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INTRODUCTION
par Audrey Fella
DICTIONNAIRE
POSTFACE
par François Marxer
OUVERTURES BIBLIOGRAPHIQUES
APPROCHE DE LA MYSTIQUE
« La mystique est de nos jours à la mode 1 », nous dit-on. Si le phénomène n'est pas récent, la
mystique ressurgit néanmoins au prix d'une confusion, prise dans les filets de la nébuleuse
spirituelle moderne, aux côtés des médecines parallèles, des techniques de méditation et de
relaxation, des voies ésotériques et initiatiques, de l'attrait pour les religions orientales. Elle est
ainsi associée, par défaut, à une nouvelle spiritualité, comprise comme confort et assimilée à la
quête d'une vie intérieure riche, sensible à la poésie, au mystère et aux élans du cœur 2 .
Défini comme « l'ensemble des croyances et des pratiques se donnant pour objet une union
intime de l'homme et du principe de l'être (divinité) 3 », le « mysticisme » est aujourd'hui plus
couramment admis comme une « croyance » ou « une doctrine philosophique laissant une part
excessive au sentiment, à l'intuition 4 ». Quantité d'auteurs – historiens, philosophes,
scientifiques, etc. – influencés par le positivisme emploient même ce mot en un sens franchement
péjoratif, pour désigner d'inconsistantes rêveries d'inspiration religieuse ou encore des
pathologies mentales. Aussi, « le terme de mystique 5 est l'un des plus confus qui soient [...]. Il
peut signifier à peu près n'importe quoi, pourvu que ce soit de l'irrationnel, de l'obscur, du
prélogique, de l'affectif et qu'il y ait de plus, si possible, quelques manifestations
psychosomatiques bizarres 6 », écrit Claude Tresmontant. Or le terme admet une tout autre
signification. Issu du grec mustikos, signifiant « relatif aux mystères 7 », il désigne un
authentique mode de connaissance de Dieu ou de l'absolu, issue de l'expérience, capable de
transfigurer la condition humaine. L'expérience désignant un mode affectif et dynamique de
connaissance plus riche qu'un savoir notionnel, réflexif ou intellectuel.
Imprégnée des apports de chaque tradition, puis de chaque époque, au sein desquelles se sont
distinguées des familles diverses, la mystique a revêtu, et revêt encore, différentes significations
sujettes à débat entre penseurs. Pour Jean-Pierre Jossua, qui la situe dans la perspective de la
tradition chrétienne, elle « peut être décrite comme une union à Dieu, par une forme de prière,
union qui n'est ni complète ni durable, mais néanmoins éprouvée avec une sorte de certitude
intérieure. Elle suppose un dépouillement radical dans la prière, ainsi qu'une mise à l'écart des
images, des sentiments, des pensées. Elle suppose aussi une ascèse rigoureuse dans l'existence
même, portant sur les sens, l'affectivité, la vie de l'esprit et finalement la personnalité tout
entière 8 . » Ici, le but de la mystique est l'union de l'âme avec Dieu. Cette union, réellement
éprouvée, met en jeu la totalité de la personne, tant dans sa dimension affective qu'intellectuelle.
Elle est le fruit d'une ascèse 9 , d'un dépouillement de l'âme et du détachement du monde
(sensible). Elle peut conduire à une transformation radicale celui qui la vit et à un nécessaire
retour au monde. Parallèlement, elle est, pour Louis Gardet, l'« expérience fruitive d'un
absolu 10 ». Ici, il s'agit de la saisie intérieurement vécue d'une réalité ultime et comblante,
puisqu'elle « donne la jouissance ». Or il ne faut pas oublier qu'il existe une mystique de la perte,
du sacrifice, du négatif et de l'annihilation. Dans tous les cas, l'expérience mystique n'est pas à
confondre avec l'expression d'une émotion esthétique superficielle ou d'états psychologiques
(psycho-affectifs) troubles ; la sentimentalité et l'imagination communes n'ayant plus ici la
moindre part. Elle est de nature transcendante 11 . Sur le plan sensible, elle peut se manifester à
travers des états extraordinaires tels que des révélations, visions, prophéties, extases,
ravissements, etc., et être à la source de créations littéraires (témoignages, récits de vie,
autobiographies, biographies, hagiographies), artistiques, philosophiques et théologiques.
La mystique concerne donc la possibilité pour l'âme humaine d'entrer en relation avec Dieu ou
l'absolu et de les expérimenter. Ce qui laisse entrevoir, après un bref examen de l'histoire des
religions, que le fait mystique est originel, qu'il existe depuis le début de l'aventure religieuse.
Aussi cet absolu ne revêt pas toujours nécessairement l'aspect d'un sujet ou d'une personne
divine. En effet, l'expérience mystique n'est pas forcément une expérience théiste. L'exemple du
bouddhisme et celui du taoïsme le montrent bien : ni la « vacuité », ni le Tao ne se laissent
identifier à un dieu suprême. Et pourtant on retrouve dans ces deux religions (ou philosophies) le
même type d'itinéraire spirituel, la recherche de la même quiétude inébranlable. La mystique
s'identifie ainsi à l'expérience elle-même et à ses « retombées » ; cette expérience revêtant
toujours un caractère éminemment personnel et pourtant quasi universel, si l'on en croit la
diffusion du phénomène et, parfois, la similitude de nombreux témoignages. Non dans leur
langage, qui emprunte soit à la tradition et à la civilisation dans lesquelles le sujet s'inscrit, soit à
leurs propres ressources expressives, mais bien plutôt dans les étapes vécues, la nature de
l'expérience traversée.
Cette approche permet d'intégrer à notre définition tous les types de mystiques – ne dit-on pas
que « L'esprit souffle où il veut » ? – qui s'inscrivent dans les diverses traditions, religions,
sagesses et autres courants spirituels, voire philosophiques, ainsi que la « mystique sauvage 12 »,
qui regroupe les expériences spontanées (lesquelles s'accompagnent parfois de pathologies et
autres folies qui en sont les « retombées » les plus éprouvantes) ; leurs points communs étant les
expériences d'union (relation qui induit une distance entre le sujet et l'ultime visé) ou de fusion
(absorption du sujet dans l'ultime) avec Dieu ou l'absolu, d'intériorisation de ceux-ci et de
transformation de soi (dont la liberté et la créativité sont les maîtres-mots), et par conséquent du
monde.
LA MYSTIQUE AU FÉMININ
Si l'on prend en compte l'ensemble des traditions et des religions de l'humanité, des origines
jusqu'à aujourd'hui, on ne trouve réellement de femmes mystiques que dans le christianisme, à
l'exception de quelques figures éminentes telles que la poétesse Mîrâ Bâî (XIIe s.) dans
l'hindouisme, la poétesse et visionnaire soufie Râbi'a al-‘Adawiyya (VIIIe s.) en islam et le
maître du bouddhisme tibétain Yeshe Tsogyal (IXe s.), le judaïsme, le taoïsme et le chamanisme
comptant peu de figures représentatives. La quasi-absence de femmes mystiques dans certaines
traditions résulte des conceptions anthropologiques de la femme sous-jacentes aux religions.
Alors que, mis à part les cultes de la maternité, toutes n'accordent que peu de valeur à celle-ci,
l'avènement et la révélation de Jésus ont marqué une revalorisation révolutionnaire de la femme
(biblique) et lui ont donné un essor qu'a rendu possible la floraison des femmes mystiques au
Moyen Âge. L'influence du courant du fin'amor, ou amour courtois, dans la poésie et la
littérature (dédiées à la femme idéalisée) a probablement été déterminant dans cette émergence.
En outre, il se peut que leur rôle et leur statut au sein de la société médiévale (elles n'avaient pas
accès aux charges sacerdotales) aient contribué à les mener à développer un type de relation ou
d'union particulière, intime et personnelle, avec Dieu, parfois en marge des dogmes et/ou des
institutions en place. Il n'est que de citer Hildegarde de Bingen et Christine de Markiate pour le
XIIe siècle, Gertrude d'Helfta, Marguerite Porete et Claire d'Assise pour le XIIIe siècle. Or cela
n'a pas fonctionné de la même manière dans les autres traditions, où les femmes sont restées plus
corsetées dans leur position sociale, plus contrôlées par les institutions religieuses sous le joug
masculin ; les sociétés orientales ayant connu une autre évolution que les sociétés occidentales.
À partir de là, les femmes mystiques se sont considérablement déployées jusqu'à nos jours. Elles
ont développé un mode de connaissance de Dieu, ou de l'absolu, et un mode de vie religieux soit
à l'intérieur (les ordres communautaires et religieux de chaque tradition), soit à la périphérie (les
hérésies chrétiennes ou les sectes traditionnelles), soit en dehors (les figures qui ont éclos bien
plus tard sur fond de positivisme et d'humanisme athée) des cadres institutionnels et idéologiques
dominants.
Né aux alentours du XIIe siècle, ce mouvement a tout d'abord essaimé au siècle suivant dans le
nord de la France, la Belgique (Yvette de Huy, Ide de Nivelles), les Pays-Bas et les pays
germaniques (Hedwige de Silésie, Gertrude de Hackeborn), chez les béguines et les
cisterciennes, puis en Provence (Douceline de Digne) et dans le nord de l'Italie (Marguerite de
Cortone, Claire de Montefalco, Angèle de Foligno), plus particulièrement dans les ordres
mendiants franciscain et dominicain et leurs tiers ordres. Une forme de vie religieuse laïque non
consacrée se développe alors, touchant aussi les femmes mariées : les femmes se consacrent soit
à la contemplation (recluses), soit à la contemplation et à l'action, en général orientée vers le
service des démunis (miséreux, orphelins, vieillards, malades). Elles accèdent ainsi à des rôles de
directeur de conscience ou de leader (Claire d'Assise). Les béguines, souvent instruites,
contribuent grâce à leurs écrits en langue vulgaire à diffuser cet élan mystique. Ce mouvement,
encore relié à l'institution ecclésiale, s'apparente à d'autres réveils religieux définis comme
hérésies par leurs adversaires (Marguerite Porete, Guglielma de Bohême). Au XIVe siècle,
l'Église commence à prendre en considération la sainteté des femmes extatiques, religieuses ou
laïques, qui bénéficient de dons extraordinaires, allant du pouvoir de lire dans les cœurs à la
lévitation (Catherine de Sienne, Brigitte de Suède). Grâce aux échanges commerciaux et
intellectuels, ces grandes mutations se généralisent en Suisse (Élisabeth de Reute), en Italie
(Claire de Rimini, Osanna de Mantoue) et en Angleterre (Julienne de Norwich, Margery
Kempe), jusqu'au XVe siècle. À la suite de cet essor prodigieux, les femmes mystiques sont de
moins en moins connues. L'Église catholique, qui prend ombrage de leur charisme auprès du
peuple, devient plus prudente dans la façon de contrôler les révélations privées de ses membres
et les manifestations mystiques, tandis que les Églises de la Réforme protestante les écartent tout
simplement. Les pays de langue allemande, liés à ce schisme, donneront désormais moins de
mystiques que ceux qui sont restés dans l'orbite catholique, telle que l'Espagne au XVIe siècle,
qui devient le lieu de son analyse systématique et d'une orientation psychologisante. Héritière des
mystiques rhéno-flamands (dont Ruusbroec, Eckhart, Suso, Tauler assureront la transmission),
Thérèse d'Avila est sa figure de proue. Apparaissent également des sectes d'illuminés
(alumbrados et beatas), dont l'âme est souvent une femme, parfois visionnaire, douée d'un
singulier pouvoir d'attraction (Isabelle de la Croix). Au XVIIe siècle – le siècle de « l'invasion
mystique 13 » –, des femmes libres de leur personne et de leurs biens, des veuves comme Mme
Acarie, jouent un rôle moteur, notamment dans la fondation de carmels en France, lancée par
Pierre de Bérulle. Le rayonnement de Mme Guyon répand le quiétisme. Mais la répression
ecclésiastique du quiétisme et du jansénisme (Angélique Arnauld, Agnès Arnauld) affaiblit l'élan
mystique chrétien, qui sera refoulé au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe. La
virtuosité religieuse féminine s'exprime désormais à travers la bienfaisance sociale, le soin des
malades, l'enseignement et le secours des pauvres. Les congrégations féminines qui s'adonnent à
ces tâches se multiplient, inspirées par le culte de la Vierge Marie et le Sacré Cœur. Quelques
femmes continuent à vivre des expériences mystiques au sein des ordres contemplatifs (Thérèse
de Lisieux, Élisabeth de la Trinité). Ce qui n'empêche pas qu'une impulsion originale se produise
dans l'ésotérisme et l'occultisme à la même époque (Helena Blavatsky, Annie Besant). Aux XIXe
et XXe siècles naît la science des religions, qui relance le débat intellectuel sur la mystique et
confronte les religions entre elles. Quelques figures orientales de toutes les époques
(Soukhasiddhi et Eshin-ni dans le bouddhisme, Wang Fengxian dans le taoïsme, Shobhâ Mâ et
Mirra Alfassa dans l'hindouisme, Nafîsa bint al-Hasan et Râbi'a Balkhî dans l'islam, Freida
Schneersohn et Hannah Rachel Werbermacher dans le judaïsme) prennent place aux côtés des
chrétiennes 14 . La mystique devient également l'objet d'étude de la psychiatrie et de la
psychanalyse, qui contribuent à modifier son approche (Madeleine Lebouc, Louise Lateau,
Marthe Robin). Les femmes mystiques agnostiques ou athées se déploient notamment à travers
les arts, la poésie et la littérature (Isadora Duncan, Virginia Woolf).
De manière générale, on note une préférence significative des femmes pour une mystique
pratique plutôt que théorique ; on relève encore des éléments récurrents d'une mystique affective
(non pas sentimentale), qui a pris des sens divers et des appellations différentes selon les
époques : mystiques sponsale ou de la Passion (Marie d'Oignies), oblative et réparatrice (Délia
Tétreault), sacrificielle et victimale (Marie-Antoinette de Geuser). Pour preuve, la continuité
presque ininterrompue d'Élisabeth de Schönau (XIIe s.) jusqu'à Thérèse Neumann (XXe s.) d'une
compassion visionnaire pour l'histoire des souffrances du Sauveur. Notons également que la
mystique nuptiale le cède parfois à la mystique apostolique (Angèle Merici), empreinte de
charité, qui est un vrai chemin de sainteté (un des aspects de celle-ci pouvant découler du rapport
entre l'expérience mystique et la mission). On compte en effet beaucoup de saintes,
bienheureuses et vénérables, mues par une volonté d'offrande totale, libre et radicale pour l'autre,
une participation reçue comme un état de grâce à l'acte rédempteur du Christ (Marie Guyart de
l'Incarnation). Point besoin, en effet, de connaître des expériences extraordinaires ou hors du
commun pour vivre une union totale avec Dieu (incluant les peines et les joies du chemin).
Nombre de mères fondatrices (Thérèse Couderc) et de sœurs charitables (sœur Rosalie, mère
Teresa de Calcutta) témoignent ainsi d'une mystique non extatique et pourtant unifiée dans
l'amour (Louise de France). Quelques spécialistes s'interrogent encore sur ces aspects du
mysticisme, pour savoir si l'on peut expliquer le caractère dominant des traits extatiques, imagés
et sensibles des femmes mystiques, par des paramètres qui tiennent à la psychologie et au sexe,
et jusqu'où ces traits dépendent des facteurs historiques et sociaux (liés notamment aux
possibilités plus limitées de formation).
Les femmes se sont donc particulièrement distinguées à travers ce que quelques auteurs ont
nommé la « mystique de l'amour », affective, parfois sensuelle. Mechtilde de Magdebourg
(XIIIe s.) et Hadewijch d'Anvers (XIIIe s.), par exemple, ont ainsi privilégié un mode d'union qui
répondait au désir d'un amour divin, transcendant et surpassant l'amour humain. Un amour plus
élevé donnant un élan à leurs sentiments et leur permettant d'atteindre l'amour extatique, qui est
oubli de soi en Dieu. L'essentiel y est moins leur for intérieur, où elles se savent unies à Dieu,
que la relation amoureuse et sentimentale avec Jésus-Christ, décrite dans un langage érotique. Or
cette disposition affective, sensible, chez les femmes mystiques, ne doit pas faire oublier la
présence d'une mystique spéculative (bien que celle-ci ait souvent été l'apanage des hommes,
soutenus par les institutions) ; on pense à Thérèse d'Avila (XVIe s.), Catherine de Sienne
(XIVe s.) et Thérèse de Lisieux (XIXe s.), docteurs de l'Église, ainsi qu'à des figures plus
modernes, du XXe siècle, telles qu'Édith Stein, Simone Weil et Adrienne von Speyr.
Précisons par ailleurs que Bernard de Clairvaux (XIe s.), François d'Assise (XIIIe s.), Maître
Eckhart (XIVe s.), Henri Suso (XIVe s.), Jean Ruusbroec (XIVe s.), Jean de la Croix (XVIe s.) et
François de Sales (XVIIe s.) ont nettement contribué à la constitution du discours mystique
féminin. Certains ont insisté sur l'âme comme partenaire féminin de Dieu ou sur la dimension
féminine de la déité ; d'autres ont élaboré une construction théorique à partir de l'expérience
mystique dite par les femmes. Plusieurs ont été traversés par un vécu qui s'apparente très
fortement à la mystique affective 15 . Dans tous les cas, tous ont été des promoteurs, voire des
fondateurs, de cette filière 16 .
Plus proche de nous, Luisa Muraro a tenté de définir l'expérience mystique des « femmes 17 »
comme une « relation particulière et intime avec Dieu 18 ». Elle précise que les femmes, qui
témoignent de l'intérêt d'ouvrir l'horizon de leur vie vers quelque chose d'autre, s'intéressent en
même temps très peu à l'existence de Dieu, et encore moins à ce qu'elle soit démontrée. Relevant
l'attitude antireligieuse féministe moderne et le glissement vers un syncrétisme religieux, elle
pointe du doigt l'indifférence religieuse actuelle, « l'indifférence à l'égard de l'existence de Dieu
n'étant pas indifférence envers Dieu ». Elle ajoute : « Cette relation [...], je l'appelle “mystique
féminine” 19 . » Or, si cette définition a pour intérêt de mettre l'accent sur une des
caractéristiques des femmes mystiques quant à leur adhésion intérieure, directe, à Dieu 20 , ou à
un absolu (sans passer par un tiers, fût-il un individu, une institution ou un concept quelconques),
et par là d'englober toutes les femmes mystiques quelles que soient les époques et les familles
auxquelles elles appartiennent, elle ne suffit guère à poser les bases d'une mystique féminine
exclusive à celles-ci.
Une question qu'on peut se poser est : la mystique est-elle spécifiquement féminine ? Du point
de vue ontologique, la mystique n'est pas plus féminine que masculine (dans le même ordre
d'idée, l'âme n'est pas plus féminine que Dieu n'est masculin), de même qu'elle n'est pas plus
naturelle aux femmes qu'aux hommes. Admettant que la racine de l'âme coïncide avec le principe
divin, le père Stanislas Breton considère la mystique « comme l'élément fondamental de l'être
humain 21 ». Pour lui, l'Un est à la fois un principe unificateur et ce qu'il y a de plus profond, de
plus intime, en chaque être. Ainsi « un élan mystique réside en tout être, même dans le caillou,
dans la mesure où il demeure dans son principe. C'est un agir pur qui n'est ni passivité ni activité.
[...] Le mystique est celui qui demeure dans le principe 22 . »
L'expérience mystique, définie comme l'union de l'âme avec Dieu ou l'absolu, implique en effet
que l'être soit tout d'abord réceptif, se dénude et s'ouvre, pour accueillir le divin. Préparé à la
rencontre, il peut s'unir, dans un élan vital pour lui, au divin. Il réalise alors le mariage du ciel et
de la terre ; le ciel peut féconder la terre qui, à son tour, peut donner la vie et porter des fruits.
L'expérience mystique est à la fois accueil et don, ce qui définit l'acte de création (qui implique
l'union des principes féminin et masculin). Aussi, s'il existe différentes expériences mystiques
féminines – étant entendu que la mystique est avant tout une expérience inscrite dans le vivant,
un phénomène observable dans la matière –, il n'existe pas de distinction ontologique entre
l'expérience mystique vécue par la femme et celle vécue par l'homme. Et de ce point de vue, pas
de mystique spécifiquement féminine. Ce qui n'empêche pas qu'il existe une expression féminine
de l'expérience mystique propre à la sensibilité de celles-ci.
La mystique, dans son essence, échappe au plan mental de l'être humain, sujet à la dualité des
phénomènes. Elle s'inscrit dans un plan supérieur de la conscience, dans une dialectique
dynamique perpétuellement renouvelée entre le féminin et le masculin, l'âme et Dieu, ou l'absolu,
l'intime et le Tout Autre, le particulier et l'universel, le familier et l'inconnu. Relevant de
l'expérience religieuse, elle suppose et implique une connaissance nouvelle du « mystère », qui
est destiné à être vécu et qui, sous quelque forme que ce soit (en général le déploiement d'une
énergie personnelle), se concrétise en une donnée qui libère et qui sauve. « Toute connaissance
digne de ce nom est une connaissance nuptiale », a écrit le poète Coventry Patmore. La mystique
apparaît là comme une réconciliation de ce qui semble au premier abord contradictoire, comme
une résolution des paradoxes. Elle relie, elle unifie l'être et le Tout Autre.
1. Bien que l'idée ait été émise par de nombreux spécialistes, la formule est de M. Cornuz, Le
ciel est en toi, Genève, Labor et Fides, 2011, p. 11.
4. Ibid.
5. Selon le Petit Robert, la mystique est l'« ensemble des pratiques du mysticisme, intuitions,
connaissances obtenues par elle » ; l'adjectif qui lui est lié signifie : « qui concerne les pratiques,
les croyances ou les dispositions propres au mysticisme ».
11. Quand bien même la mystique orientale serait de nature immanente, elle comprend une
expérience de la conscience se déployant dans un espace et un temps tout autres. Qu'il s'agisse de
l'Un, Dieu, l'absolu, la « vacuité », l'« autre versant », le Transcendant, le Tout Autre, la
dimension ultime domine et surplombe l'œuvre mystique de toute son impénétrable présence,
sans quoi elle demeurerait inintelligible ou aberrante.
12. L'expression est de M. Hulin (La Mystique sauvage, Paris, PUF, 1993) qui recense
également les « petits mystiques », soit les anonymes ou ceux qui s'ignorent – qu'ils se situent en
marge des milieux confessionnels ou franchement à la périphérie, parmi les agnostiques ou les
indifférents en matière religieuse – sujets à des expériences spontanées (causées par le spectacle
d'éléments naturels, l'épuisement physique, le choc émotif, la rencontre d'un être cher ou
l'annonce d'un décès par exemple) ou artificiellement provoquées (par les drogues, la musique, la
danse, la veille, le jeûne, la méditation et autres pratiques ascétiques) de lâcher-prise ou
d'abandon, d'états modifiés de conscience, etc. Les traits caractéristiques de celles-ci étant l'éveil
à une autre réalité, le sentiment d'imbrication mutuelle, de co-appartenance du sujet et du monde,
l'apaisement, la quiétude (p. 6).
13. L'expression est de Henri Bremond (Histoire littéraire du sentiment religieux en France...).
14. Sur le plan religieux et spirituel, cette ouverture vers l'Orient a notamment permis « de
renouveler et d'accentuer l'importance de l'intériorité et de découvrir une richesse insoupçonnée
par la majorité des Occidentaux », écrit M.-M. Davy (Traversée en solitaire, Paris, Albin Michel,
2004, p. 237).
17. « Dire “les femmes” ne convient pas ici, ni d'ailleurs en général. Car il n'est jamais question
de “les femmes” quand on en parle vraiment ; il s'agit toujours d'une, de deux, de plusieurs, avec
leurs différences, et de leurs relations », écrit Luisa Muraro (« Lointain-proche – le Dieu des
femmes », in B. Van Meenen [dir.], La Mystique, Bruxelles, Publications des Facultés
universitaires Saint-Louis, 2001, p. 53).
19. Ce qui est pour elle une manière de « soustraire cette matière délicate et problématique
(comme tout ce qui est de l'expérience féminine) à l'objectivation scientifique mise en œuvre par
des hommes et de plus en plus de femmes aussi, qui veulent savoir (on les appelle des
« savants ») sans se demander s'ils sont en état de comprendre », ibid., p. 54-55.
20. « Il est vrai que nous, les femmes, nous prenons avec Dieu une liberté à laquelle les hommes
ne songent même pas » (L. Muraro, Le Dieu des femmes, Bruxelles, Lessius, 2006).
23. Parmi lesquelles on compte deux femmes anonymes, auteurs de La Perle évangélique et
L'Abandon à la providence divine.
24. Si certaines traditions ou religions ne sont pas représentées, c'est que la notion de mystique y
est plus discutée, voire contestée. L'expérience mystique ne connaissant pas de limites autres que
conceptuelle et mentale, le Dictionnaire compte également quatre figures du chamanisme qui ont
l'intérêt de poser, ou reposer, la question.
La mystique féminine, si elle s'est épanouie de manière privilégiée dans le cadre de la tradition
chrétienne, garde l'empreinte des mystiques occidentale et orientale. Universelle dans son genre,
elle n'en reste pas moins, et ce jusqu'à l'âge moderne, marquée par les différentes traditions ou
courants religieux dans lesquels elle a trouvé à s'exprimer.
Rappelons-le : la mystique est une notion purement occidentale, relativement récente, issue du
néoplatonisme et du christianisme. C'est pourquoi il a fallu quelques précautions pour l'étendre à
un Occident plus large dans le temps et dans l'espace, puis jusqu'à l'Orient. Toujours est-il que
son élaboration moderne par l'Histoire, la philosophie et la science des religions (née au
XIXe siècle et prenant en compte les religions d'Extrême-Orient) a permis de l'appliquer à ce qui
était d'abord hors de son champ. Aussi la mystique se rencontre-t-elle dans des traditions aussi
diverses que le bouddhisme et l'hindouisme, attestant d'expériences parfois comparables à celles
des religions monothéistes. C'est ainsi qu'on parle aujourd'hui de mystique chez tous les peuples
depuis l'Antiquité.
Cette approche universaliste de la mystique a été très critiquée à cause du risque d'une perte de
signification de celle-ci. En effet, « l'universalité dont on s'enchante risque de la noyer dans une
abstraction qui récuse toute spécificité. La limiterait-on à la condition historique de l'être humain,
ce serait encore trop. De même, la restriction de l'élément mystique à une seule tradition, si noble
soit-elle, n'échappe pas au danger d'une conversion en essence anonyme de ce qui doit rester un
événement 26 », écrit le père Stanislas Breton. Il ne s'agit donc pas ici de poser une essence
intemporelle qui, les surplombant de son idéalité, assujettirait à son obédience l'irréductible
diversité des formations historiques. Toutefois, sans avoir à désigner une essence commune à
tous, la dénomination mystique peut s'appliquer à un courant spirituel qui traverse les différentes
régions, spatiales et temporelles, de sa diffusion. Un tel courant peut bien être dit singulier et
bénéficier d'une existence historique repérable. Ainsi c'est une constante pour la mystique d'être
à la fois particulière et universelle, de prendre forme dans les divers systèmes religieux et d'y être
irréductible à la fois.
Ce qu'on accordera peut-être sans conteste, et quelle que soit leur spécification, c'est qu'il n'y a
pas de mystiques sans procès. À défaut d'une essence commune, les mystiques ont un air de
famille. Et c'est probablement cela qui incline à retenir la communauté de certains traits. « En
particulier, non seulement le dépassement des représentations traditionnelles, mais le refus, au
nom de l'expérience mystique, de la pure croyance de foi qui reste, malgré sa ferveur, une forme
d'extériorité 27 . » Il s'agit d'un savoir expérimental (au caractère immédiat, ressenti, sans
médiation discursive) qui n'est pas, cependant, une science parmi d'autres, sur le modèle qui nous
est familier. C'est en ce savoir sui generis que consiste l'originalité des mystiques. Une originalité
qu'il ne serait pas impossible de retrouver dans les courants les plus éloignés dans le temps et
l'espace. Cela même chez les mystiques modernes, parfois athées et libérés de tout absolu, qui
ont poursuivi le rêve d'un ultime dépassement de leur être.
L'étude qui suit a pour but de livrer au lecteur quelques clés lui permettant d'entrer dans ce
vaste univers qu'est la mystique féminine. Elle abordera en détail l'histoire de la mystique
chrétienne, les différentes traditions occidentales et orientales dans lesquelles se sont inscrits les
mystiques (femmes et hommes), ainsi que les rapports que ceux-ci ont entretenus avec les
institutions religieuses, puis l'expérience mystique dans sa spécificité. Les nombreux renvois aux
notices des femmes mystiques aideront le lecteur à poursuivre son chemin sur les pas de ces
dernières. Enfin elle conclura sur le mystère de l'être humain et son destin mystique afin de
poursuivre la réflexion sur l'intérêt pour tous de ce sujet à la fois vaste et profond.
MYSTIQUES ET TRADITIONS
En Toi-même absorbé, Tu me restais caché.
Je passais tout le jour à chercher Toi et moi.
Lorsqu'en moi je Te vis, ô Toi,
À Toi et à moi j'accordai un ravissement sans limite.
Lallâ
Pour Carl-A. Keller, la mystique est une quête, une tension, une aspiration au divin, à l'absolu,
une volonté de se transformer grâce aux différentes méthodes proposées par toutes les traditions.
Aussi elle n'est pas « un phénomène unitaire » mais « une catégorie de la vie religieuse » – le
terme « catégorie » étant entendu comme une classe de phénomènes ou de pratiques qui se
retrouvent au sein de plusieurs systèmes religieux, mais dont la configuration varie d'un système
à l'autre, tels la prière, l'offrande, l'intermédiaire ou le médiateur 29 . La mystique est donc une
catégorie de ce type qui désigne l'effort, entrepris par le fidèle, d'intérioriser totalement, au prix
d'une transformation de la conscience, voire de la personnalité, la ou les grandeurs supérieures ou
suprêmes, les « ultimes », qu'il révère. En ce sens, est considérée comme mystique toute
personne, homme ou femme, qui aspire à cette intériorisation 30 . Le bouddhiste s'accomplit ainsi
dans l'effort qu'il fait en vue de réaliser en lui-même la dimension dernière de son univers,
comprise comme « vacuité » ou « bouddhéité ». Le musulman cherche à intérioriser radicalement
la « confession de l'Unité de Dieu » (tawhîd), moyennant une unification qui aboutit, idéalement,
à sa totale prise en charge par le Dieu Un. Le shivaïte reçoit par le dieu Shiva lui-même
l'initiation qui le libère du karma accumulé et lui consacre son existence en se sachant possédé
par lui. La plupart des figures de ce Dictionnaire appartiennent à une tradition bien définie,
comme le christianisme, le bouddhisme, le taoïsme, l'hindouisme, l'islam, le judaïsme et le
chamanisme. Aussi elles se sont exprimées au travers des cadres bien délimités de ces traditions,
dont elles se sont rarement émancipées – sauf quelques figures modernes et contemporaines. En
général, les mystiques ont été guidées par un directeur de conscience ou un maître spirituel
rattaché à une communauté ou une école en particulier ; elles ont révéré les déités et tenté
d'intégrer les « ultimes » auxquels fait référence leur tradition d'origine. C'est le cas par exemple
des soufies en islam (voir ‘Â'ISHA AL-MANNÛBIYYA ; UMM HÂRÛN AL-
DIMASHQIYYA), des dakinis dans le bouddhisme (voir NIGOUMA ; SOUKHASIDDHI), de
la moniale Yuzhen Gongzhu dans le taoïsme et des shivaïtes dans l'hindouisme (voir AKHÂ
MAHÂDEVÎ ; KÂRAIKKÂL AMMAIYÂR). Toujours est-il que ces expériences varient non
seulement d'un système à l'autre, mais encore à l'intérieur de chacun d'eux où les individus, les
communautés ou les écoles préconisent des pratiques particulièrement efficaces.
Quels sont donc ces grandeurs ou ces « ultimes » confessés par les différentes traditions, que
les fidèles aspirent à incorporer à leur existence et à connaître intégralement ?
• Dans le bouddhisme, de nombreux documents historiques prouvent que le Bouddha a depuis
toujours été vénéré comme le symbole de l'ultime, comme une sorte de divinité par excellence.
Le problème est délicat, mais ici est défendue la thèse selon laquelle le bouddhisme maintient
l'existence d'une dimension ultime de l'univers, qu'il symbolise de diverses manières. L'ultime est
notamment compris comme « la nature véritable des choses », comme la « non-substantialité »
(anatta) des particules éphémères (dhamma) qui composent les phénomènes. Ailleurs on
l'interprète comme « vacuité » ou « absence de nature propre » des particules éphémères dont se
composent les phénomènes (sunyata). L'ultime est encore représenté par des symboles plus
évocateurs : « Matrice des Bouddha » (tathagatagarbha), « Ainsité » (tathata), « Corps de la
loi » (dharmakaya), « Terre de ou des Bouddha » (buddhaksetra), « Éveil » (bodhi) et
« Extinction » (nirvana). (Voir BAOCHI XUANZONG, CHÂN KHÔNG, MACHIK
LABDRÖN, NIGOUMA, NIZI, YESHE TSOGYAL.)
• L'hindouisme admet une dimension ultime de l'univers, appelée « brahman », ou « brahman
suprême » (parabrahman), souvent aussi « brahman sans qualités » (nirguna). Certaines
confessions soutiennent en outre que l'ultime est par définition et dans son essence pourvu de
spécifications, donc personnel (savisesa). C'est pourquoi la pratique mystique se concentre de
préférence sur un ultime pourvu de qualités (saguna), c'est-à-dire sur un être divin. Ainsi elle
prend racine et s'épanouit le plus souvent dans le cadre du culte d'une divinité considérée comme
suprême et en fin de compte unique : Shiva, Krishna ou Shakti (l'Énergie-Mère). (Voir
ÂNANDAMAYÎ MÂ, ANDÂL, KÂRAIKKÂL AMMAIYÂR, MÎRÂ BÂÎ, SHOBHÂ MÂ.)
• Dans le judaïsme, l'ultime est conçu comme un Dieu unique et simple. Toutefois, la réflexion
théologique qui va de pair avec la pratique mystique (notamment dans la Kabbale) a ressenti le
besoin d'enrichir ce concept, passablement abstrait, de précisions qui le rendent plus accessible à
travers les questions sur les énergies et les attributs divins. Selon eux, la dimension
inconnaissable parce que non déterminée et infinie se déploie dans une mystérieuse vie intra-
divine grâce à des émanations transcendantes appelées sefiroth ; ces sefiroth, toutes
transcendantes qu'elles soient, assurent en même temps la liaison avec le monde inférieur et
l'homme. À un autre niveau, les énergies divines sont symbolisées par des êtres célestes qui
peuplent les palais célestes dans lesquels ou derrière lesquels se cache la divinité radicalement
autre (voir ABERLIN, Rachel Mishan ; FRANCESCA SARAH). Le hassidisme, fondé au
XVIIIe siècle, opéra un retour à l'étude mystique et permit son accessibilité aux masses,
s'opposant à l'intellectualisme et encourageant l'expression émotionnelle, l'élan spirituel et le
recours à un guide (voir FEIGA ; ROKEAH, Eidele ; SCHNEERSOHN, Freida ;
SPRAVEDLIVER, Yenta ; WERBERMACHER, Hannah Rachel).
• Le christianisme définit l'ultime comme le Dieu trine, Un dans son essence intime, se
déployant dans trois modes d'être conceptualisés symboliquement par le Père, le Fils et l'Esprit.
Si le Père, par la Parole, crée, maintient et contrôle l'univers, c'est grâce à l'incarnation en Jésus
de Nazareth que le Fils se rend solidaire de l'humanité, alors que par le mode de l'Esprit la
divinité est présente et agissante dans la vie des créatures. Les énergies divines opèrent en outre
dans l'univers sous la forme des anges. Soulignons le fait que cette diversité des modes de
présence et d'action divine de Dieu ne contredit nullement l'unité essentielle de la divinité. La
pensée chrétienne affirme par conséquent l'immanence au monde d'un Dieu qui dans son essence
reste radicalement transcendant. La pratique mystique est donc suscitée par le désir de connaître
véritablement le Fils qui, solidaire de la destinée humaine, habite par l'Esprit dans le cœur de
l'homme. Se confiant à l'Esprit et au Fils, le chrétien se conduit, avec l'assistance des anges,
jusque dans la « Grande Ténèbre » et au-delà, c'est-à-dire jusque dans la dimension supra-
essentielle de la Trinité (voir CATHERINE DE SIENNE ; CLAIRE D'ASSISE ; GABRIELLE ;
HUBER, Marie ; MARIE DE L'INCARNATION ; OLYMPIAS).
• Dans l'islam, l'ultime est défini comme Allah, Dieu unique et Un – affirmation qui paraît
simple mais qui pose en réalité des problèmes ardus que la théologie islamique a abordés. Les
théologiens se sont en effet tout d'abord interrogés sur la nature et le statut des noms (‘asma) et
des « éléments d'une description » (sifat) de Dieu présents dans le Coran. Les nombreux noms
dont Allah se désigne lui-même semblent ainsi renvoyer à divers modes d'être : il s'appelle « le
Miséricordieux », « l'Omniscient », « le Tout-Puissant », etc. De leur côté, les éléments d'une
description semblent suggérer une personne divine possédant connaissance, parole, force, etc. En
outre, la réflexion des théologiens s'est développée autour des rapports entre le Dieu Un et le
monde multiple. L'unité de la divinité précède la pluralité des phénomènes. Du fait que Dieu, de
par son savoir éternellement parfait, les trouve en lui-même, les phénomènes forment une unité
en lui, existent éternellement dans son unité. C'est là la célèbre et fort controversée doctrine de
l'unité de l'existence des choses en Dieu (wahdat al-wujud), indispensable pour un grand nombre
de mystiques islamiques (voir NAFÎSA BINT AL-HASAN ; RABI‘A AL-‘ADAWIYYA ;
RAYHÂNA AL-MAJNÛNA ; SITT'AJAM ; UMM ‘ALÎ).
• Dans le chamanisme – où la notion de mystique est très discutée 31 –, l'ultime est un univers
magique rempli d'esprits et de forces mystérieuses avec lesquels le chaman a envie d'entrer en
rapport, tout en se prémunissant contre ses aspects néfastes. Les rites magiques le rendent
capables d'accéder à ce monde, d'y participer même, et par là d'en donner une certaine
communication aux autres. C'est ainsi que le chaman, grâce aux transes ou possessions, atteint la
sphère des Esprits, entre en communication avec eux, et obtient des pouvoirs surnaturels, comme
la seconde vue, la prédiction du futur, la bilocation et le don de guérison. Si, dans ce cas précis, il
ne cherche pas à se confondre avec cette nature magique (sauf pour un temps donné), il n'en fait
pas moins l'expérience de la « dissolution » de sa personnalité pour laisser place à la nouvelle à
venir (voir ABELAR, Taisha ; BUJAN ; GARCIA, Maria Sabina).
Les mystiques face aux institutions religieuses
La mystique ne se situe pas forcément en marge des traditions comme le démontrent certains
cas particuliers tendant à faire croire que ses acteurs sont des contestataires religieux et culturels,
affectionnant la transgression. Or il existe des oppositions, notamment au sein des religions
monothéistes, entre les médiateurs (prêtres, théologiens, jurisconsultes, etc.), qui opèrent entre la
communauté et le Dieu qu'il confesse, et les mystiques eux-mêmes, dont l'expérience échappe
aux tenants de l'orthodoxie (voir GUGLIELMA DE BOHÊME ; HERNANDEZ, Francisca).
Connaissance expérimentale, empreinte de subjectivité, la mystique, ayant souvent fait preuve
d'audaces spéculatives, a été plus ou moins détachée des dogmes et de la théologie officielle
établis par les institutions religieuses concernées, ce qui a pu la rendre suspecte et la marginaliser
(voir MARIE DES VALLÉES). On pense aux béguines chassées et persécutées (à un moment
donné) à cause de leur franche liberté vis-à-vis du clergé au XIIIe siècle (voir MARGUERITE
PORETE), ou encore à Mme Guyon condamnée et emprisonnée lors de la querelle du quiétisme
à cause de sa pratique de l'oraison de repos au XVIIe siècle. On peut ajouter la méfiance des
jurisconsultes islamiques à l'égard du soufisme ou le mépris dans lequel quelques théologiens
protestants (et, récemment, catholiques) tiennent toute piété de type mystique. Quelques auteurs
ont souligné le danger éventuel d'une mystique qui se référerait exclusivement à l'intériorité et
pourrait aller jusqu'à l'abandon de toute religion, voire de la foi, qui favoriserait l'expérience
immédiate au détriment de la forme religieuse périmée et objectivée de la piété, valant pour le
fidèle comme unique vérité. Notons que ce rapport de force a pris généralement effet lorsque les
mystiques, souvent considérés comme des saints dès lors qu'ils sont connus et reconnus comme
les représentants de la tradition, jouissaient d'un prestige incontestable auprès des masses. Sans
quoi la lutte de pouvoir n'aurait pas eu lieu. En outre, il faut reconnaître le rôle joué par certains
d'entre eux pour « recrédibiliser », voire sauver, l'institution, grâce à leur capacité de mobiliser
les foules autour de quelques expériences fortes, en phase avec un certain nombre de codes et de
définitions normatives de celle-ci, valant témoignage de la présence de Dieu ou de la vérité de la
foi. La persistance de leur culte l'atteste (voir BERNADETTE SOUBIROUS ; CATHERINE DE
SIENNE ; THÉRÈSE D'AVILA ; THÉRÈSE DE LISIEUX). Les mystiques ont ainsi constitué
un avantage certain pour l'appareil ecclésiastique, dans le christianisme notamment, qui a su les
récupérer à son profit tant au niveau apologétique (celui de l'argumentation dans la propagande),
qu'au niveau pastoral (celui des modalités d'action religieuse auprès de la population).
L'EXPÉRIENCE MYSTIQUE
N'étant plus moi, je demeurai lui.
Marie (Guyart) de l'Incarnation
Un des intérêts de la mystique, peut-être le plus grand, est de nous aider à repenser l'homme.
De nombreux chercheurs se sont attachés à le définir. Les sages de l'humanité, les philosophes,
les scientifiques et les psychanalystes, entre autres, ont établi et nourri chacun à leur manière des
systèmes de pensée différents pour tenter de le comprendre, mais le mystère demeure. Car s'il est
un être naturel, historique et social, force est d'admettre, dès que l'on élargit le champ de sa
conscience, qu'il est également beaucoup plus que ça. Tous les mystiques, sans poser de grands
discours, le prouvent. Du moins, ils interrogent. Ils posent la question de la conscience humaine :
du supraconscient et de la place centrale de l'esprit, du subconscient et du transrationnel, de ce
qui meut l'être humain depuis les profondeurs de sa psyché, enfin, du sens de son existence.
Après la vision moderne de l'être humain, qui donne l'impression de tout connaître de lui et de
le réduire à un objet de connaissance rationnel pareil aux autres, il est temps en effet de relever
l'autre problème qu'il pose : le mystère de sa raison d'être. « La personne humaine est plus
mystérieuse que le monde : c'est qu'elle est tout un monde 40 », écrivait Nicola Berdiaev. La
conscience que l'être humain possède de lui-même, sa conviction de ne pas être qu'une part de la
nature, mais d'être plus à cause de l'esprit qui l'habite ; cette conscience supérieure de soi
constitue l'énigme de son autoconscience, de sa transcendance vis-à-vis de ce monde. Elle n'est
pas expliquée par les sciences et reste un mystère. Seule la révélation spirituelle de l'homme a
donné la clé de sa conscience. Elle le rassemble, inversement à la science qui en offre une vision
plus éclatée, plus morcelée. Il ne s'agit pas ici d'opposer la vision spirituelle à la vision physique,
sociale, économique, etc., mais bien d'intégrer la seconde à la première, sans quoi l'être humain
risque d'être mal perçu, tout d'abord mécanisé, puis déshumanisé. Et s'il portait en lui un monde,
un univers en réduction ? S'il consistait en un microcosme qui répondît à un macrocosme, soit
l'univers en totalité ? L'idée – qui n'est pas nouvelle – est audacieuse, elle permet de relier le
visible à l'invisible et de nous ouvrir aux innombrables potentialités de vie intérieure de l'homme.
Cette réflexion, chérie par de nombreux penseurs de l'Antiquité et du Moyen Âge, reprise à la
Renaissance à travers la littérature, la philosophie, la science et l'art, qui a perduré au-delà grâce
au romantisme et au symbolisme, a subsisté entre autres chez les mystiques. Depuis l'avènement,
à la Renaissance, de la science moderne galiléenne et copernicienne qui mit fin au macrocosme
théologique, ils n'ont eu de cesse en effet, dès le XVIIe siècle, de répondre à ce désenchantement
du monde, déserté de la présence de Dieu se déplaçant dans la seule intériorité du cœur humain
(cela dès François de Sales). Quoi qu'il en soit, l'expérience spirituelle suppose que l'homme soit
un microcosme, miroir du macrocosme, qu'en lui se révèle tout l'univers et qu'il n'existe pas de
limites transcendantes l'isolant de Dieu, ou de l'absolu, puis du monde. Son être, qui est corps,
âme et esprit, est l'espace privilégié de cette rencontre et de ce mariage avec Dieu, qui est Esprit,
inspiration vivante, souffle saint, etc., ou l'absolu. Aussi cette intuition n'est accessible qu'à celui
qui a conscience d'une vie intérieure, qui ne fait pas que se projeter à l'extérieur ni se tourner
exclusivement vers le côté sensible de la vie, pour qui l'homme est le lieu de passage vers un
autre monde.
L'enjeu de cette conception de l'homme et du monde est lié à celui de la nature humaine et de
sa destinée. Pour s'en approcher, il faut comprendre, reconnaître le fond inatteignable de chacun
comme un mystère, bien plus que comme « inconscient ». Il faut là encore laisser derrière soi les
discours normatifs, les explications rationnelles, revenir à une certaine virginité d'esprit, pour
accueillir l'essence de l'homme et du monde, et leur sens, sans quoi on ne saurait comprendre
l'émergence et la croissance de l'intériorité humaine et spirituelle de l'homme. Le but de cette
expérience étant de devenir soi et de découvrir le plein sens de son existence : d'atteindre à une
vie plénière, unifiée, d'une originalité et d'une singularité irremplaçable, laquelle est œuvre de
création. La dynamique de l'accomplissement humain et spirituel dépasse les seuls soucis de
conformité et de soumission à un enseignement et à des règles de conduite imposées à tous, pour
s'élever au niveau de la fidélité créatrice (selon les lois du vivant). Le devenir d'un être humain
est une réalité singulière dans son mouvement même et par le fruit qu'il porte. Les mystiques
mettent en œuvre et manifestent cette logique de la vie (qui dépasse et intègre les logiques
partielles). Leurs témoignages ont aidé à comprendre et à transmettre cette idée.
« Nous sommes plus que jamais à l'heure de l'enfouissement et du ferment secret 41 », écrit
Marcel Légaut. L'homme est dans une transformation qu'il ne voit pas. Ses besoins et ses désirs
profonds ont été remplacés par des nécessités d'ordre consumériste et économique. Aussi la
possibilité pour lui de changer va de pair avec la possibilité d'accomplir un acte créateur,
nouveau. Or la vraie nouveauté arrive toujours comme d'un autre monde, d'un autre plan, où peut
s'enraciner une liberté profonde, pour s'accomplir dans le temps existentiel, historique. Elle a une
dimension d'éternité, elle est le fruit de l'homme nouveau, « re-né » spirituellement.
Le mystère de la relation ou celui de la fusion, entre l'homme et le réel – à ne pas confondre
avec la réalité, « reconstruite » mentalement par celui-ci – est au cœur de la montée spirituelle de
l'humanité, travaillée par le désir de ce qui est au-delà d'elle-même. Un désir d'accomplissement,
ayant des conséquences sur le monde et les relations humaines. L'intérêt persistant pour la
mystique traduit un appel, une exigence d'intériorité, une recherche et une attente de ceux qui
partout dans le monde ne redoutent pas d'être mis au travail de mort et de renaissance pour
s'approcher de l'essentiel. Voie dans laquelle les mystiques ont trouvé leur place et leur mission
quel que soit le siècle. Ne prouvent-ils pas en définitive que la mystique est une manière d'être au
monde et de vivre, étroitement liée à nos rapports avec autrui et à l'épaisseur du réel ?
L'infini est à chercher non pas au-delà mais à l'intérieur du fini. Même en dehors du point du
vue explicitement religieux, le sentiment d'un infini qui arrive comme un don lorsque nous
sommes attentifs, dans notre finitude, à la présence « autour de nous » de tant de choses ayant
leur vie propre, peut avoir un sens. Aussi l'état mystique par excellence est peut-être une sorte de
foi « poétique » – dans le sens grec originel poiein qui signifie « faire », « créer » –, de don de
soi qui répond au don des choses ; un regard nouveau créé par l'homme qui a pour tâche
d'approfondir les contradictions de la vie (bonheur, malheur), d'en demander raison et d'y
chercher des ressources de vie et de survie. Ce regard est un chemin d'extériorité, en écho à
l'intériorité, et d'altérité. Pour cela, il faut encore que l'homme renonce aux images qui viennent
de sa propre volonté et qui existent pour elles-mêmes, pour les images qui naissent du réel et qui,
en vivifiant l'être qui les pense et qui les vit, l'ouvrent à ce qui le dépasse – ce qui est un des rôles
de l'ascèse. Il devient alors celui qui salue les choses, entend leur musique toujours nouvelle
(musica callada, dirait Jean de la Croix), s'étonne des nuances, dans un rapport plus juste au
monde. Il n'a plus alors qu'à s'émerveiller, aimer et honorer le monde duquel il procède aussi. La
mystique offre la possibilité de vivre plus intensément, abondamment, les choses. Prenant racine
dans un élan de l'âme et une quête profane sans Dieu, ni lieu saint, ni objet sacré, elle a pour seul
dessein d'explorer et de chanter le réel transfiguré.
La spiritualité de l'homme, qui puise dans ce « mystère », ne peut pas être totalement étouffée.
L'homme peut-il en effet renier ce qu'il est vraiment ? Un être tourné vers l'éternité, témoin et/ou
acteur d'une spiritualité qui n'est pas un détachement ni une fuite hors du monde pour
l'abandonner à son état présent, mais une conquête spirituelle aboutissant à une transformation
réelle de lui-même et de celui-ci. Une spiritualité humaine et divine à la fois, gage d'une alliance
créatrice entre l'être et l'absolu, entre l'être et le monde.
A. F.
28. Rappelons que dès Platon, la philosophie naissante, qui s'appuie sur le courant dualiste selon
lequel le monde des idées divines et de l'âme est distinct de ce monde-ci, admet l'idée de l'âme,
un principe spirituel d'origine divine, qui tend à se dépouiller de son enveloppe corporelle pour
rejoindre sa vraie patrie, et cela de deux manières possibles : l'extase et la mort.
29. Il ne s'agit pas ici de réduire le concept de mystique à cette seule « catégorie », mais de
l'articuler à celui de la religion pour approfondir leur rapport.
30. C.-A. Keller, Approche de la mystique dans les religions occidentales et orientales, Paris,
Albin Michel, 1996, p. 24.
31. Si l'on parle de mystiques occidentale et orientale, le cas du chamanisme pose plus de
problèmes aux chercheurs. Taxé de non mystique par les uns, il est classé dans la mystique
archaïque par les autres, dont Hilda Graef dans Histoire de la mystique, Paris, Seuil, 1972, p. 8.
32. Pour aller plus loin, le lecteur peut se référer à la conférence de M. Meslin, « Comprendre
l'expérience mystique », in A. Houziaux (dir.), La Mystique, une religion épurée ?, Paris, Les
Éditions de l'Atelier, 2008.
33. Tous les systèmes religieux insistent sur le fait que la communication entre l'ultime et
l'homme ne se déroule pas seulement à l'aide d'actes extérieurs, mais surtout au niveau de
l'intériorité humaine : dans le cœur, l'intellect ou le corps, ou bien tout à la fois, selon ce qui est
privilégié.
34. M. Hulin, « Qu'est-ce que la mystique ? », Le Monde des religions, no 23, mai-juin 2007,
p. 25.
35. Ajoutons que cela n'a rien d'évident, ce dénuement pouvant aussi provoquer la panique et le
repliement exacerbé sur soi.
37. C.-A. Keller, Approche de la mystique dans les religions occidentales et orientales, op. cit.,
p. 267.
CHRISTIANISME, CATHOLICISME
Radegonde de Poitiers (520-587)
Aldegonde (v. 630-v. 684)
Dympna (VIIe s.)
Dhuoda d'Aquitaine (v. 803-?)
Héloïse (1101-1164)
Élisabeth de Schönau (1129-1164)
Christine de Markiate (1100-ap. 1165)
Hildegarde de Bingen (1098-1179)
Marie d'Oignies (1178-1213)
Christine l'Admirable, ou de Saint-Trond (1150-1224)
Yvette de Huy, ou Juette (1157-1228)
Ide de Nivelles (v. 1199-1231)
Élisabeth de Hongrie (v. 1207-1231)
Diane d'Andalo (v. 1200-1236)
Marguerite d'Ypres (1216-1237)
Hedwige de Silésie (1174-1243)
Lutgarde d'Aywières ou de Tongres (1182-1246)
Umiliana dei Cerchi (1219-1246)
Claire d'Assise (1193/1194-1253)
Julienne de Mont-Cornillon (1193-1258)
Hadewijch d'Anvers (v. 1200-v. 1260)
Ide de Louvain (1212-apr. 1262)
Ève de Saint-Martin (?-v. 1266)
Béatrice de Nazareth (1200-1268)
Ide de Gorsleeuw, ou de Léau (v. 1242-1271)
Marguerite de Hongrie (1242/1243-1270)
Douceline de Digne (v. 1214-1274)
Élisabeth de Spalbeek, ou de Herkenrode (?-apr. 1274)
Guglielma de Bohême, ou Wilhelmine de Bohême (v. 1210-1281)
Agnès de Prague, ou de Bohême (1205-1282)
Mechtilde de Magdebourg (v. 1207/1210-1282)
Gertrude de Hackeborn (1220-1291)
Benvenuta Boiani (1255-1292)
Marguerite de Cortone (v. 1247-1297)
Mechtilde de Hackeborn (1241/1242-1299)
Gertrude d'Helfta, ou Gertrude la Grande (1256-1302)
Jeanne d'Orvieto (1264-1306)
Claire de Montefalco (1268-1308)
Béatrice d'Ornacieux (1260-1303/1309)
Angèle de Foligno (1248-1309)
Lukardis d'Oberweimar (v. 1262-1309)
Marguerite d'Oingt (?-1310)
Marguerite Porete (v. 1250-1310)
Christine de Stommeln, ou de Cologne (1242-1312)
Agnès Blannbekin (?-1315)
Agnès de Montepulciano (1268/1270-1317)
Prous Boneta (Na) (v. 1295-1328)
Claire de Rimini (v. 1260-v. 1324/1329)
Bloemardinne (1260/1280-1335)
Élisabeth de Portugal, ou Isabelle d'Aragon (v. 1271/1274 -1336)
Marguerite Ebner (v. 1291-1351)
Christine Ebner (1277-1356)
Micheline de Pesaro (v. 1300-1356)
Gertrude van Oosten, ou de Delft (1300-1358)
Delphine de Sabran, ou de Puimichel (1284-1360)
Elsbeth Stagel (v. 1300-v. 1360)
Brigitte de Suède (1302/1303-1373)
Langmann, Adélaïde (1312-1375)
Catherine de Sienne (1347-1380)
Catherine de Strasbourg (XIVe s.)
Catherine de Suède (1322-1381)
Dorothée de Montau (1347-1394)
Marie Robine (?-1399)
Jeanne-Marie de Maillé (1331-1414)
Julienne de Norwich (v. 1342-apr. 1416)
Élisabeth de Reute (1386-1420)
Maria Mancini (v. 1355-v. 1431)
Jeanne d'Arc (1412-1431)
Lydwine de Schiedam (1380-1433)
Kempe, Margery (v. 1373-apr. 1438)
Françoise Romaine (1384-1440)
Colette de Corbie (1381-1447)
Rita di Cascia (1381-1447)
Constance de Rabastens (XIVe s.-XVe s.)
Catherine de Bologne (1413-1463)
Teresa de Cartagena (v. 1425-?)
Eustochia Calafato (1434-1485)
Baile, Jeanne (1438-1486)
Isabelle de Villena (1430-1490)
Véronique de Binasco (1445-1497)
Colombe de Rieti (1467-1501)
Osanna de Mantoue (1449-1505)
Jeanne de France (1464-1505)
Catherine de Gênes (1447-1510)
Suster Bertken (1426/1427-1514)
Catherine de Racconigi (1486-1517)
Hélène de Bologne (1472-1520)
Camilla Battista da Varano (1458-1524)
María de Santo Domingo (v. 1485-v. 1524)
Isabelle de la Croix (fin XVe s.-apr. 1529)
Stéphanie Quinzani de Soncino (1457-1530)
Pirckheimer, Caritas (1467-1532)
Hernandez, Francisca (fin XVe s.-apr. 1532)
Fieschi, Tommasina (v. 1448-1534)
Perle évangélique (La) (XVIe s.)
Angèle Merici (1474-1540)
Marie d'Oisterwijk (?-1547)
Dominique de Paradis (1473-1553)
Thérèse d'Avila (1515-1582)
Catherine de Ricci (1522-1589)
Marie-Madeleine de Pazzi (1566-1607)
Jeanne de Lestonnac (1556-1610)
Claesinne van Nieuwlant (v. 1540-1611)
Rose de Lima (1586-1617)
Ursule Benincasa (1547-1618)
Acarie, Mme (1566-1618)
Anne de Jésus (1545-1621)
Xainctonge, Anne de (1567-1621)
Alix Le Clerc (1576-1622)
Catherine de Jésus (1589-1623)
Bellinzaga, Isabelle (1551/1552-1624)
Anne de Saint-Barthélemy (1549-1626)
Arbouze, Marguerite d' (1580-1626)
Oraison (de Laigue), Marthe d' (1590-1627)
Langenberg, Sophie Agnès de (v. 1597-1627)
Bermond, Françoise de (1572-1628)
Baron, Marie (?-1632)
Marina de Escobar (1554-1633)
Agnès de Jésus (1602-1634)
Barbe de Compiègne (?-1636)
Absolu, Jeanne (1557-1637)
Madeleine de Saint-Joseph (1578-1637)
Cambry, Jeanne de (1581-1639)
Jeanne de Chantal (1572-1641)
Madeleine de Saint-François (v. 1579-1642)
Marguerite de Saint-Xavier (1603-1647)
Marie de Valence (1576-1648)
Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Parigot) (1619-1648)
Ranfaing, Élisabeth de (1592-1649)
Brossier, Marthe (1573-?)
Boinet, Madeleine (?-1650)
Ranquet, Catherine (1602-1651)
Marie de Jésus (de Bréauté) (1579-1652)
Picard, Marie-Amice (1599-1652)
Moine, Claudine (1618-apr. 1655)
Marie des Vallées (1590-1656)
Ponsonas, Louise de (1602-1657)
Neuvillette, Madeleine de (1610-1657)
Madeleine de Flers (?-1660)
Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Acarie) (1590-1660)
Louise de Marillac (1591-1660)
Françoise des Séraphins (1604-1660)
Deléloë, Jeanne (1604-1660)
Arnauld, Angélique (1591-1661)
Clément, Anne-Marguerite (1593-1661)
Pascal, Jacqueline (1625-1661)
Romanet, Marguerite (1612-1663)
Maria Angela Astorch (1592-1665)
Marie de Jésus d'Agreda (1602-1665)
Dauvaine, Marie (1602-1665)
Jeanne des Anges (1605-1665)
Daniélou, Catherine (1619-1667)
Ballon, Louise de (1591-1668)
Catherine de Saint-Augustin (1632-1668)
Jeanne Chézard de Matel (1596-1670)
Arnauld, Agnès (1593-1671)
Tavernier, Nicole (XVIe-XVIIe s.)
Antoinette d'Avignon (XVIe-XVIIe s.)
Nicolas Armelle (1606-1671)
Françoise de la Mère de Dieu (1615-1671)
Marie de l'Incarnation (Marie Guyart) (1599-1672)
Agnès d'Aguillenqui (1602-1672)
Jeanne-Marie de la Croix (1603-1673)
Granger, Geneviève (1600-1674)
Fournier, Françoise (1592-1675)
Jeanne de Jésus (1596-1675)
Perraud, Jeanne (1631-1676)
Le Sergent, Charlotte (1604-1677)
Élisabeth de l'Enfant-Jésus (1613-1677)
Houx, Jeanne du (1616-1677)
Marie de Sainte-Thérèse (1623-1677)
Antoinette de Jésus (1612-1678)
Dorizy (de Verzet), Marie (1639-1679)
Bourignon, Antoinette (1616-1680)
Bon, Marie (1636-1680)
Hélyot, Marie (1644-1682)
Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly (1624-1684)
Catherine de l'Incarnation (1602-1689 ?)
Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690)
Agnès de Jésus-Maria (de Bellefonds) (1611-1691)
Lévesque, Catherine (1616/1617-1693)
Louise du Néant (1639-1694)
Juana Inés de la Cruz (1648/1651-1695)
Mechtilde du Saint-Sacrement (1614-1698)
Érard, Marie-Thérèse (1652-1699)
Jeanne de la Nativité (XVIIe s.)
Montmorency, Jeanne-Marguerite de (1645-1700 ?)
Morata, Ursula Micaela (1628-1703)
Kimpa Vita, Beatriz (Dona) (1684-1706)
Pauper, Marcelline (1663-1708)
Le Ber, Jeanne (1662-1714)
Guyon, Mme (1648-1717)
Marie des Anges (1661-1717)
Rancurel, Benoîte (1647-1718)
Lindmayr, Maria Anna (1657-1726)
Véronique Giuliani (1660-1727)
Anne-Madeleine Rémuzat (1696-1730)
Maria Perpétua da Luz (1684-1736)
Marie-Madeleine Martinengo (1687-1737)
Crescence de Kaufbeuren (1682-1744)
Fornari, Claire-Isabelle (1697-1744)
Marie Céleste Crostarosa (1686-1755)
Baij, Maria Cecilia (1694-1766)
Maria Diomira du Verbe Incarné (1708-1768)
Thérèse-Marguerite du Cœur de Jésus (1747-1770)
Combes de Morelles, Perrette-Marie de (1728-1771)
Weigl, Maria Columba (1713-1783)
Schonath, Columba (1730-1787)
Louise de France (1737-1787)
Marie-Françoise des Cinq Plaies (1715-1791)
Théot, Catherine (1716-1794)
Hindiyyé d'Alep (1720-1798)
Marie de la Nativité (1731-1798)
Agnesi, Maria Gaetana (1718-1799)
Abandon à la providence divine (L') (XVIIIe s.)
Labrousse, Suzette (1747-1821)
Elizabeth Ann Seton (1774-1821)
Bathilde d'Orléans (1750-1822)
Bourbon-Condé, Louise-Adelaïde de (1757-1824)
Anne-Catherine Emmerich (1774-1824)
Jeanne-Antide Thouret (1765-1826)
Anne-Marie Taïgi (1769-1837)
Harpain, Marie-Eustelle (1814-1842)
Marie-Madeleine Postel (1756-1846)
Lataste, Marie (1822-1847)
Deprez, Marie-Stanislas (1818-1849)
Anne-Marie Javouhey (1779-1851)
Émile de Rodat (1787-1852)
Rosalie (sœur) (1786-1856)
Émilie de Vialar (1797-1856)
Swetchine, Sophie Mme (1782-1857)
Théodelinde Dubouché (1809-1863)
Madeleine-Sophie Barat (1779-1865)
Marie-Victime de Jésus-Crucifié (1793-1865)
Eppinger, Élisabeth (1814-1867)
Mörl, Maria von (1812-1868)
Marie-Aimée de Jésus (1839-1874)
Catherine Labouré (1806-1876)
Miollis, Thérèse (1806-1877)
Barthel, Françoise (1822-1878)
Marie de Jésus Crucifié (Mariam Baouardy) (1846-1878)
Jeanne Jugan (1792-1879)
Marguerite Bays (1815-1879)
Bernadette Soubirous (1844-1879)
Courtier, Victoire (1807/11 ?-1883)
Marie-Véronique du Cœur de Jésus (1825-1883)
Lateau, Louise (1850-1883)
Doëns, Marie (1841-1884)
Marie de Jésus (1841-1884)
Thérèse Couderc (1805-1885)
Marie-Thérèse de Soubiran (1834-1889)
Farré, Thérèse-Dominique (1830-1894)
Anne de Saint-François de Sales (1832-1895)
Marie-Dominique-Claire de la Sainte-Croix (1832-1895)
Doussot, Noémie (1832-1896)
Thérèse de Lisieux (1873-1897)
Marie-Céline de la Présentation (1878-1897)
Marie-Eugénie de Jésus (1817-1898)
Tamisier, Rose (1816-1899)
Marchat, Mathilde (1839-1899)
Marie du Divin Cœur (1863-1899)
Gemma Galgani (1878-1903)
Bergadieu, Marie, dite « Berguille » (1830-1904)
Calvat, Mélanie (1831-1904).
Marie de la Passion (1839-1904)
Odiot de la Paillonne, Marie (1840-1905)
Durnerin, Thérèse (1848-1905)
Marie-Colette du Sacré-Cœur (1857-1905)
Élisabeth de la Trinité (1880-1906)
Lucie Christine (1844-1908)
Bruyère, Jenny (1845-1909)
Félix-Faure-Goyau, Lucie (1866-1913)
Leseur, Élisabeth (1866-1914)
Filljung, Catherine (1848-1915)
Claret de la Touche, Louise-Marguerite (1868-1915)
Ferrero, Benigna Consolata (1885-1916)
Lair Lamotte, Pauline (1853-1918)
Geuser, Marie-Antoinette de (1889-1918)
Fenouil, Céleste (1849-1919)
Maie-Angélique de Jésus (1893-1919)
Jacinta Marto (1910-1920)
Rèmes, Héloïse (1874-1921)
Rose du Cœur de Jésus (1857-1922)
Courage, Michelle-Catherine (1891-1922)
Menéndez, Josefa (1890-1923)
Royer, Édith (1841-1924)
Marie-Xavier puis Marie du Cœur de Jésus (1843-1926)
Vergne, Jeanne (1853-1927)
Madre María (1854-1928)
Lavallière, Ève (1866-1929)
Dina Bélanger (1897-1929)
Noblet, Marie-Thérèse (1889-1930)
Agnès (sœur) (?-1931)
Starrabba di Rudini, Alexandra (1876-1931)
Dupouey, Mireille (1890-1932)
Marie Séraphin du Saint Sacrement (1853-1934)
Billoquet, Laurentine (1862-1936)
Ferron, Marie-Rose (1902-1936)
Concepción Cabrera de Armida (1862-1937)
Marie Faustine (1905-1938)
Hallé, Yvonne (1907-1938)
Jahenny, Marie-Julie (1850-1941)
Délia Tétreault (1865-1941)
Édith Stein (1891-1942)
Marie de la Trinité (1901-1942)
Millet, Marie-Angélique (1879-1944)
Lucia Mangano (1896-1946)
Wise, Rhoda (1888-1948)
Cousin, Eugénie (1868-1949)
Bossis, Gabrielle (1874-1950)
Agnès du Cœur de Jésus (1879-1951)
Yvonne-Aimée de Jésus, ou de Malestroit (1901-1951)
Alexandrina de Balasar (1904-1955)
Oumançoff, Véra (1886-1959)
Maritain, Raïssa (1883-1960)
Valtorta, Maria (1897-1961)
Neumann, Thérèse (1898-1962)
Delbrêl, Madeleine (1904-1964)
Graf-Suter, Maria (1906-1964)
Sevray, Marie (1872-1966)
Speyr, Adrienne von (1902-1967)
Danzé, Marie (1906-1968)
Camille C. (1900-1971)
Ferchaud, Claire (1896-1972)
Filiola (1888-1976)
Musco, Teresa (1943-1976)
Kahil, Mary (1889-1979)
Schmitz-Rouly, Jeanne (1891-1979)
Robin, Marthe (1902-1981)
Chopin, Symphorose (1924-1983)
Hueck Doherty, Catherine de (1896-1985)
Oreglia d'Isola, Aurelia (1926-1993)
Julienne du Rosaire (1911-1995)
Teresa de Calcutta (mère) (1910-1997)
Mazzei, Fioretta (1923-1998)
R., Mme (Rolande) (1911-2000)
Faniel, Georgette (1915-2002)
Lúcia de Jesus dos Santos (1907-2005)
Lubich, Chiara (1920-2008)
CHRISTIANISME, PROTESTANTISME
Schurman, Anne-Marie de (1607-1678)
Leade, Jane (1624-1704)
Vincent, Isabeau (v. 1672-?)
Huber, Marie (1695-1753)
Edwards, Sarah (1710-1758)
Durand, Marie (1711-1776)
Ann Lee (1736-1784)
Ramsey, Martha (1759-1811)
Krüdener, Barbara Juliane de (1764-1824)
Farrow, Lucy (1851-1911)
Woodworth-Etter, Maria Beulah (1844-1924)
Monastier, Hélène (1882-1976)
CHRISTIANISME, ORTHODOXIE
ISLAM, SOUFISME
BOUDDHISME
TAOÏSME
Wei Huacun (252-334)
Bian Dongxuan (628-711)
Wang Fajin (?-v. 752)
Yuzhen Gongzhu (?-762)
Wang Fengxian (v. 835-v. 885)
Cao Daochong (1039-1115)
Sun Bu'er (1119-1182)
Wang Xiaqi (?-1711)
Miu Miaozhen (?-1816)
RELIGIONS SYNCRÉTIQUES
(à forte dominante shintô)
Nakayama, Miki (1798-1887)
Deguchi, Nao (1837-1918)
Kitamura, Sayo (1900-1967)
CHAMANISME
Garcia, Maria Sabina Magdalena (1894-1985)
Abelar, Taisha (?-1998)
Bujan (1964)
Soumia (XXIe s.)
Bibl. : Œuvre : Le Passage des sorciers : Voyage initiatique d'une femme vers l'autre réalité,
trad. Sylvie Carteron, Paris, Seuil, 1998.
ABERLIN, Rachel Mishan (de Safed), visionnaire et prophétesse kabbaliste (Israël, XVIe s.).
— Née dans une famille de mystiques, Rachel était la sœur de R. Yehudah Mishan, disciple
d'Isaac Luria. Elle épousa Yehudah Aberlin de Salonique qui était venu s'installer à Safed. Il était
à la tête de la communauté ashkénaze de cette ville, et de ce fait, proche des rabbins et de leurs
cercles mystiques. Lorsqu'il mourut, en 1582, Rachel, bénéficiant d'un certain prestige, établit
son propre tribunal en 1590, soit à Safed soit à Jérusalem. À la mort d'Isaac Luria, pour lequel
elle avait une grande admiration, elle se tourna vers l'un de ses plus proches disciples, Hayyim
Vital. Celui-ci avait une profonde considération pour Rachel, dont il a rapporté les visions (du
prophète Élie, en particulier) et les paroles prophétiques dans ses écrits Sefer ha-hezyonot
(« Livre des visions », 1594).
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et étude : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 170.
Bibl. : Œuvres : Les Vrays exercices da la bienheureuse Marie de l'Incarnation composez par
elle-même, Paris, D. Moreau, 1623 ; Lettres spirituelles, P. Sérouet (prés.), Paris, Cerf, 1993 ;
Écrits spirituels, B. Sesé (prés.), Paris, Arfuyen, 2004. Vie et études : A. DUVAL, La Vie
admirable de Sœur Marie de l'Incarnation, Paris, 1621 ; BRUNO DE JÉSUS MARIE, La Belle
Acarie : bienheureuse Marie de l'Incarnation, Paris, Desclée de Brouwer, 1943 ;
A. R. SALMON-MALEBRANCHE, Madame Acarie, bienheureuse Marie de l'Incarnation,
Pontoise, Association du Vert Buisson, 1987 ; J.-D. MELLOT, Histoire du carmel de Pontoise, I
et II, Paris, Desclée de Brouwer, 1994-2005 ; B. SESÉ, Madame Acarie, Paris, Desclée de
Brouwer, coll. « Petite vie de... », 2005.
AGNÈS, sœur, servante de l'Eucharistie (Katsuko Sasagawa ; ?-Japon, 1931). — Issue d'une
famille bouddhiste japonaise, Katsuko Sasagawa est, dès sa jeunesse, accablée par la maladie
(paralysies et comas passagers dus à une erreur médicale). Convertie au catholicisme, puis guérie
par de l'eau de Lourdes à vingt-cinq ans, elle entre comme novice chez les Servantes de
l'Eucharistie à Yuzawada, dont la communauté a été fondée par Mgr Jean Shojiro Itô, évêque de
Nigata. En 1956, sœur Agnès, atteinte de surdité, est marquée par une plaie douloureuse en
forme de croix dans la main droite alors qu'elle est en train de prier. Commencent les visions du
saint sacrement et de l'ange en 1973. Après une apparition de Marie*, qui lui délivrera
successivement trois messages concernant les péchés des hommes et la sentence de Dieu à la fin
des temps, la statue de la Vierge en bois du couvent où elle réside se met également à saigner de
la main droite. Continuant à prier pour la réparation des péchés de l'humanité, sœur Agnès guérit
de sa surdité en deux étapes, comme cela lui a été annoncé, le 13 octobre 1974 et le 30 mai 1982.
De janvier 1975 à septembre 1981, la même statue verse des larmes de sang, manifestant la
tristesse de Marie, qui seront filmées par des caméras de télévision. Les sœurs dénombreront cent
une lacrymations – reconnues officiellement par l'Église le 22 avril 1984 –, suivies de
conversions et de guérisons miraculeuses. Autant de phénomènes extraordinaires – plus connus
sous le nom « apparitions d'Akita » –, qui ont suscité de nombreuses polémiques sur leur
authenticité, laissée à l'appréciation du lecteur.
Audrey Fella
Bibl. : Études : R. AUCLAIR, « La Dame de tous les Peuples », Le Royaume, no 55, oct. 1987 ;
J. GUITTON, La Vierge Marie, Paris, Aubier, 1949.
Bibl. : Vie : Leben und Offenbarung der Wiener Begine Agnes Blannbekin, éd. du texte latin et
trad. allemande par P. Dinzelbacher et R. Vogeler, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1994.
Bibl. : Œuvres : son biographe, le père de Bauduen, publie dans sa Vie citée infra « quelques
traités [...] qu'on a tiré de ses écrits et des conduites qu'elle donnait aux novices », p. 387-432.
Vies : père M. de BAUDUEN, La Vie admirable et les héroïques vertus de la
R. M. A. d'Aguillenqui, Marseille, Claude Garcin, 1673 ; père H. de VERCLOS, La Vie de la
R. M. A. d'Aguillenqui, abbesse des Capucines de Marseille, Avignon, Marc Chave, 1740.
Étude : père C. de PELISSANE, Une capucine illustre, Agnès d'Aguillenqui, Saint-Étienne,
Dumas, 1954.
Bibl. : Biographies : E. PANASSIÈRE, o.p., Mémoires sur la vie d'Agnès de Langeac, Paris,
Cerf, 1994 (Archives du monastère des Dominicaines de Langeac, 1661) ; A. BOYRE, Grand
Mémoire sur Agnès de Langeac, Paris, Arfuyen, 2004 (Archives du monastère des Dominicaines
de Langeac) ; C.-L. de LANTAGES, La Vie de la vénérable mère Agnez de Jésus, Le Puy, 1665.
Études : Mère Agnès de Langeac et son temps, Une mystique dominicaine au Grand Siècle des
Âmes, Actes du Colloque du Puy du 9 au 11 novembre 1984, Le Puy, 1986 ; Agnès de Langeac,
Le souci de la vie en ses commencements, Actes du colloque de Langeac du 15 au 17 octobre
2004, Paris, Cerf, 2006.
Bibl. : Œuvres : Ms. des archives du premier carmel de France (au carmel de Pontoise), intitulé
« Lettres d'Épernon... ». Biographie : Ms. 3A2 des archives du premier carmel de France (au
carmel de Pontoise), « III. Vie de la Mère Madeleine de Jésus de Bains », p. 195-449.
Bibl. : Vie et études : CATHERINE DE SIENNE, Le Dialogue, L. Portier (trad.), Paris, Cerf,
1992, p. 315-316 ; RAYMOND DE CAPOUE, Vie de sainte Catherine de Sienne, II, XII,
Hugueny (trad.), Paris, Pierre Téqui, 2000, p. 321-326.
Bibl. : Vie et études : M. FASSBINDER, Agnès de Bohême, Paris, Éditions franciscaines, 1962 ;
CLAIRE D'ASSISE, « Lettres à la Bienheureuse Agnès de Prague », in Écrits (SC 325), Paris,
Cerf, 1997.
AGNÈS DU CŒUR DE JÉSUS, fondatrice des Auxiliaires du Cœur de Jésus (Hélène Marie
Villefranche ; Bourg-en-Bresse, 1879-Paris, 1951). — Treizième et dernière enfant de Jacques
Villefranche, littérateur catholique, et d'Émilie Bossel, Danoise, Hélène manque de mourir à cinq
ans, et sa guérison est attribuée à la Vierge. Elle eut une enfance peu heureuse, mais elle jouit,
grâce à sa mère, d'une « éducation danoise [...] dépourvue des préjugés qui faisaient alors
escorter toute jeune fille française d'une bonne ou d'un frère ». Elle se voue tôt à Dieu et
découvre sa « voie de sainteté » lors d'une excursion dans les glaciers en franchissant
audacieusement un ravin sur un tronc de sapin. À partir de 1904, cette « forte personnalité en
quête de vocation » (J. Benoist) a des révélations : elle est choisie pour « un secret dessein
d'amour » : « Le Souverain prêtre me dit vouloir ramener, par la dévotion à son Cœur, le clergé
séculier à l'état régulier, et faire de ces choisis entre les choisis non seulement les apôtres des
foules mais encore les apôtres de leurs confrères. » Elle fait vœu d'abandon, entreprend un
chemin d'ascèse et veut être pour le Christ « comme le petit rien dont Vous ferez ce que Vous
voudrez pour la réalisation de Vos desseins sur le clergé, la France, l'Église ». Associée aux
souffrances du Christ, voulant être « une hostie sainte, immaculée, agréable à Dieu », elle écrit :
« Je demeurai sous le regard incisif et brûlant du bien-aimé. »
Le 8 juillet 1908, elle a la vision du cœur glorieux, placé entre ses mains, « comme celles du
prêtre à l'élévation ». Elle la traduira dans une image du cœur rayonnant. En 1909,
elle expérimente l'étreinte du Christ : « Cette pénétration de son amour unissant et transformant
est intraduisible. C'est vraiment le passage de l'un dans l'autre par compénétration, absorption
vitale, laissant loin derrière soi ce que pourrait être une étreinte physique. [...] Il me fit
comprendre qu'il voulait me trouver toujours entre les ministres de son sacerdoce et lui, par la
participation à sa vie d'hostie et d'holocauste. »
Elle crée en 1932 à Montmartre un institut séculier, les Auxiliaires du Cœur de Jésus, « un petit
monastère appartenant à un type nouveau et quasi invisible de l'extérieur auprès du grand
sanctuaire visible aux yeux de tous » (J. Benoist). La hiérarchie tendra à réduire son programme
d'intercession en faveur d'un clergé « devenu grossier et sans ferveurs », voire de « réparation des
péchés d'impureté de certains de ses prêtres », à des activités de secrétariat et d'accueil.
Seules ses premières révélations renferment la mention des « derniers temps du monde » : elle
ne se situe pas dans un conteste apocalyptique. Elle insiste sur la consécration au « cœur glorieux
de Jésus » et au Christ souverain-prêtre, se situant ainsi dans le sillage de l'École française de
spiritualité, courant issu, au XVIIe siècle, des sociétés de prêtres fondées alors, oratoriens (P. de
Bérulle, C. de Condren), sulpiciens (J.-J. Olier), eudistes (J. Eudes), lazaristes, etc.
Régis Bertrand
Bibl. : Œuvres : Agnès a tenu depuis son adolescence des notes, connues par les citations de son
biographe. Vie : père E. DUBOIS, Une mission prophétique, H. Villefranche, Montsûrs, Résiac,
1976. Études : J. MAÎTRE, Mystique et féminité : essai de psychanalyse sociohistorique, Paris,
Cerf, 1997 ; J. BENOIST, Le Sacré-Cœur de Montmartre, Paris, Éditions ouvrières, 1992-1995.
Bibl. : Œuvres : Oratio qua extenditur, Artium liberalium studia, a femmineo sexu neutiquam
aborrere (1727), in AA.VV., Discorsi accademici intorno agli studi delle donne, Padoue,
Manfré, 1729 ; Propositiones philosophicae, Milan, Richini, 1738 ; Istituzioni analitiche ad uso
della gioventù italiana, Milan, Richini, 1748 ; Manuscrits en 25 vol. à la Bibliothèque
Ambrosiana de Milan. Études : L. ANZOLETTI, Maria Gaetana Agnesi, Milan, Cogliati, 1900 ;
G. TILCHE, Maria Gaetana Agnesi, Milan, Rizzoli, 1984.
Bibl. : Vie : Kitâb Manâqib al-Sayyida ‘Âisha al-Mannûbiyya [« Livre des Titres de gloire d'al-
Sayyida ‘Âisha al-Mannûbiyya »], éd. non critique, Tunis, 1925 ; une traduction de son
hagiographie à partir des manuscrits originaux disponibles à la Bibliothèque nationale de Tunis,
précédée d'une étude, a été faite par N. AMRI, La Sainte de Tunis. Présentation et traduction de
l'hagiographie de ‘Âisha al-Mannûbiyya, Paris, Sindbad Actes Sud, 2008. Études : N. AMRI,
op. cit. ; K. BOISSEVAIN, Sainte parmi les saints. Sayyda Mannûbiya ou les recompositions
cultuelles dans la Tunisie contemporaine, Paris, IRMC et Maisonneuve & Larose, 2006 ; D. et
A. LARGUECHE, « La Saïda Manoubia : de l'errance à la transcendance », in Marginales en
terre d'Islam, Tunis, Cérès Production, 1992, p. 113-134 ; N. MAHJOUB, « Al-Sayyida, une
femme, un monument », Africa, XIII, Tunis, Institut national du patrimoine, 1995, p. 223-241;
M. C. SONNECK, « Manâqib Lalla Mannubiya », Journal asiatique, mai-juin 1899, p. 485-494.
AKHÂ MAHÂDEVÎ, sainte et poétesse hindoue (Udutadi, Karnataka, Kalyan, XIIe s. ?). —
Shivaïte d'expression kannada, appartenant au courant dévotionnel nommé Vîrashaiva Bhakti,
Akhâ (ou Akkâ) Mahâdevî vécut au XIIe siècle (date incertaine). Elle est considérée en Inde
comme une éminente figure spirituelle, dotée d'une étonnante précocité. Elle fut en effet
reconnue et vénérée dès l'âge de seize ans comme une libérée-vivante, ce qui correspond dans
l'hindouisme au degré le plus élevé de réalisation, et ne se conçoit que pour ceux qui accèdent à
des états d'absorption (samâdhi) très profonds, menant à l'expérience directe de la réalité absolue.
De cette expérience déroutante, elle donne, dans le poème suivant, une expression simple et
saisissante : « Je suis perdue dans une extase paisible et profonde / Et dans un état d'abnégation
je demeure, / Voudrais-je voir, je ne vois pas, / Voudrais-je entendre, je n'entends pas, / L'éclat
de la lumière suprême / Envahit tout mon être, Ô Guheshvara » (Mahesh, p. 65).
Akhâ Mahâdevî naquit à Udutadi, petit village de la province de Shivamogga dans le
Karnataka. Elle n'avait que huit ans lorsqu'elle fut initiée au culte de Chenna Mallikarjuna par
swâmi Gurulinga, un shivaïte lingâyat ; elle nourrit dès lors une intense dévotion pour « le
Seigneur blanc comme le jasmin », cet aspect de Shiva qui devint son ishtadevatâ (« divinité
d'élection »).
Animée par un élan d'amour irrépressible, elle allait souvent se retirer dans la solitude du
temple, pour laisser jaillir librement des chants de dévotion (bhakti) ardente, s'adressant comme
une amante à son bien-aimé Chenna Mallikarjuna. Son seul désir fut alors de devenir
« renonçante » afin de se consacrer corps et âme à cette voie d'amour qui faisait toute sa joie ;
dans un élan d'abandon du monde, elle s'écrie : « Mon corps est désincarné, ma vie transcendée,
ma volonté anéantie, l'absolu est devenu l'unique pensée de mon esprit tout entier » (Mahesh,
CXII). Elle quitta alors toutes ses attaches, famille, amis, village, pour vivre une existence
d'ascète errante, parcourant les chemins en chantant des hymnes de louanges à Shiva.
Cependant, avant de se mettre en route, Akhâ Mahâdevî, dans un geste de total abandon,
comme le font les sannyâsin (« renonçants » hindous), se défit de ses vêtements, puis se mit en
chemin, revêtue de sa seule longue chevelure. Son maître, Allama Prabhu eut quelque difficulté,
dit-on, à lui faire entendre raison, car elle refusait de garder quoi que ce soit. Cette pratique
coutumière chez les hommes était jugée peu convenable pour les femmes... mais sa longue
chevelure la protégea des regards. En guise d'adieu, elle composa pour son maître et ceux qui
l'avaient aidée dans sa voie, cette stance (vacana) : « Ayant terrassé les six passions / Incarnée
sous forme de triade corps-pensée-parole / J'ai mis fin à ces trois, suis devenue tous deux à la
fois : / Je et l'absolu / Ayant mis fin à la dualité / Suis devenue unité par la grâce de vous tous, /
Je salue Basava ainsi que tous ceux ici assemblés. / Je fus bénie par Allama Parabhu mon maître
/ Puissé-je trouver l'union avec Chenna Mallikarjuna, adieu. »
Une tranche de sa vie mérite mention, il s'agit de son entrée dans la communauté
Anubhavamantapa à Kalyana, réputée dans toute l'Inde. La « Maison de l'Expérience » fondée
par l'ex-ministre brahmane Basava, sur le modèle d'un monastère shivaïte, regroupait plus de
deux cents moines lingâyat, et accueillait également une soixantaine de femmes. On peut encore
découvrir, dans l'enceinte de Kalyana, les grottes creusées à même la colline qui leur servaient de
cellules. Cette institution au fonctionnement démocratique s'était donné pour but de favoriser la
ferveur spirituelle en plaçant au second plan les rites différenciés par l'appartenance aux diverses
catégories socioreligieuses, très pesants pour certains, par leur minutie, leur durée et leur
récurrence. Il s'agissait ainsi de privilégier l'expérience intérieure (anubhava) par rapport au
sacrifice extérieur, ainsi que la connaissance, la philosophie... Tous les chercheurs y étaient
accueillis, quelles que soient leur caste, leur croyance, leur position sociale.
L'aspect le plus remarquable sans doute, dans le contexte socioreligieux où évoluait Akhâ
Mahâdevî, concerne l'importance et le rôle accordé aux femmes, leur niveau d'expérience étant
considéré comme supérieur à celui des hommes. Parmi les compagnes de Akhâ Mahâdevî, citons
deux noms qui sont passés à la postérité, Satyakkâ et Muktayakkâ. La tradition rapporte qu'Akhâ
Mahâdevî participait aux débats de l'Anubhavamantapa portant sur des sujets philosophiques, ou
les moyens d'atteindre la délivrance.
Selon la tradition, grand était l'émerveillement que suscitaient son intense beauté, comparée à
une pierre précieuse étincelante, son visage aussi rayonnant que la lune, ou ses yeux semblables
à des lotus épanouis. Mais tout cela n'était rien à côté de ses qualités de sagesse, de bonté et
d'amour. Vivant à l'écart du monde, libre de tout lien, elle s'entretenait avec des compagnons de
hasard, les animaux, les oiseaux et les fleurs. Seul l'amour infini de son époux mystique, Shiva,
la comblait. Elle s'éteignit dans sa vingtième année (ou aux alentours de cet âge), totalement unie
et absorbée en Shiva. « Quittant l'agir et dépassant le non-agir [...] je me suis fondue en Chenna
Mallikarjuna » (Mahesh, CXIV). Selon d'autres sources, Akhâ Mahâdevî serait née en 1130,
aurait été dans un premier temps mariée par arrangement au roi jaïne Kausika, et serait décédée
en 1160. Son nom, signifiant « grande sœur », était un titre honorifique qui lui fut accordé par les
saints vîrashaiva, tels que Basava et d'autres.
Akhâ Mahâdevî a laissé à la postérité de nombreux vacana (« poèmes, paroles ») : dans la
tradition lingâyat à laquelle elle appartenait, les vacana, sous forme de poèmes chantés, livrent
les plus beaux témoignages d'expérience spirituelle spontanée, animée par une intense dévotion.
Ceux de Akhâ Mahâdevî sont encore psalmodiés de nos jours et célèbrent avec simplicité la
réalisation de soi au cœur de la vie quotidienne : « Je m'agrippe à la terre tout en rejetant le
monde, / Et si je suis (encore) fascinée par ses formes, / C'est (cependant) l'Être sans visage qui
anime ma vie » (Mahesh, XX).
Colette Poggi
Bibl. : Œuvre : MAHESH, Le Bhakti yoga de Akkamaha Devi, édité par le CRCFI, Paris, 1977.
Étude : Mahâdevî, in Siddhayya Pûranika, Karnatak University, Institute of Kannada Studies,
1986.
AKHMATOVA, Anna, poétesse (Anna Andreïevna Gorenko ; Odessa, Empire russe, 23 juin
1889-Domodedovo, République soviétique de Russie, 5 mars 1966). — Surnommée la « reine de
la Neva » ou l'« âme de l'Âge d'argent ». Anna est la troisième d'une famille aisée de six enfants ;
son père est un ingénieur de la marine retraité, sa mère est originaire du khan tatar Akhmat, d'où
le nom de plume d'Anna. Un an après sa naissance, sa famille déménage à Tsarskoïe Selo, près
de Saint-Pétersbourg. Entre 1900 et 1905, Anna fréquente le gymnase Mariinsky pour filles et
passe tous les étés à Sébastopol, sur la mer Noire. Après la séparation de ses parents, elle part sur
la côte, en Eupatorie, avec sa mère qui craint une irruption de phtisie chez ses enfants. Anna
interrompt ses études pendant un an, achevant en 1907 la classe terminale du gymnase féminin
de Kiev. Entre 1908 et 1910, elle étudie le droit. À la fin de ses études, elle épouse le poète
Nikolaï Goumilev, rencontré en 1903 à Tsarskoïe Selo. En 1910, les époux partent en voyage à
Paris, où Anna fréquente le peintre Amadeo Modigliani, qui fait d'elle une série de dessins.
Après l'installation du jeune couple à Saint-Pétersbourg, Anna reprend des études de littérature et
d'histoire. En 1912, elle donne naissance à son fils unique, Lev, qui deviendra un historien et
géographe éminent.
Dès son plus jeune âge, Anna écrit des poèmes. Ses poètes favoris, Innokenti Annenski,
Alexandre Blok, Valéry Brussov et Mikhaïl Kouzmine, l'inspirent. Son premier recueil de poésie,
Le Soir, paraît en 1912 et connaît un succès considérable. Il inaugure le style caractéristique qui
va lui être associé durant toute sa vie. Intime et lyrique, sa poésie est souvent comparée à une
sorte d'aveu ou de confession, dans laquelle elle relate de façon simple, presque prosaïque, une
émotion amoureuse. Ses thèmes poétiques sont liés aux moments marquants de toute histoire
amoureuse : la rencontre ou la rupture de la relation. L'effet d'intimité se dégage de la manière
dont elle dialogue avec son interlocuteur (généralement un amoureux) qu'elle tutoie. Le Rosaire,
son deuxième recueil paru en 1914, ne fait que confirmer le style unique de sa poésie. Grâce au
laconisme de la parole, à la quasi-absence de métaphores et d'effets poétiques, dont découlent
l'intensité et l'énergie de son expression, Anna est vite promue à l'avant-garde du nouveau
courant poétique fondé par Nikolaï Goumilev et Sergueï Gorodetski – l'acméisme. À l'opposé du
symbolisme, les acméistes revendiquaient l'utilisation d'un langage simple et concret pour porter
à son apogée la dimension poétique du quotidien. La Foule blanche, publié en 1917, a moins de
succès, mais il permet de déceler de nouveaux thèmes dans la poésie d'Akhmatova, les deux
livres suivants parus en 1921, Plaintain et Anno Domini MCMXXI, ne faisant qu'accuser ces
motifs. Dans son écriture s'entendent désormais des notes tragiques, non sans rela-tion avec les
événements historiques décisifs en cours : la guerre, la révolution, l'émigration de beaucoup
d'amis. La confidence se mue en appel, voire en prière ; apparaît le thème de l'abnégation, l'oubli
de soi, qui glisse petit à petit vers celui du sacrifice et du don de soi. Anna élabore ainsi un style
solennel, traversé de notes prophétiques, prévoyant le sort tragique du pays.
En 1918, Anna divorce de Goumilev et se lie avec l'assyriologue et poète Vladimir Chileïko.
En 1922, elle emménage avec l'historien et critique d'art Nikolaï Pounine, dont elle se séparera
en 1938. À partir de 1924, Anna n'est plus publiée, ni rééditée. Ce qui coïncide avec la période
de silence de treize ans pendant laquelle elle n'écrit que vingt à trente poèmes. En 1940 sort un
livre regroupant ses cinq derniers recueils, dont un inédit : Le Roseau.
Sa famille, ses proches et ses amis n'échappent pas à la terreur. En 1921, Nikolaï Goumilev, ne
cachant pas ses opinions anticommunistes, est fusillé. En 1935, son fils Lev et son troisième mari
Pounine sont arrêtés pour la première fois. Ce dernier sera relâché, arrêté de nouveau en 1949 et
mourra dans les camps quatre ans plus tard. Son fils passera en tout douze ans dans les camps,
avec un « répit » pendant la guerre. Il ne pardonnera jamais à sa mère ce qu'il considérera comme
un manque de zèle pour l'aider à sortir des camps. Le grand cycle tragique d'Anna, Requiem
(1935-1943), est consacré à la période de terreur stalinienne. Donnant une vision apocalyptique
du monde, il s'achève par des scènes bibliques de crucifixion dans lesquelles le Christ est lui-
même victime de la terreur.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Anna est évacuée à Tachkent (Ouzbékistan) où, entre
1942 et 1944, elle travaille à la pièce Enouma Elich, dont le sujet lui est donné en rêve lors d'une
longue maladie. Elle la brûle à son retour à Saint-Pétersbourg, tant les malheurs aperçus lors de
son délire et transcrits dans la pièce prophétique semblent se réaliser. L'œuvre majeure
d'Akhmatova reste sans conteste le Poème sans héros (1940-1965), dont elle commence la
rédaction à l'âge de cinquante ans. Portant sur l'Âge d'argent de la poésie (l'année 1913 et la
jeunesse d'Anna), il confesse les péchés de toute une génération ayant refusé de porter la
responsabilité des horreurs de son siècle. Dans sa structure très complexe, fruit de nombreux
remaniements et réécritures, les thèmes de la mort, du temps passé, de la repentance et de la
pénitence sont intimement entrelacés.
À partir des années 1930, les événements tragiques de l'Histoire vécus par Anna aiguisent sa
sensibilité : sa conscience poétique s'ouvre à l'universel, devient réceptive à ce qui la dépasse.
Son processus de création est d'emblée mis en cause. Dans La Prose sur le poème (1959-1961),
Anna raconte comment cette œuvre l'a hantée pendant des années, comment, lorsque le poème
est « arrivé », elle n'a plus su se défaire de la musique insistante et inexplicable qui résonnait en
elle. D'après les témoignages de ses proches, pour tenter de l'exorciser, elle pratiquait des
activités rythmiques et mécaniques (en faisant la lessive par exemple), mais en vain. Or l'appel
mystique du poème à sa réalisation ne garantit en rien son aboutissement. Dans ses notes des
années 1950, Anna explique en effet que la musique qu'elle entend peut aussi bien stimuler la
création d'un poème que l'empêcher. Tantôt le poème lui est dicté, elle n'a plus alors qu'à le
coucher sur le papier en toute simplicité. Tantôt le bruit assourdissant qui croît dans ses oreilles
empêche tout jet poétique. L'état extatique, qui annonce la venue d'un poème, passe ainsi
toujours par l'ouïe. Souvent, elle entend cette musique dans son sommeil et, au réveil, la traduit
en paroles. Dans son dernier recueil, La Course du temps (1965), Anna revient sur la création
poétique (cycle Les Secrets du métier), la décrivant comme un état de grâce par lequel le monde
entier se transfigure. Dans ses poèmes imprégnés de non-dits, les mots ont acquis une charge
symbolique. Le temps est aboli. Les choses extérieures, plus présentes et plus prégnantes, ont
pris une signification nouvelle pour se donner dans une éternité vivante.
Rare poétesse russe ayant écrit et survécu à l'époque soviétique, Anna décède dans une clinique
de Domodedovo, en banlieue de Moscou.
Ioulia Podoroga
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Maspero, 1982 ; Poèmes, trad. G. Larriac, H. Abril, C. Falk, et al., Paris, Librairie du Globe,
1993 ; Anthologie, trad. J. Burko, Paris, La Différence, 1997 ; Le Vent de la guerre, trad.
C. Mouze, Paris, Harpo & Corbière, 2003 ; L'églantier fleurit et autres poèmes, trad. M. Graf et
J.-F. Tappy, Chêne-Bourg (Suisse), La Dogana, 2010. Études : M. GRIBOMONT, Présence
d'Anna Akhmatova en Europe francophone, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de
Louvain, 1987 ; V. LOSSKY, Chants de femmes : Anna Akhmatova, Marina Tsvétaeva,
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L. TCHOUKOVSKAÏA, Entretiens avec Anna Akhmatova, Paris, Albin Michel, 1989.
Bibl. : Sources : Bibliotheca hagiographica latina (= BHL), nos 244-250 ; Vita Aldegundae
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du livre, 1988. Études : L. VAN DER ESSEN, Étude critique et littéraire sur les vitae des saints
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Aurobindo Ashram Publications Department, à Pondichéry : Conversations 1929-30-31, 1989 ;
Sunlit Path, 1995 ; Flowers and their Messages, 1999 ; Les Quatre Austérités & Les Quatre
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Satprem, Lion-sur-Mer, L'Institut de recherches évolutives, 1980-1981. Études : M.-
A. DESCHAMPS, Rencontres avec douze femmes remarquables, Monaco, Alphée, 2006 ;
SATPREM, Mère, Paris, Robert Laffont, 1977.
Bibl. : Œuvre : il n'y a pas d'écrit direct d'Amritanandamayi, qui ne s'exprime qu'en langue
malayalam, mais des recueils de ses discours, publiés par ses disciples et traduits dans toutes les
langues. La Mission édite également une revue, Matruvani, publie en abondance supports
sonores et vidéos, et gère plusieurs sites Internet. Biographie : swâmi
AMRITASWARUPANANDA, Amma, la Mère de la Béatitude Immortelle, Kollam District,
Mata Amritanandamayi Mission Trust, 1998. Étude : M. WARRIER, Hindu Selves in a Modern
World. Guru Faith in the Mata Amritanandamayi Mission, Londres, Routledge Curzon, 2005.
Filmographie : J. KOUNEN, Darshan, l'étreinte, 2005.
Bibl. : Études : A. LIPSKI, The Life and Teachings of Sri Ânandamayî Mâ, Delhi, Motilal
Banarsidass, 1977 ; L. L. HALLSROM, Mother of Bliss Ânandamayî Mâ (1896-1982), New
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ANDÂL, sainte et poétesse hindoue (Kôdai ; Srivillipputtûr-Srîrangam, IXe s. ?). — Andâl est la
seule femme à faire partie du groupe des douze personnages saints et poètes de la tradition
vishnouite tamoule ancienne en Inde du Sud : les Alvârs. La légende la donne comme fille
adoptive d'un autre Alvâr appelé Vishnoucitta (« celui qui est conscience de Visnu ») qui l'aurait
découverte au pied d'un buisson de basilic sacré (tulasi) et l'aurait appelée Kôdai. Vishnoucitta,
mieux connu sous le nom de Periyâlvâr ou « Le grand Alvâr », vivait à Srivillipputtûr, au sud de
la ville tamoule de Madurai. Ce brahmane fournissait les guirlandes de fleurs pour le temple
local consacré à Vishnou. Alors que Periyâlvâr, choqué que la jeune Kôdai se soit ornée elle-
même d'une guirlande destinée à Vishnou, le dieu lui-même lui serait apparu en rêve pour lui
faire savoir que ces guirlandes essayées par la jeune fille lui étaient particulièrement chères. Elle
devint alors Andâl, « celle qui règne [sur le dieu] » ! Parvenue à l'âge d'être mariée, Andâl ne
voulut pour époux que Ranganâtar, la forme que revêt Vishnou dans le temple de Srîrangam et
elle se serait fondue à lui le jour de son mariage.
Les deux poèmes d'Andâl figurent dans le Divyaprabandham, le canon vishnouïte tamoul
(compilé avant la fin du Xe siècle), à la suite de ceux de Periyâlvâr, son père adoptif. Le premier,
le Tiruppâvai, poème en trente strophes de huit vers, associé à un vœu que font des jeunes filles
pour obtenir un bon époux, se récite encore aujourd'hui au Tamil Nadu à raison d'une strophe par
jour pendant tout le mois de Mârgali (mi-décembre-mi-janvier). Extrêmement populaire,
plusieurs fois traduit en sanskrit et largement commenté, ce poème recourt largement aux
légendes de Krishna, avatar de Vishnou et en même temps Vishnou lui-même et dieu suprême.
Le second, le Nâcciyâr Tirumoli, constitué de quatorze poèmes d'une dizaine de strophes chacun,
utilise divers procédés de la littérature classique tamoule, en particulier ceux de la littérature
amoureuse, pour exprimer les sentiments que Kôdai-Andâl ressent à l'égard du dieu dont elle est
éprise. Elle commence par implorer Kâma (Tâyoru), le dieu de l'amour, pour qu'il l'aide à s'unir à
Krishna. Dans le deuxième poème, elle se met en scène avec ses jeunes compagnes et implore
Krishna de ne pas venir détruire leurs châteaux de sable. Ensuite, s'identifiant aux bergères de
Vrindavan où Krishna a passé son enfance, elle supplie celui-ci de leur rendre les vêtements qu'il
leur a volés pendant qu'elles se baignaient, allusion à un épisode bien connu des légendes
krishnaïtes. Le poème suivant évoque d'autres épisodes célèbres de la vie de Krishna. Suit un
autre poème, utilisant un procédé connu de la littérature sanskrite, qui consiste à utiliser un
messager pour faire connaître son amour. Ici, c'est le kuyil, ou coucou indien, qui est chargé par
Andâl de faire connaître son amour à Krishna. Dans le sixième poème, Andâl évoque un rêve où
elle se voit à toutes les étapes de son mariage avec Krishna. Dans le suivant, elle s'adresse à la
conque que Vishnou tient à la main gauche et lui dit combien elle l'envie de pouvoir jouir d'une
telle proximité avec son bien-aimé. Les prochains messagers de son amour, les nuages sombres
porteurs de pluie, sont pour elle une nouvelle occasion de louer Vishnou tel qu'il se manifeste au
lieu saint de Venkatam (aujourd'hui Tirupati, dans l'État d'Andhra Pradesh), suivant un schéma
caractéristique de la littérature tamoule dévotionnelle où les légendes panindiennes se retrouvent
localisées en un lieu précis de l'Inde du Sud. Andâl loue ensuite sur le même mode le dieu qui
réside à Malirumsolai, puis celui de Srîrangam. Ensuite, elle se plaint que Krishna ne réponde
pas à ses avances, pour finir sur un ensemble de questions et de réponses à propos de Krishna.
Pour Andâl, Vishnou ne fait qu'un à travers ses diverses incarnations. Elle puise largement au
répertoire nord-indien des légendes krishnaïtes tout en les relocalisant dans sa région d'élection.
Du fait de ses tonalités parfois érotiques, le texte magnifique du Nâcciyâr Tirumoli a cependant
connu une moindre diffusion en tant que texte religieux que le Tiruppâvai qui, lui, a voyagé
jusqu'à la cour de Thaïlande, comme son parallèle shivaïte probablement contemporain, le
Tiruvempâvai. Figure majeure du vishnouisme tamoul dévotionnel (bhakti), Andâl est largement
connue et encore révérée en Inde du Sud.
Élisabeth Sethupathy
ANGÈLE MERICI, sainte, visionnaire, fondatrice des Ursulines (Desenzano, 21 mars 1474-
Brescia, 24 janvier 1540). — Selon une tradition apparue au XVIIe siècle, Angèle est née à
Desenzano (Italie), bourgade située près du lac de Garde, où son père Giovanni, descendant
d'une famille de petite noblesse de Brescia, s'était retiré, ne disposant pas des ressources
financières nécessaires pour lui permettre de tenir son rang dans la société bresciane. De son
enfance, Angèle gardera le souvenir des lectures hagiographiques que lui faisait son père, et qui
stimulèrent en elle le goût de la sainteté et de l'ascèse, mais aussi de la lecture. Lorsque ses
parents meurent vers 1490, elle est recueillie avec sa sœur à Salò, chez leur oncle maternel
Biancoso. Cette sœur meurt prématurément, et la légende dira qu'elle partageait avec Angèle son
goût de la prière et de la méditation, mais les procès-verbaux des gardes champêtres nous font
comprendre que la dite sœur était fort désinvolte vis-à-vis des lois communales ; aussi, quand
elle meurt, Angèle en conçoit une vive angoisse, qui s'apaisera, lorsque, dans une vision, elle
aura la certitude que sa sœur est désormais dans la béatitude. C'est dans ces années qu'elle revêt
l'habit des tertiaires de saint François, dans lequel, par un privilège spécial, elle sera inhumée
dans la collégiale de Brescia, sa paroisse.
Revenue à Desenzano chez ses frères, elle reçoit une vision décisive, alors qu'elle travaille à la
moisson, d'une échelle céleste que parcourent des anges et des vierges : rappel de la vision de
Jacob (Gn XXVIII, 12), réinterprétée par le Christ (Jn I, 51), mais surtout annonce prophétique
de ce qui va être l'ouvrage de sa vie et sa mission. Les Franciscains l'envoient à Brescia pour
consoler et soutenir, dans son veuvage, dame Catherine Patengola. C'est alors qu'elle déploie
l'activité apostolique qui lui est propre, de conseil, de pacification et de réconfort, à quoi
s'ajoutera l'interprétation des textes bibliques, source fondamentale de sa vie mystique : des
commentaires dont beaucoup, laïcs, prêtres comme théologiens, tireront grand profit. Vient
ensuite le temps des pèlerinages : à Mantoue, au tombeau de la bienheureuse Osanna ; en Terre
sainte (une véritable odyssée, truffée de mésaventures et de rebondissements) ; enfin à Rome, où
le pape Clément VII, à l'issue de l'audience qu'il lui accorde, voudrait la retenir. Mais elle revient
à Brescia et étend son champ d'action à Crémone, où sa famille se réfugie en 1529, par crainte
des troupes de Charles Quint qui approchent. En août 1529, elle est soudainement – l'on dira :
miraculeusement – guérie, quand, étant à l'article de la mort, le neveu de dame Catherine
Patengola lit l'épitaphe qu'il vient de composer : l'évocation du ciel rend l'immédiate santé à la
malade. Cette guérison fera grosse impression sur l'entourage. Et la réputation de sainteté
d'Angèle commence à se répandre. Sans doute est-elle remarquable par les jeûnes intenses qu'elle
poursuit assidûment, voire par ses extases (sans excès d'ailleurs).
Sa dévotion nous apparaît tout à fait ordinaire, adaptée à une vie dans le monde, comme est
tout aussi commun son travail de maîtresse de maison. La légende hagiographique l'aura dotée,
sans le moindre fondement, d'une activité caritative ou éducative, d'un engagement social,
pieuses fictions sans doute en rapport avec l'institution qu'elle créera et qui sera le témoignage de
son génie propre. En effet, depuis sa vision de l'échelle, et par ses contacts nombreux avec les
populations de Brescia et de Crémone, Angèle était fort sensible à la condition féminine, à
l'époque, tiraillée entre le statut conjugal où la femme est soumise à un époux qui lui est imposé,
et la vocation monastique, à laquelle beaucoup ne peuvent aspirer, puisque n'étant pas en mesure
d'apporter leur dot à la communauté qu'elles auraient choisie. Angèle va proposer aux femmes de
son temps, qui souhaitent mener une vie consacrée à Dieu sans pour autant entrer dans le monde
conventuel, les moyens de la consécration personnelle vécue dans une vie laïque et séculière, et
cela, dans une institution reconnue par l'Église, et donc susceptible de rassurer les familles
inquiètes du devenir des filles. L'entreprise d'Angèle est le manifeste d'un féminisme audacieux,
puisque la seule exigence requise au départ est la décision libre et consciente, entièrement
personnelle, de la candidate : laquelle en est donc estimée capable. C'est ainsi qu'Angèle
regroupe autour d'elle des jeunes filles qui accomplissent leurs tâches apostoliques et d'entraide,
tout en restant dans le cercle de leur famille. Le 25 novembre 1535, elles sont vingt-huit à
communier ensemble dans la collégiale Sainte-Afra de Brescia, marquant ainsi leur volonté
d'union spirituelle, laquelle est mise sous le patronage de sainte Ursule. Angèle dictera à Angelo
Cozzano une Règle qui sera confirmée par l'évêque de Brescia, le cardinal Cornaro, en août
1536.
L'organisation de cette compagnie est tout à fait originale également : les tâches de
représentation et de responsabilités sont collégialement assumées par des veuves de la noblesse
bresciane, dénommées les matrones ou madones. Le gouvernement est assuré par des vierges
désignées comme colonelles. Seules, vierges et colonelles disposent du droit de vote dans
l'institution. On fait appel à l'appui d'hommes de confiance pour défendre les intérêts de la
compagnie, et un père spirituel commun exerce son ministère propre, sans interférer sur la
gouvernance des vierges entre elles. C'est, à l'époque, une création audacieuse qui suscitera la
méfiance en raison de l'ambiguïté statutaire de ces vierges : ni filles, ni religieuses – ambiguïté
qu'avaient déjà dû affronter les béguines. Lucrère Lodrone, qui succède comme supérieure
générale à Angèle après la mort de celle-ci, choisira de faire porter aux vierges de la compagnie
une ceinture, signe identificatoire de leur consécration, et manifestation de leur dignité
particulière. Cette initiative ne sera pas approuvée de tous, car on y verra le commencement
d'une normalisation sur le modèle religieux. Et de fait, ce statut précaire va se modifier quand la
compagnie s'introduira en France, en Avignon, en 1592, avec l'appui de César du Bus et de son
cousin, Jean-Baptiste Romillon, fondateurs, cette même année, des Pères de la Doctrine
chrétienne ou Doctrinaires, dont se détachera l'Oratoire de Provence en 1602. C'est à l'Isle-sur-
Sorgue que se réunissent en communauté les premières Ursulines « congrégées », sous la
direction de Françoise de Bermond*, une formule qui va prospérer et se multiplier, chaque
maison gardant un fonctionnement autonome, même si un esprit commun les réunissait.
L'héritage qu'Angèle léguait à ses vierges insistait sur une spiritualité sponsale, qui unit le
Christ, l'Amatore qui choisit ses épouses, et celles-ci qui, en retour du charisme de la virginité
d'esprit dont il les dote, répondent par la pauvreté d'esprit dans laquelle elles se donnent
totalement à lui. Ainsi Angèle dessinait-elle une manière de vivre la sequela Christi (« suivre le
Christ ») dans la condition féminine séculière, au sein de la modernité naissante, insistant sur le
recours à l'Esprit-Saint : un recours qui place le paradigme charismatique au fondement de
l'institution.
François Marxer
ANN LEE, mère, prophétesse protestante, leader des Shakers (Ann Lees ; Manchester,
Angleterre, 28 février 1736-Watervliet, New York, États-Unis, 8 septembre 1784). — Connue
sous le nom de « Mère Ann » ou « Ann la Parole » dans l'histoire du prophétisme, Ann Lees était
la fille d'un forgeron buveur et d'une mère dévote. Illettrée, grandissant dans le dénuement
familial le plus total, elle fut contrainte de travailler dans les premières manufactures de coton ou
comme cuisinière dans un hôpital, entre 1740 et 1770. Elle fut ainsi un des premiers témoins des
misères de l'industrialisation et des premières révoltes également. Sa ferveur religieuse
protestante lui fit alors rejoindre, dès 1758, la société des Trembleurs (Shakers ou United Society
of Believers in Christ's Second Appearing – « Société unie des croyants au second avènement du
Christ »). Malgré ses répugnances pour la vie amoureuse et la sexualité, son père la maria
d'autorité. Elle épousa ainsi Abraham Standley, dans la cathédrale de Manchester, en 1761. Huit
grossesses suivirent qui achevèrent de la dégoûter : quatre enfants furent morts-nés et trois autres
décédèrent en bas âge. Ces expériences cruelles ancrèrent profondément en elle ses convictions
religieuses et radicalisèrent ses positions. Le chemin de la perfection passait par le choix du
célibat et de la chasteté ; le « tremblement », comme l'enseignait le couple Wardley qui dirigeait
alors les Shakers, avait son origine dans le péché originel d'Adam et Ève. La transe permettait de
s'en laver avec l'intervention de l'Esprit-Saint. Condamnée à quinze jours d'emprisonnement, en
1770, pour profanation du sabbat, elle fit état d'une illumination dans sa prison où le « mystère
d'iniquité lui fut totalement révélé » concernant les fautes incombant à la luxure et les moyens de
les confesser afin d'assurer son salut. À la violence répandue dans les relations entre les hommes
par le poids du péché répondait la grève ouvrière et la « grève des ventres » pour les femmes
premières victimes. Elle prit alors la tête de ce mouvement issu des Trembleurs extatiques des
Cévennes, huguenots français ayant fui la persécution après la révocation de l'Édit de Nantes
(1685) et des Quakers qui, dans l'ambiance de la révolution puritaine, avait prétendu revenir au
véritable christianisme primitif. Néanmoins, les Quakers ne s'engagèrent jamais dans cette voie
d'une séparation radicale pour assurer l'égalité des genres. Les Shakers reconnurent ainsi Ann
comme leur « mère spirituelle » ; elle guérissait les malades et bénéficiait de communications
divines régulières ayant, de son côté, miraculeusement échappé à la mort. Elle reçut ainsi la
promesse du développement de sa nouvelle Église messianique du second avènement et du grand
destin qui lui était réservé en Amérique.
Les persécutions continuelles hâtèrent la réalisation de la prophétie. Le 6 août 1774, mère Ann,
avec quelques disciples, principalement des membres de sa famille, et son mari (vite disparu),
foula le sol de la terre promise. Dès 1776, un riche croyant, John Hocknell, acheta pour la petite
communauté un domaine à Watervliet, près d'Albany, où elle prospéra, entamant avec succès, à
partir de 1781, de grandes campagnes de conversion dans les états voisins. La fondatrice, épuisée
par ses multiples épreuves, mourut, laissant un enseignement recueilli par le groupe, Testimonies
Concerning the Character and Ministry of Mother Ann Lee and the Witnesses of the Gospel of
Christos Second Appearing (« Attestations concernant la personne et le ministère d'Ann Lee et
témoignages de l'Évangile du second avènement du Christ ») publié en 1816, et des chants sans
paroles composés par elle.
Les Shakers connurent leur apogée au milieu du XIXe siècle. Ils révérèrent mère Ann comme
l'incarnation féminine de toutes les perfections divines. Se considérant comme l'homologue
féminin du Christ, Ann Lee inaugura de son côté un type d'exégèse appelé à se développer tout
au long du siècle (on pense notamment aux dérives de la dévotion mariale que manifestèrent
Anna Kingsford* et lady Caithness* en milieu catholique, ainsi que les prophétesses quakers en
milieu protestant). Comme l'Adam primordial était androgyne avant la création d'Ève, la
prophétesse incarnait la part féminine du Christ, le retour à l'unité était la condition du second
avènement ; il ne pouvait avoir lieu que dans une humanité transformée lentement par sa
purification spirituelle. L'éducation progressive du peuple, une notion clé du XIXe siècle,
explique le succès continu de la prophétesse, alors que son charisme personnel avait cessé de
s'exercer. En l'absence du Christ sur la terre, il revenait à un « sacerdoce » féminin inspiré de
combler le manque.
Jean-Pierre Laurant
Bibl. : Vie et études : H. DESROCHE, Les Shakers américains, d'un néo-christianisme à un pré-
socialisme, Paris, Éditions de Minuit, 1955 ; ID., Dieux d'hommes, dictionnaire des
millénarismes et messianismes du Ier siècle à nos jours, Paris, Berg International, 2009 ;
F. LAUTMAN (éd.), Ni Ève, ni Marie, luttes et incertitudes des héritières de la Bible, Genève,
Labor et Fides, 1997 ; H. CHISHOLM (éd.), « Lee Ann », in Encyclopoedia Britannica
(11e éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1911.
Bibl. : Œuvre : Lettres et écrits spirituels, Bruges-Paris, Desclée de Brouwer, 1964. Vie et
étude : I. POUTRIN, Le Voile et la Plume. Autobiographie et sainteté féminine dans l'Espagne
moderne, Madrid, Casa De Velásquez, 1995.
Bibl. : Œuvre : ses lettres et ses manuscrits ont été brûlés par une visitandine pendant la
Révolution. Le père Jacques en fournit des extraits et publie sa « retraite spirituelle » p. 267-339.
Vies : père F. JACQUES, La Vie de la très honorée sœur Anne-Madeleine Rémuzat, Marseille,
J.-A. Brébion, 1760 ; sœur M.-A. CHEVALIER, La Propagatrice de la dévotion au Sacré-Cœur
de Jésus, Anne-Madeleine Rémuzat [...] d'après les documents de l'ordre, Lyon, E. Vitte, 1891,
rééd., 1894 ; M. GASQUET, La Vénérable Anne-Madeleine Rémuzat, Paris, E. Flammarion,
1935 ; Dr A. IMBERT-GOURBEYRE, La Stigmatisation : l'extase divine et les miracles de
Lourdes, Paris, Vic et Amat, 1894, t. I (rééd. établie par J. Bouflet, Grenoble, Jérôme Millon,
1996), p. 396-401.
Bibl. : Œuvre : Correspondance 1798-1851, sœurs J. Hébert et M.-C. de Segonzac (éd.), Cerf,
Paris, 1994. Étude : A.-H. LAFFAY, Dom Augustin de Lestrange et l'avenir du monachisme
(1754-1827), Paris, Cerf, 1998 ; G. BERNOVILLE, Anne-Marie Javouhey fondatrice des sœurs
de Saint-Joseph de Cluny, Paris, Grasset, 1951.
Bibl. : Vie et études : C. SALOTTI, La Beata Anna Maria Taigi secondo la storia e la critica,
Rome, Libreria Editrice Religiosa, 1922 ; P. GIOVETTI, Madri e mistiche, Cinisello Balsamo,
San Paolo, 1991.
Bibl. : Œuvres : P. BERGAMASCHI, Vita interna di Gesù Cristo, Viterbe, Agnesotti, 1920-
1921 ; ID., Vita del glorioso patriarca San Giuseppe, Viterbe, Agnesotti, 1921 ; ID., Vita di San
Giovanni Battista, Viterbe, Agnesotti, 1922 ; A. VALLI, Trattati sopra il cuore amantissimo di
Gesù Christo Redentor Nostro, Milan, Glossa, 2004 ; W. DASNOY, « Extraits de la Vie
intérieure de Jésus-Christ par la Mère Baij », Revue liturgique et monastique, no VIII, 1922-
1923, p. 84-89, p. 113-119, p. 196-201, p. 250-252. Vie : P. BERGAMASCHI, Vita della serva
di Dio Donna Maria Cecilia Baij, Viterbe, Agnesotti, 1923-1925. Études : J. DE GUIBERT,
notice in Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. I, 1932, col. 1190-1192 ; G. POZZI,
C. LEONARDI, Scrittrici mistiche italiane, Turin, Marietti, 1988, p. 564-580 ; E. GUFFANTI,
« Sposalizio mistico e professione monastica nelle lettere della benedettina Cecilia Baij al
confessore Egidio Bazzarri (1733-1738) », Benedictina, 46, no 2, 1999, p. 311-373.
BAILE, Jeanne, clarisse (Grenoble, v. 1438-v. 1486). — Fille de Jean Baile, président du
parlement de Grenoble, déchu par Louis XI, elle inspira la fondation, à Grenoble, du monastère
des Clarisses réformées par sainte Colette de Corbie*, sous le nom d'Ave Maria (1478). Elle
avait entendu parler des fondations de Colette en Bourgogne et en Savoie. Elle se forma d'abord
dans le monastère des Clarisses réformées de Chambéry (édifié en 1470), avant de poursuivre
son grand dessein, épaulée par Guillaume Boyvin, franciscain visiteur des Clarisses. Elle désira
vivre à sa manière la devise de sa famille : « Qui croit en Dieu, croît », non seulement comme
une sagesse digne de Catherine d'Alexandrie confrontée avec audace aux savants et aux puissants
en place, mais aussi comme une manière de « remparer le pays » délabré, cette grande misère du
royaume déjà ressentie avec acuité par Jeanne d'Arc* et Colette de Corbie. À cette époque,
particulièrement, l'œuvre de fondation n'est pas une œuvre simplement extérieure ou matérielle.
Il s'agit d'établir un esprit de réforme en lui donnant des assises institutionnelles fortes par des
temps turbulents. Les fondations sont toujours accompagnées de songes, de visions ou d'extases
qui sont chargés d'attester leur pertinence et leur permanence. Il s'agit d'abord d'édifier des
pierres vivantes par lesquelles tout un pays comme le Dauphiné se donnait un « rendez-vous
général » pour présenter à Dieu ses hommages. Joie aussi pour les pauvres de voir ces « nobles
de la même noblesse ou serfs de la même servitude, confondues dans la sainte égalité » de la
pauvreté volontaire. Car Jeanne n'avait accepté aucune rente dont on aurait voulu doter son
monastère, conformément à l'esprit de Colette de Corbie et de Claire d'Assise*. Ce qui implique
conjointement le sens aigu d'un Dieu qui se soucie du lys des champs comme de chaque cheveu
qui tombe de notre tête, et de la liberté de ces femmes capables de gérer leur quotidien, même en
des temps si difficiles.
Bernard Forthomme
Bibl. : Vie et étude : A. M. DE FRANCLIEU, Jeanne Baile et les Clarisses de Grenoble (1468-
1887), Lyon, A. Côte, 1887.
BAILEY, Alice Ann, théosophe et écrivain (Alice Ann Latrobe-Bateman ; Manchester, 16 juin
1880-New York, 5 décembre 1949). — Le père d'Alice, Frederik Foster Latrobe-Bateman, est
ingénieur, comme son grand-père John Frederik, également conseiller du gouvernement. Sa mère
décède à l'âge de vingt-neuf ans. Tandis qu'elle n'a que six ans, elle part vivre chez ses grands-
parents dans le Surrey. Le 30 juin 1895, à l'âge de quinze ans, Alice a sa première expérience
spirituelle chez sa tante : la porte s'ouvre, une personne vêtue à l'européenne et portant un turban
s'avance et s'assied à ses côtés, lui prédisant le travail qu'elle aura à accomplir dans le monde
pour son maître. Ses premiers engagements spirituels s'inscrivent dans la mouvance chrétienne.
Elle rejoint tout d'abord sa tante, qui est responsable du YMCA (association de jeunes chrétiens),
puis les foyers de soldats en Irlande. Elle s'exerce là, en qualité d'évangéliste, à ses premiers
discours sur la Bible. Puis elle part en mission pour les Indes.
Alice épouse Walter Ewans, pasteur de l'Église épiscopale américaine, avec qui elle a trois
enfants. Son mariage n'est pas heureux : elle est souvent battue par son mari. À trente-cinq ans,
elle décide d'entamer une procédure de divorce en Californie, qu'elle obtient. Commence une
époque difficile où elle est obligée de travailler comme ouvrière dans une usine. En 1915, elle
rencontre deux Anglaises théosophes qui ont étudié avec Helena Blavatsky* ; événement qui
marque une nouvelle étape dans sa vie spirituelle. Elle passe alors des heures à étudier La
Doctrine secrète (1888), l'enseignement qui aura le plus de valeur dans sa vie et lui apportera le
bagage nécessaire à sa connaissance de l'occulte. Quelque temps plus tard, elle devient
conférencière à la loge théosophique de Pacific Groves. En 1917, elle déménage pour Krotona,
un centre important de la Société Théosophique, près d'Hollywood en Californie. Là, elle
reconnaît dans le portrait du maître Koot Hoomi accroché à l'un des murs, le curieux visiteur de
ses quinze ans. Au cours de l'année 1918, elle entre à l'École ésotérique. L'année suivante, elle
fait la rencontre de Foster Bailey, qui va devenir son second mari. Tous deux sont de plus en plus
actifs dans le travail théosophique et acquièrent rapidement une certaine position au sein de la
section américaine. Alice devient l'éditeur du magazine The Messenger.
En novembre 1919, Alice a son premier contact avec un des maîtres de sagesse, Djwhal Khul,
dit le Tibétain. À la fin de cette année charnière, un événement majeur se produit : alors qu'elle
se trouve seule sur une colline, le maître tibétain lui demande son accord pour écrire par son
intermédiaire certains ouvrages, du fait de ses dons pour la télépathie. Dans un premier temps,
elle refuse avec force. Puis, elle accepte de faire un essai limité sur les conseils du maître Koot
Hoomi. Elle reçoit ainsi les premiers chapitres d'Initiation humaine et solaire. Entre 1919 et
1949, le maître Djwhal Khul lui dicte, toujours par télépathie, une volumineuse correspondance
de près de huit mille pages qui a pour but de décrire à ses adeptes le chemin conduisant à la voie
de disciple. Quatre méthodes sont alors utilisées pour la transmission de cet enseignement : 1) la
claire audience : à certains moments le Tibétain prend contact avec elle en établissant une
vibration qu'elle a appris à identifier, alors la voix de ce dernier lui dicte le contenu des
ouvrages ; 2) la télépathie : une fois aguerrie à ce travail et habituée à une certaine discipline, elle
peut alors recevoir des écrits par ce moyen. Ce sera le cas pour le contenu du Traité sur le feu
cosmique, où l'enseignement est directement imprimé dans la conscience avec une grande
rapidité ; 3) la vision clairvoyante : différents symboles ou manuscrits anciens sont présentés à
Alice Bailey par un tel procédé ; 4) enfin, en rapportant après le sommeil ce qui a été vu au cours
de la nuit, méthode utilisée pour transmettre certains diagrammes ou encore certaines définitions.
Dans son dernier ouvrage publié à titre posthume, Autobiographie inachevée (1951), Alice
Bailey relate son parcours littéraire et spirituel. Ainsi, après avoir été chrétienne évangélique,
membre de la Société Théosophique, elle fonde, en 1923 avec l'appui de son mari Foster Bailey,
une nouvelle organisation, l'École Arcane, une des premières organisations spirituelles à se
référer au mouvement du New Age. Elle crée également à la même date sa propre maison
d'édition, The Lucis Trust. À partir de 1937, l'École se structure sous la forme de « triangles
ésotériques », qui sont en fait des réunions par groupes de trois personnes travaillant ensemble en
réseau d'énergie, dans le but d'aider spirituellement l'humanité. Elle écrit à cette époque La
Grande Invocation (1937).
Les ouvrages d'Alice Bailey, de même que ceux dictés par le maître Djwhal Khul, délivrent les
mêmes thèmes que le mouvement théosophique et Helena Blavatsky. Le Traité sur le feu
cosmique (1925), ouvrage occultiste qu'elle considère comme la clé psychologique
d'interprétation de La Doctrine secrète et le complément structuré à l'étude des Stances de
Dzyan, fait partie des plus connus. Le Traité sur les sept rayons (sept volumes écrits entre 1936
et 1960), Le Traité sur la magie blanche (1934) ou encore Initiation humaine et solaire (1922)
sont également des ouvrages majeurs de son enseignement. Pour Alice Bailey, tout concourt,
depuis la nuit des temps jusqu'à l'aube de la nouvelle civilisation à venir, à une évolution
spirituelle de l'humanité. Les révélations des mystiques du Moyen Âge comme les réalisations de
la science moderne sont des facteurs de développement majeurs de celle-ci. Tout indique qu'un
ferment spirituel fait lever l'humanité. Au sein de ce processus, la voie d'introspection mystique
précède toujours la voie occulte de réalisation et de perception. Le chemin mystique et le chemin
occulte doivent à un moment fusionner afin que l'homme puisse rencontrer le divin par une
connaissance personnelle. Beaucoup d'hommes et de femmes mystiques, disciples ou adeptes
isolés, ont déjà connu de telles expériences. Ainsi doit-il en être pour le plus grand nombre dès
maintenant.
Alice Bailey s'éteint peu de temps après avoir finalisé la mise en forme et la diffusion de
l'œuvre du maître tibétain.
Jean Iozia
Bibl. : Œuvres attribuées au maître tibétain Djwhal Kuhl : Initiation humaine et solaire,
Genève, Lucis Trust, 1922 ; Traité sur le feu cosmique, Genève, Lucis Trust, 1925 ; Traité sur la
magie blanche, Genève, Lucis Trust, 1934 ; L'État de disciple dans le Nouvel Âge (vol. I et II),
Genève, Lucis Trust, 1944 et 1945 ; Les Rayons et les Initiations (vol. V), Genève, Lucis Trust,
1960. Œuvres propres à Alice Bailey : La Lumière de l'âme (Le yoga-sutra de Patanjali,
paraphrasé par le Tibétain et commenté par Alice Bailey), Genève, Lucis Trust, 1927 ; De
l'intellect à l'intuition, Genève, Lucis Trust, 1932 ; De Bethléem au Calvaire, Genève, Lucis
Trust, 1937 ; Les Travaux d'Hercule, Genève, Lucis Trust, 1974. Vie et études : A. BAILEY,
Autobiographie inachevée, Genève, Lucis Trust, 1951 ; F. B. CAMPBELL, Ancient Wisdom
Revived, a History of the Theosophical Movement, Berkeley (CA), University of California
Press, 1980 ; H. JENKINS, Mystics and Messiahs : Cult and New Religions in American History,
Oxford, Oxford University Press, 2000 ; R. SKINNER KELLER, Encyclopedia of Women and
Religions in North America, Bloomington, Indiana University Press, 2006.
Bibl. : Œuvres : Les Œuvres de piété de la... Mère Louise... de Ballon..., Jean Grossi (éd.), Paris,
N. Couterot, 1700. Vie : J. GROSSI, Vie de la... Mère Louise... de Ballon, fondatrice et première
supérieure de la Congrégation des Bernardines réformées, en Savoie et en France, Annecy,
H. Fontaine, 1695. Étude : M.-É. HENNEAU, « Expériences spirituelles d'une bernardine
contemporaine de Marie Guyard : se trouver simplement en la présence de Dieu », Marie Guyard
de l'Incarnation : un destin transocéanique, Françoise Deroy-Pineau (éd.), Paris, L'Harmattan,
2000, p. 225-234.
BAOCHI XUANZONG, maître du bouddhisme chan (Jin Shuxiu ; Haiyan, Chine, v. 1610-v.
1661/1670). — Son grand-père, Jin Jiucheng (nom public Boshao ; seconde moitié du XVIe s.),
est un grand lettré et son père, Jin Shouming, un haut fonctionnaire qui périt dans les troubles de
la période de transition entre les Ming (1368-1644) et les Qing (1644-1911). Originaire de
Haiyan dans la préfecture de Jiaxing (Zhejiang), Jin Shuxiu naît à une date incertaine, dans la
première décennie du XVIIe siècle. Elle est une fille exemplaire selon les critères de la société
chinoise de l'époque ; quand sa mère, veuve, tombe malade, elle se coupe à plusieurs reprises un
morceau de chair – plusieurs histoires bouddhiques relatent la guérison de parents par le don de
chair de leur enfant –, mais la maladie finit par l'emporter. Son frère étant décédé, elle s'occupe
de sa jeune veuve de dix-sept ans et de ses deux enfants. Puis elle épouse un dénommé Xu
Zhaosen, fils d'une famille loyaliste aux Ming. Elle présente alors tous les talents d'une femme
lettrée de bonne famille, excellant dans la calligraphie et la peinture de paysage. Un de ses fils,
Xu Jiayan, devient très célèbre : il fait partie du groupe de lettrés du Jiangnan qui, en 1679, est
reçu à l'examen des lettrés au vaste savoir et se rend à la capitale, Pékin, pour participer à la
rédaction de l'histoire des Ming.
Jin Shuxiu fréquente les milieux bouddhiques : elle se rend souvent au temple de la
Transparence merveilleuse (Miaozhan'an) où, matin et soir, elle étudie avec l'abbesse Zukui
Xuanfu*. Un jour, alors qu'elle lit les récits du célèbre maître chan Jiqi Hongchu, elle « se sent
comme une froide vallée soudain envahie par la douceur du printemps ». Elle décide d'aller voir
ce maître, disciple de Hanyue Fazang, lui-même disciple de Miyuan Yuanwu dont il prend
pourtant le contre-pied, créant des dissensions et de fortes rivalités entre diverses factions du
chan.
Jin Shuxiu devient veuve à la quarantaine (autour de 1650) ; elle délaisse alors peinture et
calligraphie pour s'occuper de sa famille. Sa piété religieuse ne cesse de croître : elle participe à
des fêtes de jeûne et autres dévotions, elle brode des images pieuses – une pratique dévotionnelle
populaire parmi les femmes de la noblesse. Elle se fait ordonner par Jiqi Hongchu et prend le
nom religieux de Baochi Xuanzong. Afin de participer aux retraites de méditation, elle réside
dans un ermitage près du monastère de son maître. Elle mène avant tout une vie de
contemplative et se montre peu intéressée par une promotion comme abbesse du temple ou par la
fréquentation des lettrés locaux. Elle consacre ses heures libres à la poésie. Ses poèmes d'éloges,
un genre très en vogue dans le chan, sont réunis avec ceux de son amie Zukui Xuanfu dans le
« Recueil d'éloges résonant harmonieusement avec les anciens » (Songgu hexiang ji, date
inconnue).
On ignore combien de temps elle resta auprès de Jiqi Hongchu. Mais celui-ci l'ayant déclarée
héritière de la Loi bouddhique, elle le quitte et devient l'abbesse du temple de la Transparence
merveilleuse qu'elle fréquentait beaucoup quand elle était encore laïque. À la fin de sa vie, elle
laisse le temple à Zukui Xuanfu et se retire au temple chan de la Recherche méridionale (Nanxun
chanyuan) à Haiyan, afin d'y mener une vie plus tranquille : « C'est un petit temple au coin de la
muraille de la ville caché par un rideau vert. Mais quand on a complètement délaissé corps et
esprit, en chaque endroit, on est chez soi. »
Les récits des sermons de Baochi Xuanzong ont été compilés après sa mort. En 1672, la nonne
Shizhao a demandé au moine Sengjian Xiaoqian de rédiger une préface pour cette compilation
intitulée « Entretiens du maître de dhyâna Baochi [Xuan] zong » (Baochi Zong chanshi yulu,
1677).
Catherine Despeux
Bibl. : Étude : B. GRANT, Eminent Nuns. Women Chan Masters of Seventeenth Century China,
Honolulu, University of Hawaii Press, 2009, p. 130-145.
Bibl. : Œuvre : Extrait du journal de Madame du Verger pendant l'année 1632, in J.-J. Surin,
Lettres spirituelles, 1630-1639, Toulouse, Éditions de la Revue d'ascétique et de mystique, 1926,
t. I, p. 53-84. Études : H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France...,
Paris, Bloud et Gay, 1920, t. V, p. 168-172 ; J.-J. SURIN, Correspondance, Lettre 27 du
20 décembre 1632, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 168-186.
Bibl. : Œuvres : Opuscules ou pensées d'une âme de foi dans la religion chrétienne pratiquée en
esprit et en vérité, Barcelone, 1812 (sans nom d'éditeur) ; Correspondance entre Madame de
Bourbon et Monsieur R. [Ruffein] sur leurs opinions religieuses, Barcelone, 1812 (sans nom
d'éditeur). Étude : M.-M. DAVY, Encyclopédie des mystiques, Paris, Robert Laffont, 1972, t. 2,
chap. « Ésotérisme chrétien », p. 317-318, 334, 338, 354.
BÄUMER, Bettina Sharada, figure spirituelle hindoue (Salzbourg, 12 avril 1940). — Bettina
Bäumer connaît dès sa prime jeunesse des expériences mystiques spontanées, qu'elle n'aura de
cesse d'approfondir au contact de maîtres rencontrés en Inde et grâce à l'étude des traditions
spirituelles d'Orient et d'Occident. Ses domaines de recherches montrent ainsi une grande
diversité d'intérêts, parmi lesquels figurent l'art et la beauté, perçue comme dimension spirituelle
de la réalité, ce qui la conduit à diriger, de 1979 à 2000, l'Alice Boner Foundation for Research
on Fundamental Principles in Indian Art de Bénarès. La théologie se situe également au cœur de
son étude, comme en témoigne le thème de son doctorat en philosophie, obtenu en 1967 à
Munich, « La création comme jeu : le concept de lîlâ dans l'hindouisme et sa signification
philosophique et théologique ». Spécialiste des Tantra du Cachemire, enseignant depuis 1997 à
l'Institut d'études des religions de Vienne, elle œuvre aujourd'hui pour le dialogue interreligieux,
organisant des rencontres, au-delà des frontières et des dogmes, notamment entre chrétiens,
hindous et bouddhistes.
Comme de nombreux mystiques, Bettina Bäumer vit des expériences de « merveilleux » dans
l'enfance : « Quand j'étais enfant, dit-elle, j'aimais à rester assise sous un arbre à écouter les
oiseaux, et (plus tard) je fus convaincue que je comprenais leur langage [...] je connus aussi
d'inoubliables expériences d'union avec la nature : la terre, les plantes... vivant une espèce de
“mystique de la nature”. Aussi je “méditais”, perchée sur un arbre pendant des heures, cachée de
ma mère. » Quelques années plus tard, cette aspiration prend la forme d'une « soif de Dieu », qui
la conduit vers l'Église (protestante), sans trouver de réponse satisfaisante. Elle a dix-neuf ans,
lorsqu'un jour son regard s'arrête sur le paysage entrevu par la fenêtre : « J'ai vu soudain le
monde tout entier baigné d'une lumière “surnaturelle” ; cette expérience a transformé ma manière
de voir les choses. »
À l'âge de vingt et un ans, elle fait la connaissance de Raimon Panikkar, un prêtre catholique
« hindou-chrétien », qui l'accompagnera longtemps dans son cheminement. « Je trouvais une
réponse à ce que je cherchais sans pouvoir le définir. Une messe avec lui m'a donné accès à une
expérience intime du Christ [...]. C'est à Rome, guidée par lui que je me suis faite catholique –
une expérience profonde dans les catacombes (mon christianisme étant alors celui des origines,
avant l'institutionnalisation). » Il lui fait découvrir le livre Ermites du Saccidânanda (1956),
coécrit par Jules Monchanin et le père Henri Le Saux, évoquant la vie monacale partagée avec
d'autres moines hindous à Shântivanam : « Cette lecture m'a profondément touchée, j'ai su dès
lors que je devais rencontrer Le Saux (alias Abhishiktananda) et l'Inde spirituelle. » Plongeant
dans la religion vécue de l'hindouisme et dans l'univers de ses textes sacrés, Bettina Bäumer
poursuivra pendant de longues années, à Bénarès notamment, une intense collaboration avec
Raimon Panikkar.
Fin 1963, Bettina Bäumer fait son premier voyage en Inde, dont les deux haltes essentielles ont
lieu à Tiruvannamalai à l'ashram de Ramana Maharshi, puis à celui de Shântivanam avec Henri
Le Saux. Une relation de maître à disciple, une complicité de chercheurs d'absolu s'instaurent
désormais entre eux, et s'approfondissent peu à peu au fil des rencontres et des échanges
épistolaires réguliers. « Ces deux rencontres furent la réponse à ma recherche profonde : d'une
part la méditation auprès de Ramana Maharshi à Arunachala, intensifiée par le magnétisme de la
montagne sacrée, d'autre part la rencontre bouleversante avec Abhishiktananda, tant il était
rayonnant d'une intense lumière intérieure. Il me donna de participer à son expérience de l'Inde,
ce fut une véritable “immersion” dans ce monde spirituel en effervescence, où je ressentis avec
certitude que c'était là mon chemin. »
Abhishiktananda restera son maître (sans initiation formelle) jusqu'à sa mort en 1973 : « Il
m'incitait à m'installer “à l'intérieur”, dans la tradition des Upanishad et de Ramana Maharshi. Il
m'encourageait également à rencontrer des maîtres hindous. [...] Après sa mort, il y eut une
période de vide, j'ai alors compris que je n'étais pas encore “arrivée”, qu'il me manquait quelque
chose. »
En 1986, Bettina Bäumer, inspirée par les livres de Lilian Silburn* sur le shivaïsme du
Cachemire non-dualiste, se rend à l'ashram de swâmi Lakshman Joo, considéré comme l'un des
plus grands saints du XXe siècle, qui enseigne le sens profond des textes de cette tradition à un
petit groupe de disciples, dont certains occidentaux. Dans le cadre d'une initiation personnelle,
elle est acceptée comme disciple par ce maître érudit. Elle comprend alors que son parcours
atteint enfin le but recherché depuis si longtemps ; elle perçoit avec clarté l'unité fondamentale
qui sous-tend la réalité ultime des textes sacrés, des enseignements du maître, comme celle de sa
propre expérience. Selon les termes de cette tradition, elle accède à « la reconnaissance définitive
de la divinité du vrai Soi [svâtmadevatâ, svarasvarûpa] ». Elle partage désormais son expérience
d'une mystique intégrée à la vie dans le monde : « À la différence du Vedânta, souligne-t-elle, la
mystique du shivaïsme cachemirien vise l'intégration de la vie quotidienne comme pratique
fondamentale. Il s'agit d'une mystique de la connaissance, qui inclut également l'amour [bhakti],
et l'expérience de la kundalinî [...]. J'ai réalisé que le reste de ma vie devrait être consacré à
accomplir ce que mon maître et sa tradition m'ont confié, non seulement pour en réaliser
l'expérience plénière, mais également afin de la partager avec d'autres. »
Aux yeux de Bettina Bäumer, qui se prénomme désormais Bettina Sharada, la vie mystique
authentique reconnaît les plus hautes dimensions des traditions spirituelles et religieuses, mettant
en résonance textes sacrés et expérience intérieure. Elle est convaincue que la spiritualité ou la
mystique du shivaïsme du Cachemire contient « un message essentiel pour le monde aujourd'hui,
car elle est à même de répondre à une soif spirituelle partout sensible. Se gardant de devenir
exclusive, elle doit au contraire s'ouvrir aux autres traditions spirituelles et entrer en dialogue
avec elles. »
Colette Poggi
Bibl. : Vie et études : Les Œuvres de Marguerite d'Oingt, A. Duraffour, P. Gardette, P. Dardilly
(éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1965 ; R. MAISONNEUVE, Les Mystiques chrétiens et leur
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Tienen, Louvain, Levense Studiën en Tekstuitgaven, 1926 ; Sept Degrés d'amour, trad. du
moyen-néerlandais par Fr. J.-B. M. Porion, in Hadewijch, Lettres spirituelles, C. Martinguay
(éd.), Genève, Ad Solem, 1972, p. 233-249 (voir aussi les annexes p. 253-309). Études :
H.W. J. VEKEMAN, « Beatrijs von Nazareth. Die Mystik einer Zisterzienserin », in
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un théologien de l'Église orthodoxe russe en dialogue avec le monde moderne, Paris,
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initiation à la spiritualité orthodoxe, Paris, Cerf, 1989 ; Lev Gillet, « un moine de l'Église
d'Orient », Paris, Cerf, 1993 ; L'Ordination des femmes dans l'Église orthodoxe, Paris, Cerf,
1998 ; Discerner les signes du temps, Paris, Cerf, 2002. Études : Toi, suis-moi, Mélanges offerts
en hommage à Élisabeth Behr-Sigel, Iasi (Roumanie), Trinitas, 2003 ; O. LOSSKY, Vers le jour
sans déclin. Une vie d'Élisabeth Behr-Sigel, Paris, Cerf, 2007.
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del sacro ordine de' Frati predicatori, Florence, B. Sermartelli, 1588 ; I.F.B.M. DE RUBEIS,
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documents hagiographiques, Rome, École française de Rome, 1988 ; R. M. BELL, L'Anorexie
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authentique des apparitions, Paris, Lethielleux, 1961-1964, 6 vol.
BESANT, Annie, théosophe, médium et écrivain (Annie Wood ; Londres, 1er octobre 1847-
Adyar, 20 septembre 1933). — Annie Wood naît dans une honorable famille d'origine irlandaise.
Ayant perdu son père à l'âge de cinq ans, elle est placée chez une amie charitable. Initiée au rite
catholique dans son nouveau foyer d'adoption, elle décide de dédier sa vie aux bonnes œuvres et,
en vue de cela, épouse un pasteur, Frank Besant. Ce mariage est une catastrophe. Son mari lui
interdit toute activité hors du foyer. Quand leur fille tombe gravement malade, elle perd la foi et,
refusant de recevoir la communion, humilie son époux devant sa communauté évangélique. Ils se
séparent. Annie devient une ardente séculariste et militante socialiste au sein de la nouvelle
Société fabienne, un groupe de réflexion britannique créé en 1884, dont le but est de promouvoir
la cause socialiste par des moyens réformistes et progressifs plutôt que révolutionnaires.
L'énergie dont elle fait preuve dans la lutte pour les droits des travailleurs et le féminisme lui
vaut une soudaine notoriété, et ses dons de pamphlétaire et d'organisatrice sont rapidement mis à
profit. De la contraception à l'indépendance de l'Irlande, les causes qu'elle défend sont variées.
Elle se lie avec Edward Aveling, le traducteur de Marx, mais ce dernier se dérobe pour épouser
la fille de l'auteur du Capital. Elle n'en poursuit pas moins son activisme avec ses camarades
Bernard Shaw et William Morris, avec lesquels elle se retrouve en première ligne lors de la
célèbre émeute de « Bloody Sunday », en 1887. L'année suivante, elle connaît une victoire qui
fait jurisprudence lorsque les « Matchgirls » (quelques femmes travaillant pour un fabricant
d'allumettes qui eurent le courage de témoigner des dangereuses conditions de travail), à la suite
d'une longue grève liée aux maladies d'origine industrielle, obtiennent enfin satisfaction.
Le 25 avril 1889 paraît dans le Pall Mall Gazette la critique d'Annie Besant du livre d'Helena
Blavatsky*, La Doctrine secrète (1888). Bouleversée par ces révélations, elle se tourne
subitement vers la théosophie, provoquant la stupeur de ses amis marxistes ; ce revirement de
l'athéisme à la spiritualité (de même que le précédent, de la foi chrétienne au matérialisme
historique) anticipant en quelque sorte l'évolution sociétale actuelle de la prééminence de
l'institution à l'individualisme, et du positivisme à l'intelligence intuitive. Gandhi, qui étudie le
droit à Londres à cette époque, reconnaîtra qu'Annie Besant l'a conforté dans son aversion pour
l'athéisme, qu'elle lui a par ailleurs ouvert les yeux sur la faiblesse des déclarations des
missionnaires, qui ne voyaient dans l'hindouisme qu'un tissu de superstitions.
Après la mort d'Helena Blavatsky en 1891, Annie est propulsée à la tête de la Société
Théosophique grâce à ses talents d'oratrice. Elle en devient la représentante à Chicago, en 1893,
au Parlement mondial des religions ; peu après, elle part en voyage pour l'Inde.
Annie donne alors des conférences dans le monde entier. En tournée aux États-Unis, elle
répond à la demande de Sarah Farmer et présente la théosophie à une foule d'artistes et
d'écrivains américains réunis à Green Acre dans l'État du Maine, en 1897. Après sa rencontre
avec Charles W. Leadbeater en 1894, elle développe ses pouvoirs médiumniques et devient
clairvoyante. Ensemble, ils explorent le phénomène des auras dans un livre commun Les Formes
pensées (1901) qui aura un impact considérable sur Kandinsky, lui ouvrant de nouvelles
perspectives dans l'élaboration d'un art abstrait pénétré d'émotion et de mysticisme.
En 1909, Charles Leadbeater observe qu'une aura exceptionnelle entoure un jeune garçon,
nommé Jiddu Krishnamurti, au siège de la Société Théosophique, à Adyar, près de Madras.
Annie l'adopte et le prépare à assumer son destin de messie. Pendant la croissance du garçon, elle
se consacre au mouvement pour l'indépendance de l'Inde et milite en faveur du droit des femmes.
Elle crée une école à Varanasi qui associe l'instruction religieuse hindoue et la science moderne
afin de favoriser l'émergence d'une élite indienne. En 1917, elle fonde une université. La même
année, elle est arrêtée par les Anglais qui lui reprochent ses prises de position en faveur du Home
Rule (projet en faveur de l'autonomie interne de l'Irlande, sous tutelle britannique) – Annie
Besant critiquait depuis longtemps le joug politique, économique et moral du Royaume-Uni, c'est
pourquoi elle réclamait le droit à l'autonomie interne de l'Inde. Gandhi rédige lui-même la
demande de sa libération. La présidence de l'Indian National Congress, qu'elle assumera jusqu'au
retour de Gandhi d'Afrique du Sud, fait d'elle une personnalité respectée. Notons que Gandhi et
elle partageaient un même engagement en faveur de la lutte non-violente, mais qu'elle lui
reprochait d'outrepasser les limites constitutionnelles.
Dans les années 1920, au moment où Krishnamurti fait ses premières apparitions publiques,
une vive polémique surgit dans laquelle Annie Besant est accusée d'avoir endoctriné et manipulé
le jeune homme. Krishnamurti quitte la Société Théosophique en 1929, niant toute dimension
surnaturelle de sa personne. Ce qui ne l'empêche pas de délivrer son enseignement (avec le
soutien d'Annie) et de connaître bientôt un succès planétaire.
Annie Besant demanda que son épitaphe portât la mention suivante : « Elle essaya d'approcher
la vérité. » En Inde, son pays d'adoption, elle est nommée « Mère Besant ».
Annie Besant est une féministe avant l'heure. Échappant aux confinements des femmes de son
époque, elle témoigne pour toutes celles qui ont ouvert le chemin de l'émancipation des femmes,
tant sur un plan social (domestique et professionnel) que spirituel. Son énergie est tournée vers
des luttes concrètes et altruistes, axée sur l'idéal d'une communauté mondiale inspirée par la
« sagesse ancienne » (idéal que l'on retrouve dans la bible des théosophes, Isis dévoilée [1877]
d'Helena Blavatsky). Contestant la notion même de « raison objective » issue des Lumières, elle
s'est ouverte aux perspectives des courants occultistes de son époque empreints de spiritualité
orientale. Elle a ainsi cultivé le concept d'aura et de lumière personnifiée, dont elle témoigna en
personne par sa forte présence et son talent d'oratrice charismatique. Elle a milité pour une quête
de la vérité sans relâche. En définitive, « sa vraie force réside précisément dans sa capacité à
associer son autonomie à sa quête incessante de vérité, comprise comme libération ultime »
(MacKay, p. 133).
Deborah Jenner
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History, vol. 50, 1999, p. 215-239 ; A. TAYLOR, Annie Besant : A Biography, Oxford, Oxford
University Press, 1991 ; M. K. GANDHI, The Story of My Experiments with Truth, Londres,
Penguin, 1982, p. 77-78 ; C. H. MACKAY, « The Multiple Deconversions of Annie Wood
Besant », in Creative Negativity : Four Victorian Exemplars of Female Quest, Stanford, Stanford
University Press, 2001 ; C. TUMBER, American Feminism and the Birth of New Age
Spirituality : Searching for the Higher Self (1875-1915), Lanham, Maryland, Rowman &
Littlefield, 2002, p. 126-127.
BIAN DONGXUAN, moniale taoïste (Fanyang, Chine, 628-Hebei, Chine, 711). — Née dans la
région de Fanyang près de Pékin, dans une famille de trois enfants, Bian Dongxuan possède dès
son plus jeune âge toutes les vertus que l'on attend d'une jeune fille en Chine : pureté, douceur,
réceptivité, humanité, vertu, compassion, passant du temps à sauver la moindre petite bête
vivante et à nourrir les oiseaux l'hiver. À l'âge de quatorze ans (en 642), elle fait part à ses
parents de son désir de se consacrer à la Voie et d'affiner son corps par les pratiques d'abstinence
de nourriture ordinaire et d'absorption du souffle, mais elle essuie un refus. Alors qu'elle est en
âge de se marier, comme ses deux frères sont décédés, elle fait vœu de rester célibataire et
s'occupe avec une grande piété filiale de ses parents, qui meurent quelques années plus tard. Elle
se retrouve seule et observe strictement le deuil de trois ans, période pendant laquelle elle se
nourrit très peu et maigrit au point de devenir exsangue.
Le deuil de ses parents une fois terminé, Bian devient moniale taoïste dans un temple de la
région et y acquiert rapidement une notoriété grâce à sa piété et à sa bonté. Tel saint François
d'Assise, elle aime les animaux ; dès qu'elle a quelque revenu, elle achète des céréales et autres
denrées avec lesquelles elle nourrit les oiseaux et les rongeurs du lieu. Aussi les nonnes qui
tissent la soie ne sont-elles plus embêtées par les rongeurs.
