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ÉLECTIONS EN GUINÉE

Technologie électorale
et imbroglio juridique
© L'HARMATTAN, 2007
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-03168-5
EAN : 9782296031685
Maître Togba ZOGBELEMOU

ÉLECTIONS EN GUINÉE

Technologie électorale
et imbroglio juridique

L'Harmattan
Etudes Africaines
Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa

Déjà parus

Simon-Pierre E. MVONE NDONG, Bwiti et christianisme, 2007.


Simon-Pierre E. MVONE NDONG, Imaginaire de la maladie au
Gabon, 2007.
Claude KOUDOU (sous la direction de), Côte d’Ivoire : Un
plaidoyer pour une prise de conscience africaine, 2007.
Antoine NGUIDJOL, Les systèmes éducatifs en Afrique noire.
Analyses et perspectives, 2007.
Augustin RAMAZANI BISHWENDE, Ecclésiologie africaine de
Famille de Dieu, 2007.
Pierre FANDIO, La littérature camerounaise dans le champ social,
2007.
Sous la direction de Diouldé Laya, de J.D. Pénel, et de Boubé
Namaïwa, Boubou Hama-Un homme de culture nigérien, 2007.
Marcel-Duclos EFOUDEBE, L’Afrique survivra aux afro-
pessimistes, 2007.
Valéry RIDDE, Equité et mise en œuvre des politiques de santé au
Burkina Faso, 2007.
Frédéric Joël AIVO, Le président de la République en Afrique
noire francophone, 2007.
Albert M’PAKA, Démocratie et société civile au Congo-
Brazzaville, 2007.
Anicet OLOA ZAMBO, L’affaire du Cameroun septentrional.
Cameroun / Royaume-Uni, 2006.
Jean-Pierre MISSIÉ et Joseph TONDA (sous la direction de), Les
Églises et la société congolaise aujourd’hui, 2006.
Albert Vianney MUKENA KATAYI, Dialogue avec la religion
traditionnelle africaine, 2006.
Guy MVELLE, L’Union Africaine : fondements, organes,
programmes et actions, 2006.
Claude GARRIER, Forêt et institutions ivoiriennes, 2006
Nicolas MONTEILLET, Médecines et sociétés secrètes au
Cameroun, 2006.
À la mémoire de :

- notre père Togba Ilé


qui a consacré sa vie
à l’épanouissement intellectuel
de ses enfants.

- mon épouse Cécile


qui m’a accompagné
dans mes travaux recherches
à l’Université d’Abidjan.

À ma sœur Louise
en souvenir des retrouvailles familiales
de ce jour béni de juin 1999 à Paris.
Que Dieu en soit loué !
9

Avant-propos

La présente étude a été conduite dans un esprit aussi


scientifique que possible : les matériaux sont constitués
essentiellement de la législation en vigueur, des articles de
journaux et des publications dans la presse guinéenne du
Ministère en charge de l’organisation des élections (résultats
électoraux, déclarations du Ministre, réponses du Ministère
aux réactions des partis politiques) et des partis politiques et
de leurs leaders (interviews, déclarations, discours…). À cette
documentation, il convient d’ajouter la déclaration de la
CENA et le rapport exhaustif de la commission nationale
d’observation des élections.

Délibérément, ont été écartés autant que possible les résultats


des enquêtes et autres informations non consignés dans un
support écrit. Aussi, il importe de noter qu’en dehors des
déclarations communes (FRAD) ou individuelles (UPR,
UFR, UFDG, PDG-RDA) de partis politiques, l’UFR est le
seul parti ayant publié dans la presse des documents
(échanges de correspondances avec le Ministère de
l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et
lettres adressées à la CENA, plaintes déposées auprès des
commissions administratives de centralisation de votes des
communes de Kaloum et de Matam à Conakry) de nature à
exposer la technologie électorale dans ses différentes formes,
l’abondance de sa production s’expliquant par ses démêlés
avec l’administration en charge des élections.

L’auteur profite de cette mise en point pour exprimer sa


profonde gratitude à Michèle Sonah Koundouno de la Faculté
des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Conakry-
Sonfonia pour ses observations et suggestions ; son regard
critique de sociologue a été d’un apport certain.
10

Un grand merci aussi à Pierre Guy Delamou pour sa grande


disponibilité, qui s’est chargé de la tâche harassante de la
saisie et des corrections.

Puisse cette étude contribuer à développer l’esprit civique du


Guinéen par une prise de conscience des dangers de la
technologie électorale, à l’encourager dans la promotion de la
démocratie, préalable à l’édification d’un État de droit en
Guinée et à la construction d’une société économiquement
prospère dans l’intérêt exclusif des populations et non d’une
nomenklatura.
11

INTRODUCTION

Pour justifier sa défaite à une élection législative dans sa


circonscription, un homme politique ivoirien de premier plan
a déclaré, il y a quelques années, qu’il ne maîtrisait pas la
« technologie électorale ». Et depuis, l’expression a fait
recette pour malheureusement prendre la signification
péjorative de fraude électorale.

La fraude électorale est un phénomène social grave en tant


qu’elle porte atteinte à la régularité et la sincérité du vote.
Concomitante au développement du suffrage universel dont
elle est la sœur jumelle, pour reprendre l’expression de Jean-
Philippe Immarigeon, elle « apprivoise depuis toujours ce
monstre aveugle et indéterminé qu’est le peuple…, elle
assure surtout la pérennité de certaines rentes de
situation… ; elle seule sait domestiquer son chenapan de
frère lorsque tous les autres artifices ont échoué » 1.

Comi M. Toulabor la fait remonter au XIXe siècle en France


et aux élections d’après-guerre dans les colonies françaises,
après 1945 2.

En Guinée, en remontant dans le temps, la fraude électorale


serait apparue avec le premier mandat électif du premier
Président guinéen, Sékou Touré. En effet, le 02 août 1953, ce
dernier est déclaré élu conseiller territorial de Beyla après que
____________________
1 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale »
Stock, Paris, 2000 pp. 228 et 229 ;
2 : Cf. Comi M.Toulabor : « Fraudes électorales et « démocratie
coloniale » au Togo. Cas d’une implantation du vote en colonie »
in « Voter en Afrique. Comparaisons et différenciations » sous la
direction de Patrick Quantin, l’Harmattan, Paris, 2004.pp.185 à 187.
12

les résultats de l’élection gagnée par Douty Camara, fils du


chef de Beyla, ont été changés suite au débarquement dans la
localité de Bernard Cornut-Gentil, Gouverneur Général de
l’AOF, et Félix Houphouët-Boigny, Président ivoirien du
RDA 3.

La question a perdu de l’intérêt après les indépendances à la


faveur du monopartisme qui a déterminé la vie politique en
Afrique au cours des trois décennies qui ont suivi. Et même
lorsque des élections « disputées » étaient organisées au sein
du parti unique (la Côte-d’Ivoire avec le PDCI-RDA de 1980
à 1990), la contestation portait plus sur la personne des
candidats que sur l’organisation et le déroulement des
scrutins. La culture politique ambiante de l’époque constituait
un obstacle véritable à l’institutionnalisation du vote à
l’émergence d’une identité citoyenne fondée sur
l’individualisme et non sur le communautarisme.

____________________
3 : Cf. Camara Kaba 41 : « Dans la Guinée de Sékou Touré, cela a bien
eu lieu », l’Harmattan, Paris, 1998 p.51. Les conseillers territoriaux
étaient les membres des assemblées territoriales, nouvelle appellation
à partir de 1952, des conseils généraux à caractère politique, qui
avaient été créés dans les territoires de l’AOF, après la seconde
guerre mondiale, par un décret du 25 octobre 1946. Ces assemblées
avaient des compétences notamment en matière de budget, d’impôts et
de services locaux. Cf. François Luchaire : « Droit outre-mer et la
coopération ». Coll. Thémis, PUF, Paris 1965 p.173 ; Henri Grimal :
“La décolonisation 1919-1963” Coll U, A. Colin, Paris 1965 pp. 336
et suiv.
13

En 1990, le contexte électoral africain était ainsi caractérisé


par l’extrême brièveté de l’expérience électorale, la longue
domination de régimes de parti unique et l’absence
subséquente d’élection réellement concurrentielle 4.

Avec la restauration du multipartisme qui a eu pour


conséquence l’organisation d’élections opposant les candidats
ou listes de candidats investis par des partis politiques
différents, la contestation a changé d’objet : l’accent est mis
moins sur la personne des candidats que sur la régularité du
processus électoral, de la révision des listes électorales au
décompte des voix après le vote.

La fraude électorale a retrouvé une nouvelle jouvence avec


cette nouvelle donne : contestée dans son existence par les
pouvoirs en place, elle est régulièrement alléguée après les
consultations électorales, par l’opposition politique confortée
dans sa position par les résistances mentales à l’alternance
politique.

La Guinée ne fait pas exception, qui vient d’en faire la


démonstration avec les élections locales (communale et
communautaire) du 18 décembre 2005. Organisées dans le
cadre de la décentralisation territoriale initiée par le Président
Lansana Conté, ces élections ont été largement « gagnées »
par le Parti de l’Unité et du Progrès (PUP), parti au pouvoir
(81,58 % des communes et 79,54 % des communautés rurales
de développement ou CRD), opposé pour la circonstance à 15
autres partis politiques dont les principaux partis d’opposition
(RPG, UFR, UPR, UFDG, UPG, UNPG).

____________________

4 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse


multidimensionnelle du processus électoral africain.
14

Dans sa forme actuelle, la décentralisation territoriale est une


technique récente dans l’histoire de l’administration publique
guinéenne : elle est consécutive à l’option libérale opérée
après la mort de Sékou Touré en 1984.

En effet, le 22 décembre 1985, soit une vingtaine de mois


après la prise du pouvoir par l’armée favorisée en 1984 par
les dissensions au sein du BPN du PDG-RDA, parti État
guinéen, dans la gestion de la succession de Sékou Touré, le
Président Lansana Conté a déclaré, dans un discours-
programme devenu le projet de société de son parti, le PUP,
ce qui suit :

« Le district doit regrouper des villages qui ont tissé entre


eux des liens étroits, souvent fondés sur des relations de
parenté ou d’alliance, et qui ont l’habitude d’organiser leur
vie quotidienne sur des bases collectives…

Les districts doivent permettre aux populations de gérer en


toute liberté leur mode de vie traditionnelle. Mais leur taille
est insuffisante pour entreprendre des actions de
développement économique…

Entre districts voisins se créeront progressivement de


nouvelles solidarités et leurs populations prendront
conscience de la nécessité de se regrouper au sein d’unités
plus vastes.

Ce seront les communautés rurales de


développement…Parallèlement au niveau des villes, des
communes seront créées à partir des quartiers.
Historicité, comparaison et institutionnalisation » in « Voter en
Afrique : comparaisons et différenciations » op.cit.p.63.
15

Ces nouvelles collectivités s’administreront librement et


auront à leur disposition des ressources suffisantes pour leur
assurer une réelle autonomie financière ».

Cette déclaration va connaître une mise en œuvre avec


l’ordonnance nº 079/PRG/86 du 25 mars 1986 portant
réorganisation territoriale de la République de Guinée et
institution des collectivités décentralisées, qui confère, en son
article 5, la personnalité morale et l’autonomie financière à la
communauté rurale de développement (CRD) et à la
commune urbaine.

Deux autres ordonnances nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril


1990 et nº 092/PRG/SGG/90 du 22 octobre 1990 porteront
organisation et fonctionnement respectivement des
communes et des CRD.

La 3ème constitution du 23 décembre 1990 de la Guinée


indépendante (articles 88 et 89), modifiée par le référendum
constitutionnel du 11 novembre 2001, a, à côté des
collectivités territoriales (régions, préfectures, sous-
préfectures, quartiers et districts), érigé les CRD et les
communes urbaines en collectivités locales qui
« s’administrent librement par des conseils élus sous le
contrôle d’un délégué de l’État qui a la charge des intérêts
nationaux et du respect des lois » 5.

____________________
5 : Pour les communes, la tutelle de l’État est assurée par le Gouverneur
de Conakry pour les communes de la ville de Conakry et par le
Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation
pour les communes de l’intérieur (article 16 de l’ordonnance du 21
avril 1990), ce dernier est relayé à l’intérieur par les Préfets (articles
3 et 24 du décret nº 081/PRG/SGG/87 du 19 juin 1987).
16

Les élections locales (communale et communautaire) du 18


décembre 2005, les secondes après les consultations de 1991
pour les CRD, et les quatrièmes après les scrutins de 1991,
1995 et 2000 pour les communes, s’inscrivent dans le cadre
de la politique de décentralisation, limitée du fait que les
régions et les préfectures ne disposent pas encore
d’assemblées délibérantes élues.

La décentralisation implique la prise en compte de la notion


d’affaires locales, par opposition à celle de l’État, que l’on
entend faire gérer dans un esprit de solidarité propre aux
personnes vivant dans le territoire déterminé 6. C’est ce
qu’exprimait le Président Lansana Conté dans son discours-
programme précité du 22 décembre 1985 : « Nous faisons le
choix d’une société fondée sur les solidarités naturelles mises
au service du développement. Renforcer ces solidarités là où
elles existent encore, c’est l’objet de la décentralisation ».

Mais au-delà de cette notion d’intérêts locaux, le choix de la


technique de décentralisation procède d’une option
idéologique plus fondamentale : le virage libéral pris après la
_________________________________________________
Pour les CRD, elles relèvent de l’autorité de tutelle centrale qu’est
le Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation, et de la tutelle rapprochée assurée par les
Gouverneur de régions, Préfets et Sous-Préfets (article 51 de
l’ordonnance du 22 octobre 1990). Cette pluralité de contrôle peut
être source d’asphyxie des CRD, ce qui serait contraire à l’esprit
de la décentralisation, et surtout du discours-programme du 22
décembre 1985 du Président Lansana Conté.
Un nouveau code des collectivités locales a été adopté à l’Assemblée
Nationale en mai 2006.
6 : Cf. André Laubadère, Jean-Claude Vénézia et Yves Gaudemet : « Traité
de droit administratif », tome 1,12ème éd., LGDJ, Paris 1992 pp. 105-
106 ; René Degni-Ségui : « Droit administratif général », tome 1, éd.
CEDA, Abidjan 2002 pp. 59-60 ;
17

chute du régime révolutionnaire de la première République


guinéenne. En effet, « du point de vue politique, la ligne de
partage est entre les régimes libéraux, qui respectent les
libertés locales comme les autres libertés, et les régimes
autoritaires qui vont naturellement à la centralisation » 7. Le
Président Lansana Conté ne disait pas autre chose quand il
déclarait dans son discours précité que « les actuelles
circonscriptions territoriales ont servi au précédent régime à
imposer l’intervention du pouvoir politique central dans tous
les actes de la vie quotidienne. Elles seront progressivement
supprimées et remplacées par des unités plus conformes aux
vœux et aux besoins des populations, ainsi qu’aux réalités
culturelles et économiques du pays ».

Ainsi, la décentralisation administrative, corollaire du


libéralisme politique et économique, se réalise, entre autres,
par le libre choix des représentants des collectivités
décentralisées, donc par la démocratie politique qui doit être
réelle et non formelle.

Fort curieusement en Guinée, le pouvoir politique conçoit la


démocratie politique comme un produit d’importation. Aussi,
parlant à la convention de son parti, le PUP, dont il est le
Président d’honneur en violation de l’article 33 de la
constitution qui interdit au Président de la République toute
responsabilité dans un parti politique 8, le Président Lansana
Conté déclara, le 13 septembre 2003, à propos des principaux
leaders des partis d’opposition issus dans leur quasi-totalité
____________________

7 : Sur la signification politique de la décentralisation, cf. Jean Rivero


et Jean Waline : « Droit administratif », 15ème éd., Précis Dalloz,
Paris, 1994, p. 275. Voir aussi René Chapus : « Droit administratif
général » tome 1, 12ème éd., Paris 1998 pp. 371-372. Sur le cas
guinéen, lire Alhassane Condé : « La décentralisation en Guinée :
une expérience réussie » L’Harmattan Paris 2003.
18

de la diaspora guinéenne : « Ils viennent d’arriver. Dès que


les élections passent, s’ils ne gagnent pas, ils s’en vont.
Quand les élections s’approchent, ils reviennent. Ils croient
que ce sont les moutons qui sont en Guinée. S’ils ne peuvent
pas venir en Guinée, sauf en qualité de Président, alors, ils
vont pourrir à l’extérieur. Ils ne viendront pas ici. Parce
qu’on ne nommera pas un étranger comme Président. Les
gens à double nationalité, à double tout… Ils viennent ici
parce que la Guinée est libre, disponible. La Guinée est
disponible, mais c’est pour les Guinéens, pas pour les
étrangers. Qu’ils viennent souffrir, travailler avec nous. Au
lieu d’aller prendre les idées en Europe, aux États-Unis et
venir les imposer ici. Cela ne marchera pas. Nous sommes
chez nous » 9.

Auparavant, le 23 août 2003, au cours d’un meeting au siège


de son Parti, le PUP, le Président Lansana Conté s’était
exprimé sur l’origine de son pouvoir : « Donc moi, ce n’est
pas le PUP qui a fait de moi le Président de la Guinée… Je
suis devenu Président avant que vous ne commenciez à voter.
C’est la volonté de Dieu que nous suivons, si Dieu veut un
jour que je quitte la tête de la Guinée, il le fera, mais
personne ne le saura. S’il ne l’a pas voulu, que les gens
____________________
8 : Lors d’un meeting au siège du PUP le 23 août 2003, le Président
Lansana Conté a déclaré : « Mon parti, le PUP, ce n’est pas
quelqu’un qui l’a créé. Je vous l’ai dit à plusieurs reprises. C’est
moi seul qui l’ai créé. Ce sont sept partis réunis qui ont formé le
PUP « in » « La nouvelle tribune » nº 222 du 26 août 2003 p.4. Sur
les exilés guinéens, lire Djibril Kassomba Camara : « La diaspora
guinéenne » L’Harmattan Paris 2003.
9 : Cf. l’hebdomadaire « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre
2003 p.4
19

fassent ce qu’ils veulent, qu’ils se battent partout, qu’ils


aillent en Amérique, en France ou n’importe où pour aller
comploter, le complot sera déballé au grand jour ici » 10.

Les déclarations présidentielles que dessus ont été faites à la


veille de l’élection présidentielle du 21 décembre 2003 à
l’issue de laquelle le Président Lansana Conté a été réélu avec
un score de 95,63 %, face à un seul candidat, Mamadou
Bhoye Barry 10 bis, leader de l’UNP, petit parti de la majorité
présidentielle, dont la candidature a été suscitée par le
pouvoir pour éviter au Président Lansana Conté la position de
candidat unique, après la décision de boycott des leaders de
l’opposition ; ces déclarations expriment les conceptions du
pouvoir et de la démocratie véhiculées par le régime
guinéen : le pouvoir vient de Dieu ; s’opposer au pouvoir,
c’est s’opposer à la volonté de Dieu, donc se condamner à
l’enfer. « Celui qui dit qu’il me trahit dans mon
gouvernement, Dieu va le trahir », a déclaré le Président
Lansana Conté le 23 août 2003 au cours du meeting précité.

Cette conception du pouvoir don de Dieu dérive sur une


acception patrimoniale du pouvoir : la confusion entre les
biens publics et les biens personnels du chef explique en
partie la gabegie financière qui caractérise la gestion de l’État
guinéen11. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le
Président Lansana Conté devant les commerçants le 28 août
2003 : « C’est moi qui ordonne les exonérations. Qui parmi
____________________
10 : Cf. l’hebdomadaire « La nouvelle tribune nº 222 du 26 août 2003
p.3.
10 bis : Il vient d’être nommé Ministre de l’Enseignement Pré-
Universitaire et de l’Éducation Civique à la faveur d’un
remaniement ministériel intervenu le 29 mai 2006.
11 : Jean-François Bayart préfère parler de politique du ventre.
Cf. : « l’État en Afrique. La politique du ventre » Fayard,
Paris 1989. Sur le néo-patrimonialisme du pouvoir, cf.
20

vous n’est pas venu me voir. Ah ! j’ai tel bateau, j’ai tel
bateau, et j’ordonne l’exonération, ce n’est pas vrai, toi ? »12.
Il s’exprimera dans le même sens à la convention de son
Parti, le 13 septembre 2003, après avoir été désigné candidat
à l’élection présidentielle du 21 décembre 2003 : « Je viens
de demander deux mille mètres cubes de granit de toutes
catégories à la société qui exploite le granit à Manéah,
Coyah. Le bonhomme se permet de me dire qu’il faut que je
paie comptant. Et j’ai dit au Ministre des Mines « Je ne paie
pas, il s’en va ». Si vous entendez que je les ai chassés, sera
pour ça. Le granit c’est moi. Ils ont exploité pendant combien
de temps, ils vendent. Vous ne voyez pas qu’ils se foutent de
moi ? Si je n’ai pas de granit, vous allez entendre que c’est
fermé. Il n’y a pas quelque chose qui est en Guinée qui
n’appartient pas aux Guinéens. Je suis le Président d’ici. Je
demande ce service pour faire des travaux, eux me disent de
payer comptant. C’est son père qui a acheté ici ? » 13. Il n’est
donc pas étonnant que la planche à billets fonctionne pour
faire face aux besoins financiers croissants de l’État, le trésor
public creusant ainsi son endettement auprès de la banque
centrale ; la dette était estimée officiellement à 770 milliards
de francs guinéens en 2004 14.

_________________________________________________

Jean-François Médard : « La spécificité des pouvoirs africains »


in Revue Pouvoirs « Les pouvoirs africains » 1983 nº 25 pp. 15 à
21 ; Daniel Bourmaud : « La politique en Afrique » Montchrestien,
Paris, 1997 pp.57 et suiv.
12 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 223 du 03 septembre 2003 p.3.
13 : Cf. « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 p. 4.
14 : Cf. le discours de clôture de la session budgétaire 2004 du Président
de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé in « La nouvelle
tribune » nº 246 du 10 février 2004 p.4.
21

Quant à la démocratie multipartite, produit d’importation, elle


est, pour le régime, la recette utilisée par les anciens exilés
pour perturber, voire détruire la cohésion sociale 15.

Dès lors, apparaissent tous les ressorts véritables de toute


consultation électorale en Guinée : il faut garantir au pouvoir
le contrôle de tous les rouages de l’État. Car, « l’élection,
c’est la révolution permanente ; il convient donc de
l’encadrer, d’éviter que les gouvernants ne soient soumis aux
caprices d’un électorat supposé instable, voire franchement
caractériel » 16.

Cette volonté de contrôle qui s’est manifestée le 18 décembre


2005, l’a été de tout temps : aux communales de 2000 avec
32 communes pour le PUP sur 38 et aux législatives de 2002
avec 85 députés pour le PUP sur 114. Le Président Lansana
Conté avait, le 09 juin 2002, à Mamou lors du lancement de
la campagne du PUP pour ces législatives, donné le ton en
ces termes : « Nous sommes venus vous confier, parce que
c’est vous les détenteurs du pouvoir, nous sommes venus vous
demander d’accepter les 114 députés qu’on vous propose…
Vous m’avez mis au pouvoir je souhaite que ces gens-là
travaillent avec moi. Si vous ne les prenez pas pour m’aider,
je vais avoir les reins brisés. C’est pour cela il me faut ces
hommes avec lesquels on peut travailler et non pas avec des
grands intellectuels qui viennent avec leurs connaissances
____________________
15 : Dans sa version originale, la constitution du 23 décembre 1990
avait institué un bipartisme, mais le pouvoir a dû, sous la pression
de leaders politiques rentrés d’exil, procéder à une révision
constitutionnelle pour instaurer un multipartisme intégral. Cf. la
loi organique n°L/91/003 du 23 décembre 1991 portant modification
du nombre des partis susceptibles d’être constitués.
16 : Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale »,
op. cit. p.229.
22

qui ne pourront pas nous servir parce que les connaissances


quand ça dépasse la limite, ça ne sert personne. Je préfère
ceux qui peuvent patauger… C’est selon le pourcentage du
vote que vous allez avoir assez des députés. Les uninominaux,
si vous voulez vous me donner les 38 uninominaux, c’est-à-
dire les 33 préfectures plus les 5 communes de Conakry.
L’autre fois, j’avais dit ça, ça s’est exécuté à Conakry, j’ai dit
que je veux les cinq maires de Conakry, si vous me donnez les
députés, vous allez voir dans un an, votre pays va savoir,
votre population va savoir » 17.

En raison du décor politique ainsi planté et du peu d’égard


pour le droit à l’occasion des élections, quelles qu’elles
soient, toutes les manœuvres de fraude sont permises. Les
élections communale et communautaire du 18 décembre 2005
n’ont pas fait exception. Et pourtant, la loi organique
n°L/91/012 du 23 décembre 1991 portant code électoral
(modifiée par les lois organiques n°L/93/038/CTRN du 20
août 1993 et n°L/95/011/CTRN du 12 mai 1995) et son décret
d’application n°D/91/263/PRG/SGG du 27 décembre 1991
____________________

17 : Lire la déclaration du Président Lansana Conté dans l’observateur.


Avant le scrutin législatif de 2002, René Zoumanigui, député PUP
et ancien Vice-Président de l’Assemblée Nationale à l’époque,
avait déjà indiqué ce score en ces termes : « Aux prochaines
législatives, nous aurons au moins 85 sièges. » in « L’indépendant »
nº 380 du 13 juillet 2000, p. 3. Aboubacar Somparé, Secrétaire
Général du PUP et Président du groupe parlementaire PUP/PCN à
l’époque, a renchéri ainsi qu’il suit : « Nous avons pris assez de
précautions cette fois-ci pour ne pas que les transfuges que nous
avons connus de la première législature se répètent, je l’espère.
C’est pourquoi d’ailleurs on s’est donné une marge de sécurité de 9
députés au moins. » in « La nouvelle tribune » nº 164 du 16 juillet
2002 p. 5.Avec cette sur- représentation, le PUP peut adopter tous
les textes proposés par le Gouvernement, un vote négatif des
députés de l’opposition n’ayant aucun effet.
23

peuvent garantir des élections sincères et démocratiques : la


transparence qu’ils prescrivent pour l’organisation et le
déroulement du scrutin est de nature à assurer la crédibilité de
tout scrutin.

Organisés selon un scrutin de liste majoritaire à un tour pour


les communes (article L113 code électoral) et un scrutin de
liste proportionnel pour les CRD (article L102 code
électoral), les scrutins du 18 décembre 2005 avaient un enjeu
politique réel : la démocratie à la base avec l’élection de 3210
conseillers dont 613 pour 38 communes et 2597 pour 303
CRD.18. Aussi, ils ont mobilisé 16 partis politiques dont le
parti au pouvoir, le PUP, et les principaux partis de
l’opposition, l’UFR de Sidya Touré, le RPG de Alpha Condé,
l’UPR de feu Siradiou Diallo, l’UFDG de BÂ Mamadou,
l’UPG de Jean-Marie Doré et l’UNPG de Saliou Bella
Diallo 19. L’opération électorale a coûté plus de 15 milliards
de francs guinéens aux partenaires au développement20 qui
faisaient de la régularité de ces consultations une condition de
déblocage de l’enveloppe A du 9ème FED de plus de 200
millions d’euros 21. Comme il sera démontré ci-après, ils ne
___________________

18 : Ces chiffres diffèrent de ceux donnés par le Ministre 15 jours avant


les scrutins dans un point de presse : il a indiqué qu’il s’agira
d’élire 4399 conseillers dont 836 pour les communes et 3563 pour
les CRD. Cf. « La nouvelle tribune » nº 338 du 06 décembre 2005
p.5.
19 : Cf. déclaration du Ministre après le scrutin in « La nouvelle
tribune » n° 342 du janvier 2006 p. 5.
20 : Il s’agit de l’Union Européenne, du Japon, du Canada, du PNUD
et de l’Allemagne. Cf. le mensuel « L’Économiste » nº 049,
décembre 2005 p.4
21 : Cf. l’interview de l’Ambassadeur de l’Allemagne à Conakry in « La
nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 p. 6. Le même diplomate
avait déclaré précédemment que « tout harcèlement contre
l’opposition politique pourrait retarder la reprise du
24

mettront pas longtemps pour déchanter 22. Car, ainsi que le


disait déjà le Président Lansana Conté dans son discours-
programme précité : « Aujourd’hui, le parti (de Sékou Touré)
a disparu, mais le système est toujours là. Il se loge dans les
ruines de l’État et de l’économie. Pour l’en chasser, il faut
faire de profondes réformes. Cela ne se fera en un jour, ni
sans efforts. La période de transition sera difficile ». Mais
cela dure déjà 20 ans.

Dans ses formes matérielles, la technologie électorale


observée tout le long du processus qui a conduit aux scrutins
du 18 décembre 2005, présente un visage diversifié (I). À ce
constat, s’ajoute la confusion juridique qui a présidé aux
rapports entre les structures administratives chargées
d’intervenir dans le déroulement des élections et au règlement
dans des conditions peu amènes du contentieux électoral :
l’interférence entre les compétences des structures et la
complexité des modes de règlement administratif et
juridictionnel des litiges n’ont guère contribué à la
transparence des scrutins (II). Enfin, il importera de tirer les
enseignements des consultations afin d’en dégager la
signification politique réelle dans le cadre du régime guinéen
(III).
_________________________________________________

dialogue avec l’Union Européenne » in « La lance » nº 384 du 05


mai 2004 p.7.
22 : Cf. interview de Sidya Touré, leader de l’UFR in “La lance” nº 471
du 04 janvier 2006 p.8.
25

Chapitre I
Du phénomène de la technologie électorale
La fraude électorale, fraude à la loi électorale 23, est organisée
dans l’intention de nuire aux concurrents politiques : elle
prend diverses formes de manœuvre déloyale à l’occasion des
compétitions électorales.

Tout aussi diversifiées sont ses causes qui peuvent être de


nature politique ou administrative, voire juridique. Ces causes
sont imputables aussi bien au pouvoir à travers le ministère
en charge de l’organisation des élections qu’aux partis
politiques de la majorité comme de l’opposition.

Avant d’examiner les formes et les causes de la technologie


électorale, il y a lieu de relever trois innovations introduites à
l’occasion de ces scrutins : il s’agit du bulletin unique, de
l’urne transparente et de l’observation des élections par des
ONG nationales organisées et formées par le PNUD, la
Guinée n’étant pas à sa première expérience de commission
électorale nationale avec la CENA.24.

I- Les différentes formes de la technologie électorale

Dans une étude publiée en avril 2005 par le journal burkinabé


« Sidwaya »25, les méthodes anti-démocratiques utilisées en
Afrique pour gagner l’élection, ou se maintenir au pouvoir,
____________________

23 : Sur la notion de fraude, Cf. Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux :


« Traité de droit civil. Introduction générale » LGDJ, Paris 1977
pp.622 et suiv.
24 : Contrairement à ce qu’a prétendu le Ministre avant de proclamer
les résultats. Cf. « la nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 p.5
25 : On retrouve cette étude dans l’hebdomadaire guinéen « Le
démocrate » nº 290 du 13 décembre 2005 pp.3 et 4 et nº 291 du 20
26

ont été minutieusement exposées 26. Par les techniques


employées avant, pendant et après les scrutins du 18
décembre 2005, la Guinée a enrichi le tableau. Ces
techniques sont renforcées dans leurs effets par le recours à
des structures administratives et institutions dont la neutralité
devrait être assurée : il en est ainsi des administrations
publiques et privées et des ligues islamiques. Les menaces de
licenciement ou d’affectation, les intimidations de toutes
sortes et l’utilisation des moyens de l’État complètent la
panoplie, le tout en violation de l’article L56 du code
électoral.

La déclaration de l’ANP du 22 novembre 2005, la déclaration


du 30 novembre 2005 de Bâ Mamadou, Président de l’UFDG
dans l’observateur, l’interview de Sidya Touré, Président de
l’UFR et la déclaration faite par son parti le 02 janvier 2006,
le mémorandum du 21 décembre 2005 de quatorze partis
politiques dont treize sur les seize présentant des listes de
candidats aux scrutins du 18 décembre 2005 et la déclaration
de l’UPR du 30 décembre 2005 exposent une kyrielle de
techniques de fraude dont la grossièreté prouve à suffisance
_________________________________________________

décembre 2005 p.54 : certaines de ces méthodes sont directement


organisées par le pouvoir en place au profit du parti qui le soutien
alors que d'autres sont le fait les partis politiques impliqués dans
le scrutin.
26 : Déjà dans les territoires d’outre-mer français, on a pu relever
quatre techniques principales : l’établissement des listes
électorales, le truquage des décomptes, la rémunération
d’électeurs qui vont de bureau en bureau pour voter à la place des
autres et l’achat pur et simple des votes. Cf. Comi M.Toulabor, op.
cit. pp. 200-203.
27

que les scrutins ont été organisés pour satisfaire la


consommation de l’opinion internationale, en particulier celle
des bailleurs de fonds 27.

1- Les techniques utilisées avant le vote

Ces techniques couvrent une gamme variée d’opérations


antérieures ou d’actes préparatoires des scrutins : elles vont
de la révision des listes électorales à l’établissement et la
distribution des cartes électorales, la confection du bulletin
unique et les difficultés rencontrées par les partis
d’opposition pour faire admettre leurs listes de candidats et
conduire leur campagne électorale.

En application des dispositions du code électoral précité,


seuls les électeurs inscrits sur les listes électorales dans une
circonscription électorale participent au scrutin. Car
« l’électeur n’est pas un nomade. Le droit de vote est un droit
dont tous doivent disposer : c’est une liberté publique
fondamentale, attachée à la nationalité, mais, assez
paradoxalement, également au lieu de résidence » 28.

La confection et la révision de ces listes opposent de façon


permanente les partis d’opposition aux autorités
administratives en charge de l’organisation des élections. À
l’occasion des scrutins du 18 décembre 2005, il a été créé, le
____________________
27 : Cf. - « La nouvelle tribune » n° 337 du 29 novembre 2005 p.5 et
n° 343 du 10 janvier 2006 pp.3 et 4.
- « L’enquêteur » nº 93 du 24 novembre au 08 décembre 2005
p.3.
- « L’observateur » nº 293 du 05 décembre 2005 p.3.
- « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11 et
- « L’observateur » nº 295 du 26 décembre 2005 p.2.
- « Le démocrate » nº 293 du 03 janvier 2006 p.8.
28 : Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale »,
28

op. cit. p.34.


10 octobre 2005, une commission nationale électorale
autonome (CENA) dont les attributions concernent, entre
autres, la supervision et le contrôle des processus électoraux
et l’ensemble des opérations s’y rapportant, de la révision des
listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats (article
8 du décret).

L’impossibilité d’appliquer cette disposition a été le premier


point d’achoppement entre le Ministère de l’Administration
du Territoire et de la Décentralisation et les partis
d’opposition : en effet, la révision des listes électorales
organisée par le Ministère était achevée depuis des mois
quand la CENA a été créée.

La contestation des conditions de révision des listes


électorales par l’administration et l’impossibilité pour la
commission d’y apporter la moindre correction ont créé un
doute certain sur la fiabilité des listes dans le milieu des partis
d’opposition. Comme l’a déclaré Bâ Mamadou, Président de
l’UFDG, le 30 novembre 2005, « la CENA ayant été installée
après la révision des listes électorales, n’a pu vérifier si elles
ont été effectivement mises à la disposition des mairies et
CRD ».

Les développements qui suivent montreront la pertinence des


réserves émises par les partis d’opposition, eu égard au
nombre d’électeurs inscrits dans certains bureaux de vote,
comme les bureaux ouverts dans les camps militaires.

Dans sa lettre du 30 novembre 2005 adressée à la CENA,


l’UFR expose avec force détails la situation dans la
Commune de Kaloum à Conakry. Dans le quartier Sans-fil,
sur 9450 électeurs inscrits, 5289 le sont au compte du Camp
Samory Touré, soit plus de la moitié du corps électoral de la
29

Commune ; dans ce camp, siège l’État-major général des


Armées et le Président de la République y dispose d’un
logement.

Au quartier Boulbinet, la caserne de la Gendarmerie


Nationale enregistre 1909 inscrits en 2005 contre 400 en
2000. Au bataillon autonome de la sécurité présidentielle où
il n’y a ni famille, ni centre d’hébergement, les militaires n’y
allant la journée que pour le service, on a ouvert les bureaux
de vote n° 13 (918 inscrits), nº 14 (1010 inscrits) et nº 15
(673 inscrits). La Commune de Kaloum, principal centre
d’affaires et siège de la Présidence de la République, de tous
les Ministères et tous les états-majors militaires (sauf l’armée
de l’air) et de la Gendarmerie, a connu un gonflement
inattendu de son corps électoral, qui comprendrait ainsi plus
du tiers de l’effectif des forces armées nationales.

Cette pratique illégale de transfert d’électeurs ou


d’inscription d’électeurs fictifs est généralement réalisée dans
les grands centres urbains et les zones rurales que le pouvoir
en place n’entend pas perdre. Elle explique les votes
multiples par un électeur et les bourrages d’urnes en présence
des représentants du parti au pouvoir et, naturellement, en
l’absence de ceux de l’opposition, avec l’assistance active des
chefs de quartiers ou de districts nommés par l’administration
du territoire 29, et quelquefois des services de sécurité.

____________________

29 : Jusqu’au référendum constitutionnel du 11 novembre 2001, les


chefs de quartiers et de districts étaient élus conformément à
l’article 101 du code électoral. On comprend mieux aujourd’hui le
sens de la révision intervenue : des chefs élus ne peuvent être
des agents acquis pour la fraude électorale.
30

La constitution des listes de candidats a enregistré quelques


obstacles majeurs. Ainsi, au motif que les alliances
électorales de partis ne sont pas consacrées par le code
électoral, la CENA s'est opposée à la constitution des listes
d’union, obligeant ainsi les partis intéressés à se mettre sous
la bannière de l’un d’entre eux. Cette attitude de la CENA
conforme à une interprétation constante du code électoral par
le Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation depuis l’élection législative de 1995, freine
l’élan unitaire au sein des militants de l’opposition :
l’utilisation des couleurs d’un seul parti, si elle n’est pas bien
expliquée aux militants, peut décourager la mobilisation
autour de la liste d’union pendant la campagne électorale et le
vote. Les résultats du scrutin communal du 18 décembre 2005
à Fria et à Télimélé ont constitué des exceptions : à Fria, par
exemple, face à la liste PUP (9.120 voix), la liste UPR (9.850
voix) comprenant en outre des militants de l’UFDG, du RPG,
de l’UFR et de l’UPG, a été déclarée élue 30.

Les partis d’opposition se sont aussi largement plaints de la


distribution sélective des cartes électorales et de l’exigence de
pièces non prévues par les textes ou difficiles à obtenir dans
les CRD dans un laps de temps trop court par rapport à la
date du scrutin.

En application des articles L35 et L37 à L39 du code


électoral, chaque électeur reçoit une carte électorale établie
par l’administration, distribuée par la commission
administrative constituée par le Gouverneur de Conakry ou
les Préfets à l’intérieur du pays : la carte identifie l’électeur et
indique le lieu de son bureau de vote.

____________________

30 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p.11 ; « La nouvelle


tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 p.6.
31

Dans les faits, en lieu et place des commissions


administratives, la distribution des cartes électorales a été
assurée directement par les Préfets, Sous-Préfets, Présidents
de CRD et chefs de quartiers et de districts. Aussi, la
distribution s’est faite de façon sélective dans les centres
urbains et zones rurales jugées favorables à l’opposition
quand, dans le même temps, des lots de cartes étaient
confisqués aux fins de votes multiples par des électeurs
commis à la tâche le 18 décembre 2005, jour des scrutins 31.

Par ailleurs, les articles L3, L5 et L8 du code électoral


définissent la qualité d’électeur ; quant à l’article L104
applicable aux élections communale et communautaire, il
dispose que la déclaration faite collectivement et présentée
par un des candidats figurant sur la liste, est signée de chaque
candidat avec indication expresse :

- des noms, prénoms surnoms éventuels, date de


naissance, profession et domicile de chaque candidat ;
- du nom de la commune ou de la CRD ;
- du programme qui sera développé pendant la
campagne électorale.

L’article R44 précise que la déclaration doit comporter :

- le nom du parti politique ayant investi la liste ;


- les noms et prénoms profession, adresse, date et lieu
de naissance du candidat ainsi que l’identité du
mandataire.

____________________

31 : Cf. mémorandum du 21 décembre 2005 de 14 partis de l’opposition,


in « les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11.
32

En application de ces textes, le Ministre de l’Administration


du Territoire et de la Décentralisation a, dans un communiqué
du 04 novembre 2005, exigé la production par chaque
candidat des pièces suivantes : une demande manuscrite, une
copie de la carte d’identité nationale, un certificat de
résidence, un extrait de casier judiciaire datant de moins de
trois (3) mois et quatre (4) photos d’identité.

Les partis du Front Républicain pour l’Alternance


Démocratique (FRAD) ont contesté, le 07 novembre 2005,
ces exigences énoncées à quelques jours de l’expiration du
délai de dépôt des listes de candidats. La contestation tirait
argument de ce que le communiqué du Ministre :

- violait la loi électorale qui n’exigerait que des


mentions et non la production de pièces ;

- ne tenait pas compte des réalités du pays, à savoir


l’éloignement de beaucoup de CRD des chefs-lieux de
préfecture (parfois plus de 120 km) et l’absence dans
ces zones rurales de téléphone, d’électricité, de
photographe, de tribunal, de commissariat et même
parfois de moyens de transport, en dehors des jours de
marché 32.

De plus, comme indiqué dans le communiqué du 04


novembre 2005, ces pièces devaient être fournies au plus tard
le 17 novembre 2005, soit dans un délai de 12 jours.

____________________

32 : Cette situation est reconnue par la CENA dans sa déclaration post


électorale du 31 décembre 2005, in « La nouvelle tribune » nº 343
du 10 janvier 2006 p.2.
33

Le Ministre de l’Administration du Territoire et de la


Décentralisation a répondu, le 08 novembre 2005, que les
pièces exigées déterminent la qualité d’électeur, condition de
l’éligibilité. Dans une lettre du 12 novembre 2005, le FRAD
a, à nouveau, insisté sur l’obstacle que constituent les pièces
exigées, eu égard par ailleurs au coût d’établissement de la
carte d’identité nationale, de l’extrait de casier judiciaire et
des photos 33.

À l’analyse, il convient d’indiquer qu’à l’exception des


quatre (4) photos d’identité dont la production était sans
intérêt, la carte d’identité nationale comportant déjà une
photo, les autres exigences du Ministre n’étaient pas dénuées
de tout fondement : elles font la preuve de la nationalité
guinéenne du candidat, de la jouissance de ses droits civils et
politiques (article L35), de sa résidence pendant au moins six
(6) mois (article L8) ; elles établissent qu’il n’est pas sous le
coup de certaines condamnations, sauf réhabilitation (article
L8). Il reste cependant que le contrôle sélectif de la
production des pièces exigées a entraîné le rejet de bon
nombre de listes de candidats de l’opposition quand les listes
du PUP étaient toujours considérées en règle, ce qui explique,
entre autres, que ce dernier parti ait été le seul à présenter des
listes de candidats dans les 341 circonscriptions électorales
(303 CRD et 38 communes).

Conformément à l’article L104, ces listes de candidats sont


déposées dans les préfectures pour les communes et, par
délégation, dans les sous-préfectures pour les CRD. L’article
____________________
33 : Sur l’échange de correspondances entre le FRAD et le Ministère de
l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, Cf. « Les
échos » n° 97 du 16 au 29 novembre 2005 p.5.
34

L109 dispose à cet égard que tout rejet d’une liste doit être
motivé et notifié dans un délai de dix (10) jours à compter de
la date de dépôt ; il peut faire l’objet d’un recours devant le
Tribunal de Première Instance ou la justice de paix de la
localité, dans un délai de dix jours à compter de la date de
notification du Préfet. La décision de la juridiction saisie, qui
n’est susceptible d’aucune voie de recours, doit intervenir
dans un délai de cinq (5) jours ; elle est notifiée
immédiatement aux parties intéressées et au Préfet qui
enregistre la candidature du candidat ou de la liste, si la
juridiction en a décidé ainsi.

Dans les faits, les refus et rejets de listes étaient


systématiques et les motivations et notifications écrites rares,
si bien qu’un parti comme l’UFR a dû, le 26 novembre 2005,
écrire au Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation une lettre de laquelle il ressort qu’à la date
de la saisine du Ministre, 50 % des listes de ce parti étaient
rejetés.

Le Ministre de l’Administration du Territoire et de la


Décentralisation a, dans une réponse du 28 novembre 2005,
fourni des explications sur les rejets. Une réponse qui n’en
valait pas une pour diverses raisons :

- la loi électorale ne confère pas au Ministre


compétence pour motiver et notifier les rejets de
listes : le Ministre aurait dû renvoyer la question aux
Préfets et en les instruisant de se conformer à la loi en
motivant et en notifiant les rejets de listes ;

- la lettre du Ministre ne constitue pas la notification


légale permettant la saisine de la juridiction
compétente en application de l’article L 104 du code
électoral ;
35

- le Ministre n’a pas donné les informations sur toutes


les circonscriptions visées dans la lettre de
protestation de l’UFR datée du 26 novembre 2005 34.

Le Ministre s’est contenté de fournir les informations


données par les Préfets car, en 48 heures, il ne pouvait faire la
moindre enquête fiable en organisant sur le terrain, dans dix-
sept (17) Préfectures, l’audition des responsables locaux du
parti plaignant ; il ne pouvait procéder de la sorte puisque les
Préfets et Sous-Préfets exécutaient les instructions reçues,
sous peine d’être révoqués de leurs fonctions après le scrutin.

Dans sa lettre réponse du 28 novembre 2005, le Ministre a


avancé une série de motifs de rejet : expiration du délai de
dépôt des listes de candidatures, dépôt de listes sans dossiers
individuels des candidats, dossiers incomplets, certificats de
résidence irréguliers etc. La lettre ministérielle appelle deux
observations :

- il est impensable que des partis comme l’UFR qui ont


rappelé, à maintes reprises, le respect de la législation
électorale au Ministre de l’Administration du
Territoire et de la Décentralisation et à la CENA
commettent les erreurs les plus élémentaires ;

- il est curieux que seul le PUP ait été capable de


fournir des listes conformes aux textes en vigueur ; il
n’est pas plus ancien que le RPG, l’UFR ou l’UPR 35 :
____________________

34 : La lettre de l’UFR visait 3 communes et 54 CRD alors que le


Ministre n’a fourni ses explications que sur les 3 communes et 46
CRD.
35 : L’UPR résulte de la fusion de l’UNR et du PRP ayant présenté des
candidats à l’élection présidentielle de 1993.
36

créés tous en 1992, après l’adoption de la charte des partis


politiques, le 23 décembre 1991, ils ont déjà tous participé à
des consultations électorales organisées sur la base du même
code électoral promulgué en même temps que la législation
sur les partis politiques.

La réalité est que, dans la grande majorité des cas, les rejets
relevaient tout simplement de manœuvres administratives
bien orchestrées : quand la liste n’a pas été rejetée purement
et simplement sans motif, suprême expression de la puissance
publique, le mandataire de la liste a été ballotté entre
différents responsables administratifs chargés de l’élection
pour alléguer un dépôt hors délai ; parfois, la liste est rejetée
parce que le parti qui la présente ne figure pas sur la liste des
partis autorisés pour la circonstance dans la circonscription
électorale36 ; il est même arrivé que des listes régulièrement
déposées contre récépissé soient restituées aux responsables
locaux de partis37.

La conséquence de cette cuisine politico-administrative a été


que sur 341 circonscriptions électorales, le PUP, parti au
pouvoir, a présenté 341 listes, l’UPR 102, le RPG 101, l’UFR
79, l’UFDG 14, l’UPG 3, le PPG et l’ANP cinq (5) chacun,
l’UNPG 3, le PDG-RDA 2 et le PEG, l’UNP, l’UFD, le
PRPAG, l’UDS et le PUD un chacun 38. Ainsi, le PUP s’est
retrouvé seul à présenter des listes dans 115 CRD sur 303 et
dans les deux (2) communes de Forécariah et Dubréka sur 33.
____________________
36 : Cf. les lettres de protestation adressées par l’UFR au MATD les
18,19 et 26 novembre 2005.
37 : On cite cet exemple cocasse du sous-préfet adjoint de Dionfo qui,
après avoir reçu la liste UFR et délivré récépissé, est allé la glisser
nuitamment sous la porte du mandataire de liste après le retour des
sous-préfets du chef-lieu de préfecture de Labé.
38 : « Le démocrate » nº 289 du 06 décembre 2005 p.5 ; « La croisade »
nº 0113 du 23 décembre 2005 p.2.
37

Le récapitulatif des listes de candidats par parti interpelle par


ailleurs l’observateur politique, eu égard au classement de
l’UFR par rapport au RPG et à l’UPR. Trois explications
peuvent être avancées.

