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Voyage et Mystique dans la littérature soufie : l’exemple des écrits d’Ibn Arabi

MARZAGUI Mohamed,
Faculté des Sciences Semlalia,
Université Cadi Ayyad
mohamed.marzagui@yahoo.fr

Je suis absent et le désir alors


Fait s’éteindre mon âme.
La rencontre ne me guérit pas,
Car il persiste dans l’absence et la présence
Sa rencontre produit en moi
Ce que je n’avais point imaginé.
La guérison est un mal nouveau
Qui provient de l’extase.
Ibn Arabi1

Résumé :
Le soufisme est un phénomène qui s’affirme par choix de vie. Il s’agit d’un éveil qui a
parcouru les âmes et continue de le faire dans le monde entier. C’est une voie spirituelle qui
dispose de ses propres moyens (dhikr, Sama’, contemplation, Jihad et autres) pour aider
l’aspirant sur la voie dans sa quête de l’excellence dans le cadre de la spiritualité.
La pensée soufie a été liée, à travers les temps, à la littérature qui lui a donné
l’opportunité de se propager dans le monde entier en explicitant sa philosophie et ses règles. Le
présent article se propose d’étudier la symbolique du voyage dans la littérature soufie traitant
de la thématique du voyage à travers deux versants : la mobilité du corps dans l’espace et
l’errance de l’âme.
En effet, chez les soufis, l’utilité du voyage réside dans le fait que c’est un moyen
efficace pour dévoiler les caractères de l’être humain. Pour eux, dans la proximité et
l’éloignement, il n’est pas question de distance, l’être humain est dans une immobilité
incessante, car l’existence est synonyme de mouvement.
Le choix du corpus se porte sur deux écrits du poète andalou Ibn Arabi : Le dévoilement
des effets du voyage et deux poèmes de son recueil L’interprète des désirs.
Mots-clés : Soufisme, mysticisme, spiritualité, espace, littérature
Abstract :
Sufism is a phenomenon that is affirmed through life choice. This is an awakening that
has flowed through souls and continues to do so around the world. It is a spiritual path which
has its own means (dhikr, Sama', contemplation, Jihad and others) to help the aspirant on the
path in his/her quest for excellence within the framework of spirituality.
Sufi thought has been linked, through time, to literature which has given it the
opportunity to spread throughout the world by explaining its philosophy and its rules. This
article aims to study the symbolism of travel in Sufi literature, which deals with the theme of
travel through two aspects: the mobility of the body in space and the wandering of the soul.
Indeed, among the Sufis, the usefulness of travel lies in the fact that it is an effective
means of revealing the characteristics of the human being. For them, in proximity and distance,
there is no question of distance, the human being is in an incessant immobility, because
existence is synonymous with movement.

1
IBN ARABI. L'interprète des Désirs - Turjumân al-Ashwâq, traduction de Gloton Maurice, Paris : Albin Michel,
2012, p. 533.
The choice of the corpus fell on two writings by the Andalusian poet Ibn Arabi: The
unveiling of the effects of travel and two poems from his collection The interpreter of desires.

Keywords: Sufism, mysticism, spirituality, space, literature.

Introduction
Le progrès qu’a connu l’humanité, dans les domaines des sciences, de l’industrie, de
l’informatique et dans d’autres disciplines, laisse croire que le sacré a perdu sa place dans la vie
des individus. Cela est dû à l’idée que le bonheur passe par la satisfaction de l’appétit des sens
et par la consommation matérielle. Quand l’Homme s’est révolté contre le sacré et contre la
religion, il a perdu son équilibre.
Malheureusement ou plutôt heureusement, cela dépend de la conviction de chacun de
nous, l’Homme ne peut pas se passer de la religion et du sacré dans sa vie. Plusieurs penseurs
sont d’avis que l’Homme est prédisposé à s’orienter vers le divin. À titre d’exemple, nous citons
Mohammed Abdallah Draz, qui affirme qu’« il y a dans l’être humain un élément noble,
d’origine céleste et qui le destine à l’éternité, même si les hommes semblent parfois l’oublier
et se satisfont des vains attraits d’une vie matérielle médiocre. »2. Dans la même perspective,
Al-Ghazali considère que : « Chaque cœur, malgré les différences individuelles, est disposé à
connaître la réalité des choses, car il est une chose divine (amr rabbânî) et noble, qui par cela
même se distingue des autres substances du monde, car c’est le lieu de la science des choses
divines.»3.
Dans son article « La place du sacré dans la culture contemporaine », Abbas Jirari a
souligné que le sacré : « représente le lien qui unit l’individu au monde sensible et insensible et
qui le rend conscient de son existence, de la place qu’il occupe dans la vie, de la mission qu’il
doit accomplir et du rapport qu’il doit entretenir avec autrui, nonobstant son appartenance
religieuse.»4.
Depuis un certain temps, l’humanité s’est réorientée vers le sacré et le mysticisme suite
aux moments pénibles par lesquels elle passe surtout le contexte de la pandémie du Covid 19.
En effet, des citoyens de différents pays ont recouru à la littérature mystique pour fuir
l’inacceptable qu’ils étaient contraints d’accepter et pour dépasser la barrière de l’identité pour
puiser des éléments de réponse à des questions parfois existentielles dans la culture de l’Autre.
Pour sa part, la littérature mystique a donné au lecteur l’opportunité de découvrir les
systèmes de croyances et rituels d’autres communautés. Ce qui caractérise l’écriture mystique
c’est qu’elle est la traduction d’un vécu spirituel indicible. En plus de son aspect esthétique et
l’originalité des thématiques qu’elle traite, l’écriture mystique est insaisissable, car elle reste
ouverte à toute interprétation.
Notre article tente de traiter la thématique du voyage dans la littérature soufie et surtout
dans deux écrits d’Ibn Arabi. Avant d’entamer l’analyse, il nous semble judicieux de parler du
soufisme, de sa relation avec le mysticisme et de quelques spécificités de la littérature soufie.
I. Définition des concepts
1. Soufisme
Définir le soufisme n’est pas une tâche aisée vu qu’aucune définition ne peut englober
sa réalité, sa philosophie et ses pratiques. Il est plus facile de déterminer ce que le soufisme
n’est pas que ce que le soufisme est.