Bian Dongxuan réussit, dit-on, la plus haute réalisation selon les critères taoïstes de l'époque :
la transmutation de son corps et de son âme pour pouvoir maîtriser le moment de sa mort et
monter au ciel en plein jour, avec un corps d'arc-en-ciel. Elle y parvient grâce à une pratique
assidue des techniques d'abstinence de grains et d'alchimie externe : elle cesse de manger du riz,
du soja et autres grains pour se nourrir de sésame, de pignons de pin, de racines, tout en
effectuant des exercices du souffle et en cultivant la concentration de l'esprit, jusqu'à ne plus
avoir besoin de s'alimenter. Elle absorbe également des pilules alchimiques, observant
scrupuleusement les règles : avant de les ingurgiter, elle brûle de l'encens, fait des offrandes, prie
les divinités, comme autant de gages de sa réussite. Ces pilules sont confectionnées avec des
plantes mais aussi des minéraux très toxiques, principalement le cinabre, et il lui arrive de
souffrir d'effets indésirables, tels que vomissements et diarrhées, symptômes bien connus de
l'empoisonnement par le mercure. Néanmoins, elle persiste dans sa pratique. Ces procédés sont
alors très en vogue, notamment auprès d'empereurs en quête de longévité qui, pour certains, en
mourront.
Un jour de l'an 711, un vieil indigent arrive au temple pour vendre le « grand cinabre
transmuté », une pilule qui permet d'obtenir la longévité et de devenir immortel en montant au
ciel en plein jour. Bian lui en achète et avertit son entourage qu'elle va effectuer son ascension le
15 du 7e mois du calendrier chinois. L'événement a lieu le matin, entre sept heures et neuf
heures. De nombreuses personnes y assistent et un mémoire est envoyé au trône pour relater les
faits. Le même jour, entre neuf heures et onze heures, elle apparaît à l'empereur Ruizong et prend
congé de lui.
La ferveur locale ainsi que les dispositions prises par l'empereur ennoblissant son temple
favorisèrent le développement rapide du culte de Bian Dongxuan, dont l'exemple aurait, dit-on,
inspiré la Princesse de la Perfection de jade (Yuzhen Gongzhu*), qui décida de devenir moniale
taoïste en 711, l'année même de son modèle.
Catherine Despeux
Bibl. : Étude : S. CAHILL, Divine Traces of the Daoist Sisterhood : Records of the Assembled
Transcendents of the Fortified Walled City by Du Guangting, Magdalena (Nouveau-Mexique),
Three Pines Press, 2006.
BÎBÎ KAMÂLO, sainte soufie (Kako, Bihar, Inde, XIVe ou XVe s.). — Par son ascendance, la
sainte est reliée à de prestigieuses lignées de soufis du Bihar : la Suhrawardiyya, et la
Firdausiyya. Par son père, Sulaimân Langar Zamin Suhrawardî, elle descend de l'illustre
théologien de Jérusalem, l'imam Tâj Faqîh, venu en 1180 à Maner pour accomplir l'islamisation
du Bihar. Par sa mère, elle descend d'un qâdi de Kashgar, le pîr Jagjot Suhrawardî, venu du
Turkestan oriental au Bihar au XIIIe siècle prêcher l'islam, et réputé pour guérir les maladies
incurables. Elle est également parente de saints de renom, Ahmad Ciram Pûsh Suhrawardî et
Sharaf-ud-dîn Yahiâ Manerî Firdausî et, de surcroît, mère d'un saint Suhrawardî, Husain Garîb
Dhukka Pûsh, vénéré à Tajpur, dans le district de Purnea.
S'il est difficile d'établir avec précision les dates de cette sainte – l'hagiographie hésitant entre
le XIVe et le XVe siècle –, son authenticité historique ne fait aucun doute. À quelques
exceptions près, les saints musulmans du Bihar ne sont ni des figures mythiques ni des ascètes
isolés dans la nature, mais des personnages historiques, faisant partie d'ordres religieux très
précis. On voit, avec l'exemple de Bîbî Kamâlo, que les liens de famille entre les confréries sont
très étroits et que les alliances de l'une à l'autre sont fréquentes. Mais, contrairement à la figure
du saint musulman local, glorieuse personnalité venue de pays musulmans lointains, saint
guerrier, ou saint lettré, Bîbî Kamâlo ne bénéficia d'aucune instruction.
Excentrique, simple d'esprit, anti-conformiste, très pieuse, illettrée, Bîbî Kamâlo est surtout
présentée comme une habile magicienne. Comme beaucoup d'autres femmes saintes, elle irrite
son entourage domestique. La légende signale que son mari, lassé d'avoir une épouse aussi
dévote, avait pris la fuite une nuit, en secret. Au terme de son voyage, il eut la surprise de se
retrouver au chevet de sa femme. La scène se répéta plusieurs fois. Comprenant ainsi qu'elle
possédait des pouvoirs miraculeux, il renonça à son projet. On rapporte aussi que Bîbî Kamâlo
était restée endormie chez elle, une nuit où le feu gagnait sa maison. Au moment d'atteindre sa
demeure, les flammes s'éteignirent miraculeusement. L'expression « Tout Kako brûle, mais Bîbî
Kamâlo dort tranquillement », traduit à la fois l'admiration et la dérision dont elle est l'objet.
Situé dans le village de Kako (dans le district de Jahanabad), le sanctuaire de Bîbî Kamâlo est
implanté sur un ancien monastère bouddhiste. La confrérie Suhrawardiyya était à l'époque
médiévale la plus puissante du Bihar. Mais elle a dû lutter pour s'imposer en terre indienne.
Historiquement, la vie de Bîbî Kamâlo s'inscrit dans ces périodes d'affrontements entre
bouddhistes et soufis, entre hindous et soufis. La confrérie à laquelle elle appartient ne fait pas
partie des confréries soufies indiennes pratiquant le syncrétisme avec l'hindouisme. Bien au
contraire, comme son oncle Ahmad Ciram Pûsh, qui parcourait l'Inde vêtu de cuir, la
Suhrawardiyya pratiquait volontiers la provocation à l'égard des hindous. Elle s'est notamment
rendue célèbre pour avoir évincé le chef bouddhiste de la petite localité de Kako. Selon la
légende, Kanaka, chef bouddhiste de Kako, s'irritait passablement de la présence en ses terres
d'une sainte musulmane. Il essaya de la déloger en lui faisant parvenir un cadeau particulier : de
la chair de rat. Lorsque la sainte voulut goûter ce mets, le rat reprit vie devant elle. Pour se
venger de l'affront, elle proféra des menaces à l'encontre de Kanaka et de sa dynastie. Peu après,
le prince et sa famille furent massacrés par les gens de la ville. Les assauts de pouvoirs
miraculeux, fréquents dans toute l'hagiographie médiévale indienne, entre ascètes de religions
différentes ou de sectes différentes, opposaient surtout des hommes entre eux, aussi avons-nous,
avec Bîbî Kamâlo, un rare exemple de personnalité féminine tenant ce rôle.
Du fait de son double statut de simple d'esprit et de puissante magicienne, la sainte avait la
capacité d'exorciser les âmes perdues et d'apaiser les troubles mentaux. Elle ne s'occupait ni du
traitement de la stérilité, ni des maladies infantiles, ni de la protection des voyageurs, comme les
saints qui l'entouraient. Assurant la protection des femmes en détresse, elle soignait surtout celles
qui étaient atteintes de graves maladies et de dépressions aiguës, se plaignant d'être hantées par
des fantômes ou possédées par des créatures malfaisantes, jin ou bhût (personnes ayant subi une
mort violente et revenant tourmenter les vivants). Les hindoues, dont les espoirs de guérison
n'avaient pas été réalisés, se rendaient d'ailleurs aussi auprès d'elle.
Pour délivrer les malades de la créature qui les troublait et « contrôlait [leur] tête » (sirvâlâ), la
sainte procédait en deux temps. D'abord, elle posait les questions préliminaires pour
l'identification du mauvais esprit. Elle s'adressait à lui : « Qui es-tu ? Es-tu hindou ou
musulman ? Es-tu un jin ? Un kirat [esprit qui hante les cimetières] ? Un dev [démon] ? Une devî
[esprit d'une jeune fille morte avant son mariage] ? Une curail [esprit d'une femme morte en
couches] ? Un bhût ? Une parî [fée] ? Es-tu l'esprit d'un renonçant hindou victime d'une
mauvaise mort ? Où habites-tu ? Pourquoi tourmentes-tu cette personne ? Que veux-tu de nous ?
Comment te faire partir ? » Un mauvais esprit hindou était plus enclin à lâcher prise si on le
menaçait de pollution, par exemple. Puis, elle avait recours à l'onction d'une huile au-dessus de
laquelle elle prononçait certaines paroles, et qui lui rapportait de petits profits. Elle tenait surtout
ses pouvoirs magiques (jâdû ou sehr) de la possession de merveilleuses coupes ciselées, décorées
de noms divins et de versets coraniques, auxquelles on prêtait des vertus curatives. L'une de ses
coupes, qui date de 1346, est gardée dans un temple voisin de la ville de Bediban ; hindous et
musulmans la vénèrent ensemble sous le nom de Bhagvân kâ caran pad (« l'empreinte des pieds
de Dieu »).
Les dévots de la sainte se prosternaient devant elle, tentaient de toucher son voile, et lui
offraient de l'argent ou des sucreries (malîda). Pour les malades, il était recommandé de rester
trente à quarante jours auprès d'elle pour le succès de la cure. On sait qu'elle aimait souvent leur
citer le quatrain de Sharaf-ud-dîn Yahiâ Manerî : « Lorsqu'un saint est saisi par les mystères de
l'Éternité, / Bavardages et babillages deviennent vains. / Le visage du seigneur de la Sagesse
rougit de plaisir / Et celui qui expose la Loi n'a plus qu'à se taire ! »
Seul un nombre très limité de femmes a accédé au statut de sainte, dans l'islam soufi indien.
Comme le montre leur liste extrêmement réduite, la plupart d'entre elles étaient des mères de
grands saints. Elles n'étaient autorisées ni à pénétrer dans les hospices soufis (khanqah), ni à
transmettre de filiation au sein de la confrérie. Elles n'avaient pratiquement jamais accès à
l'éducation. La plupart des musulmans refusaient l'idée d'une femme prophète, se plaisaient à le
répéter aux saintes femmes qu'ils croisaient et leur faisaient part de leur incrédulité. En revanche,
et contrairement aux grandes figures légendaires féminines de la secte mystique shivaïte indienne
des Naths, mentionnées comme porteuses des pouvoirs magiques (siddha) et vénérées à la même
époque, l'existence des saintes musulmanes est bien attestée, et leur position dans la société
médiévale parfaitement reconnue des chroniqueurs et historiens.
Actuellement, le sanctuaire de Bîbî Kamâlo est fréquenté par des centaines de personnes qui
remettent leur guérison au pouvoir de la sainte. Une enseigne en ourdou et en hindi invite les
malades à y pénétrer sans distinction d'origine ou de foi. En signe d'affliction, les femmes y
défont leur chevelure. L'enceinte résonne de cris et gémissements, imprimant à ce lieu une
marque de grande souffrance, bien différente de l'habituelle sérénité des autres tombes de saints
musulmans.
Catherine Servan-Schreiber
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Adrien Maisonneuve, 1929 ; A. POPOVIC et G. VEINSTEIN, Les Ordres mystiques dans
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ses ouvrages. Études : J. MAÎTRE, Mystique et féminité, essai de psychanalyse sociohistorique,
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H. J. SPIRENBURG, The Buddhism of H. P. Blavatsky, San Diego, Point Loma Publications,
1991 ; N. RICHARD-NAFARRE, Helena P. Blavatsky ou la réponse du Sphinx, Naves, Éditions
François de Villac, 1991 ; S. CRANSTON, The Extraordinary Life and Influence of Helena
Blavatsky, Founder of the Modern Theosophical Movement, New York, C. P. Putnam's Sons,
1993.
Bibl. : Vie et études : POMERIUS, Sur la vie et les miracles du Frère Jean Ruysbroeck, le dévot
et premier prieur de Groenendael, in Œuvres de Ruysbroeck l'Admirable, trad. par les
bénédictins de Saint-Paul d'Oosterhout (Wisques), Vromant & Co, Bruxelles, 1938, t. VI,
chap. V, p. 284-285 ; P. VERDEYEN, Ruusbroec l'admirable, Paris, Cerf, 1990.
Bibl. : Vie et étude : J. MAILLARD, La Vie de la Mère Marie Bon, religieuse ursuline de Saint-
Marcellin en Dauphiné, Où l'on trouve les profonds secrets de la conduite de Jésus-Christ sur
les âmes et de la voie intérieure, Paris, Jean Couterot, 1686.
BOSSIS, Gabrielle, écrivain et comédienne (Nantes, 26 février 1874-9 juin 1950). — Gabrielle
Bossis grandit dans une famille catholique bourgeoise. Elle reçoit une éducation mondaine au
pensionnat des Dames noires. Dévouée très jeune à Dieu et son prochain, elle s'exerce à la
peinture, la musique et la sculpture, pour lesquelles elle est assez douée. Elle découvrira plus tard
son talent d'auteur de pièces de théâtre et de comédienne. Gaie et sociable, elle connaît la douleur
et les consolations. Elle subit de nombreux deuils, dont ceux de son père (1898), sa mère (1908),
puis de sa sœur Clémence (1912). Elle obtient un diplôme d'infirmière et exerce pendant la
Première Guerre mondiale dans sa région, puis dans les hôpitaux de Verdun. Demeurée
célibataire, elle anime une petite troupe de théâtre, dont elle écrit elle-même les spectacles pour
les patronages et les paroisses, et se met à sillonner le monde, la France, l'Italie, l'Afrique du
Nord et le Canada. En 1936, à soixante-deux ans, lors d'une traversée transatlantique pour
l'Amérique du Nord, elle reçoit des paroles intérieures de Jésus-Christ, qu'elle retranscrit
quotidiennement par écrit, jusqu'à sa mort. En 1951 paraît une biographie, écrite par une amie,
Mme de Bouchaud, qui reçoit la bénédiction apostolique du pape Pie XII.
Outre des pièces de théâtre (Âme de poupée, Chanteuse de rue, Le Charme, La Lionne, etc.),
Gabrielle Bossis est l'auteur de sept petits livres, réunis sous le titre Lui et moi, témoignant de
l'amour infini de Dieu. Parus du vivant de l'auteur, en 1948, quelques extraits furent préfacés par
Mgr Villepelet, évêque de Nantes, et par le père Jules Lebreton, doyen de la faculté de théologie
à l'Institut catholique de Paris, qui, sans se prononcer sur l'origine divine de ceux-ci, en
garantirent l'orthodoxie.
Gabrielle Bossis s'inscrit dans la longue tradition des femmes mystiques chrétiennes qui ont
laissé des dialogues avec le Christ, la particularité de ses écrits résidant dans la simplicité et la
profondeur de son style. Dans ses carnets, elle se livre sans fard sur tous les sujets. Guidée par la
parole du cœur, elle relate ses entretiens intimes avec Jésus qui s'adresse à elle : « Ce n'est pas à
cause de ce que tu Me dis que J'aime t'entendre, c'est simplement par ce fait que tu Me parles.
Mon désir d'intimité est ainsi satisfait et Je te regarde avec l'amour d'un Sauveur. Ta
reconnaissance, tes hommages, bien sûr, Je les aime ! Mais c'est surtout le cœur à cœur que Je
cherche en toi. » Citons encore « Je n'ai rien laissé de Moi au ciel. Je Me donne à toi tout entier :
donne-toi à Moi tout entière » ; « Ne perdez aucune de vos précieuses souffrances. Trempez-les
dans la joie surnaturelle. » Entrelacement d'exhortations et de réflexions religieuses, ses
conversations deviennent alors prière : « Cause avec Moi. Il ne M'est pas de prière plus douce » ;
ou encore : « Que ce ne soit pas une fatigue de prier. Pourquoi te donnes-tu tant de mal ? [...]
Que ce soit tout simple, tout bon, une causerie de famille. » Outre la litanie instaurée entre elle et
son sauveur, Gabrielle Bossis n'a de cesse de montrer que le recueillement, l'union à Dieu, sont
compatibles avec la vie quotidienne. « Sais-tu ce que nous faisons en écrivant ces pages ? Nous
enlevons ce préjugé que l'intimité de l'âme n'est possible que pour le religieux dans son cloître,
tandis que Mon Amour secret et tendre est en réalité pour toute âme vivant en ce monde. » Ce
qui a pour effet de restituer l'originalité et l'intérêt de ce témoignage unique : remettre Dieu, par
l'intermédiaire de son fils Jésus, à sa place légitime et primordiale, au cœur de la vie.
Audrey Fella
Bibl. : Œuvre : Lui et moi, Paris, Beauchesne, 1953. Études : MME DE BOUCHAUD,
Gabrielle Bossis, auteur de Lui et moi, Paris, Beauchesne, 1951 ; P. DE LAUBIER, Jésus mon
frère, essai sur les entretiens spirituels de Gabrielle Bossis, Paris, Beauchesne, 1999 ;
L. BAROCCHI, Lui et Gabrielle Bossis, Paris, Beauchesne, 2007.
BOULAT, Marie-Louise. — Voir MARIE SÉRAPHIN DU SAINT-SACREMENT
Bibl. : Vie et Œuvres : Vie de Madame la Princesse Louise Adélaïde de Bourbon Condé, Paris,
Dufour et Cie, 1843, (I. Vie ; II. Lettres de piété ; III. Œuvres) ; Une âme de Bourbon : lettres
intimes de la princesse Louise Adélaïde de Bourbon Condé, Paris, Éditions de la Revue
catholique et royaliste, 1907. Étude : M. L. JACOTEY, Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé,
dernière abbesse du chapitre de Remiremont, Langres, Dominique Guéniot, 1996.
Bibl. : Œuvre : Œuvres de Mlle Antoinette Bourignon, Pierre Poiret (éd.), Amsterdam, chez Jean
Rierverts et Pierre Arents, libraires, 1679-1686, 19 vol. Études : P. BAYLE, « Bourignon », in
Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, éd. Prosper Marchand, 1702, t. I ; S. REINACH,
Cultes, mythes et religions, Paris, Leroux, 1905 ; L. KOLAKOWSKI, Chrétiens sans Église. La
conscience religieuse et le lien confessionnel au XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1969 ; M. VAN
DER DOES, Antoinette Bourignon, sa vie (1616-1680), son œuvre, Amsterdam, Holland
University Press, 1974. Vie romancée : A. THÉRIVE, Le Troupeau galeux, chronique véritable
d'Antoinette Bourignon, Paris, Grasset, 1934 ; C. LOUIS-COMBET, Mère des croyants,
mythobiographie d'Antoinette Bourignon, Paris, Flammarion, 1983.
BROKHA ou BRAKHA, Hannah, figure spirituelle hassidique (Ukraine, XIXe s.). — Fille de
Sarah Sternberg* et épouse (1892) de Reb. Elimelekh de Grodzisk, Hannah Brokha était connue
pour son érudition et sa piété. Au cours des prières, elle portait le châle et le tsitsit (franges
rituelles) ou un vêtement à franges, et les hassidim (disciples) lui apportaient leurs requêtes et
dons en échange de ses bénédictions.
Mireille Loubet
Bibl. : Études : P. de BÉRULLE, Traité des énergumènes [1599, rééd., 1631], suivi du Discours
de la possession de Marthe Brossier, Contre les calomnies d'un Médecin de Paris [1599], dans
Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1997, t. VI ; J. DAGENS, Bérulle et les origines de la
Restauration catholique (1575-1611), Bruges, Desclée de Brouwer, 1952, p. 150-165 ; BRUNO
DE JÉSUS-MARIE, La Belle Acarie, Bienheureuse Marie de l'Incarnation, Bruges, Desclée de
Brouwer, 1942, p. 412-456 (présente en note l'expertise du Pr Lhermitte sur la clinique de
Marescot, p. 439-443) ; J. LHERMITTE, « Les pseudo-possessions diaboliques », Satan, no
spécial des Études carmélitaines, Bruges, 1948 ; R. MANDROU, Magistrats et sorciers en
France au XVIIe siècle, Paris, Seuil, 1980.
Bibl. : Œuvres : outre de nombreux textes encore inédits (Solesmes, archives privées), La Vie
spirituelle et l'oraison d'après la Sainte Écriture et la tradition monastique, Solesmes, Édition de
Solesmes, 1886 (rééd. Tours, 1920, Solesmes, 1984) ; J.-K. HUYSMANS et C. BRUYÈRE,
Correspondance, Paris, Sandre, 2009. Études : A. HOUTIN, Une grande mystique, Madame
Bruyère, Paris, Alcan, 1924 ; G. M. OURY, Lumière et force, Mère Cécile Bruyère, première
abbesse de Sainte-Cécile, Solesmes, Éditions de Solesmes, 1997 ; J. MAÎTRE, Mystique et
féminité, Paris, Cerf, 1997 ; D.-M. DAUZET, La Mystique bien tempérée, Paris, Cerf, 2006.
BUJAN, chamane mongole de dixième génération, du clan Moncoogo (Bujanhisig ; Cengel süm,
1964). — D'origine urianhaj, Bujan est née à Cengel süm dans la province Bajan Ölgijn dans
l'ouest de la Mongolie. Sa vie est tourmentée. Quand elle a six ans, sa mère décède et elle est
maltraitée par la nouvelle femme de son père. Elle connaît alors de nombreux malheurs : décès
de proches, maladies (paralysie des muscles, maux de tête). « Les chamanes souffrent beaucoup
dans leur vie. On doit passer à travers tout : la soif, la faim, la maladie, les opérations [...] on
subit tous les malheurs que peut subir l'être humain », racontera-t-elle plus tard. Petite, elle
manifeste déjà des dons de voyance et de guérison. Son premier contact avec les esprits a lieu à
l'adolescence : elle rencontre un vieux moine qui disparaît alors qu'elle garde le troupeau de bêtes
de la famille dans la steppe ; elle est assaillie par les esprits alors qu'elle rejoint ses parents à la
tombée de la nuit pour fêter Cagaan Sar (le Nouvel An). À dix-neuf ans, elle s'initie par hasard à
la divination avec les quarante et un cailloux (technique assez répandue en Asie centrale qui
consiste à répartir les petits cailloux en ligne et en tas, suivant le signe astrologique). Puis elle
devient rebouteuse (à vingt-cinq ans) ; elle soigne les gens des maux de tête, des maladies du
cœur et des reins, de l'anorexie, etc. Elle vit à Ovd et se marie une première fois à vingt-trois ans.
Après le départ de son premier mari (dont elle a une fille), elle vit à Erdenet avec son deuxième
mari et sa belle-famille. Elle met au monde une deuxième fille. Après avoir été aide-soignante,
elle devient guérisseuse. Elle divorce ; sa seconde fille lui est retirée.
En 1999, Bujan arrive dans la capitale, à Ulaanbaatar, avec sa première fille et entre en contact
avec le Centre Golomt du chamanisme mongol. Là, elle est éprouvée par le chamane Tömör lors
d'un rituel. Elle y séjourne un mois, le temps de recevoir la dernière phase de son initiation qui
consiste « à mettre son ongon [« esprit ancêtre »] sur la bonne voie » : « Comment dire ? C'est
comme un enfant turbulent au départ, puis avec le temps, il grandit, il se laisse éduquer et il
devient obéissant », explique-t-elle. Elle se dispute régulièrement avec son maître, tant elle est
réputée pour son fort caractère. Une fois son grand talent chamanique reconnu, elle ouvre son
propre centre. Dès lors, sa vie se stabilise quelque temps. Elle pratique des rituels de guérison
pour les gens et des rituels pour le ciel, la terre et les lus (esprits maîtres des rivières et des
montagnes) en vénérant son ongon sahius (« esprit protecteur »). Elle fait l'objet d'articles de
journaux qui contribuent à la faire connaître. Les gens la visitent alors du matin au soir. En plus
des rituels chamaniques, elle leur apporte « de la force » par sa présence, juste parce qu'elle est.
Son charisme impressionne. « Quand je chamanise, témoigne-t-elle, je pense vraiment aux gens ;
je pense que je suis en train de chasser tous leurs maux que j'ai portés sur moi, que j'ai pris sur
moi et dont je me débarrasse », témoigne-t-elle. En même temps qu'une chamane, elle est une
figure culturelle, porteuse d'identité, qui réconforte. Puis elle est contactée par l'Association
internationale pour les études de la tradition et des coutumes mongoles, qui tente de promouvoir
ses activités. Elle distribue son curriculum vitæ et des cartes de visite à foison. Elle déménage
plusieurs fois. Fâchée avec l'Association, elle finit par voler de ses propres ailes, assurée de
devenir une vraie femme d'affaires. Authentifié par l'État (gage légal et officiel de son statut de
chamane), son centre prend successivement les noms de Centre d'études des traditions mongoles
et du chamanisme puis Centre scientifique des études sur les traditions et le chamanisme mongol.
Elle occupe plusieurs locaux différents jusqu'à ce que sa trace se perde dans la banlieue
d'Ulaanbaatar.
Bujan est une chamane traditionnelle. Son art repose sur un système de croyances et de
pratiques qui consiste, de manière assez pragmatique, à négocier la chance et la bonne fortune
avec des entités spirituelles (ongods) et à rétablir une harmonie lorsqu'un déséquilibre apparaît.
Comprenant le mal et agissant sur lui par l'intermédiaire des esprits, elle est ainsi censée
influencer la vie de ses clients. En outre, elle est une chamane moderne. Elle s'inscrit dans le
renouveau du chamanisme en Mongolie postcommuniste, qui s'est développé en milieu urbain.
Elle témoigne ainsi de la volonté de la plupart des Mongols de renouer avec la culture populaire
et les croyances ancestrales pour faire face aux problèmes de la vie quotidienne et au mal-être en
général, exacerbé par la crise de transition vers le capitalisme. En cela, elle est également une
véritable figure de la culture mongole qui a servi à la reconstruction de l'identité du pays.
(L. Merli, p. 129-130).
Audrey Fella
Bibl. : Vie et études : L. MERLI, De l'ombre à la lumière, de l'individu à la nation, Paris, Centre
d'études mongoles et sibériennes, EPHE, 2010 ; S. KAKAR, Chamans, mystiques et médecins,
Paris, Seuil, 1997 ; M. PERRIN, Le Chamanisme, Paris, PUF, 1995.
C
CABRERA DE ARMIDA, Concepción. — Voir CONCEPCIÓN CABRERA DE ARMIDA
Bibl. : Études : P. COMBES, Lady Caithness, duchesse de Pomar, Paris, Librairie Universelle,
1888 ; M.-F. JAMES, Ésotérisme, occultisme, franc-maçonnerie et christianisme aux XIXe et
XXe siècles, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1981 ; J.-P. LAURANT, L'Ésotérisme chrétien en
France au XIXe siècle, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1992 ; J. GODWIN, « Lady Caithness and
her Connection with Theosophy », Theosophical History, VIII, no 4, octobre 2000 ; M. PASI,
« Exégèse et sexualité, l'occultisme oublié de lady Caithness », Politica Hermetica, no 20, 2006.
Bibl. : Œuvres : Le opere spirituali, G. Boccanera (éd.), Iesi, 1958 (édition critique italienne
remplacée partiellement par des publications plus rigoureuses mais qui attendent d'être
complétées et réunies) ; Histoire de mon bonheur si malheureux, B. Forthomme (éd.), Paris,
Éditions franciscaines, 2009 ; Le Secret de la haute mer. Opuscules spirituels, trad.
C. Santambrogio, B. Forthomme (éd.), Paris, Éditions franciscaines, 2010. Études :
M. BARTOLI et alii, Dal timore all'amore. L'itinerario spirituale della beata Camilla Battista
da Varano. Atti del Centenario della nascita (1458-2008), Monastère Santa Chiara de Camerino
(éd.), Assise, Porziuncola, 2009.
Bibl. : Œuvre : H. CAFFAREL, Camille C. ou l'emprise de Dieu, Paris, Feu nouveau, 1982.
Étude : D.-M. DAUZET, La Mystique bien tempérée, Paris, Cerf, 2006.
CAMPO, Cristina, écrivain, poétesse, essayiste et traductrice (Vittoria Guerrini ; Bologne,
28 avril 1923-Rome, 10 janvier 1977). — Pseudonyme adopté en 1956 par Vittoria, Maria-
Angelica, Marcella, Cristina Guerrini est née dans le pavillon de l'hôpital Rizzoli où exerçait son
oncle Vittorio Putti, orthopédiste célèbre. Issue par sa mère, Émilia Putti, d'une illustre famille de
Bologne qui compta nombre d'artistes, savants, hommes politiques, elle se sentit non moins
proche de son père, Guido Guerrini qui, issu de la noblesse terrienne de Romagne, fit une
brillante carrière de chef d'orchestre. Fille unique élevée dans un monde d'adultes, la « petite
néophyte fascinée et terrorisée » découvre dans le parc enchanté du Rizzoli où elle retourne
chaque été, dans les jouets anciens qui lui sont légués, les livres de contes richement illustrés et
les visites rituelles sur les tombes familiales, « l'autre monde » qui restera le sien ; l'enfance lui
apparaissant rétrospectivement comme « cette unique et toujours insuffisante répétition générale
de la vie ». Côtoyant là malades et infirmes, l'enfant sensible qu'elle est découvre aussi que la
souffrance fait partie intégrante de la vie.
Nommé en 1925 au conservatoire de Parme puis en 1928 à Florence où il dirige le
conservatoire Cherubini, Guido Guerrini (« Le Maestro ») veille tout particulièrement sur
l'éducation de Vittoria qui, souffrant d'une malformation cardiaque congénitale, ne peut suivre
une scolarité normale. Initiée par lui à la musique, qui sera, avec la poésie, la compagne de sa vie
– « une merveilleuse, inexorable résignation » –, elle l'est aussi à la grande littérature qu'elle
apprend à lire dans le texte grâce à des professeurs particuliers. Ainsi devient-elle familière de
Proust et de Shakespeare, de Thomas Mann et de Cervantès. C'est à Florence qu'elle passe avec
sa famille les années de guerre, perdant dans le bombardement de la ville (1943) sa meilleure
amie, la jeune poétesse Anna Cavaletti. Hardiesse et réserve, audace et goût du secret sont les
traits de caractère déjà très affirmés de celle que ses proches surnomment alors Vie, et qui prend
l'engagement solennel de dédier sa jeune existence à l'écriture (« J'écrirai, et j'écrirai bien ») afin
de sauvegarder ce qui ne doit pas mourir. Elle n'a que vingt ans quand paraissent ses premières
traductions : Conversations avec Sibelius de Bengt von Törne (1943) et Une tasse de thé et
autres nouvelles de Katherine Mansfield (1944).
Rencontré après les années de guerre et de treize ans son aîné, Leone Traverso sera jusqu'en
1956 son compagnon. Traducteur et essayiste de renom, c'est lui qui l'introduit dans la
constellation des grands poètes allemands encore mal connus en Italie : Eduart Mörike dont elle
traduit les poèmes (1948), Rainer Maria Rilke, Hugo von Hofmannsthal, qui devient l'une de ses
références majeures et dont elle traduit un texte (Justice), paru dans le recueil Voyages et essais
(1958). Traverso élargit le cercle des relations littéraires de Vittoria, parmi lesquelles Margherita
Pieracci, avec qui elle correspondra jusqu'à sa mort (Lettres à Mita, 1956-1977), et le poète
Mario Luzi, son amour lointain et secret. Traductrice affirmée, elle publie ses premiers textes
dans diverses revues et crée avec Gianfranco Draghi la Posta litteraria, supplément littéraire au
Corriere dell'Adda où vont figurer les noms de Giuseppe De Robertis, Piero Bigongiari, Ezra
Pound, et où seront traduits par Vittoria des textes de Emily Dickinson*, Simone Weil*,
découverte en 1950 grâce à Luzi, qui lui offre La Pesanteur et la grâce : une révélation qui allait
bouleverser sa vie littéraire et plus encore spirituelle. Voyageant peu (France, Autriche), elle
revient néanmoins de Chartres enthousiaste : « Ô ma jacinthe en sa verte feuille / dans la plaine
fumante de pleurs. » L'ouvrage dont elle est en 1953 le maître d'œuvre, réunissant « les pages les
plus pures écrites par des femmes au cours des siècles », ne sera jamais édité.
S'acclimatant difficilement à Rome où elle vit depuis que son père y dirige le conservatoire
Sainte-Cécile (1955), elle y côtoie Maria Zembrano, Margherita Dalmati, Gabriella Bemporad, et
y fait la connaissance du triestin Roberto Balzen et du docteur Ernst Bernhard, qui introduisit la
pensée de Jung en Italie. Une période extrêmement féconde s'ouvre pour elle, marquée par sa
rencontre en 1957 avec Élemire Zolla, dont elle partagera la vie de 1960 à sa mort. Esprit
universel, Zolla admire son « style inexorable » et reconnaît en elle « la meilleure styliste du
demi-siècle italien ». Séduite par son érudition, son intransigeance et son insolence même, elle se
familiarise grâce à lui avec les grands mystiques d'Orient et d'Occident dont il prépare une
anthologie, parue en 1963 et incluant des textes introductifs de Cristina Campo. Zolla accueille
quelques-uns de ses poèmes majeurs dans la revue Conoscenza religiosa, qu'il a fondée et dirige
(1969-1977). Les lectures de Cristina Campo sont innombrables, et ses relectures érigées en
tâche sacrée : la Bible et Dante, Eliot, Pasternak, Lawrence, Barnes, Benn, Borgès, Tchékov,
Céline, Van Gogh. Elle traduit et présente des œuvres de Simone Weil (Venise sauvée, 1963 ;
Intuitions préchrétiennes, 1974), de William Carlos Williams, John Donne (Poésie amoureuse et
théologique, 1973) et publie deux recueils de courts essais : Fiaba e mistero (Conte et mystère,
1962) et Il flauto e il tappeto (La Flûte et le tapis, 1971) rassemblés après sa mort dans Gli
imperdonabili (Les Impardonnables, 1987). Elle correspond par ailleurs (1972-1976) avec le
philosophe Andrea Emo.
Convertie au catholicisme en 1964, et vivant de plus en plus solitaire et recluse, tant en raison
de l'éloignement progressif de Zolla que de son épuisement grandissant, Cristina Campo dissocie
de moins en moins poésie et liturgie : « La liturgie – comme la poésie – est splendeur gratuite,
gaspillage délicat, plus nécessaire que l'utile. » Militant pour la restauration de la liturgie
traditionnelle après Vatican II (1966) et vivant en empathie avec la souffrance des plus démunis,
elle fonde le mouvement international Una Voce qui intervient en vain auprès du Saint-Siège.
Aussi se tourne-t-elle d'abord vers l'abbaye de Sant'Anselmo, où l'on chante encore les offices en
grégorien, puis vers le rite gréco-catholique pratiqué au Russicum, dont la splendeur répond à
l'idéal de beauté et de sainteté qui est plus que jamais le sien et dont témoigne son Journal
byzantin. Réfractaire à « l'apostasie liturgique » d'un siècle à ses yeux responsable
d'irrémédiables pertes spirituelles, Cristina Campo meurt exténuée par sa longue maladie. Une
malle contenant ses papiers personnels disparaît dans la confusion familiale suivant son décès.
Fut-elle la « mystique absolue » (R. Gaillard) dont l'œuvre n'a fait qu'une trop discrète percée
hors des cercles choisis où elle s'est imposée ? Prônant « la sainte gnose de la distance », elle le
fut en tout cas dans sa manière très personnelle d'être à la fois intensément présente au monde et
messagère d'un autre monde : « Qu'y a-t-il qui ne soit presque absent à part moi, morte depuis si
peu, flamme libre ? » Aussi critique à l'endroit du monde moderne que le furent Guénon et Zolla,
c'est vers l'immémorial qu'elle se tourne d'instinct, se sachant porteuse d'un viatique éternel :
« La noix d'or qu'il faut garder dans la bouche et écraser entre les dents au moment du danger
suprême. » Trouvant dans la pensée de Simone Weil un miroir spirituel, elle n'en critiquera
« l'anticatholicisme partiel » que le jour où elle franchira le seuil du sanctuaire où sa sœur
d'élection s'est arrêtée. Sa confiance absolue en une vérité qui désaltère et que rien n'altère est en
effet d'ordre mystique : « Les quatre trésors que les morts nous lèguent et pour lesquels il n'est
pas excessif de jeter sa propre vie si la vie en dehors d'eux est un astre mort : le paysage, le
langage, le mythe, le rite », écrit Cristina Campo, plus préoccupée que Weil par la beauté du
style, à quoi elle accorde une portée métaphysique et spirituelle.
Mystique aussi sa conception de l'écriture poétique et du silence d'où elle naît. Aussi voit-elle
dans l'attention scrupuleuse, autant dire religieuse, le viatique sans lequel l'écrivain ne peut
forger son propre style, à l'image du destin spirituel qui est le sien. Substituant l'idée de présence
à celle d'actualité, elle ne dissocie pas plus que Weil esthétique et éthique, mais, dotée de l'oreille
absolue, cherche obstinément le ton, le thème mélodique qui sera le sien : grave, hiératique, et
pourtant mercuriel et aérien. Redonnant ses lettres de noblesse à la notion de sprezzatura
empruntée à Baldassara Castiglione (Le Livre du courtisan, 1528), elle brosse en fait son
autoportrait spirituel : « La sprezzatura est un rythme moral, c'est la musique d'une grâce
intérieure : c'est le tempo, voudrais-je dire, dans lequel s'exprime la liberté parfaite d'un destin,
inflexiblement mesurée pourtant par une ascèse cachée. » De sa compagne, Elemire Zolla dira :
« Elle était elle-même un style : limpide et frémissant, révolutionnaire. »
Aussi ses compagnons de route furent-ils autant les grands maîtres du renoncement et de
l'extase mystique (Maître Eckhart, Jean de la Croix, Angèle de Foligno*) que les gardiens du
seuil, les messagers de l'autre monde qu'elle nomme les Impardonnables : « Est impardonnable,
pour le monde d'aujourd'hui, tout ce qui ressemble à la jacinthe bleue de Perséphone », attirée par
son parfum envoûtant « dans les royaumes souterrains de la connaissance et du destin ». Dotée
d'une réceptivité extrême, Cristina Campo, proche en cela de Rilke, fut la plaque sensible où se
sont imprimées les formes subtiles dont son verbe poétique a restitué l'invisible présence : « Le
style des contemplatifs, si inaltérablement soulevé jusqu'à l'horizon de la vision, est en réalité un
précipité d'expériences. Le mystique ne spécule pas, il rapporte. » Témoin fidèle, il est en cela
potentiellement martyr, et ne peut se dire mystique que parce qu'il se souvient d'avoir été myste,
initié à une connaissance que Cristina Campo pensait, comme Simone Weil, d'ordre surnaturel.
Françoise Bonardel
Bibl. : Œuvres : Les Impardonnables, trad. F. de Martinoir, J.-B. Para et G. Macé, Paris,
L'Arpenteur / Gallimard, 1992 ; Le Tigre absence (poèmes), trad. M. Baccelli, Paris, Arfuyen,
1996 ; La Noix d'or, trad. M. Baccelli et J.-B. Para, Paris, L'Arpenteur / Gallimard, 2006 ; Lettres
à Mita, trad. M. Baccelli, Paris, L'Arpenteur / Gallimard, 2006. Vie : C. de STEFANO, Belinda
et le monstre. Vie secrète de Cristina Campo, trad. M. Baccelli, Monaco, Éditions du Rocher,
2006. Études : A. SPINA, Conversazione in Piazza Sant-Anselmo, Milan, Libri Schweiwiller,
1993 ; Per Cristina Campo, Monica Farnetti et Giovanna Fozzer (éd.), Milan, All Insegna del
Pesce d'Oro, 1998 ; abbé F. RICOSSA, r. père M.-L. GUÉRARD DES LAURIERS o.p., Cristina
Campo ou l'ambiguïté de la tradition, Verrua Savoia, Centro Librario Sodalitium, 2006.
Bibl. : Études : C. DESPEUX, Immortelles de la Chine ancienne, Puiseaux, Pardès, 1990, p. 83-
93 ; C. DESPEUX et L. KOHN, Women in Daoism, Cambridge, Three Pine Press, 2003, p. 133-
140.
Bibl. : Hymnes : La Prière des Églises de rite byzantin. Fêtes fixes, Fêtes pascales, Chevetogne,
Éd. Chevetogne, 1939 ; Ménées, D. Guillaume (trad.), Rome, Diaconie apostolique, 1982 ; Texte
grec de 261 maximes, K. Krumbacher (éd.), 1897. Vie : MACAIRE (hiéromoine), Le Synaxaire,
Vie des saints de l'Église orthodoxe, t. 1, Athènes, Indiktos, 2008. Études : A. M. SILVAS
« Kassia the Nun c. 810-c. 865 : an Appreciation », in L. Garland (éd.), Byzantine Women,
Varieties of Experience AD. 800-1200, Londres, The Center for Hellenic Studies, King's College,
2006. Discographie (label grec) : Hymnes byzantines de Noël, de D. PAÏKOPOULOS ; Semaine
Sainte, de C. PRINGOS.
Bibl. : Œuvres : Le sette armi spirituali, A. Degl'Innocenti (éd.), Florence, Edizioni del
Galluzzo, 2000 ; Laudi, trattati e lettere, S. Serventi (éd.), Florence, Edizioni del Galluzzo, 2000.
Vies : I. BEMBO, Specchio di illuminazione, S. Mostaccio (éd.), Florence, Edizioni del
Galluzzo, 2001 ; Il processo di canonizzazione di Caterina Vigri (1586-1712), S. Spano
Martinellei (éd.), Florence, Edizioni del Galluzzo, 2003 ; G. GRASSETTI, Vita della B. Caterina
da Bologna... (1630), traduit en français du latin des Bollandistes par l'abbé R. Pieau, sous le titre
Vie de Sainte Catherine de Bologne, par la R. P. Crasset de la Compagnie de Jésus, Paris, Périsse
Frères, 1840. Études : C. Leonardi (éd.), Caterina Vigri, la Santa e la Città, Florence, Edizioni
del Galluzzo, 2004 ; V. Fortuni et C. Leonardi (éd.), Pregare con le immagini. Il breviario di
Caterina Vigri, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2004 ; C. MOUCHEL, « Catherine de Bologne.
Du bon usage du corps incorrompu », in Les Femmes de douleur, Besançon, Presses
universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 57-72.
Bibl. : Vie et œuvres : Opus Catharinianum (Libro de la Vita mirabile e dottrina santa della
beata Caterinetta de Genova), Gênes, 1551 ; P. DEBONGNIE, La Grande Dame du pur amour,
sainte Catherine de Gênes (1447-1510). Vie, doctrine et traité du purgatoire, Paris, Desclée de
Brouwer, 1960 ; MME GUYON, Le Purgatoire, M.-L. Gondal (éd.), Grenoble, Jérôme Millon,
1998. Études : F. VON HUEGEL, The Mystical Element of Religion as Studied in Saint
Catherine of Genua and her Friends, Londres, J. M. Dent & Sons, 1909 ; J. LE GOFF, La
Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981 ; I. MOTERSINO, « La route invisible. Le
voyage mystique de Catherine de Gênes », in Le Chemin, la route, la voie. Figures de
l'imaginaire occidental à l'époque moderne, M.-M. Martinet et alii (éd.), Paris, Presses de
l'Université de Paris-Sorbonne, 2005.
Bibl. : Œuvres : Je ne suis plus à moi. Écrits et lettres, J. Beaude (prés.), Grenoble, Jérôme
Millon, 2001. Ces textes sont extraits de La Vie de sœur Catherine de Jésus, religieuse du
premier Monastère de l'Ordre de Nostre-Dame du Mont-Carmel estably en France, selon la
réforme de sainte Thérèse de Jésus, par Madeleine de Saint-Joseph, Paris, F. Dehors, 1628 (1re
éd.), 1656 (dernière éd.). Études : M. HOUSSAYE, Monsieur de Bérulle et les carmélites de
France (1575-1611), Paris, H. Plon, 1872 ; H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment
religieux en France..., rééd. Grenoble, Jérôme Millon, 2006, vol. I ; L. COGNET, Histoire de la
spiritualité chrétienne moderne, t. 3 de La Spiritualité moderne, Paris, Aubier, 1966.
Bibl. : Vie et études : G. Fr. PICO, Compendio delle cose mirabili della beata Caterina da
Raccogini, Florence, Olschki, 2010 ; G. G. ANCINA, Vita della beata Caterina Matei dea
Raconisio, Mondovi, 1899 ; don G. BOSCO, Vie de la bienheureuse Catherine de Raccogini de
l'ordre de la pénitence de Saint-Dominique, Paris, Poussielgue, 1865 ; H. BRUCH, Les Yeux et
le ventre, Paris, Payot, 1984, p. 61-83.
CATHERINE DE RICCI, sainte, tertiaire dominicaine (Florence, 23 avril 1522-?, 1589). Née
dans l'illustre famille patricienne des Ricci à Florence, Catherine, dont l'enfance est jalonnée de
nombreuses manifestations visionnaires et extatiques, entre au couvent dominicain Saint-Vincent
de Prato, qui entretient le souvenir fervent de Savonarole. Elle-même composera un poème à la
gloire de ce célèbre prêcheur, dont elle partage l'aspiration réformiste (qu'elle tempère toutefois
de son optimisme naturel) comme les perspectives mystiques centrées sur la Passion du Christ.
Elle travaillera donc assidûment au renouveau de l'Église, regroupant autour d'elle tout un
courant spirituel voué à cet objectif. Avec Marie-Madeleine de Pazzi*, elle incarne un type
nouveau de mysticisme réformiste qui assure la transition entre celui de Catherine de Sienne*
(qui avait politiquement échoué) et le grand œuvre du concile de Trente. À cet effet, elle
entretient des relations privilégiées avec les Médicis, ainsi qu'une abondante correspondance
avec, entre autres, Charles Borromée, Pie V, Philippe Néri et Marie-Madeleine de Pazzi.
Son univers spirituel est conditionné par l'expérience de la Passion que, de 1542/1543 à 1554
(où ces extases cessent à sa demande), elle revit chaque semaine, entre le jeudi midi et le
vendredi quatre heures, en contemplant les scènes du récit évangélique, en même temps qu'elle
mime les gestes et attitudes du Christ, tout en accompagnant cette scénographie extatique
d'entretiens avec le Christ et de discours adressés à ses sœurs. Au sortir de l'extase sont bien
visibles les blessures et les traumatismes corporels qu'elle a soufferts. On suit les étapes de cette
progressive configuration au Crucifié : le jour de Pâques 1542, la grâce lui est faite des noces
mystiques, où elle reçoit un anneau d'or émaillé de rouge et serti d'un diamant – anneau qui ne
sera que partiellement et temporairement visible pour son entourage, en fonction du degré de
perfection spirituelle de chacun (le plus souvent, un cercle rouge, enchâssant un losange de
même couleur). Cinq jours après, ce furent les stigmates qui, d'invisibles qu'ils étaient, devinrent
manifestes, à la fois sanglants et lumineux. Suivront le couronnement d'épines et le portement de
croix. Pour finir, au cours d'une extase dont est témoin toute la communauté, le visage de
Catherine s'identifie à celui du Christ, si bien que voir Catherine, c'était voir le Fils de Dieu en
même temps que le Fils de l'homme. On reconnaît là en filigrane le mot de Jean (XIV, 9), en
quelque sorte transposé en un processus d'identification du mystique au Christ, cela même que
visera le mystique moderne devenant le Christ ; ainsi chez Jeanne Guyon* – ce qui, de surcroît,
laissera planer l'hypothèse d'un messie féminin. Plus que ces phénomènes spectaculaires, certes
accordés à la sensibilité d'un catholicisme pré-baroque et réactif, on retiendra, conjoint à sa
préoccupation réformiste dans laquelle elle jette toutes ses énergies en usant de la plus grande
douceur dans ses relations avec autrui, le souci que gardera Catherine des « petites vertus »,
garantes de cet amour pur et désintéressé qui sera la grande affaire du siècle suivant.
François Marxer
Bibl. : Vie et études : H. BAYONNE, Vie de sainte Catherine de Ricci de Florence, Paris,
Poussielgue, 1873 ; G. M. DI AGRESTI, Sainte Catherine de Ricci, Toulouse, Privat, 1971.
Bibl. : Œuvres : ses écrits sont inclus dans l'ouvrage de P. RAGUENEAU, La Vie de la Mère
Catherine de Saint-Augustin, Paris, Florentin, Lambert, 1771. Études : G.-M. OURY,
L'Itinéraire mystique de Catherine de Saint-Augustin, Chambray-les-Tours, CLD, 1985 ;
C. BISSON, « De Marie à l'offrande rédemptrice, Marie-Catherine de Saint-Augustin : une
mission ecclésiale », in T. Nadeau-Lacour (dir.), Il suffit d'une foi, Marie et l'Eucharistie chez les
fondateurs de la Nouvelle-France, Québec, Anne Sigier, 2008.
Bibl. : Œuvres : Le Livre des Dialogues, trad. L.-P. Guigues, Paris, Seuil, 1953 ; Le Dialogue,
trad. L. Portier, Paris, Cerf, 1992 ; Les Oraisons, trad. L. Portier, Paris, Cerf, 1992 ; Jésus-Christ
Notre Résurrection, oraisons et élévations, trad. A. Bernard, Paris, Cerf, 1980 ; Les Lettres,
I. Lettres au pape, aux cardinaux et aux évêques, É. de Clermont-Tonnerre (introd.), Paris, Cerf,
2008 ; Les Lettres II et III, Paris, Cerf, 2010. Vie et études : Sainte Catherine de Sienne, par le
bienheureux Raymond de Capoue, trad. R. P. Hugueny, Paris, P. L. Lethielleux, 1904 ;
A. CHAMPDOR, Catherine de Sienne et son temps, Lyon, A. Guillot, 1982 ; A. LEVASTI, La
Vie de sainte Catherine de Sienne, Paris, Seuil, 1953 ; F. MARTINOIR, Catherine de Sienne ou
la traversée des apparences, Monaco, Éditions du Rocher, 1999 ; J.-M. PERRIN, Catherine de
Sienne, contemplative dans l'action, Paris, Aubier, 1961 ; B. SESÉ, Catherine de Sienne, Paris,
Desclée de Brouwer, coll. « Petite vie de... », 2005.
Bibl. : Étude : Maître ECKHART, Les Dialogues avec sœur Catherine de Strasbourg, Paris,
Arfuyen, 2004.
CATHERINE DE SUÈDE, sainte, brigittine (?, 1322-Vadstena, 1381). — Vénérée comme une
sainte dans l'Église scandinave, Catherine de Suède ou Catherine de Vadstena a le grand
avantage d'être la fille de sainte Brigitte de Suède* et de bénéficier ainsi du rayonnement d'une
sainteté qui s'est infusée en elle comme par capillarité généalogique. Éclipsée sans doute par la
figure maternelle, elle n'en atteste pas moins une personnalité certaine : Catherine de Sienne* en
sut quelque chose quand elle se heurta au refus de Catherine de Suède de l'accompagner à Naples
pour tenter de convaincre la reine Jeanne Ire de Naples de soutenir le pape Urbain VI ; on ne sait
les raisons de ce refus, toujours est-il que la reine était réputée de mœurs dissolues et que le pape
pressenti se montrait bien peu capable. Doit-on faire confiance à sa tardive biographie, qui nous
affirme que Catherine (à l'imitation de saint Nicolas nourrisson) refusait le sein de sa nourrice
(laquelle était pécheresse avérée) comme celui de sa mère, lorsque celle-ci avait eu des relations
charnelles avec son époux. Figuration légendaire bien sûr, d'une réserve à l'égard de la sexualité
génitale : sur le modèle quasi mythique de sainte Cécile, elle sut rester vierge, mariée qu'elle fut
à Edgar Lydersson, dont elle soigna avec dévouement les infirmités.
D'ailleurs, elle associait ascèse et chasteté, appétit sexuel et gourmandise, renouvelant ainsi un
schéma déjà en vigueur chez les Pères du désert, lesquels, considérant les organes sexuels
comme périphériques des entrailles, ce lieu de la digestion, liaient la fornication et la luxure aux
désordres alimentaires de la gastrimargie. On pourra retenir cet éloge de l'ascèse alimentaire que
la Vita (datée du XIVe s.) lui attribue : « L'abstinence prolonge la vie, préserve la chasteté, plaît à
Dieu, chasse les démons, illumine l'intelligence, fortifie l'esprit, mate les vices, dompte la chair et
embrase le cœur d'un amour divin. »
En 1350, elle rejoindra sa mère à Rome, où elle apprendra un an plus tard la mort de son mari,
et y restera jusqu'au décès de Brigitte. Revenue en Suède pour l'inhumation de celle-ci, dont le
corps auréolé d'une réputation de la sainteté était attendu par la population comme garant d'un
retour de la paix, elle organisera l'Ordre de Saint-Sauveur, fondé par Brigitte à Vadstena, vers
1370, et dont elle deviendra la première abbesse : une création originale où une communauté de
soixante moniales vouées à la contemplation, à la prière et à l'étude, est associée à une
communauté de treize moines-prêtres (dit « apôtres ») qui ont à charge la prédication (faite en
suédois), en un monastère double consacré à la Passion du Christ et à la Compassion de Marie.
De Catherine, on a gardé un petit ouvrage de piété intitulé Consolation de l'âme (1407).
François Marxer
Bibl. : Vie : Vie de Catherine de Suède, par ULPHON (vers 1420), dans Acta sanctorum, III,
503-531.
Bibl. : Vie et études : R. LAURENTIN, Vie authentique de Catherine Labouré, Paris, Desclée
de Brouwer, 1980 ; Catherine Labouré et la Médaille miraculeuse. Documents authentiques,
Paris, Lethielleux, 1976 ; C. YVER, La Vie secrète de Catherine Labouré, Paris, Éditions Spes,
1935.
CHÂN KHÔNG, moniale, maître du bouddhisme zen (Cao Ngoc Phuong ; Ben Tre, 1938). —
Née dans le sud du Vietnam dans un village du delta du Mékong, celle qui allait devenir sœur
Chân Không a grandi dans une famille où il était naturel d'aider ceux qui souffrent. Encore
adolescente, elle tentait déjà de soulager les habitants du bidonville voisin de son village. Alors
que pour certaines personnes le bouddhisme consiste d'abord à chercher l'éveil en solitaire (quitte
à se retirer dans un monastère) et ensuite à faire preuve de compassion dans le monde, Chân
Không ressent dès son plus jeune âge que libération et action doivent être liées. Lorsqu'elle
exprime cette idée, elle rencontre beaucoup d'oppositions, certaines dues à sa condition de
femme. Comme elle le dit elle-même : « Je voulais utiliser ces enseignements [bouddhistes] pour
instaurer une justice sociale, mais les moines bouddhistes que je rencontrais à l'époque n'étaient
pas d'accord avec moi. Ils disaient que je devais d'abord m'éveiller. Je ne pourrais aider les autres
qu'en étant éveillée. Beaucoup de moines étaient si conservateurs qu'ils pensaient qu'être une
femme était un obstacle, et ils me disaient que je devais pratiquer pour renaître en homme. Puis,
après plusieurs vies, je pourrais devenir bouddha. J'estimais que je n'avais pas besoin de devenir
un homme, je n'avais pas besoin de devenir bouddha ; j'avais simplement besoin d'utiliser une
partie des enseignements du Bouddha pour apporter une justice sociale sur terre » (Rencontre
avec des femmes remarquables).
Lorsqu'elle rencontre le maître Thich Nhat Hanh, surnommé Thay, celui-ci la conforte dans son
idée : « Après plusieurs années de recherche, je rencontrai Thich Nhat Hanh. Thay disait que
mieux vaut ne faire qu'une chose et la faire avec vigilance pour s'éveiller. Il me raconta l'histoire
d'un moine qui ne faisait que de la couture, mais avec vigilance, revenant à chaque respiration
totalement dans son action ; au bout de six ans, il s'éveilla. De même un maître ne faisait que
concasser du riz, et un autre s'éveilla en cuisinant » (ibid.). Dès lors, elle travaille en étroite
collaboration avec lui et fonde l'EJSS, l'École de la jeunesse au service social. À partir de 1954 et
de la défaite française de Diên Biên Phû (lors de la première guerre du Vietnam), en vertu des
accords de Genève, le pays est coupé en deux. Des élections destinées à le réunifier sont prévues,
mais, en 1956, le président à Saigon, Ngo Dinh Diem, soutenu par les Américains, les refusent.
La deuxième guerre du Vietnam éclate. Bien plus tard, dans son livre La Force de
l'amour (1995), sœur Chân Không racontera à la fois ses tentatives épuisantes pour soulager la
population, avec l'aide de Thich Nhat Hanh, et les horreurs d'un conflit où les assaillants restent
sourds aux arguments de l'autre partie et aveugles à la réalité du désastre.
Appliquant avec son maître la philosophie bouddhiste à la lettre, elle aide les gens dont les
villages ont été bombardés à reconstruire sans cesse leurs habitations, réussit à les convaincre de
pratiquer avec elle la méditation et les empêche de céder au désir de prendre les armes pour se
venger. Même lorsque des amis proches et des jeunes gens de l'EJSS sont tués par des grenades
jetées dans leur dortoir, elle déclare, lors de leurs funérailles, en parlant des meurtriers : « Nous
n'avons aucune haine contre vous [...] les hommes ne sont pas nos ennemis. Nos seuls ennemis
sont le manque de compréhension, la haine, la jalousie, le malentendu et l'ignorance qui
conduisent à de tels actes de violence » (La Force de l'amour). Aidant les partisans des deux
camps et considérée en tant que telle comme traître, sœur Chân Không risque sans cesse sa vie et
se retrouve en prison. Événement qui la pousse à faire une retraite de méditation en se
concentrant sur Avalokiteshvara (« le Bouddha de la compassion »).
Contrainte de s'exiler en France, sœur Chân Không se penche alors sur le sort des boat people
et continue d'aider tous ceux qui ont besoin d'aide. En 1982, elle achète un village en Dordogne
avec Thich Nhat Hanh, Loubès-Bernac, à quatre-vingt-cinq kilomètres de Bordeaux. Ils y
établissent une communauté bientôt connue sous le nom de « village des pruniers » et ouverte
aux retraitants, qui se consacre à la culture de mille deux cent cinquante pruniers (en référence
aux mille deux cent cinquante disciples du Bouddha) aidant les cent trente moines et moniales de
la communauté à subsister.
Issu du bouddhisme zen, l'enseignement de sœur Chân Không et de Thich Nhat Hanh, fondé
sur la vie quotidienne, dans un langage simple et direct, insiste avant tout sur « la pleine
conscience ». Une dimension de l'esprit à partir de laquelle tous les phénomènes de la vie doivent
être goûtés, si l'on veut sortir du cercle infernal de l'ego qui juge, rejette, réagit par la peur et la
convoitise. L'ego est toujours limité et la plupart des aspects de chaque situation lui échappent. À
partir de la pleine conscience tout peut devenir prétexte à l'éveil. Il n'y a pas de petites ou de
grandes choses. Manger une prune « en pleine conscience » ou laver une théière avec autant de
soin que si on lavait « le bébé Bouddha » sont des exercices que l'on peut proposer à des enfants,
comme à des adultes. Ils permettent de découvrir la véritable dimension de l'existence. N'étant au
départ qu'un exercice, « la pleine conscience » se révèle un jour comme étant l'arrière-plan de la
compassion qui est notre être réel dans toute sa liberté (la Nature-de-Bouddha). Cette
compassion est comme le ciel infini qui accueille tous les nuages, qui passent et se dissolvent.
C'est la vacuité ou le vide (shûnyatâ) dans lequel tous les phénomènes puisent leur origine, et qui
est leur face cachée. À partir d'un simple exercice d'attention appliqué à tous les gestes
quotidiens et aux manifestations de l'ego, la libération devient possible et la métaphysique
bouddhiste la plus haute devient l'objet d'une expérience vécue. Cependant, « la pleine
conscience » au cours des activités quotidiennes ne peut exister que si elle s'enracine dans la
pratique de « la pleine conscience » vécue dans l'immobilité, en méditation. En étant juste là,
attentif à sa respiration, le pratiquant redécouvre tout seul les « nobles vérités » prêchées par le
Bouddha : l'interdépendance (de sa propre personne avec les autres), l'impermanence (de ses
sensations, pensées et émotions), la souffrance (causée par le manque de sagesse et le désir que
les choses soient autrement qu'elles ne sont).
Après trente-neuf ans d'exil, le gouvernement communiste vietnamien a autorisé Thich Nath
Hanh et sœur Chân Không à retourner au Vietnam en 2005 (où les écrits de Thay sont toujours
interdits). Ils ont aussi été invités en Chine par le gouvernement en 1995 et y retournent depuis
chaque année pour y rencontrer la communauté bouddhiste chinoise (sangha).
Notons que sœur Chân Không, d'une grande modestie, vit parfois dans l'ombre de Thay, qu'elle
considère comme son maître. Elle n'a écrit qu'un seul livre, qui raconte son itinéraire dans le
Vietnam en guerre. Il s'agit à la fois d'un livre d'histoire et d'un livre de sagesse. Dans la préface,
Thay la considère comme un vrai Bodhisattva, c'est-à-dire un être habité d'une telle compassion
qu'il fait toujours passer la libération des autres avant la sienne. Sœur Chân Không dit un jour à
sa mère qui se plaignait de ne pas la voir suffisamment : « Pense à moi comme à une femme
mariée – non pas à un mari, mais à la grande famille des gens qui souffrent. »
Ariane Buisset
Bibl. : Œuvre : La Force de l'amour, une bouddhiste dans le Vietnam en guerre, trad.
P. Kerforne et M. Coulin, Paris, Albin Michel, 2008. Étude : M. BATCHELOR, Rencontre avec
des femmes remarquables, Paris, Sully, 2002.
Bibl. : Œuvres : Yoga et psychanalyse, Genève, Éditions du Mont-Blanc, 1948 ; Qu'est-ce que la
psychanalyse ?, Paris, L'Arche, 1950 ; Psychanalyse et catholicisme, Paris, L'Arche, 1950 ; Le
Chrétien devant la psychanalyse, Paris, Librairie Téqui, 1955 ; Teilhard et l'Inde, Paris, Éditions
universitaires, 1963 ; L'Être et le silence, Genève, Éditions du Mont-Blanc, 1965 ; ... mais la
terre est sacrée, Genève, Éditions du Mont-Blanc, Paris, Payot, 1965 ; La Guerre des sexes,
Paris, Publications premières, 1970 ; Dialogues avec Sa Sainteté le Dalaï-Lama, Genève,
Éditions du Mont-Blanc, 1974 ; Un voyant à la recherche du temps futur, Paris, Robert Laffont,
1975 ; Mémoires 1925-1939, Paris, Émile Paul, 1977 ; Savoir être maman, Paris, Aubier, 1992 ;
Le Scandale de l'amour, Paris, Aubier, 1992. Vie et études : B. GUILLEMAIN, Maryse Choisy
ou l'amoureuse sagesse, Paris, Hachette, 1959 ; S. CECCOMORI, Cent Ans de yoga en France,
Paris, Édidit, 2001 ; É. ROUDINESCO, Histoire de la psychanalyse en France. Jacques Lacan,
Paris, La Pochothèque, 2009 ; J. COSNIER, art. in A. de Mijolla (dir.), Dictionnaire international
de la psychanalyse, Paris, Calmann-Lévy, 2002, p. 302-303 et p. 1304-1305 ;
M. SCHEIDHAUER, Freud et ses visiteurs, Toulouse, Érès, 2010.
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CLAIRE D'ASSISE, sainte, fondatrice de l'Ordre des Pauvres Dames (ou Clarisses) (Chiara
Offreduccio di Favarone ; Assise, 1193/1194-1253). — Sans appartenir à la haute noblesse,
Claire est née d'une famille nobiliaire d'Assise. Vers dix-sept ans, elle apprend la conversion de
son concitoyen Francesco di Bernardone (François d'Assise), un fils de marchand, qu'elle
parvient à rencontrer à plusieurs occasions. Malgré l'opposition de sa famille, elle est résolue à
suivre le même chemin que ce François, lequel veut vivre simplement en suivant le Saint
Évangile de Jésus-Christ. En 1212, elle quitte furtivement la demeure paternelle pour se rendre
dans la plaine qui se trouve au pied d'Assise, et aller y revêtir l'habit adopté par François et ses
premiers frères. Elle est d'abord accueillie par des bénédictines avant d'être installée, avec sa
sœur Agnès et d'autres sœurs qui se joignent à elles, dans l'église de Saint-Damien, que François
a relevée de la ruine par ses propres mains. Et dès avant les Frères mineurs qui sont venus
rejoindre François, les sœurs de Claire obtiennent leur première Règle (dite de Hugolin) en 1219.
Mais cette Règle pas plus que la suivante en 1247 (dite d'Innocent IV) ne font mention de la vie
en très haute pauvreté, même si cette dernière suppose l'appartenance spirituelle à l'esprit
franciscain. De telle sorte que Claire est la première femme dans l'histoire à écrire sa propre
Règle. Certes, elle prend appui essentiellement sur celle des Frères mineurs et sur les règles
antérieures, mais elle y intègre le privilège de la pauvreté (ce qui est absolument unique pour les
femmes de ce temps). Ce texte est reconnu officiellement en 1252, in extremis, et n'exercera
qu'une influence fort limitée sur l'Ordre des Pauvres Dames (ou Clarisses) en expansion. Claire
est canonisée dès 1255, deux ans après sa mort.
Malgré un état de santé qui s'est dégradé du vivant même de François (1224), Claire a souvent
manifesté sa joie d'exister, sa joie d'avoir été créée : « Sois béni, Seigneur, toi qui m'as créée ! »
(Vie, 28, 46). En outre, « elle exhortait les sœurs quêteuses à louer Dieu chaque fois qu'elles
verraient de beaux arbres fleuris et feuillus ; et elle voulait qu'elles fissent de même à la vue des
hommes et des autres créatures, afin que Dieu soit loué pour tout et en tous » (Procès, XIV, 9).
On a même souligné, à la différence de l'anthropologie de François, l'absence de référence à la
corruption fondamentale de l'homme, mais son ascèse radicale est là pour démentir l'optimisme
prétendu. Son sens de la fragilité humaine est toujours mis à profit en faveur du sens de la
mesure (plus pour les autres que pour elle-même), du discernement et de la solidarité du genre
humain où l'un peut suppléer à la défaillance des autres, ce qui suscite sa joie imprenable :
« Personne ne pourra me rendre étrangère à tant de joie [gaudio] » (3 Lettre à Agnès, 5). Mais
cette joie première, basale, autorise chez elle une démarche audacieuse : celle de vouloir vivre de
manière aussi libre, aussi affranchie qu'un homme comme François, lequel suivait la voie que
Dieu avait ouverte par Jésus-Christ. Audace de vouloir vivre suivant la forme de vie de celui qui
est perçu très tôt comme un homme nouveau (homo novus). Audace manifestée par Claire de
vivre suivant le style d'une femme nouvelle. Cette nouveauté s'exprime notamment par une
rupture avec la nostalgie, la fascination aliénante pour le passé. Alors que sa propre mère
effectue un voyage périlleux à Jérusalem, Claire n'éprouve plus l'appel du pèlerinage. Elle entend
l'appel par la parole contemporaine, par la parole actuelle de François, ici et maintenant, et non
ailleurs ou dans un temps lointain. La vocation se passe aujourd'hui, à Assise ! Jésus-Christ n'est
plus seulement un personnage du passé ou purement liturgique, voire livresque ou même
seulement intérieur. Il ne s'agit pas non plus de vouloir s'identifier au Christ (itinérant ou crucifié,
même par la stigmatisation), ce qui serait de l'arrogance spirituelle. Non, il semble à Claire que le
Christ lui-même se conforme en la figure actuelle de frère François qui entend justement suivre
et épouser sa parole, car elle révèle Dieu dans son échange personnel.
La source, désormais, c'est la conversion singulière : se laisser librement changer d'esprit par la
pratique du Saint Évangile. La femme, dorénavant, doit devenir un homme nouveau ! Non pas
évidemment un « être masculin » (vir, en latin), mais précisément « homme » (homo désignant le
« genre humain » évoqué maintes fois par Claire). Certes l'esprit évangélique est également
restreint par les contraintes de la clôture imposée aux femmes. Mais chez Claire, la clôture sera
l'occasion de vivre le Christ nu, enfant dans sa mangeoire étroite, et adulte fixé comme il le fut
sur la croix. C'est ce moment de resserrement de la naissance et de la mort cruciale qui sera
privilégié finalement, par rapport aux voyages extérieurs. Du corps brisé s'élève un parfum très
concentré qui embaume non seulement la cité d'Assise, mais toute la communauté chrétienne.
Concentration qui est celle du cœur, clôture ultime, à entendre aussi comme exercice de la
mémoire du Christ et du commencement, cette conversion qu'il faut achever avec insistance.
Cœur qui doit devenir aussi comme un miroir sans tache où s'imprime l'image toujours plus nette
du Christ. C'est alors que l'amour extrême dilate infiniment le cœur, et excède toutes les limites,
celle de la clôture comme du monde entier.
Claire inaugure une féminité nouvelle : non seulement capable d'éprouver la très haute pauvreté
avec le courage et l'audace des hommes, une chasteté positive et non restrictive, mais aussi une
obéissance capable de prendre l'initiative de légiférer elle-même pour les femmes. Pauvreté qui
fait découvrir toutes choses comme reçues dans leur fraîcheur native, dans leur personnalité
propre, et non comme des réalités soumises à ma propriété ou simples effets de mon activité, ou
comme de simples illusions soumises à l'angoisse de la mort. La chasteté n'est pas d'abord une
privation, mais une relation courtoise avec tous les êtres, ce qui renforce l'accès à la création dans
sa clarté native, l'être en tant qu'être dans toute sa limpidité. C'est un choix où la liberté consent
de toute sa force spirituelle (« toto animo et cordis... elegistis ») à recevoir ce qui est aimé et
touché : « Lorsque vous l'aimez (l'époux de plus noble race), vous êtes chaste, lorsque vous le
touchez, vous deviendrez plus claire, lorsque vous le recevez, c'est alors seulement que vous êtes
vierge » (1 Lettre à Agnès, 8). La virginité est un devenir, une hospitalité et non un état primitif
(le fantasme de l'intact ou d'une intégrité à préserver), c'est une réception amoureuse et tactile
d'un époux racé, pas une exclusion. Cela suppose que Dieu soit seul. Qu'il n'y ait plus de mariage
mythique comme les dieux et déesses de la mythologie. L'amour mystique, où Dieu,
incomparable, laisse sa créature s'unir librement à lui seul, c'est bien la rupture avec le mythe.
Mais non avec la métaphore : car devenir l'épouse du Christ n'est un amour réel et véritable que
si cette manière d'exprimer le désir spirituel le plus véhément implique le comportement
responsable avec autrui (être mère au service de ses sœurs, à la gouvernance toujours accessible),
un rapport d'égalité (être sœur), un amour d'amitié (qui perfectionne cette égalité), mais aussi et
peut-être surtout, par tout cela même, une relation de responsabilité au regard de Dieu : non
seulement épouse du Christ, mais aide de Dieu (adiutrix Dei), comme aide accordée à Dieu.
Désormais, la femme n'est plus seulement Ève accordée en aide à un homme, Adam. Cette
expérience de la femme nouvelle se manifeste par un réaménagement de l'espace et du temps. De
la verticalité tout d'abord : Claire se compare à une petite plante, tendue vers ce qui est supérieur,
mais qui garde un contact très fort avec le sol, la vie quotidienne, le cheminement de la vie, son
horizontalité. Comme la plante ne peut se déplacer à la manière d'un animal, il lui faut ruser avec
les forces adverses. Non seulement en lançant sa semence aux quatre vents, et en modifiant son
code génétique, ou du moins, en le remaniant, en rendant d'une souplesse extrême sa structure
profonde. Ce travail sur le code interne est le travail de mémoire sur le cœur comme miroir du
Christ, ce qui échappe à la rigidité de l'humanité vulnérable d'un côté et de la divinité éternelle de
l'autre, entre le commencement et son perfectionnement. Sans oublier l'espace onirique, si
important pour l'époque médiévale (pour justifier réformes et fondations nouvelles), mais en
particulier pour les femmes, car elles n'ont pas l'accès à la parole théologique, à la prédication
publique, ni aux voyages apostoliques : le rêve, comme la prière, est aussi une manière de
voyage et même, chez Claire, de télévision (n'est-elle pas devenue la patronne de cette médiation
par le constant direct avec la vie des sœurs ?). Le songe est une manière de s'exprimer sans que
la censure puisse intervenir efficacement, sinon comme effet détourné de cette censure
précisément, externe mais aussi interne. Le temps trouve ainsi une dimension différente. Chaque
jour devient l'occasion de retourner au premier jour de la conversion, de la liberté spirituelle.
Chaque instant devient un cercle, sans devenir pour autant un cycle mythique du
recommencement où les événements contingents n'apporteraient rien de décisif. Or ici, la
contingence, ce n'est pas le hasard mais l'effet de la liberté et de l'amour décisif de Jésus-Christ
configuré présentement par François d'Assise.
La mystique libérale, c'est l'expérience de l'accès aux mystères de Dieu par les plus petits, qui
peuvent le reconnaître comme Père, et donc eux-mêmes, se reconnaître comme ses fils adoptifs,
des gens libres autant que des fils dans la maison du Père. Il s'agit d'être chez soi avec Dieu.
Certes, Dieu n'attend pas de chacun le même degré de perfection. Si tous sont appelés à s'unir à
Dieu, l'union propre à la mystique reste une forme d'union particulière, dont la vitesse ne peut
être universalisée. On ne peut imposer à tout croyant le modèle de l'unité propre à la mystique,
toujours très altérant pour l'esprit, l'âme et le corps. Sa démarche n'est pas toujours une
promenade quotidienne, mais parfois une course tendue vers le parfum du Christ (curremus ; 4
Lettre à Agnès, 30). La vitesse spirituelle est parfois sujette à de brusques accélérations qui ne
sont pas forcément adaptées à tous les profils psychologiques ni à toutes les destinées
spirituelles, comme le suggère le songe, désormais fameux (mais passé sous silence par son
premier hagiographe), raconté par Claire à la sœur Philippa. Même si ce texte reste exceptionnel,
car Claire ne s'exprime point par l'autobiographie ou la poésie lyrique comme les mystiques de la
Renaissance italienne et espagnole, ou ceux du Grand Siècle français. Ainsi lorsque l'échelle est
gravie avec autant d'aisance qu'une démarche en terrain plat : « Madame Claire racontait encore
qu'une fois, en rêve, elle s'était vue portant à saint François une cuvette d'eau chaude avec une
serviette pour s'essuyer les mains. Elle montait une échelle très haute, mais elle le faisait avec
autant d'aisance et de légèreté que si elle avait marché sur un terrain plat. Lorsqu'elle fut arrivée à
saint François, celui-ci sortit de sa poitrine une mamelle et lui dit : Viens, reçois et suce ! » Après
le geste d'hospitalité objective et l'aisance de sa vitesse verticale, elle fit ce à quoi saint François
l'invitait, puis il la pria de sucer une deuxième fois. « Et ce qu'elle goûtait ainsi lui paraissait si
doux et délectable qu'elle n'aurait pu l'exprimer en aucune manière. Et après qu'elle eut sucé,
cette extrémité ou bout de sein d'où sort le lait demeura entre les lèvres de la bienheureuse
Claire ; elle prit avec les mains ce qui lui était resté dans la bouche, et cela lui parut de l'or si
clair et si brillant qu'elle s'y voyait tout comme en un miroir. »
Lorsqu'on a facilement « expliqué » ce texte par la fellation symbolique et autre totalité
hermaphrodite, il reste des approches plus pertinentes de ce rêve. Ainsi le rêve suggère que le
fluide spirituel franciscain risque d'être tari par la bulla pontificale (texte scellé, nourriture
solide) – d'où peut-être un jeu de mot entre le texte juridique et le testament spirituel, la « bulle »
papale et le « mamelon » de François (bulla aurea), qui s'identifiait volontiers à une mère, sicut
mater, lorsqu'il s'agissait pour lui, simultanément, de gouverner et de consoler ses frères. Face au
sceau pontifical, figé, mat et strié au bas d'un aménagement de la pauvreté radicale, se trouve le
flux de l'Esprit, qui animait saint François, à travers le mode de vie franciscain (qui s'éprouve
sans avoir rien en propre, use sans abuser des biens de ce monde) ; le fluide net, brillant et plat
comme un miroir, où l'on ne se peut voir en esprit que sous la forme du Christ nu. Non pas un
stade du miroir infantile, mais ce qui simultanément anticipe, structure, stimule et vérifie une
vocation entendue dès le sein de sa nouvelle mère. Au plan de la gouvernance, la sœur qui reçoit
la charge d'abbesse doit être toujours accessible (communis ; Testament 65), à tel point qu'elle
rende possible à chacune de se manifester avec assurance (secure, confidenter).
L'humanisme de Claire se repère par son souci constant des tendances générales de l'humanité,
de ses faiblesses, mais aussi de son espérance et, tout particulièrement, de manière très
révélatrice, en se voyant dans le miroir du Christ, en devenant un tel miroir pour le genre humain
depuis le lieu étroit où elle se tient librement comme le Seigneur dans une crèche : « Au milieu
du miroir considère l'humilité, du moins la bienheureuse pauvreté [...] qu'il supporta pour la
rédemption du genre humain [humani generis] » (4 Lettre à Agnès, 22). L'identification de Claire
dans le miroir ne s'effectue pas en prenant comme modèle seulement une femme (serait-elle
Marie* ou Rachel, femme qui se souvient, garde dans son cœur, et qui regarde toujours son
commencement – ra'ah halel, visus principium comme traduit Jérôme), mais précisément un
homme (François) et ce qui outrepasse l'homme (le Christ). Non seulement un homme, mais le
genre humain. Alors que la contre-conduite de François d'Assise tend à se dire en termes
féminins (face à la paternité revendiquée par tant de gens qui ne veulent rien savoir de l'Évangile,
lequel interdit explicitement de se faire appeler « père », car il n'y en a qu'un seul véritable),
Claire dépasse la condition féminine pour s'identifier à la nature humaine à partir de son propre
cœur de femme nouvelle inspirée par l'Esprit.
Bernard Forthomme
Bibl. : Œuvres : Écrits (contient : Lettres, Testament, Bénédiction, Règle), introd., texte latin,
trad., notes et index par M.-F. Becker et alii, Paris, Cerf, 1985 ; Documents (La Vie de Claire par
Thomas de Celano, écrits, procès et bulle de canonisation, textes de chroniqueurs, textes
législatifs et tables), prés. et trad. par D. Vorreux, Paris, Éditions franciscaines, 2002. Étude :
M. BARTOLI, Claire d'Assise, Paris, Fayard, 1993.
Bibl. : Vie : Lapsus Linguae. La légende de Claire de Rimini, légende italienne éd. par
J. Dalarun, Spolète, 1994. Étude : J. DALARUN, Claire de Rimini. Entre sainteté et hérésie,
Paris, Payot, 1999.
Bibl. : Œuvres : Le livre de l'amour infini, Paris, Téqui, 1975 ; Messagère de l'amour infini,
Mère Louise Marguerite Claret de la Touche, Paris, Desclée de Brouwer, 1936. Études :
P. VERCOUSTRE, Une mystique française, Mère Louise-Marguerite Claret de la Touche
(1868-1915), Montsûrs, Résiac, 1985 ; P.-G. DEBERNARDI, À l'écoute du Cœur du Christ, Vie
et mission de Mère Louise-Marguerite Claret de la Touche, Liévin, L'Arlésienne, 2003.
Bibl. : Vies : J. A. GALICE, Idea divinae benignitatis in serva sua Anna Margarita Clemente,
Lyon, L. Arnaud/P. Borde, 1669 ; La Vie de la vénérable Mère Anne Marguerite Clément,
première supérieure du Monastère de la Visitation de saint Marie de Melun, Paris,
J. B. Coignard, 1686. Études : A. SAUDREAU, Les Tendresses du Seigneur pour une âme fidèle
ou Vie de la Mère Anne-Marguerite Clément. Première Supérieure des Monastères de la
Visitation de Montargis et de Melun. 1593-1661, Paris, Amat, 1915.
COLETTE DE CORBIE, sainte, clarisse recluse (Nicolette Boylet ; Corbie, en Picardie 1381-
Gand, 1447). — Nicolette est née de parents très modestes et âgés (d'où le patronage de saint
Nicolas). Elle-même s'éprouvait de petite taille et « elle en souffrait » (Vie, 11) — ce qui ne sera
pas sans répercussion sur son avenir et sa perception des êtres, car elle était « timide devant les
créatures de grande taille » (Vie, 59). On sait que la petite taille occasionne souvent une
socialisation discriminatoire et une timidité envahissante. Ce qui ne serait pas sans éclairer le
devenir de Colette, car la souffrance de n'être ni grande ni naine accroît le malaise, et la tendance
à se tenir dans un univers clos, à ritualiser les choses, le temps (y compris sous figure liturgique)
et les lieux (sous forme de clôture stricte), mais aussi à manifester un comportement sthénique, à
se faufiler partout, à donner de la voix (en psalmodiant plus fort que toutes les autres voix du
chœur ; Vie, 70), résonnant « à plus d'une lieue » (distance parcourue par un homme en une
heure), quitte ensuite à réclamer régulièrement un isolement pour récupérer. Colette, marcheuse
d'une grande vélocité, n'hésite pas à monter à cheval, en allant de l'avant, calme et droite, mais
comme « en extase » (Vie, 35). Relevons aussi sa tendance à vouloir allonger ou raccourcir pour
faire bonne mesure. Ainsi, lorsqu'elle se décide à faire tailler un habit neuf pour un pauvre
religieux dans le besoin, le couturier remarque que le drap apporté ne suffirait jamais : « Il
manquait une grande aune [...], alors l'ancelle [Colette] lui dit gaîment : va-t'en prier notre
Seigneur et puis reviens. Tu tireras d'un côté et moi de l'autre pour voir si nous pouvons
l'allonger [...]. L'habit fut si grand et si large qu'il fallut le défaire » (Vie, 56). La prière lui fit
expérimenter que Dieu était capable de la faire grandir, lui donnant ainsi plus d'énergie et de
hardiesse pour concrétiser sa connaissance de Dieu et sa mission.
Dès son enfance, elle est attirée par la prière des moines de la grande abbaye de Corbie. Après
le décès de ses parents, elle refuse le mariage et, à la suite d'une expérience béguinale avortée,
elle fera un séjour chez les Bénédictines, avant d'entrer chez les Clarisses de l'abbaye royale de
Moncel (Beauvais). Elle en demeure insatisfaite, mais rencontre des franciscains qui lui
proposent la voie du réclusage. Elle prend alors l'habit des tertiaires franciscaines, et en 1402,
elle se laisse enfermer dans un réclusoir qui prend appui à l'église Saint-Étienne de Corbie. Là,
elle mène une vie de prière intense ou de contacts pastoraux avec les gens – on connaît par de
nombreux exemples les excès de bavardages dont les recluses sont menacées –, et se croit un
jour appelée à porter remède aux plaies de l'Église (déchirée par le Grand Schisme, 1378-1417)
autant que du monde (souffrant la guerre de Cent Ans, particulièrement dans ce Nord dont
Colette est originaire), en réformant les trois branches de l'Ordre de Saint-François. D'entrée de
jeu, il ne s'agit pas pour elle de réformer seulement les Clarisses. Ce n'est pas un hasard si son
premier hagiographe, le frère mineur Pierre de Vaux, évoque dès l'ouverture la figure de Jean le
Baptiste : enfant d'une grossesse tardive, lui aussi, figure de conversion, du changement radical
de vie, à l'orée de la vie civile (sans être retiré dans le désert profond, l'érémitisme radical, récusé
aussi par François d'Assise). Jean le Baptiste, c'est aussi, précisément, celui qui doit diminuer
pour que le Christ croisse. C'est sans doute une manière pour la petite Colette d'assumer sa taille
et de l'inscrire dans un projet de croissance.
La vision vocationnelle de l'arbre parfumé et revigorant, plus grand que les autres et mobile,
doit se rattacher à ce contexte : « Il lui fut révélé que l'arbre le plus important signifiait sa propre
personne et les petits arbres, ceux et celles qui, grâce à elle, s'engageraient dans la réforme et le
redressement. Le déplacement répété des arbres, d'un endroit à l'autre, signifiait qu'elle devait
circuler, construire et faire prospérer son œuvre en plusieurs régions » (Vie, 32). La verticalité
(rectitudo) de l'arbre mieux dressé signifie l'œuvre de la rectificatio. Le végétal ne pouvant se
mouvoir comme l'animal pour trouver sa nourriture, se reproduire et échapper au danger, est
obligé de trouver d'autres moyens de survie. Non seulement en envoyant par projection, par le
vent ou les animaux, ses semences au loin, mais en assouplissant la rigidité de son intériorité ou
de son code génétique (comme le maïs), voire en le remaniant. C'est à ce remaniement du code
génétique de la vie franciscaine que va s'attaquer Colette, à la fois recluse, cloîtrée – enracinée
dans l'humilité et la prière –, et sans cesse en voyage, par tous les chemins d'Europe. Elle sera
puissamment aidée en cela par le frère mineur Henri de Baume et son réseau de relations. C'est
d'ailleurs lui qui accompagne Colette (âgée alors de vingt-cinq ans) à Nice pour rencontrer le
pape avignonnais Benoît XIII, et lui demander de pouvoir revenir à la Règle de Claire d'Assise*,
incluant la pratique de la pauvreté personnelle mais également communautaire. L'essor
prodigieux de l'Ordre des Sœurs Pauvres (ou Pauvres Dames) s'était produit aux dépens d'une
connaissance profonde de l'esprit et de la Règle de Claire. Malgré la reconnaissance pontificale
(1406), Colette ne parvient pas à fonder une communauté réformée à Corbie. C'est seulement en
1410 que la réformatrice et quelques compagnes parviennent à s'installer dans le monastère
urbaniste de Besançon, quasiment vide en réalité. C'est de là pourtant que la réforme colettine va
se diffuser. Ce qui va l'obliger à des voyages incessants et mal commodes à travers des territoires
peu sûrs. Sur une quarantaine d'années, elle va fonder ou réformer dix-sept monastères, dont
Poligny en 1417 (où se trouvent aujourd'hui ses restes, ce qui a permis d'estimer sa taille réelle,
environ un mètre soixante, qui n'est pas, alors, une si petite stature), sans oublier les sept
couvents masculins.
Durant ce temps, Colette, dont il n'est pas certain qu'elle sache écrire, met au point ses
Constitutions, approuvées par le concile de Bâle en 1434. Si Claire d'Assise est la première dans
l'Histoire à écrire une Règle pour des femmes, c'est Colette qui a opéré la première un tel travail
constitutionnel ; elle interprète la Règle de Claire, parfois en la modifiant dans un sens conforme
aussi aux angoisses et aux impératifs du temps. Constitutions qui ne veulent pas simplement
réformer une communauté particulière, opérer une réforme locale, mais infléchir la vie
franciscaine dans son ensemble. Constitutions qui doivent offrir un tissu solide capable de
maintenir partout l'esprit de François d'Assise malgré le désarroi moral et religieux, le schisme
ecclésial et la guerre interminable. Sans doute, les Constitutions manifestent une certaine rigidité,
mais celle-ci est destinée à protéger la vie spirituelle intra muros. N'oublions pas qu'au moment
où naît la réforme capucine, la vénérable Marie-Laurence Longo donne à son couvent de Naples
(1534) non seulement la première Règle de Claire, mais les Constitutions de Colette ! En réalité,
l'élément constitutionnel, c'est tout à la fois une adaptation de la Règle « en fonction des temps,
des lieux et même des personnes » (ce qui suggère qu'elles peuvent évoluer), et un élément de la
durée d'une expérience majeure. Sans oublier le vecteur créatif, le renouvellement des maisons,
la multiplication des fondations et le retour à Claire, même s'il est moins fidèle qu'il ne le croit.
Toujours est-il que, pour Colette, le retour à la Règle de Claire signifie le retour à la très haute
pauvreté et donc à la pauvreté même du Christ. Ce qui affranchit des contraintes de l'emprise du
temps présent, de son éclatement sensible et de la fragilité de ses médiations imaginaires. Le
temps est rythmé par l'office des heures et donc par une parole claire comme la prière, sapant les
bavardages. L'oraison mentale joue un rôle particulier lors des voyages. Certes, sa prière est
doloriste, mais la souffrance (et la pratique des larmes unifiant le corps et l'esprit) est alors un
lieu majeur de l'individuation et de la constitution de soi comme sujet spirituel, ce qui est tout
particulièrement essentiel pour la femme dans l'Église cléricale. Il s'agit en même temps de
recoudre le corps ecclésial et les plaies de la vie civile. Le rôle du merveilleux est similaire : il
sert à l'assimilation et à l'articulation des heurs et malheurs du temps, un accès aux langues et
mœurs étrangères, une incorporation des sédiments inconnus de soi et des rencontres fortuites.
C'est aussi une manière de dire l'intériorité quand on l'ignore, quand elle n'est pas révélée, quand
elle ne prend pas la forme d'un récit psychologique ou d'allure autobiographique. C'est encore
une manière de maintenir le primat des codes (hagiographiques en l'occurrence) sur l'événement
intérieur. Les miracles qu'on attribue à la thaumaturge sont aussi les signes de son autorité
personnelle et sociale, autant que signes de la conversion des bénéficiaires.
La vie merveilleuse que le frère mineur Pierre de Vaux consacre à Colette en son français du
XVe siècle (vers 1447 ; la traduction latine, Vita S. Coletae, date de 1450) donne à première vue
un parcours spirituel qui s'est imposé alors comme paradigme. Après avoir tout enraciné dans
l'humilité (vertu si basale depuis la morale bénédictine ou grégorienne, mais surtout cistercienne,
depuis le XIIe siècle, face à l'orgueil chevaleresque), Pierre passe en revue successivement les
trois vœux de religion : obéissance, pauvreté et chasteté. Ensuite viennent les chapitres sur la
prière, la dévotion envers la Passion, le corps sacramentel, la rudesse de la vie de Colette tout en
se montrant douce pour les autres (peut-être d'ailleurs plus en pratique que dans ses règlements
inquiets), l'esprit de prophétie qui l'habitait, la mise à l'épreuve de cet esprit, sa mort et les
miracles qu'on lui reconnaît de son vivant. Si nous examinons avec plus d'attention certains traits
rapportés, nous remarquons l'interprétation de l'humilité non seulement par la figure de Jean-
Baptiste, mais par celle du serviteur souffrant de Dieu, et l'interprétation chrétienne de cette
figure atypique de l'Ancien Testament. Non seulement comme nom du Christ, mais comme motif
apostolique paulinien : motif de la victime expiatoire, si universellement compris par les peuples
païens. Cette expérience de serviteur de Dieu constitue également ce qui justifie l'obéissance.
Mais les préceptes évangéliques « dès son jeune âge si fortement imprimés dans le cœur » (Vie,
22) comprennent également la célébration des fêtes. L'ordre liturgique doit être respecté, car ce
temps et cet espace dépassent les contingences des saisons et des turbulences de l'Histoire :
« hiver ou été, en n'importe quelle situation, guerre ou paix » (Vie, 27). Enfin, il s'agit bien
d'obéir à une urgence de réformer la vie religieuse. Cela implique des risques importants. Non
seulement parce qu'il faut se déplacer par des routes peu sûres, mais parce que cela peut
provoquer des perturbations psychiques.
La pauvreté transparaît chez l'ambassadrice de Colette envoyée auprès du pape pour lui
expliquer le projet, et qui se met toute nue. La dame invente un symptôme qui correspond à une
situation exceptionnelle. Il faut convaincre une autorité supérieure d'une urgence qui est censée
répondre à une volonté divine : « Dame noble et de bon jugement [...], elle se mettait toute nue »
(Vie, 36). La dénudation publique en cette occasion – même si le pape fait rhabiller la dame
avant de l'interroger – n'est pas reçue comme folie ou comme exhibitionnisme morbide, mais
comme un trouble annonçant un changement d'habit, d'habitude, d'habitat, ainsi durant un
noviciat. Même si cette dénudation est très différente de celle de François d'Assise, le retour au
corps nu est malgré tout le retour à un mode de vie où l'on ne porte rien en propre, à une forme
saisissante, spectaculaire, de la haute pauvreté. Ce qui est intéressant ici, c'est qu'il ne s'agit pas
de Colette elle-même, mais de son ambassadrice. Il reste que c'est tout de même sa porte-parole
choisie. C'est comme si Colette, incapable de par sa timidité profonde, grâce à sa messagère
interposée, parvenait à se dénuder publiquement, un peu comme François devant l'évêque
d'Assise. Cela marque surtout un symptôme trahissant les conflits spirituels, mais encore un acte
d'humiliation et de honte (sans honte, la dénudation serait pathologique, comme chez cette mère
dont l'enfant est tombé gravement malade, suivant la Vie, 90). Cela marque surtout la rupture
avec le père. Non pour accentuer le lien avec le Père céleste comme chez François. Car Colette
ne voit pas vraiment Dieu sous l'image du père. Il s'agit pour elle avant tout du fils comme Christ
pauvre et souffrant, toujours à l'œuvre dans son corps spirituel. Quand Pierre de Vaux aborde la
question de la pauvreté, ce n'est pas seulement l'occasion de la dire toujours déchaussée, au
contact direct avec la terre et l'eau, et de nommer son refus du feu, son amour de la lumière pure,
sans combustion, mais aussi sa manière de recoudre les chutes d'étoffe : « elle avait près d'une
centaine de ces pièces d'étoffe à son habit lorsqu'elle mourut » (Vie, 50). C'est aussi une manière
de dire le rapiècement de l'Église déchirée, de la France tailladée par la guerre de conquête
anglaise, et de l'Europe éclatée par le schisme ou la montée en puissance des nations. Elle reçut
un jour une tablette d'ivoire représentant la Passion qui y était gravée et qu'elle affectionnait
beaucoup à cause de cela ; elle fut brisée. Mais finalement son confesseur, en l'allant porter à
l'artisan, la retrouve intacte, sans marque de fracture (Vie, 106). De même, lors de l'épisode de la
fiole d'eau brisée : « elle recueillit tranquillement les morceaux » (Vie, 108). Bref, Colette « ne
possédait rien et ne désirait rien posséder ; mais prenait soin de tout [...]. Jamais elle ne douta de
la bonté de Dieu » (Vie, 52).
Venons-en maintenant à la chasteté. Certes, il y a la répugnance de Colette pour le mariage –
ce que lui reprochera un biographe moderne comme Silvère d'Abbeville, dans son Histoire
chronologique de 1619. Mais elle fréquente volontiers les Frères mineurs et exalte la virilité du
conflit spirituel. Toutefois, il est révélateur que Pierre de Vaux se réfère aux deux extrémités de
l'échelle des êtres : aux anges et aux bêtes, avec parfois une contamination du céleste et du
terrestre. Pas n'importe quelles bêtes : il s'agit des bêtes de petite taille, agréables et « propres en
apparence ». Ce qui exclut les limaçons, les fourmis, les mouches et les frelons. Sans parler des
crapauds et des araignées, ces symboles déformants du tissage (Vie, 154). Une fois de plus, il y a
une indécence du petit de taille qu'il faut dépasser, sans doute, mais sans perdre la naïveté de
l'enfance (à la façon de la petite Thérèse de Lisieux*). Toujours est-il que la perception de la
chasteté reste inscrite dans une dimension ontologique et pas seulement morale. Rappelons ce
passage fameux : « La nourriture prise pour soutenir son propre corps sortait d'elle aussi belle et
immaculée qu'elle y était entrée et sans aucune mauvaise odeur » (Vie, 61). Ce qui fait écho à la
« sueur aromatique » de sainte Marie d'Oignies* en prière, pionnière de la nouvelle sainteté.
Autre touche ontologique de la chasteté : la valorisation de l'être en tant qu'être, de ce qui n'est
pas fait de main d'homme, n'est pas un produit, une manufacture. La lumière (pas le feu), l'air
pur, l'eau intacte, la terre en jachère où tout pousse spontanément (sponte sua) et se redistribue,
comme une terre jubilaire qui n'appartient à personne. Le corps chaste lui-même, c'est comme
l'éther et les astres du ciel ou le temple de Jérusalem excédant l'architecture et l'ouvrage des
artisans. Tel un corps de femme, il ne peut être le produit d'une manipulation. D'où l'exaltation
très révélatrice d'un anneau d'or « nullement façonné par des mains humaines » (Vie, 66). Cette
perception est si forte qu'elle influe même sur l'herméneutique des Écritures et de l'Histoire, et la
préférence ouverte pour la tradition critique (prophétique) contre la tradition patriarcale
(polygame), en faveur du Nouveau Testament, johannique en particulier. Elle marque « son
estime et son respect remarquables pour les périodes de l'Histoire et les états de vie en lesquels
ces vertus ont été maintenues et observées » (Vie, 63). Quant à l'exercice de la prière,
remarquons ici qu'il est ordinairement vocal et public, sauf précisément en voyage (ou lors du
dernier voyage, transitus), ce qui arrivait assez souvent. L'oraison mentale est la compagne d'une
existence aventurière et mortelle.
Bernard Forthomme
Bibl. : Vie française (la première) : P. DE VAUX, Saincte vie de seur Collette [vers 1447], in
Les Vies de Ste Colette Boylet de Corbie..., écrites par ses contemporains le père P. de Reims, dit
de Vaux, et sœur P. de La Roche et de Baume, Paris-Couvin, U. d'Alençon, 1911. Études :
E. LOPEZ, Culture et sainteté : Colette de Corbie (1381-1447), Saint-Étienne, Université de
Saint-Étienne, 1994 ; « Frère Henry de Baume (ca 1367-1440) : la vie et les écrits d'un
franciscain réformateur », Revue Mabillon, 1994, vol. 5, p. 117-141.
Bibl. : Œuvres : Œuvres spirituelles de Madame de Combes contenant ses sentiments, ses
entretiens, ses dialogues et ses lettres (en deux parties), Paris, P. M. Delaguette, 1778, (la partie
« Sentiments » est en fait une histoire de Mme de Combes écrite par elle-même). Vie : abbé
CARON, Vie de la duchesse de la Vallière et de Perrette Marie de Combes de Morelles,
Limoges, Ardant Frères, 1853.
COURTIER, Victoire, laïque, stigmatisée (Coux, 1807 ou 1811 ?-octobre 1883). — Humble
villageoise ardéchoise, fille de cultivateurs, Victoire travaille à l'adolescence dans une
magnanerie, puis se marie très jeune avec un menuisier, René Clair, dont elle a deux filles ; l'une
mourra en bas âge. Vers 1832, son mari meurt accidentellement sous ses yeux. En réponse à ce
deuil brutal, elle reprend le travail de la soie et s'occupe de sa fille survivante, Victorine. Elle
trouve surtout refuge dans la foi. Quelque temps plus tard, elle est en proie à des désordres
nerveux, à des troubles physiologiques spectaculaires (tumeurs, enflures, douleurs, hémorragies
du bout des doigts puis de la tête). Ces symptômes s'amplifiant finissent par prendre une forme
religieuse reconnaissable, que l'abbé Combes, curé de la paroisse, valide comme tels, avec
l'autorisation de son évêque, Mgr Guibert. Ainsi, quatre ans après son veuvage, elle se met à
présenter des saignements abondants sur la tête et au front, en forme de couronne d'épines. Elle
reçoit ensuite les plaies au côté, aux mains et aux pieds. Le 19 mars 1837, toutes ses plaies
s'ouvrent en même temps. Elle entend une voix lui disant qu'elle porte sur sa chair « les marques
sacrées et sanglantes de la Passion de son sauveur qui la choisissait et l'agréait comme une
victime qui s'était volontairement offerte à souffrir en union avec lui pour l'expiation des crimes
des pécheurs du monde entier ». Devenue victime sacrificielle sur le modèle du Christ, elle est
alors associée à la Passion chaque vendredi et chaque 19 du mois, qui lui est révélé comme la
date de la mort du Christ. Elle garde ces stigmates visibles pour tous jusqu'en 1860 environ. Ils
s'accompagnent d'autres phénomènes spectaculaires : visions de la Vierge, prophéties,
lévitations, phénomènes lumineux, extases au cours desquelles elle tient des discours savants sur
les mystères chrétiens, qui seront recueillis par un témoin en trois cahiers épais et dont un double
sera déposé à l'évêché de Viviers. Elle subit également des vexations des démons, dont sont
témoins les habitants de son village : le diable la traîne par les torrents, lui ôte ses vêtements
qu'elle retrouve à la porte des églises. Elle meurt chez sa fille, dans son village natal.
Malgré le caractère confidentiel de cette figure et sa célébrité surtout locale (le curé Combes
n'ayant jamais favorisé la publicité de son expérience mystique au-delà de son village et des
environs), elle est à rattacher à cette « mystique des humbles » passant nécessairement moins par
l'écriture que par le corps (d'où le caractère spectaculaire des saignements et des extases) et
porteuse d'une « science des saints » supérieure à la science des savants, ainsi des révélations et
prophéties dont elle est, malgré son analphabétisme, dépositaire dans ses extases, sur le principe
de la docta ignorantia mystique. Le docteur Imbert-Gourbeyre l'inscrit parmi les « stigmatisées
contemporaines » et précise : « J'ai entendu parler d'elle par diverses personnes dignes de
créance. »
Antoinette Gimaret
COUSIN, Eugénie, carmélite (Marie-Thérèse du Sacré Cœur, en religion ; Douai, février 1868-
Avignon, janvier 1949). — On peut souligner, à la suite de Jacques Maître, la nature assez
topique de la trajectoire d'Eugénie Cousin, depuis son éducation religieuse jusqu'à son entrée au
carmel, dont elle devient une grande figure à la fois contemplative et intellectuelle. Fille
d'universitaires catholiques, elle a très tôt la certitude de sa vocation : elle entre au carmel de
Pontoise dès octobre 1890. Appréciée pour son équilibre et son énergie par sa prieure, venue du
carmel avignonnais, elle obtient en 1898 la charge du noviciat, puis devient prieure de 1904 à
1910. La Première Guerre mondiale survenant, elle quitte Pontoise pour le carmel d'Avignon et
devient prieure en 1929, alternant ensuite les deux fonctions de maîtresse des novices et de
prieure, jusqu'à sa mort.
À ce titre, elle œuvre beaucoup après-guerre pour la renaissance de l'Ordre des Carmes en
France, soutenant les vocations par ses prières mais favorisant aussi un renouveau théologique et
spirituel en entretenant des relations avec le Collège angélique de Rome ou en apportant son
soutien à Jérôme de la Mère de Dieu, alors soucieux de mettre en lumière le « vrai esprit du
Carmel ». Son sens théologique très sûr et sa formation intellectuelle solide assurent à cette
carmélite déchaussée une influence spirituelle forte dans les milieux intellectuels chrétiens de la
première moitié du XXe siècle, malgré sa volonté d'être « toute petite pour rendre gloire ».
Elle a publié, seule ou en collaboration mais toujours anonymement, un certain nombre de
brochures sur la spiritualité carmélitaine, parmi lesquels La Doctrine de sainte Thérèse (1922),
Les Rapports de la contemplation et de l'action (1927) et Le Témoignage d'une carmélite (1944).
Ses Vœux de religion, publiés de façon posthume (1955), passent pour être son « testament
spirituel ». Elle y insiste sur la valeur de l'engagement religieux, « noces » spirituelles où la
carmélite devient la « pauvre petite épouse » du Christ (p. 45) et qui implique un don complet de
l'Épouse à l'Époux. Cette mystique nuptiale s'accompagne d'une spiritualité du renoncement et du
sacrifice, dans laquelle il importe d'être « trouvée pauvre, être trouvée en Jésus-Christ ». Choisir
de devenir religieuse, c'est donc choisir « la vie chrétienne parfaite » et accepter d'être à son tour
victime, sur le modèle du Christ : « L'amour qui nous convient à nous c'est celui qui répond à
notre état d'Hostie [...] à l'état de victime immolée » (p. 48). Ce choix de vie n'implique pas un
goût pour l'extraordinaire ou la mortification spectaculaire : l'observance stricte de la Règle suffit
à assurer ce « secret martyre » du cœur que désire la carmélite. Elle précise encore : « Voilà la
richesse du contemplatif : ne s'appuyer sur rien de ce qu'il comprend ; sur rien de ce qu'il a acquis
par ses efforts [...]. Ce n'est pas parce que notre apostolat est caché qu'il doit être moins
généreux » (p. 111-112).
Antoinette Gimaret
Bibl. : Œuvre : Les Vœux de religion, exhortations de Mère Marie-Thérèse du Sacré Cœur,
Bagnères de Bigores, Les Éditions pyrénéennes, 1955. Études : J. MAÎTRE, Mystique et
féminité, essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf, 1997, p. 390 ; notice du Carmel
d'Avignon, dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. X, 1980, col. 594.
Bibl. : Vie : K. PORNBACHER, Crescencia Höss begegnen, Augsbourg, Sankt Ulrich Verlag,
2001. Études : F. BOESPFLUG, Dieu dans l'art. « Sollitudini Nostrae » de Benoît XIV (1745), et
l'affaire Crescence de Kaufbeuren, Paris, Cerf, 1984 ; R. GLAESER, Die selische Crescencia
von Kaufbeuren. Leben, Worte, Schriften und Lehre, Dissertation, St. Ottilien, 1984.
Bibl. : Études : L. KERBIRIOU, Les Missions bretonnes. Histoire de leurs origines mystiques,
Brest, 1933 ; J. MAUNOIR, Histoire de Catherine Daniélou, morte en odeur de sainteté et
inhumée dans l'église de Saint-Guen, au diocèse de Saint-Brieuc, Saint-Brieuc, R. Prud'homme,
1913.
DANZÉ, Marie, bénédictine (Marie du Christ Roi, en religion, dite « sœur Olive » ; Plogoff,
1906-1968). — Née dans un village du Finistère, Marie grandit entre un père marin pécheur et
une mère inculte mais très pieuse. Son amour pour Jésus se développe familièrement dans son
enfance et son adolescence, le Christ enfant étant son compagnon de jeu. À sa première
communion, elle entend une voix dans le tabernacle lui disant : « Tu seras religieuse, quitte tout
et pars. » Elle sait dès lors qu'elle deviendra « une petite épouse de Jésus-Christ ». Une
apparition de la Vierge lui communique vers 1920 l'adresse des Bénédictines du Saint-Sacrement
à Paris, rue Tournefort. Elle s'y rend en août 1926. Elle a tout juste vingt ans. La Vierge lui a
donné une mission : « Tu seras réparatrice des outrages faits à mon fils qui est roi. [...] Tu feras
aimer sa royauté et tu le feras régner. » Trois mois après son arrivée au couvent, des signes
extérieurs indiquent son élection : le Christ lui offre la couronne d'épines en janvier 1927, elle
reçoit deux mois plus tard les stigmates, annoncés dès novembre 1926 (« Bientôt tu recevras mes
stigmates mais je couvrirai le dessus de tes mains par des gants, l'intérieur ne sera visible qu'à tes
supérieures »), elle a les visites quotidiennes du Christ enfant, subit les vexations du démon et
acquiert le don de discernement. Elle travaille à l'œuvre qui lui a été commandée : que toutes les
nations reconnaissent le Christ comme roi, mission qui doit passer par l'érection d'une basilique
faisant pendant au Sacré-Cœur (« Il ne voulait pas que ses fidèles réparatrices quittent ce lieu
béni où il voulait élever un trône sous le symbole d'un temple consacré à son vocable “Christ roi,
prince de la paix, maître des nations” »). Elle prend l'habit en juin 1928 sous le nom de Marie du
Christ Roi et fait ses vœux temporaires en juin 1929. Mais, envoyée dans d'autres monastères, à
Rouen et à Caen, pour parler de sa mission, elle est mal reçue, suscite mensonges et calomnies,
qui sont exploités ensuite par les ecclésiastiques parisiens opposés au projet de basilique. Ils
dénoncent ses « prétendues visions » et exigent son renvoi. De 1929 à 1934, elle va de couvent
en couvent puis, de retour au Quartier latin, travaille à la construction, sur le terrain du monastère
des Bénédictines, d'un sanctuaire du Christ roi, inauguré en octobre 1940 et consacré en 1956
(l'édifice sera détruit en 1977). Toujours critiquée par les autorités épiscopales, elle est à nouveau
éloignée, sous prétexte d'un décret papal, vers octobre 1941. Elle quitte sa communauté, erre
dans différents couvents, part en Irlande. Reçue par le pape Pie XII en 1953, elle reçoit la
permission de prononcer ses vœux définitifs mais pas de réintégrer son monastère. Avec deux de
ses sœurs, elle regagne en 1958 son village natal, où elle passe ses dix dernières années. Après sa
mort on lui attribue des guérisons miraculeuses.
Elle incarne, comme Bernadette Soubirous* ou Thérèse de Lisieux*, la voie de l'enfance
spirituelle, confirmée par le Christ dans une vision de septembre 1927 : « Tu es reine, tu es
sainte, tu es oblate enfantine, tu ne dois pas grandir ni en taille ni en âge ni en costume »
(Bourcier, p. 132). S'ajoute à cette mystique d'enfance une réelle spiritualité du sacrifice, par
laquelle elle accepte de devenir « Hostie », se désignant comme « la petite victime d'amour » du
Christ et s'abandonnant à sa volonté, comme en atteste sa stigmatisation (« Tes petites mains
auront les mêmes marques que moi. Mais ta petite croix sera à ta taille »). Ses admirateurs (ainsi
le père Jacq, qui a découvert ses écrits en 1987) insistent par ailleurs sur la dimension
messianique de son message, que certains (par exemple l'Action française) ont pu exploiter
politiquement, son culte du Christ roi englobant aussi la restauration de la royauté en France, en
la personne d'« Henri V de la Croix ».
Antoinette Gimaret
DATTAS, Lydie, écrivain, poétesse (Paris, 1949). — Lydie Dattas naît à Paris dans une famille
d'artistes. Inapte à s'intégrer dans les cadres scolaires, elle appartient à la catégorie des grandes
intuitives, cherchant, dès ses treize ans, sa propre voie dans la poésie. Son père, Jean,
compositeur, est organiste titulaire de l'orgue de chœur de Notre-Dame. Sa mère, Paulette, est
actrice de théâtre. L'enfance pauvre se passe à Fontenay-sous-Bois. En 1955, la famille émigre
en Angleterre. Marquée à quatre ans par le conte Neigeblanche et Roserouge des frères Grimm,
Lydie Dattas n'aura de cesse de tenter de maintenir dans sa vie un équilibre entre le charnel et le
spirituel. Passionnée dès l'enfance par les livres comme par les fauves, en proie à ces archétypes
contraires, la jeune Lydie Dattas ambitionne de les marier. À dix-huit ans elle écrit un recueil de
poèmes, Noone (1970), qui sera remarqué par Antoine Gallimard et publié deux ans plus tard au
Mercure de France. La lecture des récits de Jean Grosjean lui révèle un mode de pensée inchangé
depuis Abraham, où la valeur suprême est la vie. Elle trouve dans ses livres une pensée de la
rencontre et de la personne répondant à sa propre quête. À vingt ans, son mariage avec le
dompteur Alexandre Bouglione est aussi celui de la pensée et de l'instinct. À vingt-sept ans, elle
écrit La Nuit spirituelle (1994), qui sera saluée comme une Saison en enfer féminine. Cette
illumination, sorte « d'envers de la pensée », est saluée par Jean Grosjean, Jean Genet et Ernst
Jünger. Ce dernier notera dans son journal que Lydie Dattas s'inscrit dans la lignée de Novalis.
Cette prose visionnaire dégage l'émergence d'un royaume spirituel ténébreux, aussi éloigné de la
millénaire soumission féminine que d'un féminisme viril. La maison d'édition Arfuyen
accompagne chacune de ses avancées. Avec le Livre des anges (2003), une pluie « d'alexandrins
babyloniens » où s'élaborent les éléments d'une mystique de la vie concrète tombe sur l'âme du
lecteur. Issu d'une connaissance intime du fond rouge et blanc de la vie, ce livre réalise en esprit
l'union de la chair et du souffle. Avec son mari, elle rêve de créer un cirque qui serait un lieu de
vie sauvage et de pensée vitale rappelant l'époque biblique. Après vingt ans de vie commune,
Lydie Dattas divorce d'Alexandre Bouglione au moment même où ils viennent de créer ensemble
le Cirque Romanès. Dans son autobiographie spirituelle, La Foudre (2011), vie des sens et
pensée ne font désormais plus qu'un. Le royaume de la nuit annoncé dans La Nuit spirituelle
apparaît à l'horizon comme un continent féminin inexploré, à partir de quoi une autre aventure
spirituelle serait possible.
Christian Bobin
Bibl. : Œuvres : Noone, Paris, Mercure de France, 1970 ; La Nuit spirituelle, Paris, Arfuyen,
1994 ; L'Expérience de bonté, Paris, Arfuyen, 1999 ; Le Livre des anges, Paris, Gallimard, 2003 ;
La Chaste Vie de Jean Genet, Paris, Gallimard, 2006 ; La Foudre, Paris, Mercure de France,
2011.
Bibl. : Vie : J.-B. DE LA BARRE S.J., La Vie de la vénérable mère Marie-Agnès Dauvaine,
l'une des premières fondatrices du monastère de l'Annonciade céleste de Paris, recueillie sur les
Mémoires des religieuses du même monastère et composée par un père de la Compagnie de
Jésus, ami de l'ordre, Paris, E. Michallet, 1675. Étude : M.-É. HENNEAU, « Marie Dauvaine »,
Dictionnaire des femmes de l'ancienne France, éd. Siefar [en ligne] :
http://www.siefar.org/dictionnaire/fr/Marie_Dauvaine
Bibl. : Œuvres : Initiations lamaïques. Des théories, des pratiques, des hommes, Paris, Adyar,
1930 (rééd. 1999) ; La Connaissance transcendante d'après le texte et les commentaires tibétains
(écrit avec lama Yongden), Paris, Adyar, 1958 ; Le Bouddhisme du Bouddha, ses doctrines, ses
méthodes et ses développements mahâyânistes et tantriques au Tibet, Paris, Plon, 1960 (rééd.
Paris, Éditions du Rocher, 1977 et 1989). Biographies : J. BROSSE, Alexandra David-Néel,
aventure et spiritualité, Paris, Albin Michel, 1978 (éd. revue en 1991) ; J. DÉSIRÉ-
MARCHAND, Les Itinéraires d'Alexandra David-Néel, l'espace géographique d'une recherche
intérieure, Paris, Arthaud, 1996. Étude : G. JAMES, « La quête mystique d'Alexandra David-
Néel (1868-1969) : bouddhiste pratiquante et militante », in De l'écriture mystique au féminin,
Québec, L'Harmattan/Les Presses de l'Université Laval, 2005.
Bibl. : Œuvre : Ofudesaki. The Holy Scriptures of Oomoto, trad. I. P. Hino, Kameoka, Kyōto-fu,
Ten'onkyô, 1974. Étude : E. G. OOMS, Women and Millenarian Protest in Meiji Japan :
Deguchi Nao end Ômotokyô, New York, Cornell University, 1993.
Bibl. : Œuvres : Ville marxiste, terre de mission, Paris, Cerf, 1957, réédit., Paris, Desclée de
Brouwer, 1995 ; Nous autres gens des rues, Paris, Seuil, 1966 ; La Joie de croire, Paris, Seuil,
1968 ; Communautés selon l'Évangile, Paris, Seuil, 1973. Études : C. de BOISMARMIN,
Madeleine Delbrêl. Rues des villes, chemins de Dieu, Paris, Nouvelle Cité, 1985. (Les Éditions
Nouvelle Cité ont entrepris la publication intégrale des Œuvres complètes de Madeleine Delbrêl.)
Bibl. : Œuvre : Pensées (10 fascicules), Pont-Viau (Québec, Canada), Archives MIC, coll.
« D'un pôle à l'autre », 1967-1988. Étude : Y. RAGUIN, Au-delà de son rêve, Délia Tétreault
(biographie), Montréal, Fides, 1991.
Bibl. : Vie et études : A. VAUCHEZ, « Aux origines de la fama sanctitatis d'Elzéar (†1323) et
Delphine de Sabran (†1360), le mariage virginal », in Le Peuple des saints. Croyances et
dévotions en Provence et Comtat Venaissin des origines à la fin du Moyen Âge, Paris, Éditions
de l'Académie du Vaucluse et CNRS, 1987 ; « Deux laïcs en quête de perfection : Elzéar de
Sabran (†1323) et Delphine de Puimichel (†1360) » et « Elzéar et Delphine ou le mariage
virginal », in Les Laïcs au Moyen Âge, pratiques et expériences religieuses, Paris, Cerf, 1987,
p. 83-92 et 211-224.
DHUODA D'AQUITAINE, laïque (?, v. 803-Uzès, ?). — Auteur d'un traité d'éducation destiné
à son fils aîné. On hésiterait à mettre Dhuoda au rang des mystiques si, hors de tout charisme ou
expérience exceptionnels, son Liber manualis (841-843) ne témoignait d'une vie intérieure
intense et charpentée, à la ferveur maintenue en dépit des épreuves qui accableront cette
princesse de Septimanie (l'actuel Languedoc). Ouvrage unique dans la production médiévale
puisque rédigé par une femme, de plus laïque. Composées à l'usage de son fils Guillaume (826-
849) qui lui a été brutalement arraché, ces pages ne dévoileront rien de ses états intimes – sa
peine, sa révolte, son angoisse, sa frustration –, tant l'écriture est à cette époque codifiée par les
règles de la rhétorique littéraire. Ce viatique qu'elle lui remet à la veille de ses seize ans, âge où il
va porter les armes et assumer la responsabilité du commandement, se fait cependant l'écho de sa
propre pratique spirituelle qui, ainsi transmise, pourrait constituer le lien fragile et pathétique
entre cette mère abandonnée et ce fils éloigné, et cela même au-delà de la mort.
L'essentiel de la vie de Dhuoda se déroule entre 823 et 843, deux décennies troublées par les
rivalités des fils de Louis le Pieux quant au partage de l'Empire carolingien que ce dernier avait
cru pouvoir régler par l'Ordo imperii. Dhuoda est née probablement vers 803, dans une famille
aristocratique de la partie septentrionale du royaume franc ; à l'évidence, sa langue maternelle est
germanique, mais elle a pu être éduquée dans la Francie méridionale. Elle fait un grand mariage
le 26 juin 824 en épousant, au palais d'Aix-la-Chapelle, Bernard de Septimanie, fils de
Guillaume, connu comme saint Guillaume de Gellone (†812), et aussi héros de la littérature
courtoise. Le drame éclate quand Louis le Pieux donne la province de Septimanie à son fils
Charles, qu'il aura eu de sa nouvelle épouse, Judith. Bernard devient-il l'amant de Judith, comme
l'insinue la rumeur ? En tout cas, il exile sa femme à Uzès, où il revient en 840 : lui naîtra en
mars de l'année suivante un second fils, prénommé Bernard lui aussi. Trois mois plus tard, allié à
Lothaire, il est défait par Charles et Louis le Germanique, à la bataille de Fontenay. Il est alors
contraint d'envoyer en otage son aîné, Guillaume. Sans illusion sur le sort de ce dernier, il
réclame à Dhuoda le tout jeune fils qui n'est pas encore baptisé. C'est donc affligée par cette
répudiation tacite et la perte successive de ses deux fils que Dhuoda rédige, entre le 30 novembre
842 et le 2 février 843, ce Liber manualis, ouvrage d'une quasi-autoconsolation à la manière de
Boèce. L'histoire ne sera guère clémente : Bernard sera condamné à mort pour trahison, en 844,
peine commuée en aveuglement auquel il ne survivra pas ; et Guillaume, qui se révolte avec la
noblesse d'Aquitaine, sera lui aussi exécuté quatre ans plus tard, à vingt-deux ans.
Dhuoda est une femme de grande culture, particulièrement passionnée par la symbolique des
nombres, qui propose une herméneutique sacrée du monde et de l'Histoire. Elle connaît la Bible
qui lui est familière, avant tout les psaumes, les Pères de l'Église (en priorité Augustin, Grégoire
le Grand, Isidore et Alcuin) et la littérature antique (même Ovide, étonnamment). Avec une rare
habileté pédagogique, elle présente ce qui pourrait être un pensum de moralité comme un jeu,
acrostiches à l'appui, susceptible de retentir l'attention d'un fils sans doute peu enclin à l'étude.
Ainsi dessine-t-elle l'armature d'une vie chrétienne réussie et vertueuse – reflet testamentaire de
ses propres pratiques et préoccupations – une architecture reposant sur le principe binaire et
visant deux objectifs : servir le monde et plaire à Dieu, l'Amant véritable et non déceptif, que l'on
retrouve grâce à la méditation et à l'introspection. Une religion de la paternité et une éthique de
la fidélité s'articulent autour de la nécessaire réciprocité d'amitié, qui se développera dans le
comitatus, cette solidarité guerrière qui favorise la générosité du don (dans l'échange des
cadeaux) et la pietas, ce souci des faibles et des pauvres (ceux qui ne sont pas armés) : c'est une
éthique acceptable, préparant l'éthique chevaleresque qui animera la féodalité au XIIe siècle.
Cette morale croise à la fois le plan terrestre et le plan céleste, et l'âme comme le corps y
trouvent bénéfice. Car il y a deux naissances (naturelle et surnaturelle, baptismale) comme il y a
deux morts, du corps (inévitable) et de l'âme (à laquelle échappera une vie chrétienne assidue).
Sans obsession, la mort demeure à l'horizon d'une existence : vivre, agir, prier constituent un ars
moriendi qui prépare à ce mourir, attendu comme triomphe et récompense. On notera
l'importance de la prière pour les défunts (pour elle-même d'abord, qui se recommande à son fils)
entendue comme un service de charité pour autrui.
François Marxer
Bibl. : Œuvre : Manuel pour mon fils, édition critique et annotée par P. Riché, Paris, Cerf, 1997.
Bibl. : Bibliotheca hagiographica latina 2157. Sources : G. MELLONI, Atti o memorie degli
uomini illustri in santità nati o morti in Bologna, Bologne, 1773, t. 1, p. 363-388 ; JOURDAIN
DE SAXE, Lettres à Diane d'Andalò, trad. et notes par M. Aron, Paris, Cerf, 2007. Études : H.-
M. CORMIER, La Bienheureuse Diane d'Andalo et les bienheureuses Cécile et Aimée, Rome,
1892 ; M. C. DE GANAY, Les Bienheureuses dominicaines, Paris, Perrin, 1913 ; A. DUVAL,
« Diane d'Andalo », in Dictionnaire de spiritualité, t. III, Paris, Beauchesne, 1957, col. 853-855 ;
M. SCHMIDT, « The Importance of Christ in the Correspondence Between Jordan of Saxony
and Diana d'Andalo, and in the Writings of Mechthild of Magdeburg », in K. Emery,
J. Wawrykow (éd.), Christ Among the Medieval Dominicans..., Notre Dame (Indiana),
University of Notre Dame Press, 1998.
Bibl. : Œuvres : Poésies complètes, trad. F. Delphy, Paris, Flammarion, 2009 ; Une âme en
incandescence, trad. C. Malroux, Paris, Corti, 1998 ; Le paradis est au choix, trad. P. Reumaux,
Rouen, Librairie Brunet, 1998.
Bibl. : Études : A. RAYEZ, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. III,
1957, col. 1513 ; D. E. MISSEREY, Sous le signe de l'hostie. La Mère M.-M. Doëns, moniale
bénédictine, Paris, Desclée de Brouwer et Cie, 1934.
DORIZY (DE VERZET), Marie, laïque (Frignicourt, 1639-Verzet ?, 1679). — Née près de
Vitry-le-François (Marne), Marie Dorizy habita la ferme de Verzet, dans la paroisse de Reims-la-
Brûlée. Elle grandit dans une famille paysanne et s'occupa des affaires de la ferme, vendant ses
produits et se livrant aux travaux des champs. Sans directeur de conscience connu, elle aurait été
instruite directement par les instances divines, selon le jeune prêtre anonyme qui rédigea les
seules notes attestant de son existence.
Malgré les sollicitations du monde puis l'altération de sa santé, Marie Dorizy mena une vie
d'une grande piété, comme l'attestent sa vie sainte et l'abondance de ses grâces. Fréquemment
visitée par le Saint-Esprit, elle acquiert la connaissance du Cantique des cantiques, dont elle dit
des merveilles surprenantes. « Son âme attentive à Dieu ne la quittait pas de vue » (« Une
mystique en pays perthois... », p. 206) et il lui arrivait d'accomplir son travail domestique « sans
savoir ce qu'elle faisait ». L'ardeur de son amour pour Dieu provoque des extases dont certaines
font songer à celles de saint Jean de la Croix : « Après le ravissement, une boule de feu restante
dans son âme exténuait les forces presque manquantes de son corps malade » (ibid., p. 219). Elle
bénéficie régulièrement de l'apparition du Christ, même dans l'Eucharistie, « avec tout l'éclat de
sa divine Majesté » (ibid., p. 218) et est également « honorée de la présence des anges dans ses
oraisons ». Si elle a à déjouer quelques artifices du diable, il est dit qu'elle possède le
discernement des esprits. « Toujours élevée à Dieu et toujours abaissée [...] pour son prochain »
(ibid., p. 213), elle témoigne d'une expérience mystique dans le cadre de vie le plus commun.
Audrey Fella
Bibl. : Études : P. VIARD, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. III,
1957, col. 1645-1646 ; E. JOVY, « Une mystique en pays perthois au XVIIe siècle, Marie
Dorizy de Verzet, 1639-1679 », Société des sciences et arts de Vitry-le-François, t. 28, 1909,
p. 198-228 (publié en 1914 par E. Jovy, Vitry-le-François).
Bibl. : Vie : J. von MARIENWERDER, The Life of Dorothea von Montau. A Fourteenth-
Century Recluse, trad. Ute Stagardt, New York, E. Mellen, 1997. Études : C. HESS, Heilige
machen im Spätmittelalt. Ostseeraum. Die Kanonisazionprozesse von Birgitta von Sweden... u.
Dorothea von Montau, Berlin, Akademie Verlag, 2008 ; M. M. SAUER, Anchoritism and
Authority : Self-Signification in Dorothea von Montau's Vernacular Hagiography, in Anchoritic
Spirituality : Texts and Contexts, S. M. Chewning (éd.), à paraître, Turnhout, Brepols. Roman :
G. GRASS, Le Turbot, trad. Jean Amsler, Paris, Seuil, 1979, rééd. 1997.
Bibl. : Vies : La Vie de sainte Douceline, fondatrice des béguines de Marseille, composée au
XIIIe siècle en langue provençale, publiée pour la première fois avec la traduction en français et
une introduction critique et historique, par J. H. Albanès, Marseille, 1879 ; La Vie de sainte
Douceline, texte provençal du XIVe siècle, trad. et notes de R. Gout, Paris, 1927 (corrige
certaines erreurs de l'édition antérieure). Études : A. SISTO, « Ritorno a Hyères. Consigli alla
sorella. Fondazione del beguinage. Spiritualità di Douceline », in Figure del primo
francescanesimo in Provenza, Ugo e Douceline di Digne, Florence, Olschki, 1971, p. 31-47 ;
C. CAROZZI, Une béguine joachimite : Douceline, sœur d'Hugues de Digne, in Franciscains
d'Oc, les Spirituels (v. 1280-1324), Cahiers de Fanjeaux (10), Fanjeaux, Privat, 1975, p. 169-201.
Bibl. : Œuvres : certaines notes de retraite ont été publiées sous le titre Sept retraites de la mère
Élisabeth de la Croix (retraites de 1869, 1875, 1878, 1880, 1883), Besançon, Imprimerie de l'Est,
Paris, Lethielleux, 1929. Son journal (1878) et sa correspondance sont restés manuscrits. Vie :
R. P. MARIE JOSEPH DE SACRÉ CŒUR, Le Père Doussot dominicain et la Mère Élisabeth
Carmélite sa sœur, Paris, Plon-Nourrit, 1911. Études : H. BREMOND, Histoire littéraire du
sentiment religieux (1916), rééd. Grenoble, Jérôme Millon, 2006, VI, 204-205 ; notice par le
carmel de Fontainebleau dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. IV, 1960-
1961, col 578-580 ; J. MAÎTRE, Mystique et féminité, essai de psychanalyse sociohistorique,
Paris, Cerf, 1997.
Bibl. : Œuvres : Ma vie, Paris, Gallimard, 1999 ; Isadora Speaks : Uncollected Writings and
Speeches of Isadora Duncan (avec F. Rosemont) San Francisco, City Lights Books, 1981.
Études : C. CAFFIN, « Henri Matisse and Isadora Duncan », Camera Work, janvier, 1909,
p. 17-20 ; T. KINNEY, M. WEST, The Dance and its Place in Art, New York, Frederick Stokes,
1914 ; J. L. ROSEMAN, Dance was her Religion : The Spiritual Choreography of Isadora
Duncan, Ruth St. Denis and Martha Graham, Prescott, Arizona, Hohm Press, 2004.
Bibl. : Œuvres : Lettres, Paris, Cerf, 1940 ; Cahiers 1915-1919, 1919-1921, 1921-1931, Paris,
Cerf, 1944-1945. Études : M. DUPOUEY, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris,
Beauchesne, t. IV, 1960-1961, col. 1834-1835 ; P. DUPOUEY, Lettres et essais, préface
d'A. Gide et introduction de H. Ghéon, Paris, Cerf, 1935 ; A. WALCH et S. BEAUVALET, « Le
veuvage : une expérience de spiritualité conjugale. Trois témoignages de veuves catholiques
(1832-1936) », Histoire, économie et société, vol. 14, Paris, 1995.
DYMPNA, sainte (Irlande, VIIe s.). — Le drame qui se noue autour de la résolution de Dympna
de maintenir sa conviction chrétienne au milieu d'un paganisme encore majoritaire est des plus
simples. Dympna est la fille d'un roi irlandais, inconsolable de la mort de son épouse qui était
d'une beauté incomparable. Toutes les recherches pour lui trouver une jeune fille digne de
succéder à la défunte ayant échoué, il s'avisa alors d'épouser sa propre fille, dont la ressemblance
avec feue sa mère était frappante. Dympna, d'abord, refusa, puis rusa et finit par s'enfuir avec la
complicité d'un prêtre, Gerebernus. Les fugitifs franchirent la mer pour aborder aux rivages de la
côte flamande, non loin d'Anvers. Ils trouvèrent à Geel une chapelle dédiée à saint Martin et
décidèrent de s'y établir pour y mener une vie de prière et de pauvreté (à rebours de l'opulence
qui sied à tout lignage royal), offrant l'hospitalité aux voyageurs. Ne se résignant pas à la
disparition de sa fille, le roi lui aussi traversa la mer, et ses efforts furent récompensés quand ses
émissaires trouvèrent dans une auberge des pièces de monnaie semblables à celles en usage dans
leur royaume irlandais : ainsi l'argent, loin de protéger, trahit, en déroulant un fil d'Ariane :
inversion de la stratégie du Petit Poucet, en quelque sorte. Retrouvée, Dympna resta inflexible,
au point que le roi, ivre de fureur, tua sa propre fille, laquelle rejoignit ainsi, dans la gloire du
martyre, Gerebernus qui, tel un prophète biblique, avait tenté de raisonner la folie royale – ce
motif du martyre, absent de la version primitive irlandaise, est défendu par la version latine du
XIIIe siècle. La suite du récit s'enrichit de miracles posthumes, qui sont autant d'authentifications
de l'exceptionnelle personnalité de Dympna en sa pureté virginale : cette intégrité inviolée garde
sa puissance vitale générative, source de miracles, en même temps qu'une telle chasteté, si on suit
la pensée de saint Jérôme et de saint Ambroise, n'est pas exempte de portée politique, si elle
préserve l'intégrité de l'État ; alors qu'à l'inverse, la transgression royale et paternelle (à
commencer par l'assassinat du prêtre, équivalent au druide, dans la fonctionnalité irlandaise,
porte atteinte à l'ordre cosmique et politique) et sa colère meurtrière font perdre à ce souverain
toute légitimité aux yeux de l'entourage et discréditent son autorité.
Si part de légende il y a dans ce récit, celui-ci n'en illustre pas moins, aux temps mérovingiens,
les grands enjeux d'un christianisme au féminin, dans la foulée des Vitae des martyres fameuses
de l'Antiquité chrétienne. Ainsi, l'alternative se dessine entre une droiture morale chrétienne
(accordée aux fondamentaux de la moralité humaine : l'interdit de l'inceste) et la perversion
brutale d'un paganisme meurtrier. Mais de plus, la fuite de Dympna avec l'assentiment de l'Église
étant délivrance d'une aliénation menaçante, on peut lire le récit comme faisant allusion à ce
moment décisif de l'histoire irlandaise qui voit la libération du servage (discrètement rapportée,
dès l'introduction, aux prophéties bibliques, à la Résurrection et à l'Ascension du Christ). La folie
qui affecte le roi, le chef de nation, n'est-elle pas le symptôme des bouleversements qui
déstabilisent le corps de cette même nation, quand s'y introduit le christianisme ? En effet, le
refus opposé au désir (de surcroît criminel) du père s'inscrit dans la logique évangélique de la
rupture (soit monastique, soit ascétique) des liens familiaux, arrachement à sa propre généalogie
pour constituer une autre parenté (spirituelle et libre, ici avec Gerebernus). Cette rupture a ici
vocation apostolique : cette traversée de la mer (qui rappelle le voyage de saint Brendan, dont
Coleridge et Poe recueilleront l'écho tardif) évoque les périples d'évangélisation des moines
irlandais des VIe et VIIe siècles, Colomban entre autres, et leurs fondations continentales
(Jouarre, Luxeuil, Saint-Gall, Bobbio). C'est d'ailleurs sous le patronage de saint Martin, figure
de l'évangélisateur par excellence, que Dympna fonde son ermitage ouvert à l'hospitalité, offerte
hors de toute détermination familiale, sociale ou politique, puisqu'elle ne prend en considération
que l'être de celui qui se voit accueilli, sans préoccupation de ses appartenances. C'est dans ce
lieu, sanctifié par la présence du corps virginal des martyrs, que sera édifié un hôpital en 1286,
voué ensuite, au XVe siècle, au soin des malades mentaux (dont la cure était autant médicinale
que religieuse). Ce qui s'affirme ainsi à travers la figure de Dympna, c'est un christianisme non
de ritualité, mais d'attestation – de la conversion manifestée dans la préservation d'une chasteté
sans compromis et dans l'audace apostolique voyagère – et d'hospitalité. On voit aussi que, dans
sa rédaction tardive, la Vie met en cause l'idée, jusque-là bien reçue, d'une sainteté généalogique,
apanage des lignages princiers ou royaux. Dympna reste à distance d'un père qui est aux
antipodes de la sainteté chrétienne, et, si en elle il y a sainteté, comme l'atteste la reconnaissance
officielle des pèlerinages à son tombeau, cette sainteté est désormais entièrement personnelle. La
problématique de l'inceste royal qui est au cœur du destin de Dympna sera reprise, sous le
costume acceptable du conte merveilleux, dans Peau d'Âne (1694) de Charles Perrault, et aussi,
de façon oblique, dans l'histoire de Grisélidis, racontée par Boccace dans son Décaméron (1349-
1351 ; X, 10), où elle s'intègre dans une stratégie mettant à l'épreuve la vérité et la pureté de
l'amour.
François Marxer
Bibl. : Œuvres : nouvelles, récits de voyage, sont parus dans Les Nouvelles d'Alger, La Dépêche
algérienne, Le Progrès de l'Est, La Revue blanche, Le Petit Journal illustré, La Petite Gironde,
L'Akhbar (édité par V. Barrucand), 1901-1904. Œuvres publiées à titre posthume : Notes de
route, Paris, Fasquelle, 1908 ; Mes Journaliers, Paris, La Connaissance, 1923. Biographie :
C. MACKWORTH, Le Destin d'Isabelle Eberhardt, Oran, Éditions Fouque, 1956. Études :
M. ROCHD, Isabelle Eberhardt, le dernier voyage dans l'ombre chaude de l'Islam, Alger,
ENAL, 1991 ; M. O. DELACOUR et J.-R. HULEU, Le Voyage soufi d'Isabelle Eberhardt, Paris,
Gallimard, 2008.
EDEL ou ODEL ou ADEL, figure spirituelle hassidique, guérisseuse (bat Yisrael ben Eliezer ;
Pologne, v. 1720-v. 1787). — Elle est la seule fille du Besht, Reb. (titre de respect « sieur ») Baal
Shem Tov, de Medziboz, en Ukraine, dont elle épousa l'un des disciples, Yehiel Ashkenazi, et
eut deux fils et une fille, qu'elle éleva en tenant un petit commerce. Elle hérita du charisme de
son père avec lequel elle avait un lien privilégié. Celui-ci lui ayant enseigné ses méthodes
spirituelles de guérison, il l'autorisa à dispenser elle-même des soins aux malades. Elle l'a
accompagné lors de sa tentative de voyage en Israël en 1739-1740 et l'a assisté jusqu'à sa
dernière heure après la mort de son épouse Hannah.
Les récits hassidiques louent sa sagesse et sa droiture et attribuent un sens mystique à son nom,
acrostiche des lettres EDL. En effet le Besht a déclaré que l'âme d'Edel avait été puisée dans le
trésor des âmes les plus pures et que son nom était associé au verset « esh dât lamo », (« une loi
de feu pour eux », Dt XXXIII, 2). Les disciples du Besht pensaient que la Shekhinah (la Présence
de Dieu) se manifestait sur le visage d'Edel et ils l'honoraient comme rebbe. Chacun de ses
enfants a été une personnalité de renom : Reb. Moshe Hayyim Éphraim de Sudzilkov, homme de
lettre et prédicateur, auteur d'un des classiques de la littérature hassidique, Degel Machaneh
Ephraïm (« La bannière du camp d'Éphraïm ») ; Reb. Baruch de Medziboz, qui perpétua avec
une intransigeante fidélité les enseignements du Besht ; Feiga*, connue comme mystique, qui est
la mère du célèbre guide spirituel et conteur Reb. Nahman de Bratzlav, lequel a dit d'Edel que
« tous les tsaddiqim [« maître spirituel »] pensaient qu'elle était habitée par l'inspiration divine et
dotée d'une grande perception ».
Mireille Loubet
Bibl. : Œuvres : Source cachée, Œuvres spirituelles (il s'agit d'une œuvre), Genève, Ad Solem,
Paris, Cerf, 1998 ; Vie d'une famille juive, Paris, Cerf, 2001 ; De la Personne (présenté par Ph.
Secretan), Paris, Cerf, 1992. Études : É. de MIRIBEL, Édith Stein, Paris, Seuil, 1954 ; D.-
M. GOLAY, Devant Dieu pour tous. Vie et message d'Édith Stein, Paris, Cerf, 2009 ;
J. BOUFLET, Édith Stein, philosophe crucifiée, Paris, Presses de la Renaissance, 1997.
Bibl. : Études : S. E. DWIGHT, Life of President Edwards, New York, S. Converse, 1829 ;
G. M. MARSDEN, Jonathan Edwards : A Life, New Haven et Londres, Yale University Press,
2003.
Bibl. : Vie : Sainte Élisabeth de Hongrie, Documents et sources historiques du XIIIe siècle,
Jacqueline Gréal (trad.), Paris, Éditions franciscaines, 2007 (comprend, notamment, le dossier de
canonisation dont les Dicta, et trois biographies, de Césaire d'Heisterbach, de Berthold de
Rheinhaldsbrunn et de Thierry d'Apolda). Études : C. DE MONTALEMBERT, Histoire de
sainte Élisabeth de Hongrie, Paris, Cerf, 2005 ; J. ANCELET-HUSTACHE, Sainte Élisabeth de
Hongrie, Paris, Éditions franciscaines, 1947 ; M. GOODICH, Une enfance sainte, une sainte des
enfants : l'enfance de sainte Élisabeth de Hongrie (1207-1231), in Becchi et Julia, Histoire de
l'enfance en Occident, Paris, Seuil, 1998, t. I, p. 134-159.
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Schwäbische Mystikerin Elsbeth Achler von Reute (†1420) und die Überlieferung ihrer Vita, in
Festschrift für Philipp Strauch, Halle, 1932, p. 96-109. Études : E. BÖMINGHAUS, « Von der
seligen Betha von Reute und von Mystik », Stimmen der Zeit, no 100, 1921, p. 389-395.
Bibl. : Œuvres : Visions, L. Moulinier-Brogi (introd.) J.-P. Troadec (trad.), Paris, Cerf, 2009 ;
Liber trium virorum et trium spiritualium mulierum, Hermae liber unus. Uguetini liber unus.
F. Roberti libri duo. Hildegardis Scivias libri tres. Elizabeth virginis libri sex. Mechtildis virgi.
libri quinque, Paris, Henri Étienne, 1513 ; Revelationes ss. virginum Hildegardis et Elizabethae
Schoenaugiensis ordinis s. Benedicti... una cum variis Elogiis ipsius Ecclesiae et Doctorum
virorum, Cologne, A. Boetzer, 1628 ; Révélations choisies de sainte Élisabeth de Schönau, trad.
par le traducteur (anonyme) des œuvres de Catherine Emmerich, Tournai, H. Casterman, 1864.
Études : J. LECLERCQ, « Sainte Hildegarde et sainte Élisabeth de Schönau », in J. Leclercq et
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Ursule et les Onze mille vierges : un cas d'invention de reliques à Cologne au XIIe siècle »,
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Librairie Poussiègle Frères, 1868. Biographies : L. CONAN, « Elizabeth Seton », La Revue
canadienne, Montréal, 1903 (1re éd.), Cie de publication de La Revue canadienne, 1995
(2e éd.) ; sœur MARIE CÉLESTE, Elizabeth Anne Seton par elle-même 1774-1821, Québec,
Médiapaul, 1996. Études : « Elizabeth Seton, une mère pour la jeune Église américaine », in
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Faith and Courage, New York, Orbis Books, Maryknoll, 1999.
Bibl. : Œuvre : H. SUSO, Œuvres complètes (contient la Vie), prés., trad. et notes de J. Ancelet-
Hustache, Paris, Seuil, 1977. Études : J. ANCELET-HUSTACHE, La Vie mystique d'un
monastère de Dominicaines au Moyen Âge d'après la chronique de Töss, Paris, Perrin, 1928 ;
L. GNÄDINGER, notice dans M.-A. Vannier (dir.), Encyclopédie des mystiques rhénans, Paris,
Cerf, 2011.
Bibl. : Écrits : son autobiographie spirituelle, appelée « Vie intérieure » par l'abbé Picard (voir
infra) et « Relation des grâces » par la publication citée ci-après, et ses lettres ne sont connues
que par les extraits qui y sont donnés ; Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition, Émilie de Vialar,
pensées, Strasbourg, Éditions du Signe, 2006. Vies : abbé L. PICARD, Une vierge française.
Émilie de Vialar..., Paris, Impr. P. Feron-Vrau, 1925 ; chanoine P. TESTAS, La Vie militante de
la bienheureuse mère Émilie de Vialar..., Marseille, Publiroc, 1939 ; P. HOESL, À pleines voiles.
Sainte Émilie de Vialar..., Lyon, Éditions du Chalet, 1963 ; C. MICHELIER, notice dans
Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1960-1961, t. 4, col. 614-616.
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 117.
EPPINGER, Élisabeth, extatique, fondatrice de la Congrégation du Très-Saint-Sauveur
(Alphonse-Marie en religion ; Niederbronn, 9 septembre 1814-31 juillet 1867). — Née dans une
famille paysanne modeste, Élisabeth connut une enfance difficile, tant matériellement (pauvreté,
santé précaire) que spirituellement (aridité, angoisse qui contrebalançaient des instants de grande
émotion, sans doute tribut versé à une très [trop ?] vive sensibilité). Mais la direction et le
discernement de son curé, Jean-David Reichard, l'encourage dans l'approfondissement de sa vie
spirituelle jusqu'au moment où, en 1846, se manifestent des phénomènes extatiques et
visionnaires. Raisonnablement prudent et réservé dans un premier temps, Reichard finira par se
convaincre de la véracité des prophéties et prédictions de sa dirigée, un jugement auquel se
rallieront des professeurs du grand séminaire de Strasbourg et l'évêque, Mgr Raess. C'est à ce
dernier que le curé Reichard communique les transcriptions qu'il effectue de ce que lui dicte
Élisabeth. « L'extatique de Niederbronn » attirait nombre de visiteurs et de curieux, d'autant plus
que, dès 1849, les Lettres de l'extatique de Niederbronn en répandaient l'information dans
l'opinion publique. Ces visions, qui s'inscrivent dans un contexte politique particulièrement
troublé et chaotique – 1847 et 1848 voient l'avènement de deux révolutions, romaine et française
–, pourront étonner le lecteur d'aujourd'hui, qui en oublierait la tension apocalyptique. Les
jugements proférés par Élisabeth sur les événements de son temps – dont elle était réputée ne pas
avoir eu connaissance (?) – n'ont pas toujours échappé à l'illusion : était-elle alors influencée par
son entourage ? Et faut-il déchiffrer en chacune de ces prophéties l'écho exact des situations
délicates que, par exemple, le pape Pie IX aura dû affronter dans sa politique italienne et
européenne ? Rien n'est moins sûr, tant les termes utilisés par Élisabeth ont de portée générale.
De surcroît, lorsque l'erreur était manifeste, on s'empressait de donner une interprétation
accommodatrice des propos erronés. À ce propos, « l'affaire Richemont », comme on l'a appelée,
est révélatrice du climat des esprits : Élisabeth crut bien identifier en un certain baron de
Richemont, le prétendant au trône, le mystérieux Louis XVII, décédé, on le sait, dans la prison
du Temple. Ledit baron présentait, il est vrai, une certaine ressemblance physique avec Louis-
Philippe, déchu et contraint à l'exil. Au vu de l'évidente confusion, certains n'hésitèrent pas à
reporter sur Napoléon III les généreuses prophéties de notre extatique.
Toutefois, dès l'âge de seize ans, Élisabeth avait manifesté un désir prononcé de vie religieuse.
La situation précaire de sa famille lui en interdit la réalisation ; puis ce fut Mgr Raess qui
s'opposa à son entrée chez les Sœurs (enseignantes) de Ribeauvillé. Élisabeth en conclut, en
1848, qu'elle était appelée à fonder une congrégation locale – on aura noté la coïncidence avec
les fièvres révolutionnaires qui secouaient l'Europe d'alors. Cette congrégation, dévouée aux
pauvres et aux malades et dont la devise sera « Dans la personne du malade, elles [les
religieuses] vont servir la personne de Jésus-Christ », se réclame de l'esprit de saint Alphonse de
Liguori et de Thérèse d'Avila* (pour laquelle, semble-t-il, Élisabeth manifesta une grande
prédilection dès ses quatorze ans).
Élisabeth prend l'habit le 10 septembre 1849, sous le nom de Alphonse-Marie, et prononce ses
vœux le 2 janvier suivant. En 1863, Rome donnera son agrément à la congrégation, dite
désormais du Très-Saint-Sauveur, qui sera officiellement reconnue en 1866. En dépit d'une
culture scolaire et académique très parcimonieuse, mère Alphonse-Marie se montrera une femme
d'action et une organisatrice exceptionnelle. Dès sa reconnaissance en effet, la congrégation
naissante doit affronter la sécession des branches autrichienne, bavaroise et hongroise. Malgré
cette amputation, la congrégation connaîtra un essor florissant, qui se poursuivra au-delà de la
mort de sa fondatrice, survenue une semaine exactement après celle du cofondateur, l'abbé
Reichard.
François Marxer
Bibl. : Vie et études : C.-J. BUSSON, Premières Lettres sur l'extatique de Niederbronn et sur
ses révélations, Besançon, Tubergue, 1850 ; L. CRISTIANI, L'Extatique de Niederbronn,
Élisabeth Eppinger ou Mère Alphonse-Marie, fondatrice des Sœurs du Très-Saint-Sauveur,
Paris, Arthème Fayard, 1958.
ESHIN-NI, nonne bouddhiste (Chikuzen ; ?, 1182-?, Echigo ?, 1268 ?). — Épouse de Shinran
(1173-1263), lui-même fondateur de l'École bouddhique véritable de la Terre pure (Jōdo-
Shinshū), Eshin-ni (« la nonne Eshin »), aussi connue sous son nom de jeune fille « Chikuzen »,
était la fille de Miyoshi Tamenori, un petit fonctionnaire de la Cour, qui fut adjoint principal au
département des affaires militaires et préfet de la province d'Echigo (actuelle préfecture de
Niigata, au Japon). La notoriété d'Eshin-ni est tardive, puisqu'elle remonte à la découverte en
1921, au temple Honganji (Kyōto), de documents écrits de sa main, comprenant des extraits de
copie phonétique de sūtra (textes bouddhiques) de la Terre pure et, surtout, dix lettres adressées
à sa fille cadette, Kakushin-ni.
Eshin-ni semble avoir épousé Shinran en 1205, alors que celui-ci était le disciple de Hōnen
(1133-1212), le fondateur de l'École de la Terre pure (Jōdoshū) ; le couple aura trois fils et trois
filles. À l'époque, il n'était pas rare pour des moines bouddhistes japonais d'avoir femme et
enfants. Mais l'union de Shinran avec Eshin-ni se distingue en ce qu'elle fut cautionnée par son
maître Hōnen, comme l'affirmation de la caducité des règles monastiques dans la période du
déclin de la Loi du Buddha, durant les siècles suivant la mort de ce dernier (mappō). En 1207,
tout comme son maître, Shinran fut condamné à l'exil ; il le passa avec femme et enfants dans la
province d'Echigo. Après l'amnistie impériale (1211), la famille s'établit dans les campagnes de
l'est du Japon (Kantō). C'est alors qu'Eshin-ni fit une expérience que l'on peut qualifier de
mystique. Il s'agit d'un rêve dont elle relate les détails dans une lettre adressée à Kakushin-ni peu
après la mort de Shinran. Dans ce rêve, elle vit, notamment, deux peintures de figures
bouddhiques, dont l'une avait le visage représenté par un halo de lumière seulement. Comme elle
s'enquérait de quels personnages il s'agissait, il lui fut répondu que cette image si particulière
représentait Hōnen, et que l'autre était Shinran, les deux apparaissant sous la forme de grands
« bodhisattvas », c'est-à-dire de « presque buddha ». Il lui fut aussi précisé que Hōnen et Shinran
étaient, respectivement, les « corps de transformation » de Seishi, le bodhisattva de la sagesse, et
de Kannon, le bodhisattva de la compassion. Selon les sūtra de la Terre pure, ces deux
bodhisattvas forment une triade avec le Buddha Amida, dont ils sont les principaux assistants.
Amida lui-même n'est que l'un de ces innombrables buddhas qui règnent actuellement dans l'une
ou l'autre des terres pures (jōdo) qui entourent notre univers ; mais il est le plus célèbre d'entre
eux en raison de la facilité de la méthode pour aller naître dans sa Terre pure « Bonheur-
Suprême » (Gokuraku) après la mort, puisqu'il suffit de le commémorer avec foi en prononçant
son nom (nembutsu). Dans sa lettre, Eshin-ni précise qu'elle ne parla de son expérience à
personne, si ce n'est qu'elle rapporta à Shinran la partie du rêve concernant Hōnen ; Shinran lui
fit alors remarquer qu'il ne s'agissait pas de n'importe quel rêve, mais d'un « rêve en réalité ». En
revanche, Eshin-ni se garda de lui parler de l'identification de son époux avec le bodhisattva
Kannon. Mais l'événement bouleversa sa relation avec Shinran, comme elle l'indique encore à sa
fille : « Dans mon cœur seulement, je ne le considérai plus comme un être ordinaire. Et tu dois
en penser de même ! » Le plus remarquable est que Shinran lui-même voyait en Eshin-ni une
manifestation de Kannon, à la suite d'une révélation qu'il avait reçue en rêve en 1203, deux ans
avant leur mariage. Force est de constater que ce couple formait une union d'une profonde
spiritualité, puisque chacun des conjoints considérait l'autre comme l'incarnation bien vivante de
Kannon, le parangon de la compassion.
Dans les années 1230, la famille regagna Kyōto, mais les difficultés du temps – famines,
séismes et incendies à la capitale – contraignirent Eshin-ni à se replier avec quatre de ses enfants
sur les terres de sa famille en Echigo, tandis que le fils aîné, Zenran, et la fille cadette, Kakushin-
ni, restèrent avec leur père à Kyōto. Dans sa correspondance, Eshin-ni rapporte ensuite comment
elle fit face à la mort en commandant sa tombe et en préparant son costume funéraire. Dans sa
dernière lettre, elle donne cette ultime injonction à sa fille : « Quelle pitié ! Si en ce monde une
fois encore, je pouvais te rendre visite, ou toi venir me voir ! Quant à moi, je vais aller
incessamment dans Bonheur-Suprême. Rien n'y est voilé, et comme nous nous y verrons en y
allant, daigne absolument dire le Nembutsu et tu viendras te manifester dans Bonheur-Suprême !
Vraiment, lorsque tu viendras me retrouver dans Bonheur-Suprême, rien ne sera plus voilé ! »
Au sein de l'École véritable de la Terre pure, Eshin-ni laisse aujourd'hui l'image de la
compagne idéale, qui, pendant près de soixante ans, a su accompagner son époux dans sa quête
spirituelle tout en s'accomplissant elle-même.