La première tient à la décision des partis du FRAD, de l’UPR


et l’UFDG de constituer des listes d’union, une décision
politiquement salutaire pour l’opposition 39 : elle justifie à
Conakry la décision de l’UFR de ne présenter de listes de
candidats que dans les communes de Kaloum et Matam,
celles de Ratoma, Matoto et Dixinn ayant été laissées
respectivement à l’UFDG, au RPG et à l’UPG.
Malheureusement dans les faits, cette décision n’a pas produit
les effets escomptés du fait d’une indiscipline au sein de
ladite opposition 40. Ainsi, alors que l’UFR s’abstenait à
Dixinn, les autres partis de l’opposition se livraient à une
foire d’empoigne, obtenant selon les statistiques officielles,
les résultats suivants face au PUP :

PUP PPG RPG UFDG UNPG UPR UPG


20.508 558 5.786 3.121 988 4.723 579

Ce duel « fratricide » a été observé un peu partout dans les


circonscriptions de l’intérieur, à quelques exceptions près
(Télimélé, Fria), quand les listes n’ont pas été refusées ou
rejetées.
____________________

39 : Cf. « L’enquêteur » nº 91 du 27 octobre au 10 novembre 2005 p.2.


40 : Elle expliquerait que Jean-Marie Doré, leader de l’UPG, sentant la
cause perdue, se soit désintéressé de la campagne électorale à
Dixinn, préférant aller soutenir l’UPR à Labé.
Par ailleurs, dans une interview accordée après les scrutins, Bah
Oury, Secrétaire Général de l’UFDG a fait grief à l’UPR de cette
indiscipline dans les communes de Ratoma,
Pita, Mamou et Kindia. Cf. « La lance » nº 472 du 11 janvier 2006
p.8.
38

La seconde explication, et la principale, réside dans la


volonté du pouvoir en place de démontrer à l’opinion
nationale et internationale que, l’UFR sortie des oubliettes
par l’adhésion en l’an 2000 de l’ancien Premier Ministre,
Sidya Touré, n’a pas l’audience nationale qu’on lui prête. Or,
contrairement aux deux partis de l’opposition classés devant
elle et caractérisés, en dehors de Conakry la capitale, par une
implantation régionale marquée, (la Moyenne-Guinée pour
l’UPR et la Haute-Guinée pour le RPG, y compris les
ressortissants de ces régions installés dans les autres
préfectures du pays), l’UFR est, à l’image du PUP, le second
parti à dimension véritablement nationale. Deux faits
suffisent à l’établir :

- les 79 listes de candidats UFR acceptées par le


Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation sont réparties sur l’ensemble des
quatre régions naturelles de la Guinée, et les résultats
officiels placent ce parti en seconde position après le
PUP à Tougué et Mali en Moyenne-Guinée et en
troisième position à Dinguiraye et Siguiri en Haute-
Guinée ;

- les tournées politiques en juin-juillet 2005 de Alpha


Condé du RPG et Sidya Touré de l’UFR confirment
davantage l’audience prêtée à l’UFR : alors que Sidya
Touré parcourait toutes les quatre régions naturelles
du pays, visitant les populations et ses militants dans
les communes et nombre de sous-préfectures, Alpha
Condé s’est contenté de meetings en Guinée
Forestière et en Haute-Guinée.

Enfin, il importe de souligner que l’acharnement des


structures de l’administration du territoire contre l’UFR a été
particulièrement agressif en Guinée-Forestière, en Moyenne-
39

Guinée et en Basse-Guinée : le nombre de correspondances


échangées 41 en dit long sur la réaction de ce parti à ce qu’il a
considéré comme une volonté délibérée de l’exclure à terme
du jeu politique ou, à tout le moins, de neutraliser de son
ascension dans l’opinion publique : le parti a enregistré dans
ces trois régions le plus grand nombre de refus de ses listes de
candidats, notamment pour l’élection communautaire 42.

Cette offensive de l’administration contre l’UFR qui n’est pas


nouvelle 43, s’inscrit en droite ligne de la répression menée

____________________

41 : Il y a eu plus de 6 lettres de protestation envoyées par l’UFR au


Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation
entre le 18 novembre et le 18 décembre 2005, non compris 2 lettres
du FRAD datées des 07 et 12 novembre 2005. Le Ministre s’est
efforcé, comme il a pu, de répondre à toutes ces correspondances.
42 : Par exemples, toutes les listes dans les CRD de Macenta (9 sur 9) et
N’Zérékoré (7 sur 7), en Guinée Forestière ; dans les CRD de
Forécariah (3 sur 5) et de Gaoual (2 sur 4), Télimélé (2 sur 4) en
Basse-Guinée ; dans les CRD de Mamou (4 sur 6), de Labé (4 sur 4)
et de Lélouma (3 sur 4) en Moyenne-Guinée. Cf. la lettre de
protestation du 26 novembre 2005.
43 : Aux communales de 2000, dans la ville de Conakry, des listes UFR
ont été déclarées irrecevables parce que des personnes y figurant
étaient membres du PUP et y occupaient parfois des fonctions, ce
qui pour le Gouverneur de l’époque, M’Bemba Bangoura,
constituait une violation de l’article 27 de la loi organique portant
charte des partis politiques. En l’espèce, le Gouverneur reprochait à
ces personnes d’avoir quitté le PUP sans avoir préalablement
présenté leur démission dudit Parti, comme si dans un Parti de
masse comme le PUP, l’adhésion était subordonnée au dépôt d’une
demande écrite. Cf. les lettres nº 160, 163 et 164 du 02 juin 2000 et
nº 166 du 05 juin 2000 adressées par le Gouverneur de Conakry au
Secrétaire Général de l’UFR in « La chronique » nº 1 du 06 juin
2000.
40

contre son leader, Sidya Touré, poursuivi pour complot et


tentative d’assassinat du Président Lansana Conté en 2004 44.

À l’occasion des élections du 18 décembre 2005, les


techniques de fraude ont été raffinées au point de falsifier les
logos de parti, encore cette fois de l’UFR 45.

La falsification a pris la forme, soit d’une suppression pure et


simple du logo en face de l’appellation « UFR » (communes
de Lélouma, Dinguiraye et de Gueckédou et CRD de Kollet
dans Télimélé), soit d’une altération du logo, le cercle à fond
blanc contenant une daba et l’inscription « UFR » en
caractères apparents étant remplacés par un cercle au fond à
demi bleu recouvrant dans cette partie la daba, symbole de
l’UFR dont la lettre « U » était seule visible (commune de
Dalaba et CRD de Banankoro dans la préfecture de
Kérouané). Pourtant, par lettre du 24 novembre 2005, le
Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation avait demandé aux partis politiques
____________________

44 : Cf. arrêt nº 08 du 21 juillet 2004 de la Chambre d’Accusation de la


Cour d’Appel de Conakry prononçant la nullité de tous les actes
d’instruction établis dans le cadre de la procédure de fausse
déclaration en douane, faux et usage de faux, attention et complot
contre l’autorité de l’État intentée contre Ibrahima Capi Camara,
Baïdy Aribot, Rouguy Barry, Sidya Touré et Colonel Mamadou Toto
Camara in « La nouvelle tribune » nº 271 du 03 août 2004 pp. 6-7.
Christian Lestavel, le complice français des initiateurs du complot,
est passé à l’aveu, le 29 avril 2006 dans l’émission « Tout le monde
en parle » de la chaîne de télévision française France 2 ; à
l’occasion, il a présenté son livre « La loutre », de son nom de code
de collaborateur.
45 : Cf. la reproduction en couleur des logos falsifiés de l’UFR sur les
bulletins de vote unique dans la CRD de Banankoro (Kérouané) et
dans les communes de Lélouma et de Gueckédou, in « Les échos »
nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 pp. 1 et 11. Il y a eu aussi le cas de
la commune de Dalaba.
41

participant aux scrutins du 18 décembre 2005, de déposer, au


plus tard le vendredi 25 novembre 2005 à 13 heures, le
spécimen de l’emblème ou du symbole de chaque Parti en
vue de l’impression des bulletins de vote. Et tous les Partis se
sont exécutés.

La falsification du logo affecte la régularité du bulletin de


vote unique : elle constitue une infraction sanctionnée par
l’article L195 du code électoral, dans le cas d’espèce, par une
peine d’emprisonnement de six mois à un an et d’une amende
de 250.000 à 500.000 GNF, sanctions assorties de
l’interdiction du droit de voter et d’être éligible pendant cinq
ans au moins et dix ans au plus.

Malgré une lettre UFR du 15 décembre 2005 protestant


contre la manœuvre, le Ministre de l’Administration du
Territoire et de la Décentralisation ne réagira que le 26
décembre 2005, après une nouvelle protestation post-
électorale de l’UFR en date du 23 décembre 2005 : les
militants de ce Parti avaient pu saisir à Gueckédou, lors des
scrutins du 18 décembre 2005, des bulletins falsifiés de
l’UFR qu’ils ont ramenés à leur Direction nationale.

Dans sa réponse embarrassée, le Ministère a prétendu que les


bulletins de vote en cause n’étaient que des rebuts et que ce
genre de malfaçon entraîne toujours un retrait des bulletins
affectés, accusant au passage l’UFR de tactique politicienne.
Malheureusement pour le Ministère, au lieu d’être jetés dans
des poubelles, les rebuts d’impression étaient bien dans des
bureaux de vote au moment de leur saisie46.

____________________

46 : Sur cet échange de correspondances, voir « les échos » nº 101 du 18


au 31 janvier 2006 p.9.
42

Les irrégularités constatées dans la confection du bulletin de


vote unique portent atteinte au droit de vote des militants du
Parti concerné, qui ne pourront reconnaître la case où
exprimer leur vote pour leur Parti ; il s’agit d’un fait grave
quand on connaît le niveau d’analphabétisme de la population
guinéenne, notamment dans les CRD : il y avait là une cause
d’annulation pure et simple de tous les bulletins comportant
des falsifications de logo.

Pour compléter l’éventail des techniques de fraude avant le


scrutin, il importe d’ajouter les faits suivants :

- l’installation tardive des commissions électorales de


surveillance, ce qui ne leur a pas permis de contrôler,
avant le 18 décembre 2005, l’état de préparation des
scrutins47 ;

- la validation tardive de listes de candidats : ainsi les


militants et responsables de l’UFR n’ont été informés
de la validation de leurs listes dans les CRD de
Gougoudjè et de Sogolon (Préfecture de Télimélé)
que la veille des scrutins, le 17 décembre 200548 : le
Parti n’ayant pas fait campagne, ses militants n’ont
pas été incités à se rendre aux urnes ;

- l’interdiction de faire campagne en dehors du siège des


Partis d’opposition ; telle a été la décision du Sous-
Préfet de Banankoro (Préfecture de Kérouané)49 :
l’objectif visé est de limiter l’impact du message
____________________
47 : La CENA créée par décret du 10 octobre 2005 n’a pu se déployer à
temps avec la mise en place de ses structures locales.
48 : Cf. Mémorandum des partis de l’opposition du 21 décembre 2005 in
« Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11.
49 : Cf. Mémorandum des partis de l’opposition op. cit.
43

politique du Parti sur les électeurs de la localité, de


neutraliser de ce fait son effet mobilisateur.

Tout cet arsenal de manœuvres frauduleuses a fonctionné


dans une ambiance de campagne électorale marquée par
l’intimidation et les menaces de mutation des fonctionnaires
figurant sur les listes de l’opposition ou soucieux de
l’application de la loi 50 et la mobilisation par les ministres de
tous les cadres administratifs déployés dans toutes les
circonscriptions électorales pour la cause du PUP, avec
l’utilisation massive des biens de l’État (véhicules et moyens
financiers).

2- Les techniques utilisées pendant le vote.

Le mémorandum des partis de l’opposition du 21 décembre


2005, les déclarations UPR du 30 décembre 2005 et UFR du
02 janvier 2006, les réclamations des listes UFR de Kaloum
et Matam (Conakry) et l’interview de Bah Oury, Secrétaire
Général de l’UFDG, illustrent, avec parfois des détails
choquants pour la conscience civique, les techniques utilisées
lors des scrutins du 18 décembre 2005 51. Elles peuvent
cependant être regroupées en quatre catégories suivant
qu’elles concernent l’identification de l’électeur, l’installation
des bureaux de vote et leur accès aux délégués des partis
politiques et les votes multiples.

En application des articles L21 et L78 du code électoral,


l’électeur doit, à son entrée dans la salle de vote, présenter sa
carte électorale qui est estampillée ou visée dans la case
____________________

50 : Cf. Le journal « l’œil » nº 195 du 14 au 20 juin 2000 p.9.


51 : Cf. - « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 pp. 6, 7 et 11
- « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 pp. 3 et 4
- « La lance » nº 472 du 11 janvier 2006 p. 8 et 9.
44

prévue à cet effet avec mention de la date du scrutin. Il doit


en outre décliner son identité par la production de l’un des
documents ci-après : la carte d’identité nationale, le
passeport, le livret militaire, le livret de pension civile ou
militaire, la carte d’étudiant ou d’élève de l’année scolaire en
cours, la carte consulaire, l’attestation délivrée par le chef de
district et contresignée par deux notables du district dans les
districts ruraux.

Du contenu de ces textes, il ressort clairement que


l’attestation d’identité par un chef de district ne peut servir
que dans un scrutin communautaire. Tel n’a pas été le cas le
18 décembre 2005.

En effet, si du fait des difficultés matérielles et financières


(éloignement des commissariats de police chargés de la
délivrance des cartes d’identité nationale, coût de ces cartes
pour des paysans), la délivrance des attestations d’identité se
justifie en milieu rural, le recours à de tels documents n’est ni
autorisé par la loi, ni justifié dans les communes urbaines.

Or, force est de constater qu’il en a été fait un usage abusif


lors du scrutin communal du 18 décembre 2005 : les chefs de
quartiers des communes ont été habilités à établir des
attestations d’identification dont la délivrance sélective n’a
profité qu’aux électeurs favorables au PUP. Pire, il s’est
trouvé que, par exemple, dans le secteur 4 du quartier
Manquepas dans la Commune de Kaloum à Conakry, l’un des
deux témoins chargés d’identifier l’électeur, était candidat sur
la liste PUP dans ladite commune 52. Ces attestations
____________________

52 : Cf. les attestations d’identification délivrées le 18 décembre 2005 à


MBemba Camara, Abdourahmane Diallo, Mamadou Sanoussi et
Mamadou Camara par le chef de quartier Manquepas, Mohamed
45

d’identification délivrées illégalement et sans aucune rigueur,


ont favorisé, entre autres, les votes multiples. Car rien
n’empêchait un électeur détenant une carte d’identité de se
faire établir une attestation d’identification.

L’usage irrégulier et abusif des attestations d’identification et


des procurations et les entraves à l’accès libre des électeurs
aux attestations d’identification ont été relevés par la mission
d’observation nationale dans son rapport préliminaire du 22
décembre 2005, confirmé par le rapport définitif de janvier
2006.

Conformément à l’article L71 du code électoral, il est créé un


bureau de vote pour 1.000 électeurs au maximum, et le
Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation fixe par arrêté la liste des bureaux de vote
30 jours avant le scrutin. Les articles L74 alinéa 2 et 82 alinéa
3 autorisent les candidats à se faire représenter dans les
bureaux de vote. Les isoloirs ne doivent pas être placés de
façon à dissimuler au public les opérations électorales (article
L76 alinéa 2).

Deux lacunes se dégagent de ces textes, qui seront exploitées


à des fins de fraude électorale : la loi n’interdit pas
expressément au Ministre de l’Administration du Territoire et
de la Décentralisation l’installation de bureaux de vote dans
certains lieux, même si l’alinéa 5 de l’article L72 dispose que
le Ministère devra veiller à une bonne répartition des bureaux
de vote à l’intérieur d’une même circonscription

___________________________________________________________

Lamine Camara, et signées en qualité de témoin par Amadou Sylla,


candidat sur la liste PUP : voir « Les réclamations de la liste UFR
à Kaloum », in « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.6.
46

électorale ; elle ne confère pas non plus la qualité de membre


des bureaux de vote aux représentants des partis présentant
des candidats ou listes de candidats : l’article L71 indique que
chaque bureau de vote est composé de 5 membres désignés
par arrêté du Ministre de l’Administration du Territoire et de
la Décentralisation sur proposition des Préfets qui doivent
choisir parmi les électeurs de la circonscription, à l’exclusion
des candidats et de leurs parents en ligne directe ou par
alliance jusqu’au quatrième degré, et l’article 72 alinéa 6
précise que les Présidents des bureaux de vote sont choisis
parmi les cadres de l’État connus pour leur probité, leur
intégrité et leur bonne moralité.

Avant de revenir sur les questions du lieu d’installation et du


statut des délégués des partis politiques, il faut relever déjà
que les prescriptions de l’article 72 alinéa 6 sont contestables
car la probité, l’intégrité et la bonne moralité ne sont pas des
qualités que peuvent seuls présenter les cadres de l’État, elles
s’observent chez les individus dans toutes les couches
sociales.

Par ailleurs, limiter le choix des Présidents des bureaux de


vote aux seuls cadres de l’État ouvre la porte aux pressions
du pouvoir sur les bureaux de vote dans la mesure où la
désignation est faite par le Ministère parmi les électeurs
proposés par les Préfets. L’élection étant organisée par le
Ministère et non par une CENI, le statut de fonctionnaire des
Présidents de bureaux de vote en fait des agents aux ordres.

S’agissant du lieu d’installation des bureaux de vote, la loi


confère une liberté de choix au Ministère de l’Administration
du Territoire et de la Décentralisation, même s’il doit veiller à
une bonne répartition des bureaux dans chaque
circonscription électorale. Cependant, pour une question de
sincérité du vote, certains endroits, malheureusement choisis
47

pour les scrutins du 18 décembre 2005, auraient dû être


évités.

Il s’agit d’abord des camps militaires et des structures para-


militaires : ainsi du camp Almamy Samory (6 bureaux
totalisant 5.189 inscrits), de l’État-Major de la Gendarmerie
(2 bureaux avec 1.899 inscrits), du Bataillon Autonome de la
Sécurité Présidentielle (3 bureaux avec 2.601 inscrits), de
l’État-Major de la Marine Nationale (2 bureaux totalisant 458
inscrits) et de la Direction Nationale des Douanes, tous dans
la Commune de Kaloum ; dans la Commune de Matoto, le
camp Alpha Yaya Diallo et l’Etat-Major de l’Air ont abrité
aussi des bureaux de vote 53.

Il convient à cet égard d’observer, qu’exception faite du


Camp Samory, de la Gendarmerie et du Camp Alpha Yaya
Diallo, tous les autres lieux ne sont pas habités. La conclusion
est fort simple : les personnes y inscrites n’étaient que des
électeurs fictifs, la résidence étant une des conditions
d’inscription sur la liste électorale d’une circonscription
(article L5 du code électoral), et les militaires, douaniers et
autres personnes commises à la tâche se sont chargés de les
représenter grâce aux attestations d’identification
illégalement établies.

Il a été aussi constaté l’ouverture de bureaux de vote aux


sièges locaux du Parti au pouvoir, le PUP : il en a été ainsi
____________________

53 : Cf. la déclaration de Bâ Mamadou, Président de l’UFDG faisant état


de sa protestation au sein du Camp Samory à la vue d’un électeur
muni de 12 cartes d’électeur et qui s’apprêtait à voter. Une
protestation qui a conduit sur les lieux le Général Kerfalla
Camara, Chef d’État-major des forces armées nationales et le
Colonel Kandet Touré, Directeur de Cabinet du Ministère de la
Défense. in « Le lynx nº 717 du 19 décembre 2005 p.2.
48

dans les quartiers Kouléwondy (bureau nº 1) et Almamya


(bureau nº 12) dans la commune de Kaloum à Conakry.

Tous ces faits ont été dénoncés avant le 18 décembre 2005 à


la CENA sans réaction de sa part.

Aux irrégularités ci-dessus évoquées, il y a lieu d’ajouter


deux autres techniques tout aussi efficaces que les autres. Il
s’agit :

- d’une part, du transfert de bureau de vote : ainsi le


bureau de vote nº 11 (871 inscrits) initialement prévu
au Collège du Château-d’eau dans le quartier
Almamya s’est retrouvé dans la cour de la Direction
Nationale des Douanes dans la Commune de Kaloum
à Conakry ; l’électeur inscrit ignorant le nouveau lieu
d’installation de son bureau de vote, il ne peut voter et
il sera facile de disposer de sa voix par la technique la
plus appropriée ;

- d’autre part, de l’installation d’urnes fictives : tel a été


le cas, par exemple, à Matam Lido (Commune de
Matam à Conakry), de la concession de feu El Hadj
Baba Sylla qui a abrité une urne fictive, où le chef de
quartier Amara Bangoura et Hadja Aïssata Sylla dite
« Sinafakhè », candidate sur la liste communale PUP,
remplissaient eux-mêmes les enveloppes et
distribuaient les attestations d’identification ;
certaines anomalies graves observées lors du
dépouillement et du transport des urnes n’étaient
simplement que la conséquence directe de l’existence
de ces urnes fictives 54.
____________________
54 : Sur toutes ces questions, cf : la lettre de l’UFR du 30 novembre 2005
49

adressée à la CENA in « Les échos » nº 99 du 16 au 23 décembre 2005


p.4
En ce qui concerne la représentation des partis politiques
dans les bureaux de vote, aucun parti politique ne renonce à
cette faculté donnée par la législation électorale, mais son
usage se heurte parfois à des obstacles qui relèvent tout
simplement de la tracasserie administrative, et cela à dessein.

En effet, la journée du 18 décembre 2005 a enregistré des


faits tout aussi inattendus que grossiers à l’ouverture des
bureaux de vote comme au cours du déroulement des
scrutins.

Pour empêcher les délégués des partis politiques d’assister au


démarrage des opérations de vote, un stratagème a été conçu :
demander à ceux-ci d’aller faire viser par les chefs de quartier
l’ordre de mission délivré à eux par le Parti mandant alors
que lesdits documents étaient déjà visés par la Mairie 55 ; leur
absence est mise à profit, après le début du scrutin, pour
glisser dans les urnes les bulletins de vote préparés pour les
besoins de la technologie électorale. Un fait difficile à
_________________________________________________

le mémorandum du 21 décembre 2005 des partis d’opposition in « Les


échos » n° 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11 ;
la déclaration UPR du 30 décembre 2005 in « La nouvelle tribune »
nº 343 du 10 janvier 2006 p. 3 ;
les réclamations des listes UFR de Kaloum et de Matam (Conakry) in
« Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 pp. 6 et 7.
55 : Ainsi Aboubacar Yattara et Aboubacar Sylla, délégués UFR dans les
bureaux de vote n° 5 et 11, munis chacun d’un ordre de mission de la
fédération UFR de Kaloum daté du 06 décembre 2005 et visé à la
Commune de Kaloum le 16 décembre 2005, ont dû aller, le 18
décembre 2005, jour du scrutin, faire viser leurs ordres de mission
par le chef du quartier Manquepas, Mohamed Lamine Camara. Le
scénario s’est reproduit dans le quartier Boulbinet de la même
Commune avec le chef de quartier Oumar Thorez Touré.
Cf. la plainte de la liste UFR de Kaloum in « Les échos » nº 100 du 03
50

au 17 janvier 2006 p.6.

contester par les représentants des partis, à leur retour, s’ils


ont trouvé à temps le chef de quartier, plusieurs électeurs
ayant déjà accompli leur devoir civique : les urnes ne devant
être ouvertes qu’à la clôture du scrutin, ils ne peuvent
demander à compter le nombre de bulletins dans les urnes
pour faire une comparaison avec le nombre d’électeurs ayant
émargé la liste électorale à leur retour dans les bureaux de
vote.

N’ayant pas la qualité de membre des bureaux de vote, les


délégués des partis politiques, surtout ceux de l’opposition,
ont un pouvoir d’intervention limité ; ils sont tout au plus des
témoins gênants, ce qui explique que, non-signataires des
procès-verbaux de dépouillement, ils peuvent simplement y
porter leurs observations ou réserves (article L85 alinéa 2 du
code électoral).

À ces faits, il faut ajouter le traitement peu courtois, voire


brutal dont certains délégués de partis trop regardants sur
l’application des textes ont fait l’objet : ils ont parfois fini la
journée du 18 décembre 2005 hors des bureaux de vote 56 et
ce, par un usage abusif des pouvoirs de police des Présidents
de bureau de vote prévus par l’article L73 du code électoral.
Cette agressivité sera confortée par une mauvaise
interprétation de l’arrêté nº 5496/MATD/CAB/2005 du 08
novembre 2005 portant composition des commissions
centrales et commissions sous-préfectorales de recensement
des votes, comme on le verra plus loin lors de la
centralisation des résultats.

____________________
56 : Cf. les réclamations des listes UFR de Kaloum et de Matam, op. cit.
51

Toutes ces irrégularités ont eu pour conséquence directe le


bourrage des urnes et les votes multiples, notamment par des
mineurs 57, des électeurs « nomades » en mission dans les
bureaux de vote choisis 58 et surtout des chefs de famille
acquis à la cause. Elles seront poursuivies dans leurs effets
par les manœuvres qui ont précédé la proclamation des
résultats.

3- Les techniques utilisées après le vote.

Elles concernent le dépouillement des bulletins, le


regroupement des urnes et la centralisation des voix.

Diverses méthodes ont été employées. Mais d’une façon


générale, le dépouillement s’est effectué en l’absence de la
plupart des délégués des partis, en particulier de ceux de
l’opposition, ou quand ils ont été présents, ils n’ont pu avoir
accès aux fiches de résultats ou faire admettre leurs réserves
et observations.
____________________

57 : Cf. les faits observés dans le quartier de Mafanco-centre, à l’école


publique Alexandre Bouré à propos du vote d’enfants de 12-13 ans
in « Le national » n° 31 décembre 2005 p. ; de même le témoignage
du Sous-Préfet de Sanguiana (Kouroussa) où eurent lieu des
incidents sanglants (blessés par armes à feu utilisées par des
militaires) in « Solidarité » n° 009 du 17 janvier 2006 p.2 et
l’interview du Préfet, Charles André HABA, de Kouroussa, dans sa
version des faits de Sanguiana qui confirme le vote des enfants
mineurs, in « L’observateur » nº 296 du 02 janvier 2006 p. 4.
58 : La déclaration UPR du 30 décembre 2005 cite deux cas topiques de
vote multiples : au bureau nº 6 au Camp Alpha Yaya Diallo, un
agent en uniforme aurait voté pour 150 personnes ; au bureau nº 7 à
l’État-Major de l’Armée de l’Air, un autre aurait utilisé 220
bulletins. Par ailleurs, la réclamation de la liste UFR de Matam
révèle qu’une famille Traoré de Boussoura a disposé de 60 cartes
pour 20 électeurs.
52

En application des articles L82 à L92 du code électoral, le


dépouillement a lieu dans chaque bureau de vote
immédiatement après la clôture du scrutin, en présence des
représentants des partis politiques ou des candidats, lesquels
ont le droit de consigner leurs observations sur les procès-
verbaux de dépouillement : le résultat du scrutin est rendu
public et, à ses frais, tout représentant de parti politique peut
prendre copie du procès-verbal de recensement des résultats
provisoires.

Chaque Président de bureau de vote transmet, par la voie la


plus rapide, à la commission de recensement de la
circonscription électorale l’un des trois exemplaires du
procès-verbal de dépouillement avec les pièces qui doivent
être annexées 59.

La Commission de recensement procède à la centralisation


des résultats en présence des représentants des partis
politiques et transmet un exemplaire de son procès-verbal au
Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation.

Conformément à l’article L73 du code électoral, le Président


du bureau de vote dispose du pouvoir de police à l’intérieur
du bureau de vote et peut en expulser toute personne qui
____________________
59 : Alors que le 3ème exemplaire du procès-verbal de dépouillement est
conservé à la Sous-Préfecture ou à la Préfecture selon le type
d’élection, le 2ème exemplaire est adressé au Ministère de
l’Administration du Territoire et de la Décentralisation avec les
pièces énumérées à l’article L87. L’intérêt de cette communication
par les bureaux de vote n’est pas évident dans la mesure où l’article
L89 prescrit à la Commission de recensement d’adresser un
exemplaire du procès-verbal de centralisation des voix au Ministère
de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Il y a là
un double emploi
53

peut perturber le déroulement des opérations de vote. Par


ailleurs, nulle force armée ne peut, selon le texte, sans son
autorisation, être placée dans la salle de vote, ni à ses abords
immédiats, ni y intervenir de quelque manière que ce soit.

Au regard de ces règles très précises, certains comportements


et actes observés le 18 décembre 2005 ont manifestement
surpris.

Dans les faits, le dépouillement dans plusieurs bureaux de


vote s’est effectué en l’absence de délégués expulsés le plus
souvent pour avoir protesté contre les violations de la loi
électorale, ou suite au transfert des opérations de
dépouillement dans des lieux inconnus, ou au domicile du
chef de quartier pour cause d’absence de courant électrique.
Quand ce fut le cas, seuls les chefs de quartier et les
responsables du PUP ont pu y assister. Dans de telles
conditions, il était exclu que les délégués des partis
d’opposition puissent obtenir des fiches de résultats.

Le comble a été atteint lorsque des membres de la CECA au


niveau de la Commune de Kaloum ont été empêchés
_________________________________________________

comportant un risque de manipulation des chiffres au Ministère


chargé de donner les résultats du scrutin.
Le 2ème exemplaire devrait être laissé à la disposition des
représentants des partis politiques, qui s’organiseraient pour en
faire des copies, à défaut pour le législateur d’instituer un système
de procès-verbaux par calque. À l’occasion du contentieux des
élections présidentielle et législative, le défaut par les requérants de
produire des copies des procès-verbaux signés entraîne
systématiquement le rejet de leur action en contestation des
résultats des bureaux de vote. Cf. la déclaration de Hamidou Salif
Kané, ancien Président de la CENI du Niger in « La lance » nº 463
du 09 novembre 2005 p.8 (renvoi nº 144 infra).
54

d’accéder aux salles de dépouillement dans le quartier


Sandervalia par la police qui interdisait l’accès des lieux 60.
Le dépouillement effectué dans cette ambiance est l’occasion
rêvée de modifier les résultats, d’invalider les bulletins des
partis à « éliminer » ou à « ridiculiser ».61.

S’il est opportun de se soucier de la sécurité des urnes lors de


leur transfert vers les lieux de centralisation en faisant
escorter les convoyeurs par les forces de l’ordre, la présence
de celles-ci dans les salles de centralisation n’est ni légale, ni
justifiée. Ce fait a été constaté à maints endroits : à Siguiri, à
Mandiana où le recensement des voix a eu lieu au camp
militaire des Rangers (corps d’élite de l’Armée guinéenne). À
Boké, le bloc administratif où siégeait la Commission de
centralisation était encerclé par les gendarmes et les policiers,
les délégués des partis d’opposition étaient empêchés
d’accompagner les Présidents des bureaux de vote au lieu de
la centralisation ; certains de ces Présidents de bureaux
n’avaient aucun scrupule à remplir leur fiche de
dépouillement dans la cour du bloc administratif 62.

____________________

60 : Il s’agit de Maître Maurice Sâa Tolno, avocat à la Cour, et


Abdourahamane Telly Touré, membre de la CECA, représentation
communale de la CENA dans la commune de Kaloum. Cf. « Les
échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 p.7.
61 : Dans un interview post-électorale, Sidya Touré a ainsi déclaré que
dans le quartier Manquepas, dans la Commune de Kaloum, son
parti, l’UFR, a vu plus de 1450 votes émis en sa faveur invalidés, in
« Mutation » nº 01 du 13 janvier 2006 p. 3. Sur l’ensemble de la
question, voir le mémorandum précité des partis d’opposition, les
déclarations précitées de l’UPR et de l’UFR.
62 : Cf. le mémorandum précité des partis d’opposition daté du 21
décembre 2005, in « Les échos » n° 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.
11 ; la déclaration de Alpha Kabiné Magassouba, Secrétaire fédéral
UFR de Siguiri in « Solidarité » nº 009 du 17 janvier 2006
p. 3 ; « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.6.
55

La centralisation des résultats par circonscription électorale a


été des plus défectueuses par les conditions de transfert,
l’identité des participants à la centralisation et certains actes
posés à l’occasion et qui portaient gravement atteinte à la
régularité et à la sincérité du vote.

Des dépôts tardifs des procès-verbaux de dépouillement ont


ainsi été enregistrés : rien ne justifiait que dans la capitale
Conakry, certaines Commissions de centralisation aient reçu
les procès-verbaux 12 à 24 heures après la clôture du scrutin.
La plainte de la liste UFR de Matam que le juge président de
la Commission a refusé de recevoir, fourmille de détails
croustillants 63.

Par ailleurs, l’absence parfois des délégués des partis de


l’opposition enlève tout crédit aux résultats de la
centralisation. Elle a conduit à des inversions des résultats 64,
ou à l’affectation de résultats à des listes fictives comme à
Siguiri avec une prétendue liste UFD 65, le tout en violation
de l’article L88 alinéa 3 qui interdit la modification des
résultats arrêtés par les bureaux de vote.
____________________

63 : Dans le quartier Boussoura (Commune de Matam) à Conakry,


Mohamed Sylla dit Janski, conseiller du Gouverneur de Conakry,
n’a déposé les procès-verbaux de 8 bureaux de vote que le lundi 19
décembre 2005 à 6 heures du matin, soit 12 heures après la clôture
du scrutin. Dans la même commune, certains bureaux ont transmis
leurs résultats 24 heures après, cf. la réclamation de la liste UFR de
Matam in « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p. 7. Bien
évidemment, ce temps est mis à profit pour la manipulation des
chiffres.
64 : Dans un interview au journal « Mutation » (nº 01 du 13 janvier 2006
p. 3), Sidya Touré a évoqué le fait que dans le quartier Manquepas,
dans la Commune de Kaloum, à Conakry, plus de 1450 bulletins de
vote en faveur de son parti, l’UFR, ont été annulés.
65 : Selon le tableau officiel des listes de candidats, l’UFD ne présentait
qu’une liste à Kindia où il a obtenu officiellement 3635 voix, se
classant au 2ème rang après le PUP et avant l’UPR. Fort
56

Toutes ces irrégularités ont été aggravées par une mauvaise


interprétation de l’arrêté ministériel du 08 novembre 2005
portant composition des commissions centrales et
commissions sous-préfectorales de recensement des votes : le
Ministre n’ayant pas expressément indiqué que les délégués
des partis avaient accès aux travaux desdites commissions,
certains membres de ces commissions, au détriment des partis
d’opposition, ont conclu très rapidement à l’exclusion de ces
délégués. Naturellement, l’exclusion ne visait pas les
délégués du PUP, parti au pouvoir.

L’interprétation était d’autant erronée et malintentionnée que


l’alinéa 2 de l’article L88 du code électoral dispose
expressément que le recensement des votes est effectué, en
présence des représentants des candidats ou des listes de
candidats par une commission administrative centrale
désignée par le Ministère de l’Administration du Territoire et
de la Décentralisation et présidée par un magistrat de l’ordre
judiciaire désigné par la Cour Suprême.

Multiforme dans ses manifestations, la technologie électorale


l’est aussi dans ses causes. Le « mystère de la
représentation » 66 qui sous-tend le vote de chaque citoyen
dans une démocratie fait de chaque électeur le souverain. On
comprend dès lors que tout soit mis en œuvre pour orienter le
sens de chaque bulletin jeté dans l’urne, au grand dam de
l’expression libre et sincère qui confère légitimité à tout élu.

_________________________________________________

curieusement, les mêmes résultats officiels le donnent candidat à


Siguiri où il est crédité de 331 voix, cf. « la nouvelle tribune » nº 342
du 03 janvier 2006 p. 8 et la déclaration de Alpha Kabiné
Magassouba, Secrétaire fédéral UFR de Siguiri in « Solidarité »
nº 009 du 17 janvier 2006 p. 3 : lors du dépouillement, la liste avait
eu 325 voix et non 331 à la proclamation des résultats officiels.
66 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon, op. cit. p.17.
57

II- Les causes administratives et politiques de la


technologie électorale.

Dans les réponses données au nom du Gouvernement, le 03


octobre 2005 67, au mémorandum du 12 juillet 2005 signé par
29 partis politiques, à l’exception des partis du FRAD
(Dyama, PDA, RPG, UFR, et UPG) et de l’UPR 68, le
Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation a insisté sur la nécessité d’éviter une
confusion des rôles entre l’organisateur du scrutin, les
candidats, les électeurs et les contrôleurs ou superviseurs.

À l’analyse, la fraude électorale est le résultat :

- d’une part, de l’action délibérée de l’administration en


charge de l’organisation des scrutins et des autres
agents de l’État intervenant à quelque niveau que ce
soit dans le déroulement des consultations
électorales ;

- et d’autre part, de la passivité ou de la division ou


désorganisation des autres intervenants dans le
processus électoral, qu’il s’agisse des partis politiques
ayant investi les candidats ou listes de candidats ou de
la Commission de supervision des votes.

1- L’absence de neutralité de l’Administration et de


ses agents.

Aux termes de l’article 23 de la constitution du 23 décembre


1990, « quiconque occupe un emploi public ou exerce une
____________________
67 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 pp. 4 et 5.
68 : L’UPR avait motivé son refus de signer par le fait que la commission
fonction publique est comptable de son activité et doit
58

respecter le principe de neutralité du service public. Il ne doit


user de ses fonctions à des fins autres que l’intérêt de tous ».

Contenu dans la loi fondamentale guinéenne, le principe de


neutralité du service public a une valeur constitutionnelle 69.
Le principe a une double portée : « il signifie, d’une part, que
son gestionnaire doit négativement s’abstenir dans ses
rapports avec ses usagers, ses agents ou ses fournisseurs de
tout comportement les favorisant ou à l’inverse les
défavorisant pour des motifs dénués de rapport avec l’objet
même de l’activité exercée ; il implique, à l’inverse, que le
titulaire du service soit tout à fait indifférent à ces
considérations et qu’il adopte un comportement aussi objectif
que possible, de façon à respecter l’ensemble des croyances
et des convictions » 70. Il est une condition essentielle de
l’effectivité du caractère universel, direct, égal et secret
conféré au suffrage par l’article L1 du code électoral ; il est
un déterminant de la régularité du scrutin tel que prescrite par
l’article L2 dudit code et soumise au contrôle des Cours et
tribunaux.
_________________________________________________
électorale proposée n’était pas réellement autonome. Cf.
« L’observateur » nº 278 du 17 août 2005 pp. 5 et 6.
69 : Le Conseil constitutionnel français a reconnu cette valeur
constitutionnelle au principe dans sa décision du 23 juillet 1996,
statut de France Télécom.
70 : Renan Le Mestre : « Droit du service public » Gualino éditeur Paris
2005 p. 390. Sur les arguments en faveur de la neutralité de
l’administration (garantie pour les libertés publiques, gestion
administrative par des agents nommés en fonction de leur
compétence), lire Bernard Gournay : « Introduction à la science
administrative. Les administrations publiques dans les sociétés
contemporaines » Librairie Armand Colin, Paris 1966 pp.236-237.
Sur la subordination politique de l’administration, cf. Jacques
Chevallier : « Science administrative » 3è éd. PUF, Paris 2002
pp.262 et suiv.
59

Le principe de neutralité impose à la fois aux agents de


l’Administration abstention et objectivité. Et cela est
particulièrement important pour l’exercice des libertés
politiques garanties par la loi fondamentale : l’exercice de la

souveraineté nationale par l’élection des représentants et la


consécration du suffrage universel (article 2), la participation
des partis politiques à l’expression du suffrage (article 3), la
liberté d’opinion politique et de son expression (article 7), la
liberté d’association, donc d’adhésion au parti politique de
son choix (article 10).

C’est pour garantir l’application effective du principe de


neutralité que l’article 33 de la constitution dispose que « la
charge du Président de la République est incompatible avec
l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, même
élective. Il doit notamment cesser d’exercer toutes
responsabilités au sein d’un parti politique ». En clair, le
Président de la République, chef de l’Exécutif (article 38 et
39 de la constitution) et chef de l’Administration publique
(article 40 de la constitution), doit être au-dessus de la mêlée
politique.

Fort malheureusement, telle n’est pas la situation dans le


régime guinéen actuel : le Président Lansana Conté, chef de
l’État et de l’Exécutif monocéphale, est Président honoraire
du PUP. En fait, il est le Président fondateur, comme il l’a
déclaré le 23 août 2003 au siège du Parti : il en est le chef de
l’exécutif, celui qui autorise et finance la tenue de tous les
congrès, conventions et conférences nationales, ainsi que
toutes les actions politiques d’envergure. Cette situation
inconstitutionnelle entraîne d’une part, que certains cadres de
l’État cumulent leurs fonctions administratives avec des
responsabilités dans les instances du PUP et, d’autre part, que
60

les fonctionnaires sont transformés en agents électoraux du


Parti présidentiel.

Dans une déclaration publiée dans la presse en 2005 avant les


scrutins du 18 décembre 2005 71, les Partis politiques
membres du FRAD avaient dénoncé le lien organique entre
certains hauts cadres de l’État et les structures du PUP. Des
exemples fournis, il se dégage le tableau suivant :

Organismes dirigeants du PUP


Bureau Comité Comité Bureaux %
Politique Central National de Fédéraux
National Jeunes
Gouverneurs
de région 2 2 1 62,5 %
Préfets 2 3 7 36,3 %

Ainsi 62,5 % des 8 Gouverneurs de région et 36,3 % des 33


Préfets sont membres des organismes dirigeants du PUP. À
ces hauts fonctionnaires, il faut ajouter les Secrétaire
Généraux de Préfecture membres des bureaux fédéraux du
PUP et les Sous-Préfets et secrétaires communautaires
membres des Comités Directeurs de ce Parti.

L’engagement politique de ces hauts cadres de


l’Administration territoriale fait d’eux des agents électoraux
plus efficaces que les militants les plus mordus, en raison de
leur double qualité d’organisateur des élections dans leur
ressort territorial et de chef hiérarchique des agents publics en
fonction dans la circonscription électorale relevant de leur

____________________
71 : Cf. « L’observateur » n° 281 du 05 septembre 2005 p.2.
61

autorité. C’est ce qui a fait déclarer à Sidya Touré. « Le PUP


n’a plus rien sur le terrain. La réalité que nous connaissons,
c’est l’Administration qui veut voter à la place du PUP » 72.

Et le leader de l’UFR ne croyait pas si bien dire, conforté


qu’il est dans ses appréhensions par les propos de Dansa
Kanté, Gouverneur de Boké, après les scrutins du 18
décembre 2005 : « Nous (le PUP) avons perdu la commune
de Boffa remportée par l’UFR. Nous avons perdu Fria qui a
été gagnée par l’UPR. Le PUP a gagné à Boké, Gaoual et
Koundara » 73.

L’engagement de l’Administration territoriale aux côtés du


PUP est une constance des élections guinéennes ainsi qu’il
ressort de cette déclaration faite à l’occasion des communales
2000 par Abou Chéri Camara, à l’époque Gouverneur de
Boké, actuellement en poste à Mamou : « Chaque vote qu’on
fera à Boké, le PUP doit le gagner, sauf si nous sommes des
vauriens. Nous refuserons qu’un autre Parti soit élu à
Boké…On n’est pas contre un parti. Mais on ne veut pas
qu’un autre parti triomphe en présence du PUP à Boké »74.
Abdoulaye WADE, Président de la République du Sénégal, a
justement employé à ce sujet l’expression de « parti-
administration »75.

Excès de zèle ou engagement conscient, les hauts cadres de


l’Administration territoriale font parfois preuve d’une
agressivité gratuite à l’égard des partis d’opposition et de
____________________
72 : Cf. « L’Humanité » nº 30 du 17 novembre 2005 p.7.
73 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.6.
74 : Cf. « L’œil » nº 195 du 14 au 20 juin 2000 p. 9.
75 : Cf. son ouvrage : « Un destin pour l’Afrique » Michel Lafon, Paris
2005. p.44.
62

leurs leaders. L’expression de Hassan Sanoussi, Préfet de


Gaoual en 2003 est à cet égard d’une crudité déconcertante :
« Demandez à l’UFR si le Parti a des représentants dans
cette Préfecture… L’UPR a un groupe de 20 personnes, c’est
terminé. Le RPG n’a qu’un seul individu qui monte et
descend sur la moto… L’opposition est libre d’aller à Gaoual
tenir ses meetings, faire sa campagne. N’importe quel
opposant qui va dans ma préfecture pour tenir des propos
injurieux à l’endroit du Chef de l’État, des membres du
Gouvernement ou à mon endroit, je le ferai tendre par mes
agents. Je lui donne 50 coups et je le laisse partir. Je ne porte
pas plainte. La procédure est trop longue. Moi, on ne
m’insulte pas. Je suis le représentant du pouvoir, le pouvoir
du Général Lansana Conté » 76.

Ces cadres administratifs sont encouragés dans leur attitude


par les rencontres régulières avec les responsables du PUP
qui, à l’occasion, transmettent les messages, voire les
instructions politiques. Ainsi, avant les scrutins du 18
décembre 2005, et pour les besoins de la confection des listes
du Parti, le Secrétaire Général du PUP, Sékou Konaté a
conféré avec les Préfets des régions de Mamou, Faranah et
N’Zérékoré, un fait dénoncé par le FRAD dans une lettre du
12 novembre 2005 adressée au Ministre de l’Administration
du Territoire et de la Décentralisation 77.
____________________
76 : Cf. « L’indépendant plus » nº 156 du 02 juin 2003 p.5.
77 : Il faut noter que ces rencontres sont favorisées par la structure du
PUP qui est parallèle à celle de l’État : le comité de base du Parti
correspondant au quartier ou au village, le comité directeur à la
sous-préfecture, la fédération à la Préfecture, seule la région
n’a pas été prévue. Ainsi le PUP est organisé sur le modèle du
PDG-RDA dans son statut de Parti-État sous la Révolution, en
application de la constitution guinéenne du 14 mai 1982. Sur cette
articulation entre le Parti et l’Administration territoriale,
lire Gérard Conac : « Les institutions administratives des États
63

Pour bien comprendre ce genre de comportement, il faut


partir d’une réalité : le fonctionnaire guinéen n’a pas de
garantie de carrière, encore moins un profil de carrière, en
dépit de l’existence de la loi n°L/2001/028/AN du 31
décembre 2001 portant statut général des fonctionnaires, qui
a remplacé l’ordonnance n°048/PRG/SGG du 08 octobre
1959. La Guinée vit dans une ambiance frauduleusement
organisée de parti dominant, pour ne pas dire de parti unique,
combinée avec une privatisation du pouvoir et ses corollaires
de personnalisation et de patrimonialisation des rapports
publics : « les affaires publiques étant gérées en faveur d’une
finalité privée, la politique et l’Administration deviennent
sources d’avantages économiques »78. Pour participer au
partage du gâteau public, l’agent administratif doit faire
preuve d’une loyauté à toute épreuve et, bien évidemment, la
part de gâteau sera proportionnelle au degré d’engagement ou
de zèle, ou mieux de démagogie, car il n’est pas rare
d’entendre l’agent soutenir en privé le contraire de son
discours public.

Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que la


démagogie, le clientélisme, le népotisme, les considérations
ethniques et autres deviennent les critères de nomination et
d’avancement des agents, en lieu et place des règles
gouvernant la fonction publique nationale : pour avoir une
promotion ou se maintenir à son poste, il faut évoluer
_________________________________________________

francophones d’Afrique noire » Economica, Paris, 1979, pp. L111


et suiv. ; sur le cas précis de la Guinée, lire Alpha Ousmane Barry :
« Parole futée, peuple dupé. Discours et révolution chez Sékou
Touré » L’Harmattan, Paris 2003 pp. 57 et suiv. ; Dmitri Georges
Lavroff : « Les systèmes constitutionnels en Afrique noire. Les États
francophones » Ed. A. Pedone, Paris, 1976 pp. 206 et suiv.
78 : Jean-François Médard : « La spécificité des pouvoirs africains »,
op. cit. p.19.
64

dans l’un des multiples réseaux ou être protégé par un baron


du régime 79 ; il n’y a aucun rapport nécessaire entre le grade
et l’emploi 80. La gestion des carrières relève dès lors du
domaine de l’empirisme qui « s’entend de l’action qui
s’appuie exclusivement sur l’expérience habituelle sans
aucune référence aux prescriptions méthodiques et
théoriques » 81, l’expérience habituelle n’étant en l’espèce que
la somme des pratiques découlant de la privatisation du
pouvoir.