2
DRAZ, Muhammad Abdullah, Les hommes à la découverte de Dieu, Prologue à une histoire des religions,
Beyrouth : Al Bouraq, 1999, p 164.
3
Al-Ghazâli : Ihyâ ‘ulum addine, cité dans MEYEROVITCH, Éva. Anthologie du soufisme, Paris : Sindbad, 1978,
p.31.
4
JIRARI, Abbas. La place du sacré dans la culture contemporaine, Étude publiée par l’ISESCO en Arabe, en
Français et en Anglais, 2003. p. 26.
Le célèbre hadit de Gibril, reconnu par tous les savants musulmans, a présenté les trois
niveaux d’évolution spirituelle en islam : al-Islam (la soumission) définit la conduite du
musulman, al-Imān (la foi) indique ses convictions, tandis qu’al-Ihsan (le bel agir) est le miroir
du cœur de l’être humain. Les soufis considèrent la troisième étape, celle de l’excellence,
comme synonyme au soufisme.
Le soufisme est enraciné dans la langue arabe selon trois niveaux : conceptuel,
terminologique et vernaculaire. Non seulement les concepts soufis renvoient à des réalités
vécues et ces concepts ont été bien dénommés et forgés à travers des siècles, le soufisme se
présente également comme un phénomène qui s’affirme par choix de vie, il s’agit d’un éveil
qui a parcouru les âmes et continue de le faire dans le monde entier.
2. Soufisme, mysticisme et spiritualité
Depuis que le taṣawwūf est devenu un sujet d’intérêt des chercheurs francophones de
différents domaines, ces derniers ont cherché à lui attribuer un terme, en langue française
susceptible, d’englober sa réalité. En effet, les auteurs de plusieurs ouvrages sur le taṣawwūf
ont utilisé les deux termes « mystique » et « spiritualité ». Ainsi, on a qualifié le soufisme de
mystique musulmane, spiritualité musulmane ou mysticisme musulman.
Cependant, plusieurs écrivains, comme Khaireddine Mourad, expriment leur vigilance
à l’égard de l’utilisation des deux termes mystique et spiritualité pour parler du soufisme. Pour
eux, quand les écrivains qualifient le taṣawūf de « mystique musulmane » ou de « spiritualité
musulmane », ils font référence aux attitudes qui relèvent de la culture religieuse latine à travers
lesquelles les individus aspirent à accéder au mode invisible des esprits et des forces
surnaturelles pour une raison ou une autre, cependant comme le déclare Khaireddine Mourad
S’il est une chose qui est commune aux mythes, aux croyances magico-religieuses
et aux religions monothéistes, c’est bien la spiritualité et la mystique. Autrement dit,
il ne peut y avoir de croyance, s’il n’y a pas, à l’origine, la reconnaissance de
« quelque chose » de « caché », d’« invisible », qui constitue le « Socle Ultime ».
Reconnaître qu’il y a quelque chose d’invisible et y croire met d’emblée l’homme
dans une attitude mystique ; mystique signifiant étymologiquement : « ce qui est
caché ; invisible ».5
En nous référant à l’aura sémique des deux termes mystique6 et spiritualité7, nous
constatons qu’ils ne renvoient pas à la troisième station de l’islam [l’iḥsan], car ils ne font pas
référence aux règles que le soufi doit respecter ou à l’enseignement qu’il reçoit dans son
cheminement vers Dieu à travers les séances de la remémoration de Dieu [dhikr] et l’audition
spirituelle [sama’] comme le souligne Khaireddine Mourad :
Les Gens du Tassawwuf, et ce dès les premiers siècles de l’Hégire, vont pour
développer le chemin vers l’Ihsan, investir l’intériorité de l’être afin de comprendre

