Vous êtes sur la page 1sur 28

Nouvel ordre mondial : de nouvelles règles

ou un jeu sans règles ? par Vladimir Poutine


Ça me fait rire tous les gens scandalisés par la diffusion des discours russes – cela me rappelle
souvent les discours nationalistes qui ont conduit à 1914.

Comme si donner de l’information pouvait être nuisible – à chacun de les lire avec recul et esprit
critique…

Vladimir Poutine a pris part à la dernière séance plénière de la XIe session du Club
International de Discussion Valdaï. Le thème de la réunion était : L’ordre mondial : de
nouvelles règles ou un jeu sans règles ?
Cette année, 108 experts, historiens et analystes politiques originaires de 25 pays, dont 62
participants étrangers, ont pris part aux travaux du Club.
La réunion plénière a présenté une synthèse des travaux du Club au cours des trois journées
précédentes, qui ont été consacrées à l’analyse des facteurs d’érosion du système actuel des
institutions et des normes du droit international.
Discours du Président Vladimir Poutine durant la dernière séance plénière de la XIe
session du Club Valdaï

Retranscription :

Chers collègues, Mesdames et Messieurs, chers amis,

C’est un plaisir de vous accueillir à la XIe réunion du Club Valdaï.

Il a déjà été mentionné que le Club a de nouveaux co-organisateurs cette année. Ils
comprennent des organisations non gouvernementales russes, des groupes
d’experts et de grandes universités. Il a également été suggéré d’élargir les
discussions à des questions qui ne sont pas seulement liées à la Russie elle-même,
mais aussi à la politique et à l’économie mondiales.

J’espère que ces changements dans l’organisation et le contenu des sessions


renforceront l’influence du Club en tant que forum de discussion et d’experts de
premier plan. Dans le même temps, j’espère que « l’esprit de Valdaï » sera conservé
– cette atmosphère libre et ouverte, cette opportunité d’exprimer toutes sortes
d’opinions très différentes et franches.

Permettez-moi de dire à cet égard que je ne vais pas vous décevoir et que je vais parler
directement et franchement. Certains de mes propos pourront sembler un peu trop
rudes, mais si nous ne parlons pas directement et honnêtement de ce que nous pensons
vraiment, alors il est absolument inutile de tenir de telles réunions. Il serait préférable,
dans ce cas, de se contenter des rencontres diplomatiques, où personne ne dit rien qui ait
une véritable portée et, reprenant les paroles d’un célèbre diplomate, où vous vous
rendez compte que les diplomates ont une langue faite pour ne pas dire la vérité.

Nous nous réunissons pour d’autres raisons. Nous nous réunissons pour nous
parler franchement. Nous avons besoin d’être directs et francs aujourd’hui, non pas
pour s’envoyer des piques, mais afin de tenter de faire la lumière sur ce qui se passe
dans le monde, d’essayer de comprendre pourquoi le monde est de moins en moins
sûr et de plus en plus imprévisible, et pourquoi les risques augmentent partout
autour de nous.

Les débats d’aujourd’hui se sont tenus sous le thème : De nouvelles règles ou un jeu sans
règles ? Je pense que cette formule décrit avec précision le tournant historique que nous
avons atteint aujourd’hui et le choix auquel nous sommes tous confrontés. Bien sûr, il
n’y a rien de nouveau dans l’idée que le monde est en train de changer très
rapidement. Je sais que c’est quelque chose dont vous avez parlé durant les
échanges d’aujourd’hui. Il est certainement difficile de ne pas remarquer les
transformations dramatiques dans la politique mondiale et dans l’économie, dans la
vie publique, dans l’industrie, l’information et les technologies sociales.

Permettez-moi de vous demander dès maintenant de me pardonner si j’en viens à


répéter ce que certains des participants à la discussion ont déjà dit. C’est
pratiquement inévitable. Vous avez déjà eu des discussions détaillées, mais je vais
exposer mon point de vue. Il coïncidera avec le point de vue des participants sur
certains points et divergera sur d’autres.

Tandis que nous analysons la situation d’aujourd’hui, n’oublions pas les leçons de
l’histoire. Tout d’abord, les changements dans l’ordre mondial – et tout ce que nous
voyons aujourd’hui constitue des événements de cette ampleur – ont généralement
été accompagnés sinon par une guerre et des conflits à l’échelle mondiale, du moins
par des chaînes de conflits locaux intenses. Deuxièmement, la politique mondiale
est avant tout une question de leadership économique, de guerre et de paix, avec
une dimension humanitaire, incluant les droits de l’homme.

Aujourd’hui, le monde est plein de contradictions. Nous devons être francs en nous
demandant mutuellement si nous avons un filet de sécurité fiable et bien en place.
Malheureusement, il n’y a aucune garantie et aucune certitude que le système actuel
de sécurité mondiale et régionale soit en mesure de nous protéger des
bouleversements. Ce système a été sérieusement affaibli, fragmenté et déformé. Les
organisations internationales et régionales de coopération politique, économique, et
culturelle traversent également des temps difficiles.

Oui, un grand nombre des mécanismes actuels visant à assurer l’ordre mondial ont
été créés il y a très longtemps, y compris et surtout dans la période suivant
immédiatement la Seconde Guerre mondiale. Permettez-moi de souligner que la
solidité du système créé à l’époque reposait non seulement sur l’équilibre des forces
et les droits des pays vainqueurs, mais aussi sur le fait que les « pères fondateurs »
de ce système se respectaient mutuellement, n’essayaient pas de mettre la pression
sur les autres, mais tentaient de parvenir à des accords.

L’essentiel est que ce système doit se développer, et malgré ses diverses lacunes, il
doit au moins être capable de maintenir les problèmes mondiaux actuels dans
certaines limites et de réguler l’intensité de la concurrence naturelle entre les
nations.

Je suis convaincu que nous ne pouvions pas prendre ce mécanisme de freins et


contrepoids que nous avons construit au cours des dernières décennies, parfois
avec les plus grands efforts et difficultés, et tout simplement le détruire sans rien
reconstruire à sa place. Sinon, nous serions laissés sans instruments autres que la
force brute.

Ce que nous devions faire était de procéder à une reconstruction rationnelle et de


l’adapter aux nouvelles réalités du système des relations internationales.

Mais les Etats-Unis, s’étant eux-mêmes déclarés vainqueurs de la Guerre Froide, n’en
voyaient pas le besoin. Au lieu d’établir un nouvel équilibre des forces, essentiel pour
maintenir l’ordre et la stabilité, ils ont pris des mesures qui ont jeté le système dans un
déséquilibre marqué et profond.

La Guerre Froide a pris fin, mais elle n’a pas pris fin avec la signature d’un traité de
paix comprenant des accords clairs et transparents sur le respect des règles
existantes ou la création d’un nouvel ensemble de règles et de normes. Cela a créé
l’impression que les soi-disant « vainqueurs » de la Guerre Froide avaient décidé de
forcer les événements et de remodeler le monde afin de satisfaire leurs propres
besoins et intérêts. Lorsque le système actuel des relations internationales, le droit
international et les freins et contrepoids en place faisaient obstacle à ces objectifs,
ce système été déclaré sans valeur, obsolète et nécessitant une démolition
immédiate.
Pardonnez l’analogie, mais c’est la façon dont les nouveaux riches se comportent quand
ils se retrouvent tout à coup avec une grande fortune, dans ce cas sous la forme d’un
leadership et d’une domination mondiale. Au lieu de gérer leur patrimoine
intelligemment, pour leur propre bénéfice aussi bien sûr, je pense qu’ils ont commis
beaucoup de folies.
Nous sommes entrés dans une période de différentes interprétations et de silences
délibérés dans la politique mondiale. Le droit international a maintes fois été forcé de
battre en retraite, encore et encore, par l’assaut impitoyable du nihilisme légal.
L’objectivité et la justice ont été sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique. Des
interprétations arbitraires et des évaluations biaisées ont remplacé les normes
juridiques. Dans le même temps, l’emprise complète sur les médias de masse mondiaux
ont rendu possible, quand on le désirait, de présenter le blanc comme noir et le noir
comme blanc.

Dans une situation où vous aviez la domination d’un pays et de ses alliés, ou plutôt
de ses satellites, la recherche de solutions globales s’est souvent transformée en
une tentative d’imposer ses propres recettes universelles. Les ambitions de ce
groupe sont devenues si grandes qu’ils ont commencé à présenter les politiques
qu’ils concoctaient dans leurs corridors du pouvoir comme le point de vue de
l’ensemble de la communauté internationale. Mais ce n’est pas le cas.