La situation déteint négativement sur la population et donne


souvent au Guinéen le visage d’un être à double facette
(opposant au régime la nuit, griot le jour), ignorant la honte et
l’honneur tant que l’intérêt personnel est en jeu ; la quête
permanente du quotidien obligeant, il a ainsi perdu toute
capacité d’initiative et de réflexion prospective. Il est un fait
que les luttes pour surmonter la rareté des biens matériels,
dans ses formes de pénuries, de disettes et de difficultés

____________________
79 : En Guinée, un médecin, un professeur de lycée, un ingénieur
d’agriculture peut devenir Gouverneur de région ou Préfet, sans
préparation administrative préalable. Ce qui rappelle l’adage
révolutionnaire de la 1ère République selon lequel le bon militant
peut tout faire. À l’époque, des illettrés politiquement très engagés
ont pu accéder à des postes élevés dans les différentes structures de
l’État et même au Gouvernement.
80 : Cf. Alain-Serge Mescheriakoff : « L’ordre patrimonial : essai
d’interprétation du fonctionnement de l’Administration francophone
subsaharienne » in Revue française d’administration publique 1987
n° 42 pp. 112 et suiv.
81 : Cf. Moïse Nembot : « Le glas de la fonction publique dans les États
d’Afrique francophone » L’Harmattan, Paris, 2000 p.142.
65

d’approvisionnement « se révèlent être, de plus en plus, le


lieu par excellence où se constituent, et le sujet économique
et le sujet politique » 82.

Le problème de la neutralité de l’Administration territoriale


est un véritable nœud gordien dans le jeu politique guinéen :
sa solution entraîne inévitablement la disparition du système
en place, donc la mort politique de ses animateurs.

En dehors du Ministère de l’Administration du Territoire et


de la Décentralisation, le faible niveau de décentralisation
administrative du pays (uniquement les communes et les
CRD), fait des gouverneurs de région et des préfets les
échelons d’une machine administrative très centralisée qui
déploie sa chape de plomb sur l’ensemble du territoire
national : les régions et les préfectures ne sont pas dotées
d’organes délibérants élus au suffrage universel.

En effet, en application de l’article 1er du décret nº D/95/025


du 06 février 1995 organisant les régions administratives en
Guinée, le Gouvernorat est, entre autres, le cadre de
coordination et de contrôle des activités des services
déconcentrés de l’État ; l’article 2 du décret confie la
direction de la région au Gouverneur quand l’article 6 en fait,
avec pouvoir disciplinaire, le supérieur hiérarchique des
Préfets. Or, ceux-ci ont une autorité directe sur les chefs de
service des administrations civiles de l’État dans leurs
circonscriptions (article 19 alinéa 2 de l’ordonnance nº
079/PRG/86 du 25 mars 1986 portant réorganisation
territoriale en République de Guinée).

____________________

82 : Cf. Achille Mbembé : « Des rapports entre la rareté matérielle et la


démocratie en Afrique subsaharienne » in revue Sociétés africaines
et diaspora n° 1 mars 1996 pp.13 et 15.
66

Par ailleurs, en application de l’article 16 alinéa 2 de


l’ordonnance nº 019/PRG/90 du 21 avril 1990 portant
organisation et fonctionnement des communes, les
Gouverneurs et les Préfets assurent la tutelle rapprochée des
communes en lieu et place du Ministère de l’Administration
du Territoire et de la Décentralisation. Il en est de même des
CRD placées sous l’autorité des Gouverneurs, Préfets et
Sous-Préfets (article 51 de l’ordonnance nº 092/PRG/90 du
22 octobre 1990 portant organisation et fonctionnement des
CRD.

De cette présentation, il ressort que les Gouverneurs de


région et les Préfets, maillons essentiels de la pyramide de
l’administration du territoire, sont dotés d’une autorité
certaine. Dès lors, leur engagement pour la cause d’un parti
politique, fausse indiscutablement le jeu politique, que l’on se
situe ou non en période électorale. Aussi, Jean-Marie Doré,
leader de l’UPG, n’avait pas tort, en 2004, de dire à Sékou
Konaté, Secrétaire Général du PUP, devant le Gouvernorat de
N’Zérékoré : « Voici tes électeurs », désignant du doigt, à
l’occasion, le Gouverneur et le Préfet de N’Zérékoré.

Désapprouvée par les partis autres que le PUP, l’implication


politique de l’Administration a été fermement condamnée
dans certains milieux religieux 83.

Les lettres-circulaires nº 002/MATD/CAB du 03 janvier 2005


et nº 0737/MATD/CAB du 29 juillet 2005 avaient fait naître
un espoir, celui d’une décrispation politique devenant une

____________________

83 : Lire la déclaration de condamnation du Conseil Chrétien de Guinée


regroupant les Catholiques, les Protestants et les Anglicans dans
« La lance » nº 406 du 06 octobre 2004 p. 5.
67

réalité : l’organisation et le déroulement des scrutins du 18


décembre 2005 ainsi que les résultats qui en sont issus ont
vite fait déchanter.

2- La distinction factice entre Guinéens de l’intérieur et


Guinéens de la diaspora.

En 1984, à la prise du pouvoir par l’Armée, les orientations


données par le Comité Militaire de Redressement National
(CMRN) présidé par le Président Lansana Conté ont fait
rêver et laissé présager d’un avenir radieux avec le retour
souhaité et annoncé dans la mère-patrie des Guinéens qui
s’étaient exilés, fuyant les affres du régime révolutionnaire de
Sékou Touré : la maîtrise des réalités par les Guinéens restés
en place et l’apport des expériences positives de
développement par les éléments de la diaspora devaient, une
fois combinés, ouvrir la voie à la construction d’une Guinée
nouvelle. Un signal fort est donné avec la nomination de
Jean-Claude Diallo, résidant en Allemagne, en qualité de
Secrétaire d’État aux affaires étrangères et à la coopération
internationale chargé des Guinéens de l’extérieur par
ordonnance nº 329/PRG/SGG du 18 décembre 1984 84.

L’expérience d’un poste ministériel consacré à la diaspora


sera malheureusement de courte durée avec la suppression du
poste le 22 décembre 1985 par une ordonnance nº 321 de la
même date, laquelle avait nommé Jean-Claude Diallo au
poste de Ministre délégué auprès du Président de la
République chargé de l’information et de la culture, poste
dont il démissionnera à la faveur d’une mission à l’étranger.

____________________

84 : D’autres cadres guinéens exilés en Afrique et en Europe feront aussi


leur entrée au Gouvernement.
68

Comme évoqué ci-dessus, la diaspora guinéenne est


composée d’individus ayant quitté le pays entre 1958 et 1984
pour diverses raisons : fuite de la répression politique,
recherche de conditions de vie meilleures, reprise et poursuite
des études scolaires et universitaires à l’étranger etc… Au
regard des contraintes politiques et matérielles très dures
(pour ne pas dire plus) subies par les Guinéens restés sur
place, le retour des éléments de la diaspora a été perçue
comme l’expression d’un certain opportunisme : à l’époque
de la vache maigre (le régime révolutionnaire de la première
République), ils étaient partis, à l’heure de la vache grasse (le
régime libéral du Président Lansana Conté), ils reviennent ;
ce ne sont pas des patriotes, ils sont guidés par leurs intérêts
personnels.

Une telle perception n’a eu d’autre effet que de créer un


climat malsain entre les Guinéens de l’intérieur et ceux de
l’extérieur.

À la décharge des premiers, il importe de reconnaître avec


honnêteté la part de responsabilité des seconds : beaucoup de
Guinéens de l’intérieur ont été choqués par l’attitude
« arrogante » de leurs frères rentrant d’exil, non pas en fils
recherchant leur intégration à la communauté nationale, mais
en donneurs de leçons. De fait, l’hostilité entre les deux
groupes sociaux n’a pu être évitée, eu égard à la culture
politique acquise sous l’ancien régime, culture faite de fierté
et de suffisance car, disait-on, la révolution procurait tout, le
bien-être matériel et le savoir.

L’hostilité sera malheureusement exploitée par la classe


politique après l’adoption de loi fondamentale par le
référendum du 23 décembre 1990 et le vote par le Conseil
Transitoire de Redressement National (CTRN) des lois
organiques n°L/91/002 et n°L/91/003 du 23 décembre 1991
69

autorisant le multipartisme ouvert et fixant le statut des partis


politiques.

Intervenant à la convention de son parti, le PUP, le 13


septembre 2003, où il a accusé les Guinéens de la diaspora
d’être à la solde de l’étranger, le Président Lansana Conté les
opposa aux Guinéens de l’intérieur : « Eux, ils sont Guinéens-
Étrangers et nous, nous sommes simplement Guinéens » 85.
Cette catégorisation qui revient de façon récurrente dans les
propos du Président Lansana Conté a provoqué en 2001 une
réaction indignée de feu Siradiou Diallo, à l’époque Président
de l’UPR : « Le chef de l’État doit être respecté et dans son
honneur et dans sa dignité. Mais lui, chaque fois qu’il prend
la parole, c’est pour nous traiter des vauriens, des bandits,
des criminels avec qui il ne doit pas discuter… Ce n’est pas
parce que nous sommes allés vivre à l’étranger pour sauver
notre tête de l’Ancien Régime qu’il va dire que nous ne
sommes pas des Guinéens. Mais au moment où nous nous
faisions les campagnes pour le référendum 58, où il était lui ?
Il était en Algérie, il faisait la guerre pour la France… Il est
allé en Algérie au moment où nous, nous faisions campagne
ici. L’indépendance de ce pays, c’est nous autres. Nous nous
sommes battus dans cette campagne. Moi, j’étais secrétaire
d’un bureau de vote chez moi… J’ai fait des campagnes
contre les anciens combattants qui promettaient la victoire du
oui au référendum du 28 septembre 1958. Le Président
Lansana Conté n’a jamais été là-bas » 86.

En fait, cette hostilité, entretenue d’un côté par la volonté de


se maintenir au pouvoir et de l’autre par le désir d’y accéder,
s’explique. Lorsqu’il annonce en octobre 1989 son intention
____________________

85 : Cf. « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 p.4.


86 : Cf. « L’œil » nº 214 du 25 au 31 octobre 2001 p.6.
70

d’instaurer un État de droit en Guinée, le Président Lansana


Conté propose, entre autres, l’instauration du bipartisme dans
une phase expérimentale 87. L’idée consacrée dans l’article 95
alinéa 1er de la nouvelle constitution adoptée par référendum
le 23 décembre 1990, va provoquer les plus vives réactions.

La contestation du système bipartisan venait de l’opposition


animée principalement à l’époque par les anciens exilés
rentrés au pays à la faveur du changement de 1984 : ces
derniers dont certains avaient dirigé à l’étranger des
mouvements d’opposition au régime de Sékou Touré,
conscients des dissensions internes qui les avaient divisés et
paralysés dans leur action de libération de la Guinée du
régime révolutionnaire, craignaient que l’un des partis soit
créé et soutenu par le Président Lansana Conté alors qu’ils ne
pouvaient s’entendre dans le second parti. C’était cela la
motivation inavouée mais réelle. L’opposition a été si forte,
officiellement au nom de la liberté et de la démocratie, que le
CTRN a dû se résoudre à adopter la loi organique n°L/91/003
du 23 décembre 1991 autorisant immédiatement le
multipartisme intégral.

La création du PUP a confirmé les appréhensions de la


diaspora opposée au bipartisme. Aussi, fondé par le Président
Lansana Conté mais dirigé par son homme de confiance du
moment, El Hadj Boubacar Biro Diallo 88, le PUP a trouvé en
face de lui les principaux partis de l’opposition conduits par
____________________
87 : Cf. Djibril Kassomba Camara : « L’enjeu de la recomposition du
paysage politique » in Dominique Bangoura (sous la
dir.) : « Guinée : l’alternance politique à l’issue des
élections présidentielles de décembre 2003 » L’Harmattan, Paris,
2004 pp. 210-211.
88 : Son choix a été commandé par la nécessité d’un dosage ethnique : le
Président Lansana Conté étant Soussou, le Secrétariat Général du
Parti est revenu à un Peulh et des postes de Secrétaires Généraux
71

d’anciens exilés : l’UNR avec Bâ Mamadou, le PRP avec


Siradiou Diallo 89, le RPG avec Alpha Condé, le parti Djama
avec Mansour Kaba, l’UPG avec Jean-Marie Doré 90 ; l’UFR
dirigée par un autre ancien exilé, Bakary Goyo Zoumanigui,
ne prendra son ampleur actuelle qu’en 2000 avec l’adhésion
de l’ancien Premier Ministre Sidya Touré.

L’élection présidentielle de 2003 ayant été boycottée par


l’opposition, celles de 1993 et 1998 permettent d’illustrer la
présence active des anciens exilés dans la compétition pour le
pouvoir, comme il ressort du tableau ci-dessous :
Présidentielle du 05 décembre 1993 Présidentielle du 14 décembre
1998
Lansana Conté (PUP) Lansana Conté (PUP)
Alpha Condé (RPG) Alpha Condé (RPG)
Mamadou Bhoye Bâ (UNR) Mamadou Bhoye Bâ (UNR)
Siradiou Diallo (PRP) Jean-Marie Doré (UPG)
Faciné Touré (UNPG) Charles- Pascal Tolno (PPG)
Mansour Kaba (Djama)
Ismaïla Mohamed Ghassim Ghussein
(PDG-RDA)
Jean-Marie Doré (UPG)

Ainsi, 62, 5 % des candidats en 1993 et 60 % en 1998 étaient


issus de la diaspora guinéenne.
_________________________________________________

adjoints ont été confiés à la Haute-Guinée avec Sékou Konaté, et à


la Guinée Forestière avec Germain Doualamou.
89 : Avant l’élection présidentielle de 1998, l’UNR et le PRP ont fusionné
pour former l’UPR qui aura comme candidat à l’élection
présidentielle de 1998 Mamadou Bhoye Bâ. La limite d’âge de 70
ans prévue à l’époque pour la candidature à la Présidence de la
République avait justifié le désistement de Siradiou Diallo en sa
faveur.
90 : En exil depuis des années en Europe, en particulier à Genève où il a
travaillé au BIT, Jean-Marie Doré est rentré plutôt au pays avant
1980. Il peut être cependant classé parmi les représentants de la
diaspora.
72

Aucun changement structurel notable dans le sens d’un


infléchissement de la position de la diaspora n’a pu être
observé. Si Siradiou Diallo est décédé et que l’UPR est
présidée aujourd’hui par Bah Ousmane (Guinéen de
l’intérieur), Diallo Bah Assitou, la veuve de Siradou Diallo,
est devenue Vice-Présidente du Parti 91 ; Bâ Mamadou a
quitté l’UPR pour prendre la Présidence de l’UFDG ; Alpha
Condé, Mansour Kaba et Jean-Marie Doré sont toujours à
leur poste ; l’UFR est devenue le principal adversaire du
pouvoir sous la présidence de Sidya Touré, ancien exilé et
ancien Premier Ministre, comme en témoigne le refus et le
rejet massifs de ses listes de candidats lorsdes scrutins du 18
décembre 2005, notamment en Basse-Guinée et en Guinée
Forestière.

Qualifiés de Guinéens-Étrangers, accusés d’ingratitude et de


perturbation de la cohésion sociale 92, le Président Lansana
Conté a fixé le sort des présidentiables de la diaspora dans sa
____________________
91 : La désignation de la veuve de Siradiou Diallo à la Vice-Présidence
de l’UPR a entraîné la démission du Parti de Saliou Bella Diallo et
de ses partisans : celui-ci est devenu le Président de l’UNPG le 27
novembre 2005. Cf. « La lance » nº 466 du 30 novembre 2005 p.9.
92 : Le 03 juin 2000, à l’annexe du stade du 28 septembre, et pour arrêter
la saignée de militants dont il était victime au profit de l’UFR
depuis l’adhésion à ce parti de Sidya Touré, ancien Premier
Ministre, le PUP a organisé un grand meeting en présence du
Président Lansana Conté venu à la rescousse. Évoquant directement
le cas de Sidya Touré, le Président déclara : « Je n’ai pas ramené
Sidya Touré en Guinée, il est revenu chez lui. Je n’ai jamais décidé
de créer un parti avec lui… Ce n’est pas sa faute, c’est la
mienne puisque c’est moi qui l’ai approché de moi ». Et de confier à
Dieu le sort des anciens Ministres passés à l’UFR : « Qu’Allah les
paie » Cf. « La chronique » nº 01 du 06 juin 2000 p. 3. Accusé
d’être un soutien de Sidya Touré, j’ai quitté le Gouvernement,
quatre jours après le meeting, soit le 07 juin 2000 à la faveur d’un
remaniement ministériel.
73

déclaration précitée du 13 septembre 2003 à la convention du


PUP : « on ne nommera pas un étranger comme Président ».
Il s’ensuit donc que la fraude massive observée lors des
scrutins du 18 décembre 2005 s’inscrit dans la logique de la
neutralisation de la diaspora dans sa volonté de s’installer
dans les différentes sphères de l’État.

Cela est important dans un pays où l’occupation des postes de


responsabilité politique est une source d’avantages matériels
déterminant le train de vie, surtout qu’en Guinée, la création
de la richesse pour le citoyen n’a jamais été la préoccupation
première des dirigeants depuis l’indépendance en 1958 : la
politique du ventre est érigée en système de gouvernement,
elle permet de maintenir le citoyen en laisse. Or, dans une
démocratie, la fraude électorale est le moyen efficace de se
maintenir au pouvoir, le citoyen affamé jouant le rôle de
complice.

3- La division des partis d’opposition

En dépit des déclarations d’intention 93, l’opposition ne


présente pas un front uni tant dans les propos 94 que dans les

____________________
93 : Cf. les déclarations de Jean-Marie Doré, leader de l’UPG :
- « il faut que l’opposition guinéenne minore ses divergences pour
privilégier l’urgence » in « Les échos » n° 67 du 22 au 28 mars
2004 pp. 8 et 9 ;
- « le FRAD est plus que jamais vivant » in « L’enquêteur nº 85 du
04 au 18 août 2005 pp. 3 et 4.
94 : Cf. - la déclaration de Bâ Mamadou, Président l’UFDG, ayant quitté
le FRAD pour le dialogue avec certains partis suite à ce qu’il a
considéré comme des concessions gouvernementales : « Si
Alpha Condé a été accueilli à l’aéroport le 03 juillet dernier,
C’est parce qu’on a négocié » in « L’observateur » nº 277 du 08
août 2005 p.2.
- la déclaration de Jean-Marie Doré : « Il n’y a plus de FRAD, le
74

actes 95, notamment ceux posés lors des scrutins du 18


décembre 2005. La décision de constituer des listes d’union a
été peu respectée : tantôt des partis ont refusé la constitution
de la liste commune dans leur zone d’influence, espérant ainsi
obtenir un conseil communal à leur entière dévotion, tantôt
des listes concurrentes ont été présentées, comme dans la
commune de Dixinn à Conakry où une liste commune
conduite par l’UPG et soutenue en particulier par l’UFR était
opposée à cinq autres listes présentées par le RPG, l’UPR,
l’UFDG, l’UNPG et le PPG, soit six listes d’opposition
affrontant celle du PUP.

Pour comprendre cette division de l’opposition guinéenne, il


faut avoir à l’esprit une réalité bien établie : si le Président
Sékou Touré est mort au pouvoir, c’est en raison des
dissensions qui minaient l’opposition extérieure à son régime.
Et ces dissensions n’avaient d’autres mobiles que la volonté
de chaque chef de mouvement d’opposition de devenir le
Chef de l’État guinéen après le renversement du régime
révolutionnaire. Tant et si bien qu’après avoir obtenu la
restauration du multipartisme en 1992, chacun de ces leaders
est devenu chef de parti : Bâ Mamadou, ancien responsable
de l’OULG a créé l’UNR, feu Siradiou Diallo, ancien leader
du RGE, a fondé le PRP, Alpha Condé, ancien dirigeant du
MND, s’est, le premier, manifesté sur le terrain, en fondant le
RPG ; Jean-Marie Doré, rentré plus tôt d’exil, a pris la

_________________________________________________

FRAD est terminé » in « L’enquêteur » nº 94 du 8 au 22 décembre


2005 p.4.
95 : Les tiraillements entre l’UFR et le RPG pour l’utilisation du stade
préfectoral de N’Zérékoré pour des meetings organisés le même
jour en juillet 2005 en sont une illustration. Cf. « La lance » nº 450
du 10 août 2005 p. 5.
75

direction de l’UPG. D’autres dissidents de l’opposition


extérieure (surtout des anciens du RGE) se sont manifestés
avec le Parti Djama de Mansour Kaba et l’UFR de Bakary
Goyo Zoumanigui. Seul Sidya Touré, issu de la diaspora, se
présente aujourd’hui comme un homme dont la carrière
politique a débuté véritablement en l’an 2000 à la tête de
l’UFR ; il ne suscite jalousie qu’en raison de son audience
grandissante dans le pays 96.

Ainsi donc, les ressentiments personnels que nourrissent les


opposants guinéens les uns à l’égard des autres sont de nature
à faire le lit du PUP : ils sont incapables de contrecarrer les
manœuvres frauduleuses organisées par le pouvoir, à chaque
consultation électorale, en faveur de son Parti.

Et pourtant l’unité d’action est porteur d’espoir : les résultats


des communales 2005 à Fria en constituent l’illustration
parfaite. L’opposition regroupée sous les couleurs de l’UPR a
obtenu 9850 voix contre 9120 voix pour le PUP : par sa
composition (7 UPR, 6 UFDG, 4 RPG, 4 UFR et 2 UPG) 97,
la liste a été un élément très fort pour la mobilisation de
l’électorat.

Outre les sept communes acquises (sur 38) selon les résultats
officiels, les listes communes de l’opposition auraient permis,
en fonction du scrutin de liste majoritaire à un tour appliqué,
d’obtenir quatre communes supplémentaires, ainsi qu’il
résulte du tableau ci-dessous :

____________________
96 : Sur l’opposition guinéenne à l’extérieur sous l’ancien régime, cf. Bah
Thierno : « Mon combat pour la Guinée », Karthala, Paris 1996.
97 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p.11.
76

PUP OPPOSITION
UPR UNPG RPG UFR UFDG
Kissidougou 4442 870 3854 654
Labé 8973 8788 1625
Mamou 9735 5565 6118
Pita 2634 2315 2531

La division de l’opposition regrettée par certains de ses


responsables 98 a permis la victoire du PUP dans ces
communes, comme l’a reconnu Baniré Diallo, membre du
BPN du PUP et Président du groupe parlementaire
PUP/PAA : « Il faut dire qu’à Kaloum, Lélouma et Dalaba,
nous sortons vainqueurs, par contre, à Labé, Pita et Mamou,
si l’opposition avait pu taire ses contradictions, nous
tombions » 99 ; il a fait le même constat pour Kissidougou.

En poussant plus avant l’analyse, il est facile de constater que


l’effet mobilisateur de la liste d’union sur l’électorat aurait
permis un renversement de majorité en faveur de l’opposition
dans les trois communes ci-après où la différence de voix
entre la liste PUP et celles de l’opposition est respectivement
de 132, 219 et 73 voix :
____________________
98 : Cf. l’interview de Bah Oury, secrétaire Général de l’UFDG : « Nous
n’avons pas eu le retour de l’ascenseur, parce que nous avions
préconisé à Ratoma, à Pita, à Mamou et même à Kindia, que les
listes convergent. Nous avions donné mandat à nos
représentants de travailler pour que cela puisse être possible. Du
côté de la direction de l’UPR, nous avons constaté que ça n’était
pas leur volonté, ni leur point de vue. Nous avons payé, aussi bien
qu’eux pour cette attitude. Voyez qu’au-delà du pouvoir, nous de
l’opposition avons notre propre responsabilité » in « La lance »
nº 472 du 11 janvier 2006 p.8.
99 : Cf. « La lance » nº 473 du 18 janvier 2006 p.9.
77

PUP OPPOSITION
UPR RPG UFR ANP UPG
Beyla 3.188 2.097 959
Gueckédou 4.246 2.487 1.441 99
Mali 6.897 861 5.963

Il était donc possible à l’opposition malgré toute la


technologie électorale utilisée, de doubler le nombre de
communes qui seraient obtenues par elle.

Pour mesurer la gravité de la désunion de l’opposition, il


importe d’avoir par ailleurs à l’esprit la division socio-
géographique de la Guinée. En effet, le pays est divisé en
quatre régions naturelles bien distinctes et, en dehors de la
Guinée Forestière où existent plusieurs ethnies chacune avec
sa langue propre, les autres régions (Basse-Guinée, Moyenne-
Guinée et Haute-Guinée) correspondent à des réalités
ethniques : il y a trois langues dominantes, respectivement le
soussou, le pular et le malinké 100. Or, en dehors du PUP et de
l’UFR dont la répartition géographique des listes de candidats
en fait des partis à dimension nationale, les principaux partis
de l’opposition ont une assise régionale : l’UPR, l’UFDG et
l’UNPG en Moyenne-Guinée, le RPG et le parti Djama en
Haute-Guinée, l’UPG et le PPG en Guinée-Forestière ; l’ANP
recrute essentiellement dans la population Konianké à cheval
entre la Guinée-Forestière et la Haute-Guinée.

Cette réalité de la vie politique guinéenne est confirmée par


les leaders politiques. Au lendemain des communales 2000,
Aboubacar Somparé, actuel Président de l’Assemblée
____________________

100 : L’homogénéité socio-culturelle est cependant plus forte en Moyenne


et Haute-Guinée ; la richesse de la Guinée forestière et la présence
de la capitale et de la mer en Basse-Guinée y ont attiré les
ressortissants de toutes les régions du pays.
78

Nationale, à l’époque Secrétaire Général du PUP et Président


du groupement parlementaire PUP/PCN, a reconnu que « le
procès du professeur Alpha Condé a contribué à la victoire
du PUP en Haute-Guinée » 101. Les résultats des communales
2005 illustrent le propos, car le RPG a pu, malgré la fraude
massive organisée par le pouvoir, gagner trois communes (les
deux chefs-lieux de région, Kankan et Faranah, et la
commune de Kouroussa).

Jean-Marie Doré, leader de l’UPG a été encore plus explicite


à l’occasion des scrutins du 18 décembre 2005 : « …J’ai dit
que la seule façon de faire les listes pour que nous gagnions,
pour que ce soit correct, c’est de se conformer à la réalité
politique en Guinée, c’est le fait que les partis ont des bases
régionales. Que ça vous plaise ou pas, c’est comme ça.
L’UFR prospère sans conteste en Basse-Guinée. Le RPG
prospère sans conteste en Haute-Guinée. Et l’UPG est
implantée en Forêt » 102. Des propos excessifs qui ne
correspondent pas à la réalité en ce qui concerne l’UFR au
niveau de l’opposition.

Le mode de création dans leur grande majorité des partis sur


la base d’un régionalisme sur fond d’ethnicité 103 constitue un
danger pour l’opposition guinéenne dans la mesure où, dans
ses différentes composantes, elle peut exprimer, sous la
____________________
101 : Cf. « L’indépendant » n° 382 du 27 juillet 2000 p.3.
102 : Cf. « L’enquêteur » n° 94 du 8 au 22 décembre 2005 p.5.
103 : Sur l’impact de l’ethnicité en Afrique, lire Patrick Chabal et Jean-
Pascal Daloz : « L’Afrique est partie ! Du désordre comme
instrument politique » Economica, Paris, 1999 pp. 75 à 81.
La situation a conduit Ismaël Condé, leader du PRPAG, parti se
réclamant du régime de Sékou Touré, à déclarer que « quand les
syndicats parlent peuple et nation, les partis politiques, eux,
continuent de parler ethnie et région ». Cf. « La nouvelle tribune
nº 360 du 30 mai 2006 p.5.
79

pression des militants, les antagonismes socio-historiques que


le pays a connus. Il suffit de rappeler les conflits sanglants
entre Soussous et Peulhs à Conakry dans les années 57, les
suites douloureuses de l’échec du coup d’État du colonel
Diarra Traoré pour la communauté malinké, les affrontements
sanglants lors des communales 1991 à N’Zérékoré entre
autochtones (Kpèlè, manon et autres) et allogènes malinké et
Konianké.

L’appartenance ethnique est parfois utilisée comme un critère


déterminant la couleur politique. Saliou Bella Diallo,
Président du l’UNPG, a ainsi expliqué comment par
incompatibilité d’humeur les militants originaires de la
Basse-Guinée, de la Haute-Guinée et de la Guinée Forestière,
ont quitté l’UPR 104. La situation politique de la Côte-d'Ivoire
rappelle ainsi chaque jour la fragilité du cas guinéen 105, avec
ses risques d’implosion sociale.

Du côté du pouvoir, les rivalités de clans à forte odeur


ethnique paralysent aujourd’hui l’appareil de l’État, jusque
dans la sphère gouvernementale ; la presse publique ou privée
n’est pas aussi épargnée, qui exprime souvent, de façon
malicieuse, des prises de position dont le parti-pris ne trompe
aucun observateur de l’actualité politique guinéenne 106.
____________________

104 : Cf. « La lance » nº 475 du 1er février 2006 p.8.


105 : Cf. Jean-Pierre Dozon : « La Côte-d’Ivoire entre démocratie,
nationalisme et ethnonationalisme » in Politique africaine.2000
nº 78 pp.45 et suiv.
106 : Lire aussi avec intérêt les inconvénients du multipartisme guinéen
analysés par Djibril Kassomba Camara, à savoir la mauvaise
évaluation par les leaders de l’opposition de leur image en Guinée,
l’ignorance du terrain, le caractère personnalisé des partis
d’opposition, l’absence d’un programme cohérent de gouvernement.
Cf. « L’enjeu de la recomposition du paysage politique » op. cit. pp.
211 et suiv.
80

Dans un tel contexte socio-politique, simplement reconnu et


non institutionnalisé comme en Grande-Bretagne où
« l’opposition de sa Majesté » 107 jouit d’un statut légal,
l’opposition guinéenne doit se ressaisir si elle veut jouer un
rôle politique majeur, constituer une alternative crédible face
à un « parti attrape-tout » comme le PUP, sans projet de
société précis en dehors du discours-programme du 22
décembre 1985 du Président Lansana Conté, qui recrute sa
clientèle politique dans l’ensemble du corps social 108, comme
il vient d’en faire la démonstration en reprenant à l’UPR
toutes les communes de la Moyenne-Guinée grâce au soutien
actif de l’appareil administratif d’État. L’opposition doit en
particulier combattre l’idée d’une rotation des ethnies au
pouvoir 109 : l’article 1er de la constitution du 23 décembre
1990 proclame que la Guinée est une et indivisible ; c’est tout
le sens de l’esprit républicain que l’opposition doit faire sien.
Les drames humains des pays des Grands Lacs en Afrique
centrale sont là pour enseigner que le partage du pouvoir sur
des bases ethniques peut conduire à des dérapages aux
conséquences imprévisibles.

____________________

107 : Sur le statut de l’opposition, cf. Charles Debbasch et Jean- Marie


Pontier : « Introduction à la politique » 5è éd. Dalloz 2000 pp. 383
et suiv. La constitution sénégalaise de 2001, consacre son article
58 à l’opposition, mais il ne s’agit que d’une simple réaffirmation
par la constitution du rôle des partis politiques.
108 : Sur la notion de parti attrape-tout, voir Jean-Marie Denquin :
« Science politique » PUF Paris 1985 pp. 283-284.
109 : Dans un meeting tenu à Faranah pendant la campagne pour
l’élection présidentielle de décembre 1993, Bâ Mamadou a déclaré :
« Les Malinkés ont gouverné la Guinée pendant vingt-six ans, les
Soussous pendant neuf ans. C’est maintenant notre tour, à nous les
Peulhs, de gouverner. » Cité par Cheikh Yérim Seck : « Afrique : le
spectre de l’échec » L’Harmattan, Paris, 2002 p.193.
81

Au-delà donc des brimades dont elle peut souffrir de la part


du pouvoir, l’opposition africaine manifeste d’une manière
générale des faiblesses 110.

Celle de la Guinée doit en prendre conscience et organiser


une lutte collective autour d’un programme commun de
gouvernement capable d’emporter l’adhésion des
populations. C’est à ce prix qu’elle pourra faire échec aux
manœuvres tendant à empêcher l’alternance politique : seule
l’action résolue d’un front uni peut enrayer la fraude
électorale.

Le succès de l’entreprise implique que les partis de


l’opposition cessent d’être de simples machines électorales
(sélection des candidats, mobilisation des soutiens aux
candidats, choix des dirigeants politiques) pour être des
agents politiques porteurs d’idées nouvelles, engagés pour
l’intégration sociale 111 : un projet porteur d’espoir doit suivre
la critique de la conduite des affaires par les tenants du
pouvoir.

Unie, elle pourra, comme au Mali 112, obliger le


gouvernement à respecter ses engagements et surtout à
inscrire son action dans le cadre des lois républicaines. Pour

____________________

110 : Voir Cheikh Yérim Seck, op. cit. pp.181 et suiv.


111 : Sur le rôle des partis politiques, lire Jean-Marie Denquin :
« Science politique » op.cit.pp.296 et suiv. ; Philippe
Braud : « Sociologie politique » 7è édition LGDJ, Paris,
2004 pp.448 et suiv.
112 : En 1992, un des principaux partis de l’opposition au régime
ADEMA n’hésita pas à lancer un défit officiel : « Nous ne vous
donnons que six mois ». Cf.Pascal Baba Couloubaly : « Le Mali
d’Alpha Oumar Konaré. Ombres et lumières d’une démocrate en
gestation » L’Harmattan, Paris 2004 p.21.
82

l’instant, cette unité relève du rêve au regard des derniers


actes posés par certains partis de l’opposition 113, à savoir :

- le retour de l’UPR à l’Assemblée Nationale, le 05


avril 2006, au nom du refus de l’aventurisme politique
après avoir participé, en mars 2006, à la concertation
nationale des forces vives qui a proposé un régime
transitoire pour assurer la succession du Président
Lansana Conté ;

- le nouveau plan de sortie de crise adopté par l’UFD au


cours de son congrès des 08 et 09 avril 2006 après
avoir souscrit aussi aux conclusions du rapport de la
commission politique de la concertation nationale des
forces vives ;

- la proposition faite le 10 avril 2006 par Jean-Marie


Doré, leader de l’UPG, d’appliquer l’article 34 de la
constitution confiant, en cas de vacance, l’intérim de
la Présidence de la République au Président de
l’Assemblée Nationale, ce après soutenu la
proposition d’un régime de transition au sein du
FRAD qu’il a quitté ;

- le retrait du PRPAG de la concertation nationale des


forces vives en raison des attaques contre le PDG-
RDA, parti État de la première République, attaques
contenues dans les documents produits par la

____________________
113 : Sur la position de l’UPR, lire le discours de Bah Ousmane,
Président du parti à l’ouverture de la session des lois de
l’Assemblée Nationale le 05 avril 2006 in « L’enquêteur » nº 103
du 13 au 27 avril 2006 pp. 5 et 6 ; l’incohérence politique de la
décision et les réactions diverses qu’elle a suscitées, ont obligé
l’UPR à faire, le 17 mai 2006, une mise au point dans lequel le
83

rencontre, et de l’opposition entre l’idéologie


socialiste défendue par le parti et le libéralisme
soutenu par les autres partis.

4- La faible présence de la CENA et des observateurs


nationaux

L’observation des élections du 18 décembre 2005 a été


assurée d’une part, par la Commission Électorale Nationale
Autonome CENA) créée le 10 octobre 2005 et, d’autre part,
par une mission nationale d’observation. Ces structures
devaient couvrir l’ensemble des 8614 bureaux de vote
installés dans les 341 circonscriptions électorales.

Dans sa déclaration du 21 décembre 2005 114, la CENA a


exposé son organisation composée de 22 membres ; elle avait
constitué 8 équipes régionales et mis en place 38
commissions Électorales Communales Autonomes (CECA)
totalisaient 208 membres et 303 Commissions Électorales
Locales Autonomes (CELA) réunissant 1161 membres dans
les CRD, soit un effectif de 1391 membres.

_________________________________________________
parti affirme que « la déliquescence de l’État conduit aujourd’hui
plus qu’hier à la nécessité d’une transition démocratique », une
transition dont le dispositif d’exécution serait convenu entre les
acteurs politiques et la société civile, sous la direction du
Président de l’Assemblée Nationale, chargé de l’intérim de la
Présidence de la République en cas de vacance conformément à
l’article 34 de la constitution. Cf. « L’indépendant » nº 683 du 25
mai 2006 p.5. La proposition se démarque sur ce point des
conclusions politiques de la concertation nationale des forces
vives.
S’agissant de l’UFD, de l’UPG et du PRPAG, se référer à « la
Lance » nº 485 du 12 avril pp. 2 et 9 et à la « nouvelle tribune »
nº 360 du 30 mai 2006 p.5.
114 : Cf. « La nouvelle Tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p.2.
84

Au niveau national, la CENA était composée à égalité (7


membres) de représentants de la majorité présidentielle et de
l’opposition, de 5 membres de la société civile et de 3
représentants de l’administration. Aux niveaux communal et
communautaire, chaque commission présidée par un
représentant de la société civile, comprenait un représentant
de l’administration et un représentant de chaque parti
politique présentant une liste de candidats.

En excluant les 22 membres de la CENA, les 1369 autres


membres des CECA et CELA devaient couvrir chacun une
moyenne de 6 bureaux de vote. Apparemment, la couverture
ne devait souffrir la moindre défaillance, mais la supervision
étant une opération collective et compte tenu des distances à
parcourir en une seule journée dans les CRD, souvent d’accès
difficile, la transparence et la régularité recherchée n’ont pu
être atteintes. Il y a lieu de signaler aussi l’inégale répartition
de la charge de supervision des scrutins : ainsi dans la
commune de Kaloum, à Conakry, les 7 membres de la CECA
devaient visiter 95 bureaux de vote 115.

La faible présence des membres de la CENA a été regrettée


par la mission d’observation nationale dans son rapport
préliminaire du 22 décembre 2005 116 et son rapport définitif
de janvier 2006.

Cette mission était composée de 400 membres issus de 26


organisations de la société civile dont l’ordre des avocats de
Guinée, une centrale syndicale (l’USTG) et le syndicat libre
____________________

115 : Cf. les observations de certains membres de la CECA de Kaloum


sur les élections du 18 décembre 2005 in « Les Échos » nº 101 du
18 au 31 janvier 2006 pp.5 à 7.
116 : Cf. « L’enquêteur » nº 95 du 27 décembre 2005 au 05 janvier 2006
p.2.
85

des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG). Sa mise


en place a été initiée par le PNUD en collaboration avec le
Ministère de l’administration du territoire et de la
décentralisation, l’UNESCO, l’USAID, le Canada et l’Union
Européenne ; la formation des observateurs s’est faite avec
l’appui technique de IFES, la Fondation Internationale pour
les systèmes électoraux 117.

En tenant compte du nombre des bureaux de vote, chaque


observateur devait suivre le déroulement du vote dans 26
bureaux au moins. Une véritable gageure car ces observateurs
qui étaient en formation du 7 au 15 décembre 2005, ne
pouvaient manifestement, en 48 heures, être déployés sur le
terrain et en mesure de contrôler la distribution des cartes
électorales et l’installation effective des bureaux de vote avec
tout le matériel nécessaire sur l’ensemble du territoire
national.

Par la création de la CENA et l’organisation d’une mission


d’observation nationale, le pouvoir guinéen a voulu donner
aux scrutins du 18 décembre 2005 un label de transparence et
régularité, pour satisfaire la curiosité de l’opinion
internationale. Car, comme il en a l’art 118, il n’a pas permis à
ces structures d’assumer la plénitude de leurs attributions.

____________________
117 : Cf. « La lance » nº 465 du 23 novembre 2005 p.9.
118 : Un exemple récent en donne une illustration : par décret
nº D/2005/037/PRG/SGG du 20 août 2005 portant conditions
d’implantation et d’exploitation de stations de radiodiffusion et de
télévision privées, le gouvernement guinéen a libéralisé l’espace
audio-visuel. Mais l’arrêté d’application nº 2005/4470/MI/CAB du
14 septembre 2005 et les cahiers de charges du 13 octobre 2005
ont imposé des conditions telles que jusqu’à ce jour, aucune radio
libre n’a pu émettre, encore moins une station de télévision privée.
86

Depuis 1990, la Guinée s’est dotée d’institutions


républicaines et d’un arsenal juridique très moderne dont le
fonctionnement régulier et l’application correcte devraient
pouvoir garantir un développement harmonieux du pays et
assurer un niveau de vie décent aux populations. C’est là un
standard minimal, c’est ce que Robert Badinter, ancien
Président du Conseil Constitutionnel français, appelle les
principes de l’État de droit démocratique 119. Mais des
obstacles de tous ordres (juridiques, administratifs, socio-
politiques…) empêchent de donner consistance à l’État de
droit 120.
____________________

119 : Cf. Robert Badinter : « Quelques réflexions sur l’État de droit en


Afrique » in Gérard Conac (sous la dir.) : « l’Afrique en transition
vers le pluralisme politique » Economica, Paris 1993 p.9.
120 : Répondant à une question sur le bilan qu’il ferait de la situation des
droits de l’homme, le Président Lansana Conté a déclaré : « Je ne
sais pas ce que c’est que les droits de l’homme. Je n’aime pas en
parler. Vous, je vous respecte. J’exige que vous me respectiez. Les
droits de l’homme ne sont pas écrits par l’homme mais par Dieu.
Vous êtes catholique ? Prenez la Bible et vous trouverez que vous
n’avez pas le droit de faire du mal à quelqu’un. Dans ma religion,
le Coran ne me donne pas le droit de faire du mal à quelqu’un.
Cela me suffit pour vivre. Je n’ai pas besoin d’un livre écrit par un
homme…Si j’agis bien, c’est parce que j’ai appris ce que mes
parents m’ont inculqué, parce que j’ai peur de Dieu. Ce n’est pas
une question de démocratie, de droits de l’homme, tout ce que vous
racontez dans le monde… Les droits de l’homme, ce n’est pas mon
problème. Je n’ai jamais reçu quelqu’un des droits de l’homme,
parce qu’il ne connaît pas mieux les droits de l’homme que moi. »
in Jeune Afrique Économie du 30 novembre au 13 décembre 1998
pp.107 et 108. Curieuse déclaration car la constitution guinéenne
de 1990 élaborée à l’initiative du Président Lansana Conté, contient
un titre II (articles 5 à 23) consacré aux libertés, devoirs et droits
fondamentaux du citoyen. Sur les obstacles à la consolidation de
l’État de droit en Afrique, lire Nahm-Tchougli Mipamb : « Renouveau
constitutionnel et État de droit en Afrique de l’ouest francophone » in.
La voix de l’intégration juridique et judiciaire Africaine, 2003 nº 3
et 4 pp.123 et suiv.
87

Chapitre II
Des scrutins sur fond d’imbroglio juridique
Tirant les leçons des consultations électorales antérieures, le
Président Lansana Conté a, dans son message de nouvel an
2001, déclaré ce qui suit : « J’invite une fois de plus le PUP à
prendre toutes les initiatives requises pour continuer le
dialogue avec les autres partis politiques, et de n’occulter
dans leurs débats, aucun sujet. Si les consultations à ce
niveau aboutissent à un consensus, le Gouvernement
accueillera avec bienveillance leurs recommandations » 121.

Quelque temps auparavant, en novembre 2000, feu Siradiou


Diallo, leader de l’UPR, affirmait dans une interview que
« notre Comité Central a jugé non satisfaisante la manière
dont a été installé le Haut Conseil aux Affaires Électorales.
Celui-ci ne dispose d’aucune autonomie par rapport au
pouvoir en place. Si un tel organe supervise les élections, ce
serait laisser le scrutin aux mains des préfets et des sous-
préfets. Nous avons été victimes de beaucoup de fraudes.
C’est la raison qui pousse nos militants à nous demander de
ne pas prendre part aux élections dans les conditions
actuelles. Mais si un dialogue franc est engagé, cela nous
permettra d’aboutir à la constitution d’une commission
nationale électorale indépendante ou à un Haut Conseil aux
affaires électorales autonome par rapport à l’Administration
et disposant suffisamment de pouvoir pour gérer des élections
régulières et transparentes » 122.

Réagissant positivement au discours de nouvel an 2001 du


Président Lansana Conté, la Coordination de l’opposition
démocratique (CODEM) et l’UFR ont, dans une déclaration
____________________

121 : Cf. « Horoya » nº 5530 du 02 janvier 2001 p.2.


122 : Cf. « Les Échos » nº 29 du 14 au 20 novembre 2000 p.6.
88

du 11 janvier 2001, proposé les conditions d’un bon dialogue,


à savoir la définition exacte du cadre du dialogue,
l’élaboration d’un ordre du jour tenant compte des
préoccupations des différentes parties, la détermination des
modalités pratiques du déroulement du dialogue et de mise en
œuvre des recommandations qui en seraient issues 123.

Le dialogue engagé a abouti, le 15 septembre 2003, à la


signature par 33 partis politiques dont le PUP d’un
mémorandum énumérant les préalables au dialogue, arrêtant
les thèmes du dialogue et indiquant les garanties de mise en
œuvre des résultats du dialogue 124.

Contrairement au discours de nouvel an 2001 du Président


Lansana Conté, le Gouvernement ignorera superbement le
mémorandum du 15 septembre 2003. En revanche, il
organisera la reprise du dialogue entre le PUP et les autres
partis, mais dans des conditions qui vont pousser les
principaux partis d’opposition (RPG, UFR, UPR, Djama,
PDA tous membres du FRAD), à l’exception de l’UPR 125, à
ne pas y participer.

En effet après avoir créé un comité interministériel présidé


par le Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation, le Gouvernement a refusé que le dialogue se
déroule entre la majorité présidentielle et l’opposition.
____________________

123 : Cf. « Le Soleil » nº 51 du 11 janvier 2001 p.7.


124 : Cf. « La Nouvelle tribune » nº 226 du 23 septembre 2003 p. 2.
125 : L’UPR qui a participé au dialogue, n’a pas signé le mémorandum
en raison de l’absence d’autonomie réelle de la CENA proposée.
Cf. « Réflexions de l’UPR sur le rapport des partis politiques du 12
juillet 2005 relatif aux élections » in « L’enquêteur » nº 86 du 18
août au 1er septembre 2005 p.6.
89

Ce second round de dialogue, à la convenance du


Gouvernement, se termina par un mémorandum du 12 juillet
2005 126. Au contraire du mémorandum du 15 septembre 2003
qui préconisait la création d’un organe indépendant chargé de
gérer tout le processus électoral, celui du 12 juillet 2005 a
prévu la création d’une commission électorale autonome par
voie législative (première et douzième propositions).

Dans sa réponse du 03 octobre 2005 127, à deux mois et demi


des scrutins communal et communautaire, le Gouvernement
s’est contenté de promesses. N’ayant pris aucun engagement
pour les consultations du 18 décembre 2005, il a créé par voie
réglementaire des organes dont les conflits d’attributions
seront source à la fois d’une paralysie institutionnelle et
d’une confusion juridique réelles. Les seules
recommandations des différentes phases du dialogue des
partis, qui ont connu une application effective, restent le
bulletin unique et l’urne transparente.

Pour comprendre cette attitude du Gouvernement qui frise le


mépris pour les partis politiques en tant qu’elle exprime un
autoritarisme certain, il importe de se remémorer le sort
réservé au droit dans tous les régimes guinéens depuis 1958.

