
président de voir cet officier qu’il appréciait tant toujours mieux placé aux
avant-postes de son armée188 . Dans une interview accordée à Jeune Afrique
Economie, le président Lansana Conté précisera cependant à propos de ses
relations avec son prédécesseur : « Il n’existait pas trop de contacts entre lui et
moi. Il me connaissait à distance par le travail que je faisais. Il m’a porté, je
crois, dans son cœur à cause du résultat de ce travail. »
Enfin, d’autres rumeurs circulent à son sujet comme celle de son
appartenance au Deuxième Bureau (service de renseignement de l’armée), si
l’on en croit Fodé Momo Camara qui soutient cette thèse.
Faciné Touré dira pour sa part en 2009 avoir appris que Lansana Conté a fait
partie du peloton qui a procédé, le 26 janvier 1971 au Pont du 8 Novembre, à
l’exécution des personnes condamnées à mort par le tribunal révolutionnaire, au
lendemain des événements du 22 décembre 1970. De même, il aurait siégé un
certain nombre de fois au sein du Comité Révolutionnaire au Camp Boiro.

FACINÉ TOURÉ DIT ‘’OUA’’ : UNE DES FIGURES DE PROUE DU


NOUVEAU RÉGIME
Parmi les hommes en vue du nouveau régime, dont le parcours mérite d’être
retracé figure le capitaine Faciné Touré.
Dès qu’il fut désigné chef de l’Etat, Lansana Conté voulut aussitôt, selon
Faciné Touré, faire de lui le secrétaire général de la Présidence de la République.
Un poste de confiance, s’il en est, surtout au moment où le colonel se voyait
propulsé au sommet de l’Etat sans y avoir été préparé, manquant donc
cruellement d’expérience et de confiance en soi. Sans nul doute que le nouveau
président appréciait beaucoup les qualités intellectuelles de cet ami avec qui il
entretenait une longue et franche amitié de plus de trente ans. Il estimait que sa
présence à ses côtés l’aiderait beaucoup à surmonter le handicap de sa mauvaise
élocution dans un pays qui, jusqu’à récemment encore, avait pour premier
dirigeant le tribun hors pair qu’était Ahmed Sékou Touré. En d’autres
termes, Lansana Conté voulait faire de Faciné Touré son bras droit189. Même si,

188
Lansana Conté a été coopté au cours de la même période député à l’Assemblé
Populaire Nationale, un honneur réservé aux personnes qui avaient les faveurs du
président. Enfin, rapporte le commissaire Dioumessi, le colonel Conté était
également membre du Comité Central du P.D.G. au moment où l’armée prenait le
pouvoir. Mais nous n’en avons pas eu la confirmation.
189
J.A., no 27 repris dans Ma Part de Vérité, p.199.

158
comme la politique l’a prouvé souvent, leur amitié ne sortit pas intacte de leur
collaboration.
Mais l’ambition ultime, dévorante de Faciné Touré était de diriger le
ministère des Affaires Etrangères. Ce poste prestigieux l’attirait
irrésistiblement, d’autant plus qu’il avait acquis une certaine texture
diplomatique par le passé. En effet, le capitaine avait fait partie à plusieurs
reprises, à partir de 1971, de la délégation guinéenne aux travaux du Comité de
Décolonisation de l'OUA. ‘’Faciné OUA’,’ était son sobriquet dans l’armée. Les
rapports étroits qui l’unissaient au docteur Abdoulaye Touré, le dernier titulaire
du poste avant le coup d’Etat du 3 avril 1984, avaient dû également lui donner
des idées tout en lui servant de banc d’essai.
Les membres du CMRN, soutenaient-ils majoritairement ses prétentions à
diriger la nouvelle diplomatie guinéenne ? Oui, affirme-t-il sans ambages avant
de parler du ‘’tollé’’ déclenché par la proposition du colonel Lansana Conté de
le confiner dans un ‘’obscur rôle’’ de grand commis à la Présidence. C’est un «
plébiscite », dit-il, qui a fait de lui l’homme chargé de porter la voix de la
nouvelle Guinée à travers le monde190.
Ayant accédé à cette position enviable, Faciné Touré n’était pas loin d’être
la principale figure et la plus forte personnalité du gouvernement.
Le nouveau ministre des Affaires Etrangères est né en 1934 à Mamou où il
a fait ses études primaires à l’issue desquelles, il obtint le C.E.P.E.
C’est en 1954 191 que Faciné Touré fut incorporé dans l’armée française.
Comme Lansana Conté, il prit part à la campagne d’Algérie.
A l’image de ce dernier, il n’hésita pas à rejoindre la terre natale au
lendemain du rejet par la Guinée de la communauté franco-africaine proposée
par de Gaulle.
Dès le 10 octobre 1958, le jeune sergent fut de retour à Conakry à bord du
SS Mangin.
Le 30 décembre 1958, marque officiellement la date de son enrôlement dans
la nouvelle armée guinéenne. Il se maria l’année suivante. Les jeunes soldats de
son âge tels que Fana Diallo, Mamadou Mansaré, Lansana Conté, Billy

190
Pour Fodé Momo Camara, ce poste a été proposé tout d’abord à Jean Traoré qui
déclina l’offre pour des raisons personnelles. (Ma Part de Vérité, p.39.). Il revint
finalement au capitaine Amadou Mangatta Bangoura du bureau de recrutement de
l’armée.
191
Le général à la retraite, Faciné Touré, avoua en 2009, sur les antennes de ‘’Radio
Soleil’’ : « Je ne me suis jamais senti l’âme d’un soldat.» A-t-il été donc incorporé
de force dans l’armée coloniale française ? L’instituteur Bissiri Kaba, du quartier
de Kimbély (Mamou) où le futur ministre du CMRN a grandi, n’est pas loin de
soutenir cette thèse.

159
Nankouman Keita, Bobo Barry prenaient leur repas à son domicile. Leurs liens
se renforcèrent.
En 1960, Faciné Touré fit partie du contingent mis à la disposition de l’ONU
par la Guinée pour intervenir au Congo-Léopoldville à l’appel du Premier
ministre, Patrice Lumumba. En 1963, la troisième promotion à laquelle, il
appartenait termina sa formation au centre de perfectionnement militaire
(EMIA) du Camp Alpha Yaya. Il accèda au grade d’aspirant dans la section
infanterie.
En 1966, il fut envoyé dans le maquis en Guinée portugaise. Il y rencontra
Joao Bernardo Vieira dit Nino et se lia d’amitié avec le futur président de la
Guinée Bissau. D’ailleurs, tient-il à le souligner, « c’est par mon intermédiaire
que ce dernier a fait la connaissance de Lansana Conté ». En 1971, il fut
nommé attaché de cabinet au ministère de la Défense. Mamady Keita, le
secrétaire d’Etat, impressionné depuis leurs premières rencontres à Dalaba, par
ce militaire au langage facile et qui présente toutes les caractéristiques d’une
bonne tête, en fit presque un ami.
Lorsque Mamady Keita devint ministre de l’Enseignement Supérieur, le
lieutenant Faciné Touré fut nommé officier-major à l’Institut Polytechnique de
Kankan (IPK). De 1980 à 1984, il exerça les mêmes fonctions à l’Ecole
Normale Supérieure de Manéah. Un ancien élève de cet établissement nous a
confié que Facinet Touré avait alors tâté du syndicalisme révolutionnaire en
devenant membre du Comité Régional des Travailleurs de la Fédération de
Coyah jusqu’au 3 avril 1984.
Le nom du capitaine Faciné Touré est indissociable de cette date. Il a été en
effet le premier à parler aux Guinéens au nom de ses pairs pour leur délivrer un
message d’un contenu différent de celui du PDG. Une mission parfaitement
remplie et que l’histoire lui reconnaîtra en dépit des controverses que ses prises
de position réelles ou supposées ont pu engendrer par la suite.
Mais, la décennie qui a précédé les années de pouvoir a été caractérisée par
des démêlés récurrents entre le bouillant sous-officier et les autorités. Ils lui ont
fait prendre le chemin des prisons de la Révolution un certain nombre de fois192.

192
Des arrestations aux motifs diversement interprétés par l’intéressé et ses
détracteurs. Le général à la retraite, ancien médiateur de la République, affirme
mordicus avoir été conduit au Camp Boiro pour des « raisons politiques ». Non,
rétorquent ceux, comme Ibrahima Sory Dioumessi, pour qui Faciné Touré, a été
emprisonné pour des délits « de droit commun ». Selon le commissaire de police,
c’est la raison pour laquelle « en 1977, après être resté pendant une trentaine de
jours au Camp Boiro, le lieutenant Touré, dont le chef d’accusation avait été
requalifié, fut condamné à un an de prison ferme et a purgea sa peine à la Maison
centrale de Dubréka. Ce sont toujours des motifs d’ordre privé qui seraient à
l’origine de ses autres mésaventures carcérales », a poursuivi, l’ancien
commissaire de police.

160
Ces avatars ont-ils affecté le futur ministre de Lansana Conté au point de
justifier ou d’expliquer tout au moins les accusations de ‘’revanchard’’ et de
‘’haineux’’ formulées dans certains cercles à son encontre ? Depuis le 3 avril
1984 quasiment, l’homme s’en défend avec vigueur à la faveur de joutes
oratoires fortement médiatisées entre lui et ses contradicteurs.

D’AUTRES FIGURES MARQUANTES DU 3 AVRIL 1984.


L’énumération exhaustive des noms de tous les militaires qui, au lendemain
du 3 Avril 1984 se bombèrent le torse en revendiquant la paternité de la chute
du regime du PDG, peut-être franchememnt lassante. Nous ne les citerons donc
pas tous pour diverses raisons. Nous retiendrons cependant celui du chef de
bataillon et futur général, Alhousseny Fofana. Ce militaire au parcours atypique,
a intégré les rangs de l’armée à la faveur d’un concours de circonstances.
Ingénieur agronome de formation, il s’était vu confier le commandement d’une
unité de production agricole de l’armée dans la région de Mamou, précisément
dans le village de Soumbalako.
Pour créer l’harmonie entre lui et ses collaborateurs, les autorités ne
trouvèrent rien de mieux que de lui faire revêtir la tenue militaire en lui
conférant un grade à la hauteur de ses mérites académiques.
Ami personnel et homme de confiance de Lansana Conté193, sa proximité
d’avec le nouveau chef de l’Etat serait à l’origine de sa désignation au sein du
Bureau Exécutif du CMRN ne comprenant que dix membres, a affirmé Fodé
Momo Camara. Il fit partie de tous les cabinets ministeriels formés entre 1984
et 1992 en dirigeant, notamment le département de l’Agriculture.
Le domicile de l’ingénieur de bâtiment, le capitaine Kerfalla Camara, autre
architecte de la prise du pouvoir par l’armée, servait de Quartier Général aux
conspirateurs lorsqu’ils ne se réunissaient pas chez Lansana Conté. Il assura le
plus souvent le relais entre le Colonel et les autres officiers. C’est à lui que le
futur chef de l’Etat aurait laissé la consigne de passer à l’action à partir de 0h
dans la nuit du 2 au 3 avril 1984 si, d’aventure, il ne revenait pas tôt de son
entrevue avec le BPN. Jusqu’au bout, il resta fidèle à son mentor qui lui rendit
un hommage appuyé lors de ses obsèques194.

193
Toutefois, avertit Fodé Momo Camara, « pendant les événements du 3 avril 1984,
il (le commandant Fofana) n’avait joué aucun rôle parce que ce n’était pas sa
spécialité. »
194
Une fidélité largement éprouvée lors de la grande vague de contestation populaire
du régime Conté en janvier-février 2007. Le général Kerfalla Camara, alors chef
d’Etat-major général des armées, resta, dit-on, ostensiblement sourd à tous les
appels du pied l’exhortant à renverser un Lansana Conté qui n’était plus que
l’ombre de lui-même. Mais, ce dernier n’hésita pas pour sa part à le limoger
quelques mois plus tard en le sacrifiant sur l’autel de la survie du régime, suite à
une mutinerie dans les casernes.

161
Le capitaine Jean Traoré195, le futur ministre des Affaires Etrangères après
un bref passage aux Mines, les capitaines Fodé Momo Camara, Keita
M’Bemba, Oumar Soumah, Barry Pathé, Keita Lanciné dit Fankama, Mamadou
Baldet, le lieutenant Abdourahamane Diallo, futur ministre de la Défense, le
lieutenant Bagbo Zoumanigui, l’adjudant Sékou Touré196… sont certains des
principaux protagonistes de cette journée du 3 avril 1984 qui a changé la face
de la Guinée.

POLÉMIQUE CONCERNANT ‘’LES ARTISANS’’ DU 3 AVRIL 1984


Une présentation juste et non tendancieuse des principaux artisans de la prise
du pouvoir en Guinée le 3 avril 1984 aura lieu lorsque les passions se seront
tues et que seule la recherche de la vérité motivera les uns et les autres.
Il est curieux en effet de noter que les versions des membres de l’ex-CMRN
qui acceptent de s’exprimer sur le sujet ne soient pas toujours concordantes.
C’est ainsi que le nom de Fankama, le premier, semble-t-il, à s’opposer, le 2
avril, à la proposition d’organiser une marche de soutien aux compagnons
orphelins d’Ahmed Sékou Touré, ne figure pas dans la liste des chefs historiques
du coup d’Etat du 3 avril 1984, dressée par Faciné Touré dans une déclaration
sur les antennes de Radio Soleil. Or il est attesté que le capitaine Lansiné Keïta
alors fraîchement libéré du Camp Boiro était particulièrement remonté contre le
régime et avait déjà donné son accord à Diarra Traoré pour participer avec lui à
un coup d’Etat. Il est établi par ailleurs que c’est Fankama qui avait ordonné
l’arrestation du commandant Sidiki Condé, dont les atermoiements avaient fini
par l’agacer. Le Général Touré n’a pas fait mention non plus d’Amadou
Kouyaté197, l’homme qui l’approcha le 28 mars 1984 à Manéah et fut à l’origine
de son implication personnelle dans l’opération du 3 avril 1984.
Est-ce pour pallier d’éventuelles défaillances imputables à la mémoire
humaine ou s’expliquant par des considérations subjectives que Fodé Momo

195
Jean Traoré était le plus vieil ami de Lansana Conté au sein de l’armée. Les deux
hommes s’étaient rencontrés pour la première fois, 34 ans plus tôt à Bingerville à
l’école des enfants de troupe. Le capitaine Traoré, l’une des têtes pensantes de
l’armée avait effectué par la suite de brillantes études d’ingénieur dans l’ex-URSS,
sanctionnées par un doctorat du 3e cycle. Il était également diplômé de la célèbre
académie américaine de West Point.
196
Aucun lien de parenté avec l’ancien président, Ahmed Sékou Touré ou presque
parce qu’à en croire certains récits, les grands parents des deux hommes auraient
la même ascendance. A vérifier.
197
Ce capitaine, exécuté en 1985, est censé avoir pris part à une réunion secrète qui
s’était déroulée le 28 mars 1984 à l’ambassade de France. Le général Faciné Touré
a reconnu d’ailleurs, au cours de notre entretien, que le capitaine Kouyaté avait été
le premier à lui parler de l’organisation d’un coup d’Etat. C’était au cours de la
visite qu’il lui rendit le 28 mars 1984 à Manéah.

162
Camara publia sa propre liste des ‘’artisans’’ du coup d’Etat ? Elle semble plus
équilibrée. Il est intéressant de la parcourir :
« Le groupe du Camp Samory : capitaines Kerfalla Camara, Kabinet Kaba,
Pathé Barry, Fodé Momo Camara, colonel Lansana Conté, Bala Kouyaté
(président du CUM), le lieutenant Abou Traoré et l’adjudant Mamady Konaté
46 ».
Détail curieux : des civils complètent cette liste : Hadja Fanta Sacko (épouse
de Fodé Momo) et Henriette Conté (épouse de Lansana Conté), Jean Claude
Bangoura (frère d’Henriette).
« Le groupe du Camp Alpha Yaya : Capitaines Lansiné Fangama Keita,
Mamadou Baldet, le Lieutenant Abdourahamane Diallo, le Sous-Lieutenant
Bago Zoumanigui, l’Adjudant Sékou Touré, Président du CUM ».
Pour Fodé Momo Camara, les capitaines M’Bemba Keita, Oumar Soumah,
Faciné Touré n’ont fait leur apparition que le jour du déclenchement du coup
d’Etat au domicile de Lansana Conté. Il précise toutefois que le dernier nommé
était « à l’heure H chez le futur Président où on notait également la présence
des Capitaines Fodé Momo Camara, Pathé Barry, Oumar Soumah, M’Bemba
Keita ». Comme on le voit, il s’agit-là de deux témoignages qui laissent
apparaître des différences au point qu’il convient de s’interroger si elles
s’expliquent seulement par les contradictions plus ou moins connues du public
qui auraient opposé les deux hommes.
La deuxième version a toutefois le mérite de présenter l’armée dans son unité
et sa diversité. Une armée qui a mis dans un même moule aussi bien des hommes
évoluant sur le terrain (Lansana Conté, Bago Zoumanigui, Fangama,
Abdourahamane Diallo…) que des officiers éloignés des casernes (Diarra
Traoré, Faciné Touré, Fodé Momo…) pendant une période plus ou moins
longue. Ce faisant, l’opération du 3 avril est à voir comme l’expression de la
volonté de toute l’armée de tourner une page sans que son action ne fût teintée
d’un quelconque esprit de régionalisme, d’exclusion ou d’ostracisme. Même
des officiers qui avaient quitté les rangs rêvaient, en effet, du jour où l’armée
s’emparerait enfin des rênes du pays. Tel est le cas du capitaine Kaba Kabiné.

LE CAPITAINE KABINÉ KABA : ‘’HÉROS’’ MÉCONNU ?


Fodé Momo Camara fut le seul à évoquer le rôle joué par ce capitaine à la
retraite lors des événements du 3 avril 1984. Ancien détenu du Camp Boiro,
Kabiné Kaba s’était retiré dans son village natal en janvier 1984 après avoir
obtenu sa mise à la retraite anticipée parce que, écrira-t-il plus tard « las de
supporter d’autres brimades et injustices ». Une seule idée lui vint à l’esprit à
l’annonce de la mort de Sékou Touré, dit-il : « tenter l’impossible pour
débarrasser le peuple de Guinée de cette dictature sanglante endurée pendant 26
années de pouvoir sans partage », dit-il. Le 28 mars 1984, Kabiné Kaba arriva
à Conakry et se rendit le lendemain au Camp Samory où il rencontra le capitaine

163
Mamadou Pathé Barry qui accepta de s’associer à lui pour renverser le régime
du PDG. En quête de partisans pour élargir les bases de leur projet, les deux
hommes prirent ensemble le chemin conduisant chez Fodé Momo Camara. Leur
hôte et son épouse, Madame Fanta Sacko, enthousiastes, se déclarèrent partants
pour la grande aventure.
Prochaine étape : le domicile de Lansana Conté où le capitaine Kaba se
rendit seul. L’accueil fut chaleureux. Il déclina l’objet de sa visite et tendit à
l’officier supérieur une liste comportant « les noms des 25 militaires
susceptibles d’être les principaux organisateurs du putsch »198, écrira-t-il plus
tard. Le colonel l’approuva non sans émettre certaines réserves. Il objecta en
effet, contre la présence de « 4 officiers qui ne lui inspiraient pas confiance pour
une action d’une telle envergure »199.Mais son hôte et lui se mirent d’accord sur
l’essentiel.
Pour le capitaine Kaba qui ne le cacha pas à son interlocuteur avant de le
quitter, les choses étaient claires : en cas de succès, Lansana Conté « assumerait
les fonctions de chef de l’Etat. »
Il aurait fait ensuite le tour des officiers et des garnisons de la capitale pour
rallier le maximum d’hommes à son projet.
Il obtint l’accord de tous à « l’exception de trois des quatre officiers au sujet
desquels le colonel Conté avait émis des doutes. »200, conclut-il.
Toutefois, rien ne prouve que le capitaine Kaba fût le premier ou le seul à
évoquer avec Lansana Conté la perspective d’un coup d’Etat. Mais ses effortd
ne devraient pas passer inaperçus. C’est d’ailleurs à peine si Fodé Momo
Camara ne le considère pas comme le promoteur de l’opération du 3 avril 1984
lorsque 15 ans après les faits, il a rappelé que « le 29 mars, deux camarades sont
venus me voir. Il s’agit du capitaine Kaba Kabiné, qui fut gouverneur de la
Banque centrale, et le capitaine Barry Pathé. Ils m’ont dit que l’occasion était
propice pour faire le coup. C’est là que j’ai dicté à Kaba Kabiné une liste
d’officiers en qui j’avais confiance, dont Lansana Conté. Aucune date n’a été
fixée. Kaba Kabiné était chargé des contacts. Et il avait contacté beaucoup de
militaires. »201 . Le nom de Kabiné Kaba ne figure pas dans la liste des membres
du CMRN et du gouvernement formés le 5 avril 1984. L’intéressé, affirme que
le même jour, visiblement agacé par la présence d’officiers considérés comme
« des dignitaires du régime défunt » qui faisaient la mouche du coche et par
ailleurs nullement intéressé à occuper une position quelconque dans la nouvelle
administration, il avait quitté la salle du Haut Commandement où siégeait le

198
Kaba Kabiné, Génèse du putsch du 3/4/84, 1991, p.15.
199
Idem, p.15. Selon Fodé Momo Camara, deux de ces officiers seraient Mohamed
Lamine Traoré et M’Bemba Keita. Le colonel reprochait, notamment au premier
nommé son incapacité à « garder un secret ».
200
Matalana, H.S.Guinée, p.82.
201
Idem, p.83.

164
CMRN pour préparer son retour à Kankan. Alors qu’il s’y attendait le moins,
grand fut donc son « étonnement lorsque reveillé par un appel téléphonique, il
apprit le 6 avril au petit matin sa nomination au poste de gouverneur de la
Banque Centrale de la République de Guinée. Elle était consécutive « à une
proposition des capitaines Faciné Touré et Fodé Momo Camara qui, compte
tenu de ma contribution, ne partageaient pas ma décision de me retirer », ajouta-
t-il.

165
CHAPITRE VII

Que peut-on retenir


des premiers mois de l’exercice
du pouvoir par le CMRN ?

Une bonne partie de l’année 1984 fut consacrée à célébrer et à magnifier la


‘’liberté’’ nouvellement reconquise. ‘’Liberté’’, c’est par exemple le nom que
l’on donna aux dizaines de minibus que l’ancien régime avait fait venir en
prévision de la tenue à Conakry du sommet de l’O.U.A en mai 1984. Ces
moyens de transports publics furent immédiatement mis en circulation par les
nouvelles autorités. Les utilisateurs se chargèrent de leur trouver un nom de
baptême en rapport avec les événements : ‘’Liberté’’.
A la radio, une émission fut lancée. Son titre : ‘’A VOUS LA PAROLE’’. Une
tribune exploitée par d’anciens pensionnaires des camps de détention pour
raconter par le menu avec, parfois, une certaine exagération dans la
manifestation des sentiments, les moments pénibles vécus. Nombre de récits
permirent de mesurer l’étendue des souffrances endurées par leurs auteurs,
même si, là encore, une certaine propension à l’arrangement des faits avait
prévalu. Le nom de Sékou Touré considéré comme le principal responsable de
leurs malheurs, était sur toutes les lèvres. De toute façon, il n’est pas certain
qu’un dirigeant africain ait été traité après sa disparition avec autant de rage et
de virulence que l’ancien secrétaire général du PDG.
Des diplomates accrédités à travers le monde retournèrent promptement leur
veste en se mettant résolument au service des nouveaux maîtres du pays. L’un
d’entre eux, en poste à Dakar, épousant les thèses des nouveaux dirigeants, s’en
prit à la presse sénégalaise. Il dénonça les « agissements » auxquels elle se
livrait en parlant, notamment de ‘’coup d’Etat en Guinée.’’ Pour l’ambassadeur,
en effet, « il n’y a pas eu de coup d’Etat en Guinée, le chef de l’Etat étant décédé,
le pouvoir est resté vacant. Et, en raison des tiraillements qui déchiraient le
gouvernement pour la succession, le peuple a exigé de son armée la prise du
pouvoir afin de faire une économie de vies humaines202 ».

202
Archives du quotidien Le Soleil, consultées par l’auteur le 1er juin 2015, à Dakar.

167
Dans un climat d’euphorie dominé par la multiplication des superlatifs
destinés à glorifier l’action du CMRN et à couvrir d’opprobre le PDG et son
ancien dirigeant, une seule note discordante s’était fait entendre contre ces
discours à la tonalité trop victorieuse. Kaïmba Kondé, un cadre de la Compagnie
des Bauxites de Guinée (CBG) relativisa l’ « exploit » du CMRN en opposant
aux auteurs du putsch cette sentence sarcastique selon laquelle « Un chasseur
honnête ne tire aucune gloire à s’acharner sur la dépouille mortelle d’un lion
qui n’est mort que d’une mort bien naturelle ». 203 L’auteur de ces lignes faisait
allusion, bien sûr, aux circonstances naturelles du décès du Président Sékou
Touré qui devraient inviter ses successeurs à moins de triomphalisme. Montant
d’un cran, il ajouta que : « C’est une autre forme de ‘’démagogie’’ et de
‘’griotisme’’ que de voir seulement du mauvais partout dans ce que nous
sommes bien obligés d’assumer aujourd’hui comme étant notre héritage
commun, celui à nous légué par la 1ère République laquelle, n’en déplaise à ses
détracteurs, a eu ses heures de grandeur et ses jours de gloire. Agit-on sous le
coup de la peur ou veut-on coûte que coûte éviter la colère des nouvelles
autorités ? »204
Un léger bémol dans un concert de louanges momentanées. Kaïmba Kondé
était vraiment seul à dire ce qu’il avait dit à l’époque. Une pique, dont l’effet
avait été atténué par la foultitude de protestations qu’elle a déclenchées, faisant
l’éloge de l’action « libératrice » du CMRN. L’intellectuel Sékou Philo Camara,
ancien ambassadeur sous Sékou Touré avant d’être incarcéré au Camp Boiro,
était l’auteur de l’une d’elles. Répondant à Kaïmba Kondé, il commença par lui
poser la question suivante : « Où étiez-vous de 1958 à nos jours ? » « … On n’a
nullement l’impression que vous avez partagé la vie de notre peuple, et c’est
pourquoi vous osez jeter quelques fleurs sur le régime socialo-capitalo-fétichiste
de Monsieur Sékou Touré »205 L’inspecteur des finances, Almamy Ousmane
Soumah, ne fut pas plus tendre avec cet empêcheur de jubiler en rond car, pour
lui, « l’autocratie du « Sékou Touréisme » est un cauchemar dont on ne parlera
jamais assez. C’est pourquoi, elle doit être circonscrite dans son essence
diabolique comme une occasion pour en faire un stimulant devant permettre de
faire de grandes conquêtes au profit du Peuple de Guinée. »206 Deux points de
vue que partageait ou tout au moins semblait partager une grande majorité de
Guinéens au sortir d’une aussi longue période contrôlée par le régime du PDG.

FORTE ADHÉSION POPULAIRE


Dès sa mise en place, la nouvelle équipe dirigeante enregistra une forte
adhésion populaire. Le coup d’Etat du 3 avril 1984 avait joui du soutien de la

203
Lettre ouverte à la RTG et au journal Horoya, in Horoya du 21 avril 1984, p2.
204
Ibidem
205
Horoya no 17 du mardi 22 mai 1984, p.3.
206
Idem.

168
quasi-totalité des populations guinéennes se trouvant sur le territoire national et
à l’étranger. On a vanté, célébré, honoré, le patriotisme des tombeurs du PDG,
parfois par démagogie, ou par suivisme ou encore par opportunisme. Mais, dans
l’ensemble, l’enthousiasme semblait prendre le pas sur le reste.
A l’intérieur du pays, des changements importants étaient attendus. Le
CMRN et son gouvernement allaient s’y atteler. L’administration avait été
progressivement remodelée. Dès le 3 avril 1984, les gouverneurs de toutes les
régions administratives furent remplacés, avec pour successeurs des cadres de
l’armée portant le titre de préfet.
Le 21 mai 1984, l’ordonnance no 042/PRG/84 mit fin à l’appellation
République Populaire Révolutionnaire de Guinée en vigueur depuis le dernier
Congrès du PDG en 1982. Le pays était redevenu la République de Guinée telle
que l’Assemblée Nationale constituante l’avait proclamé le 2 octobre 1958207.
Les appellations de région administrative, arrondissement et pouvoir
révolutionnaire local (PRL) furent supprimées et remplacées par celles de
préfecture, sous-préfecture et quartier.
La Guinée fut divisée en huit provinces : Conakry, Dubréka 208 , Boké,
Kindia, Labé, Faranah, Kankan et N’Zérékoré. A la tête de chacune d’elles, des
gouverneurs de province issus de l’armée, furent nommés. Trente-six
préfectures ont été érigées à la place des anciennes régions administratives que
comptait le pays. Parmi elles, figuraient les trois communes de plein exercice
de la capitale (Conakry 1, Conakry 2, Conakry 3). Des contacts furent noués
avec les populations à travers des voyages effectués dans les différentes
provinces par le chef de l’Etat et ses principaux collaborateurs. Lansana Conté
visita la quasi-totalité des préfectures du pays. Les « libérateurs » eurent droit à
des ovations nourries. Partout, on loua l’action de ceux qui avaient mis fin à
l’existence du Camp Boiro, supprimé le lourd fardeau des normes ainsi que les
barrages inter urbains…
Les cabinets ministériels furent réorganisés, les cadres placés à ces postes
par le PDG relevés. La même mesure fut prise concernant les sociétés et
entreprises d’Etat. Les directeurs généraux furent remplacés par des militaires à
travers une ordonnance en date du 9 mai 1984. Trente grosses sociétés
importatrices et distributrices de biens de première nécessité et d’articles
divers (céréales, huile, cosmétiques, cycles…), connues à travers leurs sigles
(Alimag, Alidi, Obétail, Sonatex, etc.) furent placées de ce fait sous la coupe de
militaires ignorant le plus souvent les règles les plus élémentaires de gestion. Si

207
Mieux vaut tard que jamais. Il est heureux que les autorités guinéennes aient réagi
face aux transgressions de cette mesure de la part de médias et de milieux officiels
étrangers désignant le pays sous le nom de ‘’Guinée-Conakry’’.
208
Dubréka était en 1984 un arrondissement (sous-préfecture) de la région
administrative de Coyah. Lieu natal du nouveau président, son statut se ressentait
favorablement du privilège d’avoir enfanté le nouvel homme fort du pays.

169
Lansana Conté a parlé d’elles, dix-huit mois plus tard comme il le fit dans son
discours-programme du 22 décembre 1985, c’est en grande partie à cause de la
gestion désastreuse qui suivit la nomination des militaires à leur tête.
Des Etats généraux furent organisés dans le domaine de l’éducation, des
conférences nationales de la santé et de la justice eurent également lieu.
Tous les espaces publics, institutions, monuments, établissements scolaires
portant des noms symboliques du PDG furent débaptisés. Les slogans et autres
graffitis à l’honneur de la Révolution et de son chef effacés à l’aide de coups de
pinceaux. Des pièces de théâtre, comme la Face cachée de l’empire, ont été
hâtivement composées dans l’intention avouée de tourner en dérision tout ce qui
pouvait un tant soit peu rappeler l’ère qui s’achevait. Des caricatures de l’ancien
président déguisé en bourreau ou en boucher furent étalées à la une des
publications occasionnelles financées par des ‘’mécènes’’ en quête de revanche
posthume. Bref ! Le nouveau régime était habité par une volonté obsessionnelle
de diaboliser et de faire disparaître tous les signes extérieurs rappelant l’ancien
président et son règne.
Des intellectuels de la diaspora parmi lesquels le guide de la Révolution
guinéenne comptait des adversaires irréductibles, de retour au pays, s’en
donnèrent à cœur joie dans l’art de le brocarder dans les médias d’Etat
complaisamment mis à leur disposition par les nouvelles autorités. La radio et
la télévision n’évoquaient la mémoire du président défunt que lorsqu’il
s’agissait de le présenter sous un jour défavorable.
Ses biens y compris sa garde-robe, furent confisqués par les nouvelles
autorités.
Des autodafés ont été faits de son œuvre philosophique et littéraire. Ahmed
Sékou Touré a produit en effet plus d’une vingtaine d’ouvrages témoignant de
la densité de sa pensée dans lesquels il a développé sa conception de l’Etat et sa
théorie de la Révolution Mondiale. Il est l’auteur de nombreux poèmes, appelés
‘’poèmes militants’’, aux rimes riches et d’une grande portée idéologique
qu’élèves et artistes déclamaient avec un rare brio lors des rencontres culturelles
ou des cérémonies marquant la fin de l’année académique dans les
établissements d’enseignement de tous les cycles. Ce qu’on ne brûlait pas était
voué à un sort un peu moins funeste. Des individus s’acharnèrent à les faire
disparaître par tous les moyens. Ils furent la proie des badauds et des
marchandes de cacahuètes.
Les noms des quartiers et des places publiques (M’Balia Camara, Babady
Hadiri, Forombi Touré, Maciré Camara, Kounady Condé, Patrice Lumumba,
Ouezzin Coulibaly, Amilcar Cabral, Béhanzin, Morifindian Dioubaté, Sylvanus
Olympio…), rendant hommage à la mémoire des compagnons de
l’indépendance et des héros africains qui s’étaient illustrés dans le combat pour
l’indépendance nationale et la libération du continent disparurent. Les
dénominations datant de l’époque coloniale furent remises au goût du jour. Il se

170
murmure même que certaines personnes voulant prouver leur adhésion au
nouveau courant ne s’encombrèrent point de scrupule pour changer de
patronyme. Elles abandonnèrent celui de l’ancien président, dont elles s’étaient
affublées par opportunisme. Elles revendiquaient désormais avec force leurs
racines surtout lorsqu’elles étaient implantées dans la région côtière. Or ces
individus avaient volontairement entretenu le sentiment contraire pendant
longtemps. D’autres enfin, débaptisèrent leurs enfants, dont les prénoms étaient
devenus subitement gênants.
En tout cas, nous nous souvenons quant à nous de ce voisin, ancien secrétaire
fédéral du PDG, dans une localité de la Guinée forestière, heureux papa d’un
garçon venu au monde quinze jours avant la disparition du président Sékou
Touré. Le jour du baptême on annonça que le nouveau-né portait « le nom
illustre » du Responsable Suprême de la Révolution.
Mais quelques jours après le 3 avril 1984, les voisins furent conviés à une
nouvelle cérémonie. Ils constatèrent curieusement que le baptême concernait le
même enfant. Son père avait décidé tout simplement que son rejeton
s’appellerait désormais ‘’Faciné’’, du nom du nouveau ministre des Affaires
Etrangères. Signe évident que, dans certains esprits, l’heure était au changement
synonyme de rejet systématique du passé sous toutes ses formes.

L’OFFENSIVE DIPLOMATIQUE
La communauté internationale avait accueilli favorablement le coup d’Etat
du 3 avril 1984. La prise du pouvoir par Lansana Conté et ses compagnons fut
saluée dans plusieurs chancelleries. L’Occident par exemple se réjouissait à
l’idée de voir la Guinée en passe de renier les options socialistes prônées par le
P.D.G. Le bloc de l’Est encore omniprésent sur la scène internationale n’avait
pas daigné manifester le moindre signe de mauvaise humeur. Il faut dire que
depuis quelques années, la politique extérieure de la Guinée, frappée au coin
d’un neutralisme positif assumé, se traduisait par des prises de positions que ses
Alliés de la première heure avaient de plus en plus de mal à comprendre et
accepter. Le bloc communiste digérait mal par exemple l’expression d’une foi
musulmane de plus en plus trempée du président guinéen ainsi que son
alignement sur les thèses occidentales dans le règlement de quelques conflits
sur le continent.
Sur le plan africain, le président Sékou Touré s’était certes réconcilié avec
tous ses pairs qu’il avait fustigés par le passé à cause de leur allégeance à
« l’impérialisme » et de leurs implications prouvées et reconnues dans les
complots contre la Guinée. Il épousait désormais des thèses en porte-à-faux avec
l’image de l’ardent défenseur de l’autodétermination des peuples qu’on avait de
lui.
Sur la question du Sahara par exemple, la Guinée était le plus fervent soutien
des revendications du Royaume du Maroc considèrant cette ancienne colonie

171
espagnole comme partie intégrante et indissociable de son territoire, thèse que
le chef de l’Etat guinéen avait fait partager par nombre de ses collègues. Bref,
Ahmed Sékou Touré était à l’extérieur des frontières guinéennes, un leader
prestigieux et respecté, même s’il ne comptait pas que des amis sur le continent.
Il avait consacré, les dernières années de son règne à jouer les médiateurs entre
les protagonistes de maints conflits africains et tiers-mondistes. Il avait encore
des amis sûrs parmi les chefs d’Etat, appartenant au groupe des Etats
progressistes du continent. Ils étaient décidés à défendre sa mémoire. Le
ministre des Affaires étrangères du nouveau régime l’avait constaté à ses dépens
à la tribune du sommet de l’OUA en 1984 à Addis Abéba. Il lui avait été prouvé
qu’il fallait beaucoup plus que des dénonciations enflammées pour se légitimer
sur son dos. En effet, Faciné Touré fut interrompu à plusieurs reprises avant
d’être invité à regagner sa place quand il s’était lancé dans de violentes diatribes
contre l’ancien président.209
Mais l’idée d’avoir affaire désormais à des dirigeants guinéens moins
marqués n’était pas faite pour déplaire à la plupart des chefs d’Etat africains
parmi lesquels devraient se trouver certains, ayant reçu, en ce sens, des gages
de la part de leurs amis occidentaux.
Dès lors, le nouveau régime jouissait de la reconnaissance internationale et
d’une légitimité certaine sur le plan national.
Une offensive diplomatique tous azimuts avait été ainsi déclenchée avec
bonheur à partir du 3 avril 1984. Le Premier ministre et le ministre des Affaires
étrangères en furent les figures de proue. Séparément ou ensemble, Diarra
Traoré et Faciné Touré parcoururent le monde.
Dès l’aube de l’avènement du nouveau régime, les deux hommes prirent leur
bâton de pèlerin. En avril 1984, le Premier ministre et sa suite visitèrent huit
pays ouest-africains : Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo, Guinée-Bissau, Mali,
Niger, Sierra Leone et Bénin. Ensuite, ils se rendirent dans douze Etats
d’Afrique et du Moyen-Orient. Au Libéria, ils évoquèrent avec les autorités
locales le développement des transports aériens, la mise en valeur du projet
Mifergui-Nimba et la promotion agricole au sein de la Mano River Union.
A Libreville où Diarra Traoré confèra avec Oumar Bongo, le président
gabonais mit tout en œuvre pour que la visite de la délégation guinéenne se
soldât par un succès total. Les émissaires du CMRN se rendirent ensuite au
Nigeria où des honneurs particuliers leur furent également rendus.

209
Il a été constamment rappelé à l’ordre par le président de séance, le M’Walimu
Julius N’Yerere de la Tanzanie. Devant son insistance à poursuivre son discours
sur le même ton, la parole lui avait été retirée. Pour le président Kenneth Kaunda
de Zambie, porte-parole de ceux qui jugeaient ses propos inacceptables, il était
hors de question qu’un « inconnu » parlât en ces termes d’un des héros du
continent.

172
En juin 1984, Diarra Traoré était de retour en Côte d’Ivoire dans le cadre
d’ « une visite d’amitié et de travail». Au cours de la rencontre regroupant les
deux parties, la délégation ivoirienne a été conduite par le président Félix
Houphouët Boigny en personne210. L’accent avait été mis sur la nécessité de
« réactiver la grande commission interministérielle de coopération ivoiro-
guinéenne ». Quatre groupes de travail furent constitués pour examiner « les
divers aspects de la relation existant entre les deux pays dans le domaine de
l’Economie et des Finances, des Mines, de l’Industrie et du Commerce, de
l’Agriculture et du Développement rural, de l’Education Nationale et de la
Recherche Scientifique, des Travaux Publics et des Transports, de l’Habitat et
de la Télécommunication. » Ces visites répétées en Côte d’Ivoire témoignaient
de la volonté commune aux deux Etats d’approfondir des relations relancées
depuis 1978, au lendemain du sommet de Monrovia. Elles traduisaient
également, semble-t-il, le souci des autorités ivoiriennes de se racheter pour
s’être démenées par le passé comme de beaux diables dans la mouvance de la
France pour dèstabiliser le régime guinéen et contrecarrer les projets de
développement du pays211.

L’ÉTAPE DE PARIS
Le 12 juin 1984, le Premier ministre arriva dans la capitale française. Le
colonel Diarra Traoré fut accueilli le même jour sur le perron de l’Elysée par
François Mitterrand. Paris fut la première étape du périple européen des
émissaires du CMRN. Un choix qui n’était pas fortuit. La prise du pouvoir par
le C.M.R.N. avait été saluée par des messages écrits sur un ton presque amical
et adressés à Lansana Conté par le président François Mitterrand, le Premier
ministre, Pierre Mauroy, et le ministre des Relations Extérieures, Claude
Cheysson. Depuis le 3 avril 1984, il devenait clair que la France devait occuper
en Guinée la place qui lui était « due naturellement » dans ce territoire qui avait
fait partie de ses possessions en Afrique. L’objectif était de hisser la coopération
entre les deux pays à la hauteur des liens tissés par l’histoire. Les premiers
sillons en ce sens avaient été creusés lors du séjour exploratoire du conseiller
Guy Penne en Guinée. En un mot, Paris devait être le partenaire privilégié de la
Guinée. Diarra Traoré allait annoncer la couleur dès son arrivée en déclarant à
la presse que la Guinée voulait « instaurer une coopération exemplaire avec la
France pour l’aider à sortir du marasme scandaleux hérité de 26 ans d’une
gestion caractérisée par une étatisation dogmatique et une incompétence

210
Selon Sidiki Kobélé Keita, en effet, au cours de cette rencontre, Houphouët
Boigny, pris de remords, aurait fait l’aveu des manœuvres orchestrées avec sa
bénédiction pour déstabiliser le régime du PDG et annihiler ses efforts de
développement.
211
Yamoussoukro, le 4 juin 1984, Côte d’Ivoire-Guinée, Communiqué final in
Horoya no 024 du samedi 9 juin 1984, p.2.

173
notoire212 ». Un mariage d’amour, certes, mais aussi une liaison fondée sur les
rapports économiques car le Premier ministre avait placé dans la balance « les
immenses ressources du sol et du sous-sol »213 de la Guinée.
Les autorités françaises (gouvernement et secteur privé) s’étant approprié
« l’ensemble des projets identifiés depuis quelques semaines avec les nouveaux
responsables guinéens. » 214 , immédiatement, vingt millions de francs (un
milliard CFA de l’époque) furent dégagés « pour répondre dans les meilleurs
délais aux besoins exprimés par la délégation guinéenne. » 215 L’accent a été
mis sur l’appui de la France afin de « remodeler le système d’Enseignement
Supérieur et de Recherche Scientifique en Guinée. » 216 Le Premier ministre
avait accordé des audiences au ministre des relations extérieures, Claude
Cheysson et à Jacques Chirac, le maire de Paris. Il avait été reçu au siège de
l’UNESCO par le directeur général Amadou Mahtar M’Bow. L’UNESCO avait
promis, pour sa part, une aide à la Guinée destinée « à réhabiliter son système
d’éducation et d’enseignement. »217
La délégation séjourna ensuite du 14 au 18 juin 1984 à Bruxelles où le
colonel Diarra Traoré s’entretint avec Wilfried Martins, le Premier ministre
belge, et Léo Tindemans, le ministre des relations extérieures. Il présenta à ses
interlocuteurs « les orientations et les priorités du CMRN. » Il insista sur « sa
détermination à promouvoir une coopération multidirectionnelle, dynamique et
fructueuse en vue de réaliser une véritable relance de l’économie et de tous les
autres secteurs de la vie nationale »218. Les autorités belges exprimèrent, pour
leur part, la disponibilité entière de leur pays à « être pour la Guinée un
partenaire sûr et fiable. Les liens historiques de la Belgique avec l’Afrique ainsi
que sa connaissance profonde de l’Afrique grâce à ses instituts spécialisés dans
les divers domaines, la prédispose à une coopération des plus bénéfiques avec
la Guinée nouvelle » 219 rassurèrent-elles. Au siège de la Commission
Economique Européenne (CEE), les hauts responsables de l’institution
déclarèrent « être aux côtés de la Guinée. Le président de la Commission,
Gaston Thorn et Edgar Pisani, le Commissaire au développement, évoquèrent
les facteurs permettant d’impulser la coopération entre la Guinée et la CEE afin
de « lui conférer plus de dynamisme et d’efficacité. »220
La délégation du CMRN mit ces visites à profit pour conférer partout avec
l’importante diaspora guinéenne. Toutefois, la réunion projetée dans la capitale

212
Communiqué conjoint in Horoya no 029 du jeudi 21 juin 1984, p.2.
213
ibidem
214
ibidem
215
Communiqué conjoint in Horoya no 029 du jeudi 21 juin 1984, p.2.
216
Ibidem.
217
Ibidem.
218
Horoya no 029 du jeudi 21 juin 1984, p.3.
219
220
ibidem

174
française ne put se tenir à cause des divergences qui avaient commencé à se
dessiner entre les anciens opposants au PDG. Visiblement, ceux-ci devraient
être, déjà en proie à des calculs personnels à connotation identitaire. Mais dans
l’ensemble, les effets produits par ces contacts furent immédiats car ils
favorisèrent, le retour en Guinée de plusieurs de ses ressortissants exilés ou
éparpillés à travers le monde. Ces compatriotes eurent la possibilité de renouer
avec la mère-patrie et nombreux sont ceux qui décidèrent à plus ou moins long
terme de s’y fixer définitivement.
C’est aussi l’époque qui vit affluer une myriade d’« investisseurs »
occidentaux, d’experts et de conseillers français ou assimilés tels que Bernard
Vatrican (dont nous parlons plus loin) et Léon Chaize. Ce dernier assumera
pendant un certain temps les fonctions de vice-gouverneur de la BCRG. Une
nuée de coopérants français s’activa dans tous les départements ministériels où
le plus souvent, ils devinrent les véritables maîtres du terrain.
La coopération dans le domaine militaire ne fut pas en reste. Des colonels
français débarquèrent avec pour mission de ‘’conseiller’’ l’armée guinéenne si
ce n’était pour s’interposer en cas de nécessité.

MESURES ÉCONOMIQUES
Sur sa lancée, le CMRN prit un certain nombre de mesures à caractère socio-
économique marquant la rupture d’avec l’ancien régime.
Il décida de la suppression de l’impôt de capitation auquel la Révolution avait
donné la dénomination de Contribution au Développement Rural (CDR) pour
tous les fonctionnaires. Son payement par les masses paysannes ne s’effectuait
plus en produit. Son taux passa de 800 à 700 Sylis.
Les points de contrôle routiers inter régionaux ou barrages furent supprimés
mais celui de Lansanaya à la sortie de Conakry et ceux des postes frontaliers
furent maintenus et renforcés.
Il mit également fin à l’existence des Entreprises Régionales de
Commercialisation du Bétail (ENCOBE). La pratique des normes de
commercialisation du bétail fut interdite. Le CMRN instaura l’obligation de
soumettre les transactions commerciales et les opérations d’abattage du bétail
au contrôle technique des services vétérinaires. Les éleveurs devinrent libres de
disposer de leur cheptel.
Il s’était proposé d’apporter une « assistance accrue aux éleveurs dans la
campagne d’urgence contre la peste bovine à nos frontières ».

PREMIERS ACTES DE CORRUPTION


Dans quel état se trouvaient les coffres du pays à la veille du coup de force
du 3 avril 1984 ? Selon la situation établie par le nouveau gouverneur de la

175
BCRG, le montant total des avoirs de l’Etat s’élevait à 196.831.278, 27 dollars
US lorsque le CMRN prenait en mains les rênes du pays.
C’est au même moment, semble-t-il que le mystère commença à planer sur
la destination empruntée par des fonds hérités de l’ancien régime tels que :
Les 7 218 000 dollars américains offerts à la Guinée par la Communauté
internationale en guise d’assistance aux victimes du tremblement de terre de
Koumbia (Gaoual) ;
Les sommes appartenant au syndicat des travailleurs (CNTG) et procédant
d’une retenue obligatoire de 0,5% par mois sur les salaires des travailleurs ;
Les recettes découlant de la vente des publications du PDG : Horoya
(l’organe du parti) et ceux de ses différentes branches à savoir : Waliké (journal
des travailleurs), Foniké (journal des jeunes), La Guinée Guinè (journal des
femmes).
L’argent amassé à la suite de la saisie et de l’arraisonnement des navires de
pêche, clandestins dans les eaux guinéennes.
Le processus de détournement et de dilapidation des fonds publics s’était mis
en marche. L’exemple venant d’en haut, il irradiera tout le corps du système.
A cet effet, selon le capitaine Kaba, le nouveau gouverneur de la Banque
Centrale, quelques mois à peine après son installation à la tête de l’Etat, Lansana
Conté prenait « les deniers publics pour des biens personnels. Le colonel
commença très tôt à puiser dans les caisses de l’Etat. » Trois faits ont
particulièrement ‘’irrité’’ Kabiné Kaba au cours de cette période. Deux d’entre
eux concernaient des bons émis par le président à « des fins occultes. ». Le
troisième était en rapport avec un ‘’marché de gré à gré’’ signé par le ministre
du commerce extérieur. Voici ce qu’il écrira plus tard à ce propos :
« Un jour, le président m’envoya un de ses cousins du nom de CISSE agent
de la Société Navale Guinéenne. M. CISSE était porteur d’un bon manuscrit
pour la sortie d’une somme de deux cent mille (200 000) dollars US, soit cent
millions (100 000 000) de francs CFA à cette époque. Le bon était signé du
président. J’avais d’abord tiqué au vu du bon et signifié de le rencontrer pour
avoir plus de précision. Lors de la rencontre, il admet que « la somme était
destinée à un féticheur au Cambodge (Indochine) à qui il demandait de travailler
à la consolidation et à la protection du Comité Militaire de Redressement
National (CMRN) ».
Le second émissaire dépêché par le président à la BCRG a été
l’ambassadeur, directeur du protocole d’Etat, le lieutenant Abdourahamane
Diallo. Il tenait en main un bon manuscrit de 700 000 Sylis221. Le gouverneur

221
Malgré les objections du gouverneur mal accueillies par l’émissaire du Colonel
Conté, l’opération se réalisa. L’épisode creusa le fossé entre le gouverneur et le
président, augurant de la rupture qui n’allait pas tarder à se produire. Cf. Kabinet
Kaba, in Lettre ouverte à la nation. Brochure publiée en 1991, p.19.

176
refusa d’obtempérer. Mais, le vice-gouverneur Saïdou Diallo, plus conciliant,
se prêta à la manœuvre et la somme payée. Au cours de la même période, le
capitaine Kébé, ministre du Commerce Extérieur, signa un ‘’marché’’ du même
type concernant la fourniture de 20 000 tonnes de riz net à importer pour une
valeur totale de 5 260 000 dollars US. La somme fut libérée le 23 juillet 1984
en faveur du fournisseur, un certain Monsieur SOUMAH, homme d’affaires
résident en Sierra Leone qui n’aurait pas livré plus tard « plus du tiers de la
commande », ajouta le gouverneur.
Pour sa part, Aly Bocar Cissé jette le doute sur la manière, dont « les
redresseurs », comme il les appelle, ont pu « dépenser », au cours des dix
premiers ‘’petits mois’’ qui suivirent leur arrivée au pouvoir, « 171.448.999,6
dollars ». Il estime que cet argent avait été englouti « sans laisser de trace et en
toute impunité222 ».

PROJET DE RÉDACTION DU LIVRE BLANC


Il convient surtout de noter un échec lourd de conséquences du point de vue
de l’histoire, enregistré à cette époque. En effet, une des mesures phares
annoncées d’emblée par le CMRN avait été la mise en place d’une commission
chargée de la rédaction d’un livre blanc sur le Camp Boiro. Elle était dirigée par
le capitaine FacinéTouré avec pour secrétaire général, le journaliste fraîchement
rentré d’exil, Mamadou Alfa Tayiré Diallo.
Une initiative opportune à plus d’un titre. En effet, les Guinéens et tous ceux
qui s’intéressent à leur pays voulaient savoir. Il était aisé d’y parvenir dans le
contexte nouvellement créé. La totalité ou presque de tous ceux qui avaient joué
un rôle à des niveaux divers dans le fonctionnement des camps de détention
étaient en vie : responsables politiques et administratifs, geôliers, rescapés
‘’anti-guinéens’’ dénoncés lors des différentes phases du ‘’complot
permanent’’…Tous les ingrédients étaient réunis pour produire un document,
dont la publication aurait permis de percer bien des mystères et de lever tout ou
partie du voile qui enveloppe cette épineuse question.
De toute façon, selon l’adjudant-chef Dioubaté, ancien chauffeur à la Maison
Centrale de Kindia, un important travail préliminaire avait été effectué. Ce sous-
officier se souvient, en effet, avoir conduit les enquêteurs sur les sites où les
prisonniers étaient exécutés. Ces derniers étaient ligotés, entassés dans des
camions et acheminés sous le mont Gangan ou dans le village de Sèguèya.
Lors de la présentation à la presse du livre de l’ancien ministre, Alsény Réné
Gomez, Faciné Touré est allé encore plus loin : « Nous avons constitué des
Commissions de recherches de charniers sur toute l’étendue de la
République.Une Commission pour faire un recensement exhaustif de tous ceux
qui sont passés par les prisons de la Révolution parce qu’il y avait des connus

222
Journal mensuel de la famille Touré, no 210, p.20.

177
et des inconnus, des bouviers qui se noyaient parmi les ministres. On a fait tout
ce travail. Des charniers avaient été identifiés, on devait dresser des stèles sur
lesquelles seraient gravés les noms de tous ceux qui reposaient là et faire une
statue géante au Camp Boiro 223», avait-il affirmé.
On peut alors se demander pourquoi plus de trente ans après « tout ce
travail », les noms et le nombre des personnalités et des ‘’bouviers’’ ainsi
recensés ne sont pas encore portés à la connaissance de l’opinion afin que
cessent les spéculations et les controverses. Par ailleurs, les charniers identifiés
auraient dû être sécurisés, protégés afin d’être inscrits au patrimoine de l’Etat
guinéen de même que d’autres sites importants de la vie du pays. En effet, il est
illusoire de penser que ces espaces puissent être utilisés désormais à de telles
fins. Leur occupation amorcée vers la fin de la Première République,
essentiellement par des militaires, s’est généralisée au lendemain du 3 avril
1984. Ici et là ont été élevés des immeubles, villas… rendant impossible l’accès
à ce qui y est enfoui. La Commission et le gouvernement qui disposaient des
pleins pouvoirs pour garantir leur inviolabilité ont laissé faire. Pourquoi ? A eux
d’en répondre devant l’histoire.
Or, en s’appuyant sur le témoignage de son secrétaire général, il est permis
de croire que si la Commission a pu se mettre au travail avec célérité, c’est parce
qu’elle disposait d’une documentation inestimable au contenu incontestable.

« DES ARCHIVES CONFIDENTIELLES ET TRÈS PRÉCIEUSES »


En pénétrant pour la première fois dans la salle où siégeait le Comité
Révolutionnaire au Camp Boiro, Tayiré Diallo, dit, en effet, avoir découvert une
quantité incroyable de documents.
Subitement, il eut accès à des milliers de pages d’archives officielles,
autrefois secrètes, qu’aucune personne ne pouvait prétendre avoir lues avant
lui. « La salle était pleine d’archives confidentielles et très précieuses »224, nous
dit-il. En marchant dans le saint des saints de cet endroit jadis tant redouté, il
constata que les archives du Camp occupaient plusieurs mètres de rayonnage. Il
en a vu qui gisaient sur la table lorsqu’elles n’étaient pas dissimulées dans les
tiroirs des bureaux qu’occupaient de principaux membres du Comité tels
qu’Ismaël Touré, Siaka Touré, Mamady Kéita, Moussa Diakité…
Alsény René Gomez, ambassadeur de Guinée au Libéria, membre de la
Commission, l’accompagnait. Celui-ci a été chargé de l’enregistrement de toute
la documentation et des archives trouvées sur place.
Après une semaine de dur labeur, les pièces furent rassemblées, embarquées
à bord d’un camion pour une destination tenue secrète par notre
interlocuteur. « On nous a montré un endroit où il fallait les déposer », s’est-il

223
La Lance no 562 du 31 octobre 2007, p.11.
224
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 12 février 2014.

178
contenté de dire en réponse à la question concernant leur emplacement. Tayiré
Diallo a précisé cependant qu’il s’agit d’un « lieu placé sous le contrôle des
forces armées où personne ne pouvait soupçonner leur présence. »225 Sidiki
Kobélé Keita ajoute que le secrétariat général avait commencé à compulser la
documentation existante. Il avait passé au peigne fin le contenu des principaux
ouvrages publiés sur le Camp Boiro. Une démarche qui a abouti à ce constat
relevé dans son rapport d’activité226 :
« Jean Paul Alata, auteur de « Prison d’Afrique », est plein
d’invraisemblances et de contrevérités ;
Le livre de M. Ibrahima Kaké, auteur de « Sékou Touré, le héros et le tyran »,
est très romancé et s’appuie sur des témoignages pas toujours véridiques ;
Le livre de Mgr. Raymond Marie-Tchidimbo, intitulé « Le Noviciat d’un
évêque », tait volontairement certains aspects importants du rôle joué par l’ex-
archevêque de Conakry aux côtés de Sékou Touré ».
Le rapport s’achève sur ces mots : « Ces témoignages sont à la fois partiels
et partiaux. Leurs auteurs n’ont peut-être jamais pensé que l’on retrouvera des
archives originales qui aideront un jour à rétablir la vérité historique. »227 Que
contenaient donc ces archives au point de susciter pareille réflexion de la part
de l’homme qui fut le premier à les consulter au lendemain de la prise du
pouvoir par l’armée ? Par quoi faut-il expliquer le silence des autres membres
de la Commission qui examinèrent à leur tour les mêmes documents ? Qui avait
donc intérêt à les voir s’évaporer dans la nature ? Car, selon toute
vraisemblance, il ne reste nulle trace où que ce soit à ce jour de certains dossiers
sensibles de manière à permettre au grand public d’y accéder. Ces pièces
doivent avoir été détruites, subtilisées pour être rangées dans des bibliothèques
privées par ceux-là qui ne souhaitaient guère que leur contenu fut divulgué. De
toute façon, le régime précédent n’est en rien responsable de leur disparition228.
Ne perdons pas de vue que la mission ainsi que les motivations personnelles de
la plupart des membres de la Commission étaient d’étaler au grand jour le
‘’caractère abominable’’ des pratiques du régime du PDG.
Sa composition constituait à cet effet un gage autorisant à ne point douter, le
cas échéant de la réussite d’une telle entreprise. En effet, le président, de la
Commission le capitaine Faciné Touré, l'ancien secrétaire d'Etat, Porto,

225
Notre interlocuteur précise que sa position de chef de cabinet civil du président de
la République entre 1993 et 1997 lui a permis d’accéder à ces documents.
226
La Vérité du Ministre, autre ouvrage souvent évoqué en parlant du camp Boiro, a
été publié seulement en 1985, après l’interruption des travaux de la Commission.
227
Tayiré Diallo cité par Kobélé in Autopsie d’un pamphlet, Camp Boiro, éd. Amb.
P.42
228
Le même sort aurait, dit-on, été réservé aux archives de l’ex Voix de la Révolution
contenant les ‘’déclarations, dépositions’’ d’anciens dirigeants avant et après leur
arrestation dans le cadre des différents complots.

179
l'historien Djibril Tamsir Niane, l’ambassadeur et gouverneur de région, Sékou
Mouké Yansané 229 , le futur ministre de Lansana Conté, Alsény René
Gomez…étaient d’anciens détenus du Camp Boiro. Jusqu’à aujourd’hui, dans
leurs différentes prises de parole publiques ou privées, la plupart d’entre eux ne
cachent point leur détermination à ne faire de cadeau ni à Sékou Touré ni à son
régime.
Guy Guichard230, le garde du corps du président, qui s’était occupé de sa
protection et de celle de sa famille pendant l’agression du 22 novembre 70, était
aussi membre de la Commission. Il était une source de renseignements de
premier ordre, surtout que Guitton (pour les intimes) était l’une des grandes
oreilles du président.
En 1984, une importante documentation était à portée de main.
En effet, les archives écrites et sonores du Camp Boiro, celles des autres
centres de détention, les archives de la Permanence Nationale du PDG
soigneusement et régulièrement tenues étaient disponibles.
Les débats et comptes rendus des différents Conseils des Ministres étaient
accessibles tout comme ceux des réunions du BPN, du Comité Central et des
autres organes du parti.
Les numéros du journal Horoya et les tomes du livre blanc relatant les thèses
du PDG sur les complots étaient à portée de main. On y trouvait les noms et
photos des personnes impliquées dans les épisodes du ‘’complot permanent’’.
Les archives privées de l’ancien président constituaient également une
abondante source de documentation. Sékou Touré « avait des archives
remarquablement bien tenues », a écrit à ce propos André Lewin qui se souvient
« que pendant un discours, il avait exhibé les lettres que Jean Paul Alata, un
syndicaliste français devenu guinéen lui avait écrites du Camp Boiro ». Ces
archives renfermeraient en outre, nous a-t-on dit, des images filmées le 22

229
Ce dernier a déclaré, le23 avril 2015, lors d’une dédicace organisée à l’occasion
des 72 heures du Livre à Conakry et dont l’auteur était le modérateur, qu’il détenait
les archives relatives à sa propre incarcération au Camp Boiro. Ces documents qui
traînaient dans la rue, furent découverts par un des siens qui les lui aurait apportés,
a-t-il ajouté. Mais faut-il préciser que l’ancien ambassadeur a été membre du
comité mis en place par le C.M.R.N ? Une position mise à profit par bon nombre
personnes pour s’emparer des documents du camp.
230
Issu d’une des plus anciennes familles des communautés catholique et métisse de
Conakry qui a enfanté de grands commis de l’Etat, ce grand flic formé aux Etats-
Unis a été chargé de la protection rapprochée du président Sékou Touré pendant
une durée jamais égalée. Porto dans La Vérité du Ministre et d’autres auteurs le
considèrent, à tort, comme l’homme qui avai abattu Tidjane Keita lorsque cet
individu empoigna, une arme blanche en main, le président en 1969. En fait, le
garde du corps du président était alors le dénommé Mamadou Bah dit Gros Bah.
C’est celui-ci qui, aurait tiré le premier sur l’assaillant avant que le capitaine
Dugay ne lui donnât le coup de grâce.

180
novembre 1970 sur une plage de Conakry par Stokley Carmichaël, l’ancien
leader des Black Panthers. Elles montreraient, de hauts fonctionnaires de l’Etat
guinéen, communiquant avec les assaillants par talkies walkies au moment du
débarquement. Toutefois, il faut souhaiter comme l’ancien ambassadeur de
France que ces archives « n’ont pas été détruites ou dispersées après sa mort ».
De toute façon, le PDG avait la particularité de ne rien cacher concernant ses
adversaires supposés ou réels ni ce qu’il entreprenait pour les neutraliser. En
parcourant les archives du Parti-Etat, à tous les échelons, on était en mesure de
dresser avec une précision d’orfèvre les noms et le nombre des personnes les
plus connues qui ont perdu la vie ou ont été internées dans ce camp avant d’être
libérées, de la date de l’indépendance au 3 avril 1984.
Les anciens détenus, les gardes et les tortionnaires, les dirigeants locaux du
parti et les agents des services déconcentrés de sécurité placés sous leurs ordres
se comptaient encore en grand nombre. Ces derniers constituaient une source
de renseignements de premier ordre en ce qui concerne les victimes enregistrées
dans les catégories inférieures, notamment celles qui auraient disparu le long
des frontières.
Enfin, les opposants au régime, exilés aux quatre coins du monde étaient de
retour ou pouvaient être joints à tout moment pour recueillir leurs témoignages.
En effet, cette dernière catégorie, a été au centre de la problématique des
complots en Guinée. La question ne peut être élucidée que si elle participe au
débat sur des bases objectives.
Notre assertion s’appuie sur deux témoignages recueillis auprès d’anciens
opposants :
« Vous savez, M. Condé, nous avait dit un jour à Dakar, le regretté
Mamoudou Soumah, un exilé guinéen vivant dans la capitale sénégalaise, « tous
les complots que Sékou Touré dénonçait, étaient authentiques. Ici à Dakar, nous
étions au courant de tout. Mais dès qu’il en parlait, on s’empressait de nier tout
en bloc. »
Docteur Charles Diané, interrogé de son côté par un de ses amis, peu avant
l’agression du 22 novembre 1970 sur son degré d’implication dans l’opération,
lui répondit : « Je n’y participe pas parce que, je n’ai pas de cinquième colonne
en Guinée. »

À QUI LA FAUTE ?
Quelles sont alors les raisons pour lesquelles la production du Livre blanc
fut renvoyée aux calendes grecques et la Commission démembrée ? Les
personnalités chargées de sa rédaction se rejettent depuis la responsabilité de
l’échec de leur mission. Une des causes, avons-nous appris, à l’origine de sa
dislocation serait liée aux circonstances qui entourèrent l’arrestation du
capitaine Abou Soumah. Mention en serait faite dans un des registres du Camp
Boiro dans lequel figure également le nom de son dénonciateur. Au moment de

181
son incarcération, le capitaine Soumah était chargé du commandement de la
garnison militaire de N’Zérékoré d’où, semble-t-il, il avait adressé une lettre de
félicitations au lieutenant-général Joseph Désiré Mobutu après le coup d’Etat
qui l’avait porté au pouvoir au Congo-Kinshasa le 24 novembre 1965. Une
imprudence rapportée aux autorités par l’officier qui le secondait et qui lui avait
valu d’être dans le viseur du régime. Emprisonné en 1969, après la découverte
du complot Kaman/Fodéba, le capitaine Soumah avait été libéré le 22 novembre
1970 après la prise du Camp Boiro par les mercenaires. Il parvint ensuite avant
que la situation ne se retournât en faveur des loyalistes à rejoindre la Sierra
Léone en utilisant un véhicule mis à sa disposition par le commissaire de police,
Keita Kara de Soufiana. La famille du capitaine Soumah a payé son évasion au
prix fort. Plusieurs de ses frères et sœurs furent conduits au Camp Boiro où ils
trouvèrent la mort. Marié à Marie Claire, une Française, le fugitif finit, quant à
lui par se réfugier en France où il devint l’un des principaux animateurs de l’aile
militaire de la ‘’Contre-Révolution’’ à l’extérieur. Très populaire au sein des
Forces Armées, Abou Soumah est retourné en Guinée au lendemain du 3 avril
1984 où il est décédé peu après. La divulgation du nom de l’homme qui l’avait
livré aux autorités en 1969, aurait pu, semble-t-il, porter un sérieux préjudice à
des gens haut placés dans la nouvelle direction du pays.
Le président de la Commission, reproche pour sa part à certains de ses pairs
d’avoir été animés à un moment donné du désir indécent de transformer
l’entreprise en fonds de commerce. Ils auraient freiné volontairement l’allure
des travaux se rendant compte que les appétits visant à tirer des profits
personnels de l’opération ne pouvaient être satisfaits. Cependant lorsque selon
Faciné Touré, il voulut savoir, en 1987, alors qu’il était en poste à N’Zérékoré,
pourquoi les travaux avaient été interrompus, le chef de l’Etat lui aurait
dit : « La décision a été prise pour faire taire tes détracteurs. Ils t’accusent de
ne poursuivre qu’un seul objectif celui d’asseoir ta gloire personnelle.»231
Sidiki Kobélé soutient, de son côté, que l’entreprise avait été abandonnée
après la parution de La Piscine, un livre écrit par Roger Faligot232 et Pascal
Krop.
On y découvre que « sitôt les résultats du référendum de 1958 connus, la
Guinée devint pour le SDECE un objectif . Le colonel Tristan Richard,
responsable du secteur Afrique-Moyen-Orient, installe en Guinée trois agents ».
Il est écrit plus loin qu’« après le lancement du franc guinéen, les services
français ont émis quantité de faux billets de la nouvelle monnaie pour

231
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 12 février 2014.
232
Un ouvrage relatant les activités souterraines des services secrets français en
Afrique, de 1944 à 1985. Le Service de Documentation Extérieure et de Contre
Espionnage(SDECE) français y est accusé d’avoir ourdi de nombreuses
conspirations contre le PDG et son leader. Ed. Seuil mai 1985 N°8743-3 (1188)
France.

182
désorganiser les finances du pays. Selon ses auteurs « De Gaulle ne se contente
pas de cette deuxième action de déstabilisation ». Son objectif avoué était
d’ « éliminer Sékou Touré et installer par la force un nouveau régime à
Conakry ».
Mais pour Tayiré Diallo, la décision de mettre fin aux travaux de la
Commission avait été prise parce que les nouvelles autorités n’avaient pas voulu
remuer la boue, dont certaines d’entre elles étaient couvertes. En effet, explique-
t-il, après plusieurs mois consacrés à l’examen d’innombrables pièces, René
Gomez et lui ont énormément appris. Des documents qui avaient retenu leur
attention, furent réunis et figurèrent dans leur rapport d’orientation. Une fois ce
travail terminé, poursuit-il, « j’ai emprunté un vol d’Air Guinée afin de me
rendre à N’Zérékoré exclusivement dans le but de présenter le fruit de notre
travail au ministre Faciné Touré. En effet, malgré son éloignement de la
capitale, suite à sa nomination aux fonctions de ministre résident pour la région
forestière, le capitaine continuait d’assumer le rôle de président de notre
Commission. Nous avons parcouru le rapport ensemble. Celui-ci ne laissait
apparaître aucune ambigüité quant au caractère accablant de certains documents
compromettant gravement quelques membres du CMRN. Il y apparaissait
clairement que ces personnalités avaient été par le passé des membres influents
du Comité Révolutionnaire ou des délateurs zélés. Certains des renseignements
qu’ils véhiculaient à l’époque avaient été portés directement à la connaissance
du président Sékou Touré par leurs auteurs, entraînant l’arrestation de leurs
frères d’armes. Après le tour de table, le capitaine Touré m’a dit : « Ecoute, je
préfère que tu prennes tes responsabilités. Va, toi-même, présenter ce rapport
au Président. Donne-lui toutes les explications dont il peut avoir besoin. Il
décidera ». C’est sur ces entrefaites que Tayiré Diallo reprit le chemin du retour.
Au cours de l’audience que le chef de l’Etat lui accorda, « j’ai, dit-il, axé
mon propos sur le contenu de deux documents d’archives que je lui ai tendus.
Le président les a longuement observés avant de se tourner vers moi en me
posant la question suivante : « Maintenant, que comptez-vous faire au sein de
la Commission ? Qu’est-ce que vous proposez par rapport à ce que vous venez
de découvrir ? » Sans lui donner la possibilité d’éluder à nouveau le sujet, ma
réaction ne s’est pas fait attendre et je l’ai exprimée très franchement :
« Monsieur le Président, c’est plutôt à moi de vous demander ce qu’il faut faire
maintenant. » Pour toute réponse, mon interlocuteur enchaîna : « Je pense pour
ma part que la stabilité, la paix, la continuité de l’action que nous avons
déclenchée recommandent qu’on interrompe vos travaux. On verra plus tard. »,
avait-il conclu. Un rendez-vous qui n’avait jamais été tenu. Le président m’a
retiré les documents dont je n’ai plus entendu parler»,233 dit-il pour terminer.
Peu après, la Commission fut décapitée en ce sens qu’après son président,
déjà en poste à N’Zérékoré, Tayiré Diallo avait été nommé chef de cabinet au

233
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 12 février 2014.

183
Secrétariat permanent du CMRN et Alsény René Gomez, invité par sa
hiérarchie à rejoindre son poste à la tête de la mission diplomatique guinéenne
au Liberia. On les éloigna définitivement de dossiers qui commençaient à sentir
le souffre. Mais, mon entrevue avec Tayiré Diallo ne contribua pas à lever le
moindre coin du mystère entourant le contenu des deux pièces évoquées par
mon interlocuteur. Celui-ci se refusa à toute indiscrétion sur le sujet, s’abritant
derrière son ‘’devoir de réserve’’. Envisagerait-il tout au plus d’en parler un jour
dans ses Mémoires ?
Ce fut de toute façon un premier rendez-vous manqué par le CMRN.
L’occasion idéale pour faire la lumière sur une page particulièrement tragique
et controversée de notre histoire fut ratée.
Un échec aux causes troublantes d'autant plus que rien ne manquait à la
réussite de la mission.
Le CMRN a laissé filer en effet l’opportunité d’appréhender une question
qui coupe en deux sous tous ses aspects : la problématique des complots, les
conditions de détention et le nombre exact de victimes... Au lieu de laisser se
poursuivre le travail qui aurait apporté une réponse claire ou à peu près à ce
dernier point, place a été faite aux élucubrations s’agissant du nombre exact de
prisonniers politiques disparus. Les ‘’décomptes vont parfois du simple au
double lorsque des écarts ne sont pas insondables. Pour d’aucuns, il y aurait eu
« environ 2.500 »241 qui « ont été arrêtés, atrocement torturés…, dont des
centaines ont été cruellement exécutées sans jugement ». Leur nombre varierait
entre « au moins de 3.000 à 4.000 », selon André Lewin. Des statistiques font
état pour leur part de 50 000 morts. La réplique de ceux qui contestent ces
chiffres est cinglante. Beaucoup ‘’moins de mille’’, ‘’117’’ tout au plus 234 ,
rétorque Sidiki Kobélé Keita, reprenant à son compte un bilan établi par « les
militaires qui ont fait le coup d’Etat du 3 avril 1984 contre la Révolution. » Ce
dernier se prévaut par ailleurs d’avoir eu accès aux archives d’Amnesty
international où nulle part un décompte macabre aussi hallucinant n’est
mentionné 235 et lance un brin taquin à l’adresse de ceux qui s’en servent à
dessein qu’ils « ne connaissent pas leur table d’addition ».
Sur ce point précis, Tayiré Diallo, le premier à prendre connaissance du
contenu des archives du PDG après le 3 avril 1984 est catégorique. « Le chiffre

241 bis
Maligui Soumah op. cité p.21
234
KEITA S.K., La Guinée de Sékou Touré, Pourquoi la prison de Camp Boiro ?, éd.
Harmattan
235
L’auteur estime cependant et nous partageons ce point de vue qu’il s’agit de « 117
morts de trop » dans la mesure où « tous les Guinéens auraient voulu que
l’évolution politique de la Guinée se réalisât sans aucune perte en vie, sans aucun
supplice corporel ou psychique, sans aucun dommage quelconque. »

184
de 50 000 est orienté et excessif», 236 soutient-il. Il met au compte d’une
‘’volonté personnelle de vengeance’’ son exploitation par des auteurs comme
Alsény René Gomez 237 . Tayiré Diallo estime que ces données ne résultent
d’aucune ‘’enquête approfondie et impartiale’’. Il ajoute que même dans les
pays qui ont été en proie à de sanglantes guerres civiles, une telle hécatombe n’a
été que rarement enregistrée.
Nous pensons pour notre part que les chiffres et conclusions avancés par les
différentes parties ont du mal à s’arracher des passions et des sentiments.
L’exercice qui consiste à mesurer juste n’entre pas dans leurs préoccupations
respectives. Des indicateurs s’imposent du reste lorsqu’on s’emploie à examiner
le sujet avec lucidité. Le premier renvoie à la mise en garde proférée par André
Lewin selon laquelle dans la gestion du pénitencier du Camp Boiro et des autres
centres de détention : « on ne saurait oublier des milliers de prisonniers obscurs
ou inconnus, parfois arrêtés sans même savoir pourquoi ». Le diplomate
français a peut-être raison, car ces prisons accueillaient des individus
appartenant à toutes les catégories socio-professionnelles. Des pêcheurs,
cultivateurs, menuisiers, chauffeurs, soudeurs, simples soldats, élèves… étaient
incarcérés pour des mobiles divers qui n’avaient parfois rien à voir avec la
politique comme : ‘’sortie et entrée clandestines du territoire’’, ‘’destruction de
la photo du PRG (Président de la République de Guinée NDLA)’’, ‘’lettre
anonyme’’, ‘’coups et blessures volontaires’’, ‘’détournement de deniers
publics’’, ‘’trafic de cartons de cigarettes’’, ‘’corruption passive’’, ‘’vol de riz
au marché Madina’’... Un document datant du 27 octobre 1977 (voir annexe),
comportant les noms de 62 personnes condamnées pour ces différents délits
peut servir d’exemple pour l’attester. Toutes les catégories citées plus haut y
sont représentées. Mais si certains prisonniers ne ressortaient pas vivants du
camp, ils n’y mouraient pas tous non plus.
Le second point à noter est le caractère multiethnique de la liste, excluant
toute idée de persécution de quelque groupement humain que ce fut. Toutes les

236
André Lewin parle de « trois à quatre mille morts »parmi lesquels figureraient :
« 27 ministres, 17 ambassadeurs, 31 officiers, 36 hauts cadres ». Le reste serait
composé, selon lui, « de milliers de personnes obscures ou inconnues ». Toute la
question est de savoir d’où tire-t-il ces chiffres parce qu’il ne le précise pas.
(op.cité Tome 8, P.128). Autre question : le petit peuple faisait-il davantage les
frais des purges que l’élite politique et intellectuelle ?
237
Dans son livre Camp Boiro, parler ou périr, éd. Harmattan Guinée, Gomez a dressé
une liste de 704 noms au total représentant le nombre de personnes arrêtées,
décédées, libérées. Un chiffre significatif à plus d’un titre quand on sait qu’il est
avancé par un homme qui eut accès aux archives du Camp Boiro immédiatement
après le 3 avril 1984. On ne surprendrait personne non plus en affirmant que son
intention était de dresser la liste la plus longue possible. Mais s’abritant derrière
la rhétorique bien connue, la liste serait complétée, bien sûr selon l’ancien
secrétaire général de la présidence par « d’innombrables victimes inconnues ».

185
communautés constitutives de la nation guinéenne y sont représentées. On y
relève également un pourcentage non négligeable de ressortissants de pays
voisins (Sénégalais, Gambiens, Ivoiriens…) surpris aux frontières ou entrés
illégalement sur le territoire.
Mais par-dessus tout, la minutie avec laquelle la liste a été établie, les
précisions concernant chaque cas, prouvent pour tout le moins que
l’administration du camp disposait d’archives parfaitement tenues. Il est permis
d’affirmer que des listes identiques ont dû être dressées tout au long de la
période révolutionnaire au fur et à mesure que la situation s’y prêtait. Toute la
question est de savoir s’il est encore possible de les retrouver afin de reproduire
dans son intégralité ou le plus largement possible les noms des prisonniers
politiques incarcérés sous la Première République.
Dans le même ordre d’idée, le CMRN avait annoncé l’organisation du procès
des anciens dignitaires. Un engagement sur une question majeure qui n’a pas
été respecté. Finalement, les promesses visant à débrouiller les sujets qui
continuent de déchirer l’opinion nationale n’ont pas été tenues.
On assista au bout du compte à ce scénario troublant : des anciens
tortionnaires réputés pour leur zèle et leur sadisme devinrent de proches
collaborateurs de quelques nouveaux dirigeants ou des marabouts attitrés
d’autres.
En définitive, l’énigme portant sur le Camp Boiro et tant d’autres centres de
tortures risque de ne jamais être élucidée entièrement. Elle continuera sûrement
pendant longtemps de susciter de longues polémiques. Les accusations et les
démentis proférés dans des milieux aux vues et aux intérêts contradictoires
seront inévitablement des facteurs de désinformation. Or si les données
receuillies et les différents rapports produits en 1984 au lendemain de la chute
du régime du PDG avaient été publiés, nul doute que des avancées notables
auraient été enregistrées dans la recherche de la vérité historique. Il faut espérer
malgré tout que cette histoire sera écrite un jour avec le maximum d’objectivité.
Pour l’instant, l’hégémonie médiatique, la force économique et les appuis
extérieurs d’une des tendances, rendent le débat très déséquilibré.
Or, la nécessité s’impose de recupérer tous les morceaux perdus de notre
histoire pour la connaître. Hélas, on continue de voir les choses différemment.
Finalement, on a eu l’impression que les effluves du pouvoir avaient vite fait
de s’exhaler autour des nouveaux dirigeants. Ceux-ci étaient désormais, plutôt
soucieux de se positionner que de prendre les mesures énergiques dénotant une
réelle volonté de changement.
Dans cette quête effrénée de puissance, il devenait évident qu’au sein de
l’appareil, la certitude s’installait dans les esprits que l’on ne pouvait i’élever
qu’au prix des victimes que l’on parviendrait à faire dans son propre camp.

186
Avec l’exercice du pouvoir, les conflits d’intérêts égoïstes prirent le pas sur
toute autre préoccupation. Des contradictions profondes opposèrent les
membres du CMRN et du Gouvernement.

La situation devint très rapidement intenable. Le colonel Lansana Conté,


dont la mainmise sur l’armée et l’appareil d’Etat s’était accrue, en profita pour
réagir dans le sens que lui dictaient ses intérêts et ses amis. Il le fit à travers une
déclaration radiotélévisée en date du 18 décembre 1984.

187
CHAPITRE VIII

L’ordonnance n°329/PRG/84 du
18 décembre 1984 suppression
du poste de Premier ministre
Les longs règnes de la plupart des premiers dirigeants des Etats africains ont
été caractérisés par une remarquable stabilité ministérielle.
L’accession à la fonction ministérielle était le plus souvent synonyme d’une
présence quasi-permanente dans l’équipe gouvernementale. Dans notre sous-
région, les présidents Houphouët Boigny, Senghor, Modibo Keïta 238 …
gardèrent, jusqu’au bout, un nombre important de leurs compagnons de la
première heure.
Sékou Touré ne fit pas exception à la règle. Le 3 avril 1984, jour du coup
d’Etat qui a porté l’armée au pouvoir, le gouvernement guinéen comptait,
encore dans ses rangs, plusieurs personnalités nommées sous le régime de la
Loi-cadre239 ou dès les premières années de l’indépendance. Il en était ainsi du
Premier ministre Lansana Béavogui, des ministres Moussa Diakité, Ismaël
Touré, N’Famara Keïta, Fodé Mamoudou Touré, Abdoulaye Ghana Diallo,
Lansana Diané, Salifou Touré, Toumany Sangaré… pour ne citer que les plus
connues. Celles qui en faisaient partie depuis quinze, dix ans étaient
représentées en grand nombre à l’instar de Mouctar Diallo, Mamady Keita,
Sénainon Béhanzin, Mamouna Touré, Fily Cissoko, Galéma Guilavogui, Sikhé
Camara, Abdoulaye Diao Baldé, Boubacar Lombonna Diallo…
Le Chef de l’Etat aimait à s’entourer de visages connus. Hormis ceux qui
prenaient le chemin des prisons de la Révolution ou disparaissaient de mort
naturelle, le nombre de ministres, ayant perdu leurs postes pour d’autres raisons,
est resté relativement limité.

238
Premiers chefs d’Etat respectivement de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Mali.
239
Gouvernement mis en place le 14 mai 1957 en application de la Loi cadre Gaston
Defferre. Votée le 23 juin 1956, elle a accordé la semi-autonomie aux colonies
françaises d’AOF et d’AEF. Vainqueur des élections organisées dans le cadre de
sa mise en œuvre, le P.D.G. avec 56 sièges (57 après le ralliement d’un élu
indépendant) sur les 60 que comptait l’Assemblée territoriale, acquit le droit de
former le Conseil du gouvernement semi-autonome du territoire.

189
Avec son successeur, c’est le scénario contraire. Lansana Conté a affiché son
intention de marquer son territoire dès ses premiers pas sur la scène politique.
D’ailleurs, les changements de poste, les limogeages intempestifs et les
nominations en cascade deviendront, à partir de cette époque-là, la clé de voûte
du système Conté 240 . Rien qu’en 1984, le pays connut deux équipes
gouvernementales.
Le 18 décembre, en effet, un discours du nouveau président préparé avec
grand soin par des conseillers occultes, dont des opposants à Sékou Touré,
nouvellement rentrés d’exil fut diffusé dans le journal de la RTG à 20 heures.
Le colonel Lansana Conté y dénonça « l’incompétence et la corruption notoire
qui sont en train de gangréner le système ». Il s’en alarma dautant plus que « la
branche est pourrie. Alors, il faut la couper », martela-t-il. Le président estima
qu’« au-delà d’un certain niveau de responsabilité faire passer son intérêt
personnel avant celui du pays est impardonnable ».
Aussi « en tant que Président de la République et Président du Comité
Militaire de Redressement National et « après consultation du Bureau Exécutif
National », les mesures suivantes entraient en application : « Il est mis fin aux
fonctions de l’actuel gouvernement. Un nouveau gouvernement est constitué.
Le poste de Premier ministre est supprimé ». Revenant plus en détail sur ce
dernier point, le président a precisé à l’aide de cette formule lapidaire :
« j'assume personnellement à partir d'aujourd'hui, les fonctions de Chef du
gouvernement et de Ministre de la Défense nationale et de la Sécurité.»
Le remaniement est marqué par le limogeage de tous les ministres
soupçonnés d’avoir manqué de loyauté envers le chef de l’Etat ou qui ne lui
inspiraient plus confiance.
Le 18 décembre 1984 correspond ainsi au début de l’opération déclenchée
par le colonel-président pour se débarrasser des personnalités jugées
encombrantes parmi celles avec lesquelles, il avait pris le pouvoir. Pour
d’aucuns, le 18 décembre avait été le « Foulaya » de Lansana Conté241.

240
Ces mouvements sont devenus la marque de fabrique de l’administration
guinéenne où tout fonctionnaire ne disposant pas de solides appuis dans les sphères
dirigeantes doit considérer chaque jour passé à son poste comme le dernier.
241
Allusion au séminaire organisé par le PDG dans cette station agronomique située
à 7 km de Kindia, à la veille de son 6e Congrès en 1962. A cette occasion, une
tendance ayant pour chefs de file Jean Faraguet Tounkara et Bangaly Camara,
s’était prononcée en faveur de la séparation des fonctions de secrétaire général du
parti et de président de la République. Après l’échec de la tentative, les deux
hommes furent écartés du gouvernement et de l’instance dirigeante du Parti. Ils
seront arrêtés en 1965. Bangaly Camara mourra en prison et Jean Faraguet
Tounkara sera libéré qelques années plus tard.

