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Nouvel Ordre Mondial - de Nouvelles Règles Ou Un Jeu Sans Règles - Par Vladimir Poutine
Nouvel Ordre Mondial - de Nouvelles Règles Ou Un Jeu Sans Règles - Par Vladimir Poutine
Comme si donner de l’information pouvait être nuisible – à chacun de les lire avec recul et esprit
critique…
Vladimir Poutine a pris part à la dernière séance plénière de la XIe session du Club
International de Discussion Valdaï. Le thème de la réunion était : L’ordre mondial : de
nouvelles règles ou un jeu sans règles ?
Cette année, 108 experts, historiens et analystes politiques originaires de 25 pays, dont 62
participants étrangers, ont pris part aux travaux du Club.
La réunion plénière a présenté une synthèse des travaux du Club au cours des trois journées
précédentes, qui ont été consacrées à l’analyse des facteurs d’érosion du système actuel des
institutions et des normes du droit international.
Discours du Président Vladimir Poutine durant la dernière séance plénière de la XIe
session du Club Valdaï
Retranscription :
Il a déjà été mentionné que le Club a de nouveaux co-organisateurs cette année. Ils
comprennent des organisations non gouvernementales russes, des groupes
d’experts et de grandes universités. Il a également été suggéré d’élargir les
discussions à des questions qui ne sont pas seulement liées à la Russie elle-même,
mais aussi à la politique et à l’économie mondiales.
Permettez-moi de dire à cet égard que je ne vais pas vous décevoir et que je vais parler
directement et franchement. Certains de mes propos pourront sembler un peu trop
rudes, mais si nous ne parlons pas directement et honnêtement de ce que nous pensons
vraiment, alors il est absolument inutile de tenir de telles réunions. Il serait préférable,
dans ce cas, de se contenter des rencontres diplomatiques, où personne ne dit rien qui ait
une véritable portée et, reprenant les paroles d’un célèbre diplomate, où vous vous
rendez compte que les diplomates ont une langue faite pour ne pas dire la vérité.
Nous nous réunissons pour d’autres raisons. Nous nous réunissons pour nous
parler franchement. Nous avons besoin d’être directs et francs aujourd’hui, non pas
pour s’envoyer des piques, mais afin de tenter de faire la lumière sur ce qui se passe
dans le monde, d’essayer de comprendre pourquoi le monde est de moins en moins
sûr et de plus en plus imprévisible, et pourquoi les risques augmentent partout
autour de nous.
Les débats d’aujourd’hui se sont tenus sous le thème : De nouvelles règles ou un jeu sans
règles ? Je pense que cette formule décrit avec précision le tournant historique que nous
avons atteint aujourd’hui et le choix auquel nous sommes tous confrontés. Bien sûr, il
n’y a rien de nouveau dans l’idée que le monde est en train de changer très
rapidement. Je sais que c’est quelque chose dont vous avez parlé durant les
échanges d’aujourd’hui. Il est certainement difficile de ne pas remarquer les
transformations dramatiques dans la politique mondiale et dans l’économie, dans la
vie publique, dans l’industrie, l’information et les technologies sociales.
Tandis que nous analysons la situation d’aujourd’hui, n’oublions pas les leçons de
l’histoire. Tout d’abord, les changements dans l’ordre mondial – et tout ce que nous
voyons aujourd’hui constitue des événements de cette ampleur – ont généralement
été accompagnés sinon par une guerre et des conflits à l’échelle mondiale, du moins
par des chaînes de conflits locaux intenses. Deuxièmement, la politique mondiale
est avant tout une question de leadership économique, de guerre et de paix, avec
une dimension humanitaire, incluant les droits de l’homme.
Aujourd’hui, le monde est plein de contradictions. Nous devons être francs en nous
demandant mutuellement si nous avons un filet de sécurité fiable et bien en place.
Malheureusement, il n’y a aucune garantie et aucune certitude que le système actuel
de sécurité mondiale et régionale soit en mesure de nous protéger des
bouleversements. Ce système a été sérieusement affaibli, fragmenté et déformé. Les
organisations internationales et régionales de coopération politique, économique, et
culturelle traversent également des temps difficiles.
Oui, un grand nombre des mécanismes actuels visant à assurer l’ordre mondial ont
été créés il y a très longtemps, y compris et surtout dans la période suivant
immédiatement la Seconde Guerre mondiale. Permettez-moi de souligner que la
solidité du système créé à l’époque reposait non seulement sur l’équilibre des forces
et les droits des pays vainqueurs, mais aussi sur le fait que les « pères fondateurs »
de ce système se respectaient mutuellement, n’essayaient pas de mettre la pression
sur les autres, mais tentaient de parvenir à des accords.
