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L'univers

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loic Muzy et Josselin Grange
Les Lames du Cardinal est un univers créé par Pierre Pevel

Crédits
Directeur de publication : Sebastien Moricard
Capitaine de projet : Philippe Auribeau
Textes : Philippe Auribeau, Samuel Bidal, Camille Guirou, Jérôme Isnard
Relecture : Clémence Boyer
Plans : Josselin Grange, Olivier SanFilippo, Gilles Widmer

Graphisme &I llustrations


Direction artistique : Sebastien Moricard
Illustrations : Johann Blais, Josselin Grange, Loïc Muzy, Gilles Widmer
Charte graphique, mise en page et icônes : Josselin Grange

Remerciements
L'équipe de création tient à remercier chaleureusement Pierre Pevel pour lui avoir confié les clés de l'univers des Lames.

Les Romans
Les Lames du Cardinal est un cycle constitué de trois romans
(Les Lames du Cardinal, L’Alchimiste des Ombres et Le Dragon des Arcanes)
écrits par Pierre Pevel et publiés aux Éditions Bragelonne.
Le roman L’Héritage de Richelieu, écrit par Philippe Auribeau et publié aux Éditions Bragelonne,
se déroule dans le même univers dix ans après la fin du premier cycle.

ISBN : 978-2-38024-045-0 (version numérique : 978-2-38024-049-8)


Publié pour la première fois en France en 2024 par Elder Craft
©Elder Craft / Les Lames du Cardinal – Tous droits réservés
Peut contenir des traces de fruits à coque.
Suivi de fabrication centSucres. Achevé d'imprimer en Chine par Imago group France.
Dépôt légal : Mars 2024
ELDER CRAFT – Elder-craft.com

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Table des matières
INTRODUCTION8 AILLEURS, LOIN DES LAMES… 128
Quinze ans plus tard… 8 L’Empire ottoman 128
L’Afrique128
LE MONDE… DES DRAGONS 10 Les Amériques 129
Mythes fondateurs : règne et déclin des dragons 10 L’Asie130
Histoire récente et situation 11
Écologie draconique & créatures 12 LA FRANCE… DE LOUIS XIV  134
Les sang-mêlé 28 Aux frontières de la France 135
Sociétés et plans draconiques 29 De la mort de Louis XIII à la Fronde 135
Races draconiques méconnues 30 La Fronde (1648–1653) 136
Des artefacts draconiques 36 Hauts lieux de France 139
Vivre en France 142
LA GARRA NEGRA, LA GRIFFE NOIRE 38
La Première Loge 39 LE PARIS… DES LAMES 162
Au long des rues, au bord du fleuve 164
LA LOGE DES ARCANES 46 Un jour à Paris 167
La reformation des Arcanes 46 Marchands, échoppes et corporations 167
Les nouveaux Arcanes 47 Arts, lettres et distractions 171
Paroisses et hôpitaux 176
LA CONJURATION DES SILENCIEUX 64 Malheurs et miracles 181
Naissance et chute des Silencieux, une décennie Au nom du roi 183
de complots 64 Alliés & ennemis des Lames 194
Chez les Lames 202
LA MAGIE DRACONIQUE 84
Sortilèges et rituels 84 CHRONOLOGIE DE L’ÉPOQUE
Les différents sorciers 85 DES LAMES 216
Les vingt-deux arcanes du Tarot des Ombres 86 L’année 1644216
Divination et prescience draconique 88 L’année 1645217
Alchimie draconique 88 L’année 1646218
Grimoires draconiques 88 L’année 1647219
Sphères d’Âmes 88 L’année 1648220
Sang, feu et os de dragon 89 L’année 1649224
Jusquiame dorée 90 L’année 1650227
Draconite91 L’année 1651229
Miroirs de vision 92 L’année 1652232
Des réseaux de contrebande draconiques 92 L’année 1653237
La ranse 95 Noms et prénoms les plus répandus dans la France
des Lames 238
L’EUROPE… DE MAZARIN 100
L’Europe100 ARCANES MAJEURS 240
L’Espagne103
Les Provinces-Unies 109 INDEX252
La péninsule italienne 111
Le grand-duché de Lorraine 115
Le Saint Empire romain germanique 120
L’Angleterre et les îles britanniques 122
Le royaume de Suède 125

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais

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Introduction
Quinze ans plus tard…
sacré. Et puis, la situation de la France n’incitait pas
à l’optimisme. Le peuple grondant et raillant sous
ses fenêtres. Les Grands redevenus velléitaires. Et lui,
Dans un bureau du Palais-Cardinal que nous Mazarin, l’Italien, l’étranger qui ne recueille les faveurs
connaissons bien, près d’une table à coins de vermeil ni de l’un ni des autres. Et dans son dos, le spectre
chargée de papiers et de livres, un homme est assis. de Concini qui ricane.
Cet homme, c’est Mazarin. Fou que tu es. Ils prendront ta vie comme ils ont
Derrière lui, une vaste cheminée rouge de feu pris la mienne.
éclaire le vêtement magnifique de ce penseur absor- Reformer les Lames.
bé. Le visage grave, que la lumière d’un candélabre Voilà quelques mois que Mazarin prépare en secret ce
d’argent ne parvient pas à débarrasser de ses ombres, projet insensé suggéré par Richelieu. Ceux qui avaient
l’homme interrompt sa lecture pour poser les yeux sur servi ne sont plus légion. La Fargue, parti. Marciac,
un dragonnet pourpre, endormi près du sous-main brisé. Agnès, religieuse. Leprat, Ballardieu, Almadès,
en maroquin. Petit-Ami, ainsi nommé, avait été tombés. Laincourt, réfugié en ses terres de Lorraine.
le fidèle témoin des entrevues du cardinal de Richelieu Ne reste que le recours à des figures du passé. Des
au sein de son office. À présent, de Richelieu éclats de lumière affadis par les ans. Mais a-t-il
ne subsiste qu’une ombre, un souvenir prégnant le choix ?
qui lèche parfois les murs à la faveur d’un courant La porte s’est refermée, mais en tendant l’oreille, on
d’air. L’homme, immobile, songe à ce qu’avait été pourrait presque entendre des pas qui s’éloignent dans
la vie de son prédécesseur. Des années passées au service les couloirs du palais.
de la France, de Louis le Treizième. Des décennies Un bref sourire s’esquisse au coin des lèvres
de batailles et de luttes sans merci, contre l’Anglais, de Mazarin.
le protestant. Contre l’Espagnol. L’Espagne, avant tout, Les nouvelles Lames, il en est persuadé, lui rendront
et sa Cour des Dragons, prompts à ourdir de sombres bien des services. Peut-être plus tôt que prévu.
complots visant à faire vaciller le trône de France. Des Mazarin déplie devant lui une liasse de feuillets qui
années à tâcher de conserver une longueur d’avance sur craquent légèrement. Tiré de sa torpeur par un bruit
la Griffe noire, la sombre organisation draconique qui, familier, Petit-Ami ouvre un œil d’émeraude sur
il y a de cela quinze ans, était allée jusqu’à précipiter la simarre rouge qu’il croit encore être celle de son
un immense dragon sur le peuple de Paris. maître. Mais ce chapitre est clos. Un nouvel acte
Maintes fois, Richelieu lui avait conté cette histoire, s’annonce.
entre deux séances de travail où, à la lumière des bou- Mazarin commence la lecture du premier feuillet.
gies, leurs yeux s’abîmaient sur d’antiques parchemins « Le monde… des dragons. »
arrachés aux dragons. Richelieu aimait à insister sur
le rôle prépondérant qu’avaient joué les Lames du
Cardinal, ce groupe hétéroclite constitué de quelques
espions-escrimeurs d’élite dont il revendiquait
la fondation. Lui-même n’ignorait rien des exploits du
capitaine La Fargue et de ses hommes. Et encore moins
de ceux d’Agnès, baronne de Vaudreuil, devenue depuis
mère supérieure des Louves de Saint-Georges, qui
était parvenue à vaincre l’Archéen, le titan cracheur
de feu. Les Lames avaient payé le prix fort et, tandis
que le peuple de Paris pansait encore ses blessures,
la troupe s’était disloquée. Seul Saint-Lucq, sang-mêlé
inquiétant et inaccessible, était demeuré jusqu’au bout
aux côtés du cardinal, qu’il veillait encore lorsque ce
dernier avait rendu son dernier soupir.
Mazarin oriente sous les pleurs d’une bougie la feuille
de parchemin où s’étalent des caractères fins et ser-
rés. D’une écriture nerveuse mais dominée, les derniers
conseils de Richelieu à son attention. D’abord sceptique,
il avait nonobstant suivi les directives du grand homme,
comme si ces dernières volontés revêtaient un caractère

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Le jeu de rôle Les Lames du Cardinal n’existerait pas sans Mes chères Lames,
la trilogie éponyme, laquelle n’aurait jamais vu le jour L’ouvrage que vous tenez entre les mains est entièrement
sans Les Trois Mousquetaires – dont je suis un grand consacré à l’univers des Lames du Cardinal. Ce livre
admirateur depuis ma première lecture. (Est-il nécessaire ne contient, à dessein, aucune information relative aux
de préciser qu’il y en eut bien d’autres ?) mécaniques du jeu de rôle. Il permet une plongée dans
C’est donc avec un plaisir d’auteur, autant que de lecteur, l’univers des Lames, que l’on soit joueur ou simple amateur
que je vois paraître cette nouvelle version des Lames, de l’univers.
le JDR. À mes yeux, d’une certaine manière, elle vient Les informations que vous y trouverez sont bien entendu
prolonger un sillon creusé par Alexandre Dumas et basées sur les romans de Pierre Pevel. Le livre propose
autres, dans la grande tradition du genre de cape et en outre un élargissement, une exploration plus en détail,
d’épée. (Est-il nécessaire de dire que j’adore ce genre ?) de ce que pourrait être le xviie siècle des Lames : une version
Ajoutez à ça mon passé de rôliste, passé quelque peu fantastique d’une époque qui provoque chez nombre d’entre
lointain et nourrissant maintenant une certaine nostal- nous des images merveilleuses, celles héritées des récits
gie. De là une fierté et une persistante incrédulité. Fierté de Dumas, Féval, Rostand et des grands films de cape
de voir l’univers et les personnages que l’on a conçus et d’épée.
inspirer les imaginaires d’autres que soi. Incrédulité que Vous trouverez au fil des pages des informations détaillées
cela arrive : des meneurs et des joueurs vont s’approprier sur les dragons et les créatures draconiques, des éléments
mon univers. (Est-il nécessaire que j’indique que cela sur les sociétés secrètes opposées aux Lames du Cardinal,
continue à me ravir ?) ainsi qu’un panorama du monde uchronique de 1648 :
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de belles et longues le monde, l’Europe, la France et Paris.
parties rognant sur votre temps de sommeil. N’hésitez pas Enfin, des informations sur la vie quotidienne dans
à vous en remettre au travail de Philippe Auribeau, de toute le monde des Lames, ainsi que des détails sur les héros
l’équipe artistique et des gens de chez Elder Craft. Croyez- eux-mêmes, viendront compléter cet ouvrage. Vous trou-
moi, ils ont fait de la très belle ouvrage et, selon la formule verez également, disséminées au fil des pages, des feuilles
consacrée, c’est à présent à vous de jouer. (Est-il nécessaire que de mission envoyées par le cardinal à ses Lames.
je trouve une formule en « Est-il nécessaire » pour conclure ?) Nous vous souhaitons une excellente lecture.

Un jour, toujours. Un jour, toujours.


Pierre Pevel L’équipe de création

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

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Le monde… des dragons
Surgis de la nuit des temps, ils sont avides La présence des dragons remonte bien plus loin que
de pouvoir et décidés à restaurer leur règne la mémoire des hommes. S’il ne fait aucun doute que
absolu. Usant de sorcellerie, ils ont pris apparence durant de longues ères ils régnèrent ouvertement sur
humaine et créé une puissante société secrète, la Griffe la Terre, leur origine même reste inconnue.
noire, qui conspire déjà dans les plus grandes cours Les maîtres de magie considèrent qu’au premier stade
royales d’Europe… de leur évolution se trouvaient les Archéens. Primitifs
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal et violents, ces représentants archaïques de la race
draconique n’étaient rien de plus que des bêtes sauvages
possédant une puissance démesurée. On suppose que

Mythes fondateurs :
sous leur règne, le monde ne devait être que ruines et
désolation.

règne et déclin des


À leur suite vinrent les Dragons Ancestraux, les créatures
les plus intelligentes et les plus évoluées que la Terre ait

dragons
à ce jour portées. Évolution probable de la descendance
d’un ou plusieurs Archéens, leur nombre, quoiqu’in-
connu, fut sûrement très restreint. Néanmoins, leur
formidable intelligence et la puissance héritée de leurs
Certes, personne n’ignorait que les dragons ascendants leur permirent de s’affirmer comme
existaient, qu’il en avait toujours été ainsi, que les maîtres incontestés du monde.
la forme humaine leur était devenue naturelle et qu’ils De très anciens grimoires draconiques avancent à de-
vivaient parmi les hommes depuis des siècles. mi-mot que les Dragons Ancestraux sont à l’origine
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal de la disparition progressive des Archéens, et qu’une fois
leurs aînés maîtrisés, ils purent longuement régner, aux
côtés de leur descendance, sur des empires aussi vastes
que des continents.
Sous leur égide, les êtres vivants, naguère soumis aux
flammes chaotiques et destructrices des Archéens,
purent enfin jouir d’une période de développement
et de prospérité, tout en restant entièrement placés
sous le contrôle impérieux des dragons. Cet âge fut
pour la Terre une ère d’opulence sans égale, qui vit
la réalisation de grandes avancées ainsi que la naissance
des dracs, dragonnets et autres créatures draconiques.
Cependant, grisés par leur incommensurable puissance,
les Dragons Ancestraux ne prirent que trop tardivement
conscience de leur propre déclin. Alors que toutes
les autres races vivaient, se multipliaient et prospéraient,
les dragons déclinaient en puissance, mais aussi et
surtout en nombre.
Débuta alors un âge d’expérimentation, durant lequel
ils dévoyèrent toutes leurs connaissances et aptitudes
magiques pour tenter de s’ouvrir une porte vers leur
propre survie. Leur belle unité vola en éclats. Les dragons
se retournèrent les uns contre les autres et un nouvel âge
de chaos s’installa sur le monde. Cette ère fut marquée
par de terribles destructions, le réveil de quelques
Archéens, mais aussi par l’émergence de la toute nouvelle
race humaine.
Le développement frénétique des hommes, premières
créatures vivantes libres et autonomes apparues sous
leur règne, aurait dû être perçu comme une menace
par les dragons et par conséquent amener à une rapide

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éradication. Il n’en fut rien. Enferrés dans leurs guerres Dieux et dragons
fratricides et obnubilés par la recherche de solutions Une hypothèse couramment admise parmi les maîtres
à leur disparition, ils n’eurent aucune réaction. de magie est que derrière chaque manifestation divine
L’humanité se fraya une place, parvint à grandir et légendaire se trouverait un dragon. Ainsi, l’ouverture
évoluer. En peu de temps, les civilisations humaines de la mer Rouge devant les Hébreux, la scission
prirent une ampleur telle que les dragons n’eurent de la Lune par Mahomet ou le don de l’olivier, par
plus les moyens de les détruire sans payer un lourd la déesse Athéna, à la ville d’Athènes seraient en réalité
tribut, d’autant que l’humanité semblait bénéficier des exploits d’origine draconique.
d’un soutien inattendu, au sein même du règne Il va sans dire que les clergés s’accordent, eux, pour
draconique. Ils durent se résoudre à cohabiter avec réfuter cette hypothèse et excommunier tous ceux qui
ces nouveaux venus. C’est sans doute en ces temps oseraient la soutenir en public. Néanmoins, des ex-
anciens qu’ils apprirent à adopter la forme humaine péditions sont régulièrement financées par de riches
afin de passer inaperçus et de trouver leur place dans mais anonymes mécènes dans le but de retrouver
l’histoire naissante de cette autre race. L’aube de l’hu- des artefacts draconiques anciens ayant pu contribuer
manité en fut profondément marquée. à ces miracles. Certains affirment même que la lance
Sous leur forme draconique primale, les Archéens de Longinus, qui serait entièrement constituée de dra-
constituèrent de redoutables adversaires pour les héros conite, ou que la kunée, le casque de Persée qui rend
humains. L’histoire les connaît sous les noms de Ladon, invisible son porteur, auraient été retrouvées. La lance
Fafnir, la Tarasque de Tarascon, la Gargouille de Rouen serait d’ailleurs gardée précieusement dans la Sainte-
ou le Graülich de Metz. Leurs bourreaux furent Chapelle de Vincennes, par un ordre d’élite.
Héraclès, Siegfried, sainte Marthe, saint Romain
ou saint Clément.

Histoire récente
Les Dragons Ancestraux qui prirent forme humaine
furent aussi de formidables meneurs, qui parvinrent

et situation
à bâtir des empires mythiques tels que l’Atlantide,
Avalon ou l’Hyperborée. Mais les hommes rêvaient
de liberté et leur joug fut à chaque fois brisé, entraînant
la chute et la disparition de ces grandes civilisations.
En réalité, l’influence draconique était plus prégnante La puissance et le nombre des descendants des Dragons
et durable lorsque les dragons faisaient le choix Ancestraux n’ont cessé de décroître au fil des siècles. Leur
de demeurer cachés. Ainsi, de nombreux maîtres emprise totale sur le monde, basée à l’origine sur leur
de magie avancent que le Python protégeant l’Oracle complète coopération et leur supériorité physique et
de Delphes, le dieu égyptien à tête de serpent Apophis magique, se mua en ascendant politique local plus
ou même le Grand Dragon lui-même, Satan, étaient subtil. Peu à peu, au fur et à mesure de leur désunion
en réalité des Dragons Ancestraux, qui opérèrent telles et de leur intégration à la société humaine, ils furent
des éminences grises auprès des puissants et modelèrent absorbés. Leurs capacités surpassaient toujours celles
ainsi le monde antique. des hommes, mais leurs attitudes et leurs pulsions
De nombreux siècles plus tard, à l’aube de celui que se rapprochaient constamment de l’exemple humain.
les hommes nomment le xviie, les Dragons Ancestraux Les choses changèrent drastiquement en mars 1493,
ne sont plus. L’histoire elle-même tend à les faire dispa- lorsque Christophe Colomb revint pour la première
raître de ses lignes et chaque jour les repousse un peu fois des Amériques. Il ramenait dans les soutes de ses
plus dans la légende. Les enfants de leurs descendants, navires de l’or et des "Indiens", mais aussi une plante
les Derniers-Nés, sont désormais parfaitement intégrés, devenue extrêmement rare sur le continent européen,
au point que leur forme humaine leur semble souvent la jusquiame dorée. Profondément liée à la magie, cette
plus naturelle que leur forme draconique. Les maîtres dernière permit aux dragons européens de raviver leur
d’hier sont aujourd’hui devenus les égaux des hommes, nature draconique profonde et de retrouver puissance
mais nombreux sont ceux qui rêvent de restaurer et ambition. Grâce à la jusquiame, une nouvelle ère
la puissance ancestrale de leur race. magique s’ouvrit à eux, une ère où les dragons allaient
enfin pouvoir retrouver leur ascendant sur le monde.
Afin de fédérer à nouveau leurs actions et de provoquer
la chute des hommes, les dragons fondèrent de grandes
loges secrètes. La Garra Negra, la Griffe noire, fut
la première d’entre elles. Bientôt, les dragons entre-
prirent de reprendre le contrôle du monde, par la force
ou les voies de l’intrigue et de la politique.

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Écologie draconique
Mes chères Lames,
J’ai besoin que vous vous rendiez
le plus discrètement et rapidement possible
en Espagne. En effet, je souhaite intercepter
une lettre acheminée récemment depuis & créatures
Lima. Elle émane du père Gaspar de Carvajal,
aujourd’hui décédé, et est adressée à ses
maîtres, les dragons de la Griffe noire. Elle LesArchéens
révélerait les détails de la route permettant
d’accéder à l’Eldorado, la mythique contrée Mais ce dragon est un archéen. Une créature
des Amériques regorgeant d’or. Je crains primitive et sauvage, brutale, dont certains sont
qu’il ne s’agisse en réalité pas d’or, mais d’im- parvenus à faire une arme redoutable. Si nul
menses étendues de jusquiame dorée, la plante ne s’y oppose, il détruira Paris et plongera le royaume
magique essentielle aux dragons. Je vous dans une tourmente qui le dévastera. Ce sera
invite à faire preuve d’une extrême diligence la misère, la famine et la guerre.
et d’une efficacité sans pareille pour cette Pierre Pevel, Le Dragon des Arcanes
mission dont la France ne saurait tolérer
l’échec. Je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait Les Archéens sont les représentants les plus anciens
de nous si les dragons parvenaient à prendre et les plus primitifs de la race des dragons. Sauvages,
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

possession d’une source presque infinie bestiaux mais néanmoins dotés d’une intelligence
de jusquiame dorée. instinctive, ils ne cherchent qu’à assouvir leurs dis-
positions violentes et impérieuses. Leur puissance est
Ne me décevez pas. telle qu’un seul d’entre eux mettrait aisément à sac
une capitale européenne, ou viendrait à bout d’armées
d’hommes aguerris. Le passé récent tendrait à confirmer
En ce milieu du xviie siècle, personne n’ignore que qu’en réalité, il est impossible d’infliger des blessures
les dragons existent, qu’ils remontent à la nuit des temps, sérieuses à un Archéen avec des armes usuelles, quelle
que la forme humaine leur est devenue naturelle, et que soit leur puissance. Ils ne semblent vulnérables
qu’ils vivent parmi les hommes depuis des siècles. Mais qu’à la magie et à la draconite, pierre alchimique créée
peu nombreux sont en revanche ceux qui ont conscience dans le but de les vaincre.
du travail secret colossal qu’ils accomplissent, des com- Maîtres de la Terre dans les temps anciens, mais inca-
plots ourdis contre les grandes nations humaines par pables de s’allier ou de se sacrifier pour lutter contre
leurs loges secrètes, et du grand nombre d’hommes qui un ennemi commun, ils furent exécutés les uns après
sont devenus leurs serviteurs. En réalité, peu d’États les autres par leurs descendants. Seuls survécurent ceux
échappent à leur emprise. Dans certains d’entre eux, qui acceptèrent de se soumettre. Réduits en esclavage,
tels que la Suède, ils affirment à présent ouvertement contraints de porter au front des Sphères d’Âmes qui
leur domination. Parfois, seule la France semble encore annihilaient leur volonté et les assujettissaient entiè-
porter les espoirs de survie de l’humanité. rement à leurs nouveaux maîtres, ils furent utilisés

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comme armes ultimes durant la grande guerre fratricide
que se livrèrent les Dragons Ancestraux. Une poignée Saint Georges et le dragon
d’entre eux survécut et fut plongée dans un long et Au début du iiie siècle, suite à un intense tremblement
profond sommeil, oubliée dans des cavernes perdues de terre, une profonde crevasse apparut à proximité
au plus profond de la terre. de la ville de Silène, dans la province romaine
Depuis lors, rares sont les Archéens qui furent de Libye. Les soldats romains qui l’explorèrent y décou-
aperçus. La connaissance permettant de les éveiller vrirent la dépouille parfaitement conservée d’un dragon,
et de les contrôler s’est en effet en grande partie portant au front un magnifique joyau. Le centurion
perdue. Seul l’Hérésiarque couronné, maître sorcier ordonna qu’il fût retiré pour être offert à l’empereur
de la loge des Arcanes, est parvenu à reconstituer ce Dioclétien. Mais à l’instant où le joyau fut saisi,
savoir antique et à l’utiliser pour lancer par deux fois l’Archéen, qui n’était qu’endormi, fut libéré de sa
un Archéen sur Paris. Cependant, son contrôle imparfait servitude. Son réveil plongea la région dans un climat
des rituels provoqua sa défaite et sa mort. de mort et de destruction, jusqu’à ce qu’un soldat
originaire de Cappadoce, Georges de Lydda, l’af-
fronte. Se fiant à des voix mystérieuses qui résonnaient
dans sa tête, il parvint à attirer l’Archéen dans une étroite
gorge. Le dragon, pris au piège entre des falaises trop
proches pour qu’il pût déployer ses ailes titanesques,

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
fut transpercé par la lance du soldat, dont la pointe
était constituée de draconite. Pour récompenser son
courage et sa bravoure, le joyau du dragon fut offert
à Georges de Lydda. Durant des siècles il constitua
l’héritage du saint, précieusement transmis de père
en fils. Cette Sphère d’Âme, vide, serait aujourd’hui
gardée au cœur du mont des Châtelaines, la citadelle
des Sœurs de Saint-Georges.

Les DragonsAncestraux
Les Dragons Ancestraux constituent un groupe de des-
cendants des Archéens, réunis par leur extraordinaire
intelligence, un contrôle plus grand que leurs ancêtres
de leurs pulsions et émotions et, surtout, une ambition
sans limite. Ils s’unirent et ensemble complotèrent contre
leurs parents. Ils mirent au point de nombreuses armes
basées sur la magie, dont une se révéla particulièrement

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redoutable, même pour eux, la draconite. Une fois armés, – l’âme de ce dernier refusant de livrer ses secrets depuis
ils entrèrent en guerre et, grâce à leur capacité à œuvrer sa prison – le sortilège d’infertilité devint irréversible,
ensemble, devinrent aisément les maîtres du monde, condamnant de fait la race draconique à l’extinction.
asservissant toutes les autres créatures de la création, Peu à peu, les Dragons Ancestraux s’éliminèrent entre
réduisant les Archéens en esclavage, anéantissant ceux eux. Le déroulement du conflit leur échappa totalement
qui résistaient. au profit de leurs enfants. Ces derniers, à la puissance
Les Dragons Ancestraux vouaient leur existence au certes plus limitée, étaient désormais bien plus nom-
savoir, et leur ordre social était établi dans le strict respect breux et se révélèrent capables de tenir tête à leurs
de la hiérarchie des connaissances. Leur érudition était géniteurs. Ils parvinrent finalement à conclure cette
si grande qu’au faîte de leur civilisation ils parvinrent longue guerre fratricide en éliminant les derniers Dragons
à créer une vie à leur image, basée sur les attributs propres Ancestraux, entérinant ainsi leur propre prise du pouvoir
à leur race. Ils engendrèrent ainsi l’ensemble des créatures sur le monde.
draconiques, tels les dragonnets, les vyvernes ou les syles,
mais aussi de nombreuses autres aujourd’hui disparues À voix basse, recueilli, paupières baissées, il prononçait
ou tout du moins suffisamment rares pour ne pas être une formule rituelle dans une langue ancienne, crainte et
répertoriées. presque oubliée. Le miroir répondit à l’appel et sa surface
Créateurs de la magie, prescients et physiquement proches se troubla. Comme émergeant d’une couche de mercure
de l’effroyable puissance de leurs ancêtres, ils instaurèrent vivant, parut la tête légèrement translucide d’un dragon
un règne totalitaire durant lequel les autres créatures do- blanc aux yeux rouges.
minées sans pitié n’eurent aucune chance d’évoluer. Leurs — Bonsoir, maître, dit le chevalier de Valombre. Ce soir,
enfants eux-mêmes étaient dévorés dès leur naissance si comme vous l’avez prédit, Les Lames du Cardinal, me-
une vision du futur les révélait porteurs d’une menace, nées par monsieur le capitaine La Fargue et la baronne
même faible ou incertaine. de Vaudreuil, ont définitivement neutralisé Sassh’Krecht
En s’efforçant de maintenir ainsi leur indiscutable supré- en détruisant sa Sphère d’Âme. Ses secrets sont désormais
matie, les Dragons Ancestraux provoquèrent en réalité à jamais perdus. La Malicorne, qui négociait avec lui
leur propre chute. En effet, les dragons autorisés à vivre depuis des décennies, ne sera pas la mère de la nouvelle race
ne possédaient ni l’intelligence ni la vigueur de leurs comme il le lui avait promis, et son amant, l’Hérésiarque
parents et, au fur et à mesure de la disparition des premiers couronné, est désormais coupé du savoir qui lui permit
Dragons Ancestraux, la race draconique s’affaiblit. de maîtriser l’antique magie draconique et d’altérer la
Nombre d’entre d’eux, rongés par la jalousie, l’ambition, fécondité de l’Espagnole.
ou simplement l’envie de rassembler tous les savoirs, déci- — Bien, répondit le dragon. Ce soir est un grand soir
dèrent alors de tirer profit de cette situation. Ils brisèrent pour les Gardiens.
le pacte tacite qui les liait et chacun de son côté commença
à enfanter secrètement sa propre armée. D’immenses
fratries possédant intelligence et force virent le jour, tandis Mes chères Lames,
que leurs géniteurs utilisaient toutes leurs connaissances J’ai besoin que vous vous rendiez rapidement dans
magiques pour les renforcer et masquer leurs capacités une abbaye bénédictine des Alpes, à la suite du
aux maîtres de la prescience. Lorsque cela fut découvert, frère franciscain qui vous a normalement remis
l’alliance qui unissait depuis des siècles les Dragons lui-même cette missive. En effet, je vous sollicite
Ancestraux vola en éclats et une guerre totale embrasa pour l’aider à résoudre une mort inexpliquée qui
le monde draconique. a frappé la congrégation alpine, et que le doyen
La Terre fut une nouvelle fois dévastée. Des continents affirme être un suicide. Je crains qu’il ne s’agisse
furent brisés et séparés. Certains sombrèrent dans en réalité de manigances plus complexes, et
les océans, d’autres apparurent, comme tout droit sortis qu’un funeste secret ne soit dissimulé à notre
du néant. Les dragons se livrèrent à une course folle, regard. Mon maître de magie affirme en effet
dévoyant leur savoir pour créer des armes de plus en plus qu’autrefois cette abbaye, qu’il pensait avoir été
sophistiquées et mortelles, qu’ils employaient aussitôt détruite par les flammes en 1327, aurait abrité
contre leurs propres frères. La plus terrible d’entre elles d’antiques ouvrages draconiques. Je vous invite
fut utilisée par un dragon plus déraisonnable encore que à faire preuve d’une extrême prudence, l’Inquisition
les autres, nommé Sassh’Krecht. Au terme d’un effroyable ayant dépêché un émissaire sur place. De plus,
rituel, il parvint à maudire l’avenir de sa propre race un village drac semble s’être installé au pied du
en réduisant dramatiquement sa fertilité, persuadé piton sur lequel l’abbaye se dresse, et il sera
de pouvoir sauvegarder la sienne propre et repeupler nécessaire de s’assurer que la sécurité des frères
la Terre avec des éléments issus de sa propre lignée. Ses de l’abbaye n’est pas compromise.
plans furent percés à jour et contrecarrés. Il semble qu’il ait
été abattu et tenu captif d’une Sphère d’Âme. Reposant Ne me décevez pas.
sur des connaissances que seul Sassh’Krecht possédait

14
t que
d e nt s e st b ie n plus résiTstranès peu
L’ivoire deaus tres espèces animales.obustesse, et
celui des ux le surpassent en r ciales pour
de matérias meules lorraines spé en faire
il faut de ou le broyer. On peutalchimistes.
l’affûter e très prisée par les
une poudr

Trois ceintures appendiculaires, tel est tous le propre


de la race que l’on nomm e Drac o. Chez ses
représent ants, et uniqu emen t chez eux, les ceint ures
scapulaire et pelvienne sont accom pagné es d’une ceinture
dite métascapulaire. Elle souti ent les ailes des sous-
races volantes – comme les dragons ou les race dragonnets
– et la troisième paire de pattes des sous-syles.s
rampantes – comme les tarasques ou les

Évitez de toucher la
de dragon avec les machinsairdéc
et affamez-vous plutôt que ouvertes,
d’en goûter. Il y a quelque ch © 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
de mauvais en elle, que ose
savants ont pu isoler. Onseum’ls quelques
propos, une fois, qu’elle étaita dit à son
la cinquième humeur des médec d’obâtre –
Une chose est sûre, connueins.
adage : chair de dragonet sen par le vieil
t ranse.

Écailles et griffes sont d’une matière souple


et résistante qui se rigidifie en séchant
ou en vieillissant, se desquame et devient s
tranchante. Les arêtes écailleuses et autre
excroissances cutanées des dragons sont
parfois terriblement incisives.
15
Les Dragons Suzerains L’aura draconique
La prestance des dragons est telle qu’ils possèdent
La puissance et l’aura des Dragons Ancestraux étaient une aura d’autorité qui est naturellement ressentie
telles que leurs héritiers ne pouvaient paraître qu’infé- par tous les êtres vivants se trouvant à proximi-
rieurs. Une fois le dernier de leurs prédécesseurs disparu, té. Néanmoins, pour de nombreuses races, cette aura
les Dragons Suzerains, tels qu’ils se nommèrent, durent est devenue synonyme de terreur, mort, esclavage
gérer leur propre décroissance, mais aussi l’apparition ou destruction, provoquant des réactions de panique
d’une nouvelle race, l’humanité. Ils parvinrent finale- ou de soumission incontrôlables. Elle est parfois assez
ment à s’en accommoder. forte pour provoquer le malaise chez des humains et
Ne pouvant plus régner en maîtres absolus, ils se ré- est ressentie par les dracs comme une onde douloureuse
solurent à vivre en bonne intelligence avec les autres qui résonne au plus profond d’eux.
races. Certes, ils aspiraient toujours à régner plus Afin de s’intégrer aux hommes, les Dragons Suzerains
qu’à servir mais, peu à peu, ils trouvèrent leur place et les Derniers-Nés ont appris à la contrôler et peuvent,
en ce monde nouveau. Ils évoluèrent au fil des siècles et lorsqu’ils sont sous forme humaine, la masquer
des millénaires, et abandonnèrent leur forme draconique ou la projeter à volonté.
dite « supérieure » afin de se fondre au mieux dans Les créatures possédant du sang draconique sont
la race qui était destinée à dominer le monde, celle immunisées aux effets de cette aura, qu’elles continuent
des hommes. Au sein de la société humaine, ils prirent toutefois à ressentir.
parfois directement le pouvoir, mais œuvrèrent bien Dans une moindre mesure, tout être possédant une part
plus souvent en éminences grises, cachés dans l’ombre draconique émet une aura perceptible, reflet de sa
des puissants dont ils influençaient grandement puissance. Cependant, il est souvent nécessaire d’être
les décisions. sensible à la magie pour la percevoir pleinement
Ils cherchèrent longtemps, sans succès, à recouvrer ou comprendre quelle est sa source. Qui plus est, elle est
les connaissances des Dragons Ancestraux, notamment teintée par la personnalité de celui qui la dégage, faisant
pour restaurer leur fertilité. Toutefois, ils ne possédaient ressentir sa malveillance, sa brutalité, sa sauvagerie, mais
pas l’intelligence de leurs ancêtres et, pour eux, la magie aussi, dans de très rares cas, sa bienveillance.
se révéla un outil trop obscur et trop complexe pour
pouvoir être appréhendé dans son ensemble et modifié.
Leur déclin prit fin avec la découverte des Amériques
par Christophe Colomb et le retour de ses caravelles
aux cales gorgées de jusquiame dorée. Leur nombre
s’était alors dramatiquement amenuisé, et leurs ca-
pacités n’étaient plus que l’ombre de celles de leurs
illustres ancêtres. La jusquiame changea leur desti-
née. En consommant cette plante, ils retrouvaient en ef-
fet leur lien profond avec leur nature draconique ainsi
qu’un fragment de leur fertilité perdue. En conséquence,
même si la consommation de cette plante extraordi-
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

naire pouvait se révéler dangereuse, surtout à haute


dose, ils décrétèrent qu’elle sonnait l’heure du réveil
des dragons. Le monde serait bientôt de nouveau leur.
En peu de temps, ils se réorganisèrent et créèrent
de grandes sociétés secrètes afin d’agir de façon efficace
et concertée dans un seul but : plonger le monde dans
un chaos total au sein duquel ils régneraient en maîtres
absolus. Ils pourraient enfin retrouver leur vraie nature.

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Les Derniers-Nés
J’ai tenté de recenser, au cours de mes études,
Les Derniers-Nés sont les dragons nés après les divers stades de la transformation, les consi-
1493. Conçus par des parents gavés de jusquiame dérant comme consécutifs, mais il semblerait que
dorée, ils possèdent de forts instincts draconiques, le dragon ait un contrôle total sur l’ordre dans
tout en étant emprisonnés dans une forme humaine lequel la métamorphose se produit. Il peut ainsi
qu’ils peinent à quitter. Ces jeunes dragons sont pour se contenter, selon son désir, de gagner en taille,
la plupart incapables d’adopter des formes draconiques, en musculature, se pourvoir d’écailles ou se doter
même intermédiaires. de griffes tranchantes, d’yeux reptiliens, d’une queue
Ils sont soumis aux mêmes désirs impérieux et aux ondulante ou d’une gueule aux dents acérées.
mêmes travers que les hommes, ces instincts étant La transformation semble en outre déclencher
de plus exacerbés par leur part draconique. À la froideur un puissant effet mental sur les dragons, qui
et l’impassibilité qui caractérisaient leurs géniteurs, recouvrent alors leurs instincts draconiques
les Derniers-Nés préfèrent la passion générée par primaires, et l’impression de force, de brutalité
la luxure, la rage et la violence, les rapprochant et de sauvagerie qu’ils dégagent est toujours
ainsi bien davantage de leurs ancêtres Archéens que saisissante.
de leurs parents. Il semble évident que le maintien de cette forme
Ils ne possèdent plus la connaissance et la puissance demande énormément de volonté au dragon qui,
des Dragons Ancestraux, mais leur esprit se révèle bien rendu inconscient ou tué, reprendra immédiatement
plus vif et aiguisé que celui de leurs parents, ce qui leur sa forme naturelle, draconique pour les anciens
permet de jouir d’une compréhension plus étendue dragons, humaine pour les Derniers-Nés.
de certains paramètres. Ils parviennent ainsi à appré-
hender des notions oubliées depuis des millénaires.
Ambitieux, capables, prudents, déterminés et, de fait, re-
doutables, les Derniers-Nés agissent cependant en marge
des sociétés secrètes des Dragons Suzerains. S’ils désirent
eux aussi le retour en force du règne draconique, leur Extrait des notes de Pierre Teyssier
objectif premier est de reprendre le contrôle du monde
des mains des hommes, sans toutefois éradiquer ces
civilisations auxquelles ils se sont intégrés et dont leur
côté humain goûte finalement les plaisirs. Ils souhaitent
voir l’humanité verser dans ses extrêmes, et préféreraient
un déchaînement de violence, de luxure et de décadence
au chaos total recherché par les Dragons Suzerains.

Les formes intermédiaires


La métamorphose d’humain à dragon passe par divers
stades hybrides. Il arrive que certaines transforma-
tions involontaires se produisent lorsque le dragon
fait appel à la magie, notamment lors de grands
rituels, mais la majorité du temps elle est désirée et
provoquée. Requérant une vigueur et une énergie peu
communes, infligeant une souffrance insoutenable,
la métamorphose se révèle difficile à accomplir dans
son intégralité pour les Derniers-Nés. Il est néanmoins
possible de l’interrompre à n’importe quel moment,
le dragon adoptant alors une forme intermédiaire
possédant des attributs des deux races.

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Les dragonnets inhabituelles d’écailles ou d’yeux sont particulièrement
appréciées des puissants et négociées à prix d’or.
Des dragonnets authentiquement sauvages peuvent
encore être trouvés dans les régions reculées de l’Europe,
mais ils ont presque disparu de France. Cependant,
certains, perdus, fugueurs ou abandonnés par leurs
maîtres, mènent dans les villes des vies de chats errants,
chassant rats et campagnols ou se nourrissant de rapines
diverses sur les étals de boucherie.

Dragonnets et magie
Membres de la race draconique à part entière,
les dragonnets ont une affinité naturelle avec la ma-
gie. Ils l’utilisent de façon instinctive, possédant par
exemple la capacité de se fondre dans la nuit, de souffler
des flammèches comme un serpent crache son venin,
ou de localiser et retrouver quelqu’un. Certains, par leur
seule présence, dégagent une aura de calme et de sérénité
qui permet à ceux qui les possèdent de se concentrer
plus efficacement.
Les dragons peuvent aussi les utiliser comme espions,
percevant alors le monde en utilisant les organes
sensoriels du dragonnet. Ils peuvent les contrôler
partiellement à distance.
Malgré leur affinité avec la magie, ils n’ont pas hérité
de la résistance des dragons et la draconite n’est pas
C’était un animal superbe, aux écailles noires nécessaire pour les terrasser. Une simple balle de pistolet
et luisantes, qu’un lien intime unissait à sa bien placée peut en effet en venir à bout.
maîtresse. On avait parfois surpris la vicomtesse à lui
parler comme à un complice, un confident, un ami
peut-être. Mais le plus étrange était que le dragonnet
comprenait, une lueur d’intelligence traversant ses
yeux d’or avant que d’un battement d’ailes, le plus
Mes chères Lames,
souvent à la nuit, il ne s’envole vers sa mission.
J’ai besoin que vous retrouviez sans
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal
délai un dragonnet pourpre qui ne vous est pas
inconnu. En effet, Petit-Ami, le dragonnet de feu
Les dragonnets sont la première race intelligente conçue
le cardinal de Richelieu, a disparu la nuit dernière
par les Dragons Ancestraux. Créés comme des animaux
dans d’étranges circonstances. Je crains qu’il n’ait
été capturé par des ennemis de la France. Je vous
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

de compagnie à leur image, ce sont des répliques fidèles


des dragons à plus petite échelle. Depuis des millénaires,
invite à faire preuve d’une extrême dili-
ils s’attachent fidèlement à ceux qui les nourrissent et
gence. Je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait de nous
en prennent soin, mais n’hésitent pas à agresser ceux
si quelqu’un parvenait à accéder aux connaissances
qui les maltraitent. Ils possèdent une forme de lien
de ce dragonnet. Qui sait ce dont il pourrait
empathique avec leurs maîtres, dont ils deviennent au
se souvenir des heures qu’il a passées à somnoler
fil du temps le reflet, adoptant mentalement et physi-
sur le sous-main en maroquin du Cardinal.
quement quelques-uns des traits les plus marquants.
Au xviie siècle, les dragonnets sont également employés
Ne me décevez pas.
comme messagers, se révélant plus rapides et plus vigou-
reux que les pigeons, dont ils sont friands, ou comme
animaux savants par des montreurs de foire. Possédant
une intelligence très vive, quoiqu’animale, ils sur-
prennent souvent par les capacités dont ils font preuve.
Quelques éleveurs se sont lancés dans le commerce
de luxe des dragonnets. Ils effectuent alors une stricte
sélection et les bêtes à pedigree ou jouissant de ca-
ractéristiques physiques remarquables sont proposées
aux plus riches pour une petite fortune. Les couleurs

18
Les vyvernes Les vyvernes blanches, plus puissantes et résistantes
que leurs congénères, sont extrêmement rares, et
À l’origine, les vyvernes furent créées par les dragons presque exclusivement réservées aux Louves de Saint-
comme des montures ailées destinées à leurs serviteurs Georges. Élevées au mont des Châtelaines, il n’est pas
dracs. Désormais en très grande majorité domestiques, rare de pouvoir assister à leur ballet aérien au-dessus
on en trouve quelques spécimens sauvages dans les ré- de la baie durant les séances de dressage conduites par
gions reculées du royaume, disputant les hauts pics les châtelaines.
montagneux aux aigles.
Aussi placides et débonnaires qu’elles puissent paraître,
même domestiquées, même dressées, les vyvernes sont
des créatures carnivores dangereuses, assez fortes pour
arracher un bras d’un coup de gueule, leur long cou
leur permettant d’atteindre n’importe quelle créature
se trouvant autour d’elles.
Au xviie siècle, elles sont presque uniquement uti-
lisées comme montures, et des compagnies de mes-
sagerie se sont installées dans les grandes villes du
royaume. Les dirigeants européens se sont progressive-
ment dotés de troupes de vyverniers, des cavaliers d’élite
au prestige inégalable, capable de faire face à la menace
draconique en plein ciel.

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Les syles Les tarasques
Les syles, ou salamandres, sont le produit d’une expé- Les tarasques sont d’énormes reptiles à carapace. Elles
rience ratée par les Dragons Ancestraux. Originellement possèdent trois paires de très courtes pattes. Lourdes et
prévues pour être les montures terrestres et souterraines lentes, les tarasques font montre d’une force colossale
des dracs, leur agressivité et leur sauvagerie, ainsi que et peuvent aisément renverser un mur par inadvertance
l’émergence de la race équine, les rendirent progressive- ou passer au travers d’une maison d’un pas égal. Aussi
ment inutiles. Cependant, leur capacité de survie était stupides que placides, elles font d’excellentes bêtes
si forte que les plus petites et les plus vives survécurent de trait pouvant sans effort apparent tracter un train
à l’extermination de leur race. Elles proliférèrent alors de trois chariots où sont empilés de nombreux troncs
dans les souterrains profonds et les terrains inhospita- d’arbres élagués ou deux grands chariots chargés
liers, tels des parasites acharnés et affamés. de ballots, de coffres et de meubles. Elles sont également
D’une taille allant du rat au chat, ces salamandres volontiers asservies à des machineries de levage sur
carnivores à la langue bifide et aux griffes tranchantes les chantiers.
sont extrêmement véloces et voraces. L’odeur du sang Deux tarasquiers sont nécessaires pour guider une ta-
les rend folles au point de dévorer leurs congénères rasque, à la fois à la pique et à la voix. Encombrées par
blessés. En groupe, elles peuvent s’enhardir et s’attaquer de lourdes chaînes reliant leurs six pattes au collier
à un homme. Leurs dents, très petites mais acérées qui leur entrave le cou, elles se déplacent au son
comme le morfil d’une dague, leur permettent de dé- d’un cliquetis caractéristique qui résonne jour et nuit
chiqueter les chairs tendres en un temps record. Dotées dans les rues des grandes villes.
d’une agressivité sans limite, elles continuent à mordre, Même si leur force ahurissante semble particulièrement
griffer et déchirer même aux portes de la mort. Quand adaptée aux travaux des champs, on ne les trouve que
la faim se fait sentir, elles attaquent au mépris rarement dans les campagnes. En effet, leur régime
de leur sécurité. alimentaire, basé essentiellement sur la consommation
de charognes si possible en décomposition avancée,
se révèle compliqué à mettre en œuvre pour des paysans.
Salamandres géantes
Dans les profondeurs les plus reculées des marécages,
les dracs élèvent une variété très particulière de syles,
des salamandres géantes. Ces reptiles, plus agressifs
encore que ceux de taille normale, sont utilisés comme
montures de prestige par les saaskir et les combattants
nd pour traverser
Le temps qu’une tarasqueunepretar ue prend
dracs. Néanmoins, ces syles n’acceptent qu’un unique une rue est le temps qu’. Cette asq
con statation,
maître, et celui-ci doit gagner le droit de les monter pour traverser une rue à l’origine de nombreuses
en les vainquant lors d’un combat singulier. Si les saaskir pleine de bon sens, est comme « vif comme
possèdent des sortilèges leur permettant de les séduire expressions parisiennes ant d’esprit
en s’adressant directement à leur esprit fruste, une tarasque », « il a autrarement flatteuses quand
les guerriers dracs doivent quant à eux les terrasser qu’une tarasque ». Déjàun homme, elles revêtent
lors d’un affrontement d’une violence incroyable et elles sont adressées à nt insultant quand elles
dont ils ressortent rarement indemnes. un caractère ouvertemeou un dragon.
D’une fidélité sans faille, liées à leur maître au point se réfèrent à un drac
de comprendre des ordres complexes donnés d’un simple
regard ou grognement, ces montures constituent
des atouts non négligeables et sont tout autant craintes
que leurs cavaliers.
Ces salamandres ressentent instinctivement le trépas
de leur maître et entrent, quand il survient, dans un état
frénétique, exterminant tout ce qui se trouve à leur
portée. Lorsque plus rien ne respire autour d’elles,
elles se retournent contre elles-mêmes. En très peu
de temps, elles parviennent à se déchirer le corps
jusqu’à se vider entièrement de leur sang, et meurent
alors dans une terrible agonie libératrice.

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Les Dracs
Si l’on n’y prend pas garde, il est facile de confondre Les dracs aux écailles noires sont de puissants combat-
un drac avec un homme de grande taille et de forte tants, plus violents et plus impulsifs encore que leurs

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carrure, à la démarche nerveuse et bestiale. Cependant, congénères. Ils forment la force de frappe principale
lorsque les détails de son corps deviennent visibles, de la race drac et sont utilisés comme des mercenaires
la confusion n’est plus possible. Les dracs possèdent un vi- sans conscience par les dragons et les hommes.
sage bouffi dans lequel sont enfoncés des yeux reptiliens Les dracs rouges sont généralement plus minces et
glaciaux aux paupières verticales et membraneuses. Leur élancés que les autres dracs, mais ils sont aussi plus
puissante mâchoire est dotée de crocs jaunâtres, rongés subtils et retors, compensant leur manque de puissance
par l’acidité de leur bave qu’ils crachent volontiers au physique par leur rapidité et leur habileté. Ils sont
visage de leurs adversaires. Leurs mains et pieds sont généralement des meneurs réfléchis, craints et respectés.
munis de quatre doigts aux extrémités griffues. Et, Enfin, les dracs blancs, en réalité blafards, couleur os
comme vous l’aurez deviné, leur corps est recouvert sale, sont des dracs ayant peu à peu perdu leur teinte
d’écailles. originelle suite à la pratique intensive de la magie
La très grande majorité des dracs possède des écailles draconique. Ce sont les saaskir, les prêtres-sorciers,
d’une teinte grisâtre, pouvant varier du noir terne au des dracs nés sous le signe de l’Astrologue en Prière,
beige sale, en passant par l’ardoise. Ce sont les dracs ceux qui possèdent l’autorité naturelle que confèrent
communs, mais qui représentent déjà de redoutables la connaissance et la maîtrise de la magie.
adversaires.

21
Les nuits des dragons Notes sur la gastronomie drac
Les caractéristiques physiques et mentales d’un drac Les dracs se nourrissent principalement de viande, si possible
dépendent de la couleur de ses écailles, qui provient rouge et fraîchement récoltée. Même s’ils entretiennent
en réalité d’un mélange complexe de celles de l’ensemble eux-mêmes une légende qui voudrait qu’ils se nourrissent
de ses ancêtres. des corps de leurs adversaires pour leur voler leur force,
Cependant, concevoir un enfant sous l’influence ils n’aiment ni la viande humaine, ni la viande drac,
d’une intense aura magique permettra de faire ressortir ou alors bouillie dans beaucoup de vin.
les traits marquants de ses ancêtres et d’accroître ainsi ses Les dracs apprécient aussi fortement les préparations,
chances d’être exceptionnel. Afin de renforcer la puis- boissons et sauces concoctées à partir de belle dame,
sance de leurs lignées, les saaskir déterminent donc, par une plante qu’un ami herboriste m’a dit être toxique
de savants calculs, les moments cruciaux où les enfants pour l’homme. De l’aveu même de K’sesh, elle apporterait
devront être conçus. Ces nuits-là, de grands rituels un léger goût se rapprochant de celui de la jusquiame dorée.
orgiaques sont organisés, durant lesquels le vin des dracs Enfin, leur mets préféré est sans conteste le vin
coule à flots. Les dracs se mélangent et s’accouplent des dracs. Il s’agit d’un mélange de vin, d’eau-de-vie et
alors frénétiquement. de jusquiame dorée, véritable trésor dont K’sesh conserve
Il arrive que d’étranges mutations apparaissent chez toujours une fiole dans un coffret ferré et cadenassé. Il s’agit
les dracs ainsi enfantés. Leurs traits draconiques d’une véritable drogue, addictive et irrésistible pour
peuvent s’en voir renforcés, et le drac possédera par les dracs, qui peut même les conduire à s’entretuer pour
exemple des ailes de cuir qu’il pourra utiliser pour voler, les quelques gouttes restant au fond d’une bouteille.
ou une force exceptionnelle. Mais il peut aussi arriver
que des monstres naissent, plus difformes et bestiaux Alejandro Lopez Barro, aide-cuisinier détaché auprès
encore que peuvent l’être les dracs eux-mêmes. Ainsi, de K’sesh, cuisinier du second régiment Irskehn
certains prétendent avoir rencontré des dracs dont
le bas du corps était celui d’un serpent, ou d’autres Lors de la naissance des premières civilisations humaines,
possédant deux têtes. les dracs constituèrent à la fois de redoutables adversaires
et de puissants alliés. Ils furent d’abord combattus
Engendrés par les Dragons Ancestraux afin de servir et repoussés par des hommes désireux de coloniser
d’esclaves, puis utilisés comme des unités combat- de nouveaux territoires. Puis, leur irrépressible attraction
tantes sacrifiables, les dracs sont des créatures fortes pour la violence et le sang les conduisit à participer aux
et endurantes, coléreuses et impulsives, brutales et nombreuses guerres qu’a connues l’humanité, le plus
primaires. Créés pour être des serviteurs, ils portent au souvent en tant que mercenaires, n’hésitant jamais
plus profond d’eux une soumission instinctive et totale à se rallier au plus offrant.
aux dragons qu’ils ne parviennent jamais à réfréner Au xviie siècle, les dracs ont déjà été surpassés en nombre
entièrement. Ce n’est d’ailleurs pas la révolte qui amena et en puissance par les hommes, qui les ont repoussés
les dracs à l’indépendance, mais plutôt une décroissance hors des frontières de leurs États. On ne retrouve
de la puissance draconique et le désintérêt de leurs de vraies communautés dracs que dans quelques
maîtres vis-à-vis de leur race, devenue trop rustre et gros villages subsistant dans les coins les plus reculés
limitée à leur goût. des grandes nations d’Europe, comme les contreforts
Les dracs s’organisent en lignées que les saaskir font des Alpes ou des Carpates. Les dracs restent néanmoins
remonter jusqu’aux dracs originaux, les Grands maîtres des régions marécageuses et tiennent ainsi
Ancêtres, créés par les Dragons Ancestraux. Regroupées la Camargue et le delta de l’Ebre, en Catalogne. Certains
en tribus et en villages, les lignées se tolèrent entre elles, sont aussi ponctuellement parvenus à prendre le dessus
même s’il n’est pas rare qu’elles se livrent de courtes sur des communautés humaines et ont ainsi été capables
mais intenses guerres fratricides pouvant conduire de prendre le contrôle de régions entières.
à la destruction de l’une d’elles. Les mâles et les enfants Depuis quelques décennies, de nombreux dracs sont
de la lignée vaincue sont alors exterminés, tandis que parvenus à se faire accepter par les hommes et se sont
les femelles sont réduites en esclavage et intégrées installés dans les grandes villes comme Paris. Loin
de force dans les rangs des vainqueurs. Seule l’exis- de l’influence des saaskir, ils ont peu à peu perdu toute
tence d’une autorité supérieure crainte, comme celle notion de tribu et se sont alors mélangés sans distinction,
d’un dragon, peut forcer les lignées à mettre de côté remplaçant l’autorité ancestrale de la lignée par celle
les animosités qui les opposent. du chef de bande.

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23
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
Mes chères Lames,
J’ai besoin que vous vous rendiez le plus vite
possible en Camargue. En effet, je souhaite
vous voir mener l’enquête sur la naissance
d’un enfant drac qui fait grand bruit. Je crains
qu’il ne corresponde à la légende du Blafard
et, qu’autour de lui, la race drac ne s’unisse
contre nous. Je vous invite à vous rendre chez
mon maître de magie afin d’en apprendre plus
Les mercenaires dracs sur cette légende drac avant de partir pour
Tout au long de l’histoire humaine, les tribus dracs le sud de la France. Emmenez avec vous votre
constituèrent de redoutables bataillons de merce- meilleur éclaireur afin de pouvoir progresser dans
naires. On les retrouve ainsi au service des pharaons, les marécages, et armez-vous de pied en cap car
au sein de leurs gardes rapprochées, symboles vivants il semble que les dracs de la région soient déjà sur
de la protection du dieu Anubis. D’anciennes gravures le chemin de la guerre.
suggèrent que les cavaliers dimaques d’Alexandre
le Grand étaient en grande majorité des dracs dissimulés Ne me décevez pas.
sous leur armure menés par des capitaines humains. Lors
des invasions barbares, ils furent regroupés en de puis- Pour un drac, la violence est toujours une façon accep-
santes unités montées intégrées aux troupes huns table, sinon la seule, de résoudre un problème, quel
d’Attila, et prirent beaucoup de plaisir à réduire la ci- qu’il soit. Refuser de se battre ou se faire ridiculiser lors
vilisation romaine à néant. Plus récemment, les troupes d’un combat est même pire qu’être vaincu. De simples
irskehns, redoutables compagnies de cavalerie au service querelles peuvent donc rapidement se transformer
de la grande Espagne, composées uniquement de dracs en de véritables combats ne cessant qu’à la mort
noirs aux écailles faciales surlignées de jaune vif, firent de l’un des deux combattants.
des ravages sur les champs de bataille, conjuguant Les jeunes dracs sont continuellement brimés et
les désirs de leurs employeurs et ceux de leurs anciens rabaissés, jusqu’à qu’ils démontrent la force de résister et
maîtres, les dragons de la Griffe noire. se rebellent contre leurs aînés. Ils gagnent alors leur place
au sein du groupe, et sont considérés comme adultes.
Les dracs méprisent les faibles et ce principe est La supériorité physique et la renommée étant les deux
la base fondatrice de leur société. Il n’est pas rare que clés principales de la société drac, un chef se révèle
les bébés jugés trop chétifs soient abandonnés en pleine à la force de ses poings, et ne se maintient en place
nature afin de ne pas affaiblir la tribu. Ces enfants qu’en écrasant ceux qui lui tiennent tête. Seul le respect
sont alors voués à une mort certaine, laissés à la merci des ancêtres et des origines draconiques peut surpasser
des prédateurs. la soumission à la force brute. Ainsi, les saaskir, dé-
tenteurs ancestraux de la magie draconique, forment
Les Fils de Ranse
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

une caste physiquement faible, mais très affirmée dans


La violence est si profondément ancrée dans les gènes la société drac. Naître sous le signe de l’Astrologue
de la société drac qu’un bébé qui, pour naître, se fraie en Prière et survivre est très rare, car ces enfants sont
littéralement de lui-même un chemin au travers de sa aussi faibles physiquement qu’ils seront favorisés magi-
mère, aux dépens de la vie de celle-ci, est considéré quement. Par conséquent, ils sont toujours protégés par
comme béni des dragons. Ces enfants, nommés Fils l’ensemble de leur tribu, et ce dès leurs premiers instants.
de Ranse, se révèlent toujours par la suite de très
puissants guerriers et chefs de guerre. Entre eux, les dracs parlent le dracien, une variante
Alors que chaque lignée drac possède son propre folklore simpliste et directe du draconique. L’ancienne langue
et ses traditions, basées sur les Grands Ancêtres de la tri- magique n’est quant à elle connue que des saaskir, qui
bu, toutes ont en commun une version plus ou moins l’utilisent pour leurs rituels. Cependant, ils n’en com-
élaborée d’une légende, celle du Blafard. La Blafard prennent que vaguement le sens. Leur magie se trans-
sera le saaskir Fils de Ranse, celui qui possédera à la fois mettant oralement de maître à élève, des éléments
l’autorité de la force et de la connaissance, celui qui parasites involontaires se sont peu à peu intercalés,
mènera les dracs à la domination du monde. La rumeur typant au fil du temps les sorts maîtrisés par les li-
dit que même les dragons craindraient sa venue, et gnées. Pour qui sait les interpréter, les effets secondaires
qu’ils exerceraient secrètement un contrôle sur la nais- des sortilèges utilisés par un saaskir peuvent aisément
sance des dracs. indiquer la lignée du lanceur de sort.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
Le conseil des saaskir Quelques noms dracs : R’ishk, Tal’esj, Sh’art, J’iish,
Une fois par décennie, l’ensemble des saaskir se ras- Ak’esh, Co’ish, Akr’esj
semble en un lieu connu d’eux seuls, que la rumeur Dracs des romans : Kh’Shak, Ta’Aresh, Ni’Akt, Sk’ersh
dit se situer au cœur du marais poitevin. Pour toute
la durée de cette réunion exceptionnelle, les intérêts
particuliers des tribus et des lignées sont mis de côté,
et seul est pris en compte l’avenir de la race drac. Il est
alors décidé de l’attitude à adopter vis-à-vis des hommes
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

et des dragons. Les prêtres-sorciers y échangent aussi


des objets de pouvoir et des connaissances magiques.
Les saaskir mènent, de plus, de grands rituels destinés
à apporter la bonne fortune sur leur race et le malheur
sur leurs ennemis. Il se dit que lors du premier conseil
du xviie siècle, les prêtres-sorciers auraient maudit
Henri IV pour avoir permis à Notre-Dame-des-Écailles
de prospérer, permettant ainsi à de nombreux dracs
d’échapper à leur influence. Certains maîtres de magie
avancent même que ce rituel aurait précipité sa mort.
Le cardinal de Richelieu a de nombreuses fois tenté
de localiser le lieu accueillant le conseil des saaskir, mais
ses espions n’ont jamais réussi à mener à bien cette tâche.

26
À l’attention de Son Éminence le cardinal
de Richelieu,

Suite à notre conversation, je vous transmets


un résumé des connaissances qui sont les miennes
sur les femelles dracs.
Celles-ci ressemblent fortement aux mâles, leurs
attributs féminins étant en grande partie masqués
par leur puissante musculature et leur attitude
belliqueuse. Elles possèdent en effet une agressivité
comparable à celle des mâles, mais comptent
généralement une force physique moindre, ce qui
les place en position de soumises au sein de leur
tribu. Constamment réduites à accomplir les tâches
ingrates, elles n’en sont pour autant pas solidaires
et relâchent entre elles leur agressivité lors de brèves
mais intenses altercations, au cours desquelles
certaines peuvent être atrocement mutilées.
La lignée drac se transmettant par la domination
physique de son partenaire au moment de l’accouple-
ment, les femelles capturées lors des affrontements
tribaux sont brisées par la force avant d’être
intégrées au camp des vainqueurs, les plus
récalcitrantes étant simplement égorgées. Elles sont
Le saaskir de Richelieu
Suite aux émeutes qui secouèrent les Écailles lors
ensuite échangées comme des objets sans valeur lors de l’attaque de Paris par l’Archéen en 1633, le peuple
des grands rituels de reproduction organisés par de la capitale fut parcouru par un violent sentiment
les saaskir. de haine contre les dracs. Les nuits qui suivirent furent
Enfin, si certaines d’entre elles parviennent marquées par des représailles sanglantes menées par
néanmoins à s’affranchir, elles se retrouvent de fait une populace enragée. Les Gardes du Cardinal durent
en lutte permanente avec les mâles, et s’endurcissent intervenir promptement pour protéger Notre-Dame-
au point de souvent devenir plus impitoyables que des-Écailles, et la sauvèrent ainsi de la vindicte popu-
ces derniers. Les ddraces, comme on les nomme, laire. Quelques mois plus tard, la présence des dracs
représentent des adversaires dangereuses et vicieuses dans Paris était de nouveau acceptée, et la vie put
qu’il ne faut surtout pas sous-estimer. Capables reprendre son cours.
de tout, et surtout du pire, elles ne font montre Cependant, l’intervention des hommes du Cardinal
d’aucune pitié et haïssent leurs mâles peut-être plus ne fut pas innocente. La nuit suivant l’attaque
encore que les dragons eux-mêmes. de l’Archéen, Richelieu en personne, sous la protec-
Pour mémoire, la tentative espagnole d’intégrer tion de Saint-Lucq, rencontra en secret un saaskir
une poignée de draces à leurs unités d’irskehns des Écailles. Un pacte fut passé. Le Cardinal protégerait
s’est soldée par la disparition sanglante et brutale © 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
l’île et ses habitants. En échange, le prêtre-sorcier lui
d’un bataillon complet. prêterait allégeance et mettrait des dracs et son savoir
Je conseillerais donc vivement à Son Éminence à sa disposition.
de revoir sa position sur une possible intégration Durant les années qui suivirent, ce saaskir fut une source
de femelles dracs dans son contingent d’espions, importante de renseignements et de connaissance, et
leur contrôle et leurs possibilités d’action étant plus les dracs qu’il mit en secret au service du Cardinal se ré-
que questionnables. vélèrent fidèles et efficaces. Mais la mort de Richelieu
rendit le pacte caduc. Le saaskir – dont l’identité n’était
Pierre Teyssier, maître de magie plus connue que de Saint-Lucq – et ses dracs retrou-
vèrent leur liberté. Mais il semblerait qu’une poignée
d’entre eux aient pris goût à cette vie, que leur fidélité
soit désormais acquise à la France, ennemie de leurs
anciens maîtres draconiques, et qu’ils demeurent au
service de la Couronne et du roi. Doit-on réellement
y croire ?

27
Les sang-mêlé Marqué par la nature magique de son géniteur,
un sang-mêlé possède une allure et une prestance
inhumaines. L’aura qu’il dégage est certes plus faible
Un sang-mêlé est un être hybride, un mélange à parts que celle des dragons eux-mêmes, mais elle provoque
égales d’humain et de dragon, fruit des amours rares toujours un effet sur les hommes, que ce soit de la haine
d’un dragon et d’une femme. De nombreuses condi- ou une irrépressible attirance. Les dracs, quant à eux,
tions, magiques ou non, président à sa conception, le craignent tout autant qu’un dragon.
ce qui rend leur nombre extrêmement faible et leur
destinée toujours unique. Il est dit qu’ils échappent
totalement à la prescience draconique, et constituent
ce faisant des éléments chaotiques incontrôlables, Mon ami François Leclerc du Tremblay
pouvant à eux seuls réduire à néant des plans séculaires m’a aujourd’hui présenté l’enfant dont
patiemment exécutés. il m’a tant parlé ces derniers temps, et qui
Leurs mères sont, elles aussi, toujours marquées par fut retrouvé sur le parvis de la cathédrale
le destin et la magie, ce qui les a rendues à même Notre-Dame-de-l’Assomption de Luçon il y a
d’accepter un germe draconique. Cependant, au terme plus d’une quinzaine d’années. Ma cousine,
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des neuf mois de grossesse, et parfois même avant, Thérèse de Vaussambre, qui nous accompagnait,
leur contact prolongé avec l’obâtre dont leur enfant a confirmé ce que ses yeux reptiliens laissaient
est porteur les condamne à développer la grande supposer. Il s’agit bien d’un sang-mêlé. Depuis
ranse. Si l’accouchement ne les tue pas, elles n’y survivent lors élevé dans une masure perdue en forêt, il a
généralement pas très longtemps. Les bébés se voient développé une force, une rapidité et une agilité
par conséquent éduqués par leur père, embrassant hors du commun.
la cause draconique, tout en étant considérés comme Je l’ai racheté à son père adoptif, qui ne cherchait
des monstres par les deux races dont ils sont issus. qu’à s’en débarrasser, et je vais faire venir
De son ascendance draconique, un sang-mêlé les meilleurs précepteurs et maîtres d’armes du
ne conserve que peu de traits physiques. Il possède royaume afin de m’assurer de son bon développe-
un corps athlétiquement supérieur, des sens aiguisés et ment. Correctement éduqué et entraîné, il sera,
généralement des yeux reptiliens (parfois une langue j’en suis sûr, un atout maître lorsque je ferai mon
bifide remplace ce dernier trait). Il hérite cependant retour à Paris.
de la mentalité et de l’esprit des dragons, se montrant,
en règle générale, individualiste, calculateur, orgueil- Armand Jean du Plessis de Richelieu
leux et froid. Luçon, 18 octobre 1611

28
Sociétés et plans Les Sept ne sont en réalité plus que cinq. Conformément

draconiques
aux visions prescientes qui conduisirent à leur alliance,
deux d’entre eux ont déjà dû se sacrifier pour que s’ac-
complisse leur dessein. Le premier offrit sa vie quelques
De nombreuses alliances traversent l’histoire draco- siècles auparavant afin que l’ordre des Châtelaines voie
nique, à commencer par celle constituée par les Dragons le jour. Le second s’est plus récemment joint à la louve
Ancestraux afin de soumettre les Archéens. Elle perdura Agnès de Vaudreuil afin de protéger Paris de l’attaque
jusqu’à la grande guerre draconique qui vit son écla- de l’Archéen des Arcanes. En vérité, sans les Sept et leur
tement et la fin de l’ère des dragons. Cette alliance fut forte mais discrète implication dans l’ordre de Saint-
la plus longue et la plus fructueuse de toutes, mais Georges, le royaume de France serait tombé depuis
de nombreuses autres ont depuis été constituées. longtemps aux mains de la Griffe noire.
En ce milieu de xviie siècle, la Griffe noire reste la plus Les Sept ont rendu d’inestimables services aux hommes
active, depuis sa naissance à la découverte des Amériques, par le passé, et leur destin semble être de continuer
mais dans l’ombre, quelques-unes plus anciennes, à œuvrer pour le rapprochement entre les deux races
ou d’autres plus clandestines, œuvrent activement. dans l’optique d’un avenir commun pacifié. Néanmoins,
le nombre réel d’affiliés aux Gardiens reste du domaine
de la pure conjecture et certains initiés pensent que
L ’alliance des Sept Gardiens les Dragons Ancestraux pourraient en réalité avoir
à leur service une armée d’hommes et de dragons
Ce groupe de Dragons Ancestraux cultive le secret et fidèles et loyaux qu’ils utiliseront le cas échéant à leur
la prudence depuis des millénaires. Née des visions propre profit.
prescientes de l’un d’entre eux durant la grande guerre
draconique, cette alliance des Sept fut créée dans le but
de protéger la race humaine naissante. En effet, ces Sept
ne virent d’avenir pour les dragons que dans la vie avec
les hommes, ou cachés parmi eux. Convaincus que, quoi Mes chères Lames,
qu’ils fassent, le temps de la suprématie draconique J’ai besoin que vous enquêtiez le plus discrètement
totale était révolu, et qu’il serait vain de vouloir le recréer, possible sur l’organisation secrète connue sous
ils agirent pour proposer à leur race un autre avenir. le nom de Gardiens, un groupe hétéroclite au
Les Gardiens sont l’une des raisons principales qui service de dragons se disant bienveillants vis-à-vis
expliquent que le genre humain n’a pas été décimé ni des hommes. Cette organisation semble fortement
asservi, par les dragons. Durant des millénaires, ils ont implantée au sein du royaume, à la manière
œuvré dans l’ombre et veillé sur l’humanité. Ils se sont de la Griffe noire en Espagne. Je crains
efforcés d’éviter une guerre ouverte entre les hommes qu’ils ne soient en réalité plus nombreux et plus
et les dragons, conflit qui n’aurait pas de vainqueur puissants qu’ils ne paraissent, et qu’ils ourdissent
s’il éclatait au grand jour. de sombres machinations à l’encontre
Les Sept sont intelligents et patients, cachent de la France. Je vous invite à tout d’abord
souvent leur jeu et avancent leurs pions en suivant tenter d’identifier une éventuelle infiltration
des plans complexes s’étalant parfois sur plusieurs au sein même de vos Lames. Ensuite, vous vous
siècles. D’une prudence légendaire, ils n’opèrent intéresserez au chevalier de Valombre, en réalité
jamais sans certitude. Les hommes qui ont croisé leur un dragon travaillant pour les Gardiens ayant ré-
chemin se méprennent souvent sur leurs intentions, sidé rue du Chapitre, que vous devrez retrouver
mais les Gardiens ne sont pas leurs ennemis. avant de tenter d’identifier ses contacts et ses
Les Sept sont nommés ainsi car ils furent fondés et alliés. Je désirerais avoir une idée plus précise
dirigés par un conseil de sept Dragons Ancestraux, de leur nombre réel et de leurs capacités.
mais les Gardiens réunissent de nombreux agents
des deux races. Hommes et femmes épris d’aventure Ne me décevez pas.
et de justice, ou dragons Derniers-Nés révoltés contre
les buts et les méthodes des Dragons Suzerains, tous
collaborent dans l’ombre et risquent souvent leur vie
pour le bien commun.
En ce milieu du xviie siècle, seule une poignée d’agents
est en contact direct avec les Sept car ces dragons sont
en réalité morts depuis des siècles. Survivant à l’intérieur
de Sphères d’Âmes, les Sept usent néanmoins toujours
de leur remarquable intelligence pour diriger les Gardiens
et contrer les plans de leurs frères draconiques.