190
Au nombre des grands brûlés qualifiés par le président de « branche
pourrie » se trouvait le capitaine Fodé Momo Camara242.
Pour celui-ci, le remaniement « aurait été inspiré le mois de juin précédent
par Faciné Touré et Mohamed Traoré ». Les signes avant-coureurs du
‘’séisme’’ tel qu’il l’appelle, seraient apparus pendant le séjour en Guinée de
Christian Nucci. Le ministre français de la Coopération était accompagné d’une
ribambelle de journalistes, dont Jean Claude Pomonti, de l’hebdomadaire ‘’Le
Monde Diplomatique’’.
Dans son reportage, ce dernier aurait fait mention de l’imminence d’un
remaniement ministériel en Guinée, marqué par la suppression du poste de
Premier ministre et la désignation de quatre ministres d’Etat. Diarra Traoré, qui
s’était procuré un exemplaire du journal, l’aurait exhibé en plein Conseil des
ministres. Mais l’information avait été démentie par le colonel Lansana Conté :
‘’Simples ragots de journaliste en mal de sensation’’, aurait-t-il dit. Le président
de la République avait exclu toute idée de changement d’équipe ministérielle
avant un an. Un mois et demi plus tard, il passait à l’action. Fodé Momo Camara
dénonce cette mesure qu’il considère comme un « coup d’Etat, travail
fractionnel, violation des attributions du CMRN ». Il estime que le chef de l’Etat
« n’avait pas le droit de prendre cette décision ». Un point de vue que partage
Bago Zoumanigui pour qui : « Lansana Conté a fait un coup d’Etat en
supprimant le poste de Premier ministre ». Or, ajoute-t-il, « ce poste avait été
créé par le CMRN pour éviter les erreurs du passé. Nous ne voulions plus de la
concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme. Nous options pour
un président, chef de l’Etat, définissant les grandes orientations avec, à son
côté, un Premier ministre appelé à veiller à leur exécution ».
Mais, ce scénario, poursuit-il, « ne marche pas dans nos Etats où le numéro
deux est souvent promis à la décapitation ». Surtout, ajoute le colonel Bago
Zoumanigui, qu’ « entre-temps, Lansana Conté était devenu très fort ». Il ne
pouvait s’empêcher de procéder à la mise à mort symbolique d’un Premier
ministre qui, de surcroît, n’assumait plus la plénitude de la charge depuis
longtemps. Mais, insiste le colonel Zoumanigui : « l’équipe remaniée le 18
décembre par Conté était le fruit de la volonté collective du CMRN. Lansana

242
Fodé Momo Camara sera nommé peu après ambassadeur de Guinée à Genève.
Rappelé trois ans après, il est abandonné à lui-même. Après de nombreux appels
du pied en direction de son « ami de trente ans » et ne voyant rien venir, il se mit
à faire le tour des rédactions pour livrer sa «…Part de Vérité sur le 3 avril 1984».
De nombreuses fois, il fut, selon Faciné Touré, convié par ses pairs à se taire. Mais
il répondait invariablement à ses interlocuteurs ne pas comprendre les raisons pour
lesquelles on l’avait limogé. Il n’en demeure pas moins, comme cet essai le
prouve, que les témoignages (parfois discutables, disent ses anciens compagnons
d’armes) de celui qui a accédé au grade de général en 2009 (réhabilitation
suprême) contiennent de précieuses indications sur le changement opéré en
Guinée, le 3 avril 1984.

191
Conté n’avait pas le droit, à lui tout seul, de la modifier sans aucune
concertation avec ses pairs ».
Selon lui, on ne peut douter que « Lansana Conté ait concocté son projet en
collaboration avec l’aile dure du CMRN, une tendance incarnée en grande
partie par des officiers issus de son clan ».
Mais, par-dessus tout, le remaniement a mis sur la place publique ce que
certains de ses compagnons avaient tendance à ignorer, à savoir l’envol de
Lansana Conté vers le summum du pouvoir.

LA MÉTAMORPHOSE DE LANSANA CONTÉ


Personnage discret et, jusqu’au 3 avril 1984, peu connu malgré ses fonctions
de chef d’Etat-major adjoint de l’armée de terre, le colonel Lansana Conté, huit
mois après le coup d’Etat, était solidement ancré à la tête de l’Etat et il avait
bien l’intention d’y rester.
Il avait mis à profit le temps écoulé pour asseoir son régime. Le sentiment
du « provisoire » est franchi. Les fêtes du 2 octobre 1984 célébrées avec faste
consolidèrent le sentiment de légitimité reconnu à son pouvoir.
La visite en Guinée de chefs d’Etat, notamment de Guinée Bissau ou de la
Sierra Leone, la succession à Conakry des délégations de haut de niveau du bloc
occidental étaient pour les observateurs la preuve que la Guinée était désormais
de retour à part entière dans le concert des nations.
En moins d’un an d’exercice du pouvoir, le personnage s’était littéralement
métamorphosé. Il n’était plus l’homme que l’on connaissait jusqu’ici, c’est-à-
dire débonnaire et humble. C’est désormais un potentat rusé et ambitieux qui
était en train de naître à Conakry. Grisé par sa nouvelle dignité, l’obséquiosité
de son entourage lui était agréable et il n’avait plus dès lors qu’une seule idée
en tête : conserver le poste conquis à la faveur des circonstances exceptionnelles
qui lui ouvrirent le chemin du pouvoir.
Face à cet état de fait, un remaniement ministériel tendant à sortir des limites
du partage effectué au lendemain du 3 avril 1984 s’imposait. Il fallait surtout se
débarrasser de cet encombrant Premier ministre qui avait du mal à se tenir dans
son ombre et dont les interventions avaient dressé contre lui la plupart des
Guinéens. Ce Premier ministre détesté par ses amis les plus fidèles et qu’il
craignait par-dessus tout de le voir un jour user de sa position pour tenter de lui
ravir le sceptre.
Sidiki Kobélé Keita affirme que le président était de plus en plus agacé par
la présence d’un Premier ministre à ses côtés. Une présence donnant à penser à
l’existence d’un bicéphalisme, dont il ne pouvait plus continuer de
s’accommoder. De guerre lasse, Lansana Conté s’appuya, pour ce faire, sur les
faucons de son camp et finit par avoir la tête du Premier ministre à la faveur de
l’ordonnance du 18 décembre 1984.

192
Toutefois, le président, convient-il de le signaler, avait prévu, dès l’aube de
son avènement à la tête de l’Etat, que l’équipe gouvernementale serait soumise
à de fréquents changements jusqu'à obtenir l’équilibre indispensable à son bon
fonctionnement. Le colonel Lansana Conté avait déclaré en substance : « Nous
la remanierons jusqu’à pouvoir trouver une équipe capable de sortir le pays du
marasme243». Mais, le remaniement du 18 décembre avait-il été motivé par cet
unique souci ? Ils sont nombreux à l’interpréter, au contraire, à l’aune de la
stratégie du président et de ses compagnons avec lesquels il entretenait une
certaine proximité ethnique d’écarter les brebis galeuses et surtout les éléments
porteurs de danger potentiel pour pouvoir régner en paix. Il avait pris dès lors
l’allure d’une véritable chasse aux sorcières.
Avec ce remaniement, les officiers appartenant au même groupe ethnique
que le colonel Lansana Conté devinrent prépondérants au sein du gouvernement
et du CMRN. Ils contrôlaient désormais plus de la moitié des postes clés de la
nouvelle administration. Les officiers malinké en furent réduits à la portion
congrue et ne représentaient plus que 11 % des effectifs244.

SUPPRESSION DU POSTE DE PREMIER MINISTRE


Ce sont, en effet, surtout les ministres originaires de la Haute Guinée qui
firent les frais du remaniement du 18 décembre 1984. Presque tous furent
limogés ou perdirent les positions importantes qu’ils occupaient245. Le capitaine
Baourou Condé, ministre du Plan et de la Statistique, fut éjecté du
gouvernement en même temps que ses collègues, le commandant
Abdourahamane Kaba246 (Transports), les capitaines Oumar Kébé (Commerce
Extérieur), Youssouf Diallo (Travaux Publics), Mohamed Lamine Sakho
(Industrie)… Abraham Kabassan Keita, déchu du grand ministère de l'Energie
et du Konkouré, fut ravalé au rang de secrétaire d'Etat à l'Artisanat.
Le portefeuille de la Défense Nationale fut retiré au capitaine Lansiné Keïta
dit Fangama, nommé ministre-secrétaire permanent du CMRN. Le décret avait
placé l’armée directement sous la tutelle du président de la République, adjoint
d’un secrétaire d’Etat, en la personne du commandant Ousmane Sow.

243
C.F.M., op.cité, p.191.
244
Etude réalisée par Amadou Bano BARRY dans Les Violences collectives en
Afrique, Paris, Hamattan, 2000.
245
Parmi les ministres limogés figurait Kémoko Keita, originaire de la Haute Guinée,
titulaire du portefeuille des Finances et ancien directeur général des Douanes. En
revanche, tous les ministres civils issus des autres régions naturelles ont été
maintenus.
246
L’un de ces hommes sera nommé gouverneur de la province de Boké (capitaine
Kébé), tandis que les deux autres ont été retrogradés aux fonctions de préfet
(Baourou Condé à Pita, Abdourahamane Kaba à Guéckédou).

193
Le CMRN ne fut pas épargné non plus par le coup de balai opéré par le
Colonel Lansana Conté. Plusieurs de ses membres furent limogés à l’instar de
Fodé Momo Camara, Mohamed Lamine Sacko, Pathé Barry, Sékou Touré et
Abdourahamane Kaba.
Mais sans ambages, la principale victime du mouvement ministériel a été
Diarra Traoré. L’ordonnance mit fin au binôme Lansana Conté-Diarra Traoré,
formé au lendemain du coup d’Etat.
L’ancien numéro deux de la junte n’était plus que l’un des quatre ministres
d’Etat du nouveau gouvernement, chargé de l’Education Nationale. Tous ceux
qui étaient inconsolables ou furieux de voir un malinké occuper une position
aussi élevée dans la nouvelle administration, retrouvèrent le sourire après sa
retrogradation.
Les autres ministres d’Etat étaient : les capitaines Faciné Touré (Affaires
Etrangères et Coopération) ; Baldet Mamadou (Réforme Administrative et
Fonction Publique), et Jean Traoré (Ressources Naturelles et Environnement).
En apparence, les trois hommes et le nouveau titulaire de l’Education
Nationale représentaient chacun l’une des quatre régions naturelles du pays.
Deux des trois avaient en outre la réputation d’être des proches, des fidèles du
président. Une lointaine et solide amitié les liait au colonel Lansana Conté. Elle
n’avait d’égale peut-être que l’aversion ou la méfiance que leur inspirait leur
collègue de l’Education Nationale.
La formation du second gouvernement Conté fut caractérisée aussi par une
innovation majeure : la création d’un Secrétariat d’Etat chargé des Guinéens de
l’Etranger. Un Guinéen de la diaspora, en l’occurrence, Jean Claude Diallo,
ancien étudiant en République Fédérale d’Allemagne avait été nommé pour le
diriger. Depuis le 2 octobre 1958, il fut le premier Guinéen entrant d’exil à faire
partie directement du gouvernement247.
Tout en ignorant les circonstances dans lesquelles le président avait fait sa
connaissance, nous retiendrons cependant que, quelques jours plus tôt, Lansana
Conté lui avait accordé une longue interview en sa qualité d’envoyé spécial d’un
magazine ouest-allemand. Paroles prémonitoires : Diallo s’était alors présenté
sur ce ton : « Je suis un Guinéen de la diaspora ». Le chef de l’Etat avait rétorqué
en laissant entendre que : « la Guinée se construit aussi bien avec les Guinéens
de l’intérieur qu’avec ceux de l’extérieur. » C’était le début d’une lune de miel
qui sera malheureusement de courte durée.

247
D’aucuns objecteront que Fodéba Keita et Ismaël Touré l’avaient précédé dans ce
registre. Mais, le gouvernement de la Loi Cadre, dont ils firent partie à cette
occasion, fut constitué le 14 mai 1957, avant la date formelle de l’indépendance
de la Guinée. En outre, les deux hommes avaient figuré dans les listes du P.D.G-
R.D.A aux élections territoriales du 31 mars 1957.

194
La position personnelle du président sortit renforcée du remaniement du 18
décembre 1984. Lansana Conté cumulait désormais les fonctions de chef du
gouvernement et de président du Comité Militaire de Redressement National248.
L’homme était en passe de devenir le maître incontesté de la Guinée.
Pour Fodé Momo Camara, les causes de la tentative du coup d’Etat du 4
juillet 1985 ne sont pas à chercher ailleurs. Bago Zoumanigui pense pour sa part
que l’éviction de Diarra Traoré du poste de Premier ministre a été vécue comme
« une humiliation par le clan malinké ». Fodé Momo Camara enfonce le clou
en ajoutant que ce remaniement était à « l’origine du désordre que nous vivons
aujourd’hui ».
De toute façon, ses conséquences ne vont pas tarder à se manifester. Selon
Faciné Touré, pourtant un des principaux bénéficiaires du « séisme », le malaise
réel et persistant qui minait les rangs de l’armée s’est amplifié. Le mois de
janvier qui a suivi a été marqué par l’exacerbation des conflits internes au sein
de la direction du pays. L’harmonie dans le fonctionnement du CMRN avait été
mise à rude épreuve.

DES CONCILIABULES SONT DÉNONCÉS


L’aile dure du mouvement reproche ouvertement à certains de ses membres
le laxisme observé vis-à-vis des dignitaires de l’ancien régime. Des
informations circulaient selon lesquelles les compagnons de Sékou Touré
bénéficieraient d’un traitement de faveur en prison. Ils recevraient des vivres et
des médicaments de leurs anciens obligés évoluant dans les sphères du nouvel
appareil étatique. Une situation jugée "inacceptable"249, note cet ancien membre
du CMRN.
Mais il était surtout question de conciliabules, de réunions secrètes que les
membres du CMRN et du gouvernement d’origine malinké tiendraient
régulièrement.
Les noms d’Abraham Kabassan Keïta, Mamadi Bayo et surtout Diarra
Traoré sont mis en avant par Faciné Touré pour désigner les grands animateurs
de ces rencontres250. Alerté, le président aurait, dit-il, mis ces hommes en garde
à plusieurs reprises. Pour Lansana Conté, les sessions du Conseil des ministres
offraient une tribune idéale à chaque membre du gouvernement pour
s’exprimer. Se faisant du souci pour les intentions malveillantes prêtées à Diarra
Traoré à l’encontre de son mari, Madame Henriette Conté aurait entrepris elle-

248
Il faut signaler que le 5 avril 1984, si Lansana Conté avait été cité en tête des
membres du CMRN, l’ordonnance ne précisait pas pour autant qu’il en était le
président. C’est une ordonnance en date du 18 décembre 1984 qui lui a conféré ce
titre. Celle-ci a été marquée également par l’entrée de nouveaux membres au sein
de l’institution.
249
Entretien de l’auteur avec Faciné Touré.
250
Causerie avec l’auteur.

195
même une démarche de bonne volonté auprès de la première femme du Premier
ministre251. Elle lui proposa d’unir leurs efforts pour restaurer la confiance entre
leurs époux. Mais, selon toute vraisemblance, ces gestes d’apaisement
n’auraient guère produit l’effet escompté. En ce début d’année 1985, la tension
était même montée d’un cran. Une escouade apparemment prête à tenter un
coup de force avait été appréhendée. Composée de seconds couteaux, elle avait
la particularité de regrouper surtout des malinkés. La liste reproduite ci-
dessous a tendance à le confirmer :
Namandjan Traoré, inspecteur de Police
Oussou Keita, officier de l’Aviation militaire
Noumory Kourouma, officier de l’Aviation militaire
Fassriman Traoré, officier de la Marine
Nouhan Keita, officier de L’Armée de Terre (BQG)
Ibrahima Khalil Camara, officier de la Marine Nationale
Nouhan Condé, en service au (BQG)
Mamoudou Keita, transporteur à Conakry
Djiba Keita, transporteur à Conakry
Elhadji Bakary Keita, officier en service au BSC/Camp -Alpha Yaya.
Fodé Djoumessy, officier de la Marine Nationale
Siaka Dansoko, en service au Bsc/Camp Alpha Yaya Diallo
Naman Keita, de l’Aviation militaire (Pilote)
Nounquet Bayo, officier en service au BQG
Nansédi Magassouba, en service à la Marine Nationale
Moussa Keita, adjudant en service au BQG
Lanfia Keita, en service à la Marine Nationale
Mamadi Condé, en service à la Marine Nationale
Mohamed Condé, officier de l’Aviation militaire
Djibril Kaba, officier de l’Aviation militaire
Mamadi Doumbouya, en service à l’Aviation militaire
Sékou Kaba, officier de la Marine Nationale
Bandjan Koulibaly du BATA/BSC
Mandé Diakité, adjudant en service au BQG
Sékou Traoré BATA, adjudant-chef au Camp Alpha Yaya
Kassoulé Sidibé de la Marine Nationale
Mamadi Toyah Condé, officier de l’Aviation militaire

251
Entretien avec Ibrahima Dioumessy.

196
Fodé Dioumessi de la Marine Nationale
Chérif Haidara, marabout
Djiba-Djan Douno, artiste du Ballet National Djoliba à Conakry252 …
Ces militaires, paramilitaires et leurs comparses vont vite recouvrer la
liberté. Ils furent ensuite autorisés à rejoindre leur corps d’origine. Cet épisode
est considéré cependant comme un coup de semonce par le pouvoir. Il décide
d’être d’autant plus sur ses gardes que ces éléments n’étaient visiblement que
des lampistes. Derrière eux se cachaient les gros poissons qu’il fallait chercher
à mettre hors d’état de nuire le moment venu. De toute façon, ce coup d’Etat
écrasé dans l’œuf fut interprété par les proches du président comme l’expression
du mécontentement des malinkés d’avoir perdu le pouvoir.

L’ASSASSINAT DU CAPITAINE MAMADY MANSARÉ


Le meurtre de sang-froid du fringant capitaine, Mamady Mansaré, avait été
l’élément déclencheur de ce climat de suspicion. Il est intervenu dans un
contexte qui n’a pas cessé de se dégrader dès les premiers mois de l’existence
du nouveau pouvoir. Une période éprouvante pour la communauté de la Haute
Guinée.
En effet, au lendemain du 3 avril 1984, les critiques et les quolibets à
l’endroit des malinkés fusèrent, nombreux et bruyants. Le gouvernement du
PDG, assimilé à la communauté, dont était issu le président Sékou Touré, avait
été accusé d’avoir pratiqué une politique raciste. On estimait de surcroît que ce
sont des médiocres qui étaient au pouvoir et favorisaient leurs parents. On
raillait l’esprit grégaire des malinkés se traduisant par la formule d’exclusion
qu’ils affectionnaient : « an gbansan dé 253 , (nous sommes entre nous) »,
résumant pour leurs contempteurs, l’ostracisme dont étaient frappées les autres
communautés.
Conséquence : après le putsch, la volonté des nouvelles autorités de mettre
un terme à ‘’l’hégémonisme’’ malinké fut manifeste dans l’armée. Très
rapidement, les bâtisseurs de la Deuxième République entreprirent la démolition
du socle sur lequel elle reposait. La fraternité, la convivialité et l’esprit de corps
firent place au sectarisme. Un ensemble de faits réels, vecteurs de frustration,
avait prouvé que l’union sacrée scellée le jour de la prise du pouvoir entre les
militaires s’effritait. Un climat de méfiance s’était installé autour de certains
individus à cause de leur appartenance ethnique. Les officiers malinkés, sans

252
Document dû à la courtoisie de Koffi Cissé.
253
Le général Faciné Touré évoqua le vocable ‘’an gbansan de’’ en 2011 comme
ayant eu force de loi sous la Première République en guise de réplique à un
journaliste déplorant que le CMRN ait laissé prospérer des associations à caractère
ethnique et régionaliste. De là à le considérer comme l’un des pères de la formule
ou en tout cas de l’avoir adoptée très tôt, n’y aurait-il qu’un pas ?

197
l’adhésion et la participation desquels le coup d’Etat paraissait très incertain, ont
été catalogués. On les observait d’un regard plein de suspicion. Des individus
que le mensonge n’a jamais dérangés en ont usé à satiété pour atteindre leur
objectif visant à écarter tel ou tel militaire malinké de la position qu’ils
convoitaient. Les mêmes pratiques auront cours au sein de l’administration où
elles se poursuivront jusqu’à la fin du règne de Lansana Conté. Des mesures
seront prises visant à réduire le rôle des malinkés dans le fonctionnement de
l’économie. La prétention qu’ils auraient à se croire meilleurs que les autres
devaient prendre un coup décisif et mourir de sa belle mort, disait-on dans ces
milieux.
Ce climat délétère ayant provoqué des frustrations, des tragédies furent
enregistrées.
En effet, c’est dans cette atmosphère que s’est produit l’assassinat du
capitaine Mamady Mansaré254, directeur de l’Ecole Militaire de Conakry. Le
bel officier aux manières avenantes avait été froidement abattu dans la matinée
du 19 janvier 1985 par le capitaine Abdoulaye Diallo, dit Parizot. Un militaire
taillé à la serpe qui avait perpétré son crime au domicile même de sa victime en
présence de sa famille effarée.
Les mobiles de ce meurtre n’ont jamais été élucidés. Le pouvoir n’a engagé
aucune action contre l’assassin avant qu’une certaine forme de justice
supérieure ne s’abatte sur lui. Ce n’était ni plus ni moins qu’un acte prémédité,
dont les commanditaires étaient en train de roder la machine à broyer les
Malinké qui n’allait pas tarder à se mettre en route. Un proche de l’ancien
Premier ministre rapporte que l’assassinat de Mansaré a mis celui-là dans tous
ses états. Le colonel pestait contre tous ceux qu’il croyait à l’origine du crime.
Il jurait que cet acte odieux ne resterait pas impuni.
Mais pour peu que Diarra Traoré sût lire les évènements, il devrait se douter
que, derrière ce crime, c’était sa personne qui était visée. Mansaré était
considéré à tort ou à raison comme un de ses hommes de main. Avant d’être
assassiné, le capitaine avait été soumis à de sempiternels interrogatoires portant
sur ce qu’il savait des agissements du Premier ministre déchu et de Fangama.

LA DÉMISSION DU CAPITAINE KABINÉ KABA


Quatre jours auparavant, les dissensions minant le nouveau pouvoir avaient
éclaté au grand jour avec la démission du gouverneur de la BCRG. Dans une
lettre ouverte, le capitaine Alpha Kabiné Kaba avait dénoncé « la mésentente et

254
L’auteur se souvient de ce bel homme au teint basané qui fut Officier-Major de
l’IPGAN (Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser (IPGAN), actuelle
Université du même nom) en 1971. Son beau visage d’ange ne laissait personne
indifférent. Le Lieutenant Mansaré provoquait pas mal d’émoi au sein de la gent
féminine sur le campus. Bon vivant, on ne lui connaissait pas d’ambition politique
au moment où il tombait sous les balles de son assassin.

198
la division créées et entretenues au sein de l’appareil gouvernemental. »255 Ses
détracteurs prétendront qu’il était à l’origine d’un ‘’détournement massif’’ pour
tenter de justifier sa décision et son départ du pays... Le 12 juin 1985, le tribunal
de Première Instance de Conakry 1 rendit un arrêt le reconnaissant ‘’coupable’’
du détournement de 500 000 000 de dollars US. Un mandat d’arrêt international
fut lancé contre lui. Le pouvoir reprochait en effet au capitaine Kaba de s’être
fourvoyé dans l’affaire dite des 1000 logements. Un projet portant sur la
signature entre l’Etat guinéen et la société Carfa Trade Group, le 18 octobre
1984, d’un protocole d’accord autorisant cette dernière à rechercher le
financement nécessaire à la réalisation des travaux. Des allégations que
l’intéressé qualifia de « mensongères » et que ses dénigreurs ne parvinrent pas
à prouver. Mais, l’ancien gouverneur de la BCRG dut s’exiler pour aller mourir
loin de son pays. Il eut le temps d’écrire qu’il n’avait pas quitté la Guinée « parce
que craignant une quelconque responsabilité, mais je redoutais plutôt la violence
des agents de sécurité chargés de me mettre en état d’arrestation. Il serait en
effet ridicule et dangereux pour moi de vouloir braver des agents au service d’un
régime sans foi ni loi. »256
Pour son ami, Fodé Momo Camara, la cabale montée contre le capitaine
Kaba a été déclenchée par des individus « aux appétits énormes, affamés et
assoiffés d’argent, qui pensaient que les fonds de la BCRG étaient leur propriété
exclusive. »257 Allusion à peine voilée aux sorties massives d’argent effectuées
à la Banque après le 3 avril 1984, malgré les vaines tentatives opposées à ces
opérations par le capitaine Kaba.

LANSANA CONTÉ — DIARRA TRAORÉ : UN ATTELAGE HÉTÉROCLITE


Il n’était dès lors un secret pour personne que l’unité au sein du CMRN était
en train de prendre eau de toutes parts. Dans cette logique, le ciel de la
cohabitation entre les deux premiers personnages du nouvel exécutif était de
plus en plus encombré de nuages. Les grenouillages de leurs courtisans
contribueront par la suite à creuser le fossé les séparant.
Le colonel Traoré se savait, détesté, épié, surveillé par les hommes du
président. De bonnes langues lui rapportaient parfois les propos les plus acerbes
des ‘’contéistes’’ dès qu’il avait le dos tourné. A certains moments, le Premier
ministre pouvait même lire l’absence de respect dans leurs yeux.

255
Pour le capitaine Kaba, d’entrée, « le colonel CONTÉ a érigé la division au sein
de la jeune équipe en système de commandement dans l’unique but de pérenniser
son règne. Six mois après la prise du pouvoir, il avait déjà réussi à opposer les
membres du Gouvernement les uns aux autres… Beaucoup d’innocents qui ne
s’occupaient que de leur travail en avaient fait les frais ».
256
Op.cité, p.8.
257
CAMARA Fodé Momo, op.cité.

199
L’entourage du président comprenait en effet des revanchards, incapables de
faire la différence entre leurs griefs personnels contre le régime du président
défunt et l’ethnie dont celui-ci était issu. Les affidés du Premier ministre, quant
à eux, n’avaient de cesse de lui seriner qu’il ne pouvait se contenter d’un rôle
d’éternel second. Ils estimaient surtout que Diarra Traoré devait mettre fin aux
couleuvres que lui faisaient avaler des individus ne l’atteignant pas à la cheville.
La collaboration entre les deux hommes ne pouvait être aisée dans un contexte
aussi suspicieux.
Le climat d’antagonisme entretenu par leurs féaux a fait que les hostilités se
sont ouvertes très tôt. Dès lors, un rapport de force s’est installé entre le
président et le Premier ministre. Ils ont moins fait figure de partenaires
potentiels que de concurrents en puissance. Dans les deux camps, on se
surveillait du coin de l’œil. Les deux hommes qui avaient sensiblement le même
âge ne semblaient pas, par ailleurs, avoir eu jusqu’ici la même chance. Par le
passé, un grand fossé avait existé dans certains domaines de la vie entre le chef
de l’Etat et son futur Premier ministre. Il ne pouvait que susciter des rancœurs.
C’est ainsi que, selon leur entourage, si les colonels Conté et Traoré étaient tous
amateurs de bonne chère arrosée de boissons fortes, mais c’est surtout le dernier
nommé qui avait toujours de quoi payer compte tenu de sa position dans
l’appareil d’Etat dont il ne pouvait que profiter à certains égards, tout en
suscitant l’hostilité et la jalousie de quelques compagnons d’armes.
Cependant, le denouement de la relation entre les deux hommes était un
phénomène récurrent sur le continent. Le sort subi par Diarra Traoré est
assimilable à celui de bon nombre d’autres principaux protagonistes des coups
de force militaires. Une lutte à mort entre les numéros un et deux issus des
pronunciamiento est le plus souvent inévitable. En d’autres termes, les tandems
formés au lendemain des coups d’Etat résistent rarement au temps.
Lansana Conté et Diarra Traoré ne l’ont pas démenti.

DES ORIPEAUX DE L’ANCIEN RÉGIME


Diarra Traoré était un personnage généreux, extravagant, un tantinet
superficiel. Avant sa nomination aux fonctions de chef du Gouvernement, il
donnait déjà l’impression d’être né sous une bonne étoile.
A l’inverse, le numéro un du CMRN, quoique mu par les mêmes penchants
hédonistes comme il le prouvera plus tard, a connu de longues périodes
d’insatisfaction et de privation.
Pour Amadou Mangatta Bangoura, le premier secrétaire général de la
Présidence sous l’ère Conté, et son ancien voisin, « le futur président a été
confronté à des problèmes pécuniaires récurrents avant que ne s’ouvre le
chemin du pouvoir ». Lansana Conté était handicapé aussi par son faible niveau
d’instruction.

200
Il était un médiocre orateur. Il déclamait péniblement ses discours avec la
même prosodie que le jeune écolier déchiffrant le syllabaire ou psalmodiant les
versets du coran. En revanche, Diarra Traoré, habitué aux grandes joutes
oratoires propres à la Révolution était un véritable tribun.
Ce faisant, le colonel Traoré appartenait à une cohorte d’officiers que
Lansana Conté et ses amis devaient regarder avec envie et qu’ils traitaient
désormais animés d’un esprit de revanche. Ils devraient les considérer comme
des oripeaux de l’ancien régime qui les avaient gavés de priviléges. Privilèges
acquis, estimaient-ils, en raison de leur appartenance à la même ethnie que
l’ancien président de la République. Ils attendaient donc le moment propice
pour se débarasser d’eux.
En un mot, les apparences comme certaines réalités n’ont pas contribué à
créer un climat favorable à une entente cordiale.
A n’en pas douter, les deux hommes formaient un attelage hétéroclite. La
rivalité, la tension et la guerre à mort étaient inévitables dans un tel contexte.

MAIS QUI ÉTAIT DIARRA TRAORÉ ?


Diarra Traoré est né en juillet 1934 à Kankan. Après ses études primaires et
un passage par le Cours Normal de sa ville natale, il fut admis à l’Ecole des
Enfants de Troupes de Kati. De futurs chefs d’Etat, auteurs de putshs qui les
conduiront plus tard au pouvoir, y furent ses condisciples. Il s’agit en
l’occurrence de Moussa Traoré (Mali), Mathieu Kérékou (Bénin) et Seyni
Kountché (Niger).
Diarra Traoré est rentré en Guinée au lendemain de l’indépendance avec le
grade de sous-lieutenant. Une position enviable dans une armée en gestation
dont l’officier le plus gradé avait le rang de capitaine.
Le truculent sous-officier va rapidement gravir les échelons. Son ascension
s’opère au double plan militaire et politique. En 1969, des cellules du Parti
dénommées Comités d’Unité Militaire (CUM) sont installées dans les casernes.
Le capitaine Diarra Traoré est élu président du CUM du Camp Almamy Samory
Touré. C’est l’époque où éclate le complot Kaman/Fodéba. Il est nommé attaché
militaire à l’ambassade de Guinée en URSS, au lendemain de ces événements.
Une décision interprétée par certains comme une mise à l’écart intelligente de
ce bouillant officier par le régime. Le retour en Guinée est en effet marqué par
la fin de la vie dans les casernes pour Diarra Traoré.
Toutefois, il exercera pour une courte période de six mois, la charge de chef
d’Etat-major de l’armée de l’Air avant de se consacrer, jusqu’au 3 avril 1984, à
des activités exclusivement politiques. Elles l’éloignèrent définitivement des
camps. Premier gouverneur de la nouvelle Région Administrative de Koundara,
son parcours le conduira ensuite à Pita, Macenta et Boké où il assumera les
mêmes fonctions. A ce poste, le colonel Traoré est membre de plain-pied de
toutes les assemblées du Parti. Diarra Traoré va en profiter pour s’illustrer à la

201
tribune des grandes réunions organisées par le PDG par le caractère enflammé
et dithyrambique de ses discours.
Le régime lui faisait-il pour autant confiance ? D’après des commérages, des
signes laissent à penser le contraire. Son ‘’exil’’ à l’intérieur du pays pendant
les dix dernières années du règne du président Sékou Touré prouverait, souffle-
t-on dans ces milieux, que le Colonel ne rassurait pas pleinement les autorités.
A ce sujet, il se murmure dans les cercles de la police qu’un ‘’honorable
correspondant’’ résident au Niger avait mis la puce à l’oreille du président à
propos des ‘’agissements’’ du Colonel. Par ailleurs, la gestion douteuse des
fonds publics dans certaines régions, notamment à Macenta, aurait provoqué
également l’ire de hauts responsables de l’Etat au point qu’il se retrouvât à deux
doigts de la prison258.
En dépit de ces accusations et méfaits, Diarra Traoré réussit cependant le
tour de force d’échapper aux mailles de la Révolution. Mais, devenu le numéro
deux du pays après le coup d’Etat du 3avril 1984, alors qu’il rêvait probablement
de se hisser au sommet de l’Etat, son destin, comme nous le verrons plus loin,
ne va pas tarder à basculer dans le vide. Pour commencer, sa présence au sein
de la nouvelle équipe dirigeante du pays était loin de faire l’unanimité.

« DIARRA N’ÉTAIT PAS UN ARTISAN DU COUP D’ÉTAT DU 3 AVRIL


1984 »
Cette phrase prononcée en maintes occasions par le général Faciné Touré est
révélatrice du sentiment que le ministre des affaires étrangères du CMRN et
plusieurs des fidèles du président éprouvaient à l’égard de Diarra Traoré au
lendemain de sa nomination au poste de Premier ministre. Visiblement, ces
hommes devraient nourrir une profonde aversion envers ‘’l’usurpateur’’, volant
au secours d’une victoire qui était le fruit de leur labeur.
Dans une interview accordée à la revue Matalana, Faciné Touré le dira sans
la moindre nuance : « Diarra ne faisait pas partie des artisans du coup d’Etat
du 3 avril 1984. Il dormait paisiblement dans une villa de la CBG et a rejoint
notre groupe seulement après la diffusion du premier communiqué. »259.

258
Un témoin rapporte à ce sujet avoir trouvé un matin le Commissaire Général de la
Révolution de Boké la mine totalement défaite dans son bureau. Le Dr Alpha
Oumar Barry, homme au grand cœur, incapable de faire du mal à son prochain ou
de le cautionner, s’interrogeait sur la conduite à tenir. L’ordre lui avait été donné
en effet de procéder à l’arrestation de Diarra Traoré alors gouverneur de Boké.
Celui-ci aurait été rattrapé par une affaire de détournement de fonds publics, dont
il se serait rendu coupable lorsqu’il était à la tête de la région administrative de
Macenta. Notre interlocuteur se demande encore aujourd’hui, comment Diarra
Traoré avait fait pour s’en sortir. (Entretien avec I S Kaba).
259
Entretien avec l’auteur

202
Il a évoqué le sujet quelques années plus tard avec l’auteur sur le même ton :
« Après le premier communiqué, le colonel Diarra Traoré, demeurant au
village CBG, avait été réveillé et informé par Kourouma Windo, alors
ambassadeur de Guinée à Bruxelles. Il s’était habillé pour venir d’abord au
Camp Samory, ensuite aux Usines Militaires où il avait trouvé des camarades
réunis ».
L’ancien médiateur de la République n’est pas le seul à soutenir cette thèse.
Elle est partagée par Fodé Momo Camara pour qui : « A la prise du pouvoir,
des officiers - les Diarra Traoré, Amadou Mangata, Sory Doumbouya-étaient
frustrés de n’avoir pas joué de rôle. Diarra Traoré était mal à l’aise de n’avoir
pas initié le coup. »260 « Personnellement, c’est après ma mission aux P.T.T.
que j’avais été surpris de trouver Diarra Traoré, Sory Doumbouya, Fodé
Doumbouya, Oumar Kébé, Makan Camara, Mansaré Abdoulaye. Le colonel
Doumbouya Fodé avait posé la question de savoir : « Comment pouvait-on
organiser un tel coup sans associer tout le monde ? » Personne n’avait
répondu261 ».
Le président du CMRN, non plus n’est pas resté muet sur la question. En
effet, les lendemains de bataille sont souvent propices aux grands déballages.
Ils offrent l’occasion au vainqueur de vider son sac et, dans sa rage, de dévoiler
tout ce qu’il sait de l’adversaire qu’il avait réduit à sa merci. Lansana Conté ne
fit pas exception à la règle le 7 juillet 1985. Dans le discours prononcé après
l’écrasement du putsch de Diarra Traoré, « l’ingrat » fut brocardé par le chef de
l’Etat qui dira que Diarra Traoré est devenu Premier ministre, puis ministre
d’Etat alors qu’il ignorait tous des péripéties qui ont conduit l’armée au pouvoir
le 3 avril 1984. Dès lors, le président se fit l’écho d’un véritable secret de
polichinelle, à savoir que la position de cet ‘’individu’’ en qualité de numéro
deux avait été fortement critiquée par la majorité des protagonistes du coup
d’Etat.

LE TÉMOIGNAGE DU COMMISSAIRE DIOUMESSI


Interrogé à ce sujet, le commissaire Dioumessi, membre de la Commission
d’Enquête constituée le 3 Avril 1984 par le CMRN, a émis un avis différent.
« Ces propos m’amusent et m’indignent à la fois », a-t-il dit. En fondant son
opinion sur des souvenirs remontant aux premiers instants du déclenchement du
coup d’Etat, il a indiqué : « Je me suis présenté le mardi 3 avril 1984 à 5h 30
au Camp Alpha Yaya où Diarra jouait déjà les premiers rôles. La porte d’entrée
du bureau du commandant du Camp transformé en Quartier Général de
l’insurrection était gardée par le capitaine Sékou Traoré, fusillé en 1985 et le
lieutenant Fassiriman Traoré, aujourd’hui amiral à la retraite. J’ai été
introduit dans la salle dès que mon identité a été révélée à ses occupants »,

260
Op. cité, Matalana, H.S. 01, P.84.
261
Ma Part de Vérité sur le 3 avril 1984, p.20.

203
affirme-t-il. Poursuivant son récit, notre interlocuteur a ajouté : « Le colonel
Diarra Traoré était installé dans le fauteuil derrière le bureau du commandant
du Camp. Le colonel Lansana Conté et le commandant Sory Doumbouya
avaient pris place sur des chaises situées à sa gauche et à sa droite. Visiblement,
le premier semblait diriger les opérations. Avec le sens de l’humour qui le
quittait rarement, le colonel Diarra s’est adressé à moi dès qu’il m'a vu sur ce
ton : « Que viennent faire les flics parmi nous » ?
« Nous venons répondre à votre appel », fut ma réaction. Je précise que
Lamine Diakité et Abdoul Salam Diallo, deux cadres de la police, m’avaient
précédé sur les lieux et sont en mesure de témoigner. C’est à cette occasion que
j’ai été chargé de procéder à la fermeture de tous les bureaux des ministres
déchus et de garder les clés jusqu’à nouvel ordre. La position du colonel Diarra
Traoré ne ressemblait en rien à celle de quelqu’un qui a pris le train en
marche ». Dioumessi, dit s’être rendu ensuite, en compagnie de quelques
collègues, au domicile du directeur général des services de police. L’objectif de
leur visite était, affirme-t-il d’inviter Hervé Vincent Bangoura262 à annoncer
publiquement l’adhésion de la police au mouvement déclenché par l’armée.
Dans ses efforts visant à infirmer l’assertion selon laquelle Diarra Traoré n’a
pas été un des artisans du Coup d’Etat du 3 avril 1984, l’ancien commissaire de
police a noté par ailleurs que « le commandant Sidiki Condé263 a, devant la
Commission d’Enquête du CMRN, déclaré que le colonel Diarra Traoré a été
le premier à lui demander de participer à un coup d’Etat pour renverser le
régime du P.D.G. C’est plus tard, a-t-il ajouté, que Faciné Touré est venu à son
tour lui en faire la proposition ».
De sources concordantes, on apprend, en effet, que dès son arrivée à Conakry
le 26 mars 1984 par un vol spécial affrété à l’intention de Fily Cissoko, membre
du BPN et commissaire général de la Révolution de Boké264 , Diarra Traoré
entreprit le tour des casernes. Sa volonté d’en finir avec le régime était d’autant
plus grande qu’il savait que cette issue était devenue inéluctable. Il avait décidé
par conséquent de prendre les devants surtout après sa rencontre avec le
président malien, le général Moussa Traoré.
Les autorités n’étaient pas dupes. Elles se doutaient bien du dessein qu’il
poursuivait. L’ordre fut donné de le mettre aux arrêts dès après les funérailles

262
Au cours de cette rencontre, le commissaire Dioumessi et ses collègues auraient
demandé au Directeur Général des services de police de se rendre au Camp Alpha
Yaya pour signifier à l’armée le ralliement de la police au coup d’Etat.
263
Commandant du Camp Alpha Yaya, il n’a pas voulu s’associer au coup d’Etat en
gestation.
264
Le Premier ministre Béavogui avait donné pourtant des consignes strictes pour
qu’aucune autre personnalité locale ne soit autorisée à emprunter ce vol. Se
méfiait-il déjà de Diarra Traoré et de sa présence à Conakry compte tenu de son
degré de nuisance potentiel ?

204
du président. Les services de sécurité qui veillaient au grain avaient alerté le
Premier ministre Lansana Béavogui de l’éventualité d’un mouvement au sein
de l’armée.
Le flash signé du directeur général des Services de Police, Hervé Vincent
Bangoura, désignait nommément le colonel Diarra Traoré comme le principal
instigateur de cette tentative de déstabilisation. Des informations que le Premier
ministre ne pouvait mettre en doute à cause de certains antécédents. En effet,
Diarra Traoré faisait partie du petit carré de responsables avec lesquels ses
relations étaient loin d’être au beau fixe. Béa subodorait dès lors les
prédispositions du colonel à tout mettre en œuvre pour lui barrer le chemin du
pouvoir.
Mais, était-ce la bonne piste ? De toute façon, les velléités prêtées à Diarra
Traoré motivèrent la rencontre entre le général Lansana Diané et les officiers de
l’armée dans la journée du 2 avril 1984. Elle eut lieu en effet, le jour où, semble-
t-il, le colonel Traoré et le commandant Sidy Mohamed Keita devraient être mis
aux arrêts conformément à une décision du BPN.
Par ailleurs, des témoins comme l’ancien fonctionnaire de la B.C.R.G et
futur ministre Kader Sangaré, allèguent pour leur part que Diarra Traoré a
contribué à la réussite du putsch en mettant ses relations à profit pour fournir au
mouvement des moyens logistiques importants. C’est lui qui aurait permis,
notamment d’acquérir par le biais d’un ami pétrolier, une bonne quantité du
carburant qui a été utilisé pour l’exécution des différentes manœuvres.

DIARRA N’A PRIS PART À AUCUNE RÉUNION ORGANISÉE AU CAMP


SAMORY
Malgré ces remarques, il est plausible, même certain que Diarra Traoré n’a
pris part à aucune réunion organisée au Camp Samory sous l’égide de Lansana
Conté et de ses amis. Gouverneur de région et membre du Comité Central du
PDG, celui-ci n’était plus dans l’active depuis une quinzaine d’années.
Toutefois, comme le fait remarquer le colonel Bago Zoumanigui, Diarra Traoré
partageait ce statut de défroqué de l’armée et le handicap de ne plus vivre dans
la caserne avec des officiers tels que Sory Doumbouya qui assumait les
fonctions de gouverneur de région, Faciné Touré, officier major à l’Ecole
Normale de Manéah, Fodé Momo Camara qui avait été, pendant plus d’une
dizaine d’années, officier d’ordonnance du Premier ministre 265 ou encore
Amadou Kouyaté, le responsable des services de renseignements. Mais, à la
différence de ceux-ci, Diarra Traoré n’était surtout pas en odeur de sainteté

265
Fodé Momo Camara est revenu dans les casernes seulement en février 1984. Il
avait évolué auparavant pendant douze ans au cabinet du Premier ministre
Béavogui, au poste de directeur de la Défense de la Révolution.

205
auprès des principaux protagonistes 266 de ces rencontres. Il agglomérait
l’hostilité que lui vouaient les uns et la méfiance qu’il inspirait aux autres. Son
passé, sa position dans l’appareil du Parti-Etat, ses fréquentations, voire son
naturel constituaient a priori des raisons suffisantes pour ne pas l’associer à un
tel projet, au goût de plusieurs d’entre eux. La question, examinée sous cet
angle, conduit indubitablement à la conclusion que le coup d’Etat du 3 avril
1984 a été préparé sans la participation de Diarra Traoré. De ce point de vue, il
ne saurait en être un des artisans. Il avait donc pris le train en marche, même si,
très rapidement, il s’est installé dans les premières loges.
Cependant, au moment du putsch, la situation en Guinée devrait ressembler
à celle de bon nombre de pays où, après la disparition de l’homme fort, ses
héritiers s’avèrent incapables de maîtriser le cours des choses.
Aussi l’auteur du coup d’Etat auquel tout le monde peut s’attendre dans de
telles circonstances pouvait-il venir de partout, de l’armée ou de ses périphéries.
Des officiers, autres que ceux qui ont choisi Lansana Conté comme chef de file,
ont dû songer, eux aussi, à prendre le pouvoir.
On peut estimer, dans ces conditions, que les partisans de Lansana Conté
étaient les mieux organisés, les plus nombreux ou que tout simplement, ils ont
été les premiers à dégainer. Cette hypothèse ne doit pas occulter l’existence
d’autres clans déterminés à prendre le pouvoir à la mort de Sékou Touré. Diarra
Traoré était certainement à la tête de l’un de ces groupes mis en appétit par les
événements, formés spontanément, séparément et tous mus par le même objectif
tendant à renverser le régime du PDG.
Les uns et les autres ont eu la sagesse de se diluer dans la même eau dès que
l’opération a démarré pour procéder ensuite au partage du butin. De toute façon,
le 3 avril 84, le CMRN a été le premier à louer l’unité de l’armée. Il l’a fait dans
tous ses communiqués. L’unité a été, en effet, la pierre angulaire de la réussite
du putsch. Les uns ont parlé à la Radio, les autres se sont emparés du dépôt de
carburant (A.P.T.), des Télécommunications, de l’Energie ; sans rencontrer de
résistance parce que celle-ci ne pouvait provenir que de groupes rivaux issus
éventuellement de l’armée. En termes clairs, lorsqu’une force potentielle
susceptible de faire contrepoids se joint à vous, il n’est pas juste à l’heure des
comptes de considérer son rôle comme quantité négligeable. Que dire par
exemple de ceux-là qui ont distrait le régime en le poussant à privilégier de
fausses pistes ?
L’action des uns aurait-elle abouti si les autres s’y étaient opposés ? C’est
sous l’angle de cette dialectique qu’il convient de prendre les choses et éviter
toute forme d’exclusion ou d’autocommémoration. En un mot, aussi bien les
auteurs des premières salves que ceux-là qui ont renoncé à leurs projets pour se

266
Le colonel Faciné Touré ne pense-t-il pas à des officiers comme Diarra Traoré
lorsqu’il affirme : « Nous nous sommes abstenus de tout contact avec ceux qui ne
nous inspiraient pas confiance? ».

206
joindre aux premiers sont des artisans authentiques du coup d’Etat du 3 Avril
1984.
La sagesse qui prédomina permit d’exorciser le spectre de la guerre civile
brandi officiellement par les auteurs du putsch pour le justifier. Si quelques
groupes, en effet, n’avaient pas tu leurs ambitions en accordant la primauté à la
cohésion au sein des forces armées à un moment où la tentation d’aller jusqu’au
bout de ses idées était aussi grande que le péril qu’elle contenait, des
affrontements susceptibles de déboucher sur des contradictions intestines, voire
une guerre civile, auraient été inévitables. Mais comme il n’en a pas été ainsi,
le reste devenait facile comme bonjour. « C’était le couteau dans le beurre »,
comme un journaliste l’a fait remarquer. Le CMRN ne dit pas autre chose en
insistant sur le concept de ‘‘prise du pouvoir par l’Armée’’ au détriment de celui
de ‘‘coup d’Etat ’’.

DIARRA TRAORÉ — FACINÉ TOURÉ DES RAPPORTS AMBIGUS


Il n’empêche que c’est par manière d’acquit que le poste de Premier ministre
a dû échoir à l’ancien gouverneur de Boké. C’était à la fois un choix tactique et
psychologique. Pour le général Faciné Touré, « nous succédions à un régime
malinké. Il fallait en tenir compte et chercher à contenter tout le monde. C’est
la raison pour laquelle Diarra est devenu Premier ministre. », ne cesse-t-il de
dire à l’occasion de ses prises de parole dans les médias ou en privé. 267
Ainsi, les dés étaient-ils pipés dès le départ ? Avait-on d’un côté, le numéro
deux nominal du système considéré plutôt comme un intrus ? De l’autre se
trouvait-il celui-là qui se sentait investi de la légitimité naturelle pour jouer ce
rôle ? Si oui, Les relations entre le Premier ministre et le ministre des Affaires
Etrangères ne pouvaient être cordiales dans un tel climat268.
Aujourd’hui, l’ancien chef de la diplomatie guinéenne balaie ces allégations
d’un revers de la main. Sur les antennes d’une radio privée qui l’interpellait sur
la question, il s’est défendu par ces mots : « Je reçois régulièrement la visite de
la femme de Diarra et de ses enfants. Se seraient-ils présentés à mon domicile
si je lui avais été hostile ? ».
Il avait reconnu cependant, lors de notre entretien que « Jean Traoré et moi
avions toujours été considérés par Diarra comme ses pires ennemis au CMRN
et au gouvernement. Nous étions le bouclier chargé de la protection de Lansana
Conté ». Il nous avait dit que Diarra Traoré était « gentil et généreux, mais
léger ». Selon lui, « le Premier ministre ne pouvait résister à l’appât de l’argent
ni au charme des jolies femmes. Je lui reprochais également, avait-il poursuivi,

267
Entetien avec l’auteur.
268
Selon Siradiou Diallo, « Faciné Touré aurait, de l’avis de tous ceux qui le
connaissent, conçu une haine farouche à l’égard de ses compagnons d’armes.
Diarra Traoré était considéré par lui comme le prototype achevé de l’officier issu
du moule de Sékou Touré. » Op. cité, p.16.

207
son refus du dialogue, l’absence d’esprit de concertation et de communication
à l’origine par exemple de la bourde monumentale qu’il a commise à Paris en
considérant l’indépendance guinéenne comme un évènement regrettable ».
Le général Touré avait aussi relaté l’incident qui se produisit en mai 1984 au
retour d’une mission de bonne volonté et d’explication effectuée auprès des
autorités ivoiriennes. Le compte-rendu du Premier ministre à cette occasion
n’avait pas été complet. Volontairement ou par oubli, selon lui, le colonel Traoré
s’etait abstenu de révéler au président que son homologue ivoirien avait fait don
de sommes importantes à la délégation guinéenne. Deux chèques d’un montant
de quinze millions de CFA chacun avaient été libellés à l’ordre du président et
du Premier ministre lui-même. Chaque ministre avait été gratifié d’un montant
de cinq millions CFA. Des sommes moins élevées avaient été offertes aux autres
membres de la délégation par le président Houphouët Boigny.
Le Premier ministre n’avait pas apprécié la mise au point faite à ce sujet par
le ministre des Affaires Etrangères. Sa rage fut d’autant plus vive que le
président désapprouva le geste de son homologue ivoirien qu’il assimila à un
manque de tact ou à de la charité mal placée. La réplique du colonel Conté en
disait long sur sa colère : « j’ai demandé au ‘’Vieux’’ de nous aider mais pas de
cette façon-là. En ce qui concerne le chèque qu’il m’envoie, j’ordonne qu’il soit
déposé immédiatement à la Banque Centrale. », aurait conclu le président au
bord de la fureur. 269 En foudroyant son Premier ministre du regard, le chef de
l’Etat repoussa aussi l’offre du président ivoirien visant à bâtir une villa pour
son usage personnel à Conakry.
Le récit de Faciné Touré permet, de toute évidence, de se faire une idée de
l’ambiance qui selon toute vraisemblance n’a pas cessé de se détériorer entre lui
et Diarra Traoré quelques semaines à peine après leur arrivée au pouvoir.

LES RANCŒURS DU PASSÉ


Mais le climat empoisonnant les coulisses du nouveau pouvoir ne peut être
examiné exclusivement à travers le prisme des rivalités personnelles. Il
s’explique aussi en grande partie par des rancœurs datant de l’époque de la
Révolution.
Les membres malinkés de l’administration du CMRN étaient regardés avec
malveillance par certains hommes de l’entourage de Lansana Conté pour des
raisons puisant leur origine dans les frustrations emmagasinées par le passé.

269
La version soutenue par le Commissaire Dioumessi concernant l’argent offert par
le Président ivoirien est plus prosaïque. Il avance que personne n’a dédaigné le
don fait par Houphouët Boigny. Les deux têtes de l’Exécutif l’auraient utilisé,
l’une pour acheter des palmiers nains et l’autre a ouvert un compte dans une
banque de la capitale économique de la Côte d’Ivoire. L’argent fut remis plus tard
à la famille du colonel Traoré par les autorités ivoiriennes.

208
Non sans raison en effet, ces hommes avaient mis au compte du favoritisme,
voire de l’ethnocentrisme, la nomination sous la Première République,
d’officiers appartenant très largement à la communauté malinké aux fonctions
de ministres, ambassadeurs, gouverneurs, directeurs d’entreprises….
Aussi pour ceux qui brûlaient depuis toujours de sentiments anti-malinké, la
situation guinéenne était-elle à appréhender sous l'angle unique de la
domination de cette ethnie à laquelle il fallait mettre fin après 26 années d’un
« pèlerinage douloureux » pour les autres communautés.
On comptait parmi les partisans de cette théorie aussi bien des personnes
ayant perdu un parent, un proche, un ami… au Camp Boiro que d’autres qui
avaient participé, ou assisté, impuissantes à l’échec de tentatives antérieures
visant à liquider le régime du PDG. Ces hommes habités par une soif de
vengence inouïe ne cachaient pas leur aversion contre la population de la Haute-
Guinée et reportaient sur elle leur volonté de vengeance. Dans certains milieux
radicaux, même d’anciens porteurs d’eau d’origine mandingue ont été voués
aux gémonies. Des actes commis par un système ont été mis au passif d’une
communauté. L’addiction au pouvoir de l’ancienne classe dirigeante composée
majoritairement de malinkés a été portée au pinacle et stigmatisée.
La notion d’anciens dignitaires, utilisée pour désigner ceux qui avaient joué
un rôle prépondérant sous l’ère précédente, n’était appliquée, dans l’écrasante
majorité des cas, qu’aux cadres malinkés. Les anciens ministres, ambassadeurs
et même parfois membres du Bureau Politique National n’en étaient affublés
que parcimonieusement lorsqu’ils étaient originaires des autres régions
naturelles. L’esprit de discernement a souvent fait défaut. « Certains Guinéens
se sont vengés sur ceux qui symbolisent un passé abhorré. Nous sommes tombés
dans un cycle infernal de répression et de vengeance »270, reconnaîtra plus tard
Lansana Conté. Cependant, si le chef de l’Etat a dénoncé le mal, force est de
reconnaître qu’il n’a rien fait pour l’endiguer. Il est permis de douter que le
président ait été pris dans un engrenage et ne disposât pas de moyens pour
stopper sa marche. Il est aussi évident qu’il a laissé les mains libres aux chantres
de cette propagande. Il les a encouragés parfois et le mal est devenu endémique.
Des propos tenus à cet effet par le nouveau président n’entretiennent aucune
équivoque. Ils porteraient plutôt à croire que Lansana Conté était parfaitement
conscient de la situation, d’autant plus que dans son premier discours à la nation
prononcé le 8 avril 1984, il déclara : « nous avons comme tous les pays, le
problème du racisme, surtout des pays développés où le racisme est accentué.
Mais je crois qu’en Guinée le racisme a été plus accentué que dans tous les pays
africains à ma connaissance. Nous voulons bannir ce racisme ».
Certains de ses actes l’ont aussi amplement démontré.

270
Extrait du discours-programme du 22 décembre 1985

209
Très tôt, Lansana Conté afficha, sa volonté de s’appuyer sur les siens en
répétant à l’envie : « Vos parents peuvent vous tromper, mais ils ne vous
trahiront jamais ». D’ailleurs, pour Faciné Touré, l’une des raisons pour
lesquelles le Colonel aurait hésité à accepter la charge de président se fondait
sur l’appréhension qu’il avait de se retrouver à la tête d’un « groupe de jeunes
soussous indisciplinés ». Implicitement, on en déduit que, dans l’esprit du chef
de l’Etat et de ses principaux compagnons, le nouveau pouvoir devrait être
d’obédience basse-côtière.
Dès lors, tous ceux qui ne faisaient pas partie des « parents » (entendre les
membres de l’ethnie de Lansana Conté) n’avaient qu’à bien se tenir. Des
chansons surgies de nulle part étaient là pour leur rappeler que « sa bara
mafindi » (la cité a changé de main).
Un signal fort dans cette nouvelle direction avait été donné le 25 septembre
1984. Sur proposition du ministre des Affaires Etrangères sans aucune
concertation avec le Premier ministre chef du gouvernement, le président de la
République a signé l’Ordonnance nommant les nouveaux ambassadeurs de la
République.
La liste préparée par Faciné Touré et approuvée par Lansana Conté
comportait le nom d’une petite poignée de malinkés271. L’argument officieux
soutenu pour se donner bonne conscience serait que tous les ambassadeurs
rappelés étaient membres de l’ethnie du président défunt. Une certaine
‘’justice’’ méritait d’être faite, estimait-on.
Une assertion qui ne résiste pas cependant à la critique car l’équipe sortante
était plutôt équilibrée272. Elle comportait des représentants de toutes les ethnies
à la tête des missions diplomatiques les plus prestigieuses.
Le public à l’imagination toujours fertile appela l’acte par lequel le CMRN
nomma ses premiers ambassadeurs « ordonnance BBC 273 » par dérision. Il

271
Il s’agit de Sidy Diarra (Libye), Bangaly Dabo (Japon) et du lieutenant Sougoulé
(Cuba), voire Mamy Kouyaté, nommé ambassadeur en Italie et originaire de
Coyah.
272
Citons pour mémoire Aboubacar Somparé, un Soussou de Boké accrédité en
France et Saliou Sylla en Arabie Saoudite. Des ressortissants du Fouta Djalon dont
les noms suivent étaient en poste : Habib Diallo et Mongo Diallo, aux USA et aux
Nations Unies, Diao Kanté (Algérie), Mamadou Tounkara (Guinée Bissau),
Amirou Diallo (Egypte), Mamadou Bah (Mozambique)… Pierre Bassamba
Camara, un autre cadre originaire de la côte représentait la Guinée en Ethiopie et
auprès de l’O.U.A., Mamadouba Bangoura était accrédité auprès du gouvernement
cubain. Bien sûr, le corps diplomatique guinéen comptait aussi des malinkés tels
que Lansana Sakho (R.F.A.), Amara Kaba (Libye), Douti Oularé (DDR)….
273
Entendez Boké, Boffa, Coyah, trois préfectures situées en Basse-Guinée et dont
était originaire l’écrasante majorité des nouveaux diplomates. D’une manière
générale, jusqu’à la fin du règne de Lansana Conté, les postes diplômatiques
(ambassadeurs, chargés d’affaires et autres personnels) demeureront la chasse-

210
réservait la part belle aux représentants de l’ethnie du président Lansana Conté.
Au moins 75% des postes leur furent octroyés.
Ils s’y taillaient, en effet, la part du lion avec Sékou Décazy Camara
(France), Sékou Mouké Yansané (UNESCO), Saliou Coumbassa (ONU),
Hadramé Bangoura (Maroc), Fodé Cissé (Roumanie), Alkhaly Bangoura
(RFA), Docteur Ibrahima Fofana (URSS), Alsény René Gomez (Libéria),
Momo Keïta (Sénégal), Guirane N’Diaye (Guinée Bissao), Saliou Sylla
(Egypte), Ibrahima Sylla (Belgique), Mamadouba Bangoura (Mozambique),
Félix Faber (Zaïre) etc. Des ressortissants du Fouta Djalon et de la Guinée
Forestière complétaient la liste (voir annexe).
En décembre, le renouvellement du personnel d’appui dans les missions
diplomatiques s’effectua à travers les mêmes canons. Le ministre réserva la part
du lion aux siens et les mêmes arguments eurent droit de cité.
D’ailleurs, à l’exception du gouvernement où un certain dosage était observé
par moments, le même scénario sera appliqué dans toutes les sphères de
l’administration. Des malinkés ont été écartés, même des lieux où ils
n’occupaient que des strapontins.

INTERDICTION DE L’EXPLOITATION PRIVÉE DU DIAMANT


L’escalade atteint son point d’orgue le 1er janvier 1985. Le président du
CMRN interdit officiellement l’exploitation privée du diamant à Banankôrô274.
Pour les têtes pensantes du nouveau régime, les malinkés tiraient leur fortune
et leur vanité de cette activité. Les mines furent fermées et placées sous haute
surveillance militaire. Les biens de nombreux exploitants furent pillés. On prête
au président qui ne s’embarrassait pas le plus souvent de circonvolutions, les
mots suivants pour justifier sa décision : « Je n’ai aucun parent à Banankôrô ».
La mesure allait pourtant à l’encontre de l’opinion communément admise de
la gestion d’une Guinée nouvelle encourageant l’initiative privée et tournant le
dos au collectivisme.
Aussi, les faucons ont-ils continué de souffler sur les braises.
On sait cependant que le malinké lambda (militaire ou civil), la Haute
Guinée n’ont opposé aucune résistance à la prise du pouvoir par l’armée, le 3
avril 1984. Ils ont été saisis de la même joie que la quasi-totalité des Guinéens.
La communauté n’a revendiqué aucun droit particulier. Elle n’a pas manifesté
d’hostilité feinte ou réelle à l’endroit des nouveaux dirigeants. Aucune agitation

gardée des ressortissants de la Basse-Guinée.En décembre 2008, ceux-ci


occupaient la tête des deux tiers des ambassades de Guinée à travers le monde
(voir annexe).
274
La décision avait été annoncée quelques jours plus tôt dans le discours du 18
décembre 1984 prononcé par le colonel Conté. Elle aurait été prise à l’initiative,
semble-t-il, d’un des futurs leaders de l’opposition guinéenne.

211
à caractère irrédentiste n’a été enregistrée dans les milieux mandingues à
l’intérieur comme à l’extérieur du pays. De quelles ‘’vengeances ethniques’’
pouvaient donc se targuer ceux qui avaient déclenché cette guerre sourde contre
eux au lendemain de l’avènement de Lansana Conté au pouvoir ? A la vérité,
l’argument d’une quelconque prévalence ou même d’une quelconque priorité
accordée à l’ethnie malinké sous la Première République n’était qu’un excipient
destiné à légitimer le comportement que certains avaient décidé d’adopter dans
la gestion de la nouvelle administration du pays.
C’est dans ce climat soporifique qu’en mai 1985, le CMRN prit la décision
de libérer quelques anciens dirigeants.

212
CHAPITRE IX

Libération d’anciens dirigeants


du parti-État

Le mouvement avait été amorcé au cours du premier trimestre de 1985 :


quelques dignitaires de l’ancien régime avaient été libérés.
Ironie du sort, Louis Sénaïnon Béhanzin le premier dirigeant du PDG arrêté
par les militaires après le coup d’Etat fut le premier à recouvrer la liberté.
En effet, très rapidement, des pourparlers s’étaient engagés entre les
nouvelles autorités guinéennes et le gouvernement du Bénin. Le président
Mathieu Kérékou275, s’était investi personnellement pour obtenir la libération
de son compatriote et finit par obtenir gain de cause. En février 1985, l’ancien
ministre des F.A.P.A, l’un des premiers cadres africains venus apporter leur
soutien à la Guinée dans le secteur de l’enseignement, avait rejoint
définitivement son pays natal. Diarra Traoré bien qu’étant le numéro deux du
CMRN avait été tenu totalement à l’écart des discussions et ignorait que le
prisonnier avait été grâcié.
En réaction à cette ‘’humiliation’’ qu’il reçut comme une gifle en pleine
figure, le ministre d’Etat aurait demandé la libération de tous les autres
prisonniers. Son argument était simple : Béhanzin était le ’’Souslov ‘’,
l’idéologue du P.D.G. Une fois libre, plus aucune raison objective ne s’opposait
à l’élargissement des autres prisonniers. Le commissaire Dioumessi, l’auteur de
ces révélations, ajoute que l’insistance de Diarra Traoré aboutira à la mise en
place d’une commission d’enquête à laquelle notre informateur dit avoir
appartenu. Le CMRN avait établi comme unique motif d’inculpation : les crimes
économiques. Le rapport avait recommandé finalement la libération de tous les
détenus.
La volonté ainsi affirmée obéissait à la fois au vœu secret du président et à
la pression de certains chefs d’Etat africains. Elle ne déboucha cependant que

275
Chronologiquement, Mamadou Maz Diallo, membre du BPN qui ne sera resté que
pendant quelques jours (quelques heures ?) entre les mains des militaires, peut être
considéré comme le premier dignitaire de haut rang du PDG à recouvrer la liberté.
Les militaires le nommèrent ambassadeur de Guinée au Mali en octobre 1984.

213
sur la libération d’une partie des prisonniers, dont une vingtaine d’anciens
ministres et de membres de la famille Touré. Dans son éditorial du 16 mai 1985,
le journal Horoya loua la « grande leçon de tolérance et de sagesse que le
Comité Militaire de Redressement National et le gouvernement ont administrée
hier (15 mai 1985, NDLA), en remettant en liberté certains dirigeants de
l’ancien régime.» Selon l’Organe d’Information du Peuple, la mesure
intervenait « après une longue et laborieuse année d’investigation dont l’unique
but était de faire la lumière, et toute la lumière, sur la responsabilité active de
chacun de ceux qui, pendant plus d’un quart de siècle, ont présidé aux destinées
de notre peuple.»
A leur terme, poursuit le quotidien national « le CMRN et le gouvernement,
en session commune sous la présidence de son Excellence le colonel Lansana
Conté, ont entériné la catégorisation proposée par la Commission Nationale
d’Enquête correspondant aux charges retenues contre les prévenus ». Ils ont
estimé en même temps que « les charges relevées contre l’une des catégories
des éléments arrêtés ne permettent pas de les déférer devant une juridiction
compétente. Partant : la session décide de leur remise en liberté à compter de ce
jour 15 mai 1985. »276
La veille, d’après Galéma Guilavogui, un officier avait été dépêché 277 à
Kindia par le CMRN. Il s’était rendu à la prison centrale de la ville. Les détenus
avaient été rassemblés pour écouter la lecture d’une liste qu’il tenait en mains.
Les prisonniers, dont les noms avaient été prononcés furent conduits au
camp Kèmè Bouréma. C’est dans cette enceinte qu’ils écoutèrent le lendemain
le communiqué du CMRN lu à la radio annonçant leur mise en liberté.
Le groupe était composé essentiellement d’anciens ministres et de membres
du Bureau Politique National du PDG :
Jeanne Martin Cissé : ancienne ministre des Affaires Sociales et membre du
BPN ;
Galéma Guilavogui : ancien ministre de l’Enseignement Pré-Universitaire,
membre du BPN ;
Toumany Sangaré : ancien ministre de l’Agriculture, membre du BPN ;
Abdoulaye Diao Baldé : ancien ministre du Commerce Intérieur, membre du
BPN ;
Mouctar Diallo : ancien ministre de l’Enseignement Technique Moyen,
membre du BPN ;

276
Communiqué du Conseil du Comité Militaire de Redressement National et du
Gouvernement, Horoya no 63, p.1.
277
La décision a été prise au cours d’un Conseil extraordinaire des ministres qui a eu
lieu les 12 et 13 mai 1985. Coincidant avec l’anniversaire de la création du PDG,
l’acte a soulevé quelques vagues parmi ceux qui l’ont considéré comme étant
destiné à commémorer cette date.

214
Mamouna Touré, ancien ministre du Commerce Extérieur, membre du
BPN ;
Fodé Mamoudou Touré, ancien ministre des Finances ;
Sikhé Camara : ancien ministre de la Justice ;
Boubacar Diallo : ancien ministre des Affaires Economiques ;
Alaphaix Kourouma : ancien ministre des PTT ;
El Hadj Mamoudou Sy, ancien ministre du Travail et de la Fonction
Publique ;
Ibrahima Fofana, ancien ministre de la Pêche ;
Mohamed Lamine Touré, ancien gouverneur de la BCRG ;
Général Soma Kourouma, ancien chef d’Etat-major de l’Armée de Terre ;
Alya Camara : ancien secrétaire d’Etat au Contrôle Financier ;
Cellou Diallo : ancien secrétaire d’Etat aux Travaux Publics ;
Sékou Kaba : ancien commissaire général de l’Information ;
Sékou Cissoko : ancien commissaire général de la Jeunesse, des Arts et des
Sports ;
Bah Ibrahima Jules : ancien commissaire général de la Révolution de
Kindia ;
El-Hadj Alpha Oumar Barry : ancien commissaire général de la Révolution
de N’Zérékoré ;
Amadou Sy, ancien membre du Comité National de la JRDA ;
Aminata Touré : fille du président.
De jeunes sous-officiers, membres de la famille de l’ancien président, furent
relâchés le même jour. La plupart d’entre eux étaient des cadres de l’armée de
l’Air, comme le lieutenant Baba Keita, les sous-lieutenants et jumeaux
Louncény et Lanciné Keita (frères de Madame Andrée), Biya Sangaré, Mamy
Sangaré, (frères de Toumany Sangaré), Diawadou Sow278, Amara Touré (frère
cadet du commandant Siaka Touré) et le soldat de deuxième classe Moussa
Doumbouya Tshombé.
Si après avoir respiré un nouvel air de liberté, plusieurs d’entre eux reprirent
le chemin de leurs anciens domiciles, en revanche pour d’autres comme les
jumeaux Louncény et Lanciné, c’était une véritable vie d’errance qui
commençait. Ne disposant pas de domicile privé, ils ne pouvaient pas retourner
non plus dans les logements administratifs qu’ils occupaient avant leur
incarcération. Ils avaient changé de locataires, attribués le plus souvent à des
proches du nouveau régime. Il fallut trouver asile chez des parents ou se
contenter d’abris de fortune mis à leur disposition par des âmes généreuses.

278
Ce dernier est mort dans des circonstances suspectes peu après sa libération.

215
Le communiqué comportait par ailleurs une mention concernant les autres
prévenus. Le CMRN et le Gouvernement avaient décidé en effet
« d’approfondir les investigations à partir de nouveaux éléments qui ont été
communiqués en vue de leur comparution devant une juridiction. »279

LA MÉDIATION DU ROI HASSAN II ET DES PRÉSIDENTS FRANÇAIS ET


IVOIRIEN
De nouvelles vagues de libération intervinrent effectivement au cours des
années suivantes. Mais, aucun procès public n’avait été organisé. En janvier
1988, Mme Andrée Touré, son fils Mohamed, « condamnés à huit ans de
travaux forcés avec confiscation des biens », furent libérés. Les diplomaties
marocaine, française et ivoirienne déployèrent leurs talents pour les sortir de
prison, affirme-t-on dans certains cercles.
L’élargissement de la famille de l’ancien président serait, en effet, le résultat
de la médiation personnelle du souverain marocain et des présidents ivoirien et
français. Hassan II, Houphouët Boigny et François Mitterrand auraient mis tout
le poids de leur influence dans la balance pour amener le CMRN à lâcher prise.
Nous avons eu la confirmation de l’intervention du roi du Maroc par l’entremise
d’un ancien ministre de Lansana Conté. En effet, au cours d’une audience
accordée en fin 1987 à Rabat à une délégation gouvernementale guinéenne
dirigée par le capitaine Kerfalla Camara, ministre-secrétaire permanent du
CMRN, le monarque aurait demandé à ses hôtes de veiller à ce qu’à leur retour
en Guinée, la veuve de « mon frère Ahmed Sékou Touré soit libérée280».
Pour le souverain chérifien, « les femmes ne doivent pas être mêlées au
règlement de nos contentieux politiques ». Selon l’ancien ministre, Ahmadou
Tidiane Traoré qui a assisté à l’entrevue, Hassan II avait insisté pour que le
« Comité Militaire » prenne sa recommandation en compte. Le roi, qui « était
un fin connaisseur des réalités guinéennes, se serait adressé à dessein au CMRN
et non directement au président Lansana Conté », a-t-il précisé.
En effet, Hassan II savait que le président n’avait pas tout à fait les coudées
franches dans la gestion de cette affaire. Il n’ignorait pas que le chef de l’Etat
était soumis à de fortes pressions provenant de certains milieux extrémistes de
son entourage qui voulaient à tout prix humilier l’ancienne famille
présidentielle.
En effet, il est avéré, même si les faits ne sont pas clairement étayés que des
membres de la famille de Sékou Touré, ont subi pendant leur détention des
avanies de la part de leurs geôliers. Les militaires et agents de sécurité de
l’ethnie malinké étaient souvent les plus virulents à leur encontre. Ces hommes

279
Horoya, op. cité.
280
Entretien avec Amadou Tidjane Traoré, ancien secrétaire d’Etat à l’enseignement
supérieur.

216
rivalisaient de zèle probablement pour effacer toute trace d’un lien quelconque
ayant existé par le passé entre eux et les proches du président défunt. Mais d’une
manière générale, la plupart des caciques du CMRN avaient considéré ces
pratiques dégradantes comme « relevant de l’ordre normal des choses 281 ».
Rares, furent les nouveaux dirigeants, enclins à s’attendrir sur le sort des anciens
gouvernants du pays. Le président Lansana Conté était le seul, semble-t-il, « à
prendre parfois des initiatives allant dans le sens de l’amélioration de nos
conditions de détention », nous a confié Galéma Guilavogui.
Plusieurs de ses compagnons d’infortune reconnaissent comme lui qu’ils
doivent « la vie sauve à Lansana Conté ». Si le Président n’avait pas fait
entendre sa voix par moments, certains de ses compagnons du CMRN et des
soldats haineux, tel que l’adjudant Aïdor Bah en poste à la prison centrale de
Kindia, voulaient les supprimer purement et simplement.
Si Aïdor Bah torturait physiquement les prisonniers, il ne les épargnait pas
non plus sur le plan moral. El Hadj Fodé Soriba Camara, ancien ministre des
Affaires Islamiques, a échappé de peu au traitement particulier auquel ce soldat
avait voulu le soumettre. Aïdor avait juré en effet de contraindre le saint homme
à consommer de l’alcool à son retour d’une mission à Conakry. Mais, pendant
son séjour dans la capitale, la décision mettant fin à ses fonctions à Kindia avait
été prise par le président.
Par ailleurs d’anciens prisonniers accusent formellement Aïdor Bah d’avoir
précipité la mort du Dr Béavogui en se livrant en sa présence à des scènes
insoutenables contre des membres de la famille du président Sékou Touré. La
situation aurait été pire si le président Lansana Conté n’était pas intervenu pour
mettre fin aux abus. Le chef de l’Etat procéda au remplacement des geôliers
coupables d’actes de brutalité. Il donnait aussi des ordres parfois pour que les
conditions de détention des prisonniers soient adoucies.
Dans le même ordre d'idée, un ancien détenu se souvient de la magnanimité
de quelques officiers à son égard. Il l'exprime à travers ces lignes : « De cette
période qui me paraît une longue nuit noire infinie, il y a eu quelques lueurs
d’humanité qui m’ont quelques fois transpercé, comme pour me convaincre
qu’il existait encore, sur cette terre de notre cher pays, des êtres humains et que
tout le monde n’était pas subitement transformé en bête282».
Il ajoute plus loin : « En effet, nous ayant aperçus encore ligotés, alors que
nous étions déjà en cellule, un officier, commandant de la Zone Militaire de
Kindia, a ordonné de nous enlever les cordes disant que nous étions ‘’déjà en
cellule’’. Je ne le connaissais pas ; mais après, je me suis laissé dire qu’il

281
Faciné Touré dira en substance à cet égard sur Radio Soleil FM : « La prison, c’est
toujours comme ça. Quoi que l’on fasse, quand on va en prison, on est toujours
humilié ». Allusion sans doute à son propre passage en ces lieux et aux moments
difficiles qu’il dit y avoir vécus.
282
Matalana, H.S. 01, 2008, p.27.

217
s’appelait commandant Babacar N’Diaye. Je n’oublierai jamais l’effet de
soulagement que l’exécution de cet ordre par nos geôliers m’a procuré. Aux 32
escaliers aussi, quand j’y ai été transféré, après quelques semaines de dures
épreuves, le lieutenant Panival, à l’époque, faisait nuitamment introduire dans
ma cellule des anti-moustiques (sasi seri) et des savonnettes. Le reste fut une
atteinte à la dignité humaine283».
Il est à signaler, pour clore ce chapitre, que les deux sœurs du président,
Ramata et Nounkoumba Touré ne tardèrent pas à être libérées. Vint ensuite le
tour de plusieurs anciennes personnalités de moindre envergure et de haut rang
à sortir des prisons du CMRN. Au nombre de celles-ci, on peut citer Damantang
Camara, ancien président de l’Assemblée Populaire Nationale, Mamady Kaba,
(ex-ministre de l’Industrie), Fily Cissoko, (ex Commissaire Général de la
Révolution de Boké) et Zakaria Touré (tous anciens membres du BPN), Sikhé
Camara (ancien ministre), Fanly Kesso Bah, (ancien vice-gouverneur de la
BCRG), Moussa Sanguiana Camara, (ancien ministre du Commerce)284. Leur
libération paracheva, à quleques exceptions notables, le mouvement amorcé
trois années plus tôt.
Malgré ce geste d’apaisement, le CMRN laissait apparaître trop de clivages
en moins d’une année d’existence. D’abord, les populations commençaient à
critiquer les travers du régime. Une certaine propension à l’embourgeoisement
s’était emparée des nouvelles autorités. Les voyages à l’étranger se
multipliaient. Ils se soldaient au retour par des centaines de kilogrammes
d’excédents de bagages. Des villas somptueuses poussaient çà et là, mettant les
nouveaux dirigeants en porte à faux avec leur profession de foi. Ces signes
extérieurs d’enrichissement ôtaient tout sens à l’anathème jeté sur les anciens
dignitaires traités « d’individus avides de pouvoir et responsables de la
corruption généralisée du gouvernement et de ses institutions » par le
communiqué numéro un du CMRN.
On s’éloignait de plus en plus des vœux formulés par Lansana Conté à l’aube
de son avènement au pouvoir : « Nous, les militaires, sommes tous venus
pauvres au pouvoir, le jour où vous verrez l’un d’entre nous construire une villa,
c’est qu’il aura volé285».
La tension était surtout palpable entre le clan des ultras et l’ancien Premier
ministre, Diarra Traoré. Dans un environnement qui lui manifestait une hostilité
à peine voilée, celui-ci ne pouvait assumer la totalité de ses fonctions.

283
Idem.
284
Une libération rendue possible grâce, l’avons-nous appris, aux efforts personnels
du commandant Sory Doumbouya, originaire de Kouroussa comme l’ancien
ministre.
285
Cette phrase reprise sur tous les tons est attribuée au Colonel Lansana Conté.
L’auteur avoue cependant n’avoir pas pu en identifier la source.

218
LES FRASQUES DE DIARRA TRAORÉ
Il y a lieu de souligner cependant que le colonel Traoré ne s’était pas mis en
peine non plus pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique. Son image avait
été rapidement abîmée et son style contesté. Un camp se gaussait tandis que
l'autre déplorait ses interventions, ses incartades, ses transgressions et ses
reniements politiques. Diarra Traoré avait occupé, au lendemain de l’avènement
du régime militaire, la position d’avant-garde dans le déferlement de caricatures
et d’opinions tronquées sur le président Sékou Touré.
Il avait été, en effet, le premier porte-parole de la nouvelle administration
militaire au cours de la campagne d’explication menée tambour battant à travers
le pays et à l’étranger. Il était le principal animateur des grand-messes
organisées pour pourfendre l’ancien président. Chaque fois qu’il parlait de
Sékou Touré, sa bouche se mettait en mouvement et sa tête restait bloquée. Le
colonel l’attaquait avec une rare violence dans tous ses discours. En Guinée
comme partout ailleurs où il prenait la parole, le nouveau Premier ministre
s’était livré à une démolition en règle de l’homme du 28 Septembre.
Il le faisait avec la fougue et la faconde qui le caractérisaient. Ses
philippiques à Kindia et à N’Zérékoré à l’encontre du leader disparu sont restées
mémorables. Par ses outrances, le colonel Traoré s’était aliéné la sympathie de
sa propre communauté et de toutes les personnes jugeant que la mémoire du
père de l’indépendance méritait d’être traitée avec plus d’égard286. Ses propos
étaient critiqués de toute part. Selon les bons mots d’un observateur attentif de
la situation, le colonel Traoré était tiraillé entre un passé qu’il voulait
absolument effacer et un présent auquel la plupart de ses compagnons ne
voulaient l’associer. Au même moment, Lansana Conté selon la belle formule
de Benjamin Constant s’illustrait par « la solennité de sa posture et le poids de
son silence », ce qui le rendait à la fois mystérieux et sympathique au regard du
grand public.
Invitée de l’émission ‘’Mémoire’’ de Radio Soleil FM, Hadja Nounkoumba
Touré rapporte une discussion survenue entre les colonels Lansana Conté et
Diarra Traoré le jour où elle avait été arrêtée. Le président tentait de convaincre
son interlocuteur de la nécessité d’épargner la famille de son prédécesseur. Mais
le Premier ministre ne partageait pas cet avis287.

286
A noter au passage que, pour bon nombre d’anciens compagnons du Président
Sékou Touré, libérés par le CMRN, Diarra Traoré et quelques officiers malinkés
rivalisant de zèle, se sont montrés souvent sans pitié, discourtois, à leur endroit,
au cours de leur détention.
287
Le commandant Ousmane Sow était, semble-t-il, également opposé à l’arrestation
des membres de la famille de l’ancien président. Pour lui, son grand-frère Amara,
son épouse Andrée, ses deux enfants et ses sœurs ne pouvaient être accusés ni de
crimes politiques, ni de délits économiques. Apparemment, il n’a pas été entendu
(Témoignage de Dioumessi).

219
Pour la sœur cadette d’Ahmed Sékou Touré, la réaction de Diarra Traoré
avait été en grande partie à l’origine de leur maintien en prison. Ce n’est pas tant
l’authenticité de ce témoignage qui compte. C’est l’exaspération face aux excès,
à la trahison de quelqu’un que l’on considérait comme un ancien protégé, un
allié, voire un parent. Malgré ce rôle de sherpa, Diarra Traoré n’était pas
considéré pour autant comme un compagnon sûr par la plupart de ses
collaborateurs.
Il avait réussi l’exploit de faire l’unanimité contre sa personne288. Que ce soit
pour les frasques qu’on lui prêtait ou la manipulation, dont ils étaient l’objet, la
plupart de ses compagnons d’infortune exécutés en 1985 ne lui vouaient que
mépris et hostilité quand ils étaient ensemble aux affaires. Ils étaient nombreux
à se réjouir des affronts qu’il subissait. Au gouvernement et au CMRN, toutes
ethnies confondues, le colonel Lansana Conté avait l’écrasante majorité acquise
à sa cause.
Sur ces entrefaites, il paraissait évident que le colonel Traoré n’avait plus le
choix. Une personne qui l’a côtoyé au cours de cette période le décrit comme
un homme qui « était dans un état moral insoutenable. Il se sentait abandonné
par tous, même par son ethnie qui ne se reconnaissait plus en lui peu après le 3
avril (...) Le comble pour Diarra était l’attitude des ressortissants de sa région
natale, le Wassoulou. Ses propres parents étaient ses plus farouches opposants
(…) A chaque prière, ils maudissaient Diarra Traoré. » Ce témoin de choix
ajoute que ceux qui lui souhaitaient l’enfer « passeraient au contraire de longs
moments à bénir le président Lansana Conté incapable, selon eux, de tuer une
mouche289. »
Acculé de tous côtés, Diarra Traoré avait donc besoin d’un coup d’éclat pour
se réconcilier avec les siens et surtout pour prendre sa revanche sur ceux qui lui
en faisaient voir de toutes les couleurs au CMRN et au gouvernement. Les jours
du tandem Lansana Conté-Diarra Traoré né le 5 avril 1984 étaient dès lors
comptés. Qui tirera le premier ? C’est l’interrogation qui traversait tous les
esprits. Dans les milieux bien informés, la question n’était plus de savoir si la
guerre allait éclater, mais quand. Toutefois, aucun observateur lucide ne perdait
de vue que si pareil évènement se produisait, il tournerait à l’avantage du chef
de l’Etat.

288
Selon Amadou Damaro Camara sous la Première République, Diarra Traoré
passait pour être le protégé de Moussa Diakité. Les adversaires du Colonel ont fait
répandre à ce sujet le bruit selon lequel, en cas de réussite du putsch, Diarra Traoré
se serait effacé à son profit.
289
Entretien de Amadou Damaro Camara avec Aboubacar Condé, L’Indépendant no
100-du 15 décembre 1994-p.2-3.

220
LE PRÉSIDENT RASSURE
Le 3 avril 1985, cependant, à l’occasion du premier anniversaire de la prise
du pouvoir par le CMRN, dans un message à la nation, le président de la
République s’était félicité de constater « qu’aujourd’hui notre unité est plus
forte. En Forêt, en Haute Guinée, dans le Fouta Djalon, sur la Côte, partout lors
de mes déplacements, les populations ont manifesté leur accord avec les
objectifs du Redressement National et leur confiance dans le CMRN. Partout,
j’ai répété qu’il n’y a pour nous qu’une catégorie de guinéens, ayant les mêmes
droits et les mêmes devoirs. »290
Le colonel Lansana Conté avait ajouté que « cette volonté d’unité existe
aussi au sommet de l’Etat ». Il s’était voulu encore plus précis parlant de
l’osmose régnant désormais au sein du gouvernement après le remaniement du
18 décembre 1984 par ces mots : « Il y a quelques mois, les vieux démons nous
travaillaient encore. La rumeur publique donnait au moindre incident des
proportions graves. Il est vrai que des événements graves se sont produits. Mais,
ils ont contribué à renforcer notre unité que personne aujourd’hui ne doit mettre
en doute. »291
Le chef de l’Etat avait saisi l’occasion pour « rendre hommage aux membres
du gouvernement qui, après le 18 décembre 1984, ont su taire leurs ambitions
personnelles et se mettre au travail avec courage. »292
Conséquence : « Les résultats ne sont pas encore parfaits. Mais ils se sont
améliorés, et je veille à ce que les progrès se poursuivent. »293 On croyait rêver.
Le président était-il persuadé de la justesse de ses propos ? En effet, ceux-ci sont
apparus tellement rassurants qu’on avait du mal à les tenir pour de simples
paroles de circonstances concoctées par ses ‘’nègres’’ afin de faire bonne
mesure à l’occasion d’une cérémonie qu’on voulait grandiose.
Mais, l’embellie (si jamais elle a existé) fut de courte durée. C’était en fait
le calme avant la tempête. En effet, l’approche du second semestre vit l’horizon
s’encombrer de nuages. Le regard optimiste sur l’unité et la mission du CMRN
commencera à s’assombrir. En mai, le Colonel Lansana Conté et deux de ses
principaux ministres, dont le capitaine Mamadou Baldet (ministre d’Etat chargé
de la Réforme Administrative et de la Fonction Publique), avaient effectué un
périple en province. Ils s’étaient rendus, notamment « dans deux préfectures de
la Basse-Guinée et du Fouta Djalon294où, présageant l’orage qui se préparait,

290
Horoya no 149-150, 3 avril 1985. P. 4 (?).
291
Ibidem.
292
Ibidem.
293
Ibidem.
294
Selon le témoignage de Yaya Chérif, ancien directeur général de la société nationale
Importex, des réunions secrètes auraient été organisées à Boké et à Pita à l’insu du
Ministre secrétaire permanent du CMRN. Leur objectif : libérer tous les détenus

221
des dispositions occultes avaient été prises pour que la victoire fut dans le camp
du président » nous a-t-on confié.
En juin, le chanteur Ivoirien Alpha Blondy débarqua à Conakry. Son concert
prévu au Stade du 28 Septembre le 21 juin 1985 fut annulé à cause de la pluie.
Le public furieux s’en prit aux installations de l’arène sportive et aux
automobilistes rencontrés dans la rue. Une première dans l’histoire de la Guinée
indépendante. Le 27 juin, le CMRN et le Gouvernement réagirent avec fermeté.
L’African Show Agency (ASA), qui avait invité le reggaeman ivoirien, fut
dissoute, ses dirigeants placés en détention pour être jugés. Le directeur de
cabinet du ministère de la Jeunesse, des Arts et des Sports et les responsables
concernés de la direction générale des Arts furent révoqués pour ‘’négligence
grave’’. Le CMRN mit l’occasion à profit pour rappeler à tous les contrevenants
« que la tolérance n’est pas synonyme de faiblesse ». Un avertissement dénotant
sa volonté de ne plus se laisser marcher sur les pieds par des individus croyant
que tout était désormais permis après la chute du PDG.
Des relents de complot s’exhalaient. Le chef de l’Etat monta au créneau. Il
exhorta les civils à se tenir en dehors des conflits opposant les militaires
car leurs problèmes se règlaient par les armes.
La situation ne va pas tarder dès lors à s’accélérer. Pour Diarra Traoré et ses
compagnons, il était temps de passer à la vitesse supérieure.

originaires des régions naturelles autres que la Haute Guinée et veiller à ce


qu’aucune goutte de sang de l’un d’entre eux ne soit versée.

