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SAINT THOMAS D'AQUIN

Traités

LES RAISONS DE LA FOI

LES ARTICLES DE LA FOI


ET LES SACREMENTS
DE L'ÉGLISE
Introduction, traduction du latin et annotation par
GILLES EMERY

Sagesses chrétiennes

LES ÉDITIONS DU CERF


PARIS
1999
AVANT-PROPOS

Lorsqu'on cherche à connaître la pensée de saint Thomas


d'Aquin (1224/1225-1274), c'est le plus souvent vers ses
grands ouvrages de synthèse que l'on se tourne. À juste titre :
la pensée théologique et philosophique du maître d'Aquin se
présente de la manière la plus riche et complète dans ses
Sommes (la Somme contre les Gentils et la Somme de théolo-
gie) qui reprennent, de façon originale, la matière traitée dans
cet ouvrage de jeunesse qu'est 1' Écrit sur les Sentences. Pour
approfondir de nombreuses questions, dans un vaste champ
théologique et philosophique, c'est aux Questions disputées
que l'on doit avoir recours. Et si l'on veut saisir la doctrine de
saint Thomas en contact direct avec ses sources, il faut alors
consulter ses commentaires bibliques et philosophiques
(Aristote, Boèce). Thomas nous a pourtant laissé, à côté de
ces œuvres majeures, un nombre non négligeable d'écrits de
circonstance, avis d'expert ou traités (on en compte plus de
<<Le photocopillage, c'est l'usage abusif et collectif de la photocopie
vingt) répondant à des demandes ponctuelles adressées par
saus autorisation des auteurs et des éditeurs. des proches, des confrères, des prélats ou d'autres personna-
Largement répandu dans les établissements d'enseignement, le lités. Ces écrits manifestent l'insertion concrète de Thomas
photocopillage menace l'avenir du livre, car il met en danger son
équilibre économique. Il prive les auteurs d'une juste rémunération. dans l'Église et dans la société de son temps et ils témoignent
1!
PHOTOCOPILLAGE En dehors de l'usage privé du copiste, toute reproduction totale ou de sa disponibilité pour honorer le service de théologien que
TUE LE LIVRE partielle de cet ouvrage est interdite. » son Ordre lui confia. Les deux opuscules présentés ici appar-
tiennent au genre de ces traités rédigés «à la demande».
Ces deux petits traités, Les Raisons de la foi et Les Articles
de la foi et les Sacrements de l'Église, ont été traduits en fran-
çais au XIXe siècle par l'abbé Fournet dans l'édition bilingue
©Les Éditions du Cerf, 1999 des Opuscules de saint Thomas d'Aquin (Vivès, t. I, 1856,
(29, boulevard La Tour-Maubourg p. 411-453 et 532-562; le texte des Raisons de la foi a été
75340 Paris Cedex 07) réimprimé: Vrin-Reprise, t. II, 1984, même pagination). Le
remarquable travail de l'abbé Fournet, qui entreprit la traduc-
ISBN 2-204-06200-6
ISSN 1140-2865 tion de ces opuscules aux côtés des abbés Védrine et Bandel,
8 TRAITÉS SUR LA FOI

mérite un hommage : bien avant que Léon XIII ne remît les


études thomistes à l'honneur dans l'Église catholique, et alors
que la grande édition latine dite de Parme n'était pas achevée,
les trois curés français voulurent permettre « au clergé et aux Liste des sigles utilisés
hommes studieux de profiter d'un trésor de science» diffici-
lement accessible jusqu'alors (Préface, p. III). La traduction
de l'abbé Fournet n'est hélas pas sans défauts: le texte latin AFP Archivum Fratrum praedicatorum, Rome.
qui lui sert de référence n'est guère fiable et la version fran- BA Bibliothèque augustinienne (Œuvres de saint Augus-
çaise n'évite pas toujours approximations ou contresens. tin), Paris.
Il convenait ainsi d'en offrir une nouvelle traduction sur la CCSL Corpus christianorum, Series latina, Turnhout.
base d'un texte mieux assuré (l'édition critique publiée par la PL Patrologia latina (éd. J.-P. Migne), Paris.
commission Léonine en 1968 et 1979). RSPT Revue des sciences philosophiques et théologiques,
On trouvera ici, pour chacun de ces deux opuscules, une Paris.
introduction, puis la traduction, suivie de notes explicatives. RTh Revue thomiste.
De manière générale, sans préjuger de l'intérêt que revêt la sc Sources chrétiennes, Paris.
comparaison de Thomas avec d'autres auteurs, nous avons
tenté d'expliquer Thomas par lui-même en faisant référence à
ses propres œuvres.
La présentation de ces deux opuscules en un seul petit Abréviations dans les références aux œuvres
volume ne s'imposait pas : ils sont tout à fait indépendants de saint Thomas
l'un de l'autre. Leur réunion n'est pourtant pas sans motifs.
L'un et l'autre, outre leur commune appartenance à un même
genre d'écrits, sont directement consacrés à 1' explication de arg. argument (objection)
la foi chrétienne. Les deux considèrent le dogme chrétien chap. chapitre
face aux erreurs. Chacun présente enfin une affinité avec la dist. distinction
Somme contre les Gentils. C'est à cette dernière que les notes exp. text. expositio textus
feront le plus souvent référence pour préciser la pensée de q. question
Thomas et ses sources. De son côté, l'introduction qui pré- a. article
cède la traduction de chacun des deux opuscules voudrait qla quaestiuncula
modestement offrir un aperçu de la méthode et des principaux lect. lectio
thèmes développés par Thomas, sans remplacer l'étude plus la Prima pars (Somme de théologie)
complète que ces opuscules méritent. Ia-IIae Prima secundae (Somme de théologie)
La présente traduction des Raisons de la foi a bénéficié IIa-IIae Secunda secundae (Somme de théologie)
d'une patiente relecture par le regretté Père François von Ilia Tertia pars (Somme de théologie)
Gunten, qui lui a apporté de nombreuses précisions. Un sol. solution (= corps de l'article)
agréable devoir m'oblige à remercier également le Père Jean-
Pierre Torrell qui m'a procuré de précieuses observations cri-
tiques et qui, dans son Initiation à saint Thomas d'Aquin,
avait attiré mon attention sur l'intérêt de ces opuscules.
LES -RAISONS DE LA FOI
AU CHANTRE D'ANTIOCHE

DE RATIONIBUS
AD CANTOREM ANTIOCHENUM
INTRODUCTION

Titre, destinataire, circonstances et date.

Les plus anciennes collections d'opuscules de Thomas


d'Aquin font toutes état d'un De rationibus fidei et l'authen-
ticité thomasienne de cet écrit ne fait pas de doute. Le titre
donné à cette consultation d'un prédicateur missionnaire est
également attesté par les plus anciens c~talogues : De ratio-
nibusfidei ad cantoremAntiochenum 1. Ala suite de Bernard
Gui, les éditions imprimées depuis la fin du xve siècle ont
généralement présenté un titre plus long mentionnant les
interlocuteurs de l'entreprise missionnaire. C'est ainsi que la
traduction de l'abbé Fournet intitulait cet opuscule: Témoi-
gnage de saint Thomas sur quelques articles contre les Grecs,
les Arméniens et les Sarrasins au chantre d'Antioche 2 . Tels
sont en effet les contradicteurs que Thomas mentionne

1. Ainsi par exemple dans le catalogue de Ptolémée de Lucques ;


A. DONDAINE, « Les Opuscula fratris Thomae chez Ptolémée de
Lucques>>, AFP 31 (1961), 142-203, voir p. 152: Tractatus de rationibus
fidei ad cantorem Antiochenum, qui sic incipit: Beatus Petrus apostolus.
Voir la Préface de H.-F. Dondaine dans l'édition Léonine (t. 40 B, 1968,
p. 5-6). .
2. Opuscules de saint Thomas d'Aquin, Paris, éd. Vivès, t. I, 1856,
p. 411. Bernard GUI, Vita S. ThomaeAquinatis, chap. 54:« Tractatus in quo
continetur brevis declaratio quorumdam articulorum fidei, quos impugnant
greci et armeni et sarraceni ad cantorem antiochenum >> (éd. D. Prümrner,
Fontes vitae S. Thomae Aquinatis, Toulouse, s. d., p. 221). Le texte de
l'édition courante publiée chez Marietti présentait encore un titre voisin :
De rationibus fidei contra Saracenos, Graecos et Armenos ad Canto rem
Antiochenum (S. Thomae Aquinatis Opuscula theologica, vol. I,
éd. R. A. Verardo, Turin, 1954, p. 253; voir p. 251). Voir éd. Léonine,
t. 40 B, p. 5-6 et 38-39.
14 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 15

expressément dans son premier chapitre - en commençant Romans, maître de l'Ordre et contemporain de S. Thomas,
par les Sarrasins dont les « erreurs » fournissent matière à la dresse un tableau enthousiaste des progrès de l'Ordre en
plus grande partie de l'ouvrage. Orient (et dans les autres régions de mission), malgré l'assas-
Le traité répond à la consultation d'un prédicateur mis- sinat de frères par les Sarrasins 1. Il invite notamment les
sionnaire: le« Chantre d'Antioche». Ce personnage nous est frères à se procurer des traités exposant les erreurs des
inconnu. La fonction par laquelle il se trouve désigné ( Can- peuples à évangéliser. Sans constituer un manuel mission-
tor) est celle du chef de chœur à l'église, notamment dans les naire au sens strict, la réponse de Thomas au Chantre s'inscrit
églises cathédrales ou collégiales (parmi les chanoines, la dans le cadre général de cette réflexion théologique accom-
fonction de chantre peut être attachée à une dignité et dotée pagnant et soutenant l'effort missionnaire. Nous sommes
d'une prébende) ou dans les églises des Ordres religieux 1. Le cependant peu renseignés sur le couvent d'Antioche. Les pre-
destinataire de Thomas pourrait être ainsi une personne bien mières fondations dominicaines de la province de Terre sainte
placée dans l'activité missionnaire en Syrie. Plusieurs hypo- furent vraisemblablement Nicosie (Chypre), Saint-Jean-
thèses ont été émises sur les raisons ayant pu conduire ce d' Acre et Tripoli. La province compta également une com-
Cantor à solliciter l'appui doctrinal de Thomas. On a suggéré munauté à Jérusalem, Bethléem et Nazareth. Ses horizons
en premier lieu que cet ecclésiastique aurait été adressé à missionnaires s'étendent, avant le milieu du siècle, vers l'Ar-
Thomas par son propre évêque, le dominicain Christian Elia, ménie, la Géorgie, la Mésopotamie. La nouvelle communauté
mais cette hypothèse n'a pas résisté à la critique 2 . On peut des Prêcheurs à Antioche semble leur avoir été rattachée 2 . La
dès lors estimer, avec davantage de vraisemblance, que la ville tomba aux mains du sultan Baibars en 1268. La chute
requête du Chantre fut transmise à Thomas par ses confrères d'Antioche donna lieu à des massacres auxquels les frères
missionnaires en Syrie. dominicains n'échappèrent pas 3.
Les Dominicains ont en effet, très tôt, plusieurs couvents Il est possible enfin que le destinataire de notre opuscule
dans les terres où l'islam s'est implanté. L'ordre des Prê- se soit éloigné d'Antioche, comme le firent d'autres mis-
cheurs compte une province de Terre sainte en 1228 déjà. Les sionnaires ou prélats en raison de la situation militaire et
maîtres de l'Ordre répètent alors leurs appels pour la forma- religieuse troublée 4 . Quoi qu'il en soit, les questions posées
tion et l'envoi de missionnaires. En 1256, Humbert de à Thomas reflètent bien les conditions complexes de la Syrie

1. M. RICHTER, art. «Cantor>>, Lexikon des Mittelalters 2 (1983), 1464- l. HUMBERT DE ROMANS, Opera de vita regulari, éd. J.-J. Berthier,
1465. Rome, vol. II, 1889, p. 500-504. Pour un aperçu de la première expansion
2. C'était la proposition de A. WALZ (San Tommaso d'Aquino, Rome, missionnaire des Prêcheurs, voir W. A. HINNEBUSCH, Brève histoire de
1945, p. 110), reprise encore dans l'adaptation française de sa biographie l'Ordre dominicain, adaptée par G. BEDOUELLE, Paris, 1990, p. 81-97.
de Thomas par P. NOVARINA (Saint Thomas d'Aquin, Louvain-Paris,« Phi- 2. B. ALTANER, Die Dominikanermissionen des 13. Jahrhunderts, Habel-
losophes médiévaux>>, 5, 1962, p. 122-123). Étienne DE SALAGNAC, dans schwerdt, 1924, p. 19-31 ; R. LOENERTZ, La Société des frères pérégrinants
son récit de la chute d'Antioche, mentionne un <<frère évêque>> massacré Rome,« Études sur l'Orient dominicain>>, 1, 1937, p. 9-10 et 15-18; voir
avec les dominicains par les Sarrasins, mais l'identité de ce personnage fut C. LONGO,« Fr. Giulio Stavriano o. p.>>, AFP 58 (1988), 183.
arrangée plus tard: ce «Christian Elia» est une fiction (voir Étienne DE 3. B. ALTANER, p. 28 ; voir Étienne DE SALAGNAC, De quatuor in qui-
SALAGNAC et BERNARD Gur, De quatuor in quibus Deus praedicatorum bus ... , p. 28-29.
ordinem insignivit, éd. Th. Kaeppeli, MOPH 22, Rome, 1949, p. 28-29, 4. Ce fut le cas du patriarche d'Antioche, Opizo Fieschi, qui se retira en
avec la note 16; Cl. CAHEN, La Syrie du Nord à l'époque des croisades et Italie après l'installation d'un patriarche grec à Antioche par les Mongols
la principauté franque d'Antioche, Paris, 1940, p. 662-664; H.-F. DoN- (Cl. CAHEN, p. 662; H.-F. DONDAINE, Préface de l'édition Léonine, t. 40 B,
DAINE, dans sa Préface de l'éd. Léonine, t. 40 B, p. 6). p. 6).
16 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 17

et d'Antioche à cette époque : les chrétiens latins s'y trouvent une date relative : « après le Contra Centiles probablement
confrontés aux musulmans dont la puissance militaire va déjà publié 1 ».
croissant (ils seront les maîtres à la fin du siècle), mais éga- Les rapports des Raisons de la foi avec le Contra Centiles
lement aux Grecs byzantins ainsi qu'aux Arméniens qui, par sont en effet nombreux et manifestes. Thomas fait trois allu-
leurs alliances avec les 1\(Iongols en particulier, cherchent à sions directes à une autre œuvre dans laquelle il a traité plus
maintenir leur présence et leur influence en Syrie. Malgré amplement et dans les détails les difficultés qu'il examine ici.
les rivalités et les fluctuations des alliances militaires, cette La comparaison des textes montre qu'il ne peul s'agir que de
confrontation fut aussi l'occasion de rapprochements entre la Somme contre les Gentils. La prèmière de ces allusions
chrétiens de diverses confessions 1. Face aux Grecs et aux apparaît à la fin du Prologue («j'en ai pourtant traité ailleurs
Arméniens, cependant, le Chantre ne sollicite l'avis de de manière plus complète ») ; la deuxième, sans équivoque,
Thomas que sur un seul point ayant trait à l'eschatologie. au chapitre VII à propos des partisans d'un déterminisme
Le défi principal posé à ces missionnaires est bien celui de excluant la foi en la Providence (« quant à ceux qui disent que
l'islam. tout provient de Dieu par nécessité, nous avons disputé cette
Quant à la date du traité de Thomas, elle doit être située question plus amplement ailleurs 2 ») ; la troisième apparaît
peu après l'achèvement de la Somme contre les Gentils. Les dans la conclusion de 1' opuscule (« en réponse aux questions
experts s'accordent depuis longtemps à placer la rédaction posées que nous avons pourtant examinées ailleurs de
de cet opuscule dans les années 1260, avec quelques manière plus approfondie » ). Thomas renvoie son correspon-
approximations. P. Mandonnet proposait la période 1261- dant à un ouvrage qu'il semble bien considérer comme dis-
125)8, comme pour Les Articles de la foi et les Sacrements de ponible ou accessible, ce qui suggère que la Somme contre les
l'Eglise, ou les premières années de cette période (1261- Gentils est alors achevée et publiée.
1262) 2 . A. Walz, suivi par I. T. Eschmann, pensait de son En outre, plusieurs passages parallèles montrent que, lors-
côté aux années du séjour de Thomas à ,Orvieto (1261- qu'il rédigeait Les Raisons de la foi, Thomas avait devant lui
1265), vers 1264 3 . M. Grabmann précisait: «peu après la le texte de son Contra Centiles. Les précisions concernant la
Somme contre les Gentils» (qu'il considérait achevée avant méthode de la défense de la foi, au chapitre II, se présentent
octobre 1264) 4 • Les études qui ont paru après la publication clairement comme un résumé du Prologue de la Somme
de l'opuscule dans l'édition Léonine en 1968 adoptent géné- contre les Gentils (livre I, chap. 2-9), et l'on pourrait établir
ralement les conclusions du P. H.-F. Dondaine qui retient sans peine une longue liste de passages voisins, parfois
jusque dans les détails, entre les deux ouvrages : à chaqùe
1. Cl. CAHEN, p. 561-568, 660-687.
chapitre des Raisons de la foi, on peut assigner un ou plu-
2. P. MANDONNET, «Chronologie sommaire de la vie et.des écrits de saint sieurs passages parallèles dans la Somme contre les Gentils.
Thomas d'Aquin», RSPT9 (1920), 142-152, voir p. 151; «Les opuscules La proximité la plus frappante apparaît sans doute au cha-
de saint Thomas d'Aquin», RTh 32, n. s. 10, 1927, p., 121-157, v,.oir p. 156. pitre VII : après avoir évoqué la Somme contre les Gentils,
3. A. WALZ, « Chronotaxis vitae et operum S. Thomae de Aquino»; l'exposé concernant la convenance de la passion et de la
Angelicum 16 (1939) 463-473, voir p. 467 et 471; Saint Thomas d'Aquin,
p. 122-123. 1. T. EscHMANN, «A Catalogue of St. Thomas's Works >>,dans:
É. GILSON, The Christian Philosophy of St. Thomas Aquinas, traduit par 1. H.-F. DONDAINE, éd. Léonine, t. 40 B, p. 7. Le P. Dondaine hésite à
L. K.,Shook, New York, 1956, p. 381-.430, voir p..419 (1261-1264). faire valoir la chute d'Antioche, en 1268, comme terme de la période
4. M. GRABMANN, «Die Schrift De rationibus fidei contra Saracenos durant laquelle l'opuscule put être rédigé : même retiré d'Antioche, le Can-
Graecos et Armenos ad Cantorum Antiochenum des heiligen Thomas von tor pouvait s'intéresser encore à la prédication missionnaire (ibid.).
Aquin>>, Scholastik 17 (1942), 187-216,' voir p. 188. 2. Voir ici p. 103.
18 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 19

mort du Christ (« en considérant la convenance de la passion P. R.-A. Gauthier 1, il faut alors situer Les Raisons de la foi
et de la mort du Christ avec une intention pieuse, on y décou- dans le sillage immédiat de la Somme, c'est-à-dire « peu après
vrira une profondeur de sagesse telle que des pensées tou- 1265 2 ».
jours plus nombreuses et plus élevées se présenteront à
nous 1... »)constitue une reprise littérale de l'introduction de
la Somme contre les Gentils sur la même question (livre IV, Propos, plan et limites de l'opuscule (chap. 1).
chap. 54).
Les chapitres consacrés à la doctrine trinitaire (chap. III-IV) La rédaction de l'ouvrage obéit à une structure simple:
nous montrent de leur côté que, au moment de la rédaction celle des questions posées par le Cantor. Suivant la présenta-
des Raisons de la foi, Thomas se trouve en pleine possession tion qu'en donne Thomas au premier chapitre, ces questions
de sa doctrine de maturité sur le Verbe et l'Amour. Or celle- se ramènent à trois chefs principaux : 1) la foi dans le Fils de
ci ne fut élaborée qu'à partir du livre IV de la Somme contre Dieu, que les Sarrasins tournent en dérision ; 2) la rétribution
les Gentils où la présentation et la défense de la foi en la Tri- des âmes immédiatement après la mort, affirmation que
nité sont entièrement construites autour de l'analogie ~~ psy- Grecs et Arméniens contestent ; 3) l'existence du libre arbitre
chologique » 2 • Ce groupe de chapitres concernant la Trinité de l'homme, contre le déterminisme que les Sarrasins et
apparaît également très proche de la première partie du Com- d'autres peuples musulmans professent au nom de la pres-
pendium de théologie dont la rédaction revient très probable- cience divine. L'ouvrage suit, dans l'ordre, ces trois affirma-
ment aux années 1265-1267, c'est-à-dire peu après la Somme tions de la foi que «les infidèles attaquent et qu'ils tournent
contre les Gentils 3 . Seuls le Compendium de théologie et Les en dérision».
Raisons de la foi, parmi les ouvrages de Thomas, font par Le premier domaine, qui concerne la foi au Fils de Dieu,
exemple du thème de «l'Amour procédant du Verbe» constitue en réalité la plus grande partie de l'exposé de Tho-
l'unique voie d'explication de la procession du Saint-Esprit a mas (chap. III-VIII). Il s'agit en effet de «défendre» la foi
Filio 4 . Cette exploitation systématique de l'analogie du verbe chrétienne sur trois points : l'existence même d'un Fils en
et de l'amour constitue l'un des traits caractéristiques de la Dieu, sa passion et sa mort sur la croix pour le salut des
Somme contre les Gentils et des œuvres qui s'en inspirent hommes, puis son existence dans le sacrement de l' eucharis-
directement. tie «mangé par les fidèles». Un accent particulier est placé
Ce faisceau de données convergentes ne peut guère laisser sur la divinité qui se trouve chaque fois soulignée dans la pré-
subsister de doute. Le livre IV de la Somme contre les Gen- sentation qu'en donne Thomas: les Sarrasins ridiculisent la
tils ayant été rédigé en 1264-1265, ainsi que l'a montré le foi au Christ Fils de Dieu, la foi en Dieu qui sauve les
hommes par la passion de son Fils crucifié, et le sacre~ent
dans lequel les chrétiens mangent leur Dieu (chap. I). A la
1. Voir p. 103. contestation de la divinité du Christ se joint celle de trois per-
2. Saint THOMAS D'AQUIN, Somme contre les Gentils, Introduction par sonnes en Dieu : « ils nous tiennent pour insensés parce que
R.-A. Gauthier, Paris, 1993, p. 105-108; G. EMERY, «Le traité de saint nous confessons trois personnes en Dieu, estimant que nous
Thomas sur la Trinité dans la Somme contre les Gentils», RTh 96 (1996), professons par là trois dieux. » C'est afin d'y répondre que
5-40, voir p. 21-30.
3. J.-P. TüRRELL, Initiation à saint Thomas d'Aquin, Sa personne et son
œuvre, Fribourg-Paris, 1993, p. 239. 1. Introduction à saint Thomas d'Aquin, Somme contre les Gentils,
4. G. EMERY, «La procession du Saint-Esprit a Filio chez S. Thomas p. 108.
d'Aquin>>, RTh 96 (1996), 531-574, voir p. 565-566. 2. J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d'Aquin, p. 183 et 512.
20 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 21

Thomas insère un chapitre sur le Saint-Esprit (chap. IV), bien chap. 8 L'eucharistie dans laquelle les fidèles mangent le
que le Saint-Esprit ne soit pas explicitement mentionné dans Corps du Christ
la présentation de l'ouvrage au premier chapitre. De manière chap.9 Le purgatoire où les âmes sont purifiées avant
semblable, 1' exposé de la convenance de la passion et de la d'aller au paradis
mort du Christ en croix (chap. VII) se trouve précédé, pour chap. 10: La prédestination n'impose pas de nécessité aux
répondre à l' irrisio des Sarrasins, par deux chapitres sur les actes humains
motifs et le mode de l'incarnation du Fils (chap. V-VI): «car
nous ne disons pas que le Fils de Dieu a été soumis à la mort Plus profondément, cette suite de chapitres doit être saisie
selon sa nature divine en laquelle il est égal au Père et qui est à partir du passage de 1 P 3, 15 produit en exergue de l'opus-
la source de vie de toutes choses, mais selon notre nature cule (chap. I): le chrétien doit être prêt à rendre raison de sa
qu'il a assumée dans l'unité de sa personne» (chap. V). foi et de son espérance. À la différence du texte grec du Nou-
La juste saisie de l'incarnation constitue un préalable néces- veau Testament qui ne mentionne ici que l'espérance, la ver-
saire à la juste intelligence de la passion du Fils de Dieu. sion utilisée par Thomas lui associe la foi. Cet ajout est fort
L'ensemble est précédé d'un chapitre exposant la manière ancien : attesté dans la littérature patristique déjà, il est fré-
de «disputer» avec les infidèles, c'est-à-dire la méthode de quent au Moyen Âge. Chez Pierre Abélard par exemple, qui
la défense de la foi (chap. II). Ce chapitre, dans lequel Tho- fait de 1 P 3, 15 le mot d'ordre de la défense de la foi (Sic et
mas précise les principes de son apologétique, s'articule non, chap. I), le verset contient la mention des deux vertus ;
directement à la requête du Cantor. Celui-ci se trouve en effet on observe également la même association de la foi et de l'es-
confronté à des interlocuteurs que la Révélation biblique, pérance dans la citation de ce verset chez Pierre le Vénérable,
reçue dans la tradition de l'Église, ne parvient à convaincre. dans son ouvrage apologétique contre les Pétrobrusiens ou
Il demande alors à Thomas de lui fournir « des raisons contre les Sarrasins .
d'ordre moral et philosophique que les Sarrasins accueillent» Or la foi, explique Thomas, consiste principalement dans la
(chap. I). La réponse de Thomas, au-delà de la recherche d'un confession de la Trinité et elle glorifie la Croix du Christ. Tels
résultat pratique immédiat (l'adhésion de ceux à qui l'on sont les deux articles qui résument la doctrine chrétienne.
s'adresse), fait valoir les prérogatives de la foi qui devront Thomas souligne ici en particulier la croix, objet des sar-
guider la réflexion et la prédication du missionnaire. casmes des Sarrasins, mais ses explications vont montrer que
Le contenu de l'opuscule se présente dès lors de la manière c'est en réalité toute la foi en l'humanité du Christ qui se
suivante: trouve engagée dans la confession de la croix du Sauveur.
Nous rencontrerons une affirmation voisine au début de
chap. 1 La requête du Chantre et le propos de Thomas
chap. 2 Les principes de la défense de la foi face aux infi- 1. ABÉLARD, Theologia christiana III, 15 (Corpus christianorum, Conti-
dèles nuatio mediaevalis, 12, 202) ; le verset de 1·p 3, 15 apparaît ici comme le
chap. 3 La génération du Fils en Dieu programme de l'entreprise théologique. PIERRE LE VÉNÉRABLE, Contra
chap.4 La procession du Saint-Esprit en Dieu et la Petrobusianos, 5 (Corpus christianorum, Continuatio mediaevalis, 10, 10);
confession de la Trinité Contra Sarracenos (éd. J. Kritzeck, Princeton, 1964, p. 236); J.-P. ToR-
RELL, « La notion de prophétie et la méthode apologétique dans le Contra
chap. 5 Le motif de l'incarnation du Fils Sarracenos de Pierre le Vénérable», Studia monastica 18 (1975), 257-282,
chap. 6 Le sens de l'affirmation: «Dieu est devenu voir p. 274, n. 107. Pour un aperçu d'ensemble: J. DE GHELLINCK, Le Mou-
homme» vement théologique du XII' siècle, Bruxelles-Paris, 1948, p. 279-284: «La
chap. 7 La passion et la mort du Fils, le Verbe de Dieu devise apologétique».
22 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 23

l'opuscule Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église: autrement que par la mort de son Fils, Dieu aurait pu faire
«toute la foi chrétienne se rapporte à la divinité et à l'huma- que l'homme soit incapable de pécher, les chrétiens préten-
nité du Christ 1. » L'espérance, de son côté, a pour objet la dent manger leur Dieu, le Corps du Christ devrait avoir été
béatitude en Dieu, c'est-à-dire «ce qui est attendu après la entièrement consommé depuis longtemps, tout arrive néces-
mort» et l'aide de Dieu pour y parvenir en méritant cette béa- sairement comme Dieu l'a disposé. Chacune de ces objec-
titude «par les œuvres du libre arbitre» (chap. I) 2 . Ici trouve tions trouvera sa réponse, malgré le faible intérêt que cer-
place le chapitre sur la purification des âmes avant d'accéder taines d'entre elles comportent pour l'intelligence de la foi.
à la vision de Dieu, ainsi que celui sur le libre arbitre humain. Le chapitre sur l'eucharistie apparaît particulièrement révé-
De cette manière, si l'on observe que Thomas rattache l'eu- lateur de ce propos limité: l'exposé se borne à établir la pos-
charistie à la passion et à la mort du Christ dont elle est le sibilité ou la convenance d'un sacrement dans lequel les
mémorial (chap. VIII), la structure de l'opuscule est fournie fidèles «mangent le Corps du Christ», dans le simple but
par les vertus théologales de foi et d'espérance : d'écarter les objections rapportées par le Cantor: les autres
aspects du mystère n'ont pas leur place dans cette entreprise
Introduction et méthode (chap. I-II) de défense de la foi face aux non-croyants (fin du cha-
1. LA FOI (chap. III-VIII) pitre VIII). , . ' .
-divinité du Christ et Trinité (chap. III-IV) Situés dans le vaste champ de la theologie chretienne, les
-humanité du Christ (incarnation, passion et eucharistie : points traités apparaissent eux-mêmes fort limités. Rien de
chap. V-VIII) comparable, dans Les Raisons de la foi, avec les longs cha-
2. L'ESPÉRANCE (chap. IX-X) pitres de la Somme contre les Gentils discut~! les thè,ses. des
- ce qui est espéré après la mort (chap. IX) philosophes musulmans. Face aux chretiens d Onent
-le chemin pour y parvenir : l'agir libre de l'homme («Grecs et Arméniens»), il n'est pas question d'autres points
(chap. X) chauds de la controverse, tels que le Filioque ou la primauté
du pape par exemple, longuement traités dans l'opuscule
Dans ces matières, les explications de Thomas n'ont aucune Contre les erreurs des Grecs. Enfin, dans tous ces domaines,
prétention à l'exhaustivité. Il le relève lui-même à plusieurs Thomas veut se borner à « quelques éléments aisément acces-
reprises, ainsi qu'on l'a vu, indiquant qu'il a traité ces ques- sibles» (aliqua facilia, chap. 1), sans entrer dans les nom-
tions ailleurs « de manière plus étendue ou complète » breux développements techniques qu'exigerait un exposé
(chap. I, chap. VII, chap. X). Avec une rigueur qui n'étonnera complet.
pas les familiers de Thomas, notre auteur s'en tient à ce qu'il Ce propos délibérément restreint ne doit cependant pas
juge nécessaire pour écarter les objections relevées par son · tromper le lecteur. Le rappel des principes de l'apologétique
destinataire. Celles-ci sont également précises et limitées : thomasienne permettra d'y voir plus clair, mais on peut déjà
Dieu ne peut pas avoir un Fils car il n'a pas de femme, les noter que, à l'intérieur de ce contexte déterminé, les explica-
chrétiens sont trithéistes, Dieu aurait pu sauver les hommes tions de Thomas relèvent d'une théologie spéculative de haut
niveau. Le chapitre VI traitant de l'incarnation en offre un
remarquable exemple: mode de l'union selon l'hypostase,
1. Voir aussi Compendium de théologie I, chap. II ; et ici Les Articles de
la foi et les Sacrements de l'Église, p. 213.
unité et dualité dans le Christ, communication des idiomes,
2. La béatitude éternelle est l'objet propre de l'espérance ; tout ce que problèmes de langage, l'essentiel de la doctrine de Thomas
l'on demande pour y parvenir constitue l'objet secondaire de l'espérance, s'y trouve résumé en quelques formules ramassées. Dans son
ordonné à cette béatitude: Somme de théologie, IIa-IIae, q. 17, a. 2. examen de la formule « une hypostase ou une personne de
24 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 25

nature humaine», notre opuscule fournit l'un des lieux parti- tenues par la foi seule sans que la raison humaine puisse les
culièrement intéressants du corpus thomasien pour saisir prouver. Dans Les Raisons de la foi, seul le chapitre x c;oncer-
l'humanité de la personne du Christ 1. Le chapitre III concer- nant la providence et le libre arbitre pourrait être rangé dans
nant la doctrine du Verbe divin constitue de son côté l'un des la première catégorie ; tous les autres chapitres relèvent de la
meilleurs résumés que l'on puisse trouver. Le souci pédago- seconde. Plus complète, la Somme contre les Gentils expose
gique de simplicité est certes constamment présent, mais il ne les règles suivantes concernant cette seconde sorte de vérités
cède en rien à la précision des concepts engagés dans notre (livre I, chap. 7-9; livre IV, chap. 1): 1) La vérité de la foi
saisie du mystère. De ce point de vue, malgré ses limites et dépasse la raison humaine mais elle ne lui est pas contraire,
son propos particulier de défense de la foi, notre opuscule la raison étant - comme la foi - un don de Dieu. Par consé-
peut aisément servir d'introduction à plusieurs questions cen- quent, aucun argument de la raison (si celle-ci procède droi-
trales en théologie. tement) ne pourra établir la fausseté de la foi. Le chrétien peut
ici montrer que les arguments élevés contre la foi n'ont
aucune force de nécessité ; il appartient alors au théologien
L'apologétique thomasienne (chap. II). chrétien de « résoudre les raisons de nos adversaires » (sol-
vere rationes adversariorum).- 2) La raison humaine ne peut
Le Chantre d'Antioche veut des« raisons» que ses interlo- pas prouver la foi, mais elle peut en saisir quelque chose et
cuteurs puissent accepter : des arguments d'ordre philoso- manifester la vérité de la foi par des raisons probables et des
phique, c'est-à-dire au niveau de ce que la raison humaine, similitudes. Ici trouvent place les analogies dans la doctrine
par ses propres ressources, peut découvrir et prouver, sans de la Trinité, ou les arguments de convenance dans la doctrine
faire intervenir une révélation. D'emblée, Thomas situe ces de l'incarnation du Verbe par exemple. En procédant ainsi, le
«raisons » sur un registre précis : il s'agit non pas de prouver, théologien poursuit un double but: éclairer ce qu'il reçoit de
mais de rendre compte ou de rendre raison de la foi. A condi- la révélation, et défendre la foi contre les sarcasmes des
tion de l'entendre au sens de Thomas, il est légitime de par- incroyants, en montrant que cette foi n'est pas déraisonnable.
ler ici d'une« apologétique», suivant le verset de la première Le premier de ces deux principes est fermement établi par
épître de Pierre placé en exergue et qui donne son nom à notre notre opuscule : « Or ce qui procède de la vérité suprême ne
opuscule : « Soyez toujours prêts à donner satisfaction à qui- peut pas être faux et aucune raison nécessaire ne peut parve-
conque vous demandera la raison (ratio) de l'espérance et de nir à détruire ce qui n'est pas faux. C'est pourquoi, de même
la foi qui sont en vous», c'est-à-dire à présenter une défense que notre foi ne peut pas être prouvée par des raisons néces-
(apologia) en donnant la raison (logos) de l'espérance chré- saires, car elle dépasse l'esprit humain, ainsi en raison de sa
tienne. Le titre de notre opuscule pourrait également être vérité elle ne peut pas être réfutée par une raison nécessaire »
rendu ainsi: l'apologie de la foi. (chap. II). La méthode de l'apologétique thomasienne est
Le chapitre II présente un résumé des principes de l'apolo- donc essentiellement indirecte ou négative : puisque la foi ne
gétique thomasienne qui fait écho au Prologue de la Somme peut pas être prouvée par des raisons nécessaires, le prédica-
contre les Gentils. Deux sortes de vérités se présentent à teur chrétien «ne doit pas avoir l'intention de convaincre
nous : celles que la raison humaine ou philosophique peut l'adversaire par de telles raisons, mais d'écarter les raisons
établir (existence de Dieu, providence, etc.) et celles qui sont que ce dernier fait valoir contre la foi 1 ». Le motif de cette

0
1. M. GRABMANN, «Die Schrift De rationibus fidei ... », p. 200-205. 1. Somme contre les Gentils, livre 1, chap. 9, ll 52.
26 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 27

approche négative réside dans les prérogatives de la foi, car (derisibilem esse irrisio qua nos irrident: chap. III). Ce thème
celle-ci dépasse l'esprit de l'homme «et même celui des de l' irrisio infidelium, que Thomas tire d'Augustin 1, n'est du
anges». Notre opuscule le rappelle en toute clarté: «.Je veux reste pas réservé aux œuvres de défense de la foi face aux
d'abord t'avertir que, dans les disputes contre les infidèles au non-croyants et on le retrouve bien en place dans la Somme
sujet des articles de la foi, tu ne dois pas chercher à prouver de théologie. Celui qui use sans discernement d'arguments
la foi par des raisons nécessaires [ ... ] L'intention du chrétien qu'il juge (à tort) nécessaires, par exemple en voulant prou-
qui pratique la dispute sur les articles de la foi ne doit donc ver ce qui relève de la foi seule, risque de jeter le discrédit sur
pas viser à prouver la foi, mais à défendre la foi. » De manière la foi et de l'exposer au mépris des infidèles. L'ironie, portant
semblable, Thomas juge qu'il n'est pas toujours possible à l'origine sur le défaut d'évidence rationnelle, se déplace
d'établir par une démonstration la fausseté des positions alors vers la position contraire, c'est-à-dire la tentative de
contraires à la foi : « Ce qui relève de la foi ne peut pas être prouver la foi 2 . Thomas y insiste en particulier à propos de la
prouvé par des démonstrations : de même, pour certaines Trinité ou de 1' affirmation du commencement du monde dans
choses contraires à la foi, on ne peut pas en prouver la faus- le temps : celui qui, en ces domaines, veut trop prouver, « fait
seté par des démonstrations, mais on peut montrer qu'elles ne doublement tort à la foi : d'abord il déroge à la dignité de la
sont pas nécessaires 1. » L'apologétique thomasienne n'est foi [... ] ; ensuite il compromet les moyens d'amener les
donc résolument pas une critique d'autres religions étudiées autres à la foi, car apporter en preuve des raisons qui ne sont
en elles-mêmes. En bref : il s'agit seulement de « montrer de pas nécessaires, c'est exposer cette foi à la dérision (irrisio)
manière raisonnable que ce que la foi catholique confesse des infidèles, car ils pensent que nous nous appuyons sur ces
n'est pas faux» (chap. II). Tel est le métier du sage: dire la raisons-là et que c'est à cause d'elles que nous croyons 3 . »
vérité, après l'avoir méditée, et écarter les erreurs 2 . Cette attitude suppose bien sûr une claire délimitation du
Dans ce contexte, les explications de Thomas manifestent domaine de la foi et de celui de la raison, en quoi réside cer-
une attention particulière au thème des moqueries ou sar- tainement l'une des caractéristiques de Thomas d'Aquin face
casmes ( irrisio) des incroyants, constamment présent dans à d'autres courants théologiques (Bonaventure par exemple).
notre opuscule 3 et souligné par l'affirmation paulinienne de La règle s'étend alors d'une manière générale à toute inter-
la «folie» de la Croix (1 Co 1, 18). Cette dérision par les prétation de la révélation : «La vérité de la foi est tournée en
non-chrétiens porte sur ce qui leur apparaît déraisonnable dérision par les infidèles lorsqu'un homme simple et croyant
(l'existence d'un Fils en Dieu, manger le Corps du Christ, etc.). attribue à la foi certaines propositions qui, suivant des docu-
Conformément aux principes de la défense de la foi, Thomas ments tout à fait certains, se trouvent être erronées 4 . »
va retourner l'ironie vers ceux qui en sont l'origine, en mon-
trant comment il faut saisir l'affirmation chrétienne, et en cri-
tiquant les arguments de ses adversaires : « le sarcasme par 1. AUGUSTIN, La Genèse au sens littéral, livre I, X, 21, et XIX, 39
lequel ils nous tournent en dérision est lui-même ridicule» (BA 48, 108-109 et 136-139); THOMAS note cette référence à Augustin
dans l'Écrit sur les Sentences, livre II, dist. 12, q. 1, a. 2.
2. V. SERVERAT, « L'irrisio fidei. Encore sur Raymond Lulle et Thomas
1. Commentaire sur le« De Trinitate »de Boèce, q. 2, a. 3 (éd. Léonine, d'Aquin>>, RTh 90 (1990), 436-448, voir p. 443-445.
t. 50, p. 99). 3. Somme de théologie, la, q. 32, a. 1 ; voir q. 1, a. 8 ; q. 46, a. 2; Écrit
2. Somme contre les Gentils, livre I, chap. 1 ; nous ne pouvons que ren- sur les Sentences, livre II, dist. 1, q. 1, a. 5.
voyer le lecteur aux belles pages de R.-A. GAUTHIER (Introduction, p. 143- 4. Questions disputées De potentia, q. 4, a. 1 (à propos des principes
163). d'interprétation de l'Écriture); ces explications font écho à AuGUSTIN,
3. Au chapitrer, à plusieurs reprises; chap. m; chap. v; chap. VIII. Confessions, livre V, v, 9 (BA 13, 476-477).
28 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 29

Dans ces matières, Thomas argumente de manière privilé- Les Raisons de la foi fournissent enfin un bel exemple de
giée par des motifs de <<convenance». Le vocabulaire de la l'usage diversifié des « autorités » en thé~logie. Par ce terme,
convenance se révèle en effet omniprésent dans notre opus- on entend principalement les textes de l'Ecriture, de la tradi-
cule : «il convient», «il n'est pas inconvenant», «telle affir- tion, des théologiens ou des philosophes qui se trouvent à la
mation n'entraîne aucun inconvénient», etc. Ces arguments base de la démarche intellectuelle des médiévaux, et par
de convenance ne prouvent pas la foi mais, dans la connexion extension les arguments tirés de ces sources. Dans un Quod-
des articles de foi, ils éclairent le dogme chrétien en montrant libet célèbre, Thomas explique qu'il faut faire valoir «les
son caractère lumineux et« raisonnable» (concernant la Tri- autorités que reçoivent ceux avec qui l'on dispute » de la
nité par exemple), illustrant en particulier la sagesse de Dieu manière suivante : avec les Juifs, il faut se servir des autorités
à l'œuvre dans l'accomplissement du salut de l'homme par de l'Ancien Testament ; si l'on dispute avec des Manichéens,
l'incarnation et la passion du Christ, ou dans le sacrement de il ne faut se servir que des autorités du Nouveau Testament;
l'eucharistie 1. avec des schismatiques (c'est le cas des Grecs, précise Tho-
On peut ainsi appliquer à l'analogie du Verbe et de mas) il faut alors argumenter à partir des autorités du Nou-
l'Amour (chapitres III et IV de notre opuscule), ou à la veau et de l'Ancien Testament ainsi que des docteurs qu'ils
réflexion sur l'union hypostatique (chap. VI), ce que Thomas reçoivent ; si enfin ils ne reçoivent aucune autorité, il faut
explique au sujet de l'usage des «raisons vraisemblables » recourir à des raisons naturelles 1. Or le Chantre d'Antioche
dans sa Somme contre les Gentils (livre I, chap. 9) : «Pour demande précisément des raisons d'ordre moral et philoso-
manifester ce genre de vérité, on apporte certaines raisons phique que les Sarrasins accueillent : «En effet, il apparaî-
vraisemblables pour 1' exercice et la consolation des fidèles, trait vain de faire valoir des arguments d'autorité contre ceux
mais non pas pour convaincre nos adversaires: car l'insuffi- qui n'accueillent pas ces autorités» (chap. I). Ainsi, dans
sance de nos raisons les confirmerait plutôt dans leur erreur l'ensemble des chapitres concernant les Sarrasins, la
s'ils estimaient que nous adhérons à la vérité de la foi pour réflexion se déploie sur le terrain de la raison et non pa~ sur
des raisons si fragiles. » C'est dans ce même contexte encore celui des «autorités» scripturaires ou patristiques 2 . L'Ecri-
qu'il faut situer la règle ancienne de l'arcane que Thomas ture y est matériellement absente, à l'exception des affirma-
rappelle au terme du chapitre VIII concernant l'eucharistie : tions de la foi qui en sont tirées et qu'il s'agit de défendre. Il
« les secrets de la foi ne doivent pas être découverts aux infi- en va tout autrement dans le chapitre consacré au purgatoire
dèles.» Thomas fournit ici le motif de la discrétion qu'il qui cherche à justifier la foi catholique face aux chrétiens
recommande d'observer au sujet de ce sacrement. En effet: d'Orient: conformément à ses principes, Thomas présente
« Si les arcanes de la foi étaient mis à nu devant les infidèles une longue exégèse biblique (2 Co 5) qui fournit l'essentiel
qui les abhorrent, ils les tourneraient en dérision; c'est pour- de son exposé. Il recourt également à 1' ancienne lex orandi de
quoi il est dit en Matthieu 7, 6 : Ne jetez pas aux chiens ce qui l'Église (la prière pour les défunts). Notre opuscule fournit
est saint 2 . »

1. Quodlibet IV, q. 9, a. 3 (éd. Léonine, t. 25/2, p. 339-340); voir ci-


1. G. NARCISSE,« Les enjeux épistémologiques de l'argument de conve- dessous Les Raisons de la foi, p. 67; J.-P. TORRELL, «Le savoir théologique
nance selon saint Thomas d'Aquin», dans Ordo sapientiae et amoris, chez saint Thomas», RTh 96 (1996), 388-392.
Hommage au Professeur J.-P. Torrell, éd. C.-J. Pinto de Oliveira, Fribourg, 2. THOMAS n'innove pas: c'était déjà, mais dans un autre contexte, la
1993, p. 143-167. méthode de BoÈCE dans son opuscule sur la Trinité, ainsi qu'ille relève lui-
2. Commentaire sur le« De Trinitate »de Boèce, q. 2, a. 4 (éd. Léonine, même dans son propre commentaire sur cet ouvrage (Prologue ; éd. Léo-
t. 50, p. 101). nine, t. 50, p. 76).
30 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 31

ainsi une éclairante mise en œuvre des principes de la défense ses écrits sur l'islam, met au premier plan ces deux articles de
de la foi et de leur usage circonstancié en fonction des inter- la foi 1.
locuteurs du prédicateur chrétien. Au sein de la littérature témoignant de la connaissance que
le Moyen Âge latin eut de l'islam, Les Raisons de la foi n'oc-
cupent qu'une place fort restreinte: Thomas y répond à
Thomas face à l'islam. quelques objections adressées par les Sarrasins à la foi chré-
tienne, mais sans apporter d'indication particulière sur l'is-
Les controverses avec l'islam, souvent liées à l'entreprise lam. Rien de comparable, dans Les Raisons de la foi comme
des croisades, ont déjà une longue histoire au moment où du reste dans la Somme contre les Gentils, avec les travaux
Thomas répond au Chantre d'Antioche. Il y a alors plus d'un d'autres dominicains qui entreprirent une apologie détaillée
siècle que Pierre le Vénérable fit traduire le Coran en latin et de la foi chrétienne face au Coran en entrant, à un certain
rédigea un traité Contra Sarracenos, voulant engager la degré, sur le terrain des musulmans eux-mêmes: que l'on
controverse sur le plan de la discussion intellectuelle et reli- songe au Pugio fidei adversus Mauros et ludaeos de Ray- \
gieuse. Nous y trouvons déjà, clairement exposés, les princi- mond Martin, vers 1278, ou à l'ouvrage Contra legem sarra-
paux objets de confrontation relevés ici par Thomas : Dieu ne cenorum composé au début du xrve siècle par le dominicain
peut pas être le· Père d'un Fils, car il ne peut pas y avoir Riccoldo da Monte di Croce (tous deux se servant des travaux
d'union charnelle en Dieu; le Christ n'est pas Dieu et il n'est de Thomas) 2 . Dans ce dernier ouvrage par exemple (si appré-
pas mort sur la croix, car cela n'est pas digne de lui ; les cié qu'il fut traduit en allemand par Martin Luther en 1542),
sacrements doivent être rejetés, etc. 1• L'initiative du dialogue nous trouvons les mêmes points de controverse que ceux
ou de la confrontation théologique avec l'islam est du reste mentionnés par Thomas dans Les Raisons de la foi, mais l'ar-
fort antérieure à l'activité des auteurs latins : à la suite de la gumentation s'appuie ici sur une lecture détaillée du Coran
conquête musulmane, les théologiens chrétiens arabes cher- (cherchant également à réfuter le Coran à partir de lui-même)
chèrent à exprimer leur foi face à l'incompréhension des et sur une expérience missionnaire concrète. Thomas
musulmans 2 . La foi au Christ crucifié et à la Trinité fut, dès d'Aquin n'offre rien de tel.
le début, au cœur de ces polémiques : un bon exemple nous La religion musulmane ne tient du reste qu'une toute petite
en est donné par S. Jean Damascène (vne-vme s.) qui, dans place dans l'ensemble de l'œuvre de Thomas: on n'en trouve
que trente mentions, les musulmans étant le plus souvent
désignés du nom de «Sarrasins» (Sarraceni), comme dans
1. J.-P. TORRELL et D. BoUTHILLIER, Pierre le Vénérable et sa vision du
notre opuscule 3 . L'un des passages les plus significatifs nous
monde, Louvain, 1986, p. 58-67, 180-195; J. KRJTZECK, Peter the Vene-
rable and Islam, Princeton, N. J., 1964 (textes aux p. 201-291); L. RAGE- est fourni par la Somme contre les Gentils. Relevant la valeur
MANN, <<Die erste lateinische Koranübersetzung. Mittel zur Verstandigung
zwischen Christen und Muslimen im Mittelalter? », Miscellanea mediae- 1. JEAN DAMASCÈNE, Écrits sur l'islam, éd. R. Le Coz, SC 383, 1992
valia 17 (1985), 45-58. Pour les sources coraniques de l'attitude de l'islam (Hérésie IOO et Controverse entre un musulman et un chrétien).
face à la foi trinitaire (notamment sourate IV, 171) et les affrontements au 2. Voir A. BERTHIER, «Un maître orientaliste du XIII' siècle: Raymond
Moyen Âge sur cette question, voir N. DANIEL, Islam et Occident, Paris, Martin O. P.», AFP 6 (1936), 267-311; J.-M. MÉRIGOUX, «Un précurseur
1993, p. 237-247; L. HAGEMANN, « Missionstheoretische Ansatze bei Tho- du dialogue islamo-chrétien: Frère Ricoldo (1243-1320) », RTh 73 (1973),
mas Aquin in seiner Schrift De rationibus fidei », Miscellanea mediaevalia 609-621 ; du même, «L'ouvrage d'un frère prêcheur florentin en Orient à
19 (1988), 459-483. la fin du XIII' siècle. Le Contra legem Sarracenorum de Riccoldo da Monte
2. Voir notamment R. HADDAD, La Trinité divine chez les théologiens di Croce», Memorie domenicane n. s. 17 (1986), 1-144.
arabes 750-I050, Paris, 1985. 3. R.-A. GAUTHIER, Introduction, p. 119-130, voir p. 119-120.
32 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 33

des miracles comme motifs de crédibilité de la foi chrétienne, fient pas seulement une attitude trop humaine opposée à l'ins-
Thomas y note que la « conversion du monde au Christ » piration de l'Esprit-Saint, mais elles suggèrent aussi la faible
constitue un indice certain des miracles d'autrefois (la même valeur que Thomas reconnaît aux objections des Sarrasins
remarque apparaît dans Les Raisons de la foi, au chap. VII), et contre la foi chrétienne. Ainsi, leurs sarcasmes sont eux-
il ajoute que ces miracles sont utiles pour motiver l' assenti- mêmes qualifiés de ridicules (chap. III). Face au mystère de
ment libre de la foi vers des réalités élevées. Il observe alors, l'Incarnation, dont «ils ne saisissent pas la profondeur»,
non sans polémique, que la religion musulmane suit ici un Thomas juge sévèrement leur « aveuglement de l'esprit »
chemin tout opposé à la foi chrétienne : elle ne peut faire (chap. V). Quant aux objections concernant l'eucharistie,
valoir aucun miracle, ses promesses portent sur des plaisirs Thomas les considère «vaines» à tel point que «toute per-
charnels, ses préceptes ne dépassent pas cet ordre charnel, ses sonne, même peu instruite dans la religion chrétienne, peut
documents scripturaires (le Coran) sont d'un faible niveau aisément s'en rendre compte» (chap. VIII). Ces traits péjora-
doctrinal et mêlés de fables, l'expansion de l'islam n'est due tifs, qui ne font pas justice à ce qu'une connaissance plus pro-
qu'à la force des armes, les musulmans ne peuvent faire fonde de l'islam aurait permis de découvrir, sont révélateurs
valoir aucune prophétie antérieure, etc. En un mot, pour Tho- du contexte polémique du xme siècle et de la difficulté d'un
mas : « Ceux qui donnent foi aux dires de Mahomet croient à véritable dialogue.
la légère 1. » Rien là d'original : Thomas se fait l'écho de cri- Ce «manque d'intérêt de saint Thomas pour la religion
tiques traditionnelles envers l'islam. L'étude des rapports de musulmane 1 » est d'autant plus remarquable qu'il disposait
Thomas envers la religion musulmane a conduit un bon de ressources suffisantes pour en obtenir une bonne connais-
connaisseur à cette conclusion:« Saint Thomas n'eut qu'une sance. Indépendamment des maigres renseignements que lui
connaissance bien générale, et, on peut l'avouer, tendan- offre notre Cantor, il semble en effet que Thomas eut accès à
cieuse, de la foi musulmane. [... ] La connaissance qu'eut la Risâla du Pseudo-Al-Kindi (lue chez Vincent de Beau-
l' Aquinate du Coran lui-même et des docteurs officiels de vais?). Cependant, l'usage qu'il en fait ne présente rien d'ex-
l'islam ne fut guère qu'indirecte, à travers l'esprit et les entre- traordinaire2. Davantage qu'à la religion islamique, c'est aux
prises apologétiques du temps 2. » philosophes issus de l'islam que Thomas a prêté un grand
Ainsi, si on les considère dans le détail, les objections des intérêt: Avicenne, Averroès, Algazel, Kindi, Farabi. «Plutôt
Sarrasins traitées par Les Raisons de la foi ne suscitent chez qu'une rencontre entre monde chrétien et monde islamique,
Thomas qu'une appréciation fort négative, qu'un seul mot c'est une rencontre entre pensée chrétienne et philosophie
pourrait caractériser : leurs objections sont, à son jugement, arabo-musulmane d'inspiration hellénistique [ ... ] dont
celles d'hommes «charnels», et «puisqu'ils sont charnels, l'œuvre de saint Thomas porte témoignage 3 . »
ils ne peuvent penser que ce qui relève de la chair et du Au regard du propos thomasien de défense de la foi, ce
sang 3 » (chap. III). Dépréciatives, ces expressions ne signi- faible intérêt pour les doctrines religieuses de l'islam ne doit
pourtant guère surprendre. Chacun des arguments présentés
1. Somme contre les Gentils, livre I, chap. 6, n° 41.
2. L. GARDET, «La connaissance que Thomas d'Aquin put avoir du 1. R.-A. GAUTHIER, p. 120.
monde islamique>>, dans Aquinas and Problems of His Time, éd. G. Ver- 2. S. VAN RIET, «La Somme contre les Gentils et la polémique islamo-
beke et D. Verhelst, Louvain, 1976, p. 139-149, ici p. 140-141; voir chrétienne >>, dans Aquinas and Problems of His Time, p. 150-160;
L. GARDET et M.-M. ANAWATI, Introduction à la théologie musulmane, R.-A. GAUTHIER, p. 123.
Essai de théologie comparée, Paris, 1970 (2e éd.), p. 282-290. 3. L. GARDET, «La connaissance que Thomas d'Aquin put avoir du
3. Voir ici p. 67. monde islamique», p. 149.
34 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 35

par le Chantre est soigneusement écarté, mais Thomas ne choisi, au cœur d'un saisissant tableau des œuvres de la
cherche pas à présenter une étude approfondie de l'islam. Son sagesse de Dieu qui se révèle dans la « folie de la croix »
entreprise ne consiste pas à saisir de l'intérieur la foi musul- (1 Co 1, 18) 1. C'est peut-être dans ces accents que nous trou-
mane, ni à marquer point par point les déficiences d'une autre vons l'un des fruits religieux les plus riches que la confronta-
religion pour la réfuter. Son intention réside bien plutôt dans tion indirecte avec l'islam a suscités chez Thomas.
la manifestation et la défense de la vérité chrétienne : son pro-
pos se déploie entièrement au sein de celle-ci. De l'islam,
Thomas retient donc principalement ce qui s'inscrit dans son La doctrine trinitaire (chap. III-IV).
projet de défense de la foi : écarter les objections adressées à
la foi chrétienne. On pourrait faire une remarque semblable Les deux chapitres consacrés à la génération du Fils en
concernant l'attitude qu'il adopte face aux hérésies chré- Dieu et à la procession du Saint-Esprit (chap. III et IV) sont
tiennes : le grand intérêt que Thomas leur porte ne réside pas entièrement bâtis autour de la doctrine du Verbe et de
dans l'histoire des hérésies ni dans leur agencement interne l'Amour. Depuis l'époque de la rédaction du livre IV de la
(malgré le solide souci de documentation qui le caractérise Somme contre les Gentils, cette doctrine constitue pour Tho-
ici), mais davantage dans l'éclairage qu'elles offrent, par mas la voie d'accès privilégiée pour saisir la foi trinitaire. Par
contraste, pour mettre en lumière la vérité de la foi catho- l'approfondissement de l'héritage d'Augustin et de la psy-
lique. Le P. René-Antoine Gauthier a bien établi cette attitude chologie aristotélicienne, Thomas considère désormais le
que révèle la Somme contre les Gentils et sa conclusion peut concept ou verbe mental (verbum, conceptus, intentio intel-
s'appliquer aux Raisons de la foi : « Les seules erreurs qui lecta) comme le produit de l'acte immanent de connaissance,
intéressent le sage chrétien, ce sont les erreurs qui ont contri- distinct de la species abstraite des sens qui met l'intellect en
bué à l'approfondissement de la vérité chrétienne. Ce n'est acte de connaître (la species est ce par quoi l'intellect connaît,
pas le cas des erreurs de Mahomet 1. » tandis que le verbe est la réalité produite en quoi l'intellect
Par contraste, cependant, le contexte de l'islam confère à connaît), et distinct également de l'intellect qui produit ou
notre opuscule des traits propres qui contribuent à son origi- « dit » le verbe 2 . Cette approche se fonde sur une analyse des
nalité au sein de l'œuvre de Thomas. Tel est le cas, en parti- divers modes d'émanation dans les créatures pouvant offrir
culier, du chapitre consacré à la passion du Christ (chap. VII). une analogie de la génération divine: l'émanation intellec-
Sur l'arrière-plan implicite de sa compréhension de l'islam tuelle du verbe, dans l'esprit humain, fournit au jugement de
(promesses «mondaines», expansion par la force des Thomas le meilleur exemple de la procession d'une réalité
armes, etc.), Thomas y souligne avec insistance la pauvreté immanente ou intérieure et en même temps distincte de son
des moyens choisis par le Christ : parents pauvres, vie principe (le Verbe procède du Père au sein de Dieu). Les bases
modeste et sans honneurs, refus des richesses, choix de dis- sont alors posées pour établir la signification exclusivement
ciples peu instruits, acceptation volontaire des outrages et du personnelle du nom «Verbe» en Dieu lorsqu'on considère
mépris par les grands de ce monde, tout apparaît ici contraire l'acte par lequel l'intellect divin se connaît soi-même. Dans la
aux ambitions humaines afin de manifester la pure origine Somme contre les Gentils, Thomas s'applique alors longue-
divine de la foi au Christ. Thomas présente alors la croix, le ment à montrer que cette doctrine du Verbe parvient à rendre
genre de mort « le plus infâme » que le Verbe de Dieu a compte des affirmations de l'Écriture concernant la personne

1. Voir ici p. 103-109.


1. R.-A. GAUTHIER, p. 127. 2. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 11 ; voir livre I, chap. 53.
36 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 37

du Fils et son œuvre au bénéfice des créatures, de la création b. Propriétés de perfection: similitude de l'intellect, pro-
première jusqu'à la béatitude (livre IV, chap. 11-14). cède de cet intellect
Notre opuscule, de son côté, justifie l'exploitation de cette 4. Les prérogatives du Verbe en Dieu
doctrine du verbe par la nécessité de trouver une analogie qui a. Le Verbe divin n'est pas un accident mais, procédant
fasse droit à la nature spirituelle de Dieu ; or l'activité intel- d'un autre, il est une réalité qui subsiste dans la nature
lectuelle réflexive constitue le niveau le plus élevé en ce divine
domaine, au sommet de l'échelle des degrés de la vie. C'est b. Le Verbe est donc le Fils, procédant selon un mode
principalement, note Thomas, lorsque notre intellect se immatériel
connaît lui-même qu'apparaissent les traits vérifiant la simili- c. Le Verbe est coéternel au Père
tude entre le verbe et son principe. Le recours à l'analogie d. Le Verbe est unique
s'avère lui-même indispensable, car nous ne pouvons parler e. Le Verbe est parfait et égal au Père, exprimant parfaite-
de Dieu qu'au moyen des «similitudes» que nous offre le ment tout ce qui est en Dieu
monde créé par lui. Dans Les Raisons de la foi, Thomas met
en relief les deux éléments suivants : le verbe est l'expression Sur ces bases, le chapitre IV peut développer la doctrine du
de l'intellect qui se connaît (en Dieu, le Verbe est la parfaite Saint-Esprit autour du thème de l'amour. L'activité de
Image du Père), et il procède de l'intellect qui connaît (le connaissance entraîne en effet une activité affective dont le
Verbe procède du Père). L'insistance porte en particulier sur le principe est l'amour, dans l'acception la plus générale de ce
fait que tout verbe (humain ou divin) est, par nature, une réa- terme. Dans le cas de la connaissance intellectuelle, cette
lité tirant son origine d'une autre: le verbe «tient par défini- opération affective est celle de volonté. La parfaite opération
tion de procéder d'un autre, car on ne peut pas saisir un verbe de connaissance intellectuelle en Dieu donne ainsi lieu à
sans cela» (chap. III). C'est alors au moyen de la notion de une parfaite opération volontaire amoureuse et féconde.
Verbe que Thomas explique le nom de Fils et toutes les préro- La Somme contre les Gentils exposait avec davantage de détails
gatives de la deuxième personne en Dieu (le Verbe est Dieu, la procession de cette affection amoureuse : elle vérifie la pré-
il est une réalité qui subsiste, il est éternel et unique, etc.), sence de «Dieu aimé» en« Dieu qui s'aime», à la manière
c'est-à-dire les affirmations du Symbole de la foi au sujet de d'une impression dynamique qui est toute impulsion ou incli-
la personne du Fils. Dans toutes ces explications, le moment nation vers l'objet de l'amour. Il s'agit du mode selon lequel
négatif de l'analogie est constamment présent et Thomas l'être aimé est dans la volonté de celui qui aime comme l'in-
prend soin de noter les nombreuses différences entre le Verbe clinant, de l'intérieur, vers cette réalité aimée (livre IV,
divin et le verbe de notre esprit humain. Le soin apporté à la chap. 19). Thomas accomplit ici un progrès dans sa compré-
rédaction de ce chapitre III apparaît à la considération de sa hension de l'amour qu'il conçoit résolument comme une
structure, dont nous avons indiqué les principaux moments : (( affection vers » (affici ad aliquid), une impulsion (impulsio,
impulsus ), un élan vers la chose aimée, et non plus comme
1. La génération en Dieu est celle qui convient à une nature une sorte d'information de la volonté par le bien (c'était la
intellectuelle perspective plus «statique» des Sentences). Notre opuscule
2. Notre activité intellectuelle donne lieu à la formation d'un l'exprime en toute clarté : « l'opération appétitive s' accom-
concept, le verbe plit selon un rapport ou mouvement de celui qui désire vers
3. Les propriétés de notre verbe humain les choses qui sont objets de l'appétit. » Thomas parlera
a. Propriétés imparfaites: accident, d'une autre nature que ailleurs d'une attraction (attractio: Compendium de théolo-
l'intellect gie I, chap. 46) ou d'une impression amoureuse (impressio:
38 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 39

Somme de théologie, la, q. 37, a. 1) pour désigner cette réa- 1. La procession du Saint-Esprit
lité qui procède au sein de la volonté qui aime. Quand l'esprit a. La connaissance entraîne l'amour : en Dieu, la proces-
(mens) s'aime,« il se produit lui-même en tant qu'aimé dans sion d'un Amour se rattache à la procession du Verbe
la volonté» (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 26). De b. Le fruit de la procession amoureuse vérifie le nom
manière comparable à ce qu'il avait établi pour le Verbe, Tho- d'« Esprit-Saint»
mas montrait alors que cette doctrine de l'Amour est capable -mouvement vers la réalité aimée, principe caché :
de rendre adéquatement compte des principales affirmations Esprit
de l'Écriture concernant le Saint-Esprit et son œuvre dans le - amour pur : Saint
monde, dans 1' ordre de la nature comme dans celui de la c. L'Amour procède du Verbe: l'Esprit-Saint procède du
grâce (livre IV, chap. 20-22). Fils
Cette doctrine trinitaire permet alors à Thomas de préciser d. Les prérogatives de l'Amour qui procède en Dieu
de quelle manière la foi chrétienne confesse trois personnes -il subsiste dans la nature divine
en Dieu (deuxième partie du chapitre IV). Le Père, son Verbe - coétemel au Père et au Fils, parfait et unique
et son Amour subsistent dans la nature divine : ils sont trois 2. Trois personnes qui sont un seul Dieu
personnes de la même nature. Ces trois personnes ne se dis- a. Ce qui subsiste en Dieu est une hypostase ou personne
tinguent pas par une réalité absolue, car la distinction se b. Les trois personnes ne se distinguent réellement que par
prend ici seulement selon les relations d'origine: relation par les relations d'origine
laquelle le Verbe procède du Père qui le « dit» (relation ou c. Les trois personnes sont un seul Dieu.
propriété personnelle de filiation), et relation par laquelle
l'Amour procède du Père et de son Verbe (relation ou pro- Cette doctrine du Verbe et de l'Amour revêt une telle
priété personnelle de procession). On sait que cette doctrine valeur au jugement de Thomas que, sans elle, il avoue ne pas
de la relation (distinction des personnes par les seules rela- voir comment on pourrait encore rendre compte, en théolo-
tions d'opposition selon l'origine) constitue le faîte de la gie, de la foi trinitaire : « L'origine en Dieu ne peut être
théologie trinitaire thomasienne 1. L'accent de notre opuscule qu'immatérielle et convenant à la nature intellectuelle: une
porte en particulier sur l'identité de nature des trois per- telle origine est celle du Verbe et de l'Amour. C'est pourquoi,
sonnes divines : elles ne se distinguent pas par une réalité si la procession du Verbe et de l'Amour ne suffit pas pour
absolue, car cette réalité absolue (la nature divine) est spéci- insinuer la distinction personnelle, il ne pourra y avoir aucune
fiquement et numériquement une et identique dans les trois distinction personnelle en Dieu 1. » Il faut noter à cet égard le
personnes divines. Par là se trouve alors écartée l'objection propos « apologétique » qui, se trouve à la racine de la
de trithéisme élevée par les Sarrasins contre la foi chrétienne. démarche de Thomas. Si l'Eglise a développé sa doctrine
On remarque ainsi une rigoureuse construction de ce cha- concernant les personnes divines, explique-t-il, c'est en rai-
pitre IV: son des hérésies qui ont mis la foi en cause. La doctrine tri-
nitaire, dépassant ce que la raison humaine peut saisir, ne vise
pas à prouver la foi : dans la vision face à face seulement nous
connaîtrons ce que, sur cette terre, nous croyons. La théolo-
1. Cette place centrale de la relation apparaît en particulier dans la
Somme de théologie dont le traité De Trinitate est bâti sur trois piliers: la gie trinitaire, avec ses instruments propres (doctrine du Verbe
procession, la relation et la personne (la, q. 27-43). Or la procession est
conçue comme le fondement de la relation, et la personne est cette relation
qui subsiste. 1. Questions disputées De potentia, q. 9, a. 9, ad 7.
40 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 41

et de l'Amour, de la relation, etc.), poursuit un double but: section vise à préciser ce qui revient à la divinité du Christ et
offrir aux chrétiens une certaine saisie contemplative de ce ce qui lui revient en raison de son humanité, après un bref
qu'ils croient, et leur permettre de défendre la foi. Tel est le aperçu du mode de l'union de Dieu et de l'homme dans le
projet de la raison croyante face au mystère trinitaire : « Cette Christ. Le point focal de l'ensemble de cet exposé est la croix
recherche n'est pas inutile, car par elle nous élevons notre du Christ où s'expriment, avec une souveraine convenance, la
esprit pour saisir quelque chose de la vérité, quelque chose sagesse et l'amour de Dieu pour les hommes. Conformément
qui suffit pour écarter les erreurs 1. » au propos apologétique de l'opuscule, Thomas veut ici mon-
Ainsi, dans la Somme contre les Gentils comme dans Les trer« comment il faut saisir» l'incarnation et la croix, dans le
Raisons de la foi, l'enseignement sur le Verbe et l'Amour but précis d'écarter les sarcasmes contre la foi. Malgré le
intervient précisément pour montrer comment on peut saisir recours à de nombreuses notions techniques, c'est la « pro-
«d'une certaine manière» (imparfaitement mais avec perti- fondeur du mystère» (chap. v, § 1) ou «la profondeur de
nence) ce que confesse la foi, afin de montrer que la foi n'est sagesse » offerte à l'« expérience de la vérité » dans la
pas déclassée par les objections de la raison 2 . En offrant une contemplation (chap. VII, § 3), qui donne la note fondamen-
analogie et un mode de saisie cohérent de la foi, on établit du tale de ces chapitres. Le plan de cette section est le suivant :
même coup le caractère « raisonnable » de la foi et on se
donne les moyens de répondre aux critiques. Cela vaut pour 1. Le motif de l'incarnation du Fils de Dieu (chap. v)
la doctrine du Verbe et de l'Amour, comme pour la doctrine a. Il est nécessaire de bien saisir l'incarnation pour saisir le
de la relation. Le propos de défense de la foi se trouve ainsi mystère de la croix
au cœur de la doctrine trinitaire. La Somme contre les Gentils b. Dieu a tout fait par son Verbe
l'expose sur l'arrière-fond des hérésies chrétiennes (photi- c. Dieu répare par son Verbe la créature déchue
nisme, arianisme, sabellianisme), tandis que Les Raisons de d. La chute de la créature raisonnable appelle l'intervention
la foi visent davantage les critiques des Sarrasins, mais la de Dieu
démarche demeure la même: l'aspect« négatif» de l'intel- e. La chute de la créature raisonnable a lieu par le péché,
lectus fi dei soutient toute 1' entreprise théologique de Thomas perversité de la volonté
en ce domaine. f. L'homme seul, et non pas l'ange, peut être restauré
g. Le mode de la restauration: restauration de l'ordre de
l'amour dans la volonté
L'incarnation et la passion du Verbe (chap. V-VII). h. L'incarnation est le moyen souverainement convenable
de cette restauration
Les chapitres concernant le Fils incarné s'appuient expres- -pour susciter l'amour de l'homme envers Dieu
sément sur 1' acquis des chapitres précédents, puisque c'est - pour susciter cet amour chez tous les hommes, même
par son Verbe que le Père fait toutes choses et c'est encore par les petits
ce même Verbe,<< conception de son art», que le Père restaure -pour donner un exemple de l'union à Dieu dans la
l'homme déchu (chap. V). Sur cette base, l'essentiel de cette vision bienheureuse
-pour instruire l'homme de sa dignité
1. Questions disputées De potentia, q. 9, a. 5.
2. Comment saisir 1' affirmation de la foi : Dieu s'est fait
2. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 10, n° 3460; chap. 19, homme (chap. VI)
no 3557; G. EMBRY, «Le traité de saint Thomas sur la Trinité dans la a. Dieu s'unit à la créature par sa puissance, sans changer
Somme contre les Gentils», RTh 96 (1996), 5-40, voir p. 21-30. en lui-même
42 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 43

b. C'est Dieu qui s'unit à la nature humaine et non l'inverse c. Conclusion: la souveraine convenance de l'incarnation
c. Les deux natures, dans cette union, demeurent distinctes et de la mort du Christ
d. Les modes de l'union de Dieu avec une créature
- avec toutes les créatures : présence de Dieu par son: L'exposé de la convenance de l'incarnation du Christ met
action créatrice au premier plan la restauration ou «réparation» <le l'homme
- avec les saints : habitation par grâce (connaissance et à la suite du péché. C'est là en effet, au jugement de Thomas,
amour) le motif principal de la vel}ue du Fils de Dieu dans la chair.
- dans le Christ : la nature humaine est une nature du Fils À l'époque des Raisons de îa foi, il s'est déjà dégagé de l'in-
de Dieu fluence de S. Albert qui lui faisait encore tenir, dans l'Écrit
e. Les analogies de cette union, en particulier l'union de sur les Sentences, la probabilité de l'incarnation même en
l'âme et du corps l'absence du péché : le Fils de Dieu se serait alors incarné
f. La personne divine du Fils incarné possède une nature pour procurer «l'exaltation de la nature humaine et laper-
humaine fection de tout l'univers 1 ».L'enseignement de maturité dont
-le Fils possède une nature humaine et non l'inverse témoigne notre opuscule se retrouvera dans la Somme de
- ce qui possède une nature intellectuelle est une personne théologie : «L'Écriture sainte assigne partout, comme motif
-il n'y a qu'une hypostase ou personne dans le Christ de l'incarnation, le péché du premier homme ; il est donc plus
g. Unité de la personne et dualité des natures dans le Christ convenable de dire que l'œuvre de l'incarnation a été dispo-
- le Verbe de Dieu, en raison de la nature assumée, est sée par Dieu pour porter remède au péché» (Ilia, q. 1, a. 3).
appelé homme Il importe cependant de relever que ce thème fondamental de
-le Christ est un, Dieu et homme, en deux natures dis- la rédemption est tout entier orienté vers ce qui constitue la
tinctes vocation ultime de l'homme: l'union à Dieu dans la béati-
- la communication des propriétés tude. La sotériologie de Thomas se trouve ainsi saisie dans le
3. Comment saisir l'affirmation de la passion et de la mort du mouvement de l'homme vers sa fin dernière : le Christ est la
Christ (chap. VII) «voie de notre chemin vers Dieu», il montre« le chemin par
a. Le Christ a souffert dans la nature humaine qu'il a assu- lequel on parvient à la béatitude éternelle » (la, q. 2, Pro-
mée logue; Ilia, Prologue).
b. Les convenances de la passion et de la mort du Christ Dans cette ligne, notre opuscule souligne alors le respect de
- le motif du recours à la convenance la liberté humaine .par laquelle l'homme adhère à Dieu : le
- la profondeur de la sagesse de Dieu Christ manifeste l'ineffable amour de Dieu pour les hommes
- l'exemple de l'amour des biens spirituels : les moyens (·:<rien ne suscite autant l'amour que le fait de se savoir
choisis par le Christ aimé», chap. V). À l'encontre de tout élitisme et de tout intel-
-l'enseignement de la vérité par Dieu incarné, et la lectualisme excessif, le regard porté sur l'incarnation fait
confirmation apportée par les miracles valoir l'éclatante simplicité de cette révélation qu'est l'incar-
-l'adhésion libre au Christ par la foi, œuvre divine nation: elle offre une voie aisément accessible à tous, en par-
-la puissance de Dieu à l'œuvre dans la faiblesse, dans ticulier aux «petits» (parvuli) qui peuvent alors «concevoir
le Christ et dans ses disciples
-l'exemple de l'entière soumission à Dieu 1. THOMAS, Écrit sur les Sentences, livre III, dist. 1, q. 1, a. 3; voir
- la restauration de la justice au moyen de la satisfaction ALBERT LE GRAND, Écrit sur les Sentences, livre III, dist. 1, a. 1 ; d. 20, a. 4
offerte par le Fils de Dieu incarné (éd. Borgnet, t. 28, p. 3-7 et 360-362).
44 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 45

Dieu et l'aimer comme quelqu'un qui leur est semblable » d'une part la thèse d'une double hypostase dans le Christ, en
(chap. V). Or, connaître Dieu et l'aimer, c'est bien là l'œuvre se servant des instruments de logique métaphysique tirés de
de la grâce qui inaugure et prépare la vision de Dieu dans la Boèce ; il juge ailleurs cette thèse hérétique, en établissant
béatitude. Révélant à l'homme sa propre dignité, l'incarna- qu'une dualité d'hypostases entraîne nécessairement une
tion du Fils de Dieu donne en outre un exemple de l'union dualité de personnes (Somme contre les Gentils, livre IV,
avec Dieu à laquelle les hommes sont appelés : « Du fait que chap. 38) 1• Mais d'autre part, bien qu'il se refuse à poser une
Dieu s'est fait homme, il nous a donné l'espérance que hypostase humaine subsistant à côté de l'hypostase divine
l'homme pourra aussi parvenir à l'union avec Dieu par la dans le Christ, Thomas n'hésite pas à parler ici d'un« suppôt,
fruition bienheureuse» (chap. V). Ces explications, qui font hypostase ou personne de nature humaine » (persona huma-
écho à l'enseignement de la Somme contre les Gentils nae naturae, chap. VI). Thomas ne parle pas d'une« personne
(livre IV, chap. 54), résument ainsi les deux volets de la doc- humaine», car le Fils n'est pas constitué comme personne par
trine de la rédemption, dans sa face «négative » (la grâce son humanité : il est une personne, au sein de la Trinité, en
guérit l'homme blessé) et dans sa face positive (la grâce élève vertu de sa relation de filiation identique à 1' essence divine.
l'homme pour lui donner de connaître et d'aimer Dieu). Mais, puisque le Fils possède en toute vérité la nature
L'exposé du mode de l'union de la nature divine et de la humaine assumée, et puisque la personne du Verbe incarné
nature humaine dans le Christ (chap. VI) prête une attention subsiste en ses deux natures, la qualification d'humanité s'ap-
centrale aux problèmes de langage. Il s'agit en effet de rendre plique en toute rigueur à la personne elle-même. En parlant
compte des termes mêmes de la confession de foi de l'Église: d'une «personne de nature divine» aussi bien que d'une
«Dieu est devenu homme» ou «Dieu s'est fait homme» « personne de nature humaine » pour le Christ, notre opuscule
(peus factus est homo). Dans le but de répondre aux objec- exprime bien le fondement du réalisme de la « communica-
tlo~s concernant la passion du Christ au chapitre suivant, la tion des idiomes» (tout ce qui revient à une nature peut être
pomte de cet exposé réside dans l'attribution, au Fils de Dieu, attribué à la personne qui subsiste dans cette nature, quelle
des réalités qui concernent son humanité. Thomas souligne que soit la nature signifiée par tel ou tel nom) et contribue de
ainsi en particulier que, dans le Christ, c'est la personne manière fort suggestive à la réflexion concernant la pleine
divine qui possède une nature humaine et non l'inverse: on humanité de la personne du Christ.
attribuera donc légitimement à la personne divine l'assomp- On a relevé plus haut l'accent original placé par Les Rai-
tion de la nature humaine, et l'on attribuera de même à laper- sons de la foi sur la pauvreté ou l'« abjection » (abiectio)
sonne divine ce que fait et souffre le Christ en sa nature des moyens choisis par le Christ, pour manifester la conve-
humaine, sans pour autant porter atteinte à l'immutabilité de nance de sa passion et de sa mort (chap. VII). Plus délicat
la nature divine dans le Christ. Le rejet du monophysisme sans doute, l'accent placé sur la théorie de la satisfaction
christologique (une seule nature dans le Christ), que Thomas mérite quelques observations. Thomas fait en effet valoir,
formule ailleurs en référence aux thèses hérétiques d'Euty- dans notre opuscule, les principaux traits de la théorie
chès et au dogme de Chalcédoine, trouve place ici sur le fond « anselmienne » de la satisfaction: nécessité d'une peine
de la critique des Sarrasins: il s'agit de défendre la vérité de pour restaurer 1' ordre de la justice, insuffisance de la satis-
la passion du Fils de Dieu (et donc de son humanité), contre faction offerte par un simple homme pour compenser
ceux qui la tournent en dérision, sans porter préjudice à la
divinité. 1. H. DoNDAINE, « Qualifications dogmatiques de la théorie de
Dans ce contexte, les explications concernant l'hypostase l'assumptus-homo dans les œuvres de S. Thomas», RSPT 30 (1941-1942),
du Christ présentent un intérêt particulier. Thomas y rejette 163-168; voir ici p. 97.
46 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 47

l'injure «infinie» commise envers Dieu, etc. À plus d'un la dignité de l'homme et l'exemple de l'union à Dieu dans la
égard, les explications de Thomas sont ici conditionnées par béatitude à laquelle l'homme est appelé (ibid.). Enfin, pour
les représentations sociales du Moyen Âge qui étendent leur situer la satisfaction dans l'œuvre du salut, on se reportera à
influence en théologie. Ainsi, pour notre auteur, personne ne la Somme de théologie qui explique avec davantage de détails
doute que l'insulte contre un chevalier, un prince ou un roi, le mode par lequel la passion du Christ opère notre salut :
ne soit plus grande que l'injure qui frapperait un simple satisfaction, mais aussi mérite, sacrifice, rédemption et, plus
paysan (chap. VII; voir Compendium de théologie I, fondamentalement sans doute, efficience instrumentale de
chap. 183). La considération de la personne se trouve déter- l'humanité du Christ (Ilia, q. 48) 1.
minée par la dignitas qui lui est attachée, dans une vue
sociale fortement hiérarchisée. Les exemples d'« humilia-
tion » produits pour illustrer la satisfaction (fléchir le genou, L'eucharistie (chap. VIII).
se présenter nu devant celui qu'on a offensé !) témoignent
de semblables représentations que l'on pourra juger dépas- Le chapitre consacré à l'eucharistie n'offre qu'un aperçu
sées. Il convient de reconnaître ici les limites d'une pensée limité de ce sacrement et peut se résumer en deux affirma-
clairement située dans une culture et un temps déterminés. tions visant les sarcasmes contre la foi catholique : a) le
De plus, malgré sa valeur, cette théorie de la satisfaction, Corps du Christ n'est pas« mis en pièces» lorsque ce sacre-
telle que 1' expose notre opuscule, ne constitue pas la pensée ment est mangé par les fidèles, car le Corps du Christ n'est
achevée et complète de Thomas en ce domaine 1. Il en va de pas divisé en parties: c'est le pain qui est converti substan-
même pour la « nécessité » de la satisfaction exigée par tiellement en Corps du Christ (qui demeure glorieux et
l'ordre de la justice divine (chap. VII, dernier paragraphe); impassible) ; b) la conversion substantielle du pain et du vin
cette affirmation, pour être complète, exigerait d'autres pré- en Corps et Sang du Christ ne présente rien d'impossible au
cisions 2 . Il faut noter cependant que, même dans notre regard de qui confesse la toute-puissance et la providence de
opuscule, la satisfaction ne constitue qu'un seul aspect de la Dieu. La thèse centrale est donc celle de la « conversion
convenance de la passion et de la mort du Christ. Pour bien substantielle». Il importe de noter, ici encore, que la doctrine
en juger, il faut la replacer dans l'ensemble des chapitres v de la transsubstantiation (la doctrine à défaut du mot, car
à VII qui font d'abord valoir l'ouverture du chemin vers la notre opuscule n'emploie pas le terme «transsubstantia-
béatitude, la manifestation de l'amour de Dieu et l'exemple tion») est avancée précisément pour défendre la foi et la pra-
des vertus. tique de l'Église, comme dans la Somme contre les Gentils:
On observe une semblable approche dans le Compendium «La puissance divine agit dans ce sacrement d'une manière
de théologie. Thomas y fait tout d'abord valoir, comme motif fort sublime et secrète, dépassant ce que l'homme peut
de l'incarnation, la satisfaction pour le péché de tout le genre découvrir. Mais, pour que la doctrine de l'Église concernant
humain, satisfaction que seul Dieu incarné pouvait offrir ce sacrement n'apparaisse pas impossible aux infidèles, il
(1, chap. 200). Mais il ajoute aussitôt : « Il y a cependant faut tenter de montrer que toute impossibilité est exclue 2 . »
d'autres raisons de l'incarnation divine» (I, chap. 201). Nous La doctrine de la transsubstantiation comporte donc une
retrouvons alors les thèmes mis en valeur dans Les Raisons double face : permettre aux fidèles de saisir quelque chose de
de la foi : la recherche des biens spirituels, la connaissance de
1. Pour une étude d'ensemble: B. CATÂO, Salut et rédemption chez
1. Voir p. 157-158, n. 89. S. Thomas d'Aquin. L'acte sauveur du Christ, Paris, 1965.
2. Voir p. 158-159, n. 92. 2. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 63, n° 3998.
48 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 49

la foi raisonnable qu'ils confessent, et écarter les objections et du vin après la consécration est un fait d'expérience; les
contre ce sacrement. Le moment « négatif» de la théologie sens ne sont pas trompés dans l'eucharistie, comme l'ex-
thomasienne est, on le voit, omniprésent. plique notre opuscule : « le sacrement de la vérité ne tolère
Au cœur de la défense de l'eucharistie, Thomas fait valoir aucune fiction». Mais l'existence de ces accidents sans sujet
l'action de Dieu Créateur. C'est sur l'activité créatrice de est possible, et tombe de ce fait sous la toute-puissance
Dieu, « prolongée » dans son œuvre de conservation et de divine : cela suffit pour défendre la foi.
gouvernement, que se fondent les explications de ce chapitre. Cette thèse thomasienne suscita très tôt le feu de la cri-
Sur le plan technique, le nerf de l'argument de Thomas réside tique par des philosophes jaloux de l'autonomie du savoir
dans la thèse de la subsistance des accidents « sans sujet» : philosophique et plus soucieux que Thomas de fidélité aux
les accidents ou espèces du pain et du vin, après la consécra- textes d'Aristote ou d'autres sources philosophiques (notam-
tion eucharistique, ne sont plus portés par la substance du ment le Liber de Causis, proposition 1, auquel Thomas fait
pain et du vin, et ils n'affectent pas davantage la substance du recours ailleurs pour justifier la produètion immédiate, par la
Corps glorieux du Christ bien que celle-ci leur soit sous- cause première, des effets des causes secondes sans ces
jacente : les accidents eucharistiques sont maintenus dans causes secondes) 1. Elle témoigne chez notre auteur d'un
l'être par l'action providentielle de Dieu. «Dieu, qui est le propos proprement théologique, au nom duquel la philoso-
créateur de la substance et de l'accident, peut conserver les phie se trouve mise au service de l'exposé de la foi chré-
accidents sensibles dans l'être, leurs sujets étant changés en tienne.
quelque chose d'autre; car par sa toute-puissance il peut et
produire et conserver dans 1' être les effets des causes
secondes sans ces causes secondes » (chap. VIII). Cette thèse Le purgatoire (chap. IX).
caractéristique de Thomas l'a conduit à préciser plusieurs
notions métaphysiques, notamment la définition de la sub- À la différence d'autres objets anciens de la controverse
stance et de l'accident. Il ne se contente pas de faire appel à entre Orientaux et Occidentaux (le Filioque par exemple), le
la toute-puissance divine, mais il tente de concilier la doctrine conflit doctrinal sur l'au-delà de la mort n'éclata pas au plein
eucharistique avec l'ontologie aristotélicienne. Ainsi, Tho- jour avant le xme siècle. Du côté latin, la doctrine du purga-
mas ne définit pas la substance comme « ce qui est par soi toire, malgré ses jalons chez les Pères et les théologiens du
sans sujet», ni l'accident comme «ce qui a l'être dans un haut Moyen Âge, ne fut techniquement mise au point qu'aux
sujet» mais la substance est pour lui« ce à l'essence de quoi xne-xme siècles. Les divergences se manifestèrent en particu-
il revient de posséder l'être en acte», l'accident étant de son lier lors d'une rencontre entre un évêque grec et un religieux
côté « ce dont l'essence est apte à exister dans un sujet» 1. franciscain, en 1231-1232, dans le monastère grec de Casole,
La nuance pourra paraître infime, mais en réalité elle est de près d'Otrante. L'évêque Georges Bardanès y remarqua que
première importance : elle permet à Thomas de montrer que le franciscain, un certain frère Barthélemy, «préconise la
l'existence dans un sujet n'entre pas nécessairement dans la fausse doctrine qu'il existe un feu purificateur, où sont ame-
définition de l'accident, car même Dieu ne peut pas réaliser nés ceux qui meurent après avoir fait leur confession, mais
ce qui est contradictoire. Or l'existence des accidents du pain qui n'ont pas eu le temps de faire pénitence de leurs péchés,