29
Races draconiques pouvoirs, différents et plus ou moins farfelus, ils s’ac-

méconnues
cordent néanmoins sur deux d’entre eux. Le premier
est une quasi-immortalité et une capacité à se régénérer
qui leur permettrait même de se relever de leurs
Si les dracs, les vyvernes, les dragonnets ou les tarasques tombes. Le second, tant redouté des dragons, serait
sont les races d’origine draconique les plus fréquemment d’annuler, à leur proximité, toute manifestation
rencontrées dans l’Europe du xviie siècle, d’autres, plus de magie draconique. Ainsi, à leur approche, les rituels
dangereuses, plus subtiles ou plus rares existent elles magiques s’annuleraient, les pouvoirs des Châtelaines
aussi dans l’ombre du monde connu. disparaitraient et les léviathans seraient immunisés aux
sortilèges, au souffle draconique et à la ranse.

Les léviathans Les hydres


Il est très difficile de retrouver la trace de ces antiques
créatures contemporaines des Archéens. Colossales Les hydres furent la première race d’origine draco-
et féroces, elles semblent avoir été les prédateurs nique créée par les Dragons Ancestraux. Conçues
naturels des dragons avant que ceux-ci les surpassent pour être de féroces combattantes, elles ne possèdent
et les exterminent. Les maitres de magie supposent qu’une intelligence très limitée, contrairement à leurs
que c’est la nécessité de les combattre qui permit cousins dragonnets. Dotées d’un corps semblable à celui
l’émergence des Dragons Ancestraux et l’affirmation d’un Archéen de petite taille, mais dépourvu d’ailes,
de leur force, avant même qu’ils terrassent leurs propres les hydres possèdent plusieurs têtes – généralement
ancêtres archéens. quatre ou cinq – au sommet de longs cous. Une seule
De nombreux siècles plus tard, lorsque la guerre éclata d’entre elles, légendairement aux yeux d’or, contrôle
entre les Dragons Ancestraux, l’un d’entre eux retrouva le corps et les autres têtes.
les restes d’un léviathan et tenta de ressusciter la race afin À l’instar des dracs, elles peuvent cracher sur leurs en-
de créer une nouvelle arme qui lui donnerait l’avantage nemis un venin acide capable de dissoudre les meilleurs
sur ses frères. L’expérience tourna court et fut fatale au aciers tout en restant sans effet sur l’acier-mage. Leurs
dragon mais une nouvelle créature, née de l’hybridation crocs et leurs griffes sont acérés, et les écailles qui
d’un humain et des vestiges dégradés d’un léviathan, recouvrent leur corps presque impénétrables pour
redonna un semblant d’existence à cette race antique. une arme qui ne serait pas en draconite. Leur faiblesse
Moins puissant que ses ancêtres mais désormais capable principale réside dans leur lourdeur, la lenteur de leurs
de se dissimuler au sein de l’humanité, le léviathan réactions et leur réel manque d’intelligence. Mais si
moderne survécut et perpétua sa race. Au xviie siècle, un magicien parvient à les contrôler, elles deviennent
quelques-uns de ses descendants arpentent l’Europe, d’effroyables machines à tuer.
à la fois terrifiés par les dragons et en proie à leurs Au xviie siècle, les hydres sont très rares. Leur nombre a
tourments intérieurs. fortement décru suite aux nombreuses chasses dont elles
Physiquement, les léviathans possèdent une force, furent la proie, mais aussi en raison de leur difficulté
une endurance et une rapidité comparables à celles à se reproduire. Les survivantes de la race ont établi leurs
des plus puissants dracs, sans pour autant sembler tanières au plus profond des marais ou des lacs situés
différents d’un humain normal. Leurs sens sont sur- dans des zones dépeuplées et désolées, s’appropriant
développés mais leur vue, si précise dans l’obscurité, de petites vallées perdues aux confins des Alpes ou dans
est grandement diminuée et saturée par la luminosité, les Carpates. Une légende peu connue émet l’hypothèse
les poussant à fuir les régions chaudes et les journées qu’une hydre vivait autrefois dans le marais qui précéda
ensoleillées. Mentalement, ils font toujours preuve Paris, mais elle trouve peu d’écho chez les érudits. Le roi
d’une personnalité extrême et sont sujets à de profondes en possède deux, malingres et somnolentes, dans
vagues émotionnelles qu’ils ne contrôlent pas. Ainsi, un bassin profond du jardin des Tuileries.
lorsqu’ils sont angoissés, stressés, ou même simplement
fortement sollicités, ils sombrent presque infailliblement
dans une émotion exacerbée. Ils deviennent sujets
à des rages guerrières frénétiques, à des terreurs pa-
niques, à des besoins impérieux de luxure, instincts
qu’ils ne peuvent éviter de satisfaire.
Si les rares livres de magie draconique dans lesquels
les léviathans sont cités les dotent de nombreux

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Les serpentaires
Ophiuchus était un Dragon Ancestral que les plus
anciens livres de magie disent versé dans la maîtrise du
vivant et l’art de la guérison. Son talent était tel qu’on
le considère comme le maître et rival de Sassh’Krecht,
le Dragon qui provoqua la stérilité de sa race.
Insatisfait de la grossièreté de la race drac, Ophiuchus
décida de l’améliorer et de lui apporter des qualités
qu’il jugeait plus importantes que la force et l’endu-
rance. Pour cela, il altéra ses caractéristiques et parvint
à implanter du sang de serpent dans les lignées de ses
serviteurs.
Le dragon fit évoluer ses dracs, majoritairement rouges,
en vase clos durant des générations. Se reproduisant
entre eux, exacerbant les traits dont Ophiuchus désirait
les voir dotés, ils devinrent plus posés et plus froids,
plus subtils et plus gracieux. Et finalement, à sa mort,
le Dragon Ancestral avait donné naissance à une nou-
velle branche de la race drac, les serpentaires.
Hybrides instables, même s’ils parviennent à se re-
produire avec leurs cousins, le nombre de serpentaires
a fortement décru au fil des siècles. Ainsi, au xviie
siècle, il ne nait en Europe pas plus de serpentaires
que de saaskir.
Cette lignée se distingue par des écailles rouges à la lé-
gère teinte dorée. De plus, les visages serpentaires ont
perdu une bonne partie de leurs traits draconiques
pour développer des caractéristiques purement rep-
tiliennes. Ils ressemblent ainsi bien plus à un homme
gracile à tête de serpent qu’à un drac puissamment bâti
au visage bouffi, même s’il est difficile pour un homme
de distinguer un serpentaire d’un drac rouge sans
les observer au grand jour.
Grâce aux connaissances qu’ils ont acquises au service
Mes Chères Lames, d’Ophiuchus et qui furent précieusement transmises
J’ai besoin que vous enquêtiez sur une étrange et et complétées au cours des siècles, les serpentaires sont
antique masse d’armes qui aurait récemment été de très fins connaisseurs de la nature vivante, de ses
vendue à un mystérieux collectionneur d’artefacts comportements et de ses réactions. Cependant, au fil
draconiques. Depuis quelques jours, le tout des générations, comme le désirait leur créateur, ils per-
Paris occulte murmure que cette arme aurait dirent la capacité d’éprouver des émotions au profit
appartenu au légendaire Héraclès. Je crains d’une aptitude approfondie à raisonner froidement et
qu’elle ne tombe entre de mauvaises mains. Si elle posément. Ils n’éprouvent désormais de ressentis que
s’avérait authentique, cette arme, qui a ter- lorsque les faits générateurs sont extrêmes.
rassé la plus puissante hydre de la mythologie, Les femelles serpentaires sont pourvoyeuses de remèdes
constituerait un atout inestimable pour notre autant que de poisons, et ne vivent que pour l’étude
cause. Je vous invite à consulter Pierre et l’accomplissement intellectuel de leur art. Solitaires
Teyssier, qui vous fournira de plus amples détails mais collectionneuses d’étrangetés, elles vivent souvent
sur son apparence supposée ainsi qu’une aide seules au sein de leur musée vivant d’animaux et
pour, si nécessaire, aborder le commerce occulte de plantes difformes ou malades, qu’elles étudient aussi
des antiquités draconiques. méthodiquement qu’elles les torturent. Elles craignent
le monde des hommes même si elles maintiennent
Ne me décevez pas. un commerce avec certains d’entre eux en échange
d’un approvisionnement en substances ésotériques
et en spécimens étranges. Les magiciens faisant appel
à l’arcane du Gentilhomme au Corbeau cherchent

31
souvent à s’approprier leur savoir, par collaboration atteinte, ils se propulsent hors de l’eau et l’enserrent,
ou contention. s’enroulant autour d’elle et la broyant grâce à leur
Les mâles préfèrent quant à eux se mêler au corps souple et musculeux, l’entrainant au plus vite
foisonnement chaotique de la vie, désespérément vers les abysses, territoire dans lequel leur supériorité
à la recherche d’un semblant d’émotion. Leurs terrains est incontestable.
d’étude et d’action sont les extrêmes de l’existence : Parfois, à la poursuite d’une proie, les serpents de mer
épidémie mortelle de ranse, massacre démesuré, orgie s’aventurent sur la terre ferme, ondulant à la façon
outrancière, naissance... Leur présence n’est jamais de serpents et se tractant sur leurs pattes avant atro-
anodine. En effet, ils tendent à libérer autour d’eux phiées. Mais ils y sont mal à l’aise et trop vulnérables,
les émotions qu’ils ne ressentent pas. Les maitres et rejoignent dès qu’ils le peuvent les étendues marines.
de magie avancent à ce sujet l’explication selon la- Même si les serpents de mer préfèrent vivre en pleine
quelle ils diffusent un effluve draconique qui corrompt mer, là où leurs proies sont solitaires, il arrive que les plus
les êtres vivants et propage dans leur esprit les émotions petits d’entre eux remontent les fleuves ou s’installent
que les serpentaires ne ressentent plus. Ils sont donc dans des lacs. Ils se font alors d’autant plus discrets
particulièrement recherchés pour enrichir l’atmos- mais leur présence finit toujours par donner naissance
phère des plus luxueuses maisons de plaisir ou pour à des rumeurs et histoires terrifiantes de disparitions
galvaniser les troupes avant un combat. On raconte inexpliquées.
même qu’en des temps anciens, un membre de la loge
des Arcanes, la Courtisane amoureuse, succomba lors
d’une nuit d’orgie au déferlement d’émotions que son
compagnon serpentaire diffusa. Mes Chères Lames,
J’ai besoin que vous vous rendiez dans la ville
de Tarascon sans tarder. Au début du IV e siècle,
Les serpents de mer Sainte Marthe y affronta la Tarasque et libéra
la ville de ce dragon. Caché dans le Rhône, ce
De nombreuses légendes décrivent les naufrages épiques serpent de mer dévorait les passants et submer-
et terrifiants de navires affrontant des serpents de mers, geait les navires. Des faits récents nourrissent
mais aucune ne rapporte la réelle terreur et le désespoir la rumeur du retour de ce monstre. Je crains que
total qu’il y a à affronter un Krakken ou un dragon sa présence ne soit pas réelle et que ces histoires
de mer. Lorsque les Dragons Ancestraux déclarèrent ne servent qu’à cacher une rébellion des dracs
la guerre à leurs ancêtres Archéens, certains d’entre eux de Camargue. A moins qu’un nouveau serpent
parvinrent à trouver refuge au sein des mers et océans, de mer ait été attiré à dessein dans le Rhône
et à s’adapter à ce nouvel environnement. Se dissi- afin de déstabiliser le commerce maritime
mulant dans les sombres profondeurs des étendues de l’ensemble de la région. Je vous invite à vous
marines, ils s’endormirent sous l’effet de la froideur joindre à la chasse organisée à la demande de Sa
des eaux. Parfois, leur faim et leur instinct de prédateur Majesté et à obtenir les dernières informations
les réveillent et ils remontent à la surface pour satisfaire sur le sujet.
leur appétit avant de replonger pour rejoindre la sécurité
de leurs antres sous-marins. Particulièrement friands Ne me décevez pas.
de la chair des vyvernes, dont ils perçoivent l’aura
draconique à des lieues de distance, ils sont capables
de les pourchasser jusque sur une bande de terre
littorale. Certains explorateurs racontent avoir assisté
au terrifiant spectacle d’un serpent de mer jaillissant
des flots pour saisir dans sa gueule une vyverne volant
à des dizaines de mètres au-dessus des flots, et replon-
geant dans un violent jaillissement d’écumes pour
emporter avec lui l’infortunée monture ailée et tout
ce qu’elle pouvait transporter.
Les Archéens qui se réfugièrent dans les océans durent
s’adapter à leur nouvel environnement. Avec le temps,
leurs ailes s’atrophièrent et disparurent, leur corps s’étira,
leurs pattes s’affaiblirent et leur vue s’adapta à l’absence
de lumière des profondeurs marines. Capables de res-
pirer à la fois dans l’eau et sur terre, ils se déplacent
en ondulant à la façon des anguilles et peuvent atteindre
la vitesse des plus rapides navires. Une fois leur proie

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ne suffit plus à arrêter la transe paralytique. Le malade
Les méduses, cocatrix est alors généralement banni de toute société et se réfugie
et autres basilics dans des lieux isolés.
Le dernier stade voit le raidissement complet du corps du
malade, le transformant en véritable statue. Néanmoins,
Les légendes et la mythologie font régulièrement réfé- il continue de vivre sous cette forme durant plusieurs
rence à des créatures telles que la Méduse ou le Basilic, décennies et ses yeux conservent tout leur pouvoir
possédant le pouvoir de paralyser leurs ennemis hypnotique. Les malades ayant atteint ce stade et s’étant
ou de les transformer en statues de pierre. Après avoir pétrifiés en conservant les yeux ouverts deviennent alors
longtemps recherché l’origine de ces monstres, les maîtres une marchandise inestimable qui se négocie à prix d’or
de magie ont finalement découvert qu’ils n’avaient pas sur le marché de l’occulte draconique.
d’existence propre. Ce ne sont en effet que le résultat
de mutations produites par une étrange maladie qu’ils ont
baptisée « maladie de la méduse » et qui ne se transmet
qu’aux êtres possédant du sang draconique. Cependant,
suite aux dernières modes consistant à se faire tatouer La maladie de la méduse, qui dote les races dra-
en utilisant du sang de dragon ou à en absorber pour coniques de pouvoirs hypnotiques étonnants,
tenter de maîtriser la sorcellerie antique, les maîtres semble au premier abord pouvoir contaminer
de magie ont constaté que les humains pouvaient être n’importe quelle créature d’origine draco-
contaminés de manière occasionnelle. nique. Cependant, si l’on observe cela à plus
Peu de choses sont connues à propos des divers stades grande échelle, il apparait qu’une certaine
de la maladie et sa vitesse d’évolution est extrêmement sélection est opérée. La contamination n’est
variable suivant les sujets infectés. La contamination pas systématique et il semblerait que certains
se fait généralement par une morsure, suite à quoi soient prédisposés et infectés dès la première
divers symptômes apparaissent très rapidement : tem- morsure, tandis que d’autres ne peuvent pas
pérature corporelle élevée, hallucinations, rage, accès devenir porteurs de la maladie, quel que soit
de violence et, surtout, forts saignements par le nez, le nombre d’expositions. À moins que ce
les yeux, les oreilles et la bouche. Si le malade survit ne soit le contraire et que la maladie elle-même
à cette phase, ce qui est rarissime, il semble récupérer fasse preuve d’une certaine « intelligence »,
rapidement et naturellement. Il est cependant désormais ne choisissant que des sujets qu’elle estimerait
porteur de la maladie, peut contaminer d’autres êtres digne d’elle. Une théorie qui peut sembler
et acquiert peu à peu des caractéristiques spécifiques. fantaisiste mais qui s’appuie sur des éléments
Sa stature se modifie, ses os gagnent en résistance et ses troublants.
muscles se raidissent, devenant plus puissants mais aussi Mes constatations me conduisent à émettre
moins réactifs. De plus, il acquiert la caractéristique l’hypothèse que cette étrange infection n’est
principale de la maladie, celle qui lui a donné son nom : pas « naturelle » mais aurait plutôt été
des yeux hypnotiques désormais parsemés de nom- créée de toutes pièces dans les temps anciens,
breuses gouttelettes dorées. Par sa simple volonté, il peut probablement par un Dragon Ancestral, pour
faire danser les reflets dans son regard et, en quelques éliminer sélectivement ses éventuels ennemis.
secondes, ce mouvement accapare totalement l’attention
de ceux qui le regardent sans réagir, quelle que soit Extrait des notes de Pierre Teyssier, maître
leur volonté. L’ensemble de leur esprit et de leur corps de magie, directeur de l’Orphelinat.
se concentre alors uniquement sur ces petites étoiles
dansantes et, rapidement, tous les muscles se raidissent et
cessent de fonctionner, entrainant la mort. Cette transe
peut cependant être stoppée en brisant la concentration
du malade ou la connexion visuelle avec lui.
Le stade suivant de la maladie ne permet plus à l’être
infecté de passer inaperçu. Sa peau et ses cheveux
se teintent d’une couleur minérale. Son corps devient
de plus en plus lourd et difficile à bouger, mais
la puissance qu’il peut développer s’accroit encore. Ses
ongles et dents noircissent et deviennent aussi durs que
de l’acier. Le blanc de ses yeux vire à l’écarlate et son
iris prend une couleur or. Désormais, un seul regard
permet de briser la volonté de ceux qui le fixent, et
casser le contact entre le malade et ceux qui l’observent

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Cet être, qui demeure humain, absorbe et reproduit
Les doppelgängers partiellement toute personne avec qui il reste physi-
quement en contact, peau contre peau, pendant plus
Les doppelgängers ne sont pas une race draconique d’une quinzaine de secondes. La transformation est
à proprement parler mais le produit de l’un des derniers là aussi à la fois physique et mentale, mais le doppel-
rituels antiques que les Dragons Suzerains savent encore gänger conserve aussi une partie de sa propre identité
utiliser. À l’origine destiné à étudier les transformations et de ses souvenirs.
des êtres d’ascendance draconique en hommes, il fut Très utiles pour des missions d’infiltration et d’espion-
dévoyé par les derniers Dragons Ancestraux. nage, comme générateurs de leurres et de doublures,
Éminemment complexe, le rituel nécessite d’innom- ces êtres deviennent hélas de plus en plus instables avec
brables conjonctions astrales et doit être conduit sans le temps, accumulant des morceaux de personnalités
aucune erreur dans sa mise en œuvre. Parfaitement et de physiques d’autres individus, jusqu’à ne plus
réussi, il permettrait de totalement transformer véritablement savoir qui ils étaient avant l’accomplisse-
un homme en un autre, sur tous les plans : physique, ment du rituel. Lors de ses transformations successives,
âge, intelligence, mémoire, en l’enrichissant d’un gène un doppelgänger perd progressivement le contrôle
draconique. Néanmoins, il n’a jamais été parfaitement des différents éléments qui le composent, lesquels
accompli depuis des siècles car ce qui intéresse les dra- s’entremêlent et perturbent son esprit. Correctement
gons c’est que, partiellement réussi, il rend le sujet préparé par le ritualiste, tout juste peut-il sauvegarder
instable et le transforme en doppelgänger. avec certitude une poignée de souvenirs dont, par
exemple, les détails de sa mission.

Extrait des travaux de Patrice Siman, naturaliste et apprenti draconologue,


sur la longévité des créatures draconiques
Race Espérance de vie Commentaires
En sommeil, ils sont éternels. Eveillés, au vu de leur agressivité,
Dragon Archéen « Eternel »
ils meurent vite.
Leur espérance de vie est incommensurable – dans une Sphère
Dragon Ancestral « Eternel »
d’Âme, ils sont éternels.
Dragon Suzerain Millénaire Mille ans, c’est un Suzerain âgé.
Hydre Millénaire Mille ans, c’est une hydre en fin de vie.
Serpent de mer Millénaire Mille ans, c’est un serpent de mer en fin de vie.
Dragon Dernier-Né Séculaire L’Ancien, de la Première Loge, est censé avoir huit cents ans.
Léviathan Séculaire Espérance de vie : deux ou trois cents ans, maximum.
Sang-mêlé Humain Certains sang-mêlé atteignent cent cinquante ans.
Drac Soixante ans Cinquante ans, c’est un « vieux sage ».
Serpentaire Soixante ans Cinquante ans, c’est un « vieux sage ».
A trente ans, on est au bout, comme un chien
Dragonnet Trente ans
qui a dépassé les quinze ans.
Animaux tranquilles, les vieux « taureaux » dans les prés,
Tarasque Vingt ans
pour la reproduction, ont vingt ans.
Vyverne Quinze ans A quinze ans, on est au bout, comme pour les chiens.
Une vie trop violente pour vivre vieux.
Syle Dix ans
En cage, seule, protégée, on plafonne à quinze ans.
Une vie trop violente pour vivre vieux.
Salamandre géante Dix ans
En cage, seule, protégée, on plafonne à quinze ans.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais
Des artefacts
Les larmes saintes
draconiques Les larmes saintes sont un épais liquide visqueux et
Nés de la magie des Dragons, les artefacts draconiques extrêmement volatile que l’on trouve généralement
peuvent revêtir de nombreuses formes. Les plus célèbres contenu dans de petites billes de verre très résistantes et
d’entre eux sont souvent entrés dans l’Histoire sous hermétiques. Si les maîtres de magie ne s’accordent pas
la forme de légendes tandis que les plus répandus font sur leur origine ou la façon de les fabriquer, leur effet
partie intégrante de la vie du xviie siècle. est quant à lui indiscutable. Lorsqu’elles sont agitées,
une infime partie est consumée et émet une lumière
blafarde qui peut persister deux ou trois minutes et
Les salamandaines éclairer à l’identique d’une lanterne. Si la lumière émise
est à peine suffisante pour retrouver son chemin dans
Les salamandaines ressemblent à de petites salamandres la pénombre, elle peut, en fonction de la puissance
noires dont la taille n’excède pas celle d’un index magique mobilisée pour leur fabrication, figer instanta-
humain. Créatures nées exclusivement de la magie, nément toute magie draconique qu’elle éclaire. Celle-ci
elles résultent d’un rituel antique qui leur donne ne se réactive qu’une fois la lumière disparue.
forme à partir de quelques gouttes de sang draco- Au xviie siècle, plus personne ne sait comment fabriquer
nique. Profondément agressives, elles restent cependant des larmes saintes, et en posséder est un luxe rare réservé
soumises au contrôle mental du sorcier qui a conduit aux grands de ce monde, ou aux plus chanceux.
à leur naissance. Il peut ainsi voir et entendre à travers
elles et les diriger à sa guise.
Capables de se fondre dans les ombres, rapides et très
agiles, elles sont de parfaits petits espions même si
Les flèches noires
leurs sens, différents de ceux des hommes, peuvent La mythologie grecque dit qu’après sa victoire contre
largement désorienter le sorcier humain faisant appel l’Hydre de Lerne, Héraclès trempa ses flèches dans
à elles (les sorciers draconiques ne souffrent pas de ce le sang du monstre. Celles-ci devinrent mortelles et
désagrément). Ainsi, leur vue est plutôt réduite, leur leurs pointes aussi noires que la nuit. Au décès du héros
ouïe très limitée, mais leur odorat et leur goût sont grec, son compagnon, Philoctète, en hérita et les confia
extraordinairement développés. aux Grecs qui assiégèrent Troie. Mais une de ces flèches
Leur morsure est extrêmement venimeuse, ce qui fait tomba sur son pied. En quelques jours, un infect ulcère
d’elles de remarquables petits assassins. Une victime nauséabond se forma sur sa blessure et, ne supportant
mordue à proximité d’un gros vaisseau sanguin décèdera plus l’odeur, ses compagnons l’abandonnèrent sur l'île
dans les minutes qui suivent si elle ne reçoit pas les soins de Lemnos, où il souffrit d’atroces maux pendant plus
d’un médecin qualifié et ne bénéficie pas d’une saignée d’une décennie.
efficace. Et, même si elle est sauvée, la victime n’échap- Les maîtres de magie s’accordent pour dire qu’il s’agit
pera probablement pas à une contamination par la ranse. de la première légende mentionnant à demi-mots
Les salamandaines sont très fragiles et retournent la ranse, et nombreux sont ceux qui offriraient beau-
à l’état de flaque de sang fumante au moindre coup pour entrer en possession de l’une de ces flèches
coup reçu. De plus, elles se dissolvent en moins mythiques.
d’une minute dans tout liquide avec lequel elles entrent Au xviie siècle, de nombreuses copies ont été créées et
en contact. Enfin, leur morsure leur est fatale et elles ces flèches à la pointe trempée dans du sang d’hydre,
se liquéfient dès que leur venin draconique est relâché porteuses de ranse, peuvent assez facilement se trouver
dans le corps de leur victime. auprès d’alchimistes ou de maîtres de magie peu
Il existe une variante du rituel draconique permettant scrupuleux.
de créer des salamandaines dorées en animant du sang
animal ou humain mélangé à de la jusquiame do-
rée. Moins létales, elles présentent l’avantage d’adopter
une caractéristique de la créature dont le sang leur a
donné le jour. Elles revêtent ainsi une utilité accrue
dans des contextes spécifiques.

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Les dévoreurs d’âmes Les voiles d’oubli
Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus Les voiles d’oubli sont en apparence de simples carrés
von Hohenheim est plus connu sous le nom de tissu légers et fins. Un examen plus attentif révèle
de Paracelse. Alchimiste, astrologue et médecin suisse cependant qu’en la trame de l’étoffe elle-même sont
du début du xvie siècle, considéré comme un génie dessinées et entremêlées de nombreuses runes draco-
rénovateur de la science et de la médecine par niques. Associées au Voleur sans Mémoire, toutes ont
les uns, un imitateur fou, ignorant et prétentieux par un lien avec le sommeil et la mémoire, car le but premier
les autres, Paracelse était surtout un sang-mêlé versé des voiles d’oubli est d’effacer les souvenirs de celui
dans l’art de la sorcellerie draconique et ayant étudié dont on en recouvre la tête. Lorsque cela se produit,
à Madrid sous la tutelle des grands Dragons Suzerains la personne sombre dans un profond sommeil dont elle
de la Sangre Oscura. ne peut être tirée qu’en retirant l’étoffe. Durant cette
S’il a laissé de nombreux traités alchimiques et draco- inconscience, les derniers souvenirs sont définitivement
niques occultes, il a surtout été à l’origine de la forge effacés, sur une durée égale à celle de la léthargie.
de puissantes armes surnommées les dévoreuses
d’âmes. Reconnaissables à leur fil dentelé aussi coupant
que le plus affuté des rasoirs, elles possèdent la capacité
de dérober l’âme de la personne dont elles font couler
le sang, le corps sombrant alors dans une profonde
catalepsie. L’âme, retenue prisonnière, se retrouve
à l’entière disposition du porteur de l’arme, qui peut
discuter avec elle, lui infliger de profonds tourments,
la restituer à son corps d’origine ou la brûler afin
d’enflammer sa lame d’un feu blanchâtre.

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Louis-Nicolas de Gully d’après Léo Schmitt-Gully
L’épée de Paracelse lui-même, Azoth, était la plus puis-
sante d’entre toutes les dévoreuses d’âmes. Il se vantait
d’y avoir un jour enfermé l’esprit d’un dragon qui
lui avait cherché querelle. Perdue depuis son décès,
Paracelse y aurait lui-même enfermé son âme afin
de prolonger son existence.

Les colliers de Brisingar


D’origine nordique, étroitement associés à la magie
de la Courtisane amoureuse, ces colliers d’ambre sont
reconnaissables à la teinte inhabituellement brillante
des pierres les composant, coloration provenant de leur
immersion prolongée dans une décoction de jusquiame
dorée. Très prisés par les dames de la cour, ils sont
réputés porteurs d’un charme draconique qui rendrait
leur détentrice extrêmement attirante aux yeux de la gent
masculine.
Si cet effet est avéré et reconnu par les maîtres de magie,
ces colliers en possèdent un autre, plus insidieux. Ils ré-
veillent en effet le tempérament belliqueux de ceux qui
y sont trop longtemps exposés, et les poussent à chercher
querelle à la moindre contrariété. Nombre de cours
européennes ont été le théâtre d’affrontements entre
de jeunes prétendants désireux de gagner les faveurs
d’une belle simplement à cause de l’influence de ces
bijoux draconiques.

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La Garra Negra,
la Griffe noire
Connue en France sous le nom de Griffe noire, la Garra Entièrement dédiée à son but ultime, plonger l’Europe
Negra est la société secrète draconique la plus puissante dans un chaos propice à l’instauration d’un règne dra-
du xviie siècle. Particulièrement influente en Espagne conique absolu, elle ne recule devant aucune violence
et dans ses territoires, elle n’est en réalité pas secrète ni traîtrise pour parvenir à ses fins. Néanmoins, elle
au sens où l’on ignore son existence, mais au sens ne renie pas les subtiles manœuvres diplomatiques et
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

où ses membres ne se font pas connaître. La Griffe stratégiques. Lors de la crise de 1633 durant laquelle
noire est d’ailleurs un acteur très présent sur la scène des membres de la loge des Arcanes lâchèrent un Archéen
diplomatique et politique européenne et, à ce titre, sur Paris, elle tenta même d’entrer en contact avec ses
la plupart des gouvernements ont des contacts avec elle. ennemis séculaires, les Gardiens, sous l’égide du cardinal
Créée en 1493, à la suite de la découverte des Amériques de Richelieu, afin de les prévenir de l’action à venir
par Christophe Colomb et du retour de ses caravelles de ce groupe de renégats Derniers-Nés.
aux cales gorgées de jusquiame dorée, la Griffe noire est Composée d’hommes et de dragons, mais uniquement
de fait la plus ancienne des sociétés secrètes draconiques dirigée par ces derniers, la Griffe noire n’est en réalité
fondées par les Dragons Suzerains. Sa loge la plus pas une simple société secrète. Elle fonde son pouvoir
influente et la plus active se trouve à Madrid, au sein sur la magie draconique antique. Les dragons la com-
même de la cour espagnole, au point que celle-ci est posant emploient des rituels anciens pour s’assurer
souvent surnommée la Cour des Dragons. Tentaculaire, de l’indéfectible loyauté de ses initiés humains. Pour
la Garra Negra œuvre principalement en Espagne cela, ils les unissent spirituellement à une conscience
mais également dans les Provinces-Unies, en Italie supérieure, celle d’un Dragon Ancestral qui imprègne
et en Allemagne, où des loges locales soumises à son alors leur être. Une loge de la Griffe noire est donc
autorité ont par la suite été établies. bien plus qu’une simple réunion de comploteurs
avides de puissance et de richesse. Elle est le produit

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d’un rite qui permet à une assemblée fanatique de se dé- La Première Loge
signer comme l’instrument et le réceptacle de l’âme
d’un Dragon Ancestral, qui revit ainsi au travers de ceux La Garra Negra est une organisation tentaculaire
qui lui sacrifient une partie d’eux-mêmes. composée de nombreuses loges officielles, mais aussi
Cette dévotion présente cependant un défaut d’autres clandestines. Toutes sont cependant subor-
majeur. Une fois le rituel accompli, seuls les initiés données au Conseil de la Première Loge, qui est com-
présents seront liés par l’âme du Dragon Ancestral, posé de huit Dragons Suzerains et, chose inhabituelle,
et il ne sera plus possible de compléter ce groupe par d’une Dernière-Née. Les identités de ces dragons sont
la suite. Les loges draconiques doivent donc faire souvent des mystères férocement gardés. Il est expres-
un travail préparatoire conséquent avant d’accomplir sément interdit de les nommer, mais chacun a acquis
leur rituel afin de constituer la future loge, et toute au fil du temps un surnom ou un sobriquet permettant
disparition parmi les initiés ne peut être compensée. de le désigner sans pour autant être compromis.
Les membres du Conseil se réunissent régulièrement
en de sombres salles secrètes situées dans les sous-
Affiliés, initiés et hiérarchie sols de l’Alcazar Royal, le palais du roi Philippe IV,
au sein de la Griffe noire à Madrid. Au cours de grandes sessions nocturnes,
Parmi tous les individus plus ou moins bien intentionnés ils décident des actions à venir de la Griffe noire et donc
qui servent la Griffe noire, rares sont ceux qui agissent du destin du monde. Pour agir, chacun des conseillers
en connaissance de cause. Nombreux ne savent pas dispose de ses propres hommes de main, fidèles et
et ne sauront jamais quels sont leurs employeurs redoutés. Ces lieutenants, initiés de premier ordre,
réels, ni que leurs actions ont une place dans un plan sont dépêchés lorsqu’une affaire revêt une importance
de domination du monde par les dragons. cruciale et exécutent leurs ordres avec une efficacité
Ceux qui savent quel est leur employeur réel sont redoutable.
nommés affiliés. Ils ignorent néanmoins généralement Si les membres du Conseil s’entendent assez bien sur
les tenants et aboutissants exacts de leurs missions, les grandes lignes de la politique à mener pour plonger
et agissent toujours du mieux possible en espérant l’Europe dans un chaos propice au retour du règne
un jour intégrer le groupe des initiés auprès desquels draconique, et s’ils collaborent efficacement lorsque
ils prennent leurs ordres. Ce sont généralement le destin de leur espèce est en jeu, ils se livrent aussi
des hommes et des femmes dont la loyauté n’est pas à de subtiles luttes d’influence s’étirant parfois sur
encore fermement établie. plusieurs siècles. Il n’est pas rare qu’à travers l’opposition
Au sein de la Griffe noire, les initiés occupent le rang de loges mineures, ce soit en réalité deux membres du
le plus élevé auquel peut aspirer quiconque n’a pas Conseil qui se défient et s’affrontent.
de sang de dragon dans les veines. Cette position, très À la fois la plus grande et la plus puissante loge
enviée, est en réalité un esclavage déguisé. La très grande de la Griffe noire, la Première Loge regroupe les Dragons
majorité d’entre eux a en effet subi la cérémonie d’initia- Suzerains l’ayant fondée. Désireux de maintenir leur
tion première durant laquelle l’âme humaine est soumise pouvoir, ils avaient mis en place de nombreuses règles
par l’union à celle d’un Dragon Ancestral. Inutile de dire leur donnant préséance sur tous les autres membres
qu’à ce moment-là, peu savaient quel serait le réel de la race draconique et obligeant ceux-ci à leur té-
résultat du rituel. Une fois le rite accompli, les initiés moigner obéissance et respect. De fait, les conseillers
vouent une indéfectible loyauté à l’égard de la Griffe de la Première Loge, garants du bon fonctionnement
noire, et peuvent dès lors être mis au courant des tenants de la Griffe noire, étaient traditionnellement issus
et des aboutissants des missions qui leur sont confiées. de leur rang. L’arrivée de l’Intrigante au Conseil,
Les créatures possédant du sang draconique passent fruit de manœuvres politiques complexes, a cepen-
elles aussi par les stades d’affilié puis d’initié, mais dant changé la donne, apportant plus de poids aux
elles intègrent ensuite le grand jeu politique interne Derniers-Nés, et les membres de la Première Loge sont
de la Griffe noire, dans lequel les positions hiérarchiques désormais inquiets. Ces anciens dragons, puissants,
ne sont jamais définitivement acquises, et où chaque retors et avides de pouvoir, ont dû durcir le ton. Mais
loge et chaque faction travaille à la fois au retour du leurs méthodes, héritées du millénaire précédent,
règne draconique, mais aussi et surtout à sa propre se montrent peu efficaces face aux jeunes et réactifs
suprématie au sein de la société secrète. Derniers-Nés. En difficulté depuis, la Première Loge
peut cependant compter sur l’appui du Conseil, qui sait
parfaitement que son affaiblissement ou sa disparition
sonnerait le glas de la Griffe noire.

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Le Conseil de la Première Loge L ’I lluminé
Le second membre du Conseil fut l’un des artisans
Surnommés les vieilles barbes ou les vieillards par principaux de la création de l’Inquisition, certains
les ambitieux Derniers-Nés, les membres de la Première allant même jusqu’à penser qu’il fut l’un des deux
Loge sont les Dragons Suzerains fondateurs de la Griffe premiers inquisiteurs, Miguel de Morillo ou Juan de San
noire. Ces anciens dragons sont puissants, retors et Martín. Aujourd’hui conseiller très proche du Grand
avides de pouvoir. Soucieux de maintenir leurs Inquisiteur Diego de Arce y Reinoso, il tient le Tribunal
privilèges tout autant que de restaurer la suprématie du Saint-Office entre ses griffes.
draconique, ils écrasent la société secrète sous un poids L’Illuminé est trop paranoïaque pour accorder sa
de traditions que les plus jeunes trouvent étouffantes confiance à un lieutenant. Il préfère manipuler les gens,
et inutiles. Néanmoins, ces règles séculaires ont fait et utilise les inquisiteurs pour accomplir ses basses
leurs preuves et ont permis de maintenir la puissance besognes. En les envoyant chasser des chimères, il sert
de la Griffe noire dans toute l’Europe. ses propres desseins, quitte à mener tout un village
Le Conseil de la Première Loge est constitué de neuf sur le bûcher.
anciens Dragons Suzerains, qui prennent à eux L’Illuminé a toujours été en quête de Dieu, et se trouve
seuls les décisions pour l’ensemble de la société se- souvent impliqué dans les affaires concernant l’Église,
crète. L’appartenance à ce groupe est basée sur la capacité les miracles et la recherche des objets saints et
à rassembler les dragons sous sa bannière, et la Griffe des reliques.
noire est donc sans cesse le théâtre de manœuvres
complexes et de complots politiques. Le Conseil a tout L ’Orateur
pouvoir sur les membres de la société et valide la création Le troisième membre du Conseil est l’un des rares
des groupements et loges internes ou les dissout. dragons de la Griffe noire ayant eu une existence
Le Conseil de la Première Loge dispose d’hommes publique. Il officia au xvie siècle sous le nom de Juan
de main extrêmement efficaces et dotés de tout pou- Ginés de Sepúlveda. Se présentant comme un grand
voir. Craints et respectés, ces lieutenants de confiance, érudit, il devint le précepteur de Philippe II, à qui il in-
tous initiés de premier ordre, ne sont dépêchés que culqua la tolérance envers les dragons. Puis il parvint,
lorsqu’une affaire revêt une importance cruciale. Ils sont en 1537, à tromper l’Église et fut ordonné prêtre. Lors
réputés pour exécuter leurs directives sans jamais de la controverse de Valladolid, il fut le représentant
les remettre en cause, notamment lorsqu’il s’agit de la faction désireuse de légitimer la conquête et
de châtier un dragon contestant l’autorité de la Première l’asservissement des Indiens. Plus généralement,
Loge. Les contrevenants sont alors condamnés et il a soutenu durant des années l’idée selon laquelle
pourchassés comme de vulgaires dracs, sans espoir il est nécessaire et légitime d’encadrer des civilisations
de clémence. lorsqu’elles sont moins développées. Démasqué par
les Châtelaines – qui prouvèrent ainsi leur utilité au
LAncien
’ Pape et acquirent définitivement sa confiance –, il fut
Le premier membre du Conseil en est le doyen. Il est forcé de se retirer et de disparaître.
dit que quelques siècles plus tôt, il fut affilié à la Maison Pendant longtemps, l’Orateur n’eut pas de héraut
de Trastamare, une dynastie de rois qui occupa le trône identifié, mais, depuis quelques années, il est réguliè-
de Castille et transforma le château royal en véritable rement représenté par un couple de dragons Derniers-
forteresse labyrinthique. Il en connaîtrait tous les secrets, Nés. Assumant pleinement leur côté humain, tous deux
ce qui lui donne une emprise quasi totale sur tout ce qui subliment à la perfection les perversions des hommes,
peut se passer ou être décidé dans la résidence royale. portant la luxure et le vice jusqu’à des sommets frôlant
L’Ancien ne possède pas de fidèle lieutenant ou de pre- le divin. Se faisant ironiquement appeler Marie et
mier initié identifié, mais tous savent que plus de la moi- Gabriel, ils eurent auparavant de nombreux autres
tié des gens résidant au palais royal sont plus ou moins noms, et furent notamment connus au sein des Arcanes
directement sous sa coupe, sans compter l’ensemble comme la Magicienne sous le Voile et le Gentilhomme
des dragonnets qui s’y trouvent et dont il est le maître au Corbeau.
incontesté. Ainsi, l’Alcazar Royal, le palais forteresse L’Orateur et ses lieutenants sont très actifs au sein
du roi Philippe IV, est parfois considéré comme le plus des cours royales européennes, Marie et Gabriel ayant
fidèle lieutenant de l’Ancien. clairement une préférence pour Paris. L’Orateur est
L’Ancien ne s’intéresse qu’à ce qui se passe en Espagne, le seul à avoir conservé un contact diplomatique avec
et plus particulièrement à Madrid et à la Cour les Naos, les dragons suédois à qui il rend parfois service.
des Dragons. Il laisse aux autres le soin de s’occuper
du vaste monde.

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Le Guerrier Le Marchand se dissimule actuellement sous les traits
Le quatrième membre du Conseil est un combat- de l’imprimeur royal Sébastien Cramoisy. Sa fonction
tant accompli possédant la mainmise sur l’armée lui permet notamment de publier les actes royaux. Qui
espagnole. Il fut l’instigateur de la création des irs- sait ce qui pourrait se passer s’il décidait d’y insinuer
kehns, les unités de dracs noirs qui servent la Cour des éléments d’une sombre magie.
des Dragons. On dit aussi qu’il contrôle les populations
dracs espagnoles jusqu’au plus profond des marécages
du delta de l’Èbre.
Le plus fidèle lieutenant du Guerrier est un colosse
d’une quarantaine d’années, au bras droit entière-
ment rongé par la ranse. Combattant exceptionnel,
il ne fut défait qu’une seule fois dans sa jeunesse par
un maître d’armes, qui prit sur-le-champ la fuite pour
la France. Surnommé El Segador, le Faucheur, il est
connu et craint par tous les soldats espagnols. Sa seule
présence peut changer le cours d’une bataille, au point
que la défaite espagnole de Rocroi est en partie attribuée
à son départ pour Madrid, où son maître le rappelait.
Le Guerrier est fortement impliqué dans toutes
les guerres menées par l’armée espagnole, mais sa griffe
est aussi ressentie dans celles qui se mènent contre
les ennemis des dragons.

Le Marchand
Le cinquième membre du Conseil aurait été
l’un des créanciers ayant financé les expéditions
de Christophe Colomb. Ce serait un marchand
d’une richesse incalculable, et qui aurait le contrôle
de l’ensemble du commerce de jusquiame dorée.
Jusqu’à ces dernières années, le Marchand n’avait eu
aucun besoin d’un lieutenant fidèle, réglant avec brio
tout problème par la négociation et le commerce. Mais
il y a quinze ans, il s’est attaché les services d’un jeune
et beau Français, le marquis de Gagnière, dont il acheta
la vie à l’Enlumineur aveugle des Arcanes, négociant son
sauvetage à la place de son assassinat. Le marquis, rejoint
par son bras droit, un reître nommé Malencontre, La Sorcière
sert désormais fidèlement le Marchand, mettant à son Le sixième membre du Conseil serait une dragonne
service son érudition, son savoir-vivre et ses relations maîtresse en l’art de la sorcellerie draconique. Elle
à la cour du roi de France. aurait eu comme disciples l’Hérésiarque couronné et
Contrairement aux autres membres du Conseil, la Magicienne sous le Voile, deux anciens membres
le Marchand n’est pas friand de complots, et avance des Arcanes, la loge de Derniers-Nés la plus puis-
souvent à visage découvert, ne cachant pas à ses clients sante des vingt dernières années. Pour protéger ses
et confrères qu’ils sont impliqués dans du négoce avec trésors magiques, elle a creusé une forteresse dans
un dragon. Il s’intéresse à toute affaire du moment les flancs du Peñalara, le plus haut sommet de la Sierra
qu’elle peut être lucrative. Il considère le marché de Guadarrama, au nord de Madrid. Elle y aurait caché
de la jusquiame dorée comme sien et ne tolère aucune de nombreuses Sphères d’Âmes, ainsi que d’antiques
contrebande autre que la sienne, réprimant dans le sang grimoires. La Sorcière est l’adversaire le plus redouté
toute tentative d’incursion sur son domaine. des Sept. Ses capacités magiques sont si importantes
Récemment, le Marchand est sorti de sa réserve pour qu’elle pourrait les localiser et les détruire au moindre
faire face à la menace grandissante que constitue de leur faux pas. Il se dit aussi que certains maîtres
un ancien membre de la Loge des Arcanes, le Voleur de magie lui ont fait allégeance en échange d’une frac-
sans Mémoire. Celui-ci, exilé aux Provinces-Unies, a tion de connaissances draconiques antiques.
fait de cette nation l’une des puissances commerciales Mesk’sesch, un très ancien saaskir, est le lieutenant
les plus redoutables. La guerre des mers sera sans nul le plus fidèle de la Sorcière. Dernier descendant
doute l’un des enjeux majeurs de cette fin de siècle. d’une lignée de prêtres-sorciers maîtrisant les voies
de l’esprit, il est capable de lire dans les pensées, de créer

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des illusions d’un réalisme mortel, et même de contrôler intrigue pour consolider leur toute nouvelle position
les consciences faibles. Sa maîtresse et lui sont les deux au sein du Conseil. Tous deux sont très impliqués dans
seules personnes à connaître l’emplacement de la for- les luttes qui animent les loges mineures et ont tissé
teresse du Peñalara et à posséder les clés permettant un réseau d’espions qui couvre l’Europe entière. Certains
d’y entrer. La rumeur affirme qu’avant d’être détruite affirment même qu’ils possèdent des agents au cœur
en France, la Sphère d’Âme contenant Sassh’Krecht lui de l’abbaye de Saint-Loup, la place forte des Louves
appartenait, et qu’elle lui fut dérobée par une personne de Saint-Georges.
de confiance qu’elle avait conviée dans sa citadelle. L’Intrigante n’a pour but que de consolider sa position,
La Sorcière est constamment à la recherche de nouvelles en étendant son réseau d’espions et en écrasant ceux
connaissances magiques et mystiques. Elle se trouve qui se dressent contre elle. L’Ambitieux est le premier
aussi derrière de nombreuses corruptions de maîtres sur cette liste, ainsi que l’Italienne, l’ancienne espionne
de magie, qu’elle pousse subtilement à se soumettre papale, à qui ses agents se heurtent constamment.
en échange d’un savoir interdit. Enfin, elle traque et
combat sans relâche les Gardiens. Le Conseiller sans nom
Le neuvième et dernier membre du Conseil
LAmbitieux
’ de la Première Loge est, quant à lui, totalement
Le septième membre du Conseil ne l’aurait intégré inconnu. On dit de lui qu’il est un maître dans les arts
qu’au cours de la première moitié du xvie siècle, de l’illusion et de la manipulation, et qu’il serait parvenu
suite à la disparition de son prédécesseur. Au sein à se dissimuler du destin lui-même. Seul est connu son
de la Griffe noire, ces deux-là étaient connus pour unique lieutenant, El Viento, un Dragon Suzerain qui
se détester profondément. Certains prétendent que serait plus âgé que l’Ancien lui-même. Aussi extravagant
le tremblement de terre qui frappa Lisbonne en 1531, et que son maître est discret, il ne se déplace jamais sans
provoqua le réveil d’un Archéen, ne serait qu’une simple sa cour personnelle, et fait montre d’une exubérance
conséquence du règlement définitif de leurs différends, excessive. Tous ceux qui ont un jour eu à l’affronter
et que l’Ambitieux aurait bénéficié de l’aide d’un dragon s’accordent à dire que sous ses manières et son langage
au service des Sept pour terrasser son adversaire. fleuri se dissimule un dragon d’une intelligence et
Son premier initié, un homme impitoyable nommé d’une efficacité redoutables.
Savelda, était craint par les dragons comme par Le Conseiller sans nom peut se trouver impliqué dans
les hommes. Envoyé à Paris en 1633 pour contrôler une grande diversité d’affaires et de complots, personne
les affaires de la vicomtesse de Malicorne et des Arcanes, n’ayant jusqu’alors réussi à comprendre l’ensemble
il fut mis en échec par les Lames du Cardinal, avant de son action.
de perdre la vie sous les assauts de dracs venus empêcher
une négociation entre les Gardiens et la Griffe noire, que
l’Ambitieux était parvenu à organiser. Ce cuisant revers Les loges mineures
a profondément terni la réputation de son maître qui,
depuis, cherche à découvrir qui avait intérêt à saboter Tout groupe de dragons ayant des affinités ou des am-
cette réunion. bitions et buts communs peut demander à être reconnu
L’Ambitieux possède un réseau de connaissances et comme une loge à l’intérieur même de la Griffe
de contacts presque illimité. Il est, par exemple, le seul noire. Si celle-ci est validée par les anciens du Conseil
dragon de la Griffe noire à pouvoir entrer en contact de la Première Loge, elle reçoit une reconnaissance po-
avec les Gardiens. Il voit cependant d’un très mauvais litique interne, mais aussi des financements ou de l’aide
œil l’arrivée de l’Intrigante au Conseil, et une lutte de la part de dragons mécènes désireux de l’aider dans
secrète féroce s’est engagée entre eux. l’accomplissement de ses buts. En outre, la loge peut
faire appel aux ressources logistiques et militaires
L ’Intrigante de la Griffe noire.
Le huitième membre du Conseil est une nouvelle En réalité, la grande majorité des loges complote pour
venue, et la seule issue des Derniers-Nés. Entre autres ou contre la Première Loge, au sein même de la Griffe
noms, vrais ou faux, elle fut appelée la Gardienne noire. Nombreux sont ceux qui intriguent et rêvent
derrière le Miroir, d’après l’un des vingt-deux arcanes secrètement de dépoussiérer la société secrète ou même
majeurs du Tarot des Ombres, comme tous les membres d’abattre les vieilles idoles. La force des anciens réside
de la désormais dissoute loge des Arcanes à laquelle elle dans leur capacité à maîtriser et équilibrer ces groupes
appartenait. Il se dit qu’elle gagna sa place au Conseil et à les faire travailler ensemble sans qu’ils le réalisent
en complotant contre l’Hérésiarque couronné, et forcément.
en le poussant à aller trop loin en tentant de brûler Paris. Une loge qui se montrerait trop embarrassante,
Son fidèle lieutenant, et amant est lui aussi entreprenante, ou pire, incompétente, verrait son sort
un ancien membre des Arcanes, le Maître d’armes aux rapidement scellé au cours du Conseil de la Première
Flambeaux. Totalement dévoué à sa dame, il œuvre et Loge. Au mieux, elle se retrouverait dissoute. Au pire,

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ses membres seraient frappés de déchéance, voire dans le plus grand secret ou que la destination est diffi-
pourchassés et éliminés. cile d’accès, il est confié aux Marcheurs, qui se chargent
Les dragons ont établi des loges au sein de tous de le livrer à bon port. Si la loge en elle-même n’est
les pays d’Europe, la France mise à part. Agissant constituée que d’une dizaine de dragons et d’hommes,
comme des ambassades partiellement autonomes, elles elle contrôle en réalité directement ou indirectement
ne sont en réalité que les bras armés locaux de la Griffe plus de la moitié des transports réalisés en Espagne,
noire. Certaines, influencées en particulier par l’exemple et un quart de ceux effectués en Europe. De plus,
suédois, possèdent l’ambition de gagner une véritable afin de pouvoir transporter les marchandises les plus
autonomie, mais très peu y parviennent. Toute ten- secrètes, les Marcheurs ont créé des lignes de transport
tative d’indépendance est sévèrement réprimée par clandestines, réservées aux membres de la Griffe noire,
les Dragons Suzerains de la Première Loge, pouvant reliant les grandes villes européennes. Garantissant
mener jusqu’à l’élimination de l’ensemble des anciens la livraison, ils n’apprécient pas que l’on s’immisce dans
dragons d’une contrée, alors déclarés coupables de ré- leurs affaires ou que l’on s’en prenne à leurs messagers
bellion contre la race draconique. et convoyeurs. En cas d’incident, ils optent toujours
La Griffe noire possède de plus de très nombreuses loges pour la manière forte, engageant des mercenaires dracs
internes mineures. Elles sont constituées de dragons et humains afin de résoudre le problème et dissuader
comme d’hommes, et leurs effectifs peuvent varier quiconque de renouveler l’expérience.
d’une petite poignée à plusieurs centaines. Ils sont réunis
par un but commun, l’objectif et le rôle de la loge, et La loge des Princes rassemble de nombreux dragons
œuvrent ensemble pour son accomplissement. Les loges et humains ayant leurs entrées dans les diverses cours
peuvent être adoubées par les conseillers de la Première royales européennes. Lorsqu’un dragon a besoin
Loge, et ainsi bénéficier de leurs appuis et financements, de relations et appuis, il s’adresse aux Princes, qui
ou être tenues secrètes et clandestines. se chargent alors de lui faire rencontrer les bonnes
personnes ou de lui ouvrir les bonnes portes. Le rôle
Au sein de la Griffe noire, le Glaive ardent est une loge de cette loge très informelle a, peu à peu, été détourné
tout aussi étrange que redoutée. Elle est constituée et elle est finalement aussi devenue le moyen d’afficher
de cinq dragons dont l’identité réelle est ignorée de tous, son influence aux yeux de tous les autres membres
même des conseillers de la Première Loge. Elle est le bras de la Griffe noire. Il est à noter que l’Orateur fut
répressif de la Garra Negra, la garde interne chargée longtemps un membre de cette loge, et qu’il ne l’a
d’éliminer ceux qui ont fauté. Lorsque des membres quittée que pour être remplacé par ses deux lieutenants.
de la société secrète sont reconnus coupables de trahison
ou d’actions contre la race draconique, leur nom est La Sangre Oscura, le Sang sombre, est une puissante
confié à un grand miroir d’argent poli. Contrairement loge constituée de très anciens Dragons Suzerains,
aux autres miroirs de vision, il est lié à cinq autres et dont les noms ne sont pas connus, et de sorciers
ne permet pas de voir son interlocuteur, ni même de re- humains. Elle a pour but d’attirer à elle et corrompre
connaître sa voix. Les cinq exécuteurs du Glaive ardent les maîtres de magie d’Europe afin de reprendre
se chargent alors de trouver et d’éliminer les condam- le contrôle de la connaissance draconique qui fut
nés. Depuis sa création, cette loge n’a jamais failli dans volée par les hommes. Elle est impliquée dans presque
les missions qui lui furent confiées. Il n’existe que deux toutes les histoires de magie noire et de commerce
façons de l’intégrer. Soit l’un de ses membres transmet illégal d’objets draconiques. Au sein de la Griffe
son miroir à un candidat de valeur qu’il estime, soit noire, la Sangre Oscura ne parle que par la voix de son
un condamné parvient à tuer son exécuteur. Son miroir représentant, un érudit et alchimiste draconique français
lui revient alors de droit, et il entre dans la clandestinité se faisant appeler Pierre Arnauld, sieur de la Chevalerie
pour le restant de ses jours. Lorsqu’en 1633 les Arcanes de Chartres. Détesté par la Sorcière, qui considère la loge
échouèrent dans leur Grand Dessein, le Glaive ardent comme un ramassis de vermines à écraser, il n’hésita
supprima en quelques mois tous ceux qui ne parvinrent pas à lui tenir tête lorsqu’elle exigea la dissolution
pas à se placer sous la protection des membres du Conseil de la Sangre Oscura. Son arrogance lui coûta l’œil et
de la Première Loge. Certaines rumeurs affirment que l’oreille droits, emportés par le souffle de la Sorcière,
le Pèlerin immobile parvint cependant à survivre et mais la loge fut maintenue.
intégrer la loge. D’autres racontent qu’un sang-mêlé
et une humaine en seraient membres. Los Cazadores fut fondée par l’Orateur en 1570. Ayant
pu prendre la mesure du pouvoir des Louves lors-
Les Marcheurs forment une loge destinée au soutien lo- qu’elles le démasquèrent et manquèrent de le tuer
gistique des dragons en et hors d’Espagne. Agissant à tra- en 1565, il forma une loge chargée de les traquer
vers de nombreux prête-noms, ils ont acquis une grande et de les tuer. Les Sœurs de Saint-Georges pouvant
quantité de messageries et de sociétés de transport reconnaître les dragons, cette loge en compte très peu
de marchandises. Lorsqu’un paquet doit être convoyé dans ses rangs, très majoritairement constitués de reîtres

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humains et dracs. Au fil des décennies, ils ont appris
à connaître les Châtelaines et leurs tactiques. Opérant
en petits groupes infiltrés et recrutant de préférence
des étrangers, ils parviennent à traquer leur proie même
lorsqu’elle se trouve sur des terres hostiles comme
la France. Au cours des cinquante dernières années, six
louves sont tombées sous leurs coups. Les cinq premières
sont mortes, mais la dernière, la mère de Vaussambre,
leur a survécu au prix de son dragon spectral. Le groupe
de Cazadores responsable de cet exploit est mené par
un très jeune maître de magie versé dans la sorcellerie,
Juan Del Lago, et par un puissant drac noir, ancien
lieutenant irskehn, Khas’Resksess. Tous deux n’ont
pas perdu l’espoir de terminer cette dernière mission,
et rêvent d’éliminer définitivement la mère supérieure
générale des Châtelaines.

Les Poussiéreux forment une loge dont l’efficacité est


incontestable sans pour autant qu’elle en gagne recon-
naissance et crédit. Elle regroupe en effet une armée
de malades de la ranse et de la grande ranse, venus vers
les dragons dans l’espoir d’une guérison. Désespérés,
certains sont prêts à tout et servent d’espions, d’hommes
de main et parfois même d’assassins aux Derniers-Nés
qui dirigent la loge. Sans remords, les dragons bercent
ces hommes d’illusions avant de les abandonner à leur
triste sort une fois devenus inutiles.

Les Seigneurs et Maîtres regroupent une


poignée de dragons désireux de rétablir l’esclavage
des dracs. Impitoyables et vicieux, ils tentent de restaurer
leur autorité par la terreur et le sang, menant de grandes
chasses dans les marécages, traquant les dracs à dos de vy-
verne ou même sous forme intermédiaire. Si le Guerrier
fut l’un des membres fondateurs de la loge, il leur
est aujourd’hui farouchement opposé. Bien que son
mépris envers les dracs n’ait pas varié, il trouve à présent
qu’ils sont plus efficaces sur un champ de bataille
s’ils se battent dans l’espoir de conserver leur liberté.

Les Sans-Reflet sont une toute nouvelle loge clandestine


espionnant pour le compte de l’Intrigante. Présente
dans tous les endroits stratégiques d’Europe, et même,
dit-on, dans le Nouveau Monde, elle tente de trouver sa
place et affronte sans relâche les espions servant les rois
d’Europe. Elle doit aussi faire face aux ambassadeurs
de la Griffe noire, pour la plupart dévoués à l’Ambitieux,
qui éliminent les Sans-Reflet dès qu’ils les démasquent.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
La loge des Arcanes
La reformation
Ainsi, telle une sourde malédiction, la loge
des Arcanes inspirait une crainte fascinée à ceux qui

des Arcanes
croyaient en son existence et, aux autres, un respect
superstitieux aussi prudent qu’inquiet. Même
les puissants maîtres de la Grande Loge madrilène
hésitaient à lui demander des comptes, lorsqu’ils Durant vingt années, les Arcanes furent la plus redoutée
connaissaient ses plans. des loges internes de la Griffe noire. Pendant deux
Pierre Pevel, Le Dragon des Arcanes décennies, ses membres, tous de puissants Derniers-Nés,
œuvrèrent à son Grand Dessein : placer un dragon
sur le trône de France. Néanmoins, alors que leur
victoire semblait proche, ils furent victimes de leurs
egos et de leurs dissensions internes. Affaiblis, ils furent
finalement mis en échec en 1633 par l’action conjuguée
des Gardiens, des Châtelaines et des premières Lames
du Cardinal menées par le capitaine Étienne-Louis
La Fargue et la louve Agnès de Vaudreuil. Leur chef,
l’Hérésiarque couronné, fut terrassé en même temps que
l’Archéen qu’il avait lâché sur Paris. La loge fut dissoute
par la Griffe noire et ses membres se dispersèrent.
Cependant, leur défaite n’entraîna pas l’abandon de leur
Grand Dessein. Le principe draconique qu’ils étaient
parvenus à implanter en la reine de France ne put être
détruit et les Châtelaines durent trouver un moyen
plus subtil pour qu’elle puisse donner un héritier
au trône de France. Le 5 septembre 1638, aidée au
préalable par de nombreuses poudres et incantations
magiques, Anne d’Autriche mit au monde des jumeaux,
deux fils physiquement identiques mais néanmoins
très dissemblables. Le premier était humain, le se-
cond draconique. Le premier était destiné au trône
de France, et serait révéré comme Louis XIV, le Roi-
Soleil. Le second n’aurait dû avoir d’autre horizon que
les soupiraux des cachots les plus obscurs du royaume
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et l’histoire n’aurait dû le connaître que sous le nom


de Masque de Fer.
Hélas, il est des pouvoirs et des destins que même
les plus profondes oubliettes ne peuvent étouffer,
et ceux du fils draconique du roi de France en font
partie. Au début de l’hiver 1642, l’Intrigante et
l’Orateur, deux des neuf membres influents du
Conseil de la Première loge de la Griffe noire, reçurent
une étrange missive leur soumettant l’idée de profiter
de la santé déclinante du pape Urbain VIII pour prendre
le contrôle de la papauté. Fortement intéressés, tous
deux se rendirent à un rendez-vous secret organisé au
cœur de Madrid.
Dans les profondeurs des caves de la cité espagnole,
ils rencontrèrent à leur grande surprise le chevalier
d’Eauprofonde, un fidèle serviteur des Gardiens. À ses
côtés se tenait Lask’sesch, un puissant saaskir descendant
d’une lignée de prêtres sorciers maîtrisant les voies
de la prescience. La réunion secrète dura plusieurs

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jours et aboutit à la décision de reformer la loge d’Innocent X. Mazarin, qui désirait rallier Rome pour
des Arcanes. Les membres du Conseil ne pouvant empêcher son élection, fut retenu par des manigances
eux-mêmes s’impliquer, ce furent leurs initiés du premier habilement orchestrées par les dragons. Tout cela
ordre, eux-mêmes anciens membres des Arcanes, qui portait la signature des Arcanes, de leur nouveau maître
rejoignirent la nouvelle loge ressuscitée. Le Maître le Chevalier au Dragon et de leur plus fin stratège,
d’armes aux Flambeaux, la Magicienne sous le Voile l’Architecte des Mondes.
et le Gentilhomme au Corbeau reprirent donc leur Quelques années plus tard, aucun ennemi
place. Quant au chevalier d’Eauprofonde, il renia ses ne semble en mesure de s’opposer à la progression
anciens maîtres pour prendre le nom d’Architecte des Arcanes. Cependant apparaissent déjà de sournoises
des Mondes. dissensions internes et les ennemis des Arcanes sont
Dès lors, les Arcanes s’affranchirent de l’autorité de leurs peut-être toujours les mêmes : l’ego, l’ambition et
mentors du Conseil de la Première Loge et œuvrèrent la perfidie de chacun d’entre eux. Ainsi que, bien sûr,
à leur nouveau Grand Dessein : prendre le contrôle les Lames du Cardinal nouvellement reformées.
de la papauté. Et le premier acte de ce grand plan néces-
sitait de libérer du joug des Français et des Châtelaines

Les nouveaux
celui qui deviendrait leur chef, le Masque de Fer. Grâce
à leur influence à la cour du roi de France, les Arcanes

Arcanes
parvinrent à obtenir le transfert de l’enfant-dragon au
château d’If, une forteresse bâtie sur une île située au

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large de Marseille. Il y était secrètement attendu par
le Maître d’armes aux Flambeaux, qui avait au préalable Il est important de noter que seules les plus hautes
pris le contrôle des lieux. Lorsque le Masque de Fer instances de la Griffe noire et les espions les mieux
posa un pied sur l’île, une féroce bataille s’engagea renseignés du Vieux Continent savent que la loge
entre les forces draconiques et les Châtelaines et des Arcanes a été reformée. Les Lames du Cardinal
Gardes noirs qui escortaient le prisonnier. Si, au final, ne devraient que très rarement avoir directement affaire
les dragons eurent le dessus et parvinrent à libérer à l’un d’entre eux. En revanche, ils devraient fréquem-
l’enfant, les Châtelaines réussirent, au prix de grands ment se trouver confrontés à leurs hommes de confiance
sacrifices, à mettre en place un rituel empêchant toute ou aux organisations que ces conspirateurs dirigent.
créature draconique de quitter l’île.
Désormais libéré de ses geôlières mais contraint de de- Les Arcanes utilisent, pour définir leurs collabora-
meurer dans sa prison, le jeune dragon, tout juste âgé teurs les plus importants, des titres inspirés du tarot
de cinq ans mais d’une puissance déjà incommensurable, draconique : roi, dame, cavalier, vyverne. Le roi est
fut admis au sein des Arcanes et prit le nom de Chevalier habituellement leur bras droit, représentant de leur
au Dragon. Dès la première assemblée, il fut désigné autorité. La dame est la partie intrigante, le cavalier
comme le chef de la loge et les dragons présents lui le messager privilégié. La vyverne est généralement
jurèrent allégeance. le bras armé. Tous bénéficient de faveurs magiques
Dans les mois qui suivirent, au moins trois conférées par l’Arcane qu’ils servent.
autres membres furent recrutés. Le premier prit
le nom de Guerrier immortel et devint le bras armé
de la loge. Le second, un Dragon Suzerain profondé-
ment versé dans la magie draconique antique, devint
l’Astrologue en Prière. Et la troisième, qui désira être
appelée la Vestale de Pierre, était une dragonne qui
œuvrait depuis des décennies pour s’infiltrer au cœur
de la papauté. Disposant de pouvoirs lui permettant
de dissimuler sa nature même aux yeux des Châtelaines,
elle était parvenue à se rapprocher de Giovanni Battista
Pamphili, prétendant sérieux au titre de pape lorsque
Urbain VIII décéderait.
Enfin, certains affirment aussi que le Pèlerin immobile
aurait repris sa place au sein du groupe, lui conférant
un illégitime mais puissant accès au Glaive ardent
(cf. page 63).
Désormais suffisamment puissants et influents,
les Arcanes se lancèrent dans l’exécution de leur Grand
Dessein. À la mort d’Urbain VIII, Giovanni Battista
Pamphili fut élu pape en septembre 1644 et prit le nom

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Le C hevalier au Dragon, de recrues potentielles qu’il peut ensuite faire repartir
ou Masque de Fer vers le continent pour accomplir ses basses besognes.
À travers Marseille, l’enfant-dragon pèse aussi sur
Arcane 21. Valeur : Domination le commerce maritime de la Méditerranée – même
Opposant naturel : l’Astrologue en Prière si la concurrence acharnée du Voleur sans Mémoire
est un clou dans sa botte – et certains navires font
La magie draconique a toujours été au cœur de la vie même escale la nuit aux abords de l’île du château
du Chevalier au Dragon. Avant même sa conception, d’If avant d’entrer dans le port de la ville. Il contrôle
le principe qui mènerait à sa création n’était déjà de plus une grande partie de la population drac
que pure magie. Sa mère fut la cible de nombreux de la Méditerranée et leurs chefs viennent régulière-
rituels, tantôt conduits pour favoriser sa naissance, ment rendre compte ou prendre leurs ordres auprès
tantôt pour l’empêcher de survenir, pour le renforcer du Chevalier au Dragon. Il pèse aussi fortement sur
ou l’affaiblir. Et si un corps et un esprit draconiques sont les villages dracs de Camargue, dont la population
parfaitement adaptés à cette omniprésence de la magie, semble augmenter à une vitesse anormale.
il n’en est pas de même pour ceux d’un homme.
En 1648, le frère jumeau du roi de France est âgé
de dix ans et n’est physiquement pas plus développé
qu’un enfant de son âge. Son intelligence, cependant,
est hors du commun et il possède une compréhension
instinctive de la magie draconique. Sa prestance et
son autorité sont telles que sa seule présence impose
le respect. Néanmoins, sa personnalité est profondément
instable, oscillant entre folie froide et fureur sanglante,
sagesse millénaire et caprices d’enfant roi. Vivre à ses
côtés et le servir équivaut à jouer chaque jour sa vie
aux dés. Nombre de malheureux ont péri dans d’atroces
souffrances pour de simples erreurs, leurs corps sans
vie étant retrouvés par la suite disloqués, sur le littoral
marseillais.
Le Chevalier au Dragon semble avoir hérité des connais-
sances de l’Hérésiarque, son « père », mais il ne les maî-
trise pas. La magie s’exprime parfois à travers lui contre
son gré, et ce malgré le masque d’acier-mage qu’il porte
en permanence et que personne n’a jusqu’alors réussi
à lui retirer. Atroce cadeau des Châtelaines, ce masque
neutre, aussi lisse qu’un miroir à la surface sans défaut,
perturbe et inhibe une grande partie de ses pouvoirs tout
en renforçant l’instabilité de son caractère, l’aura de sa
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présence et la terreur que tous éprouvent à sa vue. De son


visage encadré par de longs cheveux châtains bouclés,
seuls sont connues les pupilles de ses yeux reptiliens
injectés de sang et la langue bifide qui se glisse parfois
à travers la fine ouverture de sa bouche.
Maître tout-puissant du château d’If depuis la victoire
des Arcanes sur les Châtelaines, ses pouvoirs et son
aura lui permettent aussi de fortement peser sur
la ville de Marseille. En peu de temps, s’appuyant sur
la Faucheuse (son âme damnée présente dans la ville),
il est parvenu à tisser un réseau occulte influençant
une grande partie des notables marseillais. Certains
d’entre eux prennent même parfois le risque de se dé-
placer en secret jusqu’à l’île pour recevoir les conseils
du jeune dragon ou quémander son aide. Il a ainsi
pu négocier que le château d’If soit toujours ravitaillé
en échange du maintien de son rôle de prison, ce
qui l’assure par la même occasion d’un flux constant

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La Faucheuse
À la demande d’Anne d’Autriche, l’enfant-dragon fut
laissé en vie. Retiré à sa mère dès la naissance, il fut
confié par les Châtelaines à une nourrice autrichienne
Mes chères Lames,
choisie par la reine. Durant une année, tous deux
Depuis peu, un mal sournois s’est emparé
furent continûment enfermés dans une obscure cellule
de la ville de Marseille. Certains notables
de couvent et placés sous la garde impitoyable des Sœurs
de la cité phocéenne se sont, semble-t-il,
de Saint-Georges. La jeune femme prit soin de l’enfant
rapprochés de la Griffe noire, et notre
jusqu’à ce qu’il reçoive son masque d’acier-mage et
commerce vers la Méditerranée en est fortement
soit alors emprisonné seul dans les sombres cachots
affecté. J’ai besoin que vous démasquiez ces
des prisons parisiennes.
traîtres à la France et que vous les neutralisiez,
Cette nourrice, dont le nom est désormais oublié, est
mais plus encore que vous identifiiez et punissiez
la seule personne à avoir contemplé le visage du Masque
les envoyés des dragons qui séjourneraient dans
de Fer. La présence et la beauté surréelle de l’enfant
la ville ou ses environs. Je crains que vous ayez
draconique l’ont subjuguée et rendue folle au point
affaire à forte partie et qu’il vous faille faire
de détruire son âme. Le lien qui, une année durant,
preuve d’une extrême précaution. Je vous invite
se forgea entre eux la transforma profondément. Lorsque
à contacter le sieur Morel, armateur sur le port
l’enfant lui fut retiré, elle disparut dans les ténèbres et
que je nous sais fidèle.
dédia sa vie au service de son nouveau maître. Et, dans
les bas-fonds, elle prit le nom de Faucheuse.
Ne me décevez pas.
Pour le Masque de Fer, elle est comme une extension
autonome de sa propre personne. Au prix d’une intense
concentration, il peut voir et agir à travers elle, et même Le destin du Masque de Fer
parfois utiliser certains de ses pouvoirs. Mais il peut aussi L’ambition personnelle première et profonde de l’en-
lui faire confiance pour remplir les missions qu’il lui fant-dragon est de reprendre ce qui lui a été volé
confie et agir toujours dans son intérêt. Si elle est son à sa naissance, le trône de France. Le renversement
agent le plus efficace, elle est aussi, même s’il refuse de la papauté ne fut pour lui qu’un moyen de démontrer
de l’admettre, une préoccupation pour lui. Seule mère à la Griffe noire sa maîtrise et sa puissance, de la gagner
qu’il ait jamais connue, il est véritablement attaché à sa cause et de marquer les esprits. Ses efforts sont
à elle, et il lui est vraiment difficile de la placer dans désormais dirigés vers le remplacement de son frère
une situation à risque. humain et il orchestre les actions des Arcanes en ce
Installée dans les bas-fonds marseillais depuis la libéra- sens. Une fois ce but atteint, auréolé de gloire, il pourra
tion de l’enfant-dragon par les Arcanes, elle traite avec alors marcher vers Madrid et renverser la Griffe noire
les notables et toute personne qui désire s’adresser à son pour prendre la tête du monde draconique.
maître. Elle distribue ses récompenses, mais aussi son L’enfant-dragon est parfaitement conscient que son exis-
courroux. Profondément transformée physiquement et tence même terrifie et dérange, que ce soit les Gardiens,
mentalement, elle constitue un adversaire redoutable, les hommes ou les dragons de la Griffe noire. Il sait
intelligent et déterminé. qu’il suscite autant d’admiration que de crainte et que
ceux qui désireraient le servir sont aussi nombreux que
ceux qui l’envient ou veulent supprimer l’abomination
qu’il incarne. Il se dit d’ailleurs, au sein de la Griffe
Mes chères Lames, noire, qu’un groupe de conseillers de la Première Loge
Les mésaventures dont j’ai été victime lors de mon aurait décidé sa mort et que le Conseiller sans Nom
trajet vers Rome ne doivent en aucun cas pouvoir lui-même en ferait partie.
se reproduire. J’ai besoin que vous identifiiez Mais la seule véritable crainte du Masque de Fer provient
et répertoriiez l’ensemble des populations dracs d’une prophétie faite à sa naissance. Elle le dit condamné
vivant à proximité des Alpes et que vous agissiez à échouer comme son père avant lui, ce que le jeune
de façon à identifier un trajet sûr. Je crains dragon a interprété comme le fait qu’il sera terrassé
qu’il vous faille compter sur l’influence que par les Lames du Cardinal, et plus particulièrement
le Masque de Fer a sur eux et qu’il soit difficile le capitaine Étienne-Louis La Fargue dont il a fait son
de le contrer. Je vous invite à prendre contact ennemi intime sans pour autant l’avoir jamais rencontré.
avec l’Italienne, représentante de l’autorité Or, depuis quelques mois, une rumeur s’amplifie et
papale, qui connaît bien ces régions et les dracs devient chaque jour un peu plus tangible. Elle est désor-
qui y demeurent. mais un murmure que les espions de toutes les nations
commencent à envisager comme plausible. « Il » serait
Ne me décevez pas. de retour sur le Vieux Continent.