222
QUATRIÈME PARTIE

La tentative de coup d’État


du 4 juillet 1985 ou la chronique
d’un échec annoncé
CHAPITRE X

Les conséquences d’une crise

De l’avis de maints observateurs, les évènements du 4 juillet 1985 sont


révélateurs d’une crise qui couvait au sein du CMRN depuis le jour de sa
constitution. En effet, malgré l’unité de façade affichée par les tombeurs du
P.D.G, il apparaissait clairement dès le 3 avril 1984 que l’attelage qui était en
train de se former résisterait difficilement à l’épreuve du temps.
Il sourdait depuis longtemps un lourd malaise entre quelques officiers. Dès
les premiers jours, on s’était rendu compte que, derrière les serments, les
sourires de circonstance et même quelques hommages réciproques, il y avait
beaucoup d’exécration. En effet, au départ en 1984, c’étaient au moins deux
catégories d’officiers et de sous-officiers qui s’étaient associés pour mettre fin
au régime du P.D.G :
- La première renfermait des officiers choyés par la Première République.
Leur trajectoire avait été marquée par des ascensions fulgurantes plus ou moins
méritées ou justifiées. Ils avaient appartenu au cercle restreint des dignitaires du
Parti-Etat évoluant dans l’administration, les sociétés d’Etat, le Parlement etc.
Les uns furent ministres, membres du Comité Révolutionnaire siégeant au
Camp Boiro ou des structures du Parti (Diarra Traoré, Lansana Conté, Abraham
Kabassan Keita, Mamadouba Bangoura, Kerfalla Camara, Amadou Kouyaté,
Mamady Bayo)… D’autres exercèrent les fonctions de gouverneur de région,
commandants d’arrondissement, directeurs de grandes entreprises
commerciales, à l’image de Bakary Sako, Sidy Mohamed Kéita, Karifa
Kourouma, Ousmane Sow, Jean Traoré…). Certains parmi eux s’étaient taillé
par ailleurs une solide réputation de délateurs, etc.
- La seconde était constituée d’officiers qui avaient vécu sous le joug de
frustrations et de déceptions. Ils furent emprisonnés parfois au Camp Boiro,
eurent des proches placés sous les verrous de la Révolution et ne purent jouer
pleinement le rôle auquel ils aspiraient. Ils en sont restés marqués. Faciné
Touré302, Mamadou Baldet, Fangama, etc. étaient les têtes de pont de cette
tendance. Ceux-ci ne pouvaient tolérer, après le 3 avril 1984, la présence aux
avant-postes de l’Etat, ‘’d’individus mangeant à tous les râteliers’’ (dixit un
d’entre eux).

225
Alhousseyni Fofana, dont les deux frères Karim et Almamy avaient péri au
Camp Boiro, éprouvait avec encore plus d’intensité le même ressentiment.
D’ailleurs, le futur ministre de l’agriculture, était, dit-on, issu d’une de ces
familles de la région côtière qui avaient fait fortune dans le travail des
plantations sous la colonisation et dont les descendants nourissaient une haine
atavique à l’endroit du P.D.G que leurs parents avaient combattu de toutes leurs
forces mais vainement.
C’est au sein de ce groupe qu’étaient dissimulés les partisans du nettoyage
des forces armées en vue de mettre un terme à l’hégémonie malinké.
Les contradictions n’ont donc pas tardé à éclater entre les deux courants. En
effet, une redoutable guerre ne voulant dire son nom fit rage aussitôt après que
le nouveau pouvoir ait été porté sur les fonts baptismaux. Les « échanges se
faisaient de plus en plus venimeux entre les deux camps en réunion du CMRN
ou en conseil de gouvernement », nous a confié un ancien ministre.
Mais, très tôt, le colonel Lansana Conté parvint à se hisser au-dessus de la
mêlée. Cependant, il n’usa pas de sa dimension jupitérienne pour jouer les
arbitres. Le chef de l’Etat, au contraire, avait favorisé et s’était mis à écouter le
camp composé en majorité d’officiers issus de sa communauté ainsi que
quelques revanchards pleins de haine. Aussi les événements qui allaient suivre,
s’ils n’avaient pas été par essence provoqués pour asseoir la suprématie d’une
communauté, force est-il de noter qu’ils avaient été influencés naturellement par
des préjugés et des facteurs liés à l’ethnie.
C’est ainsi que le Premier ministre cessa d’avoir son mot à dire dans la
gestion des principaux dossiers dès les premiers mois qui suivirent l’euphorie
provoquée par la victoire sur l’ancien régime. L’opacité qui aurait entouré la
nomination des préfets en avril 1984 et celle des ambassadeurs en octobre de la
même année est citée en exemple. Plus tard, aucun mot ne lui fut soufflé à
propos des négociations qui aboutirent à la libération de l’ancien ministre
d’origine béninoise, Sénaïnon Béhanzin (comble d’ironie, celui-ci après sa
libération, emprunta le même vol que Diarra Traoré pour rejoindre son pays
natal).295
Mais il est à noter surtout que sa destitution du poste de Premier ministre lui
était restée au travers de la gorge. Elle l’avait rendu hargneux et enclin à écouter
de plus en plus ceux qui lui susurraient l’idée d’enfourcher son cheval de
bataille. Poussé dans ses derniers retranchements, tous ceux qui connaissaient
son tempérament et n’ignoraient pas son goût du pouvoir s’attendaient à une
réaction de sa part après sa rétrogradation.

295
Le colonel Diarra Traoré ne le sut qu’à son arrivée à Lagos. Un ancien ministre
nous a raconté que l’ancien premier ministre fut incapable par ailleurs d’obtenir la
nomination de son neveu, professeur à l’IPGAN, à la tête d’une ambassade
contrairement à plusieurs de ses collégues qui bénéficièrent de cette faveur de la
part du président ou du ministre des affaires étrangères.

226
Sous la pression de ses thuriféraires, l’ambition de Diarra Traoré était
désormais de se hausser à cette première place occupée par Lansana Conté pour
redorer son blason.

LANSANA CONTÉ, MAÎTRE DU TERRAIN


En décidant cependant de passer à l’action le 4 juillet 1985, Diarra Traoré
s’était trompé sur toute la ligne. Il lui fallait vraiment passer par le chas d’une
aiguille pour parvenir à ses fins. En un mot pour plusieurs raisons son intention
de se débarrasser de Lansana Conté n’avait aucune chance d’aboutir. En 15 mois
de pouvoir, en effet, le président de la République n’était plus l’homme hésitant,
peu sûr de soi porté par ses camarades à la surprise générale à la tête de l’Etat,
le 5 avril 1984.
Le colonel Lansana Conté avait acquis de l’assurance. Habilement, il avait
renforcé sa mainmise sur l’armée. Des hommes sûrs avaient été placés à tous
les postes stratégiques. Ils contrôlaient la situation dans les deux grands camps
de la capitale et dans les principales garnisons de l’intérieur du pays.
Sa position de chef de l’Exécutif avait contribué par ailleurs à asseoir les
bases d’une administration définitivement gagnée à sa cause.
Les principaux responsables des services de sécurité dont la plupart avaient
fait leurs preuves dans la police politique du P.D.G lui étaient inféodés. Formés
généralement dans les instituts tchèques et est-allemands, ils disposaient d’un
savoir-faire incontestable. Ils le mettront entièrement à sa disposition.
Il convient aussi d’évoquer une dimension liée à la personnalité des deux
antagonistes. Derrière des apparences pataudes, Lansana Conté était d’une
rouerie toute paysanne. L’homme était doté d’une grande habileté manœuvrière.
Diarra Traoré avait commis le péché impardonnable de l’avoir sous-estimé. Il
se répandait en des rodomontades et des menaces contre le président et ses
ennemis au gouvernement au milieu de courtisans incapables de lui faire
entendre raison.
Dans l’entourage de l’ancien Premier ministre, on n’était pas loin en effet
s’agissant de Lansana Conté de parler d’un inculte à la tête près du bonnet,
manipulable à souhait et dont on se débarrasserait le moment voulu. Tout porte
à croire par ailleurs que, Lansana Conté s’était entouré de confidents et de
conseillers secrets qui lui rapportaient toutes les informations utiles et le
préparaient à pouvoir réagir victorieusement si son adversaire passait à
l’attaque.
Mais l’atout majeur du président reste et demeure l’armée. A ce niveau, il
n’existait pas de commune mesure entre les deux hommes. Lansana Conté avait
toujours évolué dans l’active. D’un abord simple et confronté aux mêmes
difficultés que les plus humbles, il jouissait de leur sympathie.

227
Il tissait en même temps des relations solides et très anciennes avec les
officiers, principalement ceux de son ethnie. Il avait pris soin de les installer à
la tête des unités les plus importantes de l’armée.
Il était pour ceux-ci un grand frère, un ami, un leader cristallisant leurs
espoirs d’être mieux traités un jour.
A l’inverse, malgré d’indéniables qualités humaines, le colonel Traoré, très
rapidement éloigné des casernes, n’avait pas eu l’occasion de se faire connaître
et apprécier par les hommes de rang de la nouvelle génération.
Depuis une quinzaine d’années, il sillonnait le pays d’un bout à l’autre, drapé
plutôt dans la tenue officielle des dignitaires du P.D.G que dans l’uniforme.
Gouverneur à Macenta, Pita et Boké, il avait cessé de partager l’existence de ses
frères d’armes. C’est dans cette dernière localité que le commandant Diarra
Traoré fut élevé au grade de colonel dans des circonstances dont le chef de l’Etat
guinéen avait le secret.
En effet, en mai 1983, le président du Niger, le Colonel Seyni Kountché
effectua une visite officielle en Guinée. A Boké, il donna du « Colonel » au
commandant Diarra Traoré en réponse à l’allocution de bienvenue prononcée
par le gouverneur. Un lapsus dû en grande partie à l’appartenance des deux
hommes à la même promotion de l’école de sous-officiers.
Le président Sékou Touré s’était emparé ensuite du micro et avait décidé
séance tenante d’élever le commandant Diarra Traoré au grade de colonel pour
ne pas faire mentir l’hôte de marque de la République.
Cette bonne étoile qui semblait l’accompagner n’était nullement de nature à
plaire à tout le monde dans l’armée. Elle suscita jalousie et haine dans certains
milieux.
Dans ces circonstances, il ne pouvait compter sur le soutien de la haute
hiérarchie militaire dans un éventuel bras de fer engagé contre Lansana Conté.
A l’extérieur, l’image du colonel Diarra Traoré était l’objet de déformations
monstrueuses et tendancieuses de la part de certains opposants à l’ancien
régime, frustrés de n’avoir pas été appelés aux affaires par les militaires. Ceux-
ci ne cachaient pas leur irritation de voir cet officier « sorti du moule de Sékou
Touré »296 et appartenant à la même ethnie que lui, parader dans les premières
loges du nouveau pouvoir.
Ils utilisèrent les colonnes de leurs publications pour le mettre en fricassée.
Mais, aveuglé par la passion, Diarra Traoré ignorait qu’il était dans l’œil du
cyclone. Il fut incapable de s’assurer que tous les hommes tournant autour de
lui étaient vraiment sincères. Or, à l’évidence, ils ne l’étaient pas tous. Une

296
Siradiou Diallo, l’auteur de cette formule, s’attendait-il ou souhaitait-il devenir
Premier ministre dès après le 3 avril 1984 ? Ils sont nombreux à l’avoir dit et à
l’expliquer en se basant sur le contenu de certains de ses articles parlant du colonel
Traoré dont il voulait occuper la place, soutiennent-ils.

228
tendance que confirmerait aux dires du commissaire Dioumessi, « la présence
dans son entourage du capitaine Ansoumane Konaté. Dépêché à Bamako et à
Tripoli par Diarra Traoré, pour faire part aux présidents malien et libyen de son
projet de coup d’Etat, celui-ci fit à son retour un compte rendu détaillé de sa
mission à Lansana Conté » 297 . Ainsi sans le savoir, le 4 juillet 1985 Diarra
Traoré avait-il sauté à pieds joints dans le piège qui lui avait été tendu. Selon
l’Association des Victimes de la Répression (A.V.R dont nous parlons plus
loin), Alhousseny Fofana le dira à un prévenu au moment de son interrogatoire :
« Diarra est b... Il aurait dû se douter qu’il était dans notre collimateur depuis le
jour de la formation du CMRN. Nous étions au courant de tout. C’est la raison
pour laquelle nous avons convaincu le Président de se rendre à Lomé. Notre
objectif était de l’amener à se découvrir parce que nous voulions en finir avec
ces rumeurs de coup d’Etat qui nous empêchaient de travailler. Il est tombé dans
le piège que nous avons tendu ».298 De son côté, l’hebdomadaire Jeune Afrique,
a rapporté qu'à son arrivée à Lomé, le 4 juillet 1985, le président Conté aurait
expliqué les raisons de ses ‘’hésitations’’ à prendre la direction de la capitale
togolaise en ces termes : « Un groupe d’officiers prépare un coup visant à
renverser le régime (...) Nous connaissons bien tous nos ennemis et toutes les
dispositions ont été prises afin de les neutraliser dès qu’ils oseront passer à
l’action. »299
Dès lors, pourquoi Lansana Conté et ses hommes n’ont-ils pas confondu
Diarra Traoré avant qu’il ne passât à l’acte ? A leur décharge, il faut reconnaître
que le passé récent du pays ne plaidait pas en faveur d’une telle option300. Il est
donc aisé de comprendre qu’ils aient choisi de ne pas attaquer les premiers
puisque ce serait un acte diversement interprété. Ils ont décidé de répondre à
l’assaut de l’adversaire en le frappant de plein fouet. Une stratégie payante basée
sur une connaissance parfaite des limites de l’adversaire avec la conviction
qu’au moindre déploiement, on répondrait par un déploiement d’une force
supérieure. Il est seulement regrettable que cette stratégie de contre forces ne se
soit pas bornée à neutraliser les puissances de feu de l’adversaire et que certains

297
Information recueillie auprès du commissaire Dioumessi.
298
Propos rapportés par le commissaire Dioumessi, le 22 avril 2012.
299
J A Dossiers Secrets de l’Afrique Contemporaine 1985, p.8.
300
Au cours d’un entretien à son arrivée à Lomé, un interlocuteur anonyme aurait
demandé à Conté s’il a « mis les putschistes sous les verrous. A votre place,
j’aurais immédiatement arrêté les comploteurs, ne serait-ce que pour les
empêcher de verser le sang d’innocents. » Le colonel aurait répondu : « Vous avez
raison dans l’absolu. .. Mais il se trouve que les choses sont plus compliquées
dans la mesure où, si j’arrête les comploteurs avant qu’ils ne passent à l’action,
on va m’accuser de procéder à un règlement de compte à caractère ethnique. Car
ceux qui préparent le coup d’Etat appartiennent tous, je le crois, à la même
ethnie. » (op.cité, p.8.)

229
l’aient aménagée pour s’en prendre à des couches de la population, innocentes
et sans défense.

LES COMPLICES RÉELS ET IMAGINAIRES DE DIARRA TRAORÉ


Il est évident que Diarra Traoré ne pouvait agir seul. Il lui était impossible
de s’engager dans une aventure aussi périlleuse sans l’accord préalable et la
participation active de certains complices et l’existence de réseaux de soutiens
acquis à sa cause avec leurs éventuelles ramifications.
Nous tenons de bonne source que ses principaux acolytes évoluaient
majoritairement dans la police. La police antigang est le corps sur lequel le
ministre d’Etat comptait le plus pour réussir son coup de force. Un sentiment
confirmé par des témoignages recueillis auprès de certains personnels de la RTG
retenus comme otages le jour de la tentative de coup d’Etat. En effet, ne voyant
que des policiers grouillant dans la cour de la RTG au moment de sa
séquestration, l’ingénieur électronicien, Sory Garanké Diallo, s’était demandé
en son for intérieur : « Est-ce la police qui serait en train d’organiser un coup
d’Etat en Guinée ? Si oui, c’est alors une folie qui, j’en suis sûr, coûtera très
cher à ses organisateurs. » 301 Le directeur général, Emmanuel Katty, s’est
souvenu pour sa part de « ce jeune policier qu’il a reconnu par l’insigne » et de
deux autres qui l’accompagnaient quand il a pénétré dans son bureau. Il sera
conduit manu militari par ses ravisseurs à la Sûreté Nationale où il eut le
sentiment que l’endroit servait d’Etat-major aux putchistes. Là, il sera
violemment pris à partie par un troisième policier, un transfuge de la RTG,
répondant au nom de Kamano Richard qui demandera qu’il soit liquidé sur le
champ. Mais, ses collègues avaient décidé de différer l’heure de son exécution
parce que l’otage devait, pour le moment, les conduire au domicile de Morlaye
Soumah Tâ Möla, le responsable de la Régie afin de se procurer de la musique
militaire. Une précaution que des putschistes bien organisés auraient prise bien
avant le déclenchement des hostilités.
Selon Kader Sangaré, le chef de la police antigang, le capitaine Mamady
Condé, son adjoint Baba Keita et l’agent Foromou, trois des policiers les plus
influents du pays étaient entièrement à la dévotion de Diarra Traoré. Les trois
hommes venaient de rentrer en Guinée après une formation de plusieurs mois
en Israël. Mais dix-huit mois après le coup d’Etat du 3 avril 1984, la Grande
Muette avait visiblement repris du poil de la bête. Dans cette Guinée
postrévolutionnaire, l’extinction de la milice populaire et son intégration dans
les différents corps militaires et paramilitaires l’avaient débarrassée de la seule
force capable de lui tenir la dragée haute dans certaines circonstances. Elle
disposait d’un arsenal composé d’armes nouvelles en nombre important. Elle
était encadrée par des instructeurs français et avait entièrement repris confiance
en elle-même. La police dont les capacités institutionnelles et opérationnelles

301
Horoya no 187 du mardi 30 juillet 1985, p.3.

230
sont connues et limitées ne pouvait pas par conséquent servir de roue motrice
d’un mouvement visant à conquérir le pouvoir. Seule l’armée face à laquelle
aucune force ne pouvait faire le poids était en mesure de concevoir et de réaliser
une telle opération. Or elle était dans sa quasi-unanimité rangée derrière le
colonel Lansana Conté.

DES MILITAIRES DANS LE CAMP DE DIARRA TRAORÉ


Il est cependant inimaginable que le Colonel Traoré soit passé à l’action sans
s’assurer de l’appui de certains officiers. Il ne pouvait en être autrement. En
effet, un groupe d’officiers, tout au moins devrait ruminer depuis le 18 décembre
1984 le désir de se ‘’venger de l’affront’’ ressenti après son éviction du
gouvernement.
Tous issus de la même ethnie que Diarra Traoré, blessés dans leur orgueil
les ravalant à des positions inférieures, la plupart d’entre eux rêvaient sans nul
doute de châtier Lansana Conté.
Dans une interview accordée à un site d’information, Amadou Damaro
Camara distille quelques noms susceptibles de servir de fil conducteur pour
établir la liste des officiers qui, dans une telle alternative, étaient susceptibles de
servir de complices actifs ou passifs au ministre d’Etat dans sa vaine tentative
de s’emparer du pouvoir. On y lit, notamment que « Lancinet Keita dit Fangama
et Sidi Mohamed Keita pourraient être considérés comme des proches » de
l’ancien Premier ministre. Le capitaine Mohamed Lamine Sakho, ministre de
l’Industrie, limogé lors du remaniement du 18 décembre 1984, s’était
‘’rapproché’’ également de Diarra Traoré. L’appartenance du dernier nommé
au groupe des conjurés du 4 juillet 1985 ne fait aucun doute selon le témoignage
de l’adjudant-chef de marine Keita Fodé302. « Déçu et amer, le capitaine Sakho
a été incontestablement l’un des principaux acteurs du putsch manqué contre
Lansana Conté », dit-il.
En effet, son départ forcé du gouvernement lui avait fait adopter une attitude
revancharde. Nommé ambassadeur au Gabon, il avait refusé de rejoindre son
nouveau poste et s’était mis à louvoyer. Visiblement, une idée lui trottait
derrière la tête. Un de ses neveux, se rappelle l’avoir mis de mauvaise humeur
le jour où il lui demanda pourquoi s’éternisait-il à Conakry alors que son
agrément lui était déjà parvenu ? Furibond, le capitaine conseilla à l’importun
de s’occuper de ses oignons avant d’asséner sur un ton sec : « d’ailleurs tout
cela va finir bientôt ». C’est pourquoi, admettant sans nul doute qu’il avait joué
et perdu, « le capitaine Sakho, n’opposa aucune résistance aux hommes qui se
présentèrent à son domicile dans la matinée du 5 juillet 1985 pour le conduire
en prison. Il fit ses adieux à son épouse et s’embarqua dignement dans la Jeep
chargée de l’amener vers son nouveau destin », conclut-il. Dans la marine où il

302
Entretien avec l’auteur le 4 juillet 2014, dans la commune de Kaloum.

231
avait assumé auparavant la charge de chef d’Etat-major et où son influence était
encore grande, le capitaine Sakho en avait usé auparavant pour obtenir
l’adhésion de certains marins au mouvement du 4 juillet ». Toutefois, l’adjudant
Keita, dit avoir été entrepris lui-même par le lieutenant Aboubacar Sidiki Diaby
303
: « C’est celui-ci qui m’avait dit au début du mois de juin 1985 que la
situation était devenue insupportable pour les malinké. Lansana Conté et les
siens multipliaient les scènes de vexation et d’humiliation à l’encontre des
nôtres. Il était par conséquent temps d’agir pour que cela cesse. Le colonel
Diarra Traoré, a-t-il ajouté, était en train de préparer un coup et on avait besoin
de moi. Je n’ai pas hésité à lui donner mon accord, surtout que je partageais ces
sentiments depuis un certain temps. »
Le capitaine Baourou Condé304, ancien commandant du bataillon des chars,
présentait de son côté toutes les apparences de l’officier déterminé à en découdre
avec Lansana Conté. Devenu préfet de Pita après son éviction du gouvernement,
« c’est un homme remonté qu’on entendait pester contre le ‘’traître’’ qui expiera
un jour son forfait », rapporte un ancien préfet en poste à l’époque en Moyenne
Guinée. De là à pactiser avec Diarra Traoré pour se débarrasser du ‘’félon’’, il
n’y avait probablement qu’un tout petit pas à franchir.
L’adjudant Mamadou Aliou Sow, ancien garde du corps et chauffeur du
capitaine Amadou Kouyaté, évoque de son côté l’’’entente cordiale’’ qui régnait
entre Diarra Traoré et son patron. Peu avant les événements du 4 juillet, celui-
ci rendait de fréquentes visites au Colonel en sa résidence ou dans une villa de
la Minière où le ministre d’Etat avait installé une de ses relations. Il y restait
jusque tard dans la nuit avant de rejoindre le domicile de son ami Kélétigui
Soumah situé dans la commune de Kaloum. Les proches du chef de l’Etat se
seraient-ils fondés sur ces indices pour conclure que le capitaine Kouyaté s’était
associé à Diarra Traoré dans le but de renverser Lansana Conté ? Hypothèse
plus que probable.
Mais, les malheurs du capitaine Kouyaté pourraient provenir aussi de son
entourage familial, affirme notre interlocuteur. En effet, « un membre influent
du CMRN, collaborateur immédiat du président, pressait la belle Madame
Kouyaté de ses assiduités. Il finira d’ailleurs par l’épouser après l’exécution de
l’infortuné mari. D’aucuns ne se privent pas d’établir une relation de cause à
effet entre le sort funeste du capitaine et ses déboires conjugaux », nous a confié
l’adjudant Sow.

303
Le 11 juillet 2014, l’auteur est entré en contact avec M. Diaby et un rendez-vous a
été fixé à son domicile mais annulé à la dernière minute parce que, nous a-t-il dit,
« les membres de mon parti déconseillent toute intervention de ma part sur un sujet
aussi sensible. ». M. Diaby promit de nous rappeler, ce qu’il ne fit jamais.
304
Entretien avec Oumar Traoré, ancien administrateur du territoire en Moyenne
Guinée, 25 juillet 2012.

232
Le lieutenant Mory Kaba, commandant des blindés, ancien président du
CUM du Camp Alpha Yaya, originaire de Kankan comme Diarra Traoré,
pouvait embrasser naturellement sa cause pour des raisons d’ordre identitaire.
La liste des complices militaires de l’ex-Premier ministre est susceptible de
comporter d’autres noms comme celui de l’adjudant Sékou Touré, membre du
CMRN. Le fougueux sous-officier avait voulu, semble-t-il, s’autoproclamer
président de la République le 3 avril 1984 305 . L’apparition inopinée du
commandant Oumar Soumah fut à l’origine de son renoncement à son projet.
Quel pied de nez du destin, quelle bombe psychologique, (coïncidence ou
surprise de l’histoire) ç’aurait été tout de même si l’adjudant Sékou Touré avait
réussi à succéder au président Sékou Touré dans l’ambiance qui prévalait ? En
fin de compte, à défaut d’occuper le fauteuil où était installé son illustre
homonyme, l’adjudant dut se contenter du poste de préfet de Dalaba. S’estimant
sans nul doute mal récompensé, il est fort probable qu’il se soit lancé dans une
aventure susceptible de satisfaire à ses rêves de grandeur.

DES MILITAIRES ARRÊTÉS DANS DES CIRCONSTANCES DOUTEUSES


Comme les nombreux civils incarcérés à la faveur des événéments du 4
juillet 1985 qui continuent de clamer leur innocence, il est peu probable que la
culpabilité de tous les officiers malinkés arrêtés dans le cadre de la conspiration,
ait été établie.
Il est, en effet, avéré qu’en dépit des revers essuyés par bon nombre d’entre
eux, notamment lors du remaniement du 18 décembre 1984, ces derniers
continuèrent, dans une écrasante majorité, à faire preuve d’attachement et de
loyauté à l’endroit du président Lansana Conté. Des témoignages comme celui
de Sékou Diallo Le Prince, homme d’affaires guinéen, qui vécut pendant
longtemps au Zaïre (actuelle RDC), le confirment. Celui-ci appartenait au
premier cercle des amis de Diarra Traoré. Evoquant leurs rapports, il nous a
confié en substance : « Il m’appelait mon Foccart car je partageais son projet de
renverser Lansana Conté et l’encourageais à le faire. Mais je ne me privais pas
non plus de lui prodiguer des conseils chaque fois qu’il me paraissait nécessaire
de le faire. C’est ainsi que je l’avais mis en garde contre toute précipitation
lorsqu’il m’annonça au mois de mai sa décision de passer à l’action. Je m’étais
rendu compte, en effet, que dans son entourage ne figurait aucun officier dont
le poids pouvait faire basculer le cours des choses en sa faveur. Je l’avais
constaté, après avoir parlé avec Kabassan que je ne suis pas parvenu du tout à
convaincre à se joindre à lui. Au contraire, celui-ci m’a dit en termes clairs que

305
Les journalistes présents dans les studios de la radio avaient été sommés par le
bouillant sous-officier de rédiger la déclaration qu’il devait lire à cet effet.
L’apparition inopinée du commandant Oumar Soumah mit fin à cette prise
d’otages qui ne voulait pas dire son nom, brisant en même temps les projets
présidentiels de l’adjudant.

233
jamais il n’entreprendrait quoi que ce soit avec Diarra dont les faiblesses et les
limites étaient de notoriété publique. Mais par-dessus tout, m’a-t-il dit, une
amitié et une collaboration franche et loyale ayant presque valeur de serment
l’unissaient à Lansana Conté’’.
Pour le corroborer, mon interlocuteur exhiba des photos jaunies où il
apparaissait en compagnie du futur président dans les maquis de l’actuelle
Guinée Bissau alors en lutte contre le colonialisme portugais. D’autres photos
dataient de l’époque où les deux hommes travaillaient ensemble à Boké et
constituaient de véritables clichés de famille. »306 Face à cette situation, j’avais
exhorté Diarra à revoir ses plans et à ne rien tenter à l’approche de ce second
semestre de 1985 parce que le contexte ne lui était pas encore favorable. Mais
il n’a pas voulu m’écouter. De guerre lasse face à son obstination, j’ai jugé
nécessaire de me mettre à l’abri, en prenant la direction de la France où je suis
arrivé le 6 juin 1985, en compagnie de mon frère aîné, l’ancien ministre des
Travaux Publics, Youssouf Diallo ».
Concernant Abraham Kabassan Keita, Amadou Damaro Camara a fait la
remarque suivante : « Kabassan était considéré comme un autre partisan de
Conté dans la conquête du pouvoir contre Diarra. Le 4 juillet 1985 a trouvé
Kabassan en compagnie du propre cousin de Conté à Dubréka. Il participa à
la mise en place des forces de défense de la ville contre toute attaque éventuelle.
Il a toujours été un fervent critique du style de Diarra. »307
Abraham Kabassan Keita passait par ailleurs pour un miraculé après être
sorti indemne des geôles du camp Boiro. Il n’avait jamais oublié qu’il devait
non seulement la liberté mais aussi la vie sauve au coup d’Etat du 3 avril 1984.
Ce sentiment de gratitude aurait contribué, dit-on, à renforcer son affection et sa
loyauté envers le président Lansana Conté.
Un jeune cadre, répondant au nom d’Ibrahima Kaba, responsable d’une
structure commerciale basée à Boké en 1985, y fréquentait assidûment
Mohamed Oumar Kébé, le gouverneur de la province. Quoiqu’ « en disgrâce,
celui-ci continuait de clamer sa loyauté au président Lansana Conté, son
‘’presque frère’’. Il aimait aussi à se prévaloir de ses liens d’amitié avec Faciné
Touré. La belle-famille du ministre des Affaires Etrangères, domiciliée à Boké,
bénéficiait de ses libéralités. Les rares fois où Kébé évoquait le nom du ministre
d’Etat en charge de l’Education Nationale, il n’en disait aucun bien », se
souvient-il.
C’est pourquoi, poursuit Ibrahima Kaba, « l’arrestation du capitaine Kébé
m’avait sidéré. En effet : « vers la fin du mois de juin 85, ce devrait être entre le
20 et le 30, le gouverneur m’avait fait venir. Il m’a informé que son père, très
avancé en âge, avait décidé, après un long exil en Côte d’Ivoire de rentrer
définitivement à Kankan avant la fin de l’année. Il fallait, par conséquent qu’il

306
Entretien avec l’auteur, Conakry, mars 2011.
307
Amadou Damaro Camara, interview accordée à Kibaro.com. , 17/02/2006.

234
s’empresse de renover la concession familiale. Il m’a demandé de l’aider à se
procurer les matériaux nécessaires à cet effet. Le capitaine Kébé s’était rendu
ensuite à Kankan pour entamer les travaux. Il s’y trouvait lorsque les
évènements du 4 juillet éclatèrent. En sa qualité de membre du CMRN, il avait
immédiatement rejoint Conakry. A son arrivée, Kébé s’était présenté au Camp
Samory. Il n’en est plus jamais revenu », dit-il.308
Dans une interview accordée au site d’information Kibarou.com en date du
17 février 2006, Amadou Damaro Camara laissa entendre au sujet du même
officier que : « Du 18 décembre 1984 à notre arrestation, Diarra et Kébé ne
s’adressaient pas la parole. A mon sens, il serait difficile de faire un coup
ensemble ». Il rappelle que le capitaine Kébé, par le passé, à la tête de la grande
Imprimerie Nationale Patrice Lumumba, y recevait régulièrement la visite de
nombreux officiers qui bénéficiaient de sa générosité à l’instar du futur
président Lansana Conté.
Selon toute vraisemblance, Le colonel Diarra Traoré ne pouvait pas compter
non plus sur la connivence d’autres officiers arrêtés et exécutés dans l’affaire du
4 juillet 1985. Le commandant Abdourahamane Kaba (ancien ministre des
Transports) était de ceux-là. Les rapports entre les deux hommes étaient,
semble-t-il, loin d’être idylliques. Le capitaine Mamady Bayo (ministre de la
Jeunesse et des Sports était considéré pour sa part comme le « petit » de Conté),
fait remarquer Amadou Damaro Camara. Le capitaine Bayo fut en effet (Sory
Doumbouya mis à part) le seul militaire malinké maintenu à son poste lors du
remaniement du 18 décembre 1984. Il n’avait donc aucune raison objective de
comploter contre le président.
Secrétaire Général de la Présidence de la République et plus proche
collaborateur du chef de l’Etat au moment où le colonel Traoré mit son dessein
à exécution, Amadou Mangatta Bangoura, soutient n’avoir pas douté un seul
instant de l’’’innocence’’ de Mohamed Oumar Kébé et d’Abraham Kabassan
Keita. Les deux hommes, à ses yeux, furent victimes de l’action néfaste
d’individus tenant coûte que coûte à les éliminer.
L’ancien ministre, Kader Sangaré, en activité à l’époque des faits au
ministère de la Coopération, 309 était lié à Diarra Traoré par des relations
familiales. Mais, un petit vent d’incompréhension soufflait sur leurs rapports et
les deux hommes avaient cessé de se voir au moment où le colonel préparait son
putsch. Malgré tout, dit-il, « j’ai été arrêté dès le 5 juillet 1985. Jeté dans la
cellule où croupissaient plusieurs officiers, je reconnus sans peine : Mamady
Bayo, Bakary Sacko, Oumar Kébé, Kabassan Keïta. Devant ma mine défaite,
ce dernier, plein d’optimisme, tenta de me consoler en prononçant ces paroles :

308
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 20 mai 2012.
309
Originaire du Ouassoulou, Kader Sangaré jouissait d’une grande popularité dans
la sphère juvénile et connaissait parfaitement toutes les personnes influentes du
pays.

235
« Ecoute, nous ne savons pas pourquoi nous avons été arrêtés. Mais, rassure-
toi, comme le retour du président est imminent, il nous fera libérer dès qu’il
sera là. »310
Cet espoir qui devait se révéler vain traduisait cependant le sentiment que
ces hommes assimilaient leur sort à une simple méprise.
En un mot, plusieurs officiers malinkés ne cachaient pas leur antipathie pour
Diarra Traoré. Ils soutenaient ouvertement Conté pour qui ils avaient de l’amitié
et lui avaient juré fidélité. Ils ne souhaitaient pas la victoire de Diarra Traoré
qu’ils désapprouvaient politiquement ou dont ils avaient tout à craindre. Sans
doute des amalgames ont-ils été faits, mais des actes délibérés ont été aussi
commis afin d’en finir avec d’autres pour des raisons inavouées.
Le cri de détresse du capitaine Bakary Sacko sentant approcher sa fin, est
révélateur à cet égard. Se sachant innocent, celui-ci n’eut d’autres recours que
d’adresser ce message posthume aux siens : « Je pressens le sort qui m’attend.
Mais, dites à ma famille que je n’ai jamais participé au coup d’Etat qui vient
d’échouer. Je vais mourir assassiné pour des raisons que seuls mes bourreaux
pourront expliquer. »311 Bakary Sacko a pointé du doigt Alhousseny Fofana qui
le ‘’tuerait pour une question de place’’. En effet, lors de la formation du premier
gouvernement de la Deuxième République, des témoignages laissent entendre
que deux tendances se seraient dégagées autour du choix du titulaire du
portefeuille de l’Agriculture. Les uns soutenaient le Chef de Bataillon
Alhousseny Fofana, les autres appuyaient la nomination du capitaine Bakary
Sacko312.
Plus tard, profitant des événements du 4 juillet, le Chef de bataillon
Alhousseny Fofana, Président de la Commission d’Enquête du CMRN aurait
limité l’interrogatoire du Capitaine Bakary Sacko à la déclaration
suivante : « Tu sais qu’entre toi et moi une course de vitesse avait été engagée.
Malheureusement pour toi, je suis arrivé le premier ; conduisez-le à la cabine
technique, autre appellation de la salle de torture. »313
Ancien vétéran de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Indochine,
le chef de bataillon Mory Traoré a, quant à lui, confié à un codétenu ce qui
suit : « Le destin est bizarre, mais il existe. S’il ne faisait pas si noir, tu aurais
vu la cicatrice des éclats d’obus que j’ai ramassés dans les reins en Indochine,
ainsi que mes blessures de la Guerre 39-45. Je ne suis pas mort sur ces fronts.
Je vais maintenant mourir pour Diarra Traoré avec lequel je ne parlais pas
depuis des mois. »314

310
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 13 juin 2012.
311
Idem. Confidence de Karinka Kourouma.
312
Extrait du Mémorendum sur la manipulation du 4 juillet 1985, Conakry le 25
novembre 1991
313
Idem, p.3.
314
Idem, p.3.

236
LES COMPLICES CIVILS
Le coup d’Etat du 4 juillet 1985 fut-il préparé exclusivement par des
militaires et para-militaires regroupés autour du colonel Traoré ? Assurément,
non. En effet, les preuves de l’implication de plusieurs civils dans la
conjuration sont à la fois nombreuses et irréfutables.
Du reste, le colonel, chaleureux, généreux, communicatif et bon vivant
comptait des amis dans toutes les sphères avant le 3 avril 1984. Leur nombre
ne pouvait que s’accroître après la prise du pouvoir par l’armée lorsqu’il
devint l’un des hommes les plus puissants du pays.
La plupart d’entre eux se transformèrent en intrépides thuriféraires quand
il était Premier ministre.
Ils savaient toucher à la corde sensible de l’homme qui n’était pas
indifférent à la flagornerie. Les veillées étaient alors quotidiennes à son
domicile. On y devisait et mangeait à satiété. Elles étaient agrémentées parfois
par la présence d’instrumentistes et de chanteurs traditionnels du Ouassoulou
qui entonnaient des airs à la gloire du maître de céans. Lorsque l’extase était
à son comble, il n’était pas rare que le Colonel se levât pour esquisser quelques
pas de danse de sa région natale pour la plus grande joie de ses hôtes.
Parmi ses soutiens civils, figuraient aussi, assure-t-on des représentants de
la diaspora guinéenne, originaires de la Haute-Guinée. Des intellectuels de
haut rang, déçus d’être tenus à l’écart de la gestion de l’après-Sékou Touré ou
espérant occuper le devant de la scène après l’avènement du Colonel Traoré à
la tête de l’Etat.
Mais le cercle des courtisans s’était rétréci après son limogeage du poste
de chef du gouvernement. Les visiteurs ne se bousculaient plus au portillon.
Cependant, le noyau dur continuait à lui témoigner sa loyauté en le fréquentant
avec assiduité. Trois de ces hommes seront en première ligne au cours des
événements du 4 juillet 1985 : Ben Salia Kouyaté, Sory Dioubaté
communément connu sous le nom de Dia Sory, et Amadou Damaro Camara.
Le premier nommé était un ancien diplomate. Etudiant pendant les années
1970 à l’Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser (actuelle Université de
Conakry), il avait été élu par ses camarades vice-président du Conseil
d’administration de l’établissement en 1971. D’un activisme notoire, il était
alors l’un des jeunes loups du parti, promis à une belle carrière. Sa nomination
moins de deux ans après la fin de ses études, en qualité de premier conseiller
auprès de la Représentation Permanente de la Guinée à l’O.N.U, vint le
confirmer. Mais après avoir exercé cette charge pendant quelques années au
Palais de Verre de Manhattan, Ben Salia Kouyaté était entré en dissidence. Il
avait rompu avec la Révolution, et demandé l’asile politique au pays de
l’Oncle Sam avant de se lancer dans une carrière d’homme d’affaires. Si sa
défection avait intrigué le grand public, elle n’avait pas surpris pour autant ses
anciens collaborateurs de la mission diplomatique à cause du caractère

237
conflictuel de ses rapports avec ses supérieurs successifs. Il était toujours sorti
victorieux de ses différents bras de fer jusqu’au moment où il s’était heurté à
un cacique du Parti et y avait laissé des plumes. Rappelé à Conakry, il
s’insurgea contre la décision en organisant une conférence de presse à New
York au cours de laquelle il reprit à son compte la célèbre phrase de Victor
Andréïvitch Kravchenko : « J’ai choisi la liberté. » En 1984, après la chute du
P.D.G, Ben Salia Kouyaté retourna en Guinée et devint très rapidement le
confident le plus influent du nouveau Premier ministre.
Le second, Sory Dioubaté, ancien steward de la compagnie Air-Guinée, était
en poste au ministère de la Coopération Internationale. Véritable boute-en-train,
l’air toujours jovial, il était l’ami, le griot et le majordome du ministre d’Etat.
Le troisième personnage qui fit beaucoup parler de lui pendant l’occupation
de la maison de la radio était le jeune Amadou Damaro Camara, ancien étudiant
en Roumanie et haut fonctionnaire à la Banque Centrale de la République de
Guinée. Malgré des liens avec Diarra Traoré datant de l’époque de sa tendre
enfance à Kankan, il ne faisait pas partie pour autant du cercle des intimes du
ministre d’Etat au moment où celui-ci assumait les fonctions de chef du
gouvernement. Son entrée dans l’entourage immédiat du colonel intervint après
la suppression du poste de Premier ministre. Elle intervint dans un contexte où,
blessé dans son orgueil, l’officier devrait être à la recherche du plus grand
nombre possible d’alliés avant de déclencher son coup.
Cette liste nullement exhaustive pourrait être élargie à d’autres personnes
tombées plus tard dans les filets du CMRN. Mais, les arrestations opérées après
le 4 juillet sur des bases essentiellement ethniques ne permirent pas de séparer
le bon grain de l’ivraie. La vérité se saura le jour où les archives du CMRN
seront livrées au public ou lorsque quelques-uns des principaux acteurs de ces
événements seront en mesure de parler. En effet, l’un des anciens codétenus de
Diarra Traoré aux ‘‘32 Escaliers’’ soutient que, du fond de sa cellule, l’ancien
Premier ministre avait adressé au président Conté une lettre contenant la liste de
ses complices. Sama Panival Bangoura fut chargé de la remettre à l’Archevêque
catholique de Conakry315 qui devait servir d’intermédiaire entre le prisonnier et
le Chef de l’Etat. Mgr Sarah l’avait-il fait parvenir à son destinataire ? En tout
cas, selon les mêmes sources, le lieutenant Bangoura avait remis plus tard un
chapelet au prisonnier316 de la part de l’homme d’église en guise d’accusé de
réception. Dans ces conditions, les choses devenaient claires. Aucune
arrestation n’aurait dû être effectuée en dehors du cercle des complices cités par

315
L’ancien archevêque de Conakry a été créé cardinal en novembre 2010, à 65 ans,
par sa Sainteté le pape Benoît XVI. Il fait partie aujourd’hui de la haute hiérarchie
de l’Eglise catholique romaine.
316
Entretien avec l’adjudant Karinka Kourouma, propos confirmés plus tard par
Dioumessi.

238
Diarra Traoré lui-même. A moins que l’occasion n’eût paru trop belle pour
certains de régler des comptes. Une hypothèse qui n’est pas à écarter.
De toute façon, la confirmation de cette relation épistolaire entre
Monseigneur Sarah et quelques prisonniers après la tentative de putsch de
Diarra Traoré, a été établie par l’ancien archevêque de Conakry en personne.317
Le cardinal a révélé dans un ouvrage paru en 2015 que l’ex-Premier ministre lui
avait adressé une lettre le 7 juillet 1985. Ecrite sous le sceau de la résipiscence,
Diarra Traoré demandait pardon à « mon frère (Lansana Conté NDLA) ». Il
sollicita la magnanimité du chef de l’Etat pour continuer de s’occuper de sa
nombreuse famille « composée de 14 enfants à très bas âge (sic) ».
Battant sa coulpe, le Colonel déchu reconnaissait « avoir commis la faute la
plus lourde de ma vie ». Par conséquent, il exhortait le prélat à user de son
« humanisme légendaire » pour obtenir du chef de l’Etat « une clémence
exceptionnelle » en sa faveur, d’autant plus qu’il estimait « être encore
récupérable ». Mais le document reproduit par le cardinal Sarah ne comporte le
nom d’aucun éventuel complice de Diarra Traoré dans son entreprise suicidaire.
Peut-on croire cependant que toutes les personnes arrêtées, torturées et
exécutées d’une manière encore plus expéditive que sous la Révolution, étaient
impliquées dans la tentative de putsch perpétrée par l’ancien Premier ministre ?

LE COLONEL DIARRA TRAORÉ PASSE À L’ACTION


En ce début du mois de juillet 1985, une grande animation régnait dans
l’entourage de l’ancien Premier ministre. Les initiatives se multipliaient en
prévision de l’action à venir. Dans cette atmosphère visant à s’assurer toutes les
chances de réussite, un ami du colonel fit venir de Nouakchott, un derviche
mauritanien prénommé Mohamed qu’il installa à son domicile. 318 Des
émissaires furent dépêchés au Burkina Faso. Ils en revinrent munis d’une
tunique (dibilan en malinké) permettant à toute personne l’ayant revêtue de
devenir invisible. Procédé éprouvé par le passé dans les sociétés traditionnelles
mandingues. Il ne réussissait cependant qu’aux hommes vertueux et non aux
joyeux épicuriens. Or le ministre d’Etat, était connu pour ses solides appétits
terrestres. Aussi le recours à ce stratagème ne pouvait-il que faire long feu.
Mais on supputait principalement sur le moment où il fallait agir, surtout que
les conjurés n’ignoraient pas que le président devait quitter le pays pour un
séjour à l’étranger. Les préparatifs ont donc commencé sur des chapeaux de
roue.
On se demande d’ailleurs si Diarra eut le temps de l’enfiler avant sa course
folle pour échapper aux hommes lancés à ses trousses par le CMRN.

317
Sarah Robert, op.cité, p.p. 94-95.
318
Après l’échec de la tentative de coup d’Etat, le mage et son hôte se sont retrouvés
au Camp Alpha Yaya.

239
Toujours est-il que les réunions se sont succédé à un rythme effréné. La
prévention que le ministre d’Etat avait contre son adversaire l’avait rendu
imperméable à tout conseil l’invitant à réfléchir à la portée et aux conséquences
de son projet. Les rares personnes de son entourage, gardant encore toute leur
raison, et comprenant que là où il en était, Diarra Traoré devrait être protégé
contre lui-même, n’avaient plus voix au chapitre. Il écartait d’un revers de la
main, tous les appels à la prudence, à la retenue. « Je lui réglerai bientôt son
compte », c’est, affirment certains témoins, la formule aseptisée qu’il utilisait
en parlant de Lansana Conté qu’il était sûr de réduire à néant.

‘‘J’AI DEMANDÉ À DIARRA DE QUITTER LE TERRITOIRE’’


Bintou Diakité319 , autre proche de l’ancien Premier ministre, se souvient
ainsi de l’avoir régulièrement mis en garde contre le danger qui le guettait.
Policière de son état, elle n’ignorait pas en effet que le domicile du colonel avait
été placé sous haute surveillance. Policiers, gendarmes, et militaires s’y
relayaient en permanence.
Des perquisitions inopinées étaient organisées dans ses appartements privés
par des agents profitant de son absence à une telle fréquence qu’elle ne put
s’empêcher de demander à Diarra Traoré de quitter discrètement le territoire.
C’était la seule façon, pensait-elle, « de le soustraire au sort auquel voulaient le
soumettre ceux qui avaient juré sa perte ». Mais « je fus surprise et surtout
profondément inquiète devant son entêtement et son enfermement. En effet, sûr
de lui, Diarra a repoussé ces prédictions funestes, et excédé a fini par lâcher à
chaque fois que je revenais à la charge : « Je suis et resterai là où je me trouve
jusqu’au bout. Qu’importe ce qu’il adviendra de moi. », poursuit-elle.320
Sur le plan mystique également, Lansana Conté avait pris plusieurs
longueurs d’avance sur son rival. Le président s’était assuré, en effet, en Guinée
comme à l’étranger, les services d’une kyrielle de devins et d’hommes aux
pouvoirs occultes illimités. El hadj Ibrahima Soumah, le puissant marabout
vivant au Maroc qui avait prédit son arrivée au pouvoir continuait de le couvrir
de ses bénédictions ayant le don d’être souvent exaucées. 321 D’ailleurs, aux
dires de nombreux témoins, le vieil érudit, originaire de la Côte, avait été par le
passé, un de ceux-là que consultait le président Sékou Touré lui-même ce qui
en disait long sur sa notoriété, l’efficacité de ses méthodes et sa pratique des
chefs. Mais lorsque mise en contact en mai 1985 avec El Hadj Soumah par une
relation commune, Bintou Diakité voulut placer également Diarra Traoré sous
sa protection, elle s’entendit répondre sans détours, par le marabout qu’ « il était
trop tard » Celui-ci enchaîna que : « Les astres sont catégoriques : bientôt,

319
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 10 avril 2013.
320
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 16 février 2013.
321
Idem avec Kader Sangaré, Conakry, le 20 mars 2012.

240
Diarra aura des problèmes dont il ne se sortira pas et tu ne seras pas épargnée,
toi non plus. »322
Ainsi, Diarra Traoré était pris dans l’étau car en plus, Lansana Conté et ses
hommes avaient une maîtrise totale du terrain. Le président savait tout et prit
quelques mesures préventives.
Le 2 juillet déjà, une liste de personnalités suspectes avait été déposée au
Km36. Le but avoué était de les empêcher de quitter la capitale. Les noms de la
plupart des personnes incarcérées après la tentative de coup d’Etat y étaient
mentionnés323. Les droits fondamentaux de ces personnes faisaient l’objet de
violations répétées à peine voilées depuis plusieurs semaines. Elles étaient
placées sur écoute, leurs correspondances passées au tamis, on leur dérobait des
documents et, sans le savoir, leurs déplacements étaient épiés. Tout était
organisé pour que rien de ce qu’elles faisaient n’échappât aux autorités.
Le même jour, le capitaine Fodé Sangaré, commandant du Camp N’Krumah
situé à la périphérie de la capitale, avait été neutralisé. Le capitaine Mamady
Condé, chargé de mobiliser les hommes devant intervenir dès que le signal serait
donné, avait été également arrêté, d’après les dires de Kader Sangaré324. Un
civil, le professeur Ismaël Condé, ancien directeur général du Commerce
complétait la liste des complices supposés ou réels de Diarra Traoré frappés par
ces mesures. Le point de contrôle installé au Km36 avait été renforcé pour que
toutes les personnes sur lesquelles pesaient des soupçons fussent dans
l’impossibilité de s’éloigner de la capitale.

UN COMMANDO FRANÇAIS À CONAKRY ?


Peu avant les évènements du 4 juillet 1985 a été enregistré, « un évènement
qui allait peser lourd dans la balance à savoir l’arrivée à Conakry d’un
commando français », affirme le commissaire Ibrahima Dioumessi325. Selon lui,
Le Canard Enchaîné, avait publié auparavant dans son édition du 25 juin 1985
que « des forces françaises ont débarqué à Conakry sous le commandement
d’un Colonel répondant au nom de Bernard ». Mais le vrai nom de l’officier en
question serait Alain Pasquier. Lui et ses hommes « joueront un rôle important
pendant les jours suivants », poursuit l’ancien policier. Le Français participa en
personne à l’opération qui permit aux forces loyalistes de reprendre le contrôle
de la radio. Il prit ensuite une part active aux négociations avec les hommes de
Diarra Traoré en vue de la libération de leurs otages. En outre, le colonel
Pasquier s’opposa énergiquement à leur exécution sans autre forme de procès
lorsqu’ils tombèrent entre les mains des forces loyalistes.

322
Idem. D’autres sources indiquent plutôt la date du 3 juillet.
324
Idem avec Kader Sangaré, le 20 mars 2012.
325
Entretien avec l’auteur, Conakry.

241
Les agents placés sous le commandement du Français ont effectué par
ailleurs des patrouilles à travers la ville. Ils ont procédé à des contrôles d’identité
qui contribuèrent à stabiliser la situation.
A en croire le commissaire Dioumessi, le colonel Pasquier avait été décoré
au terme de sa mission en Guinée par Charles Hernu, le ministre français de la
Défense pour « services exceptionnels rendus à la patrie ».
Il est troublant de constater cependant que ces révélations n’ont pas
rencontré beaucoup d’écho dans l’Hexagone.
La presse française qui avait pourtant l’habitude de faire des gorges chaudes
pour commenter la situation politique en Guinée s’est montrée d’une manière
générale très discrète à propos des événements de ce mois de juillet 1985.

LE PRÉSIDENT SE REND FINALEMENT À LOMÉ


Le 4 juillet 1985, le président Lansana Conté était attendu à Lomé en début
de journée. Mais, dans la matinée, le chef de l’Etat ne s’était pas présenté à
l’aéroport où les corps constitués avaient été convoqués pour le cérémonial de
départ. Un détail assez troublant qui ne donna pas à réfléchir aux conjurés. Au
bout du compte, à 18 heures, le colonel Lansana Conté avait fini par quitter la
capitale guinéenne pour celle du Togo. Le ministre d’Etat chargé de l’Education
nationale n’était pas présent à l’aéroport. Une absence mentionnée dans son
compte-rendu par le reporter de la RTG et qui n’avait pas manqué d’aiguiser les
curiosités. Interrogée à ce sujet, la commissaire de police Bintou Diakité,326
affirme avoir rencontré Diarra Traoré pour la dernière fois le 4 juillet 1985, à 15
heures. L’entretien avait été bref entre les deux personnes. Le Colonel
s’apprêtait à embarquer dans la voiture de Dia Sory Dioubaté pour se rendre à
l’aéroport afin, disait-il, de « saluer le président avant son départ pour Lomé ».
Alors, que s’était-il passé avant le décollage de l’avion présidentiel ? Le
ministre aurait-il changé d’avis, chemin faisant ? Aurait-il usé de faux-fuyant
pour brouiller les pistes en s’adressant à la commissaire de police ? Aurait-il été
interpellé en cours de route et placé en lieu sûr comme on le prétendra dans
certains milieux ? Plus personne n’est là pour répondre à ces questions,
obligeant ceux qui s’y intéressent à se perdre en conjectures.
Mais pour les conspirateurs, une chose paraissait sûre après l’envol du
Boeing d’Air Guinée en direction du Togo, c’était le moment d’agir. Toutefois,
des questions récurrentes se posent avec acuité dans l’esprit de maints
observateurs : les hommes de Diarra Traoré s’étaient-ils concertés pour
convenir de l’heure exacte du déclenchement des opérations ? A-t-on eu la
preuve que le Colonel était aux manettes au moment où ils pénétrèrent dans le
studio de la RTG pour diffuser son message ? Inexpérimentés et dopés par
l’ambition, agirent-ils dans la précipitation en croyant que le départ de Lansana

326
Entretien avec l’auteur, Conakry.

242
Conté garantissait le succès de leur entreprise ? Enfin, ces hommes auraient-ils
été manipulés, vendus pour trahir leur maître en dévoilant sur la place publique
un secret qui n’en était plus un depuis longtemps pour ses adversaires327? La
réponse à cet ensemble de questions ne manque pas de susciter des polémiques,
même si elle apparaît en filigrane à travers les témoignages de certains acteurs,
repris plus loin.

327
Toujours selon l’hebdomadaire J A, Lansana Conté aurait dit en réponse à une
question posée par un interlocuteur anonyme : « Il faut que je les prenne les mains
dans le sac », comme pour confirmer qu’il savait déjà tout.

243
CHAPITRE XI

Le film des événements


ou la problématique
de la double cassette

Décidément, la tentative de coup d’Etat perpétrée par Diarra Traoré


comporte son lot de mystères, de controverses. Au centre, figurent des
interrogations, des doutes, des polémiques, voire des empoignades concernant
la cassette diffusée dans la soirée du 4 juillet 1985.
L’unique survivant de la ‘’bande des trois’’ et le seul à communiquer sur le
sujet, Amadou Damaro Camara, use du conditionnel en parlant de l’auteur de la
déclaration de prise du pouvoir lue par Diarra Traoré. Elle « aurait été l’œuvre
de Ben Salia Kouyaté », dit-il. L’enregistrement a été effectué le 3 juillet 1985
au domicile de Sidiki Kouyaté sis à la Minière, à en croire le témoignage de
Kader Sangaré ou dans la villa de Nènè Taïbou, l’une des épouses du Colonel,
selon les confidences de l’adjudant-chef Karinka Kourouma. Amadou Damaro
Camara précisera à cet effet que « dans un premier temps, Ben Salia Kouyaté
s’est chargé de lire le texte en personne. Mais plus tard, Diarra, vérifiant la
qualité de l’enregistrement, aurait émis des réserves non seulement sur le
timbre de la voix de Ben Salia, qui sonnait plutôt comme celle d’une femme,
mais aussi sur la qualité technique même de l’enregistrement. Sur sa
recommandation, le texte fut repris et lu par Diarra Traoré lui-même. »328
Cette version, est tout à fait plausible parce que provenant d’un acteur de
premier plan desdits événements.
Elle ne fait pas cependant l’unanimité. Siradiou Diallo insinue, en effet, une
sorte de théorie de la double cassette. Il accuse Hervé Vincent Bangoura de
s’être emparé de la fameuse cassette, dont il a fait diffuser la copie sur les
antennes de la radio au cours de cette soirée du 4 juillet 1985. Il faut tout de
même rappeler, pour ôter tout sérieux à ce témoignage, que Hervé Vincent
Bangoura a incarné, dans l’esprit du journaliste de l’hebdomadaire de la Rue
des Ternes et opposant éternel à tout ce que celui-là défendait, la face la plus

328
Site Kibaro.com, 17 janvier 2006.

245
cachée et la plus redoutable de la répression en Guinée. Visiblement, Siradiou
Diallo prêtait des pouvoirs quasiment magiques au grand flic. Il n’a eu de cesse
d’évoquer son extraordinaire capacité à déjouer les manœuvres des opposants
politiques en Guinée. L’ennemi irréductible du régime du PDG et adversaire de
Lansana Conté est catégorique : Hervé avait placé des taupes dans l’entourage
de Diarra Traoré et le reste n’était plus qu’un jeu d’enfant.
D’autres hypothèses allant des plus invraisemblables aux plus farfelues qui
ne méritent pas d’être reproduites ont été avancées. L’affaire de la cassette, c’est
la bouteille à l’encre. Une bonne question qui ne conduit pas forcément à une
bonne réponse. Nous laissons, pour notre part, le soin à ceux qui s’y intéressent
d’œuvrer à fermer la porte aux suspicions pour ne plus laisser prospérer les
ragots et les rumeurs.
Il est cependant indéniable par-dessus tout que la voix qui a pourfendu les
ondes de la radio guinéenne dans la soirée du 4 juillet 1985, annonçant
l’avènement d’un nouveau régime en Guinée, était celle du colonel Diarra
Traoré. C’est là le fond de la question.

L’OCCUPATION DE LA RADIO PAR LES HOMMES DE DIARRA TRAORÉ


Le jeudi 4 juillet 1985, en effet, vers 21h 30, un groupe composé
essentiellement de policiers a surgi dans² l’enceinte de la Radiotélévision
Guinéenne. Les conspirateurs investissent le studio A, le principal studio
d’émission. Ses occupants sont faits prisonniers : ce sont des journalistes et
agents techniques, tels que Thierno Diaka Souaré, M’Bemba Deen Yansané,
Doussou Mory Camara, Moussa Soumah… Le directeur général, Emmanuel
Katty, le chef des studios, M’Baye N’Diaye et le responsable de la régie,
Morlaye Soumah dit ‘’Tamöla’’ ne tarderont pas à les rejoindre. Les rangs des
otages grossiront entre 22 heures et 22h30 après que les putschistes se soient
emparés d’une douzaine d’autres cadres de la télévision : Ousmane Sébhory
Diallo, aide-ingénieur, Karifa Keita, aide-ingénieur, Lamine Camara, agent
technique, Mariama Barry, présentatrice, Marcel Camara, aide-ingénieur,
Oumar Doumbouya, aide-ingénieur, Pascal Yombouno, décorateur, Ibrahima
Camara, agent technique, Bangaly Kaloko, agent technique, Yamoussa Camara
du Point d’Appui (P.A.) militaire basé dans l’enceinte de la station, Sory
Garanké Diallo, ingénieur. Deux des assaillants connaissaient parfaitement les
lieux : le technicien Abdallah Camara qui avait procédé à l’enregistrement de la
cassette et l’adjudant Abdoulaye Diakité, dit Taras 329 , originaires du
Ouassoulou comme Diarra Traoré. Les deux hommes avaient préparé

329
Ce dernier était un opérateur d’antennes de la Voix de la Révolution. Il est entré
ensuite dans l’armée après une formation en Chine et évoluait dans le corps de la
marine. Son supérieur à la radio avait été un certain M’Baye N’Diaye à qui il avait
été recommandé par son beau-frère Mamady Keita, alors ministre de
l’Enseignement Supérieur.

246
minutieusement leur coup. En effet, si le premier était encore en activité à la
RTG, le second y avait été formé à la technique d’utilisation des consoles
quelques années plus tôt. En le dévisageant, le chef des studios, M’Baye
N’Diaye s’était rappelé soudain que, depuis quelques jours, Diakité venait
régulièrement à la RTG et en profitait pour échanger des amabilités avec lui
dans son bureau situé à l’endroit même où il venait de faire irruption en
compagnie des autres putschistes. Il est vrai que ses visites répétées n’avaient
pas manqué de l’intriguer bien qu’il fût à mille lieues d’imaginer qu’elles
s’inscrivaient dans une opération dont il était en train de vivre l’aboutissement.
D’ailleurs, à chaque fois qu’il avait interrogé l’adjudant Diakité, pour connaître
les raisons de tant de prévenances celui-ci répondait invariablement, avoir
plaisir à revoir et saluer ses anciens collaborateurs de la radio, maintenant que
le destin avait voulu que leurs chemins se séparent.
Amadou Damaro Camara, le jeune cadre de la Banque Centrale de la
République de Guinée (BCRG) était avec eux, préparé à jouer le même rôle que
Faciné Touré lors de la prise du pouvoir par l’armée le 3 avril 1984.
Le journaliste Thierno Diaka Souaré qui le voyait pour la première fois
dressera de lui le portrait suivant : un « autre homme, grand de taille, habillé en
civil, chemise blanche à manches courtes, pistolet en main, contrôlait le
déroulement de la situation330. »
Le cours des émissions de la radio fut interrompu. Tenus en respect, les
otages exécutèrent sans broncher les injonctions des envahisseurs. La
déclaration du colonel Traoré fut aussitôt diffusée.

MOI, COLONEL DIARRA TRAORÉ !


Avec sa voix de stentor rappelant celle qui déclenchait des rafales
d’applaudissements quand il prenait la parole du haut de la tribune du Palais du
Peuple à l’occasion des grandes assemblées du Parti-Etat, le colonel a entamé
son discours en clouant au pilori « les vingt-six années d’isolement politique, de
dictature sanglante, de népotisme inqualifiable et de sabotage économique » Un
verdict très sévère et une façon, à n’en pas douter de se démarquer de son passé
récent ou une manœuvre de diversion comme le soutiennent ceux qui pensent
que son objectif était de redonner le pouvoir aux anciens dirigeants. Le colonel
déplora que l’espoir entretenu par l’avènement de l’armée au pouvoir, le 3 avril
1984 « ait été déçu ». Il dénonça « le fameux CMRN qui n’a pensé qu’aux
intérêts égoïstes de certains de ses membres. »331 Il fustigea « la pagaille et le
désordre ruinant les espoirs nourris au lendemain de la prise du pouvoir par
l’armée ». Point d’orgue de sa déclaration : Diarra Traoré avait annoncé le
double avènement du « Comité Suprême d’Etat » et de la « IIIème

330
Horoya, n° 179 du mardi 9 juillet 1985. P.5
331
Des fragments importants des différents communiqués diffusés dans la soirée du 4
juillet 1985 figurent dans les pages annexes.

247
République ». Il s’est autoproclamé Président des deux institutions et nouveau
Chef de l’Etat guinéen. Enfin, le Colonel Traoré avait pris l’engagement de
« préserver la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et d’œuvrer à créer
toutes les conditions d’un développement économique tant attendu, dans une
véritable et totale réconciliation nationale ». Diarra Traoré promit par ailleurs
de réprimer avec la plus grande sévérité toute tentative de résistance.
La déclaration du colonel fut suivie de la diffusion de trois communiqués
rédigés et lus par Amadou Damaro Camara selon un schéma inspiré du coup
d’Etat du 3 avril 1984.
Le communiqué numéro 3 était relatif à la dissolution du CMRN et du
gouvernement. Il a ‘’statué’’ sur le sort réservé à Lansana Conté qui « n’est
plus » qu’ « un citoyen en exil ».
Dans le communiqué précédent, ‘’le Comité Suprême d’Etat’’ avait annoncé
l’élargissement des membres de la famille du président Ahmed Sékou Touré,
emprisonnés depuis le mois d’avril 1984. Une décision indiscutable dans le fond
qui venait réparer un déni de justice motivé par la haine à l’origine de
l’arrestation de son épouse, de ses enfants, de ses sœurs et de certains de ses
parents n’ayant jamais occupé de fonction politique. Une manière pour le
colonel de se racheter aussi après s’être répandu en des propos violents contre
l’ancien président au lendemain du coup d’Etat du 3 avril 1984. Un clin d’œil
en direction de sa propre communauté au sein de laquelle, ses propos lui avaient
aliéné de nombreuses sympathies. Toutefois, le contexte dans lequel la mesure
intervenait pouvait donner matière à controverse. Il avait donné la possibilité de
prétendre dans certains milieux avec une mauvaise foi évidente que tous les
compagnons du président Sékou Touré auraient bénéficié de ses effets, prélude
à un retour à l’ancien régime.
Sans se faire l’avocat du diable, nul ne devrait, en effet, se méprendre sur le
contenu réel du second message des putschistes. Il était clairement formulé que
la mesure concernerait exclusivement les personnes « qui n’ont jamais assumé
une responsabilité dans la gestion du patrimoine économique national » (voir
annexe). Un critère qui excluait toute attitude s’apparentant à de la mansuétude
à l’égard de certains prisonniers.
La rediffusion des communiqués s’est poursuivie pendant une bonne partie
de la soirée. C’est après, note Thierno Diaka Souaré, que nous entendîmes « un
petit bruit à l’orée du bloc technique (…) Le commando (Abdoulaye Diakité,
NDLA) s’y rendit. Et puis, pan ! Est-ce un technicien ou un journaliste ? » Pour
toute réponse, « le commando trempé de sang, blessé au bras et aux lèvres.
’’Voilà ce qu’il cherchait’’, dit –il ! C’est ce qui vous attend, vous aussi !’’» Le
récit n’apporte pas plus de détail sur cet épisode portant à croire qu’un homme
venait d’être abattu par Diakité. Le nom de la victime n’apparaît nulle part dans
les récits et témoignages que nous avons compulsés.

248
Mais, à en juger par la réaction de son assassin, il ne pourrait s’agir que d’un
individu qui désapprouvait les putschistes. Celui-ci aurait-il tenté de s’opposer
physiquement à leur dessein ? A-t-il exprimé trop bruyamment ses sentiments à
leur endroit ? Les minutes s’égrenaient lentement, péniblement pour les otages.
Le discours de Diarra Traoré et les deux communiqués faisaient l’objet de
rediffusions multiples, sous les menaces suivies de coups de feu dans les
couloirs du bloc. L’arrivée sous bonne escorte policière de Tamöla, le
responsable de la bandothèque, permit aux putschistes de se procurer et de
diffuser de la musique militaire.
Des coups de téléphone authentiques ou simulés, soutenant ou jetant
l’anathème sur les conspirateurs, pleuvaient. Le visage de Diakité se muait en
fonction de leur contenu. Il était ivre de joie lorsqu’ils provenaient de personnes
approuvant le coup d’Etat et immédiatement diffusés, repoussés
dédaigneusement en revanche quand ils exprimaient l’hostilité et le mépris de
leurs auteurs à l’endroit du principal instigateur du putsch et de ses acolytes. Un
scénario qui s’est poursuivi jusqu’au moment où survint une coupure
d’électricité. Les studios furent plongés dans une obscurité totale provoquant
chez les assaillants un trouble mêlé de colère et de crainte.

RÉACTION DES LOYALISTES


Ils avaient compris, sans nul doute, depuis un certain temps, que les carottes
étaient cuites. Les illusions que Diarra Traoré avait nourries en croyant que
l’absence de Lansana Conté lui ouvrirait le chemin du pouvoir commençaient à
voler en éclats.
Mais, pouvait-on imaginer un seul instant que le chef de l’Etat qui devrait
être parfaitement au courant des visées de son ancien Premier ministre pouvait
quitter Conakry sans prendre de mesures pour les endiguer ? Seuls Diarra
Traoré, les illuminés et les blancs-becs qui s’étaient alliés à lui dans l’entreprise
suicidaire qu’ils ont déclenchée, pouvaient s’abreuver de telles hallucinations.
La personne de Diarra Traoré n’était pas non plus la mieux placée pour
convaincre une écrasante majorité de Guinéens que son avènement à la tête de
l’Etat était de nature à ouvrir de nouvelles perspectives heureuses pour tout le
monde.
Ainsi, sa déclaration n’a pas produit l’effet espéré par ses partisans. Il n’y a
pas eu de vagues d’adhésion populaire aux propos du ministre d’Etat. Pis, aucun
mouvement de troupes commandées par ses fidèles pour soutenir son action n’a
été enregistré. Il se dit que Fangama, par exemple, avait été pris de court parce
qu’il serait prêt à intervenir mais pas avant 00 heure. L’ancien ministre de la
Défense était, dit-on, en train de dormir lorsqu’il fut réveillé par son fils venu
lui annoncer la ‘’prise du pouvoir’’ par Diarra Traoré. Quant aux jeunes
policiers, ce sont des directives vagues qui leur auraient été données. Ils
n’auraient perçu en outre aucun centime pour les stimuler, le cas échéant, à se

249
battre. Ce sont au contraire les hommes du président qui ont commencé à
organiser la résistance après avoir entendu la déclaration de Diarra Traoré.
Les jeunes de Boulbinet, quartier qui abrite les studios de la RTG, furent les
premiers à se faire entendre. Cette zone peuplée à cent pour cent ou presque de
Soussous, l’ethnie du président, a, dans un élan unanime, pris d’assaut les ruelles
du quartier. Dès que la voix de Diarra Touré a tonné, ignorant les forces de
l’adversaire, ils n’ont cédé ni à la peur ni au calcul du risque. On les entendait
crier : « Vive Conté ! A bas Diarra ! A bas les Malinké !» et d’autres slogans
bien sentis à l’endroit de l’ex-premier ministre et de son ethnie. Cette première
réaction populaire a dû perturber le plan des putschistes et porter un rude coup
au moral de leurs partisans.
Par la suite, les troupes rameutées par les commandants Alpha Oumar Barou
Diallo, Ousmane Sow et Alhousseny Fofana, les capitaines Mamadou Baldet,
Jean Traoré convergent vers les studios de Boulbinet. Des projectiles s’abattent
sur le bâtiment. La radio, l’unique point d’affrontement332 entre les belligérants
était couverte d’éclats d’obus. L’adjudant Diakité, dit Taras, réplique avec rage.
Visiblement sous l’emprise de la drogue, il profère des menaces contre les
otages, tire sur les installations. Il donne à lui seul l’impression d’être à la tête
de plusieurs dizaines d’hommes. Sa réaction attise l’ardeur des troupes
loyalistes déterminées à écraser les putschistes. Cette volonté est d’autant plus
forte qu’ils sont nombreux à croire que le chef des conjurés se trouvait en
personne dans les studios. Pour l’en déloger, ils firent pleuvoir un déluge de
bombes sur l’immeuble. La canonnade avait été s’y intense qu’à 3 heures du
matin, l’antenne avait été mise hors d’usage. Un bombardement qui « n’en
valait pas la peine », dira Faciné Touré, 25 ans après les faits. Le bâtiment avait
été grandement endommagé. Sous l’effet des flammes, des documents anciens
et précieux furent dévorés par le feu. Avant de se raviser, il était trop tard pour
limiter les effets dévastateurs de ce pilonnage aveugle.
L’échec de la tentative de coup d’Etat avait été finalement annoncé, avec
plein d’optimisme, par une station opportunément activée par un groupe de
techniciens préparé à cet effet et dont ni Lansana Conté ni ses camarades ne
soupçonnaient l’existence. Au bout du compte, le pouvoir de Diarra Traoré aura
duré le temps que se dissipent les illusions du Colonel et de ses compagnons
d’aventure. Ceux- là qui avaient cru naïvement que prendre la radio d’un pays
suffit pour réussir son coup d’Etat.

La reddition du commando
Il faudra cependant attendre quelque temps pour capturer les membres du
commando qui avait investi les locaux de la RTG et mettre fin au calvaire des
otages. En effet, les putschistes qui s’étaient introduits la veille dans les studios

332
A l’époque, l’unique station de radiodiffusion en Guinée.

250
de la radio ne se rendirent que le 5 juillet, vers 12 heures. Entretemps, l’adjudant
Diakité s’était assagi, probablement parce que n’étant plus sous l’influence de
la forte dose de stupéfiants ingurgitée. En recouvrant sa lucidité, Taras avait
réalisé qu’il venait de se mettre dans de beaux draps. Le lion se transforma en
agneau. Il n’avait plus qu’une seule idée : sauver sa peau. M’Baye N’Diaye
parvint à obtenir de lui l’autorisation de sortir pour aller négocier avec les
troupes massées aux abords de la Maison de la Radio. Faisant montre d’un
courage admirable, mains en l’air, il sortit du bâtiment au milieu des rafales qui
crépitaient pour aller remplir sa dangereuse mission. Il s’adressa aux cadres
militaires à qui il expliqua que la vie de nombreux travailleurs de la RTG pris
en otage par les assaillants était en danger. C’est grâce à lui que ceux-ci apprirent
que Diarra Traoré n’était pas présent dans les studios. Il précisa à leur intention
que sa déclaration avait été enregistrée sur une cassette. M’Baye N’Diaye
indiqua surtout à ses interlocuteurs le plan des studios. Ces précieux
renseignements favorisèrent l’infiltration dans le bâtiment des troupes loyalistes
qui s’apprêtaient à le dynamiter. Elles purent ainsi s’emparer de Diakité et de
ses acolytes et libérer les otages.
Grièvement blessé, l’ingénieur électronicien, Oumar Doumbouya, en service
à la télévision guinéenne, sera interné immédiatement à l’hôpital Péchiney de
Fria où il s’éteindra quatre jours après. Il n’avait que 28 ans et un brillant avenir
semblait se profiler à l’horizon pour cet ancien étudiant en techniques
mathématiques, affecté à la section vidéo (VTR) en 1983.

MAIS OÙ SE TROUVAIT DIARRA TRAORÉ ?


Dès que les loyalistes s’assurèrent le contrôle de la situation, la chasse aux
conspirateurs fut déclenchée. Première cible visée : Diarra Traoré.
Il existe une véritable ligne frontière entre les versions qui se sont essayées
à répondre à la question de savoir où se trouvait le Colonel Traoré au moment
où la radio diffusait son message. Nous avons à ce propos la version romancée
de Siradiou Diallo selon laquelle l’ancien Premier ministre était en train de dîner
dans sa villa de la Minière lorsqu’il fut interpellé par un membre de sa famille
qui venait d’écouter sa déclaration à la radio. Le ministre d’Etat était entouré de
militaires, d’agents de sécurité et de la milice 333 qui « prêtèrent l’oreille »,
comme lui, pour entendre sa « voix ferme, détachant les mots », peut-on lire.
Lanfia Kouyaté, dit KL, beau-frère du colonel Traoré, l’une des dernières
personnes à se rendre à la résidence de Diarra Traoré peu avant la diffusion du
premier communiqué, réfute ces propos. Voici son récit : « Le 4 juillet 1985,
vers 21 heures, je me suis rendu à la Minière pour rencontrer ma cousine
Mamou, l’épouse du colonel. J’avais besoin de son aide pour acheter des

333
Siradiou Diallo feint d’ignorer ici que la milice nationale avait été supprimée
immédiatement après l’avénement du nouveau régime. Un détail qui fait douter de
la crédibilité de son récit.

251
médicaments pour ma mère. Mais le Colonel et sa femme étaient absents, tous
les deux. A peine que je tournais le talon pour rejoindre chez moi, la radio a
commencé à diffuser son message. Je soutiens donc formellement que le colonel
ne se trouvait pas à son domicile au moment où sa déclaration passait sur les
antennes ».
On a voulu aussi faire croire par endroits que Lansana Conté s’était assuré
que Diarra Traoré avait été mis hors d’état de nuire avant de prendre la direction
de Lomé. Des allégations qui inspirent de sérieux doutes quant à leur réalité. En
effet, les complices de Diarra Traoré croyaient l’avoir placé en lieu sûr avant le
déclenchement des opérations. Amadou Damaro Camara rapporte à cet effet qu’
« Un groupe de militaires et de paramilitaires à la loyauté éprouvée avait été
installé dans un bâtiment inachevé situé dans le quartier de la Minière334. Il
apporte la précision selon laquelle 300 m plus loin, se trouvait le colonel Diarra
Traoré. Le Quartier Général des conjurés était une villa appartenant à un des
amis du ministre d’Etat de nationalité française, en vacances dans l’Hexagone.
Il ajoute enfin que « C’est de ce poste de commandement du colonel Diarra que
l’adjudant Diakité de la Marine Nationale et moi avons été ordonnés (sic) de
nous rendre à la maison de la Radio, retrouver le directeur technique de la
station qui nous attendait. » 335 Un témoignage qui lève toute équivoque en
indiquant clairement que le coup d’Etat a été déclenché conformément à un
scénario orchestré par Diarra Traoré en personne ou ayant, tout au moins, reçu
son approbation. Dans ces conditions, on peut en déduire que le Colonel
connaissait parfaitement l’heure retenue pour la diffusion de son message à la
Radio.
On connaît la suite. L’opération s’est soldée par un fiasco. La riposte des
forces loyalistes a été foudroyante. Le commando dut se rendre, les otages
libérés à la faveur des négociations qui enregistrèrent en partie, selon Amadou

334
Ce bâtiment était la propriété de Sidiki Kouyaté, ancien directeur général de
l’Entreprise Régionale de Commerce (ERC) de Mamou et futur colonel de la
Douane guinéenne.
335
Amadou Damaro Camara, op.cité. On peut se demander, cependant si Abdallah
officiait en qualité de directeur technique prématurément choisi par les conjurés ?
En tout cas, il ne saurait être question du directeur technique officiellement en
poste à l’époque des faits. En effet, c’est celui-là qui, de son domicile, fera activer
plus tard l’antenne restée jusque-là en sommeil (et pour cause) qu’il mettra à la
disposition des journalistes, une fois les installations de la RTG officielle réduites
au silence par le pilonnage de l’armée. Ce témoignage résout par ailleurs la
question concernant le choix du moment pour passer à l’action. Il amène à croire
que Diarra était parfaitement au courant ou aurait choisi lui-même l’heure du
déclenchement de son putsch.

252
Damaro Camara, la médiation d’un « colonel français qui participait au combat
avec arme à la main. » 336 S’agirait-il ici du fameux colonel Pasquier ?
Après la reddition du groupe qui avait investi la radio, aucune poche de
résistance n’a été signalée. Au fond, la tentative désespérée de Diarra Traoré et
de ses hommes s’est déroulée sur un seul théâtre d’opération : la maison de la
radio. Comme l’a dit le poète, « le combat cessa, faute de combattants ». Pour
le ministre d’Etat, c’était la fin des haricots. Il n’y avait désormais rien d’autre
à faire que de tenter d’échapper à la colère et à la vengeance des partisans de
Lansana Conté. Aux abois, Diarra Traoré, Ben Salia Kouyaté et Dia Sory
Dioubaté, cherchèrent désespérément l’endroit idéal pour échapper au
châtiment qui leur était réservé. Mais c’est plutôt, le moment que ses adversaires
attendaient depuis longtemps qui finira par se produire lorsqu’il tombera dans
leurs filets.

COMMENT DIARRA TRAORÉ A-T-IL ÉTÉ ARRÊTÉ ?


Les versions relatant les circonstances liées à l’arrestation de l’ancien
Premier ministre découlent pour certaines de sources difficilement contestables.
Elles offrent cependant la curiosité de ne pas toujours être concordantes. Nous
vous en livrons quelques-unes quasiment dans leur intégralité d’autant plus que
deux d’entre elles proviennent directement ou indirectement de témoins de
premier plan.
Version Amadou Damaro Camara
L’homme qui avait rédigé avant de lire les communiqués diffusés le soir du
putsch avorté de Diarra Traoré, nous apprend que : « Le colonel se trouvait dans
la villa d’un ami français, Julien Farmoy qui était en vacances. Dans cette base
de commandement, le Colonel était entouré d’une vingtaine de personnes,
militaires et civils confondus. Il y passa la nuit du 4 juillet, la journée du 5 juillet
et celle du 6 juillet. Ce n’est que dans la nuit du 6 juillet qu’il ira vers la villa du
fils de Moussa Diakité, Noumouké Diakité, qui ne le recevra pas, par peur des
représailles. Il était 22 heures. Diarra n’était plus qu’avec Ben Salia et Dia Sory.
Ils se dirigeront chez l’Italien qui construisait la villa de Diarra. Une fois chez
ce dernier à Ratoma, l’épouse guinéenne de celui-ci se mit à pleurer. L’Italien,
en sortant, lui dit de donner à manger et à boire aux fugitifs. Ses pas le
conduiront chez l’entrepreneur du colonel, le sieur Mamadou Oularé qui aurait
dit d’aller dénoncer les fugitifs. L’Italien ira plutôt voir son ambassadeur qui, à
son tour, demandera la protection de Monseigneur Robert Sarah. Entre-temps,
M. Oularé se serait chargé d’alerter l’armée. Par la suite, on dira n’importe
quoi. » L’auteur de ces lignes raille au passage la version de Siradiou Diallo
qu’il résume en un seul mot : « mensonge ».

336
La présence du colonel français n’est mentionnée dans le récit d’aucun otage
figurant parmi le personnel séquestré de la RTG par le commando.

253
Version Ibrahima Sory Dioumessi
L’ancien commissaire de police indique d’entrée que les faits qu’il rapporte
ont été recueillis en prison auprès de Ben Salia Kouyaté. Nous retenons de son
récit que : « Le domicile de Noumouké Diakité est l’endroit où Diarra Traoré et
ses compagnons d’infortune ont trouvé refuge dès le début de la riposte des
forces loyalistes. Ils y sont restés jusqu’au moment où la radio a cessé d’émettre.
Il était 4h du matin. Les conjurés se sont rendus compte que les dés étaient pipés.
Habitant à proximité d’un bras de mer, Noumouké Diakité avait emprunté une
barque à destination de la Sierra Léone. Le ministre d’Etat, Ben Salia, et Dia
Sory prirent la direction d’une villa où habitaient un ressortissant italien et sa
compagne d’origine africaine.
Une amie du couple présente sur les lieux ne tarda pas à reconnaître l’ancien
Premier ministre. Elle mit discrètement l’Italien en garde contre le danger qui
le guettait en cachant un individu, dont la tête était mise à prix. Apeuré, celui-ci
ira alerter son ami, l’entrepreneur Mamadou Oularé qui informera à son tour
Faciné Touré, membre du CMRN et ennemi juré de Diarra Traoré. La scène
rappelait celle de Patrice Lumumba livré à Moïse Tshombé. En effet, le ministre
des Affaires étrangères qui attendait ce jour sans doute depuis longtemps, prit
aussitôt la tête d’un contingent pour capturer les fugitifs. Diarra Traoré, Ben
Salia Kouyaté et Dia Sory Dioubaté ont été conduits ensuite manu militari au
Camp Alpha Yaya par Faciné Touré ».
Version FacinéTouré
La polémique suscitée par l’arrestation de Diarra Traoré a fait des vagues.
Dioumessi est formel : « C’est Faciné Touré qui a arrêté Diarra ». Celui-ci
rétorque et reproche au commissaire de police de l’accuser à tort d’être
responsable d’un acte dont il n’est pas l’auteur. « J’aurais pu arrêter Diarra.
Malheureusement, ce n’est pas moi qui l’ai arrêté », se défend-il avec
apparemment une pointe de regret.
Invité de l’émission Guinée Mémoire de Soleil FM, animée par Sékou Mady
Traoré en 2009, Faciné Touré dira avoir reçu le 6 juillet à 22 heures la visite de
l’ambassadeur d’Italie. Roberto Rosselini répondait à l’invitation du ministre
des Affaires étrangères. En effet, dans la matinée, celui-ci avait convoqué les
diplomates accrédités à Conakry. Il les avait exhortés à aider le CMRN à mettre
la main sur Diarra Traoré et ses compagnons.
Or l’ambassadeur Italien venait d’être informé par un de ses compatriotes
que les fugitifs s’étaient réfugiés dans sa maison. Sa famille était prise en otages.
Il voulait être débarrassé de ces visiteurs indésirables, tout en souhaitant
cependant qu’ils aient droit à un procès équitable.
Faciné Touré avait pris aussitôt le chemin conduisant à l’endroit indiqué
situé à proximité d’un petit cours d’eau connu généralement sous le nom de
‘’Petit Lac’’ dans le quartier de Taouyah. Il était flanqué de l’agent commis à
sa garde rapprochée. Mais sa démarche va se révéler infructueuse. En effet,

254
apeurées par la menace proférée par les trois hommes de les exécuter si,
d’aventure, elles révélaient leur cachette, l’épouse de l’italien et l’amie qui lui
tenait compagnie, toutes deux de nationalité guinéenne, répondirent au capitaine
qui les interrogeait que les fugitifs s’étaient évaporés dans la nature. Convaincu
cependant que Diarra Traoré ne pouvait être loin, Faciné Touré décida de
quadriller la zone. Il posta le militaire non loin de la maison et se rendit au Camp
Alpha Yaya pour chercher du renfort. Une initiative qui va s’avérer payante. En
effet, quelques minutes s’étaient à peine écoulées que le militaire fut informé
que les fugitifs se trouvaient effectivement au domicile de l’Italien. L’une des
deux femmes était venue le lui souffler en précisant, qu’épuisés par leur longue
cavale, Diarra Traoré et ses deux comparses dormaient à poings fermés et ne
constituaient plus aucun danger pour elles. Le militaire s’était empressé de
transmettre le renseignement à l’une des nombreuses patrouilles opérant dans la
zone. Les trois hommes les plus recherchés du pays furent dénichés et conduits
au Camp Alpha Yaya. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères
rendu public six jours plus tard précisera que « les allégations propagées, selon
lesquelles le traître Diarra Traoré a été capturé dans une mission diplomatique
à Conakry, sont dénuées de tout fondement. Le traître Diarra Traoré a été
arrêté par les forces de l’ordre dans un domicile privé à Conakry. »337
Rompant le silence, en 2015, le Cardinal Sarah évoqua à son tour la visite
que lui rendit le chef de la mission diplomatique italienne à Conakry au moment
où les personnes lancées à sa recherche étaient sans nouvelle de Diarra Traoré.
Roberto Rossellini était venu lui dire que le Colonel et ses « trois » (sic)
compagnons d’infortune, étaient réfugiés au domicile d’un de ses compatriotes.
Il a ajouté, l’avoir rencontré dans sa cachette et repoussé la demande de Diarra
Traoré qui avait sollicité de lui de l’essence et un 4x4 pour se rendre au Mali.
D’ailleurs ne voulant pas que son pays soit mêlé à la tentative de coup d’Etat, le
diplomate Italien avait décidé « de confier Diarra Traoré et les trois (sic) autres
personnes recherchées au ministre des Affaires étrangères de l’époque, M.
Faciné Touré. Il voulait que le droit international s’applique afin d’éviter une
effusion de sang338», écrit le prélat. Et de fait, on en déduit que si Faciné Touré
ne s’est pas emparé physiquement de la personne de Diarra Traoré,
objectivement les initiatives qu’il avait prises, avaient contribué grandement à
mettre un terme à son escapade.
Toutes ces versions battent en brèche les boniments propagés sur
l’arrestation de l’ancien gouverneur de Boké. Elles interdisent d'accorder le
moindre crédit aux allégations selon lesquelles l’arrestation de Diarra Traoré
procéderait d’un scénario savamment préparé. Elles réfutent surtout les arguties
tendant à faire croire que le Colonel avait été mis hors d’état de nuire avant le
départ de Lansana Conté pour Lomé. Hypothèse qui a circulé et que ses tenants

337
Horoya no 180 du 11 juillet 1985, p.1.
338
Sarah Robert, op.cité, p.p.94-95.

255
ont tenté de justifier en invoquant l’absence du ministre d’Etat à l’aéroport au
moment du décollage de l’avion présidentiel pour la capitale togolaise.
En revanche, tous les témoignages sont formels : « il y a bien eu tentative de
coup d’Etat », comme le reconnaît Amadou Damaro Camara. Diarra Traoré en
personne l’avouera à l’archevêque de Conakry dans la lettre adressée du fond
de sa cellule à Mgr Robert Sarah et évoquée plus haut. Dès lors la question de
savoir si le feu vert avait été donné au moment prévu par Diarra Traoré ou bien
si ses affidés ont profité d’un moment qu’ils croyaient propice pour passer à
l’action sans lui demander son avis339 ne paraît plus opportune. Tout aboutit à
la conclusion que la tentative de coup d’Etat a été conçue, mûrie, déclenchée et
conduite à travers ses séquences essentielles d’un bout à l’autre comme l’avait
voulu son principal instigateur.