5
MOURAD, Khireddine. De la mystique et la spiritualité au Tassawwuf. Troisième rencontre internationale du
Soufisme, 2009, p. 4.
6
Adjectif : 1. Religion chrétienne : a) Corps mystique : le Christ. b) Pain, vin mystique : L’Eucharistie
c) Rose mystique : l’un des noms de la Vierge Marie 2. Relatif au mystère, à une croyance surnaturelle
3. Caché, secret 4. caractère intuitif, passionné, absolu du mysticisme.
Substantif : 1. Étude, connaissance, de la spiritualité mystique. 2. Personne qui adhère à des croyances
surnaturelles, qui possède une foi religieuse intuitive. 3. Personne qui adhère avec une passion extrême à un idéal
artistique, politique, social 4. Mouvements spirituels par lesquels l'âme accède à la présence divine.
7
A. Esprit, âme, valeurs morales et intellectuelles : 1. qui n’a pas de corps. Origine non matérielle. 2. Qui se
rapporte au domaine de l’esprit, de la pensée et de l’activité intellectuelle 3. Personne qui se préoccupe des choses
de l’esprit. B. Étude de la vie de l'âme, côté pratique de la vie religieuse. 1. Relatif à la pratique de la méditation
et de l'union mystique avec Dieu. 2. - Ouvrage qui traite une religion. - Chant religieux, musique sacrée. 3.
Personne servant de modèle pour les autres afin de développer leur vie spirituelle. C. forme d'intelligence aiguë,
vive et mordante : 1. qui manifeste une forme d’intelligence vive et mordante, qui amuse, fait rire. 2.
Comportement : fin, malicieux. 3. Œuvres d’art : Caractère véridique, vivant.
ses mécanismes, ses résistances, ses élans, ses maladies, ses états et les étapes de son
évolution, de son ascension ; ils vont aussi élaborer tout un ensemble de concepts
grâce auxquels ils vont pouvoir décrire et maîtriser les écarts qui peuvent advenir au
court de l’évolution de l’initié, prévenir les risques qu’il peut rencontrer au cours de
sa progression et l’aider à passer d’un état à un autre, d’une étape à une autre. Ils
vont aussi investir bien d’autres domaines de la connaissance comme les
mathématiques, l’alchimie, la physique, l’astronomie, la botanique, la médecine, les
spéculations philosophiques, l’éthique, et ce, pour y introduire la quintessence de
leur science et non pour en recevoir un quelconque savoir8.
Nous pouvons, donc, affirmer que le soufisme est une réalité mystique perçue d’une
manière renforcée par les gens du tasawuf, une réalité qui régit le mode comportemental de ces
derniers dans le but de consacrer leur vie à l’évolution spirituelle en prenant un chemin tracé
par des maîtres spirituels.
3. Soufisme et littérature
La pensée soufie a été liée, à travers les temps, à la littérature qui lui a donné
l’opportunité de se propager dans le monde entier en explicitant sa philosophie et ses règles.
L’écriture soufie, qui est la traduction d’une expérience subjective, est un dialogue
intime entre le je et le tu, entre l’Homme et le Créateur. Dans ce type d’écrit, le moi écrivain et
le moi soufi sont inséparables. Une autre caractéristique de la littérature soufie est le langage
métaphorique. En effet, pour parler de leurs vécus, les soufis ont élaboré un vocabulaire
technique particulier. Ils ont traduit leurs états spirituels à l’aide d’un langage de la vie ordinaire.
À cause de l’ineffabilité de leurs vécus, les soufis ont travaillé sur la partie partagée entre le
sens des termes connus et celui de leur usage spirituel. Nous citons deux exemples, le premier
est la métaphore des trois papillons qui traduit le voyage de l’âme du musulman, poussé par son
amour divin, à travers les états spirituels.
Dans ce monde, les gens sont comme les trois papillons autour de la flamme d’une
chandelle. Le premier s’approcha et dit : « Je connais l’amour. ». Le second effleura
la flamme légèrement avec ses ailes et dit : Je sais que le feu de l’amour peut brûler.
Le troisième se jeta au cœur de la flamme et se consuma. Lui seul sait ce qu’est le
vrai amour9. ».
Le troisième papillon est le cas du soufi qui consacre toute sa vie à l’adoration de Dieu.
Pour le deuxième exemple, il concerne les degrés de la perception de la Vérité :
C’est comme si nous nous mettions tous au bord de la mer et que l’un d’entre nous
regarde l’horizon avec ses yeux, l’autre avec des lunettes et un troisième avec des
jumelles. Nous regardons tous dans la même direction, mais l’un voit plus loin que
l’autre… En fait, les trois voient la réalité, les trois ont raison. Toutes les visions sont
vraies. C’est une question de perception et de profondeur.10
L’ineffabilité du vécu soufi est, aussi, une contrainte qui entrave la compréhension du
discours des gens de tasawuf étant donné que ce vécu ne se manifeste pas au niveau du corps
(les cinq sens), mais plutôt au niveau des âmes.
Pour analyser les figures du voyage dans la littérature soufie, notre choix s’est porté sur
les œuvres d’Ibn Arabi en raison de leur valeur esthétique et leur contribution dans la diffusion
de la pensée soufie.
II. Étude du corpus
1. Biographie d’Ibn Arabi