I- Le droit en Guinée : un instrument du pouvoir


politique

À l’instar d’autres institutions sociales 128, le droit n’a jamais


été une contrainte pour le pouvoir en Guinée, et cela depuis
1958 : dans ces conditions, la légalité en tant que qualité
____________________
126 : Cf. « L’observateur » nº 278 du 17 août 2005 pp. 5-6.
127 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 pp. 4-5.
128 : Après avoir combattu les religions animiste, chrétienne et
musulmane (élimination physique en 1960 de El Hadj Lamine
90

de ce qui est conforme à la loi 129, ne constitue plus une limite


à l’action de l’Administration, laquelle peut s’en affranchir
pour des considérations politiques ou idéologiques.
_________________________________________________

Kaba, imam de Coronthie, emprisonnement de Mgr Tchidimbo,


interdiction des rites sacrés en Guinée forestière…) dès après
l’indépendance, Sékou Touré a fait une véritable mue religieuse à
partir de 1973, ce qui avait pour lui trois avantages : l’Islam
devenait un nouveau support idéologique, lui offrant de nouvelles
tribunes, comme l’OCI, et lui apportant des aides financières
substantielles en provenance du monde arabe. Cf. Maurice
Jeanjean : « Sékou Touré. Un totalitarisme africain » L’Harmattan
Paris 2004 pp.90 et suiv. Sékou Touré achèvera son revirement, un
mois avant sa mort, avec la circulaire du 26 février 1984 disposant
que : «Tous les textes de récitation que les maîtres font apprendre
aux élèves de 1ère et 2ème cycles doivent désormais être des sourates
ou des versets du saint Coran ». Le Président Lansana Conté
continue l’œuvre notamment avec la création des institutions
d’inspiration islamique comme le waqf (loi du 25 novembre 1997
relative à l’institution caritative du waqf), l’érection du Secrétariat
Général de la Ligue Islamique Nationale en département
ministériel (décret du 08 mars 2004 nommant El Hadj Abdoul
Karim Dioubaté en qualité de Ministre Secrétaire Général de la
Ligue et décret du 09 décembre 2004 portant organisation et
attributions dudit département. Sur cette politisation de l’Islam, on
peut citer la récente lettre-circulaire par laquelle le Ministère
Secrétariat Général de la Ligue Islamique Nationale a demandé de
lire le saint Coran 10 fois par semaine, chaque vendredi, du 05
août
au 09 décembre 2005 ; mais avant le début de ces prières, il a été
prescrit d’immoler un taureau, le 07 août 2005 à 10 heures, devant
les bureaux de tous les gouvernorats, préfectures et mairies sur
l’ensemble du territoire. Cf. « L’enquêteur » nº 86 du 18 août au
1er septembre 2005 p. 3. Le remaniement ministériel du 29 mai
2006 a supprimé la mention « ministère » mais le Secrétaire
Général de la Ligue Islamique Nationale conserve son rang de
Ministre.
129 : Cf. G. Vedel : « Droit administratif ». Coll. Thémis, PUF Paris
1980 pp. 354-360.
91

Parlant de la justice en 1977, Sékou Touré a soutenu la


subordination de la justice, donc du droit, dans une formule
crue : « La justice est l’un des reflets les plus fidèles de tout
régime politique donné. Ainsi, à tout régime, sa conception
de la justice » 130.

Cette conception confirmait l’orientation donnée à la réforme


judiciaire au lendemain de l’indépendance. Sékou Touré
déclarait à l’époque : « Il s’agit de transformer, de rénover,
de reconvertir aussi bien la matière que l’esprit de la justice,
et c’est là l’objectif d’un Parti dans le domaine de la justice
d’État qui ne doit être considéré comme indépendant des
autres domaines de l’État et isolé des conditions
économiques et politiques du pays… Les magistrats de la
République Démocratique de Guinée dans leur délicate
fonction, doivent incarner et exprimer la morale sociale de la
nation, car chacun des actes est interprété par le peuple, non
pas en fonction de telle disposition du code pénal ou de telle
conséquence de procédure, mais seulement en fonction de ses
propres conceptions sociales et spirituelles, de ses
aspirations politiques et morales » 131.

Le régime du Président Lansana Conté ne s’est pas démarqué


de cette conception de la justice, donc du droit, par culture
politique, malgré l’option pour le libéralisme politique, or, ce
régime repose sur deux fondations principales, la justice et la
démocratie politique. Quelques exemples pris en matière
électorale suffiront à établir la persistance de cette résistance
____________________
130 : Cité par Maurice Jeanjean : « Sékou Touré un totalitarisme
africain » op. cit. p.84.
131 : Cf. Sékou Touré : « Expérience guinéenne et unité africaine »
Présence africaine, Paris, 1962 pp.517-518.
92

mentale au changement, tant et si bien qu’il n’est pas exagéré


de dire que la Guinée fait du libéralisme dans un moule
révolutionnaire.
Le 19 juillet 2000, après l’élection des conseils communaux,
le Président Lansana Conté a procédé à la nomination des
maires des Communes de Conakry en violation des articles
69 et 71 de l’ordonnance nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril
1990 portant organisation et fonctionnement des communes,
qui disposent que les maires sont élus parmi les conseillers
communaux par lesdits conseillers, donc au second degré 132.
Le tableau des élections organisées depuis 1993 donne une
autre image de la place du droit dans le régime guinéen.
Présidentielles Législatives Communales Communautaires
Scrutins 5 décembre 11 juin 25 juin 18 décembre
1993 1995 2000 2005
14 décembre 30 nov. 18 déc.
1998 2002 2005
21 décembre
2003

De ce tableau, il ressort que si la durée de 5 ans du mandat


présidentiel (avant d’être portée à 7 ans par le référendum
constitutionnel du 11 novembre 2001) a été respectée, il n’en
a pas été de même de la durée du mandat des députés (5 ans)
et des conseils communaux (4 ans).
L’explication de ce comportement politiquement insolite de
la part du pouvoir guinéen pourrait résider dans le caractère
présidentialiste du régime 133. Dans un tel régime, le Président
____________________
132 : Cf. « Le globe » nº 85 du 25 juillet 2000 p. 3.
133 : Sur la notion de régime présidentialiste, Cf. Jean Gicquel : « Droit
constitutionnel et institutions politiques » 9ème éd., Montchrestien
Paris, 1987 pp. 149-150 ; Pierre Roy : « La Guinée à l’aube de
l’État de droit. La loi fondamentale du 31 décembre 1990 » in
93

de la République est la pierre angulaire de l’édifice


constitutionnel : il faut donc veiller à respecter la légalité de
son statut et à garantir sa légitimité aux plans interne et
externe, or, cela passe par une élection à la période prévue
par les textes ; peu importe les conditions d’organisation et de
déroulement du scrutin, seule la dénomination formelle de
l’acte électoral compte. Les autres institutions et structures de
l’État étant subordonnées au pouvoir présidentiel, celui-ci
dispose à sa guise de leur statut constitutionnel (Assemblée
Nationale) ou législatif (communes). Il est toujours possible
trouver des arguments pour justifier le report de l’élection, de
façon à permettre son organisation à un moment favorable
pour le régime, c’est-à-dire à un moment où les éléments de
la technologie électorale sont réunis.

Un troisième exemple peut être cité avec l’affaire Aliou


Guissè qui a opposé le Ministère de l’Administration du
Territoire et de la Décentralisation à l’UFR à l’occasion de
_________________________________________________

Penant 1992 nº 809 p. 138 ; Arnaud de Raulin : « La constitution


guinéenne du 23 décembre 1990 » in Revue juridique et politique,
indépendance et coopération, nº 2, avril-juin 1992 pp. 182 et suiv.
Ce régime se caractérise par la primauté présidentielle, le
gouvernement et le parlement étant réduits au rôle d’exécutants ou
de relais. Cette situation résulte de ce que le chef de l’État, élu au
suffrage universel direct, bénéficie aussi d’une majorité élue selon
ses choix. Se rappeler la déclaration citée plus haut du Président
Lansana Conté le 09 juin 2002 à Mamou au lancement de la
campagne du PUP pour les législatives 2002 ; se référer aussi à
certaines dispositions de la loi fondamentale de 1990 notamment
l’article 24 relative à l’élection du Président de la République au
suffrage universel direct, les articles 38 et 39 faisant du Président
de la République le chef de l’Exécutif, l’article 59 énumérant le
domaine de la loi, l’article 76 relatif au droit de dissolution de
l’Assemblée Nationale par le Président de la République, l’article
67 traitant du pouvoir d’initiative législative du Président de la
République.
94

l’élection communale du 18 décembre 2005 à Siguiri, affaire


rendue publique par la diffusion dans la presse des
correspondances échangées 134.

En effet, dans une lettre du 25 novembre 2005 adressée au


Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation, l’UFR dénonce, entre autres irrégularités, la
présence sur la liste PUP aux communales du 18 décembre
2005 à Siguiri de Aliou Guissè, Sous-Préfet de Doko, du
Directeur Préfectoral de l’Éducation et du Directeur
Préfectoral du Développement rural et de l’environnement.

Dans sa réponse du 30 novembre 2005, le Ministère de


l’Administration du Territoire et de la Décentralisation
soutient que Aliou Guissè, ex-Sous-préfet de Doko est
régulièrement affecté à la Préfecture de Siguiri en qualité de
chargé de l’organisation des collectivités décentralisées et
que les directeurs préfectoraux de l’éducation, du
développement rural et de l’environnement ne sont pas dans
les cas d’inéligibilité prévus par la loi.

Cette réaction du Ministère est fortement critiquable. Mais


avant, il importe d’observer relativement au cas de Aliou
Guissè qu’en période électorale où le Ministère a l’impérieux
devoir d’inspirer confiance, la moindre précaution aurait été,
en répliquant à l’UFR, de faire la preuve de l’affectation par
la production de l’acte administratif de mutation ; il ne s’agit
pas d’un document confidentiel puisqu’il est destiné à être
publié au Bulletin Officiel ou au Journal Officiel de la
République.
____________________

134 : Cf. « Les échos » nº 99 du 16 au 23 décembre 2005 p.5.


95

Cela étant, le Ministère a erré doublement tant au regard de la


position administrative de Aliou Guissè par rapport aux
collectivités décentralisées que dans la qualification du statut
électoral des deux directeurs préfectoraux.

En sa qualité de chargé des collectivités décentralisées, donc


des communes, Aliou Guissè ne devrait pas figurer sur la liste
de candidats du PUP aux communales à Siguiri. En tant que
fonctionnaire d’autorité à la Préfecture en charge de la tutelle
rapprochée des communes, il ne peut être à la fois contrôleur
et contrôlé.

Dans le cas des deux Directeurs Préfectoraux, le problème


qui était posé n’était pas juridique, il était politique : il ne
s’est pas agi pour l’UFR de contester l’éligibilité de ces deux
hauts cadres de l’Administration : ils n’étaient pas dans l’un
des cas d’inéligibilité et d’incompatibilité prévus par les
articles 38 à 44 de l’ordonnance nº 019/PRG/SGG/90 du 21
avril 1990 sur les communes.

La question posée au sujet de l’ex-Sous-Préfet de Doko et des


deux Directeurs Préfectoraux relevait de la moralité des
élections, donc la sincérité du scrutin : un haut cadre de la
Préfecture chargée de la tutelle rapprochée des communes, ne
peut être membre d’un Conseil Communal (cf. article 3 alinéa
2 et 24 du décret nº 081/PRG/SGG/87 du 19 juin 1987
déterminant les conditions de nomination et les attributions
des Préfets, des Secrétaires Généraux de Préfecture, des
Sous-Préfets et des Sous-Préfets Adjoints).

S’agissant des deux Directeurs Préfectoraux dont le choix


n’était pas fortuit, ce sont les supérieurs hiérarchiques des
agents de l’administration (enseignants, agents de la
vulgarisation et de la promotion rurale) très influents auprès
des populations. Et cela a de l’importance dans une élection
96

communale tant dans la ville proprement dite que dans les


districts ruraux qui lui sont rattachés pour former le territoire
communal. Les menaces d’affectation ou de suspension
proférées contre les agents récalcitrants ou tentés par les idées
des partis politiques de l’opposition ne sont un secret pour
personne en Guinée.

La préoccupation majeure de l’UFR tenait de ce fait à la


crédibilité du scrutin qui passe par la neutralité de
l’Administration ; celle-ci commence par l’absence des hauts
cadres en fonction des listes de candidats dans les localités où
ils exercent. Le caractère malsain du fait, voire son
opportunisme, était évident d’autant que, dès leur élection,
ces cadres peuvent partir de la localité, au gré des affectations
administratives.

La neutralité politique de l’Administration est une exigence


constitutionnelle découlant des articles 23 et 33 précités de la
Loi fondamentale dont les textes très clairs ne souffrent
aucune autre interprétation. De plus, la moralité des élections
n’est pas une vue de l’esprit, elle est consacrée par le décret
nº D/039/PRG/SGG/2005 du 10 octobre 2005 portant
création de la CENA : l’article 2 du décret fait de la CENA
« le garant moral de la régularité du scrutin et de la sincérité
du vote ». Il s’agit donc d’une préoccupation majeure de
l’État que les services publics en charge de l’organisation des
élections doivent satisfaire. Or, tel ne semblait pas être
l’objectif poursuivi à Siguiri.

II – La concurrence formelle des organismes


administratifs d’assistance électorale.

Les scrutins du 18 décembre 2005 ont été précédés de la


création d’une Commission Électorale Nationale Autonome
(CENA) et de commissions préfectorales et commissions
97

sous-préfectorales de recensement des votes. Dans les faits,


l’article L2 du code électoral faisant du Ministère de
l’Administration du Territoire et de la Décentralisation
l’autorité administrative qui organise les élections, n’a pas été
modifié avant la création de la CENA ; celle-ci a été dès lors
confrontée dans l’exercice de ses attributions aux
commissions administratives de recensement des votes créées
en application de l’article R46 du code électoral par le
Ministère : elle sera neutralisée, se confinant dans un rôle
d’observation quand elle a pu être présente sur le terrain,
faisant alors doublure à la mission d’observation nationale.

1- L’inégalité de statut juridique des organismes


administratifs d’assistance électorale.

Créés par voie réglementaire (décret du 10 octobre 2005 pour


la CENA et arrêté du 08 novembre 2005 pour les
commissions de centralisation), les organismes en question
assistent le Ministère de l’Administration du Territoire et de
la Décentralisation pour l’ensemble du processus électoral en
ce qui concerne la CENA, et pour le recensement des voix
après le vote pour les commissions administratives de
centralisation.

1-1- La Commission Électorale Nationale Autonome


(CENA).

Avec la création de la CENA le 10 octobre 2005, la Guinée


est à sa 4ème expérience de commission électorale depuis
l’entrée en vigueur du code électoral en décembre 1991. C’est
à croire que chaque Ministre chargé d’organiser des élections
s’est cru obligé de créer sa structure : Alsény René Gomez a
98

eu sa Commission Nationale Électorale 135, Zaïnoul Abidine


Sanoussi son Haut Conseil aux Affaires Électorales 136,
Moussa Solano son Conseil National Électoral137 et Kiridi
Bangoura sa Commission Électorale Nationale Autonome 138.

La formule de la CENA a été jugée acceptable par le


Gouvernement qui s’était systématiquement opposé à celle
d’une commission électorale indépendante, pourtant proposée
dans le mémorandum précité du 15 septembre 2003 signé par
33 partis dont les plus représentatifs de l'opinion nationale, à
savoir le PUP, parti au pouvoir, l’UPR, l’UFR, l’UPG,
l’UFDG, RPG et le PDG-RDA. 139.

Bah Oury, Secrétaire Général de l’UFDG a tenté de justifier


l’option pour la CENA dans une interview 140 ; il a avancé
trois arguments :

- la CENA résulterait d’un consensus qui s’est dégagé au


cours d’un voyage à l’île de Gorée au Sénégal, voyage
organisé par l’Ambassade du Canada en Guinée et auquel
____________________
135 : Cf. décret nº 93/228/PRG/SGG du 08 décembre 1993 rectifiant le
décret nº D/93/196/PRG/SGG portant création, organisation et
fonctionnement de la Commission Nationale Électorale.
136 : Cf. décret nº 197/PRG/SGG du 21 septembre 1998 portant création,
attributions organisation et fonctionnement du Haut Conseil aux
Affaires Électorales.
137 : Cf. décret nº 040/PRG/SGG/2002 du 19 avril 2002 portant création
attributions, organisation et fonctionnement du Conseil National
Électoral.
138 : Cf. décret nº 039/PRG/SGG/2005 du 10 octobre 2005 portant
création, attribution, organisation et fonctionnement de la
Commission Nationale Électorale Autonome.
139 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 226 du 23 septembre 2003 p. 2.
140 : Cf. « L’observateur » nº 286 du 10 octobre 2005 p. 5.
99

ont pris part, outre des éléments de la société civile, sept


partis politiques (le PUP, l’UFDG, le PDG-RDA, le RPG,
l’UFR, l’UPR et l’UPG) : le consensus reposerait sur le
fait que la constitution confiant l’organisation des
élections au Ministère de l’Administration du Territoire et
de la Décentralisation, une commission électorale
indépendante rencontrerait le veto du pouvoir ;

- le Mali a échoué dans son expérience de commission


indépendante en raison de ce que le Ministère de
l’intérieur s’était placé hors du processus électoral pour
respecter l’indépendance de la commission électorale ;

- il faut dissocier la fonction de gestionnaire de celle de


contrôleur ou d’auditeur.

Pour intéressante qu’elle soit, l’argumentation de Bah Oury


n’est pas convaincante.

D’abord, en avançant la distinction entre gestionnaire et


contrôleur du processus électoral, Bah Oury a repris les
propos du ministre Kiridi Bangoura, répondant le 03 octobre
2005 141, au mémorandum précité du 12 juillet 2005 142. Dans
le cadre de la CENI, il y a une gestion collégiale de toutes les
opérations du processus électoral par toutes les parties
prenantes et la CENI, la composition de celle-ci étant conçue
de manière à représenter les principales sensibilités du pays.
Et cette collégialité trouve son fondement dans la démocratie
participative, gage de bonne gouvernance politique.

Ensuite, les difficultés de fonctionnement de la commission


électorale indépendante au Mali ne peuvent justifier le rejet
____________________

141 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 pp. 4-5.


142 : Cf. « L’observateur » nº 278 d'août 2005 p. 5-6.
100

de la proposition en Guinée. En politique, comme les malades


en médecine, chaque pays est un cas d’espèce, tout
simplement parce que les réalités politiques diffèrent d’un
État à un autre. Le Mali n’étant pas la Guinée, l’expérience
valait la peine d’être tentée ; elle aurait donné l’occasion à la
classe politique de faire des pas dans le sens du consensus,
compte tenu de l’intolérance qui marque le débat politique 143.
Le Niger a bien une CENI qui fonctionne, malgré certaines
difficultés d’ordre matériel.

De passage à Conakry, Hamidou Salif Kané, magistrat de


profession, et Président de la CENI du Niger de 2003 à 2005
a été très clair, répondant au journal guinéen « La lance » à la
question de savoir s’il y a eu des tentatives de triche :
« C’était difficile, parce que nous avons des commissions
électorales, au niveau local, avec la même composition qu’au
niveau national. Donc, là où tous les partis politiques se
retrouvent, il est difficile de tricher. Vous avez le parti au
pouvoir et les partis d’opposition au sein de la même
structure. Les gens se contrôlent mutuellement. Nous avons
mis en place un système au niveau de nos différents procès-
verbaux de façon à ce que chacun des membres des bureaux
de vote et les délégués des partis politiques puissent avoir un
exemplaire du procès-verbal dûment signé pour qu’il n’y ait
pas lieu à contestation » 144.

Enfin, il importe de relever que ce n’est pas la constitution


qui a confié au Ministère de l’Administration du Territoire et
____________________

143 : Le FRAD avait présenté une proposition de CENI lorsque le projet


de décret créant la CENA a été diffusé. Lire aussi Cheick Sako :
« L’enjeu de la création d’une Commission Électorale Nationale
Indépendante » in Dominique Bangoura (sous la direction) :
« Guinée : l’alternance politique à l’issue des élections
présidentielles de décembre 2003 », op. cit. pp.227 à 231.
144 : Cf. « La lance » nº 463 du 09 novembre 2005 p. 8.
101

de la Décentralisation l’organisation des élections, mais le


code électoral en son article L2 alinéa 1er. C’est pourquoi tant
dans le mémorandum du 15 septembre 2003 que dans celui
du 12 juillet 2005, les partis politiques participants avaient
recommandé la révision du code électoral. Le mémorandum
de 2005 est plus précis : il a prévu la modification du code
électoral pour voir substituer dans l’article L2 la CENA au
Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation, les attributions, la composition, le mandat,
l’organisation et le fonctionnement de ladite commission
étant fixés par la loi.

Aussi, la création en 2005 de la CENA par voie réglementaire


avant toute modification du code électoral est surprenante
d’autant que la recommandation a été faite au Président de la
République, après les « leçons tirées des élections organisées
de 1993 à 2003 » et au titre « des conditions d’une élection
libre, transparente, juste et crédible ».

En fait, le rejet de la proposition d’une CENI obéit plutôt à


des mobiles politiques : éviter un renversement du régime par
les urnes, car la CENI comporte en elle les germes de
l’alternance politique. Et le Gouvernement, en s’opposant à la
proposition, n’a fait qu’exécuter la position du Président
Lansana Conté exprimée dès 1998. Répondant à la question
de l’autorité chargée de l’organisation du scrutin présidentiel
de 1998, le Président déclara : « Le Ministère de l’Intérieur.
Certains ont voulu que la Commission soit indépendante.
Mais indépendante de qui ? Et on ne m’a pas donné les
raisons valables pour qu’elle soit indépendante. Le débat
s’est fait au niveau du Ministère de l’Intérieur, pas à mon
niveau. Finalement, le consensus s’est fait sur la nécessité de
créer cette commission. Mais elle ne peut être indépendante.
Dans un pays souverain, on connaît les institutions qui sont
indépendantes : l’Assemblée, la Cour Suprême, l’Exécutif, le
102

Conseil National de la Communication, le Conseil Supérieur


de la magistrature etc… On ne peut pas en créer d’autres.
S’il y a trop de personnes indépendantes, il va y avoir
l’anarchie » 145. Une déclaration on ne peut plus claire.

Dans sa réponse au mémorandum du 12 juillet 2005 sur la


question de la révision du code électoral, et après avoir
rappelé les précédentes commissions électorales et indiqué
qu’il ne saurait y avoir de confusion entre les différents rôles
d’organisateur, de candidats, d’électeurs, de contrôleurs ou
superviseurs et les recours, le Gouvernement a renvoyé au
premier trimestre 2006 l’examen de la révision du code
électoral avec en prime le problème de l’institutionnalisation
de la CENA par voie législative.

En raisonnant ainsi qu’il précède, le Gouvernement, à travers


le Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation, a tout simplement erré. En effet,
contrairement à la CENA du 10 octobre 2005, les précédentes
commissions électorales n’avaient pas de personnalité
juridique : il s’agissait de simples commissions
administratives placées auprès du Ministre en charge de
l’organisation des élections, jouant le rôle d’assistantes
techniques.

Leur création n’a donc jamais porté atteinte à l’autorité dudit


Ministre ainsi que dispose l’article L2 alinéa 1er de la loi
électorale. Il n’en va pas de même de la CENA du 10 octobre
2005 dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie
financière.

____________________
145 : Cf. Jeune Afrique Économie du 30 novembre au 13 décembre 1998
p. 106.
103

En tant que telle, la CENA est un organe indépendant du


Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation dès lors qu’aucune disposition du décret du
10 octobre 2005 ne la place expressément sous la tutelle du
Ministère. Il y a donc eu manifestement violation de l’article
2 alinéa 1er du code électoral dans la mesure où ce texte
dispose clairement que ce ministère est l’autorité
administrative compétente pour organiser les élections.

Par ailleurs, en conférant la personnalité juridique et


l’autonomie financière à la CENA, le décret du 10 octobre
2005, en son article 1er alinéa, a classé celle-ci au nombre des
structures décentralisées (territoriales ou techniques) de
l’État. Or, en l’espèce, la CENA n’est ni une entreprise
publique à caractère sociétaire, ni un établissement public à
caractère industriel et commercial, tels qu’organisés par
l’ordonnance nº 91/025/PRG/SGG du 11 mars 1991 portant
cadre institutionnel des entreprises publiques.

La CENA n’est pas non plus un établissement public à


caractère administratif en raison de la nature politique de ses
attributions. En effet, la loi n°L/93/021/CTRN du 06 mai
1993 portant cadre institutionnel des établissements publics à
caractère administratif dispose, en son article 3, que « le
décret portant création d’un établissement public
administratif détermine avec précision :

- son caractère éducatif, scientifique, culturel, social,


sanitaire ou personnel ;
- sa mission ;
- l’autorité chargée de la tutelle ;
- ses principales structures et leurs attributions
générales ;
- les ressources qui lui sont attribuées et les charges
qu’il doit supporter.
104

Le décret de création fixe en outre l’organisation


d’ensemble de l’établissement et ses statuts. »

De ce texte, il résulte que l’établissement public à caractère


administratif n’a pas une mission politique et qu’il est soumis
à tutelle. Or, la CENA s’occupe exclusivement des élections
qui, par essence, ont un caractère politique, qu’il s’agisse des
élections communautaire, communale, législative ou
présidentielle. Dans tout État organisé, toute élection a un
caractère politique dès lors qu’il s’agit de choisir les
représentants habilités à parler au nom de la collectivité
humaine (CRD, Commune, État) qui vote.

La CENA constitue une nouvelle catégorie d’établissement


public dont la création relève du domaine de la loi qui en fixe
les règles en application de l’article 59 de la loi fondamentale :
le recours à un décret pour sa création viole la loi
fondamentale.

Créée par décret en violation de la constitution et du code


électoral, la CENA a un statut ambigu, même si par sa
composition paritaire 146, elle peut inspirer confiance. Et la
____________________

146 : Dans le projet de décret créant la CENA (article 17), il était prévu
qu’au niveau national, la CENA comprend les représentants des
partis politiques engagés dans les élections, 5 représentants de la
société civile et 2 représentants de l’Administration.
Suite à une réaction des partis politiques, l’article 18 du décret du
10 octobre 2005 a organisé comme suit la composition de la CENA
au niveau national : 7 représentants des partis politiques de la
majorité, 7 représentants de l’opposition, 5 représentants de
la société civile et 3 représentants de l’Administration. Le
Gouvernement acceptait ainsi une distinction qu’il avait refusé
d’admettre lors des discussions entre partis politiques
ayant conduit aux mémorandums cités plus haut.
105

confusion savamment entretenue autour de son statut


juridique a déteint sur l’accomplissement de sa mission : elle
a été supplantée par les commissions administratives de
recensement.

1-2- Les Commissions centrales et commissions sous-


préfectorales de recensement des votes.

Après avoir fait créer la CENA par décret présidentiel, le


Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation a, sur le fondement des articles L88, L104 et
R46 du code électoral, pris l’arrêté nº 5496/MATD/CAB/2005
du 08 novembre 2005 portant composition des commissions
centrales et commissions sous-préfectorales de recensement
des votes.

La référence à l’article L104 du code électoral dans les visas


de l’arrêté est sans intérêt pour la simple raison qu’il traite
essentiellement du dossier de candidature à déposer à la sous-
préfecture ou à la préfecture.

Seuls les articles L88 et R46 visés par l’arrêté sont


exclusivement relatifs à la commission de recensement des
votes. Ils sont ainsi rédigés :

Article L88 :

Le recensement des votes d’une circonscription électorale


sera le décompte des résultats de vote présentés par les
différents bureaux de la circonscription électorale.

Le recensement des votes est effectué en présence des


représentants des candidats ou des listes de candidats par
une commission administrative centrale désignée par le
Ministre chargé de l’Intérieur et présidée dans tous les cas
106

par un magistrat de l’ordre judiciaire désigné par la Cour


Suprême.

Les résultats arrêtés par chaque bureau de vote et les pièces


annexées ne peuvent en aucun cas être modifiés.

Article R46 :

Le magistrat chargé de présider la commission de


recensement général des votes visée à l’article L88 est
nommé par arrêté du Ministre chargé de l’Intérieur sur
proposition du Premier Président de la Cour Suprême
formulée au plus tard trente-cinq jours avant celui du scrutin.

Ladite commission comprend en outre quatre membres


désignés sur proposition du Préfet formulée dans les mêmes
délais.

L’arrêté du Ministre chargé de l’Intérieur nommant pour


chaque Préfecture les membres desdites commissions, est pris
au plus tard trente jours avant la date de l’élection.

De ces textes, il résulte que :

- le décompte des résultats de votes des différents


bureaux de vote est assuré par une commission
administrative de centralisation constituée par le
Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation ;

- le décompte des voix est effectué en présence des


représentants des candidats ou des listes de candidats ;

- les résultats de votes de chaque bureau ne peuvent


être modifiés, y compris les pièces y annexées ;
107

- l’arrêté ministériel désignant les commissions de


centralisation est pris au plus tard 30 jours avant la
date du scrutin.

Aussi, l’arrêté du 08 novembre 2005 aurait dû, pour éviter


toute interprétation tendancieuse de la loi et conformément à
l’esprit et à la lettre de celle-ci, indiquer dans un article 2, que
les commissions de centralisation siègent en présence des
représentants des listes de candidats.

Par ailleurs, il est à noter la composition irrégulière de la


commission centrale au niveau des communes de Conakry et
de l’intérieur : contrairement au contenu de l’arrêté du 08
novembre 2005, l’article R46 ne prévoit pas, en son alinéa 2,
la représentation du Ministère de l’Administration du
Territoire et de la Décentralisation, au surplus en tant que
Vice-Président de la commission. Seuls doivent être
représentés le Gouvernorat de Conakry pour les commissions
de la capitale et les Préfectures pour les commissions de
l’intérieur. Il est dès lors facile de déduire que le délégué du
Ministère avait la mission de faire appliquer les instructions
dudit département.

Le mode indicatif utilisé par le législateur ne laisse aucun


doute sur le caractère obligatoire de la présence des
représentants des listes de candidats : leur absence est un
motif d’annulation du décompte dans la circonscription
électorale considérée.

Par ailleurs, la certitude de cette interprétation s’appuie sur ce


que :

- la révision du code électoral en 1993 a exclu, à


l’article L88, la présence des présidents des bureaux
108

de vote et maintenu celle des représentants des


candidats ou des listes de candidats ;

- l’article L88 dispose que le procès-verbal de


recensement, qui est un document récapitulatif, est
établi en double exemplaire en présence des candidats
ou de leurs représentants (sans avoir cependant un
droit de signature) ;

- en application de l’article L91, tout candidat ou son


représentant dûment habilité, a le droit, dans les
limites de sa circonscription électorale, de contrôler
toutes les opérations de vote, de dépouillement des
bulletins et de décompte des voix, dans tous les
locaux où s’effectuent ces opérations. Il peut inscrire
au procès-verbal toutes observations ou contestations
sur le déroulement des opérations.

Les articles L82 et L88 prévoient la présence des


représentants des listes de candidats dans les bureaux de vote
et les commissions de centralisation. Le silence de l’arrêté du
08 novembre 2005 n’a aucun effet restrictif, l’arrêté ayant
une valeur juridique inférieure à celle de la loi organique
portant code électoral.

Ainsi donc, au plan institutionnel et à l’occasion des scrutins


du 18 décembre 2005, deux organismes ont été créés, dont
l’un (commission de recensement des votes) est prévu par le
code électoral, et l’autre (la CENA) ne l’est pas, et parce
qu’établi pour « distraire » l’opinion publique, pour faire
croire surtout aux partenaires au développement que les
consultations électorales sont organisées dans un cadre
consensuel. Voilà qui explique l’effacement de la CENA lors
des scrutins communal et communautaire de décembre 2005.
109

2- La paralysie fonctionnelle de la CENA

Le décret du 10 octobre 2005 a confié à la CENA des


missions étendues dont l’accomplissement effectif aurait
permis d’obtenir des résultats électoraux reflétant largement
les tendances du corps électoral. En effet, la CENA avait pour
attributions de :

Article 2 : La Commission Électorale Nationale Autonome


veille à la recherche et à la mise en œuvre des voies et
moyens permettant de parvenir à des élections régulières
dans la paix et la quiétude.

À ce titre elle :

] Participe à toutes les phases du processus électoral ;


] Conseille et assiste les autorités chargées d’organiser
les élections et contrôle la bonne exécution des
travaux relatifs aux opérations électorales ;
] Bénéficie du concours des services de
l’Administration et peut saisir en tant que de besoin,
les autorités administratives pour toutes mesures
nécessitant l’intervention des forces de l’ordre.

Article 8 : La Commission Électorale Nationale Autonome a


pour mission de :

] Superviser et contrôler le processus électoral et


l’ensemble des opérations s’y rapportant de la
révision des listes électorales jusqu’à la proclamation
des résultats ;
] Veiller à l’exécution correcte sur le terrain de toutes
les dispositions légales et réglementaires relatives au
processus électoral.
110

Elle veille en particulier à ce que les parties prenantes au


processus, notamment les partis politiques et l’administration,
soient en état d’exercer les obligations, droits et prérogatives
qui leur sont reconnus par la loi.

Les attributions ainsi définies pouvaient être assurées par


l’effet de la personnalité juridique et de l’autonomie
financière dont a été dotée la CENA par l’article 1er alinéa 2
du décret du 10 octobre 2005 147, à l’instar des établissements
publics de l’État. En tant qu’organisme indépendant du
Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation, la CENA devait pouvoir assumer ses
responsabilités. Tel n’a pas été le cas.

En premier lieu, le statut de la CENA comportait en lui une


cause de paralysie : il y avait en effet une contradiction à faire
d’une institution dotée de la personnalité juridique, le garant
moral d’une élection : la personnalité juridique, donc
l’autonomie juridique, implique un pouvoir de décision et de
sanction dont la seule limite réside dans le principe de la
spécialité. Par ailleurs, sa création par décret sans
modification de l’article L2 du code électoral confiant
l’organisation des élections au Ministère de l’Administration
du Territoire et de la Décentralisation remettait en cause son
indépendance souhaitée 148.
____________________
147 : Dans le projet de décret, il n’était pas prévu de conférer la
personnalité juridique à la CENA. La question se pose donc bien
du pourquoi de ce rajout dont le Ministère de l’Administration du
Territoire et de la Décentralisation a refusé d’assumer les
conséquences juridiques.
148 : Sur l’analyse de Kaké Makanéra Al Hassan soutenant la thèse de
l’indépendance de la CENA, analyse erronée au regard de l’article
L2 du code électoral, des faits et de la déclaration même du
Président de la CENA du 05 janvier 2006 (voir supra
renvoi 156), cf. le journal « Mutation » nº 04 du 06 avril 2006 p.3.
111

En second lieu, les circonstances de la création de la CENA


ne pouvaient lui permettre d’exercer toutes les attributions
qui lui étaient dévolues pour les élections communale et
communautaire du 18 décembre 2005. Créée pour participer à
toutes les phases du processus électoral, la CENA l’a été
après la révision des listes électorales effectuée sous la
conduite seule du Ministère de l’Administration du Territoire
et de la Décentralisation. Or, la révision de la liste électorale
est une phase très importante du processus électoral : elle
détermine la qualité d’électeur et le nombre d’inscrits aptes à
participer à la consultation électorale.

C’est ce que Jean-Philippe Immarigeon a exprimé dans des


formules bien à propos : « …Le seul lien entre les votants,
celui où le corps électoral est assemblé, est ce document
administratif que l’on appelle la liste électorale… La liste
électorale est la pierre angulaire de la démocratie et lui est
consubstantielle… La liste électorale est devenue le seul et
unique document établissant le droit d’un citoyen à voter. La
carte nationale d’identité, tout autre justificatif de votre
nationalité et même la présentation de la carte d’électeur
elle-même ne vous donneront aucun droit à participer au
scrutin si votre nom n’apparaît pas sur la liste électorale,
avec un numéro d’ordre dans un bureau de vote. Ne pas être
inscrit sur une liste électorale revient à ne pas être citoyen ; à
l’inverse, la suppression des droits civiques se matérialise
par la radiation de la liste électorale. Les conditions dans
lesquelles elle est établie n’en sont que plus déterminantes ».
Et l’auteur poursuit à propos du nombre des électeurs : « Ce
nombre est tout à la fois le dimensionnement de la
communauté de citoyens et la garantie que le vote
majoritaire exprimera la volonté générale en théorie » 149.
____________________

149 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude


électorale » op. cit. pp. 24 à 26.
112

C’est cette importance de la liste électorale que l’Union


Européenne avait bien perçu et qui avait fait dire à Hans
Dahlgren, représentant de la Présidence de l’Union
Européenne et chargé des questions de l’Union du fleuve
Mano au sujet de la Guinée, ce qui suit : « La révision des
listes électorales, les droits de l’opposition à participer à la
campagne électorale sont les conditions de participation de
l’Union Européenne aux législatives prochaines » 150, celles
du 30 juin 2002.

Aussi, la CENA ne pouvant assurer la couverture de tout le


processus électoral conduisant aux scrutins du 18 décembre
2005, elle ne pouvait en garantir la moralité. Un organisme
public doté de la personnalité juridique, procédant de la
décentralisation technique ou par services, ne peut déléguer
ses attributions à une structure de l’Administration centrale, à
savoir le Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation qui s’est chargé de la révision des listes
électorales en 2004 : selon les techniques normales de
l’organisation administrative, la structure administrative
centrale doit jouer le rôle d’autorité de tutelle et non être
délégataire des attributions de la structure décentralisée. La
situation n’a été que la conséquence administrative directe de
la création de la CENA par voie réglementaire et non par voie
législative en modifiant l’article L2 alinéa 1er du code
électoral, et cela postérieurement à la révision des listes
électorales. Le ministère ne pouvait ignorer la nécessité de
créer cette commission en prévision des échéances
communale et communautaire de 2005 dans la mesure où la
Guinée en a fait l’expérience en 1993, 1998 et 2002 et que le
mandat des conseils communaux élus en juin 2000 avait
expiré en juin 2004. Il ne serait pas exagéré de suspecter le
____________________

150 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 134 du 11 décembre 2001 p. 5.


113

Ministère de l’Administration du Territoire et de la


Décentralisation d’un acte délibéré consistant à assurer la
révision des listes électorales en dehors de tout contrôle
externe gênant : ainsi, la manipulation des listes est aisée,
comme il l’a été lors des scrutins du 18 décembre 2005 151.

En troisième lieu, la CENA n’a pu empêcher ou corriger les


violations flagrantes de la législation électorale. Deux
exemples suffisent à étayer cette carence de la CENA : les
modalités d’installation des bureaux de vote dans des lieux
devant être neutres et de distribution des cartes d’électeurs et
des attestations d’identification.

S’agissant de l’installation des bureaux de vote et des


inscriptions sur les listes électorales, la CENA a été saisie par
une lettre de l’UFR datée du 30 novembre 2005 et dans
laquelle ce Parti a dénoncé l’installation des bureaux de vote
dans les camps militaires et de gendarmerie mais aussi et
surtout dans deux sièges du PUP dans les quartiers
Kouléwondy et Almamya, dans la commune de Kaloum où le
PUP parti au pouvoir, présentait une liste de candidats.
L’UFR a aussi dénoncé la mise à disposition dans les
garnisons militaires des fiches d’émargement des électeurs
qui ne doivent être obligatoirement livrées que le jour du vote
en même temps que les urnes. À cela s’ajoutait
l’augmentation du nombre d’inscrits dans les bureaux de vote
dépendant des camps militaires, augmentation anormale par
rapport aux statistiques lors des consultations communales de
____________________

151 : Dans sa déclaration du 30 novembre 2005, Bâ Mamadou, Président


de l’UFDG, avait dénoncé l’impossibilité pour la CENA de
superviser la révision des listes électorales. Cf.
« L’observateur » nº 293 du 05 décembre 2005 p.3.
114

2000 ; à titre d’exemple, l’UFR a indiqué dans sa lettre que


sur 9.450 inscrits dans le quartier Sans-Fil, 5.289 l’étaient au
compte du camp Samory 152.

À ces irrégularités graves, la CENA n’a pas répondu en dépit


des dispositions très claires de l’article 9 du décret qui prévoit
qu’elle veille à la neutralité des fonctionnaires de
commandement et des services de maintien d’ordre et à
l’installation des bureaux de vote exclusivement dans des
lieux neutres, publics et d’accès facile ; son inaction est
attestée par les griefs contenus dans les réclamations de la
liste UFR présentées à la commission administrative de
recensement des votes à Kaloum 153.

L’indifférence « forcée » de la CENA s’est manifestée aussi à


l’égard de l’usage, irrégulier dans les communes, et abusif
dans toutes les circonscriptions électorales des attestations
d’identification et des procurations ; elle n’a pu assurer le
libre accès de tous les électeurs auxdites attestations et cartes
d’électeurs dans les quartiers et CRD. Tous ces faits qui
rentraient dans les attributions de la Commission électorale
(article 2, 8, 13 et 14 du décret de création) ont été relevés par
la mission d’observation nationale qui était sur le terrain avec
les membres de ladite commission et de ses démembrements.

En quatrième lieu, et en violation des articles 2, 8, 9 et 15 du


décret, la CENA a été exclue des opérations de recensement
des votes : elle n’a pu contrôler comme de règle ni la sécurité
de l’acheminement des procès-verbaux aux lieux de
centralisation des résultats, ni le déroulement de la
centralisation des résultats. Ce fait n’est que la conséquence
logique de l’arrêté du 08 novembre 2005 organisant les
____________________
152 : Cf. « Les échos » nº 99 du 16 au 23 décembre 2005 p. 4.
153 : Cf. « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2005 p. 6.
115

commissions administratives de recensement des votes ; il a


été vertement dénoncé par l’opposition 154.

Il a déjà été indiqué à ce sujet que, le 18 décembre 2005,


certains membres de la CENA n’ont pu même assister au
dépouillement des voix : il en a été ainsi à l’école primaire
Federico Mayor du quartier Sandervalia, dans la Commune
de Kaloum, deux membres de la CECA, représentation
communale de la CENA, n’ont pu assister au dépouillement,
l’accès étant interdit par la police, et ce malgré la présentation
de leur badge 155.

De ce qui précède, on déduit aisément que la CENA a servi


de « faire-valoir ». Le Président de l’institution, Docteur
Rachid Touré 156, ne dit pas le contraire : après avoir mis les
résultats électoraux du 18 décembre 2005 à l’avantage du
Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation et de ses collaborateurs, il déclare, le 05
janvier 2006, à l’occasion des vœux de nouvel an organisés
par la Commission : « La CENA avec ses 1391 éléments était
bien présente sur le terrain, dans tous les coins du pays. Et ils
ont fait leur travail. C’est parce qu’on était trop présents
partout qu’on ne nous a pas vus… Les résultats proclamés
par le Ministre sont ceux sortis des urnes » 157.
____________________

154 : Cf. la déclaration de Bâ Mamadou, Président de l’UFDG, lors d’un


meeting électoral le 15 décembre 2005 à Ratoma (Conakry) in « Le
lynx » nº 717 du 19 décembre 2005 p. 7.
155 : Cf. « Les échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 p. 7.
156 : À l’exception de la première commission de 1993 présidée par feu
Fofana Khalil, les commissions de 1998, 2002 et 2005 ont été
toutes présidées par Dr. Rachid Touré, présenté chaque fois au titre
de la société civile par la CODEM en 1998, par le PUP en 2002 et
par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation en 2005.
157 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p. 2.
116

La déclaration du Président de la CENA confirme que :

- d’abord le Ministère de l’Administration du Territoire


et de la Décentralisation est l’organisateur légal des
élections : c’est donc à dessein que, contrairement aux
recommandations des mémorandums des 15
septembre 2003 et 12 juillet 2005, la CENA a été
créée par un décret et non par une loi ;

- souffrant d’un handicap juridique résultant de son


statut, la commission n’a pu assurer les attributions à
elle dévolues par son décret de création ;

- ensuite, la commission n’a exercé aucun contrôle sur


les résultats publiés par le Ministre puisque ce sont
ceux sortis des urnes gérées par le Ministère : cela
signifie que si la commission avait pu jouer son rôle,
elle aurait, à partir des dépouillements dans les
bureaux de vote et lors de la centralisation des votes
devant les commissions administratives, procéder à
des corrections de résultats ;

- enfin, dire que les membres de la CENA n’ont pas été


vus parce qu’ils étaient trop présents sur le terrain
constitue un aveu manifeste : par un raisonnement a
contrario, le Président de la Commission confirme
l’ineffectivité de la présence des membres de son
institution sur le terrain, ce qui a été constaté par la
mission d’observation nationale.
117

Le discours du Président de la CENA était à l’image de la


déclaration « plate » faite par l’institution le 31 décembre
2005, laquelle a conclu en ces termes : « la commission
électorale nationale autonome déclare que le scrutin du 18
décembre 2005 s’est déroulé dans des conditions
globalement satisfaisantes » 158.

Dans une expression qui frise la pitié, le journaliste Azoca


BAH a décrit la marginalisation de la CENA dans la salle où
le Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation publiait les résultats : « Tout porte à croire
que la CENA récemment créée n’aurait pas été impliquée
dans la gestion des résultats officiels. Docteur Rachid Touré
est entré dans la salle discrètement. Il n’avait même pas reçu
le document récapitulatif des résultats définitifs. Lequel se
trouvait entre les mains des membres du Gouvernement
présents, le Président du CNC et certains cadres du Ministère
de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation.
Tout le long de la lecture des résultats par Kiridi Bangoura,
Docteur Rachid Touré prenait note » 159.

Pourtant la CENA est destinée à être permanente jusqu’en


2010, année de la prochaine élection présidentielle après les
législatives de 2007 et les communales et communautaires de
2009, si la durée des mandats est respectée. C’est ce qui
justifie l’allocation à la CENA, après le 18 décembre 2005,
de la somme de 500 millions de francs guinéens, qui servira,
selon son Président, à régler les dettes léguées par le Haut
Conseil aux Affaires Électorales de 1998 et le Conseil
National Électoral de 2002 pour 200 millions de francs, et à
couvrir les charges de fonctionnement de la CENA de 2005
jusqu’à la fin de l’année 2006 pour le reliquat de 300 millions
____________________
158 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p. 2.
159 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p. 11.
118

de francs guinéens. Dans une Guinée en crise aigüe, il est


difficile de comprendre l’opportunité d’un tel financement
public pour garantir la permanence d’une structure
administrative dont l’inutilité a été constatée. S’agissant
d’une institution « faire-valoir », un journal ne s’est pas
trompé en posant la question suivante : « 500 millions de
francs guinéens à la CENA : exécution budgétaire ou
corruption ? » 160.

III- L’organisation déroutante du contentieux des


élections communale et communautaire

D’une manière générale, et comme en France 161, diverses


juridictions, différentes par la nature de leurs attributions,
interviennent dans le règlement du contentieux des élections,
qu’il s’agisse de :

- la contestation des décisions des commissions


administratives d’inscription ou de radiation des listes
électorales (Tribunal de Première Instance ou Justice
de Paix en application des articles L16, L17, L18 et
L28 du code électoral) ;

- la régularité de la campagne électorale et de l’égalité


de traitement des candidats dans les médias publics
(Cour Suprême en sa chambre administrative et
constitutionnelle en application de l’article L62 du
code électoral) ;
____________________

160 : Cf. « Les échos » nº 102 du 20 février au 1er mars 2006 pp. 4 et 5.
161 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude
électorale » op. cit. pp. 109 et suiv. L’auteur montre qu’en France,
trois ordres de juridiction s’occupent des listes électorales : les
juges civil, pénal et administratif ; le juge de l’élection est le
Conseil d’État (municipales, régionales, européennes) ou le
Conseil Constitutionnel (législatives, présidentielles).
119

des comptes de campagne pour les élections


législatives et présidentielles (Cour Suprême en sa
chambre des comptes en vertu des articles L185,
L187 et L188 du code électoral) ;

- des infractions à la législation électorale (tribunal de


première instance ou justice de paix conformément
aux articles L189 à L212 du code électoral) ;

- du contentieux de l’éligibilité : le tribunal de première


instance et la justice de paix pour les communales et
les communautaires (article L109 du code électoral) et
la chambre administrative et constitutionnelle de la
Cour Suprême pour les législatives et les
présidentielles (article L163 du code électoral) ;

- du contentieux de l’élection : le tribunal de première


instance et la justice de paix pour les communautaires
(articles L110 à L112 du code électoral) et la chambre
administrative et constitutionnelle de la Cour Suprême
pour les communales, les législatives et les
présidentielles (article 30 de la loi fondamentale,
articles L110, L111, L153, L154, L173 du code
électoral et article 100 et 101 de la loi organique
n°L/91/008 du 23 décembre 1991 portant attributions,
organisation et fonctionnement de la Cour Suprême).

Dans les méandres de ce maquis judiciaire, l’électeur


contestataire d’une inscription ou d’une radiation sur la liste,
d’une éligibilité ou d’une élection trouvera difficilement sa
voie. Pourtant il est possible de simplifier l’organisation
juridictionnelle du contentieux électoral. Ainsi, tout
contentieux de la liste électorale resterait confié au Tribunal
de Première Instance et juge de Paix.
120

Quant au contentieux de la campagne électorale ou né à


l’occasion des candidatures (formalités de dépôt,
éligibilité…) et de l’élection proprement dite, compétence
serait dévolue à une seule juridiction.

L’idée a l’avantage d’uniformiser la jurisprudence électorale.


Mais elle implique une réforme juridictionnelle consistant,
soit dans la suppression de la Cour Suprême au profit de trois
à quatre hautes juridictions dont l’une serait chargée du
contentieux électoral, soit dans la restructuration de la Cour
Suprême actuelle avec la création d’une chambre
constitutionnelle distincte de la chambre administrative, avec
des compétences étendues.