Jérôme Ducor
Bibl. : Œuvres : J. C. DOBBINS, Letters of the Nun Eshinni, Images of Pure Land Buddhism in
Medieval Japan, Honolulu, University of Hawaii Press, 2004. Vie et études : J. DUCOR,
Shinran, Un réformateur bouddhiste dans le Japon médiéval, Gollion, Infolio Éditions, 2008 ;
Y. OHTANI, The Life of Eshinni, Wife of Shinran Shonin, Kyōto, Jōdo-Shinshū Honganjiha
Bukkyō Fujinkai Sōrenmei, 1990.
Bibl. : Œuvre : Il libro della Passione scritto dalla beata Eustochia Calafato Clarissa
messinese : 1434-1485, F. Terrizzi (éd.), S.J., Messine, Monastero di Montevergine, 1975. Vie :
M. CATALANO (éd.), La leggenda della Beata Eustochia da Messina, testo volgare del sec. XV
restituito all'originaria lezione, Messine-Florence, 1950 (transcription nouvelle de cette Vie due
à J. Pollicino, par R. Gazzara Siciliano, Messine, 2009).
Bibl. : Œuvre : Analecta sacri ordinis fratrum praedicatorum, t. 1, Rome, 1893-1894, p. 506-
507 ; t. 5, 1901-1902, p. 399-400. Vie : R. P. A.-M. MEYNARD, Vie de la révérende Mère
Thérèse-Dominique Farré..., Clermont-Ferrand, L. Bellet, 1898. Étude : A. DERVILLE, notice
dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. V, 1964, col. 100-102.
Bibl. : Vie et études : R. LIARDON, The Azusa Street Revival. When the Fire Fell,
Shippensburg (PA), Destiny Image, 2006 ; E. ALEXANDER, The Women of Azusa Street,
Cleveland (OH), The Pilgrim Press, 2005 ; C. M. ROBECK, « Farrow, Lucy F. », International
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Hijr, 1997-1999, vol. 18, p. 140-141 ; AL-MUNÂWÎ, Al-kawâkib al-durriyya, Le Caire,
S. Himdân, s.d., III, p. 48 ; NABHÂNÎ, Jâmi' karâmât al-awliyâ', I. Itwa Iwad (éd.), Le Caire,
al-Bâb al-Halabî, 2e éd., 1974, II, p. 437.
FÂTIMA BINT ABÎ ‘ALÎ AL-DAQQÂQ, soufie (Nichapour, 1000/1001 ?-9 février 1088). —
Fille du grand maître soufi de Nichapour, Abû ‘Alî Hasan ibn ‘Alî al-Daqqâq. Fâtima naquit
l'année où son père fit construire une célèbre école dans laquelle il enseigna et qui deviendra un
lieu de réunion des soufis. « Fierté des femmes de son temps », elle eut une vie exceptionnelle,
d'après un de ses principaux biographes, ‘Abd al-Ghâfir al-Fârisî qui est aussi son petit-fils. Son
père, très attaché à elle et n'ayant pas encore de fils, lui accorda beaucoup d'attention, autant qu'à
un garçon. Il institua pour elle des séances d'enseignement de la mystique. Elle apprit les
doctrines des soufis et leurs règles de convenance, ainsi que le Coran, qu'elle mémorisa
intégralement, tout en maîtrisant son commentaire. Elle consacra son temps à l'adoration et aux
exercices spirituels, respectant scrupuleusement la purification rituelle, multipliant les prières et
récitant nuit et jour le Coran. Cette éducation et cette ascèse lui permirent très précocement de
développer des qualités spirituelles exceptionnelles.
Très jeune, son père la maria à l'un de ses disciples, qui était destiné à connaître une notoriété
exceptionnelle dans le domaine du soufisme, ‘Abd al-Karîm al-Qushayrî, « la Parure de l'islam »,
auteur en particulier de l'un des traités de soufisme les plus réputés intitulé Al-Risâla
(« l'Épitre », 1045) qui est encore de nos jours un ouvrage de référence. Elle eut six garçons et au
moins quatre filles, peut-être cinq, qui tous connurent une vocation spirituelle. Elle vécut ainsi
près de quatre-vingt-dix ans dans une obéissance sans faille à son Seigneur, sans montrer le
moindre intérêt pour les biens de ce monde, ne connaissant même pas ce qu'elle avait hérité de
son père ou de sa mère, qui appartenaient pourtant aux notables de Nichapour.
Fâtima était savante, elle écoutait tous les grands savants de son temps de passage ou résidants
dans la grande métropole qu'était alors Nichapour. Elle avait reçu l'autorisation de transmettre le
hadith, et ses séances (de dictée du hadith) étaient particulièrement prisées, du moins à la fin de
sa vie, sa longévité, alliée à ses débuts précoces dans l'étude des sciences religieuses, lui ayant
donné le privilège rare de transmettre l'enseignement des grandes figures des générations
antérieures qu'elle avait rencontrées. Qualifiée de shaykha (« maître », « professeur ») dans les
sources, son rayonnement et son autorité attiraient des savants reconnus qui figuraient ainsi
parmi ses auditeurs, au même titre que ses enfants et même ses petits-enfants. D'ailleurs, c'est
elle et non son frère Ismâ'îl (qui était plus probablement son demi-frère) qui hérita de l'école de
son père ; école qui devint par la suite celle de son mari et resta dans la famille Qushayrî pendant
plusieurs générations.
Une anecdote rapporte qu'elle demanda plusieurs fois à son mari de pouvoir assister aux cours
que donnait le grand maître soufi Abû Sa'îd, surnommé de son vivant « le Prince de la Voie
mystique », qui avait fréquenté son père. Or, il y avait quelques frictions entre les deux hommes,
car, dans la forme, leur pratique du soufisme était diamétralement opposée. Le cheikh Abû Sa'îd
était, du moins en apparence, excentrique et anticonformiste, tandis que Qushayrî représentait,
lui, un soufisme sobre et policé. Son mari refusa donc d'accéder à sa demande, mais à force
d'insister, elle finit par obtenir gain de cause. Toutefois, celui-ci exigea d'elle la discrétion, lui
suggérant de porter de vieux vêtements pour mieux se dissimuler. Rendue méconnaissable, elle
rejoignit les femmes sur la terrasse afin d'entendre le cours. À un moment, le cheikh Abû Sa'îd
évoqua le père de Fâtima et ajouta : « un être issu de lui est actuellement présent ici ». Entendant
cela, elle s'évanouit, bouleversée, et tomba de la terrasse. Elle ne dut son salut qu'à l'invocation
du maître qui suspendit sa chute, ce qui permit aux femmes de la rattraper. Cette anecdote nous
renseigne sur l'extrême sensibilité de Fâtima et sa soif de spiritualité, son exigence et sa
détermination, son désir de recueillir l'enseignement de toutes les autorités du soufisme, même
controversées, d'autant qu'Abû Sa'îd avait fréquenté son père et qu'elle avait pu le connaître
lorsqu'elle était jeune.
Aucun fait miraculeux ne lui est attribué, ce qui ne doit pas être interprété comme un signe
d'une spiritualité inachevée. La ville de Nichapour a été le berceau d'un courant religieux, celui
des « Hommes du Blâme » (Malâmatiyya) – ceux-ci recherchaient par leur comportement le
blâme d'autrui afin de combattre les penchants de leur âme charnelle et les défauts de leur ego –,
dont l'un des traits caractéristiques était justement la dissimulation de l'expérience spirituelle,
ainsi que l'observance stricte de la discipline soufie de l'arcane. Le cheikh Abû Sa'îd appartenait
à ce courant, ce qui explique l'apparence parfois choquante de sa spiritualité. La famille de
Fâtima avait des liens avec ce courant, ce qui pourrait expliquer son attrait pour cette forme de
spiritualité et pour les cours du cheikh Abû Sa'îd, et justifier le peu d'informations dont nous
disposons sur sa vie spirituelle, en dehors de généralités.
Fait remarquable, Fâtima s'inscrit dans un milieu qui est à la fois savant et mystique, et cela sur
plusieurs générations. Ses enfants et ses petits-enfants seront des personnalités éminentes, et pour
certaines célèbres, dans le domaine des sciences religieuses et de la mystique (le tableau donné
par Bulliet en atteste). Tâj al-Dîn al-Subkî (mort en 1368), auteur en particulier d'un célèbre
dictionnaire biographique, pointe cette particularité peu commune en la qualifiant de « fille de
maître, femme de maître et mère de maîtres ». Là réside probablement son « miracle » le plus
visible : l'empreinte laissée dans les cœurs de sa descendance, rayonnant de cet amour de Dieu
qu'elle leur avait transmis, témoigne de cette ferveur totalement intériorisée.
Jean-Jacques Thibon
Bibl. : Études : SARÎFÎNÎ, Al-muntakhab min al-siyâq li-târîkh Naysâbûr, Muhammad A. Abd
al-Azîz (éd.), Beyrouth, Dâr al-kutub al'ilmiyya, 1989, p. 419-20 ; DHAHABÎ, Siyar a'lâm al-
nubalâ', Al-Arna'ût ‘Araqsûsî (éd.), Beyrouth, Mu'assasat al-risâla, 1981/1988, 25 vol., t. 18,
p. 479-480 ; M. EBN E. MONAWWAR, Les Étapes mystiques du shaykh Abu Sa'id, trad.
M. Achena, Paris, Desclée de Brouwer, 1974, p. 98 ; R. W. BULLIET, The Patricians of
Nishapur, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1972, p. 151-153, 182-183 ;
SUBKÎ, Tabaqât al-sâfi'iyya al-kubrâ, Le Caire, Dâr ihyâ al-kutub al-'arabiyya, 1964, V, p. 106.
Bibl. : Études : C. ADDAS, Ibn ‘Arabî ou la quête du Soufre Rouge, Paris, Seuil, 1989, p. 42-3,
113 et n. 3 ; IBN ‘ARABÎ, al-Futûhât al-makkiyya, Le Caire, Bûlâq, 1911, 4 vol., t. I, p. 274,
t. II, p. 135, 347, 621 ; ID., Les Soufis d'Andalousie, trad. et prés. par R. W. J. Austin, version
française G. Leconte, Paris, Sindbad, 1979, p. 138-139 ; NABHÂNÎ, Jâmi' karâmât al-awliyâ',
I. Itwa Iwad (éd.), Le Caire, Al-Bâb al-Halabî, 2e éd., 1974, II, p. 435-437.
FÂTIMA DE NICHAPOUR, soufie (?, ?-La Mecque, 838). — Grande figure féminine de la
sainteté pour le Khurâsân, vaste province orientale du monde musulman, au IXe siècle. Sulamî
lui consacre l'une des plus longues notices de son dictionnaire des femmes soufies, l'un des
premiers du genre. Fâtima y est présentée comme une grande gnostique, surpassant toutes les
femmes de son temps. Affirmation probablement fondée en partie sur le témoignage du grand
maître Abû Yazîd al-Bistâmî, l'une des figures majeures de la sainteté de l'Orient musulman pour
le IXe siècle, qui lui rendait visite à Nichapour (ou faisait son éloge, selon d'autres sources)
déclarant : « Durant ma vie, je n'ai rencontré qu'un homme et qu'une femme [sous-entendu :
ayant réalisé la perfection spirituelle]. Cette femme, c'est Fâtima de Nichapour. Je ne l'ai jamais
entretenue d'une station mystique qui lui soit inconnue. » Il disait aussi : « Celui qui veut voir la
virilité spirituelle parée des vêtements d'une femme, qu'il s'adresse à Fâtima. »
Elle a été l'un des maîtres spirituels de Dhû l-Nûn l'Égyptien, maître réputé qui fut l'un des
premiers à enseigner la gnose et la doctrine des états mystiques des soufis. Il l'aurait rencontrée à
La Mecque où elle séjournait par piété et aurait été subjugué par sa compréhension du Coran et
les commentaires qu'elle en faisait. Il la revit à Jérusalem, où elle allait parfois, revenant toujours
ensuite à La Mecque, et l'interrogea sur de multiples sujets. Elle lui prodigua de nombreux
conseils, celui-ci en particulier : « Persiste dans ta sincérité et combats ton âme charnelle par tes
œuvres. » Pourtant, il ne reconnut pas sa maîtrise spirituelle immédiatement si l'on en juge
l'anecdote suivante : elle envoya un jour une aumône à Dhû l-Nûn, mais celui-ci la refusa et la lui
renvoya lui faisant dire : « Accepter les aumônes des femmes est humiliation et signe de
déficience [spirituelle]. » Elle répondit : « Il n'y a pas au monde soufi plus indigne que celui qui
s'arrête aux intermédiaires » (elle en l'occurrence, alors que tout vient de Dieu). Il la
reconnaissait comme l'une des saintes de Dieu, la plus noble qu'il ait rencontrée, et il affirmait
très simplement : « Fâtima est mon maître. » Un tel aveu dut paraître bien singulier pour passer
tel quel à la postérité.
Pourtant, il reste peu de choses de Fâtima. Ce qui nous a été transmis de son enseignement se
réduit à une dizaine d'aphorismes. Aucun miracle ne lui est attribué, ni de prouesses ascétiques.
Aussi, certains auteurs contemporains (Deladrière, Schimmel) ne la distinguent pas de Umm
‘Alî*, la femme d'Ahmad Ibn Khidrawayh, elle aussi grande mystique, morte à Nichapour, et qui
portait, selon certaines sources, le même prénom. La sanctification en islam pourra ici paraître
peu étayée : le double témoignage de Dhû l-Nûn et de Bistâmî, représentants majeurs et
incontestés de la spiritualité musulmane, suffit en effet à inscrire Fâtima de Nichapour en bonne
place dans les recueils hagiographiques. Sans eux, nul doute qu'elle serait demeurée dans un
anonymat qui fut le lot de nombreuses « servantes admirables ».
Citons parmi ses dires : « De nos jours, celui qui craint Dieu avec une totale sincérité est
plongé dans un océan, ballotté par les vagues, et il invoque son Seigneur, pareil à un naufragé au
bord de la noyade, implorant Dieu de le tirer du danger et de le sauver » ; « Celui qui œuvre pour
Dieu en le contemplant intérieurement est un gnostique, mais celui qui œuvre, conscient du
regard divin porté en permanence sur ses actes, est un cœur pur ». Selon le commentaire d'Ibn
‘Arabî, cette dernière station est celle de la perfection.
Jean-Jacques Thibon
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 136 ;
M. M. BRAYER, The Jewish Woman in Rabbinic Literature : A Psychohistorical Perspective,
Hoboken (NJ), Ktav Publication Inc., 1986, p. 38.
Bibl. : Œuvres : Newman, sa vie et ses œuvres, Paris, Perrin et cie, 1901 ; La Vie et la mort des
fées, essai d'histoire littéraire, Paris, Perrin et cie, 1910 ; Choses d'âme, méditations, fragments
de journal, prières, Paris, Perrin et cie, 1914 ; Christianisme et culture féminine, Paris, Perrin et
cie, 1914 ; L'Âme des enfants, des pays et des saints (spectacles et reflets), Paris, Perrin, 1912.
Études : F. WENNER, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. V, 1964,
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œuvres, Paris, Perrin, 1916.
Bibl. : Études : Dr A. DAUVERGNE (père), Des maladies de la peau qu'il est difficile de
spécifier et de classer, Paris, G. Masson, 1877, p. 17-29 (d'abord paru dans Annales de
dermatologie et de syphiligraphie, t. VIII, 1876-1877, p. 110-136) ; Dr A. IMBERT-
GOURBEYRE, La Stigmatisation : l'extase divine et les miracles de Lourdes, Paris, Vic et
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sociohistorique, Paris, Cerf, 1997, p. 380-382.
Bibl. : Œuvre : Notes autobiographiques, Paris, Téqui, 1974-1975, 2 vol. Vie et études :
J. MAÎTRE, Mystique et féminité, essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf, 1997 ; J.-
Y. LE NAOUR, Claire Ferchaud – La Jeanne d'Arc de la Grande Guerre, Paris, Hachette
Littératures, 2007.
FERRERO, Benigna Consolata, visitandine, auteur d'un journal spirituel (Maria Benigna
Ferrero ; Turin, 1885-Côme, 1er septembre 1916). — Née dans une famille bourgeoise et
profondément chrétienne, Maria Benigna fait ses études à l'Institut du Cœur Divin de Turin, puis
retourne au foyer familial. En 1900, elle obtient de son confesseur et directeur spirituel, Luigi
Boccardo, l'autorisation de faire vœu temporaire de chasteté ; en 1902, elle commence à écrire
une sorte de journal spirituel, expression d'un dialogue avec Dieu qui perdurera toute sa vie. En
1906, elle prend la décision de consacrer sa vie à Dieu et entre au monastère de la Visitation de
Pignerol (Piémont) ; mais la mère supérieure la renvoie chez ses parents. Le 30 décembre 1907,
elle entre au monastère de la Visitation de Côme, où elle reçoit le nom de Benigna Consolata. En
1908, elle y prend l'habit religieux. L'année suivante, elle prononce ses vœux religieux et le
28 novembre 1912, ses vœux solennels. Elle reste au monastère jusqu'à sa mort, sous la direction
spirituelle de l'évêque de Côme, Alfonso Archi.
Elle laisse un Journal (1902-1916) et des Notes du Journal (1908-1916), des prières diverses et
des exercices de piété dont les autographes sont conservés au monastère de Côme. L'ensemble
(2 049 pages) a été dactylographié en 1959 et authentifié par la curie épiscopale de Côme, des
extraits ont commencé à paraître dès 1917. Dans ces pages écrites au jour le jour, Benigna
Consolata exprime ses lumières intérieures tout animées d'une confiance sans limite et d'un
abandon total à l'amour infini de Dieu pour les hommes ; cette confiance et cet abandon exigent
la pratique continuelle de l'abnégation. Ses biographes l'appelleront « l'apôtre de la miséricorde
divine ». L'attente de la publication intégrale de son œuvre ne permet pas encore de se prononcer
sur ses états mystiques.
S'étant offerte en sacrifice le 30 juin 1916, jour de la fête du Sacré-Cœur, elle dépérit
rapidement et expire après une courte période de souffrances physiques et spirituelles intenses.
En 1924, ses restes ont été transférés à l'église du monastère de Côme. Les actes du procès
ordinaire en vue de la béatification ont été remis à la Congrégation des Rites en 1925.
Michela Catto
Bibl. : Œuvres : les manuscrits de T. Fieschi sont conservés à Gênes (archives conventuelles de
Santa Maria di Castello, Fondo Monastero dei SS. Giacomo e Filippo et Biblioteca civica Berio,
arm 23) ; Il trattato mistico. Li sete scaline che adersano la creatura allo amor di Dio a été édité
par U. Bonzi ; Le Traité des sept degrés de l'amour de Dieu, Revue d'ascétique et de mystique,
XVI, 1935 ; un chapitre de Trattato della carità est paru sous le titre « Pagine inedite di una
mistica italiana », in Il Regno. Pubblicazione trimestrale di studi cristiani, série II, no 2, 1943 ;
Le brevi meditazioni sulla trasfigurazione (Matt. 17, 1-13) e sull'incontro di Cristo con la
samaritana (Gv 4, 6-29) est paru sous le titre « Meditazioni evangeliche », R. Cavalieri (éd.), in
Memorie domenicane, XLV, 1928 et XLVI, 1929 ; l'œuvre picturale de Tommasina Fieschi est
complètement perdue. Études : S. MOSTACCIO, Osservanza vissuta, osservanza insegnata. La
domenicana genovese Tommasina Fieschi e i suoi scritti, Florence, Olschki, 1997 ; ID.,
« Visione monastica e direzione spirituale. Il caso di Tommasina Fieschi », Annali dell'Istituto
storico italo-germanico in Trento, 24, 1998 ; U. BONZI, notice dans le Dictionnaire de
spiritualité, Paris, Beauchesne, t. II, 1953 ; A. J. SCHUTTE, notice dans le Dizionario biografico
degli Italiani, Rome, Treccani, 47, 1997.
Bibl. : Œuvre : Chemin de lumière, J.-D. Bourinet (éd.), Paris, Téqui, 1975. Études : J.-
D. BOURINET, Qui est Filiola ? Documents biographiques. Nouvelles réflexions sur le
message, Paris, Téqui, 1992 ; même incomplet (ignorant ladite Filiola notamment), malgré son
inventaire foisonnant des figurines du mysticisme français de la IIIe République (1871-1940),
voir, au-delà de l'analyse discutable, l'éclairage sociohistorique de J. MAÎTRE, Mystique et
féminité, Paris, Cerf, 1997.
FILLE DE JOSEPH (de Bagdad), visionnaire juive (Syrie, début du XIIe s.). — Les
informations la concernant proviennent d'une lettre trouvée dans la genizah du Caire, adressée
vers 1121, à l'époque de l'événement, à un habitant de Fustat (ancienne capitale d'Égypte). Il est
rapporté, sans mention de son nom, que la fille de Joseph de Bagdad, fils de médecin, jeune
femme pieuse et menant une vie ascétique, mariée sous contrainte, avait eu une vision du
prophète Élie, présage de l'arrivée du Messie dans la tradition juive. Les habitants de la capitale
syrienne ont vu en cette jeune femme leur rédempteur en une période de tension entre la
communauté juive et le calife. La lettre rapporte que ce dernier, après un rêve, revint sur sa
menace de faire brûler la jeune mystique, ordonna la libération des prisonniers juifs et supprima
une augmentation prévue de l'impôt.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 56.
Bibl. : Études : E. EBEL, Sœur Catherine. Notes biographiques sur la mystique lorraine
Catherine Filljung, religieuse dominicaine, fondatrice de l'orphelinat de Biding, 1848-1915,
Paris, Téqui, 1928 ; J. MAÎTRE, Mystique et féminité, essai de psychanalyse sociohistorique,
Paris, Cerf, 1997.
FLORENSKY, Olga, peintre miniaturiste orthodoxe (Tiflis, aujourd'hui Tbilisi en Géorgie,
19 février 1891-Tiflis, 1914). — Olga est la sœur cadette du père Paul Florensky, philosophe
religieux et théologien orthodoxe, et la cinquième d'une famille de sept enfants. Son père est un
haut fonctionnaire du ministère des Transports ; sa mère est descendante de la noblesse
arménienne de Tiflis. Elle étudie le dessin à la célèbre école Stroganoff de Moscou, puis à l'école
de peinture de Saint-Pétersbourg ; elle fréquente les cours de dessin et de sculpture à Tiflis.
En 1907, elle rencontre Serguei Troitski, un ami intime de son frère Paul, avec lequel il décide
de se retirer du monde pour devenir moine, accomplissant ainsi l'idéal du « couple apostolique ».
Or Serguei tombe amoureux d'Olga et s'installe à Tiflis. La même année, Olga entame une
correspondance épistolaire avec le célèbre écrivain Dimitri Merejkovski, marié à la poétesse
Zinaïda Hippius*. Cet échange de lettres, très dense et vite indispensable pour chacun d'eux,
deviendra la source principale de la vie spirituelle très agitée de la jeune femme. Olga rencontre
personnellement l'écrivain un an plus tard, lors d'une de ses conférences à Saint-Pétersbourg. Dès
lors, une amitié profonde et prolifique commence avec le couple Merejkovski-Hippius, qui
durera sept ans, jusqu'à sa propre mort.
En 1909, Olga et Serguei se marient. Mais le 2 novembre 1910, Serguei, professeur de russe à
Tiflis, est poignardé par un de ses élèves devant toute la classe. Ce drame joue un sort tragique
dans la vie d'Olga, qui n'a plus goût à la vie. Elle poursuit ses études de peinture quelque temps.
Puis, à jamais atteinte par cet état que ses amis caractérisent de « volonté de mort », elle se laisse
mourir. Après une dernière tentative de séjour à Saint-Pétersbourg, elle rentre définitivement
chez elle, où elle s'éteint à l'âge de vingt-deux ans (quatre ans après son mari, jour pour jour).
Durant toute sa vie courte mais intense, Olga Florensky a cherché Dieu, qui est selon elle
Amour et Beauté. Elle a tenté de l'atteindre dans la peinture, en essayant de saisir sa création. Ses
tableaux, qui sont des allégories de thèmes religieux, figurent exclusivement des portraits des
personnalités qu'elle a rencontrées : l'écrivain symboliste Andreï Biély, ses amis Dimitri
Merejkovski et Zinaïda Hippius, le penseur et critique littéraire Dimitri Filosofov, ainsi que son
frère Paul. L'influence du peintre Mikhaïl Nesterov, qui se servait souvent de sujets religieux et
faisait des fresques d'église, renforce la présence du symbolisme religieux dans son œuvre. Fruit
d'une quête spirituelle profonde, son art atteste en outre de l'opposition qu'elle ressent entre
l'idéal ascétique de l'Église et la joie de vivre, le plaisir de créer en tant qu'artiste. Opposition qui
n'est pas sans faire écho au conflit de l'esprit et de la chair. Dans sa correspondance avec
Merejkovski et Serguei, le thème de l'amour physique et du mariage est récurrent : comment
réconcilier l'union de la chair, bénie par Dieu dans le mariage, qui est pure, avec l'instinct sexuel,
qui est plus bestial ? Olga est alors déchirée entre l'autorité religieuse de son frère, qui exerce une
influence spirituelle sur elle, et l'amitié qui la lie à ses opposants idéologiques, Merejkovski et
Hippius, adeptes du Troisième Testament, combattant pour le renouvellement de l'Église
conformément à l'idée du règne mystique du Saint-Esprit, censé résoudre toutes les antithèses.
Fidèle à ses croyances tout autant qu'à ses proches (famille et amis), Olga Florensky semble
avoir dépassé ses contradictions et atteint l'union spirituelle et mystique avec Dieu dans son
humanité grâce à l'amour qu'elle portait aux êtres qui lui étaient le plus chers.
Ioulia Podoroga
Bibl. : Œuvre : « Correspondances familiales » P. Florensky (éd.), Novyi Journal, nos 244, 246
et 250, New York, 2006-2009. Études : P. FLORENSKY, T. CHOUTOVA, « Tri tysiatchi verst
prolegli mejdou nami » (« Trois mille verstes s'étendent entre nous »), Nache Nasledie, nos 79-
80, Moscou, 2006 ; Z. HIPPIUS, Zivye lica (Visages vivants), Prague, Flamme, 1925.
FORNARI, Claire-Isabelle, clarisse (Anna Felice Fornari ; Rome, juillet 1697-San Francesco
de Todi ?, 1744). — À quinze ans, Anna Felice devient clarisse à San Francesco de Todi sous le
prénom de Claire-Isabelle. Elle entre au monastère sans inclination, mais pour se débarrasser du
poids d'une relation amoureuse qu'elle n'arrive pas à déclarer en confession. Loin de se sentir
mieux derrière les murs du couvent, la tension augmente jusqu'à susciter bientôt de nombreux
troubles physiques et psychologiques. Elle prononce rapidement des vœux, obtient même une
visite divine qui la fait atteindre sans tarder aux noces mystiques : malgré ces grâces elle ne
parvient pas à se défaire du poids de ce qu'elle considère comme une faute lourde et qui l'entraîne
durant quatre ans au bord du suicide. En 1717, une confession générale vient à bout de la
culpabilité non sans faire naître alors de nouvelles peines plus importantes encore. Les angoisses
se développent avec leur cortège de souffrances physiques, volontaires ou non, et de rigueurs
excessives où la conduisent souvent ses directeurs. En 1735, elle devient abbesse et le restera
jusqu'à sa mort.
Parmi ses confesseurs, on connaît Giovanni Maria Crivelli qui a déjà durement mis à l'épreuve
Veronica Giuliani*. C'est à leur demande qu'elle rédige une correspondance et des relations
écrites de sa vie spirituelle intérieure. En 1760-1761, quatre volumes de Relazioni mistiche
(« Relations mystiques ») sont édités anonymement, sans que soit éclairée la provenance des
écrits manuscrits (vraisemblablement acquis après la mort des confesseurs). Deux ans auparavant
un Trattato mistico delle virtù esteriore (e interiore) (« Traité mystique des vertus extérieures et
intérieures », 1758) était paru. Mais les Relations sont d'un autre type, moins focalisés sur des
faits extraordinaires (d'ailleurs issus du dossier de béatification) : les écrits sont donnés comme
des lettres privées, non sans montrer pourtant de lourdes interventions rhétoriques qui dénaturent
leur forme et leur contenu. Seule une édition critique de grande ampleur permettrait de décider la
part d'énoncés originaux et les interpolations qui ont été pratiquées a posteriori sur les textes
d'origine. Il est difficile d'apprécier l'étendue de sa culture sacrée et l'authenticité des citations.
Modelées le plus souvent sur d'autres textes disponibles, ces Relations empruntent à d'autres
écrits, par exemple à Jean de la Croix, en sorte que le poids des lectures marque fortement de son
empreinte l'itinéraire spirituel, le faisant aller de la doctrine à l'expérience, selon une progression
inverse à celle que l'on rencontre, par exemple, chez une Thérèse d'Avila*. D'où aussi une
expression traversée par la citation, la médiation textuelle d'origine ou surimposée. L'expressivité
ne manque pas d'émotion, de pathos et d'évocation violentes, que la forme dialoguée relance et
motive, sans qu'on puisse décider s'il s'agit d'une forme rhétorique ou d'une réelle expérience
d'écriture résultant d'un dialogue et d'une communication avec les directeurs.
Sophie Houdard
Bibl. : Œuvres : Trattato mistico delle virtù esteriore (e interiore), Venise, Simone Occhi,
1758 ; Relazioni mistiche scritte per obedienza a'suoi prelati e direttori da une religiosa serva di
Dio già defunta, Venise, Simone Occhi, 1760-1761, 4 vol. ; Memorie della vita e delle virtù
della suor Chiara Isabelle Fornari, Venise, Simone Occhi, 1768. Études : M. PETROCCHI,
Storia della spiritualità italiana, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1979, vol. 3.
Bibl. : Œuvre : « Sentiments de la révérende Mère Fournier, ursuline d'Angers », 1662, Paris,
bibliothèque Sainte-Geneviève, Ms 2903. Vie : La Vie de la Mère Françoise Fournier, religieuse
Ursuline de la ville d'Angers par un chanoine régulier, Paris, J. Couterot et L. Guérin, 1685.
Études : I. BONNOT, Hérétique ou saint ? Henry Arnauld, évêque janséniste d'Angers, Paris,
Nouvelles éditions latines, 1983, p. 279-281.
FRANCESCA SARAH (de Safed), visionnaire kabbaliste (Israël, XVIe s.). — Francesca
Sarah, connue pour sa piété, a vécu à Safed, haut lieu de la kabbale pendant le XVIe siècle, et se
disait en relation avec un Maggid (un messager céleste, dans ce contexte) qui l'informait des
événements à venir. Elle semble avoir été la seule femme à expérimenter ce type de
communication, connue chez les hommes. Elle est décrite comme une sainte, dont les révélations
étaient authentifiées. Hayyim Vital, disciple d'Isaac Luria, signale l'exactitude des visions reçues
par rêves et des prédictions de cette mystique clairaudiente dans son ouvrage Sefer ha-hezyonot
(« Livre des visions », 1594).
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 170-171.
Bibl. : Vie : Vie de la mère Françoise de la Mère de Dieu, carmélite morte en odeur de sainteté,
d'après un manuscrit contemporain, Abel Gaveau (éd.), Paris, V. Lecoffre, 1906. Études :
P. BAUDRY, Les Religieuses carmélites de Dieppe, Dieppe, P. Leprêtre et Cie, 1876 ;
P. COCHOIS, « Françoise de la Mère de Dieu », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne,
t. V, 1964, col. 1123-1125.
Bibl. : Œuvre : sœur M.-P. DICKSON, Jubilation dans la lumière divine. Françoise Romaine,
choix de vingt visions..., Paris, Œil, 1989. Vie : dom P. T. LUGANO, I processi inediti per
Francesca Bussa dei Ponziani (santa Francesca Romana), Citta del Vaticano, Biblioteca
apostolica vaticana, 1945. Études : B. BERTHEM-BONTOUX, Sainte Françoise Romaine et
son temps, Paris, Bloud et Gay, 1931 ; G. PICASSO (dir.), Una santa tutta romana. Saggi e
ricerche nel VI centenario della nascita di Francesca Bussa dei Ponziani (1384-1984), Monte
Oliveto Maggiore (Sienne), Edizioni l'Ulivo, 1984 ; P. DINZELBACHER (dir.), Dictionnaire de
la mystique, Thurnhout, Brepols, 1993, p. 322-323 ; A. BARTOLOMEI-ROMAGNOLI,
« Francesca Romana (santa) », in L. Borriello et al., Dizionario di mistica, Citta del Vaticano,
Libreria Editrice Vaticana, 1998, p. 523-526.
Bibl. : Études : J. W. ALLEN, « Maria Sabina : Saint Mother of the Sacred Mushrooms »,
Ethnomycological Journals, vol. 1, Seattle, Psilly Publications, 1997 ; J. HALIFAX, Shamanic
Voices : a Survey of Visionary Narratives, New York, Penguin Compass, 1979.
Bibl. : Œuvre : Écrits de sainte Gemma Galgani, J.-L. Picard (prés.), Paris, Téqui, 1988. Vie et
études : R. P. GERMANO, La Séraphique Vierge de Lucques, Gemma Galgani, Arras, Brunet,
1912 ; J.-F. VILLEPELÉE, La Folie de la Croix, Sainte Gemma Galgani 1878-1903, Hauteville
(Suisse), Éditions du Parvis, 1977, 3 vol.
Bibl. : Œuvres : Œuvres spirituelles, t. I à V, Paris, Cerf, 1968-1986 (contient : Les Exercices,
Le Héraut de l'Amour divin). Vie et études : sœur MARIE-PASCALE, Initiation à Sainte
Gertrude d'Helfta, Paris, Cerf, 1995 ; O. QUÉNARDEL, La Communion eucharistique de Sainte
Gertrude d'Helfta dans le Héraut de l'amour divin. Situations, acteurs et mise en scène de la
divina pieta, Turnhout, Brepols, 1998.
Bibl. : Vie et études : Le Livre de la grâce spéciale, trad. du latin par les pères bénédictins de
Solesmes, nouv. éd., Tours, Mame, 1948 ; T. A. HALLIGAN, The Booke of Gostlye Grace of
Mechtild of Hackeborn, Toronto, PIMS, 1979.
Bibl. : Vie : la Vita de Gertrude de Delft est publiée dans les Acta Sanctorum, janvier, I, p. 349-
353.
GEUSER, Marie-Antoinette de, laïque affiliée aux Carmélites, auteur d'écrits spirituels (Le
Havre, 20 avril 1889-?, 1918). — Née un samedi saint, Marie-Antoinette (« Nénette », pour ses
proches) vient au monde dans une famille profondément chrétienne, alliée aux Grandmaison :
elle aura, entre autres parents prêtres ou religieux, deux oncles jésuites, Anatole et Léonce de
Grandmaison, le premier sera son directeur spirituel, le second est l'un des grands noms de la
théologie catholique du XXe siècle. De la maladie qui la frappe à quinze ans, elle ne se remettra
jamais totalement, ce qui va développer chez elle une mystique sacrificielle et victimale, pour
laquelle elle avait déjà montré en son enfance de solides prédispositions : ne se flagellait-elle pas
avec des orties dès ses plus tendres années ? Sa conversion (selon ses propres termes) date du
21 septembre 1906, quand dans une vision apparaît le Sacré-Cœur lui exprimant sa demande
d'expiation : « Conversion... Trait d'amour... Prends ta croix... Suis-Moi... Viens... » Depuis ce
jour « où son Amour a blessé mon cœur », elle ne recherche que l'union à Dieu la plus intense.
En 1908, elle reçoit des stigmates invisibles. En 1909, elle qui veut donner à son Bien-Aimé des
« sourires de sang », prononce le vœu de chasteté, puis, deux ans après, ceux de pauvreté et
d'obéissance. Sa santé déplorable lui interdit d'entrer au carmel de Pontoise, comme elle l'avait
décidé, après maintes retraites sous la direction de l'oncle jésuite. Elle usera cependant du nom
de religion qui lui avait été réservé, Marie de la Trinité (d'où l'attention particulière qu'elle porte
à l'inhabitation [présence intime dans la créature] des personnes divines en elle), et vivra sa
consécration carmélitaine dans le monde, entre les affres de la maladie (ses « retraites », comme
elle dit) et ses devoirs domestiques, en particulier l'éducation des plus jeunes. Ce qui est l'objet
d'un conflit intérieur récurrent : en effet, aux injonctions de la Voix de Dieu, de la Volonté de
Dieu, s'opposent les ordres intimés par des autorités non moins respectables, les parents, le
confesseur, l'abbé Lefort, le directeur, l'oncle, Anatole de Grandmaison. En mars 1915, un seuil
est franchi : elle est à deux doigts de mourir et reçoit donc l'extrême-onction ; ayant ainsi franchi
la mort (au moins psychiquement), elle vit désormais « un état mystique tout spécial ». Dès lors,
les étapes se succèdent : envahie par un Dieu consolateur qui l'aura comblée en ses désirs, elle
traverse des nuits torturantes, avant que le Christ ne s'incarne en elle et que, transformée en la
Trinité le 20 novembre 1911, elle ne soit introduite dans l'Essence divine, puis dans la « Famille
Royale », de façon d'abord momentanée, puis quasi permanente, le 17 juillet 1912.
On comprend que les écrits qui relatent cette expérience (un Journal, et une abondante
correspondance) aient suscité la perplexité des théologiens (consultés par les deux oncles
jésuites) ; réalité ? métaphore ? on se gardera de trancher, car c'est le problème inhérent à tout
langage mystique. C'est pourquoi il est bon de suivre Marie-Antoinette sur les trois niveaux de
son existence : celui de sa vie mystique et inexprimable, relevant du « secret du Roi » ; celui de
l'obéissance, à son oncle jésuite et à sa maîtresse des novices de Pontoise, par le biais de la
correspondance ; enfin, celui des obligations domestiques, ce qu'elle appelle « l'extérieur », où
Nénette se révèle jeune femme tendre et passionnée, délicate et attentive, virile et volontaire.
Plus encore que sur le scénario de sa progression carmélitaine et de ses étapes intérieures (le
merveilleux y aura rendez-vous : ainsi, il arrive que ce soit des anges qui lui viennent apporter la
communion, ou Jésus lui-même sans intermédiaire), on se penchera sur l'approfondissement de
son destin qu'elle résume dans le surnom de Consummata qu'elle s'est choisi : allusion à la
consommation sacrificielle dans laquelle elle justifie l'assomption de la maladie bien sûr, mais
pas seulement. Consummata in unum : « Je n'ai plus qu'à travailler, dit-elle, à ce que tous soient
consommés dans l'unité. » La voilà donc « expropriée » pour cette grande cause d'utilité
« catholique » : l'établissement du « Règne du Christ dans les âmes pour la plus grande Gloire de
Dieu » ; ainsi sa vocation à l'apostolat lui vient-elle de sa vocation à la louange. On ne peut
qu'admirer l'équilibre ainsi réalisé, sur lequel se greffe un puissant désir de sacerdoce : « cet
attrait, écrit-elle, invraisemblable et irréalisable, a une telle puissance en moi que je ne puis
douter qu'il vienne de Dieu », puisque « le Bon Dieu ne peut pas mettre de tels désirs dans une
âme sans le combler » (on retrouve la problématique déjà exposée par Thérèse de Lisieux*, dans
le manuscrit B [Poème de septembre]). Sans doute, pourra-t-elle reporter la réalisation partielle
de ce désir impossible sur son frère, Louis (comme Thérèse sur ses « frères spirituels »), mais
elle suppose que d'en souffrir suscitera en d'autres des semences de vocations. On lira avec
intérêt les abondantes réflexions, denses et pénétrantes, qu'elle consacre à « la présence des
Trois » dans l'âme, et qui pourraient rivaliser avec les pages d'Élisabeth de la Trinité*, la
carmélite de Dijon, sa contemporaine.
Ce n'est pas sans scrupules que les oncles jésuites ont porté à la connaissance du public les
écrits de Marie-Antoinette. Une première édition en a été livrée en 1921, sous le sceau de
l'incognito, par le père Raoul Plus, écrivain spirituel prolifique, qui, en 1927, en donnera la
biographie : mais, pour toucher son lectorat, Raoul Plus aura reconstitué son héroïne, accumulant
les traits pittoresques et anecdotiques et s'aventurant à des analyses psychologiques. Plus tard,
une édition sérieuse de ses Lettres au Père Anatole de Grandmaison, son directeur (Paris, 1977)
et à ses frères (Paris, 1982) auront permis de mieux saisir sa personnalité mystique. On ajoutera
les Lettres à une carmélite, publiées par le carmel d'Avignon en 1931.
François Marxer
Bibl. : Œuvres : Lettres au Père Anatole de Grandmaison, son directeur, Paris, Beauchesne,
1977, et Lettres à ses frères, Paris, Cerf, 1982 ; Lettres à une carmélite, Avignon, Carmel
d'Avignon, 1931. Étude : M.-P. VACHEZ, É. RIMAUD, Un itinéraire mystique, De Marie-
Antoinette de Geuser à Consummata, Genève, Ad Solem, 1974.
Bibl. : Études : E. ZANA, Danse, prière de l'âme et héritage sacré, Embourg, Marco Pietteur,
2005. Filmographie : M. H. REBOIS, Miroirs et contemplation (Chorégraphie et interprétation
de Catherine Golovine), Paris, distribué par le Centre national de la cinématographie, 1994.
Théâtre : www.theatre-golovine.com
Bibl. : Étude : swâmi SARADANANDA, Sri Ramakrishna The Great Master, Mylapore, Sri
Ramakrishna Math, 1952.
Bibl. : Œuvres : Nous, convertis d'Union soviétique, Paris, Nouvelle Cité, 1983 ; Parler de Dieu
est dangereux, Paris, Desclée de Brouwer, 1985 ; Un message d'espoir (coauteur : Soja
Krachmalnikova), Paris, Nouvelle Cité, 1988 ; Filles de Job, les féministes de « Maria », Paris,
Nouvelle Cité, 1989.
GRAF-SUTER, Maria, laïque, auteur d'un Journal spirituel (Haslen, 14 août 1906-
Sonnenhalb, 19 février 1964). — Née en Allemagne, Maria Graf-Suter manifeste très tôt sa foi
profonde et son désir de Jésus à travers le chagrin qu'elle éprouve quand elle est privée de sa
première communion à cause d'une maladie. « C'est ainsi que Jésus m'a, très tôt déjà, mise à
l'école du sacrifice, mais dès ma jeunesse aussi, comblée de joie », témoignera-t-elle plus tard.
Pendant sa jeunesse, elle observe une vie pieuse exemplaire et approfondit sa connaissance de
l'amour de Jésus. Désireuse de servir Dieu le mieux possible, elle en recourt à lui pour savoir si
elle doit devenir religieuse ou prendre un époux. Elle se marie le 3 juin 1929, après avoir reçu la
réponse tant attendue de la bouche d'un prédicateur. Du couple naissent cinq enfants, dont l'aîné
décède. Se considérant comme l'humble servante de Dieu, elle se dévoue corps et âme à son rôle
d'épouse et de mère. En 1941, elle voit apparaître Jésus, qui la prie de lui « donner des âmes » et
la guérit de ses douleurs du moment. Désormais, elle reçoit des visions de tout genre. Elle se met
également à prier, récitant la prière aux Saintes Plaies, reçue du Sauveur, pour la conversion des
âmes. Puis commencent la lutte et le doute. « Je voulais vivre et être comme les autres femmes »,
écrit-elle. En 1942, les visions de Jésus souffrant la reprennent. Elle se remet à prier avec plus de
ferveur pour que le sang des plaies du Christ ne soit pas versé en vain. S'ensuit la conversion d'un
oncle, puis de son beau-père. À la demande de Jésus et de Marie*, sa prière évolue vers le culte
des Saintes Plaies et la récitation du chapelet. Elle est également appelée à communier plus
souvent. Tiraillée entre ses visions et sa vie de famille, ses grâces sont un poids et un lourd secret
qu'elle dissimule à ses proches. Son confesseur, à qui elle se livre, l'invite à « offrir, prier et se
taire », ce qu'elle accepte en toute humilité. Peu avant sa mort, Dieu la prévient : « On
t'ordonnera de te taire, mais sois tranquille, je parlerai pour toi en son temps. » Touchée par la
maladie, elle décide d'offrir sa souffrance à Jésus comme gage de sa profonde soumission,
jusqu'à son décès.
Les grâces de Maria Graf-Suter perdurent jusqu'à ce qu'elle reçoive d'en haut l'ordre de noter ce
qu'elle a perçu. Naît La Révélation de l'Amour divin, un Journal dans lequel elle consigne toutes
ses révélations, visions et contemplations, dialogues avec Jésus et prières : elle y conte, entre
autres, son appel à la prière, son combat pour sauver les âmes et lutter contre les ennemis du
Christ ; elle évoque la Mère de Justice divine et la Mère de l'Église, Marie, le grand sacrifice de
Jésus, la fin des temps et le règne de Dieu. On y apprend comment elle reçut sa vocation de
« mère spirituelle des prêtres » à travers l'exhortation de Jésus et Marie à cette tâche. Il en ressort
essentiellement que Dieu veut sauver le monde. L'œuvre de rédemption commence avec la
création de « l'âme immaculée de Marie » et s'achève avec le salut du genre humain. Par sa
grâce, Marie a donné le Sauveur, par qui les croyants doivent retourner au Père. L'invitation est
claire : il faut prier et puiser au plus profond des grâces de salut que Jésus a acquis par sa Passion
et sa mort, collaborer avec Marie, pour enfin honorer et prendre part à la gloire éternelle de Dieu.
Participant à la sanctification et au renouvellement de l'Église dans tous ses membres, ses écrits
ont été reconnus par les plus hautes institutions, qui ont autorisé leur impression et leur diffusion.
L'expérience poignante de Maria Graf-Suter est l'exemple d'une vie simple (au sens noble du
terme) d'épouse et de mère en relation avec Jésus. Relevant d'un véritable sacerdoce conjugal et
familial nimbé par la grâce, elle témoigne pour toutes celles, discrètes et dévouées à leur tâche,
qui ont vécu ainsi et n'ont pas parlé ou écrit de leur vivant.
Audrey Fella
Bibl. : Œuvre : La Révélation de l'Amour divin a vraisemblablement été publiée par Joseph-
F. Künzli à compte d'auteur en Allemagne, après le décès de Maria Graf-Suter.
GUÉLONGMA PALMO, sainte bouddhiste (nord-ouest de l'Inde, IIe, VIIIe ou Xe-XIe s.).
— Bien que comptant parmi les principales figures féminines du bouddhisme indo-tibétain,
Guélongma Palmo (la « moniale » ou « nonne » Palmo, en tibétain) n'est attestée par aucun
document historique ; en témoigne l'incertitude même de ses dates, puisqu'elle est censée avoir
vécu – selon les sources – soit au début du IIe siècle de notre ère, soit au VIIIe, voire au Xe-
XIe siècles. Tout comme la célèbre Machik Labdrön* (à l'origine du chöd, ou tcheu), Guélongma
Palmo n'en est pas moins l'une des rares femmes à être reconnues par cette tradition comme
« fondatrice » d'une pratique spirituelle. À savoir le Nyoung-né, un rituel de purification et de
« sanctification » toujours très populaire chez les adeptes du bouddhisme himalayen (toutes
écoles confondues) et aujourd'hui répandu par ceux-ci dans le monde entier. Appartenant à la
première classe de Tantra mais rassemblant en fait les trois Véhicules bouddhiques (Hinayana,
Mahâyâna et Vajrayana), le Nyoung-né associe – par paire – une journée de jeûne total et une de
jeûne partiel, sur fond de méditations, prières et grandes prosternations dédiées à
Avalokiteshvara (sanskrit ; en tibétain : Chenrézi), le grand bodhisattva de l'amour et de la
compassion universels (dans sa forme à mille bras et onze visages). Pendant la durée choisie
(deux, quatre, six... jusqu'à mille jours et plus), le fidèle se prive ainsi plus ou moins
complètement de parole, de boisson et de nourriture, et s'abstient totalement en outre de tuer, de
voler, d'avoir des rapports sexuels, de mentir, de chanter, de danser, de s'asseoir sur des sièges
élevés (entre autres marques d'orgueil) ou d'absorber tout intoxicant.
Faute de données critiques pour connaître la fondatrice de cette pratique austère, il nous reste la
tradition, en particulier un fameux commentaire du Nyoung-né par le IXe Sitou Rimpoché au
XIXe siècle, grand dignitaire et érudit de la lignée Karma Kagyu. D'après ces sources
hagiographiques, pour ne pas dire légendaires, une jolie princesse du nord-ouest de l'Inde –
nommée Shrimati, Lakshmi ou encore Lakshminkara – avait choisi dès son plus jeune âge de
devenir nonne bouddhiste (Bikshuni, en sanskrit), notamment pour ne froisser aucun de ces
nombreux prétendants. Mais du fait d'actes négatifs antérieurs venant à maturité karmique, elle
fut bientôt frappée par une terrible forme de lèpre ; ce qui lui valut la relégation, selon les mœurs
de l'époque. Abandonnée de tous et désespérée, elle avait déjà perdu doigts et orteils quand un
songe vint lui indiquer une issue. Le roi Indrabuthi, célèbre accompli tantrique, lui dit en effet en
rêve : « Pratique assidûment la méditation d'Avalokiteshvara, et tu pourras obtenir l'Éveil, la
réalisation de la nature de l'esprit. » Malgré ses souffrances, Bikshuni Shrimati (soit en tibétain
« Guélongma Palmo ») s'adonna donc nuit et jour, pendant des années, à ces exercices spirituels
solitaires. Le fruit annoncé tardant à mûrir, elle connut des moments de découragement, dont elle
sortit grâce à différentes visions divines lui réitérant la promesse « d'une réalisation égale à celle
de Tara » (l'archétype du Bouddha féminin pour cette tradition). Poursuivant obstinément son
ascèse et la récitation des mantras d'Avalokiteshvara (dont le fameux « Om Mani Padmé
Houng »), l'ermite prit de plus l'engagement de jeûner totalement un jour sur deux, et
partiellement l'autre jour. Il en résulta finalement une extraordinaire purification de son corps, de
sa parole et de son esprit ; une immense accumulation de mérites éthiques et spirituels qui lui fit
non seulement recouvrer son intégrité physique mais aussi atteindre, à terme, l'état de Bouddha.
Après douze années de retraite intense, Guélongma Palmo est dite être de la sorte devenue
semblable à Avalokiteshvara, le Grand Compatissant lui-même. Du point de vue traditionnel,
c'est donc lui le véritable fondateur du Nyoung-né, qui se transmet depuis par une lignée
ininterrompue de maîtres et de disciples, dont la moniale Palmo est la première et la plus illustre.
Pour tous les bouddhistes de tradition tibétaine, cette dernière reste un symbole remarquable de
dévotion, de foi et de détermination sur le chemin spirituel, ce qui fait d'elle une source
permanente d'inspiration.
Éric Vinson
Bibl. : Études : BOKAR Rimpotché, Tara, le divin au féminin, Vernègues, Claire Lumière,
1997 ; KALOU Rimpotché, « A Short Biography of Gelongma Palmo », Densal, vol. 3, no 4 ;
BARDOR TULKU Rimpotché, Rest For the Fortunate : the Extraordinary Practice of Nyungne.
Its History, Meaning and Benefits, New York, Rinchen Publications, 2004 ; R. VITALI, « The
Transmission of Bsnyung gnas in India, the Kathmandu Valley and Tibet (10th-12th
Centuries) », in R. M. Davidson, C. K. Wedemeyer (éd.), Tibetan Buddhist Literature and
Praxis : Studies in its Formative Period, 900-1400, (recueil constitué par les comptes rendus du
10e séminaire de l'Association internationale d'études tibétaines, tenu en 2003 à Oxford), Leyde,
Brill, 2006.
GUESNÉ, Jeanne, écrivain new age (Vichy ou Cusset, 9 avril 1909/1910-?, 16 mars 2010). —
Jeanne Guesné est une ancienne infirmière qui a mené des recherches poussées avec des
scientifiques sur les états modifiés de conscience. Elle est notamment connue pour ses
témoignages d'expériences hors du commun, notamment ses sorties hors du corps
(« transcorporels ») et ses voyages astraux, alliés à une spiritualité de l'attention permanente et du
rappel de soi. Or, si elle a tenté l'expérience de dédoublement, soit la séparation de son corps en
pleine lucidité, sans aucune perte de conscience, elle nous met néanmoins en garde contre cette
pratique qui ne semble pas nécessaire à l'évolution spirituelle : « Nul n'est besoin de faire des
expériences de décorporation. L'essentiel de ce que nous avons à vivre, à comprendre, se trouve
dans nos racines, dans cette vie bien terrestre, ici et maintenant » (Le Grand Passage), tremplin
d'une ultime découverte en soi : la source de toute vie qu'est l'amour. « Je parle par expérience,
écrit-elle, une expérience entretenue pendant sept ans (depuis juillet 1991) par une souffrance
physique intense et une douleur affective qui ne me laissent pas de répit. Je les appelle ma
ceinture de sécurité. Je les ressens aujourd'hui comme un cordon me reliant à un “placenta
spirituel” au-delà des processus de naissance et de mort qui me maintient dans un grand état de
lucidité » (Nouvelles Clés).
Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Le Grand Passage (1989), Le Septième Sens, le
corps spirituel (1991), Le 3e Souffle, ou l'agir universel (1995) et La Conscience d'être, ici et
maintenant (1999), dans lesquels elle s'interroge sur les expériences qui l'ont transformée. Pour
Jeanne Guesné, l'univers est conscience et la mort n'existe pas. Une énergie infinie œuvre en
nous. Convaincue que l'homme est avant tout un être spirituel, elle insiste sur la nécessité pour
celui-ci de reprendre contact avec une vérité intérieure et l'importance d'amorcer une
transformation personnelle vers un éveil spirituel pouvant le conduire du « savoir à la
connaissance », de « l'automatisme à la conscience ». Il existe en effet chez l'homme un septième
sens qui est une perception spécifique, celle de la relation au divin. En ce sens, le prochain stade
de l'évolution de l'homme est l'éveil à la conscience universelle grâce au lâcher-prise, le rappel
de soi, la prière sans mots, la vigilance, la patience, la persévérance, le silence mental – autant de
techniques qui permettent de prendre de la distance avec les différents rôles de l'ego, autrement
dit le moi, pétri d'illusions et de pensées étroites –, la pratique de l'attention et du silence intérieur
pouvant l'ouvrir à la conscience d'être ici et maintenant et atteindre à l'être essentiel, lié à la
valeur universelle qu'est l'amour.
Audrey Fella
Bibl. : Œuvres : les ouvrages de Jeanne Guesné sont disponibles chez Albin Michel (Paris).
Étude : « XXIe siècle : les visions de 34 écrivains et philosophes », Nouvelles Clés, no 17, avril
1998.
GUGLIELMA DE BOHÊME, ou Wilhelmine de Bohême, prophétesse hérétique (Bohême,
v. 1210-Milan, 24 août 1281). — Guglielma est probablement la fille du roi de Bohême,
Ottokar Ier, et la sœur d'Agnès de Bohême (voir AGNÈS DE PRAGUE), correspondante de
Claire d'Assise*. Elle s'installe à Milan entre 1260 et 1271. Elle était proche des Cisterciens de
Chiaravalle Milanese, où elle sera enterrée en 1281. Elle connut un certain succès parmi les
umiliati (« humiliés », un ordre monastique actif en Italie aux XIIe et XIIIe siècles, qui prônait
un retour vers une spiritualité plus austère, une vie plus frugale, en opposition avec la richesse et
le pouvoir du clergé de l'époque) en annonçant la fin des temps et en faisant de son être un signe
de salut pour le monde. Pour ses disciples, les guillelmites (non reconnus par l'Église catholique
et frappés d'hérésie), qui croyaient à une Église de femmes, inspirée des thèses du moine
cistercien et théologien Joachim de Flore, elle est l'incarnation féminine de l'Esprit-Saint. Après
sa mort, son tombeau a été démantelé et sa dépouille brûlée au XIVe siècle sous le règne de
l'Inquisition dominicaine qui persécuta et extermina ses adeptes.
Personnage très controversé, Guglielma de Bohême est tantôt cantonnée dans la sphère de la
dévotion populaire, tantôt hissée au rang des grandes figures qui exercèrent une large influence.
D'abord honorée comme sainte, envisagée pour la canonisation, il semble que le culte débordant
que lui rendaient ses disciples entraîna leurs pourfendeurs à la déclarer hérétique. Il en résulta
l'extermination de cette Église naissante au début du XIVe siècle. Lui sont associés le théologien
Andrea Saramita et Maifreda da Pirovano, une « humiliée », cousine de Matteo Visconti,
seigneur de Milan. Maifreda aurait été proclamée papesse par Guglielma de Bohême, aurait
nommé des cardinaux femmes, prêché et distribué l'Eucharistie, dit la messe au nom de
Guglielma et rédigé (ou fait rédiger) un nouvel Évangile. Tous deux sont brûlés en 1300.
Ajoutons que cette hérésie médiévale s'inscrivait dans un mouvement plus vaste de la chrétienté
occidentale auquel se rattachent les béguines et les Frères du Libre Esprit, autres courants
religieux laïcs émancipés de l'institution catholique en place et persécutés. Une thèse féministe
veut que Guglielma fût allée trop loin dans l'exploration de son intériorité par le biais d'une
spiritualité par trop indépendante et qu'ayant refusé de se soumettre à l'autorité patriarcale, « elle
tomba sous le couperet dogmatique qui enjoignait aux femmes de se couper de leur souffle et de
leur âme » (Luce Irigaray).
Audrey Fella
Bibl. : Études : M. BENEDETTI, Milano 1300. I processi inquisitori ali contro le devote e i
devoti di santa Guglielma, Milan, Libri Scheiwiller, 1999 ; L. IRIGARAY, Le Souffle des
femmes, Paris, ACGF, 1996 ; B. NEWMAN, « The Heretic Saint : Guglielma de Bohemia,
Milan, and Brunate », in Church History, Red Bank (NJ), American Society of Church History,
2005.
Bibl. : Œuvres : Poèmes spirituels, in Hadewijch d'Anvers. Écrits mystiques des Béguines, trad.
du moyen-néerlandais J.-B. Porion, Paris, Seuil, 1954, rééd. 1994 ; Lettres spirituelles.
Hadewijch Sept degrés d'amour. Béatrice de Nazareth, introd., notes et trad. J.-B. Porion,
Genève, Libraire Martingay, 1972 ; Poèmes strophiques, in Amour est tout, trad. R. Vande Plas,
introd. et prés. par A. Simonet, Paris, Tequi, 1984 ; Les Visions, prés., trad. et notes F.-X. de
Guilbert, Paris, Œil, 1987. Études : J. VAN MIERLO, « Hadewijch, une mystique flamande du
XIIe siècle », Revue d'ascétisme et de mystique, t. 5, 1924, p. 269 sq ; P. MOMMAERS,
Hadewijch d'Anvers, adapté du néerlandais C. Jordens, Paris, Cerf, 1994 ; A. GOZIER, Béguine,
écrivain et mystique. Portrait et texte de Hadewijch d'Anvers (XIIIe siècle), Paris, Nouvelle Cité,
1994 ; I. RAVIOLO, « Hadewijch », in M.-A. Vannier (dir.), Encyclopédie des mystiques
rhénans. D'Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception, Paris, Cerf, 2011.
HARPAIN, Marie-Eustelle, laïque (Saintes, 19 juin 1814-29 juin 1842). — Cette Poitevine se
convertit à une vie chrétienne sérieuse à l'âge de quinze ans et mènera son existence à la manière
des béguines du Moyen Âge. Ayant fait vœu de chasteté le 2 février 1837 – elle portera
désormais sur elle, dans un médaillon en forme de croix, la traduction latine du vœu ainsi
prononcé –, elle travaillera comme lingère et couturière (comme l'avait fait Claudine Moine*, au
XVIIe siècle), d'abord à domicile, puis chez elle. Une date importante dans le cours de sa vie
spirituelle aura été 1839, où lui est confiée la responsabilité de la sacristie de l'église Saint-
Pallais : le sanctuaire devient dès lors sa demeure journalière et elle y peut en développer la
dimension eucharistique : privilège rare, la communion lui sera permise alors chaque jour. De
cette vie intérieure (soutenue par la lecture de la Bible – encore un autre privilège – et des
spirituels tels François de Sales, Saint-Jure, Lallemant, Louis de Grenade, Rodriguez) nous
donnent témoignage une autobiographie rédigée sur l'ordre de son directeur et de l'évêque local
(où elle se situe dans la tradition des Confessions augustiniennes) et une correspondance (pour
l'essentiel de ce qui nous en reste) avec ses deux directeurs. Le plus original reste son
approfondissement du mystère eucharistique, qui lui est central : même si elle n'évite pas les
clichés habituels de la théologie de l'époque (« le divin prisonnier », « le Dieu inconnu,
méconnu »), elle vit l'Eucharistie, non pas comme une participation au sacrifice du Christ, mais
comme le moyen de s'unir au Christ, ce que, par deux fois au moins, Marie-Eustelle aura pu
concrètement éprouver dans une transformation de son être même. Aussi le rapprochement
qu'elle opère entre l'Eucharistie et le Cœur du Christ lui permet-il d'insister sur la miséricorde
divine, un trait peu en vogue à son époque. À bien des égards, elle aura préparé les décrets de
Pie X encourageant la communion fréquente.
François Marxer
Bibl. : Œuvre : Recueil des écrits de Marie-Eustelle, La Rochelle, F. Boulet, 1843. Vie et étude :
L. POIVERT, Vie et vertus de Marie-Eustelle Harpain, dite l'Ange de l'Eucharistie (1814-1842),
Paris, 1921.
Bibl. : Vie et étude : A. VAUCHEZ, « Un nouvel idéal au XIIIe siècle : la chasteté conjugale »,
in Les Laïcs au Moyen Âge. Pratiques et expériences religieuses, Paris, Cerf, 1987, p. 203-209.
Bibl. : Œuvre : Breve e signoril modo del spiritual vivere e di facilmente pervenire alla
Christiana perfettione, Bologne, 1520. Vie : G. B. MELLONI, Atti e memorie degli uomini
illustri in santità nati o morti in Bologna, Bologne, Lelio della Volpe, 1773-1788 ;
C. C. BENTIVOGLIO, Compendio della vita della beata E. Dall'Olio, vergine maritata e
vedova, Bologne, Gio. Battista Ferroni, 1651. Études : G. ZARRI, « Madri dell'anima : Chiara
Bugni, Elena Duglioli e la rigenerazione della chiesa », Micrologus. Natura, scienza e società
medievali, XVII, 2009, p. 415-435 ; G. POMATA, « A Christian Utopia of the Renaissance.
Elena Duglioli's Spiritual and Physical Motherhood (c. 1510-1520) », in K. von Greyerz,
H. Medick, P. Veit, Von der dargestellten Person zum erinerten Ich. Europäische
Selbstzeugnisse als historische Quellen (1500-1850), Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau Verlag,
2001, p. 323-353 ; G. POZZI, C. LEONARDI, Scrittrici mistiche italiane, Gênes, Marietti, 1988,
p. 333-337.
HÉLOÏSE, abbesse chrétienne, auteur d'une correspondance avec le philosophe et théologien
Abélard (Paris, 1101-Paraclet, 1164). — Hormis le nom de sa mère, Hersent, on ne sait rien des
antécédents ni de l'enfance d'Héloïse avant son entrée, à l'adolescence, au couvent de Notre-
Dame d'Argenteuil, pour y entreprendre des études qui la passionnent : lettres, dialectique,
philosophie. Pierre le Vénérable écrira plus tard qu'elle était une des femmes les plus cultivées du
royaume. À Paris, elle est logée dans une petite « ville cléricale » chez son oncle maternel, le
chanoine Fulbert. Celui-ci la confie à Pierre Abélard, âgé alors de trente-quatre ans, clerc ou
écolier, c'est-à-dire lettré, non ecclésiastique, renommé des écoles Notre-Dame, afin qu'il
surveille les études de la jeune fille, âgée de dix-sept ou dix-huit ans. Le maître s'éprend
d'Héloïse, qui lui voue aussitôt en retour un amour éperdu. « Nous fûmes d'abord réunis par le
même toit, puis par le cœur », écrit Abélard. De cette relation naît un garçon, nommé Pierre
Astrolabe, qui entrera plus tard dans les ordres sacrés. Furieux, persuadé d'avoir été leurré, le
chanoine Fulbert, fou de douleur et de désespoir, fait émasculer Abélard. Celui-ci lui propose
d'épouser la jeune femme qu'il avait séduite. Redoutant de ternir la gloire d'Abélard par un
mariage secret qui ne le resterait pas longtemps, Héloïse accepte cependant par amour de
devenir, en cachette, l'épouse, plutôt que de rester l'amante, de l'homme qu'elle aime. « Bien que
le nom d'épouse paraisse et plus sacré et plus fort, un autre a toujours été plus doux à mon cœur,
celui de votre maîtresse ou même, laissez-moi le dire, celui de votre concubine, de votre fille de
joie. Il me semblait que plus je me ferais humble pour vous, plus je m'acquerrais de titres à votre
amour, moins j'entraverais votre glorieuse destinée. » Abélard sera en effet, après saint Anselme
et avec Pierre Lombard, l'un des maîtres les plus prestigieux de la scolastique de son époque.
Abélard et Héloïse entrent en religion (1118), lui à Saint-Denis, elle au monastère d'Argenteuil,
dont elle devient la prieure. Elle sera ensuite abbesse du Paraclet, un couvent fondé en
Champagne par Abélard, qu'il a donné aux religieuses d'Argenteuil (1129), expulsées de leur
monastère et que Suger, abbé de Saint-Denis (dont dépendait Argenteuil), a remplacées par des
moines. Les moniales furent déplacées dans diverses abbayes. Abélard écrivit : « Il arriva que
l'abbé de Saint-Denis, ayant réclamé et obtenu comme une annexe autrefois soumise à sa
juridiction l'abbaye d'Argenteuil dans laquelle ma sœur en Jésus-Christ, plutôt que mon épouse,
avait pris l'habit, expulsa violemment la congrégation des religieuses dont elle était prieure »
(Lettre à un ami, 1132 ?). Héloïse fit transférer au Paraclet le corps d'Abélard, quelques mois
après sa mort à Cluny où il avait été accueilli par Pierre le Vénérable. Elle mourut elle-même au
Paraclet, où leurs corps et leur souvenir, indissolublement unis, reposèrent dans une chapelle.
Après de multiples voyages, leurs restes furent transférés, le 16 juin 1817, au cimetière du Père-
Lachaise.
Les écrits d'Héloïse sont rares. Ils consistent surtout en sept lettres adressées à Abélard,
d'authenticité parfois incertaine, dans lesquelles théologie scolastique, motifs religieux ou
mystiques, déclarations de passion amoureuse s'entremêlent. L'interprétation de l'image d'Héloïse
qui s'y reflète a varié au cours des siècles. On retient surtout d'elle l'audace et l'intrépidité qu'elle
eut de revendiquer et d'exalter l'amour (même charnel) contre le mariage et d'être ainsi, à son
insu, en résonance avec les théories de l'amour courtois qui commençaient à s'élaborer par
ailleurs, dans un esprit tout différent. En écho à la Lettre à un ami, où Abélard évoque ses
malheurs, notamment les tentatives d'assassinat dont il a été l'objet, Héloïse se révolte avec une
violence bouleversante : « Les persécutions dirigées contre vous par vos maîtres, les derniers
outrages lâchement infligés à votre corps, l'odieuse jalousie et l'acharnement passionné dont vos
condisciples Albéric de Reims et Lotulfe de Lombardie vous ont poursuivi... » Elle ajoute :
« Vous ne l'ignorez pas, l'obligation qui vous lie envers moi, le sacrement du mariage, nous
enchaîne l'un à l'autre : nœud d'autant plus étroit que je vous ai toujours aimé à la face du ciel et
de la terre d'un amour sans bornes... [...] Plutôt que de te contrarier, sur un mot de toi, j'ai eu le
courage de me perdre moi-même [...]. Mon amour s'est transformé en délire ; il a, sans espoir de
jamais le recouvrer, sacrifié le seul objet de ses vœux. Sur ton ordre donné, comme en te jouant
[...], je t'ai montré que tu étais l'unique maître de mon cœur aussi bien que de mon corps. Jamais
je n'ai cherché autre chose que toi en toi-même [...]. »
Mystique, Héloïse ? « La raison d'aimer Dieu, c'est Dieu même. La mesure de cet amour, c'est
de l'aimer sans mesure » : cette formule de Bernard de Clairvaux, Héloïse l'aurait-elle faite
sienne ? Certainement par la véhémence, l'intensité de sa quête d'absolu, la persévérance de son
besoin d'aimer et de s'abandonner sans retour à l'amour, de façon sublime. Tous les attributs de
l'aspiration à l'union mystique sont réunis en elle, sauf que l'objet de sa passion sans limites n'eut
pas directement le divin pour objet. C'est seulement à travers Abélard, qu'elle supplie de lui
écrire, qu'Héloïse souhaite s'orienter vers Dieu : « Au nom donc de Celui auquel vous vous êtes
consacré, au nom de Dieu même, je vous en supplie, rendez-moi votre présence autant qu'il est
possible en m'envoyant quelques lignes de consolation ; si vous ne le faites à cause de moi,
faites-le du moins pour que, puisant dans votre langage des forces nouvelles, je vaque avec plus
de ferveur au service de Dieu. » La réponse que fit Abélard à cette missive laisse entrevoir une
autre orientation à cette passion. Avec une rare finesse de discernement, une grande tendresse et
une inébranlable ferveur religieuse, il pousse Héloïse vers sa vocation mystique, dont elle n'a pas
encore conscience, mais que révèle son nom : « Par une sorte de saint présage attaché à votre
nom, Dieu vous a particulièrement marquée pour le ciel en vous appelant Héloïse, de son propre
nom qui est Héloïm. »
Bernard Sesé
Bibl. : Œuvres : Lettres complètes d'Abélard à Héloïse, O. Gréard (éd.), Paris, Garnier, 1934 ;
Lettres et vies, Y. Ferroul (éd.), Paris, GF-Flammarion, 1996 ; Lettres des deux amants,
attribuées à Héloïse et Abélard, S. Piron (éd.), Paris, Gallimard, 2005. Vie et études :
J. BOURIN, Très sage Héloïse, Paris, Hachette, 1966 ; C. CHARRIER, Héloïse dans l'histoire et
dans la légende, Paris, Champion, 1933 ; G. DUBY, Dames du XIIe siècle. 1. Héloïse, Aliénor,
Iseut et quelques autres, Paris, Gallimard, 1995 ; Y. JEANDET, Héloïse. L'amour et l'absolu,
Lausanne, Rencontre, 1966 ; G. LOBRICHON, Héloïse. L'amour et le savoir, Paris, Gallimard,
2005 ; R. PERNOUD, Héloise et Abélard, Paris, Albin Michel, 1970.
HÉLYOT, Marie, laïque (Marie Herinx ; Paris, 16 mai 1644-1682). — En 1897, au plus fort de
la crise intérieure qui se soldera par son départ de la Compagnie de Jésus, l'abbé Bremond
découvre dans la bibliothèque de la maison de Saint-Joseph du Tholonet, près d'Aix-en-
Provence, un ouvrage rare, publié en 1683 par le père Jean Crasset, L'Admirable Vie de Mad.
Hélyot, qu'il lit « avec beaucoup de joie et d'émotion », alors même que s'achève sa « retraite de
troisième an », moment-clé de la formation de tout jésuite. De cette biographie qui lui donnera
« l'idée d'écrire [ses] trente volumes », il transcrira « à genoux » une page décisive que l'on
retrouvera dans l'Histoire littéraire du sentiment religieux en France..., au tome V, p. 322-323.
C'est en effet comme une dette de reconnaissance qu'il honore en consacrant un chapitre entier à
Mme Hélyot et à son directeur, dans ce tome V qui présentait la spiritualité jésuite. Non
seulement Mme Hélyot lui avait fait miroiter ce qui allait être le projet de toute son existence,
mais elle lui désignait comme le lieu d'une prière sans effet et sans affect – ce que lui-même
éprouvait et dont il souffrait désespérément – « un vaste désert et un certain vide infini, invisible,
incompréhensible, éternel et immuable, qui n'aurait point de bornes ». On aurait pu croire
entendre le père Surin, ou même, bien avant, Maître Eckhart ou Ruysbroeck.
On comprend que l'abbé Bremond ait succombé au charme de cette laïque, toute de « droiture »
et d'« allégresse », figure exquise s'il en est, de l'aventure mystique. Marie Herinx, née au sein
d'une riche famille parisienne d'origine flamande – un de ses parents, le récollet Guillaume
Herinx, deviendra évêque d'Ypres –, se voit demandée en mariage par son oncle par alliance,
Claude Hélyot, de seize ans son aîné. Les parents n'étaient guère favorables à ce projet ; aussi
Claude dut-il aller à Rome solliciter les dispenses nécessaires à ce mariage, qui fut célébré en
1662. C'est la mort d'un fils de quatre ans qui motivera en Marie un retournement spirituel, à la
faveur duquel elle choisit le jésuite Jean Crasset comme directeur en 1668. Multipliant oraisons,
œuvres de charité et mortifications, elle connaît les plus hauts états mystiques, dont le mariage
spirituel, au sujet duquel elle détruira ce qu'elle en avait écrit. La biographie de Crasset s'en fera
l'écho, décrivant le cursus intérieur de Marie dans son approfondissement des états d'oraison :
dépassement des images auxquelles la nature est spontanément attachée, pour se perdre
« heureusement » dans « le grand et vaste océan de la Divinité ». Dans la seconde édition,
Crasset modérera ce qu'il rapporte au sujet de « l'attouchement spirituel de la Divinité », qui avait
suscité quelques critiques peu amènes : c'est dans ces années en effet que tombe le « crépuscule
des mystiques ».
Dans cette dissymétrie qui fait l'admirable secret d'un équilibre conjugal, Claude Hélyot, bon
chrétien au demeurant, se convertira lui aussi à la vie dévote, à l'exemple combien stimulant de
son épouse : guéri d'une maladie grave en 1669, il réoriente sa vie, à la suite d'un vœu fait à saint
François de Sales, en se mettant sous la direction du père Crasset. Entraîné par sa jeune épouse,
c'est d'un même goût pour l'oraison, d'une même générosité dans la charité pour les pauvres, d'un
même zèle qu'il fera preuve, pour connaître à son tour de mêmes grâces mystiques. Bien que de
santé fragile, il mourra le 30 janvier 1686. Marie et Claude Hélyot peuvent être reçus à bon droit
comme des figures paradigmatiques de la spiritualité conjugale, telle qu'elle prend forme au
XVIIe siècle, dans le sillage de saint François de Sales. On mettra Marie Hélyot au même rang
que Barbe Acarie*, Jeanne de Chantal* ou Louise de Marillac*, même si c'est son activité
charitable que son biographe aura mise en valeur : n'était-ce pas sage prudence en ces temps
d'antimysticisme militant ?
François Marxer
Bibl. : Œuvres : Scivias, trad. P. Monat, Paris, Cerf, 2004 ; Le Livre des œuvres divines, trad.
B. Gorceix, Paris, Albin Michel, 1989 ; Le Livre des subtilités des créatures divines, trad.
P. Monat, Grenoble, Jérôme Millon, 2002, 2 vol. ; Les Causes et les remèdes, trad. P. Monat,
Grenoble, Jérôme Millon, 2007. Vie : La Vie de sainte Hildegarde de Bingen et les actes de
l'enquête en vue de sa canonisation, trad. C. Munier, Paris, Cerf, 2000. Études : A. FELLA,
Hildegarde de Bingen, la sentinelle de l'invisible, Paris, Le Courrier du Livre, 2009 ;
S. GOUGHENHEIM, La Sibylle du Rhin : Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse
rhénane, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996 ; D. MAURIN, Sainte Hildegarde. La santé
entre ciel et terre, Saint Julien-en-Genevois, Éditions Jouvence, 2001 ; R. PERNOUD,
Hildegarde de Bingen, Conscience inspirée du XIIe siècle, Paris, Éditions du Rocher, 1995.
Discographie : Les Chants de l'extase, CD audio édité par RCA, ensemble Sequentia, 2002.
HILLESUM, Etty, figure spirituelle juive, auteur d'un Journal (Middelburg, 1914-Auschwitz,
30 novembre [?] 1943). — Née dans la province de Zélande au sud-ouest des Pays-Bas, Esther,
surnommée Etty, est l'aînée d'une famille de trois enfants. Ses parents, Rebecca Bernstein (1881-
1943) et Louis Hillesum (1880-1943) sont tous deux juifs. Etty a deux frères : Jaap, étudiant en
médecine, et Mischa, musicien au talent exceptionnel. Peu après sa naissance, la famille
Hillesum déménage à Hilversum (1914-1916), puis à Tiel (1916-1918), à Winschoten (1918-
1924) et à Deventer à partir de juillet 1924. En ce qui concerne l'enfance d'Etty, nous n'avons pas
plus d'informations. Au terme de son école primaire en 1926, elle entre au lycée de Deventer où
son père est directeur adjoint. Elle étudie l'hébreu et participe un certain temps à des assemblées
de jeunes sionistes. À la fin de ses études au lycée, Etty part étudier le droit à Amsterdam. En
juin 1936, elle passe son baccalauréat. En juillet 1939, elle obtient sa maîtrise en droit public,
mais ces études ne semblent pas l'avoir intéressée. Elle privilégie plutôt la littérature et donne des
cours privés de russe. À cette époque, elle noue une relation intime de courte durée avec
l'écrivain Klaas Smelik, un amant de passage à qui elle confiera ses écrits pour fins de
publication. En mars 1937, toujours à Amsterdam, Etty déménage dans une maison de rapport
tenue par un veuf, Hendrik (Han) Wegerif, expert-comptable, qui l'a engagée comme
gouvernante. Ils ont une liaison et Etty vivra chez lui jusqu'à son départ définitif pour le camp de
concentration de Westerbork en juin 1943. Femme sensible et passionnée, Etty traverse des
périodes dépressives et cherche un sens à sa vie. Le 3 février 1941, elle fait la rencontre du
psychologue et chirologue (analyste de la personnalité à partir des mains) Julius Spier, âgé de
cinquante-quatre ans, qui aura un impact majeur sur son développement psycho-spirituel.
Après vingt-cinq ans de succès en affaires, Julius Spier décide, en 1926, de consacrer sa vie à
la chirologie. Il a suivi des cours en psychanalyse sous la direction de Carl Gustav Jung, qui lui
recommande d'ouvrir un cabinet de psycho-chirologiste à Berlin. En 1939, il quitte l'Allemagne à
cause de la guerre et immigre à Amsterdam. Il donne des cours de chirologie dans l'appartement
où il habite. Etty est invitée à y participer, le 3 février 1941, par un de ses amis. Elle est aussitôt
impressionnée par la personnalité « magique » de Spier. Elle se sent toutefois menacée par cet
homme qui parvient trop justement et facilement à l'analyser. Ce don soulève à la fois la
fascination et la méfiance chez elle. Malgré tout, elle décide d'entreprendre une thérapie avec lui,
tout en exerçant des fonctions de secrétaire à ses côtés. En mars 1941 – probablement sur le
conseil de Spier –, Etty commence la rédaction d'un journal intime.
À cette époque, la situation des juifs s'aggrave de façon alarmante aux Pays-Bas. En mai 1940,
Rotterdam est bombardé et le port pétrolier d'Amsterdam est incendié. Le 15 mai, l'armée
néerlandaise capitule et les nazis installent un Reichskommissar pour diriger le pays. Les
premières mesures antijuives sont mises en place dès juin 1940. Les juifs n'ont plus le droit
d'occuper de poste dans la fonction publique et sont exclus des universités. En novembre 1940, le
père d'Etty est destitué de son emploi de directeur au lycée de Deventer. En 1941, le
Stadtkommissar d'Amsterdam ordonne l'établissement d'un Conseil juif. Institué dans le but de
recenser tous les juifs de la région, ce Conseil est dirigé par des juifs qui croient aux privilèges
que les Allemands leur promettent. Toutes les informations obtenues par les recensements
permettront ensuite d'organiser plus efficacement les rafles des juifs à partir de 1942. Le 7 juillet,
Berlin décide du destin des juifs hollandais : l'extermination, la « Solution finale », ou, tel que
l'écrira Etty, « le destin de masse » (Massenschicksal). Sur la demande pressante de son frère
Jaap, qui cherche à la protéger, Etty adresse une lettre de candidature au Conseil, bien que cette
démarche aille à l'encontre de ses principes. Deux jours plus tard, elle obtient un poste à la
section « Aide aux partants ». Enlisée dans un milieu où règnent les intrigues et les arrangements
douteux, elle demande rapidement son transfert au camp de Westerbork pour y travailler comme
fonctionnaire. Employée du Conseil, Etty bénéficie cependant de permissions spéciales, dont la
possibilité de sortir du camp occasionnellement pour retourner à Amsterdam.
Son premier séjour au camp de Westerbork dure une quinzaine de jours seulement. Malade,
elle revient à Amsterdam pour se faire soigner, du 14 au 21 août 1942. Son deuxième séjour dure
aussi une quinzaine de jours : Etty tombe de nouveau malade début septembre. Elle revient à
Amsterdam et y restera jusqu'au 20 novembre. Dans la nuit du 15 au 16 septembre, Etty est aux
côtés de Spier, qui succombe à un cancer des poumons. Elle accepte tant bien que mal sa mort,
ne pouvant supporter de le voir souffrir. Le 20 novembre, elle retourne à Westerbork pour un
troisième séjour d'une quinzaine de jours. Le 5 décembre, encore malade, elle retourne à
Amsterdam pour être soignée. Elle habite chez Han Wegerif jusqu'à son hospitalisation, en
février 1943. Elle souffre d'un calcul biliaire, mais ne se fait pas opérer. Elle revient chez Han
jusqu'au 5 juin 1943, date de son départ définitif pour Westerbork. Les 20 et 21 juin 1943,
5 524 juifs sont déportés à Westerbork, parmi lesquels les parents d'Etty et son frère Mischa (qui
refuse de bénéficier d'un traitement de faveur dû à son talent de pianiste, ne voulant à aucun prix
s'éloigner de ses parents). La mère d'Etty envoie une lettre au commandant des SS lui demandant
d'épargner Mischa de la déportation. Événement qui précipite la déportation de celui-ci et de
toute sa famille. Le 7 septembre 1943, Etty, Mischa et leurs parents prennent place dans le train
vers Auschwitz parmi 987 déportés. Rebecca et Louis Hillesum seraient morts le 10 septembre
1943, au cours du voyage vers Auschwitz ou à leur arrivée au camp. À la fin du mois de
septembre 1943, Jaap est transféré au camp de Westerbork. Selon la Croix-Rouge, Etty, âgée de
vingt-neuf ans, aurait péri le 30 novembre de la même année et Mischa le 31 mars 1944. En
février 1944, Jaap est déporté à Bergen-Belsen ; il aurait péri le 17 avril de l'année suivante.
Dans ce contexte historique bouleversant, Etty Hillesum a écrit soixante-dix-huit lettres
retrouvées jusqu'à ce jour, ainsi que onze cahiers (bien que le septième ait disparu) dans lesquels
elle narre les événements, décrit ses impressions, se livre.
Tourmentée par des questions existentielles, Etty cherche un sens à sa vie. En dépit des
nombreuses ambiguïtés de leur relation, Spier l'aide à descendre dans les profondeurs de son être
pour y rencontrer bientôt ce qu'elle appellera « Dieu ». Il lui apprend à se retourner à l'intérieur
d'elle-même et se mettre à l'écoute de soi (hineinhorchen) pour atteindre ses ressources les plus
profondes. Etty apprend aussi à s'agenouiller ; un geste embarrassant au début, mais dont elle ne
pourra plus se passer. Bien que la terreur augmente de jour en jour, elle renouvelle ses forces en
se retirant en elle-même comme dans une cellule de monastère. La prière érige de hauts murs
protecteurs à l'intérieur desquels elle peut encore se retrouver, se réunifier afin de revenir au
monde plus fortifiée. Une transformation importante, apparente dans son écriture, a lieu chez
Etty en juin 1942. La jeune femme se décentre d'elle-même et, à l'instar de Spier, se met au
service d'autrui. Réalisant que Dieu ne peut plus venir à son aide, elle décide que c'est à elle
d'aider Dieu. En abandonnant la seule prétention d'aider autrui et en prenant pour principe d'aider
Dieu, elle se rend ainsi disponible aux autres. Il est difficile de savoir si cette intuition vient
d'Etty ou de Spier, puisqu'ils partageaient tous deux ce même idéal, telle qu'en témoigne la
huitième lettre adressée à Spier, probablement en juillet 1942. De plus, cette intuition est
présente dès les débuts du Journal lorsque Etty décide de combattre son attirance vers Spier afin
que Dieu lui en soit reconnaissant. Etty ne considère pas que Dieu soit responsable et coupable
envers l'homme, mais plutôt que celui-ci l'est envers lui. Malgré tout ce qui se passe autour d'elle,
elle maintient que la vie est belle et riche de sens. Quelques heures après la mort de Spier, elle le
décrit dans son Journal comme étant celui qui fut le médiateur entre elle et Dieu. Suivant son
exemple, elle décide de devenir à son tour la médiatrice entre ceux qui l'entourent et Dieu. Les
gens lui apparaissent comme des maisons à l'intérieur desquelles elle peut tout simplement se
promener. S'adressant à Dieu dans son Journal, elle lui promet de lui chercher un refuge dans le
plus de cœurs possible. Elle souhaite ainsi témoigner que Dieu est vivant, même en ces temps
difficiles. La jeune femme se sent l'héritière d'un grand legs spirituel; elle en sera la fidèle
gardienne et le partagera de son mieux. Etty croit, en effet, que cet héritage est celui d'un amour
pour tous. Tous les hommes sont appelés à extirper le mal en eux-mêmes, car chaque atome de
haine ne fait que rendre ce monde encore plus inhospitalier. Pour elle, cette terre ne pourra
redevenir habitable que par cet amour dont le juif Paul a jadis parlé aux habitants de Corinthe.
Les écrits d'Etty sont tissés d'un grand nombre de citations et de renvois à des auteurs qui l'ont
profondément marquée, tel que le poète Rainer Maria Rilke qu'elle considère comme son maître
aux côtés de Spier. Ces derniers l'ont tant influencée qu'il est parfois difficile de savoir si les
intuitions notées dans son Journal sont les siennes ou les leurs. Si Spier était son maître pour l'art
de vivre humainement et spirituellement, Rilke était son maître pour l'écriture et la vertu de la
patience. Etty recopiait parfois des citations de Spier, ajoutant que celles-ci lui étaient si
familières qu'elles auraient pu venir directement de son propre cœur. Spier l'a de plus initiée à la
Bible hébraïque ainsi qu'au Nouveau Testament. Nous retrouvons plusieurs citations ou allusions
à la Bible dans les écrits d'Etty, dont certaines sont devenues des leitmotivs pour l'aider à
survivre au cœur de sa vie bouleversée : « Aime ton prochain comme toi-même » (Lv XIX, 18),
« Dieu créa l'homme à son image » (Gn I, 27), « De quoi me servent toutes choses si je n'ai pas
l'amour » (1Co XIII) et « À chaque jour suffit sa peine » (Mt VI, 34). Spier, qu'elle considère
comme son ami « liseur de Bible », l'a aidée à interpréter et à intégrer la Parole de Dieu dans sa
vie. En plus des écrits de Jung, ils ont lu tous deux l'Imitation de Jésus-Christ de Thomas a
Kempis, les Confessions de saint Augustin, L'Évangile de saint Jean (1938) de Friedrich
Rittelmeyer et L'Évangile de la vie parfaite connu aussi sous le nom de L'Évangile des douze
saints (1938) de Gideon Jasper Ouseley. Etty mentionne également Fiodor Dostoïevski et Walter
Rathenau. Reprenant de manière originale la pensée de divers auteurs, ses écrits révèlent une
spiritualité éclectique et contemporaine, qui puise à de nombreuses sources, dans le but d'établir
une « religion » plus personnelle et vivante. Ce qui explique en partie la raison pour laquelle Etty
attire autant les croyants que les non-croyants.
Bien qu'Etty ait trouvé une nourriture spirituelle à travers plusieurs auteurs non-juifs, elle n'a
toutefois jamais renoncé à son identité juive. Elle est née et est morte juive. Tel qu'elle le dit à
son ami, Klaas Smelik, elle veut même « partager le sort de son peuple ». En outre, elle croit
fermement que toutes les divisions entre les êtres humains et les nations n'existent plus en elle.
En témoignent ses écrits pertinents et signifiants, qui s'inscrivent dans la quête spirituelle
contemporaine, où le « religieux » n'est plus rattaché à une institution, comme auparavant.
Aimante, miséricordieuse envers autrui, elle reste ainsi pour beaucoup un être inspirant et
réconfortant.
Alexandra Pleshoyano
Bibl. : Œuvres complètes : Etty, De nagelaten geschriften van Etty Hillesum 1941-1943,
K. A. D. Smelik (éd.), Amsterdam, Balans, 2008 ; Les Écrits d'Etty Hillesum. Journaux et lettres
1941-1943, trad. P. Noble, Paris, Seuil, 2008. Études : J.-G. GAARLANDT (éd.), Men zou een
pleister op vele wonden willen zijn : Reacties op de dagboeken en brieven van Etty Hillesum,
Amsterdam, Balans, 1989 ; R. VAN DEN BRANDT et K. A. D. SMELIK (éd.), Etty Hillesum in
facetten, Budel, Damon, 2003 ; A. PLESHOYANO, Etty Hillesum : l'amour comme « seule
solution ». Une herméneutique théologique au cœur du mal, Münster, Lit Verlag, 2007 ; Studies
on Etty Hillesum, K. A. D. Smelik, R. van den Brandt & M. Coetsier (éd.), Boston, Brill, 2010.
HIPPIUS, Zinaïda, écrivain et poétesse (Beliov, Empire russe, 8 novembre 1869-Paris, 1945).
— Née d'un père juriste renommé, Zinaïda passe son enfance en voyage et ne reçoit pas de
formation classique. Après la mort de son père en 1881, la famille déménage à Moscou où
Zinaïda fréquente d'abord un gymnase puis, en raison de sa faible santé, se fait retirer de l'école,
continuant ses études à la maison. En 1888, lors d'un été passé à Borjomi (station balnéaire en
Géorgie), elle rencontre l'écrivain Dimitri Merejkovski. Elle l'épouse un an plus tard. Cette
union, ressentie par les deux époux comme mystique et voulue par les cieux, durera plus de
cinquante ans ; elle sera considérée comme l'une des plus fructueuses, intellectuellement, de la
culture russe du XXe siècle. Après leur mariage, les époux s'installent à Saint-Pétersbourg et
commencent vite à jouer un rôle important sur la scène littéraire russe. Le salon tenu par Zinaïda
sert de tremplin à de nombreux poètes et écrivains débutants. Elle est reconnue comme une
excellente publiciste et critique littéraire.
À partir des années 1890, le mouvement symboliste venu de France conquiert la Russie ;
Zinaïda en devient une fervente adepte et propagatrice. Comme tous les symbolistes, elle se
penche vers le mysticisme religieux, mais cette attitude n'a rien d'accidentel, ni de stylisé. En
lisant l'Évangile, elle en vient à la formulation de sa conception de la foi. Ce n'est pas la morale
chrétienne qui engendre la croyance, mais l'expérience mystique du contact immédiat avec le
Christ, qu'elle appelle l'« envoûtement ». Sa création poétique est tout aussi mystique : chaque
poème est une prière tournée vers Dieu, un appel. La poésie contemporaine se caractérisant,
selon l'auteur, par un extrême subjectivisme, elle manque à sa véritable vocation. Le poète ne
peut aspirer qu'à se défaire de ce penchant subjectif, sortir de lui-même ; le poème, étant « un
reflet de la plénitude instantanée » de l'âme, doit rejaillir vers Dieu, traduire cet élan extatique.
La poésie de Zinaïda atteste de ce déchirement profond entre l'amour porté à Dieu et
l'impossibilité de cet amour, le besoin de prier, de s'adresser à lui, et le manque d'adresse,
l'inaboutissement de la prière.
En pointant l'insuffisance de l'Église historique, son caractère inachevé, car n'incarnant pas
encore tout l'esprit du christianisme, Zinaïda est convaincue de la nécessité d'une nouvelle
Église. Celle-ci devant pouvoir se réformer constamment afin de correspondre au mouvement
dynamique de l'âme religieuse. Avec son mari et un proche ami, Dimitri Filosofov, elle fonde
une société mystique, L'union des Trois. Des messes intimes sont célébrées à domicile selon le
cérémonial élaboré et mis en scène par Zinaïda. Le nombre trois (la sainte Trinité) a une forte
signification symbolique : il préfigure la Nouvelle Église qui sera fondée sur l'idée du
« Troisième Testament », marquant le règne de l'Esprit-Saint. Afin de préparer la venue de cette
Église et d'en faire accepter l'idée dans la société, les époux organisent les « Réunions de la
philosophe religieuse », espace officiel de rencontres et de discussions ouvertes entre l'élite
intellectuelle et le clergé de l'Église orthodoxe. Ces réunions, qui se tiennent durant les années
1901-1903, cessent brusquement du fait de l'interdiction du saint Synode.
En 1919, les époux quittent définitivement la Russie et s'installent en France. Zinaïda a
violemment rejeté la Révolution d'octobre. Dans un cycle de poèmes publié en 1918 se font
entendre des notes eschatologiques, prophétiques, sur la fin de la Russie devant périr dans cette
catastrophe ultime. Après son émigration, son activité littéraire décline. Elle ne se voit pas
travailler loin de la Russie. Son dernier recueil, Siyania (« Les rayonnements », 1938) est
imprégné des motifs de la solitude et de l'abandon. Après la mort de Merejkovski en 1941, elle se
retrouve dans un total isolement du fait des sympathies pro-fascistes de son époux. Elle meurt
quatre ans plus tard, à Paris.
Ioulia Podoroga
HOUX, Jeanne du, visitandine (Jeanne Pinczon du Hazay ; Rennes, 2 septembre 1616-
26 septembre 1677). — Mme du Houx est la fille de François Pinczon, seigneur de Cacé, et de
Renée Sion. Après une enfance où se succèdent bouleversements affectifs, ennuis de santé et
émois spirituels, Jeanne, malgré son attrait pour la vie religieuse, est mariée en 1636 à Hilarion
de Forsans, seigneur du Houx. Son biographe la décrit comme une épouse modèle, qui partage
son temps entre la pratique des bonnes œuvres, la direction de sa maison et l'accompagnement
spirituel de son époux. Elle ne peut toutefois dissimuler son aversion pour le mariage et donne à
son foyer des allures de couvent. Les maux qui l'accablent sont pour elle l'occasion de
communier aux souffrances d'un Christ, apparu en lépreux et pourtant amoureusement embrassé.
Cette expérience lui vaut d'éprouver un violent désir d'anéantissement, prélude d'une union
intime avec Dieu. Chaque maladie devient un lieu de nouvelles expériences visionnaires, mais
aussi de tortures corporelles et spirituelles. En contrepoint, chaque temps de rémission est
consacré à l'accomplissement de démarches altruistes qui la situent dans l'univers typique de la
bienfaisance au féminin.
Le décès de son mari lui offre enfin la possibilité d'entrer chez les Visitandines du Colombier
(Rennes). Son état de santé ne lui permet toutefois pas de rejoindre le chœur des religieuses.
Accueillie le 29 juin 1646, elle est d'abord reçue comme bienfaitrice séculière, avant de revêtir
l'habit de converse, l'année suivante. Son état d'union avec le Christ s'enrichit parfois
d'expériences plus heureuses, lorsqu'elle convoque la métaphore du jardin clos pour décrire son
âme visitée par le divin jardinier. Mais c'est plus fréquemment au cœur de la douleur et à la
faveur de visions du Crucifié qu'elle éprouve les plus fortes impressions de communion. Toute à
son désir d'expier ses fautes et de racheter celles des autres, elle accepte de s'unir « par contrat »
à la croix du Christ et d'en supporter toute sa vie le poids accablant. Tourmentée jusqu'à sa mort
de peines spirituelles et morales (tentations, déréliction, dégoût de la vie religieuse, agressivité de
l'entourage, visions infernales...), dont elle s'efforce de dissimuler les effets extérieurs, elle est en
outre confrontée aux exigences du Christ, qui attend d'elle sacrifices et total abandon. Déchirée
entre moments de sublime jouissance et états de profond désespoir, Jeanne se soumet sans
résistance au plaisir d'un Dieu qui ne cesse de la crucifier. Abîmée dans les plaies de son
Sauveur, elle emprunte à l'école bérullienne un désir d'adhérence infinie à la volonté divine. Sa
seule aspiration : vivre avec le Verbe incarné, cachée en Dieu. L'identification absolue avec la
personne du Christ la conduit aux frontières de la déification.
Sa rencontre avec le carme Valentin de Saint-Armel, qui la pousse davantage encore sur la voie
du dolorisme, ne lui apporte guère de soulagement. Pour mieux juger de la nature de ses
expériences et sans doute réorienter son trop-plein d'énergie intérieure, le religieux la somme
d'écrire sa vie et de travailler au salut des âmes. C'est dans cette vocation missionnaire, autorisée
par l'évêque de Rennes, que Jeanne Pinczon va désormais s'illustrer et exercer une influence
considérable dans les milieux actifs du catholicisme breton, à la croisée des milieux conventuels
et du monde séculier. En 1654, le carme, en lien avec les Ursulines de Loudun, la met en relation
avec Jeanne des Anges*. La « sainteté » de cette religieuse faisant toujours débat, l'évêque de
Rennes requiert l'avis de Jeanne Pinczon sur la question. Non sans appréhension, celle-ci se rend
plusieurs fois à Loudun, où elle finit par apprécier son interlocutrice, avec qui elle correspond
longuement, sous la surveillance rassurante du jésuite Jean-Baptiste Saint-Jure. Son prédécesseur
Jean-Joseph Surin, alors sorti de son état dépressif, échange également quelques lettres avec elle
et lui fait découvrir Augustin, Jean de la Croix, Thérèse d'Avila* et François de Sales.
À l'issue de ces rencontres, Jeanne voit ses dons de discernement et ses qualités de guide
spirituel reconnus par les autorités diocésaines. Dès 1659, plusieurs maisons religieuses, tous
ordres confondus, sollicitent son aide pour l'établissement de réformes. Sur ordre des évêques de
Rennes et de Tréguier, elle sillonne la Bretagne pour œuvrer à la conversion des âmes, tant
séculières que régulières. À l'heure où la notion d'« apostolat féminin » fait frémir les misogynes,
elle s'y engage sans compter, soutenue intérieurement par sa proximité avec le divin. Quand elle
séjourne au Colombier, le parloir devient un salon spirituel où clercs et laïcs viennent écouter ses
enseignements. Très liée à Mme Bude, fondatrice d'une maison de retraite spirituelle pour
femmes à Rennes, elle contribue encore à la mise en place d'un établissement identique à
Vannes, à la demande de Catherine de Francheville (fondatrice de la première maison de retraite
pour femmes) et du jésuite Vincent Huby. Hautement appréciée des uns, Jeanne Pinczon fait
aussi l'objet de vives critiques de la part de ceux qui ne lui pardonnent pas son amitié avec
Jeanne des Anges et l'accusent d'être elle-même victime d'illusions ou la proie du démon.
Son biographe ne manque pas de rappeler combien son héroïne, assaillie de toutes parts,
envisage son apostolat comme une contribution volontaire aux souffrances d'un Christ exigeant
d'elle expiation et réparation. Entre visions de l'Homme de Douleurs et communications avec les
âmes du purgatoire, Jeanne vit aussi des moments plus doux. L'Enfant, auquel elle se voue à la
suite de la carmélite de Beaune, Marguerite du Saint-Sacrement* (Marguerite Parigot), échange
son cœur avec le sien et imprime en elle les qualités de l'enfance. Elle découvre encore l'amour
qui unit les personnes de la Trinité ou reçoit des lumières sur l'économie du salut, avant de
s'éteindre, non sans avoir enfin pu prononcer ses vœux solennels de visitandine.
Marie-Élisabeth Henneau
Bibl. : Vie : Chevalier D'ESPOY, Vie de Madame du Houx, surnommée l'épouse de la Croix...,
Paris, F. Rabuty, 1713. Étude : E. CATTA, article in Dictionnaire de spiritualité, Paris,
Beauchesne, t. III, 1957, col. 1769-1773.
HUBER, Marie, écrivain et théologienne protestante (Genève, 1695-Lyon, 1753). — Née dans
une famille de très riches négociants genevois, petite-fille du pasteur réformé Calandrini, Marie
Huber s'installe à Lyon avec ses parents en 1711. Liée à son grand-oncle Fatio de Duillier,
géomètre et astronome, qui, à Londres, soutient les prophéties millénaristes d'anciens camisards,
en rapport aussi avec les prophètes protestants des Cévennes, elle entend, en 1715-1716, des
messages divins accablant les habitants de Genève pour leur peu de foi. Elle s'y rend pour
s'entretenir avec les milieux piétistes de la ville et pour tenter de convaincre les pasteurs d'œuvrer
au renouvellement de l'Église, mais elle est très mal reçue et en tombe profondément malade
quand elle rentre à Lyon. Elle ne s'en remettra que trois ans plus tard.
Par la suite, Marie Huber écrira des livres d'inspiration déiste, de plus en plus rationalistes, tout
en vivant très discrètement. Les prophéties de sa jeunesse ne nous sont malheureusement
connues que par des correspondances, et leur contenu exact ne nous est pas parvenu. Même si
elle s'en est détachée par la suite, elles lui ont sans doute permis d'insister sur le rôle fondamental
de la conscience et du sentiment intérieur dans la religion, même rationnelle.
Yves Krumenacker
Bibl. : Œuvres : Le Monde fou préféré au monde sage, Genève, Fabri & Barrillot, 1731 ; Le
Système des anciens et des modernes, Genève, Fabri & Barrillot, 1731 ; Lettres sur la religion
essentielle à l'homme, Amsterdam, Wetstein & Smith, 1738 ; Réduction du spectateur anglois,
Genève, 1753. Étude : G. METZGER, Marie Huber (1695-1753). Sa vie, ses œuvres, sa
théologie, thèse de la faculté de théologie de Genève, Genève, Rivera et Dubois, 1887.
HUECK DOHERTY, Catherine de, laïque, écrivain, fondatrice de Madonna House (Catherine
Kolyschkine ; Nizhny-Novgorod, 1896-Combermere, 14 décembre 1985). — Dès sa naissance –
dans un wagon-lit lors d'une foire en Russie –, la vie de l'aristocrate Catherine Kolyschkine est
marquée par la manière mystérieuse que Dieu a de lui manifester sa présence et sa volonté. Ses
récits autobiographiques s'attacheront à repérer les moments d'intrusion divine, dialogues brefs et
inachevés dont Dieu a l'initiative et qui laissent à Catherine des mots ou des bribes de phrases à
accueillir, à méditer, à consentir aussi, et qui peu à peu traceront la ligne directrice de sa vie
pèlerine et de sa mission jusqu'à former un texte – Le Petit Mandat –, achevé vers 1933,
quintessence mystique de Madonna House, œuvre apostolique qu'elle fonde au Canada en 1951.
La mystique elle-même hésite à déterminer quelle expérience inaugure son aventure
spirituelle : son enfance, espiègle et pieuse à la fois ; l'école égyptienne, où elle s'éprend pour
toujours de la figure de saint François d'Assise et rêve de l'imiter ; les années de la Grande
Guerre, pendant lesquelles la jeune épouse du baron Boris de Hueck se dévoue comme infirmière
sur le front même ; ou encore, et peut-être surtout, l'événement dramatique de 1918 où, enfermé
dans leur maison d'été en Finlande, le couple est condamné par les partisans communistes à
mourir de faim et de soif ; et les mots adressés alors à Dieu, balbutiés par Catherine aux
frontières de la mort : « promesse » de lui offrir sa vie si elle était sauvée.
C'est la fuite d'abord en Angleterre, où elle devient catholique ; puis au Canada, à Toronto où,
en 1921, elle donne naissance à George ; et, enfin, à New York : vie de réfugiée, très difficile,
presque misérable, avant de trouver, comme conférencière, la prospérité et la notoriété, mais non
la paix intérieure. Les difficultés conjugales s'aggravent ; elles conduiront à la séparation de fait
puis, treize ans plus tard, à la déclaration par l'Église de la nullité d'un mariage entre cousins
alors qu'elle avait quinze ans. Mais surtout, le luxe et la vie mondaine s'accompagnent d'une
autre misère : genre de malaise profond entretenu, d'une part, par le souvenir récurrent de la
promesse faite à Dieu, non tenue ou imparfaitement réalisée et, d'autre part, par la voix intérieure
qui l'invite à une pauvreté de plus en plus radicale, générosité d'un autre ordre que celle qu'elle
pratique dans ses bonnes œuvres.
Catherine recommence à prier, à méditer des versets évangéliques (Mt XIX, 21), qui
s'imposent à elle comme un appel et vers lesquels elle est sans cesse et mystérieusement
renvoyée. Elle comprend sa vocation : devenir pauvre, simple et petite, matériellement et
spirituellement. Comment ? Elle découvre qu'il lui faut consentir à la Croix du Christ et que cette
croix est celle des pauvres ; plus tard, elle parlera de devenir soi-même croix, mystère de la
croix, en tenant Dieu d'une main et en tendant l'autre au pauvre. En un mot, dira-t-elle, il faut
« aimer, peu importe le prix ». En 1930, elle s'engage dans le difficile chemin de la dépossession
lorsque, après avoir démissionné de son emploi lucratif et vendu tout ce qu'elle possède tout en
veillant à subvenir aux besoins de son jeune fils, elle retourne à Toronto et devient, avec l'accord
de l'évêque, apôtre laïc anonyme au service des plus pauvres. Suivront plusieurs fondations de
Friendship House : à Toronto en 1934 dans les quartiers les plus pauvres ; à New York en 1938
en plein centre de Harlem ; à Chicago en 1942. Mais, malgré le succès de ces centres d'amitié et
de solidarité, elle devra les quitter l'un après l'autre, victime de rumeurs ou d'incompréhension.
Sa parole prophétique, forte et audacieuse, fondée sur son intimité avec le Serviteur souffrant et
appuyée sur la doctrine sociale de l'Église, dérange l'Amérique des années 1930 en dénonçant les
racismes et leurs conséquences déshumanisantes. Ces épreuves douloureuses de rejet, d'angoisse,
de solitude morale, creusent en elle toujours davantage sa participation aux souffrances du
Christ, à laquelle il continue de l'inviter.
En 1947, elle se retire à Combermere (Canada), dans la campagne ontarienne, en compagnie de
son deuxième mari, le journaliste américain Eddie Doherty, qu'elle a épousé en 1943. Elle
partage l'existence des paysans, vivant la charité au quotidien par les gestes simples du service.
Elle commence bientôt à organiser une formation pour laïcs catholiques. L'exigence spirituelle se
fait plus profonde dans le couple et, en février 1951, encouragés par le père John Callahan qui les
accompagne spirituellement, Catherine et Eddie consacrent leur vie à Jésus par l'intermédiaire de
la Vierge Marie*, épousant l'esprit de Louis-Marie Grignion de Montfort. Ce moment inaugure
pour Catherine une nouvelle avancée mystique. Mais, comme toujours, la croissance dans
l'amour de Dieu est inséparable chez elle du service de l'autre. Le temps est venu de la fécondité
apostolique de cette pionnière de l'apostolat des laïcs. Des jeunes gens les ont rejoints, et
Catherine ouvre alors Madonna House. Période de grâces insignes et de grande fécondité.
L'esprit de cette œuvre est directement issu de la vie mystique de la fondatrice ; Madonna House
est articulé par le double commandement de l'amour, comme la vie quotidienne à Nazareth ; ne
dit-elle pas que « l'état mystique est l'état d'amour » ? Catherine est convaincue que l'unité de la
communauté dépend de la volonté de chacun des membres à vivre selon la dynamique de l'amour
trinitaire. Il s'agit là du sobornost, un des concepts de la spiritualité russe orientale, que Catherine
introduit en Occident, comme elle introduira aussi l'idée de poustinia, lieu matériel et spirituel
qui, dans la solitude, la prière et le jeûne, favorise la rencontre avec Dieu.
À partir de 1955 où ils font vœu de chasteté, Catherine et Eddie vivront dans le célibat. La vie
communautaire de Madonna House prend alors son plein essor, encouragée et soutenue
successivement par les papes Pie XII, Paul VI et Jean-Paul II. Catherine aura à vivre encore
plusieurs purifications intérieures, pour atteindre la paix mystique qui l'habitera après l'ordination
d'Eddie comme prêtre selon le rite melchite reconnu par l'Église. Les dernières années de la vie
de la mystique sont surtout consacrées à l'enseignement, en particulier la rédaction d'une
trentaine d'ouvrages spirituels : écriture poétique et allègre, sans compromis, qui dit aussi bien
les « noces mystiques de l'Indigent divin » que la joie dans les larmes, l'amour trinitaire qui
l'habite, l'unifie et l'envoie aussi bien vers le plus pauvre que vers ces chers prêtres pour lesquels
elle construira Vianney House. Elle meurt ayant donné progressivement sa vie, « cellule par
cellule ».
Thérèse Nadeau-Lacour
Bibl. : Œuvres : L'Évangile sans transiger, trad. J. Prignaud, Paris, Cerf, 1980 ; Depuis la
poustinia, ou le pèlerinage au cœur des hommes, trad. J. Prignaud, Paris, Cerf, 1981 ; Lettre
d'amour aux prêtres, trad. T. de Roucy, Abbaye d'Ourscamp, Éditions du Serviteur, 1990 ;
Unfinished Pilgrimage, Combermere, Madonna House Publications, 1995. Étude : E.-
M. BRIERE, L'Expérience de Dieu avec Catherine de Huech Doherty, Montréal, Fides, 2001.
Bibl. : Vie : The Life of Ida of Léau, trad. Martinus Cawley, Lafayette (Oregon), Our Lady of
Guadalupe Abbey, 1985. Études : E. MIKKERS, « Ida », Dictionnaire de spiritualité, Paris,
Beauchesne, t. VII, 1969-1971, col. 1239-1241 ; A. STEENWEGEN, « De gelukz : Ida de Lewis
of Ida van Gorsleeuw », Ons geestelijk erf, t. 57, 1983, p. 105-133, 209-247, 305-321 ; M.-
É. HENNEAU, « Entre terres et cieux..., le temps des fondations (XIIIe-XIVe s.) », in La Ramée,
abbaye cistercienne en Brabant wallon, Thomas Coomans (éd.), Bruxelles, Racine, 2002, p. 18-
31 et 210-211.
Bibl. : Vies : Ida the Eager of Louvain, Medieval Cistercian Nun, trad. Martinus Cawley,
Lafayette, Guadalupe, 2000 ; H. VEKEMAN, Ida van Leuven (ca 1211-1290), Latijnse vita,
vertalig, inleiding en commentar, Budel, Daman, 2006. Études : E. MIKKERS, « Ida »,
Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. VII, 1969-1971, col. 1239-1241 ;
F. VANHOOF, « Abbaye de Roosendael à Wavre-Sainte-Catherine », Monasticon belge,
province d'Anvers, Liège, Centre national de recherches d'histoire religieuse, 1992, t. VIII,
p. 127-164.
Bibl. : Vie : « The Life of Ida the Compassionate of Nivelles, Nun of La Ramée », trad.
M. Cawley, in Send Me God : The Lives of Ida the Compassionate of Nivelles, Nun of La Ramée,
Arnulf, Lay Brother of Villers, and Abundus, Monk of Villers by Goswin, of Bossut, Turnhout,
Brepols, 2003. Études : P. DINZELBACHER, « Ida von Nijvels Brückenvision », Ons geestelijk
erf, t. 52, 1978, p. 179-194 ; E. MIKKERS, « Ida », Dictionnaire de spiritualité, Paris,
Beauchesne, t. VII, 1969-1971, col. 1239-1243 ; M.-É. HENNEAU, « Entre terres et cieux..., le
temps des fondations (XIIIe-XIVe s.) », in T. Coomans (éd.), La Ramée, abbaye cistercienne en
Brabant wallon, Bruxelles, Racine, 2002, p. 18-31 et 210-211.
IMAM BEGUM, poétesse musulmane chiite (« Sayyida Bibi » ; Bombay ou au Kutch, fin
XVIIIe/début XIXe s.-Karachi, fin XIXe/début XXe s.). — Imam Begum est contemporaine des
premiers réformateurs et penseurs de l'Inde moderne tels que Ram Mohan Roy ou Devanand
Saraswati. Sa biographie très incertaine, comme celle des saints-poètes de l'Inde médiévale dont
elle paraît être une dernière représentante, repose sur la tradition orale de la communauté des
Khojas, chiites ismaéliens nizaris, de Bombay et Karachi, musulmans pratiquant un islam
ésotérique enraciné dans la culture indienne. Avec elle serait close la lignée de Pir Shams de
Multan et de ses descendants, les Sayyids Kadiwala (de la petite ville de Kadi, au nord du
Gujarat, au nord-ouest de l'Inde). Son enfance, son éducation et son nom sont inconnus ; Imam
Begum (« la dame de l'Imam ») est la signature orale de ses ginans (poèmes mystiques). Elle
aurait d'abord vécu à Thana, près de Bombay, dans une petite maison, où ses talents de
prédicateur attirèrent à elle nombre de disciples, tant ismaéliens qu'hindous. Elle jouait sur
l'instrument de musique sarangi ses propres compositions, qu'elle chantait elle-même sur les
mélodies classiques, les ragas, en musicienne accomplie. Plusieurs récits s'accordent pour
témoigner de son attachement romantique pour Sayyid Ghulam Haidar Shah, un prédicateur
ismaélien de la ville de Karachi, qui l'aurait demandée en mariage. De fait, leurs deux tombes se
trouvent côte à côte, séparées par un voile, dans le vieux cimetière ismaélien de Mian Shah à
Karachi. Imam Begum se serait fixée définitivement à Karachi après l'arrivée de l'imam Hasan
Ali Shah, Aga Khan I, à Bombay, en 1845, alors qu'il fuyait d'Iran. Ce n'est pas un différend
entre le chef religieux et Imam Begum qui aurait causé le départ de l'imam mais plutôt, selon
l'historienne Zawahir Moir, la nécessité pour le fidèle de garder une distance entre lui et la
personne sacrée, épiphanie divine, qu'est l'imam, dont on ne peut obtenir la vision, didar, que par
la souffrance du désir jamais assouvi de sa présence. L'arrivée de l'imam à Bombay a changé
radicalement ce mode de fonctionnement spirituel auquel Imam Begum, encore immergée dans
la tradition médiévale des poèmes mystiques, ne pouvait que rester attachée. On ne sait pas
quand elle mourut et ses compositions commencèrent à être copiées dans les manuscrits vers
1880. Avec elle s'éteint la tradition créatrice des ginans.
Seuls, dix de ses poèmes (peut-être trente en tout) ont reçu une approbation officielle des
autorités du mouvement, mais ils suffisent à montrer sa maîtrise de la tradition ginanique et des
langues qui lui sont associées : gujarati et hindi surtout, mais aussi siraiki, sanskrit, persan et
arabe. Imam Begum manie les formules, images, métaphores et allitérations tout comme un
auteur du XVIe siècle, mais elle dépasse l'inertie du genre par ses accents personnels poignants,
un style qui lui est propre. Elle use d'un mode d'interpellation s'adressant soit à ses frères
humains, soit à son seigneur et imam, soit à son propre esprit qu'elle prend à partie. Ses
principaux thèmes sont : l'exhortation à suivre la vraie voie (sat-panth), dans la lignée didactique
des Sayyids ; l'appréciation correcte de la valeur unique d'une vie humaine pour faire son salut, et
la vigilance nécessaire pour maîtriser l'esprit vagabond, dans la lignée des sants hindous de l'Inde
du Nord tel le mystique Kabir (XVe s.) ; et enfin la méditation quotidienne associée à la dévotion
aimante pour l'imam du temps présent. Pour la méditation, elle fait appel à des techniques
yogiques, sans que l'on puisse savoir si elle eut un guru hors de la tradition ismaélienne, pour lui
enseigner le hatha yoga.
Malgré l'évolution du courant ismaélien nizari vers une ré-islamisation par l'abandon des
éléments hérités de la culture religieuse de l'Inde, les ginans résistent et persistent dans leur rôle
de support spirituel pour une communauté très ouverte à une pratique mystique et très attachée à
ses chants sacrés. Et, parmi les ginans (peut-être huit cents à mille en tout), aucuns ne sont
chantés avec plus de ferveur (surtout par les femmes qui ont une longue tradition spirituelle
depuis les origines de la prédication ismaélienne nizari en Inde) que ceux d'Imam Begum, que ce
soit pour des occasions rituelles, comme les funérailles, ou pour introduire les séances de
méditation quotidiennes lors des prières matinales dans la Jamaat Khana (lieu sacré), tel le
sixième ginan, Satgur malia mane (« J'ai rencontré le Maître de la Vérité ») : « Quand j'ai trouvé
le Seigneur, toute illusion s'est évanouie. Les efforts de Sa servante, tous ont été récompensés
/ Quand j'ai eu Sa vision, mon cœur a bondi de joie. J'ai atteint l'État Suprême, un Royaume / Ô
frère, expliquer par des mots cet État Suprême n'est pas en notre pouvoir. Nul ne peut
comprendre ce qui se passe / Et si quelqu'un peut le connaître, alors il possède les neuf continents
[le monde entier] et voit le Seigneur dans chaque cœur / Et même s'il Le voit partout, il sait qu'il
n'est qu'Un, tel est le royaume de Celui-qui-vient / Ainsi dit Imam Begum, Écoute ô mon frère :
Au-dessus de tout sont Ali et le Prophète » (refrain : « Aujourd'hui j'ai rencontré le Seigneur et
Maître de la Vérité, j'ai atteint la béatitude »).
Françoise Mallison
Bibl. : Œuvre : six ginans trad. par G. Allana, dans Ginans of the Ismaili Pirs rendered into
English Verse, Karachi, Shia Imami Ismailia Association for Pakistan, 1984, p. 312-333.
Études : Z. MOIR, « Bibi Imam Begam and the End of the Ismaili Ginanic Tradition », in
A. W. Entwistle, C. Salomon, H. Pauwels, M. C. Shapiro, Early Modern Indo-Aryan Languages
Literature and Culture, New Delhi, Manohar, 1995 ; M. T. SADIK ALI, « Sayyida Bibi Imam
Begum », Hidayat, juillet 1980, p. 16-21.
Bibl. : Œuvres : Vita Christi, Barcelone, Ediciones 62, 1995 ; Femmes dans la Vie du Christ,
Perpignan, Éditions de la Merci, 2008. Vie et études : C. SEGURA GRAÏNO, Diccionario de
mujeres célebres, Madrid, Espasa-Calpe, 1998 ; A. LLIN, Modelos de vida cristiana, Valencia,
Edicep, 1999 ; COLLECTIF, L'Autre féminin, Paris, Campagne-Première, 2009.
ISIDORA, sainte orthodoxe, folle en Christ (Varankis en copte ; ?, début du IVe s.-?, 365). —
Isidora était une grande ascète qui, à cause de sa rare humilité et de son insigne abaissement
volontaire, avait choisi pour elle-même le combat spirituel de la folie en Christ. Elle vécut au
début du IVe siècle au monastère de Tabennêsis en Haute-Égypte. Elle travaillait à la cuisine et
exécutait les tâches les plus basses, « elle nettoyait le monastère de toute saleté et impureté ». Ne
se reposant jamais, « elle martyrisait sans cesse son corps », se nourrissant de déchets ramassés
sous les tables. Elle supportait d'être brutalisée et dénigrée par les autres nonnes, « s'exerçant
dans la folie sage de la Croix du Seigneur », en silence.
Le bienheureux staretz Pitirim, célèbre pour sa piété et sa maîtrise de l'ascèse, reçut une vision
où un ange lui annonçait que dans un monastère vivait une personne plus pieuse que lui. Il la
reconnaîtrait à une couronne sur sa tête. Le staretz se rendit au monastère de Tabennêsis où les
nonnes se rassemblèrent pour l'accueillir. Comme aucune d'elles ne répondait à la description de
l'ange, le staretz insista, disant qu'il devait y avoir encore quelqu'un d'autre. Les nonnes lui
répondirent qu'il n'y avait plus qu'une « dérangée dans la cuisine ». Le saint homme demanda
qu'on la fît venir ; lorsqu'il lui vit sur la tête un simple linge alors que les nonnes portaient toutes
des bonnets, il tomba face contre terre devant elle, disant : « Bénis-moi, mère ! » Les nonnes se
précipitèrent, disant : « Abba, c'est une folle ». Le staretz leur répondit : « C'est vous qui êtes les
folles, elle est mère, et la mienne et la vôtre. Et je prie pour être digne d'elle le Jour du
Jugement. » Ayant entendu ces mots, les femmes tombèrent à ses pieds, avouant, l'une qu'elle
avait renversé sur elle les eaux de vaisselle, l'autre qu'elle lui avait donné des coups de poing, la
troisième qu'elle lui avait frotté le nez avec de la moutarde. Pitirim pria avec Isidora pour la
rémission de leurs péchés, après quoi il quitta le monastère. Ne pouvant supporter la gloire et les
honneurs que les nonnes commençaient à lui rendre, Isidora s'en alla en secret du monastère.
Personne ne sait où elle alla, se cacha et mourut. Saint Éphrem le Syrien recueillit la vie de la
sainte après avoir visité les déserts d'Égypte en 371.
Dans l'orthodoxie, le fol en Christ est une personne qui mène une vie de transgression des
conventions sociales dans un esprit religieux, qui adopte une attitude provocante permettant de
remettre en cause les normes d'une époque, de lancer des prophéties ou de masquer sa piété. Il
trouve son origine et sa justification dans l'Épître aux Corinthiens de Paul : « Si quelqu'un parmi
vous pense être sage selon ce siècle, qu'il devienne fou afin de devenir sage » (1 Cor III, 18-19)
et : « Car Dieu, il me semble, a fait de nous, apôtres, les derniers des hommes, des condamnés à
mort en quelque sorte, puisque nous avons été en spectacle au monde, aux anges et aux hommes.
Nous sommes fous à cause du Christ » (1 Cor IV, 9-10). Le choc religieux que suscite le fol en
Christ incite celui qui regarde à voir le monde différemment, sans les verres correctifs de sa
vision personnelle ou les lunettes noires dela moralité. Il ne s'agit pas d'un simple déplacement
des lois de la perspective, mais d'une réforme de sa capacité à voir. En cela aussi consiste le rôle
souvent jugé démoniaque de celui-ci.
Isidora mena la vie d'une ombre laborieuse ; son rapport au monde se limita à l'exécution des
tâches les plus viles et à supporter les mauvais traitements. Sa sainteté silencieuse et secrète est
presque désincarnée. Sa disparition sans traces n'est qu'une confirmation de l'angélisme de sa
présence.
Erik Veaux
Bibl. : Vie et études : C. RENGERS, La Plus Jeune des prophètes. Jacinthe de Fátima, Paris,
Médiaspaul, 1989 ; R. LAURENTIN et P. SBALCHIERO (dir.), Dictionnaire des
« apparitions » de la Vierge Marie, Paris, Fayard, 2007 ; T. LELIÈVRE, Même les enfants
peuvent être canonisés, Paris, Téqui, 2005 ; J. GALAMBA DE OLIVEIRA, Jacinthe 1910-1920.
Épisodes inédits des Apparitions de Notre-Dame, Bruxelles, Institut Sainte-Dorothée, 1947.
JAHANARA, soufie (Dehli, 1614-1681). — Née sous l'Empire moghol, en Inde, la princesse
Jahanara (qui signifie « parure du monde » en persan) est la fille aînée de Shâh Jahân et de
l'impératrice Mumtâz Mahal. Elle est aussi connue sous les noms de Begum Sahib, Sahiba,
Padshah-Begum ou encore Fatimat al-Zaman. Elle acquiert dès l'âge de dix-sept ans un rôle
prépondérant à la cour du fait de la mort prématurée de sa mère en 1631, pour laquelle son père
fit construire l'extraordinaire mausolée du Taj Mahal (à Âgrâ) ; elle-même participa activement à
sa conception. Devenue, après ce deuil et de façon durable, la nouvelle « première dame de la
cour », elle demeura très proche de son père, tant dans cette épreuve que par la suite lorsque,
déposé par son fils Aurangzeb, il fut incarcéré. Elle vouait aussi une grande affection à son autre
frère Dara-Shukoh, qui lui vouait en retour une inimitié profonde. Sous le règne de son père, elle
exerça une influence considérable. Outre le fait qu'elle était dépositaire du sceau impérial, elle
disposait d'une dotation considérable qui lui permit d'aider les ordres soufis, de soutenir les
artistes, de faire construire plusieurs mosquées ainsi que des jardins et des pavillons. Elle
consacra une grande partie de sa fortune à aider les pauvres. Pendant la captivité de son père, elle
remplit de multiples missions de bons offices entre celui-ci et son frère, monarque régnant. Seule
princesse de la cour autorisée à vivre hors de la réclusion splendide au Fort Rouge de Delhi, à
laquelle étaient vouées les autres femmes de la maison impériale, elle milita contre l'interdiction
de se marier qui frappait les femmes de la dynastie depuis un décret de l'empereur moghol
Akbar, le père de Shâh Jahân, mais ne put l'obtenir. Son frère bien-aimé lui promit l'abolition de
cette loi s'il accédait un jour au trône, ce qui ne fut pas le cas. Ainsi, elle demeura célibataire
toute sa vie.
Jahanara est considérée comme la première femme de la dynastie timouride à s'être adonnée à
la mystique musulmane. Auteur de nombreux poèmes et textes mystiques dont les plus célèbres
sont le Mu'nis al-Arwah (v. 1650) et le Risalat-e Sahibiya (v. 1650) – une vie (demeurée
inachevée) de son maître soufi, le pir (« vénérable ») Molla Chah Qadiri, proche de la confrérie
soufie qaderi –, elle fut membre à part entière de la confrérie shishtiya. Dans sa biographie de
Molla Shah, elle relate aussi son propre itinéraire mystique d'initiation au soufisme de l'ordre
qaderi. Son ouvrage Mu'nis al-Arwah est d'ailleurs consacré au fondateur de cette confrérie,
Khodja Mu'in al-Din Shishti. Sous son influence, son frère Dara-Shukoh (que l'empereur
Aurangzeb, tenant d'un islam rigoriste et conservateur, fit assassiner) adhéra lui aussi au
soufisme. D'autres membres de la famille impériale la suivirent également : sa nièce Zeb al-
Nissa, qui s'adonna au mysticisme et à la poésie, ainsi que plusieurs autres filles de Shâh Jahân.
Annemarie Schimmel estime que « le choix du chemin mystique [de Jahanara] fut inspiré par le
saint Mian Mir de Lahore ». Le successeur de celui-ci, Molla Shah, admiratif de la progression
de la princesse dans la voie spirituelle, voulut faire d'elle son successeur spirituel, mais les règles
de la confrérie ne le permettaient pas. Jahanara est connue aussi pour avoir commandé des
traductions et des commentaires de classiques de la littérature persane.
En 1644, elle subit un grave accident lors d'un début d'incendie dans son palais. À proximité
d'une lampe, les parfums qu'elle portait s'enflammèrent et mirent le feu à sa garde-robe.
Gravement brûlée, elle fit, à l'instar de son grand-père Akbar, un pèlerinage à Ajmer, berceau de
la confrérie shishti, où est inhumé le fondateur de celle-ci. Après la mort de son père, elle trouva
une voie de réconciliation avec Aurangzeb et recouvra son titre et son rang de « première dame
de la cour », mais leurs rapports demeurèrent conflictuels, Jahanara prenant la défense des
chrétiens et des hindous, qu'elle proclamait être ses frères. Ainsi, elle avait exigé de l'empereur
qu'il supprimât la taxe dont étaient frappés les chrétiens et les hindous comme condition à leur
réconciliation. Non sans mal, Aurangzeb finit par accepter et par mettre en application cette
mesure révolutionnaire.
Selon ses souhaits, elle fut enterrée à Delhi au mausolée de Nizam al-Din Dargah. Sa tombe est
devenue un lieu de recueillement et de pèlerinage. Elle repose sous une simple plaque en marbre,
qu'elle fabriqua elle-même, recouverte d'herbe. On peut y lire l'épitaphe en persan qu'elle avait
composée : « Il est le vivant, le permanent. / Ne recouvrez pas ma tombe, sinon de verdure, / Car
cette herbe suffit seule à couvrir la tombe des pauvres. / Dame Jahanara, fakire disparue, /
Disciple des maîtres shishtis, / Fille de Shâh Jahân le guerrier. / Que Dieu fasse resplendir sa
vérité ! »
Jahanara est une icône de la civilisation indo-persane de l'empire moghol. Personnage majeur
de la diffusion du soufisme et de sa reconnaissance par l'islam indien officiel, elle est admirée en
Inde en tant que précurseur des mouvements de libération de la femme et, par sa défense des
hindous et des chrétiens, comme pionnière de la liberté religieuse et du dialogue interreligieux.
Elle est révérée aujourd'hui par les musulmans épris de soufisme comme par les hindous ouverts
à la spiritualité musulmane.
Didier Leroy
Bibl. : Études : A. SCHIMMEL, Mon Âme est une femme : la femme dans la pensée islamique,
Paris, Jean-Claude Lattès, 1998 ; C. A. HELMINSKY, Women of Sufism : A Hidden Treasure,
Boston, Shambhala, 2003. Vie romancée : L. GUILLAUME, Jahanara, Paris, Stock, 1989.
Bibl. : Œuvre : Lettres et documents, Besançon, Sœurs de la Charité de Besançon, 1982. Vie et
étude : L. POUX, Vie populaire de la vénérable Jeanne-Antide Thouret..., Besançon, Impr. de
Jacquin, 1905 ; A. RICHOMME, Sainte Jeanne-Antide Thouret, Paris, Fleurus, 1990.
Bibl. : Œuvres : Œuvres choisies de Jeanne Chézard de Matel, mises en ordre et précédées
d'une introduction par E. Hello, Paris, Victor Palmé, 1870. Études : L. CHRISTIANI, Une
grande mystique lyonnaise, Jeanne de Matel, Lyon, Vitte, 1947 ; P. CLAUDEL, Journal,
cahier IV, t. I, Paris, Gallimard, 1968, p. 577.
Bibl. : Vie : M. P. VINCENZO, Leggenda latina della b. Giovanna detta Vanna d'Orvieto, del
terz'ordine di s. Domenico, scritta dal ven. Giacomo Scalza orvietano de Predicatori, Orvieto,
1853. Études : J. DALARUN, « Hors des sentiers battus. Saintes femmes d'Italie aux XIIIe-
XIVe siècles », in Femmes, mariages, lignages, XIIe-XIVe siècles, Mélanges offerts à G. Duby,
Bruxelles, Bibliothèque du Moyen Âge, 1992 ; A. VAUCHEZ, La Sainteté en Occident aux
derniers siècles du Moyen Âge d'après les procès de canonisation et les documents
hagiographiques, Rome, Bibliothèque des Écoles françaises de Rome et d'Athènes, 1981 ;
P. ZOVATTO, C. CARGNONI, Storia della spiritualità italiana, Rome, Città Nuova, 2002.
Bibl. : Œuvres : Œuvres complètes de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal,
Migne, 1882 (t. 7-9) ; Ste Jeanne-Françoise de Chantal, Sa vie et ses œuvres, Paris, Plon, 1909 ;
Notes spirituelles : Le Petit Livret, Paris, Arfuyen, 2001 ; Correspondance, sœur M.-P. Burns
(éd.), Paris, Cerf-Cefi, 1986-1996. Études : H. BREMOND, Histoire de sainte Chantal, Paris,
Gabalda, 1912 ; ID., Histoire littéraire du sentiment religieux en France..., nouvelle éd.
Grenoble, Jérôme Millon, 2006, t. II, chap. VIII ; R. DEVOS, notice dans le Dictionnaire de
spiritualité, Paris, Beauchesne, 1974, t. VIII ; J.-P. JOSSUA, « “Accoiser son âme en Dieu”,
l'oraison dans la correspondance de Jeanne de Chantal », Revue des sciences philosophiques et
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Bibl. : Œuvre : Lettres à son frère, chancelier de France (1643-1668), présentées et annotées
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Bibl. : Œuvre : Le Triomphe de l'amour divin dans la vie d'une grande servante de Dieu,
nommée Armelle Nicolas..., Paris, Michallet, 1683 (1re éd. Vannes, Jean Galles, 1676).
Bibl. : Vie et œuvres : La Belle Histoire de Jeanne, Toulouse, Apostolat de la prière, 1949 ;
Maximes et paroles de la vénérable Jeanne de Lestonnac, Poitiers, Baudoux, s. d. Études :
B. PEYROUS, La Réforme catholique à Bordeaux (1600-1719), Bordeaux, Fédération historique
du Sud-Ouest, 1995, 2 t., p. 422-437 ; J. MERCIER, La Vénérable Jeanne de Lestonnac, Paris,
H. Oudin, 1891 ; F. SOURY-LAVERGNE, Chemin d'éducation. Sur les traces de Jeanne de
Lestonnac, Chambray-lès-Tours, CDL, 1985.
JEANNE DES ANGES, ursuline, possédée de Loudun (Jeanne de Belcier ; Cozes, 2 février
1605-Loudun, 1665). — Abondante est la littérature entourant la complexe figure de Jeanne des
Anges, qui fut la protagoniste centrale de l'affaire de Loudun. Affaire scandaleuse – entre celle
d'Aix-en-Provence (1611) et celle de Louviers (1643) – et retentissante, puisque s'en mêla le
pouvoir politique, et qui donna lieu à un procès spectaculaire, où se trouvent impliqués un prêtre-
sorcier (réputé tel), Urbain Grandier, et un couvent de femmes livrées aux démons, dont Jeanne
est justement la prieure. Après Jules Michelet et ses réflexions pertinentes dans La Sorcière
(1862), Bremond lui consacre un long chapitre au tome V de son Histoire littéraire du sentiment
religieux en France..., Alexandre Dumas la porte au théâtre (Urbain Grandier, 1850), Ken
Russel au cinéma (The Devils, 1971) et Krystof Penderecki sur la scène lyrique (Les Diables de
Loudun, créé à l'opéra de Hambourg, le 20 juin 1969), sans oublier les pages du Cinq-Mars
(1829) de Vigny (où s'esquisse le parallèle entre Cinq-Mars, le conjuré, et Grandier, le révolté,
tous deux victimes de Lombardemont) et celles d'Aldous Huxley (Les Diables de Loudun, 1952).
Jeanne des Anges naquit dans une famille illustre de Saintonge, et de belle fortune ; son oncle,
Octave de Bellegarde, sera archevêque de Sens. Un accident banal – une mauvaise chute qui
entraîne une difformité de sa stature – va déterminer ses parents, sa mère surtout, à mettre au
service de Dieu, autrement dit à confier à la vie conventuelle, cette enfant pourtant promise à
l'avenir le plus favorable : ainsi serait-elle heureusement à l'écart du monde et épargnerait-elle à
ses parents la honte d'une héritière difficile à marier. On l'envoie donc à quatre ou cinq ans en
l'abbaye bénédictine de Saintes, où elle témoignera d'un « esprit curieux », avide de « concevoir
les choses les plus impénétrables ». Elle se signale, plus encore que par son caractère enjoué et
affable, par des « pâmoisons » et des « visions », une activité qui ne fera que se développer à
l'âge adulte, en particulier en un singulier commerce avec les âmes du purgatoire, qui lui
confessent leur passé peccamineux et la sentence qui l'aura sanctionné. La tante qui l'avait prise
en charge vient à mourir, et une autre parente, bénédictine elle aussi, qui la relaie, impose à la
jeune enfant une rigueur sévère qui la dégoûte de la vie conventuelle. Elle rentre donc au logis
paternel, à Cozes, pour la plus grande joie de son père, et au plus vif déplaisir de sa mère, qui
tente de la maintenir en retrait de toute vie sociale. Peine perdue : un prétendant se présente, que
la mère toutefois réussira à (faire) éconduire. De dépit, celui-ci entrera chez les Jésuites, ce qui
impressionnera Jeanne et la décidera à devenir religieuse, mais dans un ordre où est en vigueur la
Règle de saint Augustin (dont elle lisait les Confessions à son père). En 1622, elle entre donc au
noviciat des Ursulines de Poitiers, où elle manifeste très vite un penchant pour une déconcertante
théâtralité. Elle fait profession le 8 septembre 1623 et, dans les trois années qui suivent,
intelligente et habile, elle se rend indispensable et se dépense en occupations variées qui la
dispersent et la distraient, au détriment de toute vie intérieure : avant tout, la pulsion de paraître.
Le 31 août 1625, l'évêque de Poitiers, Mgr de La Rocheposay, autorise la création d'un
nouveau couvent d'Ursulines à Loudun, ville divisée entre catholiques et protestants, lequel
n'ouvre que le 22 juillet 1627. Jeanne manœuvre avec assez d'adresse et d'opiniâtreté, en fine
psychologue, sondant les « humeurs » des uns et des autres, pour faire partie des fondatrices de
la nouvelle communauté. Ce sera sa technique constante, afin de plaire et de parvenir à ses fins,
sans pour autant cesser de vouloir « changer » : conversion ou tromperie ou... illusion ? Il est
bien difficile de répondre, car, plusieurs fois, Jeanne changera de masque ou de personnage, en
particulier au cours de ces exorcismes, dont elle va être la vedette et où elle ne cache pas le
plaisir qu'elle éprouve à cette exhibition théâtrale. Consentement, complaisance ? Si oui, en
partie seulement, car l'entourage des spectateurs l'y pousse, qui se délecte autant qu'il s'effraie
des outrances des prétendues possédées : et le diable déculpabiliserait ces dernières de toute
complicité libidinale !
Devenue prieure, Jeanne est saisie par la possession diabolique et y entraîne quasiment toute sa
communauté, qui comptait dans ses rangs les nièces du cardinal de Richelieu et celles de
l'archevêque de Bordeaux, le cardinal François de Sourdis. Elle accuse alors (selon un scénario
mis en place dans l'affaire précédente, à Aix-en-Provence), un prêtre qui n'est pas confesseur du
couvent, le curé de Saint-Pierre-du-Marché, Urbain Grandier, lettré de bon renom et connu des
notables locaux, en relation avec Théophraste Renaudot. Mais ses succès conduisent cet
adversaire inavoué du célibat ecclésiastique à quelques imprudentes aventures féminines, de quoi
ourdir rumeurs et intrigues dont il parvient, non sans peine, à triompher en justice. Sans doute
échaudé, il refuse la direction spirituelle du couvent que lui offrait la prieure, laquelle s'adresse à
Mignot, un autre chanoine, ennemi juré de Grandier. Dès lors, les soupçons pleuvent et se
précisent : Grandier, dans un premier temps, fait appel à l'archevêque de Bordeaux, qui apaise le
tumulte, mais il n'échappera pas au pouvoir des politiques, lui-même ayant affiché avec le
gouverneur, Jean d'Armagnac, son hostilité à la politique de Richelieu. Sous la férule de
Lombardemont, l'homme lige de Richelieu, une juridiction exceptionnelle est mise en place, qui
s'emballe entre mai et août 1634, les Ursulines, Jeanne des Anges en tête, offrant à la ville
médusée le spectacle grandiose de leurs transgressions verbales, blasphématoires, sacrilèges ou
érotiques. Grandier est condamné et exécuté le 18 août. Mais l'affaire ne s'arrête pas en si bon
chemin : les exorcismes reprennent de plus belle, menés par des capucins infatigables. Les
Ursulines jettent alors leur dévolu sur les proches et les partisans de Grandier ; et c'est avec la
même énergie qu'elle avait accusé Grandier de propos et de gestes déshonnêtes que Jeanne
mettra en scène ses scrupules et ses remords, allant jusqu'à mimer (?) le suicide.
Jeanne ne cachant pas la volupté exhibitionniste que lui procuraient ces séances publiques, la
hiérarchie s'inquiète et, en décembre 1637, c'est un jésuite, Jean-Joseph Surin, qui est envoyé sur
place et qui va changer de stratégie en adoptant une autre méthode : avec un réel génie, il
entreprend la formation spirituelle des religieuses, les initiant à la prière personnelle, et visant par
cette intériorisation à ce que Jeanne des Anges prenne conscience de la responsabilité de ses
conduites et agissements. Ce n'est donc pas à une possédée qu'il s'adresse, mais c'est une fille de
Dieu qu'il dirige. Cette thérapie spirituelle (ou psycho-spirituelle) de longue haleine, où il use de
la seule persuasion, durera un an et demi, à raison de six heures par jour, avant qu'un notable
changement puisse être remarqué dans les dispositions de la prieure. Petit à petit, une sorte de
connivence s'établit entre eux, Surin, s'émerveillant de voir que les points de doctrine spirituelle
sur lesquels il avait quelque doute, étaient « immédiatement de Dieu insinu[és] au cœur de cette
fille », qui ainsi les lui confirmait. Théâtre une fois encore, où chacun trompe l'autre avec la
meilleure foi du monde. De son côté, elle éprouve un attachement de plus en plus vif pour son
exorciste, qui lui apprend l'art de conduire les âmes et du parler mystique. La conversion est
jugée accomplie en juin 1635 ; l'année suivante, elle prononce le vœu « du plus parfait » ou « de
la plus grande gloire de Dieu » : la voilà en fait double ou sosie de Thérèse d'Avila* !
Tout cela se confirme en des faits extraordinaires : entre 1635 et 1637, les noms de Jésus,
Marie* et François de Sales apparaissent sur sa main gauche ; elle est guérie miraculeusement
par saint Joseph, qui lui apparaît par deux fois, en février 1637 et en décembre 1639. Entre-
temps, elle aura entrepris une tournée triomphale à travers la France, où elle confirme ses
aptitudes prophétiques, délivrant les oracles et confidences que lui font les anges. Régulièrement
réélue prieure de son couvent, avec un sens aigu du marketing (avant la lettre) et du spectacle,
elle fait approuver par le père Jean-Baptiste Saint-Jure, alors son directeur, son projet
d'autobiographie, et par deux fois, « non sans quelque répugnance », elle consent à poser devant
un peintre. Sainte ou simulatrice ? Notre opinion serait rapidement établie, qui s'appuierait sur
des hypothèses psychiatriques fort probables, si toutefois, tant de personnes – et non des
moindres : Saint-Jure, jésuite, solide et perspicace connaisseur des choses de la vie intérieure,
Marie de l'Incarnation* (Marie Guyart), qui la consulte en 1638 sans émettre quelque doute à son
sujet... – ne militaient en sa faveur ainsi que son indiscutable fidélité religieuse, reconnue et
louée par tant de témoins. Plutôt que d'en appeler à des grâces extraordinaires (par définition
invérifiables), mieux vaut, comme le fait Michel de Certeau, sonder ses écrits : sa
correspondance avec Surin (1635-1639 et 1657-1665) et avec Saint-Jure (1643-1657), où, sous
l'écriture d'une si éblouissante cohérence qu'elle ne peut que susciter l'admiration, perce le drame
de l'obscurité et de la nuit, qu'entretiennent des doutes invincibles quand elle revient sur son
passé. Cette obscurité persistante est compensée et trouée par les fréquentes incursions de l'Ange
gardien, beau à ravir, chantant ou dictant ses oracles, dont le père Saint-Jure, tout respectueux
qu'il soit, est néanmoins fort friand, mais vis-à-vis desquels Surin sera plus prudent et
circonspect : élévation doctrinale pour l'un, sagesse expérimentale pour l'autre, inévitablement
complice – affection et souci pastoral obligent – mais pas dupe pour autant, puisqu'il intimait
fermement à la prieure « de mettre le fondement de la vraie vie spirituelle dans la sincérité du
cœur ».
François Marxer
Bibl. : Vie : Autobiographie, préface de J.-M. Charcot, suivi de Jeanne des Anges, par M. de
Certeau, Grenoble, Jérôme Millon, 1990. Vie et études : J.-J. SURIN, Correspondance, M. de
Certeau (éd.), Paris, Desclée de Brouwer, 1966 ; R. MANDROU, Magistrats et sorciers en
France au XVIIe siècle, Paris, Seuil, 1980 ; P. GOUJON, Prendre part à l'intransmissible. La
communication spirituelle à travers la correspondance de Jean-Joseph Surin, Grenoble, Jérôme
Millon, 2008.
JEANNE JUGAN, sainte, fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres (Cancale, 25 octobre 1792-
La Tour Saint-Joseph, 29 août 1879). — Jeanne, fille d'un marin de Cancale qui périt en mer
alors qu'elle avait trois ans, renonce au mariage et devient domestique à Saint-Servan, d'abord
dans un hôpital, puis dans la maison bourgeoise d'une demoiselle célibataire, avec laquelle elle
visite les pauvres et enseigne le catéchisme. Ainsi sa vie spirituelle n'est-elle pas laissée en
friche : en 1822, en effet, elle entre dans la Société du Cœur de la Mère Admirable, sorte
d'institut séculier avant la lettre, fondée par saint Jean Eudes, dont elle est ainsi indirectement la
fille spirituelle. Sur cette vie spirituelle, elle est d'ailleurs fort discrète ; quasiment autodidacte –
elle n'a point de directeur spirituel –, c'est grâce à la rencontre des Frères de Saint-Jean-de-Dieu
qu'elle pourra donner forme au projet de vie religieuse qui s'impose à elle sous la poussée des
événements. Jeanne Jugan pratique en effet une mystique de l'événement, qui n'est pas sans
évoquer la doctrine développée dans L'Abandon à la providence divine*, attribué à Jean-Pierre
de Caussade.
Sa maîtresse vient à mourir, lui laissant un modeste héritage, grâce auquel elle s'établit en 1837
avec une amie, Françoise Aubert, dans une modeste demeure, où vient les rejoindre l'année
suivante une orpheline de dix-huit ans, Virginie Trédaniel. La communauté vit chichement de
l'artisanat de filature et des ménages dans les maisons bourgeoises ; cela n'empêche pas, « au
commencement de l'hiver 1839 », Jeanne Jugan de recueillir une femme âgée, aveugle et
impotente, la veuve Hanaux, de la coucher dans son propre lit, pour elle-même dormir sur une
paillasse : c'est ce geste qui marque la naissance véritable des Petites Sœurs des Pauvres. Or
Jeanne a quarante-sept ans et une santé déficiente, elle n'a pas la notoriété sociale qui ferait d'elle
une fondatrice, et – paradoxe – son geste n'a rien de spécifiquement religieux. Puis ce sera le tour
d'Isabelle Coeusu d'être recueillie avec l'assentiment des deux autres compagnes, et de Madeleine
Bourges, mourante, mais qui se rétablira et proposera ses services à la communauté naissante.
Une amie de Virginie, Marie Jamet, vient aider l'œuvre, qui voit affluer les pauvres de la
localité ; et le curé de la paroisse délègue un de ses vicaires, jeune et dynamique, l'abbé Le
Pailleur, auprès de ces « bonnes filles », pour les soutenir utilement. Plus utile encore sans doute
sera l'aide de Félix Massot, provincial des Frères de Saint-Jean-de-Dieu, qui permettra à
l'initiative de Jeanne Jugan de s'inscrire dans la grande tradition caritative et hospitalière.
Les demandeurs affluant, il va falloir trouver des locaux plus vastes. Désormais, son panier au
bras pour quêter au jour le jour de quoi nourrir ses pensionnaires, Jeanne va devenir la figure
mythique de ces sœurs « cherche-pain », au service des déshérités. Ce qui est tout à fait original :
elle quête, non pas pour assurer une fondation d'ordre ou d'institution, acheter ou restaurer des
bâtiments, bref réaliser un projet à long terme, comme beaucoup en ce XIXe siècle, mais pour
prendre la place du vieillard nécessiteux afin de quémander à sa place la provende du jour même.
Une sorte de mendicité vicaire, pourrait-on dire, par laquelle, treize ans durant, la servante des
familles aisées de Saint-Servan se fait la servante de plus pauvre qu'elle : une façon de vivre la
mystique de la kénose (dépouillement du Christ dans son humanité) christique. Il y avait là une
figure atypique et marginale qui ne pouvait qu'attirer la sympathie de l'opinion publique et lui
assurer le succès, tant elle tranche sur les pratiques caritatives alors en usage : le montre bien le
prix Montyon que lui décernera l'Académie française en 1845, prix doté de 3 000 francs, une
fortune à l'époque. Mais son absence de surface sociale ne la prédisposait pas à assurer la
fondation et la continuité de l'œuvre ainsi initiée. Et en effet, si, le 29 mai 1842, la communauté
élit Jeanne comme supérieure et se dote d'une Règle sous le nom de Servantes des Pauvres, les
unes et les autres prononçant des vœux privés, si, de nouveau, Jeanne est élue le 8 décembre de
l'année suivante, l'abbé Le Pailleur casse l'élection le 23 décembre et place Marie Jamet, sa
dirigée, à la tête de la congrégation. Celles qui, en février 1844, avaient choisi de s'appeler Sœurs
des Pauvres, deviennent définitivement en 1849 les Petites Sœurs des Pauvres, qui ajouteront à
leurs vœux celui d'hospitalité (comme chez les Frères de Saint-Jean-de-Dieu). Le 12 décembre
1847 se tient le chapitre général qui réélit Marie Jamet : Jeanne Jugan est désormais éliminée de
la direction de la congrégation, éviction qui prélude à sa mise à la retraite définitive. Le
8 décembre 1854, elle prononce ses vœux définitifs, et passera les dernières vingt-sept années de
sa vie reléguée au noviciat, dans une inactivité et une inutilité complètes : elle meurt totalement
« oubliée des hommes », comme le dit sa notice nécrologique.
On ne peut qu'admirer – ou s'interroger à propos de l'étonnant consentement de Jeanne Jugan
au sort que lui imposeront ses compagnes : une docilité exemplaire de la vertu d'humilité que,
domestique, familière du monde des pauvres, elle ne connaissait que trop bien et qu'elle
préconisait, lorsqu'elle répétait aux novices : « Soyez bien humbles, bien petites ! » Sans doute
n'avait-elle pas le profil social nécessaire à diriger et à développer une telle entreprise, et l'on
pardonnerait presque à l'abbé Le Pailleur d'avoir usurpé le pouvoir, s'auto-proclamant supérieur
général, et d'avoir installé, par un coup de force, une de ses protégées à la tête de la
congrégation : il est vrai que, sous leur impulsion commune, celle-ci va connaître un essor rapide
et se voir promptement approuvée, par l'évêque de Rennes d'abord, en mai 1852, puis par Rome,
le 9 juillet 1854. Les historiens sont unanimes, depuis que François Leroy a, en 1902, rétabli la
vérité des origines, sur le rôle sans doute positif de ce clerc entreprenant, mais aussi sur son
imposture : cédant aux mirages d'un culte de la personnalité, n'a-t-il pas falsifié, non seulement le
récit des origines, mais aussi les documents qui les attestaient ? On connaît le cliché facile d'une
opposition entre le charisme et l'institution : Jeanne Jugan paraît l'illustrer parfaitement, à ceci
près que c'est un bien singulier charisme qu'elle met en œuvre : comme les congrégations
hospitalières traditionnelles, elle prend soin des vieillards par le moyen de l'hospitalisation, mais
chaque maison dispose de ses biens et garde la liberté de son organisation. De plus, le rapide
développement de la congrégation, en particulier dans les grandes métropoles, assure une
démocratisation du recrutement des religieuses, conformément au propre exemple de la
fondatrice. L'objectif pastoral et religieux n'est sans doute pas absent, mais, avant tout, c'est
gratuitement et exclusivement que les Petites Sœurs des Pauvres prennent soin des personnes
âgées. En un temps où les moines inactifs disparaissent de l'imaginaire ecclésial, ce sont les
religieuses de charité, dévouées et efficientes, que va célébrer l'opinion publique en rendant
hommage à la sœur Rosalie* comme à Jeanne Jugan : Proust, dans sa Recherche, ne s'y était pas
trompé !
François Marxer
Bibl. : Vie et études : F. TROCHU, Jeanne Jugan, fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres,
Versailles, Via Romana, 2009 ; P. MILCENT, Jeanne Jugan, humble pour aimer, Paris,
Centurion, 1996 ; ID., Jeanne Jugan, le désert et la rose, Paris, Desclée de Brouwer, 2000 ;
C. LANGLOIS, « Je suis Jeanne Jugan », Archives des sciences sociales des religions, juillet-
septembre 1981, p. 21-35.
JEANNE-MARIE DE LA CROIX, sainte, clarisse, stigmatisée (Bernardina Floriani ;
Rovereto, 8 septembre 1603-26 mars 1673). — Née en Italie, dans une famille de peintres de
renom, Bernardina se « convertit » pour se mettre sous la direction des Capucins, en particulier
du mystique réputé Thomas de Bergame. C'est dans le cadre familial qu'elle fait les premiers pas
d'un approfondissement spirituel qui culmine dans l'union mystique en 1628. À la mort de son
père, elle est en mesure de fonder en 1642 l'oratoire San Carlo, qu'elle voue à l'éducation des
jeunes filles et que, avec l'approbation papale, elle transformera en couvent de Clarisses,
quatre ans plus tard. Il lui faut attendre 1651 pour y faire profession : en effet, les manifestations
spectaculaires, extases et lévitations font peser le soupçon d'hystérie ou de possession diabolique,
tandis que ses écrits, suspectés à leur tour, feront l'objet d'un examen de l'évêque de Trente. C'est
donc à ce moment, ces épisodes critiques étant surmontés, qu'elle aura ses impressionnantes
visions, en particulier de l'inhabitation trinitaire dans l'âme. Élue supérieure de son couvent en
1655 – elle le restera jusqu'à sa mort –, elle conjuguera à la direction spirituelle un rôle de
conseillère auprès des cours princières de Bavière et d'Autriche, s'investissant en particulier dans
la lutte contre le protestantisme. On voit que Jeanne-Marie de la Croix s'inscrit parfaitement dans
la militance de la Contre-Réforme catholique.