1. Somme de théologie, IIIa, q. 77, a. 1, ad 2. Voir E.-H. WÉBER, «L'in- 1. R. IMBACH, «Le traité de l'eucharistie de Thomas d'Aquin et les
cidence du traité de l'eucharistie sur la métaphysique de S. Thomas averroïstes >>, RSPT 77 (1993), 175-194; « L'antithomisme de Thierry de
d'Aquin», RSPT17 (1993), 195-218. Freiberg>>, RTh 97 (1997), 245-258, voir p. 255-256.
50 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 51

et sont purifiés avant le Jugement dernier, en obtenant, avant ment, suivant la tradition latine, le nom de purgatoire (purga-
le Jugement dernier, la délivrance de la peine 1 ». torium), en concluant: «Nous voulons qu'à l'avenir cette
De ce moment datent les premières polémiques. Face à expression soit reçue également par eux 1. » L'existence de
l'Orient orthodoxe qui s'en tient à l'affirmation du feu du peines purgatoires ou purificatrices pour les âmes saintes,
Jugement dernier, les Latins, attentifs aux difficultés de cette aussitôt après la mort, fera partie de la confession demandée
conception et soucieùx de cohérence rationnelle, cherchent aux Grecs par le concile de Lyon II, en 1274 2. La cohérence
alors à défendre la position de l'Église romaine. Les Domini- doctrinale de 1' affirmation latine se trouvera encore renforcée
cains entrèrent rapidement dans le débat théologique où ils lorsque le pape Benoît XII, en 1336, définira comme objet de
jouèrent un rôle de premier plan. L'un des premiers traités foi 1' obtention immédiate de la béatitude dans la vision face
que nous connaissons revient, en effet, à un frère prêcheur du à face, avant le jugement général, pour les âmes qui en sont
couvent de Constantinople, en 1252 (les Dominicains y ont dignes 3 (un point qui sous-tend la doctrine de Thomas
un couvent avant 1234, peut-être même avant 1228, date de concernant le purgatoire). La discussion fut menée parallèle-
la fondation de la province de Grèce). Le dominicain ano- ment avec les Arméniens. Elle aboutira, avec le succès relatif
nyme y relève que, suivant les Grecs, « les âmes bonnes ne qu'on sait, lors du concile de Florence en 1439.
vont pas au paradis, ni les âmes des réprouvés en enfer, avant Dans sa rencontre avec le frère franciscain en 1231-1232,
le jour du jugement», c'est-à-dire avant le Jugement der- Georges Bardanès trouva la position latine entachée d'origé-
nier2. Le purgatoire, comme tel, occupe la partie positive de nisme : ~~En effet, Origène et ceux qui le suivent ont préco-
l'exposé, mais dans les erreurs reprochées aux Grecs l'accent nisé la doctrine de la fin de l'enfer, et même les démons,
est mis sur la négation de la rétribution immédiate et sur le après plusieurs années obtiendraient leur pardon et seraient
délai des peines et des récompenses jusqu'au dernier jour 3 . délivrés de la punition éternelle 4 . »Les polémistes grecs pos-
Tel est aussi, très exactement, 1' accent placé par Thomas dans térieurs associeront souvent la position latine à la thèse d'Ori-
Les Raisons de la foi. gène, telle qu'elle fut condamnée au concile de Constanti-
Peu après le traité du dominicain anonyme apparaît égale- nople II 5 . Thomas est averti de cette référence à Origène
ment la première déclaration pontificale du « purgatoire » présente dès les débuts de la controverse. Elle constitue à son
face aux Orientaux. En 1254, dans la lettre Sub catholicae jugement le motif de l'attitude des Orientaux (« certains
adressée à son légat auprès des Grecs sur l'île de Chypre, le parmi les Grecs», précise-t-il prudemment dans la Somme
pape Innocent IV observe que «les Grecs affirment ne trou- contre les Gentils 6), ainsi qu'il l'explique au début du cha-
ver chez leurs docteurs aucun nom propre et certain pour pitre IX de notre opuscule : «C'est ainsi également que
désigner ce lieu de purgation » ; il lui donne alors précisé-
1. A. MICHEL, art. «Purgatoire>>, Dictionnaire de théologie catholique
13 (1936), col. 1248; P. RONCAGLIA, p. 82-83.
1. P. RoNCAGLIA, Georges Bardanès métropolite de Corfou et Barthé- 2. Symboles et définitions de la foi catholique [Denzinger], éd. P. Hüner-
lemy de l'ordre franciscain, Rome, 1953, p. 57; A. DONDAINE, <<Contra mann et J. Hoffmanri, Paris, 1996, n° 856-857.
Graecos. Premiers écrits polémiques des Dominicains d'Orient», AFP 21 3. Symboles et définitions de la foi catholique, no 1000.
(1951), 320-446, voir p. 346. Cette rencontre semble constituer la première 4. P. RONCAGLIA, p. 61.
trace significative de la controverse. 5. M. JUGIE, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. IV,
2. Contra Graecos; Patrologie grecque, vol. 140, col. 511; voir Paris, 1931, p. 41; pour la rencontre entre Bardanès et le frère franciscain:
col. 487. Il semble bien que Thomas ait connu ce traité, comme le montre p. 36-38. Pour la position attribuée à Origène, voir ici p. 163, n. 104.
A. DONDAINE(« Contra Graecos >>,p. 387-393). 6. Livre IV, chap. 91, n° 4256: « [. .. ] error quorundam Graecorum qui
3. A. DONDAINE, p. 346. purgatorium negant ».
52 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 53

d'autres, voulant éviter l'erreur d'Origène affirmant que pour Thomas 1) et de 1 Co 3, 13-15 (un passage « classique »
toutes les peines après la mort sont purgatives, tombent dans auquel tous nos médiévaux recourent, à la suite de Césaire
l'erreur contraire. » La structure du chapitre est la suivante : d'Arles notamment 2) fournit 1' essentiel du chapitre. T~omas
n'omet pas de rappeler la pratique traditionnelle de l'Eglise
1. Origène et le motif de l'erreur de ceux qui nient le feu puri- qui prie pour les défunts, un thème constamment avanc~ par
ficateur les Latins à l'appui de leur doctrine. Cette lecture de l'Ecri-
2. Le sort final de ceux qui meurent dans l'état de péché mor- ture est guidée par deux thèmes fondamentaux : la vision béa-
tel tifique d'une part, qui constitue le foyer de la pensée escha-
3. Le sort final des saints tologique de notre auteur, et la justice miséricordieuse de
4. Exégèse doctrinale de 2 Co 5, 1-5 Dieu. Sur le premier thème, Thomas n'hésite pas à affirmer
5. Autres textes scripturaires que «la privation de la vision ~ivine et la séparat_ion de Dieu
6. Le sort de ceux qui meurent avec un péché véniel sont une peine plus grande, meme pour ceux qm demeurent
a. Le feu purificateur pour les péchés véniels en enfer, que le supplice du feu» (chap. IX): c'est en fonction
b. Exclusion d'un délai de la gloire jusqu'au Jugement der- de la vision divine qu'il convient de saisir la destinée ultime
nier des hommes, et c'est elle qui «oblige» raisonnablement le
c. Le cas de ceux qui n'ont pas achevé leur pénitence théologien à affirmer l'existence d'un feu purificateur. Quant
d. L'usage de l'Église qui prie pour les défunts au second point, Thomas explique ailleurs : « Ceux qui nient
7. Confirmation par l'exégèse de 1 Co 3, 13-15: le« Jour du le purgatoire parlent contre la justice divine. C'est la raison
Seigneur» pour laquelle il s'agit d'une erreur con!rai!e à la foi. Et qui-
conque résiste à l'autorité de l'Eghse, tombe dans
La pensée de Thomas d'Aquin sur le purgatoire se caracté- l'hérésie 3 . » Si l'on ajoute à ce motif le fait que la plupart des
rise par une extrême fermeté sur le fond de la doctrine et par mouvements hétérodoxes des xne et xme siècles (vaudois et
une réserve sur les éléments secondaires. Ainsi, pour Thomas, cathares en particulier 4) rejettent la doctrine de l'Église
la rétribution immédiate des âmes « aussitôt qu'elles sont concernant les peines et les récompenses, ainsi que le purga-
déliées des corps » se trouve « manifestement attestée par les toire, on ne s'étonnera guère de la fermeté et de l'insistance
autorités de l'écriture canonique et par les documents des de Thomas sur ce point.
saints Pères ; c'est pourquoi 1' opinion contraire doit être Son enseignement est, par contraste, réservé sur les aspects
considérée comme une hérésie 1. » Les Raisons de la foi ne secondaires attachés au purgatoire. Ainsi, bien qu'il tienne à
font pas valoir les autorités patristiques auxquelles Thomas la conception d'un feu« corporel», il ne s'avance guère sur
recourt ailleurs (Augustin, Gennade et Grégoire le Grand en la question du « lieu » du purgatoire et des représentations qui
particulier, mais aussi Grégoire de Nysse, Théodoret, etc. 2), lui sont associées : « Au sujet du lieu du purgatoire, on ne
mais l'exposé se présente comme une exégèse dogmatique de trouve rien qui soit expressément déterminé dans l'Écriture et
l'Écriture: la lecture détaillée de 2 Co 5, 1-5 (un texte majeur

1. Voir notamment Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 45, a. 1, qla 2,
1. Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 45, q. 1, a. 1, qla 2 =Somme de sed contra 1 ; Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 91, no 4254.
théologie, Supplément, q. 69, a. 2; voir Somme de théologie, la, q. 64, a. 4, 2. CÉSAIRE D'ARLES, Sermon sur 1 Co 3, 11-15 (PL 39, col. 1946-
ad 3. 1949).
2. Contre les erreurs des Grecs II, chap. 40; Écrit sur les Sentences, 3. Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 21, q. 1, a. 1, qla 1.
livre IV, dist. 21, q. 1, a. 1, qla 1, sed contra 2 et sol.; dist. 45, q. 1, a. 1. 4. Voir ici Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église, p. 233.
54 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 55

on ne peut faire valoir aucune raison concluante 1. » Il s'op- sophes issus de l'islmn 1. Ceux-ci sont cependant absents de
pose également à l'idée que les démons interviendraient dans la question dans Les Raisons de la foi, dont le propos est
la peine du purgatoire 2 . Ces aspects sont dès lors absents des modeste: notre auteur s'y applique principalement à préciser
Raisons de la foi: Thomas s'y tient sobrement à l'exposé de le mode de la science divine qui ne supprime pas la contin-
la doctrine catholique. gence des réalités créées et de l'activité libre de l'homme.
Malgré l'importance des sources augustiniennes sur ce sujet
(que l'on songe par exemple au De libera arbitrio ou au
La prédestination divine et la liberté humaine (chap. x). livre V de la Cité de Dieu), c'est en particulier l'héritage
d'Aristote et de Boèce (livre V de la Consolation de la phi-
Les chrétiens ont été très tôt frappés par ce qui leur est losophie) que Thomas recueille et poursuit ici. Le plan du
appa~u comme un « fatalisme » dans la pratique et dans la chapitre est le suivant :
doctnne des musulmans. Ainsi, par exemple, c'est à la
défense du libre arbitre humain que S. Jean Damascène, au 1. L'enjeu de la question et la double erreur à éviter
vme siècle, consacrait la première partie de son Dialogue 2. La science que Dieu a des créatures
entre un musulman et un chrétien 3 . La critique adressée par a. Connaissance éternelle
le~ chrétiens sur ce point parcourt tout le Moyen Âge 4 . On b. Rapport de l'éternité au temps: l'exemple du point et de
smt que les écoles théologiques de l'islam furent elles- la ligne
mêmes divisées entre partisans d'un déterminisme strict par c. Dieu connaît les réalités contingentes sans leur imposer
la prédestination et tenants d'un plus grand rôle de la de nécessité
liberté humaine face à la rétribution divine, les uns et les d. L'exemple du passage sur un chemin
autres pouvant produire plusieurs versets du Coran en 3. La science divine et le gouvernement divin
faveu~ de leur position 5 . Il ne semble pourtant pas que Tho- a. L'action providentielle de Dieu ne supprime pas la
mas mt eu une profonde connaissance de ces divergences contingence des choses
d'écoles. b. L'action de Dieu et l'action des causes créées
L'exposé de Thomas sur la compatibilité de la providence c. Le mode propre de l'action humaine : la liberté
et du libre arbitre humain, au chapitre x, fait en réalité peu d. La disposition divine n'impose pas de nécessité aux
de place à la problématique musulmane comme telle. Il est actes humains
vrai que l'islam a conduit Thomas à développer sa doctrine
sur.la science divine, d'une manière nouvelle; mais il s'agit Tous les principaux éléments de cette réflexion ont déjà été
moms de la pensée religieuse musulmane que des philo- traités, plus longuement, dans la Somme contr:_e les Gentils
(livre I, chap. 66-67, et livre III, chap. 71-73). A cet endroit,
Thomas ne faisait pas état d'une position musulmane, mais
1. Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 21, q. 1, a. 1, qla 2. de « l'opinion des stoïciens qui disaient que tout provient par
2. Ibid., qla 5.
3. Éd. R. Le Coz, SC 383, 1992, p. 228-231 ; voir l'Introduction de l'édi-
teur, p. 136-144. 1. THOMAS D'AQUIN, De la vérité, Question 2 (La science en Dieu),
4.Voir notamment N. DANIEL, Islam et Occident, p. 213-218. éd. S.-Th. Bonino, Fribourg-Paris, 1996. Le texte et le commentaire de l'ar-
5. L. ÜARDET et M.-M. ANAWATI, Introduction à la théologie musul- ticle 12 (Dieu connaît-il les futurs contingents?, p. 327-338 et 517-534)
mane, p. 141-144; 394 (querelle entre jabarites et qadarites); L. RAGE- offre un instrument de grande valeur pour la lecture du chapitre x des Rai-
MANN, Missionstheoretische Ansiitze, p. 476-478. sons de la foi. Pour un aperçu des sources patristiques de Thomas : p. 9-19.
56 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 57

nécessité suivant l'ordre infrangible des causes que les Grecs ti on de la notion de fatum à la doctrine chrétienne réconcilie
appelaient le destin 1 ».D'autres problèmes voisins retiennent alors destin et liberté humaine 1.
ailleurs son attention, en particulier le déterminisme astral de La réflexion de Thomas au sujet de la providence et de la
certains mouvements gnostiques ou le déterminisme mani- prédestination se trouve unifiée par le thème de la « disposi-
chéen2. tion de l'ordre en vue de la fin 2 » (ratio ordinis rerum in
Sur le plan doctrinal, le fond du problème concerne la jïnem). Notre opuscule souligne à cet égard les peines et les
science divine, puisque la providence et la prédestination récompenses qui, en fonction du libre arbitre humain, tombent
sont des actes de la science de Dieu, science créatrice et sous la providence divine (chap. x,§ 1), et c'est à ce titre que
cause de ce qui se produit dans le monde: c'est ainsi en pré- la défense de la liberté humaine entre dans l'exposé de l'es-
cisant le mode de la connaissance de Dieu que Thomas pérance chrétienne, puisque celle-ci a pour objet « ce qui est
résout l'opposition entre la prédestination et la liberté attendu après la mort, et l'aide de Dieu par laquelle, en cette
humaine. La prédestination se range elle-même dans le cadre vie, nous sommes secourus pour mériter la béatitude future
plus général de la providence, puisque la prédestination est par les œuvres du libre arbitre» (c~ap. I) .. En _une formul.e
une« partie» de la providence, c'est-à-dire la providence en ramassée, la Somme contre les Gentrls exphqualt : « Il sermt
ce qui regarde l'obtention du salut et de la vie éternelle 3 . La contraire à la notion même de providence de supprimer la
providence et la prédestination divines sont comme telles des liberté de la volonté 3 . »
attributs divins ; leur exercice prend, sous la plume de Tho-
mas, le nom de « gouvernement » (gubernatio) qui consiste
dans la mise en œuvre de la providence (executio ordinis), Traductions.
c'est-à-dire : conduire les êtres vers leur fin 4 . Il faut noter
que, dans la ligne de Boèce (Consolation de la philosophie, L'opuscule Les Raisons de la foi fut rapidement apprécié et
livre IV), et malgré la thèse déterministe d'une destinée connut une assez large diffusion: l'édition du texte par le
« inscrite sur le front de chacun » (eventus scriptus in fronte, P. Hyacinthe Dondaine a pu être faite sur la base de 77 manus-
comme le rapporte notre chapitre I), Thomas ne renoncera crits, un chiffre fort honorable en comparaison d'autres petits
pas à accueillir un emploi correct de la notion de destin ouvrages du même genre composés par Thomas. Une traduc-
(fatum): le fatum désigne alors la disposition de la provi- tion en grec fut effectuée au xrve siècle par Démétrius Cydo-
dence considérée dans les causes secondes, en tant que les nès (t 1397/1398), connu pour sa traduction de la Somme
créatures sont disposées par Dieu pour produire leurs effets, contre les Gentils et de la Somme de théologie. Cette traduc-
c'est-à-dire l'application de la providence aux créatures qui tion prit place dans la vaste entreprise menée par Cydonès
concourent à la réalisation du plan de Dieu. Cette assimila- pour ouvrir et favoriser l'accès à la pensée de Thomas auprès
des Orientaux, en un temps de controverses et de tentatives de
rapprochement entre Orientaux et Occidentaux où brûlait
1. So,mme contre les Gentils, livre III, chap. 73, no 2493; d'après NÉMÉ-
SIUS n'EMÈSE, Denatura hominis, chap. 37, dans la traduction de BuRGUN-
mo DE PISE; éd. G. Verbeke et J. R. Moncho, Leyde, 1975, p. 138. 1. Somme de théologie, la, q. 116 ; dans le Compendium de théologie (I,
2. Voir ici Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église, quatrième chap. 138), Thomas précise que, dans ce sens, «pour ceux qui tiennent que
article, neuvième et dixième erreurs (p. 227). tout est soumis à la providence divine, il est nécessaire de poser un fatum».
3. Somme contre les Gentils, livre III, chap. 163; Somme de théologie, 2. C'est la définition de la providence: Somme de théologie, la, q. 22,
la, q. 23, a. 1-2. a. 1.
4. Somme de théologie, Ia, q. 103, a. 1. 3. Somme contre les Gentils, livre III, chap. 73, n° 2491.
58 LES RAISONS DE LA FOI INTRODUCTION 59

également la question du palamisme 1. De la même époque propre de cette langue» (Contre les erreurs des Grecs, Pro-
(xrve-xve siècle) date également une traduction française logue). Nous espérons que la présente traduction, qui cherche
inédite : Traité des questions de la foy catholique que saint la fidélité au texte latin, ne s'est pas trop écartée de cette
thoumas d'aquin de l'ordre des precheurs fist à Paris. Notre règle. Les mots entre crochets sont ajoutés par le traducteur
seigneur proumis a saint pierre l' apostole que sainte pour l'intelligence du texte.
yglise 2... L'ouvrage connut plus tard, au XIxe siècle, une tra-
duction française moderne par l'abbé Fournet, au sein des
Opuscules de saint Thomas d'Aquin édités en version
bilingue chez Louis Vivès (t. I, 1856, p. 411-453) 3 .
L'opuscule est également accessible en traduction, de
manière partielle ou complète, dans quelques langues
modernes. Il faut signaler ici en particulier la traduction alle-
mande (édition bilingue, avec le texte de la Léonine), précé-
dée d'une introduction spécialement attentive aux rapports
islamo-chrétiens, par L. Hagemann et R. Glei 4 . Une riche
introduction, avec le même intérêt pour le dialogue islamo-
chrétien, est également fournie dans la traduction en langue
croate par P. Pavlovic 5 .
À l'occasion d'un examen de textes grecs transcrits en
latin, S. Thomas a formulé, comme on sait, la règle d'or d'une
bonne traduction: «Un bon traducteur, transposant dans une
autre langue ce qui appartient à la foi catholique, doit en gar-
der le sens mais adapter la forme d'expression au génie

1. S. G. PAPADOPULOS, «Thomas in Byzanz. Thomas-Rezeption und


Thomas-Kritik in Byzanz zwischen 1354 und 1435 », Theologie und Phi-
losophie 49 (1974) 274-304; P. DEMETRACOPOULOS, « Demetrius Kydones'
Translation of the Summa theologica », Jahrbuch der Osterreichischen
Byzantinistik 32/4 (1982) 311-320.
2. H.-F. DONDAINE, Préface au De rationibus fidei, éd. Léonine, t. 40 B,
p. 7, n. 6.
3. Réimprimé avec la même pagination, chez J. Vrin, Paris, t. II, 1984.
4. THOMAS VON AQUIN, De rationibus fidei, Altenberge, << Corpus isla-
mico-christianum, Series latina>>, 2, 1987.
5. T. AKVINSKI, Razgovor s pravoslavnima i muslimanima, Zagreb,
1992. Le De rationibus fidei est ici présenté et traduit avec le Contra
errores Graecorum de S. Thomas (introduction aux pages 9-140). Je remer- (Poznaii, 1984). Traduction anglaise: J. KENNY, <<Saint Thomas Aquinas,
cie le Fr. Petar-Marija Radelj o. p. qui m'a permis d'avoir quelque accès à Reasons for the FaithAgainst Muslim Objections (and One Objection of the
cet ouvrage. Signalons qu'il existe également une traduction polonaise du Greeks and Armenians) to the Cantor of Antioch >>, Islamochristiana 22
De rationibus fidei, parmi d'autres opuscules de Thomas, par J. Salij (1996) 31-52.
DE RATIONIBUS FIDEl

LES RAISONS DE LA FOI


CAPITULUM PRIMUM CHAPITRE PREMIER

QUAE SIT AUCTORIS INTENTIO L'INTENTION DE L'AUTEUR

Beatus Petrus apostolus, qui prom1sswnem accepit a Le bienheureux apôtre Pierre reçut du Seigneur 1~ pro-
Domino ut super eius confessione fundaretur Ecclesia contra messe que sur sa confession [de foi] serait fondée l'Eglise
quam portae inferorum praevalere non possunt, ut contra contre laquelle les port~s des enfers ne pourront pas prévaloir.
huiusmodi portas inferorum Ecclesiae sibi commissae fides Afin que la foi de l'Eglise qui lui a été confiée demeure
inviolata persisteret fideles Christi alloquitur dicens « Domi- intacte contre ces portes des enfers, il s'adresse ainsi aux
num Christum sanctificate in cordibus vestris», scilicet per fidèles du Christ : « Sanctifiez le Seigneur Christ dans vos
fidei firmitatem ; quo fundamento in corde collocato contra cœurs» [1 P 3, 15], c'est-à-dire par la solidité de votre foi.
omnes impugnationes aut irrisiones infidelium tuti esse pote- C'est par ce fondement établi dans nos cœurs que nous pour-
rimus : unde subdit « Parati semper ad satisfactionem omni rons nous trouver en sécurité face à toutes les attaques et
poscenti vos rationem de ea quae in vobis est spe et fide ». moqueries des infidèles 1. C'est pourquoi Pierre ajoute:
« Soyez toujours prêts à donner satisfaction à quiconque vous
demandera la raison de l'espérance et de la foi qui sont en
vous 2.»
Fides autem christiana principaliter consistit in sanctae Tri- Or la foi chrétienne consiste principalement dans la confes-
nitatis confessione et specialiter gloriatur in cruce Domini sion de la sainte Trinité, et elle se glorifie spécialement dans
nostri Iesu Christi, << nam verbum crucis, ut Paulus dicit, etsi la croix de Notre Seigneur Jésus Christ «car la parole de la
pereuntibus stultitia sit, his autem qui salvi hunt, id est nobis, croix, comme le dit Paul, bien qu'elle soit folie pour ceux qui
virtus Dei est». Spes etiam nostra in duobus consistit, scilicet se perdent, est puissance de Dieu pour ceux qui sont sauvés,
in eo quod expectatur post mortem et in auxilio Dei quo in c'est-à-dire pour nous» [1 Co 1, 18]. Notre espérance
hac vita iuvamur ad futuram beatitudinem per opera liberi consiste également en deux choses : ce qui est attendu après
arbitrii promerendam. la mort, et l'aide de Dieu par laquelle, en cette vie, nous
sommes secourus pour mériter la béatitude future par les
œuvres du libre arbitre.
Haec igitur sunt quae, ut asseris, ab infidelibus impugnan- Voici, comme tu l'affirmes, ce que les infidèles attaquent et
tur et irridentur. Irrident enim Saraceni, ut dicis, quod Chris- qu'ils tournent en dérision. Les Sarrasins, comme tu le dis, se
tum Dei Filium dicimus cum Deus uxorem non habeat ; et moquent du fait que nous appelons le Christ « Fils de Dieu »
64 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 65

reputant nos insanos quod tres personas confitemur in Deo, alors que Dieu n'a pas de femme ; et ils nous tiennent pour
per hoc aestimantes nos tres deos profiteri. Irrident etiam insensés parce que nous confessons trois personnes en Dieu,
quod Christum Dei Filium pro salute humani generis dicimus estimant que nous professons par là trois dieux. Ils se
crucifixum, quia si est Deus omnipotens potuit absque sui moquent également du fait que nous affirmons que le Christ,
Filii passione genus humanum salvare ; potuit etiam sic le Fils de Dieu, a été crucifié pour le salut du genre humain ;
constituere hominem ut peccare non posset. Improperant car si Dieu est le Tout-Puissant, il pouvait bien sauver le
etiam Christianis quod cotidie in altari comedunt Deum suum genre humain sans la passion de son Fils, comme il pouvait
et quod corpus Christi, si esset ita magnum sicut mons, iam constituer l'homme de telle sorte qu'il ne pût pas pécher. Ils
deberet esse consumptum. reprochent aussi aux Chrétiens de manger chaque jour leur
Dieu à l'autel, et ils objectent que le Corps du Christ, même
s'il était aussi grand qu'une montagne, devrait avoir été déjà
entièrement consommé.
Circa statum vero animarum post mortem Graecos et Au sujet de l'état des âmes après la mort, tu relèves que les
Armenos asseris errare dicentes quod animae usque ad diem Grecs et les Arméniens sont dans 1' erreur, eux qui disent que
iudicii nec puniuntur nec praemiantur, sed sunt quasi in les âmes ne sont ni punies ni récompensées avant le jour du
sequestra, quia nec poenam nec praemia debent habere sine jugement, mais qu'elles demeurent jusque-là dans un état
corpore ; et in sui erroris assertionem inducunt quod Dominus pour ainsi dire provisoire, car elles ne doivent recevoir ni
in evangelio dicit « In domo Patris mei mansiones multae peine ni récompense sans leur corps. Et pour défendre leur
sunt ». erreur ils invoquent ce que le Seigneur dit dans l'Évangile:
« Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père »
[Jn 14, 2].
Circa meritum vero quod ex libero dependet arbitrio, asse- Enfin, à propos du mérite qui dépend du libre arbitre, tu
ris tarn Saracenos quam nationes alias necessitatem actibus relèves que tant les Sarrasins que d'autres peuples 3 attri-
humanis imponere ex praescientia vel ordinatione divina, buent une nécessité aux actes humains du fait de la pres-
dicentes quod homo non potest mori nec etiam peccare nisi cience ou de l'ordonnance divine: ils disent que l'homme ne
sicut Deus ordinavit de homine, et quod quaelibet persona peut pas mourir et ne peut même pas pécher sinon comme
suum eventum habet scriptum in fronte. Super quibus petis Dieu l'a disposé pour l'homme, et que toute personne porte
rationes morales et philosophicas quas Saraceni recipiunt; son destin inscrit sur son front. Tu demandes sur ces points
frustra enim videretur auctoritates inducere contra eos qui des raisons d'ordre moral et philosophique que les Sarrasins
auctoritates non recipiunt. Tuae igitur petitioni quae ex pio accueillent. En effet, il apparaîtrait vain de faire valoir des
desiderio videtur procedere, ut sis iuxta apostolicam doctri- arguments d'autorité 4 contre ceux qui n'accueillent pas ces
nam paratus ad satisfactionem omni poscenti te rationem, autorités. Ta requête, comme il ressort, procède du désir
satisfacere volens, aliqua facilia secundum quod materia pati- pieux de te rendre capable, conformément à 1' enseignement
tur super praemissis tibi exponam, quae tamen alibi diffusius de l'Apôtre [Pierre], de donner satisfaction à quiconque te
pertractavi. demande de rendre compte [de la foi et de l'espérance]. Vou-
lant y satisfaire, je vais exposer autant que la matière le per-
met quelques éléments aisément accessibles sur les points
mentionnés ; j'en ai pourtant traité ailleurs de manière plus
complètes.
66 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 67

CAPITULUM SECUNDUM CHAPITRE II

QUALITER SIT DISPUTANDUM COMMENT FAUT DISPUTER


CONTRA INFIDELES AVEC LES INFIDÈLES 6

De hoc tamen primo admonere te volo quod in Je veux d'abord t'avertir que, dans les disputes 7 contre les
nibus contra infideles de articulis fidei, non ad hoc infidèles au sujet des articles de la foi, tu ne dois pas chercher
debes ut fidem rationibus necessariis probes, hoc enim à prouver la foi par des raisons nécessaires 8 ; cela dérogerait
mitati fidei derogaret cuius veritas non solum humana~ à la sublimité de la foi dont la vérité dépasse non seulement
mentes sed etiam angelorum excedit ; a nobis autem cn~aum l'esprit des hommes mais aussi celui des anges. Nous croyons
tur quasi ab ipso Deo revelata. Quia tamen q_uo~ a ces articles de la foi en tant qu'ils nous sont révélés par
veritate procedit falsum esse non potest, nec ahqm~ u'"'''"'""'a Dieu 9 . Or ce qui procède de la vérité suprême ne peut pas être
ria ratione impugnari valet quod falsum non est, s1_cut faux et aucune raison nécessaire ne peut parvenir à détruire ce
nostra necessariis rationibus probari non potest qma qui n'est pas faux 10. C'est pourquoi, de même que notre foi
nam mentem excedit, ita improbari necessaria ratione ne peut pas être prouvée par des raisons nécessaires, car elle
potest propter sui veritatem. dépasse l'esprit humain, ainsi en raison de sa vérité elle ne
peut pas être réfutée par une raison nécessaire.
Ad hoc igitur debet tendere christiani disputatoris mten1:tc L'intention du chrétien qui pratique la dispute sur les
in articulis fidei, non ut fidem probet, sed ut fidem defendat articles de la foi ne doit donc pas viser à prouver la foi, mais
unde et beatus Petrus non dicit « parati semper ad à défendre la foi 11 . C'est pourquoi saint Pierre ne dit pas
nem » sed «ad satisfactionem », ut scilicet «toujours prêts à prouver» mais « à donner satisfaction » ;
ostendatur non esse falsum quod fides catholica confitetur. autrement dit : à montrer de manière raisonnable que ce que
la foi catholique confesse n'est pas faux.

CAPITULUM TERTIUM CHAPITRE III

QUALITER IN DIVINIS GENERATIO COMMENT FAUT ENTENDRE


SIT ACCIPIENDA LA GÉNÉRATION EN DIEU 12

Primum igitur considerandum est derisibilem esse Il faut d'abord considérer que, lorsqu'ils se moquent parce
nem qua nos irrident quod ponimus Christum Filium que nous affirmons que le Christ est le Fils de Dieu, comme
quasi Deus uxorem habuerit ;. cum eni~ ~int ca:nales, si Dieu avait une épouse, cette moquerie est elle-même ridi-
possunt nisi ea quae sunt carms et sangmms cogltare. cule. Puisqu'ils sont charnels, ils ne peuvent penser que ce
bet autem sapiens considerare potest quod non est qui relève de la chair et du sang 13 . Toute personne sensée
68 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 69

modus generationis in omnibus rebus, sed in unaquaque re peut cependant considérer que le mode de la génération n'est
invenitur generatio secundum proprietatem suae naturae : in pas identique chez tous les êtres, mais en chaque être la gêné-
animalibus quidem quibusdam per maris et feminae commix- . ration se réalise selon la propriété de sa nature : chez certains
tionem, in plantis vero per pullulationem seu germinationem, animaux elle a lieu par l'union du mâle et de la femelle, chez
atque in aliis aliter. Deus autem non est carnalis naturae ut }es plantes par pullulation ou par germination, et autrement
feminam requirat cui commisceatur ad prolis generationem, encore chez d'autres êtres. Or Dieu n'est pas de nature char-
sed est spiritualis sive intellectualis naturae, immo magis nelle pour avoir besoin d'une femme à qui s'unir pour engen-
supra omnem intellectum ; est igitur in eo generatio acci- drer une progéniture. Mais il est de nature spirituelle ou intel-
pienda secundum quod convenit intellectuali naturae. Et lectuelle, bien plutôt il est au-dessus de tout intellect 14. La
quamvis intellectus noster ab intellectu divino deficiat, non génération en Dieu doit donc être saisie selon ce qui convient
possumus tamen aliter loqui de intellectu divino nisi secun- àla nature intellectuelle. Et bien ~ue notre intellect se trouve
dum similitudinem eorum quae in intellectu nostro inveni- en défaut face à l'intellect divin 1 , nous ne pouvons pourtant
mus. parler de l'intellect divin qu'au moyen de la similitude de ce
que nous trouvons dans notre intellect.
Est autero intellectus noster aliquando quidero in •" ,. '"'""" Notre intellect se trouve parfois en puissance de connaître,
intelligens, aliquando vero in actu. Quandocumque et parfois en acte. Or, chaque fois qu'il connaît en acte, il
actu intelligit quoddam intelligibile format quod est forme quelque chose d'intelligible qui est pour ainsi dire sa
quaedam proies ipsius, unde et mentis conceptus nominatur ; progéniture et que l'on appelle donc« concept de l'esprit» 16.
et hoc quidem est quod exteriori voce significatur, unde sicut Et c'est cela qui est signifié par la parole vocale extérieure.
vox significans verbum exterius dicitur, ita interior mentis C'est pourquoi, de même que cette parole vocale qui signifie
conceptus verbo exteriori significatus dicitur verburo intel- est appelée «verbe extérieur», ainsi le concept intérieur de
lectus seu mentis. l'esprit, signifié par le verbe extérieur, est appelé « verbe de
l'intellect » ou « verbe mental » 17.
Hic autero mentis nostrae conceptus non est ipsa Ce concept de notre esprit n'est pas l'essence même de
nostrae essentia, sed est quoddam accidens ei, quia nec notre esprit, mais il en est un accident, car notre acte de
intelligere nostruro est ipsuro esse nostri intellectus, alioquin connaître n'est pas l'être de notre intellect : sinon notre intel-
numquaro intellectus noster esset quin intelligeret actu. Ver- lect serait toujours en acte de connaître 18 . C'est pourquoi le
hum igitur intellectus nostri secundum quandam similitudi- verbe de notre intellect peut être appelé, selon une certaine
nero dici potest vel conceptus vel proles, et praecipue cum similitude, «concept» ou «progéniture», et cela principale-
intellectus noster se ipsuro intelligit, in quantum scilicet est ment lorsque notre intellect se connaît lui-même, c'est-à-dire
quaedam similitudo intellectus procedens ab eius 1.1rueHt:'L:LUL(tll en tant que ce verbe ou concept est une similitude de l'intel-
virtute, sicut et filius habet similitudinero patris procedens lect, procédant de la puissance de cet intellect ; comme un
eius generativa virtute. Non tamen proprie verburo fils, procédant de la puissance générative de son père, pos-
intellectus potest dici proies vel filius, quia non est vu.,.,u,.:ou• sède la similitude de celui-ci. Cependant le verbe de notre
naturae cuius est intellectus noster ; non autem omne intellect ne peut pas être appelé proprement « progéniture » ni
procedit ab aliquo, etiam si sit simile ei, dicitur filius, al!'·uu•.u. <<fils», puisqu'il n'est pas de même nature que notre intel-
imago sui quaro aliquis pingit proprie filius diceretur : lect: on n'appelle pas« fils» tout ce qui procède d'une autre
hoc quod sit filius requiritur quod procedens et M·HuaLululll'-'" ch?se, même s'il lui est semblable, car sinon l'image de soi
habeat eius a quo procedit et sit eiusdero naturae euro ipso. pemte par quelqu'un serait appelée proprement son fils. Mais,
70 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 71

pour que ce qui procède soit un «fils», il faut qu'il possède


la similitude de celui de qui il procède, et aussi qu'il soit de
même nature que lui 19 .
Quia vero in Deo non est aliud intelligere quam suum esse, Puisqu'en Dieu l'acte de connaître n'est pas autre chose
consequenter neque verbum quod in intellectu eius concipitur que l'être même de Dieu 20 , le Verbe qui est conçu dans son
est aliquod accidens aut aliquid alienum ab eius natura ; sed intellect n'est pas, par conséquent, un accident ou quelque
ex hoc ipso quod verbum est rationem habet procedentis ab chose n'appartenant pas à la nature de Dieu ; mais, du fait
altero et ut sit similitudo eius cuius est verbum : hoc enim in même qu'il est le Verbe, il est par définition ce qui procède
verbo nostro invenitur. Sed illud verbum divinum habet ulte- d'un autre et il est la similitude de ce dont il est le Verbe : en
rius quod non sit aliquod accidens, neque aliqua pars Dei qui effet, cela s'observe aussi dans notre verbe 21 . Il appartient en
est simplex, neque aliquid alienum a divina natura, sed quod- outre à ce Verbe divin de ne pas être un accident, ni une quel-
dam completum subsistens in natura divina habens rationem conque partie de Dieu qui est simple, ni quelque chose
ab altero procedentis : sine hoc enim verbum intelligi non d'étr.anger à la nature divine_. ~ais il est une réalité complète,
potest. subs1stant dans la nature dwme et tenant par définition de
procéder d'un autre 22 , car on ne peut pas saisir un verbe sans
cela.
Hoc autem secundum humanae locutionis consuetudinem Or ~m appelle ;<fils», suivant l'usage du langage humain,
filius nominatur quod procedit ab alio in similitudinem eius, ce qm procede d un autre par mode de similitude et subsiste
subsistens in eadem natura cum ipso. Secundum igitur quod dans la même nature que lui. C'est pourquoi, dans la mesure
divina verbis humanis nominari possunt, verbum intellectus où les réalités divines peuvent être nommées par des paroles
divini Dei Filium nominamus ; Deum vero cuius est verbum humames 23 , nous appe1ons «Ft"1 s de Dieu» le Verbe de l'in-
0

nominamus Patrem, et processum verbi dicimus esse genera- tellect divin. Quant à Dieu qui est le principe du Verbe, nous
tionem Filii, immaterialem quidem, non autem carnalem sicut l'appelons «Père». Et nous appelons le processus du Verbe
camales homines suspicantur. <<génération du Fils», génération immatérielle, non pas char-
nelle comme 1'imaginent des hommes charnels 24.
Est autem et aliud in quo excedit praedicta Filii Dei gene- M~is il y a e_ncore un autre point sur lequel cette génération
ratio omnem generationem humanam, sive materialem per du ~tls de D1eu surpasse toute génération humaine, qu'il
quam homo ex homine nascitur, sive intelligibilem secundum ~'agtsse de la génération matérielle par laquelle un homme
quam verbum concipitur in mente humana ; in utraque enim naît d'un autre homme 25 ou de la génération intelligible selon
illud quod per generationem procedit invenitur posterius tem- laquelle le verbe est conçu dans l'esprit humain. Dans l'une
pore eo a quo procedit. Pater enim non generat statim a prin~ et l'autre, en effet, ce qui procède par génération se trouve
cipio sui esse, sed oportet quod de imperfecto ad statum per- postérieur dans le temps au principe duquel il procède. Car un
fectum perveniat in quo generare possit ; nec iterum statim père n'engendre pas dès l'instant où il commence d'être mais
generationi operam dat filius nascitur, quia camalis geJne1·at1o il faut que ~'un état imparfait il parvienne à l'état p~fait26
in quadam mutatione et successione consistit. S..,....,,_,,._,u.u dans lequel Il est capable d'engendrer. Et, de plus, un fils ne
intellectum etiam non statim a principio homo est aptus naît pas aussitôt qu'un père se met à exercer l'acte générateur
intelligibiles conceptus formandos ; et postquam etiam ad puisque la génération charnelle consiste dans un changement
tum perfectionis venit non semper actu intelligit, sed prius e~ dans une succession. Selon l'intellect également, l'homme
potentia intelligens tantum et postmodum fit intelligens n est pas apte à former des concepts intelligibles dès l'instant
72 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 73

et interdum desinit actu intelligere et remanet intelligens son commencement ; et même après avoir atteint l'état de
potentia vel in habitu tantum. il ne connaît pas toujours en acte, mais il est
seulement en puissance de connaître et ensuite il
:..~~·"'"1T en acte ; et entre-temps il cesse de connaître en acte
et connaît alors en puissance ou selon 1' habitus seulement 27 .
Sic igitur verbum hominis posterius in tempore · Ainsi, le verbe de l'homme se trouve postérieur dans le
quam homo, et quandoque desinit esse ante quam homo temps à l'homme lui-même, et parfois il cesse d'être avant
impossibile est autem ista Deo convenire in quo neque que l'homme cesse d'être. Or il est impossible que ces
fectio neque mutatio aliqua locum habet, neque etiam aspects conviennent à Dieu en qui il n'y a ni imperfection ni
exitus. de potentia ad actum cum ipse sit actus purus et aucun changement, ni aucun passage de la puissance à l'acte,
mus : verbum igitur Dei coaeternum est ipsi Deo. puisqu'il est acte pur et premier. Le Verbe de Dieu est donc
coéternel à Dieu lui-même.
Est autem et aliud in quo verbum nostrum differt a Il y a encore un autre point sur lequel notre verbe diffère du
divino. Intellectus enim noster non simul intelligit vu.uu<l~:· Verbe divin. En effet, notre intellect ne connaît pas simulta-
neque unico actu sed pluribus, et ideo verba intellectus nostri nément tout ce qu'il connaît, ni par un acte unique, mais par
sunt multa ; sed Deus omnia simul intelligit et unico actu; plusieurs actes, et c'est pourquoi les verbes de notre intellect
quia eius intelligere non potest esse nisi unum cum sit sont multiples. Mais Dieu connaît toutes les choses simulta-
esse : unde sequitur quod in Deo sit unum verbum tantum. nément et par un acte unique, parce que son acte de connaître
ne peut être qu'unique, étant son être même. En Dieu, par
conséquent, il n'y a qu'un seul Verbe.
Ulterius autem est alia consideranda differentia, quod Il faut enfin considérer une autre différence qui consiste en
bum intellectus nostri non adaequat intellectus virtutem, ceci: le verbe de notre intellect n'épuise pas la puissance de
cum aliquid mente concipimus adhuc possumus alia l'intellect, car lorsque nous avons conçu une chose par l'es-
concipere ; unde verbum intellectus nostri et imperfectum prit nous pouvons encore en concevoir beaucoup d'autres.
et in eo potest compositio accidere dum ex multis pe1rte<~t1s C'est pourquoi le verbe de notre intellect est imparfait, et il
verbis fit unum verbum perfectius, sicut cum peut y avoir en lui une composition lorsque de plusieurs
concipit aliquam enunciationem aut diffinitionem verbes parfaits 28 résulte un verbe plus parfait, comme cela se
rei. Sed verbum divinum adaequat virtutem Dei, quia passe quand l'intellect conçoit une énonciation ou une défini-
per essentiam suam se ipsum intelligit et ornnia alia ; tion de quelque chose 29 . Mais le Verbe divin égale la puis-
quanta est essentia eius tantum est verbum quod · sance divine, parce que c'est par son essence que Dieu
essentiam suam se et omnia intelligendo : est ergo oe1rrecmm connaît soi-même et toutes les autres choses; c'est pourquoi,
et simplex et aequale Deo. autant son essence est parfaite, autant est aussi parfait le
Verbe qu'il conçoit en connaissant par son essence soi-même
et toutes choses 30 : il est donc parfait, simple et égal à Dieu.
Et hoc verbum Dei Filium nominamus ratione iam Et ce Verbe de Dieu, pour la raison déjà dite, nous le nom-
quem eiusdem naturae cum Patre et Patri coaeternum, mons le « Fils » que nous confessons de même nature que le
nitum et perfectum confitemur. Père et coéternel au Père, unique et parfait 31 .
74 DE RATIO NIB US FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 75

CAPITULUM QUARTUM CHAPITRE IV

QUALITER IN DIVINIS SIT ACCIPIENDA COMMENT FAUT ENTENDRE EN DIEU


PROCESSIO SPIRITUS SANCTI A PATRE LA PROCESSION DU SAINT-ESPRIT
ETFILIO QUI PROCÈDE DU PÈRE ET DU FILS 32

Est aut~m considerandum ulterius quod omnem cognitio~ Il faut en outre considérer que toute connaissance entrmne
nem seqmtur aliqua appetitiva operatio. Inter omnes autem une opération appétitive 33 . Or parmi toutes les opérations
appetitivas operationes invenitur amor esse principium, quo appétitives, le principe est l'amour: sans l'amour, il n'y aura
sublato neque gaudium erit si adipiscatur aliquis quod non pas de joie si l'on obtient ce que l'on n'aime pas, ni de tris-
amat, neque tristitia si impediatur ab eo quod non amat ; si tesse si l'on est privé de ce que l'on n'aime pas. Par consé-
~mor tollat~r, et per consequens tolluntur omnes aliae appeti- quent, si l'on supprime l'amour on supprimera aussi toutes
tlvae operatwnes quae quodam modo ad tristitiam et gaudium les autres opérations appétitives qui se rapportent d'une cer-
refer~mtn:. Cum igitur in Deo sit perfectissima cognitio, opor-
taine J?anière à la. tristesse et à la joie 34 . Aussi, puisque la
tet etlam m eo ponere perfectum amorem, in quo quidam pro- connmssance en D1eu est absolument parfaite, il faut poser en
cessus per appetitivam operationem exprimitur sicut et in lui.un arno?~ rarfait dans le~uel a lieu un processus par l'opé-
verbo per operationem intellectus. ration appet1t1ve, comme c est aussi le cas dans le Verbe par
l'opération de l'intellect.
Est autem attendenda differentia quaedam inter intellectua- Il faut cependant remarquer une différence entre l'opération
lem operationem et appetitivam. Nam operatio intellectualis ~ntellectuelle et l'opération appétitive. En effet, l'opération
et omnino omnis cognitiva operatio completur per hoc quod mtellectuelle, comme absolument toute opération cognitive en
cognoscibilia in cognoscente quodam modo existunt, "'-''H'-"~~· général, s'accomplit par le fait que les choses qui sont objet de
sensibilia in sensu et intelligibilia in intellectu ; operatio conna~ssance existent d'.une certaine manière dans celui qui
autem appetitiva completur secundum quendam ordinem vel connmt : les choses senstbles dans le sens, et les choses intel-
motum appetentis ad res appetitui obiectas. Ea vero quae li&ibles dans l'intellect. Mais l'opération appétitive s' accom-
h~bent occultum principium sui motus spiritus nomen acci- plit selon ~n rapport ou mouvement de celui qui désire vers les
c~oses qm sont objets de l'appétit. Or les choses dont le prin-
pl~nt.; ~ic enim venti spiritus dicuntur quia eorum afflationis
pnnc1pmm non apparet, respiratio etiam et arteriarum motus c!pe d~ II_lOuvement est caché reçoivent le ·nom d'« esprit» :
ab in~inseco et occulto procedens principio spiritus nomen c ~st .mns1 que les vents sont appelés « esprits » parce que le
acce~nt : u~~e c?nvenienter, secundum quod divina humanis
pnnc1pe de leur souffle n'est pas apparent ; la respiration éga-
verb1s s1gmflcan possunt, ipse divinus amor procedens Spiri- leJ?e~t et. le ~ouvement d~s canaux trachéens, procédant d'un
tus nomen accepit. pnnc1pe mteneur et cache, reçoivent le nom d'« esprit» 35. Il
est donc convenable que, dans la mesure où les choses divines
peuvent être nommées par des paroles humaines 36 l'amour
divin qui procède ait reçu le nom d'« Esprit». '
?ed in nobis amor ex duplici causa procedit : quandoque Ch~z nous, pourtant, l'amour procède d'une double cause.
qmdem ex corporea et materiali natura, qui plerumque est Parf01s d'une nature corporelle ou matérielle, et l'amour alors
76 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 77

amor immundus quia. per eum puritas mentis nostrae plus souvent impur, troublant la pureté de notre âme.
tur ; quandoque autem ex ipsa proprietate spiritus il procède parfois de ce qui appartient en propre à la
sicut cum amamus intelligibilia bona et quae rationi de l'esprit ; il en va ainsi lorsque nous aimons les réa-
niunt, et hic amor est purus. In Deo autem amor •uu•vu.a:1 d' ordre intelligible qui sont bonnes et qui conviennent à
locum non habet ; convenienter igitur amorem ipsius : cet amour-ci est pur. Mais en Dieu il n'y a pas
solum Spiritum, sed Spiritum Sanctum nominamus, ut matériel. Il est donc convenable d'appeler son
hoc quod dicitur Sanctus eius puritas exprimatur. non seulement «Esprit» mais «Esprit Saint», pour
sa pureté par ce mot « Saint » 37 •
Manifestum est autem quod nihil amare possumus · est en outre manifeste que nous ne pouvons rien aimer
gibili et sancto amore nisi quod actu per intellectum amour intellectuel et saint si nous ne l'avons pas conçu
mus ; conceptio autem intellectus est verbum : unde par notre intellect. Or la conception de l'intellect, c'est
est quod amor a verbo oriatur. Verbum autem Dei : il est donc nécessaire que l'amour tire son origine du
esse Filium ; ex quo patet Spiritum Sanctum esse a Filio. Or nous disons que le Verbe de Dieu est le Fils : d'où il
clairement que le Saint-Esprit procède du Fils 38 .
Sicut autem divinum intelligere est eius esse, ita etiam même que l'acte divin de connaître est l'être de Dieu,
amare Dei est esse ipsius ; et sicut Deus semper actu l'acte d'amour de Dieu est aussi l'être de Dieu. En
et omnia intelligendo se ipsum intelligit, ita etiam de même que Dieu connaît toujours en acte et se
actu amat et omnia amat suam bonitatem amando. Sicut soi-même en connaissant tout, ainsi il aime toujours
tur Dei Filius qui est Verbum Dei est subsistens in acte et il aime tout en aimant sa propre bonté. Donc, de
natura, coaeternus Patri, perfectus et unicus, ita etiam que le Fils de Dieu, qui est le Verbe de Dieu, est une
omnia de Spiritu Sancto confiteri oportet. subsistant dans la nature divine, coéternel au Père, par-
et unique, ainsi tout cela doit être pareillement confessé
Saint-Esprit.
Ex his autem colligere possumus quod, cum omne pouvons en conclure ceci : puisque tout ce qui sub-
subsistit in natura intelligente apud nos persona dicatur, dans une nature intelligente est appelé chez nous « per-
Graecos autem hypostasis, necesse est dicere quod » et chez les Grecs « hypostase » 39 , il faut nécessaire-
Dei, quod Dei Filium nominamus, sit quaedam hypostasis dire que le Verbe de Dieu, que nous appelons Fils de
persona ; et idem de Spiritu Sancto dici oportet. Nulli est une hypostase ou une personne ; et il faut affirmer
est dubium quin Deus a quo Verbum et Amor procedit sit même chose du Saint-Esprit. De plus, personne ne doute
subsistens, ut etiam possit dici hypostasis vel persona ; et Dieu [le Père], de qui procèdent le Verbe et l'Amour, soit
hune modum convenienter ponimus in divinis tres réalité qui subsiste, pouvant ainsi être appelé hypostase
scilicet personam Patris, personam Filii, personam personne. De cette manière il est convenable de poser en
Sancti. trois personnes : la personne du Père, la personne du
et la personne du Saint-Esprit.
Has autem tres hypostases vel personas non dicimus Toutefois, nous ne disons pas que ces trois hypostases ou
per essentiam di versas, quia, sicut iam supra dictum est, sont diverses selon l'essence ; car, comme on l'a
intelligere et amare Dei est eius esse, ita Verbum et Amor dit plus haut, de même que l'acte divin de connaître et
sunt ipsa Dei essentia. Quicquid autem de Deo absolute aimer est l'être de Dieu, ainsi son Verbe et son Amour sont
tur non est aliud quam Dei essentia ; non enim est Deus '·'"'"'"'"''''"''"' même de Dieu. Tout ce qui est dit de Dieu de
78 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 79

magnus vel potens vel bonus accidentaliter sed per ""c'"""'<lJlu :manière absolue est identique à l'essence de Dieu, car Dieu
suam : unde tres personas vel hypostases non dicimus in divi- n'est pas grand ou puissant ou bo~ par accident mais P.ar son
nis distinctas per aliquid absolutum, sed per solas relationes essence. C'est pourquoi nous ne d1sons pas que les trots per-
quae ex processione Verbi et Amoris proveniunt. Et quia pro- sonnes ou hypostases en Dieu sont di~tinctes. par quelque
cessionem Verbi generationem nominamus, ex generatione chose d'absolu, mais par les seules relat10ns qm proviennent
autem proveniunt relationes paternitatis et filiationis, perso- de la procession du Verbe et de la procession de l' Amour 40 .
nam Filii a Patris persona distingui dicimus solummodo Puisque nous appelons la procession du Verbe« génération»,
paternitate et filiatione, omnia alia communiter et indifferen- et puisque de la génération proviennent les relations.de pat~r­
ter de utroque praedicantes : sicut enim dicimus Patrem nité et de filiation, nous disons que la personne du F1ls se dis-
verum Deum, omnipotentem, aeternum et quaecumque simi- tingue de la personne du Père yar la paternité et la filiation
liter dicuntur, sic et Filium ; et eadem ratio est de Spiritu exclusivement, et nous leur attribuons toutes les autres choses
Sancto. de manière commune et sans différence. En effet, de même
que nous disons que le Père est vrai Dieu, tout-puissant, éter-
nel et tout ce que nous lui attribuons de semblable, nous
disons cela pareillement du Fils. Et la même raison vaut pour
le Saint-Esprit.
Quia igitur Pater et Filius et Spiritus Sanctus non distin- Puisque le Père et le Fils et le Saint-Esprit ne se distinguent
guuntur in natura divinitatis sed relationibus solis, conve- pas selon leur nature divine mais par les seules relations, c'est
nienter tres personas non dicimus tres Deos, sed unum verum donc de manière convenable que nous n'appelons pas les
Deum et perfectum confitemur. In hominibus autem ideo tres trois personnes trois Dieux, mais nous confess?ns un seul
personae tres homines dicuntur et non unus homo, quia Dieu vrai et parfait. Et si, parmi les hommes, trots personnes
natura humanitatis quae communis est tribus differenter sont appelées trois hommes et non pas un seul homme, c'est
convenit eis secundum materialem divisionem, quae omnino parce que la nature h~maine con:m:~ne aux ,t~ois leur a~pa;­
in Deo locum non habet ; unde cum in tribus hominibus sint tient différemment, smvant une d1v1S10n matenelle, ce qm n a
tres humanitates numero differentes, sola ratio humanitatis in pas du tout lieu en Dieu 41 . C'est pourquoi, puisqu'en trois
eis communis invenitur. In tribus autem personis divinis non hommes il y a trois humanités numériquement différentes,
tres divinitates numero differentes, sed unam simplicem dei- seule l'essence de l'humanité se trouve être commune en
tatem necesse est esse, cum non sit alia essentia Verbi et eux 42. Mais il est nécessaire que, dans les trois personnes
Amoris in Deo ab essentia Dei, et sic non tres Deos sed unum divines, il n'y ait pas trois divinités numériquement diffé-
Deum confitemur propter unam et simplicem deitatem in tri- rentes mais une seule et simple déité 43 , puisque 1' essence du
bus personis. Verbe et de 1' Amour en Dieu n'est pas autre que 1' essence de
Dieu. Ainsi, nous ne confessons pas trois Dieux mais un seul
Dieu, en raison de l'unique et simple déité dans les trois per-
80 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 81

CAPITULUM QUINTUM CHAPITRE V

QUAE FUIT CAUSA INCARNATIONIS QUELLE FUT LA CAUSE DE L'INCARNATION


FILII DEI DU FILS DE DIEU 44

Ex simili autem mentis caecitate christianam fidem irrident C'est en raison d'un semblable aveuglement de l'esprit
quia confitetur Christum Dei Filium mortuum esse, tanti qu'ils tournent en dérision la foi chrétienne qui confesse que
mysterii profunditatem non intelligentes. Et ne mors Filii Dei le Christ, le Fils de Dieu, est mort : ils ne saisissent pas la pro-
perverse intelligatur, prius aliquid de Filii Dei incarnatione fondeur d'un si grand mystère. Pour que la mort du Fils de
dici oportet ; non enim dicimus Filium Dei morti subiectum Dieu ne soit pas saisie dans un sens pervers 45 , il faut dire
fuisse secundum naturam divinam in qua aequalis est Patri, d'abord quelque chose de l'incarnation du Fils de Dieu. Car
quae est fontalis omnium vita, sed secundum nostram natu- nous ne disons pas que le Fils de Dieu a été soumis à la mort
ram quam assumpsit in unitatem personae. selon sa nature divine en laquelle il est égal au Père et qui est
la source de vie de toutes choses, mais selon notre nature
qu'il a assumée dans l'unité de sa personne 46.
Ad incarnationis igitur divinae mysterium aliqualiter consi- Pour percevoir de quelque façon ce mystère de l'incarna-
derandum, oportet advertere quod ornne per intellectum tion divine, il faut considérer que tout agent opérant par l'in-
agens per conceptionem sui intellectus quam dicimus verbum tellect47 agit par la conception de l'intellect que nous appe-
operatur, ut patet in aedificatore et quolibet artifice qui secun- lons le « verbe » : on le voit clairement chez le bâtisseur et
dum formam quam mente concipit exterius operatur ; quia chez tout artisan qui fait quelque chose d'extérieur au moyen
igitur Dei Filius est ipsum Dei Verbum, consequens est ut de la forme conçue par son esprit. Donc, puisque le Fils de
Deus per Filium ornnia fecerit. Dieu est le Verbe même de Dieu, il s'ensuit que Dieu a tout
fait par son Fils.
Unaquaeque autem res per eadem fit et reparatur ; si enim Or, ce par quoi on fait une chose est aussi ce par quoi on la
domus collapsa fuerit, per formam artis reparatur per quam a répare 48 . En effet, si une maison est tombée, on la répare par
principio condita fuit. Inter creaturas autem a Deo conditas la forme de l'art 49 selon laquelle elle avait tout d'abord été
per Verbum suum gradum praecipuum tenet creatura rationa- faite. Or parmi les créatures que Dieu a faites par son Verbe,
lis, in tantum quod omnes aliae creaturae ei subserviant et ad la créature rationnelle occupe le premier rang en sorte que
ipsam ordinari videantur. Et hoc rationabiliter, quia sola toutes les autres créatures la servent et lui apparaissent ordon-
rationalis creatura dominium habet sui actus per arbitrii liber- nées 50 . Et cela est raisonnable, puisque seule la créature
tatem, ceterae vero creaturae non ex libero iudicio agunt sed rationnelle possède la maîtrise de son agir par la liberté du
quadam vi naturae moventur ad agendum ; ubique autem [libre] arbitre 51 , tandis que les autres créatures n'agissent pas
quod est liberum praeminet ei quod est servum, et servi ad grâce à un jugement libre mais sont poussées à agir par un
liberorum famulatum ordinantur et a liberis gubernantur. certain élan de la nature. Or, dans tous les domaines, ce qui
Lapsus igitur rationalis creaturae secundum veram aestima- est libre l'emporte sur ce qui est servile, les esclaves sont
tionem magis aestimandus est quam cuiuscumque irrationa- ordonnés au service des êtres libres et ils sont gouvernés par
lis creaturae defectus ; nec est dubium quin apud Dei iudi- des êtres libres. C'est pourquoi, en toute justice et vérité, la
82 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 83

cium res secundum veram aestimationem iudicentur : hoc chute 52 de la créature rationnelle doit être estimée plus grave
igitur conveniens est divinae sapientiae ut praecipue lapsum que les défauts de n'importe quelle créature dépourvue de rai-
creaturae rationalis repararet, magis etiam quam si caelum son. Et il n'y a pas de doute que, dans le jugement de Dieu,
collaberetur vel quicquid aliud in rebus corporeis posset acci- les êtres sont jugés avec justice et vérité. Il est donc conve-
dere. nable que la sagesse divine ait réparé principalement la créa-
ture rationnelle, en raison de sa chute, plus encore que le ciel
s'il s'était effondré ou tout être corporel pour une quelconque
autre chute 53 .
Est autem duplex creatura rationalis seu intellectualis : una Or la créature rationnelle ou intellectuelle est de deux
quidem a corpore separata quam angelum nominamus, alia sortes : l'une qui est séparée du corps et que nous appelons
vero corpori unita quae est anima hominis. In utraque autem «ange», l'autre qui est unie à un corps et qui est l'âme de
lapsus accidere potuit propter arbitrii libertatem. Dico autem l'homme. La chute put avoir lieu chez l'une et l'autre, en rai-
creaturae rationalis lapsum non ut ab esse deficiat, sed secun- son de la liberté du [libre] arbitre. J'appelle ici « chute » de la
dum quod deficit a rectitudine voluntatis. Lapsus enim seu créature rationnelle non pas un défaut [ou perte] d'être, mais
defectus praecipue attenditur secundum id quo operatur, un défaut [ou perte] de la rectitude de la volonté. En effet,
sicut artificem errare dicimus si in arte deficiat qua debet cette chute ou défaut s'observe principalement dans ce par
operari ; et rem naturalem deficientem dicimus et collapsam quoi on agit. C'est ainsi, par exemple, que nous disons que
si corrumpatur virtus eius naturalis per quam agit, puta si in l'artisan se trompe s'il se met en défaut dans son art, par lequel
planta vis germinandi deficiat aut in terra vis fructificandi. Id il doit agir 54 ; et nous disons d'une réalité naturelle qu'elle est
autem secundum quod operatur rationalis creatura est volun- déficiente et déchue si la puissance naturelle par laquelle elle
tas in qua consistit libertas arbitrii ; lapsus igitur rationalis agit est corrompue, par exemple si dans une plante la puis-
creaturae est secundum quod deficit a rectitudine voluntatis, sance de germer fait défaut ou dans une terre la puissance de
quod fit per peccatum. Defectum igitur peccati, qui nihil est fructifier. Or ce par quoi la créature rationnelle agit, c'est la
aliud quam perversitas voluntatis, praecipue Deo convenit volonté en laquelle consiste la liberté du [libre] arbitre. Donc
removere, et per Verbum suum quo universam condidit crea- la chute de la créature rationnelle a lieu selon que celle-ci se
turam. met en défaut par rapport à la rectitude de la volonté, ce qui se
fait par le péché 55 . C'est pourquoi il est convenable que Dieu
écartât principalement ce défaut qu'est le péché - qui n'est
rien d'autre que la perversité de la volonté -, et cela par son
Verbe par qui il a fait tout l'univers créé.
Et angelorum quidem peccatum remedium habere non Le péché des anges, de son côté, ne put pas avoir de
potuit, quia secundum immutabilitatem suae naturae impae- remède, car en raison de l'immutabilité de leur nature, une
nitibiles sunt ab eo in quod semel convertuntur ; homines fois qu'ils adhèrent à quelque chose, les anges ne peuvent
autem secundum conditionem suae naturae habent mutabilem plus s'en détourner 56 • Quant aux hommes, en raison de la
voluntatem, ut non solum diversa possint eligere vel bona vel condition de leur nature, ils ont une volonté qui peut changer,
mala, sed etiam postquam unum elegerint possunt ab illo resi- d~ sorte qu'ils peuvent non seulement choisir des objets
piscere et ad aliud converti. Et haec mutabilitas voluntatis in rl1vers, bons ou mauvais, mais qu'ils peuvent aussi, après
homine manet quandiu corpori varietati subiecto unitur ; cum avoir choisi un objet, s'amender et adhérer à autre chose. Et
autem anima a corpore huiusmodi fuerit separata, eandem cette mutabilité de la volonté chez l'homme demeure aussi
84 DE RATIO NIB US FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 85

immutabilitatem voluntatis habebit quam angelus ............"'-'lÇf -~n·•,,nn" qu'elle est unie à un corps sujet à l'instabilité;
habet : unde et post mortem anima humana impaenitibilis lorsque l'âme aura été séparée d'un tel corps, elle pas-
nec potest de bono ad malum converti nec de malo ad~~··~.... cette même immutabilité de la volonté que l'ange pos-
Sic igitur ad Dei bonitatem pertinuit ut per Filium suum natu- par nature. C'est pourquoi, après la mort, 1' âme humaine
ram humanam collapsam repararet. peut plus changer son choix et elle ne peut plus se détour-
ner du bien pour adhérer au mal ni se détourner du mal pour
adhérer au bien 57 • Ainsi donc il appartenait à la bonté de Dieu
de restaurer par son Fils la nature humaine déchue.
Modus autem reparationis talis esse debuit qui et n<:>T.ll1"0oa Quant au mode de cette réparation, il dut être tel qu'il
reparandae conveniret et morbo. Naturae dico rPr•<>r<>nrl convînt à la nature à réparer aussi bien qu'à la maladie. Je dis
quia, cum homo sit rationalis naturae libero arbitrio praedi- «à la nature à réparer» car, l'homme étant de nature raison-
tus, non necessitate exterioris virtutis sed per propriam nable et doué de libre arbitre, il devait être rappelé à l'état de
voluntatem ad statum rectitudinis revocandus fuit ; rectitude non pas par la nécessité d'une puissance extérieure
etiam quia, cum morbus in perversitate voluntatis consisteret, mais par sa propre volonté 58 . Et aussi « à la maladie » : en
oportuit reparationem fieri per hoc quod voluntas ad rectitu- effet, la maladie consistant dans la perversité de la volonté, il
dinem reduceretur. Voluntatis autem humanae rectitudo fallait que la réparation se fit par le retour de la volonté à la
consistit in ordinatione amoris qui est principalis a:ffectio ; rectitude. Or la rectitude de la volonté humaine consiste dans
ordinatus autem amor est ut Deum super omnia diligamus l'ordre de l'amour qui est la principale affection. Et l'amour
quasi summum bonum et ut in ipsum referantur omnia quae bien ordonné consiste en ceci: aimer par-dessus tout Dieu
amamus sicut in ultimum finem, et ut etiam in ceteris comme le souverain bien, lui rapporter tout ce que nous
dis debitus ordo servetur, ut scilicet spiritualia corporalibus aimons comme à la fin ultime, et aussi observer l'ordre qui
praeferamus. est dû dans les autres choses à aimer, c'est-à-dire placer les
réalités spirituelles avant les réalités corporelles 59 .
Ad provocandum autem nostrum amorem in Deum nihil Or, pour susciter notre amour envers Dieu, rien ne pouvait
magis valere potuit quam quod Verbum Dei, per quod omnia être aussi efficace que ceci : que le Verbe de Dieu par qui tout a
facta fuerant, ad reparationem nostrae naturae ipsam assumeret été fait, pour réparer notre nature, 1' assumât en sorte que Dieu
ut idem esset Deus et homo. Primo quidem quia ex hoc et l'homme soient un 60 . Le premier motif est celui-ci : le fait que
maxime demonstratur quantum Deus diligat hominem quod Dieu ait voulu devenir homme pour le salut de ce dernier montre
pro eius salute homo fieri voluit ; nec est aliquid quod ad aman- de manière souveraine combien il aime l'homme. En effet, rien
dum magis provocet quam quod aliquis se cognoscat amari. ne suscite autant l'amour que le fait de se savoir aimé 61 .
Deinde quia homo habens intellectum et affectum ad cor- Il y a ensuite cet autre motif: l'homme ayant un intellect et
poralia depressum, ad ea quae supra se sunt de facili elevari un appétit sensible abaissés aux choses corporelles, il ne pou-
non poterat ; facile est autem cuilibet homini ut alium homi- vait pas s'élever aisément aux réalités qui lui sont supé-
nem diligat et cognoscat, sed considerare divinam altitudi- rieures. Car il est aisé à tout homme d'aimer et de connaître
nem et in eam ferri per debitum amoris affectum non est quo- un autre homme ; mais fixer son attention sur la hauteur
rumlibet hominum, sed eorum qui per Dei auxilium cum divine et être porté vers elle par l'affection d'amour qui lui est
magno studio et labore a corporalibus ad spiritualia subie· due n'est pas le fait de quiconque mais de ceux qui, grâce à
vantur. Ut igitur omnibus hominibus facilis pateret via ad l'aide de Dieu et avec grande application et effort, se sont éle-
Deum voluit Deus homo fieri, ut etiam parvuli Deum cogitare vés des réalités corporelles vers les réalités spirituelles. C'est
86 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 87

et amare possent quasi similem sibi, et sic per id quod _.w,,.,,·, afin que la voie vers Dieu soit largement ouverte à
possunt paulatim proficerent ad perfectum. hommes, Dieu a voulu devenir homme ; de la sorte,
les petits pourront concevoir Die~ et. l'aimer com~e
'un qui leur ést semblable et mns1, par ce qu lls
saisir, progresser peu à peu vers la perfection 62 .
Per hoc etiam quod Deus homo factus est, spes Du fait que Dieu s'est fait homme, celui-ci reç?i~ en. outre
homini ut et homo pervenire possit ad perfectae be2LtltllCIIJili: espérance de po~voir lui a~ssi parvenir ~ la participatiOn de
participationem qualfl solus Deus naturaliter habet. béatitude parfmte que Dieu seul possede Pm: nature. C~
enim sualfl infirmitatem cognoscens, si ei prornitteretur · son infirmité, même si on le lm promettmt,
ad beatitudinem perveniret cuius vix angeli capaces I.M'"""~uu·-·n--e pourrait guère espérer parve~ir à 1~ béatitude
quae scilicet in visione et fruitione Dei consistit, vix hoc les anges sont à peine capables et qm constste dans la
rare posset nisi ex alia parte sibi dignitas humanae ..~ .. ~"'"' et la fruition de Dieu 63 ; à moins que, d'un autre côté,
ostenderetur, quam tanti aestimat Deus ut pro eius ne lui montrât la dignité de la nature humaine que Dieu
homo fieri voluit ; et sic per hoc quod Deus factus est au point qu'il voulut devenir ho~e pour le. salut de
spem no bis dedit ut homo etialfl posset pervenire ad hoc -ci. Et ainsi, du fait que Dieu s'est fmt hom~e, 11 no~s ~
uniretur Deo per beatalfl fruitionem. l'espérance que l'homme pourra aussi parvemr a
l'union avec Dieu par la fruition bienheureuse 64 •
Valet etiam hornini cognitio suae dignitatis ex hoc Il est aussi profitable à l'homme de connaître s~ propre
Deus humanam naturam assumpsit, ad hoc quod ·dignité, du fait que Dieu a assumé. une na~ure humam_e, afin
suum nulli creaturae subiceret, neque daemones aut quas, que l'homme ne soumette ses sentiments a aucune creature :
cumque creaturas colendo per idolatrialfl, neque corporalibus en rendant un culte aux démons ou à d'autres créatures, m
creaturis se subdendo per inordinatum affectum ; indignum en s'assujettissant aux créatures corporell,es par une aff~cti?~
enim est ut, cum homo tantae sit dignitatis secundum aesti" désordonnée. Car, puisque l'homme possede une ~elle d1gn!te
mationem divinalfl et ita Deo propinquus ut Deus homo au jugement de Dieu, et puisqu'il est pro~he de ?1~u au pomt
voluerit, quod homo rebus inferioribus Deo inordinate se sub. que Dieu a voulu devenir homme, 11 est md1gne pour
dat. l'homme de s'assujettir de manière désordonnée à des créa-
tures inférieures à Dieu 65 .