La notion même de « souveraineté nationale » est devenue une valeur relative pour la
plupart des pays. En essence, ce qui était proposé était cette formule : plus la loyauté de
tel ou tel régime en place envers le seul centre de pouvoir dans le monde est grande, plus
grande sera sa légitimité.
Nous aurons une discussion libre après mon propos et je serai heureux de répondre
à vos questions et je tiens également à utiliser mon droit à vous poser des
questions. Que personne n’hésite à essayer de réfuter les arguments que je viens
d’exposer lors de la discussion à venir.
Les mesures prises contre ceux qui refusent de se soumettre sont bien connues et
ont été essayées et testées de nombreuses fois. Elles comprennent l’usage de la
force, la pression économique et la propagande, l’ingérence dans les affaires intérieures,
et les appels à une sorte de légitimité « supra-légale » lorsqu’ils ont besoin de justifier
une intervention illégale dans tel ou tel conflit ou de renverser des régimes qui
dérangent.Dernièrement, nous avons de plus en plus de preuves que le chantage pur et
simple a également été utilisé en ce qui concerne un certain nombre de dirigeants. Ce
n’est pas pour rien que « Big Brother » dépense des milliards de dollars pour tenir sous
surveillance le monde entier, y compris ses propres alliés les plus proches.
Demandons-nous à quel point nous sommes à l’aise avec tout cela, à quel point
nous sommes en sécurité, combien nous sommes heureux de vivre dans ce monde,
à quel degré de justice et de rationalité il est parvenu. Peut-être n’avons-nous pas de
véritables raisons de nous inquiéter, de discuter et de poser des questions
embarrassantes ? Peut-être que la position exceptionnelle des États-Unis et la façon
dont ils mènent leur leadership est vraiment une bénédiction pour nous tous, et que
leur ingérence dans les événements du monde entier apporte la paix, la prospérité, le
progrès, la croissance et la démocratie, et nous devrions peut-être seulement nous
détendre et profiter de tout cela ?

Permettez-moi de dire que ce n’est pas le cas, absolument pas le cas.


Un diktat unilatéral et le fait d’imposer ses propres modèles aux autres produisent le
résultat inverse. Au lieu de régler les conflits, cela conduit à leur escalade ; à la place
d’États souverains et stables, nous voyons la propagation croissante du chaos ; et à la
place de la démocratie, il y a un soutien pour un public très douteux allant de néo-
fascistes avoués à des islamistes radicaux.
Pourquoi soutiennent-ils de tels individus ? Ils le font parce qu’ils décident de les
utiliser comme instruments dans la voie de la réalisation de leurs objectifs, mais
ensuite, ils se brûlent les doigts et font marche arrière. Je ne cesse jamais d’être
étonné par la façon dont nos partenaires ne cessent de marcher sur le même râteau,
comme on dit ici en Russie, c’est-à-dire de faire les mêmes erreurs encore et encore.
Ils ont jadis parrainé des mouvements islamistes extrémistes pour combattre
l’Union soviétique. Ces groupes se sont formés au combat et aguerris en
Afghanistan, et ont plus tard donné naissance aux Talibans et à Al-Qaïda. L’Occident
les a sinon soutenus, du moins a fermé les yeux sur cela, et, je dirais, a fourni des
informations et un soutien politique et financier à l’invasion de la Russie et des pays
de la région d’Asie centrale par les terroristes internationaux (nous ne l’avons pas
oublié). C’est seulement après que des attaques terroristes horribles aient été
commises sur le sol américain lui-même que les États-Unis ont pris conscience de la
menace collective du terrorisme. Permettez-moi de vous rappeler que nous avons
été le premier pays à soutenir le peuple américain à l’époque, le premier à réagir
comme des amis et partenaires après la terrible tragédie du 11 Septembre.
Au cours de mes conversations avec les dirigeants américains et européens, je
parlais toujours de la nécessité de lutter ensemble contre le terrorisme, de le considérer
comme un défi à l’échelle mondiale. Nous ne pouvons pas nous résigner et accepter
cette menace, nous ne pouvons pas la couper en morceaux séparés à l’aide du deux
poids deux mesures. Nos partenaires ont exprimé leur accord, mais après quelques
temps, nous nous sommes retrouvés au point de départ. Ce fut d’abord l’opération
militaire en Irak, puis en Libye, qui a été poussée au bord du gouffre. Pourquoi la Libye
a-t-elle été réduite à cette situation ? Aujourd’hui, c’est un pays en danger de
démantèlement et qui est devenu un terrain d’entraînement pour les terroristes.
Seule la détermination et la sagesse de la direction égyptienne actuelle a sauvé ce
pays arabe clé du chaos et de l’emprise des terroristes. En Syrie, comme par le
passé, les États-Unis et leurs alliés ont commencé à financer et armer directement
les rebelles et leur ont permis de remplir leurs rangs de mercenaires provenant de
divers pays. Permettez-moi de vous demander où ces rebelles obtiennent leur argent,
leurs armes et leurs spécialistes militaires ? D’où tout cela vient-il ? Comment l’Etat
Islamique notoire a-t-il réussi à devenir un groupe aussi puissant, de fait une véritable
force armée ?
Quant aux sources de financement, aujourd’hui, l’argent ne vient plus seulement de
la drogue, dont la production a augmenté non pas de quelques points de
pourcentage mais dans des proportions considérables depuis que les forces de la
coalition internationale sont intervenues en Afghanistan. Vous êtes au courant de
cela. Les terroristes obtiennent également de l’argent en vendant du pétrole. Le
pétrole est produit dans le territoire contrôlé par les terroristes, qui le vendent à des
prix de dumping, le produisent et le transportent. Mais d’autres achètent ce pétrole,
le revendent, et font du profit, sans penser au fait qu’ils financent ainsi les terroristes
qui pourraient venir tôt ou tard sur leur propre sol et semer la destruction dans leur
propre pays.
Où trouvent-ils les nouvelles recrues ? En Irak, après que Saddam Hussein ait été
renversé, les institutions de l’État, y compris l’armée, ont été laissés en ruines. Nous
avons dit, à l’époque, soyez très, très prudents. Vous mettez les gens à la rue, et que
vont-ils y faire ? N’oubliez pas que légitimement ou non, ils faisaient partie de la
direction d’une grande puissance régionale, et en quoi est-ce que vous les
transformez maintenant ?
Quel fut le résultat ? Des dizaines de milliers de soldats, d’officiers et d’anciens
militants du parti Baas se sont retrouvé à la rue et ont aujourd’hui rejoint les rangs
des rebelles. Peut-être cela explique-t-il pourquoi l’Etat islamique s’est avéré si
efficace. En termes militaires, il agit très efficacement et il a certains cadres très
compétents. La Russie a mis en garde à plusieurs reprises sur les dangers des actions
militaires unilatérales, des interventions dans les affaires des Etats souverains, et des
flirts avec les extrémistes et les radicaux. Nous avons insisté pour que les groupes luttant
contre le gouvernement syrien central, surtout l’Etat islamique, soient inscrits sur les
listes des organisations terroristes. Mais avons-nous vu le moindre résultat ? Nous avons
lancé des appels en vain.

Nous avons parfois l’impression que nos collègues et amis sont constamment aux
prises avec les conséquences de leurs propres politiques, et qu’ils dépensent tous
leurs efforts dans le traitement des risques qu’ils ont eux-mêmes créés, en payant
un prix de plus en plus élevé.