DIARRA TRAORÉ FILMÉ PRESQUE NU


Le traitement infligé à l’ancien Premier ministre fut à la hauteur du
ressentiment que lui vouaient ses vainqueurs. Diarra Traoré a été ligoté comme
un fagot de bois, et présenté presque nu. Abdoulaye Cissé, dit Watt, journaliste-
reporter d’images à la RTG, a filmé l’épisode de Diarra Traoré comparaissant
devant la Commission d’enquête. Peu avant son entrée dans la salle, l’ex
numéro deux du CMRN était torse nu, pieds nus, mais portait un pantalon. C’est
Alhousseny Fofana qui aurait estimé que son collègue déchu était désormais
indigne de toute considération. Il en fut donc délesté et ne garda que son slip.
Cette image, immortalisée à la demande de la Commission d’Enquête, a été
diffusée en boucle sur la RTG. A la fin du tournage qui dura une quarantaine de
minutes, les soldats entourant l’ex-ministre d’Etat lui firent un croc-en-jambe.
Il fut projeté au sol, ses bras et ses pieds reliés par de puissants cordages. Les
brodequins des militaires s’écrasaient sur son dos. C’était déjà dans cette posture
que d’autres s’étaient échinés à lui raser le crâne sans eau ni savon. Tenaillé par
la douleur, Diarra ne put s’empêcher de gémir en implorant Dieu et sa mère. Au
moment où le Président ordonnait qu’on mette fin à la diffusion de l’image, le
mal était déjà fait. Les autres chaînes de télévision, à travers le monde, s’en
étaient saisies. Le grand public ne reverra plus jamais le Colonel. L’une de ses
dernières apparitions devant la Commission a dû se produire quatre ou cinq
jours plus tard.
Arrêté le 8 juillet 1985 et conduit manu militari au camp Alpha Yaya,
Lansana Condé, ancien directeur général adjoint du contrôle Auto se souvient
d’avoir vu Diarra Traoré le 12 juillet. L’ancien Premier ministre venait d’être
conduit par ses geôliers pour des raisons qu’il ignore dans la salle où il se

339
Les protagonistes de premier plan de l’affaire Diarra Traoré ont beaucoup de
choses à révéler. Ils sont, en effet mieux placés que quiconque pour dire s’ils ont
obéi strictement à ses seules instructions pour faire ce qu’ils ont fait, tout ce qu’ils
ont fait et rien d’autre.

256
trouvait lui-même. Le prisonnier décemment vêtu à cette occasion eut pour lui
des mots amicaux avant de l’interroger sur les raisons de sa présence en ces
lieux.

‘‘COUP D’ÉTAT D’OPÉRETTE’’


Si nous avons tenté de cerner plus haut certains facteurs à l’origine de l’échec
de la tentative de coup d’État du colonel Diarra Traoré, il n’est pas superflu d’en
évoquer d’autres à ce stade de notre récit pour mettre l’accent sur l’inanité de
l’action qu’il a déclenchée.
D’entrée, l’entourage du ministre d’Etat a été infiltré par les limiers du
président. Des déclarations poussant sans doute le bouchon un peu loin ont
même laissé entendre que le texte enregistré par Diarra Traoré et diffusé par la
RTG a été « l'œuvre d'un lobby » à la solde du président. Excessif peut-être mais
révélateur du climat dans lequel était plongé le colonel Traoré. A son origine, le
manque de discernement dans le choix de la plupart de ses hommes et le
caractère artisanal de la stratégie mise en place.
En effet, parmi les personnes qui étaient partie prenante de la conspiration
qu’il avait fomentée, on s’aperçoit sans peine que plusieurs n’avaient ni le profil
ni l’expérience pour jouer leur rôle. Le gros de l’effectif ne possédait pas le
pédigrée de ceux qui, le 3 avril 1984, avaient été aux avant-postes dans la
conquête du pouvoir par l’armée presque sans coup férir.
Il leur manquait aussi la discrétion et le sérieux nécessaires pour être à la
hauteur.
En agissant avec si peu de rigueur, Diarra Traoré a donné à son adversaire le
bâton pour se faire battre d’autant plus que ce dernier avait mis en place le
dispositif destiné, le cas échéant, à annihiler toute tentative de déstabilisation
qu’il entreprendrait. Diarra Traoré devait le savoir.
Lansana Conté, parfaitement informé par les services secrets que le Premier
ministre déchu ne resterait pas sans réaction, lui avait tendu un piège qui avait
si bien fonctionné que Diarra Traoré avait cru que son adversaire était en train
de lui faciliter la tâche en se rendant à Lomé. Or depuis longtemps déjà, voire
dès l’aube de leur cohabitation, Diarra Traoré avait été placé sous haute
surveillance par Lansana Conté. Une surveillance renforcée au lendemain de sa
destitution du poste de Premier ministre. Aucun mouvement du ministre d’Etat
ne lui échappait. Mais à cause de négligences coupables ou trahi par les siens,
Diarra Traoré ne s’en aperçut pas tout de suite. Il a fallu du temps pour qu’il le
décèle, même si, selon Amadou Damaro Camara, « Diarra fera vite la différence
entre surveillance et protection ». Nous en voulons pour preuve que le même
témoin reconnaît que « tous ses faits et gestes étaient surveillés, la liste de ses
fréquentations établie scrupuleusement, les numéros minéralogiques des
voitures de ses visiteurs relevés. Mieux, ses téléphones, tant à son bureau qu’à
son domicile, étaient sur écoute, ses correspondances intérieures et extérieures

257
violées. En somme, une véritable toile d’araignée avait été tissée autour de
l’homme.340». D’où la question suivante : comment un officier supérieur de son
rang avait-il pu tomber dans le piège qui lui avait été tendu en déclenchant un
coup d’Etat au moment où il était l’homme le plus surveillé du pays ?
Siradiou Diallo notera à ce sujet que Hervé Vincent Bangoura avait « réussi
à infiltrer depuis belle lurette le groupe de Diarra Traoré et ce, au plus haut
niveau ». Il assure que le ministre de la Sécurité n’ignorait « rien de l’existence
d’une cassette contenant le message du ministre d’Etat. Grâce à ses agents
placés auprès de ce dernier, il dispose même d’une copie de cet
enregistrement ». Enfin, pour le directeur de la rédaction de Jeune Afrique,
« c’est précisément, comme nous l’avons vu plus haut, cette copie qu’il a fait
diffuser sur les antennes de Radio Conakry dans la soirée du 4 juillet 341 ».
Discutable aussi. Paroles de journaliste et d’adversaire politique certes, cédant
sans nul doute à l’extrapolation par endroit, mais non dénuées d’intérêt.
En outre, parmi les hommes chargés de pister l’ancien Premier ministre se
trouvaient des officiers de l’Etat-major de la Gendarmerie, spécialisés en contre-
espionnage. Ils venaient de rentrer d’Union Soviétique au terme d’une longue
formation. Aucun geste ou propos, le moindre déplacement du Premier ministre
ou du ministre d’Etat ne leur échappaient. Le maillage était donc extrêmement
dense et tentaculaire, ne laissant aucune chance à l’infortuné colonel.
L’adjudant-chef Karinka Kourouma avait appartenu à ce corps des agents
chargés de la surveillance de Diarra Traoré. Il a dévoilé au cours de notre
entretien que le 3 juillet 1985 « nous savions déjà que Diarra Traoré avait
procédé à l’enregistrement d’une déclaration ». Il ajoute que le commandant
Makan Camara, chef d’Etat-major de la Gendarmerie Nationale, pris de
commisération, avait mis Diarra et Fangama en garde. Il les avait exhortés à
renoncer à leur dessein parce que, disait-il, celui-ci était condamné à l’échec ».

UN REMAKE DU 3 AVRIL 1984 QUI A MAL TOURNÉ


Une des causes de l’échec réside par ailleurs dans le fait que Diarra Traoré
et ses compagnons avaient tout calqué sur le schéma qui avait permis à l’armée
de prendre le pouvoir le 3 avril 1984. Or, à l’époque, c’était toute l’armée, qui,
dans un élan unanime et concerté, avait déclenché les opérations. Avant de
passer à l’action, elle avait pris la précaution d’occuper toutes les positions
stratégiques et avait coupé court à toute velléité de contestation ou de résistance
en faisant appel, aussitôt le tir parti, à toutes ses composantes.
Mais par-dessus tout, en 1984, il y avait en face des putschistes un pouvoir
composé essentiellement de civils non encore remis de la disparition du pilier
sur lequel il était adossé.

340
Entretien avec Aboubacar Condé, L’Indépendant no 99 du décembre 1994, p.2.
341
J A R C C, p.11.

258
Quinze mois plus tard, les données avaient changé. Le pays était dirigé par
des militaires. Pour les descendre de leur piédestal, il fallait disposer d’une
véritable force de frappe et de ressources humaines qualifiées en nombre
suffisant.
Or la stratégie du colonel Traoré s’appuyait en grande partie sur des policiers
et des civils dont « certains n’ont pas joué exactement leur rôle, inconsciemment
ou parce qu’ils ont eu la trouille. D’autres ont carrément trahi. 342»
L’ancien Premier ministre avait également perdu de vue que la capitale était
composée majoritairement de populations favorables au nouveau pouvoir qui
ne pouvaient se montrer enthousiastes à l’idée du retour d’un malinké à la tête
du pays. Une perspective encore plus difficile à admettre si, c’était lui, Diarra
Traoré qui devrait en être le bénéficiaire. Ce sentiment était sans nul doute
partagé par la majorité des Guinéens. En effet, dix-huit mois après la prise du
pouvoir par l’armée, il n’est pas exagéré de dire qu’à l’échelle des valeurs sur
le plan national, Lansana Conté disposait de plus de crédit que son ancien
Premier ministre et rival. Ce dernier et ceux qui l’ont suivi dans sa périlleuse
aventure étaient peut-être les seuls à ne pas le savoir. Sans compter que les
membres de son entourage n’ont pas tous développé une loyauté à toute épreuve
à son endroit. Certains ont été accusés à tort ou à raison d’être vendus à Lansana
Conté. Les jeunes policiers mobilisés pour soutenir le coup d’Etat ont-ils reçu
des directives claires ? Ont-ils été suffisamment préparés et motivés pour jouer
leur rôle ? Le témoignage des protagonistes de l’affaire permettra d’élucider ce
mystère.
On suppute par ailleurs sur la pertinence de l’heure choisie par Diarra Traoré
et ses hommes pour agir343. Il y a certes quelques exemples, tel que l’assassinat
de Thomas Sankara. Perpétré au beau milieu de la journée en 1987, il avait
permis à Blaise Compaoré de prendre le pouvoir au Burkina Faso. Ce n’est peut-
être pas l’exception qui confirme la règle. Mais, des coups de force réussis au
moment où l’adversaire est encore en éveil ne sont pas légion.
Enfin, les détracteurs du ministre d’Etat laissent entendre que toutes les
charmantes personnes de la ville de Conakry étaient au courant de l’imminence
du déclenchement d’un coup d’Etat par Diarra Traoré. Un secret de polichinelle
en quelque sorte. Tout cela a permis à Lansana Conté de prendre les mesures
nécessaires pour couper les jarrets de son adversaire.
Par ailleurs, rarement coup d’Etat fut aussi mal préparé. Même l’heure de
son déclenchement semble avoir été anticipée par Diarra Traoré et ses hommes
qui étaient dès lors seuls à ignorer que leurs chances de réussite étaient nulles.

342
Amadou Damaro Camara in L’Indépendant No 100…p.3.
343
Est-il vrai que Diarra Traoré était à « table » quand on est venu lui dire que sa
déclaration annonçant la déchéance de Lansana Conté était en train d’être diffusée
à la radio, comme le dit J A ? De l’’’affabulation pure et simple’’, rétorque
Amadou Damaro Camara.

259
DIARRA TRAORÉ AURA-T-IL ÉTÉ TRAHI PAR LES SIENS ?
Quelques questions lancinantes effleurées dans les pages précédentes
taraudent les esprits. Les compagnons que le colonel Traoré s’est choisis pour
l’aider à renverser Lansana Conté ont-ils tous et à tout moment fait montre de
loyauté ? Le ministre d’Etat, au contraire, aura-it-il été trahi par certains d’entre
eux ? Ceux-là sur lesquels plane l’ombre du doute seraient-ils tout simplement
victimes d’un mauvais procès ? Le débat est à la fois objet de passion et de
controverse.
L’Association des Victimes de la Répression (A.V.R), soutient que des
taupes fourmillaient dans l’entourage de l’ancien Premier ministre. Elle
dénonce pêle mêle des membres de la famille du Colonel, des officiers de police
et des civils et met l’accent sur le rôle de M. Amadou Damaro Camara. Elle le
considère comme l’« acteur principal de la tentative du coup d’Etat» et l’accuse
de s’être livré à un double jeu. Elle fonde son jugement sur ses conditions de
détention jugées plutôt ‘’clémentes’’. Selon l’A.V.R, « Damaro échappa
curieusement à la torture, bénéficia d’un traitement de faveur (repas pris en
compagnie d’Alhousseny Fofana en provenance de l’Hôtel Gbessia). C’est lui
qui fit la composition du fameux Gouvernement en compagnie de deux de ses
complices qui n’ont jamais été arrêtés. »
En août 1986, poursuit-elle, « pris de remords, Monsieur Amadou Damaro
Camara a tenté de décharger sa conscience en adressant une correspondance au
chef de l’Etat pour dresser la liste des innocents en prison et celle des coupables
en liberté. Cette bonne initiative saluée par les détenus fut bloquée par le chef
de Bataillon Kissi Camara, Commandant du Camp Alpha Yaya (BSC). 344»
L’AVR évoque également la visite effectuée par Amadou Damaro Camara
à Kindia peu avant les événements du 4 juillet 1985. Elle aurait servi, selon elle,
de preuve ou d’alibi au CMRN pour affirmer que les dirigeants de l’ancien
régime, enfermés dans cette ville étaient au courant des préparatifs du coup
d’Etat et qu’ils devraient en être les principaux bénéficiaires. L’entretien à
Kindia entre Amadou Damaro Camara et le commissaire de police, Mouloukou
Souleymane Touré, aurait été à l’origine de la propagation de la nouvelle du
putsch parmi les prisonniers. L’AVR s’étonne aussi que l’ancien ‘’condamné à
mort’’ ait gravi, au lendemain de la grâce présidentielle, des échelons importants
dans l’administration des finances avec une rapidité déconcertante et parfois à
des postes clés tel que celui de directeur de la dette.
Ces accusations ont provoqué la riposte foudroyante et indignée de la
personne concernée. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire
L’Indépendant, M. Camara les balaie comme fétu de paille. « C’est ridicule !
J’ai été attaché à la même corde que l’adjudant-chef Mory Kourouma (il est
encore vivant !). Cela a duré 6 jours, sans manger ni boire aux ‘’32 Escaliers’’.

344
op. cité

260
Par après, j’ai fait 9 mois dans la même cellule que Monsieur Dioumessi à
Kindia. Pendant ce temps, étant le plus jeune, j’ai balayé, cuisiné et fait la
vaisselle pour cet homme qui parle aujourd’hui de mes traitements de faveur. Il
dit également que c’est un certain Sidiki Diakité qui m’aurait mis en contact
avec Diarra Traoré. Il ne savait pas qu’entre la concession de ce dernier et la
nôtre, il n’y a qu’une simple rue de moins de 10 mètres de large. Nous étions
107 à avoir franchi le cap de deux ans de prison. 67 ont été libérés le premier
janvier 1988 ; deux autres en mai et juillet, 38 restants, parmi lesquels (sic)
j’étais, en septembre 1988. Parmi nous il y avait des militaires qui avaient tiré
et fait des victimes, si on veut se référer au degré d’implication. On nous a
libérés parce qu’on a jugé que nous ne représentons (sic) plus une menace. »
Dévoilant le ‘’contenu’’ de ses lettres au chef de l’Etat, il se défend avec
véhémence : « Personnellement, j’ai rédigé deux lettres en prison. Dans une
première adressée au président de la République, j’attirais son attention sur le
fait que certains étaient en train d’ériger en système ce qu’ils avaient reproché
exactement à son prédécesseur. Cette lettre était un défi que le régisseur m’avait
lancé en me disant que si j’avais une attention à attirer sur nos conditions de
détention, que ça ne pouvait être que celle du chef de l’Etat. J’ai saisi l’occasion
pour lui demander du papier et j’ai écrit. Le régisseur effrayé par le contenu de
ma lettre m’a mis en quarantaine pendant 16 jours. Pour un traitement de faveur,
c’en était un. La seconde, je l’ai adressée à son Excellence, Mgr Robert Sarah.
Je l’invitais à user de sa puissance morale pour nous aider. En réponse, il fit dire
à mon épouse que ma lettre a été un tremplin pour ses démarches. Il me l’a
confirmé quand j’ai été le remercier après notre libération. Une troisième lettre
a été adressée par le capitaine Fodé Sangaré. A propos de cette lettre, c’est le
lieutenant Panival qui est venu s’adresser au capitaine en ces termes : « Mon
capitaine, je suis désolé que vous soyez impliqué dans cette affaire. Vous êtes
un officier respecté qui a formé plus de la moitié de cette armée. » Réponse du
capitaine Fodé : « Ecoutez, lieutenant, en tant qu’officier discipliné, j’ai
répondu à l’appel de mon supérieur le colonel Traoré. N’ayant pas accepté ce
qu’il m’a dit et en tant qu’officier de renseignement, je suis parti pour rendre
compte au président. Par deux fois, le chef du protocole ne m’a pas permis de
rentrer. Par conséquent, je ne mérite pas d’être là. »
En terminant, Amadou Damaro Camara s’inscrit en faux contre les
accusations dont il est l’objet d’autant plus que son principal dénigreur, n’a pas
participé aux événements qu’il rapporte. Il soulignera à ce propos que : « Tout
ce que Dioumessi peut raconter, il l’a entendu. S’il le racontait au moins comme
il l’apprenait. Il n’a jamais été insulté ni frappé, il n’a jamais fait une seule heure
aux ‘’32 Escaliers’’. Il était à l’école militaire durant les 22 mois que nous avons
passés au Camp Alpha Yaya. Il y recevait sa famille. Pendant ce temps, Damaro
qu’il accuse de tous les maux était au bloc. Même pour m’arracher une dent
malade, je n’ai pas eu la permission d’aller à l’infirmerie. C’est Dr Dieng qui le

261
fera pour moi dans ma cellule et à la lumière d’une lampe. Il est vivant, il peut
témoigner.345».
Selon l’A.V.R, des doutes planent également sur le pharmacien Sidiki
Diakité346 qui se réclamait pourtant de la famille de Diarra Traoré. Libéré en
juin 1988, il fut reçu par un proche collaborateur du président, réintégré dans
l’administration et ses biens restitués. L’A.V.R pose aussi un regard plein de
suspicion sur le commissaire de police Sékou Keita ‘’Socrate’’. Elle347 trouve
‘’curieux’’ que le chef de l’Etat l’ait reçu le 28 juillet 1987 immédiatement après
sa libération. Il « ne tarda pas d’ailleurs à rejoindre le corps de la police »,348
dit-elle. Au bout du compte, ces passes d’arme qui ne s’estompent avec le temps
restent toujours d’actualité. Accusations et dénégations continuent de
s’entrechoquer. Elles aiguisent la curiosité et leurs réponses sont attendues.

LES RENSEIGNEMENTS FRANCAIS EN ACTION ?


Les services de renseignement français se sont-ils investis pour aider à mater
le complot ourdi par Diarra Traoré ? Pas de doute à cela selon l’adjudant
Karinka Kourouma. Bien avant le coup d’Etat, dit-il, « des agents dépêchés en
Guinée par la ‘’Direction de la Surveillance du Territoire’’ (DST)349, avaient
pour mission de conquérir ‘’l’amitié’’ et ‘’la confiance’’ du colonel Traoré. Ils
le fréquentaient assidûment. Ils notaient en vue de rendre compte tout ce qui
leur paraissait troublant dans son comportement et ses déclarations ». A en juger
par tant de lacunes au sein du dispositif mis en place par Diarra Traoré, le coup
de force du 4 juillet 1985 a été incontestablement mal préparé. Le capitaine Jean
Traoré n’a-t-il pas ironisé sur la tentative perpétrée par son vieil ennemi dans la
matinée du 5 juillet 1985 sur les antennes de RFI ? Il l’a qualifiée tout
simplement de « coup d’Etat d’opérette ressemblant à son auteur ».

345
L’Indépendant no 100-du 15 décembre 1994, p.3.
346
Ce pharmacien aurait aidé les autorités en acceptant « de délivrer les certificats de
décès des détenus morts des suites de tortures et de mauvais traitements. Ces
certificats étaient joints à de faux rapports sur les véritables causes des décès. »
(Op.cité, p.18.).
347
L’AVR dans son document déjà cité (p.19).
348
Il a fallu, pour ce faire, attendre le départ du gouvernement du secrétaire d’Etat,
Ibrahima Sory Diaby. L’AVR qui le rapporte indique que ce grand professionnel
était opposé à ce retour parce qu’en partie, selon lui, Sékou Keita « rapportait les
propos tenus en prison par les autres détenus au Gouvernement. »(Op.cité, p.19.)
349
Service de renseignement français, organisme d’Etat fusionné en 2008 avec la
Direction centrale des Renseignements généraux (RG) pour donner naissance à la
DCRI.

262
LA FAMILLE DE DIARRA TRAORÉ TRAQUÉE
La réaction des forces loyalistes a été fulgurante et impitoyable. Pour
commencer : personne dans l’entourage familial de Diarra Traoré n’a été
épargné. Dès le 5 juillet, sa première épouse, Hadja Mariama Traoré
communément désignée sous le nom de Mamou a été arrêtée. Elle ne sera
libérée que trois années plus tard. Elle a exprimé sa rancœur dans un entretien
en août 2009 avec les journalistes Foday Fofana et Youssouf Bah contre
Lansana Conté qui, selon elle, a détruit sa famille, ses biens et compromis son
avenir. Aujourd’hui, poursuit-elle, « je n’ai pas de parents, je n’ai pas d’amis.
Il a tout pris. Il a tout pris, tous les biens de mon mari ». Digne, fidèle à la
mémoire de son mari, Hadja Mamou Kouyaté vit depuis dans une villa vieillotte
de la Société Immobilière de Guinée (SIG) où elle s’est installée après
l’arrestation et l’exécution de son mari.
Les enfants de Diarra Traoré n’ont pas échappé, non plus à la vindicte des
autorités. Le fils cadet du colonel, Bangaly Traoré, actuellement réfugié aux
Etats-Unis, raconte par le menu le calvaire que lui et ses frères ont enduré à la
suite de l’arrestation de leur père.
Ses propos sont contenus dans une interview exclusive accordée à
Ansoumane Camara, le correspondant de Guinée.com à Dakar. Il y déclare que
dès le 4 juillet 1985 : « lorsque les communiqués ont été lus à la radio, des tirs
à l’arme lourde et des pillards ont investi les abords de leur domicile. Les
assaillants criaient : « A bas le colonel Diarra. A bas les Malinkés. Vous serez
exterminés. Nous allons tuer jusqu’au dernier Malinké en Guinée. Sales
Malinké... » Les enfants de Diarra durent la vie sauve à leur fuite précipitée de
la maison.
Malgré tout, les jeunes gens disent avoir été identifiés et rattrapés par les
hommes lancés à leur poursuite par le commandant Ousmane Sow.
Conduit au Camp Samory, le fils du colonel Traoré se souvient du rictus
goguenard d’anciens ‘’frères d’armes’ ’de son père. Il décrit lui-même la scène
en ces termes : « Des ministres et autres dignitaires du C.M.R.N venaient nous
dévisager avec des regards à la fois moqueurs et étonnants. Aucun d’eux ne
disait un mot. Parmi eux, entre autres, il y avait Jean Traoré, le capitaine
Mamadou Baldet, le commandant Abou Traoré (sic) tous ministres à l’époque
des faits. Makan a donné l’ordre qu’on nous enferme. C’est la cellule n°2 qui
nous a accueillis cette nuit ».
Le calvaire des jeunes gens devait se poursuivre encore pendant quelques
jours. Ils ne seront libérés, précisent-il, qu’ « à la faveur d’un interrogatoire
auquel le ministre de la Sécurité, Hervé Vincent Bangoura a décidé de mettre
un terme ».
Le sort administré aux complices, réels ou supposés de Diarra Traoré, fut
encore plus dur. Le 4 juillet, ils commencèrent à tomber sous les balles. Le jour
de l’arrestation du colonel, un de ses gardes rapprochés, le sergent Mamadi

263
Condé, a été abattu. L’adjudant Sékou Touré (à ne pas confondre avec le Préfet
de Dalaba), le chauffeur de Diarra Traoré, a été criblé de balles au domicile de
l’ancien Premier ministre. Il fut « vidé de son sang alors que les deux mains en
l’air, il était sorti pour se mettre à la disposition des assaillants », rapporte un
témoin.

264
CHAPITRE XII

Des arrestations massives

La Commission d’Enquête, rapidement constituée par le CMRN, n’a pas fait


dans la dentelle. Dès le 5 juillet, elle commença à fonctionner. Lors d’une
réunion organisée au Camp Samory, elle décida de mettre la population et
l’administration à contribution. Toute personne soupçonnée d’être « mêlée de
près ou de loin » à la tentative de coup d’Etat devrait être dénoncée et mise aux
arrêts. Les départements ministériels ont été invités à dresser la liste de leurs
cadres susceptibles d’avoir pactisé avec les comploteurs. Une voie royale était
ouverte à la délation et aux règlements de compte. Dans l’écrasante majorité des
cas, on fit dans la facilité. Tous les malinkés devinrent des comploteurs
potentiels. En un mot : ‘’Tu es comploteur parce que je sais d’où tu viens’’.
Dans la nuit du 4 juillet déjà, des groupes résolus à châtier les putschistes
s’étaient formés spontanément dans les quartiers. Les rues étaient envahies par
une foule compacte scandant le nom de Lansana Conté et maudissant Diarra.
Les deux principaux camps de la capitale étaient sur pied de guerre. La
méfiance et l’outrance y étaient de mise. Elles s’appliquaient essentiellement
aux officiers appartenant à l’ethnie du chef des putschistes.
Des unités se sont chargées de mettre hors d’état de nuire tous
les « comploteurs » sur la base d’un profilage ethnique.
Les personnes appréhendées étaient dévêtues, ligotées jusqu’à ce que leurs
nerfs s’en ressentent. Des coups de crosse, de poings et de pieds leur étaient
généreusement distribués. On les traitait de tous les noms. Aucune possibilité
de s’expliquer, encore moins de se défendre ne leur était offerte. L’ethnie
malinké a été vilipendée, honnie.
On parle de listes préparées à l’avance. Elles comporteraient des noms de
militaires et de civils qui ne tardèrent pas à prendre le chemin des prisons. Les
patrouilles organisées par les loyalistes procédèrent à l’arrestation de la quasi-
totalité des membres du CMRN et du gouvernement appartenant à l’ethnie
malinké.
C’est dans ce cadre que les officiers suivants furent incarcérés :
Le capitaine Lanciné Keita, Fangama, ministre secrétaire permanent du
CMRN.

265
Le commandant Abraham Kabassan Keita, secrétaire d’Etat au
Développement Rural.
Le capitaine Mamady Bayo, ministre de la Jeunesse, des Arts et des Sports
Le capitaine Amadou Kouyaté, secrétaire d’Etat aux Postes et
Télécommunications.
Le capitaine Sékou Traoré, secrétaire général du Gouvernement.
Plusieurs dirigeants provinciaux furent également arrêtés. Parmi eux
figuraient :
Le capitaine Bakary Sakho, gouverneur de Dubréka,
Le capitaine Mohamed Oumar Kébé, gouverneur de Boké, ancien ministre.
Le colonel Idrissa Condé, gouverneur de N’Zérékoré.
L’officier supérieur en question passait ses vacances dans sa ville natale, à
Kouroussa située à plus de 500 km de la capitale, lorsqu’éclatèrent les
événements du 4 juillet 1985. Selon ses proches, le colonel Condé décida alors
de se rendre à Conakry pour œuvrer à restaurer la confiance et la sérénité entre
ses frères d’armes en train de s’entredéchirer. Il a été arrêté à Kindia dans la
journée du 5 juillet 1985 sur ordre du commandant Ibrahima Sory Diallo. Celui-
ci argua de son implication dans la tentative de putsch.
Le même sort fut réservé :
Au capitaine Baourou Condé, ancien ministre du Plan, préfet de Pita,
Le chef de Bataillon Noumouké Keita, préfet de Faranah,
Le commandant Abdourahmane Kaba, préfet de Kouroussa, ancien ministre,
Le capitaine Mohamed Lamine Sakho, ancien ministre de l’Industrie,
nommé ambassadeur au Gabon après son éviction du gouvernement et qui
n’avait pas rejoint son poste.
Le lieutenant Kaba Mory, ancien président du C.U.M du Camp Alpha Yaya,
commandant des Blindés.
Le commandant Mory Traoré, gouverneur de Kankan. Déjà malade, ce
dernier ne survécut pas aux sévices qui lui furent infligés après son arrestation.
En définitive, la tentative de coup d’Etat perpétré par Diarra Traoré fut à
l’origine de l’arrestation du nombre record de 129 militaires dont les deux-tiers
ont été exécutés350.
Ce chiffre ne prend pas en compte soixante autres militaires arrêtés sur la
base de simples présomptions et libérés plus tôt.
Faute de données fiables, on peut avancer sans risque de se tromper que ces
chiffres ont une valeur purement indicative. Des enquêtes font état, en effet, de
351 arrestations de civils et de militaires reconnues par le CMRN. Toutefois,

350
Horoya du 6 mai 1987.

266
selon le sociologue Amadou Bano Barry, celles-ci « ne sont probablement que
la pointe de l’iceberg : pour rendre compte de l’épuration des cadres malinké, il
faudrait probablement multiplier ce chiffre au minimum par deux. A l’époque,
certains cadres arrêtés, surtout les civils, ont fait quelques jours, d’autres
quelques mois, de détention avant de recouvrer la liberté sans aucune forme
d’explication351 », ajoute-t-il.

LES CADRES MALINKÉS DU FOUTA DJALON


Les officiers et fonctionnaires malinkés en poste au Fouta Djalon avaient été
maltraités, humiliés. Le commandant Fodé Sylla qui dirigeait la Zone militaire
de Labé, organisa une véritable battue. Il fit régner la terreur, en appliquant à la
lettre la règle non écrite, à savoir malinké=coupable. Les cadres de la province,
originaires de la Haute Guinée, à l’exception de ceux qui étaient parvenus à se
terrer, en firent les frais.
Dès les premières heures, le commandant Sylla qui était aussi l’oncle du
président Conté, avait ordonné l’arrestation et le transfert à Conakry des agents
de l’administration malinké de la Moyenne Guinée. Les personnes, dont ses
hommes avaient pu se saisir, avaient été regroupées à Labé. Elles venaient des
préfectures de Dalaba, de Pita, de Tougué, de Mali, de Koubia, de Lélouma et
de Mamou.
Les prisonniers furent internés au Camp El Hadj Oumar Tall où chaque
matin, chacun d’eux recevait cent coups de fouet. Après leur avoir infligé toutes
sortes de mortifications, le commandant Sylla les avait acheminés ensuite vers
la capitale à bord de véhicules réservés habituellement au transport des
bestiaux352. Le chef de Bataillon Lanciné Camara, gouverneur de la province de
Labé, était à leur tête. Le commandant Sylla avait toujours contesté son autorité.
Les populations de Labé étaient sidérées par son esprit d’arrogance et
d’insubordination 353 à l’endroit de celui qui était pourtant son supérieur
hiérarchique. Les événements du 4 juillet ont offert l’occasion au commandant
Sylla de régler définitivement son compte.

351
Alpha Amadou Bano Barry, Les Violences collectives : le cas guinéen, Paris,
Harmattan, p. 125
352
Témoignage d’Oumar Traoré alors en service à Labé.
353
Un témoin rapporte, qu’au cours d’une prière publique, il bouscula le gouverneur
pour s’installer à la place d’honneur occupée par ce dernier, estimant qu’elle lui
revenait. Avec ces évènements, le commandant Sylla tenait enfin l’occasion de
prouver qui était le véritable numéro un dans la province. Un complexe qu’il
n’était pas seul à éprouver. En effet, bon nombre d’agents de l’Etat, originaires de
la Côte sentirent investis d’une mission particulière dans les différentes
administrations où ils évoluaient et ce, sans aucune considération de leur position
hiérarchique.

267
Ont connu le même sort :
Le capitaine Sory Keita de l’aviation militaire, préfet de Lélouma ;
L’inspecteur de police Lancei Camara, en service à Labé ;
L’adjudant-chef N’Namory Keita (Burkina) en service à Tougué ;
Le sous/lieutenant Kaba Kourouma en service à Tougué ;
L’adjudant Ibrahima Doumbouya, garde du corps du gouverneur.
Cette liste non exhaustive ne comporte que les noms que nous avons pu
recueillir.
Les arrestations et la chasse à l’homme se sont étendues sur une bonne partie
du territoire. Des dizaines de sous-officiers et de militaires de rang,
paramilitaires et civils y passèrent. Les personnes ciblées étaient issues de toutes
les catégories de la société et majoritairement originaires de la Haute Guinée.
Nous vous livrons les noms de certains de ces infortunés :
Domany Kaba ménagère
Nagnouma Bérété ménagère
Bintou Diakité commissaire de Police
Mamou Kouyaté épouse de Diarra Traoré
Lanfia Kouyaté ingénieur
Salia Kouyaté professeur
Dioumessi Sory commissaire de police
Namandian Traoré militaire
Lansana Condé militaire
Karifa Traoré capitaine de la Douane
Noumbakary Camara armée de Terre
Chérif Sékou Haïdara armée de l’Air
354
Aboubacar Sidiki Diaby (en fuite) armée de Mer
Diabaté Komara armée de Terre
Lansei N’Joléah Condé police
Ibrahima Kanté police
Souleymane Sidibé police
Sékou Doukouré police
Fromo Guémou police

354
Ce dernier échappa aux mailles des filets tendus par le CMRN pour se réfugier à
l’étranger. Quand l’orage se calma, il revint en Guinée. Il parvint à conquérir
l’amitié de Lansana Conté et fut affecté à la direction des Douanes. (Entretien avec
l’adjudant-chef Fodé Keita).

268
Mamady Camara gendarmerie nationale
N’Faly Kourouma gendarmerie nationale
Sangaré Karamo marine nationale
Chérif Haïdara armée de l’air
Moussa Diakité marine nationale
Amara Camara armée de L’Air
Amara Condé armée de L’Air
Kader Sangaré fonctionnaire
Kalil Traoré militaire
Ibrahima Condé professeur
Moussa Sidibé tailleur
N’Famory Condé police
Fana Soumah police
Karinka Kourouma, gendarmerie nationale
Mamadou Koffi Cissé gendarmerie nationale
Aboubacar Sow police
Ousmane Kaba douane
Ibrahima Bah gendarmerie nationale
Mamady Kourouma armée de Terre
Lanciné Kourouma marine
Amadou Damaro Camara administrateur civil
Dia Sory Diabaté steward Air Guinée/ministère de la Coopération
Tidiane Traoré ingénieur
Noumouké Diakité ex-fonctionnaire/ homme d’affaires
Sory Touraman Diabaté enseignant, Journaliste
Mohamed Fadiga ex-commissaire de Police
Laye Samoura parachutiste
Ansoumane Camara ‘’Camus’’ commissaire de police
Bangaly Camara police
Daouda Sidiki Soumaré police
Falikou Komara police
Daouda Bangoura police
Blaise Fangamou police
Florent Guémou police
Sagno Eugène Mansaré police

269
Mollou Koivogui police
Moussa Keita police
Sékou Keita Socrate police
Mamy Camara ex chef de cabinet à la Banque Centrale
Namandian Keita armée de Terre
Mamady Keita armée de Terre
Morifodé Condé administrateur civil
Sékou Traoré gendarmerie nationale.
Facély Konaté marine nationale (chef d’Etat-major adjoint).
Fodé Keita armée de Mer.
Les événements du 4 juillet ont eu également des répercussions en dehors
des frontières du pays, notamment dans des missions diplomatiques guinéennes.
Le personnel appartenant à l’ethnie malinké quoique réduit à la portion congrue
depuis 1984, fut stigmatisé, parfois séquestré. Plusieurs diplomates de l’ethnie
malinké furent rappelés sans qu’aucune preuve des liens les unissant aux
putshistes n’ait été établie.
D’anciens opposants au régime du PDG et autres ennemis personnels de
Sékou Touré en profitèrent pour afficher leur ressentiment à l’endroit des
malinkés. « Croient-ils qu’ils sont seuls habilités à gouverner la Guinée ? »,
entendait-on dire le plus souvent.

RETOUR EN PRISON D’ANCIENS RESPONSABLES DU P.D.G


Des personnalités du régime du PDG, soupçonnées d’être mêlées au
complot, regagnèrent les prisons. Parmi elles, les anciens ministres Toumany
Sangaré et Jeanne Martin Cissé. Cette dernière raconte son nouveau calvaire
dans son ouvrage déjà cité. A en croire son récit, son arrestation est intervenue
dès 7 h du matin le 5 juillet 1985 lorsqu’« une jeep militaire s’arrêta devant ma
porte et des soldats toujours armés, s’emparèrent de moi et me jetèrent dans le
véhicule à la grande stupéfaction de ma mère355 ». Il lui était reproché d’avoir
téléphoné à l’auteur de la tentative de coup d’Etat pour le féliciter. Il lui a été dit
par ailleurs que son nom figurait dans la liste du gouvernement qui devrait être
formé. Elle resta entre les mains de ses geôliers pendant quatre jours avant de
recouvrer la liberté.
Hormis ces anciens hauts dirigeants, des centaines d’anonymes furent privés
de liberté, torturés, ou ont péri au lendemain des évènements du 4 juillet 1985.
Dans un climat où la paranoïa côtoyait la haine, on ne se donnait aucune peine
pour identifier la bonne filière, mènant aux vrais complices de Diarra Traoré.
C’est ainsi que les estimations les plus folles font état de plus d’un millier

355
Op.cité.

270
d’arrestations, dans la capitale. Des assertions s’appuyant sur des faits tel que le
sort réservé à cette « cinquantaine de jeunes femmes, certaines avec leur bébé »
conduites au Camp Alpha Yaya le même jour que Mme Jeanne Martin Cissé.
Elle écrit à leur sujet que : « Nous restâmes du vendredi au dimanche, entassées
les unes sur les autres, à même le sol, sans aucune explication, sans
manger ». Bintou Diakité et Domany Kaba faisaient partie de ce groupe. La
première se souvient que des militaires surgirent à son domicile le 5 juillet à 6
heures du matin. Quoique nourrice, elle fut embarquée manu militari, son
marmot dans les bras, à bord d’un camion qui prit la direction du Camp Alpha
Yaya. Dans l’après-midi, un autre commando procéda à l’arrestation de
Domany Kaba à son domicile de Coronthie. Les deux femmes avaient en
commun les relations parentales qu’elles entretenaient avec l’ancien Premier
ministre.

DESTRUCTIONS, VOLS ET PILLAGES DES BIENS APPARTENANT AUX


MALINKÉS
Dès l’annonce de la tentative de coup d’Etat perpétrée par Diarra Traoré, les
passions se déchaînèrent, les rancœurs longtemps contenues s’extériorisèrent.
Des revanchards, aigris, des pillards donnèrent libre cours à leur soif de
destruction et de massacre.
Des propriétés furent saccagées, des boutiques et des magasins éventrés et
vidés de leur contenu. Des femmes furent molestées, déshonorées, écrouées. Les
personnes arrêtées à cause de leur appartenance à la même ethnie que l’ex
Premier ministre étaient transférées au Camp Alpha Yaya, à la Gendarmerie
Nationale ou dans des centres de détention de fortune. Elles étaient de tous les
âges, de tous les sexes. Jamais, dans l’histoire de la Guinée indépendante, on ne
s’en était pris physiquement et moralement avec autant d’acharnement et de
haine à une communauté.
A Conakry où la stigmatisation avait atteint son comble, c’est par fournées
que les Malinkés avaient été appréhendés dans les différents quartiers,
« dénoncés » le plus souvent par des voisins voulant s’emparer de leurs biens.
Une véritable panique s’était emparée de la communauté d’autant plus que les
auteurs de ces persécutions et de ces rapines agissaient à ciel ouvert avec la
bénédiction des forces de l’ordre. Le même scénario s’était reproduit dans
plusieurs villes du pays. Un déferlement de haine et d’arrestations fut enregistré
dans des préfectures de la Basse-Guinée et du Fouta Djalon comme Forécariah,
Kindia, Fria, Labé, Boké… où des familles Malinké ont été prises à partie,
séquestrées à domicile ou emprisonnées, des maisons démolies, des biens
emportés. Dans la cité industrielle de Fria356, des plantations, des fermes ont été
brûlées. Les fonctionnaires et agents d’origine malinké de la préfecture et de

356
Entretien avec Cheick Kourouma, ancien travailleur de Friguia, Conakry, le 10 mai
2013.

271
l’usine s’en souviennent encore. Même ceux qui vivaient en parfaite harmonie
avec leurs voisins n’ont pas été épargnés.
Fodé Crespin, le secrétaire général de la préfecture, avait une réputation
d’homme de bien. Humble et serviable, il faisait l’unanimité quant à ses qualités
humaines jusqu’à cette fatidique journée du 5 juillet 1985. Ceux qui n’avaient
jusque-là jamais tari d’éloges à son endroit se sont transformés en piranhas. Sa
maison fut vidée de son contenu et mise en flamme.
Le syndicaliste, Sékou Gaoussou Keita, installé à Fria depuis plus d’un quart
de siècle où on ne lui connaissait aucun ennemi, fut soumis au même traitement.
Des actes plus graves furent enregistrés dans la ferme d’Emile Kantara, le
directeur administratif de la compagnie. Ayant reçu Diarra Traoré en visite à
Fria peu avant les évènements du 4 juillet dans son vaste domaine s’étendant
sur des dizaines d’hectares, où il élevait des centaines de têtes de bétail, sa
propriété fut mise à sac et son domicile détruit.
Dans cette ville, la volonté de solder des comptes datant de la Première
République était patente. Les chefs de file de ce courant revanchard n’ont pas
fait souvent dans la nuance. C’est ainsi que la villa du Dr Ousmane Bangoura,
un soussou bon teint, natif de Coyah, médecin chef de l’hôpital Péchiney avait
été incendiée. Les assaillants lui reprochaient de s’être comporté par le passé en
valet des malinkés. Derrière ses apparences, sa fermeté par rapport au respect
des principes, synonyme à leurs yeux de méchanceté, était la principale
motivation de ses agresseurs. Le commerçant Barry Sadou dit Portö ne s’en tira
pas à meilleur compte pour les mêmes raisons. Sa voiture fut mise en pièces
détachées et sa maison fut la proie des vandales.
A Dubréka, préfecture natale du président Lansana Conté, les esprits étaient
surchauffés comme partout sur la Côte. Pour les responsables locaux, Dubréka
devait livrer son contingent de malinkés à la Commission Nationale
d’Enquête.A défaut de preuve, les éléments les plus en vue de la petite
communauté de la Haute Guinée en poste dans la préfecture furent épinglés.
Arrêtés à Dubréka le vendredi 5 juillet, Ismaël Cissoko, professeur à la faculté
de Dubréka, Fantamady Bérété,357 agent des Travaux Publics et Sékou Camara
Dutronc du service Comptabilité au Trésor Public furent transférés au PM3 à
Conakry dès le lundi. Leurs biens ont été détruits ou emportés par des bandes
de pillards Ont été arrêtés dans ce cadre.
Au premier nommé, il est reproché d’avoir servi d’agent de liaison dans les
relations épistolaires entre Diarra Traoré et le capitaine Bakary Sako, le
Gouverneur de province. A Jean Kolipé Lamah et Hervé Vincent Bangoura qui
l’interrogèrent, il se contenta de répondre humblement :
« Je n’ai jamais rencontré le Gouverneur. Quant à Diarra Traoré, c’est
seulement à la télévision que je l’ai vu ».

357
Entretien avec l’adjudant Karinka Kourouma, Conakry, 10 août 2012.

272
Au terme de 23 jours de détention, la Commission les reçoit une nouvelle
fois. Le ministre Bangoura s’adresse aux prisonniers : « Vous allez retourner à
Dubréka. Considérez ce que vous avez vécu ici comme l’émanation de la
volonté de Dieu. Renoncez à toute idée de vengeance ».
A la question de savoir : « Comment y serons-nous accueillis par les
autorités ? » Une question posée par Ismaël Cissoko en pensant au préfet, « le
redoutable Naby Camara à l’origine de notre arrestation. On nous répondit
qu’une lettre lui a été adressée pour qu’il nous autorise à reprendre nos
activités 358 ». Mamady IV Condé, Commandant d’Arrondissement Central,
arrêté au même moment, est mort peu après sa libération suite aux mauvais
traitements subis pendant sa détention.

DES HOMMES D’AFFAIRES RUINÉS


Les événements du 4 juillet 1985 ont négativement impacté la situation
économique des hommes d’affaires malinké. En effet, les populations de la
Haute Guinée sont les dépositaires d’une tradition millénaire reposant sur deux
piliers que sont le métier des armes et le négoce. Depuis la nuit des temps, ils se
sont illustrés dans le commerce des pierres précieuses, produits agricoles et des
marchandises de consommation usuelle importées par les blancs. Dans les
transports routiers, le commerce des produits (café, palmiste), les commerçants
originaires de la Haute Guinée comptaient parmi les négociants les plus
prospères de l’Afrique de l’Ouest avant la période des indépendances. Cette
dynamique ne s’est pas fondamentalement cassée après l’indépendance, malgré
les rigueurs de l’option socialiste prônée par le PDG. L’exploitation privée du
diamant autorisée par l’Etat devint très rapidement un tremplin qui leur permit
d’accroître leur fortune et de conforter leur position de principale force
économique du pays. Mais, dès l’avènement du CMRN, la volonté de briser
cette hégémonie ne se fit pas attendre. En faisant fermer les mines de Banankörö
en janvier 1985, Lansana Conté croyait leur avoir donné le coup de grâce. Mais,
toujours prodigieux et inventifs, les « masters » réussirent leur conversion dans
le commerce import-export, le BTP, etc. De grosses fortunes virent à nouveau
le jour. Les cas les plus connus étaient personnifiés par El Hadj Moustapha
Kallo, ancien président du Bureau National des Exploitants Privés de Diamant,
Kadialy Doumbouya, ancien exploitant de diamant, devenu commerçant
import-export. Une reconversion réussie qui n’a pas eu l’heur de plaire aux
nouveaux maîtres du pays et à ceux qui les manipulaient. Leur but était de les
voir complètement ruinés.
Ainsi, sous le prétexte qu’ils avaient assuré le financement du ‘’coup
Diarra’’, on mit à profit les événements du 4 juillet 1985 pour atteindre cet
objectif. Les biens accumulés à la faveur de longues années de labeur furent

358
Idem.

273
pillés. Les anciens proriétaires dépossédés de tous leurs avoirs furent contraints
le plus souvent à l’exil.
Ces dégâts ont été enregistrés sur une grande partie du territoire national.
Nous ne citerons que quelques exemples.
Ibrahima Kouyaté était propriétaire du plus grand magasin de luxe de
Conakry. Son établissement situé en face du marché « Niger » regorgeait
d’articles haut de gamme. Les hordes de pillards l’avaient vidé de tout son
contenu en l’espace de quelques minutes dans la matinée du 5 juillet 1984.
Ibrahima Kaba dit Babadjan possédait une galerie au carrefour de Mafanco. Elle
était remplie de meubles et de produits électro-ménagers de dernière génération.
En un tournemain, elle fut mise à sac dans la journée du 5 juillet. Baba Keïta
disposait d’un magasin géant de vente de riz à Matam. Son contenu s’élevait à
des milliers de tonnes. Il fut dévalisé avec la rapidité de l’éclair. La famille
Kakoro, l’une des plus grosses fortunes du pays, spécialisée dans la vente
d’articles divers vécut le même cauchemar dans l’actuelle commune de Matam.
Elle fut ruinée complètement au bout de l’opération déclenchée par les pillards.
Les magasins de Bakari Touré du groupement des importateurs de riz à Madina
furent entièrement vidés de leur contenu.
Le marché de Madina fut l’épine dorsale des actes perpétrés contre les
commerçants malinkés. Des scènes de pillages ont parfois tourné au drame.
C’est ainsi que le 5 juillet 1984 des dizaines de brigands trouvèrent la mort en
s’attaquant au magasin « Siguiri » appartenant à Bôdian Keïta. Ils furent
ensevelis sous les sacs de riz qui s’étaient écroulés sous leurs coups de boutoir.
La catégorie des riches hommes d’affaires représentée par les diamantaires
était particulièrement visée par le chef de bataillon Alhousseny Fofana. Tous
furent incarcérés aux ‘’32 Escaliers’’ où ils sont restés enfermés pendant deux
ans et six mois. Des « Masters » comme El Hadj Sékou Tidjane, El Hadj
Moustapha Kalo et Kalil Dian Doumbouya… qui avaient fait fortune dans
l’extraction et la commercialisation du diamant furent sérieusement déstabilisés.
La plupart de ces hommes n’ont jamais pu se reconstruire. Leurs somptueuses
demeures furent rasées par des bandes de pillards conduites par des officiers de
l’armée.
Plusieurs d’entre, eux comme El Hadj Sékou Diané et Moussa Keïta, durent
émigrer au Mali pour avoir la vie sauve. Un exemple imité par El Hadj Daouda
Diawara, notable à la Société Immobilière de Guinée (SIG), ancien
fonctionnaire à la retraite. Sa concession qui figurait parmi les propriétés les
plus cossues de la ville fut démolie de fond en comble. Les assaillants
détruisirent les véhicules et tous les objets qu’ils ne purent emporter.
En dépit de ces préjudices physiques, moraux et matériels, le chef de l’Etat
ne prononça jamais la moindre parole de compassion. Aucune attitude de
gravité réelle ou affectée pour s’apitoyer sur le sort de ceux qui furent jetés en
pâture à l’occasion de ces douloureux événements ne fut notée de sa part. Il ne

274
fut jamais question non plus d’allouer la moindre indemnité à ces victimes de la
haine et de l’intolérance. Les meetings « d’explication et de sensibilisation »
organisés dans la capitale et à l’intérieur du pays à la tonalité biaisée vinrent trop
tard pour refermer les plaies profondes causées par ces événements.
Pour maints observateurs, la répression du complot fomenté par Diarra
Traoré est celle qui a entraîné le plus grand nombre de victimes et de dégâts
matériels au sein d’une même communauté, elle fut la plus sanglante.
L’historien Aly Gilbert Iffono a écrit à ce propos : « Juillet 1985, complot
Diarra Traoré dont les Malinké ont payé un très lourd tribut. 359».
Ces actes de barbarie ne suscitent toujours pas cependant d’indignation au
sein de la classe politique. Les médias ne les évoquent que parcimonieusement.
Or même s’il n’existe pas de données précises, ils provoquèrent la mort de
plusieurs centaines de personnes tuées par des extrémistes et des manipulateurs
embusqués, assoiffés de ‘’vengeance.’’ Il est permis d’espérer que l’histoire les
jugera un jour. La désignation ‘’d’extrémistes’’ nous paraissant utile, en effet,
pour distinguer clairement les auteurs de ces actes de l’ensemble de la
communauté à laquelle ils appartiennent tant celle-ci est réputée pour son esprit
d’ouverture et de tolérance.
C’est pourquoi, il est lamentable de lire sous des plumes acérées que les
évènements du 4 juillet n’ont été qu’« un simple règlement de compte entre
militaires ». Cette logique tendancieuse équivaudrait à dire que des faits
antérieurs que les mêmes personnes ne cessent de porter au pinacle n’auront été
que de « simples règlements de compte entre politiciens ». Par ailleurs, les
contours de certains concepts extrêmes dont ces mêmes cercles usent à satiété
concernant d’autres faits antérieurs de moindre ampleur n’ont jamais été
esquissés de manière aussi nette que lors des évènements du 4 juillet 1985. Des
propos reproduits plus haut et attribués à Alhousseyni Fofana dont l’authenticité
peut être difficlement mise en doute le confirment amplement360.
Mais, revenons un peu en arrière, au moment où la capitale était en proie aux
affrontements entre les hommes de Diarra Traoré retranchés dans la maison de
la radio et les loyalistes engagés dans un combat à mort, pour voir quelle était
l’ambiance qui régnait autour du président Lansana Conté à Lomé.

359
Iffono Aly Gilbert, LA GUINÉE : d’Ahmed Sékou Touré à Alpha Condé ou le
chemin de croix de la démocratie, Paris, L’Harmattan, 2013, P.258.
360
En tout cas, ils n’ont jamais fait l’objet de démenti, ne serait-ce qu’à titre officieux,
de la part de l’intéressé.

275
CHAPITRE XIII

L’ambiance à Lomé

« Si le coup réussit… c’est qu’il y aura eu trahison »


Au début, une atmosphère faite d’anxiété mais aussi d’espoir régnait à Lomé,
nous a confié Faciné Touré à qui nous devons l’essentiel de ce récit.
Pour le chef de l’Etat guinéen, dont le colonel Diarra Traoré venait
d’annoncer la destitution, rien n’était joué. En effet, pendant que ses
compagnons de voyage ne cachaient pas leur désarroi, Lansana Conté affichait
un visage impassible, parfois enjoué. Faciné Touré rapporte que le président
dira à son entourage : « Si le coup d’Etat réussit en dépit des dispositions que
j’ai fait prendre, c’est qu’il y aura eu trahison ». Des assurances rejoignant dans
le fond ces mots prêtés au colonel Conté par un autre témoin : « Ne vous
inquiétez pas. C’est une situation déjà maîtrisée.» Des paroles prouvant
clairement que le chef de l’Etat ne s’était pas embarqué à l’aveuglette à
destination de la capitale togolaise.
Le président, n’ignorant pas en effet que son rival pourrait profiter de son
absence pour tenter sa chance, aurait hésité longuement avant de se résoudre à
partir pour Lomé où devait se tenir un sommet de la CEDEAO. Il révélera, à un
magazine qui l’a interrogé à son arrivée au Togo : « qu’un groupe d’officiers
prépare un coup d’Etat visant à renverser le régime361 ». En prévision d’une
telle éventualité et prenant pour prétexte de probables manifestations organisées
par des élèves mécontents des mauvais résultats du baccalauréat, le président
avait fait occuper tous les points stratégiques de la capitale par ses fidèles.
Le 3 juillet déjà, il avait convoqué le ministre des Affaires Etrangères pour
l’informer que son médecin l’ayant débarrassé d’une méchante dent dans la
matinée, il ne pouvait voyager. Mais le président ne s’est pas arrêté là. Il a révélé
à Faciné Touré que des « camarades s’apprêtaient à tenter un coup de force.
Une autre raison qui requiert ma présence à Conakry où tout peut arriver à tout

361
Le sommet précédent avait eu lieu en 1983 à Conakry et le président Ahmed Sékou
Touré avait été porté à la tête de l’Institution. Après le coup d’Etat du 3 avril 1984,
Lansana Conté, devenu président de la Guinée, hérita de la charge.

277
moment362». Fort des recommandations du président, Faciné Touré est arrivé à
Lomé le 4 juillet, dans la matinée.
Au salon d’honneur de l’aéroport de Lomé Tokoin, il n’eut pas le temps
d’échanger des amabilités avec le ministre de l’Intérieur du Togo363venu lui
souhaiter la bienvenue. En effet, le colonel Laclé l’invita à se rendre
immédiatement auprès du chef de l’Etat togolais qui l’attendait dans une pièce
voisine. Au cours de leur entrevue, Gnassingbé Eyadema insista pour que son
homologue guinéen soit à Lomé. L’argument développé par l’hôte du sommet
était la présence effective dans la capitale togolaise de la quasi-totalité des chefs
d’Etat de la CEDEAO. Il souligna en outre que le ‘’Doyen’’, le président
ivoirien, Félix Houphouët Boigny était à Lomé depuis trois jours.
Pour toutes ces raisons, déclara le général Eyadema, « la présence de mon
frère Conté en tant que président en exercice de notre organisation est
indispensable364 ».
Mais le président togolais et l’émissaire de son homologue guinéen se
séparèrent sans que celui-ci soit en mesure de lui donner l’assurance de la
participation personnelle du colonel Lansana Conté au sommet.
Toutefois dans l’après-midi, alors que « je ne me doutais de rien, le protocole
de la présidence de la République togolaise est venu m’annoncer l’arrivée
imminente du président Lansana Conté que je suis allé accueillir à l’aéroport »,
nous a dit le général Faciné Touré.
Avant de rejoindre son hôtel en compagnie du président togolais, le colonel
Lansana Conté souhaita faire une courte halte à la résidence du président
Houphouët Boigny. Mais Eyadema l’en avait dissuadé, sous le prétexte que
l’Ivoirien dormait déjà. Etait-ce pour un échange de civilités entre chefs d’Etat ?
Le président avait-t-il voulu effectuer cette démarche parce que son homologue
ivoirien avait pesé de tout son poids sur sa décision de venir à Lomé ? Il
rejoindra ensuite l’Hôtel 2 février où il occupa l’appartement 2901. Après le
dîner, la nuit tombant sur la ville, le président et les personnalités de sa suite se
séparèrent.
Rendez-vous fut pris pour le lendemain matin à l’occasion de l’ouverture du
sommet. « Nous étions donc en train de goûter à un repos que nous croyions
bien mérité lorsqu’une personne frappa violemment à la porte de ma
chambre », rapporte Faciné Touré.

362
Entretien avec le général Faciné Touré.
363
En 2009, le général Touré intervenant sur Radio Soleil a déclaré avoir été accueilli,
non pas par son homologue togolais, mais plutôt par le ministre togolais de
l’Intérieur.
364
Idem. Entretien avec l’auteur.

278
C’était Kémoko Keita 365 , ancien ministre des Finances et directeur de la
Coopération Internationale. A la question de savoir ce qui le préoccupait tant,
celui-ci répondit : « Diarra a fait un coup d’Etat366 ».
Les appels se mirent à pleuvoir. Ils étaient principalement destinés au
président de la République et au ministre des Affaires Etrangères. Le premier à
leur téléphoner fut l’ex- ministre d’origine sénégalaise, Alhassane Diop.
Incarcéré à Boiro, puis libéré avant de retourner au Sénégal, celui-ci était resté
attentif à tout ce qui touchait à l’évolution de son ancien pays d’adoption. Grâce
à l’ancien ministre de l’Information, Conté et ses compagnons eurent la
possibilité d’écouter la radio guinéenne. Le discours de Diarra Traoré était
relayé par des communiqués relatifs à la prise du pouvoir par le ministre d’Etat
chargé de l’Education Nationale.
L’hôte du sommet, mis au courant des évènements qui se déroulaient en
Guinée, ne tarda pas à téléphoner au colonel Conté à moins que ce ne fût
l’inverse. Croyant la chute de ce dernier irréversible, le président togolais s’était
proposé de lui livrer des armes et des tenues pour aller prendre le maquis367. Il
conseilla cependant à celui qu’il considérait désormais comme son ex-
homologue de ne point faire dans la précipitation. Le Togolais suggéra qu’on
attende le matin « pour se donner des idées ». Les Guinéens apprendront plus
tard que le général Eyadema avait déjà instruit ses collaborateurs pour aménager
des villas (des cages dorées dixit Faciné Touré) destinées à accueillir ces
nouveaux exilés dont il ne pouvait déterminer la durée du séjour forcé dans son
pays.
Mais, encore une fois, le président Conté, faisait montre d’un calme
olympien. Il avait ordonné la mise en place d’une cellule de crise comprenant
les ministres Faciné Touré, Sory Doumbouya, Jean Claude Diallo ainsi que
Kémoko Keita. Ce dernier a été chargé spécialement de se rendre à l’hôtel où
résidait l’équipage d’Air Guinée pour lui demander de rejoindre la suite
présidentielle. Des dispositions préventives « prises par le président pour
empêcher que les putschistes ne soient les premiers à entrer en contact avec les
pilotes368et ne leur enjoignent de rallier Conakry », a précisé Kémoko Keita.
Pendant ce temps, Lansana Conté et ses compagnons continuaient de suivre les
émissions de Radio-Guinée, grâce à la liaison établie par Alhassane Diop. Au
fil des heures, la situation, qui semblait désespérée, commença à évoluer, même
si la radio s’était tue entre temps. A l’aube, un coup de fil en provenance de

365
Toutefois, ce dernier que l’auteur a interrogé ne se souvient pas avoir joué un tel
rôle. « Moi, j’ai été informé par le président qui m’a fait venir dans sa suite, en
envoyant Madame Koumbassa, sa secrétaire particulière, me chercher. C’est là
que le capitaine Faciné Touré et les autres ministres tels que Sory Doumbouya,
Jean Claude Diallo nous ont rejoints », a-t-il confié à l’auteur en octobre 2014.
366
Entretien avec le général Faciné Touré.
367
Idem
368
Entretien de l’auteur avec Kémoko Keita.

279
Conakry informa le président que les troupes loyalistes avaient repris le dessus
en se rendant complètement maîtresses du terrain. Diarra Traoré et ses acolytes
étaient en fuite.
Auparavant, le colonel Conté avait rejeté la proposition de l’équipage d’Air-
Guinée qui suggérait de quitter le Togo pour aller se poser à Boké. « Mon unique
destination après Lomé sera Conakry et nulle part ailleurs », aurait-il martelé.
Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, le président et sa suite apprirent
dans la foulée que leurs compagnons du CMRN, restés à Conakry, étaient tous
sains et saufs.

LE COUP DE FIL DE HOUPHOUËT BOIGNY


L’atmosphère se détendit complètement dans l’entourage du président. Les
partisans du colonel Conté avaient triomphé sur toute la ligne. Mais certains
parmi ses pairs ne le savaient pas encore à Lomé. Au moment où Conté et sa
délégation se congratulaient, le téléphone sonna. À l’autre bout du fil se trouvait
le président ivoirien qui enchaîna aussitôt : « C’est malheureux, ce qui vient de
se passer en Guinée. Vous l’auriez évité si vous m’aviez écouté 369 ».
Imperturbable, Lansana Conté lui répondit : « Mais il ne se passe plus rien en
Guinée ».
« Vous voulez dire que le coup d’Etat a échoué, s’enquit le président
Houphouët » ?
« Oui, nous maîtrisons parfaitement la situation », lui répondit le colonel
Lansana Conté.
Houphouët Boigny raccrocha. De dépit, prétendent les mauvaises langues.
Un point de vue que Faciné Touré n’est pas loin de partager. Pour l’ancien
ministre des affaires étrangères, en effet, toutes les apparences participaient de
l’idée amenant à penser que le chef de l’Etat ivoirien et son homologue togolais
avaient décidé de miser sur Diarra Traoré. D’ailleurs, tout au long de la soirée
et plus encore le lendemain, Gnassingbé Eyadema que trahissaient ses propos,
eut du mal à cacher sa déception face à l’échec du putsch. Si l’on en croit Faciné
Touré, le 5 juillet à l’aéroport de Lomé alors qu’aucun doute ne planait
désormais sur l’issue des événements qui venaient d’agiter la capitale
guinéenne, le président togolais, auteur d’un des premiers putschs opérés en
Afrique ne put se retenir et posa la question suivante à son homologue guinéen :
« il paraît que Diarra lui-même est parti à la radio ?» Lansana Conté laconique,
lui répondit : « C’est l’information que nous avons reçue ». Son hôte, encore
sous le coup de l’amertume ne put s’empêcher d’ajouter : « Il ne sait pas qu’en
des cas pareils, on ne va pas soi-même ? ». Selon, le ministre des affaires
étrangères, le souhait des deux plus anciens dirigeants ouest-africains de voir

369
Propos rapportés à l’auteur par Faciné Touré.
« Le Lynx numéro 1171-22 decembre 2014 »

280
Lansana Conté céder le pouvoir à Diarra Traoré sautait aux yeux. Il explique
leur aversion pour leur homologue guinéen par le refus de ce dernier d’adhérer
à l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA) et à la compagnie multinationale
Air Afrique. Le ‘’Vieux’’ et ses amis auraient-ils reçu des gages en ce sens de la
part de Diarra Traoré ? Apparemment oui, si l’on en croit Jeune Afrique selon
lequel dans sa déclaration radiodiffusée du 4 juillet, le Colonel Traoré avait
promis que la « question monétaire serait réglée ». Etait-ce un clin d’œil en
direction de ceux qui le soutenaient de l’extérieur ? A défaut d’un procès ou
d’une simple déclaration enregistrée de Diarra Traoré avant son exécution, cette
question restera éternellement sans réponse.
Toutefois, comme les complots précédents qui ont jalonné l’histoire de la
Guinée indépendante, celui de Diarra Traoré peut-il avoir été conçu, ‘’financé’’,
et préparé sans que la main de l’étranger n’y soit mêlée ? Peu probable. Même
si les ennemis de Sékou Touré ne pouvaient être ceux de Lansana Conté, ne se
pourrait-il pas que parmi ceux qui avaient acclamé son arrivée au pouvoir en le
considérant alors comme l’antithèse de son prédécesseur, le charme soit vite
retombé ? Ces milieux, n’ont-ils pas déchanté très rapidement en constatant que
le nouvel homme fort de Conakry se montrait tout aussi intransigeant sur
certaines questions fondamentales relevant de la souveraineté de son pays ?
Dans ces conditions, leurs espoirs de voir s’installer en Guinée un Etat vassal
du leur ne se sont-ils pas évanouis, suscitant de fortes rancœurs ?
D’autre part, si l’on s’en remet à la conversation que l’archevêque de
Conakry eut avec l’ambassadeur d’Italie, comment interpréter le dessein que
nourissait Diarra Traoré de prendre la direction d’un pays voisin ? Il était
probablement sûr de bénéficier de l’hospitalité et de la protection de ses
dirigeants. On sait par ailleurs que les relations entre Lansana Conté et Félix
Houphouët-Boigny sont restées glaciales, empreintes d’une méfiance et d’une
animosité tenace jusqu’au bout. Le chef de l’Etat guinéen savait-il que le
président ivoirien n’avait pas ménagé sa peine pour le renverser au profit de
Diarra Traoré ?
En tout cas, la thèse d’une conspiration fomentée par « la quasi-totalité des
chefs d’Etat de la CEDEAO » contre Lansana Conté a été soutenue
passionnément quelques années plus tard dans un article paru dans les colonnes
d’un hebdomadaire guinéen. Pour son auteur, le huitième sommet de la
CEDEAO à Lomé fut convoqué dans ce but sept mois seulement après le
précédent qui avait porté le nouveau président guinéen à la tête de l’organisation
régionale. Selon lui, la ‘’précipitation’’ avec laquelle, la rencontre avait été
organisée viserait à attirer le chef de la junte guinéenne dans un guet-apens. Le
scénario aurait donc été monté pour faciliter la tâche à ceux qui devaient le
renverser, d’après les tenants de cette thèse.
Il convient à ce propos de rappeler cependant que le septième sommet de la
CEDEAO s’était déroulé à Lomé du 22 au 23 novembre 1984. Le colonel
Lansana Conté l’avait dirigé pour avoir hérité au lendemain du coup d’Etat du

281
3 avril 1984, de la charge de Président de la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement de la CEDEAO. Le mandat avait été confié à son prédécesseur
à l’issue du sixième sommet organisé à Conakry du 28 au 30 mai 1983.
La Guinée présidait donc aux destinées de l’organisation sous-régionale
depuis plus de deux ans lorsque la rencontre de Lomé avait été convoquée. Le
huitième sommet qui devait se tenir les 28 et 29 mai 1985, ouvrait donc ses
travaux avec plus d’un mois de retard sur le calendrier initial (voir annexe). A
noter par ailleurs que dans sa narration des événements qui avaient marqué cette
nuit tourmentée, Faciné Touré rapporte que les présidents Thomas Sankara du
Burkina Faso, Moussa Traoré du Mali, Seyni Kountché du Niger téléphonèrent
pour complimenter leur prodigieux collègue.
Le président du Niger, ancien condisciple de Diarra Traoré à l’académie
militaire, en aurait profité pour rappeler à son homologue guinéen la mise en
garde qu’il lui avait adressée quand il « a nommé Diarra, Premier
ministre »,370dit-il.
En définitive, celui, dont on plaignait le sort il y a peu, devint subitement le
héros de la rencontre, le grand triomphateur. Tout le monde louait à présent, sa
prouesse exceptionnelle, sa baraka.

FACINÉ TOURÉ TÉLÉPHONE À MAMADOU BALDET ?


L’ambiance ayant changé, l’heure de payer avait sonné pour Diarra Traoré
et ses complices. Les deux ministres d’Etat Faciné Touré et Mamadou Baldet
ne vont pas perdre de temps pour les traquer. Selon le commissaire Dioumessi :
« A 5h GMT, le chef de la diplomatie guinéenne prit la direction des Postes et
Télégraphes de Lomé. Le premier secrétaire de l’ambassade de Guinée à Lagos
l’accompagnait »371. Le ministre des Affaires Etrangères était là pour dicter à
son collègue de la Fonction Publique se trouvant à Conakry les noms des
officiers malinkés qui devraient être immédiatement mis aux arrêts. Il fournit à
Mamadou Baldet les précisions utiles toutes les fois où son interlocuteur
semblait ne pas connaître l’individu à rechercher ou éprouvait du mal à le
localiser »372 affirme-t-il. Une question obsédante mérite alors d’être posée :
Faciné Touré obéissait-il, le cas échéant à un ordre ou agissait-il de son propre
chef ? Les capitaines Touré et Baldet réagissaient-ils conformément à un
schéma prévu de longue date ? Mystère car les deux hommes sont restés
étrangement muets sur cette question malgré les interpellations multiples dont
ils font l’objet. Faut-il y voir une forme d’aveu ? La présence du capitaine
Baldet à la poste de Conakry est attestée par le témoignage de l’adjudant

350 –Témoignage de Faciné Touré


371
Témoignage de Dioumessi Ibrahima Sory, le 22 avril 2012. Propos repris par
l’intéressé sur les Antennes d’Espace FM en janvier 2015.
372
Idem. L’intéressé persiste et signe pour soutenir cette allégation comme il l’a fait,
du reste sur les antennes de plusieurs radios privées.

282
Mamadou Lamine Sow373, l’un des hommes en faction au cours de cette nuit en
ces lieux. Il faisait partie d’une équipe composée de militaires, gendarmes et
policiers374. Il se souvient que c’est à 5h du matin que le capitaine Mamadou
Baldet et ses hommes pénétrèrent dans l’enceinte des P.T.T. Tous les policiers
furent neutralisés avant que le capitaine ne prît place dans la cabine
téléphonique. Il ignore cependant ce qu’il y a fait ainsi que le nom de la personne
avec laquelle il était entré en communication. L’adjudant Sow garde un amer
souvenir de cette soirée car tous les policiers présents à la Poste furent conduits
sine die aux 32 Escaliers où ils subirent les foudres de l’adjudant Yéro Djouma
Diallo375. Seul leur collègue, Michel Keita, cousin de Madame Henriette Conté
fut libéré dès qu’il déclina sa filiation. Il put rejoindre son domicile à bord d’un
véhicule de la Présidence de la République venu spécialement le chercher.
Mamadou Lamine Sow et ses compagnons resterèrent « emprisonnés pendant
28 mois, sans procès », dit-il. L’épisode de l’échange téléphonique entre Faciné
Touré et un tiers est évoqué également par Siradiou Diallo dans les colonnes de
Jeune Afrique. Mais son récit diffère par endroits du précédent, notamment en
ce qui concerne l’interlocuteur du ministre. C’est encore une fois Hervé que le
journaliste pointe du doigt dans le rôle du second méchant, l’exécuteur des
basses œuvres ordonnées depuis Lomé par le ministre des Affaires étrangères.
Méprise ou volonté délibérée de masquer une partie de la vérité à des fins
personnelles ? Toutefois, les deux versions s’accordent sur le fond.
Siradiou Diallo a commencé par rappeler que le coup de force de Diarra
Traoré a offert l’occasion à quelques « nouveaux dirigeants issus du coup d’Etat
militaire du 3 avril 1984 d’assouvir des vengeances qui attendaient leur
heure77 ». Il a relevé que « les listes préétablies de suspects ont été
minutieusement réactualisées au cours de plusieurs entretiens téléphoniques
menées dans la nuit du 4 au 5 juillet entre Hervé Vincent Bangoura, installé au
centre des télécommunications de Wonkifon, dans la banlieue de Conakry, et le
capitaine Faciné Touré, alors ministre des Affaires Etrangères, parlant depuis
la suite présidentielle N°2901 dans l’hôtel du 2 février à Lomé, où loge Lansana
Conté376». Il appartient à présent aux personnes indexées dans ces récits de lever
le voile sur cette ténébreuse affaire.
De toute façon, Il n’est nul besoin d’être grand clerc pour deviner que dans
ces « listes préétablies » figuraient exclusivement des noms d’officiers

373
Entretien avec l’auteur.
374
Entretien avec l’auteur.
375
La réaction des autorités envers les policiers peut s’expliquer par l’implication de
plusieurs d’entre eux dans la tentative du coup d’Etat de Diarra
Traoré.Témoignage de l’adjudant Mamadou Lamine Sow.
376
Jeune Afrique, Dossiers Secrets de l’Afrique Contemporaine- Règlements de
compte à Conakry, p. 12-13.

283
malinkés. Peu d’entre eux échappèrent 377 à la purge ‘’programmée de longue
date’’, à en croire l’hebdomadaire JA. L’objectif visé était de mettre fin à
l’hégémonie feinte ou réelle que ces militaires étaient censés exercer au sein des
Forces Armées.

LE RETOUR TRIOMPHAL DE LANSANA CONTÉ


Il ne restait plus qu’une formalité à remplir par le chef de l’Etat dans la
matinée du vendredi 5 juillet, à Lomé : présider l’ouverture du sommet de la
CEDEAO : ce qu’il fit à l’heure dite avant de reprendre le chemin du retour à
Conakry où son avion se posa à 17h. Plusieurs représentants de la presse
internationale ne voulant pas se faire conter l’événement avaient pris place à
bord de l’avion présidentiel piloté par le lieutenant Jean Langré.
Dans la capitale guinéenne, des communiqués avaient été diffusés pendant
la journée dans toutes les langues nationales du pays, à l’exception notable du
malinké. La population était invitée à sortir massivement pour accueillir et
manifester son soutien au président de la République.
C’est finalement dans une atmosphère extatique que s’effectua le retour de
Lansana Conté. La capitale guinéenne lui fit un triomphe digne de César après
la conquête de la Gaule. Ce vendredi 5 juillet, des foules énormes composées
essentiellement de soussous et de peulhs sont sorties pour acclamer le tombeur
de Diarra Traoré. « Un accueil qui exprimait avec puissance et vigueur la vitalité
dont jouissent les structures mises en place par le Comité Militaire de
Redressement National que chaque Guinéen porte dans son cœur depuis le 3
avril 1984378 », pouvait-on lire dans le journal Horoya.
Pour Mamadou Saliou Baldé, « de mémoire de journaliste, jamais une
réception n’avait pu réunir autant de monde dans les rues de Conakry379. »
Il y avait, poursuit-il, « de la couleur, du rythme, de la joie, tout y était pour
conférer à la fête une dimension égale à l’importance de la victoire du Peuple et
de son armée sur la clique des comploteurs. 380 » Ces foules énormes
comprenaient des jeunes, des femmes et des vieux brandissant des rameaux.
C’était : « émouvant et captivant », conclut l’envoyé spécial de l’Organe du
Peuple. Elles ont magnifié le président et ont jeté l’anathème sur Diarra Traoré
et les siens. Comme César, Lansana Conté s’est vu remettre la palme de sa
victoire à travers les étoiles dorées de général de brigade qu’il reçut des mains
du capitaine Mamadou Baldet.

377
Sauf erreur de notre part, seuls Makan Camara et Sory Doumbouya, alors membres
malinké du CMRN, ont été épargnés.
378
Horoya no 178 du dimanche, 7 juillet 1985, p.2.
379
Ibidem.
380
Ibidem

284
L’acte du CMRN est ainsi libellé : « En exécution des vœux des populations
guinéennes, suite à l’écrasement du coup d’Etat perpétré par les ennemis de la
Nation, le Comité Militaire de Redressement National élève au rang de Général
de Brigade, Son Excellence le Colonel Lansana Conté, Président du Comité
Militaire de Redressement National, Chef de l’Etat pour les services rendus à
notre chère Patrie. Conakry, le 5 juillet 1985, Le CMRN. 381»
En arrivant à sa résidence du Camp Samory, le président avait été ovationné
par une foule nombreuse. Le général Lansana Conté s’était arrêté un instant pour
s’adresser à ces hommes et femmes débordants d’allégresse : « Je vous remercie
pour avoir restauré la légalité. Mais je ne suis pas content de vous parce que
vous vous êtes attaqués aux malinké. Personne n’a jamais eu la preuve que tous
soutenaient Diarra. Je suis sûr qu’ils sont nombreux à ne l’avoir jamais vu en
image. Pire, vous avez détruit des bâtiments de l’Etat qu’ils occupaient 382».
Dans une allocution radiotélévisée, le soir à 20 heures, Lansana Conté
fustigea le comportement de « la clique qui a tenté de prendre le pouvoir ». Il a
rappellé « l’action néfaste » qu’elle avait menée depuis la conquête du pouvoir
par le CMRN. Il souligna cependant que « ces individus tarés qui se sont taillés
une réputation de truands à l’intérieur et à l’extérieur du pays sont des personnes
rejetées par leur propre ethnie.383» Le président dira plus loin que « la tentative
de coup d’Etat organisée par Diarra ne reposait sur rien d’autre que des intérêts
personnels, égoïstes et sordides.» Le général Conté conclut sa déclaration sur
des notes rassurantes : « Le peuple de Guinée et son gouvernement sauront faire
la juste part des choses.384 » Une analyse de la situation qui rejoignait le point
de vue de toutes les personnes se livrant à une lecture lucide des événements
que le pays était en train de traverser.
Le lendemain, le CMRN avait tenu une réunion extraordinaire au Camp
Samory sous l’autorité de son président. Pour l’hedomadaire Jeune
Afrique « c’est alors que la décision est prise de passer par les armes et sans
délai les principaux dignitaires du régime précédent 385 ». Le capitaine
Mamadou Baldet aurait été le plus virulent alors à l’encontre des
« comploteurs » contre lesquels il requit la peine de mort, rapporte le
commissaire Dioumessi.

MEETING AU PALAIS DU PEUPLE


Le dimanche 7 juillet 1985, un grand meeting avait été convoqué au Palais
du Peuple par le CMRN. Combien étaient-ils cette fois pour exprimer leur
soutien au chef de l’Etat ? « 200.000, voire 300.000 ? », s’interroge le quotidien

381
Ibidem.
382
Entretien avec le commissaire Dioumessi, avril 2012.
383
Horoya no 178, p.2
384
Ibidem.
385
J.A., op.cité, p.19.

285
Horoya. Pour l’ ‘’Organe d’information du Peuple’’, les populations de
Conakry avaient répondu « de façon unanime et prodigieuse au meeting tenu, à
l’Esplanade du Palais du Peuple par le Président de la République, le général
Lansana Conté. »
Son envoyé spécial note que « pour arriver là, tous les moyens étaient bons.
Les moins fortunés mais non les moins déterminés y sont allés à pied. D’autres
à motos. D’autres encore dans des véhicules personnels ou de transport en
commun. Les rues étaient le théâtre d’un spectacle inédit et ravissant. Au milieu
des cris et des klaxons, des chants et danses improvisés, tel un fleuve qui coule,
les populations descendaient sur l’Esplanade comme à la recherche de la bonne
parole. Dans cette marche désordonnée mais bien consciente, les détails étaient
d’un charme éblouissant. Portraits géants du général Lansana Conté, lourdes
pancartes portant des inscriptions en hommage au CMRN et à son président,
têtes et véhicules ceints de branchages verts, habits multicolores et bigarrés,
tam-tams et autres instruments de musique portés à bout de bras, donnaient à
l’événement un caractère de fête. C’en était, en effet, une. L’atmosphère,
chaleureuse à plus d’un titre participait également d’un enthousiasme qui se
propageait comme un feu de brousse, pour enfin embraser tous les visages386.»

LA DÉCLARATION DU PRÉSIDENT
Dans un discours entrecoupé d’applaudissements appuyés et de vivats d’une
foule qui avait pour lui les yeux de Chimène, le président dressa le bilan
macabre de la tentative de coup d’Etat. Elle a coûté, dit-il, « la vie à dix-huit
personnes, dont deux femmes, et a fait deux cent vingt-neuf blessés ». La Fatiha
avait été récitée pour le repos de l’âme des victimes.
Il avait fait l’éloge des populations de la capitale, en particulier celles du
quartier de Boulbinet en mettant l’accent sur leur loyauté et leur bravoure qui
avaient contribué à l’échec de la conspiration. « Si le 3 avril, nous avions pris le
pouvoir au nom du peuple, cette fois, c’est le peuple qui nous l’a donné », fera
remarquer le président. Pour Lansana Conté, estimant qu’à quelque chose
malheur est bon, l’arrestation de la clique de Diarra Traoré levait désormais
toute confusion au sein du CMRN. « Les actions sataniques » de Diarra Traoré
ont été passées au peigne fin par le chef de la junte. Les mots se bousculaient
dans sa bouche pour parler de ce « tortionnaire invétéré » qui, à l’époque où il
était le président du CUM du Camp Samory, « avait envoyé nombre de citoyens
à Boiro, le camp de la mort ».
En s’adressant à la marée humaine entièrement acquise à sa cause et
manifestant son hostilité envers Diarra Traoré et sa communauté, le chef de
l’Etat, forçant sans doute sa nature, n’hésita point à la conforter dans son attitude
en lançant sa tristement célèbre formule : Wo fatara (vous avez bien fait).

386
Horoya no 179 du mardi 9 juillet 1985, p.1.

286
Faisait-il allusion au sort réservé aux morts et blessures enregistrées au cours
des heures infernales que les malinkés venaient de vivre ? Ses propos
englobaient-ils les scènes de destruction d’édifices, pillages de biens des
victimes, dont la quasi-totalité appartenait à l’ethnie malinké ?
Une question à laquelle il est tout aussi difficile de répondre objectivement
qu’il ne l’est s’agissant d’autres déclarations qui ont émaillé l’histoire de la
Guinée avec leur lot de controverses inexpiables.
Les idolâtres avancent sans nuance que l’expression ‘’Wo fatara’’ avait été
utilisée par le président dans un esprit d’apaisement. Le général Conté en avait
fait usage pour féliciter ceux qui avaient œuvré à l’échec de Diarra Traoré et
sauvé son fauteuil. Il avait voulu surtout que cessent les scènes de violence
faisant rage dans la ville. Ce gallicisme à la sauce soussou (principal idiome
utilisé en Basse Guinée), langue dans laquelle il s’était exprimé au cours de ce
meeting, serait employé parfois au figuré dans un but visant à convaincre son
interlocuteur de renoncer à un dessein malveillant ou tout simplement à mettre
un terme à sa colère. La preuve, affirment-ils, est que la foule s’était dispersée
dans le calme après le discours avant que, dans les rues et les quartiers, la vie ne
reprenne son cours normal.
Faciné Touré confiera à Ciré Baldé de Visionguinée.info que c’est à la faveur
de l’accueil inoubliable que lui réservèrent les populations de Conakry à son
retour de Lomé que « Conté ému par tout ce qu’il a vu a lâché brutalement ‘’Wo
fatara’’ (vous avez bien fait). »
Une rhétorique violemment rejetée par les détracteurs du président parmi
lesquels on recense un nombre considérable de victimes des événements du 4
juillet 1985 et de membres de leur communauté. Ceux-ci ont mal pris
l’ambiance du meeting et le discours du président confortant et déshinibant ses
partisans qui les ont attaqués, tuant, blessant bon nombre des leurs et ruinant les
plus fortunés d’entre eux. Ces propos étaient d’autant plus pensés et pesés,
estiment-ils que jusqu’à la fin de son règne, Lansana Conté n’a jamais prononcé
la moindre phrase, effectué le moindre geste de compoction.
Face à ces positions antagoniques, le moins que l’on puisse dire est que la
sobriété et la tempérance qui caractérisaient Lansana Conté ont été mises à rude
épreuve par la gestion de ces événements. Son image avait été écornée par
l’utilisation de ‘’Wo fatara’’. Sa colère était légitime, mais devrait rester
mesurée d’autant plus que, dans une écrasante majorité, les populations lui
avaient témoigné leur attachement. Elles ont réagi vigoureusement en ce sens.
Grâce à elles et à la loyauté des forces armées, la tentative de putsch avait été
écrasée et le Président disposait désormais du droit de vie et de mort sur son
rival battu à plate couture.
On peut alors s’interroger sur les causes de l’absence de toute retenue de la
part de Lansana Conté, de la brusque volte-face dans son langage ? En effet, la
déclaration, qu’il avait faite à son arrivée au Camp Samory, 48 heures plus tôt,

287
et son adresse à la nation diffusée le même jour (voir annexe) étaient frappées
du sceau de la mesure. Or ses propos du 7 juillet n’ont pas été bidouillés. On
note du reste qu’une véritable métamorphose s’était produite en l’homme en
l’espace de quelques heures. Certains l’expliquent par l’influence malfaisante
des extrémistes de son camp. Ils pointent du doigt aussi bien certains de ses
compagnons du CMRN que des démagogues impénitents évoluant dans l’espace
médiatique. Leurs agissements, commentaires fielleux et leur activisme pendant
ces dures journées ont fait monter la température de plusieurs degrés et ont
poussé Lansana Conté à souffler sur les braises.
Sans conteste, le président a choisi en dernier ressort la méthode forte pour
régler la situation créée par le coup d’Etat manqué de Diarra Traoré. Cette
posture a ruiné au passage l’image du dirigeant responsable et pondéré qu’on
avait de lui. Au cours de ce grand meeting populaire, c’est un Lansana Conté
méconnaissable que l’on a entendu, « ragaillardi, sûr de lui, plus que jamais
confiant dans son étoile après l’échec du coup d’Etat et l’arrestation de son
auteur principal : ‘’Ceux qui ont tué seront tués. Que ceux qui veulent les
défendre au nom des droits de l’homme le fassent très vite car, demain, il sera
trop tard’’387», écrira Siradiou Diallo. On mesure dès lors l’inanité des efforts
visant aujourd’hui à jeter un voile pudique sur cet excès de langage.
Le chef de l’Etat aurait-il pris ensuite la direction du Camp Alpha Yaya
comme s’ingénie à le faire croire le gendarme Koffi Cissé 388 ? Est-il vrai que
le vainqueur de Diarra Traoré en aurait profité pour narguer une dernière fois
son antagoniste tout en savourant la joie de le voir humilié et réduit à
l’impuissance ? Selon notre interlocuteur, Lansana Conté ne se serait pas privé,
pour la circonstance, d’adresser à son prisonnier à la mine contrite quelques
mots bien sentis tirés d’un certain vocabulaire qui était parfois le sien. Dès lors,
tout devenait clair : les ‘’comploteurs devaient payer’’. Tous les centres de
détention et de torture fermés en avril 1984 rouvrirent leurs portes pour
accueillir de nouveaux pensonnaires. Mais de tous, ceux-ci gardent en
particulier un amer souvenir des ‘’32 Escaliers’’, une prison située dans
l’enceinte du Camp Alpha Yaya.