CAPITULUM SEXTUM CHAPITRE VI

QUALITER INTELLIGI DEBET HOC QUOD COMMENT FAUT ENTENDRE


DICITUR DEUS FACTUS EST HOMO QUE «DIEU EST DEVENU HOMME 66 »

Cum autem dicimus Deum hominem fieri, nemo aestimet Lorsque nous disons que «Dieu devient homme», per-
hoc sic accipiendum esse ut Deus convertatur in hominem, sonne n'estime que cela doive s'entendre d'un changement
88 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 89

sicut aer fit ignis cum in ignem convertitur ; immutabilis en homme à la manière de l'air qui devient feu parce
enim Dei natura, corpora autem sunt quae invicem se change en feu 67 . Car la nature de Dieu ne peut pas
tuntur. Spiritualis autem natura in naturam corpoream :ce sont des corps qui se changent l'un en l'autre. La
convertitur, sed ei potest aliqualiter uniri per efficaciam spirituelle ne se change pas en nature corporelle, mais
virtutis, sicut anima corpori. Et quamvis humana natura peut lui être unie de quelque manière par 1' efficace de sa
anima constet et corpore, anima autem non corporeae comme l'âme au corps. En outre, la nature
spiritualis naturae sit, omnis tamen creatura spiritualis consiste dans l'âme et dans le corps et l'âme n'est
cit a simplicitate divina multo amplius quam corporea de nature corporelle mais spirituelle ; cependant, la dis-
tura a simplicitate spiritualis naturae ; sicut igitur sp1"nnmu est plus grande de la créature spirituelle à Dieu que de
natura unitur corporali per efficaciam suae virtutls, ita corporelle à la nature spirituelle. Donc, de même
Deus uniri potest tarn spirituali quam corporali : et la nature spirituelle est unie à la nature corporelle par
dum hune modum Deum dicimus humanae naturae de sa puissance, Dieu aussi peut être uni et à une
fuisse. spirituelle et à une nature corporelle : nous affirmons
Dieu s'est uni de cette manière à la nature humaine.
Est autem attendendum quod unumquodque maxime · il faut prêter attention à ceci : toute chose apparaît être
tur esse illud quod in eo invenitur esse praecipuum ; ce qui est le principal en elle 68 . Et il apparaît que tout
autem alia videntur ei quod est praecipuum adhaerere et ab reste se rattache au principal; tout le reste est aussi, d'une
quodam modo assumi, in quantum id quod est · · manière, assumé par ce qui est principal, en tant que
aliis utitur secundum suam dispositionem. Quod principal se sert du reste selon qu'il en dispose. Cela est
manifestum est non solum in adunatione civili, in qua · dans la communauté civile où les chefs de la cité
cipes civitatis quasi tota civitas esse videntur et aliis comme la cité entière et disposent des autres à la
secundum suam dispositionem tamquam sibi ,111 ,uu•~~-- de membres qui leur sont attachés. Cela est aussi vrai
membris, sed etiam in adunatione naturali : quamvis l'union de nature: en effet, bien qu'il consiste par nature
homo naturaliter constet ex anima et corpore, tamen une âme et un corps, l'homme apparaît être principalement
palius videtur homo anima esse cui corpus adhaeret, et âme à laquelle le corps est attaché et dont l'âme se sert pour
eo utitur ad operationes convenientes. Sic igitur et in opérations appropriées. De la même manière, dans l'union
Dei ad creaturam non trahitur divinitas ad humanam naturam de Dieu et de la créature, ce n'est pas la nature humaine qui
sed potius humana natura a Deo assumitur ; non quidem ut attire à elle la divinité mais, à l'inverse, c'est Dieu qui assume
convertatur in Deum sed ut Deo adhaereat, et sint quodam la nature humaine ; non pas que la nature humaine soit chan-
modo anima et corpus sic assumpta ipsius Dei corpus et gée en Dieu, mais de telle sorte que cette nature humaine est
anima, sicut partes corporis assumptae ab anima sunt quodam attachée à Dieu et que l'âme et le corps ainsi assumés sont
modo ipsius animae membra. d'une certaine manière le corps et l'âme de Dieu lui-même,
comme les parties du corps assumées par l'âme sont d'une
certaine manière les membres de l'âme elle-même 69 .
Est tamen in hoc aliqua differentia attendenda. Nam anima Il faut cependant observer ici une différence : l'âme, bien
quamvis sit perfectior corpore, non tamen totam perfectio- qu'elle soit plus parfaite que le corps, ne possède pourtant pas
nem in se possidet humanae naturae ; un de corpus sic ei adve- en soi toute la perfection de la nature humaine ; c'est pourquoi
nit ut ex anima et corpore compleatur una humana natura le corps lui est joint de telle sorte que de l'âme et du corps est
cuius quaedam partes sunt anima et corpus. Sed Deus ita est constituée une nature humaine complète, dont l'âme et le
90 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 91

in sua natura perfectus ut plenitudini naturae ipsius nihil sont des parties. Mais Dieu est si parfait dans sa nature
possit ; unde natura divina non potest sic uniri alteri ut rien ne peut être ajouté à la plénitude de celle-ci. C'est
utraque una constituatur natura communis, sic enim u ....... -·--· la nature divine ne peut pas être unie à une autre
natura pars esset illius naturae communis : quod qui constituerait avec elle une s~ule nature commune,
perfectioni divinae naturae, nam omnis pars imperfecta la nature divine serait alors une partie de cette nature corn-
Deus igitur Dei Verbum sic humanam naturam : cela répugne à la perfection de la nature divine, ~ar
quae ex anima constat et corpore, ut tamen nec altera partie est [par définition] imparfaite. Dieu, c'es~-à-drr~
transiret in alteram nec ex duabus conflaretur una natura, Verbe de Dieu, a ainsi assumé la nature humame qm
post unionem duae naturae distinctae remaneant quantum >eons1ste dans l'âme et le corps, sans que l'une des natures soit
proprietates naturarum. ,_,"'""''"'~~ en l'autre et sans que les deux natures soient fondues
une seule, mais de telle sorte qu'après l'union les deux
natures demeurent distinctes dans leurs propriétés.
Est autem rursus considerandum quod, cum II faut encore considérer ceci : puisque c'est par une force
natura naturae corporeae uniatur per spiritualem . · que la nature spirituelle est unie à la nature corpo-
quanto maior fuerit virtus spiritualis naturae tanto peJrte1::til1s relle, plus la force de la nature spirituelle est_gr~n.de plus elle
et firmius sibi naturam inferiorem assumit. Est autem assume parfaitement et fortement la nature mfeneure. Or la
Dei infinita, cui omnis creatura subicitur, et unaquaque uu"""""'"'~ de Dieu est infinie, toutes les créatures lui sont sou-
pro suo arbitrio ; non autem eis uteretur nisi aliquo modo :rnises et il se sert de chacune selon sa volonté ; et il ne s'en
efficaciam suae virtutis uniretur eis. Tanto autem alicui servirait pas s'il ne leur était pas uni d'une certaine mani_ère
rae creatae perfectius unitur quanto in eam magis suam virtu~ par 1' efficace de sa puissance. Et il est d'autant plus parfm~e­
tem exercet. In omnes siquidem creaturas virtutem ment uni à une nature créée qu'il exerce davantage sa pms-
exercet quantum ad hoc quod omnibus esse largitur et ad pro· sance sur elle. Ainsi, en tant qu'il exerce sa puissance sur
prias operationes movet, et secundum hoc quodam coJmnamü toutes les créatures en leur donnant l'être et en les poussant à
modo in omnibus rebus dicitur esse; sed specialiori \.juvu•cuu. leurs opérations propres, on dit qu'il est, selon un mode com-
modo virtutem suam exercet in mentibus sanctis, quas non mun, dans toutes les choses ; mais il exerce sa puissance de
solum in esse conservat et ad operandum movet sicut ceteras manière spéciale dans les âmes saintes que non seulement,
creaturas, sed eas convertit ad se cognoscendum et aman~ comme les autres créatures, il conserve dans l'être et pousse
dum : unde et in sanctis mentibus specialiter dicitur habitare à agir, mais qu'il conduit aussi à le connaître et à l'aimer:
et sanctae mentes Deo plenae esse dicuntur. c'est pourquoi on dit qu'il habite spéciale~ent da~s les âmes
. saintes et que ces âmes saintes sont remphes de D1eu.
Quia ergo secundum quantitatem virtutis quam Deus exer- C'est à la mesure de la puissance qu'il exerce sur la créature
cet in creaturam magis et minus dicitur creaturae uniri, mani- qu'on dit que Dieu est plus ou moins uni à celle-c~. Or l' effi-
festum est quod, cum efficacia divinae virtutis humano intel- cace de la puissance divine ne peut pas être compnse par une
lectu comprehendi non possit, sublimiori modo potest Deus intelligence humaine 70 . Il est donc manifeste que Dieu peut
creaturae uniri quam intellectus humanus capere possit. Quo- s'unir à une créature d'une manière sublime qui dépasse ce
dam ergo incomprehensibili et ineffabili modo dicimus Deum que l'intelligence humaine peut en saisir. Nous disons donc
fuisse unitum humanae naturae in Christo non solum per que, dans le Christ, Dieu s'est uni à la nature humaine d'u~e
inhabitationem sicut ceteris sanctis, sed quodam singulari manière incompréhensible et ineffable. Cette union s'est ~mte
modo, ita quod humana natura esset quaedam Filii Dei non seulement par inhabitation comme chez les autres smnts,
92 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 93

natura : ut Filius Dei qui ab aeterno habet divinam naturam :mais selon un mode unique 71 : ici la nature humaine est une
Patre, ex tempore per assumptionem mirabilem habeat huma~ nature du Fils de Dieu ; de telle sorte que le Fils de Dieu, pos-
nam naturam ex genere nostro ; et sic quaelibet partes huma~ sédant de toute éternité la nature divine reçue du Père, possède
nae naturae ipsius Filii Dei dici possint, et quicquid agit dans le temps une nature humaine de notre genre, par une
patitur quaelibet pars humanae naturae Filio Dei possit attri- assomption admirable. On peut ainsi attribuer chacune des
bui unigenito Dei Verbo. Unde non inconvenienter dicimus et parties de cette nature humaine a~ Fils de Di.eu lui-même, et
animam et corpus esse Filii Dei, sed et oculos et manus ; et attribuer tout ce que chaque part1e accompht ou souffre au
quod Filius Dei corporaliter vidit propter oculi visionem, et Verbe unique de Dieu. C'est pourquoi nous disons, sans qu'il
audivit propter auris auditum : et sic de aliis quae vel partibus y ait d' incon~énient, que 1' âme et. le corps sont ce_ux du F~ls de
animae vel corporis convenire possunt. Dieu, et auss1 les yeux et les mams ; et que le Flls de D1eu a
vu corporellement d'une vision par les yeux, et qu'il a entendu
d'une audition par les oreilles ; et ainsi de suite pour tout ce
qui peut revenir soit aux parties de l'âme soit à celles du corps.
Huius autem admirabilis unionis nullum convenientius De cette admirable union on ne peut trouver aucun exemple
exemplum inveniri potest quam ex unione corporis et animae qui convienne mieux que l'union du corps et de l'âme ration-
rationalis ; est etiam et conveniens exemplum de hoc quod nelle ; un autre exemple qui convient aussi est celui du verbe
verbum quod in corde manet absconditum sensibile fit per qui demeure caché dans le cœur et devient sensible en prenant
assumptionem vocis et scripturae. Sed tamen haec exempla la forme de la parole vocale et de l'écriture 72 . Pourtant, ces
multum a praedictae unionis repraesentatione deficiunt, sicut exemples sont fort déficients pour représenter une telle union,
et cetera exempla humana a rebus divinis ; nam neque divini- comme le sont les autres exemples humains par rapport aux
tas sic unitur ut sit pars alicuius naturae compositae, sicut choses divines. Car la divinité n'est pas unie [à l'humanité]
anima est pars humanae naturae ; neque sic unitur humanae comme une partie d'une nature composée, à la manière de
naturae ut solum significetur per eam, sicut verbum cordis l'âme qui est une partie de la nature humaine. Elle n'est pas
significatur per vocem aut scripturam, sed sic ut veraciter davantage unie à la nature humaine de manière à être seule-
Filius Dei habeat humanam naturam et homo dicatur. Unde ment signifiée par elle, comme c'est le cas du verbe du cœur
patet quod non dicimus sic Deum esse unitum naturae corpo- signifié par la parole vocale ou par 1' écriture ; mais bien de telle
re~e ut sit virtus in corpore ad modum materialium et corpo- sorte que le Fils de Dieu possède vraiment une nature humaine
rahum virtutum, quia nec intellectus animae corpori unitae et qu'il est appelé homme en toute vérité. Il est donc clair que
sic est virtus in corpore ; multo minus igitur Dei Verbum, nous ne disons pas que Dieu est uni à la nature corporelle de
quod ineffabili et sublimiori modo sibi naturam assumpsit telle sorte qu'il soit la puissance dans un corps à la manière des
humanam. puissances matérielles et corporelles: car même l'intellect de
l'âme unie au corps n'est pas une telle puissance dans un corps,
et donc bien moins encore le Verbe de Dieu, lui qui a assumé
une nature humaine de manière ineffable et tout à fait sublime.
Patet igitur secundum praemissa quod Filius Dei et divi- Il est ainsi manifeste, selon ce qui vient d'être dit, que le Fils
nam naturam habet et humanam, unam ex aeterno, aliam ex de Dieu possède une nature divine et une nature humaine:
tempore per assumptionem. Contingit autem ab eodem piura l'une de toute éternité, l'autre qu'il a assumée dans le temps.
haberi secundum diversos modos, in quibus tamen omnibus Il arrive cependant qu'une même réalité possède plusieurs
semper quod est principalius habere dicitur, quod autem choses selon des modes divers, et dans ce cas on dit alors
94 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 95

minus principale haberi : habet enim totum multas partes, que le principal est ce qui « possède » tandis que ce
homo manus et pedes ; non autem dicimus e converso est moins primordial « est possédé » 73 : en effet, c'est le
manus vel pedes habeant hominem. Habet etiam qui possède de nombreuses parties, comme l'homme par
subiectum multa accidentia, sicut pomum colorem et ,v••-.~~·-' A..,. . . ,_. .• - possède des mains et des pieds ; mais nous ne disons
et non e converso ; habet etiam homo aliqua exteriora à l'inverse, que la main ou le pied possèdent l'homme. Un
possessiones vel vestimenta, et non e converso. ' possède aussi de nombreux accidents, comme un fruit
une couleur et une odeur, et non pas l'inverse ; et
.~-.,.,....... ,,.,., aussi possède certaines choses extérieures, comme
possessions ou des vêtements, et non pas l'inverse .
. I~ solis autem illis quae sunt partes alicuius unius C'est seulement pour les choses qui sont les parties d'une
d1~1tur haber~ et haberi : sicut anima habet corpus et réalité 74 que l'on dit que quelque chose «possède» et
ammam ; et m quantum vir et uxor in unum est possédé » : comme l'âme possède un corps et le corps
coniunguntur, dicitur vir habere uxorem et uxor âme ; ou, en tant que le mari et son épouse sont unis dans
v~~m ; et similiter in aliis quae per relationem uniuntur, seul mariage, on dit que l'homme possède une femme et
dt~tmus quod pater habet filium et filius patrem. Si igitur la femme possède un mari ; et cela vaut de manière sem-
umre!ur Deus humanae naturae sicut anima corpori, ut pour tout ce qui est uni par une relation, comme nous
conshtueretur una natura communis, posset dici quod qu'un père possède un fils et le fils un père. Donc, si
habet humanam naturam et humana natura habet Deum Dieu était uni à une nature humaine comme l'âme au corps,
anima habet corpus et e converso ; sed quia ex divina ' avec pour résultat la constitution d'une seule nature commune,
et hu~~a non potest constitui una natura propter np•·rpr•t. on pourrait dire que Dieu possède une nature humaine et que
nem diVmae naturae, ut iam dictum est, et tamen in unione nature humaine possède Dieu, comme l'âme possède un
praedict~ principalius est quod est ex parte Dei, ...~.~~·~" corps et inversement. Mais, puisque de la nature divine et de
conseqmtur quod ex parte Dei accipi oportet id quod la nature humaine il ne peut pas se constituer une seule nature,
humanam naturam. en raison de la perfection de la nature divine, comme on l'a
déjà dit, et puisque ce qui est principal dans cette union réside
du côté de Dieu, il s'ensuit manifestement que c'est du côté de
Dieu que doit se prendre ce qui possède la nature humaine.
Id autem quod ~a~e~ aliquam naturam dicitur esse supposi~ Or ce qui possède une nature, c'est ce qu'on appelle le « sup-
tum_ v~l. hypostasts lllms naturae, sicut quod habet naturam pôt» ou 1' « hypostase » de cette nature : c'est ainsi par exemple
equ~ dtcltur esse hypostasis vel suppositum ; et si sit intellec- ce qui possède la nature du cheval est appelé hypostase ou
tuahs n~tura q_u~e habetur, talis hypostasis dicetur esse per- suppôt. Et si la nature possédée est une nature intellectuelle, on
sona : stcut dtctmus Petrum esse personam quia naturam dit qu'une telle hypostase est une «personne» : c'est ainsi que
h~J?anam_ hab_et, quae est intellectualis natura. Cum igitur nous disons que Pierre est une personne parce qu'il possède
Films Det, umgenitum scilicet Dei Verbum, per assumptio- une nature humaine, qui est une nature intellectuelle. C'est
nem h~beat hu~anam naturam ut iam dictum est, sequitur pourquoi, puisque le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Verbe unique
quod stt supposltum, hypostasis vel persona humanae natu- de Dieu, possède une nature humaine qu'il a assumée, comme
rae ; et cum habeat ab aetemo divinam naturam, non on l'a déjà dit, il s'ensuit qu'il est un suppôt, une hypostase ou
modum ~ompositionis sed simplicis identitatis, dicitur une personne de nature humaine 75 . Et puisqu'il possède de
hypostasts vel persona divinae naturae, secundum toute éternité la nature divine, non par mode de composition
96 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 97

quod divina humanis verbis exprimi possunt. Ipsum mais par mode de simple identité, il est aussi appelé hypostase
unigenitum Dei Verbum est hypostasis vel persona rh ..,~·­ ou personne de nature divine, dans la mesure cependant où les
naturarum, divinae scilicet et humanae, in duabus naturis réalités divines peuvent être nommées par des paroles
sistens. humaines. Ainsi, ce Verbe unique de Dieu est une hypostase ou
une personne de deux natures, c'est-à-dire divine et humaine,
et subsistant dans ces deux natures.
Si quis autem obiciat quod, cum humana natura in ~..."'"v Mais on peut objecter ceci : puisque la nature humaine dans
non sit accidens sed substantia quaedam -non autem univer- le Christ n'est pas un accident mais une substance- non pas
salis sed particularis quae hypostasis nominatur -, · une substance universelle mais une substance particulière que
consequi quod ipsa humana natura in Christo quaedam hypo- l'on appelle hypostase -, il semble en découler que cette
stasis sit praeter hypostasim Dei Verbi, et sic in Christo sint nature humaine dans le Christ soit elle-même une hypostase
duae hypostases : considerare debet qui hoc obicit, quod non à côté de l'hypostase du Verbe de Dieu 76 • Il y aurait ainsi
ornnis substantia particularis hypostasis nominatur, sed deux hypostases dans le Christ. Celui qui formule cette objec-
solum quae ab aliquo principaliori non habetur. Manus enim tion doit considérer ceci: ce n'est pas toute substance parti-
hominis substantia quaedam particularis est, non tamen culière que l'on appelle hypostase, mais seulement celle qui
hypostasis dici potest nec persona quia habetur a · n'est pas possédée par quelque chose de principal. En effet, la
liori quod est homo ; alioquin in quovis homine essent tot main de l'homme est une certaine substance particulière,
hypostases vel personae quot sunt membra vel partes. mais elle ne peut pourtant pas être appelée hypostase ni per-
Humana igitur natura in Christo non est accidens sed sonne, parce qu'elle est possédée par quelque chose de prin-
stantia- non universalis sed particularis-; nec tamen hypo- cipal qui est l'homme ; sinon il y aurait dans tout homme
stasis dici potest, quia assumitur a principaliori, scilicet a autant d'hypostases ou de personnes qu'il y a de membres ou
Verbo Dei. de parties. Par conséquent, la nature humaine dans le Christ
n'est pas un accident mais une substance- non pas univer-
selle mais particulière -, et elle ne peut cependant pas être
appelée hypostase, parce qu'elle est assumée par une réalité
principale, c'est-à-dire par le Verbe de Dieu.
Sic ergo Christus unus est propter personae vel hypostasis Ainsi, le Christ est un en raison de l'unité de la personne ou
unitatem ; nec proprie dici potest Christum esse duo, sed pro- de l'hypostase. On ne peut pas dire proprement que le Christ
prie dicitur quod Christus habeat duas naturas. Et licet divina soit deux [en raison des deux natures], mais on dit propre-
natura praedicetur de hypostasi Christi, quae est hypostasis ment que le Christ possède deux natures. La nature divine, de
Verbi Dei quod est sua essentia, tamen humana natura de eo son côté, est attribuée 77 à l'hypostase du Christ: en effet,
praedicari non potest in abstracto, sicut nec de aliquo lli:UJI:Olll"-'; cette hypostase est celle du Verbe de Dieu, et le Verbe est sa
humanam naturam ; sicut enim non possumus dicere propre essence 78 . Pourtant, la nature humaine ne peut pas être
Petrus sit humana natura, sed quod sit homo in quantum attribuée à cette hypostase selon un mode abstrait, comme
humanam naturam, ita non possumus dicere quod Dei elle ne peut pas être attribuée à une autre [hypostase] possé-
bum sit humana natura, sed quod habet humanam ""'~"'""m dant la nature humaine. Ainsi, nous ne pouvons pas dire que
assumptam et ex hoc dicitur homo. est la nature humaine, mais que Pierre est un homme
tant qu'il possède la nature humaine. De la même manière,
ne pouvons pas dire que le Verbe de Dieu est la nature
98 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 99

mais qu'il possède la nature humaine qu'il a assu-


Et de ce fait il est appelé «homme».
Utraque ergo natura praedicatur de Verbo Dei, sed una L'une et l'autre natures sont donc attribuées au Verbe de
concreto tantum, scilicet humana, ut cum dicimus « Dieu, mais l'une d'elles, la nature humaine, selon un mode
Dei est homo», divina vero natura in abstracto et ""'"'"'~· seulement: comme lorsque nous disons «le Fils de
concreto ; di ci enim potest quod Verbum Dei est di vina es est un homme» ; quant à la nature divine, elle est attri-
tia vel natura, et quod est Deus. Cum autem Deus sit selon un mode abstrait et selon un mode concret : on peut
divinam naturam et homo sit habens humanam naturam, en effet que le Verbe de Dieu est l'essence ou la nature
haec duo nomina significantur duae naturae habitae, sed divine, et aussi qu'il est Dieu. Ainsi, puisque Dieu est ce qui
habens utramque ; et cum habens naturam sit hypostasis, nos.secte la nature divine et puisque l'homme est ce qui possède
in nomine Dei intelligitur hypostasis Verbi Dei, ita in nature humaine, par ces deux noms [Dieu et homme] se
hominis intelligitur hypostasis Verbi Dei secundum signifiées les deux natures possédées. Mais c'est l'un
attribuitur Christo. Et sic patet quod per hoc quod [Dieu] qui possède l'une et l'autre natures. Ce qui possède la
Christum Deum et hominem, non dicimus eum esse duo ,uu•~··v, c'est l'hypostase: ainsi, sous le nom Dieu [dans la pro-
unum, in duabus tamen naturis. ~
1,/VU. . . Dieu s'est fait homme] nous mettons l'hypostase du
.. :

de Dieu; et de même aussi, sous le nom homme, selon


·qu'on l'attribue au Christ, nous mettons l'hypostase du Verbe
de Dieu. Il apparaît ainsi clairement que, lorsque nous disons
le Christ est Dieu et homme, nous ne disons pas qu'il est
deux [il n'est ni deux natures, ni deux hypostases] mais bien
un seul [une personne, une hypostase], en deux natures 79 .
Quia vero ea quae conveniunt naturae attribui Ce qui convient à la nature peut être attribué à l'hypostase
hypostasi illius naturae, hypostasis autem tarn humanae de cette nature. Or l'hypostase de la nature humaine et de la
rae quam divinae includitur tarn in nomine significante di nature divine est incluse et dans le nom signifiant la nature
nam naturam quam in nomine significante humanam, divine et dans le nom signifiant la nature humaine, du fait que
quod est eadem hypostasis habens utramque naturam : 'est la même hypostase qui possède l'une et l'autre nature.
quens est ut tarn divina quam humana praedicentur de conséquent, la nature divine comme la nature humaine
hypostasi, sive secundum quod includitur in nomine sont attribuées à cette hypostase, soit selon que [cette hypo-
cante divinam naturam, sive secundum quod includitur stase] est incluse dans le nom signifiant la nature divine, soit
nomine significante naturam humanam. Possumus selon qu'elle est incluse dans le nom signifiant la nature
dicere quod Deus Dei Verbum est conceptus et natus de hmmrume. En effet, nous disons que Dieu, le Verbe de Dieu, a
gine, passus, mortuus et sepultus, attribuentes hypostasi conçu et qu'il est né de la Vierge, qu'il a souffert, qu'il est
Dei humana propter humanam naturam ; et e conversa et qu'il a été enseveli: ce sont là des choses humaines
mus dicere quod homo ille est unum cum Patre, et quod nous attribuons à l'hypostase du Verbe de Dieu en raison
ab aeterno et quod creavit mundum, propter divinam sa nature humaine. Et à l'inverse nous pouvons dire que
ram. homme est un avec le Père, qu'il existe de toute éternité
qu'il a créé le monde, en raison de sa nature divine 80 .
In his ergo tarn diversis de Christo praedicandis Ainsi, parmi les choses si diverses que nous attribuons au
invenitur si consideretur secundum quid de Christo on trouvera une distinction si l'on considère l'aspect
100 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 101

dicuntur, quaedam enim dicuntur secundum humanam lequel ces choses sont dites : car certaines sont dites
ram, quaedam secundum divinam; si autem consideretur la nature humaine, et d'autres selon la nature divine.
quo dicuntur, indistincte proferuntur, quia eadem est si l'on considère [l'hypostase] à qui ces choses sont
sis de qua et divina et humana dicuntur. Ut si dicam alors on les affirme sans distinction, parce que
idem est homo qui videt et qui audit sed non secundum la même hypostase à qui l'on attribue les choses divines
videt enim secundum oculos sed audit secundum aures ; celles qui sont humaines. Comme par exemple lorsque je
etiam est pomum quod videtur et odoratur, sed hoc que c'est le même homme qui voit et qui entend, mais non
colore illud autem odore : ratione cuius dicere selon le même aspect, car il voit par ses yeux tandis qu'il
quod videns audit et audiens videt, et visum odoratur et par ses oreilles ; c'est aussi le même fruit qui est vu et
ratum videtur. Et similiter dicere possumus quod Deus est senti, mais cela par la couleur et ceci par l'odeur. C'est
tur ex Virgine propter humanam naturam, et homo ille cette raison que nous pouvons dire : celui qui voit
aetemus propter divinam naturam. vUI'"'"'~' ce qui vu est senti, ou ce qui est senti est vu. De la
même manière, nous pouvons dire que Dieu naît de la Vierge
raison de sa nature humaine, et que cet homme est éternel
raison de sa nature divine.

CAPITULUM SEPTIMUM CHAPITRE VII

QUALITER SIT ACCIPIENDUM QUOD COMMENT IL FAUT ENTENDRE:


DICITUR VERBUM DEI ESSE PASSUM « VERBE DE DIEU A SOUFFERT
ET MORTUUM ET QUOD EX HOC NULLUM ET EST MORT», AFFIRMATION
INCONVENIENS SEQUITUR QUI N'ENTRAÎNE AUCUN INCONVÉNIENT 81

Ex consideratione igitur praemissorum satis apparere En considérant ce qui a été dit, il ressort de manière suffi-
potest nihil inconveniens sequi ex hoc quod Deum sante que, lorsque nous confessons que Dieu, le Verbe de
tum Dei Verbum passum et mortuum confitemur ; non a souffert et est mort, cette affirmation n'entraîne aucun
haec ei attribuimus secundum divinam naturam, sed l·m·'l\n\/Pn • Car nous ne lui attribuons pas cela selon sa
dum humanam quam pro nostra salute in unitatem divine, mais selon la nature humaine assumée, pour
assumpsit. salut, dans l'unité de sa personne.
Si quis autem obiciat quod Deus, cum sit omnipotens, On pourrait objecter: puisque Dieu est tout-puissant, il
modo poterat humanum genus salvare quam per ~..,·, 0 ~,.•., pu sauver le genre humain par un moyen autre que la
Filii sui mortem ; considerare debet qui hoc obicit, quod de son Fils unique 82 . Celui qui formule cette objection
factis Dei considerandum est quid convenienter fieri tenir compte de ceci : dans ce que Dieu fait, il faut consi-
etiam si alio modo id Deus facere potuisset : alioquin ce qui a pu être fait avec convenance, même si Dieu
eius opera similis ratio irritabit. Si enim consideretur pu le faire d'une autre manière. Sinon, par un semblable
102 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 103

Deus fecerit caelum tantae quantitatis et quare condiderit argument, on rendrait toutes ses œuvres sans fondement. En
tali numero stellas, sapienter cogitanti occurret quod effet, si l'on considère la raison pour laquelle Dieu a fait le
convenienter fieri potuit, licet Deus aliter facere ciel si grand, et pourquoi il a créé un tel nombre d'étoiles,
Dico autem hoc secundum quod credimus totam naturae celui qui réfléchit sagement en découvrira la convenance,
positionem - et humanos actus - divinae providentiae bien que Dieu pût le faire autrement. Cette réponse vaut dans
subiectam ; hac enim credulitate sublata, ornnis r1-·,.,,·"~"·" la mesure où nous croyons que toute la disposition de la
cultus exduditur. Suscepimus autem praesentem d1s:outatiio nature - et des actes humains - est soumise à la providence
nem ad eos qui se Dei cultores dicunt, sive sint '-'"'u"u""'u divine, car sans cette croyance tout culte de la divinité se
Saraceni sive Iudaei ; ad eos autem qui ornnia ex ne<;esslt<He trouve exclu. Or nous avons entrepris la présente dispute à
provenisse dicunt a Deo, operosius a nabis alibi }'adresse de ceux qui disent rendre un culte à Dieu, qu'ils
est. soient chrétiens ou sarrasins ou juifs ; quant à ceux qui disent
que tout provient de Dieu par nécessité, nous avons disputé
cette question plus amplement ailleurs 83 .
Si quis ergo convenientiam passionis et mortis Christi Ainsi, en considérant la convenance de la passion et de la
intentione consideret, tantam sapientiae profunditatem inve-: mort du Christ avec une intention pieuse, on y découvrira une
niet ut semper aliqua cogitanti piura et maiora occurrant, ita profondeur de sagesse telle que des pensées toujours plus nom-
quod experiri possit verum esse quod Apostolus dicit «Nos breuses et plus élevées se présenteront à nous, de manière à
praedicamus Christum crucifixum, Iudaeis quidem scanda- pouvoir connaître par expérience la vérité de ce que dit
lum, Gentibus autem stultitiam ; nabis autem Christum Dei l'Apôtre : «Nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les
virtutem et Dei sapientiam ». Et iterum « Quod stultum est Juifs et folie pour les païens», mais pour nous «le Christ est
Dei sapientius est hominibus ». puissance de Dieu et sagesse de Dieu » ; et encore : « ce qui est
folie de Dieu est plus sage que les hommes» [1 Co 1, 23-25] 84 •
Primo igitur considerandum occurrit quod, cum Christus La première considération qui doit se présenter à notre
humanam naturam assumpserit ad lapsum hominis reparan- esprit est celle-ci : puisque le Christ a assumé une nature
dum, ut supra iam diximus, ea oportuit Christum pati et agere humaine pour réparer la déchéance de l'homme, ainsi que
secundum humanam naturam per quae remedium adhiberi nous l'avons déjà dit plus haut [au chapitre V], il fallut que le
posset contra lapsum peccati ; peccatum autem hominis Christ, dans sa nature humaine, souffrît et accomplît ce par
consistit praecipue in hoc quod bonis corporalibus inhae- quoi un remède pouvait être appliqué contre la déchéance du
rendo spiritualia bona praeterrnittit : hoc igitur decuit Filium péché. Or le péché de l'homme consiste principalement en
Dei in natura assumpta hominibus ostendere per ea quae fecit ceci : en s'attachant aux biens corporels, il néglige les biens
et passus est, ut homines temporalia bona vel mala pro nihilo spirituels. Il convenait donc que, par ce qu'a fait le Fils de
ducerent, ne ab eorum inordinato affectu impediti spirituali- Dieu et par ce qu'il a souffert, il montrât aux hommes, dans la
bus minus dediti essent. nature assumée, à tenir pour rien les réalités temporelles, que
celles-ci soient bonnes ou mauvaises. Cela afin d'éviter que,
entravés par une affection désordonnée pour ces biens tempo-
rels, les hommes se consacrent moins aux biens spirituels.
Unde Christus pauperes parentes elegit et tamen virtute C'est pourquoi le Christ a choisi des parents pauvres mais
perfectos, ne quis de sola carnis nobilitate et parentum divi- parfaits en vertu, afin que personne ne se glorifie de la seule
tiis glorietur ; pauperem vitam gessit, ut divitias doceret noblesse de la chair ni de la richesse de ses parents. Il mena
104 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 105

contemnere ; privatus absque dignitate vixit, ut homines vie pauvre, pour enseigner à mépriser les richesses. Il
inordinato appetitu honorum revocaret ; laborem, sans fonctions officielles et sans dignité, afin de détour-
sitim et corporis flagella sustinuit, ne homines voluptatibus les hommes d'un appétit désordonné des honneurs. Il
deliciis intenti propter asperitates huius vitae la fatigue, la faim, la soif et les coups de fouet sur son
bono virtutis. Ad extremum sustinuit mortem, ne , afin que les hommes, cherchant les plaisirs et les jouis-
mortis timorem aliquis veritatem desereret ; et ne , ne s'écartent pas du bien de la vertu à cause des âpre-
veritate vituperabilem mortem formidaret, expro de cette vie. Il accepta volontairement la mort et jusqu'au
genus mortis elegit, scilicet mortis crucis. Sic ergo con pour que personne n'abandonne la vérité par crainte de
niens fuit Filium Dei hominem factum mortem pati, ut mort. Et pour que personne ne soit terrifié par une mort
exemplo homines provocaret ad virtutem, ut sic verum •v""~··u- à cause de la vérité, il choisit le genre de mort le
quod Petrus dicit « Christus passus est pro nobis, vobis ignominieux : la mort sur une croix 85 . Ainsi donc il fut
quens exemplum ut sequamini vestigia eius ». que le Fils de Dieu fait homme souffrît la mort
que, par son exemple, les hommes soient encouragés à
la vertu. Ainsi, ce que dit Pierre est bien vrai : « le
a souffert pour nous, il vous a laissé un exemple pour
que vous suiviez ses traces» [1 P 2, 21].
Deinde quia hominibus ad salutem necessaria est En outre, il n'est pas seulement nécessaire aux hommes,
solum conversatio recta per quam vitantur peccata, sed leur salut, de mener une vie droite par laquelle on évite
cognitio veritatis per quam vitantur errores, ad · les péchés, mais aussi de connaître la vérité par laquelle on
humani generis necessarium fuit ut unigenitum Dei évite les erreurs. Pour la réparation du genre humain, il fut
naturam humanam assumens homines in certa veJnt2ttls donc nécessaire que le Verbe unique engendré de Dieu, assu-
cognitione firmaret. Veritati autem quae docetur per mant la nature humaine, fortifiât les hommes dans la connais-
nem non omnino firma credulitas adhibetur, quia homo et sance certaine de la vérité. Or on n'accorde pas une foi tout à
decipi et decipere potest, sed a solo Deo absque omni dubi~ fait ferme à la vérité quand elle est enseignée par un homme,
tatione veritatis cognitio confirmatur ; sic igitur • car un homme peut se tromper et en tromper un autre, mais
Filium Dei hominem factum doctrinam divinae veritatis c'est par Dieu seul que la connaissance de la vérité est donnée
ponere hominibus ut ostenderet hanc divinitus non humani~ avec fermeté et sans qu'il y ait d'hésitation. Ainsi donc il fal-
tus esse. Et hoc quidem ostendit miraculorum multitudine ; lut que le Fils de Dieu devenu homme proposât aux hommes
operanti enim ea quae solus Deus facere potest, puta un enseignement de la vérité divine en montrant que cet ensei-
suscitando, caecos illuminando et cetera huiusmodi faciendo, gnement est d'origine divine et non pas humaine. Et cela, ill' a
credendum erat in his quae de Deo dicebat : qui enim per montré par un grand nombre de miracles. Accomplissant ce
Deum operabatur, consequens erat ut etiam per Deum loque. que Dieu seul peut faire, par exemple ressusciter les morts,
retur. illuminer les aveugles et d'autres choses semblables, il devait
être cru dans ce qu'il disait au sujet de Dieu : car puisqu'il agis-
sait par Dieu, on devait conclure qu'il parlait aussi par Dieu.
Sed miracula eius praesentes qui aderant videre potuerunt, Or ses miracles, les personnes présentes avaient pu les voir,
a posteris autem potuissent credi conficta ; sed contra hoc tandis que les générations suivantes auraient pu croire qu'on
remedium adhibuit divina sapientia per Christi infirmitatem; les avait inventés. Mais la sagesse divine y remédia par la fai-
Si enim vixisset in mundo dives, potens et in aliqua blesse du Christ. Car s'il avait vécu dans le monde riche,
106 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 107

dignitate constitutus, credi potuisset quod eius doctrina u•u•N~, .. et établi dans une grande dignité, on aurait pu croire
miracula favore hominum et potestate humana son enseignement et ses miracles étaient reconnus à cause
recepta ; et ideo ut manifestum fieret opus divinae la faveur des hommes et de la puissance humaine. Donc,
ornnia abiecta et infirma in mundo elegit : pauperem que l'œuvre de la puissance divine fût manifeste, il chai-
vitam inopem, discipulos et nuntios idiotas, reprobari tout ce qui dans le monde est rejeté et faible : une mère
con~ernnari etiam usque ad mortem a magnatibus mundi, une vie de dénuement, des disciples et des messagers
manifeste appareret quod susceptio miraculorum eius instruction, et même, jusqu'à la mort, la réprobation et la
doctrinae non fuit humanae potentiae sed divinae. condamnation par les grands de ce monde, afin qu'il apparût
l'évidence que l'accueil de ses miracles et de son enseigne-
ne fut pas dû à une puissance humaine mais divine 86 .
Unde et in eis quae fecit vel passus est simul ~.uJ,uu,u~t;ua· C'est pourquoi, dans ce qu'il a fait et souffert se joignaient,
tur et humana infirrnitas et divina potestas: in nativitate même temps, la faiblesse humaine et la puissance divine 87 .
pannis involutus in praesepio ponitur, sed collaudatur à sa naissance il est placé dans une crèche, enveloppé
angelis et a Magis stella praeduce adoratur ; tentatur a langes, tandis qu'il est loué par les anges et adoré par les
bolo, sed ei ministratur ab angelis ; vivit inops et luc;uu,t~.u: qu'une étoile avait conduits [Le 2, 7-14 et Mt 2, 1-12].
sed mortuos suscitat, illuminat caecos ; moritur affixus est tenté par le diable, mais les anges le servent [Mt 4, 11 et
bulo, annumeratur latronibus, sed in eius morte sol o 1, 12-13]. Il mène sa vie dans le dénuement et la mendi-
tur, terra tremit, franguntur lapides, aperiuntur monumenta mais il ressuscite les morts et illumine les aveugles. Il
mortuorum corpora suscitantur. Si quis ergo ex talibus cloué au gibet, mis au nombre des bandits, mais à sa
tantum fructum videat consecutum, scilicet le soleil s'obscurcit, la terre tremble, les pierres se
fere totius mundi ad Christum, et ulterius alia signa 'VHUV""' les tombeaux s'ouvrent et les corps des morts sont
ad credendum, durior lapide censeri potest cum in \ressuscm~s [Mt 27,45.51-53 et par.]. Si, voyant la grandeur du
etiam petrae sint scissae. Hinc est quod Apostolus ad de telles semences, c'est-à-dire la conversion du monde
thios dicit quod « verbum crucis pereuntibus stultitia est, tout entier au Christ, quelqu'un demande encore
his qui salvi fiunt, id est nobis, virtus Dei est». signes pour croire, on peut estimer qu'un tel homme
plus dur que les pierres, puisqu'à la mort du Christ même
pierres se soht fendues. C'est pourquoi l'Apôtre dit aux
· : « La parole de la croix est folie pour ceux qui
"'"'''""'"'"·mais pour ceux qui sont sauvés- c'est-à-dire pour
-elle est puissance de Dieu» [1 Co 1, 18].
Est autem circa hoc aliud considerandum quod sec:undut Sur ce point, il faut encore considérer autre chose. Suivant
eandem rationem providentiae qua in se ipso Dei Filius même disposition de la providence par laquelle le Fils de
factus infirma pati voluit, etiam suos discipulos, quos fait homme a voulu souffrir personnellement les fai-
nae salutis ministros instituit, voluit esse in mundo ses, il a aussi voulu que ses disciples, qu'il a institués
unde non elegit litteratos et nobiles sed illiteratos et ,~,,vu•H'-'' ministres du salut des hommes, soient rejetés du monde 88 .
pauperes scilicet piscatores. Et eos mittens ad salutem est pourquoi il n'a pas choisi des hommes instruits et
num procurandam iussit paupertatem servare, oersecutlOJtle , mais des gens dépourvus d'instruction et sans
et opprobria pati et mortem etiam pro veritate subire, •vu·•'-'o'"'"'· c'est-à-dire des pêcheurs pauvres. Et, lorsqu'il les
eorum praedicatio ad aliquid terrenum commodum porter le salut aux hommes, il leur commanda de
108 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 109

sita videretur, et ut salus mundi non ascriberetur humanae garder la pauvreté, d'affronter les persécutions et les
sapientiae aut virtuti sed solum divinae ; unde nec in eis opprobres, et même de se soumettre à la mort pour la vérité,
defuit virtus divina mirabilia operans, qui tamen secundurn afin que leur prédication ne parût pas agencée en vue d'un
mundum videbantur abiecti. avantage terrestre, et que le salut du monde ne fût pas attri-
bué à la sagesse ou à la puissance humaines mais seulement
(à la sagesse et à la puissance] de Dieu.
Hoc autem erat necessarium reparationi humanae, ut Pour restaurer le [genre] humain, il était aussi nécessaire
homines discerent non de se ipsis superbe confidere sed de que les hommes apprennent à ne pas placer leur confiance en
Deo ; hoc enim ad perfectionem humanae iustitiae requiritur eux-mêmes avec orgueil, mais à la placer en Dieu. En effet,
ut homo totaliter se Deo subiciat, a quo etiam omnia bona la perfection de la justice humaine requiert que l'homme se
consequi speret adipiscenda et adepta recognoscat. Ad bona soumette totalement à Dieu: c'est de Dieu qu'il doit espérer
igitur praesentia huius mundi contemnenda et adversa quaeli- obtenir tous les biens à atteindre, et c'est de lui qu'il doit les
bet toleranda usque ad mortem, nullo modo melius eius dis- recevoir avec reconnaissance. Ainsi, rien mieux que la pas-
cipuli potuerunt institui quam per passionem et mortem sion et la mort du Christ ne pouvait former les disciples à
Christi ; unde et ipse eis dicebat in Iohanne « Si me persecuti mépriser les biens présents de ce monde et à supporter toute
sunt, et vos persequentur ». adversité jusqu'à la mort. Aussi le Christ lui-même leur
disait-il dans l'évangile de Jean [15, 20]: «S'ils m'ont per-
sécuté, il vous persécuteront aussi».
Demum vero considerandum est quod hoc habet ordo ius- Il faut enfin considérer que l'ordre de la justice requiert
titiae ut pro peccato poena infligatur. Apparet enim in huma- qu'une peine soit infligée pour le péché. Dans les jugements
nis iudiciis quod ea quae iniuste sunt facta ad iustitiam redu- humains, en effet, on voit que ce qui est accompli de manière
cuntur, dum iudex ab eo qui aliena accipiens plus habet quam injuste est ramené à la justice lorsque, à celui qui a reçu des
debeat, subtrahit quod plus habet et dat ei qui minus habebat. biens d'autrui plus que son dû, le juge retire ce qu'il a en trop
Quicumque autem peccat plus suae voluntati indulget quam et le donne à celui qui en avait trop peu. Or tout homme qui
debeat ; ut enim suam voluntatem impleat, transgreditur ordi· pèche accorde à sa propre volonté plus de faveur qu'il ne
nem rationis et legis divinae. Ad hoc igitur quod ad iustitiae devrait, car pour accomplir sa volonté il transgresse l'ordre
ordinem reducatur, oportet quod voluntati subtrahatur de eo de la raison et de la loi divine. Ainsi, pour rétablir l'ordre de
quod vult ; quod fit dum punitur vel per subtractionem bono- la justice, il faut .retirer à la volonté [une partie] des biens
rom quae vellet habere vel per illationem malorum quae pati qu.' elle veut :. c'est ce que 1' on fait lorsqu'on punit quelqu'un,
recusat. smt en le pnvant de ce qu'il voudrait posséder, soit en lui
infligeant des maux qu'il ne veut pas supporter.
Haec igitur reintegratio iustitiae per poenam quandoque fit Ce rétablissement de la justice par une peine se réalise par-
per voluntatem eius qui punitur, dum ipsemet sibi poenam fois volontairement par celui qui est puni, lorsque celui-ci
assumit ut ad iustitiam redeat ; quandoque fit eo invito, et prend lui-même une peine pour revenir à la justice. Cela se réa-
tune quidem ipse ad iustitiam non reducitur sed in eo impie~ lise parfois contre son gré, et alors ce n'est pas lui-même qui
tur iustitia. Erat autem totum humanum genus peccato revient à la justice mais la justice est accomplie en lui. Or tout
subiectum ; ad hoc ergo quod ad statum iustitiae reduceretur, le genre humain était soumis au péché. Donc, pour ramener
oportebat intervenire poenam quam homo sibi ipsi l'homme à l'état de justice, il fallait qu'intervînt une peine que
ad implendum divinae iustitiae ordinem. l'homme prît sur soi pour accomplir l'ordre de la justice divine.
LES RAISONS DE LA FOI 111
110 DE RATIONIBUS FIDEl

Nullus autem homo purus tantus esse poterat qui uu~u'-'Jlo. n'était pas possible qu'un simple homme, prenant volo~­
ter satisfacere posset Deo poenam aliquam voluntarie sur soi une certaine peine, fût capable d' accomphr
mendo, etiam pro peccato proprio, nedum pro peccato satisfaction suffisante envers Dieu, pas même pour son
versorum. Cum enim homo peccat, legem Dei péché, et bien moins encore pour le péché du m~nde
et sic quantum est in se iniuriam Deo facit qui est m'""''o+~• Car lorsque l'homme pèche, il transgresse la lm de
infinitae. Tanta autem est maior iniuria quanta maior est is Ainsi, par la nature même du péché, il fait injure à Dieu
quem committitur ; manifestum est enim quod maior la majesté est infinie. Or la grandeur d~ l'injur~ ~st pro-
tur iniuria si quis percutiat militem quam rusticum, et uv,, ....,~ à la dignité de celui envers qm cette mJure est

maior si percusserit regem aut principem : habet igitur ""'"AU~· En effet, on estime manifestement que frapper un
tum contra legem Dei commissum quodam modo ""'"'u•~u porte ~n~ injure plus grande que ~rapper un ~aysan.
infini tarn. estime cette mJure plus grande encore s1 c est un rm ou un
qui a été frappé. Le péché c~~mis co~~e la !oi.d~ ~teu
donc, d'une certame mamere, une mjure mf1me .
Sed rursus considerandum est quod secundum d1~~nitatej Mais d'un autre côté il faut considérer que la satisfaction se
satisfacientis etiam satisfactio ponderatur ; nam unum aussi selon la dignité de celui qui l'accomplit. En
bum deprecatorium a rege prolatum pro satisfactione une seule parole de supplication prononcée par un roi
c~ius iniuriae maior satisfactio reputaretur quam si la satisfaction d'une injure est plus estimée que le geste
ahus vel genu flecteret, vel nudus incederet, vel un autre qui aurait fléchi le genou, ou se serait présen~é nu,
cumque humiliationem ostenderet ad · aurait offert une autre humiliation afin de donner satlsfac-
riam passa. Nullus autem purus homo erat infinitae '"'''"', à celui qui a subi l'injure. Or aucun simple homme
tis cuius satisfactio posset esse condigna avait une dignité infinie pour que sa satisfaction pût corn-
iniuriam ; oportuit igitur ut esset aliquis homo en égalité l'injure faite à Dieu 90 . Il fallait donc qu'~l y
dignitatis qui poenam subiret pro omnibus et sic ~~,"~'"'"' un homme d'une dignité infinie qui se soumît à une peme
satisfaceret pro tatius mundi peccatis. Ad hoc igitur '"'"·"""'ru· tous les hommes et qui donnât ainsi satisfaction, par une
tum Dei Verbum, verus Deus et Dei Filius, naturam ;u11l 11_,.,...,au.vu en égale proportion, pour les péchés du monde
nam assumpsit et in ea mortem pati voluit, ut tatum Et c'est pour cela que le Verbe unique de Dieu as~uma
num genus a peccato satisfaciendo purgaret ; unde et nature humaine et voulut souffrir en elle la mort, afm de
dicit « Christus semel pro peccatis nostris mortuus est tout le genre humain en donnant satisfaction pour le
pro iniustis, ut nos offerret Deo ». C'est pourquoi Pierre dit: «Le Christ est mort une
pour toutes pour nos péchés, lui le juste pour les injustes,
de nous offrir à Dieu» [1 P 3, 18].
~on e~go, sicut opinantur, conveniens fuit quod Deus Il ne convenait donc pas à Dieu, comme le pensent [le~ Sar-
satlsfactwne humana peccata purgaret, neque etiam , de purifier les hommes de leurs péchés sans s~tlsfac­
hominem non permitteret cadere in peccatum. Primum ni même de ne pas permettre que l'homme tombat dans
r~pugnaret ordini iustitiae, secundum ordini naturae uu.uu"""''\'c péché 91. La première affirmation répugnerait à l' o~dre de
per quam homo est suae voluntatis liber, potens bonum justice 92, la seconde à 1' ordre de la nature hummr:e. par
malum eligere ; providentiae autem est ordinem rerum l'homme est libre de sa volonté, pouvant chms1r le
destruere sed salvare. In hoc ergo maxime sapientia Dei ou le mal ·, or il ne revient pas à la providence
93
de détruire
ruit quod et ordinem servavit tarn iustitiae quam naturae, ordre des choses, mais de le sauvegarder . La sagesse de
112 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 113

tamen misericorditer providit homini salutis remedium per Dieu s'est donc manifestée souverainement en ceci : elle a
Filii sui incarnationem et mortem. sauvegardé et l'ordre de la justice et celui de la nature, en pro-
curant pourtant miséricordieusement un remède de salut à
l'homme par l'incarnation et par la mort de son Fils.

CAPITULUM OCTAVUM CHAPITRE VIII

QUALITER SIT ACCIPIENDUM COMMENT FAUT ENTENDRE


QUOD FIDELES SUMUNT CORPUS CHRISTI QUE LES FIDÈLES PRENNENT LE CORPS
ET QUOD EX HOC NULLUM DU CHRIST, ET QUE CELA N'ENTRAÎNE
INCONVENIENS SEQUITUR AUCUN INCONVÉNIENT94

Quia ergo per passionem et mortem Christi homines a pee~ Par la passion et par la mort du Christ, les hommes sont
cato purgantur, ut huius tarn immensi beneficii in nobis iugis purifiés du péché. C'est pourquoi, afin que la mémoire d'un
maneret memoria, Filius Dei passione appropinquante suae si grand bienfait demeure toujours vivante parmi nous, le Fils
passionis et mortis memoriam fidelibus suis reliquit iugiter de Dieu, à l'approche de sa passion, a laissé à ses fidèles [le
recolendam, suum corpus et sanguinem tradens discipulis sub commandement] de faire perpétuellement mémoire de sa pas-
speciebus panis et vini ; quod usque nunc in memoriam illius sion et de sa mort 95 : ill' a fait en livrant à ses disciples son
venerandae passionis ubique terrarum Christi frequentat Corps et s~n Sang sous les espèces du pain et du vin. C'est là
Ecclesia. Quam vane autem hoc sacramentum infideles irri~ ce que l'Eglise, en mémoire de cette passion vénérable,
deant, quilibet etiam parum instructus in christiana religione célèbre assidûment jusqu'à maintenant partout sur la terre. Et
de facili potest attendere. les moqueries des infidèles envers ce sacrement sont tout à
fait vaines: toute personne, même peu instruite dans la reli-
gion chrétienne, peut aisément s'en rendre compte.
Non enim dicimus quod corpus Christi dilaceretur in partes Nous ne disons pas, en effet, que le corps du Christ soit mis
et sic divisum a fidelibus sub sacramento sumatur, ut opor~ en pièces et que les fidèles le reçoivent ainsi divisé dans le
teat quandoque illud deficere etiam si magnitudinem montis sacrement, de telle manière qu'à un moment donné il doive
haberet, ut dicunt, sed per conversionem panis in corpus venir à manquer même s'il avait la grandeur d'une montagne,
Christi dicimus corpus Christi in sacramento Ecclesiae esse comme [les Sarrasins] le disent 96 . Mais nous disons que, par
et a fidelibus manducari. Ex quo ergo corpus Christi non le changement du pain en Ü:?rps du Christ, le Corps du Christ
dividitur sed in ipsum aliquid convertitur,_nulla necessitas est est dans le sacrement de l'Eglise et qu'il est mangé par les
ut per manducationem fidelium quantitati eius aliquid sub~ fidèles. Par cela, le Corps du Christ n'est pas divisé mais
trahatur. quelque chose [c'est-à-dire le pain] est changé en Corps du
Christ. Il n'est donc pas du tout nécessaire qu'il diminue en
quantité parce que les fidèles le mangent.
114 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 115

Si quis autem infidelis dicere velit hanc conversionem Si un infidèle veut dire que ce changement est impossible,
impossibilem esse, consideret - si Dei omnipotentiam confi- qu'il considère- s'il confesse la toute-puissance de Dieu- ce
tetur - quod, cum per virtutem naturae possit res una converti qui suit. Par la force de la nature, une chose peut être chan-
in aliam quantum ad formam, sicut quod aer in ignem conver- gée en une autre par un changement de forme: c'est le cas,
titur dum materia quae prius erat subiecta formae aeris post- par exe~ple, de l'air qui se ~hange.en feu. lorsque la matière
modum formae ignis subicitur ; multo magis virtus omnipo- qui avmt reçu la forme de l'mr reçmt ensmte la forme du feu.
tentis Dei, quae totam rei substantiam in esse producit non C'est pourquoi, à bien plus forte raison, la force de Dieu tout-
solum transmutando secundum formam ut facit natura, pote- puissant qui n'a pas seulement changé une chose selon la
rit hoc totum in illud totum convertere, ut sic panis in corpus forme comme le fait la nature, mais qui a produit toute la sub-
Christi convertatur et vinum in sanguinem. stance de la chose dans l'être, pourra aussi changer toute une
chose en toute une autre: c'est ainsi que le pain est changé en
Corps du Christ et le vin en son Sang97.
Si autem huic conversioni repugnare aliquis velit per id Et si l'on voulait rejeter ce changement à cause de ce qui
quod sensu apparet, nam nihil secundum sensum immutatur apparaît aux sens- car il n'y a aucun changement perceptible
in sacramento altaris, consideret qui eiusmodi est sic nobis aux sens dans le sacrement de l'autel -, que l'on considère
omnia divina proponi ut ad nos sub tegumento visibilium donc ceci : toutes les réalités divines nous sont proposées en
rerum deveniant. Ut igitur corpus Christi et sauguis spiritua- nous parvenant sous l'enveloppe de choses visibles. C'est
lis et divina refectio haberetur et omnino quasi cibus et potus pourquoi, afin que nous possédions le Corps et le Sang du
communis, non sub propria carnis et sanguinis nobis tradun- Christ comme réfection spirituelle et divine, comme un ali-
tur specie sed sub specie panis et vini ; ne esset etiam horri- ment ou une boisson ordinaires, le Corps et le Sang du Christ
bile humanam carnem comedere et sanguinem humanum ne nous sont pas donnés sous les traits propres de la chair et
po tare. du sang mais sous les espèces du pain et du vin. Cela permet
aussi d'éviter l'horreur qu'il y aurait à manger de la chair
humaine et à boire du sang humain 98.
Nec tamen hoc sic fieri dicimus quasi species illae quae De plus, nous ne disons pas que, dans ce changement, les
sensibus apparent in sacramento altaris sint solum in phanta- espèces du sacrement de l'autel qui apparaissent aux sens
sia videntium, sicut solet esse in praestigiis artium magica- existent seulement dans l'imagination de ceux qui les voient,
rum, quia veritatis sacramentum nulla fictio decet. Sed Deus à la manière de ce qui se produit habituellement dans les pro-
qui est substantiae et accidentis creator potest accidentia sen- diges des arts de la magie, parce que le sacrement de la vérité
sibilia conservare in esse, subiectis in aliud transmutatis ; ne tolère aucune fiction 99 . Mais Dieu, qui est le créateur de la
potest enim effectus secundarum causarum per sui omnipo- substance et de l'accident, peut conserver les accidents sen-
tentiam absque causis secundis et producere et in esse ser- sibles dans l'être, leurs sujets étant changés en quelque chose
vare. Si quis vero Dei omnipotentiam non confitetur, contra d'autre ; car par sa toute-puissance il peut et produire et
talem in praesenti opere disputationem non assumpsimus, conserver dans l'être les effets des causes secondes sans ces
sed contra Saracenos et alios qui Dei omnipotentiam confi- causes secondes 100. Quant à celui qui ne confesse pas la
tentur. toute-puissance de Dieu, ce n'est pas ici le lieu d'en traiter,
car nous avons entrepris dans le présent ouvrage de disputer
contre les Sarrasins et d'autres qui confessent la toute-
puissance de Dieu.
116 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 117

Alia vero huius sacramenti mysteria non sunt hic Quant aux autres mystères de ce sacrement, il n) a pa~ lieu
discutienda, quia infidelibus secreta fidei pandi en discuter davantage ici car les secrets de la fm ne dm vent
debent. être découverts aux infidèles 101 •

CAPITULUM NONUM CHAPITRE IX

QUOD EST SPECIALIS LOCUS UBI ANIMAE IL Y A UN LIEU SPÉCIAL


PURGANTUR ANTEQUAM VADANT OÙ LES ÂMES SONT PURIFIÉES
AD PARADISUM AVANT D'ALLER AU PARADIS 102

Nunc restat considerare de opinione quorundam u,·,....,,.n,u_,,. Il reste maintenant à considérer l'opinion de ceux qui
purgatorium non esse post mortem. Ad quam quidem qu'il n'y a pas de purgatoire après la m<?rt .. s'ils sont
tionem ut homines aliqui devenirent hoc eis contigisse -~··"='n" o à cette position c'est que, semble-Hl, 11 leur est
tur quod et in pluribus aliis contigit multis ; dum enim ce qui se produit aussi chez beaucoup en de nombreux
errores aliquos incaute vitare voluerunt, inciderunt in domaines : voulant éviter de manière imprudente cer-
contrarias, sicut Arrius dum vitare voluit errorem erreurs, ils sont en effet tombés dans les erreurs
confundentis sanctae Trinitatis personas, incidit in ·ron1rr<>irP«. Ce fut le cas d'Arius qui, voulant éviter l'erreur de
contrarium ut divideret deitatis essentiam. Similiter mu,.uu."' qui confondait les personnes de la sainte Trinité,
dum vitare voluit errorem Nestorii dividentis in Christo dans l'erreur contraire en divisant l'essence de la déité.
sonam Dei et hominis, contrarium errorem instituit ut la même manière Eutychès, voulant éviter l'erreur de
teretur unam esse naturam Dei et hominis. Sic igitur et ~"'"<v<n.'" qui séparait la personne de Die~ et . cell~ de
dum vitare volunt Origenis errorem ponentis omnes hoJmrr1e dans le Christ, forma l'erreur contrmre : 11 afftrma
post mortem purgatorias esse, in contrarium existence d'une seule nature divine et humaine dans le
errorem ut dicant nullam poenam post mortem pur·gatorüm 103. C'est ainsi également que d'autres, voulant éviter
esse. d'Origène affirmant que toutes les peines après la
sont purgatives, tombent dans l'erreur contraire : ils
qu'Il. n'y a pas de peme
. purgative. apres' 1a mort 104 .
Sancta vero catholica et apostolica Ecclesia inter Quant à la sainte Église catholique et apostolique, elle
contrarias media cauto passu incedit. Sicut enim u<.,·UHI",I avance d'un pas frudent sur la voie du milieu, entr~ les
personas in Trinitate contra Sabellium, et tamen in opposées 10 . En effet, en confessant une umque
Arrii non declinat sed unam confitetur trium des trois personnes, elle distingue les personnes dans
essentiam ; in incarnationis vero mysterio e conversa Trinité contre Sabellius, sans pourtant dévier dans l'erreur
distinguit contra Euticen, et cum Nestorio personam Arius. Dans le mystère de l'incarnation, à l'inverse, elle
separat : sic et in statu animarum post mortem poenas ms1cm~;ue les natures contre Eutychès sans séparer la personne
dam purgatorias confitetur, eorum duntaxat qui de hoc "v'"""''" le fit Nestorius. Et c'est aussi de la même manière
118 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 119

culo absque peccato mortali recedunt cum caritate et au sujet de l'état des âmes après la mort, elle confesse
nec tamen cum Origene omnes poenas purgatorias '-'V.LlHl'-'liUI existence de certaines peines purgatives, mais seulement
sed eos qui cum peccato mortali decedunt cum diabolo ceux qui ont quitté ce monde avec la charité et la grâce,
angelis eius confitetur aeterno supplicia cruciandos. péché mortel. Elle n' affirrr:e pourt<:Ilt pas avec Origè~e
toutes les peines sont purgatives, ma1s elle confesse cec1 :
ceux qui meurent avec un péché mortel seront tourmentés par
un supplice éternel avec le diable et ses anges.
Ad hui us igitur veritatis assertionem primo '-'VJ'"""'"'"·""'uuJ.11 Pour [saisir] la vérité de cette affirmation, il faut considé-
videtur quod illi qui in peccato mortali decedunt statim rer tout d'abord que ceux qui meurent dans le péché mortel
infernalia supplicia rapiuntur ; quod aperte ex evangelica sont aussitôt emportés vers les suppli9es infernaux. Cela est
toritate probatur. Dicitur enim in Luca ex ore Domini clairement établi par l'autorité de l'Evangile: il est dit en
« mortuus est dives» epulo «et sepultus est in inferno »; effet dans l'évangile de Luc [16, 22] par la bouche du Sei-
de cruciatu eius ex ipsius confessione apparet dum gneur, qu'à la suite d'un ~~stin <~le riche e~t mort et il a é~é
«Quia crucior in hac flamma ». Per lob quoque de · enseveli en enfer». Et qu 11 y mt un supphce, cela apparalt
dicitur « Ducunt in bonis dies suos et in puncto ad .. · HvJura dans la confession du riche lorsqu'il dit: «parce que je
descendunt, qui dixerunt Deo : Recede a nabis, scientia111 souffre les tourments dans cette flamme» [Le 16, 24]. Job
rum tuarum nolumus ». également dit au sujet des impies : « Ils passent leurs jours
les bonnes choses et tout d'un coup ils descendent aux
enfers, ceux qui ont dit à Dieu : éloigne-toi de nous, nous ne
voulons pas connaître tes voies» [Jb 21, 13-14].
Non solum autem impii pro peccatis propriis, sed etiam Or ceux qui descendent aux enfers, ce ne sont pas seulement
iusti ante Christi passionem pro peccato primi parentis · les impies à cause de leurs propres péchés, mais aussi les justes
morte ad inferas descendebant ; unde Iacob dicebat « avant la passion du Christ, à cause du péché du premier parent.
cenda111 ad filium meum lugens in infernum ». Unde et C'est pourquoi Jacob disait: «Je descendrai en pleurant vers
Christus mariens ad infema descendit, ut in symbolo mon fils en enfer» [Gn 37, 35]. Et le Christ lui-même, à sa
continetur, sicut ante per prophetam praedictum fuerat « mort, descendit aux enfers, comme le Symbole de la foi le
derelinques animam meam in inferno », quod et Petrus mentionne 106 et comme le prophète l'avait annoncé d'avance:
Actibus de Christo exponit. Quamvis alio modo Christus ad Tu n'abandonneras pas mon âme en enfer» [Ps 15, 10], ce
inferna descendent, non quasi peccato obnoxius, sed "qUe Pierre explique dans les Actes [2, 27] en l'attribuant au
inter mortuos liber ad hoc descendit ut exspolians nrinf'·in<>tn<l Christ 107. Cependant, le Christ est descendu aux enfers d'une
et potestates captivam duceret captivitatem, sicut per autre manière, non pas comme coupable d'un péché mais, seul
riam fuerat ante praedictum « Tu autem in sanguine · les morts, il y est descendu libre pour « emmener cap-
menti tui eduxisti vinctos de lacu ». la captivité» [Ep 4, 8; Ps 67, 19] en dépouillant les prin-
ClJ)aUltés et les puissances [Col 2, 15], comme cela avait été
ann011cé d'avance par Zacharie [9, 11] : « Et toi, par le sang de
alliance, tu as fait sortir les captifs de l'abîme. »
Sed quia miserationes Dei sunt super omnia opera Mais la miséricorde de Dieu s'étend sur toutes ses œuvres
multo magis credendum est quod illi qui sine macula 144, 9]. Donc, à plus forte raison, il faut croire que ceux
tur statim aeternae retributionis mercedem accipiunt. Et meurent sans souillure reçoivent aussitôt leur récompense
120 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 121

qu~dem evidentibus auctoritatibus manifeste probatur. la rétribution éternelle. Des textes faisant autorité éta-
emm Aposta lus in na Epistola ad Corinthios, cum de clairement ce point. L'Apôtre dit en effet dans sa
tionibus sanctorum mentionem fecisset, « Scimus, ;ui\.Jcv.-.•v épître aux Corinthiens [5, 1], après avoir fait men-

quoniam si terrestris domus nostra huius habitationis des tribulations des saints: «Nous savons que si la mai-
vatur, quod aedificationem ex Deo habemus domum terrestre où nous habitons vient à être détruite, nous
manufactam sed aeternam in caelis ».Ex quibus verbis une maison édifiée par Dieu, une maison non pas faite
facie inspectis hoc videtur elici passe quod dissoluto main d'homme mais éternelle dans les cieux. » On peut
corp?re homo caelesti gloria induatur ; sed ut hic sensus à la première lecture de ce texte que l'homme,
dentwr hat, sequentia pertractemus. son corps mortel est détruit, se trouve revêtu de la
céleste. Mais pour que ce sens devienne plus évident,
allons examiner dans le détail ce qui suit.
Quia enim duo proposuerat, scilicet dissolutionem Ayant indiqué deux choses, à savoir la destruction de l'ha-
tionis terrenae et adeptionem domus caelestis, ostendit terrestre et 1' obtention de la demeure céleste,
modo desiderium hominis se habeat ad utrumque, cum montre comment le désir de l'homme se rapporte à
dam expositione utriusque. Unde primo subiungit et à l'autre, et il donne une explication de chacune.
desiderio caelestis domus, et dicit quod « ingemiscimus il continue en mentionnant d'abord le désir de la
hoc », quasi a nostro desiderio retardati, « quod · céleste duquel il dit : «nous gémissons », comme
~upe~ndui habitationem caelestem ». Per quod etiam dans notre désir,« car nous désirons être revêtus par-
mtelhgere quod illa domus caelestis quam supra dixerat de cette habitation céleste» [2 Co 5, 2]. Il faut aussi
est aliquid ab hornine separatum sed aliquid homini mnrP'nlln-• par cela que cette demeure céleste, de laquelle il
rens ; non enim dicitur homo induere domum sed """oh•~m parlé plus haut, n'est pas séparée de l'homme mais
tum, sed dicitur aliquis inhabitare domum. Cum ergo lui est étroitement attachée. En effet, on ne dit pas
duo coniungit dicens « superindui habitationem », homme qu'il revêt une maison mais un vêtement: d'une
quod illud desideratum et est aliquid adhaerens quia mctmtlll on dit qu'il l'habite. C'est pourquoi, en joignant ces
et est aliquid continens et excedens quia inhabitatur. expressions « être revêtus par-dessus » « de cette habi-
autem sit illud desideratum, ex sequentibus patebit. », il montre que la réalité désirée est à la fois étroite-
attachée, puisqu'on la revêt, et aussi qu'elle contient et
puisqu'on y habite. Quant à savoir ce qu'est cette
désirée, cela apparaîtra clairement par la suite.
~ed quia non simpliciter dixerat indui sed « superindui Lepe11a2mr, 1' Apôtre n'avait pas dit simplement « être revê-
ratwnem sui dicti exponit subdens « Si tamen vestiti et » mais« être revêtus par-dessus». Il donne ici la raison de
nudi inveniamur »,quasi dicat: Si anima sic indueretur expression en poursuivant : « Si toutefois nous sommes
tatione caelesti quod non exueretur habitatione terrena, vêtus et non pas nus» [v. 3]; comme s'il disait: si
tio illius habitationis caelestis esset superinduitio ; sed est revêtue de l'habitation céleste sans s'être dévêtue
oportet quod exuatur habitatione terrena ad hoc quod · l'habitation terrestre, l'obtention de cette habitation
tur caelesti, non potest dici superinduitio sed induitio serait alors le fait d'être «revêtu par-dessus». Mais
plex. il faut que l'âme se dévête de l'habitation terrestre
revêtir l'habitation céleste, on ne peut pas appeler cela
revêtu par-dessus» mais simplement« être revêtu».
122 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 123

Posset ergo aliquis ab Apostolo quaerere : Quare On pourrait alors demander à 1' Apôtre : pourquoi as-tu dit
dixisti « superindui cupientes » ? Ad quod respondet «nous désirons être revêtus par-dessus » ? A cela, il
« Nam et qui sumus in tabernaculo isto », id est qui mctunn1 en poursuivant : « Car nous qui sommes dans cette
terreno tabernaculo quasi transitorio, non domo quasi »,c'est-à-dire nous qui sommes revêtus d'une tente ter-
manente, « ingemiscimus gravati » quasi aliquo qui est transitoire et non pas d'une maison qui est per-
contra nostrum desiderium ; « eo quod » secundum « nous gémissons accablés», comme si quelque
desiderium « nolumus exspoliari » tabernaculo terreno, « faisait obstacle à notre désir, « du fait que » selon notre
supervestiri » caelesti « ut absorbeatur quod mortale est naturel « nous ne voulons pas nous dépouiller » de notre
vita »,id est ut ad vitam immortalem sine mortis gustu terrestre,« mais être revêtus par-dessus» de celle qui est
seatur. « afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie »
. 4], c'est-à-dire pour passer à la vie immortelle sans goûter
mort.
Posset autem iterum aliquis Apostolo dicere : ...'""'"'-''H«uu~ On pourrait encore dire à 1' Apôtre : il apparaît raisonnable
apparet quod nolumus exspoliari terrena habitatione quae nous ne voulions pas être dépouillés de notre habitation
nabis connaturalis ; sed unde hoc nobis quod na:ou;aw:mt~rr qui nous est connaturelle; mais d'où vient-il que
caelestem indui cupiamus ? Ad hoc autem respondens désirions être revêtus d'une habitation céleste? Il y
« Qui autem efficit nos in hoc ipsum » ut desideremus en poursuivant: «Celui qui nous a formés pour cela»,
tia «Deus est». Et quomodo nos in hoc efficiat ostendit que nous désirions les réalités célestes, «c'est Dieu».
dens « Qui dedit nabis pignus Spiritus » ; per Spiritum comment Dieu nous forme pour cela, ille montre en ajou-
Sanctum quem accepimus a Deo certi sumus de caelesti : «lui qui nous a donné le gage de l'Esprit» [v. 5]. En
tatione adipiscenda, sicut per pignus de debita '"'"'"""''"' par l'Esprit-Saint que nous recevons de Dieu, nous
ex hac autem certitudine in desiderium caelestis uu.•vn•""'Jllll certains d'obtenir l'habitation céleste, comme par un
elevamur. on est certain de récupérer son dû : cette certitude nous
vers le désir de l'habitation céleste los.
Sic ergo duo desideria sunt in nabis : unum naturae de Ainsi, il y a en nous deux désirs. L'un vient de la nature:
rena habitatione non deserenda, aliud gratiae de caelesti pas quitter notre habitation terrestre. L'autre vient de la
tatione consequenda. Sed haec duo desideria simul · : obtenir l'habitation céleste. Mais ces deux désirs ne
non possunt, quia ad caelestem habitationem pas être comblés simultanément, puisque nous ne
possumus nisi terrena deseramus ; unde cum quadam pas parvenir à l'habitation céleste sans quitter l'ha-
firma et audacia desiderium gratiae praeferimus terrestre. C'est pourquoi, avec une ferme confiance et
naturae, ut velimus terrenam habitationem deserere et ad audace nous préférons le désir de la grâce au désir de la
lestem pervenire. Et hoc est quod subdit « Audentes · de manière à vouloir quitter l'habitation terrestre pour
semper et scientes quoniam dum sumus in hoc corpore à l'habitation céleste. Et c'est bien ce que l'Apôtre
egrinamur a Domino, per fidem enim ambulamus et non : «Ayant donc toujours de l'audace et sachant que, tan-
speciem, audemus et bonam voluntatem habemus magis que nous sommes dans ce corps, nous sommes en exil loin
egrinari a corpore et praesentes esse ad Dominum ». Ubi Seigneur, car nous cheminons dans la foi et non pas dans
ritur quod ipsum corpus corruptibile supra nominavit « claire vision, nous osons et nous avons la volonté bonne de
restrem domum huius habitationis » et << tabernaculum exiler plutôt de notre corps et de demeurer auprès du
quod quidem corpus est animae quasi quoddam u.1uu'u"an•.u ' mn"'""» [v. 6-8]. Ici, il apparaît clairement que ce corps
1
124 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 125

est ce que l'Apôtre avait nommé plus haut« mai-


terrestre où nous habitons» et «tente», ce corps qui est
un vêtement pour l'âme l09.
Aperitur etiam quid supra dixerat « domum non """'u"'~"' clarifie aussi ce que l'Apôtre avait dit plus haut en
tarn sed aeternam in caelis », quia ipsum Deum, d'une« maison non pas faite de main d'homme mais
homines induunt vel etiam inhabitant dum ei praesentes dans les cieux». C'est en effet Dieu lui-même que
tunt per speciem, id est videndo eum sicuti est ; pe:re~~nrtantt hommes revêtent ou en qui ils habitent lorsqu'ils demeurent
autem ab ipso dum per fidem tenent quod nondum de lui par la vision, c'est-à-dire en le voyant tel
Desiderant ergo sancti peregrinari a corpore, id est ut est; tandis qu'ils cheminent en exil loin de lui lorsqu'ils
animae per mortem a corporibus separentur, ad hoc quod par la foi ce qu'ils ne voient pas encore. Les saints
peregrinantes a corpore sint praesentes ad Dorninum. donc s'exiler de leur corps, c'est-à-dire: ils désirent
festum est ergo quod sanctorum animae a corporibus leur âme soit séparée du corps par la mort afin que, exi-
tae ad caelestem habitationem perveniunt Deum de leur corps, ils soient présents auprès du Seigneur. Il est
non ergo sanctarum animarum gloria, quae in Dei manifeste que les âmes des saints déliées des corps par-
consistit, differtur usque ad diem iudicii quo corpora à l'habitation céleste dans la vision de Dieu. La
munt. des âmes saintes, qui consiste dans la vision de Dieu,
donc pas différée jusqu'au jour du jugement où elles
""'lJ'U'-'l'"leur corps.
Hoc etiam apparet per dictum Apostoli ad Philippenses apparaît aussi dans ce que l'Apôtre dit aux Philippiens
dicit « Desiderium habens dissolvi et cum Christo esse 23]: «J'ai le désir d'être dégagé [des liens du corps] et
vanum autem esset hoc desiderium si corpore dissoluto avec le Christ. » Or ce désir serait vain si, une fois
Paulus curn Christo non esset, quem tamen constat esse de son corps, Paul n'était pas encore avec le Christ qui,
lis : sunt ergo animae sanctorum post mortem cum '-""''u"''v le savons bien, est au ciel. Les âmes des saints après la
caelis. Manifeste etiam Dorninus latroni confitenti in sont donc au ciel avec le Christ. Le Christ a aussi dit dai-
dixit « Hodie rnecum eris in paradiso », per paradisum au bandit qui avait prononcé sa confession sur la croix :
fruitionem designans ; unde non est credendurn quod 'hui tu seras avec moi au paradis» [Le 23, 43], dési-
fideles Christus remunerare differat quantum ad gloriam par le mot « paradis » la jouissance de la gloire. Il ne faut
marum usque ad corporum resumptionern. Quod ergo pas croire que la rétribution accordée par le Christ à ses
nus dicit «In domo Patris mei mansiones multae sunt », soit différée, en ce qui concerne la gloire des âmes, jus-
differentias praemiorum refertur quibus sancti in caelesti la reprise des corps. C'est pourquoi, quand le Seigneur
titudine remunerantur a Deo, non enim extra domum sed « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon
ipsa domo. 110 » [Jn 14, 2], cela concerne la différence des récom-
que les saints reçoivent comme rétribution dans la béa-
céleste, non pas hors de cette maison mais bien en elle.
His autem visis, consequens videtur purgatorium après ce que nous venons de voir, il apparaît donc qu'il y
rum esse post mortern ; ex multis enim sacrae Scripturae purgatoire des âmes après la mort. En effet, nous tenons
toritatibus manifeste habetur quod ad illam caelestem enseignement manifeste de nombreux passages de l'Écri-
nullus pervenire potest cum macula. Dicitur enim de sainte que personne ne peut parvenir à cette gloire céleste
sapientiae participatione, in libro Sapientiae, quod est « la souillure 111 [du péché]. Car il est dit de la participa-
126 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 127

natio quaedam claritatis omnipotentis Dei sincera, à la sagesse divine, dans le livre de la Sagesse [7, 25],
nihil inquinatum incurrit in illam » ; consistit autem '-'"-'•'"''u est « une émanation toute pure de la clarté du Dieu
felicitas in sapientiae participatione perfecta qua per 1 t-~'"'~''"u~.-, et donc rien de souillé ne l'atteint». Or la féli-
Deum videbimus : oportet igitur omnino sine macula esse céleste consiste dans la parfaite participation à la sagesse
qui ad illam beatitudinem perducuntur. Idem habetur laquelle nous verrons Dieu d'une claire vision. Il faut
sius in Isaia « Via sancta vocabitur, non transibit per eam que ceux qui sont conduits à cette béatitude soient abso-
lutus » ; et in Apocalypsi dicitur «Non intrabit in ea · sans souillure. La même chose est très expressément
coinquinatum ». en Isaïe : << On 1' appellera la voie sainte, et celui qui
souillé ne passera pas par elle» [35, 8]. Et il est dit dans
Apocalypse: «Ce qui est souillé n'y entrera pas» [21, 27].
Contingit autem aliquos in hora mortis aliquibus Or il arrive que des personnes, à l'heure de la mort, soient
peccatorum inquinari, propter quae tamen aeternam de certaines souillures des péchés qui ne leur font
tionem inferni non merentur, sicut sunt venialia peccata ::;u<euu•"'" pas mériter la damnation éternelle de l'enfer : tels
verbum otiosum et alia huiusmodi ; non ergo ad '"'"''"'D"'-!1 les péchés véniels, comme par exemple une parole
beatitudinem qui talibus inquinati decedunt poterunt et les autres choses de ce genre. Ceux qui meurent
nire statim post mortem. Pervenirent autem, ut supra d'une telle souillure ne pourront donc pas parvenir à la
tum est, si huiusmodi maculae in eis non essent ; ad léa1tltulae céleste immédiatement après la mort. Ils y parvien-
ergo post mortem dilationem gloriae patientur propter pourtant, comme on l'a établi plus haut, s'il n'y avait
lia peccata. Nulla autem ratio est quare magis hanc po1e112m en eux ces souillures. Ils endureront donc au moins, après
quam aliam animas post mortem pati concedant, pn:tes1ert:Jrr mort, un délai de la gloire à cause des péchés véniels. Mais
cum carentia visionis divinae et separatio a Deo maior n'y a pas de raison de concéder, comme le font [nos contra-
poena etiam existentibus in inferno quam ignis suppliciu ], que les âmes après la mort subissent cette peine [du
patiuntur ergo animae cum venialibus decedentium nnro-<>,tr de gloire jusqu'à la résurrection des corps] plutôt que
rium ignem post mortem. autre [la purification des souillures pour entrer dans la
· avant la résurrection des corps], surtout puisque la pri-
de la vision divine et la séparation de Dieu sont une
plus grande, même pour ceux qui demeurent en enfer,
le supplice du feu. Les âmes de ceux qui meurent avec
péchés véniels souffriront donc le feu purificateur après
mort 112.
Si quis autem dicat huiusmodi peccata venialia rernm1er1 On dira peut-être que ces péchés véniels demeurent jusqu'à
purganda per ignem conflagfationis mundi qui faciem purification par ce feu qui, dévorant le monde, précédera la
cedet iudicis : hoc cum praemissis stare non potest. 0 du Juge 113 . Mais une telle affirmation est incompatible
enim est quod sanctorum animae in quibus nulla est ce qui a été établi auparavant. Nous avons montré en
statim corpore dissoluto caelestem habitationem uu''~"'""". que, aussitôt déliées du corps, les âmes des saints en qui
tur ; nec potest dici quod animae cum peccatis n'y a aucune souillure obtiennent «l'habitation» céleste
decedentium antequam ab eis purgentur ad caelestem Co 5, 1-2]. Et l'on ne peut pas dire que les âmes de ceux
niant gloriam, sicut ostensum est : differtur ergo eorum · meurent avec des péchés véniels parviennent à la gloire
propter peccata venialia usque ad diem iudicii. Quod avant d'être purifiées de ces péchés : nous l'avons
128 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 129

improbabile videtur, ut scilicet pro levibus peccatis . Leur gloire sera-t-elle donc différée, en raison des
poenam aliquis patiatur in gloriae dilatione. véniels, jusqu'au jour du jugement? Il apparaît tout à
improbable que, à cause de péchés légers, il faille souffrir
peine aussi grande qu'un tel délai de la gloire.
Amplius, contingit aliquos ante mortem perficere Il arrive en outre que certains n'ont pas pu achever avant la
potuisse paenitentialll debitam pro peccatis de quibus la pénitence due aux péchés pour lesquels ils étaient en
tuerunt ; nec est divinae iustitiae conveniens quod de faire pénitence. Et il ne convient pas à la justice
illam non exsolvant, sic enim melioris conditionis que ceux-ci ne s'acquittent pas de leur peine, car alors
cito morte praeoccupantur qualil qui diutinalil 1-''l\•H>L'-'>-•uau qui sont rapidement emportés par la mort seraient dans
pro peccatis in hac vita perficiunt : patiuntur igitur post meilleure condition que ceux qui accomplissent en cette
tem huiusmodi poenam. Non autem in inferno in une longue pénitence pour leurs péchés. Ils souffriront
homines pro peccatis mortalibus puniuntur, euro ia1ll per une peine de ce genre après la mort ; mais non pas en
nitentia1ll sint mortalia peccata dimissa ; nec etialil où les hommes sont punis pour leurs péchés mortels,
conveniens ut pro exsolutione huius poenae usque ad les péchés mortels leur ont déjà été remis. Et il ne
iudicii eis gloria debita differretur. Oportet igitur ponere vœndlrmt pas non plus que, pour acquittement de cette
quas poenas temporales et purgatorias post hanc vitam la gloire qui leur est due soit différée jusqu'au jour du
diem iudicii. 1gememt. Il faut donc poser certaines peines temporelles et
après cette vie avant le jour de jugement.
Huic etialll consonat Ecclesiae ritus ab apostolis · cela s'accorde aus~i le rite de l'Église introduit par les
tus ; orat enim tota Ecclesia pro fidelibus defunctis ....._,"-'U''"'" : en effet, toute l'Eglise prie pour les fidèles défunts.
tum est autem quod non orat pro his qui sunt in inferno, il est manifeste que l'Église ne prie pas pour ceux qui sont
in inferno nulla est redemptio ; neque etialil pro his qui enfer, puisqu'il n'y a pas de rédemption en enfer; ni pour
caelestem gloriam iam adepti, quia illi ia1ll pervenerunt qui ont déjà obtenu la gloire céleste, puisque ceux-là ont
finem. Relinquitur ergo quod sint aliquae poenae atteint le but. Il faut donc conclure ceci : il y a certaines
et purgatoriae post hanc vitalil, pro quarum remissione temporelle~ et purgatives après cette vie pour la rémis-
Ecclesia. desquelles l'Eglise prie 11 4.
Hinc est etiam quod Apostolus ad Corinthios Telle est aussi la source de ce que l'Apôtre dit aux Corin-
« Uniuscuiusque opus quale fuerit ignis probabit. Si : « Le feu fera reconnaître l'œuvre de chacun telle
opus manserit quod superaedificavit, mercedem accipiet ; elle aura été. Si l'œuvre édifiée par quelqu'un subsiste, il
cuius opus arserit, detrimentum patietur : ipse autem une récompense ; si son œuvre se consume par le feu,
erit, sic tamen quasi per ignem ». Non autem potest en souffrira la perte ; quant à lui, il sera sauvé, mais comme
intelligi de igne inferni, quia qui ilium ignem patiuntur travers le feu » [1 Co 3, 13-15]. Or on ne peut pas corn-
salvantur ; oportet ergo quod intelligatur de aliquo igne cela du feu de l'enfer, puisque ceux qui souffrent de
gante. feu ne sont pas sauvés. Il faut donc comprendre cela d'un
· feu qui purifie.
Et quidem potest aliquis dicere hoc esse intelligendum Mais on pourrait objecter que cela doit s'entendre du feu
igne qui praecedet faciem Iudicis, praecipue quia ontenuttm précède la face du Juge, surtout parce qu'il est dit juste
« Dies Domini declarabit, quia in igne revelabitur » ; : «Le jour du Seigneur fera paraître [l'œuvre de
autem Domini intelligitur dies ultimi adventus eius, , car [elle] sera révélée dans le feu» [1 Co 3, 13]. Or,
130 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 131

Apostolus in I Thess. dicit « Dies Dornini sicut fur in nocte ce «jour du Seigneur» on entend le jour de sa venue der-
veniet ». comme l'Apôtre le dit en 1 Thessaloniciens : « Le jour
Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit» [5, 2].
Sed attendendum est quod, sicut dies iudicii dicitur Mais il faut prêter attention à ceci : de même que le jour du
Domini quia est dies adventus eius ad iudicium · 1.!~<-"'"V'". est appelé «jour du Seigneur» parce que c'est le
totius mundi, ita dies mortis uniuscuiusque dicitur de sa venue pour le jugement universel du monde entier,
Domini quia in morte ad unumquemque venire Christus même le jour de la mort de toute personne est appelé «jour
tur remuneraturus vel condemnaturus. Unde quantum Seigneur » parce qu'il est dit que le Christ vient vers cha-
remunerationem bonorum dicit in Iohanne ad discipulos à sa mort pour le récompenser ou pour le condamner.
<< Si abiero et praeparavero vobis locum, iterum venio et touchant la récompense des hommes bons, le Christ dit
piam vos ad me ipsum, ut ubi sum ego et vos sitis » ; disciples en Jean: «Après que je m'en serai allé et que
tum vero ad condemnationem malorum dicitur in vous aurai préparé une place, je viendrai à nouveau et je
« Age paenitentiam et prima opera fac ; sin autem venio prendrai près de moi, afin que là où je suis vous soyez
et movebo candelabrum tuum de loco suo ». Dies » [14, 3]. Et sur la condamnation des méchants, il est dit
Dornini quo ad universale iudicium veniet in igne l'Apocalypse : «Fais pénitence et pratique tes premières
qui faciem Iudicis praecedet, quo reprobi ad sinon je viendrai à toi et j'ôterai ton chandelier de sa
aetemum trahentur et iusti qui vivi reperientur » [2, 5]. Le «jour du Seigneur» où le Seigneur viendra
sed et dies Dornini quo unumquemque in sua morte le jugement universel se révélera donc dans le feu qui
in igne revelabitur qui purgat bonos et impios condemnat. la face du Juge, par lequel les réprouvés seront traî-
ergo patet purgatorium esse post mortem. au supplice éternel et les justes trouvés vivants seront
; mais le «jour du Seigneur» où le Seigneur juge
à sa mort sera révélé dans le feu qui purifie les bons
condamne les impies 115 . Ainsi donc, il apparaît clairement
'il y a un purgatoire après la mort.

CAPITULUM DECIMUM CHAPITRE X

QUOD PRAEDESTINATIO DIVINA PRÉDESTINATION DIVINE N'IMPOSE PAS


ACTIBUS NECESSITATEM NON IMPONAT DE NÉCESSITÉ AUX ACTES HUMAINS.
ET QUALITER IN HAC QUAESTIONE COMMENT IL FAUT PROCÉDER
PROCEDENDUM SIT DANS CETTE QUESTION 11 6

Nunc ultimo considerandum restat an per Pour terminer, il nous reste à examiner si la préordination
nem seu praedestinationem divinam humanis actibus prédestination divine impose une nécessité aux actes
tas imponatur. In qua quaestione sic caute procedendum ,,....,...,,·,...,. Dans cette question, il faut procéder avec prudence
132 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 133

veritas defendatur et falsitatis error vitetur. Erroneum manière à défendre la vérité et à éviter l'erreur. Il est en
est dicere quod humani actus et eventus praescientiae et erroné de dire que les actes et les événements humains
nationi divinae non subsint ; nec minus est erroneum sont pas soumis à la prescience et à l'ordination divine. Et
quod ex praescientia vel ordinatione divina humanis .est non moins erroné de dire que la prescience ou 1' ordina-
necessitas ingeratur : tolleretur enim libertas arbitriii, divine introduit une nécessité dans les actes humains :
liandi opportunitas, legum utilitas, sollicitudo bene agendi cela supprimerait la liberté du [libre] arbitre et la possibi-
poenarum et praemiorum iustitia. de délibérer, l'utilité des lois et le souci de bien agir, ainsi
la justice des peines et des récompenses.
Est igitur considerandum quod Deus aliter habet sc1ent:ian II faut donc considérer que Dieu possède la science des
de rebus quam homo. Homo enim subiectus est tempori, d'une autre manière que l'homme. En effet, l'homme
ideo temporaliter res cognoscit, quaedam respiciens ut soumis au temps; c'est pourquoi il connaît les choses de
sentia, quaedam ut praeterita recolens et quaedam temporelle, percevant certaines choses comme pré-
ut futura ; sed Deus est superior temporis decursu et ' se rappelant d'autres comme passées et prévoyant
suum est aeternum, unde et sua cognitio non est ternp<ora1li autres encore comme futures. Mais Dieu est au-dessus du
sed aeterna. du temps, et son être est éternel; c'est pourquoi sa
· n'est pas temporelle mais éternelle.
Comparatur autem aeternitas ad tempus sicut L'éternité se rapporte au temps comme ce qui est indivi-
ad continuum. In tempore enim invenitur diversitas se rapporte à ce qui est continu. Car il y a dans le temps
partium secundum prius et posterius sibi succedentium, certaine diversité des parties qui se succèdent selon
in linea inveniuntur diversae partes secundum situm ad avant et l'après, comme dans une ligne il y a diverses par-
cern ordinatae ; sed aeternitas prius et posterius non qui sont ordonnées selon la position qu'elles occupent
quia res aeternae mutatione carent : et sic aeternitas est par rapport à l'autre. Mais l'éternité n'a pas d'avant ni
simul, sicut et punctum partibus caret secundum situm après, puisque les choses éternelles sont exemptes de chan-
tinctis. Et ainsi l'éternité est tout entière simultanée, tout
cOJnn:te un point est exempt de parties qui seraient distinctes
leur position 117 .
Punctum autem dupliciter ad lineam comparari potest : Or un point peut se rapporter à une ligne de deux manières :
quidem modo sicut intra lineam comprehensum, sive sit · comme étant compris à l'intérieur d'une ligne,
principio lineae, sive in medio, sive in fine ; alio modo 'il soit au début, au milieu ou à la fin de la ligne ; deuxième-
extra lineam existens. Punctum igitur intra lineam comme existant à l'extérieur d'une ligne. Le point existant
non potest omnibus lineae partibus adesse, sed in l'intérieur d'une ligne ne peut pas être présent dans toutes les
partibus lineae necesse est diversa puncta signari ; om1ctlm · de la ligne, mais il est nécessaire que, dans les diverses
vero quod extra lineam est nihil prohibet aequaliter de la ligne, divers points soient distincts ; tandis que rien
lineae partes respicere : ut apparet in circula, cuius ,,.nu'""'u" que le point qui est à l'extérieur de la ligne se rap-
cum sit indivisibile aequaliter respicit omnes A;~.~...~+-cwa,~t•~ de manière égale à toutes les parties de la ligne : cela
partes, et omnes sibi sunt quodam modo praesentes, dans le cercle dont le centre, puisqu'il est indivisible,
una earum alteri non sit praesens. rapporte de manière égale à toutes les parties de la circonfé-
et toutes lui sont d'une certaine manière présentes, bien
1' une de ces parties ne soit pas présente à 1' autre 11 8.
134 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 135

Puncto autem incluso in linea similatur instans quod est Ainsi, le point qui est inclus dans la ligne représente l'ins-
minus temporis ; quod quidem non adest omnibus qui est le terme du temps: il n'est pas présent à toutes les
temporis, sed in diversis partibus temporis instantia du temps, mais il y a divers instants distincts dans les
signantur. Puncto vero quod est extra lineam, scilicet parties du temps. Tandis que le point qui est à l'ex-
quodam modo similatur aeternitas, quae cum sit simplex de la ligne, c'est-à-dire le centre, représente d'une cer-
indivisibilis totum decursum temporis comprehendit, et manière l'éternité qui, puisqu'elle est simple et indivi-
libet pars temporis est ei aequaliter praesens, licet embrasse tout le cours du temps, et chaque partie du
temporis una sequatur ad alteram. lui est présente de manière égale, bien que l'une des
du temps vienne après telle autre 119.
Sic igitur Deus qui de aeternitatis excelso omnia Ainsi Dieu, qui regarde toutes choses du haut de l'éternité,
semper totum temporis decursum et omnia quae geruntur toujours comme une chose présente tout le cours du
tempore praesentialiter intuetur. Sicut ergo cum ego · et tout ce qui se passe dans le temps. Il en va de même
Sortem sedere infallibilis et certa est mea cognitio, cet exemple : lorsque je vois Socrate assis, j'en ai une
tamen ex hoc Sorti necessitas sedendi imponitur ; ita uu·cu"'" ...... ''-''"' infaillible et certaine, mais cela n'impose pour-
ornnia quae nobis sunt vel praeterita vel praesentia vel à Socrate aucune nécessité d'être assis. De la même
quasi praesentia inspiciens infallibiliter et , tout ce qui nous est passé, ou présent, ou futur, Dieu
cognoscit, ita tamen quod contingentibus nulla 11'-''•"""u~ voit comme une chose présente et le connaît de manière
imponitur existendi. .ua.uu•u•v et certaine, de telle sorte cependant que cela n'im-
aux choses contingentes aucune nécessité d'exister 120.
Huius autem exemplum accipi potest si Pour illustrer cela, on peut comparer le cours du temps au pas-
decursum temporis ad transitum viae. Si quis enim sit in sur un chemin 121 . En effet, si quelqu'un se trouve sur un
per quam transeunt multi, videt quidem eos qui sunt ante · par lequel passe beaucoup de monde, il voit bien ceux
qui vero post ipsum veniant per certitudinem scire sont devant lui mais il ne peut pas savoir avec certitude qui
potest ; sed si aliquis sit in aliquo loco excelso unde derrière lui. Mais si quelqu'un se trouve sur un lieu élevé
viam possit inspicere, simul videt omnes qui pe:rtnmseun où il peut voir tout le chemin, alors il verra simultanément
viam. Sic igitur homo qui est in tempore non potest ceux qui marchent sur ce chemin. Ainsi donc, l'homme qui
decursum temporis simul videre, sed videt ea solum trouve dans le temps ne peut pas voir simultanément tout le
coram assistunt, praesentia scilicet et de praeteritis du temps mais il voit seulement ce qui se situe près de lui,
sed ea quae ventura sunt per certitudinem scire non est--a-cure les choses présentes et quelques-unes des choses
Deus autem de excelso suae aeternitatis per ,..,,,..,t-.,rl'"'"' ; tandis que les choses qui auront lieu dans le futur, il ne
videt quasi praesentia omnia quae per totum temporis pas les connaître avec certitude. Mais Dieu voit avec certi-
sum aguntur, absque hoc quod rebus contingentibus du haut de son éternité, comme des choses présentes, tout
tas imponatur. qui se passe dans le cours total du temps, sans que cela
une nécessité aux choses contingentes 122.
Sicut autem divina scientia contingentibus Comme la science divine, l'ordonnance selon laquelle Dieu
non imponit, sic nec eius ordinatio qua provide ordinat providentiellement l'univers n'impose aucune néces-
versa ; sic enim ordinat res sicut agit eas : non enim eius aux choses contingentes. Car il ordonne les choses
natio cassatur, sed quod per sapientiam ordinat per · il les fait: son ordonnance n'est pas annulée, mais il
exequitur. -~"'""''-H par sa puissance ce qu'il ordonne par sa sagesse 123 .
136 DE RATIONIBUS FIDEl LES RAISONS DE LA FOI 137

In actione autem divinae virtutis hoc considerari il faut considérer, dans l'action de la puissance divine, que
quod operatur in omnibus et movet singula ad suos · agit en toutes choses et les pousse toutes à accomplir
secundum modum uniuscuiusque ; ita quod quaedam actes selon le mode propre à chacune. Ainsi, certaines
motione divina ex necessitate suas actiones perficiunt, ccc>m]Jnssent leurs actions par nécessité sous la motion
apparet in motibus caelestium corporum, quaedam comme on le voit dans le mouvement des corps
124 , tandis que d'autres le font de manière contingente
contingenter et interdum a propria actione deficiunt, ut
ret in actionibus corruptibilium corporum : arbor enim ont parfois des actions déficientes, comme cela apparaît
doque a fructificando impeditur et animal a generando. les actions des corps corruptibles: l'arbre est parfois
ergo sapientia divina de rebus ordinat ut ordinata -~"'"h'"' de donner du fruit ou l'animal d'engendrer. Ainsi, la
secundum modum propriarum causarum. Est autem divine ordonne les choses de manière à ce qu'elles se
modus naturalis horninis ut libere agat non aliqua u'""~'-'"'Oill<lu selon le mode de leurs causes propres. Or le mode
coactus, quia rational es potestates ad opposita se habent ; de l'homme est d'agir librement sans être contraint
igitur Deus ordinat de actibus humanis ut .tamen une nécessité, puisque les facultés rationnelles sont
actus necessitati non subdantur, sed provemant ex 'aiJ''"i\"" de se porter sur des objets opposés 125 . Ainsi, Dieu
libertate. ird<mrte les actions humaines de telle sorte que les actes
mn1an1s ne sont pas soumis à la nécessité mais proviennent
la liberté du [libre] arbitre.
Haec igitur sunt quae ad praesens visa sunt de prcmositi Voilà donc ce que nous avons jugé opportun d'écrire ici en
quaestionibus conscribenda, quae tamen alibi diligentms rén>0n1;e aux questions posées, que nous avons pourtant exa-
tractata sunt. ailleurs de manière plus approfondie 126.
Notes

1. «Infidèles» ou «incroyants» (infideles): ceux qui n'ont pas la foi.