- 1645 -
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On l’aurait vu il y a quelque temps débarquer de nuit Le C hevalier au Dragon et lesArcanes
dans un petit port espagnol. « Il » se serait lancé à la re- Arrogant, certain de la puissance et de la légitimité
cherche des Arcanes et remonterait inexorablement leur de son ascendance, le Chevalier au Dragon ne craint
piste. Et « il » se rapprocherait d’eux chaque jour un peu aucun opposant. Il se méfie néanmoins beaucoup
plus. Et il paraîtrait même que, au plus profond de son des actions de son prédécesseur à la tête des Arcanes,
île-forteresse, l’enfant draconique tremble à l’évocation l’Architecte des Mondes, seule personne qu’il estime
de son nom, car la terreur viscérale le fait alors réagir capable de rivaliser avec lui en ruse et stratégie.
comme l’enfant de dix ans qu’il est parfois. Il pense dominer le Maître d’armes aux Flambeaux et lui
Aussi, depuis quelques mois, le Masque de Fer a mis accorde de ce fait toute confiance. De même, il est sûr
à profit ses relations commerciales maritimes pour armer de la loyauté de la Vestale de Pierre, son ambassadrice
des navires. Ceux-ci sillonnent les mers à la recherche à Rome, et du Pèlerin immobile, son atout maître.
de La Fargue ou de tout élément pouvant mener à lui. Il admire la complicité dans la perversité du couple
formé par la Magicienne sous le Voile et le Gentilhomme
au Corbeau, mais se méfie grandement de la Magicienne
Mes chères Lames, dont il a du mal à cerner la personnalité séductrice.
Vous n’êtes pas sans savoir que notre jeune La sauvagerie et l’efficacité du Guerrier immortel lui
roi Louis XIV a subi les affres d’une petite servent, mais son manque de subtilité l’agace tout
vérole aussi soudaine que violente. Cette maladie, aussi souvent.
aux dires de nos médecins et de notre maître Enfin, il juge l’Astrologue en Prière trop empêtré dans
de magie, semble trop étrange pour ne pas être les affaires internes de la Griffe noire et le considère
suspecte. Je crains que cela porte en réalité comme un outil dont il se débarrassera si néces-
l’empreinte d’un nouveau complot draconique, saire. Étant par définition son principal rival potentiel
et qu’une complicité interne au palais soit du fait de l’opposition cosmogonique de leurs Arcanes,
à craindre. J’ai besoin que vous déployiez toutes l’enfant-dragon préfère le garder près de lui, quitte à lui
vos ressources pour trouver la trace de la loge conférer des bribes de pouvoir.
de la Griffe noire dans cet événement funeste.
Ne me décevez pas.

Louis xiv enfant

50
LArchitecte
’ des Mondes, La réalité est légèrement différente. Lask’sesch,
ou chevalier d’Eauprofonde le saaskir, était le dernier descendant d’une puissante
lignée de prêtres-sorciers maîtrisant les voies de la pres-
Arcane 12. Valeur : Innovation cience. Lorsque le chevalier d’Eauprofonde et son
Opposant naturel : le Pèlerin immobile expédition arrivèrent, il les attendait. Le combat fut
féroce mais, lorsque l’ensemble des compagnons du
Très tôt acquis à la cause des Gardiens, le Dernier- chevalier fut exterminé, le saaskir accepta de se rendre
Né connu sous le nom de chevalier d’Eauprofonde a au dragon et de devenir son prisonnier, à la condition
toujours été un fidèle et loyal serviteur. Admiré pour expresse qu’il le déclare mort aux Gardiens.
sa connaissance des arcanes de la magie draconique, Durant les vingt années qui suivirent, le geôlier et
politicien habile et influent dans les royaumes du sud le prisonnier apprirent à se connaître et tissèrent
de l’Europe, on le disait proche de la papauté et farouche un étrange lien de confiance et de dépendance. Avec
opposant des dragons de la Griffe noire. le temps, le saaskir révéla au dragon son étrange et
Néanmoins, cette fidélité était remise en question depuis incertaine destinée. Car le chevalier d’Eauprofonde
plusieurs décennies. À l’aube du xviie siècle, le chevalier était l’une de ces rares personnes dont l’avenir n’est pas
d’Eauprofonde participa à une expédition en Savoie gravé dans le marbre, et deux chemins s’offraient à lui.
dont le but était de capturer ou tuer un puissant Après de très longues nuits de réflexion, au cours
saaskir. Cette mission, primordiale pour les Gardiens, de l’hiver 1642, le chevalier fit son choix et prit contact
fut couronnée de succès, mais elle eut un coût très avec l’Intrigante et l’Orateur. Avec leur aide et celle
élevé : de tous leurs serviteurs engagés, le chevalier de Lask’sesch, il œuvra à la reformation des Arcanes,
d’Eauprofonde fut le seul survivant. renia son allégeance aux Gardiens et devint l’Architecte
des Mondes, embrassant la glorieuse destinée qui ferait
de lui l’un des dragons les plus puissants et les plus
influents de son temps, mais aussi un traître honni et
traqué sans relâche.
Le chevalier d’Eauprofonde fut le premier dirigeant
de la nouvelle loge, jusqu’à ce que ses membres libèrent
l’enfant-dragon. Que la passation entre eux se soit
faite de bon gré ou ait été plus conflictuelle, la rivalité
entre les deux dragons est en tous cas affirmée et leur
animosité réciproque n’est un secret pour personne.
Suite à la révélation de sa destinée, l’Architecte
des Mondes a succombé à une ambition sans
limites. Les Arcanes ne sont qu’un outil qu’il laisse
entre les mains du Chevalier au Dragon pour pouvoir
se concentrer sur ses Grands Projets. Grâce à ses agents,
il s’immisce au cœur des cours d’Europe et pèse sur
la politique de certains royaumes. La prise de la papauté

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fut un coup de maître mais il ne compte pas s’arrêter
à cela et ambitionne déjà de renverser ses anciens
maîtres, les Gardiens, et de les affronter sur leur propre
terrain, la France. On dit à son sujet qu’il aurait même
noué des contacts avec les Naos de Suède.
Son atout maître reste un jeune humain ambitieux
et d’une intelligence hors du commun, un dénommé
Jean-Baptiste Colbert. Celui-ci, né en 1619, gravit
rapidement les marches de l’administration, grâce aux
contacts de son protecteur. Il deviendra conseiller du
roi en 1649, puis se rapprochera de Mazarin, dont il de-
vient le secrétaire en 1651, gérant même la fortune du
Cardinal. Son ascension le conduira tout près du roi…

51
Mes chères Lames,
Il y a quelques jours, le 10 juillet de cette
année 1645, la ville de Fort-Mardyck, qui protège
la passe ouest de Dunkerque, a été prise aux
Espagnols. Mes agents sur place m’ont rapporté
la présence d’agents de la Griffe noire et du
comploteur Arrigo Concini dans la ville. J’ai besoin
que vous vous employiez à localiser et suivre cet
intrigant afin d’identifier ses complices. Je crains
qu’il ne compte parmi ceux-ci des Mousquetaires
du Roi ou ses Châtelaines. Je vous invite
à le mettre en mauvaise posture afin qu’il soit
forcé de faire appel à eux, mais en aucun cas vous
ne devez le capturer ou le tuer. L’identification
de son réseau de conjurateurs est bien plus
importante que lui.
Ne me décevez pas.
Le destin de l’Architecte des Mondes
Colbert Si le destin du chevalier d’Eauprofonde fut durant
de longues années incertain – chose si rare que Lask’sesch
le saaskir décida sciemment de sacrifier sa liberté pour
Les neuf silencieux pouvoir l’étudier de près –, son choix l’a désormais fixé.
Il y a vingt ans, le chevalier d’Eauprofonde est entré L’Architecte des Mondes sera l’un des dragons les plus
en possession d’une Sphère d’Âme et s’est approprié puissants d’Europe. À l’apogée des Arcanes, il sera
un rituel similaire à ceux qui permettent à la Griffe noire celui qui les aura menés au succès, au même titre
de lier ses séides à son service. À la recherche d’éléments que le Chevalier au Dragon, et ses neuf silencieux lui
de valeur, il sillonna alors le Vieux Continent durant assureront la maîtrise du destin des grands royaumes.
un an et jeta son dévolu sur neuf Grands d’Europe, dont Et si tel est le destin qu’il voit, ce n’est pas celui qui
trois Français. Avec eux, il accomplit un rituel de lien et durera. Car Lask’sesch n’a pas révélé l’ensemble de sa
tous devinrent totalement dévoués à sa cause. Liés par destinée au chevalier d’Eauprofonde. Celui-ci ignore que
le secret qui entourait la cérémonie, ils se nommèrent sa chute sera aussi brutale que celle de sa loge, qu’il sera
les neuf silencieux, et tous commencèrent à œuvrer terrassé par l’un des Arcanes et qu’il souffrira mille morts
de concert au bénéfice du futur Architecte des Mondes. quand la Griffe noire le vendra à ses anciens partenaires.
Suite à cette trahison, les Gardiens menèrent leurs
investigations et découvrirent l’existence de ces neuf LArchitecte
’ des Mondes et lesArcanes
agents. Ils ne purent formellement identifier qu’un seul À première vue, le Chevalier au Dragon est le rival
d’entre eux, Arrigo Concini. Fils de l’ancien conseiller de l’Architecte des Mondes au sein des Arcanes. Mais
de Marie de Médicis assassiné sur ordre de Louis XIII, celui-ci se considère tant au-dessus des petites intrigues
caché à Florence et protégé par la reine mère depuis du Masque de Fer qu’il méprise l’enfant-dragon, sans
de nombreuses années, il quitta la ville italienne pour autant le sous-estimer.
en 1642 suite au décès de celle-ci, au moment même Les deux seuls Arcanes en qui il place sa confiance
où le chevalier d’Eauprofonde trahissait ses anciens sont le Guerrier immortel, car celui-ci est trop rustre
maîtres. Auréolé de la renommée de son père, orateur pour pouvoir trahir sans être démasqué, et la Vestale
influent et grand bretteur, il travaille depuis dans de Pierre car c’est grâce à sa subtilité et son engagement
l’ombre et s’emploie à déstabiliser le royaume de France que la papauté a pu être infiltrée.
auquel il n’a pas pardonné l’assassinat de son père et Pour les quatre membres de la loge originelle, l’Archi-
son emprisonnement. tecte des Mondes n’a en réalité que peu de considération,
Depuis 1643, les agents des Gardiens tentent sans re- même s’il reconnaît leurs utilités respectives. Avoir été
lâche de démasquer les huit autres silencieux, mais n’ont mis en échec par une louve et quelques bretteurs n’est
jusque-là pu en neutraliser qu’un seul, en 1646. Tout pas digne d’une grande loge de la Griffe noire.
au plus savent-ils, et en ont informé le cardinal, que L’Astrologue en Prière constitue quant à lui une contra-
l’un d’entre eux possède un très haut grade au sein riété. Profondément versé dans la magie draconique,
des Mousquetaires du Roi, et qu’une autre est profon- il est suffisamment fin et érudit pour percer à jour
dément infiltrée au sein des Sœurs de Saint-Georges. certaines des manigances de l’Architecte des Mondes,
ce qui en fait un dragon à surveiller et si possible à tenir
à l’écart.

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Le Maître d’armes aux F lambeaux Néanmoins, les jeux du Maître d’armes aux Flambeaux
ont toujours été bien plus complexes qu’ils ne le pa-
Arcane 7. Valeur : Maîtrise raissaient, et il possède systématiquement plusieurs
Opposant naturel : l’Assassin sans Visage pas d’avance sur ses adversaires grâce au vaste réseau
d’espions et conspirateurs que l’Intrigante et lui ont mis
À première vue, le Maître d’armes aux Flambeaux en place durant les dernières décennies. Depuis la chute
n’est pas le membre le plus influent ni le plus redouté des Arcanes, tous deux travaillent pour reprendre
des Arcanes. Depuis longtemps amant de l’Intrigante, le contrôle du Grand Œuvre de l’Hérésiarque couronné.
dont il est le plus fidèle serviteur, il fut un membre Ainsi, au cours de l’été 1638, le Maître d’armes
de la loge originelle et prit part à sa chute. Choisi par aux Flambeaux effectua secrètement un voyage
le nouveau groupe pour libérer l’enfant-dragon, il mena en France. Durant deux mois, il usa de toute son
sa mission à bien mais fut au dernier moment contré par influence afin de suggérer subtilement à l’entourage
les Châtelaines qui les emprisonnèrent tous deux sur l’île de la reine de France le choix d’une nourrice bien
du château d’If à l’aide d’un puissant rituel. Aujourd’hui précise, choisie pour sa crédulité et sa malléabilité,
subjugué par le tout jeune Masque de Fer, il semble pour son enfant à venir, et faire accepter celle-ci aux
avoir changé d’allégeance et se pose désormais comme Châtelaines. Il espérait, avec raison, qu’elle et l’enfant
le plus proche conseiller du Chevalier au Dragon. tisseraient un lien, et qu’elle serait une faiblesse qui
pourrait se révéler exploitable dans un futur plus
ou moins éloigné.
Le Maître d’armes aux Flambeaux fut aussi, sans en avoir
l’air, à l’origine du choix des Arcanes de faire transférer
l’enfant-dragon au château d’If. Car ce territoire,
magiquement instable et chargé de l’énergie propre
à son arcane, était idéal pour manipuler et prendre peu
à peu l’ascendant sur le Masque de Fer. Aidé de l’Astro-
logue en Prière, le dragon le plus versé dans la magie
draconique antique, il se prépara longuement à son
installation dans la prison marseillaise et à l’utilisation
des énergies magiques à son profit.
L’emprisonnement sur l’île par les Sœurs de Saint-
Georges n’est en réalité pas un échec, mais plutôt
un choix et même un privilège pour lui. Car aujourd’hui,
à travers un conseil permanent et une obéissance sans
faille, parfois feinte, il devient peu à peu indispen-
sable au Chevalier au Dragon. Lorsqu’il sera parvenu
à dompter l’esprit de l’enfant-dragon, ils quitteront tous
deux la prison du château d’If et le Maître d’armes aux
Flambeaux pourra enfin retourner victorieux aux côtés

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de son amante, l’Intrigante, et prendre sa véritable place
au sein de la Griffe noire.

Le château d’I f et Marseille


Certaines légendes racontent que sous la ville
de Marseille dormirait le plus puissant des Archéens,
que le combat qu’il livra aux Dragons Ancestraux venus
le tuer fut si violent que les montagnes se couchèrent
sur leur flanc, et que seul un rituel draconique majeur
permit de le terrasser. Si la présence du dragon n’est
pas avérée, la cité phocéenne est profondément imbibée
de résidus d’ancienne sorcellerie et le château d’If est
un puissant centre de magie draconique.
Si cette particularité rend le lieu très propice à la pratique
de la sorcellerie, il est aussi très instable et fragilise forte-
ment les personnalités sensibles à la magie. Si le Maître
d’armes aux Flambeaux possède la sagesse et la force
nécessaires pour lutter contre ces influences, la jeunesse
du Chevalier au Dragon ne lui permet pas de réaliser

53
combien il est en réalité ébranlé par le lieu, le pous- Le Maître d’armes
sant à ne ressentir ses émotions que dans le spectre aux F lambeaux et lesArcanes
des extrêmes. Sa manipulation par le Maître d’armes Le Maître d’armes aux Flambeaux se présente comme
aux Flambeaux en est rendue plus aisée et fait de cette le serviteur fidèle et zélé du Chevalier au Dragon et n’ex-
forteresse le lieu le plus adapté au conditionnement primera pas ouvertement d’opinion qui serait contraire
de l’enfant-dragon. à celle du chef des Arcanes. Néanmoins, il œuvre depuis
Autre avantage, du côté de la ville, les résidus magiques des années pour détourner lentement les décisions
provoquent des fluctuations qui affectent les pouvoirs de celui-ci et l’amener toujours où il le veut. C’est un jeu
des châtelaines. Le rituel permettant d’empêcher tout subtil et extrêmement dangereux qui peut lui coûter
être draconique de quitter l’île est la seule parade qu’elles la vie à tout instant. Allié de circonstance de l’Astrologue
ont pour l’instant trouvée pour contenir le Masque en Prière, qui l’aide à utiliser la magie antique du château
de Fer et ses nouveaux alliés. Toujours en cours, d’If, il se défie néanmoins fortement du Dragon Suzerain
il est alimenté par l’énergie de la région et la force qu’il considère comme extrêmement retors.
vitale des officiants qui se relaient régulièrement pour Le Maître d’armes aux Flambeaux se méfie en réalité
l’entretenir. Il prend place en l’église Notre-Dame-de- de tous les Arcanes. Ayant été l’un des conspirateurs
la-Garde, un lieu étroitement protégé par les adversaires qui ont provoqué la chute de la loge originelle, il sait
des dragons. très bien à quoi s’attendre de la part des autres membres
La tâche est en réalité si lourde et la menace si grave de l’organisation. De plus, contrairement à eux, la prise
qu’en 1644, les Sœurs de Saint-Georges ont demandé de la papauté ne fut en réalité pour lui qu’une di-
à la ville la construction d’une tour supplémentaire version, au mieux une opportunité, et non un but
à l’entrée du port, la tour du fanal, afin d’établir principal. Les jeux de pouvoir qui se trament autour
un quartier général plus efficace et de mieux surveiller de Rome ne sont pas ses préoccupations principales
le château d’If. De plus, une partie de l’entrée du port et, pour lui, l’enjeu réel de la reformation des Arcanes
leur a été réservée. En effet, les vyvernes refusant de voler est l’enfant-dragon.
au-dessus de l’eau salée, les Gardes noirs et les Louves Le Maître d’armes aux Flambeaux porte une attention
doivent monter une garde sans relâche et patrouiller très particulière aux trois autres anciens membres,
dans la baie de Marseille à bord de leurs propres la Magicienne sous le Voile, le Gentilhomme au
bateaux. Équipés pour lutter contre les dragons, leur Corbeau et le Pèlerin immobile, car tous trois furent
accès est strictement réglementé et leur sûreté maximale. très proches et fidèles à l’Hérésiarque couronné dont,
Cependant, ce que tous ignorent, c’est que le Maître au final, il provoqua la chute.
d’armes aux Flambeaux était parfaitement préparé à son
établissement au château d’If. Ainsi, lorsqu’il a pris
possession de la forteresse, il savait déjà qu’un ancien
tunnel secret reliait l’île à la ville. Malgré son infestation
par des salamandres et autres créatures étranges ayant
muté sous l’effet des résidus magiques draconiques,
le dragon peut mobiliser suffisamment de magie – ses
sortilèges de combat armé sont sans égal – pour pouvoir
l’emprunter en relative sérénité. Il est ainsi, en réalité,
libre de ses mouvements, et ne se montre prisonnier
des Sœurs de Saint-Georges que par pur artifice.

Le destin du Maître d’armes


aux F lambeaux
Avant même la création de la loge originelle des Arcanes,
le Maître d’armes aux Flambeaux ressentait profondé-
ment le lien qui l’unissait à celle qui deviendrait l’Intri-
gante. Ils élaborèrent leurs plans à deux et partagèrent
leurs succès. Leur ascension au sein de la Griffe noire est
une prouesse commune. Aujourd’hui encore, l’exil du
Maître d’armes aux Flambeaux dans la forteresse-prison
a un but commun : prendre le contrôle du Grand
Œuvre de l’Hérésiarque couronné et devenir les maîtres
de l’enfant-dragon. Avec lui, ils pourront enfin se hisser
à la place qui est la leur, à la tête de la Griffe noire.

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La Magicienne sous le Voile Longtemps convaincue du manque d’ambition de cette
dernière, la Magicienne sous le Voile n’en comprit pas
Arcane 17. Valeur : Ruse le dessein et ne put anticiper la chute de la première loge
Opposant naturel : la Danseuse à l’Épée des Arcanes, et ce malgré les nombreuses mises en garde
de l’Hérésiarque couronné. Devoir reformer la loge
La Magicienne sous le Voile fut membre de la première en s’alliant de nouveau avec l’amant de la Gardienne,
loge des Arcanes, et une fidèle servante de l’Héré- le Maître d’armes aux Flambeaux, ne fut donc pas
siarque couronné. Avec son amant, le Gentilhomme chose aisée.
au Corbeau, elle s’impliqua activement dans la réali- Mais cette nouvelle association est pour elle un moyen
sation de son Grand Dessein, allant jusqu’à quitter de pouvoir venger l’Hérésiarque couronné, prendre sa
les fastes madrilènes pour s’installer dès 1615 à Paris revanche sur le couple de conspirateurs tout en achevant
pour être au plus près d’Anne d’Autriche, future reine le Grand Dessein auquel elle a consacré tant d’années
de France et porteuse du principe draconique qui de sa vie.
donnera naissance au Masque de Fer. La Magicienne C’est aussi une façon de reprendre la main sur son destin
sous le Voile participa aussi au dernier assaut contre et de se libérer à nouveau de l’emprise des Dragons
Paris, provoquant par ses décoctions empreintes Suzerains de la Griffe noire. Réinstallée à Paris en com-
de magie la furie des dracs. Mais elle vécut aussi la fin pagnie de son amant, le Gentilhomme au Corbeau, elle
de la loge. La chute de l’Hérésiarque couronné et a repris ses marques et réactivé ses réseaux d’espions. Elle
la dissolution des Arcanes furent dramatiques pour règne sans partage sur la cour de jeunes gens qui vivent
elle et, lorsque l’Orateur lui demanda de faire renaître en sa propriété, une enclave située à l’extrémité de l’île
de ses cendres son ancienne loge, elle accueillit l’idée Notre-Dame, en bordure des Écailles. En ces lieux,
avec enthousiasme et excitation. Néanmoins, la colère elle déguste une vie de débauche et se délecte sans
reste fermement implantée en son for intérieur, car elle retenue de tous les plaisirs que la capitale française
n’a jamais pardonné à la Gardienne derrière le Miroir, peut lui procurer.
devenue l’Intrigante, d’avoir su la duper et d’avoir En outre, elle tente de reprendre en main le commerce
trahi les Arcanes. de jusquiame dorée, se heurtant aux agents du Marchand
qui ont investi la ville après la chute des Arcanes, quinze
ans plus tôt. Mais son pouvoir de fascination est tel que,
pour l’instant, aucun d’entre eux n’est parvenu à lui
tenir tête. Peu à peu, son ombre s’étend de nouveau
sur les bas-fonds parisiens.

La Courtisane amoureuse
La Magicienne a été étroitement liée à une dragonne
ayant pris les traits d’une jeune noble, Françoise
de Nargonne. Celle-ci, experte dans l’art de la séduc-
tion, montra des qualités telles que la Magicienne
et le Gentilhomme la proposèrent à la loge pour

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endosser le rôle de la Courtisane amoureuse. Lors de sa
présentation, certains membres des Arcanes, en parti-
culier le Guerrier immortel, n’hésitèrent pas à mettre
à l’épreuve les « talents » de la dragonne contre promesse
de soutien lors du vote de la loge. Mais, en définitive,
elle fut trahie, rejetée et contrainte de rester dans un rôle
subalterne aux côtés de la Magicienne. Sa rancœur
n’en fut que plus grande.

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Le destin de la Magicienne sous le Voile
Si la Magicienne sous le Voile n’a pas eu un rôle
primordial dans les plans de libération du Masque
de Fer ou la prise de contrôle de la papauté, elle est
désormais en première ligne. En effet, l’objectif fixé par
le Chevalier au Dragon est de lui rendre sa place sur
le trône de France, parachevant ainsi le Grand Œuvre
de l’Hérésiarque couronné. Et cette nouvelle ambition
motive la dragonne au plus haut point. Un premier
échec ne l’a pas échaudée.
Cependant, avec le temps, elle est aussi devenue de plus
en plus dépendante aux plaisirs que lui procure son côté
humain, et elle a cédé progressivement à la jusquiame
dorée. Ses sensations et ses besoins se sont exacerbés,
la poussant à prendre plus de risques pour toujours
plus de plaisir. Et malgré les mises en garde de son
amant, le Gentilhomme au Corbeau, elle franchira
sûrement les frontières du raisonnable et se mettra
réellement en danger, que ce soit vis-à-vis de la Griffe
noire ou de ses ennemis français.

La Magicienne sous le Voile et lesArcanes


La Magicienne sous le Voile est totalement dévouée
Françoise de Nargonne au Grand Dessein des nouveaux Arcanes : placer
le Chevalier au Dragon sur le trône de France. Pour
cela, elle fait confiance au Gentilhomme au Corbeau,
au Pèlerin immobile et au Guerrier immortel dont elle
a pu contempler jadis les prouesses guerrières.
Elle estime que l’influence de la Vestale de Pierre est
Mes chères Lames, mineure au sein des Arcanes, et les talents magiques
J’ai besoin que vous meniez une rapide et efficace de l’Astrologue en Prière dépassés, au point de peut-être
enquête sur une étrange épidémie qui frappe trop le négliger.
les Parisiens depuis un mois. Après étude, le maître En outre, elle voue une haine tenace au Maître d’armes
de magie royal suspecte une maladie se transmettant aux Flambeaux et voit d’un très mauvais œil l’influence
lors des rapports charnels. Pour mettre fin qu’il commence à gagner sur le Masque de Fer. Enfin,
à la contagion, Sa Majesté insiste pour faire fer- elle se méfie de l’Architecte des Mondes, dont elle
mer les bordels de la capitale. Je crains que nous redoute les stratagèmes.
ne soyons, une fois encore, en face d’un maléfice
draconique subtil. Car si nous en venions à devoir
fermer les maisons de plaisir, nul doute que Paris
serait rapidement à feu et à sang. Je vous invite
à consulter Manon, aux Petites Grenouilles. Elle
possède quelques connaissances sur le sujet.
Ne me décevez pas.

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Le Gentilhomme au Corbeau Suzerain offrit quelque chose de rare et précieux au
Gentilhomme au Corbeau : être présenté aux Gardiens.
Arcane 11. Valeur : Modification S’il n’a aucune intention de trahir la Griffe noire au pro-
Opposant naturel : l’Hérésiarque couronné fit des Sept, le Gentilhomme a cependant toujours été
séduit et fasciné par les Gardiens. La rencontre fut très
Membre de la loge originelle des Arcanes depuis instructive et bénéfique aux deux parties. En échange
toujours, et peut-être même depuis trop longtemps, de précieuses informations, notamment sur les Dragons
amant de la Magicienne sous le Voile, le Gentilhomme Suzerains de la Griffe noire, le Gentilhomme au Corbeau
au Corbeau fut initialement réticent à la résurrection a accepté d’aider les Gardiens dans une tâche qui lui
de la loge, ne retrouvant pas dans ce nouveau groupe convient à lui aussi : châtier celui des leurs qui s’est
l’esprit de grandeur que l’Hérésiarque couronné avait retourné contre eux, le chevalier d’Eauprofonde devenu
à son époque su insuffler. Cependant, l’insistance Architecte des Mondes.
de sa maîtresse et de l’Orateur vint à bout de ses
réserves. Utilisant ses relations en Italie, il s’installa El V ibora
quelque temps à Rome et participa aux manœuvres qui À la chute des Arcanes, le Gentilhomme au Corbeau en-
permirent l’élection du pape Innocent X. Puis il revint tra au service de l’Orateur et prit le nom de Gabriel. Pour
en France et œuvre désormais à la réalisation de son le compte de son nouveau maître, et sous ce nom, il sil-
nouveau Grand Dessein. À son arrivée à Paris, il a lonna l’Europe. Maître escrimeur, il profita de ses voyages
rejoint la Magicienne sous le Voile au cœur des Écailles, pour se confronter aux meilleurs bretteurs. De tous
et fréquente de nouveau les élites françaises. les combats qu’il engagea, Gabriel sortit vainqueur. Sauf
Toutefois, cette fidélité aux Arcanes et l’efficacité une fois. À Tarragone, il affronta un jeune homme
dont il fit preuve à Rome sont aussi dues à sa récente se faisant appeler El Vibora. Et il perdit. En échange
association avec l’Ambitieux, le septième membre du de sa vie, l’homme exigea une information : les noms
Conseil de la Première Loge. Approché par le Dragon des dragons qui étaient responsables de la mort de son
Suzerain peu après la chute des Arcanes originels, père… le nom des Arcanes. Car El Vibora n’était autre
le Gentilhomme au Corbeau se désintéressa longtemps que Juan Francisco Almadès di Carlio, fils caché et
de ses propositions mais, avec la résurrection de la loge, héritier du maître escrimeur des Lames du Cardinal,
l’Ambitieux se fit plus insistant. Désireux de connaître Anibal Antonio Almadès di Carlio.
le responsable de la mort de Savelda, qui avait été son Secouru par ses gardes, Gabriel parvint in extremis
premier lieutenant dix ans auparavant, tout autant à échapper au jeune bretteur sans révéler les noms
que de s’opposer aux projets de l’Intrigante, le Dragon recherchés. Mais le souvenir cuisant de cette défaite
le hante encore. Et malgré la mort de celui qui la lui
infligea, le Gentilhomme ne peut évacuer sa rancœur,
qu’il reporte sur le groupe des Lames du Cardinal.

Le destin du Gentilhomme au Corbeau


Le Gentilhomme au Corbeau s’est impliqué dans
un très grand nombre de dangereuses manigances et

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la découverte de certains de ses alliés par les Arcanes
pourrait lui être fatale. Il est donc au cœur d’un jeu qui
peut à chaque instant lui coûter la vie, et il adore ça.

Le Gentilhomme au Corbeau et lesArcanes


S’il œuvre toujours fidèlement à installer le Chevalier
au Dragon sur le trône de France, le Gentilhomme
au Corbeau a également ses propres plans. Il se défie
fortement de ceux dont il cherche à provoquer la chute,
l’Architecte des Mondes et le Maître d’armes aux
Flambeaux.
Son alliée naturelle est la Magicienne sous le Voile,
mais il doit se méfier d’elle car elle n’accepterait pas
son alliance avec l’Ambitieux ou les Sept.
Enfin, il a confiance dans les autres Arcanes pour œuvrer
avec lui dans l’intérêt de la loge, même s’il est évident
qu’il fera tout pour les tenir loin de ses propres plans.

57
Le Guerrier immortel le sac de la ville, tous trois s’associèrent et partagèrent
pleinement les divertissements cruels et sanglants
Arcane 20. Valeur : Héroïsme qu’ils pouvaient inventer.
Opposant naturel : la Tisserande oubliée Peu après, les deux dragons des Arcanes rentrèrent à Paris
tandis que le futur Guerrier immortel était rappelé
Avant d’intégrer la loge des Arcanes et de devenir à Madrid par les Anciens de la Griffe noire. En quelques
le Guerrier immortel, ce Dernier-Né fut envoyé par mois à peine, le général Tilly, abandonné par le dragon,
la Griffe noire, au début du xviie siècle, pour assister périclita, et sa carrière militaire prit fin avec sa vie un an
les armées de Ferdinand II et de la Ligue catholique au plus tard, en 1632, à Ingolstadt.
cours de la guerre de Trente Ans. Il œuvra dans l’ombre Impressionnés par le sens de la guerre du Guerrier,
du général Tilly durant une décennie, apportant à ce la Magicienne sous le Voile et le Gentilhomme au
dernier la réputation d’invincibilité qui le rendrait cé- Corbeau soumirent son nom au vote lors de l’Assemblée
lèbre, mais amenant aussi des déchaînements de cruauté des Arcanes en 1633, mais il fut rejeté, l’Hérésiarque
moins glorieux. L’un de ses plus hauts faits d’armes couronné ne désirant pas risquer de froisser l’Enlumi-
se déroula lors du sac de la ville de Magdebourg en mai neur aveugle.
1631. Assiégée depuis novembre 1630 par les armées Lorsque la loge fut reformée, le Guerrier immortel fut
de la Ligue catholique, la ville protestante succomba l’un des premiers noms proposés par les deux Derniers-
en moins de quinze jours suite aux assauts menés Nés et il fut rapidement recruté.
par les dracs de la Griffe noire. Pillée par les troupes S’il est un combattant héroïque et un stratège
draconiques et impériales quatre jours durant, elle compétent, le Guerrier immortel a néanmoins été
fut la proie d’un incendie effroyable et sa population, mis en défaut une fois. En avril 1622 il participait
initialement de trente mille âmes, réduite à quelques à l’une de ses premières batailles au côté du général Tilly,
centaines. à Wiesloch. Ce premier combat pour la Ligue catholique
C’est lors de cet incendie que le Guerrier immortel fut une cuisante défaite au cours de laquelle le dragon fut
fit la connaissance de la Magicienne sous le Voile capturé par les troupes protestantes. La nuit précédant
et du Gentilhomme au Corbeau, venus se repaître son exécution, il fut rejoint par El Viento, le lieutenant
du spectacle et participer au bain de sang. Durant du Conseiller sans Nom de la Première Loge. Celui-ci
lui offrit de le sauver en échange d’une dette de vie
et d’honneur. Le dragon, piégé, accepta. Le jour qui
suivit, une armée espagnole inattendue rejoignit les ca-
tholiques et, dans la bataille qui s’ensuivit, les troupes
protestantes furent mises en déroute. La vie et l’honneur
du futur Guerrier immortel furent sauvegardés mais
à un prix élevé car, désormais, le Dragon Suzerain
peut faire appel à lui à tout instant et exiger son entière
loyauté. Or il semblerait que le Conseiller sans Nom
considère l’existence même du Masque de Fer comme
une abomination et il se pourrait que le Guerrier
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

immortel se trouve bientôt obligé de s’opposer au


Dessein des Arcanes.

Les cavaliers noirs


Le Guerrier immortel a profité des ressources
des Arcanes pour reformer une partie des troupes dracs
qu’il commandait lors du sac de Magdebourg. Il a
constitué de petites unités d’une quinzaine de soldats,
mobilisables par un simple message convoyé par dra-
gonnet, et les a dissimulées dans de nombreux points
stratégiques d’Europe. Le Guerrier immortel peut ainsi,
où qu’il se trouve, être rejoint par au moins deux unités
de combat en moins d’une journée de chevauchée.
Il utilise aussi ces troupes dracs pour effectuer des raids
ponctuels et la rumeur d’une armée sombre émergeant
de la brume pour y retourner une fois son forfait accom-
pli commence à se répandre. Les paysans parlent avec
effroi de cavaliers noirs chevauchant à bride abattue dans
la nuit, semant la mort et la désolation dans leur sillage.

58
Mes chères Lames,
J’ai besoin que vous vous rendiez instamment dans
les Vosges. L’une de nos délégations secrètes ayant
mené de cruciales négociations revenait du Saint
Empire germanique en traversant ce massif quand
elle a été attaquée. Deux Gardes de Saint-Georges
qui accompagnaient par hasard les ambassadeurs
sont parvenus in extremis à échapper à l’attaque
en sauvegardant la missive qui était destinée au
roi. Ils affirment avoir été attaqués par une unité
de dracs montés sur des vyvernes. Je crains que
certaines des routes de cette région que nous
empruntons régulièrement ne soient plus sûres
et il est nécessaire de rapidement rétablir leur
sécurité. Je compte sur vous pour retrouver
ces dracs et faire en sorte qu’ils ne soient plus
une menace pour nos échanges avec le Saint Empire
germanique. Je vous invite à prendre contact avec
les deux Gardes noirs, qui pourront vous renseigner
plus en détail sur cet escadron de dracs.
Ne me décevez pas. Le Guerrier immortel

Le destin du Guerrier immortel Le Guerrier immortel et lesArcanes


Le Guerrier immortel est à la fois un stratège et un exé- La politique et les manigances internes des Arcanes
cuteur de basses œuvres. Ses compétences au combat n’intéressent guère le Guerrier immortel. Partisan
en font un redoutable adversaire et les Arcanes font de méthodes directes et d’actes flamboyants, la subti-
appel à lui dès que la force est requise pour résoudre lité nécessaire à certains plans le dépasse quelque peu,
un problème. Il menait la diversion contre les Gardes mais il fait confiance pour cela aux autres membres
noirs dans un assaut frontal près de Marseille pendant des Arcanes. Comme tout bon soldat, il est très
que le Maître d’armes aux Flambeaux dirigeait l’expé- attaché à la hiérarchie et ne dérogera donc pas aux
dition qui libéra le Chevalier aux Dragons. Il est celui ordres donnés par le Chevalier au Dragon et son
qui sera toujours en première ligne, et sûrement celui second, le Maître d’armes aux Flambeaux.
que les Lames du Cardinal rencontreront en premier Il apprécie particulièrement la Magicienne sous
lorsqu’ils affronteront les Arcanes. En tous cas, il est celui le Voile et le Gentilhomme au Corbeau avec qui il a
qui est déjà connu et reconnu par la grande majorité un passé commun, et se méfie de ceux qu’il considère
des espions d’Europe, et cela l’indiffère. Tomber héroï- comme retors, l’Architecte des Mondes (à qui il rend
quement au combat pour le Grand Dessein des Arcanes souvent visite à Paris), l’Astrologue en Prière et
serait pour lui un honneur. la Vestale de Pierre.
Enfin, il admire beaucoup l’efficacité froide du
Pèlerin immobile, même s’il ne l’a pour l’instant
jamais rencontré.

59
LAstrologue
’ en Prière
Arcane 0. Valeur : Fatalité
Opposant naturel : le Chevalier au Dragon

Durant de nombreuses décennies, l’Astrologue en Prière


fut un membre important de la Sangre Oscura, la loge
des maîtres de magie. Profondément versé dans la sor-
cellerie draconique antique, collectionneur réputé d’ar-
tefacts draconiques, il accepta de rejoindre les Arcanes
pour satisfaire sa curiosité à propos des magies « divines »
qui semblent protéger le pape et ses fidèles. Réputé au
sein de la Griffe noire pour avoir percé à jour certains
des rituels utilisés par les Châtelaines, il espère ainsi
continuer à démontrer la supériorité draconique sur
toute autre forme de magie.
L’Astrologue en Prière est un Dragon Suzerain d’origine
nordique et, par conséquent, le doyen de la loge. Lors
de la négociation pour son adhésion aux Arcanes, il fut
spécialement approché par l’Intrigante qui désirait
lui confier la tâche secrète de comprendre comment
utiliser au mieux la magie résiduelle instable du château
d’If pour influencer le Masque de Fer. Après quelques
mois d’étude, il put transmettre ses conclusions au
Maître d’armes aux Flambeaux et ainsi lui permettre
de se préparer au mieux à sa mission.
S’il ne fut jamais proche d’un quelconque conseiller
de la Première Loge, l’Astrologue en Prière fut de nom-
breuses fois en contact avec El Viento, le lieutenant
du Conseiller sans Nom. Durant les conversations
qu’ils eurent après son entrée dans les Arcanes, l’As-
trologue en Prière comprit que son interlocuteur était
très intéressé par le jeune Masque de Fer, et il en profita
pour échanger quelques informations contre d’antiques
artefacts ou parchemins draconiques. Avec le recul, et
même si ces échanges lui furent profitables, l’Astrologue
en Prière se demande s’il ne s’est pas trop livré et s’il n’a
pas imprudemment divulgué trop d’informations
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

préjudiciables au chef de sa loge.

60
Les artefacts oubliés LAstrologue
’ en Prière
L’Astrologue en Prière a toujours été un collectionneur et lesArcanes
compulsif. Il ne peut résister à l’attrait des connaissances Si l’Astrologue en Prière a longtemps courtisé la Vestale
draconiques antiques, et risquerait tout pour un par- de Pierre, il la délaisse désormais comme une amante
chemin ou un artefact ancien. Lorsqu’il appartenait décevante. Il est en effet très déçu par la magie « divine »
encore à la Sangre Oscura, il a utilisé les ressources étudiée à Rome, et il estime que ce n’est pas autour du
de la loge arcanique pour se constituer secrètement pape qu’il la découvrira dans sa pleine et pure expression.
un petit trésor occulte personnel. Si ces actions ont L’Astrologue en Prière suit à contrecœur les ordres don-
toujours été suffisamment discrètes pour ne pas être nés par le Chevalier au Dragon, mais écoute tout autant
découvertes, certains des Dragons Suzerains de la loge les suggestions de l’Architecte des Mondes. En réalité,
nourrissent de très lourds soupçons. il se fie de préférence aux interprétations et suggestions
Si son intégration aux Arcanes lui permet de bénéficier données par le Maître d’armes aux Flambeaux, amant
désormais de la protection de sa loge ainsi que de celle de l’Intrigante qui l’a fait entrer dans les Arcanes pour
de l’Intrigante, le porte-parole de la Sangre Oscura, soutenir sa cause.
Pierre Arnauld, Sieur de la Chevalerie de Chartres, Il n’a que peu d’estime et de confiance pour le couple
n’a pour autant pas décidé de le laisser s’en tirer à si formé par la Magicienne sous le Voile et le Gentilhomme
bon compte. Il a engagé des mercenaires et des agents au Corbeau, et très peu de considération pour les talents
pour parcourir l’Europe à la recherche d’informa- en sorcellerie de la première, bien trop humaine à son
tions. Lorsque l’Astrologue en Prière voudra acquérir goût pour pouvoir être efficace.
un nouvel objet, lorsqu’il se retrouvera impliqué dans Enfin il est terrifié par le Pèlerin immobile. Son
un nouveau trafic d’artefacts, la Sangre Oscura le saura appartenance au Glaive ardent et son efficacité légen-
et sera là. daire réveillent en lui la peur viscérale d’être châtié
Mais, pour l’instant, le trésor arcanique du Dragon pour ses vols.
Suzerain est parfaitement caché dans la forteresse danoise
de Malmö et tous ceux qui pensent avoir une idée de son
ampleur sont encore loin de la réalité. Toutefois, les Naos
suédois ont réuni de plus en plus d’éléments contre
l’Astrologue et sont passés à l’action. Une première
attaque a fortement endommagé Malmö, uniquement
sauvée par l’utilisation d’artefacts draconiques. Mais
les Suédois ont mis le doigt sur les mystères de la for-
teresse et fomentent de nouveaux plans.

Le destin de l’Astrologue en Prière


La motivation de l’Astrologue en Prière concernait
avant tout la prise de la papauté. Quand celle-ci
fut effective, il obtint ce qu’il désirait, un meilleur
accès à la magie « divine » et aux fameuses archives du

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Vatican. Sa déception fut grande, et son intérêt déclina,
même s’il poursuit ses recherches au sein du Saint-Siège.
Dès lors, il utilise alors les Arcanes comme une protec-
tion contre ses ennemis et comme un réseau d’informa-
tions très développé. Trop peu intéressé par le Grand
Dessein du Chevalier au Dragon, dont il ne peut
décemment servir longtemps les intérêts, et par la po-
litique interne de la loge, il finira soit par la trahir au
profit du Conseiller sans Nom, soit par la quitter afin
de continuer d’agrandir sa collection. En attendant,
il reste néanmoins la référence de la loge en sorcellerie
draconique et se trouve impliqué à chaque fois que
les Châtelaines menacent les agissements des Arcanes.

61
La Vestale de Pierre en contrepartie, elle ne peut pas faire appel à ses pouvoirs
draconiques lorsqu’elle le porte et dans les deux jours
Arcane 8. Valeur : Foi après l’avoir retiré.
Opposant naturel : la Courtisane amoureuse
Le destin de la Vestale de Pierre
La Vestale de Pierre est une dragonne qui n’a jamais réel- La Vestale de Pierre n’a en réalité que peu de relations
lement pris part aux manœuvres politiques de la Griffe avec les autres Arcanes après la désignation du nouveau
noire, et est même allée jusqu’à condamner les complots pape. Elle est chargée par le Chevalier au Dragon
et tentatives de déstabilisation menés par l’Illuminé de surveiller leurs intérêts à Rome, mais elle n’est pas
contre la foi catholique. Elle préfère en effet les joutes réellement impliquée dans la reconquête du trône
et conspirations religieuses aux disputes et querelles de France. Elle demeurera à Rome et dans l’entourage
draconiques, trouvant le jeu politique qui entoure de la papauté tant qu’elle le pourra, jusqu’à prendre
la papauté d’un attrait sans pareil. des risques inconsidérés s’il le faut. Mais il est plus que
Elle œuvre depuis des décennies à son infiltration au certain que tôt au tard la dragonne sera démasquée
cœur de Rome et la proposition d’association avec par les Châtelaines (ou les Lames) et devra quitter
les Arcanes lui a permis d’accélérer grandement ses la ville sainte.
propres projets. Bénéficiant soudainement du puissant
soutien de la loge et de la totale confiance du Chevalier La Vestale de Pierre et lesArcanes
au Dragon, elle se vit donner la possibilité d’intervenir La Vestale de Pierre est très inexpérimentée dans
dans l’élection papale pour la faire basculer en sa faveur. les jeux de pouvoir draconiques et a une vision assez
En effet, la Vestale de Pierre, qui possède le pouvoir naïve de la loge à laquelle elle appartient. Elle respecte
de dissimuler sa nature draconique même aux yeux les autres dragons et accorde à chacun autant de crédit
des Châtelaines, est parvenue depuis longtemps, et de confiance, ce qui la rend aisément manipu-
sous le nom d’Olimpia Maidalchini, à se rapprocher lable. La seule exception est l’Astrologue en Prière. Si ce
de la famille de Giovanni Battista Pamphili, tout d’abord dernier fut un allié prévenant et précieux dans la quête
en épousant son frère aîné, puis en se débarrassant du Saint-Office, il se comporte désormais avec elle avec
de celui-ci pour se placer aux côtés de Giovanni. Ce pré- dédain et mépris, ce qu’elle n’apprécie guère.
tendant sérieux au titre de pape à la mort d’Urbain VIII
ne pouvait être véritablement contré que par le cardinal
Mazarin et la France. Grâce aux ressources des Arcanes,
cela ne put se faire, et Giovanni Battista Pamphili fut élu
pape en septembre 1644 et prit le nom d’Innocent X.
Depuis, Olimpia se trouve pleinement impliquée dans
le jeu politique papal et, par le biais de sa proximité avec
le souverain pontife, pèse grandement sur l’ensemble du
monde catholique. Si elle a aussi gagné de nombreux
opposants – on la surnomme la papesse Olimpia –,
aucun d’entre eux ne se doute qu’il a en réalité face à lui
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une dragonne soutenue par l’une des plus puissantes


loges de la Griffe noire.
La dragonne profite des années suivant sa prise de pou-
voir pour placer des proches à des fonctions clés, et
déclenche une purge de ses opposants, parmi lesquels
figurent les neveux de l’ancien pape, qui trouvent refuge
en France.

La draconite blanche
La Vestale de Pierre est en possession d’un bracelet
uniquement constitué d’une fine chaîne de métal
d’un blanc laiteux. Rarement remarqué, ce bijou peu
fastueux est en réalité une relique draconique forgée par
les Dragons Ancestraux. Le métal qui le constitue est
de la draconite blanche, un alliage composé en majeure
partie de draconite, mais auquel ont été ajoutés divers
composants qui modifient son comportement. Grâce
à ce bracelet, la Vestale de Pierre peut dissimuler
sa réelle nature au pouvoir des Châtelaines. Mais,

62
Le Pèlerin immobile Le Pèlerin immobile et lesArcanes
Le Pèlerin immobile accorde une confiance totale au
Arcane 9. Valeur : Fermeté Chevalier au Dragon, mais il se défie du Maître d’armes
Opposant naturel : l’Architecte des Mondes aux Flambeaux et de l’influence que celui-ci gagne
peu à peu sur l’enfant-dragon. De même, il n’éprouve
Le Pèlerin immobile était le plus ancien membre que du mépris pour la Magicienne sous le Voile et
de la loge originelle des Arcanes, le premier allié le Gentilhomme au Corbeau qui, alors qu’ils se trou-
de l’Hérésiarque couronné. Dragon de confiance et vaient à Paris, ne parvinrent pas à protéger l’Hérésiarque
de foi, modèle de stabilité, il n’a jamais perdu le rêve couronné. Pour les avoir côtoyés au sein des Arcanes
de voir le Grand Dessein se réaliser, et ce même lorsque originaux, il connaît leur ruse et leur perfidie.
son maître d’œuvre succomba. Durant le mois qui Il respecte le Guerrier immortel et a confiance en ses
suivit la dissolution des Arcanes, le Pèlerin immobile talents de combattant, mais n’a que peu d’estime pour
se prépara à la venue du Glaive ardent et, lorsque son l’Astrologue en Prière et la Vestale de Pierre.
émissaire apparut, il parvint à le terrasser et à prendre Enfin, son opposition à l’Architecte des Mondes est si
sa place. Dès lors, lui qui était déjà d’une discrétion naturelle qu’elle se passe de tout commentaire.
légendaire sembla avoir totalement disparu.
Cette situation perdura jusqu’à ce que le Grand Dessein Les Naos
ressurgisse et que naisse l’enfant-dragon. Dès lors, Cet ordre draconique règne ouvertement sur la Suède
il se mit à sa recherche et parvint à entrer en contact avec et constitue de fait un contre-exemple à la volonté
lui alors qu’il était encore emprisonné dans les geôles d’agir en secret de la Griffe noire. On trouve nombre
parisiennes. Désireux de le libérer et le protéger, il fut de ses représentants dans les nations européennes,
cependant arrêté par l’enfant-dragon lui-même, qui lui mais l’opposition des loges de la Griffe noire à leur
intima l’ordre de demeurer dans l’ombre. encontre les incite bien souvent à faire profil bas et
Le Pèlerin contempla alors les complots et manigances à faire preuve de prudence. Quoi qu’il en soit, les Naos
de la nouvelle loge des Arcanes reformée, l’assaut constituent une force non négligeable tant en matière
sur le château d’If et la naissance du Chevalier au politique que militaire, et semblent suivre leurs propres
Dragon. Ce ne fut qu’à ce moment précis que, à la de- buts, confortablement installés dans leurs places fortes
mande du Masque de Fer, il révéla son existence aux nordiques.
Arcanes et demanda à retrouver sa place. Ce retour se fit
dans le secret le plus strict car la seule règle du Glaive
ardent est qu’un de ses membres ne peut appartenir
à aucune autre loge.
Totalement dévoué à l’enfant-dragon, il est l’atout
maître dont celui-ci disposera toujours en dernier
recours. Il est l’exécutant de tous les plans secrets du
Masque de Fer, et le seul dragon des Arcanes à connaître
et côtoyer la Faucheuse.

Un assassin implacable
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
Membre des Arcanes initiaux, le Pèlerin immobile
en fut le plus furtif. C’est un expert en tir, explosifs,
infiltrations et assassinats. D’une efficacité sans faille,
il a forgé sa légende au sang de ses victimes. La rumeur
raconte qu’il aurait la patience d’attendre des décennies
l’occasion idéale de remplir un contrat.

Le destin du Pèlerin immobile


Le Pèlerin immobile n’était pas présent lors de la mort
de l’Hérésiarque couronné, et il ne compte pas
renouveler cette erreur. Quel que soit le destin du
Chevalier au Dragon, le Pèlerin immobile le suivra, que
sa trajectoire l’amène à la tête du monde draconique
ou dans une tombe. Il est et sera toujours son bras armé
le plus fidèle, et son dernier bouclier.

63
La conjuration
des Silencieux
Naissance et chute
Lorsque le 5 décembre 1642, lendemain de la mort
du cardinal de Richelieu, Jules Raymond Mazarin est

des Silencieux, une


nommé principal ministre d’État, il accepte de diriger
un royaume de France menacé de toute part. Le pays

décennie de complots
doit faire face à des puissances étrangères comme
l’Espagne et les dragons de la Griffe noire, avec qui
la guerre est déclarée, mais aussi à de nombreuses cabales
internes menées par les Grands du royaume qui désirent
renverser l’enfant-roi. Si certains de ces complots
d’envergure entrèrent dans l’histoire, ils ne furent pas La conspiration de C inq-Mars (1642)
ceux qui menacèrent le plus directement le cardinal.
En effet, dissimulé dans les ombres de l’histoire, En 1639, afin de contrer l’influence de l’intrigante
un trompe-la-mort dévoré par une haine profonde Madame de Hautefort sur Sa Majesté Louis XIII,
de Mazarin fut le sombre artisan de nombreux complots le cardinal de Richelieu fait entrer à la cour le jeune
visant le cardinal et la France. Durant une décennie, Henri Coëffier de Ruzé d’Effiat, fils de l’un de ses
Henri Coëffier de Ruzé d’Effiat, dit Marquis de Cinq- proches amis décédé sept ans plus tôt. Le jeune homme
Mars, et sa conjuration des Silencieux, furent les ennemis est vif, charmeur, intelligent. Monteur de vyvernes
intérieurs les plus acharnés et dangereux du Royaume. émérite, il remporte aisément toutes les courses que
le jeune monarque organise dans les jardins royaux,
et devient rapidement le favori du roi qui le nomme
coup sur coup grand maître de la garde-robe, premier
écuyer, puis grand écuyer de France, lui attribuant
même le comté de Dammartin.
Mais l’influence et l’arrogance du jeune homme, devenu
marquis de Cinq-Mars et se faisant nommer « monsieur
le Grand », deviennent peu à peu insupportables au
roi. Leur amitié vacille lorsque Cinq-Mars subtilise
la belle Marion Delorme au roi. Elle s’effondre lors-
qu’il ose demander la main de la princesse Louise-Marie
de Gonzague. Richelieu et Louis XIII la lui refusent
sèchement, le Cardinal déclarant même en public
« qu’il ne croyait pas que la princesse Marie eût tellement
oublié sa naissance qu’elle voulût s’abaisser à si petit
compagnon ».
Bafoué et humilié, le marquis de Cinq-Mars s’allie
alors en secret avec le conseiller au Parlement François-
Auguste de Thou, le marquis de Fontrailles, Frédéric-
Maurice de La Tour d’Auvergne, le prince de Sedan, et
Gaston de France, frère du roi dans le but de renverser
Richelieu et le roi. Le marquis de Fontrailles rencontre
confidentiellement le comte d’Olivares, Premier mi-
nistre de Philippe IV d’Espagne et surtout serviteur
zélé de la Griffe noire. En échange de la promesse
de la restitution de places fortes et de l’abandon
des alliances de la France avec la Suède et les princes
allemands, l’Espagnol promet 400 000 écus aux conjurés

64
et fait masser une armée de dracs, fantassins, cavaliers Si l’arrestation du marquis en 1642 met un terme aux
et irskehns aux environs de Sedan afin de les soutenir. plans de la duchesse, elle rentre néanmoins en France
Le plan du marquis de Cinq-Mars est en place, et le coup afin de le rencontrer une dernière fois. Lorsqu’elle
d’envoi doit être l’assassinat du cardinal de Richelieu lui rend visite secrètement dans la prison de Lyon,
lorsque la cour s’arrête à Lyon le 17 février 1642. Mais elle constate que sa haine du Cardinal s’est encore
Richelieu n’est pas seul. À ses côtés se trouve son fidèle amplifiée, et qu’elle peut encore lui servir. Elle décide
sang-mêlé, Saint-Lucq. La réputation de l’homme de lui confier l’une des dernières potions concoctées
aux bésicles rouges fait reculer le marquis, qui n’ose par son ancien maître de magie, Mauduit. Le breuvage
finalement pas mettre son plan à exécution. Bien doit être partagé avec un autre homme. Elle permet
mal lui en prend car, intrigué par le comportement alors à chacun de prendre l’apparence de l’autre durant
du gentilhomme, Saint-Lucq enquête et, trois mois quelques heures. Ainsi pense-t-elle sauver le marquis
plus tard, met à jour la conspiration en interceptant et l’utiliser par la suite pour conspirer de nouveau
une correspondance secrète contenant le traité signé contre Richelieu.
avec l’Espagne. Ce n’est donc pas le marquis de Cinq-Mars qui
Gaston de France est laissé hors de cause, mais privé est décapité au matin du 12 septembre 1642, mais
de son droit de régence. Le marquis de Fontrailles un roturier qui a été incarcéré avec lui, le propriétaire
se réfugie en Angleterre. Le prince de Sedan est sauvé d’une vyvernerie nommé Jean Dubuis.
par sa femme Éléonore de Bergh qui menace le roi Cependant, le plan de la duchesse de Chevreuse ne se dé-
de livrer la forteresse de Sedan aux Espagnols. Mais roule pas aussi bien que prévu. Sa méconnaissance
le marquis de Cinq-Mars et le conseiller de Thou, des arcanes lui joue des tours. Elle ignore en effet que
de bien moins noble naissance, sont condamnés à être si l’un des deux hommes ayant partagé la potion décède
décapités pour crime de lèse-majesté. La sentence est tandis que le filtre fait toujours effet, le changement
exécutée le 12 septembre 1642 sur la place des Terreaux d’apparence devient définitif. Ainsi, le beau et attrayant
à Lyon. De plus, afin de servir d’exemple, le frère et jeune marquis devient désormais prisonnier du corps
la mère de Cinq-Mars sont privés de leurs titres et terres, grossier d’un simple roturier. Un malheur n’arrivant
et leur château de famille est rasé. jamais seul, l’infortuné contracte la ranse. Mais loin
de l’abattre, ces avanies ne font que renforcer sa haine
du Cardinal et son désir de vengeance, qui deviennent
La conspiration de C inq-Mars, l’unique but de son existence.
l’histoire de l’ombre
Si grand qu’ait été le ressentiment du marquis de Cinq- Les potions de l’Alchimiste des Ombres
Mars à l’encontre du roi et de Richelieu à la naissance Le Dragon Ancestral connu sous le nom d’Alchimiste
de la conspiration, il ne lui aurait cependant jamais des Ombres se livra à de très nombreuses expériences
permis de rencontrer et convaincre les quatre autres durant les années précédant le temps où il se fit appeler
conjurés s’il n’avait obtenu l’appui de la sulfureuse Mauduit et servit la duchesse de Chevreuse comme
duchesse de Chevreuse. En 1642 celle-ci est en exil, sur maître de magie. Souvent sur les routes, il se focalisa
ordre de Richelieu, et ce depuis cinq longues années. Elle sur la création d’ingénieux matériels de laboratoire,
fréquente tour à tour les cours d’Espagne, d’Angleterre adaptés aux voyages, et sur la transposition de sortilèges
et de Flandres, mais rentre régulièrement secrètement ancestraux en potions magiques.
à Paris pour conserver ses liens et son influence sur L’une de ses percées les plus remarquables fut
la reine Anne d’Autriche. la stabilisation du sortilège à l’origine de la création
La duchesse a rencontré le jeune Henri Coëffier des doppelgängers en un breuvage aux effets stables
de Ruzé d’Effiat peu après que Richelieu l’a introduit et prédictibles. Il se servit de très nombreuses fois
à la cour. Dès le premier regard, l’intrigante jauge de sa potion pour permettre à ses dracs et hommes
le potentiel du jeune homme et n’a aucune peine d’infiltrer des places fortes françaises, car il permettait
à le séduire. La fougue du jeune ambitieux soutenue d’échanger l’apparence de deux hommes durant
dans l’ombre par l’expérience de la courtisane fait quelques heures. De nombreuses patrouilles furent
merveille à la cour et l’ascension du jeune marquis est ainsi remplacées par les mercenaires du dragon qui
fulgurante. Cependant, ce n’est que lorsqu’il tombe pouvaient ainsi se glisser sans encombre au cœur
en disgrâce que la duchesse de Chevreuse a enfin des rangs ennemis.
à sa disposition le parfait instrument pour nuire au
Cardinal. Elle lui permet alors de rencontrer ceux qui
devinrent les conjurés de Cinq-Mars et le fait bénéficier
de ses contacts à travers l’Europe, facilitant notamment
sa rencontre avec le Premier ministre espagnol, le comte
d’Olivares.

65
L’Alchimiste des Ombres coucha sur vélin la grande par le cardinal de Richelieu, a été nommé Premier
majorité de ses découvertes. Ses livres, rachetés ministre d’État, et a fait détruire au cours de l’hiver
à la Duchesse puis revendus à prix d’or par le libraire éso- le château familial de Cinq-Mars. Le marquis déchu
térique Jules Bertaud, servent aujourd’hui de référence se rend à Tours, mais ne peut que constater que son
à de nombreux maîtres de magie. Mais le dragon était ancienne demeure n’est plus que ruine. Néanmoins
retors, et a souvent altéré presque imperceptiblement il parvient à retrouver son frère et, passée la surprise
ses recettes afin de rendre ses potions dangereuses pour de ce dernier (le changement d’apparence peut provo-
ceux qui n’auraient pas la connaissance suffisante pour quer une certaine stupéfaction), tous deux font cause
entièrement les comprendre. commune. En quelques mois ils reprennent le contrôle
Le savoir est parfois un poison. de leurs anciennes terres en utilisant les Vyverneries
Dubuis. Ils font de leur ancien château l’un des sites
d’envol les plus prisés de la Touraine, fréquenté par
La cabale desImportants (1643) les plus influents nobles tourangeaux qui profitent
des liaisons directes avec la capitale. Mais en même
Un mois après sa fausse exécution, Cinq-Mars, sous temps, grâce à leur connaissance de la région et à de san-
l’identité de Jean Dubuis, est libéré. Il s’empare guinaires mercenaires dracs qu’ils paient grassement,
de la vyvernerie familiale, fait enfermer « sa » femme ils reprennent dès la fin de l’été 1643 le contrôle
dans un couvent et jette à la rue les deux fils de Jean de la majorité des marchés parallèles à l’ouest de Tours.
Dubuis. Rendu à moitié fou par sa transformation et sa Cinq-Mars porte alors à nouveau son attention sur Paris
haine, il n’a que la vengeance en tête. Mais le cardinal car, au cours de l’été 1643, une basse intrigue de cour
de Richelieu décède un mois plus tard, et la frustration dégénère en un conflit épistolaire entre la duchesse
de Cinq-Mars n’a d’égale que sa colère contre la destinée de Montbazon et la duchesse de Longueville. Voulant
qui lui a volé sa vengeance. ménager Condé, frère de la duchesse de Longueville
Cette ire trouve une nouvelle cible lorsqu’il apprend et commandant victorieux des troupes françaises
début 1643 que le cardinal Mazarin, recommandé ayant écrasé les Espagnols à Rocroi, Mazarin ordonne

66
Duc de Beaufort
La conjuration des Silencieux (1644)
Durant les quatre années qui suivent, Cinq-Mars étend
son organisation. Ayant tiré les leçons de la tentative
trop hâtive de la cabale des Importants, il planifie et
prépare soigneusement la chute du cardinal Mazarin
et de la France sur un plus long terme.
Jean Coffier d’Effiat continue d’étendre l’emprise
du réseau occulte des deux frères sur la région
tourangelle. Il entre en conflit avec les opérations
de contrebande menées par le Marchand mais
parvient à s’entendre avec lui afin de ne pas déclarer
une guerre ouverte.
Durant l’été 1644, un relais de poste aérienne dont
les vyvernes sont fournies par les élevages Dubuis
est installé dans le Marais, à proximité de la place
à la duchesse de Montbazon de se retirer dans ses Royale. La maison de Marion Delorme, située sur
terres. Ce faisant il s’attire l’ire de son amant, François la même place, devient le repaire parisien de l’organi-
de Vendôme, duc de Beaufort, ainsi que celle de sa belle- sation tentaculaire que Cinq-Mars nomme désormais
fille, la duchesse de Chevreuse, qui utilisait les relations conjuration des Silencieux. Grâce à ce relais, il peut aller
de la duchesse de Montbazon pour rester en contact et venir à sa guise et faire entrer ou sortir de la capitale
avec la reine Anne. des espions ou de la contrebande de grande valeur.
Voyant là une opportunité de se venger de Mazarin, Fin 1644 la duchesse de Chevreuse lui présente
Cinq-Mars reprend contact avec la duchesse un homme prétendant être un ancien moine bénédictin
de Chevreuse à qui il offre ses services. La duchesse défroqué nommé Basile Valentin. Ce maître de magie
et François de Vendôme réunissent alors une poignée à l’éthique douteuse mais à l’efficacité redoutable met
de conspirateurs dans le but de dépouiller les partisans ses talents à la disposition de Cinq-Mars et permet no-
de Richelieu (la maison Condé notamment à laquelle tamment de ralentir la progression de sa ranse. En 1645
appartient la duchesse de Longueville) de tous leurs tous deux entreprennent de réhabiliter la commune
biens et privilèges et de signer une paix avec Philippe IV et le château d’Effiat, grand projet d’Antoine Coëffier
d’Espagne. Se joignent à eux Claude de Bourdeille, de Ruzé d’Effiat, père de Cinq-Mars, abandonné à sa
comte de Montrésor, Charles de l’Aubespine, marquis mort en 1625. Le château est acquis par les Vyverneries
de Châteauneuf, et Henri II de Guise, duc de Guise. Dubuis qui y installent un important relais, tandis
Cinq-Mars retrouve aussi parmi les conjurés son ancien que Basile Valentin obtient la jouissance exclusive
compère Louis d’Astarac de Fontrailles, dont il se fait des sous-sols du château.
reconnaître. Et grâce à son aide, il renoue avec sa Marion Delorme et sa très belle et très volage protégée,
femme, Marion Delorme, qu’il retrouve à Paris, dans Ninon de Lenclos, tissent quant à elles leur toile à la cour
leur demeure qu’elle a conservée, place Royale. du roi. Elles atteignent peu à peu les plus hauts sommets
Les comploteurs, inspirés par la duchesse de Chevreuse de l’État, brillant par leur éducation tout autant que
qui est, dans l’ombre, pressée par Cinq-Mars, décident leur beauté et leur raffinement. Elles comptent parmi
d’assassiner Mazarin. Trois reîtres, un ancien amant poète leurs amants une bonne partie des Grands de France,
de la duchesse de Chevreuse, Alexandre de Campion, Ninon ayant même réussi à entrer dans le lit de Condé.
son frère militaire Henry, et un nobliau, François Louis d’Astarac de Fontrailles est quant à lui l’homme
le Dangereux, sont chargés de la besogne. Mais les trois de main sans scrupule des Silencieux. Totalement dévoué
compères échouent à plusieurs reprises et Mazarin finit à Cinq-Mars qu’il déifie depuis qu’il a trompé la mort,
par lancer Saint-Lucq sur leurs traces. il se charge de régler les problèmes qui pourraient
Moins d’une semaine plus tard, le 2 septembre 1643, survenir dans la plus grande discrétion. Sa première
la cabale des Importants tombe. Le duc de Beaufort mission est de recruter François de Vendôme à sa sortie
est emprisonné au château de Vincennes tandis que de prison.
Châteauneuf et la duchesse de Chevreuse sont exilés Le duc de Beaufort devient alors le représentant
en province. Les autres conspirateurs ne sont pas dé- des Silencieux dans la capitale.
couverts mais entrent sans en avoir vraiment conscience Enfin, la duchesse de Chevreuse et le prince de Sedan,
au service de l’organisation de Cinq-Mars. tous deux exilés hors de France, sont les émissaires
Les Lames recroiseront leur route en 1648, lors à l’étranger de la conjuration. La première maintient
de la tentative d’évasion de Beaufort orchestrée par le contact avec l’Espagne que Cinq-Mars veut utiliser
Athos et Aramis. pour écraser la France, et le second, désormais chef
militaire au sein de la papauté, s’assure des bonnes

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grâces de Sa Sainteté Innocent X, grâce notamment
à de bonnes relations tissées avec la Vestale de Pierre,
la retorse dragonne ayant pris l’identité d’Olimpia
Maidalchini.
Peu à peu la toile de Cinq-Mars se tisse, et le marquis
n’attend désormais que l’occasion parfaite pour frapper
la France au cœur. Celle-ci se présente à lui quatre ans
plus tard, en 1648, lorsque débutent les troubles que
l’histoire retiendra sous le nom de Fronde.
Le détail de cette période et des actions des Silencieux
sera abordé dans la chronologie de l'époque des Lames
p. 214-232.