L’essentiel est que ce système doit se développer, et malgré ses diverses lacunes, il
doit au moins être capable de maintenir les problèmes mondiaux actuels dans
certaines limites et de réguler l’intensité de la concurrence naturelle entre les
nations.
Mais les Etats-Unis, s’étant eux-mêmes déclarés vainqueurs de la Guerre Froide, n’en
voyaient pas le besoin. Au lieu d’établir un nouvel équilibre des forces, essentiel pour
maintenir l’ordre et la stabilité, ils ont pris des mesures qui ont jeté le système dans un
déséquilibre marqué et profond.
La Guerre Froide a pris fin, mais elle n’a pas pris fin avec la signature d’un traité de
paix comprenant des accords clairs et transparents sur le respect des règles
existantes ou la création d’un nouvel ensemble de règles et de normes. Cela a créé
l’impression que les soi-disant « vainqueurs » de la Guerre Froide avaient décidé de
forcer les événements et de remodeler le monde afin de satisfaire leurs propres
besoins et intérêts. Lorsque le système actuel des relations internationales, le droit
international et les freins et contrepoids en place faisaient obstacle à ces objectifs,
ce système été déclaré sans valeur, obsolète et nécessitant une démolition
immédiate.
Pardonnez l’analogie, mais c’est la façon dont les nouveaux riches se comportent quand
ils se retrouvent tout à coup avec une grande fortune, dans ce cas sous la forme d’un
leadership et d’une domination mondiale. Au lieu de gérer leur patrimoine
intelligemment, pour leur propre bénéfice aussi bien sûr, je pense qu’ils ont commis
beaucoup de folies.
Nous sommes entrés dans une période de différentes interprétations et de silences
délibérés dans la politique mondiale. Le droit international a maintes fois été forcé de
battre en retraite, encore et encore, par l’assaut impitoyable du nihilisme légal.
L’objectivité et la justice ont été sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique. Des
interprétations arbitraires et des évaluations biaisées ont remplacé les normes
juridiques. Dans le même temps, l’emprise complète sur les médias de masse mondiaux
ont rendu possible, quand on le désirait, de présenter le blanc comme noir et le noir
comme blanc.
Dans une situation où vous aviez la domination d’un pays et de ses alliés, ou plutôt
de ses satellites, la recherche de solutions globales s’est souvent transformée en
une tentative d’imposer ses propres recettes universelles. Les ambitions de ce
groupe sont devenues si grandes qu’ils ont commencé à présenter les politiques
qu’ils concoctaient dans leurs corridors du pouvoir comme le point de vue de
l’ensemble de la communauté internationale. Mais ce n’est pas le cas.
La notion même de « souveraineté nationale » est devenue une valeur relative pour la
plupart des pays. En essence, ce qui était proposé était cette formule : plus la loyauté de
tel ou tel régime en place envers le seul centre de pouvoir dans le monde est grande, plus
grande sera sa légitimité.
Nous aurons une discussion libre après mon propos et je serai heureux de répondre
à vos questions et je tiens également à utiliser mon droit à vous poser des
questions. Que personne n’hésite à essayer de réfuter les arguments que je viens
d’exposer lors de la discussion à venir.
Les mesures prises contre ceux qui refusent de se soumettre sont bien connues et
ont été essayées et testées de nombreuses fois. Elles comprennent l’usage de la
force, la pression économique et la propagande, l’ingérence dans les affaires intérieures,
et les appels à une sorte de légitimité « supra-légale » lorsqu’ils ont besoin de justifier
une intervention illégale dans tel ou tel conflit ou de renverser des régimes qui
dérangent.Dernièrement, nous avons de plus en plus de preuves que le chantage pur et
simple a également été utilisé en ce qui concerne un certain nombre de dirigeants. Ce
n’est pas pour rien que « Big Brother » dépense des milliards de dollars pour tenir sous
surveillance le monde entier, y compris ses propres alliés les plus proches.
Demandons-nous à quel point nous sommes à l’aise avec tout cela, à quel point
nous sommes en sécurité, combien nous sommes heureux de vivre dans ce monde,
à quel degré de justice et de rationalité il est parvenu. Peut-être n’avons-nous pas de
véritables raisons de nous inquiéter, de discuter et de poser des questions
embarrassantes ? Peut-être que la position exceptionnelle des États-Unis et la façon
dont ils mènent leur leadership est vraiment une bénédiction pour nous tous, et que
leur ingérence dans les événements du monde entier apporte la paix, la prospérité, le
progrès, la croissance et la démocratie, et nous devrions peut-être seulement nous
détendre et profiter de tout cela ?