Les seize volumes de ses écrits (où l'on retiendra une autobiographie, rédigée entre 1636 et
1658, sur l'ordre de ses confesseurs, et un commentaire du Cantique des cantiques) témoignent
d'une récurrence tardive de la spiritualité franciscaine de la fin du Moyen Âge, magnifiée dans le
cadre d'une sensibilité baroque : ainsi, par exemple, le récit de son mariage mystique, où le
Christ tire de son cœur un anneau d'or orné de cinq diamants (les cinq plaies) pour le passer au
doigt de sa fiancée, où il restera, pour ceux du dehors, invisible autant que tactilement sensible
dans une déformation physiologique. Mais l'influence de Thérèse d'Avila* corrige cette
exubérance, inclinant l'extériorité première (que manifeste cette « prière de la joie », dans
laquelle elle plonge « comme une personne ivre ») à une intériorisation, sensible dans ses visions
trinitaires « au plus profond et plus secret de l'âme ». On laissera de côté le chapelet de tous les
faits merveilleux que se plaît à collationner le bien peu critique (et trop crédule ?) docteur
Imbert-Gourbeyre – encore qu'il convienne de noter une exhalaison de parfums suavement
insistants, alors qu'elle-même est allergique à toute fragrance –, pour s'intéresser au récit de sa
stigmatisation : on y repère un déplacement du discours, dans la mesure où, semble-t-il, ce
phénomène se redouble. Dans un premier temps, elle reçoit une impression intérieure qui se
traduit par une « bataille mystérieuse » entre un excès de joie et un excès de douleur, et c'est du
« centre de [sa] vie » que cette impression s'élargit et irradie vers les organes extérieurs, se
traduisant par une douleur légère qui s'intensifie progressivement, en particulier sous l'effet de la
communion eucharistique, éprouvée comme un transpercement, et qui suit la cadence du
calendrier liturgique. Dans un deuxième temps, la stigmatisation s'opère en même temps que
Jeanne-Marie reçoit la vision de la stigmatisation de saint François d'Assise, comprise comme
l'impression de l'image christique dans la chair, « non sur la toile et le marbre » : ainsi est
récompensée la persévérante fidélité du « céleste tournesol », « enfin enivré des feux » du Soleil
divin. C'est saint François qui sera alors le médiateur de la grâce : il souffle sur Jeanne-Marie
(écho de la scène évangélique de l'apparition pascale du Ressuscité en Jn XX) et celle-ci en est
percée « comme de neuf traits différents accompagnés de douleurs et de voluptés diverses... »
Soulignons le comme tout-à-fait moderne, qui introduit la distance de la métaphore et ouvre au
lecteur l'ordre de la représentation de ce qui n'est pas (et ne peut pas être) visible. Les
contemporains de Jeanne-Marie auront-ils effectué pareil déplacement ? Lors de l'autopsie qui
suivra son décès, on retrouve dans un de ses reins (organe biblique de l'intimité profonde), des
calculs, « trois pierres de couleur gris cendré » : on se plut à lire dans la plus grande la figuration
d'un torse d'homme aux poignets brisés et dont la tête « semblait couronnée d'épines » (sic) ;
quant à l'autre rein « extrêmement desséché », il était « comme brûlé par le feu » (de l'amour sans
aucun doute).
François Marxer
Bibl. : Œuvre : « Il libro undecimo, a laude di Dio, di Giovanna Maria della Croce Floriani in
Forme et Vicende », Medioevo e Umanesimo, no 72, 1988, p. 399-423. Études : A. IMBERT-
GOURBEYRE, La Stigmatisation [1894], Grenoble, Jérôme Millon, 1996, p. 331-336 ;
A. CORETH, « Die Mystik der Klarisin Giovanna Maria della Croce », in Jahrbuch für
mystische Theologie, I, 1955, p. 235-296.
Bibl. : Vie : dossier publié par les bollandistes dans les Acta Sanctorum, Paris-Rome, 1865
(nouv. éd.), mars, t. III, p. 734-762 ; comprend : la Vita par le frère Martin de Boisgaultier, avec
les dépositions de seize témoins au procès de Tours (1414-1415) en vue de la canonisation
(abandonnée sans suite durant le Grand Schisme, 1378-1417). Étude : A. VAUCHEZ,
« Influences franciscaines et réseaux aristocratiques dans le Val de Loire. Autour de la
Bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé », in Mouvement franciscain et société française XIIe-
XXe siècles, A. Vauchez (éd.), Paris, Beauchesne, 1984, p. 95-105.
JIZONG XINGCHE, bouddhiste chan (Hengzhou, Chine, 1764-?, Chine, 1804). — Jizong
Xingche a pour nom de famille Liu. Elle est originaire de Hengzhou dans la province du Hunan ;
ses deux parents – son père Liu Shanchang et sa mère née Gao – sont issus de familles de hauts
fonctionnaires côtoyant le bouddhisme chan. Son grand-père maternel serait allé à Caoxi rendre
hommage à la momie de Hanshan Deqing, un maître chan renommé des Ming (qui régnèrent de
1368 à 1644). Son grand-père paternel, magistrat à Suzhou, aurait visité un grand nombre de
maîtres chan et aurait, dit-on, atteint une certaine réalisation spirituelle. Jeune, Liu se marie avec
un dénommé Chen et met au monde trois fils et une fille.
Son intérêt pour le bouddhisme est profond. Elle se fait construire un ermitage et se met en
quête de maîtres. Elle s'exerce d'abord au bouddhisme chan auprès de Shanci Tongji de la lignée
de Linji, qui enseigne sur le mont Heng (Hunan). Le dialogue de leur première entrevue est
édifiant : « – Quelle réalisation spirituelle avez-vous acquise chez vous ? [lui demande le maître].
– Je me suis engagée dans l'invocation du Buddha [nianfo] [lui répond Jizong]. – Est-ce que
l'invocation du Buddha vous a mené quelque part ? – Je suis venue à vous précisément pour que
vous me guidiez. – Examinez ce huatou : “quand pas un seul souffle de brise ne se lève, où allez-
vous demeurer ?” »
Son maître lui conseille également d'étudier la « Progression sur le sentier du chan »
(Changuan cejin, 1600), une sélection de récits de maîtres chan. À cette lecture, Jizong Xingche
a une compréhension de l'éveil que son maître réfute, à la manière de Linji. Finalement, la
lecture d'un autre texte l'amène à sa première brèche : que ce soit en activité ou assise, pendant
sept jours et sept nuits, elle ne ferme pas l'œil. Elle réalise alors que le quotidien et l'ordinaire ne
sont rien de plus que la nature de Buddha. À cette occasion, elle compose ces vers : « Il y a ce
qui jamais ne naît ni ne périt, / Ce qui est sans forme, ni sacré, ni mondain. / Matin et soir cela va
et vient en défilant / À quoi bon rester assise, sur la froide falaise, à versifier ? » Mais son maître
n'est pas aussi impressionné qu'elle l'aurait attendu par ce poème, qu'il considère certes comme le
seul fruit d'une grande intelligence et d'un talent littéraire, mais qui ne reflète pas le témoignage
d'un éveil personnel.
Jizong Xingche acquiert néanmoins, à travers la méditation, une aisance et un sentiment de
liberté qui se poursuivent à chaque instant : « Après cela, que ce soit en marche ou assise,
j'examine sans relâche le huatou, cela pendant quarante-neuf jours et nuits lorsque, soudain, je
suis plongée dans un état qui dure trois ou quatre heures et dans lequel je n'ai pas conscience
d'avoir un corps ou un esprit. Par chance, soudain, un coup de tonnerre retentit et, avec la vitesse
d'un oiseau relâché de sa cage, à ce moment précis, les doutes s'en vont comme une montagne
d'argent ou des murs de fer qui s'écroulent. Je compose alors le poème suivant : “Au bout des
80 000 portes, il reste une seule porte, / Une passe complètement cachée à la vue. / Un coup de
tonnerre et, soudain, cette grande porte s'ouvre / Toute la journée, je me promène, à l'aise dans
les salles.” » Son maître accepte alors ce poème comme le gage de se première expérience
véritable, tout en l'avertissant des dangers de sa trop grande intelligence. Jizong Xingche poursuit
sa quête.
À l'âge de trente-trois ans, elle quitte la maison et se fait ordonner. Elle devient disciple de
Zhiyuan Xinggang* (ou Qiyuan Xinggang), une femme maître chan renommée de l'époque, et
vit dans un ermitage auprès d'elle. Peu de temps après, son maître meurt et les troubles qui
sévissent réduisent les disciples à survivre dans les étendues sauvages. Elle commence alors un
périple, protégée par les lettrés. Elle se rend au Nord, au mont des Cinq Terrasses (Wutai shan),
puis à l'Est, au mont de la Terrasse céleste (Tiantai shan). Elle arrive finalement au mont Zongchi
dans le Jiangsu et reçoit la transmission officielle de la lignée auprès de Wanru Tongwei, un des
douze anciens élèves de Miyun Yuanwu et un frère dans le dharma de Shanci Tong-ji, le premier
maître de Jizong Xingche, désormais répertoriée dans la lignée de succession de Wanru
Tongwei.
Catherine Despeux
Bibl. : Étude : B. GRANT, Eminent nuns. Women Chan masters of Seventeenth Century China,
Honolulu, University of Hawaii Press, 2009, p. 107-129.
Bibl. : Œuvres : Poèmes d'amour et de discrétion, trad. F. Magne, Paris, La Délirante, 1987 ; Le
Divin Narcisse, précédé de Premier Songe et autres textes, trad. F. Magne, F. Delay, J. Roubaud,
Paris, Gallimard, 1987 ; Œuvres profanes de Sor Juana Inés de la Cruz, E. Martel (éd.), Trois-
Rivières (Québec), Écrits de la forge, 1996. Vie et études : R. RICARD, Une poétesse
mexicaine : Sor Juana Inés de la Cruz, Paris, Centre de documentation universitaire, 1954 ; M.-
C. BÉNASSY-BERLING, Sor Juana Inés de la Cruz. Une femme de lettres exceptionnelle,
Mexique XVIIe siècle, Paris, L'Harmattan, 2010 ; O. PAZ, Sor Juana Inés de la Cruz ou les
Pièges de la foi, Paris, Gallimard, 1987. Discographie : Le Phénix du Mexique – Villancicos de
Sor Juana de la Cruz mis en musique à Chuquisaca au XVIIIe siècle, K 617, 2001.
Bibl. : Vie : la Vita de Julienne, rédigée par un clerc anonyme du diocèse de Liège, est publiée
par les Acta Sanctorum, avril, I, p. 437-477. Elle a été traduite par B. Newman, The Life of
Juliana of Mont-Cornillon, Toronto, Peregrina, s. d.
Bibl. : Œuvres : Le Livre des Révélations (version longue), trad. R. Maisonneuve, Cerf, Paris,
1992 ; Fr. E. BAUDRY, Julienne de Norwich ; Une révélation de l'Amour de Dieu (version
courte ; trad. de la version en anglais moderne d'A. M. Reynolds, A Shewing of God's Love,
Longmans, 1958), Abbaye de Belle Fontaine, 1977 ; J. WALSH et E. COLLEDGE, A Book of
Showings to the Anchoress Julian of Norwich, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies,
1978. Études : B. PELPHREY, Love Was his Meaning : The Theology and Mysticism of Julian
of Norwich, Salzbourg, Institut für Anglistik und Amerikanistik, Universität Salzburg, 1982 ;
R. MAISONNEUVE, L'Univers visionnaire de Julian of Norwich, Paris, OEIL, 1987.
Bibl. : Œuvre : Il les aima jusqu'à la fin, Montréal, Éditions Paulines, 1991. Études :
J. FECTEAU, o.p., Femme de lumière et de feu, Mère Julienne du Rosaire, Québec, Éditions du
Cénacle, 1997 ; J. TURMEL, o.p., L'Adoration, Par Lui, avec Lui en Lui, Québec, Éditions du
Cénacle, 2008.
K
KAHIL, Mary, figure spirituelle copte (Damiette, 28 janvier 1889-Le Caire, 28 juin 1979).
— Les Kahil sont des notables d'origine syrienne, installés en Égypte depuis une centaine
d'année quand naît Mary. Constantin Kahil, de religion grecque catholique, fait le commerce du
bois, son épouse, née Von Cramer, est allemande. Ils habitent le palais Linant de Bellefonds au
Caire. Mary, dernière de leurs cinq enfants, est élevée chez des religieuses, au Caire puis à
Nazareth, et passe la guerre de 1914-1918 dans sa famille maternelle en Europe. Intelligente,
pleine de charme, chrétienne melkite convaincue, féministe aussi convaincue, amoureuse de son
pays et de la langue arabe, Mary Kahil a très tôt conscience du rôle de passerelle qu'elle peut
remplir entre son milieu chrétien et les musulmans, chez qui elle compte de nombreux amis.
Cette femme à la très forte personnalité, qui s'exprime avec un débit d'une étonnante rapidité en
arabe, en français, en allemand, en anglais, en italien ou en turc, restera célibataire.
Immensément riche, elle déclare, lors de la nationalisation des biens fonciers par le président de
la République égyptienne, Gamal Abdel Nasser en 1952 : « Je ne savais plus quoi faire de ma
fortune, c'est bien que Nasser me la prenne. »
Sa première rencontre, en 1912, avec le jeune orientaliste français Louis Massignon, qui vient
enseigner la grammaire arabe à l'université Fouad du Caire, est un moment inoubliable.
Massignon lui demande en effet de prier pour la conversion au christianisme de son ami
musulman Luis de Cuadra. C'est le point de départ d'une grande aventure spirituelle dans laquelle
Massignon et Mary Kahil vont comprendre, peu à peu, qu'il s'agit moins de « convertir » les
musulmans au christianisme que de s'offrir à Dieu pour leur salut. Après des années
d'absence, elle retrouve Massignon en Égypte en 1933, et le lien spirituel ne se rompra plus
jusqu'à la mort de l'orientaliste en 1962.
En 1941, Mary achète dans le centre du Caire une église désaffectée et lui donne – en pleine
guerre – le nom de Notre-Dame de la Paix. L'église devient un lieu de prière fréquenté. Au centre
de Dâr Es Salâm, adjacent à l'église, la personnalité très œcuménique de Mary réunit des esprits
distingués (musulmans, juifs, catholiques, protestants) avec le concours, dans les années 1950, de
figures remarquables : le dominicain Georges Anawati, les orientalistes Louis Gardet et Louis
Massignon, Roger Arnaldez, mais aussi l'abbé Maurice Zundel ou le père René Voillaume. C'est
une sorte « d'âge d'or de la pensée et de la culture » (Jacques Keryell) dans l'Égypte
contemporaine. La ligne de fond de Mary Kahil, c'est « l'hospitalité sacrée », à laquelle Louis
Massignon l'initie fermement : « Par l'hospitalité, nous trouvons le Sacré au centre du mystère de
nos destins, comme une aumône furtive et divine », dit-il. Et Mary, qui accueille chez elle à la
fois somptueusement et simplement, apprend à nouer avec les autres le dialogue fraternel –
autant matériel que spirituel – entre races, religions, cultures. La foule immense de ses amis en
sera marquée.
La vie mystique de Mary Kahil ? C'est la découverte progressive que seul l'amour pur et
désintéressé peut réunir les cultures et les religions apparemment ennemies. Cela commence lors
d'une promenade jusqu'à Damiette – lieu franciscain si symbolique – avec Massignon en 1933 :
« Faites un vœu », dit-il. – Mais quel vœu ? – Celui de les aimer. » Elle rapporte plus tard au
père Bonneville : « Nous nous sommes offerts pour les musulmans. Non pour qu'ils se
convertissent, mais pour que la volonté de Dieu se fasse sur eux et par eux. » En 1950, Mary
obtient du patriarche melkite Pierre Kamel Médawar, que Massignon soit secrètement ordonné
prêtre. À travers cette ordination, elle comprend le sens de son offrande et aussi de leur relation
mutuelle. Rapportant la cérémonie de la première messe de Massignon, elle écrit : « Il consacre,
il dit les paroles saintes, et moi, prosternée, je me livre, je me perds, je n'existe plus [...]. C'est
moi qui suis consacrée. » Dans ce « couple » étrange – et si fréquent, au fond, dans l'histoire des
mystiques –, le moteur est sans doute Massignon, qui voyait loin et haut, et lui disait : « Notre
lien éternel, c'est le désir du martyre. Je n'ai que faire de la piété des justes qui cultivent les
vertus comme des herbes potagères. Le Désir qui m'a entraîné au loin n'est pas de ce monde.
Dieu merci, et si vous êtes monté dans ma barque, c'est pour que je vous conduise en pleine mer,
hors de toute côte visible » (1951). Ensuite, Massignon, qu'elle ne revoit qu'épisodiquement, lui
intime un « jeûne de silence », dure épreuve pour elle. Leur amitié mystique est scellée. À la
mort de l'orientaliste, Mary se rappellera leur union sacrée, Massignon disait : « Il faut prier à
deux, pour être exaucés. » Et elle : « Toi, Jésus, tu m'as permis de l'aimer, toi qui as planté cet
amour dans mon cœur, comme une croix. »
La « grande dame d'Égypte » (Jacques Keryell) s'éteint dans sa demeure de Zamalek, au Caire,
dans sa quatre-vingt-onzième année, ayant vécu jusqu'au bout, dans la fidélité à sa promesse, la
badaliya, « le point crucial de ma vie », disait-elle, c'est-à-dire le vœu d'échanger, de se
« substituer », par l'offrande et la prière, à ceux qu'on aime.
Dominique-Marie Dauzet
KAHLO, Frida, peintre (Magdalena Carmen Frida Kahlo Calderon ; Mexico, 6 juillet 1907-
13 juillet 1954). — Née en 1907 à Mexico City – Frida choisira plus tard la date de 1910 pour
correspondre avec celle de la révolution mexicaine –, d'une mère mexicaine d'origine métisse et
d'un père immigré d'Allemagne, Frida est très tôt marquée par la volonté inflexible d'aller au-delà
des différences. Atteinte de poliomyélite à l'âge de six ans, elle n'en pratique pas moins le sport
et la danse. À dix-huit ans, elle échappe à la mort lors d'un violent accident d'autobus, dans
lequel elle est transpercée de l'abdomen au vagin. Alitée pendant des mois, la colonne vertébrale
brisée et les deux jambes écrasées, elle se met à peindre des autoportraits mélancoliques, dont
elle fait cadeau, pour rompre sa solitude. Dans ses tableaux, elle raconte son histoire selon les
variations de son humeur. Le jardin de la Casa Azul – où elle vint au monde et où elle devait
mourir – y apparaît tantôt comme une jungle aux feuilles velues et aux vignes menaçantes, tantôt
comme un havre de paix.
Diego Rivera, peintre mexicain qui deviendra le compagnon de sa vie, la décrit ainsi : « Acide
et tendre, dure comme l'acier, mais délicate comme l'aile d'un papillon, adorable comme un
sourire, mais profonde et cruelle comme la vie » (Tibol, p. 70). Elle l'aperçoit brièvement en
1922, alors qu'il travaille sur une fresque ornant les murs de son lycée. En 1928, elle va à sa
rencontre, voulant recueillir ses conseils sur son propre travail d'artiste. Partageant les mêmes
convictions politiques de gauche et un même amour de l'art, ils se marient peu de temps après.
Cependant, les infidélités de Diego mettent le couple à rude épreuve. Ce qui ne les empêchera
pas de se témoigner jusqu'à la fin un indéfectible soutien. Leur long séjour aux États-Unis (1930-
1934), où Diego Rivera réalisera plusieurs fresques qui le rendront célèbre, est cependant émaillé
de désillusions. La prestigieuse peinture murale de Radio City peinte par celui-ci est contestée
puis détruite ; de son côté, Frida fait une fausse couche à Detroit. Sa peinture figurant le cadavre
d'un fœtus, proche du surréalisme, s'inspire hélas d'un fait bien réel.
Frida choisit tout d'abord ses sujets parmi les faits divers, comme le Suicide de Dorothy Hale
(1938), laquelle se jeta d'un gratte-ciel, ou le sanglant Quelques petites piqûres (1935), qui
illustre la navrante déclaration d'un assassin tentant de justifier son crime, le couteau à la main.
Elle ne se ménage pas davantage dans ses autoportraits, tel celui où ses cheveux sont
sauvagement coupés, niant sa féminité – peinture qu'elle réalisa lorsqu'elle découvrit la liaison de
son mari avec sa propre sœur. Le tableau la représente habillée en homme, en lieu et place de ses
fameuses robes Tijuana assorties de lourdes parures de bijoux précolombiens (Autoportrait aux
cheveux coupés, 1940). Dans les Deux Fridas (1939), sa première peinture en grand format,
peinte au moment de son bref divorce en 1939, sa robe est lacérée, exposant son cœur
ensanglanté. Chacun de ses cent cinquante autoportraits est ainsi investi d'un symbolisme
évoquant la douleur et la mutilation. Son corset orthopédique, qui réapparaît de manière
obsédante, n'est, par ailleurs, pas sans rapport avec la sujétion de la femme dans la société
patriarcale.
Frida introduit ensuite, dans son travail passionné, chargé d'émotion et de métaphysique, le
principe féminin sacré. Un choix qui s'inspire de sa culture natale exubérante et haute en couleur,
qui rend possible l'apparition singulière de Notre-Dame de Guadalupe sur l'emplacement d'un
sanctuaire païen. Dans L'Étreinte amoureuse de l'univers (1949), elle représente ainsi son propre
couple sous les traits d'une madone à l'enfant. Ce tableau fait coexister ombre et lumière, lune et
soleil, incorporant de nombreux symboles de la mythologie mexicaine, notamment la déesse
Cihuacoatl. Les déesses qui tirent de leurs propres attributs personnels leur dimension sacrée ont
sa préférence sur celles qui ne sont que les génitrices de quelques divinités.
Frida emprunte également des éléments iconographiques à l'art précolombien et indigène, aux
portraits et photographies du XIXe siècle, et à la culture populaire et catholique (ex-voto,
retables et vanitas). C'est ainsi qu'elle sublime l'accident de sa jeunesse en un troublant ex-voto.
La composition en contre-plongée suggère une expérience de sortie du corps (L'Accident, 1926).
Ses autoportraits, figés comme des Santos, ponctuent les périodes les plus noires de son
existence, mais invitent à trouver le courage d'aller de l'avant.
Si Frida est imprégnée de culture mexicaine, elle ne bénéficia jamais de la considération
artistique qui fut réservée à son mari. Dans un de ses autoportraits les plus étranges, Diego et moi
(1949), elle fait apparaître le visage de Diego, incrusté à l'emplacement du « troisième œil »,
entre ses épais sourcils. Cependant, les larmes qui jaillissent de ses yeux suggèrent que son
influence fut malheureuse.
Cherchant à gagner en autonomie et en indépendance, elle voyage à travers l'Europe en 1939.
Une commande du gouvernement mexicain vient couronner ses efforts, mais sa santé
chancelante ne lui permet pas d'achever ce projet. Sa première exposition individuelle, à Mexico,
n'a lieu que quelques mois avant sa mort. Elle vient alors à peine de subir sa dernière intervention
chirurgicale (sur une trentaine au total), la privant d'une jambe, atteinte par la gangrène. Frida
décède dans la nuit du 13 juillet 1954 ; auparavant, elle a écrit dans son Journal : « J'espère que
la sortie sera joyeuse, et j'espère bien ne jamais revenir. » Ses cendres reposent dans la Casa Azul
à Coyoacan, dans une urne pré-colombienne.
Hissée au rang d'icône pour ses efforts héroïques, Frida Kahlo enseigne à tout un chacun, à
travers son œuvre, qu'il chemine seul dans une vallée de larmes, mais que les plus vives
souffrances, tant physiques que psychologiques, peuvent être sublimées par l'intensité de l'amour
porté à la vie. Sacralisant tout ce qui est de l'ordre de l'émotionnel et du corporel, elle défie
quiconque d'accepter sans détour la confrontation avec la dimension la plus physique de
l'existence et, ce faisant, à lui donner tout son sens. Pensée qui fait écho aux mots apparaissant
sur sa dernière toile, une nature morte (Les Pastèques Viva la vida, 1954) : Viva la vida (« Vive
la vie »).
Deborah Jenner
KEMPE, Margery, laïque, écrivain (Bishop's Lynn, v. 1373- ?, apr. 1438). — Toute l'histoire
de Margery Kempe pourrait se résumer par ces mots des livres prophétiques de l'Ancien
Testament : « J'entendis la voix du Seigneur qui disait : Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ? Et
je dis : me voici. Envoie-moi » (Is, VI, 8). De cette mystique anglaise, on ne sait presque rien, en
dehors des visions et des ravissements qu'elle connut, des voyages et des pèlerinages qu'elle fit à
l'invite de ce Seigneur à qui elle se confia toute entière. Les quelques renseignements objectifs
que nous en avons se réduisent à peu de choses : son père, John Brunham, fut trois fois maire de
Lynn, une petite ville commerçante et bourgeoise du Norfolk, en Angleterre, et Margery fut
mariée en 1393, ce qui, étant donné les coutumes de l'époque, laisse penser qu'elle était née aux
environs des années 1373. De son milieu d'origine, elle conserva longtemps la morgue et
l'orgueil social qui le marquaient, jusque dans les premières manifestations de ses appétences
mystiques. Son Livre (The Book of Margery Kempe) nous rapporte ainsi que, « lorsque la
créature [c'est-à-dire elle-même] eut par telle miséricorde recouvré ses esprits, elle sut qu'elle
était unie à Dieu et serait sa servante. Elle n'en délaissa pas pour autant son orgueil ni ses atours
pompeux, son ancienne habitude, et ne céda à la demande de son mari ni de quiconque. Elle
savait fort bien aussi que l'on se répandait en vilénies à son propos, car elle portait rouleaux dorés
en ses cheveux, et s'habillait de capelines et palatines à crevés. Ses manteaux aussi étaient à
taillades, et les couleurs jouaient entre les échancrures, pour qu'aux regards de l'homme ils soient
plus aguichants, et qu'elle-même soit la plus adulée. » Et le texte continue : « Quand son mari lui
parlait de laisser son orgueil, elle répondait avec âpreté et rudesse qu'elle était issue d'une famille
convenable – qu'il n'aurait jamais dû l'épouser – car son père autrefois était maire de N...
[= Lynn], et ensuite échevin de la High Guild de la Trinité à N... [...]. Et quoi qu'on puisse dire,
elle maintiendrait donc la dignité de sa famille. Elle était très jalouse de ses voisines, qui
pouvaient avoir aussi beaux habits qu'elle. Son seul désir était d'être adorée de tous [...]. Par pure
convoitise, et pour soutenir son éclat, elle se mit au brassage de la bière, et fut l'une des plus
importantes brasseuses de la ville de N..., pendant trois ou quatre ans, jusqu'à perdre beaucoup
d'argent, n'ayant jamais été formée à ces affaires. »
Margery était ainsi très solidement enracinée dans la réalité de son temps et, comme les
femmes de son milieu, on peut penser qu'elle développa une solide personnalité à base
hystérique, marquée par les traits classiques que relèveront plus tard, à la fin du XIXe siècle ou
au début du XXe, Charcot ou Janet par exemple : cris, pleurs, théâtralité incessante, rien ne nous
est épargné des symptômes les plus classiques – mais toute la question est de savoir si on peut la
réduire à ce noyau incontestable. Or, il apparaît clairement que non. Héritière, à travers le grand
nombre de Flamands qui vivent dans sa région, de la mystique de la Rhénanie et des Flandres et
plus particulièrement, sans doute, de Maître Eckhart, leur maître à tous, puis de ses principaux
élèves comme Henri Suso, Jean Tauler ou Ruysbroek l'Admirable, elle ne se contente en rien
d'une croyance, aussi exaltée soit-elle, qui lui assurerait le salut de son âme, mais elle plonge
dans un « au-delà de soi-même » où elle va vivre à son propre compte la fameuse parole de saint
Paul : « Je vis. Non, je ne vis pas : le Christ vit en moi. » Accédant de la sorte à un réel qui
transcende tout réel de ce monde, faisant à plusieurs reprises l'expérience de son indignité
essentielle, parfois raillée et même insultée pour ce qui peut sembler son infantilisme, elle n'en
oublie jamais pour autant le monde dans lequel elle doit vivre et auquel elle oppose sans
complexe ce que lui révèlent ses visions ou son union extatique au Seigneur.
Margery est fille d'un Moyen Âge occidental qui se centre tout entier sur la Passion du Christ :
les colonnes de flagellants ont parcouru l'Europe au XIIIe siècle, et la peste noire a décimé le
continent au XIVe, rappelant à toutes les consciences combien l'univers que nous habitons est
une perpétuelle vallée de larmes, que le Christ a dû racheter sur la Croix – d'où l'importance et la
multiplication, aussi, des « danses macabrées » qui envahissent son époque et celle qui va
immédiatement suivre. Margery s'inscrit aussi dans la lignée de certaines des déclarations de
Richard Rolle, l'ermite de Hampole dans le Yorkshire, mort précisément de la peste en 1349 :
« Quel ne fut pas mon étonnement lorsque je sentis pour la première fois mon cœur s'échauffer et
brûler, non pas en imagination, mais en réalité et comme sous l'action d'un feu sensible. [...] Le
cœur subit si fortement l'influence de cet amour qu'on le sent brûler, brûler non en figure mais en
réalité, car il est comme changé en feu, si bien que le feu de l'amour devient objet d'expérience »
(The Fire of Love, « Le feu d'amour », 1320/1340). Comme elle se rapproche des ressentis les
plus saisissants de la recluse Julienne de Norwich*, cette Julienne à qui elle rendra visite en 1402
sur l'ordre céleste qui lui en a été donné, et qui décrit ainsi la mort de Jésus au Calvaire : « De
grosses gouttes tombaient de dessus la couronne comme des caillots qui paraissaient sortir des
veines. Elles étaient d'abord d'un rouge foncé presque brun, car le sang était très épais ; puis, en
s'élargissant, elles devenaient d'un rouge plus vif. [...] Sur toutes les parties du corps, la peau était
arrachée et les chairs profondément entaillées par des coups cinglants ; du sang vermeil jaillissait
de partout, si bien qu'on ne pouvait plus voir ni peau, ni plaies, mais rien que du sang... »
(Révélations, 1393 ?).
En cette période, en effet, c'est d'abord à l'incarnation du Christ que l'on s'attache, à son
martyre et à son corps vivant, et lorsque Margery en a la révélation, c'est tout naturellement sur
le mode de l'union amoureuse que l'expérience en est vécue, à la limite, comme elle le dit, du
« badinage » – et parfois, presque, de ce qui pourrait devenir de la luxure ou des plaisirs
charnels, qu'elle refuse désormais à son époux : « Depuis lors, elle eut désir de jamais ne plus
communier charnellement avec son mari, car si abominable lui fut le devoir conjugal, qu'il lui eût
semblé préférable de manger ou boire de la boue et de la fange du ruisseau, que de consentir au
moindre contact charnel, sinon par seule obéissance. » Comme elle s'écrie alors, « gisant en
contemplation et son âme noyée de larmes » : « Ah ! Seigneur, les vierges maintenant dansent de
joie au Ciel. N'en sera-t-il pas ainsi pour moi ? [...] Ah ! Seigneur Adoré, chaque jour de ma vie
je ne T'ai pas aimé, et j'en ai amer repentir. Je T'ai fui, Tu m'as poursuivie ; en désespoir, je
voulus choir, et Tu ne voulus le souffrir. » À quoi le Christ lui répond : « Ah ! Fille, combien de
fois t'ai-Je dit que tes péchés te sont pardonnés, et qu'ensemble nous sommes éternellement unis
par l'amour. [...] De Mes propres mains qui furent clouées sur la croix, Je délivrerai ton âme de
ton corps, au milieu de chants d'allégresse, d'odeurs suaves et de délicieux parfums. [...] Tu seras
rassasiée de tout l'amour que tu désires. Alors, tu béniras le temps où tu fus mise à l'épreuve, et
ce Corps que tu as si chèrement conquis, en toi se réjouira, et toi en Lui, pour l'éternité. »
Nulle surprise, de ce pas, à ce qu'elle soit si souvent submergée de ces larmes, qui sont autant
la marque de son statut de pécheresse que l'expression de sa jouissance divine, et qu'elle pousse
des cris qui marquent son abandon : « Souvent, elle criait et hurlait, comme déchirée, si ardente
sa foi dans le Précieux Sacrement. [...] Notre Dame parfois, et Notre Seigneur Dieu, inondaient
de lumière son regard spirituel. Elle criait alors, c'en était un prodige, pleurait et sanglotait,
comme si elle eût vu Notre Seigneur à l'heure de Sa mort, à l'heure de sa mort Notre Dame. » Ou
quand elle assiste, le jeudi saint, à la séparation du Christ d'avec sa mère, d'avec les apôtres et
d'avec « Sa fidèle amante aussi, Marie-Madeleine » : « Quand ce spectacle eut envahi son âme,
elle s'abattit au milieu de la foule. Elle cria, elle hurla, elle pleura, comme brisée. Elle ne put se
maîtriser ni se contrôler, mais tant cria et hurla que beaucoup s'en scandalisèrent. Peu lui
importait, pourtant, ce que l'on pouvait dire ou faire, car ses pensées étaient absorbées en Notre
Seigneur. »
C'est que Margery, comme beaucoup de mystiques avant elle, tels Raymond Lulle ou Julienne
de Norwich, ou, beaucoup plus tard, comme Charles de Foucauld, balance sans cesse de son état
de pécheresse à celui de l'Élue que le Seigneur a choisie pour l'inonder de ses faveurs. Comme
elle l'explique elle-même, « quand la créature connut pour la première fois ses prodiges de cris,
entrant en badinage spirituel avec son Seigneur Souverain Christ Jésus, elle dit : “Seigneur,
pourquoi me fais-tu tant crier, que le peuple s'en épouvante ?” [...] Notre miséricordieux
Seigneur Christ Jésus en son âme répondit : “[...] Je te rendrai obéissante à Ma volonté, et tu
crieras quand Je le veux et où Je veux à grand éclat ou en silence ; car Je te le dis, fille, tu es à
Moi et Je suis à toi, et ainsi tu seras pour l'éternité.” » Alors, qu'importent le jugement des autres
et le regard qu'ils portent sur elle ? Comme toujours, Margery a un pied dans l'éternité, et un
autre dans ce monde, qu'elle doit habiter selon les coutumes et les valeurs de son temps.
Relevant de ce monde, elle s'inscrit sur le fond de l'« hérésie » lollarde qui ravage l'Angleterre
à la suite des travaux de John Wyclif, dont le traité sur l'Eucharistie est paru en 1379, et dont les
idées sur la simonie qui régnait dans la chrétienté, largement annonciatrices de la Réforme, ne
sont « définitivement » extirpées qu'au début du XVe siècle. Elle partage d'ailleurs certaines de
ces idées, en particulier sur la façon de vivre de beaucoup de prêtres et de prélats (mais Brigitte
de Suède* les partageait déjà, et Catherine de Sienne* ne sera pas beaucoup plus tendre – comme
si les mystiques, aux marges de l'Église comme institution, se retrouvaient libres de leurs
intuitions) –, mais surtout, certainement, sur le thème de la Présence pure et absolue du Christ
dans toute vie sincère et authentique, comme dans le pain de la communion. À plusieurs reprises,
Margery est inquiétée pour ces idées, soupçonnée d'appartenir à l'hérésie ; elle en sera chaque
fois lavée, sa position étant très proche de la conduite qui fut en son temps celle de François
d'Assise : tout pour le Seigneur, à la frontière des enseignements officiels, et pourtant toujours
fidèle à cette Église de Rome qui est tenue pour le corps du Christ sur cette terre.
Margery s'inscrit aussi au plus réel de son époque en dictant son Livre en langue vernaculaire
et non point en latin, comme avaient écrit avant elle, par exemple Hildegarde de Bingen* ou
même Brigitte de Suède. En cela, elle imite (sans doute sans le savoir), d'autres mystiques qui
l'ont précédée, comme Angèle de Foligno*, qui se racontait en ombrien à son confesseur, comme
Hadewijch d'Anvers*, qui écrivait ses poèmes en moyen-flamand, ou comme Béatrice de
Nazareth*, qui écrivait son autobiographie en dialecte thiois. Avec Geoffrey Chaucer dans le
XIVe siècle et ses Contes de Canterbury, elle est de la sorte à l'origine de toute la culture
anglaise qui va suivre.
Margery habite cependant l'éternité dans le même mouvement ; lorsqu'elle dicte son Livre (ou
plutôt, et plus exactement : ses Livres), à partir de 1436, soit vingt ans après ce qu'elle a vécu et
qu'elle y raconte, elle rend tous les temps simultanés – à la fois ceux de sa vie, qu'elle a
forcément vécus selon un déroulement linéaire, et ceux de ses visions ou de ses extases, où elle
devient contemporaine de la vie du Christ, passée de plus d'un millénaire, ou de la gloire des
Cieux, qui échappe par définition à toute dimension temporelle. Comme si elle mettait en œuvre
la conception du temps spécifiquement chrétienne qu'avait déjà pointée le père de Cappadoce,
Basile de Césarée : « Il est venu et Il vient. Il vient et Il viendra » – « Il » désignant Jésus, et la
formule laissant entendre que, sous le regard de l'éternité, et dans l'incessante advenue du
Rédempteur, le passé, le présent et l'avenir coïncident dans un pur présent attaché à la personne
du Sauveur.
Tout peut alors paraître discontinuité : on ne sait jamais, d'après le manuscrit, à quel moment
de sa vie fait référence notre mystique (c'est la tâche de l'historien de savoir l'établir), de la même
façon que, souvent, elle fait allusion à des événements sur lesquels elle ne s'explique pas et qui
nous demeurent incompréhensibles. Il suffit sur ce point de lire le chapitre qui inaugure son
premier Livre, celui qui entame le début de sa vie spirituelle : « Quand elle atteignit ses vingt
ans, un peu plus peut-être, la créature épousa un honorable bourgeois de Lynn, et peu après fut
grosse, comme le voulait la nature. Tandis qu'elle était enceinte, elle fut proie de grandes
attaques jusqu'à ce que l'enfant fût né – et, par suite des douleurs de l'accouchement, et de la
maladie qui l'avait précédé, elle se crut perdue. Croyant ne point devoir survivre, elle envoya
chercher alors son confesseur, car elle avait sur la conscience une chose qu'elle n'avait jamais
encore révélée. » Quel est précisément ce péché ? Nous l'ignorons : il nous suffit de savoir que,
ne s'étant pas confessée réellement, « cette créature perdit la raison et fut prodigieusement
affligée et tourmentée par des esprits pendant six mois, huit semaines et quelques jours », jusqu'à
ce que « Notre Miséricordieux Seigneur Christ Jésus » lui apparût « sous l'aspect d'un homme, le
plus gracieux, le plus beau, le plus aimable enfin que jamais œil humain puisse voir, vêtu d'un
manteau de soie pourpre. Il s'assit à son chevet, la contempla d'un regard si bienheureux que son
âme entière en fut raffermie, et lui adressa ces paroles : “Fille, pourquoi M'as-tu abandonné,
quand jamais je ne t'ai abandonnée ?” » Écho, à l'évidence, de la plainte à son Père de Jésus sur
la Croix – et souvenir lointain de la question angoissée du psaume...
Ainsi va Margery avec ses quatorze enfants, avec sa vie de déplacements et de pèlerinages (elle
se rend à Jérusalem, à Rome, à la Portiuncule à Assise et à Saint-Jacques-de-Compostelle, lors de
voyages qui la mèneront par ailleurs à Venise, en Pologne ou en Prusse), avec son union
pantelante à Dieu, avec sa manière d'habiter son siècle tout en le dépassant, avec sa « frénésie »
et les tourments qui la taraudent pourtant incessamment, avec ses baisers aux lépreuses (« Elle se
mit alors à aimer ce qu'elle avait jadis le plus haï, car rien n'était plus répugnant pour elle, et
repoussant, lorsqu'elle vivait dans la prospérité du monde, que voir ou apercevoir un lépreux. [...]
Ainsi fut-elle heureuse qu'il lui fût permis d'embrasser des femmes malades ») et avec sa
délectable fréquentation des aliénées.
Quand mourut-elle au juste ? Le point est difficile à établir. Tout ce que l'on sait de façon sûre,
est qu'elle dicte son second Livre en 1438, et qu'après son père elle est admise à son tour, la
même année, à la Guilde de la Trinité de Lynn.
Sans doute est-elle alors entrée dans ce silence qui conclut les plus grandes passions, et son
œuvre accomplie, sa jouissance du Christ comblée de toutes les manières, malgré les racontars et
les calomnies portées à son encontre, elle « s'endort » entre les mains et contre le flanc de Celui
qu'elle a tant aimé et qui a tant veillé sur elle.
Michel Cazenave
Bibl. : Œuvre : Le Livre – Une mystique anglaise au temps de l'hérésie lollarde, Grenoble,
Jérôme Millon, 1987 (précédé par Margery Kempe ou la dévoration du temps, de D. Vidal).
Études : E. I. WATKIN, On Julian of Norwich and in Defence of Margery Kempe, Exeter,
University of Exeter, 1979 ; K. CHOLMELEY, Margey Kempe, Genius and Mystic, Londres,
Catholic Book Club, 1948.
KENNETT, Jiyu, maître du bouddhisme theravada et du zen soto (Peggy Terera Nancy
Kennett ; St Leonard's-on-Sea, Angleterre 1924-Shasta Abbey, Californie 1996). — Baptisée
selon le rituel anglican, Peggy Terera Nancy, fille unique, grandit dans une atmosphère de
souffrance, au milieu des querelles de ses parents, puis des horreurs de la Deuxième Guerre
mondiale, en Angleterre. Son attrait pour l'introspection et la vie religieuse se manifeste très tôt.
Enfant, elle lit La Lumière de l'Asie (1879), le célèbre livre de sir Edwin Arnold, qui raconte en
vers la vie du Bouddha. Elle déclare alors son intention de porter la robe monastique, mue par
une interrogation : les causes de la barbarie humaine et les moyens de remédier à la souffrance.
Elle « prend refuge » pendant la guerre et entre dans une communauté bouddhiste. Elle reçoit
les préceptes et étudie sous la direction du docteur Shaddhatissa, un moine érudit appartenant à la
tradition Theravada (« l'école des anciens »), puis obtient un diplôme certifiant sa connaissance
de la doctrine bouddhiste, de la Young Men's association of Sri Lanka (Association des jeunes
hommes de Ceylan).
Après la guerre, elle gagne sa vie en tant qu'organiste d'église. En 1958, elle devient
conférencière à la London Buddhist Society. Passionnée par la musique, et notamment par le
plain-chant grégorien, elle étudie au Trinity College of Music de Londres et finit par recevoir une
bourse qui lui permet d'entrer à l'université de Durham, où elle passe le diplôme de Bachelor of
Music, en se spécialisant dans l'orgue et la composition.
La London Buddhist Society lui permet de se familiariser avec l'histoire et les écrits
bouddhistes, mais ne propose pas de pratiques concrètes. Elle y rencontre cependant de
nombreux maîtres, comme le célèbre écrivain D. T. Suzuki, spécialiste du zen. Lors d'une visite,
le révérend Keido Chisan Koho Zenji, maître du zen soto, l'invite à le rejoindre dans son
monastère au Japon. Peggy Kennett commence à économiser de l'argent en vue de ce voyage. En
chemin, elle fait escale en Malaisie, afin d'y recevoir le prix qu'elle avait gagné lors d'un
concours international destiné à mettre en musique un poème célébrant le Bouddha.
À la suite d'un quiproquo, elle découvre que des préparatifs ont été faits afin de l'ordonner dans
la tradition de la sangha. Elle accepte de changer ses plans et reçoit l'ordination de Shrâmanera
(« novice ») sous le nom de Sumitra (« amie véritable »), le 21 janvier 1962. Elle atteint le Japon
après avoir étudié pendant plusieurs mois avec son maître d'ordination, Seck Kim Seng.
Au Japon, elle devient la disciple directe de Koho Zenji ; son prénom, traduit en japonais, se
transforme en Jiyu (« amie compassionnée »), son nom de famille en Ho-un (« nuage du
dharma »). Elle le transmettra plus tard à ses disciples. L'entrée de Jiyu Kennett au sein de la
communauté masculine du monastère de Sojiji (à Yokohama) cause de nombreux remous. Or
Koho Zenji refuse de la laisser entrer dans un monastère de femmes. Ayant de grands projets
pour elle, il redoute qu'on l'accuse par la suite d'avoir reçu un traitement de faveur (la pratique du
zen étant physiquement et psychologiquement éprouvante) et de n'avoir que des connaissances
limitées. Jiyu Kennett affronte de nombreuses épreuves en tant que femme et étrangère,
cependant elle fait honneur à son maître. Après moins de six mois de pratique, elle a son
premier kenshô (« éveil »), puis elle est finalement déclarée « héritière certifiée du dharma » dans
la branche du zen soto, en mai 1963.
À la demande de son maître, elle s'occupe désormais des moines étrangers venus à Sojiji et
dirige son propre monastère, Unpukuji, dans la préfecture de Mie. Selon la tradition japonaise,
elle possède ce temple et peut le transmettre à des héritiers. Craignant les controverses au sujet
de « la femme étrangère qui est devenue son héritière dans le dharma », Koho Zenji l'envoie
auprès d'un autre maître soto, le célèbre Sawaki Kodo Roshi, qui authentifie la profondeur de son
éveil.
À la mort de Koho Zenji, Jiyu Kennett, qui avait promis à son maître de former des disciples
en Occident, se rend aux États-Unis. Elle s'installe à San Francisco en 1969. Elle fonde alors the
Order of Buddhist Contemplatives qui comporte deux monastères, Shasta Abbey (sur le mont
Shasta, en Californie), Throssel Hole Buddhist Abbey (dans le Northumberland, en Angleterre),
et plusieurs autres petits temples annexes, ainsi que des groupes de méditation en Europe et aux
États-Unis. Elle passe les vingt-six dernières années de sa vie à Shasta Abbey, continuant sa
pratique et se rendant disponible à tous ceux qui cherchent un enseignement. Elle est également
maître de conférence à l'université de Californie et à l'Institut de psychologie transpersonnelle.
En 1976, alors que sa santé se délabre et dans l'attente de la mort, elle entame une retraite et
connaît une expérience d'éveil encore plus intense que les précédentes, qui lui révèle certaines de
ses vies passées – visions auxquelles son maître l'avait préparée. Sa santé rétablie, elle entre dans
la phase la plus profonde de sa réalisation spirituelle. Malgré une rémission, en 1990, le diabète,
dont elle souffre depuis son arrivée aux États-Unis, s'aggrave. Elle devient aveugle et paralysée
(le bas du corps). Incapable d'enseigner en public, elle continue à guider ses proches disciples,
montrant la plus grande équanimité face à ses infirmités. En 1996, elle meurt paisiblement dans
sa maison de Shasta Abbey.
Jiyu Kennett est la première femme occidentale à avoir été ordonnée maître zen. Comme le dit
un sutra du cœur, sa vie a consisté à « aller, aller au-delà, aller encore au-delà, aller au-delà
d'aller au-delà [...] », sans jamais s'arrêter (« gate, gate, paragate, parasamgate, bodhi svaha »),
ce qui est la démarche même de l'éveil.
Ariane Buisset
Bibl. : Œuvres choisies : les écrits de Jiyu Kennett sont parus chez Shasta Abbey Press (Mount
Shasta, Californie) : Roar of the Tigress : the Oral Teachings of Rev. Master Jiyu Kennett,
Western Woman and Zen Master, 2005 ; Zen is Eternal Life, 1999 ; The Wild, White Goose,
1978 ; How to Grow a Lotus Blossom or How a Zen Buddhist Prepares for Death, 1993 ; The
Liturgy of the Order of Buddhist Contemplatives for the Laity, 1987 ; Selling Water by the River,
Londres, George Allen & Unwin LTD, 1973. Étude : M. BATCHELOR, Rencontre avec des
femmes remarquables, Paris, Sully, 2008.
KHANDRO TSERING CHÖDRÖN, dakini du bouddhisme tibétain (Tibet, 1929 – Lérab Ling,
commune de Roqueredonde, France, 30 mai 2011). — Avec sa sœur aînée, Pema Tsering
Wangmo, Khandro Tsering Chödrön illustre le rôle traditionnellement échu aux femmes
remarquables au sein du bouddhisme tibétain. Toutes deux appartiennent à la famille Lakar (la
signifiant « châle » et kar, « blanc »), ainsi nommée ainsi parce que leur lointain ancêtre fut le
premier à accueillir Tsongkhapa, le fondateur de l'école des Gelugpa (« les bonnets jaunes »)
avec un châle de laine blanc pour le protéger du froid et de la pluie. Depuis cette époque, cette
famille de l'est du Tibet se distingue par sa richesse, son soutien à toutes les branches du
bouddhisme, ses dons d'argent aux monastères, de nourriture et de médicaments aux populations
en difficulté.
En 1952, les disciples du grand maître Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö, vieux et malade, le
pressent de prendre une partenaire spirituelle (appelée « consorte ») pour restaurer sa santé, selon
une tradition courante en Asie, qui considère que l'acte sexuel ou des pratiques rituelles
accomplis avec la partenaire adéquate permet un transfert d'énergie positif et purifie les
impuretés mentales et kharmiques. Ils sont sur le point de lui offrir une statuette de Jetsün Tara
comme épouse symbolique quand Khandro Tsering Chödrön, qui s'est égarée dans le temple, fait
irruption au cours de la cérémonie. Guidé par ce signe, Jamyang Khyentse, alors âgé de
cinquante-six ans, la prend comme gsang-yum (« épouse secrète »), elle a vingt-sept ans. Rétabli,
le maître poursuivit ses activités d'enseignant pendant sept années supplémentaires. Khandro
Tsering Chödrön, dont le nom signifie « la dakini [être féminin capable de susciter l'éveil] de la
longue vie », fut également appelée Khyentse Sangyum (« la mère secrète de Khyentse »).
Sa sœur aînée a, elle aussi, un destin marquant. Ayant épousé le secrétaire de Jamyang
Khyentse, elle a pour fils Sogyal Rimpoche, célèbre pour avoir fondé l'école Rigpa (« l'esprit
originel dans sa pureté »). Cette école possède actuellement onze centres d'enseignement à
travers le monde. En tant que tante de Sogyal, Khandro Tsering Chödrön a participé à son
éducation. Raison pour laquelle, bien qu'elle vécût loin du monde, il avait décidé de parler de sa
grande sagesse et de sa vie dans son livre le plus connu, Le Livre tibétain de la vie et de la mort
(1993).
Jamyang Khyentse étant mort au Sikkim, en Inde, Khandro Tsering Chödrön vécût alors au
temple de la résidence royale à Gangtok, où elle s'adonnait assidûment à la méditation et à la
prière devant le reliquaire de son mari. Comme le veut la tradition des « épouses secrètes », tout
en étant considérée comme un être d'une immense envergure spirituelle, elle n'écrivit pas, n'eut
pas de disciples susceptibles de continuer un lignage et n'enseigna pas en public. Son influence
bénéfique et sa compassion ne pouvaient se faire sentir qu'au sein d'une famille de maîtres et par
personne interposée. Entièrement consacrée à sa pratique, elle refusait toute publicité et ne
recevait ni les photographes ni les journalistes.
Ariane Buisset
Bibl. : Étude : SOGYAL Rimpoché, Le Livre tibétain de la vie et de la mort, Paris, La Table
Ronde, 1993.
KHANDRO TSERING PALDRÖN, maître du bouddhisme tibétain (Tibet, 1967). — Elle est
aussi connue sous le nom de Jetsun Khandro, Mindrolling Jetsun Khandro Rimpoche ou
simplement de Khandro Rimpoche (Rimpoche étant un titre honorifique signifiant « vénérable »
et khandro signifiant « dakini », soit un être féminin capable de susciter l'éveil). Khandro
Rimpoche est la fille du maître Nyinmapa (« l'école des anciens ») Mindrolling Trichen et
appartient en tant que telle à un lignage qui compte depuis longtemps de nombreuses femmes
maîtres. Alors qu'elle n'avait encore que deux ans, le seizième Karmapa, Rigpe Dorje, déclara
qu'elle était la réincarnation de la grande dakini de Tsurphu, Khandro Ugyen Tsomo. Dans sa
précédente incarnation, le quinzième Karmapa, Kakyab Dorje, étant très malade, avait en effet
épousé une jeune fille de seize ans, vue en songe, reconnue comme étant une émanation de la
parèdre de Padma Sambhava, Yeshe Tsogyal*. Cette jeune fille effectua chaque jour pour lui le
rite de purification de Dorje Nandjoma, ce qui prolongea sa vie de neuf ans. Après avoir été
reconnue officiellement comme sa précédente épouse par le seizième Karmapa, Khandro Tsering
Paldrön fut intronisée publiquement au cours d'une cérémonie. Dilgo Khyentse Rimpoche la
reconnut lui aussi et devint par la suite l'un de ses maîtres.
Khandro Tsering Paldrön a étudié avec son père, Mindrolling Trichen, avec le Dalaï Lama et
sous la direction d'autres maîtres appartenant à la lignée des Nyinmapa ainsi qu'à celle des
Kagyupa (« lignée de transmission orale ») plus tardive, ce qui lui permet aujourd'hui de
transmettre les enseignements de ces deux traditions du bouddhisme tibétain. Ayant reçu une
éducation tibétaine et occidentale, elle parle couramment l'anglais et compte environ cinq cents
étudiants aux États-Unis et au Canada. Elle dirige le centre de retraite de Santen Tse à Musoori
en Inde, où vivent une trentaine de nonnes, dans lequel les laïcs occidentaux peuvent venir
pratiquer. Ce centre a ouvert des branches en Allemagne, en Grèce et en France. En accord avec
le mouvement Rimé visant à permettre à des maîtres de toutes les branches du bouddhisme de se
réunir pour enseigner de façon non sectaire, elle a fondé en 2003 le Lotus Garden, en Virginie
(É.-U.), qui organise des retraites et publie le Dharmashri Journal. En outre, elle anime le
monastère de Mindrolling à Dehra Dun (Inde) ainsi que le monastère féminin de Karma Chokor
Dechen situé à Rumtek, dans l'Himalaya. Elle accorde son soutien à de nombreux projets
charitables, dont une léproserie. Ayant adopté deux petites filles, elle assume par ailleurs des
responsabilités familiales.
Alliant action et contemplation, Khandro Tsering Paldrön est une des rares maîtres femmes
tibétaines actuelles, en tout cas la seule à avoir su marier l'Orient et l'Occident, tout en restant
entièrement fidèle à sa tradition.
Ariane Buisset
Bibl. : Œuvre : This Precious Life : Tibetan Buddhist Teachings on the Path to Enlightenment,
Boston, Shambhala Publications, 2003. Étude : P.-Y. GINET, « Khandro Tsering Paldrön »,
Bouddhisme actualités, sur le site Buddha Line.
KIMPA VITA, dona Beatriz, prophétesse, figure majeure du mouvement antoiniste (Kibangu,
1684-Evululu, 2 juillet 1706). — Dona Beatriz Kimpa Vita, issue d'une famille de haut rang, est
née en 1684, à Kibangu, dans le royaume de Kongo. Son nom, portugais et kikongo, témoigne de
l'importance du Portugal et de la religion chrétienne dans ce royaume de l'Afrique centrale
occidentale, qui connut une très forte expansion au XVIe siècle, et dont les premiers contacts
avec l'Occident datent de 1498. Dona Beatriz, comme tous les sujets du roi du Kongo, reçut le
baptême. Son enfance fut troublée par les guerres civiles auxquelles se livrèrent les différentes
branches de la famille royale, qui contestaient la suprématie du souverain établi à Sao Salvador,
la capitale. Ces conflits furent attisés par le Portugal et la Hollande, engagés avec la complicité
de Kongolais éminents dans la traite des esclaves à destination du Brésil et des Caraïbes. Rien ne
semblait prédisposer dona Beatriz à jouer un rôle de premier plan dans l'échiquier politique et
religieux de la région. Très tôt, elle découvrit ses pouvoirs de nganga, c'est-à-dire d'intermédiaire
entre les vivants et les morts. Ces pouvoirs la rendirent capable de lutter contre les malédictions
des sorciers, de guérir des maladies et d'aider ceux qui étaient frappés par la malchance ou
possédés par le diable (kindoki) à redresser leur situation. Dona Beatriz fut donc initiée selon les
traditions africaines anciennes, mais laissa en suspens ses dons pour se marier, cédant aux
instances de sa famille. Or cette union ne prospéra pas.
En août 1704, la jeune fille, frappée par une étrange maladie, agonisa. Soudain, les spasmes de
son corps se calmèrent et elle vit devant elle un homme revêtu de la robe bleue d'un frère capucin
déclarant être saint Antoine de Padoue, fils aîné de la Foi et héritier de saint François d'Assise.
Le moine disait avoir été envoyé par Dieu pour l'exhorter à restaurer le royaume du Kongo,
ravagé par des années de guerre. Sao Salvador était en ruines depuis 1678, mais la cathédrale
était encore sur pied. Dona Beatriz fut alors possédée par saint Antoine, qui s'installa en elle.
Dona Beatriz entrait régulièrement en contact direct avec Dieu. Tous les vendredis, elle
mourrait et se rendait au ciel où elle discutait avec le Créateur des affaires du royaume pendant
deux jours. C'est lors de ces séjours qu'elle apprit que Jésus était né à Nsundi (sur la rive gauche
du fleuve Congo) et baptisé à Sao Salvador ; quant à la Vierge Marie*, elle était une esclave d'un
haut dignitaire du Kongo. Cette africanisation du catholicisme, combattue par les missionnaires
capucins, s'inscrivait dans la volonté des rois du Kongo de créer leur propre Église et leur propre
clergé sans le contrôle des Portugais. Beatriz, considérée comme hérétique et sorcière par les
frères capucins, prit ainsi le parti des Kongolais et son combat, dont l'enjeu final était la
restauration d'un royaume uni du Kongo qui mettrait fin aux luttes des factions et aux convoitises
européennes, fut suivi par de nombreux adeptes de toutes les couches de la société. En
s'attaquant aux réseaux esclavagistes, elle pensait pouvoir ramener la paix dans la région. Mais
ce mouvement antoiniste commit des erreurs tactiques. Le roi Pedro IV du Kongo, avec l'aide
des missionnaires, réussit à faire capturer Beatriz Kimpa Vita et la condamna au bûcher où elle
mourut convaincue que saint Antoine s'était incarné en elle et partageant avec des milliers de
fidèles l'idée que les Kongolais étaient un peuple élu et que le royaume avait été le premier que
Dieu avait créé lui-même, tandis que le reste du monde avait été délégué à l'action de ses anges.
D'une certaine façon, la prophétie fut accomplie puisque le royaume fut restauré par Pedro IV en
1709, pour une brève période, avant la reprise des guerres.
Dona Beatriz Kimpa Vita est l'une des premières femmes à avoir créé une Église catholique
authentiquement africaine, réunissant le culte des saints chrétiens et la possession. Son exemple a
influencé des personnalités prophétiques et politiques comme Simon Kimbangu (1887-1951) ou
encore, au XXIe siècle, le mouvement nationaliste Bundu Dia Kongo. Aujourd'hui encore, son
Église a toujours des partisans dans la République démocratique du Congo et au Congo-
Brazzaville.
Carmen Bernand
Bibl. : Vie et étude : J. K. THORTON, The Kongolese Saint Anthony. Dona Beatriz Kimpa Vita
and the Antonian Movement, 1684-1706, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
Bibl. : Œuvre : La Voie parfaite ou le Christ ésotérique, Paris, Alcan, 1892. Études :
E. MAITLAND, Anna Kingsford, her Life, Letters, Diary and Works, Londres, Redway, 1896 ;
J. GODWIN, The Theosophical Enlightenment, Albany, Suny Press, 1994 ; J.-P. LAURANT,
« Une théologie ésotérisante de la Pentecôte, Anna Kingsford », in La Pentecôte de l'intime au
social, Laval, Siloë, 1996.
KITAMURA, Sayo, fondatrice de la nouvelle religion Tenshô Kôtai Jingû-Kyô (Hizumi, 1900-
Tabuse, 1967). — Dénommée Ôgamisama (« Grande divinité ») par ses fidèles. Née au Japon
dans le village d'Hizumi (préfecture de Yamaguchi) dans le sud de l'archipel, Sayo poursuit sa
scolarité au-delà de l'école primaire et apprend la couture dans une institution privée. Elle trouve
un premier travail dans une usine de filature. Bien que ses parents soient très attachés au
bouddhisme de la Terre pure, la jeune Sayo ne montre pas d'appétence particulière pour la
religion. Ses amies d'école remarquent en revanche sa forte personnalité et son tempérament de
leader. Mariée à vingt ans à un paysan, elle vient s'installer dans sa famille à Tabuse, un village
de la même préfecture. En 1942, à la suite d'un incendie d'origine criminel survenu dans un
bâtiment annexe de la ferme, Sayo – qui voit là le signe d'une négligence dans ses obligations
religieuses envers les divinités ancestrales – prend conseil auprès d'un exorciste et multiplie
prières et rituels d'ablution, ainsi que retraites de nuit dans le sanctuaire shintô local. Cette
première interaction avec le monde divin va avoir une influence déterminante sur sa conduite
religieuse. Le 5 mai 1944, elle sent son corps envahi par une puissance mystérieuse, le « dieu de
l'intérieur de l'abdomen » (hara no naka no mono) qui engage avec elle un dialogue. Cette
communication, qui se poursuit pendant six jours, transforme la possession initiale en une
conversion religieuse définitive. Sayo, apte à canaliser cette force surnaturelle, devient porte-
parole de la « divinité dirigeante » (shidôshin). L'union de la fondatrice avec la divinité trouve sa
réalisation symbolique à travers le mariage de la grande divinité solaire féminine, Tenshô daijin,
avec la divinité masculine, Kôtaijin. À partir de juillet 1945, des fidèles se réunissent à son
domicile pour écouter ses prédications (seppô), qui prendront très vite un ton enflammé ; un mois
plus tard, elle réalise qu'elle a été choisie par cette « divinité universelle toute-puissante » (uchû
zettai naru kami), dorénavant nommée Tenshô Kôtaijin. Le charisme de Sayo, ses prêches dans
les rues sous forme de chants et de « danses extatiques » (muga no mai), sa revendication selon
laquelle elle serait, après la défaite du Japon et le renoncement de l'Empereur à sa nature divine,
l'unique représentante sur terre de la divinité impériale Amaterasu ô-mikami (autre lecture de
Tenshô daijin), lui confère une aura toute particulière dans une société en quête de repères.
Enregistrée comme groupe religieux en 1947 sous la dénomination de Tenshô Kôtai Jingû-Kyô,
cette « religion dansante » (odoru shûkyô) – terme utilisé par les médias – va connaître une forte
croissance au Japon, mais aussi à l'étranger, principalement à Hawaï et sur le continent
américain, grâce aux missions que Sayo y effectue à partir de 1952. Refusant l'argent de ses
disciples et payant les frais de ses sermons grâce à des travaux dans les champs, la fondatrice
restera active jusqu'à sa mort. C'est sa petite-fille, Kiyokazu Kitamura, qui lui succède en 1968.
Les mémoires de Sayo, intitulées Seisho (« Livre vivant »), mais aussi ses sermons et ses
entretiens enregistrés révèlent la vigueur d'une foi qui, par-delà les incantations spectaculaires,
prône inlassablement la nécessité de « polir son âme » (tama o migaku), d'abandonner son ego et
de devenir de « véritables êtres humains » (maningen ni naru).
Jean-Pierre Berthon
Bibl. : Études : C. MAY, « The Dancing Religion: A Japanese Messianic Sect », Southwestern
Journal of Anthropology, vol. 10, no 1, été 1954, p. 119-137 ; H. THOMSEN, « Tensho kotai
jingu kyo », in The New Religions of Japan, Tokyo & Rutland, Vermont, Charles Tuttle
Company, 1963, p. 199-229.
KLINT, Hilma af, peintre (Stockholm, 1862-1944). — Issue de l'aristocratie d'arme suédoise,
Hilma est la quatrième d'une famille de cinq enfants. Élevée dans la religion chrétienne, elle
restera pratiquante toute sa vie. Petite fille, elle a des visions et, à l'âge de dix-neuf ans, elle
participe à des séances dans un cercle spirite de Stockholm. De 1882 à 1887, elle poursuit une
formation artistique à l'Académie royale des beaux-arts de Stockholm, où elle acquiert le métier
de peintre et les techniques du rendu des couleurs et de la lumière, auxquelles elle s'est
sensibilisée. Elle devient portraitiste et paysagiste. Ses peintures réalistes s'inscrivent alors dans
la tradition du nord de l'Europe. Fascinée par la pensée théosophique, elle lit La Doctrine secrète
(1888) d'Helena Blavatski*, s'intéresse à Charles W. Leadbeater et Annie Besant*, et découvre
les théories anthroposophiques de Rudolf Steiner. Inspirée par ces courants de pensée, elle
commence par exécuter des dessins dans la tradition spirite sur le mode automatique, puis
s'attaque à des cycles peints de très grand format. Son œuvre artistique se scinde alors en deux
parties très distinctes. L'une officielle et l'autre cachée, seulement réservée à des initiés.
En 1897, avec Anna Cassel, Sigrid Hedman, Cornelia Cederberg et Mathilde N., elles fondent
un groupe ésotérique appelé De Fem (« Les cinq »). Dans une pièce dotée d'un autel sur lequel
est posée une croix, où brûlent des bougies et où des roses et du lilas embaument, elles
communiquent avec les esprits et explorent de nouveaux chemins en matière de création
spiritualiste. Le déroulé d'une séance s'effectue ainsi : après une lecture de la Bible, le groupe
entre en contact avec les guides spirituels. Un psychographe, ou une femme tombée en transe,
retransmet les messages. En 1901, Hilma est désignée comme médium et retranscrit ces
communications. À partir de 1906, elle ne les écrit plus mais les dessine (Carnets de dessins
spirites). Sa main, abandonnée aux esprits, trace des motifs de rose, de lys, d'escargot et de
spirale. De même, pour exécuter ses grandes peintures mystiques, elle reçoit des messages
préparatoires de ses guides astraux (Esther pour la dimension matérielle, Gidro pour la
dimension spirituelle et Amaliel pour la dimension astrale).
À l'automne 1907, elle crée la série Les Dix plus grands, qui traite des quatre phases de la vie
humaine : Enfance, Adolescence, Âge d'homme, Grand Âge. Vers 1908, Rudolf Steiner visite son
atelier, mais ne lui propose aucune interprétation de son travail – ce qui est pour Hilma une
immense déception. Elle cesse temporairement l'œuvre du « grand Temple pictural », qu'elle
reprend néanmoins en 1913 pour l'achever en faisant la série US, groupe 8, et le début de la
série W, L'Arbre de la connaissance. Elle termine en 1915 avec Chasteté humaine. Optant pour
un transfert du religieux vers l'art, être artiste devient pour elle une forme de sacerdoce.
Tandis qu'elle s'adonne à la mise en image des idéaux théosophiques et crée certaines œuvres
sous la dictée des esprits, de 1910 à 1914, elle participe également à des expositions collectives
en tant que membre de l'Association des femmes peintres suédoises, où elle présente une
peinture académique. En 1916, elle fait construire, sur une île de l'archipel de Stockholm, un
atelier pour exposer ses œuvres du « grand Temple », dont l'entrée est, là encore, uniquement
réservée aux initiés. Un an plus tard, elle peint la série L'Atome (1917). Après le décès de sa
mère, qui survient en 1920, elle s'installe à Helsingborg. À partir de 1922, elle peint des
aquarelles anthroposophiques et, jusqu'en 1941, effectue environ deux cents œuvres.
Les œuvres de grand format d'Hilma af Klint sont le fruit de son exploration psychique et
formelle. Créées en réponse à un appel qui vient d'en haut, son art s'inscrit, à ce titre, dans une
recherche spirituelle. Ses formes peintes sont organiques et géométriques ; elles s'expriment dans
des couleurs acidulées, fushia, parme et jaune. Elles oscillent, sur le plan stylistique, entre une
sorte de symbolisme ésotérique abstrait et le psychédélisme des années 1960.
Un peu avant sa mort, elle demande à son neveu et héritier Erik af Klint de laisser s'écouler un
laps de temps de vingt ans avant de montrer ses œuvres médiumniques. L'exposition américaine
The Spiritual in Art : Abstract Painting 1890-1985 qui se tient à Los Angeles en 1987 révèle son
existence au public.
Caroline Benzaria
Bibl. : Études : The Spiritual in Art : Abstract Painting 1890-1985, Los Angeles, LACMA,
1986 ; A. M. SVENSSON, « The Greatness of Things », in Hilma af Klint, Dublin, Douglas
Hyde Gallery, 2005. Expositions : The Alpine Cathedral and The City-Crown, Josiah McElheny,
Moderna Museet de Stockholm, 2007-2008 ; Hilma af Klint (1862-1944) : une modernité
révélée, Paris, Centre culturel suédois, 2008 ; Trace du sacré, Paris, Centre Pompidou, 2008 ;
Hypnos : Images et inconscient en Europe (1900-1949), Lille, Musée d'art moderne, 2009.
Bibl : Œuvre : Musique céleste, trad. L. Auvinet, C. Shinoda, Paris, Reiyûkai, 2004. Étude :
H. HARDACRE, Lay Buddhism in Contemporary Japan : Reiyûkai Kyôdan, Princeton, New
Jersey, Princeton University Press, 1984.
KRÜDENER, Barbara Juliane von, prophétesse, femme de lettres russe d'expression française
(Juliane von Vietinghoff ; Riga, 21 novembre 1764-Karassoubazar, 25 décembre 1824).
— Juliane von Vietinghoff est née à Riga, en Lettonie, dans une famille d'aristocrates. Son père,
le baron Otto Hermann von Vietinghoff, assurait d'importantes fonctions en Russie et en Livonie.
Sa mère, la comtesse Anna Ulrika von Münnich, luthérienne traditionaliste, éleva sévèrement
Juliane. Son enfance se déroule à Riga, dans leur propriété de Kosse, où elle s'imprègne de
religion, manifestant une foi fervente en Jésus-Christ. Avec ses parents, qui fréquentent la haute
société européenne, elle séjourne à Paris et à Strasbourg. Elle épouse à dix-huit ans le baron
Burchard Alexis von Krüdener, ambassadeur de Russie, qui est beaucoup plus âgé qu'elle. De
leur union naît Paul, en 1784, à Mittau, la capitale de la Courlande. Puis leur fille, Juliette, en
1787, au Danemark. Mais son couple est un échec. Pendant une vingtaine d'années, elle mène
une vie extravagante, loin de son époux, et parcourt l'Europe. Elle l'accompagne cependant à
Venise (1786), Munich et Copenhague (1787). Elle s'installe à Paris, où elle demeurera pendant
vingt ans. Elle y rencontre Bernardin de Saint-Pierre. Elle est toujours à Paris lorsque se
réunissent les états généraux à Versailles en 1789. Elle ne se soucie alors guère des événements
révolutionnaires.
Lorsqu'elle retourne à Riga, puis à Saint-Pétersbourg, elle réagit à la mort de son père (1792)
par une profonde dépression. De retour en Livonie, dans sa propriété de Kosse, frappée par la
misère des paysans, elle crée des écoles, des dispensaires, les couvre de bienfaits, grâce à son
héritage. En Suisse, elle fréquente d'éminents émigrés français. À la suite du décès de son mari
(1802), Juliane se rend à Paris pour retrouver Mme de Staël, dont elle avait fait la connaissance
en 1801, à Coppet. Grâce aux relations de celle-ci, elle rencontre Chateaubriand, Benjamin
Constant, Alexandre de Tilly et d'autres écrivains français, qui deviendront ses amis. La capitale
connaît alors une période de renaissance brillante. En 1803, elle publie anonymement à Paris, en
français, un récit autobiographique qui fait sensation, Valérie, qui est aussi un roman épistolaire
inspiré du Werther de Goethe.
De retour à Riga, en 1804, elle traverse une crise spirituelle qui la rapproche du piétisme
(mouvement luthérien). La mort subite d'une amie, qu'elle avait retrouvée peu auparavant, la
plonge dans l'affliction. Elle trouve la paix intérieure auprès d'un disciple des Frères moraves
(branche du protestantisme). Lors d'une cure thermale à Wiesbaden, elle rencontre la reine
Louise de Prusse, épouse du roi Frédéric-Guillaume III. Dans sa retraite de Kosse, renonçant à sa
vie frivole, Juliane et la reine Louise se consacrent à la conversion des pécheurs, aux œuvres de
charité, aux soins des blessés des guerres napoléoniennes. Désirant lutter contre le mal – pour les
piétistes, Napoléon Ier représente l'Antéchrist –, Juliane part prêcher dans le sud de l'Allemagne
et le nord de la Suisse. Fédérant des milliers de disciples, elle ne cesse de prophétiser en Alsace
la mission providentielle du roi Frédéric-Guillaume III et la proximité de la fin du monde. Il est
question d'un homme qui viendra du Nord chasser l'Antéchrist, du Christ qui reviendra pour
régner mille ans sur terre. L'Apocalypse menaçant de se déchaîner sur la terre, les riches doivent
partager leurs richesses, fuir les honneurs et rechercher Dieu. Julianne se sent investie d'un rôle
important à jouer dans le renouveau du piétisme. Son protecteur, le grand-duc Charles Frédéric
de Bade l'aide et la reçoit à sa cour de Karlsruhe, enorgueillie de sa présence. Là, elle rencontre
en 1808 Johann Henrich Jung-Stilling, un pasteur exalté, qui lui transmettra son admiration pour
le scientifique et philosophe Emanuel Swedenborg.
Suit une période d'errance. Mme de Krüdener part dans les Flandres écouter le pasteur Jean-
Frédéric Fontaines – un charlatan, qui lui présente une prétendue visionnaire, Gottliebin
Kummer. Arrivés tous les deux au Wurtemberg, ils sont chassés du royaume. L'influence de
Fontaines fera place à celle de Johann Kaspar Wegelin, un mystique de Strasbourg. Elle poursuit
son périple à Lichtenthal et à Karlsruhe. Elle est à Riga au moment de la mort de sa mère (1811).
En 1812, elle se rapproche du pasteur piétiste Jean-Frédéric Oberlin, établi à Strasbourg, qui lui
confirme sa vocation de prophétesse. À la suite de ces événements, Juliane se croit appelée à
établir le règne du Christ sur la terre. Elle parcourt l'Allemagne du Sud et la Suisse, distribuant
des aumônes, visitant les prisonniers, accompagnée d'une foule d'admirateurs. Elle contribue
ainsi au mouvement du Réveil protestant. Elle poursuit ses œuvres charitables avec la reine
Louise : elles passent leurs journées auprès des malades, des pauvres et surtout des innombrables
blessés. En 1813, Juliane crée à Strasbourg une communauté de croyants dirigée par le pasteur
suisse Henri-Louis Empeytaz.
Dans l'une de ses visions, elle prédit le retour de Napoléon de l'île d'Elbe (mars 1815). Le tsar
Alexandre Ier, qui désire connaître l'auteur de cette prédiction, organise une entrevue en 1815, à
Heilbronn. Ému par ses exhortations et leurs entretiens religieux, il lui demande de le suivre à
Heidelberg, puis à Paris. À la suite du tsar, Juliane s'enthousiasme pour le projet de la Sainte-
Alliance avec l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse afin d'imposer la paix en Europe. Elle
prêche le règne du Christ, grâce à l'alliance de toutes les Églises chrétiennes. Au moment des
Cent-Jours, elle demande au tsar d'assumer le rôle d'Élu de Dieu et de prendre la direction d'une
nouvelle Église chrétienne régénérée et lavée des exactions de la Révolution et de l'Empire.
Après la défaite de Napoléon, elle tient également un salon littéraire renommé, au faubourg
Saint-Honoré, fréquenté par Chateaubriand, Mme de Staël, Mme Récamier, le musicien Pierre-
Jean Garat, l'intendant de la Maison de Louis XVIII, le baron d'André, Benjamin Constant,
Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Lézay-Marnésia, M. de Gérondon, un proche d'Ampère, et
Bathilde d'Orléans*, duchesse de Bourbon.
Exerçant une grande influence sur l'élite européenne de l'époque, elle est cependant chassée
d'un peu partout, notamment lorsqu'elle prend parti tapageusement en faveur de l'indépendance
grecque. Juliane s'installe à Schlüchter, une enclave du royaume de Bade au Wurtemberg, au
printemps 1815, tout en poursuivant sa mission apostolique auprès des plus démunis en Europe.
Elle revient en Russie en 1818. Comme elle critique l'orientation politique donnée à la Sainte-
Alliance, l'Empereur, qui garde pour elle du respect et de l'affection, ne la revoit pas. Juliane
retourne dans sa propriété de Kosse. En 1821, revenue à Saint-Pétersbourg, elle s'efforce de
convaincre le tsar de soutenir la révolte des Grecs et même de libérer le Saint-Sépulcre. Mais le
tsar, tout en lisant Mme Guyon*, suit les conseils de Metternich et l'évince. Juliane, de nouveau
en désaccord avec lui, revient en Crimée, où la princesse Galitzine a fondé une colonie de
piétistes.
Elle meurt à Karassoubazar, à l'âge de cinquante ans.
L'expérience de Juliane von Krüdener ne se définit pas par des expériences mystiques, ni non
plus par des phénomènes surnaturels. Elle se situe plutôt du côté de l'intuition et de la sensibilité,
exacerbées au contact des événements historiques, et du prophétisme. Sa foi chrétienne n'en est
pas moins profonde ; elle réalisa de grandes œuvres de charité et elle exerça une véritable
influence religieuse sur certaines personnalités de haut rang, aussi bien que sur des milliers de
personnes. Mme de Krüdener est considérée tantôt comme folle, tantôt sainte, mais son
charisme, l'impact de ses visions et de ses prophéties auprès de multiples croyants, plus ou moins
naïfs ou effrayés par la tournure des événements politiques et les ravages que les guerres
faisaient subir aux populations, confirment l'authenticité de ses dons bien réels. À l'approche de
sa mort, elle a laissé ce témoignage sincère : « Ce que j'ai fait de bien restera, ce que j'ai fait de
mal (car combien de fois n'ai-je pas pris pour la voix de Dieu ce qui n'était que le fruit de mon
imagination et de mon orgueil), la miséricorde de Dieu l'effacera. »
Bernard Sesé
Bibl. : Œuvre : Valérie, ou Lettres de Gustave de Linar à Ernst de G..., Paris, Klincksieck, 1975.
Vie et études : A. HERMANT, Madame de Krüdener, Paris, Hachette, 1934 ; F. LEY, Bernardin
de Saint-Pierre, Mme de Staël, Chateaubriand, Benjamin Constant et Mme de Krüdener, Paris,
Montaigne, 1967 ; F. LEY, Madame de Krüdener et son temps, Paris, Plon, 1962 ; J.-R. DERRÉ,
Écrits intimes et prophétiques de Madame de Krüdener, Paris, CNRS, 1975 ; H. TROYAT,
Alexandre Ier, Paris, Flammarion, 1980.
L
LABOURÉ, Catherine. — Voir CATHERINE LABOURÉ
Bibl. : Études : P. PONTARD, Recueil des ouvrages de la célèbre Mlle Labrousse, Bordeaux,
Brossier, 1797 ; P. VULLIAUD, La Fin du monde, Paris, Payot, 1952 ; ID., Suzette Labrousse,
prophétesse de la Révolution, Avant-propos de F. Secret, Milan, Archè, 1988.
Bibl. : Études : J. MAÎTRE, Une inconnue célèbre. Madeleine Lebouc/Pauline Lair Lamotte
(1853-1918), Paris, Anthropos, 1993 ; P. JANET, De l'angoisse à l'extase, Paris, Alcan, t. I,
1926, t. II, 1928 ; J.-M. BURNOD, Le Mouvement social franciscain en France… 1891-1901,
Paris, Éditions franciscaines, 1991.
Bibl. : Œuvre : Les Dits de Lallâ, XIVe siècle au Cachemire, et la quête mystique, prés. et trad.
par M. Bruno, Paris, Les Deux Océans, 1999 (l'ouvrage contient quelques poèmes de Lallâ
traduits du cachemirien en sanskrit par Râjânaka Bhâskara au XVIIIe s. présentés, translittérés et
traduits en français par C. Poggi, p. 103-111). Étude : R. N. KAUL, Kashmir's Mystic, Poetess
Lalla Ded, New Delhi, S. Chand, 1999.
Bibl. : Études : A. BURKARDT, « Sophia Agnes von Langenberg, “fausse sainte” à Cologne
dans les années 1620 », Rives méditerranéennes, 3, 1999 ; C. RENOUX, « Discerner la sainteté
des mystiques. Quelques exemples italiens de l'âge baroque », Rives méditerranéennes, 3, 1999.
Bibl. : Œuvre : La Vie et les œuvres de Marie Lataste, abbé Pascal Darbins (éd.), Paris,
Ambroise Bray, 2e édition, 1866 (rééd. Téqui, Paris, 1974). Etude : R. P. TOULEMONT,
« Appréciations sur les cahiers de Marie Lataste », Études religieuses historiques et littéraires,
Pères de la Compagnie de Jésus, no 7, 1863.
LATEAU, Louise, tertiaire franciscaine (Bois d'Haine, Wallonie, 1850-1883). — Peu après sa
naissance, son père, forgeron de son état, est emporté par la variole. Elle aide très tôt sa mère
illettrée pour subvenir aux besoins familiaux. Vers l'âge de treize ans, elle est victime d'un grave
accident, le piétinement d'une vache, qui influence son parcours. Chez d'autres spirituels nous
trouvons aussi des chutes malencontreuses, occasion d'un changement profond, comme chez
Lydwine de Schiedam*. Louise devient membre du tiers ordre de saint François en décembre
1867. Ce qui implique une méditation fréquente de la Passion du Christ et l'attention conjointe
aux pauvres et aux malades. Bientôt, certains phénomènes sanglants allaient attirer l'attention des
autorités religieuses (au pouvoir déclinant) et médicales (en pleine ascension sociale), autant que
celle de gens inquiets, en particulier des aristocrates pris dans l'atmosphère eschatologique
faisant suite à la Révolution et à la chute du Second Empire, désireux de fixer leur angoisse en
visitant le corps marqué, pensaient-ils, par des signes d'élection, d'une jeune fille émissaire de
l'humanité menacée. Jeune fille dont les écoulements de sang sont contemporains des troubles
climatériques parus assez tardivement, à dix-huit ans.
Le médecin commandité par l'Académie, Évariste Warlomont, ne conclut pas spécifiquement à
l'hystérie, mais à ce qu'il appelle une forme de « doublement de la vie » (Rapport, III, 90)
découlant d'un « habitus névropathique » (comprenant à la fois des vecteurs physiologiques et
biographiques, comme la condition sociale, l'absence de jeux dans l'enfance, le catéchisme seul,
etc.), qu'il nomme finalement « névropathie stigmatique » (syndrome extase et stigmate). Bien
avant la Madeleine de Pierre Janet (Lair Lamotte Pauline*), et son approche psychopathologique
(inspirée de William James Sidis, Maine de Biran et Leibniz), la courte existence de Louise
Lateau est devenue un enjeu (aux dimensions européennes et même américaines) à la fois
religieux et scientifique, très révélateur notamment du préjugé commun à la théologie (très
abstraite, et même rationaliste par certains aspects) et à la médecine – savoir théorique et clinique
en pleine expansion, mais vecteur d'une conquête professionnelle et publique sans équivalent
dans l'Histoire, par le biais de l'hygiène sociale (campagnes de vaccination etc.) : la réduction de
la vie spirituelle à des phénomènes observables (hémorragie, inédie, delirium) ou moraux
(comportementaux) et l'incapacité structurelle de comprendre l'expérience intérieure des
personnes examinées, serait-ce une expérience stylisée par des codes éducatifs, des lectures, des
écrits. La condamnation de l'expérience mystique en Espagne au milieu du XVIe siècle et en
France à la fin du XVIIe siècle avait produit, au siècle romantique et positiviste à la fois, un
retour du refoulé pléthorique – essai convulsif de reprise en mains de la France par « la
mystique » – nécessairement ambigu. L'approche de l'expérience de Louise Lateau ne pourra être
menée sérieusement tant que les écrits abondants et minutieux du prêtre qui assista et écouta
Louise au jour le jour jusqu'à sa mort ne seront pas analysés avec rigueur. Là se trament
simultanément l'attention aux événements les plus fins et l'écoute sans relâche d'une parole
irréductible aux trop fameux phénomènes du mysticisme.
Bernard Forthomme
Bibl. : Vie : A. THIERY, Nouvelle Biographie de Louise Lateau d'après les documents
authentiques, Louvain, Nova et Vetera, 1915-1921, 5 vol. Études : É. WARLOMONT, Louise
Lateau. Rapport médical sur la stigmatisée du Bois d'Haine fait à l'Académie royale de médecine
de Belgique…, Bruxelles, C. Mucquart, 1875 (et Paris, Baillère, 1875) ; N. CHARBONNIER,
Maladies et facultés diverses des mystiques, Bruxelles, Henri Manceaux, 1875 (réédition aux
États-Unis, Kessinger Publishing's, 2010 ; tout le chap. III est une critique des médecins
Warlomont et Lefèbvre à propos du « cas » Louise) ; J. DELBOEUF, Le Magnétisme animal. À
propos d'une visite à l'école de Nancy, Paris, Alcan, 1890 (appendice paru initialement dans le
Journal de Liège du 22 décembre 1869 et consacré à la critique de l'étude [Louise Lateau]
publiée par le Dr Lefèbvre en 1869) ; B. FORTHOMME, « Nestor Charbonnier », in
Dictionnaire de psychologie et de psychopathologie des religions, Paris, Bayard, 2011.
Bibl. : Étude : O. ENGLEBERT, Vie et conversion d'Ève Lavallière, Paris, Plon, 1936.
LE BER, Jeanne, laïque, recluse (Montréal, 1662-3 octobre 1714). — Jeanne est la deuxième
enfant de la famille Le Ber et l'une des premières filles nées à Ville-Marie (nom de fondation de
Montréal). Ses parents font partie de la génération des pionniers. Jacques Le Ber, son père, arrivé
à quinze ans au Canada, est devenu l'un des plus riches marchands de la colonie ; Jeanne Le
Moyne, sa mère, fait partie d'une famille qui joue un rôle important dans le développement de la
Nouvelle-France et dans sa défense contre les attaques anglaises et iroquoises. Le père et l'oncle
de Jeanne seront d'ailleurs anoblis sous le règne de Louis XIV.
Jeanne reçoit comme parrain et marraine les principaux héros de l'épopée mystique de
Montréal : Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance, qui, vingt ans auparavant, avaient
fondé Ville-Marie dans l'espoir d'y édifier une communauté de chrétiens sur le modèle de la
primitive Église. Très tôt, Jeanne Le Ber aime rendre visite à son illustre marraine, qui avait
fondé l'Hôtel-Dieu de Montréal ; elle en apprécie surtout la vie solitaire, pauvre et simple, et son
art de raconter l'histoire sainte. Aucune maison d'éducation pour jeunes filles n'existe encore à
Ville-Marie ; les parents de Jeanne l'envoient à Québec, chez les Ursulines, où Marie le Ber, une
des sœurs de son père, est entrée comme religieuse six ans plus tôt. De 1674 à 1677, Jeanne y
apprend l'art d'être une femme accomplie, dans les affaires temporelles comme dans la vie
spirituelle. Elle y bénéficie d'une éducation de qualité ; elle y goûte en particulier l'apprentissage
de la broderie d'art et y pratique la découverte de sa vie intérieure dans des temps de cœur à cœur
avec Dieu, qu'elle prolonge souvent au grand étonnement de ses éducatrices. Lorsqu'elle revient
à Montréal, elle est très vite courtisée pour son charme éclatant, et aussi pour sa dot qui est la
plus importante de la Nouvelle-France.
Mais Jeanne Le Ber se sent appelée à une existence différente, à laquelle rien de ce qu'elle
connaît autour d'elle ne correspond : ni l'état du mariage, ni vraiment la vie religieuse, qu'il
s'agisse des Ursulines, à qui elle doit tant, des Hospitalières de Montréal ou des sœurs séculières
de la Congrégation de Notre-Dame, fondée par Marguerite Bourgeoys, qui la connaît et l'estime.
Jeanne apprécie chacune de ces communautés, dans lesquelles elle a des parentes et même sa
meilleure amie, mais aucune ne répond au vœu intime qu'elle porte en elle depuis son enfance.
Son souhait le plus cher, né peut-être de ses rencontres avec sa marraine, a grandi au contact de
ses éducatrices à Québec, dans ce monastère où le souvenir de la mystique et fondatrice mère
Marie de l'Incarnation* (Marie Guyart), récemment disparue, est omniprésent : désir puissant
d'une vie de solitude et de silence, partagée entre la prière, le travail et un peu de repos. Dans la
maison familiale où s'agitent frères et cousins, comme dans la vie quotidienne de la colonie,
Jeanne essaie d'ajuster au mieux sa conduite à une vocation qui s'impose maintenant à elle.
Or cette fin de XVIIe siècle est moins encline à la mystique : au sein de la colonie, la foi,
toujours très vivante, s'exprime plutôt par des dévotions collectives. Aussi, par ses
comportements insolites, Jeanne Le Ber va d'abord étonner la communauté, puis rapidement se
heurter à de nombreuses résistances, tant familiales que sociales et ecclésiastiques. Elle sera
soutenue dans son combat par le sulpicien François de Séguenot, qui devient son directeur
spirituel à partir de 1680. Après que Jeanne a été soumise à un examen canonique, qui révèle le
sérieux du projet de la jeune fille et une personnalité forte et équilibrée, le père de Séguenot
obtient des autorités paternelle et ecclésiastiques que Jeanne puisse vivre un temps de probation
de cinq ans en tant que recluse dans la demeure familiale. Il s'agit de mettre à l'épreuve cette
vocation, étrangère, du moins en apparence, aux coutumes et aux besoins de la colonie. François
de Séguenot rencontre la jeune recluse une fois par semaine et règle son calendrier. Et, si elle n'a
pas obtenu l'autorisation de s'engager définitivement dans la chasteté et la vie pauvre, la jeune
femme, restée laïque, pratique les conseils évangéliques et se livre à une ascèse drastique que
doit même modérer son directeur. Ainsi, pendant cinq ans, Jeanne ne sort de sa chambre que
pour se rendre chaque matin à la première messe à l'église voisine et, en 1682, pour rendre un
ultime et silencieux signe d'affection à sa mère, qui vient de mourir.
Enfin, en 1685, elle est autorisée à faire officiellement vœu de réclusion, de chasteté et de
pauvreté de cœur, mais on lui refuse le droit de se dépouiller de son héritage. Elle usera bientôt
de ses biens pour aider les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame à construire leurs nouveaux
bâtiments et elle obtiendra qu'une annexe à la chapelle de leur couvent soit édifiée pour lui servir
de réclusoir. Elle y entre très solennellement le 5 août 1695 ; elle a trente-trois ans. Elle occupera
pendant près de vingt ans trois petites pièces superposées : une sacristie-parloir, une chambre au
premier étage et, au-dessus, une salle de travail. Son temps est partagé entre l'adoration, la prière,
la lecture, le travail – confection de vêtements pour les pauvres, broderie de parures d'autel et
autres vêtements liturgiques –, et quelques heures de repos. La Vierge Marie* est son modèle et
son recours, particulièrement Marie de Nazareth, à qui elle souhaite conformer sa vie au service
de Dieu et des autres, dans le silence et l'humilité. Seule sa cousine et confidente, Anne Barrois,
est admise pour de rares visites dans sa chambre. Et lorsqu'il lui arrive de recevoir au parloir
quelque personnalité de passage, elle parle peu, rappelle l'essentiel de sa foi et de sa vie ; elle
réserve un langage fleuri et volubile à son directeur spirituel, qui restera discret jusqu'à la mort
de la recluse. À regarder la splendeur des formes et des couleurs de ses broderies, véritables
œuvres d'art, qui contrastent tant avec sa propre vêture terne et élimée, on devine la ferveur, la
passion et la radicalité qui l'animent. Pourtant, les nuits spirituelles ne seront pas épargnées à la
mystique : dès son entrée au réclusoir, son oraison douce et consolante devient éprouvante et
aride ; le doute même la menace, épargnant juste assez de lumière pour qu'elle ne désespère pas.
Ces temps correspondent à sa production artistique la plus féconde et la plus éblouissante,
comme fruit le plus évident de ces épreuves intérieures. Jamais elle n'aura brodé aussi
brillamment et aussi rapidement – aidée, dira-t-elle, par les anges.
À Mgr de Saint-Vallier, qui lui rend visite en 1698 en compagnie de deux Anglais qui avaient
sollicité la faveur de rencontrer la recluse et qui s'étonnent de la pauvreté du lieu, elle confie quel
est le véritable centre de son existence, ce qu'elle appelle « sa pierre d'aimant » : la présence de
son Seigneur dans l'Eucharistie. Car tel est bien le cœur de la vie mystique de Jeanne, sa raison
d'être et celui par qui elle aime les autres. Une fenestrelle a été pratiquée dans la porte de la
sacristie, qui lui permet d'assister à la messe et de communier plus souvent que la coutume. Un
de ses premiers biographes rapporte qu'elle dormait la tête appuyée contre la mince cloison qui la
sépare du tabernacle. Elle s'emploie à promouvoir l'adoration du Saint-Sacrement et entraîne
bientôt les sœurs de Notre-Dame à la pratique de l'adoration perpétuelle. Elle fonde les Œuvres
du Tabernacle, qui existent toujours.
Paradoxalement, l'isolement volontaire de Jeanne la rend très proche de la vie de la petite
colonie qu'elle conseille et pour laquelle elle prie ; elle manifeste un souci constant pour
l'éducation des jeunes filles les plus pauvres et exhorte avec insistance les sœurs de la
Congrégation de Notre-Dame à construire une école pour elles. Jeanne est particulièrement
éprouvée par les drames que vit la colonie en cette fin de siècle : la Nouvelle-France est l'enjeu
du conflit qui oppose, en Europe, la France à l'Angleterre. La petite ville est devenue une base à
partir de laquelle les autorités françaises organisent la résistance à la puissance anglaise et à ses
alliés iroquois. Jeanne perd en peu de temps plusieurs membres de sa famille, frères et cousins,
dans ces opérations militaires et ces combats divers. Pour la colonie, qui a confiance dans le
pouvoir d'intercession de la recluse, elle devient un recours spirituel très concret et très puissant :
en 1709, la communauté lui demande de prier à l'occasion d'une invasion anglaise imminente ;
en 1711, à la demande du commandant des forces canadiennes, elle participe à la confection de
l'étendard qui attendra l'armée de Nicholson, revenue au lac Champlain ; on attribue l'échec de
l'expédition anglaise à la prière qu'elle avait brodée sur le drapeau et à la puissance de son
intercession auprès de Dieu par Marie.
À cinquante-deux ans, la santé de Jeanne se détériore rapidement ; elle fait don de tous ses
biens à la Congrégation de Notre-Dame pour l'instruction et l'éducation des jeunes filles pauvres,
« tant pour les choses spirituelles que pour les choses temporelles ». Lors de son éloge funèbre,
le R. P. Vachon évoque celle qui « a eu le courage de renouveler la vie sublime des anciens
anachorètes », celle qu'on appelait familièrement « l'ange de Ville-Marie », comme en écho à sa
dévotion pour ceux qui furent ses compagnons familiers.
En plein cœur du XXe siècle, s'inspirant directement de la spiritualité de Jeanne le Ber, deux
anciennes élèves de la Congrégation de Notre-Dame fondent la communauté des Recluses
Missionnaires : au-delà des siècles se confirmait la fécondité mystique de la première recluse du
Canada.
Thérèse Nadeau-Lacour
Bibl. : Œuvre : des Traités, composés par C. Le Sergent selon la mère de Blémur, sont perdus.
Biographie : mère J. BOUETTE DE BLÉMUR, Vie de la Vénérable Mère de S. Jean
l'Évangéliste, religieuse de l'Abbaye royale de Montmartre, Paris, Nicolas Le Clerc, 1689.
Études : H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France…, t. II, Paris,
Bloud et Gay, 1928, p. 467-484 ; G. OURY, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris,
Beauchesne, t. IX, 1976, col. 703-705.
Bibl. : Œuvres : The Wars of David and the Peacable Reign of Solomon, Londres, J. Bradford,
1700 ; Le Messager céleste de la paix universelle, trad. P. Sédir, Paris, Chamuel, 1894 ;
Revelation of revelations, Glasgow, Magnum Opus Hermetic Sourceworks, 1981. Études : J.
HIRST, Jane Leade : Biography of Seventeenth-Century Mystic, Londres, Ashgate 2005 ; N.
THUNE, The Behemists and the Philadelphians : A Contribution to the Study of English
Mysticism in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Uppsala, Almquist & Wicksel, 1948 ; P.
MCDOWELL, « Enlightenment Enthusiasts and the Spectacular Failure of the Philadelphian
Society », Eighteenth Century Studies, vol. 35, no 4, 2002, p. 515-533.
LESEUR, Élisabeth, laïque, auteur d'un Journal spirituel (Élisabeth Arrighi ; Paris, 16 octobre
1866-3 mai 1914). — L'intérêt de l'expérience spirituelle d'Élisabeth Leseur n'est nullement à
chercher du côté des phénomènes mystiques : il s'agirait plutôt de la très intéressante expérience
littéraire d'un Journal spirituel, qui a eu son heure de gloire et qui est écrit dans un contexte assez
surprenant. Élisabeth Arrighi est née dans une famille bourgeoise cultivée, artiste ; son père est
avocat à la cour impériale, conseiller général de la Corse en 1867. La jeune fille est élevée avec
soin, à Paris et dans les villégiatures d'Auteuil ou du bord de mer. Elle reçoit une éducation
chrétienne. En 1889, elle épouse Félix Leseur, médecin qui finira assureur dans la compagnie de
sa belle-famille. Le couple, qui n'aura jamais d'enfant, est et restera toujours très harmonieux, du
moins dans leur vie parisienne, leur amour de Wagner ou des voyages. Au contact d'un époux
agnostique, Élisabeth finit néanmoins par s'éloigner totalement de la foi de son enfance. Quand,
en 1898, à l'occasion de la lecture, suggérée par son mari, de la Vie de Jésus d'Ernest Renan, elle
se remet à lire, par curiosité, les Évangiles, c'est un choc profond et un retour à la foi immédiat.
Dès lors, et jusqu'à sa mort, Élisabeth Leseur vit dans une solitude morale et spirituelle causée
par la divergence avec son époux sur le plan de la foi et de la pratique religieuse. À partir de
1903, elle bénéficie du secours, assez relatif, d'un directeur spirituel dominicain, le père Hébert,
mais c'est surtout l'écriture d'un remarquable Journal intime qui vient combler, à partir de
l'automne 1899, sa solitude.
Cette femme qui entre en écriture, comme on entre en religion, devient une femme de prière,
de méditation et d'études – elle se penche sur la philosophie, lit énormément. Elle ne néglige pas,
cependant, ses devoirs de maîtresse de maison – la vie sociale de son époux est assez dense – et
garde pour ses cahiers intimes les sentiments que lui inspire l'anticléricalisme militant de la
IIIe République.
La vie du couple, d'abord rythmée par de nombreux voyages (Russie, Autriche, Suisse, Italie),
s'assombrit les dernières années : Élisabeth est très affectée par le décès en 1905 de sa jeune sœur
Juliette, qu'elle aimait beaucoup, puis par sa propre maladie du foie, longue et incurable malgré
de nombreuses opérations, qui la tient alitée chez elle jusqu'à sa mort, jeune encore, à l'âge de
quarante-huit ans.
La lecture du Journal d'Élisabeth Leseur – au-delà de l'intérêt personnel et spirituel qu'un
lecteur peut y trouver – fournit un exemple captivant de l'effet-miroir de l'écriture spirituelle : en
consignant par écrit son expérience de la prière et du progrès moral, en analysant avec finesse ses
sentiments intérieurs (joie, amertume, déception de soi et des autres) et ses jugements sur autrui,
Élisabeth Leseur tient, au cœur même de sa solitude, un alter ego, un lieu possible de bilan, un
compagnon pour la reconstruction de soi et la programmation de l'avenir. Sans qu'il contienne
rien d'exceptionnel, le Journal d'Élisabeth Leseur est un « type » de journal de l'âme, où de très
nombreux lecteurs – probablement surtout un public féminin – se retrouvent au cours de la
première moitié du XXe siècle.
La fascination exercée par le Journal de Mme Leseur – et ce n'est pas le moins curieux de
l'affaire – s'est d'abord exercée sur son mari, Félix, découvreur du texte à sa mort. Bouleversé par
la lecture de cette « intimité spirituelle » qui lui avait totalement échappé, il se convertit lui-
même à la foi chrétienne et entre quatre ans plus tard chez les Dominicains, où il devient le père
Marie-Albert. L'époux converti (ou repenti ?), qui meurt en 1950, n'aura de cesse tout le reste de
sa vie de faire connaître la vie de foi de son épouse, publiant dès 1917 le Journal, puis, au fil des
années, devant le succès du texte sans cesse réédité, tout ce qu'il trouvera d'autre (un Journal
d'enfance, des lettres). Le père Leseur, cas unique dans les annales de l'Église romaine,
travaillera même à la rédaction des articles du procès informatif (1936) pour la béatification de
son épouse. La cause ne sera d'ailleurs pas poursuivie.
Dominique-Marie Dauzet
Bibl. : Œuvres : Journal et pensées de chaque jour, Paris, De Girord, 1917 (trad. dans une
douzaine de langues ; réédition Paris, Cerf, 2005, avec une substantielle introduction de J.
Ruffing) ; Lettres sur la souffrance, Paris, De Girord, 1918 ; Lettre à des incroyants, Paris, De
Gigord, 1923. Études : D.-M. DAUZET, La Mystique bien tempérée, Paris, Cerf, 2006 et
« Élisabeth Leseur, une épouse solitaire en écriture », La Vie spirituelle, no 774, 2008, p. 41-52 ;
M.-A. LESEUR, Vie d'Élisabeth Leseur, Paris, De Gigord, 1931.
Bibl. : Œuvres : La Perfection de l'amour du prochain dans tous les états, par l'union de nos
amours naturels aux amours de Dieu, Paris, J. Cusson, 1685 ; Le Triomphe de la croix,
contenant les trois états de la perfection chrétienne, Paris, Impr. de P. de Bresche, 1668 ; Les
Cinq Fleurs de la grâce, contenant le chef-d'œuvre de la nature et de la grâce dans la divine
Marie mère de Dieu, avec l'amour généreux de Jésus sur la croix et sur l'autel, et le cours de la
grâce sur la terre, et sa consommation dans la gloire…, Paris, J. Cusson, 1685. Étude : A.
WALCH, La Spiritualité conjugale dans le catholicisme français, XVIe-XXe siècle, Paris, Cerf,
2002.
LINDMAYR, Marie Anne, carmélite, visionnaire (Maria Anna Josepha a Jesu en religion ;
Munich, 1657-1726). — Née dans une famille bourgeoise à Munich, Marie Anne grandit dans
une maison d'une piété profonde ; cinq des quinze enfants de sa famille choisiront la vie
monacale. Elle est particulièrement dévote de la Vierge Marie* – vénérée à cette époque à
Munich de manière fervente. À quinze ans, pendant une confession générale, elle se convertit et
déclare vouloir devenir « quelqu'un de bien, ou sinon rien ». Elle se sent déjà attirée par la vie
religieuse, mais des maladies empêcheront pendant longtemps son entrée dans un ordre. À vingt-
huit, elle fait vœu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Elle passe ensuite par des périodes de
sécheresse intérieure, pendant lesquelles elle se sent abandonnée de Dieu. Ses propos laissent
transparaître l'influence de ses lectures de Jean de la Croix. Elle lit également Luis de la Puente,
Alonso Rodriguez, Jean-Baptiste Saint-Jure, la Vie de Thérèse d'Avila* et Jeremias Drexel. En
1687, elle devient tertiaire carmélitaine. Elle dort peu pour pouvoir prier, se flagelle, repose sur
un lit d'orties, mange des herbes amères, boit peu et se maltraite avec des clous de métal en
souvenir des plaies du Christ. En 1690, elle voit pleurer une image du Christ devant laquelle elle
prie.
Au début de la guerre de succession d'Espagne, qui oppose le prince électeur de Bavière
Maximilien II Emmanuel à l'empereur germanique Léopold Ier, elle a des visions du Christ qui,
tout en se plaignant du clergé corrompu, lui confère une mission : devenir la porte-parole de
Dieu auprès du prince électeur. Marie Anne, dont la famille est présente à la Cour, annonce ainsi
à ce dernier l'incontournabilité de la punition divine en cas de conflit prolongé ; elle suggère
l'union des princes catholiques entre eux. Elle s'adresse directement par lettre au prince électeur
qui, après la défaite de ses troupes à Höchstädt en 1704, a fui la ville de Munich. Elle est aussitôt
examinée par une commission dont fait partie le père Barnabas Kirchhuber, qui atteste les
visions des âmes du purgatoire de Marie Anne depuis 1690. Dans celles-ci, les âmes sont
marquées par la punition de leurs vices : si par exemple elles ont péché par gourmandise, elles
ont un aspect décharné et affamé. Elles demandent alors à Marie Anne de jeûner pour les
racheter. Communiquant avec ces âmes, cette dernière se charge de se mortifier pour les libérer
du purgatoire. Souvent, elle reconnaît dans ces visions des femmes et des hommes morts depuis
peu. La commission constate alors que Marie Anne est de bonne foi et qu'elle ne souffre pas de
maladies physiques ; appréciant son humilité, elle l'exhorte à se tenir sous l'obéissance de son
père confesseur. Marie Anne est également soutenue par les dames de la Cour et en particulier
par l'électrice Thérèse Cunégonde Sobieska, qui est nommée régente palatine après la fuite de
son mari.
Influencés par les prophéties de Marie Anne, les trois états de la ville de Munich se font la
promesse en 1704 de construire l'église de la trinité (Dreifaltigkeitskirche) si la ville sort
indemne de la guerre. Le prince électeur de Bavière aurait-il entendu sa « voix du désert » (Di
Rocca) ? Toujours est-il qu'il fait la paix avec l'Empereur en 1705, parant ainsi à la menace d'une
invasion de la ville. À partir de 1711, l'église est en construction. Un couvent carmélite est fondé
la même année. En 1712, Marie Anne y devient novice, réalisant son vœu le plus cher à l'âge de
cinquante-six ans. En prenant le nom de Maria Anna Josepha a Jesu, elle fait profession l'année
suivante. Elle sera élue prieure de 1716 à 1721. Après sa mort, on découvre des stigmates sur ses
mains et son front ; son corps reste incorrompu. Selon des comptes rendus médicaux, son cœur
semble s'être agrandi.
Entamé entre 1727 et 1734, le procès d'information pour préparer sa béatification est
interrompu à cause du manque d'argent. En 1802, dans le cadre de la sécularisation du couvent,
ses ossements sont exhumés et jetés dans une fosse commune. Aux archives provinciales des
Carmes déchaussés à Munich sont conservés vingt mille pages inédites de sa main : des notes de
retraites, des journaux intimes et sa correspondance. Depuis 2003, une association (Lindmayr-
Freundeskreis) très active s'est engagée à faire connaître la mystique et à faire avancer sa cause
de béatification.
Xenia von Tippelskirch
Bibl. : Œuvre : Mes relations avec les âmes du Purgatoire : journal d'une carmélite, dom F. J.
Nock (éd.), trad. de l'allemand F.-X. Brodard (Mein Verkehr mit armen Seelen), Stein am Rhein,
Christiana, 1974. Études : A. DI ROCCA, Die Botin des hl. Antlitzes. Mutter Anna Maria
Lindmayr. Eine barmherzige Helferin der Armen Seelen, Gröbenzell, Hacker, 1964 ; B.
GÜNTHER OCD, Maria Anna Josefa Lindmayr : Prophetin Gottes, Helferin der Armen Seelen,
Jestetten, Miriam-Verlag 1976 ; U. STRASSER, « Una Prophetessa in tempo di guerra : il caso
di Maria Anna Lindmayr (1657-1729) [sic] », in G. Pomata, G. Zarri (dir.), I monasteri femminili
come centri di cultura fra Rinascimento e Barocco, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2005.
LIU TIEMO, ou LIU T'IEH-MO, nonne bouddhiste (Chine, IXe s.). — Cette figure du
bouddhisme chan (qui devint le zen au Japon) est aussi connue sous son nom japonais Ryû
Tetsuma, qui signifie « meule de fer ». Celui-ci symbolise la façon dont Liu Tiemo pouvait saisir
les aspects les plus subtils du dharma (« loi bouddhique ») et réduire à néant ses adversaires lors
des affrontements doctrinaux (les batailles du dharma), l'une des bases de la formation des
moines et des moniales. Lors de ces rencontres, le maître posait à ses élèves des questions pièges
auxquelles ils devaient répondre sans réfléchir. Les élèves pouvaient aussi se mesurer entre eux.
Ils n'échangeaient que quelques phrases percutantes. Le langage toujours codé fonctionnait à
partir d'allusions qui réclamaient à la fois une grande connaissance des textes et la capacité de
manifester sur-le-champ l'esprit d'éveil. Ces affrontements traditionnels connus sous le nom de
kôan (« documents publics ») ont été rassemblés en deux volumes. Ils ont servi pendant des
siècles de sujet de méditation aux moines zen et sont encore utilisés aujourd'hui. Avant d'être
reconnu comme maître et authentifié au sein du lignage, chaque pratiquant devait avoir résolu
tous les « cas » des kôan traditionnels, au nombre de plusieurs centaines, ainsi que ceux que le
maître pouvait inventer à l'improviste (la liste n'est pas close).
Liu Tiemo fut la disciple du maître Kuei-shan ling yu, en japonais Isan Reiyu. Preuve de sa
célébrité à l'époque, elle apparaît deux fois (pour le « cas » 17 et le « cas » 24) dans le recueil de
kôan intitulé « La falaise verte » (XIIe s.), une compilation réalisée durant la dynastie des Song
par le maître Yuanwu Keqin (en japonais Engo Kokugon). Chaque « cas » a été agrémenté d'un
court poème de Xudou Chongxian (en japonais Setchô Jûken), aussi hermétique que le reste,
censé mettre sur la voie. Voici le cas 24, intitulé « Ryû Tetsuma [Liu Tiemo], la vieille femelle
buffle », dans sa version japonaise : Ryû Tetsuma alla voir Isan (Kuei-shan). Isan dit : « Ah,
vieille vache, ainsi tu es venue ! » Tetsuma dit : « Demain il y a une grande fête sur le mont
Taisan. Est-ce que tu iras ? » En réponse, Isan se coucha par terre et s'étira. Ryû Tetsuma s'en
alla.
Destinés à tester et éveiller le pratiquant à une réalité supérieure hors d'atteinte
intellectuellement, ces kôan permettaient de constater que certaines femmes, en Chine, au
IXe siècle, pouvaient se montrer de redoutables « combattantes du dharma » et qu'elles
travaillaient avec de grands maîtres, comme les hommes, ce qui devint très rare par la suite. De
toute évidence, dans de nombreuses histoires zen, qui ne sont pas des kôan, Ryû Tetsuma a servi
de prototype au personnage récurrent de la vieille femme qui, sans en avoir l'air, parce qu'elle
cuisait le riz et balayait la cour, faisait chuter les moines en leur posant les questions les plus
épineuses.
Ariane Buisset
Bibl. : Étude : Two Zen Classics (comprend « La falaise verte »), trad. K. Sekida, Boston,
Shambhala Publications, 2005.
Bibl. : Œuvres : Méditations eucharistiques, Dédiées à Madame Adélaïde, Paris, chez Planche,
Libraire, 1789 ; Textes spirituels, présentés par D. Poirot, o.c.d., Paris, OEIL, 1988. Vie et
étude : B. HOURS, Madame Louise, princesse au Carmel, Paris, Cerf, 1988.
Bibl. : Œuvre : Correspondance. Méditations. Pensées. Avis, Paris, Krelper, 1961. Vie et
études : SAINT VINCENT DE PAUL, Œuvres complètes, Paris, Gabalda, 1921-1926 et 1960 ;
M.-D. POINSENET, De l'anxiété à la sainteté : Louise de Marillac, Paris, Fayard, 1957.
LUBICH, Chiara, fondatrice du mouvement des Focolari (Silvia Lubich ; Trente, 22 janvier
1920-Rocca di Papa, 14 mars 2008). — Silvia Lubich est née à Trente, dans l'Italie du Nord.
Sitôt obtenu son diplôme d'institutrice en 1938, cette fille de militants socialistes, que
l'avènement du fascisme condamnera au chômage et à la pauvreté, exerce dans différents villages
du Trentin et, à partir de 1940 jusqu'en 1942-1943, à l'orphelinat tenu par les Capucins à
Cognola, bourgade des environs de Trente. En octobre 1939, elle avait participé à une formation
destinée aux jeunes militantes de l'Action catholique, à Lorette, sanctuaire de la province des
Marches, réputé conserver la Santa Casa, la maison de la Vierge, transportée, dit la légende, par
les anges, en 1290, de Palestine en Italie : ce pèlerinage, depuis le XVe siècle, ravive dans la
chrétienté occidentale la mémoire de la simple vie domestique de la Sainte Famille à Nazareth.
C'est dans cette basilique que Silvia éprouve (mystiquement ?) la forte présence du Christ dans
l'humanité (qui alors va traverser la catastrophe du second conflit mondial). Si vocation il y a –
elle-même en est assurée –, celle-ci n'en demande pas moins de voir préciser ses contours pour
l'instant indécidés. Or voilà qu'un père capucin, Casimiro Bonetti, la sollicite pour s'investir dans
l'apostolat, en dehors de ses heures d'enseignement. Ce qu'elle accepte avec enthousiasme. Et
l'année suivante, le père Casimiro lui propose de s'affilier au tiers ordre franciscain, espérant
ainsi que sa personnalité rayonnante attirera d'autres adhésions. C'est alors que Silvia choisit le
nom de Chiara (Claire), référence explicite à Claire d'Assise*, fondatrice de la branche féminine
des Damianites, plus tard Clarisses, dans le mouvement franciscain. Cette première mise en place
d'une détermination de son choix de vie s'achève le 7 décembre 1943 quand elle fait vœu de
chasteté, répondant ainsi à l'injonction entendue d'une voix intérieure : « Donne-toi toute à moi. »
Ce 7 décembre est considéré comme le jour de naissance du mouvement des Focolari.
La configuration du projet se précise quand, le 24 janvier 1944, le père Casimiro rappelle
combien le cri du Crucifié, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? », atteste la
haute et immense souffrance de Jésus. Cet épisode évangélique va polariser la vie des quelques
compagnes qui se sont jointes à Chiara et qui, elles aussi, vont se consacrer à Dieu. On retrouve
ici une démarche analogue à celle impulsée par Madeleine Delbrêl*, de son côté orientée
cependant vers le travail social en banlieue ouvrière. Le 13 mai, un bombardement endommage
gravement la maison familiale ; aussi les parents Lubich décident-ils de se retirer dans les
montagnes voisines. Chiara restera à Trente pour soutenir tout ce qu'elle voit germer autour d'elle
en ce temps d'extrême détresse. Le père Casimiro lui trouve un petit appartement qu'elle partage
avec Giosi Guella : ce sera le premier focolare, de ces foyers « autour du feu », dispensant
lumière chaleureuse et rayonnante.
L'année 1945 voit la confirmation de l'intuition apostolique de Chiara par l'archevêque de
Trente, Carlo de Ferrari, qui conclut l'entrevue d'un mot : « Il y a ici le doigt de Dieu » (allusion
à Lc XI, 20). C'est de nouveau dans le cadre liturgique de la fête du Christ-Roi, le dernier
dimanche d'octobre, que le projet s'affine : Chiara et ses compagnes entendent en effet le (sens
du) verset du Psaume II : « Demande, et je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre
tout entière », pour y reconnaître l'objectif de leur engagement, dont le chapitre XVII de Jean – la
prière sacerdotale de Jésus : « Que tous soient un comme nous sommes un » –, dessinera
l'envergure. Ainsi se constitue l'Idéal des Focolari – c'est ainsi que Chiara désigne cette
succession de révélations, disons, de compréhensions inédites et d'intelligences renouvelées de
paroles de l'Écriture, qui viennent progressivement donner corps à leur initiative de vie : cela le
plus souvent dans le cadre liturgique (qui protège de la dérive individualiste ou sectaire), mais
aussi dans ces méditations partagées à livre ouvert (renouant avec les manières béguinales ou
piétistes), grâce auxquelles se constitue un florilège de références canoniques : Matthieu VII, 21
(faire la volonté de Dieu) et XVIII, 20 (la présence du Christ au milieu des deux ou trois réunis
en son nom, sans autre précision, et donc au-delà de tout clivage social ou confessionnel) ; Jean
XV, 12-13 (le Commandement nouveau de l'amour, saisi de façon extrême, jusqu'à mourir pour
les autres). L'ancrage franciscain se consolide lorsque, le 22 janvier 1947, Chiara reçoit quatre
livrets, dont l'auteur est un franciscain conventuel, le père Léon Vauthey, en vue de promouvoir
sa Croisade de Charité : par son intermédiaire, Chiara va nouer de solides relations avec l'ordre
franciscain, en particulier avec le provincial Raffaele Massimei.
Le 1er mai, l'archevêque de Trente approuve le « Statut des Focolari de la Charité »,
approbation renouvelée pour trois ans l'année suivante. Mais les contestations de cette initiative
apostolique ne manquaient pas : l'année suivante, l'archevêque vient célébrer la messe dans la
chapelle de la communauté, le 22 juillet, en la fête de sainte Marie-Madeleine*, et ainsi répond
officiellement à ces critiques. Greffés sur le mouvement franciscain, les Focolari se mettent en
rapport avec le Regnum Christi, du père Beda Hernegger. Une nouvelle étape est franchie le
17 septembre, quand Chiara rencontre le député et écrivain Igino Giordani qui sera le premier
focolarino marié : c'est là une extension imprévue de la visée première, en quelque sorte une
refondation du mouvement. Giordani lui ouvre les colonnes de la revue Fides, revue de la
propagation de la foi, où elle expose son expérience focolarine dans un récit, La Comunità
cristiana (« La communauté chrétienne »). Dès lors, le succès va grandissant, accompagné par
l'intérêt bienveillant, non seulement de la hiérarchie catholique, mais aussi des instances d'autres
confessions chrétiennes : si Jean XXIII approuve l'apostolat de ces foyers en 1962, si Paul VI,
précédemment archevêque de Milan, leur signifie son appui particulièrement chaleureux en
1964, l'année 1961 inaugure la dimension œcuménique de ces communautés : c'est à Darmstatt
que Chiara rencontre des pasteurs luthériens, intéressés par un tel renouveau évangélisateur ;
puis, de 1967 à 1972, le patriarche de Constantinople, Athénagoras, lui signifiera à huit reprises
les encouragements du monde orthodoxe, comme les archevêques de Cantorbery, chefs de
l'Église anglicane, les docteurs Ramsey (1966), Coggan (1977) et Runcie (1981). Mais son
influence ne se limite pas au seul monde chrétien : les milieux bouddhistes de Tokyo la reçoivent
en 1981 ; elle prend la parole dans une mosquée de Harlem, en 1997. Tous ses efforts veulent
« concourir à réaliser le Testament de Jésus : Que tous soient un », mais ils n'en sont pas moins
d'une telle importance pour la communauté internationale, que le Conseil de l'Europe de
Strasbourg se plaît à les reconnaître et couronner, en lui décernant le prix des Droits de l'homme
en 1998, après que l'Unesco lui aura remis le prix de l'Éducation pour la paix, deux ans plus tôt.
En effet, les Focolari tentent d'établir une nouvelle norme des rapports économiques, par une
répartition plus équitable des fruits de la croissance, où les déshérités ne seront pas oubliés : près
d'un millier d'entreprises ont adhéré à Économie et Communion. Le mouvement s'est investi dans
le secteur de l'édition avec Città Nuova (en France, Nouvelle Cité), qui diffuse, outre les œuvres
de Chiara, nombre d'ouvrages de spiritualité et de théologie à l'usage du public le plus large.
Enfin, les Mariapoli (Cités de Marie) accueillent les grands rassemblements du mouvement à
travers le monde.
Quand Chiara est hospitalisée en urgence le 10 mars 2008 pour des troubles respiratoires à
l'hôpital Gemelli de Rome, le pape Benoît XVI lui fera part de sa sollicitude, et elle recevra la
visite du patriarche de Constantinople, Bartholomeos, alors de passage à Rome ; elle s'éteint chez
elle, à Rocca di Papa, quatre jours plus tard. Ses obsèques seront présidées par le cardinal
Bertone, confirmation de toute l'estime et de l'intérêt que portent les autorités romaines à son
œuvre.
Chiara Lubich est assurément une des grandes figures spirituelles de la modernité du
XXe siècle, profondément ancrée dans la tradition franciscaine (dont elle aurait, pour ainsi dire,
recueilli l'essentiel, au-delà des aspects folklorisants), mais aussi dans son versant dominicain
complémentaire, dont la référence est Catherine de Sienne*, une femme qui avait réuni autour
d'elle un cercle de disciples dans une période fort troublée, celle du Grand Schisme (1378-1417).
Les analogies sont frappantes : on peut reconnaître chez Chiara une même et ferme autorité
charismatique, mais sans la véhémence de la Siennoise qui interpelle le pouvoir pontifical
d'alors, fort défaillant ou discutable ; Chiara, elle, ne se risque pas à un affrontement quelconque
avec l'autorité ecclésiale, au contraire, se référant à Luc X, 16 (« Qui vous écoute, m'écoute »),
elle en attend, avec une pragmatique sagesse, confirmation de ses vues. Chiara partage encore
avec Catherine les thématiques du sang et du feu : les focolarines sont désignées comme des
« incendiaires », qui « mettront le feu à l'Italie » et au-delà. Autre trait commun (et risqué !),
Chiara suggère sans hésiter sa maternité spirituelle à l'égard des prêtres : « Je veux avec vous
tous les rôles : celui de fille, de sœur, de mère. »
La polarisation de la spiritualité de Chiara sur les séquences de la Passion du Christ, de la
prière sacerdotale au cri d'abandon de la Croix, renoue avec et réactualise une tradition italienne,
illustrée, outre Catherine de Sienne, par Gemma Galgani*, Véronique Giuliani* et le padre Pio
de Pietrelcina : « Une page lumineuse d'un mystérieux amour : Unité. Une page de mystérieuse
douleur : Jésus abandonné. » Ainsi se compose « le livre de Lumière, que le Seigneur écrit dans
mon âme », mais que tous ne déchiffreront pas d'identique manière : si la première page est
offerte à quiconque, la seconde est réservée aux consacrés Focolari. Pourrait-on dire, plutôt
qu'exotérisme versus ésotérisme, mystique ici et spiritualité là ? En tout cas, c'est le don
inconditionnel de soi (« En tes mains, je remets mon esprit », Lc XXIII, 46) qui certifie le lien
entre l'abandon (du Crucifié par tous, même par Dieu, mais abandon en confiance, ce qui en
diminue tout le pathos dramatique) et la prière de l'Unité, fondée sur la reconnaissance du Fils :
« Tout ce qui est à moi est à Toi. » Ce qui permet aussi une réinterprétation du péché, non plus
en termes éthiques (de faute, suscitant la culpabilité), mais comme dés-unité, défaillance ou
manquement à l'unité recherchée. Et conjointement, la charité, qui est aussi bien l'objet d'un don
que d'un commandement.
L'étonnante croissance de l'œuvre initiée par Chiara Lubich, jusqu'à atteindre une envergure
mondiale, sans faire concurrence au ministère papal (qui a une visée universelle explicite),
attesterait en faveur d'un exercice « latéral » de ce ministère d'unité, selon une modalité
charismatique et débordant les frontières de la seule institution ecclésiale. De même il faudrait
s'interroger sur le rapport des Focolari avec les communautés utopiques de la décennie 1970
(comme Boquen), qui surgirent au plus fort de la crise catholique, délibérément rangées dans une
contestation politique des institutions et proposant un projet (de société) alternatif. Si la vigueur
de ces mouvements s'est trouvé relayée, après leur naufrage, par la mouvance associative
séculière, l'exemple italien est plus que jamais suggestif, de San Egidio et Communion et
Libération, jusqu'à la communauté de Bose : comme les Focolari, des créations au puissant
impact fédérateur, efficaces dans la société civile, voire même internationale, bref d'une
harmonie heureuse de la mystique et de la politique.
François Marxer
Bibl. : Œuvres : publiées à Paris, Nouvelle Cité, La Charité comme idéal (1971) ; C'était la
guerre. Genèse d'une spiritualité (1972) ; Journal. Fondations ; mars 1964-déc. 1965 (1972) ;
Paroles de vie (1975) ; Le Dieu proche (1976) ; Qui vous écoute m'écoute (1978) ; Dieu cœur de
l'homme (1979) ; La Souffrance (1998) ; Six Sources où puiser Dieu (1989) ; Le Cri : Jésus
crucifié et abandonné (2000) ; Méditations (2000) ; L'Art d'aimer en famille (2002) ; Vivre
l'instant présent (2002) ; Pensée et spiritualité (2003) ; Une spiritualité de communion (2004) ;
Un art d'aimer (2006) ; La Parole de Dieu (2008) ; Au fils des jours (2009) ; Lettres des
premiers temps (2010) ; La Volonté de Dieu : mode d'emploi (2011). Études : J.-C.
DARRIGAUD, Toute soif a son eau. Chiara Lubich et les Focolari, Paris, Cerf, 1978 ; E.
POCHET, Dialogue avec Chiara Lubich, Paris, Nouvelle Cité, 1983.
Bibl. : Œuvre : Mémoires de Sœur Lucie, Paris, Éditions Secrétariat des Pastoureaux, 2005
(diffusion par les Éditions Téqui). Vie et études : G. DE SÈDE, Fátima, enquête sur une
imposture, Paris, Éditions Alain Moreau, 1977 ; F. MICHEL DE LA SAINTE TRINITÉ, Toute
la vérité sur Fátima, Paris, Éditions de la Renaissance catholique, 1986 ; C. BARTHAS, Il était
trois petits enfants, Montsûrs, Résiac, 1990 ; JEAN-PAUL II, À Fátima… l'appel de Notre
Dame, Paris, Éditions Téqui, 1999 ; P. JOVANOVIC, Notre-Dame de l' Apocalypse ou le
troisième secret de Fátima, Paris, Le Jardin des Livres, 2008.
LUCIA MANGANO, vénérable, ursuline, liée aux passionistes (Trecastagni, Catania, 1896-San
Giovanni La Punta, 1946). — Lucia est la quatrième parmi les neuf enfants de Nunzio et
Giuseppina Sapienza, une pauvre famille de paysans. Ayant appris à lire et à écrire avec son
frère, elle s'engage à l'Action catholique et enseigne des jeunes filles. Quand elle a quinze ans, sa
famille déménage à San Giovanni La Punta, près de l'église Ravanusa. Après une longue
maladie, elle se voue à Dieu (1919) et elle entre à l'Institut des Ursulines de sainte Angèle
Merici*. En 1925, elle devient la supérieure du couvent. Elle s'engage alors dans la fondation
d'un nouvel institut destinée à l'enseignement des jeunes filles pauvres, mais le projet échoue. En
1928, sa sœur Nunzia la rejoint. À partir de 1931, elle se lie aux passionnistes de Mascaluscia et
à Generoso Fontanarosa, qui devient son directeur spirituel en 1933. Son intense vie religieuse,
documentée par son directeur et biographe, prend sa source dans l'oraison de quiétude pour
aboutir au mariage spirituel et mystique (1933), avec dons et charismes (dont la stigmatisation).
Réputée sainte, elle avait prédit le dérangement de sa dépouille mortuaire un an après son
enterrement à l'Institut des Ursulines de San Giovanni La Punta. Le 11 janvier 1955 eut lieu la
première session publique du procès de sa béatification ; le 2 juillet 1994, Jean-Paul II a reconnu
ses vertus héroïques et lui a conférée le titre de vénérable.
Michela Catto
Bibl. : Œuvres : les manuscrits de Lucia Mangano sont conservés au sanctuaire de l'Addolorata
des Passionistes de Mascalucia ; Autobiografia, San Giovanni La Punta, Istituto delle Orsoline,
1971. Vie : A. MARTINELLI, La Madonna e Lucia Mangano. Saggio di Mariologia mistica
contemporanea, Catania, Istituto delle Orsoline-L'Addolorata, 1959 ; G. FONTANAROSA,
Lucia Mangano Orsolina, Mascalucia, L'Addolorata, 1961. Études : G. POZZI, C. LEONARDI,
Scrittrici mistiche italiane, Gênes-Milan, Marietti, 1988 ; G. DE SANCTIS, « Lucia Mangano »,
in Bibliotheca sanctorum, Prima Appendice, Rome, Città Nuova, 1987.
Bibl. : Œuvre : Journal spirituel de Lucie Christine (1910), Paris, Téqui, 1977. Étude : M.
SAVIGNY-VESCO, Lucie-Christine : l'ostensoir sous le voile, Paris, Casterman, 1948.
Bibl. : Sources : Bibliotheca Hagiographica Latina, no 5064. Vita venerabilis Lukardis monialis
O.C. in superiore Wimaria, J. De Backer (éd.), in Annalecta Bollandiana, t. 18, 1899, p. 305-
367. Études : A. KLEINBERG, Histoires de saints : leur rôle dans la formation de l'Occident,
Paris, Gallimard, 2005 ; P. NAGY, « Sensations et émotions d'une femme de passion, Lukarde
d'Oberweimar (†1309) », in P. Nagy, D. Boquet (dir.), Le Sujet des émotions au Moyen Âge,
Paris, Beauchesne, 2008 ; M. A. DIMIER, « Lukarda », in Bibliotheca sanctorum, t. 8, Rome,
Città Nuova, 1967, col. 371-372.
LUTGARDE D'AYWIÈRES, ou de Tongres, sainte, bénédictine, puis cistercienne (Tongres,
1182-Aywières, 16 juin 1246). — Patronne de la Flandre, Lutgarde est avant tout l'initiatrice de
la dévotion au Sacré-Cœur. Née à Tongres, elle est placée toute jeune, comme oblate, au
monastère des Bénédictines de Saint-Trond. Vers quinze, seize ans, elle a une aventure
amoureuse avec un jeune homme qui la visite souvent : rien de répréhensible ni de coupable,
sauf que, comme oblate, Lutgarde est déjà liée à l'état religieux. Or, un jour qu'elle a rendez-vous
avec ce jeune amant, c'est un autre qui se présente, le Christ qui, écartant son vêtement, dévoile
« à son côté la blessure empourprée d'un sang frais » et lui dit : « Ne cherche plus les flatteries
d'un vain amour. Regarde ici et contemple désormais ce que tu dois aimer et pourquoi tu dois
l'aimer. C'est ici que je te promets de te faire goûter des délices de toute pureté. » La formule
employée est d'une admirable précision : l'« ici-maintenant » qui ancre l'expérience dans la
densité du réel (loin de toute dérive onirique) ; l'injonction « tu dois » qui rapporte l'amour, non
aux penchants des sentiments, mais à l'exercice de la volonté (déjà requise par le commandement
évangélique, Jn XV, 12) ; en même temps que se désigne l'objet d'amour et s'éclairent le motif et
la justification de cette exclusivité. Le jeune amoureux qui survient trop tard en fera les frais,
Lutgarde est transformée à jamais. Sublimant désormais toute relation d'amour, elle gardera une
répulsion pour tout baiser, même liturgique.
Le chemin ainsi tracé ne fera que s'approfondir. Devenue moniale, toujours à Saint-Trond, elle
reçoit, bien qu'ignorant le latin, le charisme de l'intelligence des Écritures, mais son ardeur
amoureuse ne saurait s'en contenter : « Que m'importe à moi, rustique et sans lettres, moniale et
non dans les ordres, de savoir les secrets de l'Écriture ? – Que veux-tu donc ? – Ce que je veux,
dit-elle, c'est votre Cœur. – Bien plutôt, c'est moi qui veux ton cœur [...]. Alors eut lieu l'échange
des cœurs. »
Troisième étape : incommodée une nuit par une sudation inattendue, elle croit plus judicieux de
rester alitée et de s'abstenir de l'office de matines : une voix met un terme à cette nonchalance et
la rappelle à ses devoirs « pour les pécheurs qui gisent dans leurs souillures » – efficace et
symbolique transposition de l'épisode menstruel qui afflige Lutgarde, en même temps que subtile
dialectique entre l'involontaire, l'inconscient (la sudation, la marasme spirituel des pécheurs) et le
volontaire (la souffrance voulue qui en sera la purification). Levée sur-le-champ, elle est
accueillie à l'église par « le Christ crucifié et sanglant. De la croix il détache un bras, il l'enlace,
la serre contre son côté droit et applique sa bouche à la blessure. Elle y but une douceur si
puissante qu'elle fut depuis lors et jusqu'à la fin toujours plus forte et plus alerte au service de
Dieu. »
Étonnante densité de ces visions où se combinent le facteur physiologique (et érotique) et la
temporalité liturgique, dans laquelle s'inscrit l'événement visionnaire, où la perspective ecclésiale
(pour les pécheurs) déborde la pure jouissance des affects. Élue abbesse à l'âge de vingt-quatre
ans, Lutgarde décline cet honneur et quitte sa communauté pour se réfugier chez les cisterciennes
d'Aywières, en pays wallon ; mais elle, parlant la langue thioise, ignore la langue romane qui y
est pratiquée, et se voit donc, malgré ses efforts, condamnée à un relatif isolement. Est-ce
l'épreuve de l'exil en terre étrangère ? Toujours est-il qu'elle entreprend une série de trois jeûnes
ininterrompus de sept ans chacun, dont le Christ lui aura précisé les motifs : l'hérésie albigeoise,
les pécheurs et, enfin, les maux qu'un ennemi (Frédéric II ?) préparait à l'Église. Ces jeûnes ne
sont donc pas des entreprises d'autodestruction ascétique de son propre corps, mais ils conjurent
la destruction du corps mystique du Christ. Elle exerce ainsi un ministère de vigilance et de
protection, ce qui fait dire à Marie d'Oignies* qu'il n'y a pas « d'intercesseur plus fidèle et plus
efficace à libérer, par ses prières, les âmes du Purgatoire que dame Lutgarde ». C'est là
proprement un ministère que le Christ situe dans la perspective de sa mort expiatoire. Ainsi elle-
même reproduit l'acte sacrificiel, cependant que le ministère des prêtres le réitère dans l'action
sacramentelle : sans doute une réponse féminine au monopole clérical et masculin.
L'identification sacrificielle sera partiellement atteinte, lorsque, dans un transport de ferveur
extrême, une hémorragie pectorale suscite un saignement abondant, dont elle gardera la cicatrice
sa vie durant. Celle que Thomas de Cantimpré célèbre comme « mère et nourrice des frères de
tout l'ordre des Prêcheurs » meurt à l'issue de son troisième jeûne, qu'elle n'avait même pas
interrompu à Pâques.
François Marxer
Bibl. : Vie : la version longue de la Vita, que THOMAS DE CANTIMPRÉ rédige entre 1246 et
1248, se trouve dans les Acta sanctorum, juin, IV, p. 234-263 ; G. HENDRIX, « Primitive
Versions of Thomas of Cantimpré's Vita Lutgardis », Citeaux, 29, 1978, p. 153-206, considère
que la version courte donnée par un manuscrit bruxellois, représente le premier état du travail de
Thomas. Études : T. MERTON, What are These Wounds ? The Life of a Cistercian Mystic :
Saint Lutgarde of Aywières, Milwaukee, Bruce, 1950 ; L. REYPENS, « Sint Lutgards mystieke
opgang », Ons Geestelijk Erf, no 20, 1946, p. 7-49 ; A. DEBOUTTE, « Sainte Lutgarde et sa
spiritualité », Collectanea Cisterciensia, no 44, 1982, p. 73-87 ; J.-B. LEFÈVRE, « Sainte
Lutgarde d'Aywières en son temps (1182-1246) », Collectanea Cisterciensia, no 58, 1996, p.
277-335 ; J. LE GOFF, La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981, p. 434-436.
Bibl. : Vies : « T Leven van Liedwy die Maghet van Scyedam », in Ons Geestelijk Erf, Anvers,
Société Ruusbroec, LIV, 1980, p. 241-266 (base de la Vita prior faite sur une version latine de
1440 environ, par Hugo, chanoine de Windesheim) ; J. BRUGMAN ofm, Vita alme virginis
Liidwine (1456), A. De Meyer (éd.), Groningen, 1963 (Vita posterior), traduction française :
J. BRUCHMAN (sic), de l'Observance, Vie de la Bienheureuse Lidwine… traduit des Actes des
saints, Paris, Périssse Frères, 1841 ; J.-K. HUYSMANS, Sainte Lydwine de Schiedam, Paris,
Stock, 1901. Études : C. W. BYNUM, Holy Feast and Holy Fast. The Religious Signifiance of
Food to Medieval Women, Berkeley (Californie), University of California Press, 1987.
M
MACHIK LABDRÖN, yogini, maître du bouddhisme tibétain (Tibet, 1055-1145). — Machik
Labdrön fut la principale élève de Dampa Sangyé, ascète contemporain de Milarépa, originaire
de l'Inde du Sud. Ayant fait plusieurs voyages au Tibet, Dampa Sangyé posa les fondements de
la pratique du chöd toujours à l'honneur dans la branche Kagyüpa, l'une des écoles principales du
bouddhisme tibétain. Machik Labdrön permit la diffusion de cet enseignement, qui rejoint celui
de la prajnaparamita (« sagesse transcendante ») en affirmant que le moi est une illusion dont il
convient de se défaire. Il était cependant évident que le rite du chöd adaptait ou conservait des
pratiques chamaniques locales afin de leur donner une orientation bouddhiste. Le maître de
Machik Labdrön lui aurait dit : « Va sur les sépultures et dans les montagnes, laisse les études
derrière toi et deviens une yogini errant de lieu en lieu. »
Comme de nombreux rituels tantriques indiens, le rituel bouddhiste du chöd se pratiquait
généralement là où les démons étaient censés résider, et principalement là où, conformément à la
tradition tibétaine, les corps étaient dépecés et abandonnés sur des hauteurs afin d'être dévorés
par les oiseaux et les prédateurs. Ce qui en restait quelques années plus tard, notamment les os,
était ensuite réduit en poudre et pouvait servir à confectionner des reliquaires ou des amulettes.
Le mot chöd signifie « trancher, séparer ». Le pratiquant avait pour objets rituels une trompette
taillée dans un tibia humain (kangling), un tambour (damaru) constitué de deux demi-crânes
humain sur lequel était tendue une peau d'animal, une clochette, une tente miniature, un sceptre
surmonté d'un trident et une petite bannière. Ayant imaginé qu'il prenait la forme d'une déité
féminine, il commençait par accomplir une danse destinée à détruire ses croyances erronées
(concernant la réalité de l'ego et des passions). Il s'offrait en pâture aux dakinis (« celles qui
marchent dans l'espace »), des entités féminines symbolisant l'énergie de l'éveil. Il se visualisait
ensuite sous la forme d'un cadavre bien gras, s'en retirait et, sous la forme de la déité Vajra
Yogini, se voyait se trancher lui-même la tête. Son crâne devenait ensuite un gigantesque
chaudron dans lequel il jetait sa chair et ses os. Après avoir récité des mots de pouvoir et des
mantras, le pratiquant offrait le contenu du chaudron, qui était censément devenu de l'amrita (un
nectar d'immortalité divin), aux démons affamés. Puis il dissolvait toutes ces visualisations et,
comme toujours, abandonnait le bénéfice de cette pratique en priant pour que son mérite soit
conféré à tous les êtres vivants sans exception et les aide à se libérer.
Une telle pratique – avec ses aspects terrifiants – obligeait le méditant ou la méditante à
dépasser son angoisse, sa peur de la mort et son attachement au corps afin d'éprouver de la
compassion envers les êtres les plus terribles et les plus repoussants. Comme la plupart des
rituels tantriques – qui mettent en scène de façon théâtrale des vérités métaphysiques –, la
pratique du chöd devait aussi démontrer comment les démons, visualisés comme très réels,
n'étaient en fait que des projections de l'esprit et n'avaient pas d'existence autonome en dehors de
celui-ci. Le pratiquant étant à la source de sa propre angoisse et de ses propres visualisations
pouvait les dissoudre aisément, s'il ne tombait pas dans le piège de la peur, qui seule leur donne
consistance, et s'il transcendait avec compassion son attachement à son corps et à son « moi ».
Selon les enseignements tibétains, tout sort de l'esprit et tout y retourne. Les passions, les
émotions et la croyance en un ego permanent sont « vides » (Shunyata). Ce « vide de substance »
ou cette « vacuité » est la réalité ultime de tous les phénomènes (dharma), et recouvre une
potentialité sans limites, non un néant. Cette pratique qui concernait des laïques aussi bien que
des moines et des nonnes est toujours à l'honneur aujourd'hui, mais ne concerne évidemment pas
les débutants, qu'elle risquerait de mener à des troubles psychiques graves, voire à la folie.
Machik Labdrön est l'exemple même des rares femmes yoginis qui erraient de lieu en lieu et
parcouraient les montagnes, loin des grands monastères et des centres d'étude. Bien que la
pratique du chöd lui soit redevable d'avoir survécu jusqu'à nos jours, elle ne donna naissance à
aucun lignage strictement féminin (comme c'est très souvent le cas, son nom est inclus dans un
lignage masculin). Dans le bouddhisme tibétain, les femmes qui rentrent dans les ordres sont
soumises au code monastique (Vinaya), qui fait d'elles les servantes des moines. Quel que soit
son rang dans la hiérarchie, toute femme doit céder la préséance aux hommes, fût-il le plus jeune
et le plus inexpérimenté des novices. En demeurant une ascète itinérante, Machik Labdrön sut
échapper à ces règles contraignantes et conserver sa liberté.
Ariane Buisset
Bibl. : Vie : T. ALLIONE, Women of Wisdom (The Biography of Machik Labdrön), Ithaca, New
York, Snow Lion Publications, 2000.
Bibl. : Vie : GRÉGOIRE DE NYSSE, Vie de Sainte Macrine, Paris, Cerf, 1971. Pensée :
GRÉGOIRE DE NYSSE, Sur l'âme et la résurrection, Paris, Cerf, 1995 ; MACAIRE
(hiéromoine), Le Synaxaire, Vie des saints de l'Église orthodoxe, t. V, Athènes, Indiktos, 1996,
p. 169-173. Étude : A. M. SILVAS, Macrina the Younger. Philosopher of God, Turnhout,
Brepols, 2008.
Bibl. : Vie : Modèle de foi et de patience dans toutes les traverses de la vie et dans les grandes
persécutions ou Vie de la Mère de Marie des Anges (Suireau) abbesse de Maubuisson et de Port-
Royal, 1754 (contient une trentaine de pages sur Madeleine de Flers). Études : M.-T. GAUDO-
PAQUET, « Éducation populaire féminine au XVIIe siècle : P. Guérin et les Filles de la Croix »,
thèse de 3e cycle, Lille, 1979 ; H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en
France, Paris, Bloud et Gay, t. XI, 1933, p. 114-156.
Bibl. : Œuvres : La Vie de sœur Catherine de Jésus du premier Monastère de l'Ordre de Nostre-
Dame du Mont-Carmel estably en France selon la réforme de sainte Thérèse de Jésus, Paris,
Edme Martin, 1624, 1656 (dernière éd.) ; Avis de la Vénérable Mère Madeleine de Saint-Joseph
pour la conduite des novices, Paris, Antoine Vitré, 1672. Vie : Père SENAULT, La Vie de la
Mère Magdeleine de Saint-Joseph…, Paris, 1645 ; La Vénérable Madeleine de Saint-Joseph
Première prieure Française du premier monastère des Carmélites déchaussées en France (1578-
1637) (anonyme), Clamart, Carmel de l'Incarnation, 1935. Études : L. COGNET, Histoire de la
spiritualité chrétienne moderne (t. 3), in La Spiritualité moderne, Paris, Aubier, 1966 ; M.
HOUSSAYE, Monsieur de Bérulle et les carmélites de France (1575-1611), Paris, Plon, 1872.
Bibl. : Œuvre : les quelque quatorze mille lettres, ainsi que les schémas des conférences données
à ses religieuses, qui condensent son enseignement, ont été publiées en partie à l'usage interne de
la congrégation. Études : J. de CHARNY, Sainte Madeleine-Sophie, Tournai, Desclée de
Brouwer, 1965 ; MARIE NOËL, « Note-souvenir sur sainte Madeleine-Sophie », in Zodiaque, n
° 136, 1983, p. 5-6 ; P. KILROY, Madeleine-Sophie Barat, Une vie, 1779-1865, Paris, Cerf,
2004.
MADRE MARÍA, guérisseuse (María Salomé Loredo de Zubiza ; Biscaye, 11 octobre 1854-?,
octobre 1928). — À la naissance de María Salomé, dit la légende, la tempête qui faisait fureur
s'apaisa subitement, annonçant par ce fait l'extraordinaire destin de la célèbre Madre María,
« mère Marie », vénérée dans les pays méridionaux du continent sud-américain et même au-delà.
Adolescente, elle quitte l'Espagne avec sa famille pour s'établir en Argentine, suivant ainsi les
premières grandes migrations européennes qui allaient très vite transformer le pays. Les
premières années de sa vie en Amérique du Sud semblent apparemment banales, bien que l'on
puisse discerner dans les malheurs qui frappèrent son premier mari et son fils, morts à quelques
mois d'intervalle, des signes qui révèlent les vocations exceptionnelles. La douleur et le désespoir
sont généralement le prix à payer pour acquérir le don visionnaire. Ayant perdu deux êtres chers,
María reste cloîtrée chez elle, ne sortant que pour assister aux offices religieux ou pour ses
œuvres charitables. En 1880, elle épouse en deuxième noce un commerçant aisé de Saladillo,
Aniceto Subiza. Après dix années heureuses, la crise économique qui s'abat sur le pays
l'encourage à poursuivre ses œuvres avec ferveur. En 1890, on lui découvre un cancer du sein
dont l'issue fatale ne laisse aucun doute. C'est alors qu'une de ses domestiques lui conseille d'aller
voir Pancho Sierra, « le guérisseur de l'eau froide » (parce qu'il soignait des malades avec l'eau
de son puits) ou le « gaucho » de Dieu (« vacher », homme qui vit à la campagne sans domicile
fixe et emblème de la liberté en Argentine, en Uruguay et dans le sud du Brésil), qui vivait à
Pergamino, dans l'arrière-pays de Buenos Aires. María se rend donc chez le guérisseur, qui lui
annonce la mort imminente de son second mari, tout en lui donnant de son eau miraculeuse,
l'incitant à prier et à suivre une alimentation saine. Un an après cette visite, son cancer a
totalement disparu. « Tu n'auras plus d'enfant mais tu auras des milliers de fils spirituels », lui dit
encore Pancho Sierra, dont elle devient la disciple. María Salomé devient alors la Madre María ;
elle ouvre son temple dans sa maison de Temperley, dans la grande banlieue de Buenos Aires.
Elle forme à son tour de nombreux disciples comme Irma Maresco, d'origine italienne, et son
fils, le frère Miguel. La renommée de ses miracles attire de très nombreux fidèles, qui cherchent
auprès d'elle des conseils et des remèdes. Il semble que le président de la République argentine,
Hipólito Yrigoyen, fréquenta également cette maison.
À Temperley, Madre María consacre les trente-cinq ans qui lui restent à vivre à recevoir des
milliers d'adeptes et à transmettre sa doctrine, la « Religion chrétienne de la mère Marie ». Elle
prétend être une intermédiaire directe entre Jésus et les malades et prêche le retour à la pureté de
l'enseignement de Jésus-Christ. Ses apparitions publiques sont empreintes de théâtralité,
puisqu'elle apparaît devant ses suivants, toute de blanc vêtue. Quelques jours avant sa mort, elle
annonce l'imminence d'un terrible cataclysme censé ravager l'Europe, identifié a posteriori à la
Seconde Guerre mondiale.
Dix mille personnes ont accompagné son corps jusqu'au cimetière de la Chacarita, à Buenos
Aires. Le mausolée, érigé sur sa tombe, se trouve aujourd'hui à proximité de celui du chanteur de
tango Carlos Gardel, auquel on attribue également des guérisons miraculeuses. Le nombre d'ex-
votos fixés sur le monument atteste de l'immense popularité de la Madre María. À l'heure
actuelle, il est encore fréquenté par de nombreux fidèles. Aux anniversaires de sa naissance et de
sa mort, il est en effet coutume de lui rendre visite pour prier devant son effigie et lui lancer des
bouquets de fleurs. Si un de ses bouquets réussit à rester accroché à ses mains de pierre, son
propriétaire obtiendra la réalisation de ses vœux.
Le culte fondé par la Madre María est toléré par l'Église en raison de sa popularité. Plusieurs
personnages charismatiques argentins s'y rattachent, formant ainsi une famille de visionnaires qui
reflète la diversité des groupes qui ont peuplé l'Argentine. On doit probablement à Madre María
d'être à l'origine d'un mysticisme qui, tout en répondant aux attentes de milliers d'immigrants,
intègre des figures traditionnelles de gauchos miraculeux.
Carmen Bernand
Bibl. : Vie et étude : F. COLUCCIO, Las devociones populares argentinas, Buenos Aires,
Nuevo Siglo, 1995.
MAHÂPRAJÂPATÎ GAUTAMÎ belle-mère du Bouddha historique, fondatrice de l'Ordre des
Nonnnes (Népal, v. 566 av. J.-C.-Ve siècle av. J.-C.). — La mère du futur Bouddha (VIe ou
Ve siècle av. J.-C.) étant morte peu après sa naissance, celui-ci fut élevé par sa belle-mère
Mahâprajâpatî Gautamî. D'une grande sagesse, elle le rejoignit quand il commença à enseigner
après son éveil (bodhi) et fonda une communauté (sangha). Cette dernière étant destinée
uniquement aux hommes, Mahâprajâpatî Gautamî ressentit la nécessité de fonder un ordre
féminin et en demanda l'autorisation au Bouddha, qui commença par refuser craignant de voir se
réaliser les dires de la tradition – fortement misogyne – selon lesquels la fondation d'un ordre
féminin devait réduire la durée de vie de sa doctrine de mille ans à cinq cents ans. Puis il céda
sous l'influence d'Ânanda, qui était l'un de ses principaux disciples et son serviteur particulier.
Cependant, pour ne pas choquer les mœurs de l'époque, l'Ordre des Nonnes devait toujours rester
subordonné à celui des moines. D'après le code monastique (Vinaya), une nonne ordonnée depuis
plusieurs années devait obéissance et respect à un novice, fût-il d'un seul jour. Par ailleurs les
règles imposées aux nonnes étaient à la fois plus nombreuses et plus sévères que celles imposées
aux moines. Notons que cette disparité entre les ordres féminins et masculins a toujours cours
aujourd'hui.
Mahâprajâpatî Gautamî demeure une figure féminine majeure du bouddhisme tibétain. Sans
ordre féminin, les femmes, privées de tout enseignement structuré, devraient encore se contenter
d'accomplir des œuvres charitables, en attendant une meilleure renaissance dans un corps
masculin.
Ariane Buisset
Bibl. : Vie et étude : S. BEVEE, The Life of Princess Yashodara, Varanasi, Pilgrims Publishing,
2006 ; THICH NATH HANH, Sur les traces de Siddharta, Paris, J.-C. Lattès, 1996 ;
A. BAREAU, Recherches sur la biographie du Bouddha, Paris, Presses de l'École française
d'Extrême-Orient, 3 vol., 1963, 1970, 1971.
MALLASZ, Gitta (Ljublijana 21 juin 1907-Tartaras, 25 mai 1992). — Scribe, comme elle se
définissait elle-même, des Dialogues avec l'ange. Lors de leur publication en 1976, les
Dialogues, recueillis (ou écrits ?) par Gitta Mallasz, firent grande impression sur le public :
relation avec l'outre-monde, communication surnaturelle, révélation ésotérique, tout était réuni
pour susciter l'intérêt du plus grand nombre. C'est à l'occasion de ses études à l'École des arts
décoratifs de Budapest que Gitta Mallasz, hongroise, se lie d'amitié avec Hanna Dallos, laquelle
continue sa formation à Munich, tandis que Gitta se lance dans une carrière sportive, au cours de
laquelle elle fait la connaissance de Lili Strausz, professeur de gymnastique et de relaxation.