Les Silencieux
De 1644 à 1653, l’effectif et la composition de la conju-
ration des Silencieux varient fortement. À son apogée,
début 1651, elle compte une cinquantaine de conjurés,
conscients d’œuvrer pour une cabale ayant pour objectif
la chute du royaume de France et l’assassinat du cardinal
Mazarin. Néanmoins, son influence s’étend bien au-delà
de ce groupe restreint. La conjuration contrôle l’en-
semble des activités des Vyverneries Dubuis, gère un bon
quart des activités illicites de l’ouest de la France, et Jean Dubuis
bien plus encore en Touraine et en Guyenne, possède
à son service des compagnies de spadassins disséminées
un peu partout dans le pays et son influence politique Jean Dubuis, simple vyvernier
s’étend jusqu’aux Grands de France et à la cour. Le véritable Jean Dubuis est un enfant du Morvan
Néanmoins Cinq-Mars a structuré son organisation né en 1612. Talentueux et ambitieux, il décide
en groupes autonomes dissociés ne se connaissant pas très tôt de mettre à profit son affinité innée avec
forcément et œuvrant même parfois les uns contre les vyvernes. À l’âge de 12 ans, il quitte son massif
les autres. La force des conjurés réside dans l’omnipo- natal pour la grande ville, Lyon. Même si la vie
tence de son chef, et lorsque le marquis déchu sombre qu’il y mène est dure et violente, il parvint à dénicher
définitivement dans la folie et se lance à corps perdu un bon parti à marier, la fille veuve d’un prêteur
dans la traque du Cardinal en exil, le déclin et la mort sur gages. En 1630 il emprunte à son beau-père
de la conjuration sont scellés. les fonds nécessaires à la création de sa propre
vyvernerie. Rapidement son entreprise prospère
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

et il peut rembourser ses dettes. Son beau-père,


Jean Dubuis, impressionné, devient son associé, mais décède un an
ex-marquis de C inq-Mars plus tard en léguant sa modeste fortune à sa fille
unique. Les années qui suivent sont prospères et
Lorsque le marquis de Cinq-Mars est libéré de prison voient la naissance de deux fils.
en octobre 1642, il ne possède plus rien de la superbe Un soir d’été 1642, Dubuis est pris dans une rixe
qui lui permit autrefois de devenir le favori du roi avec un nobliau local jaloux de sa réussite, et se voit
Louis XIII. Son changement d’apparence, les revers jeté en prison. En cellule il rencontre le marquis
de fortune et les humiliations qu’il a subis l’ont profon- de Cinq-Mars qui n’a aucun mal à l’impressionner
dément affecté. Il est de plus en proie à de fréquentes avec des histoires de cour. Il lui fait la promesse facile
et violentes crises de ranse qui l’amènent régulièrement de lui faire rencontrer le beau monde parisien afin
au bord de la folie. Mais sa haine du Cardinal et du d’étendre son commerce à la capitale et, en échange,
Royaume lui procure la force de lutter, et sa vie et son Jean Dubuis accepte de boire la potion qui scelle son
intelligence toutes entières sont dévolues au projet sort, le conduisant à l’échafaud à la place du marquis.
de les abattre.
L’échec cuisant de la cabale des Importants, fruit de son
désir d’accomplir au plus vite son sombre dessein, lui
a cruellement rappelé que la précipitation ne pouvait
servir ses buts et que les hommes sont faillibles. Il a tiré

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les leçons de cette erreur et a structuré la conjuration il parvient à échapper aux Lames du Cardinal lancées
des Silencieux afin de ne pas la reproduire. sur ses traces et trouve refuge à Bordeaux. Lorsque fin
Cinq-Mars est le maître incontesté de la conjuration, août 1653 la ville tombe, il s’enfuit à Périgueux où
tout autant qu’il est le seul à en connaître tous il se retranche dans le dernier relais des Vyverneries
les adeptes. S’il peut écouter et entendre les conseils Dubuis qui lui était resté fidèle. Il périt lors de la prise
des autres conjurés, il est celui qui sait, décide et attend de la tour de Vesone par les agents du cardinal.
d’être obéi à la lettre. Les autres conjurés craignent ses
colères homériques car la ranse et la potion de Mauduit Les Vyverneries Dubuis
lui ont, avec le temps, conféré des traits draconiques. Lorsque Cinq-Mars reprend en main l’entreprise de Jean
Petit, trapu, et d’un charme plus que quelconque, Dubuis en 1642, elle est constituée d’une tour d’envol
Jean Dubuis n’est en apparence qu’un homme du centrale et plusieurs entrepôts sur les quais de la Saône
commun. C’est un habile négociateur, un bon orateur, à Lyon, ainsi que de petits relais postaux disséminés
mais son physique est tout à fait banal. Cependant, en province. Simples lieux de repos où les cavaliers
lorsque Cinq-Mars laisse paraître le feu qui brûle en lui, peuvent changer de vyverne, ils permettent de couvrir
il semble acquérir une stature démesurée et inspire la Bourgogne et le Dauphiné, ainsi que, partiellement,
terreur et obéissance. Et, dans ses pires moments, ses l’Auvergne, le Languedoc, la Provence et le duché
yeux peuvent luire d’un éclat doré malsain. Car en réalité de Savoie.
sa force est augmentée, comparable à celle d’un drac Les Vyverneries possèdent de plus des terres au mont
noir, et il est devenu aussi retors qu’un drac rouge. Il a Beuvray, massif situé au sud du Morvan, réputé pour
d’ailleurs pris l’habitude de consommer du vin des dracs, abriter de nombreuses vyvernes sauvages. L’ayant acquis
ce qui ne fait que renforcer les traits draconiques que grâce à l’argent emprunté à son futur beau-père, Jean
la maladie et la potion lui ont conférés. Dubuis y fait construire une tour d’envol et quelques
De 1644 à 1649, Cinq-Mars, avec l’aide du maître remises sur les ruines d’un ancien couvent des Cordeliers
de magie Basile Valentin, maîtrise sa maladie et ses détruit un siècle plus tôt par les huguenots. Les caves,
pulsions draconiques, et gère soigneusement son encore intactes, servent à conserver la viande nécessaire
organisation, plaçant ses pions, nourrissant la moindre à l’alimentation des animaux, tandis que la tour et
graine de chaos pour servir ses desseins. Mais tandis que les remises abritent les vyvernaux et leurs mères. Laissées
le temps passe, sa patience s’amenuise et ses pulsions, en semi-liberté, ces dernières s’accouplent avec les mâles
peu à peu, se libèrent. Son impatience grandissante sauvages qui vivent au mont Beuvray, et leur progéniture
et sa rencontre avec don Gabriel de Tolède, imposant hérite de leur vigueur. Les vyvernes sont dressées sur
sang-mêlé aux traits draconiques assumés, le poussent place avant d’être déplacées dans les divers relais néces-
peu à peu à des actions bravaches. L’organisation sitant leur présence, ou revendues à des clients fortunés.
de la tentative avortée d’évasion des trois princes en mai Sous l’impulsion de Cinq-Mars, les Vyverneries Dubuis,
1650 et l’introduction du sang-mêlé espagnol dans Paris petite entreprise locale, deviennent une organisation
au cours de l’été de la même année, sont des décisions tentaculaire d’envergure nationale. À leur apogée,
dangereuses pour les conjurés prises plus par impulsivité elles comportent plus d’une trentaine de petits relais
que selon la raison. Et lorsque don Gabriel de Tolède et de six grands sites d’élevage ou d’envol. À ceux
attente sans ordre à la vie du cardinal début 1651, de Lyon et du Morvan, fondés en 1630 par le vrai
Cinq-Mars se jette à la poursuite du cardinal en exil Jean Dubuis, se rajoutent celui de Touraine, dirigé
sans même rétablir son autorité auprès du sang-mêlé. par le frère de Cinq-Mars, en 1643, celui de la place
Dès lors, le marquis déchu sombre dans la folie et Royale en 1644, celui d’Effiat en Auvergne dirigé par
l’obsession. Il sillonne la France et les pays limitrophes Basile Valentin, en 1645, et celui de la tour de Vesone
à la tête de petits contingents de fantassins à la recherche à Périgueux établi par don Gabriel de Tolède en 1649.
de son ennemi juré. Se déplaçant toujours de nuit, Agréées « maîtres de courriers » par la couronne dès
se dissimulant au cœur des vallées oubliées, des forêts 1644, les Vyverneries Dubuis sont habilitées à transpor-
les plus profondes ou des bas-fonds insalubres des cités, ter les courriers royaux. Elles fournissent des montures
Cinq-Mars sème la terreur dans les campagnes et parfois de qualité aux armées françaises – en particulier au
même rase des villages sur la simple présomption corps des Vyverniers royaux – et se sont engagées
de la présence du cardinal. Il ne vit plus que sur la route, à permettre à tout serviteur royal se présentant dans
délaissant toute nouvelle de ses conjurés dans le seul un relais de la compagnie de réquisitionner une vyverne
but de débusquer son gibier. sur simple présentation d’une missive royale. C’est pour
Puis, en 1652, Ninon de l’Enclos livre les conjurés Cinq-Mars l’assurance d’obtenir la confiance des Grands
à Mazarin, et Cinq-Mars, enivré par la chasse, assiste et d’obtenir des informations fiables de première main.
presque indifférent à l’écroulement de son organisa- Les Vyverneries Dubuis furent un temps en concurrence
tion. Il perd le contrôle des Vyverneries Dubuis qui sont directe avec les Messageries Gaget, à qui elles disputèrent
peu à peu purgées de ses hommes, et tous ses acolytes férocement le privilège de transporter les courriers
sont arrêtés un à un. Vivant dans la clandestinité, royaux. Mais les besoins en vyvernes du roi étant

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largement suffisants pour leur permettre à toutes deux Les nouveaux Écorcheurs
de prospérer, Urbain Gaget et Jean Dubuis s’accordèrent et la traque du cardinal Mazarin
en 1646 sur une entente commerciale, se répartissant L’élevage du Morvan fut l’un des premiers lieux visités
les territoires à desservir. par Cinq-Mars une fois libéré de prison. Reculé et
Si les affaires des Vyverneries Dubuis ont toujours isolé, idéalement situé à mi-distance entre Paris et
été florissantes, elles sont avant tout pour Cinq-Mars Lyon, non loin des territoires frontaliers sous contrôle
une couverture pour ses activités illicites. En plus espagnol, il constitue une parfaite base d’opérations
des voyageurs et courriers réguliers, les vyvernes pour le marquis.
transportent régulièrement des messages secrets, De retour sur Lyon fin 1643, son chemin croise celui
de la contrebande et des clandestins. Chacune de Joseph Rantzau, un mercenaire sans scrupule et sans
des six bases principales d’envol possède ses caches et le sou, fils en rébellion d’un illustre maréchal français
refuges. Cependant seule une partie réduite des em- d’origine allemande. Le marquis le rallie à sa cause
ployés de la vyvernerie sont dans le secret, créant et l’installe dans le Morvan, au village de Saint-Prix,
une confrérie aux ordres des Silencieux à l’intérieur tout proche du mont Beuvray. Là il recrute des spa-
même de l’entreprise. La purge qui sera effectuée par dassins et forme une troupe de mercenaires d’élite sur
les hommes du cardinal après les révélations de Ninon le modèle des Écorcheurs qui sévissaient sous le règne
de l’Enclos consistera à séparer ces deux groupes et de Charles VII, des carriéristes de la guerre servant
éliminer les contrebandiers. principalement le plus offrant et pratiquant le pillage
Fin 1653 la gestion des Vyverneries Dubuis sera reprise et le rançonnement. La période trouble de la Fronde,
par Nicolas Fouquet pour le compte du cardinal leur permettant de passer inaperçus, sera leur âge d’or.
Mazarin, et contribuera grandement à faire la fortune
des deux hommes.

Rantzau et ses hommes

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Joseph Rantzau, l’homme de l’ombre Lorsque début 1651 Mazarin fuit Paris et part en exil
Né en 1626, Joseph est le fils de Josias Rantzau, afin de tenter de démasquer son adversaire, c’est à la tête
un homme de guerre allemand qui devint maréchal des Écorcheurs que Cinq-Mars écume le pays à sa
de France, et d’une servante à la cour des Naos. Sa mère recherche. Il sillonne les routes de France constamment
morte en couches, Joseph suivit son aventurier de père accompagné d’une dizaine de spadassins, souvent com-
dans son périple à travers l’Europe. Ainsi durant son mandés par le capitaine Rantzau lui-même. De nom-
enfance il vécut en France, au Danemark, visita la cour breux petits groupes constitués de deux ou trois reîtres
des Naos, mais aussi de très nombreux champs de ba- et menés par un lieutenant sont placés dans les grandes
taille. Très intelligent, Joseph a hérité des dons de son villes, à l’affût du moindre renseignement sur la loca-
père pour les langues et la stratégie militaire. lisation du cardinal. S’ils interceptent régulièrement
En 1640 Josias épouse sa petite cousine Hedwig, des correspondances épistolaires entre Mazarin et ses
un an plus âgée que Joseph. Tous trois s’installent agents à Paris ou la reine, ils ne parviennent jamais
à Paris, au service du roi qui nomme Josias maréchal à atteindre le cardinal lui-même. Celui-ci, escorté par
de France. Mais le conflit éclate entre Joseph et sa ses meilleurs hommes et protégé depuis l’ombre par
belle-mère. En peu de temps le jeune homme sombre Saint-Lucq, ne dort jamais deux nuits consécutives
dans le crime, fréquente la cour des miracles, et devient dans la même auberge, passe l’essentiel de son temps
spadassin. En 1643 Josias et Hedwig se convertissent au sur la route et ne s’arrête pour quelques jours que dans
catholicisme et Joseph est mis à la porte. Il se lance alors des places fortes qu’il sait sûres, comme les couvents
sans but sur les routes de France, vivant de brigandage de Châtelaines, ou trop publiques, comme le palais
au fil de son épée. Grâce à son charisme et à ses talents de Maximilien-Henri de Bavière, l’archevêque-électeur
de bretteur, il prend rapidement la tête d’une petite de Cologne, à Brühl.
bande de reîtres, ses futurs lieutenants. Peu à peu, la traque du cardinal, emportée par la folie
Fin 1643 il rencontre Cinq-Mars dans une auberge grandissante de Cinq-Mars, se fait moins discrète et plus
lyonnaise. Tous deux s’entendent immédiatement sauvage. Dans le sillage des Écorcheurs, des habitations
et Rantzau accepte de prendre la tête de l’armée isolées et auberge-relais sont pillées, des caravanes
de l’ombre que le marquis veut constituer pour entières disparaissent. Début 1652 une rencontre
les Silencieux. Dès lors, Ranztau servira fidèlement nocturne fortuite du côté de Grenoble avec la troupe
la conjuration, jusqu’à sa mort. de Dufresne à laquelle appartient Molière laissera le sou-
venir d’une indicible terreur au dramaturge français.
Comptant jusqu’à une centaine d’hommes, Au début de l’automne 1652, dénoncés par Ninon
les Écorcheurs s’engagent principalement dans les ba- de l’Enclos, les Écorcheurs sont attaqués par surprise par
tailles frontalières entre la France et l’Espagne. Mais un contingent de l’armée royale. Délogés de Saint-Prix,
la fidélité des spadassins va en premier lieu à Cinq- la grande majorité des spadassins sont tués ou disper-
Mars et aux Silencieux, et le capitaine Rantzau prépare sés. Une poignée d’entre eux, les fidèles parmi les fidèles,
spécialement de petites unités autonomes qu’il entraîne se regroupent autour du capitaine Rantzau et continuent
pour des expéditions délicates et secrètes. à servir Cinq-Mars. Les Lames du Cardinal se lancent
Les Écorcheurs contrôlent aussi une importante route à leur poursuite. Ils les retrouvent défendant Périgueux
de contrebande vers Paris. Saint-Prix étant un gros contre les troupes royales une année plus tard.
fournisseur de bois de chauffage pour la capitale, ses
charrettes de livraison sont spécialement aménagées
pour faire entrer d’autres denrées en fraude.

71
Jean Coëffier de Ruzé d’Effiat, l’arrêtent au début de l’automne 1652. Il ne se révèle
le défroqué cependant pas d’une grande aide dans le démantèlement
de la conjuration, son rôle ayant toujours été très limité
Né en 1622, Jean est le frère cadet de Cinq- et ses souvenirs étant embrumés par l’abus d’alcool et
Mars. Comme tout second fils de noble famille, il est de jusquiame.
destiné aux ordres. Mais il n’a pas la vocation, préférant
de loin les tavernes et la bonne chère. En 1641, son La louve et le Goupil
frère, jouant de ses bonnes relations avec le roi, lui Lorsque Jean Coëffier de Ruzé d’Effiat prend la tête
obtient l’administration de l’abbaye Saint-Julien de l’abbaye de Saint-Julien, l’intendant en place
de Tours. Le pape, peu satisfait de ce choix, retarde se nomme François Robert de Heyme. À peine plus
la préconisation de ce nouvel abbé, mais Jean s’impose âgé que Jean, et de moindre naissance, c’est un homme
tout de même à la tête de la communauté et en gère retors et ambitieux. Il participe très activement à la ruine
les biens. Il loue les terres de l’abbaye à bas prix à ses de l’abbaye et est destitué en même temps que l’abbé.
compagnons de débauche, et vide les caves et les caisses De Heyme est un affairiste ambitieux, un négociant sans
à son propre profit. Les religieux protestent et, dé- scrupule, prêt à tous les compromis pour s’enrichir. Il est
but 1642, Jean est révoqué de l’abbaye dont il n’avait l’homme dont Cinq-Mars a besoin pour compenser
pas même reçu l’investiture pontificale. les errements de son frère. Et c’est donc l’ancien
Il se réfugie alors au château familial mais, suite intendant qui, sous le sobriquet de Goupil, prend
à la disgrâce et à l’exécution de son frère aîné, en est en main les affaires des Silencieux en Touraine, sans
chassé. Il survit ensuite dans les milieux malfamés même connaître l’existence de la conjuration. Et tant
de Tours jusqu’à que ce que son frère, désormais devenu que l’argent rentre dans les caisses, Cinq-Mars ferme
Jean Dubuis, le retrouve début 1643. Tous deux placent les yeux, que ce soit sur le type de trafic ou sur
leur mère mourante dans un couvent, puis se lancent les sommes que de Heyme prélève pour lui-même sur
à la reconquête de leur patrimoine familial. les transactions.
Grâce aux accointances de Jean, aux finances Au début, le Goupil ne s’intéresse qu’à la simple
des Vyverneries Dubuis, et aux premiers Écorcheurs contrebande de biens communs, comme le vin
venus du Morvan pour les épauler, ils prennent ou les étoffes. Puis, profitant des premiers troubles
rapidement le contrôle de nombreux trafics illégaux de la Fronde, il passe à des marchés plus lucratifs,
tourangeaux. Les ruines du château familial à Cinq- s’intéressant aux bijoux et à la jusquiame dorée. Vers
Mars-la-Pile sont rachetées, une tour d’envol Dubuis 1650 il se lance dans la contrebande de reliques
y est installée, et les sous-sols tentaculaires de la bâtisse magiques et à la traite de créatures draconiques et
deviennent en moins de deux ans la plaque tournante d’esclaves. Ce faisant, il empiète sur les domaines du
d’une grande partie des trafics illégaux de la Touraine. Marchand de la Griffe noire, et celui-ci n’est pas réputé
Jean n’est cependant pas un bon gestionnaire ni magnanime. Mais De Heyme a un atout majeur dans
un bon meneur. Il est bien plus intéressé par les fêtes et sa manche.
les femmes que par les affaires de sa famille. Ainsi, il est Alors que tous deux n’étaient encore que des enfants,
parfaitement intégré au sein de la noblesse tourangelle Béatrice Saint-Mareuil tomba éperdument amoureuse
et la tour d’envol de Cinq-Mars est par conséquent de François de Heyme, d’un amour auquel rien
très fréquentée. Mais en même temps il est entouré ne résiste et qui ne s’atténue jamais. Lui n’avait aucun
d’une cour éphémère et intéressée qu’il fait bénéficier intérêt pour elle, jusqu’à ce qu’elle soit appelée au
de ses largesses au point que Cinq-Mars ainsi que le ca- mont des Châtelaines et devienne une sœur de Saint-
pitaine Rantzau ou Louis Astarac de Fontrailles doivent Georges. Stationnée à l’abbaye royale de Fontevraud,
régulièrement intervenir pour régler les problèmes elle n’est qu’à quelques heures de chevauchée de la tour
financiers, ou même personnels, qu’il s’attire. Durant d’envol et fréquente souvent le site afin de se rendre sur
toutes ces années, il fréquente régulièrement les fêtes Paris. Elle en profite toujours pour voir de Heyme, qui
données à Paris par la Magicienne sous le Voile. lui soutire des renseignements sur les réseaux de contre-
Lorsque Cinq-Mars se jette à corps perdu dans bande draconique de ses concurrents. La sœur de Saint-
la traque du cardinal début 1651, le relais tourangeau Georges n’est pas dupe, mais par amour accepte tout.
des Vyverneries et les affaires illicites que Jean dirige Durant des années Béatrice Saint-Mareuil place son
sont les premiers à s’effondrer. Au cours de l’hiver 1651, amant contrebandier à l’abri de toute mauvaise sur-
il perd le contrôle des spadassins qu’il emploie, et prise. Pour lui, elle n’hésite pas à mentir à ses supérieures
le village de Cinq-Mars devient ouvertement un repaire et à envoyer les officiers royaux venus enquêter et rendre
de brigands. La tour d’envol des Vyverneries Dubuis justice sur de fausses pistes. De plus, à la tête de quelques
demeure, mais le relais n’est plus entretenu et la noblesse Gardes noirs, elle met à mal les trafics du Marchand qui
tourangelle ne le fréquente plus. Jean se réfugie dans lui sont indiqués par de Heyme et obtient par là même
une maison bourgeoise de Tours où il continue de profi- de très bons résultats salués par sa hiérarchie. Cependant,
ter de son argent jusqu’à ce que les hommes du cardinal à la fin de l’hiver 1650, le Marchand s’associe brièvement

72
avec la loge des Cazadores. Un petit groupe de spadassins
Mes chères Lames,
à leur solde entre en France et prend la sœur et ses
Mon bon ami le duc de Saint-Aignan me signale
gardes en embuscade. Seule Béatrice en réchappe,
d’étranges événements qui agitent régulièrement
mais, très grièvement blessée, elle est rapatriée au mont
la Touraine. Des apparitions étranges sont
des Châtelaines. Dans la semaine qui suit un groupe
signalées, et du bétail disparaît de loin
de reîtres menés par Malencontre débusque de Heyme
en loin. Malgré les enquêtes, aucun élément n’a
désormais vulnérable et l’assassine, plongeant le réseau
jusqu’alors permis de rassurer la population.
de contrebande de Cinq-Mars dans le chaos.
Je vous demande de vous rendre à Saint-Aignan,
où vous rencontrerez le duc. Vous tâcherez
Les tours d’envol du château de C inq-Mars de démêler cette étrange histoire.
Au cours de l’hiver 1642, le cardinal Mazarin, récem-
ment nommé Premier ministre d’État, fait détruire
Ne me décevez pas.
le château familial de Cinq-Mars. Lorsqu’il l’apprend
Cinq-Mars se rend précipitamment à Tours, mais Basile Valentin, le maître de magie
de la demeure ancestrale il ne retrouve que les ruines
dévastées par les attelages de tarasques spécialement Basile Valentin a beau affirmer qu’il approche
dépêchés de Paris sur ordre du cardinal. les 80 ans, il est en réalité né de paysans bourguignons
Seules deux tours sont encore debout. Toutefois, l’im- en 1605. Mordu par une syle venimeuse à l’âge de 5
mense ensemble de caves, catacombes et souterrains qui ans, il survit miraculeusement, mais développe très vite
courent dans la colline sur laquelle le château était bâti un comportement étrange. Ses parents s’en débarrassent
se révèle toujours intact. Ce réseau secret dispose de très avec plaisir quand il a 12 ans en le vendant pour
nombreuses sorties discrètes dans toute la région, deux une poignée d’écus à un étranger de passage intrigué
d’entre elles donnant un kilomètre plus loin directement par l’enfant. Cet homme, un érudit et aventurier,
sur de petits quais aménagés sur les rives de la Loire, et se vante d’avoir été l’élève d’un élève d’un élève du Sieur
une débouchant à moins de deux kilomètres de Tours, de la Chevalerie de Chartres, le puissant ambassadeur
et praticable avec de petits chariots. de la loge de la Sangra Oscura. Il enseigne les quelques
En quelques mois les deux frères font de leurs anciennes rudiments de langage draconique qu’il connaît à l’enfant
terres un repaire de brigands à leur solde et la région qui le remercie en le poignardant dans son sommeil
devient infestée de contrebandiers. Le site même du pour lui voler les quelques parchemins draconiques
château est racheté par les Vyverneries Dubuis pour qu’il possède.
une bouchée de pain. Les deux tours restantes sont Des années plus tard, d’escroqueries en trahisons et vols,
restaurées et deviennent l’un des sites d’envol les plus l’enfant a fait son chemin. Il officie désormais comme
prisés de la Touraine, fréquenté par les plus influents apothicaire dans une obscure petite échoppe située dans
nobles tourangeaux qui profitent des liaisons directes le bas quartier d’Amiens. Obsédé par les artefacts et
avec la capitale, mais aussi, parfois, par les Lames du la magie draconiques, il entre par hasard en possession
Cardinal. Les souterrains sont quant à eux utilisés pour d’un manuscrit écrit par Mauduit. Subjugué par ce
les trafics les plus sombres. qu’il comprend du livre, il abandonne ses activités
Afin de garantir leur sécurité, le Goupil a engagé pour se lancer à la recherche du maître de magie. Afin
deux dresseurs de syles qui lâchent leurs créatures de s’ouvrir les portes des Grands, il devient alors Basile
dans les souterrains par lesquels aucune livraison n’est Valentin, ancien moine bénédictin défroqué, et maître
prévue. Mortelles, elles assurent une sécurité sans faille de magie que l’âge ne peut atteindre.
que seul Malencontre parviendra à déjouer en 1650 Ainsi, fin 1644, il parvient à être reçu par la duchesse
en s’attachant les services d’un saaskir. de Chevreuse. Celle-ci lui confirme la mort de Mauduit,
Il arrive que certaines pondent des œufs dans les galeries mais, percevant son potentiel, elle lui présente Cinq-
et qu’ils ne soient pas retrouvés par les dresseurs avant Mars en lui confiant qu’il a consommé une potion
d’éclore. Un animal sauvage se retrouve alors dans concoctée par Mauduit. Fasciné, Basile Valentin offre
la nature, et frappe les paysans terrifiés. Ainsi naissent au marquis d’entrer à son service.
les légendes, et, au cours des années, la région de Cinq- Basile met à profit son savoir d’apothicaire et ses lectures
Mars va acquérir la réputation d’être maudite ou hantée. disparates des divers écrits draconiques qu’il a récupérés
tout au long de sa vie, et prépare quelques remèdes
expérimentaux qui se montrent, dans un premier
temps, étonnamment efficaces contre la ranse de Cinq-
Mars. Conquis par cette démonstration, le marquis,
certain que de tels talents ne peuvent que lui être utiles
pour réaliser sa vengeance, rachète les terres de sa famille
situées à Effiat, un petit village du sud-ouest de Vichy,
et y installe un laboratoire de magie draconique.

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Persuadé d’être naturellement doué, et installé à l’abri Effiat, la ville sombre
des regards, Basile Valentin concocte toutes sortes de po- Le village et le château d’Effiat faisaient partie du grand
tions pour le marquis. Il collectionne les livres et artefacts projet du père de Cinq-Mars, Antoine Coëffier de Ruzé
draconiques, et consomme et utilise de la jusquiame d’Effiat. Pour transformer Effiat en une ville moderne au
dorée qu’il se procure par les réseaux de contrebande tracé géométrique parfait, il avait fait appel à de grands
tourangeaux. Enfin il se livre surtout à des expériences architectes royaux. Le château fut achevé en 1628,
toutes plus folles les unes que les autres. Il improvise l’église, le collège et l’hôpital en 1632. Mais tout fut
des potions médicamenteuses pour soigner la ranse abandonné à sa mort de la ranse en 1632.
de Cinq-Mars, expérimente sur les trois enfants du Situé en plein cœur de l’Auvergne, loin de routes
marquis, que ce dernier lui a confiés, hybride par hasard fréquentées, à l’abri des montagnes, Effiat est l’endroit
des animaux communs avec des salamandres… parfait pour établir une base nécessitant de la dis-
Son activité ne passe cependant pas inaperçue et à la fin crétion. Début 1645 Cinq-Mars rachète le château
du printemps 1649 le village d’Effiat subit un violent pour y établir une base d’entraînement des Vyverneries
assaut d’une tribu drac. Presque tous les villageois sont Dubuis, mais surtout pour servir de refuge à Basile
massacrés, les vyvernes relâchées, et Basile Valentin Valentin et ses activités occultes.
ne doit la vie sauve qu’à l’intervention des enfants Une tour du château est aménagée pour accueillir les vy-
de Cinq-Mars. Terrorisés par ces enfants humains qui vernes, et les dépendances servent d’entrepôt. Les caves
n’en sont plus, sans pour autant être draconiques, et souterrains, domaine du maître de magie, sont acces-
les dracs font le siège de la vyvernerie. Une semaine plus sibles uniquement par une porte dérobée dissimulée dans
tard, les troupes royales viennent réprimer la révolte drac le cellier. Deux tunnels de sortie permettent de rejoindre
et repoussent la tribu dans les montagnes d’Auvergne. le cœur de deux forêts, situées à un kilomètre au nord et
Dès lors, un contingent d’Écorcheurs, relevés tous à l’est du château. Fermées par de robustes grilles, elles
les mois, s’établit de façon permanente à Effiat pour permettent d’entrer et sortir discrètement du domaine
protéger le maître de magie. Les spadassins qui y servent en cas de besoin. En 1645 les villageois accueillent
reviennent dans le Morvan marqués à jamais par les cris avec plaisir l’installation de la vyvernerie. Mais ils sont
inhumains entendus dans les souterrains du château. bientôt alertés par les bruits qui parfois la nuit s’élèvent
Fin 1652, suite aux révélations de Ninon de l’Enclos, du château, et de mauvaises rumeurs commencent
c’est une troupe puissamment armée que Mazarin à se répandre. Les survivants de l’attaque drac en 1649
dépêche pour nettoyer Effiat. Dans les laboratoires désertent le village et n’y reviennent qu’une fois que
et souterrains du château, les soldats découvrent les troupes royales ont nettoyé les lieux en 1653.
des créatures monstrueuses, affamées et agressives, Avant 1649 une petite unité d’Écorcheurs est toujours
des animaux ou hommes ayant servi de cobaye au présente dans le château. Suite à l’attaque de la tribu
maître de magie. À l’arrivée des troupes royales, Basile drac, c’est un contingent complet qui vient s’installer
Valentin se réfugie auprès des enfants de Cinq-Mars, définitivement dans les annexes du château. Relevés
et perd la vie à leur côté lors de l’assaut mené par tous les mois, ils sont commandés par un lieutenant
l’armée du roi. de Rantzau et chargés d’assurer la sécurité du maître
de magie. Ils montent une garde vigilante, et escortent
les enfants de Cinq-Mars dans leurs expéditions.
Mes chères Lames, Lors de la traque du cardinal Mazarin, Cinq-Mars
À la suite des révélations de la demoiselle utilise Effiat comme une base de repli où il peut
de l’Enclos, j’ai décidé qu’il était temps d’en finir se reposer, réarmer ses hommes et attendre les rapports
avec la menace constituée par le groupe connu sous de ses espions.
le nom de Silencieux.
Nous allons dépêcher une troupe armée à Effiat,
où se trouve le siège de la conspiration. Toutefois,
la présence potentielle d’un dragon magicien
m’incite à la prudence.
Je vous demande de vous rendre à Effiat en éclai-
reurs de l’armée, afin d’établir une stratégie
d’attaque. Si un dragon désirait s’opposer à nous,
je vous prie de bien vouloir y remédier.
Ne me décevez pas.

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Les enfants de C inq-Mars Lors de l’assaut des dracs en 1649, les trois enfants
Avant que Cinq-Mars ne tombe en disgrâce et soit défendent Basile Valentin. Il se réfugie avec eux dans
exécuté, Marion Delorme et lui ont eu trois enfants : les souterrains du château et les enfants, qui inspirent
Jeanne, née en 1638, Augustin, né un an plus tard, et aux dracs une terreur mystique, lui permettent alors
Jean en 1641. Avec la mise en place de la conjuration de survivre.
des Silencieux, le marquis ne peut se permettre que Mais lors de l’assaut des troupes royales fin 1652,
l’attention de Marion Delorme, pièce maîtresse dans son les enfants sont méconnaissables. Jeanne est devenue dif-
réseau d’espions parisiens, soit détournée par l’éducation forme. Ses bras disproportionnés sont couverts d’écailles
de ses enfants. Il décide de les confier à son maître qui remontent pour recouvrir la moitié de son visage
de magie qui lui promet qu’il peut les éduquer, et leur et sa musculature est celle d’un drac noir adulte. Elle
garantir une force, une vigueur et une intelligence tombe face aux troupes royales, après avoir déchiqueté
hors du commun. un grand nombre de soldats. Augustin est mutique et
En réalité sur des morceaux d’antiques parchemins amorphe. Son corps est blafard, émacié et malade, et
draconiques déchirés, entrés en sa possession, Basile il peine même à se tenir debout. Dans sa tête, l’enfer
Valentin a trouvé des bribes d’informations sur les ex- est déchaîné et son regard est celui d’un dragon dévoré
périmentations faites par les Dragons Ancestraux pour par la folie. Il meurt sans même bouger un bras pour
créer les dragonnets, dracs et autres syles. Il pense se défendre. Jean déchiquette le corps de Basile Valentin
pouvoir compléter les informations manquantes qui vient chercher refuge à leurs côtés puis parvient
et s’élever à la hauteur de son véritable talent. Dès à fuir, s’enfonçant dans les montagnes auvergnates.
l’hiver 1645, il commence ses expérimentations, à la fois
sur les enfants et sur des animaux. Cinq-Mars, bien
plus intéressé par sa vengeance que par ses enfants, Les monstruosités d’Effiat
ne s’inquiétera jamais de la réalité de leur sort. Et leur Basile Valentin pense avoir un talent immense, mais
mère se suicidera quatre ans plus tard sans les avoir revus. il ne possède en réalité que des illusions de grandeur. C’est
Les premières années, les deux aînés supportent assez un charlatan capable de déchiffrer quelques mots et
bien les traitements du maître de magie. L’intelligence dessins draconiques, qui a mis la main sur des bribes
de Jeanne et Augustin progresse, et leurs capacités de parchemins ancestraux, et qui s’en sert pour inventer
physiques vont de pair. Certes leurs yeux jaunissent d’horribles expériences. Les potions qu’il concocte ont
un peu, la peau de Jeanne se couvre par endroit d’écailles des ingrédients aussi divers que la jusquiame dorée,
rosâtres et celle d’Augustin blanchit… Leur stabilité le sang draconique, la belladone, le venin de syle,
mentale est incertaine, mais pour Basile Valentin ce ou le foie de tarasque. Elles se révèlent toujours fatales
n’est qu’un détail. et ses cobayes décèdent généralement dans d’affreuses
Jean, par contre, a cessé de développer des traits souffrances en moins d’une heure. Parfois certains
physiques humains et, au contraire, a multiplié les dé- survivent quelques jours et, s’ils s’échappent, ravagent
formations draconiques. Il ressemble à une salamandre la contrée en donnant naissance à des légendes qui
de la taille d’un gros chien qui aurait développé quelques terrifient les gens du peuple.
attributs humains, comme les yeux et les oreilles. Mais Seuls les enfants de Cinq-Mars survivent plus longtemps
son humanité a totalement disparu et il ne reconnaît à ses traitements, et le dernier, Jean, vivra plus d’un siècle
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plus que son frère et sa sœur. Il est devenu un animal après être parvenu à se réfugier dans le Gévaudan.
de garde particulièrement efficace dans la traque et
le combat.
À partir de 1648, Jeanne et Augustin parcourent
parfois la région, agissant comme des messagers
ou espions pour le maître de magie et la conjuration
des Silencieux. Toujours accompagnés d’une poignée
de spadassins, ils sont aperçus à Vichy, Clermont-
Ferrand, ou même Lyon, accomplissant avec brio
des missions délicates. Mais peu à peu, leur nature
profonde et leur physique changent et, ressemblant
de moins en moins à des enfants humains, il leur
devient difficile d’apparaître en public. Ils recherchent
alors le couvert de la nuit, avant de devoir renoncer
à quitter Effiat à partir de la fin du printemps 1652.

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Dès lors les deux femmes, intelligentes, ravissantes et
volages, forment un implacable et vorace duo qui s’abat
sur l’aristocratie parisienne. Elles gèrent leurs amants et
courtisans à la manière d’une petite entreprise et tissent
leur toile jusqu’à la cour du roi. Début 1648 leur hôtel
place Royale est devenu le lieu de rencontre de tout ce
que Paris a de plus galant et de plus spirituel.
Ninon ayant réussi à entrer à la cour du duc d’Enghien
et gagner sa confiance, Marion, aidée par le marquis
de Fontrailles, se rapproche pour sa part des nobles qui
soutiennent la Fronde parlementaire. Elle entretient
ainsi des liens étroits avec Gondi, tandis que le mar-
quis de Fontrailles se lie au conseiller Pierre Broussel,
principal meneur de la Fronde. Chacun des Silencieux
ayant infiltré un camp, ils parviennent à faire échouer
toutes les négociations.
Durant deux ans, jusqu’en décembre 1649, elle
coordonne l’ensemble des intrigues et activités oc-
Marion Delorme cultes de la conjuration. Elle est le bras droit parisien
de Cinq-Mars, la pièce maîtresse des Silencieux, et elle
finit par connaître l’ensemble des conjurés. Et lorsque
la rivalité politique entre Condé, conseillé par Ninon
Marion Delorme de l’Enclos, et le cardinal se trouve à son apogée,
suivant les instructions de Cinq-Mars, elle ordonne
Née en 1613, Marion Delorme a sept ans de plus à François de Vendôme d’organiser un faux attentat
que le marquis de Cinq-Mars. C’est une intrigante contre Condé. Cette action est un échec lamentable,
d’une beauté éclatante, une danseuse et musicienne et pire encore, François de Vendôme est publiquement
accomplie, et surtout une femme riche. Durant toute sa impliqué et arrêté le 22 décembre 1649.
vie, elle collectionne amants et courtisans, qu’ils soient Comprenant qu’elle est compromise, et qu’à travers elle
seigneurs de la cour ou bourgeois. Et même si le mar- la conjuration peut se retrouver exposée, elle projette
quis de Cinq-Mars et elle forment un couple et ont de fuir Paris. Mais alors qu’elle se prépare à rejoindre
trois enfants, cela n’empêche aucun d’eux de profiter la tour d’envol des Vyverneries Dubuis, les Lames du
des plaisirs parisiens. Cardinal se pressent à la porte de son hôtel particu-
La mort du marquis en septembre 1642 affecte lier. Dans un ultime acte de fidélité, Marion avale alors
cependant profondément Marion, mais elle n’a pas une forte dose d’antimoine et décède avant d’avoir pu
le temps de s’attarder sur son chagrin. Elle vient en effet être interrogée.
de racheter un hôtel particulier place Royale à la jeune
héritière de la famille L’Enclos, et travaille dur pour
en faire de nouveau une maison respectable.
Sa peine est de plus de courte durée car un soir
d’été 1643 le marquis Louis d’Astarac de Fontrailles
lui ramène Cinq-Mars, sous sa nouvelle apparence, Jean
Dubuis. Si au début elle a du mal à croire l’histoire que
raconte le vyvernier, celui-ci connaît bien trop de détails
sur la vie qu’elle partageait avec le marquis pour ne pas
être Cinq-Mars. Marion retrouve donc l’homme qu’elle
aime et le rejoint dans ses projets. Elle entre dans la toute
nouvelle conjuration des Silencieux et met à son service
l’ensemble de son réseau de relations.
Mi-1644 elle intrigue pour obtenir aux Vyverneries
Dubuis l’autorisation d’installer une tour d’envol place
Royale ainsi que l’attribution d’une partie de la dis-
tribution des missives royales jusqu’alors réservée aux
Messageries Gaget. Elle recrute de plus personnellement
la jeune Ninon de l’Enclos à qui, deux ans plus tôt, elle
avait racheté l’hôtel particulier.

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des Silencieux. Elle rencontre par la suite Jean Dubuis
et devient un membre important de la conjuration.
En 1647 Ninon parvient à se rapprocher du duc
d’Enghien, Louis II de Bourbon-Condé. Elle le séduit
et gagne sa confiance, parvenant à intégrer sa cour
personnelle. Elle peut ainsi le conseiller et influer sur
ses positions politiques.
Ainsi, jusqu’en 1649, alors que Marion Delorme s’active
pour renforcer les opposants de Mazarin, Ninon parvient
à suggérer au Grand Condé de se battre pour la royauté
et de feindre de prendre le parti du cardinal Mazarin,
tout en se moquant du « faquin écarlate » en privé. Elle
est présente à chacun de ses retours victorieux dans
Paris, participe à ses réunions politiques, et susurre
toutes les nuits à son oreille de nombreux conseils pour
lui permettre de gagner en popularité et en stature.
Lorsque fin 1649 les plans de Marion échouent,
Ninon, sachant que la requête sera refusée, pousse
Ninon de L’Enclos le duc d’Enghien à réclamer l’amirauté et tous les postes
de responsabilité de l’armée française pour l’ensemble
des services qu’il a rendus à la royauté. En réponse à son
Ninon de l’Enclos, ambition démesurée, le Grand Condé est emprisonné
la dame de cœur noir du Grand Condé et n’est libéré qu’en février 1651. Durant toute cette
période, utilisant ses contacts mondains, Ninon fait
Ninon de l’Enclos est l’improbable fille d’une bigote en sorte d’être l’une des rares personnes autorisées
aristocrate, Marie-Barbe de la Marche, et d’un gen- à lui rendre visite. Elle maintient de plus une abon-
tilhomme tourangeau libertin, Henri de Lanclos, dante correspondance, notamment avec la duchesse
qui finira par devoir fuir la France pour une affaire de Longueville, la sœur de Condé.
de mœurs. De sa mère elle apprit que l’église était Lorsque Condé revient à Paris, Ninon retrouve sa
un lieu de rencontre où s’échangent les billets doux, place à ses côtés et, profitant de l’absence du cardinal
et de son père tout ce qu’il fallait savoir pour être qui est en exil, continue à le dresser contre la royau-
une parfaite libertine. Femme de lettres, parlant cou- té. Mais, en l’absence de Cinq-Mars pour les diriger,
ramment l’italien et l’espagnol, musicienne accomplie les Silencieux, ne se reconnaissant pas entre eux, agissent
et lectrice des Lumières, Ninon est une femme forte les uns contre les autres. Fin août 1651, pensant
qui impressionne dès le premier regard. œuvrer pour la conjuration, François de Vendôme
À la mort de sa mère en 1642, Ninon a 22 ans. De son tente même d’assassiner Condé lorsque celui-ci, sur
père elle n’a plus de nouvelle depuis une dizaine la suggestion de Ninon, se présente au Parlement afin
d’années, et la maison place Royale dans laquelle elle d’essayer d’apaiser le climat politique. Le 7 septembre
vit est devenue une auberge servant de repaire aux 1651, Ninon suit le prince dans son exil. Elle reste
libertins et aux ivrognes, où elle reçoit les amants qu’elle à ses côtés durant toute la durée de la guerre contre
collectionne déjà depuis longtemps. Sans le sou, sans le royaume, aidant notamment Condé à contacter ses
famille, elle décide de changer de vie du tout au tout, alliés espagnols.
vend son hôtel particulier à Marion Delorme, et rentre Mais en janvier 1652, à la faveur du retour de Condé
au service des Sœurs de Saint-Georges à l’enclos du sur Paris, Ninon rencontre Louis de Mornay, le jeune
Temple. Son intelligence et son érudition lui permettent seigneur de Villarceaux, et en tombe éperdument
de se faire remarquer, et elle se lie d’amitié avec quelques amoureuse. Afin de se libérer de l’influence de la conju-
châtelaines, faisant même la connaissance de la mère ration, elle prend secrètement contact avec le cardinal
supérieure générale, Thérèse de Vaussambre. par le biais des Lames. Lors de leur rencontre, elle
Mais début 1644 son ancienne vie se rappelle lui révèle tout ce qu’elle sait sur les Silencieux, et,
à elle. Marion Delorme lui rend judicieusement quelques en échange, Mazarin lui accorde le pardon et lui ordonne
visites et ravive son goût pour le beau monde. Pendant de secrètement s’installer au domaine de Villarceaux
quelques mois elle tente de concilier ses deux vies, en compagnie de son amant.
servant les Sœurs de Saint-Georges le jour, et courant Dès lors Ninon de l’Enclos va disparaître, et ne reviendra
les soirées mondaines la nuit. Mais elle est finalement pas briller à la cour du roi avant une décennie, privant
renvoyée de l’enclos du Temple. Elle s’installe alors le Tout-Paris de son irrésistible charme et de sa grande
chez Marion Delorme qui partage avec elle les secrets érudition.

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Fontrailles est un agitateur de l’ombre efficace jusqu’au
début de l’année 1650. Mais l’arrestation de François
de Vendôme pour le simulacre d’attentat contre Condé,
ainsi que la chute et l’arrestation du conseiller Broussel
et du prince de Condé, mettent à mal ses relations
parisiennes. Cinq-Mars lui ordonne alors de suivre
la duchesse de Chevreuse à Stenay et de l’aider à établir
des contacts avec les Espagnols.
Cinq-Mars, chez qui d’Astarac ne peut que constater
l’avancée de la folie et de la ranse, lui ordonne ensuite
de rentrer à Paris pour organiser l’infiltration de Gabriel
de Tolède en août 1650. Et durant six mois Fontrailles
et Kr’esj-o-S’ark cachent le remuant sang-mêlé dans
la capitale. Mais s’il complote contre le cardinal et
le roi, Louis d’Astarac n’est pour autant pas un adepte
de la Griffe noire, et, début 1651, il s’arrange pour
que les Lames de Mazarin obtiennent suffisamment
d’informations pour se lancer sur la piste de l’Espa-
gnol, aboutissant à l’échec in extremis de l’attentat
contre Mazarin.
Louis d'Astarac Dès lors, Cinq-Mars le soupçonne de trahison, et plonge
de plus en plus dans la folie en se lançant à la poursuite
Louis d’Astarac de Fontrailles, le bossu de Mazarin parti en exil. Les hommes de Fontrailles et
leurs refuges sont réquisitionnés par le marquis déchu,
Louis d’Astarac, marquis de Marestaing, vicomte et peu à peu Louis d’Astarac perd ses moyens et son
de Fontrailles et de Cogotois, est né en Gascogne influence dans Paris. Il reste néanmoins dans la capitale,
en 1605. Bossu, il est le sujet de constantes moque- continuant à gérer les trafics draconiques des Vyverneries
ries. L’une d’entre elles, prononcée par Richelieu, Dubuis, et à conspirer contre la couronne.
le marquera à vie et sera à l’origine de sa haine pour Fontrailles sera le premier des Silencieux arrêté pour
le Cardinal. En conséquence, en 1642, il met en contact complot contre la couronne et crime de lèse-majesté
le frère du roi, Gaston de France, et le marquis de Cinq- suite aux révélations de Ninon de l’Enclos. Il n’est
Mars, et pose ainsi la première pierre de la conspiration alors plus que l’ombre de ce qu’il put être à l’apogée
de Cinq-Mars. Suite à l’échec de celle-ci, il est forcé des Silencieux, un simple trafiquant de jusquiame et
de s’exiler en Angleterre, mais parvient à revenir artefacts draconiques et agitateur urbain.
en France juste à temps pour participer à la cabale
des Importants. Il est alors approché par Jean Dubuis, Kr’esj-o-S’ark, le drac de l’ombre
qui lui révèle son identité réelle. Pour la décennie à venir,
Fontrailles se met alors au service du marquis de Cinq- Au cours du mois d’août 1648, prévenu par Marion
Mars et entre dans la conjuration des Silencieux. Delorme, Fontrailles tente d’empêcher l’arrestation
Louis d’Astarac possède une forte autorité et une subtile du conseiller Broussel en le dissimulant au sein
intelligence qu’il dissimule sous une naïveté feinte et de Notre-Dame-des-Écailles. L’intervention des Gardes
une obséquiosité outrancière dont il renforce l’im- du Cardinal provoque des émeutes au sein de la com-
pression en se servant de sa difformité physique. Mais munauté drac au sein de laquelle un meneur émerge,
en réalité il collecte d’importantes informations tout un drac rouge nommé Kr’esj-o-S’ark. Il est fin, agile, et
en passant complètement inaperçu. surtout extrêmement sournois. Bretteur doué, il aug-
Alors que Marion Delorme et Ninon de l’Enclos ont mente cependant toujours ses chances en enduisant
pour rôle d’influencer les Grands du royaume, Fontrailles ses dagues de poison ou en dissimulant des pointes et
se lie avec les parlementaires issus du peuple. Il est ainsi lames qu’il utilise au moment opportun.
un ami du conseiller Pierre Broussel, principal meneur Kr’esj-o-S’ark est recruté par Fontrailles dans les semaines
de la Fronde parlementaire, dont il encourage sans qui suivent la révolte d’août 1648. À travers le drac,
cesse les velléités de rébellion contre le cardinal et les Silencieux ont enfin l’occasion d’avoir un accès au
le roi. Il possède aussi, par l’intermédiaire d’un drac marché noir draconique parisien, l’un des derniers
rouge nommé Kr’esj-o-S’ark, une forte influence sur endroits de la capitale qu’ils ne sont pas parvenus à infil-
la communauté drac de Notre-Dame-des-Écailles. Enfin trer. Mais le marché est très concurrentiel. Kr’esj-o-S’ark
il dirige de petites unités de spadassins fidèles aux propose donc à Fontrailles de réduire le nombre de leurs
Silencieux et disséminées autour de Paris. rivaux. Le 22 septembre 1648, il déclenche une violente
émeute. Des bandes de dracs noirs se déversent dans

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les rues parisiennes et attaquent sans discernement Don Gabriel de Tolède, le sang-mêlé
tous ceux qu’ils croisent. Mais surtout, parmi eux
sont dissimulés des dracs à la solde de Kr’esj. Guidés Don Gabriel de Tolède est un jeune sang-mêlé tout
par des spadassins fidèles à Fontrailles, ils profitent juste revenu des Amériques. Intelligent, c’est aussi
de la nuit pour traquer et tuer un grand nombre de leurs un bretteur émérite appartenant à la loge des Sans-
concurrents. Reflets et totalement acquis à la cause de sa maîtresse,
Dès lors Fontrailles et Kr’esj vont conjointement l’Intrigante. Lorsqu’en août 1649 il débarque à Cadix,
gérer le trafic de jusquiame et d’artefacts anciens il lui est immédiatement ordonné de la rejoindre
que les Vyverneries Dubuis font entrer dans Paris, à Madrid. Il reçoit alors pour mission de profiter
devenant un fournisseur non officiel mais régulier et des troubles qui secouent la France pour agir contre
fiable de nombreux maîtres de magie. la couronne.
N’étant pas consciemment et idéologiquement impliqué Peu de temps après, il rencontre la duchesse de Chevreuse
dans la conspiration des Silencieux, Kr’esj-o-S’ark et la laisse penser qu’elle pourrait le recruter. Celle-ci
n’accorde d’intérêt qu’à ses propres bénéfices. Il n’accepte organise une entrevue avec le marquis de Cinq-Mars
de cacher et protéger Gabriel de Tolède que parce et, très rapidement, le sang-mêlé intègre la conjuration
qu’il est grassement rétribué. Et lorsque les Silencieux et des Silencieux. Afin de faciliter ses contacts avec l’Es-
Fontrailles tomberont en 1652, il disparaîtra simplement pagne, Cinq-Mars a besoin d’un repaire méridional,
pour quelque temps dans Notre-Dame-des-Écailles. proche de Bordeaux. Il rachète les terres autour de la tour
de Vesone à Périgueux et ouvre un relais des Vyverneries
Les hommes de Fontrailles Dubuis dans la vieille tour fendue.
Début 1649, suite à la fuite de la cour à Saint-Germain, Au début de l’hiver 1649, don Gabriel entre en France
le prince de Condé assiège Paris. Fontrailles quitte clandestinement par Marseille et vient lui-même super-
alors la capitale grâce aux Vyverneries Dubuis et rallie viser les activités de la conjuration en Guyenne. Il traite
Cinq-Mars en Touraine. Tous deux voient l’opportunité avec les envoyés du Marchand dont de nombreuses
de disposer des hommes à leur solde à proximité de Paris routes clandestines passent dans la région, ainsi qu’avec
et ainsi se constituer une petite armée. les frondeurs bordelais à qui il promet l’aide des dracs
Profitant des mouvements de troupes emmenées qu’il rassemble à l’est de Périgueux. Cependant il ne passe
par les frondeurs en direction de Paris, ils envoient pas inaperçu et bientôt des hommes du cardinal sont
vers la capitale un grand nombre de leurs spadas- envoyés enquêter sur son éventuelle présence.
sins. Dissimulés parmi les troupes fidèles aux fron- Finalement, il doit quitter la France par les Pyrénées
deurs, menés par Fontrailles, ils atteignent Paris mais enneigées fin 1649 et rejoint les troupes espagnoles au
en mars 1650 désertent l’armée juste avant la bataille nord de la France. Il retrouve la duchesse de Chevreuse
de Charenton. Les hommes de Fontrailles se dispersent à Stenay en avril 1650 et utilise les contacts de sa
alors dans les villes et campagnes autour de capitale, maîtresse pour favoriser l’accord entre l’Espagne et
établissant des repaires, s’installant dans des auberges Turenne. Sur place, il a de fréquentes altercations,
ou des refuges. parfois en public, avec les envoyés de l’Orateur, Marie et
Réunis, ces hommes peuvent former une petite armée Gabriel, la Magicienne sous le Voile et le Gentilhomme
fidèle aux Silencieux. Dispersés, ils sont autant de petites au Corbeau. Se sachant inférieur aux premiers-nés, il a
unités efficaces que Fontrailles utilise à sa guise dans néanmoins l’intelligence de ne jamais pousser trop loin
ou hors de Paris. Moins entraînés que les nouveaux les confrontations.
Écorcheurs de Rantzau, ils peuvent cependant faire Au début de l’été 1650, il organise son retour
preuve de plus de subtilité, et les deux troupes s’associent en France. Début juillet, il se rend à Bordeaux avec
parfois pour certaines missions des Silencieux. une livraison d’or espagnol à destination des frondeurs,
Les hommes de Fontrailles vont cependant être puis, profitant des troubles qui agitent le pays, se rend
les premiers à souffrir de la folie de Cinq-Mars. Lors secrètement à Périgueux et de là rejoint la capitale
de la traque de Mazarin, il exposera leurs repaires et grâce aux vyvernes Dubuis. Durant six mois il va
refuges en se servant d’eux sans soin comme des points parvenir à cacher sa présence dans Paris tout en étant
de repos, ou enrôlera les hommes dans sa chasse. De plus, très actif pour la conjuration. Il agite les dracs de Notre-
le marquis déchu ayant sombré dans son obsession, leur Dame-des-Écailles, entraîne les hommes de main
paie ne sera plus versée régulièrement. Et fin 1651 de Cinq-Mars, s’immisce dans les cercles de magie et
il ne restera des hommes de Fontrailles que la poignée les soirées mondaines, mais surtout espionne chacun
qui l’aura rejoint et le servira dans les trafics draconiques. des mouvements du cardinal et de ses hommes.
Le 30 janvier 1651, il attente à la vie du cardinal qui
n’est sauvé que par l’intervention de Saint-Lucq. La lutte
entre les deux sang-mêlé est féroce et se termine par
l’embrasement d’une partie des entrepôts de la rive sud
du pont Saint-Michel. Saint-Lucq ressort gravement

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blessé mais victorieux. Si don Gabriel parvient à fuir Notre-Dame-du-Plantier, le faubourg
la capitale au petit jour, le bretteur du cardinal l’a défi- draconique
nitivement privé de son œil et son bras droit. Il se rend Après avoir aidé à l’installation des Vyverneries Dubuis
à Effiat où il réside quelques mois afin que Basile et traité avec le Marchand afin d’établir des échanges
Valentin panse ses blessures, puis il rejoint Périgueux commerciaux profitables, don Gabriel de Tolède s’est
et la tour de Vesone où il s’établit définitivement. rendu à l’est de Périgueux pour explorer les contreforts
Durant deux ans, avec l’aval officieux des dirigeants du Massif central. Non loin de la source de l’Isle, il a
de la ville, ralliés à Condé et à la Fronde, le sang-mêlé découvert une tribu de dracs dont il est rapidement
dirige d’une main de fer les affaires occultes de la ville, parvenu à prendre le contrôle. Le sang-mêlé est ensuite
instaurant dans Périgueux l’équivalent de la cour des mi- retourné en ville avec une poignée de dracs noirs qui
racles parisienne. Il se tient enfin au côté de Cinq-Mars le servirent comme gardes et hommes de main, mais
le 16 septembre 1653 lorsque Périgueux, dernier bastion aussi instructeurs pour les spadassins de Cinq-Mars. Puis
des frondeurs, tombe, pris en tenaille entre les troupes à son départ de France, les dracs retournèrent dans
royales et les habitants de la ville révoltés contre eux. Sur leur tribu.
le toit de la tour de Vesone, il affronte alors une dernière Lorsque don Gabriel revient à Périgueux en 1651,
fois sa Némésis, Saint-Lucq, et périt de sa main. il est blessé et diminué, et il sait que son autorité va
être remise en cause. Il passe donc recruter à nouveau
les reîtres dracs et grâce à eux reprend sans discussion
Mes chères Lames, et très rapidement le contrôle de la ville. Profitant
Nos espions en Espagne nous informent de l’arrivée de son influence, il installe la tribu drac dans le quartier
sur les terres de France d’un agent d’élite de la porte des Plantiers qu’il décrète officieusement
sang-mêlé dont les sympathies sont incertaines faubourg draconique et renomme par dérision
mais en tous cas opposées à la France. Cet agent Notre-Dame-du-Plantier.
se nommerait don Gabriel de Tolède, mais gageons Pendant deux ans la ville va devenir un important lieu
qu’il n’affichera pas cette identité. d’échange de produits draconiques illicites. De nom-
Je vous invite à prendre contact avec l’Italienne, breux maîtres de magie peu recommandables viennent
qui est à l’origine de cette information. Si l’arrivée s’y approvisionner en jusquiame ou en reliques et com-
de ce sang-mêlé sur notre sol est avérée, je vous posantes magiques plus ou moins authentiques. Mais ce
demande de vous lancer sur ses traces. commerce occulte apporte aussi son lot de troubles et
violences et la cohabitation entre humains et dracs, ins-
tallés de force par don Gabriel, se passe très mal. Les rues
est de la ville deviennent de moins en moins sûres et
les citadins évitent rapidement de sortir après la tombée
La tour de Vesone, le relais méridional de la nuit.
des Vyverneries Dubuis Lorsqu’en septembre 1653 les troupes royales victorieuses
La tour de Vesone est le vestige d’un temple gallo-romain à Bordeaux tournent leur attention vers Périgueux,
situé à l’extérieur des remparts de la ville de Périgueux, dernier bastion des frondeurs, les habitants de la ville
en bordure de l’Isle, rivière qui se jette dans la Dordogne se révoltent contre leurs dirigeants frondeurs tout autant
à Libourne et rejoint ensuite Bordeaux. Sur sa façade est, que contre l’influence de don Gabriel. De violentes
elle arbore une immense brèche sur toute sa hauteur, émeutes éclatent et ils rejettent hors des remparts
créée, selon la légende, par saint Front qui en chassa de la ville dracs et frondeurs. Le quartier de la porte
les démons réfugiés en ses murs. des Plantiers est repris par les hommes qui effaceront
La tour elle-même sert de nid aux vyvernes, tandis que en quelques années toute trace d’occupation draconique.
dans l’espace entre le bras de l’Isle et le bâtiment romain
ont été dressés les entrepôts et quartiers d’habitation
nécessaires pour les Vyverneries. L’activité officielle et Mes chères Lames,
très rentable des entreprises Dubuis consiste à gérer À présent que Bordeaux est tombé, notre
des échanges fluviaux commerciaux avec le Bordelais attention se porte sur Périgueux, sur laquelle
et à acheminer denrées et personnes par voie aérienne nos opposants ont la mainmise. Je crains que
vers Paris ou, à travers le Massif central, vers Lyon. la ville ne devienne une place forte dont nous
Leurs activités illicites, initiées par don Gabriel au cours aurons à souffrir longtemps, aussi vous demandé-je
de l’hiver 1649, sont encore plus florissantes et le restent de vous y rendre. D’après mes informations,
même après son départ. Bordeaux étant devenu trop la population n’est pas loin de se retourner contre
visible à cause des troubles de la Fronde, les routes les frondeurs. Je vous sais capable d’embraser
clandestines se sont décalées vers Périgueux. La ville est cette mèche.
devenue un point de passage très fréquenté et les accords Je vous invite à rejoindre l’un de nos fidèles,
que don Gabriel de Tolède est parvenu à passer avec le sieur Olivier d’Embruse, qui vous apportera
le Marchand la rendent très fructueuse. son support.
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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
La magie draconique

Sortilèges et rituels Les rituels sont des réalisations magiques puissantes,


durables, longues et complexes, tant pour leur exé-
cution que pour leur réalisation. Ils mettent en jeu
Il ne connaissait pas grand-chose à la magie une immense quantité d’énergie magique – notamment
draconique, mais il savait reconnaître une salle d’interminables psalmodies à faire réciter sans relâche
d’invocation. Les tentures brodées de motifs éso- par une assemblée d’assistants –, et de nombreuses
tériques. Les hauts cierges noirs qui attendaient composantes physiques, comme du sang de vrai dra-
d’être allumés. La petite table pour les objets gon. Ils doivent en outre se dérouler à un moment précis,
rituels. Le lutrin qui soutiendrait le lourd grimoire correspondant à une aura magique et un alignement
tandis que l’officiant prononcerait les formules astral particuliers, et se conformer à une disposition
incantatoires. L’autel, grosse table sculptée exacte de runes et symboles draconiques sur le lieu
d’un bloc. Et enfin le pentacle gravé dans le sol et de l’incantation.
rehaussé de glyphes dorés et écarlates se détachant sur Les sortilèges sont plus simples et bien plus rapides
la pierre noire. à exécuter. Certains ne réclament qu’un unique mot
Pierre Pevel, L’Alchimiste des Ombres déclencheur. Ils demandent tout de même une prépa-
ration préalable, requièrent une concentration absolue
Inventée par les Dragons Ancestraux pour prendre de la part du sorcier et ne produisent au final que
l’ascendant sur leurs ancêtres Archéens, la magie des effets très limités.
draconique permet, à travers l’utilisation de rituels
et sortilèges, d’obtenir des effets surnaturels illimi-
tés. De conception éminemment subtile, ils sont
regroupés dans d’antiques grimoires précieusement
conservés par les dragons. Écrits en draconique ancien,
ils doivent être exécutés avec une minutie absolue sous
peine d’obtenir un désastre à la moindre erreur.

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Les différents
sorciers
Très cher ami et estimé confrère,
Votre hypothèse sur la nature même de la magie,
énergie intangible baignant le monde, dont la seule
manifestation physique naturelle serait le souffle La jeune femme comprit, toucha sa lèvre supérieure
des dragons, est prodigieusement séduisante. du bout de l’annulaire et découvrit son doigt sali
Si l’on se fie à vos travaux, les sortilèges et rituels de l’humeur noirâtre qui perlait à sa narine. Sans
draconiques ne seraient pas détenteurs du pouvoir s’émouvoir, elle tira un mouchoir déjà taché de sa
magique, mais constitueraient un langage per- manche et se détourna pour s’essuyer.
mettant son expression, son utilisation contrôlée — La magie est un art que les Dragons Ancestraux
et appliquée au monde réel. Les runes, glyphes et ont créé pour eux seuls, dit-elle comme si cela
autres lames du tarot des dragons ne seraient expliquait tout.
alors que les mots de cette langue. Correctement Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal
assemblés, ils permettraient d’énoncer des phrases
complexes permettant l’entrée de l’énergie magique Tous les dragons sont naturellement capables d’utiliser
dans notre monde et la réalisation d’effets la magie. Cependant, les mots des rituels se déclinent
élaborés. Incorrectement associés, ils resteraient en draconique ancien, une langue que peu d’entre eux
incompréhensibles et provoqueraient des dissonances comprennent encore réellement, et que la majorité
susceptibles d’entraîner des conséquences physiques des Derniers-Nés ne maîtrise pas. Ils se contentent
catastrophiques. donc de répéter fidèlement les intonations et les mots
J’ajoute que cette langue devrait dès à présent des rituels découverts dans d’anciens grimoires et
être considérée comme morte. En effet, vous et n’en saisissent en réalité que le sens général, obtenant
moi savons très bien que les dragons de ce siècle parfois des effets inattendus.
ne parviennent plus à inventer de nouveaux Les saaskir, quant à eux, se transmettent leurs rituels et
sortilèges, et donc à créer de nouvelles phrases mots de pouvoir depuis des générations. Au fil du temps,
ou de nouveaux mots de magie. Ils se contentent ils les ont involontairement transformés et une forme
de répéter fidèlement les constructions imaginées de sélection s’est opérée, chacun ne transmettant au
par leurs ancêtres. final que les éléments qu’il maîtrisait le mieux. Ainsi,
Enfin, il semble de la prime évidence que chaque lignée possède ses spécificités magiques et peut
la connaissance des mots de ce langage ne suffit pas donc être identifiée par ce biais.
à son utilisation. Posséder en soi une composante Les maîtres de magie humains sont des érudits,
draconique est nécessaire pour faire œuvre astrologues, devins, médecins, philosophes ou même
de sorcellerie. Nous pouvons donc en conclure que des hommes d’Église, ayant appris le draconique ancien,
la magie draconique est une langue impossible et comprenant la structure globale des sortilèges et ri-
à prononcer si l’on ne possède pas une langue et tuels. Présents dans chaque grande maison, ils ne peuvent
une bouche correctement formées et entraînées. cependant pas utiliser la magie. Sa pratique est non
Le temps est peut-être venu pour l’Homme d’inventer seulement rendue illégale par les édits royaux, mais elle
un langage qui lui serait propre, suivant à son tour nécessite surtout que le sorcier possède en lui une part
l’inspiration des dragons anciens. draconique, ce qui n’est bien sûr pas leur cas. Certains
Je me permets donc, cher ami et estimé confrère, franchissent cependant les limites. Ils s’injectent du sang
de vous inviter à prendre part à la rencontre que de dragon, s’adonnent à la liqueur de jusquiame dorée,
j’organise à Paris à la fin de l’automne pro- ou bradent leur âme durant des cérémonies d’initiation
chain. D’autres nous rejoindront pour ce séminaire draconique. Ils gagnent alors la possibilité d’incanter,
exceptionnel au cours duquel, je l’espère, nous mais le prix à payer est très élevé. Ils contractent souvent
pourrons mettre en commun nos connaissances la ranse ou deviennent esclaves des dragons.
et poser les bases d’un âge d’or magique pour Enfin, les Louves, sœurs Châtelaines dont l’âme a
les hommes. été unie à celle d’un dragon, sont capables d’utiliser
la magie en laissant à leur part draconique la possibilité
Pierre Teyssier, maître de magie de s’exprimer. Elles restent néanmoins limitées par
les connaissances de celui qui les habite et par le contrôle
qu’elles en ont.