Chers collègues,

Cette période de domination unipolaire a démontré de manière convaincante que le fait


d’avoir un seul centre de pouvoir ne rend pas les processus mondiaux plus faciles à
gérer. Au contraire, ce type de construction instable a montré son incapacité à lutter
contre les menaces réelles telles que les conflits régionaux, le terrorisme, le trafic de
drogue, le fanatisme religieux, le chauvinisme et le néo-nazisme. Dans le même temps, il
a ouvert une large voie aux fiertés nationales exacerbées, à la manipulation de l’opinion
publique et à la brutalisation et à l’oppression des faibles par les forts.
Essentiellement, le monde unipolaire est tout simplement un moyen de justifier la
dictature sur les individus et les nations. Le monde unipolaire s’est avéré un fardeau
trop rude, trop lourd et trop ingérable même pour son chef auto-proclamé. Des
commentaires ont été faits dans ce sens juste avant mon intervention, et je suis
entièrement d’accord avec eux. Voilà pourquoi nous voyons, en cette nouvelle étape
de l’histoire, des tentatives de recréer un semblant de monde quasi-bipolaire en tant
que modèle commode pour perpétuer le leadership américain. Peu importe qui
prend la place du centre du mal dans la propagande américaine, peu importe qui
remplace l’ex-l’URSS en tant que principal adversaire. Cela pourrait être l’Iran, en tant
que pays qui cherche à acquérir la technologie nucléaire, la Chine, en tant que plus
grande économie mondiale, ou la Russie, en tant que superpuissance nucléaire.
Aujourd’hui, nous assistons à de nouveaux efforts pour fragmenter le monde, dessiner de
nouvelles lignes de clivage, réunir des coalitions qui ne sont pas façonnées pour quelque
chose mais dirigées contre quelqu’un, qui que ce soit, pour créer l’image d’un ennemi
comme ce fut le cas pendant les années de Guerre Froide, et s’emparer du droit à ce
leadership, ou diktat si vous préférez. La situation était présentée de cette façon au
cours de la Guerre Froide. Nous savons tous cela et nous le comprenons bien. Les
Etats-Unis ont toujours dit à leurs alliés : « Nous avons un ennemi commun, un
ennemi terrible, le centre du mal, et nous vous protégeons, vous nos alliés, de cet
ennemi, et nous avons donc le droit de vous donner des ordres, de vous forcer à
sacrifier vos intérêts politiques et économiques et à payer votre quote-part des coûts
de cette défense collective, mais nous serons les responsables de tout cela bien sûr.
» En bref, nous voyons aujourd’hui des tentatives, dans un monde nouveau et
changeant, de reproduire les modèles familiers de la gestion globale, et tout cela de
manière à garantir aux États-Unis leur situation exceptionnelle et à récolter des
dividendes politiques et économiques.
Mais ces tentatives sont de plus en plus déconnectées de la réalité et sont en
contradiction avec la diversité du monde. Des mesures de ce genre créent inévitablement
des confrontations et provoquent des contre-mesures, et ont pour résultat l’effet inverse
de ce qui était souhaité. Nous voyons ce qui se passe quand la politique commence
imprudemment à s’ingérer dans l’économie et que la logique des décisions
rationnelles cède la place à la logique de confrontation, qui ne fait que nuire aux
propres positions et intérêts économiques des pays en question, y compris les
intérêts des entreprises nationales.
Les projets économiques communs et les investissements mutuels rapprochent
objectivement les pays et contribuent à aplanir les problèmes actuels dans les
relations entre Etats. Mais aujourd’hui, la communauté mondiale des affaires fait
face à des pressions sans précédent de la part des gouvernements occidentaux. De
quelles affaires, de quelles opportunités économiques ou de quel pragmatisme peut-on
encore parler lorsque nous entendons des slogans tels que « la patrie est en danger », « le
monde libre est menacé », et « la démocratie est en péril » ? Et tout le monde doit alors
se mobiliser. Voilà à quoi ressemble une vraie politique de mobilisation.
Les sanctions sapent déjà les fondements du commerce mondial, les règles de
l’OMC et le principe de l’inviolabilité de la propriété privée. Ils portent un coup
dangereux au modèle libéral de la mondialisation fondé sur les marchés, la liberté et
la concurrence, qui, permettez-moi de le souligner, est précisément un modèle qui a
avant tout bénéficié aux pays occidentaux. Et maintenant, ils risquent de perdre la
confiance en tant que gouvernants de la mondialisation. Nous devons nous
demander, pourquoi était-ce nécessaire ? Après tout, la prospérité des États-Unis
repose en grande partie sur la confiance des investisseurs et des détenteurs
étrangers de dollars et de valeurs mobilières étasuniennes. Cette confiance est
clairement mise à mal et des signes de désillusion quant aux fruits de la
mondialisation sont maintenant visibles dans de nombreux pays.
Le précédent bien connu de Chypre et les sanctions pour des motifs politiques n’ont
fait que renforcer la tendance à chercher à renforcer la souveraineté économique et
financière et la volonté des pays ou de leurs groupes régionaux de trouver des
moyens de se protéger contre les risques de pressions extérieures. Nous voyons déjà
que de plus en plus de pays cherchent des moyens de devenir moins dépendants du
dollar et mettent en place des systèmes financiers, de paiement et des monnaies de
réserve alternatifs. Je pense que nos amis américains sont tout simplement en train de
scier la branche sur laquelle ils sont assis. On ne peut pas mélanger la politique et
l’économie, mais c’est ce qui se passe maintenant. J’ai toujours pensé et je pense
encore aujourd’hui que les sanctions pour des motifs politiques sont une erreur qui
nuira à tous, mais je suis sûr que nous reviendrons sur ce point.
Nous savons comment ces décisions ont été prises et qui exerçait les pressions.
Mais permettez-moi de souligner que la Russie ne va pas perdre son calme, s’offenser
ou venir mendier à la porte de quiconque. La Russie est un pays auto-suffisant. Nous
allons travailler au sein de l’environnement économique international qui a pris
forme, développer la production et la technologie nationales et agir de façon plus
décisive pour mener à bien notre transformation. Les pressions de l’extérieur,
comme cela a été le cas à plusieurs reprises par le passé, ne feront que consolider
notre société, nous maintenir en éveil et nous amener à nous concentrer sur nos
principaux objectifs de développement.
Bien sûr, les sanctions constituent un obstacle. Ils essaient de nous affaiblir par ces
sanctions, d’entraver notre développement et de nous pousser à l’isolement politique,
économique et culturel, en d’autres termes nous forcer à prendre du retard. Mais
permettez-moi de rappeler encore une fois que le monde est un endroit très différent
aujourd’hui. Nous n’avons pas l’intention de nous isoler de quiconque ou de choisir une
sorte de voie de développement fermée, en essayant de vivre en autarcie. Nous sommes
toujours ouverts au dialogue, y compris au sujet de la normalisation de nos relations
économiques et politiques. Nous comptons ici sur l’approche et la position
pragmatiques des milieux d’affaires dans les principaux pays.
Certains disent aujourd’hui que la Russie tournerait le dos à l’Europe – de tels propos
ont probablement été tenus ici aussi lors des discussions – et rechercherait de
nouveaux partenaires commerciaux, surtout en Asie. Permettez-moi de dire que ce
n’est absolument pas le cas. Notre politique active dans la région Asie-Pacifique n’a
pas commencé d’hier, et non en réponse aux sanctions, mais c’est une politique que
nous suivons depuis maintenant un bon nombre d’années. Comme beaucoup
d’autres pays, y compris les pays occidentaux, nous avons vu que l’Asie joue un rôle
de plus en plus important dans le monde, dans l’économie et dans la politique, et
nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’ignorer ces
développements.

Permettez-moi de dire encore une fois que tout le monde agit ainsi, et nous allons le
faire nous aussi, d’autant plus qu’une grande partie de notre pays est
géographiquement en Asie. Au nom de quoi devrions-nous ne pas faire usage de
nos avantages concurrentiels dans ce domaine ? Ce serait faire preuve d’une vue
extrêmement courte que de ne pas le faire.

Le développement des relations économiques avec ces pays et la réalisation de


projets d’intégration communs créent aussi de grandes incitations pour notre
développement national. Les tendances démographiques, économiques et
culturelles actuelles suggèrent que la dépendance à une seule superpuissance va
objectivement diminuer. C’est une chose que les experts européens et américains
ont également évoqué dans leurs réunions et travaux.

Peut-être que l’évolution de la politique internationale sera le reflet de l’évolution que


nous constatons dans l’économie mondiale, à savoir la concurrence intensive pour
des niches spécifiques et des changements fréquents de dirigeants dans des
domaines précis. Ceci est tout à fait possible.

Il ne fait aucun doute que des facteurs humanitaires tels que l’éducation, la science,
la santé et la culture jouent un rôle plus important dans la concurrence mondiale.
Cela a également un impact important sur les relations internationales, y compris
parce que cette ressource douce (soft power) dépendra dans une large mesure des
réalisations concrètes dans le développement du capital humain plutôt que des
trucages sophistiqués de la propagande.

Dans le même temps, la formation d’un soi-disant monde polycentrique (je voudrais
également attirer l’attention sur cela, chers collègues), en soi et d’elle-même,
n’améliore pas la stabilité ; de fait, il est plus probable que ce soit l’inverse. L’objectif
d’atteindre l’équilibre mondial est en train de devenir un casse-tête assez difficile,
une équation à plusieurs inconnues.