8
Mourad, Khireddine. Op.cit., p. 14.
9
Bab'Aziz, le prince qui contemplait son âme. Réalisé par Nacer Khémir, 2005, scène 1:11:10.
10
Cheikh BENTOUNES Khaled, SOLT, Bruno, SOLT, Romana. Le soufisme, cœur de l'islam, Paris : Albin Michel,
2014, p. 138.
La biographie d’Ibn Arab peut être subdivisée en quatre parties11 selon les zones
géographiques qu’il a visitées. La période en Andalousie : Ibn Arabi est né en 1165 (17
Ramadan, 560 AH) à Murcie. À l’âge de huit ans, Ibn Arabi et sa famille quittent Murcie après
son occupation par les Almohades pour s’installer à Séville. Dans cette ville, qui était la capitale
almohade, Ibn Arabi a étudié le Coran, le hadith, la grammaire et la rhétorique. En 1179, il a
fait la rencontre d’Ibn Rushd (Averroès) à Cordoue. Après avoir bénéficié d’une formation
théologique importante, Ibn Arabi a refusé de devenir un théologien au sens du terme pour
mener une vie spirituelle soufie à Séville en 1184.
La deuxième période est celle où il a traversé à plusieurs reprises le détroit de Gibraltar
pour entretenir des voyages en Afrique du Nord. Ces voyages spirituels lui ont permis de
rencontrer des sheikhs connus à l’époque comme Sheikh al-Mahdawi en 1193 à Tunis, de
rédiger des ouvrages devenus comme références dans la littérature soufie comme Rûh al-Quds
(Tunis), le livre du Voyage nocturne (Fès) et la production des sphères (Tunis 1201), et réaliser
une évolution spirituelle comme l’ascension nocturne (en 1195 à Fès), atteindre la Station
Suprême (Marrakech 1200) et même recevoir une révélation divine faisant de lui le Sceau de la
Sainteté muhammadienne.
Quant à la troisième période, elle renvoie à ses voyages en « Orient ». Lors de ce long
voyage, Ibn Arabi s’est déplacé entre plusieurs villes à savoir La Mecque, Bagdad, Malatya,
Hébron, Le Caire, Konia et l’Alpe pour différentes causes, parfois pour fuir l’hostilité de
l’autorité religieuse officielle, pour rencontrer des maîtres spirituels comme Sheikh Suhrawardi
à Bagdad en 1211 ou suite à une invitation. À partir de 1223, Ibn Arabi décida de s’installer
définitivement à Damas jusqu’à sa mort en 1240 (638 AH). La vie itinérante d’Ibn Arabi l’a
beaucoup aidé dans sa formation intellectuelle.
2. Le dévoilement des effets du voyage [Al-isfâr ‘an natâij al-asfar] d’Ibn Arabi
Le titre de l’ouvrage révèle l’intention de son auteur. Il s’agit d’un traité présentant au
lecteur les résultats auxquels peut aboutir un voyage surtout qu’en langue arabe le voyage a été
appelé Safar parce qu’il permet de dévoiler les caractères des hommes. Pour l’auteur soufi,
chaque voyage doit aboutir à des fruits spirituels sinon ce ne serait qu’un mouvement.
En présentant quelques exemples de voyages divins, de prophètes et d’entités
spirituelles comme le Coran, Ibn Arabi présente le caractère mystique et universel du voyage.
Dans ce macrocosme, tous les êtres sont en voyage, parce que l’existence suppose le
mouvement et l’immobilité est synonyme de la mort comme le souligne Ibn Arabi :
L’existence a pour origine le mouvement. Il ne peut donc y avoir d’immobilité en
elle, car si elle restait immobile, elle reviendrait à son origine qui est le néant. Le
voyage ne cesse donc jamais dans le monde supérieur et inférieur.12
Dans l’introduction de son traité, Ibn Arabi met l’accent sur la typologie mystique du
voyage qu’il a établie. Pour lui, existent trois types de voyages : vers Dieu, en Dieu et provenant
de Dieu. Les voyageurs venant de Lui englobent les personnes rejetées par Dieu, ceux qui ne le
sont pas comme les pécheurs dont la pudeur les oblige à fuir la présence de Dieu et ceux
distingués et élus comme les envoyés aux autres créatures.
En ce qui concerne les voyageurs vers Lui, ils sont, également, au nombre de trois. Le
premier « associe une autre divinité à Dieu, lui prête un corps, une ressemblance et une
similitude avec les créatures… 13». Le second « professe la transcendance de Dieu à l’égard de