Nous avons parfois l’impression que nos collègues et amis sont constamment aux
prises avec les conséquences de leurs propres politiques, et qu’ils dépensent tous
leurs efforts dans le traitement des risques qu’ils ont eux-mêmes créés, en payant
un prix de plus en plus élevé.
Chers collègues,
Permettez-moi de dire encore une fois que tout le monde agit ainsi, et nous allons le
faire nous aussi, d’autant plus qu’une grande partie de notre pays est
géographiquement en Asie. Au nom de quoi devrions-nous ne pas faire usage de
nos avantages concurrentiels dans ce domaine ? Ce serait faire preuve d’une vue
extrêmement courte que de ne pas le faire.
Il ne fait aucun doute que des facteurs humanitaires tels que l’éducation, la science,
la santé et la culture jouent un rôle plus important dans la concurrence mondiale.
Cela a également un impact important sur les relations internationales, y compris
parce que cette ressource douce (soft power) dépendra dans une large mesure des
réalisations concrètes dans le développement du capital humain plutôt que des
trucages sophistiqués de la propagande.
Dans le même temps, la formation d’un soi-disant monde polycentrique (je voudrais
également attirer l’attention sur cela, chers collègues), en soi et d’elle-même,
n’améliore pas la stabilité ; de fait, il est plus probable que ce soit l’inverse. L’objectif
d’atteindre l’équilibre mondial est en train de devenir un casse-tête assez difficile,
une équation à plusieurs inconnues.
Qu’est-ce que l’avenir nous réserve donc, si nous choisissons de ne pas respecter
les règles – même si elles peuvent être strictes et peu pratiques – mais plutôt de
vivre sans règles du tout ? Et ce scénario est tout à fait possible ; nous ne pouvons
pas l’exclure, compte tenu des tensions dans la situation internationale. Beaucoup
de prédictions peuvent déjà être faites, en tenant compte des tendances actuelles, et
malheureusement, elles ne sont pas optimistes. Si nous ne créons pas un système
clair d’engagements et d’accords mutuels, si nous ne construisons pas les
mécanismes de gestion et de résolution des situations de crise, les symptômes de
l’anarchie mondiale vont inévitablement s’accroître.
L’Ukraine, qui j’en suis sûr a été longuement évoquée et dont nous parlerons encore,
est l’un des exemples de ces sortes de conflits qui affectent l’équilibre international
des puissances, et je pense que ce ne sera certainement pas le dernier. De là émane
la prochaine menace réelle de détruire le système actuel d’accords de contrôle des
armements. Et ce processus dangereux a été initié par les Etats-Unis d’Amérique quand
ils se sont unilatéralement retirés du Traité sur les missiles anti-balistiques (ABM) en
2002, puis se sont lancés dans la création de leur système global de défense antimissile et
poursuivent aujourd’hui activement ce processus.
Je tiens à souligner que nous ne sommes pas à l’origine de tout cela. Une fois de plus,
nous glissons vers des temps où, au lieu de l’équilibre des intérêts et des garanties
mutuelles, ce sera la peur et l’équilibre de la destruction mutuelle qui empêcheront les
nations de se livrer à un conflit direct. En l’absence d’instruments juridiques et
politiques, les armes deviennent encore une fois le point focal de l’ordre du jour
mondial ; elles sont utilisées n’importe où et n’importe comment, sans la moindre
sanction du Conseil de sécurité de l’ONU. Et si le Conseil de sécurité refuse de
rendre de tels arrêts, alors on le condamne immédiatement comme un instrument
dépassé et inefficace.
De nombreux États ne voient pas d’autres moyens d’assurer leur souveraineté qu’en
obtenant leurs propres bombes. Cela est extrêmement dangereux. Nous insistons
sur la nécessité de poursuivre les négociations ; nous ne sommes pas seulement en
faveur de pourparlers, mais nous insistons sur la nécessité de poursuivre les
pourparlers de réduction des arsenaux nucléaires. Moins nous aurons d’armes
nucléaires dans le monde, mieux ce sera. Et nous sommes prêts à mener les
discussions les plus sérieuses et les plus concrètes sur le désarmement nucléaire –
mais seulement des discussions sérieuses sans aucun deux poids, deux mesures.