Qu’est-ce que l’avenir nous réserve donc, si nous choisissons de ne pas respecter
les règles – même si elles peuvent être strictes et peu pratiques – mais plutôt de
vivre sans règles du tout ? Et ce scénario est tout à fait possible ; nous ne pouvons
pas l’exclure, compte tenu des tensions dans la situation internationale. Beaucoup
de prédictions peuvent déjà être faites, en tenant compte des tendances actuelles, et
malheureusement, elles ne sont pas optimistes. Si nous ne créons pas un système
clair d’engagements et d’accords mutuels, si nous ne construisons pas les
mécanismes de gestion et de résolution des situations de crise, les symptômes de
l’anarchie mondiale vont inévitablement s’accroître.

Aujourd’hui, nous voyons déjà une forte augmentation de la probabilité de tout un


ensemble de conflits violents avec la participation directe ou indirecte des plus
grandes puissances mondiales. Et les facteurs de risque comprennent non
seulement les conflits multinationaux traditionnels, mais aussi l’instabilité interne
dans différents États, surtout quand on parle de nations situées aux intersections
des intérêts géopolitiques des grandes puissances, ou à la frontière de continents
civilisationnels, culturels, historiques et économiques.

L’Ukraine, qui j’en suis sûr a été longuement évoquée et dont nous parlerons encore,
est l’un des exemples de ces sortes de conflits qui affectent l’équilibre international
des puissances, et je pense que ce ne sera certainement pas le dernier. De là émane
la prochaine menace réelle de détruire le système actuel d’accords de contrôle des
armements. Et ce processus dangereux a été initié par les Etats-Unis d’Amérique quand
ils se sont unilatéralement retirés du Traité sur les missiles anti-balistiques (ABM) en
2002, puis se sont lancés dans la création de leur système global de défense antimissile et
poursuivent aujourd’hui activement ce processus.

Chers collègues et amis,

Je tiens à souligner que nous ne sommes pas à l’origine de tout cela. Une fois de plus,
nous glissons vers des temps où, au lieu de l’équilibre des intérêts et des garanties
mutuelles, ce sera la peur et l’équilibre de la destruction mutuelle qui empêcheront les
nations de se livrer à un conflit direct. En l’absence d’instruments juridiques et
politiques, les armes deviennent encore une fois le point focal de l’ordre du jour
mondial ; elles sont utilisées n’importe où et n’importe comment, sans la moindre
sanction du Conseil de sécurité de l’ONU. Et si le Conseil de sécurité refuse de
rendre de tels arrêts, alors on le condamne immédiatement comme un instrument
dépassé et inefficace.
De nombreux États ne voient pas d’autres moyens d’assurer leur souveraineté qu’en
obtenant leurs propres bombes. Cela est extrêmement dangereux. Nous insistons
sur la nécessité de poursuivre les négociations ; nous ne sommes pas seulement en
faveur de pourparlers, mais nous insistons sur la nécessité de poursuivre les
pourparlers de réduction des arsenaux nucléaires. Moins nous aurons d’armes
nucléaires dans le monde, mieux ce sera. Et nous sommes prêts à mener les
discussions les plus sérieuses et les plus concrètes sur le désarmement nucléaire –
mais seulement des discussions sérieuses sans aucun deux poids, deux mesures.
Qu’est-ce que je veux dire par là ? Aujourd’hui, de nombreux types d’armes de haute
précision sont déjà assimilables à des armes de destruction massive en termes de
capacité, et en cas de renonciation complète aux armes nucléaires ou de réduction
radicale du potentiel nucléaire, les nations qui sont des leaders dans la création et la
production de systèmes de haute précision auront un net avantage militaire. La
parité stratégique sera perturbée, ce qui est susceptible d’entraîner de la
déstabilisation. Le recours à une soi-disant première frappe préventive globale peut
devenir tentant. En bref, les risques ne diminuent pas, mais s’intensifient.

La prochaine menace évidente est l’escalade plus avant de conflits ethniques,


religieux et sociaux. De tels conflits sont dangereux non seulement en tant que tels,
mais aussi parce qu’ils créent des zones d’anarchie, d’absence total de lois et de
chaos autour d’eux, des lieux qui sont commodes pour les terroristes et les
criminels, et où la piraterie, le trafic d’êtres humains et le trafic de drogue sont
florissants.

D’ailleurs, nos collègues ont alors essayé de contrôler plus ou moins ces processus,
d’exploiter les conflits régionaux et de concevoir des « révolutions colorées » en
fonction de leurs intérêts, mais le génie s’est échappé de la lampe. Il semble que les
pères de la théorie du chaos contrôlé eux-mêmes ne sachent plus quoi en faire ; il y
a confusion dans leurs rangs.

Nous suivons de près les discussions à la fois au sein de l’élite dirigeante et de la


communauté des experts. Il suffit de regarder les gros titres de la presse occidentale
de l’année dernière. Les mêmes personnes sont appelées des combattants pour la
démocratie, puis des islamistes ; d’abord, ils parlent de révolutions puis ils parlent
d’émeutes et de soulèvements. Le résultat est évident : la propagation du chaos
mondial.

Chers collègues,

Compte tenu de la situation mondiale, il est temps de commencer à se mettre


d’accord sur des choses fondamentales. Ceci est d’une importance et d’une
nécessité extrêmes ; cela vaudrait beaucoup mieux que de se retirer dans nos
propres retranchements. Plus nous faisons face à des problèmes communs, plus
nous nous trouvons dans le même bateau, pour ainsi dire. Et la manière sensée de
trouver une issue réside dans la coopération entre les nations, les sociétés, dans le
fait de trouver des réponses collectives aux défis croissants, et dans la gestion
commune des risques. Certes, certains de nos partenaires, pour des raisons bien à
eux, ne se remémorent cela que lorsque c’est dans leurs intérêts.

L’expérience pratique montre que les réponses communes aux défis ne sont pas
toujours une panacée, et il faut que nous comprenions cela. En outre, dans la plupart
des cas, elles sont difficiles à atteindre : il n’est pas facile de surmonter les
différences dans les intérêts nationaux et la subjectivité de différentes approches, en
particulier lorsqu’il s’agit de pays ayant des traditions culturelles et historiques
différentes. Mais néanmoins, nous avons des exemples où, ayant des objectifs
communs et agissant sur la base des mêmes critères, nous avons obtenu
collectivement un réel succès.

Permettez-moi de vous rappeler la résolution du problème des armes chimiques en


Syrie, et le dialogue de fond conséquent sur le programme nucléaire iranien, ainsi
que notre travail sur les questions nord-coréennes, qui ont aussi connu des résultats
positifs. Pourquoi ne pouvons-nous pas utiliser cette expérience à l’avenir pour
relever les défis locaux et mondiaux ?

Quelle pourrait être la base juridique, politique, et économique pour un nouvel ordre
mondial qui permettrait la stabilité et la sécurité, tout en encourageant une saine
concurrence, et en ne permettant pas la formation de nouveaux monopoles qui entravent
le développement ? Il est peu probable que quiconque puisse proposer dès à présent
des solutions absolument exhaustives et prêtes à l’emploi. Nous aurons besoin de
beaucoup de travail et de la participation d’un large éventail de gouvernements,
d’entreprises mondiales, de la société civile, et de plates-formes d’experts telles que
celle-ci.
Cependant, il est évident que les succès et les résultats réels ne sont possibles que
si les participants clés des affaires internationales peuvent se mettre d’accord sur
l’harmonisation des intérêts de base, sur le fait de s’imposer des limites
raisonnables, et de donner l’exemple d’un leadership positif et responsable. Nous
devons identifier clairement où se terminent les actions unilatérales et nous avons
besoin de mettre en œuvre des mécanismes multilatéraux. Et dans le cadre de
l’amélioration de l’efficacité du droit international, nous devons résoudre le dilemme
entre les actions de la communauté internationale visant à assurer la sécurité et les
droits de l’homme, et le principe de la souveraineté nationale et de la non-ingérence
dans les affaires intérieures d’un État, quel qu’il soit.
Ces collisions mêmes conduisent de plus en plus à une interférence extérieure
arbitraire dans des processus internes complexes, et encore et encore, ils
provoquent des conflits dangereux entre les principaux acteurs mondiaux. La
question de la préservation de la souveraineté devient presque primordiale dans le
maintien et le renforcement de la stabilité mondiale.

De toute évidence, discuter des critères de l’utilisation de la force extérieure est


extrêmement difficile. Il est pratiquement impossible de la séparer des intérêts des
nations particulières. Cependant, il est beaucoup plus dangereux de rester dans une
situation où il n’y a pas d’accords qui soient clairs pour tout le monde, et où des
conditions claires pour l’ingérence nécessaire et légale ne sont pas fixées.