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Mes chères Lames,
Les vingt-deux
J’ai besoin que vous enquêtiez sur l’existence
d’un possible commerce illégal de jusquiame

arcanes du Tarot
dorée. En effet, depuis quelques semaines,
une agitation nocturne s’est emparée

des Ombres
de Notre-Dame-des-Écailles et des quartiers
environnants. Je crains que ces échauffourées
ne soient que des diversions organisées pour
couvrir quelque chose de plus inquiétant. En ef-
fet, lors de la dernière rixe, les gardes ont — Ce sont là les vingt-deux arcanes majeurs
par chance intercepté un cavalier transportant d’un jeu de tarot, expliqua Alessandra. D’un tarot
un tonnelet de jusquiame dorée. Je vous invite draconique, cependant.
à vous rendre au Châtelet, où le cavalier Le regard du capitaine caressait les cartes.
a été incarcéré. Trouvez la provenance et La Tisserande, lisait-il. Le Gentilhomme au
la destination de ce tonnelet, et surtout Corbeau, la Gardienne, l’Enlumineur aveugle,
enquêtez sur la probable existence d’autres l’Astrologue, la Courtisane amoureuse…
chargements de cette sorte. Si une ou plusieurs — On emploie ce tarot en sorcellerie.
personnes se livrent au commerce illégal de jus- … l’Hérésiarque couronné, l’Architecte, le Voleur
quiame dorée dans Paris, ou pire, s’adonnent sans Mémoire…
à la sorcellerie, ils doivent être identifiés — Il sert essentiellement à la divination, bien
et arrêtés. sûr. Mais pas seulement.
Ne me décevez pas. … le Maître d’armes, la Demoiselle en la Tour,
l’Assassin, le Pèlerin immobile…
Pierre Pevel, Le Dragon des Arcanes

Le Tarot des Ombres est un jeu de tarot draconique


possédant vingt-deux arcanes majeurs très spéci-
Très chère Alessandra, fiques. Il est couramment employé en sorcellerie et
La missive que tu m’as si gracieusement adressée ainsi en magie divinatoire, où il sert de catalyseur, facili-
que la confiance que tu as en mes connaissances m’ho- tant le passage de l’énergie magique dans le monde
norent. Si la situation n’était point aussi problématique pour réel. Inventé par les Dragons Ancestraux, il constitue
toi, je qualifierais le problème qui est le tien d’origi- un langage simplifié et condensé permettant d’accéder
nal. Parvenir ainsi à se compromettre avec un saaskir pour, à la magie. Chaque arcane majeur représente en réalité
in fine, se jouer de lui avec tant de maestria, nul autre une facette des énergies magiques, et les vingt-deux
que toi, je le crois sincèrement, ne ferait montre d’assez assemblés couvrent tous les possibles.
d’audace pour y songer, et plus encore, le réaliser. Le pouvoir du tarot ne réside pas dans les cartes
Cependant, ta connaissance partielle en la magie semble elles-mêmes, mais dans les symboles et concepts
t’avoir joué un mauvais tour. S’il parvient aujourd’hui représentés. Ces derniers aident le sorcier ou le devin
à te retrouver où que tu fuies, c’est qu’il a usé sur toi à focaliser ses capacités afin d’obtenir de meilleurs
d’un sortilège t’ayant dérobé un petit fragment d’âme. Cela résultats. Lors de rituels mineurs ne nécessitant pas
lui permet de te localiser où que tu te caches, étant sans la réunion d’une assemblée à des fins incantatoires,
interruption rattaché à toi. Heureusement la sorcellerie le sorcier dispose les arcanes devant lui suivant des sché-
dracienne est chose nocturne, il ne peut donc te pourchas- mas minutieusement reproduits, et évite ainsi d’avoir
ser que de nuit. à créer un pentacle complexe impliquant l’inscription
Pour répondre à ta pressante question, un sortilège ne peut précise de runes et glyphes magiques.
prendre fin que de deux façons distinctes. Soit la volonté Le Tarot des Ombres possède la particularité de donner
qui l’a enfanté cesse, soit la cible à laquelle il s’applique accès à la partie draconique nécessaire pour pratiquer
disparaît. J’ajouterai que si certains rituels antiques la magie, même si cela ne fonctionne que dans le cas
ont résisté à la mort du sorcier les ayant incantés, de son utilisation dans le cadre de la divination. Des
ils possédaient une puissance qui n’est pas à la portée humains ordinaires peuvent donc l’utiliser et ob-
d’un drac. tenir de réels résultats. Cela n’enlève toutefois rien
Je te laisse donc le soin de trouver la façon de conduire à la complexité de l’art divinatoire, les arcanes étant
ce saaskir à cesser de t’importuner, car l’autre option toujours très difficiles à décrypter. Peu sont ceux qui
impliquerait ton trépas, chose que je ne souhaite évidemment possèdent suffisamment de connaissances pour l’utiliser
pas avant d’avoir de nouveau passé de longues et studieuses efficacement, la très grande majorité des devins qui
soirées en ta charmante compagnie. parcourent les routes d’Europe armés de ce tarot étant
en réalité des charlatans.
Bien à toi,
Chevalier de Valombre
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Le Tarot des Ombres
Les lames (également appelées arcanes) du Tarot des Ombres sont toutes associées à un concept
bien défini. Certains pensent en outre que l’ordre du tarot n’est pas innocent, et que sa séquence
complète donne une vision du destin draconique dans son intégralité. Nous laisserons bien sûr
le soin aux astrologues de commenter cette dernière théorie.
0 L’Astrologue en Prière Fatalité
1 La Tisserande oubliée Sacrifice
2 Le Voleur sans Mémoire Avidité
3 Le Jongleur indécis Audace
4 La Danseuse à l’Épée Honneur
5 La Sentinelle silencieuse Protection

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
6 L’Enlumineur aveugle Impulsivité
7 Le Maître d’armes aux Flambeaux Maîtrise
8 La Vestale de Pierre Foi
9 Le Pèlerin immobile Fermeté
10 L’Hérésiarque couronné Autorité
11 Le Gentilhomme au Corbeau Modification
12 L’Architecte des Mondes Innovation
13 La Courtisane amoureuse Sensualité
14 L’Assassin sans Visage Subtilité
15 L’Horloger des Chimères Diplomatie
16 La Gardienne derrière le Miroir Confrontation
17 La Magicienne sous le Voile Ruse
18 La Demoiselle en la Tour Ambition
19 L’Alchimiste des Ombres Connaissance
20 Le Guerrier immortel Héroïsme
21 Le Chevalier au Dragon Domination

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Divination et Grimoires draconiques
prescience draconique Les Dragons Ancestraux, créateurs de la magie
draconique, vénéraient le savoir. Sa représentation
Les dragons possèdent le don de double vue qui leur physique, les grimoires, étaient à la fois de remarquables
permet de scruter le futur. Néanmoins, celui-ci change œuvres d’art et un condensé particulièrement dense
constamment sous l’effet des connaissances acquises de leurs connaissances. Une grande majorité d’entre
par ce même don et des décisions alors altérées. Il est eux fut perdue ou détruite, mais quelques-uns ont
donc très difficile d’avoir une vision claire des événe- survécu au passage du temps et aux guerres qui, au fil
ments à venir, et seuls ceux qui possèdent un caractère des siècles, ont ravagé le monde draconique. Au xviie
inéluctable sont clairement entraperçus. Si les Dragons siècle, ils sont pour la plupart aux mains des dragons,
Ancestraux possédaient un savoir suffisant pour parvenir qui les conservent jalousement. Ils renferment ce qui
à interpréter efficacement leurs visions, les dragons du reste de l’antique connaissance de la magie, rituels et
xviie siècle sont eux plus souvent déstabilisés par celles-ci sortilèges de grand pouvoir, et restent l’unique moyen
et peinent à y parvenir. d’acquérir ce précieux savoir.
Certains hommes sont eux aussi capables de percer
les secrets de l’avenir et ont, pour cela, dû maîtriser

Sphères d’Âmes
l’utilisation du Tarot des Ombres. Leur art de la di-
vination se concrétise par l’interprétation du tirage
et de la disposition des arcanes majeurs du tarot, et
non par des visions directes du futur. Plus générales, Les Sphères d’Âmes sont de puissants artefacts magiques
les prédictions se révèlent souvent plus fiables. De fait, créés à l’origine par les Dragons Ancestraux pour
les dragons recourent eux aussi régulièrement au Tarot asservir les Archéens. Couronnés de ces hypnotiques
des Ombres pour donner du sens aux images qu’ils ont joyaux, les anciens dragons se voyaient dérober leur
reçues par le biais de visions. libre arbitre et se trouvaient totalement soumis à leurs
descendants. S’ils étaient laissés sans instruction,
ils plongeaient dans un sommeil léthargique proche

Alchimie draconique
de la mort. Mais s’ils étaient commandés, un puissant
rituel permettait à l’esprit de leur maître de s’insinuer
en eux, les transformant alors en esclaves serviles, à la fois
L’alchimie est une discipline ancestrale qui est notam- intelligents, soumis et terriblement destructeurs.
ment à la recherche du Grand Œuvre, la réalisation Avec le temps, les Dragons Ancestraux comprirent
de la transmutation des métaux vils en métaux nobles, qu’ils pouvaient aussi utiliser les Sphères d’Âmes pour
et de la Panacée, médecine universelle et élixir de longue vaincre la mort. En y projetant leur âme et leur essence,
vie. Sa pratique mélange souvent toutes sortes de consi- ils pouvaient survivre à la disparition de leur corps
dérations scientifiques, philosophiques, mystiques et physique. Prisonnier de la Sphère d’Âme, un dragon
spirituelles, mais elle reste toujours naturelle, refusant peut néanmoins interagir avec les personnes qui entrent
de recourir à la magie draconique. en contact avec celle-ci, ou qui se lient avec elle. Avec
Néanmoins, certains alchimistes ont décidé d’utiliser plus de maîtrise, certains se sont même révélés capables
les connaissances des dragons, et une nouvelle branche de projeter pour de courts instants leurs silhouettes
clandestine et illégale de l’alchimie est née. Elle est basée fantomatiques dans le monde réel.
sur l’utilisation d’ingrédients chargés de magie, telle Grâce à de puissants rituels, les âmes emprisonnées
la jusquiame dorée, afin d’obtenir des effets surnatu- dans les Sphères d’Âmes peuvent se voir rappeler
rels. Plus efficace que l’alchimie classique, elle comporte parmi les vivants, au prix de nombreuses autres âmes
cependant une grande part de risque. Manipuler la magie et vies. Cependant, elles peuvent également être utilisées
peut conduire à de véritables catastrophes, et provoque aux dépens du dragon prisonnier, pour asservir et
à long terme des effets indésirables. La ranse en est contrôler d’autres créatures. Ainsi, la Griffe noire utilise
un exemple. Les alchimistes s’adonnant à ces expériences des Sphères d’Âmes retenant des dragons renégats
s’éloignent donc souvent des foyers de population et ou tombés en disgrâce pour lier à jamais ses fidèles au
vivent reclus, secrètement financés par des mécènes cours de grandes cérémonies d’initiation.
souvent liés d’une façon ou d’une autre aux dragons. Une Sphère d’Âme est un petit globe pouvant tenir dans
Paradoxalement, la plus grande réalisation de l’alchimie la conque des mains. D’un blanc laiteux si elle est vide,
draconique est, elle, couramment utilisée. De nom- elle devient hypnotique, noire, luisante et envoûtante,
breuses unités militaires sont armées d’acier-mage comme emplie d’une encre mouvante, si un dragon y est
– l’alliage de métal et de draconite – qui peut infliger prisonnier. Elle fige la lumière plutôt que la refléter, et
de terribles blessures aux dragons. les volutes profondes qui l’animent semblent absorber
l’âme de tous ceux qui posent les yeux sur elle.

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Sphères d'Âmes

Sang, feu
et os de dragon Mes chères Lames,
J’ai besoin que vous enquêtiez sur une toute
nouvelle mode qui sévit à la cour depuis quelque
Brasier vif d’aspect commun lorsqu’il brûle à une in- temps. En effet, de plus en plus de nobles
tensité raisonnable, le feu de dragon peut virer au blanc des grandes maisons arborent des tatouages du
éclatant lorsqu’il est porté à sa puissance maximale. Rien plus bel effet que je soupçonne d’être réalisés
ne peut alors lui résister. Sa flamme imprime une chaleur avec une encre à laquelle a été mélangé du sang
qui jamais ne s’estompe, et les blessures qu’elle inflige de dragon. Je crains qu’il ne s’agisse en réalité
ne peuvent totalement guérir. Dans sa forme la plus d’une manigance de la Griffe noire. Je vous invite
pure, le feu draconique ne nécessite pas de combustible à découvrir qui se cache derrière cette dernière
autre que la magie ambiante pour brûler, et certains tendance, et quels sont les tatoueurs qui réalisent
alchimistes sont prêts à tout pour en acquérir une pe- ces œuvres. Veuillez aussi contacter Pierre
Teyssier afin qu’il étudie les effets que cela
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
tite flamme conservée dans un flacon de draconite
cristallisée. pourrait avoir sur les sujets du roi, et notamment
Le sang de dragon est lui aussi très recherché, par les sor- sur une éventuelle corruption de leur loyauté.
ciers autant que par les alchimistes. D’une température
invariante, constamment à la limite de l’ébullition, Ne me décevez pas.
jamais il ne refroidit. Composante essentielle de très
nombreux rituels, ce sang est également très recherché
par quelques illuminés qui n’hésitent pas à se l’injecter
afin de partager, l’espace d’un instant, la conscience et
la puissance des dragons. Ils paient généralement très
cher cette audace.
Les os des dragons ne sont pas source de magie, mais
ils possèdent une dureté surnaturelle. Seul le fer ocre
lorrain est suffisamment résistant et abrasif pour per-
mettre de les entamer et de les travailler afin de leur
donner une forme nouvelle. Les objets en os restent
cependant rares, étant considérés comme une insulte
mortelle par les dragons eux-mêmes. Leur possesseur est
généralement condamné à un trépas lent et douloureux.

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Jusquiame dorée Avec le sang et le feu de dragon, elle est l’une des trois
seules substances connues qui concentrent de la magie
naturelle. Surexploitée par les dragons, la jusquiame do-
Il ouvre le coffret, dans lequel se trouvent quatre rée disparut il y a longtemps du Vieux Continent. Elle fut
grosses flasques en verre et métal tenues par des lanières redécouverte par Christophe Colomb dans le Nouveau
de cuir. La première est vide. Les trois autres – dont Monde, et entraîna le renouveau de la race draco-
l’une est à peine entamée – contiennent la précieuse nique. La majeure partie de la jusquiame dorée qui
liqueur de jusquiame, un liquide épais ressemblant circule au xviie siècle provient des Amériques, où elle
à de l’or liquide. est récoltée avant d’être acheminée à grands frais vers
Comme toujours, la première gorgée est un délice. l’Espagne, puis l’Europe entière.
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Pierre Pevel, L’Alchimiste des Ombres Véritable concentré de magie, elle produit sur les dragons
un effet immédiat, leur donnant la capacité d’utiliser
La jusquiame dorée est une plante toxique de la famille leur magie à son plein potentiel. Elle les entraîne vers
de la belladone. Ses feuilles sont ovales et grossièrement un retour à la forme draconique première et à la bes-
dentelées, et les nervures qui les parcourent comme tialité primale des dragons. Toute race possédant du
la corolle de sa fleur sont d’un jaune d’or éclatant, sang de dragon est sujette à son influence. Résister
ce qui la distingue des autres espèces de jusquiame et à ses effluves est difficile, tant elle entraîne un éveil
lui confère son nom. Grande plante ramifiée pouvant instinctif de la part draconique. Certains hommes
dépasser le mètre de haut, elle semble pouvoir pousser en consomment aussi, à très petites doses et souvent
partout. Toutefois, elle est impossible à cultiver et mélangée à d’autres substances, soit pour accéder
ne pousse qu’à l’état naturel. Elle peut être distillée à la sorcellerie, soit pour ressentir durant quelques
et raffinée en liqueur, séchée pour produire une fine instants les émotions et la force draconique.
poudre ou des feuilles de tisane, écrasée en une pâte
huileuse. Son suc peut être bu et ses fleurs consommées
cuites ou crues.

90
Draconite Le mont des Châtelaines
S’il est un endroit en France où la draconite est présente
La draconite est une pierre alchimique créée par en grande quantité, c’est au mont des Châtelaines,
les Dragons Ancestraux, aussi noire et luisante que anciennement nommé mont Saint-Michel. Devenue
l’obsidienne. Sa capacité première est d’infliger la place forte des Châtelaines – l’ordre des religieuses
de terribles blessures aux dragons. Elle peut également chargées de défendre le trône de France contre les dra-
servir de répulsif et de bouclier contre ces derniers car gons –, l’abbaye du mont Saint-Michel a été agrandie
elle agit comme un destructeur de magie. Le procédé et embellie. Au milieu du xviie siècle, elle possède
magique et alchimique de fabrication de la draconite depuis longtemps des tuiles recouvertes de poussière
ne fut jamais transmis par les premiers Dragons de draconite, protégeant ses habitants et ses trésors
Ancestraux. Désormais perdu, il représente le Grand d’éventuelles attaques de dragons.
Œuvre de l’alchimie draconique, le but ultime que Les Sœurs de Saint-Georges cachent l’un de leurs plus
tous rêvent d’atteindre. précieux trésors dans les salles mystérieuses qu’elles
Existant donc en quantité limitée, la draconite est creusèrent sous l’abbaye. Elles y dissimulent en effet
une substance infiniment précieuse pour tous ceux un grand nombre d’armes en draconite qu’elles ont
qui sont confrontés aux dragons, et chaque éclat est patiemment collectées durant des décennies. Elles sont
réutilisé. Ne pouvant être refondues et réassemblées, utilisées avec parcimonie pour lutter contre la Griffe
les grandes pièces de draconite sont, avec le temps, noire et tout dragon qui menacerait la France, mais sont
devenues rares. Elles sont précieusement conservées et en réalité destinées à armer une unité de combattants
prudemment utilisées. Les petits fragments sont quant d’élite si une guerre ouverte se déclarait.
à eux réduits en poudre et, mélangés par alchimie Enfin, chaque louve – sœur chargée de traquer les dra-
à de l’acier lorrain, deviennent de l’acier-mage, un métal gons – porte au côté une lame de draconite. Les of-
plus facile à travailler, mais aux propriétés atténuées. ficiers de la prestigieuse compagnie de gardes chargée
de les protéger arborent quant à eux des pommeaux
ornés d’une pierre en draconite.

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

91
Miroirs de vision Des réseaux
Les miroirs de vision sont des artefacts couramment utili- de contrebande
draconiques
sés par ceux qui œuvrent pour les dragons. Correctement
positionnés et activés grâce à des phrases rituelles
draconiques, ils permettent à deux personnes possédant
chacune un miroir de se voir et se parler, quelle que soit
la distance qui les sépare. Cependant, la vérité ne peut Si la Griffe noire, reconnue et respectée, est un acteur
leur être masquée, et les images qu’ils projettent sont à part entière de la scène diplomatique et politique eu-
toujours le juste reflet de la nature profonde de ceux ropéenne, elle n’en reste pas moins fortement impliquée
qui l’emploient. dans les trafics qui se déroulent dans l’ombre. Elle a
la mainmise sur la très grande majorité des réseaux qui
ont un quelconque rapport avec les dragons ou la magie
draconique.
Trois grands types de réseaux peuvent être différen-
Mazarin,
À l’attention du card inal
ciés. Le premier, le plus important pour les dragons,
s à port er à votr e con naissance est celui qui concerne la jusquiame dorée. Le second
Je tien
nte est celui qui contrôle la circulation des livres et artefacts
une conséquence importa
l’ap part ena nce de l’an cien capitaine draconiques. Enfin, le troisième s’articule autour
de
Étie nne-Lo uis des créatures draconiques.
des Lames du Cardinal,
secr ète connue
La Fargue, à la société
dien s. Sa capa cité
sous le nom de Gar La jusquiame dorée
les maî tres de cett e
à dialoguer avec
n, que j’ai par moi -mê me
organisatio Pour les dragons du xviie siècle, la jusquiame dorée
lté à utiliser
constatée, révèle une facu est une renaissance, le nectar magique leur permettant
et donc sa
les artefacts draconiques, d’exprimer leur nature profonde. C’est donc un trésor
dragons.
compromission auprès des inestimable et ils ne tolèrent pas que son commerce
avo ués
Quels que soient les buts échappe à leur contrôle.
gon s qui dirigent
ou réels des Sept dra Récoltée dans les Amériques, jusqu’à la fin du xvie
prim ord ial
cette société, il est siècle, elle n’était distribuée en Europe qu’après
tout
que vous considériez que avoir transité par l’Espagne, et plus particulièrement
e acti on ou tout e idée
rapport, tout le port de Séville. Mais depuis le début du xviie siècle,
nt du cap itai ne pou rrai ent
provena le port espagnol a perdu son monopole et, désormais,
être enti èrem ent mus par sa
ne pas les cargaisons sont aussi acheminées vers la France, prin-
rituels
fidélité à la Couronne. Les
cipalement par le port de Saint-Malo ou, depuis peu,
néc essa ires
d’initiation draconique
Amsterdam. Il existe aussi quelques routes maritimes,
res et util iser
pour intégrer ces ord
plus clandestines, qui ravitaillent les îles britanniques
en effe t pou r ou les ports méditerranéens de Marseille ou Gênes.
leurs artefacts ont
de vole r une parc elle Une fois débarquées, les cargaisons sont acheminées par
particularité
r leur
d’âme aux initiés et d’altére
convois spéciaux, très discrets mais fortement armés, vers
san s qu’i ls en aien t eux-mêmes les grandes villes situées à l’intérieur des terres. Si Madrid
fidélité
. est bien évidemment la destination principale de la jus-
nécessairement conscience
persistez dans
quiame dorée en provenance de Séville, les grandes
En conséquence, si vous
r une unité
capitales et cités européennes ne sont pas oubliées et
votre souhait de reforme leurs communautés draconiques sont régulièrement
it de l’es time que
de Lames, et en dép ravitaillées.
e, je pen se qu’il serait
j’ai pour l’ho mm Arrivée à destination, la jusquiame dorée est distribuée
plac er le cap itai ne
désastreux de aux dragons. La répartition se décide au travers d’accords
La Fargue à leur tête .
conclus avec la Griffe noire, des paiements annualisés,
et surtout des luttes d’influence entre les diverses
Saint-Lucq loges. Les dragons acquièrent et utilisent ensuite
des lettres de gage qui leur permettent de prélever
à leur guise la quantité de jusquiame qu’ils ont acquise
au préalable. La quasi-totalité du précieux liquide est
écoulée ainsi et, au final, il ne reste qu’une faible partie
de la jusquiame dorée qui se retrouve décelable par

92
les autorités et en vente sous le manteau. Le commerce sur la jusquiame. Jusqu’à présent, nul ne sait à quoi
de jusquiame, comme sa culture et sa consommation, sont utilisées les quantités accumulées par le Voleur
est totalement interdit et extrêmement contrôlé, et sans Mémoire. Mais il semble évident que ce dernier
le prix d’une fiole est exorbitant. échafaude un plan à grande échelle. Dont les cibles
Un trafic clandestin parallèle s’est donc mis pourraient bien être les dragons de la Première Loge
en place. En effet, certains dragons peu regardants eux-mêmes.
spéculent et revendent secrètement une partie de leur
part sur un marché noir très lucratif. Ils encourent
cependant le risque de provoquer la colère de la Griffe Livres et artefacts draconiques
noire, et plus particulièrement celle du Marchand,
cinquième conseiller de la Première Loge, qui a depuis Les reliques et connaissances draconiques sont des mar-
longtemps fait main-basse sur l’ensemble du commerce chandises très recherchées, et il existe une grande variété
du précieux nectar et ne tolère pas la concurrence. Grâce de personnes pouvant les fournir, qu’elles revendent
à ses contacts avec des membres éminents du pouvoir, leurs propres possessions ou soient aventuriers, pil-
celui qui a pris les traits de l’imprimeur royal Sébastien leurs de tombes, explorateurs, chasseurs de créatures
Cramoisy peut même utiliser les ressources du royaume draconiques…
pour influer, corrompre ou châtier. Pour revendre leur Si certaines marchandises peuvent se négocier au
jusquiame au marché noir, les dragons multiplient donc grand jour, comme les livres occultes les plus classiques
les intermédiaires et les fausses identités afin de ne pas ou les remèdes et onguents magiques communs, ce
être retrouvés par les agents du Marchand. Ces derniers, n’est évidemment pas ainsi que l’on peut se procurer
aussi efficaces que discrets, ne s’intéressent en effet les articles les plus intéressants.
pas à la marchandise écoulée ni à ses destinataires, Ces derniers s’échangent uniquement via des réseaux
qu’ils soient humains ou dracs, mais uniquement clandestins qui permettent l’achat et la vente d’à peu près
aux dragons qui alimentent ce commerce clandes- toute marchandise qui a trait aux dragons, quelles que
tin. Une fois identifiés, ils sont toujours durement soient sa provenance, licite ou illicite, et son utilité. Il est
sanctionnés par la Griffe noire, certains noms ayant ainsi possible de se procurer des os de dragons, des armes
même été confiés au Glaive ardent. en draconite, des remèdes contre la ranse, des livres
Récemment, un nouvel acteur est entré sur la scène du interdits de magie draconique antique… Le tout est
commerce de jusquiame. Depuis les Provinces-Unies, de posséder les moyens de s’offrir ces marchandises qui
le Voleur sans Mémoire, ancien membre de la loge se négocient à prix d’or, et les contacts nécessaires per-
des Arcanes, a tissé un réseau commercial sans égal, mettant d’accéder aux intermédiaires et aux vendeurs.
qui met en danger la suprématie de la Griffe noire

93
Il existe quelques marchés éphémères sur lesquels Races draconiques
peuvent se retrouver acheteurs et vendeurs de ces biens
rares. Ainsi, un grand marché s’installe chaque nuit De nombreuses compagnies de transport se sont créées
de Lune noire sur la Plaza Mayor de Madrid. En ce pour exploiter les grandes capacités de déplacement
lieu, tout s’achète et se vend sans aucun contrôle, des dragonnets ou des vyvernes. D’autres ont monté
humain ou même draconique. À Paris, le grand des spectacles impliquant des tarasques ou des combats
coësre organiserait lui aussi des ventes clandestines de salamandres. Toutes ont en commun la nécessité
dont le lieu ne serait communiqué qu’au tout dernier d’avoir dû, un jour, acquérir un œuf draconique,
moment. Dans une ruelle sombre du Paris miséreux, ou la créature elle-même.
durant une heure, se réuniraient alors acheteurs et Les dracs sont souvent à la source de ce commerce
vendeurs, et de nombreuses affaires seraient conclues car ils ont, durant des siècles, élevé ces créa-
en de simples murmures, sous la lumière blafarde tures ; ils les connaissent donc particulièrement
de la Lune. bien. Néanmoins des groupes de chasseurs se sont
formés et traquent les spécimens sauvages pour les re-
vendre ou pour le compte de riches mécènes.

Messageries et compagnies de transport


Dans toute l’Europe, les compagnies de messagerie
Marché de contrebande et de transport ailé officielles agissent toujours par
privilège royal et sont donc souvent en situation de mo-
Exemples de prix pratiqués sur le marché de contrebande nopole. Elles exploitent les dragonnets et les vyvernes,
des substances draconiques. louant leurs services à de très riches particuliers,
mais sont très onéreuses à entretenir et difficiles
à gérer. L’entreprise Gaget, qui détient le monopole
Créatures
Dragonnet sauvage 10 L
en France jusqu’en 1643 et compte une vingtaine
de messageries sur l’ensemble de son territoire, est
Dragonnet dressé 30 L
la plus développée et la plus rentable d’Europe. D’autres
Vyverne sauvage 300 L
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Vivienne « Pinson » Cotterre d'après Amaury Herbay

messageries ont toutefois vu le jour depuis quelques


Vyverne dressée 3000 L
années, en particulier la maison Dubuis.
Œuf de vyverne 800 L
Tarasque 1500 L
Syle 5L
Syle dressée 20 L

Substances et artefacts
Dose de jusquiame
5L
(équivalent à un petit verre)
Vin des dracs (bouteille) 30 L
Os de dragon (brut) 100 L/kg
Dose de sang de dragon frais
50 L
(équivalent à un petit verre)
Salamandaine 50 L
Larme sainte 5000 L
Collier de Brisingar 3000 L
Voile d’oubli 1000 L
Lame en draconite 1500 L
Épée en os de dragon 3000 L
Grimoire draconique au moins 1000 L
Livre d’occultisme de 30 à 3000 L

94
La ranse tant leur côté humain est devenu naturel pour eux,
mais en règle générale, les dragons se désintéressent
La ranse est une maladie virulente, contagieuse et au totalement de ce phénomène qui, au pire, ne leur nuira
final mortelle, qui frappe les hommes et les femmes pas, au mieux, servira leur cause.
qui fréquentent trop les dragons ou sont trop proches
d’objets ou de personnes possédant une forte nature La lignée noire
draconique. C’est un mal incurable que la médecine Une lignée de saaskir est particulièrement redoutée
du xviie siècle est impuissante à combattre, ou même pour sa capacité supposée à utiliser la ranse. Ces dracs
soulager. Un grand nombre de remèdes sont disponibles posséderaient le pouvoir de la manipuler sous la forme
et des nouveaux apparaissent constamment dans d’une brume noire, insidieuse et suintante. Elle agirait
les officines des apothicaires et sur les étals des boni- ainsi selon leur bon vouloir, pouvant saisir, contaminer
menteurs. Mais ne nous leurrons pas. Il ne s’agit que et même tuer quelqu’un de la ranse en quelques minutes,
de potions de charlatans ou de praticiens plus ou moins provoquant des souffrances atroces conduisant au trépas.
bien intentionnés. Cette lignée, établie au cœur des Alpes italiennes,
La maladie se développe à un rythme différent suivant vivait non loin du col du Montgenèvre. Elle avait fait
les malades. Certains sont très rapidement contaminés, alliance avec la république des Escartons, une fédération
tandis que d’autres doivent être exposés longtemps de villages implantée sur les versants français et italiens
à une force draconique pour être infectés. De plus, du col et qui prélève une taxe sur le commerce et
le rythme de sa progression s’accélère en provoquant les voyageurs allant de Turin à Briançon. Les dracs
d’insoutenables douleurs à chaque fois que le malade est protégeaient les villageois de toute action italienne
mis en présence de magie ou de dragons. Dans le pire ou française à l’encontre de leur activité très lucrative
des cas, la mort peut survenir deux semaines après et recevaient en échange une part du butin.
la contagion. Mais beaucoup vivent encore longtemps Il semblerait que la majorité des membres
après l’apparition des premiers symptômes, sans trop de la tribu se soient, sans raison apparente, entretués
en souffrir. en 1633. Le commerce par le col du Montgenèvre est
La ranse se développe en deux temps. Le symptôme depuis lors plus facile et moins coûteux.
initial est une petite tache sur la peau, d’abord guère
plus inquiétante qu’un grain de beauté, et qui passe
souvent inaperçue. Peu à peu la tache grossit, devient
violacée et rugueuse.
Lorsqu’elle se veine de noir et se craquelle, le malade
a atteint le stade de la grande ranse. La tache suppure,
et des tumeurs profondes se développent. Le malade
devient contagieux et les premières douleurs appa-
raissent. Les premières grosseurs, les premières mal-
formations, les premières monstruosités accompagnent
ce dernier stade et les malades, devenus des monstres
pitoyables, sont mis à l’écart, réduits à mendier pour

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
survivre. Ils sont alors obligés par décret du roi à porter
une bure rouge et à s’annoncer d’un tintement de cré-
celle. Au moindre écart, ils sont enfermés de force
à l’hospice des Incurables à Paris, bannis au cœur
des forêts les plus profondes, ou simplement lapidés
par des foules poussées tout autant par la colère que
par la peur.
Si l’on en croit l’Église, la ranse est une démonstration
flagrante que les dragons sont le mal incarné. Pour
les médecins du xviie siècle, qui associent l’infection
à la présence d’obâtre mêlée au sang du malade, il s’agit
d’un déséquilibre des « humeurs ». Aux quatre fluides
qui imprègnent les organes, le sang, la bile, le phlegme
et l’atrabile, vient s’ajouter l’obâtre draconique qui
perturbe les autres et corrompt ainsi la nature humaine
jusqu’à la détruire.
Pour les dragons, il s’agit d’une agression de la nature
humaine par leur prédateur naturel draconique. Il arrive
que certains des Derniers-Nés puissent en souffrir,

95
96
97
Le traité de Münster
L’Europe… de Mazarin

L’Europe
Un événement marque le début de la guerre de Trente
Ans. L’empereur Mathias Ier – sans descendance – offre
la Bohême à Ferdinand de Habsbourg. La Bohême
avait reçu l’assurance du respect de sa liberté religieuse,
Les motifs d’inquiétude, pourtant, ne manquaient mais Ferdinand II souhaite la voir réintégrer le giron
pas. Il y avait la guerre que l’on préparait contre catholique. À la suite d’incidents, deux émissaires
la Lorraine, les ambitions hégémoniques de l’Espagne sont dépêchés par Ferdinand II. Ils sont jetés par
et de sa Cour des Dragons, les menées de l’Angleterre, une fenêtre. Cette « défenestration de Prague », en 1618,
les succès militaires que la Suède accumulait dans marque le début de la guerre. La Bohême se révolte,
le Saint Empire et qui risquaient de bouleverser suivie des États voisins : Moravie, Lusace, Silésie.
le fragile équilibre des forces en Europe.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal En 1619, l’empereur s’éteint. La Bohême dépose son roi
et le remplace par un calviniste, Fréderic IV. Ferdinand II
a perdu la Bohême mais, par un caprice du destin, il est
L’Europe du xviie siècle est un vaste champ de bataille, dans le même temps élu empereur. Naturellement,
sur lequel s’opposent les grandes puissances du conti- il s’empresse de chercher soutien chez son cousin
nent. Il ne se passe pas un jour sans qu’un affrontement Philippe III, roi d’Espagne.
sanglant ne survienne. Et dans les périodes de calme
apparent, les conflits se déplacent vers les cours À partir de là, les Habsbourg catholiques (principalement
d’Europe, où se joue un jeu tactique et politique espagnols) soutenus par le pape et la Ligue catholique, et
dont les conséquences sont aussi décisives que le choc les Habsbourg protestants (majoritairement allemands),
des armées. alliés aux pays scandinaves, à la Transylvanie et aux
Provinces-Unies, se déchirent. En 1619, la famille entre
La guerre de TrenteAns dans une série d’affrontements sanglants qui ébranlent
La guerre de Trente Ans est un ensemble tout le continent. Les Bohémiens remportent quelques
de conflits armés qui ont déchiré l’Europe à partir victoires, mais leur élan se brise rapidement. Le roi
de 1618, et qui continuent jusqu’en 1648. La majorité de France, Louis XIII, entre en scène et soutient l’em-
des combats se déroulent en Europe centrale dans pereur face aux calvinistes. Les Bohémiens sont écrasés
des territoires appartenant au Saint Empire Romain près de Prague en 1620. Le catholicisme est restauré
Germanique. Toutefois, la guerre concerne toutes avec force, et le roi Fréderic IV s’exile. Les Habsbourg
les grandes puissances de l’époque : la France, l’Espagne, prennent le pouvoir en Bohême.
l’Angleterre, l’Italie, l’Autriche, les Provinces-Unies,
le Danemark et la Suède. En 1621, à la mort de Philippe III, son successeur,
Philippe IV, n’a que seize ans. Il choisit le comte-duc
Après des décennies de relations tendues entre catho- Olivares, catholique et désireux de nouer des liens
liques et protestants allemands, la paix d’Augsbourg, d’amitié avec les Habsbourg d’Autriche.
en 1555, marque une trêve. Mais le calvinisme se répand Ce positionnement politique amène des princes pro-
en Allemagne, et le regard de l’Europe se porte sur testants à conserver leurs troupes armées. Des années
le Saint Empire. Le roi d’Espagne, en particulier, possède de combat font rage, jusqu’à ce que Tilly remporte
des intérêts dans les États allemands. Philippe III est une victoire décisive en 1623. Les catholiques contrôlent
en effet un Habsbourg, et si les branches espagnoles et alors le sud et l’ouest de l’Allemagne, ce qui ne tarde
allemandes sont géographiquement éloignées, c’est bien pas d’inquiéter Richelieu.
le monarque espagnol qui prend les grandes décisions
familiales. C’est ainsi que la France apporte un soutien finan-
cier au Danemark de Christian IV, quand celui-ci
La France, dirigée par le cardinal de Richelieu, s’inquiète se lance dans le conflit en 1625. L’armée danoise
de la présence massive des Habsbourg le long de ses est battue par les troupes de Tilly et de l’intrigant
frontières. Dès lors, Richelieu se livre à un jeu ambigu : Wallenstein. La contre-attaque est fulgurante et
soutenir les princes protestants contre la maison d’Au- contraint Christian IV à baisser pavillon. Le Danemark
triche catholique, tout en combattant les protestants disparaît du nombre des grandes puissances.
sur le sol français.

100
Wallenstein devient le maître de l’Allemagne du nord, La guerre de Trente Ans est à la fois une guerre de religion
ce qui déclenche des réactions de jalousie. et une guerre fratricide. Batailles, famines et massacres
furent alors le lot des pauvres gens. On dénombre
La Suède, à son tour, entre dans la danse. L’arrivée des millions de morts. C’est une guerre sale. Les armées
de troupes catholiques dans le nord incite le roi ne sont pas des troupes permanentes des nations, et sont
Gustave II Adolphe à régir. Richelieu ne manque majoritairement constituées de mercenaires aux loyautés
pas l’occasion d’affaiblir le rival et paie grassement fluctuantes. En outre, ces soldats aiment à se payer sur
une intervention suédoise en 1631. Mais les Suédois les populations et les exactions sont légion.
ne se contentent pas de défendre leurs frontières :
ils filent droit vers le sud, atteignent les territoires Les diverses puissances européennes prennent position
d’Alsace, la Rhénanie, et dévastent Munich. tout au long de cette période de guerre. Les nombreux
mariages qui lient les souverains rendent ce puzzle
L’empereur confie alors à Wallenstein le commandement politique difficile à démêler.
de l’armée impériale. Celle-ci est battue à Lutzen
en 1632, mais Gustave II Adolphe y est tué. La jeune En 1635, Richelieu déclare la guerre à l’Es-
Christine de Suède hérite du trône. pagne. En 1643, ce sont Mazarin et Anne d’Autriche
qui héritent du conflit. Les Espagnols tentent
Wallenstein, de son côté, intrigue avec de profiter de l’affaiblissement du pouvoir en France,
les adversaires de l’empereur : Suède, France, Saxe et mais le 18 mai 1643, le futur « Grand Condé », Louis
Brandebourg. Ferdinand II réalise ses trahisons, tente de Bourbon, duc d’Enghien, les vainc lors de la bataille
de le faire assassiner, mais Wallenstein disparaît mys- de Rocroi. La guerre continue de sévir mais l’Espagne
térieusement. Les catholiques parviennent à contenir perd sa réputation d’armée invincible. Turenne et
l’invasion suédoise avec l’aide des Espagnols. Enghien enchaînent les victoires en Allemagne, et

101
la Bavière est envahie à la fois par les forces françaises Le traité offre un bref répit à une Allemagne exsangue,
et suédoises. La Suède envahit la Bohème et marche sur mais ne règle pas les antagonismes. La France et l’An-
Prague, dont la sauvegarde n’est due qu’aux nouvelles gleterre sont en proie à des conflits internes. L’Espagne
de la paix de Westphalie. Pendant ce temps, les Français peine toutefois à en tirer un avantage décisif, subissant
soutiennent sans succès la révolte de Naples contre elle aussi des conflits, avec le Portugal mais aussi sur
les Espagnols. les mers avec les Provinces-Unies. La Suède, discrè-
tement, prend de l’importance, aidée en cela par
En 1648, les Provinces-Unies signent une paix séparée les mystérieux Naos.
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

avec l’Espagne, et gagnent leur indépendance. L’Espagne


subit une grande défaite à Lens face à Condé mais, Et loin d’Europe, dans les Amériques, se joue
libérée du front flandrien par ce traité, décide de pour- une violente partie d’échecs dont le but est l’accès
suivre la lutte contre la France. Cependant l’empereur, à l’impressionnante quantité de jusquiame dorée.
pris dans l’étau franco-suédois, décide de négocier sans
se soucier de son cousin espagnol.

Le traité de Westphalie, signé à Münster, met offi-


ciellement fin à la guerre. Dans les faits, elle affaiblit
Ferdinand III et l’Empire, aux bénéfices de la Suède
et de la France.

102
L’Espagne LesIrSkehns
« Ir’Skehn », en dracien, signifiait « feu
— Rapidement dit, il s’agit de servir noir ». Les irskehns étaient des compagnies
l’Espagne. de cavalerie levées par l’Espagne et composées
L’Espagne. uniquement de dracs noirs. Peu fiables sur
L’Espagne, ennemie jurée de la France, et sa Cour le champ de bataille, car incapables de réfréner leurs
des Dragons. La nouvelle tomba comme la hache du ardeurs, ces cavaliers n’avaient pas leur pareil dès qu’il
bourreau sur le billot, et même le très réservé Almadès s’agissait de marauder, harceler et mettre à sac. Ils
leva un sourcil circonspect. avaient à leur actif des massacres de populations
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal particulièrement horribles. La seule rumeur de leur
venue suffisait à vider les campagnes.
Pierre Pevel, L’Alchimiste des Ombres
Une puissance en déclin
En 1643, le royaume d’Espagne achève son « Siècle
d’Or ». La domination économique et culturelle du
pays est incontestable partout en Europe. Cet empire
colonial est le plus grand de son temps, notamment
grâce à la grande influence des dragons. Les mystères d’Espagne
Je me suis rendu au port de Cadix, en Andalousie,
La monarchie catholique, fondée sur une union dynas-
au sud-ouest de la péninsule. J’y ai pris contact
tique qui a repoussé les frontières au fil des mariages
princiers des siècles précédents, s’étend à présent sur
avec l’importante communauté française qui s’y est
quatre grandes régions. établie. Ils m’ont confirmé que des dragons avaient
pris des bateaux à destination de l’Amérique. […]
La Couronne de Castille, tout d’abord, comprend J’ai entendu dire que des gisements de draconite
notamment la Castille, la Navarre, les trois provinces ont été découverts dans les Pyrénées espa-
basques, mais aussi le Pérou et la Nouvelle Espagne, soit gnoles. Les mines se trouveraient non loin de la capitale
la majorité de l’Amérique du Sud. La Couronne d’Ara- catalane, Barcelone, plus précisément au pied du
gon étend quant à elle son influence jusqu’à Barcelone Montserrat. Je n’ai trouvé pour l’instant aucun
et sur la Sardaigne, Naples et la Sicile. Les provinces moyen de m’en procurer à Madrid. […]
de Flandres et la Franche-Comté sont régies par un ré- J’ai rencontré brièvement le poète Calderón,
gime d’« union personnelle », ce qui implique qu’elles
un favori de Philippe II. Il m’a semblé très
reconnaissent le roi d’Espagne comme leur souverain,
mais qu’elles ont également leur gouvernement et leurs
dépendant à la jusquiame. Il m’a dit qu’il écrivait
lois propres. Le Portugal, enfin, ainsi que tout l’empire actuellement une pièce qu’il veut intituler La vie est
colonial qui en dépend, Brésil compris, est espagnol un songe. Je le soupçonne de préparer par ce biais
depuis 1580. un rituel dangereux destiné à endormir plus encore
le roi sur les problèmes du royaume. […]
Cette immensité est, pour le royaume, source de prestige, Le tremblement de terre de Lisbonne, en 1531, a fait
de richesses et de puissance militaire. La flotte espagnole des milliers de morts. D’après mes sources, il se pourrait
est alors la plus imposante d’Europe, et les tercios, ces que cette tragédie soit liée à l’éveil bref mais dévasta-
unités de fantassins d’élite réputées invincibles, règnent teur d’un Archéen. La créature est apparemment
sur les champs de bataille. Les régiments de mercenaires retournée sommeiller sous la capitale. Depuis, la ville
dracs, payés rondement par la couronne, pillent, sac-
est régulièrement agitée de secousses. Les Espagnols
cagent, violent, massacrent et torturent les populations
des ennemis de l’Espagne, semant la terreur et le chaos.
ont étouffé les causes réelles de la catastrophe, je me
Mais cette souveraineté est remise en question. Le déclin demande bien pour quelle raison. […]
politique, entamé sous Philippe II, érode rapidement
la grande puissance. Les guerres incessantes, les conflits Arnaud de Laincourt, Mémoires
internes, les crises politiques successives et l’absence
du monarque qui se désintéresse du royaume mènent
progressivement l’Espagne à sa perte.

103
Les instances du pouvoir Les conseils
L’État est organisé selon un système complexe de conseils
royaux tels que le Conseil des Finances, le Conseil
Le roi Philippe IV de Guerre, le Conseil de l’Inquisition ou encore
et la généalogie des Habsbourg le Conseil des Indes et le Conseil d’Italie. Ils assistent
Le sang des Habsbourg a coulé dans les veines de tous personnellement Philippe IV, lui donnent des avis
les empereurs du Saint Empire romain germanique purement consultatifs, mais n’interviennent jamais
depuis 1452, des rois d’Espagne et des empereurs directement. Le roi exerce son autorité de souverain
autrichiens. La « Maison d’Autriche » est puissante. sur les différents territoires à partir des comptes rendus
Si Philippe II est le plus grand souverain de son temps, de ces conseils. Le monarque règne sur l’Espagne sous
Philippe III d’Espagne est, quant à lui, un piètre roi, leur influence directe. La Griffe noire y est infiltrée
qui confie les rênes du pouvoir à son favori, Francisco à tous les niveaux, et met ainsi l’Europe à feu et à sang
Sandoval. Il mène alors une vie faste mais pieuse et en alimentant la guerre de Trente Ans. Le vent de chaos
se désintéresse du royaume. Faut-il voir là les premiers qui souffle sur les peuples enrichit l’organisation et lui
signes de corruption par le pouvoir draconique ? donne toujours plus d’emprise sur le peuple d’Espagne.
Toujours est-il que Philippe IV, dit le Grand ou le « roi
planète », s’avère un roi pire encore. Couronné en 1621, La Cour des Dragons
il s’en remet à son favori, Gaspar de Guzmán, comte La monarchie espagnole est éclatée, complexe et désu-
d’Olivares, et à des ministres avides et incompétents nie. Le roi est le pivot, le cœur, le point central autour
pour gérer le royaume. La politique ne l’intéresse duquel se rassemble l’Empire. La cour est donc l’instance
pas, et le royaume s’apprête à se déchirer à son nez privilégiée de gestion de la politique espagnole où tous
et à sa barbe, tandis qu’il se vautre dans le luxe et les représentants des divers territoires se rencontrent
l’oisiveté. Mécène, grand collectionneur d’œuvres d’art, et conspirent.
il protège notamment le jeune Vélasquez et se passionne
pour les artistes étrangers : Rubens, Nicolas Poussin et La cour de Madrid, surnommée « la Cour des Dragons »
Claude Gellée, notamment. Le roi prend aussi sous par les courtisans persifleurs du Louvre, s’organise autour
son aile les écrivains Lope de Vega et Pedro Calderón des différents hôtels de la famille régnante. Philippe IV a
de la Barca, entre autres. les siens propres, comme la maison castillane, la maison
du Portugal et la maison aragonaise. Ces palais servent
tout à la fois à ordonner la vie quotidienne royale,
à rassembler la noblesse espagnole autour de nombreuses
festivités et à régler les questions politiques.

Les nobles les plus influents, tels que les Grands


d’Espagne, possèdent également leurs propres
hôtels. La Griffe noire a des serviteurs fidèles dans
chacun de ces bâtiments, du simple cuisinier jusqu’au
noble le plus puissant. C’est à partir de là qu’elle tire
les ficelles. Les hôtels sont les portes d’entrée qui
mènent aux conseils, et donc au pouvoir. Les décisions
se prennent dans les alcôves, puis sont acheminées
jusqu’au roi qui les ratifie sans sourciller, ses compé-
tences en matière politique et financière étant plus que
limitées. Omniprésents, les agents de l’organisation
complotent, s’opposent, s’entraident, s’entretuent
parfois dans les cabinets baroques enrichis de lourdes
dorures qui ponctuent les palais madrilènes.

Philippe IV d’Espagne

104
L ’Inquisition espagnole
Le Tribunal du Saint-Office de l’Inquisition fut institué
en 1478. Officiellement, les évêques qui demandèrent
Madrid ce privilège souhaitaient pouvoir pourchasser librement
J’ai passé deux ans à Madrid. La cité, située les « nouveaux chrétiens », des juifs et musulmans
au cœur de l’Espagne, a pris son essor lors de la do- récemment convertis dont la foi était jugée dou-
mination musulmane du ixe siècle, et l’architecture teuse. Officieusement, la Griffe noire commençait
de la ville garde des traces nombreuses de la culture à obtenir du pouvoir au sein même de l’Église espagnole
arabe. Chrétienne depuis le xie siècle, elle est sous et espérait acquérir par ce biais une certaine indépen-
la protection de San Isidro, né et mort en son dance vis-à-vis du Pape. Ce dernier, face à la pression
sein. Mais ce n’est qu’un leurre, car l’Église est des ambassadeurs envoyés négocier l’instauration
de l’institution religieuse, céda à contrecœur. Il n’a
aux mains de la Griffe noire. […]
à présent plus aucun contrôle sur l’organisation, dont
J’ai appris que la capitale espagnole ne le fut pas le pouvoir juridique est absolu pour juger et condam-
toujours. En 1561, Philippe II quitta Tolède ner. Diego de Arce y Reinoso est l’actuel inquisiteur
et amena la cour à Madrid, dont le climat était plus général. Totalement à la botte des dragons, il utilise
favorable à la santé de la reine. Certains murmurent l’instance religieuse pour éliminer les gêneurs et asseoir
que la raison véritable de ce déménagement est que son pouvoir.
la Griffe noire avait des intérêts politiques à un tel
transfert. […]
Afin d’installer confortablement les nobles exigeants Le déclin espagnol : les guerres
qui l’entourent, le roi a décrété l’expropriation de tous et l’effritement de la Couronne
les seconds étages des maisons. On trouve ainsi,
parmi les constructions récentes, de nombreuses villas Tout au long du xviie siècle, l’Espagne décline lente-
ment. La guerre de Trente Ans d’abord, mais également
de plain-pied, mais aussi des étages « cachés » par
les soulèvements successifs dans les différentes régions
une architecture habile. Je crois que la Griffe noire administrées par l’Espagne et le comportement laxiste
cache dans certains de ces espaces invisibles à l’œil du roi sont responsables de sa déchéance.
des profanes nombre de réunions secrètes et de rituels
impurs. […] Les multiples guerres
J’ai pris beaucoup de plaisir à divaguer sur la Plaza Du côté de la France, le cardinal de Richelieu mène
Mayor, construite il y a à peine vingt ans. Pourtant, une politique anti-espagnole tout au long de sa
je sais que l’Inquisition y monte ses bûchers, spectacle régence. Prenant parti pendant la guerre de Trente
très apprécié par les Madrilènes. Les nobles y as- Ans, il soutient les protestants du Saint Empire, tandis
sistent depuis les balcons des hôtels particuliers qui qu’il réprime farouchement les protestants français. Puis,
la ceignent. On y organise également des « corridas », en 1635, il déclare la guerre à l’Espagne.
un loisir dont la mode semble enfler en Espagne et
En 1643, la bataille de Rocroi renverse l’issue du conflit
dont l’aristocratie est très friande. Ces Espagnols en faveur de la France. La cavalerie espagnole s’enfuit,
sont vraiment des barbares. […] mais les tercios sont entièrement massacrés ou capturés,
La famille royale loge à l’Alcazar Royal, portant un coup terrible à Philippe IV. Le mythe
une forteresse à l’architecture arabe qui surplombe de l’armée espagnole invincible meurt ce jour-là.
la ville depuis sa colline dressée au cœur de la ville. […] La guerre de Quatre-Vingts Ans confronte également
Le palais du Buen Retiro est apparemment le lieu le royaume à de grandes difficultés. Elle oppose depuis
de villégiature privilégié du roi. Situé à l’est de la cité, 1568 et la révolte des gueux, les Provinces-Unies, com-
il se compose d’un ensemble de vingt bâtiments qui posées des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg,
sont le résultat d’adjonctions successives qu’Olivares à la monarchie espagnole. Les trois pays sont bien
fit construire autour d’un couvent, Saint-Jérôme décidés à obtenir leur indépendance vis-à-vis du roi
d’Espagne, leur suzerain.
« le royal ». […]
En 1635, tandis que l’Espagne gagne du terrain,
Arnaud de Laincourt, Mémoires envahissant notamment la Hollande, l’entrée en guerre
de la France change définitivement la donne. En 1639,
la flotte espagnole, alors la plus puissante d’Europe, est
définitivement défaite lors de la bataille navale de Downs.
Une guerre larvée oppose l’Espagne et l’Angleterre
depuis 1585, date à laquelle Elizabeth Ire avait noué

105
une alliance avec les Provinces-Unies. Lorsque L’Andalousie, enfin, en 1641, connaît son lot d’agitation
Charles Ier accède au trône, en 1625, il reprend indépendantiste. C’est encore une fois la noblesse qui
les hostilités. Les Espagnols parviennent à empêcher initie les troubles. Le marquis d’Ayamonte et le duc
la prise de la ville de Cadix et infligent de grosses pertes de Medina Sidonia sont les instigateurs de la conspi-
à la flotte anglaise. Si cela entraîne un essoufflement ration. Leur volonté est de créer un nouvel État, dirigé
du conflit, les tensions se cristallisent entre les deux par le duc. Malgré le soutien du Portugal, la révolte est
nations autour des colonies. À partir de 1643, la menace promptement écrasée.
anglaise pèse encore sur la vie économique et politique Il reste que ces multiples conflits affaiblissent consi-
du royaume, même si la couronne anglaise a par ailleurs dérablement le royaume, tant financièrement que
fort à faire à l’intérieur de ses frontières. politiquement.

Prise entre de trop nombreux ennemis, devant gé- 1643 : la fin d’Olivares
rer un territoire trop étendu, la monarchie est par et l’avènement d’une nouvelle ère
conséquent en péril, malgré les efforts désespérés Philippe IV, en réponse à cette situation de crise, a décidé
de la Griffe noire pour rendre au royaume sa puissance récemment de bannir son ministre Olivares. Bien enten-
et son prestige. du, la Griffe noire est derrière cette décision. Le ministre
devenait trop ambitieux et faisait montre d’indisci-
pline. Tombé en disgrâce auprès du grand maître de sa
loge, il perd du même coup ses fonctions politiques.
Mes chères Lames,
Je vous sollicite afin de porter assistance à Louis Le roi tente bien de gouverner seul quelque temps,
II de Bourbon, prince de Condé, cousin de sa mais dès 1643, il choisit pour valido (Premier ministre)
Majesté. Je crains en effet que des espions ennemis le neveu de son ancien favori, Luis de Haro. Ce dernier
ne se soient infiltrés dans son entourage. Or, n’a pas le charisme et l’intelligence de son prédécesseur
le Grand Condé dispose d’informations militaires et peine à s’imposer.
que je ne souhaite en aucun cas voir tomber entre
de mauvaises mains. J’ai besoin de vos talents C’est à cette époque que le roi commence à corres-
pour identifier ces individus, les neutraliser pondre régulièrement avec une mystique espagnole
et, si possible, obtenir d’eux des informations nommée María de Ágreda (voir encart p. 108). Celle-ci
précieuses. Je vous invite à le rencontrer a une influence sur le souverain jugée dangereuse, même
directement dans ses quartiers du Louvre dès par la Griffe noire. Elle relègue Luis de Haro à l’état
demain. Il vous attend. de simple pantin et influence grandement l’Espagne.
Ne me décevez pas.

Les révoltes internes


À partir de 1640, la Couronne perd de nombreux
territoires. La Catalogne ouvre le bal. Le 7 juin 1640,
des émeutes éclatent à Barcelone. En septembre, après
plusieurs mois de tensions, la République catalane est
proclamée. En janvier 1641, elle désigne Louis XIII,
roi de France, comte de Barcelone et souverain
de Catalogne. Olivares tente alors de récupérer la région,
mais la défaite de la bataille de Montjuïc met un point
final à l’épisode, écartant durablement l’Espagne des ter-
ritoires catalans. L’Aragon tente de suivre le mouvement,
choisissant pour roi le duc de Hijar, mais, cette fois-ci,
la révolte est étouffée.

Le Portugal suit la tendance en décembre 1640, suite


à la révolte de Lisbonne, une conspiration menée par
Le destin d'Olivares
les nobles portugais. Cet événement marque le début
de « la guerre d’Acclamation » pour l’indépendance
des territoires portugais, soutenue, bien entendu, par
les Français.

106
Le destin d’Olivares
L’histoire espagnole nous dit qu’Olivares, jugé par
l’Inquisition en 1644, décède en 1645.
Bien entendu, la vérité des Lames du Cardinal est tout
Votre Éminence,
autre. Olivares a en effet mystérieusement disparu peu Je vous fais part par cette missive de mon rapport
de temps avant ces événements. Philippe IV, refusant sur le comte d’Olivares, l’ennemi de toujours de votre
d’admettre que son principal opposant se soit enfui, prédécesseur, le cardinal de Richelieu, et sur sa
met alors en scène une parodie d’exécution. Quant récente déchéance. Comme vous le savez sans doute,
à Olivares, il est un élément de choix susceptible le Premier ministre de Philippe IV n’est plus son
de changer le cours de certains événements. A-t-il re- favori depuis quelques mois déjà. Les rapports pré-
joint en secret les Dragons pour agir en sous-main ? cédents de mes confrères ont confirmé qu’il s’agissait
A-t-il été libéré par les Lames pour devenir une source d’un serviteur actif et haut placé de la Griffe noire,
d’information précieuse ? Certains racontent qu’il a été qui s’est arrangé pour le faire élever, en 1621, au
soustrait à sa geôle par des envoyés des Naos ou par
statut de Grand d’Espagne. L’organisation secrète
le Voleur sans Mémoire.
Où se trouve la vérité ?
a ensuite comploté pour placer cet homme, devenu
très puissant, aux côtés du souverain espagnol. Or,
La guerre contre la France se poursuit et Mazarin depuis peu, Philippe IV considère Olivares comme
continue à battre le fer chauffé par son prédéces- responsable du lent déclin de son royaume. Est-ce
seur. En Catalogne, où elle reprend Lerida, et en Italie, encore une manigance de la Griffe noire ?
où elle étouffe la révolte du royaume de Naples et Il semble en tous cas qu’Olivares désire depuis
de la Sicile, l’Espagne parvient à conserver ses ac- changer de camp. Il affirme avoir été rejeté par
quis. Mais en Flandre, le Grand Condé inflige aux la société secrète et être prêt à vendre de nom-
troupes espagnoles de cuisantes défaites. La paix breuses informations la concernant. Il demande
de Wesphalie en 1648 entérine le repli espagnol dans expressément, par mon truchement, une audience
le nord, même si l’Espagne parvient à signer une paix
auprès de vous. Je crois pouvoir affirmer que mes
séparée avec les Provinces-Unies et garder une partie
de son influence et de ses territoires (le sud des Pays-Bas
échanges avec lui n’ont pas été interceptés par qui
et la Franche-Comté). que ce soit. Accepterez-vous de prendre le risque
Plus au sud, c’est le Portugal qui plante ses banderilles de lui accorder un tel honneur ? Quelle réponse
dans les flancs espagnols. À la tête de leur armée se dresse dois-je lui faire ?
Matias de Albuquerque, de retour du Brésil où il a mené
des expéditions au plus profond de la jungle et combattu Bien sincèrement,
les Hollandais. Le stratège, aidé par une mystérieuse Votre dévoué serviteur
magie, mène les Portugais à la victoire.
L’Espagne a longtemps profité des richesses provenant
de ses colonies américaines, mais celles-ci, progressive-
ment, ont sclérosé l’économie espagnole en l’enfermant
dans une illusion d’abondance sans limites. Le pays
en vient à importer plus qu’il ne produit. Ses ports
deviennent le territoire de marchands hollandais,
français ou anglais. Les ressources américaines conti-
nuent d’affluer, mais enrichissent à présent les nations
ennemies plus que l’Espagne elle-même.

Progressivement, les dragons de la Griffe noire semblent


se désintéresser, du moins partiellement, du sort de l’Es-
pagne. Le géant ibérique reste puissant, mais paraît au
final n’occuper qu’un rôle d’adversaire traditionnel face
aux Français, aux Hollandais ou aux Suédois. La Griffe
noire, quant à elle, veille sur ses intérêts dans les colo-
nies américaines. Ses plans à moyen terme passeront
indubitablement par l’Amérique. En cela, l’Espagne
reste utile.

107
Ma Mère,
Je vous écris pour vous faire part de mes inquiétudes concernant María
de Jesús de Ágreda. J’ai rencontré cette religieuse, dont le nom ne vous
est pas inconnu, lors de mon récent voyage en Espagne. Cette nonne
est abbesse de l’ordre Immaculé de la Conception. Son histoire a attiré
mon attention car, depuis une vingtaine d’années, elle expérimente
régulièrement des visions extatiques, notamment du Saint Esprit,
de la Sainte Vierge et de l’enfant Jésus, sans doute inspirées par les dra-
gons eux-mêmes. Ces transes la font entrer en lévitation et lui accordent
nombre de pouvoirs terribles contre les dragons. J’ai pu la voir de mes
propres yeux rompre un rituel draconique par le biais de cette méthode
pour le moins surprenante ! Elle écrit ses mémoires dans une œuvre qu’elle
nomme La Cité mystique, dans laquelle elle explique la mission que Dieu
lui a confiée : celle de lutter contre les dragons. J’ai pu en lire des extraits
lors de notre rencontre, et ce texte m’a transcendée. Il transpire la sagesse
et la foi.
Si je suis soucieuse à son sujet, c’est qu’elle est entrée, depuis l’éviction
d’Olivares, en correspondance épistolaire avec le roi Philippe IV. Elle
souhaite arracher le souverain à l’influence insidieuse des dragons. Mais
cela la met dans une position dangereuse.
Si je vous contacte aujourd’hui, c’est parce que, comme vous l’aurez
compris, je crains pour sa sécurité. La Griffe noire veille, et les inqui-
siteurs espagnols, entièrement sous l’influence de la secte, commencent
à s’intéresser de très près à elle. Nous devons protéger cette âme pure,
capable de servir notre cause avec passion et probité.

Marie-Émilie, sœur de l’ordre de Saint-Georges

Mes chères Lames,


Je vous sollicite car une missive secrète
m’informe que le comte d’Olivares souhaite
me rencontrer. L’ancien premier ministre
espagnol serait donc toujours en vie. Il disposerait
de nombreuses informations sur la Griffe noire et
exprime le désir de partager ses secrets avec nous
en échange de notre protection. J’ai besoin que
vous vous assuriez que cela n’est pas un artifice et,
le cas échéant, que vous enquêtiez sur les réelles
motivations de cet homme. Je crains qu’il ne s’agisse
au fond d’une autre manipulation de la Griffe
noire, visant à nous lancer sur de fausses pistes
ou à obtenir des informations capitales pour
la sécurité nationale. Je veux m’assurer de sa
sincérité. Je vous invite à vous rendre à Madrid,
où se trouverait encore ce trouble personnage, afin
d’y réunir des renseignements.
Ne me décevez pas.

108
Les La guerre franco-espagnole conduit Philippe III
à conclure une trêve provisoire. Les Pays-Bas sont

Provinces-Unies
divisés en deux parties : l’une au nord, protestante
et indépendante, l’autre, au sud, catholique et sous
domination espagnole.
L’opulence des Hollandais qui, à proprement parler, L’indépendance est reconnue formellement en 1648,
ne sont qu’une poignée de gens, réduits en un coin par le traité de Wesphalie. S’ouvre alors une période
de terre, où il n’y a que des eaux et des prairies, est dorée pour la république des Provinces-Unies.
un exemple et une preuve de l’utilité du commerce qui
ne reçoit point de contestation.
Cardinal de Richelieu Organisation
La république des Provinces-Unies comprend en 1648 Le gouvernement des Provinces-Unies repose sur
les provinces de Frise, Groningue, Gueldre, Overijssel, une organisation complexe, où la famille d’Orange
Utrecht, Hollande et Zélande, auxquelles l’Espagne cède occupe une place prépondérante. Chaque province
en outre les territoires de Maastricht ainsi que le nord est régie par des États provinciaux, qui réunissent
de la Flandre et du Brabant. les représentants des villes, de la noblesse et parfois
Avant l’Acte de La Haye de 1581, les terres des pro- des paysans. Les États nomment un pensionnaire,
vinces sont constituées d’un ensemble de domaines représentant chargé des relations bureaucratiques, et
indépendants, plus ou moins étendus (de la seigneurie un stathouder, à la fois garant des institutions militaires
modeste au puissant duché, en passant par des évêchés), et judiciaires.
et appartenant en majorité au Saint Empire romain Les institutions fédérales réunissent à La Haye
germanique. les pensionnaires des sept provinces. Ils disposent
Ces territoires aboutissent finalement entre les mains théoriquement d’un pouvoir égal mais, dans les faits,
des Habsbourg espagnols, d’abord Charles Quint puis le pensionnaire de Hollande, l’État le plus peuplé et
Philippe II. Mais les provinces, victimes d’une pression le plus puissant, possède une place privilégiée et s’occupe
fiscale et religieuse autoritaire, s’unissent sous la ban- de la politique extérieure des Provinces-Unies.
nière de Guillaume de Nassau, Prince d’Orange, dit De même, le stathouder de Hollande et de Zélande
le Taciturne, et s’opposent finalement à l’Espagne, exerce les charges d’amiral et de commandant des ar-
jusqu’à la séparation de 1581. Une période de guerre mées. Cette charge, historiquement dévolue à la puis-
s’ouvre alors, qui dure jusqu’en 1648. Le gouverneur sante famille d’Orange, est tenue par Guillaume II,
envoyé par l’Espagne, Alexandre Farnèse, duc de Parme, neveu du prince d’Orange, à partir de 1647.
gagne la faveur des catholiques effrayés par l’intolérance Du fait des guerres incessantes, le stathouder devient
des calvinistes, et reconquiert les Pays-Bas méridionaux. rapidement le personnage central des Provinces-Unies.

109
Mes chères Lames,
Je vous sollicite car depuis plusieurs mois,
Guillaume II d’Orange semble avoir des visées
expansionnistes qui pourraient mettre en grand péril
nos troupes armées et nos circuits commerciaux.
Je souhaite que vous vous rendiez au plus vite
à Amsterdam, qui semble au centre des attentions du
stathouder hollandais.
Je vous invite à vous rapprocher du savant René
Descartes, actuellement en séjour à Paris, et qui
pourra vous donner de plus amples informations sur
nos soutiens dans la ville.
Ne me décevez pas.
Guillaume II

Le siècle d’or
Commerce et guerre Nées d’une opposition à une oppression religieuse,
les Provinces-Unies se posent très tôt comme
Deux visions s’opposent au sein des Provinces. D’un côté, garantes d’un respect des croyances et d’un esprit
les républicains sont favorables à une autonomie pro- de tolérance. Ce positionnement courageux attire
vinciale accrue, et partisans d’une paix qui permettrait vers ses contrées de nombreux peuples persécutés et
de faire prospérer les intérêts des commerçants et enrichit le pays de savoirs variés. Les Provinces-Unies,
manufacturiers hollandais. en particulier, accueille à bras ouverts des commu-
De l’autre, les orangistes se rangent derrière le stathouder nautés dracs en déroute, largement persécutées par
et militent pour un pouvoir central fort, reposant sur les humains. Un quartier entier d’Amsterdam leur est
les capacités militaires. Guillaume II souhaite imposer réservé, mais nombreux sont les dracs à être intégrés
le modèle de la monarchie héréditaire. La paix avec à la société néerlandaise.
l’Espagne contrarie ses plans et il tente un passage
en force en s’emparant d’Amsterdam. Cet esprit résolument progressiste s’ajoute
Il meurt en 1650 sans avoir pu mettre son plan à une politique où l’instruction est placée comme
à exécution. valeur cardinale. L’alphabétisation de la population
Les républicains sont les grands gagnants de ce décès est plus importante que dans toutes les autres nations
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

prématuré. La charge de stathouder n’est pas réattribuée d’Europe, et la réputation des universités hollandaises
et les provinces gagnent en autonomie. La Hollande (en particulier celle de Leyde) attire de grands profes-
règne en maître et les capacités commerciales assurent seurs et nombre d’étudiants étrangers. René Descartes
la prospérité des Provinces-Unies. lui-même y séjourne quelque temps. Leyde s’enorgueillit
d’accueillir en ses murs le premier étudiant drac.
Enfin, la prospérité de la nation entraîne des débouchés
pour les productions artistiques et c’est naturellement
que les Provinces-Unies voient affluer peintres, sculp-
teurs et écrivains de renom.