Qu’est-ce que je veux dire par là ? Aujourd’hui, de nombreux types d’armes de haute
précision sont déjà assimilables à des armes de destruction massive en termes de
capacité, et en cas de renonciation complète aux armes nucléaires ou de réduction
radicale du potentiel nucléaire, les nations qui sont des leaders dans la création et la
production de systèmes de haute précision auront un net avantage militaire. La
parité stratégique sera perturbée, ce qui est susceptible d’entraîner de la
déstabilisation. Le recours à une soi-disant première frappe préventive globale peut
devenir tentant. En bref, les risques ne diminuent pas, mais s’intensifient.
D’ailleurs, nos collègues ont alors essayé de contrôler plus ou moins ces processus,
d’exploiter les conflits régionaux et de concevoir des « révolutions colorées » en
fonction de leurs intérêts, mais le génie s’est échappé de la lampe. Il semble que les
pères de la théorie du chaos contrôlé eux-mêmes ne sachent plus quoi en faire ; il y
a confusion dans leurs rangs.
Chers collègues,
L’expérience pratique montre que les réponses communes aux défis ne sont pas
toujours une panacée, et il faut que nous comprenions cela. En outre, dans la plupart
des cas, elles sont difficiles à atteindre : il n’est pas facile de surmonter les
différences dans les intérêts nationaux et la subjectivité de différentes approches, en
particulier lorsqu’il s’agit de pays ayant des traditions culturelles et historiques
différentes. Mais néanmoins, nous avons des exemples où, ayant des objectifs
communs et agissant sur la base des mêmes critères, nous avons obtenu
collectivement un réel succès.
Quelle pourrait être la base juridique, politique, et économique pour un nouvel ordre
mondial qui permettrait la stabilité et la sécurité, tout en encourageant une saine
concurrence, et en ne permettant pas la formation de nouveaux monopoles qui entravent
le développement ? Il est peu probable que quiconque puisse proposer dès à présent
des solutions absolument exhaustives et prêtes à l’emploi. Nous aurons besoin de
beaucoup de travail et de la participation d’un large éventail de gouvernements,
d’entreprises mondiales, de la société civile, et de plates-formes d’experts telles que
celle-ci.
Cependant, il est évident que les succès et les résultats réels ne sont possibles que
si les participants clés des affaires internationales peuvent se mettre d’accord sur
l’harmonisation des intérêts de base, sur le fait de s’imposer des limites
raisonnables, et de donner l’exemple d’un leadership positif et responsable. Nous
devons identifier clairement où se terminent les actions unilatérales et nous avons
besoin de mettre en œuvre des mécanismes multilatéraux. Et dans le cadre de
l’amélioration de l’efficacité du droit international, nous devons résoudre le dilemme
entre les actions de la communauté internationale visant à assurer la sécurité et les
droits de l’homme, et le principe de la souveraineté nationale et de la non-ingérence
dans les affaires intérieures d’un État, quel qu’il soit.
Ces collisions mêmes conduisent de plus en plus à une interférence extérieure
arbitraire dans des processus internes complexes, et encore et encore, ils
provoquent des conflits dangereux entre les principaux acteurs mondiaux. La
question de la préservation de la souveraineté devient presque primordiale dans le
maintien et le renforcement de la stabilité mondiale.
J’ajouterais que les relations internationales doivent être basées sur le droit
international, qui lui-même doit reposer sur des principes moraux tels que la justice,
l’égalité et la vérité. Peut-être le plus important est-il le respect de ses partenaires et
de leurs intérêts. C’est une formule évidente, mais le fait de la respecter, tout
simplement, pourrait changer radicalement la situation mondiale.
Je suis certain qu’avec une volonté réelle, nous pouvons restaurer l’efficacité du
système international et des institutions régionales. Nous n’avons même pas besoin
de reconstruire quelque chose de nouveau, à partir de zéro ; ce n’est pas une « terre
vierge », d’autant plus que les institutions créées après la Seconde Guerre mondiale
sont relativement universelles et peuvent être dotées d’un contenu moderne et
adéquat pour gérer la situation actuelle.
Cela est vrai quant à l’amélioration du travail de l’ONU, dont le rôle central est
irremplaçable, ainsi que celui de l’OSCE, qui, durant 40 ans, a démontré qu’elle était
un mécanisme nécessaire pour assurer la sécurité et la coopération dans la région
euro-atlantique. Je dois dire que même aujourd’hui, en essayant de résoudre la crise
dans le sud-est de l’Ukraine, l’OSCE joue un rôle très positif.