LES 32 ESCALIERS : AUTRE ‘’PRISON D’AFRIQUE’’


« Nous exterminerons l’ethnie malinké… »
Les personnes arrêtées à Conakry étaient incarcérées parfois dans des
cachots de fortune ou séquestrées à domicile. Mais, d’une manière générale,

387
Op.cité, p.21.
388
L’adjudant Fodé Keita confirme cette information. Il déclare que le président s’est
rendu effectivement au camp et précise l’avoir vu « hors de lui ». Même son de
cloche du côté de l’AVR, dont la plupart des membres, incarcérés dès les
premières lueurs de l’aube, après la diffusion de la déclaration de Diarra Traoré,
soutiennent qu’ils étaient présents au camp au moment de cette visite.

288
elles prenaient la direction de l’Etat-major de la Gendarmerie Nationale ou celle
du Camp Alpha Yaya. A l’Etat-major de la Gendarmerie Nationale siégeait la
deuxième Commission d’Enquête dirigée par le commandant Jean Kolipé
Lamah et le ministre Hervé Vincent Bangoura.
Les détenus étaient internés dans les locaux disciplinaires du Peloton Mobile
n° 3 (PM3). Dès leur arrivée, ils étaient dépouillés de leurs biens, déshabillés,
ligotés comme des saucissons, bastonnés puis jetés dans des cellules noires
surnommées « Cobra ». Les conditions de détention étaient cruelles avec des
souris, des cancrelats, des salamandres…peuplant leur nouvel univers.
Elles étaient cependant relativement clémentes par rapport à celles du Camp
Alpha Yaya, siège de la Commission Nationale d’Enquête. Celle-ci avait élu
domicile dans les locaux de l’Ecole Militaire Interarmées dans l’enceinte du
plus grand camp de la République. Elle avait à sa tête le commandant
Alhousseny Fofana. Elle comprenait les capitaines Mamadou Baldet, Ibrahima
Sory Diallo, Faciné Touré, le commandant Ousmane Sow...
Au Bataillon Spécial de Conakry (BSC) évoluait une Commission d’accueil
présidée par le commandant Fodé Komoya Camara.
‘’Les 32 escaliers’’ sont situés dans cette caserne. C’était au départ une
prison militaire, conçue pour la rééducation des soldats indisciplinés. Selon les
anciens pensionnaires, ils comporteraient des cellules de tailles différentes. Les
plus petites ont une capacité d’accueil de quatre personnes. Dans les grandes,
on peut interner une dizaine d’individus. Mais les personnes arrêtées à la faveur
des évènements du 4 juillet 1985, ont été parquées sans aucun souci du respect
de ces normes. Dans les petites cellules, étaient entassées 8 ou 10 personnes en
moyenne. Les grandes en accueillaient une quarantaine au moins.
Il y régnait une véritable promiscuité avec des hommes et des femmes
emmêlés, jetés à même le sol et revêtus du plus simple appareil. Aucun esprit
de discernement n’ayant été observé en matière d’arrestation, il était courant
que des pères et mères de famille se retrouvassent nez à nez avec leurs enfants,
tous entièrement nus.
Deux faits ahurissants rapportés par d’anciens pensionnaires ont marqué les
esprits dans cette prison infernale :
Les lamentations de cet ancien ministre ne supportant pas de se retrouver nu
comme un verre de terre, dans la même pièce que son fils.
L’humiliation vécue par une femme en tenue d’Eve alors qu’elle était en
période de menstruation et qui ne sut comment faire pour se protéger que de se
servir désespérément de ses deux mains.
La diète noire était systématiquement appliquée.
C’est au terme du huitième jour au plus tôt que chaque détenu pouvait laper
quelques gouttes de quinquéliba chaud contenues dans une boite de bière. Les
conditions d’hygiène étaient épouvantables. En effet, tous les besoins naturels

289
des prisonniers étaient assouvis quasiment sur place. En effet, il n’existait
presque pas de sanitaires aux 32 escaliers. Les malheureux dormaient ainsi à
même le sol au milieu des déjections. La puanteur des vomissures, des
excréments était telle que les geôliers eux-mêmes en avaient la nausée.
Ces conditions épouvantables de détention déclenchèrent des maladies
contagieuses à l’origine de nombreux décès. D’anciens prisonniers citent encore
en mémoire une épidémie de choléra dénommée ‘’diarrhée noire’’ qui fit des
dizaines de victimes que les geôliers s’empressèrent d’enterrer dans des fosses
communes389.
Tout était bon pour rendre la vie intenable. Le commandement du camp
donna des instructions pour que les persiennes et trous par lesquels l’air pouvait
passer soient hermétiquement fermés. La décision de Kissi Camara entraîna
plusieurs cas de décès par asphyxie.
Les prisonniers qui étaient dans l’œil du cyclone étaient ligotés les quatre
membres liés au dos avec des cordes en fil de nylon. Celles-ci transperçaient la
chair et atrophiaient les nerfs. On estime que vingt personnes au moins perdirent
la vie suite à ce traitement. De nombreux cas de paralysie furent enregistrés.
Ceux qui survécurent à ces épreuves en gardèrent des séquelles qui abrègèrent
leur existence. En effet, bon nombre d’entre eux décédèrent peu après leur
libération.
Les apparences oeuvraient à crédibiliser les paroles prêtées au commandant
Alhousseny Fofana, président de la Commission Nationale d’Enquête à savoir :
« Nous exterminerons l’ethnie malinké en Guinée, si nous avons besoin de la
semence, nous irons en chercher en République du Mali390 »
Les prisonniers des ‘’32 escaliers’’ mesurèrent également dans sa plénitude
la justesse de la déclaration faite quelques années plus tôt par un autre baron du
nouveau régime à savoir : « Nous avons des méthodes pires que Boiro 391».
Au Camp Alpha Yaya, en effet, où la torture était l’arme unique des
enquêteurs, plusieurs officiers et civils ne purent survivre à leurs interrogatoires.
Tel fut le cas du chef de Bataillon Nounké Keita, ancien gouverneur de la
province de Faranah. L’officier eut les côtes brisées au cours des sévices qu’il
subit. Il rendit l’âme dans des conditions épouvantables. L’adjudant-chef Sékou
Touré souffrit le martyre. Nous avons décrit plus haut la cruauté inouïe que ses
bourreaux utilisèrent pour mettre fin à ses jours. Le lieutenant Abdourahamane
Diallo, membre du CMRN, son ex-compagnon et rival au sein du CUM du Camp
Alpha Yaya savourant sa mort comme une victoire personnelle, lui lança à la
figure avant son dernier souppir : « Je t’avais bien dit que je t’aurai392». Lanciné
Touré dit ‘’Köciné’’, ancien commissaire central de Coyah, fut pendu par le pied

389
Témognage de Kader Sangaré et de Koffi Cissé.
390
Cissé Koffi, La Vérité sur le 4 juillet 1985, p. 12.
391
Cissé Koffi, op.cité, p. 14.
392
Ibidem.

290
à une branche de manguier. La branche céda. Ses reins se brisèrent et sa chute
fut mortelle. Le même traitement fut administré au commandant Noumouké, un
ancien du Vietnam.
Voici les noms de quelques militaires et paramilitaires, morts des suites de
ces mauvais traitements pendant leur incarcération ou peu après leur libération :
Commandant Ousmane Kaba
Capitaine Karifa Traoré
Sous-Lieutenant Moussa (Che) Diakité
Adjudant-chef Sékou Touré
Adjudant Pivi Moriba Togba
Adjudant-chef Adama Kamissoko
Lieutenant Mamadi Kourouma
Lieutenant Lancinet Kourouma
Sous-lieutenant Makan Oularé
Lieutenant Mamadou Ciré Bah
Lieutenant Lancinet Traoré
Lieutenant Ibrahima Kanté
Lieutenant Laye Samoura
Capitaine Kandet N’zé
Sous- lieutenant Kaba Kourouma
Sous- lieutenant N’Fanly Kourouma
Sous- lieutenant Mamadi Kouyaté
Sous- lieutenant Foromou Guémou
Lieutenant Noumboukari Camara
Adjudant-chef Amara Camara
Adjudant Amara Condé
Sous- lieutenant Alpha Kabinet Dioubaté
Lieutenant Bacary Condé Dit J B K
Adjudant-chef Aboubacar Sidiki Soumaré
Lieutenant Sékou Saribou Doukouré
Sous- lieutenant Kémory Camara
Soldat Sagno Eugène Mansaré
Sous- lieutenant Djiba Kouyaté
Commissaire Baba Keita
Adjudant-chef Diarandian Camara
Commissaire Lounceni Sidibé

291
Adjudant Sékou Dramé
Capitaine Alpha Kabinè Kaba
Adjudant Abdoulaye Sylla
Adjudant Alpha Kanté
Adjudant Mamadi 1 Camara
Lieutenant Bourlaye Traoré
Lieutenant Abdoulaye Diakité
Sous- leutenant Sékouba Traoré
Sous- lieutenant Ibrahima Keita

292
CHAPITRE XIV

Les tortionnaires

Les tortionnaires sévissaient dans les camps de la capitale ainsi que dans
ceux des garnisons situées à l’intérieur du pays. Ces hommes agissant le plus
souvent sous l’influence de drogues puissantes s’étaient fixé pour but
d’extorquer à tout prix des aveux aux prisonniers. Les séances de torture se
déroulèrent presque sur tout le territoire.
A Conakry, elles étaient dirigées et impulsées par le commandant
Alhoussény Fofana, ministre de l’Agriculture, membre du Bureau Exécutif du
CMRN et président de la Commission Nationale d’Enquête. Comment
procédait-il ? Nous reproduisons ses pratiques en empruntant de longs
fragments à la description qu’en a faite Siradiou Diallo :
« Alhousseini Fofana cherchera moins à faire la lumière sur les évènements
du 4 juillet qu’à trouver et à humilier les accusés. Au demeurant, la plupart
d’entre eux étaient arrivés dans un piteux état, après avoir subi de graves sévices,
soit au moment de leur arrestation, soit au cours de leur transfert alors qu’ils
étaient sauvagement attachés avec des cordes de commando, quand ce n’était
pas avec des fils de fer souvent rouillés. Certains succomberont à leurs blessures
dans la cour même du camp avant d’être conduits à leurs lieux de détention,
comme le colonel Idrissa Condé. D’autres mourront dans les jours qui suivront
par suite de gangrène, de faim ou de déshydratation. Les plus résistants seront
torturés sous les ordres directs d’Alhousseiny Fofana et du commandant du
Camp Alpha Yaya Diallo, Camara Fodé Komoya.
Le président de la Commission d’Enquête ne se contentera pas de frapper,
d’humilier et de priver de nourriture les détenus. Alhousseny Fofana établira
des listes de personnes considérées comme dangereuses pour le régime et qu’il
convenait, par conséquent, d’arrêter à l’occasion de cette chasse aux sorcières.
Parmi les personnes ainsi visées se trouvaient des officiers de l’armée et de la
gendarmerie, d’anciens responsables du régime de Sékou Touré libérés en mai
1985, des Guinéens rentrés au pays après plusieurs années d’exil et même
d’autres résidents encore à l’étranger qu’il faudrait, selon le président de la
commission, arrêter à l’occasion de l’un de leurs séjours en Guinée. Il faut la
ferme opposition du commandant Abou Camara, chef d’Etat-major de l’armée,
et l’arbitrage en dernier ressort du président Lansana Conté, pour stopper cette

293
manœuvre. « Tu me déçois beaucoup, dira ce dernier, s’adressant à Alhousseini
Fofana. Tu ne vois pas qu’en procédant à pareil amalgame, non seulement tu
discrédites le CMRN, mais tu risques de créer une situation aux conséquences
imprévisibles dans le pays 393».
Aly Bocar Cissé parle de « génocide anti-malinké » en évoquant les
événements du 4 juillet 1985.
Sous les ordres du commandant Fofana évoluaient :
− Le chef de Bataillon Fodé Komoya Camara, ancien commandant du BSC.
Sa mission principale était de procéder à l’arrestation de tous les officiers
malinké de Conakry. Il avait carte blanche pour les obliger à ‘’reconnaître’’ les
faits qui leur étaient reprochés. Il est accusé en outre d’avoir organisé le pillage
systématique des magasins et des domiciles des Malinké.
Dans la cabine technique des 32 Escaliers où le chef de Bataillon
Alhousseny Fofana dirigeait les opérations en personne, les manettes étaient
tenues par le lieutenant Sama Panival Bangoura, le régisseur de la prison. Son
équipe comprenait le sous-Lieutenant Toumany Samoura, l’adjudant-chef
Sékou 1 Condé et l’adjudant-chef Mamadou Oury Bah de la Gendarmerie
Nationale.
A la vérité, c’est presque toute la nomenklatura du CMRN, des Etats-majors,
des services de sécurité qui étaient concernés par ces exactions. A un niveau, à
un moment ou en un lieu donnés, ils sont nombreux à s’être livrés à des actes
ignominieux sur les prisonniers.
− Hervé Vincent Bangoura et le lieutenant Sama Panival Bangoura sont
paticulièrement épinglés394.
L’Association des Victimes de la Répression (AVR) accuse les deux hommes
d’avoir « inventé et programmé l’exécution du plan d’extermination de l’ethnie
malinkée par la surveillance du mouvement des principaux cadres civils et
militaires de cette communauté ».
Pour l’AVR, « les tortionnaires recevaient des ordres directement du
lieutenant Sama Panival Bangoura ». Elle affirme que, dans la matinée du 19
août 1985, Panival a laissé poindre la lueur d’une libération prochaine dans
l’esprit de six détenus. Il leur aurait dit en substance : « Les enquêtes sont
terminées. Le Président de la République accepte votre libération en même
temps que celle des autres reconnus innocents par la Commission d’Enquête.
Je vous conseille de lui écrire et de lui présenter vos excuses 395 ». Ces
prisonniers venaient de signer leur arrêt de mort. En effet, la manœuvre, selon

393
Jeune Afrique, Règlements de compte à Conakry, P. 14-15.
394
Parmi les anciens prisonniers qui n’ont pas cessé de témoigner leur gratitude à
l’endroit du lieutenant Sama Panival Bangoura figure l’ancien ministre, N’Fanly
Sangaré.
395
Entretien avec Mamadou Koffi Cissé, le 12 mai 2011.

294
l’AVR, avait pour but de convaincre les généraux Mathieu Kérékou et Bernardo
Vieira de la culpabilité de Kabassan Keita. Les deux chefs d’Etat du Bénin et
de la Guinée Bissau, auraient en effet, entrepris des démarches auprès des
autorités guinéennes pour obtenir sa libération. Dans la même nuit, les six
hommes furent exécutés.
Les survivants n’ont pas oublié d’autres officiers qui se sont montrés
impitoyables au cours de ces dures journées. Les noms qui reviennent le plus
souvent dans leurs recits sont ceux des commandants : Karo Sylla, Jean Kolipé
Lama, Ousmane Sow, Kissi Camara, Fodé Sylla… Les colonels Oumar
Soumah, Mamadouba Soumah, Lansana Conté (Brigade de la Gendarmerie
Nationale à Labé), Sékou 1 Condé, Amara Koundouno, les généraux Ibrahima
Sory Diallo, Mamadou Baldet sont également cités.
La liste comporte aussi des noms de subalternes comme les lieutenants
Koïkoï Guilao, Almamy Bangoura (Le Borgne). Les capitaines Mamadou Méga
Barry, Soyibou Diallo (Kama-ité), Mamadou Djouma Baldé (Dent de fer).
Cette liste est sans doute partielle. Des travaux ultérieurs auront le mérite de
la compléter.

MAGNANIMITÉ
Les rescapés des 32 Escaliers se souviennent aussi avec émotion des
officiers qui firent preuve de magnanimité à leur endroit.
Ils ne l’ont pas fait avec la même constance et la même intensité. Mais ils
ont senti chez la plupart de ces hommes une volonté d’apaiser leurs souffrances
(Commandant Babacar N’Diaye) ou de s’opposer à des actes flagrants
d’injustice (Sama Panival Bangoura). Ils insistent sur le bel exemple du
capitaine Boubacar Bah (aujourd’hui Colonel à la retraite). Nommé régisseur
des 32 Escaliers après le 4 juillet, cet officier à l’âme généreuse. Des témoins
rapportent qu’il était horrifié par la manière inhumaine, dont les détenus étaient
traités. Au cours d’une rencontre avec Lansana Conté, il demanda au président
si les prisonniers étaient là pour purger une peine ou pour mourir. Pas du tout
satisfait de la réponse qu’il reçut, il décida de renoncer à sa charge. Il fut
remplacé par Karo Sylla, un dur à cuire.
Des témoignages contrastés incitent cependant à considérer le lieutenant
Sama Panival Bangoura comme une sorte de Mister Hyde and Docteur Jekyl.
Bienfaiteur pour les uns, il fut l’homme à l’origine de tous leurs ennuis pour les
autres. Il convient de relever cependant à son actif le drame exorcisé dans la
soirée du 5 juillet 1985. De retour de l’aéroport où elle venait d’accueillir le
président Lansana Conté, une foule menaçante s’était dirigée, en effet, vers le
camp Alpha Yaya avec la ferme intention de massacrer tous les prisonniers qui
s’y trouvaient. Ne cachant pas ses intentions, elle criait à tue-tête : Komplotèr
mu khi ma bé to (les comploteurs ne passeront pas la nuit ici). Les chars déployés

295
aux abords du camp et l’utilisation des armes lacrymogènes sous la conduite du
lieutenant Bangoura permirent de conjurer le péril.

TÉMOIGNAGES D’ANCIENS DÉTENUS


Mais d’une manière générale, la tentative de coup d’Etat de Diarra Traoré
fut à l’origine d’opérations punitives injustifiées. Il n’y a pas eu de quartier pour
les prisonniers et on ne s’est guère embarrassé de séparer la bonne graine de
l’ivraie comme le résument les témoignages ci-dessous :
Madame N’Diaye – Médecin
Madame N’Diaye, habitait dans le quartier de Bonfi Port avec sa mère, ses
sœurs et ses frères. Elle raconte la mésaventure vécue par sa famille dans la
journée du 5 juillet 1985 :« Dès les premières lueurs du jour, sous le prétexte
que nous avions jubilé à l’annonce de la prise du pouvoir par Diarra, nous vîmes
fondre sur notre concession une foule surexcitée et menaçante. Elle brandissait
tous les moyens de destruction : marteaux, pilons, pics… Notre maison fut
détruite et saccagée de fond en comble. Tout le contenu fut emporté : les bijoux
de ma mère, l’argent, les meubles, les cantines contenant nos vêtements, les
moquettes, les sanitaires, les balais, même le riz en train de bouillir sur le feu
n’a pas été épargné.
Des loubards se saisirent de moi, de mes sœurs, des enfants, des
domestiques. Même ma mère ne fut pas épargnée malgré son grand âge. Ils nous
jetèrent comme des fagots de bois avec une extrême brutalité dans un camion
militaire. Direction : le Camp Alpha Yaya où nous fûmes exposés au soleil de
longues heures durant. Je dus mon salut et celui de ma famille à l’intervention
de Jean Traoré. Le capitaine me reconnaissant, ordonna que je sois libérée avec
les miens. Nous retournâmes à la maison. Mais je n’étais pas au bout de mes
peines. En effet, peu après, un second groupe surgit au milieu des décombres.
Cette fois, je fus extraite et déposée seule à la Gendarmerie Nationale où on
m’enferma dans un cachot.
Ce sont les lieutenants Cissoko et Souaré qui m’ont sauvée. Finalement, je
puis joindre le lieutenant Abdourahamane Diallo, ambassadeur, chef du
Protocole. Ce dernier informa à son tour, le président et on m’a libérée.
Pour garantir notre sécurité, le général Conté a fait installer un P.A. à l’entrée
de notre cour. Il était composé de militaires du Camp Alpha Yaya et de la
Gendarmerie,
La maison a été reconstruite plus tard grâce à la sollicitude du président
Houphouët Boigny. Le chef de l’Etat ivoirien, ami de longue date de notre
famille, apprenant le malheur qui nous frappait, affréta un avion spécial
d’Abidjan pour nous venir en aide. L’appareil transportait tout ce qu’il fallait
pour rebâtir notre maison et assurer notre confort : matériaux de construction,
meuble, literie, appareils électro-ménagers, nourriture, téléviseur, vêtements
jusqu’aux effets de toilette. L’ambassadeur de Côte-d’Ivoire en Guinée,

296
François Doué était chargé personnellement de convoyer le matériel et de
s’assurer de l’exécution correcte et rapide des travaux. En l’espace d’une
semaine, un bâtiment majestueux et plus confortable se dressait à l’étonnement
général sur l’emplacement de la maison que les assaillants avaient détruite.
A côté de ce récit qui se termine par une sorte de happy-end, combien de
Malinkés ont dû en revanche boire le calice jusqu'à la lie quand ils ont été
attaqués ? Pour s’en convaincre, nous vous livrons d’autres témoignages.

COLONEL LANSANA KÉÏTA - INGÉNIEUR


Le sous-lieutenant Lansana Keïta était ingénieur de maintenance à Air
Guinée. Il nous fait part de son expérience : « Le 5 juillet 1984, je me suis rendu
à l’aéroport comme d’ordinaire. Malgré la tension qui était palpable en ville, le
programme des vols de la compagnie n’avait pas été modifié. Je venais de
procéder aux vérifications nécessaires avant le décollage de l’avion en partance
pour Dakar lorsqu’un 4x4 VA s’est immobilisé sur le tarmac. Ses occupants
étaient les capitaines Telly Diallo, Lamarana Diallo et Mamadou II Diallo.
Ils m’intimèrent l’ordre de les suivre et nous prîmes la direction de la base
militaire où sur un signe de la tête, le commandant Sidy Diallo, chef d’Etat-
major adjoint de l’Armée de l’Air leur demanda de me conduire au Camp Alpha
Yaya. Je fus déshabillé immédiatement et conduit aux 32 Escaliers à notre
arrivée.
J’ai été ensuite jeté dans la même cellule que le commandant
Abdourahamane Kaba, ancien ministre des Transports et préfet de Guéckédou.
Ironie du sort, cet officier avait été à l’origine de mon arrestation au lendemain
du coup d’Etat du 3 avril 1984396.
Aux «32 Escaliers », petit bâtiment ne payant pas de mine, je me suis trouvé
plongé dans un univers dantesque. Se souvenant de l’expérience vécue au Camp
Boiro, Kabassan ne cessait de dire que ce lieu tant décrié était en fait moins cruel
que le cachot des 32 escaliers où nous avions été enfermés à partir de la journée
du 5 juillet 1984.
Dans ces cellules exiguës où on pouvait compter parfois plus de 40
occupants, nous étions nus comme des vers de terre, soumis à des traitements
avilissants. L’image de personnes connues et respectées sous les deux régimes
que l’on traînait en tenue d’Eve défile encore dans ma tête. Je m’abstiens de
citer des noms pour respecter leur mémoire et ne pas porter atteinte à l’honneur
de leurs familles.
Mais la scène la plus épouvantable qui m’a crevé le cœur est celle de la mise
à mort de l’adjudant-chef Sékou Touré. L’ancien préfet de Dalaba avait été
ligoté. De solides gaillards l’ont saisi par les pieds pour plonger sa tête dans un

396
Une arrestation liée à son appartenance à la famille du Président Sékou Touré, plus
précisément à celle de son épouse, dont il est l’un des frères cadets.

297
fût d’excréments. Ils l’ont maintenu dans cette position jusqu’à ce que mort
s’ensuive.
Je dois dire qu’aux 32 escaliers tous les moyens étaient employés pour
humilier et faire mourir tous ceux dont le régime souhaitait la disparition. On
utilisait même des piqures empoisonnées dans certains cas.
Je me souviens cependant que l’officier Sama Panival Bangoura s’était
employé aussi à mettre fin ou à atténuer notre martyr. Il exhortait les partisans
d’une dureté implacable d’avoir peur de Dieu surtout lorsqu’il était convaincu
de l’innocence du prisonnier. Or, c’était mon cas. Je n’ai en rien participé le 4
juillet 1985 à l’opération menée par Diarra Traoré. J’ignorais ses intentions.
Toutefois, je me rappelle que lorsque la voix puissante du colonel s’était fait
entendre dans la soirée du 4 juillet 1985 alors que nous étions en train de veiller
au domicile de Kader Sangaré, celui-ci, comprit aussitôt que les dés étaient
pipés. Il déclara que non seulement, Diarra échouerait mais que nos ennemis ne
manqueraient pas de se saisir de l’occasion pour se débarrasser de nous. Il
lançait en quelque sorte à travers ces mots le cri du sauve-qui-peut pour
échapper à ceux qui n’allaient pas tarder à se lancer à nos trousses. Vous
connaissez la suite parce que dès le lendemain, on m’arrêtait. Quoiqu’innocent,
je suis resté emprisonné aux ‘’32 Escaliers’’ pendant quatre-vingt-douze jours.
Mon frère jumeau a eu plus de chance. Il a réussi à se mettre à l’abri dans une
villa de la Minière. Il y resta terré jusqu’à ma libération grâce à la protection
bienveillante du directeur technique d’Air Guinée, le capitaine Thierno Aliou
Bah.

MAMADOU KOFFI CISSÉ : GENDARME


Je me nomme Mamadou Koffi Cissé. Je suis gendarme en service à l’Etat-
major de la Gendarmerie Nationale. J’exerçais les mêmes fonctions lors de la
tentative de coup d’Etat de Diarra Traoré. Je dois préciser qu’au moment de
faits, j’étais en mission à Siguiri. Je me suis rendu dans cette ville de la Haute
Guinée vers la fin du mois de mars 1984. Mon travail terminé, j’ai repris le
chemin du retour. C’est ainsi qu’entre les 4 et 5 juillet 1984, je suis arrivé à
Coyah, vers 2 heures du matin.
J’ai décidé d’y passer la nuit. C’est à mon réveil que j’ai appris que le colonel
Traoré avait tenté un coup de force pour s’emparer du pouvoir. J’ai rallié
Conakry vers 12 heures pour prendre immédiatement la direction de la
Gendarmerie Nationale afin d’y déposer mon rapport.
Là, j’ai trouvé reclus dans son coin, le capitaine Mohamed Lamine Sakho,
ancien ministre de l’Industrie. Il m’a dit être placé en garde à vue depuis
quelques heures. Il affirmait ignorer les raisons pour lesquelles on l’avait arrêté.
Le 8 juillet, une nouvelle mission m’a conduit à Fria. Le lendemain, il fut décidé
que je parte à Maférinya en compagnie d’un officier dont le nom ne m’a pas été
révélé. Mais la mission fut annulée.

298
C’est alors que j’ai senti qu’une atmosphère de suspicion commençait à
m’envelopper. Je fus convoqué d’ailleurs le 10 juillet. L’officier chargé de
m’interroger m’a posé la question suivante : « Où étais-tu le 4 juillet 1984 ? »
J’exhibai l’ordre de mission que j’avais pris la précaution de garder
soigneusement. Je croyais l’avoir convaincu. En effet, le 20 juillet 1984, l’Etat-
major me demanda de m’apprêter à effectuer une nouvelle mission à Siguiri.
Mais à 23 heures 30, j’ai reçu la visite du capitaine Diawadou Diallo à mon
domicile. Il me dit que le chef d’Etat-major m’attendait à la Gendarmerie de
Madina. J’ai pris la direction indiquée où je me suis présenté une demi-heure
après. Mais, rien ne m’a été dit. C’est plutôt le capitaine Diawadou qui arriva à
1 heure 30 à bord d’une Jeep de fabrication soviétique. Le professeur Ismaël
Condé était assis sur la banquette arrière. Nous étions conviés, m’a-t-il dit, à le
conduire au Camp Alpha Yaya.
Je devais me rendre à l’évidence à notre arrivée au camp qu’il n’y avait pas
un, mais deux prisonniers dans le véhicule. En effet, dès qu’il s’est immobilisé,
un officier s’est adressé à moi en ces termes : « Au nom de la loi, je vous
arrête ». Je fus conduit aux « 32 Escaliers ».
Dans la grande salle, se trouvaient au moins 25 prisonniers, nus et l’air
hagard comme au premier jour de leur venue au monde. J’ai comparu quelques
jours plus tard devant la Commission d’Enquête présidée par le commandant
Alhousseny Fofana.
El hadj Amadou Baldé, le chef d’Etat–major de la Gendarmerie Nationale
était le numéro deux de la Commission. J’ai reconnu plusieurs gendarmes
autour de la table : Bah Oury, Sékou I Condé, Toumany Samoura….
Le commandant Alhousseny Fofana, ce vieil ami de Lansana Conté, avait
été particulièrement intraitable et menaçant envers les prisonniers. Il clamait
haut et fort avoir reçu carte blanche pour agir. Les mots cruels qu’on lui a prêtés
sont authentiques, à savoir : « Cette fois-ci, nous allons exterminer les Malinké.
Lorsqu’il n’y en aura plus ici, nous irons en chercher la semence au Mali ». Ses
hommes et lui ont agi dans cette logique. Des scènes effroyables et dégradantes
se sont déroulées aux 32 escaliers. J’y suis resté emprisonné pendant trente mois
en subissant toutes sortes de tortures allant de la diète noire à des sévices
corporels.
A ma sortie, affaibli, malade, je me suis rétabli grâce à l’aide des parents et
des amis. J’ai été ensuite rayé arbitrairement des effectifs de la Gendarmerie
alors qu’aucune condamnation n’avait été prononcée à mon encontre. En effet,
je n’étais coupable d’aucun crime, d’aucun délit ».

299
DOMANY KABA
« C’EST UNE AFFAIRE DE MALINKÉ »
Domany Kaba garde un souvenir inoubliable de sa comparution devant le
principal inquisiteur du camp Alpha Yaya. Selon elle, Alhousseny Fofana était
habité par une haine féroce à l’endroit de tout ce qui s’apparentait à l’ethnie
malinké. « Alors, dit-elle, que j’ignorais les raisons pour lesquelles j’avais été
arrêtée, je l’entendis dire à notre arrivée à la personne avec qui j’avais été
conduite au camp : ‘’Tu ne devrais pas être là, c’est une affaire de Malinké’’
Cette femme, issue de la communauté diakanké, était la sœur de Madame
Tiguidanké Diakaby alors ambassadeur de Guinée en Sierra-Léone. Elle a été
immédiatement libérée. »
Mais, si plusieurs centaines de personnes périrent dans les geôles du Camp
Alpha Yaya et dans d’autres prisons du territoire à la faveur des évènements du
4 juillet 1985, Domany Kaba, elle, eut plus de chance. Elle sortit vivante du
camp de la mort. Cette femme fut une véritable miraculée. En effet, son aventure
ne ressemble en rien à une autre. Car si elle survécut à cette traversée de l’enfer,
malgré le régime sévère de la diète noire qui lui fut infligée pendant huit jours
et les sévices, ce n’est point parce qu’elle fut ménagée comme nous le
constaterons plus loin. Elle fut au contraire, soumise à des traitements de nature
à affecter profondément et durablement l’organisme des créatures les plus
fortement constituées. « Je dois mon salut à l’aide de Dieu et à la chance », nous
a-t-elle dit.
Domany Kaba figurait également parmi les rescapés des 32 Escaliers qui ont
conservé une pensée émue pleine de gratitude envers les âmes généreuses qui
volérent à leur secours.
Mais qui était Domany Kaba ? Domany Kaba, épouse Condé, était une des
femmes les plus en vue du pays sous le régime du président Sékou Touré. Elle
était membre du Comité National de l’Union Révolutionnaire des Femmes de
Guinée, la branche féminine du P.D.G. Le président la chouchoutait : « Il me
considérait comme sa fille aînée » dit-elle.
Domany entretenait aussi des relations fraternelles avec le colonel Diarra
Traoré, originaire, comme elle, de la ville de Kankan. « Nous nous fréquentions
avant et après les évènements du 3 Avril 1984. Je le recevais parfois à mon
domicile et lui rendais la politesse. Il était vraiment un frère pour moi quand il
était au service de la Révolution. Il l’est resté après que ses camarades et lui se
soient emparés du pouvoir en profitant de la disparition du président Ahmed
Sékou Touré. Je continuais à le désigner par son ancien pseudonyme de
‘’Jacques’’ qu’il avait adopté pendant son adolescence.
Elle assure cependant n’avoir jamais parlé de politique avec le nouveau
Premier ministre ni avec le futur ministre d’Etat après le coup d’Etat du 3 avril
1984. « Il connaissait mon attachement à la mémoire du président défunt et je
respectais son choix. Dans cette logique comme tout le monde, c’est en écoutant

300
la radio que j’ai entendu Diarra annoncer dans la soirée du 4 juillet 1984 qu’il
était désormais le président de la République de Guinée. J’ai appris plus tard
que le coup avait échoué ».
Qu’elle ne fut cependant sa surprise lorsque le 5 juillet à 14 heures des
hommes en uniforme se présentèrent à son domicile. Elle raconte la suite : « Ils
avaient à leur tête l’adjudant Yéro Diouma Diallo. Ils faillirent interrompre ma
prière que j’avais entamée. Mais, gardant mon sang-froid en grande partie
parce que j’avais la conscience tranquille, je pus aller jusqu’au bout. Aussitôt
ma prière terminée, l’adjudant et ses hommes fondirent sur moi. Je fus traînée
manu militari jusqu’à un véhicule immobilisé quelques mètres plus loin sur le
flanc de ma maison. Une femme arrêtée avant moi s’y trouvait déjà. C’était une
personne avec qui j’entretenais des liens d’amitié de longue date. Celle-ci aura
plus de chance à notre arrivée au camp Alpha Yaya. Alhousseyni Fofana l’ayant
reconnue, ordonna sa libération parce qu’elle « n’était pas malinké » dit-il.
Il s’est tourné vers moi ensuite et me toisa d’un regard jaune. Son premier
mot fut de dire : ‘’j’attendais ce jour depuis longtemps. Toi, l’espionne de Sékou
Touré, qu’il envoyait sillonner le monde te voici aujourd’hui gisant sous mes
pieds. Dis-moi ce que tu sais de ton maître ?’’
Outrée par tant de lâcheté, mon sang ne fit qu’un tour. Ne pouvant contenir
ma colère, je répliquai en lui disant : « La femme, le fils, les frères, la sœur, les
frères et cousins de Sékou Touré sont entre tes mains depuis combien de temps ?
Que veux-tu encore savoir à son sujet ?».
Fort mécontent de m’entendre lui parler sur un tel ton, Alhousseny Fofana,
qui écumait de rage et de haine, perdit toute contenance. Oubliant à la fois son
rang et son statut, il se mit à déverser un torrent d’injures contre l’ancien
président et sa famille. A un moment donné, il est descendu plus bas que terre.
C’est ainsi que, piquée au vif par le chapelet d’injures grossières et racistes qui
sortaient de sa bouche, j’ai répliqué. Sa colère s’est aiguisée. Il vitupéra à
l’adresse de ses cerbères de me faire payer le prix de mon insolence.
Huit gaillards se détachèrent et se ruèrent sur moi comme des fauves affamés
fondant sur leur proie. J’ai été projetée au sol et ligotée à l’aide de cordages qui
m’ont transpercé la chair. On m’a pendue par les pieds. Alhousseyni Fofana a
fait allumer un feu au-dessous de ma tête. Mon visage, mes cheveux, ma poitrine
furent sérieusement dévorés par les flammes. J’étais dans un état comparable à
une viande retirée précipitamment des braises qui avaient commencé à la
consumer. Pendant ce temps, le commandant Fofana continua à déverser son
fiel contre Sékou Touré et ma pauvre personne.
Le seul geste d’humanité que j’ai noté au cours de la terrible épreuve que
j’étais en train de traverser fut l’œuvre du commandant Baldé le n°2 de la

301
Commission et chef d’Etat-major adjoint de la Gendarmerie Nationale397. Dès
que j’ai été dévêtue, il a demandé aussitôt qu’on m’apportât un pantalon sous le
regard incrédule d’Alousseyni Fofana qui ne put s’y opposer. Je fus ainsi la
seule personne qui ne soit pas restée nue au moment de son supplice.
Alhousseyni Fofana a ordonné ensuite qu’un de mes doigts du pied soit
coupé et jeté au feu. Un mastodonte s’est chargé de l’exécution de la sale
besogne : Je vois encore mon sang gicler. L’orteil s’est mis à tressauter un bon
moment avant que mes bourreaux ne le jettent au feu. Que dire de la douleur
immense, indicible que j’ai ressentie durant de longs mois ? J’ai dû être conduite
immédiatement à l’infirmerie. Pour mon bonheur, mon bienfaiteur, le
commandant Baldet veillait. Cet homme de bien a payé de sa chair pour me
protéger. C’est ainsi qu’il commit ses fils à se relayer à mon chevet pour que
rien de fâcheux ne m’arrivât. Je tiens à le remercier pour tout ce que je lui dois.
Les épreuves qui m’ont été infligées ont été d’une telle cruauté que leurs
effets ont irradié dans tout mon corps. Pendant 26 jours, j’ai été en proie à des
lochies qui ne semblaient pas vouloir s’arrêter. Je suis pratiquement handicapée
depuis que j’ai subi cette terrible épreuve.
Après avoir été triturée par Alhousseyni Fofana et ses hommes, un
évènement inattendu est intervenu : ma confrontation avec Diarra Traoré.
Dans cette prison où le temps s’était arrêté, je ne puis dire quand la rencontre
eut lieu. J’avais été transférée de l’infirmerie dans la salle où siégeait la
commission d’enquête. Je me posais mille et une questions sur les raisons de
mon retour en ces lieux, lorsque, subitement, Alhousseny Fofana ordonna que
soit soulevé le rideau qui coupait la salle en deux. Et que vis-je ? Un homme
apparemment serein, ne portant aucun cheveu sur la tête et presque nu à part le
caleçon qu’il portait. Je n’eus pas de peine à reconnaître cependant l’ancien
Premier ministre. Il avait vieilli brusquement car les heures qu’il venait de vivre
avaient eu forcément prise sur lui.
Contre toute attente et emportée par mon élan, c’est plutôt moi qui posai la
première question. Je me suis adressée au colonel Diarra Traoré en l’interpellant
par son petit nom utilisé seulement par ses intimes :
« Comment, Jacques, tu peux organiser un complot sans rien me dire ? »
« Je n’ai pas fait de complot. Je suis plutôt victime d’un complot », répliqua-
t-il.
Le Colonel marqua à son tour son étonnement de me voir en pareil endroit
et en si piteux état avant qu’Alhousseny Fofana ne coupât court à notre entretien.

397
Les militaires et gendarmes chargés des enquêtes usaient souvent de méthodes
différentes pour amener les détenus à passer aux aveux. Pour les uns, l’arme
unique était la torture. Pour les autres, rompus à cet art, il existait une technique
spécialement conçue à cet effet et qu’il fallait utiliser.

302
C’était la dernière fois que nos regards se croisaient. Mon calvaire devait se
poursuivre encore pendant 2 ans, 6 mois. Je ne fus libérée que le 31 décembre
1987 sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre moi. Durant ma longue
détention, je n’ai comparu devant aucun tribunal contrairement à ce que les
autorités du CMRN ont voulu faire croire. Trente ans après, (en nous montrant
ses membres couverts de meurtrissures) on peut voir les traces ineffaçables
laissées sur mon corps par les atrocités qui m’ont été infligées par Alhousseny
Fofana.

303
CHAPITRE XV

Les exécutions

Un communiqué du CMRN en date du 6 mai 1987 a divulgué le contenu des


arrêts rendus par la ‘’Cour de Sûreté de l’Etat’’ et la ‘’Cour martiale’’,
condamnant des citoyens guinéens à des peines diverses. Elles variaient de la
peine capitale à trois ans de détention ferme avec confiscation des biens en
passant par la réclusion criminelle à perpétuité.
Parmi les prévenus condamnés à mort par la ‘’Cour de Sûreté de l’Etat’’, les
noms des civils apparaissaient clairement. En revanche, seuls les grades des
militaires étaient mentionnés à savoir : un général, deux colonels, des
commandants, capitaines, des officiers subalternes et de simples soldats. Aucun
autre indice ne permettait de les distinguer les uns des autres. Ces précautions
avaient été prises, soutient-on dans certains milieux parce que tous étaient
originaires de la Haute Guinée.
Le général Faciné Touré 398 tenta de démentir cette thèse en 2009 en
arguant que : « C’est la procédure qui le veut ainsi ». Le communiqué du
CMRN publié dans les colonnes du journal Horoya399 indique par ailleurs que
les « prisonniers en question », ont été arrêtés aux lendemains du coup d’Etat
du 3 avril 1984 et de la tentative de putsch du 4 juillet 1985. La liste ne fait pas
cependant mention des deux premières victimes enregistrées sous le joug
militaire : le Premier ministre, le Dr. Lansana Béavogui et le ministre de
l’Energie et du Konkouré, N’Famara Keita, morts en prison dès le début de leur
incarcération.
La question qui se pose donc aujourd’hui est la suivante : quand et où ont
siégé ces tribunaux ? Le cas échéant, les droits des prévenus furent-ils
respectés ? On se souvient que le général Lansana Conté décrit par un
journaliste comme un homme « avec un tempérament et un franc-parler
indifférents aux convenances » avait mis la communauté internationale en garde
dès après son retour de Lomé, le 5 juillet 1985. Le chef de l’Etat avait demandé
aux organisations de défense des droits de l’homme de se hâter « avant qu’il ne
soit trop tard ».

398
Entretien avec Sékou Mady Traoré sur Radio Dioliba.
399
Horoya no 382 du mercredi 6 mai 1987.

305
Or en février 1985, le président Lansana Conté s’était prononcé contre toute
exécution capitale. Il avait confié à l’hebdomadaire Paris Match : « Je suis
contre la peine de mort, je suis un militaire. Mais, militaire dans le vrai sens du
mot, c’est-à-dire que nous ne sommes pas des criminels. Nous ne voulons pas
nous venger de ce qui s’est passé ». Mais, six mois plus tard, on assista à un
changement de vision et de valeurs : le président ne répugnait plus à administrer
le châtiment suprême à tous ceux qui le méritaient à ses yeux. La haine et la
force de l’habitude avaient pris le dessus. Aussi les organisations de défense des
droits de l’homme furent-elles prises de court. Elles ont préféré garder ensuite
le silence sur ces exécutions sommaires qui sont toujours rarement évoquées
lorsqu’elles parlent de ‘’violations des droits de l’homme’’ en Guinée.

EXÉCUTION DES PARENTS ET PROCHES DE SÉKOU TOURÉ


NUIT DU 7 AU 8 JUILLET 1985 « nous allons les tués (sic) tous »
La première série d’exécutions est intervenue dans la nuit du 7 au 8 juillet
1985. Elle visait des compagnons et des membres de la famille du président
Sékou Touré. La décision de les fusiller aurait été prise le 6 juillet400, au cours
d'une réunion du CMRN présidée par le général Lansana Conté. Ces hommes
devraient disparaître parce que, a–t-on estimé, ils étaient des complices actifs de
Diarra Traoré qui, en cas de réussite de son putsch, leur aurait cédé le pouvoir.
Du haut du balcon du Palais du Peuple, Lansana Conté avait annoncé la
couleur dans la matinée en déclarant que « parmi ceux qui sont détenus à
Kindia, nombreux étaient prévus dans le gouvernement des comploteurs ». Dès
lors, avait décidé le président, « nous allons les tués (sic) tous 401».
Les relations familiales liant l’ancien Premier ministre à Moussa Diakité
servirent de prétexte pour répandre l’idée que les prisonniers regroupés à
Kindia, étaient parfaitement au courant de ce qui se tramait. Or, le répètera-t-on
assez, si certains de ceux-ci pouvaient, à tort ou à raison, espérer une
amélioration de leur sort sur la lancée de l’arrivée de Diarra Taoré au pouvoir,
tous n’étaient pas, loin s’en faut, acquis à cette conviction. Il serait ridicule,
d’autre part, d’envisager un seul instant que le Colonel, dont l’ambition était
connue, pouvait, le cas échéant, se dessaisir des rênes du pouvoir au profit d’un
autre. Malgré tout, la propagande officielle a voulu faire croire que si le coup
d’Etat de Diarra Traoré avait réussi, l’ancien ministre et membre du BPN,
Moussa Diakité, serait devenu le successeur de Lansana Conté.

400
Décision prise à l’unanimité des membres du CMRN, selon certains témoignages,
même si comme l’insinue l’hebdomadaire J A (op.cité. p. 19.), quelques
participants éprouvaient « la nécessité éventuelle de traduire auparavant les
prisonniers devant une cour de justice, ne serait-ce que pour sauver les
apparences juridiques ».
401
Horoya no 185 du 9 juillet 1985, p.3.

306
Le journaliste Siradiou Diallo, en dépit de l’inimitié qu’il vouait à Sékou
Touré et à ses compagnons, fit remarquer à ce sujet que : « Ce n’étaient là que
suppositions et, surtout, arguments de circonstance destinés à justifier la
décision du CMRN. Moussa Diakité, pas plus que les autres détenus, n’a
téléguidé la maladroite tentative de l’ancien premier ministre de Lansana
Conté. » Poursuivant son récit, il a soutenu catégoriquement : « Non, l’ancien
ministre chargé de l’Education Nationale voulait le pouvoir pour lui-même et
ses alliés. Pas pour les hommes de l’ancien régime.402»
« Nous avons vengé nos parents »
Dans la nuit du 7 au 8 juillet 1985, les prisonniers furent extraits de leurs
cellules et entassés dans des camions.
Les véhicules prirent la direction du Mont Gangan, une chaîne de montagne
qui domine la ville de Kindia. De joyeux fêtards qui n’avaient pas encore rejoint
leurs domiciles se rappellent avoir vu le convoi passer à côté de la boîte de nuit
où ils étaient venus s’égayer.
Etudiant de la XIXe Promotion de l’Université Guinéenne, Karifa Camara
suivait des cours d’instruction militaire dans la ville de Kindia au moment des
faits. Il se souvient 403 : « En août 1985, nous poursuivions notre formation
militaire au camp Kémé Bouréma de Kindia lorsque les événements de Conakry
se sont produits. En tant que militaires en herbe, nous nous sommes intéressés
de très près à leur évolution jusqu’au retour triomphal du président Lansana
Conté de Lomé. Le 8 juillet, des voix indiscrètes se sont fait entendre parmi
nos instructeurs pour nous révéler que dans la nuit, ils ont effectué une mission
spéciale sous le mont Gangan. Il s’agit de la zone dévolue habituellement aux
exercices de tir. C’est là, nous ont-ils dit, que, sous la conduite du chef de
bataillon Ibrahima Sory Diallo, commandant de la région militaire de Kindia et
du commandant Ousmane Sow, secrétaire d’Etat à la Défense, ils ont procédé à
l’exécution d’un groupe de détenus.
Le camion transportant le premier groupe d’hommes est arrivé à 2 heures du
matin. Les prisonniers étaient ligotés comme des fagots de bois. Les soldats
disent avoir reconnu plusieurs personnalités de premier plan de l’ancien régime.
Ils ont laissé entendre que, parmi eux, certains connaissaient parfaitement
l’endroit où on venait de les conduire. Ils n’ignoraient donc pas ce qui les
attendait. Ils ont demandé en vain que leur vie soit épargnée. Pour toute réponse,
ils ont été précipités dans une fosse commune creusée pendant la journée avant
d’être criblés de balles.

402
Siradiou Diallo a rappelé que Diarra Traoré avait déclaré quelques mois plus tôt à
Kindia : « Nous (les militaires s’entend) sommes là, au pouvoir, pour cent
ans. »Op.cité, p.21.
403
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 3 sptembre 2012.

307
Un deuxième groupe de prisonniers qui attendait a subi le même sort. Ils ont
été jetés vifs dans la fosse où gisaient les corps ensanglantés des premiers
suppliciés. Des rafales de mitraillette ont crépité jusqu’à ce que tous les corps
soient déchiquetés. C’est lorsque le peloton s’est aperçu que les prisonniers
étaient passés de vie à trépas que le commandant Ibrahima Sory Diallo ordonna
que les tirs cessassent. Il aurait exprimé sa satisfaction en ces termes le
lendemain en se confiant à Midjao Diallo, ancien Secrétaire fédéral du PDG à
Kindia : « Nous avons vengé nos parents404 ».
L’officier fit parvenir le message no 4370207457 ainsi libellé en date du 8
juillet 1985 au ministre de la Réforme Administrative et de la Fonction
Publique : « Commandant de la zone militaire Kindia.
Conformément vos instructions contenues dans la Lettre no45/MBAFP/ du 8
juillet 1985 avons passer (sic) exécution de l’ordre reçu ce jour nuit du 7 au 8
juillet 85 à 02 heures 30 et mission prie (sic) fin à 5h10 matin.
Total 22 21 Kindia un autre Conakry Kindia. Tout s’est passé (sic) dans de
bonnes conditions CR détaillé parviendront (sic) avec le secrétaire d’état à la
défense
Vive la République
Le 8 juillet 1985
Chef de bataillon
Ibrahima Sory Diallo405 »
Le prisonnier exécuté à mi-chemin entre Conakry et Kindia, était, l’avons-
nous appris, l’ancien ministre Toumany Sangaré. Arrêté le 3 avril 1984, puis
libéré en mai de l’année suivante, il fut interpellé une seconde fois après la
découverte du complot de Diarra Traoré. C’est dans le véhicule le conduisant à
Kindia qu’un officier supérieur de l’armée aurait pris la décision d’en finir avec
lui. C’était, semble-t-il, pour régler de vieux comptes datant de l’époque où
Toumany Sangaré assumait les fonctions de ministre de la Défense406. L’ancien
ministre de Sékou Touré, libéré en mai 1985, était, semble-t-il, attendu au
tournant par des membres du CMRN que certains de ses propos avaient vexé.
En effet, au cours d’une visite qu’il rendit à Diarra à sa sortie de prison, il avait
commis, disait-on, l’imprudence de déplorer en présence d’oreilles indiscrètes,
l’indolence des officiers malinkés à l’origine de la prise du pouvoir par les
soussous. Ces paroles ne tardèrent pas à être rapportées à certaines personnes
qui se saisirent des événéments du 4 juillet pour les lui faire payer.

404
Propos rapportés à l’auteur par Sidiki Kobélé Kéita.
405
Keita Sidiki Kobélé, op. cité, p.207.
406
Toumany Sangaré était aussi, selon le commissaire Dioumessy dans le collimateur
d’Alhousény Fofana. La collaboration avait été âpre, heurtée entre les deux
hommes au Ministère de l’Agriculture avant que le Commandant n’en prenne la
tête au lendemain du coup d’Etat militaire. La rancœur a dû faire le reste.

308
Les investigations que nous avons menées ont abouti au résultat suivant
quant aux noms des personnes exécutées au cours de la nuit du 8 juillet 1985 :
Ismaël Touré, ancien ministre, frère du président Sékou Touré
Général Lansana Diané, ancien ministre, cousin du président
El Hadj Abdoulaye Touré, ancien ministre, cousin du président
Commandant Siaka Touré, ancien ministre, neveu du président
Keira Karim, ancien ministre, originaire de Faranah
Chérif Sékou, ancien ministre, beau-frère du président
Moussa Diakité, ancien ministre, beau-frère du président
Mamady Keita, ancien ministre, beau-frère du président
Seydou Keita, ancien ambassadeur, ancien commissaire général de la
Révolution de Conakry et beau-frère du président.
Général Toya Condé, ancien chef d’Etat-Major Général Inter Armes,
originaire de Faranah
Amara Touré407, ex-secrétaire fédéral de Faranah, frère aîné du président
Mouloukou Souleymane Touré, commissaire de police, neveu du président
Mamadouba Camara (MC) 408 commissaire de police, ancien directeur
général adjoint de la Sécurité d’Etat, originaire de la Basse-Guinée.
Capitaine Alpha Touré, pilote à Air Guinée, neveu du président.
Mamourou Touré, ancien gouverneur, ancien ambassadeur, cousin du
président
Capitaine Mandjou Touré, cinéaste, neveu du président.
Samory Touré, ancien directeur général de la Société Nationale des Textiles
(Sonatex), neveu du président.
Commandant Kémoko Keïta, ancien officier au grand salon de la Présidence,
ancien officier d’ordonnance, originaire de la Haute Guinée.
Lieutenant Kalagban Camara, ex-garde du corps du président, originaire de
Faranah

407
Selon Boubacar Lombonna Diallo, Amara Touré appartenait au même groupe que
lui, c’est-à-dire celui des suivistes. Mais il n’a pas été libéré le 15 mai 1985. Pour
les militaires, il n’aurait pas pesé de tout son poids pour infléchir la politique de
son frère, d’où la cause de son exécution. Quant à Mouloukou Souleymane Touré,
il se dit qu’arguant du fait de n’avoir appartenu ni au BPN ni au gouvernement, il
espérait recouvrer un jour la liberté. Il bénéficiait même du soutien du
commandant Ousmane Sow qui s’employait dans ce but mais en vain car
finalement, celui-ci qui n’était pas un des gros légumes de la nouvelle
administration, devait le 9 août 1985, ému et désolé dire à son épouse qu’elle
pouvait se remarier.
408
OP.cité, p. 21.

309
Adjudant-chef Kaba Camara (de Gaulle), ancien garde du corps du
président, originaire de Beyla.
Une autre disparition intervenue dans des circonstances non élucidées est
celle de l’industriel Ba Kaba Diakité, ancien directeur général d’une entreprise
d’Etat.
Nous avons cerné plus haut les limites de l’argument généralement utilisé
pour justifier ou expliquer ces exécutions, à savoir que ces anciens dirigeants,
« profitant de conditions absolument humaines de détention, ont fomenté la
tentative de renversement du président Lansana Conté ». De toute façon, cette
campagne de diversion, visant à faire croire que Diarra Traoré avait pour
objectif de rendre le pouvoir aux tenants du régime défunt, a fait son heure.
D’autres prétendront cependant que la sanction suprême a été administrée à ces
hommes à cause du rôle qu’ils ont joué dans les camps de torture 409 . Un
argument spécieux ne pouvant être invoqué pour justifier l’exécution de
l’ensemble des suppliciés. En effet, plusieurs de ceux-ci, n’avaient, selon toute
vraisemblance, été associés, à aucun moment, aux sévices infligés dans les
centres de détention aux prisonniers politiques. Certains noms ne donnent de
frisson à personne. Ils pourraient même amuser, pour certains, par leur drôlerie.
C’était le cas en particulier pour Amara Touré, le frère aîné et patriarche du clan.
Des histoires pittoresques abondaient à son sujet à Faranah où il exerçait les
responsabilités de numéro un du Parti plutôt sous les traits d’un pater famili que
d’un potentat « brutal » comme d’aucuns l’ont prétendu. Pour André Lewin,
Amara Touré « a été toujours cantonné à la garde de la maison familiale 410».
En définitive, l’appartenance de ces hommes à la famille de l’ancien
président Sékou Touré n’est pas étrangère à leur sort funeste de victimes de
substitution. Le gibet dont certains mijotaient de se servir pour pendre Ahmed
Sékou Touré a été utilisé finalement contre les membres de sa famille. Les
nouvelles autorités ont saisi la balle au bond pour régler leur compte à des
individus, dont certains de leurs compagnons avaient programmé la mort dès le
départ. En tout cas, les apparences sont troublantes et font difficilement penser
le contraire. En effet, les prisonniers exécutés le 8 juillet 1985 étaient à presque
cent pour cent des frères, cousins, neveux, beaux-frères du président défunt,
originaires de N’Faranah ou de la Haute Guinée.

409
Siradiou Diallo dira : « Qu’ils aient fondé quelque espoir sur un tel changement
d’homme à la tête de la Guinée pour se tirer d’un mauvais pas, c’est très possible,
pour ne pas dire certain. Mais, prétendre que, du seul fait des liens ethniques,
l’ancien numéro deux du régime militaire avait prévu de donner le pouvoir à son
« parent » Moussa Diakité relève de l’affabulation, de la réécriture des
événements selon un scénario mal construit. » (Op.cité, p.21.)
410
Op.cité, p.136.

310
On peut lire dans Le Journal de la famille Touré que « le CMRN avait
procédé à l’arrestation et au massacre pur et simple (…) des parents et proches
du défunt Président,411».
Quant aux femmes de la famille, elles ont été libérées plus tard après avoir
été soumises à des traitements dégradants.

QUI A DONNÉ L’ORDRE DE LES EXÉCUTER ?


Un voile épais couvre les motifs du simulacre de procès et des exécutions
sélectives qui eurent lieu au lendemain du 4 juillet 1985. Pour Sidiki Kobélé
Keita, il ne serait pas « étonnant que tous ces opposants au régime de la Première
République se fussent coalisés pour une liquidation rapide des accusés gênants
susceptibles de révéler des actions ou actes qui les présenteraient sous leur vrai
visage ou qui confirmeraient la culpabilité de certains éléments de la cinquième
colonne.412»
De toute façon, les témoignages sont formels : la décision de faire disparaître
les 21 dirigeants de la Première République exécutés dans la nuit du 7 au 8 juillet
1985, a été prise au cours de la réunion extraordinaire tenue par le CMRN sous
la présidence du général Lansana Conté. Cette session eut lieu, bien
évidemment, au retour du chef de l’Etat de Lomé. Les exécutions sont donc
intervenues alors que le président de la République, chef des armées, avait repris
entièrement la situation en main après l’intérim assuré par le capitaine Baldet
pendant son absence. A ce propos, il ne subsiste aucun doute dans l’esprit de
Faciné Touré : « C’est Conté qui connaît ceux qui les ont tués parce que c’est à
lui qu’ils rendaient compte 421 », affirme-t-il. On peut alors se poser la question
de savoir pourquoi le commandant Ibrahima Sory Diallo avait-il adressé son
compte-rendu relatif à ces exécutions au capitaine Mamadou Baldet et non pas
directement au chef de l’Etat ? Un acte qui laisse perplexe.
Une affaire aussi importante concernant la sécurité intérieure de l’Etat ne
saurait en effet être l’affaire du ministre de la Réforme Administrative. Celui-ci
ne devrait aucunement dans un tel contexte occuper la première place dans la
chaîne de décision et d’information. De toute façon, la destination troublante
prise par le télégramme annonçant la mort des compagnons de Sékou Touré
pousse certains à attribuer la paternité de la fusillade de Kindia au triumvirat :
Mamadou Baldet -Ousmane Sow-Ibrahima Sory Diallo.

411
Seule exception qui confirme la règle, l’exécution du jeune commissaire de police
Mamadouba Camara, dit M.C. Originaire de la Basse Guinée, il fut puni sans nul
doute pour le zèle qu’il déployait au sein du Comité Révolutionnaire.
412
Keita Sidiki Kobélé, Pourquoi la prison du camp Boiro ?, p.256.
421
Entretien de Faciné Touré avec le journaliste Yamoussa Sidibé dans l’émission,
‘’Archives de Guinée’’ du 28/06/2016
423
Le Lynx Numéro 1176-27 octobre 2014 P.6

311
Le premier en « aurait donné l’ordre dès le 6 juillet 1985. Le deuxième alors
Secrétaire d’Etat à la Défense Nationale aurait : « supervisé directement les
exécutions 423. Le troisième, le chef de bataillon Ibrahima Sory Diallo, l’auteur
du message radio, a dirigé le peloton d’exécution », dit-on. Un point de vue que
partage le député Amadou Damaro Camara quand il affirme dans une interview
accordée à Africaguinee.com que le 6 août 1985 : « Mamadou Baldé alors
ministre de la réforme qui était le maître du pays a envoyé un télégramme, un
message, une lettre référencée dans le document que je publie au commandant
de zone militaire de Kindia d’alors qui était le chef de bataillon Ibrahima Sory
Diallo lui demandant de passer par des armes les anciens dignitaires qui étaient
gardés dans la prison de Kindia » (voir annexe).
Peut-on cependant s’en tenir strictement à une telle interprétation des faits ?
Il est indéniable que la promptitude avec laquelle les trois hommes agirent peut
être symptomatique d’un certain état d’esprit. Il n’en demeure pas moins qu’une
dose de circonspection s’impose pour éviter d’aller trop vite en besogne. En
effet, si les trois officiers étaient prédisposés à fusiller ces personnes, il n’en
demeure pas moins que la décision ne pouvait être prise en raison de son
importance que par la majorité voire la totalité des membres du CMRN, son
président en tête.

NUIT DU 18 AOUT 1985


Exécution d’officiers originaires de la Haute Guinée
Une seconde vague d’exécutions eut lieu sous le Mont Kakoulima dans la
nuit du 18 août 1985. Directement liée aux évènements du 4 juillet, le CMRN
fit passer par les armes, certains officiers arrêtés à la faveur de la tentative de
coup d’Etat de Diarra Traoré.
Le principal instigateur du coup de force était à leur tête. Le lieutenant
Tamba Kamano, l’un des membres du peloton d’exécution dirigé par le
commandant Fodé Komoya, l’a révélé le lendemain à un détenu qu’il appelait
affectueusement ‘’mon neveu’’ parce qu’originaire de la même région que la
mère de ce dernier. Celui-ci s’entendra dire en substance par son ‘’oncle’’ qu’il
: « a eu la chance de n’avoir pas fait partie des personnes fusillées la veille.»
Sans être forcément complète, voici la liste que nous avons pu reconstituer :
Colonel Diarra Traoré, ancien Premier ministre et ancien numéro deux du
CMRN.
Colonel Idrissa Condé, ancien gouverneur de province de N’Zérékoré.
Chef de Bataillon Sidi Mohamed Keita, ancien ministre, ancien membre du
CMRN.
Capitaine Lanciné Keita, (Fangama) ancien commandant du BATA, ancien
ministre de la Défense Nationale et membre du CMRN.

312
Capitaine Mamady Bayo, ancien ministre de la Jeunesse, des Arts et des
Sports, membre du CMRN.
Capitaine Mohamed Lamine Sako, ancien ministre de l’Industrie, ancien
membre du CMRN.
Capitaine Mohamed Oumar Kébé, ancien ministre et membre du CMR
Capitaine Baourou Condé, ancien ministre, membre du CMRN.
Capitaine Mory Traoré, ancien gouverneur de la province de Kankan.
Chef de Bataillon Lancei Camara, ancien gouverneur de la province de Labé.
Chef de Bataillon Yaya Touré, ancien commandant de la troisième Zone
Militaire du Camp Soundiata Keita de Kankan.
Capitaine Sékou Traoré, ancien secrétaire général du gouvernement,
membre du CMR.
Capitaine Bakary Sako, ancien gouverneur de la province de Dubréka.
Lieutenant Mory Kaba, ancien directeur commercial des Usines Militaires
au Camp Alpha Yaya de Conakry.
Lieutenant Lamine Keita, parachutiste, ancien commandant du BATA, au
Camp Alpha Yaya.
Adjudant Mamadi Dioubaté (Blindé), parachutiste du BATA, ancien garde
du corps du président de la République.
Adjudant Alhassane Diallo, parachutiste du BATA, ancien garde du
corps du président de la République, ancien chauffeur de Fangama.413
Souleymane Thiam, (Gros Thiam), ancien garde du corps du président de la
République.A une exception près, tous appartenaient à la même ethnie et parmi
eux figuraient, semble-t-il d’anciens adversaires déclarés de Diarra Traoré.

SUITEDE L’EXÉCUTION DES OFFICIERS ORIGINAIRES DE LA HAUTE


GUINÉE
Dans la nuit du 20 août 1985, six autres détenus, issus de la même
communauté, furent conduits à la potence. Ce sont :
Chef de Bataillon Abraham Kabassan Keita, ancien ministre ;
Chef de bataillon Abdourahamane Kaba, ancien ministre414 ;

413
Seul militaire non originaire de la Haute Guinée. Selon Kofi Cissé, il aurait été
dénoncé par des envieux dans le but de s’emparer de la motocyclette que son
employeur venait de lui offrir.
414
Abdourahamane Kaba était le commandant de bord de l’appareil d’où le
Commissaire Boiro fut largué en 1969. En l’arrêtant en 1985, alors qu’il n’était
pas mêlé du tout au coup fomenté par Diarra Traoré, on avait voulu lui faire payer
son geste qui avait alors empêché les parachutistes de Labé de se retrouver hors

313
Capitaine Amadou Kouyaté, ancien ministre ;
Capitaine Fodé Sangaré, ex-commandant du Camp Kwamé N’Krumah ;
Capitaine Mamadi Condé, ancien commissaire de la Police ‘’Anti-Gang’’ ;
Capitaine Facély Konaté, officier de la Marine Nationale, ancien préfet de
Pita.
Un ancien codétenu raconte que quelques heures auparavant : « Il devrait
être deux heures du matin environ, ce jour sous une pluie battante, lorsqu’on
frappa à la porte de notre cellule. Kabassan eut aussitôt le pressentiment que
cette visite n’augurait rien de bon. Il poussa un profond soupir. Des hommes
armés jusqu’aux dents et tous cagoulés se présentèrent. L’un d’eux qui ne
pouvait être que Sama Panival Bangoura tenait une liste en main. Les noms des
six hommes ont été prononcés. Ils se levèrent l’un après l’autre puis disparurent
à jamais dans la nuit », précise-t-il415.
Ces officiers croyaient pourtant échapper à la mort en écrivant au président
quelques jours plus tôt. C’est « la perspective que la Commission d’Enquête
aurait fait miroiter en les invitant à reconnaître les faits qui leur étaient reprochés
afin de bénéficier de la grâce présidentielle »416, soutient Ibrahima Dioumessi.
Mais ce n’était qu’un leurre, un piège dont ils ne s’aperçurent que lorsqu’il était
trop tard.
Le cardinal Sarah rappelle à ce propos, la correspondance que lui adressèrent
le 28 juillet 1985, « les commandants Abraham Kabassan Keita,
Abdourahamane Kaba, le capitaine Amadou Kouyaté et dix-huit de leurs co-
détenus ». Après y avoir loué ses efforts inlassables dans le cadre de la
‘’réconciliation nationale’’, ses auteurs formulèrent l’espoir de le voir intercéder
auprès du président Lansana Conté pour qu’il leur accordât sa grâce. Mais
l’ancien archevêque de Conakry ne put défendre la cause des prisonniers devant
le chef de l’Etat. Ses tentatives visant à rencontrer le général Conté ou son
épouse, échouèrent à cause des embûches dressées sur son chemin. Le prélat
l’explique par l’obstination de certains officiers de l’entourage du président à
faire disparaître ces hommes. L’attitude de ces derniers a pesé lourd dans la
balance. C’est pourquoi, a-t-il dit, ‘’leurs espoirs n’ont pas été comblés’’.
Au final au-delà des chiffres, le bilan macabre des événements du 4 juillet
appelle à la réflexion suivante : l’élimination de la quasi-totalité des officiers

du pays en posant son appareil sur une piste de fortune dans le village de Maléah,
soutient-on dans certains milieux.
415
Conversation avec l’adjudant Karinka Kourouma, à Conakry.
416
La manœuvre viserait à convaincre de leur culpabilité les généraux Mathieu
Kérékou (Bénin) et Bernardo Vieira (Guinée-Bissau). Ces deux chefs d’Etat
auraient en effet dépêché des émissaires auprès des autorités guinéenes pour
obtenir la libération de Kabassan Keita (in Trois génocidaires inconnus. AVR, 10
septembre 2011, p.9.).

314
supérieurs d’origine malinké que comptait l’armée guinéenne. L’aurait-on
planifiée qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
A cause du caractère sélectif de la répression, de nombreux observateurs
n’ont pas hésité à dire que la tentative avérée de coup d’Etat de Diarra Traoré
fut l’occasion pour l’aile dure du CMRN d’extirper de la hiérarchie militaire ce
qu’elle qualifiait de ‘’prépondérance de l’élément mandingue’’. Tous les
officiers en vue de la communauté, susceptibles de représenter un quelconque
danger pour le pouvoir furent massacrés, assassinés. Les sépultures n’ont pas
été rendues à leurs familles qui, inutile de le dire, ignorent également l’endroit
où les corps ont été ensevelis. Les militaires arrêtés le 4 juillet 1985 et libérés
par la suite ont, quant à eux, tous été radiés des effectifs de l’armée.
Membre du CMRN à l’époque des faits, le colonel Bago Zoumanigui a dit à
l’auteur : « Je n’étais pas à Conakry au moment où ces événements se
produisaient. Je n’ai pas approuvé cependant les méthodes qui ont été
employées417 ».

CONDAMNATION À LA PEINE CAPITALE PAR CONTUMACE AVEC


CONFISCATION DES BIENS
Les civils s’en tirèrent finalement à meilleur compte, même si de lourdes418
peines leur furent infligées.

N°D’ORDRE PRENOMS ET NOMS FONCTIONS/SERVICES


01- Ismaël Condé Inspecteur du Commerce
02- Karamoko Cissé Steward à Air-Guinée
03- Nansédy Bérété Ingénieur en Bâtiment
04- Mohamed Cheick Kaba Ingénieur technico-physicien
05- N’Faly Kaba professeur de Lettres/docteur en droit
06- Moussa Keita commerçant
07- El Hadj Daouda Diawara fonctionnaire à la retraite
08- Kabinè Kaba (Lérou-Lérou) ex-chef de cabinet
09- El-Hadj Sékou Tidjane Diané master en diamant
10- Mamadi Kéira artiste
11- Mamadou Raoul Dioubaté artiste
12- Aly Kéita ex-chauffeur du colonel Diarra Traoré

417
Entretien avec le colonel Joseph Bago Zoumanigui, Conakry.
418
Une mansuétude qui n’a fait que corroborer l’opinion généralement partagée, selon
laquelle le CMRN avait décidé de faire coup double : châtier Diarra Traoré et ses
complices et régler définitivement la question de la suprématie des officiers
malinké au sein de l’armée.

315
13- Amadou Damaro Camara ex-directeur général adjoint/Dette extérieure/BCRG
14- Ben Salia Kouyaté homme d’affaires
15- Sory Dioubaté (Diya-Sory) ex-fonctionnaire à la Coopération Internationale
La plupart des prisonniers recouvrèrent la liberté en 1987. Les derniers
quittèrent les prisons du CMRN au début de l’année 1988. Pêle-mêle, dans cette
liste, figuraient aussi bien d’anciens condamnés à la peine capitale que des
prisonniers reclus à la prison à temps. On notera cependant que la collusion entre
certains civils qui venaient d’être relâchés et l’auteur du putsch était manifeste.
Les amalgames, règlements de compte mais aussi une certaine volonté
d’apaisement observée après que l’orage soit passé, ont favorisé leur remise en
liberté.
CONDAMNATION AUX TRAVAUX FORCÉS À PERPETUITÉ
AVEC CONFISCATION DES BIENS
Mohamed Fadiga ex-commissaire de police
Nounkè Diakité ex-directeur d’une société de pêche maritime
El Hadj Sory Sidibé fonctionnaire à la retraite.
El Hadj Tidiane Traoré directeur général des Constructions Métalliques de Dixinn
Abdallah Camara technicien à la RTG
Dr. Sidiki Diakité en service à Pharma Guinée
Dr. Ibrahima Kalil Traoré Dr ès-sciences en chimie professeur
El Hadj Lansana Condé ex-directeur général adjoint du Contrôle Auto
Mohamed Touraman Dioubaté instituteur et ex-journaliste/RTG
CONDAMNATION A VINGT (20) ANS DE TRAVAUX FORCES
Mory Kaba, ingénieur génie-civil, ex-attaché de cabinet du ministère de l’Energie.
Mory Touré, transporteur à Landréah et frère aîné du commandant Siaka Touré
Aboubacar Sidiki Kouyaté, ex-directeur/importation à Transmat
Kadialy-Djan Doumbouya, commerçant et ex-master des mines de diamant à
Banankoro
Lanfia Kouyaté (Kl), ex-comptable à Enipra
Namanka Samaké, ex-chef-orchestre du Nimba-Jazz de N’Zérékoré
Mamoudou Doumbouya, ex-attaché de presse de N’Zérékoré
CONDAMNATION A QUINZE (15) ANS DE TRAVAUX FORCES
Kader Sangaré, fonctionnaire au Ministère de la Coopération Internationale
Sékou Kandet (Tostao), ex-directeur administratif d’ONAH
Aboubacar Boubou Kaba, ex-directeur général de la Banque Nationale des Services
Extérieurs
Baba Nabé, ex-directeur du Crédit National du Château d’Eau
Mamadi Camara, ex-chef de cabinet à la BCRG
El Hadj Moustapha Kallo, ex-président des masters des mines de Banankoro.

316
CONDAMNATION A HUIT (8) ANS DE TRAVAUX FORCES
AVEC CONFISCATION DES BIENS
Hadja Mamou Kouyaté, ménagère et veuve du colonel Diarra Traoré.
La conspiration ourdie par l’ancien Premier ministre se termina par ce triste
épilogue : l’incarcération et l’exécution sommaire sans esprit de discernement
de cadres militaires et civils malinké dans des proportions difficiles à
déterminer. Pour éviter de minimiser leur nombre ou de faire dans
l’extrapolation, nous nous abstenons d’avancer le moindre chiffre. La liste
proposée a donc un caractère indicatif. Il est, en effet, difficile de cerner les
données exactes portant sur le nombre de citoyens originaires de la même région
que Diarra Traoré victimes de la répression aveugle organisée par des milieux
extrémistes et revanchards. On ne croit pas aussi bien le dire d’autant plus que,
selon Jeune Afrique citant « un document confidentiel 419 » établi par l’Etat-
major de l’armée guinéenne, « le 13 juillet dans la nuit, nombre de détenus
arrêtés le 5 du même mois ont été passés par les armes sur le champ de tir du
Camp Alpha Yaya dans le plus grand secret et dont le nombre n’a jamais pu être
précisé ». Alhousseny Fofana et Komoya sont considérés par l’auteur de
l’article comme les auteurs du masacre. Les deux officiers auraient « décidé
d’en finir avec ceux qu’ils considéraient comme les ennemis du régime du 3
avril 1984 420 ». On n’est pas loin de croire que, dans son entendement, le
président de la Commission d’Enquête, mû par un esprit de vengeance familiale,
voulait voir périr le maximum d’individus incarnant à ses yeux le drame, dont
ses deux frères, Almamy et Karim Fofana, avaient été victimes sous le régime
du PDG. En conclusion, les événements du 4 juillet 1985 ont engendré une
véritable tragédie dont la nation aurait pu se passer à cette étape charnière de
son évolution, après l’accession au pouvoir d’un nouveau régime dont
l’avènement avait été salué avec le même enthousiasme par tous les Guinéens.
En prêtant foi à l’avis de Fodé Momo Camara par exemple, on constate
qu’ « après le 3 avril 1984, les malinké militaires et civils étaient les plus
enthousiastes et les plus ravis pour accueillir l’avènement au pouvoir du colonel
Lansana Conté de l’ethnie soussou, en reconnaissance à l’égard de cette ethnie
qui avait porté au pouvoir, soutenu d’emblée Sékou Touré ». En définitive, on
s’est attaqué à des personnes majoritairement emportées le 3 avril 1984 par un
bel élan de joie. Comme tous les Guinéens, elles nourrissaient l’espoir de voir
le pays s’engager dans une nouvelle dynamique marquant la rupture avec
l’ordre ancien. Certes, des scènes de liesse ont pu être enregistrées dans des
foyers abritant des personnes de l’ethnie de Diarra Traoré. Même dans ce cas, il
n’a pu s’agir que de manifestations sporadiques et isolées. Elles ont été
exploitées malheureusement par ceux qui guettaient au coin du bois le moindre
prétexte pour extérioriser des sentiments secrétés par des motivations

419
Spécial J.A.
420
J A, Spécial, p.15.

317
personnelles ou familiales. La tentative de coup d’Etat orchestrée par Diarra
Traoré émanait en effet de la volonté exclusive de cet officier et de quelques
ambitieux qui grouillaient autour de lui. N’est-il pas vrai que comme à Boffa, à
Labé, ou à N’Zérékoré, et dans toutes les préfectures, partout en Haute-Guinée
également des meetings et des marches ont été organisés au lendemain des
événements du 4 juillet pour exprimer le soutien des populations au CMRN et
à son président ? A Kankan, principale ville de la région où est enracinée la
famille du colonel Traoré, les populations ont « réclamé le châtiment
exemplaire à l’encontre des putschistes. Elles ont réaffirmé leur détermination
à mettre leurs forces dans les efforts de reconstruction de la Guinée, telle
qu’engagée par le CMRN et le général Lansana Conté », lit-on dans les colonnes
du quotidien gouvernemental Horoya en date du 14 juillet 1985. Le même
journal mentionne que les populations de Kankan se souvenaient « qu’elles ont
été, sans doute, celles qui ont le plus souffert de la férule du régime dont les
Diarra Traoré étaient des serviteurs aveugles et sans partage ».
Les réactions isolées approuvant et célébrant l’auteur du coup d’Etat ne
devraient donc pas servir de prétexte pour se livrer à des voies de fait contre
toute une communauté. L’ethnie de Diarra Traoré n’était pas du tout impliquée
dans l’opération. Elle en a fait les frais de manière tout à fait injuste et
disproportionnée. Pendant quelques jours, un vent de panique a soufflé sur la
communauté malinké entraînant un mouvement de reflux vers la Haute Guinée.
Les attaques dirigées contre les malinkés ont eu des conséquences multiples.
Plusieurs personnes ont perdu la vie, d’autres ont été jetées en prison, poussées
à l’exil, réduites à la pauvreté et à une divagation sans fin.

UNE JUSTICE FICTIVE


Il résulte de nos investigations ainsi que de nombreux temoignages que nulle
part ni à aucun moment, un tribunal n’a siégé pour juger les prevenus arrêtés au
lendemain du 4 juillet 1985. La même remarque est valable en ce qui concerne
le scénario qui prévalut avant les exécutions du 8 août 1985.
A l’évidence, si tel avait été le cas, des avancées notables auraient pu être
enregistrées dans la quête d’une explication plausible aux tenants et aboutissants
des crises politiques qui ont sécoué la Guinée au cours des 27 premières années
de son indépendance.
Un procès juste, équitable de ceux qui ont été fusillés à la sauvette en ces
différentes occasions, aurait eu, en effet, le don de faire passer devant la barre
les principaux protagonistes (intérieurs) et témoins de ces faits. L’issue du
procès pour certaines personnalités de l’ancien régime par exemple aurait pu se
distinguer par sa pertinence. Pourquoi n’ont-elles pas été jugées alors dans les
règles de l’art ? Est-ce parce que les nouveaux maîtres du pays craignaient d’y
laisser des plumes ? Pourtant, au lendemain de la libération le 15 mai 1985
d’une vague d’anciens dirigeants du PDG, le président Lansana Conté avait

318
rassuré une délégation d’Amnesty International que « tous les droits des détenus
dans le cadre d’un procès seraient respectés ». L’AVR qui le rapporte fait
remarquer qu’« informé de cette nouvelle, Monsieur Ismaël Touré, ancien
ministre, éclata de rire dans la cour de la Maison Centrale de Kindia avant de
déclarer ce qui suit : « Je serai le plus heureux en cas de procès public. Mes deux
collaborateurs au sein de la Commission d’Enquête du Comité Révolutionnaire
seraient présents à mes côtés. A ma droite se tiendrait le président Lansana
Conté comme premier témoin et, à ma gauche, le Premier ministre Diarra Traoré
comme deuxième témoin. 421 » Une seule chose paraît sûre : l’histoire de la
Guinée, c’est la bouteille à l’encre. Il convient donc d’attendre le jour où,
éventuellement, on pourra faire la part des choses à partir de la date de la
proclamation de l’indépendance jusqu’à aujourd’hui.
Les crimes commis seront alors examinés sous le double angle des
contradictions inter-guinéennes et des manœuvres de certaines puissances
étrangères sans lesquelles les choses auraient pu se passer différemment.
De toute façon, la justice expéditive appliquée à ces hommes a empêché de
saisir toutes les ramifications intérieures et extérieures du drame guinéen. Or,
dès le premier jour, le CMRN avait promis que le procès des dignitaires de
l’ancien régime serait organisé. C’est l’époque, où les visiteurs étrangers
soucieux du sort des prisonniers et voulant les rencontrer pour s’assurer que tout
allait bien, s’entendaient dire de leurs interlocuteurs du CMRN à peu près ceci :
« Vous ne pouvez pas les voir de crainte que certains n’en fassent ce qu’ils
veulent. Nous les avons mis en lieu sûr. Ils sont en très bonne santé ». De
passage à Abidjan en mai 1984, le ministre des affaires étrangères, le capitaine
Faciné Touré l’avait redit en s’adressant à un groupe d’exilés guinéens : « Nous
sommes venus ce jour à quatre pour le rencontrer » rapporte l’ancien ministre
Bassirou Barry qui poursuit son récit en ces termes : « J’étais en compagnie du
Dr Conté Saïdou (ministre de l’Education Nationale sous la Première
République avant de passer dans l’opposition au régime de Sékou Touré
NDLA), de Mme Nankoria Keita, (épouse de M. Diané, ancien directeur des
Douanes)et du journaliste Lélouma Diallo. Voici le conseil que nous lui avons
donné : Ne faites pas de procès secret. Evitez toute condamnation à la peine
capitale. Il m’a répondu en ces termes : « N’kaou (oncle), je vais te rassurer.
Ce sera le premier Nuremberg africain (allusion au procès qui se tint dans cette
ville du nord de l’Allemagne du 20 novembre 1945 au 12 octobre 1946. Il fut
intenté contre les dignitaires du parti Nazi NDLA). Ils peuvent faire venir des
avocats du monde entier pour les défendre. Tout se fera dans la plus grande
transparence422 ». En novembre 1985, le capitaine Faciné Touré, toujours dans
le même esprit, confia à l’hebdomadaire Jeune Afrique : « Il n’y aura pas de

421
Mémorandum de l’A.V.R. , p.6.
422
Entretien de l’auteur avec Bassirou Barry, Conakry, le 10 février 2013.

319
procès bâclé. Il appartiendra au tribunal, le moment venu, de se prononcer sur
le cas de chacun d’eux 423».
Mais, ignorait-il vraiment au moment où il tenait ses propos, que le sort de
la plupart de ces hommes était déjà scellé ? Mohamed Lamine Traoré, son
collègue de l’Information, sollicité par le même journaliste, s’était pour sa part,
abstenu de se prononcer sur la question en déclarant qu’il ne pouvait « ni
confirmer ni infirmer » la nouvelle de leur exécution. D’où la polémique que
Faciné Touré a entretenue avec l’hebdomadaire parisien soutenant que ses
propos étaient destinés à tromper la galerie. Le titre de l’article accusateur :
« Faciné hausse le ton mais ne prouve rien ». J.A s’est voulue catégorique :
« Nous affirmons et répétons que la plupart des compagnons de Sékou Touré
ont été passés par les armes, le 8 juillet 1985. Faciné Touré le sait d’autant
mieux qu’il fut l’un des plus, sinon le plus impitoyable procureur au sein du
CMRN pour réclamer leurs têtes 424».
En 2009, le général Faciné Touré a plaidé sa bonne foi dans cette affaire. Au
moment, dit-il, où « Je criais urbi et orbi qu’ils bénéficieraient d’un procès
équitable, je croyais qu’ils n’avaient pas été tués ». Il affirme avoir appris la
vérité tout à fait incidemment. Profitant, en effet, d’une entrevue avec le chef de
l’Etat, il lui demanda « à quel moment le dossier des prisonniers politiques serait
examiné », assure-t-il. Il venait aux nouvelles pour pouvoir répondre aux
nombreuses questions dont il était assailli partout où il posait les pieds en sa
qualité de chef de la diplomatie guinéenne. C’est à ce moment seulement que le
général Lansana Conté lui aurait révélé : « Mais, vos camarades les ont tués ».
Propos confirmés peu après par Jean Traoré. Faciné Touré dit avoir eu alors le
sentiment que le ciel lui tombait sur la tête. Reste à vérifier ces propos d’autant
plus que tous ceux qui sont cités par leur auteur ne peuvent plus témoigner. Une
précaution à prendre d’autant plus que sur le sujet, les prises de parole de
l’ancien ministre du CMRN sont souvent antithétiques. Elles obligent à lui
reconnaître parfois des talents de rhéteur. N’est-ce pas, le même homme qui
confiait, en effet, le 16 juillet 1985, à Jeune Afrique, à Addis-Abeba, une
déclaration prenant à peu près le contre-pied de son assertion précédente. Il avait
laissé entendre alors : « J’ai quitté Conakry il y a presque dix jours. Je ne sais
pas s’il y a eu des exécutions. Mais, cela ne me surprendrait pas. Ceux qui ont
tenté le coup d’Etat voulaient nous exécuter. J’étais sur leur liste. 425»
Autre détail troublant : Comment se fait-il que le général Faciné Touré qui
n’avait pas été mis au courant de l’exécution des dignitaires les plus en vue de
l’ancien régime dans la nuit du 7 au 8 août 1985, a-t-il pu ‘’connaître
parfaitement’’, selon ses propres termes, l’homme de loi qui les avait jugés ?

423
Jeune Afrique no du
424
Ibidem.
425
Jeune Afrique, no 1291 du 1er octobre 1985, p.32.

320
Répondant à une question de Radio Soleil, il a soutenu, en effet que c’est un
« magistrat expérimenté qui avait dirigé le tribunal426» qui les a condamnés.
Mais, il s’était abstenu à cette occasion de révéler le nom du juge en question.
Au contraire, brouillant toujours plus les pistes, il a objecté à chaque fois que le
nom d’un homme de loi était avancé par son interlocuteur.
Comme pour en rajouter à la confusion autour de cette affaire, le 29 octobre
2011, El Hadj Lansana Condé, le président de l’AVR, reçut à son domicile de
Yimbaya la visite impromptue du général Faciné Touré.
Le nouveau médiateur de la République étrennait pour la circonstance un
rutilant 4x4 nouvellement mis à sa disposition et lui servant de véhicule de
fonction.
D’entrée, le visiteur tint à rassurer son hôte du caractère « amical et
fraternel » de sa présence. Celle-ci tendrait par-dessus tout, a-t-il dit, à dissiper
des malentendus entre lui et l’Association que ce dernier présidait en particulier
et, par ricochet, avec toute la communauté de la Haute Guinée en général.
Le Général a dit à ce sujet que la mauvaise image qu’on y avait de sa
personne était imméritée, voire injustifiée. Il soutint surtout n’avoir ni ordonné
ni participé aux exactions commises pendant les événements du 4 juillet 1985.
Perçant une partie du mystère, il déclara que Fodé Komoya et Alhouseny Fofana
furent les deux principaux auteurs de ces atrocités. Plus tard, dira-t-il, Henry
Tofany présida la Cour martiale tandis que le juge Naby Moussa Soumah
dirigeait la Cour de Sûreté de l’Etat qui condamna les prévenus. Lui, Faciné
Touré, s’était tenu à distance respectable de ces événements regrettables 427 .
Mais Lansana Condé persiste et signe : aucune Cour n’a siégé où que ce soit et
à aucun moment avant les exécutions, notamment en ce qui concerne les anciens
dirigeants du PDG. En exhumant des actes posés par le CMRN à cette époque,
certains signes contribuent effectivement à le confirmer. A cet égard, les
Ordonnances no 152 et 153 « portant création d’une Cour de sûreté de l’Etat et
d’un Tribunal militaire » ont été signées par le général de brigade Lansana
Conté le 10 juillet 1985, soit quarante-huit heures après l’exécution des
dignitaires de l’ancien régime428.