11
Subdivision présentée dans l’ouvrage : GLOTON, Maurice. Traité de l'amour, Paris : Albin Michel, 1986, p. 14,
15, 16.
12
IBN ARABI. Le dévoilement des effets du voyage, traduction de GRIL Denis, Paris : Éditions de l'éclat, 2015, p. 4.
13
IBN ARABI. Le dévoilement des effets du voyage, p. 8.
tout ce qui ne lui sied pas14… ». Cependant le troisième est « impeccable et préservé 15» comme
les prophètes et les saints.
La dernière catégorie de voyageurs, selon Ibn Arabi, se partage en deux groupes. Les
personnes qui ont voyagé en Lui en se servant des moyens de la réflexion et de l’intellect comme
les philosophes. L’autre groupe est celui des envoyés, des prophètes et des élus comme les
maîtres soufis.
Dans ce traité, l’auteur ne s’est pas limité à présenter quelques exemples de voyages de
prophètes cités dans le Coran, mais il remonte à l’origine du voyage. Pour lui, le premier voyage
est celui de Dieu. À travers deux titres qui reflètent l’ordre chronologique de la création du
monde, « Voyage seigneurial depuis la nuée jusqu’au trône de l’établissement dont prend
possession Le Nom Divin Le Tout-Miséricordieux » et « Le voyage de la création et de l’ordre
ou le voyage de la création novatrice », Ibn Arabi a fait une description détaillée du voyage
divin en présentant plusieurs versets coraniques qui le confirment : voyage du nom Le Tout
miséricordieux [Ar-ahmane] ainsi que les autres noms attachés à la création, déliement et
séparation des cieux, cieux transparents en rotation, construction humaine, mouvement des
astres, et d’autres. La description de ce voyage met l’accent sur le caractère inaccessible de la
divinité comme l’affirme l’auteur : « Ce voyage a dévoilé son Visage, indiqué la transcendance
de son Maître et produit la manifestation du monde supérieur 16».
Quant au Livre Sacré, Le coran, affirme Chaykh al-Akbar, il est en continuel voyage.
Au début, La Parole Divine a fait une descente sur le cœur du Prophète Muhammed ; que Dieu
répande sur lui la grâce et la paix. Depuis ce jour, le Coran voyage de la Présence divine vers
l’homme qui le récite et de l’homme vers Dieu : « Le Coran est [donc] à jamais en train de
descendre… Le Coran voyage sans cesse vers le cœur de ceux qui le retiennent. 17»
Après avoir présenté ces deux types de voyages, le voyage de Dieu et celui de sa Parole,
Ibn Arabi présente plusieurs voyages prophétiques. Commençant par le voyage nocturne et
l’ascension céleste de Muhammed, et passant par les autres prophètes voyageurs : Adam, Enoch
(Idriss), Noé, Abraham, Loth, Jacob, Joseph, et Moïse, Ibn Arabi dévoile, au lecteur, son
intention à travers ces récits de voyage : « Ces voyages sont des ponts et des passerelles édifiés
pour que nous passions dessus vers nos essences et nos propres éclats. 18»
Pour Ibn Arabi, chaque récit de voyage prophétique a une dimension symbolique
particulière. Le prophète Muhammed, corps et âme, était emmené en voyage nocturne, car la
volonté divine a fait de lui un ami intime, un bien-aimé, un élu qui a atteint une station d’amour
distinguée des autres hommes. Le voyage du prophète Adam, qualifié par Ibn Arabi de voyage
de l’épreuve ou de la chute, est cette descente qui a placé les êtres humains sur terre. Ce voyage
pénible paraît comme étant un éloignement, mais en réalité Dieu a fait éloigner Adam et Eve
pour acquérir des connaissances afin de les rapprocher de Lui par la suite. Le voyage d’Enoch
(Idriss) est un voyage de dignité et d’élévation en lieu et degré. Son séjour dans les cieux lui a
permis de cueillir plusieurs fruits de connaissances :
Ce voyage produisit pour lui comme effet, la science du temps et des siècles et de ce
qui doit advenir… Un autre de ses effets fut la connaissance de la réalité spirituelle
de la nuit et du jour et de ce qui y trouve repos19.
Le voyage de Noé est un voyage de survie, car l’arche a permis à Noé et à ses
compagnons de survivre au déluge laissant derrière eux périr les autres par l’eau symbolisant