Après quelques années, renouant avec ses goûts artistiques, elle retrouve Hanna, qui avait épousé
un décorateur du nom de Joseph Kreutzer, et tous trois fondent un atelier qui connaît un rapide
succès. Mais ces années 1930 voient la montée d'un antisémitisme militant, et, Hanna étant
d'origine juive, le trio, rejoint par Lili, s'installe dans un village des environs de la capitale,
Budaliget. Si l'activité artistique de l'atelier se poursuit, mais avec modération désormais, une
quête spirituelle s'intensifie, que partage chacun dans cette communauté improvisée, où Hanna
manifeste un ascendant et une envergure d'exception. À mettre par écrit ses attentes et ses
questionnements, Gitta prend conscience de sa désespérante vacuité, à laquelle Hanna, à qui elle
décide de s'en remettre, va apporter une réponse. Ainsi, pendant dix-sept mois, chaque vendredi
vers trois heures, Hanna se fait le porte-parole – le médium – de l'ange qui s'adresse à chacun des
membres ou à l'ensemble du quatuor, d'abord à Budaliget, du 25 juin 1943 au 24 mars 1944,
puis, de retour à Budapest contrôlé par les troupes allemandes et où la déportation des Juifs va
commencer, du 31 mars au 24 novembre 1944. Les dernières semaines, Gitta prend la
responsabilité et la direction d'un pseudo-atelier de confection militaire, où travaillent des
femmes de la communauté juive, selon un plan échafaudé par la nonciature. Les dernières
semaines sont particulièrement éprouvantes, depuis que le parti nazi hongrois Nyilas a pris le
pouvoir : l'antisémitisme féroce de ses milices dépasse en effet la cruauté des SS eux-mêmes.
Finalement, le refuge sera pris d'assaut, la plupart des « ouvrières » auront pu fuir, Hanna et Lili
choisiront volontairement d'accompagner à la mort les quelques malades restées sur place ; le
2 décembre, elles seront déportées à Ravensbruck et n'en reviendront pas. En 1960, Gitta choisira
la « liberté » et s'établira en France, où elle demeurera jusqu'à sa mort.
De ces quatre-vingt-huit entretiens, le mot-à-mot sera pris en note par Gitta (qui, comme
chrétienne, survivra à la tourmente et assurera la conservation des manuscrits). La doctrine qui
s'en dégage a l'allure d'une gnose ésotérique et sapientielle, structurée par la thématique de la
lumière et polarisée par l'avènement et l'attente du Nouveau : l'accent apocalyptique y est donc
peu marqué, et la fonction roborative et parénétique, voire consolatrice, de l'ensemble n'échappe
guère à son lecteur, vu les circonstances de sa rédaction. Dans le système qui s'y construit, il
faudrait interroger de probables influences théosophiques ou kabbalistiques, à travers lesquelles
se réapproprie une inspiration biblique. L'ange s'apparenterait-il avec l'ange gardien le plus
traditionnel ? En tout cas, le savoir qu'il dispense sous forme de sentences offre à la fois une
représentation (éventuellement schématisée géométriquement) du monde et de l'Histoire et un art
de vivre au quotidien : détachement d'un laisser-faire (proche de la Gelassenheit eckhartienne,
puisque « le manque que tu as reconnu n'est plus un manque ») ; naturalisme optimiste, s'il est
vrai que le mal n'existe pas, ou du moins n'a pas encore été transformé pour se transmuer en bien,
le péché se donnant comme stagnation et refus du dynamisme évolutif. Une éthique pourra donc
se dégager mettant en œuvre l'impératif catégorique et fondateur du don, puisque, résume l'ange
en ce qui pourrait être la loi même de création : « Chaque herbe donne son fruit, chaque être
donne. C'est la loi. Tous y sont obligés. Nous, nous sommes libres de la faire, nous donnons
librement » ; et ce principe de générosité est celui, applicable aux hommes aussi, de la
divinisation même : « Le plus grand don qu'Il nous a donné est que nous puissions donner. C'est
ainsi que nous devenons et que nous sommes : Lui. » On retrouve l'architecture et la logique de
la hiérarchie néoplatonicienne de Denys l'Aréopagite. Laquelle ne s'autorise aucun compromis
avec les succédanés de la vertu, de la bonté mondaine : le partage apocalyptique est net et
tranché, où l'ange exerce sa puissance judicielle. Cette éthique poursuit sa finalité : parvenir à la
transparence de gloire, pour répondre aux requêtes du désir de l'ivresse divine, le bon chemin
n'étant pas les artificielles fictions des gloires humaines, mais, paradoxalement, se situant vers le
bas, dans la banalité du quotidien. C'est à ce prix que sera restituée l'Unité primordiale de l'ange
et de l'homme (comme tenon et mortaise), de Dieu et d'Adam (les deux majuscules initiales
géométriquement simplifiées en deux triangles, de séparées primitivement, se rapprochent et
s'unissent en un losange parfait). Opération où la médiation du langage se révèle décisive : « La
parole est sacrement, la quatrième manifestation, le pont entre la matière et l'esprit. » C'est
pourquoi « rien n'est impossible ! – Il n'y a pas d'impossible ! L'impossible n'existe pas ! – Tout
est possible ! »
Quoi qu'il en soit de leur forme, transcription ou fiction, comme de leur qualité littéraire (la
traduction française ne peut rendre assurément la rude âpreté de l'original magyar), ces
Dialogues réactivent – et réactualisent, en pleine catastrophe de la culture européenne – un
discours sapientiel pratique, qui tire son origine de l'expérience (mais laquelle ?), mais prend
surtout sa source dans l'héritage de la pensée juive, où la joie a une part prépondérante, et de la
spéculation gnostique, en parti-culier l'angélologie qui, comme au XVIIe siècle, fournit les
ressources d'un laboratoire à l'anthropologie en quête de modélisations et d'exemplarités.
François Marxer
Bibl. : Œuvre : Dialogues avec l'ange, « Les quatre messagers », un document recueilli par G.
Mallasz, Paris, Aubier-Montaigne, 1976 ; Les Dialogues tels que je les ai vécus, Paris, Aubier,
1984. Éudes : R. MAISONNEUVE, Les Mystiques chrétiens et leurs visions de Dieu un et trine,
Paris, Cerf, 2000 ; B. et P. MONTAUD, Le Testament de l'Ange, Paris, Albin Michel, 1995 ; B.
et P. MONTAUD, et L. MÜLLER, La Vie et la mort de Gitta Mallasz, Paris, Dervy, 2001.
Bibl. : Œuvre : Ses « cahiers des visites » s'égrènent en première partie des livrai-sons des
Annales de Loigny. Études : J. BENOIST, Le Sacré-Cœur de Montmartre, Paris, Éd. ouvrières,
1992-1995, t. I, p. 563-564 et t. III, p. 1408 ; A. MONGLOND, « Naissance d'un roman, des
Annales de Loigny aux Caves du Vatican », dans Éventail de l'histoire vivante, hommage à
L. Febvre, Paris, A. Colin, 1953, t. I, p. 429-452 ; J. MAÎTRE, Mystique et féminité : essai de
psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf, 1997, p. 352-354 ; A. DE BONHOMME, « Dévotions
prohibées », dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. III, 1957, col. 778-795 ;
P. AIRIAU in J.-P. CHANTIN (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France
contemporaine, t. 10. Les Marges du christianisme, Paris, Beauchesne, 2001, p. 169 (et aussi
p. 77-78, « Duchon », p. 108, « Glénard », p. 261, « Xaé ») ; P. AIRIAU, L'Église et l'apocalypse
du XIXe siècle à nos jours, Paris, Berg international, 2000, p. 62-63.
Bibl. : Vie : L. EMS, La Servante de Dieu, Marguerite Bays, 1815-1879, Fribourg, Éditions
Saint Paul, 1953 ; M. de G., Une perle de l'Helvétie, La Chapelle-Montligeon, Les Éditions de
Montligeon, 1956. Études : H. C. CORNUS, Marguerite Bays, Strasbourg, Éditions du Signe,
1995.
Bibl. : Vie : G. MEERSMAN a publié la Vita Margarete de Ypris de Thomas de Cantimpré dans
Archivium fratrum praedicatorum, 18, 1948, p. 106-130, à la suite de son article majeur, « Les
frères prêcheurs et le mouvement dévot en Flandre au XIIIe siècle », ibid., p. 69-105.
Bibl. : Vie : Iunctae Bevegnatis, Legenda de Vita et Miraculis Beatae Margaritae de Cortona,
éd. latine critique, introduite en italien par F. Iozzelli, Rome, Éditions du Collège S. Bonaventure
à Quaracchi, 1997 ; La Vie intime de Sainte Marguerite de Cortone. Ses révélations, ses extases,
ses entretiens avec Notre Seigneur, écrite par le père G. Bevegnati, trad. du latin sur le texte
original par J. Brivain, Lyon, 1900. Études : J.-M. DE VERNON, La Parfaite Pénitence dans la
vie de S. Marguerite…, Paris, 1611 ; A. BENVENUTI PAPI, « Marguerite de Cortone », in
Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, t. VII : Une église éclatée 1275-1545, A.
Vauchez (dir.), Paris, Hachette, 1986, p. 178-183.
Bibl. : Vie et études : Documentation catholique, 1957, col. 1093-1100 ; R. GIORGI, Le Petit
Livre des saints, Paris, Larousse, 2006.
Bibl. : Œuvre : Lettres spirituelles, présentées par P. Sérouet, Paris, Cerf, 1993. Vie et études :
H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France..., t. II, L'Invasion mystique,
nouvelle éd., Grenoble, Jérôme Millon, 2006, vol. I, p. 660-672.
MARGUERITE DU SAINT-SACREMENT, carmélite, visionnaire (Marguerite Parigot ;
Beaune, 7 février 1619-Beaune ?, 26 mai 1648). — Marguerite du Saint-Sacrement initia un
renouveau spirituel de la dévotion à l'enfance de Jésus, dans lequel mystique et politique se
croisèrent et firent bon ménage. Cette dévotion, liée à la dynastie royale, n'excéda pas les limites
du territoire français, mais se trouva relayée par le culte de l'Enfant Jésus de Prague à l'échelle
européenne. Marguerite Parigot naquit cinquième d'une fratrie de sept enfants, dans une famille
aisée d'agriculteurs et de vignerons. Famille profondément chrétienne, où, fait rare à l'époque, le
père, Pierre Parigot, était fort attentif à la personnalité et au développement de ses enfants. Très
présent et influent dans la constellation familiale, l'oncle chanoine, Léonard Bataille, qui
contribue généreusement à la fondation du carmel de la ville, en 1619, par un essaim de
carmélites venues de Dijon, patronnées par la présidente Brûlart (une correspondante de François
de Sales) et par Jean Quintanadoine de Brétigny, aristocrate franco-espagnol qui joue un rôle
éminent dans l'établissement du Carmel en France en 1604. De par la volonté de l'oncle de voir
cette nièce reçue comme « fondatrice » dans la communauté, Marguerite voit la trajectoire de son
existence d'avance toute tracée. Ou presque… Caractère heureux, docile et agréable, cette
« petite merveille » fait l'admiration de la famille, en particulier pour son goût prononcé pour la
piété. Elle témoigne également d'une charité précoce à l'endroit des pauvres, des vagabonds en
particulier, et d'un grand attrait pour la visite des malades. Rétive à tout luxe vestimentaire, elle
incline à la simplicité. Quant à son cursus scolaire, il n'évite pas les clichés attendus : de
brillantes capacités, une promptitude d'assimilation, une prédilection pour les leçons de religion,
ainsi parlera de la « petite régente » (promue répétitrice des grandes !) sœur Jeanne du Sauveur,
sa maîtresse chez les Ursulines.
Enfant modèle à la maison, peu disposée à jouer, commissionnaire de confiance de sa mère,
elle donne cependant de l'inquiétude : des convulsions qui disparaissent sitôt qu'on l'approche du
saint sacrement : le diable serait-il en cause ? Notons aussi une légère tendance anorexique ; faut-
il la mettre en rapport avec le fait qu'elle gardera toute sa vie durant une taille (1,30 m) et un
visage d'enfant ? Y aurait-il un refus de grandir, quelque « syndrome de Peter Pan » ? Or sa mère
meurt en septembre 1630 et la famille s'empresse de la présenter au carmel. Contrecoup de ces
traumatismes successifs, elle connaît une grave détérioration de sa santé physique (crises
d'épilepsie) et mentale (des montées d'angoisse, mais à vrai dire, elle n'a jamais bénéficié d'un
bon sommeil, ce qui évidemment la fragilise), dont la guérison sera attribuée à l'application d'une
relique du cardinal Pierre de Bérulle. Deux visions, de Bérulle lui-même, puis de la Vierge,
scellent le processus thérapeutique et viennent clore la première étape de son existence. Au reste,
elle avait déjà eu une vision de l'Enfant Jésus, assis au bord d'un puits dans lequel sainte Thècle
précipitait les démons ! Désormais, à partir de la fin 1631, le rythme de ses visions christiques
s'accélère, qui s'orchestrent autour de deux pôles thématiques : la Crèche et la Croix, privilégiant
ainsi le paradigme de l'impuissance (ou encore de l'anéantissement). Lui est redonnée au passage
la grâce de l'innocence. Cette déferlante de grâces mystiques n'est pas sans inquiéter ses
supérieurs, plus favorables aux voies ordinaires de la vie spirituelle. Le thème de la Passion
donne lieu à un mimétisme aussi spectaculaire qu'effrayant et, à la suite de sa profession, le 24
juin 1635, se greffe la dimension nuptiale, consignée par la rédaction d'une cédule (ou contrat)
avec l'Époux céleste.
Antérieurement à la montée du thème nuptial s'était effectuée une régression infantile qui s'était
soldée par une confusion mentale, laquelle ne prendra fin que le 1er janvier 1632, fête de la
Circoncision (où le nouveau-né de Bethléem reçoit son nom propre) : Jésus en effet reprend alors
sa personnalité et son identité propres. Le tournant décisif aura lieu dans la nuit de Noël 1635, où
le Christ lui demande d'exprimer ses désirs, auxquels il est prêt à répondre : Marguerite sollicite
alors la naissance d'un dauphin « qui fût selon son Cœur ». Comme au siècle précédent en
Espagne, la dynamique mystique et dévote investit le champ politique ; l'opération se
renouvellera à la génération suivante avec Marguerite-Marie Alacoque*, mais la culture politique
aura changé avec l'établissement de la monarchie moderne centralisée : le succès ne sera donc
qu'en demi-teinte. Avant cela, dès juillet 1632, le Christ lui avait confié d'assister le roi, « la
chargeant de tous ses besoins ». Le projet politique prend donc forme dès l'Épiphanie 1636 – le
jour des Rois – et Marguerite s'y voit associée « comme ma belle Esther et ma bien-aimée
Judith » : la mystique nuptiale s'enrichit ainsi de ces deux figures bibliques, aussi séductrices (et
érotiques) que politiques. La souveraineté christique se manifestera dans un « second déluge »,
alors prophétisé pour nettoyer la terre de toute sa corruption. Le thème apocalyptique va céder le
pas devant l'urgence de l'actualité : au printemps 1636, les Espagnols envahissent la Picardie et
menacent Paris ; or c'est la faiblesse de l'Enfant divin qui l'emportera sur la force des puissances
militaires. C'est d'ailleurs la protection de l'Enfant Jésus – ou la résistance opiniâtre de Saint-
Jean-de-Losne ? – qui épargnera à Beaune affolée le désastre de la reddition et du pillage.
Après cet épisode militaire, la puissance de l'Enfant s'attestera dans la naissance du dauphin, ce
qui resserrera les liens du Carmel avec la Cour. Le 15 décembre 1637, Marguerite a la révélation
de la grossesse de la reine (alors que celle-ci n'en a pas encore conscience) ; et le 5 septembre
1638, celle de la naissance de Louis Dieudonné, futur Louis XIV, pour laquelle Marguerite
multiplie les dévotions extraordinaires au grand étonnement de ses sœurs (car la nouvelle n'en est
évidemment pas encore connue en Bourgogne le jour même). L'Enfant Jésus a donc donné un
dauphin à la France, confirmant ainsi son pouvoir. Marguerite, « toute transportée de joie et
d'amour », couronne la statuette de l'Enfant Jésus dans le chœur de la chapelle conventuelle. Peu
après, la Reine enverra en ex-voto la figurine du (ou d'un ?) poupon : lequel, de Jésus ou de
Louis, est alors l'Enfant divin ? Toujours est-il que l'événement va donner une portée nationale à
un culte qui n'avait jusque là qu'envergure locale, imité des pratiques du carmel de Thérèse
d'Avila*, culte qui va se déployer avec un succès grandissant, surtout en raison des prophéties
politiques des années 1636-1637. Symboliquement, Marguerite va constituer une cour dévote
autour du petit roi céleste et ériger un temple qui sera la référence de ce pouvoir mystique, dans
lequel l'Enfant Jésus règne, Marie* gouverne et Joseph administre : s'agirait-il d'une proposition
de fonctionnement et d'organisation des pouvoirs, en même temps que d'une référence critique
du politique, tel qu'il se conçoit à Paris ?
Parallèlement à cette création liturgique est instituée une association destinée à répondre aux
urgences et aux nécessités spirituelles du temps présent, à la fois de l'Église et du royaume.
Participer à cette association n'est possible que si l'on a été choisi par élection divine (cela
signifierait-il la forte réticence d'une grosse minorité ou d'une petite majorité à l'intérieur même
du carmel ?). Si des pratiques de piété originales y sont proposées (comme le chapelet à quinze
grains), c'est avant tout l'inspiration de la vision bérullienne de l'enfance qui y prévaut : la
grandeur de l'Enfant Roi – bel oxymore ! – et le silence – un effacement à la limite du docétisme
(hérésie niant l'Incarnation de Jésus-Christ). La diffusion en sera assurée par la fameuse statue de
l'Enfant Roi, ouvrage ou commande de Gaston de Renty, l'un des fondateurs de la Compagnie du
Saint-Sacrement, ce mouvement dévot de réformisme social centré sur la piété eucharistique. Le
succès de cette représentation franco-française sera relayé par celui de l'Enfant Jésus de Prague,
statuette venue d'Espagne et offerte par la princesse de Lobkowitz à l'église Sainte-Marie-de-la-
Victoire à Prague en 1628, huit ans après la victoire de Ferdinand II de Habsbourg sur les troupes
protestantes à la Montagne blanche (laquelle victoire avait été attribuée à une image sainte
déposée ensuite en l'église Santa Maria della Vittoria à Rome). Dans la figure du « Petit Grand »
se nouaient une fois encore, et pour longtemps, mystique et politique. Quant à Marguerite, elle
mourra ayant « consommé » son corps dans la Passion du Christ et son intérieur dans sa « divine
Enfance ».
François Marxer
Bibl. : Œuvres : les Révélations de Marguerite Ebner et les Lettres d'Henri de Nördlingen ont été
publiées par P. Strauch dans Margaretha Ebner und Heinrich von Nördlingen, ein Beitrag zur
Geschichte der deutschen Mystik, Fribourg, J.C.B. Mohr, 1882. Études : S. RINGLET, notice
dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. IX, 1976, col. 338-340 ;
L. GNÄDINGER, article dans l'Encyclopédie des mystiques rhénans…, M.-A. Vannier (dir.),
Paris, Cerf, 2011.
Bibl. : Vie et œuvres : Vie et œuvres de sainte Marguerite-Marie Alacoque, nouv. éd.
authentique… par Mgr L. Gauthey, Paris, Poussielgue, J. de Gigord, 1915, 3 vol. (reprise en
partie dans Vie et Œuvres de sainte Marguerite-Marie Alacoque, Paris-Fribourg, Éd. Saint-Paul,
1990, 2 vol.). Études : L. BERNAIERT, « Note sur les attaches psychologiques du symbolisme
du cœur chez sainte Marguerite-Marie », in Le Cœur (collectif), publiée par Études
carmélitaines, Bruges, Desclée de Brouwer, 1950 ; J. LE BRUN, « Politique et spiritualité : La
dévotion au Sacré-Cœur à l'époque moderne », Concilium, n° 69, 1971, p. 25-36 ; « Une lecture
historique des écrits de Marguerite-Marie Alacoque », Nouvelles de l'Institut catholique de Paris,
« Les Visions Mystiques », févr. 1977, p. 38-53 ; P. BLANCHARD, Sainte Marguerite-Marie.
Expérience et doctrine, Paris, Alsatia, 1961.
Bibl. : Œuvres : Miroir des simples âmes anéanties, trad. M. Huot de Longchamp, Paris, Albin
Michel, 1984 ; trad. C. Louis-Combet, Grenoble, J. Millon, 1991. Études : E. ZUM BRUNN, G.
ÉPINEY, Femmes troubadours de Dieu, Turnhout, Brepols, 1988 ; B. MCGINN, « Love,
Knowledge and unio mystica in the Western Christian Tradition », in Mystical Union and
Monotheistic Faith in Œcumenical Dialogue, New York, 1989, p. 73-79 ; E. BABINSKI,
Introduction to The Mirror of Simple Souls, New York, Paulist Press, 1993 ; M. BERTHO, Le
Miroir des âmes simples et anéanties de Marguerite Porète, Paris, Larousse, 1993 ; E. ZUM
BRUNN, « Quelques parallèles avec les mystiques rhéno-flamandes », in Voici Maître Eckhart,
Grenoble, J. Millon, 1994, p. 25-49 ; B. MCGINN (éd.), Meister Eckhart and the Beguine
Mystics, New York, The Continuum, 1997 ; C. M. MÜLLER, Marguerite Poret et Marguerite
d'Oingt de l'autre côté du miroir, Bern, Peter Lang, 1999.
Bibl. : Œuvres : ms. autobiographique Discurso de mia vida [1645-1648], 48 p. (détruit durant
la guerre civile ; copie à Rome) ; Mi Camino interior. Relatos autobiográficos. Cuentas de
espíritu. Opusculos espirituales. Cartas, éd. de L. Iriarte, Éditions des Frères mineurs capucins
de la Province de Navarra-Cantrabria-Aragón, 1985 ; Étude : L. IRIARTE, Beata Maria Angela
Astorch, Clarisa Capuchina (1592-1665) : La mistica del breviario, Murcia, Asis, 2005.
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1914 ; V. BELTRAN DE HEREDIA, Historia de la Provincia de España (1450-1550), Rome,
Instituto Storico Domenicano, 1939 ; M. BATAILLON, Érasme et l'Espagne. Recherches sur
l'histoire spirituelle du XVIe siècle, Genève, Droz, 1998 ; A. HUERGA, « Los pre-alumbrados y
la Beata de Piedrahita », Historia de la Iglesia (vol. XVII), Valence, EDICEP, 1974, p. 529-533 ;
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2004.
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cappuccina professa nel monastero di Fanano scritta da lei medesima, Modena, Soc. tipografica,
1788 ; Vie de la vénérable sœur Maria Diomira du Verbe Incarné, Fribourg, L. Waeber, 1936.
Étude : F.-S. de PARIS, « Diomira (Maria) du Verbe Incarné », Dictionnaire de spiritualité,
Paris, Beauchesne, t. III, 1957.
Bibl. : Vie : S. RAZZI, Vite dei santi e beati del sacro ordine de' Frati Predicatori, così
huomini, come donne, Palerme, Giovanni Antonio de Franceschi, 1605, p. 651-659 ;
N. ZUCCHELLI, La beata Chiara Gambacorta, La chiesa il convento di S. Domenico, Pise,
Cav. F. Mariotti, 1914, p. 121-128 ; I. FELICI, Una madre in famiglia e nel chiostro : B. Maria
Mancini, Pise, Monastero S. Domenico, 1965. Études : R. M. BELL, L'Anorexie sainte. Jeûne et
mysticisme du Moyen Âge à nos jours, Paris, PUF, 1994 ; A. BENVENUTI PAPI, « Frati
mendicanti e pinzochere in Toscana : dalla marginalità sociale a modello di santità », Temi e
problemi della mistica femminile trecentesca, XX convegno del Centro di studi sulla spiritualità
medievale (Todi, 14-17 octobre 1979), Todi, Accademia Tudertina, 1983, p. 107-135 ; A.
NICHOLS, Dominican Gallery. Portrait of a Culture, Leominster, Cromwell Press, 1997,
p. 245.
MARIA PERPÉTUA DA LUZ, carmélite (Maria Perpétua da Costa Dinis ; Beja, 14 juillet
1684-26 août 1736). — Au XVIIe siècle, il y avait sept couvents à Beja dans la province de
l'Alentejo, au Portugal : quatre pour les hommes (Franciscains, Carmélites, Jésuites et
Franciscains réformés) et trois pour les femmes (deux monastères de Clarisses et un carmel).
Maria Perpétua entra au carmel de l'Espérance (Carmelo da Esperança) de Beja, y fit profession
en 1705 et prit le nom de Maria Perpétua da Luz. Au début de sa vie religieuse, elle choisit
l'habit des carmélites « non réformées » et devint, dans la pratique des vertus, vite exemplaire.
Lors de sa profession, elle fit le choix de l'habit des religieuses « moins réformées », dont les
austérités étaient plus grandes. Onze années plus tard, Maria Perpétua da Luz se décida
courageusement à revêtir l'habit des religieuses « réformées », embrassant toutes les exigences de
cette décision : clôture plus stricte, pratique plus intense de l'oraison, vœu absolu de pauvreté,
exercices exigeants des mortifications et de l'abnégation intérieure. Elle pratiqua de grandes
pénitences et souffrit de graves maladies. Elle éprouva une fervente dévotion pour la Vierge du
Carmel, dont elle ressentait de façon mystique la présence aimante auprès d'elle. Elle parvint à
l'oraison d'union mystique avec Dieu. Elle parcourut les différentes étapes du Chemin de
Perfection décrit par Thérèse d'Avila*, édifiant ses compagnes et prodiguant généreusement ses
conseils aux novices. Le 25 mai 1736, elle tomba malade. Sentant qu'elle allait mourir, elle
écrivit ces mots à son confesseur : « J'éprouve en mon âme la certitude que je suis proche de ma
mort naturelle, de sorte que je me détache de tout, sans que je puisse accepter du monde rien
d'autre que de traiter avec Dieu ce dernier point, duquel dépend que je perde ou que je gagne
mon Époux adoré. Je suis saisie d'une grande crainte de mes fautes, qui sont grandes et énormes.
Priez pour moi Notre-Seigneur qu'il ne permette pas que les mauvaises choses que j'ai faites
apparaissent devant ses yeux infiniment purs, et que par ses mérites infinis il me pardonne mes
fautes, et qu'il m'accorde, dans sa grande bonté, que je m'en aille avec courage vers la vie
éternelle. » Elle mourut, dans de grandes souffrances, au carmel de Beja, en odeur de sainteté.
Sur l'ordre de ses confesseurs les Frères Joao de Sousa et José de Aguiar, elle rédigea soixante
cahiers sur son expérience. Le provincial, le père José Pereira de Santana, eut la possibilité
d'utiliser ces manuscrits de doctrine ascétique et mystique pour la rédaction de son ouvrage :
Vida da insigne mestra de espírito a virtuosa Madre Maria Perpétua da Luz (1742). Cette
publication, fondamentale, fut providentielle, car les manuscrits conservés au carmel de
Lisbonne furent détruits à la suite du tremblement de terre de 1755. Bien que n'ayant reçu aucune
éducation intellectuelle, Maria Perpétua da Luz y donne de précieux avis sur diverses questions
spirituelles, tel un véritable maître de spiritualité, spécialement sur les points suivants : l'oraison
vocale et l'oraison mentale, l'amour de Dieu et du prochain, la purification de l'esprit et ses
difficultés, le discernement des inspirations divines, l'humilité de l'esprit, les qualités exigées
pour être un bon directeur spirituel, la pratique des vertus théologales, des instructions pour les
novices, etc. L'ensemble forme un excellent traité de vie spirituelle à l'usage des religieux ou
même des laïcs. Le procès de béatification, engagé après l'examen de son corps, demeuré
incorruptible, le 29 janvier 1798, est resté en suspens.
Bernard Sesé
Bibl. : Vie et études : M. MARTINS, S.J., « Maria Perpétua da Luz », Revue d'ascétique et de
mystique, n° 21, Toulouse, 1940, p. 149-176 ; M. MARIA WERMES, A Ordem Carmelita e o
Carmo em Portugal, Lisbonne, Uniao Gráfica, Fátima, Casa Beato Nuno, 1963 ; J.
PINHARANDA GOMES, Imagens do Carmelo Lusitano. Estudos sobre historia e
espiritualidade Carmelitas, Lisbonne, Paulinas, 2000 ; B. VELASCO BAYÓN, O. CARM.,
Historia da Ordem do Carmo em Portugal, Lisbonne, Paulinas, 2001.
MARIE, sainte (Nazareth, v. 20 av. J.-C.-Éphèse ?, milieu du Ier s. apr. J.-C). — La place
suréminente que Marie de Nazareth, la Vierge Marie, occupe dans l'histoire du christianisme et
dans la tradition spirituelle chrétienne est entièrement centrée sur la réalité de Jésus, le Christ,
dont elle est la mère. Au centre des affirmations concernant le Christ dans la confession de foi
chrétienne (Credo de Nicée-Constantinople, 381), on peut lire : « Par l'Esprit-Saint, Il a pris chair
de la Vierge Marie, et s'est fait homme. » C'est dire que le mystère de Marie participe
directement du mystère du Verbe incarné et, par là, du mystère divin. Mère de Jésus en son
humanité, elle est reconnue par le concile d'Éphèse (431) comme la Théotokos, la Mère de Dieu.
Ce titre confère à l'existence de Marie de Nazareth une dimension mysti-que éminente, au sens
étymolo-gique de l'adjectif (est mystique ce qui concerne les mystères) et au sens théologique du
substantif : si la mystique est « une certaine impression de la science de Dieu » (Thomas
d'Aquin, Somme théolo-gique, I a, q.1, a.3), nulle créature plus que Marie – et chez elle sous un
rapport radicalement unique – n'a pu avoir de Dieu en son fils une connaissance expérientielle
plus intime et une relation théologale plus juste. C'est dire que les documents historiques qui
permettent de connaître Marie sont ceux-là mêmes qui font connaître la vie de Jésus de
Nazareth : au premier chef le Nouveau Testament, mais aussi, pour ceux qui reconnaissent en
Jésus le Sauveur attendu par Israël, tout ce qui dans la Bible, des récits de la Création aux versets
de l'Apocalypse, annonce, préfigure ou figure le Messie et celle de qui il devait naître. Pour les
chrétiens qui proclament Jésus ressuscité, la tradition de l'Église représente une autre source qui
approfondit le mystère de Marie, Épouse et Mère, dans le mouvement même où l'Église se
déploie à la fois comme Corps mystique du Christ et comme Épouse, selon les expressions
pauliniennes. Les écrits patristiques, théologiques et mystiques ont puisé largement dans
l'ensemble des Écritures pour approfondir le mystère de celle que les litanies de Lorette, dès le
XIIe siècle, vénèrent sous le titre de « Rose mystique », que la piété populaire invoquera par la
salutation évangélique en égrenant le « rosaire », et que le génie des bâtisseurs honorera dans les
rosaces de tant de cathédrales qui porteront son nom. Elle était déjà, pour des artistes inspirés,
« l'orante » des catacombes, la toute sainte de l'hymne acathiste, qui garde en son sein le mystère
et ouvre au secret de Dieu, avant que, dans les icônes sacrées, ne soient inscrite sa beauté.
On pourrait donc s'attendre à trouver au fil des Évangiles les éléments propres à élaborer une
sorte de biographie de la mère de Jésus. Or, quantitativement, les textes canoniques du Nouveau
Testament parlent peu de Marie : deux chapitres et quelques lignes dans l'évangile de Luc, deux
passages du quatrième évangile, quelques versets chez Matthieu, Marc, et dans les Actes des
apôtres, une allusion dans une épître de Paul. Pourtant, dans la « discrétion littéraire » des textes
relatifs à la Mère de Jésus, le théologien de la vie mystique peut voir des traits et des qualités
proprement spirituels, qui deviendront même archétypiques de la vie mystique chrétienne, vertus
soulignées plus tard par les plus grands maîtres spirituels : décentrement de soi, non dans une
posture ascétique héroïque, mais selon une mystique du service de l'essentiel, une vie
entièrement ordonnée à Dieu et à son dessein de salut de l'humanité et, aussi, une saine humilité
qui reconnaît la juste place de la créature devant son Créateur, fût-il son Fils et fût-elle « toute
aimée de Dieu ». Ainsi, et c'est un trait de la personnalité spirituelle de Marie, même lorsque les
textes la mettent en évidence, dans la manière comme dans la matière des récits, tout se passe
suivant un même mouvement initié par l'Esprit, comme si Marie déplaçait l'attention à la fois
vers Celui qui est seul digne d'être écouté, entendu, loué, désiré (élan propre à ce qu'on appellera
plus tard la « mystique de l'union ») et aussi vers ceux pour qui le Fils de Dieu, son fils, a donné
sa vie (mouvement dans lequel s'enracine la « mystique apostolique »). Et si Marie est peu
présente dans les Évangiles, elle l'est toujours à des moments particulièrement révélateurs de
Jésus en son double mystère, celui de Dieu fait homme dans l'Incarnation, et celui du Fils de
Dieu, sauveur de l'humanité par sa mort et sa résurrection. Ainsi, Marie est toujours présente à
l'heure de son fils, c'est-à-dire au temps fixé pour l'accomplissement de sa mission rédemptrice.
Seuls les textes apocryphes parlent de l'enfance de la Mère de Jésus, et nomment de ses
parents, Anne et Joachim, humble famille de Nazareth en Galilée. Dans les Évangiles, les
généalogies de Jésus permettent de reconnaître en Marie une femme juive, vraisemblablement de
la maison de David, comme Joseph, à qui elle est promise en mariage, ou peut-être de la lignée
sacerdotale d'Aaron, comme sa vieille cousine Élisabeth.
À l'âge de quinze ou seize ans, Marie est fiancée à Joseph, un homme qui travaille le bois,
menuisier ou charpentier. Mais voilà qu'avant même d'avoir consommé le mariage, Marie se
retrouve enceinte et décide de partir retrouver sa cousine Élisabeth, dont la grossesse, inespérée
en sa vieillesse, approche de son terme. À son retour, contrairement aux coutumes juives, Marie
n'est ni rejetée ni répudiée par Joseph, mais accueillie chez lui en qualité d'épouse. Or, à cette
même époque, le recensement décrété par César-Auguste exige pour le couple de se faire
enregistrer dans la ville d'origine de Joseph : Bethléem. En s'y rendant, Marie donne naissance à
l'enfant dans des conditions de dénuement extrême, dans une étable de la ville. Des bergers sont
leur première compagnie avant que, étonnamment, de riches rois savants viennent de loin voir et
adorer cet enfant qui porte le nom de Jésus, « Dieu sauveur ». Après avoir présenté l'enfant
premier-né au temple, selon le rituel juif, la famille, menacée par un édit du roi Hérode, doit fuir
le pays. La menace étant écartée, ils retournent à Nazareth où Jésus grandit et apprend le métier
de son père adoptif.
Voilà pour les événements visibles et socialement repérables. Mais l'évangile de Luc révèle
bien plus ; il donne à voir l'invisible qui traverse radicalement ces moments, leur donne sens et
permet de reconnaître dans ces épisodes de la vie de Marie les traces d'un avènement dont on
pourra dire qu'il est « le centre absolu de l'Histoire du monde » (Dom Jean-Nesmy, Bible
chrétienne. II. Les Quatre Évangiles, Sainte-Foy, Québec, Anne Sigier, 1990, p. 40).
Tout avait commencé, du moins dans la vie consciente de Marie, le jour où elle avait reçu chez
elle une étonnante visite, celle d'un envoyé du Très-Haut, l'ange Gabriel. Lorsque la lumière
tombe verticalement sur une existence, elle donne de se connaître sans ombre, comme aussi
d'entrer dans la connaissance de Celui qui en est la source. Ce jour-là, Marie apprend qui elle est
au regard de l'Éternel. « Comblée de grâce » est le nom par lequel l'ange la salue. Le fait que
l'Envoyé la rassure en lui disant que « le Seigneur est avec elle » ne fait que confirmer ce que la
fille d'Israël a déjà reconnu comme le signe des élus de Yahvé, qu'ils soient Isaac, Moïse, Jacob
ou Gédéon, ou encore Jérémie : alliance privilégiée et élection singulière en vue d'une mission
unique au sein du peuple. Marie découvre alors sa mission, raison d'être de la faveur de Dieu et
raison même de son être : être la Mère du Messie annoncé par les prophètes, et espéré par son
peuple depuis l'exil de Babylone. Elle écoute la Parole, comprend et ne comprend pas, même si
sa foi, grande et spontanée, l'accueille et la reçoit déjà. Expérience sans pareille que celle de la
créature devant son Créateur, qui l'a choisie entre toutes et dont elle apprend qu'elle va devoir à
la toute-puissance de son Amour de devenir Mère de son Fils. Et Marie apprend de l'ange la
« manière » de Dieu, « l'étrange manière », dira un jour le mystique Jean de la Croix. Pour cette
union surnaturelle et pour cette fécondité bien réelle, il ne manque que le consentement de la
jeune fille. Des mystiques, plus tard, s'empareront de cet instant comme de l'instant marial par
excellence – Bernard de Clairvaux s'exclamera : « Ô Vierge, donne vite une réponse ; ô Notre-
Dame, dis la parole que la terre, les enfers, les cieux mêmes attendent […]. Autant le Roi et
Seigneur de tous a désiré lui-même ta beauté, autant désire-t-il aussi le consentement de la
réponse […]. Lève-toi par ta foi, cours par ta ferveur et ouvre-lui par ton engagement ! » Marie
connaît alors qu'elle est libre de la liberté la plus pure qui soit pour une créature, une liberté
respectée par Celui qui l'a créée, semblable peut-être à celle de la première femme avant la chute,
mais plus savante aussi ; une liberté qui ne la livre pas à une solitude tragique, mais qu'elle vit
dans la relation au Dieu de sa foi. Elle se connaît à sa juste place ; elle peut alors décliner son
identité ; la « comblée de grâce » peut dire : « Je suis la servante du Seigneur. » Son « oui »,
prononcé dans la foi en la parole de l'ange, l'unit à la volonté de Dieu et fait que le Verbe divin
prend chair en elle. Expérience mystique inégalée par laquelle l'union nuptiale des volontés porte
sans délai son fruit de Vie, la Vie même de Dieu, reçue dans cette « coupe » à jamais unique et
parfaitement pure (liturgie byzantine). Les Pères de l'Église diront qu'en cet instant, elle est la
fille de Sion ; elle est l'Israël de Dieu, mais aussi la première de la Création nouvelle, la nouvelle
Ève (Irénée), dont le « oui » a renversé la malédiction des origines. « Alors l'ange la quitta » (Lc
I, 38). Désormais, pour Marie, nulle intervention extraordinaire, nulle communication céleste :
seuls la foi et l'Amour divin l'animent et la font exulter en un magnificat de louange.
Dès lors, joies et interrogations, lumière et ombres marqueront l'existence de Marie dans la vie
ordinaire de Nazareth. Joie de la naissance de Jésus et obscurité de la foi pour Marie et Joseph
dans cette nuit insolite de la nativité ; obscurité de la foi également dans la prophétie du vieillard
rencontré au temple, qui prédit pour le cœur de la jeune mère un glaive de souffrance ; foi
éprouvée pour Joseph et Marie, lorsque, de nuit, sur la parole d'un songe, ils doivent fuir la haine
d'Hérode et partir en hâte pour l'Égypte ; joie lorsque Jésus âgé de douze ans est retrouvé dans le
temple au milieu des docteurs de la loi, après trois jours de recherche inquiète ; mais, aussi,
incompréhension devant les paroles que l'enfant adresse alors à Marie, qui voudrait comprendre
et l'interroge : autant de « signes » que Marie garde et médite dans son cœur et dont elle
comprendra plus tard, bien plus tard, qu'ils préfiguraient l'accomplissement de la Mission de son
fils et la part qui y serait la sienne. Pendant trente ans, le mystère de son existence, comme celui
de son enfant, lui resteront en partie voilés. Son intelligence se nourrira de sa foi, au rythme du
déploiement de la grâce insigne reçue de Dieu. Aussi a-t-on comparé Marie et Abraham, deux
modèles de foi, marqués par la fidélité et le sacrifice, au seuil des deux alliances. Les textes de
Luc montrent bien à la fois la joie profonde et « l'aspect crucifiant de la grâce, de la mystique de
Marie » (Joseph Ratzinger).
Dans les récits du quatrième évangile, selon Jean, Marie est invitée à des noces à Cana. Jésus,
qui l'a quittée depuis peu, est présent. Lorsque, au cours du repas, elle s'aperçoit que le vin de la
fête va manquer, elle se tourne vers Jésus pour le lui signifier et elle n'hésite pas à dire aux
serviteurs, en montrant son fils : « Quoi qu'il vous dise, faites-le » (Jn II, 4). Marie exhorte à
écouter sa parole et à la mettre en pratique. Sa confiance inconditionnelle précipite l'anticipation
de l'Heure du Fils. Jésus change l'eau en vin, premier miracle !
Pendant les trois années de la vie publique de Jésus, s'effectue en Marie un lent déplacement,
sorte de nouvelle gestation intérieure qui « trouvera son accomplissement au pied de la croix »
(Joseph Ratzinger). En écoutant l'enseignement même de Jésus, Marie se découvre d'abord
comme disciple de son fils, membre de ce royaume qu'il annonce, peut-être tout particulièrement
ce jour où pour la première fois Jésus définit l'esprit de famille des enfants du royaume : « Qui
est ma mère, qui sont mes frères ? Ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique »
(Lc VIII, 21), « ceux qui font la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Mt XII, 46-50). Portrait
du disciple découpé selon le modèle de Marie, première et parfaite disciple et aussi, par là même,
modèle d'une autre maternité, selon l'Alliance nouvelle, que désireront vivre tant de mystiques.
Avec les apôtres et parmi les femmes qui accompagnent Jésus depuis trois ans, Marie monte vers
Jérusalem, pour y fêter la pâque. De la Galilée à la Judée et même en Samarie, elle voit son fils
« faire toute chose nouvelle » ; elle assiste à son entrée triomphale dans la Ville sainte, où la
foule veut le faire roi. Comment n'aurait-elle pas pressenti dans ce succès trop humain quelque
tragique malentendu ?
L'heure de son fils approche. Marie l'entend demander de préparer le repas festif de la pâque.
Quelques heures encore et les événements se précipitent : le repas à peine achevé, Jésus est
arrêté. Dans l'ombre, le silence, le glaive prophétisé par Syméon commence à pénétrer son cœur ;
et se succèdent procès injustes, jugements hésitants, tortures et condamnation, solitude, longue
montée vers le calvaire où son enfant est mis en croix. « Au pied de la croix, se tenait sa mère »
(Jn XIX, 25). Dans ce chemin de souffrance et de mort, Marie fait corps avec son fils :
compassion et conformation à son fils (Col I, 24 ; Ga II, 20). Mais ce chemin est aussi voie
d'accomplissement car le Serviteur souffrant est, en cette heure, le Christ en son acte rédempteur.
C'est l'heure de l'amour jusqu'au bout et, par là, l'heure paradoxale de la Vie, du triomphe sur la
mort. Et pour Marie, l'heure de la foi pure, qui est aussi celle du pur amour et de la plus parfaite
union à la volonté du Père par le Fils, heure mystique par excellence où, dans son être tout entier,
il lui est donné de participer au salut de l'humanité !
Alors, au moment où, dans la nuit obscure de la croix, se noue l'Alliance nouvelle, Marie est
appelée à une autre mission, inouïe : par la grâce de la Parole instituante du Fils de Dieu par qui
tout a été fait, elle devient Mère : « Femme, voici ton fils ! » Il dit ensuite au disciple : « Voici ta
mère » (Jn XIX, 26-27). Mais c'est, en même temps, « la femme universelle » qui est, en Marie,
interpellée pour la seconde fois. Sa souffrance devient douleur d'enfantement. Maternité
spirituelle et fécondité apostolique sans pareilles : en Jean, tout disciple, mais aussi l'humanité
tout entière, est invité à prendre Marie pour Mère « selon l'ordre de la grâce » (Jean-Paul II,
Redemptoris Mater, 39).
Indicible joie pour Marie au matin du troisième jour, espérance comblée et amour victorieux :
Jésus est vivant. Joie partagée avec les apôtres retrouvés et, pour d'aucuns, pardonnés. Puis, après
quarante jours, espérance nouvelle, dans l'attente de l'Esprit promis par Jésus alors qu'il
retournait auprès du Père. Marie, toute présente à cette première communauté, Mère de l'Église
fécondée à la croix et maintenant naissante par la force de l'Esprit, encourage les disciples dans
leur apprentissage d'enfants de Dieu et de témoins de la bonne nouvelle. Dans la fidélité à la
prière, au mémorial de la Cène et à la charité fraternelle, elle leur apprend à recevoir l'Esprit ;
elle leur apprend à « former le Christ en eux » (Paul) ; elle leur apprend à donner Dieu au monde,
car « le Verbe naît à nouveau dans le cœur des saints » (Grégoire de Nysse).
La foi chrétienne associe Marie à la gloire du Fils ressuscité, son fils et son Dieu. La servante,
vivante auprès de Dieu, la femme dont le « oui » a permis à son lignage de vaincre l'antique
serpent (Gn III, 15), le dragon de l'Apocalypse, la femme couronnée de douze étoiles, est
désormais invoquée comme Reine, Médiatrice de toute grâce, dans sa participation à la
Médiation unique de l'Agneau. Dans ce sens, Marie est intimement liée à tous les modes de
présence de son Fils au monde, « femme eucharistique par vocation et par sa vie toute entière »
(Jean-Paul II). Jusqu'à la plénitude du temps, elle manifeste la sollicitude de Dieu au plus près de
son peuple, parfois de manière éclatante, toujours comme signe discret de sa présence dans le
cœur de ceux qui cherchent sa face.
En donnant Dieu au monde, « Marie a rendu à chaque homme la possibilité d'une union intime
avec Dieu » (saint Ambroise). Son union exceptionnelle au Christ, sa connaissance intime de
l'Amour de Dieu et de l'amour trinitaire qu'est Dieu, la grâce insigne de sa vocation maternelle
font de Marie une maîtresse unique de vie spirituelle. À l'école de ce guide, savant de la Sagesse
éternelle, les maîtres spirituels chrétiens ont appris à contempler le visage de Dieu.
Mysterium lunae dans lequel se reflète la Lumière divine, Marie n'est pas seulement celle qui
montre son fils et qui conduit à lui ; elle est aussi celle qui, par sa vie tout entière, enseigne
comment le suivre et aller avec lui, jusqu'au bout de l'amour. Comme première disciple, elle
devient modèle de la vie selon le Christ, la vie selon l'Esprit. Elle exhorte à écouter la Parole et à
la mettre en pratique, à devenir « demeure de Dieu ». Femme théologale, elle apprend au disciple
à accueillir les événements extérieurs, à les intérioriser, puis, enraciné dans la foi, à lire les traces
d'espérance qu'ils portent et, par là, à devenir prophète. Modèle de l'accueil du don de Dieu, elle
apprend les vertus spirituelles qui permettent à la grâce reçue de se déployer jusqu'à l'union
mystique et de s'accomplir en charité apostolique : humilité, obéissance, pureté et pauvreté
substantielles, esprit d'abandon et de détachement, persévérance dans le silence de l'attente,
docilité au travail même de l'Esprit.
Par la grâce d'une maternité unique reçue au pied de la croix, Marie est Mère d'humanité,
comme le montrent les textes les plus ardents des mystiques de toutes les époques qui se sont mis
sous la protection de la Mère du bel Amour, qui est aussi Mère de Miséricorde : dans les
épreuves, elle accompagne, elle protège, elle intercède pour ses enfants ; dans les chemins
escarpés de la vie spirituelle, elle est « Étoile de l'espérance » (Benoît XVI) ; c'est elle, encore,
qui brille doucement jusque dans les ténèbres des « nuits » de l'esprit (Marie-Eugène de l'Enfant
Jésus). Marie, Fille du Mystère, Sœur et Mère des mystiques !
Thérèse Nadeau-Lacour
Bibl. : Sources canoniques : Bible : Gn III ; Évangiles : Mt I-II ; XII, 46-50 ; Mc III, 31-35 ; Lc
I-II, VIII, 19-21 ; Jn II, 1-12 ; XIX, 25-27 ; Ac I-II ; Ap XII. Études : O. CLÉMENT, Espace
infini de liberté, le Saint-Esprit et Marie Théotokos, Québec, Anne Sigier, 2005 ; JEAN-PAUL
II, Redemptoris Mater (Lettre encyclique), 1987 et Rosarium Virginis Mariae (Lettre
apostolique), 2002 ; R. LAURENTIN, Marie, clé du mystère chrétien, Paris, Fayard, 1994 ; T.
NADEAU-LACOUR, Marie et l'Eucharistie chez les fondateurs de la Nouvelle-France, Québec,
Anne Sigier, 2008 ; J. RATZINGER, H. U. von BALTHASAR, Marie, première Église, Paris,
Médiaspaul, 1998 ; B. SESBOÜÉ, Marie, ce que dit la foi, Bayard, Paris, 2004. Collectifs :
ACADÉMIE MARIALE, La Mère du Seigneur, Paris, Salvator, 2005 ; CENTRE NOTRE-
DAME de VIE, Marie, Mère de Dieu, Venasque, Éditions du Carmel, 1989 ; G. TOUTON,
Marie au plus près des Écritures et dans la Tradition, Perpignan, Artège, 2012.
Bibl. : Œuvre : Jésus-Christ est le fils de Dieu, Namur, 1909 (rééd. Paris, Librairie Téqui, 1974).
Études : Une page du grand livre de la Miséricorde de Dieu, Namur, Carmel de Créteil, 1911
(rééd. en 1956) ; D.-M. DAUZET, La Mystique bien tempérée, Paris, Cerf, 2006.
Bibl. : Vies : B. D'ORAZIO, Una grande mistica del'1700. La Venerabile Madre Suor Maria
Celeste Crostarosa, Autobiografia, Casamari, 1965 (description soignée du matériel manuscrit) ;
S. MAJORANO, L'imitazione per la memoria del Salvatore. Il messaggio spirituale di Suor
Maria Celeste Crostarosa, Rome, San Gerardo, 1978 (édition rigoureuse de l'écrit sans titre,
appelé Autobiographie par les éditeurs). Études : J. FAVRE, Une grande mystique au
XVIIIe siècle. La vénérable Marie Céleste Crostarosa, Paris, Librairie Saint-Paul, 1936.
Bibl. : Vie : [une clarisse], Fleur du cloître ou vie édifiante de sœur Marie-Céline de la
Présentation […], Bourg-en-Bresse, 1898 (rééd. Talence et Mons, Monastère des Clarisses,
1926). Étude : Prodiges et faveurs attribués à l'intercession de la servante de Dieu sœur Marie-
Céline de la Présentation […] (brochure), Paris, Librairie Saint-François d'Assise, 1900.
MARIE-COLETTE DU SACRÉ-CŒUR, clarisse (Marie-Augustine Duchet ; Paris, 1857-
Besançon, 1905). — Marie-Augustine est la fille d'un soldat qui a servi dans les armées
d'Afrique et de Crimée, avant de venir s'établir à Besançon. Dans ses jeunes années, elle
fréquente l'école des Sœurs de la Charité (institut fondé par la vincentienne sainte Jeanne-Antide
Thouret*, en 1799, laquelle refusa de se laisser enfermer dans une congrégation locale et fut
persécutée par l'archevêque, avant de refonder en Italie du Sud). Lorsque, en 1881, elle entre
chez les Clarisses colettines, après un pèlerinage à Notre-Dame-des-Buis (située sur les hauteurs,
aujourd'hui petit ermitage franciscain), le climat y demeure celui de l'ascétisme colétin et la
bibliothèque ne comporte, notamment, que des fragments de Thérèse d'Avila ou la Vie et les
Entretiens de François de Sales. Au début, elle ne bénit pas Dieu, comme sainte Claire d'Assise*,
d'avoir été créée, mais s'écrie : « Pourquoi m'avez-vous donc créée ? » Elle éprouve néanmoins
très vite l'excès de l'amour de Dieu, car il ne suffit pas de l'aimer, encore faut-il être en mesure de
le recevoir. Aussi, elle interpelle Jésus en lui disant : « Suspendez vos consolations, car je n'en
puis plus » (II, 21). Et puis, c'est l'émerveillement : « Chaque jour, j'éprouve quelque chose de
nouveau » (1886 ; V, 25). Les deux expériences sont synthétisées ainsi : « l'âme ne pourra jamais
s'habituer à cet amour [de Dieu] ; au contraire, plus elle le goûtera, plus elle le trouvera nouveau
et délicieux » (1888). Elle conclut très vite, influencée par l'exercice spirituel comme
indiferencia : « Il faut recevoir tout ce que Dieu donne […], aussi bien […] la privation que […]
la jouissance, et profiter de cette dernière […], puisque c'est un vent favorable qui prépare à celui
des tribulations » (VI, 42). D'où cette formulation : « Je tâcherai de bien profiter du moment
présent, et de la grâce qui m'est donnée à chaque instant » (1891) ; ce qui fait songer à la
spiritualité baroque d'un Jean Pierre de Caussade et à celle de L'Abandon à la providence divine*
(XVIIIe s.). Instant exigeant, mais « Notre Seigneur fait lui-même presque tout ce qu'il me
demande […]. Je jouis beaucoup plus que je ne souffre ». La nature de la prière découle de cette
expérience : « Plus je me sens près de lui, et plus j'éprouve le besoin de lui demander davantage,
je vois alors tant de besoins ! […] Je vois un peu comme il voit » (1893). La prière est le regard
spirituel de Dieu sur toutes les créatures et les libertés.
Bernard Forthomme
Bibl. : Œuvre : Écrits (38 cahiers, avec une autobiographie, ses notes spirituelles, un traité sur la
Perfection, un traité sur la Méditation, un Rêve sur les étoiles etc.), Archives du couvent de
Besançon (couvent transféré tout récemment à Ronchamp, en Franche-Comté). Étude : J.-J.
NAVATEL, S.J., Sœur Marie-Colette du Sacré-Cœur… d'après ses Notes spirituelles (1857-
1905), Paris, De Gigord, 1921.
Bibl. : Vie et études : A. AMPE, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne,
t. X, 1980, col. 519-520 ; P. DINZELBACHER, notice dans le Dictionnaire de la mystique,
Turnhout (Belgique), Brepols, 1993, p. 94-95 ; W. OEHL, Deutsche Mystikerbriefe des
Mittelalters 1100-1550, Darmstadt (Allemagne), WBG, 1972.
MARIE DE JÉSUS, bienheureuse, fondatrice de la Société des Filles du Cœur de Jésus (Marie
Deluil-Martiny ; Marseille, 1841-1884). — Fille d'un avocat, elle grandit dans une famille
marquée par les deuils. Elle découvre, adolescente, à la Visitation de Marseille, l'œuvre de la
Garde d'honneur du Sacré-Cœur (aujourd'hui Heure de présence au Cœur sacré de Jésus), fondée
en 1863 par sœur Marie du Sacré-Cœur Bernaud à la Visitation de Bourg-en-Bresse pour assurer
une chaîne perpétuelle de prières réparatrices. Elle en fait « l'œuvre de sa vie », en devient
« première zélatrice » au point qu'elle passe parfois pour en être la fondatrice. Elle la propagera
dans les paroisses puis dans les couvents de la congrégation qu'elle va fonder.
En 1867, elle se voue à Dieu sous la direction d'un jésuite, le père Calage et entend Jésus lui
dire : « Sais-tu ce que c'est qu'adorer ? Je suis le seul qui adore réellement. Je suis la beauté
souveraine. » Elle a, peu après, avec sœur Bernaud, l'intuition que « la très précieuse offrande du
sang et de l'eau sortis de la plaie du Cœur de Jésus […] constitue un véritable sacerdoce
mystique pour les âmes », à laquelle s'oppose l'évêque de Belley (diocèse de Bourg), bien qu'elle
ait la prudence de le qualifier de « sacerdoce mystique inférieur ». Elle fait vœu de victime « par
les mains de Marie » en 1868. Se dessine déjà sa conception de la « Vierge prêtre » (Virgo
sacerdos, qualification différente en latin, mais non en français, de presbyter) : le sacerdoce
mystique de Marie*, élevant son fils vers Dieu comme le prêtre l'hostie. En 1873, elle crée, à
Berchem-Anvers, en Belgique, à cause de la situation politique française, la Société des Filles du
Cœur de Jésus, épouses et victimes de l'Agneau immolé, dont le but principal est l'adoration
eucharistique, la dévotion réparatrice au Cœur de Jésus et l'aide spirituelle aux prêtres pour leur
apostolat, qui va connaître une diffusion dans plusieurs pays européens, de même que son
association des âmes-victimes à laquelle adhéreront, entre autres, Charles de Foucauld et
Maximilien Kolbe. Elle hérite en 1879 de la propriété familiale de la Servianne, à Marseille,
qu'elle transforme en couvent et où elle s'établit. Elle y est assassinée à quarante-deux ans par un
anarchiste, Louis Chave, et meurt en lui pardonnant.
Cette religieuse, qui irrite la hiérarchie par ses compétences scripturaires, tient une place
originale dans le mouvement victimal du XIXe siècle, qu'elle renouvelle : elle fait prévaloir sur
les pénitences corporelles la mortification intérieure et le dépouillement ; elle donne la priorité à
l'amour et non pas à la réparation offerte pour calmer la colère divine : « Ce ne sont plus des
victimes de justice, ce sont des victimes d'amour que Jésus réclame et qu'Il aura. » Comme
d'autres mystiques victimales, elle souligne les insuffisances spirituelles de membres du clergé :
« Dieu veut qu'une légion d'âmes vraiment victimes s'offrent comme d'humbles suppléments de
ce qui manque à l'esprit sacerdotal de certains prêtres. » Ses religieuses sont placées auprès de
l'autel et non dans un chœur fermé ; elle obtient dès 1873 qu'elles répondent au célébrant à la
messe et voudrait les faire communier au calice.
Le Saint-Office a bloqué jusqu'à Vatican II sa cause, en particulier en raison du problème de la
notion de « Vierge prêtre », en dépit d'approbations pontificales. Elle a été béatifiée en 1987.
Régis Bertrand
Bibl. : Écrits : Lettres de mère Marie de Jésus Deluil-Martiny…, abbé L. Laplace (éd.), Paris, P.
Lethielleux, 1924 (rééd. 1965) ; son « Journal d'âme », tenu de 1867 à 1873, n'est en revanche
connu que par des citations des ouvrages suivants. Vie : abbé L. LAPLACE, La Mère Marie de
Jésus, Marie Deluil-Martiny […], Paris-Tournai, Castermann, 1894 ; H. ARNAUD, Le Choix de
l'absolu. Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny, Marseille, éd. de l'auteur, 1990. Études : père R.
GARRIGOU-LAGRANGE, « La vie intérieure de mère Marie de Jésus », in La Vie spirituelle,
t. XLII, 1935, p. 162-177 ; R. LAURENTIN, Marie Deluil-Martiny, précurseur et martyre […],
Paris, Fayard, 2003 ; B. LUCCHESI, Prier 15 jours avec Marie de Jésus Deluil-Martiny […],
Bruyères-le-Châtel, Nouvelle cité, 2006 ; M. METENIER, F. REVILLA, Marseille, meurtre au
couvent. La Serviane, 1884, ou l'anarchiste de Gignac, Gignac, Mémoires de Gignac, 2009.
MARIE DE JÉSUS (DE BRÉAUTÉ), carmélite (Paris, 1579-29 novembre 1652). — Fille de
Nicolas de Harlay de Sancy, illustre par ses emplois et par ses charges, elle est mariée à dix-huit
ans au marquis de Bréauté, brillant dans le métier des armes et qui lui plut davantage qu'un autre
prétendant prudemment éconduit. Elle se retrouve veuve le 5 février 1600, avec un enfant de
treize mois. Elle rencontre alors Mme Acarie* et rentre au carmel, dans sa première fondation en
France, le 8 décembre 1604. Marie de Jésus devient la compagne très proche de Madeleine de
Saint-Joseph*, première carmélite française du premier couvent de Paris. Elle est à l'infirmerie,
puis sous-prieure en 1606, responsable des novices en 1608 lorsque Madeleine de Saint-Joseph
devient prieure. Lorsque, en 1615, elle devient à son tour prieure, elle fait bâtir une infirmerie.
En 1624, elle exprime l'ardent désir de ne plus accepter de charge. À la fin de la même année,
son fils meurt en combat singulier. Après 1641, sa santé ruinée, elle dit « n'avoir pas assez de
mal pour mourir et en avoir trop pour appeler cela vivre ».
Ses lettres témoignent de son intimité toute tournée vers Dieu, de son intelligence des
situations, ainsi que d'une totale absence d'illusions. Dieu « ne nous donne pas toujours en nous-
mêmes toute la lumière dont nous avons besoin pour notre conduite, Il la met souvent en autrui
afin de nous lier les uns avec les autres d'une plus grande charité ». Et si l'on ne sent rien pour
assister les âmes, il suffit de lui demander « que ce soit Lui qui fasse votre charge, puisque vous
n'êtes, et ne pouvez rien, et puis faites doucement selon votre conscience ». Réaliste, elle écrit à
un proche : « En faisant le service du roi, il est bon, Monsieur mon neveu, de conserver la vie des
hommes autant qu'il se peut, ils l'ont reçue de Dieu pour chose grande, et il ne faut pas la leur
faire prodiguer sans grande nécessité. Je sais bien que peu de généraux d'armée s'y appliquent
pour y penser, mais quand vous seriez un peu meilleur que le commun, il n'y aura pas de mal. »
Elle ne doute pas de la communion des saints et déclare à la mère Marie-Madeleine de Bains :
« J'ai vu […] que notre union ne périra pas et qu'elle sera stable pour l'éternité, et j'ai une grande
consolation de voir que ma mort n'y changera rien. C'est Dieu qui l'a faite et je l'emporte, elle ne
s'évanouira pas. »
Marie de Jésus fut la confidente ordinaire de Madeleine de Saint-Joseph et l'on peut considérer
ces deux figures associées comme les co-fondatrices au sein du premier carmel de France.
Dominique Tronc
Bibl. : Œuvres : Pensées, prés. par le père D. Buzy, Ourscamp, éditions du Serviteur, 1993 ;
Lettres de la Bienheureuse Marie de Jésus Crucifié, Toulouse, Éditions du Carmel, 2011.
Études : père D. BUZY, Vie de sœur Marie de Jésus Crucifié, Paris, Librairie Saint-Paul, 1927 ;
A. BRUNOT, Mariam, la petite Arabe, sœur Marie de Jésus crucifié, Mulhouse, Éditions
Salvator, 1981 ; Homélie de la béatification, Documentation catholique, n° 1864, décembre
1983, p. 1145-1147.
Bibl. : Œuvres : Mística Ciudad de Dios (manuscrit original), 8 vol., au couvent d'Agreda ;
Mística Ciudad de Dios, Milagro de su omnipotencia y abismo de gracia. Historia divina, y vida
de la virgen Madre de Dios… (1re éd.), Madrid, Bernardo de Villa-Diego, 1670, 3 vol. ; Mística
Ciudad de Dios. Vida de María, éd. de C. Solaguren, Madrid, MM. Concepcionistas de Agreda,
1982 ; La Cité mystique de Dieu…, trad. T. Croset, récollet, Marseille, 1695 ; Bruxelles, 1715 ;
rééd. Paris, Poussielgue, 1857, 6 vol. ; rééd. fac. sim., 2006. Vie : J.-X. SAMANIEGO, Vie de la
vénérable Marie de Jésus… [Vida de la Madre Sor María de Jesús…, Lisbonne, 1681], trad. T.
Croset, récollet, corrigé par un religieux du même ordre, Paris, Poussielgue, 1857. Études : J.-B.
BOSSUET, « Remarques sur… la Mystique Cité de Dieu » (1696), in Œuvres complètes, t. XX,
Paris, 1864, p. 620-622 ; A. BOUREAU, L'Inconnu dans la maison, Richard de Mediavilla. Les
Franciscains et la vierge Marie à la fin du XIIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 2010.
Bibl. : Vie : Vie et révélations de la sœur de la Nativité, religieuse converse au couvent des
Urbanistes de Fougères ; écrites sous sa dictée. Suivies de sa Vie intérieure, écrite aussi d'après
elle-même par le rédacteur de ses Révélations…, 1817 (1re éd., 3 vol.) ; 2e éd. Paris, Beaucé
(Libraire du duc d'Angoulême, fils du futur Charles X), 1819, 4 vol.
Bibl. : Œuvres : les carnets de Marie de la Trinité sont en cours de parution aux éditions du
Cerf ; sont déjà parus Les Grandes Grâces (carnet I), Paris, Cerf, 2009 ; Qu'un même amour
nous rassemble. Sœur Marie de la Trinité, sa vie, son message, écrits recueillis par frère A.
Dubouin ofm, préface de H. Urs von Balthasar, Paris-Montréal, Apostolat des éditions, 1979.
Bibl. : Œuvre : L'Union mystique à Marie, trad. par L. Van den Bossche, Paris, Cerf (Cahiers de
la Vierge n° 15), 1936. Vie : M. DE SAINT-AUGUSTIN, Het Leveu der weerdighe moeder
Maria a Sta Theresia (alias) Pety, van den derden regel van de orden der Broederen van Onse L.
Vrouwe den berghs Carmeli, tot Mechelen, overleden den 1 november 1677, Bruxelles, 1681
(2e éd. très enrichie : Gand, Héritiers de Jean Vanden Kerchove, 1683-1684). Études :
A. DEBLAERE, « Marie Petyt, écrivain et mystique flamande (1623-1677) », Carmelus Roma,
vol. 26, n° 1, 1979, p. 3-76.
Bibl. : Vie et étude : J. BOSCO, Vita della Beata Maria degli Angeli, Carmelitana Scalza,
Torinese, Turin, Tip. dell' Oratorio di S. Franc. di Sales, 1865 ; G. JORI travaille à une édition
critique de l'impressionnante correspondance de Marie des Anges.
Bibl. : Œuvres : les vies anciennes de Marie des Vallées, par G. de Renty, par le père J. Eudes,
par le moine de Barbery sont restées manuscrites et ne sont accessibles qu'aux chercheurs.
Études : abbé J.-L. ADAM, Le Mysticisme à la Renaissance, ou Marie des Vallées dite la sainte
de Coutances, Paris, Poussielgue, 1894 ; E. DERMENGHEM, La Vie admirable et les
révélations de Marie des Vallées, Paris, Plon-Nourrit, 1926 ; M. DEVOUCOUX, L'Œuvre de
Dieu en Marie des Vallées, Paris, de Guibert, 2000 ; H. BREMOND, Histoire littéraire du
sentiment religieux en France, Paris, Bloud et Gay, t. III, 1923 (rééd. Grenoble, Jérôme Millon,
2006) ; C. LOUIS-COMBET, Des égarées. Portraits de femmes mystiques du XVIIe siècle
français, Grenoble, Jérôme Millon, 2008.
Bibl. : Vie et études : L. CHASLE, Sœur Marie du Divin Cœur, née Droste zu Vischering, Paris,
Beauchesne, 1905 ; M. BIERBAUM, Maria vom Göttlichen Herzen Droste zu Vischering. Ein
Lebensbild unter Benutzung unveröffentlichter Quellen, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1966 ; N.
BUSH, Katholische Frömmigkeit und Moderne. Die Sozial-und Mentalitätsgeschichte des Herz-
Jesu-Kultes in Deutschland zwischen Kulturkampf und Erstem Weltkrieg, Gütersloh, Chr.
Kaiser/Gütersloher Verlagshaus, 1997.
Bibl. : Œuvres : Petit Journal (3e éd.), trad. sous la direction de l'Apostolat de la Miséricorde
Divine, Paris, Éditions Anna Chanel, 2007 ; Les Lettres de Sainte Sœur Faustine, Paris, Téqui,
2007. Étude : P. CHOCHOLSKI, Sœur Faustina ; la divine Miséricorde, Paris, Éditions Le
Livre ouvert, 2007.
MARIE-FRANÇOISE DES CINQ PLAIES, sainte, tertiaire franciscaine (Anna-Maria Gallo ;
Naples, 1715-1791). — Anna-Maria est née dans une famille de petits commerçants. Elle vécut
d'abord dans les quartiers espagnols de Naples, fort populeux et peu renommés. Naples n'est plus
qu'une vice-royauté espagnole depuis le début du XVIe siècle, et le restera jusqu'au déclin de la
Couronne. À peine une décennie après la mort d'Anna-Maria, les troupes françaises entraient
dans la ville. Anna-Maria subit d'abord, comme sa mère, les mauvais traitements de son père
irascible, lequel les obligeait à travailler durement. Mais elle fréquenta l'église qui était adjointe
au couvent des frères franciscains alcantarins, où elle trouva des appuis. Elle demanda son
admission dans l'ordre réformé des Tertiaires de Saint-Pierre d'Alcantara, mais comme elle avait
été promise en mariage par son père, il fallut attendre qu'il consente à la levée de l'empêchement.
Elle prononça ses vœux en 1731 et prit le nom de Maria-Francesca delle Cinque Piaghe, à cause
de son amour du Christ, de Marie* et de François d'Assise.
Le choix de son nom de religion est très révélateur non seulement d'une orientation spirituelle,
mais de toute une évolution de cette dévotion. La dévotion aux cinq plaies (quinque plagas
Christi) est liée à la réforme spirituelle de l'Occident, notamment par une importance nouvelle
accordée à l'affectivité (comme au don des larmes), dès le XIe siècle, ce qui rejaillira sur
l'exégèse évangélique des plaies persistantes du Ressuscité. Cela ne fera que s'accentuer avec
François d'Assise, lorsque le modèle anthropologique du chevalier insensible aux douleurs sera
déconsidéré, en même temps que l'élan des croisades et celui des pèlerinages lointains vers la
Terre sainte. Désormais, la Terre sainte sera toute proche, et nos blessures seront autant de terres
saintes. Les Méditations de la vie du Christ, au XIVe siècle – attribuées autrefois à saint
Bonaventure –, seront aussi une manière de se rendre présent, ici et maintenant, aux plaies de la
Passion. La prière de Claire d'Assise* aux cinq plaies est bien attestée dans sa plus ancienne Vie
(§ 30), où il est aussi question d'un enseignement, de la transmission d'un exercice spirituel :
« Elle enseignait aux novices à pleurer le Sauveur crucifié. » Toute une pédagogie se met en
place. Cela prendra une dimension sociale particulière non seulement au plan liturgique, par la
création d'une iconographie, de prières spéciales, d'offices propres ou de fêtes dédicacées, mais
aussi par la mise en place de confréries des Cinq Plaies aux XVe et XVIe siècles, sans oublier les
églises ou chapelles qui portent ce nom. Toujours est-il qu'avec Anna-Maria Gallo, les Cinq
Plaies deviennent un nom de personne.
Une fois entrée dans le tiers ordre alcantarin, Marie-Françoise porta l'habit, mais continua à
vivre dans la vie civile, en l'occurrence au domicile paternel, où elle fut toujours maltraitée,
d'autant plus que son père voulait exploiter ses dons de visionnaire. Puis, avec une autre sœur
tertiaire, elle gouverna la maison de son directeur spirituel. Elle manifesta donc l'esprit de
prophétie (à coloration politique ainsi que d'autres spirituelles contemporaines, plus ou moins
illettrées, comme Marie de la Nativité*) et fut stigmatisée selon la tradition. Sa vie,
particulièrement troublée par les persécutions et une polypathologie somatique étonnante, se
présente aussi riche en anecdotes merveilleuses sur ses capacités d'intercession. Elle était
profondément pénétrée de cette certitude que Dieu ne mérite pas autre chose que l'amour (Dio
non merita altro che amore). Béatifiée en 1843, elle fut canonisée en 1867.
Bernard Forthomme
Bibl. : Vie : B. LAVIOSA, Vita della Beata Maria Francesca delle Cinque Piaghe di Gesù
Cristo, Terziara professa alcantarina, Rome, 1843 (édition de Pise, 1805, époque où Marie-
Françoise n'est encore appelée que vénérable) ; Vie de la bienheureuse Marie-Françoise des
Cinq Plaies de Jésus…, Lyon, 1866.
Bibl. : Vie : RUTEBEUF, Vie de sainte Marie l'Égyptienne, Paris, M. Glomeau, 1925 ; J. DE
VORAGINE, La Légende dorée, Paris, GF Flammarion, 1967, vol. 1 ; La Vie de sainte Marie
Égyptienne en ancien et en moyen français, P. Dembonski (éd.), Genève, Droz, 1977 ; H. DE
LAVARDIN, Vie de sainte Marie l'Égyptienne, trad. C. Munier, Turnhout, Brepols, 2007 ; Vie
de Sainte Marie Égyptienne pénitente, par saint Sophrone de Jérusalem, trad. A. d'Andilly,
Grenoble, Jérôme Millon, 1985. Études : J. LACARRIÈRE, Les Hommes ivres de Dieu, Paris,
Seuil, 1983 et Marie d'Égypte (roman), Paris, J.-C. Lattès, 1983.
MARIE LA JUIVE, dite « la Prophétesse », alchimiste et prophétesse (?, IIe s. av. J.-C. ?- ?,
IIIe s. apr. J.-C. ?). — Aucun élément biographique ne permet de se faire une idée précise de ce
que fut la vie de Marie la Juive, dont le destin hors du commun se confond avec les origines
gréco-égyptiennes de l'alchimie. Que son nom soit cité parmi les premiers « maîtres de l'œuvre »
et faiseurs d'or atteste au moins que les femmes n'en étaient pas exclues. Qu'on l'ait souvent
nommée « sœur de Moïse » tend à prouver que les premiers alchimistes, évoluant dans un milieu
intellectuel et spirituel très composite, pensaient être à la fois les nouveaux commentateurs des
philosophes grecs (Héraclite, Platon, Aristote) et les successeurs des prophètes bibliques,
auxquels ils attribuaient volontiers un intérêt pour les pratiques alchimiques.
Principales sources d'informations concernant Marie la Juive, les écrits de Zosime de Panopolis
(IIIe s.) et d'Olympiodore (Ve s.) se réfèrent trop fréquemment à elle (« Marie dit… ») pour que
sa notoriété n'ait pas été éclatante. Plus incertaine est l'affirmation selon laquelle l'art sacré
n'aurait été révélé qu'aux juifs, qui l'auraient ensuite fait connaître au reste du monde : « Ne
touche pas avec tes mains ; tu n'es pas de la race d'Abraham ; tu n'es pas de notre race », aurait
dit Marie, parlant d'une préparation ignée dont la dangerosité justifiait par ailleurs cet interdit.
Rapprochant pour sa part Marie la Juive des prophétesses gnostiques, Marcelin Berthelot, au
XIXe siècle, fut le premier à associer l'alchimie aux « rêveries mystiques des Alexandrins et des
gnostiques ». C'est donc dans ce cadre hellénistique, où le lien entre mysticisme, théurgies et
religions à mystères (Éleusis, Samothrace) n'avait pas encore été rompu, que Marie la Juive peut
être considérée comme une « mystique ».
Marie serait-elle aussi l'un des personnages mythiques (Hermès, Chymès, Agathodémon)
supposés avoir fondé l'art d'alchimie ? Les recoupements entre les textes grecs et arabes, qui la
nomment parfois « Marie la Sage, fille du roi Saba », laissent penser qu'elle exista réellement, et
l'autorité magistrale qu'on lui prête fait d'elle une personnalité influente et inventive, moins
portée aux extases mystiques qu'aux inventions pratiques ; l'esprit de l'alchimie supposant
toutefois qu'on repense ces catégories. Toujours est-il que Marie figure en bonne place dans les
traités d'alchimie, en tant que « mère fondatrice » (R. Patai), et l'on s'étonne de son absence dans
l'Assemblée des philosophes (Turba philosophorum, XIIIe s.), un ouvrage vénéré par les
alchimistes. Un traité d'origine arabe lui est attribué (Practica Mariae Prophetissæ in artem
alchemicam), collecté dans Artis auriferæ quam chemiam vocant (Bâle, 1593). L'alchimiste et
médecin Michael Maier lui a consacré une des douze vignettes des Symbola aurea mensae
duodecim nationum (1617) : empreinte de noblesse, Marie montre du doigt la montagne où le feu
secret des sages réalise la conjonction des opposés. Présent dans la Bibliothèque des philosophes
chimiques (1741-1744), réunie par Jean Maugin de Richebourg, le Dialogue de Marie et d'Aros
sur le Magistère d'Hermès a conforté sa stature prophétique. Révélant les secrets de l'art à un
Arès-Horus en qui perdure la double origine grecque et égyptienne de l'art d'Hermès Marie n'y
fait plus figure de disciple attentive, comme dans l'original arabe.
De même les inventions qu'on lui prête ont-elles contribué au développement de l'alchimie :
l'alambic à trois branches (tribikos), favorisant une meilleure distillation ; la kérotakis,
permettant une vaporisation cyclique ; et le fameux bain-marie, dont l'usage culinaire a
largement supplanté celui qu'en firent les alchimistes. Ces dispositifs novateurs facilitaient sans
doute la préparation de « l'eau divine », accomplissement de la philosophie d'Hermès, dont Marie
reprenait à son compte les présupposés concernant la possible conjonction des opposés – ciel-
terre, matière-esprit –, préalablement purifiés par un lessivage parfois qualifié de « mystique » :
« Si tu ne rends pas les substances corporelles incorporelles et si tu ne rends pas incorporelles les
substances corporelles, et si des deux corps tu n'en fais pas un seul, aucun des résultats attendus
ne se produira. » Ainsi Carl Gustav Jung cite-t-il fréquemment un axiome attribué à Marie la
Prophétesse, enfermant la totalité de l'Opus chemicum dans un cercle parfait : « Un devient deux,
deux devient trois et du troisième naît l'Un comme quatrième. »
Le « mysticisme » de Marie ne tient donc que pour une part au climat spirituel de l'époque
hellénistique, portée, comme l'a montré André Jean Festugière (Hermétisme et mystique païenne,
1967), aux effusions mystiques autant qu'à la gnose. Rien n'autorise non plus à voir dans les
propos qu'on lui attribue les prémisses de l'unio mystica chrétienne, même si on qualifie souvent
de « mystique » la transformation intérieure de l'alchimiste œuvrant sur la matière avec une
intention pure et selon les règles de l'art. C'est donc plutôt à l'esprit d'alchimie qu'il faut rapporter
le caractère paradoxal, et en ce sens peut-être éminemment féminin, de l'étrange
« mystique » propre à l'art d'Hermès tel que l'a enseigné Marie : un élan spirituel qui, loin
d'arracher à la terre, la purifie de ses scories et y reconduit, faisant ainsi Œuvre en quoi mystique
et gnose s'unifient.
Françoise Bonardel
Bibl. : Œuvres apocryphes : Mariæ prophetissæ Practica, Basilæ, 1572 ; Dialogue de Marie et
d'Aros sur le Magistère d'Hermès, Paris, Éditions de l'Échelle, 1977. Études : M. BERTHELOT,
Les Origines de l'alchimie (1885), reprint Osnabrück, Otto Zeller, 1966 ; ID., Collection des
anciens alchimistes grecs, Paris, G. Steinheil, 1887-1888, reprint Osnabrück, 1967 ; J.
LINDSAY, Les Origines de l'alchimie gréco-égyptienne, trad. Ch. Rollinat, Monaco, Le Rocher,
1986 ; C. G. JUNG, Psychologie et alchimie, trad. H. Pernet et R. Cahen, Paris, Buchet-Chastel,
1970.
Bibl. : Sources scripturaires : Mt XXVII, 55-56, 61, XXVIII, 1-8 ; Mc XV 40-41, 47, XVI 1-
11 ; Lc VII, 36-50, VIII, 1-3, XXIV, 1-11 ; Jn XIX, 25, XX, 1-18. Biographies et études
critiques : R.-L. BRUCKBERGER, Marie-Madeleine, Paris, Albin Michel, 1975 ;
T. BERNARD, J.-L. VESCO, Marie de Magdala, Évangiles et traditions, Paris, Éditions Saint-
Paul, 2005 ; J.-P. RAVOTTI, Marie-Madeleine, femme évangélique, Paris, Salvator, 2010.
Bibl. : Œuvres : les trois ouvrages suivants ont été tirés d'une édition établie et annotée par G.
Tuveri en 1584 : Les Quarante Jours, Grenoble, Jérôme Millon, 2002 ; Les Huit Jours de l'Esprit
saint, Grenoble, Jérôme Millon, 2004 ; Cinq Ans dans la fosse aux lions, Grenoble, Jérôme
Millon, 2007 ; Extases et lettres, Paris, Seuil, 1946. Études : J.-J. ANTIER, Le Mysticisme
féminin. Épouses du Christ, Paris, Perrin, 2001.
Bibl. : Œuvres : Autobiografia, texte manuscrit de 143 pages, écrit en 1725, édité par Gerardo
M. Pugnetti, Brescia, 1964 ; Raccolta di documenti ovvero Avvertimenti spirituali…, texte
manuscrit d'une centaine de pages, écrit en 1724, édité à Venise chez A. Zatta, en 1779 ; Vie : B.
DA COCCAGLIO, Vita della Ven. M.M. Martinengo…, Brescia, 1794.
MARIE-MADELEINE POSTEL, sainte, fondatrice de la Congrégation des Sœurs des Écoles
chrétiennes de la Miséricorde (Julie-Françoise-Catherine Postel ; Barfleur, 1756-Saint-Sauveur-
le-Vicomte, 1846). — Julie-Françoise-Catherine est la fille d'un cordier de Barfleur, en Basse-
Normandie. Formée par les Bénédictines de Valognes, elle comprend qu'elle n'est pas faite pour
cette forme de vie, avant d'ouvrir dans son village natal, dès 1776, une école pour enfants
défavorisés, car elle ne voulait pas être une religieuse rentée. En 1807, à Cherbourg, elle fonde la
Congrégation des Sœurs des Écoles chrétiennes de la Miséricorde. Ce qui prolonge l'œuvre de
Jean-Baptiste de La Salle (Reims, 1684) et de l'Institut des Frères des Écoles chrétiennes
(reconnu seulement en 1724-1725), dont la gratuité devait permettre l'accès des enfants pauvres à
une éducation moins négligée et un meilleur avenir, notamment par l'apprentissage de la lecture
en français (et non plus en latin), et surtout par la confiance faite à l'élève. Marie-Madeleine
s'installe en 1832 dans l'abbaye bénédictine médiévale de Saint-Sauveur-le-Vicomte, très
délabrée, qu'elle réhabilitera, aidée par ses sœurs (à l'image de François d'Assise) mais aussi
grâce à l'appui de François-Augustin Delamare, et qui deviendra le siège de la congrégation.
Elle est béatifiée en 1908, canonisée en 1925.
La première implantation étrangère de la congrégation fut réalisée en Allemagne, en 1862.
Mais, à la suite du premier conflit mondial, en 1920, la branche allemande se sépara du tronc
français ; elle subsiste encore, par exemple dans la Communauté des Sœurs de Sainte Marie
Postel, en Westphalie, à Oelingshausen, dans les bâtiments restaurés d'une abbaye médiévale des
Prémontrés. Aujourd'hui, la congrégation a essaimé en Indonésie, en Inde et en Afrique du Sud.
La spiritualité de Marie-Madeleine Postel se définit par la simplicité, la confiance, l'audace
discrète et la miséricorde. Elle est une union à Dieu, par le Christ, où s'éprouve une énergie
inentamable pour éclairer les cœurs et les esprits, modifier les destins en apparence scellés dès le
plus jeune âge par la misère, le servage, la maladie et l'ignorance.
Bernard Forthomme
Bibl. : Vie : abbé F.-A. DELAMARE, Vie édifiante de la très honorée supérieure Marie-
Madeleine, née Julie Postel (1852), rééd. Paris, Le Livre d'histoire, 2005.
MARIE NOËL, poétesse (Marie Rouget ; Auxerre, 16 février 1883-1963). — Marie Rouget,
née à Auxerre, ville alors toute empreinte d'un rigorisme janséniste, aurait mené une douce et
morne existence provinciale, peut-être agrémentée de quelques productions poétiques sans
importance, si sa jeunesse n'avait été dévastée par deux catastrophes, auxquelles l'entourage
familial, pour aimant et protecteur qu'il fût, ne pouvait répondre. Une famille dominée par
l'impressionnante stature de Louis Rouget, agrégé de philosophie et travailleur manuel
passionné, professeur d'histoire de l'art au lycée de la ville, agnostique par conviction profonde et
par sa haute idée de Dieu, de tous vénéré pour sa droiture morale exemplaire, mais peu enclin à
comprendre les penchants littéraires de sa fille, heureusement encouragée dans ses aspirations
par son parrain, Raphaël Périé. Du côté maternel, où l'on s'enorgueillit d'une parenté avec sainte
Madeleine-Sophie Barat*, une ferveur sans excès, un respect modéré pour le monde clérical et
une pratique liturgique régulière (qui initiera Marie au rythme et à la forme poétique comme à
une pénétration du malheur de la condition humaine).
Marie a vingt ans quand, au lendemain de Noël, l'on découvre son frère puîné, Lucien, mort
dans son lit. Avec la hantise de la mort – à ce point intense qu'elle devra recevoir des soins dans
la fameuse clinique du docteur Blanche à Meudon – l'enfant mort (« Son agonie. L'appel
désespéré de ses yeux, de son souffle ») devient un thème récurrent de sa poésie et un motif
d'interrogation et de révolte métaphysique chez cette jeune fille réputée bien soumise. À cette
peine inexpiable va s'ajouter le drame d'un amour perdu : le jeune homme dont elle s'était éprise
en secret quittera Auxerre le soir de ce même Noël, sans s'apercevoir le moins du monde de la
passion qu'il avait suscitée. Marie Noël transposera et sublimera ce drame dans un court roman à
forte saveur autobiographique, Le Chemin d'Anna Bargeton (éd. posthume, 1977). Cependant, le
talent poétique de Marie s'affermit et se voit récompensé par la publication en 1910 de ses
premiers poèmes dans la Revue des Deux Mondes. C'est alors qu'elle choisit comme nom de
plume celui de Marie Noël, révélateur à ses yeux de la contradiction qui déchire son âme intime,
à la fois, comme elle le dit « mon nom de grâce. Marie Noël est aussi, plus encore, mon nom de
malheur ». Reconnue par l'abbé Bremond, qu'elle rencontre en 1925 grâce à l'abbé Mugnier,
lequel l'encourage dès 1919 – deux personnalités du monde des lettres, deux figures
d'intelligence sacerdotale, qui rassérènent son christianisme douloureux et accablé, mais dont elle
ne semble pas avoir perçu les ambiguïtés –, saluée par Montherlant qui la compare au génie de
Colette, la poésie de Marie Noël reste bien souvent incomprise et trompeuse : on y croit trouver
une douce piété un peu sage, enjolivée de gaieté espiègle et enfantine, sauf, ici ou là, quelque
hurlement de colère et de révolte, ou alors des élégies d'une immense détresse. Rares sont les
stigmates du drame intérieur qui ne lui laisse nul repos, cette tension irréductible entre le désir
d'une sainteté (idéalisée, et donc inexaucée) et l'attrait poétique, entravé dans son envol par les
obligations domestiques (auxquelles la voue sa condition célibataire). Plus explicites seront le
dernier recueil, Les Chants d'arrière-saison (1961), et surtout les Notes intimes (1959), sorte de
Journal spirituel que l'abbé Mugnier lui recommandera de publier : « Vous êtes allée en Enfer.
D'autres, plus nombreux que vous ne croyez, s'y débattent encore. Vos notes de route les
aideront » ; un ouvrage pour les incroyants (« Vous irez chez eux en mission. Ce sont là vos
sauvages ») qui est un des chefs-d'œuvre de la littérature mystique du XXe siècle. Le philosophe
y trouvera intérêt : Marie Noël en effet s'y confronte à l'énigme du mal et à sa contradiction avec
la providence d'un Dieu réputé tout-puissant. Elle avance, armée non pas du savoir académique,
mais de son intuition poétique et de l'audace de son intelligence croyante, d'une folle témérité en
regard de la vulgate d'un tranquille catéchisme. Sa voie ne sera pas celle d'un accommodement,
ni d'une solution spéculativement satisfaisante ; de toute façon, la clameur désespérée qu'exhale
l'être mortel dans l'effroi de sa propre mort, et dont la liturgie des défunts fait entendre un écho
dans les plaintes de Job ou de David, le roi psalmiste, ne s'évacue pas par le raisonnement. La
seule voie possible sera mystique, la voie d'un combat impitoyable – sa vie, avouera-t-elle,
ressemble à un champ de bataille –, d'un amour sans faille et sans défense et du mystère obscur
du Sans-Visage. Combat qui est à deux doigts de basculer dans la folie, lorsque Marie Noël, par
deux fois, connaît une impressionnante descente aux enfers, la première, trois jours durant en
1913, la seconde « de sept semaines et de plusieurs années », entre 1920 et 1922.
Dans ce naufrage de l'être, le seul passeur à qui elle se fie sera le Christ, « Dieu de Noël, Dieu
des soumis et des humbles », ce Dieu à visage d'humanité et qui veut quitter l'impassible sérénité
de la déité éternelle pour connaître dans son être la douleur de la finitude mortelle : compassion
infinie de ce Christ, autour de laquelle Marie Noël développe une théologie de l'Incarnation,
proche de la tradition franciscaine, et qui, avec une imprudente franchise, fait état d'un hiatus au
sein de la Trinité (le Christ est le vrai Dieu, humain et fraternel). En revanche, invoquer la
paternité de Dieu ne dit rien qui vaille à cette chrétienne circonspecte. Toutefois, Marie Noël ne
théorise pas ni ne se résout à des constructions factices et auto-justificatrices ; elle se fraie une
voie, un « gravichot », comme elle dit, sentier de montagne, âpre et rugueux, et de la plus haute
exigence, afin de « tomber dans le ciel » – la voie de l'impossible amour, en parfaite consonance
avec le cri de Job, que comprenait Thérèse de Lisieux* : « Même s'Il me tue, je l'aime » (pour ne
rien dire de l'aveu de Marguerite Duras dans Hiroshima mon amour (1959) : « Tu me tues, tu me
fais du bien ! »). Amour douloureux, défait de toute enfantine jouissance, amour de pur vouloir
qui mène à la perte (de soi) et que vérifie la sollicitude pour l'innombrable prochain : « Mon âme
[…] / Ne crains pas de manquer d'amour, ne garde rien […] / Donne-toi tellement que tu
n'existes plus, / Et que dans ton secret, ton silence et ton ombre, / Rien ne bruisse plus qu'autrui,
ce cœur sans nombre, / Son mal, sa fièvre, au lieu de ton cœur superflu » (Les Chansons et les
Heures, 1922).
Marie Noël retrouve ainsi la science expérimentale du grand XVIIe siècle, d'un amour qui ne
s'accomplit que dans la perte, qui n'est pas destruction, mais improbable – la foi y est mise à
l'épreuve – configuration de l'être : « Il est grand ! Je l'adore, je m'incline devant sa pensée infinie
dont je suis victime. Et j'accepte avec une sérénité sans espoir d'être moi, le rien, sacrifiée à ses
fins. Il me semble que si j'étais une pauvre pièce de toile, je me soumettrais ainsi avec une
douleur affectueuse et docile à la torture des ciseaux et de l'aiguille, par respect et aveugle amour
pour le chef-d'œuvre inconnu de l'ouvrière » (Notes intimes, année 1920).
François Marxer
Bibl. : Œuvres : Œuvre poétique, Paris, Stock, 1956 ; Œuvre en prose, Paris, Stock, 1977 ;
Notes intimes, suivies de Souvenirs sur l'abbé Bremond, Paris, Stock, 1959. Vie et études : R.
ESCHOLIER, La neige qui brûle, Paris, Fayard, 1957 ; A. BLANCHET, Marie Noël, Paris,
Seghers, 1962 ; H. GOUHIER, Le Combat de Marie Noël, Paris, Stock, 1971.
Bibl. : Œuvre : Feu séraphique en terre provençale : Si vous connaissiez mon Dieu, vous
l'aimeriez. Journal d'une clarisse, Mère M. S. du Saint-Sacrement, J. Héricourt (éd.), Paris,
Apostolat des Éditions, 1980.
MARIE SKOBTSOV, mère, sainte orthodoxe (Élisabeth Pilenko ; Riga, 8 [21] décembre 1891-
Ravensbrück, 1945). — Poète, membre de l'intelligentsia raffinée de Saint-Pétersbourg,
adhérente du Parti socialiste-révolutionnaire, première femme à occuper les fonctions de maire
d'une petite ville du Caucase, mariée et divorcée à deux reprises, mère de trois enfants, dont un
fils qui, comme elle, mourra dans un camp de concentration et sera canonisé. Moniale au sein de
l'Église russe en émigration, elle fonde un foyer pour les exclus de la société, où elle accueillera
des juifs, ce qui lui vaudra, à la suite d'une dénonciation, d'être déportée à Ravensbrück, en
Allemagne. Par le don de soi qui était le sien, par son rayonnement, mère Marie est une sainte
qui ne répond pas tout à fait à l'idée que nous pouvons avoir d'une moniale canonisée.
Élisabeth Pilenko, de son nom de jeune fille, naît d'un père cosaque et d'une mère descendante
du dernier gouverneur de la Bastille, dont la tête fut promenée au bout d'une pique le 14 juillet
1789. Tout semblait se liguer contre la venue au monde d'une petite fille (accouchement difficile,
suffocation dans l'eau du baptême) dont le destin devait être rempli de souffrance mais aussi
irradié de lumière. Âgée de quinze ans, elle perd brutalement son père et, en plein désarroi,
ulcérée, elle met sa foi en question : « Cette mort est injuste […] s'il n'y a pas de justice, il n'y a
pas de Dieu du tout […]. »
À Saint-Pétersbourg où réside désormais la famille, elle fréquente les milieux littéraires
d'avant-garde et se lie avec le grand poète symboliste Alexandre Blok. À l'issue de brillantes
études, à l'âge de dix-neuf ans, elle épouse un intellectuel révolutionnaire miné par l'alcool, pour
le sauver. Lasse des stériles discussions de salons de la capitale, elle est attirée par la cause
révolutionnaire et restera toute sa vie une intellectuelle de gauche, un brin anarchiste. Elle adhère
au Parti socialiste-révolutionnaire, qui sera impitoyablement anéanti par Lénine. Vers 1913 surgit
en elle le désir de revenir à la foi chrétienne et de l'approfondir, ainsi est-elle l'une des premières
femmes à obtenir l'autorisation de suivre les cours de l'académie de théologie de Saint-
Pétersbourg. La révolution éclate et la future moniale, dont le mariage a été brisé, est élue, fait
sans précédent, maire de la petite ville d'Anapa, en Crimée. Elle dialogue avec les Rouges pour
protéger la population et, quand la ville est occupée par les Blancs, elle est traduite devant un
tribunal militaire pour collaboration, risque la peine de mort, mais n'est condamnée finalement
qu'à une peine symbolique. Un de ses juges, Daniel Skobtsov, tombe amoureux d'elle, l'épouse,
et de cette union naissent deux enfants. Dans les aléas de la guerre civile, le couple est séparé,
l'exil s'impose comme seule issue, d'abord à Constantinople, puis à Paris, où la famille, réunie au
complet, s'installe définitivement.
Commence le dur exil des apatrides dans la pauvreté et les difficultés matérielles. Anastasia,
fille du premier mariage, est emportée par une méningite après une longue agonie. La mère est
bouleversée et, paradoxalement, ce Dieu qu'elle avait repoussé après la mort de son père fait
brutalement irruption dans sa vie. Cette mort d'un jeune être cher est vécue comme une
mystérieuse « visitation » : « Je sens que la mort de mon enfant m'oblige à devenir une mère
pour tous. » Plus tard, elle dira : « La mort d'un être chéri, c'est une porte qui s'ouvre sur
l'éternité. » La vie de Marie Skobtsov prend alors une tout autre tournure. Elle s'engage dans
l'ACER (Action chrétienne des étudiants russes), un mouvement de jeunes Russes ancré dans
l'Église orthodoxe. Elle fréquente les grandes figures de l'intelligentsia religieuse, comme le père
Serge Boulgakov ou le philosophe Nicolas Berdiaev. Ce dernier fonde une académie de
philosophie religieuse qui se réunit dans la maison de mère Marie, laquelle prend part aux
séances. Elle crée, avec des amis, l'Action orthodoxe, un organisme chargé de gérer et
coordonner les activités sociales, et lance une revue, Novyi Grad (« La cité nouvelle »), qui traite
de thèmes religieux mais aussi sociaux et politiques, dans un esprit œcuménique. Par son
inspiration, Novyi Grad est proche de la revue Esprit d'Emmanuel Mounier, à laquelle collabore
Berdiaev.
On la charge de visiter les groupes d'étudiants russes qui se forment un peu partout, de donner
des conférences, mais bien vite se fait sentir la nécessité de s'occuper également des Russes
déracinés, murés dans leur solitude, leur désespoir, qui vivent dans ces cités ouvrières. Elle
découvre des parias, alcooliques, malades psychiques, délinquants et comprend que son rôle
dorénavant consiste à écouter des confidences, à consoler, apporter parfois une aide concrète.
Naît alors en elle le désir d'exercer un ministère de diaconesse et elle songe à prononcer les vœux
monastiques. Son mari accepte généreusement le divorce ecclésiastique. Le jour de la prise de
voile, le métropolite lui donne le nom de Marie, en souvenir de sainte Marie l'Égyptienne* cette
jeune prostituée qui, une fois convertie, se rend au désert pour expier ses péchés, et il prononce
ces mots : « De même qu'elle se retira dans le désert après une vie orageuse, va, parle et agis
dans le désert des cœurs humains. » La nouvelle moniale visite des communautés féminines dans
les pays baltes, et revient persuadée de l'inadaptation des formes traditionnelles monastiques à la
situation de l'émigration russe en Europe occidentale. Ces chaudes communautés sécurisées
derrière des murs épais, vivant, selon elle, un confort monastique bourgeois, la mettent mal à
l'aise.
Le monachisme auquel elle aspire est ouvert sur le monde, se vit au cœur de la cité, parmi les
pauvres et les estropiés de la vie. Bien que ne possédant pas un sou, elle fonde un foyer d'accueil
à Paris, rue de Lourmel, pour des femmes sans famille, des prostituées, des affamés, des
clochards, des malades mentaux et, plus tard, pour des juifs persécutés. Pour nourrir tout ce
monde, elle se rend dès l'aube aux Halles, où des marchands qui la connaissent lui donnent des
denrées périssables. Un jour, Léon Trotski visite ce centre, et mère Marie lui apprend qu'il lui
doit la vie. Elle avait en effet, en 1917, reçu du parti socialiste-révolutionnaire, opposé aux
bolcheviks, l'ordre de l'assassiner, mais n'avait pu s'y résoudre. « Je dois payer ma dette, lui dit
Trotski, que puis-je faire ? – Ma foi, j'ai une facture en retard chez le charbonnier du coin… si
vous pouviez la payer… » Et l'ancien commissaire du peuple s'exécuta.
Cette femme exceptionnelle, indépendante, tout entière vouée au service du prochain, menait
une vie trépidante, pouvait discuter tard dans la nuit en compagnie de ses protégés, ou fumer au
grand scandale des traditionnalistes, une vie qui ne cadrait pas avec l'existence régulière d'une
religieuse et qui lui valut maintes critiques de la part de l'Église-institution.
La « drôle de guerre » éclate et mère Marie se dépense pour cacher des juifs dans son foyer
devenu refuge, pour leur délivrer de faux vrais certificats de baptême qui leur permettent de fuir
en « zone libre ». Lors de la fameuse rafle du Vel d'Hiv où sont parqués des milliers de juifs, elle
réussit à se faufiler à l'intérieur du vélodrome et y reste pendant trois jours pour porter secours et
consolation aux malades, aux désespérés. Elle s'arrange même avec un éboueur pour en faire
sortir quatre petits enfants juifs cachés dans des poubelles. En 1942, la Gestapo vient arrêter la
moniale, ainsi que le père Dimitri Klépinine, aumônier de son foyer, qui mourra également dans
un camp. Fin avril 1943, elle est déportée à Ravensbrück où, à son habitude, elle s'emploie corps
et âme à consoler, encourager les prisonnières impressionnées par la fumée que crachent les
fours crématoires. Animée d'une vitalité peu commune, d'une foi inébranlable, elle soutient le
moral de ses compagnes. Elle parvient à se procurer du fil en échange de rations de pain et brode
des icônes, dont la dernière représente un petit Christ en croix tenu dans les bras de sa mère.
C'est Marie qui console son Fils. Mère Marie griffonne sur un bout de papier un ultime message :
« J'accepte pleinement la souffrance […] et je veux accueillir la mort, si elle survient, comme
une grâce d'En Haut. » Les témoignages ne concordent pas sur ses derniers instants. Pour
certains elle aurait pris la place d'une femme terrorisée à l'idée d'être conduite dans un autre
camp. Pour d'autres, alors qu'elle s'était approchée d'un groupe de détenues en route vers les
chambres à gaz pour les réconforter, elle aurait été embarquée avec elles.
En 2004, elle est la première sainte canonisée par l'Église orthodoxe sur la terre de France, en
même temps que son fils Youri et l'aumônier, le père Dimitri. Elle avait le génie de la sainteté, de
cette sainteté dont le monde moderne a tant besoin.
Michel Evdokimov
Bibl. : Œuvre : Le Sacrement du frère, Paris, revue Le Sel de la terre/Cerf, 2001. Étude : « Mère
Marie Skobtsov », Le Messager orthodoxe, no 132, Paris, 1998-1999.
Bibl. : Œuvre : Écrits spirituels, Paris, Desclée de Brouwer, 1985. Vie et études : M.
T. DELMAS, Bienheureuse Marie-Thérèse de Soubiran La Louvière, Paris, Spes, 1946 ;
G. PERRET, Marie-Thérèse de Soubiran, pauvre avec le Christ pauvre, Paris, Apostolat des
Éditions, 1980.
Bibl. : Œuvre : citations de ses carnets, entretiens et notes dans sa biographie. Vie : chanoine
PAYAN D'AUGERY, Vie de Julie-Adèle de Gérin-Ricard…, Marseille, Monastère des Victimes,
1892 (« nouvelle édition » totalement réécrite par le père Constant, id., 1936).
Bibl. : Vie : P. NIHOUL, Une âme réparatrice. Mère Marie du Cœur de Jésus fondatrice des
Consolatrices du Cœur de Jésus, Mons, Maison du livre-Rodez, Éditions du Rouergue, 1947.
Études : abbé L. LAPLACE, Histoire d'une âme. La servante de Dieu Mathilde de Nédonchel,
Lyon, Vitte et Perrussel, 1885 ; G. ROCCA, notice du Dizionario degli istituti di perfezione,
Rome, Edizioni Paoline, 1973, t. I, col. 1183-1184 ; J. MAÎTRE, Mystique et féminité : essai de
psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf, 1997, p. 371-373.
Bibl. : Œuvres : Les Grandes Amitiés (1948), Paris, Parole et Silence, 2000 ; Journal de Raïssa
publié par Jacques Maritain, Paris, Desclée de Brouwer, 1962 ; Poèmes et essais, Paris, Desclée
de Brouwer, 1968 ; De la vie d'oraison (avec J. Maritain), Paris, L'Art catholique, 1925 ; J. et R.
MARITAIN, Œuvres complètes (16 vol.), Luxembourg, Éditions Saint-Paul, 1982-2000 (en
particulier les volumes XIV et XV). Études : J.-L. BARRÉ, Les Mendiants du Ciel, Paris,
Fayard, 2009 ; N. POSSENTI GHIGLIA, Les Trois Maritain, Paris, Parole et Silence, 2006 ; P.
VIOTTO, Raïssa Maritain. Dizionario delle Opere, Rome, Città Nuova, 2005 ; R. MOUGEL,
« À propos du mariage des Maritain. Leur vœu de 1912 et leurs témoignages », Cahiers Jacques
Maritain, no 22, juin 1991, p. 5-44 ; H. R. SCHMITZ, « Le Prince de ce monde, à propos d'un
essai de Raïssa Maritain », Cahiers Jacques Maritain, no 1, septembre 1980, p. 65-67.
MATINA SHAKYA, figure spirituelle hindoue (Népal, 2005 ?). — Matina Shakya est l'actuelle
Kumari (« vierge », en népalais) de Katmandou depuis octobre 2008 ; elle avait trois ans quand
elle succéda à Preeti Shakya (qui porta ce titre de 2001 à 2008). Elle est ainsi, selon une vieille
coutume religieuse datant du XVIIe siècle, l'incarnation vivante de la déesse hindoue Durgâ-
Kâlî, connue localement sous le nom de Taleju. Isolée de sa famille, elle vit dans un palais du
centre de la ville, le Kumari Ghar, où elle est soumise aux rites tantriques de sa condition. Elle
est vénérée par les hindous et les bouddhistes népalais, mais pas par les bouddhistes tibétains.
Une fois l'an, lors du festival Indra Jatra, elle participe à un rituel au cours duquel elle donne au
monarque régnant le pouvoir de gouverner pour l'année qui vient – attribut supprimé par le
gouvernement maoïste depuis l'abolition de la monarchie népalaise. Choisie, dès que sa première
dent de lait est tombée, par un comité de prêtres bouddhistes (le clan des Shakya de la
communauté népalaise newari) selon des critères très précis (l'élue doit ignorer la peur, avoir
plusieurs traits communs avec la déesse, être en excellente santé, etc.), elle sera remplacée à la
puberté, dès que ses premières règles apparaîtront, par une autre enfant. Rejoignant le monde
commun, elle pourra alors vivre comme toutes les autres jeunes filles de sa culture.
Cette tradition népalaise, issue d'anciens cultes hindous concernant les déesses vierges, semble
dater de très longtemps (VIe s.). Elle a pour origine, entre autres, plusieurs légendes, dont celle
du roi Jaya Prakash Malla (XVIIIe s.), dernier de sa dynastie. Un soir, tard dans la nuit, un
serpent rouge s'approcha de sa chambre : le roi jouait aux dés avec la déesse Taleju, qui lui fit
jurer de ne jamais parler de leur rencontre. Surpris par son épouse, il fut condamné à renoncer à
la déesse, laquelle, saisie de colère, lui promit cependant de se réincarner régulièrement dans une
petite fille de la communauté des Newar. C'est ainsi que le roi quitta le palais à la recherche de
celle qui abritait l'esprit de la déesse.
Véritable objet de culte, Matina Shakya est la manifestation vivante de la déesse chaste et pure,
destructrice et créatrice de l'univers. Plus largement, elle représente la conscience divine présente
dans toute la création, que ses adeptes peuvent vénérer et adorer à travers la petite fille.
Dépositaire des attributs de la déesse, elle est là pour permettre à chacun de réaliser sa part divine
féminine, soit son potentiel d'accueil et de réceptivité aux grandes forces et lois du vivant,
personnalisées pour la circonstance.
Audrey Fella
Bibl. : Œuvres : Giorgio La Pira. Cose viste e ascoltate, Florence, Libreria Editrice Fiorentina,
1981 ; La mia storia sacra (dai « Diari spirituali »), G. Carocci (éd.), Rome, Libreria Editrice
Vaticana, 2004. Étude : AA.VV., Fioretta Mazzei : una donna per Firenze, Florence,
Polistampa, 2010.
Bibl. : Vie : Le Livre de la grâce spéciale, révélations de sainte Mechtilde, vierge de l'ordre de
Saint Benoît, trad. pères bénédictins de Solesmes, Tours, Mame et Fils, 1921 ; T. A.
HALLIGAN, The Booke of Gostlye Grace of Mechtild of Hackeborn, Toronto, PIMS, 1979.
Études : H. U. von BALTHASAR, Mechthild von Hackeborn : Das Buch des strömmenden Lob,
Einsiedeln, Johannes Verlag, 1955 ; A.-M. CARON, « Taste and See the Goodness of the Lord :
Mechthild of Hackeborn », in J. A. Nichols et L. T. Shanks (éd.), Hidden Springs : Cistercian
Monastic Women, Kalamazoo, Cistercian Publications, 1995, livre II, p. 512-513 ; K. RUH,
Geschichte der abendländlische Mystik, Bd II, Munich, Beck, 1993, p. 300-314 ; M. SCHMIDT,
« Elemente der Schau bei Mechthild von Magdeburg und Mechthild von Hackeborn : Zur
Bedeutung der geistlichen Sinne », in P. Dinzelbacher et D. R. Bauer (éd.), Frauenmystik im
Mittelalter, Ostfeldern-bei-Stuttgart, Schwabenverlag, 1985, p. 137-139.
Bibl. : Œuvres : Das fliessende Licht der Gottheit, M. SCHMIDT (éd.), Stuttgart-Bad Cannstatt,
Frommann-Holzboog, 1995 ; La Lumière fluente de la divinité, trad. W. Verlaguet, Grenoble,
Jérôme Millon, 2001. Études : J. ANCELET-HUSTACHE, Mechtilde de Magdebourg, Paris,
Champion, 1926 ; H. U. VON BATHASAR, « Mechtilds kirchlicher Auftrag », in Mechtild von
Magdeburg. Das fliessende Licht der Gottheit, M. Schmidt (éd.), Einsiedeln-Zurich-Cologne,
Benziger Verlag, 1955, p. 7-45 ; E. ZUM BRUNN, G. EPINEY-BURGARD, Femmes
troubadours de Dieu, Paris, Turnhout, Brepols, 1988, p. 67-98 ; L. GNÄDINGER, notice dans
l'Encyclopédie des mystiques rhénans, M.-A. Vannier (dir.), Paris, Cerf, 2011.
Bibl. : Œuvres : les Écrits de Mère Mechtilde ont été publiés par le monastère de Rouen :
Documents historiques et biographiques (1973), Lettres inédites (1975), Fondation de Rouen
(1977), Catherine de Bar à l'écoute de Saint Benoît (1979) ; Adorer et adhérer, Paris, Cerf, 1994.
Vie et étude : J. DAOUST, Catherine de Bar, Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, Paris, Cerf,
1979.
MÉLANIE, Valeria Melania, dite « Mélanie la jeune », sainte (Rome, 383-Jérusalem, 439).
— Mélanie est issue de l'une des plus riches lignée patricienne romaine, la gens Valerii. Sa
grand-mère, Mélanie l'ancienne, s'était convertie à l'écoute des prédications de saint Jérôme.
Malgré son désir de se consacrer à Dieu, Mélanie la jeune, unique héritière d'une fortune
colossale, est dès l'âge de quatorze ans donnée en mariage à un cousin, Pinien, fils du préfet
Sévère. Elle tente de rallier son mari à ses vues monastiques, mais Pinien l'enjoint à assurer tout
d'abord leur descendance. Il leur naît successivement deux garçons, qui décèdent en bas âge.
Mélanie voit dans ce drame un appel à ne pas repousser davantage leur consécration totale à
Dieu ; les époux, vivant désormais comme des frères, se mettent alors au service des nécessiteux.
Vivant dans une ascèse rigoureuse, ils entreprennent de vendre leurs propriétés, qui s'étendent
dans tout l'Empire romain, pour en distribuer l'argent aux pauvres et à l'Église. La liquidation de
cette fortune capitale inquiète le Sénat romain, qui tente de s'y opposer, mais Mélanie obtient,
aux alentours de 408, l'appui de Séréna, la femme du régent Stilicon. Parmi leurs nombreux
esclaves, huit mille acceptent d'être affranchis, les autres étant cédés au père de Pinien. Pour
échapper à l'invasion goth d'Alaric, qui met Rome à sac en 410, les époux fuient en Sicile, puis
en Afrique du Nord, où ils restent sept ans à Thagaste, se liant avec saint Augustin. Ils sont
accompagnés de Mélanie l'ancienne, revenue de Terre sainte pour soutenir sa petite-fille dans son
dessein de vie consacrée, et d'Albine, mère de Mélanie la jeune. Deux grands monastères sont
fondés par le couple, dont Mélanie établit la Règle avec l'aide d'Alypius, évêque de Thagaste.
Mélanie elle-même continue de s'adonner à une ascèse très rigoureuse, partageant son temps
entre l'oraison, la lecture, l'écriture et la conduite de ses moniales.
Les habitants d'Hippone désirant que Pinien soit ordonné prêtre pour bénéficier de ses
richesses, le couple décide de partir pour la Terre sainte, en 417. Ils s'établissent à Jérusalem,
après une halte à Alexandrie marquée par la rencontre avec l'évêque Cyrille. Mélanie fait aussi la
connaissance du moine Pélage et en réfère à saint Augustin concernant la doctrine pélagienne. Ce
dernier répond en 418 par les traités De gratia et De peccato originali. Mélanie continue de
distribuer sa fortune à l'Église, notamment au cours d'un voyage en Égypte, dans les monastères
de Nitrie. De retour à Jérusalem, elle vit durant quatorze ans en recluse dans une cellule située
sur le mont des Oliviers. La mort d'Albine, en 431, puis celle de Pinien, en 432, font sortir
Mélanie de sa réclusion pour fonder successivement deux monastères sur le mont des Oliviers, le
monastère masculin étant dirigé par son disciple et futur biographe Gérontius. Ayant refusé d'être
à la tête du monastère féminin, l'Apostoleion, elle assure néanmoins la direction spirituelle des
deux communautés dont elle établit les Règles de vie. En 436, le préfet Volusien, oncle de
Mélanie, effectue un voyage à Constantinople, où il est rejoint par sa nièce. Mélanie parvient à
obtenir sa conversion au christianisme et Volusien meurt peu de temps après son baptême.
Durant son séjour à Constantinople, Mélanie convainc également l'impératrice Eudocie
d'effectuer un pèlerinage en Terre sainte et prend ouvertement la défense de la foi orthodoxe
contre le nestorianisme. De retour à Jérusalem, elle accueille l'impératrice Eudocie en 438 ainsi
que Cyrille d'Alexandrie, venu à cette occasion consacrer les deux sanctuaires qu'elle a fondés.
Mélanie tombe malade à Noël 439. Elle meurt quelques jours plus tard, après avoir transmis ses
derniers conseils spirituels à sa communauté.
La spiritualité de Mélanie nous est connue à travers le récit de son biographe Gérontius qui,
dans sa Vie de sainte Mélanie (v. 452-453), rapporte de nombreuses paroles de la sainte à ses
disciples, notamment celle-ci : « Toutes vertus et toutes ascèses sont vaines sans la charité. Le
diable peut aisément imiter toutes nos vertus, il est vaincu seulement par l'humilité et la charité. »
Mélanie exhorte à suivre une ascèse rigoureuse, permettant un état de vigilance intérieure propre
à progresser spirituellement vers l'union à Dieu, tout en ne perdant pas de vue que l'essentiel
réside dans la pratique de la charité. Mère spirituelle prônant l'obéissance, elle guide par son
discernement et ses conseils autant que par son exemple, refusant les honneurs et se mettant au
service de tous. Recluse et fondatrice de monastères, elle s'inscrit ainsi à la fois dans la lignée du
monachisme érémitique contemplatif, tel qu'il a été impulsé par saint Antoine le grand, et dans
un christianisme proche de son siècle, conscient de la nécessité de sa présence au cœur du
monde.
Olga Lossky
Bibl. : Vie : GÉRONTIUS, Vie de sainte Mélanie, Paris, Cerf, 1962 ; PALLADE, Histoire
lausiaque, Bellefontaine, Abbaye de Bellefontaine, 1999 ; MACAIRE (hiéromoine), Le
Synaxaire, Vie des saints de l'Église orthodoxe, t. II, Athènes, Indiktos, 1988, p. 274-279.
Étude : P. LAURENCE, « La vie de sainte Mélanie, la part de l'Histoire », in B. Pouderon et Y.
M. Duval (dir.), L'Historiographie de l'Église des premiers siècles, Paris, Beauschesne, 2001,
p. 159-181.
Bibl. : Œuvre : Un appel à l'amour. Message du Sacré-Cœur à Sœur Josefa Menéndez (nouv.
éd.), introd. du père D. Dideberg, S.J., Bruxelles, Œuvre du Sacré-Cœur, 1994. Filmographie :
X. ROUJAS, Josefa Menéndez. Un appel à l'amour.
MERISH, figure spirituelle, juive hassidique (Pologne, XIXe s.). — Merish est la fille du Reb.
Elimelekh de Lizhensk, l'un des fondateurs du hassidisme et auteur de Noam Elimelekh, l'un des
ouvrages majeurs de ce mouvement. Elle est célèbre pour son excellente connaissance du
hassidisme et son exceptionnelle piété. De nombreux hassidim (disciples) venaient écouter ses
exposés et recevoir sa barakhah (« bénédiction »). Elle est passée dans la postérité comme
érudite.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 233 ; M. M.
BRAYER, The Jewish Woman in Rabbinic Literature : A Psychohistorical Perspective,
Hoboken, (NJ), Ktav Publication Inc., 1986, p. 45.
Bibl. : Étude : M. LEVERING, « Miao-tao and Her Teacher Ta-hui », in Buddhism under the
Sung Dynasty, P. Gregory et D. Getz (éd.), Honolulu, University of Hawaii Press, 1999, p. 188-
219.
Bibl. : Vie : Miracula que Dominus fecit per sanctam Michelinam de Pensauro, J. Dalarun (éd.),
in La Sainte et la cité : Micheline de Pesaro (morte en 1356), tertiaire franciscaine, Rome, École
française de Rome, 1992, IX pl.
Bibl. : Œuvre : Dis, écris, Gravigny, carmel de Gravigny, 1949 (rééd. aux éditions Résiac,
Montsûrs, 1981). Étude : A. MARTY, Le Monde de demain vu par les prophètes d'aujourd'hui,
Paris, Nouvelles Éditions latines, 1962.
MÎRÂ BÂÎ, poétesse hindoue (district de Merta, région du Marwar, Rajasthan, v. 1498-
Dwarka ?, Gujarat, v. 1547). — Les légendes écrites ou orales qui entourent la vie de Mîrâ (bâî
est un terme honorifique de référence et d'adresse que l'on pourrait traduire par « dame »)
abondent, et historiens et chercheurs travaillent aujourd'hui encore à établir sa biographie. Née
sous le règne du sultan afghan de Delhi, Sikandar Lodi, dans un village du district de Merta, dans
la région du Marwar, ouest du Rajasthan, Mîrâ était la fille d'un prince râjput, Ratan Singh
Râthor, qui était à la tête d'une petite principauté indépendante. Réputée pour sa grande beauté et
son éducation accomplie, elle fut mariée à l'âge de dix-huit ans à Bhojarâj, fils du puissant prince
du Mewar, Rânâ Sângâ, et partit habiter la célèbre et redoutable forteresse de Chittor (sud du
Rajasthan). La période était assez troublée, les divers clans râjput se liguant régulièrement les
uns contre les autres ou ayant à affronter les velléités d'expansion du sultanat de Delhi ou encore
à repousser la menace moghole. Seulement cinq ans après son mariage, Mîrâ devint veuve et,
après le décès de son beau-père, qui la protégeait, elle fut en proie aux persécutions de sa belle-
famille : vouée au culte du dieu Krishna depuis son plus jeune âge, elle contrevenait aux
convictions et aux coutumes de sa belle-famille, qui honorait traditionnellement le dieu Shiva et
la déesse Durgâ, d'autant plus qu'elle fréquentait les sâdhus, les ascètes itinérants, et exprimait sa
foi en chants et en danses exaltés. Selon ses poèmes qui nous fournissent quelques indications
biographiques et d'après quelques auteurs contemporains ou ultérieurs, Mîrâ aurait même
échappé à des tentatives d'assassinat par empoisonnement – miracle qu'elle attribue à Krishna.
Elle retourna habiter un certain temps dans sa maison ancestrale, puis aurait effectué plusieurs
voyages ou pèlerinages, à Pushkar près d'Ajmer, sanctuaire très vénéré de l'hindouisme, peut-être
au Brindavan, près de Mathura (pays braj, berceau des enfances du dieu bouvier Krishna). La
légende raconte qu'elle passait ses jours à chanter les louanges du dieu et qu'elle serait décédée
vers 1547 alors qu'elle s'était rendue à Dwarka, une des sept villes sacrées de l'hindouisme, dont
la fondation est attribuée à Krishna, située sur la péninsule du Kathiawar au Gujarat. Elle
rapporte également qu'elle aurait été absorbée par la statue du dieu dans le temple de Râv
Ranchor (un des noms de Krishna), réalisant ainsi l'union totale avec la divinité.
L'œuvre de Mîrâ est composée de pada, poèmes destinés à être chantés, toujours très
populaires et fréquemment interprétés de nos jours. Ces poèmes ont d'abord été transmis par la
tradition orale et n'ont été transcrits que tardivement ; du fait qu'ils ont été colportés dans toute
l'Inde du Nord, ils ont été en quelque sorte « adaptés » dans de nombreux dialectes et langues :
braj, rajasthani, gujarati, oriya et même hindi moderne. Les manuscrits les plus anciens datent du
XVIIe siècle, leur langue, assez archaïque, est un rajasthani proche du braj. Dès le XVIIIe siècle
cependant, des compilations ont vu le jour, et on peut recenser à l'heure actuelle une bonne
cinquantaine d'éditions diverses – populaires ou savantes – des pada, ce qui représente un corpus
important de deux mille poèmes environ, parmi lesquels de nombreux apocryphes ; de récentes
études critiques et comparatives de manuscrits permettent d'établir à partir de critères historiques,
linguistiques, stylistiques et philosophiques qu'environ deux cent cinquante poèmes peuvent être
attribués à Mîrâ. Relativement courts (en moyenne de cinq à dix vers), ces pada comprennent en
général un premier vers plus bref qui sert de refrain, les vers suivants riment deux à deux ou
riment tous avec le premier vers ; comme il était de coutume alors, le dernier vers comporte le
nom de l'auteur ; la métrique est quantitative, fondée sur la longueur des syllabes (brèves ou
longues) et suit les règles prosodiques spécifiques aux divers types de poèmes employés
(organisation en pieds, contraintes de rimes et de rythmes) ; les éditions actuelles en hindi
indiquent souvent en haut de chaque pada le râga, mode musical, approprié au sentiment
dominant qui émane du poème (joie, souffrance, espoir, détachement) et/ou correspondant à son
ancrage dans le temps (aube, nuit, saison des pluies, fête religieuse) dans lequel l'interpréter.
Les poèmes de Mîrâ expriment son amour et sa dévotion pour le dieu Krishna et témoignent de
sa riche expérience spirituelle. La tradition inscrit Mîrâ dans la lignée des bhakta, les « dévots »,
adeptes de la sagun bhakti, « dévotion », qui consiste à adorer et à servir l'Être suprême, sous la
forme d'un dieu personnel, « qualifié », « avec attributs », qui répond à l'amour de ses dévots et
leur accorde par sa grâce la délivrance. La notion de l'amour confiant du dévot et de la relation
qu'il établit avec la divinité, dont il participe, s'était déjà précisée et épanouie dans la
Bhagavadgîtâ (section du sixième livre de l'épopée du Mahâbhârata), où elle se fixe autour de
Krishna, cocher et instructeur d'Arjun. Mais c'est surtout autour de Krishna berger qu'elle s'est
ensuite développée : le cinquième livre du Vishnupurâna (un des plus importants des grands
purâna vishnouites, en sanskrit, souvent remanié, augmenté, probablement au Ier s. av. J.-C.-IVe
apr. J.-C.) comprend une biographie de l'enfant berger Krishna, avatâra, « descente » dans le
monde, incarnation du dieu Vishnou sur terre, pour rétablir le dharma (l'ordre socio-cosmique
qui maintient l'univers dans l'existence) affaibli et dégradé et sauver les hommes ; le
Bhagavatpurâna, composé lui aussi en sanskrit vers le IXe-Xe siècle, expose, dans le dixième
livre, le récit de l'enfance de Krishna et développe le thème des gopî, les bouvières admiratrices
enamourées du jeune dieu, et de la râslîlâ, la danse du dieu avec les gopî, union au sens érotique
et mystique des âmes humaines et de la divinité. Le culte de Krishna paraît être fort ancien et les
tribus pastorales de l'Inde du Nord possédaient une riche tradition de chants et de danses en
l'honneur de leur divinité, dont elles ont répandu la légende dans l'Inde entière. Avec le
renouveau du vishnouisme au XIVe siècle en Inde du Nord, la poésie dédiée à Krishna va
connaître un essor considérable. Contemporain de Mîrâ, le grand poète Sûr Dâs célèbre en braj le
dieu pastoral et met en scène les gopî, notamment Yashodhâ, sa mère adoptive, et Râdhâ, sa
compagne favorite ; il décrit avec beaucoup de finesse leurs sentiments – d'affection et de
tendresse maternelles pour la première, d'amour intense, de désir d'union et de souffrance de la
séparation pour la seconde. Nombreux sont les autres poètes qui composent dans la même veine,
mettant l'accent soit sur une bhakti chaste et tendre soit sur une bhakti plus érotique.
Mîrâ compose ses chants à la première personne, sa bhakti est entièrement une bhakti d'amour
dans l'union mais aussi dans la séparation ; en s'identifiant à une gopî, elle en ressent les
sentiments. Ainsi, elle se complaît dans la description du dieu Krishna dont elle détaille la
beauté : son visage sombre (krishna signifie « noir », « sombre », « bleu sombre »), ses yeux
immenses en pétale de lotus, sa parure de tête composée d'un diadème en plumes de paon, son
collier de fleurs des bois, son pagne de couleur jaune ; le doux son de sa flûte captive
irrésistiblement son cœur et elle s'abandonne entièrement à l'amour du bien-aimé. Elle renonce
aux richesses, aux conventions sociales, à elle-même ; elle connaît les affres de la séparation et
lance sans cesse un appel angoissé et passionné de son désir du dieu, telle la virahinî, la femme
en proie à l'intense souffrance du viraha, de la « séparation » d'avec l'être aimé. L'imagerie
poétique de Mîrâ puise au fonds traditionnel et populaire, notamment dans sa description
poignante de la saison des pluies, saison des amours par excellence car les époux ou les amants
partis en voyage retournent alors dans leur foyer, mais qui fait ressentir plus cruellement encore
l'absence de l'être aimé à l'amante esseulée : chant du coucou, cri des paons, clair de lune qui fait
s'épanouir les lotus, sombres nuages de la mousson qui s'accumulent et versent une pluie
bienfaisante sur la terre desséchée, qui reverdit.
Mîrâ exprime ainsi son expérience spirituelle dans ses poèmes ; ivre d'amour pour le divin, elle
s'identifie à l'épouse éternelle, de naissance en naissance, de son Seigneur, dont elle désire
ardemment la vision (le darshan) non seulement extérieure mais intérieure, et nous trouvons
aussi exposée dans ses poèmes sa sâdhanâ (l'ascèse, la discipline et les exercices spirituels) qui
lui permet, comme pour un dévot sincère, d'accéder et de cheminer sur la voie de la réalisation.
Le renoncement – au monde, aux possessions matérielles, aux sens, à sa propre volonté – et la
soumission totale et confiante à la volonté divine en sont des éléments centraux, de même que la
nécessité de la purification. Fréquenter les sâdhus et les personnes pieuses, danser et chanter les
louanges du dieu, en répéter le nom constituent des pratiques qui guident et aident le dévot sur
cette voie.
Les pada de Mîrâ offrent donc une lecture multiple, selon la résonance intérieure de chacun, et
la poétesse est toujours présente dans la mémoire et dans l'imaginaire des Indiens : symbole du
parfait dévot pour les uns, de la première féministe indienne pour d'autres, auteure émouvante de
magnifiques poèmes d'amour, ou encore yoginî, adepte du bhakti-yoga sur la voie de l'union
parfaite avec la divinité. Son iconographie est abondante : miniatures anciennes ou gravures que
l'on peut se procurer dans les échoppes d'images pieuses la représentent le plus souvent vêtue de
blanc (la couleur traditionnelle du veuvage) ; son ektârâ (instrument de musique fait d'une
calebasse et d'un long manche en bambou tendu d'une corde, dont s'accompagnent nombre de
mendiants-chanteurs itinérants) à la main, elle chante et danse d'un air extatique ou, assise, elle
chante les louanges de son Dieu en s'accompagnant de petites cymbales dans l'autre main. Sa vie
légendaire a été maintes fois portée à l'écran, dès les années 1920 (Meerabai de Kanjibhai
Rathod en 1921) jusqu'à nos jours avec la série télévisée, Mîrâ, en 2009 ; pour le film en tamoul
et en hindi d'Ellis R. Duncan tourné en 1945, Meera, la grande chanteuse de musique carnatique
(musique traditionnelle savante de l'Inde du sud), M. S. Subbulakshmi, a interprété dix-huit
compositions de Mîrâ, qui ont connu un énorme succès et ont contribué à asseoir la popularité de
la chanteuse en Inde du Nord. Des poèmes de Mîrâ font partie des programmes scolaires, des
manuels de littérature ou des classes de chant. La petite ville de Merta City abrite un musée qui
lui est dédié et on peut visiter dans le complexe de la forteresse de Chittorgarh un petit temple à
Krishna dit « temple de Mîrâ Bâî » ; le Meera Smriti Sansthan (Institut pour la mémoire de
Meera) organise chaque année à Chittor un festival où la poétesse est célébrée en musique trois
jours durant. Lors d'un concert de musique classique vocale hindoustani (système traditionnel
savant de l'Inde du Nord), il n'est pas rare que le chanteur ou la chanteuse interprète en fin de
programme un, voire plusieurs, bhajan, mélodies religieuses à caractère dévotionnel sur des
pada de Mîrâ, qu'il s'agisse de Pandit Jasraj, Pandit Ulhas ou Pandit Bhimsen Joshi, de Lakshmi
Shankar, Parween Sultana ou Veena Sahasrabuddhe. Les chanteurs semi-classiques ou
interprètes de chansons de films ne sont pas en reste, la célébrissime Lata Mangeshkar ou le très
populaire Anup Jalota ont enregistré plusieurs disques de chants dévotionnels de Mîrâ Bâî. Et les
compositions – authentiques ou non – de la poétesse vivent également sur les lèvres de maints
chanteurs populaires traditionnels et sur celles des dévots, aussi bien dans le cadre d'une
célébration intime que dans une assemblée de sankîrtan, réunion religieuse où les fidèles
célèbrent par le chant les louanges du dieu.
Marguerite Gricourt
Bibl. : Œuvres et biographie : Chants mystiques de Mîrâbâî, texte hindi trad. et commenté par
N. Balbir, Paris, Les Belles Lettres, 1979 ; Bârahmâsâ in Bârahmâsa, les chansons des douze
mois dans les littératures indo-aryennes, C. Vaudeville (éd.), Pondichéry, Institut français
d'indologie, 1965 ; A. J. ALSTON, The Devotional Poems of Mîrâbâî, Delhi, Motilal
Banarsidass, 1980 ; U. S. NILSSON, Mirâbâî, New Delhi, Sahitya Akademi, 1969. Études : M.
BURGER, « Mîrâ's Yoga », in The Banyan Tree, Essays on Early Litterature in New Indo-Aryan
Languages, M. Offredi, New Delhi, Manohar, 2000, vol. II. Discographie : Bhajans de Mîrâ Bâî
interprétés par des artistes réputés, Londres et Bombay, Navras Records Pvt Ltd. et Calcutta, The
Gramophone Company of India Ltd. (EMI) ; In Praise of Krishna, bhajans collectés par
D. Bhattacharya Vista India, Musical Map of India, CD 5001, 1995 ; Blissful Bhajans of Meera,
S. Janaki sur des compositions de R. Parthasarathy, AAMS CD 127, reprise d'archives de 1957,
New York, Oriental Records, Inc. ; Meera The Lover, Vandana Vishwas, self-released CD,
Ontario, Canada, VV001, 2009.
MIU MIAOZHEN, taoïste (Chine, ?-1816). — Miu Miaozhen est la fille unique d'humbles
paysans qui la chérissent. Un jour, un devin leur prédit que leur fille aura une vie courte ; aussi,
ses parents la « donnent à Guanyin », déesse bouddhique de la compassion et la confient à un
temple – pratique qui, croyait-on, permettait de changer le destin et d'allonger la vie. Orpheline
quand elle est encore enfant, elle est recueillie par une tante paternelle. Elle est alors ordonnée
taoïste à l'« Ermitage de Cundi du mont Xiao » (Xiaoshan Cundi an) près de Hangzhou
(Zhejiang), nom de temple qui dénote une influence bouddhique puisque « Cundi » est une forme
tantrique de « Guanyin » (Avalokitesvara). Elle s'enlaidit volontairement pour se protéger de
deux jeunes gens qui traînent autour du temple, en mettant de l'eau dans de l'huile bouillante.
Quand Miu Miaozhen a quarante-sept ans, sa tante meurt. Après les funérailles, elle se rend au
temple « Grande supériorité » (Dashang'an) à Lianshi, près de Huzhou. Un an plus tard, elle
visite avec une compagne le temple Chunyang gong, aussi appelé « Vieux temple des fleurs de
prunus » (Gu meihua guan), au « Nid des nuages » (Yunchao), autre nom du mont « Couvercle
d'or » (Jingai shan), situé près de Huzhou (Zhejiang). La branche taoïste du Nid des nuages se
développe avec Tao Shouzhen, de la neuvième génération du courant de la Porte du Dragon
(Longmen). Dans ce temple, on lui transmet les pratiques d'alchimie intérieure féminine de Sun
Bu'er*. Elle s'y exerce régulièrement tout en approfondissant parallèlement la doctrine du Sûtra
du lotus (Hokke-kyô), un texte bouddhique. Elle obtient rapidement la clairvoyance et l'ouïe
divine. Selon son hagiographie, la déesse Guanyin lui annonce dans un rêve qu'elle est la
septième disciple de Hu Ganggang, autre femme célèbre du lieu.
Miu Miaozhen a la ferme volonté de faire des pèlerinages. Elle s'y prépare en portant chaque
jour de lourdes charges en secret dans sa chambre, puis, le jour du départ, en 1811, elle s'habille
en homme et quitte le temple. Elle parcourt les monts célèbres du bouddhisme et du taoïsme,
comme le Lushan (Jiangxi), le Wudangshan (Hubei), Emeishan (Sichuan), Jizushan (Yunnan),
puis, au retour, le Huangshan (Anhui), le Tiantai shan (Zhejiang) et le Putuoshan (Zhejiang).
Cinq ans après, en 1816, elle rentre à Lianshi et, au bout de quelques mois, meurt sans maladie.
Catherine Despeux
Bibl. : Étude : M. YIDE, Jingai xindeng (« Lampe du cœur du mont Couvercle d'or »), 1821,
juan 6, p. 33-35 (une histoire des maîtres des diverses branches de l'école de la Porte du Dragon,
notamment celle du mont Couvercle d'or près de Huzhou).
MOINE, Claudine, laïque, auteur d'écrits spirituels (Scey-sur-Saône, 1618-Paris ?, apr. 1655).
— À Scey-sur-Saône, dans la Franche-Comté alors rattachée à la couronne d'Espagne, Claudine
vient au monde dans une famille aisée. Elle est l'aînée de trois enfants. Sa sœur cadette, Nicole,
l'accompagnera dans les diverses pérégrinations de sa vie. En 1626, les enfants perdent leur
mère. Leur éducation est confiée à une institutrice-gouvernante, très laxiste sur le plan de la
formation morale. En 1630, Claudine et sa sœur entrent au pensionnat des Ursulines de Langres.
Très entourée par l'affection de la maîtresse des pensionnaires, Claudine mène une vie très
fervente et sent s'éveiller en elle la vocation religieuse, à laquelle le père s'oppose
catégoriquement. En 1632, il fait revenir ses filles à Scey-sur-Saône. Claudine tombe alors
malade de chagrin pendant trois mois. Au cours des sept années suivantes, des projets de mariage
sont échafaudés mais n'aboutissent pas. Claudine s'adonne à une vie relativement relâchée, celle
des jeunes filles de sa classe sociale. En 1635, la France entre dans la guerre de Trente Ans. La
Franche-Comté est envahie par les troupes suédoises et françaises, opposées aux Espagnols.
Bientôt, la famille Moine se trouve ruinée. Envoyée par son père à Besançon pour régler des
affaires, Claudine fait une chute de cheval. Il s'ensuit des accès de fièvre qui l'assaillent pendant
dix-huit mois. Réduites à la misère par les effets de la guerre, Claudine et Nicole se rendent à
Paris dans l'espoir d'y trouver du travail. Elles arrivent dans la capitale au printemps 1642 et,
pendant deux ans, survivent grâce aux aumônes d'un prêtre, le père Jarry, devenu le confesseur
de Claudine. Les deux sœurs connaissent le dénuement le plus complet, jusqu'en 1644, date à
laquelle Nicole trouve un emploi, ce qui entraîne sa séparation d'avec Claudine. En 1647, celle-ci
est engagée comme gardienne et couturière dans un hôtel particulier du Marais. Elle y demeurera
jusqu'à une date indéterminée, toute trace de sa vie étant perdue à partir de 1655.
Toute cette histoire de misère matérielle recouvre, en réalité, une aventure d'un tout autre ordre,
celle d'une âme purement éprise de l'amour de Dieu et engagée dans sa quête de perfection, en la
solitude et l'humilité de la condition sociale imposée par les circonstances de la vie. Claudine en
a fourni la relation dans une suite d'écrits autobiographiques rédigés à la demande de son
confesseur. Ces textes, d'une écriture de haute tenue, se présentent comme des soliloques
spirituels à l'adresse de Dieu. On peut y suivre le cours d'une expérience intérieure d'une
incontestable authenticité mystique, marquée par quelques temps forts : en 1642, à la Toussaint,
Claudine se trouve saisie sous le regard de Dieu. Elle voit clairement la somme de ses péchés.
Pendant quinze jours, elle ressent la peine des damnés, « particulièrement leur séparation d'avec
Dieu ». Cette épreuve débouche sur la résolution d'une entière soumission à la volonté de Dieu.
Pendant six mois, alors qu'elle partage une chambre commune avec des compagnes de misère,
Claudine connaît une période intense d'exaltation affective. Elle passe des nuits entières à pleurer
de joie. Vient ensuite, comme un raz-de-marée, le retour des tentations, en particulier contre la
foi. Joie et souffrance alternent sans ménagement dans sa conscience. Dans la période suivante,
Claudine dispose d'une chambre seule, ce qui lui permet de se concentrer plus profondément
dans le recueillement et la contemplation. Elle est gratifiée de lumières infuses qui lui font saisir
l'abîme de son néant et l'abîme de l'amour de Dieu. Elle subit, en extase, l'épreuve de la
transverbération, suivie du mariage spirituel et de l'union transformante. Parvenue à ce sommet
de l'expérience mystique la plus lumineuse et la plus délicieuse, Claudine est brutalement
plongée dans la plus profonde ténèbre intérieure. En elle-même, elle ne discerne plus ce qui est le
mal ni ce qui est le bien. Elle ne saisit plus le mobile de ses actions. L'examen de conscience lui
devient une torture. Cet état d'obscurité affecte également son rapport au monde extérieur.
L'espace entier lui paraît plongé dans la pénombre. Son corps est comme anesthésié, privé de
sensations utiles à la vie. Enfin, Dieu lui-même disparaît de son horizon intérieur. L'âme est vide,
dans un « état ténébreux et tranquille ». Claudine éprouve un fort sentiment d'exil, dans un
monde qui n'est pas fait pour elle et où elle ne se reconnaît pas. Elle a l'impression de
l'imminence de sa mort. En 1655, au moment où s'arrête sa quatrième et dernière Relation
spirituelle et où se perd toute trace de son existence, Claudine semble sortir de cette phase de
tension agonistique, et ce qui s'amorce alors est comme un retour à une certaine normalité
prosaïque.
Claude Louis-Combet
Bibl. : Œuvre : le manuscrit des Relations spirituelles de Claudine Moine est conservé dans la
bibliothèque des archives de la Société des missions étrangères de Paris. Il a fait l'objet d'une
publication : La Couturière mystique de Paris, prés. par le père Gennou, Paris, Cerf, 1969 (rééd.
Paris, Téqui, 1981). Étude : C. LOUIS-COMBET, Des égarées. Portraits de femmes mystiques
du XVIIe siècle français, Grenoble, Jérôme Millon, 2008.
Bibl. : Œuvres : Mon itinéraire spirituel : une longue route qui m'a amenée au quakerisme,
Lausanne, s. n., 1968 ; William Penn (1644-1718). Aventurier de la paix, en coll. avec Louis
Monastier-Schroeder, Genève, Labor et Fides, 1944, 1967 ; Pierre Cérésole : un Quaker
d'aujourd'hui, Paris, Société religieuse des Amis, 1947 ; Paix, pelle et pioche : histoire du
Service civil international de 1919 à 1954, Lausanne, La Concorde, 1955. Études : V.
ANSERMOZ-DUBOIS, Salut & joie ! Centième anniversaire de la naissance d'Hélène
Monastier, Lausanne, 1982 ; C. DALLERA et N. LAMAMRA, Du salon à l'usine : vingt
portraits de femmes, Lausanne, ADF-CLAFV-Fondation Ouverture, 2003.
MORATA, Ursula Micaela, clarisse capucine (Ursula Jerónima Morata e Iscaya ; Carthagène,
1628-Alicante, 1703). — Ursula Jerónima est née en Espagne d'un père italien attaché à la
Savoie, et d'une mère madrilène, elle aussi d'ascendance italienne. Leur mort quasi simultanée en
1632 laissa bientôt Ursula orpheline. Sa sœur aînée lui apprit à lire et à écrire. Et comme
souvent, c'est l'expérience de la maladie, la proximité de la mort, qui ouvre l'enfant de quatre ans
à un niveau d'expérience différent, à un éclairage nouveau sur sa propre vie et son entourage
(voir son autobiographie, chap. I). Malgré des fiançailles arrangées, elle manifesta très tôt une
attirance pour la vie religieuse. Après avoir surmonté les objections familiales, elle entra au
monastère de Murcie qui venait d'être fondé par la bienheureuse Maria Angela Astorch*, laquelle
l'initia à la forme de vie des Clarisses capucines. Elle y fit profession en 1647 sous le nom de
Micaela. La peste la poussa à l'assistance aux pestiférés. Mais les inondations de Murcie
conduisirent les sœurs à abandonner le monastère et à se réfugier au Monte de las Ermitas. Cette
période fut particulièrement éprouvante et déboucha sur une crise spirituelle. Son confesseur la
presse alors d'écrire sa vie (à partir de 1652 jusqu'en 1684). À la différence d'Angela Astorch,
l'épreuve mystique de la nuit obscure trouve une issue très proche de la transverbération
thérésienne : « Me fut montré en esprit un ange avec un dard de feu qu'il me planta dans le cœur
[me lo metio en el corazón] […], je fus une heure environ jouissante et souffrante de manière
ineffable [una hora gozando y padeciendo lo que y no se decir], sinon que j'étais toute embrasée
et brûlée d'amour divin » (Memorias, chap. VI). Comme Marie de Jésus d'Agreda*, elle fit des
voyages spirituels vers d'autres pays et fut douée de l'esprit de prophétie. En 1669, elle alla
fonder, non sans mal, le monastère d'Alicante : Triunfos del Santisimo Sacramento (signe d'une
piété eucharistique très baroque, prenant le relais de celle, plus sobre, dont fit preuve Angela
Astorch). Elle en fut élue abbesse jusqu'à sa mort, et souvent consultée. La renommée de sa
sainteté et son prestige social ont conduit à entamer un procès en béatification.
Bernard Forthomme
Bibl. : Œuvres : Memorias de una monja del Siglo XVII. Autobiografia de la Madre Ursula
Micaela, P. Garcés et V. Benjamin (éd.), Alicante, Sœurs Clarisses capucines, 1999. Oraison
funèbre : I. SALA (dernier confesseur d'Ursula), Panegyrico piadoso en las honras…, Orihuela,
Mesnier, 1703. Procès : Sor Ursula Micaela Morata, Clarissa Capuchina (1628-1703), Proceso
de canonización, P. Garcés et V. Benjamin (éd.), Alicante, Sœurs Clarisses capucines, 2006.
MÖRL, Maria von, tertiaire franciscaine, stigmatisée, extatique (Kaltern, 16 octobre 1812-11
janvier 1868). — Née dans le Tyrol du Sud (aujourd'hui l'Italie), Maria est la deuxième enfant
d'une famille noble de dix enfants. À partir de six ans, elle souffre de maladies diverses (fièvres,
inflammations), que les médecins ne savent pas expliquer. Après la mort de sa mère en 1826, elle
s'occupe de ses frères et sœurs plus jeunes, dont certains sont atteints par des handicaps
probablement d'origine génétique. Son soutien le plus important, le franciscain Johannes
Kapistran Soyer, devient son confesseur ; il lui restera fidèle jusqu'à sa mort. Le 29 novembre
1830, elle est accueillie par les tertiaires de Kaltern. Elle habite encore pourtant la maison
paternelle. La même année, elle est tellement malade que l'on craint pour sa vie. Outre ses
souffrances physiques, elle se sent persécutée par des êtres obscurs. Son état alterne alors entre
extases (sortie de soi, insensibilité à la douleur) et possessions démoniaques. En juillet 1833, le
père Kapistran obtient la permission de l'évêque d'exécuter un exorcisme. La même année, elle
manifeste pour la première fois des stigmates aux mains et aux pieds. À partir de ce jour, elle
partage la Passion du Christ et ses plaies saignent tous les vendredis. Le père Kapistran l'exhorte
à l'obéissance la plus absolue à son Créateur. Très vite, Maria devient une attraction pour les
foules. Pendant l'été 1833, quarante mille visiteurs viennent à Kaltern pour voir l'extatique de la
maison Mörl. Cependant, l'évêque interdit ce « pèlerinage ». Dès lors, seules les personnes
autorisées et quelques personnalités célèbres (évêques, nobles, politiciens, artistes et
scientifiques) la rencontrent. L'écrivain allemand Joseph von Görres lui accorde une grande place
dans son ouvrage Du christliche Mystik (qu'il complète à la fin de sa vie). La vie de Maria est
désormais rythmée par la méditation journalière de la vie et la Passion du Christ et des saints.
Bien que son corps soit très affaibli, elle se soumet à des pratiques de pénitence sévères,
encouragées par le père Kapistran. Elle ne s'exprime que par gestes à ses visiteurs. Attitude qui
maintient la dévotion des fidèles. Après la mort de son père en 1840, elle est transférée au
couvent des sœurs tertiaires de Kaltern, dans une chambre aménagée pour les visites. Les cercles
ultramontains continuent à venir la voir. Quand son confesseur meurt en 1865, elle entre dans
une crise personnelle. Les extases cessent ; elles ne recommencent que deux mois avant sa mort.
Maria von Mörl est l'une des stigmatisées les plus connues du XIXe siècle – époque à laquelle
les religieux, les scientifiques, les médecins influencés par le magnétisme et le mesmérisme et
quelques adeptes d'une certaine branche du romantisme se sont intéressés aux phénomènes
extraordinaires de leur temps, annonçant l'avènement d'un nouveau courant spiritualiste. Elle fait
ainsi partie de la famille des extatiques émergées depuis 1830 en Allemagne et en Italie, parmi
lesquelles se trouvent Ursula Mohr de Eppan, Crescentia Nieklutsch, Maria Domenica Lazzeri et
Agnes Steiner de Taisten. En outre, elle a rencontré de nombreuses personnalités, Clemens
Brentano, Adolph Kolping et Wilhelm E. von Ketteler, qui ont contribué à forger sa réputation
de sainte. Or, si elle est considérée comme telle par ses admirateurs, l'Église ne s'est pas encore
prononcée officiellement sur son cas. L'évêque de Trente, Franz Xaver Luschin, a écrit à son
sujet : « La maladie de Maria von Mörl n'est pas la sainteté, mais sa dévotion assurée n'est pas
une maladie non plus. »
Nicole Priesching
Bibl. : Vie et études : J. VON GÖRRES, Die christliche Mystik Bd. II, Regensburg, Manz, 1837,
p. 495-510 ; Die christliche Mystik Bd. III, Regensburg, Manz, 1840, p. 468-470 ; Die christliche
Mystik Bd. IV, Regensburg, Manz, 1842, p. 397-404 ; M. BUOL, Ein Herrgottskind, Innsbruck,
Verlag der Vereinsbuchhandlung, 1928 ; O. WEISS, « Seherinnen und Stigmatisierte », in
Irmtraud Götz von Olenhusen (dir.), Wunderbare Erscheinungen, Paderborn, Schöningh, 1995,
p. 51-82 ; N. PRIESCHING, Maria von Mörl (1812-1868). Leben und Bedeutung einer
« stigmatisierten Jungfrau » im Kontext ultramontaner Frömmigkeit, Brixen, Weger, 2004 ; ID.,
Unter der Geissel Gottes. Das Leiden der stigmatisierten Maria von Mörl (1812-1868) im Urteil
ihres Beichtvaters, Brixen, Weger, 2007 ; Lord SHREWSBURY, Les Vierges stigmatisées du
Tyrol, Grenoble, Jérôme Millon, 2007.
MUSCO, Teresa, laïque, stigmatisée, voyante (Caiazzo, 1943-Caserta, 1976). — Teresa Musco
est née en Italie dans une famille de paysans modestes. Son père, Salvatore Zolli, était un homme
colérique et despotique, sa mère, Rosina, une femme douce. La vie de Teresa est marquée par
des maladies continuelles et graves (elle subira plus de cent vingt interventions chirurgicales au
cours de sa vie) et par des expériences mystiques très précoces qui, à partir d'un certain moment,
deviennent quotidiennes : apparitions de la Vierge Marie* (dès 1948), de Jésus et d'un ange
gardien. Quand elle a sept ans, en 1950, le père Pio de Pietrelcina lui montre ses stigmates et lui
prédit qu'elle les recevra aussi. En 1957, elle est stigmatisée de manière invisible ; en 1968, ses
stigmates deviennent visibles. Elle partage également le don de bilocation avec saint Pio. Elle a
des visions, des extases et des entretiens avec des entités invisibles. Son corps est l'objet de
manifestations prodigieuses, comme la sudation de sang. Le 8 janvier 1968, comme la Vierge le
lui avait annoncé vingt ans auparavant, Teresa ne peut plus retourner à la maison paternelle, elle
s'établit à Caserte. Plusieurs images sacrées de son domicile auraient commencé à « pleurer » du
sang à partir de 1971. Il existe des photos et des témoignages de ces phénomènes évalués à sept
cent cinquante-sept (toutes manifestations divines comprises).
Teresa Musco a consigné dans son Journal toutes ses expériences mystiques à partir de 1955. À
ce sujet, il est intéressant de noter que son biographe, le père Gabriele Roschini, atteste qu'elle
était analphabète, n'ayant pu fréquenter l'école, et qu'elle apprit à lire et à écrire directement par
l'intercession de la Vierge, survenue le 25 décembre 1949. Voyante à ses heures, elle a également
adressé de nombreux messages divins aux hommes – qui doivent être replacés dans le climat de
l'époque –, dont des destructions, des guerres et des dangers liés au développement des sciences
ou à la présence des communistes dans l'Église. Elle a notamment prophétisé les tremblements
de terre du Bélize et du Frioul et l'éruption de l'Etna en Sicile. L'issue du procès de sa
béatification est très attendue.
Michela Catto
Bibl. : Vie et études : G. ROSCHINI, Teresa Musco 1943-1976 : il più imponente complesso
fenomenico di tutti i tempi e di tutti i luoghi, Marigliano, Scuola tip. Istituto Anselmi, 1977 ; S.
M. MANELLI, Piccola storia di una vittima. Teresa Musco (1943-1976), Marigliano, Scuola
tipo-litografica « Istituto Anselmi », 1981 ; R. P. MONDRONE, Teresa Musco (1943-1976) et
les larmes de sang, Montsûrs, Éditions Résiac, 1984 ; G. BORRA, Teresa Musco. Martire di
amore, S. Maria CV, Terzo Millennio, 1986 ; F. ROSSI, Teresa Musco (1943-1976) :
stigmatisée du XXe siècle, Hauteville, Éditions du Parvis, 1991.
N
NAFÎSA BINT AL-HASAN, sainte et ascète musulmane (« Sayyida Nafîsa » ; La Mecque,
762-Le Caire, 823). — Arrière-petite-fille de l'imam ‘Alî (cousin et gendre du prophète
Muhammad), Nafîsa bint al-Hasan est membre directe des Ahl al-Bayt (« Famille du
Prophète »). Elle grandit à Médine, où elle se maria en 777 avec un cousin éloigné. Le couple eut
un garçon et une fille.
Depuis son jeune âge, puis avec son mari, Nafîsa effectua jusqu'à trente fois le pèlerinage à La
Mecque (hajj), parfois même à pied. À l'issue de l'un de ses voyages, en 808, le couple décida
d'aller s'installer en Égypte, où vivait déjà sa cousine Sakîna. Cet exil était motivé principalement
par les expéditions menées par le calife abbasside al-Mansûr contre les descendants du Prophète
établis à Médine.
Au Caire, la réputation d'ascèse et de sainteté dont jouissait Nafîsa eut tôt fait d'attirer vers elle
princes et commun des croyants. Submergée de visites et se sentant à l'étroit dans sa maison, elle
décida de quitter ce pays qu'elle aimait pourtant, pour retourner en Arabie. Le peuple cairote
s'adressa alors en sa faveur au gouverneur de l'époque, qui lui proposa une demeure plus grande
lui permettant d'accueillir ses visiteurs. Elle accepta et, depuis lors, dédia le mercredi et le samedi
à l'accueil de ceux-ci. À sa mort, son mari eut l'intention d'enterrer sa femme à Médine. Mais les
Égyptiens se cotisèrent pour que les obsèques aient lieu sur place et que la sainte reste parmi eux.
Le lendemain, son mari leur annonça qu'elle serait effectivement enterrée en Égypte, en vertu de
l'ordre que lui en avait donné le Prophète lors d'une vision nocturne, et il leur rendit leur argent.