426
Entretien du général Faciné Touré avec Sékou Mady Traoré sur Radio Soleil FM,
Conakry 2009. Par ailleurs, nommé le 22 décembre 1985 aux fonctions de ministre
de la Justice, Barry Bassirou, dans une interview accordée à Jeune Afrique du 2
septembre 1987 citée par S.K. Keita dans Pourquoi la prison du camp Boiro
(P.256-257), a parlé de la mise en place d’ « une Cour de Sûreté de l’Etat présidée
par le juge Naby Moussa Soumah.» C’est elle qui est censée avoir jugé les accusés.
Mais, le ministre a déclaré ne pas savoir où le tribunal a siégé.
427
Entretien de l’auteur avec El Hadj Lansana Condé, président de l’AVR, le 5
décembre 2014, à Yimbaya 5 Conakry).
428
Horoya no 194 du jeudi 15 août 1985.

321
Quant au juge Soumah, l’un des deux premiers diplômés de la faculté de
Droit de l’Institut Polytechnique de Conakry, il a assumé les responsabilités les
plus élevées dans plusieurs juridictions du pays. Après la prise du pouvoir par
l’armée, sa carrière poursuivit sa marche ascendante. Elle culmina avec sa
nomination en 1985 aux fonctions de Premier président de la Cour Suprême et
plus tard de conseiller juridique du chef de l’Etat. Il assumait cette charge entre
1991 et 1996 lorsque Sidiki Kobélé Keita, chef de cabinet civil du Président de
la République à la même époque, l’interrogea sur le rôle qui lui était attribué
dans le jugement des personnes arrêtées après la tentative de putsch du 4 juillet
1985. Sa réponse rapportée par l’historien était dénuée de toute ambiguïté
comme on peut s’en rendre compte à travers ces notes que celui-ci a transmises
à l’auteur :
« M’bitanyi (mon beau-frère), je n’ai jamais accepté d’être utilisé par des
éléments du CMRN, de couvrir juridiquement certains actes arbitraires. En
particulier je n’ai présidé aucune juridiction chargée de juger certains accusés.
J’ai agi comme tu le dis souvent, dans la perspective historique. Il n’y a eu
aucun jugement. Ceux qui ont été exécutés n’ont jamais été jugés, surtout les
dignitaires du PDG. Des éléments du CMRN tenaient à leur liquidation, ils ont
profité du fameux « Wo fatara » pour le faire dès le surlendemain du discours ».
En définitive, dans cette affaire le magistrat n’était-il pas aussi « fictif » que
le tribunal qu’il a dirigé ? Sinon, ne pourra-t-on pas conclure que celui-ci se sera
prêté tout simplement à la parodie du 16 mai 1987, en mettant la forme à un acte
déjà accompli pour essayer de donner le change sans parvenir toutefois à ses
fins ?
Dans un Mémorandum datant de 1991, l’AVR affirme que la sentence avait
provoqué l’ire des organisations de défense des droits de l’homme à travers le
monde.
Le CMRN sommé de s’expliquer devant la justice internationale, désigna en
1986 le juge Mamadi Diawara pour aller défendre le déroulement du ‘’procès’’
devant l’Association des Juristes Africains à Dakar. Sa plaidoirie a été vivement
contestée par l’AVR qui précise que pendant toute la durée de leur détention,
aucun prisonnier n’a comparu devant une juridiction quelconque et n’a reçu,
non plus, la visite d’un avocat. Elle dément les allégations du représentant du
CMRN selon lesquelles les détenus recevaient de la visite et échangeaient des
correspondances avec leurs familles. Elle réitère fermement que des exécutions
sommaires eurent effectivement lieu à Kindia et à Conakry après les
événements du 4 juillet 1985.
N’est-il pas tentant au bout du compte de s’approprier la conclusion à
laquelle aboutit l’enquête de l’hebdomadaire, Jeune Afrique concernant le
fameux ‘’procès’’ des anciens dignitaires du PDG ? Le journal s’était, en effet,
fait un brin prédicateur en avançant que « personne ne serait dupe si, demain,
un communiqué officiel venait nous apprendre que le procès a eu lieu et qu’ils

322
ont été exécutés par la suite429 ». Indiscutablement, c’est à un tel scénario qu’on
assista deux années plus tard avec ‘’l’arrêt de la Cour de Sûreté de l’Etat’’
rendu public le 6 mai 1987430 pour conférer à une situation de fait une teinture
de légalité, dont il devenait nécessaire de l’enduire.
En définitive, le CMRN comme le régime qu’il avait renversé a, par le biais
d’exécutions extra-judiciares, régler leur compte à des hommes, dont la
culpabilité n’a pu être établie dans les règles l’art.

HISTOIRES COCASSES
Comme toute aventure humaine, la tentative de coup d’Etat de Diarra Traoré
n’a pas été exempte de scènes burlesques. Nous en rapportons deux :
Acte I
Après la diffusion de la déclaration du Colonel annonçant la destitution de
Lansana Conté, le griot Djessira Mamady Dioubaté, résident à Témènètaye,
dans l’actuelle commune de Kaloum, ne se sentit pas de joie. Il se mit
immédiatement à arpenter les ruelles de son quartier au milieu des partisans de
Lansana Conté, effondrés pour vanter les mérites du ‘’nouvel homme fort’’ du
pays. Il clamait à haute voix : « Touraman ! (Traoré) Tu as remis les pendules
à l’heure ! Le Manding a parlé ! N’avez-vous pas entendu le lion rugir (Diarra
signifie lion en malinké) ? Grâce à lui, le Manding a reconquis la position qui
lui est due à la tête de l’Etat. Pauvres brebis, tremblez, et hâtez-vous de rentrer
dans la bergerie pour ne pas être dévorées ».
Après la prise de la radio et la fin des illusions de Diarra Traoré, notre
homme fut arrêté, ligoté et conduit au PM3.
Apparemment apte à jouer tous les rôles, il comparaît devant la commission
d’enquête. Il multiplie les gestes de déférence et les actes d’allégeance. Il
s’étonne plaintivement qu’il ne soit pas payé de retour. « Pourquoi tant de
cruauté envers un homme de ma condition, s’interroge-t-il finalement ? Qu’est-
ce qu’un pauvre griot a-t-il à voir dans une affaire de coup d’Etat ? Notre rôle à

429
Jeune Afrique, no 1291 du 1er octobre 1985, p.32.
430
Une ordonnance du chef de l’Etat en date du 9 février 1990 accordera par la suite
‘’une amnistie générale à tous les Guinéens condamnés pour délits politiques’’.
La mesure concernait aussi bien ceux qui se trouvaient à l’intérieur qu’à l’extérieur
du pays. Le même acte consacrait la restitution de leurs biens « aux personnes
impliquées dans la tentative de coup d’Etat du 4 juillet 1985 ».
Mais un quart de siècle après, son application est toujours au centre du combat que
livre ‘’l’Association des Victimes de la Répression’’ (AVR). Celle-ci a été
reconnue le 16 avril 1992 par un arrêté du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité.
Son objectif principal est « la recherche de voies et moyens devant aboutir à la
réhabilitation morale et matérielle, au dédommagement intégral et à
l’indemnisation des innocentes victimes de la Répression ou de leurs ayants-
droits ».

323
nous est d’être à côté du pouvoir et de le glorifier. Qu’ai-je donc à louanger un
pauvre hère comme Diarra devant la stature imposante et souveraine de Lansana
Conté, notre général en chef adoré ? Lansana Conté, le digne descendant de la
grande lignée des chefs de guerre que le Manding a portés dans ses entrailles.
Béni soit le jour où tu es né. »
Notre bonhomme fut libéré sur le champ au milieu d’un éclat de rire
homérique.
Acte II
A Dabola, on savait dans l’entourage des deux hommes que Lamine Diakité,
le préfet, et le chef de l’escadron de la Gendarmerie, Souleymane Bah se
regardaient en chiens de faïence. La tentative de coup d’Etat de Diarra Traoré
va mettre leur rivalité sur la place publique. Aussitôt, après la diffusion de la
déclaration du colonel, le préfet fut mis aux arrêts, ficelé et placé en lieu sûr
avant son transfert à Conakry, sur ordre du commandant de l’escadron.
Coup de théâtre : le matin, la radio annonce l’échec de la tentative de coup
d’Etat, le préfet recouvre la liberté. Réponse du berger à la bergère : il fait
menoter à son tour le commandant de l’escadron et expédie le ‘’colis’’ à
Conakry. Ce dernier sera cependant relâché à son arrivée dans la capitale par un
membre du CMRN originaire de la même région que lui.

324
CINQUIÈME PARTIE

Le discours-programme
du 22 decembre 1985
CHAPITRE XVI

Lansana Conté, seul maître


de la Guinée

Après l’écrasement de la tentative de putsch perpétrée par Diarra Traoré, le


président Lansana Conté, chef de l’Etat et président du CMRN, avait désormais
toutes les cartes en main. Le Général était entouré en grande majorité d’hommes
à la loyauté éprouvée. Il avait pu le constater lors des événements difficiles qu’il
venait de traverser. Le vide créé par la disparition des ministres malinké est
comblé par la nomination de ‘’ministres provisoires’’ 431 à la tête des
départements qu’ils dirigeaient par l’ordonnance no 144 PRG du 7 juillet 1985.
Les directeurs de cabinet des provinces de Dubréka, Boké, Faranah,
N’Zérékoré et Labé furent chargés d’assumer l’intérim des gouverneurs arrêtés
après le 4 juillet 1985. Les quatre derniers mois de l’année s’écoulèrent
paisiblement. C’est du moins l’impression que l’on avait dans les cercles
éloignés du pouvoir. Même de gros bonnets du régime ignoraient ce qui se
préparait. Certes, on avait vaguement le sentiment que le régime ne pouvait
continuer d’évoluer sans orientation précise.
On se souvenait que dans son adresse à la nation, le 18 décembre 1984, le
président avait rejeté « la potion amère qu’on voulait nous administrer ». Les
observateurs avertis avaient vu se profiler l’ombre des milieux financiers
occidentaux derrière cette mise au point. Mais, à l’époque, Lansana Conté et ses
principaux conseillers étaient apparemment préoccupés par le règlement de la
question Diarra Traoré. Inutile d’ouvrir d’autres fronts, estimait-on sans doute.
Toujours est-il qu’après avoir réduit au silence éternel son ancien Premier
ministre, le chef de l’Etat ne pouvait plus continuer de naviguer à vue. Il lui
fallait se prononcer sur un modèle de société et veiller à ce qu’il soit l’antithèse
du système précédent. Un choix qui obéissait à un triple objectif : effectuer un
virage à 180 degrés en s’ancrant solidement dans l’univers occidental, corriger
les erreurs et les imperfections du passé et conforter les nouveaux amis de la
Guinée dans l’idée qu’ils pouvaient lui faire confiance.

431
Appellation officielle donnée aux ministres qui ont pris en charge les départements
rendus orphelins par l’arrestation de ceux qui les dirigeaient.

327
Conakry vit se succéder une pléthore d’experts dépêchés par des officines
gouvernementales ou agissant à titre privé. Le nouveau secrétaire d’Etat chargé
des Guinéens de l’Etranger fut particulièrement actif. Jean Claude Diallo
contribua à rétablir le pont entre les autorités de Conakry et l’intelligentsia
guinéenne dispersée à travers le monde. Des exilés de la première heure 432
vinrent se mettre au service du chef de l’Etat. Tout porte à croire que ces forces
conjuguées contribuèrent à faire prospérer le projet de rupture fondamentale
d’avec les dernières survivances de l’option socialiste prônée par le PDG.
Le dimanche 22 décembre 1985 fut la date choisie par le chef de l’Etat pour
annoncer les nouvelles mesures aux Guinéens. Le discours a été préparé dans la
plus totale discrétion. Bernard Vatrican, un français de souche revendiquant la
nationalité monégasque, en fut la cheville ouvrière.
L’homme que la presse appella le « marabout blanc de Conté » travailla
étroitement avec un groupe de cadres guinéens du cru et d’anciens exilés rentrés
fraîchement de l’extérieur. Parmi ceux-ci, on peut citer Bâ Mamadou,
Alhassane Condé, Amadou Tidjane Traoré, Kory Kondiano, Lamine Bolivogui,
Mamouna Bangoura, Soriba Kaba Plateau…
A ce sujet, Ahmadou Tidjane Traoré a confié à l’auteur : « C’est un ami
commun, le professeur Jacques Chevrier de l’Université de Dakar, qui a parlé
de moi à Bernard Vatrican. Jacques Chevrier voulait savoir ce que j’étais
devenu depuis mon retour en Guinée en 1980.
Vatrican a donc pris contact avec moi et des relations d’amitié se sont
nouées entre nous. « Il me demanda, en effet un jour, de lui rédiger un mémo
sur le système éducatif actuel et particulièrement sur les réformes de
l’enseignement supérieur. Ce que je fis volontiers et, plus tard, je sus qu’il
préparait ce fameux Discours-Programme. Il avait effectué la même démarche
avec d’autres cadres dans leurs spécialités : décentralisation, banque, etc.
En rassemblant ces données, il en parlait régulièrement avec le président en
vue de les intégrer dans le discours du 22 décembre. Rarement il réunissait en
même temps tous ses interlocuteurs, mais savait tirer parti de chaque
contribution. Il m’avancera bien plus tard qu’il n’a pu intégrer toutes mes
réflexions mais qu’il pense que l’occasion me sera donnée de les mettre en
application433 ».
Jean Claude Diallo fut chargé de peaufiner l’allocution présidentielle avant
sa diffusion.

432
Parmi eux figuraient des intellectuels de la diaspora, comme l’historien Ibrahima
Baba Kaké qui avait déjà joué un rôle important pendant les Etats Généraux de
l’Education, d’anciens fonctionnaires internationnaux à la retraite, tels que Paul
Louis Faber et Bâ Mamadou.
433
Paroles prémonitoires quand on sait que M. Traoré s’est vu confié plus tard le
portefeuille de l’enseignement supérieur dans le gouvernement formé le 22
décembre 1985.

328
Le Secrétaire d’Etat se rendit à la Maison de la radio dans l’après-midi du
dimanche 22 décembre 1985. Dans le plus grand secret avec l’aide de quelques
amis parmi lesquels le chef des studios, M’Baye N’Diaye et Ansoumane
Bangoura, le directeur général de l’A.G.P., il prépara la bande contenant
l’enregistrement du message présidentiel. Le ministre de l’Information, dont les
bureaux jouxtaient les lieux, ne se doutait de rien. Il ne fut mis au courant de ce
qui se tramait que lorsque tout le scénario a été mis en place.

LE SENS D’UN DISCOURS


C’était un dimanche comme les autres. Des habitants de la capitale, partis
les uns en villégiature, rejoignaient leur domicile. Des fêtes de tous genres
étaient organisées chez d’autres. L’effet de surprise était donc total lorsque la
radio annonça la diffusion d’une importante allocution du président de la
République.
A 20 h, la voix du général Lansana Conté se fait entendre. Elle est calme,
claire, posée. Les premières phrases ne laissent planer aucune ambiguïté sur le
contenu du message. En effet, le président « propose aux Guinéens un
programme et des hommes pour le réaliser ». Le discours commence par un
violent réquisitoire contre le régime du P.D.G. D’après Lansana Conté, « pour
mesurer l’ampleur de la tâche qui nous attend, il faut comprendre comment
fonctionne le système dont nous avons hérité. Or pendant 26 ans, un groupe
d’hommes se rend maîtres du pays et des richesses de son sous-sol : l’or, le
diamant, la bauxite pillés directement ou par compagnies minières
interposées ».
Le président déplore que ces hommes aient vécu dans l’opulence en laissant
« le pays à l’abandon ». La Guinée a fonctionné durant 26 ans, dit-il, en
se gargarisant de slogans creux. En un mot, « La politique a remplacé la
production ». Il énumère les « conséquences dramatiques » engendrées par de
telles pratiques sur la monnaie, l’agriculture, les exportations, la construction
des infrastructures. Il fustige « l’immobilisme et l’irresponsabilité » qui ont
caractérisé le système se traduisant par le gaspillage des ressources humaines et
naturelles. Le président a cette belle formule pour résumer sa pensée : « de la
maison Guinée seule la façade est entretenue, seule la politique étrangère
intéresse le pouvoir. A l’intérieur, l’Etat a disparu ».
Après avoir diagnostiqué le mal, le général Lansana Conté proposa les
réformes destinées à le juguler. La première vertu recommandée par le chef de
l’Etat est le « travail » avec pour principe cardinal, le patriotisme, la
compétence, l’esprit de solidarité. Des réformes sont indispensables,
notamment au sein de l’administration pour mettre fin « à la pagaille dont nous
avons héritée », dit-il. Première mesure à prendre : le recensement des
travailleurs. La maîtrise des effectifs est en effet indispensable. Un

329
Commissariat à la Réforme Administrative est donc créé. Sa mission est
d’œuvrer à l’avènement de « l’administration du redressement national ».

PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT
Le président entend mettre en œuvre son programme de développement avec
la participation de l’ensemble des Guinéens. En effet, il se déclare résolument
hostile à toute politique reposant sur un ‘’Etat omniprésent’’. Celui-ci « n’agira
plus à la place des Guinéens, mais, quand c’est nécessaire, les aidera et les
protégera ».
Le général Lansana Conté prône une « évolution progressive de notre
économie sur la voie du libéralisme. » Mais, « le préalable à tout redressement
économique, c’est l’assainissement monétaire », souligne-t-il. Conséquence : le
chef de l’Etat annonce la naissance d’une nouvelle monnaie en 1986. Dans la
foulée, la Banque Centrale sera réorganisée tandis que les banques existantes
seront fermées dès le 23 décembre 1985. A noter que ces dispositions étaient
déjà entrées en vigueur avant la diffusion de l’allocution présidentielle. Les
entreprises d’Etat vont être réorganisées, leurs effectifs sensiblement réduits.
Celles qui ne satisferont pas à l’avenir aux critères de rentabilité seront fermées.
Le président lance par ailleurs un appel aux Guinéens vivant à l’étranger. Il
les exhorte à aider leur pays surtout que « si, tous les mois, chacun d’eux
envoyait par la voie officielle 500 CFA à sa famille, cela représenterait pour la
Guinée deux fois les revenus de la bauxite ».

L’AGRICULTURE
Le général Lansana Conté en fait la clef de voûte de son programme. A cet
effet, il souligna que « l’important est de produire afin de réduire les
importations et d’accroître les exportations. L’Etat doit aujourd’hui,
prioritairement, aider à relancer la production. Elle seule procurera des
revenus aux guinéens. Nous allons mettre en place un système d’aide à la
création et au développement des entreprises, en donnant la priorité à ceux qui
investissent à l’intérieur ».
En conséquence, les magasins d’Etat, Alimag et Alidi, spécialisés dans
l’importation et la commercialisation des céréales et d’autres produits
alimentaires ont été fermés sine die. Désormais, assure le président, « ce sont
nos paysans qui vont reconstruire le pays, assurer l’autosuffisance alimentaire
et le développement des exportations ».

LA DÉCENTRALISATION
Le modèle de société proposé par le président contient les prémices de la
politique de décentralisation. Les Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (P.R.L)
ayant disparu, les populations ne doivent pas pour autant être privées de la

330
liberté de désigner leurs nouveaux représentants. Elles auront le droit de « gérer
en toute liberté leur mode de vie traditionnel434», déclare le président. Enfin
Lansana Conté rassure les Guinéens qu’il ne « laissera jamais reconquérir le
pays par une puissance quelconque ». Il promet d’être le président de tous les
Guinéens auxquels il s’adressera désormais « sans avoir ni à me référer à leur
origine, ni à l’endroit où ils vivent ». Il leur demande de placer leur confiance
en l’équipe qu’il a formée qui est « le meilleur choix possible ».

434
Un nouveau concept voit alors le jour : c’est celui de « planification contractuelle
décentralisée ».

331
CHAPITRE XVII

Le nouveau gouvernement
ou la disgrâce des barons

La lecture de l’ordonnance N°321/PRG/85 dévoilant la composition du


gouvernement a suivi la diffusion du message du chef de l’Etat. La nouvelle
équipe présentait les caractéristiques suivantes : la création du poste de ministre-
résident au niveau de chacune des quatre régions naturelles du pays, la réduction
drastique du nombre de militaires dans le cabinet, la suppression de la dignité
de ministre d’Etat, la disparition du Secrétariat d’Etat chargé des Guinéens de
l’Etranger, l’entrée massive de civils, des technocrates pour la plupart, la
nomination de plusieurs Guinéens de la diaspora, l’éloignement de la capitale
de deux des trois anciens ministres d’Etat du gouvernement précèdent (voir
annexe).
En effet, parmi les nombreuses remarques inspirées par le coup de barre
opéré par le général Lansana Conté en cette fin d’année, sa volonté de mettre
fin à l’influence envahissante et porteuse de risques de certains de ses
compagnons de la première heure était manifeste. Pour commencer, toutes les
personnalités désignées aux fonctions de ministres-résidents et éloignées de la
capitale par la même occasion, appartenaient à la hiérarchie militaire. Parmi
elles figurait, le commandant Makan Camara, nommé ministre résident pour la
Moyenne Guinée avec siège à Labé. L’intéressé assumait précédemment les
responsabilités de chef d’Etat-major de la Gendarmerie Nationale. Sa
nomination à son nouveau poste pouvait être interprétée dès lors à l’aune d’une
promotion. En revanche, celle de Mamadou Baldet et de Faciné Touré en qualité
de ministres-résidents respectivement en Haute Guinée et en région forestière
ne manqua pas de surprendre et de faire jaser. En effet, au sortir de l’épisode
Diarra Traoré, les deux hommes envisageaient certainement de jouer un rôle
plus important dans l’entourage immédiat du chef de l’Etat.
Le capitaine Mamadou Baldet s’était distingué au cours de l’offensive des
forces loyalistes contre la maison de la radio investie par les putschistes. Il fut
l’un des principaux artisans de l’échec de la tentative de coup d’Etat. Quant à
Faciné Touré, « l’ami de trente ans », n’aspirait-il pas à être considéré, serait-
ce à titre officieux, comme le numéro deux du régime après l’arrestation et

333
l’exécution de Diarra Traoré ? A Lomé, n’avait-il pas démontré, en ces
circonstances difficiles, que le Président pouvait compter avec lui dans les
moments de joie comme dans l’adversité ?
Mais Lansana Conté était devenu un homme politique avec tout ce que ce
terme véhicule de réalisme et de cynisme. Ses compagnons qui l’ignoraient
encore allaient apprendre très rapidement à leurs dépens que le pouvoir est le
véritable révélateur de la nature humaine. Après s'être débarrassé de son
principal rival (en tout cas le plus bruyant) le général Conté n'entendait pas
partager l'habit présidentiel avec un autre. Son seul souci était désormais de
consolider sa position de maître unique et incontesté du pays. Il fallait écarter
par conséquent tout risque de favoriser l'émergence de personnes pouvant être
tentées à un moment ou à un autre ou d’une manière quelconque de rogner sur
une partie de son autorité, de lui rappeler qu’il leur devait son maintien sur le
trône.435
D’ailleurs, la gestion du président à la tête de l’Etat prouva amplement par
la suite que Lansana Conté ne s’est jamais attaché à une personne. Dans cette
logique, ceux qui crurent jouir d’une sorte de légitimité naturelle pour jouer les
premiers rôles après la disparition de Diarra Traoré ne tardèrent pas à déchanter.
Ce fut en particulier le cas de Faciné Touré et de Baldet Mamadou après ce
remaniement. Les deux hommes voulant, à coup sûr, occuper une plus grande
place sur la scène, se doutaient-ils que Lansana Conté ne pouvait s’accommoder
de leur présence aux avant-postes à un moment aussi crucial qui devrait être
exempt de toute velléité de remise en cause de son autorité ?
En un mot, le président n’avait pas besoin d’un second capitaine à bord mais
de matelots prenant ses désirs pour des ordres. Or le tempérament naturel de
Mamadou Baldet et de Faciné Touré, malgré leur dévouement apparent à sa
cause pendant les événements de juillet 1985, n’offraient pas cette garantie.
Lansana Conté qui avait la mémoire longue conservait aussi une certaine
rancœur envers son ministre des affaires étrangères, dont les vues s’écartaient
souvent des siennes en Conseil des Ministres ou en réunion du CMRN. En outre,
des insinuations perfides ou fondées concernant les motivations réelles du
capitaine Baldet le 4 juillet avaient donné à réfléchir au président. On se
souvient qu'au cours du meeting au Palais du Peuple qui suivit l'arrestation de
Diarra Traoré et précéda son exécution, le chef de l'Etat avait déclaré sans
détours, lançant une mise en garde à peine voilé contre un de ses compagnons
soupçonné à tort ou à raison de velléité conspirationniste, « le premier s'est
découvert. Je demande au second d'arrêter, sinon nous allons croiser les fers ».

435
On s’aperçut plus tard qu’en fin tacticien, le général Lansana Conté ne laissa jamais
émerger une personnalité en mesure de lui faire de l’ombre. Il s’empressait de
rogner les ailes à tous ses collaborateurs devenus trop voyants ou bruyants. N’nara
kissima naya (je le mettrai bientôt à la porte) était son expression favorite pour
désigner ceux sur qui le couperet ne devait pas tarder à s’abattre.

334
Au cours de son entretien avec l’auteur, marqué par sa réticence à répondre
à ses questions, le Général Mamadou Baldet s’est lâché cependant ou presque
sur ce sujet. De l’avis de l’ancien ministre, sa nomination à Kankan et celle de
Faciné Touré à N’Zérékoré ne signifiaient pas que « le président avait peur de
nous », a-t-il dit. Il a estimé que son « ami et frère Faciné » et lui ne
représentaient aucune menace pour Lansana Conté. Toutefois, le sourire
sardonique accompagnant sa déclaration nous a semblé relever d’une certaine
forme d’ironie.
La nécessité d’éloigner les deux hommes obéirait dès lors à un double
objectif présidentiel : empêcher d’être gêné aux entournures par des personnes
susceptibles de lui rappeler par leur présence que la partie n’était pas
définitivement gagnée et émietter leur aura auprès du public. Ne pourrait-on
pas, discerner aussi dans ce discours la volonté du président de s’absoudre de
certaines responsabilités lourdes à porter devant l’histoire quand il a fustigé le
comportement de ses compagnons qui, les uns « se sont vengés sur ceux qui
symbolisaient un passé abhorré » ? Il a adressé une pique à d’autres en
regrettant qu’« actuellement ceux qui dirigent l’Etat sont plus soucieux de se
faire connaître à l’étranger que d’agir pour le transformer436 ». En effet, nul
n’était besoin d’avoir des dons particuliers pour deviner tout au moins que le
président faisait ici allusion à ses deux compagnons dont on parlait le plus à
l’époque, à savoir les ministres d’Etat Mamadou Baldet et Faciné Touré.
Mais soufflant le chaud et le froid, Lansana Conté avait ajouté plus loin : « Il
y’a plus de responsabilité à diriger une région qu’un département ministériel.
J’ai décidé de créer des postes de ministre-résident et d’y placer des hommes
en qui j’ai entière confiance tant sur le plan de la fidélité aux principes du
CMRN, que sur celui de leur capacité à assumer une tâche particulièrement
difficile 437».
De toute façon, les observateurs retiendront que les rapports entre le chef de
l’Etat et ses deux collaborateurs en question prirent un coup au lendemain de ce
remaniement. Ils ne furent plus jamais avec Faciné Touré ce qu’ils avaient été
par le passé. La politique fit voler en éclat les derniers lambeaux d'une amitié
qui avait, sans nul doute, été empreinte de chaleur et de sincérité avant que les
deux hommes ne surgissent au-devant de la scène438.

436
Extrait du discours prononcé le 22 décembre 1985.
437
Ibidem.
438
Toutefois, le capitaine Faciné Touré va rebondir. Il a été nommé à la tête de
l’important ministère des Travaux Publics et des Transports en 1988. Il y resta
trois ans avant de se voir confier le département de la Justice. Mais en 1992, il
quitta définitivement le gouvernement de Lansana Conté. Auparavant, le Garde
des Sceaux avait présidé les travaux regroupant les dirigeants des différentes
tendances qui ont fusionné pour donner naissance au Parti de l’Unité et du Progrès
(P.U.P), le parti présidentiel.

335
Mais, à la vérité, le 22 décembre 1985, tous les barons du CMRN en ont eu
pour leur grade. Jean Traoré dut quitter le ministère des mines qu’il troqua, la
mort dans l’âme, dit-on, contre le portefeuille des Affaires Etrangères.
Mohamed Lamine Traoré abandonna le ministère de l’Information. Il sera
nommé peu après Représentant Permanent de la Guinée à l’ONU439.
Kerfalla Camara dessaisi du ministère de l’Habitat, eut à s’occuper du
Secrétariat Permanent du CMRN avec rang de ministre. Le commandant
Ousmane Sow fut désigné gouverneur de la province de Faranah.
Hormis Alhousseny Fofana qui conserva le ministère du Développement
Rural, Sory Doumbouya fut l’un des rares officiers à arborer le sourire à l’issue
du mouvement. La relation entre Lansana Conté et cet officier supérieur de
quelques années son aîné a toujours été, dit-on, frappée du sceau de l’estime et
de la considération. Le Président ne l’appelait-il pas kôrô (grand-frère) ?.
L’amitié et la confiance de Lansana Conté gagnées par le commandant
Doumbouya avant le 3 avril 1984, ne cessèrent de se renforcer au grand dam
des extrémistes du clan présidentiel choqués par un tel traitement de faveur. Le
colonel Sory Doumbouya 440 fut nommé ministre délégué à la Défense
Nationale. Il fit également son entrée au sein du Comité Exécutif du CMRN.
Bien que ne faisant pas partie du nouveau gouvernement, le lieutenant
Abdourahamane Diallo, ambassadeur, chef du protocole fut maintenu à son
poste. Preuve, s’il en était du caractère indéfectible de la relation que le chef de
l’Etat tissait avec cet ancien mécanicien qui devint son homme de confiance par
excellence au cours de ses premières années de pouvoir.
Mais le 22 décembre 1985 marqua incontestablement un tournant majeur
dans la participation des militaires au gouvernement. Les hommes en uniforme
seront désormais de moins en moins nombreux à se retrouver à la tête d’un
ministère.

Dépité, il exprima publiquement son amertume envers le Président au lendemain de


son éviction. Il reprocha à Lansana Conté de l’avoir « chassé comme un
malpropre ».
439
L’intéressé retrouvera un nouveau maroquin en qualité de ministre des Mines en
1989 avant de tomber ensuite définitivement en disgrâce après la mutinerie des 2
et 3 février 1996 alors qu’il occupait les fonctions de directeur de cabinet du
ministère de la Défense Nationale.
440
Sory Doumbouya et Makan Camara sont deux officiers, dont les relations avec
Lansana Conté n’ont traversé aucun nuage apparent alors que, le 3 avril 1984, ils
formaient avec Diarra Traoré le triumvirat que des proches du président
considéraient comme des dignitaires du régime déchu. Mais, à l’inverse de Diarra
Traoré, les deux hommes sont parvenus très rapidement à conquérir la confiance
et l’estime du nouveau chef de l’Etat.

336
MINISTRES ISSUS DE LA DIASPORA OU ‘’MINISTRES IMPORTÉS’’
La grande innovation intervenue le 22 décembre 1985 fut l’entrée au
gouvernement de certains ressortissants guinéens installés à l’extérieur.
Il était difficile en 1984, (peut-être encore plus difficile de nos jours) de
déterminer le nombre et le poids de la diaspora guinéenne à travers le monde441.
Le fameux « vote par les pieds », à savoir l’exil volontaire pour se soustraire
aux rigueurs de la Révolution ou pour trouver la solution à des problèmes
économiques récursifs, s’était traduit par l’afflux massif des Guinéens vers les
pays étrangers. Les Etats voisins semblaient être la terre de prédilection des
hommes et femmes ‘’fuyant’’ le régime du PDG ou s’exilant pour d’autres
motifs. Les statistiques datant de cette époque sont difficiles à vérifier. Elles le
sont toujours, même si, sans aucun doute, on peut soutenir que des milliers de
gens vivaient, essaimés à travers le monde, dont plus de la moitié en Afrique.
Le Sénégal, la Côte-d’Ivoire, le Mali, la Sierra Léone, le Libéria, l’ex –Zaïre, le
Gabon… étaient les destinations les plus prisées des Guinéens442.
D’importants contingents de Guinéens étaient par ailleurs répartis dans les
pays d’Europe occidentale. L’ancienne puissance coloniale, la France, en
renfermait le plus grand nombre. Des centaines, (voire des milliers ?) d’autres
étaient réfugiés en Allemagne, en Belgique, en Suisse ou dans le nord de
l’Amérique, principalement aux Etats-Unis et au Canada. D’éminents
spécialistes faisant autorité dans leurs domaines respectifs se recrutaient en leur
sein. Des médecins de renom tels que les Drs Charles Diané, Diallo Moustapha
Tout Passe, Saïdou Conté, Rachid Touré, etc., des hommes de droit, des
ingénieurs, architectes, professeurs d’université, des scientifiques, autres
hommes de culture et de médias (Camara Laye, Ibrahima Baba. Kaké, Siradiou
Diallo, Thierno Monenembo, Lancei Camara, Cheick Doukouré, William
Sassine, Doura Mané, Ahmed Tidiane Cissé, Boubacar Kanté…) se comptaient
par dizaines, voire par centaines443.
Ces Guinéens appartenaient à toutes les catégories socioprofessionnelles.

441
Le poids démographique de la diaspora guinéenne est l’objet de diverses
interprétations. Dans son livre intitulé : ‘’La diaspora guinéenne’’, Harmattan,
2003, p. 12, Djibril Kassomba Camara révèle les résultats de l’enquête qui, en
1984, « estima à deux millions le nombre de Guinéens vivant à l’étranger. »
442
Reporter sportif à l’époque, sillonnant le continent africain de part en part, l’auteur
se souvient que dans la capitale des pays d’accueil, les athlètes guinéens ne
manquaient pas de supporters pour les encourager, leur refiler de précieux
renseignements, les gratifier de cadeaux, les utiliser comme intermédiaires chargés
de transmettre des lettres ou de petits colis aux parents restés au pays.
443
Tous créèrent, en effet, des partis politiques plus tard à l’instar de Siradiou Diallo
(PRP), Bâ Mamadou (UNR), Alpha Condé (RPG), Mansour Kaba (Djama)… Ces
partis furent les grandes formations rivales du PUP de Lansana Conté à partir de
1992.

337
Le chef de l’Etat était convaincu que l’utilisation des compétences des
Guinéens de l’extérieur pouvait stimuler le développement socio-économique
du pays.
En créant un Secrétariat d’Etat chargé des Guinéens de l’étranger en 1984,
le général Lansana Conté avait envoyé un signal fort en direction de ces
compatriotes. C’est, précisément, le Secrétaire d’Etat en charge de ce secteur
qui va consacrer les mois à venir à en consulter un certain nombre en vue de
leur entrée au gouvernement. En définitive, cinq furent nommés à des fonctions
ministérielles et un sixième se vit confier un poste de secrétaire d’Etat. Pareil
évènement ne s’était encore jamais produit depuis l’indépendance. Du reste, les
Guinéens de la diaspora étaient considérés généralement avant le 3 avril 1984
comme des « apatrides », des « anti-guinéens », selon la terminologie officielle.
D’ailleurs subissant les effets de ce passé récent, les populations qui n’étaient
pas préparées psychologiquement à voir des personnalités anciennement exilées
faire partie d’un gouvernement en Guinée, les appelèrent avec une pointe
d’humour : ‘’ministres importés’’.
Les signes précurseurs de la nouvelle option apparaissaient cependant dans
le discours à la nation, prononcée par le chef de l’Etat à l’occasion des festivités
du 2 octobre 1985. Parlant des réformes qu’il envisageait, celui-ci avait estimé
que « pour les mener à bien, il faut mettre aux bons endroits les hommes les plus
compétents. C’est le plus difficile. Un seul critère dictera mon choix : la valeur
de chacun, qu’il soit de la Forêt, de la Haute, de la Moyenne ou de la Basse-
Guinée, qu’il soit guinéen de l’intérieur ou de l’extérieur, qu’il soit civil ou
militaire444.»
Le 22 décembre 1985, Lansana Conté eut le mérite historique de rompre la
glace. En joignant l’acte à la parole, le président accéléra le processus de retour
au pays des Guinéens vivant en exil en les faisant participer de plain-pied à la
gestion de l’Etat. Si certains des nouveaux promus étaient connus des services
de renseignement de la Première République, en revanche, le président s’est
gardé de faire appel aux figures emblématiques de la diaspora guinéenne qui
avaient combattu sans répit le régime de son prédécesseur. On peut dire que
dans cette affaire, il eut le nez creux en ce sens que ces hommes dont il se méfiait
déjà, se dressèrent plus tard sur son chemin avec le même acharnement. Du
reste, le général Lansana Conté reçut chacun de ses futurs ministres avant son
entrée au gouvernement. Sans doute prudent, le président voulait éviter tout saut
dans l’inconnu comme le confirme l’entretien que nous avons eu avec certains
d’entre eux.

444
Horoya no 249 du samedi 4 octobre 1985, p.1.

338
BASSIROU BARRY
"Sékou Touré m'a proposé d'être son ministre des Affaires
étrangères"
Descendant d’une vieille aristocratie implantée à l’orée de la Haute-Guinée,
Bassirou Barry, est diplômé de l’Ecole de la France d’Outre-Mer (F.O.M). Il
entama sa carrière en 1959 à Antananarive, nom que portait à l’époque la
capitale de Madagascar.
Mais quelques mois plus tôt, les urnes avaient parlé en Guinée. Sa patrie était
devenue un Etat indépendant et avait un besoin pressant de cadres pour combler
le vide créé par le départ des fonctionnaires métropolitains. Sans se faire prier,
le jeune magistrat décida de se mettre au service de son pays.
De retour en Guinée, il fut affecté à Conakry où il prêta serment en août 1959
en qualité de juge de paix. Il exerça ensuite les mêmes fonctions à Kankan,
N’Zérékoré et à nouveau dans la capitale.
L’année 1968 marqua un tournant dans sa carrière. Bassirou Barry est
‘’recruté’’ par l’O.U.A.445 pour occuper les fonctions de Conseiller Juridique en
chef de l’organisation panafricaine. Cinq ans après, Addis Abeba l’envoie à
Genève avec pour mission l’installation du bureau de l’O.U.A. en Europe
Occidentale.

« MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE SÉKOU TOURÉ ? »


En 1970, Barry Bassirou qui, selon ses dires, n’était nullement en délicatesse
avec le régime guinéen, malgré l’arrestation de trois de ses frères (Diawadou,
Amadou et Yaya), affirme avoir reçu, coup sur coup deux missions dépêchées
par le président Sékou Touré.
La première était dirigée par Damantang Camara, membre du Bureau
Politique National du P.D.G. L’émissaire du chef de l’Etat était venu lui faire
part de l’intention du président de le nommer aux fonctions de ministre des
Affaires Etrangères446. Sur un ton poli, mais ferme, nous dit-il, sa réplique ne
s’est pas fait attendre. Il repoussa l’offre en usant de cette formule lapidaire

445
Sur recommandation du gouvernement guinéen, assure Sidiki Kobélé Keita.
Opinion partagée par l’ancien ministre des affaires étrangères, Kozo Zoumanigui.
Selon ce dernier, Barry Bassirou avait été proposé par Diallo Telli en même temps
que deux autres cadres guinéens, dont Edouard Benjamin, le futur ministre de
Lansana Conté qui devint son chef de cabinet.
446
Précisons toutefois que depuis 1967 et le 8e Congrès du P.D.G., le gouvernement
de la République de Guinée comportait sept (7) domaines, départements géants
englobant chacun un certain nombre de Secrétariats d’Etat. Chaque domaine avait
à sa tête un membre du B.P.N. El Hadj Saifoulaye Diallo dirigeait le domaine des
Affaires étrangères en 1970. Il devrait donc probablement s’agir du poste de
Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères.

339
: « Je sais pourquoi et le président le sait aussi447 ». Mais Sékou Touré, qui
n’avait pas démordu de son idée, revint peu après à la charge. Il confia à
Abdoulaye Ghana Diallo, autre vieux compagnon de lutte, l’impossible mission
de convaincre Barry Bassirou. Celui-ci se serait rendu à Addis-Abéba pour la
circonstance en compagnie du professeur Mamadou Bobo Baldé 448 ,
ambassadeur de Guinée en Tanzanie.
La consultation ne récolta pas plus de succès que la précédente. Pour Barry
Bassirou, il était hors de question d’accepter une telle proposition à cause, dit-
il, « du sort réservé à mes frères par le régime guinéen ». Il estimait en outre
que dans un tel contexte : ‘’ma parole à défendre la politique du gouvernement
qui a causé leur perte serait dénuée de toute crédibilité aux yeux de mes
interlocuteurs’’. Dès lors, ses rapports avec le pouvoir guinéen ‘’se sont
dégradés’’, ajoute-t-il.
En 1973, Barry Bassirou qui venait de rejoindre son nouveau poste de chef
du bureau de l’OUA à Genève fut l’objet de ‘’violentes critiques’’ de la part des
autorités de son pays. Dans une déclaration publique, Sékou Touré l’accusa
d’avoir « transformé le bureau de l’O.U.A à Genève en Etat-Major de la contre-
révolution ». Ces paroles « m’ont surpris, d’autant plus qu’au moment où il les
tenait, j’étais encore en quête d’un bâtiment où m’installer », dit-il.
Mais elles furent prises très au sérieux par sa hiérarchie. En effet, quelques
jours après, le secrétaire général de l’O.U.A., le Camerounais N’Zo Ekangaki
qui avait remplacé Diallo Telli lors du sommet organisé à Rabat du 12 au 15
juin 1972 débarqua au bord du lac Léman. On était à la veille des préparatifs du
xe anniversaire de l’Organisation : « J’étais membre du Comité d’Organisation.
Une discussion orageuse éclata entre le secrétaire général et moi à propos des
accusations portées contre ma personne par les autorités guinéennes. Ekangaki
me fit remarquer en substance ‘’qu’un président ne peut pas mentir’’. Je me
suis alors levé en rétorquant que la conversation était terminée ».

447
Notre interlocuteur faisait probablement allusion à l’arrestation de ses frères Barry
Diawadou, ancien ministre et ambassadeur, et Barry Yaya. Ce dernier fut le
secrétaire général du Front National de Libération de la Guinée (FNLG), fondé en
mars 1966 à Abidjan avec l’appui du président ivoirien, Félix Houphouët Boigny.
Barry Yaya a été arrêté en mars 1968 alors qu’il tentait d’ « organiser un maquis
avec l’appui de la chefferie traditionnelle », in Sidiki Kobélé Keita, Guinée de
Sékou Touré-Pourquoi la prison du camp Boiro?, Harmattan, p.133.
448
Le 28 juillet 2014, l’auteur a rencontré Bobo Baldé, son ancien professeur
d’anglais dans les locaux du Médiateur de la République. Une aubaine dont il
s’était saisi pour en savoir plus long sur le caractère de cette mission. Mais,
visiblement, l’ancien diplomate ne se souvenait pas du tout d’avoir joué un tel rôle.

340
BASSIROU BARRY EST RENDU À LUI-MÊME
Après avoir claqué la porte de l’O.U.A., si ce ne fut le contraire, à savoir que
cette porte s’était refermée à son insu449453, une annonce parue dans le quotidien
français « le Monde » lui permit d’apprendre qu’une société sucrière implantée
à Ferkéssédougou, dans le nord de la Côte-d’Ivoire, était en quête d’un
conseiller juridique. Tenté par l’aventure, il postule et l’interview se passe bien.
Il est alors sur le point d’être retenu lorsqu’un écueil se dresse sur son
chemin :’’il n’est pas ivoirien’’.
Mais son destin était ailleurs. En effet, c’est au moment où il activait son
réseau d’amitiés ivoiriennes s’appuyant sur d’anciens condisciples rencontrés à
la FOM que l’un de ceux-ci parla de lui à Camille Alliali, le ministre de la Justice
d’Houphouët Boigny. Le garde des Sceaux de la Côte-d’Ivoire répondit à son
interlocuteur vantant les mérites de Bassirou Barry : « S’il est comme tu le dis,
on l’engage ». Ainsi dit, ainsi fait. Bassirou Barry est nommé en 1974 substitut
général à la Cour d’Appel d’Abidjan. Une fonction qu’il exerça pendant une
dizaine d’années.
Pendant ce temps, la situation avait beaucoup évolué en Guinée. Depuis le 3
avril 1984, le CMRN s’était substitué au P.D.G à la tête de l’Etat. Bassirou Barry
suivait à distance ce qui se passait dans son pays tout en ne tirant cependant
aucun plan sur la comète. Il nous raconte la suite : « J’ai reçu un jour dans mon
bureau à Abidjan, la visite d’un compatriote. Je ne suis plus en mesure de
l’identifier.
Etait-ce le journaliste Jean Baptiste Kourouma ou un autre ? Je ne suis
vraiment plus sûr de rien. En revanche, ce dont je me souviens parfaitement,
c’est que l’intéressé m’a dit en substance : « Jean Claude Diallo a besoin de toi
à Conakry. Il te fera signe. A la question de savoir qui était Jean Claude, mon
interlocuteur m’a répondu qu’il s’agissait du nouveau Secrétaire d’Etat aux
guinéens de l’étranger.
Effectivement, un message me parvint un jour signé par l’intéressé,
m’invitant à me rendre d’urgence à Conakry. Le texte insistait pour qu’à mon
arrivée, je ne prenne contact avec personne d’autre avant d’avoir rencontré son
auteur. A l’entame de notre entrevue, Jean Claude Diallo m’a dit sans
détours : « c’est le président qui veut te voir ».
"Lansana Conté m'a demandé : « Est-ce que tu veux rentrer ? »"
Le premier entretien de Bassirou Barry avec Lansana Conté fut bref,
laconique, voire surréaliste, raconte l’intéressé. En effet, aussitôt que son
visiteur lui fut présenté, le président lui demanda à brûle- pourpoint :

449
Une autre version lie son départ de l’OUA à celui de Diallo Telli. Le remplacement de celui-ci à la tête du Secrétariat
Général avait rendu orphelins ses trois protégés guinéens. C’est ainsi que selon Kozo Zoumanigui, Benjamin postula
pour la Banque Mondiale, Souaré pour la FAO et Bassirou prit la direction de la Côte d’Ivoire.

341
« Est-ce que tu veux rentrer ?
− Retourner dans son pays natal est le souhait de tout homme contraint à
l’exil, lui répondis-je.
− Alors, tu vas rentrer bientôt.
− L’audience prit fin sur ces mots et j’ai repris le chemin du retour ».
Les jours s’égrenant, Bassirou Barry affirme qu’il avait fini par oublier sa
rencontre avec Lansana Conté.
Ses activités avaient repris leur cours ordinaire lorsqu’il reçut un soir un coup
de téléphone de l’ambassadeur de Guinée en Côte-d’Ivoire. Sékou Philo
Camara le félicitait pour sa nomination aux fonctions de ministre de la Justice
de la République de Guinée.
Pensant à une farce, il fit remarquer à son interlocuteur qu’il goûtait très peu
aux plaisanteries. Aussitôt après, c’est le Garde des Sceaux de la Côte d’Ivoire
et ancien ambassadeur en Guinée qui le félicitait à son tour. Lazéri Koulibaly
qui avait été son condisciple à la FOM avait joué un rôle-clé pour assurer sa
reconversion professionnelle en Côte-d’Ivoire.
Ce dernier ajouta : « A présent, tu es devenu mon collègue ». Se rendant
compte que son interlocuteur était toujours aux abonnés absents, l’Ivoirien lui
demandera : « Tu ne vas pas me dire quand même que mon ami Conté t’a
nommé sans te consulter ? De toute façon, j’ai informé le ‘’Vieux’’ (le président
Houphouët Boigny). Il m’a dit que tu perdras un peu. En revanche, la Guinée
gagnera un peu. Il a conclu que c’était l’essentiel ». Bassirou Barry précise que
le président Houphouët Boigny l’a reçu ensuite en personne et l’a encouragé à
rentrer pour exercer ses nouvelles fonctions. Malgré tout, soutient-il, sa décision
n’était toujours pas prise. Tout se serait dénoué à la dernière minute.
« En définitive, poursuit-il, « je me suis décidé le jour où un groupe
important de compatriotes vivant à Abidjan s’est rendu à mon domicile pour me
congratuler. En m’entendant dire que rien n’était encore sûr en ce qui concerne
ma décision, un de mes visiteurs répliqua en ces termes : « Tu n’es pas le seul
cadre guinéen de l’extérieur à qui les autorités de notre pays viennent de confier
d’importantes responsabilités. Si vous ne répondez pas présents à leur appel,
vous fermez la porte aux autres ». Ces paroles eurent le don d’émouvoir et de
convaincre le nouveau ministre.
Quelques jours après, Bassirou Barry rejoignait définitivement la capitale
guinéenne.

L’ÉTAT DES LIEUX


Il qualifie « d’extraordinaire » l’état dans lequel se trouvait le secteur de la
justice à son entrée en fonction. Dans les 33 tribunaux de Première Instance et

342
les huit Cours d’Appel régnait un désordre auquel il fallait immédiatement
mettre fin. Un véritable capharnaüm en somme.
En effet, dans ces juridictions trônaient parfois des greffiers. Des magistrats
étaient placés sous leurs ordres. Il fallait aussi compter avec la cohorte des
avocats populaires. A leur sujet, le nouveau ministre affectionnait l’emploi de
la formule suivante : « La seule chose qu’ils ont en commun est de n’avoir pas
fait le droit ».
Il réglementa la profession en exigeant qu’elle ne soit exercée désormais que
par ceux qui étaient titulaires d’une maîtrise en droit ou d’un diplôme reconnu
équivalent.
L’objectif du ministre était « d’aligner la Justice guinéenne sur les normes
internationales. Il fallait mettre de l’ordre dans la maison en définissant la
relation entre magistrats et greffiers ».
Il devenait impératif de définir avec précision le rôle dévolu aux auxiliaires
de justice que sont les notaires, commissaires-priseurs, huissiers...
Bassirou Barry reconnaît que le président Lansana Conté l’a soutenu dans la
mise en œuvre de ces réformes. En effet, il était souvent ‘’incompris’’,
‘’critiqué’’. Mais l’appui du chef de l’Etat « m’a encouragé à poursuivre et à
réussir mon action.», précise-t-il.450
Ousmane Sylla, le nouveau ministre des Ressources naturelles était installé
en Allemagne de l’Ouest depuis près d’une vingtaine d’années avant sa
nomination dans le gouvernement du 22 décembre 1985. Il est arrivé dans le
pays de Goethe en 1967 pour effectuer des études de chimie grâce à une bourse
de l’Etat Guinéen. Mais, très tôt, il prit ses distances vis-à-vis du régime du PDG
en adhérant au parti d’opposition en exil, le Rassemblement des Guinéens de
l’Extérieur (R.G.E.).
Sur le plan professionnel, brillant sujet, dès la fin de ses études, il attira sur
lui l’œil des grandes sociétés ouest-allemandes. C’est en définitive vers la firme
Siemens qu’allèrent ses préférences. Il y gravit très rapidement les échelons et
fut promu finalement chef de division avec plus de 600 employés sous ses
ordres. Il occupaitt cette position privilégiée pour un Africain lorsque son ancien
camarade du lycée classique de Conakry et ami de toujours, devenu secrétaire
d’Etat aux Guinéens de l’étranger, parla de lui au général Lansana Conté : «Je
suis venu ensuite à Conakry où le général Lansana Conté m’a reçu en
compagnie de Jean Claude Diallo. Le courant est aussitôt passé entre le
président et moi »
Au cours d’un bref entretien avec l’auteur, Dr. Bahna Sidibé a également
indiqué la piste Jean Claude Diallo comme étant celle qui aboutit à son entrée
au gouvernement.

450
Voir annexe sur le rôle de Bassirou Barry dans la rédaction de la Loi Fondamentale.

343
Pourtant, affirme l’ancien ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, «je ne
connaissais pas Jean Claude. C’est un ami commun qui lui avait parlé de moi.
Les choses se sont enchaînées très vite ensuite jusqu’à ma nomination au
gouvernement ».
Il ressort des différents renseignements que seul le nom d’Edouard Benjamin
ne figurait pas sur les tablettes de Jean Claude Diallo. Selon toute
vraisemblance, le futur ministre délégué à la présidence chargé du Plan et de la
Coopération que l’auteur n’a pu joindre, a été le choix personnel du président
Lansana Conté. Il se dit à son sujet qu’il aurait été recommandé au chef de l’Etat
par un de ses amis qui n’avait tari d’éloge en vantant les qualités intellectuelles
et professionnelles de l’ancien chef de cabinet de Diallo Telli à l’O.U.A. Une
autre version soutient que M. Benjamin aurait été recommandé au président par
les institutions de Bretton Woods qui le considéraient comme le candidat idéal
pour occuper un tel poste.

DÉMISSION DE JEAN CLAUDE DIALLO


Paradoxalement, Jean Claude Diallo fut le premier et le seul à jeter l’éponge.
Le formateur du gouvernement du 22 décembre 1985 rendit le tablier moins de
trois mois après.
Un départ précipité qui surprit le grand public. Même ses intimes affirment
qu’ils ont été déconcertés par la nouvelle. Le journaliste Ansoumane Bangoura
qui le connaissait depuis leur tendre enfance avant de le côtoyer au lycée
classique de Donka et plus tard en Allemagne Fédérale nous a révélé cependant
que « Jean Claude Diallo ne se sentait pas taillé pour le job. » Déjà en 1984, il
aurait accepté le poste de secrétaire d’Etat aux Guinéens de l’Etranger sur
l’insistance de sa mère451. Depuis, il était à l’étroit dans sa peau et n’avait qu’une
envie, s’en aller. Toutefois, il savait que sa famille, son épouse et ses amis ne
partageaient pas son opinion. C’est la raison pour laquelle, ajoute-t-il, « il nous
a caché sa décision de démissionner puisque chaque fois qu’il nous en parlait,
à son épouse Barbara, à Soriba Kaba, Bouba ou à moi-même², nous l’en
dissuadions. »
N’empêche, Jean Claude était tenaillé par l’intention de tout envoyer
promener pour retourner ‘’s’occuper de son ONG en Allemagne’’.
Nommé ministre de l’Information et de la Culture, le 22 décembre 1985, son
inappétence pour la chose politique devint encore plus forte d’autant plus qu’il
était désormais pris pour cible par plusieurs membres du CMRN. En effet, des

451
Madame Fatou Aribot, une femme dynamique, fortement impliquée en politique
sous la Première République. Elle devint, en effet, vers la fin des années 1960, la
première femme en Guinée à exercer les fonctions de gouverneur de région et a
fait partie à plusieurs reprises de la délégation guinéenne aux différentes sessions
de l’Assemblée Générale de l’ONU. Elle a été la principale, puis le proviseur des
collèges et lycée de Mamou lorsque l’auteur y effectuait ses études secondaires.

344
barons du régime, mécontents d’avoir perdu les positions avantageuses qu’ils
occupaient avant le remaniement, nourrissaient une profonde inimitié pour la
nouvelle coqueluche du président 452 . Ils la rendaient responsable de leur
disgrâce. La preuve, Faciné Touré l’indexa en 2009 sur les antennes de Radio
Soleil, comme l’inspirateur des mots du président traitant certains d’entre
eux de « branche pourrie » dans son discours du 18 décembre 1984.
Un membre du CMRN qui ne s’était pas résigné à la perte du département
juteux qu’il dirigeait était le plus furax contre Jean Claude Diallo. Il s’en prit
violemment un jour au ministre de l’Information, dans la salle d’attente du
président. Il proféra toutes sortes de menaces contre son jeune collègue. C’était
peut-être la goutte d’eau de trop pour Jean Claude Diallo qui n’avait aucune
tendance naturelle à l’affrontement d’autant plus que l’arbitrage du président ne
correspondit pas à ses attentes.
Le 6 mars 1986 n’en pouvant plus, dans un bref communiqué publié depuis
Genève, le ministre de l’information annonça son départ du gouvernement.
Aucun geste de solidarité ne fut enregistré de la part des « ministres
importés453 » à l’endroit de leur mentor ou bienfaiteur. Tous continuèrent de
collaborer avec Lansana Conté encore pendant de longues années454.
C’est plutôt le CMRN qui fit entendre sa voix. Un communiqué en date du
22 mars 1986, « prend acte de cette démission ». Le CMRN déclare « ne pas
être surpris par cet événement ; sachant que la réalisation du programme de

452
Mais s’il est avéré que Jean Claude Diallo fut à l’origine de la nomination de la
plupart des ‘’ministres importés’’, rien ne prouve en revanche qu’il ait eu son mot
à dire quant au sort des chefs militaires promus ou déchus. La gestion de ce monde
devrait relever incontestablement du domaine réservé du chef de l’Etat.
453
Le général Lansana Conté et Jean Claude Diallo ne se reverront plus jamais, même
si l’ancien ministre est revenu plusieurs fois en Guinée après son départ.
454
Ousmane Sylla passa en 1991 des Ressources Naturelles au Commerce. Il resta au
gouvernement jusqu’en 1992. Il revint ensuite aux affaires après quelques années
sabbatiques en qualité de Recteur de l’Université de Conakry puis d’ambassadeur
en Afrique du Sud avant de retrouver le Ministère des Mines vers la fin du régime
de Lansana Conté. Il est actuellement Ambassadeur de Guinée auprès des Pays du
Benelux et en Belgique.
En ce qui concerne Bahna Sidibé, il a quitté le ministère de l’Urbanisme en 1992.
Mais en 2006, il est promu ministre d’Etat en Charge des Travaux Publics et des
Transports dans le gouvernement formé par Fodé Bangoura.
Longtemps secrétaire d’Etat chargé de la Décentralisation, Alhassane Condé est
devenu en 1991 ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Il le resta jusqu’à l’année
suivante. Il refit surface en qualité de ministre de l’Administration du Territoire et
de la Décentralisation après l’élection présidentielle de 2010.
Edouard Benjamin succèda en 1989 à Lamine Bolivogui à la tête du ministère de
l’Economie et des Finances. Il y resta pendant trois ans avant de passer le flambeau
à Soriba Kaba, un autre élément issu de la diaspora. Il prit ensuite la tête de la
Commission de la CEDEAO pour quelque temps.

345
redressement national, œuvre de longue haleine, d’efforts soutenus et de
sacrifices, ne se fera qu’avec des hommes responsables et conscients, pour qui
l’intérêt national passe avant toute autre considération 455 ». Le même jour,
l’ordonnance n°078/PRG/86 pallia le départ du ministre démissionnaire. Elle
nommait Monsieur Zainoul Abidine Sanoussi, précédemment secrétaire d’Etat
à la Jeunesse et aux Sports, aux fonctions de ministre de l’Information et de la
Culture.
La revue des hauts fonctionnaires venant de l’extérieur serait incomplète s’il
n’était fait mention de Kerfalla Yansané. Nommé gouverneur de la BCRG en
1985, il le resta pendant une décennie entière. M. Yansané est l’homme qui mit
en œuvre la réforme monétaire de janvier 1986 marquée par l’abandon du Syli
au profit du Nouveau Franc Guinéen (GNF) toujours en cours dans le pays. La
nomination de cette première cuvée de cadres guinéens de l’extérieur au
gouvernement instaura une tradition qui s’est poursuivie tout au long du règne
du général Lansana Conté 456 . Elle est ancrée depuis lors dans les mœurs
politiques guinéennes.

DES CADRES DE L’INTÉRIEUR


Dans le gouvernement du 22 décembre 1985 qui se voulait tourné
résolument vers le progrès et le développement, figuraient plusieurs
technocrates du cru. Cadres anciennement au service du régime précèdent, ils
ne jouaient pas forcément les premiers rôles. Mais leur compétence était
reconnue. On savait que, mis en confiance, il ne faisait point de doute qu’ils
prouveraient la plénitude de leurs capacités.
Lamine Bolivogui, le nouveau ministre de l’Economie et des Finances
entrait dans cette catégorie. Secrétaire général dudit département depuis 1984,
il avait, semble-t-il, pris une part active aux discussions qui servirent de prélude
à la réforme de l’économie envisagée par le nouveau pouvoir guinéen.
Saliou Coumbassa, le ministre de l’Education Nationale était un pédagogue,
blanchi sous le harnais. Ancien professeur de lettres dans les grands lycées du
pays, il connaissait parfaitement les ficelles du métier.
Le médecin-pédiatre, Pathé Diallo avait hérité pour sa part du ministère de
la Santé Publique et des Affaires Sociales. L’ingénieur Sékou Menton Camara
avait été placé à la tête du Secrétariat d’Etat aux Travaux Publics tandis que les

455
Horoya no 277 du mardi 25 mars 1986, p.1.
456
Le phénomène atteint son pic entre 1996 et 2004. Sidya Touré (1996-1999), réfugié
auparavant en Côte d'Ivoire et Lamine Sidimé (1999-2004), un ancien du Sénégal,
occupèrent l’un après l’autre les fonctions de Premier ministre, ‘’chef du
gouvernement’’. Ce dernier avait assumé auparavant la charge de Premier
président de la Cour Suprême à partir de 1992. Elle lui fut confiée à nouveau après
son départ du gouvernement en 2005. Il y resta jusqu’à la mort du général Lansana
Conté et le coup d’Etat du 22 décembre 2008.

346
professeurs Ahmadou Tidiane Traoré et Zaïnoul Abidine Sanoussi prenaient en
charge respectivement en qualité de Secrétaires d’Etat, le secteur de
l’Enseignement Supérieur et celui de la Jeunesse et des Sports. Les deux
hommes étaient en poste à l’Ecole Normale Supérieure de Manéah avant
l’arrivée des militaires au pouvoir. Professeur de lettres, le premier est entré
d’exil de Dakar en 1980 où il fut lauréat du concours des professeurs de lycée
en 1979 sous la présidence de Léopold Sédar Senghor. Diaby Ibrahima Sory,
un commissaire de police issu de la première promotion de l’Ecole de Police de
Kankan fut nommé secrétaire d’Etat à la Sécurité.
Comme en 1984, une seule femme fit partie du nouveau gouvernement en
l’occurrence, Madame Djédoua Kourouma, nommée secrétaire d’Etat aux
Affaires Sociales.
C’est avec cette équipe que le président de la République avait entamé la
marche censée conduire à l’émergence d’une Guinée nouvelle.
Toute la question est de savoir s’il y est parvenu.

LA NAISSANCE DU NOUVEAU FRANC GUINÉEN


La République de Guinée avait créé sa propre monnaie, le 1er mars 1960 avec
la naissance du franc guinéen. Une décision motivée en grande partie par le
refus du gouvernement français de répondre aux appels du pied du nouvel Etat
en vue de la signature d’accords relatifs au maintien de la Guinée dans la zone
franc. Le 2 octobre 1972, le Franc guinéen disparut au profit du Syli. Un syli
était l’équivalent de 10 francs anciens ou de 10 CFA.
Syli signifie ‘’éléphant’’ en langue nationale soussou. Il était à la fois le
symbole du PDG et le terme affectueux employé pour désigner son leader que
la population de la Basse-Guinée appelait Syli Sèkhou (Sékou l’éléphant).
Le 6 janvier 1986, le Syli s’effaça officiellement à son tour au profit du
‘’Nouveau Franc Guinéen’’ (GNF). On peut lire dès le lendemain dans les
colonnes du journal Horoya où la nouvelle était annoncée avec emphase
que « le fameux Syli né le 2 octobre 1972 est abattu le 6 janvier 1986. Il est
abattu et enterré par le Franc guinéen aux pieds plus solides, plus sains, et donc
plus aptes à soutenir le combat pour un devenir heureux de la nation457.»
La réforme monétaire n’avait surpris personne. Le président l’avait évoquée,
en des termes sans nuances dans son discours prononcé une quinzaine de jours
plus tôt. Les premières phrases de la déclaration sonnaient, en effet, le glas du
Syli rendu responsable de tous les maux rongeant l’économie guinéenne.
Lansana Conté avait dit en substance : « Le syli est à l’image de l’économie
guinéenne : gravement malade. 458» Une maladie provoquée, selon lui, par « la

457
Horoya no 250 du mardi 7 janvier 1986, p.2.
458
Extrait du discours-programme, le 22 décembre 1985, p.1.

347
fermeture des frontières, l’isolement économique du pays459 ». Toutes choses
qui ont permis « de le maintenir à un cours artificiel très supérieur à sa valeur
réelle ». Le verdict avait été sans appel : « En 1986, la Guinée aura une nouvelle
monnaie460». Ainsi le sort du Syli était scellé. Au fond, les tractations en vue de
l’émission d’un nouveau signe monétaire furent entamées dès l’installation du
nouveau pouvoir. Les considérations économiques mises à part, le Syli semblait
cristalliser autant que le PDG lui-même et son leader l’énergie de tous ceux qui
œuvraient à la disparition des symboles de l’ancien régime. Moins de six mois
après la prise du pouvoir par les militaires, les négociations étaient terminés.
En effet, le 25 octobre 1984, le gouverneur de la BCRG fut convoqué par le
chef de l’Etat. Le message avait été transmis à Kabiné Kaba par Sékou Léno, le
directeur de l’émission et du crédit.
Le capitaine Kaba affirma que c’est à son arrivée à la présidence qu’il avait
été « informé de la décision du CMRN de changer de monnaie et du choix de la
société Brade Bury Wilkinson pour l’impression des nouveaux signes. »
Le gouverneur avait été invité à se rendre dès le lendemain à Londres en
compagnie de Léno et d’un expert britannique « pour la signature du contrat ».
Les négociations antérieures avaient été menées à « mon insu et sans la
participation du ministre de l’Economie et des Finances. », a-t-il précisé.
Pour le capitaine Kaba, la mise à l’écart du ministre des Finances et du
gouverneur des Banques et Assurances dans le cadre des négociations, dont ils
devraient normalement être les principaux artisans, était due au fait que « ces
deux responsables, dont les secteurs sont directement concernés, étaient de
l’ethnie malinké 461 .» D’ailleurs, ajouta-t-il, « tous les cadres malinkés
travaillaient dans le même climat de méfiance et de résignation ».
Mais, faisant bon cœur contre mauvaise fortune, le gouverneur prit le chemin
de la capitale du Royaume Uni emportant dans ses bagages la signature
photocopiée du ministre des Finances sur « une note personnelle que celui-ci
m’avait adressée avant », écrit-il. Selon lui, Kémoko Keita, le ministre en
question, qui ne se doutait absolument de rien, marqua plus tard son étonnement
de « voir sa signature sur les différentes coupures du nouveau franc guinéen462.»
La parité de la nouvelle monnaie avait été fixée dans la logique de
l’anathème, dont était frappé le Syli : « surévalué et maintenu artificiellement à

459
L’ex-gouverneur des Banques et Assurances a écrit par ailleurs qu’il avait été
écarté des négociations qui ont abouti à la création de l’Agence de l’Union des
Assureurs de Paris (UAP) à Conakry, le 4 octobre 1984.
460
Idem, p.5.
461
Kaba Kabiné, Emission des Nouveaux Signes monétaires (le Franc guinéen), 1991,
p.22. Dans le même document, l’ancien gouverneur de la BCRG révèla qu’il avait
été tenu également à l’écart des négociations qui aboutirent à la création de
l’Agence de l’Union des Assureurs de Paris (UAP) à Conakry.
462
Ibidem.

348
un taux ». Le GNF devait donc être débarrassé de ce vice rédhibitoire dès sa
naissance463. Désormais :
1 Syli = 1 GNF464.
580 GNF = 1 dollar US
85 GNF = 1 FF (franc français)
1 GNF = 2, 2 FCFA465
L’étude effectuée des années plus tartd par deux anciens cadres de la BCRG,
permit de savoir que l’émission du nouveau signe monétaire avait été le point
d’orgue de la mise en application du programme de réformes économique et
financière conclu par le gouvernement avec les institutions de Bretton Woods.
L’opération qui avait entraîné l’afflux de plusieurs conseillers français, dont M.
Léon Chaize à la Banque centrale était terminée déjà en juin 1985. Quelques
mois plus tard, le Français prendra officiellement le titre de vice-gouverneur de
la BCRG. Tout porte à croire qu’il avait été la cheville ouvrière de la réforme
qui avait abouti à la dévaluation de facto du Syli.
Dès le 7 octobre 1985, expliquent, Boubacar Sampiring Diallo et Claude
Kory Kondiano466, un « deuxième guichet de change destiné aux exportations
minières, aux dons et aux transactions touristiques » avait été ouvert. Le dollar
y était échangé contre 290 sylis (au lieu de 22,5, sa parité officielle NDLA).
Le reste ne sera plus qu’une question de temps.
Après le discours du 22 décembre 1985, le 3 janvier, le Syli fut dévalué
officiellement dans une proportion de 92 %. Un dollar américain coûtait à
présent 300 Sylis. L’Ordonnance no 001/PRG/86 du 3 janvier 1986 confirma la

463
Des propos d’experts notent que l’idée d’engager des pourparlers avec le FMI et
la Banque Mondiale en vue de la dévaluation du Syli avait été acceptée par le
gouvernement avant le 3 avril 1984. Après quelques hésitations, le CMRN s’est
approprié le projet et ne tarda pas à passer à la vitesse supérieure sous l’impulsion
de certains conseillers français.
464
En octobre 1972, 1 Syli = 10 FG. Il fallait officiellement 23 Sylis pour obtenir un
dollar US. Il en coûtait cependant beaucoup plus sur le marché parallèle ou marché
noir où le coût oscillait entre 400 et 800 Sylis le dollar.
465
Très tôt la nouvelle monnaie est tombée sous le coup d’une spirale inflationniste
sans bornes. Ainsi, selon l’économiste Mamadi Camara déjà, « de 1996 à 2006, le
Franc Guinéen a subi une décote de plus de 500 FG, passant de 950 FG à 5060 FG
pour un dollar US au cours de la période. Après une courte embellie au lendemain
des événements de janvier-février 2007 où il est descendu sous la barre des
4000GNF/1 dollar US, sa dépréciation s’est poursuivie (Camara Mamadi, Où va
la Guinée, éd. Hanolli, 2011, p.133.). . En ce début d’année 2014, il faut 4100
GNF/ 1 dollar US. Depuis 2010, le coût moyen de l’Euro est de 10.000 GNF. Celui
du dollar oscille entre 9.000 et 9500 GNF.
466
Diallo Boubacar Sampiring & Kondiano Claude Kory, Cinquante ans
d’indépendance monétaire en Guinée (1960-2010), Conakry, éd.Ganndal, 2012,
p.307.

349
tendance. Elle fixa « le cours de change en syli pour les transactions extérieures
du secteur public », le taux de change passa de 24,69 sylis pour 1 DTS à 300
sylis pour 1 dollar. Le cours de change du syli par rapport aux autres monnaies
fut déterminé en fonction du cours de ces monnaies contre le dollar « constaté
sur la place de Paris ».
L’étape suivante se caractérisa par l’abandon pur et simple de cette monnaie,
symbole d’un passé détesté par la plupart des nouveaux maîtres du pays et leurs
amis. Le 6 janvier 1986, on assista à la naissance du Nouveau Franc Guinéen
(GNF).
Les signes monétaires comportent des billets de 5000 GNF, 1000 GNF, 500
GNF, 100 GNF, 50 GNF, 25 GNF et des pièces de 1 à 10 GNF467.
Des images caractéristiques des quatre régions naturelles sont gravées sur
les différents billets. C’est ainsi que sur le recto du billet de 5000 GNF figure
une femme de la Moyenne Guinée et au verso le réseau hydro-électrique de
Kinkon dans la préfecture de Pita. Le billet de 1000 GNF arbore au recto une
femme de la Basse Guinée et au verso une exploitation de bauxite dans la même
région. Une femme de la Haute Guinée rayonne au recto du billet de 500 GNF,
dont le verso est consacré à la reproduction d’une exploitation aurifère. Le recto
du billet de 100 GNF affiche le portrait d’une femme de la Guinée Forestière et,
au verso, on peut voir une bananeraie de la région côtière.
Sur les billets de 50 GNF et de 25 GNF sont représentés, sur l’un un vieillard
et un masque baga et, sur l’autre, un enfant confiant en l’avenir.
Lamine Bolivogui, le ministre de l’Economie et des Finances, rendit
publiques, à travers un communiqué, les premières mesures découlant de
l’apparition du nouveau signe monétaire. On y note que « l’échange s’effectue
sur la base de 1 Franc Guinéen contre 1 Syli (…) Aucune limite n’est fixée aux
quantités que chaque personne peut échanger, personne ne sera spoliée, tout le
monde doit pouvoir normalement et dans le calme, sans précipitation, échanger
les sylis en sa possession. » A cet effet, 46 points de change ont été ouverts dans
la capitale du 6 au 20 janvier 1986.
« La période d’échange s’étala sur 15 jours. Les frontières terrestres et
maritimes ont été fermées pendant toute la durée des opérations. Parallèlement,
« à l’ajustement monétaire », « les prix d’un certain nombre de produits et de
services publics furent » « indexés provisoirement », indique le communiqué.
C’est le cas du riz vendu à 80 GNF le kilogramme. Le prix du carburant a
été fixé à 115 GNF le litre à la pompe. Le tarif de transport urbain a été codifié.
Les tarifs d’électricité, de chemin de fer et de la compagnie aérienne Air
Guinée ont été ajustés à leur tour quelques jours plus tard. Des primes « de
cherté de vie mensuelle non fiscalisées de 3000 GNF et de transport de 1500

474
Les billets de 10.000 GNF et de 20.000 GNF sont d’apparition relativement
récente. Ils ont été mis en circulation respectivement en 2007 et en 2016.

350
GNF par mois » ont été octroyées à tous les travailleurs de l’Etat, civils et
militaires, ainsi qu’à ceux des entreprises privées.
Mais cette réforme a-t-elle permis réellement de doter la Guinée d’une
monnaie aux reins plus solides que le Syli quand on mesure l’immense écart
entre sa parité de l’époque et celle d’aujourd’hui468.
La nouvelle politique monétaire a été caractérisée également par la fermeture
de toutes les banques d’Etat. Seule la Banque Centrale de la République de
Guinée (BCRG) survécut à ce coup de balai. L’opération servit de prélude à
l’apparition des banques commerciales à capitaux privés ou mixtes. La première
structure du genre à avoir pignon sur rue a été la Banque Internationale pour le
Commerce et l’Industrie en Guinée (BICIGUI) qui a ouvert ses portes en janvier
1986.
Détenteur de 60,44 % du capital de la nouvelle banque, le secteur privé y
disposait de la majorité des parts devant l’Etat (39,6 %). Entre 1986 et 1988,
quatre autres établissements lui emboîtèrent le pas à savoir : la Banque
Internationale de l’Afrique en Guinée (BIAG), la Société Générale des Banques
en Guinée (SGBG) et l’Union Internationale de Banque en Guinée (UIBG).
Par ailleurs, la privatisation des sociétés d’Etat occupa une place non
négligeable dans la nouvelle politique d’ajustement structurel prônée par le
CMRN. Le processus a été entamé dès la fin de l’année 1985.
Des entreprises publiques et industrielles au nombre d’une cinquantaine
furent cédées à des repreneurs entre 1986 et 1989.
Des opérations qui se déroulèrent le plus souvent dans des conditions
douteuses au point que des accusations d’avoir bradé le patrimoine national ont
été souvent proférées à l’encontre des nouvelles autorités.
En effet, la plupart d’entre elles furent purement et simplement liquidées au
prétexte qu’elles n’avaient « aucune chance d’être reprises à profit » ou cédées
à des repreneurs de fortune, dont la seule qualité était d’être dans les bonnes
grâces des tenants du nouveau pouvoir.
Mais la mesure, dont les effets furent ressentis le plus profondément au plan
social fut incontestablement la réforme de la fonction publique.
Le dégraissage de ses effectifs fut considéré par le CMRN et ses conseillers
comme une ‘’priorité absolue’’.
En 1986, l’effectif global de salariés que comptait la Guinée avoisinait les
100.000 personnes. Des études officielles faisaient état de 87.300 agents

468
L’homme s’est refait une nouvelle santé après une éclipse qui dura pendant une
quinzaine d’années. Son retour au premier plan a été amorcé en 2010 par sa
nomination aux fonctions de ministre de l’Economie et des Finances, dans le
gouvernement de transition. Tendance confirmée par son maintien à son poste
après l’élection présidentielle de 2010 et son élévation au rang de ministre d’Etat.

351
employés dans l’administration et les entreprises d’Etat. L’objectif était de
réduire ce total de moitié.
Des tests d’évaluation-sélection organisés entre 1988 et 1989, se soldèrent
par l’échec de 6000 agents ou déflatés tandis que 3000 devaient bénéficier d’une
formation personnelle avant leur réinsertion dans les effectifs de la fonction
publique.
D’autres voies furent empruntées dans le cadre de la réduction des effectifs
comme le départ en pré-retraite. Une possibilité offerte aux agents comptant au
moins 25 ans de service. En 1986, 6000 d’entre eux en profitèrent.
Le départ volontaire sans distinction d’âge ou d’ancienneté fut instauré. Les
agents qui choisirent cette option bénéficièrent d’une aide financière de l’Etat
en vue de leur reclassement. C’est dans ce cadre que le Bureau d’Aide à la
Reconversion des Fonctionnaires (BARAF) fut créé le 9 mai 1987. Environ
2000 agents de la Fonction Publique y souscrivirent, espérant qu’elle leur
ouvrirait la voie à la création de sociétés privées en associant, le cas échéant,
des partenaires de leur choix à leurs projets.
Ces réformes que des plumes plus expertes permettront de saisir d’une
manière plus sérieuse et exhaustive, étaient censées jouer un rôle décisif dans le
décollage de l’économie guinéenne.
Mais cinq ans après leur lancement, les premiers doutes commencèrent à
s’installer. Selon les observations d’un analyste, on se mit « à s’interroger sur
les limites des réformes structurelles et, au-delà, sur la validité du modèle de
développement mis en place depuis 1984 ».

BILAN SUCCINT D’UN RÈGNE


Vingt ans après les faits relatés dans cet ouvrage, le président Lansana Conté
était toujours au pouvoir. Il y resta encore pendant quelque temps. Il aura usé au
passage une dizaine de Premiers ministres et un nombre incalculable de
ministres. Nul doute que le pouvoir du Général se serait prolongé indéfiniment
si la maladie n’avait eu raison de sa remarquable résistance au cours de cette
soirée fatidique du 22 décembre 2008 que nous évoquons au début de notre
récit.
Une occasion de retracer succinctement le bilan du second président de la
République de Guinée.
L’homme sous le règne duquel le pays a célébré le 50ème anniversaire de son
accession à l’indépendance ne saurait échapper, en effet à la règle qui voudrait
que les princes qui nous gouvernent doivent être tenus pour responsables de la
totalité des faits positifs et négatifs ponctuant la période de leur présence au
pouvoir. Lansana Conté lui-même avait repris cette règle à son compte en
dressant le bilan de Sékou Touré à la tête de l’Etat au moment où il s’apprêtait
à lui succéder.

352
« Le bilan du Gouvernement sous lequel nous avons vécu pendant 26 années
a été négatif ». Tels avaient été les premiers mots prononcés par le colonel
Lansana Conté en recevant la presse le jour où il avait été porté à la tête de l’Etat.
Tel un toubib, le nouveau président avait fait l’autopsie du régime de son
prédécesseur. Le seul mérite qu’il reconnut au P.D.G. et à ses dirigeants fut
d’avoir « largement contribué à la création de notre Etat ». Un hommage vite
atténué. Le chef du CMRN avait ajouté en effet que l’indépendance a été
« malheureusement compromise dès le départ, par une option non voulue mais
subie par la population qui a entraîné l’élimination de cerveaux et de bras
nécessaires et indispensables pour toute construction pérenne d’une
nation469 ».
Le colonel Conté n’y était pas allé du dos de la cuiller pour relever les échecs
du système défunt. Il rappela que l’agriculture « florissante à l’époque coloniale
a connu un déclin vertigineux ». La faute « aux redevances exagérées selon les
normes, qu’on appelait normes de production ».
Le secteur de l’élevage fut caractérisé par la même descente aux enfers, il a
été affecté par « les prélèvements obligatoires ».
L’industrie avait « fonctionné à moins de 20 % de sa capacité ». La valeur
de la monnaie n’avait pas cessé de péricliter parce que « nous étions déficitaires
dans le domaine de l’agriculture et de l’industrie ». Seul, le secteur minier
trouva un peu grâce aux yeux du président. Il avait « répondu à peu près aux
vœux de la population ». Constat amer, s’il en est.
Mais peut-on dire que le général Lansana Conté et son régime ont fait mieux
ou même autant ? Lansana Conté est-il parvenu à « redresser » la situation ? Le
successeur d’Ahmed Sékou Touré a-t-il rendu la Guinée meilleure pendant les
24 années de sa présidence ? Un règne presque aussi long que celui du
Responsable Suprême de la Révolution.

DES ACTES FAVORABLEMENT ACCUEILLIS


Il est à noter d’emblée que les Guinéens ont tous eu l’impression de respirer
un nouvel air de liberté quand le tocsin a sonné le 3 avril 1984. La libération des
prisonniers politiques, le démantèlement du Camp Boiro, la possibilité donnée
aux exilés de rentrer au bercail ont été accueillis avec enthousiasme. Ils ont
conforté nos compatriotes et les amis de la Guinée dans l’opinion que des
changements profonds étaient en cours.
D’autres mesures sont venues renforcer ce sentiment à l’instar de la
suppression de la milice populaire omniprésente par ses ingérences dans tous
les aspects de la vie des Guinéens. Ses excès l’avaient rendue redoutée et
impopulaire.

469
Extraits reproduits par Alsény Réné Gomez dans son livre « la Guinée peut-elle
être changée ? » Éditions l’Harmattan en 2010.

353
Dans un autre registre, dès l’aube du 3 avril 1984, on a vu poindre les
prémices d’une orientation vers l’économie de marché. Progressivement, des
pratiques en vigueur sous le P.D.G disparurent comme le rationnement du
carburant, le ravitaillement des populations, les interpellations incessantes et
inopportunes dans la rue et d’autres endroits publics, l’érection intempestive des
points de contrôle, même si ceux-ci ont vite refait surface. On a également
connu une forme de déstalinisation à la sauce guinéenne. Dans sa volonté
d’effacer le passé, le CMRN prôna le rejet des méthodes autoritaires propres à
l’ancien régime. Le culte de la personnalité instauré ou pratiqué sous le régime
précédent s’était effrité.
Les symboles et institutions ayant une relation directe avec le PDG furent
supprimés470.
Les Guinéens se sont vu reconnaître le droit de circuler librement à
l’intérieur du pays, comme à l’étranger.
Des Organisations non gouvernementales (ONG) ont été créées. Elles ont
été autorisées à évoluer sur le territoire à l’instar de leurs homologues étrangers.
Leur bilan est positif par endroits car à travers des aides diverses dans des
secteurs comme la santé, l’éducation…, elles ont contribué à réduire les
souffrances des populations. Mais les premières ONG n’étaient pas à l’abri de
certains travers qui caractérisent le comportement de quelques-uns de leurs
intervenants grisés par les délices des Tropiques.

ÉDUCATION
Les Etats Généraux de l’Education furent convoqués. Le secteur de
l’enseignement jugé déliquescent fut élevé au rang de priorité nationale rendant
nécessaire des réformes hardies et urgentes. Avec la participation de plusieurs
intellectuels de la diaspora, la situation a été passée au tamis. L’abandon de
l’enseignement en langue nationale au profit du français dès le 3 avril avait été
vivement recommandé et immédiatement mis en application.
Les jeunes écoliers cessèrent d’ânonner des formules comme coco, lala.
(noix de coco et pagaie en soussou) ou Balla la ba kereba (la chèvre de Balla
aux cornes puissantes, en manika). Les participants considéraient, en effet,
l’usage des langues du pays dans les écoles comme la cause de la dépréciation
du système éducatif guinéen.
La libération des initiatives privées avait contribué sensiblement au recul du
taux d’analphabétisme grâce à la construction des infrastructures scolaires un
peu partout sur le territoire national. Un domaine dans lequel l’Etat a fourni des

470
Les places publiques et les quartiers (PRL) ont été débaptisés. Ils ont recouvré leur
appellation datant de l’époque coloniale. Les dates commémorant les évènements
marquants qui ont rythmé l’évolution du P.D.G (14 mai, 22 novembre…) sont
redevenus des jours ordinaires.

354
efforts louables. La qualité de l’enseignement qui y est dispensé laisse
cependant à désirer parfois et les risques de le voir se détériorer davantage sont
réels. En effet, les établissements privés doivent généralement faire montre de
plus de rigueur dans le choix et le suivi des formateurs. Les autorités publiques,
quant à elles, ont l’obligation d’user du droit régalien de l’Etat pour mettre de
l’ordre partout où cela s’avère nécessaire. En Guinée, l’école privée ne doit pas
s’identifier exclusivement à l’espace qui l’abrite. La qualité de l’enseignement
et le niveau des enseignants doivent être la priorité.

INFRASTRUCTURES
Des centaines de kilomètres de route ont été bitumées sur les axes conduisant
dans la quasi-totalité des régions naturelles. Des ouvrages d’art ont été construits
comme les ponts sur le Diani (N’Zérékoré), Djélibakoro sur le Niger
(Kouroussa) en 2004 et ainsi que sur la Fatala (Boffa). Des points de
franchissement ont été réalisés dans des zones où les incongruités causées par
leur inexistence semblaient relever de la fatalité. Ces ouvrages qui ont relégué
au musée de l’histoire les bacs vétustes et porteurs de risques permettent
d’affirmer que, c’est grâce à Lansana Conté que la jonction s’effectue de nos
jours entre les différentes parties du territoire par la terre ferme. Il est regrettable
cependant que d’anciens collaborateurs du président alors en charge de certains
de ces dossiers, s’en arrogent la paternité, d’autant plus que les mêmes individus
sont prompts à écarter toute responsabilité personnelle dès que l’envers du décor
est évoqué. A la vérité, ces infrastructures sont d’authentiques acquis que la
Guinée doit au règne du président Lansana Conté471.
Des transversales ont été ouvertes dans la capitale. Elles ont favorisé la
mobilité des citoyens dans les nouveaux quartiers, dont l’accès était malaisé.
Le pouvoir est parvenu à construire le barrage de Garafiri grâce à une
puissante mobilisation nationale. Toutes les couches de la population, y compris
les plus déshéritées contribuèrent à la réalisation de cette grande œuvre
patriotique.
L’option libérale prônée par le régime a impulsé le développement de
l’habitat urbain. Les citoyens mis en confiance ont investi davantage dans le
bâtiment. Des maisons cossues ont surgi de terre en maints endroits.
Grâce à la coopération avec la Chine, un nouveau palais présidentiel
dénommé Sékhoutoureya a été construit sur les ruines de l’ancienne résidence
des gouverneurs de la Guinée française et du premier président de la République
de Guinée. Il porte le nom de ce dernier. La nouvelle avait provoqué en 1999
une levée de boucliers dans les milieux hostiles à Ahmed Sékou Touré. Mais en

471
A l’inverse, ces mêmes personnes rejettent sur l’ensemble du gouvernement, voire
sur la personne du président, la responsabilité des échecs ou méfaits constatés dans
leurs secteurs, au cours de la même période.