14
Ibid.
15
Ibid.
16
Ibid., p.19.
17
Ibid., p. 22.
18
Ibid., p. 50.
19
IBN ARABI. Le dévoilement des effets du voyage, traduction de GRIL Denis, Paris : Éditions de l'éclat, 2015,
p. 40.
la science divine qu’ils ont refusée. Abraham a compté sur Dieu pour le guider dans la vie, il a
fait un voyage de guidance qui lui a donné l’accès au monde de la réalité supérieure. Le prophète
Luth a accompli un voyage de fuite pour regagner un lieu appelé symboliquement « Certitude »
en respectant l’ordre divin qui lui a interdit de se retourner. Pour Jacob et son fils Josef, leur
voyage d’âme et d’intellect est plein de ruse et d’épreuves, car « Josef, ayant reçu la dignité de
la beauté, fut éprouvé par l’humiliation de l’esclavage. 20»
Pour le voyage de Moïse, il s’est déroulé en plusieurs étapes : c’était un voyage de colère
(contre son peuple ayant pris le Veau comme dieu), de dévouement pour sa famille, de peur
(partie de la station de la foi) et un voyage de méfiance qui selon Ibn Arabi « conduit du sensible
vers l’intelligible, des délices vers le supplice, du voile protecteur vers la théophanie et de la
mort vers la vie attachée aux êtres produits par notre connaissance du monde. 21»
Les itinéraires de ces prophètes sont, certes différents, mais le but reste le même : la
volonté de voyager en Dieu. Dans ce traité, dont la structure est le Coran, Ibn Arabi évoque le
voyage comme une quête de soi et de la divinité. Il invite le lecteur à écrire son propre voyage,
car la liste des voyages est ouverte à d’autres expériences. L’essentiel pour Ibn Arabi est de ne
pas concevoir le Livre sacré comme une finalité, mais d’aller plus loin que le sens premier des
mots.
Après avoir présenté la portée spirituelle du voyage dans la littérature soufie, nous avons
essayé d’étudier les procédés narratifs utilisés par les poètes soufis pour évoquer la portée
mystique du voyage à travers l’analyse de deux poèmes d’Ibn Arabi, intitulés « À la quête des
campements » et « Elle est là où je suis », tirés de son œuvre L’interprète des désirs
3. L’interprète des désirs
Dans le prologue de son recueil, Ibn Arabi précise la source que son inspiration :
Ce shaykh — et il s’agit du père de Nizhām — Que Dieu soit satisfait de lui — avait
une fille vierge, jeune et svelte, au regard envoûtant, remplissant de grâce les
réunions et les assistants, jetant l’émoi chez ceux qui la voyaient. Son nom est
Nizhām, Harmonie, et son prénom, ‘Ayn as-Shams wa-l Bahā’, La Source essentielle
du Soleil et de la Splendeur […]
Tout nom que je mentionne dans ce recueil fait allusion à elle. Toute demeure dont
je fais l’éloge nostalgique est la sienne. Dans cette composition poétique, je n’ai eu
de cesse de suggérer les Événements divins, les Réalités spirituelles qui descendent
d’elles-mêmes et les correspondances sublimes qui se présentent, selon une méthode
allégorique qui est familière de notre Voie.22
a) Poème : À la quête des campements23
Pour analyser ce poème, nous faisons appel au schéma actantiel du linguiste et
sémiologue Julien Greimas.
Dans ce poème, la conception du voyage, chez les soufis, est présentée sous forme d’un
langage métaphorique, comme étant une invitation à voyager vers Dieu, en empruntant le
chemin parcouru par d’autres personnes qualifiées de bien-aimés, dans la deuxième strophe. En
effet, dans la tradition soufie, le musulman a besoin, dans son cheminement de la voie
spirituelle, d’un maître pour le guider et le prévenir des dangers qui peuvent faire l’objet d’un
égarement.
L’axe du vouloir qui relie l’être humain — le sujet — et la proximité divine — l’objet
de sa quête — se présente sous deux formes : espace et spiritualité. En effet, Ibn Arabi choisit
le désert comme espace de réalisation de cette quête. Ce lieu, qui est une des grandes sources