Je voudrais vous rappeler les événements de l’année dernière. Nous avions prévenu
nos partenaires américains et européens que les décisions hâtives prises en coulisses, par
exemple, sur l’association de l’Ukraine avec l’UE, étaient emplies de risques graves pour
l’économie. Nous n’avons pas même évoqué les problèmes politiques ; nous n’avons
parlé que de l’économie, en disant que de telles mesures, mises en place sans
arrangements préalables, nuiraient aux intérêts de nombreux autres pays, dont la
Russie – en tant que principal partenaire commercial de l’Ukraine –, et qu’un large
débat sur ces questions était nécessaire. D’ailleurs, à cet égard, je vous rappelle que
par exemple, les négociations sur l’adhésion de la Russie à l’OMC ont duré 19 ans.
Ce fut un travail très difficile, et un certain consensus a finalement été atteint.
Pourquoi est-ce que je soulève cette question ? Parce qu’en mettant en œuvre ce
projet d’association avec l’Ukraine, nos partenaires seraient venus à nous avec leurs
biens et services par la porte arrière, pour ainsi dire, et nous n’avons pas donné notre
accord pour cela, personne ne nous a rien demandé à ce sujet. Nous avons eu des
discussions sur tous les sujets liés à l’association de l’Ukraine avec l’UE, des discussions
persistantes, mais je tiens à souligner que notre action a été menée d’une manière tout à
fait civilisée, en indiquant des problèmes possibles, et en soulignant les raisonnements et
arguments évidents. Mais personne ne voulait nous écouter et personne ne voulait
discuter. Ils nous ont simplement dit : ce ne sont pas vos affaires, point, fin de la
discussion. Au lieu du dialogue global mais – je le souligne – civilisé que nous
proposions, ils en sont venus à un renversement de gouvernement ; ils ont plongé le pays
dans le chaos, dans l’effondrement économique et social, dans une guerre civile avec des
pertes considérables.
Pourquoi ? Quand je demande à mes collègues pourquoi, ils n’ont plus de réponse ;
personne ne dit rien. C’est tout. Tout le monde est désemparé, disant que ça c’est juste
passé comme ça. Ces actions n’auraient pas dû être encouragées – cela ne pouvait pas
fonctionner. Après tout (je me suis déjà exprimé à ce sujet), l’ancien président
ukrainien Viktor Ianoukovitch avait tout signé, il était d’accord avec tout. Pourquoi ont-
ils fait ça ? Dans quel but ? Est-ce là une manière civilisée de résoudre les problèmes
? Apparemment, ceux qui fomentent constamment de nouvelles « révolutions colorées »
se considèrent comme de « brillants artistes » et ne peuvent tout simplement pas
s’arrêter.
Et bien sûr, avec un tel travail conjoint, on pourrait penser que nous devons nous
engager dans un dialogue (j’ai évoqué cela à de nombreuses reprises et j’ai entendu
l’accord de plusieurs de nos partenaires occidentaux, du moins en Europe) sur la
nécessité de créer un espace commun pour la coopération économique et
humanitaire s’étendant depuis l’Atlantique jusqu’à l’océan Pacifique.
Chers collègues,
La Russie a fait son choix. Nos priorités sont d’améliorer encore nos institutions
démocratiques et notre économie ouverte, d’accélérer notre développement interne, en
tenant compte de toutes les tendances modernes positives observées dans le
monde, et en consolidant notre société sur la base des valeurs traditionnelles et du
patriotisme.
Nous avons un agenda pacifique et positif, tourné vers l’intégration. Nous travaillons
activement avec nos collègues de l’Union économique eurasienne, de l’Organisation de
coopération de Shanghai, du BRICS et avec d’autres partenaires. Ce programme vise à
renforcer les liens entre les gouvernements, pas à les fragiliser. Nous ne prévoyons
pas de façonner des blocs ou de participer à un échange de coups.
Les allégations et déclarations selon lesquelles la Russie essaie d’établir une sorte
d’empire, empiétant sur la souveraineté de ses voisins, n’ont aucun fondement. La
Russie n’a pas besoin d’un quelconque rôle spécial ou exclusif dans le monde – je tiens à
le souligner. Tout en respectant les intérêts des autres, nous voulons simplement que nos
propres intérêts soient pris en compte et que notre position soit respectée.
Nous sommes bien conscients du fait que le monde est entré dans une ère de
changements et de transformations globales, dans laquelle nous avons tous besoin d’un
degré particulier de prudence et de la capacité à éviter toutes mesures irréfléchies. Dans
les années suivant la guerre froide, les acteurs politiques mondiaux ont en quelque
sorte perdu ces qualités. Maintenant, nous devons nous les rappeler. Sinon, les espoirs
d’un développement stable et pacifique seront une illusion dangereuse, tandis que la
crise d’aujourd’hui servira simplement de prélude à l’effondrement de l’ordre mondial.