Dans la langue de S. Thomas, ce terme peut désigner en général toutes les
personnes qui n'adhèrent pas à la foi catholique: ceux qui s'opposent à la
foi sans l'avoir encore reçue (les païens), ceux qui s'opposent à la foi après
l'avoir reçue en figure (les Juifs), et ceux qui s'opposent à la foi après
l'avoir reçue dans sa vérité (les hérétiques; Somme de théologie, IIa-IIae,
q. 10, a. 5). Thomas désignera plus loin les «Sarrasins» (musulmans) et,
sur un plan différent, les « Grecs » et les « Arméniens » auxquels se trouve
confronté le destinataire du traité. La défense contre les « moqueries » ou
la «dérision » (derisio, irrisio) des infidèles constitue un thème central de
l'apologétique thomasienne: l'exposé de la foi doit montrer d'une part que
celle-ci n'est pas déraisonnable, bien qu'elle dépasse la,portée de l'intelli-
humaine livrée à ses seules ressources; il doit respecter d'autre part
prérogatives de la foi, en évitant toute argumentation donnant à penser
que l'on adhère à la foi pour des raisons humaines fragiles. Voir Somme
contre les Gentils, livre I, chap. 6-8 ; Somme de théologie, Ia, q. 32, a. 1.
Voir dans notre Introduction la section «L'apologétique thomasienne »
(p. 24-30) ; V. SERVERAT, «L' irrisio fidei. Encore sur Raymond Lulle et
Thomas d'Aquin», RTh 90 (1990), 436-448.
2. Thomas cite généralement ce verset avec la mention de la foi (de spe
et fide); voir par exemple Somme de théologie, Ila-Ilae, q. 2, a. 10, sed
contra; q. 10, a. 7, ad 3 (à propos de la défense de la foi dans la« dispute»
avec les infidèles). Ce passage de la première épître de Pierre constitue au
XII' siècle déjà la devise apologétique de plusieurs auteurs; voir J. DE
GHELLINCK, Le Mouvement théologique du XII' siècle, Bruxelles-Paris,
1948, p. 279-284.
3. «Peuples>>: nationes. Ils s'agit vraisemblablement dans ce contexte
'autres peuples islamiques, peut-être les Syriens ou les Turcs (voir la note
H.-F. DONDAINE dans l'édition Léonine, p. B 57).
4. «Arguments d'autorité»: auctoritates. Le terme désigne d'abord les
textes de divers genres (Écriture, tradition, théologiens, philosophes) qui se
trouvent à la base de la démarche intellectuelle des médiévaux, dans l'en-
seignement comme dans les diverses formes de controverse. Par extension,
il désigne également les arguments tirés de ces sources. Pour le principe de
dispute avec des arguments que les adversaires accueillent, voir notam-
Quodlibet IV, q. 9, a. 3 (et ici p. 140, n. 7).
140 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 141

5. Ailleurs : dans la Somme contre les Gentils principalement ; ici : il ne peut pas y avoir de contrariété entre la vérité de la foi et
a également traité plus amplement de la procession du Saint-Esprit et naturelle que l'homme tient de son créateur. La foi dépasse la rai-
purgatoire dans son opuscule Contre les erreurs des Grecs. mais ne lui est pas contraire: Somme contre les Gentils, livre 1, chap. 7.
6. Autre lieu sur cette question : Somme contre les Gentils, livre 1. THOMAS se montre fort critique envers toute tentative de prouver ce
chap. 7 et 9. relève de la foi seule, car cela met la foi elle-même en danger (thème
7. «Disputes >> : disputationes. Ce terme, comme le verbe qui lui la dérision de la foi). Il explique par exemple, à propos de la Trinité et
pond (disputare), désigne la controverse ou l'exercice de uJ·'""j~~.tvu commencement de l'univers dans le temps: «Si quelqu'un cherchait à
tant en présence des personnes tenant des positions différentes. Il n' sur de tels arguments [... ],cela tournerait à la dérision de la foi
pas l'agressivité ou l'inimitié que l'expression peut connoter en qu'à sa confirmation>> (Écrit sur les Sentences, livre II, dist. 1, q. 1,
mais il indique plutôt la confrontation argumentée en vue de trouver 5); voir notre section« L'apologétique thomasienne >>,p. 24-30.
manifester la vérité. Voici comment Thomas l'explique: «La dispute 12. Autres lieux principaux de cette question : Somme contre les Gentils,
putatio) peut être ordonnée à un double but. Il y a une dispute qui a Jivre IV, chap. 11; Compendium de théologie I, chap. 37-44; Questions dis-
but de lever un doute afin de savoir si une chose est bien telle, et dans De potentia, q. 2, a. 1 ; q. 10, a. 1-2; Somme de théologie, la, q. 27,
genre de dispute théologique on se sert principalement des autorités 1-2; q. 34, a. 1-2; Commentaire sur S. Jean, chap. 1, lect. 1 (trad. sous la
reçoivent ceux avec qui l'on dispute; par exemple, si l'on dispute avec direction de M.-D. Philippe, vol. 1, Versailles-Buxy, 1978, p. 76-105). Voir
Juifs, il faut faire valoir des autorités de l'Ancien Testament; si l'on Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église I, 1, 2° article (p. 217).
pute avec des manichéens, qui méprisent l'Ancien Testament, il ne faut 13. Référence implicite à plusieurs passages bibliques, notamment
servir que des autorités du Nouveau Testament; si l'on dispute avec 16, 17 (« Ce n'est pas la chair et le sang qui te l'ont révélé, mais mon
schismatiques, qui reçoivent l'Ancien et le Nouveau Testament mais Père qui est aux cieux >>) et Rm 8, 5 (« Ceux qui sont de la chair goûtent ce
l'enseignement de nos saints, comme c'est le cas des Grecs, il faut qui est de la chair>>) ; 1 Co 3, 3 ; Ga 1, 16 ; etc. Le thème est précisément
disputer à partir des autorités du Nouveau et de l'Ancien Testament appliqué ici à l'attribution d'une génération selon la chair en Dieu. Pour
que des docteurs qu'ils reçoivent; mais s'ils ne reçoivent aucune cette qualification des infidèles« charnels>>, voir Somme contre les Gentils,
il faut, pour les convaincre, recourir à des raisons naturelles. L'autre livre I, chap. 6.
de dispute est la dispute magistrale dans les écoles, non pas en vue 14. L'intellect (intellectus) est la faculté ou puissance des êtres intellec-
ter une erreur mais pour instruire les auditeurs afin de les conduire à tuels sur le plan de la nature, tandis que le terme intelligentia (intelligence)
la vérité qu'ils croient» (Quodlibet IV, q. 9, a. 3 ; éd. Léonine, t. signifie plutôt l'acte de connaissance intellectuelle au plan de l'opération
p. 339-340). L'opuscule De rationibus fidei, on le voit bien, ""'TP.onnr.A' de théologie, la, q. 79, a. 1 et 10). L'intellect de Dieu est son
exactement au premier genre de « dispute » visant à manifester la vérité essence et son être même, au-dessus de tout, ne faisant partie d'aucun
la foi confrontée à une erreur. Pour la valeur et la fonction de l'ar!iutnertt genre: Dieu est« hors de tout genre>> (Somme de théologie, la, q. 3, a. 5).
d'autorité, voir J .-P. TORRELL, « Le savoir théologique chez saint Thomas>>, 15. lntellectus noster deficiat ab intellectu divino. Cela signifie que
RTh 96 (1996), 388-392. notre intellect, qui vient de Dieu, est inférieur à l'intellect divin et qu'il est
8. «Raisons nécessaires>>: arguments démonstratifs par lesquels donc « déficient » par rapport à ce dernier, c'est-à-dire de moindre nature
prouve en toute nécessité rationnelle les conclusions auxquelles on et incapable de le saisir adéquatement, en raison de la disproportion entre
9. Telle est la« raison formelle>> de l'objet de la foi: la Vérité ~•a•m;<>·= le créé et l'incréé. Mais, comme Thomas l'explique dans cette même
en tant que révélée par Dieu. Matériellement, l'objet de la foi concerne phrase, le discours analogique est nécessaire en théologie. Tout ce que nous
seulement Dieu lui-même mais aussi ce qui se rapporte à Dieu et qui saisissons de Dieu, même ce qui nous est révélé, ne nous est intelligible
est révélé (Somme de théologie, IIa-IIae, q. 1, a. 1). Les vérités de foi qu'au moyen de l'analogie.
tinguent en «articles>> (articuli) dont les «Symboles de foi>> (notre 16. «Progéniture>>: protes (ce qui est engendré). Le terme fait écho aux
de Nicée-Constantinople par exemple) sont les recueils. Voir notre explications du premier paragraphe de ce chapitre. Cette expression, fort
duction à l'opuscule Les Articles de la foi et les Sacrements de l' ancienne, se rattache ici à l'analogie de la« conception>> : on« conçoit>> un
p. 181 s. verbe mental comme on « conçoit >> un enfant. La pointe de cette phrase
10. Ce sont là deux principes fondamentaux de la manifestation de dans l'idée de formation ou conception qui est la production d'une
vérité de la foi: l'objet de la foi est vrai puisqu'il s'agit de la vérité distincte de son principe.
révélée par Dieu; on ne peut pas opposer d'argument nécessaire contre 7. Telle est la structure fondamentale de la signification : la parole ou
foi. Cette dernière affirmation suppose un autre principe i'Jmo•licitement extérieur (vocal) signifie la parole ou verbe intérieur (mental) que
142 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 143

l'intellect conçoit au sujet de la réalité qu'il connaît; ce verbe mental est avec insistance, que le fait de procéder d'un autre fait partie de la nature ou
«raison» ou le contenu intelligible de la chose connue, c'est-à-dire ce de l'essence même du Verbe, c'est-à-dire de sa ratio que signifie notre défi-
signifie la définition de cette chose ; voir THOMAS, Somme contre les nition: il est essentiel à un verbe de procéder d'un autre. Thomas apporte
tils, livre I, chap. 53; Somme de théologie, Ia, q. 13, a. 1 ; q. 34, a. 1 ; ici le double fondement de la personnalité du Verbe divin (subsistance et
sition du Peryermenias I, 2 (éd. Léonine, t. 1*Il, p. 9-13).- «Verbe de distinction par la relation d'origine), en même temps qu'il apporte le fon-
tellect » ou «verbe mental» : verbum intellectus seu mentis. Thomas dement de l'identification entre« Verbe>> et« Fils>> en Dieu.
ici des expressions issues de l'anthropologie augustinienne et 23. Thomas suggère ici, dans une brève incise que la suite du texte
cienne, et parle indifféremment dans ce contexte de « verbe du cœur reprendra plusieurs fois, le réalisme et la complexité de l'attribution à Dieu
« verbe de 1' intellect » ou « verbe de 1' esprit ». À proprement parler, des noms qui nous le font connaître. Dieu peut être nommé par des noms
tant, « intellect » signifie la puissance ou faculté intellectuelle de 1 qui lui reviennent proprement, des noms dont la ratio signifiée existe pro-
tandis que mens (esprit) peut désigner la plus haute puissance de l'âme prement en Dieu, mais le mode de ces perfections en Dieu nous reste
l'essence de l'âme de laquelle découle cette puissance (doctrine inconnu et ineffable (ce que Dieu est, quid est, échappe au pouvoir des
nienne de l'image de Dieu) ; voir notamment Questions disputées De mots et de nos concepts). Voir Somme contre les Gentils, livre I, chap. 30-
tate, q. 10, a. 1. 36; Somme de théologie, la, q. 13.
18. Chez nous, le verbe possède un être «intentionnel» et « m,,,,u,,11• 24. Avec ces explications, Thomas a écarté l'objection présentée au
tel>> : il n'est pas la substance de l'âme, mais il existe dans et par l' début chapitre m.
il est ce en quoi l'intellect connaît. Les explications de Thomas 25. Le mot «homme>> est bien sûr pris, sauf quand le contexte le pré-
posent aussi qu'il y a chez nous une distinction réelle entre l'être ou l cise, au sens d'« être humain>> (homo) sans détermination du sexe mascu-
(esse) d'une part, et l'agir ou l'opération d'autre part; tout comme il lin (vir).
distinction réelle entre l'être et l'essence. Sans quoi, du seul fait 26. «Parfait>> ou «perfection>> doivent s'entendre ici dans leur sens ori-
existe, notre intellect connaîtrait en acte, c'est-à-dire qu'il serait toujours en ginel d'accomplissement, de venue à un état achevé ou complet auquel,
exercice complet de connaissance, ce que l'expérience dément. Voir suivant la nature de telle chose, rien ne manque.
Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 11. 27. r: habitus désigne la qualification ou la disposition d'une faculté
19. Le terme« image>> désigne une ressemblance spécifique, tandis envers ses actes. C'est une pièce maîtresse de l'anthropologie de S. THo-
le nom «fils>> lui ajoute l'idée de possession de la même nature (Somme MAS; voir Somme de théologie, Ia-Ilae, q. 49 s.
contre les Gentils, livre IV, chap. 11 ; Somme de théologie, Ia, q. 35). Le 28. «Parfaits>> (peifectis) suivant le texte de l'édition Léonine (p. B 59) ;
Verbe divin est bien l'Image et le Fils du Père, mais ces deux termes ne sont un groupe de bons manuscrits porte pourtant « imparfaits >> ( impeifectis). Eu
pas synonymes. Il faut relever, dans ce paragraphe, le thème de l'intellect égard à ce qui précède, il pourrait sembler plus cohérent de lire «impar-
qui se connaît lui-même. En effet, c'est suivant cet acte réflexif que se pren- faits>>. Dans le Commentaire de Thomas sur S. Jean, nous lisons: «Il faut
dra l'analogie de la diction du Verbe en Dieu. L'intellect constitue le plus que nous formions plusieurs verbes imparfaits par lesquels nous exprimons
haut degré de la vie, explique THOMAS, parce que l'intellect peut se de manière distincte tout ce qui est dans notre connaissance >> ( 1, 1 ;
connaître soi-même (Somme contre les Gentils, ibid., no 3465). éd. Marietti, no 27; trad. sous la direction de M.-D. Philippe, p. 81).
20. L'essence de Dieu, comme aussi toute opération divine (ici l'intelli• 29. Notre intellect comporte, explique Thomas, trois opérations fonda-
gere), est l'être même (esse) de Dieu. Il ne peut pas y avoir d'accident en mentales: l'intelligence des «indivisibles>> (appréhension de l'essence
Dieu : tout ce qui est « en Dieu >> est Dieu et par suite identique à la sub· d'une chose en elle-même); l'opération de l'intellect qui« divise et com-
stance et à l'esse divin (Somme contre les Gentils, livre I, chap. 21-23 pose>> (composition-division des concepts, pour la formation d'un énoncé
45 ; Somme de théologie, la, q. 3, a. 3-6). par exemple); le discours rationnel qui part de ce qui est connu pour cher-
21. Ce sont là deux éléments fondamentaux de la définition ou ratio du cher à connaître ce qui est inconnu (raison discursive); voir THOMAS,
nom de « verbe >>, qu'il s'agisse du verbe humain ou di vin : procéder à par· Exposition du Peryermenias I, 1 (éd. Léonine, t. 1*,p. 5); Exposition des
tir d'un autre (procedens ab altero) et être semblable ou similaire à cet Analytiques postérieurs I, 1 (éd. Léonine, t. 1*/2, p. 4-5). La connaissance
autre. Le premier aspect permettra de montrer la distinction réelle et la rela- de réalités multiples par le mode d'une seule, ainsi que l'opération de
tion du Verbe envers le Père ; le second permettra de manifester l' composition-division, sont expliquées dans la Somme de théologie, la, q. 85,
naturelle entre le Verbe et le Père. a. 4-5. Le processus de définition d'une chose (par exemple: l'homme est
22. Littéralement: «et ayant la raison de ce qui procède d'un autre tm animal raisonnable), ainsi que la formation d'une énonciation, s'effec-
(habens rationem ab altero procedentis). Thomas souligne une fois par la composition de plusieurs concepts pour en former un nouveau.
144 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 145

30. Suivant la raison des termes enjeu, bien qu'il s'agisse en Dieu d'une etc.) soit de manière« négative» (tristesse, haine, colère, etc.); voir Somme
même réalité, l'essence divine est ce «par quoi » Dieu connaît, tandis que contre les Gentils, livre IV, chap. 19; Somme de théologie, Ia-Ilae, q. 28 s.
le Verbe est ce que l'intellect divin conçoit et «en quoi» il connaît; voir La joie et la tristesse (gaudium et tristitia) sont alors considérées comme
Somme contre les Gentils, livre I, chap. 53 ; Commentaire sur S. Jean 1,1 les « principales passions » parce que toutes les autres s'accomplissent et
(éd. Marietti, no 25 ; p. 77-80). Dieu connaît tout en se connaissant soi- s'achèvent en elles (Somme de théologie, Ia-Ilae, q. 25, a. 4).
même par son essence, « en tant que son essence contient la similitude de 35. THOMAS se réfère constamment à ces exemples du vent et de la res-
toutes choses » et parce que sa connaissance est la cause de tout (Somme de piration pour manifester la convenance du nom «Esprit,» (Spiritus) par
théologie, la, q. 14, a. 5). lequel nous nommons la troisième Personne divine ; voir Ecrit sur les Sen-
31. Au terme de son exposé, Thomas reprend ici les affirmations de la tences, livre 1, dist. 10, a. 4; livre III, dist. 2, q. 2, a. 2, qla 2, ad 1 ; Somme
confession catholique de la foi (Credo). On perçoit bien dès lors la « fonc- contre les Gentils, livre IV, chap. 19; Somme de théologie, la, q. 36, a. 1.
tion » de cette doctrine du Verbe : rendre compte, de la manière la mieux Ces exemples rejoignent la signification première du terme aussi bien que
adaptée et la plus complète, de ce que l'Église confesse au sujet du Fils de son usage dans la Bible. Notons que le thème du «principe intérieur et
Dieu. C'est également dans ce but que, dans sa Somme contre les Gentils, caché» est invoqué par Thomas, en particulier, pour expliquer de quelle
THOMAS a développé un long chapitre sur le Verbe (livre IV, chap. 11): manière le Saint-Esprit est le Cœur de l'Église, car «le cœur exerce une
défendre la foi contre les objections qu'on lui adresse. La doctrine de influence cachée>> (Somme de théologie, Ilia, q. 8, a. 1, ad 3). -Thomas a
l'Amour (Saint-Esprit) obéira au même propos. Voir notre étude «Le traité relevé au début de ce paragraphe l'une des différences fondamentales entre
de saint Thomas sur La Trinité dans la Somme contre les Gentils», RTh 96 l'opération de l'intellect et celle de la volonté : l'intelligence atteint son
(1996) p. 21-30. objet par une similitude de celui-ci dans l'esprit, tandis que la volonté est
32. Autres lieux principaux de cette question : Somme contre les Gentils, attirance ou «mouvement>> vers l'objet. «L'opération de la volonté se ter-
livre IV, chap. 19 et 24-25; Contre les erreurs des Grecs II, chap. 1-31; mine dans les réalités en lesquelles se trouvent le bien et le mal ; mais
Compendium de théologie I, chap. 45-49 ; Questions disputées De potentia, l'opération de l'intellect se termine dans l'esprit où se trouvent le vrai et le
q. 10, a. 2-5; Somme de théologie, Ia, q. 27, a. 3-4 et q. 36, a. 2. Voir ici faux» (Questions disputées De veritate, q. 4, a. 2, ad 7 ; voir Somme contre
Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église I, 1, 2e article (p. 217). les Gentils, livre IV, chap. 19, no 3560).
33. L'« appétit» (appetitus) désigne d'une manière générale la tendance 36. «Il est donc convenable>> : convenienter. La suite de l'ouvrage
ou l'inclination de tout être recherchant sa fin, conformément à sa nature. reprendra fréquemment ce vocabulaire. La convenance constitue l'argu-
Chez l'homme, cet appétit est soit sensible (résultant de la connaissance ment théologique par excellence lorsqu'il s'agit de manifester les réalités
sensible), soit intellectuel, et il s'agit alors de la volonté, faculté spirituelle tenues par la foi seule. Un tel argument ne démontre pas, mais il manifeste
consécutive à l'acte d'intelligence. THOMAS explique dans la Somme contre l'harmonie, la connexion éclairante des réalités et des termes considérés, en
les Gentils (livre IV, chap. 19, no 3358): «Une réalité naturelle est rendue particulier lorsqu'il s'agit d'entrer dans l'intelligence de l'action de Dieu
parfaite en sa nature par sa forme, qui l'incline à ses opérations propres et dans l'histoire, comme on le verra plus loin à propos de l'incarnation et de
à sa propre fin qui s'obtient par ces opérations[ ... ]. C'est pourquoi il faut la passion du Christ. Cette expression se trouve ici associée à une précision
que, de même, la forme intelligible entraîne en celui qui connaît une incli- concernant notre langage sur Dieu : la même remarque avait été formulée
nation à ses propres opérations et à sa propre fin. Or cette inclination, dans plus haut pour le Verbe au chapitre III et le sera encore plus loin, au cha-
une nature intellectuelle, c'est la volonté qui est en nous le principe des pitre VI.
opérations par lesquelles celui qui connaît agit en vue de la fin : car la fin 37. THOMAS explique ici le nom « Saint» par la pureté, comme ill' avait
et le bien, c'est là l'objet de la volonté.» Quant au terme «opération» fait dans son Écrit sur les Sentences (livre I, dist. 10, q. 1, a. 4, ad 4). Dans
(operatio) qui désigne l'acte (acte second: l'agir), il est particulièrement la Somme contre les Gentils et dans la Somme de théologie, il met davan-
adapté dans ce contexte pour introduire l'idée d'une «opération imma- tage en avant l'idée voisine de consécration et de rapport envers Dieu
nente», c'est-à-dire d'une opération qui demeure intérieure à celui qui agit (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 19; Somme de théologie, Ia,
ou opère (à la différence de l'action« transitive» qui se porte sur une réa- q. 36, a. 1). Les deux lignes de pensée sont expressément associées dans le
lité extérieure à faire). L'opération immanente, en tarit que simple perfec- Compendium de théologie (I, chap. 47).
tion de celui qui agit, mérite en effet ce nom d'opération davantage que les 38; «Procède du Fils>>: est a Filio. Thomas montre ici que le Saint-
autres actions (Somme contre les Gentils, livre II, chap. 1). Esprit procède du Fils en s'appuyant principalement sur sa doctrine du
34. Les affections humaines se définissent par rapport à ce principe verbe et de l'amour, comme dans le Compendium de théologie (I,
qu'est l'amour, soit de manière« positive» (joie, désir, union ou inhésion, chap. 49). Dans ses grandes œuvres, cette approche est subordonnée à la
146 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 147

thèse de la distinction personnelle par la relation d'origine (Somme ,.,.,1·soJ!ln<:ue (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 14, n° 3503; voir

les Gentils, livre IV, chap. 24; Somme de théologie, la, q. 36, a. 2). chap. 10, no 3452), et non pas l'essence divine ou« nature de divinité».
39. La personne est« ce qui subsiste dans une nature intellectuelle» 42. L'humanité est ainsi spécifiquement commune (même« ratio») mais
sur les Sentences, livre I, dist. 23, q. 1, a. 4; Somme contre les ~,,,5:rif1ueJne;nt différente en ces trois hommes. Tous ont bien la même
livre N, chap. 10 et 14; Questions disputées De potentia, q. 9, a. 4; propre à 1' espèce humaine, mais cette humanité est pour ainsi dire
Cette définition technique est aussi reprise de manière fort voisine dans multipliée>> en chacun d'eux. En Dieu, l'essence divine est spécifique-
Somme de théologie (la, q. 29, a. 4 et q. 30, a. 4). Cette formule fait ment et numériquement une : elle est absolument une unique réalité dans les
ment écho à BoÈCE pour qui la personne est une « substance · trois personnes. Voir notamment Somme de théologie, Ia, q. 39, a. 3.
nature rationnelle» (Traité sur la personne et les deux natures 43. «Déité» (deitas) est pris ici en un sens équivalent à «divinité»
[Contre Eutychès et Nestorius], chap. 3; Courts traités de tml!ut.<tuo) pour désigner la nature divine, malgré la nuance qui distingue
trad. H. Merle, Paris, 1991, p. 59). THOMAS, sans entrer dans la ,,·.~._u,~~uJu deux termes : «divinité» peut désigner l'être divin participé, tandis que
vocabulaire, signale brièvement ici la variété des termes dont se servent la déité» désigne exclusivement la divinité possédée par essence (Écrit sur
dition latine et la tradition grecque. Pour le latin qu'est Thomas, « hv:nm:tgo·A Sentences, livre I, dist. 15, exp. text. ; dist. 29, exp. text.).
désigne proprement la « substance première » en général, sans ae:œnrmJlatJIOtl 44. Autres lieux principaux de cette question: Écrit sur les Sentences,
de ce mode supérieur qui revient à la personne (intellectualité, liberté ill, dist. 1, q. 1, a. 2; Somme contre les Gentils; livre IV, chap. 54-55;
dignité) ; mais il sait que, dans la tradition théologique grecque, il est d .'t:o•mp•em1zu.m de théologie I, chap. 199-201 ; Somme de théologie, Ilia, q. 1,
de considérer l'hypostase comme un individu de nature rationnelle, en raison
de son excellence (Somme de théologie, Ia, q. 29, a. 2 et ad 1). 45. «Dans un sens pervers»: perverse. Le terme désigne d'abord une
40. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 11 et 19; Somme de «de travers», fausse; mais il évoque aussi l'attitude
logie, la, q. 27. On voit ici que la «procession», signifiée sous un hommes pervers» (erreur et présomption) qui caractérise, dans une tra-
actif, est perçue conceptuellement comme le fondement de la relation polérnique reprise par Thomas, ceux qui s'opposent à la foi et en dis-
ni taire, bien que procession et relation ne soient pas des réalités diverses le vrai sens ; voir par exemple Somme contre les Gentils, livre II,
Dieu. Quant au terme« absolu», il s'oppose- ici comme ailleurs- à« 41 ; livre IV, chap. 4 et chap. 28.
tif», mais il faut préciser de quelles relations on parle. Le terme« absolu», La nature divine du Fils est la vie même de toutes choses en leur
lorsqu'il est question de Dieu, peut exclure le rapport au monde créé, fontalis omnium vita; voir Ps 35, 10: « Quoniam apud te est .fons
exemple lorsqu'il est question des perfections qui doivent être attJab11ées· » THOMAS le redit en des termes voisins dans son commentaire sur les
Dieu indépendamment de son action dans le monde. En théologie trnuuure:1;. divins du Pseudo-Denys de l'Aréopage: «Dieu [ ... ] qui est le prin-
« absolu » désigne plus précisément les perfections divines qui re\rieJme:n:t:" agent et la cause fontale de toute vie et de toute substance» (chap. 1,
indistinctement à chacune et à toutes les personnes divines, du fait 2; éd. Marietti, no 52). Quant à l'assomption de la nature humaine
divinité même (être, éternité, puissance, sagesse, bonté, etc.), c' l'unité de la personne divine, c'est l'expression du dogme formulé au
tout ce qui concerne l'essence divine distinguée du domaine des de Chalcédoine, tel que Thomas l'explique dans toutes ses grandes
personnelles. Distinguer les personnes divines par une réalité Tout ce qui, dans le Christ, comporte faiblesse, défaut ou souf-
conduirait à l'arianisme ou au trithéisme. doit être attribué à sa vraie nature humaine; le chapitre vu l'expli-
41. La matière est le principe d'individuation des êtres corporels, ce avec davantage de détails.
rend compte de l'individu par rapport à l'espèce dont il possède la 47. Les agents et les actions se distinguent en deux catégories: par
<<Il y a cet homme (hic homo) du fait que la nature humaine est (par nécessité) et par les facultés spirituelles d'intelligence et de
matière (in hac materia), qui est le principe de l'individuation» (par liberté). Thomas rappelle constamment, contre toutes les
contre les Gentils, livre Hl; chap. 65 ; éd. Marietti, no 2400). Or d' émanatisme nécessaire, que Dieu agit dans le monde par sa
absolument immatériel. D'une part, la nature divine existe 0w. 5 uuvA et par l'« arbitre de la volonté» (par son Verbe et son Esprit-Saint).
par soi et elle est « individuée » par soi (Somme contre les Gentils, livr Somme contre les Gentils, livre II, chap. 23-24; Somme de théologie,
chap. 21, n° 199; chap. 42, n° 346): c'est la raison pour laquelle il q. 14, a. 8 ; q. 19, a. 4; q. 25, a. 5 ; q. 45, a. 6. Pour la conclusion de ce
impossible qu'il y ait plusieurs dieux. L'essence divine joue en ce sens rag:rarJhe (c'est par le Verbe que le Père a tout fait), voir notamment
rôle d'un principe d'individuation, «quasi principe d'individuation» contre les Gentils, livre IV, chap. 11 et chap. 13.
Thomas. Au sein de la Trinité, d'autre part, ce <<quasi-principe d' Argument « classique » chez les auteurs scolastiques pour montrer la
duation » des personnes ne peut être que la relation en tant que de l'incarnation du Verbe: créés parle Verbe, les hommes sont
148 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 149

sauvés ou «restaurés» («réparés») par le Verbe, et avec les hommes c' 53. THOMAS explique dans le Compendium de théologie I, chap. 199 :
l'univers entier qui se trouve restauré. La même formule apparaît déjà «Puisque l'homme a été fait pour la béatitude, parce qu'elle est sa fin
le Prologue général de l'Écrit sur les Sentences (on peut en trouver une ultime, il en résulterait [si l'homme avait été abandonné dans son péché]
duction dans: G. EMBRY, La Trinité créatrice, Paris, 1995, p. 534; que l'œuvre de Dieu dans une créature si noble serait restée vaine [ ... ]. Il
p. 287-289); Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 42; Somme de théo~ convenait donc que la nature humaine fût réparée. >> La Somme contre les
logie, ma, q. 3, a. 8. Gentils discute longuement la place centrale de l'homme dans l'univers et
49. «Forme d'art»: forme artistique, ici le plan ou la conception de la grande convenance de sa restauration par l'incarnation du Fils de Dieu
maison dans l'esprit de l'architecte qui l'a conçue. Suivant cette -···~<V 15,~,, (livre IV, chap. 54-55).
THOMAS explique que le Fils est l'Art de tout ce que le Père acc:on1olif 54.« Défaut>>, «déficient>>, «se trouver (se mettre) en défaut>>: defec-
(Écrit sur les Sentences, livre I, dist. 6, a. 2; dist. 10, a. 1, ad 3; etc.). tus, deficere. Ce vocabulaire évoque ici l'idée de perte, de déviance ou
50. Thomas ne parle pas encore de l'homme en particulier, mais des d'écart par rapport à un état ou plan d'origine et par rapport à la nature par-
créatures rationnelles ou intellectuelles en général, ce qui revient aux faite d'une chose.
hommes et aux anges, comme la suite du texte va l'expliquer. À propre- 55. On dit, en termes scolastiques, que la volonté est le« sujet» (subiec-
ment parler, le qualificatif« rationnel» s'applique à l'homme dont l'intel- tum) du péché, parce qu'elle est le principe propre de l'acte volontaire (la
ligence est naturellement discursive, tandis que la connaissance des anges volonté a pour objet le bien), ce qui n'empêche pas l'interaction des autres
est intuitive (saisie de la vérité sans« discours rationnel»). Mais THOMAS facultés; voir Somme de théologie, Ia-Ilae, q. 74, a. 1. La rectitude, de son
se sert souvent indifféremment de l'un ou de l'autre terme pour désigner les côté, qualifie l'état de grâce ou de justice originelle perdu par le péché:
créatures spirituelles (voir notamment Somme de théologie, la, q. 58, a. 3 ; Dieu a créé l'homme« droit>> (Qo 7, 30: « Deusfecit hominem rectum»).
q. 79, a. 8; IIa-IIae, q. 83, a. 10, ad 2). Ce raisonnement vise pourtant bien; Cette rectitude consiste dans le juste rapport de soumission de la raison
au terme, l'incarnation du Verbe dans notre nature humaine. Pour la place envers Dieu, des puissances inférieures envers la raison, et du corps envers
des créatures rationnelles ou intellectuelles au sommet de l'univers créé, l'âme. Thomas va l'expliquer plus loin à propos du thème de l'« amour
voir Somme contre les Gentils, livre II, chap. 46 s. Pour la place« centrale» ordonné>>. Voir notamment Somme de théologie, la, q. 95, a. 1.
de l'homme parmi les créatures («tout a été fait pour l'homme»), voir 56. «Adhérer>> : converti ad. L'expression désigne ici un choix avec
notamment Somme contre les Gentils, livre III, chap. 22 et 112; livre N, l'idée d'adhésion à son objet. L'ange, comme disent les scolastiques, est
chap. 55; Compendium de théologie I, chap. 148; Somme de théologie, la, «irréparable>> : l'ange connaît par intuition et de manière immobile tout ce
q. 65, a. 2; q. 96, a. 2. Dans ce contexte, cette affirmation tirée de la Genèse qu'il peut connaître aussitôt qu'il saisit les premiers principes; de la même
(Gn 1, 26-28) vise à montrer que, en assumant une nature humaine, le manière, sa volonté est par conséquent irrévocablement fixée dans son
Verbe a en quelque sorte «restauré» tout l'univers (voir par exemple le objet, dès le premier choix, qu'il s'agisse du bien ou du mal; voir notam-
Prologue général de l'Écrit sur les Sentences). Thomas fait souvent valoir ment Somme de théologie, la, q. 64, a. 2.
le thème voisin de l'homme «microcosme>> ou minor mundus: l'être 57. La résurrection, explique THOMAS, ne change pas cette condition des
humain rassemble et résume en lui tout l'univers matériel et spirituel (voir âmes après la mort : « Il ne faut pas estimer que les âmes, après avoir repris
par exemple le Prologue du livre III de l'Écrit sur les Sentences; Somme les corps à la résurrection, perdent l'immobilité de la volonté, mais elles
de théologie, la, q. 91, a. 1). demeurent dans cette immobilité. En effet [ ... ], à la résurrection les corps
51. Littéralement (comme dans les passages que nous traduisons ainsi seront disposés selon l'exigence de l'âme et les âmes ne subiront pas de
dans la suite): «la liberté de l'arbitre>> (libertas arbitrii). La liberté est changement venant du corps>> (Somme contre les Gentils, livre IV,
pour Thomas la volonté ou la disposition de la volonté dominant son objet, chap. 95, n° 4280; voir aussi Compendium de théologie I, chap. 174).
l'arbitre étant la volonté en tant que capacité à choisir. Le libre arbitre, 58. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 55 (no 3940) : «Il ne fallait
faculté de choix ou d'élection, n'est pas pour THOMAS une puissance autre pas priver les hommes de la liberté par laquelle il peuvent adhérer ou ne pas
que la volonté; voir Somme contre les Gentils, livre II, chap. 48 ; Somme adhérer à Dieu incarné, afin que le bien de l'homme ne soit pas forcé.>>
de théologie, la, q. 83. 59. L'amour ordonné (ordinatus amor) ou la charité ordonnée (caritas
52. «Chute>> : lapsus. Il s'agit du péché par lequel la créature spirituelle ordinata) constitue un thème fondamental de la théologie morale de
est «tombée>> en s'écartant du plan de Dieu et s'est trouvée dès lors S. Thomas. Les réalités corporelles ne sont pas exclues du domaine de ce
« déchue>> de certaines prérogatives que lui valait la conformité originelle que nous pouvons aimer, mais cela fait valoir l'ordre ou le rapport qu'il faut
de sa volonté envers Dieu. Ce thème de la chute avait été introduit plus haut observer entre les diverses réalités vers lesquelles se porte notre amour. La
par la comparaison avec la maison qui est «tombée>>. règle de la finalité, comme on le voit ici, commande cette approche. Voir
150 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 151

notamment la Somme de théologie, IIa-IIae, q. 26. On reconnaît ici et que l'intellect créé puisse être uni à Dieu par la vision de son
les paragraphes suivants la présence des trois vertus théologales essence.>> Voir aussi Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 54 (n° 3923).
foi, espérance) promues par l'Incarnation (Somme de théologie, Ilia, q. 65. La dignité (dignitas) de l'homme, qui trouve dans l'incarnation sa
a. 2). réalisation la plus éminente, est également constamment mise en valeur par
60. Littéralement : « en sorte que Dieu et l'homme soient le même THOMAS dans ce contexte. Cette dignité de l'homme consiste précisément
(idem). Le chapitre VI expliquera cette expression dans le détail. dans la vocation à la béatitude par la vision immédiate de Dieu dont l'in-
61. C'est là l'un des<< motifs» de l'incarnation constamment rappelé carnation nous donne << l'exemple >> ; voir notamment Somme contre le~
THOMAS qui 1' associe au désir du bonheur s'épanouissant pleinement Gentils, livre IV, chap. 54 (no 3924); Compendium de t>héologie I,
la fruition de Dieu. Il écrit ainsi dans la Somme contre les Gentils chap. 201 ; Somme de théologie, Ilia, q. 4, a. 1. - Dans son Ecrit sur les
chap. 54, n° 3926) : <<Puisque la béatitude parfaite de l'homme Sentences (livre III, dist. 1, q. 1, a. 3), Thomas présentait le thème de la
dans la fruition divine, il fallut que la volonté de l'homme fût disposée dignité et de l'exaltation de la nature humaine comme un motif probable de
désir de la fruition divine, comme nous voyons que le désir de la l'Incarnation même si l'homme n'avait pas péché. Dans ses œuvres ulté-
est naturellement inscrit en nous. Or le désir de la fruition d'une chose rieures, cependant, ce thème de l'exaltation de l'homme se trouve subor-
causé par l'amour de cette chose. Il fut donc nécessaire que l'homme, donné à celui de la rédemption (libération du péché) qui occupe la première
dant à la béatitude parfaite, fût conduit à l'amour divin. Or rien ne place, suivant l'enseignement de l'Écriture et de la tradition des Pères
conduit à aimer quelqu'un autant que d'éprouver son amour pour (Somme de théologie, Ilia, q. 1, a. 3).
l'amour de Dieu pour les hommes ne put nullement être montré plus 66. Littéralement (comme ailleurs): <<Dieu a été fait ho~e >> (Deus
cacement que par ceci : il voulut être uni personnellement à l'homme. Jactus est homo). Autres lieux principaux de cette question: Ecrit sur les
effet, c'est le propre de l'amour d'unir l'être qui aime avec celui qui Sentences, livre III, dist. 7, q. 2, a. 1; Contre les erreurs des Grecs I,
aimé, autant qu'il est possible. Il fut donc nécessaire pour l'homme, tendant èhap. 21 ; Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 39-42 ; Compendium de
vers la béatitude, que Dieu devînt homme. » théologie I, chap. 209-211 ; Somme de théologie, Ilia, q. 2 ; q. 16, a. 6;
62. La Somme contre les Gentils développait cette explication du Question disputée De unione yerbi incarnati, a. 1-3. Voir ici Les Articles de
de la familiarité de l'amitié (familiarior amicitia) que Dieu a nouée la foi et les Sacrements de l'Eglise I, 2, 1er article (p. 235-239).
les hommes, en citant la Préface de la Messe de la Nativité : « Tandis que 67. Cet exemple tiré du monde physique sera repris plus loin au cha-
nous connaissons Dieu de manière visible, nous sommes entraînés dans pitre VIII. Il constitue l'une des référence.s habituelles de THOMAS pour ~:s
l'amour de l'invisible» (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 55, <<conversions >> ou changements substantiels, dans des contextes fort varies
n° 3927). (voir par exemple Somme contre les Gentils, livre II, chap. 18, n° 951 ;
63. La<< fruition » (fruitio) est l'acte d'amour, délectable, par lequel la livre III, chap. 4, n° 1892; chap. 100, n° 2757; chap. 140, n° 3149), notam-
volonté est comblée dans le bien auquel elle adhère. La vision de Dieu, du ment celui de la transsubstantiation eucharistique (Somme contre les Gen-
côté de l'intelligence, constitue ce en quoi réside formellement la béatitude tils, livre IV, chap. 63, no 4003 ; Somme de théologie, Ilia, q. 75, a. 3, ad 1).
ultime de l'homme; la fruition de Dieu, du côté de la volonté, qualifié Thomas est extrêmement ferme sur l'immutabilité de Dieu qui ne peut
l'épanouissement de 1' affectivité humaine résultant de la vision de l'es- subir aucune altération ; voir notamment Compendium de théologie I,
sence divine. Voir notamment Somme de théologie, Ia-IIae, q. 11; Com- chap. 4; Somme de théologie, la, q. 9.
pendium de théologie I, chap. 149. THOMAS a consacré de longs chapitres, 68. Thomas énonce ce principe en divers contextes, en l'attribuant sou-
dans sa Somme contre les Gentils, à montrer que seule la vision de Dieu, et vent à Aristote au IXe livre des Éthiques. Il s'agit au départ d'un problème
non pas quelque autre bien, peut combler la soif de bonheur de l'homme logique d'attribution: les choses sont nommées par ce qu'il y a en elles de
(livre III, chap. 25-63; voir aussi Somme de théologie, Ia-IIae, q. 1-5).. plus important, de premier ou de principal. L'axiome intervient aussi,
64. C'est bien le thème de la divinisation de l'homme ou de l'<< admi• comme dans notre passage, en psychologie et en politique car, suivant une
rable échange>> qui se trouve exprimé ici: en s'unissant à l'homme, Dieu conception teintée de platonisme, l'ordre hiérarchique qui règne entre les
donne aux hommes l'espérance d'être unis à Dieu. Le thème est présent parties se rattache à la partie principale. Mais cet axiome se trouve encore
dans tous les textes majeurs de THOMAS sur ce sujet, par exemple dans le généralisé dans des vues cosmiques et métaphysiques sous diverses
Compendium de théologie (I, chap. 201): <<Le fait que Dieu voulut se faire. formes : << la cause d'une perfection la possède elle-même davantage que
homme [ ... ] nous donne un exemple de cette union bienheureuse par son effet>> ; << ce par quoi les choses sont telles est de son côté souveraine-
laquelle l'intellect créé sera uni, en le connaissant, à l'Esprit incréé. Du ment tel>>, etc. Thomas montre par exemple que la Loi nouvelle consiste
que Dieu s'est uni à la nature humaine qu'il a assumée, il n'est essentiellement dans la grâce du Saint-Esprit et se définit par elle; parce
152 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 153

que la grâce du Saint-Esprit est ce qu'il y a de plus important en elle. 12. Littéralement: «en assumant la voix et l'écriture>>. Tous les
J. TONNEAU,« L'accessoire sur le principal (Appendice II, Kenst~rgnerneu tirés du monde créé sont incapables d'exprimer adéquatement
techniques III)», dans SAINT THOMAS D'AQUIN, Somme admirable de la nature divine et de la nature humaine dans la per-
la IIae, q. 106-108 («La loi nouvelle>>), Paris, 1981, p. 215-233. du Fils. Mais, parmi tous ces exemples déficients, l'union de l'âme
69. THOMAS précise ici:« d'une certaine manière>> (aliquo modo). corps dans l'homme demeure pour THOMAS la meilleure et la pre-
précision ne vise pas à ramener l'union à un simple fait de langage, car analogie pour l'union hypostatique : « Parmi toutes les choses créées,
firmation concerne bien le plan de l'être. Mais le corps et l'âme ne trouve rien d'aussi semblable à cette union que l'union de l'âme au
par le Verbe sont son corps et son âme du fait de la nature humaine >>(Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 41, n° 3796). L'option de
mée par le Verbe dans l'unité de sa personne. Thomas expliquera plus se réclame d'une importante tradition doctrinale, notamment du
que l'union de l'âme et du corps constitue le meilleur exemple pour du Pseudo-Athanase: «De même que l'âme rationnelle et la chair
ou illustrer l'union hypostatique. un seul homme, ainsi Dieu et l'homme sont un seul Christ>> (ibid.).
70. Il n'est pas possible pour l'homme de comprendre Dieu ni sa 73. «Posséder>>,« être possédé>>, ici et dans la suite du texte, traduisent
sance. Thomas va également expliquer que, de ce fait, l'union de Dieu termes habere et haberi. L'expression doit être entendue au sens fort :
de l'homme dans le Christ est« incompréhensible». Cela n'empêche à soi, être le sujet de quelque chose que l'on tient en propre dans un
que, dans la foi, nous puissions en saisir, en percevoir ou en parfait (voir Écrit sur les Sentences, livre 1, dist. 15, q. 4, a. 1, ad 3).
quelque chose (c'est là tout l'effort du théologien). Rappelons la 74. «D'une unique réalité>> (alicuius unius), c'est-à-dire, dans ce
tion du vocabulaire de THOMAS : ~~ comprendre>> (rmnnrefzen!dere ;c01atexte : de quelque chose qui est un, une réalité organiquement une dans
connaître parfaitement une réalité dans toute son intelligibilité constitution même. Or le Christ est bien « un >>, comme Thomas va l'ex-
contre les Gentils, livre III, chap. 55 ; Somme de théologie, la, q. 12, a. plus loin, mais cette unité se prend de la personne ou de l'hypo-
Sur cette base, Thomas distingue deux sens du mot « comprendre». tandis que les natures dans le Christ conservent leur dualité, leurs
sens strict d'une inclusion de l'objet connu dans le sujet qui ptc>Prlèti~S et leurs opérations respectives.
aucune créature ne peut jamais comprendre Dieu. Au sens large d'une 75. Cette affirmation technique doit être bien comprise. THOMAS n'écrit
sie qui n'est pas seulement recherche mais possession de la réalité que le Verbe est une personne en raison de sa nature humaine : car le
la «compréhension>> est alors l'un des dons que Dieu fait aux âmes des Verbe est une personne divine, de toute éternité, en vertu de sa relation de
saints au ciel (Somme de théologie, la, q. 12, a. 7, ad 1). filiation identique à l'essence ou à la nature divine (Somme de théologie,
71. « Inhabitation >>: Dieu habite l'âme des saints par la grâce et la cha- la, q. 28, a. 2 ; q. 29). Mais, du fait que la personne divine du Verbe assume
rité. L'inhabitation est ainsi le mode de la présence de Dieu en ceux qu'il une nature humaine, le Verbe peut être appelé « personne de nature
élève par la grâce et qu'il s'unit par les vertus théologales et les dons humaine >>, puisque c'est bien la personne qui possède une nature humaine.
Saint-Esprit. Une telle inhabitation, commune à tous les saints, demeure son côté, le terme «suppôt>> (suppositum), à la différence des noms
deçà de l'union de Dieu et de l'homme dans le Christ, puisqu'il s'agit d'une «personne>> ou «hypostase>> qui signifient l'être subsistant lui-même, est
union selon la grâce et non pas selon l'hypostase. N'affirmer dans le Christ un terme logique : il signifie le rapport de l'être particulier envers la nature
qu'une union par inhabitation revient, pour Thomas, à l'hérésie de commune dans laquelle il subsiste (Écrit sur les Sentences, livre III, dist. 6,
(Jésus serait alors un pur homme divinisé par grâce) ou à un strict« nesto. q. 1, a. 1, qla 1; Somme de théologie, la, q. 29, a. 2; Question disputée De
rianisme >>(dans le Christ qui est Dieu et homme, l'humanité constitue une unione Verbi incarnati, a. 2).
personne humaine unie à Dieu par l'inhabitation de grâce); voir 76. Les scolastiques distinguent deux sens du mot «substance>>: la
contre les Gentils, livre IV, chap. 4 et 34. - Quant au mode incompréhen~ «substance première>>, c'est-à-dire le sujet concret individuel et particulier
sible et ineffable de l'union de Dieu et de l'homme en Christ, Thomas (le suppôt ou hypostase, comme le dit l'objection), et la «substance
explique ailleurs : «Le mystère de l'incarnation est celui qui, parmi toutes seconde>> qui est l'essence abstraite du sujet comme un« universel» attri-
les œuvres divines, dépasse le plus la raison. En effet, on ne peut rien bué aux individus. Ces précisions sont tirées de BoÈCE, Traité sur la per-
concevoir de plus admirable (nihil mirabilius) parmi les œuvres sonne et les deux natures du Christ [Contre Eutychès et Nestorius}, chap. 2
que ceci: le vrai Dieu, le Fils de Dieu, s'est fait vrai homme. Et et 3 (p. 58-63). Boèce donne comme exemples de substance particulière:
c'est la chose la plus admirable (mirabilissimum) entre toutes, ils Cicéron, Platon, cette pierre-ci ou ce bois-ci ; comme exemples de sub-
que tous les autres miracles sont ordonnés à la foi en celui-ci qui est sou• stance universelle : homme, animal, pierre, bois. Dans notre passage, la dis-
verailwment admirable (maxime mirabilis) >> (Somme contre les Gentils; cussion se situe autour de la première signification qu'il faudra pourtant
livre IV, chap. 27, no 3635). préciser pour pouvoir l'adapter au Christ: la nature humaine du Christ est
154 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 155

bien une certaine «substance» particulière mais non pas une hv'"'otoo~" christ. Tel est aussi l'enjeu du refus de l'attribution de la nature humaine,
Quant à l'objectant qui propose une double hypostase dans le sur un mode abstrait, à la personne du Christ. Voir Somme de théologie,
en tenant l'unicité de la personne), il s'agirait - d'après JIIa, q. 17, a. 1; Question disputée De unione Verbi incarnati, a. 3.
D'AUXERRE (Summa aurea, livre III, tract. 1, chap. 3, q. 9; éd. J. n~•Jru.tucr;. 80. THOMAS apporte ici, en conclusion de son exposé, des exemples de
Paris-Grottaferrata, 1986, p. 43) - de Guillaume aux Blanches ce qu'il désigne ailleurs sous le nom de« communication des idiomes» ou
archevêque de Sens puis de Reims (t 1202). Thomas discute plus «communication des propriétés>>. Ce principe, on le voit, concerne notre
ment cette objection (qu'il attribue à des quidam) en de nombreux langage (attributions) mais il se fonde sur l'analyse métaphysique de la
sages, notamment: Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 38 (en constitution de la personne du Christ et vise à rendre compte de l' ensei-
chap. 40 (n° 3784) ; chap. 49 (n° 3846) ; Somme de théologie, Ilia, q. gnement du Nouveau Testament. La communication des idiomes est expli~
a. 3. quée ainsi dans la Somme de théologie, Hia, q. 3, a. 6, ad 3: «Tout ce qm
77. « Attribuée », ici et dans les paragraphes suivants : revient à une nature peut être attribué à la personne qui subsiste dans cette
«prédiquée» (praedicatur). Ce terme technique de logique désigne l nature, quelle que soit la nature signifiée par tel ou tel nom. >> Thomas est
ration de la pensée et du langage par laquelle on attribue un prédicat particulièrement redevable, sur ce point, à saint JEAN DAMASCÈNE (De fide
sujet: ceci est cela. Dans le cas de l'union hypostatique, cette « orthodoxa, livre III, chap. 3-4, version de Burgundio, chap. 47-48;
tion » ou attribution de la nature divine à l'hypostase du Christ se éd. E. M. Buytaert, p. 173-183; trad. parE. Ponsoye, La Foi orthodoxe,
identité, comme Thomas va l'expliquer ici. Ainsi, la proposition « le Paris, 1992, p. 136-141). L'ensemble de ce chapitre VI reprend de fort près
est la nature divine» est vraie et correcte, tout comme la proposition « plusieurs thèmes développés par Jean Damascène à l'endroit indiqué.- Ce
Christ est Dieu ». principe fondamental, explique THOMAS, doit être bien maîtrisé pour ne pas
78. Essence et personne ou hypostase ne font pas nombre en Dieu entraîner des abus et conduire à un jeu de langage. Par exemple, la propo-
quant à la réalité même, l'hypostase est identique à la nature ou sition ,des petites mains de l'enfant Jésus ont créé les étoiles >> peut être
divine et inversement; voir Somme de théologie, Ia, q. 39, a. 1. Par expliquée correctement (cet enfant a créé les étoiles), mais «il ne faut pas
quent, en vertu de cette identité réelle entre l'essence et la personne étendre de telles propositions ni les prêcher au peuple>>, afin d'éviter les
hypostase, comme l'explique la suite de ce chapitre VI, on peut attribuer occasions d'erreur et de scandale (Réponse au lecteur de Besançon sur six
noms essentiels « abstraits » comme prédicats aux personnes (par articles, art. 4; éd. Léonine, t. 42, p. 355).
le Père est l'essence divine); tout comme on attribue les noms es,:emlieJ:s; 81. Autres lieux principaux de cette question: Écrit sur les Sentences,
« concrets » aux personnes : le Père est Dieu (Somme de théologie, la, q. livre III, dist. 20, q. un., a. 1-4; Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 53-
a. 6). Mais il en va autrement lorsqu'on considère la nature humaine 55; Quodlibet 2, q. 1, a. 2; Somme de théologie, Ilia, q. 40, a. 3 ; q. 46,
Christ, parce que la nature humaine, de soi, ne peut pas être mw.w''"" a. 1-4 et 12; q. 50, a. 1 et 6; Compendium de théologie I, chap. 226-230.
comme prédicat au suppôt ou à l'hypostase; on ne dit pas: l'homme 82. L'objection n'est pas gratuite : attribuée aux « Sarrasins >> par le des-
réalité qui subsiste, quod est) est la nature humaine. La nature humaine tinataire de l'opuscule, THOMAS l'a formulée ci-dessus au chapitre I. Dans
ce par quoi (quo) l'homme est homme. De la même manière, on ne la Somme contre les Gentils, Thomas attribue de tels arguments aux« infi-
pas dire en toute vérité que« le Christ est la nature humaine». Ces préci- dèles>> (livre IV, chap. 53). Il s'agit de défendre la foi contre les moqueries
sions de langage visent donc à faire droit, à leur juste place, à l'unité de là qu'on lui adresse. Mais cette question est également importante pour l'in-
personne du Christ et à la dualité de ses natures. Les réflexions logiques et telligence chrétienne du mystère. Lorsqu'il se demande s'il fut nécessaire
métaphysiques de Thomas s'appuient ici sur le principe suivant reçu de que le Christ souffrît sa passion, ou si Dieu pouvait sauver le monde autre-
Boèce : dans les créatures, mais non pas en Dieu, il y a une d!Stlw:tio•n ment, le théologien vise à manifester la sagesse et 1' amour de Dieu qui sont
réelle entre ce qui est (quod est) et ce par quoi une chose est telle (quo à l'œuvre dans la passion du Fils; en d'autres termes: il s'agit de mettre en
voir à ce sujet le commentaire de Thomas sur le De M•domcrdii'Jus lumière l'admirable convenance de la passion du Christ, comme Thomas le
Boèce. Pour davantage de détails, voir aussi Somme de théologie, rappelle ici. Si l'on parle de nécessité absolue ou de nécessité par
q. 17, a. 1. contrainte, il faut dire que la passion du Christ n'était pas nécessaire. La
79. La Somme de théologie précise: le Christ est« un» tant au sens passion du Christ fut nécessaire, explique Thomas, d'une «nécessité de
masculin (unus, une personne parfaitement formée) que du neutre fin>>, c'est-à-dire en vue de l'accomplissement du salut des hommes selon
un suppôt, avec la nuance d'une certaine indétermination connotée le plan de Dieu (Somme de théologie, Ilia, q. 46, a. 1). Absolument parlant,
terme). Dire que le Christ « est deux » (quod est duo), pour aurait pu sauver les hommes d'une autre manière : rien n'est impos-
reviendrait à une forme de nestorianisme qui divise l'être et la personne à Dieu. Mais sous l'aspect de la prescience et de la disposition
156 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 157

divines, le fruit de salut de l'humanité ne pouvait pas être obtenu autrenaen muas'"Y'"-~ suivants, constitue l'une des lectures proposées par la liturgie
que par la passion du Christ (a. 2). Et si l'on considère les fruits de la dormn1came actuelle pour la fête de S. Thomas (Propre de l'ordre des Prê-
sion de Jésus (la connaissance et l'amour de Dieu, l'exemple des voL III, Liturgie des heures, Sanctoral, édition typique en langue
mérite de la justification, le mérite de la béatitude, etc.), le théologien .frartçmf;e, Paris, 1983, p. 33-34).
alors manifester que le mode de notre libération par la passion de 86. Confirmer la vérité de la prédication, tel est le premier motif du
«plus convenable>> (convenientius) que tous les autres moyens (a. 3; nairacle pour THOMAS (Somme contre les Gentils, livre III, chap. 154,
aussi q. 50, a. 1). 3262; Somme de théologie, Ilia, q. 43, a. 1). Quant à l'accent placé sur
83. «Disputé>>, «dispute>>: voir n. 7. Dieu n'agit pas par une pauvreté des moyens choisis par le Christ, il rejoint l'enseignement
de nature, et la providence divine n'exclut ni la contingence des choses, constant de Thomas (voir Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 55;
la liberté de la volonté: THOMAS l'a expliqué dans la Somme contre Somme de théologie, Ilia, q. 40, a. 2-3 ; etc.). Mais l'insistance de ce pas-
Gentils, livre II, chap. 23-24; livre III, chap. 72-73. sage correspond en particulier au propos « apologétique >> de notre opus-
84. Ce paragraphe, qui fournit un bel exemple de la veine cortternplativ·e cule. Thomas comme ses devanciers en ce domaine - reproche à Maho-
animant THOMAS jusque dans ses écrits de« dispute>>, reprend presque met d'avoir adressé des promesses charnelles et proposé un mode de vie
téralement ce qu'il a écrit dans la Somme contre les Gentils, livre rn10n,l1arn, d'avoir accrédité son enseignement non par des signes divins
chap. 54 (introduction du chapitre): «Si l'on considère avec attention mais par la puissance des armes (Somme contre les Gentils, livre I, chap. 6).
piété les mystères de l'incarnation, on y trouvera une profondeur de Ces remarques sont reprises dans le Commentaire surI Corinthiens 15, 1
telle qu'elle dépasse la connaissance humaine, suivant cette (éd. Marietti, n° 890): «Si l'on objecte que la loi de Mahomet a été elle
l'Apôtre: Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes [1 Co 1, aussi reçue par beaucoup, il faut répondre que ce n'est pas la même chose:
Il en résulte que, à celui qui médite avec piété, des raisons toujours car lui les a soumis par l'oppression et la force des armes. >> Pour les
admirables de ce mystère se manifestent. >> Quant à « 1' expérience >> de sources de Thomas (la Risalâ du Pseudo-Al-Kindi, lue probablement chez
vérité dont parle Thomas, elle évoque la sagesse de celui qui juge non VINCENT DE BEAUVAIS, Speculum historiale XXXIII, 65-66), voir R.-A.
froidement de 1' extérieur mais comme par une inclination intérieure, GAUTHIER, Introduction à la Somme contre les Gentils, Paris, 1993, p. 122-
le mot de Denys : « Hiérothée fut instruit non seulement en étudiant, mais 126). L'exposé du mode de vie et de la faiblesse du Christ fait alors appa-
en éprouvant le divin>> (Somme de théologie, Ia, q. 1, a. 6, ad 3). raître la vérité de la foi chrétienne, par contraste face aux « Sarrasins >> qui
85. THOMAS désigne ailleurs le geme de mort du Christ comme~~ le plus 1l'JJ"u"''"'" la foi chrétienne : tout est contraire ici aux ambitions humaines.
abject>>, «le plus exécrable et le plus affreux>> (Somme contre les Gentils, 87. «Dans ce qu'il a fait et souffert>> (in eis quae fecit veZ passus est):
livre IV, chap. 55, n° 3950; Somme de théologie, Ilia, q. 46, a. 4). Ce para- cette double expression est habituelle chez THOMAS pour désigner tout ce
graphe opère une sélection de certains thèmes développés dans la que le Fils incarné a vécu, soit de manière active, soit de manière passive
contre les Gentils (livre IV, chap. 55). Thomas y faisait également ou réceptrice. Dans le Prologue de la Ilia Pars de la Somme de théologie,
parmi les« raisons>> du genre de mort assumé par le Christ, l''-'"''"~ 15 ~"'"""'k. Thomas emploie cette double expression pour désigner toute la vie du
exemplaire du mépris de la mort par amour de la vérité (no 3952), car« Christ (q. 27-59). Le second membre de cette formule(« ce qu'il a souf-
actions incitent à agir davantage que les paroles>> (n° 3591). La fert>>, ea quae passus est) ne désigne pas seulement la Passion au sens
contre les Gentils montre en particulier que l'infamie de la mort sur la strict, mais tout ce que le Christ a « reçu >>, tout ce qui l'a atteint en son
nous montre en exemple l'humilité du Christ (n° 3950-3952) : «Il ne humanité.
y avoir pour l'homme de dignité aussi grande qu'être Dieu. L'humilité 88. «Rejetés>>, littéralement: «abjects>> (abiectos), c'est-à-dire
l'homme-Dieu est ainsi souverainement digne de louanges, puisqu'il «repoussés, méprisés, infâmes>>. Ce terme avait été utilisé plus haut à pro-
enduré des choses ~gnominieuses (abiecta) qu'il avait à souffrir pour des «moyens >> que le Christ a choisis pour accomplir sa mission, en
salut des hommes. A cause de leur orgueil, en effet, les hommes ammuent> particulier la mort sur la croix. Ce passage apparaît directement inspiré des
la gloire du monde. Ainsi, pour convertir l'esprit des hommes de 1 thèmes pauliniens de la force et de la faiblesse, de la folie et de la sagesse
de la gloire du monde à l'amour de la gloire divine, il voulut des voies de Dieu (en référence, notamment, à 1 Co 1-3). Voir les notes 85
mort, non pas une mort quelconque mais la plus ignominieuse (uv'"'"'"~·. et 86. Dans le même sens, THOMAS compte au nombre des « miracles >> du
sima). Il y a en effet des hommes qui, même s'ils ne craignent pas la Christ la prédication pleine de force et de sagesse des disciples, hommes
ont cependant horreur d'une mort ignominieuse: le Seigneur, et illettrés (Somme de théologie, Ilia, q. 44, a. 3, ad 1).
l'exemple de sa propre mort, encourage les hommes à la mépriser 89. Dans ce paragraphe et dans le suivant, THOMAS formule à sa manière
Signalons enfin que ce passage de notre opuscule, avec des extraits doctrine de la satisfaction diffusée par S. Anselme de Cantorbéry: l'injure
158 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 159

portée à Dieu par le péché est infinie et la satisfaction qu'elle requiert ne chap. 158; livre IV, chap. 54). Pourtant, l'application rigoureuse de cette
pouvait être offerte que par Dieu. Le passage parallèle de la Somme contre thèse à l'incarnation et à la passion du Fils de Dieu exige des précisions.
les Gentils (livre IV, chap. 54) développe une approche plus complète qui Ainsi, dans la Somme de théologie, Thomas fera de cet argument une objec-
nous permet de situer ce thème de l'offense envers Dieu dans un v~'""'"'"· tion contre sa propre thèse et répondra de manière plus complète : « Cette
plus vaste: celui de la charité et de l'espérance de la béatitude. Thomas y justice dépend elle-même de la volonté divine qui exige du genre humain
explique en effet: «Le péché offense Dieu de qui l'homme attend la satisfaction pour le péché. Si Dieu avait voulu libérer l'homme du péché
récompense de la béatitude, puisque Dieu prend soin des actes humains et sans aucune satisfaction, il n'aurait pas agi contre la justice. [ ... ]Dieu n'a
puisque le péché est contraire à la charité divine [ ... ]. De plus l'homme; pas de supérieur: il est lui-même le Bien suprême et commun de tout l'uni-
ayant conscience de cette offense, perd par le péché la confiance d'accéder vers. C'est pourquoi, s'il remet le péché qui constitue une faute parce qu'il
à Dieu, confiance qui est nécessaire pour obtenir la béatitude. [ ... ] Il fut est commis contre lui, il ne fait injure à personne, pas plus qu'un homme
donc convenable et opportun, pour que le genre humain obtienne la béati- ordinaire qui remet sans exiger de satisfaction l'offense commise contre
tude, que Dieu se fit homme» (no 3929). De la même manière, l'exigence lui: il agit alors avec miséricorde et non pas contre la justice» (Ilia, q. 46,
d'une satisfaction proportionnée y est développée en référence au thème de a. 2, ad 3). Il faut ainsi distinguer un double plan: 1) si l'on parle de pos-
la béatitude (n° 3930). Dans la Somme de théologie, Thomas expliquera sibilité absolue, rien n'oblige Dieu à exiger satisfaction pour le péché com-
encore: «Satisfait proprement pour une offense celui qui montre à l'of. mis contre lui ; 2) suivant le plan divin, la passion du Christ étant disposée
fensé ce qu'il aime autant ou plus qu'il n'a détesté l'offense. Or le d'avance et «pré-ordonnée» par Dieu, le salut de l'homme demandait la
en souffrant par charité et par obéissance, a offert à Dieu quelque chose de satisfaction offerte par le Christ.
plus grand que ne l'exigeait la compensation de toutes les offenses du genre. 93. C'est un principe fondamental souvent rappelé par THOMAS pour qui
humain» (Ilia, q. 48, a. 2). -De manière comparable, la réflexion de la consistance du monde créé et son ordre propre sont engagés dans le plan
mas sur la « peine éternelle » que le pécheur mérite du fait de l'offense faite; même de Dieu (voir par exemple Écrit sur les Sentences, livre I, dist. 39,
à Dieu révèle deux approches dont les nuances ne sont pas sans significa,. q. 2, a. 2; Compendium de théologie I, chap. 142). Thomas formule égale-
tion. Dans l'Écrit sur les Sentences (livre IV, dist. 46, q. 1, a. 3), comme ment ce principe en référence aux Noms divins de Denys l' Aréopagite
dans le Compendium de théologie (I, chap. 183, avec l'exemple de la gifle (chap. 4) à propos de la nature des choses: «Il ne revient pas à la provi-
donnée à un paysan ou à un roi, comme dans notre opuscule), l'éternité de dence de détruire la nature mais de la sauvegarder» (voir notamment Ques-
la peine est justifiée par l'infinie gravité que le péché comporte du fait qu'il tions disputées De veritate, q. 5, a. 3, arg. 5; Somme de théologie, Ila-Ilae,
offense la Majesté de Dieu. Cette perspective est généralement abandonnée q. 165, a. 1; Ilia, q. 44, a. 2, arg. 1). Il faut considérer en outre que l'ordre,
dans les œuvres de maturité. Ainsi, dans la Somme contre les Gentils, Tho- dans lequel réside la perfection de l'univers, est l'effet propre de la provi-
mas explique que le péché fait encourir une peine éternelle parce que le dence divine (Somme contre les Gentils, livre III, chap. 77, no 2532). Le
péché, en détruisant la charité, prive l'homme du bien de la vie éternelle: rapport entre la providence et la liberté fera l'objet du chapitre x. Relevons
« Celui qui pèche contre la fin ultime et contre la charité par laquelle est enfin que ce principe, formulé ici à propos de la providence, s'étend égale-
constituée la société des Bienheureux et de ceux qui tendent vers la béati- ment aux autres attributs divins : «Déroger à la perfection des créatures,
tude, doit être puni éternellement» (livre III, chap. 144, n° 3179). c'est déroger à la perfection de la puissance divine» (Somme contre les
90. «En égalité»: « satisfactio condigna ». Le terme condignus, utilisé Gentils, livre III, chap. 69, n° 2445); «Ôter leurs actions propres aux êtres,
notamment dans la doctrine de la grâce et du mérite, désigne l'adéquation, c'est déroger à la bonté divine» (no 2446).
la proportion correspondante de dignité. On pourrait aussi traduire ici : « en 94. Autres lieux principaux de cette question : Écrit sur les Sentences,
stricte justice», ou «de plein droit». Voir notamment Somme de théologie, livre IV, dist. 10; Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 61-63; Somme
Ia-IIae, q. 114, a. 3. Rappelons ici, pour compléter ce rapide exposé de théologie, Ilia, q. 75-76.
THOMAS, les deux motifs développés par la Somme contre les Gentils: 1) 95. «Faire mémoire» (memoriam recolendam) : l'eucharistie représente
pardon ne pouvait être donné que par Dieu (l'offensé), et 1 nomrne-JJI1eu la passion du Christ, elle en est le signe « remémoratif » suivant le vocabu-
nous donne la certitude de ce pardon ; 2) un simple homme ne pouvait laire de THOMAS, comme elle est aussi le signe « démonstratif» de la grâce
offrir, par son mérite, une satisfaction pour le péché de la totalité du qu'elle confère et le signe « préfiguratif» de la vie éternelle espérée dans
humain (livre IV, chap. 54, no 3929-3930). la gloire. Il ne s'agit pas d'un simple souvenir dans l'esprit de ceux qui par-
91. Pour cette opinion attribuée aux «Sarrasins», voir le chapitre I. à l'eucharistie, mais de la signification inscrite dans la structure
92. L'ordre de la justice, explique THOMAS, requiert que le péché ne même du sacrement et liée à son efficacité (Somme de théologie, Ilia, q. 60,
pas remis sans peine ou satisfaction (Somme contre les Gentils, livre a. 3). Thomas désigne aussi l'eucharistie comme le« mémorial>> (memoriale)
160 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 161

de la passion du Christ (Ilia, q. 74, a. 1 ; q. 76, a. 2, ad 2; etc.), au sens de la foi catholique [Denzinger], éd. P. Hünermann et J. Hoffmann, Paris,
«objectif» de l'actualisation appartenant au sacrement lui-même. La 1996, no 802).
représentation de la mort du Christ est attachée en particulier, pour Tho- 99. Malgré leur caractère moralement mauvais, THOMAS ne nie pas que
mas, à la consécration séparée du pain et du vin : « Puisque l' acco~plisse­ les arts de la magie puissent exercer une certaine influence, limitée certes
ment de notre salut s'est fait par la passion et par la mort du Christ, par mais réelle; celle-ci se fonde sur l'action des démons auxquels recourent
laquelle son sang a été séparé de sa chair, c'est de manière séparée que nous les magiciens ; or les démons peuvent notamment exercer une motion sur
est livré le sacrement de son corps sous l'espèce du pain, et celm de son l'imagination et sur les sens de l'être humain; voir Somme contre les Gen-
sang sous l'espèce du vin : ainsi il y a dans ce sacrement la mémoire et la tils, livre III, chap. 104-107; Somme de théologie, la, q. 111, a. 3-4. Indé-
représentation (me mo ria et repraesentatio) de la passion du Seigneur» pendamment de la reconnaissance de la magie, cette question du traité de
(Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 61). En outre, les sacrements pro- l'eucharistie présentait au Moyen Âge une acuité particulière. La doctrine
curent ou causent ce qu'ils signifient: l'eucharistie donne ainsi part aux · ultra-réaliste de certains théologiens (à qui Thomas répond en Ilia, q. 77,
fruits du sacrifice du Christ qu'elle représente (Ilia, q. 83, a. 1). Puisque a. 6) les avait en effet conduits à tenir les espèces eucharistiques pour de
l'eucharistie est le mémorial de la passion du Christ, « l'effet que la passion pures apparences à la manière d'une illusion privée de réalité objective. On
du Christ a produit dans le monde, ce sacrement le produit dans l'homme» connaît l'insistance de Thomas: «Dans ce sacrement, il n'y a aucune trom-
(Ilia, q. 79, a. 1). perie : ce sont bien de vrais et réels accidents que nos sens discernent. Et
96. Voir au chapitre r (p. 65) l'objection des « Sarrasins » rapportée par l'intellect qui a pour objet la substance, suivant Aristote au troisième livre
le destinataire de l'opuscule et reprise par Thomas. De l'âme, est préservé de toute tromperie par la foi>> (Ilia, q. 75, a. 5, ad 2).
97. THOMAS fait valoir ici la création par laquelle Dieu fait exister ex 100. THOMAS recourt ici encore à la puissance de Dieu créateur (voir
nihilo toute la substance des choses. Les changements qui se font en vertu n. 97). Dieu (cause première) agit habituellement, selon le plan de sa pro~
de la nature dans notre monde ne s'étendent pas au-delà des changements vidence, par l'activité propre des créatures (causes secondes). Or Dieu. est
de forme, comme le montre l'exemple du feu et de l'air (cet exemple avait le créateur de tout ce qu'il y a dans les créatures et de tout l'être des choses
déjà été produit plus haut, à propos de l'incarnation, chapitre VI et~· 67). à leur racine même. C'est aussi par l'action continuelle de Dieû que les
Mais la puissance du Créateur s'étend à tout l'être. En termes techmques: créatures exercent leur causalité et produisent leurs effets propres: Ainsi,
la conversion eucharistique n'est pas une « transformation » (changement Dieu peut agir immédiatement sans le concours des causes secondes pour
de forme) mais une « transsubstantiation >> (changement de toute une sub- maintenir des accidents dans l'être sans «sujet>> (sans la substance qui
stance en une autre); voir Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 63; porte ses propres accidents) : « Il faut juger de la conservation des choses
Somme de théologie, Ilia, q. 75, a. 4. dans l'être comme de leur production. Or la puissance divine peut produire
98. Telle est la première raison que THOMAS retient lorsqu'il montre que l'effet de n'importe quelle cause seconde sans cette cause seconde, comme
les accidents du pain et du vin subsistent après la consécration : «C'est rai- par exemple former l'homme sans semence ou guérir de la fièvre sans l'ac-
sonnablement que la divine providence agit ainsi. Premièrement, les tion de la nature. Cela s'accomplit en raison de l'infinité de SlJ. puissance et
hommes n'ont pas coutume de manger la chair et de boire le sang de parce que c'est lui qui accorde la puissance d'agir à toutes les causes
l'homme, mais cela leur inspire de l'horreur: c'est pourquoi la Chair et le secondes. Dieu peut donc conserver dans l'être l'effet des causes secondes
Sang du Christ nous sont offerts sous les espèces des substances qui sont le sans ces causes secondes. C'est de cette manière que, dans ce sacrement, il
plus fréquemment utilisées par les hommes, c'est-à-dire le pain et le vin» conserve l'accident dans l'être après la disparition de la substance qui
(Somme de théologie, Ilia, q. 75, a. 5). On appelle «espèces>> (species), conservait cet accide~t >> (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 65;
dans la doctrine de l'eucharistie, ce qui apparaît aux sens. Le mot est par- n° 4017; voir aussi Ecrit sur les Sentences, livre IV, dist. 12, q. 1, a, .1;
fois traduit par« apparences>>, mais il ne faut pas l'entendre d'apparences Somme de théologie, IIIa, q. 77, a. 1). On lira avec profit à ce in.Ijet;
subjectives ou irréelles, comme Thomas va l'expliquer dans le paragraphe E.-H. WÉBER, «L'incidence du traité de l'eucharistie sur la métaphysique
suivant, car il s'agit bien de cette réalité que les sens perçoivent. Dans son de S. Thomas d'Aquin>>, RSPT71 (1993), 195-218.
langage métaphysique, avec davantage de précision, Thomas parle le plus 101. Ce thème fort ancien du « secret >> ou « arcane >> de la foi n'est pas
souvent des« accidents>> (accidentia) du pain et du vin pour désigner ces isolé chez THOMAS. Il explique ainsi dans son commentaire sur le De Tri-
espèces sous lesquelles sont contenus le Corps et le Sang du Christ après la nitate de Boèce (q. 2, a. 4): «Si les arcanes de la foi étaient mis à nu devant
consécration. Mais le mot «espèces >> était déjà communément ac!~rédit6 les infidèles qui les abhorrent, ils les tourneraient en dérision; c'est pour-
bien avant S. Thomas ; il est ainsi entré dans le langage officiel de l' quoi il est dit en Matthieu 7, 6 :Ne jetez pas aux chiens ce qui est saint.>>
notamment au IVe concile du Latran, en 1215 (voir Symboles et définitions C'est la raison pour laquelle plusieurs thèmes centraux de la doctrine
162 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 163

eucharistique, comme par exemple l'unité de l'Église procurée par 104. «Purgative>>: purgatoria. En latin d'Église, le terme« purgatoire>>
sacrement (la grâce eucharistique), le sacrifice, et bien d'autres aspects, est utilisé soit comme nom substantif désignant l'état des âmes en voie de
sont pas même évoqués ici. , purification, soit comme adjectif qualifiant les peines par lesquelles ces
102. Autres lieux principaux de cette question : Ecrit sur les âmes sont purifiées. -Origène est une grande figure de la théologie alexan-
tences, livre IV, dist. 21, q. 1, a. 1 ; Somme contre les Gentils, livre drine (III' siècle) à qui de nombreuses erreurs et propositions ont été repro-
chap. 91; Contre les erreurs des Grecs Il, chap. 40; Comp~ndium chées, notamment sur le statut des morts et sur la restauration finale (voir
théologie I, chap. 181-182; Commentaire de la seconde Epître Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église I, 1, 6e article, p. 231).
Corinthiens 5, 1-10 (Introduction, traduction et notes par A. Thomas reproche ici à Origène d'avoir enseigné qu'il n'y a pas de peine
Paris, 1979,p.l72-195). éternelle ; autrement dit : le châtiment après la mort aurait pour seul but la
103. Sabellius (11"-III' siècle), dont la personnalité (peut-être purification en vue de la restauration finale. Voir THOMAS, Commentaire
nous est mal connue, enseignait une forme de « monarchianisme » sur Matthieu 25, 46 (éd. Marietti, n° 2113: «Certains, comme Origène, ont
nom d'une compréhension préchrétienne de l'unité de Dieu, porte voulu qu'il n'y ait pas supplice éternel>>). Thomas pense alors à une conta-
à la foi trinitaire : le Père, le Fils et le Saint-Esprit seraient alors une mination de la doctrine chrétienne par des doctrines philosophiques
hypostase ou personne sous trois modes (d'où le nom de « u"''"'u~'"" ,, (métempsycose et mythe du retour): Somme contre les Gentils, livre III,
donné à cette doctrine) ou sous trois noms différents. THOMAS chap. 144. Cette thèse attribuée à Origène fut condanmée au ne concile de
les sabelliens (partisans de cette doctrine) du nom de « ~<wllp<t~~l"ns Constantinople (9e anathématisme contre Origène ; Symboles et définitions
(ceux qui tiennent que le Père a souffert) puisque, suivant leur COJlcepti,,m; de la foi catholique, n° 411). Voir aussi AUGUSTIN, De haeresibus 43
qui identifie le Fils au Père, le Père en personne aurait souffert la (CCSL 46, p. 310-311). -Quant aux aliqui qui refusent le purgatoire, il
(Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 5, no 3377 ; tout ce ""''1·'"'""' s'agit bien sûr des« Grecs et Arméniens>> dont l'opinion a été rapportée au
qu'une partie du chapitre 9, est consacré à Sabellius). Voir ici Les chapitrer.
de la foi et les Sacrements de l'Église I, 1, 2e article (p. 217).- Arius 105. THOMAS avait formulé la même observation dans la Somme contre
un prêtre d'Alexandrie (IV' siècle) pour qui le Fils n'est ni éternel ni les Gentils (livre IV, chap. 7, n° 3426) à propos des erreurs de Photin,
au Père, ni Dieu comme lui, mais une créature supérieure. L'an:amsme;·. d'Arius et de Sabellius : la foi catholique suit une voie moyenne (via
constitue l'hérésie trinitaire à laquelle Thomas prête la plus grande atten~ media) entre les erreurs. Cette observation comporte une signification
tion (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 6-8) ; voir Les Articles de la pédagogique et apologétique. Elle permet à Thomas de relever la part de
foi et les Sacrements de l'Église I, 1, 2e article (p. 217). - Nestorius, vérité dans les doctrines rejetées et de préciser les points sur lesquels la foi
patriarche de Constantinople (V' siècle), affirmait la distinction ou la catholique s'oppose à ces erreurs. L'opposition mutuelle des erreurs l'une
sion de la nature divine et de la nature humaine du Christ dans des formules envers l'autre constitue, en outre, un signe de la vérité de la foi catholique :
qui mettaient en péril l'unité de la personne du Christ. Dans sa forme s'excluant l'une l'autre, les erreurs témoignent à leur manière de la vérité
extrême, le nestorianisme considère le Christ comme un homme parfaite. de la foi catholique (ibidem).
ment constitué en une personne humaine unie à la personne du Verbe par la 106. Non pas le Symbole de Nicée-Constantinople, mais le Symbole des
grâce, ce qui « supprime le fondement de la religion chrétienne », explique Apôtres: « ll est descendu aux enfers>> (descendit ad inferas); voir THo-
Thomas (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 34, n° 3696; tout ce MAS, Homélies sur le Symbole des Apôtres, a. 5: <<Le Christ est descendu
long chapitre est consacré à Nestorius dans le prolongement de ,Théodore aux enfers avec son âme pour quatre motifs. Le premier motif, ce fut de
de Mopsueste); voir Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Eglise I, 2, supporter toute la peine due au péché[ ... ]. Le deuxième motif fut de secou-
1er article (p. 237). -Eutychès est un moine de Constantinople (V' siècle) rir parfaitement tous ses amis [... ]. Le troisième motif fut de triompher
pour qui les deux natures existant avant l'union dans le Christ ont été « fon• complètement du diable[ ... ]. Le quatrième et dernier motif fut de délivrer
dues» en une seule, d'où le nom de «monophysisme» (une seule nature) les saints qui se trouvaient en enfer>> (Le Credo, introduction, traduction et
donné à cette doctrine (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 35); voit notes par un moine de Fontgombault, Paris, 1969, no 77-86, p. 106-121).
Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église I, 2, 1er article (p. 237). 107. Dans son discours aux Juifs de Jérusalem, tel qu'il est rapporté en
- Ce sont là les personnalités dont les doctrines furent au cœur des débats Ac 2, 25-31, l'apôtre Pierre se réfère abondamment au psaume 15 en expli-
aux conciles de Nicée (325), d'Éphèse (431), puis de Chalcédoine (45 quant que David a parlé ici du Christ et de sa résurrection.
Thomas, non sans justesse historique, présente souvent la formation de 108. <<Lui qui nous a donné le gage (pignus) de l'Esprit». THOMAS
erreurs comme une mauvaise réaction envers des erreurs précédentes explique dans son commentaire sur 2 Corinthiens 5, 5 (trad. A. Charlier,
Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 6 et chap. 35). p. 184-185) : <<L'Apôtre parle du gage de l'Esprit, parce que le gage doit
-
164 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 165

valoir autant que l'objet pour lequel il est déposé. Mais il diffère parce peine propre due au péché originel). Notons qu'il n'est pas question dans
l'objet est possédé avec plus de plénitude, quand il est obtenu, que le ce contexte des enfants morts sans baptême pour qui, au jugement de Tho-
car l'objet est possédé comme un bien définitif tandis que le gage mas, la privation de la vision divin~ ne représente aucune souffrance, et qui
conservé qu'à titre de garantie certaine de l'objet qui doit être possédé. se réjouiront de la bonté divine (Ecrit sur les Sentences, livre II, dist. 33,
en est ainsi du Saint-Esprit, parce que le Saint-Esprit a autant de valeur q. 2, a. 2).- On aura remarqué enfin les trois moments de l'explication de
la gloire céleste, mais il en diffère par le mode de possession. Car Thomas: 1) les âmes saintes doivent connaître la gloire après la mort; 2)
nant le Saint-Esprit est en nous pour assurer que nous obtiendrons mais les âmes souillées (sans péché mortel cependant) ne peuvent pas
gloire ; mais dans la Patrie il sera notre bien propre et notre pv:s~c:sM~ entrer dans la gloire en cet état; 3) donc il y a un purgatoire pour ces âmes.
Cette possession sera alors parfaite, tandis qu'elle est imparfaite On voit bien ici que, malgré la peine que le purgatoire représente (vision
C'est ainsi que le désir de la grâce est retardé par le désir de la nature. » divine «retardée >> ), cette doctrine demeure comprise de manière essentiel-
109. « Le corps est comme un vêtement pour 1' âme » : cette formule, lement positive, c'est-à-dire en faveur des hommes: il s'agit de la purifi-
premier regard, pourrait suggérer une anthropologie platonicienne. cation nécessaire à 1' entrée en gloire pour les personnes unies à Dieu dans
reproche pourtant précisément à Platon d'avoir pensé l'homme la charité. C'est la vision bienheureuse qui commande toute l'approche de
«une âme qui se sert d'un corps», c'est-à-dire comme« un homme qui Thomas sur cette question.
sert d'un vêtement». THOMAS rejette clairement cette position 113. «Ce feu qui, dévorant le monde, précédera la face du Juge>>: cette
cienne : pour lui, l'âme est unie au corps comme sa forme proposition rassemble plusieurs passages bibliques, notamment le
manière à constituer l'être humain en son unité (Somme contre les psaume 96, 3 : « Un feu le précédera et embrasera autour de lui ses enne-
livre II, chap. 57). Il faut observer que l'usage du terme «vêtement mis. >> Thomas formule cette expression en référence à S. AUGUSTIN dont
(indumentum) est commandé ici par la métaphore paulinienne en 2 Co l'enseignement avait été repris par la Glose sur 1 Corinthiens 7, 31 : «La
3-4. figure de ce monde, par l'embrasement des feux de ce monde (mundano-
110. Ce verset était indiqué au chapitrer (p. 65) comme argument rum ignium conflagratione), passera>> (La Cité de Dieu XX, 16; BA 37,
turaire invoqué par ceux qui refusent la doctrine du purgatoire : 266-267). THOMAS comprend cet embrasement du monde (conflagratio
s'applique donc à en donner l'interprétation qui montre la conformité de mundi) comme une disposition de l'univers pour son état renouvelé
texte scripturaire et de la doctrine de l'Église latine. (Ap 21, 1 : « Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle>>). Il précise
111. « Souillure » : macula. La « souillure » ou « tache du ailleurs que cet embrasement du monde comporte deux aspects. Le premier
(macula peccati) est une expression théologique qui désigne un« a.u•:uuJLl~~ est celui de la purification de l'univers à la résurrection: à cet égard, il pré-
sement d'éclat>> de l'âme consécutif au péché. Cette tache ou 0vcumu" cède le Juge. Le second aspect est celui de l'engloutissement des méchants
demeure dans l'âme jusqu'à ce que, par la grâce divine, le pécheur qui suit le jugement (voir Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 47, q. 2, et
donné revienne à la lumière divine. Voir Somme de théologie, Ia-Ilae, q. Somme de théologie, Supplément, q. 74). Sur cette base, le problème dis-
a. 1-2. cuté ici concerne la distinction entre le feu du jugement universel à la résur-
112. Nous sommes ici au cœur de l'argumentation de THOMAS:« Il rection générale et le feu purificateur du jugement particulier à la mort de
aurait aucune raison de différer la peine et la récompense, puisque chaque personne (purgatoire). La fin du chapitre va l'expliquer avec davan-
peut recevoir l'une et l'autre. Donc, dès qu'elle est séparée du corps, 1 tage de détails.
reçoit la récompense ou la peine.[ ... ] Il convient que l'ordre de la peine 114. L'argument tiré de la prière de l'Église est constant chez THOMAS
de la récompense corresponde à l'ordre de la faute et du mérite. Or qui, dans son opuscule Contre les erreurs des Grecs, le rattache également
mérite et la faute ne concernent le corps que par l'intermédiaire de à l'efficacité du sacrifice eucharistique : «En niant le purgatoire, ils dimi-
La récompense comme la peine dérivent donc de l'âme dans le nuent la puissance du sacrement [de l'autel] qui est communément consa-
comme il convient, car ce n'est pas en raison du corps que cela cré dans l'Église pour les vivants et pour les morts. En effet, si l'on sup-
l'âme. Il n'y a donc aucune raison d'attendre la reprise des corps prime le purgatoire, le sacrement de l'autel ne pourra pas avoir d'efficacité
qu'ait lieu le châtiment ou la récompense>> (Somme contre les pour les morts: car il ne sert pas à ceux qui sont en enfer où il n'y a pas de
livre IV, chap. 91, n° 4247-4249).- Au sujet de la peine que représ<~nte rédemption, ni à ceux qui sont dans la gloire puisqu'ils n'ont pas besoin de
privation de la vision de Dieu, Thomas explique de la même manière nos suffrages>> (Ile partie, Prologue); voir aussi Somme contre les Gentils,
la Somme de théologie (Ia-IIae, q. 88, a. 4): «Aucune autre peine ne livre IV, chap. 91, n° 4252. -La prière demande l'accomplissement de la
être comparée à la privation de la vision divine» (ici comme peine due Providence divine et elle vise les biens que l'on peut espérer pour soi et
péché «mortel>>, la privation de la vision divine étant en premier lieu autrui. Or rien ne « manque >> aux saints dont la charité est parfaite et
166 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 167