Bien qu'illettrée, Nafîsa apprit très jeune le Coran par cœur et en avait une grande pénétration
spirituelle. Précisons ici qu'il y a toujours eu en islam des grands saints illettrés (ummî) : sur le
modèle du Prophète, leur virginité culturelle les rend « transparents » à Dieu, et donc aptes à
recevoir la révélation, dans le cas de Muhammad, et l'inspiration, dans le cas des saints. Nafîsa
étudia également de la sorte le Hadith (paroles du Prophète) et la législation islamique (fiqh) en
écoutant l'imam Mâlik, un des fondateurs des quatre grandes écoles juridiques sunnites. Ses
connaissances en sciences islamiques expliquent l'amitié profonde qui l'a reliée au Caire à l'imam
al-Shâfi'î, un autre fondateur d'école juridique et l'une des personnalités majeures de l'islam. Ce
dernier l'appréciait beaucoup, lui rendait visite et sollicitait son intercession auprès de Dieu
lorsqu'il était malade. Il est remarquable que, à la mort d'al-Shâfi'î, c'est une femme, Sayyida
Nafîsa (« Sayyida » signifie « Dame ») en personne, qui dirigea la prière mortuaire. Ce fait est
peu connu du public musulman, à l'heure où l'on évoque la possibilité pour la femme de diriger
la prière collective (ce qu'aucun texte scripturaire ne contredit).
Quant à sa vocation de sainteté, le chemin en fut jalonné, depuis son plus jeune âge, par une
ascèse et un détachement du monde que l'on nomme en islam zuhd. Ses proches relatent qu'elle
ne mangeait qu'une fois tous les trois jours, qu'elle passait la nuit en prières et jeûnait le jour. Sa
nièce témoigne : « J'ai servi ma tante durant quarante ans, je ne l'ai jamais vue dormir une nuit
complète ou manger le jour. » Elle creusa elle-même sa tombe à proximité de sa chambre et, de
son vivant, elle y récita très souvent le Coran. Peu avant qu'elle ne meure, des médecins sont
venus à elle, lui demandant de rompre le jeûne. « Cela fait trente ans que je prie Dieu pour
mourir en état de jeûne, répondit-elle, et vous voulez que je cesse de jeûner ? » Elle se mit alors à
chanter des vers mystiques.
Trace inévitable de la « proximité de dieu » (walâya), c'est-à-dire de la sainteté, de nombreux
miracles sont rapportés du vivant de Nafîsa, puis après sa mort. Un ouléma très orthodoxe du
XVe siècle, Ibn Hajar, en mentionne cent cinquante : l'eau de ses ablutions guérit une jeune fille
juive jusqu'alors paralysée ; un voile lui appartenant est jeté dans le Nil, dont le niveau est
dramatiquement bas, et voilà que le lit du fleuve revient à la normale (miracle fréquent chez les
saints égyptiens…) ; tel Marie dans le Coran (3 : 37), elle reçoit du monde invisible sa nourriture
dans un panier et répond à qui s'en étonne : « Celui qui est en Dieu possède la création entière » ;
toujours dans la modalité mariale, elle apparaît parfois à des enfants. Mais elle était surtout
réputée pour son don de guérir les maladies oculaires. De nos jours, les gens souffrant
d'ophtalmies se rendent à son tombeau. Il y avait encore récemment un hôpital pour maladies
oculaires portant son nom.
Sayyida Nafîsa écrivait – ou dictait – de la poésie mystique, et elle-même a fait l'objet de
nombreux poèmes d'éloge de la part d'oulémas et de soufis réputés (notamment Al-Busîrî, auteur
de la fameuse Burda, panégyrique du Prophète).
Son mausolée, reconstruit et agrandi à plusieurs reprises, est situé au sud de la Qarâfa, zone de
cimetières anciens, plus connue maintenant sous le nom de « Cité des morts »… en fait
surpeuplée de vivants. Ce sanctuaire fait partie des principaux lieux de pèlerinage cairotes, et les
vœux y sont toujours réputés exaucés. Comme dans maints lieux chargés de bénédiction
(barakhah), on y trouve un puits dont l'eau sert à laver les membres malades des pèlerins.
Sayyida Nafîsa reste, dans les textes comme dans la mémoire collective, celle qui a conjoint en
elle les sciences religieuses et la gnose inspirée. À ce titre, elle est appelée « Nafîsa [La Dame
précieuse : en arabe, nafîs veut dire « précieux »] de la science et de la gnose », ou encore « La
patronne des muftis et des saints ».
Éric Geoffroy
Bibl. : En arabe : cheikh T. ABD AL-RAOUF SA'R et S. HASAN MUHAMMAD ‘ALI, Al-
Sayyida Nafîsa - nafîsat al-'ilm karîmat al-dârayn, Le Caire, Maktabat al-Safâ, 2000 ; T. ABU
‘ALAM, Al-Sayyida Nafîsa, Le Caire, Dar al-Ma'arif, plusieurs rééditions ; En français :
Y. RAGHIB, « Al-Sayyida Nafîsa, sa légende, son culte et son cimetière », Studia Islamica,
XLIV, 1976, p. 61-86 ; N. et L. AMRI, Les Femmes soufies ou la passion de Dieu, Paris,
Dangles, 1992 ; E. GEOFFROY, « La mort du saint en islam », Revue d'histoire des religions,
Paris, PUF, no 215-1, 1998, p. 27.
Bibl. : Œuvre : Mikagura uta : The Songs for the Tsutome, Tenri City, Tenrykyo Church
Headquarters, 1972. Étude : H. VAN STRAELEN, The Religion of Divine Wisdom, Kyôto,
Veritas Shoin, 1957.
NANIBÂLÂ, figure spirituelle indienne, renonçante bâul (Faridpur, ?-?, 1993). — Nanibâlâ naît
dans le district de Faridpur, au Bangladesh actuel (Inde). Quand elle a un an, ses parents
s'établissent dans un village du district de Kushtiya. Sa mère est une chanteuse renommée ; son
père compose oralement des poèmes qu'il récite de village en village. Tous deux ont adopté le
mode de vie des renonçants bâuls – des chanteurs itinérants, adeptes d'une croyance syncrétique
qui emprunte des éléments au tantrisme, au vishnouisme et au soufisme – et établi un très
modeste ashram. Lorsque Nanibâlâ a seulement six ans, sa mère lui fait échanger une guirlande
de mariage avec un homme qui pratique déjà l'ascèse sexo-yogique des bâuls avec elle. Elle
échangera plus tard successivement une guirlande de mariage avec deux autres bâuls. Le
premier, Mahâdev, est chanteur et musicien. Le couple vit de mendicité selon la pratique bâul et
se déplace de village en village pour chanter. Ils ont une fille. Après la mort soudaine de son
mari, Nanibâlâ reprend une vie de couple avec le frère cadet du défunt. Elle met au monde deux
garçons ; l'un devient chanteur et l'autre tisserand. Sa vie agitée se termine plus paisiblement
dans un village au bord du Gange. Nanibâlâ y demeure trente ans en compagnie d'un véritable
gourou bâul fidèle à son idéal de vie et à sa pratique. Elle passe ainsi beaucoup de temps à
chanter le répertoire bâul avec un ektârâ (un luth à une corde) et un tambourin, s'absorbant tout
entière dans le monde de la musique. Elle meurt au terme d'une très longue vie de pauvreté
(attestant de son total détachement à l'égard des biens matériels), au cours de laquelle elle
poursuivit l'idéal des femmes bâuls, incarné dans Râdhâ, la bien-aimée du dieu Krishna.
N'observant pas les règles concernant les castes, les bâuls sont libres de toute allégeance aux
religions traditionnelles. Ils ne forment ni une secte ni même une communauté. Chacun d'eux suit
les enseignements d'un maître qui lui transmet, dans une initiation, la « science du corps » et le
répertoire des chants – la voie de la mystique bâul comportant la recherche d'un état de joie
extatique que procurent le chant et la danse. Ils se livrent à des exercices yogiques sur le souffle
et visent à transformer la pulsion sexuelle en amour pur. Les bâuls, pour qui la divinité est
présente dans leur corps et non dans les temples ni les lieux de pèlerinage, expriment ainsi leur
vision du monde à travers leurs arts.
Nanibâlâ fut très fidèle à la voie bâul. L'obligation de servir de compagne à des hommes bâuls
qui n'observaient pas les règles de leur ascèse fut pour elle une vraie souffrance. Bien qu'elle eût
une grande connaissance des principes de leur pratique très particulière et qu'elle perdît tout sens
de l'ego lorsqu'elle chantait, elle ne se vit pas accordé le statut de gourou – ce qui est pourtant
possible pour une femme bâul, celle-ci jouant un rôle très important en tant que compagne
indispensable du bâul dans la pratique sexo-yogique sans pour autant jouir d'une réelle
autonomie.
France Bhattacharya
Bibl. : Études : J. MCDANIEL, The Madness of the Saints Ecstatic Religion in Bengal,
Chigago, Chicago University Press, 1989 ; S. HAUSNER, M. KHANDELWAL, A. GRODZINS
GOLD (éd.), Women's Renunciation in South Asia : Nuns, Yoginis, Saints and Singers, New
York, Palgrave Macmillan, 2006, (Delhi, Zubaan Books, 2007).
Bibl. : Œuvres : Une vie entre ciel et terre, Paris, Balland, 1990 ; Alliance, Paris, Desclée de
Brouwer, 1991 (Livre de Poche, 1992) ; La Traversée de l'ombre, Paris, Atlantica-Séguier,
2001 ; Instants de vie, Paris, Atlantica, 2004 ; Choix et secrets d'une vie, Paris, Atlantica, 2005 ;
L'Art et la vie (entretien avec E. de Rus), Toulouse, Éditions du Carmel, 2009 ; L'Envol des
passions (1 livret et 1 CD audio), Paris, Atlantica-Séguier, 2009. Étude : E. ZANA, Danse,
prière de l'âme et héritage sacré, Embourg, Marco Pietteur, 2005.
NE'MATI, Malek Jân, figure spirituelle de l'islam, adepte de l'ordre des ahl-é haqq
(Djeyhounâbâd, 11 décembre 1906-Paris, 15 juillet 1993). — Malek Jân (« cher ange ») Ne'mati
vécut toute sa vie à Djeyhounâbâd, un village reculé du Kurdistan iranien. En apparence éloignée
du monde et de ses tumultes, elle vécut cependant au plus près de son siècle, dans un
engagement de tous les instants pour penser et vivre le monde autrement. Issue d'un milieu
traditionnellement pétri de spiritualité, elle s'intéressa très tôt aux sciences modernes aussi bien
qu'à l'actualité. Elle reçut l'enseignement de son frère Ostad Elahi, qui avait élaboré une pensée
spirituelle originale, globale, d'une haute exigence éthique, en même temps qu'ouverte au monde
et à la modernité. Son père, Hâdj Ne'mat, était un mystique vénéré de son vivant comme un
saint ; il vivait avec sa famille une vie d'ascèse et de prière, entièrement vouée à la spiritualité. Ils
faisait partie de l'Ordre des Ahl-é Haqq (« fervents de Vérité »), fondé au XIIIe siècle autour
d'une doctrine spirituelle réunissant les religions anciennes de l'Iran, l'islam sous ses formes les
plus ésotériques et d'autres éléments propres à la culture kurde. En plus d'une doctrine et d'une
mythologie très riches et complexes, l'Ordre des Ahl-é Haqq se distingue par des rites et des
prières spécifiques qui structurent le quotidien et démarquent les membres de la communauté de
l'islam officiel. Le père de Malek Jân et plus tard son frère contribuèrent largement à rassembler
et mettre par écrit une tradition essentiellement orale et secrète qui avait, à ce titre, perdu un peu
de sa cohérence.
Jeune fille, Malek Jân reçut une éducation spirituelle à la fois intense et exigeante, en même
temps qu'une formation classique par un précepteur, fait original à cette époque et dans ces
régions reculées où les femmes avaient un statut largement inférieur à celui des hommes et ne
bénéficiaient d'aucune éducation. Devenue aveugle vers l'âge de vingt ans, elle ne cessera
cependant pas de consacrer une part essentielle de ses journées à l'étude et ce jusqu'à la fin de ses
jours. Elle pratiqua, dès son plus jeune âge et sous la houlette de son père, l'ascèse, la prière, la
méditation, les retraites qui caractérisent la spiritualité classique. Et vécut très tôt des expériences
mystiques si intenses qu'elle s'en trouva physiquement fragilisée, au point d'inquiéter son
entourage. Guidée par son frère, Ostad Elahi, en qui elle remit son destin spirituel, elle apprit
petit à petit à contrôler ses états et à pratiquer une spiritualité fondée sur la raison saine plutôt
que sur l'émotion pure. Grâce à la pratique assidue de la prière et de ce qu'elle appelait la
« méditation naturelle », qui consiste en une vigilance de tous les instants, elle garda toujours
cette connexion intérieure avec le monde spirituel. En outre, elle consacra sa vie à l'enseignement
spirituel, recevant avec patience et bienveillance des personnes venues parfois d'autres continents
pour lui demander des conseils. Elle se préoccupa aussi beaucoup des conditions de vie des
villageois parmi lesquels elle vivait et en particulier des femmes, les encourageant à étudier et à
devenir les égales des hommes, tout en veillant à leur perfectionnement spirituel. Il reste d'elle
plusieurs recueils d'enseignement en langue persane et des poèmes mystiques en kurde. Cette
« œuvre » orale, qui fut consignée par écrit grâce à son entourage, reflète le bon sens qui la
caractérise, un sens très aigu de la psychologie humaine en même temps qu'une exigence de
vérité et d'amour ainsi qu'une vie intérieure entièrement tournée vers le divin.
Malek Jân est morte en France. On peut visiter le mausolée érigé en sa mémoire sur la
commune de Baillou, dans le Perche.
Leili Anvar
Bibl. : Vie et études : L. ANVAR, Malek Jân Ne'mati : « La vie n'est pas courte, mais le temps
est compté », Paris, Éditions Diane de Selliers, 2007 ; ID., « Ma main à sa main amarrée : les
figures de l'Aimé dans l'œuvre de Malej Jân Ne'mati », in Poésies des Sud et des Orients, Paris,
L'Harmattan, 2009.
NEUVILLETTE, Madeleine de, laïque (Paris, 1610-1657). — Issue de deux familles de robe,
Madeleine épousa en 1635 Christophe de Champagne, baron de Neuvillette. Elle fit la
connaissance de Gaston de Renty qui lui annonça, lorsqu'elle avait trente ans, la mort de son
mari, tué au siège d'Arras. Sur ses conseils, elle se consacra toute à Dieu. Si elle parle de sa vie
intérieure avec trop de généralité pour mériter une lecture suivie, la façon qu'elle avait de
s'occuper des condamnés à mort, contée par le carme Cyprien de la Nativité, le célèbre traducteur
de Jean de la Croix, ne manque pas de couleur : « Elle s'en allait aux cachots de la Conciergerie
visiter ces pauvres criminels […]. Il s'en est ensuivi des choses si extraordinaires en manière de
repentance, qu'on en a vu et entendu qui ne cessaient de pleurer et de regretter leurs offenses.
[…] Elle n'abandonnait pas les pauvres criminels, mais après les avoir visités en la prison
qu'autant qu'elle pouvait […]. Elle conduisait à ses dépens le confesseur en carrosse jusqu'au lieu
du supplice et demeurait là jusqu'à ce qu'elle les eût vus mourir. […] ayant vu monter [un jeune
homme] sur l'échafaud, et se tenant dans la presse […] elle lui faisait de fois à autre un signal
avec un mouchoir, pour le faire souvenir d'élever son cœur à Dieu […]. » Madame de Neuvillette
donne ainsi un bel exemple de conversion d'une vie mondaine à une vie d'oraison menée dans le
siècle au service des misérables.
Dominique Tronc
Bibl. : Œuvre : CYPRIEN DE LA NATIVITÉ, Recueil des vertus et des écrits de Madame la
baronne de Neuvillette..., Paris, 1660, p. 72-80. Études : H. BREMOND, Histoire littéraire du
sentiment religieux en France…, Paris, Bloud et Gay, 1916-1933, t. 6, p. 387-390 ; A.
DERVILLE, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. XI, 1982, p. 161-
162.
Bibl. : Vie et études : JEANNE DE LA NATIVITÉ, Triomphe de l'Amour divin dans la vie
d'une grande servante de Dieu, nommée Armelle Nicolas, décédée l'an de Notre-Seigneur 1671,
fidèlement écrite, par une religieuse du monastère de Sainte-Ursule de Vannes, de la
congrégation de Bordeaux, Vannes, Chez Jean Galles, 1671 et 1678 ; dom G.-A. LOBINEAU,
Les Vies des saints de Bretagne, nouvelle édition par l'abbé Tresvaux, Paris, Chez Méquignon,
1836, t. IV ; H. LE GOUVELLO, Armelle Nicolas dite le Bonne Armelle, servante des hommes
et amante du Christ, Paris, Téqui, 1934 ; H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment
religieux en France…, Paris, Bloud et Gay, 1923, t. V ; C. LOUIS-COMBET, Des égarées.
Portraits de femmes mystiques du XVIIe siècle français, Grenoble, Jérôme Millon, 2008.
Bibl. : Hagiographie et études : S. HARDING, Niguma, Lady of Illusion, Ithaca (NY), Snow
Lion Publications, 2010 ; G. MULLIN, Selected Works of the Dalai Lama II : The Tantric Yogas
of Sister Niguma, Ithaca (NY), Snow Lion Publications, 1985 ; N. RIGGS (trad.), Like An
Illusion : Lives of the Shangpa Kagyu Masters, Mendocino, Dharma Cloud Publications, 2000 ;
Hagiographie de Nigouma et Soukhasiddhi (sans auteur), Ygrande, Yogi Ling, 1997 ; BOKAR
Rimpotché, Tara, le divin au féminin, Vernègues, Claire Lumière, 1997 ; P. CORNU,
Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Paris, Seuil, 2001 ; KALOU Rimpotché, La Voie
du Bouddha selon la tradition tibétaine, Paris, Seuil, 1993 ; M. SHAW, Passionate
Enlightenment : Women in Tantric Buddhism, New Delhi, Munshiram Manoharlal Publishers,
1998 ; J. SIMMER-BROWN, Le Souffle ardent de la Dakini : le principe féminin dans le
bouddhisme tantrique, Huy, Kunchab, 2004.
NIZI, nonne bouddhiste (Chine, ?-501). — Jeune fille vierge de Jiangbi, qui servit dans les
dernières années de la dynastie des Qi (qui régna de 479 à 501) comme érudite à l'Académie
nationale. Elle pratiqua le bouddhisme dès son plus jeune âge. Quand ses parents voulurent la
marier, elle refusa et fit le vœu de célibat. Elle entra dans le monastère du Jade vert (Qingyuan
si) et prit le nom religieux de Sengfa.
« Petite nonne » (Nizi), comme la surnomment ses hagiographes, passa beaucoup de temps en
méditation. Elle révéla au monde vingt et un nouveaux sûtras : elle fermait les yeux et se mettait
à les réciter. Parfois, elle disait être montée au ciel pour les chercher, une autre fois, c'était une
divinité qui les lui apportait. Quand quelqu'un transcrivait ses paroles, il arrivait qu'elle s'arrêtât
au beau milieu d'une phrase pour reprendre quinze jours après. Tout le monde à la capitale parlait
de ses dons merveilleux. L'empereur Wu de la dynastie Liang, fervent bouddhiste, la fit venir et
la questionna sur la façon dont elle avait accès à ces textes. Le moine Sengyou, auteur d'un
catalogue de textes bouddhiques, le Chusanzang jiji (« Notes réunies sur les textes du
Tripitaka », début du VIe s.), déclara qu'il allait lui-même rendre visite à la famille de cette
nonne, qui refusait cependant de lui montrer les sûtras qu'elle aurait révélés ; il ne put en obtenir
qu'un seul, le « Sûtra du son merveilleux du rugissement du lion » (Miaojing shizi hong jing).
C'est pourquoi il catalogua les autres sûtras dans la rubrique des sûtras douteux. « Petite nonne »
mourut en 501. Son oncle maternel, Sun Zhi, collecta et copia les sûtras qu'elle avait prononcés,
il les commenta et les prêcha.
La biographie de Nizi est intégrée dans les « Hagiographies de bhiksuni » (Biqiuni zhuan),
compilées en 516 par le moine Baochang, de la cour des Liang, et comprenant soixante-cinq
hagiographies de moniales.
Catherine Despeux
Bibl. : Études : W. IDEMA, B. GRANT, The Red Brush. Writing Women of Imperial China,
Harvard East Asian Monographs, 231, Cambridge et Londres, Harvard University Asia Center,
2004, p. 491-505 ; J.-H. LI (trad.), Lives of the Nuns: Pao-ch'ang's Pi-chiu-ni-chuan, Osaka,
Tohokai, 1981 ; A. K. TSAI, Lives of the Nuns: Biographies of Chinese Buddhist Nuns from the
Fourth to the Sixth Centuries: A Translation of the Pi-ch'iu-ni chuan, compiled by Pao-ch'ang,
Honolulu, University of Hawaii Press, 1994.
Bibl. : Œuvres : La Vierge norbertine et la très sainte Eucharistie, Avignon, Aubanel, 1885 ;
Sœur Rose et la Messe Réparatrice, Avignon, Aubanel, 1885 ; Le Lys, Lille, Desclée de
Brouwer, 1888. Études : D.-M. DAUZET, Marie Odiot de La Paillonne, fondatrice des
norbertines de Bonlieu, Turnhout, Brepols, 2001 ; pour l'accès aux archives et aux écrits non
publiés : D.-M. DAUZET, « Catalogue raisonné des archives du monastère des Norbertines de
Bonlieu (Drôme, France) », Analecta Praemonstratensia, LXXVII, 2001, p. 230-266.
O'KEEFFE, Georgia, peintre (Sun Prairie, Wisconsin, 15 novembre 1887-Santa Fe, Nouveau-
Mexique, 6 mars 1986). — Georgia O'Keeffe grandit dans une ferme du Wisconsin, aux États-
Unis, ce qui lui vaudra d'être liée à la terre de façon intime toute sa vie. Douée pour la peinture,
elle est pourtant déçue par les études qu'elle mène à l'Art Institute de Chicago (1905-1906), puis
à l'Art Student's League de New York. En 1912, elle rejoint sa sœur à Charlottesville, qui insiste
pour qu'elle l'accompagne à l'université de Virginie aux cours d'été d'Alon Bement, dont
l'enseignement est fondé sur le manuel du peintre Arthur W. Dow, très marqué par l'art japonais.
L'ouvrage, pénétré de bouddhisme et de culture japonaise, invite ses lecteurs à reconnaître la
beauté de toute chose, retrouver le sens d'une vie saine et accroître le discernement. Impatiente
d'en savoir davantage, Georgia partage son temps entre ses nouvelles études, dirigées par Arthur
W. Dow à Columbia, et ses missions d'enseignante d'arts plastiques au Texas. Elle se met à lire
Camera Work, la revue du photographe Alfred Stieglitz, qui loue l'art traditionnel du Japon :
« Les Japonais, écrit-il, ressentent intuitivement ce qui est beau et juste et possèdent la rare
qualité de transmettre cette beauté et cette sagesse aux autres. » But que Georgia se propose
précisément d'accomplir.
Dans un premier temps, elle s'emploie à maîtriser la technique du Nôtan (« clair-obscur », en
japonais), un puissant jeu de surfaces planes, claires et obscures, complémentaires et réversibles,
qui, distribuées de manière harmonieuse, dégagent et laissent régner le Ch'i (« énergie
cosmique ») de l'œuvre ; cet art privilégie l'effet d'espace par opposition à la matérialisation de
sujets en trois dimensions. À cette époque, elle trace au charbon des esquisses abstraites,
évoquant des ciels à perte de vue ainsi que de vastes canyons, vibrants de sensibilité taoïste. Puis
elle introduit de la couleur grâce aux lavis japonais et approfondit l'approche synesthésique, afin
de rendre avec vivacité, par exemple, l'atmosphère électrique d'un ciel chargé d'humidité et
traversé par la foudre. Elle cherche à donner une forme visuelle à ce qu'elle appelle ses
« inconnues », formations mentales instinctives, évocatrices de l'inconscient féminin.
Son amie Anita Pollitzer – photographe et suffragette notoire – présente son travail à Alfred
Stieglitz, le directeur de la Galerie 291, à New York. Ce dernier est séduit par l'artiste en qui
résonnent les qualités das ewig Weibliche (de « l'éternel féminin » de Goethe). En 1917, il invite
Georgia à New York ; il lui décerne les titres de « Lumière pure » et de « Muse du 291 ».
Photographe lui-même, il réalise des nus de celle-ci et expose sa peinture, qu'il décrit comme
« sexuellement explicite » afin de maintenir le public non initié dans l'ignorance de sa vraie
signification. Proche de la fondatrice du centre Ramakrishna à New York (qui n'est autre que la
nièce d'Alfred Stieglitz), de l'historien d'art et métaphysicien Ananda Coomaraswamy, des
auteurs et critiques littéraires Jean Toomer et Waldo Frank, le couple emblématique est alors au
cœur du mouvement de l'avant-garde américaine en quête de spiritualité, du
« transcendantalisme » jusqu'à la Quatrième Voie qu'a promue Georges Ivanovitch Gurdjieff.
Le mariage de Georgia avec Alfred Stieglitz, en 1924, semble réaliser l'œuvre alchimique
taoïste tel qu'il se trouve décrit dans son livre fétiche, « Le secret de la fleur d'or » (un texte
chinois sacré plus ancien que la Bible), qui stipule que la Fleur blanche (Yin, la terre créatrice,
intuitive) et la Lumière d'or (Yang, le nuage, le penseur) doivent êtres intimement associées. Sur
le plan artistique, la riche palette de Georgia exprime alors tout le registre des émotions primales.
Le couple n'aura jamais d'enfant et leur relation finira par se distendre. En 1929, Georgia fait un
séjour au ranch de Mabel Dodge, à Taos, où elle s'initie au chamanisme. À cette époque, elle
passe son temps entre New York et le Nouveau-Mexique, ramassant des os pelviens dans le
désert, qu'elle peint ensuite sur un ciel bleu, suggérant une ouverture vers l'au-delà.
L'œuvre de Georgia traduit tout d'abord l'évolution de sa vie de couple, passant des fleurs
voluptueuses traitées en gros plans à de larges vues panoramiques et tranquilles. Veuve en 1946,
elle s'établit définitivement à Abiquiu, au Nouveau-Mexique, faisant quelques longs voyages,
notamment en Asie, en Inde et au Japon. Ses tableaux de rivières et de nuages vus du ciel
invitent alors le spectateur à la suivre dans son itinéraire spirituel. Thomas Merton, moine
trappiste et écrivain-poète américain, Alan Watts, universitaire britannique spécialisé en
philosophie indienne et chinoise, et Allen Ginsberg, poète américain, fréquentent sa maison,
transformée aujourd'hui en musée. La dernière toile de Georgia, L'Au-delà (1972), qui figure une
simple ligne d'horizon, est achevée peu de temps avant qu'elle ne devienne complètement
aveugle. À plus de quatre-vingt- dix ans, Georgia se distingua encore dans l'installation de Judy
Chicago, The Dinner Party, une cène avec le Christ revisitée au féminin.
L'art de Georgia O'Keeffe collabore avec l'infini. Sa représentation des choses les plus
ordinaires de la vie frappe par sa grande charge de mystère. Ainsi en est-il de la toile intitulée
Porte du patio avec feuille verte (1956), qui représente une feuille isolée emportée par le vent
devant une porte noire. Elle peignit plus de trois cents images de fleurs, parfois réduites à un
simple bouton, comme autant de sermons silencieux, tel celui du Bouddha qui fut à l'origine du
zen. Ces fleurs furent grossies délibérément pour forcer l'attention du spectateur et introduire un
moment de sérénité contemplative dans la trépidation de la vie urbaine. Son but était de
s'adresser au plus grand nombre de gens, si souvent imperméables à la beauté, et de les inviter à
partager la joie qu'elle ressentait au spectacle de la nature en présence, considérée « ici et
maintenant ».
Deborah Jenner
Bibl. : Études : J. BAAS, Smile of the Buddha. Eastern Philosophy and Western Art, Berkeley,
University of California Press, 2005 ; D. JENNER, « Georgia O'Keeffe et Alfred Stieglitz :
l'alchimie d'un couple », in New York et l'Art Moderne. Alfred Stieglitz et son cercle 1905-1930,
Paris, Réunion des Musées nationaux, 2004, p. 227-238 ; A. MUNROE, The Third Mind.
American Artists Contemplate Asia, New York, Guggenheim Foundation, 2009.
OLYMPIAS, ou « Olympiade », sainte, diaconesse (Constantinople, v. 368-Nicomédie,
v. 410). — Issue d'une riche famille proche du pouvoir impérial, Olympias est tôt orpheline.
Procope, un de ses parents et préfet de Constantinople, devient son tuteur. Il confie son éducation
à Théodosie, une femme cultivée et pieuse proche de saint Grégoire de Naziance. L'illustre
évêque participe aussi à la formation religieuse de la jeune fille, comme en témoignent les lettres
qu'il lui adresse. Nourrie par l'étude des Écritures saintes et par la fréquentation de femmes ayant
voué leur vie à Dieu, telle Mélanie l'ancienne, Olympias est davantage destinée à la consécration
religieuse qu'à la vie de cour auprès de l'impératrice Eudoxie, à laquelle son rang la destine. Elle
épouse néanmoins en 384 Nébridius, qui jouit d'une situation avantageuse à la cour impériale.
« Comblée, selon Pallade, par la naissance, la richesse, la culture, douée par la nature des plus
heureuses dispositions et dans la fleur de l'âge », Olympias doit, dès 386, faire face à la mort de
son mari. L'empereur Théodose souhaite la remarier au plus vite avec son parent Elpidius, mais
la jeune femme lui oppose un refus ferme, qui lui vaut la confiscation de tous ses biens et
l'interdiction de fréquenter les hommes d'Église. Olympias voit dans cette injustice l'occasion de
mener une vie d'ascèse et de pénitence. Après la restitution de ses biens, quatre ans plus tard, elle
place sa fortune au service de l'Église, édifiant notamment une vaste maison, qui sert à la fois
d'hôtellerie pour les gens d'Église et d'hôpital pour les plus pauvres, avec l'aide d'un groupe de
femmes qui lui sont proches. L'évêque de Constantinople, Nectaire, ordonne Olympias
diaconesse alors qu'elle n'a pas trente ans, consacrant ainsi officiellement son action auprès des
malades, des femmes et des enfants qu'elle catéchise. En 398, saint Jean Chrysostome succède à
l'évêque Nectaire à la tête du diocèse de Constantinople. Une grande amitié se noue entre lui et la
diaconesse, qui veille aux détails matériels de sa subsistance. Tous deux partagent le souci des
pauvres, et saint Jean conseille la jeune veuve dans la façon de distribuer sa fortune, lui
enjoignant de discerner entre les véritables nécessiteux et ceux qui veulent profiter de sa
générosité. Intransigeant envers les mœurs de son époque, notamment celles du clergé, Jean
Chrysostome ne tarde pas à s'attirer de nombreux ennemis, parmi lesquels le patriarche
d'Alexandrie, Théophile, qui abusait de la fortune d'Olympias avant son arrivée. À la suite d'une
affaire ecclésiastique et grâce à l'appui des détracteurs de Jean, parmi lesquels l'impératrice
Eudoxie, Théophile parvient à faire déposer l'évêque de Constantinople à l'issue du concile des
Trois Chênes, en 403. Saint Jean est exilé une première fois en Bithynie, puis rapidement
rappelé, avant d'être exilé une seconde fois en 404, s'étant ouvertement opposé à l'impératrice.
Après avoir fait ses adieux à Olympias et à ses compagnes, Jean prend la route de l'Arménie,
pénible voyage qu'il relate à son amie dans ses Lettres (404-407). À Constantinople, les partisans
de Jean sont également inquiétés et l'on accuse Olympias d'être à l'origine de l'incendie qui a
ravagé le Sénat. Ayant nié les faits, celle-ci refuse par ailleurs de reconnaître Arsace comme
successeur de Jean sur le trône épiscopal. Condamnée à payer une forte amende, affaiblie par la
lutte, Olympias se retire à Cyzique en 405. Elle est ensuite exilée à Nicomédie, tandis que le
groupe de femmes dont elle se trouvait à la tête est dispersé. Après plusieurs années passées dans
la maladie et la solitude, soutenue par les lettres de Jean Chrysostome, Olympias meurt aux
alentours de 410.
On connaît davantage Olympias par ses œuvres sociales que par sa vie mystique, dont le seul
témoignage se trouve dans les exhortations que lui adresse saint Jean Chrysostome à travers ses
Lettres. Il est certain qu'elle a été plongée dans un milieu où la vie chrétienne ne se comprend pas
uniquement comme la pratique des vertus évangéliques, mais aussi comme l'ascension intérieure
vers la theoria, la contemplation divine. En témoigne la dédicace que lui fait Grégoire de Nysse
de ses Homélies sur le Cantique des cantiques (v. 390), ayant pour thème l'union mystique de
l'âme à Dieu. Au terme de sa vie, alors que son ami et directeur spirituel Jean Chrysostome lui
adresse ses lettres, Olympias semble en lutte avec elle-même pour conserver la détermination et
la force qui la caractérisaient naguère, à présent menacées par le découragement que provoque en
elle l'épreuve de l'exil et de la maladie. Saint Jean lui enjoint fermement de se reprendre, en se
confiant tout entière à Dieu, qui seul sait la cause des souffrances permises. « Car, des biens, il
peut en accorder, affirme Chrysostome, non seulement autant que nous espérons, mais encore
beaucoup plus et d'infiniment plus grands. » Ce caractère inépuisable des dons de Dieu ouvre la
perspective d'une ascension mystique toujours en devenir, d'une expérience toujours plus grande
de la joie divine, à laquelle saint Jean convie Olympias.
Olga Lossky
Bibl. : Vie : JEAN CHRYSOSTOME, Lettres à Olympias suivies d'une Vie anonyme
d'Olympias, Paris, Cerf, 1947 ; PALLADE, Dialogue sur la vie de saint Jean Chrysostome,
Paris, Cerf, 1988 ; ID., Histoire lausiaque, Bellefontaine, Éditions de Abbaye de Bellefontaine,
1999 ; MACAIRE (hiéromoine), Le Synaxaire, Vie des saints de l'Église orthodoxe, Athènes,
Indiktos, 1988, t. V, p. 234-236. Études : M. MEURISSE, Histoire d'Olympias, diaconesse de
Constantinople, Metz, J. Antoine, 1640 ; H. DACIER, Saint Jean Chrysostome et la femme
chrétienne au IVe siècle de l'Église grecque, Paris, H. Falque, 1907.
ORAISON (DE LAIGUE), Marthe d', capucine (Cadenet, Vaucluse, 1590-Paris, 1627). —
Fille du marquis d'Oraison, orpheline à quatre ans, Marthe épouse en 1610 Alexandre du Mas de
Castellane, baron d'Allemagne (Alpes-de-Haute-Provence), qui meurt en 1611 dans un duel. Elle
refuse de se remarier et vit dès lors dans une grande austérité, pratiquant œuvres charitables et
exercices de piété sous la direction des Capucins. Elle se met, par leur intermédiaire, sous la
direction spirituelle d'une certaine Véronique de Martelly, épouse Bonaud, de Pertuis, qui lui
impose des humiliations publiques, inversant leurs statuts sociaux. « Véronique donna un si
grand exercice de mortification, d'humilité et d'obéissance à cette vertueuse dame et un si grand
mépris des richesses que l'on eût pu dire qu'elle en avait fait une nouvelle créature, qui ne tenait
plus rien de la terre mais tout du ciel » (P. de Bauduen). Marthe sollicite vers 1621-1622 son
admission au couvent des Capucines de Paris, le seul existant alors en France. Mais un article des
statuts refusait les veuves. L'abbesse lui conseille alors de « fonder un monastère en Provence de
son ordre et en qualité de fondatrice, elle y pourrait être reçue ». Elle crée cette maison à
Marseille en 1623 et obtient, non sans mal, d'y être reçue à la vêture avec les premières
postulantes. Mais ses mortifications inquiètent : « elle était si altérée de souffrir que les
pénitences n'étaient jamais si rudes ni si humiliantes qu'elle eût désiré » (P. de Bauduen).
Pourtant, sœur Agnès d'Aguillenqui* s'y inflige des humiliations proches et son modèle ascétique
va s'imposer. Leur biographe commun, le père Marc de Bauduen, a rédigé leurs vies comme si
elles n'avaient pas coexisté.
Marthe se rend à Paris, en dépit de l'opposition de sa fille et de son gendre, et tente en vain
d'obtenir des Capucines parisiennes de prononcer ses vœux dans leur monastère. Elle doit quitter
l'habit de novice, le nonce et l'archevêque jugeant « un objet de mauvais exemple de voir par
Paris une demi-capucine sur le pavé ». Elle achève précocement sa vie dans une pauvreté et une
humiliation volontaires, en soignant quotidiennement les malades de l'Hôtel-Dieu. Elle y meurt
« au milieu des pauvres ». L'archevêque autorise son inhumation, revêtue de l'habit de novice,
chez les Capucines, dans le caveau des religieuses. La vie de cette femme de bonne noblesse, qui
ne put satisfaire son désir de s'enfermer dans le cloître, se livra à des mortifications
controversées – moins peut-être par leur rigueur que par le statut de celle qui s'abaissait à se les
infliger – et mourut en héroïne de la charité, n'est pas réductible à une analyse psychologique
sommaire. Elle a suscité chez ses biographes fascination (« une de nos plus grandes saintes
provençales », H. Bremond) et perplexité : ils ont en effet suggéré une quête de sainteté, l'ont
admiré, sans se risquer cependant à la proposer en exemple.
Régis Bertrand
Bibl. : Vies : père P. BONNET, L'Amour de la pauvreté descritte en la vie et en la mort de haute
et puissante dame Marthe, marquize d'Oraison […], laquelle décéda en l'Hostel-Dieu de Paris
au service des Pauvres en l'année 1627, Paris, Pierre Rocolet, 1632 ; père H. DE COSTE, Les
Éloges et les vies des reynes, des princesses et des dames illustres en piété, en courage et en
doctrine qui ont fleury de nostre temps et du temps de nos pères, nouv. éd. Paris, S. et
G. Cramoisy, 1647, t. II, p. 703-717 ; père M. de BAUDUEN, La Vie admirable de la très
illustre et très vertueuse Dame Marthe d'Oraison […], Lyon, J. Molin, 1671 et Rouen,
F. Vaultier, 1680 ; M. TAY, Une héroïne de la charité, Marthe d'Oraison…, Clermont-Ferrand,
Malleval, 1897.
Bibl. : Œuvres : J. ENNO (pseudonyme de Leletta), Le briciole del convito, Turin, SEI, 1963 ;
Diario di Leletta, Milan, Franco Angeli, 1993 ; Lo Spirito Santo, Effatà, Cantalupa, 1998 ; Come
ad antico compagno d'arme (choix de textes prés. par R. Cerasoli Andreassi), Milan, Ancora,
2001. Études : N. POSSENTI GHIGLIA, Leletta d'Isola. La portinaia del Buon Dio, Milan,
Ancora, 2009 ; COLLECTIF, Leletta, Testimonianze, Turin, Associazione Amici di Leletta,
1996.
Bibl. : Vie : Acta Sanctorum, juin, III, p. 667-800 ; FRANCESCO DA FERRARA, La vita della
beata Osanna da Mantova, partita in sei libri, Mantoue, 1590 ; G. BAGOLINI et L. FERRETTI,
La beata Osanna Andreasi, Vita, Florence, Tipografia Domenicana, 1905. Études :
M. PETROCCHI, L'estasi nelle mistiche italiane della Riforma cattolica, Naples, 1958, p. 45-
51 ; G. ZARRI, « Le sante vive. Per una tipologia della santità femminile nel primo
Cinquecento », Annali dell'Istituto Storico Italo-germanico in Trento, 6, 1980, p. 371-445.
Bibl : Vie et études : J. MARITAIN, « Notre sœur Véra », in Carnet de notes, Paris, Desclée de
Brouwer, 1965 ; N. POSSENTI GHIGLIA, Les Trois Maritain. La présence de Véra dans le
monde de Jacques et Raïssa, Paris, Parole et Silence, 2006.
Bibl. : Œuvres : The Silent Question : Meditating in the Stillness of not Knowing, Boston,
Shambhala Publications, 2007 ; The Wonder of Presence and the Way of Meditative Inquiry,
Boston, Shambhala Publications, 2002 ; Seeing Without Knowing and what is Meditative
Inquiry, Springwater (NY), Springwater Center, 1995 ; The Light of Discovery, Boston,
Shambhala Publications, 1995 ; The Work of this Moment, Boston, Shambhala Publications,
1990. Études : C. PREBISH, M. BAUMANN, D. L. MC MAHAN, Westward Dharma :
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New Buddhism : The Western Transformation of an Ancient Tradition, Oxford, Oxford
University Press, 2001 ; J. I. FORD, Zen Master who ?, Somerville, Wisdom Publications, 2006.
PAÏNI, Lotus de, dite « baronne Païni », peintre et écrivain occultiste (Elvezia Gazzoti ;
Copparo, Italie, 1862-Fumel, France, 1953). — Née d'une mère française (Thérèse Guignon) et
d'un père italien (Giuseppe Gazzotti), Elvezia Gazzoti quitte l'Italie pour la Côte d'Azur à
l'adolescence avec sa mère et sa sœur aînée, Fiametta. En 1888, elle se marie avec un aristocrate
italien, le baron Nicolas Païni, qui l'introduit dans la haute société et favorise ainsi sa carrière
d'artiste peintre. Autodidacte, elle expose pour la première fois à Paris en 1889. Elle signe sous
différents noms, dont Lotus de Païni, Lotus étant son nom mystique, choisi en 1889. Portraitiste
de cour en Roumanie de 1894 à 1897, elle est remarquée après son retour en France pour ses nus
féminins animés d'un esprit libertaire et d'un symbolisme mystique païen très affirmé. Lotus
préfigure le féminisme qui se développera au XXe siècle. Sa pensée puise dans les traditions pré-
patriarcales et s'organise autour de la sacralisation et de la libération du féminin. Après son
divorce d'avec le baron Païni, elle se remarie en 1900 avec le docteur Paul Pératé, dont elle
transforme le patronyme en Péralté. L'aventure spirituelle du couple la conduit à la Société
Théosophique naissante, puis, choisissant Rudolf Steiner plutôt qu'Annie Besant*, à la Société
Anthroposophique. Ce dernier a une influence profonde et durable sur sa pensée. Lotus soutient
ainsi le mouvement anthroposophique jusqu'au décès de Steiner en 1925. Elle contribue
financièrement et artistiquement à la création du premier Goetheanum à Dornach en 1914. Elle
est encore présente à partir de 1924, malgré une distance grandissante, lors de la reconstruction
de l'édifice, détruit par un incendie criminel le 31 décembre 1922. De nombreux voyages
aventureux et mouvementés, en compagnie de son époux, en Inde, à Ceylan, au Cachemire, à
Ladakh, au Tibet, en Égypte et en Palestine, viennent enrichir, parfois bouleverser, son
expérience et imprégner quantité de ses peintures. Ils constituent aussi la nourriture d'une pensée
originale, qui attend son heure pour s'épanouir.
Son premier ouvrage, Quelques Réflexions d'une artiste sur les dessins de la Caverne
d'Altamira (1909) démontre déjà l'érudition de l'auteur et sa capacité de détournement de la
science au profit du mythe et de la puissance poétique. En 1914, elle rédige L'Ésotérisme de
Parsifal. L'Ésotérisme de la vieille légende du Cycle d'Artus, suivie d'une traduction du Parsifal
de Wagner, qui véhicule les constituants d'une pensée autonome en construction, mystique,
gnostique, païenne et hermétiste. Dix ans plus tard débute la publication de son œuvre la plus
importante, qui fascina André Breton : Les Trois Totémisations. Essai sur le sentir visuel des très
vieilles races (1924) ; La Magie et le mystère de la femme (1928) ; Pierre Volonté (1932). Lotus
cherche dans les anciennes traditions l'expression, la plus immédiate possible, d'une mystique
originelle inscrite dans le rapport entretenu avec la nature. Sa conception de la magie est à la fois
classique et très personnelle. Le procès – sentir, penser, vouloir –, qu'elle associe aux trois règnes
– animal, végétal, minéral –, s'épanouit en l'être humain, à qui l'univers répond pour l'assister
dans une quête où se combinent l'enchantement du monde et la liberté. Les trois totémismes, loin
des considérations universitaires, investissent les arcanes naturels de l'hermétisme. L'alchimie
secrète du sang, l'érotisme sacré, le jeu du phallus et du ctéis, la fonction sacerdotale et
initiatique de la femme, la transcendance du féminin, sont abordés avec une intuition étonnante.
Lotus prend pour première matière de son œuvre ce qui est là, corps et nature, pour en saisir
l'enchantement puis l'essence. Au fil des trois livres, la dimension poétique initiatique s'affirme.
Le langage devient crépusculaire. Elle sait l'impuissance du discours à donner le pressentiment
de ce qu'elle connaît et fait appel à la fonction imaginale par des métaphores emboîtées. Si son
œuvre majeure, écrite « pour ceux qui viendront », n'est comprise, à sa parution, que par de rares
hermétistes et membres des avant-gardes, elle est aujourd'hui en passe de devenir culte.
Rémi Boyer
Bibl. : Œuvres : Quelques Réflexions d'une artiste sur les dessins de la caverne d'Altamira,
Paris, Sansot, 1909 ; L'Ésotérisme de Parsifal. L'Ésotérisme de la vieille légende celtique du
Cycle d'Artus, suivie d'une traduction littérale du Parsifal de Richard Wagner, Paris, Perrin,
1914 ; Les Premières Phases d'un mouvement de l'esprit, Paris, Sansot, 1914 ; Les Trois
Totémisations. Essai sur le sentir visuel des très vieilles races, Paris, Chacornac, 1924 ; La
Magie et le mystère de la femme, Paris, Éditions du Loup, 1928 ; En Palestine, relations de
voyage, Paris, Éditions du Loup, 1930 ; Pierre Volonté, Paris, Leymarie, 1932 ; Le Mysticisme
intégral, Paris, Les Argonautes, 1934. Étude : M. LE GOUARD, « Lotus de Païni (1862-1953)
et les trois Totémisations », Politica Hermetica, no 16, Paris, L'Âge d'Homme, 2002.
PANE, Gina, artiste plasticienne, performeur (Biarritz, 24 mai 1939-Paris, 1990). — Née d'une
mère autrichienne et d'un père italien, restaurateur de pianos, Gina Pane passe son enfance en
Italie du Nord, à Turin, qu'elle quitte en 1961 pour venir faire ses études à l'École des beaux-arts
de Paris, jusqu'en 1966. Pendant ces années, elle participe aux Ateliers d'art sacré (1961-1963).
Gina peint ses premières peintures dans un style géométrique abstrait et crée des sculptures. En
1968, elle réalise une série d'« Actions » in situ dans la nature, où son corps occupe une place
majeure : Terre protégée (1968), Enfoncement d'un rayon de soleil (1969). Dans les années
1970, elle est reconnue comme une des figures centrales du Body Art français.
Son évolution artistique est scindée en trois périodes distinctes. De 1968 à 1970-1971, elle
accomplit des interventions corporelles où son corps joue un rôle central de médiateur, en
rapport avec sa perception de la culture contemporaine. Elle utilise son enveloppe charnelle
comme matériau. Elle nomme ces performances ses « Actions », qu'elle réalise dans des galeries,
des musées ou lors de manifestations internationales telles que la Documenta VI à Cassel.
Œuvres qui se veulent des commentaires symboliques de la réalité. Ainsi, en 1971, la presse
dévoile le scandale et le tabou que représentait alors la mort par overdose d'un jeune homme.
Gina transpose dans son art l'aveu médiatique, en trempant face au public sa main dans une
bassine de chocolat brûlant, le « chocolat » étant un terme argotique désignant la drogue :
Hommage à un jeune drogué (Bordeaux, 1971) ; mise en scène et métaphore de la douleur, à
travers lesquelles elle souhaite susciter une prise de conscience collective, galvanisée qu'elle est
par sa foi en l'art et son combat auprès du public.
De plus en plus médiatisée, entre 1972 et 1977, elle élabore dans son atelier des « Actions » à
partir de nombreux dessins qui illustrent son cheminement intellectuel. Dans un second temps,
elle les développe minutieusement devant un public. Des photographies en conservent la
mémoire, donnant une dimension pérenne à ce qui est à travers l'éphémère, l'important : sa
présence et son échange avec le public, lors de la réalisation de ses « Actions ». Dans Escalade,
non anesthésiée (Paris, 1971), elle escalade pieds nus une grille acérée ; elle gravit l'échelle de la
souffrance durant l'« Action » qui est photographiée à certains moments clefs. Dans Aziome
sentimentale (Milan, 1973), elle illustre une dimension du martyre catholique par automutilation,
en se plantant des épines dans les bras et en faisant couler son sang avec une lame de rasoir. Elle
ira jusqu'à laisser des asticots grouiller sur son visage (Mort, 1974). Supporter stoïquement
l'insupportable et l'exhiber à la fois possèdent un sens pour Gina. Chez elle, les rituels artistiques,
provoquant la douleur, sont accomplis dans le but d'une catharsis, d'une possible transformation,
d'elle-même et du public.
Après la création de l'atelier de performances au centre Georges Pompidou, à Paris, en 1978,
elle cesse ses « Actions ». Un tournant s'amorce, elle abandonne la performance dans les années
1980 pour revenir à la sculpture et la peinture, qu'elle enseigne, de 1975 à 1990, à l'École des
beaux-arts du Mans. Durant cette période, elle utilise ses créations passées et l'histoire de l'art –
elle se réfère à la peinture religieuse flamande et italienne de la Renaissance – et met au point un
nouveau langage artistique qui repose sur la mémoire. Elle abandonne le sens littéral, le recours à
sa propre chair. Le bois, le fer, le verre et le cuivre figurent la matérialité de son corps. Dès lors,
elle crée des « Partitions ».
À la fin de sa vie, elle évoque la saga des saints martyrs chers à la tradition catholique en
effectuant une relecture tardive et iconographique de La Légende dorée (1986) : « Je suis
fascinée par la vie des saints, parce qu'à chaque fois on est face à un homme. Dans l'icône, il n'y
a que transcendance », dira-t-elle. En 1985-1986, elle réalise ainsi trois versions du martyre de
saint Laurent et compose Saint Georges et le dragon d'après une posture d'une peinture de Paolo
Ucello, partition pour un combat (1984-1985). Elle meurt prématurément des suites d'un cancer.
Le corps et l'esprit sont les deux grands thèmes et matériaux de la création artistique de Gina
Pane, qui n'a de cesse de sonder le religieux. Ses « Actions » ritualisées posent la question de la
présence et de la relation à l'autre, de l'éveil des consciences. Relié à l'invisible blessure
collective, son corps interroge la nature sacrificielle de l'âme humaine. Des ponts entre sa
création et la sphère spirituelle peuvent être établis quand elle reprend certains éléments du
vocabulaire corporel religieux, la lumière, la terre, la nourriture, le sang, la blessure, etc. La
souffrance qu'elle exprime, liée au rachat, à l'exorcisme ou à la communion, est aussi celle des
grands mystiques. Sans revenir pour autant à la religion, elle revisite et réactualise certaines fêtes
et rites théologiques : Pentecôte ou l'été indien (1987-1988), La Prière des pauvres et le corps
des saints (1989-1990), autant d'œuvres qui ne cessent d'inviter l'homme à méditer.
Caroline Benzaria
Bibl. : Étude : A. TRONCHE, Gina Pane : Actions, Paris, Fall, 1997. Expositions : De 1967 à
1990, Gina Pane s'est manifestée à travers de nombreuses actions et expositions : musée d'Art
moderne Georges Pompidou, Paris, 1979 ; musée d'Art moderne, Villeneuve-d'Asq, 1986 ;
galerie Isy Brachot, Paris et Bruxelles, 1978, 1980, 1983, 1987, 1988.
Bibl. : Œuvres : Œuvres complètes (y compris les lettres), in J. Mesnard (éd.), Œuvres
complètes de Blaise Pascal, Paris, Desclée de Brouwer, 1964-1992, 4 vol. ; Constitutions de
Port-Royal du Saint-Sacrement, Paris, Nolin, 2004. Études : Gilberte et Jacqueline Pascal,
numéro spécial des Chroniques de Port-Royal, no 31, Paris, 1982 ; Dictionnaire de Port-Royal,
Paris, Champion, 2004.
Perle évangélique, La (XVIe s.). — Écrit d'une béguine anonyme, La Perle évangélique
prolonge au XVIe siècle le courant de la mystique rhéno-flamande. L'identité de son auteur n'a
pas été percée jusqu'à présent ; néanmoins, dans la Préface qu'il donne à l'édition de 1542,
Nicolas van Essche, latinisé en Eschius, affirme avoir connu cet auteur, qui faisait partie de ses
relations ordinaires. Or Eschius exerça son ministère dans la région d'Osterwijk, dans le Nord-
Brabant, et lui-même y avait fondé un béguinage. Eschius précise que cette personne était une
célibataire pieuse, qui mourut le 28 janvier 1540, à l'âge de soixante-dix-sept ans. Dom Thierry
Loher, chartreux à Cologne, qui publia le texte à Utrecht en 1535, précise qu'elle était de noble
origine et qu'elle avait pratiqué cinquante ans durant ce qu'elle enseignait dans son livre. Autre
chartreux colonnais, Laurent Surius, qui aurait traduit l'ouvrage en latin (à moins que ce ne soit
Eschius lui-même) afin d'en assurer une diffusion européenne, demanda au jésuite Pierre
Canisius, dans une lettre du 18 mars 1576, si cette demoiselle n'était pas de sa parenté. N'ayant
point la réponse de Canisius, nous ne pouvons que supposer que cette personne inconnue n'est
autre que cette parente brabançonne du jésuite, dont celui-ci parle dans son testament et qui lui
aurait prophétisé un avenir éminent au service de l'Église.
L'ouvrage ne saurait se comparer aux chefs-d'œuvre qu'ont rédigés Hadewijch d'Anvers* et
autres grandes mystiques germaniques : la fulgurance visionnaire en est absente, tout comme la
veine poétique. S'inspirant largement de ses devanciers, l'auteur nous livre des traités
didactiques, très minutieusement composés, qui reflètent une exigence ascétique sans doute
vécue, et peut-être aussi des états mystiques expérimentés, mais sans la moindre allusion
autobio-graphique. La première édition de Thierry Loher, en moyen-néérlandais, eut sans doute
quelque succès, puisqu'elle fut rééditée en 1536 à Anvers. Mais le texte en était lacunaire, et il
faut attendre 1538 pour disposer de son intégralité, publiée à Anvers sous le titre Die groote
Evangelische Peerle, qui connaîtra huit rééditions jusqu'en 1566. Entre-temps, en 1545, la
chartreuse de Cologne publiait la traduction latine, reprise en 1609 et 1610. Quel qu'en soit le
traducteur, elle pose de considérables problèmes : l'ordre est bouleversé par rapport à l'original,
des chapitres sont ajoutés, d'autres omis. Toutes les traductions ultérieures en langues
vernaculaires seront faites sur cet exemplaire latin. La Perle ne connaîtra qu'une traduction
française en 1602, par les soins de la chartreuse de Vauvert, à Paris, et singulièrement, semble-t-
il, de dom Richard Beaucousin, animateur de ce cercle mystique qui réunissait alors Pierre de
Bérulle, Mme Acarie*, Benoît de Canfield et autres ardents réformateurs du catholicisme. Cette
première édition sera suivie d'une seconde en 1608, dont nous ne possédons qu'un exemplaire,
trouvé miraculeusement par Louis Cognet et déposé à la bibliothèque de Port-Royal.
La Perle décante les subtilités de la métaphysique eckhartienne – ainsi la distinction Dieu/déité
n'est plus d'actualité –, mais elle s'intéresse aux relations entre Dieu et l'âme, déterminées par le
rapport entre l'image et la ressemblance, tel que l'a approfondi la théologie augustinienne :
l'homme est « bestial selon le corps, selon l'âme, raisonnable et intellectuel, et selon l'esprit, en la
nue essence de l'âme où Dieu habite, il est déiforme ». C'est dans cette « suprême partie de
l'âme » (selon le mot de Ruusbroec), appelée aussi « esprit » (mens) ou encore « scintille de
l'âme » qu'a lieu l'engendrement du Verbe de Dieu en nous. À cette doctrine toute eckhartienne,
la Perle joint sans faillir des notions ou des schémas nettement platoniciens (l'émanation de l'âme
hors de l'essence divine, les archétypes des créatures en Dieu), tout à fait accordés au goût du
XVIe siècle pour cette philosophie alors revisitée à nouveaux frais. Ainsi le processus se dessine-
t-il de la triple union à Dieu : « En la première, nous sommes superessentiels et déiformes, en la
seconde spirituels et internes, en la troisième actifs et moraux. » En revanche, plus originale est
l'insistance sur les éléments christologiques, en particulier le beau développement sur
l'incorporation au Christ, puisque le motif de l'Incarnation est avant tout, conformément à la
tradition franciscaine, de Duns Scot à Harphius, la surélévation de la nature humaine. Une
incorporation qui n'est pas le résultat seulement d'une imitation, mais aussi d'une participation
mystique : « Car autant que nous suivons Jésus-Christ intérieurement en l'esprit et âme, et par
dehors au corps, autant aussi nous nous vêtons de lui. » (Voilà qui anticipe ce que seront les
« états » dans la théologie mystique de Bérulle.) Cependant, le souci très eckhartien, mais fort
périlleux, d'un dépassement de l'humanité du Christ n'en a pas moins droit de cité, ce qui fait dire
à celui-ci : « Il ne suffit pas de s'exercer en mon humanité, mais il faut passer outre jusqu'à
l'essence de ma très excellente divinité, car l'humanité ne profite de rien sans la divinité, et Dieu
s'est fait homme afin que les hommes fussent faits dieux par grâce. »
La méthode pour y parvenir sera classiquement de rentrer en soi-même, pour atteindre le point
abyssal de l'archétype divin – le centre de l'âme, dira Jean de la Croix –, une introspection
comprise comme abnégation et anéantissement de soi ; car le néant – par défaut – de la créature
consone au néant – par excès – innommable de Dieu, selon la tradition dionysienne. La volonté
est puissamment mise à contribution, qui doit être progressivement purifiée, selon un schéma en
neuf degrés (inspiré sans doute par L'Échelle d'amour de Harphius), divisés en trois paliers : vie
active, vie spirituelle et vie superessentielle (où, semble-t-il, le croyant jouirait déjà de la
« lumière de gloire »). Mais avant tout, il bénéficie de « cette vie mélangée d'action et de
contemplation [qui] est la vie la plus parfaite qu'on peut mener en ce monde » : c'est la fameuse
« vie commune », chère à Ruusbroec, où l'homme « en cet abîme qui est Dieu se perd tout, et est
tout consumé en Dieu, et Dieu lui-même en un tel homme descend en son intérieur vivant que
l'âme comprend et environne en soi ». Ainsi est-il « totalement transformé en Dieu, comme s'il
était fait un autre homme, comme à la vérité il est fait autre, car le Saint-Esprit vient en lui
superessentiellement, comme ès saints Apôtres ». Dégagées de l'étayage fortement platonicien,
les voies qu'ouvriront, en ce même XVIe siècle, Ignace de Loyola et Jean de la Croix, dans la
densité de la chair désirante et de l'historicité concrète, proposeront semblables ambitions à la
modernité naissante et en préciseront les moyens pour les réaliser.
François Marxer
Bibl. : La Perle évangélique (1602), précédée de Le Coup terrible du néant, par D. Vidal,
Grenoble, Jérôme Millon, 1997.
Bibl. : Œuvre : Les Œuvres spirituelles de la Sœur Jeanne Perraud, Marseille, C. Marchy, 1682.
Vie et études : H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France…, t. III, La
Conquête mystique, rééd., Grenoble, Jérôme Millon, 2006, vol. I, p. 1274-1283 ; M. BERNOS,
« Encore la Provence mystique : Jeanne Perraud », Aspects de la Provence, Marseille, Société de
statistique, d'histoire et d'archéologie de Marseille et de la Provence, 1983, p. 97-124 ; J. LE
BRUN, « La dévotion à l'Enfant Jésus au XVIIe siècle », in E. Becchi, D. Julia (éd.), Histoire de
l'enfance en Occident, Paris, Seuil, 1998, t. 1.
Bibl. : Œuvres : tous les ouvrages traduits de Clarissa Pinkola Estés sont disponibles aux
éditions Grasset (Paris).
Bibl. : Œuvres : Mémoires de Charité Pirkheimer, par J. Heuzey (= Madame G. Goyau), Paris,
Perrin, 1905 ; JEANNE DE JUSSIE, Le Levain du Calvinisme, Chambéry, Frères Dufour, 1611
(réimprimé à Genève en 1853, avec un titre tendancieux) ; Petite Chronique, H. Feld (éd.),
Mainz, P. von Zabern, 1996 (texte français, Intr. en allemand). Études : F. RAPP, « La piété
d'une maîtresse femme ; la dernière abbesse des Clarisses de Nuremberg ; Caritas Pirckheimer
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Presses universitaires de Strasbourg, 2004 ; C. WILSON, Women Writers of the Renaissance and
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CAMILOCCI, « Ginevra, la Riforma e suor Jeanne de Jussie. La Petite Chronique di una
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Paris, La Différence, 1990 ; Correspondance avec Rainer Maria Rilke (1924-1925), Paris, La
Différence, 1990 ; Journal 1913-1934, Paris, Claire Paulhan, 1997 ; La Flamme et la cendre,
correspondance avec Paul Valéry, Paris, Gallimard, 2006. Vie : J. LAWRENCE, Catherine
Pozzi, une robe couleur du temps, Paris, La Différence, 1988 ; M. DIAZ-FLORIAN, Catherine
Pozzi, la vocation à la nuit, Paris, Aden, 2008. Études : P. BOUTANG, Karin Pozzi et la quête
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J. MAÎTRE, Mystique et féminité : essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf, 1997,
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Martiny, précurseur et martyre…, Paris, Fayard, 2003, p. 150.
RÂBI'A AL-'ADAWIYYA, soufie (Basra, v. 714-801). — Râbi'a est sans conteste une des très
grandes figures de la mystique en islam. Elle marqua pour des générations les orientations de la
spiritualité musulmane naissante. Elle vécut dans ce deuxième siècle de l'ère musulmane qui fut
une étape de formation des courants mystiques. Les premières figures de la spiritualité
musulmane à cette époque furent plutôt des dévots, des ascètes fervents multipliant les pratiques
pieuses surérogatoires, vivant dans la crainte de Dieu. Râbi'a marque un tournant important, car
elle semble être la première à avoir parlé ouvertement et avec lyrisme de relations d'amour entre
Créateur et créature.
Râbi'a a certainement été une figure historique, tellement son renom et ses enseignements ont
été perçus fortement et gardés en mémoire par ses contemporains. Cependant, tout ce que nous
savons d'elle dépend d'une hagiographie tardive, écrite deux siècles après sa mort ou plus. Ainsi
les récits la concernant rapportés dans Le Mémorial des saints de Farîd al-dîn 'Attâr sont-ils
restés fameux, mais ils datent du XIIe siècle. Plus les sources sont récentes, plus leurs notices sur
la vie de Râbi'a sont détaillées et remplies d'éléments merveilleux. Il a ainsi fallu deux bons
siècles avant que sa personnalité littéraire et mystique ne trouve son achèvement, puis que sa
légende ne cesse de s'amplifier. C'est pourquoi nous allons aborder Râbi'a comme un profil de
sainteté archétypal, modelé par des siècles de méditation et d'expériences intérieures, et non
comme un personnage dont on pourrait tracer un portrait historique. Il est très probable qu'on lui
a attribué des dires ou des actions ressortissant à d'autres femmes mystiques restées dans l'ombre
de l'histoire hagiographique, ainsi que des anecdotes pieuses simplement inventées.
On peut toutefois tenir pour acquis qu'elle était originaire de la région de Bassora, dans le sud
de l'Irak, où elle vécut toute sa vie. Elle était issue d'un milieu pauvre, voir servile – une fille de
bonne famille n'aurait pu mener une telle existence. La légende fait d'elle une enfant volée, qui
aurait survécu comme esclave chanteuse ; on retrouve ici le thème récurrent dans l'hagiographie
chrétienne de la conversion de la femme de mauvaise vie. Toujours est-il que Râbi'a, devenue
adulte, vécut principalement comme une ermite dans le désert, puis dans la ville de Bassora
même. Elle pratiquait une ascèse totale et inconditionnelle. Ce trait n'a rien d'invraisemblable, car
nombreux étaient ses contemporains qui prirent le chemin du renoncement et de la privation – de
nourriture, de sommeil, de compagnie humaine. Un autre trait récurrent est son attachement au
célibat. Le fait est exceptionnel en terre d'islam, où le mariage est très vivement recommandé et
le monachisme explicitement désavoué. Malgré de nombreuses demandes en mariage, émanant
parfois de personnes influentes, Râbi'a aurait toujours tenu à rester totalement disponible à son
seul Aimé. Ce qui ne l'empêchait pas d'accueillir des visiteurs. Le rayonnement de sa
personnalité est illustré par les noms des mystiques, parfois illustres, qui venaient la voir pour
s'entretenir avec elle et partager sa présence. Parmi eux, ‘Abd al-Wâhid ibn Zayd, Mâlik ibn
Dînâr, Shaqîq al-Balkhî, Sufyân al-Thawrî, et bien d'autres. Mais si elle accueillait les visiteurs,
sa contemplation ne cessait pas pour autant, ainsi qu'elle l'aurait exprimé dans ces vers : « J'ai fait
de Toi le compagnon de mon cœur / Mais mon corps est là pour ceux qui cherchent sa
compagnie / Et mon corps est prêt à recevoir amicalement ses hôtes / Mais l'Aimé de mon cœur
est l'hôte de mon âme. »
La tradition rapporte de nombreux prodiges qui se seraient produits autour d'elle. Il est
notamment question d'apparitions merveilleuses de nourriture – non pour elle, mais pour ses
hôtes. De son corps émanait une lumière qui permettait de se passer de lampe dans l'obscurité.
Malgré leur caractère légendaire, ces récits indiquent à tout le moins que Râbi'a était considérée
comme une vérita-ble sainte (waliyya), une amie de Dieu. Les miracles de ce type sont presque
systématiquement attribués aux grands saints comme le signe même de l'agrément que Dieu leur
porte.
Râbi'a n'a rien écrit. La tradition hagiographique lui attribue toutefois un bon nombre de
prières, des réponses et des vers. Une de ses plus célèbres oraisons, lorsqu'elle priait la nuit, est la
suivante : « Ô Seigneur, les étoiles brillent, les yeux des humains sont fermés, les rois ont clos
leurs portes, chaque amant est seul avec son aimé, et moi je me tiens, devant Toi. »
Parmi ses legs les plus importants à la mystique musulmane postérieure, on doit mentionner sa
doctrine de l'amour intégral. Il traduit un attachement à Dieu seul qui, nous l'avons vu, l'a
conduite à refuser l'idée même du mariage et de l'attachement maternel. À qui l'interrogeait, elle
répondait : « Le mariage est nécessaire à qui peut choisir. Quant à moi, je n'ai pas le choix de ma
vie. Je suis à mon Seigneur et dans l'ombre de ses commandements ; ma personne n'a aucune
valeur. » De même, interrogée sur son amour envers le prophète Muhammad, elle répondait :
« Je l'aime, mais mon amour du Créateur m'a détournée de l'amour de ses créatures. » Elle
voulait aimer Dieu pour lui-même, écartant catégoriquement toute idée de crainte de l'enfer ou
d'attente des plaisirs du paradis – attitude qu'elle jugeait basse et « mercenaire ». Elle se gaussait
des croyants qui aspirent à la félicité paradisiaque auprès des épouses célestes, en ignorant
combien la présence divine est un bonheur incommensurablement supérieur. Une maxime sur le
paradis est restée célèbre : « Le Voisin d'abord, [sa] maison [= le paradis] ensuite » (« Al-jâr
thumma al-dâr »). De façon générale, elle négligeait les bienfaits terrestres pour s'attacher au
seul bienfaiteur. Une déclaration de Râbi'a sur ce sujet est d'ailleurs restée fameuse dans l'histoire
de la mystique musulmane : « Ô mon Maître, si je T'adore par crainte de l'enfer, brûle-m'y, et si
je T'adore par espoir du paradis, exclus-m'en, mais si je T'adore pour l'amour de Toi seul, alors
n'écarte pas de moi ton éternelle Beauté. » Un récit attenant la met en scène portant du feu dans
une main et de l'eau dans une autre, répondant à qui l'interrogeait qu'elle allait « vers le ciel, pour
jeter du feu sur le paradis et de l'eau sur l'enfer, afin que tous les deux disparaissent et que les
hommes regardent Dieu sans espérance ni crainte » (rapporté par Aflâkî au XIVe s.). Il est
intéressant de noter que Jean de Joinville, historien du roi Louis IX, raconte une anecdote
similaire un siècle plus tôt, mais située dans la région de Damas cette fois ; et que Jean-Pierre
Camus, évêque de Belley, se fonde précisément sur ce récit dans son ouvrage Caritée, ou Le
portrait de la vraie charité : histoire dévote tirée de la vie de Saint Louis (1641), recueil de
sermons où il défendait la doctrine du pur amour.
Un poème très célèbre est attribué en ce sens à Râbi'a ; il mérite que l'on s'y attarde quelque
peu : « Je T'aime de deux amours : l'amour de passion, et un amour dont Tu es digne / Quant à
l'amour de passion, c'est que je ne suis occupée qu'à Te mentionner à l'exclusion de tout autre, /
Et quant à l'amour dont Tu es digne, c'est que Tu enlèves le voile afin que je Te voie. / Nulle
louange pour moi en l'un et l'autre – mais en l'un et l'autre louange à Toi ! »
Le théologien sunnite Ghazâlî, dans son ouvrage majeur La Revification des sciences
religieuses (composé entre 1095 et 1106), fondant théologiquement l'attitude des mystiques,
comprend ces deux amours de façon suivante : le premier est l'amour pour Dieu du fait des
bienfaits dont il nous pourvoit, et le second serait l'amour de Dieu en tant qu'il est lui-même,
pour sa divine beauté. Le philosophe Jad Hatem fait toutefois remarquer avec raison que le texte
dit bien autre chose. Le premier amour n'est pas explicitement lié à des bienfaits, ni dévalué par
rapport au second. Le deuxième amour exprime le bonheur de la contemplation de Dieu,
conférée par Lui. Il ne s'agit donc pas d'un amour vraiment différent, mais simplement d'une
félicité due à un plaisir plus éblouissant encore car venant de l'aimé. L'amour pur aurait été de
renoncer précisément à tout plaisir, y compris éventuellement à la joie de la contemplation – telle
la figure d'Iblîs (Satan), désobéissant à Dieu par amour pour lui, selon Hallâj (cf. aussi l'amour
pur selon Mme Guyon* et Fénelon, au XVIIIe s.). La poésie attribuée à Râbi'a exprime en toute
simplicité la joie de la rencontre avec le divin, joie qui comble la sainte et la conduit à écarter
tout autre réconfort. Il s'agit, pourrait-on dire, de la jouissance spontanée et complète de la
présence de l'aimé, au-delà de toutes les attitudes de contrition et de crainte de la colère divine si
courantes dans la littérature de type ascétique. Ainsi, elle aurait déclaré dans un poème : « Ô ma
joie, mon désir, mon appui, / Mon compagnon, ma provision, mon but, / Tu es l'esprit de mon
cœur, tu es mon espoir, / Tu es mon confident, mon désir de Toi est mon viatique […] /
Désormais ton amour est mon but et mon délice / Et la splendeur de l'œil de mon cœur assoiffé. /
Tant que je vivrai je ne m'éloignerai pas de Toi. / Tu es définitivement maître dans le fond de
mon cœur. / Si Tu trouves de l'agrément en moi / Alors, désir de mon cœur, ma joie
débordera ! »
La position de Râbi'a face à la loi religieuse et à sa morale reflète un paradoxe fréquent chez
les mystiques musulmans. Elle était en effet pratiquante à l'extrême, priant de jour comme de
nuit, jeûnant sans cesse : « Il faut aujourd'hui que nous jeûnions pour rendre grâce des prières
que nous avons faites cette nuit », proposa-t-elle à un soufi qui était venu la visiter. Mais
simultanément, la loi reste pour elle un truchement, une médiation relative face à la seule réalité
qui vaille d'être approchée, celle de la présence de Dieu. D'une certaine manière, le croyant doit
même se défier d'une pratique tellement fervente que son accomplissement l'éloignerait de la
recherche de cette présence. Effectuant son pèlerinage à La Mecque, Râbi'a aurait dit de la
Kaaba : « Cette idole adorée sur la terre ! Dieu n'y a pas pénétré, ni n'en est absent ! » Ce
paradoxe montre bien que, pour qui vit pour Dieu et en lui, tout ce qui est terrestre devient un
simple signe, sans plus. De plus, l'homme n'a pas de prise sur Dieu, sa pratique, sa piété ne lui
donne aucun avantage. À un homme qui lui disait : « J'ai commis de nombreux péchés, j'ai
multiplié les désobéissances. Mais si je me repens, Dieu me pardonnera-t-Il ? », elle répondit :
« Non. Mais s'il te pardonne, alors tu te repentiras. » La seule prise de l'homme reste sur lui-
même. Ainsi Râbi'a aurait-elle enseigné : « Lorsque nous demandons pardon, nous avons besoin
de demander pardon pour le manque de sincérité de notre demande. »
Le rôle de Râbi'a dans le courant de la mystique musulmane doit donc être évalué avec lucidité.
Son attitude spirituelle constitue un tournant, nous le signalions plus haut, précisément en ce
qu'elle devient authentiquement mystique. Le départ est en effet souvent malaisé à tracer, dans
les premières générations des spirituels musulmans, entre la dévotion fervente – laquelle
n'implique au fond aucun contact entre le dévot et le divin, mais bien plutôt la crainte devant la
transcendance radicale de Dieu – et la mystique proprement dite, fondée au contraire sur le
contact, voire l'amour avec lui. Cependant, la figure historique de Râbi'a est une construction
progressive. Nous le disions plus haut, l'attribution rétroactive à la sainte de Bassora de certaines
paroles ou attitudes d'autres mystiques est fort probable. C'est tardivement qu'elle est qualifiée de
« seconde Marie* » par 'Attâr. Mais un fait demeure certain au travers de toute cette
hagiographie : l'hommage porté à la sainteté féminine, devenue le fondement paradigmatique
d'une attitude essentielle, l'amour passionné pour Dieu.
La figure de Râbi'a a inspiré plusieurs ouvrages contemporains. Un film fameux a été produit
en Égypte en 1960 sur le thème – romancé – de sa vie, notamment son activité supposée de
joueuse de flûte, suivie de sa conversion. Le rôle de Râbi'a est joué par l'actrice égyptienne
Nabila Obeid ; les chansons, écrites par le grand chanteur-compositeur Muhammad ‘Abd al-
Wahhâb, sont interprétées par Oumm Kalsoum. Il s'agit d'une renaissance publique du mythe de
Râbi'a, qui a pris sa place dans la configuration culturelle de ce que l'on appelle le « féminisme
islamique ».
Pierre Lory
Bibl. : Œuvres : l'ensemble des extraits attribués à Râbi'a dans la littérature hagiographique
musulmane a été regroupé par A. BADAWI, Shahîdat al-'ishq al-ilâhî – Râbi'a al-Adawiyya, Le
Caire, Maktabat al-nahda al-misriyya, 1954 ; Chants de la recluse, trad. de l'arabe M. Oudaimah
et G. Pfister, Paris, Arfuyen, 1988. Vie et études : J. ANNESTAY, Une femme soufie en Islam –
Râbi'a al-'Adawiyya, Paris, Entrelacs, 2009 ; M. SMITH, Muslim Women Mystics – The Life and
Work of Râbi'a and other Women Mystics in Islam, Oxford, Onworld Publications, 2001 ;
J. HATEM, L'Amour pur hyperbolique en mystique musulmane, Paris, Éditions du Cygne, 2009.
RÂBI'A BALKHÎ, soufie (Râbi'a bint Ka'b al-Quzdârî ; Balkh, Xe s.). — Née à Balkh (la cité
hellénistique de Bactres) dans le nord de l'Afghanistan, Râbi'a Balkhî est la fille d'un gouverneur
de la ville nommé Ka'b al-Quzdârî. Celui-ci descendait, semble-t-il, de conquérants arabes qui
s'étaient installés dans le nord-est de la Perse à l'époque d'Abû Muslim (v. 700- v. 755), chef
militaire abbasside. L'origine arabe de sa famille pourrait expliquer que Râbi'a ait été
parfaitement bilingue et qu'elle ait écrit dans les deux langues. Le peu de données historiques
disponibles permet de penser que la princesse aurait été contemporaine de Nasr II, souverain
samanide de l'Iran, dont elle aurait été poète de cour, mais aussi du grand poète persan Roudaki.
À la cour de son frère Harès, qui succède à son père Ka'b, Râbi'a s'adonne à la poésie, et il est
probable qu'elle fréquente les adeptes du soufisme encore naissant dans ces régions, converties à
l'islam depuis guère plus d'un siècle. Selon une légende bien établie, mais dépourvue d'éléments
historiques probants, elle se serait éprise d'un domestique turc de Harès, cuisinier ou garde,
nommé Bakhtach. Le gouverneur, l'ayant appris, fait enfermer sa sœur dans la salle de bains d'un
palais ou dans une pièce attenante à un hammam, après l'avoir blessée au cou. Bakhtach est
arrêté et enfermé dans un puits, d'où il s'évadera, et il assassinera le gouverneur Harès avant de se
donner la mort. Pendant ce temps, Râbi'a, enfermée, se meurt en écrivant des poèmes sur les
murs de la salle où elle est enfermée, avec le sang qui coule de sa gorge.
Râbi'a Balkhî est immensément populaire en Afghanistan, connue au Tadjikistan et en Iran.
Elle est citée par deux des plus grands poètes persans, Djâmi de Hérat (dans son Nafahât al-'Ons)
et Farîd al-dîn'Attâr (dans les Mathnawiyyât ou « Essais »). Elle est évoquée par ailleurs dans le
Lobâb ol-Albâb (1220) de Awfi, un des premiers historiens et panégyristes de la littérature
persane, et traitée plus substantiellement par Edward Granville Browne dans A Literary History
of Persia (1908). Elle a inspiré également un poète de l'époque qadjar, Réza Qoli Khan Hédâyat,
qui composa un Bakhtach-nâma (« Livre de Bakhtach »).
Elle occupe, à plus d'un titre, une place singulière dans l'histoire littéraire des pays de langue
persane. Islamisée depuis peu, aux dépens du zoroastrisme et du bouddhisme, toute cette région,
qui comprend l'Iran, l'Afghanistan, le Tadjikistan actuels et leurs pourtours, voit au IXe siècle sa
langue, le moyen-perse ou « pehlevi », se transformer profondément sous l'influence de l'arabe,
qui vient l'enrichir par des milliers d'apports lexicaux. Après l'invasion arabo-islamique, la
langue persane change aussi d'écriture, délaissant l'alphabet araméen au profit des caractères
arabes. En même temps, une littérature nouvelle apparaît : alors que, jusque-là, le moyen-perse
excellait dans le récit en prose, le fabliau et l'épopée, émerge alors, sous l'influence de la
prosodie et de la métrique arabes, ce qui ouvrira la voie, par la langue, les thèmes, les canevas et
les formes, à la grande poésie persane. Râbi'a Balklhi est une des premières représentantes de
cette nouvelle langue qui constitue déjà le persan moderne parlé aujourd'hui. Dans ses ghazals
(poèmes brefs renvoyant aux échanges amoureux), l'amour de Dieu et de l'amant ne font qu'un.
Seul l'amour permet de prendre conscience de l'éternité, de l'infini et de l'absolu, mais la Voie est
un itinéraire déroutant et difficile, auquel on ne peut échapper dès l'instant où l'être individuel a
reconnu l'appel vers la sublime transcendance et l'indicible Tout : « Son amour m'a de nouveau
saisie dans ses rets ; / Mes efforts pour m'échapper n'ont servi de rien. / L'amour est une mer aux
rivages invisibles. / Quel sage serait capable d'y nager ? / tu veux aller jusqu'au bout de l'amour, /
Il faut que tu acceptes l'inacceptable, / Que tu regardes le laid et le trouves beau, / Que tu boives
le poison et le trouves sucré. / Je me suis rebellée, mais j'ignorais / Que plus on tire sur la corde,
plus la boucle se resserre. » Exprimant une mystique profonde, au moyen d'une esthétique
raffinée et chargée de sens, Râbi'a préfigure ainsi les plus grands poètes persans qui lui
succèderont.
Le caractère spectaculaire et tragique de la mort de Râbi'a la confirme comme une « martyre de
l'amour ». Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que cette figure particulièrement
attachante, cette poétesse de haute spiritualité, soit révérée avec ferveur en Afghanistan où, avec
quelques autres femmes, elle a accédé au rang d'héroïne nationale à demi mythique. Icône
féminine, voire du féminisme ou encore de la résistance à l'oppression, de tout un peuple en
Afghanistan, Râbi'a Balkhî a donné en effet son nom à plusieurs écoles, collèges et lycées, ainsi
qu'à un hôpital, et a fait, en 1965, l'objet d'un film demeuré célèbre dans son pays. Son image a
été largement promue sous le despotisme éclairé des monarchies progressistes et modernisatrices
qui se sont succédé en Afghanistan de 1919 à 1973 et qui ont œuvré en faveur de l'émancipation
des femmes. De façon plus discutable, elle a aussi été récupérée par les systèmes totalitaires
communistes entre 1978 et 1992. Retombée sous silence à l'époque du régime religieux radical
(1996-2001), elle émerge de nouveau depuis 2002 dans le contexte de la liberté de la presse et
d'expression établi par la nouvelle constitution afghane. Entouré d'une grande ferveur populaire,
son tombeau, situé à Balkh, est un lieu de pèlerinage.
Didier Leroy
Bibl. : Œuvres et études : ATTA, Les Grandes Poétesses de l'histoire littéraire afghane,
Kaboul, Presses de l'État, 1986 ; M. NAWABI, Rabia Balkhi, Kaboul, Warasta, 1977 ;
S. NOURY, A Research Note on First Afghan Poetess, Montréal, « The Persian » Mirror, 2004 ;
M. N. N. SAIDI, Textes anciens de langue persane, Kaboul, Presses de la Défense nationale,
1963.
RACHEL, figure spirituelle hassidique (Pologne, XIXe s.). — Rachel est la fille du « Rav
Apter », Abraham Joshua Heschel, rebbe d'Apt (Opatow), dont l'amour pour le peuple d'Israël lui
a valu d'être appelé « l'amoureux d'Israël », Oheiv Yisraël, titre également de son livre de
réflexions présentées selon l'ordonnancement de la Bible. Rachel fut remarquée dans le monde
hassidique pour sa connaissance du Talmud et du hassidisme. Son père, qui la considérait comme
« une étoile de sainteté », la consultait en bien des domaines. Elle l'a accompagné dans ses
nombreux voyages et les hassidim (disciples) qui rendaient visite au rebbe recherchaient ses
conseils, assurés que ces bénédictions féminines produisaient des miracles.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie : VENANCE FORTUNAT, Vie de Sainte Radegonde (Vita sanctae Radegundis),
trad. Y. Chauvin et G. Pon, Paris, Seuil, 1995 ; BAUDONIVIE, Vita II sanctae Radegundis,
Monumenta Germaniae Historica, Scriptores rerum merovingicarum, t. II, Hanovre, 1888.
Études : E.-R. LABANDE et P. RICHÉ (dir.), La Riche Personnalité de sainte Radegonde.
Conférences et homélies prononcées à l'occasion du XIVe centenaire de sa mort 587-1987,
Poitiers, Comité du XIVe centenaire, 1988 ; A. BERNET, Radegonde, Paris, Pygmalion, 2007 ;
M. ROUCHE, « Fortunat et Baudonivie : deux biographes pour une seule sainte », in R. Favreau
(éd.), La Vie de sainte Radegonde par Fortunat, Paris, Seuil, 1995, p. 239-249 ; ID.,
« Radegonde, une mort programmée », in Moines et moniales face à la mort, Villetaneuse,
Centre d'archéologie et d'histoire des établissements religieux, vol. 6, 1993, p. 3-17.
RAINE, Kathleen, poétesse et critique littéraire (Ilford, Essex, 14 juin 1908-Londres, 6 juillet
2003). — Kathleen Jessy Raine est née d'un père professeur d'anglais et prédicateur, originaire
du comté de Durham, et d'une mère écossaise qui lui transmet son amour de la nature et de la
littérature : « À ma mère je dois une culture, à mon père une éducation. » Riche de ce double
héritage et dotée d'intuition visionnaire – ce que le poète Thomas Traherne nommait un « œil-
enfant » –, elle a très tôt conscience de l'existence d'une ligne de partage entre la raison et
l'imaginaire, le monde moderne et celui de la tradition. De son enfance libre et heureuse passée
dans les prairies et collines du Northumberland, puis de son séjour au presbytère de Bavington
chez sa tante Peggy Black, Kathleen Raine gardera le souvenir d'un paradis originel avivant le
sentiment d'être en exil loin de l'Écosse et de ses traditions ancestrales : « Cette beauté du Nord,
où les cieux sont purs, où chantent les oiseaux sauvages, dans une solitude sans borne, est restée
le paysage intérieur de mon imagination. »
Entrée à l'âge de sept ans à l'école élémentaire des Highlands – « une prison de brique rouge
s'élevant sur un terrain de jeu asphalté » –, elle ne s'acclimatera jamais à l'environnement urbain
et social d'Ilford, qu'elle trouve conventionnel et étriqué. Régi par l'idée de progrès social, mais
mu par la jalousie et le ressentiment à l'égard d'autrui, ce monde matérialiste et utilitariste n'est à
l'évidence pas le sien. Privée de la nature qui enchanta son enfance, elle se tourne vers l'étude de
la botanique, et son premier émoi amoureux pour un jeune homme comme elle épris de musique
et de poésie lui fait découvrir combien l'amour est indissociable de la culture. Leur rêve d'union
ayant été brisé par son père, c'est son image de l'amour qui en restera à jamais meurtrie. Elle doit
cependant à Roland Haye, qui deviendra prêtre anglican, d'avoir très tôt découvert William Blake
– « Mon Virgile et mon guide » – et l'écrivain mystique Gerard Manley Hopkins.
Admise en 1926 au Girton College de Cambridge, dont elle sortira diplômée en 1929, elle y
étudie les sciences naturelles et la psychologie et y rencontre Jacob Bronowski, William
Empson, Humphrey Jennings, Malcolm Lowry. Hostile au scientisme positiviste et se sentant
atteinte par « la répugnante marée moderne », elle pressent le déclin de la grande culture
jusqu'alors transmise à Cambridge. Une brève union avec le critique Hugh Sykes Davis, puis une
seconde avec le poète et sociologue Charles Madge, dont elle aura deux enfants (1934 et 1936),
achèvent de la convaincre de l'incompatibilité entre mariage et vie poétique (« Mon démon
choisit pour moi l'inaccessible »). Des années difficiles vont suivre durant lesquelles, vivant
tantôt chez ses amis Roberts à Martindale avec ses deux enfants (1939-1941), tantôt à Cockley
Moor chez la mécène Helen Sutherland, elle associe son errance à celle d'Isis : « Je rassemble les
fragments divins dans le mandala / dont le centre est la puissance créatrice perdue. » C'est à deux
« messagers » de son héritage perdu qu'elle doit d'avoir enfin renoué avec la sacralité de l'amour :
Alastair, son « amant-démon », puis Gavin Maxwell, naturaliste et écrivain écossais, qui ne
contribua guère à son équilibre affectif, mais lui inspira certains de ses plus beaux poèmes : « Je
te vois par les yeux de l'esprit, / Homme de lumière, / si effacé, si éloigné / ton visage me bénit. »
Publiant en 1943 un premier recueil de poèmes (Stone and Flower), bientôt suivi par Living in
time (1946) et The Pythoness (1949), Kathleen Raine entame parallèlement un parcours plus
académique après s'être installée seule à Londres. Effectuant d'abord pour survivre des tâches
alimentaires et des traductions (1948-1951), elle devient ensuite attachée de recherche au Girton
College (1955-1961) où elle poursuit ses travaux sur William Blake, Samuel Taylor Coleridge,
William Butter Yeats, qui lui assurent bientôt une notoriété mondiale. Marquée par la pensée de
Carl Gustav Jung, elle est invitée à la fondation Bollingen et dans diverses académies et
universités (États-Unis, Irlande). L'idée lui vient alors de fonder une revue (Temenos, 1981) puis
une académie du même nom (1990) dédiées aux arts de l'imagination ; l'une et l'autre étant l'aire
sacrée où serait préservé le trésor de la tradition universelle et pérenne qui « enseigne ce qui est
éternel dans l'imagination humaine ». La découverte tardive de l'Inde, riche d'une tradition
spirituelle encore vivante, sera le point d'orgue de sa propre quête mythique et mystique : « Le
long maintenant de l'éternité est pour nous sans fin ni départ. » Docteur honoris causa de
plusieurs universités étrangères et honorée de distinctions officielles, Kathleen Raine s'est éteinte
à l'âge de quatre-vingt-quinze ans.
Héritière des platoniciens de Cambridge (XVIIe s.) et du néoplatonicien Thomas Taylor, dont
elle a traduit les écrits, elle l'est aussi des poètes romantiques (Milton, Keats, Shelley) et des
théosophes, kabbalistes et alchimistes qui tous réfutèrent la vision dualiste de l'univers qui allait
devenir celle des Temps modernes. Aussi Kathleen Raine devait-elle côtoyer de par le monde
ceux qui s'engagèrent comme elle pour un renouveau de la Philosophia perennis : Seyyed
Hossein Nasr, Herbert Read, Ananda Coomaraswamy, Henry Corbin, Gilbert Durand ; et nombre
des créateurs qui en transmirent l'esprit à travers leur œuvre : Thomas Stearn Eliot, Edwin Muir,
David Gascoyne, Marianne Moore, Peter Brook, John Tavener, Raja Rao, Saint John-Perse,
Marco Pallis, Kapila Vatsyayan. C'est dans cette mouvance que s'inscrit son étude magistrale
Blake and Tradition (1968). Adepte d'une sagesse intemporelle illuminant chaque instant de la
vie, Kathleen Raine vit surtout dans l'expérience mystique le levain d'une gnose poétique –
« Notre savoir dépasse ce que nous savons » – et la clé donnant accès à ce qu'elle nomme le
« Royaume invisible ». Aussi ne revient-elle sur son passé dans ses quatre Autobiographies
(1991) que pour y déceler ce qui a donné sens à sa vie, à « cette poussière qui a voyagé avec la
terre depuis la création des soleils » et porte en elle l'éternité de l'univers.
Les « heures mystiques » dont elle fait le récit sont donc moins des sorties du temps extatiques
que des points de condensation extrême où lui devient perceptible la circulation même de la vie,
omniprésente dans l'univers et animant la moindre parcelle de matière. La contemplation d'une
jacinthe à laquelle soudain elle s'identifie (« J'étais elle ») ou la vision onirique de l'arbre de vie
lui apportent la preuve qu'il est vain de croire en un autre monde quand c'est ce monde lui-même
qui, déverrouillé par un mode de perception imaginatif et visionnaire, apparaît dans sa splendide
unité : « Ce tout était vivant et, en tant que tel, inspirait un sentiment de sainteté sans tache. » Se
détournant du catholicisme auquel elle s'était convertie sous l'influence de Graham Greene et
d'Antonia White, elle choisit de se laisser conduire par les images primordiales jusqu'à la source
inconnue d'où elles sont issues, et reprit ainsi Le Flambeau de la vision (1918) tendu par le
philosophe et mystique irlandais George Russell. Déplaçant la frontière entre rêve et réalité,
l'imagination créatrice initie en effet l'âme à la « dimension verticale », qui est spontanément la
sienne quand elle n'est pas entravée dans son cheminement spirituel. Cette perception visionnaire
de l'univers lui permettant de retrouver le nunc stans, l'« ici et maintenant » des mystiques,
Kathleen Raine acquiert peu à peu la sérénité d'une gnostique sachant désormais qui elle est –
« Présente, éternellement présente présence » – et devient aussi en cela la prophétesse du seul
Nouvel Âge encore à venir.
Françoise Bonardel
Bibl. : Œuvres – Poèmes : Isis errante, trad. F.-X. Jaujard, Paris, Granit, 1978 ; Sur un rivage
désert, trad. J. Mambrino et M.-B. Mesnet, Paris, Granit, 1978 ; Le Premier Jour, trad. F.-
X. Jaujard, Paris, Granit, 1980 ; Visages du jour et de la nuit, trad. C. Garnier, Paris, Granit,
1989 ; La Présence, trad. Ph. Giraudon, Paris, Verdier, 2002. – Essais critiques : William Blake,
trad. N. Tisserand et M. Oriano, Paris, Le Chêne, 1975 ; L'Imagination créatrice de William
Blake, trad. sous la dir. de J. Genet, Paris, Berg International, 1983 ; Le Monde vivant de
l'imagination, trad. C. Garnier-Tardieu et M. Duclos, Monaco, Éditions du Rocher, 1998 ;
W. B. Yeats ou le pouvoir de l'imagination, trad. J. Genet, W. Hellebouar'c, Paris, Hermann,
2002. – Autobiographies : Adieu prairies heureuses, trad. D. de Margerie et F.-X. Jaujard, Paris,
Stock, 1978 ; Le Royaume inconnu, trad. C. Malroux, Paris, Stock, 1980 ; La Gueule du lion,
trad. P. Leyris et C. Garnier, Paris, Le Mercure de France, 1987. Étude : A. BANCROFT,
Femmes en quête d'absolu, Paris, Albin Michel, 1991.
RAMSEY, Martha, figure spirituelle du protestantisme, auteur d'un Journal spirituel (Martha
Laurens ; Charleston, Caroline du Sud, 3 novembre 1759-10 juin 1811). — Martha Laurens
Ramsey est connue pour l'essentiel grâce à ses Mémoires (1811), un Journal intime édité
partiellement par son mari, le docteur David Ramsey, et augmenté d'une biographie qu'il
composa lui-même après sa mort, sur le modèle des mémoires des femmes pieuses, courants à
cette époque en Nouvelle-Angleterre. Comme pour la plupart de ces femmes, dont les écrits
furent diffusées à des fins d'édification, l'écriture « pieuse » a probablement constitué pour elle
un moyen de s'approprier son existence dans une société évidemment étrangère à l'idée
d'émancipation féminine.
Martha est la fille d'une famille privilégiée de Caroline du Sud. Son père et l'un de ses frères
jouent des rôles de premier plan dans la guerre d'Indépendance (1776-1782), durant laquelle elle
se réfugie en Europe. À son retour, elle épouse David Ramsey, médecin et figure intellectuelle.
Elle est alors considérée, dans la société de Charleston, comme une femme pieuse, cultivée et
intelligente, mais pas comme un écrivain. C'est seulement trois jours avant de mourir qu'elle
révèle à son mari l'existence de son Journal, tenu secrètement durant toute sa vie.
Le Journal de Martha contient les descriptions de ses états intérieurs, sans qu'elle ne donne de
précisions sur les circonstances extérieures de sa vie. Elle y relate ses combats intimes, ses
conversations avec Dieu, ses désirs de piété et ses difficultés à les réaliser. Plusieurs choses sont
particulièrement remarquables dans l'itinéraire de Martha Laurens Ramsey. Tout d'abord, la
constance de son ambition spirituelle ; elle rédige à quinze ans, après des expériences
visionnaires qui ne seront jamais pour elle le cœur de sa spiritualité, un contrat avec Dieu, dans
lequel elle promet de lui consacrer sa vie et auquel elle ne cessera de se référer. L'historienne
Joanna Bowen Gillespie interprète cet acte fondateur comme la marque d'une volonté, chez
Martha Ramsey, de maîtriser sa propre vie au sein d'une société patriarcale, maîtrise qui passe
par les seuls moyens à la disposition d'une femme de son époque, les moyens religieux. De sorte
que c'est paradoxalement par la soumission, à Dieu et aux impératifs moraux, qu'elle cherche à
s'imposer comme individu. En outre, un paradoxe est à noter : calviniste, Martha est étrangère à
toute manifestation religieuse extraordinaire. Son mari (et éditeur) opposera même sa spiritualité
à l'enthousiasme des mouvements revivalistes qui progressent au début du XIXe siècle aux États-
Unis. La religion, pour Martha, ne s'oppose pas en effet à la raison, mais serait plutôt le lieu où,
par excellence, elle peut s'exercer. Pourtant, les doutes que font naître une auto-analyse
scrupuleuse, mêlés probablement à des difficultés circonstancielles, la conduisent, en 1795
notamment, à adopter le vocabulaire mystique de l'obscurité (darkness) spirituelle, dont elle ne
sort qu'en rejoignant également une attitude caractéristique du mysticisme, la disparition de sa
volonté propre dans celle de Dieu (Ramsey, 1811).
Figure exemplaire de « femme pieuse » (selon un modèle spirituel codé), Martha Laurens
Ramsey est intéressante pour les tensions qui se sont jouées en elle, exprimant les paradoxes
constitutifs de son expérience mystique qui oscille, d'une part, entre passivité et activité,
soumission et affirmation de soi, et, d'autre part, entre un rationalisme calviniste et l'extase
religieuse.
Anthony Feneuil
Bibl. : Œuvre : Memoirs of the Life of Martha Laurens Ramsey, Charleston, D. Ramsey, 1811.
Vie et étude : J. B. GILLEPSIE, The Life and Times of Martha Laurens Ramsey. 1759-1811,
Columbia, University of South Carolina Press, 2001.
Bibl. : Vie et étude : M. BERNOS, « Benoîte Rancurel et les pèlerins du Laus », Provence
historique, n° spécial sur Les Pèlerinages, fasc. 182, oct.-déc. 1995, p. 509-529.
Bibl. : Vie et études : G. AUGERY, La Vie et les vertus de la Vénérable Mère Catherine de
Jésus Ranquet, religieuse ursuline, native de la ville de Lyon…, Lyon, M. Libéral, 1670 ;
H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France…, Grenoble, Jérôme Millon,
2006, t. IV ; G. GUEUDRE, Au cœur des spiritualités, Catherine Ranquet, mystique et
éducatrice (1602-1651), Paris, Grasset, 1952.
RAYHÂNA AL-MAJNÛNA, ascète musulmane (?, VIIIe s.). — Rayhâna « la Folle » est aussi
appelée dans certaines sources Rayhâna « la Ravie » (al-wâliha), attribut qui indique la nature de
cette mystique, dont « l'épaisseur » historique est infime. Les sources sont muettes sur les dates
de sa vie ou de sa mort. Nous pouvons au mieux préciser le siècle dans lequel elle vécut, par
l'intermédiaire de ceux qui l'auraient rencontrée. Sulamî, l'un de ses plus anciens biographes, la
classe parmi les ascètes de Basra, grande métropole au sud de l'Irak, connue pour avoir abrité un
milieu ascétique particulièrement riche au cours de cette période. D'elle, il ne rapporte que trois
vers et précise qu'elle vécut à l'époque de Sâlih al-Murri, un ascète de Basra classé dans la
catégorie des « pleureurs » par Louis Massignon, qui précise en outre qu'il est resté célèbre par
son « éloquence émouvante ». Naysâbûrî recense des anecdotes et des poèmes concernant une
catégorie particulière, désignée par une antonymie, celle des sages-fous. Ce terme désigne des
personnes qui, par leurs comportements et leurs actions, se situent en marge des normes sociales
et donc de la société, sans être nécessairement des mystiques. Cet ouvrage se situe dans une
veine littéraire bien établie à cette époque, celle de l'adab, culture humaniste synonyme de
raffinement urbain. Il réunit une large palette de personnages, du sot au mystique. Dans ce
dernier cas, ce type de folie, terme qui ne doit pas être pris dans son sens clinique, est en fait une
maladie d'amour, et ceux qui en sont affectés ont vu leur raison vaciller sous le poids d'un amour
divin exclusif et total qui s'est emparé de leur esprit et l'a submergé. La première des femmes
représentatives de cette catégorie des sages-fous est justement Rayhâna. Toutefois, les pages qui
lui sont consacrées rapportent seulement ses poèmes, les données historiques étant absentes.
Rayhâna fait donc partie de ces mystiques que l'amour divin a entraînés sur les voies de la folie,
ou du ravissement. Les notices postérieures reprennent parfois cette classification pour Rayhâna,
par exemple celle d'Ibn al-Jawzî, qui par ailleurs la rattache au village de Ubulla, où vécut
également Sha'wana*.
La seule anecdote mentionnée par Naysâbûrî est la suivante, rapportée par Ibrâhîm ibn 'Abd al-
'Azîz ibn Jâbir (probablement VIIIe s.), personnage que nous n'avons pu identifier : « Je faisais
les tournées autour de la Ka'ba à La Mecque et rencontrais Rayhâna, femme noire de Ubulla. Je
la vis alors qu'elle avait laissé tomber le voile qui lui couvrait la tête, elle disait : “Cette maison
est la tienne, ce territoire sacré est le tien, et tous ces gens sont tes serviteurs. Quant à moi, je suis
venue te rendre visite et suis ton invitée ; si Tu me renvoies à Basra saine et sauve et que l'on me
demande : – Quel bien t'a-t-Il octroyé ? Je répondrai : le pardon, grâce à la bonne opinion que j'ai
de Toi, qui es le bien-aimé. Fais ce qu'Il te plaît !” Je m'approchais d'elle et lui dit : “Tais-toi
donc.” Elle me répondit : “– De quoi je me mêle ! C'est ta maison ou la sienne ? – La sienne. – Je
suis ton invité ou Son invité ? – Le sien. – Que d'illusions tu as ! Il nous inviterait à lui rendre
visite sans nous pardonner ! Il ne peut pas faire cela.'' Puis elle poussa un cri, vacilla et s'écroula
morte. » Ce petit récit illustre la familiarité avec laquelle Rayhâna s'adresse à son Seigneur, la
relation « amoureuse » entretenue par la mystique, ce qui heurte son interlocuteur, ainsi que le
poids des fautes commises, le seul horizon d'espérance étant la rémission de celles-ci.
Sa sainteté n'est pas évoquée explicitement par les sources les plus anciennes, mais le cas est
fréquent pour cette période et, si une notice évoque ses miracles, nous ne savons rien de leur
nature et aucun récit ne vient les illustrer. Ce qui est mis en avant, ce sont ses paroles sublimes.
Aussi il n'est pas étonnant que les fragments qui ont été conservés soient seulement constitués de
quelques vers. Il n'est pas dit qu'elle tenait des séances ni qu'elle avait des disciples, cependant
nous disposons d'un récit, assez original pour la société musulmane médiévale, qui met en scène
trois personnages, appartenant au milieu ascétique de Basra, qui passent la nuit chez elle, et
rapportent des poèmes récités à trois moments de la nuit. Un autre récit met en scène un ascète
qui au cours de la nuit l'écoute invoquer Dieu. Ce qui laisse penser que sa demeure servait de
refuge à des ascètes, qui y séjournaient occasionnellement et peut-être profitaient d'un
enseignement par le truchement de ses oraisons. On dit qu'il n'y avait personne à Basra et dans sa
région qui supportât mieux qu'elle les rigueurs de la veille. Elle aurait également écrit ou brodé
plusieurs poèmes sur ses vêtements, pratique alors répandue parmi certaines jeunes femmes. La
tradition a conservé quelques-uns de ces fragments inscrits sur diverses parties du vêtement, en
particulier le devant et les manches.
Jean-Jacques Thibon
Bibl. : Études : NAYSÂBÛRÎ, 'Uqalâ al-majânîn, Beyrouth, 'U. al-As'ad, 1987, p. 279-284 ;
SULAMÎ, Dhikr al-niswa al-muta'abbidât al-sûfiyyât, Le Caire, Al-Tanâhî, 1993, p. 38 ;
R. E. CORNELL, Early Sufi Women, Libreville, Fons Vitae, 1999, p. 94-95 ; IBN AL-JAWZÎ,
Sifat al-safwa, Beyrouth, M. Fakhûrî, 1986, p. 57 ; AL-YÂFI'Î, Rawd al-rayâhîn, Alger, U. 'Abd
al-Razzâq, 1885, p. 40 ; N. et L. AMRI, Les Femmes soufies ou la passion de Dieu, Saint-Jean-
de-Braye, Dangles, 1992, p. 127-129 ; JAMÎ, Nafahât al-uns, Téhéran, M. Tawhîdîpûr, 1918,
p. 617 ; AL-MUNÂWÎ, Al-kawâkib al-durriyya, Le Caire, S. Himdân, s.d., I, p. 206-207 ;
F. MEIER, « Bakkâ' », Encyclopédie de l'Islam, Leyde, Brill, t. I, 1960 ; L. MASSIGNON, Essai
sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, J. Vrin, 1954, p. 167 ;
U. MARZOLPH, « 'Uqalâ' al-majânîn », Encyclopédie de l'Islam, Leyde, Brill, t. XII, 2007.
RÈMES, Héloïse, laïque, auteur d'un Journal spirituel (Madeleine Sémer ; Genève, 1874-Paris,
1921). — Née d'un père lecteur de Rousseau, elle fait sa première communion avec ferveur, mais
son instruction religieuse s'arrête brutalement à treize ans, du fait de déménagements successifs
et de la grave maladie de sa mère, qu'elle perd précocement. Elle se charge de l'éducation de ses
deux jeunes sœurs, mue par le « désir d'être celle qui donne » (Klein, p. 3). Elle se fiance à seize
ans, quitte la France pour l'Afrique, se marie civilement un an plus tard et donne naissance à un
fils, Paul, qu'elle élève sans religion. Belle, cultivée, elle mène une vie mondaine, collectionne
les amitiés et les conquêtes. Mais, coupable d'adultère, elle divorce, perd sa maison et sa fortune
et doit regagner la France sans son fils. Elle vit alors seule, lit Montaigne, Rousseau, Condorcet,
alimentant son scepticisme des lumières de la raison. Elle paie cher son indépendance : ses
difficultés financières s'accroissent, elle peine à trouver du travail et un logement. Dans ces
moments de latence et de découragement, elle retrouve les gestes de la prière et commence,
début 1910, son Journal qu'elle intitule « Pensées de solitude », y notant ses joies et ses doutes, le
décousu de sa vie intellectuelle, son cheminement progressif vers la conversion. Vers 1912, elle
reçoit la grâce d'une vision christique et prend le nom de Madeleine Sémer. Ses lectures
s'orientent progressivement vers des ouvrages spiritualistes et religieux. Au printemps 1914, elle
se remet à pratiquer la religion, exerce la charité envers les pauvres et les soldats et entreprend de
faire partager sa foi à son fils, qui reçoit le baptême en mars 1917. Refusant plusieurs
propositions de mariage, elle prononce, en 1918, le vœu de chasteté et d'obéissance et pratique la
méditation à partir de ses lectures, passant insensiblement à l'oraison affective. Elle écrit : « Il y a
dans toute vie religieuse profonde de longues années où l'on se donne à Dieu, où l'on va à lui.
Une heure vient où il vous prend, où l'on ne croit plus, où l'on sait » (Klein, p. 168). Prosélyte,
elle a le souci d'expliquer sa conversion à ses proches et correspond longuement avec Henri
Bergson. Elle meurt dans de grandes souffrances physiques.
Son lent cheminement, du scepticisme à la mystique, a fasciné Bergson. Il écrit, dans ses
entretiens avec Jacques Chevalier : « J'étais tellement frappé de ce qu'il y a de merveilleux dans
ce cas : une femme étrangère, hostile même à toute religion, qui, un jour, avait vu toute la vérité,
qui l'avait vue au sens propre, non par raisonnement, mais comme un fait concret » (p. 273).
Remarquables en effet cette conversion progressive, née dans la solitude, ces lentes retrouvailles
avec une foi vécue intensément dans l'enfance, à laquelle la raison finit par se soumettre. Les
étapes de sa vie mystique sont topiques (visions, mariage mystique), mais leurs manifestations
corporelles sont rares : l'accent est davantage mis sur l'extase intérieure, la « vie cachée en
Dieu ». La dévotion au Christ crucifié s'y exprime non pas dans des mortifications extérieures,
mais dans l'ivresse d'une « langueur d'amour », d'un « feu consumant » qu'elle appelle « joie
d'union ». Cette ivresse extatique est inséparable d'une grâce visionnaire où se confondent voir et
savoir : « Mon esprit a une puissance d'images qui rend comme visibles des choses que je ne vois
pas » (Klein, p. 194). Le plus ardu est de mettre en mots l'expérience sans la trahir : « Je ne peux
plus parler purement du cher secret loin de son ivresse, je veux dire sans y mêler de moi »
(Klein, p. 184).
Antoinette Gimaret
Bibl. : Œuvre : son Journal, resté manuscrit, est abondamment cité dans l'ouvrage de F. Klein.
Études : F. KLEIN, Madeleine Sémer, convertie et mystique, Paris, Bloud et Gay, 1929 ;
J. MAÎTRE, Mystique et féminité : essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf, 1997 ; elle
est également évoquée dans l'ouvrage de J. Chevalier, Entretiens avec Bergson, Paris, Plon,
1959, p. 202-203, 273.
RITA DE CASCIA, sainte, augustine, stigmatisée (Rocca Porena, 1381-Cascia, 1447). — Rita,
« la Sainte des impossibles », « la Sainte des causes désespérées », jouit, à l'égal de Thérèse de
Lisieux* ou de la Vierge de Lourdes, d'une audience populaire immense, comme l'attestent la
fréquentation de ses sanctuaires à Turin, à Nice et à Paris, dans le quartier de Pigalle, ou encore
les innombrables chaînes de prière, tactique clandestine efficace pour tromper la vigilance d'un
clergé régulateur des manifestations de la piété. La raison d'un tel succès tient peut-être dans sa
Vie, publiée en 1610 par le père Agostino Cavallucci da Foligno, reproduite par toutes les
biographies ultérieures et qui collationne toutes les traditions orales qui circulaient, sans le
moindre souci critique – il s'agit avant tout de toucher et d'émerveiller les cœurs –, cédant donc
sans vergogne à la surenchère d'un merveilleux éblouissant. Ainsi, peu après sa naissance au
village de Rocca Porena, près de Cascia, en Ombrie, ne voit-on pas des abeilles faire leur ruche
dans sa bouche ? L'allégorie est claire : elle est prédestinée à donner une parole suave comme le
miel et à chasser les mauvaises odeurs, que les abeilles ne supportent pas. Sa naissance tient du
miracle puisqu'elle survient après douze ans de mariage, de parents âgés – on pense à Jean-
Baptiste, comme dans l'Ancien Testament à Isaac, à Samson, mais c'est le cas aussi de saint
Rémi de Reims – et qu'un ange était apparu pour lui imposer son nom, Rita, diminutif de
Marguerite, la sainte des accouchements. On devine que le destin de Rita aura à voir avec la
sexualité et la génération. À douze ou treize ans – l'âge des première règles – elle fait vœu de
virginité, mais accepte de se marier pour subvenir aux besoins de ses vieux parents. Elle épouse
donc Paul de Ferdinand, un homme violent, peut-être même criminel : sanguinaire, guerrier ou
chasseur ? En tout cas, il bat sa femme, qui le supporte patiemment, se souvenant probablement
de ses parents, considérés comme de véritables artisans de paix dans les querelles villageoises.
Naissent des jumeaux qui, à dix-huit ans, veulent venger leur père assassiné. Rita prie Dieu que
leur soit épargné un tel péché : elle est exaucée, ses fils meurent le plus opportunément du
monde. La voilà heureusement libre et en mesure de réaliser sa vocation première. Elle se
présente donc au monastère des Augustines de Cascia, dédié à sainte Marie Madeleine*, la
courtisane repentie ; par trois fois, prudente, la supérieure la refuse : crainte de voir la vendetta
troubler la vue de la communauté ? Parce que, mariée, Rita avait perdu sa virginité pourtant
promise ? Finalement, elle contourne l'obstacle de « l'impossible » et entre dans la communauté
pour retrouver cette virginité perdue, moyennant une expiation hyperbolique : une ascèse
annulant le corps par l'annulation de la jouissance. Du corps, il est toujours question dans la vie
de Rita – d'où la faveur populaire dont elle jouit ? –, comme de fécondité, de stérilité et de
génération, même de façon latérale dans le merveilleux des miracles. Adepte de la Passion, elle
est stigmatisée après avoir entendu la prédication du franciscain Jacques de la Marche. Une
blessure au front, trace du couronnement d'épines (volontairement provoquée ou fruit d'une auto-
suggestion ?), qui, contrairement à l'usage qui veut que de telles plaies, en l'honneur de la
Passion du Christ, dégagent une odeur suave, est ici purulente et nauséabonde, véritable
putréfaction dont s'échappe de la vermine. Cela durera jusqu'à sa mort, où la plaie se cicatrisera
en admirable escarboucle, sauf pendant le temps d'un pèlerinage, en 1430, année du jubilé, à
Rome, alors infestée par la peste : la ville impure versus Rita, la très pure. Passons sur les
miracles qui entourent cette mort, épisodes à l'évidence codés et qui tournent autour d'une
sexualité inquiète. Le personnage de Rita laisse d'autant plus perplexe que subsistent des
lambeaux de traditions populaires où Rita prend figure de sorcière (entre autres, cet étonnant
proverbe péruvien : Santa Rita, santa de dia / Y de noche puta benedita, « Sainte Rita, sainte de
jour / Et la nuit, putain bénie »). Rita serait-elle alors la fusion de deux figures distinctes et
opposées, réalisant une impossible réconciliation, dialectique entre des contraires en tension :
virginité (perdue, retrouvée) / maternité ; fécondité / stérilité ; paix (villageoise : Rocca Porena) /
violence (urbaine : Cascia) ? Elle est fêtée le 22 mai, une date toujours proche de la Pentecôte, où
se donnaient des combats rituels entre clans et factions, pour se clore sur la réaffirmation non
moins rituelle de l'unité de la communauté urbaine.
François Marxer
Bibl. : Études : L. CRISTIANI, Sainte Rita, la sainte des causes désespérées, Paris, Apostolat
des Éditions, 1958 ; J. LEMOINE, Rita, la sainte des impossibles, Paris, Médiaspaul, 1986 ;
Y. CHIRON, La Véritable Histoire de sainte Rita : l'avocate des causes perdues, Paris, Perrin,
2001.
RIVKAH, figure spirituelle hassidique (Pologne, XIXe s.). — Rivkah est la fille de Rabbi
Moshe de Bedzin. Elle épousa Reb. Simcha Bunim de Pershisha (autre transcription : Pshischa),
qui devint l'un des guides spirituels majeurs du hassidisme polonais après avoir étudié la Torah
auprès de son beau-père et grâce aux encouragements de la pieuse Rivkah. Réputée être une
femme de grande valeur, connue pour sa dévotion et ses qualités, ses actes de charité sont restés
célèbres ; on rapporte notamment qu'elle subvenait aux besoins des disciples de son époux, qui se
destinaient à être eux-mêmes des rebbes. Elle est la mère de Reb. Avraham Moses de Pershisha,
que suivirent quelques-uns des disciples de Reb. Simcha pendant les années où il lui survécut.
Mireille Loubet
RIVKAH SARAH MERELE (de Bingen), ascète juive (Allemagne, XVIIe s.). — Signalée par
une notice nécrologique figurant dans un registre de la ville de Metz, alors sous empire allemand
(1871-1918), comme « une pieuse et remarquable rebbetzin, fille d'un administrateur, le haver
Yaakov. Elle vécut dans la privation, la piété, l'ascèse et la mortification. Elle avait coutume de
jeûner trois à quatre jours et nuits par semaine, même lorsqu'elle était entrée dans l'âge. » La
notice signale qu'à sa mort « ses enfants ont fait un don à une œuvre charitable en son nom et que
la rebbetzin de la communauté de Bingen fut ensevelie à Bingen le dimanche 26 de Elul de
l'année 5439 [3 septembre 1679] ». À une époque où la pratique de l'ascèse des femmes était mal
vue, la persévérance et la dévotion de Merele justifient les qualificatifs qui lui ont été attribués.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et étude : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 145-146.
ROBERTS, Bernadette, laïque (Los Angeles, 1931). — « Mère de famille par profession et
contemplative par la grâce de Dieu », ainsi se définit elle-même Bernadette Roberts, cette
Américaine dont la vie discrète paraît se confondre avec son expérience spirituelle marquée par
la découverte du non-soi (no-self), terme ultime de son voyage dans les profondeurs silencieuses
de l'inconnu : « Découvrir ce qui demeure en l'absence de moi est la perle de grand prix, un long
voyage, un changement de conscience, et le début d'une vie nouvelle. »
Éduquée selon la tradition catholique à laquelle elle restera fidèle, Bernadette Roberts dit avoir
expérimenté dès son plus jeune âge la dissolution du moi en Dieu, assortie d'un si profond
silence qu'elle n'en sortit jamais tout à fait, et avoir traversé la fameuse nuit obscure « sans rien
savoir de la vie contemplative et de ses diverses étapes ». Entrée au Carmel au sortir de
l'adolescence, elle y reste dix ans et y vit pleinement l'unio mystica, généralement considérée
comme le point culminant de l'expérience mystique. Convaincue que la « vie unitive » n'est pas
incompatible avec l'existence humaine la plus ordinaire, elle rompt ses vœux monastiques avec
l'accord de ses supérieurs. Elle reprend alors des études universitaires et devient enseignante,
fonde une famille et met au monde quatre enfants. Ressentant au quotidien, durant les vingt
années qui vont suivre, la stabilité et les bienfaits de l'union avec Dieu, elle ne s'attendait pas à
vivre une « aventure apocalyptique », dévoilant un mode d'être qu'elle ne soupçonnait pas.
Voyageuse conduite par une force invisible jusqu'au terme d'un périple hérissé de difficultés,
elle contemple alors pour la première fois les étapes qu'elle a dû franchir pour en arriver là. Aussi
est-ce à partir du non-soi, découvert sans l'avoir cherché, que Bernadette Roberts se sent capable
de parler de la vie unitive et de s'interroger sur la nature du soi ; réalisant du même coup que la
vie spirituelle prend la forme d'une double spirale déroulant simultanément ses volutes vers le
non-soi, cime de la vie contemplative, et vers ces régions inconnues où l'âme se fond dans le
silence de Dieu. S'étant aventurée sans maître ni guide dans des contrées jusqu'alors peu
explorées, même par les grands mystiques, au rang desquels il faut indéniablement la compter,
elle choisit alors de témoigner afin d'aider ceux qui auraient eux aussi tenté l'aventure mais
douteraient de son authenticité. Écrits dans un style aussi sobre que précis, les trois récits rédigés
à partir de son Journal intime ne constituent pas un « traité mystique », mais permettent de
découvrir ce qui, dans la vie contemplative, s'apparente à une vision mystique.
Se référant principalement à saint Jean de la Croix – « la seule source humaine de lumière »
durant son voyage contemplatif –, Bernadette Roberts décrit d'abord les trois phases (purgation,
illumination, union) au travers desquelles le moi, dépouillé de tout superflu par la nuit obscure
qu'il a traversée, puis recentré en Dieu, connaît enfin « la plénitude absolue de l'état unitif ». À ce
cheminement mystique somme toute classique succèdent trois autres phases permettant le Grand
Passage du moi au non-soi, seul digne d'une maturité spirituelle accomplie. Aussi l'aventure
vécue par Bernadette Roberts commence-t-elle là où s'arrêtent la plupart des écrits mystiques, qui
parlent davantage d'une transformation du moi en vue de son union à Dieu que de sa totale
disparition, modifiant de manière radicale le regard porté sur le monde et sur Dieu. Hormis
Maître Eckhart, et à un moindre degré Henri Suso et Thomas Merton, peu de mystiques chrétiens
auraient, d'après elle, accompli cet ultime passage ; une grande mystique comme sainte Thérèse
d'Avila* n'ayant fait que quelques expériences contemplatives.
D'inimaginables tribulations attendent encore le moi qui, de plus en plus inadapté au monde à
mesure qu'il explore l'inconnu et le reconnaît pour Dieu, assiste à sa propre consumation : « Un
cœur brisé est la voie qui conduit à la vision. » Toute référence à un Dieu personnel ayant volé
en éclats tandis que le moi devenait un point mort au centre de l'être, un nouveau mode de
perception s'installe, d'abord extraordinairement simple et limpide tant le Grand Courant de
l'Unicité divine paraît résorber toute dualité : « Dieu, la vie, ne se trouvaient pas en quoi que ce
soit. C'était précisément l'inverse : toutes choses se trouvaient en Dieu. » À ce premier passage
du moi au non-soi, favorisé par la contemplation de la nature, un second succède, terrifiant celui-
là : le Grand Passage du non-soi à un « nulle part » insituable, à un « vide ténébreux » dans
lequel toute vie semble anéantie. Vécu durant plusieurs mois comme un fardeau terriblement
lourd à porter, cet état de totale inconnaissance interdisant toute perception duelle d'un objet par
un sujet porte néanmoins en soi une possible délivrance. Encore faut-il apprendre à vivre
totalement désillusionné, sans repère ni espoir, pour être enfin capable de voir dans tout ce qui
simplement est le visage souriant de la seule réalité qui soit, et qui ne saurait être que Dieu : « Le
sourire lui-même, “cela” qui a souri et ce à quoi s'adressait le sourire étaient identiques. »
Tout est, à partir de là, à réapprendre par qui, devenu voyant pour avoir cessé de regarder ceci
ou cela, n'a plus ni passé ni futur, ni réflexivité ni affectivité et ne peut vivre, en état d'éveil
permanent, que dans l'instant présent ; le plus singulier étant que la disparition du moi, puis celle
du non-soi, dans une « mystérieuse vacuité », laisse maintenant place à un « faire » non-réflexif,
spontanément adapté aux tâches matérielles à effectuer, alors même que « cela », qui n'est plus ni
moi ni même non-soi, repose continûment dans l'inconnu divin où tout n'est plus que silence et
immobilité : « L'œil qui se voit lui-même vit dans cet instant présent et y maintient solidement
toutes choses. » Tel est le « dénouement ascétique » de ce voyage, au terme duquel une vision
non-duelle désormais s'impose, réduisant au silence et frappant de nullité tout ce qui n'est pas
elle.
À la question qui longtemps l'obséda : « Qu'est-ce qui demeure en l'absence de soi ? »,
Bernadette Roberts dit n'avoir reçu aucune réponse, ni des moines chrétiens avec qui elle fit
retraite au monastère californien de Big Sur, ni des maîtres zen à qui elle la posa. Ce qu'elle dit
de son expérience autorise à penser qu'elle a pu se sentir à ce propos aussi proche de
l'apophatisme chrétien que de l'éloquent silence du Bouddha. Le non-soi tel qu'elle l'expérimente
ne peut toutefois être confondu ni avec l'anâtman bouddhique (« absence de soi »), ni avec la
« vacuité » (sûnyatâ) telle que l'entend le Mahâyâna. Consciente de cette proximité, c'est sur la
différence entre christianisme et bouddhisme qu'elle insiste, voyant dans l'union préalable à Dieu
le nécessaire passage vers le non-soi, et affirmant par là même le caractère foncièrement chrétien
de son aventure spirituelle. Aussi sa contribution majeure à la théologie mystique chrétienne est-
elle d'avoir réinterprété, à la lumière de sa propre découverte, la mort et la Résurrection du
Christ : ce n'est pas le moi humain qui meurt sur la Croix mais celui qui, uni à Dieu et satisfait de
cet état, doit mourir pour ressusciter en tant que non-soi, seul capable de soutenir continûment la
vision d'un Dieu impersonnel.
Françoise Bonardel
Bibl. : Œuvres : Vie unitive. Aventure dans les profondeurs silencieuses de l'inconnu (The
Experience of No-Self. A Contemplative Journey, 1982), trad. J. Gontier, Paris, Les Deux
Océans, 1990 ; Au centre de soi-même. L'expérience unitive (The Path to No-Self, 1982), trad.
J. Gontier, Paris, Les Deux Océans, 1990. Études : S. BODIAN, Timeless Visions, Healing
Voices : Conversations with Men and Women in the Spirit, Freedom (CA), Crossing Press,
1991 ; R. ULLMAN, J. REICHENBERG-ULLMAN, Mystics, Masters, Saints and Sages.
Stories of Enlightenment, Newburyport (MA), Conari Press, 2001.
ROBERTS, Jane, écrivain new age et medium (Saratoga Springs, New York, 1929-Elmira,
New York, 1984). — Jane Roberts a trois ans quand ses parents se séparent. Elle est élevée par
une mère aigrie, constamment alitée, qui dépend de l'assistance sociale et qui, tour à tour, la
cajole et l'injurie. Mais Jane a un refuge : la poésie. « J'avais, déjà à cette époque, le sentiment
d'une connexion directe avec l'univers. Quand j'écrivais de la poésie, j'avais l'impression que
l'univers me parlait. » Jane grandit dans un milieu catholique. Or, lorsqu'elle atteint
l'adolescence, les prêtres se dressent contre sa poésie et censurent ses lectures, allant jusqu'à
brûler certains de ses livres. C'est sa première grande désillusion, sa première rupture
idéologique.
Jane rencontre Robert (Rob) Butts en 1953. Ils sont mariés depuis neuf ans lorsqu'elle vit une
expérience bouleversante, « aussi étrange que si on lui avait donné une dose de LSD ». Un soir
où elle est installée à sa table de travail, elle est soudain submergée par une avalanche d'idées
radicalement nouvelles, qui éclatent avec force dans sa tête. Elle perçoit la conscience des
atomes dans un clou qui dépasse du mur, se sent pénétrée par une énergie fantastique, projetée de
la réalité ordinaire dans des dimensions infinies – pendant que sa main écrit aussi vite que
possible. Elle a l'impression qu'« une connaissance viscérale » est implantée en elle. Lorsque
cette expérience s'achève, Jane a écrit un texte philosophique qui a pour titre L'Univers en tant
que construction d'idées (1963). Le mot « révélation » lui vient à l'esprit, mais elle le rejette à
cause de ses « implications mystiques ».
À partir de ce jour, Jane commence à se souvenir de ses rêves, parfois prémonitoires. La
curiosité du couple est piquée au vif. Son mari, lui suggère d'écrire « un manuel de perception
extrasensorielle » pour approfondir leurs recherches sur le sujet qui les intrigue. Pour commencer
leur exploration, le couple emprunte, sans y croire, une planchette « ouija » – une planchette de
bois sur laquelle est posé un curseur que l'on tient à la main ; on pose une question et le curseur
semble parfois s'animer d'une vie propre, pointant vers des lettres, ce qui permet d'épeler des
mots. À leur grande surprise, la planchette livre des réponses cohérentes. Très vite, les mots se
forment dans la tête de Jane plus vite que le pointeur les épelle. Tiraillée entre la méfiance et la
curiosité, Jane hésite à faire le grand saut dans l'inconnu. Finalement, elle se lance. Elle prononce
des phrases entières, que Rob note scrupuleusement.
Ainsi démarrent les premières sessions avec « l'essence de l'énergie d'une personnalité qui n'est
plus focalisée sur le monde physique », qui déclare s'appeler Seth. Jane demeure cependant
sceptique. Or, quand Rob a des problèmes de santé (son dos le fait terriblement souffrir), les
informations personnelles livrées par Seth se révèlent plus que précieuses. Le rationalisme de
Jane est mis à rude épreuve. Dans un premier temps, elle refuse d'envisager que le « matériau »
qui passe par sa bouche puisse trouver son origine en dehors d'elle-même. Les sessions ont tout
de même lieu deux soirs par semaine, dans le salon bien éclairé où se tient le fauteuil à bascule
de Jane, face à Rob. Quand elle parle pour Seth, elle ôte ses lunettes ; ses yeux se font plus
sombres, sa voix se fait plus masculine, avec un accent indéfinissable.
Les vies de Jane et de Rob deviennent dès lors inséparables du phénomène « Seth » qui va
jusqu'à transformer leur pensée, comme de croire en la bonté inhérente de l'espèce humaine, en
dépit des enseignements de Darwin et de la théorie de l'évolution, selon laquelle seuls survivent
les plus féroces, alors qu'en réalité le monde résulte d'une immense coopération. Pour Seth, la
conscience précède la matière. Le monde a été rêvé avant de se matérialiser. L'homme est sur
terre pour apprendre à être un co-créateur, pour faire dans la joie l'expérience de son individualité
et augmenter, par là même, l'expérience de tout-ce-qui-est. La spiritualité véritable comprend une
saine appréciation des plaisirs charnels, propres au monde physique. La souffrance n'est pas
bonne pour l'âme, sauf si elle enseigne à ne plus souffrir.
Devant cette expérience surprenante, Jane demeure le plus exigeant des critiques. Elle se
tourne vers la science pour mieux comprendre le fonctionnement de la conscience et se soumet à
divers tests. Mais, au bout d'un an, le scientifique avec qui elle travaille refuse finalement de lui
en communiquer les résultats. Après la religion, la science est sa deuxième grande désillusion.
Jane commence à comprendre que l'une et l'autre sont dépendantes des dogmes qui les limitent.
Elle se sent d'autant plus isolée que ceux qui sont le plus ouverts à son expérience lui semblent
aussi les plus crédules.
Après plusieurs années de sessions régulières, alors que Jane a publié deux livres sur le sujet,
Seth décide d'écrire les siens. Il en dictera huit à la jeune femme, mot à mot, sans la moindre
hésitation. Rob note scrupuleusement tout ce qui est dit, en plus de tous les mouvements
extérieurs : la date, le chat qui saute sur les genoux de Jane, la vitesse à laquelle elle parle, le ton
de sa voix, la cigarette qu'elle allume, le verre de bière qu'elle boit.
Les années passent. Les livres de Seth sont traduits en de multiples langues et vendus à des
millions d'exemplaires. Jane et Rob vivent à l'écart du monde, répondant à un volumineux
courrier et recevant quelques visiteurs. Rob peint et rédige les notes qui accompagnent le
matériau de Seth. Jane continue à écrire ses propres livres, en plus de « recevoir » ceux de Seth.
Elle publie une quinzaine d'ouvrages (de la poésie, de la fiction et des essais).
Les déplacements de Jane sont de plus en plus limités à cause d'une forte raideur musculaire.
Convaincue qu'elle s'éparpillerait si elle ne s'imposait pas une discipline rigoureuse, elle prend
l'habitude d'ignorer les envies qui pourraient la distraire (aller se promener, peindre une
aquarelle, faire l'amour avec Rob). Seth affirme et réaffirme qu'elle doit avoir foi en son moi
intérieur, qu'elle doit s'en remettre aux impulsions qui montent à sa conscience. Au fil des ans,
Jane met en place un système d'autoprotection tellement rigide qu'elle peine à s'en libérer. Son
corps est de plus en plus raide, ses mouvements sont de plus en plus limités. Ces « symptômes »
– selon le terme qu'emploie Seth, pour qui regrouper des symptômes sous une appellation
médicale particulière présente toujours l'inconvénient de les figer, alors que le corps est en
perpétuelle transformation –, qui résultaient, à l'origine, d'un raidissement contre les tentations du
monde, prennent une ampleur préoccupante. Entretenus sans s'en rendre compte par Jane, ils
constituent une protection efficace contre le monde extérieur, auquel elle ne souhaite pas être
confrontée. Ils lui évitent, par exemple, de partir en tournée lors de la parution des livres ou de se
rendre sur les plateaux de télévision.
Avec les années, les symptômes deviennent de plus en plus gênants, malgré les efforts
délibérés de Jane pour s'en débarrasser. Son état s'améliore chaque fois qu'elle cesse de
s'inquiéter et reprend foi en l'univers, il s'aggrave chaque fois que l'anxiété reprend le dessus.
Désormais, elle utilise une chaise roulante pour se déplacer à l'intérieur de la maison.
Finalement, elle est hospitalisée. Les sessions continuent néanmoins, lui apportant chaque fois
une énergie renouvelée. Seth persiste à livrer un message plein d'espoir et de vie, tentant jusqu'à
la fin de remettre Jane sur le chemin de la santé. Mais Jane cesse de se nourrir. Elle s'éteint à
l'âge de cinquante-cinq ans, laissant derrière elle une œuvre unique, dont une partie sera publiée
par son mari après sa mort (et dont les manuscrits et les enregistrements sont légués à
l'Université de Yale).
L'œuvre de Jane Roberts révèle un système philosophique d'une complexité inouïe, dépouillé
des dogmes et de toute référence culturelle, qui peut se résumer en quelques mots : « Vous êtes
plus que votre corps physique, et vous créez votre propre réalité, de la façon la plus littérale qui
soit, car vos pensées, vos croyances et vos émotions forment la trame électromagnétique sur
laquelle naît la matière. »
Michka Seeliger-Chatelain
Bibl. : Œuvres : Seth parle – l'éternelle validité de l'âme, Paris, Mama Éditions, 2009 ; La
Nature de la réalité personnelle, Paris, Mama Éditions, 2010 ; Vie : The God of Jane – a Psychic
Manifesto, Needham (MA), Moment Point Press, 2000 ; The Way Towards Health, San Rafael
(CA), Amber-Allen Publishing, 1997. Étude : S. M. WATKINS, Speaking of Jane Roberts,
Needham (MA), Moment Point Press, 2000.
ROBIN, Marthe, laïque, stigmatisée, visionnaire et extatique, fondatrice des Foyers de Charité
(Châteauneuf-de-Galaure, 1902- 6 février 1981). — Née près de Valence, à La Plaine (lieu-dit),
Marthe est la sixième enfant d'une famille d'agriculteurs. Elle est élevée par des parents croyants
mais non pratiquants. Enfant, déjà, Marthe priait beaucoup. Elle fait sa première communion
« privée » à dix ans. Étape décisive sur le chemin de son éveil à la foi. « Je crois, dira-t-elle plus
tard, que ma communion privée a été une prise de possession de Notre-Seigneur. Je crois que
déjà Il s'est emparé de moi à ce moment-là » (Peyret, p. 38). À treize ans, peu après sa
communion solennelle, elle quitte l'école pour aider ses parents à la ferme. À partir de 1918,
l'irruption de la maladie va bousculer l'existence de Marthe. Maux de tête, fièvres, encéphalites,
troubles du sommeil et de la vue, la santé de l'adolescente s'altère gravement, avec des périodes
de rémission. Son entrée dans la vie mystique est marquée par une particulière dévotion à
Marie*. La jeune femme reçoit une première manifestation de celle-ci à dix-neuf ans. Adhésion
et refus se livrent alors combat dans son âme aux prises avec la souffrance physique et morale.
Un nouvel événement charnière survient en 1925, année de canonisation de Thérèse de
Lisieux*, une « grande sœur » pour Marthe dans les plus dures épreuves. La jeune femme rédige
un acte d'abandon à la volonté de Dieu. Croyant qu'elle va mourir, elle en déchire le premier
texte. Voici les grandes lignes du second, plus mystique : « Seigneur, mon Dieu, vous avez tout
demandé à votre petite servante ; prenez donc et recevez tout. En ce jour, je me remets à vous
sans réserve et sans retour. Ô le bien-aimé de mon âme ! C'est Vous seul que je veux et pour
Votre Amour, je renonce à tout […]. Seigneur, prenez et sanctifiez toutes mes paroles, toutes
mes actions, tous mes désirs. Soyez à mon âme son bien et son tout. À Vous, je le donne et
l'abandonne [...]. Mon Bien Aimé : aidez-moi, prenez-moi avec Vous ! C'est en Vous Seul que je
veux vivre pour ne mourir qu'en Vous » (Peyret, p. 63-65).
Marthe semble avoir très peu écrit de sa main. Dès sa vingt-cinquième année, elle prend
l'habitude de dicter ses paroles à quelques témoins. L'abbé Léon Faure, son père spirituel d'alors,
est son confident et son principal secrétaire. Certains textes, dont les scripteurs n'ont pu être
identifiés, pourraient, sous toute réserve, avoir été rédigés de la main de Marthe. Expression de
sa vie et de son amour pour Dieu, les « dictées » de cette petite paysanne grabataire (méditations,
prières, poèmes sous forme de carnets et de feuilles volantes) n'ont aucune visée spéculative,
encore moins doctrinale.
Dès la fin des années 1920, de nouvelles épreuves physiques invalidantes se suivent en
cascade. Marthe cesse de boire et de s'alimenter, elle vit l'inédie (suspension totale de nourriture
et de boisson sans raison médicale expliquée, jeûne volontaire) ; elle ne dort plus et perd
progressivement l'usage de ses mains et de ses jambes (tétraplégie). « Maintenant, remarque
Bernard Peyrous, sa vie spirituelle ne va plus se dérouler comme à côté de la maladie, mais au
sein de celle-ci » (p. 66). C'est dans ce contexte que Marthe, décidant de vivre une union toujours
plus intime avec Dieu, se « convertit ». Sa chambre, du fait de sa mobilité réduite à presque
néant, devient son unique lieu de vie. Elle lit ou se fait lire des textes d'auteurs mystiques tels que
Thérèse d'Avila*, Jean de la Croix, Catherine Emmerich*, Louis-Marie Grignion de Montfort,
Élisabeth de la Trinité* et Thérèse de Lisieux. L'abbé Faure lui est d'une aide précieuse pendant
cette période.
De 1930 jusqu'à la fin de sa vie, Marthe revit tous les vendredis la Passion et reçoit les
stigmates du Christ. Une force violente, étrangère à ses capacités physiques, la jette à terre et lui
inflige des coups. Elle l'attribue au démon. L'hostie, reçue une ou deux fois par semaine, devient
sa seule « nourriture ». En 1933, elle a une vision au cours de laquelle le Christ lui demande de
« créer des foyers de lumière, de charité et d'amour, jusqu'aux points les plus reculés de la
terre ! » (Antier, p. 106).
Autre événement déterminant : la rencontre avec le père Georges Finet, au début de 1936.
Prêtre dynamique, souvent sur les routes, sous-directeur de l'Enseignement libre des diocèses
Rhône et Loire, il inspecte près de huit cent cinquante écoles. Une mission le conduit chez
Marthe. Pressé comme à l'accoutumée, le religieux ne se doute pas de l'importance de
l'événement.
La première retraite organisée par le prêtre à Châteauneuf-de-Galaure, en septembre 1936,
marque les débuts des Foyers. À cette occasion, l'abbé Finet devient le père spirituel de Marthe et
son lien constant au monde extérieur. Marthe définit ainsi les Foyers : « Quelque chose de tout
nouveau dans l'Église. Non pas un ordre religieux, mais un laïcat consacré. De grandes familles
avec à leur tête un prêtre, et la Sainte Vierge pour mère. Des retraites seront organisées pour
tous, mais l'enseignement qui sera donné sera vécu par la communauté comme un témoignage
d'unité et de lumière […]. Les foyers de lumière, de charité et d'amour auront un rayonnement
dans le monde entier. Ils seront une réponse du cœur de Jésus au monde après la défaite
matérielle des peuples. » De son vivant, une cinquantaine de Foyers de Charité voient le jour sur
tous les continents. L'œuvre comptera à sa mort environ six cents membres.
Pendant la guerre, la réputation de cette femme étonnante s'étend. Stigmates, visions, extases,
inédie, prévision d'événements, « voyages », etc. impressionnent. Les rencontres se multiplient.
Au nombre des visiteurs les plus connus figurent Gabriel Marcel, Joseph Lanza del Vasto, le
philosophe Jean Guitton. Ce dernier la visita pendant treize ans. Il en tira un Portrait de Marthe
Robin (1985), une approche vivante mêlant la réflexion au récit avec hardiesse et profondeur. Un
autre visiteur, philosophe rationaliste et incroyant, fréquenta la célèbre mystique et l'admira :
Paul-Louis Couchoud. Une véritable amitié naquit entre eux deux.
Les visites à la Plaine se déroulaient selon un protocole rigoureusement appliqué par le père
Finet. Les chiffres sont éloquents à ce sujet. Au rythme de cinquante à soixante visiteurs par jour,
leur nombre dépassait cinq mille par an. Soit environ cent mille dans la vie de Marthe ! Elle
recevait les retraitants seulement deux jours par semaine. Beaucoup de personnes ne purent la
voir, car certaines retraites atteignaient trois cents personnes. Le père Finet ou le bureau d'accueil
du Foyer établissait la liste des visiteurs. La recherche du sensationnel ne franchissait pas la porte
de la femme alitée. Passé le délai de l'attente – parfois plus longue que prévu, car Marthe se
réservait la possibilité de garder un visiteur au-delà du temps accordé, en principe dix minutes –,
l'accès à sa chambre se faisait par un couloir faiblement éclairé. Plongé dans la pénombre – les
yeux de Marthe ne supportaient pas la lumière –, le visiteur, ému, tardait parfois à s'asseoir. Très
vite, elle le mettait à l'aise. La conversation pouvait alors commencer, aidée par la simplicité et la
bonne humeur de l'hôte mystique. Marthe, très concrète, posait des questions concises en phase
avec le vécu et la singularité de chacun. Hommes et femmes de tous milieux et de tous horizons
géographiques et culturels, croyants ou non, aimaient son ouverture d'esprit, sa gaieté, et tout
autant son réalisme et sa prudence. Marthe allait à l'essentiel, mettait de la lumière dans
l'échange, disposait positivement la personne à la confiance et à la parole libératrice. « Elle
cherchait à mettre la paix dans les cœurs pour que l'Esprit- Saint puisse y travailler à l'aise. Le
cas échéant, elle cherchait à dédramatiser » (Peyrous, p. 257). Marthe avait reçu avec le don du
conseil celui de la consolation. Les personnes étaient généralement accueillies seules ou en tout
petits groupes. Là encore, des exceptions existaient. Marthe entrait également en rapport avec
l'extérieur par des réponses qu'elle dictait une matinée par semaine, en écho à l'abondant courrier.
Ses relations s'inscrivaient aussi dans la durée. Cette forme de fidélité avait du prix à ses yeux.
À sa mort, plus de deux cents prêtres, cinq évêques et près de huit mille personnes participèrent
à la messe de funérailles, célébrée le 12 février 1981. Depuis, le nombre de visiteurs recensé est
passé d'environ vingt mille par an dans les années 1990 à quarante mille depuis les années 2000.
Une question se pose d'emblée à la lecture de cette vie. Qu'en a dit la science ? Marthe Robin
embarrassait les médecins de son vivant. En 1942, Mgr Camille Pic, évêque de Valence, envoya
à La Plaine deux médecins réputés de Lyon. Stigmates récurrents, anorexie persistante et
mouvements de foule justifièrent sa requête. Le diagnostic médical pencha vers l'encéphalite,
sans preuve absolue. Perplexes, les médecins reconnurent leur impuissance et considérèrent les
stigmates de la mystique de Châteauneuf-de-Galaure « comme des manifestations d'ordre
surnaturel ». Religieux et rationalistes furent déçus de leur rapport, les premiers n'y trouvant
aucune preuve de miracle, les seconds s'élevant contre les conclusions jugées trop hâtives. Son
procès en béatification, introduit en 1987, relança le débat : Marthe Robin, authentique mystique
ou simulatrice ? Ou malade victime d'illusions et de phénomènes paranormaux ? Bien qu'elle fût
trop simple pour « jouer la comédie » (Antier) et que le père Finet redoublât de pondération et de
précaution, les phénomènes déroutants survenus dans sa vie peuvent en effet embarrasser, voire
laisser dubitatif. La prudence s'impose donc devant ceux-ci.
Tous ces signes pour le moins singuliers passent au second plan aux yeux de Marthe Robin.
Elle ne fut d'ailleurs pas la seule à vivre l'inédie et la privation de sommeil ; il n'est que de citer
Nicolas de Flüe ou encore Thérèse Neumann*. L'essentiel, comme elle le dira elle-même, étant
l'énergie mise au service de sa mission : le développement des Foyers de Charité. « Que de fois
lui ai-je entendu dire qu'il fallait négliger l'extérieur des choses pour passer à leur intérieur, qu'il
fallait toujours tout dépasser » (Guitton, p. 187). Le Conseil pontifical pour les laïcs reconnut
l'existence des Foyers de Charité par un décret du 1er novembre 1986 et leur attribua le statut
d'« association privée de fidèles de caractère international ». Leur nombre va croissant depuis.
La vie de Marthe Robin a été hantée par la question du mal et par la volonté de tout mettre en
œuvre pour le diminuer. Être Un avec Jésus : c'est à cela qu'elle tendait. Son génie a été d'unir
dans une même dynamique la fidélité à l'Église et les ferments d'un renouveau en profondeur. De
réaliser un destin aussi exceptionnel au-delà des manifestations insolites qui l'assiégeaient.
« L'idée de Marthe, note Jean Guitton, était élémentaire, mais c'est l'élémentaire qui contient
l'essentiel […]. Il s'agissait de proposer l'Évangile au monde présent. Ce ne serait pas par des
batailles d'idées, ni même par des mouvements spirituels, mais en allumant des foyers d'amour »
(p. 57-58). À la « Clairière » de La Roche d'Or (communauté fidèle à l'esprit des Foyers de
Charité), on peut lire sur la tombe de son fondateur, le père Florin Callerand, cet ultime
message : « Continuez, continuez, tout est en avant ! » Marthe Robin aurait probablement fait
sienne une telle exhortation, elle qui a donné un souffle nouveau à l'Église.
Thierry Gosset
Bibl. : Œuvre : Marthe Robin semble avoir laissé très peu de traces écrites. À ce jour, aucune
œuvre d'elle n'a été publiée. Vie : J. J. ANTIER, Marthe Robin, le voyage immobile, Paris,
Perrin, 2006 (nouv. éd.) ; T. GOSSET, Femmes mystiques, Paris, La Table Ronde, 1998 ;
R. PEYRET, Marthe Robin, La Croix et la Joie, Valence, Éditions Peuple Libre, 2000 ;
B. PEYROUS, Vie de Marthe Robin, Paris, Éditions de l'Emmanuel/Éditions Foyer de Charité,
2006. Études : J. GUITTON, Portrait de Marthe Robin, Paris, Grasset, 1990 ; M. HUERTAS,
Marthe Robin, la stigmatisée, Paris, Centurion, 1990 ; Actes du colloque Marthe Robin, si petite
si grande, lumières sur un itinéraire spirituel, Châteauneuf-de-Galaure, Éditions Foyer de
Charité, 2003.
ROKEAH, Eidele, maître hassidique et guide spirituel (Ukraine, v. 1810-?). — Fille de Malka
Rokeah* et de Reb. Shalom Rokeah de Belz, fondateur de la dynastie de Belz, Eidele marcha sur
les traces de sa mère et eu un rôle spirituel important. Elle épousa un hassid (disciple), Reb.
Yitzchak Isaac Rubin de Sokolov ou Brody (fils de Reb. Asher de Ropcyzce), que sa nature
réservée et sa timidité empêchait de se conduire en Admor (acrostiche hébraïque de adoneinu,
moreinu, ve-rabbeinu, « notre souverain, notre guide et notre maître », titre honorifique donné au
rebbe). Elle pallia à sa réticence en prenant le rôle de rebbe et eut ainsi l'occasion de révéler ses
multiples et considérables talents, en prononçant pendant le shabbat des discours d'une haute
teneur spirituelle, en « récitant » la Torah et en distribuant les shrayim (les restes du tisch, le
repas rituel du rebbe en shabbat). De nombreux croyants lui apportaient des kvittlech (requêtes)
accompagnés de pidyonot (rétribution), sollicitant ses bénédictions spirituelles ou ses pouvoirs de
guérison. Elle utilisait les offrandes qu'elle recevait pour nourrir les pauvres, alors qu'elle vivait
dans la sobriété que requiert le statut de rebbe.
Parmi les légendes qui circulent, on raconte qu'il y avait à Brody (Ukraine) un homme atteint
d'une maladie des poumons et dont les docteurs avaient déclaré la mort prochaine en le voyant
cracher du sang, restes de ses poumons, affirmaient-ils. Conduit auprès d'Eidele, l'homme
recouvra la santé grâce à son intervention et vécut encore de nombreuses années. On rapporte
également que son père disait d'elle : « Tout ce qui lui manque c'est de porter un spodik », (ce
haut chapeau de fourrure que portaient certains hassidim (disciples), de Pologne en particulier,
et, à l'origine, seulement les rebbes.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 206 ;
M. M. BRAYER, The Jewish Woman in Rabbinic Literature : A Psychohistorical Perspective,
Hoboken (NJ), Ktav Publication Inc., 1986, p. 44 ; N. LEAH, « Rebbetzin Malka, Queen of
Belz », in J. Aronson (éd.), The Fifty-Eighth Century : A Jewish Renewal Sourcebook, Northvale,
(NJ), Jason Aronson, 1996, p. 188-189 ; Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Robert
Laffont, 1996, p. 439.
ROKEAH, Malka, ou Malkade Belz, sainte hassidique et guérisseuse (Galicie, Empire russe,
XIXe s.). — Fille du Reb. Issachar Baer de Sokol, elle épousa Shalom Rokeah, son cousin,
fondateur de la dynastie hassidique de Belz, qui fut appelé Sar Shalom, « Ministre de la Paix » et
premier « Belzer Rebbe » de 1817 à 1855. On rapporte que la jeune « Malkele » avait eu une
solide éducation religieuse et suivi les enseignements des maîtres spirituels (tsaddiqim) de la
région. Pressentant en son époux des qualités de tsaddiqi, elle l'introduisit au hassidisme et
l'encouragea à aller étudier auprès de Reb. Shlomo de Lutzk. Ils formèrent un couple très uni
dans la foi, Malka prenant une part active aux opérations de son époux. Selon la légende, elle
tenait une bougie au-dessus de ses livres pendant qu'il étudiait et avait ainsi accès aux Écritures.
Appréciant son discernement et sa perspicacité, le rebbe lui demandait conseil pour de
nombreuses questions d'ordre spirituel, offrant ainsi aux hassidim (disciples), un exemple à
suivre dans leur comportement avec leurs épouses. « Le Rebbe de Belz et sa Rebbetzin [épouse
d'un rebbe] étaient semblables à Adam et Ève avant le péché et leur chambre ressemblait au Gan
Éden, au jardin d'Eden », disait le Reb. Hayyim de Zanz. C'est elle qui le réveillait le matin –
« Shalom, lève-toi pour servir Dieu » – qui l'assista et remplaça « ses yeux » lorsqu'il devint
aveugle. Ils eurent deux filles, Eidele et Freidel, et cinq fils, Reb. Eleazer, Shmuel Shmelke,
Moses, Yehudah Zundel et Yehoshua, ce dernier ayant succédé à son père comme rebbe.
À un homme venu se plaindre d'une douleur à la jambe, Malka conseilla d'allumer tous les
jours une bougie à la synagogue ; une fois celui-ci guéri, le rebbe interrogea Malka sur le miracle
qu'elle avait accompli et elle lui répondit qu'il est écrit dans les Psaumes (CXIX, 105) : « Ta
parole est un flambeau qui éclaire mes pas, une lumière qui rayonne sur ma route. » Ses
capacités intuitives associées à sa foi inébranlable, à sa sagesse, ont été célébrées dans de
nombreux récits faisant état de sa clairvoyance. Elle a eu un rôle à part entière dans le tribunal
hassidique fondé par son époux à Belz et elle comptait d'éminentes personnalités parmi ses
nombreux disciples spirituels, qui venaient la consulter pour des conseils et des soins.
Le rebbe lui-même a exprimé son respect pour ses dons et son admiration pour son intelligence
en louant sa sagesse, sa sainteté et son intuition. Il traduisait l'opinion de chacun en la
considérant comme une tsaddeket (yiddish pour tsaddiqah), une sainte, et sa mort le plongea
dans un profond chagrin.
Mireille Loubet
ROMANET, Marguerite, laïque (Marguerite Pignier ; ?, 1612-?, 3 avril 1663). — Fille unique
d'un avocat au barreau de Chambéry, Marguerite Pignier mène une enfance très chrétienne qui se
conclut par un projet d'embrasser la vie monastique. Mais, sur les conseils avisés de son père,
elle est mariée à quatorze ans, en 1626, à Claude-Aynart Romanet, lui aussi avocat. Les époux,
renouant avec une tradition en honneur à l'époque médiévale, vivent leur conjugalité dans la
chasteté, jusqu'au jour où Marguerite convainc son époux de s'engager dans un chemin de
conversion, qui les conduirait, à la suite d'un « sacré divorce », mutuellement consenti, à se
diriger l'un et l'autre vers la vie religieuse. Mais leurs directeurs spirituels leur déconseillent ce
projet, connaissant trop bien leur rôle dans la vie de la cité, à la fois leur efficacité caritarive et
leur exemplarité de vie. Le couple investit donc son dévouement en faveur des pauvres.
Marguerite engage toutes ses énergies au service des prostituées et fera à cet effet de sa demeure
une « maison de refuge et [un] asile de toutes les filles qu'elle pouvait retirer ». Elle en héberge
ainsi jusqu'à six à son domicile, ce qui ne sera du goût ni de sa mère ni de son mari. Elle meurt
en parfaite incarnation de ce qu'est à l'époque un laïcat fervent et engagé.
Mieux encore que sa biographie, au demeurant des plus sobres, qu'a publiée son directeur, c'est
sa propre écriture qui nous fait découvrir sa personnalité originale, dont s'est enchanté l'abbé
Bremond. On pourrait croire à une inspiration venue d'une lecture de saint Bernard (dont on
retrouverait ainsi les visites du Verbe, telles que racontées dans l'Homélie 78 sur le Cantique des
cantiques, ou alors le mouvement de la dilatation du cœur), mais c'est en référence à sa propre
expérience intérieure que Marguerite peint le déploiement des sens spirituels dans leur quête
d'« appréhender », de « ressentir » la présence cachée, autrement dit mystique ; et
corrélativement elle mesure la « terrible séparation » qui s'opère dans le péché, « cette désunion
spirituelle qui se fait d'avec son principe ». Ainsi éprouve-t-elle une « dilatation de deux
sortes » : d'abord, quand « elle se rassasie de Dieu, ressentant qu'il lui donne une vie abondante,
qu'elle ne reçoit pas habituellement, mais actuellement » ; c'est là un état transitoire, bien peu
stable, et fort fragile. La deuxième manière est celle du « zèle, qui fait que l'âme dans les choses
petites, se multiplie de cent mille manières ». On lui concéda le rare privilège de la communion
quotidienne, ce pour quoi il lui aura fallu surmonter la crainte d'une incurable indignité.