En attendant, force est de constater qu’en l’état actuel de la


législation électorale, l’organisation des contentieux des
élections communale et communautaire crée une confusion
certaine dans l’esprit de l’électeur.

1- L’organisation confuse du contentieux des élections


communale et communautaire

Dans un pays où le droit a toujours été considéré comme un


épiphénomène, organiser différemment le règlement des
litiges liés à l’éligibilité et à l’élection est source de difficulté
dans la détermination des juridictions compétentes. Le
Comité Directeur de la Section RPG de Siguiri en a donné
une preuve.

Le 20 décembre 2005, la justice de paix de Siguiri a déclaré


irrecevable la requête dudit Comité Directeur contestant les
résultats électoraux dans les CRD de Kinièbakoura et de
Siguirinin et son incompétence pour l’élection dans la
commune de Siguiri. Après avoir saisi la Cour Suprême des
mêmes griefs, le Comité Directeur a adressé une nouvelle
121

réclamation au Président Lansana Conté par lettre du 26


janvier 2006 162.

1-1- L’unification au niveau du contentieux de l’éligibilité.

En application des articles L109 et L116 du code électoral


régissant le contentieux de l’éligibilité aux élections
communale et communautaire, tout rejet d’une liste de
candidats doit être motivé et notifié dans un délai de dix jours
francs à compter de la date de dépôt.

Le rejet peut faire l’objet d’un recours devant le Tribunal de


Première Instance ou la justice de paix, dans un délai de deux
jours francs à compter de la date de notification du Préfet.

La juridiction saisie statue dans un délai de cinq jours francs


et notifie immédiatement la décision aux parties intéressées et
au Préfet qui enregistre la liste de candidats, si telle est la
décision judiciaire, laquelle n’est susceptible d’aucune voie
de recours.

Par la simplification des procédures d’introduction des


instances contentieuses, le législateur a facilité aux citoyens
et aux partis politiques l’initiation des actions tendant à
protéger les droits à eux reconnus en matière électorale.
Cependant, la multiplication du nombre de juridictions à
saisir (10 Tribunaux de Première Instance et 26 Justices
Paix), crée un risque sérieux d’interprétation et d’application
différentes, voire fortement divergentes, du code électoral.

____________________

162 : Cf. « La nouvelle » nº 069 du 13 au 27 février 2006 p.4.


122

1-2- La distinction injustifiée au niveau du contentieux de


l’élection.

1-2- 1- Le contentieux de l’élection communautaire.

Sur le fondement des articles L91, L111 et L112, tout


candidat ou son représentant dûment habilité a le droit, dans
les limites de sa circonscription électorale, de contrôler toutes
les opérations de vote, de dépouillement de bulletins et de
décompte des voix, dans tous les locaux où s’effectuent ces
opérations. Il peut inscrire au procès-verbal du bureau de vote
toute observation ou contestation sur le déroulement des
opérations.

Le contentieux qui peut naître à l’occasion est soumis à


l’examen de la commission administrative sous-préfectorale
de vérification et de centralisation des résultats. Cette
commission qui statue conformément à l’article L110, rend sa
décision dans un délai de cinq jours à compter de la saisine,
sans frais de procédure, après simple avertissement donné à
toutes les parties intéressées.

La décision est susceptible de recours devant le Tribunal de


Première Instance ou la Justice de Paix qui statue aussi dans
un délai de cinq jours. Le jugement rendu, insusceptible de
toute voie de recours, est notifié aux parties intéressées et
transmis au Ministère de l’Administration du Territoire et de
la Décentralisation. En cas d’annulation, de nouvelles
élections sont organisées dans les soixante jours suivant la
décision d’annulation.

1-2-2- Le contentieux de l’élection communale.

Il est régi à la fois par le code électoral (article L110 et L111)


dans sa partie administrative, et par la loi organique du 23
123

décembre 1991 sur la Cour Suprême (article 101) dans sa


partie juridictionnelle.

En effet, la décision de la commission administrative de


centralisation de la commune peut être l’objet d’un pourvoi
devant la Cour Suprême, à l’initiative du Ministère de
l’Administration du Territoire et de la Décentralisation ou des
parties intéressées dans un délai d’un mois à compter de la
décision attaquée, sous peine d’irrecevabilité. Le pourvoi est
formé par simple requête enregistrée au greffe de la Cour
Suprême ; il est notifié, dans les deux jours qui suivent, par le
greffier à la partie adverse, par lettre recommandée avec
accusé de réception ou par voie administrative.

À partir de la notification, la partie adverse a un délai de


quinze jours pour produire son mémoire en défense au greffe
de la Cour Suprême. Passé ce délai, la Haute Juridiction porte
l’affaire à l’audience et statue sans frais.

La question se pose à la lumière de ce qui se passe devant la


Cour Suprême de la raison de l’exclusion du contentieux de
l’élection communautaire de la compétence de la Haute
Juridiction. Elle est d’autant pertinente que, conformément
aux articles R37 alinéa 2 et R44 du code électoral, les listes
de candidats sont présentées par des partis politiques 163
disposant de moyens humains et matériels leur permettant de
gérer une procédure devant la Cour Suprême.
____________________
163 : Ces dispositions de la partie réglementaire du code électoral
excluent en principe le dépôt de liste de candidats par des
personnes non investies par un parti politique. Si les articles L117
et L159 prescrivent que seuls les partis politiques peuvent déposer
des déclarations de candidature aux élections législatives et
présidentielles, les articles L104 à L107 applicables aux élections
communautaire et communale ne prévoient pas cette restriction.
Juridiquement, le décret d’application ne pouvait introduire une telle
124

À cette question, s’ajoute une autre interrogation : celle du


sens de l’article 100 de la loi organique sur la Cour Suprême.
Selon ce texte, dans les affaires relevant de la compétence du
Tribunal de Première Instance, le délai pour se pourvoir est
de dix jours, sous peine d’irrecevabilité. Le texte appelle
certaines observations.

Le fait de ne pas viser la justice de paix est-il le résultat d’un


oubli ou d’un acte délibéré ? Dans la seconde hypothèque,
l’exclusion n’a pas de sens dans la mesure où il a été exposé
plus haut que le Tribunal de Première Instance et la justice de
paix ont les même attributions en matière électorale
(contentieux de l’éligibilité pour les communautaires et les
communales et contentieux de l’élection pour les
communautaires).

La seconde observation concerne la nature du recours devant


la Cour Suprême. S’agit-il d’un pourvoi en cassation ? La
réponse est négative. Car, en excluant le contentieux de
l’élection des communales porté directement devant la Cour
Suprême après que la Commission administrative de
centralisation ait délibéré, dans les autres contentieux
(éligibilité des communautaires et communales et élection
des conseillers communautaires), les Tribunaux de Première
Instance et Justice de Paix se prononcent par des jugements
insusceptibles de toute voie de recours.
_________________________________________________
limitation, s’agissant d’une matière (garantie des libertés et de
droits fondamentaux et droits civiques) dans laquelle la loi fixe les
règles et non simplement les principaux fondamentaux (article 59 de
la loi fondamentale) : le gouvernement, par voie réglementaire, ne
pouvait donc ajouter de nouvelles conditions à celles prévues dans la
partie législative du code électoral.
125

Manifestement, l’article 100 de la loi organique sur la Cour


Suprême en ajoute à la confusion « organisée » autour du
contentieux des élections communautaire et communale, et ce
d’autant que, contrairement à l’article 101 de ladite loi
organique, il n’identifie ni les demandeurs, ni l’objet du
contentieux.

La seule hypothèse d’application de ce texte ne peut être que


le contentieux des listes électorales (inscription et radiation),
en application des articles L27 et L28 du code électoral : en
effet le code n’a pas expressément exclu un recours contre les
jugements rendus en la matière. Cela suppose cependant que
la saisine de la Cour Suprême soit étendue aux décisions
rendues par les Juges de Paix qui, dans leur ressort territorial
et dans cette matière, sont aussi compétents, que les
Tribunaux de Première Instance.

Les développements qui précèdent justifient amplement une


révision du code électoral, bien que ce ne soit pas le seul
domaine où le texte pose des problèmes. Après une
expérience établie depuis près de quinze ans, une adaptation
du code s’impose, la bonne qualité d’un texte ne suffit pas
toujours à garantir sa bonne application, surtout par des juges
dont l’indépendance n’est pas assurée.

2- La gestion « frileuse » du contentieux électoral dans les


juridictions.

Rappelant les juridictions concernées, il convient d’indiquer


la Cour Suprême et les Tribunaux de Première Instance et
Justices de Paix. Leurs attributions, organisation et
fonctionnement sont régis, d’une part, par la loi organique
n°L/91/008 du 23 décembre 1991 sur la Cour Suprême, et
d’autre part, par la loi n°L/95/021/CTRN du 06 juin 1995
126

portant réorganisation de la justice en République de Guinée,


modifiée par la loi n°L/98/014/AN du 16 juin 1998.

Quant au statut des magistrats de ces juridictions, il résulte


des lois organiques n°L/91/010 du 23 décembre 1991 portant
création du Conseil Supérieur de la magistrature et
n°L/91/011 du 23 décembre 1991 portant statut de la
magistrature. Des textes d’application ont été pris en 2005164 ;
il s’agit notamment des décrets :

- n° D/2005/09/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant


application de la loi organique sur le Conseil
Supérieur de la magistrature ;

- n° D/2005/010/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant


application de la loi organique sur le statut de la
magistrature ;

- nº D/2005/012/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant


création et fonctionnement de la Commission
d’avancement et de discipline des magistrats du
parquet et de l’administration centrale.

En attendant la mise en application des nouveaux textes, il est


regrettable de constater :

+ l’impunité qui gangrène le système judiciaire en


raison notamment de l’ineffectivité du
fonctionnement des instances disciplinaires ;
____________________
164 : Les réformes que nous avons initiées entre 1996 et 2000, ont été
arrêtées après notre départ du gouvernement ; reprises, améliorées
et complétées par le Ministre Mamadou Sylla dit Syma, à partir de
2003, elles ont abouti aux textes de 2005.
127

+ l’alignement des magistrats sur le régime général de


la fonction publique en matière de salaires 165, or, le
juge n’est pas un fonctionnaire ordinaire puisqu’il a
pour mission de dire ce qui est censé être la vérité
dans la société ; il doit être à l’abri des besoins
primaires, c’est la première condition de la lutte
contre sa corruption ;

+ le magistrat guinéen n’a pas de profil de carrière :


les avancements ne sont pas fonction du rendement
et les nominations aux postes des juridictions ne
tiennent pas compte des grades ; c’est la porte
ouverte à toutes sortes de pratiques peu amènes
auxquelles il est recouru pour obtenir des
promotions, c’est la cause première de la
servilité du magistrat guinéen, de sa subordination
aux autorités étatiques 166.

Telle est la condition du magistrat qui a la charge de régler le


contentieux électoral : il préside les commissions centrales de
recensement des votes pour le contentieux dans sa phase
administrative (article L88 du code électoral) ; il statue par
des décisions ayant autorité de la chose jugée dans la phase
juridictionnelle du contentieux.
____________________
165 : En 1998, sur les 87 magistrats (Cour Suprême exceptée) des Cours
et tribunaux de Conakry, seulement 6 avaient un salaire atteignant
300.000 francs guinéens alors qu’ils totalisaient chacun au moins
20 ans d’ancienneté. Par ailleurs, il n’est pas rare de voir des
juges les matins au bord des rues, attendant un taxi ou transport en
commun, en même temps que la population urbaine, pour se rendre
dans les juridictions.
166 : Même les Préfets et Gouverneurs de région n’hésitent pas à donner
des instructions au juge de leur ressort territorial. La fermeture en
2005 de la Justice de Paix de Dubréka par des gardes communaux
sur ordre du Préfet de la localité, acte resté impuni, est un exemple
éloquent.
128

Il n’est donc pas surprenant que le magistrat fasse preuve


d’une certaine frilosité, soucieux qu’il est plus de la
préservation de ses droits et surtout de son poste dans son
tribunal que de l’application correcte de la loi électorale, donc
de la régularité du vote 167.

La gestion judiciaire du contentieux dans la commune et les


CRD de Forécariah est symptomatique de cette « peur »
d’appliquer la loi : si le juge a eu le « courage » d’annuler les
rejets des listes UFR dans les CRD de Kaback et de Kakossa,
il a par contre confirmé le rejet des listes de ce Parti dans la
commune de Forécariah et dans la CRD de Maférinyah, ce
qui a permis de garantir le succès de la liste PUP, seule en
compétition dans la commune. Pourtant le motif du rejet de la
liste UFR aux communales fondé sur l’absence de résidence à
Forécariah de deux candidats de la liste ainsi qu’il résulte de
la requête introductive d’instance de l’UFR du 22 novembre
2005 était inexact. Quant à la CRD de Manférinyah, son
intérêt pour le pouvoir tient à ce qu’elle abrite les plantations
du Président Lansana Conté ; une usine de jus de fruits y a
fonctionné à la faveur des grandes plantations d’ananas. En
somme, l’objectif du pouvoir soutenu par l’appareil judiciaire
reste le contrôle des principaux centres urbains et des grosses
CRD, locomotives de leurs préfectures.

Le texte d’une lettre de notification est suffisamment


expressif de l’état d’esprit des juges. Il est en effet écrit dans
la lettre de notification nº 50/JP/FOR/2005 du 29 novembre
2005 du juge de paix de Forécariah le texte suivant : « J’ai
____________________

167 : C’est le lieu de rappeler la mésaventure du juge Sékou Kourouma


dit Castro en juin 2000 au lendemain de la prise de fonction de mon
successeur : menacé, il a été finalement relevé de ses fonctions de
juge de paix de Mafanco à Conakry pour avoir refusé d’exécuter
l’ordre d’invalider la liste UFR aux communales 2000 conduite par
Rougui Barry dans la commune de Matam..
129

l’honneur de vous notifier que suite à votre requête aux fins


d’annulation d’une décision de rejet de liste de candidature à
l’élection communale du 18 décembre 2005, mon tribunal
après examen, statuant en matière électorale a confirmé la
décision de rejet conformément aux dispositions des articles
L5, L104, L107 et L109 du code électoral ».

Cette expression appelle quelques observations :

- s’il est prescrit par l’article L109 alinéa 3 de notifier


la décision du tribunal aux parties intéressées et au
Préfet, il n’est pas obligatoire que la lettre de
notification soit signée du juge en personne, la
notification par le greffier en chef suffit ;

- la loi prescrit la notification de la décision intégrale et


non simplement de son dispositif : il est important
pour le requérant, mandataire de la liste, de connaître
les motifs de la décision de confirmation ou
d’infirmation de la décision préfectorale de rejet de la
liste ; tel n’est pas le cas dans l’exemple cité ;

- l’expression du juge participe de la personnalisation


des institutions publiques à tous les niveaux des
structures étatiques : le tribunal qu’il préside n’est pas
sa « chose » mais une institution de la République.

La peur qui hante le juge guinéen s’est manifestée même dans


les commissions administratives : la plupart des contestations
ont été rejetées quand bien même elles étaient motivées. Dans
la commune de Matam, la juge, présidente de la commission
administrative de recensement, a même refusé de recevoir la
130

plainte de la liste UFR, ce qui a provoqué une marche de


protestation des femmes UFR 168. Ce refus s’apparente à un
déni de justice condamné par l’article 10 du code civil
guinéen.

L’inquiétude face à ce phénomène est d’autant préoccupante


que la même subordination politique du juge guinéen
s’observe à la Cour Suprême, en sa chambre constitutionnelle
et administrative. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter
l’arrêt nº 07/CCA/CS du 11 novembre 2003 de la chambre
constitutionnelle et administrative de la Cour Suprême
arrêtant et publiant la liste des candidats à l’élection du
Président de la République le 21 décembre 2003. Cet arrêt a
déclaré irrecevable les candidatures de Mohamed Lamine
Soumah, Mamadou Telly Diallo, Ibrahima Condé, El Hadj
Oumar Sylla, Ismaël Condé et Charles Pascal Tolno et
recevables les candidatures de Mamadou Bhoye Barry et
Lansana Conté 169.

De cet arrêt, il résulte que le candidat Lansana Conté est né


en 1934 à Loumbaya (Dubréka) et qu’il a produit, entre
autres pièces :

- une copie du certificat en date du 12 mai 1959 du


bureau de recrutement national tenant lieu d’acte de
naissance ;

- un certificat médical en date du 04 novembre 2003


établi et délivré par une commission médicale du
CHU Ignace Deen, le déclarant apte à la candidature ;

____________________
168 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 341 du 27 décembre 2005 p.5.
169 : Cf. l’arrêt in « La nouvelle tribune » nº 234 du 18 novembre 2003
pp. 6-7.
131

un acte mise en disponibilité spéciale, de durée limitée et


renouvelable du Général Lansana Conté.

Avant de commenter les deux dernières pièces, il est curieux


de constater que le candidat Lansana Conté qui a pu faire un
extrait du bulletin nº 03 de son casier judiciaire, délivré par la
justice de paix de Dubréka, n’ait pas pu se faire établir par la
même juridiction un jugement supplétif tenant lieu d’acte de
naissance, en lieu et place du certificat du bureau de
recrutement national (militaire) daté du 12 mai 1959.

L’observation générale qui se dégage de l’arrêt de la Haute


Juridiction est celle d’une analyse superficielle conduite à
dessein.

En effet, s’agissant de l’état de santé des candidats à la


Présidence de la République, l’article L160 dispose que les
candidats doivent produire un certificat de visite et de contre-
visite datant de moins de trois mois. Ce type de document est
établi par deux médecins différents nommément identifiés,
l’un fait la visite et l’autre la contre-visite. Une interprétation
littérale et stricte de ce texte, aux termes très clairs, conduit à
dire que ne remplit pas cette condition le candidat qui,
comme Lansana Conté, produit un certificat établi par une
commission médicale dont les membres ne sont même pas
identifiés dans l’arrêt de la Cour Suprême. La Haute
Juridiction ne l’ignorait pas puisqu’elle a fait grief au
candidat Oumar Sylla de n’avoir pas versé son certificat de
visite et de contre-visite au dossier de la procédure.

En ce qui concerne la mise en disponibilité spéciale 170, force


est de constater que si en 1993, cette possibilité existait, le
____________________

170 : Conseiller Juridique à l’époque du PUP avec le bâtonnier Abdoul


Kabélé Camara, lors du contentieux électoral portant sur les
132

candidats Lansana Conté n’ayant pas encore atteint la limite


d’âge de 60 ans des officiers généraux 171, l’intéressé ne
pouvait plus bénéficier de ce statut en 1998 et 2003 : ou il
prenait sa retraite de l’armée pour être candidat, ou il était
inéligible du fait de son statut militaire. La Cour Suprême
s’est abstenue de faire cette analyse ; et pourtant, avant
l’élection présidentielle du 14 décembre 1998 à laquelle il
était candidat, le Président Lansana Conté a déclaré à la
presse : « J’ai l’âge de la retraite. Après la Présidence de la
République, je m’occuperai de mes affaires. Je n’ai aucun
problème dans ce domaine » 172.

Face à une analyse juridique aussi poussée, la Cour Suprême


aurait-elle pu déclarer irrecevable la candidature du Général
Lansana Conté ? 173. Cela relève de l’hypothèse d’école avec
cette Cour qui s’est évertuée à éliminer tous les candidats
_________________________________________________

candidatures, j’ai eu l’initiative du recours à ce statut prévu par les


textes, pour répondre à la contestation de la candidature de
Lansana Conté par les partis d’opposition : il s’agissait de
permettre à celui-ci d’être
candidat sans prendre sa retraite de l’Armée afin de conserver son
audience sur la grande muette. Et j’ai rédigé le projet de décret. Cf.
le décret nº 197/PRG/SGG/93 du 11 octobre 1993 portant mise en
disponibilité spéciale du Général Lansana Conté.
171 : Cf. l’ordonnance nº 042/PRG/SGG : 87 du 28 mai 1987 portant
statut général des officiers (article 60 à 62) et l’ordonnance
nº 070/PRG/SGG/90 du 25 juillet 1990 portant statut particulier
des officiers (article 17).
172 : Cf. « Jeune Afrique Économie » du 30 novembre au 13 décembre
1998 p. 108.
173 : Il faut par ailleurs, indiquer que la recevabilité de la candidature
du Président Lansana Conté en 2003 se posait à un autre niveau
que celui de la constitution du dossier. La révision constitutionnelle
du 11 novembre 2001 réalisée par référendum et qui a supprimé la
limitation à deux du nombre de mandats présidentiels, est
intervenue après la réélection du Président Lansana Conté le 14
décembre 1998 pour un second mandat ; il a donc été réélu sous
133

gênants en 2003. Ainsi, on peut lire, dans son arrêt, cette


expression caractérisée par un flou artistique avéré, à propos
du candidat Oumar Sylla : « Que la validité de l’extrait de
naissance et du certificat de nationalité de l’intéressé joints
audit dossier est fort contestable » 174.

Quand un dossier de candidature comporte des pièces, il


appartient à l’organe chargé du dossier de statuer sur la
validité des pièces produites : dans ce cas, ou celles-ci sont
régulières, ou elles ne le sont pas. Si l’appréciation de la
validité ressortit à la compétence d’un autre organe, celui qui
doit se prononcer sur la candidature doit surseoir à statuer
face à une question préjudicielle. La Cour Suprême ne
___________________________________________________________

l’empire de l’ancienne rédaction de l’article 24 de la loi


fondamentale : il était frappé en 2003 par la limitation du nombre
de mandats. Pour y échapper, il aurait fallu réviser la constitution
avant le 14 décembre 1998. La candidature de 2003 n’a été
politiquement possible que grâce au système de « parti dominant »
organisé au profit du PUP.
Sur un tout autre registre, Maître Bassirou Barry, ancien Ministre
de la Justice, avocat à la Cour, a stigmatisé « l’embrouillamini
juridique », selon ses termes, qui a présidé à l’élection
présidentielle de 2003 : la présentation du projet de révision
constitutionnelle n’a pas respecté la procédure de l’article 91 de la
constitution d’une part, et, la suppression du plafond d’âge de 70
ans dans la constitution n’a pas été suivie d’une modification de
l’article L157 du code électoral indiquant l’âge-plafond de 70 ans
au nombre des conditions d’éligibilité. Cf. « Aspects juridiques de
l’élection présidentielle à travers le code électoral guinéen » in
« L’enquêteur nº 24 du 02 au 17 avril 2003 p.10.
174 : L’expression rappelle celle de nationalité floue employée en 2000
par la Cour Suprême ivoirienne à propos de la nationalité
ivoirienne de l’ancien Premier Ministre Allassane Dramane
Ouattara, leader du RDR. Cf. arrêt n° E 0001-2000 du 06 octobre
2000 de ladite Cour Suprême.
134

pouvait dès lors déclarer les pièces contestables sans en


donner les motifs, alors qu’elle y attachait les effets de
l’irrégularité.

Le comble de l’inféodation politique de la chambre


constitutionnelle et administrative de la Cour Suprême sera
atteint au cours de la cérémonie de prestation de serment du
Président Lansana Conté, le 19 janvier 2004. Après avoir
reçu le serment de ce dernier, le Président de la Cour
Suprême, feu Alphonse Aboly, magistrat du siège de son état,
ne se contentera pas de donner acte au Procureur Général de
ses réquisitions, au Président Lansana Conté de son serment
et le renvoyer à l’exercice de ses fonctions ; il fera, dans un
discours dithyrambique, le bilan des réformes politiques et
économiques de l’élu depuis le coup d’État de 1984,
employant à l’occasion, à trois reprises, le mot « plébiscite »
pour qualifier l’élection présidentielle du 21 décembre 2003.

La formule n’était pas heureuse pour la circonstance, car un


régime plébiscitaire est un régime de personnalisation du
pouvoir 175 : fondateur du PUP, parti « majoritaire » à
l’Assemblée Nationale, le régime du Président Lansana Conté
est un régime de concentration des pouvoirs, du moins
jusqu’à la dégradation actuelle de son état de santé 176.

La condition juridique du magistrat guinéen pose le problème


plus général de l’indépendance de la justice. Celle-ci est-elle
assurée par une autorité judiciaire ou constitue-t-elle un
____________________
175 : Cf. Bernard Chantebout : « Droit constitutionnel et science
politique » 17ème éd., A. Colin, Paris 2000 pp. 436-437.
176 : L’état de santé actuel du Président Lansana Conté a conduit à une
diffusion du pouvoir entre des clans qui, par leurs luttes intestines,
paralysent l’appareil d’État.
135

pouvoir judiciaire ? Les constitutions guinéennes de 1958


(article 35) et de 1982 (article 82) traitaient de l’autorité
judiciaire ; la loi fondamentale de 1990, comme la plupart des
constitutions africaines de la génération 90 177, a retenu la
formule du pouvoir judiciaire, certainement pour marquer,
dans l’esprit démocratique, la séparation des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire. Mais organiser l’existence
formelle d’un pouvoir est une chose, en assurer le
fonctionnement effectif est une autre. Car, comme l’a écrit le
professeur Jean du Bois de Gaudusson, « une caractéristique
de la justice en Afrique découle beaucoup plus de l’écart
existant entre les principes juridiques et leur application que
de l’originalité de ses principes. Le passé africain n’a guère
préparé les États, ni les gouvernants, devenus indépendants,
au principe de la séparation des pouvoirs ». 178.

La parenté, voire la filiation culturelle, liant le régime du


président Lansana Conté à celui du président Sékou Touré 179
____________________

177 : Cf. la constitution camerounaise révisée du 18 janvier 1996 (article


37), la constitution révisée du Burkina-Faso de 1997 (article 124),
la constitution béninoise de 1990 (article 125), la constitution
ivoirienne de 2000 (article 101) et la constitution sénégalaise de
2001 (articles 88 et 91), encore que dans le cas du Sénégal, la
formule du pouvoir judiciaire a été constamment consacrée depuis
la constitution de mars 1963 ainsi que l’exprimait à l’époque le
Président Léopold Sédar Senghor : « À l'heure où l'on commence à
insinuer que les trois pouvoirs ne sont en réalité que deux, le
pouvoir judiciaire n’étant qu’une autorité, nous restons
profondément fidèles à notre attachement au triptyque
traditionnel. » in Jean du Bois de Gaudusson : « Le statut de
la justice dans les États d’Afrique francophone » in Afrique
contemporaine nº 156 (spécial), 1990 p. 8.
178 : Cf. Jean du Bois de Gaudusson : « Le statut de la justice dans les
États d’Afrique francophone » op. cit. pp. 7-9.
179 : Dans une interview donnée au magazine « Construire l’Afrique »
(n° 22 mars-mai 1995 p.), feu Sénaïnon Béanzin,idéologue, ministre
136

donne toute son actualité à la circulaire du 02 juillet 1963


élaborée par ce dernier. Il y était écrit : « Tout en obéissant
aux techniques particulières, il est bon de rappeler que le
service de la justice ne constitue pas une chose à part, que les
magistrats ne constituent pas un corps indépendant des
autres organes de l’État… Il est également nécessaire de
rappeler aux magistrats que pour harmoniser divers aspects
d’une justice sociale, ils doivent informer avant jugement les
responsables (politiques et administratives) de toute
poursuite susceptible en raison des circonstances d’avoir une
répercussion fâcheuse sur le climat politique ou l’opinion
publique » 180.

Ainsi une conclusion simple s’impose : la subordination


politique de la justice guinéenne contribue largement à
pérenniser le phénomène de la technique électorale ; or,
« l’existence d’un appareil judiciaire performant et
indépendant du pouvoir exécutif comme du parlement est…
___________________________________________________________

dans les différents gouvernements de Sékou Touré jusqu’à sa mort


en 1984, donne un éclairage en parlant, entre autres, des
acteurs du coup d’État du 03 avril 1984 : « … Lansana Conté
n’était pas dans le coup.
Il avait même envoyé des émissaires pour nous conseiller de donner
suite aux revendications des militaires afin qu’ils n’aient aucun
prétexte pour bouger. Je pense que Lansana Conté ne voulait pas
du coup. Il n’en voulait pas parce que c’est Sékou Touré qui a fait
de lui un homme. Il était simple tirailleur dans l’Armée française en
Afrique du Nord… ». Maligui Soumah porte la même appréciation :
« Lansana Conté, colonel de Sékou Touré devenu Général de
brigade, est le prototype du produit du PDG (…), il a été formé dans
la mouvance de ce parti et conserve encore les réflexes d’un
militant chevronné de ce Parti-Etat » in « Guinée : de Sékou Touré
à Lansana Conté » L’Harmattan, Paris 2004 p. 103.
180 : Citée par Jean du Bois de Gaudusson, op. cit. p. 8.
137

un enjeu essentiel pour l’institutionnalisation du vote comme


pour sa portée démocratique » 181.

____________________
181 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse multidimensionnelle
du processus électoral africain. Historicité, comparaison et
institutionnalisation » in « Voter en Afrique : comparaisons et
différenciations », op.cit.p.64.
139

Chapitre III
Des enseignements des scrutins
du 18 décembre 2005.
Les élections communale et communautaire sont des
élections de proximité. Inscrites dans le cadre de la
décentralisation territoriale, elles sont appelées à mobiliser le
maximum de citoyens dans la mesure où elles leur offrent
l’occasion de choisir les représentants devant prendre en
charge la gestion de leur vie locale ; le nombre de
circonscriptions électorales (341) en est l’illustration parfaite.
Les scrutins du 18 décembre 2005 n’ont cependant pas
provoqué l’engouement attendu. Les causes de la faible
participation des populations peuvent se rattacher
généralement à la technologie électorale, mais des raisons
plus spécifiques doivent être recherchées et analysées.

Par ailleurs, les consultations de 2005 ont produit des effets


indéniables sur les partis politiques :

d’abord par les modes de scrutin utilisés pour les résultats, le


mode de candidature étant, dans les deux cas, celui du scrutin
de liste : ce sera l’occasion de vérifier, en l’espèce, les
conséquences du scrutin de liste majoritaire ou proportionnel
généralement dégagées en droit constitutionnel ;

puis par les résultats officiels proclamés : la diffusion de ces


résultats a créé une onde de choc dans les partis d’opposition,
plus enclins aujourd’hui à parler d’unité d’action, au-delà de
leurs divergences, face à un pouvoir pour lequel le vernis
démocratique de son régime est de la poudre jetée aux yeux
de l’opinion internationale. Ce que feu Siradiou Diallo, leader
de l’UPR décédé en 2004, traduisait, le 06 septembre 2003, à
RFI dans cette phrase : « Nous sommes convaincus qu’il
140

(Lansana Conté) n’acceptera jamais de faire des élections


régulières » 182. El Hadj Boubacar Biro Diallo, Président de
l’Assemblée Nationale de 1995 à 2002, exprimera, en 2003,
la même idée dans une formule plus élevée : « L’alternance
n’aura jamais lieu par les urnes tant que le Président
Lansana Conté est là » 183.

Enfin, il importera de conduire la réflexion à un niveau plus


politique pour s’interroger sur la signification réelle des
scrutins de 2005 devant les commentaires, analyses et
constats divergents des acteurs du processus électoral : il
n’est pas sans intérêt de poser la question de savoir s’il y a eu
élection le 18 décembre 2005. En effet, la question mérite
réflexion au regard des normes de valeur universelle que
véhicule la démocratie politique : il est communément admis
que le vote doit être libre, secret et sincère 184, ce dernier
caractère étant destiné à préserver le vote des fraudes et
autres manœuvres qui ont pour effet de dénaturer l’expression
de l’électeur.
____________________
182 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 224 du 09 septembre 2003 p.7.
183 : Cf. « L’enquêteur » nº 39 du 30 octobre au 13 novembre 2003 p.5.
184 : Cf. Jean Gicquel : « Droit constitutionnel et institutions
politiques » op. cit. pp. 175 à 177. Dans une formule similaire,
Patrick Quantin posait la question « de savoir si l'on est autorisé à
donner le même nom à des choses aussi différentes que les élections
qui se déroulent sur ce continent (africain) et à celles qui fondent la
légitimité des vieilles démocraties occidentales ». Cf. : « Voter en
Afrique : quels paradigmes pour quelles comparaisons ? » in
« Voter en Afrique : comparaisons et différenciations » op. cit.
p.11.
141

I- La faible participation des électeurs.

Dans un système d’élections disputées, la liberté de vote « se


manifeste non seulement par la préférence accordée à un
candidat parmi ceux qui se présentent, mais aussi par la
faculté de mettre un bulletin blanc dans l’urne ou même de ne
pas participer à l’élection… Le droit ainsi reconnu à un
citoyen de ne pas prendre part au scrutin signifie, non
seulement qu’il lui est permis de marquer de l’éloignement
pour la chose politique, mais aussi de manifester son
désaccord sur les bases fondamentales de la société » 185.

La non-participation, synonyme d’abstention, est donc un


acte hautement politique dans une élection locale, car si on
peut la comprendre dans une élection nationale (Président de
la République, Assemblée Nationale), elle se justifie moins
dans une élection communale ou communautaire qui trouve
son intérêt dans la participation des habitants de la localité
concernée à la gestion des affaires locales, et dans le cas de la
Guinée, cette participation se réalise d'abord par l’élection
des conseils communaux et des conseils communautaires. La
participation enregistrée dans ces conditions en 2005 exprime
un désaveu des populations vis-à-vis du processus électoral186.

1- L’exposé et l’analyse des taux de participation.

Selon les statistiques officielles, sur 5.013.446 électeurs


inscrits, seuls 58,15 % ont voté 187 : ce taux, calculé au niveau
national, est faible pour la raison politique évoquée ci-dessus.
____________________
185 : Cf. Jean Gicquel, op.cit.p.175.
186 : Cf. l’interview de Sidya Touré, leader de l’UFR in « La lance »
nº 471 du 04 janvier 2006 p.8.
187 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p. 11.
142

Toutefois, il est variable selon les régions comme le montrent


les tableaux ci-dessous établis à partir des résultats publiés
dans la presse concernant les élections communales 188.

Taux de participation par région administrative

Conakry Boké Kindia Labé Mamou Faranah Kankan N’Zérékoré


35,92 % 50,58 % 67,73% 54,93% 54,63 % 38,51 % 39,38 % 37,16 %
NB : le taux de Conakry est le taux moyen des 5 communes.

Taux de participation des chefs-lieux de région administrative

Conakry Boké Kindia Labé Mamou Faranah Kankan N’Zérékoré


35,92 % 50,05% 40,16% 32,97 % 45,47 % 33,77 % 25,88 % 26,63 %

La région de Conakry exceptée, le premier tableau donne les


taux moyens de 59,15 % pour la Basse-Guinée (Boké-
Kindia), 54,78 % pour la Moyenne-Guinée (Labé-Mamou),
38,94 % pour la Haute-Guinée (Kankan-Faranah), 37,16 %
pou la Guinée Forestière (N’Zérékoré).

Ces taux de participation mis en rapport avec les voix


obtenues par les partis politiques, confirment l’ancrage
régional du RPG en Haute-Guinée où, malgré toutes les
méthodes de fraude utilisées, le parti a pu arracher les deux
chefs-lieux de région (Kankan et Faranah) et la commune de
Kouroussa 189. Il en est de même de l’UPR et l’UFDG en
Moyenne-Guinée où leurs mauvais résultats, en termes de
communes obtenues, s’expliquent par l’effet du scrutin de
liste majoritaire et les rivalités qui ont sous-tendu la
____________________

188 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 pp. 6 à 9.


189 : Par l’élection de Baba Alimou Barry comme maire de Faranah, le
RPG a voulu prouver qu’il n’est pas un parti régional ou à
caractère ethnique. Cf. « L’indépendant » nº 671 du 23 février
2006.
143

mobilisation de leurs militants, en dépit d’un taux de


participation atteignant la moyenne. Cette rivalité reproduit
l’opposition qui a existé entre l’UNR et le PRP avant leur
fusion qui a donné naissance à l’UPR 190.

La Basse-Guinée est la seule région naturelle ayant un taux


moyen proche de 60 %. C’est une région traditionnellement
favorable au pouvoir en place, sa composition socio-ethnique
étant un atout majeur. Il faut cependant noter que le succès
électoral enregistré par le PUP dans la région tient en
particulier au rejet d’un nombre important de listes UFR, à
l’image de ce qui s’est produit en région forestière.

En Guinée forestière (la préfecture de Kissidougou étant


rattachée à la région administrative de Faranah), autre base
traditionnelle du pouvoir, on a enregistré le taux de
participation le plus faible, avec 37,16 %. Fut-elle locale, le
caractère politique de toute élection disputée par les partis
politiques explique qu’il y a eu là l’expression d’une
désaffection des populations de cette région. Il est à rappeler
que, le 18 décembre 2005, il n’y avait pas de listes
indépendantes ; conformément à la législation en vigueur,
toutes les listes de candidats devaient être investies par des
partis politiques. Dès lors, dans une région durement
éprouvée par les conséquences des guerres civiles au Liberia
et en Siérra-Léone, pays limitrophes, mal desservie en voies
de communication routière, mal servie dans le budget

____________________
190 : Il fallait s’y attendre avec l’adhésion de Bâ Mamadou, ancien
Président fondateur de l’UNR et ancien Président d’honneur de
l’UPR, à l’UFDG dont il assume à présent la présidence. Aux
communales à Mamou, l’UPR et l’UFDG ont obtenu
respectivement 5.565 et 6.118 voix ; à Pita, les chiffres sont de
2.312 et 2.581 voix.
144

national d’investissement, sans grand projet industriel 191 et


représentée dans les sphères de l’État par une élite composée
principalement de fonctionnaires préoccupés par la
préservation de leur poste, de leur situation de rente, le taux
de participation ne pouvait qu’être faible : dans la conscience
collective régionale, voter pour la liste PUP aux communale
et communautaire, c’est voter pour le régime en place
soutenu par le PUP. Ici encore, comme en Basse-Guinée, le
succès de ce Parti s’explique par la conjugaison de deux
facteurs : la technologie électorale 192 et le rejet de la plupart
des listes dirigées par l’UFR.
____________________

191 : En 2004, la région ne bénéficiait que de 3 % du budget national


d’investissement contre 23 % dans le gouvernorat de Conakry,
11,6 % en Guinée Maritime hors Conakry, 10,73 % en Haute
Guinée et 1,82 % en Moyenne Guinée (Cf. « La nouvelle tribune »
nº 246 de 2004, « L’enquêteur » nº 47 de 2004 et « La lance » nº
375
de 2004). La société Soguipah de Diecké (Yomou) a toujours
préféré les plantations industrielles de palmier au lieu des
plantations villageoises : son impact sur le niveau de vie de la
population est nul. La Société Forêt-Forte détenant le monopole de
l’exploitation forestière dans la zone et dont la ratification du
contrat a été obtenue au forceps à l’Assemblée Nationale (les
députés UPR ayant quitté l’hémicycle en guise de protestation),
s’attaque actuellement aux dernières réserves forestières.
Cf. la lettre ouverte du 06 avril 2006 adressée au Président de
l‘Assemblée Nationale par la Commission d’organisation de la
Concertation Nationale des Forces Vives de mars 2006 (in
« Le populaire » nº 81 du 18 avril 2006 p. 6.) et dans laquelle cette
structure a dénoncé les méthodes utilisées par le Président du
Parlement pour faire ratifier la convention entre l’État et la société
Forêt Forte. Charles Pascal Tolno, Président du PPG, originaire
de la Guinée forestière, a accusé, dans une interview, le Président
de l’Assemblée Nationale d’avoir « pris la tête de la destruction du
patrimoine forestier » in « La lance » nº 487 du 26 avril 2006 p. 8.
192 : Seule la victoire du PUP aux communales de N’Zérékoré a été
indiscutable en raison de la personnalité du maire sortant, Cécé
Loua, qui conduisait la liste : c’est un homme de consensus
145

accepté par les citoyens de la commune, toutes tendances politiques


Quant à la région de Conakry composée des cinq communes
de Conakry, sa situation est similaire à celle des chefs-lieux
de région dont les taux de participation sont inscrits dans le
second tableau.

À l’exception de Boké, chef-lieu d’une région bénéficiaire


d’importants investissements miniers (zones industrielles de
Sangarédi et Kamsar pour la CBG, projet sidérurgique de
Global Alumina en voie d’exécution), toutes les autres
principales villes de la Guinée, y compris la capitale
Conakry, ont des taux de participation oscillant entre 25,88 %
et 45,47 % : leurs populations durement frappées par la crise
économique du pays, ont préféré s’abstenir plutôt que de
cautionner une opération électorale dont l’issue était certaine,
la victoire du PUP. La paupérisation très avancée dans les
zones urbaines explique le taux d’abstention élevé. La grève
générale déclenchée le 27 février 2006 par l’inter-syndicale
CNTG-USTG et qui a paralysé toute l’administration
publique et entraîné la fermeture de tous les magasins et
commerces, transformant la capitale en ville morte, traduit le
ras-le-bol des populations face à leur misère quotidienne.

2- Les raisons de la faible participation des électeurs.

La faible participation électorale enregistrée le 18 décembre


2005 est le résultat de l’effet conjugué de facteurs qui
tiennent tant au pouvoir en place qu’aux partis engagés dans
la compétition : les urnes ont été boudées par manque de
_________________________________________________

confondues et dont l’audience dépasse les limites du territoire


communal. Le taux de participation aurait été plus élevé si
l’intéressé avait été en tête de liste d’un autre parti : en effet, pour
105.610 électeurs inscrits, la commune n’a enregistré que 28.121
votants, soit un taux de participation de 26,63 %.
146

confiance dans les résultats ou par défaut d’impact du


discours électoral sur l’électorat qui, parfois, ne se
reconnaissait pas dans la liste présentée.

2-1- Le manque de confiance dans les résultats électoraux.

Les communale et communautaire du 18 décembre 2005


n’ont pas drainé du monde dans les bureaux de vote : pour
beaucoup d’électeurs, les résultats étaient connus d’avance, la
victoire du PUP. L’électeur Pépé Soropogui de N’Zérékoré
l’a déclaré sans ambages à l’envoyé de l’hebdomadaire « Le
lynx » : « Tant que c’est ce régime qui organise des
élections, je ne voterai pas. Le résultat est d’avance connu.
C’est le PUP qui va gagner. Alors pourquoi se fatiguer ?
Aucun membre de ma famille n’a voté » 193. Et André Loua,
dans le district de Pamporé (CRD de Koulé) de renchérir :
« Voter ou pas, le résultat est le même. C’est le PUP qui va
gagner. Je préfère aller travailler dans mon champ » 194.

Un autre électeur rapporté par le journal « La nouvelle


tribune » abonde dans le même sens : « Pratiquement depuis
que j’ai atteint l’âge de la majorité, je n’ai jamais voté, parce
que dans le passé, selon mes propres constats, les résultats
d’une élection dans notre pays n’ont guère reflété la réalité
des urnes. Donc, il vaut mieux laisser les militants du PUP
voter entre eux et prendre toutes les communes » 195.

Les constatations faites par les électeurs le jour du vote ont


accru leur méfiance dans la sincérité des scrutins. Ainsi à la
question de savoir pourquoi que dans la CRD de Koulé
(Préfecture de N’Zérékoré), il n’y avait que deux partis en
____________________

193-194 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p. 15.


147

195 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 340 du 30 décembre 2005 p. 3.


lice, Badé Sakouvogui, président de bureau de vote, répond :
« L’autorité nous a dit qu’il n’y a que le PUP et l’UPG. Les
autres sont écartés, je ne sais pas pourquoi » 196. C’est dans
ce sens qu’il faut, par exemple, interpréter le faible taux de
participation à Macenta (33,47 % : la liste UFR-RPG aux
communales a été rejetée au profit d’un autre parti
d’opposition, l’ANP, dont l’audience limitée ne gênait
nullement le PUP en roue libre (13.604 pour le PUP et 1.441
pour l’ANP).

À une autre question relative au fait que deux bureaux de


vote de ladite localité portent le même nº 5, Roger Piantoni,
président de l’un des bureaux, déclare : « Nous ne savons pas
comment cela est arrivé. Allez voir l’autorité » 197.

De ces déclarations, il se dégage aisément que, d’une part les


militants des partis écartés ne se sont pas rendus aux urnes,
et, d’autre part, que les électeurs ne retrouvant pas leurs
bureaux de vote, ont préféré tranquillement retourner à
domicile. En cette période de misère rampante, tout est motif
à éloignement de la chose politique. La mission d’observation
nationale a ainsi relevé dans son rapport définitif de janvier
2006 que le mauvais découpage des bureaux de vote et la
non-conformité des numéros des bureaux inscrits sur les
cartes d’électeurs et ceux inscrits sur les listes électorales ont
causé des désagréments au sein des votants qui étaient
obligés de faire des kilomètres à pied dans le but de retrouver
les bureaux de vote correspondants ; elle a affirmé que ces
cas ont été observés à N’Zérékoré et Faranah, certainement
pas les seuls cas observables.
____________________
196 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.15.
197 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.15.
148

2-2- La composition sociologique des listes de candidats.

Une réalité demeure encore vivace en Afrique : l’influence de


l’origine ethnique ou régionale du candidat à une élection sur
l’électorat considéré. Elle est un élément déterminant de la
composition de toute liste de candidats et son importance
grandit à mesure de l’éloignement de la capitale. Deux
exemples peuvent servir d’illustration.

À Kissidougou, le RPG, très influent, dans la zone, n’a pu


mobiliser tous ses militants aux communales compte tenu de
la composition de sa liste : sur 25 candidats, il ne figurait
qu’un seul Kissien, peu représentatif. C’était une erreur
politique à ne pas commettre dans une localité peuplée dans
des proportions semblables de Kissiens et de Malinkés. En
effet, dans la conscience des populations de l’intérieur du
pays, il n’existe pas de territoire communal ; le maire,
lorsqu’il est autochtone, est considéré comme ayant autorité
sur l’ensemble du territoire préfectoral, lequel est placé
administrativement sous la direction d’un fonctionnaire de
l’État, le plus souvent originaire d’une autre région du pays,
donc d’une autre ethnie. Il n’est donc pas rare de voir les
habitants des Sous-Préfectures venir soumettre leurs
problèmes au maire au lieu de s’adresser au Sous-Préfet ou au
Préfet. Le résultat à Kissidougou a été clair : 4.442 voix pour
le PUP contre 3.854 pour le RPG, le taux de participation
étant de 20,25 %.

À Guéckédou, au cœur de la Guinée Forestière, la liste de 25


candidats du PUP ne comportait que 10 Kissiens, un Toma,
un Kpellè et un Lélé, soit 13 candidats originaires de la
région. Le résultat a été une participation très faible :
13,99 %. La population Kissi s’est consolée de ces 13 sièges
en raison de la tête de liste Fara Robert Millimono. Mais
l’élection d’un allogène, Touré Mory, comme maire, a
149

provoqué, les 20 et 21 février 2006, des manifestations


violentes qui ont fait deux morts et des dégâts matériels
importants 198, obligeant à l’annulation ladite élection 199. Car,
il ne faut pas l’oublier, si la tête de liste n’est pas de droit le
maire, celui-ci devant être élu au second degré par les
conseillers communaux, elle l’est politiquement dans l’esprit
des électeurs, et ce d’autant que sa personnalité contribue
largement à l’échec ou au succès de la liste.

2-3- L’inadaptation du discours électoral.

Elle découlait d’un défaut de maîtrise par les acteurs


politiques de la campagne électorale de la nature réelle d’une
élection locale : outre qu’il s’agit d’une consultation
populaire très personnalisée, les débats d’une élection
communale ou communautaire portent sur les conditions de
vie concrètes des populations, sur leur environnement, la
résolution des problèmes sanitaires et scolaires, sur les
questions de pistes rurales, sur l’aménagement des quartiers
dans les villes avec les marchés, les espaces verts et les
terrains de sport, sur l’organisation de la jeunesse et des
transports publics (taxis), la gestion des domaines ruraux, sur
les questions de sécurité, sur la solidarité entre les habitants
avec les possibilités de jumelage, sur la création de petites
activités porteuses d’emplois pour les jeunes. Toutes
questions qui rentrent dans les attributions des conseils
communaux et des conseils communautaires en applications
des ordonnances nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril 1990
(communes) et nº 092/PRG/SGG/90 du 22 octobre 1990
(CRD).
____________________

198 : Cf. « L’indépendant nº 671 du 23 février 2006 p.3.


199 : L’élection qui a été reprise, a conduit à l’élection d’un autochtone
Kissien, Jacques Sâa Léno, au poste maire.
150

Fort curieusement, et de la part de tous les animateurs


politiques de la campagne électorale, ce sont des discours
désaxés, déconnectés du contexte, qui ont été tenus, du
genre : « il n’y a pas de courant électrique, d’eau, de
téléphone ». Comme si une commune ou une CRD en Guinée
avaient les moyens de tels investissements.