1' espérance comblée : on ne prie donc pas pour eux (et ils ne prient pas toute idée de succession. C'est à ce titre que Dieu, sous l'aspect de son éter-
eux-mêmes: Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 15, q. 4, a. 6, nité, pourra être comparé à un point qui, par définition, ne possède pas de
Quant aux réprouvés, explique Thomas, ils sont coupés de la cVInrnmnton parties. Cette totale simultanéité (tata simul) est au cœur de la définition de
dans la charité et ne peuvent plus être ramenés à cette charité. l'éternité que Thomas reçoit de Boèce : l'éternité est ''la possession
s'oppose sur ce point à Origène, à qui il rtJ'roche d'avoir enseigné entière, simultanée et parfaite de la vie sans terme» ; voir notamment
peine de l'enfer peut connaître un terme (Ecrit sur les Sentences, livre Somme de théologie, la, q. 10, a. 1 et 2; BoÈCE, La Consolation de la phi-
dist. 45, q. 2, a. 2, qla 1, et Somme de théologie, Supplément, q. 71, a. 5; il losophie, livre V, pr. 6, 4 (CCSL 94, 101 ; trad. L. Colesse, Genève, 1994,
s'agit de la doctrine d'ORIGÈNE sur l' apocatastase : voir son Traité des prin- p. 219). De même que le temps est la mesure du mouvement des êtres sou-
cipes I, 6; SC 252, 194-207; SC 253, 91-93 et 98-99); voir Somme contre mis au changement, l'éternité est la « mesure » de l'être de Dieu et de sa
les_ Gentils, livre III, chap. 144; Les Articles de la foi et les Sacrements de connaissance présente à toutes choses de manière égale. La rapport de
l'Eglise I, 1, 6e article (ici p. 231). j'éternité envers le temps sera donc celui d'une réalité absolument indivi-
115. De manière comparable, THOMAS explique dans son Commentaire sible envers une réalité continue composée de parties (Somme contre les
sur 1 Corinthiens 3, 13 (éd. Marietti, no 162-164) qu'il y a un triple juge- Gentils, livre 1, chap. 66).
ment, qui donne lieu à une triple signification de l'expression «jour du Sei- 118. Cet exemple du cercle, du point et de la circonférence apparaît déjà,
gneur » : le jugement général au temps du renouvellement universel ; le de manière plus développée, dans la Somme contre les Gentils (livre I,
jugement particulier, à la mort de chacun ; le jugement dans cette vie qui chap. 66, no 548) dont nous reproduisons ici les explications : «Puisque
est une mise à l'épreuve des fidèles par les tribulations. Thomas poursuit l'être de ce qui est éternel n'est jamais en défaut, l'éternité est présente à
alors: « [1] Le Jour du jugement se révélera dans le feu: il précédera la chaque temps ou à chaque instant du temps. On peut en voir un exemple
face du Juge, consumant la face du monde, engloutissant les méchants et dans le cercle. En effet, un point déterminé de la circonférence, bien qu'il
purifiant les justes. De ce feu, il est dit dans le psaume 96, 3 : Un feu le pré- soit indivisible, ne coexiste pourtant pas simultanément avec chaque point
cédera et embrasera autour de lui ses ennemis. [2] Le Jour du Seigneur qui situé ailleurs : car c'est l'ordre de la situation qui fait la continuité de la cir-
est le jour de la mort se révélera dans le feu du purgatoire qui accomplira conférence. Quant au centre, qui se trouve hors de la circonférence, il pos-
la purification si quelque chose dans les éléments doit encore être purifié ; sède une opposition directe envers chaque point situé sur la circonférence.
on peut entendre de ce Jour ce qui est dit en Job 23, 10: Il m'éprouve Ainsi, tout ce qui est dans une quelconque partie du temps coexiste avec
comme l'or qu'on passe parle feu. [3] Quant au Jour qui est celui de la tri- l'éternel en étant comme présent à l'éternel, bien que, par rapport à une
bulation permise par le jugement divin, il se révélera dans le feu de la tri- autre partie du temps, il soit passé ou futur. Or rien ne peut coexister de
bulation, et de ce Jour il est dit en Ecclésiastique 2, 5: L'or et l'argent sont manière présente avec l'éternel sans être présent à tout l'éternel, puisque ce
éprouvés par le feu, mais les hommes que Dieu veut recevoir parmi les dernier n'a aucune durée de succession. Donc l'intellect divin, dans toute
siens sont éprouvés au creuset de la tribulation» (no 164). son éternité, saisit comme présent tout ce qui se passe durant le cours entier
116. Autres lieux principaux de cette question: Écrit sur les Sentences, du temps.»
livre I, dist. 38, q. un., a. 5; dist. 39, q. 2, a. 2; Questions disputées De veri- 119. On perçoit ici la différence entre l'instant et l'éternité. Les deux
tate, q. 2, a. 12; Somme contre les Gentils, livre III, chap. 72-73; Somme sont indivisibles, mais de manière fort différente: l'instant est le terme ou
de théologie, la, q. 14, a. 13 et q. 22, a. 4; Compendium de théologie, l'unité d'une réalité continue, c'est-à-dire le terme du temps qui s'écoule;·
chap. 133, 139 et 140; Commentaire sur la Métaphysique, livre VI, lect. 3; à ce titre, il est comparé à un point situé sur une ligne. Mais l'éternité est
Quodlibet XI, q. 3. absolument hors de cette réalité continue ou fluente, et c'est pourquoi elle
117. À la suite d'Aristote, THOMAS définit le temps comme 'da mesure embrasse tout le cours du temps. Voir notamment Somme contre les Gen-
du mouvement selon l'avant et l'après» (Somme contre les Gentils, livre I, tils, livre I, chap. 66.
chap. 15 ; chap. 55 ; etc.). La réalité du temps dépend donc du mouvement 120. On appelle contingent, par définition, «ce qui peut être et ne pas
et de la succession qu'on observe dans le mouvement: «Dans tout mouve- être» (Somme de théologie, la, q. 86, a. 3), tandis qu'est nécessaire ce qui
ment il y a une succession, une partie venant après l'autre; c'est pourquoi, ne peut pas ne pas être (ou être autrement). Or ce qui est causé par le libre
du fait que nous nombrons l'avant et l'après dans le mouvement, nous per- arbitre humain est par définition contingent, puisque cela dépend de la
cevons le temps: ce dernier n'est rien d'autre que le nombre de l'avant et faculté de choisir. Ce rapport à la cause est décisif pour la notion même de
de l'après dans le mouvement» (Somme de théologie, la, q. 10, a. 1). Or contingence : « Le contingent diffère du nécessaire selon que l'un et l'autre
Dieu n'a pas en lui de mouvement, ni de succession (pas de parties, pas de sont dans leur cause. En effet, le contingent est dans sa cause de telle sorte
commencement ni de fin) : il y a en lui cette parfaite simultanéité qui que, par elle, il peut être et ne pas être» (Somme contre les Gentils, livre I,
168 LES RAISONS DE LA FOI NOTES 169

chap. 67, n° 558). Sur cette base, THOMAS explique de la manière suivante des passants et qui voit tous les passants en même temps. » On pourra lire
le rapport entre la connaissance divine et le temps : «Le contingent ne l'ensemble de ce passage dans: De la Vérité, Question 2 (La science en
répugne à la certitude de la connaissance qu'en tant qu'il est futur, et non Dieu), p. 330-333.
pas en tant qu'il est présent. En effet, le contingent, en tant que futur, peut 123. L'<< ordonnance>> (ordinatio, ordinare) dont il est question est ici:.
ne pas être ; et ainsi la connaissance de celui qui estime que cela existera est l'acte de la science divine qui dispose les choses selon un ordre ou rap-
peut se tromper: car on se trompe si ce qu'on a estimé devoir arriver n'ar- port. La providence consiste précisément dans cette disposition d'un ordre :
rive pas. Mais telle chose, du fait qu'elle est présente, ne peut pas ne pas la providence est <da disposition ou la raison de l'ordre des choses en vue
être quant à ce temps présent. Elle peut ne pas être dans le futur ; cepen- de la fin>> (ratio ordinis rerum infinem), la prédestination étant de son côté
dant, cela ne concerne pas le contingent en tant qu'il est présent mais en cette même disposition de l'ordre ou préordination en ce qui concerne le
tant qu'il est futur. Ainsi, la certitude des sens n'est en rien infirmée lors- salut et l'obtention de la vie éternelle (Somme de théologie, la, q. 22, a. 1 ;
qu'on voit courir un homme, bien qu'il s'agisse dans cet exemple de q. 24, a. 1-2; Ilia, q. 24, a. 1). <<Dieu ordonne les choses comme il les
quelque chose de contingent. Par conséquent, toute connaissance qui porte fait >> : l'agir de Dieu dans le monde consiste dans la réalisation ou l' exé-
sur le contingent en tant que présent peut être certaine. Or le regard de l'in- cution, par la volonté et la puissance divines, de ce qu'il a disposé dans sa
tellect divin se porte de toute éternité sur chacune des choses qui se passent sagesse providente: c'est ce que THOMAS appelle le gouvernement divin
dans le cours du temps, en tant que ces choses lui sont présentes. Donc, rien (gubernatio). Ainsi, comme Thomas va l'expliquer dans le paragraphe sui-
n'empêche que Dieu possède de toute éternité une science infaillible des vant, la providence divine n'exclut ni la contingence ni la nécessité dans les
choses contingentes» (Somme contre les Gentils, livre I, chap. 67, n° 557). choses ou les événements, mais l'une et l'autre se réalisent selon la dispo-
Les choses contingentes peuvent ainsi être considérées de deux manières : sition de la sagesse de Dieu : <<À certains effets, la providence divine a pré-
soit en tant qu'il y a en elles quelque chose de nécessaire, soit en tant paré des causes nécessaires, pour qu'ils se produisent nécessairement; à
qu'elles sont contingentes (voir aussi Somme de théologie, la, q. 86, a. 3). d'autres effets, elle a préparé des causes contingentes pour qu'ils arrivent
Le contingent qui se réalise (Socrate assis, que je vois) revêt alors une de façon contingente, selon la condition de leurs causes proches >> (Somme
forme de nécessité compatible avec la contingence instrinsèque d'une de théologie, Ia, q. 22, a. 4; voir Somme contre les Gentils, livre II,
chose ou d'un événement. Dans notre contexte, c'est la contingence intrin- chap. 30 ; livre III, chap. 72).
sèque des choses qui se trouve au premier plan. Voir à ce sujet THOMAS 124. Le mouvement des corps célestes offre l'exemple d'une des formes
D'AQUIN, De la Vérité, Question 2 (La science en Dieu), Introduction, tra- . de nécessité que l'on trouve dans le monde créé. Thomas assume ici, dans
duction et commentaire de S.-Th. Bonino, Fribourg-Paris, 1996, p. 586- une réflexion métaphysique, certains éléments de la physique ancienne,
594. afin d'illustrer un donné de la foi: la liberté humaine. Suivant cette vision
121. THOMAS se sert fréquemment de cet exemple pour expliquer la dif- des choses, les corps célestes possèdent une matière parfaitement ajustée à
férence entre la connaissance dans le temps et la connaissance dans l'éter- leur forme : leur matière n'est pas en puissance envers une autre forme. Ils
nité; voir notamment Questions disputées De veritate, q. 2, a. 12 ; Quodli- sont dès lors «incorruptibles>>, sans contrariété interne qui puisse faire
bet XI, q. 3; Exposition du Peryermenias I, 14 (éd. Léonine, t. 1*/1, p. 77). obstacle à leur mouvement régulier. Le seul mouvement qui leur revient est
Cet exemple lui est directement suggéré par BoÈCE qui, dans La Consola· le mouvementJe plus proche de l'immobilité du premier principe: le mou-
fion de la philosophie (livre V, pr. 6, 17; CCSL 94, 102; trad. L. Colesse, vement local circulaire, conforme à leur nature. Ainsi, sous la motion
p. 222), explique qu'il vaut mieux parler pour Dieu de ''pro-vidence» que divine, explique THOMAS, leur mouvement est nécessaire et naturel du f~t
de «pré-voyance» : ''parce que, établie en quelque sorte loin des choses de sa cause et selon les dispositions naturelles du corps céleste (Somme
infimes, elle voit tout depuis le faîte élevé du monde». contre les Gentils, livre II, chap. 30; livre III, chap. 22-23). Cette forme de
122. En d'autres termes (Questions disputées De veritate, q. 2, a. 12): nécessité n'enlève pas la radicale contingence du mouvement céleste qui,
« Ce qui est vu de Dieu est certes futur pour une autre chose à laquelle cela comme toute créature, dépend de la volonté de Dieu : dans la création nou-
succède dans le temps, mais pour la vision divine elle-même, qui n'est pas velle à la fin des temps, le mouvement des corps célestes cessera (Somme
dans le temps mais hors du temps, cela n'est pas futur mais présent. Nous contre les Gentils, livre IV, chap. 97).- En outre, Thomas s'oppose ferme-
voyons donc le futur comme futur parce qu'il est futur pour notre vision, ment à considérer comme nécessaire l'influence des corps célestes sur les
puisque notre vision est mesurée par le temps ; mais pour la vision divine êtres inférieurs, qu'il s'agisse de l'esprit humain ou des effets corporels
qui est hors du temps, cela n'est pas futur. C'est ainsi que le défilé des pas- (Somme contre les Gentils, livre III, chap. 84-87).
sants est vu différemment par celui qui est dans le défilé des passants et qui 125. C'est un principe que Thomas rappelle souvent en ces termes, en
voit seulement ce qui est devant lui, et par celui qui est en dehors du défilé référence à ARISTOTE (Métaphysique 8, 2 ; 1046 b 5) : « rationales potes-
170 LES RAISONS DE LA FOI

tates ad opposita se habent. » Les puissances naturelles sont déterminées à


un seul effet, tandis que les facultés rationnelles se portent sur les
contraires. Dans son commentaire de la Métaphysique, Thomas commente
à ce sujet l'exemple aristotélicien de l'art médical («puissance» ration-
nelle) qui peut soit entraîner l'infirmité soit rendre la bonne santé: le méde-
cin peut se servir de son art pour le bien ou pour le mal de son patient ; tan-
dis que le corps chaud en tant que tel (« puissance >> naturelle) ne peut que
réchauffer ce sur quoi il exerce sa vertu (THOMAS, Commentaire sur la
Métaphysique IX, lect. 2; éd. Marietti, no 1789). Voir notamment Ques-
tions disputées De veritate, q. 22, a. 5, sed contra 5 ; q. 23, a. 1, arg. 9 ;
q. 26, a. 3, ad 7; Somme contre les Gentils, livre III, chap. 31, n° 2127;
Somme de théologie, la, q. 62, a. 8, arg. 2; q. 82, a. 1, arg. 2 et ad 2.
126. Dans la Somme contre les Gentils, principalement.

LES ARTICLES DE LA FOI


ET LES SACREMENTS
DE L'ÉGLISE
À ARCHEVÊQUE
DE PALERME

DE ARTICULIS FIDEl ET ECCLESIAE


SACRAMENTIS
AD ARCHIEPISCOPUM PANORMITANUM
INTRODUCTION

Destinataire et date de l'opuscule.

Le traité Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église


répond à une requête adressée à Thomas par « l'archevêque
de Palerme». Le titre de l'opuscule est attesté par les plus
anciens catalogues des œuvres de Thomas, et la précision de
son destinataire (ad archiepiscopum Panormitanum) apparaît
également dans plusieurs manuscrits de l'ouvrage 1. L'au-
thenticité thomasienne de cet opuscule est incontestée. Quant
au destinataire, il s'agit très vraisemblablement de Leonardo
dei Conti di Segni, parent et chapelain du pape Alexandre IV
(t 25 mai 1261) qui le choisit pour l'archevêché sicilien. Léo-
nard fut consacré évêque de Palerme en 1261, par le pape
Urbain IV. La date de sa mort est incertaine, mais prend cer-
tainement place av~mt 1273, lorsqu'un autre évêque lui suc-
céda à la tête de l'Eglise de Palerme 2 .
Ces renseignements biographiques concernant le destina-
taire de l'opuscule fournissent le cadre général de la période
durant laquelle il faut placer sa composition. Le traité n'est
donc pas antérieur à 1260, comme le voulait autrefois F. Sla-
deczek, tirant argument de la qualification d'« erreur» appli-
quée ici à la thèse aristotélicienne concernant l'éternité du

1. A. DONDAINE, « Les Opuscula fratris Thomae chez Ptolémée de


Lucques», AFP 31 (1961), 142-203, voir p. 153; H.-F. DONDAINE, «Les
opuscules de S. Thomas», éd. Léonine, t. 40, p. III-X, voir p. v (catalogue
de Barthélemy de Capoue au procès de canonisation de Thomas) et p. VII;
Préface au De articulis fidei, t. 42, p. 211.
2. D. MoNGILLO, « L'opuscolo di Tommaso d'Aquino per l'arcivescovo
di Palermo », '0 Theologos, Cuttura cristiana di Sicilia 2, n° 5, 1975,
p. 111-125, voir p. 111-112; H.-F. DONDAINE, Préface, p. 211.
174 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 175

monde 1. Le Père Mandonnet, suivi par plusieurs auteurs, pro- rnent d'une bonne œuvre, le mérite), dans le voisinage immé-
posait les années 1261-1268 ou le début de cette période: diat du livre Ill de la Somme contre les Gentils (chap. 149).
1261-1262 2 . De manière voisine, le P. Walz retenait les L'opuscule pourrait alors « être définitivement situé vers
années 1260-1268 ou 1261-1268, en situant 'notre opuscule 1262 » 1. Le voisinage de la Somme contre les Gentils appa-
«à la même époque et dans le même ordre d'idées» que Les raît incontestable, mais la conclusion de G. Lafont ne s'im-
Raisons de la foi 3 . Tout en rappelant les propositions de Man- pose pas. Elle suppose en effet que la rédaction du livre III de
donnet et Walz, J. A. Weisheipl assignait l'ouvrage à la la Somme contre les Gentils fut accomplie ou achevée en
période du séjour de Thomas à Orvieto, c'est-à-dire 1261- 1262. Or le P. Gauthier a montré que le chapitre 85 de ce
12654. Face au caractère sommaire des Articles de la foi, qui livre III se sert de la traduction de l'Histoire des animaux par
rend malaisée la comparaison avec les grandes œuvres de Guillaume de Moerbeke, traduction qui n'a pas été effectuée
Thomas, le P. Hyacinthe Dondaine jugeait de son côté que la avant 1262-1263 :il faut alors retarder la composition du cha-
recherche d'une datation plus exacte constituait une «entre- pitre III, 85 de la Somme contre les Gentils vers 1263-1264 2 .
prise sans grand espoir 5 ». Les nombreuses références de notre opuscule aux hérésies tri-
Diverses tentatives furent pourtant menées pour apporter nitaires et christologiques appartiennent en outre au même
davantage de précisions. Estimant que Thomas ·d'Aquin et dossier que celui du livre IV de la Somme contre les Gentils,
Léonard dei Conti ont pu se rencontrer à la cour rédigé sans doute en 1264-1265 3 . Ainsi par exemple, les
d'Alexandre IV en 1259-1261, G. Lafont a suggéré une date mentions de Cérinthe ou de Paul de Samosate n'apparaissent
proche de la consécration épiscopale de Léonard : « Laissons pas avant les écrits de la période d'Orvieto, c'est-à-dire la
à saint Thomas le temps de composer sa réponse, et nous Catena sur Matthieu (entreprise à la fin de 1262 ou au début
nous trouvons vers le milieu de 1262. » À l'appui de cette de 1263, achevée en 1264), le livre IV de la Somme contre les
hypothèse, Lafont faisait valoir la bonne connaissance du Gentils (1264-1265) et Les Articles de la foi et les Sacre-
pélagianisme dont témoigne notre opuscule (distinctions pré- ments de l'Église 4 . Or c'est vraisemblablement pour ses
cises et détails concernant le péché originel, le commence- grands ouvrages que Thomas a étendu sa documentation
patristique, dont bénéficient ensuite les petits traités. Si cette
observation est exacte, il faudrait alors retarder la rédaction
1. « Wann ist der Traktat des hl. Thomas De articulis fidei et Ecclesiae des Articles de la foi et les Sacrements de l'Église vers la fin
sacramentis entstanden? >>, Scholastik 2 (1927), 413-415. L'auteur prenait du séjour à Orvieto au moins (1265).
la comparaison du De potentia; mais nous savons aujourd'hui que le De D'un autre côté, le P. Mongillo a proposé d'assigner la
potentia date des années 1265-1266 ou 1266-1267. rédaction de notre opuscule à « la période durant laquelle
2. P. MANDONNET, « Chronologie sommaire de la vie et des écrits de
saint Thomas d'Aquin», RSPT9 (1920), 142-152, voir p. 151; «Les opus- Thomas composait la Somme de théologie». L'argument est
cules de saint Thomas d'Aquin>>, RTh 32, n. s. 10 (1927), 121-157, voir
p. 156; I. T. EscHMANN, «A Catalogue of St. Thomas Works >>, dans: 1. G. LAFONT, « Simbolo degli Apostoli e metodo teologico: il Compen-
É. GILSON, The Christian Philosophy of St. Thomas Aquinas, trad. L. K. dium theologiae di San Tommaso>>, La Scuola cattolica 102 (1974), 557-
Shook, New York, 1956, p. 381-430, voir p. 418 (1261-1262). 568, ici p. 561; voir P. SOUILLARD, Conversion et grâce chez S. Thomas
3. A. WALZ: Saint Thomas d'Aquin, Paris, 1962, p. 123 et 224; « Chro- d'Aquin, Paris, 1944, p. 110-114.
notaxis vitae et operum S. Thomae de Aquino», Angelicum 16 (1939), 463- 2. R.-A. GAUTHIER, Introduction à: SAINT THOMAS D'AQUIN, Somme
473, voir p. 468 et 471. contre les Gentils, Paris, 1993, p. 87.
4. J. A. WEISHEIPL, Frère Thomas d'Aquin, sa vie, sa pensée, ses œuvres, 3. R.-A. GAUTHIER, p. 105-108.
Paris, 1993, p. 423-424. 4. G. EMERY, «Le photinisme et ses précurseurs chez saint Thomas>>,
5. H.F. DONDAINE, Préface, p. 211. RTh 95 (1995), 371-398, voir p. 375 et 379.
176 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 177

tiré ici du Prologue de l'opuscule qui contiendrait une , durant la période romaine de Thomas, vers 1265-
sion à l'entreprise de la Somme de théologie : « Si je Quant à la contemporanéité des Articles de la foi et de
1.
satisfaire pleinement à votre demande, il faudrait rassen1t Somme de théologie, rien ne permet de l'établir avec certi-
brièvement les questions difficiles de toute la
(oporteret tatius theologie summatim comprehendere C'est bien plutôt vers la Somme contre les Gentils que nous
ciles questiones), ce qui serait «laborieux» ( oriente notre opuscule, et c'est elle qui pourrait permettre de
Thomas se limite donc à « détailler brièvement » de plus près la date des Articles de la foi. Deux argu-
distinguam) les articles de la foi, les sacrements et ments au moins semblent y inviter. D'une part, le dossier des
correspondantes. Or le Prologue de la Somme de erreurs ou des hérésies de l'opuscule, malgré les nombreuses
annonce un propos qui contient certaines affinités avec réf'érence~s implicites au De haeresibus de S. Augustin (nous
de notre opuscule: pour éviter la multiplication des .... ~~u •• v., y reviendrons plus loin), suppose une recherche plus vaste :
inutiles, en respectant l'ordre même de la discipline et en tout invite à considérer ici l'effort de documentation mené
tant les répétitions, explique Thomas, «nous tenterons Thomas à l'occasion de la Somme contre les Gentils,
présenter la doctrine sacrée brièvement et clairement notamment pour son rve livre concernant la Trinité, le Christ
ter ac dilucide ), autant que la matière le permet. » et les sacrements, dont 1' opuscule semble bien exploiter les
que le Prologue des Articles de la foi comporte en outre résultats. D'autre part, l'exposé sur les sacrements« en géné-
allusion à la mise en œuvre présente de ce projet, le P. ral » reprend de très près les thèmes et les expressions du
gillo se trouvait alors conduit à « considérer l' livre IV de la Somme contre les Gentils. Cette similitude
comme contemporain du projet de la Somme, c'est-à-dire à apparaît notment dans la manière d'expliquer le septénaire
situer entre 1266 et 1268 1 ». sacramentel.
Cette ·proposition est plausible, mais elle repose sur Dans son Écrit sur les Sentences, Thomas exploitait trois
double hypothèse fragile : la référence au projet de la voies d'explications: les défauts auxquels les sacrements
et la contemporanéité des deux ouvrages. Sur le nw•mi"'' portent remède ; l'action hiérarchique de ceux qui dispensent
point, on pourrait tout aussi bien faire valoir la prc>xiiniU les sacrements et la perfection de ceux qui les reçoivent; la
entre les observations de notre Prologue et l'introduction condition de ceux qui reçoivent les sacrements ; cette troi-
Compendium de "théologie, bâtie autour du thème de la« sième voie était alors entièrement construite autour du thème
veté » : le Verbe du Père a condensé la doctrine du salut en du remède que constitue le sacrement (remède pour la per-
~~court résumé» (brevis summa), en quelques brefs articles sonne, remède pour toute l'Église) 2 . Dans la Somme contre les
(in breuibus et paucis fidei articulis ), pour éviter que la Gentils (livre IV, chap. 58), comme dans les Articles de la foi
transmise de manière étendue (diffuse) et dispersée (He partie), les deux premières voies sont abandonnées tandis
diversa) dans les Ecritures ne soit accessible qu'à que la troisième se trouve élaborée de manière rigoureuse et
hommes instruits et studieux 2. Le Prologue des Articles de la nouvelle, fort différente de l'Écrit sur les Sentences: c'est la
foi manifeste une approche fDrt voisine. Cette observation comparaison de la vie corporelle et de la vie spirituelle qui se
s'inscrit cependant dans la période proposée par D. Mongillo trouve au cœur de l'exposé de Thomas. Les sous-divisions
si, comme cela semble probable, on place la première sont également identiques : cinq sacrements ordonnés à la vie
du Compendium de théologie peu après la Somme contre
1. J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d'Aquin. Sa personne et son
1. J?·
MoNGILLO, « L'opusco1o di Tommaso d'Aquino ... »,p. 112-113. œuvre, Fribourg-Paris, 1993, p. 239.
2. Ed. Léonine, t. 42, p. 83. 2. Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 2, q. 1, a. 2.
178 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 179

de la personne, deux à celle de l'Église ; dans le premier les sacrements de l'Église, avec les objections qu'on pourrait
groupe, on observe de même les quatre aspects suivants : leur opposer » (Prologue). Ces termes suggèrent, dans l'esprit
génération, croissance, nourriture, ainsi que guérison en cas de du destinataire, l'idée d'un résumé auquel on peut avoir aisé-
maladie. Les expressions sont sou~ent littéralement iden~ ment recours, une sorte de petit manuel. Il ne demande pas à
tiques, jusque dans les détails. On peut dès lors estimer que Thomas d'effectuer une recherche, ni de porter un avis sur un
Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église se rat- point délicat, mais de rédiger ou de « transcrire quelque
tachent directement au livre IV de la Somme contre les Gentils. chose» (aliqua transcribere) sur la foi et les sacrements. L'ex-
Si cela est exact, il faudrait alors placer la rédaction de 1' opus- pression est peu fréquente sous la plume de Thomas qui l'uti-
cule vers la fin ou après le livre IV de la Somme contre les lise ailleurs pour désigner le travail du copiste 1. Elle peut
Gentils, c'est-à-dire au plus tôt vers 1264-1265, probablement signifier ici la simple mise par écrit pour l'usage d'une autre
durant le temps de Thomas à Rome, entre 1265 et 1268 1. personne, ou le fait de rapporter des éléments établis ailleurs :
Quant aux raisons ayant conduit le destinataire à s'adresser c'est ce que fait Thomas, dans les deux earties de l'opuscule où
à Thomas, on peut supposer que Léonard dei Conti, s'il n'a il résume ce que tient la tradition de l'Eglise et qu'il a exposé
pas seulement eu connaissance de la réputation croissante de manière plus complète dans ses grandes œuvres. L' Aqui-
dont jouit Thomas, a pu le rencontrer durant son séjour ita- nate modifie ou précise la requête de son destinataire : « Je
lien. Faut-il ajouter: à la curie d'Alexandre IV 2 ? Le P. Man- crois que votre prudence saisit combien· cela serait laborieux. »
donnet pensait que Thomas s'y était rendu pour y enseigner Sa réponse remplit cependant l'essentiel de la demande : il va
durant les deux années 1259-1261 3 . Mais cette hypothèse, détailler (distingue re) les articles de la foi puis les sacrements,
qui n'est appuyée par aucun document ancien, a été aban- en signalant les erreurs qu'il faut éviter à ce sujet.
donnée par la recherche 4 . Il reste que l'évêque, alors que la On a pu s'étonner qu'un évêque demande à un théologien
Sicile porte encore d'importances traces de l'influence des un ouvrage aussi rudimentaire, au point de voir dans cette
Grecs et des Maures, sollicita l'appui doctrinal et catéché- requête, et dans la restriction que lui apporte Thomas, l'indice
tique du maître d'Aquin, sans qu'on puisse préciser davan- d'une profonde ignorance théologique chez son destinataire 2 .
tage les relations entre les deux hommes. Mais un tel jugement ne s'impose pas. Rien n'indique que
l'évêque ait conçu cett~ demande pour suppléer sa propre
incapacité théologique. A une époque où les catéchismes font
Le propos de l'opuscule (Prologue). encore le plus souvent défaut (leur usage ne se généralisera
pas avant le xvie siècle), c'est plutôt le souci d'un pasteur qui
Le destinataire de Thomas lui demande de « rédiger une s'exprime ici, à la recherche d'un instrument pour guider la
sorte d'abrégé, pour aide-mémoire, sur les articles de la foi et prédication doctrinale.

1. C'est également la proposition du P. GAUTHIER signalée (sans indica-


tion des motifs) par le P.J.-P. TORRELL (Initiation à saint Thomas d'Aquin, 1. Questions disputées De caritate, a. 3; arg. 7 : « Exemplar est necessa-
p. 184). rium ad transcribendum libruin » ; voir Questions disputées De veritate,
2. G. LAFONT, « Simbolo degli Apostoli ... »,p. 561. Dans son Introduc- q. 7, a. 1, arg. 15. .
tion à la Somme contre les Gentils, P. MARC s'appuyait sur cet argument 2. Un homme «tout à fait ignorant» et, ajoute P. MARC, «négligent» :
pour fixer la date de l'opuscule entre 1261 et 1264 (Turin-Paris, 1967, car pour obtenir satisfaction il aurait dû consulter un ouvrage important, un
p. 417). commentaire sur les Sentences par exemple (S. "Thomae Aquinatis Liber de
3. P. MANDONNET, «Chronologie sommaire ... », p. 144. Veritate Catholicae Fidei contra errores lnfidelium, vol. 1, Introductio,
4. J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d'Aquin, p. 145. Turin-Paris, 1967, p. 417).
180 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 181

La connaissance du Symbole de la foi (Je crois en Dieu) fondément dans les développements techniques de l'intellec-
appartient dès l'Antiquité à la catéchèse baptismale. Durant tus fidei, Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église,
le haut Moyen Âge, les synodes ne cessent de répéter que les dans la première partie tout au moins, néglige presque totale-
fidèles doivent tous le savoir, et que les prêtres doivent l'ex:~ ment cet aspect. On pourrait peut-être comparer notre opus-
pliquer au peuple. Les études décèlent à cet égard un change~ cule de manière plus pertinente avec les Homélies de Thomas
ment à partir du xme siècle, avant le IVe concile ?u, Latran sur le Credo, mais ici encore une semblable différence s'im-
(1215) déjà, puis de manière renforcée après celui-cl. A Paris, pose : sans compter que les Articles de la foi ne manifestent
par exemple, au début du xme siècle, les Statuts de l'évêque pas d'intérêt explicite pour les fruits spirituels du dogme, la
Eudes de Sully précisent que «les dimanches et jours de fête, réponse de Thomas à l'archevêque apparaît bien plus rudi-
il est prescrit aux prêtres d'exposer souvent et avec fidélité, mentaire que les homélies qu'il a prêchées l Ces observations
en quelque partie du sermon, le symbole de la foi au peuple. révèlent le caractère singulier de notre opuscule, attaché à son
Qu'ils lui distinguent les articles de foi et l'affermissent en origine occasionnelle. Celle-ci lui confère sans doute son ori-
chacun d'eux par le recours aux autorités et aux arguments de ginalité, faite de simplicité et d'ordonnance, mais elle
la sainte Écriture»·; le motif en est le suivant:« qu'ils fassent entraîne aussi des limites : le traitement théologique est fort
tout leur possible à cause des hérétiques 1 ». Dans le même sommaire dans l'exposé de la foi, bien qu'il soit plus élaboré
mouvement, une confession détaillée concernant la foi et les dans la section sur les sacrements (doctrine générale, consti-
sacrements est demandée aux hérétiques qui se réconcilient tuants propres de chaque sacrements, erreurs opposées). Les
avec l'Église 2. La demande de l'archevêque de deux parties, à cet égard, apparaissent plutôt juxtaposées que
pourrait bien trouver place dans ce mouvement de pastorale véritablement unifiées. On ne s'étonnera donc pas que ce soit
doctrinale. C'est du reste dans ce même sens que, au surtout l'exposé des sacrements, plutôt que celui des articles
xve siècle, l'ouvrage connaîtra une remarquable diffusion, et de la foi, qui ait retenu l'attention des générations posté-
que son étude sera recommandée aux curés par plusieurs rieures 1.
conciles locaux 3 . ·
On a signalé plus haut la proximité entre le propos du Com-
pendium de théologie et celui· des Articles de la foi. Léonard L'« objet» et les « articles » de la foi.
dei Conti demande un abrégé (compendiose) : c'est ce que
Thomas fera pour Raynald de Piperno (compendiosa doc• Thomas présente le Credo en plusieurs lieux de son œuvre
trina). Ici et là, la brièveté du propos est soulignée et l'ou- théologique : dans son Écrit sur les Sentences tout d'abord,
vrage commence par un exposé de la foi. Mais l'affinité des fruit de son enseignement pour l'obtention de la maîtrise en
deux œuvres s'arrête là, car elles demeurent fort différentes théologie (livre III, dist. 25) ; puis dans son commentaire sur
par leurs dimensions et par la place du travail théologique la profession de foi Firmiter de Latran IV (Commentaire sur
proprement dit. Tandis que le Compendium entre assez pro- la première Décrétale) ; dans le Compendium de théologie et
dans notre opuscule; dans la Somme de théologie (Ila-Ilae,
q. 1, a. 6-10) et dans ses Homélies sur le Credo enfin. Avant
1. Canon 84 des Statuts promulgués vers 1205, cité d'après J. LoNGÈRE, d'expliquer la distinction des articles, l'insistance de son
«L'enseignement du Credo : conciles, synodes et canonistes médiévaux
jusqu'au xme siècle», Sacris erudiri 3212 (1991), 309-341, ici p. 316.
enseignement porte tout d'abord sur l'unité de l'« objet» de
2. Par exemple la profession de foi prescrite aux Vaudois par Inno-
cent III en 1208 (Denzinger, n° 790-797).
3. Voir la section «Diffusion et traductions», p. 208. 1. H.-F. DONDAINE, Préface, p. 212.
182 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 183

la foi qui est la Vérité première, c'est-à-dire Dieu lui-même, manière inchoative, elle fait exister en nous ces biens espérés,
conférant son unité à la multiplicité (relative) que l'on peut c'est-à-dire la béatitude future 1. »
observer matériellement dans le contenu de la foi. La vérité La foi vise ainsi une réalité profondément une, mais l'acte
de Dieu, à laquelle la foi se trouve pour ainsi dire toute « sus- de foi demeure une action complexe de «jugement » : non
pendue», constitue le contenu et le« moyen» (medium) de la pas un acte de simple saisie ou d'appréhension de l'essence
connaissance de la foi : « La foi dont nous parlons ne donne d'une chose (première opération de l'esprit), mais l'acte de
pas son assentiment à une chose si ce n'est parce que Dieu l'a «l'intelligence qui divise et compose», c'est-à-dire qui asso-
révélée; c'est dire que la vérité elle-même est comme le cie ou sépare plusieurs éléments et qui considère l'existence
moyen sur lequel s'appuie cette foi. Mais si nous regardons même d'une chose (deuxième opération de l'esprit). C'est la
matériellement ce à quoi la foi donne son assentiment, ce raison pour laquelle, suivant Thomas, la détermination tem-
n'est plus seulement Dieu lui-même, mais encore beaucoup porelle (historicité exprimée dans le temps du verbe dont
d'autres choses. Celles-ci cependant ne tombent sous l'assen- nous nous servons) constitue une partie essentielle de l'acte
timent de la foi que par le côté où elles sont de quelque de foi : on ne croit pas seulement à la passion du Christ en soi,
manière ordonnées à Dieu, c'est-à-dire en tant qu'elles sont mais on croit que «le Christ est mort» (un événement du
des effets de la divinité qui aident l'homme à tendre à la passé) 2 • Cette approche est importante, car elle nous introduit
jouissance de la divinité. Et c'est pourquoi, même de ce côté, à l'idée même d'énoncé de la foi. Du côté de la réalité
l'objet de la foi est d'une certaine façon la vérité première, en connue, 1' objet de la foi est simple et non pas complexe : c'est
ce sens que rien ne tombe sous la foi si ce n'est en référence la vérité première sous l'aspect de laquelle nous adhérons à
à Dieu 1. » tout ce que nous croyons 3 . L'acte de foi, acte de l'intelligence
C'est donc en référence à la vérité divine que la foi porte humaine élevée par la grâce, demeure pourtant soumis à la
non seulement sur Dieu en lui-même mais aussi sur tout ce condition générale de la connaissance. Or le mode de
qui a trait à l'humanité du Christ, aux sacrements ou à connaissance propre à 1' intelligence humaine, c'est de
d'autres réalités créées: ces réalités appartiennent à la foi connaître tout d'abord tel aspect d'une chose et ensuite tel
dans la mesure où elles nous ordonnent à Dieu 2 . Nous retrou- autre aspect, de manière à les associer ou à les séparer, et de
vons ici l'accent propre placé par Thomas sur l'attrait de la procéder ensuite d'une composition ou d'u1_1e division, ~une
vision béatifique, ainsi qu'il rappelle au début de son Com- autre (ce qui constitue le processus de la razson caractensant
pendium de théologie : «La foi est un avant-goût de cette la connaissance humaine, à la différence des anges qui, sui-
connaissance qui nous rendra un jour bienheureux. C'est la vant Thomas, saisissent immédiatement toute la perfection
raison pour laquelle l'Apôtre dit qu'elle est "la substance des d'une réalité) 4 . « Voilà pourquoi, ce qui est simple en soi,
biens que nous espérons" (Hébreux -11, 1), parce que, de l'intelligence humaine le connaît suivant une certaine

1. Somme de théologie, IIa-IIae, q. 1, a. 1 (Somme théologique, t. I,La 1. Compendium de théologie I, chap. 2; voir Homélies sur le Credo,
Foi,.,trad. R. BERNARD, Paris, 1941, p. 18-19). Thomas opère ici une nette Prologue (éd. Marietti, na 861).
unification de son approche de l'objet de la foi par rapport à son premier 2. Questions disputées De veritate, q. 14, a. 12; Somme de théologie,
essai dans l'Écrit suries Sentences (livre III, dist. 24, q. 1, a. 1, qla 1). Pour IIa-IIae, q. 1, a. 2; M.-D. CHENU, Mélanges thomistes, Le Saulchoir,
l'enseignement de Thomas sur la foi, on se reportera à B. DuROUX, La Psy- «Bibliothèque thomiste», 3, 1923, «Contribution à l'histoire du traité de
chologie de la foi chez saint Thomas d'Aquin, Paris, 1977 (2e éd.). la foi. Commentaire historique de Ila IIae q. 1, a. 2 »,p. 123-140.
2. Et l'on y croit aussi en raison de la vérité divine : Somme de. théolo- 3. Somme de théologie, IIa-IIae, q. 1, a. 6, ad 2.
gie, IIa-IIae, q. 1, a. L ad 1. 4. Somme de théologie, Ia, q. 85, a. 5.
184 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 185

complexité [... ]. L'objet de la foi, si on le prend du côté du ments distincts qui figure au premier plan. C'est dans ce sens
croyant, est alors quelque chose de complexe, sur le mode d'une connexion et d'une inclusion de certains articles en
d'un énoncé 1. » La foi procure un contact avec la réalité d'autres, que l'on pourra parler d'un ordre ou d'une hiérar-
même· signifiée dans les articles du Symbole («l'acte de foi chie des vérités ou des articles de la foi 1. Cela ne sera pas
ne se termine pas à l'énoncé mais à la réalité», suivant la for- sans importance lorsqu'il s'agira de déterminer la structure
mule célèbre de Thomas), mais c'est bien par le moyen de des articles.
l'énoncé qu'elle atteint la réalité 2 . On peut dès lors mieux saisir le motif théologique de l'ex-
La foi s'exprime alors en ces propositions que sont les pression de la foi en articles. D'une part, conformément au
articles. Par« article», Thomas entend une proposition révé- mode de notre connaissance humaine, nous ne pouvons per-
lée distincte, apte à s'unir à d'autres pour former avec elles cevoir la vérité divine que suivant une certaine division : « Ce
l'organisme de la vérité chrétienne. Il ne retient guère l' éty- qui est un en Dieu, devient multiple dans notre intelligence :
mologie (commune chez les auteurs du xme siècle) qui c'est pourquoi les choses à croire se distinguent en
explique le terme «article» à partir du verbe arctare (serrer articles 2 . » D'autre part, la foi comporte une adhésion à ce
étroitement, restreindre, réduire) et qui fait de l' articulus qui n'est pas vu (Hébreux 11, 1 : la foi est « 1' argument de ce
~~une vérité indivisible qui nous presse à croire», avec une qui n'apparaît pas ») ; cela appartient à la nature de la foi qui
nuance de contrainte. Il préfère cette autre approche : « Ce comporte un assentiment entraîné par un choix volontaire et
qui se dit arthron en grec et articulus en latin signifie un cer- non pas par une évidence. Du côté humain, malgré la certi-
tain ajustement (coaptatio) de parties distinctes ; c'est pour- tude qu'elle possède, la foi porte ainsi sur une réalité « inévi-
quoi les petites parties du corps ajustées les unes aux autres dente », essentiellement divine. «De ce fait, partout où se
sont appelées articulations des membres. De même, en gram- présente quelque chose qui, par un aspect spécial, n'est pas
maire, chez les Grecs, on appelle articles certaines parties du vu, il y aura un article spécial ; tandis que là où plusieurs
discours qui sont ajustées à d'autres mots pour en exprimer le choses sont connues ou inconnues suivant le même aspect, il
genre, le nombre ou le cas. Pareillement, en rhétorique, on n'y aura pas lieu de distinguer des articles 3 . »
appelle articles certains ajustements d'éléments [ ... ]. On dit La distinction des articles de la foi, ainsi que l'explique la
ainsi que les choses données à croire dans la foi chrétienne se Somme de théologie, correspond alors à la difficulté (dif.ficul-
trouve distinguées en articles, en tant que celles-ci sont dis- tas) que présente pour nous telle vérité offerte à la foi :
tribuées en certaines parties mutuellement ajustées 3 . » On « Ainsi, il y a une difficulté à voir que Dieu a souffert, et une
observe ici en particulier, à partir de la référence (correcte) au autre à voir qu'il est ressuscité des morts: c'est pourquoi on
terme grec, l'accent placé sur l'aspect organique des articles distingue 1' article de la résurrection et celui de la passion.
de la foi: c'est la cohésion ou la connexion mutuelle d'élé- Mais que Dieu ait souffert, qu'il soit mort et qu'il ait été ense-
veli, cela ne présente qu'une seule et même difficulté, de
sorte que, l'un de ces points étant admis, il n'est pas difficile
1. Somme de théologie, Ila-IIae, q. 1, a. 2. Notons que ce jugement de d'admettre les autres; et c'est pourquoi tous ces points se
l'affirmation de foi est lui-même précédé par un jugement pratique, qui
dirige le choix et qui incline à croire.
2. Ibid., ad 2. 1. Somme de théologie, IIa-IIae, q. 1, a. 7; Ch. MOREROD, «Le sens et
3. Somme de théologie, Ila-IIae, q. 1, a. 6; la première étymologie (arc- la portée de la hiérarchie des vérités à Vatican II et chez saint Thomas >>
ta!e) se trouve, par exemple, au centre des explications de Bonaventure Nova et vetera 71 (1996), 15-47.
(Ecrit sur les Sentences, livre III, dist. 24, a. 3, q. 1). Thomas la rappelle ici 2. Somme de théologie, Ila-Uae, q. 1, a. 6, sed contra.
à l'argument 3, mais juge qu'elle« n'a pas beaucoup de poids>> (ad 3). 3. Ibid., sol.
186 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 187

rattachent à un seul article 1. » Le Compendium de théologie des hérésies dans la genèse des symboles, leur utilité princi-
explique la même chose en parlant du caractère neuf (novum) pale réside en ceci : « Il fut nécessaire de rassembler en une
que représente tel article par rapport à tel autre déjà connu : formule la vérité de la foi, pour qu'elle puisse être proposée
<< Puisque la foi porte sur ce qui est incompréhensible par la plus facilement à tous, et pour que personne n~ s'éc_art~ de
raison, là où une nouvelle chose incompréhensible apparaît à la vérité de la foi par ignorance 1. » Thomas sltue mns1 les
la raison, il faut qu'il y ait un nouvel article 2 . » Ce sont ces symboles dans le cadre général de la prédication de la foi de
articles de la foi qui constitueront en outre les données de l'Église.
base ou principes (principia) de cette «science» qu'est la Thomas connaît et utilise trois formules principales du
théologie ou doctrine sacrée, principes issus de la connais- Credo ou Symbole de la foi: le Symbole de Nicée-Constanti-
sance divine bienheureuse et reçus de Dieu par révélation ; et nople, le Symbole dit « des Apôtres » et le Symbole du
ce sont eux encore que le théologien a pour tâche de Pseudo-Athanase. Le premier consiste dans la profession de
« défendre » contre les erreurs et les hérésies, en manifestant foi du concile de Nicée (325) complétée par les ajouts du
leur vérité et leur intelligibilité 3 . 1er concile de Constantinople concernant le Saint-Esprit en
particulier (381). Cette profession de foi, à l'ori~ine un for-
mulaire de circonstance (qui ne fut reconnu que b1en plus tard
Les symboles de la foi. par l'Église romaine), acquit p:ogressivement une autorit~
remarquable et devint l' expresswn par excellence de la f01
Un «symbole» (symbolum) désigne pour Thomas une orthodoxe ; il fut introduit dans la liturgie en Orient, puis en
«collection de propositions» (collectio sententiarum) consti- Occident (à partir du VIe siècle) 2 ; il est chanté à la messe, à
tuant, de manière homogène à l'Écriture sainte, la« règle de Rome, dès le xre siècle. Après Constantinople, les définitions
la foi» (regula fidei). Il y voit la conjonction de l'idée de conciliaires ne furent plus introduites dans le symbole mais
similitude et de regroupement (notamment le regroupement furent promulguées séparément. Par sa lecture des Actes des
de nombreux hommes dans la même foi, mais aussi le regrou- premiers conciles, Thomas est averti de ce principe de la
pement de l'enseignement de l'Écriture) 4 , ce qui correspond « suffisance » du symbole conciliaire auquel on ne doit ajou-
assez bien au sens originel d'un gage de reconnaissance dont ter aucune nouveauté et qui constitue la règle de la foi de
la réunion ou l'ajustement des parties permet à des alliés de l'Église 3. Il tient cependant fermement à l'autorité du pape à
se reconnaître comme tels. Sa première fonction consiste qui il revient de« convoquer et de confirmer les conciles», et
dans le fait de « proposer » la foi : on croit la vérité qui est qui a seul autorité pour établir une nouvelle formule ou défi-
offerte ou proposée par l'Église. Sans négliger l'intervention nir ce qui appartient à la foi 4 . Thomas appelle généralement

1. Somme de théologie, IIa-IIae, q. 1, a. 6, sol.; voir ad 2.


2. Compendium de théologie I, chap. 246; pour la notion d'incompré- 1. Somme de théologie, IIa-IIae, q. 1, a. 9.
hensibilité, voir ici Les Raisons de la foi, n. 70. 2. A. DE HALLEUX, Patrologie et œcuménisme. Recueil d'études, Lou-
3. Commentaire sur le De Trinitate de Boèce, q. 2, a. 2, ad 4 (éd. Léo- vain, 1990, p. 25-67 et 269-299. Pour un aperçu des règles de foi et sym-
nine, t. 50, p. 96). Cela engage la fameuse théorie de la « subalternation » boles, voir B. SESBOÜÉ et J. WoLINSKI, Le Dieu du salut, Paris, «Histoire
(théologie comme science subalternée à celle de Dieu et des bienheureux) ; des dogmes», 1, 1994, p. 69-134.
voir J.-P. TORRELL, «Le savoir théologique chez saint Thomas», RTh 96 3. Questions disputées De potentia, q. 10, a. 4, arg. 13 et ad 13.
(1996), 385-388. 4. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 25, n° 3624; Questions dis-
4. Écrit sur les Sentences, livre III, dist. 25, q. 1, a. 1, qla 3; Somme de putées De potentia, q. 10, a. 4, ad 13; Somme de théologie, IIa-IIae, q. 1,
théologie, Ila-IIae, q. 1, a. 9, ad 1. a. 10.
188 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 189

ce premier symbole, comme dans notre opuscule, « le Sym~ Symbole des Apôtres pour déclarer la foi trinitaire (c'est
bole des Pères» (Symbole des 318 Pères conciliaires de effectivement, à l'origine, une formule baptismale) et le Sym-
Nicée et des 150 Pères de Constantinople). bole de Nicée-Constantinople pour défendre cette foi trini-
Le deuxième symbole est celui « des Apôtres » : issu d'an- taire contre les hérésies (arianisme et semi-arianisme pneu-
ciennes formules latines, c'est le Credo de l'Église de Rome matomaque) 1.
(attesté dès le IVe siècle) qui, en s'enrichissant de quelques C'est le Symbole des Apôtres que Thomas exposera dans
additions, se répandit en Occident. Son attribution aux douze ses Homélies sur le Credo. Dans notre opuscule, cependant,
Apôtres remont~ à S. Ambroise et à Rufin d'Aquilée. Durant le Symbole des Pères fournit la première référence : c'est à lui
le haut Moyen Age se développa une légende qui attribua à que Thomas recourt dans l'exposé des premiers articles (il est
chaque 'apôtre en particulier tel article du Credo, de sorte que seul mentionné pour les trois premiers articles par exemple).
chacun d'eux aurait contribué par une phrase à la composition Le Symbole des Apôtres lui est pourtant rapidement associé
du Symbole en son entier. On ne manqua pas de s'appliquer (dès le quatrième article), de telle sorte qu'on peut compter
alors à déterminer quel article avait été prononcé par quel une dizaine de références à chacun de ces deux symboles. La
.IJ.pôtre 1. Thomas connaît bien sûr cette légende ; dans son première caractéristique de notre opuscule, en ce domaine,
Ecrit sur les Sentences, il présente même un tableau des cor- réside dans la juxtaposition ou la fusion des affirmations des
respondances entre les Apôtres et les articles, en sachant que deux symboles de la foi: c'est moins leur distinction que leur
d'autres auteurs en proposent une distribution différente; il unité qui apparaît dans les Articles de la foi.
n'attribue cependant pas une grande importance à ces corres~ En outre, de manière voisine à ce que l'on peut observer
pondances 2 . Ce qui compte davantage, pour lui, c'est l'auto- dans les Homélies sur le Credo ou dans le Compendium de
rité apostolique dont ce Credo peut se prévaloir, expression théologie, les affirmations du Credo n'interviennent pas au
d'une « même foi » par les premiers « prédicateurs de la foi » 3. début de l'exposé d'un article mais au terme de celui-ci: ce
Le troisième symbole est le «Symbole d'Athanase» que procédé est systématiquement exploité dans toute la première
Thomas juge (à tort) authentiquement composé par S. Atha- partie de notre opuscule (la seconde partie ne fait pas explici-
nase d' f\lexandrie, et qui connut une très grande fortune au tement référence au Credo), et il n'est pas sans signification
Moyen Age. C'est le symbole Quicumque, d'origine proba- théologique. D'une part, il tient compte d'un fait historique
blement occidentale (au ye siècle). Thomas ne cite pas ce majeur : les symboles ont été composés pour écarter les héré-
symbole dans notre opuscule (il aime y recourir ailleurs pour sies ; notre opuscule le rappelle à plusieurs reprises : " Et
le Filioque notamment), mais c'est bien sa structure qu'il contre cette erreur il est dit dans le Symbole ... » D'autre part,
reprend ici : il observe en effet que ce symbole est structuré il rapporte le symbole à l'Écriture qui, par un sobre verset
par la foi aux deux natures du Christ, tandis que les deux pre~ généralement, se trouve placée au premier rang. Le symbole,
miers symboles sont structurés par la foi aux trois personnes en effet, constitue un "résumé» de la vérité de la foi ensei-
divines '' en lesquelles notre foi consiste principalement » : le gnée par l'Écriture qui demeure ainsi la première "règle de la
foi » 2 . Il faut observer à cet égard que, dans la plupart des cas,
les versets scripturaires produits ici sont ceux qui, dans les
1. Pour l'histoire de cette légende: H. DE LUBAC, La Foi chrétienne.
Essai ~ur la structure du Symbole des Apôtres, Paris, 1969, p. 19-53.
2. Ecrit sur les Sentences, livre III, dist. 25, q. 1, a. 2: « Sed in hoc non 1. Ibid., ad 2-4.
est magna vis. » Cette distribution n'est pas reprise dans la Somme de théo- 2. Ibid., q. 2, a. 2, qla 4, arg. 3 et ad 3; Somme de théologie, IIa-IIae,
logie. q. 1, a. 9, arg. 1 et ad 1 ; Commentaire sur Jean 21, 24 (éd. Marietti,
3. Ibid., a. 1, qla 3. n° 2656).
190 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 191

œuvres de synthèse de Thomas, constituent l'« autorité» d'un laquelle Thomas n'observe pas matériellement la suite des
argument sed contra. articles du Symbole des Pères ou du Symbole des Apôtres. Le
plan de l'exposé des articles de la foi est alors le suivant 1 :
La distribution des articles de la foi. Structure En 12 articles En 14 articles
I. Divinité
Dans Les Articles de la foi, Thomas relève à plusieurs 1. Unité 1. Unité de l'essence 1. Unité de l'essence
_reprises qu'il existe deux manières de répartir les articles:« Il 2. Trinité 2. Trois personnes 2. Père
y a douze articles selon certains, et quatorze selon les 3. Fils
4. Saint-Esprit
autres. » Suivant la première manière, on compte six articles 3. Effets divins 3. Création 5. Création
pour la divinité et six pour l'humanité du Christ; suivant 4. Grâce (*sacrements) 6. Justification (grâce)
l'autre, sept articles pour la divinité et sept pour l'humanité. 5. Résurrection 7. Rémunération-résurrection
C'est la s~ructure en douze articles que Thomas suit ici, en 6. Rémunération
pre~ant som de noter l'autre distribution chaque fois que l'oc- II. Humanité du Christ 7. Conception-nativité 8. Conception
caswn s'en présente. Mais il faut remarquer tout d'abord que, 9. Nativité
dan~ ~·~n, et I'.a~t:e cas, la, division fondamentale se prend de 8. Passion-mort 10. Passion et mort
9. Descente aux enfers 11. Descente aux enfers
la d1v1mte (Tnmte) et de 1 humanité du Christ qui constituent 10. Résurrection 12. Résurrection
pour ainsi dire les deux articles fondamentaux auxquels tous 11. Ascension 13. Ascension
les ~utres se rattachent : « Tout d'abord, il faut que vous 12. Retour et jugement 14. Retour et jugement
sachiez que toute la foi chrétienne se rapporte à la divinité et
~l'humanité du .christ.» Telle est la structure première dont Les deux divisions, en douze et quatorze articles, appar-
Il donne le motlf dans le Compendium de théologie et qui tiennent au bien commun des grands scolastiques qui leur
n?~s ren,vo~~ à la vérité d~vine, objet de la foi anticipant la apportent diverses explications d'ordre doctrinal (Trinité-
VISIOn beatiflque : « Le Seigneur a enseigné que la connais- humanité, chez Thomas par exemple) ou symbolique
sance qui rend bienheureux consiste à connaître deux choses : (nombre de perfection : douze apôtres, sept chandeliers d'or
la divinité de la Trinité et l'humanité du Christ [... ]. C'est et sept étoiles de l'Apocalypse, etc.) 2 . Thomas accueille l'une
pourquoi toute la connaissance de la foi se rapporte à ces et l'autre en notant que « la manière de distinguer les articles
deux choses : la divinité de la Trinité et l'humanité du Christ. n'a pas grande importance pour la vérité de la foi ni pour évi-
Rien d'étonnant à cela, puisque l'humanité du Christ est le ter les erreurs» (fin de la section sur la divinité). On perçoit
chemin par lequel on parvient à la divinité 1. » cependant clairement chez lui une préférence pour la pre-
Le Commentaire sur la première Décrétale, reprenant cette mière division (douze articles) qui lui semble «assez raison-
structure spéculative bipartite, souligne plus nettement nable», pour des motifs d'ordre théologique, et c'est elle
encore la place principale de la divinité puisque « la vérité
première de la divinité est le fondement de toute la foi et
toutes les autres choses sont contenues dans la foi en tant 1. D'après Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église; le Com-
qu'elles se ramènent à Dieu 2 ». C'est aussi la raison pour mentaire sur la première Décrétale (p. 31); le Compendium de théologie I,
chap. 246; et la Somme de théologie, Ila-IIae, q. 1, a. 8.
2. J. LONGÈRE, «L'enseignement du Credo ... », p. 323-329, 331-332.
1. Çompendium de théologie I, chap. 2. Les deux divisions apparaissent déjà en toute clarté dans la Summa de bono
2. Ed. Léonine, t. 40 E, p. 30. de Philippe LE CHANCELIER (éd. N. Wicki, Berne, t. II, 1985, p. 626-628).
192 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 193

qu'il expose d'abord, mentionnant ensuite 1' autre répartition personnes agissant ensemble et indivisiblement (unité d'opé-
au terme des exposés. D'une part, cette première division pré~ ration ad extra). Telle est aussi la structure qu'il observe dans
sente l'avantage de rassembler la foi en la Trinité en un seul le Compendium de théologie: «Il faut connaître trois choses
article, tandis que la division en quatorze articles compte un au sujet de la divinité: l'unité de l'essence, la Trinité des per-
article pour chaque personne divine (Thomas le note dans les sonnes et les effets de la divinité 1 » (les effets sont alors pré-
Articles de la foi au terme des articles concernant la divinité); cisés : l'être, le gouvernement et la consommation des créa-
or « on ne peut pas croire au Père sans croire au Fils et à tures). On perçoit dans cette structure le mouvement de
l'Amour qui les unit, qui est le Saint-Esprit 1 »: la saisie sortie-retour que la Somme contre les Gentils déploiera en
d'une personne est nécessairement liée à celle des autres, deux volets (livre I, chap. 9, et livre IV, chap. 1) et qui
puisqu'elles sont constituées par les relations d'opposition annonce celle de la Somme de théologie. Dans notre opus-
selon l'origine (thèse thomasienne). La Trinité des personnes cule, cette structure de sortie-retour (ou principe-fin) se
divines constitue ainsi une même « difficulté» et donc un trouve renforcée par le traitement des «dots», c'est-à-dire
même article : cette unité de la difficulté fournit, rappelons- des qualités des âmes et des corps glorieux, au terme de l'ex-
le, le motif de la distinction d'un article. Dans le même sens, posé ; rien n'obligeait Thomas à en traiter à cet endroit (il
le catalogue de douze articles réunit la conception et la nais- aurait fort bien pu les placer dans l'article sur la résurrection
sance du Christ en un seul article, comme celui de la passion et la vie éternelle): cela nous permet d'y voir une option per-
et de la mort du Christ (« même difficulté » de la vérité offerte sonnelle de structure. De cette manière, le traité prend son
à la foi), tandis qu'il distingue les articles concernant la résur- départ dans la confession de Dieu pour aboutir, par le chemin
rection et la rémunération qui présentent logiquement une des œuvres divines, à la gloire des bienheureux auprès de
vérité distincte (Thomas note ces différences, dans notre Dieu.
opuscule, au terme de l'exposé sur la divinité puis sur l'hu- Le choix opéré par Thomas n'est pas sans conséquences,
manité du Christ). puisqu'il conduit à traiter séparément les mystères de la vie
Les articles concernant la divinité sont eux-mêmes répartis du Christ dans une deuxième partie qui n'est plus, matériel-
en trois groupes, ainsi que Thomas l'explique au début de lement, le lieu du traitement des effets de grâce et de gloire.
l'opuscule : « Il faut en effet considérer trois choses au sujet Il faut cependant replacer cette section dans le mouvement
de la divinité: l'unité de l'essence divine, la Trinité des per- qui part de la Trinité pour reconduire à la Trinité par les effets
sonnes et les effets de la puissance divine. » Relevons la pré- de grâce et de gloire, en donnant tout son poids à cette obser-
cision des termes : le Dieu unique ne s'ajoute pas aux trois vation que le Compendium de théologie fournit dans le même
personnes, mais le premier article concerne cette unité de contexte (division spéculative bipartite divinité-humanité) :
l'essence qui est commune aux trois personnes. En outre, sur «l'humanité du Christ est le chemin par lequel on parvient à
le plan théologique, Thomas renonce à rattacher les effets la divinité» (chap. 2) 2 . Thomas suit ici les mystère de la vie
divins (création, grâce, résurrection, rémunération) à telle du Christ dans leur succession, sans apporter davantage d'ex-
personne divine en particulier, comme le fait le Symbole de plications : conception et nativité, passion et mort, descente
Nicée-Constantinople, rattachement qu'il justifie ailleurs par
le procédé de l'appropriation. Il regroupe ici ces œuvres
1. Compendium de théologie I, chap. 2.
divines au titre d'effets de la divinité, c'est-à-dire des trois 2. Pour un exposé plus complet, on peut voir I. BIFFI : « I misteri di
Cristo nel Compendium theologiae di S. Tommaso», Divinitas 18 (1974),
287-302; 1 misteri di Cristo in Tommaso d'Aquino, Milan, 1994 (pour
1. Compendium de théologie I, chap. 246. notre opuscule : p. 263-266).
-- 194 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 195

aux enfers, résurrection, ascension, et enfin retour dans la b) la nécessité pour le salut
gloire pour le jugement. Quant aux sacrements, ils constituent II. Les sacrements en particulier
une section que notre opuscule envisage de manière distincte. 1. Baptême
2. Confirmation
3. Eucharistie
Les sacrements. 4. Pénitence
5. Extrême-onction
Ce n'est pas par un choix de structure spéculative, mais en 6. Ordre
raison de la demande même de l'archevêque de Palerme, que 7. Mariage
les sacrements se trouvent détachés de l'exposé des articles
de la foi, ainsi que Thomas l'explique à propos de la grâce Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église mani-
( « Et sous cet article sont compris tous les sacrements de festent une option résolue pour l'approche théo}ogique du
l'Église ») puis au début de la seconde partie : « Ils sont tous sacrement comme un signe. Tandis que, dans son Ecrit sur les
contenus dans le quatrième article concernant 1' effet qu'est la Sentences, Thomas accordait encore une certaine priorité à la
grâce mais, puisque tu m'as posé une question spéciale sur les notion de cause, c'est désormais celle de signe qui se trouve
sacrements, il me faut en traiter séparément. » Ainsi, dans ses au premier plan, avec un accent particulier sur la réalité sanc-
Homélies sur le Symbole des Apôtres, il détaillera les sept tifiante qui agit et à laquelle le signe renvoie, et dont Thomas
sacrements sous l'article de la communion des saints et de la explique ailleurs le triple déploiement : signification du mys-
vie éternelle, puisque « le bien du Christ est communiqué à tère du Christ, de la grâce actuellement donnée par le sacre-
tous les chrétiens comme la vertu de la tête est communiquée ment, et de l'accomplissement de l'espérance 1. Le sacrement
à tous les membres : et cette communion se fait par les sacre- est défini d'emblée comme «le signe d'une réalité sacrée».
ments de l'Église, en lesquels agit la vertu de la passion du Cette approche, conforme à celle de la Somme de théologie
Christ qui confère la grâce et la rémission des péchés 1 ». Le (qui précisera: «signe d'une réalité sacrée en tant qu'elle
plan de cette section est le suivant : sanctifie les hommes 2 »), et capable de rendre compte de la
sacramentalité de certains rites de l'Ancienne Alliance (sacri-
I. Les sacrements en général fice d'expiation, sacrifice de l'agneau pascal par exemple), se
1. Définition du sacrement démarque de l'approche de la Somme contre les Gentils qui,
2. Sacrements de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance pour des raisons de structure interne, abordait les sacrements
3. Le septénaire sacramentel: l'analogie de la vie au moyen de la notion de << remède » donnant part aux bien-
4. Les aspects communs à tous les sacrements : les consti- faits de la passion du Christ 3 . C'est bien la doctrine de matu-
tuants du sacrement rité de Thomas que présente notre opuscule.
a) l'élément (matière) et la parole (forme)
b) le ministre
c) l'intention de faire ce que fait l'Église 1. Somme de théologie, Ilia, q. 60. Voir H.-F. DoNDAINE, «La définition
5. Les aspects propres à certains sacrements des sacrements dans la Somme théologique», RSPT 31 (1947), 214-228;
J.-M. R. TILLARD, «La triple dimension du signe sacramentel (À propos de
a) le caractère des sacrements non-réitérables Sum. Theol., III, 60, 3) »,Nouvelle revue théologique 83 (1961), 225-254.
2. Somme de théologie, Ilia, q. 60, a. 2; voir a. 1 : «Le sacrement se
trouve dans le genre du signe. »
1. Éd. Marietti, n° 988-996. 3. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 56.
196 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 197

La notion de causalité se trouve immédiatement articulée à efficacité de ces humbles signes pour des effets divins. C'est,
ce concept de signe et permet de préciser l'originalité des ici comme en christologie, la notion de causalité efficiente
sacrements de l'Église (Nouvelle Alliance), car ceux-ci instrumentale qui permit à Thomas de dépasser cette diffi-
«contiennent et procurent la grâce», ainsi que le dit notre culté et de faire pleinement droit à l'action des sacrements,
opuscule. Le sacrement est « cause » de la grâce, il procure ce tout en respectant la transcendance et les prérogatives de
qu'il signifie, ainsi que Thomas l'explique encore à propos de Dieu 1.
l'eucharistie : celle-ci « signifie et cause » l'unité du Corps À la différence de l'Écrit sur les Sentences encore, mais de
mystique. L'usage de cette notion de causalité doit être manière identique aux explications de la Somme contre les
replacé dans son contexte doctrinal : Thomas ne connaît pas Gentils (livre IV, chap. 58), c'est au moyen de l'analogie de
la séparation tranchée, caractérisant souvent les approches la vie que Thomas rend compte du septénaire sacramentel :
modernes, entre le domaine physique de la nature, régi par la « En effet, la vie spirituelle est semblable à la vie
causalité et par des lois scientifiques, et celui de la liberté corporelle. » La même approche sera reprise par la Somme de
humaine en son rapport avec Dieu. La notion de causalité est théologie (Ilia, q. 65). La structure retenue par Thomas est la
pour lui riche de toute l'influence qu'une réalité peut exercer suivante:
au bénéfice d'une autre, de manière complexe et différenciée,
dans l'ordre physique, moral ou métaphysique, à tel point Vie corporelle Vie spirituelle Sacrement
qu'elle est apte à exprimer les rapports de Dieu envers I. Vie d'une personne
l'homme dans l'ordre de la création comme dans celui de la -Naissance Régénération 1. Baptême
grâce. - Croissance - Progrès en force 2. Confirmation
La Somme de théologie (Ilia, q. 62) précisera dans le détail -Nutrition -Nourriture spirituelle 3. Eucharistie
-Guérison - Guérison spirituelle 4. Pénitence
cette « causalité » de l'ordre sacramentel. Les sacrements - Guérison spirituelle
tiennent leur efficacité de la passion du Christ dont la puis- et corporelle 5. Extrême-onction
sance de salut, en vertu de la divinité unie à l'humanité du II. Par rapport à la communauté
Christ, rejoint effectivement les personnes qui les reçoivent. -Gouvernement et -Gouvernement de l'Église
Ces sacrements, suivant la thèse de Thomas, agissent au titre action publique et croissance spirituelle 6. Ordre
de « cause efficiente instrumentale » : l'énergie des sacre- -Croissance de la société, -Croissance de l'Église
ments est celle de Dieu lui-même qui use de leur service pour «propagation » par la famille 7. Mariage
son action divine. Si l'on tient compte du fait que l'instru-
ment est réellement la cause de son effet (en l'occurrence: la La fixation des sacrements au nombre précis de sept fut
grâce propre à chacun des sacrements), auquel il apporte sa accomplie, sur le plan théologique, dans le courant du
contribution et sa marque propres, cette approche constitue XIIe siècle. On s'applique dès lors, davantage que nous ne le
une thèse tout à fait originale que Thomas semble avoir été le ferions aujourd'hui sans doute, à rendre compte de la déter-
premier à proposer. Avant lui, et même après lui, les théolo- mination de ce septénaire, non pas pour prouver le nombre
giens hésiteront à attribuer la production de la grâce (réalité des sacrements mais pour montrer la « convenance » de la
éminemment divine!) à un être créé, c'est-à-dire à un sagesse divine qui s'exprime dans l'usage de l'Église.
«signe» situé au plan de l'homme: on reconnaîtra certes la
disposition que procure le sacrement, ainsi que l'unité consti- 1. On peut voir, sur ce point, J.-P. TORRELL, «La causalité salvifique
tuée par le rite sacramentel et par l'action de Dieu qui s'y de la résurrection du Christ selon saint Thomas», RTh 96 (1996), 186-
déploie, mais on sera souvent embarrassé par l'idée d'une 192.
198 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 199
1

L'option de Thomas n'est pas sans signification: autour du l'Église 1 ». Il examine ici, pour chaque sacrement, les élé-
thème de la vie, elle considère les sacrements dans une pers- ments suivants: 1, la« matière» et la« forme» du sacrement
pective de croissance et développement. Cet aspect «positif>> (signe sacramentel); 2, le ministre du sacrement; 3, l'effet du
est au premier plan : il ne supprime pas la valeur de « guéri- sacrement ; 4, les erreurs concernant le sacrement.
son »A appa:tenant aux sacrements, mais il souligne bien que Si l'on se rappelle la structure fondamentale des sacre-
la grace n a pas seulement pour but de porter remède à la ments, les éléments retenus dans cet exposé des sacrements
«maladie» du péché: la grâce élève l'homme pour le rendre en particulier ne surprendront pas. Puisque le sacrement se
Pa::ticip<_mt d'une vie surnaturelle sous la motion de l'Esprit- définit tout d'abord par la catégorie du signe, Thomas précise
Samt (vie «spirituelle»). L'analogie de la vie, conforme à la ici les constituants du signe : ce qui en est comme la matière,
nature des sacrements, apparaît moins forcée que d'autres et ce qui en est comme la forme. Ces deux aspects composent
tentatives d'explications chez les contemporains de Thomas ensemble le signe sacramentel, par analogie avec la structure
(sept péchés capitaux, trois vertus théologales et quatre ver- hylémorphique du réel, dans un corps de doctrine qui, à la
tus cardinales, etc.). C'est aussi cette analogie qui rend suite d'Augustin, accorde une place de première importance
compte de l'ordre même dans lequel les sacrements sont trai- à la parole (la forme). Entre le signe et l'effet (les sacrements
tés 1. Dans le même mouvement, Thomas relève enfin la por- «causent ce qu'ils signifient» !), Thomas précise le ministre
tée eschatologique des sacrements, qui lui permet de conclure du sacrement. Son approche est ici moins juridique que théo-
son exposé par les dons faits aux bienheureux dans la vision logique : il s'agit de déterminer le ministre qui pose ou
de Dieu : « Par la vertu de ces sacrements, l'homme concourt à poser le signe sacramentel, pour que l'effet puisse
conduit à la gloire future. » Cette articulation rappelle la être réellement donné. Enfin, pour l'effet, c'est la grâce pro-
des sacrements au sein des œuvres de la grâce divine qui pré- curée par le sacrement que Thomas détaille, c'est-à-dire la
pare l'union définitive à Dieu. Elle suggère aussi, comme on septuple forme que revêt la sanctification procurée par le
l'a déjà noté, la structure de sortie-retour qui anime la théo- sacrement. Cette méthode est appliquée avec une rigueur telle
logie thomasienne. que, dans le cas du sacrement de l'ordre, Thomas omet de
Lorsqu'il présente les sacrements en particulier, Thomas rappeler la puissance spirituelle que ce sacrement confère (et
n'entend pas faire un traité intemporel ou hors de tout que l'on trouve généralement ailleurs au premier plan), pour
conte?Cte. Son approche demeure délibérément fixée à l'usage ne retenir que« l'augmentation de la grâce afin que l'on soit
de l'Eglise, tel qu'il l'observe. Il sait par exemple que, un digne ministre du Christ».
c~rt~ins sacrements, les rites ont pu connaître des pratiques On reconnaît ici le premier et le troisième éléments de la
differentes (par exemple pour la forme de l'absolution 2), et il structure scolastique du sacrement : le sacramentum tantum
connaît également, entre la pratique de l'Orient et celle dê (le simple signe) et la res tantum (grâce sacramentelle). Le
l'Occident, des nuances qui ne touchent pourtant pas l'es- deuxième élément (res et sacramentum) de cette structure,
sence du sacrement (concernant la formule du baptême, par concourant avec le premier à produire le troisième, fait ici
exemple 3). Dans sa théologie sacramentaire, défaut, sauf dans le cas de l'eucharistie puisque le sacrement
cherche à expliquer le sacrement « tel qu'on le pratique eucharistique est constitué comme tel par la consécration de
la matière ou «consécration du sacrement», et non pas par
son « application » à la personne qui le reçoit (Thomas
1. Voir Somme de théologie, Ilia, q. 65, a. 2.
2. Sur la forme de l'absolution, chap. 5 (éd. Léonine, t. 40 C, p. 40).
3. Somme de théologie, Ilia, q. 66, a. 5, ad 1. 1. Somme de théologie, Ilia, q. 84, a. 1 (à propos de la pénitence).
200 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 201

désigne la res et sacramentum de 1' eucharistie comme son des erreurs occupe en effet plus de la moitié de l'exposé de
« premier effet » : c'est le Corps du Christ contenu sous les Thomas (et près des quatre cinquièmes du texte de la pre-
espèces eucharistiques) 1. Mais la section sur les sacrements mière partie) 1. Ces erreurs sont omniprésentes, à 1' exception
en général a déjà exposé ce deuxième élément pour les sacre- de la section finale sur les « dots » des bienheureux (ce qui
ments non réitérables: c'est le «caractère», signe ou puis- suggère une fois encore le caractère particulier de cette sec-
sance spirituelle qui habilite ceux qui le reçoivent à accom- tion, placée à la fin pour achever l'ouvrage avec le thème de
plir les actes du culte chrétien. Notre opuscule ne précise la gloire, l'union à Dieu comme but de la vie chrétienne). Le
pourtant pas la res et sacramentum des autres sacrements motif de cette massive présence des erreurs est obvie : le des-
(pénitence, extrême-onction, mariage). Cette omission appa- tinataire de Thomas lui demande un abrégé de la foi et des
raît fort intéressante pour la doctrine générale des sacre- sacrements « avec les objections qu'on pourrait leur
ments : Thomas ne met pas en cause 1' existence de cet élé- opposer», et Thomas annonce bien q}l'il va détailler les
ment intermédiaire, mais il constitue une réalité variable qui articles de la foi et les sacrements de l'Eglise « ainsi que les
ne revêt pas la même importance en chaque sacrement. erreurs à éviter au sujet de chacun d'entre eux» (Prologue).
Par sa méthode, sa précision et sa simplicité, cet exposé des La requête de 1' archevêque, avec son caractère occasion-
sacrements fournit un résumé doctrinal que les générations nel, rejoint cependant un objectif majeur de l'entreprise théo-
postérieures semblent avoir particulièrement apprécié. C'est logique chez Thomas : la tâche du sage chrétien consiste à
aussi le seul texte thomasien d'une telle ampleur qui ait passé manifester et défendre la vérité de la foi chrétienne en écar-
littéralement dans un document du magistère de l'Église: tant les erreurs. Il a illustré ce propos de manière remar-
dépouillée de la mention des hérésies et augmentée de quable dans cette œuvre personnelle qu'est la Somme contre
quelques ajouts, mais avec toutes les autres précisions, la sec- les Gentils, où l'on retrouve la plupart des erreurs relevées
tion sur les sacrements fut insérée dans le Décret pour les par notre opuscule 2 . La Somme de théologie reprendra égale-
Arméniens au concile de Florence (session VIII, 22 novembre ment, de manière plus étendue, une grande partie de ce dos-
1439: bulle d'union Exsultate Deo d'Eugène IV 2). sier des erreurs. Le motif d'un tel intérêt pour les erreurs
opposées à la foi est double: d'une part, sur le plan histo-
rique, Thomas sait que les hérésies furent souvent le motif de
Les « erreurs » opposées à la foi. l'explicitation du dogme chrétien; d'autre part, sur le plan de
l'intelligence de la foi, l'erreur permet de mieux saisir la
On ne peut manquer d'être frappé, au premier regard, par vérité à laquelle elle s'oppose «dans la mesure où par son
la place qu'occupe la présentation de~ erreurs dans Les contraste elle rend plus lumineuse la vérité 3 ». L'exposé de la
Articles de lafoi et les Sacrements de l'Eglise. Le catalogue