Le Voleur sans Mémoire


À la dissolution de la loge des Arcanes, l’un de ses
membres, un Dragon Suzerain discret et philosophe,
décida de s’éloigner d’Espagne tout en refusant
de renoncer à son titre. Celui dont le nom draconique
est Saar’Maal est depuis bien longtemps un expert
en manœuvres commerciales plus ou moins licites,

110
s’opposant dans ce cadre et sur bien des aspects au Les portes de l’Asie… et desAmériques
Marchand, le dragon chargé des stratégies commerciales
de la Griffe noire. La dissolution de la loge des Arcanes La mainmise des Néerlandais sur le commerce maritime
marque, pour le Marchand, une forme de victoire sur permet aux Provinces-Unies de placer leurs pions un peu
son adversaire draconique. Le Voleur sans Mémoire partout dans le monde. La Compagnie des Indes
délaisse alors les terres de France et, désireux de pour- orientales contrôle des routes le long des côtes d’Afrique
suivre à distance sa rivalité avec le serviteur de la Griffe (jusqu’en Afrique du Sud) et d’Asie : Indes néerlandaises,
noire, se dirige vers les Provinces-Unies. Les Hollandais, Bengale, Ceylan, Indonésie, Japon. Avec l’avènement
dotés d’une flotte sans autre pareille et de ressources de la dynastie Tokugawa, les Néerlandais sont les seuls
financières et commerciales très importantes, sont européens autorisés à commercer avec le Japon.
une cible des plus intéressantes.
Avec la création de la Compagnie des Indes occiden-
Saar’Maal s’introduit alors au sein des États provinciaux, tales, ce sont des colonies en Amérique du Nord qui
et place patiemment ses pions, pour la majorité des com- voient le jour. Elles s’ajoutent aux liens avec le Brésil
merçants, négociateurs, contremaîtres de manufactures, et les Caraïbes.
courriers, etc. Il tisse ainsi un véritable filet qui lui
permet, sinon de les diriger, du moins de dresser Saar’Maal, le Voleur sans Mémoire, fait des Amériques
un panorama exhaustif des ressources des Provinces. son principal objectif. La rumeur de cités perdues
Sa présence au sein des Provinces-Unies, en particulier entourées de champs de jusquiame dorée s’étendant
dans les différents conseils de la ville d’Amsterdam, sous à perte de vue n’est pas étrangère à son intérêt.
l’identité de Dirk de Vlaming van Oudshoorn amène
la formation de la Compagnie néerlandaise des Indes

La péninsule
orientales, créée en 1602, qui met la mainmise sur
les mers, puis la Banque d’Amsterdam, dont la puissance

italienne
financière soutient les projets du dragon. Insatiable,
Saar’Maal enfonce le clou dès 1621, en créant
la Compagnie des Indes occidentales, dont les navires
attaquent les bateaux espagnols et portugais. Le roi pourra difficilement se passer
de la neutralité bienveillante du pape quand
il occupera la Lorraine. Voilà pourquoi la France
Les rois des mers s’efforce de ne pas déplaire à Rome dernièrement, et
même ne manque aucune occasion de lui plaire.
La puissance des Provinces-Unies repose principa- Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal
lement sur un sens du commerce acéré. Le négoce
se développe aussi bien sur l’agriculture et l’élevage En 1648, la péninsule italienne est, pour sa plus
au sein du pays transformé par de vastes campagnes grande partie, sous influence étrangère. L’Espagne est
d’assèchement – les polders –, que par les activités présente dans le Milanais, à Naples et en Sicile. Là,
industrielles, en particulier les activités liées aux tis- des vice-rois font appliquer la discipline de Madrid
sus. En outre, l’afflux de matières premières grâce aux (qui consiste essentiellement à prélever des taxes
colonies place les Provinces-Unies au centre de certains astronomiques). La population, en particulier dans
marchés comme celui du tabac ou du sucre. De même, les régions du Sud, vit dans la misère et les soulèvements
le commerce du luxe (épices, porcelaine, diamant…) sont fréquents. L’aide française, toutefois, ne parvient
devient l’un des points forts hollandais. pas à libérer l’Italie du joug espagnol.

Toutefois, la grande force des Provinces-Unies provient La république de Gênes et le grand-duché de Toscane
de sa mainmise sur la mer, tant par les activités de pêche restent indépendants. Du moins se bercent-ils de cette
que par le grand commerce maritime. Les Néerlandais illusion, car en pratique, ils sont enfermés dans une rela-
sont présents dans de nombreux pays, et se posent tion de dépendance vis-à-vis de l’Espagne. La république
en maîtres du transit européen par voie de mer, devenant de Venise, elle, peut se targuer d’une véritable indépen-
incontournables par la qualité de leurs bateaux – qui dance, grâce à sa puissance industrielle et sa force navale,
constituent les trois-quarts de la flotte européenne –, celle bien que contestée de plus en plus ouvertement par
de leurs marins ainsi que par les positions stratégiques les Hollandais, les Turcs et les pirates. Enfin, le Duché
de leurs ports (Amsterdam et Rotterdam). Ils s’installent de Savoie-Piémont mène une vie d’État frontière, pris
en même temps, par le biais des Compagnies des Indes, entre les intérêts français et espagnols.
dans de nombreux territoires éloignés, tels que le Brésil
ou les Antilles, riches en matières premières.

111
En résumé, le pays est soumis et divisé. C’est un ca- est un plaisir pour les yeux. Les nombreux palazzi
léidoscope de royaumes, de duchés, d’États minus- aristocratiques magnifient également le centre-ville.
cules. Inutile de préciser que cette désunion structurelle Quant au Colisée, il a été réhabilité et a retrouvé sa
ne favorise pas la résurrection italienne. fonction d’arène où se déroulent des combats impli-
quant des créatures draconiques et des condamnés
La peste de 1630 a décimé plus d’un tiers de la popu- de droit commun.
lation italienne. Économiquement sous-développée,
politiquement dominée, l’Italie est décadente. La faim et Le jeu des papes
la misère sont le lot du pays déchiré et en crise. Malgré En 1643, Urbain VIIII a 75 ans, et il est pape depuis déjà
tout, l’art et la science restent florissants, et les villes vingt ans. Féru de politique, il se mêle des grands conflits
italiennes restent parmi les plus renommées du monde. qui secouent l’Europe. Pacifiste, il regrette particulière-
ment les querelles entre la France et l’Espagne, les deux
grandes puissances catholiques irréconciliables. On lui
Rome a longtemps reproché d’être trop proche de Richelieu
et de se montrer d’une indulgence coupable avec
Rome, la cité des papes. Rome vaticane. Capitale le Cardinal, dont il appréciait la subtilité. En froid
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

du monde catholique. Cœur vibrant de l’Europe avec de nombreux dirigeants européens, en raison
éclairée. Rome la lumineuse, l’artistique, la pieuse, de son interventionnisme, il est également l’ennemi
la baroque, l’idéaliste, l’humaniste. Le lieu de tous de l’Inquisition. Il soupçonne celle-ci d’être à la botte
les possibles, où affluent artistes, pèlerins, collection- de la Griffe noire, et se voit en retour accusé d’hérésie
neurs, érudits. À la croisée de tous les espoirs et de tous et de sorcellerie.
les rêves. Et pourtant, c’est aussi Rome la miséreuse,
la parasitée, l’affamée. C’est notamment pour son amitié avec Galilée qu’il s’op-
La ville est en effet entourée de marécages qui favorisent posa à l’organisation. Le souverain pontife finança
la transmission du paludisme. De mai à octobre, les no- une partie des travaux du savant. Accusé de soutenir
tables fuient la cité putride pour s’installer dans leurs des propos hérétiques, il fut contraint de consentir au
résidences de campagne, dans les collines alentour. Pour procès pour héliocentrisme que réclamaient de trop
les pauvres, c’est une autre affaire. L’espérance de vie nombreux cardinaux en 1633. Il put cependant sauver
est courte, et les Romains font preuve d’une apathie Galilée de l’emprisonnement, et mua sa peine en simple
caractéristique des paludiques. assignation à résidence.
Malgré ces désagréments, Rome reste une merveille
architecturale, imprégnée par des siècles de domination
économique, politique et artistique sur l’Europe. La place
du Capitole, conçue par Michelangelo sur les ruines
du cœur religieux et politique de la Rome antique,

112
Venise

Venise
Venise est la grande ennemie de Rome. La cité des doges
est la plus élégante et raffinée de son époque. Située sur
une lagune de la mer Adriatique, elle se caractérise par
ses canaux, célèbres dans l’Europe entière. Les bâtiments
sont érigés sur pilotis, et de très nombreux ponts
permettent de relier les rues et palazzi de la cité. Elle
se découpe en six sestieres (quartiers) qui longent
le Grand Canal central traversant la ville du nord au sud.

C’est une ville de marchands, et sa puissance écono-


mique est incontestable. La place du Rialto, véritable
centre d’affaires et marché permanent, est réputée
pour les ors et les épices qui s’y vendent, ainsi que
pour les banques, les administrations et les boutiques
luxueuses qui la bordent. Venise est une république
oligarchique. Les riches y détiennent le pouvoir, et
Innocent X la Griffe noire y est très implantée. La loge vénitienne
est la plus puissante d’Europe après celle de Madrid. Elle
a infiltré tous les organes du pouvoir.

Urbain VIIII meurt en 1644. Une aubaine pour Le Maggior Concilio dirige. C’est une assemblée
les dragons qui, grâce aux actions de la loge des Arcanes populaire exécutive composée des familles patriciennes
reformée, mettent la main sur la papauté en empê- de la ville. Le doge est élu à vie par ce conseil. Francesco
chant Mazarin d’intervenir dans l’élection. Est élu Erizzo – largement soutenu par la Griffe noire – a occupé
Giovanni Battista Pamphili, membre d’une grande le siège jusqu’à sa mort en janvier 1646. À cette date,
famille patricienne, mais surtout totalement soumis c’est Francesco Molin qui gagne après une lutte acharnée
à l’autorité de sa belle-sœur (veuve opportune de son le titre de « Prince Sérénissime ». Le Sénat, quant à lui,
frère), Olimpia Maidalchini, une dragonne retorse qui légifère et nomme les fameux ambassadeurs vénitiens,
devient le véritable dirigeant du Saint-Siège. Olimpia présents dans toutes les cours d’Europe.
Maidalchini domine dès lors la vie de Rome, provoquant
l’ire de nombreux hommes d’Église et des scandales Cependant, la cité est en déclin. Les routes commerciales
retentissants. Elle tente de neutraliser les neveux principales se sont déplacées de la Méditerranée à l’At-
du défunt Urbain VIIII (de la famille Barberini) et lantique, terrain de chasse des Hollandais. L’Empire
nomme à la tête des armées papales un opposant notoire ottoman est en pleine expansion, et la Méditerranée est
à Richelieu puis Mazarin, Frédéric-Maurice de la Tour un vaste champ de bataille. Venise perd une majorité
d’Auvergne, frère de Turenne et duc de Bouillon. de ses comptoirs.
Celui-ci, membre de la conspiration de Cinq-Mars,
procure une base arrière discrète pour la conspiration Le doge Francesco Molin, ancien capitaine de navire et
des Silencieux lors du retour du Marquis de Cinq-Mars farouche combattant lors de la guerre contre les Turcs,
et soutient, depuis le Vatican, la Fronde. renforce la lutte contre ces derniers, qu’il va attaquer
au sein même de leurs territoires.

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Conscient que la papauté a échappé à son influence
– et suspectant que les dragons y ont posé le pied –, Mes chères Lames,
Mazarin apporte un soutien discret mais efficace au Je vous sollicite pour une mission de surveillance,
doge. En 1648, des Lames du Cardinal sont même qui requiert la discrétion la plus absolue. J’ai
envoyées pour faire tomber la forteresse imprenable besoin que vous suiviez l’ambassadeur Giuseppe
de Klis, en Dalmatie. Tirando di Matretto, un proche conseiller du
défunt doge de Venise, Francesco Erizzo qui, comme
Malgré de nombreuses victoires, Venise reste constam- vous le savez, était sous la coupe de la Griffe
ment sous la menace turque. Pour financer les batailles, noire. Je crains que cet homme ne profite de son
Molin décide de monnayer des titres de noblesse, séjour à Paris pour tenter de ruiner nos efforts
permettant à de riches roturiers d’acheter un titre. diplomatiques auprès du nouveau doge. Je vous
invite à vous rendre à l’hôtel particulier du duc
Les ghettos dracs de Gramont, dont il est l’hôte de marque. Méfiez-
Dans nombre de villes italiennes, les dracs sont autorisés vous de ses cinq gardes dalmates.
à vaquer à leurs occupations le jour et à participer
à la vie économique et sociale de la cité. Mais à la nuit Ne me décevez pas.
tombée, ils sont parqués dans des quartiers appelés
ghettos. Ils sont contraints de s’y rendre après le couvre-
feu qui leur est imposé, sous peine de sanctions
allant de l’emprisonnement à l’exécution pure et F lorence
simple. À Rome, ce quartier se trouve sur la rive gauche
du Tibre. Ses cinq portes ferment au coucher du soleil Capitale du grand-duché de Toscane – composé de l’an-
et rouvrent à l’aube. À Venise, il se trouve dans le sestiere cien duché de Florence et de la république de Sienne –,
le plus septentrional de la ville. Ce qui se passe entre Florence est aux mains des Médicis depuis deux cents
les murs de ces zones de non-droit pendant les heures ans. Ferdinand II de Médicis règne actuellement sur
de ténèbres est un mystère, mais peu de gens sont assez cette capitale des arts et des sciences. Florence constitua
fous pour aller y chercher la réponse. pendant longtemps une place forte des manigances
européennes orchestrées par la reine mère de France,
Marie de Médicis. Cette dernière, épouse d’Henri IV
et mère de Louis XIII, était parfois surnommée
Les Gardes dalmates de Venise la reine-drac par ses détracteurs français en raison
À son côté pendait une schiavone, forte épée de son physique disgracieux et de ses sentiments
à lame droite dont la garde enveloppait toute pro-espagnols. Elle n’eut en effet de cesse durant son
la main et rejoignait le pommeau. Cette arme existence de prôner un rapprochement entre les nations
italienne équipait traditionnellement les gardes catholiques d’Espagne et de France. Cela lui valut
dalmates de la république de Venise. l’inimitié du peuple et même de son fils, qui l’envoya
Pierre Pevel, Le Dragon des Arcanes en exil. Par son intermédiaire, Florence continua
durant le xviie siècle à occuper une place de choix sur
Ce corps de gardes d’élite originaires de Dalmatie l’échiquier politique européen, en particulier par le biais
protège le doge, mais aussi leurs ambassadeurs les plus de conseillers influents tels que Concini, que le roi finit
précieux. Ces hommes sont aussi entraînés que par faire assassiner en 1617. Bien que rarement présente
les Mousquetaires du Roi et les Gardes du Cardinal, à Florence, la reine mère y entretint jusqu’à sa mort,
mais bénéficient en sus d’un certain rituel draconique en 1642, des liens solides et discrets. Dans les palaces
qui les rend plus résistants et plus farouches que leurs florentins, tels que le merveilleux Palais des Offices, ses
homologues français. L’origine de ces rituels reste partisans restent nombreux.
inconnue. Nul ne sait s’il est antérieur ou postérieur
à l’arrivée des Gardes sur le sol vénitien, même Le projet des derniers jours de Marie de Médicis fut
s’il se murmure que les lagunes accueilleraient le jeune Arrigo (ou Henri) Concini, fils de son ancien
un dragon soumis au doge par un rituel ancien. conseiller, qu’elle parvint à faire libérer après cinq années
passées dans les geôles françaises (avec l’aide opportune
de S’Aynesh, une dragonne que les Lames retrouveront
sur leur chemin). Dans les salons parisiens, on le dit
mort depuis plus de quinze ans, victime des affres
de la grande ranse. En réalité, Arrigo – un fervent
admirateur d’un autre Florentin célèbre, Nicolas
Machiavel – a survécu secrètement dans le Palazzo Pitti,
appartenant à la famille Médicis. Il y a ourdi des plans

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complexes, nourri par la haine que portait sa protectrice Le grand-duché
de Lorraine
à la famille régnante de France, avant de rejoindre Paris
sous une fausse identité, Giovanni Carsi.

[Il est certes hasardeux de relier la visite de Marie de Médicis Riche, située aux portes du Saint Empire
à Balthazar Gerbier, ancien homme de confiance de lord et défendue par l’une des plus formidables places
Buckingham, à la mort de la reine mère et à celle des grands fortes d’Europe, la Lorraine suscitait la convoitise
hommes que furent le cardinal de Richelieu et le roi de la France. Les rapports entre Louis XIII et son
Louis XIII. Il n’empêche que divers témoignages tendent « cousin » lorrain étaient en outre exécrables, le duc
à indiquer que des visites à des cercles de pierre furent semblant s’employer à tout faire pour exaspérer le roi
organisées lors de son séjour.] et défier son autorité. À deux reprises, déjà, les armées
royales avaient marché sur Nancy pour contraindre
[Elle ne mourut point à Florence, comme elle l’aurait Charles IV à respecter ses traités. Et chaque fois
souhaité, mais dans une humble demeure de Cologne, le Lorrain avait promis sans tenir. Son palais conti-
là où son ami Rubens avait été emporté par la ranse deux nuait ainsi à accueillir somptueusement les factieux,
années auparavant.] comploteurs et autres adversaires de Louis XIII.
Pierre Pevel, L’Alchimiste des Ombres
Sources inconnues
La Lorraine est un État souverain réunissant, entre
autres, les duchés de Lorraine et de Bar. Les ducs
de Lorraine y ont pour capitale Nancy, une ville
somptueuse abritant une cour réputée dans toute
l’Europe. Au palais ducal, c’est une fête permanente
Mes chères Lames, et souvent licencieuse – la duchesse de Chevreuse dira
Je vous sollicite pour une affaire d’impor- qu’on l’y a accueillie avec un faste grandiose.
tance. J’ai besoin que vous vous rendiez instamment
à Florence, où le corps de l’un de mes espions, La politique extérieure lorraine est un exercice déli-
Bartholomeo Verducci, chargé de surveiller cat. En raison de sa position privilégiée entre Europe
la famille Médicis, a été retrouvé sans vie dans du Nord et Europe méditerranéenne, la maison
le village de San Casciano, non loin de la demeure de Lorraine-Vaudémont doit veiller à conserver
de Machiavel. Je crains que la famille de Médicis de bonnes relations avec ses deux puissants voisins :
ne mette la main sur certaines notes et le royaume de France et le Saint Empire romain
correspondances sensibles, d’autant que la présence germanique – ennemis l’un de l’autre. Mais ce n’est
d’Alessandra di Santi m’a été signalée tantôt pas simple : seule la souveraineté du duché de Lorraine
à Florence, ce qui n’augure habituellement rien est entière.
de bon. Je vous invite à vous rendre chez Terzio
Primo, un artiste fantasque ami de notre regretté Le roi de France, depuis le traité de Bruges, s’est imposé
espion. Faites preuve d’une prudence redoublée. comme suzerain de la rive gauche de la Meuse, et donc
d’une partie du duché de Bar. On appelle cette région
Ne me décevez pas. le Barrois mouvant – dont la capitale est Bar-le-Duc
– par opposition au Barrois non mouvant – dont
la capitale est Saint-Mihiel. Les évêchés de Metz, Toul
et Verdun, lorrains, appartiennent quant à eux au Saint
Empire depuis l’Antiquité mais, depuis 1552, ils sont
également sous la tutelle du royaume de France.

Ce fragile équilibre est maintenu par le sens politique


lorrain jusqu’à la mort, en 1624, du duc Henri II
de Lorraine. Sa succession, controversée, donne le pou-
voir à son gendre Charles IV qui, alors que la tension
politique et religieuse rend la situation dangereuse pour
la Lorraine, prend parti pour le Saint Empire et soutient
les opposants au régime de Louis XIII. Il sonne ainsi
le glas de l’âge d’or lorrain.

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Les sombres heures du duché de Lorraine Malade
Il y a toujours eu un lien étrange entre les terres
Ulcéré par les décisions politiques de Charles IV, son de Lorraine et la ranse. Certains attribuent cela aux
ancien compagnon de jeu, Louis XIII ordonne à ses disettes, à la fourberie des ducs ou aux mines, desquelles
troupes de marcher sur Nancy et la ville tombe aux les Lorrains auraient libéré un germe maudit. Le xvie
mains de la France à l’automne 1633. La Lorraine est siècle connaît plusieurs épidémies de ranse – on parle
ravagée par les hommes du roi, les villages sont pillés et d’un Lorrain sur trois touché – mais, dans la première
les places fortes montrant le plus de résistance, rasées. partie florissante du xviie siècle, la ranse se fait oublier.
Les Lorrains se jettent sur les routes, affolés et affamés, Elle reparaît avec la guerre. Évidemment, on accuse
et ceux qui tentent de conserver une vie normale sont rapidement les mercenaires dracs hantant la région mais,
confrontés à la flambée des prix – le kilogramme qu’importe son origine, le mal est là. Ranse, famine et
de pain, par exemple, passe de 2 à 30 sous en quelques guerre s’unissent à partir de 1633 « pour faire un désert
semaines. La plupart des survivants s’établissent dans du plus beau pays de l’Europe », dira Digot dans son
les bois et se nourrissent d’herbes, de racines et de fruits Histoire de la Lorraine.
sauvages. Des villages entiers sont anéantis, envahis par La ranse s’apaise quelque peu à partir de 1640 – la raison
les loups ou pillés. en serait la destruction de deux cents châteaux forts
lorrains dans lesquels les dracs étaient établis.
On aurait pu croire que cela ne durerait pas, mais
la situation est pire encore après quinze ans d’occupa-
tion. En effet, l’occupant français est pris à revers par En pays de Lorraine
les armées de Habsbourg – espagnoles et germaniques
– et se retrouve isolé. La Lorraine entière est en état La Lorraine est un pays de collines, de coteaux et
de siège et s’enlise dans une guerre insensée : une guerre de berges. Envahie par d’épaisses forêts, elle est depuis
de tranchées. L’idée de se réfugier dans la terre naît des temps immémoriaux creusée par les hommes qui
des sapeurs pris en tenaille entre Nancy et Paris, et extraient de ses carrières et de ses mines quelques métaux
est rendue possible par le soutien aérien des vyver- précieux, du sel gemme, du fer et du charbon. Cette
niers. La Lorraine devient une terre sauvage, barbare, richesse souterraine est sans pareille en Europe. Un vé-
dans laquelle chacun tente de survivre en profitant ritable trésor.
de l’abri conféré par les galeries minières, si nombreuses.
En 1643, on peut trouver dans chaque trou de Lorraine Partout, on trouve des puits désaffectés, des conduits
des Français, des Suédois – prétendument venus soutenir de mines effondrées et des gisements à ciel ouvert. De ja-
la France – ou des Espagnols. Les forêts sont devenues louses communautés d’exploitants ont élevé des villages
le repaire des résistants lorrains – farouchement opposés alentour, et des convois à destination des autres royaumes
à l’occupant français – et des mercenaires dracs – engagés arpentent leurs routes – de quoi attiser la convoitise
par Charles IV mais ayant décidé de rançonner le pays des bandits de grand chemin.
qu’ils avaient mission de défendre. Le ciel est noir
de ces vyverniers qui ravitaillent les refuges des uns Deux merveilles aussi rares que précieuses peuvent
ou des autres et la guerre contamine peu à peu les airs. en outre être extraites du sol lorrain. La première est
La Paix de Westphalie en 1648 entérine la fin de la guerre un minerai ferrique ocre d’une résistance et d’une abrasi-
de Trente Ans, et l’annexion par la France des Trois- vité telles qu’il est seul capable d’affûter les lames d’ivoire
Évêchés (Metz, Toul et Verdun). Mais Charles IV refuse de dragon ou de draconite, et la seconde se cache au
la défaite. Tandis que la Fronde embrase Paris et que cœur des gisements de charbon. Là, parfois, les pioches
l’Espagnol continue une guerre de frontière tant au butent sur des concrétions osseuses. Des squelettes
nord qu’au sud, le Lorrain reprend Nancy et engage enfouis de dragons, prisonniers de la roche noire
un bras de fer qui durera plusieurs années. Les troupes depuis des millénaires. Une fois dégagés, forgerons et
françaises, dont les effectifs vont diminuant, prennent alchimistes se les arrachent à prix d’or.
bien quelques villes et forteresses, mais doivent les céder
sur la durée. Les villages lorrains, miniers ou non, ont tous une orga-
nisation typique. Ce sont des villages-rues alignés le long
La Lorraine devient un bourbier où règne une guerre d’une unique et large artère dans laquelle on circule et
sale, que les troupes mercenaires contribuent à aggraver. entrepose parfois le matériel et les déchets – notamment
Durant toute la Fronde, Charles IV se perdra en mani- le fumier des dépendances. Les maisons y ont des sou-
gances, tentant de gagner les faveurs un jour de Mazarin, bassements de pierre et sont rehaussées de pans de bois
l’autre de ses opposants. Tant et si bien que personne chapeautés par d’impressionnantes charpentes – visibles
ne lui accordera plus la moindre confiance. depuis les pièces intérieures et souvent admirables
d’ingéniosité et de robustesse. Chaque bâtiment dispose
en outre d’une grange attenante à laquelle on peut

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accéder depuis la rue par une porte charretière et qui et xvie siècles. À l’ombre du clocher de la basilique
donne sur le jardin, puis la forêt, au fur et à mesure Saint-Epvre – point culminant de la ville et tour de guet
que l’on s’éloigne de l’axe de la route. bien utile à la défense nancéenne – le château s’est fait
palais ducal. Pour protéger l’entrelacs de ruelles pavées
Témoins de l’insécurité qui domine la région, les édifices et de petites places de la Ville Vieille, on a déplacé
religieux de Lorraine sont fortifiés, percés d’archères les remparts et créé trois forts de défense – les bastions
– voire de canonnières – et pourvus d’un four et de Vaudémont, d’Haussonville et de Danemark.
d’un puits. Leurs portes, toitures et volets sont bardés
de tôles en draconite. Enfin, leurs clochers-tours – La porte de la Craffe est à la fois la porte principale
appelés hourds – permettent d’abriter la population, de la Ville Vieille et une prison. Elle se trouve à l’extré-
de protéger les alentours et même de soutenir un siège. mité de la Grand-Rue, une large avenue pavée traversant
Il ne faut pas croire pour autant que les églises, la ville jusqu’à la place de la Carrière. Là s’alignent
en Lorraine, se substituent aux forteresses : le pays les hôtels particuliers – une vingtaine – qui accueillent
compte de nombreuses places fortes, dont la plus célèbre la noblesse lorraine. Là, on ne rougit pas de la com-
est sans conteste la citadelle de La Mothe. paraison avec Paris et, derrière des façades parfois
sobres, on vit dans des galeries et des cours intérieures
La Mothe est une cité bâtie sur un promontoire isolé et d’un raffinement inégalé par les bâtiments français
facile à défendre. Puissamment fortifié, cet important de la même époque.
centre commercial et militaire peut accueillir quatre Au sud s’élève, depuis la fin du xvie siècle, la Ville Neuve,
mille habitants et soldats, et soutenir de longs sièges. née d’un projet ambitieux ayant permis, en quelques
Après l’invasion de 1633 et la guerre de tranchées qui décennies, de tripler la surface de la cité. La rue Saint-
s’ensuit, La Mothe devient la dernière ville résistante Dizier, la rue des Moulins et le faubourg Saint-Nicolas
de Lorraine. Elle soutient plusieurs sièges français et sont les artères principales de cette agglomération
repousse les pillards. Les ans et les assauts l’usent, ses moderne et plébiscitée par les marchands – les ducs
faubourgs succombent aux percées ennemies, mais de Lorraine ont toujours proposé une politique fiscale
la ville-forte tient le choc, encore et encore. C’est contre avantageuse pour le commerce. Huit bastions reliés
ses murailles et pour écraser l’image de son gouverneur les uns aux autres par cinq kilomètres de courtines
– Antoine de Germainvilliers, héros de la résistance en assurent la protection, tout en formant une seconde
ridiculisant les officiers et les stratèges du roi – qu’on ligne de défense autour de la Ville Vieille.
envisage pour la première fois dans l’histoire européenne
l’utilisation des bombes explosives. À l’est, le quartier canonial et la porte Saint-Georges ont
été spécialement conçus pour accueillir les dignitaires
On pourrait encore citer d’autres lieux témoignant des sœurs Châtelaines de France. On prétend que
de la grandeur lorraine, comme le collège Gilles c’est à la demande de cet ordre religieux que Nancy a
de Trêves à Bar-le-Duc – Montaigne dit de lui qu’il est été épargnée lors de l’arrivée des troupes françaises –
« la plus belle maison de ville qui soit en Europe ». Mais Richelieu avait demandé que la cité soit rasée.
concentrons-nous sur Nancy, la capitale ducale.
Nancy est surnommée la Belle de l’Est depuis les im-
menses projets urbains qui l’ont transformée aux xve

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Vue de Nancy

Saint-Avold Lorsque les troupes de France envahirent la Lorraine,


Saint-Avold… En bon Lorrain, je connaissais ordre fut donné de raser toutes les places fortes du
le village de nom, mais fus surpris de constater à quel point pays. Aude était désolée, et terrifiée. Je décidai alors
il était célèbre… en Espagne. J’avais d’abord cru que d’envoyer à Paris – à ma fidèle Clotilde, fille du
l’on s’y intéressait à la finesse du travail de son scriptorium libraire parisien Jules Bertaud, dont je savais qu’elle
médiéval. Avant l’imprimerie, on avait à l’abbatiale ne pouvait pas m’oublier – une missive à l’attention du
de Saint-Avold quelques fameux copistes. Cardinal. Dans ce courrier, je me rappelais au bon
Mais il n’en était rien. En fait, on s’intéressait souvenir de Son Éminence et, après mes hommages,
plutôt au rachat de cette petite avouerie, en 1572, par lui demandais d’épargner ma retraite. Le cardinal
Henri Ier de Guise. Les De Guise, branche de Richelieu ne donnait jamais sans prendre et je
cadette des ducs de Lorraine, sont une famille honnie me portais donc volontaire, en échange, pour devenir
de la noblesse de France. Henri Ier de Guise mourut l’espion de la France au sein du bastion lorrain
sous la lame du roi Henri III en personne, son fils de Saint-Avold. […]
Charles Ier fut disgracié par Richelieu et j’ai toujours J’espérais mieux pour une retraite heureuse aux côtés
suspecté l’actuel duc de Guise, Henri II, de pactiser de mon aimée. J’ai sans cesse l’impression de tromper
avec les ennemis de la France – ce qui expliquerait les miens en renseignant la France mais je sais que
l’intérêt de l’Espagne pour ses affaires. […] sans cela, on aurait depuis longtemps marché sur Saint-
C’était encore une autre raison qui m’attirait vers Saint- Avold et Hombourg. Aude, pour sa part, reçoit parfois
Avold. La jeune Aude de Saint-Avold, que j’avais encore des courriers de Marie de Chevreuse. Puis-je
rencontrée à l’hôtel de Chevreuse au printemps 1633, l’en blâmer ? Je n’ai guère de leçons à donner,
m’avait troublé. Aude… Cette ingénue manipulée par sur ce point.
la diabolique Marie de Chevreuse m’était apparue Les temps sont durs. Les dracs rôdent, les Suédois
comme une rose au milieu des épines. […] n’ont pas la retenue des Français et les Lorrains
Quand j’arrivai, Saint-Avold était un lieu eux-mêmes, avides, jaloux de notre immunité, sont parfois
de commerce privilégié et on y trouvait, outre l’abbatiale un danger.
de Saint-Nabor, un couvent d’études bilingues ouvert Au nord, un véritable front s’est organisé. Je n’avais
aux jeunes filles de la région, un marché permanent, jamais vu pareille façon de guerroyer : les mines se sont
une verrerie renommée et, à quelques lieues, des mines faites tranchées de guerre, les résistants s’y terrent comme
du ventre desquelles jaillissait parfois l’ivoire des dragons derrière des remparts et chacun tient ses positions, tirant
– Leprat… Requiescat in pace, frère d’armes. parfois un coup de canon ou de mousquet au hasard. Des
Le château de Hombourg, à l’écart, accueillait étais ont été redressés pour faire des palissades, des galeries
les nobles et baillis de Saint-Avold. Je savais minières aménagées en garnison et, lorsque c’était possible,
qu’Aude s’y était réfugiée, honteuse et confuse, après en passages secrets vers d’autres fronts. J’en restai coi.
l’affaire de Chevreuse et la capture de l’Alchimiste
des Ombres. […] Arnaud de Laincourt, Mémoires
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Trésors de guerre proche de celle des dracs et semblent prêtes à tout
pour prendre certains refuges miniers. On dit que
Avouons-le : la bataille de Lorraine est un bourbier dans le chancelier Oxenstierna lui-même court dans les forêts
lequel les royaumes sont empêtrés. Alors que les pertes aux côtés de ses hommes et que son ombre cherche
humaines y sont insupportables, pour la Lorraine quelque chose dans la terre de Lorraine. Pour beaucoup,
comme pour ses envahisseurs, France, Saint Empire le Suédois fait figure de croquemitaine et des comptines
et Suède refusent de s’en dégager. Qu’ont-ils donc recommandent même aux enfants de s’en préserver.
à y gagner de si précieux ? Certaines nuits, de sourdes litanies s’élèvent des forêts
et des villages lorrains. Les Français y entendent la folie
Lors de la prise de Nancy, la famille ducale fuit vers lorraine, les Suédois la sorcellerie dracienne. Les dracs,
la Franche-Comté, puis la Toscane. Charles IV ab- eux, savent de quoi il s’agit vraiment, mais ils se gardent
dique en faveur de son frère Nicolas-François, époux d’en dire plus : de terribles prières sont prononcées par
de la sœur cadette de Nicole de Lorraine. Duc en exil, des voix inhumaines à l’attention des anciens dragons
Nicolas-François se terre, tantôt à Munich, tantôt qui dorment sous la Lorraine…
à Venise. Le peuple ne croit pas en son retour et maudit
la couardise de ses princes. La Lorraine, libre de cœur, Graülich ?
cherche un héros. Ce ne sera pas Nicolas-François, qui On a creusé trop profond. Saint Clément, protège-nous.
rend son titre à Charles IV. Il est là. Le monstre de Metz. Les os dans les carrières,
je les sens vivre. Ils… Ils bougent. Le grand dragon est
Nicole de Lorraine, elle, pourrait incarner la souveraine- de retour, libéré de la pierre noire. Le Terrifiant. Graülich !
té et le courage de la Lorraine. Duchesse légitime flouée
par Charles IV et une décision injuste – et misogyne Ces propos ont été tenus par un forcené capturé alors
– des états généraux de Lorraine, elle est abandonnée qu’il fuyait le front de Saint-Avold Nord. J’ai d’abord
par les siens tandis qu’ils fuient, et capturée par refusé de prêter attention à ces divagations – assez
la France. Transférée le 24 avril 1634 à Fontainebleau, confuses et partiellement hurlées en allemand – et ai
elle y est mi-hôte, mi-otage – elle se dira elle-même confié son cas à la miséricorde de Notre-Seigneur. Sœur
hôtage du roi de France. Une année plus tard, son mari Marguerite, châtelaine de Saint-Georges, s’en occupe
la répudie et épouse malgré le désaccord du pape Béatrix en ce moment même.
de Cusance, dont les liens avec les Provinces-Unies Seulement, Monseigneur, les courriers récents sont restés
apportent des soutiens financiers à la Lorraine. Pour sans réponse. Le dernier évoquait la venue prochaine
la remercier, Charles IV la répudie à son tour en 1642, d’un contingent suédois et d’un des représentants
après avoir été excommunié. Il la laisse, revancharde, de l’ordre de Joramund. Depuis, plus rien.
avec trois enfants. Très bien, Monseigneur. Je comprends,
Monseigneur. Excusez-moi, Monseigneur.
En France, deux rumeurs courent à propos de Nicole
de Lorraine. La première veut qu’elle soit l’héritière Rapport à monseigneur Pierre Bédacier, suffragant
du sorcier Melchior de la Vallée, dont elle était très de l’évêque de Metz
proche. C’est lui qui, du temps où il était aumônier
de Nancy, a baptisé la jeune fille. Jugé pour sorcellerie
et enfermé depuis à la prison de la Craffe, il aurait initié
Nicole depuis sa cellule et lui aurait légué quelques Quand le Juste guerre portera en pays de ranse,
ouvrages impies, faisant d’elle une puissante sorcière. Fin des Ducs faira, et malines semences.
La seconde rumeur prend racine dans les tout premiers Mais feux dragons de noire pierre s’élevant
temps du règne de Louis XIII. Alors, avant d’être promis Lorraine sortiront de la peine de trente ans.
à Anne d’Autriche, infante d’Espagne, le roi devait être
marié à Nicole de Lorraine. En 1634, lorsque Nicole Michel de Nostredame, Traité de la ranse (1559)
arrive en France, Louis désespère d’avoir un héritier
avec Anne – on a même sérieusement évoqué, l’année
précédente, l’hypothèse d’une répudiation. Nicole,
quant à elle, est abandonnée par un mari qui cherche
à faire annuler son mariage. En faut-il plus pour
imaginer la douce Nicole reine de France, mère et
héroïne unificatrice ?

Enfin, la Suède, alliée de la France dans la bataille


de Lorraine, serait là pour de sombres desseins. Ses troupes
pillent sans vergogne, font preuve d’une sauvagerie

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Mes chères Lames,
Je vous sollicite car l’un de nos vyverniers
a disparu alors qu’il transportait un courrier Les camps se forment. Ferdinand II et sa Ligue catho-
à destination de Saint-Avold, en Lorraine. Je crains lique, incapables de rétablir l’ordre impérial – la fameuse
que des forces ennemies ne s’en soient emparées et Paix perpétuelle promise aux sujets de l’Empire –,
n’utilisent son contenu contre la France. La chose doivent faire appel à des puissances étrangères.
serait dramatique – je ne peux hélas vous en dire
davantage. Je vous suggère d’enquêter sur ce qui a L’Espagne est une fervente protectrice du catholi-
pu se passer. Retrouvez ce courrier et neutralisez cisme et a subi un revers similaire lors de la scission
ceux qui l’auraient consulté. Vous-mêmes, ne vérifiez des Pays-Bas entre Pays-Bas espagnols, catholiques, et
en aucune manière son contenu. Contentez-vous Provinces-Unies du Nord, protestantes. Elle se range
de livrer à Saint-Avold l’étui de cuir cacheté que naturellement aux côtés de l’Empereur et s’implique
vous trouverez, et tout ce qui aurait pu en être plus que de raison. Les espions de Richelieu suspectent
retiré. Là-bas, demandez le maître de magie rapidement que la religion n’est pas le problème et
Petitdidier. que la Griffe noire, plus que la couronne d’Espagne, a
Le vyvernier dont je vous parle est réputé pour sa des intérêts dans cette guerre – des agents des dragons
fidélité à la couronne, son talent et sa discrétion. infiltrent peu à peu l’élite impériale et la Diète.
Sa mort serait une grande perte. Son nom :
sœur Marie-Alice de Rians, proche conseillère La France, quoique catholique, se range donc du
de la mère Marie-Agnès de Vaudreuil. côté des protestants et, quoiqu’ennemie des dragons,
s’allie avec la Suède – elle-même alliée aux Provinces-
Ne me décevez pas. Unies. Louis XIII et Richelieu espèrent ainsi gagner sur
tous les fronts, annexer la Lorraine, affaiblir leur ennemi
héréditaire – le royaume d’Espagne – et contrecarrer

Le Saint Empire
les plans de la Griffe noire.

romain germanique
Le conflit devient européen et le Saint Empire sombre
dans le chaos d’une guerre où se mêlent les étendards
de toutes les grandes puissances du monde occidental.

Ils sont une trentaine de soldats de fortune


qui, dans le Saint Empire romain germa- L ’Empire à la diète
nique, depuis quinze terribles années que
la guerre y dure, ont combattu et pillé sous L’Empire est dirigé par l’empereur et par le gouver-
toutes les bannières. nement qu’il préside, le Conseil aulique – ou Conseil
Pierre Pevel, L’Alchimiste des Ombres de cour. C’est ce dernier qui, au nom du souverain,
exerce les droits impériaux, donne l’investiture aux
Le Reich. L’Imperium. Le Saint Empire romain ger- nobles et tient le rôle de cour suprême de justice. C’est
manique. C’est le plus vaste État d’Europe et le dernier enfin lui qui, dès que nécessaire, provoque le rassem-
vestige autoproclamé de l’antique Empire romain blement de la Diète.
d’Occident. Depuis près de mille ans, son empereur
règne des chaudes côtes de la Méditerranée aux confins La Diète d’Empire – ou Reichstag – est l’assemblée
gelés de la mer Baltique. des divers souverains du Saint Empire. Elle comporte
trois bancs : celui des princes-électeurs, celui des princes
Hélas, depuis l’avènement de Ferdinand II, élu en 1619 d’Empire et celui des villes d’Empire. Garante
par le collège des princes-électeurs, le Saint Empire est de la centralisation impériale, elle veille sur les affaires
au bord de l’implosion. Dans cet État archaïque et cor- générales et propose des solutions aux différends qui
poratif, le pouvoir est en effet réparti entre l’Empereur et s’élèvent entre les États confédérés. Autant dire que
ses sept princes-électeurs. Ses États impériaux partagent tout au long de la guerre de Trente Ans, la Diète a du
très peu d’institutions communes : les territoires ont travail. D’ailleurs, alors qu’elle se réunissait jusque-là oc-
leurs ducs ou leurs princes, les villes libres ont leurs casionnellement dans différentes villes – Nuremberg,
maires. L’Empire ne leur apporte qu’un cadre légal et Augsbourg ou encore Spire – elle se voit contrainte par
administratif. la guerre de siéger de manière permanente, et choisit
pour cela la ville de Ratisbonne, en Bavière – une ville
Alors, quand l’empereur catholique voit s’élever contre libre de l’Empire dans laquelle l’évêché catholique et
lui des États impériaux protestants fédérés par le prince la religion réformée cohabitent sans heurts.
Frédéric V en une union protestante, l’unité impériale
vole en éclats et c’est la guerre. La guerre de Trente Ans.

120
L ’Empire au corps blessé Ces négociations ont lieu en 1642 et 1643 à Osnabrück
entre l’empereur, les États impériaux protestants et
Il y aurait tant à dire sur les splendeurs impériales : la Suède, et à Münster entre l’empereur, les États im-
Vienne, capitale des Habsbourg, phare du christianisme périaux catholiques et la France. Le fait que l’empereur
résistant aux assauts incessants des troupes ottomanes ; ne représente pas l’Empire à lui seul est un important
Bruxelles, capitale européenne de la dentelle ; la cé- symbole de sa défaite et la France, désireuse de réduire
lèbre Bavière. autant que possible le pouvoir des Habsbourg, appuie
fortement la participation des États impériaux aux
Hélas, en ces temps troublés par la guerre, tout cela négociations.
importe peu. Des villes comme Berlin sont rasées
jusqu’à la dernière pierre et plus de la moitié de leur Alors que Mazarin succède à Richelieu, plusieurs routes
population périt. D’autres, comme Strasbourg, bien d’Europe sont déclarées démilitarisées afin de faciliter
à l’abri derrière leurs remparts et leur statut de villes l’accès aux villes où ont lieu les négociations. Des
libres, préfèrent ne pas s’impliquer et survivent comme délégations venues de tous les royaumes s’avancent vers
elles peuvent, coupées du monde par les armées étrangères Osnabrück et Münster, certaines pour participer aux
en marche qui bloquent les routes et pillent les convois. débats, d’autres en qualité de médiateurs – c’est le cas
des délégations de Venise, de Rome et du Danemark,
Certaines régions frontalières sont à feu et à sang, comme par exemple.
la Lorraine, et d’autres tentent de ne pas attirer l’atten-
tion des royaumes voisins. Ainsi en est-il de Mantoue, Est-il besoin de préciser à quel point un aussi grand
qui se relève à grand-peine du conflit de succession qui rassemblement de diplomates et de dirigeants européens
y opposa les Gonzague et les Nevers, ou de la Toscane, peut attirer l’attention des dragons ?
qui sert d’asile à bon nombre de nobles en exil.
En 1648, le traité de Wesphalie annonce la division
La Confédération des XIII cantons politique et religieuse de l’Empire. Les princes allemands
Treize cantons sujets du Saint Empire tirent admirablement deviennent quasiment indépendants, la soumission
bien leur épingle du jeu politique de ce siècle et se sont à l’Empereur n’étant qu’une façade qui ne trompe
fédérés en un État libre impérial : la Suisse. personne. La Diète est réduite à l’impuissance par sa
Depuis la guerre de Souabe, au cours de laquelle ses troupes division en trois collèges (électeurs, princes, villes) et
résistèrent à l’armée impériale, la Suisse est réputée pour par les querelles qui agitent chaque collège.
ses talents militaires. Elle fait désormais commerce de ses
mercenaires, que l’on retrouve dans toutes les armées, sur Dévastés durant la guerre de Trente Ans, les territoires
tous les fronts et dans les couloirs de tous les plus grands allemands peinent à reconstruire leur identité matérielle,
palais d’Europe – au Louvre même et à la porte de tous mais aussi leur identité morale et politique.
les hôtels de Paris.
Son Éminence sait à quel point des doutes persistent sur À partir de 1648, l’influence française est prépondérante
l’origine réelle de la puissance militaire helvétique. Je conti- en Allemagne, avant que l’attitude de Louis XIV à l’égard
nue pour ma part de penser que ces dragons que l’on dit des protestants ne lui vaille l’hostilité des princes.
Gardiens n’y sont pas étrangers et qu’ils ont, au travers Durant cette période, les États les plus importants sont
d’agents dissimulés parmi les Gardes suisses qui veillent l’Autriche, la Saxe et la Bavière.
sur les cours d’Europe, réussi à infiltrer l’entourage des rois
et des princes. Si la chose est avérée, cela signifie que Mais aussi le Brandebourg, siège de la puissante famille
les Gardiens sont mieux implantés que la Griffe noire des Hohenzollern.
elle-même, et peut-être plus dangereux encore.
La puissance des Hohenzollern
Père Joseph Électeurs de Brandebourg, un territoire de landes
et de marécages situé au centre de l’Allemagne,
les Hohenzollern profitent de la première moitié du xviie
L ’Empire et la paix siècle pour agrandir considérablement leur domaine,
héritant notamment du duché de Clèves sur le Rhin,
À partir de 1640, on entrevoit des solutions à la guerre et d’un territoire peu peuplé, la Prusse.
de Trente Ans et des traités commencent à être négo-
ciés. La Suède, la France et l’empereur Ferdinand III En 1648, Fréderic-Guillaume Ier obtient la Poméranie
– qui a succédé à Ferdinand II en 1637 – s’entendent orientale et les évêchés de Magdebourg, d’Halberstadt
notamment pour mener des négociations de paix alors et de Minden. Les mesures habiles prises par le Grand
que les combats se poursuivent. Électeur, les grands travaux et le repeuplement amè-
neront à la formation de l’État prussien.

121
Mes chères Lames,
Je vous sollicite car j’ai eu vent de recherches
poussées autour de la tombe de l’empereur Frederic
II, à Palerme. Je crains que ce cadavre et son
héritière ne cachent bien des secrets. Les der-
nières volontés du cardinal-infant sont d’ailleurs
elles-mêmes plutôt énigmatiques, pour le peu que
j’ai pu en savoir. Je vous invite à vous renseigner
plus précisément sur ces dernières volontés
auprès de l’Italienne, dont nous sommes hélas sans
nouvelles. N’hésitez pas également à espionner
le convoi devant reconduire le cardinal-infant et son
enfant à Madrid – il doit prochainement traverser
la France. Enfin, peut-être la reine a-t-elle
des informations sur le décès de son frère et sur
cette nièce sortie de nulle part. Elle semble bien
Ferdinand III du Saint Empire silencieuse à ce sujet.
Ferdinand III de Habsbourg est le second fils
de l’empereur Ferdinand II du Saint Empire. Son Ne me décevez pas.
frère aîné meurt à l’âge de 14 ans, ce qui lui permet
d’hériter des titres de son père. Instruit et éduqué

L’Angleterre
dans la religion catholique par les jésuites, il s’illustre
au combat pendant la guerre de Trente Ans, battant
les Suédois à la bataille de Nördlingen en compagnie

et les îles
de son cousin espagnol, don Fernando.
Il épouse en 1631 Marie-Anne d’Autriche, infante

britanniques
d’Espagne et sœur de la reine de France, avec qui
il partage une même passion pour les dragon-
nets. Ils ont cinq enfants ensemble, dont un fils
lui aussi passionné par les dragonnets et que l’on Ne vous mettez point entre
surnomme le Sang-Mêlé. le dragon et sa colère.
Couronné empereur du Saint Empire en 1637, William Shakespeare, Le Roi Lear
Ferdinand III combat face au Grand Condé, dont
les victoires le poussent à négocier la paix de Münster.
Une île déchirée
Les îles britanniques, fiers navires isolés du tumulte du
Vous avez fait fi des avertissements que continent. La puissante Angleterre a depuis des siècles
nous n’avons pas manqué de vous adresser. fait trembler le Français ou l’Espagnol. Pourtant, tandis
Nous avons annoncé votre déroute mais que les puissances du continent s’entredéchirent, c’est au
vous avez attaqué nonobstant. sein même de ses frontières que l’Empire britannique voit
Vous avez cru que le dragon n’était le sang couler. Les Stuart, par l’entremise de Charles Ier,
qu’une légende destinée à éloigner se sont gorgés des théories faisant d’eux des rois de droit
les impressionnables. divin pour instaurer une monarchie totalitaire dans
Vous avez cru et vous vous êtes trompés. laquelle leurs décisions sont imposées par un gant de fer
Tandis que les chairs de vos hommes brûlent qui n’hésite pas à broyer les opposants. Mais la cuirasse
au pied de nos murailles, je vous le dis est fissurée. Des déroutes militaires ont meurtri la fierté
tout haut. des souverains et du pays tout entier. La Rochelle,
Pour la dernière fois. en 1628, sonne encore comme le glas sinistre des désirs
Il n’est pas d’armée humaine qui fera plier d’invasion.
Wielstadt.
Par ailleurs, la monarchie se voit mise en doute par
Bürgermeister V.R. le Parlement, dont la fronde est menée par des représen-
tants charismatiques tels que John Pym ou un hobereau
du nom d’Oliver Cromwell.

122
En 1642, la tentative de Charles Ier de neutraliser les me-
neurs velléitaires se solde par un échec cuisant. Londres
est aux mains des insurgés, les Têtes-Rondes, et John
Pym en est le roi officieux. Le monarque est contraint
de se réfugier à Nottingham, mais compte toutefois
de nombreux partisans, les Cavaliers, en particulier
dans les terres du nord, dont il est originaire.
Les négociations houleuses succèdent aux batailles. Les fi-
nanciers puissants ont pris le contrôle de Londres, mais
le peuple hésite à infliger à son roi une humiliation qui
serait lourde de conséquences.

Deux guerres civiles successives embrasent l’île. La pre-


mière dure de 1642 à 1646. Londres est tenue par
les parlementaires, tandis que le roi tente de reprendre
sa capitale depuis le nord. Mais ses troupes, menées par
le prince Rupert, neveu du roi, sont repoussées. L’armée
parlementaire ne parvient toutefois pas à creuser son
avantage, et en 1645, son commandement échoit
à Oliver Cromwell – bien qu’officiellement placé sous Oliver Cromwell
les ordres de Fairfax. Cromwell réorganise les troupes
et vainc le prince Rupert à Naseby, le 14 juin 1645.
Le roi se réfugie en Écosse, mais le parlement écossais En 1652, Cromwell règne en maître sur l’Angleterre,
le vend à son homologue anglais en janvier 1647. grâce à une discipline de fer dictatoriale.

Mais bientôt les vainqueurs se divisent. Le Parlement Tandis que se déroule cette pièce tragique, les dragons
décide de dissoudre l’armée, mais Cromwell re- observent et manipulent, soigneusement cachés derrière
fuse. Profitant de ces rixes, Charles Ier s’enfuit, gagne les rideaux de la scène.
l’île de Wight et, grâce au soutien des Écossais, reprend
la guerre civile. Londres
Mais Cromwell les écrase, capture le roi et, après avoir […] Sinon que la populace locale parle un langage diffé-
épuré le Parlement par la force, contraint celui-ci – rent, il n’est rien que le voyageur ne puisse trouver à Paris
nommé le Rump – à prononcer la condamnation du qui ne prospère à Londres. Ses rues sont aussi sales,
souverain. Charles Ier est exécuté le 9 février 1649. aussi étroites, et ses nuits tout aussi dangereuses. […]
Le Parlement prononce l’abolition de la royauté et pro- […] À l’ouest s’élèvent, le long de la Tamise, des maisons
clame la république. La Chambre des Lords est suppri- cossues pour ceux qui, se rapprochant de Westminster,
mée. Cromwell prend officieusement le pouvoir et règne s’éloignent par la même occasion des quartiers effroy-
par la terreur. Il envahit l’Irlande et écrase les armées ables de l’est de la ville. […]
écossaises, qui avaient proclamé roi d’Écosse Charles II, […] Le palais de Westminster est censé accueillir les rois
le fils de Charles Ier. Celui-ci fuit en France. L’Écosse et les reines. En réalité, il n’accueille au final que ceux
rejoint de force le giron de la république. qui conspirent contre eux. […]

La guerre éclate avec les Provinces-Unies, pour Souvenirs de Monsieur d’Artagnan


des raisons commerciales – l’Acte de Navigation anglais
empêche une grande partie des importations des na-
tions étrangères – et coloniales. Les deux puissances
maritimes s’affrontent de 1652 à 1654. Les Hollandais
doivent plier.

123
Un paysage draconique Les dragons celtiques
La royauté anglaise est, depuis de nombreux siècles, Bien que cela reste du domaine de la légende, les dragons
un opposant farouche et assumé des dragons, qui ont jouissent d’une puissance bien réelle sur les terres celtes
bercé les légendes anglaises. L’Angleterre n’arbore-t- d’Irlande, d’Écosse et du Pays de Galles. Là, au mépris
elle pas sur son drapeau la croix de saint Georges ? de l’envahisseur anglais, une frange de la population
La haine des Stuart pour la race draconique contrai- continue de rendre hommage aux anciens cultes et à per-
gnit les dragons à réagir avec une virulence mâtinée pétuer oralement les histoires du temps de la splendeur
de retenue. Conscients que le peuple pourrait, en cas des dragons. L’Irlande, en particulier, semble constituer
d’affrontement assumé, prendre fait et cause pour une terre où la présence draconique est ressentie par
le roi – nulle Cour des Dragons ne saurait prendre tous. On n’y trouve d’ailleurs aucun drac, les membres
place dans les allées de Westminster –, les dragons de cette race ayant une crainte atavique qui les éloigne
font le choix des manœuvres politiques, manipulant des côtes de l’île d’Émeraude. Çà et là, le voyageur
les grands meneurs des Communes – l’une des chambres trouvera, à moitié dissimulés par les hautes fougères
du Parlement – pour débarquer le roi tout en restant ou les arbres majestueux, des empilements de pierres
dissimulés. gravées ou des monuments dédiés à des icônes que
d’aucuns pensent depuis longtemps disparues. Reste
que dans les landes celtiques, certains soirs de veillées,
les héritiers des bardes content des histoires de réveil
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

et de renouveau.
Pendragon
Il fut un roi qui, levant les yeux
au ciel y contempla Mes chères Lames,
l’éclat du grand dragon. Je vous sollicite car le roi Charles d’Angleterre
La marque de la bête ornerait son blason se trouve actuellement dans une situation délicate
et depuis ce jour, Uther fut Pendragon. et sollicite l’aide de notre souverain. Celui-ci
Sur les hauts de Stonehenge songe à envoyer quatre de ses plus valeureux
se dresse encore sa marque. émissaires. Avant cela, je souhaite vous voir mener
Pierres arrachées d’Irlande une enquête approfondie. Je crains qu’en réalité
pour celui qui inspire. la révolution du peuple anglais ne soit orchestrée
Anonyme par la Griffe noire. Je vous invite à vous rendre
céans à Londres et d’y rencontrer lord de Winter,
qui pourra vous donner de précieuses indications
sur la situation des îles et sur les instigateurs
de la révolte.
Ne me décevez pas.
124
Le royaume de la toute nouvelle puissance européenne

de Suède
déferla sur les champs de bataille de la guerre
de Trente Ans, faisant largement pencher
la balance en faveur du camp protestant
Un ami pauvre est souvent à charge, et des Habsbourg. En 1643, la Suède est par ailleurs
un riche est rarement de poids. en guerre avec le Danemark, son vieil ennemi. Celui-ci
Axel Oxenstierna, Réflexions et maximes affaibli, Oxenstierna déclenche des offensives de grande
envergure, menées par le général Torstensson, et soute-
La Suède a marqué un tournant dans son histoire nues par les hakkapélites et la magie des Naos. La Suède
en 1604, lorsque le roi Charles IX s’allia officiellement remporte des victoires et met la main sur de nombreux
aux Naos, les dragons de l’Ordre de Joramund. Cela territoires, dont le Halland et de nombreuses îles. Elle
eut plusieurs conséquences. Tout d’abord, de nombreux échoue toutefois à s’emparer de la forteresse de Malmö
dragons s’installèrent à des postes-clés de l’admi- qui, soutenu par la magie de nombreux artefacts, se re-
nistration royale suédoise. Ensuite, le roi entama fuse à l’envahisseur. Cette forteresse étant la principale
une politique d’expansion sans précédent et vainquit cible des Naos, cette campagne, achevée en 1645, est
notamment la Pologne, la Russie et le Danemark. Dans qualifiée dans les cercles du pouvoir comme une victoire
les années qui suivirent, on ne parla plus des armées partielle.
de Suède sans un frisson de terreur. La force militaire

L’ordre de Joramund
À Sa Sainteté Urbain VIIII,
Je vous écris depuis Stockholm, où j’ai eu
l’occasion de me renseigner sur les Naos. Ces
dragons scandinaves s’identifient par l’anneau
de Joramund, un bijou d’or qu’ils portent à l’index
Les hakkapélites et qui représente un serpent mordant sa propre
Ces cavaliers légers d’origine finlandaise tiennent leur queue. Leur ordre s’organise autour des mythes
nom du cri de guerre qu’ils poussent sur le champ de ba- nordiques. On leur connaît trois chefs célèbres,
taille – « Hakka pääle ! » – et qui signifie, d’après ce des dragons ancestraux dont on dit qu’ils règnent
que l’on m’a dit, « tape sur la tête » en finnois. Il s’agit sur les leurs depuis l’aube des temps. Je crois
du corps militaire le plus célèbre de l’armée suédoise, plutôt, pour ma part, qu’il s’agit d’un titre
car il présente la particularité d’être monté sur honorifique qui se transmet par héritage ou par
vyvernes. Entraînés à tirer en vol, les cavaliers sont cooptation.
réputés pour déclencher des charges aériennes à grande Le plus célèbre et le plus craint de ces reptiles
vitesse, durant lesquelles ils utilisent deux pistolets géants est Joramund. Selon le mythe scandinave,
qu’ils ont pour coutume de décharger successivement il est si grand qu’il encercle le monde. Il se mord
avant d’atteindre le sol. Ils tirent ensuite l’épée tout la queue, formant un cercle qui représente
en excitant la férocité de leurs montures draconiques le mal, la puissance et l’infini. On m’a rapporté
qui déclenchent la panique chez les hommes et que Joramund serait le plus grand dragon jamais
les chevaux. Ils portent un casque, un vêtement de cuir répertorié. Cependant, plus personne ne l’a
qu’ils nomment le költeri et, au niveau de la poitrine, aperçu depuis une centaine d’années, et seule sa
une cuirasse qu’ils appellent le kyrassi. légende demeure.
J’ai pu assister à leurs entraînements, et ce sont La seconde dignité connue est Niddhog, « celui
des tireurs, des bretteurs et des cavaliers exercés et qui frappe haineusement ». Ce dragon est supposé
redoutables. Je les juge aptes à mettre à bas les tercios dévorer les morts dans les enfers. Niddhog est
espagnols. Je me félicite de notre alliance avec la Suède, réputé pour être un assassin insaisissable. On dit
car il me paraît plus sage de combattre aux côtés de ces qu’il frappe les ennemis des Naos la nuit et
mercenaires plutôt que contre eux. Je les soupçonne, se nourrit de leurs âmes. Nul ne l’a jamais réelle-
en particulier, d’avoir passé un accord avec les Naos ment rencontré, et je crois bien qu’il ne s’agit que
et de profiter d’un rituel obscur qui les rend invulné- d’un moyen d’effrayer les esprits.
rables. Si cette rumeur est vivace parmi mes officiers, Enfin, le dernier Naos notable est Fafnir. Selon
je n’ai aucun moyen de m’assurer de sa véracité. la légende, cet homme fut changé en dragon après
avoir assassiné son père par avidité, pour lui voler
Notes militaires du Grand Condé, un anneau d’or qu’il convoitait. Fafnir se cache
chapitre « Cavalerie » ainsi à présent parmi les humains, serviteur discret
des Naos. Cupide et avare, il est le gardien
des trésors, le maître des secrets. Encore
un individu invisible et sans doute imaginaire. 125
C es mythes restent vivaces dans les pays
nordiques. Je suppose qu’à travers ces
récits, les Naos souhaitent entretenir
l’image du dragon maléfique, monstrueux et domi-
nateur qui leur tient à cœur. Cependant, d’après
ce que j’ai pu constater, les dignitaires naos, qui
vivent au grand jour à la cour de Suède et qui
exercent un pouvoir clandestin dans les Provinces-
Unies et au Danemark, semblent plutôt pacifiques
et calculateurs. Ils n’usent de violence que
lorsque cela s’avère nécessaire ou extrêmement
peu risqué. Ils ont une passion dévorante pour
le pouvoir, la richesse et le prestige, mais préfèrent Christine de Suède
l’ordre au chaos, contrairement à leurs homologues
de la Griffe noire, qu’ils tiennent visiblement À l’approche de l’âge adulte, Christine cultive son
en piètre estime. On ne connaît pas leur nombre air de garçonne, masquant les signes de sa féminité
exact, mais j’ai pu recenser une vingtaine d’entre sous des tenues peu apprêtées et des attitudes jugées
eux. Ils possèdent par contre d’innombrables masculines. Ces façons d’être choquent ses sujets, mais
serviteurs et admirateurs, qui portent un tatouage font d’elle une personnalité avant-gardiste, rebelle, et
de l’anneau de Joramund que l’on dit enchanté par influente. Son image est celle d'une femme indépendante
un rituel de soumission. Pour ma part, j’ai révisé et libertine, à la sexualité très libérée. Savante et fine,
mon intention de m’infiltrer parmi eux ! Aucun elle correspond avec les grands écrivains et philosophes
dragon ne se targuera jamais d’avoir ensorcelé de son temps. On la dit tour à tour fière, excentrique,
audacieuse, dangereuse, malicieuse ou friponne. Elle est
l’Italienne.
sans doute un peu de tout cela, et d’autres choses encore.
Votre bien dévouée, En 1643, Christine n’est pas encore majeure, mais a bien
Alessandra di Santi l’intention d’imposer son autorité lorsque ce sera le cas,
dès l’année suivante. Elle désapprouve la politique de son
tuteur et se méfie des dragons. Elle laisse déjà deviner
La Suède dans la grande politicienne qu’elle sera.
la guerre de TrenteAns Elle met fin aux conflits avec le Danemark en 1645.
Les interventions suédoises en Allemagne durant les an-
Les souverains suédois sont luthériens, et donc alliés nées suivantes, dans le cadre de la guerre de Trente Ans,
à la France. Gustave Adolphe II, le fils de Charles la placent en position de force lorsque se présente le traité
IX, était un génie militaire. Il écrasa l’armée du Saint de Munster, en 1648. La Suède y gagne la Poméranie
Empire lors de la bataille de Breitenfeld, vainquit occidentale ainsi que les bouches de la Weser et de l’Oder.
le général Tilly à plusieurs reprises, et affronta finalement Elle constitue dès lors l’une des principales puissances
le général Wallenstein en 1632 à la bataille de Lützen européennes.
lors de laquelle il trouva la mort, laissant alors le trône
à sa fille Christine, âgée de 6 ans. Faute d’héritier Christine est couronnée en 1650 mais, en dépit de la pres-
mâle, Gustave, prévoyant, avait en effet supprimé sion pesant sur ses épaules, refuse le mariage pour
la dévolution exclusivement masculine afin que son se consacrer aux lettres, aux arts et, bientôt, à la magie
enfant puisse être désignée « roi » à sa suite. des Naos, dont elle s’est pourtant longtemps méfiée. Elle
disparaît parfois des jours entiers pour des voyages
initiatiques, seulement accompagnée d’un dragon.
La reine C hristine Sa cour accueille un nombre croissant d’intellectuels et
d’artistes, tandis que l’influence des dragons va crois-
Christine de Suède est la fille du roi Gustave Adolphe II sante. L’anneau de Joramund prend place ouvertement
et de la reine Marie-Éléonore, membre de la famille sur le drapeau suédois et Christine se revendique de leur
Hohenzollern. Celle-ci ayant perdu la raison à la mort héritage, allant même jusqu’à se poser comme principale
de son époux, elle est rapidement éloignée de la cour. opposante aux dragons d’Espagne. Les dragons sont
Christine est élevée comme un homme par son tuteur, alors présentés non comme des opposants mais comme
Axel Oxenstierna, et par sa tante, Catherine. Son des guides, à la façon des prophètes des cultes humains.
éducation fait d’elle un garçon manqué, dont les yeux
bleus et froids, brillants d’intelligence, charment son Aux côtés de Christine, les représentants des Naos veillent,
entourage, bien qu’elle soit petite et laide. silencieux. Présents dans tous les organes dirigeants

126
des cours scandinaves, ils ont la mainmise sur le nord
de l’Europe. La perte de puissance de l’Espagne joue
en leur faveur. Ses influences s’étendent sur l’Europe, et
il n’est nulle cour dont les secrets échappent à la vigilance
des espions des Naos. Mais quel est le but des mystérieux
dragons nordiques ?

Le pouvoir en Suède
Oxenstierna, un serviteur zélé de l’ordre de Joramund,
est haut chancelier de Suède depuis 1612 et dirige
le royaume jusqu’à la majorité de Christine. Diplomate
et conseiller sous Charles IX, il devient le conseil
de régence, et obtient le sobriquet de « Richelieu
suédois ». Il dirige le royaume pendant toute la minorité
de Christine de Suède. À la fois grand diplomate, Le comte Axel
politicien retors et administrateur avisé, il participe Gustafsson Oxenstierna
largement à l’expansion du pays. Il contribue également
à réformer l’administration et à enrichir l’aristocratie, « Priez, mes enfants, priez,
qu’il rallie ainsi à la cause draconique. On lui prête Demain va venir le Suédois,
des pouvoirs occultes, peut-être dus à une consomma- Demain va venir Oxenstierna
tion abusive de jusquiame. Sa réputation à l’étranger Les enfants doivent apprendre à prier
est épouvantable. Il passe pour un tortionnaire assoiffé Priez, enfants, priez.
de sang. En Suède, certains lui prêtent une parenté avec
Niddhog, voire avec Fafnir. Les Suédois sont venus,
Il s’appuie sur le Riksdag, ou Conseil royal, une sorte Ils ont tout emporté
d’Assemblée nationale représentant le peuple et formée Ils ont défoncé la fenêtre
de quatre chambres ou « États » – la chambre des Nobles, Ils ont emporté le plomb
le clergé, la bourgeoisie et les paysans. Peu à peu, Ils en ont fondu des balles
les Naos ont intégré la chambre des Nobles et ont gagné Et fusillé les paysans. »
en influence. Si, au final, c’est le roi qui prend la déci- Le croquemitaine
sion, le Riksdag a la possibilité de s’opposer à certaines Comptine allemande
mesures. Le roi est par ailleurs tenu de collaborer avec
les États pour l’élaboration des lois et de le consulter
pour toute question de politique étrangère.

Il est à noter qu’une instance royale en particulier


est sous l’emprise de l’ordre de Joramund. Il s’agit
de la Commission secrète, ou « Hemliga Utskottet », Mes chères Lames,
qui s’occupe des affaires extraordinaires du royaume. J’ai besoin que vous vous rendiez le plus
Après la majorité de Christine, Oxenstierna semble vite possible à Stockholm. Il s’agit en effet
partiellement désavoué par celle dont il a assuré l’édu- de retrouver l’un de nos agents disparus et
cation. En réalité, l’ordre de Joramund lui impose comprendre ce qui lui est arrivé. Je crains
d’entrer dans l’ombre pour œuvrer contre ses ennemis : qu’Oxenstierna n’ait identifié notre homme et
la Griffe noire, le Voleur sans Mémoire et surtout ne l’ait soumis à la question. Si c’est le cas,
les Gardiens, dont les Naos pensent qu’ils détiennent le danger est grand que l’alliance avec la Suède
le secret de la fertilité des dragons. Oxenstierna et ses soit compromise. Je vous invite bien sûr à la plus
espions, nommés les Serpentaires, sillonnent dès lors grande discrétion, mais aussi à la plus grande
l’Europe et l’Asie à la recherche des Sept. Leur présence prudence. Il semble que le comte suédois jouisse
en Lorraine, en particulier, embrase les imaginations. d’une forme de don d’ubiquité, car il a été aperçu
à des endroits différents par divers agents répartis
Oxenstierna reviendra plus ouvertement à la cour dans toute l’Europe.
de Suède lors de l’abdication de Christine.
Ne me décevez pas.

127
Ailleurs, loin des Lames…

L’Empire ottoman
Dans le sud de l’Afrique, hormis une colonie portugaise
au Mozambique livrée à elle-même, les étendues restent
inviolées par les Européens. Il faut attendre la fin du
L’Empire de Soliman le Magnifique est au xvie xviie siècle pour voir les Hollandais fonder le Cap sous
siècle l’une des puissances principales autour l’impulsion de la Compagnie hollandaise des Indes.
de la Méditerranée, portée par une armée puissante, Les créatures draconiques semblent étrangement
dont les troupes d’élite, les janissaires, sont craintes sur absentes du continent africain. Les légendes évoquent
tous les champs de bataille. des créatures gigantesques, tapies dans les grands
fleuves, les Mokélé-Mbembé. Ces dragons aux écailles
Après le règne de Soliman, l’Empire s’ef- translucides auraient éradiqué les autres espèces avant
frite. La Méditerranée est le théâtre de défaites cuisantes de sombrer dans un profond sommeil. Certains
face aux Vénitiens, aux Génois et aux Espagnols. La dé- trafiquants d’esclaves auraient dernièrement signalé
sorganisation plonge l’Empire dans l’anarchie. Toutefois, que les chamanes des tribus frappées par la traite ont
des enjeux majeurs subsistent. Les îles de la Méditerranée, rouvert certaines grottes sacrées et que des chants rituels
Malte et la Crète en tête, abritent des savoirs et artefacts depuis longtemps enfouis résonneraient dans la nuit.
draconiques légendaires, capables de faire basculer
des batailles. Les janissaires déposent le sultan Ibrahim et
placent sur le trône Mehmed IV, âgé de six ans. L’Empire
est alors dirigé par sa grand-mère, Kösem, aidée par
un Dragon Suzerain qui endosse l’identité du grand
vizir Kara Mustafa Pacha. Sous l’influence du dragon,
Kösem entretient des relations avec l’Espagne, Venise
et même les Naos suédois. On aperçoit des janissaires
un peu partout en Europe. Dans quel but ?

L’Afrique
Le xvie siècle voit la domination de l’Empire ottoman
sur l’Afrique du Nord, à l’exception du Maroc. Les ter-
ritoires d’Alger, Tripoli et Tunis sont des provinces
turques, mais l’éloignement leur confère une forme
d’indépendance. En Europe, on les désigne sous le nom
d’États barbaresques. Ils développent la piraterie et le tra-
fic d’esclaves en Méditerranée, mais aussi en Atlantique.

L’Afrique noire voit se succéder des empires éphémères


– Bornou, Songhaï, Mali. Dès le xvie siècle, le continent
est frappé par la traite des esclaves. Le trafic est aux mains
de marchands arabes à l’est, qui alimentent l’Arabie,
l’Inde et l’Empire ottoman. Les Européens se mêlent
à la course et orchestrent la traite vers le Nouveau
Monde. Les Portugais règnent d’abord en maîtres,
en s’appuyant en particulier sur le royaume du Congo,
avant d’être supplantés par les Hollandais. Mais
les Anglais et les Français observent l’Afrique avec
intérêt et ne tarderont pas à se mêler à la lutte.