20
Ibid., p. 51.
21
Ibid. p. 75.
22
IBN ARABI. L'interprète des Désirs, Op.cit., p. 23.
23
Ibid., p. 227.
de la poésie amoureuse chez les Arabes, est utilisé par les soufis pour exprimer le bien-être des
âmes. Ces âmes accomplissent un voyage pour passer d’une station spirituelle à l’autre. Ainsi,
on distingue dans la tradition soufie entre l’âme incitatrice, l’âme qui ne cesse de blâmer, l’âme
inspirée, l’âme apaisée, l’âme satisfaite, l’âme agréée et l’âme parfaite. Cette âme parfaite est
celle des prophètes et des maîtres authentiques évoqués dans ce poème par l’expression
Campements. En revanche, le voyage, comme déplacement dans l’espace, a pour objectif la
contemplation de la création divine.
L’axe du pouvoir, qui influence l’échec ou la réussite de la même quête, se présente, à
travers ces vers, sous plusieurs aspects. Voyager vers Dieu consiste à chercher les traces des
campements de printemps pour trouver l’éducation spirituelle et la connaissance qui ont permis
aux anciens voyageurs de réussir en se référant aux tentes qu’ils ont laissées plantées (leurs
œuvres). Ces voyageurs ont passé toute leur vie à changer de campements, à passer d’un état
spirituel à l’autre. La sixième et la septième strophe mettent l’accent sur l’énergie spirituelle de
ces soufis et leur détermination qui leur ont permis de protéger leur beauté de la chaleur de
midi, d’éviter les plaintes de leurs chameaux et la fatigue de la marche de nuit. Les expressions
Harassés, plainte et chaleur de midi renvoient aux obstacles de ces quêtes. Quant à l’expression
ruines désertées, elle signifie que dans ce désert, il ne faut pas se séparer des repères.
Le dernier axe, qui est celui du savoir, est traité, dans ce poème, à travers la volonté
divine. C’est Dieu qui éveille l’âme de l’Homme et le guide vers Lui à travers les endroits
mystérieux, les pistes et les sentiers après un combat contre son égo pour atteindre le feu de
l’amour et boire l’eau limpide et douce citée dans la quatrième et la dixième strophe.
b) Poème 2 : Elle est là où je suis24
En lisant ces vers, nous avons l’impression qu’il s’agit de la poésie amoureuse, des vers
galants à travers lesquels sont décrites, sous l’effet de l’amour, les qualités d’une femme, mais
l’intention du poète est tout à fait différente. En effet, les soufis ont utilisé, dans leurs poèmes,
des figures féminines pour traduire leur amour du Roi des rois. Nous citons les exemples de
Zaynab, Lubnā, Hind, Salmā, Laylā. Les prénoms féminins, dont l’origine est la poésie
amoureuse arabe, sont utilisés par les soufis pour évoquer les réalités divines dont l’essence se
manifeste selon plusieurs figures. Salmā, ayant la même racine du nom Sulaymān qui signifie
paix et sécurité, renvoie à la station spirituelle du Prophète Salomon [Sulaymān] : « Salmā est
un état qui se réfère à la station propre à ce prophète (Salomon) — sur lui la Paix de Dieu —
en vertu d’un Héritage prophétique (mīrāth nabawī) 25». Tandis que le prénom Laylā est
synonyme de l’amour parfait qui ne peut s’accomplir que par la mort chez les poètes arabes, les
soufis ont utilisé le nom de Laylā pour évoquer l’intensité de leur amour envers Dieu. La beauté
de Laylā, dans ses dimensions les plus subtiles, fait allusion à l’origine des êtres : l’essence
divine.
Dans le poème choisi, l’auteur met l’accent sur deux notions fondamentales, dans la
voie spirituelle soufie, l’amour [mahabba] et le combat intérieur [mujāhada]. L’amour est l’
inclination persistante d’un cœur épris. Cette inclinaison se manifeste d’abord par
les organes externes, par le service actif [de la divinité]… En second lieu, elle se
manifeste sur les cœurs épris par la purification et l’embellissement [intérieurs]….
En troisième lieu, elle se manifeste par les esprits et les consciences intimes purifiés,
par la faculté qui leur est accordé de jouir de la vision du Bien-Aimé.26
Cet amour, ressenti envers Dieu, pousse l’Homme à mener un combat intérieur pour
tenir les rênes de son âme charnelle en se débarrassant des caprices, des mauvaises habitudes,

24
Ibn Arabi. L’interprète des désirs, Op.cit., p.486-487. (Extrait du poème XLVI)
25
Ibid., p. 104.
26
MICHON, Jean-Louis. Le soufi marocain Ibn 'Ajiba et son mi'aj, Glossaire de la mystique musulmane. Paris :
Vrin, 1973, p. 191.
de la paresse, de l’égoïsme et d’autres défauts. Lors de ce combat intérieur, le voyage fatigant
du soufi s’achève par la contemplation de l’Aimé (Dieu) : « La contemplation est le fruit de
l’ascèse pratiquée sous l’inspiration de Dieu. Elle est absence de soi-même et présence à
Dieu. » 27
Dans ce poème, Ibn Arabi précise que le fait de quitter le monde des réalités sensibles
et accéder au stade de la contemplation se réalise par le combat de la passion, par une guerre
dans laquelle le cœur ressent un désarroi, car l’amour divin qu’il ressent n’est pas compatible
avec le monde visible. En aboutissant à la station de la contemplation, l’Homme réalise l’union
avec Dieu. Le vécu est, certes, ineffable, mais le poète utilise des expressions qui renvoient à
la beauté comme lèvres d’un rouge foncé, le galbe de sa jambe, sur ses joues, la lueur du
crépuscule. La Beauté de Dieu, qualifiée de belle et ornée par des bijoux, des Noms Divins, a
un effet sublime sur le cœur de l’Homme, Son sourire découvre de jolies dents.
Conclusion
À travers leurs écrits, les soufis perçoivent le voyage comme étant le mouvement qui
mène l’homme à la rencontre de Dieu. La proximité et l’éloignement n’ont pas une relation
avec la distance : un individu, dans sa quête du divin, s’approche de plus en plus de son
créateur ; en revanche, si l’Homme se contente de satisfaire ses appétits, il aurait choisi la vie
matérielle et éphémère au détriment du bonheur spirituel. Le premier traité présenté, qui est lui-
même un voyage, met l’accent sur le caractère infini du voyage en invitant le lecteur à écrire
son propre voyage susceptible de le mener à la rencontre de son Créateur.
Le premier poème invite le lecteur, à travers un langage métaphorique tiré du champ
lexical du désert, à se référer aux voyages des prophètes et des guides spirituels pour ne pas
perdre les repères et pouvoir accéder à la proximité divine et goûter aux fruits spirituels. Tandis
que le second se sert de la poésie amoureuse pour traduire les effets du déplacement du monde
des réalités sensibles au Lieu de la contemplation de la Beauté de Dieu sur le soufi.
Si, pour Edmond Haraucourt, « Partir, c'est mourir un peu, c'est mourir à ce qu'on
aime » ; pour les soufis, le voyage en Dieu est aussi une mort, mais une mort mystique [fanä’],
un état d’extinction dans lequel le serviteur perd toutes ses qualités humaines, les cinq sens, en
ne voyant que Dieu le Tout-Puissant.
Bibliographie :
− Cheikh BENTOUNES Khaled, SOLT, Bruno, SOLT, Romana. Le soufisme, cœur de l'islam,
Paris : Albin Michel, 2014.
− IBN ARABI. L'interprète des Désirs - Turjumân al-Ashwâq, traduction de Gloton
Maurice, Paris : Albin Michel, 2012.
− IBN ARABI. Traité de l'amour, traduction de Gloton Maurice, Paris : Albin Michel,
1986.
− POPOVIC, Alexandre ET VEINSTEIN, Gilles. LES VOIES D'ALLAH, Les ordres mystiques
dans l'islam des origines à aujourd'hui, Paris : Fayard, 1996.
− IBN ARABI. Le dévoilement des effets du voyage, traduction de GRIL Denis, Paris :
Éditions de l'éclat, 2015.
− MICHON, Jean-Louis. Le soufi marocain Ibn 'Ajiba et son mi'aj, Glossaire de la mystique
musulmane. Paris : Vrin, 1973.
− MOURAD, Khireddine. De la mystique et la spiritualité au Tassawwuf. Troisième
rencontre internationale du Soufisme, 2009.