355
vain, car Lansana Conté avait tenu à préciser que d’éventuelles protestations
contre sa décision ne lui ferait ni chaud ni froid. Le splendide bâtiment qui abrite
les studios de la R.T.G à Koloma, le Stade de Nongo d’une capacité de 50 000
places ainsi que l’hôpital de l’amitié sino-guinéenne de Kipé sont autant de
réalisations à mettre à l’actif de la présidence Conté.
Le nombre d’écoles et de centres de santé s’est accru dans des proportions
considérables sur la base de financements public et privé. L’expérience
guinéenne en la matière a inspiré bon nombre d’Etats africains.
Le président a fait entrer la Guinée dans l’économie de marché. Le discours-
programme du 22 décembre 1985 a mis fin à l’option socialiste en vigueur sous
le P.D.G. Des réformes importantes virent le jour : la fermeture des entreprises
publiques, des Banques d’Etat et la réforme de la Fonction Publique. Le Syli né
en 1972 a été retiré au profit du nouveau Franc Guinéen (GNF) lancé
officiellement le 6 janvier 1986.

LE PÈRE DU ‘’MULTIPARTISME’’
Une autre mesure saluée en son temps par le monde entier est à mettre à
l’actif du président du CMRN. Le 1er octobre 1988, Lansana Conté décida de
rompre avec l’Etat d’exception. Il annonça la mise en place d’une commission
chargée de l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
Le 23 décembre 1990, le référendum organisé pour son adoption fut un
plébiscite. Plus de 95% des électeurs se prononcèrent en faveur de la nouvelle
Loi Fondamentale. Celle-ci instaura le multipartisme en Guinée, avant la
Déclaration de la Baule lorsque François Mitterrand, à l’occasion du sommet
France-Afrique en 1990, avait assujeti l’aide internationale de son pays à la
démocratisation des régimes africains.
Elle prôna un régime présidentiel avec un président élu pour une période de
cinq ans au mandat renouvelable une seule fois. Une disposition à la fois hardie
et au caractère révolutionnaire incontestable. En effet, le multipartisme garanti
par la nouvelle Constitution était encore à l’état embryonnaire sur le continent.
La Guinée l’avait connu à l’époque coloniale.
Pendant les dernières années qui avaient précédé la proclamation de
l’indépendance, le PDG-RDA, le Bloc Africain de Guinée (BAG) et la
Démocratie Socialiste de Guinée (DSG) se partageaient les activités politiques
du territoire. Un monopartisme de fait avait été instauré à la veille du
référendum du 28 septembre 1958 lorsque le BAG et la DSG décidèrent de se
rallier au PDG pour participer à la campagne en faveur du NON. Plus tard, le
parti dominant procéda à l’absorption pure et simple des formations rivales avec
semble-t-il cependant, leur approbation ou leur silence.
Mais le multipartisme qui est un acquis indéniable issu du mouvement
déclenché le 3 avril 1984, est malheureusement trop fragmenté en Guinée. Il se

356
traduit par un macrocéphalisme avec plus de 200 partis politiques, dont les plus
influents sont sous le contrôle des grandes ethnies.
Conséquence de la nouvelle donne : le 5 décembre 1993 eut lieu la première
élection présidentielle multipartite depuis l’indépendance. Le président en
exercice l’avait emporté au premier tour avec 50,7% des voix. Une victoire qui
avait suscité des grincements de dents au sein de l’opposition. En effet, pour
valider le succès de Lansana Conté dès le premier tour, Alseny Réné Gomez, le
ministre de l’Intérieur et Lamine Sidimé, le premier président de la Cour
Suprême durent annuler les résultats de la préfecture de Siguiri et de la
commune urbaine de Kankan.
Les électeurs des deux circonscriptions furent accusés de violation flagrante
du code électoral pour avoir voté sans utiliser d’isoloirs. Dans le même ordre
d’idée, les élections présidentielles en 1998 et en 2003 ne furent pas exemptes
de contestation. La dernière fut boycottée par les candidats des grands partis et
le président sortant s’était retrouvé en face d’un rival sans relief. Comme prévu,
il avait raflé la mise la main en haut du guidon. Seulement cette victoire
déclarée, n’a pas provoqué contrairement aux succès précédents d’effusion de
joie particulière dans le camp du vainqueur. Toutefois ces différentes
consultations ont abouti à créer une dynamique basée sur la prééminence des
urnes dans le débat démocratique. Les élections législatives de 1995 et 2002
confirmèrent cette tendance. Elles se soldèrent par la victoire du parti du
président, le P.U.P qui s’arrogea à chaque fois plus de 70% des sièges. Des
élections locales ont été régulièrement organisées : en 1991, 1995, 2000, 2005.
Le P.U.P a été toujours déclaré vainqueur dans la quasi-totalité des communes
urbaines et rurales. Toutefois, contrairement au scrutin présidentiel qui se tint
plutôt à date, les élections législatives sont toujours soumises à un cycle
chaotique. Les différents pouvoirs guinéens s’avèrent encore incapables d’en
respecter la périodicité.

LA PRESSE SE DIVERSIFIE
Sous le règne de Lansana Conté, la liberté d’expression a fait un bond de
géant en Guinée comme dans la quasi-totalité des Etats du continent.
La pensée unique et l’unanimisme qui caractérisaient les débats publics ont
reculé.
La presse s’est élargie et diversifiée avec la création des journaux privés,
l’apparition des radios et télévisions libres, la prolifération des réseaux sociaux.
D’une manière générale, la communication sous toutes ses formes
(téléphonie mobile, internet…) a gagné en qualité et s’est démocratisée par
l’augmentation exponentielle du nombre de consommateurs.
Ce survol des changements politiques et économiques qui ont marqué le
règne de Lansana Conté démontre les signes de certains progrès.

357
LE POUVOIR ABSOLU
Il ne faut pas cependant se laisser griser par l’enthousiasme et s’abstenir de
toute prospective destinée à en relativiser les effets.
Lansana Conté a, certes, le mérite de s’être prononcé en faveur d’une société
guinéenne tournant le dos au parti unique avant le Sommet de la Baule. De ce
point de vue, il aura été un visionnaire comprenant très tôt que le monde était
appelé à connaître de profonds bouleversements.
A-t-il été pour autant un démocrate dans l’âme ? Assurément non. L’homme
ne s’en cachait pas quand il était entouré des siens. Sa formule favorite : « Un
militaire ne saurait être un démocrate ». En réponse à la même question,
Aboubacar Somparé qui a été un des principaux dirigeants du parti présidentiel
confiait à une station de radio privée : « C’était un homme tolérant. Sa tolérance
a permis la mise en place de la démocratie libérale. Dire maintenant qu’il était
démocrate par conviction, je ne le crois pas472 ». Une tolérance dont le président
aurait usé à l’endroit de maints collaborateurs. En outre, à l’inverse de son
prédécesseur et sans doute bien plus que ses successeurs, le général Lansana
Conté a laissé le plus souvent les coudées franches aux membres de son
gouvernement. Il ne fut pas un chef d’Etat omniprésent et omnipotent,
‘’interventionniste’’ à tout crin, étouffant les initiatives et bridant les énergies.
Lansana Conté s’est gardé généralement de succomber à pareille tentation. La
glorification du chef dans les discours officiels et à travers les chants et danses
qui avaient atteint des sommets rarement égalés sous la Première République,
n’a pas eu droit de cité de manière abusive sous son règne.
Toutefois, en habile stratège, le général Conté s’est ouvert une voie royale
vers le pouvoir absolu et a renforcé sans cesse ses assises. Il y est parvenu en
tirant parti de l’appui de l’armée ainsi que des faiblesses et incohérences
diverses de ses adversaires. L’élection présidentielle au suffrage universel
instaurée à partir de 1993 a contribué à faire de lui un ‘’dictateur élu’’. Le
président affichait en effet un souverain mépris pour les règles authentiques de
la démocratie. Il n’invoquait la Constitution que lorsque celle-ci servait ses
desseins.
En revanche, il la considérait comme un vulgaire chiffon de papier dès
qu’elle contrecarrait ses intérêts. Il le démontra en lui portant un coup de canif
lorsque son application atteint la phase l’empêchant la phase de s’éterniser au
pouvoir.
En 2001, deux ans avant l’expiration de son second et dernier mandat, le
président Lansana Conté et ses hommes de main n’ont pas hésité, à s’attaquer à
l’article 27 de la Constitution.
Prétextant la démarche d’un groupuscule de femmes oulémas de Kankan
sous l’impulsion d’une grande activiste, Dame Mariama Diané, (à la vérité

472
Interview accordée au quotidien ‘’La République’’.

358
habilement conditionnées et préparées par une délégation gouvernementale qui
avait séjourné auparavant en Haute-Guinée), l’idée prit forme et un référendum
en vue de la révision de la Constitution fut décidé. Le résultat connu d’avance
fut sans appel : les électeurs ont ‘’approuvé’’ la suppression de l’article limitant
le nombre de mandat présidentiel. La durée du même mandat passait de 5 à sept
ans. Il n’y avait plus d’âge limite non plus pour faire acte de candidature à la
présidence de la République. Il y a lieu de noter cependant que la Loi
Fondamentale adoptée le 23 décembre 1990 ne comportait aucune disposition
opposée à une telle éventualité. Malgré tout, en se situant dans le sillage de
Blaise Compaoré, qui l’avait fait une année plus tôt, Lansana Conté a donné le
mauvais exemple en ce sens sur le continent.
C’est en effet après la Guinée que d’autres pays africains, comme le Tchad,
le Cameroun, le Gabon, le Togo… firent sauter ce verrou dans leurs
constitutions respectives.
Echaudés par ce coup de force, les partis d’opposition exprimèrent leur refus
de participer à la mascarade électorale qui se préparait. Celle-ci eut lieu le 21
décembre 2003. Lansana Conté s’est présenté à nouveau devant les électeurs.
Confronté à un unique adversaire choisi sur mesure, le président qui avait mis
son bulletin dans l’urne, assis sur le siège de son véhicule n’eut aucune peine à
l’emporter avec un score à la soviétique soit plus de 95% des voix.

L’ARMÉE
L’armée qui a porté le général Lansana Conté au pouvoir a été le pilier sur
lequel il s’est appuyé tout au long de son règne. Il n’est pas exagéré de dire que,
sans elle, le temps qu’il a mis au pouvoir aurait été beaucoup plus court. L’armée
l’a mis au pouvoir et l’y a maintenu jusqu’au bout.
En prenant en mains les destinées de la Guinée, le colonel Lansana Conté et
ses compagnons avaient stigmatisé l’état de ‘’délabrement’’ dans lequel se
trouvait la Grande Muette. Ils ont déploré le ‘’manque de discipline’’ en son
sein, la ‘’politisation’’ qui la gangrénait. Mais de l’aveu même de Fodé Momo
Camara, l’un des chantres du coup d’Etat du 3 avril 1984 : « le CMRN a fait
pire. Conté nomme les gens n’importe comment, sans formation ni rien.
Comparativement aux officiers de la sous-région, des officiers guinéens
d’aujourd’hui n’ont aucune formation. Tous ceux qui ont le niveau ou étaient
au-dessus de Conté ont été liquidés473 ».
Cette armée s’est soulevée un certain nombre de fois, faut-il le préciser,
contre son commandant en chef. Des mutineries ont jalonné son parcours. La
plus violente a été celle des 2 et 3 février 1996. Le pouvoir a été à deux doigts
d’être emporté par le tourbillon provoqué par la colère des soldats. Ceux-ci
étaient outrés par les injustices et la précarité caractérisant leurs conditions

473
CAMARA Fodé Momo,

359
d’existence. Le président dut accepter toutes leurs revendications dans l’après-
midi du 3 février pour sauver sa tête et son fauteuil.
En mai 2007, l’armée a encore fait entendre sa voix. Des mutineries pour
lesquelles les populations civiles ont eu à payer de lourds tributs ont éclaté. Elles
se sont soldées par des dizaines de morts sous l’effet des balles perdues et la
mise à sac par les soldats de nombreux commerces.
Mais cette armée s’est illustrée aussi par ses prouesses guerrières. En
véritable chef de guerre, le général Lansana Conté et ses généraux ont déclenché
une offensive victorieuse qui a maté l’agression extérieure, dont la Guinée avait
été l’objet à partir du 1er septembre 2000. Les Forces Armées Guinéennes
avaient été auparavant partie prenante des troupes de l’ECOMOG en vue du
rétablissement de la paix dans les pays voisins du Liberia et de la Sierra Leone
lorsqu’ils furent confrontés à de sanglantes guerres civiles.
Mais, d’une manière générale, l’administration Conté n’a pas favorisé
l’émergence d’une armée républicaine digne du nom.
Le laxisme, le régionalisme, le népotisme et l’affairisme surtout n’ont pas
permis de lui inculquer l’état d’esprit et la qualité de formation, dont elle avait
besoin. Au contraire, la situation s’est dégradée par rapport à celle d’avant le
coup d’Etat du 3 avril 1984. Des recrutements effectués sur la base de
considérations ethniques ou suite à des versements de pots de vin, ont favorisé
l’enrôlement d’individus de moralité douteuse. L’armée dont la vocation est de
protéger les citoyens a été souvent accusée de pillages et d’agressions
caractérisées sur de paisibles civils dépouillés de leurs biens. Sur ce plan, la
politique du deuxième président de la Guinée n’a pas été une totale réussite.

LA GUINÉE NARCO-ÉTAT
Vers le milieu des années 2000, la Guinée était devenue l’une des plaques
tournantes du trafic de drogue en Afrique de l’Ouest. C’est l’époque où les
officiels américains employaient le terme de ‘’narcogouvernance’’ en parlant
du pays.
En effet, avec des complicités au plus haut niveau, notamment au sein de la
famille du président et des forces de sécurité et de défense, les narcotrafiquants
étaient parvenus à introduire des volumes impressionnants de stupéfiants en
provenance d’Amérique du Sud. Les cartels colombiens de la drogue firent
atterrir sur plusieurs aérodromes de l’intérieur du pays des avions transportant
quantité de cocaïne et d’autres substances prohibées en profitant de la quasi-
absence de l’Etat. Pleins aux as et vivant comme des maharajas, les trafiquants
de drogue se sont fait construire de somptueuses villas, ont fondé des empires
de presse et ont inondé les rues de la capitale de véhicules haut de gamme,
dignes des écuries des princes du Golfe.
Les rares saisies portaient sur des quantités dérisoires. Les arrestations
n’étaient que de la poudre aux yeux et ne concernaient que des seconds

360
couteaux. Les barons haut placés dans la hiérarchie militaire ou dans la famille
présidentielle purent poursuivre tranquillement leurs activités jusqu’à la fin du
régime.

LA CORRUPTION GÉNÉRALISÉE
Avec l’avènement de la Deuxième République, on n’a pas assisté à une
gestion plus vertueuse des ressources de l’Etat.
L’argent coulant à flot et la rapacité étant de mise, le système contribua à
l’émergence d’une couche baignant dans l’opulence alors que l’écrasante
majorité se vautrait dans la misère. Il avait fait de la Guinée un véritable pays
de mirage où tout se voyait mais où l’essentiel restait à la portée d’une poignée
de privilégiés. Sous le règne de Lansana Conté, la corruption érigée en système
de gouvernement atteint des proportions inouïes, insoupçonnables avant
l’avénement du régime militaire. Le président de la République, lui-même,
n’était-il pas l’un des hommes les plus riches du pays ? Il était crédité de biens
sous toutes les formes : propriétés immobilières disséminées çà et là, parc
automobile comprenant des pièces de grand standing, domaines fonciers
innombrables dans la capitale et sur l’axe Conakry-Dubréka-Boffa.
Ces domaines et propriétés provenaient souvent des réserves foncières et du
patrimoine public de l’Etat. L’expropriation pure et simple de certains citoyens
est aussi une piste souvent évoquée. Dans une étude parue en 1993, un certain
Bâ Khaly s’était plu à recenser les biens des dignitaires du régime. Il avait dû
consacrer plus d’une vingtaine de pages à énumérer ceux de Lansana Conté.Le
président procédait à sa guise à des sorties quotidiennes de devises et de métaux
précieux de la Banque Centrale, des services de Douane, des Impôts, du Trésor.
A l’inverse de son prédécesseur pour qui l’argent et les biens matériels (voitures,
maisons…) n’étaient que des instruments du pouvoir, des moyens de survie
politique ou de protection personnelle, Lansana Conté régnant en monarque
absolu disposera de toute chose, se l’appropriera, vendra ou donnera
indifféremment aux personnes de son choix. Les caisses de l’Etat étaient
souvent transformées en tirelire personnelle. Dans un tel contexte, la corruption
est devenue un sport national. Conséquence : le patrimoine public a été pillé,
bradé. Combien d’anciens Premiers ministres, ministres influents, opérateurs
économiques proches du pouvoir, d’épouses et de parents du Président se sont-
ils arrogé des droits de propriété sur des bâtiments administratifs, les unités
industrielles, les grandes entreprises d’Etat ?
Des aventuriers étrangers comme l’italien Guido Santullo ou un Indien
répondant au nom de Delawa, arrivés en catimini en Guinée, ont, en association
avec lui ou avec les siens, accaparé des domaines publics pour y ériger des
immeubles à usage lucratif, ou ont extrait des pierres précieuses de nos mines à
leur profit. Les timides tentatives pour stopper l’hémorragie s’essouffleront très
rapidement comme en 2002 avec la création d’un Comité National de Lutte

361
contre la Corruption. Hormis des lampistes traînés parfois devant les tribunaux,
l’impunité est restée en général une règle non écrite. En plus des principaux
dignitaires du régime, les agents des régies financières de l’Etat, les chefs des
projets pour satisfaire des appétits pantagruéliques s’échinaient à qui mieux
mieux à mettre les ressources publiques en coupe reglée. Souvent, la peur du
lendemain décuplait leur ardeur à se servir d’autant plus que les positions qu’ils
occupaient étaient le plus souvent de véritables chaises éjectables.

DÉPÉRISSEMENT DES ENTREPRISES D’ÉTAT ET DES SOCIÉTÉS


MINIÈRES
Les entreprises et sociétés d’Etat « privatisées » dans des circonstances
suspectes ont été extraites du portefeuille de l’Etat sans aucune contrepartie.
C’est le cas de, l’usine de Textile de Sanoyah, la conserverie de Mamou,
l’Imprimerie Nationale Patrice Lumumba, l’Usine de Jus de Fruit de Kankan,
l’entreprise des Tabacs et Allumettes, la Société Guinéenne de Fabrication
(SOGUIFAB) etc… La Compagnie aérienne Air Guinée, créée en 1961 et qui
avait fait sa mue en 1981 n’avait pas échappé au massacre. En effet, sa flotte en
dentelles composée d’appareils soviétiques avait été remplacée par des Boeing
neufs. Le patrimoine immobilier était devenu propriété du repreneur. Tout avait
disparu sous la Deuxième République à la suite d’une pseudo-privatisation.
L’opération avait entraîné la mise au chômage de centaines de travailleurs et
l’exil pour des pilotes et techniciens émérites qui faisaient la fierté du pays. En
fait de privatisation, l’on a assisté au bradage de toutes les unités de production
économique.
Les infrastructures routières réalisées à des coûts pharaoniques se sont
révélées précaires. Elles se sont dégradées en l'espace de quelques mois pour
des raisons liées en grande partie aux arrangements financiers douteux entre les
représentants de l'Etat et les entreprises qui avaient exécuté les travaux.

POLITIQUE MINIÈRE
Le patrimoine minier, dont la gestion avait été critiquée dans le discours-
programme du 22 décembre 1985 s’était retrouvé dans les abysses. L’exemple
le plus frappant concerne l’Usine d’Alumine de Friguia. Sa descente aux enfers
entamée après le retrait inopiné des capitaux français, s’accéléra. Le repreneur
américain n’en ayant pas fait une préoccupation majeure, l’usine fut cédée à des
Russo-Ukrainiens.
Conséquence logique d’une politique de cession mal maîtrisée et des appétits
manifestés plus tard par certaines branches du complexe que le repreneur était
incapable de satisfaire.
D’une manière générale dans le secteur des mines, les contrats léonins
s’étaient multipliés. Les maigres avantages que le Trésor public tirait de
l’exploitation des sociétés minières : Société Aurifère de Guinée (SAG), Société

362
des Bauxites de Kindia (SBK), (AREDOR) transitaient à présent par des poches
sans fond qui en gardaient la part du lion. Sous Lansana Conté, le constat qu’il
a établi en 1985 a pris les accents d’une véritable prophétie, à savoir qu’« un
groupe d’hommes se rend maîtres du pays et des richesses de son sous-sol : l’or,
le diamant, la bauxite pillés directement ou par compagnies minières
interposées. »
La « voracité de l’entourage du président » était directement à l’origine du
contentieux qui oppose l’Etat guinéen au sulfureux homme d’affaires israélien,
Beny Steinmetz à propos des blocs 1 et 2 des mines du Simandou. Pour une
poignée de dollars, celui-ci avait ‘’acquis’’ des droits sur des réserves à même
de procurer, selon les dernières estimations, 140 milliards de dollars à l’Etat
guinéen en une vingtaine d’années474.

L’AGRICULTURE
Le nouveau président avait dénoncé le déclin de l’agriculture en 1984 et il
s’était engagé à la dynamiser. Mais le secteur n’a pas connu cependant de
lendemains meilleurs.
En dépit des possibilités offertes par l’ouverture et une aide plus accrue des
partenaires au développement, l’agriculture guinéenne est restée caractérisée
par un déficit toujours plus profond. Les importations de riz n’avaient fait que
croître au détriment de la balance des paiements. Le président était pourtant un
gros producteur de cette céréale représentant l’aliment de base de 100% de ses
compatriotes. Il disposait de milliers d’hectares de rizicultures disséminés sur
l’ensemble du pays. Ses laudateurs l’affublaient du titre de Sènè Samö (le Maître
de la Terre). Mais on n’a jamais eu connaissance de la direction que prenaient
ces abondantes récoltes. Faut-il donner raison aux mauvaises langues
soutiennent que le riz et l’huile de palme du Président étaient exportés vers des
pays à devises fortes ?

LA DÉCRÉPITUDE DU FRANC GUINÉEN


La réforme monétaire intervenue en 1986 et définie comme une ‘’rupture’’
par rapport à l’expérience précédente, aura été, au bout du compte, un remède
pire que le mal qu’il était censé guérir. Deux ans après son lancement, la
nouvelle monnaie passait de 355 GNF en janvier 1986, à 475 GNF en janvier
1988 pour 1 dollar américain. On le retrouvera à 595 GNF en juillet 1989 pour
franchir la barre des 1000 GNF au milieu des années 1990.
A la vérité, le Nouveau Franc Guinéen n’a jamais été compétitif. Son érosion
se poursuit inexorablement sous l’action conjuguée de différents types de

474
. A la faveur de cette transaction, la 5e épouse de l’ancien président aurait perçu à
peine cinq millions de dollars. Le manque à gagner pour l’Etat guinéen se
chiffrerait à des centaines et des centaines de millions de dollars.

363
spéculateurs représentés en partie par des cambistes non agrées qui grouillent
dans les rues de la capitale et des grandes agglomérations du pays. Certains de
ces hommes qui n’ont rien appris dans la vie, comptent désormais parmi les plus
grosses fortunes du pays et prient intensément chaque jour pour que les jours du
franc guinéen se prolongent indéfiniment.
Leur chiffre d’affaires représente cependant la portion congrue dans le
volume global des transactions dominées principalement par certaines sociétés
et entreprises étrangères installées en Guinée.
Avides de devises fortes, celles-ci procèdent au rapatriement quotidien de
leurs recettes.
Il faut donc trouver au plus pressé en dollars ou en euros, le montant
correspondant à la somme engrangée. La voie est ainsi ouverte à la surenchère
démesurée dans l’acquisition de devises sous l’œil indifférent ou impuissant
voire approbateur de l’Etat. A cela, s’ajoutent des importations massives de
containers regorgeant de billets contrefaits. La monnaie guinéenne est ainsi
plongée dans une tourmente perpétuelle rendant hypothétiques les espoirs de
bâtir une société au développement harmonieux et équilibré.
En effet, dans un tel contexte, les augmentations de salaire et autres primes
concédées aux travailleurs seront toujours loin de satisfaire à leurs attentes. Le
pouvoir d’achat s’érode sans cesse.
Le principe de l’augmentation optimale visant à faire suivre aux salaires la
montée des prix est comme le mythe de Sisyphe, un recommencement perpétuel
et sans issue. C’est ainsi que les salaires des fonctionnaires ont été augmentés
de 80 % le 31 décembre 1987. Aussitôt, le prix du carburant a connu une hausse
de 78 %, les commerçants ont multiplié par trois les prix des produits de
première nécessité et le tarif des loyers a explosé de façon exponentielle. En
1991, au lendemain de la première grande grève illimitée et généralisée qui a
secoué le pays, les salaires des agents de la fonction publique ont été relevés à
100 %. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les prix sont entrés en
ébullition dans tous les secteurs. Finalement en Guinée, la revalorisation des
salaires est devenue un phénomène récurrent, justifié et hélas, improductif du
fait de l’inexistence de toute capacité réelle d’accroître la production pour
consolider les bases de la monnaie.

NÉPOTISME OU ETHNOSTRATÉGIE ?
A l’inverse de Sékou Touré, dont le frère Ismaël, plusieurs cousins et beaux-
frères jouèrent un rôle de premier plan dans le fonctionnement de l’Etat,
Lansana Conté a gouverné sans les siens. Du moins en apparence. En effet, si
on estime qu’aucun de ceux-ci n’a été promu à la tête d’un ministère, voire
d’une ambassade importante, l’assertion paraît tout à fait fondée.
Mais les parents du président n’ont pas pesé moins sur la politique nationale
que ceux de son prédécesseur. S’ils ne furent pas placés directement aux

364
manettes pour n’avoir pas fréquenté l’école française dans leur écrasante
majorité, en revanche, ils devinrent très rapidement des faiseurs de rois.
Des ministres en grand nombre, des Premiers ministres, une noria
d’ambassadeurs et de hauts fonctionnaires connurent des ascensions fulgurantes
grâce à la protection de telle épouse ou sœur ou de tel frère. Tous n’avaient pas
la même influence sur le Prince. Mais il y en avait dont l’avis était toujours pris
en compte.
C’était surtout vrai pour les épouses ou exactement la favorite du moment
dont les désirs étaient des ordres. En effet, Lansana Conté, a eu une vie
sentimentale bien remplie. Il accordait beaucoup d’importance à l’avis de ses
nombreuses épouses.
Des ministres, des premiers ministres furent congédiés ou promus, des
ambassadeurs rappelés pour avoir été mal notés par ces dames. Un ambassadeur
en poste à Dakar en 1994 et un autre accrédité dans la capitale française de 1996
à 2001 le vécurent à leurs dépens475. Lamine Kamara, un de leurs collègues plus
fûté parvint, quant a lui à tirer son épingle du jeu dans des circonstances qui
étaient loin d’être évidentes. La scène s’est produite une fois de plus à Paris où
Mesdames Conté s’étaient rendues séparement mais au cours de la même
période.
Au retour des deux ‘’présidentes’’ en Guinée, l’ambassadeur reçut un coup
de fil. Le président le félicitait pour s’être « bien débrouillé ». Lors des
événements des 2 et 3 février 1996 qui faillirent emporter le régime, le même
diplomate finit par convaincre définitivement le président quant à sa loyauté et
son efficacité. Le comité de veille qu’il mit en place au siège de la représentation
diplomatique guinéenne, favorisa, en effet les contacts entre le président assiégé
dans son palais et les médias français.
En juillet 1996, il fut logiquement promu ministre des Affaires Etrangères et
resta pendant huit années au gouvernement, (presque un record sous le régime
Conté). Comme quoi, le Général-Président excellait dans l’art de récompenser
ceux qui savaient gagner sa confiance et servaient bien les siens. Du reste dans
les missions diplomatiques, la règle non écrite était connue : être prêt à satisfaire
à tout moment aux désirs de ces dames et ménager leurs nombreux parents et
protégés qui avaient pris d’assaut les ambassades guinéennes.
Des ambassadeurs furent nommés aussi pour servir en réalité de précepteurs
aux enfants de certains caciques du régime.

475
. Ambassadeur à Paris de 1992 à 1996, Lamine Kamara eut à enregistrer au même
moment la visite de la Première Dame de la République (Henriette Conté) et de
l’épouse du chef de l’Etat (Kadiatou Seth Conté, dont c’était le titre officiel). Un
véritable casse-tête d’autant plus qu’il était de notoriété publique que les deux
femmes s’observaient en chiens de faïence.

365
Plus tard, des hommes avec lesquels le pouvoir brassait des affaires, eurent
leur mot à dire. Ils se rendirent propriétaires d’une bonne partie du patrimoine
immobilier de l’Etat. Un observateur attentif de l’ère Conté a pu écrire avec
justesse : « le pouvoir se décide dans le cercle des épouses et courtisans, autour
de quelques figures de proue (les femmes du président, les intimes et la famille)
des personnalités issues du monde économique ou du PUP (les hommes
d’affaires, les caciques du Parti). Ces clans sont composés d’un grand nombre
de Soussous, l’ethnie du président. Cependant, le critère principal
d’appartenance repose sur la capacité à intégrer l’entourage présidentiel qui
se fonde lui-même sur des critères familiaux. Les épouses, les frères, les neveux
ethniques ».
Les choix fondés sur ce critère furent prépondérants. Des mouvements divers
comme la ‘’ Promotion du Guinéen Moyen’’se créèrent pour asseoir la
prééminence de l’ethnie du président. Ils fonctionnèrent à plein régime sous
l’impusion d’anguilles politiques ne jouant que leur partition personnelle et
voulant coûte que coûte brûler les étapes à l’image du jeune et ambitieux Kiridi
Bangoura. De son coté, l’homme d’affaires, Mamadou Sylla, un protégé du
Président créa l’Union pour le ‘Développement Intégré’ de la Basse Guinée
(UDIBAG). Ces groupuscules avaient pour ancêtres, l’association fondée par
l’ancien ministre Almamy Fodé Sylla au milieu des années 1990 et le Comité
de Soutien au CMRN qui vit le jour au moment où le nouveau régime était au
stade des balbutiements. Tous avaient le même objectif : assurer l’omniprésence
d’une communauté dans la gestion des affaires de l’Etat et garantir le maintien
de leurs fondateurs au devant de la scène. Leur mot d’ordre était : ‘’Na muna
mukhuubè’’ (il est contre nous) pour désigner tous ceux qui étaient susceptibles
de les gêner aux entournures. Les cadres issus de la communauté mandingue
étaient particulièrement visés par ces groupuscules plutôt opportunistes
qu’extrémistes usant de formules ciblées comme Maninkè mufan (le Malinké
est mauvais). Auréolés de leur proximité d’avec le président, ils se sentaient
maîtres de l’univers.

RÉSUTATS MITIGÉS SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE


Sur le plan international, la Guinée cessa de peser sur les affaires du
continent comme par le passé. Sa voix n’était plus écoutée avec la même ferveur
et ses représentants passaient souvent inaperçus dans les couloirs des rencontres
internationales. Le Président avait d’ailleurs la particularité de s’ennuyer au
cours de ces sommets où il ne prenait presque jamais la parole.
Or son prédécesseur fut omniprésent dans le domaine de la politique
étrangère. Sékou Touré avait été à l’avant-garde de la création de l’OUA. Son
poids personnel fut déterminant dans l’élection du Guinéen, Diallo Telli au
poste de premier secrétaire général administratif de l’Institution panafricaine. Il
avait été le grand défenseur de la cause des peuples opprimés sur les tribunes du
monde entier.

366
Lansana Conté n’a pas voulu surfer sur cet héritage malgré la bienveillance
montrée à l’endroit du nouveau régime par l’Occident en général et la France
en particulier. Paris a, en effet, ravi très rapidement dès 1984, la place de premier
partenaire économique d’un pays que plusieurs de ses gouvernements successifs
s’étaient évertués à déstabiliser. Il est à signaler cependant que, si devenu
président de la République de Guinée, Sékou Touré ne s’est rendu que deux fois
en France, on peut en dire presque autant de Lansana Conté après son
avènenement à la tête de l’Etat. Mais contrairement à son prédécesseur qui
n’avait pris que parcimonieusement le chemin de l’ancienne métropole pour des
raisons trop connues, l’attitude de Lansana Conté procédait d’un choix délibéré.
Le président dira ouvertement à des journalistes qui l’interrogeaient que pour
lui, la capitale française ne constituait pas un lieu de ‘’pélérinage’’. D’ailleurs,
les voyages vers l’ancienne puissance coloniale, l’Occident en général voire
vers toute autre destination n’exerçaient pas de fascination extrême sur ce
personnage madré, profondément nationaliste, ayant en horreur les
comportements empruntés, pas du tout à son aise dans les milieux guindés.
Revêtu le plus souvent de son ample boubou traditionnel, le président
préférait arpenter les chemins sinieux reliant les bourgades de sa région natale,
contempler ses champs, tâter la croupe de ses bêtes, partager le bol de riz préparé
à la sauce locale avec ses amis paysans. Il était là beaucoup plus dans son
élément que dans toute autre posture rompant avec ses penchants naturels et son
environnement quotidien comme par exemple descendre les Champs-Elysées,
s’extasier devant la Tour de Londres ou assister à des dîners de gala avec
quantité de toasts et des airs étudiés. A noter cependant que si la diplomatie
déployée sous la Deuxième République fut généralement moins flamboyante,
elle contribua, en revanche à la préservation de la paix à l’intérieur des frontières
nationales et dans les pays voisins où elle était menacée. Nul n’oubliera, en effet
qu’elle fut très active dans la recherche de solutions à des conflits sous-
régionaux comme en Guinée Bissau, au Libéria, en Sierra Léone… L’attitude
équilibrée et lucide de la Guinée sous l’impulsion du président Lansana Conté
dans le traitement de la crise américano-irakienne lors de sa présidence du
Conseil de Sécurité de l’ONU en 2003, lui valut le respect et la considération
de la communauté internationale.

DES RÉALISATIONS EN DENTS DE SCIE


S’agissant de certaines réalisations, force est de reconnaître que leur
fonctionnement appelle bien des réserves.
C’est ainsi que le barrage de Garafiri n’a pas répondu aux attentes. Réalisé à
coup de millions de dollars et de contributions volontaires, le résultat laisse
songeur.
Les infrastructures routières, ne résistèrent pas aux premières pluies dans la
grande majorité des cas.

367
Les infrastructures et les moyens de transport (flotte aérienne et navale
notamment) hérités de l’époque Sékou Touré disparurent. Aucun avion, train ou
navire ne subsista. Tous furent bradés ou succombèrent sous les intempéries.
Le démantèlement systématique des 662 km de la voie ferrée construite au
prix du sang et des efforts de plusieurs milliers de personnes sous le régime
colonial du travail forcé en fut le comble. Les rails furent découpés et vendus
sous forme de ferraille essentiellement par des membres de la famille du
président.

ROLE DES SYNDICATS ET INSTABILITÉ GOUVERNEMENTALE


Le mouvement syndical a été finalement l’adversaire le plus redoutable avec
lequel Lansana Conté eut à en découdre. Les syndicats l’ont combattu au double
plan social et politique. Les critères économiques n’étaient évidemment pas en
reste. Ils les resumèrent en ces termes : « Lansana Conté a massacré l’économie
guinéenne pendant ses 23 ans de règne sans partage ».
Après une première grève qui éclata en 1991, la classe ouvrière guinéenne
fut plongée dans une profonde léthargie. Elle était victime sans doute de ses
divisions et de l’inféodation de certains de ses dirigeants au pouvoir. Il fallut
attendre les deux dernières années du règne du président Conté pour assister au
regain de l’activité syndicale.
L’intersyndicale C.N.T.G-U.S.T.G sous l’impulsion d’Ibrahima Fofana et de
Rabiatou Diallo mèna la vie dure à un président déjà affaibli par la maladie.Ces
années furent marquées par une instabilité ministérielle chronique.
Nommé Premier ministre en avril 2004, François Lounceny Fall
démissionna deux mois plus tard. L’ancien ministre des Affaires Etrangères
était sûrement incommodé par certaines méthodes qu’affectionnait le président.
En fin d’année, Cellou Diallo, le ministre de la Pêche et de L’Aquaculture,
lui succèda.
Le 19 janvier 2005, Lansana Conté échappa à un attentat. Un déluge de feu
s’abattit sur son cortège sur l’axe Enco5-Cosa. Le Président sortit indemne de
l’attaque. Mais un de ses gardes fut mortellement atteint, d’autres grièvement
blessés. Le lendemain, Lansana Conté accusa l’« Extérieur » d’être l’instigateur
de ce coup manqué. « Je ne quitterai le pouvoir, prophétisa-t-il, que lorsque
Dieu le voudra » L’attentat est suivi d’une vague d’arrestations, mais ses
commanditaires et exécutants ne sont toujours pas connus. Le 28 février 2006,
un mouvement de grève éclata. Il prit fin le 3 mars suivant avec l’engagement
du gouvernement à satisfaire les exigences de la classe ouvrière.
Le 4 avril 2006, le Premier ministre effectua un remaniement profond du
gouvernement. Le nouveau cabinet se caractérisa par la mise à l’écart de
plusieurs proches du président. Le ministre de la Fonction Publique, Alpha

368
Ibrahima Keïra, co-beau-frère de Lansana Conté, n’est pas épargné. Les
tractations démarrèrent dans la nuit même pour annuler l’acte.
Aussi, le lendemain à 11 heures, à une heure inhabituelle, la radio qui avait
déjà diffusé l’acte d’abrogation du décret publié la veille, annonça-t-elle le
limogeage du Premier ministre pour « faute lourde ». Un gouvernement est
formé sous la houlette de Fodé Bangoura qui prit officiellement le titre de
ministre d’Etat chargé des affaires présidentielles.
Devenu le nouveau grand vizir, le Premier ministre de fait qu’était Fodé
Bangoura décida à son tour de s’entourer de personnes sûres et soumises. Keïra
est limogé du poste de ministre des Transports qui venait de lui être confié. Deux
jours après, un décret rapporte la décision. C’était la goutte d’eau de trop pour
des syndicalistes scandalisés depuis longtemps par les errements d’un pouvoir
déliquescent qui n’en finissait pas de prouver son incapacité à répondre aux
attentes de la population.
Les mêmes causes ne produisent-elles pas les mêmes effets ? Les grèves
vont alors se succèder.

GRANDE GRÈVE DE JANVIER-FÉVRIER 2007


Une grève générale et illimitée est décrétée par l’intersyndicale CNTG
(Confédération Nationale des Travalleurs de Guinée)-USTG (Union Syndicale
des Travailleurs de Guinée) « à compter du mercredi 10 janvier 2007 jusqu’au
rétablissement de l’ordre républicain ». Elle exige le retour en prison de deux
protégés du président, Mamadou Sylla, le PDG de la Holding Futurelec et Fodé
Soumah, ancien vice-gouverneur de la BCRG, accusés de corruption. Les deux
hommes avaient été internés à la Maison Centrale de Conakry avant d’être remis
en liberté par le président qui s’était rendu en personne au centre pénitentiaire
pour les en extraire.
La médiation confiée au président de l’Assemblée Nationale par le chef de
l’Etat échoue. Au fond, les syndicalistes ne cachaient plus que leurs
revendications allaient largement au-delà des problèmes catégoriels. Elles
étaient politiques. Entre-temps, Fodé Bangoura avait été chassé littéralement de
la direction du gouvernement le 19 janvier. Il fut remplacé au pied levé par le
ministre du Plan, Eugène Camara. Le 22 janvier, les principaux leaders
syndicaux sont brièvement interpellés avant d’être libérés dans la nuit sous la
pression de plusieurs organisations internationales.
La grève s’achève le 27 janvier par la signature d’un procès-verbal dans
lequel on releva principalement la mise en place dans un délai de quinze jours
d’un gouvernement de consensus, avec à sa tête un Premier ministre, chef du
gouvernement. Ses attributions seront précisées dans un décret en date du 3
février 2007.
La nomination du nouveau Premier ministre conformément au profil tracé
par les syndicalistes devrait intervenir le 10 février au plus tard. Mais le 8 février

369
dans la soirée, le président de la République anticipa en élevant le ministre
d’Etat, Eugène Camara, aux fonctions de Premier ministre. Un choix qui
produisit l’effet d’une bombe à fragmentation. La capitale et toutes les villes de
province s’embrasent.
Le 12 février 2007, le pouvoir est l’objet de vives contestations populaires.
A Conakry, des colonnes de citoyens convergent par dizaines de milliers vers le
centre-ville. Ils sont stoppés sur le Pont du 8 Novembre donnant accès au centre
administratif par des soldats qui ouvrent le feu. FM Liberté, la première station
de radiodiffusion du pays qui avait relayé en direct grâce aux commentaires en
direct de l’auteur de ce livre, la marche des populations et des syndicats contre
le régime fut saccagé de fond en comble par les sbires du pouvoir. Des morts au
nombre de « 137 et 1667 blessés » ont été recensés dans la capitale au cours de
cette période selon des chiffres communiqués plus tard par le gouvernement.
Le même phénomène est constaté dans la quasi-totalité des préfectures de
l’intérieur où édifices publics et autres symboles de l’Etat furent mis à sac.

LANSANA KOUYATÉ : PREMIER MINISTRE


Le soir, le président décrète l’Etat de siège sur l’ensemble du territoire
national. Un couvre-feu est instauré de 20 h à 6 h du matin et de 6 h à 16 h. Il
va durer du 12 au 23 février 2007. Le mouvement social se durcit pendant ce
temps. Le 21 février, Eugène Camara tente vainement d’obtenir la prorogation
de l’Etat de siège. Il adresse à cet effet, une lettre au Président de l’Assemblée
nationale sur la base des directives du chef de l’Etat. Le parlement pourtant
composé en majorité d’élus du P.U.P., parti présidentiel, repousse la requête du
Gouvernement. Lansana Conté se soumet et accepte la médiation de la
CEDEAO dirigée par l’ancien président du Nigeria, Ibrahim Babangida.
C’est le triomphe des syndicalistes qui remettent au président une liste de
cinq noms parmi lesquels il devait désigner le prochain Premier ministre.
Le général Lansana Conté porte son choix sur Lansana Kouyaté, diplomate
chevronné et haut fonctionnaire guinéen, ancien sous-secrétaire général de
l’O.N.U. Ce soir, 26 février 2007, Conakry exulte. Le nouveau Premier ministre
qui résidait à Abidjan, arrive le lendemain dans la capitale. Il est accueilli par
une foule en délire qui l’accompagne jusqu’à son domicile.
Mais Lansana Conté n’a pas dit son dernier mot. Le président qui, aux dires
d’un de ses anciens ministres « n’aimait pas les collaborateurs qui lui étaient
imposés », va user de patience pour se défaire de Lansana Kouyaté. Profitant
des hésitations du Premier ministre et l’empêchant par des manœuvres subtiles
à exercer la plénitude de sa mission conformément au contenu de sa lettre de
mission, le président refait progressivement surface.
Il multiplie les chausse-trappes sur son chemin, gèle les actes soumis à son
approbation. Des individus mécontents de la nouvelle orirentation imprimée à
la marche du pays en usèrent pour tailler des croupières au Premier ministre. En

370
juin 2007, le président lance un premier ballon d’essai. Dans une interview
accordée à l’A.F.P et à R.F.I, il soutient que : « je suis le seul maître du jeu. Le
Premier ministre est mon collaborateur ». Il se réserve par conséquent, ajoute-
t-il « le droit de mettre fin à ses fonctions dès qu’il aura le sentiment que ce
dernier n’accomplit pas correctement sa mission ».
Lansana Kouyaté et les syndicats ne réagissent pas. Pour le président, le test
est réussi. Pendant ce temps, la coalition des adversaires du Premier ministre,
composée essentiellement de ses prédécesseurs et d’anciens ministres ayant
l’oreille de Lansana Conté, continuait de saper son action. Lansana Kouyaté
apparaissait, en effet, comme un dirigeant au savoir-faire certain.
Il était prévisible que, sous son leadership, des améliorations fussent
enregistrées sur le plan socio-économique. Les voyages effectués par ailleurs
par le chef du gouvernement dans l’arrière-pays, notamment dans la région
forestière et en Moyenne Guinée, avaient été impressionnants par la forte
mobilisation populaire qu’ils suscitèrent. Une telle donne ne pouvait que lui
attirer la jalousie, les foudres et les médisances de tous ceux qui aspiraient à
succéder au vieux général. Aboubacar Somparé révéla plus tard pour le
corroborer qu’: « on avait suffisamment conditionné le président sur les
ambitions de Kouyaté. Et le président était indisposé par les velléités qu’on lui
rapportait de la part de Lansana Kouyaté 476». Mais le Premier ministre, a-t-il
eu en ce qui le concerne la poigne et surtout l’audace alors indispensables pour
riposter au travail de sape entrepris contre lui ? Assurément, non. Or, comme l’a
dit Danton, il ne pouvait vaincre dans le contexte qui lui était imposé qu’ « avec
de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ».
Le 25 décembre 2007, le Premier ministre de consensus est dépouillé de
toutes ses prérogatives au profit du secrétaire général de la Présidence par un
décret du chef de l’État.
Le 3 janvier 2008, Justin Morel, le ministre de la Communication est limogé
dans les mêmes conditions sans concertation préalable avec Kouyaté. Les
populations de Bambeto, Cosa et Hamdallaye grognent. Elles étaient
apparemment prêtes à descendre dans la rue. Mais, le Premier ministre prêche
l’apaisement. Il fait publier un communiqué écartant toute idée de démission de
son gouvernement. Son naturel calme et tempéré a empêché Lansana Kouyaté
de prendre la décision qui s’imposait dans une telle circonstance. Le Président
qui avait découvert le talon d’Achille de son collaborateur, dont il ne s’était
accommodé que par manière d’acquit, va pousser le bouchon encore plus loin.
Le 15 janvier 2008, il annule un arrêté signé par Lansana Kouyaté, avec
semble-t-il, son accord portant cession des hôtels Niger, Camayenne, Kaloum
et Novotel à un consortium libyen. Si la volonté d’ôter toute possibilité au
Premier ministre de se targuer de la moindre réussite ne faisait pas l’ombre d’un

476
Observateur no 269 du 14 janvier 2013, p.6.

371
doute, à travers ce geste, Lansana Conté, réglait également des comptes avec le
guide libyen. En effet, le président prenait ainsi sa revanche sur Mohamar
Khadafi qui « n’avait pas voulu tenir certaines promesses qu’il lui avait faites
lors d’une visite qu’il lui avait rendu à l’époque où la Libye était placée sous
embargo international et isolée du reste du monde », nous a confié, un ancien
ministre des Affaires Etrangères.

LE DERNIER MOT POUR LANSANA CONTÉ


Lansana Kouyaté affaibli par une avalanche de coups tordus, les
syndicalistes ayant la tête ailleurs depuis un certain temps parce que tiraillés par
des intérêts contradictoires et des ambitions personnelles, subissant par ailleurs
les pressions de leur communauté, le reste ne tenait plus qu’à un fil. Le 20 mai
2008, le président de la République, ne craignant plus rien ni personne, nomme
Ahmed Tidiane Souaré, Premier ministre, chef du gouvernement. Les
syndicalistes sont divisés quant à l’attitude à observer. Ils font généralement
preuve d’indifférence face à cette violation flagrante des accords de février 2007
par Lansana Conté.Toutefois, des proches de l’ancien Premier ministre ont mis
en doute l’authenticité du décret mettant fin aux fonctions de Lansana Kouyaté.
Des faussaires évoluant dans l’entourage présidentiel en seraient les vrais
auteurs, laissent-ils entendre. Un autre mystère à éclaircir.
Il n’en demeure pas moins que le vieux général est resté un redoutable
animal politique jusqu’au bout. Lansana Conté n’a pas cessé de démontrer
malgré le handicap physique qui l’affligeait à partir d’un certain moment qu’il
avait encore le cuir épais. Il n’avait entamé en rien sa détermination à garder le
pouvoir jusqu’à la fin. Le Général-Président resta ainsi le numéro un incontesté
de la Guinée jusqu’à son décès.
En définitive, l’histoire retiendra que Lansana Conté aura surmonté toutes
les embûches qui ont jalonné son parcours. Le vieux lion a survécu à toutes les
tempêtes déclenchées par ses adversaires. Pour ce faire, le président ne lésina
pas sur les moyens pour s’imposer. D’entrée, il sut tirer profit des querelles
intestines au sein du C.M.R.N pour le domestiquer. Il se débarrassa ensuite tantôt
par la ruse, tantôt par la force brutale, la corruption ou l’exploitation des rivalités
ethniques … de tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre : militaires et civils.
A ce titre, il a régné en maître absolu sur la Guinée en triomphant de tous ses
adversaires.
Malgré tout, au cours des deux dernières années de son règne, le président
apparaissait de plus en plus comme un vieillard gâteux qui n’avait plus le sens
des réalités. Ordres et contre-ordres à travers des décrets prenant les uns le
contre-pied des autres se succédaient à un rythme échevelé mettant sur la place
publique les dissensions internes qui minaient son entourage. Que faire pour
mettre un terme à un scénario que de plus en plus de personnes ayant une haute
opinion de l’Etat et soucieux de préserver l’image du pays ne pouvaient plus

372
continuer de supporter ? Des tractations entre les représentants de certaines
grandes puissances en Guinée et des officiels guinéens ont sans doute été
engagées pour évincer Lansana Conté du pouvoir. Arguant de l’incapacité du
président à assumer les charges inhérentes à sa fonction à cause de son état de
santé, l’ambassadeur des Etats-Unis en poste à Conakry, s’est placé en tête de
la croisade. Mac Donald Jackson prit langue avec le Président de l’Assemblée
Nationale et le Premier président de la Cour Suprême. Il leur demanda d’activer
l’article 34 de la Loi Fondamentale comme le rapporte Aboubacar Somparé
dans ses mémoires. Celui-ci dispose qu’ « en cas de vacance de la fonction de
Président de la République, ou de toutes autres causes d’empêchement définitif,
la suppléance est assurée par le Président de l’Assemblée Nationale, en cas
d’empêchement de celui-ci par l’un des vices-présidents de l’Assemblée par
ordre de préséance ». Mais les atermoiements voire le refus à peine déguisé de
Lamine Sidimé à adhérer à l’idée, aurait coupé court à ces velléités. Finalement,
Lansana Conté est resté formellement seul maître à bord jusqu’à son dernier
souffle.

373
Conclusion

Le travail qui vous est proposé doit-il forcément déboucher sur une
conclusion ? Si oui, il ne pourrait s’agir que d’une étape marquant la fin de nos
efforts personnels visant à rappeler quelques faits de l’histoire récente de notre
pays. Mais, dans l’absolu, une conclusion, en ce sens que celle-ci sous-tend « la
fin » ou « l’issue » d’une recherche, d’un témoignage ou d’une réflexion, ne
s’impose pas. Des initiatives destinées à compléter la nôtre sont attendues et
espérées dans le but d’en savoir plus sur les points que nous avons abordés. En
tout cas, nous avons, en ce qui nous concerne, le sentiment d’avoir effleuré tout
simplement un sujet vaste comme une étendue sablonneuse. Nous dirons plutôt
des sujets vastes, mais très sensibles. Nous en voulons pour preuve le grand
nombre de personnes qui, nous interrogeant, sur notre objectif, suggérèrent au
bout du compte soit d’y renoncer pour ne pas, disent-elles, « remuer le couteau
dans la plaie », soit de nous y prendre de telle manière que chaque sous-titre
contenu dans l’ouvrage corresponde à un livre et que nous gagnerions à ne pas
les fondre dans un seul et unique volume. Mais, restant fidèle à la ligne de
conduite que nous nous étions tracée dès l’instant où l’idée d’écrire ce livre avait
germé dans notre esprit, nous avons décidé de garder le cap. Nous voulions, en
effet, parler en un tenant des premières années du régime mis en place par le
CMRN en Guinée au lendemain de la disparition du président Ahmed Sékou
Touré. En effet, la période choisie et les faits saillants qu’elle engendra, ont
influé d’une manière considérable et particulière sur l’avenir de la Guinée. Les
événements qui l’ont marquée ne doivent pas être mis sous le boisseau ni
ergotés. Ils sont une partie intégrante de notre histoire tout comme ceux qui les
avaient précédés avec leur lot de controverses. Un rappel d’autant plus
significatif que le sang a continué de couler.
C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas nous borner à l’évocation
exclusive des faits qui marquèrent la première phase de l’indépendance du pays.
Il nous faut nous pencher également sur les actions engagées aussitôt par les
militaires quand ils prirent les destinées du pays en main. Il est, en effet,
dangereux du point de vue de l’histoire de ne pas faire la démarcation entre deux
systèmes qui devraient être antithétiques. Des professions de foi démocratiques
n’ont-elles pas été au centre des premières déclarations des nouvelles autorités ?
L’idée a germé qu’une page était tournée, irréversible, laissant la place à des
espérances nouvelles. Le CMRN avait entamé son règne en affichant sa volonté
d’effacer les tares qui avaient caractérisé l’évolution de la Guinée sous la férule
du PDG.

375
La Deuxième République avait ainsi bénéficié de l’accueil enthousiaste des
Guinéens qui rêvaient d’une nouvelle ère où ils vivraient comme des citoyens
d’un Etat favorisé par la nature. Ces aspirations ont-elles été comblées ? Il est
indéniable que l’annonce du changement de régime le 3 avril 1984, avait suscité
un énorme espoir. Pour les Guinéens, la possibilité leur serait donnée désormais
de parler, entreprendre, circuler à l’intérieur du pays comme en dehors. De ce
point de vue, des biens précieux, dont ils étaient privés le plus souvent leur ont
été légués. Il n’est pas sûr cependant que dans l’absolu Lansana Conté ait mieux
fait que son prédécesseur. Dans maints domaines, le bilan laisse à désirer.
L’option libérale imprimée à la marche du pays n’a pas insufflé à l’économie
la vitalité à même de créer des richesses et des emplois. Au contraire, le système
Conté a favorisé l’instauration d’un libéralisme sauvage qui a démantelé les
infrastructures héritées de la Première République, a approfondi les inégalités
sociales, créé le chômage, engendré l’insécurité et la délinquance, le grand
banditisme…
En définitive, on remarquera que les nobles intentions qui animaient les
nouveaux dirigeants de sortir la Guinée de l’ornière au lendemain du 3 avril
1984 restèrent généralement de simples vœux pieux.
Tous ceux qui misaient, sur l’avènement d’une nouvelle Guinée, débarassée
des lacunes du régime révolutionnaire et jouissant des bienfaits du système qui
lui succédait, virent leurs illusions s’envoler en fumée. En tout cas, il n’y a pas
eu de miracle. Le décollage économique tant attendu n’est toujours pas au
rendez-vous. Or il était considéré à tort ou à raison malgré le tissu industriel mis
en place par l’administration du PDG comme le talon d’Achille du régime de
Sékou Touré. La Guinée est encore au creux de la vague sous l’effet conjugué
de choix inadaptés et du diktat de certaines institutions internationales. En plus,
l’incompétence de plus en plus éprouvée de ceux qui tiennent le gouvernail, le
délitement des liens sociaux, l’impatience des prétendants au pouvoir, dont les
manœuvres souterraines visent à rendre le pays ingouvernable jusqu’au moment
où ils l’auront à leur merci, hypothèquent dangereusement tout espoir d’aller de
l’avant. De toute façon, l’histoire objective et détaillante retiendra que ceux qui
ont mal gouverné la Guinée sont tout autant responsables de ses maux et de son
retard que ceux qui se sont échinés par des combats d’arrière-garde à briser son
élan. En somme, nous sommes en face d’une accumulation de carences et
d’attitudes détestables aggravées par la corruption qui gangrène le pays. Celle-
ci ne cesse de s’étendre. On cherche avidement partout à se remplir les poches
au détriment du développement du pays. L’intérêt supérieur de la nation est tenu
pour quantité négligeable. L’ethnie et l’argent ont supplanté toutes les valeurs.
En même temps, la chienlit n’arrête pas de gagner du terrain. Tout semble aller
à vau-l’eau dans le système de l’éducation, la circulation routière, les services
de santé, l’administration, la police…Un danger encore plus redoutable, l’unité
nationale est mise à mal par les appétits et les ambitions de la classe politique.
On lutte pour conquérir le pouvoir pas pour asseoir le bonheur du peuple et

376
consolider la démocratie et l’unité nationale. Or, cette dernière est, notre
principale richesse. Il nous faut aujourd’hui œuvrer à la reconstituer. Il faut
espérer que les aspirations à gouverner cesseront de servir de prétexte pour
opposer les Guinéens les uns aux autres. La Guinée pourra dans ces conditions
occuper sur la scène internationale une place qui honorera ses filles et fils. Les
Guinéens accèderont en même temps au bien-être digne de l’énorme potentiel
de leur pays.

377
PHOTOS (AZIZ, BARRY, DIOUMESSI).

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L’homme qui a pris le pouvoir en Guinée le 3 avril 1984

382
MEMBRES DU CMRN

Capitaine Mamadou BALDET Capitaine Mamady BAYO

Commandant Kékoura Camara Cne Kerfala CAMARA

Colonel Lansana CONTE Cdt Makan CAMARA

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Lieutenant Abdourahamane Diallo Commandant Jean Kolipé Lamah

Commandant Alhousseyni Fofana Capitaine Mohamed Oumar Kébé

Capitaine Lansiné Kéïta Commandant Sidy Mohamed Kéïta

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Capitaine Bakary Sacko Commandant Ousmane Sow

Capitaine Faciné Touré Adjudant Sékou Touré

Colonel Diarra Traoré Capitaine Jean Traoré

385
Capitaine Mohamed Lamine Traoré Sous-Lieutenant Joseph Bago Zoumanigui

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399
Liesse populaire le 3 avril 1984

Diarra Traoré et Lansana Conté

400
Lansana Conté à l’urne

Prestation de serment de Lansana Conté

401
Les obsèques du Président Ahmed Sékou Touré

Référendum de 1990

402
Annexes
COMMUNIQUÉS DU CMRN, LE 3 AVRIL 1984
Communiqué n° 1
Peuple de Guinée, tu viens de conduire à sa dernière demeure l’un de tes fils
les plus prestigieux auquel l’Afrique et le monde entier ont tenu à rendre un
hommage mérité. L’œuvre immortelle d’Ahmed Sékou Touré aura été de
conduire notre pays à l’indépendance nationale et de faire rayonner sur le plan
africain et international tes idéaux et tes aspirations nobles. Cependant, si sur le
plan extérieur, son œuvre a été couronnée de succès, il n’en est pas de même sur
le plan intérieur où sous l’influence de certains compagnons de lutte,
malhonnêtes et sous la pression féodale de sa famille, les espoirs de voir se créer
une société plus juste se sont envolés, très tôt, balayés par une dictature
sanglante et impitoyable qui a broyé ta lumineuse espérance.
Ton armée nationale qui t’est demeurée toujours fidèle et qui a toujours
partagé ton sort dans la discipline et dans l’abnégation pendant ces 26 années
d’un pèlerinage douloureux, a donc décidé de prendre en charge
l’administration du pays afin de créer les bases d’une démocratie véritable,
évitant à l’avenir toute dictature personnelle. C’est le lieu de nous incliner très
respectueusement devant la mémoire de tous les dignes fils qui, au cours de ces
26 années de notre indépendance ont perdu leur vie pour le simple fait d’avoir
voulu exprimer leurs opinions sur l’avenir du pays.
Nous promettons fermement que ces martyrs seront réhabilités et
immortalisés dans notre histoire. Dans l’immédiat, et ce jusqu’à nouvel ordre,
les mesures suivantes entrent en application :
Tous les Organismes du parti sont dissous.
La Constitution est suspendue.
L’Assemblée Nationale est dissoute.
Toutes les organisations de masse sont interdites.
Les aérogares et les frontières sont fermées à tout trafic.
Les regroupements de personnes sont interdits.
Un couvre-feu allant de 22 heures à 6 heures du matin est instauré sur toute
l’étendue du territoire national.
Les commandants de zones militaires sont désignés dans les fonctions de
Gouverneurs généraux de leurs Provinces et ont charge de pourvoir en
Gouverneurs militaires les régions de leur ressort. Ils doivent assurer en outre la
coordination entre les services de sécurité ; police, gendarmerie, douane, garde,
milice et l’armée pour faire asseoir les bases de la nouvelle administration. Le

403
Comité Militaire de Redressement National, estimant n’avoir fait que son
devoir, en appelle au sens de discipline et d’ordre qui a toujours caractérisé notre
peuple pour qu’aucune action de violence ne soit entreprise contre quelque
citoyen que ce soit, tout en l’assurant de sa détermination à bannir à jamais du
pays la corruption, la tricherie, la démagogie et de concrétiser enfin le signe de
notre emblème : Travail-Justice-Solidarité.
Il reste entendu que pour la journée d’aujourd’hui, chaque citoyenne, chaque
citoyen doit rester à son domicile.
Pas de travail, pas de marché, pas de circulation.
Communiqué n°02 :
Peuple de Guinée ;
Peuple d’Afrique ;
Peuple de Monde,
En ce jour de 03 avril 1984, les Forces Armées Guinéennes (Terre, Air, Mer ;
Police, Douane, Milice, Garde Républicaine), en répondant à l’appel du peuple
de Guinée ont pris en mains les destinées du pays, sans effusion de sang dans
un calme total et dans un enthousiasme populaire.
Le comité Militaire de Redressement CMRN) actuel Organisme dirigeant :
1. Affirme sa totale adhésion à la Charte des Nations Unies, à celle de
l’Organisation de l’Unité Africaine et aux principes du Non-alignement.
2.Souhaite une coopération amicale avec tous les pays africains, dans le
cadre de la réalisation des nobles idéaux de liberté, de dignité et de solidarité
africaine toujours défendus par le peuple courageux de Guinée.
3. Respecte les termes des accords passés avec tous les pays du monde.
4. Ordonne à compter de ce jour, la libération de tous les détenus politiques
arbitrairement privés de leur droit naturel à la liberté et à la justice sociale.
Communiqué n° 03 :
Le Comité Militaire de Redressement National invite les dignitaires de
l’ancien régime à se présenter dans les plus brefs délais dans l’une des garnisons
militaires de la Capitale. Nous en appelons à la population pour dépister et
mettre à la disposition de CMRN tous ces citoyens.
Communiqué n° 04 :
Le Comité Militaire de Redressement National assure une fois encore le
peuple de Guinée, les peuples frère et amis, que les biens des citoyens étrangers
ainsi que les personnes sont et demeureront en sécurité sur le sol guinéen.
Communiqué n° 05 :
Le comité Militaire de Redressement National, conformément a son
intention d’assurer la sécurité et la quiétude des citoyens, lance un appel pressant
à toute la population pour qu’il ne soit entrepris aucun acte de pillage et de

404
brigandage contre les biens ou les immeubles. Les militaires et les agents de la
sécurité doivent veiller strictement à ce que tout acte de brigandage soit puni
avec la dernière rigueur.
Communiqué n° 09
Le CMRN suit avec beaucoup d’attention les mouvements d’un groupuscule
visant à nuire à ses activités en connivence avec certaines Ambassades
étrangères de la capitale.
Le CMRN, fidèle à son serment de mettre fin une fois pour toutes à la
souffrance du peuple laborieux de Guinée, sait que la logique qu’il suit est juste,
parce qu’allant dans le sens de la restauration de la liberté et de la démocratie
dans notre pays.
Nous informons le peuple glorieux de Guinée de l’existence d’un
groupuscule nostalgique de l’arbitraire passé, du régime totalitaire qui, pendant
ses 26 années, ont baigné notre pays dans le sang et dans les larmes.
Nous savons que nous vaincrons, parce que nous défendons une cause juste
et celle de la liberté, de la démocratie et de la justice. C’est pourquoi, nous
lançons un appel pressant à la population de Conakry pour qu’elle demeure
vigilante et garde jalousement sa liberté reconquise.
Message du CMRN à tous les Chefs d’État
A son excellence, Monsieur le Président de la République de …
Le Comité Militaire de Redressement National soucieux d’entretenir les
relations amicales existant si heureusement entre notre peuple et le vôtre, vous
assure de sa totale disponibilité, à renforcer les liens de fraternelle coopération
fructueuse dans l’intérêt supérieure de nos peuples.
Haute et fraternelle considération.
Message du CMRN à Messieurs les secrétaires généraux de l’ONU et de
l’O.U.A.
Le peuple de Guinée, soutenant dans la ferveur et dans l’enthousiasme
populaire le CMRN, organisme dirigeant du peuple de Guinée depuis ce jour 3
avril 1984, à l’honneur de vous informer qu’il prend l’engagement :
1 / De respecter tous les accords internationaux dans le cadre strict de sa
souveraineté nationale, sans immixtion dans les affaires intérieures d’un autre
pays.
2/ La garantie des biens de tous les étrangers et la sécurité de ces derniers
seront vigoureusement assurés.
3/ La libération de tous les détenus politiques.
4/ Le respect des engagements internationaux passés entre notre pays et les
Etats membres de la communauté internationale.
5/ Le rétablissement dans la paix et dans la concorde de l’unité de tous les
fils du pays.

405
LES MEMBRES DU COMITÉ MILITAIRE
DE REDRESSEMENT NATIONAL C.M.R.N
1/ Colonel Lansana Conté : Président de la République (1984 -2008). Promu
Général d’armée.
2/Colonel Diarra Traoré : Premier ministre (1984), ministre d’Etat chargé de
l’Education Nationale (1984-1985); exécuté après le coup d’Etat avorté du 4
juillet 1985.
3/ Chef de bataillon Alhousseny Fofana : ministre de l’Agriculture (1984-
1988), ministre résident de la Guinée Forestière ; promu Général ; affecté au
camp Almamy Samory comme Conseiller.
4/ Capitaine Jean Traoré : Promu : Colonel. Ministre des mines (1984)
ministre d’Etat chargé des ressources naturelles (1984-1985), ministre des
Affaires étrangères (1985-1992), ministre de l’Urbanisme et Habitat (1996).
Commandant du Génie militaire ; décédé en 1998.
5/ Capitaine Faciné Touré : ministre des Affaires étrangères (1984), Ministre
d’Etat chargé des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale (1984-
1985), ministre-résident à N’Zérékoré (1985-1988), ministre des Transports et
des Travaux publics (1988-1991), ministre de la justice (1991-1992). Candidat
à l’élection présidentielle de 1993 sous l’étiquette de l’U.N.P.G. Promu Général
de brigade par le Conseil National de la Démocratie et du Développement
(C.N.D.D) qui a pris le pouvoir en Guinée au lendemain de la disparition du
Général Lansana Conté. Médiateur de la République (2010…
6/Capitaine Lancinet Keïta dit Fangama, ministre de la Défense nationale
(1984), ministre-secrétaire permanent du CMRN (1984-1985), exécuté en 1985.
7/Lieutenant Abdourahamane Diallo, promu : Général de Brigade, Chef du
protocole à la Présidence de la République (1984), ministre chargé de mission
à la Présidence de la République (1988-1992), ministre de la Défense nationale
(1992-1996), mort en disgrâce.
8/Sous-Lieutenant Bago Joseph Zoumanigui. Promu : Colonel.
Successivement Secrétaire d’Etat à l’Energie (1984-1985), secrétaire d’Etat à la
pêche (1985), ministre résident à Kindia, ministre de la Jeunesse des Arts et des
Sports, a quitté le gouvernement en 1992. Mêlé à la tentative de coup d’Etat des
2 et 3 février 1996, parvient à quitter le pays pour y retourner après la mort de
Lansana Conté.
9/Capitaine Mamadou Baldet : Promu Général, ministre de la Fonction
Publique (1984), ministre d’Etat chargé de la Reforme Administrative et de la
Fonction Publique (1984-1985), ministre résident de la Haute Guinée et puis de
la Guinée Forestière, ministre de l’intérieur et de la Décentralisation. Il a été
Inspecteur Général des armées, membre du Comité Transitoire de
Redressement National institué en 1991. Général à la retraite.

406
10/Adjudant-chef Sékou Touré : préfet de Dalaba (1984-1985), exécuté
après la tentative de coup d’Etat du 4 juillet 1985.
11/Capitaine Pathé Barry : Promu Général sous le CNDD. Secrétaire d’Etat
à l’Energie, ministre du commerce intérieur et de l’industrie.
12/Capitaine Mohamed Lamine Sacko ministre de l’industrie (1984),
nommé ambassadeur au Gabon (1984), n’a pas rejoint son poste, exécuté à la
suite du coup d’Etat avorté de 1985.
13/ Commandant Abdourahamane Kaba ministre des transports (1984),
préfet de Guéckédou, fusillé en 1985 après l’échec du coup d’Etat de Diarra
Traoré.
14/Capitaine Fodé Momo Camara : ministre de la coopération (1984),
ambassadeur auprès du Bureau des Nations-Unies à Genève (1984-1988).
Promu Général de brigade en 2009 par le CNDD après une longue traversée du
désert.
15/Capitaine Mamadi Bayo : ministre de la Jeunesse des Arts et des
Sports (1984-1985), exécuté après les évènements du 4 juillet 1985.
16/Capitaine Mohamed Lamine Kébé : ministre du Commerce Extérieur
(1984), Gouverneur de Boké (1984-1985), exécuté en juillet 1985.
17/Capitaine Mohamed Lamine Traoré : ministre de l’information (1984-
1985), représentant permanent de la Guinée à l’ONU (1985-1991), ministre des
mines (1991-1992), Directeur de Cabinet à la Défense ; éclaboussé par la
tentative de coup d’Etat du 2 février 1996, a été mis d’office à la retraite avec le
grade de Colonel.
18/Capitaine Bakary Sacko : Gouverneur de Conakry (1984), puis de
Dubréka (1985), il a été fusillé en juillet 1985.
19/ Capitaine Kerfalla Camara : ministre de l’Habitat (1984), ministre
secrétaire permanent du CMRN (1984), Gouverneur à Kankan et à Conakry.
Général de Brigade, et Chef d’Etat Major interarmes. Démis de ses fonctions
après la mutinerie de 2007.
20/Commandant Sidi Mohamed Keïta : ministre (1984) et puis Secrétaire
d’Etat à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche scientifique
(1985), exécuté en juillet 1985.
21/Commandant Makan Camara : Chef d’Etat Major de la Gendarmerie
nationale, ministre résident à Labé.
22/ Commandant Kékoura Camara : Chef d’Etat-major de l’Armée de terre
(1985-1987).
23/Commandant Ousmane SOW : Chef d’Etat-major interarmes (1984-
1985), Secrétaire d’Etat à la Défense Nationale (1984-1985), ministre de
l’industrie et du commerce. Promu Général par le C.N.D.D.

407
24/Capitaine Alpha Oumar Barrou Diallo : Secrétaire d’Etat à la Pêche,
ministre de l’intérieur et de la Décentralisation, Gouverneur de la ville de
Conakry, ministre résident à Kankan, Député à l’Assemblée Nationale. Promu
Général sous le C.N.D.D.
25/Capitaine Sékou Traoré : Secrétaire Général du Gouvernement (1984-
1985), fusillé après la tentative de coup d’Etat du Colonel Diarra Traoré.

*Seuls quatre membres du C.M.R.N ont accédé au grade de Général sous la


présidence de Lansana Conté. Ce sont : les Généraux Sory Doumbouya,
Alhousseny Fofana, Kerfalla Camara et Abdourahamane Diallo. Tous les autres
y ont été élevés après l’avènement au pouvoir du C.N.D.D.

408
REPUBLIQUE DE GUINEE
TRAVAIL-JUSTICE-SOLIDARITE
-------------- ------------
PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
------------------
SECRETARIAT GENERAL DU GOUVERNEMENT
-----------------
ORDONNANCE N°321 /PRG
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Vu la déclaration de prise effective du pouvoir par l’armée en date du 3 avril
1984 ;
Vu la proclamation de la Deuxième République ;
Vu l’ordonnance N°009/PRG du 18 avril 1984, Prorogeant la validité des
lois et règlements en vigueur au 3 avril 1984 ;
ORDONNE
Article premier : Sont nommés à compter du 22 décembre 1985 dans les
fonctions ci-après :
Ministre résident pour la Guinée Maritime : Siège à Kindia
Chef de Bataillon : Jean Koli Pé Lama- Précédemment Ministre de la
Justice.
Ministre résident pour la Moyenne Guinée avec siège à Labé : Chef de
Bataillon Makan Camara, Précédemment Chef d’Etat-Major de la
Gendarmerie Nationale.
Ministre résident pour la Haute Guinée avec siège à Kankan, Capitaine
Mamadou Baldet, Précédemment ministre d’Etat Chargé de la Reforme
Administrative et de la Fonction Publique.
Ministre Résident pour la Guinée Forestière avec siège à N’Zérékoré,
Capitaine Faciné Touré, Précédemment Ministre d’Etat Chargé des Affaires
Etrangères et de la Coopération Internationale.
Secrétaire Permanent du CMRN avec Rang de Ministre : Chef de Bataillon
Kerfalla Camara, Précédemment ministre de l’Aménagement du Territoire.
Ministre délégué auprès du Président de la République chargé de la Défense
Nationale : Lt-Colonel Sory Doumbouya, précédemment ministre de
l’Economie et des Finances.
Ministre délégué auprès du président de la République chargé de l’intérieur
et de la décentralisation : Chef de bataillon Alpha Oumar Diallo,
précédemment Secrétaire d’Etat à la Pêche.

409
Ministre délégué auprès du Président de la République chargé du plan et la
Coopération Internationale : Mr. Edouard Benjamin, Précédemment
Fonctionnaire à la Banque Mondiale à Washington.
Ministre délégué auprès du Président de la République Chargé de
l’Information et de la Culture : Mr. Jean Claude Diallo, Précédemment
Secrétaire d’Etat Chargé des Guinéens de l’Etranger.
Ministre de la Justice : Garde des Sceaux : Mr. Bassirou Barry,
Précédemment Conseiller au Ministère de la Justice à Abidjan.
Ministre des Affaires Etrangères : Chef de Bataillon Jean Traoré,
Précédemment Ministre d’Etat Chargé du Plan et des Ressources Naturelles.
Ministre de l’Economie et des Finances : Mr. Lamine Bolivogui :
Précédemment Secrétaire Général au Ministère de l’Economie et des Finances.
Ministre du Développement rural : Chef de Bataillon Alhousseny Fofana ;
Ministre des Ressources Naturelles de l’Energie et de l’Environnement : Dr.
Ousmane Sylla, Précédemment Chef de Département à Interatome en
Allemagne Fédérale.
Ministre des Ressources Humaines, de l’Industrie et des Petites et Moyennes
Entreprises : Mr. Kémoko Keita, Précédemment Directeur Général de la
Coopération Internationale.
Ministre de l’Equipement et de l’Urbanisme : Mr. Bahna SIDIBE,
Précédemment Chef de Département à l’Ecole d’Architecture de Dakar.
Ministre de l’Education Nationale : Mr. Saliou Coumbassa Précédemment
Représentant permanent de la Guinée auprès des Nations Unies.
Ministre de la Santé et des Affaires Sociales : Dr. Pathé Diallo,
Précédemment Médecin Pédiatre.
Ministre des Affaires Religieuses : Elhadj Abdourahamane Bah
Secrétaire d’Etat auprès du Président de la République Chargé de la
Sécurité : Mr. Ibrahima Sory Diaby.
Secrétaire d’Etat auprès du ministre délégué à l’intérieur et à la
décentralisation chargé de la décentralisation : Mr. Alhassane CONDE,
Précédemment fonctionnaire au Burkina Fasso.
Secrétaire d’Etat aux Postes et Télécommunications : Mr. Hervé Vincent
Bangoura ;
Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et au Sport : Mr. Zainoul Abidine Sanoussi.
Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie et des Finances Chargé
de la Fonction Publique : Mr. Abou Camara, Précédemment Secrétaire d’Etat
à l’Enseignement Pré-Universitaire.
Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances Chargé
du Commerce : Mr. Kory Koundiano, Précédemment Directeur de la Caisse
des Devises.

410
Secrétaire d’Etat auprès du ministre du Développement Rural Chargé de la
Pêche : Lieutenant Joseph Bago Zoumanigui, Précédemment Secrétaire d’Etat
à l’Energie.
Secrétaire d’Etat auprès du ministre des Ressources Naturelles de l’Energie
et de l’Environnement, Chargé des Eaux et Forêts : Capitaine Tiana Diallo.
Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Equipement et de L’Urbanisme
Chargé des Transports : Chef de Bataillon Babacar N’Diaye.
Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Equipement et de l’Urbanisme
Chargé des Travaux Publics : Mr. Sékou Menton Camara.
Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education Nationale Chargé de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique : Mr. Ahmadou
Tidiane Traoré, Précédemment Professeur à l’I.P.G.A.N.
Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Santé et des Affaires Sociales
Chargé des Affaires Sociales : Mme Yedoua Kourouma, précédemment Sous-
préfet Central de Pita.
Article 2 : La présente ordonnance qui prend effet à compter de sa date de
signature, sera enregistrée et publiée au journal officiel de la République.

Conakry, le 22 Décembre 1985


Le Général de Brigade Lansana Conté

411
LANSANA CONTÉ-FACINÉ TOURÉ : Une relation tumultueuse
Pour le général Faciné Touré, la détérioration de ses rapports avec son « ami
de trente ans » s’explique par l’impartialité qu’il avait observée lors du procès
de certains militants du RPG en 1991477. A l'époque, le Garde des Sceaux avait
donné carte blanche au magistrat chargé de juger les prévenus pour agir selon
les règles dictées par sa conscience.
Le non-lieu prononcé en leur faveur aurait irrité le Palais. Des fauteurs en
eaux troubles en profitèrent. Ils avaient convaincu le président de se méfier du
degré de nuisance de son ministre et de l’écarter. « Cela suffit-il cependant pour
qu’il se comporte à mon égard comme s’il ne m’avait jamais connu ? », s’est-il
exclamé. Mais, nous avons découvert au gré de nos investigations que Faciné
Touré avait livré ses souvenirs quatre ans plus tôt à la presse à propos de ses
relations tumultueuses avec le président Lansana Conté. Il en avait parlé avec
Sékou Mady Traoré en des termes dépouillés de toute ambiguïté: « Nos rapports
se sont distendus dès le départ », avait-il reconnu. Selon l’ancien ministre, la
‘’cohésion, l’amitié, l’entente, la confiance’’ se sont envolées très tôt. Elles
cédérent la place à la suspicion et à la méfiance. Visiblement, disait-il en des
termes à peine voilés, Lansana Conté sentait dans mon regard une forme de
condescendance qui n’osait pas dire son nom.
Il reconnaît que le président était excédé par ses remarques jugées
intempestives en Conseil des ministres. Il se lâchait parfois, confesse-t-il, à
travers des formules telles que : « Oui, je sais que tu ne crois pas en la solidité
de mon analyse ».
Il est aisé de comprendre que dans de telles conditions, Faciné Touré ne
devait pas s’attendre à évoluer pendant longtemps dans l’espace immédiat d’un
président craignant à tout moment que son ministre ne soit tenté de lui faire la
leçon. Finalement, le fossé se creusa entre les deux amis, allant jusqu’à la
rupture quasi-définitive. La décision du président, mettant fin en 1992 aux
fonctions de ministre de la justice de Faciné Touré, coupa les derniers ponts qui
reliaient les deux hommes. Toutefois, le Garde de Sceaux n'avait pas été la seule
victime du remaniement intervenu en février 1992. Tous les ministres nommés
en 1985 y laissèrent des plumes.
Le gouvernement avait été « civilisé » quasiment à cent pour cent. L'unique
militaire qui avait survécu au coup de balai donné par le président fut le ministre
de la Défense Nationale, le colonel Abdourahamane Diallo478. A la vérité, le

477
C’était à l’occasion d’une rencontre impromptue dans les locaux du Ministère de
la Justice où nous étions venus assister à la prestation de serment de l’avocat Doura
Chérif.
478
Il faut dire que le pays se trouvait alors à la croisée des chemins au lendemain de
l'adoption de la Loi Fondamentale et à la veille de la première élection
présidentielle multipartite de son histoire. Le Président ne voulait probablement
plus apparaître comme un chef militaire. Il avait entrepris de se mouler dans le

412
processus amorcé en 1985 s’était tout simplement amplifé avec la volonté du
président de s’entourer de plus en plus d’hommes qui ne devront qu’à lui leur
bonne fortune politique.
Vu sous cet angle, Faciné Touré avait eu tort d'interpréter son éviction du
gouvernement uniquement à l’aulne de la méfiance qu’il inspirait au chef de
l'Etat. Toujours est-il que c'est un homme habité par la rancœur que l'on
rencontra au lendemain de son limogeage479. Privé de poste et d’honneurs, son
dépit était immense.
Poussé par son tempérament volcanique, encouragé par d’éternels
thuriféraires, M Touré avait alors décidé d’entrer en politique. Se voulant parfait
légaliste, celui qui était devenu lieutenant-colonel entre temps, avait
démissionné des rangs de l’armée pour se conformer à l’esprit de la
Constitution. En effet, la Loi fondamentale de 1990 excluait les militaires et les
magistrats du jeu politique. Désormais à la retraite, Faciné Touré tenta de lancer
une OPA sur l’Union Nationale pour la Prospérité (UNP), parti fondé par Maître
Paul Louis Faber, ancien ministre de Sékou Touré et précédemment haut
fonctionnaire de la Banque Mondiale.
Sans surprise, il perdit la partie de bras de fer engagée contre un adversaire
parfaitement outillé pour défendre ses droits. Faciné Touré se présenta
finalement à l’élection présidentielle de 1993 sous les couleurs de l’UNPG, un
parti créé par lui-même. A l’issue du scrutin, le colonel Touré s’était retrouvé
quasiment en queue de peloton avec moins d’1% des suffrages exprimés. Il
expliqua sa déroute électorale par ‘’les fraudes massives organisées par le
pouvoir à ses dépens’’. Malgré la médiation de Nino Viera, Lansana Conté et
Faciné Touré ne se reverront plus que parcimonieusement.
En 1995 pourtant, à l’occasion du onzième anniversaire de la prise du
pouvoir par l’armée, le chef de l’Etat avait reçu ses anciens compagnons du
CMRN au domicile de sa nouvelle épouse, Kadiatou Seth Conté. Faciné Touré
fut chargé par ses pairs à l'issue de la cérémonie de remercier le couple
présidentiel. Il en avait profité pour souhaiter que de « telles rencontres se
multiplient entre les bâtisseurs de la Deuxième République ». Lansana Conté
n’avait pas réagi. Ce « repas de corps » avait été le dernier du genre. Finalement
en mai 1998, le président avait signé un décret nommant son ancien compagnon
comme secrétaire général de la Grande Chancellerie sur insistance, semble-t-il,
du général Sory Doumbouya.
Mais, lorsque Lansana Conté, par la volonté du Créateur, abandonna le
pouvoir dans la soirée du 22 décembre 2008, c’est Faciné Touré que l’on
entendit cinq jours plus tard à la tribune du Palais du Peuple. Il était chargé par

costume du citoyen ordinaire s'apprêtant à briguer les suffrages de ses


compatriotes.
479
Entretien avec l’auteur, Conakry, le 20 mars 2012.

413
ses pairs de rendre un ultime hommage à leur compagnon et chef avec qui il
aura entretenu des rapports houleux au cours des 23 années passées.
Si ces avatars ont atteint l’ex-ministre, ils ne l’ont cependant pas éteint. Tel
le phénix, l’ancien chef de la diplomatie guinéenne put renaître de ses cendres.
Faciné Touré fut en effet le seul membre de l’ex-CMRN qui connut une double
promotion militaire et politique au cours de ces dernières années.
En 2009, le lieutenant-colonel Faciné Touré avait été élevé au grade de
général de brigade à titre exceptionnel par le capitaine Moussa Dadis Camara,
président du Conseil National de la Démocratie et du Développement (CNDD)
qui avait pris le pouvoir en Guinée après le coup d’Etat perpétré au lendemain
de la disparition du Général Lansana Conté. En 2011, il avait été nommé
médiateur de la République. Une nomination contestée par l’Association des
Victimes de la Répression (l’AVR) dans une lettre en date du 17 janvier 2011.
Celle-ci a déclaré que « les victimes des évènements du 4 juillet 1985 ne se
reconnaissent pas dans la mission de ‘’Médiateur de la République’’ » en la
personne du Général Faciné Touré ». Dans une seconde lettre écrite le 28
février 2011, l’AVR lui fit grief de se présenter en « victime du camp Boiro, co-
auteur des évènements du 4 juillet 1985 en même temps Médiateur de la
République ». Elle a rappellé que le capitaine Faciné Touré s’était rendu dans la
nuit du 4 au 5 juillet 1985 à la poste de Lomé. Objectif : « Dicter au général
Mamadou Baldet qui l’attendait à la poste de Conakry la liste des officiers
impliqués selon lui dans la tentative de coup d’Etat manqué par Diarra
Traoré ».
En conséquence : l’AVR lui dénie le statut d’ « ancien prisonnier
politique ». Le lieutenant Faciné Touré aurait été « conduit deux fois au Camp
Boiro pour des raisons qui sont strictement du domaine privé », affirme
Dioumessi.
Outrage suprême pour un homme qui ne cesse de réclamer justice et se
trouve à l’avant-garde de l’action menée par les anciens du Camp Boiro et leurs
héritiers, Un combat entre deux positions tranchées, dont nul ne peut entrevoir
l’issue.

414
LA LOI FONDAMENTALE
Bassirou Barry fut le vice-président-rapporteur de la Commission de
rédaction de la Loi Fondamentale adoptée le 23 décembre 1990. Il en était
virtuellement le numéro un en ce sens que le rôle principal dévolu au capitaine
Jean Traoré, le président en titre, était de lui apporter l’onction du CMRN.
C’est donc pratiquement sous sa conduite que la Guinée s’est dotée de sa
première Constitution post-Sékou Touré, dont les grandes clauses sont toujours
d’actualité.
Une mission évoquée par notre interlocuteur avec une satisfaction tout à fait
compréhensible. Il a regretté cependant que l’esprit qui présida à son élaboration
se soit évaporé avec le temps. L’objectif était d’empêcher toute forme de
résurgence d’une dictature quelconque en Guinée.
A cet égard, il se souvient des mots qu’il aurait prononcés en remettant la
nouvelle constitution au président de la République : « Ce sont les peuples qui
fabriquent les dictateurs. J’ai connu Sékou Touré avant qu’il ne soit syndicaliste
et leader politique. Il était charmant, gentil et généreux. Mais les flagorneries
l’ont perverti. Il est devenu un dictateur impitoyable. Si nous adoptons le même
comportement avec le nouveau président, nous le transformerons très
rapidement à son tour en un nouveau dictateur ».
De toute façon, Bassirou Barry estime que les premières années passées dans
le gouvernement ont été enrichissantes.
« Outre le travail effectué par chacun de nous, l’atmosphère était détendue
et conviviale. C’est l’époque où le président faisait montre d’une grande
capacité d’écoute. Très imprégné de la tradition africaine, le président Lansana
Conté respectait certaines valeurs comme le droit d’aînesse.
De ce point de vue, nous formions au gouvernement un petit groupe de
ministres plus âgés que lui. Il en tenait compte et disait toujours körö (grand-
frère) quand il s’adressait à Sory Doumbouya. Nous plaisantions parfois et il le
prenait de bon cœur. Nous le mettions même en minorité sur certains sujets
importants. Nous avons ainsi repoussé à trois reprises le projet qui semblait lui
tenir à cœur concernant l’immunité à accorder aux anciens présidents. Nous
citions pour justifier notre refus, l’exemple des anciens présidents Senghor du
Sénégal, N’Yéréré de la Tanzanie et Aristidès Perreira du Cap Vert.
Nous estimions en effet, que les chefs d’Etat n’avaient qu’à bien se tenir
pendant la période d’exercice du pouvoir. Ils n’auront ensuite rien à redouter
après leur départ des affaires. De toute façon, il ne fallait pas dépasser
certaines limites ». Malheureusement, ce projet rejeté par le gouvernement a
été adopté par l’Assemblée Nationale en 1996. Bassirou Barry dit en avoir fait
la remarque en son temps à Bâ Mamadou de l’U.N.R qui avait alors
rétorqué naïvement en ces termes : « Nous voulons qu’à la fin de son mandat,
le président se retire à Gbantama sans crainte d’être poursuivi pour ses excès ».
Il aurait tenté de dissiper les illusions de son interlocuteur qui se trompait

415
lourdement parce que persuadé que « Conté n’abandonnerait jamais le pouvoir
de son vivant ».
Pour Barry Bassirou, « la période 1986-1992 a transformé positivement le
visage de la Guinée. L’équipe formée le 22 décembre 1985 a posé les bases du
libéralisme, elle a procédé à la la réforme monétaire, la libéralisation du système
bancaire, autorisé la reprise de l’exploitation privée du diamant. C’est plus tard
que la situation se dégrada ».
Bassirou Barry a quitté le gouvernement en 1992 après un bref passage au
ministère des Affaires Sociales. Il est resté à la tête du département de la Justice
pendant 5 ans. Un « record sous la IIe République », précise-t-il avec fierté.
Depuis, il n’a plus jamais revu le président Lansana Conté. Il était prêt, dit-il,
« à répondre à son appel à tout moment, mais pas à prendre l’initiative d’une
entrevue quelconque ».
Aujourd’hui, veuf et presque nonagénaire, Maître Bassirou Barry vit retiré
dans son immense demeure de Nongo, entouré d’enfants et de petits-enfants.
Mais toujours bon pied, bon œil, il n’en oublie pas pour autant les
dossiers judiciaires. A preuve, à la veille de notre entrevue, il s’apprêtait à se
rendre le 10 décembre 2012 à l’ouverture des travaux de la Cour d’Assises de
Conakry en sa qualité d’avocat d’un des prévenus.