À défaut de programme à présenter, l’attention a porté sur le


passé de certaines têtes de liste, surtout quand elles ont
assumé des fonctions politiques antérieureurement. La tête de
liste PUP à Dinguiraye Commune a même pu tenir ces
propos : « Le Chef de l’État a donné à chacun de nous ce
qu’il y a de plus précieux au monde, la paix » 200. Comme s’il
faisait campagne au cours d’une élection nationale. Cette
déclaration explique la représentation sur les affiches et les
tee-shirts de l’effigie du Président Lansana Conté pour le
PUP et de celle des leaders politiques pour les autres partis
présentant des listes de candidats.

La déclaration post-électorale du PDG-RDA datée du 17


janvier 2006 201 est une illustration parfaite de l’inadaptation
du discours électoral. En guise de critique des élections du 18
décembre 2005, ce parti évoque juste « l’excès de zèle de
certains administrateurs et policiers locaux » et attribue le
taux d’abstention élevé « à l’état de pauvreté générale que
subit douloureusement l’écrasante majorité des Guinéennes
et des Guinéens et qui ne fait que s’aggraver de jour en jour
par la faute d’une minorité des enfants de ce pays chargée de
sa gestion administrative et économique avec pour tactique
de se maintenir à tout prix à des postes stratégiques afin de
mieux se servir et desservir le pays et son peuple ». Le PDG-
____________________

200 : Cf. « L’observateur » nº 295 du 26 décembre 2005 p.9.


201 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 345 du 24 janvier 2006 p.3.
151

RDA accompagne son constat d’une énumération des faits


qui traduisent la condition de vie très difficile des
populations : pénurie d’eau potable et d’électricité, chute
libre du pouvoir d’achat avec la flambée incontrôlée des prix
de toutes les denrées de première nécessité, manque notoire
de moyens de transport en commun, corruption
institutionnalisée, chômage chronique des personnes valides,
difficultés d’accès aux soins de santé et aux médicaments de
première nécessité. Il ne s’agit véritablement pas d’une
déclaration que peut faire un parti politique qui a participé et
qui a été battu à l’élection communale, dans les deux
communes, Mandiana (avec 223 voix) et Faranah (avec 808
voix) où il a présenté une liste de candidats.

Dans une élection locale, le concept d’électeur rationnel ou


d’électeur stratège acquiert tout son sens, qui cherche à tirer
le maximum d’utilité de son vote, c’est-à-dire à « obtenir de
son vote une incidence optimale sur ses conditions concrètes
d’existence », car, outre le choix des représentants, la
participation populaire a pour effet, en légitimant les
gouvernants, de faciliter l’exercice de leur pouvoir 202. Le
parti politique qui ne l’a pas compris court tout droit à la
défaite électorale.

II- Les effets des scrutins sur les partis politiques.

Ils doivent s’apprécier à deux niveaux : d’abord au niveau de


modes de scrutin utilisés pour les résultats, qui diffèrent selon
les deux scrutins organisés le 18 décembre 2005 ; puis au
niveau de la réaction provoquée chez les partis d’opposition
par les résultats officiels publiés, l’ampleur de la technologie
____________________

202 : Cf. Philippe Braud : « Sociologie politique » op. cit. pp. 214 et 384.
152

électorale organisée délibérément par le pouvoir ne pouvait


qu’obliger les leaders politiques à sortir de leur torpeur, à
revoir, pour certains, leur collaboration politique avec le
régime.

1- Les effets découlant des modes de scrutin.

Dans sa rédaction initiale, le code électoral, en ses articles


L102 et L113, avait prévu l’élection des conseils communaux
et conseils communautaires au scrutin de liste proportionnel à
un tour. En 1995, une modification de l’article L113 a
introduit le scrutin de liste majoritaire à un tour pour les
conseils communaux.

Ce changement de mode de scrutin pour les communales


résulte des constats faits au cours de la réunion des
gouverneurs, préfets et maires organisée par le Ministère de
l’Intérieur et de la Sécurité à Conakry les 30 et 31 janvier et
les 1er et 2 février 1995. Dans le procès-verbal, il est
mentionné notamment :

« Les faiblesses constatées dans le fonctionnement des


communes de la ville de Conakry et de ses quartiers,
faiblesses dues essentiellement :

- au contexte socio-politique difficile ;


- à la mésentente au sein des conseils communaux ;
- à l’insuffisance et à la mauvaise gestion des
ressources financières, au manque de constance dans
l’encadrement et le suivi des collectivités par la
tutelle » 203.
____________________

203 : Cité par Alhassane Condé : « La décentralisation en Guinée. Une


expérience réussie », op. cit. p. 246.
153

Ces constats étaient-ils de nature à motiver un changement de


mode de scrutin ? La question est d’autant pertinente qu’il
fallait apprécier les difficultés de fonctionnement des
communes en 1995, notamment sur le plan politique, à l’aune
du contexte de leur élection en 1991. À l’époque les conseils
communaux avaient été élus dans un cadre non-concurrentiel
où les questions de personne, en particulier la personnalité du
maire, comptaient beaucoup plus que le programme de
développement communal ; or, avec l’avènement du
multipartisme en 1992, les conseillers communaux se sont
opposés par leur choix politique.

Modifier le mode de scrutin dans ces conditions en mai, à


moins de deux du renouvellement des conseils communaux,
en juin 1995, ne s’expliquait pas. Il aurait fallu organiser le
renouvellement sur la base du scrutin de liste à la
proportionnelle et suivre l’expérience de fonctionnement des
conseils avant d’en tirer les conséquences, d’autant que le
système proportionnel est le mode qui doit permettre la
participation effective des différentes sensibilités politiques à
la gestion des affaires locales. L’observation est confortée par
le fait que, parallèlement, le scrutin proportionnel a été
maintenu pour l’élection communautaire, comme si en milieu
rural, l’individu était politiquement plus sage, plus allergique
aux débats politiques, donc aux contradictions.

1-1- L’injustice du scrutin majoritaire à un tour.

Ce mode de scrutin attribue la totalité des sièges du conseil


communal à la liste qui a obtenu la majorité simple des voix,
c’est-à-dire le plus de suffrages exprimés.

Le système a le mérite de la simplicité puisqu’il permet de


dégager une majorité politique, il a l’inconvénient d’exclure
les autres partis de l’organe délibérant à élire ; il est surtout
154

brutal et peut conduire à l’élection d’une liste minoritaire


dans l’opinion 204. Le tableau ci-dessous illustre suffisamment
la critique.

Liste PUP Total listes concurrentes


Kissidougou 4.442 5.378 (UPR+RPG+UFR)
Labé 8.973 10.413 (UPR+UNPG)
Pita 2.634 4.893 (UPR+UFDG)
Mamou 9.735 11.683 (UPR+UFDG)

Le tableau établit avec netteté le caractère minoritaire de la


représentativité de la liste PUP, pourtant élue, un fait que
Baniré Diallo, membre du BPN du PUP et Président du
groupe parlementaire de ce parti, reconnaissait implicitement
quand il déclarait à la presse que si l’opposition avait su taire
ses divergences, son parti aurait perdu l’élection dans ces
quatre communes 205. Les effets négatifs du mode de scrutin
sont aggravés par les conflits de personnes au sein des
conseils élus lors de la désignation des maires au second tour
du suffrage. Les oppositions ont été particulièrement vives au
sein du PUP. À N’Zérékoré, on a enregistré cinq candidats du
Conseil Communal PUP au poste de maire ; des maires élus
ont été contestés à Dixinn, à Gueckédou. À Siguiri, l’après
victoire du parti au pouvoir sera difficile à gérer en raison de
la bataille féroce qui a eu lieu autour du poste de maire 206.

Du fait de ces luttes de personnes, rien ne garantit donc la


cohésion, le bon fonctionnement futur des conseils
communaux. Il y a là une illustration des limites de l’effet
____________________
204 : Cf. Pierre Pactet : « Institutions politiques et droit constitutionnel »
22ème éd., A. Colin. Paris 2003 pp. 99 et suiv.
205 : Cf. « la nouvelle tribune » nº 473 du 18 janvier 2006 p. 9.
206 : Sur la situation à Siguiri, lire « Le lynx » nº 723 du 30 janvier 2006
p. 12.
155

positif attribué au scrutin majoritaire, à savoir la constitution


d’une majorité politique homogène dans les organes
délibérants, évitant « l’instabilité » ou « l’immobilisme dans
l’incohérence », selon les expressions de Michel Debré 207.

C’est l’injustice du mode de scrutin majoritaire qui, combinée


avec la technologie électorale décrite précédemment dans ses
différentes formes, a conduit à la sur-représentation du PUP
dans les communes, ainsi qu’il résulte des statistiques ci-
après :

Nombre de communes obtenues par parti

Nombre de communes En pourcentage du total des communes


PUP 31 81,58 %
RPG 3 7,89 %
UPR 2 5,26 %
UFR 1 2,63 %
UFDG 1 2,63 %

L’écart est trop grand pour traduire l’expression sincère des


électeurs des communes pour l’observateur averti de la scène
politique guinéenne. À titre d’exemples, nul ne peut contester
l’audience de l’UFR dans les communes de Boké, Kaloum,
Macenta ou Matam ; dans le même sens, la « défaite » de
l’UPR au profit du PUP dans toutes les communes de la
Moyenne-Guinée a de quoi surprendre, les crises qui ont
affecté la cohésion de ce parti ne peuvent être la seule
explication. La victoire du PUP sur le RPG est tout aussi
surréaliste dans les communes de Siguiri, Kérouané et
Mandiana.
____________________

207 : Cité par Claude Leclercq : « Droit constitutionnel et institutions


politiques » 5ème éd., Litec, Paris, 1987 p.189.
156

Aussi, dans l’esprit de la participation qui sous-tend la


décentralisation territoriale, un retour au scrutin de liste
proportionnel est souhaitable.

1-2- L’effet participatif dévoyé du scrutin proportionnel.

Appliqué à l’élection des conseils communautaires, le 18


décembre 2005, il a donné des résultats allant dans le sens de
la participation politique élargie dans les CRD où le pouvoir a
toléré au moins trois listes, et ce en dépit de la fraude
organisée.

Résultats dans quelques CRD

Partis PUP OPPOSITION


CRD UPR UFR RPG UFDG
Gueasso 5 2 0
Kolabounyi 5 1 8 1
Guendenbou 4 3 2
Sangarédi 6 5 4
Kiniéran 4 1 4
Brouwaltapé 3 1 3
Timbo 3 3 1
Yendè 7 1 1
Millimou
Karfamoriah 3 1 5
Senko 6 2 3
Nabou 2 1 4
Samaya 9 0 0 0
Gougoudjè 6 1 0
Sinta 5 2 2
Parawo 6 1 2
Tokounou 2 1 6
157

Ainsi, dans le système proportionnel, obtiennent des sièges


non pas seulement les listes de candidats qui ont obtenu le
plus de voix, mais la quasi-totalité des listes de candidats en
concurrence, et ce en proportion des voix acquises lors du
vote : l’objectif est d’aboutir à la représentation d’une large
majorité de courants politiques, majoritaires et minoritaires208.
Et dans cette logique, la majorité peut revenir à n’importe
quel parti : le tableau a ainsi montré que, dans certaines CRD,
le PUP a été mis en minorité, même si dans ce cas, le PUP a
été parfois imposé à la Présidence du Conseil
communautaire.

Par la représentation large de l’opinion, le scrutin


proportionnel, qualifié de plus juste et plus démocratique,
repose sur la participation c’est-à-dire sur l’idée qu’ « aucun
ne doit être, a priori, éliminé du processus décisionnel :
l’objectif est moins de rechercher les mécanismes les plus
efficaces à la prise de décision, que de déterminer les moyens
de rendre celle-ci possible par l’association des acteurs
impliqués plutôt qu’une césure majorité-minorité, qui donne
à la majorité et à elle seule le droit de décider (même si c’est
dans le respect des droits de la minorité), la participation
organise ou tente d’organiser des relations
consensuelles »209. Ainsi, au-delà de la reconnaissance du
couple majorité-minorité, donc du respect de la minorité, le
système proportionnel recherche la collaboration de la
majorité avec la minorité 210.
____________________

208 : Cf. Claude Leclercq : « Droit constitutionnel institutions


politiques » op.cit.p.182.
209 : Cf. Yves Mény et Marc Sadoun : « Conception de la représentation
et représentation proportionnelle » in Revue Pouvoirs 1985 nº 32 p.12.
210 : Claude Leclercq : « Le principe de la majorité » A. Colin. Paris
1971 pp. 74 et suiv.
158

Il y a là une condition sine qua non de la démocratie locale


qui n’a pas pour moteur essentiel des idéologies politiques
opposées : c’est le cadre de gestion des problèmes de la vie
quotidienne des habitants d’une localité (commune) ou d’un
espace territorial de dimension très réduite et dans lequel
priment les relations humaines fondées sur les lignages
(CRD).

En considération des éléments ci-dessus, seule la technologie


électorale, notamment dans ses formes antérieures au vote qui
ont permis aux listes PUP d’être seules en lice dans 115 CRD
sur les 303, a permis de dévoyer le sens de la représentation
attendue du système proportionnel lors du scrutin
communautaire du 18 décembre 2005, ainsi qu’il ressort du
nombre de CRD contrôlées par les partis politiques, nombre
figurant dans le tableau ci-dessous. Par ailleurs, les
pourcentages doivent être analysés en tenant compte de ce
que sur les 303 CRD, le PUP a obtenu 126 CRD sur les 188
où il y a eu effectivement compétition.

Nombre de CRD En pourcentage du total des CRD (303)


PUP 241 79,54 %
RPG 35 11,55 %
UPR 19 06,27 %
UFR 1 0,33 %
UPG 1 0,33 %
ANP 1 0,33 %

NB. Ces chiffres ne tiennent pas compte de cinq CRD non attribuées à un parti : la
composition du Conseil Communautaire y est marquée par la mise en minorité du PUP par
l’UPR et l’UFR (CRD de Sangaredi), par le RPG et l’UFR (CRD de Kiniéran et
Guendenbou) et par l’UPR et l’UFDG (CRD de Brouwaltapé et Timbo : les pourcentages
sont donc calculés par rapport à 98, 35 % des CRD.

Le fait est d’autant regrettable que suite à la décision de


l’UPR de suspendre sa participation aux travaux de
l’Assemblée Nationale, en réaction aux résultats des élections
locales de 2005, le Président de ladite Assemblée a déclaré
159

dans la presse : « Vous savez que l’Assemblée peut


fonctionner sans l’UPR. Nous avons la majorité requise pour
cela. Mais pour la crédibilité des débats de notre session et
pour la crédibilité même du gouvernement, il est souhaitable
que l’UPR soit présente à cette session. Parce que s’il n’y a
pas d’opposition, il n’y a pas d’objectivité a priori. Même si
ce n’est pas le cas, mais a priori, on suppose qu’il y aurait une
sorte de monologue et l’Assemblée devient une caisse à
résonance » 211.

Au-delà de la représentation déformée de l’opinion par le jeu


de la technologie électorale, le système proportionnel a
produit, lors du scrutin communautaire du 18 décembre 2005,
un effet pervers, fort limité toutefois ; il a permis à la liste
UPR comprenant uniquement des candidats originaires de la
Moyenne-Guinée (9 sur 9) d’avoir un siège dans la CRD de
Yendè-Millimou (Préfecture de Kissidougou) : la répartition
des sièges y a été de 7 sièges pour le PUP, un pour le RPG et
un pour l’UPR. Par déduction, il apparaît que, s’il était
nécessaire en 1995 de modifier le mode de scrutin en optant
pour le scrutin majoritaire, la révision était plus justifiée dans
les CRD où la composition socio-ethnique de la population
est beaucoup plus homogène que dans les communes
urbaines. Mais l’esprit de la décentralisation territoriale ne
plaide pas en faveur d’un tel changement puisque avec le
temps et l’évolution des mentalités, le brassage des
populations finira par réduire l’effet politique négatif du
phénomène observé à Yendè-Millimou, voire supprimer le
phénomène lui-même.
____________________

211 : Cf. interview in « L’enquêteur » nº 98 du 02 au 16 février 2006 p.6.


160

2- Les réactions des partis d’opposition découlant des


résultats électoraux officiels.

Elles ont été observées à trois niveaux. La publication des


résultats officiels a d’abord provoqué une décision
inattendue, celle de l’UPR de suspendre sa participation aux
travaux de l’Assemblée Nationale et de la CENA ; ensuite, un
mouvement tendant au regroupement des partis d’opposition
au-delà du FRAD s’est fait jour. Enfin, une action soutenue
par la base se dessine en faveur de retrouvailles de trois partis
opérant à partir de la Moyenne-Guinée, l’UPR, l’UFDG et
l’UNPG.

2-1- La suspension de la participation de l’UPR aux


travaux de l’Assemblée Nationale et de la CENA.

Suite à la publication des résultats officiels des scrutins du 18


décembre 2005, l’UPR a décidé, le 04 janvier 2006, de
suspendre sa participation aux travaux et autres activités de
l’Assemblée Nationale et de la CENA.

Pour comprendre le sens de la décision et sa portée politique,


il importe de rappeler que depuis le scrutin communal du 25
juin 2000, l’UPR gérait cinq communes (Dalaba, Koundara,
Labé, Mali et Pita), toutes situées dans sa zone d’influence
politique habituelle, le Foutah ou Moyenne-Guinée. En 2002,
elle a été avec l’UPG, le principal parti d’opposition ayant
accepté de participer au scrutin législatif du 30 juin de cette
année, elle en est sortie avec 20 sièges à l’Assemblée
Nationale. Et le fait que l’UPR ait siégé au Parlement depuis
2002, à l’opposé de l’UPG qui a refusé d’occuper les trois
sièges qui lui avaient été octroyés, a donné à l’Assemblée
Nationale un label de représentativité du peuple guinéen.
161

En 2005, la technologie électorale a fait perdre à l’UPR au


profit du PUP toutes ses communes de la Moyenne-Guinée ;
le parti se retrouve avec deux communes (Télimélé et Fria)
qu’elle n’a gagnées qu’avec le soutien des autres partis
d’opposition aux deux listes communes dirigées par elle. Ce
qui a fait dire, dans une réaction indignée, à Diallo Bah
Assiatou, Vice-Présidente de l’UPR (veuve de Siradiou
Diallo), après avoir rappelé que l’opposition n’a que 7
communes sur 38 : « c’est un peu comme un jeu d’enfants,
lorsque deux enfants jouent aux billes, si l’un s’accapare de
toutes les billes, le jeu ne peut pas continuer. Pour que le jeu
continue, il est indispensable qu’il restitue certaines… Notre
acte signifie que nous sommes acculés et la balle est dans
leur camp. On ne peut pas être victime et bourreau à la fois…
Chaque fois qu’on leur fait confiance, ils nous roulent dans
la farine… Notre objectif est de jouer le jeu
démocratique »212.

Avec le retrait de l’UPR, l’Assemblée Nationale s’est


retrouvée être un Parlement monocolore avec un seul groupe
parlementaire, le groupe PUP/PAA. Aussi la décision a
suscité des réactions diverses.

À la CENA où l’UPR a trois représentants, Yamoussa Cissé,


Secrétaire de ladite Commission, ne comprend pas la
décision, invoquant l’indépendance et l’impartialité des
membres de l’institution : « une fois qu’ils ont prêté serment,
il n’y a plus de représentants de la société civile, de
l’administration, ni de partis politiques. Nous formons un
groupe » 213.
____________________

212 : Cf. son interview in « L’indépendant » nº 670 du 16 février 2006


p.3.
213 : Sur la déclaration de Yamoussa Cissé de la CENA, lire
« L’indépendant » nº 665 du 12 janvier 2006 p. 3.
162

La réaction du Ministère de l’Administration du Territoire et


de la Décentralisation par son Secrétaire Général, El Hadj
Amadou Biro Diallo, est plus énergique : « Si ce n’est pas
pour des positions politiques que je comprends parfaitement,
je ne vois pas en quoi les élections locales du 18 décembre
2005 peuvent amener quelqu'un à quitter l’Assemblée
Nationale qu’il a intégrée depuis 2002. Je ne vois pas les
relations entre les deux élections » 214.
Quant au PUP, après avoir réagi, avec ironie et mépris, il a
adopté un ton plus conciliant, et même délibérément plus
élogieux pour l’UPR.
En effet, selon Baniré Diallo, membre du BPN du PUP et
Président du groupe parlementaire PUP/PAA, la décision de
l’UPR est contraire à la démarche légale et n’a aucune
effectivité : « Nous considérons qu’ils sont au stade de
l’intention. Ils connaissent la démarche légale qui consiste à
écrire officiellement au Président de l’Assemblée Nationale.
Mais ils ne l’ont pas fait, ils continuent à venir au bureau
travailler. S’ils étaient déterminés, ils auraient fermé leur
bureau et remis la clef au Président de l’Assemblée… Cela
peut avoir des conséquences, mais cette décision peut avoir
beaucoup plus de conséquences pour eux » 215.
La décision a été mise à exécution malgré les multiples
démarches et autres tractations politiques. Par la voix de El
Hadj Aboubacar Somparé, Président de l’Assemblée
____________________

214 : Sur la réaction du Ministère de l’Administration du Territoire et de


la Décentralisation, lire « L’indépendant nº 665 du 12 janvier 2006
p.3 ; le journal « Solidarité » nº 10 du 02 février 2006 p.3.
215 : Cf. « L’indépendant » nº 665 du 12 janvier 2006 p.3. Selon certains
opposants à la décision, l’UPR perdait ses 2 sièges au Parlement
de la CEDEAO. Pire, sur 300 employés au Parlement, 150 seraient
de l’UPR, mais l’argument a été démenti.
163

Nationale, ancien Secrétaire Général du Parti, le 08 février


2006, à l’ouverture de la session parlementaire sur le budget,
le PUP a dû adopter un ton plus sage, faisant appel à l’esprit
de dialogue imprimé à l’UPR par son premier Président, feu
Siradiou Diallo, qui a fait l’objet d’un hommage appuyé. À
l’occasion, le Président Somparé a notamment déclaré : « S’il
n’existe pas d’élection parfaite dans l’absolu, la contestation
politique est aussi un droit. Nous sommes en face d’une
constante aussi vieille que le monde : toute société politique
s’organise autour du couple autorité-contestation. Dans toutes
les sociétés, des plus archaïques aux sociétés technétroniques,
l’établissement et le maintien du pouvoir implique toujours,
quelles que soient ses formes, l’inégalité de privilège. Il
existe toujours une inégalité entre gouvernants et gouvernés
et, par conséquent, privilège au bénéfice des premiers qui
alimente ce que l’on appelle, dans une perspective
d’anthropologie politique, la contestation. Mais toutefois, la
contestation ne doit pas être un phénomène de blocage, mais
plutôt créateur de tension positive permettant le progrès… Au
nom de tous les députés, je prie instamment l’UPR de
reprendre sa place dans ce forum de discussion qu’est
l’Assemblée Nationale, les différentes sensibilités doivent
continuer de collaborer, ce n’est pas seulement la paix entre
vainqueur et vaincus d'hier : c’est l’alliance pour le consensus
et le progrès…L’UPR a offert à des moments historiques et
particulièrement sensibles au monde l’image d’une Guinée
consensuelle, d’une classe politique nationale d’accord sur
l’essentiel pour le bonheur de son peuple. Leçon bien sublime
que la postérité retiendra d’elle. La dignité de cette attitude
constante a su répondre à la majorité du peuple guinéen. À
plusieurs occasions, vous avez donné une grande leçon à
l’administration et à toutes les formations politiques et un
exemple utile à l’affermissement de la paix… » Et le
Président Somparé de conclure en ces termes, à l’adresse des
responsables et militants UPR : « Vous avez jusque-là mené
164

des contestations purement politiques et dans l’esprit de la


morale républicaine. Nous voulons maintenant qu’ensemble,
en tant qu’élus, nous créions le cadre d’un dialogue objectif,
humain et fraternel… Votre attitude conditionnera fortement
l’avenir immédiat de notre pays » 216.

L’analyse sémantique du discours de El Hadj Aboubacar


Somparé appelle au moins quatre observations majeures.

En déclarant, dans le contexte électoral guinéen marqué par


une volonté réelle du pouvoir de ne pas organiser des scrutins
transparents, qu’il n’existe pas d’élection parfaite, le
Président Somparé légitime la technologie électorale. Il
rappelle le discours du Président Lansana Conté, le 13
septembre 2003, à la convention du PUP qui venait de le
désigner comme candidat à l’élection présidentielle du 21
décembre 2003. Parlant des États occidentaux qui envoient
des Guinéens pour perturber la quiétude politique de leur
pays, le Président Conté s’est exprimé en ces termes : « Ils
ont fait des élections chez eux. Nous savons que ces élections
n’ont pas été transparentes. Nous, nous faisons tout pour que
tout le monde s’exprime. Mais puisque, ce n’est pas leurs
agents qui ont gagné, ils critiquent toujours les
Gouvernements qui ne se soumettent pas à leurs lois. Moi, je
ne me soumettrai à personne. Je suis rebelle. Celui qui peut
s’entendre avec la Guinée, la condition est qu’on nous laisse
tranquilles décider de notre sort. Celui qui veut nous aider sur
ce qu’on a décidé, il est libre. Celui qui ne veut pas ne
____________________
216 : Lire le texte du discours in « Le populaire » nº 75 du 13 février
2006
p. 5 et « L’indépendant » nº 670 du 16 février 2006 p. 3. Et des
extraits in « Le lynx » nº 725 du 13 février 2006 p. 5.
165

pas nous aider, qu’il n’essaie pas de nous aider, qu’il n’essaie
pas de nous mettre les bâtons dans les roues. Ça ne marchera
pas »217.

Dans un point de presse fait le 1er décembre 2005 et faisant


écho au Président Lansana Conté, le Secrétaire Général du
PUP, Sékou Konaté, lancera, en prémonition de la fraude
électorale généralisée qui allait avoir lieu le 18 décembre
2005 : « Soyez sûrs que pour la Communauté internationale
une élection n’est crédible que si l’opposition gagne » 218.

Le Président Lansana Conté se référait certainement à la


première élection du Président américain, Georges W. Bush
Junior, en l’an 2000, après les problèmes de décompte des
voix dans l’État de Floride. Une interprétation erronée reprise
bien souvent par nombre de dignitaires du régime guinéen,
car s’il y a eu des blocages exposés publiquement, lesquels
blocages résultaient des difficultés du décompte, c’est bien
parce que l’élection présidentielle était transparente aux USA.
Par ailleurs, l’interprétation procède d’une manière négative
de se définir, de se comporter : ce n’est pas parce qu’un État a
organisé des élections jugées irrégulières qu’il faut l’imiter ;
le mimétisme, positif ou négatif, n’est-il pas en soi une
atteinte à la souveraineté si chère aux dirigeants guinéens ?

La seconde observation est relative au privilège qui par


nature s’attacherait à la position des gouvernants face à celle
des gouvernés : le privilège justifierait les violations de la loi
et autres abus d’autorité commis par les gouvernants aux
dépens des gouvernés. Tenir un tel discours ne signifie rien
d’autre que soutenir le refus de l’alternance politique. Cela
est d’autant évident chez le Président Somparé qu’il situe sa
____________________
217 : Cf. « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 p. 4.
218 : Cf. « L’enquêteur » nº 94 du 08 au 22 décembre 2005 p. 3.
166

réflexion dans l’évolution anthropologique des peuples, des


sociétés archaïques aux sociétés des nouvelles technologies
actuelles, une évolution qui serait marquée par la permanence
des privilèges des gouvernants et son corollaire, la
contestation. En d’autres termes, il y a des groupes sociaux
qui ont vocation naturellement au commandement et d’autres
qui n’aspirent qu’à être commandés.

En cela, le Président Somparé s’appuie sur l’idée que la


contestation de ces derniers ne doit pas être source de blocage
mais de tension positive permettant, selon lui, le progrès.
Comment ne peut-il pas y avoir blocage quand l’humiliation
politique est portée à son comble, comme c’est le cas de
l’UPR après le 18 décembre 2005, un parti traité hier de
« parti-collaborateur », aujourd’hui payé en monnaie de
singe 219 ? Face à cette situation, l’observateur politique est
____________________

219 : Le journaliste Abou Bakar, envoyé spécial de l’hebdomadaire « La


lance » explique les circonstances de la défaite de l’UPR aux
communales à Labé (8.788 voix) face au PUP (8973 voix), l’UNPG
ayant obtenu 1625 voix : « Aux environs de 3 heures du matin, à la
préfecture, les responsables de la centralisation recherchaient
partout le président du bureau de vote nº 2. Il est introuvable. Ni
chez lui, ni ailleurs. Une délégation constituée d’un journaliste,
d’un observateur, d’un membre de la CECA et d’un agent de
sécurité a fait le tour de la ville. Un inconnu, soi-disant délégué de
l’UPR dans ce bureau de vote ne s’est pas présenté au
dépouillement. À mi-chemin, il a remis sa fiche des résultats à un
tiers qui l’a déposée. Cette fiche est favorable au PUP. La
délégation citée ci-haut est allée ouvrir le bureau de vote nº 2 de
Hooré Saala, pour comparer les chiffres. Les chiffres portés au
tableau noir ne correspondaient pas à ceux de la fiche déposée à la
centralisation. Confusion. Le Président du bureau de vote et
l’auteur de la fiche fictive demeurent introuvables. L’UPR ne se
souvient pas du nom de son délégué dans ce bureau. Voilà
désormais trois inconnues. En dépit de tout, le PUP est sacré
victorieux. L’UPR a porté plainte devant le tribunal de Labé ». Cf.
« La lance » nº 469 du 21 décembre 2005 p.11.
167

interloqué d’entendre le Président de l’Assemblée Nationale


parler de jugement équitable, « celui qui tient compte des
revendications et des intérêts, le plus souvent contradictoires,
des différents partenaires sociaux ».

La troisième observation concerne la demande à faite l’UPR


« de tirer le rideau sur les évènements incriminés dont il
serait trop difficile en ce moment particulier d’apprécier
correctement toutes les circonstances au moyen d’éléments
probants ».

Comment le Président Somparé a-t-il pu demander à l’UPR


de rejoindre l’hémicycle dès lors qu’il a douté de la véracité
des faits à l’origine de la décision de boycott de l’UPR ? Est-
ce le temps qui, selon lui, est à prendre en considération en
politique, qui établira la vérité et rétablira l’UPR dans ses
droits ? Dans l’intervalle, ce Parti continuera d’avaler des
couleuvres, celles du pouvoir et de son parti, le PUP.

Enfin, parlant de « dialogue objectif, humain et fraternel »


dont le cadre doit être créé par eux, les élus députés, le
Président de l’Assemblée Nationale laisse perplexe. En effet,
l’Assemblée Nationale est composée pour plus des deux tiers
de ses membres de députés issus du PUP. Le 15 septembre
2003 et le 12 juillet 2005, ce parti a signé avec d’autres partis,
en conclusion d’un dialogue suscité par le pouvoir lui-même,
des mémorandums qui n’ont pas connu une application
effective face au refus manifeste du gouvernement du
Président Lansana Conté. Dans ces conditions, quel serait
l’impact ou la finalité d’un dialogue au sein d’une assemblée
qui n’a aucune influence sur le Gouvernement et
l’administration publique ?

Le Président Somparé ne déclarait-il pas lui-même, le 27


septembre 2004, à l’ouverture de la session budgétaire 2005
168

de l’Assemblée Nationale : « Je n’ai pas le sentiment que


nous nous acquittons suffisamment et avec détermination de
notre devoir de censure qui, pourtant, est de première
importance dans notre mission » 220. La proposition sent
l’odeur de l’appât politique.

En décidant dans ces conditions de reprendre sa place dans


l’hémicycle, le 05 avril 2006, l’UPR s’y est laissée
certainement prendre. En tout cas, sa crédibilité, et même sa
survie après le Président Lansana Conté risquent d’en
dépendre. Car le motif de la décision tenant au refus de
l’aventurisme politique à un moment où le pays traverse une
période particulièrement préoccupante et difficile, selon les
termes du discours de Bah Ousmane, Président du parti, est
en contradiction avec les conclusions du rapport politique de
la concertation nationale des forces vives à laquelle l’UPR a
participé en mars 2006 221.

Cette décision de l’UPR a restauré la distinction entre


opposition modérée, proche du pouvoir, et opposition
radicale. Du coup, la différenciation entre majorité
présidentielle et opposition devient un exercice laborieux.
Dans le même sens, et au cas où les partis du FRAD
décidaient de siéger à la CENA, la répartition de 14 sièges, à
égalité, entre la majorité présidentielle et l’opposition poserait
problème au regard du classement de l’UPR ?

____________________

220 : Cf. discours d’ouverture in « La nouvelle tribune » n° 280 du 05


octobre 2004 p.4.
221 : Cf. texte du discours in « L’enquêteur » n° 103 du 13 au 27 avril
2006 pp. 5 et 6.
169

2-2- La relance de l’esprit unitaire au sein de l’opposition.

Dans une conférence de presse tenue le 29 octobre 2005, le


FRAD a décidé de sa participation aux communale et
communautaire du 18 décembre 2005. Son porte-parole
d’alors, Jean-Marie Doré, leader de l’UPG, s’en est expliqué :
« Aucune de nos conditions, pour la tenue d’une élection
transparente et crédible, n’a été prise en compte. Mais nous
irons aux élections pour apporter les preuves de la fraude, à
ces bailleurs, auxquels nous sommes attentifs, puisque c’est
leurs fonds engagés et détournés par le gouvernement de
Lansana Conté que la Guinée est tenue à rembourser un jour
ou l’autre » 222. Le FRAD ne s’était donc pas auto-piégé,
comme il a été écrit dans l’hebdomadaire « La lance »,
puisqu’il n’a pas fait, par exemple, de la commission
électorale indépendante, bien qu’il en ait fait la proposition au
Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation, un motif de refus d’aller aux élections : il a
choisi d’aller « pour apporter la preuve de la fraude planifiée
par le gouvernement ».

C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la conférence de


presse convoquée le 19 décembre 2005, au lendemain des
consultations électorales. En dehors de l’absence de l’UPR et
de l’UPG 223, la rencontre a enregistré la présence de partis
comme le PPG de Charles Pascal Tolno, l’UNPG de Saliou
Bella Diallo, l’ANP de Moussa Sagno 224 et le PUD de Ditinn
____________________
222 : Cf. « La lance » nº 462 du 02 novembre 2005 p.9.
223 : La conférence était organisée au siège de l’UFDG dont les
relations avec l’UPR sont assez froides ; quant à l’UPG, son
leader avait précédemment déclaré son retrait du FRAD.
224 : L’ANP siège à l’Assemblée Nationale au sein du groupe
parlementaire PUP/PAA avec ses deux députés.
170

Diallo, lesquels ont participé, à l’exception des membres du


FRAD au dialogue politique qui a produit le mémorandum du
12 juillet 2005, ignoré par le gouvernement.

L’onde de choc a été telle que même les partis qui


manifestaient une certaine souplesse à l’égard du pouvoir ont
vite déchanté. Elle a fait dire à Alpha Condé, à la rencontre :
« j’ai eu l’impression que ces élections traduisent les rivalités
entre les Ministres dans la guerre de positionnement dans
l’entourage présidentiel. Sinon, je me demande en quoi ces
élections locales changent quelque chose au mandat du
Président. Tout se passe finalement comme si c’est à lui
qu’on a fait du mal avec ce scandale électoral qui
s’apparente à un sabotage. Mais, finalement, ils nous ont
arrangés, en prouvant encore une fois que ce système ne peut
pas changer. Ce qui force l’opposition à l’unité » 225.

Cette déclaration de Alpha Condé permet de préciser l’enjeu


politique des scrutins du 18 décembre 2005 : la fraude
massive observée à l’occasion s’explique par la volonté des
aspirants à la succession de se positionner pour l’après-Conté,
ce qui nécessite le contrôle, et même la vassalisation de la
majorité des élus locaux 226. Car, ainsi que le remarque
justement Bah Oury, Secrétaire Général de l’UFDG : « Le
vrai problème de ce pays (la Guinée), il y a une élite, il y a un
gouvernement qui ne se soucient guère de l’intérêt
national »227.
____________________

225 : Cf. « La lance » nº 469 du 21 décembre 2005 p.3.


226 : Dans la perspective de l’après-Conté, un sondage auprès de
certains élus dont l’engagement dans le PUP est considéré comme
douteux, a déjà commencé.
227 : Cf. « L’observateur » nº 301 du 06 février 2006 p.4.
171

Face à un tel défi, l’opposition guinéenne est condamnée à


l’union, à défaut de réaliser son unité, si elle veut influer un
jour sur le devenir de la Guinée.

Le souhait a déjà gagné l’UPR ainsi que l’affirmait Thierno


Ousmane Diallo, membre du bureau exécutif du Parti :
« Nous, nous souhaitons que toute l’opposition se retrouve
pour des actions ponctuelles, sans considérations mesquines
pour apporter le changement dans ce pays » 228.

C’est dans cette optique qu’il faut situer la concertation


nationale des forces vives de Guinée, tenue du 17 au 20 mars
2006 à Conakry et à laquelle ont participé une quinzaine
partis de l’opposition ou associés à la majorité présidentielle
et la société civile 229. Bah Oury, secrétaire Général de
l’UFDG, a expliqué la motivation et les résultats attendus de
cette concertation : « Également les partis politiques se sont
rendus compte que, divisés ils ne pourront absolument rien.
Je pense que les élections communales nous ont permis de
comprendre la nécessité de nous unir pour aller de
l’avant…À l’occasion de cette rencontre, nous allons, entre
autres, essayer de comprendre pourquoi ce fort taux
____________________
228 : Cf. « La lance » nº 476 du 08 février 2006 p.9.
229 : L’idée de cette concertation aurait été évoquée avant le 18
décembre 2005 entre Bâ Mamadou (UFDG), Sidya Touré (UFR) et
Alpha Condé (RPG) à Paris ; Jean Marie Doré (UPG) qui n’avait
pas été associé à la rencontre, s’en est offusqué et a décidé de
quitter le FRAD. Cf. l’interview de Bâ Mamadou in
«L’observateur » nº 289 du 31 octobre 2005 p.2. Cependant selon
Sidya Touré, il s’est agi simplement d’un échange d’idées sur la
situation guinéenne au cours d’un dîner à trois pour décrisper
l’atmosphère entre eux (Cf. interview in «L’enquêteur » nº 93 du 24
novembre au 08 décembre 2005 p.3). Le choc consécutif aux
résultats électoraux du 18 décembre 2005 a accéléré la tenue de la
concertation nationale.
172

d’abstention. La concertation nationale permettra aux partis


politiques de trouver des solutions politiques, surtout une
approche pour une sortie de crise afin d’éviter à la Guinée de
sombrer dans le chaos ». Bâ Mamadou, Président de l’UFDG
a tenu à préciser la nature et l’objet de la rencontre : il s’agira
d’une simple concertation nationale et non d’une conférence
nationale, comme on en a vu au Bénin et ailleurs ; la
revendication ne portera pas sur un changement de régime, ni
une alternance obligatoire mais les partis politiques, y
compris le PUP, la société civile, le gouvernement, l’armée,
les opérateurs économiques discuteront pour chercher des
solutions à la situation de la Guinée 230. Bah Oury s’est à juste
raison montré confiant dans les chances de succès de la
rencontre : « …Je pense qu’il y a une nouvelle donne. Il y a
des personnes ressources et des éléments des partis politiques
qui disent qu’ils ne peuvent plus se permettre de continuer à
errer comme ça. Il faut nécessairement transcender les
clivages actuels pour envisager autrement l’avenir » 231.
En dépit de ces assurances, la concertation nationale n’a pas
enregistré la participation des confessions religieuses et des
forces armées ; elle a même été boycottée par l’Assemblée
Nationale, le PUP et l’UPG, seul le Conseil Économique et
Social a été représenté par une délégation dirigée par son
Président, Michel Kamano, à la cérémonie d’ouverture.
____________________
230 : Cf. interview in « L’observateur » nº 303 du 20 février 2006 p.7.
Lire aussi l’avis de Alpha Condé lors d’un point de presse à Dakar,
le 19 janvier 2006, publié in « L’observateur » nº 300 du 30
janvier
2006 p. 2. Pourtant l’impopularité du régime, démontrée par la
grève générale du 27 février au 03 mars 2006, peut justifier la
tenue d’une conférence nationale, comme ce fut le cas de l’exemple
béninois. Cf. Yves Mény (sous la dir.de) : « Les politiques du
mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet » L’harmattan, Paris
1993 p. 174.
231 : Cf. « L’observateur » nº 301 du 06 février 2006 p. 4.
173

L’UPG a défini sa position avant de connaître les conclusions


de la concertation nationale. Selon son leader, Jean-Marie
Doré, « le meilleur document est celui de sortie de crise que
nous avons élaboré, et ce document reste d’actualité. Je ne
sais pas pourquoi on l’abandonne au profit d’un forum qui,
dans sa forme, n’est que du réchauffé… Cette concertation,
c’est pour amuser la galerie. Ce qu’on entreprend au Palais
du Peuple est une façon de noyer le poisson et de distraire les
Guinéens… » 232.

L’ouverture de la concertation a souffert des tracasseries


administratives habituelles tendant à saboter sa tenue (refus
du Ministère des Affaires Étrangères de remettre leur lettre
d’invitation aux diplomates étrangers en poste à Conakry,
fermeture de la salle de conférence du Palais du Peuple
jusqu’à 9 heures du matin le 17 mars 2006, jour de
l’ouverture, alors que les invités et les participants attendaient
à la porte, annonce radiodiffusée d’une crise de leadership au
sein de l’UNPG participant à la rencontre…) 233.

L’enjeu psychologique de la concertation nationale pour le


citoyen guinéen a été bien campé par le Bâtonnier de l’Ordre
des Avocats, Maître Abdoul Kabélé Camara : « Personne
n’ose dire la vérité et ne la recherche. Ceux qui
____________________
232 : Cf. « La lance » nº 482 du 22 mars 2006 p.3. Dans la logique de son
retrait du FRAD et de la non-participation de son parti à la
concertation nationale des forces vives, Jean-Marie Doré vient de
demander l’application de l’article 34 de la constitution en
proposant d’obliger le Président de l’Assemblée Nationale,
El Hadj Aboubacar Somparé, à saisir la Cour Suprême aux fins de
constatation de la vacance de la Présidence de la République pour
cause d’ « invalidité physique et mentale » du Président Lansana
Conté (in « La Lance » nº 485 du 12 avril 2006 p.2). Véritable coup
de sabre dans la mer de Conakry, s’il en fallait un !
233 : Cf. « Le lynx » nº 730 du 20 mars 2006 p.7 ; « Le démocrate » n°
304 du 28 mars 2006 p.5.
174

l’ont ne la dise pas et ceux qui la disent ne sont pas écoutés…


Nous sommes à une phase de l’évolution en Guinée où la
vérité signifie combattre le gouvernement ou le parti auquel
l’on n’appartient pas. Et l’option de survie aidant, les gens se
recroquevillent sur eux-mêmes » 234.

Des rapports produits par la rencontre qui a regroupé 15


partis politiques, y compris l’UPR (à l’exception du PUP et
de l’UPG), et la société civile 235, le rapport de la commission
politique a le plus retenu l’attention de l’opinion publique. Il
y est proposé la mise en place de :

- un Gouvernement d’Union Nationale qui sera


composé d’éléments issus de toutes les Forces vives
de la Nation (Partis Politiques, Société Civile et
Forces Armées). Ce Gouvernement sera présidé par
une personnalité consensuelle ;

- un Conseil National de la République faisant fonction


de parlement composé de représentants des Partis
Politiques, de la Société Civile et des Forces Armées ;

- une Cour Constitutionnelle, un Conseil d’État et une


Cour de Cassation à la place de la Cour Suprême
pour une indépendance et un bon fonctionnement du
système judiciaire ;

- une Commission Électorale Nationale Indépendante


(CENI) chargée d’organiser et de gérer l’ensemble du
processus électoral (en amont et en aval jusqu’à la
proclamation des résultats provisoires) ;
____________________

234 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 350 du 21 mars 2006 p.5.


235 : Deux autres rapports concernent les questions économiques et
socio-culturelles.
175

- un Conseil National de la Communication pour une


libéralisation effective des ondes sur l’ensemble du
Territoire national.

Il a été par ailleurs proposé que :

- les membres du gouvernement d’union nationale et


des organes de la transition ne pourront en aucun cas
être candidats à l’élection présidentielle mettant fin à
la période de transition ;

- le mandat du Gouvernement d’Union Nationale


comprendra entre autres :

+ la mise en place d’un programme de restructuration


de l’Administration et de relance de l’économie
nationale ;
+ la révision de la constitution à faire adopter par
référendum ;
+ le recensement général et exhaustif de la population
à l’issue duquel la CENI élaborera le fichier
électoral ;
+ l’organisation de l’élection présidentielle ;

- la durée de la transition ne saurait dépasser 18 mois,


le régime transitoire devant fonctionner sous la
surveillance d’un observatoire international installé à
Conakry et composé des représentants de la
CEDEAO, de l’Union Africaine et de l’ONU 236.
____________________

236 : Lire le texte du rapport in « La nouvelle tribune » nº 350 du 21


mars
2006 p.5 ; « La lance » nº 482 du 22 mars 2006 p.4 ;
« L’indépendant » nº 674 du 23 mars 2006 p.3 ;
« L’espoir » nº 128 du 06 au 20 avril 2006 p.5. Les conclusions
politiques de la concertation nationale ont déjà fait l’objet d’une
176

Par son contenu, le rapport de la commission politique a


provoqué de vives réactions.

Le 05 avril 2006, à l’ouverture de la session des lois du


Parlement, le Président Somparé a notamment justifié
l’absence de son institution par le fait que non seulement les
organisateurs n’ont pas créé les conditions d’une libre
expression de toute la classe politique mais aussi et surtout ils
contestent la légitimité de l’Assemblée Nationale ; il déclara
notamment que « il ne s’agissait pas d’une concertation mais
plutôt d’un contrat d’adhésion à clause léonine », faisant
allusion au fait que les conclusions du rapport de la
commission politique de la concertation nationale des forces
vives reprenait la quasi-totalité du plan de sortie de crise du
FRAD 237.

La réaction du Président du Conseil Économique et Social,


Michel Kamano, a été plus tranchée : « La mise en place d’un
Gouvernement d’union nationale, alors qu’un gouvernement
régulier est en place, la mise en place d’un Conseil National
de la République faisant fonction de parlement, l’institution
d’une Cour Constitutionnelle, d’un Conseil d’État et d’une
Cour de cassation, en lieu et place de la Cour Suprême, sont
autant de mesures anticonstitutionnelles qui risquent de faire
sombrer le pays dans un cataclysme que les rédacteurs du
rapport déclarent vouloir éviter » 238.
_________________________________________________

résolution du Comité Afrique de l’Internationale Socialiste qui a


apporté son soutien au schéma de sortie de crise. Cf.
« Le diplomate » nº 191 du 09 mai 2006 p.2.
237 : Cf. « L’enquêteur » nº 103 du 13 au 27 avril 2006 p.2.
238 : Cf. « La lance » nº 483 du 29 mars 2006 p. 5.
177

Au niveau des partis politiques de la majorité présidentielle,


les protestations de la Cause Commune et du PUP ont été
enregistrées.

Dans une déclaration publiée le 24 mars 2006, le Bureau


Exécutif de la Cause Commune a soutenu que l’objectif
inavoué de la concertation nationale des forces vives est
d’élaborer « une stratégie de renversement du régime par la
voie anti-constitutionnelle en remettant en cause toutes les
institutions de la République » 239.

La veille, le 23 mars 2006, au siège de son Parti, le Secrétaire


Général du PUP, Sékou Konaté, a lancé à brûle-pourpoint
face à ses militants des accusations graves contre les
participants à la concertation nationale : « Les prétendues
forces vives de la nation ont produit un document qu’on avait
prévu ici. Je vous avais dit que c’est une conférence
nationale déguisée.

Aujourd’hui, il est prouvé que ce rapport de la commission


politique est un coup d’État civil. Un coup d’État
constitutionnel. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés,
sans réagir à cela » 240.

Dans un article pour le moins laudatif paru dans


l’hebdomadaire « Jeune Afrique » et intitulé « La solution
Somparé », le journaliste André Payenne a fait la biographie
du Président de l’Assemblée Nationale, Aboubacar Somparé,
soutenu la thèse de l’inconstitutionnalité des propositions de
la concertation nationale des forces vives avant de centrer le
____________________

239 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 351 du 28 mars 2006 p.2.