Annexe :

27
POPOVIC, Alexandre ET VEINSTEIN, Gilles. LES VOIES D'ALLAH, Les ordres mystiques dans l'islam des origines
à aujourd'hui, Paris : Fayard, 1996, p. 628.
Poème 1 : À la quête des campements1 s'établit le combat de la passion.
(1) Arrête-toi aux relais et pleure Le cœur, en cette guerre,
Sur les ruines des demeures ! est en plein désarroi.
Questionne alors les traces usées (2) Ses lèvres d'un rouge foncé
Des campements de printemps : sont de miel quand on l'embrasse.
(2) « Où sont passés les bien-aimés ? Le témoignage que laissent les abeilles
Où sont allés leurs chameaux fauves ? » est le miel blanc qu'elles sécrètent.
« Observe-les fendre la vapeur qui plane (3) Beau est le galbe de sa jambe !
À travers les ruines désertées. » Ténèbres sur une lune.
(3) Dans les mirages tu les vois Sur ses joues, la lueur du crépuscule.
Semblables à des jardins. C'est un rameau sur les dunes.
La brume, aux yeux, fait paraître (4) Belle, parée de bijoux,
Immense leur silhouette vaporeuse. elle ne dédaigne pas les ornements.
(4) Ils voyagèrent par désir de se rendre Son sourire découvre de jolies dents
À al-‘Udhayb pour y boire tels des grêlons frais et blancs.
Une eau limpide et douce (5) Elle se dérobe, sérieuse,
Semblable à la jouvence de vie. et se plaît à faire, de l'amour, un jeu.
(5) Je les suivais, m’informant d’eux Entre sérieux et jeu,
Auprès du vent léger d’orient : intervient le trépas.
« Ont-ils planté leurs tentes (6) Jamais la nuit ne s’évanouit,
Ou recherché l’ombre de l’arbre de Dâl ? » Sans que le souffle frais de l’aube
(6) J‘ai laissé, dit le zéphyr, Ne vienne lui succéder ;
À Zarûd leurs tentes arrondies Fait depuis longtemps connu !
Les chameaux poussaient leurs plaintes, (7) Jamais de légers vents d’est ne passent
Harassés par la marche de nuit. Sur de luxuriants jardins,
(7) Ils avaient laissé pendre, Peuplés de jeunes filles bien formées,
Sur leurs tentes, des auvents Vierges et avenantes,
Qui protégeaient leur beauté
De la chaleur de midi.
(8) Lève-toi et vers eux presse-toi
À la recherche de leurs traces. Avance
jusqu’à eux en te balançant
Au rythme rapide de tes chameaux.
(9) Et quand tu t’arrêtes
Aux repères de Hêjir,
Et que tu traverses, grâce à eux,
Vallées et montagne,
(10) Leurs campements se rapprochent ;
Leu feu apparaît en brillant,
Un feu qui est allumé
À la vive flamme de la passion.
(11) Fais s’agenouiller les chameaux.
Que ces lions ne t’effrayent point
Car les désirs enflammés
Te les feront voir tels des lionceaux

Poème 2 : Elle est là où je suis2


(1) Entre les entrailles et les grands yeux,

1 2
Ibn Arabi. L’interprète des désirs, Op.cit., p. 227. Ibid., p. 486-487. (Extrait du poème XLVI)

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