J’ajouterais que les relations internationales doivent être basées sur le droit
international, qui lui-même doit reposer sur des principes moraux tels que la justice,
l’égalité et la vérité. Peut-être le plus important est-il le respect de ses partenaires et
de leurs intérêts. C’est une formule évidente, mais le fait de la respecter, tout
simplement, pourrait changer radicalement la situation mondiale.

Je suis certain qu’avec une volonté réelle, nous pouvons restaurer l’efficacité du
système international et des institutions régionales. Nous n’avons même pas besoin
de reconstruire quelque chose de nouveau, à partir de zéro ; ce n’est pas une « terre
vierge », d’autant plus que les institutions créées après la Seconde Guerre mondiale
sont relativement universelles et peuvent être dotées d’un contenu moderne et
adéquat pour gérer la situation actuelle.

Cela est vrai quant à l’amélioration du travail de l’ONU, dont le rôle central est
irremplaçable, ainsi que celui de l’OSCE, qui, durant 40 ans, a démontré qu’elle était
un mécanisme nécessaire pour assurer la sécurité et la coopération dans la région
euro-atlantique. Je dois dire que même aujourd’hui, en essayant de résoudre la crise
dans le sud-est de l’Ukraine, l’OSCE joue un rôle très positif.

À la lumière des changements fondamentaux dans l’environnement international,


l’augmentation des désordres incontrôlables et des diverses menaces, nous avons
besoin d’un nouveau consensus mondial des forces responsables. Il ne s’agit pas de
conclure certaines transactions locales ou un partage des zones d’influence dans
l’esprit de la diplomatie classique, ni d’assurer la domination globale et complète de
quiconque. Je pense que nous avons besoin d’une nouvelle version de
l’interdépendance. Nous ne devrions pas avoir peur de cela. Au contraire, c’est un
bon instrument pour harmoniser les positions.

Ceci est particulièrement pertinent étant donné le renforcement et la croissance de


certaines régions de la planète, processus qui nécessite objectivement
l’institutionnalisation de ces nouveaux pôles, par la création de puissantes
organisations régionales et l’élaboration de règles pour leur interaction. La
coopération entre ces centres contribuerait sérieusement à la stabilité de la sécurité,
de la politique et de l’économie mondiales. Mais afin d’établir un tel dialogue, nous
devons partir du postulat selon lequel tous les centres régionaux et projets
d’intégration qui se forment autour d’eux doivent avoir les mêmes droits au
développement, afin qu’ils puissent se compléter mutuellement et que personne ne
puisse artificiellement les forcer à entrer en conflit ou en opposition. De telles
actions destructrices briseraient les liens entre les Etats, et les Etats eux-mêmes
seraient soumis à des difficultés extrêmes, voire même à une destruction totale.

Je voudrais vous rappeler les événements de l’année dernière. Nous avions prévenu
nos partenaires américains et européens que les décisions hâtives prises en coulisses, par
exemple, sur l’association de l’Ukraine avec l’UE, étaient emplies de risques graves pour
l’économie. Nous n’avons pas même évoqué les problèmes politiques ; nous n’avons
parlé que de l’économie, en disant que de telles mesures, mises en place sans
arrangements préalables, nuiraient aux intérêts de nombreux autres pays, dont la
Russie – en tant que principal partenaire commercial de l’Ukraine –, et qu’un large
débat sur ces questions était nécessaire. D’ailleurs, à cet égard, je vous rappelle que
par exemple, les négociations sur l’adhésion de la Russie à l’OMC ont duré 19 ans.
Ce fut un travail très difficile, et un certain consensus a finalement été atteint.
Pourquoi est-ce que je soulève cette question ? Parce qu’en mettant en œuvre ce
projet d’association avec l’Ukraine, nos partenaires seraient venus à nous avec leurs
biens et services par la porte arrière, pour ainsi dire, et nous n’avons pas donné notre
accord pour cela, personne ne nous a rien demandé à ce sujet. Nous avons eu des
discussions sur tous les sujets liés à l’association de l’Ukraine avec l’UE, des discussions
persistantes, mais je tiens à souligner que notre action a été menée d’une manière tout à
fait civilisée, en indiquant des problèmes possibles, et en soulignant les raisonnements et
arguments évidents. Mais personne ne voulait nous écouter et personne ne voulait
discuter. Ils nous ont simplement dit : ce ne sont pas vos affaires, point, fin de la
discussion. Au lieu du dialogue global mais – je le souligne – civilisé que nous
proposions, ils en sont venus à un renversement de gouvernement ; ils ont plongé le pays
dans le chaos, dans l’effondrement économique et social, dans une guerre civile avec des
pertes considérables.
Pourquoi ? Quand je demande à mes collègues pourquoi, ils n’ont plus de réponse ;
personne ne dit rien. C’est tout. Tout le monde est désemparé, disant que ça c’est juste
passé comme ça. Ces actions n’auraient pas dû être encouragées – cela ne pouvait pas
fonctionner. Après tout (je me suis déjà exprimé à ce sujet), l’ancien président
ukrainien Viktor Ianoukovitch avait tout signé, il était d’accord avec tout. Pourquoi ont-
ils fait ça ? Dans quel but ? Est-ce là une manière civilisée de résoudre les problèmes
? Apparemment, ceux qui fomentent constamment de nouvelles « révolutions colorées »
se considèrent comme de « brillants artistes » et ne peuvent tout simplement pas
s’arrêter.

Je suis certain que le travail des associations intégrées, la coopération des


structures régionales, doivent être construits sur une base transparente et claire ; le
processus de formation de l’Union économique eurasienne est un bon exemple
d’une telle transparence. Les États qui font partie de ce projet ont informé leurs
partenaires de leurs plans à l’avance, en précisant les paramètres de notre
association et les principes de son travail, qui correspondent pleinement aux règles
de l’Organisation mondiale du commerce.

J’ajouterais que nous aurions également accueilli favorablement l’initiation d’un


dialogue concret entre l’Eurasie et l’Union européenne. D’ailleurs, ils nous ont presque
catégoriquement refusé cela, et il est également difficile d’en comprendre les raisons.
Qu’est-ce qu’il y a de si effrayant à cela ?

Et bien sûr, avec un tel travail conjoint, on pourrait penser que nous devons nous
engager dans un dialogue (j’ai évoqué cela à de nombreuses reprises et j’ai entendu
l’accord de plusieurs de nos partenaires occidentaux, du moins en Europe) sur la
nécessité de créer un espace commun pour la coopération économique et
humanitaire s’étendant depuis l’Atlantique jusqu’à l’océan Pacifique.

Chers collègues,
La Russie a fait son choix. Nos priorités sont d’améliorer encore nos institutions
démocratiques et notre économie ouverte, d’accélérer notre développement interne, en
tenant compte de toutes les tendances modernes positives observées dans le
monde, et en consolidant notre société sur la base des valeurs traditionnelles et du
patriotisme.
Nous avons un agenda pacifique et positif, tourné vers l’intégration. Nous travaillons
activement avec nos collègues de l’Union économique eurasienne, de l’Organisation de
coopération de Shanghai, du BRICS et avec d’autres partenaires. Ce programme vise à
renforcer les liens entre les gouvernements, pas à les fragiliser. Nous ne prévoyons
pas de façonner des blocs ou de participer à un échange de coups.
Les allégations et déclarations selon lesquelles la Russie essaie d’établir une sorte
d’empire, empiétant sur la souveraineté de ses voisins, n’ont aucun fondement. La
Russie n’a pas besoin d’un quelconque rôle spécial ou exclusif dans le monde – je tiens à
le souligner. Tout en respectant les intérêts des autres, nous voulons simplement que nos
propres intérêts soient pris en compte et que notre position soit respectée.
Nous sommes bien conscients du fait que le monde est entré dans une ère de
changements et de transformations globales, dans laquelle nous avons tous besoin d’un
degré particulier de prudence et de la capacité à éviter toutes mesures irréfléchies. Dans
les années suivant la guerre froide, les acteurs politiques mondiaux ont en quelque
sorte perdu ces qualités. Maintenant, nous devons nous les rappeler. Sinon, les espoirs
d’un développement stable et pacifique seront une illusion dangereuse, tandis que la
crise d’aujourd’hui servira simplement de prélude à l’effondrement de l’ordre mondial.
Oui, bien sûr, j’ai déjà souligné que la construction d’un ordre mondial plus stable est
une tâche difficile. Nous parlons d’une tâche longue et difficile. Nous avons réussi à
élaborer des règles pour l’interaction après la Seconde Guerre mondiale, et nous
avons pu parvenir à un accord à Helsinki dans les années 1970. Notre devoir
commun est de résoudre ce défi fondamental à cette nouvelle étape du développement.