240 : Cf. « Le lynx » nº 731 du 27 mars 2006 p.7 ; lire la déclaration de
condamnation du PUP du 27 mars 2006 in « L’espoir » nº 128 du
06 au 20 avril 2006 p.5.
178

débat sur la personne de ce dernier, bénéficiaire de la légalité


constitutionnelle, et il écrit : « Il est donc devenu l’homme à
mettre hors jeu, celui qu’il faut à tout prix discréditer. Au
risque de faire le lit de l’Armée, qui n’a pas l’habitude, elle
non plus, de s’embarrasser de la constitution » 241.

Aussi légitimes soient-elles, ces réactions sont marquées du


sceau de l’erreur d’analyse et d’une perception tronquée, de
bonne ou mauvaise foi, du contexte politique guinéen.

Dans une lettre ouverte du 06 avril 2006 adressée au


Président de l’Assemblée Nationale, la commission
d’organisation de la concertation nationale des forces vives a
relevé certaines inexactitudes affirmées par ce dernier dans
son discours d’ouverture précité du 05 avril 2006. Entre
autres, la commission a relevé que :

- la concertation nationale n’était pas organisée par le


FRAD (6 partis) mais par 15 partis politiques dont la
liste a été remise en mains propres au Président de
l’Assemblée en même temps que sa lettre
d’invitation ;

- il ne s’agissait pas, à la concertation nationale, de se


prononcer sur un projet global mais plutôt d’engager
un débat ouvert, ce qui a été fait avec la participation
de plusieurs personnalités, les résolutions adoptées
étant le résultat de ces échanges fructueux et libres ;

____________________

241 : Cf. « Jeune Afrique » nº 2359 du 26 mars au 1er avril 2006 pp. 48 et
49. Il importe de préciser qu’en application de l’article 34 de la loi
fondamentale, le Président de l’Assemblée Nationale assume, en cas
de vacance, l’intérim de la Présidence de la République : il doit,
dans un délai maximum de 60 jours, organiser une nouvelle
179

- tous les acteurs politiques et de la société civile de la


Guinée ont été contactés dès les premiers jours de
l’initiative, en janvier 2006, en particulier le PUP qui
a reçu, à son siège, quatre délégations, non compris
les contacts téléphoniques et les bons offices.242.

Au-delà de ces précisions de la commission d’organisation de


la concertation nationale, les réactions aux conclusions de la
rencontre sont critiquables, au moins à trois niveaux.

En premier lieu, à la concertation nationale des forces vives,


il ne s’est pas agi pour les organisateurs d’élaborer une
stratégie de renversement d’un régime constitutionnel
fonctionnant selon les normes légales et, contrairement à ce
qu’a soutenu le leader de l’UPG, Jean-Marie Doré, le forum
n’avait nullement l’allure d’une répétition des propositions de
sortie de crise présentées en juillet 2004 par le FRAD ; les
discussions ont été élargies à la société civile qui a pris une
part active à la rencontre 243. De plus, les conclusions des
travaux ne constituent que des propositions devant permettre
une restructuration de l’État dans son organisation, ses règles
de fonctionnement et ses finalités, car nul ne conteste que
l’État guinéen est en situation de crise politique et
économique totale.

_________________________________________________

élection présidentielle. Pendant ce temps, il ne peut recourir au


référendum, prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale,
prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle et exercer le
droit de grâce (article 35 de la constitution).
242 : Cf. le texte de la lettre in « Le populaire » nº 81 du 18 avril 2006 p.
6 et des extraits in « La lance » nº 486 du 19 avril 2006 p. 2.
243 : Cf. l’interview de Sidya Touré in « L’indépendant » nº 674 du 23
mars 2006 p.3.
180

En second lieu, présenter les résultats de la concertation


nationale comme étant dirigés contre le Président de
l’Assemblée Nationale, Aboubacar Somparé, dénote une
méconnaissance des réalités politiques guinéennes. Le
Parlement qu’il préside n’est pas aussi représentatif qu’il
paraît : à son élection en 2002, les partis de l’opposition ont
boycotté le scrutin, ceux qui ont accepté d’y participer
(l’UPR et l’UPG) n’ont pas eu les sièges escomptés (20 pour
l’UPR et 3 pour l’UPG contre 85 pour le PUP), au point que
l’UPG a refusé depuis de participer aux travaux de
l’Assemblée Nationale. Par ailleurs, il est établi aujourd’hui,
à la lumière simplement des scrutins du 18 décembre 2005,
que la classe dirigeante actuelle a fait la preuve de son
incapacité à promouvoir la démocratie tant au niveau national
qu’au niveau local, à construire en Guinée un État de droit
que l’éminent juriste, Carré de Malberg, définissait, en 1920,
comme « un État qui, dans ses rapports avec ses sujets et
pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même
à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action
sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits
réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les
voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser
les buts étatiques : deux sortes de règles qui ont pour effet
commun de limiter la puissance de l’État, en la subordonnant
à l’ordre juridique qu’elles consacrent » 244.

Dans le cadre de la présente étude, il faut donc dire que le


régime de l’État de droit doit être conçu pour permettre aux
citoyens la jouissance et l’exercice des droits et libertés qui
leur sont reconnus par la constitution de 1990, en son titre II,
____________________
244 : Cf. R. Carré de Malberg : « Contribution à la théorie générale de
l’État » tome I, Sirey, Paris, 1920 pp.488-489.
181

et par toutes les lois en vigueur. C’est à cela que tendent les
conclusions de la concertation nationale des forces vives de
mars 2006 : définir les nouvelles bases du jeu politique
guinéen. Un tel objectif n’est dirigé contre personne, d’autant
que l’élection présidentielle qui suivrait serait ouverte à tous
les citoyens guinéens.

Par ailleurs, l’article 35 de la loi fondamentale n’interdit au


Président de l’Assemblée Nationale assurant l’intérim de la
Présidence de la République ni d’être candidat à l’élection
présidentielle, ni de remanier le gouvernement dès sa prise de
fonction. Dans ces conditions, il n’est pas exclu qu’il procède
à une restructuration du gouvernement afin d’y placer ses
hommes qui se chargeraient, comme d’habitude, de faire sa
campagne électorale, avec les moyens de l’État, notamment
le concours actif de l’Administration publique. Ainsi, serait
assurée la continuité de la politique actuelle, les mêmes
hommes succédant au Président Lansana Conté et à son
équipe.

En troisième lieu, relativement à la critique tenant à


l’inconstitutionnalité des propositions de la concertation
nationale, il importe de souligner que d’un point de vue
juridique, « la base de la puissance étatique, c’est le statut
organique de l’État, sa constitution » 245. Mais au-delà du fait
que la constitution est un texte juridique, elle est avant tout un
acte politique en tant qu’elle détermine l’organisation et le
fonctionnement d’une société politique, l’État, dans laquelle
une distinction est faite entre les gouvernants et les
gouvernés.

Or, aucune constitution au monde n’a une valeur biblique ou


coranique : la référence à Dieu dans certaines constitutions
____________________

245 : Cf. R. Carré de Malberg, op. cit. p. 57.


182

n’en transforme pas leurs règles en messages divins 246 ;


toutes les règles constitutionnelles sont des produits humains
en tant qu’elles consignent les modalités d’organisation et
d’exercice du pouvoir, conçues par les hommes pour garantir
l’harmonie et la cohésion des sociétés politiques dans
lesquelles ils vivent. Aussi, toute constitution peut être
révisée, voire abrogée, pour tenir compte de l’évolution des
mentalités socio-politiques et des changements de régime qui
peuvent en résulter.

À ce titre, la France a connu, depuis 1789, excepté le régime


conventionnel de 1793 et le régime de Vichy de 1940, six
constitutions monarchiques au moins 247 et cinq constitutions
républicaines 248. Après de multiples révisions de sa seconde
constitution de 1963, le Sénégal s’est doté d’une nouvelle
constitution en 2001. La constitution ivoirienne de 1960,
maintes fois modifiée, a fait place au régime de transition
militaire de 1999, puis à une nouvelle constitution en 2000.
Le Bénin a connu trois constitutions : la constitution de 1960
qui a consacré la naissance de l’État du Dahomey, la
constitution de 1977 qui a institué le régime révolutionnaire
____________________

246 : Cf. la constitution algérienne de 1989 révisée en 1996, en son


article 2 déclarant l’islam comme religion d’État et en son article
9 interdisant les pratiques contraires à la morale islamique ; idem
de la constitution égyptienne de 1971 révisée en 1980 en son article
2 (l’Islam est la religion d’État et les principes de la loi islamique
constituent la source principale de législation). En dépit de cette
référence religieuse, l’Algérie est déclarée République
démocratique et populaire (article 1er) et l’Égypte est qualifiée
d’État socialiste démocratique (article 1er).
247 : Il s’agit des constitutions de 1791 et 1799, des Chartes de 1814 et
1830 et des constitutions de 1852 et 1870.
248 : Il s’agit des constitutions de 1795 (au III), 1848, 1875, 1946 et
1958.
183

marxiste-léniniste béninois et celle de 1990 qui a fait suite à


la Conférence nationale souveraine et marqué l’option pour le
libéralisme politique.

Quant à la Guinée, sa première constitution de 1958 a été


rédigée à la hâte pour les besoins de la reconnaissance
internationale du nouvel État, elle n’a connu aucune
effectivité politique 249, si bien qu’en 1982, a été adoptée une
seconde constitution plus conforme à la réalité politique du
moment, celle du Parti-État révolutionnaire du PDG-RDA.
Après une période de transition militaire (1984-1990), le
référendum constitutionnel du 23 décembre 1990 a doté le
pays de la loi fondamentale actuelle marquant l’option pour
la démocratie libérale.

Ainsi donc, les changements constitutionnels proposés lors de


la concertation nationale des forces vives ne sont ni inédits en
Guinée, ni inconstitutionnels. Tout dépendra donc de la
capacité des forces vives, notamment les partis politiques, à
____________________

249 : D’inspiration libérale, la constitution guinéenne de 1958 était


destinée à la consommation étrangère : présenter à l’opinion
internationale la Guinée dans les formes classiques d’un État
moderne pratiquant le parlementarisme ; telle était la
justification de dispositions constitutionnelles comme le domaine
illimité de la loi (article 9) et la responsabilité du Président de la
République devant l’Assemblée Nationale (article 24). Il faut
rappeler ici que Sékou Touré a siégé au Palais-Bourbon sous la
4ème République française. Dans les faits, la constitution de 1958
était inadaptée à l’idéologie révolutionnaire qui avait pour effet de
déterminer le fonctionnement de l’État en marge des règles
constitutionnelles. L’ineffectivité de la constitution, en tant que
phénomène sociologique, trouvait sa cause dans une
omniscience de l’idéologie officielle. Sur l’effectivité et
l’ineffectivité de la règle de droit, cf. Jean Carbonnier : « Flexible
droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur » 4è éd.,
LGDJ, Paris, 1979 pp. 99 à 102.
184

obtenir leur mise en œuvre, d’autant que les propositions sont


faites dans le souci d’une gestion pacifique de la succession
du Président Lansana Conté : les risques de déstabilisation
consécutive à la disparition de ce dernier inquiètent tant
l’opinion nationale que les États voisins et les institutions
internationales (CEDEAO, Union Africaine et ONU) ; la
Guinée reste en effet le dernier garant de la stabilité dans la
sous-région ouest-africaine, sa déstabilisation politique
pourrait réveiller les foyers de guerre civile dans nombre des
six États voisins, eu égard surtout au fait particulier que, de
part et d’autre des frontières, habitent des populations
appartenant aux mêmes ethnies.

La cause semble donc entendue : seul un mouvement


d’ensemble, coordonné, peut permettre à l’opposition
d’obtenir les changements nécessaires pour placer la Guinée
sur orbite vers une société démocratique.

2-3- La tendance au réaménagement de l’espace politique


de la Moyenne-Guinée.

Avant les scrutins du18 décembre 2005, et à l’exception de la


présence du PUP et de l’UFR, l’espace politique de la
Moyenne-Guinée était tenu par trois partis : l’UPR, l’UFDG
et l’UNPG avec la particularité que les deux derniers partis
sont dirigés par des anciens de l’UPR, à savoir El Hadj Bâ
Mamadou, ancien leader-fondateur de l’UNR qui a fusionné
avec le PRP de feu Siradiou Diallo pour former l’UPR dont il
a été le Président d’honneur, et Saliou Bella Diallo qui a
quitté l’UPR après qu’il ait été écarté de la Vice-Présidence
du Parti qui est revenue à Diallo Bah Assiatou, veuve de
Siradiou Diallo.
185

C’est dans ce contexte que s’est tenu après la proclamation


des résultats, une réunion de la jeunesse UPR-UFDG-UNPG,
le 04 janvier 2006, pour évoquer la création d’un grand parti
politique 250. L’annonce le même jour de la décision de
boycott de l’UPR traduit bien la frustration des militants des
trois formations politiques depuis l’annonce des résultats
définitifs des élections le 28 décembre 2005 par le Ministre
de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation.

L’idée d’un rapprochement des trois partis sera confirmée par


Saliou Bella Diallo au journal « Le démocrate » 251 ; il
précisera par la suite la position de son parti, après avoir
évoqué les causes qui, selon lui, ont conduit à la crise au sein
de l’UPR née de la fusion du PRP, de l’UNR et du RNP :
« Moi, je pense que personne ne serait opposé à une
concertation si elle est constructive. Si elle consiste à faire un
diagnostic impartial de la réalité. Aller jusqu’au diagnostic
causal pour voir ce qui a engendré l’éclatement. Situer les
responsabilités en vue de prendre les mesures, les
dispositions qui s’imposent pour pouvoir bâtir quelque chose
de viable, avec tous les garde-fous nécessaires. Il ne s’agit
pas pour moi de retourner. Retourner où ? Puisque l’UPR
d’avant, ce n’est pas l’UPR d’aujourd’hui. C’est plutôt
recréer quelque chose qui existait. Il n’y a aucune formation
politique, actuellement qui puisse nous dire « Revenez ». Il
s’agit de se conformer à la réalité. L’UFDG, l’UPR et
l’UNPG doivent se concerter de façon constructive afin
d’aboutir à quelque chose de réaliste et de durable. Personne
ne s’opposerait à cela. En tout cas, pas l’UNPG » 252.
____________________
250 : Cf. « Le populaire » nº 74 du 26 janvier 2006 p.3.
251 : Cf. « Le démocrate » nº 294 du 10 janvier 2006 p. 3.
252 : Cf. interview in « La lance » n° 475 du 1er février 2006 p.8.
186

Tout en reconnaissant la nécessité d’une concertation des


trois partis, la déclaration de Saliou Bella Diallo soulève la
question de l’objet du regroupement : alliance ou fusion de
partis. Dans sa déclaration rapportée précédemment par le
journal « Le démocrate » du 10 janvier 2006, l’intéressé avait
déjà exclu l’hypothèse de la fusion, qu’il a confirmée ci-
dessus en écartant l’idée d’un retour à l’UPR. Une réaction
compréhensible si la fusion doit se faire par l’absorption des
deux autres partis par l’UPR ; or, une fusion par création d’un
nouveau parti autre que l’UPR est tout à fait plausible.

Mais en prélude à l’objet de la concertation, se pose d’abord


la question de sa forme sur laquelle Bah Oury, Secrétaire
Général de l’UFDG s’est exprimé : « …Il n’y a pas eu de
négociations entre nous. Mais, il y a des groupes informels
qui agissent en toute autonomie et qui souhaitent une
certaine convergence entre les responsables et les éléments
de ces trois partis. Ils se réunissent indépendamment des
partis, ils ont leur propre agenda, leur propre calendrier. Ce
sont des discussions informelles qui n’engagent pas, à
l’heure actuelle, les partis politiques en tant que tels, que
nous ne décourageons pas, mais au contraire que nous
encourageons. Vous savez, ce qui est important dans tout
cela, il faut que les militants, les citoyens s’emparent de la
chose politique et ne laissent pas la chose politique entre les
mains des dirigeants politiques » 253.

Des déclarations des acteurs politiques, il ressort que si l’idée


d’une rencontre des trois formations politiques est partagée
par tous, la forme pour y parvenir reste à déterminer : les
groupes dit informels qui se réunissent doivent-ils rechercher
l’organisation d’une rencontre des leaders de partis ou
____________________

253 : Cf. interview in « L’observateur » nº 301 du 06 février 2006 p.4.


187

doivent-ils y être associés, dans une espèce de conférence


générale des formations concernées. La démarche est
conditionnée par les a priori face au choix entre la fusion ou
l’alliance des partis.

Et ces a priori sont faits d’abord de la confiance que se font


les responsables politiques. Or, de ce point de vue, le bât
blesse. Dans une interview à l’hebdomadaire
« L’observateur », Bâ Mamadou, Président de l’UFDG (après
son départ de l’UPR), dans son franc-parler habituel,
répliqua, sans détours, à une question sur la sincérité, à son
égard, de la fusion qui a donné naissance à l’UPR :
« Effectivement, la fusion UNR-PRP a été vraiment un échec
pour moi. Je me suis laissé bêtement avoir » 254.

Dans le même registre, Thierno Ousmane Diallo, membre du


Bureau Exécutif de l’UPR, n’est pas tendre avec leurs
adversaires politiques. Réagissant à la déclaration de Saliou
Bella Diallo (UNPG) selon laquelle il était le second bailleur
de fonds de l’UPR, Thierno Ousmane Diallo répond
vertement : « Moi, j’ai pitié de lui en fait. Il a démissionné
parce qu’il voulait être Vice-Président. Et il s’est trouvé qu’il
n’était pas le mieux indiqué. Voilà ! Maintenant, s’il a été
accueilli par des gens moins exigeants que nous, c’est tant
mieux pour lui. Il voulait être Vice-Président de l’UPR,
maintenant, il est Président d’un autre parti. Ben, qu’il nous
fiche la paix ! Mais, s’il veut continuer à parler, qu’il parle si
ça l’amuse. Mais, je le reprends, on ne peut pas être bailleur
de fonds d’un parti et se faire éjecter de ce parti du jour au
lendemain ». Et de poursuivre sur les intentions de l’UPR :
« L’UPR est un train qui marche. On n’attellera pas nos
wagons à un autre parti. Si des gens veulent de notre
____________________

254 : Cf. « L’observateur » nº 289 du 31 octobre 2006 p. 2.


188

collaboration, on s’assoit et on discute… L’UPR n’a pas


éclaté. C’est un train en marche. Des passagers sont
descendus, d’autres sont montés. Et on a un bon conducteur.
Le train est plein. Ainsi va la vie… Nous avons géré les
humeurs du FRAD. On les connaît tous, donc c’était facile.
Beaucoup d’entre eux se sont trompés en pensant que le
départ du doyen Bâ Mamadou allait tuer l’UPR. Ils ont été
désagréablement surpris. Ils se sont rendus compte que ce
n’était pas le cas et qu’ils ne peuvent rien envisager sans
associer l’UPR » 255.

L’idée d’une restructuration de l’espace politique en


Moyenne-Guinée par un regroupement de l’UPR, de l’UFDG
et de l’UNPG, peu importe la finalité (alliance ou fusion), se
heurte d’abord à un obstacle psychologique : les initiateurs
devront entreprendre de rétablir la confiance entre les
responsables politiques pour avoir quelques chances de
succès. Car, si les problèmes matériels peuvent trouver
facilement solution quand les moyens adéquats, financiers
notamment, sont disponibles, il en va autrement des questions
de personnes : la suspension, le 22 mars 2006, de 12 militants
par le Bureau fédéral de l’UPR de Labé pour cause de
contacts politiques avec l’UNPG de Saliou Bella Diallo, est
de nature à encourager les résistances au rapprochement 255 bis.
Pour que l’idée fasse des progrès, il faudra que les leaders
politiques fassent taire leurs rancœurs et rancunes, qu’ils
fassent preuve de hauteur de vue et élèvent le niveau du débat
politique. L’amour propre et la politique ne font pas bon
ménage.
____________________

255 : Cf. interview in « La lance » n° 476 du 08 février 2006 p.9.


255 bis : Cf. « Le démocrate » nº 311 du 23 mai 2006 p.3.
189

III- La signification des scrutins du 18 décembre 2005.

Les résultats officiels des communale et communautaire de


2005 ont donné le PUP largement vainqueur avec l’obtention
de 81,58 % des communes et le contrôle de 79,54 % des
CRD. Face à ces chiffres, et en raison de la pauvreté
généralisée qui sévit dans le pays et qui a été l’objet principal
des discours électoraux, le PUP pouvait-il connaître un tel
succès électoral ? En d’autres termes y a-t-il eu véritablement
élection ?

La question est pertinente au regard de ce qui s’est passé le


18 décembre 2005. Dans « un parti pris nominaliste
consistant à considérer les choses ainsi qu’elles se nomment
elles-mêmes, ou, du moins ainsi qu’en parlent ceux qui en
sont les acteurs », il n’y a aucun doute qu’il y a eu élection.
Dans un autre sens, « l’interrogation sur l’acte de vote, et sur
la signification de celui-ci, passe par la vérification de
conditions préalables » 256, celles qui sont de nature à garantir
une élection libre, transparente et sincère.

Cette seconde approche est importante pour un pays comme


la Guinée qui a besoin de retrouver, après la rupture de 1958,
le chemin de la démocratie libérale, condition de son
développement. Ce n’est pas trop dire à l’écoute du Président
de l’Assemblée Nationale, Aboubacar Somparé, le 05 janvier
2006, lors de la présentation des vœux du personnel de
l’administration parlementaire : il a souhaité que « l’année
2006 soit vraiment l’année de libération de la Guinée ». Et de
poursuivre : « nous allons rester dans un confort ne varietur,
en train de nous contempler, dans la bêtise et dans
l’arriération. Pendant ce temps, le monde progresse. On va
____________________

256 : Cf. Patrick Quantin : « Voter en Afrique : quels paradigmes pour


quelles comparaisons ? », op. cit. p. 13.
190

se réveiller un matin et trouver que nous sommes


derrière »257. Si ce n’est déjà le cas avec le classement de la
Guinée au 156ème rang de l’indice de développement humain
du PNUD en 2005 258.
La fraude qui a émaillé les consultations de 2005 est très
vieille en Guinée et dans les autres États africains : elle a
accompagné dans les années 59 les modes de scrutin dont
l’utilisation a permis d’exclure l’opposition politique du jeu
ou d’empêcher sa naissance, ce qui a facilité l’instauration du
parti unique. Le fait a été qualifié de « déformation des
institutions françaises » après les indépendances,
consciemment à travers des textes constitutionnels et
législatifs ou spontanément dans le cadre du fonctionnement
des régimes politiques 259. Dans le cas de la Guinée, il est à
souligner que l’article 4 de la constitution du 10 novembre
1958 disposait que « le Parlement est constitué par une
Assemblée Nationale unique dont les membres sont élus sur
une liste nationale » : il a joué un rôle déterminant dans
l’instauration du monopartisme.
La difficulté d’enrayer le phénomène tient à la divergence de
points de vue des acteurs du processus électoral quant à
l’appréciation de la sincérité des résultats électoraux. Les
scrutins de 2005 n’ont pas échappé à la controverse. Mais au-
____________________
257 : Cf. le discours intégral in « Le lynx » nº 720 du 09 janvier 2006 p.5.
258 : Ce classement n’est pas exact puisque selon le représentant du
PNUD, M’Baranga Gasarbwé, « le rapport 2005 présente
davantage la situation de 2003 que la réalité ». Sinon, le
classement de la Guinée devant le Sénégal (157ème), le Mali
(174ème) et même avant le Nigéria, ne s’explique pas. Cf. « La
nouvelle tribune » nº 331 du 18 octobre 2005 pp.2 et 3.
259 : Cf. Albert Mabileau et Jean Meyriat (sous la direction de) :
« Décolonisation et régimes politiques en Afrique noire », A. Colin,
Paris 1967 pp. 31-32.
191

delà des différences d’interprétation du vote, une réalité est


constante en Guinée : l’espace politique est organisé au profit
d’un système qui affiche une vocation naturelle à la direction
du pays.

1- Les réactions des intervenants dans le processus


électoral.

Ils sont de deux catégories : d’un côté, il y a les acteurs


principaux qui organisent les élections ou présentent des
candidats ou listes de candidats et, de l’autre, les acteurs qui
accompagnent le processus électoral en finançant les
opérations ou en observant son déroulement.

1-1- Les acteurs principaux du processus électoral.

Il s’agit du Ministère de l’Administration du Territoire et de


la Décentralisation et des partis politiques de la majorité
comme de l’opposition.

Dans une conférence de presse tenue le 03 décembre 2005, le


Ministre de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation a notamment déclaré : « Seize partis
politiques issus de toutes les sensibilités présentent des
candidats. Aucune interférence de la part des autres acteurs
ne doit entraver l’évolution des compétitions dans cette
conquête des suffrages », les autres acteurs étant, selon lui,
les électeurs, l’organisateur légal (le Ministère de
l’Administration du Territoire et de la Décentralisation), les
cours et tribunaux et le contrôleur conventionnel, la CENA260.

____________________

260 : Cf. « Le démocrate » nº 289 du 06 décembre 2005 p. 5.


192

Lors de la proclamation des résultats, le 28 décembre 2005, le


Ministre mentionnera des innovations apportées à
l’organisation des élections (le bulletin unique, l’urne
transparente, l’observation nationale et la CENA avec ses
démembrements) avant de se féliciter du « climat politique
rasséréné, propice à la tenue d’élection paisible, juste et
crédible » 261.
Interrogé par la presse après le scrutin, le Ministre déclarera
que « l’insuffisance majeure, c’est l’utilisation des
attestations d’identification qui, sur le plan légal et
réglementaire, pallient l’inexistence dans la plupart des cas,
de cartes d’identité pour les citoyens électeurs » 262. Pourtant
la loi électorale (article L21) est très claire : l’attestation
d’identification ne peut être utilisée que dans une élection
communautaire, or, le 18 décembre 2005, elle l’a été même
dans les communes. Et le Ministre proposera, à l’occasion, la
délivrance gratuite des cartes d’identité.
Devant les observateurs nationaux, lors de la présentation de
leur rapport provisoire du 22 décembre 2005, après les
félicitations d’usage, il contestera l’une des lacunes de
l’organisation des scrutins relevée, à savoir la non-conformité
entre les numéros des bureaux de vote inscrits sur les cartes
d’électeur et ceux des listes d’émargement, demandant des
preuves dans le rapport définitif, le Ministre a soutenu que
l’hypothèse d’une telle défaillance administrative est
impossible au regard des techniques de saisie
informatiques263. Dans son rapport définitif de janvier 2006,
la mission d’observation nationale citera les préfectures de
N’Zérékoré et Faranah où cette anomalie a été constatée.
____________________

261 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 p.5.


262 : Cf. interview in « La nouvelle tribune » nº 341 du 27 décembre 2005
p.3.
263 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 341 du 27 décembre 2005 p.2.
193

Dès le 19 décembre 2005 déjà, au lendemain des scrutins, le


Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation déclara que les élections se sont déroulées
dans le calme, la sérénité et la convivialité et qu’il n’y a pas
eu de plaintes auprès de la CENA, des observateurs
nationaux, des ambassades et des organisateurs
internationaux 264. L’auto-satisfaction ainsi prématurément
manifestée par le Ministère faisait fi des délais légaux pour
contester la régularité des scrutins et de la compétence
exclusive des commissions administratives de centralisation
des votes et des juridictions en matière de contentieux
électoral (article L110 à L112 du code électoral et article 101
de la loi organique sur la Cour Suprême).

Le Ministre sera relayé dans son appréciation positive des


consultations du 18 décembre 2005 par ses cadres
administratifs comme :

- son assistant chargé de la communication, Taliby


Camara, qui a usé du droit de réponse du ministère à
une déclaration de Rougui Barry, tête de liste UFR
aux communales de Matam, un mauvais usage
puisqu’on n’y trouve aucune réponse aux griefs de la
liste UFR à Matam 265 ; il publiera aussi un autre
article intitulé : « Les raisons des faibles
performances de l’opposition aux élections
communales et communautaires du 18 décembre
2005 » 266 ;

- le Préfet de Siguiri 267.


_____________________
264 : Cf. « La lance » nº 469 du 21 décembre 2005 p.2.
265 : Cf. « Le diplomate » nº 176 du 17 janvier 2006 p.3.
266 : Cf. « L’observateur » nº 298 du 16 janvier 2006 p.2.
267 : Cf. « Solidarité » nº 09 du 17 janvier 2006 p.5.
194

Au niveau du PUP, à défaut d’une déclaration officielle du


Parti sur les consultations de 2005, certaines personnalités
individuellement se sont exprimées sur un ton de satisfaction
totale comme le Ministre de l’Économie et des Finances,
Mady Kaba Camara et le député Abdoulaye Camara 268, le
maire de Kindia, Mamadou Dramé 269. L’expression la plus
politique est venue de Baniré Diallo, membre BPN du PUP et
Président du groupe parlementaire PUP/PAA : « Le défi
majeur du PUP a été gagné lors de ces élections communales
et communautaires. Le verdict des urnes a prouvé que le
Parti de l’Unité et du Progrès existe bel et bien sur
l’ensemble du territoire national et c’est un véritable parti
national » 270.

L’homme politique ne relevait là rien de spécifique au PUP à


la suite des consultations du 18 décembre 2005 : c’est la
logique même qu’un parti gouvernemental soit représenté sur
l’ensemble du territoire national ; le contraire serait
surprenant. Encore qu’être parti du pouvoir n’implique pas
être majoritaire dans l’électorat, ce que les scrutins de 2005
auraient démontré s’ils avaient été quelque peu crédibles.

Dans les rangs de l’opposition, les expressions n’ont pas


manqué pour qualifier les élections communale et
communautaire : « cuisine électorale » pour Sidya Touré de
l’UFR 271, « hold-up électoral » pour l’UPR 272, « brigandage
____________________

268 : Cf. « La nouvelle marche » nº 74 du 16 janvier 2006 pp. 2 et 6.


269 : Cf. « Le National » nº 31 de décembre 2005 p.4.
270 : Cf. « La lance » nº 473 du 18 janvier 2006 p. 8. C’est dans cette
interview qu’après sa première réaction virulente contre la
décision de boycott de l’UPR (« L’indépendant » nº 665 du 12
janvier 2006 p. 3), Baniré Diallo a adopté un ton plus conciliant.
271 : Cf. interview in « La lance » nº 471 du 04 janvier 2006 p.8.
272 : Cf. « L’observateur » nº 297 du 09 janvier 2006 p. 2.
195

électoral » pour Alpha Condé du RPG 273. Ces expressions


renvoient le modèle théâtral d’explication du vote en Afrique,
qui met « l’accent sur l’exclusion et l’impuissance des
citoyens électeurs », ce qui se traduit par une césure entre
metteurs en scène (le pouvoir) et spectateurs (les citoyens),
présumés passifs, privés de toute possibilité d’initiative dans
la joute électorale et voués à la discipline 274.
Au sujet de sa participation aux scrutins de décembre 2005,
l’opposition a intrigué une certaine opinion, se remémorant
encore le boycott de l’élection présidentielle de décembre
2003. Elle s’en est expliqué avant le vote, ainsi que l’a fait
Alpha Condé sur les ondes de RFI le 02 novembre 2005 :
« …Nous allons aux élections parce qu’il ne faut pas qu’on
dise que nous, nous sommes des pessimistes ou des
extrémistes etc. Certains pensent qu’il y a eu des avancées et
que le gouvernement fera des élections honnêtes. Nous, nous
disons, non ! Mais si on ne va pas aux élections, on ne pourra
pas faire la démonstration que le gouvernement ne fera
____________________

273 : Cf. Point de presse in « L’observateur » nº 300 du 30 janvier 2006


p. 2 ;
Lire aussi la lettre ouverte des partis d’opposition du 05 janvier
2006 aux partenaires au développement in « L’indépendant » nº
668 du 02 février 2006 p. 5.
274 : Cf. Maurice Enguéléguélé : « Le paradigme économique et
l’analyse électorale africaniste : piste d’enrichissement ou source
de nouvelles impasses ? » in « Voter en Afrique : comparaisons et
différenciations » op. cit. pp. 76-77. L’auteur note cependant qu’il
ne faut pas surestimer la césure d’autant qu’à la faveur des
transitions démocratiques des années 1990, le pouvoir africain se
heurte de plus en plus à des concurrents ; il a fait aussi la critique
des modèles du « vote de solidarité » et du « vote comme expression
d’un rite » avant de tenter une explication sur le mode du « vote
expression d’une transaction » qui repose sur deux interrogations :
pourquoi les élections votent-ils ? Pourquoi se déplacent-ils aux
urnes ?
196

jamais des élections transparentes. Nous savons que le


gouvernement fera des fraudes. C’est en ce moment que
chacun sera édifié » 275. Sidya Touré, Président de l’UFR,
confirmera ce choix délibéré de l’opposition, le 29 décembre
2005, après les élections : « Non ! Nous ne regrettons pas.
Nous avons souhaité participer à ces élections, pour faire la
démonstration qu’aujourd’hui, le pouvoir ne peut pas
organiser des élections transparentes en Guinée dans les
conditions actuelles » 276.

C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre deux textes


produits par l’opposition. Il s’agit de :

- la déclaration de 13 partis d’opposition, à l’exception


de l’UPR, de l’UPN et de l’UPG, en date du 21
décembre 2005, demandant l’annulation des élections
du 18 décembre 2005 et l’organisation d’une
concertation nationale entre toutes les parties
intéressées pour la relance du processus de
démocratisation du pays (partis politiques, société
civile, institutions républicaines, conseil inter-
religieux, forces de sécurité et de défense 277 ;

- la lettre ouverte des partis politiques aux partenaires


au développement du 05 janvier 2006, signée par
douze (12) partis politiques, à l’exception de l’UPG,
de l’UDS, du MDP et de l’UFD, mais avec cette fois
la participation de l’UPR et de l’UPN 278 : les partis
____________________

275 : Cf. Transcription de l’interview in « Le lynx » nº 711 du 07


novembre
2005 p.10.
276 : Cf. interview in « La lance » n° 471 du 04 janvier 2006 p.8.
277 : Cf. « L’observateur » nº 296 du 02 janvier 2006 P.5 ; « Les échos »
nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 P.11.
278 : Cf. « Les échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 p.4.
197

signataires ont attiré l’attention des partenaires au


développement sur les graves irrégularités et fraudes
qui ont entaché le processus électoral, rappelé leur
demande d’annulation des scrutins du 18 décembre
2005 et indiquer les conditions pour l’organisation
d’élections transparentes (création d’une commission
électorale indépendante, gratuité de la carte nationale
d’identité, recensement général de la population avec
la participation active des partis politiques). Au
passage, les partis ont relevé la mobilisation des
Ministres et des fonctionnaires de l’État et l’utilisation
des biens et autres moyens de l’État pour assurer la
campagne du PUP.

1-2- Les acteurs secondaires du processus électoral

Innovation des scrutins du 18 décembre 2005, une mission


nationale d’observation a été organisée avec l’appui technique
et financier des partenaires au développement (Canada, Union
Européenne, USAID, UNESCO, PNUD) et de l’ONG IFES ;
elle a mobilisé 26 ONG nationales (ONG de défense des droits,
syndicats, ordre des avocats, conseil national des organisations
de la société civile de Guinée etc...).

Dans cette catégorie des observateurs, doit être classée la


CENA : le manque d’autonomie juridique réelle à l’égard du
Ministère de l’Administration du Territoire et de la
Décentralisation et l’existence de commissions
administratives chargées du recensement des votes l’ont
marginalisée dans le suivi du déroulement des opérations
électorales. Son rapport du 31 décembre 2005, sans intérêt, si
ce n’est celui de déclarer les scrutins globalement
198

satisfaisants, a confirmé son inféodation au Ministère 279 :


cette institution budgétivore n’a même pas été capable de
répondre aux plaintes qui lui étaient adressées, ainsi que l’a
regretté Sidya Touré dont le parti, l’UFR, a saisi la CENA de
plusieurs correspondances 280.

Après une déclaration préliminaire du 22 décembre 2005 281,


la mission nationale d’observation a produit son rapport
définitif en janvier 2006.

La mission avait le double objectif de soutenir le processus


démocratique en Guinée en défendant le développement de la
pratique électorale, mais aussi de témoigner des conditions de
l’organisation et du déroulement des élections communale et
communautaire. Ses 400 membres ont été déployés dans les
huit régions administratives pour une couverture de 3.222
bureaux de vote.

Après avoir relevé quelques acquis comme les innovations


apportées en 2005 à l’organisation électorale, la mission a
constaté nombre d’insuffisances similaires aux formes de
technologie électorale analysées précédemment. La qualité du
rapport conduit à regretter que la mission nationale n’ait pas
été précédée d’une phase préparatoire consistant dans
« l’envoi d’une mission d’évaluation qui détecte les
principaux problèmes avant la tenue du scrutin, comme par
exemple la fiabilité des listes électorales » 282.

____________________
279 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p. 2 ;
« L’observateur » nº 298 du 16
janvier 2006 p.5.
280 : Cf. interview in « La lance » n° 471 du 04 janvier 2006 p.8.
281 : Cf. « L’enquêteur » nº 95 du 27 décembre 2005 au 05 janvier 2006
p.2.
282 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre p.3.
199

Quant aux bailleurs de fonds ou partenaires au


développement, ils n’ont jamais fait mystère de leur intention
de voir la Guinée œuvrer à l’instauration d’une démocratie
politique conforme à son option libérale. C’est dans cette
optique que, déjà en 2003, peu avant le scrutin présidentiel de
décembre 2003, l’Ambassadeur d’Allemagne en Guinée
déclarait : « Quand les élections ne sont pas effectivement
contrôlées par tous ceux qui y participent, ce n’est pas une
démocratie » 283. En 2004, le même diplomate s’exprimera
dans le même sens à propos du soutien de l’Union
Européenne : « La condition est que le scrutin soit supervisé
par un organisme indépendant et que tous les partis soient
d’accord avec les résultats » 284.

Dans le même sens, le 29 septembre 2004, lors de la


présentation de ses lettres de créance au Président Lansana
Conté, l’Ambassadeur des USA, Jackson Mc Donald,
déclare : « Mon action sera guidée par trois principes de
base : les valeurs démocratiques, l’État de droit et la dignité
humaine » 285.

Le Gouvernement guinéen et l’Union Européenne se sont


rencontrés à Bruxelles en 2004. Au cours de cette rencontre
destinée à relancer leur coopération bilatérale dans le cadre
de l’Accord UE/ACP de Cotonou de juin 2000, le
Gouvernement guinéen a produit un mémorandum dans
lequel il s’était engagé, entre autres, à organiser des
« élections locales pluralistes et transparentes sur la base du
consensus attendu du dialogue politique programmé ». Ce
dialogue organisé avec la participation des partis politiques, à
____________________

283 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 220 du 12 août 2003 p.1.


284 : Cf. « La lance » nº 384 du 05 mai 2004 p.7.
285 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 280 du 05 octobre 2004 p.2.
200

l’exception des partis du FRAD, a abouti au mémorandum du


12 juillet 2005 dont les propositions n’ont nullement
préoccupé le Gouvernement 286.
Pourtant, en conclusion de son mémorandum présenté à
Bruxelles, le Gouvernement guinéen a souhaité le
rétablissement des relations normales à travers la reprise de
l’aide budgétaire de 11,4 millions d’euros suspendus,
l’utilisation des reliquats des 6ème, 7ème et 8ème FED dans les
respect des règles de procédure, sans y inclure une
quelconque conditionnalité et la signature du PIN pour
permettre à la Guinée de jouir d’un traitement équitable.
C’est à croire que tous les engagements étaient pris dans le
seul but d’obtenir des financements de l’Union
Européenne.287.
Par ailleurs, peu avant les scrutins de décembre 2005, le
Canada a fermé son ambassade en Guinée. La décision était
consécutive à la publication de l’ « énoncé de politique
internationale du Canada ». En application de cette
orientation prise par le gouvernement canadien, son aide
bilatérale directe va être concentrée jusqu’en 2010, par le
biais de l’Agence Canadienne de Développement
International, sur 25 pays dans le monde dont 14 en Afrique,
à l’exclusion de la Guinée. La liste a été établie sur la base de
deux critères cumulatifs : le niveau de pauvreté (revenu
____________________

286 : Cf. le texte du mémorandum du 12 juillet 2005 in « L’observateur »


nº 278 du 17 août 2005 p. 5 et la réponse gouvernementale in « La
nouvelle tribune » nº 330 du 11
octobre 2005 pp. 4-5.
287 : Sur la mise en place des institutions avec l’unique préoccupation
d’avoir l’aval de la communauté internationale, lire F. Eboussi
Boulaga : « Les conférences nationales en Afrique noire »
Karthala, Paris 1993 p.96.
201

national moyen inférieur à 1000 $US) et la capacité d’utiliser


efficacement l’aide, ce qui implique des conditions de bonne
gouvernance économique et politique 288.

Au regard des engagements pris à Bruxelles, de la demande


des ambassadeurs de l’Union Européenne faite au
Gouvernement « d’œuvrer davantage pour que
l’Administration reste neutre » 289 et du retrait d’un partenaire
privilégié comme le Canada, la question se pose de l’objectif
poursuivi par le Gouvernement en organisant la mascarade
électorale du 18 décembre 2005. Cela explique que la lettre
ouverte du 05 janvier 2006 signée de 12 partis d’opposition
dont le RPG, l’UFR, l’UPR, l’UNPG et l’UFDG, ait eu un
écho au sein de l’Union Européenne. En effet, en 2004, il
avait été décidé à Bruxelles que « le 9ème FED sera signé une
fois que des progrès suffisants auront été constatés par le
Conseil, notamment dans la préparation et la réalisation des
scrutins pour des élections locales et législatives libres et
transparentes ». Avec les résultats contestables et contestés
des élections locales de décembre 2005, la réaction de
l’Union Européenne a été nette : « Il faut que la Guinée
s’active dans la préparation des élections législatives pour
signer le 9ème FED » 290.

____________________

288 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 327 du 20 septembre 2005 p.3.


289 : Cf. déclaration de l’Ambassadeur d’Allemagne en Guinée in « La
lance » nº 478 du 22 février 2006 p.9.
290 : Cf. le compte-rendu d’un entretien accordé par Luc Sérieux,
responsable des affaires économiques à la délégation de l’Union
Européenne en Guinée in « L’indépendant » nº 668 du 02 février
2006 p. 5. L’ensemble des concours financiers attendus de
Bruxelles au titre des 6ème, 7ème, 8ème et 9ème FED s’élève à environ
215 millions d’euros dont 93 millions au titre de l’enveloppe A du
9ème FED. Cf. aussi « L’économiste » nº 50 de janvier 2006 p. 2.
202

L’interprétation de cette attitude des bailleurs comme étant la


manifestation de pressions politiques extérieures, contraires
au principe de la souveraineté des États, n’est pas partagée
par tous. Patrick Quantin soutient, en effet, que
« l’extraversion des sociétés africaines et de leurs systèmes
politiques ne datent pas de 1989. Et l’existence de différentes
variétés de régimes autoritaires sur le continent était tout
autant le résultat de pressions externes qui, non seulement se
gardaient d’exercer des sanctions, mais, à l’occasion,
apportaient un soutien décisif, en matière financière,
militaire ou policière à ces régimes. Les importations forcées
de doctrines de démocratisation sont à l’évidence des
ingérences ; mais elles ne violent pas plus l’autonomie ou la
souveraineté des régimes politiques africains ou la culture
des sociétés africaines que l’appui apporté aux régimes non-
démocratiques antérieurs » 291.

Face à cette réalité, l’attitude du Gouvernement s’explique


difficilement. Ne faut-il pas y voir l’illustration du combat
d’arrière-garde d’un système en déclin ?.

2- L’œuvre de l’instinct de conservation d’un système


politique.

Pour comprendre les élections locales dans leur


environnement culturel, il faut se rappeler que l’option
libérale du régime du Président Lansana Conté exprimée dans
le discours-programme du 22 décembre 1985 résultait d’un
constat politique : la décomposition du système de parti
unique du PDG-RDA, Parti-État révolutionnaire, une
____________________
291 : Cf. Jean-Pascal Daloz et Patrick Quantin (sous la direction) :
« Transitions démocratiques africaines » Karthala, Paris 1997
p.11.
203

décomposition provoquée de l’intérieur et non imposée par


des pressions extérieures. C’est ce qui a permis à l’armée de
prendre le pouvoir sans effusion de sang. Et le choix ainsi
opéré a été l’œuvre des hommes formés sous la Révolution et
qui en ont été des animateurs actifs. Il n’y a donc pas eu en
1984-1985 une nouvelle révolution contre le régime de la
Première République : le moule révolutionnaire ancien est
resté en place avec les mêmes hommes, il n’a pas explosé, il
n’a pas été cassé.

C’est dans ce contexte politico-culturel que vont être


entreprises les réformes économiques et politiques sous la
pression, cette fois, des bailleurs de fonds. Car, si jusqu’en
1984, le système politique guinéen pouvait être considéré
comme fermé, l’option libérale l’a obligé à l’ouverture, même
si la classe politique issue de l’ancien régime et auteur de
l’option, assume mal toutes les implications du libéralisme
politique et économique 292. Il n’est donc pas excessif
d’affirmer avec Francis Akindès que le processus de
démocratisation est « la conséquence politique de
l’application des PAS. Par le biais de ceux-ci, on a tenté de
ruiner les « habitus » politiques d’omniprésence et
d’omnipotence de l’État dus à l’extension excessive de son
rôle économique » 293.

L’analyse s’adapte parfaitement à la Guinée en raison de


l’imbrication totale entre fonction politique et fonction
____________________

292 : Sur la distinction systèmes politiques fermés et ouverts, cf. Jean-


Marie Denquin : « Science politique » op. cit. p. 157.
293 : Cf. Francis Akindès : « La transformation des lieux de pouvoir en
Afrique Sub-saharienne sous les contraintes de la mondialisation »
in « Puissance et impuissance de l’État. Les pouvoirs en question
au Nord et au Sud », sous la direction de Sophia Mappa, Karthala,
Paris 1996 p. 369.
204

économique depuis l’indépendance du pays. Mais la situation


s’est compliquée avec le réveil d’un paramètre latent,
l’ethnicité.

La combinaison de tous ces facteurs chapeautée par le quasi-


retrait du Président Lansana Conté de la scène politique en
raison de son état de santé, a conduit à une dilution du
pouvoir au sein de multiples réseaux. Des clans fondés le plus
souvent sur des considérations socio-ethniques se combattent
à visage découvert, notamment dans la presse, à tous les
échelons de l’État.

Les finances publiques dépendant en partie des concours


extérieurs, l’accord minimal des clans se fait sur le principe
de la tenue des élections pour attirer les fonds des partenaires
au développement. L’organisation des consultations
électorales poursuit dès lors deux objectifs : conserver la
confiance des bailleurs de fonds et se maintenir en pratiquant
la fraude électorale. Évidemment, à ce jeu de dupes, seul le
trompeur se trompe. Les réactions des partis d’opposition et
des partenaires au développement après le 18 décembre 2005
sont suffisamment expressives.

L’élection est détournée de sa finalité : il ne s’agit plus


d’assurer des choix politiques (de projet de société ou de
représentants) mais de garantir la pérennité d’un système
prébendier. Car, comme l’écrit Achille Mbembé à propos de
l’Afrique subsaharienne, « on continue d’avoir, du pouvoir,
une représentation et une pratique qui font de celui-ci un
avoir ou, très souvent, un butin que les détenteurs doivent
conserver par tous les moyens et à tout prix » 294. L’élection
est une source d’enrichissement. Sinon, pourquoi refuser la
____________________

294 : Cf. Achille Mbembé, op. cit. p.14.


205

mise en place d’une commission électorale indépendante si ce


n’est pour assurer la gestion des fonds électoraux ou attribuer
les marchés juteux d’acquisition du matériel électoral et de
financement des opérations électorales à des hommes
d’affaires prête-noms ou sous contrôle ? Sinon, comment
expliquer que des fournisseurs de matériel électoral pris en
« sandwich » dans de prétendus conflits de compétence
opposant les organisateurs des scrutins, ne soient pas payés
ou le soient après des années ?

Le système politique guinéen actuel donne ainsi raison à


Maurice Duverger qui écrivait : « Presque tous les systèmes
des sociétés sous-développés sont autoritaires. La micro-
démocratie à l’échelle tribale ou urbaine n’est plus adaptée
aux exigences des États nationaux » 295.