1. Parmi les 9611ignes de l'opuscule dans l'édition Léonine, on peut en


1. Pour distinguer le« vrai Corps» du Christ (res et sacramentum) et la compter 536 consacrées aux erreurs ; dans la première partie : 431 lignes
grâce eucharistique (res tantum), Thomas se sert souvent du binôme:« effet sur 554.
(res) signifié et contenu et signifié >> (le vrai Corps du Christ sur l'autel) et 2. Voir ici, dans notre Introduction aux Raisons de la foi, la section
«effet (res) signifié et non contenu>> (l'unité du Corps mystique, grâce de '<<L'apologétique thomasienne >>,p. 24-30 s.
l'eucharistie); voir par exemple Somme de théologie, Ilia, q. 80, a. 4. 3. R.-A. GAUTHIER, Introduction à la Somme contre les Gentils, p. 142;
2. Les Conciles œcuméniques, t. II-1, Les Décrets de Nicée à Latran V, 'auteur ajoute: «Dès lors, une erreur n'est pas d'autant plus intéressante
sous la direction de G. ALBERIGO, Paris, 1994, p. 1106-1127; voir DENZIN- elle est plus répandue: elle est d'autant plus intéressante qu'elle s'op-
GER, n° 1310-1327. à une vérité plus profonde. »
202 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 203

foi en la Trinité et au Christ par exemple, au livre IV de sur les sacrements), dont plusieurs sont attribuées à divers
Somme contre les Gentils, est entièrement bâti sur ce · groupes ou personnages. Dans leur très grande majorité
De la même manière, le traité sur la Trinité dans la Somme -c'est ici leur première caractéristique-, il s'agit d'erreurs
théologie commence par écarter la fausse alternative de l'Antiquité : non pas les erreurs les plus répandues au
tuée par l'arianisme et le sabellianisme; c'est alors en temps de S. Thomas, mais les principales erreurs qui ont été
sant le motif de l'impasse constituée par les hérésies que commises concernant la foi et qui intéressent le prédicateur et
mas fournit le point de départ correct du traité (la, q. 27, a. le théologien parce qu'elles s'opposent à une vérité profonde
Notre opuscule n'entre pas profondément dans l'analyse que, par contraste, elles mettent en lumière. C'est aussi face
erreurs, mais l'application mise à honorer cet aspect de au cœur du mystère de la foi chrétienne que les erreurs rete-
requête de l'archevêque signifie bien, dans les nues sont les plus nombreuses: la grâce (12 erreurs), l'incar-
réduites de l'ouvrage, l'intérêt que Thomas lui reconnaît. nation du Fils (11 erreurs), l'eucharistie (8 erreurs), la résur-
Pour chacun des articles de la foi, le procédé de notre .1c,.uu•u des morts (7 erreurs). Dans la plupart des cas, ces
cule comporte quatre étapes : énoncé de tel article ; autorité erreurs sont désignées par leur nom, suivant la plus ancienne
l'Écriture; énoncé des erreurs; conclusion par la formule tradition: depuis S. Justin, donner à chaque secte hérétique
symbole. Pour les sacrements, la méthode est voisine : un nom, le plus souvent à partir de son fondateur, constitue
du sacrement et de ses constituants ; indication des l'une des premières tâches de l'hérésiologue 1. On peut répar-
conclusion par l'autorité de l'Écriture (ce troisième tir ces erreurs en quatre groupes 2 :
fait parfois défaut). Dans la plupart des cas, Thomas 1) Les erreurs attribuées à des mouvements ou à des per-
que tel article du symbole ou tel passage biblique ':>v'""". .u''"' issus du christianisme ou ayant assumé certains
une vérité «contre telle erreur» (contra quod dicitur, ""v.'u'"'"'" de la foi chrétienne, dans l'Antiquité (en prenant
quos dicitur, etc.). Cette méthode est révélatrice de la de manière large, jusqu'aux controverses christo-
de l'Écriture pour Thomas: celle-ci s'oppose, comme du vne siècle); c'est la catégorie la plus importante,
avance, aux erreurs commises contre la foi, et elle contient laquelle se trouvent aussi les erreurs le plus souvent
qui permet de les écarter. Sans entrer ici dans la que~ti~n .uvuuJ"'""-s par Thomas: les manichéens (5 mentions),
l'inspiration, il faut relever que cette métl).ode est gmdee (4 mentions), les donatistes (3 mentions), Origène
une lecture doctrinale reconnaissant l'Ecriture comme mentions), Carpocrate (2 mentions), Valentin (2 mentions),
document complet de la révélation, par lequel Dieu (2 mentions), les pélagiens (2 mentions), etc. Cette pre-
son Église de ce qui lui est nécessaire pour la défense de catégorie d'erreurs est omniprésente, dans l'exposé de
vraie foi. Commentant le Prologue de s. Jean par uAI~.lll'U> article et de chaque sacrement.
Thomas expliquera que ce texte vise expressément l' 2) Les erreurs attribuées à des philosophes (philosophes
gnement de la vérité et le rejet des erreurs, de telle sorte les Gentils»). Elles concernent surtout le premier
ce passage biblique «renverse à l'évidence tout~s les sur l'unité de Dieu et le troisième article sur la créa-
des hérétiques et des philosophes » 1. Cette fonct10n mais aussi l'article sur la rétribution finale: épicuriens
tique de l'Écriture est au cœur des Articles de la foi .. philosophes de la Gentilité à propos de l'unité de Dieu ;
Quelles sont ces erreurs ? On n'en compte pas moms de
(58 dans la section sur les articles de la foi, puis 19 dans Dialogue avec Tryphon 35, 4; trad. G. ARCHAMBAULT, Justin Martyr,
complètes, Paris, 1994, p. 152.
1. Commentaire sur Jean 1, 1-2 (éd. Marietti, n° 64; voir la Pour davantage de détails, on se reportera aux notes de la traduction,
sous la direction de M.-D. PHILIPPE, Éd. de l'Agneau, 1978, p. 102). qu'à la table des noms en appendice.
204 LES ARTICLES DE LA FOI' INTRODUCTION 205

Démocrite, Épicure, Platon, Anaxagore et Aristote à propos saphiques (ceux qui disent que Dieu ne gouverne pas le
de la création; Zénon de Cittium sur l'immortalité de l'âme. monde par lui-même: Platon, suivant Némésius d'Émèse) ou
Thomas ne discute pas leurs thèses (plus longuement exami~ de doctrines religieuses : ceux qui, à propos du quatrième
nées dans la Somme contre les Gentils), mais il se limite à article, affirment que les pécheurs n'ont jamais eu la charité
énoncer leur position opposée à la foi chrétienne. On note ici (disciples de Jovinien, ou de Novatien?); ceux qui pensent
en particulier la qualification d'« erreur» donnée à la position que le monde après la résurrection demeurera dans le même
d'Aristote sur l'éternité du monde, que Thomas jugera état que maintenant, comme le rapporte Augustin (sixième
ailleurs de manière plus circonstanciée. article) ; ou enfin ceux qui affirmèrent que le Christ n'est pas
3) Les erreurs du Moyen Âge. À s'en tenir aux mentions descendu par lui-même aux enfers (troisième article sur l'hu-
explicites, on n'en compte que cinq: deux mentions des manité du Christ : les textes parallèles suggèrent que Thomas
<< erreurs » des Grecs (ou de «certains Grecs » ), à propos de pense ici à Arius et à Apollinaire).
la procession du Saint-Esprit (Filioque) et du ministre de la Dans tous les cas, l'exposé se sert presque exclusivement
confirmation ; une mention de Bérenger de Tours, à qui Tho- du vocabulaire de l'« erreur». Ce terme (error, errores, avec
mas reproche d'avoir nié l'existence réelle du Corps du le verbe errare) intervient 92 fois dans l'opuscule, tandis que
Christ dans le sacrement de l'eucharistie; une mention des le mot «hérésie» n'apparaît jamais. On observe cependant
Pauvres de Lyon qui rejettent la nécessité d'un ministre quatre rapides mentions du terme « hérétiques » : les « héré-
ordonné pour la célébration de l'eucharistie; puis une men- tiques» (beaucoup, précise Thomas) qui ont suivi Simon le
tion de « certains hérétiques modernes » concernant la reprise Magicien et Ménandre en attribuant la création du monde aux
d'un corps céleste à la résurrection (il s'agit probablement de anges (pense-t-il aux gnostiques de l'Antiquité mentionnés
la secte des «Albanais», groupe cathare néo-manichéen de par Augustin, aux « philosophes » à qui il reproche cette
l'Italie du Nord). C'est, on doit l'avouer, bien peu. Pas une erreur dans la Somme contre les Gentils, aux cathares néo-
seule mention, par exemple, des doctrines religieuses de l'is- manichéens ?) ; les « nombreux hérétiques » qui, à la suite de
lam. Thomas ne paraît guère préoccupé d'actualité, mais bien Valentin, ont nié la· résurrection de la chair ; « certains héré-
plutôt de cette manifestation de la vérité à laquelle contribue tiques modernes » qui conçoivent la résurrection comme la
le rappel des erreurs, qu'elles soient anciennes ou modernes. reprise d'un corps céleste (cathares); puis, à la suite des nico-
4) Les erreurs sans désignation d'auteurs particuliers. Cer- laïtes, les « nombreux autres hérétiques enseignant et prati-
taines d'entre elles concernent des positions doctrinales du quant des choses honteuses » 1. Comment expliquer ce
Moyen Âge : ainsi, concernant le sixième article, Thomas choix de vocabulaire? Il est d'autant plus remarquable qu'un
relève l'erreur de ceux qui nient la rétribution des âmes aus- grand nombre des erreurs mentionnées ici sont désignées
sitôt après la mort (les Orientaux), ceux qui refusent le pur- ailleurs par Thomas comme des «hérésies», et que ses
gatoire (les Orientaux, mais aussi les cathares, les Pauvres de sources mêmes lui suggéraient un tel vocabulaire (le De hae-
Lyon), ceux qui posent 1'égalité de toutes les peines et récom- resibus d'Augustin notamment).
penses (Thomas pense probablemellt à Jovinien, mais peut- L'hérésie, d'une part, désigne un espèce d'erreur bien pré-
être aussi à des cathares du Moyen Age) ; concernant le qua- cise : elle porte sur des erreurs relatives à la foi, des erreurs
trième article : ceux qui affirment que les âmes provenant de issues du christianisme (« infidélité » de ceux qui confessent
la création mauvaise pèchent nécessairement (les mani- le Christ mais en corrompent la doctrine) auxquelles on
chéens, mais on peut songer également aux cathares médié-
vaux). D'autres erreurs sans précision de nom renvoient 1. À quoi il faut ajouter la possibilité du baptême par un hérétique (à pro-
manifestement à l'Antiquité, qu'il s'agisse d'opinions pos du ministre de ce sacrement).
206 LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 207

s'attache avec pertinacité après que l'autorité de l'Église a lui-même ses sources principales: Épiphane de Salamine,
tranché sur le point concerné 1. Il arrive que Thomas désigne connu pour sa monumentale Boîte à remèdes (Panarion) ou
du nom d'hérésie certaines positions philosophiques d'au~ R,éfu~ation de to_~tes les hérésies (dont on reconsidère aujour-
teurs non chrétiens 2 , mais cet usage large (doctrine opposée d hm plus positivement la qualité de documentation et la
à la vérité et à la doctrine de l'Église) ne correspond pas à la valeur historique 1), mais qu'Augustin semble connaître plutôt
définition exacte du terme. Dans notre opuscule qui envisage par son résumé : l' Anacephalaeosis ; Eusèbe de Césarée (His-
des erreurs de nature fort différente, le terme générique toire ecclésiastique); Pilastre de Brescia (De haeresibus) 2.
«erreur» paraît plus approprié. D'autre part, Thomas ne se L'apparat des sources de l'édition Léonine, qui renvoie prin-
caractérise pas par un usage systématique du vocabulaire de cipalement au De haeresibus d'Augustin (comme le font aussi
l'hérésie : il n'est pas rare que, à la différence d'autres auteurs les notes d~ notre traduction), ne doit cependant pas tromper
contemporains, il demeure sur la réserve en se limitant plus le le~teur. A_ travers Augustin et les auteurs du Ive siècle que ce
«sobrement» au terme error 3 . dern1er rela1e, Thomas a certes accès à un dossier de base
À la manière des médiévaux qui n'hésitent pas à puiser mais sa documentation, loin de se limiter à cette seule source'
généreusement dans le bien commun des textes et des doc- est bien plus étençlue. Outre Augustin, c'est en effet à de nom~
trines, Thomas n'est guère préoccupé d'indiquer les sources breux Pères de l'Eglise et Actes conciliaires qu'il faudrait ren-
de sa documentation hérésiologique. Seuls trois auteurs sont voyer. ~ous avons tenté ailleurs de le montrer pour sa docu-
explicitement allégués : Augustin tout d'abord, mais deux fois mentatwn concernant Cérinthe, les ébionites, Paul de
seulement (ses Homélies sur l'évangile de saint Jean, à pro- Samosate et Photin : bien que les meilleures éditions de la
pos d'Arius et de Sabellius, puis le De haeresibus, concernant Somme contre les Gentils et des Articles de la foi indiquent ici
les euchites 4); Gennade (Livre des dogmes de l'Église, sur le De haeresibus d'Augustin, c'est du Dialogue contre les
thèse de la mortalité de l'âme) et Grégoire le Grand (Morales ariens, les sabelliens et les photiniens de Vigile de Thapse
sur Job, concernant l'opinion d'Eutychius). En réalité, (Pseu?o-Athanase) .que Thomas s'inspire principalement; et,
mas se sert principalement du De haeresibus d'Augustin dont pour etre complet, Il faut encore ajouter : Hilaire de Poitiers
on peut relever plusieurs citations littérales et de très Jérôme, Jean Chrysostome, les Actes d'Éphèse, Gennade'
breux emprunts implicites. Rédigé aux environs de 428-429 à Bède le Vénérable, Théophylacte, sans compter Pierre Lom~
la demande de Quodvultdeus, diacre de Carthage, le De bard et d'autres sources scolastiques 3 . Le détail des autres
resibus constitue une brève somme de 88 hérésies dont erreurs recensées par notre opuscule, du moins les principales,
médiévaux ont apprécié le caractère synthétique. Augustin,
outre ce qu'il tire de ses connaissances personnelles,
, !·A. POURKIER, L'Hérésiologie chez Épiphane de Salamine, Paris, 1992.
1. Somme de théologie, Ila-IIae, q. 11, a. 1-2; E. BINI, « L'eresia Ep1phane, outre ses sources personnelles, se réfère à Justin, Irénée, Hippo-
S. Tommaso d'Aquino>>, Studi tomistici 61 (1996), 103-113. lyte, Eusèbe de Césarée, ainsi qu'à de nombreux autres documents anciens.
2. Par exemple la position des philosophes ayant restreint l'action 2. G. BARDY, «Le De haeresibus et ses sources>> dans Miscellanea
à la production d'un seul effet, l'intelligence créatrice (Écrit sur les agostiniana, Rome, vol. II, 1931, p. 397-416; B. ALTANER, «Augustinus
tences, livre II, dist. 1, q. 1, a. 3). und Epiphanius von Salamis. Eine quellenkritische Studie >> dans
3. Nous l'avons relevé ailleurs à propos de la doctrine orientale sur Mélanges Joseph de Ghellinck, Gembloux, 1951, t. I, p. 265-275; R. VAN-
procession du Saint-Esprit: «La procession du Saint-Esprit a Filio DER PLAETSE etC. BEUKERS, Praefatio à Augustin, De haeresibus, CCSL 46
S. Thomas d'Aquin>>, RTh 96 (1996), 572. (1969), 265-266.
4. Il faut ajouter à cela un renvoi à la Cité de Dieu puis aux Homélies 3. G. EMERY, «Le photinisme et ses précurseurs chez saint Thomas>>
Jean pour la notion de sacrement, dans la seconde partie de l'opuscule. 95 (1995), 371-398. '
LES ARTICLES DE LA FOI INTRODUCTION 209
208

conduirait sans doute à des résultats comparables. Pour les Avant d'être inséré en partie (section sur les sacrements)
hérésies médiévales enfin, Thomas semble avoir consulté en dans le Décret pour les Arméniens au concile de Florence
particulier les Cinq livres contre les cathares et les.va~dois du (1439), l'ouvrage fut également traduit en arménien dans la
dominicain Moneta de Crémone (vers 1241), ams1 que la première moitié du XIVe siècle, peu après la canonisation de
Somme sur les cathares et les léonistes ou Pauvres de Lyon S. Thomas (1323). Cette traduction arménienne s'inscrit dans
1 l'importante activité missionnaire des Prêcheurs en Arménie
écrite vers 1250 par le dominicain Raynier Sacconi . Sous les
brèves remarques des Articles de la foi ou de la Somme contre et dans leurs efforts pour diffuser l'enseignement de S. Tho-
les Gentils se cache un vaste travail de documentation. mas auprès de l'élite intellectuelle et religieuse arménienne :
elle fut l'œuvre d'un dominicain, un certain frère Thaddeus,
évêque de Curq en Cilicie (t 1357), et reflète bien le crédit
Diffusion et traductions. dont jouit alors la doctrine du « bienheureux Père Thomas,
honneur de 1' Ordre des Prêcheurs et vénérable maître
Les Articles de la foi et les Sacrements de l'Église connu:ent moderne 1 ».
une diffusion tout à fait remarquable à la fin du Moyen Age. La lettre à l'archevêque de Palerme fut traduite en français
L'édition critique du P. Hyacinthe Dondaine, en 1979, a pu au XIXe siècle par l'abbé Fournet, dans le recueil des Opus-
repérer plus de 300 témoins antérieurs à 1500: 275 manuscrits cules de saint Thomas d'Aquin (Vivès, t. I, 1856, p. 532-562).
ou fragments (un chiffre fort important pour une œuvre Parmi les autres traductions en langues modernes, il faut rele-
«mineure») ainsi que 27 incunables 2 . La plupart de ces ver en particulier celle de Cettina Militello (texte bilingue
manuscrits (près de 200 sur 275) datent du xve siècle et sont latin-italien), précédée d'une introduction par le P. Dalmazio
dans leur majorité d'origine germanique. L'opuscule connut Mongillo 2 . La traduction italienne est assez libre, mais elle
en effet une fortune particulière dans l'Allemagne et la est pourvue d'importantes tables auxquelles nous renvoyons
Bohême du XIVe puis du xve siècle. Sous l'influence du cou- le lecteur: index complet des erreurs avec l'indication de
rant réformateur portant l'empreinte du cardinal-légat Nicolas leurs principales sources patristiques, et tableau comparatif
de Cuse, qui le recommanda avec insistance comme u~ de l'opuscule avec le Décret pour Arméniens du concile de
manuel approprié à la formation des prêtres, l'ouvrage fut lu a Florence et les documents du concile de Trente sur les sacre-
l'occasion de certains synodes provinciaux et inséré dans les ments (par B. Rocco etC. Scordato) 3 .
Actes de ces synodes. Dans le même mouvement, plusieurs
conciles locaux en prescrivirent l'étude au clergé : conciles de
3 1. M. A. VAN DEN ÜUDENRIJN, « Notulae armeno-dorninicanae »,AFP
Mayence (1451), Cologne (1452), Würzburg (1452) . L'opus-
25 (1955), 422-424 (avec le texte et la transcription latine de la dédicace de
cule, à cet égard, anticipe sur les catéchismes et manuels de
l'ouvrage); C. DELACROIX-BESNIER, «Les Dominicains arméniens aux
formation qui se développeront à la suite du concile de Trente. XIV' et XV' siècles», Mémoire dominicaine 7 (1995), 73-88. Il existe une
traduction médiévale grecque de l'opuscule, qu'il faut probablement rap-
1. Voir R.-A. GAUTHIER, Introduction à la Somme contre les Gentils, porter à Démétrius Cydonès ; S. G. PAPADOPULOS, «Thomas in Byzanz.
Thomas-Rezeption und Thomas-Kritik in Byzanz zwischen 1354 und
p. 134-140.
2. Préface de l'édition Léonine, t. 42, p. 227; voir p. 213; on compte 1435 »,Theologie und Philosophie 49 (1974), 274-304 (p. 301-302).
2. '0 Theologos, Cultura cristiana di Sicilia 2, n° 5, 1975, p. 111-125 et
également 54 éditions imprimées.
3. D. MoNGILLO, L'opuscolo di Tommaso d'Aquino, p. 122-124 (avec les 127-206.
textes de ces synodes); voir C.-J. HEFELE et H. LECLERCQ, Histoire des 3. P. 174-205 et p. 207-247. Il existe également une traduction anglaise
conciles, Paris, t. VII-2, 1916, p. 1222-1224; H.-F. DONDAINE, Préface de de la partie sur les sacrements faite par J. B. COLLINS, dans Catechetical
Instructions of St. Thomas (New York, 1939 et 1953).
l'édition Léonine, t. 42, p. 212.
210 LES ARTICLES DE LA FOI

Dans le présent volume, les sous-titres sont ajoutés par le


traducteur. On trouvera en appendice une table des erreurs et
des auteurs allégués par Thomas, ainsi qu'une table des cita-
tions bibliques.

DE ARTICVLIS FIDEl
ET ECCLESIAE SACRAMENTIS

LES ARTICLES DE LA FOI


ET LES SACREMENTS DE L'ÉGLISE
PROLOGUS PROLOGUE

Postulat a me uestra dilectio ut de articulis fidei et Eccle- Votre dilection me demande de lui rédiger une sorte
sie sacramentis aliqua uobis compendiose pro memoriali d'abrégé, pour aide-mémoire, sur les articles de la foi et les
transcriberem, cum dubitationibus que circa hec possent sacrements de l'Église, avec les objections qu'on pourrait
moueri. Verum cum omne theologorum studium uersetur leur opposer. Mais en fait, puisque tout le travail des théolo-
circa dubitationes contingentes articulas fidei et Ecclesie giens concerne les oJ;>scurités touchant les articles de la foi et
sacramenta, si ad plenum uestre petitioni satisfacere uel- les sacrements de l'Eglise, si je voulais satisfaire pleinement
lem, oporteret totius theologie summatim comprehendere à votre demande, il faudrait rassembler brièvement les ques-
difficiles questiones : quod quantum sit operosum, ut tions difficiles de toute la théologie. Je crois que votre pru-
credo, aduertit uestra prudentia. Vnde ad presens uobis suf- dence saisit combien cela serait laborieux. Qu'il vous suffise
ficiat, si articulas fidei et Ecclesie sacramenta breuiter donc ici que je détaille bri~vement pour vous les articles de la
uobis distinguam, et qui errores sint circa quodlibet eorum foi et les sacrements de l'Eglise, ainsi que les erreurs à éviter
uitandi. au sujet de chacun d'entre eux.

I. DE ARTICVLIS FIDEl I. LES ARTICLES DE LA FOI

In primis igitur uos scire oportet quod tota fides christiana Tout d'abord, il faut que vous sachiez que toute la foi chré-
circa diuinitatem et humanitatem Christi uersatur ; unde tienne se rapporte à la divinité et à l'humanité du Christ. C'est
Christus uoce hominis loquens ait « Creditis in Deum, et in pourquoi le Christ, parlant d'une voix d'homme, dit: «Vous
me credite». Circa utrumque autem horum a quibusdam sex, croyez en Dieu, croyez aussi en moi » [Jn 14, 1] 1. Concernant
a quibusdam septem articuli distinguntur: et sic omnes arti- l'une et l'autre de ces deux [vérités], certains auteurs distin-
culi secundum quosdam duodecim, secundum quosdam qua- guent six articles, d'autres sept. Il y a ainsi douze articles
tuordecim esse dicuntur. Primi igitur sex articulas sic distin- selon certains, et quatorze selon les autres. Les premiers dis-
gunt circa fidem diuinitatis : sunt enim circa diuinitatem tria tinguent de cette manière six articles concernant la foi en la
consideranda, scilicet unitas diuine essentie, trinitas perso- divinité. En effet, il faut considérer trois choses au sujet de la
narum et effectus diuine uirtutis. divinité: l'unité de l'essence divine, la Trinité des personnes
et les effets de la puissance divine 2 .
214 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 215

1. LA FOI EN LA DIVINITÉ

Premier article.

Primus igitur articulus est ut credamus essentie diuine uni- Le premier article, c'est de croire à l'unité de l'essence
tatem, secundum illud Deut. VI4 « Audi Israel, Dominus divine, suivant cette parole du Deutéronome [6, 4] : «Écoute
Deus tuus Deus unus est». Circa hune autem articulum plures Israël, le Seigneur ton Dieu est un. »
errores euitandi occurrunt. Primo quidem Gentilium siue Au sujet de cet article se présentent plusieurs erreurs qu'il
Paganorum ponentium plures deos ; contra quos dicitur Exo. faut éviter. Et en premier lieu celle des gentils ou païens qui
XX3 «Non habebis deos alienos coram me». affirment plusieurs dieux, et contre qui il est dit en Exode 20
[v. 3]: «Tu n'auras pas de dieux étrangers face à moi.»

Secundus est error Manicheorum qui ponunt duo prima La deuxième erreur est celle des manichéens qui affirment
principia esse, unum a quo sunt omnia bona, aliud a quo sunt l'existence de deux principes premiers, l'un de qui proviennent
omnia mala; contra quos dicitur Ys. XLV 6 «Ego Dominus, et tous les biens, l'autre de qui proviennent tous les maux 3 •
non est alter Deus, formans lucem et creans tenebras, faciens Contre eux il est dit en Isaïe 45 [v. 6] : «Je suis le Seigneur et
pacem et creans malum; ego Dominus faciens omnia hec». il n'y a pas d'autre Dieu formant la lumière et créant les
Dicitur autem Deus creare malum, quia ipse secundum suam ténèbres, faisant la paix et créant le mal : c'est moi, le Seigneur,
iustitiam infligit malum pene cum esse conspicit in sua crea- qui fais tout cela. » ll est dit ici que Dieu « crée le mal » parce
tura malum culpe. que c'est lui qui, selon sa justice, inflige le mal de la peine
quand il voit que dans sa créature se trouve le mal de la faute 4 •
Tertius est error Antropomorfitarum ponentium quidem La troisième erreur est celle des anthropomorphites qui ont
unum Deum, sed dicentium eum esse corporeum et ad bien affirmé un seul Dieu, mais qui ont dit qu'il est corporel
modum humani corporis formatum ; contra quos dicitur Io. et formé à la manière du corps humain 5 . Contre eux il est dit
IV24 «Spiritus est Deus», et Ys. «Cui similem fecistis enJean 4 [v. 24]: «Dieu est esprit»; et en Isaïe [40, 18] :
Deum, aut quam ymaginem ponetis ei ». «A qui donc ferez-vous ressembler Dieu, et quelle image en
dresserez-vous?»
Quartus est error Epicureorum dicentium quod Deus non La quatrième erreur est celle des épicuriens affirmant que
habet scientiam neque prouidentiam de rebus humanis ; Dieu n'a ni connaissance ni providence des choses
contra quos dicitur I Petri ult. « Omnem sollicitudinem nes- humaines 6 . Contre eux il est dit en 1 P [5, 7] : «De toute votre
tram proicientes in eum, quoniam ipsi cura est de uobis ». inquiétude, déchargez-vous sur lui, car il prend soin de vous.»
Quintus est error quorundam Gentilium philosophorum La cinquième erreur est celle de certains philosophes parmi
dicentium Deum non esse omnipotentem, sed quod solum les gentils affirmant que Dieu n'est pas tout-puissant, mais
potest ea que naturaliter fiunt ; contra quos dicitur in Psalmo qu'il peut seulement [faire] ce qui se fait naturellement 7 .
216 DE ARTICVLIS fiDEl . LES ARTICLES DE LA FOI 217

« Omnia quecumque uoluit Dominus fecit ». Omnes igitur hii Contre eux il est dit dans le Psaume [ 113, 3] : « Tout ce qu'a
uel derogant unitati essentie diuine uel perfectioni ; unde voulu le Seigneur, ill' a fait. »
contra omnes ponitur in Symbolo « Credo in unum Deum Tous ceux-là dérogent donc soit à l'unité, soit à la perfection de
Patrem omnipotentem ». l'essence divine. C'est pourquoi, contre eux tous, il est dit dans le
Symbole: «Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant.»

Deuxième article.

Secundus articulus est quod tres sunt persone diuine in una Le deuxième article, c'est qu'il y a trois personnes divines
essentia, secundum illud I Io. ult. « Tres sunt qui testimo- en une seule essence, selon cette parole de 1 Jn [5, 7] : «Il y
nium dant in celo, Pater, Verbum et Spiritus Sanctus, et hii en a trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le
tres unum sunt ».Contra hune articulum sunt plures errores. Verbe et le Saint-Esprit, et ces trois sont un.»
Primus quidem Sabellii qui posuit unam essentiam sed Il y a plusieurs erreurs contre cet article. La première est
negauit Trinitatem personarum, dicens quod una persona celle de Sabellius qui affirma une seule essence mais qui nia
quandoque dicitur Pater, quandoque Filius, quandoque Spiri- la Trinité des personnes, disant qu'une unique personne est
tus Sanctus. appelée parfois Père, parfois Fils, parfois Saint-Esprit 8 .
Secundus est error Arrii qui posuit tres personas sed La deuxième erreur est celle d'Arius qui affirma trois per-
negauit unitatem essentie, dicens Filium esse alterius sub- sonnes mais qui nia l'unité de l'essence, disant que le Fils est
stantie a Patre, et esse creaturam et minorem Patre, non coe- d'une autre substance que le Père, qu'il est une créature et
qualem nec coetemum, sed quod incepit esse postquam non qu'il est inférieur au Père, qu'il n'est pas égal au Père ni éter-
fuerat ; et contra hos duos errores dicit Dominus Io. X3° «Ego nel comme lui, mais qu'il a commencé d'être après n'avoir
et Pater unum sumus »,quia, ut dicit Augustinus,« quod dicit pas été. Et contre ces deux erreurs le Seigneur dit en Jn 10
unum liberat te ab Arrio, quod dicit sumus pluraliter liberatte [v. 30] : « Moi et le Père nous sommes un » parce que, comme
a Sabellio ». · le dit Augustin, «en disant un il te libère d'Arius, et en disant
nous sommes au pluriel il te libère de Sabellius » 9 .
Tertius est error Eunomii qui posuit Filium dissimilem La troisième erreur est celle d'Eunome, qui affirma le Fils
Patri ; contra quem dicitur Col. I 15 « Qui est ymago inuisibi- dissemblable au Père 10, et contre qui il est dit en Colossiens 1
lis Dei». [v. 15]: «[le Fils] qui est l'image du Dieu invisible».
Quartus est error Macedonii qui posuit Spiritum Sanctum La quatrième erreur est celle de Macédonius, qui affirma
esse creaturam ; contra quem dicitur II Cor. III 17 « Dominus que le Saint-Esprit est une créature, et contre qui il est dit en
autem Spiritus est». 2 Corinthiens 3 [v. 17] : «L'Esprit est Seigneur » 11 .
Quintus est error Grecorum qui dicunt Spiritum Sanctum La cinquième erreur est celle des Grecs qui affirment que
procedere a Patre sed non a Filio ; contra quos dicitur Io. le Saint-Esprit procède du Père mais non pas du Fils. Contre
XIV 26 « Paraclitus autem Spiritus Sanctus quem mittet Pater eux, il est dit en Jean 14 [v. 26]: «Le Paraclet, le Saint-Esprit
in nomine meo »,quia scilicet eum mittit Pater tamquam Spi- que le Père enverra en mon nom » : parce que le Père 1' envoie
ritum Filii et a Filio procedentem ; et Io. XVI 14 dicitur «Ille en tant qu'il est l'Esprit du Fils et procédant du Fils. Et il est
me clarificabit quia de meo accipiet ». dit en Jean 16 [v. 14]: «Lui me glorifiera, parce qu'il recevra
de ce qui est à moi » 12 .
218 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 219

Et contra omnes hos errores in Symbolo dicitur « Credo in Et contre toutes ces erreurs, il est dit dans le Symbole: «Je
Deum Patrem et in Filium eius, genitum non factum, consub- crois en Dieu le Père, en son Fils engendré et non pas fait,
stantialem Patri, et in Spiritum Sanctum Dominum et uiuifi- consubstantiel au Père, et en l'Esprit-Saint Seigneur et vivifi-
cantem, qui ex Patre Filioque procedit ». cateur qui procède du Père et du Fils. »

Troisième article.

Alii uero quatuor articuli diuinitatis pertinent ad effectus Les quatre autres articles sur la divinité concernent les
diuine uirtutis. Quorum primus, qui est tertius, pertinet ad effets de la puissance divine. Le premier d'entre eux, qui est
creationem rerum in esse nature, secundum illud « Dixit et le troisième article, concerne la création des choses dans
facta sunt ». Contra hune articulum primo quidem errauit l'être de nature, selon ce passage : « Il a dit et elles ont été
Democritus et Epicurus, ponentes quod nec materia mundi faites» [Ps 148, 5].
nec ipsa mundi compositio est a Deo, sed mundus est casu Contre cet article, tout d'abord, se sont trompés Démocrite
factus per concursum corporum indiuisibilium que rerum et Épicure : ils ont affirmé que ni la matière du monde ni l'or-
principia estimabant ; contra quos dicitur in Psalmo « Verbo ganisation même du monde ne sont l'œuvre de Dieu, mais
Dornini celi firmati sunt », id est secundum rationem eter- que le monde a été fait par hasard, par 1' assemblage des corps
nam, non autem casu. indivisibles 13 qu'ils considéraient comme les principes des
choses. Contre eux il est dit dans le Psaume [32, 6] : «Par la
Parole du Seigneur, les cieux ont été affermis», c'est-à-dire
selon la raison éternelle 14 et non pas par hasard.
Secundus error est Platonis et Anaxagore, qui posuerunt La deuxième erreur est celle de Platon et d'Anaxagore qui
mundum factum a Deo sed ex materia preiacenti ; contra quos affirmèrent que le monde est fait par Dieu, mais à partir d'une
dicitur in Psalmo « Mandauit et creata sunt »,id est ex nihilo matière préexistante. Contre eux il est dit dans le Psaume
facta. [32, 9] : «Tu as commandé et [toutes choses] ont été créées»,
c'est-à-dire faites à partir de rien 15 .
Tertius est error Aristotilis, qui posuit mundum a Deo fac- La troisième erreur est celle d'Aristote qui affirma que le
tum sed ab eterno ; contra quem dicitur Gen. 11 1 « In principio monde a été fait par Dieu mais de toute éternité 16 . Contre lui,
creauit Deus celum et terram ». il est dit en Genèse 1 [v. 1] : « Au commencement Dieu créa
le ciel et la terre. »
Quartus est error Manicheorum, qui posuerunt Deum esse La quatrième erreur est celle des manichéens qui affir-
creatorem inuisibilium sed uisibilia a diabolo facta ; contra mèrent que Dieu est le créateur des choses invisibles mais
quos dicitur Hebr. X 13 « Fide intelligimus aptata esse secula que les choses visibles ont été faites par le diable 17 . Contre
uerbo Dei, ut ex inuisibilibus uisibilia fierent ». eux il est dit en Hébreux 11 [v. 3]: «Par la foi, nous savons
que le monde a été disposé par la Parole de Dieu, de telle
sorte que les choses visibles ont été tirées des invisibles» 18 .
Quintus est error Symonis Magi et Menandri eius disci- La cinquième erreur est celle de Simon le Magicien et de
puli, et multorum aliorum hereticorum eos sequentium, qui son disciple Ménandre, puis de beaucoup d'autres hérétiques
creationem mundi non Deo sed angelis eius attribuunt ; qui les ont suivis: ils ont attribué la création du monde non
- 220 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 221

contra quos dicit Paulus Act. XVII24 « Deus qui fecit mun- pas à Dieu mais à ses anges 19 . Contre eux, Paul dit dans les
dumet omnia que in eo sunt, hic celi et terre cum sit Domi- Actes 17 [v. 24] : « Dieu qui fit le monde et tout ce qu'il
nus etc.». contient, lui qui est le Seigneur du ciel et de la terre», etc.
Sextus est error eorum qui dixerunt Deum non per se ipsum La sixième est l'erreur de ceux qui ont dit que Dieu ne gou-
gubernare mundum sed per quasdam potestates sibi subiec- verne pas le monde par lui-même, mais par certaines puis-
tas ; contra quos dicitur lob XXXIV 13 « Quem constituit sances qui lui sont soumises 20 • Contre eux il est dit en Job 34
alium super terram, aut quem posuit super orbem quem fabri- [v. 13]: «Qui d'autre a-t-il établi sur la terre, qui a-t-il insti-
catus est ? » Et contra bos errores dicitur in Symbolo «Facto- tué sur le monde qu'il a créé? » Et contre toutes ces erreurs
rem- uel creatorem- celi et terre, uisibilium omnium et inui- il est dit dans le Symbole:« [Je crois en un seul Dieu], Auteur
sibilium ». -ou Créateur- du ciel et de la terre, des êtres visibles et invi-
sibles.»

Quatrième article.

Quartus articulus pertinet ad effectus gratie per quam iusti- Le quatrième article concerne les effets de l'ordre de la
ficamur a Deo, secundum illud Ro. III24 « Iustificati gratis per grâce par laquelle Dieu nous justi~ie, s~iva~t ~ette p~ole de
gratiam ipsius », scilicet Dei. Et sub hoc articula comprehen- l'épître aux Romains 3 [v. 24] : « Etant JUstifies gratuitement
duntur omnia sacramenta Ecclesie et quecumque pertinent ad par sa grâce», c'est-à-dire par la grâce de D!eu. Et sous cet
Ecclesie unitatem et dona Spiritus Sancti et iustitiam homi- article sont compris tous les sacrements de l'Eglise et tout ce
num. Et quia de sacramentis Ecclesie postea erit agendum, de qui concerne l'unité de l'~glise, les dons du ~ain~-Esprit et ~a
hiis interim supersedeamus et alios errores contra hune arti- justice des hommes. Et pmsque nous aurons a traiter plus lom
culum exponamus. Quorum primus est Cerinthi et Ebionis et des sacrements de l'Église, laissons-les de côté pour l'instant
etiam Nazareorum, qui dixerunt gratiam Christi non sufficere et exposons les autres erreurs opposées à c,et article. La pre-
ad salutem nisi aliquis circumcisionem et alia mandata legis mière d'entre elles est celle de Cérinthe, d'Ebion, et aussi des
custodiat ; contra quos dicitur Ro. 11128 « Arbitramur iustifi- nazaréens, qui dirent que la grâce du Christ ne suffit pas au
cari hominem per fidem sine operibus legis ». salut à moins que l'on observe la circoncision et les autres
commandements de la loi 21 • Contre eux il est dit en
Romains 3 [v. 28] : «Nous estimons que l'homme est justifié
par la foi sans les œuvres de la loi. »
Secundus est error Donatistarum, qui posuerunt gratiam La deuxième erreur est celle des donatistes : ils affirmèrent
Christi solum in Affrica remansisse, quia scilicet totus alius que la grâce du Christ ne s'était conservée qu'en Afrique,
mundus communicabat Ceciliano Cartaginensi episcopo, parce que tout le reste du monde était en communion avec
quem ipsi dampnauerant, et in hoc negabant Ecclesie unita- Cécilien, l'évêque de Carthaj?;e qu'ils avaient répr?uvé; ~t en
tem ; contra quos dicitur Col. III 11 quod in Christo Ihesu cela ils niaient l'unité de l'Eglise 22 . Contre eux 11 est d1t en
« non est Gentilis et Iudeus, circumcisio et preputium, Barba- Colossiens 3 [v. 11] que dans le Christ Jésus« il n'y a plus ni
rus et Seita, seruus et liber, sed omnia et in omnibus Chris- gentil ni Juif, ni circoncision ni prépuce, ni barbare ni Scythe,
tus». ni esclave ni homme libre, mais le Christ qui est tout et en
tous».
222 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 223

Tertius est error Pelagianorum, qui primo quidem negaue- La troisième erreur est celle des pélagiens qui, première-
runt peccatum originale esse in paruulis, contra illud quod ment, nièrent l'existence du péché originel ~ans les petits
Apostolus dicit Ro. V 12 « Per unum hominem peccatum in enfants, contre ce que dit l'Apôtre en Romams 5 [v. 12]:
mundum intrauit » ; et in Psalmo dicitur «Ecce enim in ini- « Par un seul homme le péché est entré dans le monde » ; et
quitatibus conceptus sum ». Secundo dicunt quod principium dans le Psaume [50, 7] il est dit: «Car j'ai été conçu ~ans
boni operis est hornini a se ipso, sed consummatio est a Deo ; l'iniquité. » Ils affirment, deuxièmement, que l'homm~ tient
contra illud quod dicit Apostolus Phil. II 13 « Deus est qui ope- de lui-même le commenéement d'une œuvre bonne, mats que
ratur in nobis et uelle et perficere pro bona uoluntate ».Tertio son achèvement est le fait de Dieu, contre ce que l'Apôtre dit
dicunt gratiam dari horninibus secundum sua merita, contra en Philippiens 2 [v. 13]: «C'est Dieu qui opère en nous ~e
illud quod Apostolus dicit Ro. XI 6 « Si autem gratia, iam non vouloir et le faire, selon sa bienveillance. » Ils affirment, trOI-
ex operibus, alioquin gratia iam non est gratia ». sièmement, que la grâce est donnée aux ho~mes selon leur~
mérites, contre ce que 1' Apôtre dit en Romams 11 [v. 6] :. « S1
c'est par grâce, ce n'est donc point par les œuvres, car smon
la grâce n'est plus la grâce » 2 . , . , . .
Quartus error est Origenis, qui posuit omnes animas simul La quatrième erreur est celle d Ongene qm affirma que
creatas cum angelis, et pro diuersitate eorum que ibi egerunt toutes les âmes ont été créées en même temps que les anges
quosdam hornines uocari a Deo per gratiam, quosdam in infi- et que, suivant la diversité de ce qu'ils ont fait en cet état, cer-
delitate relinqui ; contra quod dicit Apostolus Ro. IX 11 « Cum tains hommes sont appelés par Dieu au moyen de la grâce,
nondum nati essent aut aliquid boni uel mali egissent, dictum d'àutres sont abandonnés dans l'infidélité 24 • Contre cela,
est quia maior seruiet rninori ». 1' Apôtre dit en Romains 9 [v. 11-13] : « Avant qu'ils. fusse~t
nés et qu'ils aient fait aucun bien ni aucun mal, [ ... ] 1l fut d1t
que l'aîné serait soumis au plus jeune. » . , , .
Quintus est error Catafrigarum, id est Montani, Prisee et La cinquième erreur est celle de cataphryg1ens, c est-a-d1re
Maxirnille, qui dicunt prophetas quasi arrepticios fuisse et de Montan, Prisca et Maximille, affirmant que les prophètes
quod non prophetauerunt per Spiritum Sanctum ; contra quos ont été comme en transe et qu'ils n'ont pas prophétisé par le
dicitur II Petri 121 << Non enim uoluntate humana allata est ali- Saint-Esprit 25. Contre eux il est dit en 2 Pierre 1 [v. 21] : « Ce
quando prophetia, sed Spiritu Sancto inspirante locuti sunt n'est point d'une volonté humaine qu'est jamais venue une
sancti Dei hornines ». Dicunt etiam quod prornissio de prophétie, mais c'est par l'inspiration d~ Saint-E~prit que de
aduentu Spiritus Sancti non fuit in Apostolis completa sed in saints hommes de Dieu ont parlé. » Ils d1sent auss1 que la pro-
eis, contra illud quod dicitur Act. II. messe de la venue du Saint-Esprit ne fut pas pleinement
accomplie chez les Apôtres mais chez eux, contre ce qui est
dit au deuxième chapitre des Actes 26 .
Sextus est error Cerdonis, qui primo dixit « Deum Legis et La sixième erreur est celle de Cerdon qui, le premier,
Prophetarum non esse p&trem Christi nec bonum Deum esse affirma que « le Dieu de la Loi et .des Pr?ph~tes n'est pas le
sed iustum, patrem uero Christi bonum », quem etiam Mani- Père du Christ, ni un Dieu bon, mats un D1eu JUSte, tand1s que
chei secuti sunt Legem reprobantes ; contra quos dicitur le Père du Christ est bon 27 ».Les manichéens l'ont suivi, eux
Ro. VII 12 «Lex quidem sancta est et mandatum sanctum et qui réprouvent la Loi. Contre eux il est dit en Romain~ 7
iustum et bonum » ; et Ro. I3 dicitur « Quod ante prorniserat [v. 12] : «Or la Loi est sainte et le commandement ~st sm~t,
per prophetas suos in Scripturis sanctis de Filio suo ». juste et bon » ; et il est dit en Romains 1 [v. 2] : « [l'Evanglle
224 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 225

de Dieu] qu'il avait promis d'avance par ses prophètes, dans


les Écritures saintes, concernant son Fils. »
Septimus est error eorum qui quedam que ad perfectionem La septième est l'erreur de ceux qui affirment comme
uite pertinent asserunt esse de necessitate salutis : quorum nécessaires au salut certaines pratiques qui appartiennent à la
quidam, qui se arrogantissime Apostolicos uocauerunt, nul- perfection de la vie. Certains d'entre eux, qui se sont donné
lam spem putant habere salutis eos qui utuntur coniugibus et avec une extrême arrogance le nom d'« apostoliques »,
propria possident. Alii uero, scilicet Tatiani, « non uescuntur pensent qu'il n'y a aucun espoir de salut pour ceux qui vivent
carnibus easque omnino abhominantur », secundum illud maritalement avec leurs épouses et qui possèdent des biens
Apostoli I Tim. IV 3 : docentes « abstinere a cibis quos Deus propres 28 . D'autres, les tatianiens, « ne mangent pas de
creauit ad percipiendum cum gratiarum actione fidelibus ». viandes et les ont tout à fait en horreur 29 »,enseignant, selon
Euchite dicunt homines non posse saluari nisi continue orent, cette parole de l'Apôtre en 1 Timothée 4 [v. 3], de« s'abste-
propter illud quod Dominus dicit Luce XVIII 1 « Oportet sem- nir des nourritures que Dieu a créées pour être prises par les
per orare et non deficere » : quod sic accipitur secundum fidèles avec action de grâces». Les euchites affirment que les
Augustinum ut 'nulla die intermittantur certa orandi tem- hommes ne peuvent pas être sauvés à moins de prier conti-
pora'. Alii uero, qui Passalorinchite uocantur, « in tantum nuellement, en raison de ce que le Seigneur dit en Luc 18
silentio student ut naribus et labiis suis digitum apponant » : [v. 1]: «Il faut prier toujours et ne pas cesser.» Or cette
passalos enim greee dicitur palus et rinchos nasus. Quidam parole, selon Augustin, doit être comprise ainsi : il ne faut pas
etiam dixerunt quod homo non potest saluari nisi semper omettre les moments fixés de prière quotidienne 30 . D'autres,
nudis pedibus ambulet. Contra quos omnes Apostolus dicit que l'on appelle passalorinchites, s'appliquent tant à garder le
I Cor. X22 « Omnia michi licent, sed non omnia expediunt » : silence qu'ils placent un doigt sur leurs narines et sur leurs
ex quo datur intelligi quod, licet aliqua a sanctis uiris assu- lèvres : en grec, en effet, pas salas veut dire «poteau » et rin-
mantur tamquam expedientia, non tamen propter hoc oppo- chos signifie « nez » 31 • D'autres encore ont dit que l'homme
sita redduntur illicita. ne peut pas être sauvé à moins de marcher toujours pieds
nus 32 . Contre tous ceux-là, l'Apôtre dit en 1 Corinthiens 10
[v. 22]: «Tout m'est permis, mais tout n'est pas profitable»;
cette parole fait comprendre que, bien que de saints hommes
aient adopté comme avantageuses certaines pratiques, cela ne
rend pourtant pas défendues celles qui leur sont opposées.
Octauus error est eorum qui dicunt e contrario opera per- La huitième est l'erreur de ceux qui, à l'inverse, affirment
fectionis non esse preferenda communi uite fidelium, sicut que les œuvres de perfection ne doivent pas être placées au-
Iouinianus posuit quod uirginitas non prefertur coniugio, dessus de [l'état de] vie commun des fidèles. Tel fut Jovinien
contra illud quod dicitur I Cor. VII 38 « Qui matrimonio iungit qui affirma que la virginité n'est pas préférable au mariage 33 ,
filiam suam bene facit, et qui non iungit melius facit » ; et contre ce qui est dit en 1 Corinthiens 7 [v. 38] : « Celui qui
sicut Vigilantius, qui equauit statum diuitias possidentium marie sa fille fait bien, celui qui ne la marie pas fait mieux
statui paupertatis propter Christum assumpte, contra quem encore. » Tel fut aussi Vigilance, qui plaça au même rang
dicit Dominus Matth. XIX21 « Si uis perfectus esse, uade et l'état de ceux qui possèdent des richesses et l'état de la pau-
uende omnia que habes et da pauperibus ». vreté embrassée à cause du Christ, et contre qui le Seigneur
dit en Matthieu 19 [v. 21]: «Si tu veux être parfait, va, vends
tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres» 34 •
226 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 227

Nonus error est negantium liberum arbitrium, sicut quidam La neuvième est l'erreur de ceux qui nient le libre arbitre,
negauit dicens animas que sunt male creationis non passe non tel celui-là qui le nia en disant que les âmes qui sont l'œuvre
peccare ; contra quod dicitur I Io. II 1 « Hec scribo uobis ut de la création mauvaise ne peuvent point ne pas pécher 35 .
non peccetis ». Contre cela il est dit en 1 Jean 2 [v. 1]: «Je vous écris cela
pour que vous ne péchiez pas. » . . . . .
Decimns error est Priscillianistarum et etiam Mathematico- La dixième erreur est celle des pnsc1lhamstes et auss1 des
rum dicentium « homines esse fatalibus stellis colligatos », ita «mathématiciens» [astrologues] affirmant que« les hommes
scilicet quod eorum opera sunt necessitati astrorum subiecta ; sont liés aux étoiles régissant le destin 36 », c'est-à-dire de
contra quos dicitur Ier. X2 « A signis celi nolite timere que telle manière que leurs œuvres sont soumises à la nécessité
gentes timent ». des astres. Contre eux il est dit en Jérémie 10 [v. 2]: «Ne
craignez pas les signes du ciel que redoutent les païens. »
Vndecimus error est dicentium quod homines gratiam Dei La onzième est l'erreur de ceux qui disent que les hommes
et caritatem habentes peccare non possunt, ita quod asserunt ayant la grâce de Dieu et la charité ne peuvent pas pécher,
eos qui aliquando peccant numquam caritatem habuisse ; affirmant de la sorte que ceux à qui il arrive de pécher n'ont
contra quos dicitur Apoc. n4-5 « Caritatem tuam primam reli- jamais eu la charité 37 . Contre eux il est dit en Apocalypse ~
quisti, memor esto unde excideris ». [v. 4-5] : «Tu as abandonné ta charité première: rappelle-t01
d'où tu es tombé. »
Duodecimus error est eorum qui ea que ab Ecclesia Dei La douzième est l'erreur de ceux qui affirment que l'on ne
uniuersaliter statuta sunt dicunt non esse obseruanda, sicut doit pas observer ce que l'Église de Dieu a universellement
Aeriani qui dicunt « statuta ieiunia non esse sollempniter établi, tels les aériens disant que « 1' on ne doit pas c~lébrer
celebranda, sed cum quisque uoluerit ieiunandum, ne uidea- solennellement les jeûnes établis, mais qu'il faut Jeûner
tur esse sub lege » ; et sicut Tessarescedecatite, id est Quarto- quand on le veut, pour ne pas paraître soumis à la loi 38 ».Tels
decumani, qui dicunt quartadecima luna Pascha esse cele- sont aussi les « tessarescedecatites » - c'est-à-dire les quarto-
brandum quocumque die septimane occurrerit, et eadem ratio décimans- disant qu'il faut célébrer Pâques le quatorzième
est de quibuscumque ab Ecclesia statutis. Et contra omnes jour de la lune, quel que soit le jour de la semaine où cela
istos errores in Symbolo Apostolorum dicitur « Sanctam tombe ; et la même chose s'applique à toutes sortes de statuts
Ecclesiam catholicam, sanctorum communionem, peccato- de l'Église 39. Contre tous ceux-là, il e~t dit dans le Symbole
rum remissionem » ; et in Symbolo Patrum dicitur « Qui locu- des Apôtres: «[Je crois à] la sainte Eglise catholique,. à la
tus est per prophetas ; et unam, sanctam, catholicam et apos- communion des saints, à la rémission des péchés » ; et Il est
tolicam Ecclesiam ; confiteor unum baptisma in remissionem dit dans le Symbole des Pères 40 : «[Je crois en l'E!lprit-Saint]
peccatorum ». qui a parlé par les prophètes ; et [je crois en] l'Eglise, une,
sainte, catholique et apostolique ; je confesse un seul baptême
pour la rémission des péchés. »

Cinquième article.

Quintus articulus est de resurrectione mortuorum, de quo Le cinquième article concerne la résurrection des morts, de
dicitur I Cor. XV51 « Ornnes quidem resurgemus » ; contra laquelle il est dit en 1 Corinthiens 15 [v. 51]: «Tous, nous
....
228 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 229

quem etiam sunt plurimi errores. Quorum primus est error ressusciterons. » Il y a, contre cet article aussi, de fort nom-
Valentini qui carnis resurrectionem negauit, quem etiam breuses erreurs. La première d'entre elles est l'erreur de
plures heretici sunt secuti ; contra quem dicitur I Cor. XV12 Valentin qui nia la résurrection de la chair et qui fut suivi par
« Si Christus predicatur quod resurrexit a mortuis, quomodo de nombreux hérétiques 41 . Contre lui, il est dit en 1 Corin-
quidam dicunt in uobis quoniam resurrectio mortuorum non thiens 15 [v. 12]: «Puisqu'on prêche que le Christ est res-
est?» suscité des morts, comment se trouve-t-il certains parmi vous
pour dire qu'il n'y a pas de résurrection des morts?»
Secundus est error Ymenei et Phileti, contra quos dicit La seconde erreur est celle d'Hyménée et de Philète
Apostolus quod a ueritate exciderunt dicentes resurrectionem [2 Tm 2, 17] contre qui l'Apôtre dit : « Ils se sont écartés de
iam factam, uel quia non credebant resurrectionem nisi spiri- la vérité en disant que la résurrection a déjà eu lieu» [v. 18],
tualem, uel quia non dicebant alios resurrecturos nisi illos qui soit parce qu'ils ne croyaient qu'à une résurrection spiri-
cum Christo surrexerunt. tuelle, soit parce qu'ils disaient que seuls ressusciteraient
ceux qui étaient déjà ressuscités avec le Christ.
Tertius error est quorundam modernorum hereticorum qui La troisième est l'erreur de certains hérétiques modernes
dicunt resurrectionem futuram, non tamen eorundem corpo- qui affirment bien la résurrection future mais disent pourtant
rum, sed anime resument quedam corpora celestia ; contra que les âmes ne reprendront pas les mêmes corps mais des
quos Apostolus dicit I Cor. XV53 « Oportet corruptibile hoc corps célestes 42 . Contre eux l'Apôtre dit en 1 Corin-
induere incorruptionem et mortale hoc induere immortalita- thiens 15 [v. 53]: «Il faut que ce corps corruptible soit
tem ». revêtu de l'incorruptibilité, et que ce corps mortel revête
l'immortalité.»
Quartus est error Euthicii patriarche Constantinopolitani, La quatrième erreur est celle d'Eutychius, patriarche de
qui posuit quod corpora nostra in resurrectione erunt aeri uel Constantinople, qui affirma qu'à la résurrection nos corps
uento similia, ut Gregorius narrat in XIV Moralium ; contra seront semblables à de l'air ou à du vent, comme le rapporte
quem est quod Dominus post resurrectionem suam corpus Grégoire au XIVe livre de ses Morales sur Job 43 • Contre lui,
suum discipulis palpandum prebuit, dicens Luce ult. « Pal- il se trouve que le Seigneur, après sa résurrection, donna son
pate et uidete », cum tamen Apostolus dicat Phil. III21 quod corps à palper à ses disciples, disant en Luc 24 [v. 39] : «Pal-
« reformabit corpus humilitatis nostre configuratum corpori pez et voyez»; or l'Apôtre dit en Philippiens 3 [v. 21]: «Il
claritatis sue». transformera le corps de notre misère en le configurant au
corps de sa gloire. »
Quintus error est dicentium quod corpora humana in La cinquième est 1' erreur de ceux qui affirment que, à la
resurrectione uertentur in spiritum ; contra quos Luce ult. résurrection, les corps humains seront changés en esprits 44 •
dicitur « Spiritus carnem et ossa non habet sicut me Contre eux, il est dit en Luc 24 [v. 39]: «Un esprit n'a ni
habere». chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. »
Sextus error est Cerinthi, qui « mille aunos post resurrec- La sixième erreur est celle de Cérinthe qui « imagine
tionem in terreno regno Christi fabulatur futuros », in quibus qu'après la résurrection il y aura un règne terrestre du Christ
homines camales uentris ac libidinis uoluptates habebunt ; durant mille ans » pendant lesquels « les hommes charnels
contra quem dicitur Matth. XXII30 « In resurrectione neque jouiront des plaisirs du ventre et de la, sensualité » 45 . Contre
nubent neque nubentur ». lui, il est dit en Matthieu 22 [v. 30] : « A la résurrection, on ne
prendra plus ni femme ni mari. »
230 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 231

Quidam etiam dixerunt quod «post resurrectionem mor- Certains affirmèrent aussi ceci : « Après la résurrection des
tuorum in eodem statu in quo nunc est mundus manebit » ; morts, le monde demeurera dans le même état que mainte-
contra quos dicitur Apoc. XXI 1 « Vidi celum nouum et terram nant» 46 . Contre eux, il est dit en Apocalypse 21 [v. 1]: «Je
nouam », et Apostolus dicit Ro. VIII21 quod « ipsa creatura vis un ciel nouveau et une terre nouvelle » ; et 1'Apôtre dit en
liberabitur a seruitute corruptionis in libertatem glorie filio- Romains 8 [v. 21]: «La créature sera libérée de la servitude
rum Dei». Et contra omnes hos errores dicitur « Carnis resur- de la corruption, pour la liberté de la gloire des fils de Dieu. »
rectionem », et in alio Symbolo « Expecto resurrectionem Et contre toutes ces erreurs il est dit [dans le Symbole des
mortuorum ». Apôtres] : «[Je crois] à la résurrection de la chair»; et dans
l'autre Symbole : « J'attends la résurrection des morts. »

Sixième article.

Sextus articulus pertinet ad ultimum effectum diuinitatis Le sixième article concerne le dernier effet de la divinité,
qui est remuneratio bonorum et punitio malorum, secundu~ c'est-à-dire la récompense des bons et le châtiment des
illud Psalmi «Tu reddes unicuique iuxta opera sua». méchants, selon cette parole du Psaume [61, 13] : «Tu ren-
dras à chacun selon ses œuvres. »
Et circa hune etiam fuerunt multi errores. Quorum primus Les erreurs touchant cet article furent aussi nombreuses. La
est dicentium quod anima « moritur cum corpore sicut Arabs première est l'erreur de ceux qui ont dit que l'âme ~~ meurt
asserit, uel etiam post modicum interuallum sicut Zenon avec le corps, comme l'a affirmé 1' Arabe, ou alors [que l'âme
dixit », ut recitatur in libro De ecclesiasticis dogmatibus; meurt à la suite du corps] après un court intervalle, comme
contra quem est quod Apostolus dicit Phil. 123 « Desiderium l'a dit Zénon», ainsi que le rapporte le Livre des dogmes de
habens dissolui et esse cum Christo», etApoc. VI 9 « Vidi sub l'Église 47 . À cette erreur s'oppose l'enseignement de
altare Dei animas interfectorum propter uerbum Dei». l'Apôtre en Philippiens 1 [v. 23] : « J'ai le désir d'être dégagé
des liens [du corps] et d'être avec le Christ»; et celui de
l'Apocalypse 6 [v. 9] : «J'ai vu sous l'autel de Dieu les âmes
de ceux qui ont souffert la mort pour la parole de Dieu. »
Secundus error est Origenis qui posuit demon es et homines La deuxième erreur est celle d'Origène affirmant que les
dampnatos iterum posse purgari et redire in gloriam, et ange- démons et les hommes damnés peuvent encore être purifiés et
los sanctos et homines beatos iterum posse ad mala deduci ; retourner à la gloire, tandis que les anges et les hommes saints
quod est contra auctoritatem Domini Matth. XXV46 « Ibunt peuvent encore retourner au mal 48 . Cela est contraire à l'en-
hii in supplicium eternum, iusti autem in uitam eternam ». seignement du Seigneur en Matthieu 25 [v. 46]: «Ceux-ci
iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle. »
Tertius est error dicentium omnia premia <bonorum> et La troisième est l'erreur de ceux qui ont affirmé que toutes
omnes penas malorum futuras esse equales ; contra quorum les récompenses des bons et toutes les peines des méchants
primum dicitur I Cor. XV41 « Stella differt a stella in dari- seront égales 49 . Contre la première affirmation, il est dit en
tate : sic et resurrectio mortuorum » ; contra secundum uero 1 Corinthiens 15 [v. 41-42]: «Une étoile diffère en éclat
dicitur Matth. XI 22 « Tyro et Sydoni remissius erit in die iudi- d'une autre étoile: ainsi en va-t-il de la résurrection des
cii quam uobis ». morts. » Et contre la seconde, il est dit en Matthieu 11 [v. 22] :
232 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 233

«Au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins


rigoureusement que vous. »
Quartus est error dicentium animas malorum non statim La quatrième est l'erreur de ceux qui affirment que les
post mortem descendere ad infernum, nec aliquas sanctorum âmes des méchants ne descendent pas en enfer tout de suite
animas paradisum intrare ante diem iudicii ; contra quos dici- après la mort, et qu'aucune âme de saint n'entre au paradis
tur Luce XVI22 quod « mortuus est diues et sepultus est in avant le jour du jugement. Contre ceux-ci il est dit en Luc 16
infernum », et II Cor. V 1 dicitur «Si terrestris domus nostra [v. 22] : «Le riche est mort et il a été enseveli en enfer»; et
huius habitationis dissoluatur, domum habemus non manu- en 2 Corinthiens 5 [v. 1]: «Si la maison terrestre où nous
factam conseruatam in celis ». habitons vient à être détruite, nous avons une maison non pas
faite de main d'homme mais stable dans les cieux» 50 .
Quintus est error dicentium non esse purgatorium anima- La cinquième est l'erreur de ceux qui affirment qu'il n'y a
mm post mortem, eorum scilicet qui in caritate decedentes pas de purgatoire des âmes après la mort, c'est-à-dire pour les
aliquid purgabile habent ; contra quos dicitur I Cor. III 12 « Si âmes de ceux qui meurent en état de charité mais auxquels il
quis edificauerit super fundamentum - scilicet fidei per dilec- reste quelque chose à purifier. TI est dit contre ceux-ci en
tionem operantis -lignum, fenum, stipulam », « detrimentum 1 Corinthiens 3 [v. 12.15]: <<Celui qui aura bâti sur ce fonde-
patietur, ipse tamen saluus erit, sic tamen quasi per ignem ». ment- c'est-à-dire le fondement de la foi opérant par la dilec-
Et contra hos errores dicitur in Symbolo « Vitam eternam. tion - un édifice de bois, de foin ou de paille [... ] en souffrira
Amen», uel «Vitam futuri seculi ». la perte ; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le
feu, ·»Et contre ces erreurs il est dit dans le Symbole : « [Je crois
à] la vie éternelle» ou« [j'attends] la vie du monde à venir» 51 .
Alii uero qui septem articulas circa fidem diuinitatis assi- Quant aux autres auteurs qui comptent sept articles touchant
gnant, eos sic distingunt ut primus sit de essentie unitate, la foi en la divinité, ils les répartissent de la manière suivante :
secundus de persona Patris, tertius de persona Filii, quartus le premier concerne l'unité de l'essence, le deuxième la per-
de persona Spiritus Sancti, quintus de effectu creationis, sex- sonne du Père, le troisième la personne du Fils, le quatrième
tus de effectu iustificationis, septimus de effectu remunera- la personne du Saint-Esprit, le cinquième 1' effet de la création,
tionis in quo comprehendunt resurrectionem et uitam eter- le sixième l'effet de la justification, et le septième l'effet de la
nam. Et sic dum predictorum sex articulorum secundum rémunération dans lequel ils comptent la résurrection et la vie
diuidunt in tres, quintum uero et sextum compingunt in éternelle. Ainsi, des six articles dont nous avons parlé, ils
unum, fiunt secundum eos septem articuli ; nec refert quan- divisent le deuxième en trois, tandis qu'il réunissent le cin-
tum ad ueritatem fidei uel errorum uitationem qualiter distin- quième et le sixième en un seul : ce qui fait, selon eux, sept
gantur. articles. Mais la manière de distinguer les articles n'a pas d'im-
portance pour la vérité de la foi ni pour éviter les erreurs 52 .

2. LA FOI EN L'HUMANITÉ DU CHRIST


Premier article.
Nunc restat considerare articulas qui pertinent ad humani- Il reste maintenant à examiner les articles sur l'humanité du
tatem Christi. Circa quam etiam quidam sex articulas distin- Christ. Concernant cette humanité du Christ, certains auteurs
234 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 235

gunt, quorum primus est circa conceptionem et natiuitatem distinguent également six articles. Le premier de ces articles
Christi, secundum quod dicitur Ys. VII 14 , et introducitur touche la conception et la nativité du Christ, selon la parole
Matth. I23 , « Ecce Virgo concipiet et pariet filium, et uocabi- d'Isaïe 7 [v. 14] reprise en Matthieu 1 [v. 23]: «Voici que la
tur nomen eius Emanuel». Vierge concevra et enfantera un fils à qui 1' on donnera le nom
d'Emmanuel. »
Et circa hune multi errores fuerunt, quorum primus fuit Les erreurs concernant cet article furent nombreuses. La
dicentium Christum fuisse purum hominem et quod non sem- première fut 1' erreur de ceux qui affirmèrent que le Christ
per fuit sed a Maria Virgine sumpsit exordium : et iste est était un pur homme, qu'il n'a pas toujours existé mais qu'il a
error Carpocratis et Cerinthi et Ebionis et Pauli Samosetani et commencé d'exister par Marie. Ce fut l'erreur de Carpocrate,
Fotini ; contra quos dicitur Ro. VIII « Ex quibus Christus de Cérinthe, d'Ébion, de Paul de Samosate et de Photin 53 .
secundum carnem, qui est super omnia Deus benedictus. Contre eux, il est dit en Romains 8 [en réalité Rm 9, 5] :
Amen». « [Les patriarches] desquels est issu, selon la chair, le Christ
qui est au-dessus de tout, Dieu béni. Amen. »
Secundus error est Manicheorum dicentium quod Christus La deuxième erreur est celle des manichéens affirmant que
non habuit uerum corpus sed fantasticum ; contra quod est le Christ n'a pas eu un vrai corps mais ql•e son corps était
quod Dominus Luce ult. reprehendit errorem discipulorum comme celui d'un fantôme 54 . Il y a, contre cela, ce qui est dit
suorum, qui « conturbati et perterriti existimabant se spiri- au dernier chapitre de Luc [24, 37] : le Seigneur reprit ses dis-
tum uidere » ; et Matth. XIV 26 « Videntes eum discipuli ciples qui, dans l'erreur, «troublés et saisis de crainte pen-
supra mare ambulantem turbati sunt, dicentes quia fantasma saient voir un esprit » ; et en Matthieu 14 [v. 26] : « Lorsqu'ils
est, et pre timore clamauerunt », quorum opinionem Domi- le virent marcher sur la mer, les disciples furent troublés,
nus remouit dicens « Habete fiduciam, ego sum, nolite disant que c'était un fantôme, et pris de crainte ils poussèrent
timere ». des cris » ; cette opinion, le Seigneur l'écarta en disant :
«Ayez confiance, c'est moi, soyez sans crainte.»
Tertius error est Valentini, qui dixit Christum celeste corpus La troisième erreur est celle de Valentin qui affirma que le
attulisse nichilque de Virgine assumpsisse, sed per illam tam- Christ est venu avec un corps céleste et n'a rien pris de la
quam per riuum aut fistulam sine ulla de illa assumpta carne Vierge, mais qu'il a passé par la Vierge comme par un ruis-
transisse ; contra quod dicitur Gal. IV 4 « Misit Deus Filium seau ou un canal sans avoir aucunement pris chair d'elle 55 .
suum factum ex muliere ». Contre cela, il est dit en Galates 4 [v. 4]: «Dieu a envoyé son
Fils fait d'une femme.»
Quartus est error Apollinaris, qui dixit aliquid Verbi in carne La quatrième est l'erreur d'Apollinaire: il affirma qu'une
fuisse conuersum aut transmutatum, non autem carnem de partie du Verbe fut changée ou transformée en chair, et que le
Marie carne susceptam, propter id quod dicitur Io. I 14 « Verbum Christ n'a donc pas reçu sa chair de la chair de Marie. Apol-
caro factum est», per hoc intelligens quod Verbum sit in carne linaire a affirmé cela en raison de ce qui est dit en Jean 1
conuersum ; contra quod statim ibidem subditur « Et habitauit [v. 14]: «Le Verbe s'est fait chair»; par ces paroles, il com-
in nobis ».Non autem in nostra natura integre habitasset si fuis- prenait que le Verbe s'était changé en chair 56 . Mais il est aus-
set in carne conuersum; unde intelligendum est: 'Verbum caro sitôt ajouté contre cette erreur : «Et il a habité chez nous »
factum est' id est Verbum factum est homo, sic enim caro fre- [Jean 1, 14]. En effet, le Verbe n'aurait pas parfaitement
quenter sumitur in Scripturis, secundum illud Ys. XL5 «Vide- habité dans notre nature humaine s'il avait été changé en
bit omnis caro pariter quod os Domini locutum est». chair. Ces paroles « le Verbe s'est fait chair », il faut donc les
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236 DE ARTICVLIS FIDEl .LES ARTICLES DE LA FOI 237

comprendre ainsi: le Verbe s'est fait homme; car le mot


« chair» est fréquemment pris en ce sens dans les Écritures,
comme on le voit par exemple en Isaïe 40 [v. 5] : «Toute
chair verra, en même temps, que la bouche du Seigneur a
parlé.»
Quintus error est Arrii, qui posuit Christum humanam ani- La cinquième erreur est celle d'Arius qui affirma que le
mam non habuisse sed Verbum fuisse loco anime ; contra Christ n'a pas eu d'âme humaine mais que le Verbe lui a tenu
quod dicitur Io. X 18 « Nemo tollit animam meam a me, sed lieu d'âme 57 . Contre cela, il est dit en Jean 10 [v. 18]: « Per-
ego pono eam et iterum sumo eam ». sonne ne me prend mon âme, mais c'est moi qui la donne et
qui la reprends.»
Sextus error est Apollinaris qui, cum predicto testimonio et La sixième erreur est celle d'Apollinaire qui, bien que
aliis conuinceretur humanam animam Christum habuisse convaincu par ce témoignage et par d'autres que le Christ
posuit quod Christus non habuit intellectum humanum, sed avait une âme, affirma pourtant que le Christ n'eut pas d'in-
Verbum Dei fuit ei loco intellectus ; contra quod est quod tellect humain mais que le Verbe de Dieu lui tint lieu d'intel-
Dominus se hominem esse confitetur Io. VIII40 dicens lect 58 . Contre cela, il y a le fait que le Seigneur a déclaré être
« Queritis me interficere, hominem qui ueritatem locutus un homme, disant en Jean 8 [v. 40] : «Vous cherchez à me
sum uobis » : non autem fuisset homo si anima rationali tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité » ; or il aurait pas
caruisset. été un homme s'il avait été dépourvu d'une âme rationnelle.
Septimus error est Euticis qui posuit in Christo unam natu- La septième erreur est celle d'Eutychès qui ne reconnut
ram compo~i~am ex diuinitate et humanitate ; contra quod dans le Christ qu'une seule nature composée de divinité et
Apostolus d1c1t quod « cum in forma Dei esset, formam serui d'humanité 59 . Contre cela, l'Apôtre dit en Philippiens 2 [v. 6]
assumpsit », Phil. II6, manifeste distinguens in eo duas natu- que << [le Christ Jésus], bien qu'ayant la forme de Dieu, prit la
ras, diuinam et humanam. forme d'esclave», distinguant clairement en lui deux natures,
l'une divine et l'autre humaine.
Octauus error est Monothelitarum ponentium in Christo La huitième erreur est celle des monothélites ne reconnais-
unam scientiam, operationem et uoluntatem ; contra quod sant dans le Christ qu'une seule science, une seule opération
Dominus dicit Matth. XXVI39 «Non sicut ego uolo, sed sicut et une seule volonté 60 . Contre cela, le Seigneur dit en Mat-
tu», ubi manifeste in Christo ponitur alia uoluntas humana, thieu 26 [v. 39]: «Non pas comme je veux, mais comme tu
alia diuina que est communis Patri et Filio. veux. » Ce passage affirme clairement que, dans le Christ, la
volonté humaine est autre que la volonté divine qui est
commune au Père et au Fils.
Nonus error est Nestorii, qui posuit Christum Deum per- La neuvième erreur est celle de Nestorius: il a,affirmé que
fectum et hominem perfectum, et tamen aliam dixit esse per- le Christ .est parfaitement Dieu et parfaitement homme, mais
sonam Dei et aliam hominis, et quod non est facta unio Dei et il a dit cependant que la personne divine est,autre que laper-
hominis in una persona Christi sed solum secundum gratie sonne humaine, etque l'union de Dieu et de l'homme ne s'est
inhabitationem ; ita quod ne gat beatam Virginem esse matrem pas faite dans l'unique personne du Christ ,mais seulement
~e~, sed eam dicit esse matrem hominis Christi, contra quod selon l' inhabitation de grâce. Par conséquent, il nie que la
d1c1tur Luce P 5 « Quod ex te nascetur sanctum uocabitur -bienheureuse Vierge soit la Mère de Dieu : il dit qu'elle est la
Filius Dei». mère du Christ homme. 'Contre cela, il est dit en Luc 1
238 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 239

[v. 35] : «Le Saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de
Dieu» 61 .
Decimus error est Carpocratis, qui hominem Christum de La dixième erreur est celle de Carpocrate qui, rapporte-
utroque parente natum putasse perhibetur ; contra quod dici- t-on, a pensé que le Christ homme est né de ses deux
18
tur Matth. 1 « Ante quam conuenirent inuenta est in utero parents 62. Contre cela, il , es~ dit en Matthieu_ 1 [v. 18] :
habens de Spiritu Sancto ». «Avant qu'ils eussent mene vœ commune, [Mar1e] se trouva
enceinte par l'action du Saint-Esprit.»
_Yndecim:'s em?r est Eluidii dicentis quod postquam beata La onzième erreur est celle d'Elvidius affirmant que, après
V1rgo p_er;>ent Christum, ex Ioseph plures filios genuit ; contra que la bienheureuse Vierge eut enfanté le Christ, ell~ eut
quod d1c1t:'r Eze. XLI_Y~ « Porta hec clausa erit et non ape- encore plusieurs autres enfants de Joseph 63 • Contre cela, 11 est
netur, et mr non trans1b1t per eam, quoniam Dominus Deus dit en Ezéchiel 44 [v. 2] : « Cette porte demeurera fermée et
Israel ingressus est per eam ». ne sera point ouverte ; nul homme ne passera par elle, car le
Seigneur Dieu d'Israël est entré par elle. »
Et contra omnes hos errores in Symbolo Apostolorum dici- Contre toutes ces erreurs, il est dit dans le Symbole des
tur « Qui - scilicet Filius Dei - conceptus est de Spiritu Apôtres:« Qui- c'est-à-dire le Fils de Dieu- a été conçu du
Sancto, natus ex Maria Virgine » ; et in Symbolo Patrum Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie»; et dans le Sy~bole
« Qui propter nos homines et propter nostram salutem des- des Pères : « Pour nous les hommes et pour notre salut, 11 est
cendit de celis, et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria descendu du ciel; par l'Esprit-Saint, il a pris chair de la
Virgine et homo factus est». Vierge Marie et s'est fait homme.»

Deuxième article.
Secundus articulus est de passione et morte Christi, secun- Le deuxième article concerne la passion et. la mort du
dum quod Dominus ipse predixit dicens Matth. XX18-19 Christ, conformément à ce que le Seigneur a lui-même prédit,
« Ecce ascendimus Ierosolimam et Filius hominis tradetur affirmant en Matthieu 20 [v. 18-19]: «Voici que nous mon-
principibus sacerdotum, et condempnabunt eum morte, et tra- tons à Jérusalem; le Fils de l'homme sera livré aux chefs des
ctent eum gentibus ad illudendum et flagellandum et crucifi- prêtres, ils le condamneront à mort et ils le livrer?~t aux
gendum ». païens pour qu'ils le bafouent, le flagellent et le cruc1~1e~t. »
Et circa hune articulum primo quidem est error Manicheo- Sur cet article, la première erreur est celle des manicheens
rum qui, sicut corpus Christi esse fantasticum asserunt ita qui, tout comme ils affirment que le corps du Christ était fan-
passionem Christi non in ueritate sed in fantasia fuisse a'rbi- tomatique, estiment de même que la passion du Christ n'a pas
~antur ;_contra quod dicitur Y s. LIII4 « Vere langores nostros eu lieu en vérité mais qu'elle ne fut qu'une apparence fanto-
1pse tuht », et « Tamquam ouis ad occisionem ductus est», matique 64. Contre cela il est dit en Isaïe 53 [v. 4] : «Il a lui-
quod etiam inducitur Act. VIII32_ même vraiment porté nos faiblesses » et « il a été conduit
comme un agneau à l'abattoir» [Is 53, 7], ce qui est repris en
Actes 8 [v. 32].
Secundus est error Gaiani qui in Christo unam naturam La deuxième erreur est celle de Gaïanus qui n'a reconnu
posuit, sed incorruptibilem et immortalem ; contra quod dici- dans le Christ qu'une seule nature, mais incorruptible et
240 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 241

tur I Petri III 18 «Christus semel pro peccatis nostris mortuus immortelle 65 . Contre cela, il est dit en 1 Pierre 3 [v. 18] : «Le
est». Et contra hos errores ponitur in Symbolo « Crucifixus, Christ est mort pour nos péchés, une fois pour toutes. » Et
mortuus et sepultus ». contre ces erreurs on affirme dans le Symbole: «[Le Christ]
a été crucifié, il est mort et a été enseveli. »

Troisième article.
Tertius articulus est de descensu ad inferos : credimus enim Le troisième article concerne la descente aux enfers : nous
animam Christi descendisse ad inferos corpore iacente in croyons en effet que l'âme du Christ est descendue aux enfers
sepulcro, Eph. IV 9 « Descendit primum in inferiores partes tandis que son corps gisait dans le tombeau, [comme il est dit
terre». Vnde in Symbolo dicitur «Descendit ad inferos »; en] Éphésiens 4 [v. 9]: « n est d'abord descendu dans les parties
quod est contra quosdam qui posuerunt Christum non des~ inférieures de la terre » 66 . C'est pourquoi il est dit dans le Sym-
cendisse per se ipsum ad inferos, cum tamen Petrus dicat Act. bole : « ll est descendu aux enfers. » Cela s'oppose à certaines
II 31 quod «non est derelictus in inferno ». personnes qui ont affirmé que le Christ n'est pas descendu par
lui-même aux enfers 67 , bien que Pierre dise par ailleurs en
Actes 2 [v. 31] qu'il« n'a pas été abandonné en enfer.»

Quatrième article.
Quartus articulus est de resurrectione Christi, secundum Le quatrième article concerne la résurrection du Christ,
quod ipse dixit Matth. XX 19 « Tertia die resurget ». conformément à ce qu'il dit lui-même en Matthieu 20 [v. 19]:
«[Le Fils de l'homme] ressuscitera ie troisième jour.»
Et circa hune articulum primo quidem errauit Cerinthus, Sur cet article, tout d'abord, se trompa Cérinthe: il affirma
asserens Christum non resurrexisse sed resurrecturum esse ; que le Christ n'est pas ressuscité mais qu'il ressuscitera 68 .
contra quod dicitur I Cor. XV4 << Resurrexit tertia die secun- 'Contre cela, il est dit en 1 Cdrinthiens 15Jv. 24]: «Il ressus-
dum Scripturas ». cita le troisième jour conformément aux Ecritures. »
Secundus error est qui imponitur Origeni, quod sit iterum La seconde erreur est celle que l'on attribue à Origène : [le
pro salute demonum passurus ; contra quod dicitur Ro. VI 9 Christ] devrait souffrir à nouveau pour le salut des démons 69 .
« Christus resurgens ex mortuis iam non moritur, mors illi Contre cela il est dit en Romains 6 [v. 9] : « Le Christ ressus-
ultra non dominabitur ». Et contra hos errores dicitur in Sym- citant des morts ne meurt plus, la mort n'a plus de pouvoir sur
bolo « Tertia die resurrexit a mortuis ». lui.» Et contre ces erretirs il est dit dans 'le Symbole: «Le
troisième jour, il ressuscita des morts. »

Cinquième article.
Quintus articulus est de ascensione Christi in celum, de quo Le cinquième article concerne 1' ascension du Christ au
ipse dicit Io. XX 17 « Ascendo ad Patrem meum et Patrem ues- ciel, dont le Christ lui-même dit en Jean 20 [v. 17] : «Je
242 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 243

trum ». Circa quem errant Seleuciani qui negant Saluatorem monte vers mon Père et votre Père. » Sur cet article se
in carne sedere ad dexterarn Dei Patris, sed <dicunt> quod trompent les séleuciens : ils nient que le Sauveur siège dans
eam exuit et in sole posuit ; contra quod dicitur Marci ult. la chair à la droite de Dieu le Père; ils disent qu'il s'est
~~ Dominus quidem Ihesus postquam locutus est eis, ascendit dépouillé de sa chair et qu'il l'a placée dans le soleil7o.
in celum et sedet a dextris Dei». Vnde in Symbolo dicitur Contre cela il est dit au dernier chapitre de Marc [16, 19] :
« Ascendit in celum, sedet ad dexteram Patris ». «Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, monta au ciel où
il siège à la droite de Dieu.» C'est pourquoi il est dit dans le
Symbole : « Il monta au ciel, il est assis à la droite du Père. »

Sixième article.