Je vous remercie vivement pour votre attention.

Texte original (russe) :http://kremlin.ru/news/46860 Traduction (anglais)


:http://eng.news.kremlin.ru/news/23137
Il me semble intéressant de mettre aussi ici le discours de Vladimir Poutine du 10
février 2007 à Munich :

Madame la chancelière fédérale,


Monsieur Teltschik,
Mesdames,
Messieurs,

Je vous remercie pour cette invitation à participer à une conférence aussi


représentative, qui a réuni hommes politiques, militaires, entrepreneurs et experts de
plus de 40 pays du monde.

Le format de conférence me permet d’éviter les formules de politesse superflues et


de recourir aux clichés diplomatiques aussi agréables à entendre que vides de sens.
Le format de la conférence me permet de dire ce que je pense des problèmes de la
sécurité internationale et, si mes jugements vous semblent inutilement polémiques
ou même imprécis, je vous demande de ne pas m’en vouloir. Ce n’est qu’une
conférence et j’espère que dans deux ou trois minutes Monsieur Teltschik
n’allumera pas la « lampe rouge ».

On sait que les problèmes de la sécurité internationale sont bien plus larges que
ceux de la stabilité militaro-politique. Ces problèmes concernent la stabilité de
l’économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, la sécurité économique et le
développement du dialogue entre les civilisations.

Le caractère universel et indivisible de la sécurité est reflété dans son principe de


base : « la sécurité de chacun signifie la sécurité de tous ». Franklin Roosevelt avait
déclaré au début de la Seconde Guerre mondiale : « Où que la paix soit rompue, c’est
le monde entier qui est menacé ».

Ces paroles restent valables aujourd’hui. D’ailleurs, le sujet de notre conférence en


témoigne : Les Crises globales impliquent une responsabilité globale.

Il y a vingt ans, le monde était divisé sur le plan économique et idéologique et sa


sécurité était assurée par les potentiels stratégiques immenses des deux
superpuissances.

La confrontation globale reléguait les problèmes économiques et sociaux urgents à


la périphérie des relations internationales et de l’agenda mondial. De même que
n’importe quelle guerre, la Guerre froide nous a laissé, pour ainsi dire, des « obus non
explosés ». Je pense aux stéréotypes idéologiques, aux doubles standards et autres
clichés hérités de la mentalité des blocs.

Le monde unipolaire proposé après la Guerre froide ne s’est pas non plus réalisé.

Certes, l’histoire de l’humanité a connu des périodes d’unipolarité et d’aspiration à la


domination mondiale. L’histoire de l’humanité en a vu de toutes sortes.

Qu’est ce qu’un monde unipolaire ? Malgré toutes les tentatives d’embellir ce terme,
il ne signifie en pratique qu’une seule chose : c’est un seul centre de pouvoir, un seul
centre de force et un seul centre de décision.

C’est le monde d’un unique maître, d’un unique souverain. En fin de compte, cela est
fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu’au souverain
lui-même, qui se détruira de l’intérieur.

Bien entendu, cela n’a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c’est, comme
on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les
opinions de la minorité.

A propos, on donne constamment des leçons de démocratie à la Russie. Mais ceux


qui le font ne veulent pas, on ne sait pourquoi, eux-mêmes apprendre.

J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde
contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que,
dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le
souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et
économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne
peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation
contemporaine.

Cependant, tout ce qui se produit actuellement dans le monde – et nous ne faisons


que commencer à discuter à ce sujet – est la conséquence des tentatives pour
implanter cette conception dans les affaires mondiales : la conception du monde
unipolaire.

Quel en est le résultat ?

Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n’ont réglé aucun problème. Bien plus,
elles ont entraîné de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de
tension. Jugez par vous-mêmes : les guerres, les conflits locaux et régionaux n’ont
pas diminué. Monsieur Teltschik l’a mentionné d’une manière très délicate. Les
victimes de ces conflits ne sont pas moins nombreuses, au contraire, elles sont bien
plus nombreuses qu’auparavant.

Nous sommes en présence de l’emploi hypertrophié, sans aucune entrave, de la


force – militaire – dans les affaires internationales, qui plonge le monde dans un
abîme de conflits successifs. Par conséquent, aucun des conflits ne peut être réglé
dans son ensemble. Et leur règlement politique devient également impossible.

Nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes
fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque
tout le système du droit d’un seul Etat, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a
débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines : dans l’économie, la
politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres États. À qui cela
peut-il convenir ?

Dans les affaires internationales, on se heurte de plus en plus souvent au désir de


régler tel ou tel problème en s’inspirant de ce qu’on appelle l’opportunité politique,
fondée sur la conjoncture politique.

Évidemment, cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité, je tiens à
le souligner, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit
international. Évidemment, cette politique est le catalyseur de la course aux
armements.

La domination du facteur force alimente inévitablement l’aspiration de certains pays


à détenir des armes de destruction massive. Qui plus est, on a vu apparaître des
menaces foncièrement nouvelles qui étaient connues auparavant, mais qui
acquièrent aujourd’hui un caractère global, par exemple, le terrorisme.

Je suis certain qu’en ce moment crucial il faut repenser sérieusement l’architecture


globale de la sécurité.

Il faut rechercher un équilibre raisonnable des intérêts de tous les acteurs du


dialogue international. D’autant plus que le « paysage international » change très
rapidement et substantiellement en raison du développement dynamique de toute
une série d’États et de régions.

Mme la chancelière fédérale l’a déjà mentionné. Ainsi, le PIB commun de l’Inde et de
la Chine en parité de pouvoir d’achat dépasse déjà celui des États-Unis. Le PIB des
États du groupe BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – évalué selon le même principe
dépasse le PIB de l’Union européenne tout entière. Selon les experts, ce fossé va
s’élargir dans un avenir prévisible.

Il ne fait pas de doute que le potentiel économique des nouveaux centres de la


croissance mondiale sera inévitablement converti en influence politique, et la
multipolarité se renforcera.

Le rôle de la diplomatie multilatérale s’accroît considérablement dans ce contexte.


L’ouverture, la transparence et la prévisibilité en politique n’ont pas d’alternative
raisonnable et l’emploi de la force doit effectivement être une ultime mesure, de
même que la peine de mort dans les systèmes judiciaires de certains États.

Aujourd’hui, au contraire, nous observons une situation où des pays dans lesquels la
peine de mort est interdite même à l’égard des assassins et d’autres dangereux
criminels participent allégrement à des opérations militaires qu’il est difficile de
considérer comme légitimes et qui provoquent la mort de centaines, voire de milliers
de civils !

Une question se pose en même temps : devons-nous rester impassibles face à


divers conflits intérieurs dans certains pays, aux actions des régimes autoritaires,
des tyrans, à la prolifération des armes de destructions massive ? C’est le fond de la
question posée à la chancelière fédérale par Monsieur Lieberman [1] , notre
vénérable collègue. Ai-je bien compris votre question (dit-il en s’adressant à Joseph
Lieberman) ? Bien entendu, c’est une question importante ! Pouvons-nous assister
impassiblement à ce qui se produit ? J’essaierai de répondre à votre question. Bien
entendu, nous ne devons pas rester impassibles. Bien sûr que non.

Mais avons-nous les moyens de faire face à ces menaces ? Oui, nous les avons. Il
suffit de se rappeler l’histoire récente. Le passage à la démocratie n’a-t-il pas été
pacifique dans notre pays ? Le régime soviétique a subi une transformation
pacifique, malgré la grande quantité d’armes, y compris nucléaires, dont il disposait !
Pourquoi donc faut-il bombarder et pilonner aujourd’hui à tout bout de champ ?
Manquerions-nous de culture politique, de respect pour les valeurs démocratiques et
le droit, en l’absence d’une menace d’extermination réciproque ?