Oui, bien sûr, j’ai déjà souligné que la construction d’un ordre mondial plus stable est
une tâche difficile. Nous parlons d’une tâche longue et difficile. Nous avons réussi à
élaborer des règles pour l’interaction après la Seconde Guerre mondiale, et nous
avons pu parvenir à un accord à Helsinki dans les années 1970. Notre devoir
commun est de résoudre ce défi fondamental à cette nouvelle étape du développement.
On sait que les problèmes de la sécurité internationale sont bien plus larges que
ceux de la stabilité militaro-politique. Ces problèmes concernent la stabilité de
l’économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, la sécurité économique et le
développement du dialogue entre les civilisations.
Le monde unipolaire proposé après la Guerre froide ne s’est pas non plus réalisé.
Qu’est ce qu’un monde unipolaire ? Malgré toutes les tentatives d’embellir ce terme,
il ne signifie en pratique qu’une seule chose : c’est un seul centre de pouvoir, un seul
centre de force et un seul centre de décision.
C’est le monde d’un unique maître, d’un unique souverain. En fin de compte, cela est
fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu’au souverain
lui-même, qui se détruira de l’intérieur.
Bien entendu, cela n’a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c’est, comme
on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les
opinions de la minorité.
J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde
contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que,
dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le
souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et
économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne
peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation
contemporaine.
Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n’ont réglé aucun problème. Bien plus,
elles ont entraîné de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de
tension. Jugez par vous-mêmes : les guerres, les conflits locaux et régionaux n’ont
pas diminué. Monsieur Teltschik l’a mentionné d’une manière très délicate. Les
victimes de ces conflits ne sont pas moins nombreuses, au contraire, elles sont bien
plus nombreuses qu’auparavant.
Nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes
fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque
tout le système du droit d’un seul Etat, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a
débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines : dans l’économie, la
politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres États. À qui cela
peut-il convenir ?
Évidemment, cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité, je tiens à
le souligner, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit
international. Évidemment, cette politique est le catalyseur de la course aux
armements.
Mme la chancelière fédérale l’a déjà mentionné. Ainsi, le PIB commun de l’Inde et de
la Chine en parité de pouvoir d’achat dépasse déjà celui des États-Unis. Le PIB des
États du groupe BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – évalué selon le même principe
dépasse le PIB de l’Union européenne tout entière. Selon les experts, ce fossé va
s’élargir dans un avenir prévisible.
Aujourd’hui, au contraire, nous observons une situation où des pays dans lesquels la
peine de mort est interdite même à l’égard des assassins et d’autres dangereux
criminels participent allégrement à des opérations militaires qu’il est difficile de
considérer comme légitimes et qui provoquent la mort de centaines, voire de milliers
de civils !
Mais avons-nous les moyens de faire face à ces menaces ? Oui, nous les avons. Il
suffit de se rappeler l’histoire récente. Le passage à la démocratie n’a-t-il pas été
pacifique dans notre pays ? Le régime soviétique a subi une transformation
pacifique, malgré la grande quantité d’armes, y compris nucléaires, dont il disposait !
Pourquoi donc faut-il bombarder et pilonner aujourd’hui à tout bout de champ ?
Manquerions-nous de culture politique, de respect pour les valeurs démocratiques et
le droit, en l’absence d’une menace d’extermination réciproque ?
Je suis certain que la Charte des Nations unies est l’unique mécanisme d’adoption
de décisions sur l’emploi de la force en tant que dernier recours. Dans cet ordre
d’idées, ou bien je n’ai pas compris ce qui vient d’être déclaré par notre collègue
ministre italien de la Défense [2], ou bien il ne s’est pas exprimé clairement. En tout
cas, j’ai entendu ce qui suit : l’usage de la force ne peut être légitime que si cette
décision a été prise par l’OTAN, l’Union européenne ou l’ONU. S’il l’estime
effectivement, alors nos points de vue sont différents. Ou bien j’ai mal entendu.
L’usage de la force n’est légitime que sur la base d’un mandat des Nations unies. Il
ne faut pas substituer l’OTAN et l’Union européenne à l’Organisation des Nations
unies. Lorsque l’ONU réunira réellement les forces de la communauté internationale
qui pourront réagir efficacement aux événements dans certains pays, lorsque nous
nous débarrasserons du mépris du droit international, la situation pourra changer.
Sinon, elle restera dans l’impasse et les lourdes erreurs se multiplieront. Il faut
oeuvrer pour que le droit international soit universel aussi bien dans sa
compréhension que dans l’application de ses normes.