128
LAmérique
’ du Nord
Au xvie siècle, l’Angleterre et la France s’intéressent
à l’Amérique du Nord, que les Espagnols né-
gligent. Les marins et explorateurs anglais et français
cherchent un hypothétique passage vers l’Asie, qui
permettrait de contourner le Nouveau Monde par
le nord. L’exploration des côtes orientales du continent
nord-américain se poursuit lentement, tandis que
les marins français, notamment malouins, viennent
pêcher la morue sur les bancs de Terre-Neuve et troquer
des fourrures avec les Indiens sur les côtes.

En 1608, le Français Samuel Champlain fonde


l’établissement de Québec, mû par la volonté de créer
une Nouvelle-France. Néanmoins, le nombre de colons
français reste faible, en dépit des efforts du pouvoir,
en particulier Richelieu. Ce sont finalement les ordres
religieux évangélistes, les Jésuites en tête, qui poussent
au peuplement. Montréal est fondée en 1642. Dans
les années qui suivent, la population est réduite,
essentiellement constituée d’agriculteurs, de coureurs
des bois et de missionnaires. Quelques commerçants
assurent le lien avec la France, mais les réactions hostiles
des Indiens Iroquois rendent toutes les entreprises

Les Amériques
hasardeuses.

Depuis leur découverte par Christophe Colomb,


les Amériques sont sous l’influence quasi exclusive
LesAntilles
de l’Espagne, la seule exception étant le Brésil Les Grandes Antilles (Cuba, Hispaniola, Jamaïque,
portugais. Ce vaste domaine colonial est alors divisé Puerto Rico) ont été conquises par l’Espagne durant
en deux vice-royautés : la Nouvelle-Espagne, dont les xve et xvie siècles. Les îles sont exploitées inten-
la capitale est Mexico, et le Pérou, dont la capitale est sément, en s’appuyant sur les populations indigènes
Lima. Si l’Espagne règne sur ces terres, son influence puis, quand celles-ci s’épuisent, par les esclaves
est dans les faits beaucoup plus diffuse. De grands africains. Les rumeurs de richesses immenses, tant
domaines, nommés haciendas, forment des organisations en or qu’en jusquiame dorée, poussent les Espagnols
possédant une large autonomie. à s’intéresser au Mexique et au Pérou, quitte à délaisser
leurs établissements antillais. Cela ne manque pas de leur
De grandes routes commerciales s’installent entre jouer des tours : quand après 1630 leur puissance navale
les Amériques et l’Espagne, en particulier le port décline, les Espagnols peinent à conserver leurs acquis,
de Séville. Les Amériques envoient des matières pre- subissant la loi de pirates, flibustiers et boucaniers
mières, tandis que les produits manufacturés suivent venus d’Europe.
le chemin inverse, les activités industrielles étant
interdites par l’Espagne à ses colonies. Progressivement, Les grandes puissances ne sont pas en reste.
toutefois, les circuits officiels cèdent le pas devant Anglais, Français et Hollandais colonisent certaines
des activités de contrebande mises en place par d’autres îles. Les Hollandais, manipulés par le Voleur sans
nations d’Europe, en particulier l’Angleterre. Mémoire, investissent Curaçao en 1634 et en font
un centre de contrebande florissant. Les Anglais
Parallèlement, des missions jésuites voient s’établissent en 1625 à la Barbade puis s’emparent
le jour et forment des communautés afin d’évangéliser de la Jamaïque en 1655, à la faveur de l’alliance
les Indiens. Mais si ces derniers semblent étrange- anglo-française contre l’Espagne.
ment immunisés à la ranse, ils cèdent devant d’autres
épidémies. Leur nombre chute, et entraîne un afflux Les Français, enfin, s’installent à Saint-Christophe
important d’esclaves africains venus travailler dans en 1625, puis à la Guadeloupe et à la Martinique
les plantations et les mines. en 1635, ainsi que dans la partie occidentale

129
Brésil

d’Hispaniola. Peuplées de colons français et d’esclaves L’Asie


noirs, ces îles subsistent grâce à leurs relations avec
les Hollandais, qui introduisent la culture de la canne
à sucre et assurent les liaisons commerciales avec
l’Europe. Le Voleur sans Mémoire y gagne un nombre
Les Européens enAsie
de soutiens important, et infiltre les milieux commer- Jusqu’au xviie, les Portugais possèdent un mo-
çants, en particulier ceux des grandes villes portuaires nopole absolu depuis le cap de Bonne Espérance
de l’Ouest. jusqu’en Orient. Les comptoirs qu’ils possèdent sur
la côte orientale d’Afrique jusqu’à Malacca leur per-
mettent de rapporter au Portugal des denrées de prix
Le Brésil (épices, porcelaine, laques). Ce monopole prend fin
au xviie siècle, mis à mal par les Turcs et surtout par
La colonisation du Brésil est tout d’abord majoritaire- les Hollandais. La Compagnie des Indes orientales
ment portugaise. Elle reste de faible ampleur, concentrée s’installe dans les Moluques à partir de 1605, ainsi
autour de Bahia et Pernambouc. Un gouverneur siège qu’à Java où est fondée la colonie de Batavia en 1619.
à Bahia et organise la culture de la canne à sucre, Les Anglais et les Français, inquiets de voir cette expan-
l’importation d’esclaves d’Afrique, tout en repoussant sion hollandaise, dépêchent leurs compagnies. Malgré
les timides tentatives européennes vers la fin du leur retard, un comptoir est installé à Madras en 1632.
xvie siècle. Ce sont une nouvelle fois les Hollandais
qui s’imposent en prenant la ville de Pernambouc,
qui devient la capitale du Brésil hollandais, dirigé
par Maurice de Nassau. Malgré les heurts fréquents
La Chine
entre Portugais et Hollandais, troubles soigneusement La Chine de la dynastie Ming en débâcle
alimentés par leurs rivaux européens, la région reste laisse les Européens s’installer sur son sol au
le symbole de la prospérité commerciale en Amérique xvie siècle. Les Portugais prennent ainsi pied à Canton et
du Sud. Au sud, le village de Sao Paulo, fondé par Macao, tandis que les missionnaires jésuites parviennent
les jésuites portugais, peine à prospérer. Ses activités à la cour, à Pékin. Au xviie siècle, les Mandchous, vassaux
reposent sur l’esclavage d’Indiens, et l’exploration de l’Empire, gagnent en puissance en s’alliant avec
de l’intérieur des terres. Les expéditions esclavagistes, les Mongols héritiers de Gengis Khan. Ils se rebellent
menées par des bandeirantes, ouvrent de nombreuses régulièrement contre le pouvoir des Ming. En 1644,
pistes jusqu’aux Andes et ses mystères. l’armée impériale fait appel à eux pour mettre en déroute
les hordes de brigands. Mais une fois Pékin libérée,
les Mandchous refusent de regagner les rangs. Leur chef,
Shunzhi, âgé de six ans, est proclamé empereur. La dy-
nastie Qing régnera pendant trois siècles. Dorgon,
l’oncle de Shunzhi, assure la régence jusqu’à sa mort
en 1650, dans un étrange accident de chasse.

130
connaissances intimement liées aux dragons reviennent
par leur biais jusqu’en Europe. La société draconique
des Neuf Fils du Dragon, une secte mystique experte
dans le domaine des drogues, installe certains de ses
membres qui apprennent à connaître les possibilités
offertes par la jusquiame dorée.

Le Japon
Après le règne d’Hideyoshi à la fin du xvie siècle,
une période de paix relative et le début d’une unification,
Tokugawa Ieyasu prend le pouvoir en 1603. S’ensuit
une longue période de domination des Tokugawa. Le ré-
gime du shogunat combine un fonctionnement féodal,
basé sur la hiérarchie des daïmios et des samouraïs,
et dictatorial. Le shogun est en effet le chef absolu
du gouvernement. Tokugawa met en place un sys-
tème autoritaire, hostile aux Européens. 1637 voit
une élimination de masse des Japonais convertis au
christianisme. Un an plus tard, un édit interdit aux
Japonais de quitter le Japon sans une autorisation
de l’État. Le pays est fermé aux étrangers, à l’exception
des Hollandais, qui posent pied en baie de Nagasaki et
profitent de ce contact privilégié.
Le shogunat se positionne fermement contre la souillure
draconique, après une épidémie de ranse attribuée aux
La Chine se referme, limitant progressivement ses missionnaires portugais. L’Europe est considérée comme
contacts avec les Européens installés dans le port le berceau des dragons, et la fermeture des frontières est
de Macao. Les Jésuites, en revanche, conservent vue comme une manœuvre nécessaire à la protection
une place privilégiée, en dépit de périodes de persécu- du Japon. Néanmoins, la tolérance de la proximité
tion. Ils apportent leurs savoirs en matière d’astronomie des commerçants hollandais, soumis à l’influence du
ou de cartographie. En échange, ils accèdent aux savoirs Voleur sans Mémoire, est une bien piètre décision
jalousement gardés au cœur de la Cité interdite. Ces sur ce point.

131
La France… de Louis XIV
Située à l’entrée d’un hameau qu’elle avait sans Louis XIII lutte farouchement contre les dragons et
doute fait naître, l’auberge était typique de ces relais n’accepte ni leur influence ni leur présence sur le sol
de poste qui jalonnaient les routes de France. Outre français. En revanche, il pardonne les jacqueries des cro-
un corps de logis coiffé de tuiles rouges, elle comptait quants, amnistie les protestants et tolère les dracs même
une écurie, une grange, une forge, un poulailler, après le sac de Paris – son fils n’aura pas la même sagesse
une remise pour les voitures et un petit enclos et ses dragonnades marqueront l’histoire. Est-ce cette
pour les cochons, le tout ceint d’un haut mur dont propension à défier les puissants et à excuser les faibles
les pierres blanches et grises chauffaient sous le soleil qui lui vaut d’être surnommé le Juste ?
de l’après-midi. Non loin coulait une rivière qui
entraînait la roue d’un petit moulin. Et au-delà, Sa mort et celle de son ministre, le cardinal
des prés et des champs s’étendaient jusqu’à rencontrer, de Richelieu, sonnent le glas d’une certaine idée
à l’est, l’orée d’une forêt verdoyante. de la France. Louis XIV trop jeune, le pays est géré par
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal la régente, Anne d’Autriche, dont on raille les origines
espagnoles. Pour remplacer Richelieu, elle choisit
Le royaume de France s’affirme comme l’un des grands Mazarin, un Italien qui s’attire rapidement les foudres
de l’Europe du xviie siècle. Louis XIII, passionné par de la noblesse.
les chevaux et les armes, est de toutes les campagnes
et, en temps de paix, chasse et écrit des articles mili- Pourtant quelque chose ne change pas en France :
taires. On le dit courageux et humble – un roi qui se bat en cas de besoin, le trône peut compter sur le soutien
en première ligne et dort dans la paille. Autoritaire, des Lames du Cardinal.
il se montre inflexible avec les nobles – son frère
lui-même, Gaston d’Orléans, n’échappe à sa justice
qu’en dénonçant ses complices.

134
Aux frontières De la mort de
de la France Louis XIII à la
La France du xviie siècle n’appuie plus ses frontières
sur des obstacles naturels mais sur des traités. À force Fronde
de guerres et de successions, Louis XIII se fait maître du
Béarn, de la Navarre, de la Catalogne, du Roussillon,
de la Savoie, du Piémont et de l’Artois.

Les Habsbourg, maîtres historiques du vieux continent,


encerclent la France au début du siècle, mais leur
influence décline tout au long de la guerre de Trente
Ans. Leur pouvoir s’étiole à mesure que l’Espagne et
le Saint Empire se déchirent. En 1643, on se soucie
moins de la menace des Habsbourg que de l’émergence
fulgurante de la Suède.

Partout, on choisit de tenir une forteresse ou une passe


Louis XIII
plutôt que de reculer. Les autres puissances font
de même et plusieurs enclaves se forment aux frontières Le 20 avril 1643, le roi Louis XIII fait convoquer
de la France. Les lignes bougent sans cesse et il n’est à Saint-Germain son frère, Condé, Séguier et les secré-
pas rare de se coucher dans un royaume et de s’éveiller taires d’État. Il y accorde la régence à sa veuve et fait
dans un autre – les Lorrains en savent quelque chose. baptiser son fils. La déclaration du roi est présentée au
La Rochelle obtient son indépendance à l’issue d’un siège Parlement et enregistrée. Ainsi, Louis XIII pense avoir
que Louis XIII perd en 1628. Alors que Richelieu vou- sauvegardé son œuvre et celle de Richelieu.
lait en faire le fleuron de sa marine de guerre, elle s’élève
en cité franche et devient un repaire de conspirateurs Le 15 mai, lendemain de la mort de son père, Louis XIV
protestants, anglais, espagnols et dracs. « Une tache devient roi à quatre ans. Il fait son entrée à Paris, accueilli
de ranse sur le corps poudré de la France », comme par une foule enthousiaste. Sa mère, sans attendre, fait
l’écrit Saint-Simon… tenir un lit de justice à l’identique de ce qu’avait fait
la reine Marie de Médicis. Soutenue par le duc d’Orléans
Le Comtat Venaissin ne doit son indépendance et le prince de Condé, Anne d’Autriche se voit confier
qu’à un imbroglio juridique : longtemps propriété la régence jusqu’à la majorité de son fils. Mais déjà,
des papes, il échoit aux comtes de Provence avant à mi-voix, grondent certains conseillers.
d’être réclamé, suite à l’erreur d’écriture d’un notaire,
par Venise. À ce jour, les papes en ont la régence en at- Quelques jours plus tard, tandis qu’on apprend
tendant que tout cela cesse – Venise y voit une affaire la victoire de Rocroi sur les frontières de l’Est, elle
en or et ne semble pas prête à céder. nomme Mazarin ministre. Jules Mazarin est le succes-
seur désigné par Richelieu lui-même. Farouchement
Les Provinces de l’Union du Midi, enfin, se sont soulevées opposée à Richelieu, et désireuse de se débarrasser
pendant les guerres de religion de 1574. Les huguenots, de l’essentiel de ses proches – en particulier le conseiller
pour se défendre contre les troupes royales, avaient Séguier –, Anne d’Autriche choisit toutefois Mazarin,
fait appel à des mercenaires dracs, mais ces derniers un Romain passé au service de la France en 1640 et
les trahirent et s’emparèrent de la région. Ravi de ce fait cardinal – bien que n’étant pas prêtre – un an plus
revirement, Henri IV ne vint pas en aide aux protestants tard. Cette nomination permet à la reine d’assurer
et affirma même la souveraineté drac sur les Provinces la continuité du pouvoir.
dans l’édit de Millau – une décision purement politique.
La famille royale quitte Saint-Germain pour s’établir
à Paris. La perspective d’installer le roi dans le luxueux
Palais-Cardinal érigé par Richelieu, un temps envisagée,
est abandonnée. Le souffle des dragons est encore
dans toutes les mémoires, et Mazarin convainc Anne
d’installer son fils au Louvre, où pointe la massive et
rassurante silhouette du donjon médiéval renforcé par
la magie des Châtelaines.

135
Histoire officielle La Fronde
(1648-1653)
Dans l’histoire officielle, la famille royale s’installe dans
le Palais-Cardinal, qui devient de fait le Palais-Royal,
un nom qu’il a conservé jusqu’à nos jours.
En raison de la menace draconique présente dans À partir de 1648, et durant cinq longues années,
l’univers des Lames du Cardinal, le Louvre est la France est le théâtre de troubles, révoltes et luttes
un choix plus pertinent en raison de ses défenses ouvertes, pour finir par être submergée par une violente
supérieures. Toutefois, les liens qui unissent Mazarin guerre civile en 1652. Cette période – bien que scindée
et Anne d’Autriche amènent celle-ci à fréquenter avec en trois périodes distinctes – est nommée dans sa
régularité le Palais-Cardinal. globalité la Fronde. Son nom vient de la comparaison
Le donjon du Louvre sera quant à lui détruit entre les opposants et les écoliers jouant à la fronde dans
en 1648. Dès lors, la famille royale rejoindra le Palais- les fossés et déguerpissant à l’approche des patrouilles.
Cardinal, qui deviendra alors le Palais-Royal.
Les événements de la Fronde
La guerre fait rage, et si les victoires sont au rendez-vous, Ce chapitre propose un résumé des principales étapes
la pression fiscale qu’elle impose s’intensifie. Les grandes de la Fronde. Cette période de troubles est plus
villes – où les plus grandes familles nobles possèdent largement développée dans le chapitre 12 consacré
leurs somptueuses demeures – sont épargnées, et ce sont à la chronologie de l’époque des Lames. Y sont décrits
les provinces qui supportent le poids des taxes. Mazarin les principaux événements liés à la révolte et aux
confie la gestion financière de l’État à Michel manigances des dragons et de Cinq-Mars.
Particelli d’Emery, un banquier lyonnais d’origine
italienne. Celui-ci, oublieux des usages, fait de Paris sa La Fronde est le résultat de tensions et conflits politiques
cible principale en matière d’impôts. L’édit du toisé, entre trois grandes factions désirant chacune conserver
qu’il décide en 1644, veut imposer de lourdes taxes aux ou obtenir le pouvoir : les loyalistes, fidèles à la couronne
terrains des faubourgs de Paris. Il se heurte toutefois au et au cardinal Mazarin, les Grands du royaume, nobles
Parlement, qui veille sur les intérêts des riches Parisiens, et arrivistes ambitieux désirant exercer le pouvoir, et
nobles et marchands. Ainsi, le poids est de nouveau les parlementaires, représentants élus des trois ordres
reporté sur la province, que Paris considère avec œuvrant pour le peuple tout autant que pour leur propre
un lointain mépris. compte. Durant cinq années, les alliances se font et
se défont, et les allégeances changent continuellement,
Des révoltes éclatent un peu partout dans le pays et parfois même plusieurs fois dans une même journée.
perdurent des années durant, obligeant les intendants Dirigée ouvertement contre le cardinal Mazarin,
des finances – les officiers du roi chargés de collecter la Fronde débute par une lutte politique entre la cour
l’impôt – à circuler sous bonne escorte. Paris se coupe et le Parlement : c’est la Fronde parlementaire. Par
du reste du territoire, et l’autorité royale s’effrite la suite, une autre opposition prend le relais, dirigée par
en province, laissant le champ libre à des opportunistes les nobles : c’est la Fronde des princes. Enfin, Condé
humains et draconiques. mène sa propre révolte et déclenche une guerre civile,
la Fronde condéenne.
À la cour, Mazarin doit très tôt faire face à une opposi-
tion farouche. Menée par le bâtard d’Henri IV, le duc
de Vendôme, ainsi que par son fils le duc de Beaufort,
cette « cabale des Importants » est tuée dans l’œuf et
Beaufort arrêté. Mazarin affirme son autorité, et n’hésite
pas à braver le Parlement en faisant tenir un nouveau lit
de justice en 1645 pour enregistrer des textes en force.
Mais la couronne s’enlise. Les armées stagnent et
saignent les finances.

Mazarin

136
Ces troubles ne sont pas ouvertement associés aux dra- La Fronde des Princes
gons, et ne sont pas directement orchestrés par la Griffe
noire ou une autre organisation draconique. Parfois, Mazarin neutralise sa principale opposition, la mai-
les hommes sont capables de créer leurs propres son de Vendôme, et s’attire les grâces de l’un de ses
troubles. Les cinq ans de Fronde sont toutefois une au- antagonistes, Gondi. Mais Condé se lance à son tour
baine pour les adversaires de la France, en particulier dans une contestation qui le conduit à la prison. À leur
Cinq-Mars et la conjuration des Silencieux, qui voient tour, le prince de Conti, frère de Condé, et le duc
là une occasion de saper le pouvoir royal en soute- de Longueville, son beau-frère, sont emprisonnés. Leurs
nant discrètement telle ou telle faction en fonction partisans, en particulier Turenne, déclenchent alors
des opportunités. des révoltes en province, débutant la Fronde
des princes. Celle-ci prend fin à la bataille de Rethel
Ainsi, si la vindicte et les complots de Cinq-Mars par la défaite des frondeurs.
n’en sont pas les seules causes, le marquis travaille
tout au long de la période pour amplifier le chaos et
la confusion, servant tour à tour toutes les factions,
profitant de toute instabilité pour tenter de renverser
la couronne et obtenir enfin sa vengeance.

Les Arcanes reformés, de leur côté, œuvrent à leur Mes chères Lames,
grand dessein : remplacer le roi Louis XIV par son Je vous demande de mener une enquête discrète
jumeau draconique. Mais la protection autour du roi sur Urbain Gaget et ses vyverneries. En effet,
s’est considérablement renforcée, et les Lames sont des rumeurs persistantes lui attribuent des sym-
de retour. Chaque mouvement est soigneusement prépa- pathies pour les opposants au trône. On l’aurait
ré. Le Louvre est une forteresse imprenable. Mais en cas vu il y a peu en grande conversation avec
de troubles, le roi retournera à Saint-Germain. C’est le coadjuteur Gondi.
donc là que se porte l’attention des Arcanes. Je vous invite à vous rendre à l’hôtellerie
de la Tarasque joviale, sur la route
de Saint-Germain, où cette entrevue aurait eu
La Fronde parlementaire lieu. L’aubergiste, un nommé Travel, vous donnera
tous les éléments dont il dispose.
Le conflit nommé Fronde parlementaire prend sa source
sur des contentieux pécuniaires. En 1648, le Trésor est Ne me décevez pas.
exsangue, épuisé par les dépenses des guerres incessantes qui
ont agité le règne de Richelieu. Mazarin, qui a pris la suite
de Richelieu, est peu populaire et se signale par un compor-
tement financier pour le moins dispendieux. La pression
fiscale se reporte de nouveau sur Paris.
Le contrôleur général Michel Particelli d’Emery, nommé
par Mazarin, est chargé de trouver une solution pour
renflouer les caisses de l’État. Fils de banquier et excellent
financier, il avait déjà servi la France à Turin en 1640, où
il officiait en tant qu’ambassadeur.
À cette occasion il avait rencontré et tissé des liens commer-
ciaux et amicaux avec le marquis de Gagnière ainsi qu’avec
son employeur, le très influent Marchand de la Griffe
noire. Et lorsqu’il devient contrôleur financier, leurs
subtiles suggestions l’aident à imaginer de nouveaux et très
rentables impôts. Ainsi naît l’édit du tarif, droit sur toute
marchandise entrant dans la capitale, tant par terre que
par eau, sans distinction de personnes. Les vyvernes sont,
toutefois, exemptées de ces taxes. Particelli d’Emery épargne
ainsi les affaires des Grands du royaume et du Marchand.
Le mécontentement qui s’ensuit trouve un appui auprès
du Parlement, qui soutient le peuple – tout en veillant
à ses intérêts propres. Turenne
Ainsi débutent les troubles de la Fronde.

137
L ’union des deux Frondes La Fronde Condéenne
Une à une, les révoltes sont matées par l’armée royale, Toutefois, l’union ne dure pas longtemps. Turenne
et le pays retrouve le calme. Mais les tractations, rejoint le roi et Mazarin, de retour. Condé et ses
intrigues et complots alimentés par Cinq-Mars partisans s’opposent au trône et, depuis Bordeaux,
et ses alliés draconiques changent la donne poli- alimentent le soulèvement des provinces, soutenu
tique. Le parlement et les anciens frondeurs s’allient par l’Espagne et les manigances politiques de Cinq-
en secret en une union des deux Frondes et demandent Mars. Plusieurs mois durant, les batailles s’enchaînent,
officiellement la libération des trois princes et le renvoi confuses, qui ne font basculer aucun des deux camps
du cardinal. Mazarin s’exile. du côté de la victoire. Turenne et Condé s’affrontent,
tels deux joueurs d’échecs.
Condé prend Paris mais ses outrances, et la fin
des conseils avisés de Cinq-Mars, retournent finalement
ses partisans contre lui.
Au temps des Lames La Fronde se termine finalement avec une monarchie
renforcée, l’effet inverse de celui qui avait été recherché.
1601 Naissance de Louis XIII (Fontainebleau).

1602 Catastrophe de Lyon.

Henri IV assassiné. Couronnement


1610
de Louis XIII (Reims).

Mariage de Louis XIII et Anne d’Autriche,


1615
infante espagnole (Bordeaux).

1618 Guerre de Trente Ans.

1628 Indépendance de La Rochelle.

1630 Journée des Dupes.

Première Gazette de Renaudot. Premières


1631
lettres de marque.

1632 Reconquête de la Nouvelle-France.

1633 Sac de Paris par les dracs. Le Grand Condé


1635-1643 Jacqueries des croquants.

Le Cid de Corneille fait l’apologie du


1636 duel d’honneur et de la lutte contre Le Grand Condé
les dragons. D’Artagnan, et plus encore Louis II
Louise de La Fayette réconcilie le couple
de Bourbon-Condé, sont les gentilshommes les plus
1637
royal. Anne échappe à la répudiation. symboliques d’une certaine vision de la noblesse d’épée.
Fringant, héroïque, entier, Condé est l’un des hé-
1638 Naissance de Louis XIV.
ritiers du trône, mais il ne complote jamais. Il reste
Complot de Cinq-Mars. Traite né- fidèle au roi tout au long de sa vie et se prend même
1642
grière. Mort de Richelieu. d’affection pour le jeune Louis XIV, son rival
Mort de Louis XIII. Régence d’Anne à la succession. Il refuse par ailleurs de se marier par
1643 arrangement avec la nièce de Richelieu et se consacre
d’Autriche.
tout entier à la France et à son amour de jeunesse,
1648 Début de la Fronde parlementaire
Camille Garenne. La bataille de Rocroi l’élève
1648 Paix de Westphalie au panthéon des héros et, à sa mort, le prince de Conti
1650 Fronde des princes
saluera le dévouement du « roi de cœur ».
1651-1653 Fronde condéenne Arnaud de Laincourt, Mémoires

138
Mes chères Lames, et sévère, réservé aux seules Sœurs de Saint-Georges –
Je vous sollicite car un mal étrange rôde aux les fameuses « Dames blanches » qui, depuis deux siècles,
confins du royaume. La cité de Tarascon, dans protègent la cour de France contre la menace draconique
la vallée de l’Ariège, a été victime d’un très –, ce couvent fortifié fascine ceux qui contemplent
impressionnant « incendie » qui a réduit en cendres ses beffrois et ses arches. Depuis le sommet du voisin
le quartier de la porte Morou et celui de la porte mont Dol, la vue est inégalable. Là, on vénère en silence
de Foix. Je crains que cette catastrophe ne soit pas les empreintes laissées par le combat entre l’archange et
si banale qu’il y paraît. Il faut savoir qu’en 1632, le dragon dans les roches alentour, bercé par les chants
le roi a donné l’ordre de raser les quatre châteaux liturgiques qui s’élèvent des eaux de la baie.
de la région : Roquefixade, La Bastide de Sérou,
Montaut et Tarascon. Officiellement, en raison D’autres lieux que le mont Dol sont restés marqués
de mouvements huguenots. En réalité, une secte par les dragons. Sur les Causses, plusieurs avens sont
draconique d’origine espagnole se cachait dans leurs nourris par des bergers qui, en jetant leurs bêtes mortes
murs et corrompait la noblesse locale. Je vous à l’intérieur, espèrent engraisser le dragon qui y vit afin
invite à passer par le couvent des Jacobins, qu’il ne puisse sortir de sous la roche. En Bourgogne,
à Toulouse : là est retenu un certain Moussu, que à Tonnerre, une fosse a été creusée par les spasmes
les Dominicains soumettent à la question. Tout ce agoniques d’un dragon et, depuis, la terre vomit une eau
qu’il a dit à ce jour est que « le Mestre » est miraculeuse utilisée pour soulager les malades de l’Hô-
de retour, et que la sphère s’est brisée. tel-Dieu – l’un des plus grands hôpitaux de France.
Parle-t-il d’une Sphère d’Âme ?
Ne me décevez pas.

Hauts lieux
de France
La France est riche d’un patrimoine exception-
nel. Forteresses, ponts, monuments païens de l’Anti-
quité, sanctuaires du Christ et vestiges naturels émaillent
ses campagnes et surprennent le badaud à chaque
coin de rue.

Oublions un instant Versailles, le « château


de cartes ». Il n’est encore qu’un pavillon de chasse

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
dans lequel Louis XIII se retirait parfois, seul.

Le roi, quand il devait quitter Paris avec sa cour ou re-


cevoir certains émissaires, préférait Fontainebleau. Son
père avait fait le même choix : Henri IV a en effet financé
d’importants travaux d’agrandissement de Fontainebleau
afin de pouvoir y accueillir mille personnes, puis y a
fait aménager deux cours et transférer la bibliothèque
royale de Blois. Anne d’Autriche, à la mort de son époux,
fait effectuer des transformations, mais Fontainebleau
semble une demeure du passé, où le roi ne se montre
qu’épisodiquement. Louis XIV préfère, en attendant
Versailles, le château de Saint-Germain-en-Laye, où
il a vu le jour.
Oublions aussi Paris, qui fera l’objet d’une autre étude.

Le mont des Châtelaines (également nommé mont Saint-


Michel) est l’une des merveilles de France. Place forte
imprenable, l’abbaye domine une baie immense. Élégant

139
Les exemples de ce type sont légion et, quoique honnis, La nomination en 1628 du frère de Richelieu, Alphonse-
les dragons sont partout dans l’imaginaire populaire Louis du Plessis de Richelieu, comme archevêque de Lyon,
de France. marque la renaissance de la cité, la fin des grands travaux
et l’inauguration des universités lyonnaises et de leurs
La ville de Lyon, réputée pour ses foires, ses soieries et ses célèbres traboules dans lesquelles se pressent de jeunes
imprimeurs, est presque entièrement détruite en 1602 nobles avides de modernité. Et que dire des nouvelles
– l’histoire attribue cette catastrophe à une violente crue halles ? Si l’on est beau joueur, qu’elles rivalisent de gran-
de la Saône, mais la ville fut en fait la proie d’un dragon deur avec le Louvre même. Si l’on a la langue presque
qu’on abattit près de la porte Saint-Georges. fourchue, que ce grand œuvre d’art transalpin est une ville
dans la ville, une cité-État presque italienne.
Henri IV puis Louis XIII firent preuve de grandes
largesses pour que la cité devienne un centre culturel Toulouse la catholique est la ville des cent couvents – lors
et universitaire. Les riches familles florentines et véni- des guerres de religion, les protestants s’amusaient à cla-
tiennes qui, depuis un siècle, commerçaient dans ses mer qu’ils en feraient la ville des sans-couvent. Prospère
rues, eurent des largesses plus grandes encore. Richelieu, grâce à l’industrie du pastel, lettrée, elle est découpée
à la fois inquiet et fier de voir ce que les marchands en huit capitouls, huit quartiers qui sont chacun
et les rois avaient fait de Lyon, dit un jour que la ville représentés au conseil de la cité. Ville rose en raison
serait la « Nouvelle Alexandrie ». de ses bâtiments de brique, elle attire les érudits les plus
conservateurs sur les bancs de son illustre université et
Les ponts-au-dragon dans le silence de ses cloîtres – pourrais-je vous conseiller
Les ponts-au-dragon sont l’une des exceptions culturelles celui des Augustins ?
françaises. On en trouve partout dans le royaume, alors
que moins d’une dizaine sont répertoriés à l’étranger – et La forteresse de Montauban est un modèle d’architecture
tous sont l’œuvre d’un architecte français. Ces édifices militaire. La petite Genève, protestante et française, est
spectaculaires et techniquement avant-gardistes sont assiégée par les forces royales depuis 1621 et ne s’est
réputés pour avoir été bâtis par un dragon, ou contre jamais rendue. L’église Saint-Jacques, amputée de son
sa volonté. Dans tous les cas, le surnaturel imprègne clocher par les quatre cents coups de canon tirés sur
chacune de ses pierres. la ville à la Noël 1621, est devenue l’emblème d’une ville
Les ponts-au-dragon les plus communs sont ceux si résistante qui, depuis des décennies, tient tête à un roi
difficiles à construire que leur bâtisseur n’a pu y parvenir réputé pour ses conquêtes. Même un alchimiste espagnol
qu’en pactisant avec un dragon ou l’une de ses engeances mandaté par la couronne n’a pu percer le mystère
maudites. L’ouvrage, d’après la légende, sort alors des défenses montalbanaises ni la façon dont ses
de terre en une nuit. habitants étaient ravitaillés – car ma foi, depuis tout
Certains ponts-au-dragon sont réputés maudits par ce temps, ils ne peuvent pas s’être contentés des réserves
cette sinistre ascendance, mais, la plupart du temps, entassées derrière leurs remparts.
la légende ne s’arrête pas là et l’homme se joue
du dragon pour ne pas honorer son pacte et lever Saint-Malo, en Bretagne, bénéficia de la déconvenue
la malédiction. Lorsque le dragon demande à être de Richelieu à La Rochelle. N’ayant pu développer
nourri de la première femelle à emprunter le pont, comme il le souhaitait sa marine de guerre, le Cardinal
on y fait passer une chèvre. On peut aussi en chasser autorisa les armateurs de Saint-Malo à faire la course,
le mauvais sort en faisant bénir les pierres du pont par à devenir corsaires. Corsaires, pas pirates – Semper Fidelis
une sœur de Saint-Georges : le dragon est alors pétrifié est la devise de la ville. Les premières lettres de marque
et se retrouve prisonnier de l’ouvrage sous la forme datent de 1631 et les premières malouinières – de char-
d’une imposante gargouille. mants manoirs érigés dans la campagne environnant
D’autres ponts-au-dragon, plus rares, ont été construits le port par les armateurs ayant fait fortune au large du
en dépit d’une menace maléfique. Dans tous les cas, Nouveau Monde – de 1639.
l’achèvement de tels édifices témoigne d’une victoire
de l’homme sur les dragons – une vertu que l’on veut La Bretagne de Saint-Malo a quelque chose en commun
très française et que l’on élève en fierté nationale. Mais avec le Cantal et l’Aveyron. Dans chacune de ces régions
cette victoire est-elle certaine ? Le dragon de la légende se trouve une rivière nommée la Rance. Comme la ranse
est-il bien vaincu ? La malédiction est-elle bien levée ? draconique. Ces cours d’eau rendent malades ceux qui
À en croire certains dracs, rien n’est moins sûr, et ce s’y baignent, mais guérissent parfois miraculeusement
n’est peut-être point un hasard si vous ne verrez jamais les pires ransés. Certains médecins croient que ce
un Cadurcien emprunter le pont Valentré de nuit. n’est pas de l’eau qui y coule, mais de l’obâtre pure
– la cinquième humeur, celle dont les universitaires
Anselme Bleu-au-Baron, De Cahors réfutent l’existence au prétexte que Galien, le père
de la médecine, n’en a jamais fait mention.

140
Selon ces mêmes médecins, les sources de ces rivières se- Sauroctone
raient des plaies laissées par les dragons lorsqu’ils naissent Trois méchantes affaires de possessions nous intéressent
sur le monde, et leurs lits le domaine des vouivres et ici : les possédées d’Aix-en-Provence (1609 à 1611),
de leur descendance – des sang-mêlé amphibies que les possédées de Louviers (1642 à 1647) et les possédées
l’on nomme, selon les régions, mélusines ou moriganes. d’Auxonne (1658 à 1663). Toutes concernent des sœurs
ursulines. […]
Marseille, comme Brest, Lorient, Nantes et Bordeaux, La question qu’il faut se poser, c’est : sainte Ursule,
change brutalement de visage en 1642 lorsque Richelieu enfant ourse, princesse de Cornouailles et martyre
autorise officiellement la traite négrière. Les ports des invasions barbares, a-t-elle peu ou prou à voir
s’étendent, les bateaux de « commerce » se multiplient, et avec les dragons ? Cela expliquerait ces possessions,
une population plus hétéroclite et malfamée que jamais qui ne peuvent qu’être le fait des plus malfaisants
envahit les rues – les étrangers, les dracs et les quelques esprits. […]
sang-mêlé y sont plus nombreux et mieux intégrés Je prétends donc, moi, mère supérieure du couvent
qu’ailleurs. Les nouveaux riches, propulsés au rang des Ursulines de Loudun, que sainte Ursule est
de bourgeois par leur réussite soudaine, ne se privent une sainte sauroctone, mais point aussi triomphante
d’aucune excentricité et Marseille devient l’une des cités que le furent saint Georges et tant d’autres des saints
les plus animées du royaume, à la fois par son extrava- que nous adorons en France, une terre qui s’est toujours
gance et sa criminalité. élevée contre les dragons – rappelez-vous sainte Marthe
et la tarasque, sainte énimie et le drac du Tarn, sainte
Au large de Marseille s’élève le château d’If – bâti pour Radegonde et la Grand’Goule de Poitiers, saint Bertrand
protéger les ports après le siège de 1524. L’édifice est et la cocadrille du Comminges, saint Suliac et la guivre
une prison depuis 1540, mais les malandrins disent de Bretagne. […] Et je prétends donc que, dans Legenda
qu’il s’agit désormais du repaire de l’homme au masque aurea, Jacques de Voragine occulte sciemment le dragon
de fer, un paria notoire que tous considèrent comme à demi vaincu d’Ursuline et le pare d’atours barbares
un guide, un mentor. La garnison d’If serait devenue pour ne point apeurer les jeunes femmes et faire
sa garde rapprochée et l’homme lui-même ne serait d’Ursule une martyre et non une possédée, la première
qu’un jeune enfant, un prodige diabolique dépourvu des ursulines. Triomphant à grand-peine, elle mourut
de conscience morale. hantée par l’âme perfide du démon, et chaque ursuline
La vérité est bien plus terrifiante (cf. la loge doit depuis vivre cette épreuve pour sauver sa sainte, et
des Arcanes, p.46). se sauver elle-même. […]
Je m’élève en faux contre ceux qui condamnent
On pourrait encore citer Calais l’anglaise, un port qui une à une les possédées. Non, je le dis, c’est tout l’ordre
plaisait tant aux Tudor et que la France dut leur arracher et sa sainte qui sont en cause. […]
après deux siècles d’occupation. Calais est un étrange Je dis encore que la Sorbonne, elle aussi sous la pro-
melting-pot franco-anglais, et probablement le meilleur tection de cette sainte dont je viens de prouver qu’elle
moyen de rejoindre Londres depuis la France. Et Meung ? est encore aujourd’hui une menace autant qu’une bé-
Cette cité des bords de Loire abrite une forteresse, nédiction, n’apporte rien de bon à l’esprit de ceux qui
une collégiale, trente moulins à eau et des mauves la fréquentent. […]
saintes sur les berges desquelles, un jour, Rochefort
rencontra un jeune homme qui deviendrait le plus Jeanne des Anges, Addenda au manuscrit pour la supé-
célèbre mousquetaire de son temps. D’Artagnan, le fils rieure générale de Bordeaux (1665)
de Gascogne. Dans cette auberge où ils croisèrent le fer,
une ancienne Lame se remet à présent de ses malheurs.

La Gascogne… Elle n’est pas tant célèbre pour ce


qu’elle est que pour ceux qu’elle élève – les célèbres
cadets de Cyrano de Bergerac. Depuis le xve siècle,
toutes les familles nobles de cette région mettent en effet
leurs seconds fils au service de la France et du roi au
sein de la compagnie des cadets. Les fils de Bayonne,
de Dax, de Foix, de Bigorre, du Béarn et du Comminges
peuvent ainsi s’y illustrer et montrer à quel point leur
terroir, à l’identité très affirmée, mérite d’appartenir
à la France, et est reconnaissant au roi de l’avoir libéré
de l’envahisseur anglais – un sentiment indéfectible
qui s’est développé pendant la guerre de Cent Ans.

141
Saint-Simon Vivre en France
Nous citons parfois Saint-Simon, nommément
ou en pillant certaines de ses citations – comme Le royaume de France compte environ vingt millions
l’appellation de « château de cartes » pour Versailles. d’habitants, dont un peu moins de cinq cent mille
Les Rouvroy de Saint-Simon sont une dynastie Parisiens. Son territoire est essentiellement rural et
de nobles picards, auteurs et mémorialistes aux côtés organisé autour des nobles et des évêchés.
des rois de France en toutes circonstances. Leur œuvre Quand on voit les merveilles de France, qu’elles soient
collective, cadavre exquis continué de frère en frère et humaines ou naturelles, ou qu’on assiste aux réceptions
de père en fils, est un témoignage caustique, finement de cour, on ne peut se douter que la France, à cette
stylisé et plein de sagesse sur la cour et les mœurs époque, semble devenue violente et stérile. Les jeunes
de leurs contemporains. Discrets, dévoués et à l’écoute, hommes meurent à la guerre ou en duel, et les femmes
les Saint-Simon savent tout sur tout le monde et sont en prison, ou au couvent. Les petites gens sont étouffées
les gentilshommes les mieux informés de Paris. Leur d’impôts, les nobles écrasés par l’absolutisme royal et
château de La Ferté-Vidame leur sert de coffre-fort les bourgeois enferrés dans des affaires ayant pour seul
à partir de 1635 et ils y entreposent des notes sur but de flatter leur vanité.
les secrets de cour que beaucoup aimeraient s’approprier,
ou faire disparaître.
Claude de Rouvroy de Saint-Simon, notamment, Organisation de la société française
est connu pour être l’un des favoris de Louis XIII
dans les années 1630. Grand louvetier et artiste La France du milieu du xviie siècle est organisée suivant
complet, il est l’un des rares à suivre le roi partout, une hiérarchie qui réglemente la vie quotidienne.
à sa demande, même à Versailles lorsque sa Majesté Nous y trouvons quatre groupes distincts, possédant
se retire – ensemble, ils y composent d’ailleurs le Ballet ses propres lois et ses privilèges : la famille royale,
de la merlaison. Excellent conseiller, il incite Louis XIII la noblesse, le clergé et le peuple, également nommé
à soutenir Richelieu lors de la journée des Dupes et tiers état.
n’est évincé qu’en 1636, suite à une prise de position
malheureuse – il ne revient à Paris qu’en 1643, pour Le roi et sa famille composent la famille royale, qui
la mort du roi, mais son frère Charles s’acquitte comprend aussi les princes du sang, dont certains furent,
entre-temps de son rôle de mémorialiste. François au moins un temps, héritiers du trône. C’est une classe
de Bourbon-Vendôme, duc de Beaufort, avouera avoir inaccessible et d’une puissance sans égale.
pris exemple sur Saint-Simon pour plaire au roi dans
les derniers temps de sa vie.

Famille de paysans

142
La noblesse comprend la haute noblesse, présente Les anciens nobles perdent en influence auprès du roi
à la cour, et la noblesse de province, plus ancrée dans et, face à la vieille noblesse d’épée, une nouvelle forme
les habitudes héritées du Moyen Âge. de noblesse apparaît donc : la noblesse de robe. Cette
noblesse progressiste s’achète et se vend comme un titre
La noblesse peut être noblesse d’épée, constituée de propriété, rapporte à l’État et n’a pour seul fondement
des nobles de naissance et qui sert dans l’armée, que la vénalité et la vanité de son possesseur – d’ex-
ou noblesse de robe, que forment ceux qui ont traction bourgeoise, le plus souvent, ce qui ne fait
accédé à la noblesse par leur réussite sociale ou finan- qu’accroître l’animosité de la noblesse d’épée. Face à ces
cière. On les retrouve dans les sphères politiques et anciens marchands qui se disent nobles, on est loin
la magistrature et ses membres ne vont généralement de la noblesse d’antan qui se veut héroïque, guerrière,
pas au combat. patriote et désintéressée – une noblesse ancestrale
Les titres usuels de noblesse sont chevalier, baron, que la monarchie elle-même ne semble plus plébisci-
marquis, duc, comte. ter. Les nobles d’épée servent dans l’armée du roi, où
ils côtoient plus de pauvres bougres que de princes du
Le clergé comprend le clergé séculier, au sein duquel sang. Les bourgeois singent les nobles qui les méprisent,
se trouvent les archevêques, évêques, prêtres et vicaires, mais qui ont besoin de leur argent. Le clergé ponctionne
et le clergé régulier établi dans les monastères (moines de toute part et ses dirigeants ont autant d’influence sur
et moniales). le pouvoir en place que le plus pugnace des ministres.
Le clergé tire ses revenus des dons, mais surtout
de l’impôt (la dîme). Les cavalières
On dit que les femmes de France, devant tant de violence,
Le tiers état ou roturiers est une classe large et dispa- en viennent à ne plus vouloir enfanter. L’amour, oui, mais
rate. Elle comprend les membres de la bourgeoisie, plus son fruit promis à un triste destin. Le fruit en soit
les artisans, les paysans et, par extension, tous ceux qui aux dragons, disent-elles. Les femmes qui le peuvent
n’appartiennent à aucun des autres groupes. défient la loi des hommes, se libèrent. Les couvents
se remplissent autant qu’ils se vident, et celles qui
Les bourgeois sont souvent plus riches que les membres sont d’abord considérées comme des sorcières ne sont
de la noblesse d’épée et de robe, et achètent à grand prix bientôt plus nommées que les cavalières – de hardies
des charges qui leur donnent du pouvoir. La plupart aventurières que les brutes convoitent, que les autres
effectuent des travaux de lettre et de chiffre, dans femmes condamnent et que tous jalousent.
l’administration, la justice ou la politique.

Les artisans sont regroupés en corporations qui leur La vêture et l’hygiène


garantissent des marchés et les protègent de la concur-
rence. Le pouvoir des corporations est conséquent Les habitudes vestimentaires trahissent d’un coup d’œil
et freine parfois le progrès sous prétexte de garantir l’appartenance sociale. Dans la France du xviie siècle,
les privilèges durement acquis. un fossé important s’est creusé entre les vêtements portés
par les nobles – une façon pour eux de se démarquer du
Les paysans subissent quant à eux le joug de la noblesse bas peuple – qui rivalisent d’inventivité après la période
et supportent l’essentiel des impôts. Peu d’entre eux austère du règne d’Henri IV, et celle des pauvres,
possèdent la terre qu’ils cultivent et ils sont les premiers tristement fonctionnelle.
à souffrir des caprices des éléments. Dans les villes,
les manœuvres et ouvriers ont une vie tout aussi L’édit somptuaire de 1633 a réglementé les accoutre-
misérable. ments et toutes les extravagances. Il a recommandé
– sinon imposé – une mode austère : des étoffes unies,
Les frontières entre les groupes semblent infranchis- des manchettes et des cols sans dentelles. Le caractère
sables, mais les liens sont plus étroits qu’ils n’y paraissent. très pieux de Louis XIII semble avoir influencé la mode
Les temps changent. Marchands, armateurs, prêteurs et dans ce sens.
bâtisseurs deviennent bourgeois, magistrats, et se rêvent
gentilshommes. Leurs corporations structurent la société Les règles, toutefois, s’assouplissent après la mort
en castes professionnelles fermées – au sein desquelles de Louis XIII, et permettent un retour de la fantaisie
elles font la loi – et leurs richesses rendent l’État envieux vestimentaire.
– elles en deviennent d’ailleurs les créancières. Cette
élite émergente est jalousée par les pauvres, méprisée On se lave peu et, si l’eau est davantage utilisée dans
par les nobles, mais représente pourtant le visage la toilette qu’au siècle précédent, elle n’est chauffée
d’une France nouvelle. qu’à des fins médicales. Le savon est cher et ceux
qui ne peuvent s’en procurer se contentent d’herbe

143
des fossés ou d’un frottoir en peau. Il existe un clivage les servantes sont parfois habillées de robes simples
entre les nobles masquant leur crasse sous du fard et tirées de la garde-robe de leur maîtresse. Elles portent
des parfums, et les bourgeois qui prônent le linge blanc systématiquement un bonnet blanc, qui symbolise leur
et la toilette fréquente. appartenance au corps des domestiques. Les hommes
Les dragons ont influencé la mode à travers sont vêtus simplement, mais certains, qui effectuent
les époques. Les motifs d’écaille se retrouvent dans des tâches les amenant à côtoyer le grand monde,
toutes les strates, et il n’est pas rare de voir au cou portent des costumes simples appelés livrées. C’est
d’une noble un collier en griffes ou dents de dragon- le cas des valets de pied, des cochers ou des majordomes.
net. Le choix de parer sa tenue de motifs draconiques
est également un moyen de montrer discrètement
son opposition au trône. Une boucle de ceinture,
une broche ou une épaulière dissimulée sous une cape
sont autant de signes de rébellion que l’on retrouve
tant sur les marchés populaires que dans certains salons
nobles. Dans les cercles hostiles au cardinal fleurissent
les masques de dragons dans les bals masqués.

Les pauvres
Les vêtements des pauvres sont étroitement liés à leur
activité professionnelle, et sacrifient l’esthétique au
confort et à la solidité. Ainsi, les paysans sont vêtus
d’étoffes épaisses, majoritairement de couleur sombre car
moins salissante et moins coûteuse. Travaillant la plupart
du temps sous le soleil, ils portent des chapeaux (pour
les hommes) et des bonnets (pour les femmes). Quant
aux enfants, ils jouissent rarement de vêtements
personnels et leur tenue est bien souvent le recyclage
de vêtements usés de leurs parents ou leurs aînés.
En ville, les tenues sont tout aussi sommaires : vêtements
de toile grossière, sabots ou souliers de cuir rapiécés La classe moyenne
aux pieds. Le xviie siècle marque un changement dans les habitudes
vestimentaires des classes moyennes.
Si les artisans et petits commerçants restent modes-
tement vêtus – privilégiant là encore le confort et
la solidité à l’esthétique –, la bourgeoisie se signale
par une rupture.
Ainsi, chaque bourgeois tâche de se vêtir à l’identique
des nobles, dont il envie les privilèges. Chacun se pare
d’une épée au côté. Certains accumulent des fortunes
grâce au commerce, et leur fortune rivalise avec celle
de certains nobles. De fait, ils font main basse sur
les étoffes précieuses, engagent les meilleurs tailleurs et
gomment la différence vestimentaire qui faisait ressortir
d’un coup d’œil la différence de statut.

Les libertins
Les libertins se vêtent dans la lignée des nobles, mais
ajoutent à ces tenues déjà fastueuses des extravagances
qui attirent l’œil : plumes, larges chapeaux, broderies
fantasques. Un libertin se doit d’être identifiable au
premier coup d’œil. Même si le reste de son train
de vie en souffre grandement. Mourir de faim, certes,
Les domestiques mais avec style !
Parmi le bas peuple, les domestiques portent des tenues
légèrement différentes. Même si la priorité est donnée
au confort et au côté pratique, les domestiques pos-
sèdent souvent des tenues de meilleure qualité. Ainsi,

144
de bottes en cuir de vyverne, dont la beauté et la ro-
bustesse sont à la hauteur du prix exigé.
Quand on sort, on se munit d’une deuxième paire
de chaussures que l’on vêt une fois la boue des rues
traversées.

Le costume féminin est, en comparaison avec le costume


masculin, d’une relative sobriété. La forme du costume
reste la même pendant une grande partie du règne
de Louis XIV.
Le corps de la jupe recouvre un corps baleiné
rigide. Le décolleté est en ovale, et bordé de la den-
telle d’une chemise portée en dessous. Les manches
de la chemise sont également visibles sous les manches
de la robe. Un bijou est placé sur le devant du corps,
et est surnommé tâtez-y.
Le corsage est très serré et donne aux femmes une allure
de raideur.
L’hiver, on agrémente les tenues d’un mantelet. Les robes
sont quant à elles doublées pour apporter de la chaleur
sans mettre à mal l’apparence.
Les femmes s’efforcent de garder un teint laiteux, un hâle
Les nobles étant très mal vu et associé aux filles de peu. Elles ont
Le costume masculin des nobles a été, sous Henri IV et des coiffures majestueuses, qui prennent progressive-
Louis XIII, soigneusement encadré par des édits. Une cer- ment de la hauteur, et dégagent les oreilles.
taine sobriété s’était de fait installée. La mort du roi Lors de cérémonies fastueuses, les femmes portent
marque le retour des extravagances, qui reviennent plus un habit de cour particulier nommé « grand ha-
décidées que jamais. bit ». Il comporte trois éléments : le grand corps, qui
Pour se singulariser de la bourgeoisie qui les singe, rigidifie le buste à l’aide de baleines, la jupe posée
les nobles changent de tenue tous les jours. sur un grand et large panier, et la queue, qui forme
On utilise des étoffes précieuses, hautes en cou- une longue traîne amovible. Le tout est rehaussé
leur. Les culottes bouffantes, décorées de dentelles de broderies précieuses. Ces habits sont d’un incon-
et de rubans, apparaissent. Le pourpoint, qui couvre fort absolument effroyable et s’y habituer requiert
le haut du corps, se raccourcit et s’ouvre sur le devant une longue expérience. Le comble de la distinction
pour laisser paraître une chemise bouffante. Les manches est d’être accompagnée par un dragonnet domestique.
sont très courtes. Le costume est surchargé de déco- On ne porte par ailleurs pas de sous-vêtements.
rations qui se marient avec plus ou moins de goût
(bouclettes de rubans nommées petites oies, griffes
de dragonnets, pierres serties en broche). On porte
une étoffe autour du cou, nommé rabat. Le justaucorps
fait son apparition et se porte sur la veste. Successeur
du pourpoint, la veste est un vêtement de dessous, dont
le devant et les manches sont en étoffe précieuse, et
le dos en tissu commun. Au fil du temps, les manches
disparaissent et la veste devient un gilet.
Le chapeau est en feutre, empanaché. Dans la rue, on
orne les chapeaux de plumes de faisan.
Les cheveux sont gardés longs. Les perruques se ré-
pandent dans la noblesse.
La cape est portée sur une casaque plus ou moins
longue. En hiver, les grandes capes à capuchons font leur
apparition. Les chaussures consistent en de hautes bottes
à revers ou, dans le confort des salons, à des chaussures
basses à talons. Les bas sont assortis et de couleur
rouge. En hiver, on superpose les bas de soie pour
lutter contre le froid. Le comble du luxe est de se parer

145
La table Près des côtes, le poisson est répandu, en particulier
la morue, qui supporte bien la salaison. Les coquillages
L’alimentation évolue considérablement entre la fin du et crustacés sont également récoltés.
xvie siècle et le milieu du xviie. L’alimentation des riches Enfin, dans les territoires boisés, le braconnage bat son
consistait en des purées très épaisses (le « blanc-manger » plein, et enrichit les repas de venaison, de poissons d’eau
était une purée de riz, de poulet, d’amandes, le tout douce, et de baies sauvages.
agrémenté de sucre et de saindoux). Les nobles consom- En ville, l’alimentation des pauvres est souvent
maient des viandes rôties très épicées, arrosées de sauces limitée au pain. La viande est rare et les légumes
sucrées. Les légumes étaient consommés cuits. Le sucre, défraîchis. Un problème supplémentaire s’ajoute aux
sous forme de miel notamment, était omniprésent dans difficultés d’approvisionnement en nourriture : le be-
la cuisine quotidienne, tant dans les plats que dans soin d’eau contraint les pauvres à des temps d’attente
les boissons (jus fermentés, hypocras). interminables aux quelques fontaines de la ville.
Au xviie siècle, la graisse (huile, beurre et saindoux) rem-
place progressivement le sucre. Les sauces deviennent La classe moyenne
grasses et épaisses, enrichies d’herbes aromatiques (estra- À la campagne, les propriétaires terriens cultivent
gon, aneth, thym). On consomme davantage de fruits la terre pour eux, mais font aussi commerce de leurs
et légumes crus, et le sucre est réservé aux desserts. récoltes. Les champs céréaliers sont généralement
Le vin simple ou mousseux remplace l’hypocras. favorisés, mais on trouve également des vergers et
Une révolution culinaire se met en marche avec le règne de la vigne. Certains pratiquent l’élevage (volaille,
de Louis XIV, symbolisée par le premier grand ouvrage moutons, chèvres, porcs, vaches) voire entretiennent
culinaire du siècle, Le Cuisinier françois de La Varenne, quelques ruches si le climat le permet. Cela permet
publié en 1651. une alimentation équilibrée et relativement copieuse.
Les potagers sont bien fournis et nourrissent amplement
Les pauvres la famille, tout en fournissant des revenus quand leur
Les pauvres mangent dans de la vaisselle de terre cuite produit est revendu sur les marchés.
ou d’étain grossier. Ils font généralement trois repas :
le déjeuner le matin, le dîner en milieu de journée et À la ville, les repas de la classe moyenne sont plus variés
le souper le soir, avant que la lumière ne disparaisse. et plus copieux que ceux du peuple, sans pour autant
L’alimentation des pauvres est très limitée. Sa base atteindre des sommets de raffinement. On s’approvi-
est constituée de produits céréaliers : pain blanc sionne – soi-même si l’on n’a pas les moyens, sinon
de froment dans les villes, pain bis, mélangé de son et par le biais d’un domestique – auprès des marchands
de seigle, dans les campagnes. En fonction des régions, de comestible installés ou les regrattiers ambulants. Des
on consomme aussi la châtaigne, le maïs, le millet et marchés de quartier ou halles sont très spécialisés. Sur
le son. Un homme dans la force de l’âge consomme l’un on trouve du gibier, sur l’autre de la volaille, etc.
plus d’un kilo de pain par jour. Les plus aisés, à l’identique des seigneurs, s’entendent
On consomme également les céréales sous forme avec des pourvoyeurs pour que leur soient livrées
de bouillie, mélangée avec des herbes aromatiques, les denrées nécessaires. Ces marchés passés devant
des racines ou, quand ils sont disponibles, des lé- notaire permettent un approvisionnement sans histoire,
gumes tels que le chou, la carotte, le navet, l’oignon à moindre prix, et évitent les ponctions régulières de leurs
ou la blette. On mange aussi des fèves, des len- domestiques. Les denrées sont assez variées : viandes,
tilles, des pois. poissons, crustacés, légumes et fruits accompagnent
La viande est rare et provient majoritairement du le pain et les charcuteries.
cochon, facile à entretenir et où tout est comes- Les repas restent simples dans leur confection, et sont
tible. On sale la viande, et on utilise le lard pour pris aléatoirement dans une pièce ou dans l’autre. Le ri-
agrémenter la soupe. Pour les fêtes, on tue une bête tuel du repas reste l’apanage des nobles.
qu’on consomme alors fraîche. Quelques familles
rurales possèdent des volailles, mais sont souvent Les nobles
obligées de les vendre ainsi que les œufs pour payer Dans la noblesse, la gastronomie ne saurait aller sans
les impôts. De la même façon, ceux qui possèdent sa sœur la goinfrerie. Les festins sont l’occasion pour
des vaches vendent lait, beurre et fromage aux popu- les nobles de faire étalage de leur richesse, en offrant
lations des villes. Plus rares sont ceux qui entretiennent des cortèges sans fin de plats sur lesquels se jettent
quelques vignes dont ils tirent un vin de qualité goulûment les parasites de tout poil. Les quelques
médiocre, et qu’on mélange à l’eau. Celle-ci est tirée cuisiniers qui, par leur maîtrise, gagnent une image
au puits quand il y en a un, ou prélevée dans les rivières d’artistes, réservent cet art aux puissants.
ou les mares, avec les risques que cela comporte. Seuls les Grands attribuent une salle aux repas. Elle
est généralement bien meublée, d’une grande table
et de ses chaises, ainsi que d’une vaisselle de faïence

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de prix, d’argenterie à leurs armoiries et de fontaines sur des rues étroites, sinueuses, et encombrées d’or-
d’airain ou de cuivre. Pour les invités de marque, dures. La monotonie des rues cède, çà et là, devant
une vaisselle de vermeil est sortie des buffets. Dans une placette aux formes irrégulières.
les repas, on néglige bien souvent, au fil du temps, Deux types de bâtiments forment l’essentiel du paysage
l’usage de la fourchette. On picore dans les plats, et urbain. Des maisons à deux corps de logis, l’un donnant
on n’hésite pas à y remettre les parties qui ne sont pas sur la rue, l’autre sur la cour, et des maisons constituées
à son goût. d’un seul bâtiment, qui compte parfois une cour arrière.
Si les rituels du repas se mettent doucement en place, Depuis le début du xvii e siècle a été entamée
la plupart des banquets ne s’éloignent pas tant que une modification du paysage architectural dans les plus
cela de ceux des fêtes de village. On y mange et boit grandes villes. On y recherche l’espace. On célèbre
à l’excès, et il n’est pas rare de voir un faciès rougeaud la lumière. Ainsi, Paris voit apparaître des places
s’effondrer sur la table, ou un convive aller vomir sa monumentales, place Royale et place Dauphine, ainsi
bile dans un couloir. qu’un nouveau pont, le Pont-Neuf, pour la première fois
dénué d’habitations. La ville s’étend et voit fleurir les hô-
Repas de nobles typique tels particuliers aux jardins soigneusement aménagés.
• Quatre potages différents Le fossé entre pauvres et riches se creuse.
• Quatre à treize plats d’entrée
• Sauces Les pauvres
• Entremets Les habitations rurales suivent pour la plupart un même
• Desserts modèle : une pièce unique pourvue ou non d’une fenêtre
• Charcuterie, gibier, chapons et dotée d’une cheminée. Le mobilier y est sommaire
• Vins du terroir d’Île-de-France ou Bourgogne et consiste habituellement en un grand lit, une table,
des bancs et parfois un grand coffre dans lequel sont
Les créatures draconiques fournissent à la noblesse entreposés les biens de la famille. Toute la famille dort
l’occasion d’ébahir ou de répugner des convives. Qui a dans cette pièce unique. Les parents dans le lit, isolé
goûté la chair de dragonnet sait qu’elle ne sied que fort du reste de la pièce par un grand rideau, les enfants sur
mal à l’estomac humain. La viande de tarasque, charnue des paillasses à même le sol.
et riche en gras, est sans doute la plus consommable, L’habitation peut également compter quelques dépen-
si tant est qu’on la fasse faisander quelques jours pour dances : greniers, grange ou étables.
l’attendrir. Les côtes de tarasque, immenses quartiers Les habitations sont majoritairement bâties
de viande et d’os, suffisent à nourrir un village pendant en bois. Le gros œuvre est en moellons, les murs en tor-
une semaine. Une tarasque qui meurt lors d’un convoi chis et en plâtre. La pierre est utilisée pour supporter
signifie bombance pour la région environnante. les seuils et les fenêtres. Celles-ci sont encore réguliè-
rement à meneaux, closes par des volets de bois, mais
Enfin, on ne peut pas parler de la vie de l’époque sans des fenêtres à carreaux permettant de jouir de la lumière
évoquer trois grandes découvertes populaires : l’alcool, du jour, tendent à se généraliser. Les maisons elles-
le chocolat et le tabac. Le premier n’est pas nouveau, mêmes suivent dans leur immense majorité le modèle
mais se popularise, meilleur marché et plus enivrant de la pièce unique, nommée la « salle », partagée par tous
qu’au Moyen Âge. Le second, introduit par Anne d’Au- les membres de la famille. Les marchands et artisans
triche à la cour de France sous la forme d’une boisson possèdent une pièce supplémentaire, qui fait office
chaude et peu sucrée, est un plaisir luxueux que peu d’atelier ou de boutique qui donne sur la rue. Chez
peuvent se permettre. Enfin, le tabac – pétun, nicotiane les plus aisés, la salle principale est complétée par
ou herbe à la reine – est produit par privilège royal dans une ou plusieurs chambres. En outre, on y emploie
le sud de la France et les Antilles. On le consomme un ou plusieurs domestiques.
massivement, en poudre et à la pipe. Les médecins Dans les étages supérieurs, quand ils existent, et
disent le tabac bon pour la santé, mais, moralement, dans le grenier, se trouvent les chambres. La cave sert
certains s’inquiètent de l’image du fumeur – un homme également de garde-manger.
qui singe les dragons.
Les maisons des villes ne procurent que peu de confort
à leurs habitants. Des portes basses, parfois des portes
L ’habitat cochères, y donnent accès. On accède aux étages,
généralement quatre, par des escaliers sombres. Là,
Les villes conservent pour la plupart une architecture des appartements souvent étrangement agencés côtoient
héritée de l’époque médiévale. La plupart possèdent des pièces aveugles, nommées galetas, où sont logés
des enceintes fortifiées, à l’intérieur desquelles se massent les domestiques. La location se fait par pièce. Ainsi,
des habitations étroites qui, par le biais d’encorbelle- le propriétaire peut attribuer à des locataires des pièces
ments ou d’étals de marchands, débordent amplement situées à différents étages, parfois sans aucune

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logique. La location suit généralement un principe Dans les villages et les villes de moyenne importance,
vertical (on loue les pièces situées les unes au-dessus les plus aisés occupent des maisons larges et spacieuses,
des autres) plutôt qu’horizontal (des pièces au même liées le plus souvent à un commerce florissant dont
étage). Cette disposition génère son lot de désagréments, l’endroit s’est fait une spécialité.
en particulier quand un locataire, pour accéder à ses
quartiers, doit traverser ceux de ses voisins. En ville, les maisons bourgeoises ont un corps principal
Les demeures sont sombres, même aux heures les plus donnant sur la rue, et leur rez-de-chaussée est souvent
lumineuses. Les rues populaires sont étroites et les cours dévolu au commerce, auquel cas une enseigne massive
sombres ne permettent pas au soleil de baigner est suspendue à la façade. Lorsque les rues sont régu-
les fenêtres. lièrement empruntées par des tarasques, l’enseigne est
Rappelez-vous le logement de Laincourt, alors enseigne montée sur une potence et peut être repliée. On accède
du Cardinal : Son appartement consistait en deux salles très parfois par une entrée cochère. Le rez-de-chaussée est
ordinaires, c’est-à-dire froides et sombres, où l’air circulait à arcades, et le bâtiment s’élève sur deux ou trois étages.
mal. Et encore n’avait-il pas trop à se plaindre, car chacune Quelques maisons bourgeoises bénéficient d’un jardinet,
avait sa fenêtre – même si l’une regardait une cour sordide coincé entre les murs des habitations voisines.
et l’autre une ruelle dont on pouvait toucher le mur opposé Les maisons bénéficient d’un ensoleillement plus im-
en tendant le bras. Son mobilier était maigre : un lit portant, et sont situées dans des quartiers plus prospères
et un coffre à vêtements dans la chambre ; une table, et plus sûrs. Les rues alentour sont pavées, nettoyées
un buffet branlant et deux chaises dans la seconde pièce. Ces sinon quotidiennement, au moins régulièrement, par
meubles, d’ailleurs, ne lui appartenaient pas. Le coffre des retrousseurs armés de pelles. La prévôté y envoie
excepté, ils étaient là avant son arrivée et resteraient quand fréquemment ses hommes en patrouille.
il partirait. Chez les bourgeois les plus fortunés, les maisons
revêtent un caractère qui les rapproche des logements
La classe moyenne de la noblesse. Les étages sont vastes, on trouve une salle
Dans certaines exploitations rurales plus prospères des étuves, dotée – luxe suprême – d’une baignoire,
se trouvent des habitations plus cossues, généralement des caves, plusieurs chambres, des greniers et, bien
une grande maison de maître divisée entre plusieurs souvent, un jardin. Une remise à carrosse et une écurie
membres d’une même famille. Ces maisons peuvent agrémentent parfois les demeures.
compter sur des dispositifs de défense sommaires, et
sont désignées du nom de la famille de laboureurs l’oc- Les riches
cupant. En dépit de leur apparence plus imposante, ces Dans la ruralité, les demeures les plus aisées conservent
demeures obéissent aux mêmes règles que les habitations également leur structure médiévale, et adoptent
les plus modestes : chaque famille occupe une pièce le modèle des maisons fortes. L’insécurité générale,
unique où s’articule la vie quotidienne. Certaines à laquelle s’ajoute la menace constante des dragons,
familles possèdent un ou plusieurs domestiques, qui ralentit le processus d’aménagement des châteaux qui
logent quant à eux dans une grange ou une étable restent, dans leur immense majorité, des bâtiments mili-
du domaine. taires. Quelques-uns, toutefois, sont aménagés de façon
à apporter confort et lumière. Les murs d’enceinte sont

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alors abattus, laissant un corps de bâtiment en U déployé Les décorations sont fastueuses : hauts plafonds à vous-
autour d’une large cour d’entrée et dont les murs sont sures, peintures, lambris, dorures.
largement percés de fenêtres. Les maîtres de maison Le jardin est accessible depuis le logis principal,
sont installés dans le corps de logis principal, tandis en passant par une terrasse. Il compte nombre
que les ailes sont aménagées en dépendances : écuries, de sculptures, fontaines et parterres soigneusement
cuisines, granges, logements des domestiques. entretenus. Un signe de richesse en vogue est d’aménager
Ces hôtels de province, pour la plupart, s’articulent une volière à dragonnets aux couleurs chatoyantes.
sur le même modèle : une cour d’entrée amène au
logis principal, où s’enchaînent vestibules, escaliers
monumentaux, et grandes salles aux plafonds hauts Les déplacements et les voyages
richement décorés de peintures et sculptures. Dans
les ailes, on retrouve les offices. Se déplacer au sein du royaume de France est tout sauf
aisé. Les routes y sont peu nombreuses, inégales, et
En ville, l’hôtel particulier est la demeure de la noblesse, truffées d’obstacles et d’embuscades. Leur entretien est
qu’elle soit de robe ou d’épée, ainsi que des financiers la responsabilité des villes, qui se contentent de paver
les plus fortunés. C’est, pour ces populations, un lieu les chemins d’accès aux abords de leurs portes.
de vie, mais aussi de travail et d’obligations sociales. Les routes sont soumises aux aléas des saisons et,
L’hôtel particulier classique suit le modèle de l’an- régulièrement, un voyageur est contraint d’effectuer
cien hôtel de Cluny, datant du xve siècle. Il compte un détour conséquent pour rejoindre sa destination,
une grande cour d’entrée fermée autour de laquelle les accès étant impraticables à cause de la boue et
se déploient les corps de logis. Le corps principal fait des inondations. Le transport des marchandises est
généralement face au portail d’entrée et donne, par très compliqué. Les lourds convois n’avancent que
son autre façade, sur les jardins, comble du luxe dans d’une vingtaine de kilomètres par jour, et mettent parfois
une ville où s’écrasent les unes sur les autres les bâ- des semaines à livrer leurs marchandises. Les tarasques
tisses étroites. sont utilisées pour leur puissance et leur capacité à tirer
Dans le courant du xviie siècle, le modèle change de monstrueux chariots même dans des conditions
pourtant. De plus en plus, la façade principale donne, exécrables. Mais leur vitesse de déplacement exige
non plus sur une cour fermée, mais sur les espaces la patience la plus développée. Les routes royales
ouverts, tels les places ou les quais de Seine. La cour, comptent des maîtres de poste, protégés par des édits
dès lors, jouxte les jardins. royaux. Leur commerce fructueux leur permet d’en-
Vers le milieu du siècle sont dissociées la basse-cour tretenir une écurie, une auberge, parfois une forge.
et la cour d’entrée, qui se font suite à l’avant du Le courrier est acheminé par le biais de messagers royaux,
corps de logis. circulant entre les villes principales du royaume, mais
L’hôtel particulier compte nombre d’aménagements les plus aisés préfèrent se fier à leurs propres messagers,
qui le démarquent des maisons bourgeoises : vestibules voire faire appel aux services de messagerie des entre-
à escalier, salle à manger dédiée, etc. prises Dubuis et Gaget qui recourent au transport
La vie dans un hôtel s’articule autour de la cour d’en- de missives par dragonnets. Ce moyen aussi onéreux
trée. Au rez-de-chaussée des bâtiments sont regroupés que réglementé permet de convoyer des nouvelles bien
tous les services, généralement dans les ailes. Les services plus rapidement que ne le ferait le meilleur cavalier.
de bouche sont regroupés dans l’une d’elles, les écuries La difficulté du transport terrestre fait que l’on
et les remises de carrosses dans l’aile opposée. Le reste privilégie les déplacements fluviaux et le cabotage
de la surface est occupée par les logements. On accède au le long des côtes. Les cours d’eau sont utilisés dès que
logis principal qui fait face au portail d’entrée. Un grand leur profondeur est suffisante pour soutenir un ba-
escalier assure la distribution dans les étages. D’autres teau. Les fleuves et rivières sont utilisés pour le transport
escaliers, plus petits et étroits, permettent la circulation de voyageurs et de marchandises, en particulier les ma-
des domestiques et forment un tampon entre leurs tières pesantes. Les rives sont constellées de villages
quartiers et les logements. Les salles sont généralement et stations de batellerie. Sur les côtes, de petits ports
peu nombreuses, mais de grande dimension. On compte permettent une pêche abondante et du menu cabotage.
habituellement une grande salle richement décorée, Si la piraterie existe, attaquer une barge reste plus difficile
attenante à une chambre et ses commodités, pour que s’en prendre à un coche sur une route boueuse.
le seigneur des lieux. De l’autre côté du bâtiment, S’il fallait ajouter un avantage aux transports mari-
une disposition quasiment identique, bien que plus times et fluviaux, notons que les dracs n’aiment pas
réduite, accueille des appartements. À l’étage, des appar- l’eau. Ce détail achève de convaincre les marchands
tements luxueux, où est installée la maîtresse des lieux, hésitants.
comptent un nombre important de cabinets et de salles
privés. Ils donnent généralement sur les jardins.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais
Recrutement

Les armes sont inexistants. Un soldat blessé est une aubaine pour
la gangrène.
L’équipement des fantassins est généralement constitué
L ’armée d’une pique. Des tireurs sont quant à eux équipés
L’armée, sous Henri IV, était encore d’une taille de mousquets à mèche. La répartition entre piquiers
très réduite et reposait sur un budget ridicule. Seuls et tireurs n’est pas définie et dépend des circonstances.
quelques régiments permanents étaient entretenus, pour La pique consiste en une lance droite longue
un total avoisinant les dix mille hommes à peine. En cas de plus de quatre mètres. Elle permet de stopper
de besoin, le roi faisait appel à des mercenaires, dont net une charge de cavalerie, mais se révèle souvent
les loyautés étaient fluctuantes et dont l’intérêt était inefficace face à des combattants à pied agiles, tels
de faire durer les conflits qui les nourrissaient. En outre, les dracs. Les mousquets permettent d’abattre les enne-
ils se livraient régulièrement au pillage et terrorisaient mis avant qu’ils ne fondent sur les rangs, mais ce sont
les populations qu’ils étaient supposés protéger. Le tout des armes peu fiables, peu précises, et qui ne permettent
étant administré non pas par un pouvoir central, mais qu’un tir avant d’être inutiles.
par divers organes disséminés dans les régions. Des combattants utilisent également d’autres armes
En 1636, le cardinal de Richelieu crée un ministère d’hast : hallebardes, pertuisanes et des versions militaires
de la Guerre, qui dès lors gère les affaires militaires du d’outils agricoles, la serpe et la fourche.
pays. Les armées privées sont proscrites pour faire place
à une armée unique, l’armée royale. Le mousquet est apparu dans les troupes espagnoles au
En 1643, le cardinal Mazarin nomme Michel de Tellier début du xvie siècle. Il utilise, comme l’arquebuse avant
au poste de secrétaire d’État à la Guerre. Tellier est lui, une mèche pour la mise à feu. C’est une arme longue
chargé de créer une armée permanente suffisante pour (plus d’1m60) et lourde (plus de 6 kg) qui nécessite
se passer des services du mercenariat, et qui sera entre- l’emploi d’une fourquine, un support que l’on fiche dans
tenue en temps de paix par le roi. Ce sont cinquante le sol et sur lequel est posé le canon. D’une conception
mille hommes qui rejoignent les rangs de l’armée royale. relativement simple, un mousquet tire des projectiles
Le recrutement est effectué par des sergents recruteurs, meurtriers, qui traversent cuir et métal. Il est possible
et les engagements sont de 3 ou 6 ans. de tirer avec un mousquet jusqu’à 100 toises sans
De nombreux étrangers sont présents au sein de l’armée problème, les meilleurs tireurs pouvant toucher leur
royale. Outre les régiments allemands ou irlandais, on cible à près de 300 mètres. Recharger un mousquet,
trouve les fameux Gardes suisses chargés de la protection c’est long (deux minutes environ) et les incidents
rapprochée du roi. de tir nombreux. En outre, l’utilisation de l’arme dans
L’organisation de l’armée reste imparfaite. Jusqu’aux des conditions météorologiques défavorables (pluie,
années 1680, et la nomination comme secrétaire d’État vent…) devient particulièrement aléatoire.
à la Guerre du fils de Michel Le Tellier, le marquis Progressivement, avec la disparition des lourdes armures,
de Louvois, il n’y a que peu d’administration, de support le mousquet s’allège. La fourquine devient superflue, ce
logistique, et les soldes sont parfois versées avec plusieurs qui rend les tireurs plus mobiles. En outre, dès 1640, on
mois de retard. En outre, la création d’une armée régu- voit apparaître sur les champs de bataille des baïonnettes
lière ne va pas de pair avec la construction de structures à manche, qui s’installent dans le canon du mousquet
destinées à accueillir les soldats – contraints de séjourner une fois le tir effectué.
dans des campements de fortune – et les services de santé

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Les armes à rouet sont peu à peu remplacées par calcule au mieux, par rapport à la consommation
des armes à silex. de la mèche, à quel moment déclencher son tir. Sur
Si les pistolets existent, ils n’ont que peu d’utilité sur le champ de bataille, les grenadiers doivent s’extraire
un champ de bataille et restent l’apanage des nobles et des rangs pour se rapprocher de l’ennemi. Leur carrière
des officiers. Leur portée, comparée à celle du mousquet, est généralement courte.
est ridicule : à peine 5 toises (10 mètres).
Il n’existe pas de munitions transportables pour les armes La guerre et les dragons
à feu. La poudre, les mèches et le plomb sont conservés La présence des dragons, et plus généralement de créa-
dans des récipients fermés pour les protéger des élé- tures ailées capables de survoler les champs de bataille
ments extérieurs. Les troupes les transportent dans et de délivrer des messages en un temps record, change
de grands barils clos. On confectionne les munitions considérablement la conception de la guerre.
à la demande, en utilisant un moule et une balance D’une part parce que les dragons véritables ont
pour doser la quantité de plomb. une affinité avec la flamme qui rend, à leur proximité,
Les grenades sont, au xviie, déjà des dispositifs an- tout maniement d’arme à feu passablement incer-
ciens. Elles sont constituées de métal, de terre cuite tain. Combien de rangs de mousquetaires ont ainsi vu
ou même de verre. Elles contiennent une quantité limitée leurs armes leur exploser dans les mains !
de poudre et sont allumées par une mèche. Les grenades Quant aux grenadiers, leur fonction a tout d’un sacer-
sont lancées à la main, à une portée n’excédant pas doce quand il est prévu d’affronter un dragon.
15 toises (30 mètres). Il convient que le grenadier Cette fâcheuse habitude des armes à feu à défaillir devant
un dragon a entraîné le retour en grâce d’armes plus
archaïques comme l’arc ou l’arbalète. Cette dernière
a la faveur des troupes régulières, et allie puissance
d’arrêt et fiabilité. L’arc long est également populaire
auprès des soldats.
Les armes à propulsion par air comprimé ont égale-
ment le vent en poupe. Bien que moins puissantes
qu’un mousquet, elles sont, entre les mains d’un tireur
précis, des armes mortelles et silencieuses. Elles restent
tout de même relativement fragiles.
Les dispositifs antiaériens sont devenus essentiels
à la guerre, en particulier en cas de siège. À quoi,
en effet, servirait-il de patauger de longues semaines
dans la boue pour affamer une citadelle ravitaillée par
un coup d’aile de vyverne ?