Singulière est son approche d'un telle pratique sacramentelle : c'est une source
d'« anéantissement » qu'elle éprouve, « comme une chose se détruit à se convertir en une
autre » ; ainsi « le même amour me fait craindre et me fait réjouir ». Dans cet exercice d'examen
de soi, elle établit une phénoménologie raffinée du désir, puisque le désir est « la principale
disposition » pour communier ; et donc elle « produit des actes de désir » qui sont « violents,
parce qu'ils ne sont pas donnés » ; en revanche, elle savoure la douceur du temps d'action de
grâce, quant « le Saint-Esprit prie en nous ».
Toujours au titre des confidences qu'elle fait à son directeur, le carme déchaux Paul du Saint-
Sacrement, elle révèle combien la récitation du Pater constitue le pivot de sa prière quotidienne,
qui lui procure « certaine sérénité de [son] âme, qui la met dans une assiette parfaite ». Un rôle
non négligeable est dévolu à l'ange gardien (« parce que je fais toutes mes actions sans rien
délibérer ») et, dans une moindre mesure, aux saints et à la Vierge, pour qui elle récite l'Ave
Maria plusieurs fois par jour. En bonne Savoyarde, elle dit aussi l'oraison au Saint-Suaire, en
faveur des trépassés. Marguerite nous informe par le menu du détail de ses journées et de ses
horaires bien remplis « parce qu'il me faut servir mon mari et ma mère, répondre aux
domestiques », ce qui entrave une libre piété. Néanmoins, dit-elle, « je demande à Dieu que je le
puisse trouver dans les embarras de cette vie ».
Cet empirisme spirituel de bon aloi suffirait à nous la faire admirer, mais, non sans hésiter
d'ailleurs, elle s'enhardit à évoquer sa propre et intime expérience, en s'adressant à son Dieu qui
est « amour, qui [agite] le cœur, sans qu'il se lasse de vous aimer et désirer. Et quoique vous le
remplissiez selon sa petite capacité, votre perfection exige qu'il vous désire toujours davantage,
et vous lui êtes toujours nouveau. L'âme s'écoule comme l'eau en votre présence, qui touche plus
vivement lorsque vous êtes plus caché à l'entendement, qui consent de demeurer dans cette vérité
inconnue, par laquelle la volonté s'établit dans une finition innocente. » Avec grande finesse, elle
décrit comment la foi « est pleine d'obscurité et qu'elle ne montre rien ». Est-ce vocabulaire
commun au monde des spirituels, ou bien référence sensible à Jean de la Croix ? Difficile d'en
décider ; en revanche, ses lectures cardinales sont le Traité de l'amour de Dieu de François de
Sales, et aussi l'Imitation de Jésus-Christ. On salue un christocentrisme nuancé, qui sait dépasser
le champ des représentations et des connaissances. Elle le confesse, tout cela est le fruit de cette
« science de Dieu qui est des mêmes vérités qu'elle a appris des hommes, la fait sortir hors d'elle-
même », alors que cette dernière la « fait entrer en elle-même » : extase mystique versus instase
gnostique ? L'effet de cette science divine est de recadrer et de réélaborer toutes les dispositions
et pratiques à l'aune de la mesure mystique : ainsi, par exemple, de l'âme « qui roule autour de
Dieu, comme une circonférence à son centre », de l'humilité régulatrice qui est, nous dit-elle,
« comme le centre de Dieu où il se plaît, où il se répand ». La savoureuse originalité des propos
de Marguerite éclate mieux encore dans le commentaire du Cantique des cantiques, dont elle a
fait « le sujet de ses oraisons par le commandement de ses confesseurs » : audace littéraire sans
nul doute, mais, parvenue à la cinquantaine, « au temps de [sa] vieillesse », n'est-elle pas
« appelée à de grandes choses » ? Les extraits qu'en donne et que commente avec gourmandise
l'abbé Bremond feraient souhaiter une édition accessible, tant la langue en est délicieuse et belle
et la profondeur instructive.
François Marxer
ROSALIE, sœur, bienheureuse, fille de la Charité (Jeanne Marie Rendu ; Confort, Ain, 1786-
Paris, 7 février 1856). — Aînée de quatre filles de cultivateurs aisés du Jura, elle est baptisée, le
jour même de sa naissance, dans l'église de Lancrans, dans le canton de Gex. Jacques-André
Émery, son parrain par procuration, supérieur général des Sulpiciens à Paris depuis 1782, lui
donnera plus tard ce conseil : « Mon enfant, il faut qu'un prêtre et une Sœur de la Charité soient
comme une borne, qui est au coin d'une rue, et sur laquelle tous ceux qui passent puissent se
reposer et déposer les fardeaux dont ils sont chargés. » Elle a trois ans quand éclate la Révolution
française. L'évêque de Genève, Mgr Paget, et des prêtres refusant l'adhésion par serment à la
Constitution civile du clergé (1790) trouvent refuge dans la maison familiale. Elle fait ainsi sa
première communion une nuit, dans la cave de la maison, à la lueur d'une bougie. À la mort de
son père (12 mai 1796), suivie de la mort d'une petite sœur à l'âge de quatre mois (19 juillet
1796), Jeanne Marie aide sa mère à élever ses deux petites filles. À treize ans, sa mère l'envoie
au pensionnat des Ursulines à Gex, pour y apprendre les arts ménagers. Elle y demeure deux ans.
Elle découvre l'hôpital, où les Filles de la Charité se dévouent auprès des malades ; sa vocation
s'ébauche et sa mère l'autorise à y faire un stage. Avec l'approbation du curé-doyen de Gex, elle
accompagne une amie, Amande Jacquinot, qui part pour Paris afin d'entrer dans la Compagnie
des Filles de la Charité. À seize ans (25 mai 1802), elle entre au séminaire de la maison mère des
Filles de la Charité, rue du Vieux- Colombier, à Paris. Cette congrégation avait été fondée en
1633 par saint Vincent de Paul et Louise de Marillac*. En 1807, accompagnée des religieuses de
sa communauté, elle y fait sa profession religieuse. Jeanne Marie, appelée désormais sœur
Rosalie et dont la santé est ébranlée, sur les conseils de son médecin et de M. Émery, est envoyée
dans le quartier de la rue Mouffetard, dans la maison des Filles de la Charité, à côté de l'église
Saint-Médard. Elle y demeurera pendant cinquante-quatre ans au service des pauvres, des
mendiants, des laissés-pour-compte, des mal logés, des déshérités, des exploités, des malades du
quartier le plus misérable et insalubre de Paris, arpentant les rues et les ruelles de la montagne
Sainte-Geneviève avec Dieu. « Jamais je ne fais si bien l'oraison que dans la rue », dira-t-elle.
Elle y enseigne le catéchisme aux enfants de l'école gratuite. Celle que l'on appelle « la Mère »
ne refuse jamais son assistance à qui vient la solliciter.
En 1815, sœur Rosalie devient la supérieure de la Communauté des Filles de la Charité, rue des
Francs-Bourgeois, bientôt transférée rue de l'Épée-de-Bois. Les supérieurs lui confient les
postulantes et les jeunes sœurs pour les former. Son sens aigu de la charité s'exerce aussi à
travers les fondations d'une crèche, d'un dispensaire, d'une école, d'un orphelinat, d'un patronage
pour jeunes filles, d'une pharmacie et d'une maison pour les vieillards démunis. Elle fréquente les
cercles catholiques, tel celui qu'anime Mme Swetchine*, qui entretiendra une correspondance
étroite avec Alexis de Tocqueville et Henri Lacordaire. Ses relations mondaines, les dons qu'elle
reçoit, sa renommée qui s'étend au-delà de la capitale, son réseau d'œuvres de charité, les visites
qu'elle reçoit de nombreux étudiants du Quartier latin tout proche, désireux de se mettre au
service des miséreux, suscitent quelques oppositions, notamment de la part de la mère supérieure
générale. Elle sera aussi en conflit avec les frères lazaristes ; c'est « sans le dire » qu'un seul
d'entre eux osera assister à ses obsèques.
Lors des Trois Glorieuses (27, 28, 29 juillet 1830), sœur Rosalie, intrépide, défiant les
barricades, s'élance avec succès au secours du général de Montmahaut, bienfaiteur des pauvres,
blessé place de l'Hôtel-de-Ville. Lors de la répression des émeutiers, le préfet de police en
personne se présente pour l'arrêter sous le prétexte qu'elle a bafoué la loi en donnant refuge aux
blessés, quels qu'ils soient. En février 1831, sœur Rosalie accueille Mgr de Quélen et le clergé de
l'archevêché, incendié par des pilleurs. Quand une épidémie de choléra fait son apparition à
Paris, médecins et pharmaciens sont accusés de répandre la contagion par haine du peuple. On
s'en prend alors violemment à un médecin qui transporte un malade à l'hôpital ; on lui fraie
aussitôt le passage dès qu'il déclare être un ami de sœur Rosalie. Avec l'aide des Filles de la
Charité, elle ramasse des cadavres abandonnés dans la rue. De multiples anecdotes, pittoresques
ou dramatiques, rapportent combien, par son intervention sans relâche, elle secourt toute
détresse. La révolution de 1848 donne à nouveau l'occasion à sœur Rosalie de se comporter
héroïquement, notamment en sauvant la vie, toujours au nom de la charité, d'un officier de la
garde mobile, menacé de mort par les manifestants. L'archevêque de Paris, Mgr Affre, a été de
son côté tué sur une barricade alors qu'il tentait de s'interposer entre les belligérants. En 1852,
Napoléon III décide de remettre à sœur Rosalie la Légion d'honneur ; elle s'apprête à refuser,
mais le supérieur des prêtres de la mission et des Filles de la Charité l'oblige à l'accepter.
En 1856, Paris compte 1 174 000 habitants. Les révolutions, les guerres napoléoniennes, les
épidémies, les émeutes, le libéralisme économique sans frein, le chômage y ont provoqué une
grande misère. Affaiblie par l'âge et une santé fragile, devenue progressivement aveugle, sœur
Rosalie meurt après une courte maladie, à son domicile rue de l'Épée-de-Bois. Ses obsèques ont
lieu en l'église Saint-Médard, en présence d'une immense foule, qui suit sa dépouille jusqu'au
cimetière Montparnasse. Sa tombe porte cette inscription « À la bonne Mère Rosalie, ses amis
reconnaissants, les pauvres et les riches », surmontée de cette mention en latin : « Pertransivit
bene faciendo » (« Elle a passé en faisant le bien ») ; elle est constamment fleurie.
Sœur Rosalie était au centre du mouvement de charité qui caractérisa Paris et la France dans la
première moitié du XIXe siècle. Manifestant la présence de Dieu, elle fut demandée et prise pour
modèle, à ses débuts, par la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul (1834), selon l'inspiration de
Frédéric Ozanam, futur bienheureux, qui voulait « enserrer le monde dans un réseau de charité ».
Loin de souhaiter changer l'ordre social, elle organisait la charité à sa façon. Elle était exigeante
dans sa manière de recevoir les pauvres : « Ils sont nos Seigneur et nos Maîtres », disait-elle à ses
compagnes, voyant sous les « haillons » de ces derniers, le « Seigneur » lui-même. Un jour, elle
donna à une de ses sœurs en difficulté ce conseil, qui était le secret de sa vie : « Si vous voulez
que quelqu'un vous aime, aimez d'abord en premier ; et si vous n'avez rien à donner, donnez-
vous vous-même. » Armand de Melun, confident et premier biographe (1857) de sœur Rosalie,
rapporte ce rêve dont elle lui fit part : « Je me vis en rêve devant le tribunal de Dieu. Il me
recevait avec une grande sévérité et allait prononcer ma condamnation, lorsque tout à coup, je me
trouvai entourée d'une foule de personnes portant de vieilles boîtes, des chaussons, des bonnets,
qui présentaient à Dieu toutes ces choses et lui disaient : “C'est elle qui nous a donné tout cela.”
Alors Jésus-Christ, se tournant vers moi, me dit : “En vue de toutes ces friperies données en mon
nom, je vous ouvre le Ciel. Entrez pour l'éternité !” »
Bernard Sesé
Bibl. : Vie et études : A. DE MELUN, Vie de Sœur Rosalie, fille de la Charité (13e éd.), Paris,
J. de Gigord, 1929 ; H. DESMET, Sœur Rosalie, 50 ans d'apostolat de la prière, Paris, Pierre
Kremer, 1954 ; C. DINNAT, Sœur Rosalie Rendu ou l'Amour à l'œuvre dans le Paris du
XIXe siècle, Paris, L'Harmattan, 2001 ; sœur L. SULLIVAN, Sœur Rosalie Rendu. Une passion
pour les pauvres, Paris, Médiaspaul, 2007 ; C. DUPRAT, Usage et Pratique de la philanthropie.
Pauvreté, action sociale et lieu social à Paris, au cours du premier XIXe siècle, Paris, Comité
d'histoire de la Sécurité sociale, 1996.
Bibl. : Vie et études : A. DAIX, Sainte Rose de Lima, Lyon, Emmanuel Vitte, 1936 ;
R. VARGOS UGARTE, Vida de S. Rosa de Lima, Buenos-Aires, Imprenta López, 1961 ;
M. ANDRES, Historia de la Mistica de la Edad de Oro en Espana y America, Madrid, BAC
Maior, « Biblioteca de autores cristianos », 44, 1994.
Bibl. : Vie : DÉSIRÉ DES PLANCHES, capucin, Sur les cimes. Madame Albert Caillol,
supérieure de la fraternité de Toulon (Sœur Rose, [Institut séraphique] des Filles du Sacré-
Cœur), Paris-Gembloux, 1936.
SÂRADÂ DEVÎ, maître spirituel hindou (Jayrambati, v. 1853-?, 21 juillet 1920). — Sâradâ
Devî Mukhopâdhyây naît au Bengale occidental (Inde) dans un village à une centaine de
kilomètres de Calcutta. Elle appartient à une famille de brahmanes pauvres qui officient dans les
temples des divinités du village. Les Mukhopâdhyây sont des dévots de Râma, héros divin de
l'épopée du Mahâbhârata. Le père de Sâradâ vit avec ses trois frères cadets. Avant la naissance
de celle-ci, ses parents ont la vision d'une petite fille inconnue qui grimpe sur leurs genoux et
leur annonce sa naissance sur terre. Ils ne doutent pas qu'il s'agit de la Mère divine, qui leur
annonce sa venue sous la forme de leur fille à naître. Sâradâ est l'aînée de trois frères. Elle n'est
pas envoyée à l'école ; plus tard, elle apprendra à lire, mais pas à écrire. En tant que fille aînée,
elle s'occupe des tâches ménagères, coupe l'herbe pour la vache et file le coton. À l'âge de six
ans, en 1859, elle est mariée à Gadâdhar Chattopâdhyây, un grand mystique connu sous le nom
de Râmakrishna Paramahamsa. Gadâdhar, qui a vingt-trois ans, vit dans le temple de la déesse
Kâlî à Dakshineswar, près de Calcutta. Il y fait office de prêtre, mais son intense ferveur
religieuse le fait passer pour fou. Le mariage n'est jamais consommé. Sâradâ demeure chez ses
parents, où son époux lui rend parfois visite, ou bien dans sa belle-famille, à Kamarpukur. En
1872, elle part vivre à Dakshineswar auprès de son époux, qui lui enseigne les vertus qu'il
pratique lui-même : le renoncement et le service de tous. Un jour où elle partageait sa chambre, il
lui demande si elle est venue pour l'attirer vers les plaisirs de la chair. Elle répond qu'elle est
venue l'aider à suivre la voie spirituelle qu'il a choisie. Il lui dit alors qu'il la considère comme
l'incarnation de la Mère divine et commence à la vénérer solennellement en tant que telle le
5 juin 1872. Sâradâ Devî perd alors toute conscience d'elle-même et du monde extérieur. Puis
elle retourne vivre dans son village, fait de nombreuses allées et venues à pied entre Jayrambati
et Dakshineswar. Lors d'un de ces voyages, qu'elle effectue seule une nuit, elle transforme un
couple de dangereux brigands en dévots par sa douceur et son innocence. Elle s'établit ensuite à
Dakshineswar, dans une pièce exiguë où elle cuisine pour son époux, ses disciples et les visiteurs
de plus en plus nombreux. Pour éviter les regards, elle va se baigner dans le Gange dès quatre
heures du matin. Sa discrétion et sa timidité sont légendaires. Sa pratique spirituelle consiste en
la récitation des noms divins et en méditation toute la nuit. Dans la journée, le service de
Râmakrishna et des siens l'occupe. Râmakrishna meurt d'un cancer de la gorge en août 1886
après avoir confié Sâradâ à ses proches disciples, des jeunes gens qui ont renoncé au monde pour
devenir moines.
Lors de ses nombreux pèlerinages, comme pendant ses séjours à Calcutta et dans son village,
Sâradâ fait souvent l'expérience de l'absorption de sa conscience en la divinité. Râmakrishna lui
apparaît à de nombreuses reprises. Au cours d'une de ces visions, il lui enjoint de veiller sur ses
disciples et d'initier ceux qui le souhaitent. Peu à peu, elle devient un maître spirituel vénéré. Au
début de son veuvage, elle doit faire face à une très grande pauvreté. Plus tard, les dons des
disciples laïcs lui permettent de nourrir de nombreux dévots. Elle considère les disciples de son
époux comme ses fils, et ils voient en elle la Mère universelle sous une forme humaine. Se
référant à Râmakrishna pour toutes choses – « le Maître » pour qui « les dévots n'ont pas de
caste » –, Sâradâ n'hésite pas à abandonner les préjugés de caste. Elle accepte chez elle des
femmes occidentales venues d'Europe et d'Amérique à la suite de swâmi Vivekânanda. Elle
répète que « Pureté et impureté, tout est dans l'esprit ». Elle est hostile aux mariages d'enfants et
favorable à l'éducation des filles. Vénérée par les disciples, elle a beaucoup à souffrir des
exigences des membres de sa propre famille, qui lui réclament toujours plus d'argent, jusqu'à la
persécuter. Elle élève une petite nièce à laquelle elle s'attache, mais qui se montre fort difficile.
Devenue âgée, elle ne cesse pas de s'occuper des tâches ménagères. Avant de mourir, elle se
détache totalement de sa famille. Ses derniers mots sont adressés à une dévote venue lui rendre
visite : « Si vous voulez la paix, ma fille, ne voyez pas les défauts des autres mais plutôt les
vôtres […]. Personne ne vous est étranger, ma chère, le monde vous appartient. » Elle entre dans
un état d'absorption dans le divin et quitte la terre à l'âge de soixante-huit ans, trente-cinq ans
après la mort de Râmakrishna. La dépouille mortelle de Sâradâ Devî est alors portée jusqu'au
bord du Gange, à l'endroit où se trouve à présent un temple dédié à son époux, et elle est
incinérée sur un bûcher de bois de santal.
Sâradâ Devî ne se départit jamais d'une parfaite sérénité. Elle n'hésita pas à soutenir la mission
de service social entreprise par swâmi Vivekânanda et à la défendre contre ceux qui s'y
opposaient au nom du désengagement des « renonçants » à l'égard du monde. Elle pensait qu'un
esprit occupé à une tâche ne vagabonde pas et qu'il est impossible de méditer et de répéter les
noms divins toute la journée. Une disciple américaine de swâmi Vivekânanda la décrit comme
une femme humble et modeste, comme une personne « éminente, car elle se trouvait
naturellement de plain-pied avec les femmes de l'Occident sur n'importe quel sujet, et qu'elle
avait conservé une simplicité, une finesse et un naturel charmants. Tout en vivant en Dieu, elle
était aussi éloignée du puritanisme que Râmakrishna et son disciple Vivekânanda l'avaient été. »
Un disciple bengali qui l'a très bien connue parle avec adoration de « la Sainte Mère », disant que
« sa seule présence, son sourire, suffisaient à plonger dans la béatitude ceux qui la voyaient ».
Femme d'une grande humilité et d'un inlassable dévouement, elle consacra sa vie à la recherche
spirituelle, tout en remplissant les tâches quotidiennes d'une épouse et d'une mère. La photo de
Râmakrishna l'accompagnait partout où elle allait. Elle lui offrait des fleurs, de l'encens, de la
pâte de santal, de l'eau et de la nourriture à la façon hindoue, traitant la photo comme une
personne vivante. Elle fit beaucoup pour que Râmakrishna fût reconnu comme une incarnation
divine venue sur terre pour le bien du monde, comme d'autres incarnations avant lui. Entièrement
dévouée à son saint époux et à ses disciples, ses qualités font d'elle un modèle de femme
hindoue.
France Bhattacharya
Bibl. : Études : swâmi GAMBHIRANANDA, Holy Mother Shri Sarada Devi, Mylapore,
Madras, Sri Râmakrishna Math, 1952 ; swâmi TAPASYANANDA, Shri Sarada Devi The Holy
Mother, Madras, Sri Râmakrishna Math, 1977.
SARAH ou SOREH, figure spirituelle hassidique (Pologne, v. 1710-?, v. 1780). — Sarah est
connue grâce à son fils Reb. Aryeh Leib. La légende rapporte qu'elle prit l'initiative d'épouser
vers 1729 Joseph, un professeur d'hébreu relativement âgé, connu pour sa grande piété, afin
d'échapper aux avances d'un propriétaire terrien. Se trouvant veuve peu après la naissance de son
fils à Rovno (Pologne), elle éleva celui-ci seule et le dirigea vers le hassidisme. Adolescent, son
fils rencontra le Besht, Israël Baal Shem Tov (« le maître du bon nom », Besht en est
l'acronyme), et fit rapidement partie de son cercle. Il fut un disciple de Reb. Dov Baer, le Maggid
(prédicateur, parfois itinérant) de Mezeritch et eut une vie de tsaddiq (« maître spirituel »)
itinérant, aidant au fil de ses déplacements les pauvres, les pieux, les nécessiteux, récoltant des
fonds pour le rachat des prisonniers. C'est en l'honneur de sa mère qu'il a tenu à être appelé
« Reb. Aryeh Leib, fils de Sarah » et qu'il est resté connu sous ce nom dans la postérité.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 163 ; T. M.
RABINOWICZ, The Encyclopedia of Hasidism, Northvale (NJ), Jason Aronson, 1996, p. 26-27.
Bibl. : Œuvre : Journal spirituel. Le bonheur d'aimer Dieu, Mers-sur-Indre, Centre Saint-Jean-
de-la-Croix, Paroisse et Famille, 1998 (rééd. Toulouse, Éditions du Carmel, 2004). Étude : D.-
M. DAUZET, La Mystique bien tempérée, Paris, Cerf, 2006.
Bibl. : Œuvre : Berichte und Visionen einer Mystikerin aus dem Bamberger Dominikanerinnen-
Kloster, Franz Kohlschein (éd.), Bamberg, Archiv des Erzbistums, 2008. Vie : J.
B. SCHONATH, Von verborgenem Heldentum. Aufzeichungen aus dem Leben der
stigmatisierten Dominikanernonne Columba Schonath von Bamberg, L. Fischer (éd.),
Aschaffenburg, Görres, 1925. Étude : M. HUCK, Die Passionsmystik der Schwester Maria
Columba Schonath, Münsterschwarzach, Dominikanerinnenkloster zum Heiligen Grab, 1987.
SCHURMAN, Anne-Marie de, érudite, artiste, figure spirituelle protestante, piétiste puis
labadiste (Cologne, 1607-Wieuwert, 1678). — La figure d'Anne-Marie de Schurman est tout à
fait singulière. Assurément, il ne manque pas de femmes mystiques au XVIIe siècle, qui
comporte également, même si c'est en moins grand nombre, une galerie de femmes illustres pour
leur science ou leurs dons artistiques. Mais Anna-Maria van Schurman a pour caractéristique
exceptionnelle de cumuler ces qualités. Extrêmement douée, elle apprend à lire seule, à l'âge de
trois ans, en regardant ses frères. Très vite, elle maîtrise un grand nombre de langues, à
commencer par le grec et le latin, puis l'hébreu – on prétend qu'à trente ans elle en possédait au
moins quatorze. Remarquée de Voetius, on lui accorde le droit de suivre les cours à l'université
d'Utrecht, interdite aux femmes. Ses talents artistiques étonnent également : elle peint des petits
portraits qui ont une certaine réputation. Bientôt versée dans toutes sortes de sciences, elle se fait
largement connaître du monde savant : elle a pour interlocuteurs et correspondants René
Descartes, Pierre Gassendi, Constantin Huyghens, le père Marin Mersenne, le poète Jacob Cats,
etc. Elle entre en relations avec Marie de Gournay, qui a écrit Égalité des hommes et des
femmes ; elle publie elle-même, en 1641, une dissertation défendant l'aptitude des femmes à
participer à la vie scientifique et littéraire (Dissertatio de ingenii muliebris ad doctrinam et
meliores litteras aptitudine). Il convient d'ajouter que la religion, sans être d'abord une
préoccupation exclusive, compte d'emblée parmi ses intérêts dominants. Élevée dans une famille
protestante d'obédience réformée qui a dû fuir, à la fin du XVIe siècle, les Pays-Bas espagnols,
elle a reçu une éducation religieuse à la fois austère et forte. Elle connaît parfaitement la Bible et
se rapporte à chacun des livres qui la composent avec une aisance rare, ce qui lui permet de
devenir très vite une interlocutrice de choix pour les théologiens de son temps et de son milieu,
tel André Rivet. Mais, même si chacun relève chez elle une tendance piétiste prononcée, rien de
mystique ne se fait remarquer dans ses propos et son existence. Pourquoi donc va-t-elle se
tourner vers le mysticisme ? Il faut d'abord noter que, prodige admiré pour sa science et sa
culture, elle n'en est pas moins tenue dans les limites de l'expression réservée aux femmes et il
est probable qu'elle souffre de ce carcan et de cette incomplétude : elle ne pourra jamais faire
fructifier ses talents à travers une œuvre véritable. En outre, une rupture se produit dans la
deuxième moitié de sa vie. Vers 1653, elle devient l'objet de rumeurs à propos d'une prétendue
conversion au catholicisme. Anne-Marie de Schurman, psychologiquement très fragile et
incapable de s'affirmer dans l'affrontement, ne supporte pas cette situation pourtant assez banale ;
elle décide soudain de rompre avec la vie publique et l'ensemble du monde savant pour se retirer
dans la vie privée, où elle animera, avec ses proches, un petit conventicule réformé.
En 1667, à l'âge de soixante ans, elle fait, grâce à son frère, la connaissance du prédicateur Jean
de Labadie, mystique venu du catholicisme (il a été jésuite dans sa jeunesse) et converti au
protestantisme depuis 1649. C'est une rencontre décisive, qui oriente Anne-Marie de Schurman
de la vie piétiste à une vie nettement mystique, fondée à la fois sur la contemplation et une vie
spirituelle communautaire très soutenue. Elle tourne définitivement le dos à son ancienne
existence de femme savante et s'en explique dans un ouvrage autobiographique intitulé Eucleria
(1673). Elle y critique sévèrement sa vie passée qu'elle estime, de manière classique, vaniteuse et
égarée. Mais vaniteuse par rapport à quoi ? Par rapport à l'authentique rapport à Dieu qu'elle
pense découvrir grâce à Jean de Labadie, dont elle devient une des plus fidèles adeptes. Il s'agit
désormais non plus d'aborder la parole de Dieu à partir du savoir que l'on peut en prendre, mais
de la lire avec le cœur ouvert à l'action de l'Esprit. La vie mystique commence en effet au
moment où Dieu fait son séjour en l'âme, ouvrant ainsi les voies de l'union. La « foi savoureuse »
comble alors pleinement le mystique introduit dans une vie nouvelle qui transfigure, assure-t-
elle, tout son rapport au réel. Les thèmes ou références pauliniens et augustiniens abondent dans
l'Eucleria, œuvre justificatrice où Anna-Maria van Schurman s'efforce de montrer au monde
savant déconcerté qu'elle a « choisi la meilleure part ». Toutefois, une des difficultés de sa
position tient au fait qu'elle est devenue disciple d'un homme très contesté en son temps, à cause
de son attitude ambigüe vis-à-vis des femmes. Jean de Labadie passe en effet une partie de sa vie
à être chassé des lieux où il vient prêcher ou enseigner et suscite plusieurs fois des scandales – à
tort ou à raison, car le monde religieux de l'époque est rempli de rumeurs suscitées par la lutte
interconfessionnelle. Cependant, on peut dire que, sans être, comme certains l'ont prétendu, un
tartuffe, il n'en est pas moins un homme dont le pouvoir de séduction et l'intérêt pour la gent
féminine a plusieurs fois posé problème. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que le bruit
ait couru que Jean de Labadie et Anna-Maria van Schurman se seraient unis et auraient
secrètement convolé. En réalité, celle-ci entretient depuis son plus jeune âge une répulsion
particulièrement marquée à l'égard de tout ce qui relève du sexe et de la relation charnelle ou
même érotique : ce n'est donc certes pas elle qui peut éveiller les soupçons de ce côté. La très
puissante influence de Jean de Labadie a dû demeurer, en ce qui la concerne, purement spirituelle
(et si d'autres motifs ont joué, ils ont dû rester inconscients chez notre mystique). Séparées des
Églises instituées après un conflit avec les synodes réformés des Provinces-Unies, les
communautés labadistes quittent Middelbourg pour Herford, puis Altona en Basse-Saxe. Elles
conserveront d'ailleurs une prospérité relative longtemps après la mort de leur fondateur
survenue en 1674. Anne-Marie de Schurman, en ce qui la concerne, continuera jusqu'à sa propre
mort d'animer une communauté labadiste installée à Wieuwert.
Ghislain Waterlot
Bibl. : Œuvres : Opuscula hebraea, graeca, latina, gallica : prosaica adque metrica, Utrecht,
Joh. Wasberge, 1652 ; Eucleria of Uitkiezing van Het beste deel, Amsterdam, Jacob Van de
Velde, 1684 (fac-similé De Tille Leeuwarden, 1978). Études : S. DUBOIS, « Anna Maria van
Schurman : savante et mystique », Septentrion, n° 13, 1984, 2, p. 26-32 ; J. L. IRWIN, Anna
Maria van Schurman, Chicago, Chicago University Press, 1998 ; C. VENESOEN, Anne-Marie
de Schurman. Femme savante (1607-1678), Paris, Honoré Champion, 2004 ; J. VOISINE, « Un
astre éclipsé : Anne-Marie de Schurman », Études germaniques, n° 27, nov.-déc. 1972, 4, p. 501-
531.
Bibl. : Œuvre : E. KAMENS, The Buddhist Poetry of the Great Kamo Priestess : Daisaiin
Senshi and Hosshin Wakashū, Ann Arbor, Center for Japanese Studies, University of
Michigan, 1990. Étude : J.-N. ROBERT, La Centurie du Lotus – Poèmes de Jien (1155-1225)
sur le Sûtra du lotus, Paris, Collège de France, Institut des hautes études japonaises, 2008.
Bibl. : Vie : A. VIRCONDELET, Séraphine de Senlis, Paris, Albin Michel, 2008. Études : W.
UHDE, Picasso et la tradition française, Paris, Éditions des QuatreChemins, 1928 ; « Séraphine
Louis », Art et style, n° 3, décembre 1945 ; W. UHDE, Cinq Maîtres primitifs, Paris, Daudy,
1949. Expositions : Séraphine de Senlis, Senlis, Ancienne Abbaye de Saint-Vincent, 1972 ;
Séraphine de Senlis, Paris, Fondation Dina Vierny et musée Maillol, 1er octobre 2008-5 janvier
2009. Filmographie : M. PROVOST, Séraphine, 2008.
SEVRAY, Marie, laïque, auteur d'écrits spirituels (Marie Guillemin ; ?, 1872-?, 1966). —
Marie Sevray, née Guillemin, vécut une foi intense au quotidien. Dévouée à son prochain, elle
fut une mère de famille, puis une grand-mère généreuse et attentive. Sous l'inspiration de l'Esprit-
Saint, elle écrivit, de juillet 1928 à juillet 1965, des milliers de pages appelant à vivre l'amour de
Dieu, destinées à être répandues dans le monde entier.
Les Divins Appels (1928-1965), qui reçurent l'approbation de nombreux évêques, réunissent
quelques extraits de ses écrits. Ils expriment dans un style direct la soif et les désirs du cœur de
Jésus : « J'ai soif de Me communiquer aux âmes ! Ô Je vous désire ! Je vous désire ! donnez-
vous à Moi, Je veux créer des saintetés nouvelles. » Il y est rappelé pourquoi Jésus est venu sur
terre, par compassion, et a versé son sang sur la Croix, pour régénérer les âmes. L'appel est clair :
toute âme est invitée à se convertir et à se laisser « agrandir » jusqu'à « l'infini ». Or il faut pour
cela l'assentiment total de l'homme, sans quoi Jésus ne peux le « travailler » et l'« envahir » de
ses « clartés », « richesses » et « feux ». « Que les âmes prennent conscience de Ma présence en
elles, ajoute-t-il ; qu'elles pensent à ce Quelqu'un qui est au-dedans d'elles-mêmes et qu'elles s'en
occupent, comme lorsqu'elles ont un hôte qui est là, chez elles, et à qui elles doivent faire
attention, selon les règles de la plus élémentaire politesse [...]. Qu'elles fassent attention à Moi. »
Cela pour préparer la fin des temps et le renouveau magnifique, période où Dieu sera loué sur la
terre, où chaque âme divinement transformée donnera sa note, participant d'un splendide concert
universel.
Comme beaucoup de ses aînées et sœurs d'âme, Marie Sevray, autorisée à s'exprimer et à être
publiée, est la prophétesse contemporaine d'un nouveau monde à venir et du règne de Dieu, soit
l'annonciatrice d'un renouveau dans le catholicisme. Pratique courante et largement encouragée
lors de crises religieuses par les institutions, pour lesquelles l'exemplarité de la vie et la foi
authentique des femmes inspirées pouvaient devenir des instruments précieux.
Audrey Fella
Bibl. : Œuvre : Divins Appels, Hauteville (Suisse), Éditions du Parvis, 2004 (10e éd.).
Bibl. : Œuvre : The Rebbe's Daughter : Memoir of a Hasidic Childhood, trad. et introd. de N.
Polen, Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2002. Vie et études : T. M.
RABINOWICZ, The Encyclopedia of Hasidism, Northvale (NJ), Jason Aronson, 1996, p. 448.
SHAPIRA, Perele, figure spirituelle hassidique (Kozienice, ?-?, 1839). — Perele est la fille
aînée de Reb. Israël ben Shabbetai Hapstein, dit Maggid (prédicateur, parfois itinérant) de
Kozienice (Pologne) et l'épouse de Reb. Avi Ezra Zelig Shapira, rabbin de Magnuszew. Elle eut,
dès son jeune âge, une remarquable réputation dans les milieux hassidiques. On raconte que Reb.
Elimelekh de Lizhensk disait que la présence divine (shekhinah) était en elle et que son père
rapportait aux hassidim (disciples) qu'elle avait un esprit saint, leur recommandant de « se
rappeler à elle », c'est-à-dire de lui rendre visite pour obtenir ses bénédictions. Perele observait
les prescriptions rituelles, normalement réservées aux hommes : pendant les prières, elle portait
un tsitsit (sous-vêtement garni de franges, chacune avec un fil bleu), un gartel (cordelette pour
séparer les parties supérieures et inférieures du corps) et un tallit (châle de prière), et jeûnait les
lundis et jeudis, comme le faisaient les piétistes. Elle recevait de son assistant, Reb. Zusha, les
kvittlech (requêtes) des hassidim accompagnées de leurs cadeaux et distribuait tous les dons
qu'elle percevait, ayant choisi de vivre dans la pauvreté.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 214 ;
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Robert Laffont, 1996, p. 439, p. 931 et p. 1033-
1034 ; T. M. RABINOWICZ, The Encyclopedia of Hasidism, Northvale (NJ), Jason Aronson,
1996, p. 449-450.
SHA'WANA, ascète musulmane (?-Ubulla, VIIIe s.). — On sait peu de chose de cette mystique,
dont le nom même, dépourvu de généalogie ou de lien de parenté, est énigmatique. En effet,
sha'wâna désigne une poignée de cheveux arrachés et dispersés. Il s'agit donc d'une antonomase,
qui, à notre connaissance, n'a pas été employée pour une autre personne et suffit ainsi à désigner
un personnage historique qui, de fait, figure dans de nombreux dictionnaires biographiques. La
date de sa mort ne nous est pas connue et Sulamî (Dhikr al-niswa, p. 44), l'un de ses premiers
biographes, n'indique aucune date ni aucun élément susceptible de fournir un repère historique.
Elle n'était pas d'origine arabe et vécutprobablement au VIIIe siècle, si l'on tient pour fondée sa
rencontre avec Al-Fudayl Ibn 'Iyâd, originaire du Khurâsân. Ce bandit de grand chemin, qui
devint un ascète réputé, lui rendait visite alors qu'elle était déjà âgée, se plaignant à elle de son
état spirituel et lui demandant son intercession. Perspicace, la sainte dut déceler une pointe de
coquetterie et lui répliqua : « Voyons, Fudayl, il y aurait si peu de chose entre toi et Lui que tu
l'invoquerais et qu'Il ne t'exaucerait point ? » Confondu, Fudayl poussa un cri et tomba inanimé
(Sifat). Au détour des quelques anecdotes qui sont rapportées, on apprend qu'elle fut mariée et
accomplit le pèlerinage en compagnie de son mari. Elle eut un fils, qui semble avoir eu de
grandes qualités spirituelles. Elle résidait à Ubulla, village en bordure du Tigre dans les environs
de Basra. Elle avait une très belle voix, particulièrement mélodieuse, et elle devait avoir un
majlis, réunion à fréquence régulière qui pouvait se tenir à la mosquée, parfois dans les maisons,
où se rassemblait la population qu'elle prêchait et à qui elle faisait parfois la lecture (le texte lu
n'est pas précisé, peut-être s'agit-il du Coran). Lorsqu'elle évoquait la mort, sa voix étranglée par
les pleurs enflammait les cœurs de ceux qui la redoutaient. Nous connaissons au moins une de
ses fidèles disciples, Kurdiyya bint 'Amr. Étant à son service, elle demeurait parfois dans sa
maison. Une nuit qu'elle s'était endormie, Sha'wana la frappa pour la réveiller et la sermonna en
ces termes : « Debout, Kurdiyya ! Ce n'est pas une demeure où on dort [la nuit] ! Les tombes
sont faites pour cela. » Quand on interrogeait Kurdiyya sur le bénéfice spirituel qu'elle avait tiré
du service de Sha'wana, elle mentionnait trois choses : le renoncement au monde et aux
préoccupations matérielles, le peu d'attention qu'elle portait aux riches et aux puissants,
n'attendant rien d'eux, et enfin l'interdiction de rabaisser un musulman, quel qu'il fût. Ce
témoignage permet d'entrevoir les grandes lignes de l'enseignement de Sha'wana.
Dans la typologie spirituelle, sa sainteté, comme celles de nombreuses femmes de la même
époque, est à classer du côté des pleureuses. Cette forme particulière de dévotion, qui consiste à
verser des torrents de larmes, n'est pas l'apanage des femmes, mais touche aussi les hommes, en
particulier dans les milieux ascétiques de Basra vers le VIIIe siècle, à tel point que certains
orientalistes ont été enclins à en faire une catégorie particulière d'ascètes. Fritz Meier a vu dans
les pleurs des bakkâ'ûn (terme arabe qui désigne ces pleureurs) « un des plus évidents vestiges
d'un lien entre l'ascétisme des musulmans et celui des chrétiens ». Sha'wana pratique une ascèse
marquée par l'attrition, probablement sous une forme rigoureuse, et la contrition. D'ailleurs, Abû
'Uthmân al-Maghribî rapporte qu'au moment de sa mort elle aurait dit : « Je redoute le face-à-
face avec Dieu. – Pourquoi ? lui demanda-t-on. – Par crainte de mes fautes ! » (Al-kawâkib, I,
p. 328). La perception du péché semble chez elle très douloureuse. Elle explique un jour à un
jeune visiteur qu'elle connaît son père sans pourtant l'avoir jamais vu et qu'elle a un désir intense
de le rencontrer. Elle est retenue de partir à sa rencontre par la crainte qu'elle aurait de le
détourner du service de son seigneur, plus important que la conversation de Sha'wana. Elle s'écrit
alors : « Qui est Sha'wana ? Que veut-elle ? Une esclave noire pécheresse ! » Elle se mit alors à
pleurer sans pouvoir s'arrêter, et ses visiteurs se résolurent à se retirer, la laissant dans son état.
Elle incarne parfaitement une description faite par le grand mystique Dhû l-Nûn l'Égyptien :
« Dieu a des serviteurs qui ont planté devant leurs yeux les arbres de leurs péchés pour les
arroser avec l'eau de leur pénitence, et ils ont cueilli comme fruits le repentir et la tristesse » (cité
par E. Dermenghem dans Vies des saints musulmans, 1943, rééd. 2005).
Ses pleurs abondants empêchaient parfois ses disciples de comprendre ses propos. Certains
s'inquiétaient même qu'ils ne finissent par lui faire perdre la vue. Elle leur répondait : « Je préfère
perdre la vue en ce monde à force de pleurer à la cécité que provoque le châtiment dans l'au-
delà » (Nafahât, p. 817). Elle leur disait aussi : « Je voudrais pleurer jusqu'à ce que mes larmes
tarissent, puis je pleurerai mon sang, vidant tous les membres de mon corps jusqu'à la dernière
goutte. Comment me passer des pleurs ? »
L'anecdote suivante, plutôt inhabituelle dans les récits hagiographiques, donne à notre
personnage une profonde humanité et une indication possible de sa réalité historique. On dit
qu'elle traversa une période d'abattement si profond (peut-être accablée par une tristesse trop
intense (Nafahât, p. 817), qu'elle délaissa même la prière et les œuvres d'adoration. Une nuit, en
rêve un visiteur lui déclama le poème suivant : « Ouvre les yeux ! Tu étais certes affligée / Les
lamentations parfois guérissent la tristesse / Courage, lève-toi et jeûne avec assiduité chaque jour
/ Seuls ceux qui obéissent connaissent lassitude » (Sifat, p. 56, voir aussi version différente
Rawd, p. 117). Au matin, elle reprit ses œuvres d'adoration, répétant ces vers tout en pleurant, ce
qui tirait les larmes à son auditoire.
Jean-Jacques Thibon
SHOBHÂ MÂ, sainte et maître spirituel (gourou) hindou (Shobhârânî Râhâ ; Comilla,
26 février 1921-Bénarès, 31 octobre 2005). — Née au Bengale oriental (aujourd'hui
Bangladesh), alors que l'Inde est sous domination britannique, Shobhârânî Râhâ appartient à une
famille de propriétaires terriens aisés de la caste des kâyasths (spécialisée dans les tâches
administratives). Comme nombre de kâyasths bengalis, les Râhâ sont par tradition familiale des
shâkta – ils se vouent au culte de l'Énergie divine (shakti) sous la forme de la déesse (Kâlî dans
leur cas). Shobhârânî, enfant sujette à des crises nerveuses, apprend à lire et à écrire sa langue
maternelle, le bengali, mais son éducation ne dépasse pas le stade primaire. En décembre 1935 se
manifestent les premiers signes de son exceptionnelle disposition à entrer en transe. Elle a des
visions, entend des instructions spirituelles et se lance dans des activités rituelles fébriles. Ces
expériences sont d'autant plus bouleversantes qu'elle les associe à swâmi Santadâs, un religieux
qu'elle a rencontré quelques mois plus tôt, en juin 1935, lorsqu'il a fait d'elle et de ses parents ses
disciples et les a initiés au culte de Krishna. Or swâmi Santadâs est décédé depuis quelques
semaines à l'époque où elle le « voit » à nouveau.
Bengali lui aussi, swâmi Santadâs (né Tara-Kishore Chaudhury), à l'époque de sa rencontre
avec les Râhâ, appartient à l'ordre monastique krishnaïte, fondé au XIIIe siècle par le théologien
Nimbârka. Plusieurs années auparavant, ce juge et fin connaisseur des systèmes de philosophie
indiens (darshana) a renoncé à sa carrière à la haute cour de Calcutta pour devenir un maître
spirituel réputé. Il concilie son adhésion à une doctrine exclusiviste affirmant que Krishna
dispense le salut à celui qui lui voue une dévotion sans partage avec une position idéaliste
(nourrie des Upanishads), selon laquelle les divinités ne sont que des formes limitées de
l'Absolu. Aussi est-ce à dépasser tout sectarisme théologique qu'il invite les Râhâ lorsqu'ils
deviennent ses disciples et adoptent la religion krishnaïte, nonobstant leur allégeance familiale à
Kâlî. Il est possible que, surgissant à l'époque de son adolescence, la grave crise de conscience
qui s'ensuit pour sa famille ait perturbé la jeune Shobhârânî.
Pendant la période 1936-1937, tout se passe comme si Shobhârânî suivait une discipline
spirituelle rigoureuse sous la direction d'un maître, quoique celui-ci soit visible et audible pour
elle seule. Mais la croyance qu'un gourou peut continuer à intervenir dans la vie de son disciple
après sa mort étant très répandue, la famille Râhâ, puis bientôt tout le voisinage sont convaincus
que la jeune fille est le réceptacle d'une grâce spéciale. Elle a aussi des visions de diverses
divinités, mais plus particulièrement de Krishna et Kâlî, qui se présentent alternativement à ses
yeux et lui enseignent qu'ils ne sont que des formes différentes de la même réalité. Bientôt, elle
se met à s'identifier tantôt à Krishna et tantôt à Kâlî ou plutôt à les incarner en adoptant devant
ses proches les postures et gestes qui leur sont associés dans l'iconographie religieuse. À partir de
février 1936, la famille Râhâ affirme que les divinités consomment véritablement les offrandes
alimentaires que leur fille leur livre pendant ses transes. Shobhârânî entretient son père de ses
expériences, qui les note scrupuleusement. Elle bénéficie aussi des conseils de Shishir-Kumâr
Râhâ, le cousin germain de son père, qui est devenu le disciple de swâmi Santadâs plusieurs
années auparavant et a présenté son gourou aux Râhâ. Shishir-Kumâr joue encore un rôle décisif
dans la vie de sa cousine, de vingt ans sa cadette, en la mettant en contact en 1938 avec l'un des
plus grands lettrés de sa génération, pandit Gopinâth Kavirâj. Né dans une famille brahmane du
Bengale oriental, Gopinâth Kavirâj vient de se retirer de la direction de l'université sanskrite de
Bénarès pour se consacrer à ses recherches philosophiques. Très attiré par les ascètes et saints
hommes, faisant partie des intimes de la célèbre sainte bengalie Ânandamayî Mâ* (notons qu'elle
est parente par alliance de swâmi Santadâs), qu'il considère comme une incarnation divine,
Gopinâth Kavirâj examine Shobhârânî et se dit impressionné par ses réponses. Les parents de la
jeune fille vont en conclure que ses états émotionnels inhabituels ne sont pas des attaques de
possession, ni des indices de dérangement mental, mais les signes d'une vie religieuse aussi
authentique qu'intense. Ses disciples diront que ses expériences ont entraîné un changement si
profond et permanent de personnalité qu'elle a atteint la « connaissance divine complète »
(pûrna-brahma-jñâ), un niveau de conscience supérieur, qu'on associe à la condition de maître
spirituel.
Shobhârânî passe la décennie suivante dans son village ancestral, entourée d'un nombre
croissant de disciples attirés par ses expériences spirituelles. En octobre 1946, des émeutes
sanglantes entre hindous et musulmans, annonciatrices du drame de la partition, ayant poussé les
Râhâ à s'installer à Calcutta, le mouvement qui s'est créé autour d'elle reçoit un nouvel élan. En
1950, âgée de vingt-neuf ans, elle devient officiellement Shobhâ Mâ, après avoir formellement
renoncé au monde selon les rites de la secte de Nimbârka. En 1952, elle s'installe à Bénarès et y
fonde, dans le quartier de Laxa, un petit ashram, appelé Sant Ashram en hommage à swâmi
Santadâs, et une communauté monastique de femmes. Désormais, elle va se comporter comme
un maître spirituel modèle, transmettant par son exemple, par son enseignement religieux et par
ses conseils de vie des valeurs essentielles de la tradition hindoue, en s'inspirant des nombreux
ouvrages de swâmi Santadâs, elle-même n'ayant rien écrit. Quoique la plupart des disciples de ce
dernier ne la reconnaissent pas comme gourou, puisque, selon les autorités scripturaires sectaires,
seuls des hommes brahmanes peuvent accéder à ce statut, Shobhâ Mâ maintient
imperturbablement qu'elle est le cinquante-septième gourou de la lignée de la secte de Nimbârka
dans laquelle elle a été initiée par swâmi Santadâs. Son insistance à se faire reconnaître comme
une disciple de ce dernier, son entrée régulière dans l'ordre monastique de Nimbârka (grâce à un
disciple de Swâmî Santadâs) traduisent sa conviction, partagée par de nombreux hindous, que
seule l'appartenance à une tradition sectaire garantit l'authenticité d'un enseignement.
Pendant plus de cinquante ans, Shobhâ Mâ dirige une petite communauté spirituelle qui, à sa
disparition en 2005, compte environ mille personnes, en majorité originaires du Bengale oriental
comme elle, mais beaucoup mieux éduqués, dont une vingtaine d'ascètes, la plupart des femmes
de caste kâyasth ayant fait de bonnes études. Tous ses disciples la considèrent comme la
« Mère » (mâ), non seulement en vertu de ses qualités maternelles intrinsèques, de sa faculté à
écouter ses « fils » et « filles », mais aussi et surtout parce qu'ils l'identifient à la Déesse, la Mère
universelle (jaganmâtâ). Elle ne les décourage pas dans cette conviction ni dans la traduction
concrète qu'ils en donnent en lui rendant un culte individuel chez eux (par l'intermédiaire d'une
photographie) et collectif à l'ashram.
Dès sa jeunesse, Shobhâ Mâ a été adorée par son entourage chaque fois qu'elle entrait dans des
états extraordinaires. Son culte collectif ne cesse pas avec l'espacement, puis la disparition, de
ses visions, au contraire il s'organise de manière régulière, en s'inscrivant dans un temps
calendaire et en suivant des règles liturgiques précises. D'abord, on l'adore en lieu et place de
l'image divine de la Déesse lors de la grande fête de Durgâ (Durgâ-pûjâ). Puis, peu à peu, se met
en place l'habitude de célébrer deux fois par an le culte de la Mère (mâtri-pûjâ), le jour de son
anniversaire et le jour de la Guru-pûrnimâ, la fête panindienne du maître spirituel (en juillet). À
ces occasions, Shobhâ Mâ, installée sur un trône, habillée et parée comme une divinité, reçoit
une série d'hommages rituels en tous points conformes à ceux qu'on offre à une image divine,
tandis que, profondément absorbée en méditation (samâdhi), par ses expressions faciales et les
mouvements de ses mains, elle montre à ses disciples, habitués à en déchiffrer le sens, que Kâlî
et Krishna se manifestent alternativement à travers elle. Ces pratiques, parce qu'elles reflètent la
persistance de la présence de la Déesse dans la vie de Shobhâ Mâ malgré sa conversion au
krishnaïsme, témoignent que sa carrière spirituelle est à sa manière fidèle à son maître, qui
enseignait que Krishna et Kâlî n'étaient pas différents, mais des formes que le divin, un et
indivisible par essence, prenait pour se manifester.
Shobhâ Mâ doit une large part de son prestige à son association avec swâmi Santadâs. Mais la
considération dont elle est entourée sa vie durant repose aussi sur ses grands dons spirituels
personnels, sur ses dispositions à éprouver la communion avec le divin de manière intense. Elle
s'explique aussi par la réputation de sérieux qui s'attache à son ashram et à sa communauté de
disciples. Sa carrière rappelle que l'hindouisme procure à la femme qui désire s'affirmer dans le
domaine religieux une image prestigieuse d'elle-même en lui permettant d'être comparée, voire
assimilée à la Déesse. Ainsi se trouve justifiée une conduite aberrante par rapport aux normes
d'une société selon lesquelles la femme ne peut se réaliser en dehors du mariage. Shobhâ Mâ
« est entrée en samâdhi perpétuel » le 31 octobre 2005.
Catherine Clémentin-Ojha
Bibl. : Œuvres : Instant et cause, le discontinu dans la pensée philosophique de l'Inde, Paris,
Vrin, 1955 (rééd. Paris, De Boccard, 1989) ; Vijñâna Bhairava Tantra, Paris, De Boccard, 1961
(rééd. 1999) ; La Bhakti. Le Stavacintâmani de Bhattanârâyana, Paris, De Boccard, 1964 (rééd.
1979) ; Spandakârikâ. Stances sur la vibration de Vasugupta et leurs gloses, Paris, De Boccard,
1990. Elle a également assuré la direction de : Les Voies de la mystique ou l'accès au Sans-accès
d'après le Shivaïsme du Cachemire, des auteurs chrétiens, soufis, et un maître du Tch'an, dans
Hermès, nouvelle série 1, Paris, Les Deux Océans, 1981 (rééd. 1993), et Le Vide. Expérience
spirituelle en Occident et en Orient, dans Hermès, nouvelle série 2, Paris, Les Deux Océans,1981
(rééd. 1989).
SINGER, Christiane, écrivain (Marseille, 1943-Vienne, 2007). — Née d'un père juif et d'une
mère chrétienne, originaires tous deux d'Europe centrale, Christiane Singer a vécu en Suisse et en
Allemagne avant de s'établir en Autriche, près de Vienne, au château de Rastenberg, avec son
époux, le comte Georg von Thurn-Valsassina, et ses deux fils.
Lectrice à l'université de Bâle, puis chargée de cours à l'université de Fribourg, elle a suivi
l'enseignement de Karlfried Graf Dürkheim, disciple de Carl Gustav Jung. Elle s'est fait
connaître à l'âge de vingt-deux ans avec son livre Les Cahiers d'une hypocrite (1965). Avec son
époux rencontré en 1968, elle a effectué de nombreux voyages et lectures, qui l'ont ouverte aux
traditions tibétaine, bouddhiste, soufie et juive hassidique. De sensibilité chrétienne imprégnée
de sagesse orientale, elle s'est consacrée pendant plusieurs années à ses activités littéraires ainsi
qu'à de nombreuses conférences. Plaçant la dimension intérieure et spirituelle au cœur de son
œuvre, elle est titulaire de nombreuses distinctions : elle a reçu le Prix des libraires en 1978 pour
La Mort viennoise et le prix Camus en 1988 pour Histoire d'âme. En 2006, elle a reçu le Prix de
la langue française pour l'ensemble de son œuvre.
Élevée dans le catholicisme, elle avoue avoir été tentée par « la religion de la raison » avant de
renouer avec la veine mystique du christianisme grâce au bouddhisme zen et à la
« Leibtherapie » de Dürkheim, le « sage de la Forêt-Noire ». Dépositaire d'une spiritualité
vivante et spontanée, elle reste néanmoins inclassable. Christiane Singer n'a eu de cesse, en effet,
d'exprimer l'intensité d'être, la perception d'une énergie unique, qui est tour à tour joie et
tristesse, souffrance et sérénité, transformable en une vibration d'amour qui transcende toutes les
oppositions et toutes les représentations erronées de la vie. Atteinte d'un cancer à soixante-quatre
ans, elle rédige son dernier opus, Derniers Fragments d'un long voyage (2007), qui conte sa
bouleversante traversée de la maladie et l'approche de la mort pour mieux célébrer la splendeur
de la vie. « Tout est vie que je vive ou que je meure, écrit-elle. Tout est vie […]. » Animée par la
grâce et l'enchantement où l'amour est central, elle va jusqu'à s'écrier : « Je grandis. » Christiane
Singer témoigne là de son ultime expérience à travers ses descentes dans l'abîme et ses montées
vers la lumière, expression de la force et de la disponibilité qui l'habitent, de la joie et de
l'allégresse à magnifier chaque instant et louer Dieu.
Elle est l'auteur de nombreux essais et romans, dont La Guerre des filles (1981), Les Âges de la
vie (1983), Une passion (1992), Du bon usage des crises (1996), Éloge du mariage, de
l'engagement et autres folies (2000), Une passion. Entre ciel et terre (2000), Où cours-tu, Ne
sais-tu pas que le ciel est en toi ? (2001), Les Sept Nuits de la reine (2002), N'oublie pas les
chevaux écumants du passé (2005), La Divine Tragédie (2006) et Seul ce qui brûle (2006). Elle a
participé à plusieurs collectifs, dont Les Chemins du corps (1996), La Quête du sens (2000),
Inventons la paix (2000) et Le Grand Livre de la tendresse (2002).
Composés de pensées, de rencontres et d'anecdotes personnelles et autres, ses ouvrages militent
pour une spiritualité libre de tout dogme. « Qu'importe à Dieu, écrit-elle [citant Héloïse*], par
quelle voie nous parvenons à lui ! Et de quels bois nous alimentons le feu qui nous consume !
L'ardeur du désir compte seule » (Du bon usage des crises). Christiane Singer a centré sa
réflexion et son œuvre sur la prise en compte nécessaire d'une dimension intérieure de l'être, lieu
intime de la rencontre avec le divin. Elle propose de « retrouver ses racines intérieures », puis de
« délivrer le monde de soi-même » pour atteindre à la vie véritable. « La réalité, avec ses causes
et ses effets, n'est que la croûte du réel, témoigne-t-elle. […] Dans cette vision modifiée, dans ce
passage de la réalité au réel, ma vie, ce lieu hanté par les représentations d'une époque, les
jugements, les échecs, les blessures, devient peu à peu un lieu de transmutation, un lieu
alchimique d'où part dans toutes les directions l'information (au sens de ce mot en homéopathie)
d'une autre manière d'être au monde. Cette prise de conscience (oh, il ne s'agit pas d'être effleuré
par cette “thèse intéressante”, mais d'être atteint dans la chair de sa chair !) m'apparaît le vrai
début d'un processus d'humanisation » (propos recueillis par P. Van Eersel). Considérant chaque
homme comme une parcelle de l'univers, elle l'invite à dépasser son individualité, à renouer avec
sa responsabilité et à développer la solidarité pour ne pas tomber dans « l'abîme de
l'inhumanité ».
Audrey Fella
Bibl. : Œuvres : tous les ouvrages de Christiane Singer sont disponibles aux éditions Albin
Michel (Paris). Études : P. VAN EERSEL (propos recueillis par), « L'enfantement, l'éros et la
vieillesse », Nouvelles Clés, n° 48, 2006 ; C. SINGER, « XXIe siècle : les visions de 34 écrivains
et philosophes », Nouvelles Clés, n° 28, 2000.
SITT'AJAM BINT AL-NAFIS DE BAGDAD, soufie (?, ?-Bagdad, apr. 1287). — Sitt'Ajam et
son mari, Muhammed al-Khatib, ont été initiés à la doctrine d'Ibn'Arabî, selon Sitt'Ajam elle-
même, par le cheikh Ismaël ibn'Izz al-Qudât, lui-même enseigné au Caire par Ibn Surâqa.
L'expérience mystique de Sitt'Ajam s'exprime à travers un vocabulaire direct et personnel. Le
terme qui revient le plus souvent est celui d'« arrachement » (khala). Il consiste à « se séparer de
la vie habituelle » et à ôter le corps physique « sans souffrir » pour atteindre à « un état qui est
entre la mort et l'éveil ». Cette expérience, qui procède d'une action divine, se fonde sur la
contemplation ou « Vision directe » (al-Shuhûd). Sitt'Ajam décrit cet état en ces termes : « Dieu
regarde son image dans un miroir, cette image est imprégnée de lumière ; ce qu'elle reflète est en
même temps l'image de celui qui contemple […]. Dans l'état de contemplation, s'unit celui qui
contemple à Celui qui est contemplé. En effet, celui qui veut rencontrer le véritable contemplatif
trouve Le Contemplé, car en fait, le contemplatif n'a point d'existence propre par rapport à l'Être
contemplé » (Sharh 2004, p. 52). Une multitude d'images sont proposées par Sitt'Ajam pour
rendre compte des différentes facettes de la contemplation. Elle insiste notamment sur le fait que
la contemplation intérieure dépasse de loin, par sa clarté, la vision oculaire externe. Ce qui les
distingue, c'est « l'intensité lumineuse de la manifestation ». Passant par trois étapes successives :
la « supervision » (al-Ittilâ'), « l'arrêt » (al-Waqfa) et « la course » (al-Jariy), cette expérience est
également instantanée. « Personne ne peut rester dans le monde du Mystère plus d'un seul
instant », écrit-elle. Mais celui qui réalise cette projection dans le monde ésotérique accède au
secret de la vie. Il possède alors une « vérité irréfutable » (lâ radda 'alayhi), qu'il ne peut
exprimer car l'entendement de ceux qui la reçoivent est limité. Face à la perplexité des gens, le
gnostique, qui tente de s'exprimer dans un langage qui risque d'être plus obscur que l'expérience
même, n'a plus qu'à se taire.
L'événement le plus marquant dans la vie spirituelle de Sitt'Ajam est sa rencontre avec
Ibn'Arabî dans un monde suprasensible. Lui demandant l'initiation à la voie mystique et à
l'aspiration à la sainteté (al-Walâya), elle est priée par celui-ci de commenter, en échange, un de
ses livres les plus ambigus et insondables, les Mashahid al-Asrar al Qudsiya
(« Contemplations… », 1194).
Aidée de son mari qui maîtrisait « l'art de l'écriture et de l'expression », elle est ainsi l'auteur de
trois ouvrages écrits sous l'inspiration divine, vers 1287, dont le commentaire des Mashahid al-
Asrar al Qudsiya, Kashf al-Asrar (« Le dévoilement des secrets ») et Kitâb al-Khatm (« Le livre
du sceau »).
Le terme wahdat al-wujud (« l'unicité de l'être ») par lequel on définit communément la
doctrine d'Ibn'Arabî n'apparaît pas dans les écrits de Sitt'Ajam. Cependant, quelques idées,
exprimées à différents endroits de son œuvre, montrent une conception claire de cette
doctrine. Pour elle, le rapport entre l'unicité et la multiplicité fait que cette dernière n'a pas
d'existence réelle. C'est l'Un qui jouit tout seul de l'Être. Cette idée plotinienne se rencontre
également chez Ibn'Arabî. Pour Sitt'Ajam, l'unicité de l'être est valable dans un seul sens, celui
qui va de Dieu vers le monde et point dans le sens opposé. Elle écrit à ce sujet : « Dieu complète
les choses mais les choses restent à l'écart de Sa Perfection » (Sharh 2004, p. 156). Dans d'autres
passages, elle laisse parler Dieu : « Je suis le Monde, mais le Monde n'est pas Moi » (ibid., p.
270) ; ou : « Je suis l'Un, sans rien qui ne puisse me seconder, Unique, sans différenciation ni
multiplicité dans mon Être » (ibid., p. 68). Ce à quoi elle ajoute : « La différenciation entre “Toi”
et “moi” est justifiée par l'état de la détermination des êtres créés. La distinction, entre la
qualification et le Qualifié en Soi, est une façon de parler. Mais la Vérité absolue de l'Un est
contraire à toutes sortes de différenciations » (ibid., p. 336).
Témoignant d'une discipline spirituelle originale, Sitt'Ajam reste une exception dans l'école
d'Ibn'Arabî, tout autant que dans l'histoire de la mystique islamique. Rare femme à avoir écrit,
elle tient une place de choix aux côtés de Rabi'a al-‘Adawiyya*, qui la précède de quatre siècles
avec ses poèmes sur l'amour divin.
Bakri Aladdin
Bibl. : Hagiographie et études : N. RIGGS (trad.), Like An Illusion : Lives of the Shangpa
Kagyu Masters, Mendocino, Dharma Cloud Publications, 2000 ; Hagiographie de Nigouma et
Soukhasiddhi (sans auteur), Ygrande, Yogi Ling, 1997 ; BOKAR Rimpotché, Tara, le divin au
féminin, Vernègues, Claire Lumière, 1997 ; P. CORNU, Dictionnaire encyclopédique du
bouddhisme, Paris, Seuil, 2001 ; KALOU Rimpotché, La Voie du Bouddha selon la tradition
tibétaine, Paris, Seuil, 1993 ; M. SHAW, Passionate Enlightenment : Women in Tantric
Buddhism, New Delhi, Munshiram Manoharlal Publishers, 1998 ; J. SIMMER-BROWN, Le
Souffle ardent de la dakini : le principe féminin dans le bouddhisme tantrique, Huy, Kunchab,
2004.
SOUMIA, chamane mongole (OulanBator, XXIe s.). — D'origine halh, Soumia appartient à la
nouvelle génération de chamanes qui a vu le jour il y a quelques années en Mongolie
postcommuniste. Jeune, elle étudie la danse à Moscou. De retour en Mongolie, elle devient une
des premières ballerines d'Oulan-Bator (la capitale du pays). Puis, elle tombe malade pendant
près de deux ans. Batuevna, une chamane bouriate de Russie, en visite en Mongolie, s'occupe
d'elle et lui annonce que ce n'est pas une vraie maladie, mais le signe de son aptitude
chamanique. Soumia part ainsi en Bouriatie, où elle est initiée par le chamane Bastov Ivanovic,
le maître de Batuevna. Dans son cas (comme dans de nombreux autres), la personne qui annonce
le don n'est pas celle qui enseigne. Pour Soumia, le don est naturel, il ne s'invente pas. Aussi ce
don se développe auprès d'un maître, qui apprend à celui qui le possède à le contrôler. Elle finit
son initiation à Hövsgöl auprès du chamane darhad Balzir. Son udgan mod, l'arbre consacré
auprès duquel elle appelle les esprits pour confirmer sa vocation de chamane, se situe à Tojlogt.
Elle est actuellement membre de l'Association des chamanes mongols.
L'exemple de Soumia témoigne d'un chamanisme d'aspect national (participant à la
reconstruction identitaire du pays) et universel (fondé sur un système de croyances et de
pratiques culturelles et magiques), qui s'est adapté et construit à partir des variations ethniques
darhad, bouriate, halh, urianhaj, mais aussi à partir du bouddhisme et du communisme. Soumia a
en effet hérité et s'est nourrie d'influences diverses, à partir desquelles elle a élaboré sa propre
pratique ; elle n'utilise plus les pièces trouées divinatoires ou autres accessoires pour la
divination, elle se sent plus proche des voyantes qui divinisent sans support. Pour elle, « le
chamanisme est la relation avec le Ciel, la Terre, les choses invisibles du monde et les esprits
ancêtres ». Les techniques des différentes traditions utilisées importent peu, c'est le résultat qui
compte. En outre, sa conception de la maladie est karmique, liée au cycle des réincarnations et
non aux attaques et vengeances des esprits : « Nous sommes tous des réincarnés, c'est pour cela
que nous gardons avec nous la maladie de nos ancêtres. Moi je suis la réincarnation de ma grand-
mère et j'ai gardé ses maladies. Les parents doivent savoir de qui est l'esprit de leur enfant afin de
prévoir les maladies qu'ils vont avoir et les prévenir » (L. Merli, p. 85-86).
Audrey Fella
Bibl. : Œuvres : Femmes, magie et politique, trad. Morbic, Paris, Les Empêcheurs de penser en
rond, 2005 ; Parcours d'une altermondialiste, trad. I. Stengers et E. Rubinstein, Paris, Les
Empêcheurs de penser en rond, 2005. Études : B. BEAUZAMY, « L'action directe des sorcières
Wicca dans les mouvements dits anti-globalisation : un paradigme féministe », Politica
Hermetica, n° 20, 2006, p. 90-112 ; E. HACHE, « Star-hawk, le rituel et la politique »,
communication au colloque Actuel Marx V, Section Études féministes, Panel féminisme,
altermondialisme et utopie, 3-6 octobre 2007 ; H. BERGER, A Community of Witches,
Columbia, University of South Carolina Press, 1999.
Bibl. : Vie : G. GOREL, Marquise et carmélite. Souvenirs de son aumônier, Paris, Téqui, 1935 ;
Alessandra di Rudini, carmélite, par une moniale (mère Marie-Claude), Paris, Desclée de
Brouwer, 1961 (rééd. 1981). Études : J. CHEVALIER, Entretiens avec Bergson, Paris, Plon,
1959 ; J. MAÎTRE, Mystique et féminité : essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf,
1997 ; J. PEYRADE, Figures catholiques du XXe siècle, Paris, Téqui, 1998 ; A. COMASTRI,
Étoiles dans la nuit : Chemins de conversion au XXe siècle, Saint-Maurice, Éditions Saint-
Augustin, 2007.
SUN BU'ER, taoïste (Ninghai, 16 février 1119-Luoyang, 1182). — Sun Fuchun, plus connue
sous son nom taoïste de Sun Bu'er ou « Sun la non-duelle », destinée à devenir l'une des
patronnes de l'alchimie intérieure pour les femmes, naît dans la petite ville côtière de Ninghai,
dans la préfecture de Dengzhou (Shandong) en Chine du Nord. Elle reçoit une bonne éducation,
car elle est issue d'une grande famille ; le chant et la calligraphie sont ses passe-temps préférés.
Elle épouse à Ninghai un homme appartenant lui aussi à une très grande famille noble : Ma Yifu,
connu sous son nom taoïste de Ma Danyang, avec lequel elle a trois enfants.
En 1125, les Jürchet, une des branches des peuples toungouses, envahissent le nord de la
Chine, obligeant la cour de l'empereur Huizong, établie à Kaifeng, à se replier dans le Sud, à
Hangzhou. Wang Zhe ou Wang Chongyang, personnage qui va changer la vie de Sun Bu'er, est
tout d'abord officier dans l'administration militaire des Jürchet, puis il se retire à l'âge de
quarante-huit ans, c'est-à-dire en 1150, dans les monts Zhongnan (Shaanxi), pour mener une vie
érémitique, dans laquelle l'ascèse joue un rôle important : ainsi débute la quête de celui qui va
devenir le patriarche du courant de la Perfection totale (Quanzhen) – l'école taoïste la plus
développée dans la Chine actuelle – et le maître de Sun Bu'er. L'été 1167, il vient à Ninghai et
habite chez les Ma, où on lui construit dans le jardin du sud un petit ermitage. Il y fait une
retraite de cent jours. Il en sort au début de l'année 1168 et emmène avec lui Ma Yifu, l'époux de
Sun Bu'er, qui prend le nom religieux de Ma Danyang. Cet épisode marque le début du
Quanzhen.
À cette occasion, Sun et son mari se séparent. Sun s'établit l'année suivante au temple du Lotus
d'or (Jinlian tang) à Ninghai, où Wang Chongyang lui donne le nom religieux de Sun la non-
duelle (Sun Bu'er), signifiant qu'elle quitte la société dans laquelle elle était une épouse de
second rang pour se mettre en quête de l'immortalité. Elle reçoit aussi le surnom taoïste de
« Dame sereine du calme et de la pureté » (Qingjing sanren). Wang Chongyang lui transmet les
« formules secrètes des sceaux nuageux et des talismans célestes » (tianfu yunzhuan) : elle
pratique ainsi l'écriture inspirée, laissant son pinceau être guidé par un immortel ou une
immortelle qui se sert de son corps pour livrer des révélations au monde.
On rapporte qu'elle écrivait des poèmes. Mais les écrits qui lui sont attribués sont tous
apocryphes et proviennent probablement de séances d'écriture inspirée. C'est le cas de quelques
poèmes conservés dans une anthologie de textes taoïstes des Ming, le « Chant ininterrompu des
grues » (Minghe yuyin, 1347), d'une série de quatorze poèmes intitulée « Étapes du cheminement
dans la voie alchimique féminine » (Kundao gongfu cidi, fin XIXe s. ?) et d'un « Texte secret sur
la Voie alchimique, transmis par la divinité originelle Sun Bu'er » (Sun Bu'er yuanjun chuanshu
dandao mishu, XIXe s. ?), tous deux conservés dans les « Textes essentiels en complément au
Canon taoïste » (Daozang jiyao, 1906).
Lorsque Wang Chongyang meurt à la capitale Kaifeng, en 1172, Sun Bu'er quitte le Shandong
et traverse la Chine du Nord en proie aux troubles incessants, pour arriver, trois ans après son
départ, dans le Shaanxi, où est enterré Wang et où vit son ancien mari, Ma Danyang. Ce dernier
lui transmet les principes d'alchimie intérieure selon une tradition s'appuyant sur le Livre des
mutations (III-IIe s. av. J.-C.).
Sun pratique pendant sept ans, elle laisse le souffle pénétrer son corps, en débloquer tous les
nœuds, elle recouvre l'énergie de ses trois champs de cinabre (dans l'abdomen, le cœur et la tête).
Elle inverse le cours des choses qui mène de la naissance à la mort pour recouvrer l'Un et former
en elle l'élixir de longue vie. Pour cela, pendant de longues heures de méditation, assise dans le
calme de l'esprit, elle « décapite le dragon rouge », c'est-à-dire qu'elle transmute l'écoulement de
sang mensuel en une subtile énergie qui l'emplit entièrement. Dans une concentration toujours
plus profonde, sa vitalité croît, son corps s'allège, sa nourriture devient de plus en plus ténue et la
lumière inonde tout son intérieur. Elle finit par accomplir l'œuvre alchimique : elle réalise la
Voie (le Dao).
Aux alentours de 1179, elle part pour Luoyang ; elle s'installe dans la grotte de l'immortelle
Feng (Feng xiangu dong) – cette grotte étant vraisemblablement un temple –, où elle accueille
quelques disciples. C'est là qu'elle meurt, non sans avoir eu la prescience de l'heure de sa mort et
avoir pu l'annoncer à ses disciples. Avant de quitter le monde, devant ses disciples réunis, elle
compose ce poème : « Revêtue de l'habit, j'attends, poings serrés, / Tandis que l'eau et le feu
s'unissent selon un rythme précis. / Une myriade de rayons pourpres naissent au fond de l'océan
[abdomen] / Et relient d'un coup les trois passes [du corps]. / Enlacée par les sons continus d'une
immortelle musique, / Je savoure à chaque instant le nectar ; / Soudain, le voile se déchire et
découvre la sublime panacée / Qui, neuf fois transmutée, est devenue l'élixir d'or. »
Au milieu du XIIIe siècle, Sun Bu'er est intégrée dans la liste des « Sept Parfaits », sept
éminents lettrés et disciples de Wang Chongyang qui marquent les débuts de l'école de la
Perfection totale. Au XIVe siècle, elle est honorée de titres posthumes par deux empereurs
mongols. Sa popularité ne cesse de croître sous les Ming (1368-1644) et les Qing (1644-1911),
ses hagiographies et les pièces de théâtre qui la mettent en scène s'enrichissent de faits fabuleux
et romancés ; elle devient l'une des femmes les plus vénérées par les adeptes de l'alchimie
féminine et le personnage principal des lignées de transmission de ces techniques. De nos jours,
les taoïstes du Temple des nuages blancs (Baiyun guan) célèbrent encore sonanniversaire à
Pékin, dès l'aube ; ils exécutent des rituels et font des offrandes devant sa statue dans la salle des
Sept Parfaits.
Catherine Despeux
SUSTER BERTKEN, recluse chrétienne (Berta Jacobs ; Utrecht, 1426/1427-25 juin 1514). —
Née à Utrecht, en Allemagne, Berta Jacobs est la petite-fille du prévôt de l'église Saint-Pierre de
la ville. À vingt-quatre ans, elle entre dans le monastère de Jérusalem, qui fait partie du chapitre
de Windesheim. En 1456 ou 1457, Suster (« sœur ») Bertken se retire dans une cellule, dans le
chœur de la Buurkerk d'Utrecht, jusqu'à sa mort.
Pendant cinquante-sept ans, elle se détourne des préoccupations terrestres pour se consacrer
entièrement à Dieu. Pauvre, elle passe la plupart de son temps en prière et méditation. Elle parle
parfois aux passants, qui la visitent pour des conseils ou pour trouver une oreille attentive. Elle
est l'auteur de quelques écrits publiés après sa mort, Een seer devoet van die passie ons liefs
heren Jhesu Christi tracterende (« Très pieux livret de la Passion de Notre Seigneur Jésus-
Christ »), qui se compose essentiellement de prières d'heures consacrées à la méditation de la
Passion du Christ, et Suster Bertkens boeck dat sy selver gemaect ende bescreven heeft (« Le
livre de Suster Bertken, qu'elle a fait et écrit elle-même »), qui contient une série de prières, un
dialogue mystique entre l'âme et son fiancé, un traité de la sainte nuit, qui a pu être inspiré d'une
vision, et huit cantiques exprimant sa quête et son union mystique.
Audrey Fella
Bibl. : Œuvre : Mi quam een schoon geluit in mijn oren. Het werk van Suster Bertken, rééd. et
illustré par J. von Aelst, F. Van Buuren et A. Meike Tan, Hilversun (Pays-Bas), Verloren
Uitgeverij, 2007. Vie et études : A. M. J. VAN BUUREN, « Suster Bertken (1426/1427-1514) :
Kluizenares en schrijfster », in J. Aalbers et al. (dir.), Utrechtse biografieën…, Amsterdam,
Boom, 1994 ; F. WILLAERT, notice in P. Dinzelbacher (dir.), le Dictionnaire de la mystique,
Turnhout, Brepols, 1993.
SWETCHINE, Sophie, Mme, laïque (?, 1782-Paris ?, 1857). — D'origine russe, Sophie
Swetchine fut d'abord marquée par l'esprit des Encyclopédistes français. Elle découvrit la
religion orthodoxe et la foi personnelle en 1801. Convertie au catholicisme en 1815, elle exerça
une influence profonde et surnaturelle sur des « hommes de valeur qu'elle fut amenée à
éclairer », dont Henri Lacordaire. Après avoir tenu salon à Saint-Pétersbourg, veuve, elle se fixa
à Paris en 1825. Dans ses écrits, on note un passage qui porte sur le sujet assez rarement abordé
du bon usage spirituel de la vieillesse : « La nuit est la vieillesse de la journée, et néanmoins la
nuit est pleine de magnificences, et pour bien des êtres elle est plus brillante que le jour. Pour
beaucoup, la nuit est le lieu de la pensée, comme “Dieu est le lieu des esprits et l'espace celui des
corps”. C'est là que la réflexion donne rendez-vous, que le recueillement cherche un asile, que
l'on entend, que l'on comprend mieux ce silence qui, selon la parole de Philon, “est la voix de
Dieu”. C'est à la vieillesse qu'est accordée la manifestation de Dieu la plus intime et la plus
évidente, comme c'est à la nuit qu'il a été donné d'être témoin de la naissance du Christ et de sa
résurrection […] » (Traité de la vieillesse, 63). Mme Swetchine est un rare exemple, oublié,
d'une laïque vivant à une époque qui célébrait plus les saintes ou les visionnaires que les
mystiques.
Dominique Tronc
Bibl. : Œuvre : Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres, comte de Falloux (éd.), t. II Œuvres et
méditations, Paris, Auguste Vaton, 1916, 2 vol.
Bibl. : Œuvre : T. AMIN BANAI, A Portrait in Poetry : Selected Poems of Qurratu'l-Ayn, Los
Angeles, Kalimat Press, 2004. Vie et études : E. BROWN, A Literary History of Persia
Cambridge, Cambridge University Press, 1969 ; M. L. ROOT, Tahirih the Pure (1938), Los
Angeles, Kalimat, 1981 ; F. MILANI, Veils and Words : the Emerging Voices of Iranian Women
Writers, Syracuse/New York, Syracuse University Press, 1992.
Bibl. : Œuvre : Arboleda de los enfermos et Admiraçión operum Dey, L. J. Hutton (éd.), Madrid,
BRAE, 1967. Vie et études : M. CORTÉS TIMONER, Teresa de Cartagena, primera escitora
mística en lengua castellana, Málaga, Universidad de Málaga, 2004 ; A. DEYERMOND, « El
convento de dolencias. The Works of Teresa de Cartagena », Journal of Hispanic Philology, n
° 1, 1976-1977, p. 19-29 ; R. QUISPE-AGNOLI, « De Teresa de Cartagena a Sor Inés de la
Cruz : hacia una tradición hispánica de la literatura femenina », Boletín del Instituto Riva
Agüero, n° 24, Editores Pontificia Universidad católica del Perú, 1997 (2000), p. 453-466 ;
V. GARCÍA, L. MIGUEL, « La defensa de la mujer como intelectual en Teresa de Cartagena y
Sor Juana Inés de la Cruz », Mester, vol. XVIII(2), 1989, p. 95-104.
Bibl. : Œuvres : Autobiographie, citée dans L'Adoration au soleil de Dieu, Paris, Congrégation
de l'Adoration Réparatrice, 1995 ; Joie et désenchantement de la première étape-enfance et
jeunesse de Théodelinde Dubouché, Lille, Grammont, 1970. Études : M. SAVIGNY-VESCO,
Sillage de feu. La Vénérable Marie-Thérèse du Cœur de Jésus, Théodelinde Dubouché, Paris,
Alsatia, 1948 ; F. WENNER, notice dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. IV,
1960-1961, col. 1743-1745 ; abbé M. D'HULST, Vie de la Mère Marie-Thérèse, fondatrice de la
Congrégation de l'Adoration Réparatrice, Paris, Poussielgue Frères, 1872.
• Voir aussi : Anne de Saint-Barthélemy ; Édith Stein ; Marie de l'Incarnation (Marie Guyart)
Bibl. : Œuvres : Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1995, 2 vol. ; Saint Jean de la Croix, Thérèse
d'Avila, Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2012. Études :
M. ALLENDESALAZAR, Thérèse d'Avila, l'image au féminin, Paris, Seuil, 2002 ;
B. ALVAREZ, Sur l'oraison de repos et de silence, Paris, Arfuyen, 2010 ; T. ALVAREZ (dir.),
Dictionnaire sainte Thérèse d'Avila, Paris, Cerf, 2008 ; M. AUCLAIR, La Vie de sainte Thérèse
d'Avila, Paris, Seuil, 1950 ; D. de COURCELLES, Thérèse d'Avila, femme d'écriture et de
pouvoir, Grenoble, Jérôme Millon, 1993 ; FRAY LUIS DE LEÓN, Écrits sur Thérèse d'Avila,
Paris, Arfuyen, 2004 ; A. DUJOVNE ORTIZ, Le Monologue de Teresa, Paris, Grasset, 2011 ;
E. RENAULT, Sainte Thérèse d'Avila et l'expérience mystique, Paris, Seuil, 1685 ; B. SESÉ,
Petite Vie de Thérèse d'Avila, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
Bibl. : Œuvre : Nouvelles édition du centenaire [NEC], édition critique des œuvres complètes,
Paris, Cerf-DDB, 1992, 8 vol. Vie : G. GAUCHER, Sainte Thérèse de Lisieux (1873-1897),
Paris, Cerf, 2010. Études : C. LANGLOIS, Le Poème de septembre. Lecture du manuscrit B de
Thérèse de Lisieux, Lettres à ma Mère bien-aimée. Juin 1897. Lecture du manuscrit C de
Thérèse de Lisieux, L'Autobiographie de Thérèse de Lisieux. Édition critique du Manuscrit A
(1895), Lectures vagabondes. Thérèse de Lisieux, Paris, Cerf, 2002-2011, 4 vol.
TRISKERIN, Malka, femme pieuse hassidique (Ukraine, XIXe s.). — Fille du sixième fils
d'Hanna Hava Twersky*, Reb. Abraham Twersky de Trisk (Turiysk), dit Maggid (prédicateur,
parfois itinérant) de Trisk, Malka a marché sur les pas de son aïeule. Femme de grande érudition,
connue sous le nom de « Malkele la Tristerin » ou « Malka, Rebbe de Trisk », elle excellait en
littérature hassidique et s'est pleinement consacrée à sa vie d'Admor. Elle distribuait les restes de
son repas sacré (shrayim) et recevait des demandes de prières (kvittlech) de ses adeptes deux fois
par jour. Elle détenait son savoir de rabbistve (statut de rebbe) de son père le Maggid, et assistait
au praven (litt. l'« action de conduire », ici le rituel du repas accompagné des kvittlech et
pidyonot), les rencontres qu'il présidait avec les hassidim (disciples) et auxquels elle donnait sa
propre bénédiction. À la mort de son époux, Ephraïm, Malka assura la direction de son tribunal
hassidique. Elle reste connue pour son amour de la musique, qui l'avait poussée à former un
chœur de grands chanteurs, et pour son habitude de clore les repas festifs par les danses et chants
hassidiques qu'elle prisait particulièrement.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 218 ;
M. M. BRAYER, The Jewish Woman in Rabbinic Literature : A Psychohistorical Perspective,
Hoboken (NJ), Ktav Publication Inc., 1986, p. 45.
TWEEDIE, Irina, soufie (?, 1907-?, août 1999). — Irina Tweedie vécut son enfance et sa
jeunesse à Vienne, puis à Paris, où elle fit ses études. Elle s'installa, après la Seconde Guerre
mondiale, en Angleterre, où elle se maria à un officier de la Royal Navy qui mourut en 1959.
Animée, à la suite de ce deuil éprouvant, par un profond désir de transformation, elle décida en
1961, à l'âge de cinquante-deux ans, de partir pour l'Inde, espérant, par la pratique du yoga,
découvrir le sens véritable de la vie. Elle fit alors à Kanpur la rencontre d'un maître soufi, shrî
Radha Mohan Lalji Adhauliya, de l'ordre Naqshbandiyya-Mujadiddiya. Ce dernier, qu'elle
appelait Bhai Sahib (« grand frère »), allait transformer son existence, l'amenant, selon sa propre
formulation, à « confronter l'obscurité à l'intérieur d'elle-même, enflammant son cœur jusqu'à ce
qu'il ne reste que des cendres ». Pour Irina Tweedie, le chemin passa dès lors par une lente et
douloureuse dissolution du moi, de ses doutes et de ses angoisses, pour atteindre l'ouverture du
cœur et le jaillissement de l'amour.
Le récit autobiographique de cette transformation fit l'objet d'un livre intitulé The Chiasm of
Fire (1979), qui fut traduit en français sous le titre L'Abîme de feu, l'expérience de libération
d'une femme à travers les enseignements d'un maître soufi (1985). Comme elle le précise dans la
Préface, c'est sur les conseils de son maître qu'elle se plia durant plusieurs années à l'ascèse du
Journal retraçant son âpre cheminement, vécu comme une profonde purification par le feu de la
Kundalinî, l'Énergie cosmique. Telle fut la seule pratique véritable, l'entraînant jusque dans les
profondeurs de l'inconscient, par l'entremise des rêves. Selon la conception indienne des vâsanâ,
les impressions latentes émanant des actes passés demeurent sous la forme d'empreintes
résiduelles, tels des parfums non conscients, dans le « corps subtil ». Elles sont d'autant plus
agissantes et productrices de conditionnements qu'elles œuvrent à l'insu du sujet. Ainsi, tout au
long de l'existence, la maturation de ces germes inconscients et la mise en synergie de plusieurs
d'entre eux ne cessent de susciter des conditionnements psychiques pour le sujet ; de ce fait, le
degré de limpidité intérieure de son être s'en trouve altéré. Il est alors essentiel que remontent à la
surface, même de manière infiniment subtile et inaperçue, les germes de vâsanâ, afin qu'ils se
consument dans une expérience cathartique : rêve, émotion esthétique, intensité de la présence du
sacré lors du rituel, feu de l'ascèse ou simple regard du maître, par la puissance de la grâce qu'il
transmet. « C'est une lente dissolution de la personnalité, processus douloureux car l'homme ne
peut pas se refaire sans souffrir. Il s'agit d'une mise à nu de ses propres souffrances, d'une
rencontre avec ses propres démons, d'un face-à-face avec ses conflits intérieurs pour arriver à
s'accepter tel que l'on est et non tel que l'on pense être », écrit-elle. Le récit met ainsi en relief la
profondeur de l'engagement spirituel et la force de l'expérience mystique, le « chemin d'amour »
qui « est comme un pont de chevelure au-dessus d'un abîme de feu ».
Après la mort de son maître, en 1966, elle fit une longue retraite dans l'Himalaya. Puis elle
retourna en Angleterre où elle fonda, dans le nord de Londres, un centre de méditation soufi, qui
s'est aujourd'hui étendu en Europe et en Amérique du Nord. Très active, donnant de nombreuses
conférences, Irina Tweedie cessa ses activités en 1992, nommant un successeur pour le Golden
Sufi Center.
Colette Poggi
Bibl. : Œuvres : The Chiasm of Fire, Inverness (CA), The Golden Sufi Center, 1986 (rééd. en
2006) ; L'Abîme de feu, l'expérience de libération d'une femme à travers les enseignements d'un
maître soufi, Paris, L'Originel, 1985. Étude : R. K. GUPTA, Yogis in Silence, the Greay Sufi
Masters, Delhi, B. R. Publishing Corporation, 2001.
TWERSKY, Hanna Hava, femme pieuse hassidique (Ukraine, XIXe s.). — Hanna Hava était la
fille du maître hassidique bien connu Reb. Mordecai (Mottele) Twersky de Tchernobyl
(Ukraine). Il avait coutume de dire qu'elle portait en elle l'« esprit divin depuis sa naissance » et
que sa piété était égale à celle de ses huit frères, « les huit chandelles de la Menorah ». Ses frères
eux-mêmes lui attribuaient le qualificatif de tsaddeket (« sainte ») et la traitaient en égal, au
regard de sa grande érudition rabbinique et de sa participation active au tribunal hassidique de
Reb. Mordecai, dans une conduite digne et exemplaire. De nombreux hassidim (disciples) et
rebbes la consultaient et échangeaient avec elle sur des questions d'importance touchant le
hassidisme. Ses conférences, au cours desquelles elle entremêlait les métaphores aux
enseignements sur la kabbale et le musar (instruction morale), et ses belles paraboles, très
populaires dans les villes de Volhynie et de Pologne, l'ont rendue célèbre. On rapporte en
particulier l'importance majeure de ses aphorismes sur l'éducation et le musar concernant la
conduite des femmes, à qui elle donnait d'utiles directives sur les relations matrimoniales,
l'éducation des enfants, la bienséance hassidique, etc. Elle savait répondre avec patience et
affection aux nombreuses femmes qui se pressaient autour d'elle en quête de conseil. À tous, elle
recommandait de pratiquer par tous les moyens une charité inconditionnelle. Elle acceptait les
kvittlech (« requêtes ») et les pidyonot (« rétributions ») des nombreux hassidim qui recevaient sa
barakhah (« bénédiction »), se réservant modestement une vie de frugalité et de mortification.
Mireille Loubet
Bibl. : Vie et études : E. TAITZ, S. HENRY, C. TALLAN, The JPS Guide to Jewish Women :
600 B.C.E.-1900 C.E., Philadelphie (PA), The Jewish Publication Society, 2003, p. 218 ;
M. M. BRAYER, The Jewish Woman in Rabbinic Literature : A Psychohistorical Perspective,
Hoboken (NJ), Ktav Publication Inc., 1986, p. 44 ; T. M. RABINOWICZ, The Encyclopedia of
Hasidism, Northvale (NJ), Jason Aronson, 1996, p. 503.
U
UMILIANA DEI CERCHI, bienheureuse, tertiaire franciscaine (Florence, décembre 1219-
19 mai 1246). — La figure d'Umiliana dei Cerchi est délicate à appréhender : à la réputation de
haute sainteté en laquelle la tenaient ses contemporains (le triomphe qui suivra sa mort en est la
preuve, et le dépeçage de ses vêtements et de son corps en reliques forcément miraculeuses en
signera l'apothéose) répondra l'hésitation de l'esprit moderne et critique qui s'interroge sur les
déficiences et les inhibitions de son comportement : phobies, répulsions, mère anorexique
aspirant à la mort, voilà qui n'incline guère à une appréciation positive, mais, comme l'estimait
son biographe, Guy (Vito) de Cortone, reflétant l'opinion commune de ses contemporains, « Dieu
ne voulait pas en effet que cette lumière brillante restât sous le boisseau, et c'est pourquoi il la
plaça sur un candélabre, en modèle et exemple de vie, pour qu'elle brillât pour tous ceux qui sont
dans la maison, c'est-à-dire l'Église militante ». De fait, Umiliana, tout comme Marguerite de
Cortone* ou Angèle de Foligno*, aura publiquement manifesté comment vivre la vie parfaite
dans la cité, hors de l'espace claustral : elle inaugurait un nouveau genre de vie, alliant sinon le
silence, du moins la solitude de l'ermite, l'ascétisme de la clarisse et une sequela Christi, réponse
à l'appel entendu de la provocation franciscaine. S'agirait-il d'une démocratisation séculière de la
perfection ? En tout cas, Umiliana prêchait plus d'exemple que de parole, privant de tout alibi
quiconque prétendait qu'il n'est pas possible de servir Dieu dans son foyer : il suffit, disait-elle en
de vigoureuses métaphores, de considérer sa propre maison comme une forêt et ses proches
comme des bêtes sauvages, pour pouvoir vivre sans encombre dans le silence et la prière.
L'espace public de la rue se métamorphose en cellule de contemplation (pourvu qu'on n'y soit pas
importuné par le bavardage). La voie est ainsi ouverte, mais n'en sont pas moins visibles les
limites de cette transposition d'un mode de vie singulier, pourtant crédité d'être un moyen de
sanctification indépassable, dans un espace qui lui est étranger, sinon même radicalement
incompatible.
La leçon est en tout cas bien reçue de ses contemporains, en raison des dons charismatiques qui
lui sont reconnus : prophétie, cardiognosie (voir Glossaire), guérison, lévitation et autres
miracles, qui sont, on le soupçonne, des lieux communs de l'hagiographie. En revanche, qu'elle
ait eu une vision du Christ et qu'elle ait conversé avec lui à l'âge de quatre ans est plus original. Il
est plus remarquable encore qu'elle ait été reconnue par des clercs et par des religieux qui,
comme Pierre de Dacie avec Christine de Stommeln*, voient en elle une médiatrice entre le
monde divin et chacun d'eux, apportant guérison au doute récurrent et aux menaces d'un schisme
toujours possible (le conflit entre guelfes et gibelins). Enfin, l'immense succès de la diffusion de
sa biographie : il n'y eut rien moins que quatre Vitae disponibles peu après sa mort, rédigées soit
en latin soit en langue vernaculaire, à partir de celle publiée en 1247 par le franciscain Guy de
Cortone, lequel s'était appuyé sur le témoignage de trois confesseurs d'Umiliana et de trente de
ses proches et familiers. À la faveur de ce récit, que complètera en 1252 Hyppolyte Fiorentinus,
on voit se dessiner les contours de deux mondes : celui des hommes voués aux affaires, partisans
de l'empereur contre le pape, et celui des frères qui se regroupent autour de la nouveauté
franciscaine, laquelle, certes, n'a pas encore de pouvoir réel, mais va susciter une floraison de
sainteté féminine en cette fin de Moyen Âge. Umiliana est un quasi-paradigme de ce mouvement
féminin qui, sous l'influence des Franciscains de Sainte-Croix, modifie son objectif de
perfection : de l'exercice de la charité et de l'amour du prochain qu'elle avait immédiatement et
spontanément choisi, elle se tournera vers une exaltation de la pauvreté et vers un ascétisme
extrême qui ouvre la voie à la contemplation mystique.
Née dans une famille aristocratique de Florence, sans doute fort tôt orpheline de mère (puisque
son père se remarie avec Ermellina di Cambio, parente de l'un des fondateurs de l'Ordre des
Servites de Marie), Umiliana ne participait pas aux jeux de sa très nombreuse fratrie (dix-sept
enfants en effet sont les fruits de ces mariages successifs). Mais cette gravité que les auteurs se
plaisent à souligner est peut-être une convention du genre hagiographique. À seize ans, elle est
contrainte au mariage (selon les stratégies coutumières des familles, où les femmes sont un enjeu
patrimonial ou généalogique). Très vite, elle affiche sa répugnance pour les mondanités,
auxquelles son rang l'obligeait ; en revanche, elle s'allie à Ravenna, l'une de ses belles-sœurs,
pour s'adonner aux aumônes et aux œuvres de miséricorde. Une initiative peu appréciée du mari
(qui, à la fois tailleur et usurier, est à la tête d'une coquette fortune) comme des hommes, qui
l'injurient, voire même lui font violence. Umiliana multiplie les ruses pour contourner le pouvoir
des mâles sans éveiller leurs soupçons. Son attitude à l'égard de ses enfants nous laisse perplexes,
tant elle froisse notre sensibilité : à la mort de son mari, il ne lui reste que deux filles. La mort de
ses autres enfants ne lui a guère causé de chagrin, elle l'aurait même réjouie, semble-t-il, de les
voir ainsi disparaître dans un état de pureté, n'ayant en rien sacrifié leur virginité, comme elle-
même fut obligé de le faire. Ses relations avec les deux survivantes furent contrariées : elle s'en
occupera pendant les six premiers mois de son veuvage, puis, contrainte de revenir au palais
Cerchi, elle laissera ses deux filles dans la demeure paternelle. Séparation des plus rares à
l'époque et, de plus, assortie d'un droit de visite des plus restreints. Sa belle-famille, inquiète de
son comportement jugé bizarre – son obsédante préoccupation des pauvres –, aurait-elle douté de
ses capacités éducatives et maternelles ? En tout cas elle-même semble en avoir pris son parti.
Revenue chez elle, elle se refuse à quelque remariage que ce soit : tous les arguments invoqués
n'y feront rien, même le rappel des conseils de l'apôtre Paul (dans 1 Tm V, 3-10) : c'est Jésus-
Christ qui est désormais son époux, et sur les conseils du frère Michel degli Alberti, elle prend
l'habit des pénitentes du tiers ordre franciscain pour se vouer à la réclusion à la manière des
béguines. La réaction familiale est violente : le père menace de la murer dans la tour où elle a
établi son gîte, pendant qu'il s'emploie à récupérer la dot qu'avait stipulée le contrat de mariage.
Pour parvenir à ses fins, il trompe sa fille, laquelle, désillusionnée, se considère désormais
comme sa servante : elle opère donc une rupture du lien, de la filiation généalogique (à la
manière dont avait procédé François d'Assise). Se voyant refuser (comme Rose de Viterbe)
l'entrée chez les Clarisses de Monticelli, elle s'enferme dans la solitude de sa tour, où elle fait
vœu de silence. Ce qui ne l'empêchera pas d'être tourmentée d'agressions diaboliques (où elle
reconnaît fantasmatiquement les êtres chers qui lui sont proches), mais aussi de la tentation
acédiaque (voir Glossaire) de quitter sa tour pour œuvrer dans la cité alors en proie à l'injustice et
à la violence (une perspective qui aurait évidemment la faveur du monde clérical). Le jeûne
qu'elle s'impose est quasi continuel, toute nourriture suscitant sa répulsion, puisque celle-ci est
peu ou prou corruptrice, ayant rapport à la sexualité. Il s'agit donc pour elle de poursuivre son
anéantissement et de parvenir à la mort, ce qui se réalisera à l'âge de vingt-sept ans, après qu'une
hémiplégie l'eut frappée quarante-deux jours durant.
Le frère Michel degli Alberti l'aura détournée d'un pur érémitisme, fort estimé des dévotes de
ce temps-là ; il tentera également de tempérer ses excès ascétiques, mais devra composer avec la
concurrence redoutable d'un ermite camaldule fort écouté d'Umiliana : d'où le souci pastoral qui
s'élabore, de mener vie de prière et de pénitence au cœur même de la cité.
Umiliana est typique de ce courant féminin inspiré des exemples de François d'Assise et de
Claire d'Assise*, hostile au mariage et à toute tutelle familiale, mais qui ne dérive pas toutefois
dans l'aventure érémitique pourtant fort prisée. Ce n'est pas la stratégie d'une fuga mundi (fuite
du monde) que ces femmes adoptent, mais la tactique d'un refus de l'usus mundi (utilisation du
monde), réputé conduire à leur sanctification.
François Marxer
Bibl. : Vie et études : A. VAUCHEZ, Les Laïcs au Moyen Âge, Paris, Cerf, 1987 ; R. BELL,
L'Anorexie sainte, Jeûne et mysticisme du Moyen Âge à nos jours, Paris, PUF, 1994.
UMM ‘ALÎ, soufie (Balkh, ?-Nichapour, IXe s.). — Umm ‘Alî est d'origine princière selon nos
sources, fille de l'émir de Balkh (l'ancienne ville de Bactres). Forte personnalité, elle choisit elle-
même son mari – la chose n'est pas fréquente – et elle enjoint à Ahmed ibn Khidrawayh de
demander sa main à son père, lequel accepta pour profiter des bénédictions de ce gendre, maître
spirituel réputé. Ahmed trouva-t-il la démarche insolite ? Toujours est-il qu'il refusa, ce qui lui
valut la réponse suivante, qui le convainquit : « J'avais une meilleure opinion de toi, je croyais
que tu étais un guide sur la voie [vers Dieu], non un obstacle empêchant de la suivre. » De
surcroît, elle lui imposa, en guise de dot, de la conduire auprès du grand maître Abû Yazîd al-
Bistâmî, l'une des figures majeures de la sainteté de l'Orient musulman du IXe siècle, afin que ce
soit lui qui les mariât (selon Abû Nu‘aym, t. X, p. 42). En sa présence et à la grande surprise de
son mari, elle se découvrit le visage et commença à discuter avec lui. Jaloux, Ahmed l'interrogea
sur un comportement aussi audacieux. Elle lui répondit : « Tu es le tuteur de ma nature physique
mais il est le tuteur de ma voie [vers Dieu] ; tu as besoin de moi mais pas lui. Par toi, je suis
arrivée jusqu'à lui [Abû Yazîd] et par lui j'arriverai jusqu'à Dieu. » Cette grande liberté de
comportement avec Abû Yazîd cessa le jour où celui-ci l'interrogea sur le henné qu'elle avait sur
les mains. Cela mit un terme à leur intimité : « J'ai pris mes aises avec toi, tant que tu ne
remarquais pas mon henné et que tu ne me regardais pas. Maintenant, ton compagnonnage
spirituel m'est devenu illicite. » Pareille attitude démontre la grande rigueur morale de cette
femme dont la liberté apparente n'était en rien une entorse à la loi religieuse. Au moment du
départ, et selon l'usage lorsque l'on rencontrait un maître spirituel, le mari d'Umm ‘Alî demanda
conseil à Abû Yazîd, qui l'invita à apprendre de sa femme la futuwwa, l'attitude spirituelle chère
aux soufistes fondée sur l'altruisme et la sincérité. Voilà une autre situation peu banale, puisque
Ahmed ibn Khidrawayh, lui-même maître réputé pour sa futuwwa, en savait moins que son
épouse. À moins de supposer qu'il n'acquît que plus tardivement cette qualité spirituelle, en
suivant scrupuleusement le conseil d'Abû Yazîd.
Quant à Umm ‘Alî, à la suite de son mariage, elle abandonna toute occupation mondaine pour
se consacrer à Dieu. Illustration de sa futuwwa, cette femme qui était très riche dépensa sa
fortune pour les pauvres en Dieu, soutenant son mari dans sa fonction de maître spirituel. Ce
dernier s'établit à Nichapour et elle rencontra les nombreux maîtres spirituels de la ville, dont
Abû Hafs al-Haddâd, l'un des plus réputés. Il l'apprécia tellement qu'il avoua : « J'ai toujours
détesté la conversation des femmes jusqu'à ce que je rencontre Umm ‘Alî, la femme d'Ahmed ibn
Khidrawayh, je sus alors que Dieu déposait sa gnose où il voulait. » Ses qualités spirituelles et sa
sainteté étaient reconnues et des femmes venaient de toute la province pour se mettre à son
service, mais elle corrigeait leur intention, leur enjoignant de se mettre au service exclusif de
Dieu.
Dans les recueils hagiographiques, il est significatif que la notice consacrée à son mari, Ahmed
ibn Khidrawayh, parle en fait presque autant d'elle que de lui. Pourtant, les biographes n'ont pas
tari d'éloges à son sujet, ‘Attâr, au XIIIe siècle, lui attribuant même mille disciples, tous
accomplis spirituellement. Qu'il puisse être partiellement éclipsé par son épouse souligne encore
la personnalité hors du commun de cette femme. À noter également, phénomène exceptionnel
mais pas unique, que nous sommes en présence d'un couple dont la femme autant que l'homme
sont réputés pour leur sainteté et leur haut degré de connaissance de la voie spirituelle.
Des sources tardives (‘Attâr, p. 348 ou même Hujwirî, p. 119) la désignent sous le nom de
Fâtima. D'où une confusion possible avec une autre grande figure féminine de la même époque,
Fâtima de Nichapour*, si bien que certains auteurs contemporains (Deladrière, Schimmel)
considèrent qu'il s'agit d'une seule et même personne.
Jean-Jacques Thibon
Bibl. : Vie et études : ‘Abd al-Rahmân AL-DABBÂGH, Al-Asrâr al-jaliyya fî l-manâqib al-
dahmâniyya li Ibn al-Dabbâgh al-Qayrawânî, Ms 17944, BN, Tunis, fos 126a-128b.
UMM SALÂMA ZAYNAB, soufie ifriqiyenne (Manzil Qadîd, ?-1272). — Elle appartient à
l'école ascétique et mystique de Kairouan et de sa région. Umm Salâma (du prénom de son fils
aîné), laissée vraisemblablement veuve, était mère de trois fils et habitait Manzil Qadîd (en
Ifriqiya), un village situé à la croisée de deux axes : l'un, horizontal, reliant Sousse à Kairouan, et
l'autre, longitudinal, parallèle à la côte. En ce temps de la peur, focalisée tantôt sur les armées
chrétiennes, dont on appréhendait constamment le débarquement, tantôt sur les déprédations
attribuées aux Bédouins, elle fut surnommée « la gardienne du littoral » (ghafîrat al-sâhil). Les
éléments hagiographiques les plus anciens concernant la sainte figurent dans la notice
biographique consacrée à son fils Abû ‘Alî Sâlim al-Qadîdî dans le dictionnaire d'Ibn Nâjî,
Ma‘âlim al-îmân, rédigé vers 1405. La sainteté d'Umm Salâma n'est pas pour autant une sainteté
« par association » ; celle que l'on qualifie de « Râbi‘a de son temps » est sainte avant même que
son fils n'ait achevé son initiation auprès de son maître Abû Hilâl al-Saddâdî, saint du Jérid, lié à
l'école d'Abû Madyan par des liens de fraternité spirituelle. En guise de testament spirituel, Abû
Hilâl recommande au jeune novice d'être pieux envers sa mère (sur la piété de Jésus envers sa
mère Marie* : Coran, 19 : 32), car, lui dit-il, « elle est dépositaire du secret de Dieu ». Lorsque le
fils fondera, sur l'instigation de son maître, une zâwiya (lieu de retraite, d'initiation et de
récollection) dans le village natal, elle s'y adonnera à ses exercices de piété et d'adoration ; une
ascèse qu'elle mène aux côtés de son fils Sâlim et d'un disciple de ce dernier, ‘Ammâr al-Ma‘rûfî
(saint patron, aujourd'hui, de la ville de l'Ariana, au nord de Tunis). Une ascèse à trois qui, dans
le milieu soufi kairouanais, peu favorable à la promiscuité des hommes et des femmes, même
âgés, n'est pas dénué d'une certaine originalité ; une scène nous décrit d'ailleurs la sainte
intercédant, avec succès, auprès de son fils en faveur de son disciple entré en disgrâce pour avoir
manqué aux convenances spirituelles (al-adab) concernant ses états spirituels (ahwâl) ; ces
derniers, dans la droite ligne de l'enseignement de l'école d'Abû Madyan, devant toujours être
tenus en suspicion et rester dans le secret de la vie intérieure : « Dieu accordera alors [au novice]
d'innombrables victoires. » Cette anecdote, outre sa dimension doctrinale et édifiante, exalte la
piété filiale d'Abû ‘Alî Sâlim envers sa sainte mère et la haute considération dans laquelle il la
tenait : le cheikh, souligne l'hagiographe, était resté, jusque-là, sourd à toutes les requêtes que
beaucoup de personnes avaient formulées en faveur du jeune disciple. On n'en saura pas
davantage sur la sainte vivante, dont la notoriété semble avoir été grande ; mise à part sa relation
privilégiée et quasi maternelle avec ce disciple, se mêlait-elle aux nombreux fuqarâ' (pauvres en
Dieu) dont l'hagiographe signale la présence aux côtés d'Abû ‘Alî Sâlim dans sa zâwiya ? A-t-
elle exercé un quelconque magistère spirituel ? Autant de questions que la rareté de nos
informations sur la sainte laisse sans réponse. Le jour de sa mort, écrit Ibn Nâjî, on pouvait
entendre, à trois lieues (farsakh) de Qadîd, l'appel à la prière sur elle, lancé par une soixantaine
d'hommes. Insigne honneur, ce sont les Ahl al-Sharaf (se réclamant d'une ascendance remontant
au Prophète) qui prieront sur sa dépouille.
Plusieurs prodiges posthumes lui sont attribués, dont trois focalisent sur le corps sanctifié de la
sainte, où nous croyons percevoir le modèle prophétique ; cet intérêt pour le corps, locus des
grâces probatoires, retient l'attention dans un dictionnaire biographique peu prolixe en matière de
sainteté féminine ; lors de sa toilette funéraire, le corps d'Umm Salâma était parfaitement docile
entre les mains de ses brus et « se retournait au gré de leurs besoins » ; l'hagiographe raconte
qu'elle avait recouvert, de sa main, ses parties intimes. Un autre récit exalte sa conscience de son
indigence ontologique : lorsque son fils, Abû ‘Alî Sâlim, qui la porta en terre, voulut lui
recouvrir la tête, elle lui ôta la main en signe de désapprobation, ne voulant point être privée d'un
contact direct avec la matière la plus humble dont l'homme fut créé (Coran, 35 : 11) ; le fils
s'exécuta. Au témoignage d'Ibn Nâjî, son tombeau, qui se trouvait dans la mosquée de la zâwiya,
était déjà réputé et devint un lieu de pèlerinage ; l'invocation y était exaucée ; tel saint du littoral
avait pour elle une grande vénération et avait recommandé à son fils de la visiter. Il s'agit ici de
l'un des exemples les plus anciens en Ifriqiya de zâwiya-tombeau, cette autre forme sacrale de la
présence d'un saint ou d'une sainte, qui peu à peu allait se diffuser. Un jour, écrit l'auteur du
Ma‘âlim, un pèlerin qui n'était pas en état de pureté rituelle voulut se recueillir sur sa sépulture,
afin d'invoquer Dieu par la bénédiction de la sainte, aussitôt une vipère sortit de la tombe et le
pourchassa jusqu'à ce qu'il quittât la zâwiya ; ce récit, et d'autres dont est émaillé le dictionnaire,
est de nature à dissuader les fidèles peu respectueux du caractère sacré de l'espace d'y pénétrer,
sous peine d'encourir le châtiment de la sainte.
Nelly Amri
Bibl. : Éléments bio-hagiographiques : IBN NAJI, Ma‘âlim al-îmân fî ma‘rifat ahl al-
Qayrawân, éd. M. al-Majdûb et A. al-Majdûb, Tunis, al-Maktaba al-‘atîqa, s. d., vol. IV, p. 51,
54, 86-87 ; M. MAQDISH, Nuzhat al-anzâr wa ‘ajâ'ib al-tawârîkh wa l-akhbâr, éd. A. Zouari et
M. Mahfoudh, Beyrouth, Dâr al-Gharb al-islâmî, 1988, p. 301-302. Études : N. AMRI, « Les
sâlihât [les saintes] du Ve/XIe au IXe/XVe siècle dans la mémoire maghrébine de la sainteté, à
travers quatre documents hagiographiques », Al-Qantara, vol. XXI, fasc. 2, Madrid, 2000,
p. 481-509 ; ID., « Entre hagiographie, hagiologie et histoire : la place des femmes dans le
soufisme à travers quelques sources du Maghreb médiéval », in Graines de lumière. Héritages
du cheikh al-‘Alawî, Paris, Albouraq, 2010, p. 398-424.
UMM YAHYÂ MARYAM, soufie ifriqiyenne (Al-Minya, ?-apr. 1224). — Umm Yahyâ
Maryam est née à une date que nous ne connaissons pas avec exactitude à Al-Minya, dans la
région de Sfax, sur le littoral ifrîqiyen. La mémoire de cette sainte dans les dictionnaires
biographiques et dans la littérature hagiographique est associée à son maître et compagnon
spirituel, le mystique et saint ifriqiyen Abû Yûsuf al-Dahmânî. La plus ancienne mention de la
sainte se trouve d'ailleurs dans l'hagiographie d'Al-Dahmânî due à la plume de ‘Abd al-Rahmân
al-Dabbâgh, Al-Asrâr al-jaliyya fî l-manâqib al-Dahmâniyya, rédigée vers 1249-1250. Les
informations la concernant s'y trouvent disséminées, elles seront relayées par la suite par des
dictionnaires biographiques plus tardifs. Les éléments bio-hagiographiques exaltent aussi bien
ses propres qualités spirituelles que l'excellence de son cheikh et compagnon, et la profonde
unité marquant leur relation, parfait exemple du rapport entre maître et disciple, notamment
quand celui-ci est une femme ; d'où leur intérêt, même s'ils laissent dans l'ombre de nombreux
aspects de la vie de la sainte. Sa kunya (« surnom ») de filiation, Umm Yahyâ, semble indiquer
qu'elle avait un fils, Yahyâ, qui n'apparaît nulle part ; son époux non plus ; elle nous est ainsi
montrée libre de toute attache familiale. L'adjectif de murâbita (littéralement « femme en
ribât »), dont elle est créditée, semble indiquer moins une activité d'ascèse dans un ribât
(ouvrage fortifié servant pour le guet et l'ascèse) – nous n'en connaissons pas à l'époque pour les
femmes sur le littoral ifrîqiyen – qu'une réputation de sainteté et de vertu (salâh) vers laquelle
infléchit désormais de plus en plus le terme, sachant néanmoins que la sainte accompagne
souvent le maître dans ses retraites pieuses dans les qasr du littoral (fondations fortifiées datant
de l'époque aghlabide, où les pensionnaires joignaient guet et ascèse et qui, à l'époque almohado-
hafside, connaissent un regain de vitalité).
Sommée, lors d'une vision onirique, de prendre la route pour Mahdia, ville du littoral ifriqiyen,
afin de se mettre au service du cheikh Abû Zakariyyâ' ibn Hanâs, khâdim (« serviteur et
compagnon ») d'Al-Dahmânî, tous deux faisant partie des six mystiques initiés directement,
selon la tradition hagiographique ifrîqiyenne, par Abû Madyan Shu‘ayb (le célèbre maître
andalou installé à Bijâya – Bougie), la sainte s'exécute. C'est Al-Dahmânî, en personne, qui
l'accueille à son arrivée dans la ville de Mahdia. Nous ignorons la date de cette première
rencontre ; on sait seulement qu'elle eut lieu entre le retour du cheikh (avant 1193-1194) de chez
Abû Madyan et son voyage en Orient en 1199 ; elle devait être alors âgée d'une cinquantaine
d'années ; en effet, dans certaines versions, vraisemblablement vers la fin de la vie d'Al-
Dahmânî, Umm Yahyâ est décrite comme une femme âgée « de quatre-vingts ou de quatre-
vingt-dix ans », ce qui placerait sa naissance vers 1140. Ibn Hanâs ordonne à Umm Yahyâ de se
mettre au service du cheikh Al-Dahmânî ; elle ne lui en garda pas moins une grande révérence et
nous est montrée réprimandant un jour l'épouse du cheikh pour avoir demandé à ce dernier de
charger Abû Zakariyâ' de réparer une de leurs conduites d'eau (probablement des eaux usagées),
ce qui lui parut un manquement à la hurma (respect, inviolabilité) due aux maîtres : « Ô
Maryam, lui dit Al-Dahmânî, sois clémente avec elle, car ce qui t'a été dévoilé, ne lui est pas
parvenu. » Les manuels classiques de soufisme considèrent la khidma (service) comme « le
compagnonnage avec celui qui est à un degré spirituel supérieur » (suhba ma'a man fawqaka) ; la
khidma serait d'ailleurs ce qui est le plus digne des états des maîtres, tandis que la suhba
(compagnonnage) stricto sensu est ce qui lie les frères en Dieu (al-ikhwân) ; cependant, les
notions, surtout à cette étape où le soufisme est encore assez informel (XIIe-XIIIe s.) ne sont pas
aussi clairement délimitées ; la relation qui semble avoir lié Umm Yahyâ au cheikh est tout à la
fois une relation de khidma et de suhba : service et compagnonnage, l'un n'excluant pas l'autre.
Le dictionnaire biographique d'Ibn Nâjî, Ma‘âlim al-îmân, compilé en grande partie à partir d'Al-
Dabbâgh, attribue à Al-Dahmânî ce propos à l'adresse de ses premiers compagnons, au nombre
desquels figure la sainte d'Al-Minya : « Mes premiers compagnons sont entrés par la même porte
que moi et ont récolté ce que j'ai récolté, voire davantage. »
L'intimité spirituelle d'Umm Yahyâ avec Al-Dahmânî nous est présentée comme comparable à
celle qui liait le cheikh à un autre maître ifriqiyen de l'école d'Abû Madyan, le saint patron du
Jérid dans le sud ifrîqiyen, Abû ‘Alî al-Naftî : « Ma maison, celle d'Abû ‘Alî [Al-Naftî] et celle
de la murâbita Umm Yahyâ […] ne forment qu'une seule et même maison. » Ainsi, cette
mystique appartiendrait à l'école d'Abû Madyan, via le rameau d'Al-Dahmânî, école qui
commençait alors à se propager en Ifrîqiya. Selon son propre témoignage, elle avait coutume
d'accompagner le cheikh dans ses pérégrinations (siyâha). L'hagiographe, qui exalte
l'attachement que portait la sainte à Abû Yûsuf, insiste sur le profond accord existant entre eux
au niveau de leurs pensées intimes (al-khâtir). Ibn Nâjî évoque « la bonne intention et l'union
dans l'amitié et le discernement des esprits » (niyya hasana wa ittihâd mahabba wa firâsa) qui
liaient la soufie à son saint compagnon. Ils sont d'ailleurs montrés se consultant mutuellement au
sujet des fuqarâ' (les novices) ; la sainte, par respect, s'en remettait à la décision du cheikh. C'est
l'époque qui voit l'apparition puis la diffusion des premières zâwiya, lieu de récollection et
d'ascèse, regroupant autour d'un maître des dizaines de disciples. Signe de la considération dont
cette sainte était l'objet dans l'entourage du cheikh, de la reconnaissance de son rang spirituel et
de la nature des liens qui la rattachaient au maître : lorsque ce dernier mourut et qu'elle vint, à
Kairouan, présenter ses condoléances à ses enfants, on lui proposa de s'asseoir à la place
qu'occupait habituellement Al-Dahmânî. Elle refusa, répondant : « J'aurais honte devant Dieu de
manquer aux convenances à l'égard du cheikh, mort, alors que je les respectais de son vivant. »
Il semblerait qu'Umm Yahyâ ait encouru quelques critiques, dont l'hagiographe ne nous livre
pas la teneur ; on sait que le milieu ifriqiyen, et plus particulièrement kairouanais, ne voyait pas
d'un œil propice la promiscuité des hommes et des femmes, même âgés, dans les lieux de culte et
dans l'espace public, d'où peut-être cette insistance de l'hagiographe à exalter la pudeur de la
sainte dans sa relation au maître : « Elle ne s'est jamais assise, dans une pièce avec le cheikh,
sinon voilée, et ne l'a jamais regardé, en signe de considération et de révérence. » Cela dit,
l'itinéraire d'Umm Yahyâ, autant que l'on puisse en juger à partir de cette hagiographie, montre
qu'une relation de compagnonnage entre un saint et une sainte pouvait avoir, malgré tout, droit
de cité – plusieurs exemples en sont attestés dans tout le Maghreb à l'époque – et que, par
certains aspects, cette relation n'a rien à envier à celle qui lie un maître à un compagnon ou
disciple homme ; en témoignent les séances de récollection communes avec le cheikh dans les
qasr du littoral, leurs pérégrinations communes (la légende évoquant notamment leur ziyâra
(visite pieuse) hebdomadaire, sur le mode surnaturel, à Tahûda, au sud-est de Biskra, où se
trouve la sépulture de ‘Uqba bint Nâfi‘ (à qui l'on doit la première fondation islamique au
Maghreb, Kairouan, et sa célèbre mosquée), la cohabitation avec le cheikh et sa famille à
Mahdia, ainsi que les visites réciproques que le cheikh et sa compagne se rendaient
mutuellement, ce dernier passant parfois, en compagnie de quelques disciples, la nuit chez elle à
Al-Minya, etc. Dans une anecdote rapportée par Al-Dabbâgh, le cheikh nous est montré prenant
la défense de la sainte contre l'un de ses détracteurs. D'ailleurs, et malgré la parcimonie de nos
informations, il semblerait que la sainte ait à son tour éduqué un certain nombre de disciples,
lesquels nous sont montrés réunis chez elle ou encore lui rendant visite dans son village ; seul le
nom de l'un d'entre eux est décliné à l'occasion d'une anecdote illustrant le don de clairvoyance
de la sainte, il s'agit de Muhammad al-Burzulî de Qasr Ziyâd (sur le littoral ifriqiyen).
« [Umm Yahyâ] faisait partie des plus grands saints, écrit Al-Dabbâgh, on lui connaît de
nombreux prodiges ; je ne les cite pas par souci de concision. » Plusieurs récits de prodiges
exaltent son don de claire-vue, sa connaissance des mystères, ses dévoilements (al-ikhbâr bi-
ba‘d al-mughayyabât wa l-kashf) et son pouvoir sur les animaux. Elle est morte
vraisemblablement dans sa bourgade natale d'Al-Minya, âgée de près de quatre-vingt-dix ans, à
une date que l'on ignore, probablement peu après 1224, année de la mort du cheikh Abû Yûsuf
al-Dahmânî.
La femme soufie, rejoignant d'autres types sociaux comme la femme savante notamment, nous
est ainsi présentée ayant une existence indépendante de son statut familial d'épouse ou de mère,
lequel parfois est totalement occulté, comme dans le cas d'Umm Yahyâ Maryam, ce qui devrait
nous inviter à une reconsidération de la représentation de la femme en islam, loin des stéréotypes
et des généralisations abusives. Si son compagnonnage au service du cheikh participe, selon la
doctrine soufie, de la sainteté d'Umm Yahyâ, son aura et celle du cheikh s'éclairant
mutuellement, sa walâya (terme générique pour désigner la sainteté en islam) obéit néanmoins à
sa propre force cinétique (elle est déjà murâbita dans sa Minya natale) et projette dans l'espace
qu'elle investit totalement, y compris dans sa sphère publique, les marques d'un charisme qui lui
est propre.
Nelly Amri
Bibl. : Œuvre : Regole per le vergini romite teatine dell'Immacolata Concettione [...], Naples,
Bulifon, 1680. Vie : F. M. MAGGIO, Compendioso ragguaglio della vita, morte, e monasteri
della venerabil madre D. Orsola Benincasa napolitana [...], Rome, Lazzeri, 1655 ;
G. B. BAGATTA, Vita della ven. serva di Dio Orsola Benincasa napolitana [...], Venise,
Catani, 1671. Étude : S. MENCHI, notice dans le Dizionario biografico degli Italiani, Rome,
Istituto della enciclopedia italiana, 1960, vol. 30, p. 327-330.
V
VALTORTA, Maria, laïque, visionnaire, auteur d'écrits spirituels (Caserte, 1er mars 1897-
Viareggio, 12 octobre 1961). — Le « cas » de Maria Valtorta est à situer et à comprendre dans le
sillage de Marie d'Agreda*, voire d'Anne-Catherine Emmerich*. Son père, homme de grande
piété qui chérit sa fille, est sous-officier, et la famille se déplace au gré des mutations, pour
finalement s'établir à Viareggio en 1924. Sa mère, professeur de français, est une agnostique
sévère ; elle n'éprouve aucune tendresse pour sa fille, qui ne peut remplacer un fils mort
prématurément. Elle fera échouer par deux fois un projet de fiançailles, comme elle lui avait fait
interrompre ses études à l'âge de treize ans. S'ensuivra une longue crise, à laquelle sa conversion
mettra un terme en 1916. L'année suivante, elle s'engage comme infirmière à l'hôpital militaire
de Milan. En 1920, un « petit délinquant » la blesse gravement d'un coup de barre de fer, asséné
dans la région lombaire. Le traumatisme va dégénérer en infirmité, qui n'ira que s'aggravant ; à
partir de janvier 1933, elle est immobilisée chez elle, avant d'être définitivement grabataire en
1943 (on pense à Marthe Robin*, même si le contexte familial est fort différent). C'est en cette
même année qu'elle commence à rédiger ses visions et des « dictées », paroles intérieures
surabondantes : une activité intense de 1943 à 1947, plus modérée ensuite de 1948 à 1951, dans
laquelle elle est assistée, depuis mai 1935, par Maria Diociotti, amie fidèle et première
« auditrice » de ses révélations. À sa mort, son corps sera transféré dans le sanctuaire de la Très
Sainte Annonciation de Florence, ce qui signifierait non pas tant une reconnaissance officielle de
la visionnaire, que l'intérêt porté par la Congrégation des Servites de Marie (ordre fondé en 1233
à Florence et qui est intimement mêlé au destin de Maria Valtorta).
Cette proliférante activité scripturaire a suscité la controverse. Elle va naître au sein des
Servites, dont le père Romualdo Migliorini était devenu en 1942 le directeur spirituel de Maria, à
qui il commande d'abord de rédiger son autobiographie. Controverse non pas en raison d'une
qualité spirituelle qui serait mise en cause : très jeune, dès l'âge de cinq ans, Maria avait été
sensibilisée par les Ursulines de Milan à la présence de Dieu en elle ; ce fut cependant la
contemplation d'une statue du Christ mort qui la bouleversera durablement, émotion décisive
qu'elle retrouve avec un crucifix particulièrement pathétique (on pense à Thérèse d'Avila* saisie
par un Christ aux outrages, et même au prince Mychkine, le héros de Dostoievski, face au Christ
mort peint par Holbein). De même, ses lectures des auteurs mystiques sont aussi nombreuses que
recommandables : Thérèse d'Avila et Jean de la Croix (pourtant si prudent et réservé à propos
des phénomènes extatiques !), Catherine de Sienne* (à qui elle emprunte le thème du sang),
Thérèse de Lisieux* (dont elle lit l'Histoire d'une âme en 1925 : à l'imitation de la carmélite, elle
s'offre comme victime à l'amour miséricordieux). Cependant, l'empreinte, ou la modélisation,
thérésienne reste quelque peu superficielle, puisque, peu après, elle envisage de s'offrir comme
victime à la justice divine, ce dont elle émet le vœu le 1er juillet 1931 : serait-ce sous l'influence
de Gemma Galgani*, autre auteur qu'elle fréquente ? Et surtout Marie d'Agreda, dont elle
reproduit la prolixité (15 000 pages, réparties en 122 cahiers) comme la modalité narrative
exubérante, même si celle-ci est éloignée des fastes baroques de la visionnaire espagnole. Or
Maria, « porte-voix » du Christ, comme elle aime à se désigner, procède à une critique
vigoureuse de sa devancière : celle-ci, faiblesse ou complaisance, se voit reprocher d'avoir
corrompu la pure révélation initialement reçue. Sa manière de narrer se montre infidèle ou
inadéquate, à quoi il n'y a nul remède, le Christ offensé se refusant à toute correction ou
recadrage. Ainsi avertie, Maria ne succombera pas à de telles erreurs. On devine que ces
reproches divins à la visionnaire espagnole sont autant de tentatives de légitimation des récits
valtortiens. Au fond, une théorie assez fruste de l'inspiration prophétique ou littéraire : l'écrivain
est le pur instrument passif de la dictée divine, il n'est donc pas le véritable auteur : y a-t-il là un
écho des débats autour de l'inspiration des textes bibliques, débats auxquels l'encyclique de
Pie XII, Divino afflente spiritu, donnera une issue, en 1943, en ouvrant la recherche exégétique
aux méthodes d'une étude scientifique des styles et des genres littéraires ? Or, même si l'infirmité
ou l'insuffisance du récepteur entraîne un inévitable déficit du texte rédigé, ne serait-ce qu'en
raison du décalage entre la rapidité de la dictée et la lenteur de la main secrétariale (mais le
Christ ou son Ange veillent à rectifier ces défaillances de transcription ou même d'interprétation),
cette prétention à la pureté et à l'authenticité originelle se heurte à une indiscutable et gênante
prolixité du Christ, péniblement redondante et qui contraste avec la sobriété des Évangiles, ou
avec la haute tenue stylistique du Christ de Catherine de Sienne – à l'inverse donc du langage nu
et dégraissé du Christ de Maria-Cecilia Baij*. Mais encore, ses propos sont discutables, et c'est
cela qui entraîne les débats dans la congrégation : si Migliorini est farouchement convaincu de
l'origine divine des écrits de sa dirigée, ses confrères affichent de telles réserves que l'affaire est
portée devant le pape Pie XII, qui autorise oralement la publication. C'était sans compter sur la
vigilance du Saint-Office qui entend voir respectées toutes le procédures d'autorisation. Le
6 janvier 1960, un article du très officiel Osservatore romano affiche sa profonde perplexité
quant au style et au contenu si étrangement contemporains des propos prêtés au Christ dans les
visions valtortiennes. La doctrine mariale en particulier, même si elle prépare à la proclamation
du dogme de l'Assomption en 1950, mérite discussion : investir la Vierge d'un rôle de co-
rédemptrice (ou de coadjutrice de la Rédemption) se heurte à de puissantes (et légitimes)
réticences, sans parler de représentations fortement ambiguës (ainsi la Vierge au centre d'un
triangle étincelant figurant la Trinité !). Il est peu probable, comme ont voulu le croire les
partisans de Maria Valtorta, que les Constitutions de Vatican II auront apporté à ces affirmations
périlleuses la caution théologique qui leur faisait défaut.
Est-ce en raison du climat des tensions internationales de cette période troublée avant et après
la Seconde Guerre mondiale, l'influence de l'Apocalypse est prégnante dans les écrits de Maria
Valtorta : de quoi susciter un intérêt populaire, qui s'enthousiasmera aussi de la précision
extrême et quasi clinique avec laquelle la visionnaire restitue une narration continue, pleine, de la
Vie de Jésus-Christ, sans ces « blancs » qui grèvent le texte évangélique ; bref, un récit saturé et
rassurant, probant et imposant (son authenticité). Ainsi retrouve-t-on le vieil antagonisme entre
les experts qui prétendent (ou sont censés) savoir et une vérité populaire – ésotérisme et
populisme mêlés – qui met à profit des batteries d'images catéchétiquement efficaces (par
exemple, le thème floral), mais aussi, dans le cas de Maria Valtorta, qui intègre le discours de la
science (problème de la création, localisations topographiques...).
François Marxer
Bibl. : Œuvre : L'Évangile tel qu'il m'a été révélé, Isola del Liri (Italie), Centro Editoriale
Valtortiano, 1985, 10 vol. Études : J. AULAGNIER, Maria Valtorta, qui es-tu ?, Montsûrs,
Résiac, 1992 ; R. MAISONNEUVE, Les Mystiques chrétiens et leurs visions de Dieu un et trine,
Paris, Cerf, 2000.
VERGNE, Jeanne, laïque, visionnaire et prophétesse, poétesse (?, 1853-Paris, 1927). — Jeanne
naît dans un village de Dordogne, au sein d'une nombreuse fratrie. À dix ans, elle quitte l'école
pour seconder sa mère dans les tâches ménagères. Celle-ci meurt en août 1865. La famille se fixe
ensuite à Lyon, où le père se remarie, se désintéressant rapidement de ses enfants. Pendant treize
ans, Jeanne occupe un emploi de coursière dans une fabrique de parapluies puis devient
demoiselle de magasin à Nancy et à Lille. Elle y rencontre un fils de bonne famille, Romuald
Claës, avec lequel elle se fiance. Mais les parents s'opposent au mariage. Romuald en mourra de
chagrin (1892). Jeanne, installée à Paris, loue une échoppe, reprend son métier d'ouvrière et se
met à versifier : « Moi qui n'avais jamais essayé de rimer quelque chose, je me surpris à me
répéter à moi-même dans ce langage que j'aimais les souffrances de mon cœur » (p. 21). Cette
activité poétique entretient sa piété. Elle envoie des vers à Émile Zola, écrit un poème contre la
propagande laïque, qu'elle intitule L'École sans Dieu, ses textes étant des « avertisseurs
spirituels » dans un siècle trop matérialiste. En février 1897, devant l'autel du saint sacrement de
Notre-Dame-des-Victoires, elle a la révélation de la présence du Christ dans l'hostie, qui lui fait
pleurer des larmes de joie. Supportant une vie matérielle de plus en plus précaire, elle est
soutenue par l'assurance de son élection contenue dans ses paroles : « Par Dieu tu auras tout ce
dont tu as besoin, mais […] tu souffriras dans ta santé, dans ton travail » (Burnod, p. 28-29). Elle
prend alors pour directeur de conscience l'abbé de Bessonies, rencontré en avril 1896, qui mène
une lutte contre la laïcité sous le nom de Gabriel Soulacroix. Sensible à ses visions patriotiques
et mystiques (ainsi celle où le Christ fixe la Croix au ciel de France, ibid., p. 37), il l'encourage à
publier ses poèmes dans le Pèlerin sous le nom de « Jeanne l'ouvrière ». La Loi de séparation de
1905 la traumatise : dans ses vers, elle exprime son espoir de voir un jour la France rendue à sa
« tâche sacrée » (ibid., p. 45). Reçue par Pie X en mars 1911, elle lui envoie un exemplaire de
son premier recueil. Malgré la mort de son directeur (1913), elle continue de prophétiser et de
vivre, sur ordre de Dieu, dans un jeûne presque continuel, sollicitée par des dévots et des curieux
qui espèrent d'elle des choses surnaturelles. Elle récuse tous ces dons (« Je n'ai pas d'extases
pendant lesquelles l'avenir peut se révéler […], je ne suis qu'un pauvre être que le bon Dieu a
sauvé et guéri », ibid., p. 76), encourageant plutôt le retour à une pratique religieuse
traditionnelle. Dans ses dernières années de vie, aux souffrances de la maladie s'ajoutent
l'importunité des curieux et les vexations du démon, qu'elle accepte comme autant d'expiations.
Si Jeanne incarne pour Jacques Maître « un cas remarquable d'anorexie mystique », elle étonne
surtout par son abandon modeste aux élans d'une inspiration sacrée par lesquels elle parvient à
écrire des vers à la métrique parfaite. Sa spiritualité, puisée dans la prière et les sacrements, vise
moins un extraordinaire que l'épanouissement d'une foi personnelle, animée d'une grande
dévotion liturgique et mariale. À ce mysticisme des humbles s'ajoute l'influence d'un contexte
politico-religieux dans lequel elle se donne pour mission de rappeler aux républicains l'amour de
Dieu et de la Vierge pour la France. Une sorte de modération patriotique l'oppose en effet au
catastrophisme d'autres mystiques prophétiques (ainsi des révélations de La Salette par Mélanie
Calvat*) et l'incite à mettre plutôt l'accent sur le salut du pays par le retour à Dieu. L'exploitation
proprement politique de ses écrits est restée mineure.
Antoinette Gimaret
Bibl. : Œuvre : Une voix, poésies, Niort, Coussillan et Chebrou, 1911 et 1920. Études :
G. M. BURNOD, Une âme privilégiée, Jeanne Vergne, 1853-1927, Paris-Tournai, Casterman,
1936 ; J. MAÎTRE, Mystique et féminité, essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf,
1997.
Bibl. : Vie : I. ISOLANI, Inexplicabilis mysterii gesta beatae Veronicae virginis praeclarissimi
monasterii Sanctae Marthae urbis Mediolani, sub obseruatione regulae diui Augustini,
Mediolani, apud Gotardum Ponticum, 1518 ; ID., La Santissima, e miracolosa vita della beata
Veronica, monaca del venerabile monasterio di Santa Marta di Milano, con parti delle sue
mirabili, & celesti visioni. Raccolte dal r.p.f. Isidoro de gli Isolani, dell'Ordine di S. Domenico
dell'osseruanza. Nuouamente tradotta in lingua italiana dal r.m. prete Giouanni Antonio Azzio
Gallarato milanese..., Brescia, Vincenzo Sabbio, 1581. Études : G. ZARRI, Le sante vive.
Profezie di corte e devozione femminile tra ‘400 e ‘500, Turin, Rosenberg & Sellier, 1990 ; J.-
M. MATZ, « La Vie en français de la bienheureuse Véronique de Binasco. Sainteté, politique et
dévotion au temps des guerres d'Italie », in Mélanges de l'École française de Rome. Moyen Âge,
Temps modernes, t. 109, n° 2, 1997.
Bibl. : Œuvres : Lettere di Santa Veronica Giuliani, Città di Castello, Monastero delle
Cappuccine, 1965 ; Il tesoro nascosto, 5 vol., Città di Castello, Monastero delle Cappuccine,
1969-1987 (= le Journal commencé en 1693), O. Fiorucci (éd.), qui reprend et corrige l'éd. de
Pietro Pizzicaria : t. 1 (1693-1697) ; t. 2 (1697-1702) ; t. 3 (1703-1718) ; t. 4 (1718-1727) ; t. 5 :
Relazioni. Manoscritti. Reperti. Appendici. Lettere ; Le Journal de Sainte Véronique Giuliani…,
pages choisies du Diario, trad. père D. des Planches, Paris-Gembloux, 1931.
VÉTÉRIS DU REVEST, Catherine de. — Voir CATHERINE DE L'INCARNATION
Bibl. : Vie et études : L. HARAMBOURG, Maria Elena Vieira da Silva, in Dictionnaire des
peintres, « L'École de Paris 1945-1965 », Neuchâtel, Ides et Calendes, 1993 ; G. WEELEN, J.-
F. JAEGER, Vieira da Silva (catalogue raisonné), Genève, Skira, 1994 ; V. DUVAL,
C. BENZARIA, Vieira da Silva (ouvrage collectif), Réunion des musées nationaux, Paris, Seuil,
1999 ; G. WEELEN, J. LASSAIGNE, Vieira da Silva, Paris, Cercle d'art, 1992. Expositions :
Vieira da Silva, Paris, Galerie Jeanne Bucher, nov. 1967-janv. 1968 ; Rétrospective sous forme
d'hommage pour les 80 ans du peintre Vieira da Silva, Paris, Grand Palais, 1988.
VINCENT, Isabeau, prophétesse protestante (?, v. 1672-?). — Née dans le contexte des guerres
de Religion (XVIe-XVIIIe s.), Isabeau Vincent était une bergère, installée dans le Dauphiné
(entre Saoû et Crest, la Drôme actuelle). En 1688, âgée d'environ seize ans, elle commence à
prophétiser sur un mode bien particulier puisqu'elle est saisie de somniloquie : la nuit, durant son
sommeil, elle tient des propos, parfois en occitan, mais parfois aussi en « parlant bon français ».
Ses paroles, d'inspiration essentiellement scripturaire, invitent à résister aux contraintes de
l'Église catholique gallicane et à demeurer fidèle à la foi protestante, car les peines auront une
fin. Durant quelques mois, de nombreuses personnes alentour viennent l'écouter et recueillir ses
prophéties. Si le phénomène passe pour extraordinaire, c'est non seulement parce que la jeune
femme parle une langue qu'elle ne pratique pas ordinairement (le « bon français »), mais aussi
parce qu'il semble impossible de la réveiller lorsqu'elle prophétise : « On la tire, on la pousse,
assurent les proches et les témoins, on l'appelle, on la pique jusqu'au sang […] rien ne la
réveille. » Ses exhortations étant tenues pour un message de Dieu même, la réputation de la
bergère s'étend très vite, d'autant plus vite qu'en cette période de nombreux huguenots vivent, à
l'invitation du pasteur exilé Pierre Jurieu, dans l'attente d'un événement miraculeux censé les
libérer de la persécution du régime de Louis XIV. Isabeau fera donc parler d'elle jusqu'en
Hollande. C'est d'ailleurs ce qui la perd. Nous savons en effet par l'avocat Gerlan, venu l'observer
et l'écouter dans la nuit du 20 au 21 mai 1688, et qui s'est tenu informé de l'ensemble des
événements relatifs à la jeune femme, qu'elle a été arrêtée le 8 juin par la police du roi, emmenée
à Crest pour y être interrogée, puis enfermée dans un couvent de Grenoble quelques semaines
plus tard. Plus personne n'entendra jamais parler d'elle. Ce qui est intéressant, ce n'est pas tant le
discours de la bergère, très commun, que la modalité selon laquelle il est prononcé. Comme le
souligne Jules Michelet (Histoire de France, t. 13, chap. XXVI), qui la nomme « la belle
Ysabeau », « son inspiration bouillonnait, abondante et inépuisable, comme une eau longtemps
contenue ». Isabeau Vincent est ainsi à l'origine du mouvement dit « des petits prophètes », qui
s'étendra rapidement du Dauphiné vers le Vivarais, pour rejoindre les Cévennes, où il sera un des
ferments de la révolte des camisards. Car Isabeau, malgré l'extrême brièveté de son expérience
publique, fait des émules, et de nombreux jeunes gens seront saisis de somniloquie ou encore de
transes, d'agitations, de convulsions. De ce point de vue, sa figure est d'un incontestable intérêt.
Ghislain Waterlot
Bibl. : Vie et étude : Abrégé de l'histoire de la bergère de Saoû près de Crest en Dauphiné, avec
de nouvelles prédictions qu'elle a faites touchant l'Angleterre, imprimé sans nom à Amsterdam,
1688.
W
WANG FAJIN, taoïste, à l'origine de l'école du Joyau magique (Linjin, ?-?, v. 752). — Wang
Fajin naît dans le district Linjin de la région de Jianzhou, dans le nord du Sichuan (Chine). Dans
son enfance, elle se montre très pieuse. On ne sait rien de sa famille si ce n'est qu'elle habite près
d'un temple taoïste abandonné, où Wang Fajin se rend souvent. Quand elle a dix ans, elle est
confiée à une nonne taoïste de passage. Elle est ordonnée comme novice, apprend les rituels et
assiste aux cérémonies publiques. Elle reçoit la transmission du « Registre de l'Un orthodoxe
pour la prolongation de la vie » et prend à cette occasion le nom religieux de Fajin, « Celle qui
excelle dans les rites ». Elle devient ainsi spécialiste des rituels et des cérémonies de jeûne.
Parallèlement à ces activités liturgiques, elle s'exerce aux techniques d'abstinence de nourriture
ordinaire, s'alimentant de champignons et de racines.
Wang Fajin est une visionnaire. Des divinités lui rendent parfois visite. Une année, alors que la
famine sévit dans sa région, décimant la population, elle a la vision de deux adolescents vêtus de
vert envoyés par le Souverain d'en haut, une divinité importante du courant taoïste de la Pureté
supérieure. Ils ont pour mission d'emmener Wang en audience auprès du Souverain du ciel, dans
la capitale de jade, haut-lieu des paradis taoïstes. Elle suit ces deux jeunes gens et s'élance dans
le vide, passant en chemin dans le domaine du Souverain suprême, qui lui donne à boire du jade
liquide et du bouillon de nuées aurorales. Arrivée auprès du Souverain d'en haut, celui-ci lui
annonce que la famine est due au mauvais comportement de certains, qui doivent rectifier leur
attitude : ceux-là souffrent de la famine car ils ne prennent pas le chemin du repentir et de la
confession de leurs fautes. Puis il lui transmet un rituel de contrition intitulé « Rites du Joyau
magique relatifs aux cérémonies de purification par le jeûne et de remerciements adressés au ciel
et à la terre ». Ce rituel correspond à plusieurs textes de rituels conservés dans le Canon taoïste et
faisant partie des rituels communautaires de l'école du Joyau magique. Quand Wang Fajin
revient de son voyage extatique, trois mois ont passé. Elle enseigne alors le rituel qui lui a été
révélé, afin que le peuple comprenne qu'il est nourri par la grande Voie, aidée de la terre qui
fournit de la nourriture en abondance. Dès lors, chaque année, ce rituel est pratiqué dans la
région du Sichuan.
À la fin de sa vie, en 752, Wang Fajin « monte au ciel en plein jour » (emportant sa dépouille),
escortée de grues nuagées (symbole de longévité, la grue est la monture des immortels dans la
tradition chinoise) ; cette forme de mort correspond au plus haut degré de réalisation dans le
taoïsme de l'époque.
Catherine Despeux
Bibl. : Études : K. SCHIPPER, « Taoist Ritual and Local Cults of the T'ang Dynasty », in
Tantric and Taoist Studies in Honour of R. A. Stein, Bruxelles, Institut belge des Hautes Études
chinoises, 1985, p. 812-834 ; S. E. CAHILL, Divine Traces of the Daoist Sisterhood, Records of
the Assembled Transcendents of the Fortified Walled City, by Du Guangting (850-933), Boston,
Three Pines Press, 2006, p. 103-111 ; W. IDEMA, B. GRANT, The Red Brush. Writing Women
of Imperial China, Harvard East Asian Monographs, 231, Cambridge et Londres, Harvard
University Asia Center, 2004, p. 161-163.
WANG FENGXIAN, sainte taoïste (?, v. 835-?, v. 885). — Wang Fengxian, ou « Wang la
servante des immortels », est issue d'une famille de pauvres paysans de l'est de la Chine. Ses
hagiographies ne fournissent quasiment aucun détail sur son état civil, mais décrivent son
parcours spirituel. Dès son plus jeune âge, elle est visionnaire et dotée de pouvoirs surnaturels. À
chaque fois qu'elle porte la nourriture à ses parents, qui travaillent dans les champs, elle « voit »
des jeunes filles avec lesquelles elle joue. Celles-ci l'emmènent parfois dans des voyages
lointains et prolongés, dont elle revient le soir. La nuit, elle « voit » d'autres jeunes filles avec
lesquelles elle discute jusqu'à l'aube ; certaines lui apportent des fruits étranges et des mets
délicieux. Elle ne mange plus et sa peau devient blanche comme neige, d'une beauté sans
pareille.
Intelligente et savante, sa renommée atteint le sud du fleuve Bleu où les gens la nomment
« notre bodhisattva Guanyin ». Elle attire également l'attention de plusieurs hauts fonctionnaires,
dont le premier ministre Du Shenquan, qui va la chercher dans son ermitage dans l'intention de
l'offrir en tribut pour les appartements de l'impératrice au palais impérial. Elle refuse et, comme
Du la garde contre son gré, elle trouve refuge dans un temple bouddhique. Elle voyage dans les
saintes montagnes, ne prend plus de nourriture solide, fait des voyages extatiques dans les astres
et exécute des rituels très puissants.
Tandis que la mort approche, elle conserve un corps de jeune fille et un teint frais comme celui
d'une vierge (elle ne s'est pas non plus alimentée pendant trente ans). À l'âge de quarante-huit
ans, elle « devient immortelle » (meurt) – événement qui s'accompagne du vol de grues célestes
(l'oiseau emblématique des immortels) et de parfums merveilleux.
Catherine Despeux
WANG XIAQI, taoïste (région du Jiangnan, ?-?, 1711). — Wang Xiaqi est la fille d'une famille
honorable de la région du Jiangnan (Jiangsu et Anhui), en Chine. Son père et son frère aîné,
lettrés de première classe, ont un autel servant pour l'écriture inspirée, sur lequel la Déesse des
latrines, Zigu, descend souvent. Wang est, nous dit sa biographie, particulièrement attachée à
cette déesse.
Lors de séances d'écriture inspirée, elle est souvent visitée par une immortelle du nom de Hu
Caicai, qu'elle vénère comme son maître et pour laquelle elle fait construire un stupa. Cette
dernière lui transmet un jour l'« Histoire interne des fiches du palais de jaspe de la Fleur de
l'Est » (Donghua qiongguan yaqian neishi), un endroit paradisiaque où siège le Seigneur de la
Fleur de l'Est, divinité fondamentale de l'école de la Perfection totale. En fait, Wang Xiaqi
appartient à une branche particulière du courant taoïste de la Perfection totale (Quanzhen) : celle
de l'école de la Porte du dragon (Longmen), et plus particulièrement son expression locale au
mont Couvercle d'or (Jingai), une des plus belles collines de la région de Huzhou (Zhejiang).
Elle vit sous la dynastie des Qing (qui règnent de 1644 à 1911), alors que les Mandchous
reconnaissent officiellement le bouddhisme lamaïque et demandent aux autres écoles du
bouddhisme et aux taoïstes de cohabiter, si bien que les fidèles et les religieux pratiquent
souvent, durant cette période, une sorte de syncrétisme. C'est le cas de l'école du mont Couvercle
d'or. Celle-ci se développe grâce à Min Yide, taoïste de la onzième génération de l'école de la
Porte du Dragon, qui construit sur ce mont en 1796 le temple du Yang pur (Chunyang gong)
dédié à Lü Dongbin, célèbre immortel taoïste des Tang, plus particulièrement lié aux pratiques
de l'écriture inspirée.
Wang Xiaqi a pour maître terrestre une femme taoïste du nom de Jiang Yuncheng, qui dirige
un temple taoïste pour femmes à Mudu, près de Suzhou. Elle commence par la pratique des
esprits volants (lingfei fa), une méthode développée dans l'école de la Pureté supérieure, grâce à
laquelle elle obtient des pouvoirs surnaturels. Elle récite aussi des formules (dharani) provenant
de deux sûtras bouddhiques : le « Sûtra de la marche héroïque » (Suramgamasûtra) et le « Sûtra
du filet de Brahma » (Fanwang jing).
Catherine Despeux
Bibl. : Biographie : MIN YIDE, Jingai xindeng (Lampe du cœur du mont Couvercle d'or), 1821,
juan 6, p. 33-35 – une histoire des maîtres des diverses branches de l'école de la Porte du
Dragon, notamment celle du mont Couvercle d'or près de Huzhou.
Bibl. : Études : C. DESPEUX, Immortelles de la Chine ancienne, Puiseaux, Pardès, 1990, p. 56-
61 ; C. DESPEUX, L. KOHN, Women in Daoism, Cambridge, Three Pines Press, 2003 ;
I. ROBINET, La Révélation du Shangqing dans l'histoire du taoïsme, Paris, École française
d'Extrême-Orient, 1984, t. 2.
WEIL, Simone, laïque, philosophe, écrivain (Paris, 3 février 1909-Ashford, 27 août 1943). —
Simone Weil est issue d'une famille d'origine juive, en partie alsacienne et en partie d'ascendance
russe. Elle adopte spontanément l'état d'esprit laïc de ceux qui, se réclamant de la république et
de ses valeurs fondamentales, ont fui l'Alsace-Lorraine après la guerre de 1870-1871 afin de ne
pas devenir des sujets du nouvel Empire allemand et demeurer français. Non point que la laïcité
soit pour ses proches une attitude « religieusement anti-religieuse », mais elle est d'abord et avant
tout la pierre de touche de la liberté d'esprit et le refus de s'inscrire dans tout système de pensée
ou toute institution à vocation dogmatique. Simone est par ailleurs la sœur cadette d'André Weil,
parmi les plus grands mathématiciens du siècle, l'un des fondateurs et des participants éminents
au groupe Bourbaki, qui a laissé son nom à certaines des propositions les plus remarquables des
mathématiques modernes. Nul doute que l'influence de ce frère a été à l'origine de l'intérêt
passionné de Simone Weil pour les avancées les plus pointues de la science moderne, intérêt que
l'on peut facilement découvrir à la lecture de ses Cahiers et qui génère chez elle des réflexions
métaphysiques. Elle s'inscrit ainsi dans la lignée du platonisme qu'elle aimait tant, et, surtout, du
néoplatonisme de Plotin à Proclus, et établit un lien entre la connaissance rationnelle du monde
et l'intuition mystique d'un « au-delà de tout », dont rien ne peut rendre compte, si ce n'est des
expériences intérieures de l'ordre de la révélation immédiate.
Simone Weil a été, à l'évidence, une élève particulièrement douée : bachelière à l'âge de seize
ans, elle suit les cours de préparation à l'École normale supérieure au lycée Henri IV, où elle
reçoit en particulier l'enseignement philosophique d'Alain. Elle est reçue à l'ENS à dix-neuf ans
et se destine en principe à l'enseignement – activité qu'elle ne pratiquera que de manière
discontinue, selon les aléas de sa santé et de ses choix fondamentaux de vie.
Souffrant d'une grave anorexie (on en ignore les véritables raisons, mais cette anorexie
évoluera de plus en plus vers les formes d'une « anorexie sainte », comme en ont connu Marthe
Robin* ou Catherine de Sienne*, laquelle, malgré les apparences immédiates, est à beaucoup
d'égards sa parente en esprit), d'une santé très fragile et sans cesse menacée, s'imposant des
privations continuelles qui ne font qu'aggraver son état, Simone Weil se range activement du
côté de tous les déshérités et des « damnés de la terre », dont elle tient à partager concrètement le
sort. C'est ainsi que, dans les années 1934-1935, voulant connaître – c'est-à-dire, pour elle, vivre
à son propre compte – le sort des ouvriers de base, elle se fait elle-même ouvrière (expérience
dont elle tirera son fameux Journal d'usine, publié en 1936), de la même manière que, plus tard,
dans la France dominée par les armées allemandes, et auprès de Gustave Thibon, dont on connaît
pourtant les inclinations pour le régime de Vichy, elle expérimentera la vie harassante des
ouvriers agricoles. Elle est alors communiste, mais, si l'on peut dire, mystiquement communiste.