Mesdames et messieurs !
Nous avons convenu avec les États-Unis de ramener nos charges nucléaires
équipant les vecteurs stratégiques à 1700 – 2 200 unités d’ici au 31 décembre 2012.
La Russie a l’intention de respecter strictement ses engagements. Nous espérons
que nos partenaires agiront en toute transparence, eux aussi, et ne garderont pas
sous le coude quelques centaines de charges nucléaires pour les « mauvais jours ».
Donc, si le nouveau ministre états-unien de la Défense annonce que les Etats-Unis se
garderont de mettre leurs charges excédentaires en stock, ni de les dissimuler «
sous un coussin » ou « sous une couverture », je vous demanderai de vous lever
pour applaudir ses paroles. Ce serait une déclaration très importante.
À l’heure actuelle, toute une série de pays possèdent des missiles de cette classe : la
République populaire démocratique de Corée, la République de Corée, l’Inde, l’Iran, le
Pakistan, l’État d’Israël. De nombreux autres pays sont en train de concevoir ces
systèmes et envisagent d’en doter leurs forces armées. Or, seuls les États-Unis
d’Amérique et la Russie restent fidèles à leur engagement de ne pas construire ces
armes.
Il est clair que dans ces conditions nous sommes obligés de veiller à assurer notre
sécurité.
Aujourd’hui, je tiens à vous dire que nous avons préparé un projet de Traité sur le
non-déploiement d’armes dans l’espace. D’ici peu, nous l’enverrons à nos
partenaires en qualité de proposition officielle. Je propose de travailler ensemble sur
ce document.
Aucun des pays dits « à problèmes » ne possède de missiles ayant une portée de
l’ordre de 5 000 à 8 000 kilomètres et susceptibles de menacer l’Europe. Mieux, dans
un avenir prévisible, leur apparition dans ces pays n’est pas envisageable. Je dirais
même plus : une tentative de lancer un missile nord-coréen, par exemple, vers les
États-Unis via l’Europe serait contraire aux lois de la balistique.
Les pays de l’OTAN ont ouvertement déclaré qu’ils ne ratifieraient pas le Traité, dont
les dispositions relatives aux limitations dans la zone des « flancs » (déploiement
sur les « flancs » d’un certain nombre de forces armées) tant que la Russie ne
procéderait pas au retrait de ses bases de la Géorgie et de la Moldavie. Le retrait de
nos troupes de la Géorgie est en cours et ce, à un rythme accéléré. Tout le monde
sait que nous avons déjà réglé ces problèmes avec nos collègues géorgiens. Quant
à la Moldavie, on y trouve pour le moment une formation de 1 500 militaires chargés
de maintenir la paix et de protéger les entrepôts de munitions qui y subsistent
depuis l’époque soviétique. Nous discutons en permanence de cette question avec
Monsieur Solana : il connaît bien notre position. Nous sommes prêts à aller plus loin
dans cette direction.
Il est évident, je pense, que l’élargissement de l’OTAN n’a rien à voir avec la
modernisation de l’alliance, ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est un
facteur représentant une provocation sérieuse et abaissant le niveau de la confiance
mutuelle. Nous sommes légitimement en droit de demander ouvertement contre qui
cet élargissement est opéré. Que sont devenues les assurances données par nos
partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces
assurances ? On l’a oublié. Néanmoins, je me permettrai de rappeler aux personnes
présentes dans cette salle ce qui a été dit. Je tiens à citer des paroles tirées du
discours de M. Werner, alors Secrétaire général de l’OTAN, prononcé à Bruxelles le
17 mai 1990 : « Que nous soyons prêts à ne pas déployer les troupes de l’OTAN à
l’extérieur du territoire de la RFA, cela donne à l’Union soviétique des garanties sûres
de sécurité ». Où sont aujourd’hui ces garanties ?
Les blocs de béton et les pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des
souvenirs. Mais il ne faut pas oublier que sa chute est devenue possible notamment
grâce au choix historique de notre peuple – le peuple de Russie – en faveur de la
démocratie et de la liberté, de l’ouverture et du partenariat sincère avec tous les
membres de la grande famille européenne.
Mesdames, Messieurs !
Or, les dernières initiatives du président des États-Unis, George W. Bush, sont à
l’unisson de cette initiative russe. Je pense que la Russie et les États-Unis sont
objectivement et également intéressés au durcissement du régime de non-
prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Et ce sont
justement nos deux pays, leaders pour leur potentiel nucléaire et balistique, qui
doivent, eux aussi, devenir leaders de la mise au point de nouvelles mesures plus
rigoureuses en matière de non-prolifération. La Russie est prête à effectuer un tel
travail. Nous menons des consultations avec nos amis états-uniens.