Je suis certain que la Charte des Nations unies est l’unique mécanisme d’adoption
de décisions sur l’emploi de la force en tant que dernier recours. Dans cet ordre
d’idées, ou bien je n’ai pas compris ce qui vient d’être déclaré par notre collègue
ministre italien de la Défense [2], ou bien il ne s’est pas exprimé clairement. En tout
cas, j’ai entendu ce qui suit : l’usage de la force ne peut être légitime que si cette
décision a été prise par l’OTAN, l’Union européenne ou l’ONU. S’il l’estime
effectivement, alors nos points de vue sont différents. Ou bien j’ai mal entendu.
L’usage de la force n’est légitime que sur la base d’un mandat des Nations unies. Il
ne faut pas substituer l’OTAN et l’Union européenne à l’Organisation des Nations
unies. Lorsque l’ONU réunira réellement les forces de la communauté internationale
qui pourront réagir efficacement aux événements dans certains pays, lorsque nous
nous débarrasserons du mépris du droit international, la situation pourra changer.
Sinon, elle restera dans l’impasse et les lourdes erreurs se multiplieront. Il faut
oeuvrer pour que le droit international soit universel aussi bien dans sa
compréhension que dans l’application de ses normes.

Il ne faut pas oublier qu’en politique, le mode d’action démocratique suppose


nécessairement une discussion et une élaboration minutieuse des décisions.

Mesdames et messieurs !

Le risque potentiel de déstabilisation des relations internationales tient également à


l’absence évidente de progrès dans le domaine du désarmement.

La Russie se prononce pour la reprise du dialogue à ce sujet.

Il est très important d’appliquer les normes juridiques internationales en matière de


désarmement, tout en poursuivant la réduction des armements nucléaires.

Nous avons convenu avec les États-Unis de ramener nos charges nucléaires
équipant les vecteurs stratégiques à 1700 – 2 200 unités d’ici au 31 décembre 2012.
La Russie a l’intention de respecter strictement ses engagements. Nous espérons
que nos partenaires agiront en toute transparence, eux aussi, et ne garderont pas
sous le coude quelques centaines de charges nucléaires pour les « mauvais jours ».
Donc, si le nouveau ministre états-unien de la Défense annonce que les Etats-Unis se
garderont de mettre leurs charges excédentaires en stock, ni de les dissimuler «
sous un coussin » ou « sous une couverture », je vous demanderai de vous lever
pour applaudir ses paroles. Ce serait une déclaration très importante.

La Russie respecte strictement le Traité sur la non-prolifération des armes


nucléaires et le régime multilatéral de contrôle de la technologie des missiles, et elle
a l’intention de les respecter à l’avenir également. Les principes à la base de ces
documents revêtent un caractère universel.
À cette occasion, je tiens à rappeler que dans les années 1980, l’URSS et les États-
Unis ont signé un Traité sur l’élimination des missiles à moyenne et plus courte
portée sans toutefois conférer de caractère universel à ce document.

À l’heure actuelle, toute une série de pays possèdent des missiles de cette classe : la
République populaire démocratique de Corée, la République de Corée, l’Inde, l’Iran, le
Pakistan, l’État d’Israël. De nombreux autres pays sont en train de concevoir ces
systèmes et envisagent d’en doter leurs forces armées. Or, seuls les États-Unis
d’Amérique et la Russie restent fidèles à leur engagement de ne pas construire ces
armes.

Il est clair que dans ces conditions nous sommes obligés de veiller à assurer notre
sécurité.

En même temps, il faut empêcher l’apparition de nouveaux types d’armes de pointe


susceptibles de déstabiliser la situation. Je ne parle pas des mesures visant à
prévenir la confrontation dans de nouveaux milieux, surtout dans l’espace. On sait
que les « guerres des étoles » ne relèvent plus de la fiction, mais de la réalité. Dès le
milieu des années 1980, nos partenaires états-uniens ont réussi à intercepter un de
leurs satellites.

Selon la Russie, la militarisation de l’espace est susceptible d’avoir des


conséquences imprévisibles pour la communauté mondiale, conséquences qui ne
seraient pas moins graves que l’avènement de l’ère nucléaire. C’est pour cela que
nous avons maintes fois lancé des initiatives visant à prévenir le déploiement
d’armes dans l’espace.

Aujourd’hui, je tiens à vous dire que nous avons préparé un projet de Traité sur le
non-déploiement d’armes dans l’espace. D’ici peu, nous l’enverrons à nos
partenaires en qualité de proposition officielle. Je propose de travailler ensemble sur
ce document.

En ce qui concerne les projets prévoyant le déploiement en Europe d’éléments du


système de défense antimissiles, ils ne manquent pas non plus de nous inquiéter.
Qui a besoin d’une nouvelle relance – inévitable en l’occurrence – de la course aux
armements ? Je doute fort que ce soient les Européens.

Aucun des pays dits « à problèmes » ne possède de missiles ayant une portée de
l’ordre de 5 000 à 8 000 kilomètres et susceptibles de menacer l’Europe. Mieux, dans
un avenir prévisible, leur apparition dans ces pays n’est pas envisageable. Je dirais
même plus : une tentative de lancer un missile nord-coréen, par exemple, vers les
États-Unis via l’Europe serait contraire aux lois de la balistique.

Profitant de mon séjour en Allemagne, je tiens à évoquer la crise que traverse le


Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe.

Signé en 1999, ce Traité était adapté à une nouvelle réalité géopolitique : le


démantèlement du bloc de Varsovie. Sept ans se sont écoulés depuis, mais il n’a été
ratifié que par quatre pays, dont la Fédération de Russie.

Les pays de l’OTAN ont ouvertement déclaré qu’ils ne ratifieraient pas le Traité, dont
les dispositions relatives aux limitations dans la zone des « flancs » (déploiement
sur les « flancs » d’un certain nombre de forces armées) tant que la Russie ne
procéderait pas au retrait de ses bases de la Géorgie et de la Moldavie. Le retrait de
nos troupes de la Géorgie est en cours et ce, à un rythme accéléré. Tout le monde
sait que nous avons déjà réglé ces problèmes avec nos collègues géorgiens. Quant
à la Moldavie, on y trouve pour le moment une formation de 1 500 militaires chargés
de maintenir la paix et de protéger les entrepôts de munitions qui y subsistent
depuis l’époque soviétique. Nous discutons en permanence de cette question avec
Monsieur Solana : il connaît bien notre position. Nous sommes prêts à aller plus loin
dans cette direction.

Mais que se passe-t-il pendant ce temps-là ? Eh bien, on voit apparaître en Bulgarie


et en Roumanie des « bases états-uniennes légères avancées » de 5 000 militaires
chacune. Il se trouve que l’OTAN rapproche ses forces avancées de nos frontières,
tandis que nous – qui respectons strictement le Traité – ne réagissons pas à ces
démarches.

Il est évident, je pense, que l’élargissement de l’OTAN n’a rien à voir avec la
modernisation de l’alliance, ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est un
facteur représentant une provocation sérieuse et abaissant le niveau de la confiance
mutuelle. Nous sommes légitimement en droit de demander ouvertement contre qui
cet élargissement est opéré. Que sont devenues les assurances données par nos
partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces
assurances ? On l’a oublié. Néanmoins, je me permettrai de rappeler aux personnes
présentes dans cette salle ce qui a été dit. Je tiens à citer des paroles tirées du
discours de M. Werner, alors Secrétaire général de l’OTAN, prononcé à Bruxelles le
17 mai 1990 : « Que nous soyons prêts à ne pas déployer les troupes de l’OTAN à
l’extérieur du territoire de la RFA, cela donne à l’Union soviétique des garanties sûres
de sécurité ». Où sont aujourd’hui ces garanties ?
Les blocs de béton et les pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des
souvenirs. Mais il ne faut pas oublier que sa chute est devenue possible notamment
grâce au choix historique de notre peuple – le peuple de Russie – en faveur de la
démocratie et de la liberté, de l’ouverture et du partenariat sincère avec tous les
membres de la grande famille européenne.

Or, maintenant, on s’efforce de nous imposer de nouvelles lignes de démarcation et


de nouveaux murs. Même s’ils sont virtuels, ils ne manquent pas de diviser, de
compartimenter notre continent. Faudra-t-il à nouveau des années et des décennies,
une succession de plusieurs générations de responsables politiques pour
démanteler ces murs ?

Mesdames, Messieurs !

Nous préconisons le renforcement du régime de non-prolifération. L’actuelle base


juridique internationale permet de mettre au point des technologies de production de
combustible nucléaire pour l’utiliser ensuite à des fins pacifiques. Et bon nombre
d’États veulent, à juste titre, développer leur propre nucléaire civil en tant que base
de leur indépendance énergétique. En même temps, nous comprenons que ces
technologies peuvent se transformer rapidement en know-how pour la production de
matériaux nucléaires militaires.