Amie de Boris Souvarine, elle est aussi profondément anti-stalinienne et évolue peu à peu vers
une forme d'anarchisme où, solidaire de tous les malheurs, elle pose néanmoins de plus en plus
que toute « révolution » doit s'accompagner de l'accès à une liberté absolue. On ne s'étonne pas
dès lors de la voir s'engager en faveur de la République espagnole, après la tentative de coup
d'État du général Franco, et de la compter parmi les membres de la colonne Durruti, autrement
dit de ces anarchistes qui, pour la plupart, ont fait le sacrifice de leurs vies pour s'opposer au
fascisme. Sa liberté d'esprit y est telle, toutefois, que, contrairement à l'idéologie alors dominante
dans les rangs républicains, elle ne craint pas d'intervenir, par exemple, pour sauver la vie à des
prêtres réactionnaires que ses amis veulent exécuter : de quelque bord qu'elle vienne, l'injustice
lui est insupportable, et une liberté aux mains rouges de sang ne lui semble pas mériter son nom.
C'est alors, à ce que nous en savons, qu'elle a la révélation du Christ, dans le courant de l'année
1938 – non point d'ailleurs du Christ de l'Église officielle, mais bien plutôt du Christ de saint
François, du Christ des Béatitudes et du Sermon sur la montagne, celui de la pauvreté
évangélique, de la fraternité et du pardon universels, celui qui rencontre la Samaritaine au puits
et chasse les marchands du Temple. Sa marche vers un christianisme ardent, mais tout intériorisé,
est dès lors irrésistible. Après avoir un temps « flirté » avec les résurgences cathares d'un Déodat
Roché, et bien qu'elle restera toujours sensible au thème gnostique d'un univers dominé par une
puissance mauvaise, elle s'inspire surtout de l'Évangile de Jean et de sa théologie mystique du
Logos en tant que Verbe incarné.
Devant ce monde mauvais, Simone Weil ne baisse jamais la garde. Et l'expérience spirituelle
ne saurait en aucun cas être pour elle le prétexte à se détourner des combats nécessaires :
profondément imprégnée du thème de l'Incarnation, elle « sait », en effet, qu'il faut affronter ce
monde comme il est – et à bien des égards, le combattre en n'acceptant aucune compromission.
C'est pourquoi, dès l'invasion de la France par les armées de l'Allemagne nazie, elle entre
intérieurement en résistance et, sans doute, refuse de se convertir publiquement au catholicisme
pour demeurer solidaire des juifs très tôt pourchassés par Vichy – sans compter les positions
officielles de l'Église de France, très majoritairement « collaborationniste » et, pour le moins,
ralliée au régime du maréchal Pétain. Après avoir fait gagner les États-Unis à sa famille, où elle a
la certitude que celle-ci ne sera pas opprimée (son frère fera l'essentiel de sa carrière à l'université
de Princeton), elle rejoint à Londres l'Organisation de la France libre du général de Gaulle.
Animée cependant de son éternel esprit de rébellion et de son amour inconditionnel pour une
liberté sans entraves, elle plaide pour une réorganisation de la France, quand viendra la
Libération, qui détruirait tous les cadres d'organisation et mettrait quasiment fin au rôle de l'État.
Ces thèses ne sont pas pour plaire à ses compagnons de combat ni au chef de La France libre
(dont elle considère d'ailleurs qu'il ne saurait en aucun cas être un chef) et, lorsqu'il lui est refusé
de regagner le territoire de la France occupée – Jean Cavaillès et Maurice Schumann s'y
opposent en particulier, au motif qu'elle se ferait très vite capturer par les SS et que ce serait de
ce fait l'envoyer à une mort certaine –, elle « démissionne » de La France libre en juillet 1943.
Elle n'a plus alors qu'un petit mois à vivre : affaiblie par les privations qu'elle s'impose afin de
manifester sa solidarité aux Français occupés et, surtout, aux juifs traqués et pourchassés, victime
de son anorexie fondamentale, que ces privations ne font qu'exacerber, atteinte d'une maladie qui
épuise ses dernières forces, elle s'éteint (elle n'a trente-quatre ans que depuis quelques mois) dans
un hôpital anglais.
Elle n'a alors presque rien publié, et ce ne sera qu'après la guerre, en partie grâce à l'amitié et à
l'entregent de Maurice Schumann, que paraîtront ses textes les plus importants et que l'on
découvrira toute l'étendue et la profondeur d'une pensée qui s'exerce toujours dans le cadre d'une
brûlante expérience spirituelle.
Pour Simone Weil, Dieu est tout, et comme elle l'a largement exprimé, « Dieu plus quelque
chose, c'est moins que Dieu ». Elle est très proche de ce point de vue du fondateur du
néoplatonisme, Plotin, qui explique dans l'un des traités de ses Ennéades (IIIe s.) que si le Tout
est vraiment le Tout, on ne peut rien lui ajouter et que toute addition se révèle en fin de compte
être une soustraction de fait. Comme elle est proche de la kabbale de Safed et de son principal
protagoniste, Isaac Luria qui, à travers le thème du Tsimtsoum, professait que l'infini absolu du
divin (l'Ayn) avait dû se rétracter sur lui-même pour donner sa place à la possibilité du monde
que nous connaissons. Par ailleurs, férue de culture et de langue grecques, Simone Weil, ralliant
en cela nombre d'hermétistes de la Renaissance ou les travaux et les héritiers de Marsile Ficin et
de Léon l'Hébreu, a toujours cherché à montrer que les Grecs classiques « annonçaient », sinon la
venue historique du Christ, du moins l'essentiel de son message, tel qu'il est particulièrement
exposé par Jean l'Évangéliste.
C'est ainsi qu'elle s'attache particulièrement à la notion de proportion (metaxu), telle qu'on la
trouve dans la tradition platonicienne, en la rapprochant de la médiation christique entre le
monde des humains et l'abîme éternel du Père. Retrouvant par ailleurs son insatiable curiosité
pour la théorie moderne des nombres, elle étudie aussi le mélange mathématico-religieux des
pythagoriciens. En premier lieu Philolaos, dont elle essaie de dépasser l'apparente irrationalité en
mettant en exergue son double souci d'une appréhension logique du monde et d'une
compréhension mystique qui, loin de se combattre, se complètent et se légitiment l'une l'autre.
Elle retraduit de la même manière les fragments d'Héraclite, des passages de l'Iliade ou des
poèmes hellénistiques, où elle trouve l'illustration de la condition humaine, de sa bassesse mais
aussi de son éventuel héroïsme, et les annonces d'un ineffable Divin qui aura toujours travaillé le
cœur des hommes.
Pourtant, pour bien comprendre Simone Weil, au-delà de la philosophe qu'elle n'aura jamais
cessé d'être et dont elle aura toujours revendiqué sans exception la rigueur, on doit se rappeler
que son rapport au Christ aura toujours été un rapport vivant, le fruit d'une révélation qui l'a
brûlée toute entière, la conséquence d'un « rapt » intime, dont elle ne voulait pas tirer gloire (ce
n'est pas pour rien qu'elle rédigeait surtout des Cahiers personnels, dont on a ensuite tiré, par
extraits, parmi les principales de ses « œuvres »), et que ce rapport, reçu et vécu au plus profond,
aura aussi signifié pour elle un engagement envers ses frères humains au risque, s'il le fallait, de
sa propre vie.
Michel Cazenave et
Florence Quentin
Bibl. : Œuvres : La Pesanteur et la grâce, Paris, Plon, 1947 ; Attente de Dieu, Paris, La
Colombe, 1949 (rééd. Paris, Fayard, 1966) ; La Connaissance surnaturelle, Paris, Gallimard,
1950 ; les Œuvres complètes, dont la totalité des Cahiers, sont en cours d'édition, sous la
direction de Mme de Lussy, aux éditions Gallimard. Étude : G. KEMPFNER, La Philosophie
mystique de Simone Weil, Paris, La Colombe, 1960.
Bibl. : Études : N. DEUTSCH, « New Archival Sources on the Maiden of Ludmir », Jewish
Social Studies, vol. 9, n° 1, 2002 ; ID., The Maiden of Ludmir : A Jewish Holy Woman and Her
World, Berkeley, University of California Press, 2003 ; A. RAPOPORT-ALBERT, « On Women
in Hasidism, S. A. Horodezky and the Maid of Ludmir Tradition », in A. Rapoport-Albert et
S.J. Zipperstein (éd.), Jewish History. Essays in Honour of Chimen Abramsky, Londres, Peter
Halban, 1988 ; G. WINKLER, They Called Her Rebbe : The Maiden of Ludomir, New York,
Judaica Press, 1991.
WISE, Rhoda, laïque, stigmatisée, visionnaire (Cadiz, 1888-Canton, 7 juillet 1948). — Née
dans l'Ohio, aux États-Unis, Rhoda Wise est la sixième enfant d'une famille nombreuse de
protestants. Après un premier mariage en 1915 à Canton, avec Ernest Wismar, qui décède six
mois plus tard d'une hémorragie cérébrale, elle épouse George Wise, qui est alcoolique, en 1917.
Ils adoptent Ruth (qui décède avant l'âge de un an), puis Anna Mae. Rhoda Wise accumule alors
de nombreuses pathologies (dont des kystes ovariens). Infectée à la jambe et au pied droits à
cause d'un accident, elle est retenue alitée à partir de 1936. Contrainte de séjourner à l'hôpital,
elle fait la connaissance des Sœurs de la Charité de saint Augustin, qui lui parlent de sainte
Thérèse de Lisieux* et lui enseignent le Rosaire à sa demande. Durant son long séjour, elle est
également initiée à la foi catholique. Elle se convertit sous la direction de Mgr Habig, qui lui
apprend le catéchisme, et reçoit sa première communion le 2 février 1939. Mais son état de santé
s'aggrave.
Jésus lui apparaît pour la première fois le 28 mai 1939, chez elle ; il lui annonce qu'il reviendra
avec sainte Thérèse en juin de la même année. Condamnée par la médecine, Rhoda attend
patiemment sa délivrance, quand elle guérit miraculeusement de son cancer grâce à l'intercession
de la sainte, le 28 juin, puis de sa jambe, le 15 août suivant. Témoins de ces miracles, Georges et
Anna Mae se convertissent à leur tour. Rhoda assiste alors à de nombreuses apparitions de Jésus
et de sainte Thérèse, celle-ci la visitant chaque année le 2 janvier, jour de son anniversaire. En
1942, elle contracte les stigmates de la Passion, qui saignent tous les premiers vendredis du mois.
Lors de sa dernière apparition, le 28 juin 1948, Jésus lui demande de réciter le Rosaire
quotidiennement pour la conversion de la Russie. Elle décède peu de temps après, à Canton.
Associée à de nombreuses guérisons miraculeuses qui ont contribué à développer son culte,
Rhoda Wise est également à l'origine de celle de mère Angelica de l'Annonciation (Rita Rizzo),
fondatrice de l'Eternal Word Television Network (EWTN), qui guérit de ses maux d'estomac au
bout de neuf jours de prière adressée à sainte Thérèse, selon les conseils de Rhoda. Grâce à sa
fille, sa maison a longtemps accueilli les pèlerins venus la prier pour qu'elle intercéde en leur
faveur. Elle est aujourd'hui la propriété du monastère de Notre-Dame-des-Anges, fondé à
Hanceville (Alabama) par mère Angelica. Si l'Église catholique s'est intéressée à elle, elle ne
s'est pas encore prononcée sur son cas.
Audrey Fella
Bibl. : Études : K. SIGLER S.F.O., Her Name Means Rose, The Rhoda Wise Story, Irondale
(AL), EWTN, 2000 ; R. ARROYO, Mother Angelica : The Remarkable Story of a Nun, Her
Nerve, and a Network of Miracles, New York, Double Day, 2007.
Bibl. : Œuvres : The Life, Work and Experience of Maria Beulah Woodworth, Evangelist, Saint-
Louis (MO), éd. à compte d'auteur, 1894 ; A Diary of Signs and Wonders, Tulsa, Harrison
House, 1916. Études : D. JACOBSEN (éd.), A Reader in Pentecostal Theology. Voices From the
First Generation, Bloomington and Indianapolis, Indiana UP, 2006 ; W. E. WARNER,
« Woodworth-Etter, Maria Beulah », in S. M. Burgess et Van der Maas (dir.), International
Dictionnary of Pentecostal and Charismatic Movements, Grand Rapids (MI), Zondervan, 2001,
p. 1211-1213, et The Woman Evangelist, The Life and Times of Charismatic Evangelist, Maria
B. Woodworth-Etter, Studies in Evangelicalism 8, Metuchen (NJ), The Scarecrow Press, 1986.
WOOLF, Virginia écrivain (Adeline Virginia Stephen ; Londres, 1882-Rodmell, 28 mars
1941). — Troisième enfant d'une fratrie de quatre, Virginia Stephen a connu une enfance et une
jeunesse sans cesse guettées par la catastrophe psychique : son père, aussi remarquable critique
qu'il était faible et despotique, apportait, d'un premier mariage, une fille lourdement handicapée,
et sa mère, de son côté, avait eu de sa précédente union trois enfants, dont l'aîné, George, déploie
une stratégie de séduction très équivoque à l'égard de sa demi-sœur, particulièrement au moment
de la mort de leur mère, le 5 mai 1895 (Virginia a alors quatorze ans). Ce deuil se traduit chez
Virginia par une crise violente de névrose, laquelle se renouvelle en 1913, au moment où est
accepté son premier roman, La Traversée des apparences, et de nouveau en 1940, alors qu'elle
achève son ultime ouvrage, Entre les actes, avant de mettre fin à ses jours. Ainsi se terminait une
existence douloureuse, que son mari, Leonard Woolf épousé en 1912, avait portant su préserver
avec tact et intelligence, engageant leur couple dans les milieux littéraires (en particulier le
groupe de Bloomsbury, que fréquentent David Herbert Lawrence et Katherine Mansfield) et dans
la création d'une maison d'édition qui publiera Rilke, Svevo et Freud.
Marguerite Yourcenar a dit justement que les romans de Virginia Woolf sont des « biographies
de l'être », où se mesure la difficulté spirituelle d'exister. Un passage du Journal d'un écrivain
(1953) suffirait à nous faire entendre la résonance mystique de cette œuvre. C'est dans le
« sanctuaire » d'un « couvent de religieuses » que l'expérience a eu lieu et s'est plusieurs fois
reproduite : s'y éprouvait quelque chose qu'il n'est pas aisé de cerner ni de définir, tant sans doute
ce qui advenait était hors de toute proportion maîtrisable ; d'où le sentiment d'effroi, de « peur »,
qui, une fois, prend le visage d'une « vive angoisse de la mort », mais qui, toujours, est
appréhension de la « solitude », telle que les hommes la connaissent et la redoutent. Ce qui alors
se présente à la « conscience », c'est ce que Virginia Woolf appelle « réalité », dont elle tente de
rendre compte par le jeu des métaphores qui surmonteront son caractère indescriptible et
cependant réel : « quelque chose d'abstrait ; mais qui se trouve dans les dunes ou dans le ciel », à
distance donc, pas encore disponible à tout le moins. Pourtant, toute l'attention s'y focalise, car, à
côté de cela, « il n'y a rien qui ait de l'importance », et c'est comme une espérance qui s'en trouve
justifiée : « Là-dedans je reposerai et je continuerai à exister. Je l'appelle Réalité. » Thématique
du repos et de la quiétude, chère à l'école espagnole du Recogimento au XVIe siècle et à sa
postérité française, de Jeanne Guyon* à Simone Weil*, mais qui nous renvoie antérieurement à
la quies du monde monastique et à l'otium des lettrés médiévaux et renaissants. Est-ce cela que,
franchissant la distance, Virginia Woolf cherchait à (re)gagner, quand elle entra, les poches
pleines de pierres, dans les eaux de l'Ouse, la rivière qui côtoie sa propriété, où on la retrouvera
quelques jours plus tard ? Nous ne le saurons jamais, puisqu'un suicide annule par anticipation
toutes les écritures encore possiblement à venir : à ce titre, n'est-ce pas un abandon (de la vie) et
un sacrifice (de l'avenir) que cet accomplissement de notre inexorable, tragique et bienheureuse
mortalité ?
C'est cette énigme du réel, autrement dit de la temporalité, qui infuse par les mots l'intime de la
chair et de l'esprit, comme dans La Promenade au phare (1927). Une vieille maison au bord de
la mer, une tribu enfantine facétieuse et enthousiaste, rassemblée autour de Mrs Ramsay, mère
irradiante et magnifique : ils sont tous ensemble, et chacun est seul, protégé d'un silence qui est
son langage intime – absolue pudeur de ce langage qui ne parle pas. Mrs Ramsay, que Virginia
Woolf aime manifestement, est surtout cette femme d'excellence qui « se taisait toujours. Elle
savait donc – elle savait sans avoir appris. Sa simplicité allait à ce fond des choses que falsifient
les gens habiles » : en termes évangéliques, à lire Luc X, 21, elle est entrée dans le secret du
Royaume. Le roman se déroule avant la Grande Guerre : le projet d'une excursion au phare qui,
dans le lointain, est le lieu de tous les rêves et de toutes les aventures, l'existence voyagère, le
cœur nomade aux désirs excités par la découverte de l'inconnu. Au petit matin, déception : le
temps est pluvieux et chagrin, on remet à plus tard. La promenade aura lieu dix ans après :
l'hécatombe de la guerre est passée, qui a troué la famille d'irrémédiables absences. Mrs Ramsay
a disparu, mais tous les objets, immuables sur la rive du temps écoulé, même s'ils ont
(doucement) vieilli, sont remplis de cette présence absente à jamais. Elle était à ses enfants, à son
époux, mais, de temps en temps, aimait à s'arrêter dans la solitude contemplative, communiant à
l'immensité et à la poésie du monde, et le rayon du phare qui la touchait, éphémère autant
qu'obstiné, lui apprenait l'abandon en lui faisant penser à ces millions d'années où ce monde
existait en son absence à elle. Dix ans plus tard, les absents n'en sont donc que plus visibles,
douloureusement visibles. Cette mortalité pugnace et agressive, comment y résister, sinon en
faisant de chaque instant « quelque chose d'éternel » (Jean Mambrino) : le kairos (le moment
favorable, l'aubaine), cher à la sagesse grecque et à saint Paul ? Il fera beau demain : le moment
est donc favorable, le père prend la tête de cette randonnée qui fait figure de l'irréversible destin
de tous et de chacun : lesté de tant de souffrances, de tant de douleurs, partir à jamais, pour s'en
défaire, s'en délivrer. Une vieille femme de ménage, Mrs Mc Nab, accomplit le rituel ménager
avec la modération que lui imposent ses infirmités ; malgré la dureté des besognes jadis, elle a dû
connaître des éclats de joie – ne serait-ce que lors de la présence de ses enfants. À présent, les
chemins intérieurs qu'elle a explorés et qui sont son secret, sont peut-être plus sûrs que ceux
« des mystiques, des visionnaires [qui] se promenaient sur la plage, remuaient l'eau d'une flaque,
regardaient une pierre et se demandaient : “Qu'est-ce que je suis ?” “Qu'est-ce que cela ?” »
François Marxer
Bibl. : Œuvres : Romans et Nouvelles, Paris, Livre de Poche, 1993 (contient : La Chambre de
Jacob, Mrs Dalloway, Voyage au phare, Orlando, Les Vagues, Entre les actes). Vie et études :
Q. BELL, Virginia Woolf, une biographie, Paris, Stock, 1973 ; A. DEFREMONT, Virginia
Woolf, vers la Maison de Lumière, Paris, Éditions des Femmes, 1985 ; F. DELATTRE, Le
Roman psychologique de Virginia Woolf, Paris, Vrin, 1967 ; V. FORRESTER, Virginia Woolf,
Paris, La Quinzaine littéraire, 1973.
X
XAINCTONGE, Anne de, fondatrice de la Compagnie de Sainte-Ursule (Dijon, 21 novembre
1567-Dôle, 8 juin 1621). — Dans le cadre de ces institutions où s'articulent les liens entre
l'Église et la société moderne, l'aventure d'Anne de Xainctonge s'inscrit dans ces tentatives
féminines de créer des communautés de consacrées, libérées des contraintes de la clôture
monastique afin de pouvoir vaquer plus aisément à leur vocation apostolique. Anne est née dans
une famille du milieu parlementaire, appartenant à ces classes dirigeantes soucieuses de
promouvoir une haute culture, en quoi elles sont aidées par les Jésuites pour la fondation d'un
collège en 1581. L'éducation des filles est loin d'y être négligée : Anne non seulement lit et écrit,
mais possède de bonnes connaissances du latin et du droit. Parmi leurs préoccupations
religieuses, ces milieux catholiques s'inquiètent de la vitalité nouvelle du courant protestant, qui
fait fond sur la critique justifiée des institutions romaines. Le souci social des pauvres est loin
d'être absent, en particulier de leur éducation : leur catéchisation est à l'ordre du jour. Dès son
enfance, Anne « assemblait les servantes de chez elle en une chambre pour leur enseigner leur
Pater, les commandements de Dieu et autres petites dévotions » : sa vocation se dessinait-elle
ainsi, d'être si « affectionnée à les instruire » ?
Le collège jésuite, mitoyen du logis familial, ouvre ses portes alors qu'elle a quatorze ans : les
garçons en bénéficieront, mais les filles ?... Dans l'esprit d'Anne, alors dirigée par les fils de saint
Ignace, qui lui donneront les Exercices, naît l'idée de créer une congrégation qui s'attacherait à
l'éducation des filles, de la même manière que les Jésuites veillent à celle des jeunes gens. À la
même époque, semblable ambition a motivé Jeanne de Lestonnac*, Mary Ward, Alix Le Clerc*,
avec Pierre Fourier, et Nicolas Barré. On lui indique la forme de vie des Ursulines, qui
consacrent leur virginité et vivent de façon communautaire en l'absence de toute clôture : une
modalité tout à fait commode pour une reconnaissance sociale et institutionnelle, même si Anne
ne songe point du tout à reproduire le modèle initié par Angèle Merici*. Notons que, après un
premier temps d'harmonie réciproque, des divergences vont apparaître avec les Ursulines de
France, justement sur cette question de la clôture. Ce qu'Anne de Xainctonge va susciter porte
profondément la marque de l'esprit ignatien, et pas seulement pour des raisons d'opportunité à
s'appuyer sur la présence de la communauté jésuite voisine : c'est l'inspiration d'Ignace de Loyola
qui prévaut, garante de la perennité de l'institution nouvelle qui ainsi voit le jour. Mais les
Jésuites, en raison de leur choix politiques favorables à la Ligue, se voient expulsés du royaume :
ils quittent donc Dijon pour Dôle, ville parlementaire toute proche, capitale de la comté de
Bourgogne et dépendant du trône espagnol. Anne prendra elle aussi le chemin de Dôle, où elle
retrouve des avantages culturels et universitaires comparables à ceux dont jouissait sa ville
natale. Elle arrive le 30 novembre 1596, pour devenir maîtresse d'école, ce qui est, à l'époque,
« un emploi bien humble et chétif aux yeux du monde ». Ce choix d'une position sociale quelque
peu méprisée provoque l'indignation de son père, Jean de Xainctonge, ébahi d'une telle
manifestation d'indépendance qui tienne si peu compte de l'autorité paternelle ; de surcroît,
quitter les terres du royaume pour gagner une localité dépendant de la couronne d'Espagne
s'apparente à une quasi-trahison. C'est dire de quelle singulière audace faisait preuve Anne en
poursuivant son projet à bien des égards révolutionnaire pour l'époque. Si donc la clôture est
supprimée, les Ursulines n'en sont pas moins tenues de prononcer un vœu de stabilité ; le choix
de jésuites comme confesseurs dans les communautés assure l'indispensable empreinte
ignatienne, qui maintient l'esprit et la cohérence du projet. La Compagnie sera fondée le 16 juin
1606, grâce à l'active collaboration de Claudine de Boisset. Des problèmes surgiront quant à la
question des dots (alors indispensables pour un bon fonctionnement économique des
communautés de femmes) et au sujet des sœurs converses et des pensionnaires. Avant de mourir,
Anne de Xainctonge aura posé le fondement de cette nouvelle institution dans un Récit
(1623/1629), narration des péripéties de la fondation et à bien des égards comparable au Récit
(1553/1555) d'Ignace de Loyola : c'est une relecture de l'Histoire qui a le poids d'une expérience
spirituelle. L'Institution (1621/1623), qui résulte d'un entretien entre le jésuite Étienne Guyon et
le groupe des fondatrices, fait figure de loi organique et déploie la logique d'incorporation qui
anime et constitue ces communautés, en allégeant le dispositif canonique réduit au plus simple.
Si le Compendium (1625) éclaire sur les buts pédagogiques à poursuivre, les Instructions aux
novices (édition imprimée en 1745) dévoilent, dans l'apprentissage que celles-ci en feront,
l'armature spirituelle qui sous-tend l'entreprise pédagogique : dans le sillage de la devotio
moderna (dont l'héritage avait déjà été recueilli par Ignace), c'est à la prière individuelle que sont
formées les futures ursulines, avec une insistance marquée sur la méditation de l'Évangile. Point
commun de ces trois textes de référence, l'importance de l'échange de la parole, de l'entretien qui,
en circulant, construit le corps de la communauté, mais aussi constitue le vecteur décisif de la vie
spirituelle et mystique : « Elle aimait tendrement, rapporte le Récit, la sainte humanité de notre
Sauveur : elle lui parlait fort familièrement et confidemment, comme souvent je l'ai ouï moi-
même, parce que j'étais en sa même chambre. Elle nommait notre Sauveur du nom de son bien-
aimé. Tout son contentement était d'ouïr parler ou de parler de Dieu. »
François Marxer
Bibl. : Vie : THICH NATH HANH, Sur les traces de Siddharta, Paris, Jean-Claude Lattès,
1996 ; A. BAREAU, Recherches sur la biographie du Bouddha, Paris, Presses de l'École
française d'Extrême-Orient, 3 vol. 1963, 1970-1971.
YESHE TSOGYAL, maître du bouddhisme tibétain (Tibet, 757 ou 777-817 ou 837). — Yeshe
Tsogyal (dont le nom signifie « Victorieux lac de sagesse » ou « Dame des eaux ») est l'une des
figures les plus importantes du lignage des Nyingmapa (« l'école des anciens ») ; fondée par
Padmasambhava (généralement appelé Guru Rimpoche), c'est la première école bouddhiste
introduite au Tibet, dont la religion était alors une forme de chamanisme appelé le Bön. Le
parcours initiatique de Yeshe Tsogyal comporte tant de faits miraculeux que son existence a
parfois été mise en doute. Cependant, un personnage historique semble bien avoir été à l'origine
des multiples légendes qui se sont greffées autour d'elle, dans le but évident de reconnaître
l'importance du principe de la dakini : une entité féminine symbolisant la puissance de l'éveil,
l'intuition fulgurante de la réalité et l'énergie nécessaire à la dissipation des illusions. Effrayantes
au premier abord, elles sont souvent représentées dans l'iconographie comme des femmes nues,
échevelées, entourées de flammes, dansant avec frénésie et foulant au pied des corps symbolisant
l'ignorance et les passions. Rares sont les femmes, assimilées à des dakinis, des aides et des
inspiratrices, qui ont atteint l'état de bouddha ; à la fin de sa vie, Yeshe Tsogyal est néanmoins
censée l'avoir atteint. Pour la majorité d'entre elles cependant, la coutume et certains sûtras
(textes rapportant les paroles attribuées au Bouddha) affirment qu'il leur faut prendre un corps
masculin dans une vie ultérieure pour pouvoir s'éveiller totalement.
La tradition rapporte que la naissance de Yeshe Tsogyal fut marquée par l'apparition
miraculeuse d'un lac. Elle épousa le roi du Tibet, Trisong Detsen. Elle reçut avec lui les premiers
enseignement de Padmasambhava, un maître venu du Cachemire qui détrôna la religion
autochtone Bön et introduisit le bouddhisme au Tibet. Le roi la céda finalement à ce dernier, dont
elle devint la parèdre. Douée d'une mémoire infaillible, elle transcrivit les enseignements de
Padmasambhava, notamment le Bardo Thödol (communément traduit par « Le livre des morts
tibétain », dont le titre véritable est « Le livre de la délivrance par l'audition dans l'entre-deux »).
Un ouvrage majeur dans la tradition bouddhiste, qui décrit les phases du voyage post mortem de
l'esprit d'un défunt jusqu'à « la claire lumière » (sa vraie nature), fondé sur les témoignages des
grands maîtres capables de se souvenir de leurs vies passées et du voyage accompli entre deux
existences. Yeshe Tsogyal révéla également, grâce à ses rêves ou des visions, d'autres
enseignements cachés de Padmasambhava : « La sphère du cœur » (Longchen Nyingthig) a été
dictée à Jigme Lingpa. Ce livre donne les principes de base de l'école du Dzogchen (« le grand
aboutissement »), aussi connu sous le nom d'Ati Yoga (« yoga extraordinaire »), que le Bouddha
historique aurait transmis en secret à ses meilleurs disciples comme étant l'aboutissement de sa
doctrine.
Le Dzogchen explique que l'esprit est essentiellement pur et immaculé à son origine. Les
pensées et les émotions ne sont que des surimpositions semblables à des reflets évoluant dans un
miroir. Incapables de le comprendre, les êtres perdent contact avec cette base immaculée,
réagissent face aux divers « reflets » et se trouvent pris dans la ronde douloureuse des vies
successives (samsara). Pour s'en délivrer, il est essentiel de prendre conscience de la nature de
l'esprit « nu » ou « ordinaire », qui préside à toute activité mentale, et de l'espace vide qui se situe
entre deux pensées. Ceci mène rapidement, sans rite et sans effort artificiel, à l'expérience directe
de la vacuité (shûnyatâ) et de la clarté, ce qui constitue la connaissance originelle. Selon la
tradition, ceux qui l'ont atteinte ont la capacité de disparaître sans laisser de corps à leur mort, les
quatre éléments constitutifs de leur matière s'étant dissous dans la lumière. Cette prouesse, ou
phénomène du « corps d'arc-en-ciel », est attribuée à Yeshe Tsogyal, qui ainsi prit rang parmi les
bouddhas.
De la même manière, elle dicta deux autres textes secrets, l'un à Namkhai Nyingpo (l'un des
vingt-cinq disciples) et l'autre à Nyang Ral Nyima Oser, qui est une biographie de
Padmasambhava (le Sanglingma) et qui constitue le premier terma (« trésor ») jamais recensé.
Selon la tradition tibétaine, il est en effet possible à certaines personnes, appelées tertön, de
transmettre des trésors constitués par des livres sacrés ayant été cachés par de grands maîtres,
dans l'attente d'un moment propice pour être enseignés. L'école Nyingmapa possède le plus grand
nombre de ces terma datant du VIIIe siècle, Padmasambhava étant supposé en avoir enfoui cent
huit, dont le Bardo Thödol.
Sur les conseils de son époux Padmasambhava, qui lui avait signalé que, pour atteindre la
sagesse ultime, elle devrait prendre un partenaire une fois que lui-même aurait quitté le Tibet,
elle choisit pour parèdre Atsara Sahle, originaire de Katmandou. Ils vécurent pendant de
nombreuses années comme des ermites dans des grottes en montagne. Dans la dernière partie de
sa vie, Yeshe Tsogyal eut à affronter des visions comparables à celles que le Bouddha avait eues
peu avant son illumination, lorsque Mara (« le destructeur ») l'avait tenté en lui envoyant ses
armées de démons et ses filles les plus séduisantes. N'ayant pas succombé à ces illusions, elle
devint un bouddha.
Yeshe Tsogyal, comme la plupart des grands maîtres, est considérée comme ayant eu plusieurs
« réincarnations », dont Machik Labdrön*, qui propagea le rituel du chöd (« la coupure »), au
cours duquel le pratiquant imagine qu'il coupe son propre corps en morceaux afin de l'offrir aux
démons affamés, et Khandro Urgyen Tsomo, connue sous le nom de la « Dakini de Tsurphu »,
qui devint l'épouse du quinzième Karmapa, Khayab Dorje, alors très malade et qui lui sauva la
vie grâce à ses pouvoirs miraculeux. Sa dernière réincarnation est Khandro Tsering Paldrön*,
fille du chef religieux des Nyingmapa, Mindrolling Trichen. Son importance n'ayant cessé de
croître au fil des siècles, elle fut rétrospectivement assimilée à des figures du passé comme Mâyâ
(la mère du Bouddha) ou à des déités comme Vajravarahi, Sarasvati, Tara, Vajrayogini,
Prajnaparamita et Samantabhadri, la parèdre de Samanthabadra, le Bouddha des origines (« Âdi
Bouddha »).
Bien que Padmasambhava ait été reconnu comme celui qui chassa les démons et lutta pour
circonvenir la religion autochtone Bön afin d'établir le bouddhisme, Yeshe Tsogyal est
mentionnée comme l'une des grandes figures de cette religion par le maître bonpö Dechen
Bangmo (1918), ce qui signifie qu'elle en est venue à symboliser la réconciliation et l'essence
commune de ces deux religions.
Ariane Buisset
Bibl. : Œuvres : Bardo-Thödol – Le livre tibétain des morts, Paris, Albin Michel, 1981 ; Le
Sanglingma (biographie de Padmasambhava), révélée par Yeshe Tsogyal à Nyang Ral Nyima
Oser, Népal, National Archives Kathmandu, période 1124-1192 ; The Lotus-Born (biographie de
Padmasambhava), Népal, Rangjung Yeshe Publications, 2004 ; The Life and Liberation of
Padmasambhava, 2 vol., Berkeley, Dharma Publishing, 1978. Vies : G. TCHANGTCHOUB et
N. NYINGPO, La Vie de Yeshe Tsogyal, souveraine du Tibet, Plazac, Padamakara, 1995 ;
K. DOWAN, Sky Dancer : the Secret Life and Songs of the Lady Yeshe Tsogyal, Londres, Snow
Lion, 1984 ; Dakini Teachings : Padmasambava's Oral Instructions to Lady Tsogyal, révélés par
N. N. ÖZER et S. LINGPA, Boston, Shambhala publications, 1990.
Bibl. : Études : C. DESPEUX, « L'ordination des femmes taoïstes sous les Tang », Études
chinoises, n° 5, Paris, 1986, p. 54-99 ; ID., Immortelles de la Chine ancienne, Puiseaux, Pardès,
1990, p. 56-60 ; E. H. SCHAFER, « The Princess realised in Jade », Tang Studies, 1985, 3, p. 7-
10 ; ID., « The Capeline Cantos. Verses on the Divine Loves of Taoist Priestesses », Asatische
Studien/Études asiatiques, n° 32-1, 1978, p. 5-65 ; C. BENN, The Cavern-Mystery
Transmission : A Taoist Ordination Rite of A.D. 711, Honolulu, University of Hawaii Press,
1991.
YVETTE DE HUY, ou Juette, sainte, recluse (Huy, 1157-1228). — Yvette, née dans la ville
commerçante de Huy, près de Liège, se présente comme le modèle archétypal de la recluse,
comme Marie d'Oignies* le sera des béguines. Mariée (de force ?) à treize ans, elle est veuve
cinq ans plus tard avec deux enfants. Ayant affiché un refus farouche de tout remariage, elle se
met au service des lépreux (espérant, dit-on, d'être contaminée, et ce dans un esprit de pénitence :
n'oublions pas cependant que le lépreux, conformément à la prophétie d'Isaïe LIII, est, à
l'époque, une figure christique). Finalement, elle quitte ce service, non sans avoir fait agrandir les
bâtiments de la léproserie et construire une église (ce qui réintègre les lépreux dans la vie
commune), et elle adopte une forme extrême de vie religieuse : la condition de recluse. En 1194,
avec l'autorisation de l'abbé cistercien d'Orval, elle se retire dans une cellule, bâtie par son père,
« le long de l'église » attenant à la léproserie où elle servait auparavant : de Marthe qu'elle était,
elle assume à présent l'état et le ministère de Marie, ce qui ne porte nul préjudice à l'amour
qu'elle a pour tous. À preuve, elle reçoit tous ceux qui viennent la consulter, simples fidèles
comme clercs, en raison de la réputation qui est la sienne de connaître surnaturellement l'âme
intime de chacun.
C'est un prémontré, Hugues de Floreffe qui rédigera sa biographie : selon les conventions en
usage, lorsqu'un homme se met au service d'une femme mystique dans la Lotharingie d'alors, il
insiste un peu lourdement sur ses extases et ravissements, quoique Yvette n'ait jamais levé le
secret de ce qu'elle y vivait, particulièrement quand elle avait jouissance de la Trinité. Quant à
décrire l'union avec le Christ en son humanité, c'est de la façon la plus banale (ou triviale), en se
référant au mode des amours humaines, non sans préciser que ces moments d'union sont d'une
remarquable brièveté. Faute d'information, Hugues se contente donc des clichés les plus
convenus. Ces extases ne se produisent pas cependant pour le seul contentement d'Yvette, elles
ont signification et efficience pédagogique pour la communauté chrétienne, particulièrement
pour les clercs amis et pour les familiares et mulieres honestae (« les familiers et femmes
dévotes »).
Toute retirée qu'elle est, Yvette n'en critique pas moins – et vigoureusement – les mœurs du
clergé local, peu disposé à se réformer, mais elle songe bien plus à les conjurer de se repentir
qu'à les menacer des foudres de la colère divine. Beaucoup toutefois doutent de la validité de ces
visions émanant de « vieilles femmes ou de pauvres femmelettes », les considérant donc
« rêveries » ou « plaisanteries » : conflit primordial entre la prétention d'autorité des clercs (qui
détiennent le savoir) et le choix absolument libre (et déroutant) de l'élection divine, qui choisit à
contre-pied des critères d'excellence ou de compétences (supposés). Cela dit, Yvette jouit quand
même de l'appui de nombreux soutiens, notamment parmi les cisterciens et les prémontrés, qui
alors dirigeaient nombre de ces saintes femmes. Néanmoins, elle est bien plus disposée à
entraîner ceux qui viennent à elle qu'à les suivre : ceux-ci la considèrent de toute façon comme
sapientissima materfamilias (« une très sage mère de famille »), exerçant donc un ministère
sapientiel (ce qui est une modalité propre au discours mystique) et maternel (à rebours d'un
pouvoir de fonction paternelle). Comme plus tard Angèle de Foligno*, elle conjoint les deux
rôles de mater et de magistra.
Le mode de vie initié par Yvette va connaître un succès considérable et la faveur d'un public
sensible à sa signification : en effet, la retraite en marge du monde n'est pas un obstacle, mais au
contraire le motif même de son influence. Le statut en sera reconnu quand l'Église l'officialisera
en l'encadrant dans un rituel qui en détermine la fonction dans le corps social et ecclésial. La
comparaison est instructive avec celui de l'admission à la vie monastique : le (ou plutôt, la)
candidat(e) à la réclusion mime la posture du cadavre et reçoit les mêmes honneurs liturgiques
qu'un défunt : c'est une entrée dans le monde des morts que d'être conduit, après avoir reçu
l'extrême-onction, dans le réclusoir, qui sera, comme un tombeau, la dernière demeure, consacrée
toutefois par la présence d'un autel. Aux XVe et XVIe siècles, c'est le pouvoir municipal qui
dédiera la recluse à l'office de la prière pour tous, sa disparition sacrificielle et ses pénitences
étant réputées bénéfiques à toute la communauté.
François Marxer
Bibl. : Vie : Vita Beata Ivetta, sive Iutta, vidua reclusa, Hui in Belgio, Acta Sanctorum, janvier,
13, p. 863-887. Études : I. COCHELIN, « Sainteté laïque : l'exemple de Juette de Huy (1156-
1228) », Le Moyen Âge, série 5, 3, 1989, p. 397-417 ; G. DUBY, Dames du XIIe siècle,
I. Héloïse, Aliénor, Iseut et quelques autres, Paris, Gallimard, 1995, p. 133-149. Roman :
C. DUPONT-MONOD, La Passion de Juette, Paris, Grasset, 2007.
Bibl. : Œuvre : la correspondance et les carnets sont cités par le père René Laurentin ; le dossier
manuscrit comprendrait trente mille documents. Vie : P. L. BARRAL, Articles produits […] en
la cause de la servante de Dieu Marie-Yvonne de Jésus Beauvais, Monastère de Malestroit,
1956 ; le père R. LAURENTIN a donné cinq livres entre 1984 et 1987 (dont trois avec le docteur
P. MAHEO), puis dirigé « sous sa seule responsabilité » une biographie en cinq volumes, publiée
chez F.-X. de Guibert (Paris), 1996-2002. Études : Y. CHAUFFIN et M. ORAISON, Le
Tribunal du merveilleux. Rencontre avec l'ailleurs : illusion ou supercherie, Paris, Plon, 1976,
p. 31-54, 79-85, 201 ; S. LA ROCCA, L'Enfant Jésus. Histoire et anthropologie d'une dévotion
dans l'Occident chrétien, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2007, p. 57-59, 99-125 et
219-247 ; J. MAÎTRE, Mystique et féminité : essai de psychanalyse sociohistorique, Paris, Cerf,
1997, p. 419-421 ; J. BOUFLET, Encyclopédie des phénomènes extraordinaires dans la vie
mystique, Paris, Le Jardin des livres, 2002-2003, t. II, p. 203-208.
Z
ZHIYUAN XINGGANG, maître du bouddhisme chan et abbesse (Jiaxing, 1597-1654). — Fille
unique d'un lettré retiré, Zhiyuan Xinggang naît à Jiaxing, dans la province du Zhejiang, en
Chine. Sa vocation religieuse est précoce. Alors qu'elle est promise à un jeune homme entamant
une carrière de lettré qui décède avant les cérémonies du mariage, elle décide de rester
célibataire. À trente-cinq ans, n'ayant plus ses parents, elle se rend seule dans un petit ermitage
qu'elle s'est fait construire près de leur tombe. Elle devient disciple du maître Miyuan Yuanwu,
devenu en 1624 chef du monastère de la lignée Chan de Linji au mont Jinsu, dans la région de
Jiaxing. Ce dernier lui donne une énigme, un huatou, à résoudre : « Où puis-je reposer
paisiblement et établir mon destin ? » Au bout d'un an, n'ayant guère progressé, elle se rend
auprès de Shiche Tongcheng, un disciple de Miyuan qui a repris son monastère. Elle poursuit son
cheminement avec un autre huatou à résoudre : « Quel est le visage originel avant la naissance
du père et de la mère ? »
De retour dans son ermitage, elle continue à méditer, ne lâchant pas son énigme. Plongée dans
un doute profond, elle fait l'expérience d'un voile qui se déchire et comprend : « Avant la
naissance du père et de la mère / Le vide était condensé en un silence complet / Dès l'origine,
rien ne manquait / Les nuages se sont dispersés, découvrant le ciel bleu. »
La première prise de conscience de sa nature profonde intervient quatre ans après le début de sa
vie mystique, en 1636, à trente-neuf ans. Par la suite, elle connaît d'autres expériences. Un jour,
alors qu'elle descend de la terrasse où on lui a coupé les cheveux, elle ressent soudain « comme
une ouverture où chaque chose devant elle disparaît, y compris son corps et son esprit ». En
1638, son maître reconnaît sa réalisation, dont témoigne, conformément à la tradition dans le
chan, un dialogue entre le disciple et son maître. La considérant comme « un modèle pour ceux
qui viendront après », il lui transmet le sceptre qui exauce les désirs (ruyi), instrument des
discours des moines et symbole d'autorité.
Zhiyuan devient une des rares femmes inscrites dans une lignée de maîtres, elle est considérée
comme disciple à la trente-deuxième génération dans la lignée du chan de Linji (Rinzai).
Suscitant des jalousies, des rivalités et des discussions, elle repart dans son ermitage où elle reste
trois ans en réclusion (biguan), une méthode controversée par certains adeptes du chan de l'école
Cao Dong notamment. À sa sortie de retraite, elle fait un sermon et y décrit ses progrès
spirituels : « […] je reste dans une profonde solitude, heureuse et persévérante. Je suis assise, le
corps droit, il n'y a plus ni intérieur ni extérieur. Je force les limites du vide, j'élimine toute
entrave. Comme il n'y a ni intérieur ni extérieur, je me libère encore et encore de toute entrave.
Détachée du corps et de toute caractéristique, je peux voir le corps [véritable] devant moi, les
trois mille milliards de mondes dans un poil, les champs des dix directions réunis dans un grain
de moutarde. Je suis libre et sans contrainte, je réagis selon les circonstances. Un seul khat ou un
seul poing et soudain tout se dévoile et je me tiens solidement debout. »
En 1647, Zhiyuan Xinggang est invitée par un groupe de laïcs de la région de Jiaxing à être la
première abbesse du temple du Lion soumis (Fushi yuan), un ancien ermitage d'une grande
famille de la région. Son monastère a de la tenue ; la plupart des femmes de l'élite locale
viennent lui rendre visite et la respectent. Elle y forme nombre de disciples, parmi lesquelles sept
femmes qui deviennent à leur tour d'illustres maîtres, dont Yikui Chaozhen, l'auteur d'une
biographie détaillée de son maître.
Après de nombreuses années de vie contemplative, elle mène une vie très active, rencontre
beaucoup de personnes, fréquente l'élite loyaliste à l'ancienne dynastie des Ming, organise les
services religieux. Elle délivre de nombreux sermons, recueillis et publiés par ses sept proches
disciples sous le titre « Entretiens du maître chan Zhiyuan du temple du Lion soumis » (Fushi
Zhiyuan chanshi yulu, 1655).
Peu avant sa mort, elle prévient ses disciples, désigne celle qui va lui succéder, puis meurt,
assise en position du lotus, ce qui, dans le bouddhisme chan, est le signe d'une très haute
réalisation. Juste avant de mourir, elle laisse ce poème : « Comme la lune brillant sur mille
rivières, / Le disque lumineux brille, pur et sans souillure. / Maintenant je vais enseigner, assise
en lotus. / Les êtres vivants vont regarder et voir à travers cela. / Si vous demandez quel est mon
dernier mot, / Je taperai des mains et dirai : “C'est cela.” »
Zhiyuan meurt à l'âge de cinquante-huit ans. Ses disciples lui construisirent un stupa dans
lequel on plaça son corps qui, dit-on, resta souple et comme vivant.
Catherine Despeux
Bibl. : Études : B. GRANT, « Female Holder of the Lineage : Linji Chan Master Zhiyuan
Xinggang (1597-1654) », Late Imperial China, 17, n° 2, décembre 1996, p. 29-58 ; ID., Eminent
Nuns, Honolulu, University of Hawaii Press, 2009, p. 58-106.
ZUKUI XUANFU, maître du bouddhisme chan et abbesse (Chine, XVIIe s.). — On ignore le
lieu et la date de naissance, la date de la mort et les origines familiales de cette femme
bouddhiste. Elle est seulement connue sous son nom religieux de Zukui Xuanfu, comme disciple
du maître Jiqi Hongchu, lui-même un disciple de Hanyue Fazang, maître chan très controversé et
prenant le contre-pied de Miyuan Yuanwu. Elle entretint des relations très étroites avec son
maître et lui rendit souvent visite, même une fois devenue abbesse. Dans ses écrits, elle
mentionne leurs échanges, notamment sur deux thèmes qu'il affectionnait particulièrement : les
« six types de réalisation » (liuzhong chengjiu) et les « huit accès » (bamen). Elle entretint
également une amitié suivie avec une condisciple, Baochi Xuanzong*. Toutes deux devinrent des
maîtres inscrites officiellement dans la lignée de Linji (Rinzai).
Zukui Xuanfu devint abbesse de plusieurs temples : le temple de la Fleur d'Udambara, dont on
ignore la localisation mais que l'historienne Beata Grant situe près du lac Dongting dans le nord-
est du Hunan, et le temple de la Transparence merveilleuse, situé à Xiuzhou près de Jiaxing
(Zhejiang). Elle mena une vie très active, donnant de nombreux sermons à l'occasion
d'ordinations et instruisant ses disciples. Dans son enseignement, elle s'appuyait beaucoup sur les
« cas publics » des anciens maîtres, dont elle connaissait parfaitement les œuvres, mais elle en
inventait elle aussi, prenant souvent des exemples de la vie quotidienne. Elle apparaît comme une
femme de caractère, très indépendante, qui témoigna des rivalités entre factions du chan de son
époque ; elle n'hésita pas à critiquer l'ambition des disciples de Miyuan Yuanwu, obsédés par
l'idée de constituer un lignage et d'asseoir leur notoriété.
La vie contemplative n'en joua pas moins un rôle important dans sa vie ; elle aimait se
promener dans les collines et parmi les beaux paysages, qui lui donnaient l'occasion de versifier
et de traduire les divers états intérieurs qu'elle franchissait, de s'interroger sur les questions
typiques du bouddhisme et du chan, telles que la non-différenciation entre soi et l'autre, la non-
dualité homme-femme, la reconnaissance de la grandeur et de l'indépendance de l'esprit
véritable, la compréhension de la vacuité, qui fait que l'esprit ne se fixe nulle part, comme elle
l'exprime dans un poème intitulé « Revenant des collines, je ris de moi » : « Aucun chemin vers
le sommet solitaire de ce magnifique pic. / Ceux qui l'atteignent doivent avoir réduit en cendres
leur esprit. / C'est drôle : les nuages blancs n'ont pas de destination précise, / Ils vont de-ci de-là,
au gré du vent. »
Cette éminente moniale de la lignée de Hanyue Fazang se distingue par la qualité de ses écrits,
qui laissent transparaître des dons littéraires, une grande connaissance du bouddhisme chan et
une profonde expérience intérieure. Ses disciples ont réuni ses dialogues et ses écrits sous le titre
de Lingrui Zukui [Xuan]fu chanshi miaozhan lu (« Annales de Zukui Xuanfu du [monastère de]
la Fleur d'Udumbara recueillies au monastère de la Merveilleuse Clarté [transparence] »). Auteur
prolifique, elle composa elle-même un recueil intitulé Lingrui chanshi Yanhuaji (« Collection de
fleurs de la falaise du maître chan du monastère Fleur d'Udumbara »), indiquant sans sa Préface
les circonstances dans lesquelles elle avait commencé à écrire. Un jour, alors qu'elle était assise
en méditation pendant une retraite d'été, n'ayant pas grand chose à faire pendant ces longues
journées, elle lut une collection d'expédients des grands maîtres du passé et les relut jusqu'à les
avoir complètement intériorisés. Puis, soudain, l'inspiration lui vint et elle se mit à composer des
vers, qui s'amoncelèrent. Un lettré en prit connaissance et souhaita les publier ; elle chercha un
titre et, se souvenant des paroles du moine Xuedou [Zhong]xian, qui dit un jour que la source
originelle de tous les bouddhas était comme la pluie qui arrosait les fleurs de la falaise, elle
choisit d'intituler son recueil « Fleurs de la falaise ». Avec une de ses plus proches condisciples,
Baochi Xuanzong*, elle écrivit également le Songgu hexiang ji (« Recueil d'éloges résonant
harmonieusement avec les anciens »), les éloges étant un genre littéraire typique des maîtres
chan, qui écrivaient des vers en réponse à une énigme ou à un cas public (en chinois gong'an, en
japonais kôan).
On ignore la date de sa mort, probablement survenue dans le dernier temple qu'elle eut en
charge, celui de la Transparence merveilleuse.
Catherine Despeux
Bibl. : Étude : B. GRANT, Eminent Nuns. Women Chan Masters of Seventeenth-Century China,
Honolulu, University of Hawaii Press, 2009, p. 146-164.
Bibl. : Œuvres : Les Carnets, Paris, Éditions des Syrtes, 2008 ; Des poètes, Paris, Éditions des
Femmes, 1992 ; Octobre en wagon, Paris, Anatolia, 2007 ; Vivre dans le feu, Paris, Robert
Laffont, 2005 ; Lettres de la montagne et Lettres de la fin, Sauve, Clémence Hiver Éditeur,
2007 ; Rilke, Pasternak, Tsvétaïéva, Correspondance à trois, Paris, Gallimard, 1983. Études :
M. RAZUMOVSKY, Marina Tsvetaeva, mythe et réalité, Montricher (Suisse), Éditions Noir sur
Blanc, 1988 ; M. BELKINA, Le Destin tragique de Marina Tsvetaeva, Paris, Albin Michel,
1992 ; F. MIDAL, Et si de l'amour on ne savait rien ?, Paris, Albin Michel, 2010.
Postface
À s'en tenir au seul espace occidental, là où le mot et la notion de mystique sont apparus et se
sont développés, l'on aura remarqué que le fait mystique émerge et se déploie dans les moments
de crise des institutions politiques ou religieuses. Ce qui légitime un rapprochement avec le
phénomène prophétique. La parole prophétique médiatise l'écart entre la parole agissante d'un
Dieu transcendant et la parole récalcitrante des humains. Elle fustige et implore, dénonce et
requiert. La parole mystique (entendons par là non seulement le verbe proféré ou écrit, mais aussi
les gestes et représentations qui portent une signification) s'instaure entre une paradoxale
présence-absence (dans la mesure où les institutions en sont désertées) et le désarroi (ou
l'indifférence) des hommes. Sans doute moins impérative que sa consœur prophétique, ne se fait-
elle pas toute didactique, dans la mesure où elle énonce une sagesse de vie ? Le dire prophétique
a pour but et fonction de faire croire (et espérer) ; aussi en attribuera-t-on plus volontiers
l'exercice au pouvoir essentiellement masculin (selon les protocoles et usages de la culture
occidentale, forgés par la double matrice grecque et biblique). La parole mystique en revanche a
pour fonction de faire voir, par le jeu des métaphores du langage (visionnaire souvent) ou par la
scénographie d'attitudes et de modes de vie engagés. À ce titre, la prédominance féminine n'est
peut-être pas un hasard dans l'espace qu'aura construit et irrigué l'expérience chrétienne ; car au
point de départ, c'est par le corps d'une femme que, comme l'a montré Marie-José Mondzain, le
Dieu invisible et transcendant modifie le contrat d'alliance qui le liait à Israël, dans la parole et
l'écoute (et les prophètes en étaient les serviteurs actifs), pour prendre chair, c'est-à-dire se rendre
visible et, du coup, s'universaliser. Mais ce nouveau statut (christique) qu'ainsi il adopte dans
l'Incarnation est hautement critique : serait-ce la raison pour laquelle la parole mystique (rivale,
si l'on veut, du verbe doctrinal qui décante le prophétique) semble perpétuellement en crise ?
Si la prophétie se fait l'écho de l'injonction de la transcendance, c'est à la parole mystique qu'il
revient de rappeler la disjonction d'avec celle-ci, à la fois nécessaire et inaccessible, ce qui laisse
une place vide que le savoir-faire casanier et le souci de banalité des humains se refusant à tout
destin s'empressent de colmater de scénarios rituels et de simulacres religieux. La mystique
occupe cette place vacante (que le prophétisme biblique, par exemple, réserve au Messie), mais
non pour la forclore et obturer. Ce vide sera maintenu, non par manque, mais par excès, signalé
par un ravissement (une syncope, dit Catherine Clément). Le langage, en ses effusions
rhétoriques, sera l'ostensoir qui sertit ce vide. Vide crucial qui, pour être clef de voûte, n'en est
pas moins une blessure (surtout lorsque, dans des sociétés comme les nôtres, éprises de sécurité,
il s'ouvre comme un abîme inoubliable). L'humanité en effet est ainsi faite qu'elle ne peut se
maintenir vivante qu'à pâtir, qu'à souffrir une déchirure, un écart qu'il serait vain de vouloir
cicatriser. Les figures en sont multiples et plurielles : tension entre l'être-dans (esse in) et l'être-
vers (esse ad), le fondement et l'extase, l'essence et l'existence, pour les philosophes ; transit du
désir qu'ausculte la psychanalyse – mais qu'écrivent donc romanciers et poètes ? – ; rumeur de
l'eschatologie, irruption du surnaturel que perçoit la sensibilité croyante.
Le prophète a pour mission de raviver cette déchirure ou de l'éveiller chez ses contemporains
engoncés dans un sommeil amnésique : il en fera lever l'épiphanie sur les décombres et les ruines
en quoi le sens commun, tenté par la résignation fatale, n'a voulu voir que pitoyable faillite, faille
irrémédiable. Lui y aura vu le berceau de la nouveauté, qui advient dans la grande épreuve de
l'Histoire, où les malheurs des temps ont valeur d'apocalypse, de révélation. Faille et faillite sont
à ce point proches que ç'aura été la réussite de notre Occident (exporté aux dimensions du
monde) que de les avoir intégrées au royaume intérieur de l'individu, sous la forme de ces
contraintes et impératifs dont chacun est désormais le gestionnaire scrupuleux et implacable. De
là ce prurit de culpabilité indicible, cette prolifération d'angoisses irrépressibles, depuis que,
fidèle à un devoir d'autonomie toute cartésienne, chacun se voit chargé et responsable – seul – de
son propre destin. Tentaculaire obligation à laquelle beaucoup succombent, et pour lesquels les
institutions religieuses, mais aussi thérapeutiques, ont mis en place des dispositifs susceptibles de
lever tant soit peu la douleur, d'atténuer les phobies compulsives et de conjurer les maladies de
l'âme, surtout depuis que la théologie a rendu le salut problématique.
Le génie mystique choisit de désentraver l'humain de cette contrainte insupportable que nous
devons en grande part aux conceptions psychologiques héritées d'Augustin. Cela méritait d'être
tenté, puisque les Pères du désert (et parmi ces pionniers, on comptera quelques femmes d'une
singulière hardiesse) visaient, non sans succès, à retrouver l'intégrité primitive, celle du corps
adamique, et l'une des clefs était la maîtrise raisonnée, la modération régulée de la
nourriture, gastrimargie ou gourmandise étant bien plus redoutables en leurs effets délétères que
la pulsion génitale, considérée comme périphérique.
Dans cette configuration pathétique d'un être assiégé de l'intérieur, la mystique ne se proposait-
elle pas de retrouver, pour s'y établir, l'inexpugnable centralité de l'être (ce qu'on peut désigner
sous nom d'âme), en tout cas impossible à confondre avec la seule intériorité – nous sommes en
effet dans le registre ontologique, métaphysique, et non dans le registre purement psychologique,
même si celui-ci constitue un catalyseur utile de cette entreprise – et indexée par l'expérience de
la joie, sereine et austère, loin de l'exubérance, car, le plus souvent, la douleur d'être ne disparaît
pas. Elle coexiste avec cette joie, quitte à dérouter notre jugement, aujourd'hui par trop soumis
aux impératifs du souci de soi. Ainsi dénonçons-nous un regrettable dolorisme en bien des
postures et itinéraires mystiques : à tort, car cet exercice délibéré de la douleur, que nous
accusons trop vite de pathologie, atteste – et c'est particulièrement vrai lorsque, au XVIIIe siècle,
les Lumières triompheront jusque dans la théologie, qui se rationalise alors à l'extrême – une
revendication du pathos face à l'impérialisme du logos, de la dignité subjective face à l'emprise
des universaux politiques et coloniaux : rébellion de l'indisponible, aussi bien la transcendance
que la chair de l'homme désirante et souffrante autant que jouissante (de celle-ci).
Inexpugnable et inattaquable, ce centre de l'être. « Demeures », « château » : les métaphores ne
manquent pas. Il s'agit moins de « construire un château » (comme nous y encourageait le très
spinoziste Robert Misrahi) que de partir à sa recherche, à sa découverte, de traverser la forêt de
Brocéliande (suivant les romans de chevalerie dans leur quête du Graal) ; pour y être reçu, être
l'hôte en cette demeure nocturne et indéchiffrable aux analyses de la raison ratiocinante. Gloses
et commentaires ne sont pas non plus les bienvenus ; seule, la langue poétique y pourra pénétrer.
Démarche que nous ne dirons pas illogique, mais a-logique, non pas irrationnelle, mais
suprarationnelle (ou transrationnelle), puisque c'est purement de l'être qu'il s'agit. Ici ce n'est pas
tant l'Un qui est en cause (encore qu'il y aura une mystique de l'Un, issue de la tradition
néoplatonicienne, vigoureuse et féconde), mais bien plutôt le Deux, qui est au cœur de la logique
de l'amour. Ce qui, en bonne métaphysique, est, sinon l'impensé, du moins le difficilement
pensable : car, nonobstant le vertige de l'Un, il y a de l'Autre en moi, de l'Autre dans l'Un. Les
femmes, que les configurations sociales ont fort longtemps éloignées de l'exercice de la
rationalité académique, scientifique et technicienne, ont manifesté leur excellence à conduire la
logique de ce Deux irréductible (aussi peu sentimentale que possible et qui soutient la sagesse de
l'être). Quoi qu'il en soit de la tentation fusionnelle de l'Un, érotique sera la mystique, puisque
l'Autre advient à/en moi, affectant ma chair dès lors désirante et jouissante, constituant ainsi ce
Moi « en pure perte » (selon le beau titre de Carlo Ossola).
En mystique, le Deux n'est donc jamais très loin, qui motive une foi primordiale, initiatique :
pulsation pathique, irrésistible, immaîtrisable, qui résiste aux désarrois et désensorcelle le
désastre. Pourtant la détresse est bien là, mais le geste mystique ne l'est pas moins. Rien de
frivole ni d'extravagant, mais retrouvailles d'une énergie que l'éclat rationnel du cérébral ne
procure pas, pas plus que le rugissement des affects qui m'assaillent. Cette énergie est celle d'une
inconcevable audace (déjà remarquable dans la hardiesse de ces femmes qui, sans chercher
l'insoumission, cultivent un subtil alliage d'autonomie revendiquée et de fière allégeance aux
autorités). Et si donc il y a franchise à parler ainsi, tête haute, aux pouvoirs, c'est en raison de
cette audace première à s'adresser, par-delà les chicanes et résilles des médiations qui ordonnent
en son nom, à ce(lui) qui est au principe de mon être et grâce à qui ce qui ne serait que pure et
répétitive banalité devient destin, voire même destinée. Qu'il me soit ainsi si libéralement
accessible relativise tout apophatisme (où l'agnosticisme se complaît) comme toute transe
extatique. Ainsi se dégage une voie – et le déblayage de l'ascèse y apportera son concours – pour
que se déploie la vérité de ce qui sera une vie. Il n'est pas question d'en éliminer autrui, encore
moins de faire cavalier seul ; le débat s'impose, car, même si l'audace toujours résiste, l'hésitation
toujours subsiste, qui se doit d'être levée et dissipée : transgresser les schémas ordinaires (hantés
par le triomphe de l'Un) ne va pas de soi. La prudence pusillanime n'est pas de mise, pas plus que
la séduction du fanatisme : combien raisonnable, supérieurement raisonnable, est l'âme mystique,
car son hésitation toute vitale – en rien un doute – veut préserver la possibilité de rebondir,
gardant en mémoire ce qu'il en est de souffrir et de mourir. « Est mystique, confirme Michel de
Certeau, celui ou celle qui ne peut s'arrêter de marcher et qui, avec la certitude de ce qui lui
manque, sait de chaque lieu et de chaque objet que ce n'est pas ça, qu'on ne peut résider ici ni se
contenter de cela. »
Cette audace, qui en christianisme revêt la figure filiale, développe à la fois, grâce à la prière et
à la méditation que nourrit la liturgie, une liberté de ton qui parle presque naïvement du réel
profond et une aspiration au futur en marche ; bref une liberté qui sait n'avoir pas son origine en
soi-même, parce qu'elle a sa source dans la pure contingence : un événement, une rencontre, une
illumination, une lecture ; les biographies regorgent de ces soudainetés du hasard. Mais le
hasard, selon les philosophes, c'est la facticité des faits : il y a eu ceci ou cela, qui aura enclenché
une inquiétude, un mouvement, un élan. L'allemand dit magnifiquement, pour rendre notre « il y
a », es gibt, littéralement : « c'est donné ». Cet événement est une donation (le français pourra
dire : un présent) à quoi le mystique pourra désormais s'adonner.
Ce qui alors arrive marque un commencement : ce qui s'épelle, appelle, ce qui se dit, s'écoute.
Déchiffrement : premiers pas d'une liberté, toujours susceptible d'hésitation, de reprise, de
renaissance ; la réception n'est pas brutalement massive, elle progresse, attestant la fécondité de
la matrice qui aura engendré une vie neuve, cette Vita nuova que désira Dante, amant de
Béatrice.
À cette audacieuse liberté, qui ne coïncide pas avec la pulsion révolutionnaire, s'attache une
puissance critique qui prendra à partie les dérives tyranniques, les obsessions génésiques, les
cumuls propriétaires : le pouvoir, le sexe, la richesse, trois manières d'obéir servilement à la Mort
en croyant l'esquiver. Les mystiques, non pas s'insurgent, mais instaurent une pratique, un mode,
un style d'existence dans le monde en retrait de la mondanité. Ne pas s'en laisser conter par (la
puissance de) la Mort (qui est celle de la Loi, dira l'apôtre Paul), s'en affranchir, non par le déni,
mais en la traversant : pour cela, les mystiques promeuvent une autre sociabilité que celle fondée
sur la force et l'assujettissement et une économie qui ose le partage des biens. Un style :
simplicité, fraternité, magnanimité. À tout le moins, le rapport à autrui et au monde, le rapport
politique, s'en trouve durablement renouvelé, parce que le futur n'est plus à redouter : ce que le
prophète avait annoncé se trouve désormais inscrit dans le cœur. Violence sismique d'une
douceur cordiale, étonnée peut-être d'une telle faveur, à s'en trouver indigne, mais « Dieu est plus
grand que notre cœur », dit saint Jean. Le Dieu des mystiques n'est pas Très grand ni Le plus
grand – ce qui est le point de vue de la raison qui mesure et qui compare –, mais il est toujours
plus grand, adonné à l'amour et à l'adoration.
F. M.
Petit glossaire de l'expérience mystique
et spirituelle
Ce Petit Glossaire non exhaustif a trait au vocabulaire mystique et spirituel que l'on peut
rencontrer dans les notices. Les définitions données sont générales. Étant entendu que chaque
mot a parfois pris des nuances particulières selon les religions, les traditions, voire les
expériences de chacune des femmes présentes dans ce Dictionnaire, elles sont à compléter au
gré de celles-ci. Quelques exemples de mystiques sont cités dès lors qu'ils ont une certaine
pertinence par rapport au sujet.
ABANDON : attitude qui consiste à se laisser aller, se remettre entre les mains de Dieu et
chercher à faire sa volonté.
• Voir : Isabelle de la Croix ; Perraud ; Marguerite Porete ; Marie-Colette du Sacré-Cœur ;
Woolf
ABSOLU : ce qui existe indépendamment de toute condition ou de tout rapport avec autre
chose. Nom donné au principe divin transcendant et/ou immanent.
ABSORPTION : état d'une personne imprégnée de Dieu, qui se fond et se perd dans le divin,
l'absolu.
• Voir : Akhâ Mahâdevî
ACÉDIE : dans la religion catholique, désigne le mal de l'âme qui s'exprime par l'ennui, le
dégoût pour la prière, la pénitence et la lecture spirituelle ; épreuve généralement passagère qui
se caractérise par une torpeur spirituelle et un repliement sur soi.
• Voir : Claire de Rimini ; Umiliana dei Cerchi
ÂME : part spirituelle et impérissable de l'être, conçue comme séparable du corps, immortelle
et jugée par Dieu.
AMOUR : sentiment fort, inclination profonde envers une personne, la divinité révérée ou
Dieu ; ce terme s'est enrichi de mille nuances différentes selon les traditions.
• Voir : Hadewijch d'Anvers ; Fournier ; Julienne du Rosaire ; Julienne de Norwich ; Kempe ;
Lévesque ; Madeleine de Saint-Joseph ; Marguerite Porete ; Marie ; Mechtilde de Magdebourg ;
Menéndez ; Râbi'a al-'Adawiyya ; Râbi'a Balkhî ; Rayhâna al-Majnûna
ANGE (gardien) : créature spirituelle, parfois protectrice, intermédiaire entre l'homme et Dieu.
• Voir : Agnès de Jésus (de Langeac) ; Mallasz ; Speyr
APOPHASE : provient du grec apophasia qui signifie « négatif » ; terme de rhétorique utilisé
pour la dénégation, la réfutation. La théologie apophatique, ou théologie négative, privilégie
l'approche de Dieu à partir de ce qu'il n'est pas. Elle découle du néoplatonisme. Par opposition, la
cataphasie est l'approche de Dieu qui procède par l'affirmation.
ASCÈSE : provient du grec askêsis qui signifie « exercice » ; discipline et effort par lesquels
une personne cherche à se parfaire moralement, spirituellement, par des pratiques de
mortification (jeûne, renoncement, etc.).
• Voir : Agnès de Prague ; Claire de Montefalco ; Mélanie ; Rivkah Sarah Merele (de Bingen)
ASHRAM : lieu, en Inde, où se regroupent les disciples d'une communauté qui vivent autour
d'un maître spirituel.
ÂTMAN : terme de la philosophie indienne qui désigne le « soi », l'essence intime de l'être
vivant ; parfois identifié à brahman.
ATTENTION : fixation de l'esprit sur quelque chose, concentration de l'activité mentale sur un
objet déterminé ; disposition à la vigilance de l'esprit.
• Voir : Chân Không ; Guesné
BAQA' : terme arabe qui signifie « existence », « subsistance » ; dans le soufisme, le baqa' est
un état qui suit le fanâ' (« l'anéantissement » de soi) et permet au disciple d'intégrer l'état d'éveil
tout en l'harmonisant avec les contingences spatio-temporelles, les affaires du « bas-monde ».
BARAKHAH (ou barakah) : terme hébreu qui signifie « bénédiction » ; dans la tradition juive,
elle est habituellement récitée à un moment spécifique, avant de réaliser une prescription, qu'elle
soit d'origine biblique ou rabbinique, de consommer un mets, lors de retrouvailles avec un ami,
etc.
• Voir : Twersky
BARDO : terme tibétain qui signifie « transition », « état intermédiaire » ; dans le bouddhisme
tibétain, il se réfère au « yoga de l'état intermédiaire » entre mort et renaissance. Il y a tout
d'abord le bardo de la vie, l'état intermédiaire entre la naissance et la mort. Puis le bardo du
moment de la mort, au moment où la conscience se sépare du corps. On parle de deux phases de
« dissolution », la dissolution extérieure des facultés physiques et sensorielles et la dissolution
intérieure des processus mentaux.
• Voir : Nigouma ; Soukhasiddhi
BÉATITUDE : félicité parfaite dont jouissent les élus qui se trouvent dans leur achèvement,
leur perfection et leur accomplissement ; bonheur que Dieu accorde à l'homme fidèle à sa
volonté.
BHAKTI : terme sanskrit qui signifie « dévotion personnelle » ou « foi aimante » ; dans
l'hindouisme, dévotion amoureuse, qui consiste à adorer et à servir l'Être suprême, sous la forme
d'un dieu personnel, « qualifié », « avec attributs », qui répond à l'amour de ses dévots et leur
accorde par sa grâce la délivrance. Le bahakta est la personne qui pratique cette dévotion.
• Voir : Amritanandamayi ; Gopâler Mâ ; Kâraikkâl Ammaiyâr ; Mîrâ Bâî
BILOCATION : faculté d'une personne qui consiste à être présente en deux lieux distincts
simultanément.
• Voir : Ferron ; Marie Faustine ; Nicolas ; Yvonne-Aimée de Jésus
BODHISATTVA : terme sanskrit qui désigne des êtres (sattva), humains ou divins, qui ont
atteint l'état d'éveil (bhodi). Ils devraient donc porter logiquement le nom de buddha (« éveillé »)
et être à jamais libérés des contingences existentielles. Le bouddhisme, spécialement sous sa
forme du « Grand Véhicule » (Mahâyâna), enseigne cependant que certains buddhas suspendent,
par compassion pour leurs semblables, leur entrée dans le nirvâna et veillent sur les hommes à la
façon des anges gardiens.
• Voir : Chân Không
BOUDDHA (état) : titre réservé aux personnes ayant réalisé l'éveil, c'est-à-dire atteint le
nirvâna ou transcendé la dualité samsâra. Parmi celles-ci, la plus connue est le fondateur du
bouddhisme, Siddhârta Gautama (VIe-Ve s. av. J.-C.), archétype du « Bouddha pur et parfait ».
• Voir : Yeshe Tsogyal
BOUDDHÉITÉ : l'état d'un « éveillé », synonyme d'autres termes désignant l'état ultime auquel
aspire un bouddhiste.
BRAHMÂ : l'un des grands dieux du brahmanisme, considéré comme le détenteur éternel des
Textes sacrés (du Veda) ; selon une certaine théologie hindouiste, la force divine qui met en
branle le processus de déploiement de l'univers.
CANONISATION : rituel suivi par l'Église catholique romaine et les Églises orthodoxes
permettant d'ajouter une personne au nombre des saints.
CARDIOGNOSIE : « connaissance intime du cœur » ; pouvoir de lire dans les cœurs, charisme
rare que l'Esprit accorde à ceux qui possèdent à un haut niveau les vertus d'humilité et de charité.
• Voir : Anne-Catherine Emmerich ; Rancurel ; Umiliana dei Cerchi
CHAMAN(E) : issu du mot toungouse (langue de sibérie) shaman, qui signifie « personne qui
possède la connaissance » ; dans les sociétés traditionnelles, il (ou elle) occupe la fonction de
prêtre-sorcier dont les pouvoirs, de type magique, lui permettent de communiquer avec des
esprits et de guérir un certain nombre de maux.
CHANNELLING : terme américain moderne de la littérature New Age qui désigne un procédé
de communication entre un humain et une entité appartenant à une autre dimension, surnaturelle.
Apparenté à la notion de médiumnité, il concerne la croyance en laquelle une personne, qui
devient un « canal » (channel en anglais), peut recevoir et transmettre une information d'une
entité invisible.
• Voir : Klint ; Mallasz ; Roberts (Jane)
CHARISME : provient du grec charisma qui signifie « grâce » ; désigne un don personnel qui
provoque une certaine fascination et donne à celui qui en jouit une autorité naturelle sur les
autres.
CHARITÉ : dans le christianisme, vertu théologale qui consiste à aimer Dieu et son prochain.
Bienfait envers les autres.
• Voir : Mélanie ; Teresa de Calcutta
CHÖD : terme tibétain qui signifie « trancher », « séparer » ; dans le bouddhisme tibétain, il
désigne une pratique rituelle qui consiste à couper au travers des obstacles (dont l'ignorance, la
colère, surtout le dualisme qui maintient dans l'illusion d'être différencié des autres) et permet au
pratiquant de demeurer dans un état naturel libéré de la crainte.
• Voir : Machik Labdrön
CORPS INCORROMPU : corps resté intact après la mort, non soumis à la putréfaction.
Généralement souple et suavement odorant, il est une preuve des vertus et de la sainteté de la
personne défunte.
• Voir : Catherine de Bologne
CRI, SON PERÇANT, RIRE : manifestations symptomatiques d'un état second dans
l'expérience mystique au cours de ses phases les plus douloureuses ou heureuses ; moyen
d'exprimer sa détresse, sa souffrance, ou encore sa joie ultime.
• Voir : Angèle de Foligno ; Claire de Rimini ; Louise du Néant ; Louise de Ponsonas ; Ursule
Benincasa
DHARMA : ensemble des enseignements donnés par le Bouddha qui forment le Canon Pali.
Le mot sanskrit recouvre une grande variété de sens : selon le contexte, il signifie à la fois l'ordre
moral, le droit, la loi, l'usage, la règle, la connaissance, mais aussi le devoir, la morale, la justice.
C'est en même temps l'ordre cosmique et les circonstances personnelles qui gouvernent le destin
de chaque être humain.
• Voir : Liu Tiemo
DÉMON : provient du grec daïmon qui signifie « esprit », « génie » ou « familier ». Dans la
religion chrétienne, il a pris le sens d'ange déchu, d'esprit du mal ou de diable. Dans l'expérience
mystique, ces derniers sont généralement cause de tourments et de luttes intérieurs ou extérieurs
chez la personne visée.
• Voir : Boinet ; Catherine de Saint-Augustin ; Jeanne des Anges ; Noblet
DIABLE : dans le christianisme, l'ange déchu (Satan) qui est identifié au principe du mal.
DON DES LARMES : véritable charisme ou don, accordé par Dieu à ceux qui le recherchent
sincèrement, qui apporte joie spirituelle et sensuelle et possède une capacité béatifiante. Quand
elles ne sont pas une simple vertu ou une disposition (la pratique des pleurs dans une perspective
religieuse caractérise la dévotion individuelle), les larmes spirituelles font partie de la voie
nécessaire de la purification du cœur et, par là, de la vision de Dieu et de l'union avec lui.
Indispensable à la componction, elles fertilisent le cœur et le rendent apte à recueillir les fruits de
l'Esprit.
• Voir : Pauper ; Tweedie ; Véronique de Binasco
ENFER : dans de nombreuses religions, il est un lieu où l'esprit humain (après sa séparation du
corps) subit les pires souffrances après la mort, réservées à ceux qui ont commis des crimes et
des péchés graves au cours de leur vie terrestre. Dans l'expérience mystique, il est généralement
un état douloureux dans lequel est plongé, volontairement ou non, celui qui n'est pas en
communion avec Dieu et l'amour du prochain.
• Voir : Hallé ; Marie Noël ; R. (Mme) ; Thérèse d'Avila
ERMITE : provient du grec erêmitês qui signifie « vivre dans la solitude » ; désigne un
religieux retiré dans un lieu désert. Synonymes : anachorète, ascète.
EXORCISME : pratique religieuse ou magique dirigée contre les démons, destinée à libérer
une personne considérée comme démoniaque.
• Voir : Hildegarde de Bingen ; Marie des Vallées ; Noblet ; Ranfaing
EXTASE : état dans lequel une personne se trouve comme transportée hors de soi et du monde
sensible. Synonymes : contemplation, ravissement, transport, vision.
• Voir : Catherine de Ricci ; Catherine de Sienne ; Douceline de Digne ; Neumann ; Speyr ;
Thérèse d'Avila ; Ursule Benincasa
FOLIE : dans certaines traditions, comme l'islam, elle s'associe à la sagesse pour qualifier un
type de saints et de mystiques peu communs, submergés par l'amour divin.
• Voir : Rayhâna al-Majnûna
FOLIE EN CHRIST : dans l'orthodoxie, désigne l'état d'une personne qui abandonne ses biens
matériels, mène une vie de transgression des conventions sociales dans un esprit religieux, et
adopte une attitude provocante permettant de remettre en cause les normes d'une époque, de
lancer des prophéties ou de masquer sa piété.
• Voir : Isidora ; Pélagie ; Xénia de Pétersbourg
FUTUWWA : terme arabe couramment traduit par « chevalerie » ; il comprend également les
notions de générosité, de jeunesse et de maturité. Dans le soufisme, la futuwwa est une voie de
l'initiation spirituelle.
• Voir : Umm ‘Alî
GOUROU, GURU : dans l'hindouisme et le bouddhisme, maître spirituel qui enseigne et guide
le disciple sur la voie.
• Voir : David-Néel
GRÂCE : bénédiction, aide surnaturelle de Dieu qui rend l'homme capable de parvenir au salut
et d'accomplir la volonté divine.
• Voir : Marguerite Porete
GROSSESSE MYSTIQUE : dans la mystique chrétienne, état qui conduit une personne à
« enfanter » spirituellement la sainteté d'une autre personne ou encore à « mettre au monde »
elle-même sa propre sainteté, par l'intercession d'une personne divine.
• Voir : Lukardis d'Oberweimar
GUÉRISON : disparition, fin d'un mal physique ou moral grâce à une intercession surnaturelle
ou sainte.
• Voir : Agnès ; Noblet ; Woodworth-Etter
HAGIOGRAPHIE : terme du grec ancien qui signifie « saint » et « écrire » ; désigne l'écriture
de la vie et/ou de l'œuvre des saints. Pour un texte particulier, on ne parle que rarement d'« une
hagiographie » (sauf dans le sens figuré), mais plutôt d'un texte hagiographique ou tout
simplement d'une vie de saint. Le texte hagiographique étant destiné à être lu, soit lors de l'office
des moines, soit en public dans le cadre de la prédication, on lui donne souvent le nom de
« légende » (du latin legenda, « ce qui doit être lu »).
HÂL : terme arabe qui signifie « état » ; dans la mystique soufie, le terme désigne un état
d'âme suscité immédiatement et en un moment par la grâce divine.
HALWA : terme arabe qui signifie « solitude », « retraite spirituelle ». Le mystique musulman
se retire périodiquement dans la solitude, c'est-à-dire dans une sorte de cellule où il pratique le
dhikr ; cette retraite dure en principe quarante jours.
HASSID : le dévot « fidèle », membre du mouvement appelé hassidisme ; ils sont une
constante dans la vie religieuse du judaïsme, depuis les temps bibliques et jusqu'à nos jours. Le
terme hassidisme désigne notamment, dans le prolongement de la Kabbale (qabbâlâh), un
mouvement religieux et mystique parmi les juifs d'Europe orientale, aux XVIIIe et XIXe siècles ;
ce mouvement est encore actif, notamment en Amérique du Nord et en Israël.
HÉRÉTIQUE : désigne une personne qui soutient une doctrine contraire aux dogmes établis.
Qualifiant à l'origine une erreur de croyance enseignée et défendue par l'hérétique, l'hérésie fut
assimilée au crime de lèse-majesté en 1199 (décrétale Vergentis in senium) et en vint à désigner
officiellement, à partir de Jean XXII (1316-1334), toutes les formes de désobéissance ou de
rébellion envers l'Église chrétienne.
• Voir : Guglielma de Bohême
HUATOU : dans le bouddhisme chan (zen), « mot » ou « phrase » à méditer. Pratiqué par le
disciple, il est associé à l'état du mental avant sa perturbation par celui-ci, un état clair de
concentration et de focalisation sur le mot ou la phrase qui précède l'éveil de la pensée. Il pousse
celui qui se concentre sur lui à en pénétrer sa nature par Tsan (« regarder à l'intérieur » et
« observer »).
• Voir : Jiyong Xingche ; Miaodao ; Zhiyuan Xinggang
HYSTÉRIE : névrose caractérisée par une exagération des modalités d'expression psychique et
affective, qui peut se traduire par des symptômes d'apparence organique (convulsions, paralysies,
douleurs, catalepsie) et par des manifestations psychiques pathologiques (hallucinations, délires,
mythomanie, angoisses).
• Voir : Colombe de Rieti ; Kempe
ILLUMINATION : expérience spirituelle qui se définit par une lumière extraordinaire que
Dieu répand dans l'âme de l'homme par l'intermédiaire de l'Esprit-Saint ; elle désigne également
un ravissement, un face-à-face avec Dieu ou l'absolu et une révélation, qui ouvrent la personne
touchée à d'infinies perspectives religieuses.
IMPOSITION DES MAINS : geste liturgique d'origine très ancienne par lequel est signifié le
don de l'Esprit-Saint pour la vie chrétienne ; elle est souvent utilisée pour les guérisons.
• Voir : Farrow
INABISSATION : ténèbre divine, qui n'est autre que la plus pure des lumières, où il n'y a plus
de distinction entre le bien et le mal, où Dieu est d'abord un Dieu caché au centre même de la
Trinité.
• Voir : Angèle de Foligno
JÎVAN-MUKTA : terme sanskrit qui signifie « libéré vivant », « état de libération », « but
ultime du yoga » ; dans l'hindouisme, il désigne un homme qui a obtenu l'éveil (ou l'illumination)
de son vivant et a survécu à cette expérience.
• Voir : Lallâ
KARMA : terme sanskrit qui désigne l'« acte », l'« œuvre » et ses conséquences. À l'origine,
l'acte religieux, notamment le sacrifice, avec les séquelles qui lui sont inhérentes ; par la suite,
tout acte, bon ou mauvais, indissociable de ses conséquences, bonnes et mauvaises. Les
conséquences se manifesteront dans la vie présente ou dans une vie ultérieure. On distingue le
Karma « accumulé » qui « n'a pas de début », le karma « entamé » qui porte ses fruits dans la vie
actuelle, et le karma « ajouté » qui est formé des actes accomplis dans la vie actuelle ; le karma
« accumulé » peut-être annulé par la grâce divine ou par des rites religieux.
KAVVANAH : terme hébreu qui désigne l'« intention », la « concentration » sur l'acte
religieux – prière en premier lieu – qu'on va accomplir ; terme fondamental dans le hassidisme,
aucune prière n'étant valable sans la pleine conscience de l'acte accompli, l'attention tournée vers
Dieu.
• Voir : Spravedliver
KHALA : terme arabe qui signifie « arrachement » ; dans la pensée islamique, il consiste à « se
séparer de la vie habituelle » et du corps physique « sans souffrir » pour atteindre à « un état qui
est entre la mort et l'éveil ». Cette expérience, qui procède d'une action divine, se fonde sur la
contemplation ou « vision directe » (al-Shuhûd).
• Voir : Sitt'Ajam bint al-Nafis de Bagdad
KHEYÂL : difficile à traduire, ce terme indien désigne le « désir », le « souhait », l'« ordre »
ou l'« observation » spontanée d'une personne, ayant son origine dans quelque chose de
transcendant et de sublime, quelque chose d'incompréhensible pour l'esprit humain. En général, il
fournit une assurance qui soutient ; il a toujours un but, bien qu'on ne puisse pas toujours saisir
son dessein. Les circonstances s'organisent de la manière la meilleure possible quand elles ont
été bénies par le kheyâl de la personne qui se met au travail en accord avec lui.
• Voir : Ânandamayî Mâ
KÔAN : terme japonais qui signifie « documents publics » ; utilisé dans le bouddhisme chan
ou zen, il désigne une phrase courte ou une brève anecdote absurde, énigmatique ou paradoxale,
ne sollicitant pas la logique ordinaire. Il est un objet de méditation susceptible de produire le
satori (« éveil spirituel ») ou encore de permettre le discernement entre l'éveil et l'égarement.
• Voir : Liu Tiemo ; Packer
KVITTLECH : terme hébreu qui signifie « requête » ; dans la tradition juive, les fidèles
présentaient leurs requêtes à un rebbe, assorties d'une rétribution (pidyonot), sollicitant ses
bénédictions spirituelles ou pouvoirs de guérison.
• Voir : Rokeah (Eidele) ; Shapira (Perele) ; Sternberg ; Twersky ; Triskerin
LACTATION : dans le christianisme, allaitement spirituel qui consiste à nourrir l'âme des
dévots ; montée de lait surnaturelle. Le « lait » peut provenir soit de Marie, la mère de Jésus-
Christ, soit des mystiques eux-mêmes.
• Voir : Catherine de Sienne ; Christine l'Admirable ; Gertrude van Oosten ; Hélène de
Bologne ; Lukardis d'Oberweimar
MAGIE : art de produire, par des procédés occultes, des phénomènes surnaturels,
inexplicables, ou qui semblent tels.
• Voir : Starhawk
MAHABBA : terme arabe qui signifie l'amour pour Dieu dans l'islam soufi.
MAHÂMOUDRÂ : terme sanskrit qui signifie « Grand Symbole » ou « Grand Sceau » ; dans
le bouddhisme tibétain, il désigne la nature ultime de l'esprit ainsi que l'ensemble des pratiques et
des enseignements menant à la réalisation de cette nature ultime, la vacuité, pénétrant tous les
phénomènes du samsâra et du nirvâna.
• Voir : Nigouma ; Soukhasiddhi
MAHÂYÂNA : terme sanskrit qui signifie « Grand Véhicule » ; l'une des grandes confessions
du bouddhisme, pratiquée sous des formes diverses au Tibet, au Vietnam, en Chine, en Corée et
au Japon. Il se caractérise notamment par la vénération des bodhisattva, des « êtres éveillés »,
considérés comme des êtres secourables.
MANTRA : un son, une syllabe ou une proposition sacrés, chargés d'efficacité. En Inde, il est
récité et accompagne obligatoirement tout acte religieux.
• Voir : Ânandamayî Mâ ; Gopâler Mâ
MARTYRE : souffrances, allant jusqu'à la mort endurées par le dévot pour sa religion, sa foi ;
dans le christianisme, désigne le fait d'offrir sa vie par amour du Christ.
• Voir : Élisabeth de l'Enfant-Jésus
MÉLANCOLIE : « bile noire », l'une des quatre humeurs, dont l'excès, selon la médecine
ancienne, aboutissait à la tristesse ; souvent comparée à la « nuit obscure » des mystiques, elle
est aujourd'hui synonyme de dépression, de neurasthénie.
• Voir : Edwards
MIKVEH, MIKVÉ : bain rituel utilisé pour l'ablution nécessaire aux rites de pureté dans le
judaïsme.
• Voir : Spravedliver
MIRACLE : fait extraordinaire où l'on croit reconnaître une intervention divine bienveillante,
auquel on confère une signification spirituelle.
• Voir : Colette de Corbie ; Hildegarde de Bingen ; Micheline de Pesaro ; Nafîsa bint al-Hasan ;
Râbi'a al-'Adawiyya ; Wise
MISSION : dans la mystique chrétienne, ensemble des actions symboliques ou réelles qui
suivent l'expérience spirituelle d'une personne se sentant investie par Dieu et aspirant à accomplir
la volonté divine ; voyage à caractère prosélyte.
MURSHID : terme arabe qui signifie « celui qui dirige correctement » ; titre du maître soufi.
MUSAR : terme hébreu qui signifie « instruction morale » dans la tradition juive.
• Voir : Twersky
NGANGA : objet rituel qui permet le basculement des sorciers africains dans l'espace sacré du
palo monte (religion afro-cubaine). Indépendamment de toute médiation symbolique, il expose
visiblement toutes les forces mobilisées par celui-ci : forces de la nature, pouvoir régénérateur du
sang versé, agression, mort et mystère. Il participe à toutes les cérémonies, consultations, travaux
magiques, divinations. Il se doit d'appliquer la volonté du sorcier, qui en dirige la magie tantôt à
des fins maléfiques, tantôt à des fins bénéfiques.
• Voir : Kimpa Vita
NIRVÂNA : mot sanskrit qui signifie « extinction » d'une flamme ou d'une fièvre ; par
extension, « apaisement » puis « libération ». Dans le bouddhisme, il désigne la finalité de la
pratique bouddhique, l'éveil (bodhi). Au-delà de toute description, il ne peut être défini que
négativement comme la fin de l'ignorance, facteur essentiel de la coproduction conditionnée
(concept de conditionnalité, de dépendance et de réciprocité) et des trois soifs : désir des sens
(kâma-tanhâ), désir d'existence ou vouloir-vivre (bhava-tanhâ) et désir d'annihilation (vibhava-
tanhâ). Dans l'hindouisme, il est synonyme du terme moksha (« libération finale de l'âme
individuelle »).
• Voir : David-Néel
NON-SOI : ce qui demeure en l'absence de soi après les trois phases (purgation, illumination,
union) aux travers desquelles le moi, dépouillé de tout superflu, puis recentrée en Dieu, connaît
enfin « la plénitude absolue de l'état unitif ».
• Voir : Roberts (Bernadette)
NUDITÉ : état de l'être totalement dépouillé de lui-même lui permettant d'entrer sans
médiation dans la connaissance de Dieu, en vidant son esprit de la prière, en renonçant à tout
acte d'entendement.
• Voir : Madeleine de Flers
NUIT (spirituelle) : étape de vie spirituelle pendant laquelle le croyant se sent éloigné de
l'amour de Dieu ; état de nuit des sens, silence, d'où peut jaillir la présence divine.
• Voir : Émilie de Rodat ; Lucie Christine ; Menéndez ; Swetchine
OBLATION : action d'offrir quelque chose à Dieu ; acte par lequel le prêtre offre le pain et le
vin qu'il doit consacrer.
ODEUR DE SAINTETÉ : désigne l'odeur agréable de fleur que produit le cadavre (la relique)
de certains saints ou bienheureux immédiatement après leur mort ; état de perfection spirituelle.
ORAISON : provient du latin oratio qui signifie « prière » ; prière personnelle, silencieuse et
prolongée, destinée à se mettre en présence de Dieu.
• Voir : Absolu ; Françoise des Séraphins ; Guyon ; Madeleine de Saint-François ; Madeleine-
Sophie Barat ; Maritain ; Pascal ; Théodelinde Dubouché ; Thérèse d'Avila
PARRHÉSIE : provient du grec pan qui signifie « tout » et rhema, « ce qui est dit » ; figure de
style consistant à dire ce qu'on a sur le cœur de plus intime ; souvent proche de la licence et du
« franc-parler ». Liberté d'expression dont on use quelquefois envers de grands personnages ou
avec laquelle on en dit plus qu'il n'est permis ou convenable de dire.
• Voir : Claire de Rimini ; Delbrêl
PLEUREUSE : en islam, se rattache à un type de sainteté fondée sur une forme de dévotion qui
consiste à verser des torrents de larmes.
• Voir : Sha ‘wana
PIDYONOT : terme hébreu qui signifie « rétribution » ; dans la tradition juive, les pidyonot
accompagnaient les requêtes des fidèles adressées à un rebbe en échange de leur bénédiction
spirituelle ou pouvoir de guérison.
• Voir : Rokeah (Eidele) ; Triskerin ; Twersky
POSSESSION : phénomène par lequel un être humain est habité par un être surnaturel, en
général maléfique, mais aussi parfois bénéfique. Dans le christianisme, état de transe d'une
personne habitée par le diable.
• Voir : Brossier ; Colombe de Rieti ; Kimpa Vita ; Kitamura ; Louise du Néant ; Marie des
Vallées ; Nakayama ; Nao Deguchi ; Ranfaing
POWA : terme tibétain qui signifie « transfert de la conscience au moment de la mort » ; dans
le bouddhisme tibétain, la pratique de Powa est une méthode simple et essentielle qui permet à
ses adeptes de se familiariser avec le processus de la mort, diminuant leurs angoisses et les
préparant à leur décès. Grâce à un entraînement régulier, ils seront alors capables d'éjecter leur
conscience vers une Terre pure (définie comme la libération permanente de la souffrance et le
bonheur sans fin). La pratique de Powa donne en même temps la compréhension et le moyen de
pouvoir offrir l'aide la plus précieuse à ceux qui leur sont proches lorsqu'ils devront affronter la
mort.
• Voir : Nigouma ; Soukhasiddhi
PRÉSENCE : fait d'être corps, âme et esprit, ici et maintenant, dans un lieu et un espace
donnés ; état de la conscience tout entière disponible, attentionnée, au monde qui l'entoure. La
présence réelle du corps et du sang de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie, ou simplement la
présence réelle, concerne le dogme qui veut que, dans le sacrement de l'Eucharistie, le corps, le
sang, l'âme et la divinité de Jésus-Christ soient réellement présents sous les espèces ou
apparences du pain et du vin. Le terme s'emploie aussi en parlant de Dieu : Dieu remplit l'univers
de sa présence.
PRIÈRE : mouvement de l'âme tendant à une communication spirituelle avec Dieu, par
l'élévation vers lui des sentiments (amour, reconnaissance), des méditations ; supplication
adressée à Dieu.
• Voir : Râbi'a al-'Adawiyya
PRIÈRE DU CŒUR : dite aussi « prière de Jésus », simple et courte (comportant généralement
le nom de Jésus- Christ), cette prière, particulièrement usitée dans l'orthodoxie, est répétée en
permanence sans distraction de l'esprit afin d'opérer la descente de l'intelligence dans le cœur.
Celle-ci aboutit, par la purification des pensées et le souvenir constant de la personne de Jésus-
Christ, à l'illumination de l'homme intérieur, par la grâce de l'Esprit-Saint. Le cœur absorbe le
Nom, et le Nom absorbe le cœur. Dans la tradition orientale, le cœur désigne en effet le centre de
toutes les composantes psychiques, affectives, intellectuelles et sensibles de l'homme. Il est la
source, obscure et profonde, d'où jaillit toute la vie psychique et spirituelle de celui-ci.
• Voir : Behr-Sigel
PRIVATION DE SOMMEIL : état qui peut résulter des grâces octroyées par l'Esprit-Saint à
l'âme et se manifester dans une activité intense.
• Voir : Robin
PROPHÉTIE : prédiction, oracle, annoncés par ceux qui pratiquent la divination ; événement
(ou autre) prédit, devant être ou se produire.
• Voir : Brigitte de Suède ; Épouse de Rabbi Hayyim de Sicile ; Eppinger ; Hildegarde de
Bingen ; Jeanne d'Arc ; Krüdener ; Marie de Jésus Crucifié (Mariam Baouardy) ; Ursule
Benincasa ; Vincent
PURIFICATION (spirituelle) : opération par laquelle une personne se rend pure, se débarrasse
de la corruption et de la souillure morale, de sa volonté propre, de ses projections et illusions,
afin de mieux se soumettre à Dieu et accomplir sa volonté ; prépare généralement à
l'illumination, qui précède l'union de l'âme avec Dieu.
QI : terme chinois qui signifie littéralement « souffle », « énergie » ; désigne l'énergie vitale en
constante circulation qui anime l'univers et qui est ressentie dans tous les aspects de l'expérience
humaine et cosmique.
QUIÉTISME : provient du latin quies qui signifie « repos » ; courant mystique chrétien
(XVIIe siècle) condamné par Rome, qui fait de l'abandon total et passif à Dieu, dans la
contemplation, la voie du salut. Par extension, il désigne un courant religieux qui prône ou
pratique la passivité (religieuse, sociale, politique).
• Voir : Guyon
RAPPEL DE SOI : pratique d'éveil de la conscience ayant pour but de conduire l'adepte à être
présent ici et maintenant.
• Voir : Guesné
RAVISSEMENT : extase mystique, état de l'être transporté au ciel ; peut s'accompagner d'un
sentiment de joie, de bonheur suprême.
• Voir : Edwards ; Thérèse d'Avila
REBBE : titre qui signifie maître, enseignant ou mentor ; il est généralement donné au
dirigeant d'un mouvement hassidique.
• Voir : Edel ; Rokeah (Eidele) ; Sternberg ; Triskerin ; Werbermacher
RITUEL : cérémonie réglée ou geste particulier prescrit par la liturgie d'une religion ou d'une
tradition.
• Voir : Wang Fajin
RUAH HA-QODESH : terme hébreu qui signifie l'« esprit saint » dans la tradition juive.
• Voir : Feiga
SACRÉ : qui appartient à un domaine séparé, interdit et inviolable, et fait l'objet d'un sentiment
de révérence religieuse ; s'oppose à la réalité profane.
SAINT(E) : dans le christianisme, personne qui est l'objet après sa mort d'un culte public et
universel, reconnue par l'Église, en raison du très haut degré de perfection chrétienne qu'elle a
atteint durant sa vie.
SAINTETÉ : vertu qui caractérise la nature de Dieu, par extension le fait d'être un saint, de
vivre comme un saint ; titre de respect qu'on emploie en parlant du pape ou de hauts responsables
religieux.
• Voir : Maritain ; Micheline de Pesaro
SALUT : rédemption accordée par Dieu aux hommes et accomplie pour eux par Jésus-Christ,
dont la mort sur la croix annonce la rémission du péché et instaure le pardon ; félicité éternelle.
• Voir : Angèle de Foligno ; Catherine de Sienne ; Édith Stein ; Julienne de Norwich ;
Mechtilde de Magdebourg ; Speyr ; Thérèse de Lisieux
SANNYÂSIN : terme sanskrit qui signifie « renonçant(e) » dans l'hindouisme ; celui-ci mène
en principe une vie errante, passant de lieu saint en lieu saint, d'ashram en ashram, renonçant à
l'action et consacrant sa vie à la réalisation du Brahman (« la réalisation du soi »). Le sannyâsin
est assez proche du sâdhu ; le premier est moine, l'autre ne l'est pas. Le sannyâsin fait partie
d'une lignée, le sâdhu d'une tradition. Ils sont considérés comme hors caste.
• Voir : Lallâ
SEFIROTH (pluriel de sefirah) : terme hébreu qui désigne les dix puissances créatrices
énumérées par la Kabbale dans son approche mystique du mystère de la Création. Chaque
sefirah est l'émanation d'une énergie du Dieu créateur des juifs. Ces puissances divines
manifestent dans la création du monde fini le pouvoir suprême du En Sof, l'infini. Les traités de
Kabbale présentent souvent les sefiroth sous la forme d'un Arbre de Vie.
SHAKTI : terme sanskrit qui signifie « pouvoir », « puissance », « force » ; désigne l'aspect
féminin de la divinité, notamment de Shiva. Elle est aussi vénérée comme puissance divine
suprême, de préférence sous la forme de la « Mère » (Kâlî, Durgâ, etc.).
SHRAYIM : restes du tisch, le repas rituel du rebbe en shabbat, dans la tradition juive.
• Voir : Rokeah (Eidele) ; Triskerin
SILENCE : état de l'âme dépouillée de toutes les scories du mental, qui la dispose à une union
parfaite et durable avec Dieu ou l'absolu. Il peut être le fruit de l'oraison ou de la méditation.
• Voir : Absolu ; Marie-Angélique de Jésus ; Silburn
SIMHAH, SIMHA : terme hébreu qui signifie « joie ». Certains mouvements hassidiques
voyaient en elle l'expression de la foi et du service divin ; danse et joie favorisant une relation
intense avec Dieu et permettant de dépasser la raison pour accéder à l'union divine.
• Voir : Feiga
SIYYAHA, SIYÂHA : dans le soufisme, errance sans but apparent sinon prier et rencontrer
des hommes voués à l'ascèse, ce qui a pour effet de rapprocher de Dieu.
• Voir : Eberhardt ; Umm al-Fadl al-Wahtiyya
SOLITUDE : correspond à un état d'abandon, de séparation dans lequel se sent l'âme face à
Dieu ou aux réalités transcendantes.
• Voir : Jeanne-Antide Thouret
SORCIÈRE : dérive du latin vulgaire sortarius, qui signifie proprement « diseur de sorts », et
du latin classique sors, sortis, désignant d'abord un procédé de divination, puis « destinée »,
« sort » ; le terme renvoie généralement à une femme qui pratique une certaine forme de magie
de caractère primitif. Selon les cultures ou les religions, la sorcellerie fut considérée avec des
degrés variables de soupçon, voire d'hostilité, parfois avec ambivalence, n'étant intrinsèquement
ni bonne ni mauvaise. Dans le christianisme par exemple, elle est une hérésie définie par l'Église
catholique à la fin du Moyen Âge, avec la création, au XVe siècle, du crime de sorcellerie. Est
ainsi sorcier (ou sorcière) l'individu qui renie le christianisme, se donne au diable et lui prête
hommage, participe aux activités du sabbat (cérémonie des sorciers) et accomplit des maléfices
dont ses voisins et ses proches sont les victimes.
• Voir : Abelar ; Kimpa Vita ; Langenberg ; Marie des Vallées ; Starhawk
STARETZ : « l'ancien », en russe ; celui qui détient la connaissance spirituelle. Il désigne les
moines anachorètes de la tradition orthodoxe, ermite ou pèlerin, considérés comme thaumaturges
ou prophètes, souvent choisis comme maîtres spirituels.
STIGMATES : provient du grec stigma, qui signifie « piqûre, point » ; blessures, cicatrices,
marques miraculeuses disposées sur le corps d'une personne comme les cinq blessures du Christ
pendant la crucifixion, occasionnées par les clous de la Croix sur les mains ou les poignets et les
pieds ou les chevilles, par le coup de lance sur le côté, la couronne d'épines sur la tête et les
coups de fouet sur le dos.
• Voir : Acarie ; Agnès de Jésus (de Langeac) ; Anne-Madeleine Rémuzat ; Claire de
Montefalco ; Courage ; Courtier ; Ferron ; Galgani ; Gertrude van Oosten ; Hindiyyé d'Alep ;
Jahenny ; Lukardis d'Oberweimar ; Marguerite Bays ; Maria Diomira du Verbe Incarné ;
Miollis ; Musco ; Neumann ; Noblet ; Robin ; Véronique Giuliani ; Wise ; Speyr
SWÂMI : terme sanskrit qui signifie « maître » ; titre donné au maître spirituel en Inde.
TALEB, TALIB : étudiant d'école coranique ; dans le clergé chiite, c'est celui qui fait des
études afin de devenir un mollah (érudit musulman).
• Voir : Eberhardt
TALLIT : châle de prière, pourvu de tsitsit (« franges »), sur lequel sont tracées des traits de
n'importe quelles couleurs et dont les juifs pratiquants s'enveloppent pour la prière du matin.
• Voir : Shapira (Perele) ; Spravedliver
TANTRA : ensemble de textes sacrés qui concernent les nombreux rites et doctrines des
diverses religions hindouistes et bouddhistes. Dans l'hindouisme, le terme désigne à la fois le
« tissage » et les Écritures sacrées présentées comme un dialogue entre Shiva et sa Shakti
(Parèdre et Puissance de manifestation et d'action du Divin, représentée comme une déesse). Il
est à la base du tantrisme, un courant de l'hindouisme apparu en Inde aux environs de l'an 500,
qui désigne l'ensemble des doctrines et des pratiques reposant sur le pouvoir-conscience (shakti),
conçu comme la Mère divine, et mettant en œuvre les énergies du corps subtil.
TAO, DAO : provient du caractère chinois dào qui signifie « voie », « chemin » ; dans le
taoïsme, le tao est le principe qui régit toutes choses vivantes ou inertes dans l'univers, la force
fondamentale qui coule en chacune d'entre elles. C'est l'essence même de la réalité, par nature
ineffable et indescriptible. C'est également l'œuvre alchimique par excellence. Il a été édifié ou
systématisé dans le texte Tao Tö King attribué à Lao Tseu (VIe-Ve s. av. J.-C.). Le tao peut être
considéré comme la matrice préalable, au sein de l'univers, au passage du qi, ou souffle originel,
précédant la parité binaire du yin-yang. Il est au cœur des conceptions éthiques chinoises (le mot
daode, « morale », en est issu), généralement tournées vers la pratique du juste milieu, ou du
choix propice.
• Voir : Sun Bu'er
TASAWWUF : terme arabe qui signifie « soufisme » ; voie spirituelle du soufi qui poursuit
l'anoblissement de son âme, la purification de son cœur, le raffinement de son caractère et son
aspiration au rang de la bienfaisance. Aujourd'hui, c'est également une expression consacrée
désignant le cœur spirituel de l'islam.
• Voir : Umm al-Fadl al-Wahtiyya
TAWAKKUL : terme arabe qui définit l'abandon à Dieu dans l'islam soufi.
TAWHÎD : terme arabe qui signifie « déclaration d'Unité (de Dieu) » ; chez les mystiques
musulmans, c'est l'essence même de la pratique et de l'expérience qui consiste à « réaliser » et à
« vivre » l'Unité de Dieu.
TISCH : repas rituel du rebbe en shabbat, dont les restes (shrayim) étaient distribués aux
fidèles qui les considéraient comme sacrés, dans la tradition juive.
• Voir : Rokeah (Eidele)
TRANSE : état d'une personne qui est hors d'elle-même, possédée par l'esprit visiteur qui s'est
substitué à elle.
• Voir : Deguchi ; Woodworth-Etter
TRANSVERBÉRATION : blessure physique provoquée par une cause immatérielle ; dans le
catholicisme, elle désigne le transpercement du cœur par un trait enflammé. Le (ou la) mystique
qui en est sujet, voit un personnage (soit Jésus-Christ, soit l'Esprit-Saint) armé d'une lance
flamboyante lui percer le flanc, comme Jésus-Christ l'a été par la lance romaine. Le cœur est
touché et saigne de manière ininterrompue, plus particulièrement à certaine date, tel le vendredi
saint. Il s'agit du prélude à l'union du Verbe et d'une âme, sous forme de noces mystiques.
• Voir : Chopin ; Faniel ; Marie de Jésus Crucifié (Mariam Baouardy) ; Moine ; Thérèse
d'Avila
TSADDEKET : terme yiddish pour tsaddiqah (terme hébreu) qui signifie « juste ». Il est utilisé
dans le hassidisme pour désigner une femme à qui on reconnaît des qualités de sainte et qui peut
être un guide spirituel.
• Voir : Rokeah (Malka) ; Twersky
UNION SPONSALE : provient du participe passé du latin classique spondere qui signifie
« promettre solennellement » ; le bas latin sponsare, de la même racine, a donné le verbe
« épouser ». L'adjectif sponsal est parfois employé dans le discours chrétien pour désigner la
relation entre Jésus-Christ et son Église : Jésus-Christ est l'époux de l'Église. L'expression peut
être employée pour qualifier l'union spirituelle entre un époux et une épouse ou bien l'union
religieuse d'une femme consacrée avec Jésus-Christ.
• Voir : Agnesi ; Angèle Merici ; Brigitte de Suède ; Hindiyyé d'Alep
VACUITÉ, VIDE : dans le bouddhisme, elle désigne l'absence d'être en soi, autrement dit
l'inexistence de toute essence, de tout caractère fixe et inchangeant, des êtres et des choses, qui
n'ont pas d'existence propre (et ne semblent exister que par interdépendance). Elle s'applique aux
choses aussi bien qu'aux pensées et aux états d'esprits.
• Voir : Yeshe Tsogyal
VÉNÉRABLE : titre donné à une personne ayant une réputation de sainteté, lorsque l'héroïcité
de ses vertus (effort en vue de devenir meilleur, accueil de la grâce de Dieu, charité,
conformation à l'Évangile et fidélité à l'Église) a été reconnue par l'Église catholique ; cette
reconnaissance précède parfois la béatification, puis la canonisation.
VIRGINITÉ : état d'une personne qui n'a jamais eu de rapport sexuel ; le vœu de virginité est
généralement fait par les femmes consacrées, qui se réservent à leur seul et unique époux, Jésus-
Christ (sur un mode transcendant), ou bien à Dieu.
• Voir : Catherine de Suède ; Claret de la Touche ; Delphine de Sabran ; Dympna
VISION : représentation, d'origine surnaturelle, qui apparaît aux yeux ou à l'esprit ; synonyme
d'apparition, révélation. Dans le catholicisme, la vision béatifique (qui rend heureux) désigne la
rencontre personnelle avec Dieu, sans intermédiaire.
• Voir : Aberlin ; ‘Â'Isha al-Mannûbiyya ; Aldegonde ; Angèle Merici ; Béatrice d'Ornacieux ;
Brigitte de Suède ; Claire de Montefalco ; Dina Bélanger ; Élisabeth de Schönau ; Emmerich ;
Ferchaud ; Fille de Joseph ; Francesca Sarah de Safed ; Françoise Romaine ; Gertrude d'Helfta ;
Hildegarde de Bingen ; Hindiyyé d'Alep ; Jeanne d'Arc ; Labouré ; Lukardis d'Oberweimar ;
Maria Diomira du Verbe Incarné ; Perraud ; Prous Boneta ; Speyr ; Théodelinde Dubouché ;
Valtorta ; Véronique de Binasco ; Wang Fajin ; Wei Huacun
VOL ABSTRAIT (ou « passage des sorciers » ; original : abstract flight) : désigne une
technique néo-chamanique transmise par Carlos Castaneda (XXe siècle) permettant le passage
d'un individu du monde ordinaire à une autre réalité.
• Voir : Abelar
VOYAGE (spirituel) : désigne le chemin intérieur, initiatique d'une personne qui s'inscrit dans
une recherche spirituelle.
• Voir : Marie de Jésus d'Agreda ; Morata
VOYANCE : don de double vue ; qualité des prophètes, devins, visionnaires et autres
personnes, qui lisent le passé et prédisent l'avenir par divers moyens.
• Voir : Marie de Valence
WADJD : terme arabe qui définit l'extase ou la rencontre avec Dieu dans l'islam soufi.
WALÂYA : issu du terme arabe wali, qui signifie « ami et aimé de Dieu » ; dans l'islam, il
désigne le charisme de douze imams (guides spirituels et temporels), dans le chiisme, la
proximité de Dieu et la sainteté.
WIRD : désigne des litanies extraites du Coran mentionnées lors du dhikr, pratique soufie
consistant à répéter le nom de Dieu pour aviver son souvenir.
YOGINÎ : divinités féminines hindoues qui assistent la déesse Durgâ, ou encore Shakti,
énergies de manifestation de la déesse chargées de l'aider dans ses luttes contre les démons
(Asura). Certains auteurs considèrent les yoginî comme équivalentes aux dakinis, divinités
féminines du bouddhisme tibétain. Le terme désigne également une femme, sage ou ascète, qui
pratique le yoga.
• Voir : Lallâ ; Machik Labdrön ; Nigouma
ZÂWIYA, ZAOUÏA : centre religieux musulman construit près d'un lieu saint ; lieu de retraite,
d'initiation et de récollection.
• Voir : Umm Salâma Zaynab
ZEN : voir CHAN. Forme de bouddhisme japonais Mahâyâna qui insiste sur la méditation
(Dhyāna) ou « illumination intérieure » et particulièrement sur la posture dite de zazen.
ZOHAR : terme hébreu qui signifie « splendeur » ; livre classique de la Kabbale rédigé à la fin
du XIIIe siècle en Espagne, par Moïse de León.
ZUHD : terme arabe qui signifie « détachement » ; dans l'islam, il désigne l'ascétisme, observé
sur le chemin spirituel, qui mène à la sainteté.
• Voir : Nafîsa bint al-Hasan
Ouvertures bibliographiques
Cette Bibliographie non exhaustive propose un choix de titres permettant au lecteur d'aller
plus loin dans la découverte des mystiques orientale et occidentale, des figures mystiques et de la
mystique en général. Pour les bibliographies spécifiques, se reporter aux articles des figures
concernées.
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Conquête mystique. L'École française (1923) ; IV. La Conquête mystique. L'École de Port-Royal
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‘Abd al-Ghâfir al-Fârisî (?-1134/1135) : Fâtima bint Abî ‘Alî al-Daqqâq
‘Abd al-Karîm al-Qushayrî (986-1072) : Fâtima bint Abî ‘Alî al-Daqqâq ; Umm Hârûn al-
Dimashqiyya
‘Abd al-Rahmân al-Dabbâgh (1209-1300) : Umm Muhammad al-Urbusiyya ; Umm Yahyâ
Maryam
‘Abd al-Wâhid ibn Zayd (?-793) : Râbi'a al-‘Adawiyya
*Abelar, Taisha (?-1998 ?)
Abélard, Pierre (1079-1142) : Héloïse
*Aberlin, Rachel Mishan (de Safed) (XVIe s.)
Abhishiktananda : voir LE SAUX
Abraham : Marie
*Absolu, Jeanne (1557-1637)
Abû ‘Alî al-Naftî (?-1213) : Umm Yahyâ Maryam
Abû ‘Alî Hasan ibn ‘Alî al-Daqqâq (?-1015) : Fâtima bint Abî ‘Alî al-Daqqâq
Abû ‘Alî Sâlim al-Qadîdî (?-1300) : Umm Salâma Zaynab
Abû Bakr (calife 632-634) : ‘Âisha al-Mannûbiyya
Abû Hafs al-Haddâd (?-v. 878) : Umm ‘Alî
Abû Hilâl al-Saddâdî (XIIe-XIIIe s.) : Umm Salâma Zaynab
Abû Madyan Shu‘ayb (v. 1126-1197) : ‘Âisha al-Mannûbiyya ; Umm Muhammad al-
Urbusiyya ; Umm Yahyâ Maryam ; Umm Salâma Zaynab
Abû Muslim (v. 700-v. 755) : Râbi'a Balkhî
Abû Sa‘îd (967-1049) : Fâtima bint Abî ‘Alî al-Daqqâq
Abû Sulaymân al-Dârânî (757-830) : Umm Hârûn al-Dimashqiyya
Abû ‘Uthmân al-Maghribî (?-983/984) : Sha‘wana
Abû Yazîd al-Bistâmî (?-874) : ‘Âisha al-Mannûbiyya ; Fâtima de Nichapour ; Umm ‘Alî
Abû Yûsuf al-Dahmânî (v. 1152-1224) : Umm Muhammad al-Urbusiyya ; Umm Yahyâ
Maryam
Abû Zakariyyâ'ibn Hanâs (?-apr. 1224) : Umm Yahyâ Maryam
Acarie, Geneviève (1592-1644) : Acarie
Acarie, Marguerite (1590-1660) : Acarie ; Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite
Acarie)
Acarie, Marie (?-?) : Acarie
*Acarie, Mme, bienheureuse (1566-1618) : 6, 23 ; Anne de Jésus ;Arbouze ; Hélyot ;
Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Acarie) ; Marie de Jésus (de Bréauté) ; Tavernier
Acarie, Pierre (?-1614) : Acarie
Achler, Élisabeth : voir ÉLISABETH DE REUTE
Ackermann, Louise (1813-1890) : Pozzi
Acquaviva, Claudio (1543-1615) : Bellinzaga ; Ursule Benincasa
Adel : voir EDEL
Adi Parashakti, déesse : Amritanandamayi
Adrien IV (pape 1154-1159) : Hildegarde de Bingen
Aelred de Rievaulx (1109-1166) : Christine de Stommeln
Affre, Denys-Auguste, Mgr (1793-1848) : Rosalie ; Théodelinde Dubouché
Aga Khan I (1804-1881) : Imam Begum
Aghoramani : voir GOPÂLER MÂ
Agnès, sainte (IVe s.) : Catherine de Sienne
*Agnès, sœur (?-1931)
*Agnès Blannbekin, vénérable (?-1315)
*Agnès d'Aguillenqui (1602-1672) : Oraison (de Laigue)
*Agnès de Jésus, ou Agnès de Langeac, bienheureuse (1602-1634)
*Agnès de Jésus-Maria (de Bellefonds) (1611-1691)
Agnès de Langeac : voir AGNÈS DE JÉSUS
*Agnès de Montepulciano, sainte (1268/1270-1317)
*Agnès de Prague, ou de Bohême, sainte (1205-1282) : Guglielma de Bohême
*Agnès du Cœur de Jésus (1879-1951)
*Agnesi, Maria Gaetana (1718-1799)
Agolanti, Chiara : voir CLAIRE DE RIMINI
Aguillenqui, Françoise d' : voir AGNÈS D'AGUILLENQUI
Ahmad Ciram Pûsh Suhrawardî (?-?) : Bîbî Kamalo
Ahmad ibn Abî al-Hawârî (780/781-860) : Râbi'a bint Ismâ‘îl al-Shâmiyya ; Umm Hârûn al-
Dimashqiyya
Ahmed (Ahmad) ibn Khidrawayh (?-854) : Fâtima de Nichapour ; Umm ‘Alî
Ahumada, Beatriz de (1495-1528) : Thérèse d'Avila
*‘Âisha al-Mannûbiyya (v. 1198/1199-1267)
‘Ajeymî, Anne : voir HINDIYYÉ D'ALEP
Akbar, empereur (1542-1605) : Jahanara
*Akhâ Mahâdevî (XIIe s. ?)
*Akhmatova, Anna (1889-1966) : 10
Al-Fudayl ibn ‘Iyâd (726-803) : Sha‘wana
Al-Jîlânî (1077-1078/1166) : ‘Âisha al-Mannûbiyya
Al-Mansûr (calife 754-775) : Nafîsa bint al-Hasan
Al-Munâwî (1545-1621) : Fâtima bint ‘Abbâs al-Baghdâdiyya ; Umm Hârûn al-Dimashqiyya
Al-Mustansir (sultan de Tunis 1249-1277) : ‘Âisha al-Mannûbiyya
Al-Qushayrî (986-1072) : Umm Hârûn al-Dimashqiyya
Al-Shâfi'î (767-819) : Nafîsa bint al-Hasan
Al-Sulamî (937-1021) : Umm Hârûn al-Dimashqiyya
Alain (1868-1951) : Weil
*Aldegonde, sainte (v. 630-v. 684)
Aldetrudis (av. 639-v. 696) : Aldegonde
Aldonça de Monsoriu (?-?) : Isabelle de Villena
Alex, Jean d'Arenthon d' (1660-1695), Mgr : Guyon
Aleyde (?-1250) : Ide de Gorsleeuw
Alexandre Ier de Russie (empereur 1801-1825) : Krüdener
Alexandre III (pape 1159-1181) : Hildegarde de Bingen
Alexandre VI (Rodrigo Borgia, pape 1492-1503) : Camilla Battista da Varano ; Colombe de
Rieti ; Fieschi ; Isabelle de Villena ; Jeanne de France ; Osanna de Mantoue ; Véronique de
Binasco
Alexandre VII (pape 1655-1667) : Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly
*Alexandrina de Balasar, ou Santinha de Balasar, bienheureuse (1904-1955)
*Alfassa, Mirra (1878-1973) : 6
Alfonso de Cartagena (1384-1456) : Teresa de Cartagena
Alfonso de la Torre (v. 1410-v. 1460) : Teresa de Cartagena
‘Alî (calife 656-661) : ‘Âisha al-Mannûbiyya ; Nafîsa bint al-Hasan
*Alix Le Clerc, bienheureuse (1576-1622) : Xainctonge
Allama Prabhu (XIIe s.) : Akhâ Mahâdevî
Alliance mondiale des religions : Choisy
Alonso de Madrid (v. 1485-1570) : Thérèse d'Avila
Alphonse IV de Portugal (1291-1357) : Élisabeth de Portugal
Alphonse V d'Aragon (roi 1416-1458) : Isabelle de Villena
Alphonse XI de Castille (1311-1350) : Élisabeth de Portugal
Alphonse de Liguori, saint (1696-1787) : Eppinger ; Marie Céleste Crostarosa
Alphonse-Marie, mère : voir EPPINGER
Alta, abbé (Callixte Mélinge ; 1842-1933) : Caithness
Alzon, Emmanuel d', père (1810-1880) : Marie-Eugénie de Jésus
Amenábar, Alejandro (1972) : Hypatie d'Alexandrie
Amida, bouddha : Eshin-ni
Amma : voir AMRITANANDAMAYI
‘Ammâr al-Ma‘rûfî (?-v 1270) : Umm Salâma Zaynab
Ammonios Saccas (v. 175-v. 242) : Hypatie d'Alexandrie
Amphilokios, père (1889-1976) : Gabrielle
*Amritanandamayi, dite Amma (1953) : 10
Ana de Lobera : voir ANNE DE JÉSUS
Ânanda (VIe ou Ve s. av. J.-C.) : Mahâprajâpati Gautamî ; Yashodharâ
*Ânandamayî Mâ (1896-1982) : 10 ; Shobhâ Mâ
Anastase IV (pape 1153-1154) : Hildegarde de Bingen
Anawati, Georges, père (1905-1994) : Kahil
*Andâl (IXe s. ?)
André, Antoine Balthazar Joachim d' (1759-1825) : Krüdener
André II de Hongrie (1172-1325) : Élisabeth de Hongrie
Andreasi, Osanna : voir OSANNA DE MANTOUE
*Angèle de Foligno, bienheureuse (1248-1309) : 5, 20 ; Camilla Battista da Varano ; Claire
de Montefalco ; Claire de Rimini ; Kempe ; Marguerite de Cortone ; Marie-Madeleine de Pazzi ;
Marie-Madeleine Martinengo ; Umiliana dei Cerchi ; Yvette de Huy (ou Juette)
*Angèle Merici, sainte (1474-1540) : 7 ; Lucia Mangano ; Stéphanie Quinzani de Soncino ;
Xainctonge
Angelica de l'Annonciation (Rita Rizzo ; 1923) : Wise
*Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly (1624-1684) : Dauvaine
Angélique de Sainte-Madeleine : voir ARNAULD (Angélique)
Angelus Silesius (1624-1677) : Bruyère
*Ann Lee, mère (1736-1784) : 21
Anne, sainte (Ier s.) : Isabelle de Villena
*Anne-Catherine Emmerich, bienheureuse (1774-1824) : 25 ; Jahenny ; Valtorta
Anne d'Alençon : voir ANNE DE MONTFERRAT
Anne d'Autriche (1601-1666) : Marie de Valence ; Mechtilde du Saint-Sacrement
Anne de Beaujeu (1461-1522) : Jeanne de France
Anne de Bretagne (1477-1514) : Jeanne de France
*Anne de Jésus, vénérable (1545-1621) : Acarie ; Anne de Saint-Barthélemy ; Madeleine de
Saint-Joseph ; Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Acarie)
Anne de Montferrat, Anne d'Alençon, marquise (1492-1562) : Catherine de Racconigi ;
Hélène de Bologne
*Anne de Saint-Barthélemy, bienheureuse (1549-1626) : Acarie ; Marguerite du Saint-
Sacrement (Marguerite Acarie) ; Thérèse d'Avila
*Anne de Saint-François de Sales (1832-1895)
*Anne-Madeleine Rémuzat, vénérable (1696-1730)
Anne Marie de Jésus d'Épernon, sœur (Anne-Louise-Christine de Foix de la Valette
d'Épernon ; 1624-1701) : Agnès de Jésus-Maria (de Bellefonds)
*Anne-Marie Javouhey, bienheureuse (1779-1851) : Madeleine-Sophie Barat
Anne-Marie Rivier, bienheureuse (1768-1838) : Madeleine-Sophie Barat
*Anne-Marie Taïgi, bienheureuse (1769-1837) : 25
Annenski, Innokenti (1856-1909) : Akhmatova
Annunzio, Gabriele d' (1863-1938) : Starrabba di Rudini
Anselme, saint (1033-1109) : Héloïse
Antoine de Padoue ou de Lisbonne, saint (1195-1231) : Kimpa Vita
Antoine le Grand, saint (v. 251-v. 356) : Cambry ; Mélanie
*Antoinette d'Avignon (XVIe-XVIIe s.)
*Antoinette de Jésus (1612-1678) : Barbe de Compiègne ; Le Sergent
Aphur Yongden (1899-1955) : David-Néel
*Arbouze, Marguerite d' (1580-1626)
Archange de Pembroke (1567-?) : Arnauld (Angélique)
Archi, Alfonso (1864-1938) : Ferrero
Argombat de Saline, Françoise d' : voir FRANÇOISE DES SÉRAPHINS
Arnaldez, Roger (1911-2006) : Kahil
*Arnauld, Agnès (1593-1671) : 6 ; Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly ; Arnauld
(Angélique) ; Pascal
*Arnauld, Angélique (1591-1661) : 6 ; Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly ; Arnauld
(Agnès)
Arnauld, Antoine (1612-1694) : Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly
Arnauld, Henry (1597-1692) : Fournier
Arnauld, Jacqueline-Marie-Angélique : voir ARNAULD (Angélique)
Arnauld, Jeanne-Catherine-Agnès : voir ARNAULD (Agnès)
Arnauld d'Andilly, Robert (1589-1674) : Jeanne de Jésus
Arnault de la Ménardière, Mireille : voir DUPOUEY
Arnim, Achim von (1781-1831) : Günderode
Arrighi, Élisabeth : voir LESEUR
Ars, le curé d', Jean-Marie Vianney, dit (1786-1859), saint : Barthel ; Marie de Jésus
Crucifié (Mariam Baouardy)
Aryeh Leib, Reb. (1730-v. 1780) : Sarah
Asbaje y Ramírez de Santillana, Juana de : voir JUANA INÉS DE LA CRUZ
Association de Prière et de Pénitence : Royer
Association internationale de psychothérapie et de psychologie catholique : Choisy
Astorch, Jerónima María Inés : voir MARIA ANGELA ASTORCH
Athénagoras Ier de Constantinople (1886-1972) : Lubich
Atsara Sahle (VIIIe-IXe s.) : Yeshe Tsogyal
‘Attâr (XIIIe s.) : Umm ‘Alî
Augustin, saint (354-430) : 17 ; Delbrêl ; Cambry ; Gertrude d'Helfta ; Hadewijch d'Anvers ;
Hillesum ; Louise du Néant ; Marie-Madeleine ; Mélanie (la jeune) ; Pascal
Aurangzeb (1618-1707) : Jahanara
Aurobindo, Sri (ou Aurobindo Ghose ; 1872-1950) : Alfassa
Auxiliaires du Cœur de Jésus (Les) : Agnès du Cœur de Jésus
Avalokiteshvara, divinité bouddhique : Guélongma Palmo
Aveling, Edwards (1849-1898) : Besant
Avi Ezra Zelig, Shapira, Reb. (?-1849) : Shapira (Perele)
Avraham Moses de Pershisha (1800-1829) : Rivkah
Avrillot, Barbe : voir ACARIE
Baal Shem Tov, Israël ben Eliezer, Reb., dit le (1698-1760) : Edel ; Feiga ; Sarah ;
Schneersohn ; Spravedliver
Bachelard, Gaston (184-1962) : Choisy
*Baij, Maria Cecilia (1694-1766)
Baij, Cecilia Felicita : voir BAIJ
*Baile, Jeanne (v. 1438-v. 1486)
*Bailey, Alice Ann (1880-1949)
Bailey, Foster (1888-1977) : Bailey
Baillou, Élisabeth : voir ÉLISABETH DE L'ENFANT JÉSUS
*Ballon, Louise de (1591-1668) : Ponsonas
Balthasar, Hans Urs von, père (1905-1988) : Mechtilde de Magdebourg ; Speyr
Baochang (VIe s.) : Nizi
*Baochi Xuanzong (v. 1610-v. 1661/1670) : Zukui Xuanfu
Baouardy, Mariam : voir MARIE DE JÉSUS CRUCIFIÉ
Bar, Catherine de : voir MECHTILDE DU SAINT-SACREMENT ; Le Sergent
Barat, Madeleine-Sophie : voir MADELEINE-SOPHIE BARAT
Baraqâni, Fatemeh : voir TÂHÉRÉ QORRAT OL-‘EYN
*Barbe de Compiègne (?-1636) : Mechtilde du Saint-Sacrement
Barkhaus, Caroline von (1776-1849) : Günderode
*Baron, Marie (?-1632) : Boinet
Barré, Nicolas (1621-1686) : Xainctonge
Barrès, Maurice (1862-1923) : Hypatie d'Alexandrie
Barrucand, Victor (1864-1934) : Eberhardt
*Barthel, Françoise (1822-1878)
Baruch de Medziboz, Reb. (1753-1811) : Edel ; Feiga
Basava (1125-1167) : Akhâ Mahâdevî
Basile de Césarée, ou Basile le Grand (329/330-378/379), saint : Kempe ; Macrine
Bataille, Georges (1897-1962) : 27
*Bathilde d'Orléans (1750-1822) : Théot
Bathilde de Bourbon : voir BATHILDE D'ORLÉANS ; Labrousse
Bauchau, Henry (1913) : Diotime de Mantinée
Bauduen, Marc de, père (XVIIe s.) : Agnès d'Aguillenqui ; Oraison
*Bäumer, Bettina Sharada (1940) : 10
Bayley, Elizabeth Ann : voir ELIZABETH ANN SETON
Bays, Marguerite : voir MARGUERITE BAYS
Bazzarri, Egidio, don (1686-1738) : Baij
*Béatrice d'Ornacieux, bienheureuse (1260-1303/1309) : Marguerite d'Oingt
*Béatrice de Nazareth, bienheureuse (1200-1268) : Élisabeth de Spalbeek ; Ide de
Gorsleeuw ; Ide de Louvain ; Ide de Nivelles ; Kempe
Beaucousin, Richard, dom (1561-1610) : Acarie ; Perle évangélique (La)
Beaulieu, Mlle de : voir MADELEINE DE SAINT-FRANÇOIS
Beauvais, Yvonne : voir YVONNE-AIMÉE DE JÉSUS
Beauvillier(s), Marie de (1574-1657) : Arbouze ; Le Sergent ; Mechtilde du Saint-Sacrement
Becket, Thomas (1118-1170) : Élisabeth de Schönau
*Behr-Sigel, Élisabeth (1907-2005)
Béjart, Maurice (1927-2007) : Golovine
Bel, Jeanne : voir MARIE-XAVIER
Bela IV de Hongrie (roi 1235-1270) : Marguerite de Hongrie
Bélanger, Dina : voir DINA BÉLANGER
Belcier, Jeanne de : voir JEANNE DES ANGES
Bellefonds, Mlle de : voir AGNÈS DE JÉSUS-MARIA
Bellegambe, Jean (v. 1470-1534/1540) : Marie l'Égyptienne
Bellère du Tronchay, Louise-Agnès de : voir LOUISE DU NÉANT
*Bellinzaga, Isabelle (1551/1552-1624) : Catherine de Gênes
Belsunce, Henri de (1671-1755) : Anne-Madeleine Rémuzat
Bembo, Illuminata (v 1410-1493) : Catherine de Bologne
Bement, Alon (1876-1954) : O'Keeffe
Bénédictines de l'Adoration Perpétuelle du Très Saint Sacrement : Mechtilde du Saint-
Sacrement
Benincasa, Bonaventura (?-1362) : Catherine de Sienne
Benincasa, Catherine : voir CATHERINE DE SIENNE
Benoît, saint (v. 480/490-v. 547) : Gertrude d'Helfta ; Hildegarde de Bingen ; Marie-
Madeleine de Pazzi ; Mechtilde du Saint-Sacrement ; Pascal
Benoît XIII (Pierre de Lune, antipape 1394-1423) : Colette de Corbie ; Marie Robine ;
Teresa de Cartagena
Benoît XIV (pape 1740-1758) : Agnesi ; Hindiyyé d'Alep ; Jeanne de Chantal ; Jeanne de
France
Benoît XV (pape 1914-1922) : Ferchaud
Benoît XVI (pape depuis 2005) : Angèle de Foligno ; Hildegarde de Bingen ; Lubich ; Marie-
Eugénie de Jésus
Benoît de Canfield (1562-1610/1611) : 23 ; Absolu ; Acarie ; Bellinzaga ; Brossier ; Jeanne
de Chantal ; Marie des Vallées ; Mechtilde du Saint-Sacrement ; Perle évangélique (La)
Benoît de Nurcie (v. 480-547) : 15
Benoît-Joseph Labre, saint (1748-1783) : Anne-Marie Taïgi
Bensaïd, Daniel (1946-2010) : Jeanne d'Arc
Bentivoglio, Carlo (1615-1661) : Hélène de Bologne
*Benvenuta Boiani, bienheureuse (1255-1292)
Berdiaev, Nicolas (1874-1948) : Goritchéva ; Marie Skobtsov
*Bergadieu, Marie, dite Berguille (1830-1904)
Bergman, Ingrid (1915-1982) : Jeanne d'Arc
Bergson, Henri (1859-1941) : Choisy ; Maritain ; Rèmes ; Sonnenberg-Bergson ; Starrabba di
Rudini ; Underhill
Berguille : voir BERGADIEU
*Bermond, Françoise de (1572-1628) : Angèle Merici ; Antoinette d'Avignon ; Françoise
Romaine ; Ranquet
*Bernadette Soubirous, sainte (1844-1879) : Catherine Labouré ; Danzé ; Rancurel
Bernanos, Georges (1889-1948) : Jeanne d'Arc ; Louise de France
Bernard, Claude (1813-1878) : Kingsford
Bernard de Clairvaux, saint (1090-1153) : 7, 17 ; Béatrice de Nazareth ; Gertrude d'Helfta ;
Hadewijch d'Anvers ; Héloïse ; Hildegarde de Bingen ; Lukardis d'Oberweimar ; Marguerite
Ebner ; Marie ; Marie-Madeleine de Pazzi ; Pascal ; Ponsonas
Bernard de Septimanie (v. 795/800-844) : Dhuoda d'Aquitaine
Bernardin de Portogruaro, frère (1822-1895) : Marie de la Passion
Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) : Krüdener
Bernardin de Sienne (1380-1444) : Claire de Montefalco ; Jeanne d'Arc
Bernières, Jean de (1602-1659) : Élisabeth de l'Enfant Jésus ; Le Sergent ; Mechtilde du
Saint-Sacrement
Bert, Paul (1833-1886) : Kingsford
Berthelot, Marcelin (1827-1907) : Marie la Juive
Bertot, Jacques (1620-1681) : Granger ; Guyon
Bertrand, Mathilde : voir LUCIE CHRISTINE
Bérulle, Pierre de (1575-1629) : 6, 23 ; Acarie ; Anne de Jésus ; Anne de Saint-Barthélemy ;
Bellinzaga ; Brossier ; Catherine de Jésus ; Françoise de la Mère de Dieu ; Jeanne de Jésus ;
Louise de Marillac ; Madeleine de Saint-Joseph ; Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite
Acarie) ; Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Parigot) ; Marie de Valence ; Perle
évangélique (La) ; Ranquet ; Starrabba di Rudini
*Besant, Annie (1847-1933) : 6 ; Blavatsky ; Klint ; Païni
Besson, Luc (1959) : Jeanne d'Arc
Bevegnati, Giunta, frère (XIIIe s.) : Marguerite de Cortone
Bhattacharya, Nirmalâ Sundarî : voir ÂNANDAMAYÎ MÂ
Bholânâth, divinité : Ânandamayî Mâ
*Bian Dongxuan (628-711)
*Bîbî Kamâlo (XIVe ou XVe s.)
Biély, Andreï (1880-1934) : Florensky
*Billoquet, Laurentine (1862-1936)
Binet, Étienne, père (1569-1639) : Arnauld (Agnès) ; Arnauld (Angélique) ; Bellinzaga
Bisiaux, Yvonne : voir MARIE-ANGÉLIQUE DE JÉSUS
Bissière, Roger (1886-1964) : Vieira da Silva
Blake, William (1757-1827) : Raine
Blanchot, Maurice (1907-2003) : 27
Blannbekin, Agnès : voir AGNÈS BLANNBEKIN
*Blavatsky, Helena (1831-1891) : 6 ; Bailey ; Besant ; Klint ; Roerich
Blavatsky, Nicéphore (1809-?) : Blavatsky
Blémur, Jacqueline de (1618-1696) : Granger
Bloemaerts, Heilwig : voir BLOEMARDINNE
*Bloemardinne (1260/1280-1335)
Blok, Alexandre (1880-1921) : Akhmatova ; Marie Skobtsov
Blondel, Maurice (1861-1949) : Royer
Bloy, Léon (1846-1917) : Calvat ; Maritain
Boccardo, Luigi (1861-1936) : Ferrero
Boehme, Jacob (1575-1624) : Caithness ; Leade
Boiani, Benvenuta : voir BENVENUTA BOIANI
*Boinet, Madeleine (?-1650)
Boismenu, Alain de, Mgr (1870-1953) : Noblet
*Bon, Marie (1636-1680)
Bonaparte, Jérôme (roi 1807-1813) : Anne-Catherine Emmerich
Bonaparte, Laetitia (1750-1836) : Jeanne-Antide Thouret
Bonaventure (Jean de Fidanza ; v. 1217-1274), saint : Arbouze ; Brigitte de Suède ; Camilla
Battista da Varano ; Claire de Montefalco ; Douceline de Digne ; Fieschi ; Isabelle de la Croix ;
Marie-Françoise des Cinq Plaies
Boncompagni, Gaetano (1687 ?-?) : Baij
Bonetti, Casimirio, père (XXe s.) : Lubich
Boniface VIII (pape 1295-1303) : Angèle de Foligno
Bonus, Anna : voir KINGSFORD
Bordes, Jean de (1560-1620) : Jeanne de Lestonnac
Borgia, César (1475-1507) : Camilla Battista da Varano ; Colombe de Rieti
Borgia, Lucrèce (1480-1519) : Colombe de Rieti
Borghmans, Alexandrine (1832-1917) : David-Néel
*Bossis, Gabrielle (1874-1950)
Bossuet, Jacques-Bénigne (1627-1704) : 24 ; Guyon ; Marie de l'Incarnation (Marie Guyart) ;
Montmorency ; Thérèse d'Avila
Bouchaud, Madeleine, Mme de (1872-?) : Bossis
B(o)uddha : David-Néel ; Eshin-Ni ; Jizong Xingche ; Kennett ; Mahâprajâpati Gautamî ;
Miaodao ; Naganuma ; Nigouma ; Packer ; Senshi ; Soukhasiddhi ; Yashodharâ
Boudon, Henri-Marie (1624-1702 ?) : Érard
Bouglione, Alexandre (1951) : Dattas
Boulat, Marie-Louise : voir MARIE SÉRAPHIN DU SAINT-SACREMENT
Boulbon, Jean-Baptiste, père (1817-1883) : Odiot de la Paillonne
Boulgakov, Serge, père (1871-1944) : Behr-Sigel ; Marie Skobtsov
Bourbon, Marie-Louise de : voir BOURBON-CONDÉ
*Bourbon-Condé, Louise-Adélaïde de (1757-1824)
Bourdelle, Antoine (1861-1929) : Duncan ; Vieira da Silva
Bourdet, Édouard (1887-1945) : Pozzi
Bourdoise, Adrien (1584-1655) : Louise de Marillac
Bourguignon, Claude, père (XVIIe s.) : Antoinette d'Avignon
*Bourignon, Antoinette (1616-1680)
Boutonier, Juliette Favez (1903-1994) : Choisy
Bouvet, Maurice (1911-1960) : Choisy
Bouvier de La Motte, Jeanne-Marie : voir GUYON
Boyer, Onésime Alfred, père (1874-1959) : Ferron
Boylet, Nicolette : voir COLETTE DE CORBIE
Brakha, Hannah : Brokha
Bray, Luc de, frère (XVIIe s.) : Montmorency
Bréauté, Mme de : voir MARIE DE JÉSUS
Bremond, Henri, abbé (1865-1933) : Antoinette d'Avignon ; Antoinette de Jésus ; Arbouze ;
Barbe de Compiègne ; Bon ; Doussot ; Granger ; Hélyot ; Jeanne Chézard de Matel ; Jeanne de
Lestonnac ; Jeanne des Anges ; Louise de Marillac ; Louise du Néant ; Madeleine de Flers ;
Marie des Vallées ; Marie Noël ; Ranquet ; Romanet
Brentano, Bettina (1785-1859) : Günderode
Brentano, Clemens (1778-1842) : Anne-Catherine Emmerich ; Günderode ; Mörl
Brentano, Kunigunde, dite Gunda (1780-1863) : Günderode
Bresson, Robert (1901-1999) : Jeanne d'Arc
Breton, André (1896-1966) : Païni
Briard, Jean, père (?-1693) : Louise du Néant
Briçonnet, Denis, Mgr (1473-1535) : Véronique de Binasco
*Brigitte de Suède, sainte (1302/1303-1373) : 5, 20 ; Catherine de Sienne ; Catherine de
Suède ; Françoise Romaine ; Marie de la Nativité ; Marina de Escobar
Broglie, Louis de (1892-1987) : Choisy
*Brokha ou Brakha, Hannah (XIXe s.)
Brosses, Charles de (1709-1777) : Agnesi
*Brossier, Marthe (1573-?)
Browne, Edward Granville (1862-1926) : Râbi'a Balkhî
Brugman, Jean (1400-1473) : Lydwine de Schiedam
Brunner, Emil (1889-1966) : Speyr
Bruno de Marie-Jésus, père (1892-1962) : Noblet
Brussov, Valéry (1873-1924) : Akhmatova
*Bruyère, Cécile (1845-1909) : Odiot de la Paillonne
Bruyère, Jenny : voir BRUYÈRE
Buber, Martin (1878-1965) : Mazzei
Buchberger, Michael, Mgr (1874-1961) : Neumann
Bucher, Jeanne (1872-1946) : Vieira da Silva
Budapest, Zsuzsanna E. (1940) : Starhawk
Buell, Samuel (1716-1798) : Edwards
*Bujan (1964)
Bukhârî (810-870) : Umm Muhammad al-Urbusiyya
Bus, César du (1544-1607) : Angèle Merici ; Ranquet
Bussa de Leoni, Francesca : voir FRANÇOISE ROMAINE
Butts, Robert (1919-2008) : Roberts (Jane)
Q-R
Quakers : Ann Lee ; Monastier
Quélen, Hyacinthe-Louis de, Mgr (1778-1839) : Rosalie
Quicherat, Jules (1814-1882) : Jeanne d'Arc
Quincey, Thomas de (1785-1859) : 37
Quintanadoine de Brétigny, Jean de (1556-1634) : 23 ; Acarie ; Anne de Jésus ; Anne de
Saint-Barthélemy ; Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Acarie) ; Marguerite du Saint-
Sacrement (Marguerite Parigot)
Quinzani, Stéphanie : voir STÉPHANIE QUINZANI DE SONCINO
Quoniam, Dorothée : voir MARIE-AIMÉE DE JÉSUS
*R., Mme (1911-2000)
Rabaut, Paul (1718-1794) : Durand
*Râbi'a al-‘Adawiyya (v. 714-801) : 4, 10 ; Sitt'Ajam bint al-Nafis de Bagdad
*Râbi'a Balkhî (Xe s.) : 6
*Râbi'a bint Ismâ‘îl al-Shâmiyya (?-842/843) : Umm Hârûn al-Dimashqiyya
Râbi'a bint Ka'b al-Quzdârî : voir RÂBI'A BALKHÎ
Rabutin de Chantal, Celse-Bénigne (1596-1627) : Jeanne de Chantal
*Rachel (XIXe s.)
*Radegonde de Poitiers, sainte (520-587)
Râdhâ : Gopâler Mâ ; Nanibâlâ
Radha Mohan Lalji Adhauliya, shrî (1900-1966) : Silburn ; Tweedie
Raess, André, Mgr (1794-1887) : Barthel ; Eppinger
Ragueneau, Paul (1608-1680) : Catherine de Saint-Augustin
Râhâ, Shobhârânî : voir SHOBHÂ MÂ
Rahner, Hugo (1900-1968) : Speyr
Râhula (VIe s. av. J.-C.) : Yashodharâ
*Raine, Kathleen (1908-2003)
Râjânaka Bhâskara (XVIIIe s.) : Lallâ
Râma, héros divin : Sâradâ Devî
Ramacharaka (1862-1932) : Roerich
Râmakrishna Paramahamsa (1836-1886) : Gopâler Mâ ; Roerich ; Sâradâ Devî
Ramana Maharshi (1879-1950) : Bäumer
Ramos, Philippe (1966) : Jeanne d'Arc
Ramsey, David, docteur (1749-1815) : Ramsey
*Ramsey, Martha (1759-1811)
Rancé, abbé de (Armand Jean Le Bouthillier de Rancé ; 1626-1700) : Émilie de Rodat
*Rancurel, Benoîte (1647-1718)
Randolph, Pascal Beverly (1825-1875) : Naglowska
*Ranfaing, Élisabeth de (1592-1649) : Alix Le Clerc
*Ranquet, Catherine (1602-1651)
Raoul-Duval, Georgie (?-?) : Pozzi
Raphaël (1483-1520) : Hélène de Bologne ; Hypatie d'Alexandrie
Ratan Singh Râthor (?-?) : Mîrâ Bâî
Rathenau, Walter (1867-1922) : Hillesum
*Rayhâna al-Majnûna (VIIIe s.)
Raymond de Capoue (v. 1318-1399) : Agnès de Montepulciano ; Catherine de Sienne
Raymond de Sabanac (?-?) : Constance de Rabastens
Raymond de Saint-Bernard, dom (?-1662) : Marie de l'Incarnation (Marie Guyart)
Récamier, Julie, dite Mme (1777-1849) : Krüdener
Reclaiming (groupe) : Starhawk
Redi, Anna Maria : voir THÉRÈSE-MARGUERITE DU CŒUR DE JÉSUS
Réginald d'Orléans, bienheureux (v. 1175-1220) : Diane d'Andalo
Reichard, Jean-David (1796-1867) : Eppinger
Reinach, Adolf (1883-1917) : Édith Stein
Religieuses de l'Assomption : Marie-Eugénie de Jésus
Religieuses Victimes du Sacré-Cœur de Jésus : Marie-Victime de Jésus-Crucifié
*Rèmes, Héloïse (1874-1921)
Rémuzat, Anne-Madeleine : voir ANNE-MADELEINE RÉMUZAT
Renan, Ernest (1823-1892) : Leseur ; Marie-Aimée de Jésus
Rendu, Jeanne Marie : voir ROSALIE
Renty, Gaston de (1611-1649) : Élisabeth de l'Enfant Jésus ; Marguerite de Saint-Xavier ;
Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Parigot) ; Marie des Vallées ; Mechtilde du Saint-
Sacrement ; Neuvillette
Reverdy, Pierre (1889-1960) : Maritain
Ribera, José de (1588-1656) : Marie l'Égyptienne
Richard de Saint-Victor (v. 1110-1173) : Béatrice de Nazareth ; Hadewijch d'Anvers
Richard, Paul (XXe s.) : Alfassa
Richardis von Stade (XIIe s.) : Hildegarde de Bingen
Richelet, Anne de (XVIe s.) : Jeanne de Lestonnac
Richelieu, Alphonse-Louis de (1582-1653) : Jeanne Chézard de Matel
Richelieu, Armand-Jean de, cardinal (1585-1642) : Marie de Valence
Richer, Julie (?-1921) : Marie-Thérèse de Soubiran
Richet, Charles (1850-1935) : Caithness
Rigpe Dorje (1884-1981) : Khandro Tsering Paldrön
Rilke, Rainer Maria (1875-1926) : Campo ; Goubaïdoulina ; Hillesum ; Pozzi
Rimpoche, guru : voir PADMASAMBHAVA
Risshô kôsei-kai (groupe) : Naganuma
*Rita de Cascia, sainte (1381-1447) : 20
Rittelmeyer, Friedrich (1872-1938) : Hillesum
Rivera, Diego (1886-1957) : Kahlo
Rivet, André (1572-1651) : Schurman
Rivière, Louis de la (?-apr. 1554) : Marie de Valence
*Rivkah (XIXe s.)
*Rivkah Sarah Merele (de Bingen) (XVIIe s.)
Robert de Thourotte, Mgr (?-1246) : Julienne de Mont-Cornillon
*Roberts, Bernadette (1931)
*Roberts, Jane (1929-1984)
Robespierre, Maximilien de (1758-1794) : Labrousse ; Théot
*Robin, Marthe (1902-1981) : 6, 10, 27 ; Jahenny ; Rancurel ; Valtorta ; Weil
Roché, Déodat (1877-1978) : Weil
*Roerich, Helena (1879-1955)
Roerich, Nikolaï (1874-1947) : Roerich
Roerich, Svyatoslav (1904-1993) : Roerich
Roerich, Youri (1902-1960) : Roerich
*Rokeah, Eidele (v. 1810-?) : Rokeah (Malka)
*Rokeah, Malka (XIXe s.) : Rokeah (Eidele)
Rokeah, Shalom de Belz, Reb. (v. 1179-1855) : Rokeah (Eidele) ; Rokeah (Malka)
Rokeah, Yehoshua, Reb. (1825-1894) : Rokeah (Malka)
Rolland, Romain (1866-1944) : 34
Rolle, Richard (1290-1349) : Kempe
Romaine, Françoise : voir FRANÇOISE ROMAINE
*Romanet, Marguerite (1612-1663)
Romillon, Jean-Baptiste, père (1553-1622) : Angèle Merici ; Antoinette d'Avignon ;
Bermond
*Rosalie, sœur, bienheureuse (1786-1856) : 7, 11 ; Jeanne Jugan
Roschini, Gabriele, père (1900-1977) : Musco
*Rose de Lima, sainte (1586-1617) : Marie-Dominique-Claire de la Sainte-Croix ; Rancurel
Rose de Sainte-Marie : voir ROSE DE LIMA
Rose de Viterbe, sainte (1234-1252) : Umiliana dei Cerchi
*Rose du Cœur de Jésus (1857-1922)
Rossellini, Roberto (1906-1977) : Jeanne d'Arc
Rouault, Georges (1871-1958) : Maritain
Roudaki (914-943) : Râbi'a Balkhî
Rouget, Marie : voir MARIE NOËL
Rougier, Félix de Jésus, père (1859-1938) : Concepción Cabrera de Armida
Roy, Ram Mohan (1772-1833) : Imam Begum
*Royer, Édith (1841-1924)
Rubeis, Giovanni Francesco Bernardo Maria de (1687-1775) : Benvenuta Boiani
Ruiz de Alcaraz, Pedro (?-?) : Isabelle de la Croix
Ruizong (empereur 710-712) : Bian Dongxuan ; Yuzhen Gongzhu
Russel, Ken (1927-2011) : Jeanne des Anges
Russell, George William (1867-1935) : Raine
Rutebeuf (av. 1230-v. 1285) : Marie l'Égyptienne
Ryû Tetsuma : voir LIU TIEMO
Ubertin de Casale (v. 1259-v. 1328) : Angèle de Foligno ; Claire de Montefalco ; Marguerite
de Cortone
Uhde, Wilhelm (1874-1947) : Séraphine de Senlis
‘Umar (calife 634-644) : ‘Âisha al-Mannûbiyya
*Umiliana dei Cerchi, bienheureuse (1219-1246)
*Umm al-Fadl al-Wahtiyya (?-av. 982)
*Umm ‘Alî (IXe s.) : Fâtima de Nichapour
*Umm Hârûn al-Dimashqiyya (IXe s.)
*Umm Muhammad al-Urbusiyya (?-apr. 1224)
*Umm Salâma Zaynab (?-1272)
*Umm Yahyâ Maryam (?-apr. 1224) : Umm Muhammad al-Urbusiyya
Umm Zaynab : voir FÂTIMA BINT ‘ABBÂS AL-BAGHDÂDIYYA
*Underhill, Evelyn (1875-1941)
Underwood, Maria Beulah : voir WOODWORTH-ETTER
Urbain IV (pape 1261-1264) : Ève de Saint-Martin ; Julienne de Mont-Cornillon
Urbain V (pape 1362-1370) : Delphine de Sabran
Urbain VI (pape 1378-1389) : Catherine de Sienne ; Constance de Rabastens
Urbain VIII (pape 1623-1644) : Ballon ; Élisabeth de Portugal ; Marina de Escobar ; Marie-
Madeleine de Pazzi
*Ursule Benincasa, vénérable (1547-1618)
Ushitora no Konjin, divinité : Deguchi
‘Uthmân (calife 644-656) : ‘Âisha al-Mannûbiyya
‘Uthmân al-Haddâd (XIIIe s.) : ‘Âisha al-Mannûbiyya
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