Sextus articulus est de aduentu ad iudicium, de quo ipse Le sixième article concerne la venue [du Christ] pour le
Dominus dicit Matth. XXV 31 « Cum uenerit Filius hominis in jugement, dont le Seigneur dit lui-même en Matthieu 25
maiestate sua et omnes angeli cum eo, tune sedebit in sede [v. 31]: «Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa majesté
maiestatis sue» etc. ; et Petrus dicit Act. X42 «Hic est qui avec tous les anges, alors il siégera sur le trône de sa
constitutus est a Deo iudex uiuorum et mortuorum », id est majesté», etc. Et Pierre dit en Actes 10 [v. 42]: «C'est lui qui
bonorum et malorum, siue eorum qui iam mortui sunt et a été établi par Dieu pour être le juge des vivants et des
eorum qui in aduentu Christi uiui inuenientur. Et circa hoc morts», c'est-à-dire des bons et des méchants, ou de ceux qui
errant illi de quibus dicitur II Petri III3-4 « Venient in nouissi- sont déjà morts et de ceux qui seront trouvés vivants lors de
mis diebus in deceptionem illusores, iuxta proprias concupis- l'avènement du Christ.
centias ambulantes et dicentes : Vbi est nunc promissio aut Et sur cet article se trompent ceux dont il est dit en 2 Pierre
aduentus eius? ». Contra quos dicitur lob XIX29 « Fugite a 3 [v. 3-4]: «Aux derniers jours viendront des imposteurs,
facie gladii quoniam ultor iniquitatis est gladius, et scitote pleins de tromperies, marchant suivant leur propres passions
esse iudicium » ; unde in Symbolo dicitur «Inde uenturus est et disant : Où est donc la promesse de son avènement ? »
iudicare uiuos et mortuos ». Illi autem qui septem articulos Contre eux, il est dit en Job 19 [v. 29] : « Fuyez devant 1' épée,
humanitatis ponunt distingunt primum articulum in duos, car c'est l'épée qui venge l'injustice: sachez qu'il y a un
ponentes scilicet sub alio articula conceptionem Christi et sub jugement.» C'est pourquoi on dit dans le Symbole:« Il vien-
alio eius natiuitatem. dra pour juger les vivants et les morts. »
Ceux qui comptent sept articles concernant l'humanité [du
Christ] divisent le premier article en deux, distinguant dans
un article à part la conception du Christ puis dans un autre sa
nativité.
244 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 245

DE ECCLESIE SACRAMENTIS II. LES SACREMENTS DE L'ÉGLISE

Nunc restat considerare de Ecclesie sacramentis ; que Il reste maintenant à examiner les sacrements de l'Église.
tamen ornnia comprehenduntur sub quarto articulo qui ad Ils sont tous contenus dans le quatrième article concernant
effectum gratie pertinet, sed quia specialem de sacramentis l'effet qu'est la grâce, mais, puisque tu m'as posé une ques-
questionem fecistis, de hiis seorsum est agendum. tion spéciale sur les sacrements, il me faut en traiter séparé-
ment.

1. LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL

Est igitur primo sciendum quod, sicut Augustinus dicit in X Il faut tout d'abord savoir que, suivant Augustin au dixième
De ciuitate Dei, sacramentum est sacrum secretum uel sacre livre de La Cité de Dieu, le sacrement est un secret sacré ou le
rei signum. Fuerunt autem in Veteri lege quedam sacramenta, signe d'une réalité sacrée 71 . li y eut d'abord des sacrements
id est sacre rei signa, sicut agnus paschalis et alia sacramenta dans la Loi ancienne, c'est-à-dire des signes d'une réalité
legalia ; que quidem solum significabant gratiam Christi, non sacrée, comme l'agneau pascal et les autres sacrements de la
tamen eam causabant. Vnde Apostolus Gal. IV9 uocat ea Loi. Ces sacrements ne faisaient que signifier la grâce du
« egena et infirma elementa » : egena quidem quia gratiam Christ mais ils ne la causaient pas. C'est pourquoi, en Galates
non continebant, infirma quia gratiam conferre non poterant. 4 [v. 9], l'Apôtre les appelle des «éléments pauvres et insuf-
Sacramenta uero Noue legis continent et conferunt gratiam; fisants»: pauvres parce qu'ils ne contenaient pas la grâce, et
in eis enim 'uirtus Christi sub tegumento rerum uisibilium insuffisants parce qu'ils ne pouvaient pas procurer la grâce.
secretius operatur salutem', ut Augustinus dicit. Et ideo Mais les sacrements de la Loi nouvelle contiennent et pro-
sacramentum Noue legis est 'inuisibilis gratie uisibilis forma, curent la grâce : en eux, « la force du Christ agit secrètement
ut ymaginem gerat et causa existat' : sicut ablutio que fit in sous l'enveloppe de réalités visibles», comme le dit Augus-
aqua baptismatis representat interiorem mundationem que fit tin 72 . C'est pourquoi le sacrement de la Loi nouvelle est la
a peccatis per uirtutem baptismi. forme visible de la grâce invisible, de telle sorte qu'il en porte
l'image et qu'il en est la cause 73 : c'est ainsi, par exemple, que
l'ablution faite dans l'eau du baptême représente la purifica-
tion intérieure des péchés procurée par la force du baptême.
Sunt autem huiusmodi sacramenta Noue legis septem, sci- Ces sacrements de la Loi nouvelle sont au nombre de sept :
licet baptismus, confirmatio, eucharistia, penitent~a, extrelll:a le baptême, la confirmation, 1' eucharistie, la pénitence,
unctio, ordo et matrimonium ; quorum prima qumque ordt• l'extrême-onction, l'ordre et le mariage. Les cinq premiers
nantur ad perfectionem unius hominis in se ipso, alia uero d'entre eux ont pour but la perfection personnelle de
duo ordinantur ad perfectionem et multiplicationem l'homme en lui-même; quant aux deux derniers, ils ont pour
Ecclesie. Vita enim spiritualis conformatur uite corporali. but la perfection et l'accroissement de toute l'Église. En effet,
uita autem corporali homo perficitur primo quidemper la vie spirituelle est semblable à la vie corporelle. Or dans la
rationem qua nascitur in hoc mundo, secundo per aul:!:m,entum vie corporelle l'homme est rendu parfait, premièrement, par
quo perducitur ad. quantitatem et uirtutem perfectam, la génération qui le fait naître en ce monde ; deuxièmement
246 DE ARTICVLIS FIDEI LES ARTICLES DE LA FOI 247

per cibum quo sustentatur hominis uita et uirtus. Et hec qui- par la croissance qui lui fait atteindre la grandeur et la force
dem sufficerent si numquam eum infirmari contingeret ; sed parfaites ; troisièmement par la nourriture qui entretient la vie
quia frequenter homo infirmatur, quarto indiget sanatione. et la force de l'homme. Ces trois choses suffiraient s'il n'ar-
Sic est in uita spirituali. rivait jamais que l'homme soit malade; mais puisqu'il tombe
fréquemment malade il a besoin, en quatrième lieu, d'être
guéri. Il en va de même dans la vie spirituelle 74 •
Primo quidem indiget homo regeneratione que fit per bap- Premièrement, l'homme a besoin de la régénération qui se
tismum, secundum illud Io. III5 « Nisi quis renatus fuerit ex fait par le baptême, selon cette parole en Jean 3 [v. 5]: «À
aqua et Spiritu Sancto, non potest introire in regnum Dei». moins d'être né à nouveau de l'eau et de l'Esprit-Saint, on ne
Secundo oportet quod homo accipiat perfectam uirtutem, peut pas entrer dans le royaume de Dieu. » Deuxièmement, il
quasi per quoddam spirituale augmentum, per sacramentum faut que l'homme reçoive la force parfaite, comme par une
confirmationis : ad similitudinem Apostolorum quos Spiritus croissance spirituelle, par le sacrement de la confirmation, à
Sanctus in eos ueniens confirmauit, unde Dominus eis dixit, l'image des apôtres que le Saint-Esprit a confirmés en venant
Luce ult. « Sedete hic, donec induamini uirtute ex alto». Ter- sur eux ; c'est pourquoi le Seigneur leur dit, au dernier cha-
tio oportet quod homo spiritualiter nutriatur per eucharistie pitre de Luc [24, 49]: «Demeurez ici jusqu'à ce que vous
sacramentum, secundum illud Io. VI54 « Nisi manducaueritis soyez revêtus de la force d'en haut.» Troisièmement, il faut
carnem Filii hominis et biberitis eius sanguinem, non habebi- que l'homme soit nourri spirituellement par le sacrement de
tis uitam in uobis ». Quarto oportet quod homo sanetur spiri- l'eucharistie, selon cette parole de Jean 6 [v. 54]: ~~Si vous
tualiter quidem per sacramentum penitentie, secundum illud ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne
Ps. « Sana animam meam, quia peccaui tibi » ; spiritualiter buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. » Qua-
autem simul et corporaliter per sacramentum extreme unctio- trièmement, il faut que l'homme soit guéri: spirituellement,
nis, secundum illud lac. ult. « Infirmatur quis in uobis, indu- par le sacrement de la pénitence, suivant cette parole du
cat presbyteros Ecclesie et orent super eum, ungentes eum Psaume [40, 5] : « Guéris mon âme, car j'ai péché contre
oleo in nomine Domini ; et oratio fidei saluabit infirmum et toi » ; mais aussi spirituellement et corporellement à la fois,
alleuiabit eum Dominus, et si in peccatis sit dimittetur ei ». par le sacrement de l'extrême-onction, suivant cette parole du
Quantum autem ad communem Ecclesie utilitatem ordinantur dernier chapitre de Jacques [5, 14] : « Si quelqu'un parmi
duo sacramenta, scilicet ordo et matrimonium : quia per ordi- vous est malade, qu'il fasse venir les prêtres de l'Église et
nem Ecclesia gubernatur et multiplicatur spiritualiter, per qu'ils prient sur lui, l'oignant d'huile au nom du Seigneur. La
matrimonium uero multiplicatur corporaliter. prière de la foi sauvera le malade et le Seigneur le soulagera ;
et s'il se trouve dans le péché, il lui sera remis.» Deux sacre-
ments enfin, à savoir l'ordre et le mariage, ont _pour but
l'avantage commun de l'Église: car par l'ordre l'Eglise est
gouvernée et elle s'accroît spirituellement, tandis que par le
mariage elle s'accroît corporellement.
Est autem considerandum quod predicta septem sacra- Il faut encore observer que ces sept sacrements possèdent
menta quedam habent communia et quedam propria. Com- certaines choses en commun et certaines choses en propre. Il
mune quidem est omnibus sacramentis quod conferant gra- est commun à tous les sacrements de conférer la grâce,
tiam, sicut dictum est ; et est omnibus commune quod omne comme on l'a dit. Il leur appartient également à tous, en com-
sacramentum consistit in uerbis et rebus corporalibus, sicut mun, de consister en des paroles et en des éléments corpo-
248 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 249

in Christo, qui est sacramentorum actor, est Verbum caro fac- rels : comme le Christ, qui est l'auteur des sacrements, est le
tum. Et sicut caro Christi sanctificata est et uirtutem sanctifi- Verbe fait chair 75 • De même que la chair du Christ a été sanc-
candi habet per Verbum sibi unitum, ita et res sacramentorum tifiée et qu'elle possède une force de sanctification par le
sanctificantur et uim sanctificandi habent per uerba que in eis Verbe qui lui est uni 76, ainsi les éléments [corporels] des
proferuntur ; unde Augustinus dicit Super Iohannem « Acce- sacrements sont sanctifiés et possèdent une force de sanctifi-
dit uerbum ad elementum et fit sacramentum ». Vnde uerba cation par les paroles qui sont prononcées sur eux. C'est
quibus sanctificantur sacramenta dicuntur forme sacramento- pourquoi Augustin dit dans ses Homélies sur Jean: «La
mm ; res autem sanctificate per huiusmodi uerba dicuntur parole se joint à l'élément, et voilà le sacrement 77 . »C'est la
sacramentorum materie, sicut aqua est materia baptismi et raison pour laquelle les paroles qui sanctifient les sacrements
crisma confirmationis. Requiritur etiam in quolibet sacra- sont appelées formes des sacrements. Quant aux éléments
mento persona ministri conferentis sacramentum cum inten- sanctifiés par ces paroles, ils sont appelés matière des sacre-
tione faciendi quod facit Ecclesia : quorum trium si aliquid ments: c'est ainsi, par exemple, que l'eau est la matière du
desit, id est si non sit debita forma uerborum, si non sit debita baptême et que le chrême est la matière de la confirmation 78.
materia, si minister sacramenti non intendat conferre sacra- Tout sacrement requiert enfin la personne d'un ministre
mentum, non perficitur sacramentum. Impeditur etiam effec- copférant le sacrement avec l'intention de faire ce que fait
tus sacramenti per culpam recipientis, puta si fictus accedat l'Eglise. Si l'un de ces trois [éléments constitutifs] fait défaut,
et non corde parato ad suscipiendum sacramentum, talis c'est-à-dire s'il manque la forme des paroles qui est requise,
enim licet sacramentum suscipiat, effectum tamen sacra- si la matière requise fait défaut ou si le ministre du sacrement
menti, id est gratiam Spiritus Sancti, non recipit, quia ut dici- n'a pas l'intention de conférer le sacrement, alors le sacre-
tur Sap. I5 «Spiritus Sanctus discipline effugiet fictum ». E ment n'est pas réalisé 79 • Celui qui reçoit le sacrement peut
conuerso autem aliqui nondum receperunt sacramentum, qui aussi en empêcher l'effet par sa faute, par exemple s'il s'en
tamen effectum sacramenti suscipiunt propter deuotionem approche en simulateur et non pas avec un cœur disposé à
quam habent ad sacramentum quod habent in uoto siue in recevoir le sacrement; car dans ce cas, bien qu'il reçoive le
desiderio. sacrement, il n'en reçoit pourtant pas l'effet qui est la grâce
du Saint-Esprit, car il est dit en Sagesse 1 [v. 5] : «Le Saint-
Esprit, l'éducateur, fuit le simulateur 80 . » Mais à l'inverse
certaines personnes, sans avoir encore reçu le sacrement, en
obtiennent déjà l'effet, en raison de leur dévotion envers le
sacrement qu'elles possèdent par vœu ou par désir 81 .
Sunt autem et quedam propria sacramentis quibusdam. Certains sacrements possèdent également des aspects qui
Nam quedam horum imprimunt caracterem, id est spirituale leur sont propres. Certains d'entre eux, en effet, impriment un
quoddam signum distinctiuum a ceteris, sicut in sacramento caractère, c'est-à-dire un signe spirituel qui les distingue des
baptismi, in sacramento ordinis et in sacramento confirmatio- autres : c'est le cas du sacrement du baptême, du sacrement
nis ; et talia sacramenta numquam iterantur super eandem de l'ordre et du sacrement de la confirmation. Ces sacrements
personam. Numquam enim ille qui est baptizatus debet ulte- ne sont jamais redonnés à une même personne. En effet, celui
rius baptizari, nec confirmatus iterum confirmari, nec ordina- qui a été baptisé ne doit jamais être baptisé à nouveau, ni
tus iterum ordinari, quia caracter qui in huiusmodi sacramen- celui qui a reçu la confirmation être confirmé à nouveau, ni
tis imprimitur indelebilis est. In aliis uero sacramentis non celui qui a reçu l'ordre être ordonné à nouveau, parce que le
imprimitur caracter suscipienti ea, et ideo possunt iterari caractère qui est imprimé dans ces sacrements est indélébile.
250 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 251

quantum ad personam suscipientem, non tamen quantum ad Mais dans les autres sacrements, aucun caractère n'est
materiam. Potest enim unus homo frequenter eucharistiam imprimé en celui qui les reçoit; c'est pourquoi il peuvent être
sumere, frequenter penitere, frequenter extremam unctionem réitérés pour la personne qui les reçoit, bien qu'ils ne puissent
suscipere, frequenter matrimonium contrahere ; non tamen pas être réitérés quant à leur matière. En effet, un même
eadem hostia debet frequenter consecrari, nec idem oleum homme peut prendre fréquemment l'eucharistie, faire sou-
infirmorum debet frequenter benedici. vent pénitence, recevoir l'extrême-onction de manière répé-
tée et contracter plusieurs fois mariage. Mais la même hostie
ne doit pas être consacrée plusieurs fois, comme la même
huile des infirmes ne doit pas être bénie plusieurs fois.
Est etiam et alia differentia, quod quedam sacramenta sunt Il y a encore une autre différence : certains sacrements sont
de necessitate salutis, sicut baptismus et penitentia que sunt nécessaires au salut, comme le baptême et la pénitence qui
instituta ad purgandum peccata, quibus non existentibus non ont été institués pour purifier les péchés ; sans eux l'homme
potest homo saluari. Alia uero sacramenta non sunt de neces- ne peut pas être sauvé. D'autres sacrements ne sont pas
sitate salutis, quia sine eis potest esse salus, nisi propter nécessaires au salut, car il ~eut y avoir salut sans eux, à moins
contemptum sacramenti. d'un mépris du sacrement 2 .

2. LES SACREMENTS EN PARTICULIER

Hiis uisis in communi circa Ecclesie sacramenta, oportet _Après avoir vu ces aspects communs des sacrements de
quedam in speciali de singulis dicere. l'Eglise, il nous faut maintenant traiter de chacun en particu-
lier.

Le baptême.

Primo igitur circa baptismum sciendum est quod materia Concernant le baptême, tout d'abord, il faut savoir que la
baptismi est aqua uera et naturalis, nec differt utrum sit fri- matière du baptême est l'eau véritable et naturelle. Que l'eau
gida uel calefacta ; in aquis autem artificialibus, sicut est aqua soit froide ou chaude ne fait pas de différence, mais on ne
rosacea, et aliis huiusmodi, baptizari non potest. Forma peut pas être baptisé dans des eaux artificielles comme l'eau
autem baptismi est ista « Ego te baptizo in nomine Patris et de rose ou les autres eaux de ce genre. La forme du baptême
Filii et Spiritus Sancti ». Minister autem huius sacramenti est celle-ci: «Moi, je te baptise au nom du Père, du Fils et du
proprius est sacerdos, cui ex officia competit baptizare ; in Saint-Esprit. » Le ministre propre de ce sacrement est le
articula tamen necessitatis non solum dyaconus sed etiam prêtre, à qui il appartient de baptiser en vertu de son office.
laycus et mulier, immo etiam paganus et hereticus po test bap- Mais, en cas de nécessité, non seulement le diacre mais aussi
tizare, dum modo seruet formam Ecclesie et intendat facere un laïc ou une femme, ou même un païen ou un hérétique
quod facit Ecclesia. Si uero extra articulum necessitatis ali- peut baptiser, pour autant qu'il observe la forme de l'Église et
quis a talibus baptizetur, recipit quidem sacramentum et non qu'il ait l'intention de faire ce que fait l'Église. Si quelqu'un
debet iterum baptizari, non tamen recipit gratiam sacramenti, est baptisé par de telles personnes hors le cas de nécessité, il
252 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 253

quia ficti reputantur utpote contra statutum Ecclesie sacra- reç?it_ bien le sacrement et ne doit pas être baptisé à nouveau,
mentum accipientes. Effectus autem baptismi est remissio mms 11 ne reçoit pourtant pas la grâce du sacrement, car on
culpe originalis et actualis, et etiam tatius culpe et pene, ita compte au nombre des simulateurs ceux qui reçoivent le
quod baptizatis non est aliqua satisfactio iniungenda pro pee- sacrement de manière contraire aux statuts de l'Église 83.
catis preteritis, sed statim morientes post baptismum introdu- Quant à l'effet du baptême, c'est la rémission de la faute ori-
cuntur ad gloriam Dei; unde effectus baptismi ponitur aper- ginelle et de la faute actuelle, et même de toute faute et de
tio ianue paradisi. to~te pe~ne : ainsi, aux baptisés, on ne doit pas imposer de
satlsfactwn pour leurs péchés passés, mais ceux qui meurent
tout de suite après leur baptême reçoivent d'entrer dans la
gloire de Dieu. C'est pourquoi l'effet du baptême est l'ouver-
ture de la porte du paradis.
Circa hoc sacramentum fuerunt aliqui errores. Primus qui- Il y eut des erreurs touchant ce sacrement. La première est
dem Seleucianorum, qui baptismum in aqua non recipiunt sed celle des séleuciens qui n'acceptent pas le baptême dans l'eau
solum baptismum spiritualem ; contra quos Dominus dicit mais seulement un baptême spirituel 84 . Contre eux le Sei-
Io. III5 « Nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu Sancto non gneur dit en Jean 3 [v. 5]: «À moins d'être né à nouveau de
potest intrare in regnum Dei». l'eau et de l'Esprit-Saint, on ne peut pas entrer dans le
royaume de Dieu. »
Secundus error fuit Donatistarum rebaptizantium eos qui La deuxième erreur est celle des donatistes rebaptisant ceux
sunt a catholicis baptizati; contra quos dicitur Eph. IV5 «Vna qui ont été baptisés par les catholiques 85 . Contre eux, il est dit
fides, unum baptisma ». en Ephésiens 4 [v. 5] : «Une seule foi, un seul baptême. »
Est etiam alius error eorum : nam dicunt quod homo in pec- Ces donatistes commirent également une autre erreur, affir-
cato existens non potest baptizare ; contra quos dicitur Io. 133 mant qu'un homme en état de péché ne peut pas baptiser.
« Super quem uideris Spiritum descendentem et manentem Contre eux, il est dit en Jean 1 [v. 33]: «Celui sur qui vous
super eum, hic est qui baptizat », scilicet Christus. Vnde non verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, c'est celui-là
nocet homini malus minister, nec in hoc nec in aliis sacra- qui baptise», c'est-à-dire le Christ. C'est pourquoi un mau-
mentis, quia Christus est bonus qui interius perficit sacra- vais ministre ne porte préjudice à personne, ni dans ce sacre-
mentum. ment ni dans les autres, car c'est le Christ, lui qui est bon, qui
accomplit intérieurement le sacrement 86.
Quartus error est Pelagianorum qui dicunt pueras « propte- La quatrième erreur est celle des pélagiens qui disent que
rea baptizari ut regeneratione adoptati admittantur ad regnum le~ e~fant~ « s?nt bapti_sés pour que, adoptés grâce à leur régé-
Dei, de bono in melius translati, non ista renouatione ab ali- neratlon, Il sment adm1s dans le Royaume de Dieu, en passant
quo malo obligationis ueteris absoluti ». d'un état qui est bon à un état qui est meilleur, sans que cette
rénovation les délivre du mal d'une obligation ancienne 87. »

La confirmation.

Secundum sacramentum est confirmationis, cuius materia Le deuxième sacrement est celui de la confirmation. Sa
est crisma confectum ex oleo, quod significat nitorem matière est le chrême confectionné avec de l'huile signifiant
-
254 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 255

conscientie, et balsamo, quod significat odorem bone fame, l'éclat pur de la conscience, et avec du baume signifiant
per episcopum benedicto. Forma autem huius sacramenti est l'odeur d'une bonne réputation, et béni par l'évêque 88. La
talis « Consigna te signo crocis et confirma te crismate salu- forme de ce sacrement est la suivante: «Je te marque du
tis in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen». Minis- signe de la Croix et je te confirme avec le chrême du salut au
ter autem huius sacramenti est solus episcopus : non enim nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen» 89. Le
licet sacerdoti confirmandos crismate in fronte inungere. ministre de ce sacrement est l'évêque seul: il n'est pas per-
Effectus autem huius sacramenti est quod in eo datur Spiritus mis au prêtre d'oindre les confirmands sur le front 90 . Quant à
Sanctus ad robur, sicut datus est Apostolis in die Pentecostes, l'effet de ce sacrement, c'est le don de l'Esprit-Saint [au bap-
ut scilicet christianus audacter confiteatur nomen Christi. Et tisé] pour le fortifier, comme ce fut le cas pour les Apôtres à
ideo confirmandus in fronte inungitur in quo est sedes uere- qui l'Esprit fut donné à la Pentecôte, c'est-à-dire pour que le
cundie, ut scilicet nomen Christi confiteri non erobescat, et chrétien confesse hardiment le nom du Christ. C'est pourquoi
precipue crocem eius que est 'Iudeis scandalum, Gentibus le confirmand est oint sur le front, siège de la honte, afin qu'il
autem stultitiam' ; et propter hoc etiam signo crocis consi- ne rougisse pas de confesser le nom du Christ et surtout sa
gnatur. Croix qui est << scandale pour les Juifs et folie pour les
païens» [1 Co 1, 23] ; c'est aussi la raison pour laquelle le
confirmand est marqué du signe de la Croix.
Circa hoc autem sacramentum est error quorondam Greco- Il y a, touchant ce sacrement, l'erreur de certains Grecs
rom dicentium quod sacerdos simplex hoc sacramentum disant qu'un simple prêtre peut conférer ce sacrement 91.
potest conferre ; contra quos dicitur Act. VIII 14- 17 quod Apos- Contre eux, il est dit en Actes 8 [v. 14-17] que les Apôtres
toli « miseront Petrom et Iohannem » Apostolos, qui « impo- «envoyèrent Pierre et Jean», eux-mêmes Apôtres, qui
nebant manus super eos » qui baptizati erant a Philippa dya- «imposaient les mains sur ceux » qui avaient été baptisés
cono, « et accipiebant Spiritum Sanctum » : episcopi autem par le diacre Philippe,« et ils recevaient le Saint-Esprit». Or
sunt in Ecclesia loco Apostolorom, et loco illius manus impo- ce, sont les évêques qui tiennent la place des ,Apôtres dans
sitionis datur in Ecclesia confirmatio. l'Eglise, et c'est la confirmation qui dans l'Eglise tient la
place de cette imposition des mains.

L'eucharistie.

Tertium sacramentum est eucharistie, cuius materia est Le troisième sacrement est celui de l'eucharistie. Sa
panis triticeus et uinum de uite, modica aqua permixta ita matière est le pain de froment et le vin de la vigne auquel on
quod aqua transeat in uinum : nam aqua significat populum mêle une faible quantité d'eau, de telle sorte que l'eau soit
qui incorporatur Christo. De alio autem pane quam tritici et transformée en vin, car l'eau signifie le peuple qui est incor-
de alio uino quam uitis non potest hoc confici sacramentum. poré au Christ. On ne peut pas faire ce sacrement avec un
Forma autem huius sacramenti sunt ipsa uerba Christi dicen- autre pain que le pain de froment, ni avec un autre vin que
tis «Hoc est corpus meum »,et« Hic est calix sanguinis mei, celui de la vigne. La forme de ce sacrement consiste dans les
noui et eterni testamenti, qui pro uobis et pro multis effunde- paroles mêmes du Christ disant « Ceci est mon Corps » et
tur in remissionem peccatorom » ; quia sacerdos in persona «Ceci est la coupe de mon Sang, le Sang de l'alliance nou-
Christi loquens hoc conficit sacramentum. Minister autem velle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multi-
. 256 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 257

huius sacramenti est sacerdos, nec aliquis alius potest confi- tude en rémission des péchés», car c'est en parlant en laper-
cere corpus Christi. sonne du Christ que le prêtre fait ce sacrement. Le ministre de
ce sacrement est le prêtre et personne d'autre ne peut faire ce
sacrement 92 •
Effectus autem huius sacramenti est duplex, quorum pri- Quant à l'effet de ce sacrement, il est double. Le premier
mus consistit in ipsa consecratione sacramenti : nam uirtute effet consiste dans la consécration même du sacrement : en
predictorum uerborum panis conuertitur in corpus Chris~i et vertu des paroles que nous venons d'indiquer, le pain est
uinum in sanguinem, ita tamen quod totus Christus contme- changé en Corps du Christ et le vin en son Sang, de telle sorte
tur sub speciebus panis que remanent sine subiecto, et totus cependant que le Christ tout entier est contenu sous les
Christus sub speciebus uini ; et sub qualibet parte hostie espèces dQ pain qui demeurent sans sujet 93 , et que le Christ
consecrate uel uini consecrati separatione facta est totus tout entier est contenu sous les espèces du vin ; et lorsque est
Christus. Alius uero effectus huius sacramenti, quem in faite la division des espèces, le Christ est tout entier sous
anima digne sumentis facit, est adunatio hominis ad Chris- chaque partie de l'hostie consacrée ou du vin consacré. Le
tum, sicut ipse dicit Io. VI56 « Qui manducat meam carnem et second effet de ce sacrement, effet produit dans l'âme de celui
bibit meum sanguinem in me manet et ego in eo ».Et quia per qui le prend dignement, c'est l'union de l'homme au Christ,
gratiam homo Christo incorporatur et membris eius unitur, ainsi que le Christ le dit lui-même en Jean 6 [v. 56]: «Qui
consequens est quod per hoc sacramentum in sumen~ib':ls mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en
digne gratia augeatur. Sic igitur in hoc sacramento est ahqmd lui. » Et puisque par la grâce l'homme est incorporé au Christ
quod est sacramentum tantum, scilicet ipsa spe~i~s panis et et Uni à ses membres, ce sacrement procure par conséquent un
uini, et aliquid quod est res et sacramentum, sc1~1~et corpus accroissement de la grâce en ceux qui le prennent dignement.
Christi uerum, et aliquid quod est res tantum, sc1hcet umtas Ainsi donc, il y a dans ce sacrement quelque chose qui est
corporis mistici, id est Ecclesie, quam hoc sacramentum et « seulement sacrement » : ce sont les espèces du pain et du
significat et causat. vin ; il y a aussi quelque chose qui est « réalité et sacrement » :
c'est le vrai Corps du Christ; et il y a quelque chose qui est
« seulement_réalité »: c'est l'unité du Corps mystique, c'est-
à-dire de l'Eglise, que ce sacrement signifie et cause 94 .
Fuerunt etiam et circa hoc sacramentum multi errores. Il y eut aussi beaucoup d'erreurs touchant ce sacrement. La
Quorum primus est eorum qui dicunt quod in hoc sacramento première est l'erreur de ceux qui affirment que le Corps du
non est uerum corpus Christi sed tantum significatiue, cuius Christ n'est pas vraiment dans ce sacrement, mais qu'il est
erroris dicitur fuisse Berengarius ; contra quod dicitur Io. V55 seulement signifié. C'est l'erreur, rapporte-t-on, de
«Caro mea uere est cibus et sanguis meus uere est potus ». Bérenger 95 . Contre cela, il est dit en Jean 6 [v. 55]: «Ma
chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment
une boisson. »
Secundus est error Artotyritarum, qui « offerunt in sacra- La deuxième est l'erreur des artotyrites qui, dans le sacre-
mento panem et caseum, dicentes a primis hominibus obla- ment, « offrent du pain et du fromage, disant que les
tiones de fructibus terre et ouium fuisse celebratas » ; contra offrandes célébrées par les premiers hommes le furent avec
quod est quod Dominus, huius sacramenti institutor, panem et les fruits de la terre et des brebis 96 ». Contre cela, il y a le fait
uinum discipulis suis dedit. suivant : le Seigneur, qui a institué ce sacrement, a donné du
pain et du vin à ses disciples.
258 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 259

Tertius est error Catafrigarum et Pepucianorum, qui de La troisième est l'erreur des cataphrygiens et des pépuziens
infantis sanguine, quem de toto eius corpore minutis punc- qui « célèbrent leur eucharistie avec du sang de petits enfants
tionum uulneribus extorquent, quasi eucharistiam suam qu'ils tirent de tout leur corps par de petites piqûres et qu'il~
conficere perhibentur immiscentes eum farine panemque mêlent à de la farine pour faire du pain 97 ». Tout cela res-
inde facientes : quod magis est simile sacrificiis demonum semble davantage aux sacrifices des démons qu'au sacrifice
quam sacrificiis Christi, secundum illud Ps. « Effuderunt du Christ, suivant cette parole du Psaume [105, 38] : «Ils ont
sanguinem innocentem quem sacrificauerunt sculptilibus versé un sang innocent qu'ils ont sacrifié aux idoles de
Canaan». Canaan.»
Quartus est error Aquariorum, qui aquam solam in sacrifi- La quatrième est 1'erreur des aquariens qui n'offrent que de
ciis offerunt, cum tamen Prou. IX5 dicatur ex ore sapientis qui l'eau dans leurs sacrifices 98 , alors qu'il est dit en Proverbes 9
est Christus « Bibite uinum quod miscui uobis ». [v. 5] par la bouche du Sage qui est le Christ : « Buvez le vin
que j'ai mélangé pour vous.»
Quintus est error Ophitarum, qui serpentem esse Christum L~ cinquième est l'erreur des ophites qui, ~~ pensant que le
estimantes, 'habent unum colubrum assuetum panes lingua Chnst est un serpent, ont un serpent habitué à lécher les pains
lambere atque ita eis uelut eucharistiam sanctificare'. avec sa langue, ce qui tient lieu pour eux de sanctification de
leur eucharistie 99 ».
Sextus est error Pepucianorum, qui « tantum dant mulieri- La sixième est l'erreur des pépuziens qui ~' accordent
bus principatum ut sacerdotio quoque apud eos honorentur ». une telle place d'autorité aux femmes ~ue, chez eux, elles
reçoivent aussi l'honneur du sacerdoce lO ».
Septimus est error Pauperum de Lugduno, qui dicunt ius- I:a septièn;e erreur est. celle des Pauvres de Lyon qui
tum hominem posse conficere hoc sacramentum ; contra quos afflnnent qu un homme JUSte peut faire ce sacrement lôl.
errores est quod Dominus Apostolis suis potestatem tradidit Contre ces [trois dernières] erreurs, il y a ce fait: le Seigneur
hoc sacrificium celebrandi, unde solum illi qui quadam sùc- a transmis à ses Apôtres le pouvoir de célébrer ce sacrement ;
cessione ab Apostolis acceperunt hanc potestatem, possunt c'est pourquoi seuls peuvent faire ce sacrement ceux qui, par
hoc sacramentum conficere. succession, ont reçu ce pouvoir des Apôtres.
Octauus est error quorundam qui dicuntur Adamiani, quasi .La huitième est l'erreur de certains que l'on appelle ada-
imitantes nuditatem Ade, nudi itaque mares femineque rrutes parce qu'ils imitent la nudité d'Adam: «Hommes et
conueniunt, nudi lectiones audiunt, ~~ nudi orant, sacramenta femmes se réunissent nus, écoutent nus les lectures, prient
nudi celebrant » ; contra quos dicitur I Cor. XIV40 « Omnia nus et célèbrent nus les sacrements 102 . »Contre eux, il est dit
honeste et secundum ordinem fiant in uobis ». en 1 Corinthiens 14 [v. 40]: <~Que tout se fasse chez vous
dignement et dans l'ordre. »

La pénitence.

Quartum sacramentum est penitentie, cuius quasi materia Le quatrième sacrement est celui de la pénitence. Il a
sunt actus penitentis, qui dicuntur tres penitentie partes : qua- comme matière les actes du pénitent que l'on appelle les trois
mm prima est cordis contritio, ad quam pertinet ut homo parties de la pénitence 103 . La première d'·entre elles est la
doleat de peccato commisso et proponat se de cetero non pee- contrition du cœur qui consiste à regretter avec douleur le
260 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 261

caturum ; secunda pars est oris confessio, ad quam pertinet ut péché commis et à former le propos de ne plus pécher à l'ave-
peccator omnia peccata quorum memoriam habet suo sacer- nir. La deuxième partie est la confession orale qui consiste en
doti confiteatur integraliter, non diuidens ea diuersis sacerdo- ceci : le pécheur confesse intégralement à son prêtre tous les
tibus ; tertia pars est satisfactio pro peccatis secundum arbi- p_échés dont il se souvient, sans répartir ces péchés entre plu-
trium sacerdotis, que quidem precipue fit per ieiunium, sieurs prêtres. La troisième partie est la satisfaction pour les
orationem et eleemosynam. péchés : elle se fait principalement par le jeûne, la prière et
l'aumône 104.
Forma autem huius sacramenti sunt uerba absolutionis que La forme de ce sacrement consiste dans les paroles d'abso-
sacerdos profert cum dicit «Ego te absoluo ». Minister huius lution que le prêtre prononce en disant : « Moi, je t'absous. »
sacramenti est sacerdos habens auctoritatem absoluendi, uel Le ministre de ce sacrement est le prêtre ayant la faculté d'ab-
ordinariam uel ex comrnissione superioris. Effectus huius soudre, soit de manière ordinaire, soit par mandat de son
sacramenti est absolutio a peccato. supérieur. Quant à l'effet de ce sacrement, c'est l'absolution
du péché.
Est autem contra hoc sacramentum error Nouatianorum, qui Il y a, contre ce sacrement, l'erreur des novatiens. Ils affir-
dicunt hominem post baptismum peccantem non posse per ment que l'homme qui pèche après son baptême ne peut pas
penitentiam ueniam consequi ; contra quod dicitur Apoc. ll5 obtenir le pardon par la pénitence 105 . Contre cela, il est dit en
« Memor esto unde excideris et age penitentiam, et prima Apocalypse 2 [v. 5] : « Rappelle-toi d'où tu es tombé et fais
opera fac ». pénitence, et reviens à la pratique de tes premières œuvres. »

L'extrême-onction.

Quintum sacramentum est extreme unctionis, cuius materia Le cinquième sacrement est celui de l'extrême-onction. Sa
est oleum oliue per episcopum benedictum. Hoc autem sacra- matière est l'huile d'olive bénie par l'évêque. Ce sacrement
mentum non debet dari nisi infirmo quando timetur de per- ne doit être donné qu'au malade que l'on craint en danger de
iculo mortis ; qui debet inungi in locis quinque sensuum, mort. Ce dernier doit être oint aux endroits des cinq sens : sur
uidelicet in oculis propter uisum, in auribus propter auditum, les yeux pour la vue, sur les oreilles pour 1' ouïe, sur les
in naribus propter odoratum, in ore propter gustum uellocu- narines po?r l'odorat, sur la bouche p~ur le goût et la parole,
tionem, in manibus propter tactum, in pedibus propter gres- sur les mams pour le toucher, sur les p1eds pour la marche. Il
sum. Quidam autem inungunt in renibus propter delectatio- en est aussi qui font l'onction sur les reins, à cause de la jouis-
nem que in renibus uiget. sance dont les reins sont le siège.
Forma autem huius sacramenti est ista « Per istam unctio- L~ forme de ce sacrement est la suivante : « Que par cette
nem et suam piissimam misericordiam indulgeat tibi Domi- onctwn et sa très bienveillante miséricorde, le Seigneur te
nus quicquid deliquisti per uisum », et similiter in aliis. pardonne tous les péchés que tu as commis par la vue » et
Minister huius sacramenti est sacerdos. Effectus huius sacra- ainsi de suite sur les autres [organes]. Le ministre de ce sacre-
menti est sanatio mentis et corporis. ment est le prêtre. Quant à l'effet de ce sacrement, c'est la
guérison de l'âme et du corps 106.
Contra hoc sacramentum est error Eraclionitarum, qui Il y eut, contre ce sacrement, l'erreur des héraclionites qui
« feruntur suos morientes nouo modo quasi redimere, id est «rachètent leurs morts, rapporte-t-on, comme d'une nouvelle
262 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 263

per oleum, balsamum et aquam, et inuocationibus quas manière: par de l'huile, du baume, de l'eau et par des invo-
hebraicis nerbis dicunt super capita eorum » ; quod est contra cations qu'ils prononcent en hébreu sur leurs têtes 107 »; ce
formam a Iacobo traditam, ut supra dictum est. qui est contraire à la forme transmise par Jacques [Je 5, 14-
15], comme on l'a dit plus haut ws.

L'ordre.

Sextum est sacramentum ordinis. Sunt autem septem Le sixième sacrement est celui de l'ordre. Il y a sept
ordines, scilicet presbyteratus, dyaconatus, subdyaconatus, ordres : le presbytérat, le diaconat, le sous-diaconat, l' acoly-
acolitatus, ordo exorciste, lectoris et hostiarii. Clericatus tat, 1'ordre de 1' exorciste, du lecteur, et celui du portier. La
autem non est ordo sed quedam professio uite se dantium cléricature n'est pas un ordre, mais la profession de vie de
diuino ministerio ; episcopatus autem magis est dignitas ceux qui se donnent au ministère divin. Quant à l'épiscopat,
quam ordo. Materia autem huius sacramenti est illud mate- il s'agit davantage d'une dignité que d'un ordre 109.
riale per cuius traditionem confertur ordo, sicut presbyteratus La matière de ce sacrement est l'objet matériel par la trans-
traditur per collationem calicis, et quilibet ordo traditur per mission duquel l'ordre est conféré : ainsi, par exemple, le
collationem illius rei que precipue pertinet ad ministerium presbytérat est transmis par la remise du calice, et chaque
illius ordinis. Forma autem huius sacramenti est talis ordre est transmis par la remise de l'objet qui se rapporte
« Accipe potestatem offerendi sacrificium in Ecclesia pro principalement au ministère de cet ordre. La forme de ce
uiuis et mortuis », et idem est dicendum in aliis ordinibus. sacrement est la suivante: «Reçois le pouvoir d'offrir le
Minister huius sacramenti est episcopus qui confert ordines. sacrifice dans l'Église pour les vivants et les morts», et l'on
Effectus huius sacramenti est augmentum gratie ad hoc quod doit dire la même chose, semblablement, pour les autres
aliquis sit ydoneus minister Christi. ordres no. Le ministre de ce sacrement est l'évêque qui
confère les ordres. Quant à l'effet de ce sacrement, c'est
l'augmentation de la grâce afin que l'on soit un digne
ministre du Christ 11l.
Contra hoc sacramentum fuit error Aerii, qui dicebat pres- Il y eut, contre ce sacrement, 1'erreur d' Aérius qui affirmait
byterum ab episcopo non debere discemi. que le prêtre ne doit pas être distingué de l'évêque 112.

Le mariage.

Septimum sacramentum est matrimonium, quod est signum Le septième sacrement es~ le mariage qui est le signe de
coniunctionis Christi et Ecclesie. Causa autem efficiens l'union du Christ et de l'Eglise. La cause efficiente du
matrimonii est mutuus consensus per uerba de presenti mariage est le consentement mutuel exprimé par les paroles
expressus. Est autem triplex bonum matrimonii : quorum pri- d'engagement immédiat. Le bien du mariage est triple. Le
mum est proles suscipienda et educanda ad cultum Dei ; premier est d'avoir des enfants et de les éduquer au culte de
secundum est fides quam unus coniugum debet alteri Dieu. Le deuxième est la fidélité que les conjoints doivent
seruare ; tertium est sacramentum, id est indiuisibilitas matri- garder l'un envers l'autre. Le troisième est le sacrement,
264 DE ARTICVLIS FIDEl LES ARTICLES DE LA FOI 265

monii propter hoc quod significat indiuisibilem coniunctio~ c'est-à-dire l'indivisibilité du maqage, Ruisqu'il signifie
nem Christi et Ecclesie. l'union indivisible du Christ et de l'Eglise 13 .
Est autem contra hoc sacramentum multiplex error. Pri~ Les erreurs contre ce sacrement sont multiples. La pre-
mum quidem est Tatianorum qui nuptias dampnant, contra mière est celle des tatianiens qui « condamnent le
illud quod dicitur I Cor. VII28 « Mulier non peccat si nubit ». mariage 114 ». Contre cela, il est dit en 1 Corinthiens 7, 28:
« La femme ne pèche pas si elle se marie. »
Secundus est error Iouiniani qui nuptias equauit uirginitati : La deuxième erreur est celle de Jovinien qui a affirmé l'éf:a-
de quo supra dictum est. lité du mariage et de la virginité ; il en a été question plus haut 15 .
La troisième erreur est celle des nicolaïtes qui s'unissent
Tertius est error Nicolaitarum qui indifferenter mutuis uxo~ indifféremment aux épouses les uns des autres 116 . Il y eut
ribus utuntur. Fuerunt etiam multi alii heretici turpia quedam aussi de nombreux autres hérétiques enseignant et pratiquant
docentes et exercentes, contra illud Hebr. ult. « Sit honorabile des choses honteuses 117 , contre ces paroles du dernier cha-
connubium in omnibus et thorns immaculatus ». pitre des Hébreux [13,4] : «Que le mariage soit honorable
chez tous et que le lit conjugal soit sans tache. »
Par la vertu de ces sacrements, l'homme est conduit à la
Homm autem uirtute sacramentorum homo perducitur ad gloire future qui consiste en sept « dots », trois de l'âme et
futuram gloriam, que consistit in septem dotibus, tribus quatre du corps 118 . La première dot de l'âme est la vision de
anime et quatuor corporis. Prima dos anime est uisio Dei per Dieu par son essence, suivant cette parole de 1 Jean 3 [v. 2]:
essentiam, secundum illud I Io. III 2 « Videbimus eum sicuti «Nous le verrons tel qu'il est.» La deuxième dot est la
est». Secunda est comprehensio, qua scilicet Deum appre- compréhension par laquelle nous saisirons Dieu comme notre
hendemus quasi nostram mercedem, I Cor. IX24 « Sic currite récompense [suivant] 1 Corinthiens 9 [v. 24]: «Courrez donc
ut comprehendatis ». Tertia est fruitio qua in Deo delectabi~ de manière à vous en saisir. » La troisième est la fruition par
mur, secundum illud lob XXII26 « Tune super Omnipotentem laquelle nous trouverons nos délices en Dieu, suivant cette
deliciis afflues». parole de Job 22 [v. 26]: «Alors tu connaîtras une abondance
de délices dans le Tout-Puissant.»
La première dot du corps est l'impassibilité, suivant cette
Prima autem dos corporis est impassibilitas, secundum parole de 1 Corinthiens 15 [v. 53]: <dl faut que ce [corps]
illud I Cor. XV53 « Oportet corruptibile hoc induere incorrup- corruptible revête l'incorruptibilité.» La deuxième est l'éclat,
tionem ». Secunda est claritas, secundum illud Matth. XIII43 suivant cette parole de Matthieu 13 [v. 43]: «Les justes
« Fulgebunt iusti sicut sol in regno Patris eorum ». Tertia est brilleront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. » La
agilitas per quam celeriter adesse poterunt ubi uolent, troisième est l'agilité par laquelle ils se rendront rapidement
Sap. III7 « Tamquam scintille in arundineto discurrent ». présents là où ils voudront, [suivant] Sagesse 3 [v. 7]: «[Les
Quarta est subtilitas per quam poterunt quecumque uoluerint justes brilleront] et ils courront comme des étincelles au tra-
penetrare, secundum illud I Cor. XV44 « Seminatur corpus vers des roseaux. » La quatrième est la subtilité par laquelle
animale, surget corpus spirituale ».Ad quam gloriam nos per- ils pourront entrer partout où ils voudront, suivant cette
ducat qui uiuit et regnat in secula seculorum. Amen. parole de 1 Corinthiens 15 [v. 44] : « C'est un corps animal
qui est semé, mais c'est un corps spirituel qui ressuscite. »
Qu'à cette gloire nous conduise Celui qui vit et règne pour
les siècles des siècles. Amen.
Notes

1. La traduction de 1' abbé FOURNET (Opuscules de saint Thomas d'Aquin,


Paris, t. I, 1856, p. 532), ainsi que la traduction italienne de C. MILITELLO
('0 Theologos 2, na 5, 1975, p. 133) rapportent la« voix d'homme» dont il
est question ici (voce hominis loquens) à l'évangéliste Jean: Jésus aurait dit
ces paroles «par la voix de S. Jean>>. Il nous semble bien plutôt que cette
«voix d'homme>> doit être attribuée au Christ dont Thomas vient précisé-
ment de rappeler les deux natures. - «Toute la foi chrétienne se rapporte à
la divinité et à l'humanité du Christ>> : ces deux vérités rassemblent et
résument l'objet de la foi que les articles vont détailler. THOMAS explique au
début de son Compendium de théologie (I, chap. 2) : <<Le Seigneur a ensei-
gné que la connaissance qui rend bienheureux consiste à connaître deux
choses: la divinité de la Trinité et l'humanité du Christ[ ... ]. C'est pourquoi
toute la connaissance de la foi se rapporte à ces deux choses : la divinité de
la Trinité et l'humanité du Christ. Rien d'étonnant à cela, puisque l'huma-
nité du Christ est le chemin par lequel on parvient à la divinité.>>
2. Pour la distinction des articles de la foi, voir notre introduction,
p. 190-194.
3. Voir AuGUSTIN, De haeresibus 46, 2 (toute les références au De hae-
resibus d'Augustin renvoient à l'édition du<< Corpus Christianorum, Series
latina>>, t. 46, Turnhout, 1969, p. 283-345; ici p. 313). Les manichéens,
disciples de Mani (III' siècle), professent une doctrine dualiste qui connut
une grande diffusion dans l'Antiquité. Les théologiens du Moyen Âge
trouvent chez S. Augustin, qui discute et réfute les thèses manichéennes en
de nombreuses œuvres, une source d'accès privilégiée à leurs doctrines.
THOMAS retient en particulier leurs thèses concernant un double principe
des choses, l'un bon et l'autre mauvais, ainsi que sur le caractère mauvais
de la matière, mais aussi .leur agnosticisme, leur représentation de Dieu
comme une substance lumineuse répandue dans un espace infini, leur
erreur sur l'éternité des âmes, leur rejet de l'Ancien Testament, leur néga-
tion d'une vraie incarnation du Fils de Dieu, etc. Voir notamment Somme
contre les Gentils, livre I, chap. 3; chap. 20; chap. 42; livre II, chap. 41 ;
chap. 83 ; livre III, chap. 15 ; Somme de théologie, la, q. 49, a. 3 ; ici (p. 226
et 235), quatrième article concernant les effets de la grâce et premier article
concernant l'humanité du Christ.
4. La peine (poena) se comprend comme résultant, en vertu de la justice
divine, de la faute (culpa). THOMAS rappelle ici que Dieu n'est pas la cause
268 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 269

du mal qu'est la faute en tant que telle, mais que Dieu (sa justice) est l'au- philosophes »). Dans un contexte voisin, THOMAS nomme à ce sujet les phi-
teur de cette sanction qu'est la peine. Commentant ce même passage losophes Avicenne et Algazel ainsi que la proposition 10 du Livre des
biblique, il explique dans la Somme contre les Gentils (livre II, chap. 41, causes (Questions disputées De potentia, q. 3, a. 4).
n° 1178): «On dit que Dieu "fait du mal" ou le crée, en tant qu'il crée des 8. AUGUSTIN, De haeresibus 41. Pour Sabellius, voir Les Raisons de la
choses qui sont bonnes en soi mais nocives pour d'autres : par exemple le foi, chap. IX (p. 117) et n. 103 ; Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 5 ;
loup, qui est en son espèce un bien de la nature, est mauvais pour la bre- A. ARANDA LoMENA, « Santo Tomas frente a Sabelio : un modela de refu-
bis ; de même le feu pour l'eau, en tant que le feu détruit l'eau. De manière taci6n teol6gica », Studi tomistici 13 (1981) 145-152.
semblable, Dieu est pour les hommes la cause de ces maux que l'on appelle 9. AUGUSTIN, Homélies sur l'évangile de saint Jean, XXXVI, 9
"peines".» Sur cette notion de peine, voir ici Les Raisons de la foi, (CCSL 36, 330; BA 73A, 204-207). Ce passage, dans lequel Augustin
chap. vu (p. 109 s.), ainsi que les notes 89 et 92. compare l'arianisme et le sabellianisme à Charybde et Scylla, est intégra-
5. AUGUSTIN, De haeresibus 50. Dans la Somme contre les Gentils lement cité par THOMAS dans sa Catena sur l'évangile de Jean (chap. 10,
(livre I, chap. 20) THOMAS associe ces anthropomorphites aux « vacliens » lect. 5 ; éd. Marietti, 1953, p. 478) ; THOMAS le reprendra encore dans son
(Vadiani), d'après S. Augustin (loc. cit.: Audiani). Il s'agirait d'un groupe Commentaire sur Jean 10, 30 (éd. Marietti, n° 1451). Augustin se sert fré-
schismatique, issu de milieux monastiques, ayant interprété de manière quemment de ce verset pour réfuter simultanément l'arianisme et le sabel-
trop littérale l'affirmation biblique de la création de l'homme« à l'image lianisme: pour ses Homélies sur Jean, voir la note de M.-F. BERROUARD
de Dieu » (ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion, haer. 70 ; voir Anacepha- dans l'édition de la «Bibliothèque augustinienne» 73A, p. 471-472.
laeosis, éd. Fr. Oehler, Berlin, «Corpus haereseologicum », II/3, 1861, AUGUSTIN explique ce même verset, en soulignant la conjugaison du verbe
p. 573-574). Thomas ne montre guère d'indulgence pour une telle concep- «nous sommes» au pluriel (pluraliter, comme THOMAS le relève ici), dans
tion de Dieu qu'il qualifie de «délire» (deliramenta). Voir aussi Somme de son De Trinitate V, IX, 10 (BA 15, 448-449). Thomas invoque également
théologie, la, q. 3, a. 1-2. ce verset de Jn 10, 30 contre Sabellius et contre Arius dans sa Somme
6. THOMAS expliquera dans son Commentaire sur le Livre des causes contre les Gentils, livre IV, chap. 5 (n° 3383) et chap. 8 (no 3431).- Pour
(prop. 20) : «Les philosophes épicuriens, afin de maintenir la tranquillité et Arius, voir aussi Les Raisons de la foi, chap. rx (p. 117) et n. 103. On trou-
l'uniformité divines, ont affirmé que les etieux n'ont aucune activité de vera une analyse détaillée de toutes les mentions d'Arius chez S. Thomas
gouvernement mais qu'ils sont totalement oisifs et ne prennent soin de rien, dans l'étude de P. WORRALL, « St. Thomas and Arianism »,Recherches de
paraissant ainsi heureux.» Voir aussi Questions disputées De veritate, q. 6, théologie ancienne et médiévale 23 (1956), 208-259; 24 (1957), 45-100.
a. 6; Somme contre les Gentils, livre III, chap. 96 (no 2717). Dans son 10. AUGUSTIN, De haeresibus 54. Eunome: théologien cappadocien,
opuscule Sur les substances séparées (chap. 1), THOMAS ajoutera que le évêque de Cyzique, fut avec Aèce l'une des principales figures de la forme
philosophe Démocrite constitue l'origine de cette doctrine des épicuriens extrême que connut l'arianisme dans la seconde moitié du rve siècle. Plu-
(éd. Léonine, t. 40, p. D 41); il associe également Démocrite aux épicu- sieurs auteurs s'appliquèrent à la réfuter, notamment Basile de Césarée
riens, sur ce point, dans la Somme de théologie (la, q. 22, a. 2) ; voir éga- dans son Contre Eunome. THOMAS distingue l'erreur d'Eunome de celle
lement p. 219le troisième article de la foi. Pour les sources: CICÉRON, De d'Arius, car il observe avec justesse que l'arianisme d'Eunome de Cyzique
natura deorum I, 43-45 (éd. W. Gerlach et K. Bayer, Darmstadt, 1978, présente une forme plus radicale que celui d'Arius, puisque Eunome tient
p. 53-57) ; NÉMÉSIUS D'ÉMÈSE, De natura hominis, chap. 42 (traduction de le Fils pour tout à fait dissemblable au Père (dis similis), tandis qu'Arius le
Burgunclio de Pise, éd. G. Verbeke et J.-R. Moncho, Leyde, 1975, p. 160). tient pour inégal ou inférieur au Père. Voir notamment Somme de théolo-
7. La Somme contre les Gentils (livre II, chap. 22, no 988) associe cette gie, la, q. 42, a. 1, ad 2; Commentaire sur Jean 1, 2 (éd. Marietti, no 64;
thèse à «l'erreur de certains philosophes qui ont affirmé que seul un unique trad. sous la direction de M.-D. Philippe, p. 103-104). Pour un aperçu com-
effet peut être produit immédiatement par Dieu, comme si sa puissance plet de l'erreur d'Eunome dans les œuvres de S. Thomas, voir l'article de
était déterminée à la production de ce seul effet», erreur que THOMAS attri- P. W ORRALL indiqué à la note précédente.
bue ailleurs à Avicenne (Métaphysique IX, chap. 4; Avicenna Latinus, 11. AUGUSTIN, De haeresibus 52. Macédonius, patriarche de Constanti-
Liber de philosophia prima V-X, éd. S. Van Riet, Louvain, 1980, p. 476- nople au rve siècle, fut contesté et déposé. Après le concile de Constanti-
488) ; voir notamment Somme contre les Gentils, livre II, chap. 42. Pour nople (381), on donna le nom de «macédoniens» aux adversaires de la
Thomas, en effet, la limitation de la puissance de Dieu au « cours des évé- divinité du Saint-Esprit, sans qu'on sache s'il est historiquement exact de
nements tel qu'il est ordonné par la nature» est entraînée par l'affirmation situer Macédonius à l'origine de cette hérésie. THOMAS désigne ailleurs les
de l'action de Dieu «par la nécessité de la nature » (Questions disputées De macédoniens comme « semi-ariens » (Somme contre les Gentils, livre IV,
potentia, q. 6, a. 1, où THOMAS discute comme ici la« position de certains chap. 16, n° 3525). n connaît également le nom de« pneumatomaques »
270 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 271

(adversaires de l'Esprit) qui servit très tôt à les désigner (voir notamment cipes: Dieu, l'exemplaire et la matière incréée; cette dernière est incréée
le Libellus de fide Trinitatis soumis à son expertise, § 10 ; éd. Léonine, et sans principe, et Dieu est un artisan mais non pas le Créateur>> (livre II,
t. 40, p. A 114). Pour les mentions de Macédonius et leurs sources chez dist. 1, chap. 1 ; éd. du Collège Saint-Bonaventure, Grottaferrata, t. 1-2,
Thomas, voir J. A. RlESTRA, «El error de Macedonio y la doctrina de Santo 1981, p. 330; voir Thomas, Écrit sur les Sentences, livre II, dist. 1, exp.
Tomas», dans Credo in Spiritum Sanctum, éd. José Saraiva Martins, Cité text.). Thomas note dans la Somme de théologie, à propos de la création de
du Vatican, vol. 1, 1983, p. 461-471. Quant au verset de 2 Co 3, 7 cité ici la matière enseignée par la foi : « Les philosophes anciens sont entrés len-
( « Dominus autem Spiritus est»), THOMAS en connaît deux interprétations : tement et comme pas à pas dans la connaissance de la vérité» (Ia, q. 44,
le Saint-Esprit est Seigneur; le Seigneur (le Christ) est esprit (est spiri- a. 2 ; voir Questions disputées De potentia, q. 3, a. 6).
tuel); voir Commentaire sur Il Corinthiens 3, 7 (éd. Marietti, no 111). C'est 16. La création du monde de toute éternité (ab aetemo) signifie, par
le premier sens qu'il retient ici, comme dans la Somme contre les Gentils, conséquent, que le monde serait éternel. C'est un point de confrontation
livre IV, chap. 20 (no 3573). entre la foi chrétienne et la pensée d'Aristote qui suscita des débats pas-
12. Pour l'enseignement de THOMAS face à la doctrine des Grecs concer- sionnés dans la seconde moitié du XIII' siècle, et auquel Thomas a toujours
nant la procession du Saint-Esprit, voir notamment Contre les erreurs des prêté une grande attention. Pour Thomas, c'est la foi seule- et non pas la
Grecs II, chap. 1-31; Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 24-25; philosophie - qui nous fait tenir le commencement du monde dans le
Questions disputées De potentia, q. 10, a. 4-5. On pourra trouver un exposé temps. Pour la pensée d'Aristote et des aristotéliciens, ainsi que pour la
des textes et de la doctrine de S. Thomas dans notre étude:« La procession position de THOMAS, voir notamment: Somme contre les Gentils, livre II,
du Saint-Esprit a Filio chez S. Thomas d'Aquin», RTh 96 (1996), 531-574. chap. 31-38; plus brièvement: Somme de théologie, la, q. 46. La dernière
Le passage de Jn 16, 14 indiqué ici par Thomas constitue à son jugement synthèse de la pensée de Thomas sur cette question se trouve dans son traité
le principal texte biblique enseignant de manière manifeste la procession Sur l'éternité du monde (De aeternitate mundi) où il affirme la possibilité
du Saint-Esprit a Filio (Somme de théologie, la, q. 36, a. 2, ad 1). philosophique d'un monde créé éternel. Pour un aperçu des textes et des
13. « Corps indivisibles>> (corpora indivisibilia): les atomes. PonrJa principales études, voir J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d'Aquin,
critique de THOMAS envers l'atomisme de Démocrite (V' siècle av. J.-C.), Sa personne et son œuvre, Fribourg-Paris, 1993, p. 268-273.
voir notamment Somme contre les Gentils, livre II, chap. 39. Thomas 17. Thomas a déjà écarté la même doctrine plus haut, dans l'exposé du
explique ailleurs que la doctrine du hasard et la négation de la providence premier article, mais à propos de l'unité divine. On notera que le second
par Épicure (IV'-III' siècle av. J.-C.) tire son origine des thèses de Démp- «principe premier>> de la doctrine manichéenne est identifié ici précisé-
crite ; voir n. 6. ment avec le diable. C'était aussi la doctrine des mouvements cathares néo-
14. L'expression «raison éternelle» (ratio aeterna), que Thomas tient manichéens du Moyen Âge, telle que Thomas pouvait la trouver, par
d'Augustin, désigne l'idée de la créature en Dieu, idée suivant laquelle exemple, dans la Somme sur les cathares et les Pauvres de Lyon du domi-
toutes les choses ont été créées. Par appropriation, ces raisons éternelles nicain Raynier Sacconi (vers 1250): la première des« opinions communes
sont attribuées à la personne du Verbe. Le Verbe est lui-même désigné par de tous les cathares>> est que «c'est le diable qui a fait ce monde et tout ce
THOMAS (avec Augustin) comme «Raison>> de toutes les créatures (voir qu'il contient>> (éd. F. Sanjek, dans AFP 44 [1974], 42).
notamment Questions disputées De veritate, q. 4, a. 5, sed contra 1 ; Somme 18 THOMAS note dans son commentaire sur l'épître aux Hébreux que ce
contre les Gentils, livre IV, chap. 13, no 3490). verse~ vise expressément les manichéens, mais que le langage de l'Écriture
15. L'expression «à partir de rien» (ex nihilo) signifie que, à la création est ici «assez abrupt>> (satis ruditer dictum). Après avoir relevé que les
première, toute la créature (tout ce qu'il y a en elle) a été tirée du néant, Anciens attribuaient communément la venue de choses nouvelles à des
c'est-à-dire n'a pas d'autre cause première que Dieu seul, sans le concours causes invisibles, il en donne l'interprétation suivante: le monde visible a
d'aucun élément préalable. Pour Anaxagore (d'après ARISTOTE, Métaphy- été tiré des raisons idéales (invisibles) qui se trouvent dans le Verbe de Dieu
sique A, 8 [I. 12] 989 a 30, b 21), voir notamment Somme contre les Gen- (Commentaire sur l'épître aux Hébreux 11, 3; éd. Marietti, n° 564-566). Le
tils, livre I, chap. 43, no 371 ; livre II, chap. 40, n° 1166. THOMAS salue rôle de ces « raisons idéales >> ou « raisons éternelles >> a été brièvement
pourtant Anaxagore d'avoir, le premier parmi les philosophes anciens, rappelé ici à propos de l'erreur de Démocrite et d'Épicure.
reconnu une Intelligence comme principe du mouvement et de la distinc- 19. AUGUSTIN, De haeresibus 1 et 2. Simon le Magicien est celui dont
tion des choses (Somme contre les Gentils, livre I, chap. 20, n° 192; nous parlent les Actes des Apôtres (8, 9-13) et dans lequel on vit plus tard
chap. 50, n° 421). Quant à la doctrine de Platon, elle se trouvait résumée le fondateur d'une secte gnostique. Ménandre est un gnostique de la fin du
ainsi par les Sentences de PIERRE LOMBARD (d'après le Timée 28 et 48-49 I" siècle probablement, que S. Justin désigne déjà comme un disciple de
dans la traduction de Chalcidius): «Platon a estimé qu'il y a trois prin- Simon le Magicien (Première apologie 26; JusTIN MARTYR, Œuvres
272 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 273

complètes, trad. G. Archambault, L. Pautigny et É. Gauché, Paris, 1994, 23. Cette présentation des erreurs de Pélage (IV'-V' siècle) est bien sûr
p. 44-45). En excluant la production de l'univers par les anges, Thomas tirée d'AuGUSTIN, le grand adversaire du pélagianisme: De haeresibus 88;
semble viser ici les théories gnostiques (Augustin attribue la même erreur voir Lettre 217 à Vital, chap. 1 (Corpus scriptorum ecclesiasticorum lati-
à d'autres hérétiques, par exemple les saturniens, De haeresibus 3); il note norum, 57, 403-405). Pour le détail des explications de THOMAS concernant
également ailleurs que la foi catholique s'oppose sur ce point à des doc- cette erreur, voir notamment Somme contre les Gentils, livre III, chap. 147,
trines philosophiques qui attribuent la production des êtres inférieurs à des chap. 149, chap. 152, chap. 155, chap. 157, chàp. 160; livre IV, chap. 50-
êtres supérieurs (Avicenne, Algazel, le Livre des causes: voir Somme 52. Thomas connaît l'évolution d'Augustin sur la doctrine du libre arbitre
contre les Gentils, livre II, chap. 21 ; Questions disputées De potentia, q. 3, (des œuvres antimanichéennes aux œuvres antipélagiennes): le pélagia-
a. 4; Somme de théologie, la, q. 45, a. 5). On pourrait songer également à nisme fournit à son jugement l'exemple caractéristique d'une doctrine qui
l'opinion commune des cathares attribuant la création du monde au diable permit aux docteurs de l'Église d'approfondir et d'affiner leur enseigne-
(Raynier Sacconi, Summa de catharis ; éd. F. Sanjek, p. 42). ment (Contre les erreurs des Grecs I, Prologue).
20. Suivant les explications voisines de la Somme contre les Gentils 24. ORJGÈNE, Traité des principes II, 9, 5-8, dans la version de Rufin
(livre III, chap. 76), THOMAS pense probablement ici à Platon. TI lui attri- (SC 252, 361-373). Voir Les Raisons de la foi, chap. IX (p. 117) et n. 103.
bue en effet l'enseignement d'une triple providence: le Dieu suprême ne La Somme contre les Gentils nous permet de préciser les griefs de Thomas.
s'occuperait que des créatures spirituelles, tandis que les réalités corrup- Il y reproche à Origène les thèses suivantes : toutes les créatures spirituelles
tibles seraient confiées aux soins d'autres dieux; quant aux réalités ont été créées ensemble, égales à l'origine; celles qui ont adhéré plus étroi-
humaines, elles relèveraient de la providence de « démons » qui dépendent tement à Dieu devinrent les anges (avec des degrés), tandis que les autres
du Dieu suprême. Thomas attribue cette interprétation de Platon à Grégoire devinrent les âmes humaines ; les créatures corporelles ont été créées de
de Nysse, mais il s'agit en réalité de Némésius d'Émèse (Denatura homi- telle sorte que les plus nobles d'entre elles soient unies aux âmes
nis, chap. 42, p. 159-160). humaines ; la diversité et la distinction des choses tirent ainsi leur origine
21. D'après AUGUSTIN, De haeresibus 8-10. Cérinthe étant le partisai1 du libre arbitre des créatures spirituelles, THOMAS précise que le motif de
d'une gnose qui intégrait divers aspects du judaïsme (l" siècle). Les ébio- cette erreur d'Origène fut son désir d'écarter l'opinion de certains « anciens
nites enseignèrent de même l'observance des nombreux préceptes de la Loi hérétiques» (des gnostiques) attribuant le bien et le mal à des causes natu-
juive(~ la suite de certains hérésiologues de l'Antiquité, Thomas considère relles contraires (livre II, chap. 44; voir livre III, chap. 161). Thomas
à tort Ebion comme un personnage historique). Quant aux nazaréens ou reproche à Origène d'avoir tenté de tenir ici une voie moyenne entre la foi
nazaréens, il s'agit ici d'un groupe judéo-chrétien qui confessait la foi chrétienne et les doctrines platoniciennes ; il inclut également dans la pos-
orthodoxe en la divinité du Christ mais qui resta attaché aux observances térité d'Origène certains« hérétiques modernes>> (des cathares) professant
de la Loi juive. Thomas mentionnera plus loin Cérinthe pour son milléna- la doctrine de la métempsycose (livre II, chap. 83, n° 1656). La plupart des
risme et pour son refus de la divinité du Christ (avec les ébionites). Pour thèses « origénistes >> relevées par Thomas figurent dans la liste des erreurs
davantage de détails, voir notre étude «Le photinisme et ses précurseurs condamnées solennellement au ne concile de Constantinople, au VI' siècle :
chez S. Thomas : Cérinthe, les Ébionites, Paul de Samosate et Photin », préexistence des âmes, réitération de la passion du Christ pour les démons,
RTh 95 (1995), 373-379. résurrection des corps en forme de sphère, caractère temporellement limité
22. AUGUSTIN, De haeresibus 69. Le donatisme prit naissance en Afrique du châtiment des démons et des impies, restauration finale des méchants,
à la suite de la persécution de Dioclétien (début du IV' siècle). Donat, etc. (Symboles et définitions de la foi catholique [DENZINGER], éd. P. Hüner-
évêque en Numidie, contesta l'élection de Cécilien au siège de Carthage, mann et J. Hoffmann, Paris, 1996, n° 403-411).
accusant l'un des évêques consécrateurs d'avoir obéi aux ordres impériaux 25. AuGUSTIN, De haeresibus 26. Les cataphrygiens sont les monta-
de livrer les Livres saints : un évêque schismatique fut élu, auquel Donat nistes, mouvement spiritualisant et apocalyptique né au II' siècle en Phrygie
succéda. Donat entraîna de nombreux chrétiens dans son schisme qui se (d'où leur nom de cataphrygiens, comme l'explique Augustin). Prisca et
répandit dans tout l'Empire. Par l'intermédiaire d'Augustin en particulier, Maximille sont deux femmes prophétesses associées à Montan. Les monta-
la question du donatisme est familière à THOMAS. La pratique donatiste nistes revendiquent pour eux-mêmes la prophétie authentique et la pleine
consistant à rebaptiser les fidèles suscita une importante réflexion sur les effusion de l'Esprit. Voir Somme contre les Gentils, livre III, chap. 154
sacrements, qui fournit à l'Église catholique l'occasion de préciser et d'ap- (no 3277); Exposition sur la première Décrétale (éd. Léonine, t. 40 E,
profondir sa doctrine; voir Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 59; p. 35-36); Questions disputées De veritate, q. 12, a. 9, sed contra 3 (où l'er-
Somme de théologie, IIIa, q. 64, a. 9 ; q. 66, a. 8-9. Les donatistes seront reur est attribuée aux Montani). THOMAS relèvera plus loin l'étrange pra-
encore mentionnés à propos du baptême, p. 252. tique qu'on leur attribue à propos du sacrement de l'eucharistie.
274 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 275

26. Thomas renvoie ici à tout le récit du chapitre 2 des Actes des Apôtres 32. D'après AUGUSTIN (De haeresibus 68) qui ajoute: «Parce que le Sei-
sur le jour de la Pentecôte. gneur a dit à Moïse: 6te les sandales de tes pieds [Ex 3, 5] et parce qu'on
27. Citation littérale de S. AUGUSTIN, De haeresibus 21. Cerdon est un lit que le prophète Isaïe a marché pieds nus [ls 20, 3] >> (CCSL 46, 331).
gnostique du ne siècle à qui l'on attribue un dualisme qui anticipe celui de Voir PILASTRE DE BRESCIA, De haeresibus 81 (CCSL 9, 252). L'évocation
Marcion (voir De haeresibus 22). Thomas ajoute ici le refus de l'Ancien de cette pratique pourrait sembler tout à fait anecdotique, mais elle prend
Testament par les manichéens, suivant Augustin encore (De haeresibus 46, davantage de sens si l'on se rappelle que marcher pieds nus était un geste
15). de pénitence, pratiqué notamment dans la «pénitence solennelle>> au
28. AUGUSTIN, De haeresibus 40. Il s'agit de mouvements de l'Antiquité Moyen Âge (Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 14, q. 1, a. 5, qla 3), et
dont les membres voulaient mener la vie des Apôtres (d'où leur nom surtout si l'on tient compte du fait que le Christ a envoyé ses disciples prê-
d'apostoliques) : leur exclusivisme les entraîna à se séparer de l'Église. cher« sans emporter de sandales>> (Mt 10, 10). Dans son commentaire sur
À la suite d'Épiphane de Salamine (d'après l'Anacephalaeosis, éd. Fr. Oeh- ce verset, THOMAS signale également cette erreur, ainsi que celle des
ler, p. 571 ; voir Panarion, haer. 61), Augustin les associe aux encratites et «apostoliques>> concernant la pauvreté. Il y explique la distinction qu'il
les appelle aussi « apotactites » (c'est-à-dire: ceux qui renoncent). Sur le faut faire entre ce qui est demandé aux Apôtres et ce qui est demandé à tous
fond, c'est la distinction entre les « préceptes >> et les « conseils >> qui se les fidèles, mais il rappelle surtout que « ce furent là des hérésies, non pas
trouve en jeu : les premiers constituent une exigence de sainteté adressée à parce qu'elles prescrivaient quelque chose de mauvais, mais parce qu'elles
tous les chrétiens, tandis que les seconds (ici les « œuvres de perfection>>) fermaient la voie du salut à ceux qui n'observent pas ces pratiques>>
appartiennent à une vocation particulière et ont pour but d'aider et de sou- (éd. Marietti, n° 821).
tenir la pratique des préceptes de la charité (Somme de théologie, IIa-llae, 33. Voir AUGUSTIN, De haeresibus 82. Jovinien (vers la fin du rve siècle),
q. 184, a. 3 ; q. 189, a. 1, ad 1). en réaction contre l'ascétisme des moines, enseignait que mariage et virgi-
29. Citation littérale d'AUGUSTIN, De haeresibus 25. Les tatianiens (dis- nité ont même valeur (en rejetant la virginité de Marie) et que tous les
ciples de Tatien) seront évoqués plus loin pour leur encratisme, à propos du fidèles obtiendront une même récompense au ciel. Son erreur, condamnée
sacrement du mariage (voir n. 114). Pour écarter leur erreur, Thomas pro- plusieurs fois, suscita de vives réponses de la part de S. Jérôme et de
duit ici un extrait de 1 Tm 4 dont il suppose les premiers versets connus du S. Augustin qui écrivirent des traités à ce sujet. Jovinien se trouve souvent
destinataire de son traité: «L'Esprit le dit expressément: dans les derniers mentionné par THOMAS pour ses erreurs (plus d'une vingtaine d'occur-
temps, certains renieront la foi, s'attacheront à des esprits séducteurs et à rences). Voir notamment Somme contre les Gentils, livre III, chap. 137;
des doctrines inspirées par les démons, égarés qu'ils seront par l'hypocri- Somme de théologie, IIa-IIae, q. 152, a. 4 ; q. 186, a. 4; ci-dessus (p. 265),
sie des menteurs marqués au fer rouge dans leur conscience>> (v. 1-2). à propos du sacrement du mariage.
Le Commentaire sur l Timothée 4, 3 ne reprend pas la mention des tatia- 34. Vigilance (vers 400) nous est connu par sa controverse avec
niens, mais désigne ici en particulier les manichéens (éd. Marietti, n° 141). S. Jérôme qui lui reprocha de rejeter le célibat et la vie monastique ainsi
30. AUGUSTIN, De haeresibus 57. Les euchites («ceux qui prient>>, en que d'autres pratiques (le culte des saints, la vénération des reliques, etc.).
grec) sont généralement mieux connus sous le nom de « messaliens >> (mot JÉR6ME (Contre Vigilance; PL 23, 339-352) constitue également la source
d'origine syriaque). Les adeptes de ce mouvement spirituel d'enthousiasme de S. Thomas. La question de la pauvreté religieuse présentait une vive
excessif furent condamnés par plusieurs synodes, en raison de leur insis- actualité au temps de THOMAS qui composa plusieurs traités à ce sujet. Il
ta~ce sur la prière au détriment des sacrements, et notamment par le concile présente alors les détracteurs de la vie mendiante (Guillaume de Saint-
d'Ephèse en 431 (Définition contre les messaliens; voir Les Conciles œcu- Amour et ses adeptes) comme des disciples de Vigilance: Contra impu-
méniques, t. II-1, Les Décrets de Nicée à Latran V, sous la direction de gnantes, chap. 6, 3 (éd. Léonine, t. 41, p. A 97-98); De peifectione spiri-
G. Alberigo, Paris, 1994, p. 156-159). tualis vitae, chap. 13, 6 (ibid., p. B 81). Voir aussi Somme contre les
31. Citation littérale d'AUGUSTIN, De haeresibus 63 ; voir PILASTRE DE Gentils, livre III, chap. 131. C'est ici encore la distinction entre les pré-
BRESCIA, De haeresibus 76 (CCSL 9, 248-249). Augustin note à cet endroit ceptes et les conseils qui se trouve en jeu (voir n. 28).
le curieux usage du mot «poteau >> (palus en latin) pour désigner le doigt, 35. THOMAS attribue explicitement ce déterminisme dualiste aux mani-
et conclut qu'il serait plus logique de les appeler '' dactylorinchites >> (dak- chéens dans son Exposition de la première Décrétale (p. E 35) ainsi que
tylos: doigt) ! Rappelons, pour saisir le sens de la mention de cette étrange dans son Commentaire sur Matthieu 27, 3 (éd. Marietti, no 2311): «Les
pratique chez Thomas, que le silence constitue l'une des observances de la manichéens disent qu'il y a une double création, l'une bonne et l'autre
vie religieuse dans toutes les grandes Règles : il constitue de la sorte une mauvaise : ceux qui viennent de la création mauvaise ne peuvent pas faire
«œuvre de perfection>>. le bien, et inversement>> ; voir aussi le Commentaire sur Matthieu 15, 13
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276 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 277