C’est donc très justement que Sidya Touré, leader de l’UFR,


a pu dire, sur les antennes de RFI, au lendemain des élections
locales de décembre 2005 : « Je pense plutôt à des clans qui
se partagent le pouvoir, notamment beaucoup de clans
mafieux, qui partagent les revenus du pays. Je dirais, c’est
ceux-là aujourd’hui, qui manipulent le système… Donc ce
sont ces clans-là qui constituent le système » 296. Alpha
Condé, Président du RPG, abondera dans le même sens, le 19
janvier 2006 à Dakar, lors d’un point de presse, répondant à
une question sur l’exclusion ethnique : « Ce n’est donc pas
un problème d’ethnies, mais bien un problème de groupes
mafieux faisant de l’ethno-stratégie leur cheval de bataille.
____________________

295 : Cf. Maurice Duverger : « Sociologie de la politique », PUF, Paris


1973 p. 413.
296 : Cf. transcription de l’interview in « Lance » nº 469 du 21 décembre
2005 p.2.
206

Aucune ethnie n’est exclue en Guinée et aucune ne le


sera »297. La situation a inspiré un journaliste indépendant,
Kayoko Doré, qui a qualifié le gouvernement guinéen de
« puzzle d’affairistes, âpres au gain et peu soucieux des
conditions d’existence de leurs compatriotes » 298.

Ainsi, c’est avec raison que Jean-François Bayart soutient


que l’État post-colonial en Afrique se présente comme « un
rhizome, plutôt que comme un ensemble radiculaire. Pour
être doté d’une historicité propre, il ne se déploie pas sur une
seule dimension, à partir d’un tronc génétique, tel un chêne
majestueux qui plongerait ses racines dans l’humus
fondamental de l’histoire. Il est multiplicité protéiforme de
réseaux dont les tiges souterraines relient des points épars de
la société » 299. Quant à Jean-Jacques Raynal, il affirme plutôt
que l’État post-colonial africain a vécu jusque-là « en
entretenant la fiction d’un implant juridique européen dans la
société africaine » 300. Il importe cependant de préciser, dans
le cas d’espèce guinéen, que le tohu-bohu des luttes de clans
respecte l’esprit centralisateur qui a déterminé le
fonctionnement de l’État depuis l’indépendance et le
caractère présidentialiste du régime actuel : son action se
répercute au cœur de l’État et son influence part du sommet
pour gangrener toute la société politique qui s’en retrouve
paralysée.
____________________

297 : Cf. « L’observateur » nº 300 du 30 janvier 2006 p. 2.


298 : Cf. « La lance » nº 485 du 12 avril 2006 p.3.
299 : Cf. Jean-François Bayart : « L’État en Afrique de droit et du ventre,
op. cit. p. 272.
300 : Cf. Jean-Jacques Raynal : « Conférence nationale, État de droit et
démocratie.
Quelques réflexions à propos d’une occasion manquée » in
Dominique Darbon et Jean du Bois de Gaudusson (sous la dir.
de J.) : « La création du droit en Afrique » Karthala, Paris, 1997 p.
15 p.
207

Le système politique guinéen ainsi en difficulté a peur, même


de son ombre. Telle peut être l’explication du verrouillage
des élections, des tracasseries administratives et autres ennuis
rencontrés par les leaders politiques lors de leurs tournées
politiques à l’intérieur, malgré des instructions officielles
contenues dans des circulaires de janvier et juillet 2005 301. La
décrispation observée en Guinée par le Représentant spécial
du Secrétaire Général des Nations-Unies pour l’Afrique de
l’Ouest, Ahmed Ould Abdallah 302, n’aura pas produit tous ses
effets.
____________________

301 : Sur le cas de la tournée de Sidya Touré en juillet 2005 (refus des
stades préfectoraux, interdiction de la publicité des meetings,
intimidation des militants par les autorités administratives et les
services de sécurité…), cf. « Les échos » nº 96 du 1er au 14
novembre 2005 p. 5 ; « La lance » nº 400 du 10 août 2005 p.5.
302 : Cf. « Les échos » nº 92 du 29 août 2005 p. 9.
209

Conclusion
La situation politique actuelle de la Guinée relève d’une
question de fond, celle de la démocratie, de la volonté réelle
de conduire le pays sur le chemin du développement ainsi que
le commande l’option libérale prise depuis 1984.

Mais la culture politique héritée du passé 303 et l’assise


militaire du pouvoir 304 illustrent avec évidence le blocage à la
fois mental et institutionnel. La lecture du message de nouvel
an 2001 du Président Lansana Conté à son parti, le PUP, en
____________________

303 : Dans une interview au journal « La lance », l’écrivain guinéen,


Thierno Monenembo a décrit cet héritage culturel de façon
poignante : « Nos Chefs d’État croient qu’ils sont vraiment
invincibles par rapport à la révolution du monde. Je ne sais dans
quel monde, ils croient vivre. En tout cas, leur manière de penser et
d’agir n’a rien à voir avec ce qui se fait au 21ème siècle. C’est des
gens qui n’ont jamais réussi à être des chefs d’État, mentalement ce
sont des chefs de village. Ils n’ont pas compris que l’État moderne
est un principe, et que sans institutions, il n’y a pas d’État
moderne » in « La lance nº 450 du 10 août 2005 p. 7.
304 : Arnaud de Raulin et Eloi Diarra ont parlé à ce propos de
« surpuissance de l’armée » dans « La transition démocratique en
Guinée » in Gérard Conac (sous la dir.de) : « l’Afrique en
transition vers le pluralisme », Economica, Paris, 1993 p. 322.
À ce propos que, voyageant dans la nuit du 29 au 30 novembre
2002 pour l’Arabie Saoudite et le Japon (étape supprimée), le
Président Lansana Conté a réuni les officiers supérieurs le 28
novembre 2002 pour leur confier le pays pendant son absence.
Dans le même sens, ses propos tenus le 1er novembre 2003 à
l’occasion du 45ème anniversaire de l’armée, sont assez révélateurs.
S’adressant aux militaires, il leur dit : « Je ne veux pas que parmi
nous, certains prennent des fusils pour attaquer à des moments où
il ne faut pas et sans droit… Alors je vous conseille tous de rester
calmes, ici, on fait ce que le chef dit, seul le règlement. Et dans
l’armée guinéenne, moi j’ai toujours raison sur vous. Vous obéissez
ce que je dis et vous réussissez. Si vous n’obéissez pas ce que je dis,
vous vous trompez, et vous allez avoir des malédictions, j’en suis
210

dit long sur le vécu politique : « Moi, je n’ai pas d’opposants,


c’est le Parti qui a des opposants. Moi je suis le Président de
la République, donc je n’ai pas d’opposants. Tous les
Guinéens travaillent sous mes ordres. Celui qui ne veut pas,
tu vas ailleurs. Je ne veux pas que quelqu’un dise qu’il faut
qu’on s’entende, il faut qu’on fasse le dialogue. Je suis
d’accord entre les Partis, pas avec le Président » 305.

Le propos ne s’explique ni juridiquement, ni politiquement.


Sur le plan juridique, le Président de la République, élu au
suffrage universel, ne peut « fermer la porte » au dialogue
avec les partis politiques qui sont les représentants légaux des
électeurs qui l’ont porté à la magistrature suprême, la
législation électorale guinéenne interdisant les candidatures
individuelles ou libres aux élections politiques nationales ou
locales. Politiquement, le Président Lansana Conté est le
Président du PUP : toute discussion entre le PUP et les autres
partis politiques ne peut aboutir à des résultats fiables
qu’avec son aval. Son implication est d’autant nécessaire que
l’exécution des décisions issues d’un dialogue politique
nécessite toujours l’intervention du gouvernement et de
l’administration publique dont il est le chef constitutionnel.
_________________________________________________

sûr ». in « La lance » nº 232 du 04 novembre 2003 p. 3. Annoncées


par RFI le 21 mars 2006, mais démenties après par l’intéressé, les
rencontres entre le Président de l’Assemblée Nationale et des
groupes d’officiers, après l’évacuation sanitaire du Président
Lansana Conté en Suisse, prouvent, avec certitude, l’assise
militaire du pouvoir, lequel ne repose donc sur aucun parti
politique solidement implanté dans le pays, une confirmation de ce
que la victoire du PUP, le 18 décembre 2005, est bien le résultat
de la fraude électorale.
305 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 87 du 09 janvier 2001 p.2.
211

L’espoir est toutefois permis car, ainsi que le notait Jean-


Yves Calvez, à propos des régimes politiques africains : « Le
présidentialisme n’est pas synonyme de régime fort et stable :
le régime n’est fort et stable que par la personnalité qui se
trouve à la barre ». Il y a là « un pouvoir qui tient très
largement aux qualités du détenteur, un pouvoir encore peu
institutionnalisé, malgré les apparences
constitutionnelles » 306.

Et cet espoir, c’est celui d’un changement ou d’une mutation


du système politique guinéen, s’il en a encore les ressources
morales, car « nous ne pouvons pas demeurer en marche de
l’histoire, des grandes avancées de notre temps. Il nous faut
résolument tourner le dos à l’esprit du Parti-Etat et de
l’idéologie totalitaire, pour adopter la démocratie pluraliste,
avec tous ses avantages et inconvénients. En particulier, nous
devons accepter d’organiser des élections totalement libres,
régulières et transparentes, avec toutes les conséquences que
cela implique, notamment en matière de liberté de
mouvement et d’expression des acteurs de la vie
politique… Les agents de l’État, à quelque niveau qu’ils se
situent, doivent accepter la neutralité clairement édictée par
la Loi fondamentale dans leur comportement de tous les jours
vis-à-vis des acteurs politiques » 307.

Cette déclaration faite par El Hadj Boubacar Biro Diallo,


Président de l’Assemblée Nationale le 30 mars 2002, à la
clôture de la session budgétaire 2002 du Parlement et à la
veille de l’élection législative du 30 juin 2002, exprime la
ligne politique minimale qui devrait emporter le consensus de
la classe politique guinéenne. Il faut effacer l’image d’une
_____________________

306 : Cité par Roger-Gérard Swartzenberg : « Sociologie politique » 5ème


éd. Montchrestien, Paris, 1998 p. 250.
307 : Cf. « Le démocrate » nº 114 du 1er au 07 avril 2002 p.3.
212

Guinée engluée « dans l’épaisseur d’un autoritarisme


indéracinable » 308 ; il faut rompre avec les méthodes de
gouvernement fondées sur le népotisme, le clientélisme et
l’affairisme, avec pour corollaire la privatisation de
l’administration publique 309.
À cet effet, les élections ne doivent pas contribuer « à
pérenniser les identifications et les allégeances antérieures »
mais elles doivent « favoriser l’émergence d’une culture
civique » 310. Il faut pour cela vaincre les résistances mentales
au changement 311 car, en Guinée, si la transition
institutionnelle a progressé avec les structures mises en place
dans le cadre de la Loi fondamentale de 1990, la transition au
plan des mentalités est à peine amorcée 312. Une telle
évolution passe par un changement des hommes, condition
d’un changement des idées, à défaut pour la classe dirigeante
actuelle de réaliser sa propre mutation intellectuelle. C’est en
ce moment-là que sonnerait le glas pour le système politique.
Sidya Touré, Président de l’UFR, a pu, sans détours, déclarer
au journal « L’enquêteur » : « La seule solution, c’est
changer le système » 313.
____________________
308 : Cf. Daniel Bourmaud : « La politique en Afrique », op. cit. p.142.
309 : Cf. Charles Robert Dimi : « La tribu contre l’État en Afrique » in
Alternatives Sud, Volume II (1995) 2 p. 149.
310 : Cf. Daniel Bourmaud, op. cit. p. 142.
311 : Pierre Van Den Boogaerde, chef de la mission conjointe FMI-
Banque Mondiale déclarait, en 2004, à propos de l’économie
guinéenne : « Il y a certainement des attitudes qui se sont
installées qu’il y a lieu de changer. Ce qui ne va pas être facile,
parce qu’il y a des gens qui résistent au changement » in « Le
lynx » nº 636 du 31 mai 2004 p.4.
312 : Dans son article précité (p.86), Maurice Enguéléguélé classe la
Guinée au nombre des États (Tchad, Togo, Ouganda, Zimbabwé,
Côte-d’Ivoire, Guinée Équatoriale) où la transition est bloquée ou
inachevée.
313 : Cf. « L’enquêteur » nº 93 du 24 novembre au 08 décembre 2005 p.
213

Les élections à venir doivent donc déboucher sur le


renouvellement de la classe politique avec l’apparition d’une
nouvelle élite politique soutenue par des démocrates vrais
car, comme l’écrit Guy Hermet, « il n’est pas de démocratie
durable sans démocrates, c’est-à-dire sans citoyens à la fois
désireux et capables d’y jouer un rôle en même temps actif et
responsable » 314. Doit être abandonnée l’idée que les
populations africaines sont « amorphes et analphabètes,
inaptes par culture au choix individuel puisque enserrées une
fois pour toutes dans les logiques clientélistes de l’intérêt
matériel immédiat » 315. La légitimité découlant d’une élection
ne doit pas être considérée comme un blanc-seing pour la
gabegie : « un régime de liberté est (…) un régime au sein
duquel toute légitimité est toujours susceptible de remise en
question » 316.

Il devra s’agir d’une élite citoyenne qui devra se démarquer


de ses prédécesseurs, en se détournant de la logique du « c’est
à notre tour de manger » 317.

Dans cette optique l’idée d’un régime transitoire à mettre en


place après le Président Lansana Conté doit être soutenue et
défendue. Sur la question des réactions ont déjà eu lieu.
____________________
314 : Cf. Guy Hermet : « Culture et démocratie » UNESCO-Albin Michel,
Paris 1993 p. 191.
315 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse multidimensionnelle
du processus électoral africain. Historicité, comparaison et
institutionnalisation » in « Voter en Afrique Comparaisons et
différenciations », op. cit. p. 54.
316 : Cf. Achille Mbembé, op.cit.p.14.
317 : Cf. Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz : « L’Afrique est partie !
Du désordre comme instrument politique » op. cit. p. 47 ; Jean-
Pascal Daloz : « Les approches élitaires comme nécessaire
antidote » in Jean-Pascal Daloz (sous la dir.) : « Le (non-)
renouvellement des élites politiques en Afrique Sud-Saharienne »
CEAN 1999 p. 19.
214

L’ONG « Collectif pour une transition démocratique en


Guinée (COTRADEG) a produit un manifeste daté du 18
janvier 2006 dans lequel elle fait des propositions
intéressantes, mais sa position sur la direction de la transition
n’est pas acceptable, elle est source de blocage institutionnel
ou, encore, de détournement de but de la transition 318. Bâ
Mamadou, Président de l’UFDG a fait justement remarquer, à
ce propos : « Eux, ils veulent absolument qu’on respecte la
constitution en désignant le Président de l’Assemblée pour
diriger cette période de transition tout en décrétant qu’il ne
va pas utiliser la constitution complètement puisqu’il va
renoncer à diriger le pays et il va mettre un Premier Ministre
qui va gérer le pays et préparer des élections libres et
transparentes. Il faudrait donc que Somparé accepte de
renoncer à ses prérogatives constitutionnelles et s’il ne
renonce pas et qu’on l’oblige, ce n’est plus la peine de
respecter la constitution. Et si vous respectez la constitution,
il faut garder les institutions » 319.

L’objection du leader de l’UFDG est confortée par


l’expérience des négociations inter-ivoiriennes tendant à
mettre fin à la situation de guerre civile prévalant dans le
pays depuis le 19 septembre 2002. Le fait qu’à Marcoussis,
les parties ivoiriennes n’aient pas convenu de l’abrogation de
la constitution du 1er août 2000, véritable pomme de discorde
dans le pays, et donc la dissolution des institutions qui en sont
issues, a largement contribué à retarder la solution de la
____________________

318 : Cf. le texte du manifeste in « L’observateur » nº 300 du 30 janvier


2006 pp. 6-7.
319 : Cf. interview in « L’observateur » nº 303 du 20 février 2006 p.7 ; de
même la déclaration de l’UFDG du 14 avril 2006 : « Après
Conté : comment obtenir une alternance viable » in
« L’observateur » nº 309 du 19 avril 2006 p.7 et « La nouvelle
tribune » nº 354 du 18 avril 2006 p.4.
215

crise : l’une des parties fonde ses actions sur la constitution et


l’autre rejette les décisions des institutions mises en place
dans le cadre de ladite constitution, et ce jusqu’à la mise en
place du Groupe International de Travail (GIT) par la
Communauté internationale conduite par l’ONU.

Au regard de ces observations, la proposition faite par le


FRAD, lors d’une conférence de presse le 10 septembre
2005, au siège de l’UPG, est plus adaptée à l’objectif d’un
renouvellement de la classe politique guinéenne, voie dans
laquelle s’est engagé le Bénin en mars 2006 avec l’élection à
la magistrature suprême de Yayi Boni, nouveau venu sur la
scène politique béninoise.

Il s’agit de mettre en place un gouvernement de transition


constitué d’éléments issus de toutes les forces vives civiles de
la nation (partis politiques, société civile) et dirigé par un
Président et un Premier Ministre choisis de façon
consensuelle et qui ne seraient pas candidats aux élections
législatives et présidentielles ; la concertation nationale des
forces vives de mars 2006 y a ajouté les forces armées 320. Ces
élections devraient être organisées, dans tous leurs aspects,
par une commission électorale nationale indépendante 321.

La grande question reste celle du passage pacifique (en


l’absence de toute intervention militaire) du régime de la
____________________

320 : Nouvel acte d’indiscipline au sein de l’opposition, l’UFD qui a


participé à la concertation nationale des 17 au 20 mars 2006, a
présenté à son congrès des 8 et 9 avril 2006, un plan de sortie de
crise excluant l’armée et la surveillance de la période de transition
par un Comité International, ce qui a provoqué une réaction
indignée de Alpha Condé (RPG) et de Bâ Mamadou (UFDG). Cf.
« La lance » nº 485 du 12 avril 2006 p.9.
321 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 326 du 13 septembre 2005 p. 2 ; « Les
échos » nº 93 du 16 au 30 septembre 2005 pp. 3-4.
216

constitution de 1990 à un régime transitoire. Par une sorte de


comparaison, il est possible de mettre en rapport la situation
actuelle de la Guinée, un État en pleine déconfiture, avec
celle de la France en 1958.

En effet, le régime français de la 4ème République, né d’un


compromis constitutionnel 322, était très vite apparu comme un
régime des partis, qui n’a pu efficacement faire face à la fois
aux contraintes de la reconstruction d’après-guerre, malgré
l’aide américaine dans le cadre du plan Marshall, et aux
guerres coloniales, d’abord la guerre d’Indochine relayée,
après la défaite de Diên Biên Phu en mai 1954, par la guerre
d’Algérie déclenchée le 1er novembre 1954 323. Pour éviter la
pression de la rue et surtout que l’insurrection militaire
déclenchée en Algérie le 13 mai 1958, ralliée par la Corse le
24, ne débouche sur un coup d’État militaire, le Président de
la République française, René Coty, a fait appel, le 29 mai
1958, au général de Gaulle, en retrait des affaires publiques
depuis 1946 ; celui-ci forma un gouvernement dans lequel se
retrouvaient aussi bien des hommes de gauche (comme Guy
Mollet) que de droite (comme Antoine Pinay) 324.

____________________

322 : Cf. Georges Vedel : « Droit constitutionnel » Sirey, Paris 1949


p.313.
323 : Sous la 4ème République française, loin de diriger la majorité
parlementaire, le
gouvernement était à sa remorque. Ainsi, de la formation du
cabinet Ramadier le 22 janvier 1947 à la constitution du cabinet
Pflimlin le 14 mai 1958, il y a eu 20 gouvernements, avec une
durée moyenne de 6 mois. Cf. Michel-Henri Fabre : « Principes
républicains de droit constitutionnel », 2è éd. LGDJ, Paris 1970
pp. 291-292.
324 : Cf. Arnaud Teyssier : « La Vè République 1958-1995. De de Gaulle
à Chirac » Ed. Pygmalion-Gérard Watelet, Paris 1995 pp. 23 et
suiv.
217

À la disparition du Président Lansana Conté, la scène


politique guinéenne présentera le même visage que celui de la
France en mai 1958, c’est-à-dire le visage de l’échec du
système d’un parti, le PUP, qui a, à travers son Président,
géré seul la Guinée depuis sa création en 1992, à la seule
différence notable, dans cette hypothèse, de l’absence en
Guinée d’un Président de la République qui proposerait
l’homme chargé de conduire la transition.

Avec un brin d’optimisme, il est permis d’espérer que, dans


un sursaut patriotique, l’Assemblée Nationale actuelle,
composée aux trois quarts de députés membres du PUP,
réagisse comme son homologue français avec la loi du 03
juin 1958, en adoptant, elle aussi, une loi qui permette « le
passage d’une république à une autre sans qu’à l’origine de ce
changement ne se trouve une révolution, une insurrection,
une invasion, ou une défaite et surtout sans, qu’entre ces deux
républiques, ne s’écoule un délai plus ou moins long pendant
lequel les valeurs républicaines ne disparaissent au profit de
régimes non démocratiques » 325. De la sorte, l’Assemblée
Nationale serait l’auteur d’un acte pré-constituant qui à la fois
précèderait et participerait à l’élaboration de façon
déterminante d’une nouvelle constitution ou, à défaut, d’une
révision profonde de la loi fondamentale de 1990. Dérogeant
à la procédure de révision instituée par l’article 91 de la
constitution, la loi énoncerait les principes devant encadrer le
travail de la commission constitutionnelle spéciale qui serait
mise en place 326.
____________________

325 : Cf. Willy Zimmer : « La loi du 03 juin 1958 : contribution à l’étude


des actes pré-constituants » in Revue du droit public 1995 n° 2 p.
383.
326 : La loi française du 03 juin 1958 avait énoncé cinq principes : le
suffrage universel comme source du pouvoir dont découlent les
pouvoirs législatif et exécutif, la séparation des pouvoirs, la
responsabilité du Gouvernement devant le Parlement,
218

L’immanence des résistances mentales au changement et


l’incapacité de la classe politique actuelle à se remettre en
cause confèrent à la proposition le caractère d’une hypothèse
d’école.

Dès lors, apparaît tout l’intérêt de la structure permanente


paritaire de 30 membres (50 % pour la société civile et 50 %
pour les partis politiques) avec un Bureau Exécutif de sept
membres présidée par la société civile, proposée lors de la
concertation nationale des forces vives de mars 2006.
Chargée de préparer le passage de l’éventualité à la réalité de
la vacance de la Présidence de la République, la structure
permanente serait le cadre idéal du choix de l’homme qui,
sans bénéficier d’une légitimité historique comme le Général
de Gaulle, serait celui autour duquel se ferait la mobilisation
populaire pour la transition et qui aurait, par son aura
personnelle, la mission de former et de diriger le
gouvernement de transition 327. En raison du contexte
sociologique guinéen, le choix d’un homme issu d’une
minorité ethnique serait idéal 328.

Si l’opposition du système politique du PUP devait faire


obstacle à l’exécution d’un tel schéma, il ne resterait plus que
_________________________________________________
l’existence d’une autorité judiciaire indépendante à même
d’assurer le respect des libertés essentielles et les rapports de la
République avec les peuples qui lui sont associés.
327 : En ce sens, la déclaration précitée de l’UFDG du 14 avril 2006
intitulée : « Après Conté : comment obtenir une alternance
viable ».
328 : Il y a quelques années, brossant le portrait-robot de l’homme
capable d’assurer la transition après le Président Houphouêt-
Boigny qui n’avait pas désigné de successeur officiel, j’avais, entre
autres, proposé le critère de l’homme issu d’une ethnie minoritaire.
Cf. Togba Zogbélémou : « L’intérim de la Présidence de la
République en Côte-d’Ivoire (analyse juridique et impact
politique) » in Penant 1988 nº 797 p. 233.
219

la solution d’une transition conduite par l’Armée. Ce ne serait


une première ni en Guinée (le régime du CTRN de 1991 à
1993), ni en Afrique (le Mali et la Guinée-Bissau ont déjà
donné l’exemple, la Mauritanie est sur la voie).

L’objectif premier de la transition, en dehors de


l’organisation des élections, serait de réaliser un consensus
sur les bases de la société politique guinéenne, un consensus
qui « porte sur les règles du jeu plus que sur la nature des
joueurs et les modalités des parties » 329. Il importe en effet
d’arriver à « une véritable institutionnalisation de l’opération
électorale, par-delà les gouvernements successifs, de telle
façon que ces règles s’imposent de plus en plus à l’ensemble
des acteurs et qu’ils se sentent coresponsables de leur respect
scrupuleux » 330.

Il s’agit de bâtir « une démocratie consensuelle » capable,


selon Michel Doo-Kingue, de mobiliser le peuple
massivement pour la réalisation des objectifs sur lesquels une
large majorité s’est prononcée ou qui ont pu être négociés
entre les différents partis représentés au parlement 331.
____________________

329 : Cf. l’opinion de Maurice Duverger sur la notion de consensus in


Revue Pouvoirs 1978 nº 5 p.27 (numéro spécial consacré au
consensus).
330 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse multidimensionnelle
du processus électoral africain » op. cit. pp.62-63.
331 : Cf. Michel Doo- Kingué : « Quelle démocratie en Afrique ? » Les
Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1999 p. 194. Bertrand
Badié et Pierre Birnbaum utilisent aussi l’expression de démocratie
consociationnelle pour désigner un système politique dans lequel
« les conflits se règlent à l’amiable, les multiples groupes apaisant
leurs différends dans un esprit de concession et de tolérance et non
à travers l’application du principe de la majorité ».
Cf. « Sociologie de l’État » Grasset, Paris, 1982 p. 234.
220

Cette démocratie seule permettra aux Guinéens de rompre


avec la pratique de la complotite, maladie congénitale des
régimes politiques guinéens. Car « complot et démocratie
sont antinomiques. Le complot n’intervient que dans un
contexte de non-démocratie, dans les régimes autocratiques
et totalitaires. On en parle moins là où l’État de droit et la
démocratie composent l’environnement de la vie politique,
économique » 332.

Elle seule permettra à la Guinée de s’engager sur la voie d’un


développement véritable capable d’élever le niveau des
populations. Car, il ne sert à rien de clamer urbi et orbi que la
Guinée est un scandale géologique si la ressource minière ne
peut être transformée en ressource budgétaire publique avec,
à la clé, une incidence réelle sur le revenu du citoyen. Il ne
sert à rien de dire que la Guinée est le château-d’eau de
l’Afrique quand il n’y a pas d’eau dans les robinets pour
boire et se laver, quand il n’y a pas d’électricité pour éclairer
les rues et les maisons et soutenir le développement industriel
333
.
La situation actuelle de la Guinée appelle ses populations à
un véritable « sursaut patriotique », ainsi que les y invitait
l’UFDG dans sa déclaration du 28 septembre 2004 334. Car,
c’est sur les débris du moule révolutionnaire que se construira
une société démocratique guinéenne. L’éclosion observée
aujourd’hui d’une société civile qui commence à s’affirmer
dans le paysage socio-politique devrait y contribuer de façon
____________________
332 : Cf. Kayoko Doré : « Démocratie et complots sont antinomiques » in
« Le lynx » nº 636 du 31 mai 2004 p.3.
333 : À l’ouverture de la session budgétaire 2005, le 27 septembre 2004,
le Président de l’Assemblée Nationale, El Hadj Aboubacar
Somparé, a déclaré : « Depuis de nombreuses années, jamais les
populations guinéennes n’ont été autant éprouvées » in « La
nouvelle tribune » nº 280 du 05 octobre 2004 p.4.
334 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 280 du 05 octobre 2004 p. 3.
221

significative : la mission nationale d’observation des


élections locales du 18 décembre 2005 et la grève générale
organisée par l'inter-syndicale CNTG-USTG du 27 février au
3 mars 2006, avec un succès total 335, constituent les
premières actions visibles de cette société civile en
mouvement. Les partis politiques, tous bords confondus,
devraient en tirer toutes les conséquences dans une
perspective non pas de récupération politicienne, mais
d’intégration des aspirations des populations dans leurs
projets de société. Cette évolution est nécessaire pour
remettre de l’ordre dans la gestion des affaires publiques,
pour mettre fin à la cacophonie qui caractérise le
fonctionnement des institutions républicaines, qui paralyse
l’État 336 : elle est déterminante pour le comportement des
ministres et autres hauts cadres administratifs, elle est de
nature à consolider la démocratie locale.
____________________
335 : Cf. Jeune Afrique n° 2357 du 12 au 18 mars 2006 pp.38-39. Lire le
texte du protocole d’accord tripartite (Gouvernement Patronat-
Syndicats) du 03 mars 2006 in « Le démocrate » nº 301 du 07 mars
2006 p.5 ; « La nouvelle » nº 071 du 15 au 21 mars 2006 pp. 6-
7 ; « La nouvelle tribune » nº 348 du 07 mars 2006 pp. 4-5.
336 : Le comble de cette cacophonie a été atteint, le 05 avril 2006, avec
le décret de cette date qui a annulé un autre décret de la veille (04
avril) ayant formé un nouveau gouvernement sur proposition du
Premier Ministre, Cellou Dalein Diallo, lequel a été démis de ses
fonctions pour faute lourde par un décret du même jour. Cf.
« L’indépendant » nº 676 du 06 avril 2006 pp.5-6 ; « Mutation »
nº 04 du 06 avril 2006 p. Sur la relation des faits des 04 et 05 avril
2006, lire l’article de Cheikh Yérim Seck dans « Jeune Afrique »
n° 2361 du 09 au 15 avril 2006 pp. 34-35 et le journal guinéen « Le
populaire » nº 80 du 10 avril 2006 p.6. Le remaniement ministériel
du 29 mai 2006 a supprimé le poste de Premier Ministre au profit
de 6 ministères d’État coordonnant les activités de groupes de
ministères.
222

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Quantin (sous la direction de P.) : « Voter en Afrique.
Comparaisons et différenciations » L’Harmattan,
Paris, 2004.
Rivero (J.) et Waline (J.) : « Droit administratif » 15ème éd.
Précis Dalloz, Paris 1994.
Seck (C.Y.) : « Afrique : le spectre de l’échec » L’Harmattan,
Paris, 2002.
Swartzenberg (R-G) : « Sociologie politique », 5ème éd.
Montchrestien Paris, 1998.
Teyssier (A.) : « La Ve République 1958-1995. De de Gaulle
à Chirac » éd. Pygmalion-Gérard Watelet, Paris 1995.
Vedel (G.) : « Droit administratif » coll. Thémis, PUF, Paris
1980.
Vedel (G.) : « Droit constitutionnel » Sirey, Paris 1949.
Wade (A.) : « Un destin pour l’Afrique » Michel Lafon Paris.

II- Articles

Barry (B) : « Aspects juridiques de l’élection présidentielle à


travers le code électoral guinéen » in L’enquêteur
nº 24 du 02 au 17 avril 2003.
Bois de Gaudusson (J. du) : « Le statut de la justice dans les
226

États d’Afrique francophone » in Afrique


contemporaine nº 156 (spécial), 1990.
Dimi (C-R.) : « La tribu contre l’État en Afrique » in
Alternatives Sud, vol. II (1995) 2.
Doré (K.) : « Démocratie et complots sont antinomiques » in
Le lynx nº 636 du 31 mai 2004.
Dozon (J.P.) : « La Côte-d’Ivoire entre démocratie,
nationalisme et ethnonationalisme » in Politique
africaine, 2000 nº 78.
Mbembé (A) : « Des rapports entre la rareté matérielle et la
démocratie en Afrique subsaharienne » in revue
Sociétés africaines et diaspora nº 1 mars 1996.
Médard (J.F.) : « La spécificité des pouvoirs africains » in
Revue Pouvoirs 1983 nº 25.
Mény (Y.) et Sadoun (M.) : « Conception de la représentation
et représentation proportionnelle » in Revue Pouvoirs
1985 nº 32.
Mipamb (N.T.) : « Renouveau constitutionnel et État de droit
en Afrique de l’Ouest francophone » in La voix de
l’intégration juridique et judiciaire africaine, 2003 nº 3
et 4.
Mescheriakoff (A.S.) : « L’ordre patrimonial : essai
d’interprétation du fonctionnement de l’administration
africaine subsaharienne » in Revue française
d’administration publique 1987 n° 42.
Raulin (A.de) : « La constitution guinéenne du 23 décembre
1990 » in Revue juridique et politique, indépendance
et coopération, nº 2 avril-juin 1992.
Roy (P.) : « La Guinée à l’aube de l’État de droit. La loi
fondamentale du 31 décembre 1990 » in Penant n°
809, mai-septembre 1992.
Zimmer (W.) : « La loi du 3 juin 1958 : contribution à l’étude
des actes pré-constituants » in Revue du droit public
1995 nº 2.
Zogbélémou (T.) : « L’intérim de la Présidence de la
227

République en Côte-d’Ivoire (analyse juridique et


impact politique) » in Penant n° 797 juin-octobre 1988.

III- Journaux consultés

1- Journaux guinéens

La Nouvelle Tribune : nº 87 du 09 janvier 2001 ; nº 164 du 16


juillet 2002 ; nº 220 du 12 août 2003 ; nº 222 du 26 août
2003 ; nº 223 du 03 septembre 2003 ; nº 224 du 09 septembre
2003 ; nº 226 du 23 septembre 2003 ; nº 271 du 03 août
2004 ; nº 278 du 17 août 2005 ; nº 280 du 05 octobre 2004 nº
246 du 10 février 2004 ; nº 330 du 11 octobre 2005 ; nº 326
du 13 septembre 2005 ; nº 327 du 20 septembre 2004 ; nº 331
du 18 octobre 2005 ; nº 341 du 27 décembre 2005 ; nº 342 du
03 janvier 2006 ; nº 343 du 10 janvier 2006 ; nº 348 du 07
mars 2006 ; nº 350 du 21 mars 2006 ; nº 351 du 28 mars
2006 ; nº 354 du 18 avril 2006 ; nº 360 du 30 mai 2006.

La Chronique : nº 1 du 06 janvier 2000.

Horoya : nº 5530 du 02 janvier 2001.

Les Échos : Nº 29 du 14 au 20 novembre 2000 ; nº 67 du


22 au 28 mars 2004 ; nº 97 du 16 au 29 novembre 2005 ; nº
99 du 16 au 23 décembre 2005 ; nº 100 du 03 au 17 janvier
2006 ; nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 ; nº 102 du 20 février
au 1er mars 2006.

L’économiste : n° 049 décembre 2005 ; n° 050 janvier 2006.

La Lance : nº 232 du 04 novembre 2003 ; nº 280 du 05


octobre 2004 ; nº 384 du 05 mai 2004 ; nº 406 du 06 octobre
2004 ; nº 450 du 10 août 2005 ; nº 462 du 02 novembre
2005 ; nº 463 du 09 novembre 2005 ; nº 465 du 23 novembre
228

2005 ; nº 466 du 30 novembre 2005 ; nº 469 du 21 décembre


2005 ; n°470 du 28 décembre 2005 ; nº 471 du 04 janvier
2006 ; nº 472 du 11 janvier 2006 ; nº 473 du 18 janvier 2006 ;
nº 475 du 1er février 2006 ; nº 476 du 08 février 2006 ; nº 478
du 22 février 2006 ; nº 482 du 22 mars 2006 ; nº 483 du 29
mars 2006 ; nº 485 du 12 avril 2006 ; nº 486 du 19 avril
2006 ; nº 487 du 26 avril 2006.

L’Enquêteur : nº 24 du 02 au 17 avril 2003 ; nº 39 du 30


octobre au 13 novembre 2003 ; nº 85 du 04 au 18 août 2005 ;
nº 86 du 18 août au 1er septembre 2005 ; nº 91 du 27 octobre
au 10 novembre 2005 ; nº 93 au 24 au 24 novembre au 08
décembre 2005 ; nº 94 du 08 au 22 décembre 2005 ; nº 95 du
27 décembre 2005 au 05 janvier 2006 ; nº 98 du 02 au 16
février 2006 ; nº 103 du 13 au 27 avril 2006.

L’Indépendant : nº 382 du 27 juillet 2000 ; nº 156 plus du 02


juin 2003 ; nº 665 du 12 janvier 2006 ; nº 668 du 02 février
2006 ; nº 670 du 16 février 2005 ; nº 671 du 23 février 2006 ;
nº 674 du 23 mars 2006 ; nº 676 du 06 avril 2006 ; nº 677 du
13 avril 2006 ; nº 683 du 25 mai 2006.

Le Démocrate : n° 114 du 1er au 07 avril 2002 ; nº 188 du 16


au 22 septembre 2003 ; nº 289 du 06 décembre 2005 ; nº 290
du 13 décembre 2005 ; nº 294 du 10 janvier 2006 ; nº 301 du
07 mars 2006 ; nº 304 du 28 mars 2006 ; nº 311 du 23 mai
2006.

L’espoir : nº 128 du 06 au 20 avril 2006.

Le Populaire : nº 74 du 26 janvier 2006 ; nº 75 du 13 février


2006 ; nº 80 du 10 avril 2006 ; nº 81 du 18 avril 2006.

L’œil : nº 195 du 14 au 20 juin 2000 ; nº 214 du 25 au 31


octobre 2001.
229

Le Soleil : nº 51 du 11 janvier 2001.

Le Diplomate : nº 191 du 09 mai 2006.

L’Observateur : nº 277 du 08 août 2005 ; nº 278 du 17 août


2005 ; nº 281 du 05 septembre 2005 ; nº 289 du 31 octobre
2005 ; nº 295 du 26 décembre 2005 ; nº 296 du 02 janvier
2006 ; nº 300 du 30 janvier 2006 ; nº 301 du 06 février 2006 ;
nº 303 du 20 février 2006 ; nº 309 du 17 avril 2006.

La Croisade : nº 113 du 23 décembre 2005.

L’Humanité : nº 30 du 17 novembre 2005.

Le National : n° 31 décembre 2005.

Le globe : Nº 85 du 25 juillet 2000.

Solidarité : nº 009 du 17 janvier 2006 ; nº 10 du 02 février


2006.

Le Lynx : nº 636 du 31 mai 2004 ; nº 711 du 07 novembre


2005 ; nº 720 du 09 janvier 2006 ; nº 723 du 30 janvier 2006 ;
nº 725 du 13 février 2006 ; nº 717 du 19 décembre 2005 ; nº
718 du 28 décembre 2005 ; nº 730 du 20 mars 2006 ; nº 731
du 27 mars 2006.

La nouvelle : nº 069 du 13 au 27 février 2006 ; nº 071 du 15


au 21 mars 2006.

Mutation : nº 01 du 13 janvier 2006 ; nº 04 du 06 avril 2006.


230

2- Journaux étrangers

Jeune Afrique Économie : du 30 novembre au 13


décembre 1998.

Jeune Afrique : nº 2357 du 12 au 18 mars 2006 ; nº 2359 du


26 mars au 1er avril 2006 ; nº 2361 du 09 au 15 avril 2006.

Magazine « Construire l’Afrique » n° 22 mars-mai 1995.

IV- TEXTES UTILISÉS

1- Constitution-Loi Organique-Loi Ordinaire-


Ordonnance

- Ordonnance nº 048/PRG/SGG du 08 octobre 1959


portant statut général de la fonction publique ;
- Constitution du 14 mai 1982 ;
- Ordonnance nº 329/PRG/SGG du 18 décembre 1984 ;
- Ordonnance nº 321/PRG/SGG du 22 décembre 1985 ;
- Ordonnance nº 079/PRG/86 du25 mars 1986 portant
réorganisation territoriale de la République de Guinée
et institution des collectivités décentralisées ;
- Ordonnance nº 042/PRG/SGG/87 du 28 mai 1987
portant statut général des officiers ;
- Ordonnance n° Ord. Nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril
1990 portant organisation et fonctionnement des
communes ;
- Ordonnance nº 070/PRG/SGG/90 du 25 juillet 1990
portant statut particulier des officiers ;
- Ordonnance nº 092/PRG/SGG/90 du 22 octobre 1990
portant organisation et fonctionnement des
communautés rurales de développement ;
- Loi fondamentale du 23 décembre 1990 ;
231

- Ordonnance nº 91/025/PRG/SGG du 11 mars 1991


portant cadre institutionnel des entreprises publiques ;
- Loi organique nº L/91/003 du 23 décembre 1991
portant charte des partis politiques ;
- Loi organique nº L/91/003 du 23 décembre 1991
portant modification du nombre des partis
susceptibles d’être constitués ;
- Loi organique nº L/91/008 du 23 décembre 1991
portant attribution, organisation et fonctionnement de
la Cour Suprême ;
- Loi organique nº L/91/010 du 23 décembre 1991
portant création du Conseil Supérieur de la
magistrature ;
- Loi organique nº L/91/011 du 23 décembre 1991
portant statut de la magistrature ;
- Loi nº L/93/021/CTRN du 06 mai 1993 portant cadre
institutionnel des établissements publics à caractère
administratif ;
- Loi nº L/95/021/CTRN du 06 juin 1995 portant
réorganisation de la justice en République de Guinée,
modifiée par la loi nº L/98/014/AN du 16 juin 1998 ;
- Loi nº L/97/97/037/AN du 25 novembre 1997 relative
à l’institution caritative du waqf ;
- Loi organique nº L/91/012 du 23 décembre 1991
portant code électoral modifiées par les lois
organiques nº L/93/038/CTRN du 20 août 1993 et nº
L/95/011/CTRN du 12 mai 1995 ;
- Loi constitutionnelle du 11 novembre 2001 adoptée
par référendum ;
- Loi nº L/2001/028/AN du 31 décembre 2001 portant
statut général des fonctionnaires ;
232

2 - Décrets

- Décret nº 81/PRG/SGG/87 du 19 juin 1987


déterminant les conditions de nomination et les
attributions des secrétaires généraux de préfecture,
des sous-préfets et sous préfets-adjoints ;
- Décret nº D/91/263/PRG/SGG du 27 décembre 1991
portant application du code électoral ;
- Décret nº 93/228/PRG/SGG du 08 décembre 1993
rectifiant le décret nº D/93/196/PRG/SGG portant
création, organisation et fonctionnement de la
Commission Électorale Nationale ;
- Décret nº D/95/025/PRG/SGG du 06 février 1995
organisant les régions administratives en Guinée ;
- Décret nº 197/PRG/SGG du 21 septembre 1998
portant création, attributions, organisation et
fonctionnement du Haut Conseil aux Affaires
Électorales ;
- Décret nº 040/PRG/SGG/2002 du 19 avril 2002
portant création, attributions, organisation et
fonctionnement du Conseil National Électoral ;
- Décret nº 197/PRG/SGG/93 du 11 octobre 2003
portant mise en disponibilité spéciale du Général
Lansana Conté ;
- Décret nº D/2004/019/PRG/SGG du 08 mars 2004
nommant El Hadj Abdoul Karim Dioubaté en qualité
de Ministre Secrétaire Général de la Ligue Islamique
Nationale ;
- Décret nº D/2004/087/PRG/SGG du 09 décembre
2004 portant organisation et attribution du Ministre
Secrétaire Général de la Ligue Islamique Nationale ;
- Décret nº D/2005/09/PRG/SGG du 1er mars 2005
portant application de la loi organique sur le Conseil
Supérieur de la magistrature ;
233

- Décret nº D/2005/010/PRG/SGG du 1er mars 2005


portant application de la loi organique sur le statut de
la magistrature ;
- Décret nº D/2005/012/PRG/SGG du 1er mars 2005
portant création et fonctionnement de la Commission
d’avancement et de discipline des magistrats du
parquet et de l’administration centrale ;
- Décret nº D/2005/037/PRG/SGG du 20 août 2005
portant condition d’implantation et d’exploitation de
stations de radiodiffusion et de télévision privées en
République de Guinée ;
- Décret nº 039/PRG/SGG/2005 du 10 octobre 2005
portant création, attributions, organisation et
fonctionnement de la Commission Nationale
Électorale Autonome (CENA) ;
- Décret nº D/2006/005/PRG/SGG du 07 mars 2006
portant confirmation de l’attribution de la quatrième
licence de télécommunication cellulaire à la Société
AREEBA-SA ;
- Décret nº D/2006/010/PRG/SGG du 05 avril 2006
annulant le décret nº D/2006/009/PRG/SGG du 04
avril 2006 portant restructuration du gouvernement ;
- Décret nº D/2006/011/PRG/SGG du 05 avril 2006
démettant le Premier Ministre de ses fonctions.

3- Arrêtés

- Arrêté nº 2005/4470/MI/CAB du 14 septembre 2005


portant application du décret relatif aux conditions
d’implantation et d’exploitation de stations de
radiodiffusion et de télévision privées en République
de Guinée ;
- Arrêté nº 5496/MATD/CAB/2005 du 08 novembre
2005 portant composition des commissions
234

préfectorales centrales et commissions sous-


préfectorales de recensement des votes ;
- Arrêté nº A/2006/1040/PM/CAB du 03 mars 2006
portant annulation de la convention de concession du
31 août 2005 attribution la quatrième licence de
télécommunication cellulaire.

4 - Circulaires

- Lettre nº 002/MATD/CAB du 03 janvier 2005 ;


- Lettre nº 00737/MATD/CAB du 29 juillet 2005.
235

Table des matières

Avant-propos 9

Introduction 11

Chapitre I- Du phénomène de la technologie électorale 25

I- Les différentes formes


de la technologie électorale 25

1- Les techniques utilisées avant le vote 27


2- Les techniques utilisées pendant le vote 43
3- Les techniques utilisées après le vote 51

II- Les causes administratives et politiques


de la technologie électorale 57

1- L’absence de neutralité de l’Administration


et de ses agents 57
2- La distinction factice entre Guinéens de
l’intérieur et Guinéens de la diaspora 67
3- La division des partis d’opposition 73
4- La faible présence de la CENA
et des observateurs nationaux 83

Chapitre II- Des scrutins sur fond d’imbroglio juridique 87

I- Le droit en Guinée :
un instrument du pouvoir politique 89

II- La concurrence formelle des organismes


administratifs d’assistance électorale 96
236

1- L’inégalité de statut juridique des organismes


administratifs d’assistance électorale 97

1-1- La Commission Électorale Nationale


Autonome (CENA) 97
1-2- Les Commissions centrales et
commissions sous-préfectorales de
recensements des votes 105

2- La paralysie fonctionnelle de la CENA 109

III- L’organisation déroutante du contentieux


des élections communale et communautaire 118

1- L’organisation confuse du contentieux des


élections communale et communautaire 120

1-1- L’unification au niveau


du contentieux de l’éligibilité 121
1-2- La distinction injustifiée du niveau
du contentieux de l’élection 122
1-2-1- Le contentieux de l’élection
communautaire 122
1-2-2- Le contentieux de l’élection
communale 122

2- La gestion frileuse du contentieux électoral


dans les juridictions 125

Chapitre III- Des enseignements des scrutins


du 18 décembre 2005 139

I- La faible participation des électeurs 141


237

1- L’exposé et l’analyse des taux de


participation 141
2- Les raisons de la faible participation
des électeurs 145

2-1- Le manque de confiance dans les


résultats électoraux 146
2-2- La composition sociologique des
listes de candidats 148
2-3- L’inadaptation du discours
électoral 149

II- Les effets des scrutins sur les partis politiques 151

1- Les effets découlant des modes de scrutin 152

1-1- L’injustice du scrutin majoritaire


à un tour 153
1-2- L’effet participatif dévoyée
du scrutin proportionnel 156

2- Les réactions des partis d’opposition


découlant résultats électoraux officiels 160

2-1- La suspension de la participation de


l’UPR aux travaux de l’Assemblée
Nationale et de la CENA 160
2-2- La relance de l’esprit unitaire au sein
de l’opposition 169
2-3- La tendance au réaménagement de
l’espace politique
de la Moyenne-Guinée 184

III- La signification des scrutins


du 18 décembre 2005 189
238

1- Les réactions des intervenants dans


le processus électoral 191

1-1- Les acteurs principaux du


processus électoral 191
1-2- Les acteurs secondaires du
processus électoral 197

2- L’œuvre de l’instinct de conservation


d’un système politique 202

Conclusion 209

Bibliographie 222

Table des matières 235


L'HARMATTAN, ITALIA
Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino

L'HARMATTAN HONGRIE
Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest

L'HARMATTAN BURKINA FASO


Rue 15.167 Route du Pô Patte d’oie
12 BP 226
Ouagadougou 12
(00226) 50 37 54 36

ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA


Faculté des Sciences Sociales,
Politiques et Administratives
BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa

L’HARMATTAN GUINÉE
Almamya Rue KA 028
En face du restaurant le cèdre
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(00224) 60 20 85 08
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L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE


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Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03
(00225) 05 77 87 31

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N° 472 avenue Palais des Congrès
BP 316 Nouakchott
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BP 11486
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