Cela suscite une grave tension internationale. La situation autour du programme


nucléaire iranien en est un exemple éclatant. Si la communauté internationale
n’élabore pas de solution raisonnable à ce conflit d’intérêts, le monde sera ébranlé, à
l’avenir également, par ce genre de crises déstabilisatrices, car l’Iran n’est pas
l’unique pays du seuil, et nous ne le savons que trop, nous et vous. Aussi, nous
serons en permanence confrontés à la menace de prolifération des armes de
destruction massive (ADM).

L’année dernière, la Russie a proposé de créer des centres d’enrichissement


d’uranium multinationaux. Nous acceptons que de tels centres se créent non
seulement en Russie, mais aussi dans d’autres pays où le nucléaire civil se
développe sur une base légale. Les États cherchant à développer leur nucléaire civil
pourraient recevoir du combustible, en participant directement au travail de ces
centres, évidemment, sous le contrôle rigoureux de l’Agence internationale de
l’énergie atomique (AIEA).

Or, les dernières initiatives du président des États-Unis, George W. Bush, sont à
l’unisson de cette initiative russe. Je pense que la Russie et les États-Unis sont
objectivement et également intéressés au durcissement du régime de non-
prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Et ce sont
justement nos deux pays, leaders pour leur potentiel nucléaire et balistique, qui
doivent, eux aussi, devenir leaders de la mise au point de nouvelles mesures plus
rigoureuses en matière de non-prolifération. La Russie est prête à effectuer un tel
travail. Nous menons des consultations avec nos amis états-uniens.

Somme toute, il doit y être question de la mise en place de tout un système de


leviers politiques et de stimulants économiques qui n’incitent pas les États à créer
leurs propres capacités en matière de cycle du combustible nucléaire, mais leur
permettent de développer leur nucléaire civil, en renforçant ainsi leur potentiel
énergétique.

À cette occasion, je tiens à parler plus en détail de la coopération énergétique


internationale. Mme la chancelière fédérale en a parlé, elle aussi, bien que
brièvement. Dans la sphère énergétique, la Russie s’oriente vers l’élaboration de
principes de marché et de conditions transparentes qui soient les mêmes pour tous.
Il est évident que le prix des hydrocarbures doit être établi par le marché et ne doit
pas faire l’objet de spéculations politiques ni de pressions ou de chantages
économiques.

Nous sommes ouverts à la coopération. Des compagnies étrangères participent à


nos plus grands projets économiques. Selon différentes évaluations, jusqu’à 26% de
l’extraction de pétrole en Russie reviennent – réfléchissez bien à ce chiffre – jusqu’à
26% de l’extraction de pétrole en Russie reviennent au capital étranger. Essayez
donc de me citer un exemple de présence aussi large du business russe dans les
branches clés de l’économie des États d’Occident. Il n’y en a pas !

Je tiens aussi à rappeler la proportion d’investissements arrivant en Russie et


partant de Russie vers d’autres pays du monde. Ce rapport est à peu près de quinze
pour un. Voilà un exemple éclatant de l’ouverture et de la stabilité de l’économie
russe.

La sécurité économique est une sphère où tous doivent s’en tenir à des principes
uniques. Nous sommes prêts à une concurrence loyale.

L’économie russe a de plus en plus de possibilités pour cela. Cette dynamique est
objectivement évaluée par des experts et nos partenaires étrangers. Récemment, par
exemple, la Russie a été mieux notée au sein de l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) : notre pays est passé notamment du groupe à
risque 4 au groupe 3. Profitant de l’occasion, ici, aujourd’hui à Munich, je voudrais
remercier tout particulièrement nos collègues allemands de leur concours à
l’adoption de la décision évoquée.

Continuons. Comme vous le savez, le processus d’adhésion de la Russie à


l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) est entré dans sa phase finale. Je
rappellerai qu’au cours des négociations longues et difficiles, nous avons plus d’une
fois entendu des paroles sur la liberté d’expression, la liberté de commerce et des
possibilités égales, mais seulement quand il s’agissait du marché russe.

Et encore un thème très important qui influe directement sur la sécurité globale. On
parle beaucoup aujourd’hui de la lutte contre la pauvreté. Mais qu’est-ce qui se
produit en réalité ? D’une part, des ressources financières – et souvent importantes
– sont allouées à des programmes d’assistance aux pays les plus pauvres. Quoi
qu’il en soit, et beaucoup le savent ici également, il n’est pas rare que les
compagnies des pays donateurs eux-mêmes « les utilisent ». D’autre part,
l’agriculture dans les pays industrialisés est toujours subventionnée, alors que
l’accès des hautes technologies est limité pour d’autres.

Appelons donc les choses par leurs noms : il s’avère qu’une main distribue les «
aides caritatives », alors que l’autre entretient l’arriération économique, mais récolte
aussi des bénéfices. La tension sociale surgissant dans de telles régions
dépressives se traduit inévitablement par la croissance du radicalisme et de
l’extrémisme, tout en alimentant le terrorisme et les conflits locaux. Et si tout cela se
produit de surcroît, par exemple, au Proche-Orient dans le contexte d’une vision
aggravée du monde extérieur, en tant que monde injuste, une déstabilisation globale
risque de se produire.

Il va sans dire que les principales puissances mondiales doivent voir cette menace
et organiser, par conséquent, un système plus démocratique et plus équitable de
rapports économiques qui donne à tous une chance et une possibilité de
développement.

Intervenant à une conférence sur la sécurité, on ne peut pas, non plus, Mesdames et
Messieurs, passer sous silence l’activité de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE). L’OSCE a été créée pour examiner tous les aspects,
je tiens à le souligner, tous les aspects de la sécurité, qu’il s’agisse des aspects
politico-militaires, économiques ou humanitaires et ce, dans leurs rapports
réciproques.

Mais que voyons-nous aujourd’hui en réalité ? Nous voyons que cet équilibre est
manifestement perturbé. On essaie de transformer l’OSCE en instrument vulgaire au
service des intérêts politiques extérieurs d’un seul pays ou d’un groupe de pays à
l’égard d’autres États. Et c’est pour cette tâche, que l’on a aussi « monté de toutes
pièces » l’appareil bureaucratique de l’OSCE qui n’est nullement lié aux États
fondateurs. On a « monté de toutes pièces » pour cette tâche également les
procédures d’adoption des décisions et d’utilisation des fameuses « organisations
non gouvernementales (ONG) ». Formellement, il s’agit effectivement
d’organisations indépendantes, mais financées rationnellement et, par conséquent,
contrôlées.

Conformément aux documents fondateurs, dans la sphère humanitaire, l’OSCE est


appelée à accorder aux pays membres, à leur demande, un concours en matière de
respect des normes internationales dans le domaine des droits de l’homme. C’est
une importante mission. Nous la soutenons. Mais cela ne signifie pas qu’on peut
s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays et encore moins tenter de leur
dicter la manière dont ils doivent vivre et se développer.

Il est parfaitement évident qu’une telle ingérence ne contribue pas du tout à la


maturation d’Etats authentiquement démocratiques. Par contre, elle les rend
dépendants, avec comme conséquence l’instabilité sur les plans économique et
politique.

Nous espérons que l’OSCE se guidera sur ses tâches immédiates et organisera ses
relations avec des États souverains sur la base du respect, de la confiance et de la
transparence.

Mesdames, Messieurs !

En conclusion, je voudrais retenir ceci. Nous entendons très souvent – et je les


entends personnellement – les appels de nos partenaires, y compris nos partenaires
européens, exhortant la Russie à jouer un rôle de plus en plus actif dans les affaires
internationales.

Je me permettrai à cette occasion une petite remarque. Nous n’avons pas besoin
d’être éperonnés ou stimulés. La Russie a une histoire millénaire, et pratiquement
elle a toujours eu le privilège de pratiquer une politique extérieure indépendante.

Nous n’avons pas l’intention aujourd’hui non plus de faillir à cette tradition. En même
temps, nous voyons que le monde a changé et nous évaluons avec réalisme nos
propres possibilités et notre propre potentiel. Et évidemment nous voudrions aussi
avoir affaire à des partenaires sérieux et tout aussi indépendants avec lesquels nous
pourrions travailler à l’édification d’un monde plus démocratique et plus équitable,
tout en y garantissant la sécurité et la prospérité non seulement des élites, mais de
tous.

Je vous remercie de votre attention.

Vladimir Poutine

[1] Favorable à une action militaire contre l’Iran, le sénateur Joseph Lieberman est le
leader des faucons de la gauche états-unienne. Il se situe dans la ligne du très anti-
russe Henry « Scoop » Jackson, figure tutélaire des néoconservateurs. NDLR.

Vous aimerez peut-être aussi