(no 1307). Il pourrait s'agir également de cathares contemporains de Tho- Résurrection), établie assez tôt à Rome en particulier, se généralisa au
mas, qui nient le libre arbitre pour la même raison : voir MONETA DE CRÉ- III' siècle, mais des dissidents se tinrent au comput juif. Voir PILASTRE DE
MONE, Adversus Catharos et Valdenses libri quinque, livre I, chap. 5 ; BRESCIA, De haeresibus 58 (CCSL 9, 241-242); ÉPIPHANE DE SALAMINE,
éd. Th. A. Ricchinius, Rome, 1743, p. 63-65 (réimpr. en fac-similé, Ridge- Anacephalaeosis, éd. Fr. Oehler, p. 568-569 (suivant le Panarion,
wood [N. J.], 1964). haer. 50).
36. Citation littérale d'AUGUSTIN, De haeresibus 70. Le personnage de 40. C'est-à-dire: le Symbole des Pères de Nicée et Constantinople.
Priscillien (IV' siècle) est controversé : il prêcha un ascétisme sévère et 41. AUGUSTIN, De haeresibus 11. Valentin (II' siècle) est l'une des prin-
connut plusieurs condamnations ; on lui reprocha la pratique de la magie et cipales figures du gnosticisme. THOMAS lui reproche principalement son
l'immoralité, mais aussi une conception gnostique et manichéenne du dualisme (il l'associe à Marcion dans la Somme contre les Gentils, livre III,
monde (Augustin). Quant aux« mathématiciens» (Augustin note que c'est chap. 140, n° 3153) et sa négation de la vraie humanité du Christ (Somme
là leur nom vulgaire ou populaire), il s'agit d'adeptes de croyances et de contre les Gentils, livre IV, chap. 30; chap. 31; chap. 34; Homélies sur le
pratiques astrologiques. Voir aussi Augustin, De doctrina christiana II, Credo, art. 3 ; éd. Marietti, n° 902; etc.). La négation de la résurrection
chap. 21 (BA 11, 288-291 avec la note 39, p. 578-579); PILASTRE DE BRES- résulte, dans la gnose valentinienne, de la conception négative des corps
CIA, De haeresibus 123 (CCSL 9, 286-287). Pour la défense de la liberté (voir p. 213 le premier article sur l'humanité du Christ et n. 55).
humaine, voir notamment ici Les Raisons de la foi, chap. x (p. 131 s.). Dans 42. Il semble que Thomas pense ici à la secte des «albanais», secte
la Somme contre les Gentils, THOMAS consacre de longs chapitres à mon- cathare néo-manichéenne de l'Italie du Nord: suivant leur vue dualiste
trer que les astres ne peuvent déterminer ni l'intelligence ni la volonté des du monde, les âmes purifiées doivent retourner au monde céleste d'où
hommes : ils ne sont pas la cause de nos choix, et leur influence sur les elles proviennent, en reprenant les corps célestes qu'elles avaient quittés.
corps ou les sens ne s'exerce pas par mode de nécessité (livre III, chap. 84- Voir Exposition de la première Décrétale (p. E 37-38). Voir à ce sujet
88). R.-A. GAUTHIER, Introduction à: SAINT THOMAS D'AQUIN, Somme contre
37. La même erreur est attribuée à« certains hérétiques» dans la Somme les Gentils, Paris, 1993, p. 139-140.
contre les Gentils (livre IV, chap. 70, n° 4051). Il s'agit peut-être de Jovi: 43. GRÉGOIRE LE GRAND rapporte sa controverse avec Eutychius dans
nien, suivant AUGUSTIN (De haeresibus 82; voir n. 33). Cette thèse est en ses Morales sur Job XIV, lvi, 72-74 (SC 212, p. 432-439). Cet Eutychius,
effet proche de la deuxième proposition de Jovinien réfutée par JÉRÔME patriarche de Constantinople au VI' siècle, ne doit pas être confondu avec
(Contre Jovinien II, 1-4; PL 23, 281-290). Mais il peut s'agir aussi des dis- Eutychès, adversaire de Nestorius au V' siècle, dont THOMAS va récuser
ciples de Novatien, dont Thomas formule ainsi l'erreur dans la Somme de plus loin le monophysisme (premier article concernant l'humanité du
théologie : «Ils ont cru que, une fois que l'on possède la charité, on ne peut Christ). Voir Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 84 (no 4196);
plus la perdre» (Ilia, q. 84, a. 10: c'est l'un des motifs de leur rejet de la Somme de théologie, Ilia, q. 54, a. 3. Thomas est ferme sur l'identité du
pénitence comme «seconde planche de salut»; voir n. 105). Voir PIERRE corps terrestre et du corps glorieux. Son enseignement peut être résumé en
LOMBARD, Sententiae, livre III, dist. 31, chap. 1 (éd. du Collège Saint- deux expressions : les corps ressuscités sont de même nature ou de même
Bonaventure, t. II, p. 180); THOMAS, Somme de théologie, Ila-Ilae, q. 24, espèce que les corps terrestres (c'est l'identité de la personne qui est en
a. 11-12. Au premier regard, explique Thomas, cette erreur pourrait sem- jeu); ils ont cependant une autre complexion (dispositio) que les corps ter-
bler conforme à l'enseignement de 1 Jn 3, 9: Celui qui est né de Dieu ne restres, car ils participent de l'incorruptibilité (Somme contre les Gentils,
commet plus le péché. Mais la charité est reçue dans l'âme suivant le mode livre IV, chap. 84-85).
qui convient proprement à l'homme: la liberté; on peut ainsi mettre en 44. Voir Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 84 (no 4196). THOMAS
œuvre cette charité ou ne pas la mettre en œuvre, c'est-à-dire demeurer pense très vraisemblablement à ORIGÈNE expliquant que la substance cor-
dans la sainteté ou pécher (Commentaire sur 1 Corinthiens 13, 8 ; porelle sera changée « en un état éthéré>> (Traité des principes II, III, 7
éd. Marietti, n° 787). [SC 252, 272-273] ; voir II, X, 3 et III, VI, 6 [SC 252, p. 380-383 ; SC 268,
38. Citation littérale d'AUGUSTIN, De haeresibus 53. Pour les aériens p. 246-251]). C'était déjà Origène que visait probablement AuGUSTIN lors-
(adeptes d'un prêtre nommé Aérius), voir p. 263 les explications concer- qu'il écrivait que la chair ressuscitée sera spirituelle mais «non pas parce
nant le sacrement de l'ordre, ainsi que la note 112. qu'elle sera transformée en esprit, comme certains le croient >> (La Cité de
39. AuGUSTIN, De haeresibus 29. Les quartodécimans («quatorzième Dieu XIII, XX; BA 35, 308-309, voir n. 34, p. 519-520).
[jour]») célébraient la Pâque selon le comput juif, c'est-à-dire le quator- 45. Citation d'AuGUSTIN, De haeresibus 8. Pour la raison indiquée ici
zième jour après la lune de mars, qui n'était pas nécessairement un (règne terrestre du Christ pendant mille ans), THOMAS désigne les cérin-
dimanche. La célébration de la fête de Pâques un dimanche (jour de la thiens du nom de « chiliastes >> ou « millénaristes >> dans la Somme contre
278 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES

les Gentils (livre III, chap. 27, no 2103, où l'erreur de Cérinthe est associée leur proportion, exige que les fautes reçoivent un châtiment et les bonnes
aux «fables des Juifs et des Sarrasins»). Pour Cérinthe, voir n. 21. actions une récompense. Et il faut, puisqu'il y a des degrés dans les actes
46. AUGUSTIN, que Thomas cite ici, mentionne cette hérésie en se réfé- vertueux comme dans les péchés, qu'il y ait aussi des degrés dans les
rant à PILASTRE (De haeresibus 80; CCSL 9, 250-251) et remarque que ce récompenses et dans les peines» (Somme contre les Gentils, livre III,
dernier la rapporte « sans auteur et sans nom» (De haeresibus 67). Voir chap. 142, no 3163). Ainsi, plus la charité des saints est parfaite, plus ils
THOMAS, Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 97. sont saisis par la clarté divine (Écrit sur les Sentences, livre N, dist. 49,
47. Livre des dogmes de l'Église, chap. 16 (PL 58, 984): œuvre de Gen- q. 1, a. 4, qla 4, et Somme de théologie, Supplément, q. 93, a. 3).
nade (V' siècle), qui figure parmi les classiques de l'hérésiologie. Thomas 50. La précision «en enfer» dans la citation de Le 16, 22 appartient au
attribue cette erreur à un« Arabs »qu'il semble considérer comme un per- texte latin de la Vulgate, tandis qu'elle est absente de nos éditions critiques
sonnage. Cela a pu faire penser à tort au poète Aratus (cité par Luc en du Nouveau Testament en grec et de nos traductions courantes. Quant au
Ac 17, 28) dont l'œuvre véhicule des conceptions stoïciennes. AUGUSTIN, texte de 2 Co 5, 1, il est longuement commenté dans l'opuscule De ratio-
plus proche des meilleures sources, se réfère à l'Histoire ecclésiastique nibus fidei au chapitre IX. Il se trouve ici tronqué et le terme «éternelle»
d'EUSÈBE DE CÉSARÉE (VI, 37) qu'il lit dans la traduction de Rufin. Il (aeterna) a été remplacé par« stable» (conservata). Quant à l'erreur consi-
explique qu'Eusèbe rapporte l'existence de cette hérésie en Arabie : « De là dérée dans ce paragraphe, il s'agit de la thèse des « Grecs » et des « Armé-
vient le nom d'Arabes que nous pouvons donner à ceux qui ont dit que les niens», telle que THOMAS l'a discutée dans Les Raisons de la foi (voir
âmes meurent avec les corps» (De haeresibus 83). THOMAS, qui ne semble p. 117).
pas avoir fait le rapprochement avec ce passage d'Augustin, cite intégrale- 51. Symbole des Apôtres dans le premier cas, de Nicée-Constantinople
ment le texte de Gennade dans la Somme contre les Gentils, livre II, dans le second. Pour l'exégèse de 1 Co 3, 12-15, voir Les Raisons de la foi,
chap. 79 (no 1611) où il ne s'agit certainement pas d'Averroès comme le chap. IX (p. 129). Il faut observer que, dans ce paragraphe et dans le précé-
veut une traduction française de cet ouvrage (Éd. du Cerf, Paris, 1993, dent, Thomas distingue clairement une double position : la négation de
p. 331). Quant à Zénon, il s'agit manifestement de Zénon de Cittium (t 262 l'obtention de la récompense ou de la peine avant le jugement universel ; la
av. J.-C.), chef de file de l'école stoïcienne, enseignant que l'âme humaine négation du purgatoire. Il faut en conclure que, pour Thomas, cette erreur
subsiste après la mort mais qu'elle est corruptible, à la différence de l'âme concernant le purgatoire ne se réduit pas à la position des « Grecs » et des
incorruptible de l'univers dont les âmes des vivants sont des parties « Arméniens » exposée au paragraphe précédent. Le purgatoire se trouvait
(d'après DIOGÈNE LAËRCE, Vies et opinions des philosophes VII; en effet rejeté par des groupes dont la doctrine eschatologique différait fon-
éd. P.-M. Schuhl, Les Stoïciens, Paris,« Bibliothèque de la Pléiade», 1962, cièrement de celle des chrétiens orientaux : les cathares. «Tous les cathares
p. 66). C'est l'une des positions des stoïciens rapportées par S. Augustin: nient le purgatoire» (RAYNIER SACCONI, Summa de catharis, éd. F. Sanjek,
«Les uns affirmaient que l'âme mourait avec le corps, les autres qu'elle p. 43 ; voir p. 46) ; «Tous les hérétiques le nient, tant les cathares que les
continuait à vivre peu de temps ou longtemps, mais non pas toujours » (La Pauvres de Lyon » (MONETA DE CRÉMONE, Adversus catharos et valdenses,
Cité de Dieu XVIII, XLI, 2 ; BA 36, 626-627). livre IV, chap. 9, § 2; éd. Th. A. Ricchinius, p. 371).
48. AuGUSTIN, De haeresibus 43. La même erreur d'Origène est men- 52. Sur la distinction des articles du Symbole, voir notre introduction
tionnée par THOMAS dans la Somme contre les Gentils, livre III, chap. 62 (p. 190).
(no 2376). Voir Les Raisons de la foi, chap. IX, n. 104 et 114 (p. 163 53. Pour Cérinthe et Ébion, voir n. 21. Carpocrate est le fondateur sup-
et 166); voir le quatrième article sur l'humanité du Christ (p. 241, ainsi que posé d'une secte gnostique (II' siècle) ; Paul de Samosate, l'évêque d'An-
la note 69). Voir le neuvième anathématisme contre Origène au ne concile tioche (III' siècle) à qui l'on reprocha d'enseigner que le Christ était un pur
de Constantinople (DENZINGER, n° 411). homme en qui le Verbe était venu habiter; Photin, l'évêque de Sirmium
49. Thomas pense peut-être à Jovinien qui, posant l'égalité du mariage (IV' siècle) dont la doctrine, condamnée, fut rapprochée de celle de Paul de
et de la virginité, avait affirmé l'égalité de leur récompense (voir n. 33). Samosate (le Christ aurait été un simple homme ayant mérité de devenir
C'est en effet la quatrième proposition de Jovinien réfutée par JÉRÔME «Dieu>>). À la suite de plusieurs synodes, le rer concile de Constantinople,
(Contre Jovinien I, 3 ; PL 23, 214); voir THOMAS, Contra impugnantes, en 381, porta l'anathème contre le photinisme (canon 1; Les Conciles œcu-
chap. 6, § 2 (éd. Léonine, t. 41, p. A 96). On pourrait songer également à méniques, t. II-1, p. 86-87). THOMAS examine à plusieurs endroits l'erreur
des cathares du Moyen Âge tenant que «tous seront égaux, tant dans la de Photin concernant l'Incarnation, notamment dans la Somme contre les
gloire que dans le châtiment, comme ils le croient à l'exception des alba- Gentils, livre IV, chap. 28 ; Compendium de théologie I, chap. 202; Somme
nais» (RAYNIER SACCONI, Summa de catharis, éd. F. Sanjek, p. 45). Tho- de théologie, Ilia, q. 2, a. 11. On pourra voir l'ensemble des références et
mas explique ailleurs: «La justice qivine, afin d'assurer entre les choses la documentation de Thomas (le Pseudo-Athanase en particulier, c'est-à-
280 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 281

dire Vigile de Thapse) dans notre étude : « Le photinisme et ses précurseurs puisque c'est précisément par l'âme intellectuelle que l'homme diffère des
chez S. Thomas ... », déjà citée. Voir aussi AuGUSTIN, De haeresibus 7, 8, bêtes (Somme de théologie, Ilia, q. 5, a. 3-4; voir Somme contre les Gen-
10,44 et 45. tils, livre IV, chap. 33, Compendium de théologie I, chap. 205).
54. « Comme celui d'un fantôme>> : fantasticum. AUGUSTIN précise (De 59. Pour Eutychès, voir aussi Les Raisons de la foi, chap. IX (p. 117 et
haeresibus 46, 15): «Le Christ n'est pas venu dans une vraie chair mais il n. 103). Cette formulation de l'hérésie d'Eutychès (moine de Constanti-
a présenté une apparence de chair pour tromper les sens humains. >> THo- nople dont l'opinion christologique fut rejetée par le pape Léon le Grand
MAS résume ainsi la conséquence de cette hérésie : « Ils ramènent tout le puis par le concile de Chalcédoine) pourrait être empruntée à Jean Damas-
mystère de l'Incarnation à une fiction>> (Somme contre les Gentils, livre IV, cène (La Foi orthodoxe, livre III, chap. 3, dans la traduction latine utilisée
chap. 29, n° 3646). Voir aussi Compendium de théologie I, chap. 207; par Thomas : trad. Burgundio de Pise, chap. 47 ; éd. E. M. Buytaert, New
Somme de théologie, Ilia, q. 5, a. 1-2. York, 1955, p. 173-174). Dans la Somme contre les Gentils, THOMAS
55. AUGUSTIN, De haeresibus 11. Pour Valentin, voir n. 41. THOMAS explique que pour Eutychès «il y avait deux natures avant l'union, l'une
explique à ce sujet : « Cette position de Valentin provient de la même erreur humaine et l'autre divine, mais dans l'union elles ont été fondues en une
que celle des manichéens : ils croyaient que toutes les réalités terrestres ont seule>> (livre IV, chap. 35; éd. Marietti, n° 3730). Voir aussi Compendium
été créées par le diable>> (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 30, de théologie I, chap. 206 ; Somme de théologie, Ilia, q. 2, a. 1 et 6. Le
n° 3661). Voir aussi Compendium de théologie I, chap. 208; Somme de concile de Chalcédoine (451) définit que les deux natures sont dans le Christ
théologie, IIIa, q. 5, a. 2 ; q. 54, a. 3. L'idée d'une humanité faite d'un corps sans confusion ni changement (contre Eutychès) et sans division ni sépara-
céleste était répandue dans les doctrines gnostiques ; Thomas l'a relevée tion (contre Nestorius) [Les Conciles œcuméniques, t. II-1, p. 198-199].
plus haut à propos de la résurrection des corps. 60. « Monothélites >>,c'est-à-dire affirmant dans le Christ'< un seul vou-
56. AuGUSTIN, De haeresibus 55. Apollinaire de Laodicée (Ive siècle), loir>>. L'hérésie fut condamnée solennellement au me concile de Constan-
refusant de voir dans le Christ un simple homme divinisé, voulut à l'ex- tinople (680-681) qui confessa deux vouloirs dans le Christ, l'un humain et
trême inverse trouver dans le Verbe éternelle principe de l'humanité du l'autre divin, ainsi que deux activités ou opérations concourant l'une avec
Christ. Cette approche de l'incarnation conduit à ramener au Verbe lui- l'autre (Les Conciles œcuméniques, t. II-1, p. 290-291). On parle aussi de
même ce qui constitue l'humanité du Christ. L'apollinarisme connut de « monoénergisme >>pour désigner la thèse erronée d'une unique opération.
nombreuses condamnations et, notamment, l'anathème du rer concile de C'est ici encore la vérité de l'humanité du Christ, unie sans confusion à la
Constantinople, en 381 (canon 1; Les Conciles œcuméniques, t.ll-1, p. 86- nature divine, qui se trouve en jeu. THOMAS nomme ailleurs plusieurs par-
87). Thomas fait ici mention de l'erreur d'Apollinaire concernant le corps tisans du monothélisme: Macaire, patriarche d'Antioche (vrre siècle);
du Christ; il sera question plus loin de la thèse apollinariste sur l'âme du Cyrus, patriarche d'Alexandrie (vue siècle); Serge, patriarche de Constan-
Christ. Pour THOMAS, cette première thèse apollinariste implique que Dieu tinople (vne siècle): Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 36; Somme
puisse changer (ce qui est rigoureusement impossible) et elle ne permet pas de théologie, ma, q. 18, a. 1, q. 19, a. 1.
de sauvegarder la vérité de l'humanité du Christ: Somme contre les Gen- 61. Pour Nestorius, voir Les Raisons de la foi, chap. IX, p. 117 et n. 103;
tils, livre IV, chap. 31. Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 34 ; Compendium de théologie I,
57. AUGUSTIN, De haeresibus 49. Par conséquent, explique THOMAS,« le chap. 203; Somme de théologie, Ilia, q. 2, a. 6. THOMAS présente générale-
Christ n'a pas été un vrai homme>>, puisque l'âme fait partie de la défini- ment Nestorius dans le prolongement de Théodore de Mopsueste. Les
tion de l'homme et constitue même ce qu'il y a de principal en l'homme études historiques montrent aujourd'hui que Nestorius n'était pourtant pas
(Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 32, n° 3680). Voir aussi Com- « nestorien >> dans le sens extrême que les médiévaux et Thomas lui prêtent.
pendium de théologie I, chap. 204; Somme de théologie, Ilia, q. 5, a. 3. L'attribution, à Nestorius, de la thèse d'une union selon l'inhabitation de
58. AUGUSTIN, De haeresibus 55. Apollinaire s'est opposé à l'arianisme grâce seulement (mode de l'union avec Dieu chez tous les saints) est pro-
mais sur ce point, explique Thomas, il a suivi Arius. Il faut comprendre la bablement issue de la lecture des Actes du ne concile de Constantinople qui
thèse apollinariste de la manière suivante: le Christ a eu une vraie âme sen- fournissent à Thomas une source importante sur la question nestorienne ;
sible («Mon âme est triste à mourir>>, Mt 26, 38), mais le Verbe tenait en voir M. MORARD, «Une source de saint Thomas d'Aquin: le deuxième
lui la place de l'âme intellectuelle. C'est là une dérive de l'approche concile de Constantinople (553) >>, RSPT 81 (1997), 21-56, voir p. 43.- Il
(alexandrine) qui élabore sa compréhension du Christ autour du binôme faut noter ici l'argument tiré de Le 1, 35 :puisque le Christ est personnel-
Verbe-chair. Pour THOMAS, l'anthropologie qui sous-tend la christologie lement Dieu («Fils de Dieu >> ), la mère de qui il est né doit être appelée
apollinariste est intenable et conduit à nier la vérité de l'humanité du Mère de Dieu ; pour les fondements doctrinaux de ce langage, voir Les Rai-
Christ: le Christ aurait eu alors une «chair de bête>> (caro bestialis), sons de la foi, chap. VI, p. 97-99, ainsi que les notes 79 et 80.
282 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 283

62. AuGUSTIN, De haeresibus 1. Le nom de Carpocrate apparaissait déjà dessous de nous. En effet, le Christ y est descendu tout entier selon son
plus haut, à propos de l'hérésie de Photin (voir n. 53). La même erreur est âme, afin de libérer les saints» (éd. Marietti, n° 208). C'est la seconde
attribuée ailleurs à Cérinthe et aux ébionites: Somme de théologie, Ilia, interprétation qui se trouve retenue ici. Voir aussi Somme de théologie, Ilia,
q. 28, a. 1 ; Exposition de la première Décrétale (p. E 36). q. 52, a. 1, sed contra.
63. AUGUSTIN, De haeresibus 84. Elvidius (ou Helvidius, IV' siècle), 67. À quels quidam THOMAS pense-t-il ici? Les éditeurs léonins
refusant la virginité de Marie après l'enfantement du Christ, suscita une indiquent leur perplexité à ce sujet (non invenimus). On peut faire valoir
vive réponse de la part de S. Jérôme qui composa contre lui un traité Sur la l'Exposition de la première Décrétale (Profession de foi Firmiter de
virginité perpétuelle de Marie (que Thomas connaît et cite ailleurs). C'est Latran IV) : Thomas y explique qu'Arius et Apollinaire, en faisant jouer au
une « détestable erreur » qui déroge à la perfection du Christ et porte Verbe le rôle de l'âme intellectuelle dans le Christ, ne peuvent pas rendre
atteinte à l'Esprit-Saint, à la Vierge Marie ainsi qu'à Joseph, explique compte de cet article de foi : «En effet, si le Christ n'a pas eu d'âme, mais
THOMAS (Somme de théologie, Hia, q. 28, a. 3 ; voir aussi Compendium de si le Verbe a tenu pour la chair la place de l'âme et s'il a été séparé de la
théologie I, chap. 225 ; Exposition de la première Décrétale, p. E 36). Pour chair dans la mort, il en résulte que ce qui revient à la chair ne peut pas être
l'exégèse du passage d'Ézéchiel produit ici, voir la Somme de théologie où attribué au Fils de Dieu : on ne peut donc pas dire que le Fils de Dieu a été
Thomas l'explique avec S. Augustin (ibid., sed contra). a~ tomb~au ou qu'il est ressuscité des morts; de même, on ne pourra pas
64. AUGUSTIN, De haeresibus 46, 15. La Passion se réduirait alors à une d1re qu'1l est descendu aux enfers, puisque la divinité, étant absolument
fiction ou «simulation», et nous n'aurions pas obtenu le salut, ajoute immobile, ne peut pas en elle-même monter ou descendre» (éd. Léonine,
ailleurs THOMAS (Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 29, no 3646; t. 40, p. E 37). Le Christ est descendu aux enfers pour libérer les âmes des
Somme de théologie, Ilia, q. 5, a. 1). Pour la thèse des manichéens, voir justes et triompher complètement des puissances du mal : voir Les Raisons
aussi n. 54. de la foi, n. 106 (p. 163); Compendium de théologie I, chap. 235; Somme
65. Gaïanus est un patriarche d'Alexandrie du VI" siècle. Sa doctrine, de théologie, ma, q. 52.
voisine de celle de Julien d'Halicarnasse à qui THOMAS l'associe dans la 68. Cette formulation de l'erreur de Cérinthe reprend les explications
Somme de théologie (Ilia, q. 50, a. 5), est résumée ici par ses deux éléments ~, AUGU~TIN (De haeresibus 8): la résurrection du Christ n'a pas encore eu
principaux: monophysisme et enseignement d'une incorruptibilité (aph- heu, mms elle est attendue pour un avenir qui inaugurera un règne terrestre
tarsia) du corps du Christ avant la résurrection, d'où le nom d'« aphtarto- de mille ans (millénarisme); voir n. 21 et 45.
docétisme » qui a été donné à cette thèse christologique. Dans son Exposi- 69. L'attribution de cette erreur à Origène se fonde très probablement sur
tion de la première Décrétale (Profession de foi Firmiter de Latran IV), JÉRÔME écrivant à propos du Traité des principes IV : « Il ajoute à la fin
Thomas présente Gaïanus comme un disciple (sectator) d'Eutychès penser cela est un sacrilège ! - que pour le salut des démons le Christ souf-
(éd. Léonine, t. 40, p. E 37). Thomas indique ses sources dans la Somme de frira encore dans l'air et dans les lieux supérieurs. Et bien qu'il ne le dise
théologie (Ilia, q. 50, a. 5) : IsiDORE DE SÉVILLE (Étymologies VIII, 5, 67; pas, il faut le comprendre comme une conséquence : de même que pour les
éd. W. M. Lindsay, Oxford, 1957, t. I), le Décret de Gratien et surtout hommes il a été fait homme pour libérer les hommes, de même pour le salut
S. Jean Damascène avec qui Thomas formule la conséquence de cette des démons le Christ sera ce que sont ceux qu'il viendra libérer» (Lettre
erreur : « Le corps du Christ ne nous aurait pas été consubstantiel, il ne 124 à Avitus, n° 12; Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, 56,
serait pas mort en toute vérité et nous ne serions pas sauvés réellement» 114). Ce passage de Jérôme est présenté et traduit dans: ORIGÈNE, Traité
(La Foi orthodoxe III, 28; p. 275). La controverse autour de cette hérésie des principes, t. IV (livres III et IV), éd. H. Crouzel et M. Simonetti,
fut vive au VI' siècle ; voir A. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chré- SC 269, 1980, p. 226-231. L'idée d'une répétition de la passion du Christ
tienne, tome II-2, L'Église de Constantinople au VI' siècle, Paris,« Cogita- au ciel pour le salut des démons (le Christ devenant ange parmi les anges)
tio fidei », 172, 1993, p. 116-158,459-469. est liée à la thèse origénienne de la restauration finale ; elle fut condamnée
66. Dans son Commentaire sur Ephésiens 4, 9, THOMAS explique que ce au ne concile de Constantinople (septième anathématisme contre Origène,
verset peut être compris de deux manières : « Premièrement, selon que les Denzinger, no 409). THOMAS s'oppose très fermement à l'affirmation d'une
parties inférieures de la terre désignent ces parties de la terre où nous habi- conversion ou d'un salut des mauvais anges et des damnés ; voir notam-
tons: on les appelle inférieures parce qu'elles sont au-dessous du ciel et de ment Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 93 ; Les Raisons de la foi,
l'atmosphère. Et l'on affirme que le Fils de Dieu est descendu dans ces par- p. 129 et n. 104; et ici, sixième article concernant la foi en la divinité
ties de la terre, non pas par un mouvement local, mais en prenant une nature (p. 231).
inférieure et terrestre, suivant Philippiens 2, 7: Il s'est lui-même abaissé. 70. AUGUSTIN, De haeresibus 59. «Dans la chair», c'est-à-dire dans la
-Deuxièmement, cela peut être compris de l'enfer qui est également au- nature corporelle assumée par le Fils de Dieu et glorifiée. Cette interpréta-
284 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 285

tion hérétique, dont Augustin fournit comme motif le verset du intuition maîtresse de la théologie sacramentaire de THOMAS. Voir notam-
psaume 18, 6 («il a placé sa tente dans le soleil»), est liée à une cosmolo- ment Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 58 ; Somme de théologie,
gie gnostique : Dieu est corporel, la matière est éternelle, les âmes ma, q. 65, a. 1-2. Thomas connaît l'option fort répandue d'autres théolo-
humaines sont créées par les anges, etc. Notre opuscule est la seule œuvre giens qui expliquent le septénaire sacramentel en fonction des vertus (trois
de Thomas mentionnant les séleuciens. D'après PILASTRE (De haeresibus vertus théologales plus quatre vertus cardinales) et du thème du remède
55-56; CCSL 9, 240-241), de qui Augustin tire manifestement ses rensei- pour les fautes et les peines. Il choisit cependant résolument cette analogie
gnements, il s'agit d'une secte gnostique, active en Galatie au n•-m• siècle, de la vie. Notons que le vocabulaire de la perfection (perfectio, perfici)
dont les chefs furent un certain Seleukos et Hermias. désigne ici l'état ou l'activité propre d'un être en vertu de sa nature, dans
71. Plus précisément, AUGUSTIN définit ici le sacrement comme un le sens d'un «accomplissement» et sur le mode dynamique de la crois-
«signe sacré», à propos de la notion de sacrifice (La Cité de Dieu X, v; sance.
BA 34, 440-441). Cette citation d'Augustin se trouvait déjà amplifiée chez 75. La structure des sacrements reproduit la structure ontologique de la
PIERRE LOMBARD : «Augustin dit au livre X de la Cité de Dieu : "Le sacre- personne du Verbe incarné: Verbe et chair. On trouve ici l'approche tho-
ment est le signe d'une réalité sacrée"» (Sententiae, livre IV, dist. 1, masienne d'un thème que la théologie du xx• siècle a aimé remettre en
chap. 2; éd. du Collège Saint-Bonaventure, t. II, p. 232). Le texte d'Au- valeur: le Christ est lui-même le sacrement primordial, la réalité sacra-
gustin sera correctement cité par THOMAS dans la Somme de théologie (Ilia, mentelle en sa source.
q. 60, a. 1, sed contra). Quant à l'idée de« secret sacré», qui ne reçoit guère 76. Approche caractéristique de THOMAS, à la suite de Cyrille d' Alexan-
de faveur chez Thomas, elle remonte à ISIDORE DE SÉVILLE malgré le patro- drie notamment: c'est par l'union du Verbe que l'humanité (la chair) du
nage supposé d'Augustin ou de Grégoire le Grand : « On parle de sacre- Christ est sanctifiée, comme l'éclat résulte de la présence du soleil. «Le
ments parce que, sous l'enveloppe des éléments corporels de ces sacre- Verbe vivifiant de Dieu, s'unissant à sa propre chair, la rend vivifiante à son
ments, la force divine opère le salut ; ils sont donc appelés sacrements en tour» (Somme de théologie, Ilia, q. 79, a. 1). Cette perspective n'exclut pas
raison de forces secrètes et cachées» (Étymologies VI, XIX, 40). Cette. l'action de l'Esprit-Saint remplissant de grâce l'humanité du Christ, mais
définition est mentionnée au même endroit par Pierre Lombard à qui Tho- elle rattache le don de l'Esprit à l'action du Verbe. Voir Ilia, q. 7, a. 13.
mas emprunte manifestement sa formulation. L'ensemble fournit un bel 77. AUGUSTIN, Homélie LXXX sur l'évangile de Jean (sur Jn 15, 3 ;
exemple d'amalgame (qui n'est pas rare chez Thomas) de plusieurs défini- CCSL 36, 529) : '< Vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai dite.
tions en une seule, placée sous l'autorité d'un grand docteur. Dans la Pourquoi le Christ ne dit-il pas: vous êtes purs à cause du baptême par
Somme de théologie, Thomas définit les sacrements de la manière sui- lequel vous avez été lavés, mais bien : à cause de la parole que je vous ai
vante: «Le sacrement est le signe d'une réalité sacrée en tant qu'elle sanc- dite, sinon parce que dans l'eau c'est la parole qui purifie? Ôte la parole,
tifie les hommes» (IIIa, q. 60, a. 2). Pour la signification théologique de et que reste-t-il sinon l'eau seule? La parole se joint à l'élément, et voilà le
cette approche des sacrements à partir de la notion de signe, voir la Somme sacrement. » Thomas se range résolument à cette approche augustinienne
de théologie, ma, q. 60; H.-F. DoNDAINE, ''La définition des sacrements du signe. On pourra voir à ce sujet les belles pages de M.-D. CHENU, La
dans la Somme théologique», RSPT 31 (1947), 214-228. Théologie au XII• siècle, Paris, 1957, p. 172-178 (conception dionysienne et
72. Il s'agit en réalité d'Isidore de Séville, à l'endroit cité dans la note augustinienne du signe et du sacrement).
précédente. 78. Ailleurs, THOMAS souligne plus précisément l'action dans l'aspect
73. Cette quasi-définition est une citation amplifiée de PIERRE LoMBARD matériel du signe sacramentel, par exemple l'ablution d'eau pour le bap-
(Sententiae, livre IV, dist. 1, chap. 2; éd. du Collège Saint-Bonaventure, tême, donnée plus haut en exemple. Dans le cas particulier de la pénitence,
t. II, p. 232) qui s'inspire étroitement d'AUGUSTIN (Questiones in Hepta- la matière est constituée par les actes et les paroles du pénitent (Somme de
teuchum III, q. 84; CCSL 33, 227-228). Telle est la différence fondamen- théologie, Ilia, q. 84, a. 3). Le mariage présente un cas voisin. Cette notion
tale entre les sacrements de l'Ancienne Alliance et ceux de la Nouvelle de matière s'applique ainsi de manière souple à chaque sacrement. Matière
Alliance: ces derniers causent ou procurent ce qu'ils signifient (THOMAS et forme constituent ensemble et inséparablement le signe sacramentel lui-
parle à leur sujet d'une causalité efficiente instrumentale), en vertu de la même, 1' aspect principal revenant à la forme, puisque la forme est le « prin-
Passion du Christ qui agit en eux ; tandis que les premiers signifiaient seu- cipe de détermination» d'une réalité composée (Ilia, q. 60, a. 7). Notons
lement la Passion du Christ et ses effets, c'est-à-dire la foi qui procure la enfin que Thomas parle ici des « éléments des sacrements » ou « éléments
justification (Somme de théologie, Ilia, q. 62, a. 6). corporels» (res sacramentorum, res corporales). Il ne faut pas confondre
74. Cette approche des sacrements autour du thème de la vie, en fonc- ce vocabulaire avec celui de la «réalité » de grâce conférée par le sacre-
tion de l'analogie entre la vie naturelle et la vie dans l'Esprit, constitue une ment (res sacramenti, res tantum) qui se situe sur un autre plan.
286 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 287

79. «Le sacrement n'est pas réalisé», c:est-à-dire: il n'y a pas de sacre- concerne les choses nécessaires au salut. Or, parmi tous les sacrements, le
ment. La perspective juridique de la « validité» du sacrement, développée plus nécessaire est le baptême qui est une régénération pour la vie spiri-
à la fin du Moyen Âge, n'est pas celle de Thomas pour qui l'alternative se tuelle[ ... ]. C'est pourquoi, afin que l'homme n'ait pas à souffrir le manque
situe sur le plan de la réalité: il y a ou il n'y a pas de sacrement. Le cas d'un remède si nécessaire [... ], chacun peut être ministre du baptême,
examiné dans la phrase suivante sera différent: le sacrement est bien posé même s'il n'a pas été ordonné>> (Somme de théologie, Ilia, q. 67, a. 3).
ou réalisé (perficitur sacramentum), mais un obstacle du côté de celui qui 84. AUGUSTIN, De haeresibus 59; pour les séleuciens, voir n. 70.
reçoit le sacrement en empêche l'effet de grâce.-« L'intention de faire ce 85. AUGUSTIN, De haeresibus 69. Pour les donatistes, voir p. 221, le qua-
que fait l'église>> ne doit' pas être confondue avec la foi personnelle du trième article concernant les effets de l'ordre de la grâce, avec la note 22.
ministre, ni avec une quelconque disposition psychologique. Il s'agit, si 86. C'est là un point fondamental que la crise donatiste permit à l'Église
l'on peut parler ainsi, d'une «intention objective>> : agissant au titre d'ins- de préciser : le sacrement ne dépend pas de la sainteté de celui qui l' admi-
trument de Dieu, le ministre doit vouloir poser cette acti~m qui est précisé- nistre. Voir la Somme de théologie, Ilia, q. 64, a. 4 et 9. C'est, bien sûr,
ment ce que l'Église fait. De son côté, l'intention de l'Eglise est détermi- Augustin qui, en plusieurs œuvres, fournit l'essentiel des sources de THo-
nante car, dirigée par la foi même de l'Église, elle assure le lien ou la MAS à ce sujet. PIERRE LOMBARD avait déjà rassemblé un dossier augusti-
continuité entre la cause principale (Dieu, le Christ) et l'action de l'instru- nien sur cette question (Sententiae, livre IV, dist. 5, chap. 1 ; éd. du Collège
ment (le ministre du sacrement) ; voir notamment Somme de théologie, Hia, Saint-Bonaventure, t. II, p. 263-264).
q. 64, a. 8-10. 87. Citation littérale d'AUGUSTIN, De haeresibus 88, 6. Cette « obliga-
80. Dans la Somme de théologie, THOMAS explique: «On appelle simu- tion ancienne >> désigne la « dette » du péché originel dont les pélagiens
lateur (fictus) celui qui exprime une intention qu'il n'a pas>> (Ilia, q. 69, nient l'existence dans les petits enfants: le baptême n'aurait dès lors pour
a. 9, ad 3). Avec Augustin, Thomas relève quatre cas de fiction ou simula- but qu'un<< mieux être>> et non pas la libération du péché (qui est, ainsi que
tion (fictio) à propos du baptême : 1' absence de foi, le ,mépris du sacrement, l'explique Thomas, l'effet propre du baptême).
la célébration du sacrement sans observer le rite de l'Eglise, et l'absence de, 88. Cette interprétation symbolique de l'huile et du baume est bien éta-
dévotion (ibid., corps de l'article). blie au temps de Thomas. Voir par exemple le Breviloquium de BoNAVEN-
81. C'est là un aspect fondamental de la doctrine thomasienne c?ncemant TURE (VIe partie, chap. 8, n° 4 ; Introduction et notes par L. Mathieu, Paris,
les sacrements, l'Église et le salut. Le salut (et l'incorporation à l'Eglise) est vol. VI, 1968, p. 92-95). Les explications de Thomas reprennent littérale-
réellement obtenu par celui qui, ne pouvant pas recevoir le sacrement du ment l'enseignement d'INNOCENT III (lettre Cum venisset ad apostolicam
baptême, en a le désir ou le vœu et en reçoit alors le fruit (Somme de théo- sedem; PL 215, 283) passé dans les collections canoniques. En plusieurs
logie, Ilia, q. 68, a. 2). De même, à propos de l'eucharistie, THOMAS écrira autres œuvres, THOMAS explique cependant que l'huile signifie la force ou
que « sans le vœu de recevoir ce sacrement, l'homme ne peut pas être la grâce du Saint-Esprit (par exemple dans la Somme de théologie, Ilia,
sauvé>> (Ilia, q. 80, a. 11). Et, dans le cas des petits enfants, c'est le vœu ou q. 72, a. 2; Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 60) ; voir HUGUES DE
l'intention de l'Église qui leur donne d'être comptés parmi les croyants et SAINT-VICTOR, De sacramentis, livre II, p. 7, chap. 1 (PL 176, 459).
de recevoir le fruit de l'eucharistie (IIIa, q. 73, a. 3). 89. Onction sur le front ou imposition des mains? Les documents
82. THOMAS explique dans la Somme de théologie que cette nécessité magistériels du Moyen Âge mentionnent parfois 1' une, parfois 1' autre, et de
peut s'entendre de deux manières: nécessité pour l'existence de la fin nombreux théologiens ont tenu que l'onction seule suffit comme matière
(c'est-à-dire le salut) et nécessité pour la possession convenable de la fin. du sacrement. Ici, Thomas ne mentionne pas l'imposition des mains mais
Dans la première catégorie de nécessité se rangent le baptême et, s'il Y a seulement l'onction. La doctrine de l'Église catholique romaine a été
péché mortel après le baptême, la pénitence ; de même le sacrement de quelque peu précisée depuis lors. La constitution apostolique Divinae
l'ordre est nécessaire à l'Église. Dans la seconde catégorie se rangent la consortium naturae de PAUL VI (15 août 1971) rappelle cette opinion et
confirmation, l'extrême-onction et le mariage (Ilia, q. 65, a. 4). Quant à explique que l'onction se fait par l'imposition des mains : «Le sacrement
l'eucharistie, il est nécessaire au salut d'en avoir tout au moins le vœu ou de la confirmation est conféré par l'onction du chrême sur le front, onction
le désir (Ilia, q. 73, a. 3), c'est-à-dire d'en recevoir spirituellement le qui se fait par l'imposition des mains, et par les paroles: Sois marqué de
fruit. l'Esprit-Saint, le Don [de Dieu]» (Acta Apostolicae Sedis 63, 1971,
83. «Simulateurs>>: ficti (voir n. 80). La règle est celle de la nécessité, p. 663). On voit également que, désormais, les paroles de la forme du sacre-
comme THOMAS l'explique ici, et qu'il faut comprendre de la manière sui- ment, d'inspiration orientale, comportent une mention spéciale de l'Esprit-
vante : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés : il convient ainsi Saint qui est donné par ce sacrement (ce qui rejoint les explications de Tho-
à sa miséricorde que l'homme trouve aisément un remède pour ce qui mas concernant le signe et l'effet de la confirmation).
288 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 289

90. THOMAS connaît pourtant des cas légitimes où le ministère de la n;e~t :hrétie~. -Il fau; re~arqu:r que Thomas considère ici l'eucharistie
confirmation peut être confié à des prêtres. Il y était très attentif dans son re~see (apres la consecratwn): 11 ne mentionne pas les paroles consécra-
Écrit sur les Sentences (livre IV, dist. 7, q. 3, a. 1), et ille rappelle encore tmres ~forme du sacrement) dans la constitution du signe sacramentel. En
dans la Somme de théologie (Ilia, q. 72, a. 11, arg. 1 et ad 1). Il se montre outre, ll omet de mentionner le vrai Sang du Christ comme res et sacra-
cependant fermement attaché, en vertu de l'usage antique et traditionnel, à men;um : la. m.ention du Corps seul lui permet de rassembler les deux effets
la place unique de l'évêque dans l'administration de ce sacrement. Repre- de .1 euchanstle autour de la notion de Corps. Il faut relever enfin que le
nant ce passage de notre opuscule, le Décret pour les Arméniens précisera frmt personnel de l'eucharistie (1' accroissement de la grâce) est présenté
que l'évêque est le « ministre ordinaire » de la confirmation (DENZINGER, comme une conséquence de l'unité ecclésiale que ce sacrement procure
no 1318). («l'homme est incorporé au Christ et uni à ses membres»).
91. La mention de cette «erreur» des Grecs, chez qui la confirmation 95. Bérenger: écolâtre de Tours (xre siècle), dont la doctrine eucharis-
par des prêtres était devenue pratique habituelle, est rare dans l'œuvre de ti~ue ,fut.rejetée par pl~sieurs synodes. Ses adversaires lui reprochaient de
Thomas. Ce point fut un sujet de discorde dès le début des controverses mer.l ex1s~ence du vrai .corps du Christ dans l'eucharistie après la consé-
entre Grecs et Latins au Moyen Âge, par exemple chez RATRAMME DE CoR- c.ra~wn. ~erenger croyait sans doute à la présence du Christ dans l'eucha-
BIE au IXe siècle (Contra Graecorum opposita, livre IV, chap. VII; PL 121, nstie !flaiS, en maintenant une présence symbolique du Christ il semble
332-334). Au ne concile de Lyon, en 1274 (peu après la mort de Thomas), n: avmr pas pu accepter l'idée d'une conversion substantielle du' pain et du
ce point fut inséré dans la profession de foi de l'empereur Michel Paléo- vm en Corps et Sang du .Christ. Dans la Somme de théologie (Ilia, q. 75,
logue (DENZINGER, n° 860); on le retrouve dans la profession de foi deman- a.,~), rep~enant un doss1e;. c.o!flmun à tous ses contemporains, THOMAS
dée aux Arméniens par Clément VI en 1351 (n° 1069) ainsi qu'au concile ~esigne Berenger comme l1mt1ateur de l'erreur ne voyant dans l'eucharis-
de Florence, en 1439, dans le Décret aux Arméniens (no 1318). tie qu'une présence du Christ par mode de signe ou de symbole. Voir aussi
92. Tous ces points de doctrine (matière, forme et ministre de l'eucha- Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 62, n° 3989.
ristie) sont expliqués de manière détaillée dans la Somme de théologie, Ilia,, 96. Citation littérale d'AUGUSTIN (De haeresibus 28) qui explique par là
q. 74, 78 et 82. THOMAS insiste ici sur le fait que les paroles de la consé- le nom donné à ce groupe (artas, pain; tyros, fromage). THOMAS reprendra
cration sont celles du Christ lui-même agissant par le ministre du sacre- ce.passage dans la Somme de théologie, à propos des erreurs commises au
ment ; ce dernier agit in persona Christi : ses paroles ne sont pas un simple sujet de la matière de l'eu~haristie (~Ha, q. ~4, a. 1), en mentionnant égale-
récit, mais les paroles du Christ qui produisent ce qu'elles signifient. Voir ~ent les deux err:urs sUivantes. D après EPIPHANE DE SALAMINE (Pana-
à ce sujet P.-M. GY, La Liturgie dans l'histoire, Paris, 1990, «Prière eucha- r~on, haer .. 49; VOir Anacephalaeosis, éd. Fr. Oehler, p. 567), les artorty-
ristique et paroles de la consécration selon les théologiens de Pierre Lom- ntes constituent une branche du montanisme, en Galatie; d'autres les
bard à S. Thomas d'Aquin », p. 210-221. rappr~chent de~ marcionites. Avec Épiphane, Augustin leur adjoint les
93. «Qui demeurent sans sujet» (sine subiecto) signifie que, après la pepuziens dont 11 sera question plus loin.
consécration, les accidents du pain et du vin ne sont plus portés par la sub- 97. Citation d'AuGUSTIN, De haeresibus 26-27. THOMAS reprendra ce
stance du pain et du vin, car celle-ci a été entièrement changée ou conver- pa~sage. concernant les cataphrygiens et les pépuziens dans la Somme de
tie (transsubstantiée) en la substance du Corps et du Sang du Christ. Ces theologze (Ilia, q. ~4, a. 1). Le reproche de cette effrayante pratique, qui
accidents n'affectent pas davantage la substance du Corps et du Sang du rappelle les accusations portées très tôt contre les chrétiens, se trouve éga-
Christ, puisque l'humanité du Christ se trouve maintenant dans l'impassi- lem~nt chez. PILASTRE DE BRESCIA (De haeresibus 49; CCSL 9, 238). Ce
bilité de la gloire (voir Somme de théologie, Ilia, q. 77, a. 1-2). On denuer .explique le nom de cataphrygiens, comme ÉPIPHANE DE SALAMINE
remarque surtout, dans ce passage, l'insistance de Thomas sur ceci: le (P~narz~n, , ha~r. 48; An~cephalaeosis, p. 567), par l'origine géogra-
Christ est contenu tout entier (ta tus Christus) sous chaque espèce et chaque ~hiq~e : 11 s, agit de montanistes, mouvement de réveil apocalyptique et spi-
partie des espèces (Ilia, q. 76, a. 1-3). Voir Les Raisons de la foi, chap. VIII, ntu;mst~ ne dans la seconde moitié du ne siècle en Phrygie. Le terme
p. 115 et n. 100. « pepuzie~s », que Thomas mentionnera une seconde fois plus loin, dérive
94. Expressions scolastiques qu'il est bien difficile de rendre en fran- du nom d une bourgade de Phrygie, Pépuze, vénérée comme résidence de
çais : sacramentum tantum, res et sacramentum, res tantum. Sacramentum, M~ntan ~u ~omme le lieu de la descente imminente de la Jérusalem céleste
c'est-à-dire « signe » ; res, c'est-à-dire « réalité signifiée et produite » ; res (sUivant Epiphane, Pilastre et Augustin).
et sacramentum, c'est-à-dire «réalité intermédiaire » qui est à la fois signe . 98. AUGUSTIN, De haeresibus 64. Dans la Somme de théologie, THOMAS
et effet. Telle est la structure tripartite et dynamique, engageant le double aJoute que cette. erreur fut pratiquée « sous prétexte de sobriété >> (Ilia,
plan de la signification et de la causalité, que l'on observe en tout sacre- q. 74, a. 1). Plusieurs sectes de l'Antiquité ont refusé l'usage du vin pour
290 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 291

l'eucharistie, s'en tenant à l'eau pour des motifs soit théologiques ou phi- concile de Florence (DENZINGER, n° 1323), et on le retrouve dans la Doc-
losophiques, soit ascétiques. Avec Augustin (et Pilastre de Brescia), Tho- trine sur le sacrement de la pénitence du concile de Trente (session XIV,
mas semble présenter ici les aquariens comme une secte particulière. 25 novembre -1551 ; DENZINGER, n° 1673); on peut voir aussi: Les Conciles
99. Citation d'AUGUSTIN, De haeresibus 17. C'est la seule mention de œcuméniques, t. II-1, p. 1122-1123; t. II-2, p. 1432-1433. Dans cette
cette secte dans l'œuvre de Thomas. D'après les hérésiologues anciens, il expression, les traductions françaises comprennent souvent le mot «quasi »
s'agit de gnostiques vouant un culte au« serpent», d'où leur nom d'ophites comme une restriction («en quelque sorte», ,, pour ainsi dire», etc.) et
(ophis, en grec: serpent) ou parfois de naasséniens (nahas: serpent, en c'est bien ainsi qu'ont voulu l'entendre les disciples de Duns Scot, pour qui
hébreu). On trouve un aperçu détaillé de leur doctrine chez IRÉNÉE DE LYON la pénitence n'a pas véritablement de matière (l'essence du sacrement de
(Contre les hérésies I, 30; SC 264, 385). La vénération d'un serpent, pénitence se trouve alors ramassée dans la seule absolution). Or telle n'est
auquel on offre du pain distribué ensuite aux fidèles comme eucharistie, est pas la pensée de THOMAS qui intègrepleinement l'activité du pénitent dans
rapportée plus longuement par ÉPIPHANE DE SALAMINE (Panarion, haer. 37, le signe lui-même : le signe sensible de ce sacrement consiste dans les actes
5 ; Die Griechischen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte, Epiphanius II, et les paroles du pénitent qui en sont la matière, et dans les paroles d'abso-
56-58). C'est aussi la première hérésie du catalogue de PILASTRE DE BREs- lution du prêtre qui en sont la forme. Voir Somme de théologie, Hia, q. 84,
CIA (CCSL 9, 218). a. 1. Le mot «quasi» rend compte de l'attribution analogique du couple
100. Citation d'AUGUSTIN, De haeresibus 27. C'est aussi, avec l'indica- matière-forme aux sacrements, c'est-à-dire de l'application de la structure
tion donnée plus haut à propos des cataphrygiens, l'une des rares mentions hylémorphique du réel au signe sacramentel, mais il n'affaiblit pas le rôle
de ces « pépuziens » chez Thomas. des actes du pénitent dans la constitution du sacrement.
101. Les Pauvres de Lyon sont les vaudois (du nom de leur initiateur, 104. Pour les trois parties de la pénitence, voir la Somme de théologie,
Pierre Valdès ou Valdo, au XII' siècle). Pierre Valdès, que l'on présente par- Hia, q. 90. De ces parties, explique THOMAS, la première est la contrition qui
fois comme un précurseur des réformateurs de la fin du Moyen Âge et du appartient à la vertu de pénitence : c'est par l'acte intérieur de contrition, qui
XVI' siècle, mit en cause le principe d'un clergé, des sacrements autres que. procède de la charité, que le péché est remis. Cet acte de contrition inclut le
le l:lHptême et la cène, ainsi que le culte des saints, etc. Sa doctrine fut vœu ou propos de confesser la faute et de présenter une satisfaction (répa-
condamnée par plusieurs conciles. Une confession de foi orthodoxe ration pour le tort commis et guérison du pécheur). La pénitence intérieure,
détaillée fut prescrite aux vaudois en 1208 (DENZINGER, n° 790-797). THo- avec la contrition à son sommet, constitue aussi la res et sacramentum de la
MAS mentionne également leur erreur concernant le ministre de l'eucharis- pénitence sacramentelle. Voir Somme de théologie, Ilia, q. 84, a. 1, ad 3 ;
tie dans sa Somme contre les Gentils (livre IV, chap. 77) ainsi que dans son q. 86, a. 2 ; q. 86, a. 6; Supplément, q. 1, a. 1 (Écrit sur les Sentences
Exposition de la première Décrétale (p. E 38). Il semble que, pour sa docu- livre IV, dist. 17, q. 2, a. 1, qla 1); Quodlibet IV, q. 7, a. 1. '
mentation sur les Pauvres de Lyon, Thomas. ait eu connaissance des Cinq 105. AUGUSTIN, De haeresibus 38. Novatien, prêtre de Rome et évêque
livres contre les cathares et les vaudois du dominicain MoNETA DE CRÉ- schismatique (III' siècle), se fit le chef d'un groupe rigoriste à la suite des
MONE (vers 1241), ainsi que de la Somme sur les cathares et les léonistes pro~lèmes po~és par la réintégration dans l'Église des chrétiens ayant apo-
ou Pauvres de Lyon écrite vers 1250 par le dominicain RAYNIER SACCONI stasié leur fm sous les persécutions, Le novatianisme, qui s'est répandu
(éd. F. Sanjek, p. 31-60): «Ils disent qu'un simple laïc peut consacrer le dans tout 1' Empire romain, s'est voulu à cet égard une Église de « purs » :
Corps du Seigneur. Je crois même qu'ils disent cela également pour les le yécheur ne peut plus être réconcilié .et réintégré dans la communion de
femmes, car ils ne m'ont pas démenti ce point» (p. 60). l'Eglise. Le motif de l'erreur des novatiens, explique THOMAS, est double:
102. Citation d'AuGUSTIN, De haeresibus 31. Le nom d'adarnites sera ils ont cru que, lorsqu'on possède vraiment lacharité, on ne peut plus la
donné parfois à d'autres groupements religieux du Moyen Âge, mais Tho- perdre, de sorte que la vraie pénitence ne peut pas disparaître et qu'elle ne
mas considère ici les adeptes antiques d'une vision paradisiaque dont les doit donc pas être réitérée ; ils ont surestimé la gravité des péchés et ils ont
hérésiologues de l'âge patristique ont stigmatisé l'indécence ou la mis une limite à la miséricorde de Dieu (Somme de théologie, Hia, q. 84,
débauche (ÉPIPHANE, Panarion, haer. 52 ; Anacephalaeosis, éd. Fr. Oehler, a. 10 ; voir aussi la note 37). La position des novatiens ·est formulée de la
p. 569). Thomas ne mentionne les adamites qu'à propos de leurs assem- même manière par Thomas dans la Somme contre les Gentils, livre ·m,
blées eucharistiques, sans prendre en compte leur rejet du mariage rapporté chap. 156 (no 3298) ; un chapitre entier est consacré à cette question au
par Épiphane et Augustin. livre IV (chap. 71).
103. Ce fameux passage, dans lequel THOMAS écrit: «il a comme 106. Le sacrement est ici compris .d'abord comme remède spirituel
matière les actes du pénitent» (cuius quasi mate ria sunt actus penitentis), contre le mal du péché. THOMAS mentionne bien la guérison corporelle,
a suscité de vifs débats. Il a été repris dans le Décret pour les Arméniens du mais ilia subordonne à la guérison de l'âme. C'est ainsi que se comprend
292 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 293

la liste des parties du corps qu'il faut oindre. Thomas l'explique avec le proprio« Ministeria quaedam », 15 août 1972; Acta Apostolicae Sedi 64
motif théologique et anthropologique suivant. Il faut guérir le péché à sa 1972, p. 529-534). s ,
racine ; or la connaissance, premier principe d'action, prend son origine . 11 O. Ici en~~re,_ la doctrine sa~ramentelle de 1'Église romaine a été pré-
dans les sens: il faut donc appliquer l'onction sur les organes qui sont cisée. _Sans prejudice pour la pratique historique dont THOMAS rend compte
comme la première origine du péché (Somme de théologie, Supplément, (doctrme f~rm~lée du reste de manière semblable par de nombreux docu-
q. 32, a. 6 =Écrit sur les Sentences, livre IV, dist. 23, q. 2, a. 3, qla 2). Rap- ments mag1sténels, notamment le Décret pour les Arméniens), la matière
pelons que, à la suite du ne concile du Vatican, la pratique de ce sacrement du sacrement consiste désormais dans l'imposition des mains de l'évêque
à connu un notable déplacement par rapport à celle dont Thomas rend et non _Plus dans la transmission des instruments (PIE XII, constitution
compte:« "L'extrême-onction", qu'on peut appeler aussi et mieux "l'onc- apo~tohque Sacramentum ordinis, 30 novembre 1947; Acta Apostolicae
tion des malades", n'est pas seulement le sacrement de ceux qui se trouvent Sedl~ 40,. 1948, p. 5-7). La forme du sacrement a également connu des
à toute extrémité» (Constitution sur la sainte Liturgie, chap. 3, no 73). modi?cations. On pourra voir de nombreux renseignements historiques et
L'onction sur toutes les parties du corps mentionnées par Thomas n'est plus doctrinaux dans la Somme théologique, L'Ordre (Supplément, q. 34-40),
requise désormais dans le rite romain qui comporte ordinairement une onc- trad. par M. J. Gerlaud, Notes et appendices par J. Lécuyer, Paris, 1968.
tion sur le front et les mains seulement; les paroles sacramentelles ont aussi 111. Il faut relever, dans ce passage, la mention de la grâce comme effet
connu des modifications, notamment par l'introduction de la mention du ~acrement de l'ordre (c'est le cas de tous les sacrements de la Nouvelle
explicite de la grâce de l'Esprit-Saint (PAUL VI, constitution apostolique Alhance). Conformément_ à la s~cture 9ui régit la présentation de chaque
Sacram unctionem infirmorum, 30 novembre 1972 ; Acta Apostolicae Sedis sa~rement, Tho~as m~nt10nne ICI la grace sans rappeler ce premier effet
65, 1973, p. 5-9). qu est le cara~tere (~01r p. 249, la section sur les, sacrements en général).
107. Citation littérale d'AUGUSTIN (De haeresibus 16) qui reprend la Cette observation exige cependant une précision. A la différence des sacre-
notice de l'Anacephalaeosis attribuée à ÉPIPHANE (éd. Fr. Oehler, p. 562- ~ents qui ont pour e,ffet principal de _do?ner la grâce sanctifiante (le bap-
565 ; voir Panarion, haer. 36; Die Griechischen Schriftsteller der ersten, teme par ex~mple),, ~ o~dre confère pnnc1palement un« pouvoir spirituel»
Jahrhunderte, Epiphanius II, 44-50). Ces détails sont- comme beaucoup pour le service de 1 Eghse. En d'autres termes : le caractère sacramentel de
d'autres - sujets à caution. Il s'agit des disciples d'Héracléon, grande l'ordre, signe et pouvoir spirituel qui habilite le ministre à accomplir les
figure du gnosticisme (II' siècle). C'est l'unique mention des héraclionites actes qui lui reviennent proprement, entre dans la définition même du
dans l'œuvre de THOMAS. La Catena aurea sur Jean nomme incidemment sa~r.ement d~ _l'ordre: ~ROMAS explique aille_urs que ce caractère ou pouvoir
Héracléon dans une citation d'Origène, mais en un autre contexte (Catena spmtu_el, qu Il considere surtout en fonctiOn de 1' eucharistie, constitue
sur Jn 1, 18; éd. Marietti, p. 342). Thomas semble avoir été en peine pour essentiellement et principalement le sacrement de l'ordre (Écrit sur les
mentionner une hérésie concernant l'extrême-onction. Le chapitre corres- Sentences, livre IV, dist. 24, q. 1, a 1, qla 2, ad 1-3; qla 4 =Somme de théo-
pondant de la Somme contre les Gentils (IV, 73) n'en indique aucune. En logie, Supplément, q. 34, a. 2, ad 1-3; a 4). Le rapport entre le caractère et
outre, dans son Exposition de la première Décrétale, remarquant que ce la grâce est bien expliqué dans la Somme contre les Gentils (livre IV.
document ne mentionne pas l'extrême-onction, Thomas explique qu'il ch~p. 74, no 40~5) :,«Il appa:tïent à la libéralité divine, en conférant à quel~
s'agit d'un sacrement au sujet duquel il n'y a pas eu d'erreur spéciale qu ~~ le pouvOir d accomplir quelque chose, de lui donner aussi ce sans
(p. E 39). quoi Il ne peut pas exercer convenablement son action. Or l'administration
108. Dans la section sur les sacrements en général (p. 247). des sa~rements, qui est le but du pouvoir spirituel (spiritualis potestas), ne
109. Thomas va affirmer plus loin, au nom de la foi, la distinction entre p~ut s exercer convenablement que si le ministre est aidé par la grâce de
la prêtrise et l'épiscopat. En rapport à l'eucharistie, explique-t-il ailleurs, D1eu. C'est pourquoi la grâce est conférée dans ce sacrement, comme dans
prêtrise et épiscopat sont semblables, mais la différence se prend par à rap- les autres. »
port au Corps mystique (l'Église): ici s'observe une différence d'ordo. 1,1~. Auou~TIN, De h~~resibus 53. ~érius (IV' siècle) fut adepte d'un
Pour cette question, voir J. LÉCUYER, « L'enseignement thomiste sur l'épis- ascetisme r~diCal; fort cnt!que envers l'Eglise dont il se sépara, il regroupa
copat», RTh 51 (1957), 29-52 (pour notre opuscule: p. 37-38). La doctrine a~!o~ de lm un group~ ascét~que (les aériens). Les hérésiologues, à la suite
de l'Église catholique a été précisée par le concile Vatican II et les docu- d ~p~pha~e ?e Salarmne, lm reprochent comme «pire hérésie >> d'avoir
ments magistériels qui lui font suite. Les ordres de la hiérarchie sont désor- rejete 1~ difference entre prêtre et évêque. THOMAS le rappelle encore, avec
mais, suivant un triple degré : l'épiscopat, le presbytérat et le diaconat Augustm, dans la Somme de théologie (IIa-IIae, q. 184, a. 6, ad 1). Dans
(constitution dogmatique Lumen gentium, chap. 3). On parle désormais, son Comm:_ntaire sur Tite 1, 5, Thomas préciseque l'ambivalence des
pour l'acolytat et le lectorat, de «ministères ordonnés» (PAUL VI, motu termes « éveque >> et «prêtre>> dans les écrits apostoliques a fourni l' occa-
294 LES ARTICLES DE LA FOI NOTES 295

sion de cette erreur. Il affirme alors la différence entre l'épiscopat et la prê- 118. THOMAS et les théologiens de son époque appellent« dots» (dotes)
trise sur la base d'une source patristique grecque : la Hiérarchie ecclésias- les «ornements perpétuels de l'âme et du corps>> que les bienheureux
tique du Pseudo-Denys de l'Aréopage (éd. Marietti, no 12). reçoivent de manière stable dans la vie éternelle (Écrit sur les Sentences
113. Le Moyen Âge latin développe cette doctrine du triple bien du livre IV, dist. 49, q. 4, a. 1-5 =Somme de théologie, Supplément, q. 95, a. 1~
mariage (fides, proies, sacramentum) en référence à Augustin. L'ensemble 5). Le mot est tiré du thème des noces spirituelles de l'Église avec son Sei-
de ce paragraphe reprend, presque littéralement, l'enseignement de PIERRE gneur (Ep 5, 32),: ce sont les dons que reçoit l'Épouse entrant dans la
LOMBARD (Sententiae, livre IV, dist. 27, chap. 3, et dist. 31, chap. 1; éd. du demeure de son Epoux. Thomas les développe en rapport à la béatitude.
Collège Saint-Bonaventure, t. II, p. 422 et 442). On le trouve déjà, en Malgré certaine~ divergences dans la liste des dots (voir par exemple
termes voisins, dans la Somme contre les Gentils, livre IV, chap. 78. Cer- BoNAVENTURE, Ecrit sur les Sentences, livre IV, dist. 49, p. 1, a. un., q. 5),
tains théologiens et canonistes considéraient que le seul consentement ne on s'accorde généralement au temps de Thomas à en reconnaître sept
suffit pas, sans l'acte sexuel, à faire le sacrement du mariage. Pierre Lom- (nombre de perfection). Les quatre dots ou qualités des corps glorieux sont
bard s'est opposé à cette manière de voir, et Thomas le suit résolument en exposées de manière détaillée par Thomas dans son Commentaire sur
enseignant que le consentement est la« cause» du mariage. Enfin, en par- l Corinthiens 15, 42-44 (éd. Marietti, no 979-988).
lant ici d'un consentement exprimé par les paroles« d'engagement immé-
diat» (de praesenti), THOMAS veut signifier la différence entre le sacrement
et les fiançailles : ces dernières se font par un consentement « pour l'ave-
nir» (de futuro) qui n'est pas celui du mariage (Écrit sur les Sentences,
livre IV, dist. 27, q. 1, a. 2, q.la 3 =Somme de théologie, Supplément, q. 45,
a. 3).
114. AuGUSTIN, De haeresibus 25. Les« tatianiens »sont les disciples ou
adeptes de Tatien (II' siècle). dont la doctrine se caractérise par des ten- ~
dances marcionites et gnostiques, ainsi que par un extrême rigorisme moral '
(voir p. 225, à propos du quatrième article), notamment dans le domaine
sexuel (encratisme). C'est pour sa position face au mariage que THOMAS
évoque généralement Tatien ou ses adeptes : Exposition de la première
Décrétale (p. E 39- avec les manichéens) ; Catena sur Jn 2, 2 (éd. Marietti,
p. 357 -les tatianiens sont ici associés aux marcionites dans un passage de
Bède le Vénérable).
115. Pour Jovinien, voir p. 225, le quatrième article de la foi, huitième
erreur (n. 33).
116. AUGUSTIN, De haeresibus 5. Les hérésiologues anciens présentent
souvent ces nicolaïtes dans le prolongement de Nicolas, l'un des sept
« diacres » ordonnés par les Apôtres (Ac 6, 5), mais ce rapprochement est
fort incertain ; ils reprochent également à cette secte ses tendances gnos-
tiques. De son côté, l'Apocalypse de Jean mentionne des nicolaïtes dans un
contexte de prostitution et de repas pris avec des viandes sacrifiées aux
idoles (Ap 2, 6, et 2, 14-15). Dans la Somme contre les Gentils, THOMAS
précise que l'idée d'une communauté des épouses fut une erreur de PLATON
(République V, 457 c-d), et il ajoute alors : «Il fut suivi au temps de la Loi
nouvelle par Nicolas, l'un des sept diacres» (livre IV, chap. 124, n° 2976).
Voir aussi Thomas, Commentaire sur l Thessaloniciens 2, 3 (éd. Marietti,
n° 27); Commentaire sur Hébreux 13, 9 (éd. Marietti, no 742).
117. Les accusations de désordres sexuels constituent un topos de la lit-
térature hérésiologique. Chez AuGUSTIN, par exemple, ce thème apparaît dès
l'exposé de la première secte hérétique (Simon le Mage: De haeresibus 1).
Table des textes bibliques cités par Thomas

Dans « Les raisons de la foi »


Genèse 37, 35: 119 Actes des Apôtres 2, 27: 119
Job21, 13-14: 119 1 Corinthiens 1, 18: 63, 107; 1,
Psaume 15, JO: 119; 67, 19: 23-25: 103; 3, 13-15: 129
119; 144, 9: 119 /1Corinthiens5, 1-8: 121-125,127
Sagesse 7, 25: 127 Éphésiens 4, 8 : 119
Isaïe 35, 8 : 127 Philippiens 1, 23: 125
Zacharie 9, 11 : 119 Colossiens 2, 15 : 119
Luc 16, 22: 119; 16, 24: 119; 1 Thessaloniciens 5, 2 : 131
23,43: 125 1 Pierre 2, 21: 105; 3,15: 63, 65,
Jean 14, 2: 65, 125; 14, 3: 131 ; 67 ; 3, 18 : 111
15, 20: 109 Apocalypse 2, 5: 131; 21, 27: 127

Dans« Les articles de la foi et les sacrements de l'Église»


Genèse 1, 1: 219 31: 243; 25, 46: 231; 26, 39:
Exode 20, 3: 215 237
Deutéronome 6, 4: 215 Marc 16, 19: 243
Job 19, 29: 243; 22, 26: 265; Luc 1, 35: 237, 239; 16, 22: 233;
34,13: 221 18, 1: 225; 24, 37: 235; 24,
Psaume 32, 6: 219; 32, 9: 219; 39: 229; 24, 49: 247
40,5: 247; 50, 7: 223; 61, 13: Jean 1, 14: 235; 1, 33: 253; 3, 5:
231; 105, 38: 259; 113, 3: 247, 253; 4, 24: 215; 6, 54:
217;148,5: 219 247;6,55: 257;6,56: 257;8,
Proverbes 9, 5: 259 40: 237; 10, 18: 237; 10, 30:
Sagesse 1, 5: 249; 3, 7: 265 217; 14, 1: 213; 14, 26: 217;
Isaïe 7, 14: 235; 40, 5: 237; 40, 16, 14: 217; 20, 17: 241-243
18: 215; 45, 6: 215; 53, 4: Actes 2,1-13: 223; 2, 31: 241;
239; 53, 7: 239 8, 14-17: 255; 8, 32: 239; 10,
Jérémie JO, 2: 227 42: 243; 17, 24: 221
Ézéchiel44, 2 : 239 Romains 1, 2 : 223-225 ; 3, 24:
Matthieu 1, 18: 239; 1, 23: 235; 221; 3, 28: 221; 5, 12: 223;
11, 22: 231s.; 13, 43: 265; 14, 6, 9: 241 ; 7, 12: 223; 8, 21 :
26: 235; 19,21: 225; 20,18- 231;9,5: 235;9,11-13:223;
19: 239, 241; 22, 30: 229; 25, 11, 6: 223
298 TABLE DES TEXTES

1 Corinthiens 1, 23: 255; 3, 12-15: Colossiens 1, 15:217; 3, 11:221


223 ; 7, 28 : 265 ; 7, 38 : 225 ; 9, 1 Timothée 4, 3 : 225
24: 265; JO, 22: 225; 14, 40: li Timothée 2, 17-18: 229
Hébreux 11, 3: 219; 13, 4: 265
259; 15, 12: 229; 15, 24: 241;
Jacques 5, 14-15:247,263
Table des noms allégués par Thomas
15, 41-42: 231; 15, 44: 265; 15,
51: 227; 15, 53: 229,265 1 Pierre 3, 18: 241; 5, 7: 215
li Pierre 1, 21 : 223; 3, 3-4: 243
li Corinthiens 3, 17: 217 ; 5, 1 : 233
1 Jean 2, 1 : 227 ; 3, 2 : 265 ; 5, 7: Cette liste indique les noms de personnes et de mouvements doctrinaux
Galates 4, 4 : 235 ; 4, 9 : 245
Éphésiens 4, 5: 253; 4, 9: 241 217 mentionnés par Thomas, à l'exception des noms d'auteurs bibliques.
Apocalypse 2, 4-5: 227, 261; 6, 9:
Philippiens J, 23: 231; 2, 6: 237; adarnites: 259 JOVINIEN: 225, 265
2, 13 : 223 ; 3, 21 : 229 231; 21, 1: 231
aériens : 227 MACÉDONIUS: 217
AÉRIUS: 263 manichéens: 215, 219, 223, 235,
ANAXAGORE: 219 239
anthropomorphites: 215 mathématiciens : 227
APOLLINAIRE: 235, 237 MAXIMILLE : 223
apostoliques : 225 MÉNANDRE: 219
aquariens : 259 monothélites : 237
ARISTOTE : 219 MONTAN: 223
ARIUS: 117,217, 237 nazaréens: 221
ARMÉNIENS : 65 NESTORIUS : 117, 237
artotyrites : 257 nicolaïtes : 265
AUGUSTIN: 217,225, 245, 249 novatiens: 261
BÉRENGER DE TOURS : 257 ophites : 259
CARPOCRATE: 235, 239 ORIGÈNE: 117, 119, 223, 231, 241
cataphrygiens : 259 passalorinchites : 225
CÉCILIEN: 221 PAUL DE SAMOSATE : 235
CERDON: 223 Pauvres de Lyon : 259
CÉRINTHE: 221, 229, 235, 241 pélagiens : 223, 253
DÉMOCRITE: 219 pépuziens : 259
donatistes: 221, 253 PHILÈTE : 229
ÉBJON: 221, 235 PHOTIN: 235
ELVIDIUS : 239 PLATON: 219
ÉPICURE: 219 PRISCA: 223
épicuriens: 215 priscillianistes : 227
euchites : 225 quartodécimans : 227
EUNOME: 217 SABELLIUS: 117, 217
EUTYCHÈS: 117,237 sarrasins: 63, 65
EUTYCHIUS : 229 séleuciens: 243, 253
GAïANUS: 239 SIMON LE MAGICIEN: 219
Gentils : 215 tatianiens : 225, 265
Grecs: 65,217,255 tessarescedecatites : 227
GRÉGOIRE LE GRAND : 229 VALENTIN: 229, 235
héraclionites : 261 VIGILANCE : 225
HYMÉNÉE : 229 ZÉNON: 231
TABLE DES NOMS 301

CÉRINTHE (cérinthiens): 175, 203, EUNOME DE CYZIQUE : 269


207, 272, 277, 278, 279, 282, EUSÈBE DE CÉSARÉE; 207, 278
283 EUTYCHÈS: 162,277,281,282
CÉSAIRE D'ARLES: 53 EUTYCHIUS : 207, 277
Table des noms indiqués CHARLIER,A.: 162,163 FARABI: 33
dans les introductions et dans les notes CHENU, M.-D.; 183, 285 PILASTRE DE BRESCIA: 207, 274-
chiliastes : 277 278,284,289,290
CHRISTIAN ELIA : 14 FOURNE~M.:7,8, 13,58,209,267
CICÉRON ; 268 GAÏANUS : 282
COLESSE, L.: 167 GARDE~L.: 32,33,54
COLLINS, J. B. : 209 GAUTHIER, R.-A.; 18, 26, 31, 33,
ABÉLARD: 21 AVICENNE; 33, 268, 269, 272 CROUZEL, H. : 283 34,157,175,178,201,208,277
adamites : 290 Baibars: 15 CYRILLE D'ALEXANDRIE: 285 GENNADE:52,206,207,278
AÈCB: 269 BANDEL, M. : 7 CYRUS D'ALEXANDRIE: 281 GEORGES BARDANÈS: 49, 50, 51
AÉRIUS (aériens): 276, 293 BARDY, G. ; 207 DANIEL, N. ; 30, 54 GERLAUD,M.J.: 293
AL-KINDI (PSEUDO-): 33, 157 BARTHÉLEMY (FRÈRE O.F.M.): 49 DE GHELLINCK, J.: 21, 139 GILSON, É.; 16, 174
Albanais (secte des): 204,277,278 BARTHÉLEMY DE CAPOUE : 173 DELACROIX-BESNIER, C.: 209 GLEI, R.: 58
ALBERIGO, G.: 200, 274 BASILE DE CÉSARÉE : 269 DEMETRIACOPOULOS, P. : 58 GRABMANN, M.: 16,24
ALBERT LE GRAND : 43 BÈDE LE VÉNÉRABLE; 207,294 DÉMÉTRIOS CYDONÈS: 57, 58,209 GRATIEN : 282
ALEXANDRE lV: 173,174,178 BEDOUELLE, G. : 15 DÉMOCRITE ; 204, 268, 270 GRÉGOIRE DE NYSSE : 52, 272
ALGAZEL:33,269,272 BENOÎT XII: 51 DENYS DE L'ARÉOPAGE (PSEUDO-) ; GRÉGOIRE LE GRAND: 52,206, 277,
ALTANER,B.: 15,207 BÉRENGER DE TOURS : 204, 289 156, 159 284
AMBROISE DE MILAN : 188 BERNARD, R. : 182 DENZINGER, H.: 51, 161, 180, 200, GRILLMEIER, A. : 282
ANAWATI, M.-M. ; 32, 54 BERNARD Gur: 13, 14 273 GUILLAUME AUX BLANCHES MAINS ;
ANAXAGORE : 204, 270 BERROUARD, M.-F. : 269 DIOCLÉTIEN : 272 154
ANSELME DE CANTORBÉRY: 45, 157 BERTHIER, A.: 31 DIOGÈNE LAËRCE ; 278 GUILLAUME D'AUXERRE: 154
Anthropomorphites : 268 BERTHIER, J.-J. : 15 DoNAT (donatistes): 203, 272, 287 GUILLAUME DE MOERBEKE: 175
APOLLINAIRE DE LAODICÉE: 205, BEUKERS,C.:207 DONDAINE, A. : 13, 50, 173 GUILLAUME DE SAINT-AMOUR; 275
280,283 BIFFI, l.: 193 DONDAINE, H.-F.; 13-17, 45, 57, GUNTEN, F. VON: 8
apostoliques: 274 BINI, E. : 206 139, 173, 174, 181, 195, 208, GY, P.-M.: 288
apotactites : 27 4 BOÈCE: 55,153,154,167,168 284 HADDAD, R. ; 30
aquariens : 290 BONAVENTURE: 27, 184, 295 DuNs ScoT: 291 HAGEMANN,L.:30,54,58
ARANDA LOMENA, A. : 269 BONINO, S.-TH.: 55, 168 DUROUX, B.: 182 HALLEUX, A. DE: 187
ARATUS: 278 BoUILLARD, P. : 175 ébionites (Ébion): 207, 272, 279, HEFELE, C.-J. ; 208
ARCHAMBAULT, G.: 203,272 BOUTHILLIER, D.: 30 282 HELVIDIUS ; voir ELVIDIUS
ARISTOTE: 55, 151, 161, 166, 169, BURGUNDIO DE PISE: 56, 155, 268, ELVIDIUS ; 282 HÉRACLÉON (héraclionites): 292
204,270,271 281 EMBRY, G.: 18, 40, 148, 175,207 HERMIAS : 284
ARIUS: 162, 163, 203, 205, 206, BUYTAERT, E.M.: 155, 281 ÉPICURE (ÉPICURIENS): 204, 268 HIÉROTHÉE; 156
269,280,283 CAHEN,CL.: 14, 15,16 ÉPIPHANE DE SALAMINE : 207, 268, HILAIRE DE POITIERS : 207
artortyrites : 289 CARPOCRATE: 203, 282 274,277,289,290 HINNEBUSCH, W.A. : 15
ATHANASE D'ALEXANDRIE: 188 CATÂO, B.; 47 ESCHMANN, l. T.: 16, 174 HOFFMANN,].: 51,161
AUGUSTIN: 27, 35, 52, 55, 163, cataphrygiens: 273, 289, 290 ÉTIENNE DE SALAGNAC: 14, 15 HUGUES DE SAINT-VICTOR : 287
165, 177, 205-207, 267-278, cathares : 53, 204, 205, 271, 278 euchites: 206, 274 HUMBERT DE ROMANS: 15
280, 282-287, 289-294 CÉCILIEN ; 272 EUDES DE SULLY: 180 HüNERMANN, P.; 51, 161
AVERROÈS: 33, 278 CERDON: 274 EUGÈNE IV ; 200 lMBACH, R. : 49
302 LES RAISONS DE LA FOI TABLE DES NOMS 303

INNOCENT Ill: 180, 287 MILITELLO, C. : 209, 267 PRISCILLIEN : 276 TATIEN (tatianiens): 274, 294
INNOCENT IV : 50 MoNCHO, J.-R.: 56,268 PRüMMER, D. : 13 THADDEUS (évêque de Curq) : 208
IRÉNÉE DE LYON : 207, 290 MONETA DE CRÉMONE: 208, 275, PTOLÉMÉE DE LUCQUES : 13 THÉODORE DE MOPSUESTE: 281
ISIDORE DE SÉVILLE : 282, 284 279,290 quartodécimans: 276 THÉODORET : 52
JEAN CHRYSOSTOME: 207 MONGILLO, D. : 173, 175, 176, 208, Quodvultdeus : 206 THÉOPHYLACTE:207
JEAN DAMASCÈNE: 30, 31, 54, 155, 209 RADELJ, P.-M.: 58 TILLARD, J. M. R.: 195
281, 282 monothélites: 281 RATRAMME DE CORBIE : 288 TONNEAU, J. : 152
JÉRÔME: 207, 275, 276, 282, 283 MoNTAN (montanistes): 273, 289 RAYMOND LULLE: 27, 139 TORRELL, J.-P.: 8, 18, 19, 21, 29,
JOVINIEN: 204, 205, 275, 276, 278, MoRARD, M.: 281 RAYMOND MARTIN: 31 30, 140, 177, 178, 186,271
294 MOREROD, Ch. : 185 RAYNALD DE PIPERNO: 180 URBAIN IV: 163
JUGIE, M.: 51 naasséniens : 290 RAYNIER SACCONI: 208, 271, 272, Vadiens : 268
JULIEN D'HALICARNASSE : 282 NARCISSE, G.: 28 278,279,290 VALENTIN: 203, 205, 277, 280
JUSTIN: 203, 207, 271 nazaréens (nazoréens): 272 RICCOLDO DA MONTE DI CROCE : 31 VAN DEN ÜUDENRIJN, M. A. : 209
KAEPPELI, TH. : 14 NÉMÉSIUS D'ÉMÈSE: 56, 205, 268, RICHTER, M.: 14 VAN RIET, S. : 33, 268
KENNY, J. : 59 272 RIESTRA, J. A. : 270 VANDER PLAETSE, R. : 207
KINDI: 33 NESTORIUS: 162, 281 Rocco, B.: 209 vaudois : voir Pauvres de Lyon
~TZECK, J.: 21, 30 nicolaïtes: 205, 294 RONCAGLIA, P. : 50, 51 VÉDRINE, M. : 7
LAFON4G.: 174,175,178 NICOLAS DE CUSE : 208 RuPIN D'AQUILÉE: 188, 278 VERARDO, R. A.: 13
LE Coz, R.: 31, 54 NOVARINA, P.: 14 SABELLIUS: 162, 163, 206, 269 VERBEKE,G.: 32,56,268
LECLERCQ, H. : 208 NOVATIEN: 205, 276, 291 SALU,J.: 58 VERHELST, D. : 32
LÉCUYER,J.: 292,293 ophites : 290 SANJEK,F.:271,272,278,279,290 VIGILANCE: 275
LÉON LE GRAND : 281 ÜPIZO FIESCHI : 15 saturniens : 272 VIGILE DE THAPSE: 207, 280
LEONARDO DEI CONTI DI SEGNI : ORIGÈNE: 51, 52, 163, 203, 273, SCORDATO, C. : 209 VINCENT DE BEAUVAIS : 33, 157
173, 174, 178, 180 277,278,283,292 SELEUKOS (séleuciens): 284, 287 VVALZ,A.: 14, 16,174
LOENERTZ, R.: 15 PAPADOPULOS,S.G.: 58,209 SERGE DE CONSTANTINOPLE: 281 VVÉBER, E.-H.: 48, 161
LONGÈRE,J.: 180,191 PAUL DE SAMOSATE: 175, 207, 279 SERVERA4 V.: 27,139 VVEISHEIPL, J. A. : 174
LONGO, C. : 15 PAUL VI : 287' 292 SESBOÜÉ, B.: 187 WICKI, N.: 191
LUBAC, H. DE: 188 Pauvres de Lyon: 53, 180,204,290 SIMON LE MAGICIEN: 205, 271, 294 VVOLINSKI, J.: 187
LUTHER, MARTIN : 31 PAVLOVIC, P. : 58 SIMONETTI, M. : 283 VVORRALL,P.: 269
MACAIRE D'ANTIOCHE : 281 PÉLAGE (pélagiens): 203, 273 SLADECZEK,F.: 173 ZÉNON DE CITTIUM : 204, 278
MACÉDONIUS : 269, 270 pépuziens: 289, 290
MAHOMET: 32, 34, 157 PHILIPPE LE CHANCELIER: 191
MANDONNE4~: 16,174,178 PHILIPPE, M.-D.: 141, 143,202,269
manichéens: 203, 274, 275, 294 PHOTIN: 152, 163, 207, 279, 282
MARC,~: 178,179 PIE XII: 293
MARCION (marcionites): 274, 277 PIERRE ABÉLARD : 21
mathématiciens: 276 PIERRE LE VÉNÉRABLE: 21, 30
MATHIEU, L.: 287 PIERRE LOMBARD: 207, 270, 276,
MAXIMILLE : 273 284,287,294
MÉNANDRE: 205,271 PIERRE VALOÈS : 290
MÉRIGOUX, J.-M.: 31 PLATON: 164, 204, 205, 270, 272,
MERLE, H. : 146 294
messaliens: 274 PONSOYE, E.: 155
MICHEL PALÉOLOGUE : 288 POURKIER, A. : 207
MICHEL, A. : 51 PRISCA: 273
Table des matières

AVANT-PROPOS ·································•································ 7

LES RAISONS DE LA FOI

INTRODUCTION . . . . . . . . . .. . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . 13
Titre, destinataire, circonstances et date.......................... 13
Propos, plan et limites de l'opuscule.............................. 19
L'apologétique thomasienne......... .. ...... ...... .......... .......... . 24
Thomas face à l'islam .................................................... 30
La doctrine trinitaire........................................................ 35
L'incarnation et la passion du Verbe ........................ .... .. 40
L'eucharistie ........ ..... ................. .......... ............ .. .......... .... 47
Le purgatoire .................................................................. 49
La prédestination divine et la liberté humaine................ 54
Traductions .................................................................. .... 57

Chapitre premier: L'intention de l'auteur ...................... 63


Chapitre II : Comment il faut disputer avec les infidèles 67
Chapitre III : Comment il faut entendre la génération
en Dieu...................................................... 67
Chapitre IV : Comment il faut entendre en Dieu
la procession du Saint-Esprit .................... 75
Chapitre V: Quelle fut la cause de l'incarnation
du Fils de Dieu............................................ 81
Chapitre VI : Comment il faut entendre que Dieu
est devenu homme...................................... 87
Chapitre VII : Comment il faut entendre que le Verbe
de Dieu a souffert et est mort .................. 101
306 TRAITÉS SUR LA FOI

Chapitre VIII : Comment il faut entendre que les fidèles


prennent le Corps du Christ.. ................. . 113
Chapitre IX : Il y a un lieu spécial où les âmes .
sont purifiées avant d'aller au paradis ...... 117 Collection « Sagesses chrétiennes »
Chapitre X: La prédestination divine n'impose pas
de nécessité aux actes humains ................. . 131
NoTEs ............................................................................. . 139 Raymond Lulle, Principes et questions de théologie. Traduction
par René Prévost et par Armand Llinarès.
- Jean de Saint-Samson, La Pratique essentielle de l'amour. Tra-
LES ARTICLES DE LA FOI duction par Max Huot de Longchamp.
ET LES SACREMENTS DE L'ÉGLISE - Bartolomé de Las Casas, De l'unique manière d'évangéliser le
monde entier. Traduction par Marianne Mahn-Lot.
INTRODUCTION ................................................................. . 173 Nicolas de Cues, Trois traités sur la docte ignorance et la coïn-
Destinataire et date ......................................................... . 173 cidence des opposés. Traduction par Francis Bertin.
Le propos de l'opuscule ....................................... 00 . . . . . . . . . 178 Raymond Lulle, L'Art bref Traduction par Armand Llinarès.
- Boèce, Courts traités de théologie. Traduction par Hélène Merle.
L'« objet » et les « articles » de la foi ............................. . 181
- Hugues de Saint-Victor, L'Art de lire. Didascalicon. Traduction
Les symboles de la foi .............. 00 00 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 par Michel Lemoine.
La distribution des articles de la foi ............................... . 190) - Jean Tauler, Sermons. Édition intégrale. Traduction par Étienne
Les sacrements ............................................................... . 194 Hugueny, Gabriel Théry, A. L. Corin.
Les « erreurs » opposées à la foi .................................. .. 200 Julienne de Norwich, Le Livre des révélations. Présentation et
Diffusion et traductions ................................................. . 208 traduction par Roland Maisonneuve.
- Jean de Fécamp, La Confession théologique. Traduction par dom
Prologue ......................................................................... . 213 Philippe de Vial.
1. Les articles de la foi ...... 00 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 00 . . . . 213 - Catherine de Sienne, Le Dialogue. Traduction par Lucienne Portier.
1. La foi en la divinité .................................. 00 . . . . . . . . 00 . . . . 215 - Francisco de Osuna, Le Recueillement mystique. Introduction,
2. La foi en l'humanité du Christ .... 00 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 00 . . . . 233 traduction et notes par Michel Darbord.
Il. Les sacrements de l'Église ...................... 245 Catherine de Sienne, Les Oraisons. Traduction par Lucienne
Portier.
00 . . . . . . . . . . . . . . . .

1. Les sacrements en général .................................... .. 245


- Raymond Lulle, Le Livre du Gentil et des trois Sages. Traduction
2. Les sacrements en particulier ................................ .. 251 par Armand Llinarès.
NoTEs .........................................................................·.... . 267 - Saint Albert le Grand, Commentaire de la « Théologie mystique »
de Denys le Pseudo-Aréopagite, suivi de celui des Épîtres 1-V
Table des sigles et abréviations ..................................... . 9 Introduction, traduction et notes par Édouard-Henri Wéber.
Table des textes bibliques cités par Thomas ................ .. 297 - Pierre Abélard, Conférences. Dialogue d'un philosophe avec un
Table des noms allégués par Thomas ............................. . 299 juif et un chrétien. Connais-toi toi-même. Éthique. Introduction,
Table des noms indiqués dans les introductions traduction nouvelle et notes par Maurice de Gandillac.
et dans les notes ........................................................ .. 300 - Angelus Silesius, Le Pèlerin chérubinique. Épigrammes et
maximes spirituelles pour enseigner la contemplation de Dieu.
Traduction par Camille Jordens.
- Grégoire de Nysse, Sur l'âme et la résurrection. Présentation et - Nicolas de Cues, Sermons eckhartiens et dionysiens. Introduc-
traduction du grec par Jean Terrieux. tion, traduction, notes et commentaires par Francis Bertin.
- Jean de la Croix, Les Cantiques Spirituels A et B. Présentation et Jean de la Croix, La Nuit obscure. Présentation et traduction de
traduction de 1' espagnol par Françoise Aptel, Marie-Agnès Haus- l'espagnol par Françoise Aptel, Agnès Haussièttre et Jean-Pierre
sièttre et Jean-Pierre Thibaut. Thibaut.
- Saint Albert le Grand, Le Monde minéral. Les pierres. Présenta- - Jean Cassien, Traité de l'Incarnation du Seigneur contre Nesto-
tion, traduction et commentaires par Michel Angel. rius. Introduction, traduction du latin et annotation par Marie-
- Alain de Lille, Règles de théologie suivi de Sermon sur la sphère Anne Vannier.
intelligible. Introduction, traduction et notes par Françoise - Saint Thomas d'Aquin, Traités: Les Raisons de la foi. Les
Hu dry. articles de la foi et les sacrements de l'Église (avec le texte ori-
Henri-Dominique Lacordaire, La Liberté de la parole évangé- ginal). Introduction, traduction du latin et annotation par Gilles
lique. Textes choisis et présentés par André Duval et Jean-Pierre Emery.
Jossua.
- Hildegarde de Bingen, Scivias. « Sache les voies » ou Livre des
visions. Présentation et traduction par Pierre Monat.
- Récits des premiers pèlerins chrétiens au Proche-Orient (Ne-
VII' siècle). Textes choisis, présentés, traduits et annotés par
Pierre Maraval.
- Jacopone da Todi, Les « Laudi ». Introduction et traduction par
Lucienne Portier. -
Les Odes de Salomon. Présentation et traduction par Éphrem Azar.
- Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes. Introduction, choix
et notes par Nicole Cazauran.
- Bartolomé de Las Casas, Une plume à la force d'un glaive. Tra-
ductions, commentaires et notes par Charles Gillen.
- Miguel de Molinos, Guide spirituel. Introduction, traduction et
notes par Paul Drochon.
- Jacques de Vitry, Histoire occidentale (Historia occidentalis).
Traduction par Gaston Duchet-Suchaux. Introduction et notes par
Jean Longère.
- Saint Bonaventure, Les Sept Dons du Saint-Esprit. Introduction,
traduction et notes par Marc Ozilou.
- Raymond Lulle, Anthologie poétique. Introduction et traduction
par Armand Llinarès.
- Saint Maxime le Confesseur, Lettres. Introduction par Jean-
Claude Larchet, traduction et notes par Emmanuel Ponsoye.
- Saint Maxime le Confesseur, Opuscules théologiques et polé-
miques. Introduction par Jean-Claude Larchet, traduction et notes
par Emmanuel Ponsoye.
- Bernard Silvestre, Cosmographie. Introduction, traduction et
notes par Michel Lemoine.

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