416
LISTE DES PREMIERES RECRUES DE L’ARMEE GUINEENNE
1 1/G BALDE Mamadou 25 25/G DIALLO Ibrahima -3 49 49/G NABE Sékou

2 2/G BAH Saïdou 26 26/G DIALLO Ibrahima Sory 50 50/G N’DIAYE Alioune
Badara
3 3/G BANGOURA Babagalé 27 27/G DIALLO Mamadou 51 51/G OMONIME Dit
Samba TOURE Mandjou
4 4/G BANGOURA Georges 28 28/G DIALLO Mamadou 52 52/G OULARE N’Famara
Rénè Alpha
5 5/G BANGOURA Momo 29 29/ DIALLO Mamadou 53 53/G SACKO Bakary
Yembé
6 6/G BANGOURA Sita 30 30/G DIALLO Youssouf 54 54/G CISSOKO Moriba

7 7/G BARRY Abdoulaye 31 31/G FOFANA Baba 55 55/G SOUMAH Oumar


Bademba
8 8/G BARRY Mamadou Boye 32 32/G FOFANA Karim 56 56/G SYLLA Faouly

9 9/G CAMARA Ansoumane 33 33/G HANN Thierno Saïdou 57 57/G SYLLA Himy

10 10/G CAMARA Fodé Moussa 34 34/G KABA Mory 58 58/G SYLLA Sékou

11 11/G CAMARA Kaba-43 35 35/G KABA Soriba 59 59/G TOURE Kandè

12 12/G CAMARA Kandet 36 36/G CAMARA Kerfalla 60 60/G TOURE Siaka


Mohamed
13 13/G CAMARA Kerfalla 37 37/G KANDE Sékou 61 61/G TOURE Yaya
14 14/G CAMARA Lancei 38 38/G KEBE Abdourahamane 62 62/G TOURE Youssouf

15 15/G CAMARA Naby 39 39/G KEITA Kabassan 63 63/G TRAORE Mohamed


Abraham
16 16/G CAMARA Souleymane 40 40/G KEITA M’Bemba 64 64/G TRAORE Sékou

17 17/G CISSE Séïkou 41 41/G KONATE Doubany 65 65/G TRAORE Kékoura

18 18/G CONDE Francidy 42 42/G KONATE Emmanuel 66 66/G BARRY Mamadou


Moustapha
19 19/G DIAKITE Mamady 43 43/G KONATE Amzata Mansa 67 67/G CISSE Ibrahima

20 20/G DIALLO Boubacar Sidy 44 44/G CONDE Mamady 68 68/G KEITA Mamady

21 21/G DIALLO Chérif 45 45/G KOUROUMA Moriba

22 22/G DIALLO Chérif 46 46/G KOUROUMA Seydou

23 23/G DIALLO Ibrahima -1 47 47/G KOUYATE Amadou

24 24/G DIALLO Ibrahima -2 48 48/G KOUYATE Lamine

A retenir que, selon les informations reçues du B.R.N le dernier Recrutement Colonial a eu lieu le 8 Septembre 1957.
Source : Colonel Himy Sylla
COMMUNIQUÉS DU 4 JUILLET 1985
Communiqué 1 :
Citoyens et citoyennes, aux 26 années d’isolement politique, de dictature
sanglante, de népotisme inqualifiable, viennent de succéder 15 mois de
déception totale, de pagaille et de désordre intolérable, estompant ainsi tous les
espoirs suscités par le vaillant peuple de Guinée le 3 Avril 1984, face à la
dégradation de la situation dans le pays, un Conseil suprême d’État croit en son
devoir de prendre aujourd’hui en main, les destinées de la République de
Guinée, car les hésitations de ces derniers mois, les luttes partisanes à coloration
ethnique, l’émergence des intérêts égoïstes, personnels ont scandaleusement
entamé la crédibilité de la République de Guinée sur la scène internationale.
(…) c’est pourquoi, moi colonel Diarra Traoré, président du Conseil
suprême d’État, m’engage solennellement à préserver la souveraineté nationale,
l’intégrité territoriale et d’œuvrer à créer toutes les conditions d’un
développement économique tant attendu, dans une véritable et totale
réconciliation nationale.
Nous le promettons !
Vive la 3ème République ! Vive le Conseil Suprême d’État !
Signé Diarra Traoré, Président du Conseil Suprême d’État, Président de la
3ème République Chef de l’État.
Communiqué 2 :
En dépit de ce qui a été reproché au régime du PDG en matière de politique
intérieure, le Conseil Suprême de Réconciliation nationale conscient d’œuvrer
ainsi à rebâtir la nécessaire unité nationale d’une part, soucieux de restituer au
père de l’indépendance africaine la place de choix qui lui revient, dans la
conscience universelle d’autre part, décide de faire justice à feu Président
Ahmed Sékou Touré en élargissant les membres de sa famille, qui n’ont assuré
aucune responsabilité dans la gestion du patrimoine économique national.
Vive la 3è République ! Vive le Conseil Suprême d’Etat !
Signé Diarra Traoré, Président du CSRN.
Président de la République Chef de l’Etat.
Communiqué 3 :
Le Conseil Suprême d’Etat ayant pris ce jour en main les destinées de notre
pays, le fameux Comité Militaire de Redressement National (CMRN), qui ne
l’était que de nom est dissous. Le Gouvernement formé d’éléments qui n’ont eu
de souci que l’enrichissement personnel est également révoqué. L’ex Président
Lansana CONTE n’est plus qu’un citoyen en exil.
Vive la 3ème République ! Vive le Conseil Suprême d’Etat !
Signé Diarra Traoré, Président du Conseil Suprême d’Etat, Président de la
République, Chef de l’Etat.

419
Communiqué 4 :
Après les déclarations de son excellence, le Président du Conseil Suprême
d’Etat, le Colonel Diarra Traoré, il est formellement interdit à la paisible
population de Conakry et banlieue de sortir dans la rue.
Pas de circulation et cela jusqu’à nouvel ordre.
Le Conseil Suprême d’Etat agit dans l’intérêt suprême de la nation.
Cependant, tout fauteur de trouble ou d’acte de rébellion sera réprimé avec la
dernière énergie.
Signé Diarra Traoré, Président du Conseil Suprême d’Etat, Président de la
République, Chef de l’Etat.

420
Discours que le Premier ministre Lansana Béavogui devait prononcer
le 3 avril 1984 à l’occasion de son investiture comme président de la
République Populaire Révolutionnaire de Guinée et Secrétaire Général du
Parti Démocratique de Guinée.

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« Une opinion sur de Gaulle et Sékou Touré »
La vérité est que le dernier acte de la décolonisation a été posé le 19 mars
2000. Et que la France a du mal à admettre que le Sénégal, né ce fameux 19
mars 2000, n’est plus son territoire conquis. Le président Wade a été élu et réélu
par les Sénégalais contre l’avis de la France qui lui préférait le docile Abdou
Diouf. Et son accession au pouvoir, une véritable révolution sur le continent
noir, est l’avènement d’une rupture fondamentale : les Sénégalais ont cessé de
se résigner, et ne réfléchissent plus comme ces sempiternels pauvres auxquels
il est loisible de faire faire n’importe quoi après leur avoir fait miroiter la
cagnotte des fonds d’aide publique. Ça aura beau leur aligner des chiffres, nos
compatriotes ont cessé d’admettre la fatalité qu’avaient fini de leur inoculer
quarante années de ‘’socialisme’’, cette sorte de gouvernance héritée de la
colonisation, chargée de perpétuer le statu quo. La France de De Gaulle a
diabolisé Sékou Touré, le poussant à la paranoïa jusqu’à la sanglante complotite
aiguë. La Guinée ne s’en est jamais relevée, après trente ans de dénigrement
permanent. Sarkozy n’est pas De Gaulle, et Abdoulaye Wade n’est pas Sékou
Touré. Il serait dommage que des Sénégalais, dont le patriotisme ne faisait pas
de doute jusque-là, se mettent à jouer les renégats qui s’ignorent pour réinstaller
notre pays dans son rôle de colonie mal émancipée.
(Madame Safiatou NDIAYE Membre du Comité Directeur du Parti
Démocratique Sénégalais PDS, Sénateur, article paru dans le quotidien dakarois
Walfadjri du 7 juin 2008, dans un article consacré à Ousmane Tanor Dieng,
secrétaire général du Parti Socialiste Sénégalais). Repris par André Lewin dans
« Ahmed Sékou Touré (1922-1984) Président de la Guinée Tome 8 (p. 34).
‘’Sékou Touré’’
La Force de la Parole’’
‘’Les grands Discours Politiques’’
Dans un numéro spécial titré ‘’Référence’’et mis en vente en novembre-
décembre 2013, l’hebdomadaire français, ‘’Le Point’’ a consacré une
soixantaine de pages aux ‘’Grands Discours Politiques’’ qui ont jalonné
l’histoire de l’humanité.
Le discours prononcé le 25 août 1958 par M. Sékou Touré, président du
Conseil du gouvernement de la Guinée française, y côtoie ceux des ‘’grands
maîtres’’ dont la portée du message et l’éloquence ont traversé les siècles.
Le Professeur Francis Limonis, maître de conférences en histoire
contemporaine à Aix-Marseille Université qui a effectué ce travail, a choisi et
commenté ces magnifiques échantillons parce que « beaux et forts et ayant
marqué l’histoire », écrit-il. L’étude s’étend sur trois grandes périodes :
I/Les Maîtres de l’Antiquité’’
-Le premier nom qui apparaît concernant cette période est celui de Périclès
(495 av J-C- 499 av J-C), homme d’Etat qui œuvra à la démocratisation

429
d’Athènes et à l’épanouissement des arts dans la grande cité grecque. Cette
période appelée le ‘’Siècle de Périclès’’ est celle au cours de laquelle, il a
prononcé en l’an 430 av. J-C le premier discours contenu dans cette anthologie :
‘’Oraison aux premiers morts de la Guerre du Péloponnèse’’ qui opposa
Athènes à Sparte entre 431 et 401 av. J-C. Suivent Démosthène dont le talent
oratoire est vanté en exemple avec la première ‘’Philippique’’ qu’il prononça
en 351 av. J-C., Alexandre Le Grand (Discours d’Opis 324 av. J-C.) et Cicéron
avec première Catilinaire (63 av-J-C.).
Du Moyen Age à la fin de la Première Guerre Mondiale, des prises de parole
qui ont influé sur le cours de l’histoire ont fait entrer leurs auteurs dans l’histoire
comme :
II/ Le pape Urbain II (Appel à la croisade 1095), Martin Luther (adresse à la
Diète de Worms 1521), Georges Danton (De l’audace, encore de l’audace
1792), Abraham Lincoln (adresse de Gettysburg 1863)…
Enfin la période contemporaine marquée par l’éveil des peuples colonisés
d’Afrique, d’Asie et d’ailleurs est celle où figurent les noms de trois grands
dirigeants du Tiers-Monde. Le tout premier d’entre eux dans la liste est ‘’Sékou
Touré, (discours de Conakry 1958). Le tribun en fit « un chant pour la dignité
africaine », peut-on lire.
D’autres grands hommes de la période contemporaine, sont cités dans ce
chapitre dénommé ‘’Communiquer aujourd’hui’’. Sans être exhaustif, voici les
noms de quelques-uns d’entre eux : Winston Churchill « Nous ne nous rendrons
jamais (1940), Charles de Gaulle (Appel de Londres 1940), John Fitzgerald
Kennedy (Discours de Berlin-Ouest en 1963), Martin Luther King (I have
Dream 1963), André Malraux, (Transfert des cendres de Jean Moulin au
Panthéon 1964), Nelson Mandela, (Discours d’investiture 1994), Barack
Obama (Discours de la Victoire 2008)…

DISCOURS PROGRAMME DU PRESIDENT LANSANA CONTE :


LE 22 DECEMBRE 1985
Guinéennes, Guinéens,
Je présente aujourd’hui un programme et des hommes pour le réaliser. De
quoi la Guinée a-t-elle besoin ? De producteurs libres et entreprenants, d’un Etat
au service du développement. Pour l’instant, elle n’a ni les uns ni l’autre. Pour
mesurer l’ampleur de la tâche qui nous attend, il faut comprendre comment
fonctionne le système dont nous avons hérité. Au départ, un groupe d’hommes
se rend maître du pays et des richesses de son sous-sol : l’or, les diamants, la
bauxite pillés directement ou par Compagnies minières interposées. Alors que
ces hommes vivent dans l’opulence, le pays est laissé à l’abandon. Les discours
détournent la population des réalités. Durant 26 années, la politique remplace la
production. Les conséquences en sont dramatiques pour l’économie pour les
hommes, pour l’Etat. La santé d’une économie se mesure à la solidité de sa

430
monnaie. Le syli est à l’image de l’économie guinéenne : gravement malade. La
fermeture des frontières, l’isolement économique du pays, permettent de le
maintenir à un cours artificiel très supérieur à sa valeur réelle. Les maîtres du
pays peuvent ainsi importer à bon compte les produits de luxe qu’ils
consomment en abondance et trafiquer sur les devises et les marchandises Mais
toutes les activités sont désorganisées. Une monnaie sur- évaluée facilite les
importations et décourage la production locale. Pourquoi produire sur place
quand on peut acheter moins cher à l’Etranger ? Le riz guinéen laisse la place
au riz importé, vendu cinq fois moins cher que sa valeur réelle. Par le
ravitaillement, le pouvoir tient le pays : il ne se contente pas d’acheter les
consciences, il achète aussi les ventres. Le riz et le café guinéens fuient au-delà
des frontières, vendus à bas prix en devises changées au marché parallèle. Ceux
qui les vendent gagnent quand même, mais la Guinée y perd : elle nourrit
l’étranger sans profit et doit importer à grands frais de quoi se nourrir. Les
devises lui manquent pour réaliser les investissements indispensables au
développement économique et au progrès social : routes, centrales électriques,
hôpitaux, écoles…
Dans les villes, la population a pris l’habitude de vivre des miettes du
système : chapardages et trafics de toutes sortes. La production est délaissée ; le
résultat, c’est le marché parallèle, les pénuries réelles ou provoquées, la hausse
des prix. L’esprit d’initiative est découragé ; s’enrichir est mal vu, se
perfectionner, dangereux. L’immobilisme, l’irresponsabilité deviennent des
vertus ; particulièrement chez les fonctionnaires. Le vol et la corruption règnent.
Comme les ressources naturelles, les ressources humaines sont gaspillées :
comme les biens matériels, les valeurs morales se dégradent. De la maison
Guinée, seule la façade est entretenue : seule la politique étrangère intéresse le
pouvoir. A l’intérieur, l’Etat a disparu : l’impôt ne lui parvient plus ; la justice
n’est pas rendue ; au lieu d’arrêter les voleurs, la police vole pour son propre
compte ; chaque fonctionnaire prélève sa dîme. L’Etat, ou plutôt ce qui en tient
lieu, est devenu le premier brigand de Guinée. A sa place, pour cacher le
système, il y a le parti. Aujourd’hui, le parti a disparu mais le système est
toujours là. IL se love dans les ruines de l’Etat et de l’économie. Pour l’en
chasser, il faut faire de profondes réformes. Cela ne se fera pas en un jour, ni
sans efforts. La période de transition sera difficile.
Nous ne nous en sortirons que par le travail. Mais, cette fois-ci, Guinéens,
vous ne vous sacrifierez pas pour le seul profit d’une poignée d’hommes : vous
êtes maintenant responsables de votre avenir : c’est votre propre bonheur que
vous allez construire D’abord, bâtir un Etat au service La Guinée a besoin de
fonctionnaires au service exclusif de leur pays ; de fonctionnaires responsables
et efficaces : de fonctionnaires conscients d’appartenir à une équipe qui joue
une partie décisive pour notre avenir. Sans un objectif commun, sans solidarité
entre ses membres, une équipe ne gagne pas. Aujourd’hui, dans
l’Administration, chacun garde la balle pour lui ; l’information ne circule pas ;

431
les collègues et les subordonnés sont ignorés. Les compétences quand elles
existent, sont mal utilisés. Le choix des hommes dépend plus des relations
personnelles que des qualifications réelles. Les structures sont inadaptées et les
responsabilités totalement diluées : personne n’ose prendre de décision, tout
remonte jusqu’au sommet. Cela n’est pas possible ! Un homme ne peut diriger
à lui tout seul un grand pays comme le nôtre. Pour que chacun sache ce qu’il
doit faire, soit capable de le faire et ait envie de le faire, nous allons réformer
l’Administration. A la fonction publique, nous avons hérité de la pagaille. Pour
savoir où nous en sommes, nous recensons les fonctionnaires et les travailleurs
de l’Etat. Parallèlement, sont définis les missions de chaque service, les
structures appropriées et les postes à pourvoir. Ensuite, des hommes seront
affectés à ces postes en fonction de leur compétence. La sélection se fera à partir
d’une formation préalable par des spécialistes du secteur concerné. Les agents
non retenus seront placés en position de disponibilité spéciale : leur salaire sera
maintenu mais l’accès aux locaux de la Fonction Publique leur sera interdite.
Certains d’entre eux, après une formation complémentaire retrouveront leur
place dans l’Administration. La reconversion dans le secteur privé sera
encouragée par des primes de départ, des prêts bancaires garantis et des sessions
de formations.
Ceux qui ne sauront pas saisir toutes les chances que nous leur offrons, soit
de réinsertion dans la Fonction Publique, soit de reconversion dans le secteur
privé, seront licenciés à la fin de la période de restructuration. Les besoins de la
nouvelle Administration guinéenne seront limités. Nous pourrons donc réduire
les effectifs et mieux payer ceux qui restent au service de l’Etat. Rapidement, il
faut que le salaire du fonctionnaire lui permette de vivre correctement avec sa
famille, sans qu’il ait besoin de chercher ailleurs des compléments de revenus.
Cette réforme est essentielle. Je tiens à ce qu’elle soit menée avec toute l’autorité
et la compétence nécessaire. A cet effet, je crée auprès de la Présidence de la
République un commissariat général à la Réforme Administrative directement
placé sous mon autorité. Pour la grande majorité des fonctionnaires, la situation
actuelle cumule les inconvénients. Responsabilités, qualifiés, bien rémunérés,
demain, ils formeront l’Administration du Redressement national. Un véhicule
abandonné, laissé longtemps sans entretien, c’est l’économie guinéenne
d’aujourd’hui. La remettre en marche est notre affaire à tous. Pour démarrer sur
des bases saines, il faut d’abord la réviser entièrement ; ensuite, veiller à ce
qu’elle ne dérape pas, et pour cela, maintenir les équilibres nécessaires ; enfin,
savoir où nous voulons aller sinon, d’autres nous feront aller là où nous ne
voulons pas.
Je propose aujourd’hui aux Guinéens un projet de développement que nous
aurons à préciser et à réaliser tous ensemble. Ce projet, c’est l’autosuffisance
pour tous les produits essentiels au bien-être : alimentation, logement,
habillement… C’est la maîtrise du marché intérieur par des Entreprises
nationales conçues à l’échelle de nos besoins. Dans la réalisation de ce projet,

432
l’Etat prendra ses responsabilités Il n’agira plus à la place des Guinéens, mais
quand c’est nécessaire, les aidera et les protégera. Notre économie doit se rôder
; elle ne peut, sans risques, s’ouvrir brutalement à la concurrence étrangère : elle
s’engagera progressivement sur la voie du libéralisme. D’abord, il faut révise le
véhicule. Le préalable à tout redressement économique, c’est l’assainissement
monétaire. En 1986, la Guinée aura une nouvelle monnaie. Changer des millions
de billets ne s’improvise pas. Nous le ferons lorsque toutes les conditions de
réussite de l’opération seront réunies. Tout détenteur de devises peut déjà les
changer à un taux qui reflète mieux la vraie valeur de notre monnaie. Un
système bancaire digne de ce nom se met en place. La réorganisation de la
Banque Centrale est en bonne voie. Dès demain, les autres banques d’Etat seront
fermées. Trois banques à capitaux mixtes ou privés, guinéens et étrangers, sont
ou seront à brève échéance installées à Conakry et dans l’intérieur du pays. Ce
sont des vraies banques, vous pouvez avoir confiance en elles ; votre argent est,
en permanence et intégralement, à votre disposition ; si vous avez un projet
sérieux, vous pouvez emprunter. Comme la monnaie et le crédit, les instruments
juridiques sont essentiels au développement économique. Ces derniers mois, un
effort de réglementation a été accompli. Il est encore marqué par l’esprit du
système et traduit plus le souci du contrôle et du trafic d’influence que la volonté
de promouvoir la libre entreprise. Je veux que chaque Guinéen ait la plus grande
liberté d’investir et de créer l’Entreprise de son choix. Les agréments vont être
supprimés et les procédures simplifiées au maximum. Une commission est
chargée de proposer d’urgence les mesures à prendre pour établir en Guinée
l’environnement institutionnel le plus favorable à l’épanouissement de
l’initiative privée, prioritairement celle de nos compatriotes.
L’économie a besoin de règles de jeu claires et précises : que chacun sache
ce qu’il peut faire et ce qu’il ne doit pas faire. Ceux qui respecteront ces règles
n’auront rien à craindre de l’Etat ; leur réussite ou leur échec dépendra de leur
capacité à affronter la concurrence. Satisfaire les besoins des clients et réaliser
des profits, cela doit aussi être la règle pour l’actuel secteur d’Etat. C’est dans
cette perspective que nous allons l’assainir.
Une profonde rénovation avec réduction des effectifs du personnel s’impose
pour la plupart des Entreprises qui le composent. Sauf dans les domaines
stratégiques, nous souhaitons que ces entreprises soient reprises par le secteur
privé ou transformées en sociétés d’économie mixte. Nous ne pouvons tenir
compte du seul critère de rentabilité immédiate pour fermer celles qui devront
l’être. Nous devons, en effet, éviter de priver le pays de capacités de production
qui, demain seront utiles pour atteindre notre objectif d’autosatisfaction des
besoins élémentaires. Les droits des travailleurs seront préservés :
préalablement à tout changement de statut, des Conventions collectives seront
négociées par secteurs d’activité ; un droit du travail moderne garantira à la fois
les intérêts des travailleurs et ceux des Entreprises.

433
Dans une économie de libre entreprise, l’Etat doit maintenir les principaux
équilibres économiques : budget, échanges extérieurs. Sinon, le véhicule dérape
: la monnaie se déprécie et les réformes échouent Avant de prélever des impôts,
il faut créer la richesse. Notre fiscalité encouragera les investissements créateurs
d’emplois. Nos recettes budgétaires sont limitées : nous les utiliserons au niveau
des intérêts du pays, en réduisant les frais de fonctionnement de l’Etat et en
donnant la priorité aux dépenses productives.
Les devises aussi sont rares, et, après la dévaluation, elles coûteront
beaucoup plus cher ; il faut les économiser et les faire entrer en plus grande
quantité. En cela, nos compatriotes de l’Extérieur peuvent beaucoup nous aider
: si, tous les mois, chacun d’eux envoyait par la voie officielle 500 CFA à sa
famille, cela représenterait pour la Guinée deux fois les revenus de la bauxite.
Mais l’important est de produire afin de réduire les importations et d’accroître
les exportations.
L’Etat doit aujourd’hui, prioritairement, aider à réclamer la production : elle
seule procurera des revenus aux Guinéens, à ceux qui investissent à l’intérieur
du pays. Nous allons mettre en place un système d’aider à la création et au
développement des Entreprises, en donnant la priorité à ceux qui investissent à
l’intérieur du pays. Pour le redressement national, nos paysans sont en première
ligne. Il suffit de sortir de Conakry pour se rendre compte de l’effort qu’ils ont
accompli avant même que l’aide prévue leur soit parvenue. Pour leur faciliter la
tâche, l’Etat fera tout ce qui est en son pouvoir. Dans les villes, la chute des
revenus parallèles va poser de graves problèmes sociaux. Les experts ne pensent
pas toujours à ces choses-là et les reformes se cassent le nez dessus. Il faut
remplacer d’urgence les revenus spéculatifs qui vont disparaître par des revenus
provenant du travail. Les organisations internationales et les pays amis doivent
savoir que la création et le développement des petites et moyenne Entreprises
sont à court terme, nos priorités absolues. C’est par des actions ponctuelles,
concrètes et bien adaptées aux besoins de chacun que l’Etat peut intervenir
efficacement.
Par exemple, en favorisant le regroupement volontaire des entrepreneurs
d’un même corps de métier pour l’approvisionnement et le stockage des
matières premières. Le secteur du bâtiment est celui où les potentialités de
production comme les besoins à satisfaire sont les plus importants. Que ce
secteur s’organise rapidement, l’Etat lui confiera en priorité toutes les
constructions et rénovations de bâtiments administratifs. Je souhaite que dès
1986 un important programme de construction de locaux scolaires puisse être
réalisé par des entrepreneurs guinéens. Produire et commercialiser guinéen doit
être aujourd’hui notre mot d’ordre. Il n’y a pas d’économie libre sans commerce
libre. Aujourd’hui en Guinée, il y a le Commerce d’Etat et les trafiquants, le
premier servant à alimenter les seconds. Dans les magasins d’Etat, les produits
sont détournés et vendus sur le marché parallèle à des prix exorbitants. L’intérêt
de tous est que s’instaure en Guinée un vrai commerce, travaillant sur de grandes

434
quantités et pouvant donc se contenter de bénéfices raisonnables en vendant les
marchandises à leur juste prix.
Actuellement, pour certains privilégiés le kilo de riz est à 20 sylis ; les autres
le payent 100 à 150 sylis. Par le libre jeu du marché, le prix du riz s’établira à
un niveau intermédiaire correspondant à son coût réel plus le bénéfice normal
du commerçant. La régularité des prix et des approvisionnements sera assurée
et la population y trouvera son compte ; le pays aussi, car seule une juste
rémunération du travail de nos paysans permettra d’arriver à l’autosuffisance
alimentaire. Aujourd’hui, je prends les décisions suivantes : les cartes de
ravitaillement sont supprimées ; les magasins d’Etat ALIMAG et ALIDI sont
fermés, d’autres les seront ultérieurement. Au cours de l’année 1986, l’Etat
s’efforcera de mettre les devises nécessaires au paiement des importations à la
disposition des commerçants qui auront passé avec lui un accord sur la nature
des marchandises à importer et sur le niveau des prix au détail. L’assainissement
économique n’ira pas sans sacrifice. Les prix des produits importés par l’Etat,
c’est-à-dire payés en devises obtenues au cours officiel, vont fortement
augmenter.
Ces prix sont aujourd’hui anormalement bas, tout comme le sont les salaires
des agents de l’Etat. Nous allons réajuster les uns et les autres. Des subventions
seront provisoirement accordées aux principaux services publics, tels que les
transports, pour que ceux-ci ne répercutent pas sur les usagers l’intégralité des
hausses qu’ils auront à supporter. De telles actions sont nécessaires à un
développement économique et social harmonieux. L’Etat ne doit ni produire ni
commercialiser lui-même ; mais il ne peut se contenter d’être un spectateur
passif du jeu économique : sinon, c’est la loi de la jungle. Nous connaissons les
effets néfastes du libéralisme sauvage sur la société africaine. Nous ne voulons
pas de l’écrasement des faibles par les forts : profiteurs du système, spéculateurs
et groupes internationaux. Nous ne voulons pas du seul critère de rentabilité
immédiate pour le choix des investissements nos campagnes seraient délaissées.
Nous ne voulons pas qu’une minorité de privilégiés sous influence extérieure
impose son modèle de société à un peuple resté fidèle à ses traditions. Nous
voulons tout le contraire : La mise en valeur de la Guinée par les Guinéens eux-
mêmes : ils sont assez nombreux, intelligents, entreprenants.
Nous voulons que notre pays se développe prioritairement avec les
nationaux sans dépendance de l’extérieur qui ne puisse être rattrapée par la suite.
Les Etrangers qui désirent investir en Guinée sont les bienvenus s’ils ne
s’ingèrent pas dans les affaires de l’Etat et s’ils investissent en priorité à
l’intérieur du pays. Ce sont nos paysans qui vont reconstruire le pays assurer
l’autosuffisance alimentaire et le développement de ses exportations. Nous
devons empêcher l’exode rural et favoriser le retour à la terre en donnant la
priorité à l’amélioration des conditions de vie dans les campagnes. Nous faisons
le choix d’une société fondée sur les solidarités naturelles mises au service du
développement. Renforcer ces solidarités là où elles existent encore, c’est

435
l’objet de la décentralisation. Les créer aux niveaux plus complexes de la vie
économique et sociale, c’est l’enjeu de la planification contractuelle et
décentralisée.
Autour de ces deux axes, doivent s’articuler l’ensemble de nos politiques.
Les traditions de coopération et d’entraide sont toujours vivantes dans les
campagnes. Grâce à elles, la Guinée a survécu à 60 années de colonisation et 26
années de dictature. Pour construire une maison, récolter un champ, secourir un
malade, nos populations se regroupent spontanément. Il ne s’agit pas là de
politique mais bien de solidarité. Je songeais à ces solidarités naturelles quand
j’ai proposé à nos populations rurales de constituer des Districts. Je n’ai pas
toujours été bien compris. Dans beaucoup d’endroits on a reconstitué les P.R.L.
les anciens dignitaires ont accaparé le Pouvoir, ailleurs on a créé des Districts
trop étendus : les villages les plus éloignés du chef-lieu sont oubliés, sauf quand
il s ‘agit de payer l’impôt. Là-dessus, on ne peut rien construire de durable. Le
District doit regrouper des villages qui ont tissé entre eux des liens étroits,
souvent fondés sur des relations de parenté ou d’alliance, et qui ont l’habitude
d’organiser leur vie quotidienne sur des bases collectives. Leurs habitants
n’auront alors aucune difficulté à choisir ceux qui sont dignes de les représenter
ni à décider des mesures d’intérêt collectif à prendre. Partout où cela est
nécessaire, et sans qu’aucune contrainte ne leur soit imposée, nos villageois
doivent redéfinir les limites de leur District et désigner de nouveaux
représentants. Les districts doivent permettre aux populations de gérer en toute
liberté leur mode de vie traditionnel. Mais leur taille est insuffisante pour
entreprendre des actions de développement économique. Pour aménager une
route, faire un petit barrage, défricher une terre, créer un marché, faire
fonctionner une école ou un dispensaire, il faudra souvent rassembler les forces
de plusieurs d’entre eux. Entre Districts voisins se créeront progressivement de
nouvelles solidarités et leurs populations prendront conscience de la nécessité
de se regrouper au sein d’unités plus vastes. Ce seront les communautés rurales
de développement que je souhaite venir se mettre progressivement en place.
Parallèlement, au niveau des villes, des communes seront créées à partir des
Quartiers. Ces nouvelles collectivités s’administreront librement et auront à leur
disposition des ressources suffisantes pour leur assurer une réelle autonomie
financière. Les moyens d’intervention de l’Etat seront regroupés au niveau des
Préfectures. Outre les actes qui relèvent toujours de la puissance publique,
justice, police, Etat-civil, cette intervention sera essentiellement une assistance
au développement. Les moyens nécessaires seront placés entre les mains de mes
représentants directs en exclusif, les préfets qui auront ainsi la pleine
responsabilité, devant moi et devant les populations, de la mise en œuvre, dans
leur Préfecture, de la politique du Gouvernement. Les actuelles circonscriptions
territoriales ont servi au précédent régime à imposer l’intervention du pouvoir
politique central dans tous les actes de la vie quotidienne. Elles seront
progressivement supprimées et remplacée par des unités plus conformes aux

436
vœux et aux besoins des populations, ainsi qu’aux réalités culturelles et
économiques du pays. Dans un premier temps, pour assurer le redressement
national, la Préfecture sera le lieu d’intervention de l’Etat et la communauté
rurale de développement le lieu d’action des populations. Ces communautés
vont promouvoir le développement économique de nos campagnes. Routes ou
puits, école ou dispensaire : nos paysans sont les meilleurs juges de leurs
besoins. Ces besoins, ils peuvent en partie les satisfaire avec les ressources
humaines et financières à leur disposition. Ils doivent d’abord compter sur leurs
propres forces, mais également sur l’aide de l’Etat et de la communauté
internationale. Cette aide n’ira pas spontanément dans les villages : la tendance
est aux grands projets qui coûtent des millions de dollars : les petits projets sont
oubliés. Je veux inverser cette tendance et donner vraiment la priorité aux
microréalisations. Pour y parvenir, nous allons associer nos collectivités locales
à l’élaboration de la planification. Chaque communauté devra définir les
investissements qu’elle souhaite réaliser en priorité sur son territoire, les
moyens humains et financiers dont elle dispose et ceux dont elle manque pour
les effectuer. Ces projets seront rassemblés au niveau préfectoral puis au niveau
national où seront assurés la coordination et la cohérence nécessaire. Ceux qui
auront été retenus seront intégrés au Plan National d’Investissement qui aura
ainsi un important volet d’exécution local. Une part importante des ressources
affectées au développement par l’Etat et la coopération internationale sera
répartie entre les différents projets sur une base contractuelle : l’Etat apportera
sa contribution dans la mesure où la collectivité locale aura mobilisé ses propres
ressources. Ainsi, la planification contractuelle et décentralisée sera l’outil
essentiel d’un développement équilibré de la Guinée.
Rattaché à la Présidence de la République, le Ministère du Plan et de la
Coopération Internationale va définir un projet de développement pour le pays
et vérifier que les différentes politiques sectorielles sont cohérentes avec ce
projet. Il va élaborer le budget national d’investissement de l’Etat et, en liaison
avec le Ministère de l’économie et des Finances, en assurer le suivi technique
et financier. Enfin, il va définir une stratégie de l’endettement. La Guinée a
besoin de l’aide internationale. Mais un jour, cette aide il faudra la rembourser.
Pour ne pas laisser une dette trop lourde à ceux qui viendront après nous, nous
allons sélectionner les projets à réaliser et donner la priorité aux investissements
qui favorisent le développement du pays. La Guinée est engagée dans une
course de fond. Certains font une course de vitesse et signent n’importe quoi au
nom de l’Etat ! Le Ministère du Plan et de la Coopération Internationale doit
mettre fin à ce gaspillage. Il doit également coordonner l’action des experts
étrangers en service auprès de notre gouvernement et veiller à ce que cette action
soit conforme aux orientations de notre politique. En Guinée, on ne sait plus
faire marcher un Etat ou une économie. Il faut réapprendre. Pour nous aider, j’ai
fait venir des experts. Ils sont là pour servir notre pays, pas pour le diriger à
notre place. L’expert connaît mal les réalités locales : il doit travailler sous notre

437
contrôle et avoir à ses côtés des Guinéens capables d’apprendre à son contact et
de le remplacer le jour venu. Les experts coûtent très cher, surtout ceux des
sociétés privées ; nous avons des cadres très qualifiés ; nous leur ferons appel.
Il y a trop d’experts à certains endroits, pas assez à d’autres : par manque de
coordination, l’assurance technique est mal utilisée. IL faut y mettre de l’ordre.
Cette assistance est parfois très efficace. Certains experts se sont mis au service
de notre pays avec compétence, dévouement et sans arrière-pensées. Je tiens à
les féliciter et à les encourager. Nous devons nous garder de deux excès : penser
que nous ne sommes bons à rien, et que seuls les Etrangers nous sortirons
d’affaire, croire que nous pouvons nous débrouiller tous seuls, sans aucune aide
extérieure.
Ne vous inquiétez pas, Guinéens : je ne laisserai pas recoloniser la Guinée
par qui que ce soit ; nous saurons préserver une indépendance acquise dans des
conditions dont nous sommes fiers ; mais cette fierté ne doit pas être mal placée.
Il nous faut connaître nos limites et apprendre à les dépasser. Ce n’est plus en
fermant nos frontières que nous nous rendrons maîtres de notre destinée, c’est
en nous perfectionnant dans tous les domaines et en renonçant définitivement
aux erreurs du passé. Le 3 Avril 1984, nous avons abattu une dictature sanglante.
Sans excès ni vengeance ; sans verser une goutte de sang. Nous avons tourné le
dos aux comportements contre lesquels nous nous sommes dressés. L’opinion
internationale a salué le nouveau régime avec étonnement et admiration. On a
trop attendu de la Guinée en matière de droits de l’homme. Les hommes ne
changent pas vite ; les moments de souffrance ne s’oublient pas facilement.
Quand l’occasion leur fut donnée, certains se sont vengés sur ceux qui
symbolisaient un passé abhorré. Nous sommes retombés dans le cycle infernal
de la répression et de la vengeance. Je suis profondément convaincu qu’il faut
cesser d’entretenir des ressentiments qui accentuent nos divisions et je souhaite
que tous partagent cette conviction. Sachons surmonter nos faiblesses et cessons
de regarder derrière nous. Ce sera plus facile bientôt, quand le système aura été
définitivement abattu. Aujourd’hui, ce système est encore présent dans ce qu’il
a de pire dans des pratiques que notre population espérait à jamais révolues. Le
comportement de certains agents de l’Etat est inadmissible. Les détentions
arbitraires dont le seul objet est de soutirer de l’argent à des innocents, doivent
immédiatement cesser. Les ministres de la Justice et de la Sécurité ont une tâche
impérieuse et urgente à remplir : faire de la Guinée un Etat de droit, un Etat
respectueux de droits de l’homme et des libertés individuelles. Un pays uni et
un pouvoir efficace : pour mieux attendre et double objectif, j’ai décidé de
réformer en profondeur nos institutions. L’équilibre et la solidarité entre nos
régions constituent la pierre angulaire de notre politique de développement.
Actuellement, ceux qui dirigent la Guinée sont plus soucieux de se faire
connaître à l’étranger que d’agir pour la transformer. Tant qu’à voyager, aller
dans nos régions est plus utile ! Pour renforcer notre unité, le C.M.R.N. va être
présent dans tout le pays. Pour rendre notre action plus efficace des hommes qui

438
ont parfaitement compris le sens de notre politique vont aller la mettre en œuvre
à l’intérieur du territoire. Dans la difficile période de transition que nous
traversons, il y plus de responsabilité à diriger une région qu’un département
ministériel. J’ai décidé de créer des postes de Ministre Résident à la tête de
chacune d’elles et d’y placer des hommes en qui j’ai entière confiance tant sur
le plan de la fidélité aux principes du C.M.R.N, que sur celui de leur capacité à
assumer une tâche particulièrement difficile. Je sais qu’ils accompliront avec
conscience et courage leur mission au service de la nation. Dans le même souci
d’une meilleure administration du territoire j’ai nommé à la tête de chaque
Préfecture des enfants du pays : placés sous le double contrôle du pouvoir
central et de la communauté dont ils sont issus, ils auront à cœur de s’acquitter
le mieux possible de leur fonction. Personne ne doit être oublié dans le
développement national.
Notre unité en sera renforcée. Désormais je souhaite parler aux Guinéens
sans avoir ni à me référer à leur origine, ni à l’endroit où ils vivent. Tous tiennent
la même place dans mes préoccupations. Tous ont les mêmes droits et les
mêmes devoirs. Chacun peut participer à la place qui est la sienne et à sa manière
à la reconstruction matérielle et morale du pays. A cette œuvre de
reconstruction, le nouveau gouvernement va s’atteler avec une ardeur
renouvelée. De nouvelles structures rendent le travail de chacun et de tous plus
efficace. La confiance que vous me portez, Guinéens, je vous demande de
l’accorder à l’équipe que j’ai réunie autour de moi. J’ai essayé de faire le
meilleur choix possible. J’ai pu me tromper. J’ai certainement oublié des
hommes de grande valeur. Tous, s’ils le désirent, trouveront à s’employer au
service de leur pays. Je demande aux ministres et à tous les hauts responsables
du pays de remplir la charge que je leur confie en accord avec les grandes
orientations que je viens de présenter à la nation. Des hommes responsables et
solidaires vont édifier en Guinée une, société fondée sur des contrats librement
consentis. Des liens brisés par un régime qui a survécu en faisant le vide autour
de lui seront renoués Au début, ces liens seront fragiles : la Guinée sera
convalescente. Je demande à tous d’en tenir compte et de n’avoir qu’une seule
préoccupation ; servir le pays.
Vive la Guinée !

439
Extraits de certaines correspondances échangées entre opposants au régime
guinéen vivant à l’extérieur.

Source : RDA n° 69, Révélations sur les activités


criminelles de la contre-révolution Conakry août
1973

440
441
442
443
Lettre de Saïfoulaye Diallo à Sékou Touré pour dénoncer les agissements
d’Emile Cissé

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458
459
460
LISTE DES ANCIENS DETENUS AU POSTE X ET POSTE DE POLICE
N° PRENOMS ET NOMS PROFESSION FILIATION COMPLETE MOTIF ET DATE
D’ordre DATE ET LIEU
DE NAISSANCE
1 Kabiné KOUYATE Sculpteur Né en 1914 à Kankan, de feu 20 Septembre 1976 à Beyla
Diélimory et de feue Diéli- Kandia pour Sortie et entrée
Dioubaté. PRL Timbo II à Kankan clandestines. /.
2 Mamadou DIOP Pêcheur Né en 1950 à St. Louis (Sénégal) de 13 Mars 1975 à Boké pour
Koilol et de Binta Gueye Entrée clandestine. /.
3 Addibi Kouadio Marcel (Ivoirien) Elève Né à Guémé (côte d’Ivoire) de 17 Septembre 1976 pour
Zoboué Addibi et de Amon Lou Entrée clandestine. /.
Zrouzzadia
4 Gadirou MANSARE Sergent N°Mle 1063/G Né en 1946 à Mamou de Sory et de 17 Avril 1973 pour
Oumou N’Diaye Détournement Deniers
publics. /.
5 Sékou CONDE Caporal N°Mle 4676/G Né en 1947 à Beyla, de feu Kémo 10 Août 1977 pour retard au
et de feue Fadima Kourouma retour de la permission. /.
6 Ismaila SEDY (Gambien) Cultivateur Né en 1951 en Gambie, de Elhadj 11 Janvier 1977 à Siguiri
Fanden et de Ounto Diop pour Entrée clandestine./.
7 Limmy TEWWY Evaritue Etudiant Né en 1946 au Cameroun, de Août 1976 à Boké pour
(Camerounais) Tewwy et de Kinchaw Entrée clandestine./.
8 Mohamar GOUMBA Instituteur Né en 1953 à Kaolack (Sénégal)
de feu Mamadou et de Rokayah
Cis Département Kossana
Tambakounda (Sénégal)
9 Né en 1942 à Horéssala/Labé 16 Mai 1977 pour Litige
Algassimou BAH Chauffeur de Thierno Amadou et de Kadiatou avec Epouse de S. Konaté
Bah PRL Abdourahamane à Labé DGS Police Pour une affaire
chez lui-même. de Permis de conduire./.

10 Sékou TRAORE Soudeur-Peintre Auto Né en 1949 à Kankan de feu Avril 1977 pour Sortie
Baba et de Sayon Diabaté PRL et Entrée clandestines ./.
Korialé II/Kankan
11 Mohamed DANFA (Sénégalais) Cultivateur Né en 1942 à Tourabi Dala à Juillet 1977 pour sortie
Casamance (Sénégal) de feu Karifa et entrée clandestines./.
et de feue Hawa Souaré
12 Mamadou Yassarou Baldé Cultivateur (Manœuvre) Né en 1954 à Dalaba, de Thierno 3 Octobre 1976 pour Sortie
Mamadou Diouma et de Fatoumata et Entrée clandestines./.
13 Abdourahamane Dioubaté Médecin stagiaire à Donka Né à Kindia, de Amadou Dioubaté Juillet 1977 pour avoir
et de Mariama Doukouré, PRL dénoncé la détention illégale
Dixinn-Centre- II d’une arme de guerre sur
Alphadio Barry./.
14 Mamadi Sidibé Cultivateur Né à Kankan, de feu Amadouké et Avril 1977 pour Sortie
de feue Mallon Diallo, PRL et Entrée clandestines./.
Ibrahima Diallo
15 Lama Bakayoko (Ivoirien) Menuisier Né à Babou (Côte d’Ivoire) de Déséquilibré mental ne
feue Ibrahima Bakayoko et de feue se rappelant de rien./.
Makoulaco Camara au quartier
cimetière Abidjan.

16 Firmin KOUMBASSA Entrepreneur de bois d’œuvre Né à Boké de feu Alpha Daouda et 21 Janvier 1977 à
de Marie Sanden : Résidant à Kissidougou pour Lettre
Kissidou anonyme./.
Déséquilibré mental ne se
17 Joseph BANGOURA rappelant de rien. /.
18 Siaka CAMARA Solda de 2e classe N°Mle Né à Macenta de feu Mory et 10 Octobre 1976 pour Sortie
8940/G de feue Bonko Kourouma né en et Entrée clandestin
1945
19 Abdourahamane BARRY Elève 6e Année CER Samory Né en 1960 à Labé de feu 1er Août 1976 pour
Touré à Labé Samba Safé et de Aïssatou Diallo Destruction de la photo du
PRG. /.
20 Gbemou SINEPOLO Soldat de 2ème classe N°Mle Né en 1948 à Zxxx –Lola, de feu 12 Juillet 1977 pour Retard
10.043/G Dické et de Sour Chérif Camp au retour de la Permission. /.
Alpha Yaya Conakry
21 Mouctar BAH Chauffeur Né en 1952 à Labé de 1er Août 1976 pour
Mamadou et de Mariama Kénda Destruction de la Photo du
Diallo PRG. /.
22 Amadou DIALLO Etudiant-Architecte à New Né en 1951 à Kégnéko-Mamou
Krahtan/Monrovia (Libéria) de Ibrahima Diallo et de feue 1er Octobre 1976
Mariama Diallo
23 Saliou Bella DIALLO Apprenti-mécanicien à Labé Né en 1958 à Labé, de Alassane et 1er Août 1976 pour
de Djiba Barry. PRL Safatou chez Destruction de la Photo du
son père à Labé PRG. /.
24 Mamy Ce SOUAPE Adjudant N°Mlle 513/G Né en 1947 à Diécké-Yomou, 18 Juin 1977 pour Sortie
Camp Alpha Yaya de Nogbaye Kokoly et de Yéli et Entrée clandestines. /.
Gonkwaye
25 Sana SAMOURA Solda de 2e classe Camp Né à Dantilia-Faranah en 1953 de 4 juillet 1976 pour Retard au
Alpha Yaya N°Mle 8723/G Senkoun Samoura et de Koumba retour de la permission par
Camara suite de maladie (paralysie
momentanée). /.

26 Abdourahamane DIALLO Opérateur à la D.E.G Né en 1953 à Yembéring, 1er Février 1977 dénoncé par
région Mali de feu Thierno Lettre anonyme pour avoir
Mamadou Aliou et de Aïssatou fait le Sénégal.
Diallo PRL Dorota à N’Zérékoré
27 Cellou DIALLO Cuisinier au PRL Madina- Né en 1947 à Labé, de feu Alséiny 7 Juillet 1976 pour Affaire
Marché Diallo et de feue Fatoumata Diallo- des Miliciens dont Barry
Cuisinier au PRL Madina-Marché Sory.
28 Mamadou Mactar DIALLO Instituteur à Dang (Sénégal) Né en 1946 à Rufisque (Sénégal) 9 Août 1976 pour Entrée
de Boubacar Diallo et de Magate clandestine en provenance
domicilié à Dang Sud à Rufisque du Sénégal.
(Sénégal)
29 Abdourahamane CAMARA Soudeur semi-automatique Né en 1951 à Kégnéko-Mamou de 7 Mai 1977 pour
Ibrahima Diallo et de feue Mariama vérification d’identité
Diallo
30 Ibrahima CONDE Cultivateur en Côte d’Ivoire Ecole/Conakry II né en 1939 à En Septembre 1977 pour
Körökö-Naka à Bouaké (Côte Entrée clandestine.
d’Ivoire) de feu Péguy Tagniguè et
de feu Mödiou Condé

Né en 1942 à Sogoroyah-Télimélé 1er Mars 1976 pour Sortie et


31 Mamadou Dian BARRY Cultivateur de Mamadou Saliou Entrée clandestine
‘’Guinée-Bissao’’.
Né en 1942 à Boullèré-Boké de En Avril 1977 pour Sortie et
32 Ousmane DIALLO Amadou Dian et de feue Oumou Entrée clandestines en
Diallo-PRL Kahel-Boullèré à Boké prévenance de Gambie.

Malade s’améliorant mais


33 Aly HAOUSSA ‘’Nigérian’’ n’entend aucune autre
langue en dehors de sa
langue maternelle.
Né en 1947 à Télimélé, de 2 Juillet 1977 pour Trafic
34 Boubacar Biro BALDE Chauffeur Mamadou et de Salématou Diallo- d’un (1) carton de cigarettes
PRL Douni Könö I à Kissidougou ‘’Millo’’.
Né en 1950 à Siguiri-ville de feu 27 Mai 1975 pour
35 Mamady Kabassan KEITA Instituteur Kollet Kabassan et de Diélima Détournement de Deniers
‘’Condamné à 10 ans’’ Camara. PRL El Hadj Oumar- Publics.
Mosquée à Conakry II
Né en 1954 à Conakry, de Alpha et 4 Avril 1977 pour Coups et
36 Oumar KEITA Conducteur d’engins de Aïssata Fofana, Madina-Cité Blessures volontaires.
II/Conakry II
‘’Condamné à 10 ans’’
37 Mamadi CONDE Caporal N°Mle Né en 1946 à Kankan, fils de 24 Mai 1976 pour Tentative
‘’Condamné à 7 ans’’ 9329/G Fadjimba Condé et de Nansira de Détournement de
Caporal en service au Camp Deniers publics
Almamy Samory à Conakry

38 Mamadouba CAMARA ‘’Condamné à Aspirant de la Douane Né en 1949 à Conakry, de Morlaye 1er Août 1977 pour
5 ans’’ Camara et de Aïssata Bangoura, Corruption Passive.
domicilié à la Cité Douane (PRL
Mayoré. 5ème/Ckry-2.
Né en 1950 à Coyah, de feu 3 Novembre 1976 pour vol
Ousmane Camara et de Rouguiatou appareil combiné (Mini-
Bangoura, chauffeur de profession cassettes). /.
39 Abdoulaye CAMARA Chauffeur chanteur de l’orchestre de Police et
Garde de la Républicaine. PRL
Domino chez Karime Camara
Etudiant à l’IPGAN, Né en 1951 à Kankan, de Falilou 13 Novembre 1976 pour
40 Abdoulaye SANGARE Magistrat 4e année Sangaré et de Mariame Diané Usurpation de fonction et
domicilié à l’IPGAN Sortie avec Entrée
clandestines.
Né en 1930 à Beyla, fils de feu Août 1977 pour Vérification
41 Mamadi DOUKOURE Cultivateur Mory-Beyla-PRL Mamadou Boiro d’Identité.
à Boiro et fils etde Fatoumata
Camara
42 Ousmane BALDE Elève 11e année Né à Dinguiraye en 1959 de feu 22 juillet 1977 pour
CER 14 Mai à Conakry Taimou Baldé et de Salématou caricature de la Photo du
Barry PRG avec des tracts
subversifs.
43 Alpha Oumar DIALLO ‘’Condamné à Chauffeur –mécanicien Né en 1954 à Conakry, de Amadou 6 juillet 1976 pour
15 ans’’ et de Kadiatou Diallo PRL Lucie Vol d’effets
Camara à Dabondy, 7ème
Arrondissement à Conakry III

44 Amadou CAMARA ‘’Condamné à 2 Maçon Né en 1946 à Soumbouya-R.A de Septembre 1977 pour


ans’’ Dubréka, de feu Momo et de
‘’Jeux de cartes’’
Ramata Bangoura PRL Yimbaya,
9ème Arrondissement à Conakry II
chez Bountou Bangoura
Né en 1948 à Basséngué-Koba 18 Décembre 1976 pour
Région de Boffa, de Mamadouba et
45 Abou SYLLA Cultivateur Recel d’objets volés
de Mama Aïssata PRL Mafanco-
Mosquée
Elève 10ème année CER 1er Né en 1956 à Conakry, de Ibrahima
Mars à Conakry et de Fatoumata Diallo PRL
46 Amadou Oury DIALLO ‘’Condamné à 16 Mai 1976 pour
Béhanzin, 9ème Arrondissement/
2 ans’’ Conakry II Recel d’objets volés
Né en 1958 à Dalaba, de Thierno
Younoussa et de Saoudatou Diallo
47 Abdoulaye DIALLO ‘’Condamné à 5 Charretier 12 Mars 1977 pour
PRL Amilcar Cabral, 5ème
ans’’ Arrondissement à Conakry II Recel d’objets volés

48 Mamadou BAH Apprenti-chauffeur Né en 1950 à Pita, de Sara et de Juin 1973 pour Vol de riz au
Djiba Bah, domicilié chez son marché Madina
‘’Condamné à 8 ans’’
oncle Samba Bah au PRL Limania/
Conakry I
49 Abou SOUMAH Vendeur à l’Abattoir de Né en 1949 à Koba (Boffa), de 26 Août 1977 pour Vol
Coléah Momo et de Fatou Bangoura d’effets d’habillements
‘’Condamné à 15 ans’’
domicilié chez Gaston Soumah
vendeur à l’Abattoir de
Coléah/Conakry II.

50 Alassane SOW ‘’Condamné à 6 ans’’ Mécanicien Né en 1959 à Dalaba, de Mamadou Juin 1977 pour ‘’Recel
et de Kadiatou Diallo, domicilié au de fûts volés’’.
PRL Dixinn-Gare-Rail.
Né en 1964 à Conakry, de Momo et Mars 1977 pour ‘’Coups et
de Mariama Camara domicilié au blessures volontaires’’
51 Issiaga BANGOURA Mécanicien-Chauffeur
PRL Soriba Touré (Coronthie) 3ème
‘’Condamné à 1an 6 mois Arrondissement à Conakry I.
Cultivateur Né en 1946 à Kokassa-Yénin,
52 Abdoulaye SYLLA ‘’Condamné à 2 (Forécariah) de feu El Hadj Momo Septembre 1977 pour
ans’’ et de Hadja M’Mah Aminata. PRL
‘’ Jeux de cartes’’
Yimbaya chez Sayon Bangoura.
Né en 1957 à Bantagni-Pita de Septembre 1977 pour
53 Alpha Oumar BAH Sans profession Alpha Oumar Dian et de Fatoumata Tentative de Sortie
Diallo domicilié à Pita. clandestine. /.
54 Lamine FOFANA Conducteur d’Engins Né en 1931 à Bamako, de Sidikiba Septembre 1977 pour
‘’Malien ’’ et de Mariama Sako domicilié au Entrée clandestine.
quartier Niaréla à Bamako (R.
Mali).
55 Ousmane SYLLA Vendeur de poisson fumé. Né en 1945 à Filaya, Région Septembre 1977 pour
Dubréka, de feu Mamadouba et de Pillage d’une Caisse lors du
Mafini Bangoura, domicilié au sac de la Brigade de Police
PRL Madina-Centre chez Daouda Economique.
Kènèma.
56 Mamadouba SYLLA dit ‘Soguétédé’’ endeur de Poisson Né en 1932 à Kaporo-Conakry, de Septembre 1977 pour
feu Fodé Kerfalla et de Aïssata ‘’Pillage des locaux de la
Bangoura PRL Kaporo chez lui- Brigade de la Police
même. Economique. ‘’Nouveau’’
Né en 1939 à Kankan, de feu 22 Octobre 1977 pour
57 Almamy TRAORE Adjudant de la Milice Ibrahima et de feue Fanta Sakho, Fourniture illégale de
Nationale N°Mle 0073 domicilié au PRL Dixinn-Mosquée l’uniforme militaire à un
chez Mamadou Saïdou Bah. élément civil ne devant pas
le vêtir.
Infirmier-Major chef Né en 1933 à Kankan, de feu 24 Octobre 1977 pour
58 Saragbé MARA formation sanitaire de Mamadi et de Naifa Tounkara.
Sonfonia
Né en 1946 à Kankan, fils de 22 Juillet 1977 pour retard
59 Sékou TRAORE Caporal N°Mle 9103/G Nankouma et de Massé Traoré en de 2 mois à la rentrée de la
service au Camp Alpha Yaya permission. /.
Conakry.
60 Mamadi CAMARA Chauffeur Né en 1951 à Macenta, de feu Féré Raflé à Kindia où étant
et de Koné Condé domicilié à malade de passage pour
Macenta et de passage à Kindia où soins.
il a été raflé.
CONAKRY- C’est un témoignage bouleversant que vient de faire le député
Amadou Damaro Camara, sur les exécutions de 1985 ! Dans une interview
accordée à notre rédaction, le chef de file du groupe parlementaire du RPG arc-
en-ciel répond également à Ousmane Gaoual Diallo, qui l’accuse
d’ethnocentrisme. Lisez. Exclusif !!!
Africaguinee.com : Honorable Amadou Damaro Camara bonsoir !
Après la mort récente du Général Ousmane SOW, vous avez essayé de
lever un coin du voile sur ce qui s’était passé en 1985 après l’échec du coup
Diarra Traoré. Vous aviez dit que le défunt Général a supervisé l’exécution
de 22 dignitaires Malinkés à l’époque. Des déclarations qui ont suscité assez
de réactions. Certains comme le député Ousmane Gaoual vous accuse
d’ethnocentrisme. Avez-vous des preuves de vos accusations ?
Honorable Amadou Damaro Camara : Bon, vous m’avez parlé tout à
l’heure des réponses faites par les uns et les autres, surtout un certain Ousmane
Gaoual Diallo. Je ne suis pas là pour répondre à Ousmane Gaoual Diallo, je ne
sais pas à quel titre il me répondrait. Il était trop jeune quand le 04 juillet se
passait, je n’ai pas parlé de lui. S’il en parle, c’est parce que justement il est ce
qu’il me reproche, il a une fibre ethnique qui a été sonnée quelque part. Ceci dit,
ma conviction est que la Guinée a un passé fait de gloires et de douleurs. Tous
les guinéens de tous les groupes ethniques ont participé à la gloire guinéenne,
toutes les ethnies aussi ont participé à sa partie douloureuse. Il serait aberrant de
systématiser un seul groupe ethnique comme ayant été les bourreaux et un
groupe ethnique comme ayant été des victimes. Le problème dont je parle, je ne
l’invente pas.
Il y a eu le 03 avril. L’armée a pris le pouvoir, à sa tête le Général Lansana
Conté. Le 04 juillet 1985, il y a eu une tentative de coup d’Etat, je dois m’en
presser de le dire qu’en l’absence du Général Lansana Conté, c’est le capitaine
Baldé qui a réprimé et qui a dirigé les loyalistes à défaire les putschistes. Le 05
juillet, le Président Conté n’était pas encore rentré en Guinée, le 06 il n’était pas
encore rentré en Guinée, mais le 06 là, Mamadou Baldé alors ministre de la
réforme qui était le maître du pays a envoyé un télégramme, un message, une
lettre référencée dans le document que je publie au commandant de zone
militaire de Kindia d’alors qui était le chef de bataillon Ibrahima Sory Diallo lui
demandant de passer par des armes les anciens dignitaires qui étaient gardés
dans la prison de Kindia.
Et le 06 soir, le Général Lansana Conté est rentré. Le 07 matin, il a fait un
discours sur l’esplanade du palais du peuple et pendant qu’il prononçait son
discours, commandant Sow était à Kindia. Il a participé dans la journée à un
baptême qui avait eu lieu chez le chef de bataillon Ibrahima Sory Sow. La nuit,
il a organisé les exécutions et le matin, le 08, Ibrahima Sory Diallo a envoyé un
message radio à Mamadou Baldé, ministre pour lui dire que suite à votre lettre
du 06 juillet 1985, nous avons procédé aux exécutions : 22 au total, 21 à Kindia
et un entre Kindia et Conakry. Et il précise dans le même message dont je vous

471
donne copie, il a dit dans le même message que compte-rendu détaillé vous sera
fait par le commandant Sow secrétaire d’Etat à la défense. Voilà la vérité
historique. Il y a un penseur qui a dit que s’il devrait choisir entre avoir peur de
Dieu et avoir peur de l’histoire, qu’il préfère avoir peur de l’histoire parce que
Dieu peut pardonner, mais l’histoire ne pardonne pas.
Africaguinee.com : Vous faites ces révélations juste après la mort du
Général Oumane Sow, pourquoi vous avez attendu tout ce temps alors que
vous auriez pu le faire de son vivant ?
Honorable Amadou Damaro Camara : Oui, c’est qu’il n’y a pas de suivi
dans les choses ici, sinon c’est depuis 2009 que j’ai parlé de ça. J’ai parlé de ça
dans une interview de 4h22mn qui a été publiée en une émission qu’on a appelée
Guinée-mémoire qui était animée sur Radio Soleil FM par feu Sékou Mady
Traoré, paix à son âme. J’en ai parlé depuis ce temps. Il y a eu des débats. J’ai
invité des membres du CMRN (Comité Militaire de Redressement National) à
venir me démentir sur toutes mes allégations et je suis encore dans cette posture.
Ceci dit, c’est commandant Sow qui est mort, mais Ibrahima Sory Diallo est
encore vivant, je crois, Mamadou Baldé est vivant, je crois, ils sont tous là.
Qu’ils viennent dire ce n’est pas authentique et qu’ils donnent peut-être aux
guinéens la vérité sur ces exécutions, c’est aussi simple que ça. On n’a pas à
tergiverser, c’est ça l’histoire.
Africaguinee.com : Vous dites que vous êtes sûrs de ce que vous avancez,
ça veut dire que vous êtes aujourd’hui prêts à brandir vos preuves partout
où besoin sera ?
Honorable Amadou Damaro Camara : Mais je les ai brandies déjà. J’ai
donné les références du texte. C’est le numéro 175 du journal Africa
international de septembre 1985. C’est aussi clair que ça. Et j’ai donné la copie
du télégramme et la signature de Ibrahima Sory Diallo et si vous voulez, je peux
prendre une autre signature sur un autre document de libération pour comparer
la signature, c’est la même signature.
A suivre…

472
Général Ousmane Sow, ancien membre du CMRN
« Le président en partant m’a dit : « Sow, je te confie la situation »
« Mon Général pour le commun des Guinéens et vu qu’il n’ya pas eu de
justice, les gens continuent à se poser la question de savoir si Diarra a été
arrêté avant ou après le départ de Conté pour Lomé ?
Diarra a été arrêté après le départ de Conté et après avoir annoncé sa prise
du pouvoir sur les antennes de la Radio Nationale.
Est-ce que c’était réellement un coup d’Etat qu’il voulait faire ?
Bien sûr ! Diarra, c’est un ami et camarade de promotion. Je l’avais sauvé
plusieurs fois auparavant dans d’autres circonstances. Quand nous étions à
l’école militaire, il était perdu dans la brousse un jour. On m’a dit d’aller le
chercher. Comme je connaissais bien la ville et les alentours, je suis allé le
chercher et le ramener. Je l’ai sauvé. Il était même malade, on l’a soigné et nous
sommes restés comme ça des amis très proches. On était ensemble à Moscou.
J’ai même dit à Diarra quand j’ai senti une agitation chez lui suite à une certaine
pression de ses proches après le remaniement ministériel qui s’était passé,
« écoute, ne fait (sic) rien sans m’informer ». Il m’a dit d’accord. A un certain
moment, il a commencé à mener des actions dérapées. Un jour, je suis allé chez
lui amicalement pour lui dire que les gens parlent mal de lui à cause de certaines
choses qui ne sont pas bonnes. Je lui ai dit que ce n’est pas bon qu’il se déplace
avec mille motos et qu’il ne faut pas dépasser le chef qui était un ami à nous
c’est vrai mais il était surtout le chef de l’Etat désormais. Il a dit « d’accord, j’ai
compris ». On était vraiment très camarade (sic). Mais quand il a dit à la radio,
qu’il a pris le pouvoir sans m’en informer, cela m’a surpris.
Il ne vous a jamais expliqué son projet avant ?
Jamais ! Jamais, j’ai été surpris et j’ai pris cela comme une trahison à
l’endroit de notre amitié. J’étais dans mon bureau la nuit au camp Almamy
Samory Touré puisque je travaillais toujours la nuit. Quand j’ai entendu cela,
j’ai dit que c’est malheureux. J’ai été cherché (sic) un à un les officiers dont les
membres du CMRN qui étaient présents à Conakry. J’ai dit voilà, la situation
s’est dégradée. Le Président en partant m’a dit « Sow, je te confie la situation ».
Maintenant la situation commence à se dégrader en notre présence, nous avons
donc pris nos responsabilités. Et finalement, vous savez la suite. Nous avons
maîtrisé la situation et c’est pendant que je dirigeais les opérations au camp
Alpha Yaya qu’ils m’ont annoncé la prise de Diarra, je ne savais même pas. »
Interview réalisée par B.Abdallah en collaboration avec Diallo Mamadou
Dian pour Aminata.com

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Bibliographie
I) Ouvrages
ALATA, Jean-Paul : Prisons d’Afrique, Paris, Editions Le Seuil, 1976.
CISSE, Jeanne Martin : La fille du Milo, Paris, Présence Africaine, 2009.
DIALLO, Alpha Abdoulaye : La vérité du ministre, Paris, Calman Levy,
1985.
DIALLO, Bilguissa : Guinée, 22 novembre 1970, Opération Mar verde,
Paris, L’Harmattan, 2014.
DIALLO, Boubacar Sampiring & KONDIANO Claude Kory, Cinquante
ans d’indépendance monétaire en Guinée (1960-2010), Conakry, Ganndal,
2012.
GOMEZ, Alsény René : Camp Boiro. Parler ou périr, Paris, L’Harmattan,
2007.
JEANJEAN, Maurice : Sékou Touré, un totalitarisme africain, Paris,
L’Harmattan, 2004.
KAMARA, Lamine : Guinée : Sous les verrous de la révolution, Paris,
L’Harmattan-Guinée, 2012.
KEITA, Sidiki Kobélé : Autopsie d’un pamphlet-Camp Boiro, parler ou
périr, Paris, Editions ANIBWE, 2011.
KEITA, Sidiki Kobélé : La Guinée de Sékou Touré, Pourquoi la prison du
camp Boiro ?, Paris, L’Harmattan, 2014.
LEWIN, André : Ahmed Sékou Touré, président de la Guinée, T.I., Paris,
L’Harmattan, 2009.
LEWIN, André : Ahmed Sékou Touré, président de la Guinée, T.II., Paris,
L’Harmattan, 2009.
LEWIN, André : Ahmed Sékou Touré, président de la Guinée, T.III., Paris,
L’Harmattan, 2009.
LEWIN, André : Ahmed Sékou Touré, président de la Guinée, T.IV., Paris,
L’Harmattan, 2009.
SARAH Robert, Dieu ou rien, entretien sur la foi avec Nicolas Diat, Paris,
Fayard, février 2015.
SOUMAH Maligui : Guinée de Sékou Touré à Lansana Conté Hamattan
Guinée 2012.
SOMPARE El Hadj Aboubacar, Itinéraire 1 Les méandres du Destin.
SOMPARE El Hadj Aboubacar, Itinéraire 2 Les Coulisses du pouvoir.

481
II) Périodiques
Coup de gueule : Bulletin no 125, AST, le plus grand combattant de la
décolonisation en Afrique (1re partie), Cissé Aly Bocar.
Lettre ouverte à la Nation, KABA Kabiné, Abidjan, 1991.
Coup de gueule (Bulletin no 13) le 03 avril 1984 ou le recul historique de la
Guinée, CISSE Aly Bocar, Conakry, 2014.
Horoya, no 009, du 3 mai 1984, Conakry.
Horoya, no 024, du 9 juin 1984, Conakry.
Horoya, no O29, du 21 juin 1984, Conakry.
Horoya, no 149-150, du 3 avril 1985, Conakry.
Horoya, no 163, du 16 mai 1985, Conakry.
Horoya, no 175, du 29 juin 1985, Conakry.
Horoya, no 178, du 7 juillet 1985, Conakry.
Horoya, no 179, du 9 juillet 1985, Conakry.
Horoya, no 180, du 11 juillet 1985, Conakry.
Horoya, no 187, du 30 juillet 1985, Conakry.
Horoya, no 194, du 15 août 1985, Conakry.
Horoya, no 382, du 6 mai 1987, Conakry.
Horoya, no 803, du 6 novembre 2008, Conakry.
Jeune Afrique, Dossiers secrets de l’Afrique contemporaine, règlements de
compte à Conakry, Paris, 1985.
Jeune Afrique, no 1291, Paris, du 2 octobre 1985.
Journal mensuel de la famille Touré, no 210, Conakry, éditions du 7 juillet
2013.
La Lance, no 562, du 31 octobre 2007, Conakry.
Le Lynx, Hebdomadaire satirique indépendant, no 830, 10 mars 2008.
Le Lynx, Hebdomadaire satirique indépendant, no 860, 6 octobre 2008.
Lettre ouverte à la RTG et au Journal Horoya, Sangarédi, 12 avril 1984.
L’indépendant, no 99, Conakry, du 8 décembre 1994.
Matalana, Hors série, no1, Paris, 2008.
Mémorendum sur la manipulation du 4juillet 1985, Conakry, le 15 novembre
1991.
Le soleil n°4182 du 2 avril 1984.
III) Liste des personnes ressources
1- BALDE Abdoulaye Diao
2-BALDET Mamadou

482
3-BANGOURA Amadou Mangata
4-BANGOURA Ansoumane
5-BARRY Bassirou
6-CAMARA Almamy Kabélé
7-CAMARA El Hadj Fodé Soriba
8-CISSE Mamadou Koffi
9-CONDE Lansana
10-DIAKITE Bintou
11-DIALLO Boubacar Lombonna
12-DIALLO Tayiré
13-DIAWARA Hadja Mame
14-DIOUMESSI Ibrahima Sory
15-GUILAVOGUI Denis Galéma
16- KABA Domany
17- KAMARA Lamine
18- KEITA Fodé
19-KEITA Kémoko
20- KEITA Lanciné
21- SALL Kalil
22- SANGARE Kader
23- SANGARE N’Fanly
24- SIDIBE Bahna
25- SOVOGUI Joseph
26- SOW Mamadou Aliou
27- SOW Mamadou Lamine
28- SYLLA Ousmane
29 -TOURE Amara
30- TOURE Faciné
31- TOURE Hadja Nounkoumba
32- TRAORE Amadou Tidiane
33- ZOUMANIGUI Joseph Bago
34- ZOUMANIGUI Kozo

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Table des matières
Préface ............................................................................................. 9
Avant-propos ................................................................................. 13
Prologue
Un nouveau rendez-vous avec l’histoire .................................... 17
Rumeurs persistantes................................................................... 19
Une atmosphère séreine .............................................................. 20
Aboubacar Somparé : dauphin constitutionnel ........................... 22

PREMIÈRE PARTIE
La Guinée au lendemain de la disparition du président
Ahmed Sékou TOURÉ ..................................................................... 27
CHAPITRE I
Ahmed Sékou Touré ..................................................................... 29
Dimension de l’homme politique ................................................ 29
Un tournant dans l’histoire de la Guinée .................................... 33
Des divergences auraient-elles éclaté au palais du peuple
le 2 avril 1984 ? ........................................................................... 35
Démenti des anciens dirigeants du PDG ..................................... 37
Ismaël Touré apporte son soutien à Lansana Béavogui .............. 39
Analyse de Sénaïnon Béhanzin ................................................... 41
Le coup de gueule de Sékou Kaba ‘’Elvarez’’ ........................... 42
CHAPITRE II
Les militaires étaient-ils seuls à envisager un coup de force ? . 47
Rencontre avec le général Soma Kourouma à Madina ............... 48
Qui était Ismaël Touré ? .............................................................. 49
Exclusion du BPN et du gouvernement ...................................... 51
Tendances bourgeoises affirmées et difficile cohabitation
avec ses pairs ............................................................................... 51
Levée de la suspension ................................................................ 53
Soupçons d’ambitions et de velléités fratricides ......................... 54
Lansana BÉavogui l’homme qui aurait dû succéder à Sékou
Touré ........................................................................................... 57
CHAPITRE III
Que sait-on de l’armée qui se préparait à passer de l’ombre
à la lumière ? ................................................................................. 61

485
La ‘’politisation’’ de l’armée ...................................................... 63
L'assassinat du commissaire Mamadou Boiro ............................ 65
Le complot Kaman-Fodéba ......................................................... 66
L’agression du 22 novembre 1970 .............................................. 67

DEUXIÈME PARTIE
Le CMRN prend le pouvoir ............................................................. 71
CHAPITRE IV
Mobiles du coup d’État ................................................................ 73
Le 2 avril 1984, l’Émissaire du BPN rencontre les militaires
au Camp Samory ......................................................................... 78
Lansana Conté convoqué par le haut commandement ................ 80
Une rencontre décisive ................................................................ 80
L’armée passe à l’action ............................................................. 81
‘’C’est À deux heures du matin que le drapeau de la victoire
a ÉtÉ hissÉ au camp alpha yaya’’ ............................................... 82
Le coup d’État du 3 avril 84 : l’armée se place au devant de la
scène ............................................................................................ 84
Faciné Touré : « Je suis l’unique auteur du premier
communiqué » ............................................................................. 86
Des scènes de liesse saluent l’ÉvÉnement .................................. 88
Réunion À l’ambassade de France ? ........................................... 89
L’implication du général Moussa Traoré du Mali ...................... 92
CHAPITRE V
Arrestation d’officiers, membres de la famille TOURÉ ........... 95
L’ouverture des cellules du Camp Boiro .................................... 99
Déclarations d’anciens prisonniers ........................................... 101
Polémiques autour des complots ............................................... 103
Les réglements de compte ......................................................... 106
Le rôle des taupes ...................................................................... 108
Des mouvements extérieurs ...................................................... 111
Complots et repression : À quoi accorder l’antériorité ? .......... 115
CHAPITRE VI
L’arrestation des principaux dignitaires du parti-État .......... 119
Arrestation des membres de la famille du président
Sékou Touré .............................................................................. 125
Arrestation de madame Andrée Touré ...................................... 126
L’Étape du Camp Boiro ............................................................ 128
Des interrogatoires musclés à la Maison centrale de Kindia .... 130

486
Une polémique pour rien........................................................... 135
Témoignage de N’Fanly sangaré .............................................. 136
Le retour à conakry ................................................................... 138
Autre sujet de polémique : la « fortune cachée » du président
Ahmed Sékou Touré ................................................................. 139

TROISIÈME PARTIE
L’administration du CMRN se met en place ............................... 143
CHAPITRE VII
De nouveaux hommes à la tête du pays .................................... 145
Des apparences à la réalité ........................................................ 146
Pourquoi avoir choisi Lansana Conté ?..................................... 147
Des oracles l’avaient prédit ....................................................... 148
Le rêve de Kekoura Camara...................................................... 149
Composition du Comité militaire de Redressement national
(CMRN) et du gouvernement ................................................... 150
Le gouvernement....................................................................... 152
Lansana Conté : nouveau président .......................................... 155
Faciné Touré dit ‘’OUA’’ : une des figures de proue
du nouveau régime .................................................................... 158
D’autres figures marquantes du 3 avril 1984. ........................... 161
Polémique concernant ‘’les artisans’’ du 3 avril 1984 .............. 162
Le capitaine Kabiné Kaba : ‘’héros’’ méconnu ? ..................... 163
CHAPITRE VII
Que peut-on retenir des premiers mois de l’exercice
du pouvoir par le CMRN ? ........................................................ 167
Forte adhésion populaire ........................................................... 168
L’offensive diplomatique .......................................................... 171
L’étape de Paris ......................................................................... 173
Mesures Économiques .............................................................. 175
Premiers actes de corruption ..................................................... 175
Projet de rédaction du livre blanc ............................................. 177
« Des archives confidentielles et très précieuses » ................... 178
À qui la faute ? .......................................................................... 181
CHAPITRE VIII
L’ordonnance n°329/PRG/84 du 18 décembre 1984
suppression du poste de Premier ministre................................ 189
La métamorphose de Lansana Conté ........................................ 192
Suppression du poste de Premier ministre ................................ 193
Des conciliabules sont dénoncés ............................................... 195

487
L’assassinat du capitaine Mamady Mansaré ............................. 197
La démission du capitaine Kabiné Kaba ................................... 198
Lansana Conté — Diarra Traoré : un attelage hétéroclite ........ 199
Des oripeaux de l’ancien régime ............................................... 200
Mais qui était Diarra traoré ? .................................................... 201
« DIARRA n’était pas un artisan du coup d’État
du 3 avril
1984 » ........................................................................................ 202
Le témoignage du commissaire Dioumessi .............................. 203
Diarra n’a pris part à aucune réunion organisée au camp
Samory ...................................................................................... 205
Diarra Traoré — Faciné Touré des rapports ambigus............... 207
Les rancœurs du passé............................................................... 208
Interdiction de l’exploitation privée du diamant ....................... 211
CHAPITRE IX
Libération d’anciens dirigeants du parti-État ......................... 213
La médiation du roi Hassan II et des présidents français
et ivoirien .................................................................................. 216
Les frasques de Diarra Traoré ................................................... 219
Le président rassure .................................................................. 221

QUATRIÈME PARTIE
La tentative de coup d’État du 4 juillet 1985 ou la chronique
d’un échec annoncé ........................................................................ 223
CHAPITRE X
Les conséquences d’une crise ..................................................... 225
Lansana Conté, maître du terrain .............................................. 227
Les complices réels et imaginaires de Diarra Traoré ................ 230
Des militaires dans le camp de Diarra Traoré ........................... 231
Des militaires arrêtés dans des circonstances douteuses ........... 233
Les complices civils .................................................................. 237
Le colonel Diarra Traoré passe à l’action ................................. 239
‘’J’ai demandé à Diarra de quitter le territoire’’ ....................... 240
Un commando français à Conakry ? ......................................... 241
Le président se rend finalement à Lomé ................................... 242
CHAPITRE XI
Le film des événements ou la problématique de la double
cassette ......................................................................................... 245
L’occupation de la radio par les hommes de Diarra Traoré ...... 246
Moi, Colonel Diarra Traoré ! .................................................... 247

488
Réaction des loyalistes .............................................................. 249
La reddition du commando ....................................................... 250
Mais où se trouvait Diarra traoré ?............................................ 251
Comment diarra Traoré a-t-il été arrêté ?.................................. 253
Diarra Traoré filmé presque nu ................................................. 256
‘’Coup d’État d’opérette’’ ......................................................... 257
Un remake du 3 avril 1984 qui a mal tourné............................. 258
Diarra Traoré aura-t-il été trahi par les siens ?.......................... 260
Les renseignements francais en action ? ................................... 262
La famille de Diarra Traoré traquée .......................................... 263
CHAPITRE XII
Des arrestations massives ........................................................... 265
Les cadres malinkés du Fouta Djalon ....................................... 267
Retour en prison d’anciens responsables du P.D.G .................. 270
Destructions, vols et pillages des biens appartenant
aux Malinkés ............................................................................. 271
Des hommes d’affaires ruinés ................................................... 273
CHAPITRE XIII
L’ambiance à Lomé .................................................................... 277
Le coup de fil de houphouët boigny.......................................... 280
Faciné Touré téléphone à Mamadou Baldet ? ........................... 282
Le retour triomphal de Lansana Conté ...................................... 284
Meeting au palais du peuple...................................................... 285
La déclaration du président ....................................................... 286
Les 32 escaliers : autre ‘’prison d’afrique’’ .............................. 288
CHAPITRE XIV
Les tortionnaires ......................................................................... 293
Magnanimité ............................................................................. 295
Témoignages d’anciens détenus................................................ 296
Colonel Lansana Kéïta - Ingénieur ........................................... 297
Mamadou Koffi Cissé : gendarme ............................................ 298
Domany Kaba ........................................................................... 300
CHAPITRE XV
Les exécutions.............................................................................. 305
Exécution des parents et proches de Sékou Touré .................... 306
Qui a donné l’ordre de les exécuter ? ........................................ 311
Nuit du 18 aout 1985 ................................................................. 312
Suite de l’exécution des officiers originaires de la Haute
Guinée ....................................................................................... 313

489
Condamnation à la peine capitale par contumace avec
confiscation des biens ............................................................... 315
Une justice fictive ..................................................................... 318
Histoires cocasses ..................................................................... 323

CINQUIÈME PARTIE
Le discours-programme du 22 decembre 1985 ........................... 325
CHAPITRE XVI
Lansana Conté, seul maître de la Guinée ................................ 327
Le sens d’un discours ................................................................ 329
Programme de développement .................................................. 330
L’agriculture.............................................................................. 330
La d֤écentralisation .................................................................... 330
CHAPITRE XVII
Le nouveau gouvernement ou la disgrâce des barons ............ 333
Ministres issus de la diaspora ou ‘’ministres importés’’........... 337
Bassirou Barry........................................................................... 339
« Ministre des Affaires étrangères de Sékou Touré ? » ............ 339
Bassirou Barry est rendu À lui-même ....................................... 341
L’État des lieux ......................................................................... 342
Démission de Jean Claude Diallo ............................................. 344
Des cadres de l’intérieur ........................................................... 346
La naissance du nouveau franc guinéen .................................... 347
Bilan succint d’un règne ........................................................... 352
Des actes favorablement accueillis ........................................... 353
Éducation .................................................................................. 354
Infrastructures ........................................................................... 355
Le père du ‘’multipartisme’’ ..................................................... 356
La presse se diversifie ............................................................... 357
Le pouvoir absolu...................................................................... 358
L’armée ..................................................................................... 359
La Guinée narco-État ................................................................ 360
La corruption généralisée .......................................................... 361
Dépérissement des entreprises d’État et des sociétés minières . 362
Politique minière ....................................................................... 362
L’agriculture.............................................................................. 363
La décrépitude du franc guinéen ............................................... 363
Népotisme ou ethnostratégie ? .................................................. 364
Résutats mitigés sur la scène internationale .............................. 366

490
Des réalisations en dents de scie ............................................... 367
Role des syndicats et instabilité gouvernementale .................... 368
Grande grève de janvier-février 2007 ....................................... 369
Lansana Kouyaté : Premier ministre ......................................... 370
Le dernier mot pour Lansana Conté .......................................... 372
Conclusion ................................................................................... 375
Photos (Aziz, Barry, Dioumessi). ............................................. 379
Membres du cmrn ..................................................................... 383
Annexes ........................................................................................ 403
Communiqués du CMRN, le 3 avril 1984 ................................. 403
Les membres du Comité militaire de redressement national
C.M.R.N. ............................................................................................. 406
Bibliographie ............................................................................... 481
Table des matières ...................................................................... 485

491
Structures éditoriales du groupe L’Harmattan

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GUINÉE, 3 AVRIL 1984 Cheick Fantamady Condé

Cheick Fantamady Condé


Une date et ses conséquences

GUINÉE, 3 AVRIL 1984


Le 3 avril 1984, une semaine après la disparition du président Ahmed Sékou Touré, l’armée s’empara du
pouvoir en Guinée. Les causes du coup d’État qui a placé le Comité militaire de redressement national (CMRN)
à la tête du pays sont diversement interprétées. Les arguments invoqués par les militaires se heurtent aux
démentis des anciens compagnons du père de l’indépendance guinéenne. Toujours est-il que la prise en main
des destinées de la nation par les Forces armées provoqua une grande effervescence dans les rues de Conakry
et sur toute l’étendue du territoire national. Des foules en liesse scandant ‘’Vive la liberté’’ acclamèrent les
nouveaux maîtres du pays. Le CMRN ne tarda pas à afficher sa volonté de rupture avec l’ancien régime. Le
Une date et ses conséquences
même jour, il fit libérer les prisonniers politiques détenus au Camp Boiro.
Placé à la tête du pays par ses pairs, le colonel Lansana Conté apparut comme le symbole d’une Guinée nouvelle
débarrassée des tares et des excès du régime précédent. Le nouveau président réaffirma l’adhésion de son
gouvernement aux principes des droits humains et son attachement à la charte de l’OUA et à celle de l’ONU.
Il parla de démocratie en promettant que plus personne ne serait poursuivi en Guinée à cause de ses idées.

GUINÉE, 3 AVRIL 1984


Cependant des contradictions internes éclatèrent très rapidement au sein de la nouvelle équipe dirigeante.
Elles atteignirent leur point d’orgue le 4 juillet 1985 lors de la tentative de coup d’État perpétrée par le colonel
Diarra Traoré. L’ancien numéro deux du régime évincé de la tête du gouvernement six mois plus tôt croyait
tenir sa revanche en profitant de l’absence de Lansana Conté pour le renverser. Mais l’échec fut cuisant et
les représailles impitoyables. Diarra Traoré y perdit la vie en même temps que la quasi-totalité des officiers
supérieurs de son ethnie. Avaient-ils tous été ses complices dans son ambition de se hisser à la première
place occupée par Lansana Conté ? Des amalgames et autres règlements de comptes ont-ils eu cours pour se
débarrasser d’individus, dont le nombre et la brillante carrière agaçaient des proches du président ?
Comment expliquer surtout la violence d’État et la férocité qui s’est abattue sur l’ensemble des membres
de l’ethnie du colonel putschiste ? En effet, la tentative de coup d’État fomentée par l’ancien Premier
ministre provoqua des arrestations multiples parmi les Malinkés et des exécutions sommaires difficilement
quantifiables. C’est à ces questions et à d’autres encore que l’auteur tente de répondre au lendemain de ces
événements qui contribuèrent à faire du général Lansana Conté le maître incontesté de la Guinée.

Cheick Fantamady Condé, né à Siguiri, est diplômé d’histoire de l’Institut polytechnique


de Conakry. Ancien ministre de l’Information et de la Culture, il est actuellement secrétaire
général de la Cour constitutionnelle de la République de Guinée. Il a une longue expérience
professionnelle dans l’administration et les médias, est membre de l’Association des historiens
de Guinée et titulaire de plusieurs distinctions honorifiques.
Préface d’Alpha Tayiré Diallo

En couverture : © Syli Photos.

ISBN : 978-2-343-17012-1
42 €

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