La sécurité économique est une sphère où tous doivent s’en tenir à des principes
uniques. Nous sommes prêts à une concurrence loyale.
L’économie russe a de plus en plus de possibilités pour cela. Cette dynamique est
objectivement évaluée par des experts et nos partenaires étrangers. Récemment, par
exemple, la Russie a été mieux notée au sein de l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) : notre pays est passé notamment du groupe à
risque 4 au groupe 3. Profitant de l’occasion, ici, aujourd’hui à Munich, je voudrais
remercier tout particulièrement nos collègues allemands de leur concours à
l’adoption de la décision évoquée.
Et encore un thème très important qui influe directement sur la sécurité globale. On
parle beaucoup aujourd’hui de la lutte contre la pauvreté. Mais qu’est-ce qui se
produit en réalité ? D’une part, des ressources financières – et souvent importantes
– sont allouées à des programmes d’assistance aux pays les plus pauvres. Quoi
qu’il en soit, et beaucoup le savent ici également, il n’est pas rare que les
compagnies des pays donateurs eux-mêmes « les utilisent ». D’autre part,
l’agriculture dans les pays industrialisés est toujours subventionnée, alors que
l’accès des hautes technologies est limité pour d’autres.
Appelons donc les choses par leurs noms : il s’avère qu’une main distribue les «
aides caritatives », alors que l’autre entretient l’arriération économique, mais récolte
aussi des bénéfices. La tension sociale surgissant dans de telles régions
dépressives se traduit inévitablement par la croissance du radicalisme et de
l’extrémisme, tout en alimentant le terrorisme et les conflits locaux. Et si tout cela se
produit de surcroît, par exemple, au Proche-Orient dans le contexte d’une vision
aggravée du monde extérieur, en tant que monde injuste, une déstabilisation globale
risque de se produire.
Il va sans dire que les principales puissances mondiales doivent voir cette menace
et organiser, par conséquent, un système plus démocratique et plus équitable de
rapports économiques qui donne à tous une chance et une possibilité de
développement.
Intervenant à une conférence sur la sécurité, on ne peut pas, non plus, Mesdames et
Messieurs, passer sous silence l’activité de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE). L’OSCE a été créée pour examiner tous les aspects,
je tiens à le souligner, tous les aspects de la sécurité, qu’il s’agisse des aspects
politico-militaires, économiques ou humanitaires et ce, dans leurs rapports
réciproques.
Mais que voyons-nous aujourd’hui en réalité ? Nous voyons que cet équilibre est
manifestement perturbé. On essaie de transformer l’OSCE en instrument vulgaire au
service des intérêts politiques extérieurs d’un seul pays ou d’un groupe de pays à
l’égard d’autres États. Et c’est pour cette tâche, que l’on a aussi « monté de toutes
pièces » l’appareil bureaucratique de l’OSCE qui n’est nullement lié aux États
fondateurs. On a « monté de toutes pièces » pour cette tâche également les
procédures d’adoption des décisions et d’utilisation des fameuses « organisations
non gouvernementales (ONG) ». Formellement, il s’agit effectivement
d’organisations indépendantes, mais financées rationnellement et, par conséquent,
contrôlées.
Nous espérons que l’OSCE se guidera sur ses tâches immédiates et organisera ses
relations avec des États souverains sur la base du respect, de la confiance et de la
transparence.
Mesdames, Messieurs !
Je me permettrai à cette occasion une petite remarque. Nous n’avons pas besoin
d’être éperonnés ou stimulés. La Russie a une histoire millénaire, et pratiquement
elle a toujours eu le privilège de pratiquer une politique extérieure indépendante.
Nous n’avons pas l’intention aujourd’hui non plus de faillir à cette tradition. En même
temps, nous voyons que le monde a changé et nous évaluons avec réalisme nos
propres possibilités et notre propre potentiel. Et évidemment nous voudrions aussi
avoir affaire à des partenaires sérieux et tout aussi indépendants avec lesquels nous
pourrions travailler à l’édification d’un monde plus démocratique et plus équitable,
tout en y garantissant la sécurité et la prospérité non seulement des élites, mais de
tous.
Vladimir Poutine
[1] Favorable à une action militaire contre l’Iran, le sénateur Joseph Lieberman est le
leader des faucons de la gauche états-unienne. Il se situe dans la ligne du très anti-
russe Henry « Scoop » Jackson, figure tutélaire des néoconservateurs. NDLR.