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Les armées ont entraîné de nombreux tireurs à longue traqués et les dracs shamans tués à vue – on craint trop
distance, qu’ils dotent parfois d’armes expérimentales leurs pouvoirs pour tenter de les capturer – mais rien
à très longue portée chargées de munitions elles aussi n’y fait. En dépit de la chasse aux sorcières, des feux
surprenantes. Pour abattre un dragonnet ou une vyverne sacrés s’élèvent à nouveau au fond des bois, au sommet
en plein vol, rien n’est trop opulent. des montagnes, dans la profondeur des cavernes et près
Bien entendu, à l’intérieur des villes, les arbalètes géantes des anciens cercles de pierre.
et les balistes constituent un moyen de dissuasion La chose n’est peut-être pas plus dangereuse que ces
commun. Pour les plus nanties, des préparations superstitions et ces gestes coutumiers que l’on fait pour
alchimiques optimisent les défenses : glandes sexuelles protéger sa maison ou soulager l’enfant en colique. Peut-
de vyvernes, parfums et fumigènes peuvent troubler être pas. Alors, avec la bienveillance de certains nobles,
le vol reptilien aussi bien qu’une balle. des alchimistes et des astrologues envahissent la France
Notons que l’armée française se refuse à intégrer et font désormais concurrence aux hommes de foi,
des dracs dans ses troupes régulières. Derrière cette se faisant passer pour des humanistes et des savants
moralité de façade, le recours au mercenariat drac est modernes – mais personne n’est dupe.
un modèle de pragmatisme militaire.
Si l’on s’intéresse à la religion dominante, on s’aperçoit
Les uniformes que le clergé catholique compte de nombreux membres,
C’est en 1632 qu’apparurent les premiers uniformes mi- dont la puissance financière, politique et spirituelle peut
litaires avec les régiments bleus, jaunes et verts de Suède. varier du tout au tout.
En France, des commandants dotent leurs troupes Le clergé peut être séculier (vivant dans le siècle, au
d’un vêtement identique, passé la plupart du temps contact de la société) ou régulier (qui vit selon une règle,
par-dessus une vêture civile. Cette uniformité apporte en communauté plus ou moins isolée du monde).
un prestige certain aux troupes, fait naître un esprit Dans le clergé séculier, le haut clergé, le plus puis-
de corps, et présente des avantages non négligeables sant, est constitué des dirigeants du clergé : évêques,
sur des champs de bataille où tous les combattants archevêques. On les distingue du bas clergé, compre-
se ressemblent et où il est facile d’abattre un camarade nant les curés, vicaires, prêtres locaux, qui dirigent
par erreur. modestement la spiritualité de petites communau-
C’est sans surprise que les corps les plus proches du tés. Néanmoins, même un curé de village possède
pouvoir (Mousquetaires, Gardes rouges, Gardes suisses) une place particulière au sein de sa communauté et sa
se dotent d’uniformes qui contribuent à leur légende. voix est l’égale de celle du seigneur des lieux. Surtout
quand il s’agit de s’opposer à une manifestation dra-
conique ou un groupe de sorcières.
Credo Le clergé régulier compte un certain nombre d’ordres,
certains possédant des domaines générant une grande
Parler de foi dans la France du xviie siècle est déli- richesse (bénédictins, cisterciens), d’autres adoptant
cat. D’un côté, les événements huguenots et la menace une vie plus modeste (franciscains, dominicains,
draconique – notamment avec le sac de Paris en 1633 nommés les ordres mendiants). Certains ordres enfin,
– ont ravivé la flamme catholique. De l’autre, la France comme les Jésuites, se fixent une mission d’enseigne-
veut sortir de l’ombre des guerres de religion et faire ment. Inutile de préciser que les dragons ont infiltré
preuve de tolérance – même si la famille royale est nombre de leurs écoles pour dispenser leurs propres
fervente catholique. enseignements.
Protestantisme et catholicisme restent de loin les deux
religions les plus représentées du royaume et continuent Depuis 1633, le peuple s’est fait très dévot et assiste
de se tourner autour comme deux duellistes qui n’ont régulièrement aux offices, aux processions. Les églises
pas réglé leurs comptes. sont pleines. L’athéisme est sévèrement châtié, et nul
Les juifs sont contrôlés par les autorités et beaucoup ne saurait douter de la présence de Dieu en public,
continuent à se cacher pour vivre en paix. Un numerus sous peine de troubles pour sa santé. Les querelles
clausus limite leur installation dans les villes, sauf dans théologiques sont toutefois régulières, en particulier
quelques-unes comme Metz, dont le conseil, étran- entre jésuites et jansénistes.
gement tolérant, est en fait infiltré par eux. Ceux qui Un mot, enfin, sur les Sœurs de Saint-Georges. Elles
en ont assez de ce système discriminatoire se placent sont élevées en modèle et Agnès de Vaudreuil, la sau-
parfois sous la protection du Comtat venaissin veuse de Paris, en sainte.
ou des Provinces-Unies du Midi – nécessité fait loi.
Enfin, sous l’influence d’une Renaissance qui renvoie
à certaines racines antiques, d’une peur de la femme
libre et d’un essor de la culture drac, la sorcellerie et
le paganisme gagnent en puissance. Les polythéistes sont

154
Les traitements plus communs reposent généralement
La médecine sur le plaisant duo purge et saignée, administrés
en alternance. Ces traitements, fort peu efficaces au
Rudimentaire, la médecine repose généralement sur demeurant, sont supposés rééquilibrer les humeurs
des prescriptions alimentaires : soupes, potions, herbes en éliminant les excès.
et racines infusées sont le médicament du peuple
de France. Le médecin, avant tout, est féru de nutrition Les pratiques médicales – hormis certaines expérimen-
et d’équilibre alimentaire. Son pouvoir, renforcé par tations que le monde réprouve – sont toutes influencées
celui du prêtre, incite à contrôler le sucre, à bannir par la théorie des humeurs. Ainsi, on attribue l’infection
l’hypocras, à manger maigre et faire carême. d’une plaie à un déséquilibre des humeurs, tout
Si la nourriture des plus riches en est venue à évoluer, en considérant que l’apparition de pus est souhaitable.
la médecine y est pour beaucoup. Les plaies sont rarement pansées, uniquement quand
La médecine repose sur la théorie des humeurs, déve- une suture n’est pas possible. Dans ce cas, on enduit
loppée par Gallien dans l’Antiquité. Selon ces théories, des bandages de diverses substances, en particulier
la santé repose sur l’équilibre des humeurs, les substances de l’alcool et des huiles. Les sutures, quant à elles,
fluides du corps. Un déséquilibre des humeurs entraîne se font à l’aiguille et au fil et génèrent leur lot d’in-
fatalement maladies et changements de tempérament. fections. Enfin, on cautérise les plaies qui saignent
Les quatre humeurs sont : abondamment au fer rouge ou au vitriol.
- le sang (cœur/air), dont l’excès induit un compor- Il va de soi que le seul mode d’anesthésie est l’ingestion
tement sanguin massive d’alcool et le prêt compatissant d’un morceau
- la bile (foie/feu), qui donne un tempérament bilieux de cuir ou de bois que l’on place entre les dents
- le phlegme (cerveau/eau) qui induit un tempérament du patient.
lymphatique La chirurgie est la plupart du temps limitée à la réduc-
- l’atrabile (rate/terre), qui rend l’individu atrabilaire tion des fractures. Toute opération plus compliquée
(au caractère irritable). entraîne plus souvent qu’à son tour la mort du patient.
La faculté de médecine de Montpellier, au cours du Les infections sont légion. La rareté de l’eau dans les villes
siècle, a échafaudé la théorie d’une cinquième humeur, incite les citadins à l’économiser, au détriment de leur
l’obâtre, tenue responsable des afflictions draconiques, hygiène corporelle. La plupart se lavent au frottoir,
en particulier la terrible maladie qu’est la ranse. et rares sont ceux qui ont assez d’eau pour se laver
convenablement ou assez d’argent pour faire leurs

155
ablutions chez un barbier-étuviste. De fait, les pâtes, Un duel à la rapière et main gauche
huiles et poudres odorantes font office de toilette, tant
les odeurs corporelles sont épouvantables.

Mourir en France
En France comme ailleurs, on meurt de disette, de ma-
ladie, de froid, d’une mauvaise blessure, de l’usure
du temps ou des saignées et lavements pratiqués par
les médecins.
Assez rares, les ransés sont à la fois plaints et blâ-
més. Seuls quelques hôpitaux et lieux de cure acceptent
de les recevoir : Ax, dont les eaux brûlantes du bassin
des ladres sont réputées depuis Saint Louis, héberge
l’une des plus vastes communautés de ransés.
Enfin, beaucoup périssent sous les coups du bour-
reau. À chacun sa peine : le noble est décollé – décapité –,
le voleur roué en place publique ou pendu. Le criminel
d’État est écartelé, le faux-monnayeur bouilli vif dans Le dernier conseil
un chaudron et, bien sûr, l’hérétique et le sorcier sont L’administration monarchique est subdivisée
passés au bûcher. en assemblées provinciales régies par un intendant et
Rappelons aussi que les marques sont parfois pires un gouverneur – désignés et révoqués librement par
que la mort. Il peut s’agir d’amputations – on coupe le roi. Les campagnes restent des fiefs administrés par
le sexe des violeurs, les doigts des parjures ou encore un noble et découpés en paroisses religieuses (l’unité
la langue des blasphémateurs – ou d’inscriptions au administrative de l’époque). Les villes, au contraire,
fer rouge. Certaines brutes réfractaires au mouvement s’émancipent du pouvoir féodal pour tomber dans
des cavalières les marquent dès qu’ils en ont l’occasion le giron des bourgeois – qui organisent la défense
afin que chacun sache l’outrecuidance et la légèreté de leurs intérêts en créant des conseils de cité.
de ces femmes-là. Tous, nobles, corporations, élus des cités, intendants
et gouverneurs, participent à des assemblées et ont
un devoir de conseil envers le roi. Un devoir, pas
La justice un droit. Le roi peut donc demander conseil à qui
La justice, autrefois rendue par les nobles, est récupérée il veut, et n’a pas à entendre celui des autres. Le roi
par le roi lui-même à partir du xive siècle – on annonce fait appel à ces assemblées pour s’attirer les faveurs
à ce moment-là que toute justice émane du roi. Le roi de l’opinion publique, mais elles n’ont plus aucun poids
ou l’un de ses magistrats délégués peut dès lors casser sur la politique royale, qui est décidée en coulisse avec
le jugement d’un noble et, rapidement, les magistrats les membres du Conseil d’État – des amis du roi dont
assument seuls le rôle de juges. C’est d’autant plus font partie le chancelier, gardien du sceau royal, et
avantageux que ces magistrats – bourgeois – paient des ministres comme Richelieu, ou Mazarin après lui.
l’État pour avoir le privilège de cet office – et l’État a La monarchie devient absolue et chacun se retrouve
besoin d’argent. obligé de mendier une place à la cour et les faveurs du
Les magistrats rendent donc la justice et s’organisent roi – quelques maigres restes qui justifient les intrigues
en parlements qui constituent peu à peu un véritable que l’on sait.
contre-pouvoir faisant la loi sur la France et ayant
droit de vie ou de mort sur son peuple et ses gen-
tilshommes. Même si leurs décisions s’appuient sur
la coutume, comme autrefois celles des nobles, c’est
un intolérable camouflet de plus aux privilèges et au
prestige de la noblesse d’épée.
Une autre justice, illégale, se met alors en place : celle
du duel. Le duel judiciaire existe depuis le Moyen Âge,
est l’héritier du jugement de Dieu et a été plusieurs fois
interdit. Il ne peut officiellement plus être invoqué,
mais les jeunes nobles continuent à le pratiquer sous
la forme d’un duel d’honneur. Louis XIII fait interdire
cette pratique par quatre édits, mais la mode du duel
ne sera jamais enrayée.

156
Fallait bien arrondir les finances… Le duel
Entre la taille, la gabelle, le fouage, l’octroi et les banalités, L’épée est, en France plus qu’ailleurs, un symbole
il ne nous restait plus rien pour payer la dîme. de noblesse et de virilité. Malgré cela, le port de la rapière
Alors, Étienne, il s’est mis à faire charmeur. Au début n’est pas réservé à l’aristocratie. En vertu du droit sacré
j’y ai pas cru – et les enfants non plus – mais quand on à l’autodéfense, chacun peut apprendre l’art de l’escrime
l’a vu sortir du poulailler des Duchenne avec trois œufs chez un maître d’armes. La mise au ban du duel établie
gris – dont un qui roulait tout seul – et une drôle de mue par les lois somptuaires et les édits royaux ne suffit pas
de serpent, ça a fait du tintouin. Tout gris, tout rond et à empêcher les innombrables morts civiles. Croiser
tout maudit. Les œufs comme la peau de la bête, j’te dis ! le fer n’est pas qu’un sport ou une technique martiale :
C’est la vieille Madelon qui l’a dit en premier : maudits c’est un élément culturel et social. Le gentilhomme
œufs de coq, maudits cocadrilles ! C’était pas mon Étienne dont l’honneur a été offensé se doit de laver l’affront
qui l’avait dit. Lui, il avait le don, et le courage, mais sur le pré. Celui qui lance le cartel (la provocation
il morguait pas. en duel) laisse le choix des armes à son adversaire. À cette
Après ça, tout le monde a eu peur. Les cocadrilles, c’est époque, l’infection des plaies profondes est presque
des enfants maudits des dragons qui font enfler les bêtes et toujours fatale. Le coup d’estoc, mortel, se généralise
tourner les sources. Ça naît dans les œufs de coq – t’as-t-y pas donc. On se bat pour tuer.
vu les écailles que ça a aux pattes, ces choses-là ? – et ça
se cache dans les puits, et sous les tuiles. Et quand tu
les déranges, si elles te voient avec leurs yeux noirs, elles te
changent en pierre. Mes chères Lames,
Pour éviter ça, la grand-mère d’Étienne et la vieille
Je vous sollicite, car une fille de Sainte-Marie
Madelon disaient qu’il fallait planter des charmes dans
s’est échappée du couvent de la rue Saint-
les poulaillers neufs, et utiliser leurs rameaux pour faire fuir
Antoine. La chose est à noter, plus encore, car
les dragons et exorciser les coqs. Alors Étienne, maintenant,
il s’agit de sœur Angélique, connue à la cour
il est charmeur. Parce que les autres, ils veulent pas le faire,
du roi sous le nom de Louise de La Fayette et
ils ont trop peur d’être changés en pierre.
ancienne favorite de Sa Majesté. Je crains que
Depuis, ça va mieux, mais dame ! ça ne va jamais. On a
la présence, dans le faubourg Saint-Antoine,
des sous, mais on a plus Chrétien, le petit dernier. Il a voulu
de Marie de Hautefort, sa rivale, le jour même
accompagner son père, l’autre fois. Pauvre petit. Le charme
de cette disparition, ne soit pas fortuite. Marie
a pas dû marcher, ou alors il a pas su. Paraît que les co-
a toujours pris le parti de la reine, et a même
cadrilles, quand elles ont assez mangé de bêtes enflées et
été soupçonnée d’intriguer avec l’Espagne. Louise,
de gens en pierre, elles montent à Babylone ou à Paris, je
au contraire, n’avait d’yeux que pour le roi et sa
sais plus, et que là-bas, on décore les églises de Dieu avec
candeur insupportait Anne d’Autriche. La première
les gens en pierre de cocadrille. J’espère que mon Chrétien
a peut-être appris que la seconde détenait
y se sent bien, là-bas… Pauvre petit…
un secret, ou a cherché à s’en venger. Je vous
invite à vous rendre au couvent et dans son faubourg
Saint-Antoine, aux Deux-Gros, où on a enregistré
la voiture de Hautefort. Mais surtout au château
de la Flotte, lieu-dit « Pont-de-Braye », dans
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
la vallée du Loir. Madame de Hautefort y organise
une grande fête dans les jours à venir, et le parc
de la Flotte et les abords de son plan d’eau
seront bondés de convives ayant spécialement fait
le déplacement de Paris. Tout cela n’est pas
une coïncidence.
Ne me décevez pas.

157
Mesures du siècle Les monnaies :
Il faut différencier les monnaies de compte, utilisées
Voici quelques mesures couramment utilisées au pour le commerce, des pièces de monnaie en circulation.
xviie siècle.
Monnaies de compte :
Les distances : • La livre vaut 20 sous.
Le mètre est une invention du xviiie siècle et n’est • Le sou vaut 4 liards ou 20 deniers.
pas utilisé. • Le sol vaut 1/2 sou.
• Le pied (parisien) = 30 cm ou 12 pouces
• Le pas = 0,6 m Pièces de monnaie :
• Le pouce = 2,5 cm • À partir de 1640, de nouvelles pièces sont
• La toise = environ 2 m ou 6 pieds émises. Il existe une multitude de pièces différentes
• La lieue = 3,2 km en or, en argent et en cuivre.
• Le liard vaut un quart de sol.
Les poids : • L’écu d’argent vaut 3 livres ou 3 francs et pèse
• La livre (de Paris) = 16 onces ou 2 mares (498 g) environ 27 g.
• L’once = 32 g = 8 gros • Le louis d’or vaut 10 livres.
• Le gros = 4 g = 3 deniers • La pistole vaut également 10 livres. C’est une pièce
• Le denier = 1,3 g = 24 grains espagnole.

Quelques prix :
Certaines denrées communes ont un prix relativement
constant, que chacun connaît.

• Un kilo de pain coûte deux sous.


• Un kilo de viande coûte 1/2 livre.
• Un cheval ou un bœuf coûtent 100 livres.
• Un mouton coûte 10 livres.
• Une poule coûte 1 livre.
• Une bouteille de vin coûte 3 sous.
• Une chemise coûte 2 livres.
• Un chapeau coûte 1 livre.
• Un vêtement complet coûte 10 livres.
• Une rapière coûte 5 livres.
• La location annuelle d’une maison coûte entre 200
et 500 livres, celle d’un hôtel particulier de 1000
à 5000 livres. Pour obtenir des prix à l’achat, il faut
multiplier par 100 le prix d’une location.

Quelques salaires :
• Le salaire journalier d’un ouvrier est de 10 sols, soit
environ 100 livres par an. Celui d’un manœuvre est
de 5 sols. Celui d’un ouvrier qualifié peut atteindre
une livre.
• Un mousquetaire du roi touche 40 sols par jour,
un porte-étendard quatre fois cette somme,
un lieutenant des mousquetaires huit fois.

158
Finance et monnaie Les pièces de monnaie sont également un support
déterminant des relations publiques royales. Ces objets
Jusqu’au milieu du xviie siècle, les espèces n’ont pas du quotidien permettent aux souverains de se faire
de valeur fixe : elle est déterminée par des édits. Les prix connaître de leur peuple et de diffuser largement leurs
sont donnés en monnaie de compte (livres tournois, symboles et leurs devises. Les pièces frappées, précieuses
sous, deniers). Les monnaies sont rares, plus encore et prestigieuses, deviennent un support de propagande.
les pièces au bon poids, car l’une des techniques consiste D’autres monnaies sont encore en circulation au début
alors à rogner ou billonner les pièces. Ces pièces (écus du règne de Louis XIV. Il est fréquent de rencontrer
français ou pistoles espagnoles) se retrouvent en circu- des pièces françaises périmées : le franc (1 £), le denier
lation, essentiellement parmi la population trop pauvre (1/240 £)… De nombreuses monnaies étrangères sont
pour les refuser. Quant aux pièces au bon poids, elles également acceptées si leur émetteur est considéré
sont thésaurisées par ceux qui peuvent se le permettre, comme fiable : tournois lorrains, pistoles espagnoles et
et surévaluées quand elles sortent du bas de laine. leurs multiples (doublons, pièces de huit…), escudos
Les prix sont alors fixés en poids de métal, chaque pièce portugais, thalers du Saint Empire, florins néerlandais…
valant de fait son poids en métal. Un bon marchand, par L’immense majorité de la population règle l’ensemble
conséquent, ne se déplace jamais sans sa balance (les ba- de ses dépenses en pièces ou sur parole. La monnaie
lances truquées étant courantes, chaque commerçant scripturale, inventée par les Templiers, est réservée aux
possède la sienne propre). Pour fluidifier l’économie, plus fortunés… et aux dragons. Ces derniers ont mis
les rois frappent leur monnaie et garantissent son aloi en place un système universel de crédit orchestré par
(sa pureté) et sa taille (sa masse). les plus habiles financiers de la Griffe noire. Les dragons
sont ainsi capables de faire transiter d’importantes
Un coup d’arrêt est donné à ces pratiques douteuses par sommes par le biais de billets imprimés, légers
le biais de la réforme monétaire de 1640, mise en place et anonymes.
par Claude de Buillion. Des innovations techniques
permettent d’assurer une frappe constante et une dé- La finance attire depuis longtemps l’attention des dra-
coupe nette, garantissant le poids des pièces. Le roi fait gons, par sa complexité et sa capacité à déséquilibrer
concevoir deux pièces de base, qui remplacent l’écu : une nation en un rien de temps. L’édit de 1614,
le louis d’or et le louis d’argent, valant respectivement qui faillit plonger le pays dans la ruine, est de leur
10 livres et 3 livres. Apparaissent également deux fait. Les ateliers de fausse monnaie ne sont pas rares,
autres pièces en or : le demi-louis et le double louis en particulier dans les Pyrénées, afin de déséquilibrer
(l’une moitié plus légère et l’autre deux fois plus lourde) l’économie française. Si les hôtels des monnaies
et d’autres en argent : demi, quart, sixième et douzième garantissent la qualité des frappes, les dragons ne sont
d’écu. Les édits de 1640 puis 1641 permettent aussi pas en reste. Le commerce de l’or et de l’argent
de rétablir un équilibre plus juste entre l’or et l’argent, des Amériques est sous leur étroit contrôle. La lutte
équilibre rompu en 1614 et ayant conduit à la fuite pour la finance ne fait que commencer.
des monnaies d’argent vers l’étranger.

Ces pièces changent le système, tout du moins dans


les villes, car dans les campagnes, c’est le plus souvent
un notable de village (notaire, usurier ou riche mar-
chand) qui fait l’avance des impôts et des sommes des-
tinées aux gros investissements pour la population. Ces
relais financiers y gagnent un grand pouvoir. Le troc
constitue le reste du système.

Pour les petits échanges, on trouve encore de petites


pièces en cuivre héritées du xvie siècle, nommées
liard, douzain ou double denier. Ces pièces, victimes
alternativement d’inflation ou de dévaluation, sont
par périodes refusées ou limitées dans les échanges,
entraînant le mécontentement des paysans, voire
des émeutes.
Le Paris… des Lames
Le bois le plus funeste et le moins fréquenté est « ouverts » – hors des remparts – qui bordent les grandes
auprès de Paris un lieu de sûreté. routes conduisant à Paris. Les faubourgs ont un air plus
Vérole de Rouen et boue de Paris ne s’en vont campagnard que la cité elle-même avec leurs jardins,
qu’avec la pièce. leurs arbres et leurs moulins à vent. Tous portent
Pressé comme tous les Parisiens, et hautain comme le nom de la porte de Paris contre laquelle ils se sont
la plupart. formés : sur la rive droite, Montmartre, Saint-Honoré,
Vieux adages Saint-Antoine, Saint-Martin et Saint-Denis ; sur la rive
gauche, Saint-Germain, Saint-Victor, Saint-Marcel et
Que voit un vyvernier en approchant de Paris ? Saint-Jacques.
D’abord la Seine, la butte Montmartre et la lumière Hélas, le spectacle de cet imposant assemblage
des quatre pierres de Bohème de la cité – blanche de maisons, de coquetteries architecturales et de flèches
pour la tour du Temple, bleue pour le Louvre, rouge d’églises est rapidement gâché par l’odeur qui en émane,
pour le Palais-Cardinal et jaune pour les Messageries nauséabonde – particulièrement si vous arrivez par
Gaget. Puis, dominant une foule anonyme de maisons les bords de Bièvre pollués par les tanneries.
serrées, il aperçoit les forteresses qui veillent sur la ville Pour donner de l’air à Paris, on a créé des jardins,
depuis le Moyen Âge : le Châtelet, la tour de Nesle des cours et des promenoirs, en vain. Ni le cours
et la Bastille. Suivent les innombrables clochers La Reine, ni les Tuileries, ni le Pré-aux-clercs, ni
des églises de Paris, les tours de Notre-Dame, les dômes le célèbre cours Saint-Antoine ne parviennent à assainir
de la Renaissance, les corps horizontaux des palais, l’atmosphère empuantie de la capitale. Alors, il reste
le Louvre, les Tuileries, le Luxembourg et les remparts. le Pont-Neuf et quelques places et carrefours par lesquels
Trois zones se dessinent nettement. La Cité, entre l’air rentre un peu – les parvis des églises, souvent
les deux bras de la Seine, est un amas compact de maisons envahis de foires ; la place de Grève, devant l’Hôtel
étroites et de ruelles surpeuplées. La Ville, rive droite, de Ville ; la place Maubert.
est parsemée d’hôtels somptueux et d’édifices remar- Dans les rues, sur les places et autour des portes
quables. Enfin l’Université, rive gauche, est un monde de la ville, c’est un flot continu et bruyant d’ouvriers,
grouillant de collèges et d’étudiants. D’un côté comme de badauds, de commerçants, de chariots attelés
de l’autre, on ne voit plus une place à bâtir, pas à des bœufs, des chevaux ou des tarasques, de cavaliers,
même sur les ponts dont les parapets sont encombrés de carrosses et de chaises à porteurs. Le noble y côtoie
d’immeubles. Alors, pour que le demi-million d’âmes le mendiant, le mousquetaire, le truand. Paris est
parisiennes puisse se loger, on a élevé des faubourgs une foule bigarrée, impatiente et turbulente.

162
La boue de Paris
Noire et nauséabonde, la boue couvre le pavé de Paris,
macule les murs, éclabousse, colle à la semelle. Cette
« crotte » est un mélange de crottin et de bouses, de terre
et de sable, de pourriture et d’ordures, de déjections
de latrines, de résidus organiques rejetés par les bou- La plus g nd
cheries, tanneries et écorcheries. Elle ne sèche jamais du monderach e ville
rétien
tout à fait, ronge les tissus, n’épargne pas le cuir. Pour
Cinq cent mill
protéger bas et chausses, le port de hautes bottes s’impose e habitants
Vingt mille m
aux piétons. Les autres vont en carrosse, en chaise à bras aisons
Mille cinq cent
s
ou, selon leurs moyens, à dos de cheval, de mule… et Mille cloches bouchons
d’homme. Quand ils passent, de rares éboueurs enlèvent Six cents rues
le plus gros avant d’aller vider leurs tombereaux dans Soixante collè
ges
l’une des neuf décharges – ou « voieries » – situées Quarante-huit
pa
à l’extérieur de la ville. Les paysans des environs Vingt-neuf ba roisses
illis
connaissent la valeur de la boue parisienne. Ils viennent Seize quartiers
chaque jour la récolter pour l’épandre sur leurs champs, Six hôpitaux
Quatre palais
et les Parisiens ne manquent pas de remarquer que
Un roi
les voiries sont de loin mieux nettoyées que la capitale.

Carte de Paris vers 1640, par M. Merian


163
Au long des rues, bourgeoises. Les commis prélèvent consciencieusement

au bord du fleuve
les taxes sur les marchandises qui arrivent et les miliciens


examinent jalousement les passeports des étrangers, ce
qui n’accélère pas le trafic.

Le capitaine marcha d’un bon pas jusqu’à la Seine,


où il prit à droite sur le quai Malaquais. Cela Saint-Denis et les Fossés Jaunes
ne pouvait guère signifier qu’une chose : il comptait La porte Saint-Denis offre un accès privilégié
entrer dans Paris par la porte de Nesle. Les portes à Paris. Appuyée sur une enceinte neuve et bastionnée
de la capitale étant fermées à cette heure de la nuit, qui englobe depuis peu d’anciens faubourgs, elle ferme
La Fargue utiliserait son laissez-passer permanent la rue Saint-Denis – qui traverse toute la rive droite
signé par le cardinal de Richelieu. jusqu’au Châtelet.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal Cette nouvelle enceinte, dite des « Fossés Jaunes »,
a été bâtie à la demande de Richelieu – en sa qua-
lité de directeur général des fortifications – depuis
Des murs et des portes la porte Saint-Denis jusqu’à la nouvelle porte
de la Conférence. Elle a permis de gagner de l’espace
Les fortifications de Paris datent pour la plupart intra-muros, un espace mis à profit par le Cardinal
de l’époque médiévale. Jalonnées de tourelles coiffées pour son nouveau palais – le Palais-Cardinal.
en poivrières, hautes de quatre mètres et dominant Les Fossés Jaunes sont ainsi nommés en raison de la cou-
un fossé, ces murailles sont censées protéger la ville contre leur de la terre qu’on en a extraite, curieux limon
les dangers d’une guerre civile ou étrangère. Certes, ces ocre dans lequel on a retrouvé des vestiges gaulois :
défenses ne font guère illusion. On y cherche vainement des objets rituels, des urnes, des fragments de verre fin,
le moindre canon, les fossés s’encombrent d’ordures des ossements. Un os unique, notamment, monstrueux
et les remparts tombent en ruine. Les Parisiens, qui et gravé de signes étranges. Hasard ou non, les lieux
ne s’y trompent pas, disent qu’un coup de mousquet hébergent la plus vaste communauté de dragonnets
pourrait creuser une brèche dans leurs défenses et que sauvages de Paris.
la meilleure de leurs tours pourrait « choir en pourriture
à une chamade de tambours » ! N’empêche, on n’entre
pas dans Paris comme dans un moulin.
Paris a seize portes, parmi lesquelles la porte Saint-
Marcel, la porte Saint-Antoine, la porte de Nesle,
la porte de Buci, la porte du Temple et la porte Saint-
Victor. Ces gros bâtiments sont pour la plupart aussi
désuets que délabrés, démunis de leurs ponts-levis
et encombrés d’étals de bouchers. Ils se dressent
à intervalles irréguliers et correspondent aux routes
carrossières qu’empruntent étrangers, provinciaux
et banlieusards, coches de terre, messagers, voitures
des postes et chariots des approvisionneurs. Toutes
les portes sont conçues de la même façon et abritent
dans leurs flancs rebondis des corps de garde où veillent
concierges, commis de l’octroi et soldats des milices

164
Vue et perspective du Pont-Neuf et du pont au Change
le bac des Tuileries, est lui aussi en bois, ce qui rend ses
quinze arches aussi élégantes que fragiles. Il sera réparé
en 1649 à la suite d’émeutes drac, avant de disparaître
quelques années plus tard, emporté par une crue.
Le Pont-Neuf, enfin, est le cœur de la capitale. Un cœur
qui l’irrigue, lui donne vie, anime le grand flux populeux
qui parcourt ses rues. Tout le monde, en effet, emprunte
le Pont-Neuf. Par commodité d’abord, puisqu’il permet
d’aller directement d’une rive à l’autre sans passer par
l’entrelacs de venelles médiévales de l’île de la Cité, mais
aussi par plaisir. Artistes, bouquinistes, tireurs de loterie,
Sur les ponts de la Seine charlatans et saltimbanques s’installent le long de ses
La Seine traverse Paris de l’Arsenal, près de la Bastille, parapets, faisant du Pont-Neuf une foire permanente.
à la porte de la Conférence, au bout des Tuileries. En ces
deux endroits, des chaînes peuvent être tendues en tra-
vers du fleuve afin d’en fermer l’accès.
Pour beaucoup, la Seine n’est qu’une rue
Mes chères Lames,
de Paris. On y rejette ses effluents, on y fait voyager
Je vous sollicite, car le petit monde qui s’étend
hommes et marchandises par bateau et les ports, le long
sur la Seine est en émoi. Vous n’êtes pas sans
de ses berges, sont animés par le mouvement incessant
savoir que, pour aller d’une rive à l’autre, on paie
des barques chargées de foin ou de tonneaux, des coches
des passeurs qui achètent leur office et s’acquittent
d’eau, des canots des passeurs et des pêcheurs. Des
de droits pour conserver leur monopole, tout
voitures, des charrettes, des carrioles attendent à quai
comme on peut payer des bachoteurs pour sortir
au milieu des porteurs et des coltineurs. À l’écart,
de la ville et rejoindre les villages de Chaillot,
les femmes lavent le linge.
Passy ou Saint-Cloud. Je crains que des agents
On pourrait croire qu’il est facile de contempler
d’une puissance ennemie ne se fassent passer
la vie mouvementée et fourmillante de la Seine depuis
pour des bachoteurs et des passeurs. Ces agents
les ponts de Paris, mais il n’en est rien : leurs parapets
en voudraient au pont au Change, soit pour ses
sont presque tous couverts de maisons. Construites face
richesses, soit pour quelque manigance. La reine a
au courant, ces bâtisses ne laissent au milieu du pont
en effet reçu récemment d’Espagne une chevalière,
qu’une rue étroite et sans vue sur le fleuve, qu’on peut
qu’elle a confiée à Urbain Sandré, bijoutier du pont
franchir sans même s’en rendre compte.
au Change – à l’enseigne du Fer à cheval. Je vous
Il existe plusieurs ponts à Paris – en sus des trois mauvais
suggère d’interroger Sandré, et un passeur
ponts de bois qui relient Notre-Dame-des-Écailles
nommé Virgile.
à la Ville, à la Cité et à l’Université.
Le pont au Double, ainsi nommé parce qu’il est grevé
Ne me décevez pas.
d’un péage d’un double denier, enjambe le petit bras
de la Seine et relie la place Maubert au parvis de Notre-
Dame. En traversant la Cité vers le nord, on rejoint
alors le pont au Change qui, au-dessus du grand bras Les rues de Paris
de la Seine, mène devant le Châtelet. Tout proche
est le pont Notre-Dame, lui aussi sur le grand bras Sur les six cents rues que compte Paris, seules les ar-
de la Seine. C’est l’un des plus beaux ponts de Paris, et tères principales qui conduisent aux portes de la ville
ses pierres soutiennent une belle suite de magasins qui peuvent être considérées comme spacieuses – cinq
font de cette voie l’une des plus brillantes de la ville. Il est à huit mètres de largeur. Ce sont les rues Saint-Antoine,
habité par des marchands, des artisans et des petits du Temple, Saint-Martin, Saint-Denis, Montmartre,
bourgeois. ou encore Saint-Honoré. Autour d’elles rayonnent et
Le pont au Change était en bois quand l’Archéen est s’entrecroisent des ruelles tortueuses et des culs-de-sac
passé à l’attaque. Brûlé, il est reconstruit entre 1633 et putrides d’un mètre cinquante à trois mètres de large
1647. Ses parapets sont occupés par des changeurs et seulement.
des orfèvres qui vivent là avec leurs matières précieuses Les rues sont pavées, mais les maisons qui les bordent,
– la reconstruction du pont s’est faite largement à leurs mal alignées, forment des boyaux sombres laissant
frais. Le pont présente sept arches et est désormais à peine entrevoir le ciel. Progresser dans Paris est partout
le plus grand pont de Paris. Un monument à la gloire difficile – les marchands ambulants, les étals, les chariots
du roi Louis XIV a été érigé à son extrémité, rive droite. et les bêtes de somme, les carrosses, les chaises à por-
Le pont Rouge, ou pont Sainte-Anne, bâti en 1632 teurs, les coches, les cavaliers, les montreurs de tout,
en hommage à Anne d’Autriche et pour remplacer

165
les porteurs d’eau, les patrouilles, les domestiques et les plus commerçantes, qui sont également les plus
les animaux y font du grabuge de l’aube au crépuscule. passantes. Les cavaliers doivent les éviter et les piétons
Plus encore que les tarasques, les carrosses sont parti- eux-mêmes s’y cognent le crâne.
culièrement dangereux : on en recense trois cents qui
marchent à grande allure dans les rues et provoquent Les tourniquets
la plupart des accrochages, accidents, disputes et À leurs extrémités, les rues parisiennes ont toutes
collisions. des tourniquets qui permettent de tendre une chaîne
Les maisons, étroites et hautes, écrasées les unes contre en travers de la chaussée – un dispositif médiéval qui
les autres, ont presque toutes une boutique au rez-de- a pour but de gêner les mouvements de foule en cas
chaussée. À côté de la boutique, une porte piétonne d’émeute. Ces chaînes, qui ne peuvent être déroulées
ouvre sur un couloir qui traverse la bâtisse et dessert sans une clé, relèvent de la responsabilité des officiers
un escalier sans lumière. De là, on accède aux étages de la milice. Elles sont trop basses pour arrêter un ca-
en se laissant guider dans l’air fétide par une rampe valier, mais assez hautes pour l’obliger à sauter. Pour
de bois branlante. une tarasque, elles se rapprochent d’un fil de soie.
Certaines rues intercalent entre leurs maisons des hôtels
particuliers qui font leur célébrité. La rue Saint-Thomas-
du-Louvre, par exemple, qui part des quais et rejoint
la rue Saint-Honoré en face du Palais-Cardinal, doit Non, non et non ! Ici, Monsieur, on a une éthique. Ici, on
sa notoriété aux deux hôtels mitoyens de Rambouillet ne loue pas des carrosses à la Sauvage.
et de Chevreuse. Nicolas Sauvage ? Vous le trouverez à l’hôtel Saint-
Fiacre, rue Saint-Martin. Il a le monopole du louage
de carrosses. Vous les avez vus, ses carrosses, qui racolent
À l’enseigne… le chaland à toutes les places de la ville. Ils sont comme
les femmes publiques qui ont de belles jupes, de beaux
À Paris, chaque maison a une enseigne. Les boutiques mouchoirs, mais en même temps de vilains souliers et
et les tavernes, bien sûr, mais aussi les habitations que des gants sales. Regardez-les : leurs chevaux sont vieux,
l’on reconnaît ainsi, faute de numéro. Ces enseignes leurs fenêtres n’ont pas de rideaux, le cocher est mal habillé !
servent à désigner les adresses des commerces et Ici, on fait dans la chaise à porteurs. Tout appartient
des particuliers : « Rue Saint-Martin, où pend l’enseigne à M. Caroie, un ancien enseigne des Gardes du
du Coq rouge ». Cela ne vaut cependant que pour Cardinal. Nous aussi on a le monopole. Faut une patente,
la roture : les hôtels particuliers sont sans enseigne, et des patentes, y’en a qu’une ! Et si on la garde, cette
prennent le nom de leur propriétaire et s’ornent souvent patente, c’est parce que le roi le veut, et que nos clients
d’armes prestigieuses sur le fronton. Cela suffit : « Hôtel sont contents. Alors si on commence à balancer leur nom
de Châteauneuf, rue Coquillière » ou même : « Hôtel comme ça… Ah ça non, on n’est pas des Sauvage. Je sais
de Chevreuse, à Paris. » qu’eux, ils le font, pour un peu d’argent ou un service,
En conséquence, les rues parisiennes sont pavoisées mais pas nous. On est corrects, nous, et propres.
d’innombrables enseignes en bois multicolores qui lui Quoi ? Vous m’accusez ?
donnent un air joyeux. Les sujets de ces enseignes sont Croyez-moi, si j’étais coupable de quoi que ce soit, je
variés – saints, rois de France et autres personnages, n’aurais pas traîné en ville. J’aurais filé dans le premier
outils, armes, ustensiles, arbres, fruits, fleurs, animaux coche de terre de Madame Fontaine, et voilà ! Vous savez,
et autres créatures imaginaires – mais ne témoignent ni ces grosses guimbardes chargées de paquets qu’on voit plier
d’une réelle imagination ni d’un goût prononcé du pit- par le milieu et balancer des deux bouts sous le poids de leurs
toresque. Pour un « Cheval qui pioche » ou une « Vyverne quinze voyageurs. Paraît qu’ils peuvent vous emmener
gantée », combien de « Plats d’étain » et de « Syles d’or » ? jusqu’à Lyon, maintenant.
Le plus étonnant est que les enseignes des boutiques Ou alors j’aurais loué un cheval miteux dans un relais…
n’évoquent en rien le commerce qui s’y pratique. Pas
de botte pour les cordonniers ni d’enclume pour Adrien Bilzic, cocher chez Caroie
les forgerons. Seuls les tavernes et cabarets sont tenus
de se distinguer par un « bouchon » – une poignée
de foin ou un fagot de branches nouées.
Les enseignes sont une nuisance certaine par la faute
des boutiquiers qui, pour se faire de la publicité, leur
donnent des dimensions excessives. Les ouvrages
de ferronnerie qui les soutiennent s’avancent par-
fois de deux mètres sur la rue, ce qui suffit à faire
qu’une enseigne pende au milieu de la chaussée, entre
les étals et les auvents, gênant la circulation dans les rues

166
Un jour à Paris Les lanternes de suif que l’on allume sont trop rares
pour éclairer les innombrables pièges de la chaussée,
Il savait que le monde était un théâtre trompeur où les bornes des tourniquets, les potences des enseignes,
la mort, affublée des oripeaux du quotidien, pouvait les échafauds des maçons, les chantiers des paveurs
frapper à tout instant. et des égoutiers, les auvents des boutiques. Et encore
Pierre Pevel, Le Dragon des Arcanes moins les coureurs de nuit qui s’embusquent dans
l’ombre des portes.
Les Parisiens se lèvent tôt, éveillés par le vacarme
des mille cloches de la ville. Alors, la foule bruyante

Marchands,
des artisans et ouvriers en route vers les ateliers, chantiers
et boutiques, les charrettes et chariots des approvi-

échoppes et
sionneurs, les troupeaux de bœufs et de moutons
en marche vers les boucheries prennent possession

corporations
des rues. Des querelles éclatent, mais elles s’apaisent
aussitôt, car le temps presse : les Halles, le Marché
Neuf, le marché à la volaille et de nombreuses autres
places de Paris attendent la viande fraîche, les pains,
les beurres de Bretagne, les herbages, les gibiers, les œufs L’élégant gentilhomme trouva plus prudent
et le poisson du jour. de confier la surveillance de sa monture luxueusement
Profitant de la moindre accalmie, valets et chambrières, harnachée à l’un de ces marchands d’eau-de-vie qui,
balais et seaux à la main, repoussent les ordures vers dès potron-minet, allaient dans Paris et – au cri
les ruisseaux. Les tombereaux de la voirie et leurs de « Vi ! Vi ! À boire, à boire ! » – vendaient de petites
éboueurs retirent ce qu’ils peuvent de la boue du pavé, tasses d’alcool que les gens du peuple s’offraient
ne faisant le plus souvent que la remuer. volontiers, bues sur le pouce, avant une dure journée
Les commerçants ouvrent enfin leurs devantures de travail.
et étagent, à même les revers des volets, d’énormes Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal
tas de marchandises. La circulation est de plus
en plus intense.
Vers le milieu de la matinée, poussant devant eux Les marchands ambulants
brouettes ou charretons, portant des hottes dans le dos
ou des plateaux sur le ventre, des marchands ambulants Porteurs d’eau, fripiers, rapetasseurs de vieilleries,
en haillons envahissent les voies publiques. Les uns vendeurs d’ustensiles de ménage, trafiquants de fer,
passent, les autres installent en pleine rue leurs fragiles de tonneaux, de bois, de charbon, d’armes, de mercerie,
étalages. Tous hèlent la clientèle, ajoutant encore d’orfèvrerie, chercheurs de monnaies dépréciées, colpor-
à l’assourdissante clameur de la ville. teurs d’almanachs… Ils sont nombreux, ceux qui, par
La situation devient dangereuse : au milieu des ména- nécessité et commodité, vendent dans la rue, à même
gères, des évents des échoppes, des processions de travail- la boue. Magasins ambulants ou pourvoyeurs de services,
leurs ambulants et des étals mobiles passe le tohu-bohu leur vie est difficile et dangereuse. Ceux-là sont souvent
des chariots venant des ports de la Seine, pesamment pauvres, très pauvres, et travaillent au péril de leur vie
chargés de bois, de charbon ou de foin. Parfois, entre les roues des voitures.
des troupes de cavaliers et les grands coches de terre
de Madame Fontaine, qui partent pour la province
ou qui en reviennent, s’efforcent de traverser cet enfer
au cri de Gare ! Gare !
L’activité s’apaise un peu avec le dîner – à midi – mais re-
naît dans l’après-midi. C’est alors que les gens de qualité
et les bourgeois quittent leurs demeures pour se rendre
visite, aller au concert, au théâtre, à la promenade
ou dans les boutiques de luxe, ajoutant de nouvelles
chaises et de nouveaux carrosses à la circulation déjà
excessive.
Enfin, lorsque la nuit tombe, les rues se vident de leurs
honnêtes gens. Seuls les débauchés, les galants enfiévrés
d’amour, les téméraires et les fous s’y risquent. En effet,
il n’existe aucun quartier parisien qui ne soit, chaque
nuit, le théâtre de quelque accident, tuerie, sac de bou-
tique ou pillage de maison.

167
Marchés et fournisseurs
Des marchés de quartier encombrent les places et les rues
deux à trois fois par semaine. Parmi les plus célèbres
de Paris, citons le marché du Châtelet – le plus ancien
de la ville –, le Marché Neuf – sur l’île de la Cité, près
du pont Saint-Michel – ou encore le marché à la volaille
et au gibier – quai de la Mégisserie. Dans les faubourgs,
on a aussi le marché de la place Maubert – au pied
de la montagne Sainte-Geneviève – ou le marché
Saint-Médard – à l’extrémité de la rue Mouffetard.
Les halles de Saint-Eustache, enfin, sont un marché
permanent dans les allées duquel tout Paris se presse,
tous les jours.
Femmes d’artisans et bourgeoises bravent la crotte
de Paris pour se rendre sur les marchés dès le petit
matin. Celles qui le peuvent s’y font accompagner
de leurs servantes chargées de paniers ou délèguent
cette tâche à une domestique de confiance.
Enfin, pour s’éviter le calvaire du marché et les serviteurs
qui les escroquent au retour des courses, les grands
seigneurs s’entendent avec des pourvoyeurs, lesquels
s’engagent devant notaire à approvisionner leurs maisons
Holà messires, j’y suis pour rien moi ! D’accord, de tous les vivres nécessaires.
j’ai puisé de l’eau dans la Seine alors que c’est
défendu aux porteurs qui font commerce de leurs
seaux, d’accord, j’en ai vendu. Mais je les ai pas Les boutiques
tués, ces gens-là.
Vous croyez que c’est facile ? On n’est pas comme Les étroites maisons qui bordent les rues ont presque
vous, on n’a pas des canalisations spéciales qui nous toutes, au rez-de-chaussée, à côté de la porte pié-
amènent l’onde pure venue des sources. Y’a que tonne, une large ouverture qui éclaire une boutique
trente fontaines dans cette fichue ville. Trente ! Tous ou un atelier. Autour de certaines places, comme la place
les jours, c’est la cohue, et ça coule qu’un filet. Dauphine et la place Royale, la chose est formalisée par
Les puits ? Souillés par les infiltrations. Plus des péristyles ou des arches que l’on nomme rapide-
dangereux qu’utiles. Vous voudriez que je vende ment galeries marchandes. Certains hôtels particuliers
l’eau infâme des puits ? eux-mêmes aménagent des espaces commerçants dans
Nous, les pauvres gens, on fait comme on leurs façades de rez-de-chaussée – comme à l’hôtel
peut. On a pas de domestiques pour aller quérir de Chabannes, rue Saint-Honoré.
l’eau. On a pas des matinées entières à perdre et on Rectangulaires ou cintrées, les ouvertures des boutiques
doit faire avec quelques seaux d’eau à peine. Alors sont souvent vitrées et encombrées par un étal qui
on puise à la rivière et on se lave comme on peut, s’interrompt en son milieu pour permettre l’accès
avec des frottoirs. On a pas de cuvettes d’étain à l’intérieur. Les commerçants prolongent leurs étals
et encore moins de baignoires. Quand on veut en installant sur la chaussée des tables et des auvents,
une ablution, faut payer le barbier-étuviste. Vous procédé illégal, mais répandu. Par exemple, rue
vous rendez compte ? de la Friperie, près des Halles, les fripiers exposent
Et puis pourquoi vous m’accusez moi ? Je vous manteaux, pourpoints, chapeaux, casques, guenilles,
dis que c’est l’élixir du docteur Jacquard qui les a justaucorps et houppelandes jusqu’au milieu de la rue,
tués. Ce charlatan disait que ça purifiait les pires au point que l’on ne peut plus passer.
eaux. Et voilà, ils sont morts. Vous l’avez retrouvé, Les boutiques se regroupent souvent par rues, sous
le Jacquard ? Morbleu ! Pauvre commissaire, l’impulsion des corporations, à tel point que certaines
quand même. portent leurs noms. Il en est ainsi de la rue de la Friperie,
Alexandre Carignon, mais on a aussi la rue de la Tonnellerie ou celle des Oyers
dans l’affaire des empoisonnés – du nom des rôtisseurs d’oies. Le pont au Change
est le domaine des orfèvres et des changeurs, la rue
Mouffetard celui des écorcheurs et des tanneries. La rue
Perdue et la place Maubert, enfin, sont réputées pour
leurs libraires et leurs imprimeurs.

168
┌ La place Royale
Sous le règne d’Henri IV, Paris n’avait ni place
ni carrefour important qui puisse servir de lieu de fête et
de promenade. Henri IV décida en 1605 de transformer
le marché aux chevaux en une place. On construisit
de la Harpe, ou des Trois-Pigeons, rue Saint-Honoré,
face à l’église Saint-Roch. Celle de Cure-Tarasque est
moins prisée.
Leur activité est strictement réglementée. Défense aux
tenanciers d’accueillir les habitants, seuls les passants
d’abord le grand pavillon au sud appelé le pavillon et les voyageurs peuvent dormir à l’hôtellerie. Défense
du Roi, propriété de la couronne, sur lequel se mode- de donner asile aux vagabonds et aux gens malfa-
lèrent les autres. Ceux-ci, moins élevés, reposent sur més. Obligation d’avoir une enseigne bien visible sous
une suite d’arcades formant galerie. Ils sont tous faits laquelle on peut lire, en grosses lettres, hôtellerie, cabaret
de brique à bordure et encadrement de pierre blanche ou taverne. Enfin, quand les voyageurs arrivent dans
avec de grands combles d’ardoise surmontés d’épis l’un de ces lieux, le tenancier a ordre de prendre leurs
de faîtage en plomb ouvragés. Au total, on compte noms, le détail de leurs armes et de leurs chevaux, et
trente-six pavillons. Henri IV ne vit pas l’achèvement d’envoyer une copie de ces informations au lieutenant
de la place Royale dont l’inauguration se fit en avril civil du prévôt de Paris, au Châtelet.
1612 à l’occasion d’un futur double mariage, celui
de Louis XIII avec Anne d’Autriche et celui de sa sœur Si l’on ne veut que manger, mais bien manger, il y a
la princesse Élisabeth de France avec l’infant d’Espagne quelques restaurants fameux. La Boisselière, face au
le futur Philippe IV. Dès lors la place Royale devint le sé- Louvre, est le rendez-vous des gentilshommes qui
jour en vogue d’hommes et de femmes célèbres. Parmi aiment dépenser sans compter – la cuisine est exquise,
les hôtels fameux, le numéro 6A est habité de 1639 mais les prix exorbitants. Le restaurant de Coiffier est
à 1648 par l’intrigante Marion Delorme. Au numéro 21 presque aussi bon, mais moins dispendieux – goûtez son
se trouve l’hôtel de Richelieu. Le Cardinal n’y a toutefois pâté de béatilles, une merveille ! Et que dire de Maître
pas habité. Il est la résidence du comte de Maillé-Brézé, Renard, sur la terrasse des Tuileries ? Peut-être que
son beau-frère. Sa fille Clémence est l’épouse du Grand la façon qu’il a de vous isoler dans de discrètes alcôves
Condé. Son fils Jean-Armand, grand maître de la na- permet, au détour d’un mets délicat, de vivre quelque
vigation, disparaît à la bataille d’Orbetello en 1642. aventure galante. Il y en a de nombreux autres,
Jadis entouré d’une très belle grille de fer forgé et doré, pour toutes les bourses, dans toutes les rues, mais
le jardin de la place Royale s’enorgueillit de la statue ceux-là valent vraiment le détour.
équestre de Louis XIII.
Enfin, au quotidien, on n’a souvent ni le temps ni
l’argent de s’attabler. On s’arrête alors chez un rôtisseur
Hôtelleries, restaurants et rôtisseurs – il y en a plusieurs centaines dans Paris – pour acheter
à vil prix toutes sortes de viandes à emporter. Du bœuf,
Les hôtelleries – à ne pas confondre avec les hôtels parti- du mouton, du gibier, du porc et beaucoup d’oies
culiers – sont des endroits où l’on mange, où l’on couche tournent à leurs broches. Depuis l’ordonnance de 1628,
et où il y a des écuries pour les chevaux. Leurs cuisines certains proposent également des fricassées en tartine,
fument à toute heure et leurs enseignes sont parfois sur une tranche de pain.
célèbres – on dit le plus grand bien des Quatre-Rats, rue

169
Le dernier tiers de l’escalier, qui conduit aux chambres
du duc et de son écuyer, est plus étroit, aménagé dans
une petite tourelle ronde en encorbellement. Une deu-
xième grille en défend l’accès.
L’hôtel attenant tombe en ruine au xvie siècle. La proprié-
té est morcelée, certains pans sont détruits, les terrains
lotis. L’un des propriétaires sous Henri III est un seigneur
espagnol, Diego de Mendoza, ambassadeur, historien et
poète. Il s’oppose à la destruction de la vieille tour, dont
il obtient la propriété des mains de François Ier. Mendoza
devient un éminent personnage de la cour et obtient
la charge de grand maître de France. Son nom change
en Mandosse, et tout le monde oublie ses origines
espagnoles. D’un second mariage, Mendoza a une fille,
Louise Mandosse, qui hérite de la tour. Son époux,
le financier Jean Duquin, condamné pour fraude et em-
prisonné, meurt en captivité. Son fils Hector Duquin,
né en 1610, embrasse une carrière de comédien au
théâtre de l’hôtel de Bourgogne. La destinée de son père
développe chez lui une haine pour le trône. La Griffe
noire en profite pour le rappeler à ses origines espagnoles
pour en faire un espion redoutable. Duquin s’installe
dans la vieille tour, au sommet de laquelle il installe
une petite messagerie de dragonnets. Il entretient
une troupe d’assassins, tous féminins, placés sous
la coupe de Jeanne Orviel, une sang-mêlé fascinante
installée dans la chambre de l’écuyer.


Le Théâtre de l’hôtel de Bourgogne
Sur la partie ouest de l’ancien hôtel, les Confrères
de la Passion, qui présentent des mystères et
La tour de Jean sans Peur des moralités, font construire en 1548 une salle
Après avoir fait occire son cousin germain de spectacle qui devient plus tard le Théâtre de l’hôtel
le duc Louis d’Orléans en 1407, Jean Ier de Bourgogne, de Bourgogne. L’opposition du Parlement aux pièces
surnommé sans Peur, craignant la vengeance des proches religieuses fait basculer le répertoire des Confrères
de sa victime, fait construire au centre de son hôtel dans la farce et attire un public de plus en plus popu-
une tour censée le protéger des assassinats. Cette tour laire. Toutefois, en 1599, le théâtre gagne le monopole
carrée, d’une hauteur d’environ 25 mètres, s’appuie sur à Paris, obligeant les troupes à se produire entre ses
le mur de l’enceinte de Philippe-Auguste. Au niveau murs. Une opposition entre les Confrères et les autres
du premier étage, elle est d’ailleurs reliée à une tour comédiens, en particulier les Italiens installés par Marie
ronde de la vieille enceinte de Paris. Ce donjon est de Médicis, agite constamment le théâtre. En 1642,
aménagé comme suit : au rez-de-chaussée se trouve le roi impose de renforcer la troupe en puisant
une salle des gardes, éclairée par une fenêtre dotée dans celle de la nouvelle troupe des Comédiens du
de solides barreaux. Le premier étage est occupé par Marais. L’un d’eux, Floridor, prend la tête du théâtre
une chapelle, illuminée par une grande baie. Au troi- en 1647. Le répertoire de farces, anciennement
sième étage se trouve l’ancienne chambre de l’écuyer du porté par Turlupin ou Gros-Guillaume, s’enrichit
duc, tandis que le quatrième est dévolu à une chambre d’œuvres du dramaturge Pierre Corneille. Celui-ci est
qui accueillait Jean sans Peur. Tout en haut de la tour, accueilli par Hector Duquin, qui est également proche
en encorbellement, une plateforme avec des créneaux de Floridor. La troupe des acteurs, sans le savoir, passe
garnis de mâchicoulis permet la surveillance des en- sous l’influence des dragons.
virons. On accède aux premiers étages par un escalier
à vis qui s’élève dans une tourelle carrée attenante
à la tour. Une grille en fer défend la porte.

170
Les bouchons Les corporations
Dans une taverne, on sert exclusivement à boire – on À Paris, tous les métiers ou presque sont réglementés
pose les verres et un pichet de vin à lamper, sur une table et organisés en corporations – ou jurandes – auxquelles
de bois nu. Dans un cabaret, on met nappe et serviettes l’autorité royale délègue des pouvoirs et des compétences
et l’on propose un peu à manger. Malgré cette différence, en échange d’une contrepartie financière.
tavernes et cabarets sont tous deux des « bouchons », Juridiquement, ces métiers s’opposent aux métiers libres,
en référence à l’enseigne que ces établissements doivent que l’on a le droit de pratiquer sans avoir à en demander
pendre à leur devanture : une touffe de branches de lierre, d’autorisation – l’exemple typique des métiers libres est
de houx, de paille, de cyprès… Et près de la porte de tous l’agriculture, mais on peut aussi citer les petits métiers
est accroché le même écriteau : « Crédit est mort ! » de la rue, la banque, le change et le notariat.
Les bouchons sont extrêmement nombreux et certains Chaque corporation a un statut propre, des lois
sont célèbres : la Pomme de Pin, rue de la Juiverie, spécifiques et des privilèges, et tout travailleur qui
à l’entrée du pont Notre-Dame ; la Croix Blanche, souhaite exercer un métier réglementé doit payer pour
près du cimetière Saint-Jean ; le Petit Saint-Antoine, s’y affilier. En échange, il en retire des avantages –
rue Saint-Antoine. solidarité entre membres, monopole, notoriété – mais
Certains bouchons sont le fief de corporations, de mé- aussi des devoirs – façon de travailler, comportement
tiers ou de corps d’armée. Les avocats fréquentent le Petit face au client, relation avec les autorités.
Diable, près du palais de la Cité, et les clercs la Tête Les corporations sont le théâtre de nombreuses
Noire. Les gens de l’Université, eux, vont à la Corne, affaires. Leurs membres se jalousent, leurs dirigeants
rue des Sept-Voies, ou place Maubert. L’Aigle Rouge, volent dans les caisses, et des haines tenaces opposent
enfin, est le lieu où les Gardes du Cardinal ont leurs des corporations en concurrence pour obtenir des pri-
habitudes. vilèges de l’autorité royale.

À boire — Monsieur, mon maître vous a sommé plusieurs


Que boit-on dans les bouchons de la capitale ? fois de cesser de vous prévaloir du titre de « maître
Vins fins : la rosette, le romény, le muscadet blanc, d’armes », sans lequel la pratique d’enseigner l’escrime
le beaune, l’ay, l’irancy, l’anjou. est illégale. Vous avez persisté en dépit de ces avertis-
Bière : la bière et la cervoise communes, assez po- sements. Mon maître nous envoie aujourd’hui pour
pulaires. Pour les connaisseurs, la godalle anglaise nous assurer que vous quitterez Paris et ses alentours
– un terme dérivé de good ale. dans l’heure, et pour ne plus jamais y revenir.
Cidre : encore peu connu. On le veut clair avec Comme tous les métiers ou presque, celui de maître
une couleur d’ambre, une bonne odeur, un goût doux d’armes était réglementé. Créée en 1567 sous
et un peu piquant. le patronage de saint Michel, la compagnie des maîtres
Liqueurs : le muscat d’Espagne, l’hypocras, l’hydro- d’armes parisiens en organisait et surveillait
mel. Des fruits confits dans l’eau-de-vie et servis dans la pratique dans la capitale, selon des statuts confirmés
de petites tasses – cerises, citrons, oranges, groseilles, par lettres patentes. N’enseignait pas l’escrime
fraises, framboises, pêches et abricots. qui voulait.
Thé et café. Le chocolat, lui, reste rare avant l’avènement Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal
de Louis XIV.
On accompagne parfois ces boissons de jambon,

Arts, lettres
d’andouilles, de cervelas et de pâtés d’échaudés.

et distractions
Ils partageaient un même goût pour le savoir,
les livres et plus particulièrement les traités de magie
draconique dont la librairie Bertaud, rue Perdue,
se faisait d’ailleurs une discrète spécialité.
Pierre Pevel, L’Alchimiste des Ombres

Collèges et librairies
L’université de Paris est l’une des plus importantes
et des plus anciennes universités d’Europe. Depuis

171
le Moyen Âge, elle regroupe tous les collèges parisiens
de la rive gauche et est auréolée d’un très grand
prestige. Réputée notamment dans les domaines
de la philosophie et de la théologie, elle assure la for-
mation des membres de l’enseignement, des hôpitaux,
de la recherche, des libraires et de tous les clercs
administratifs – les clercs des conseils, parlements,
tribunaux, cours.
L’université est formée de cinq facultés : la faculté
générale, la faculté des arts, la faculté de droit, la faculté
de médecine et la faculté de théologie. Chaque faculté
est divisée en nations, en provinces et en diocèses
en fonction des domaines qui y sont enseignés. Autant
de raisons de comploter, de courtiser et de s’écharper
en pleine rue pour que tel ou tel domaine prévale.
La branche la plus prisée de la faculté générale est celle
du Collège royal. Là, on trouve les meilleurs professeurs
de langues mortes, d’hébreu ou de mathématiques, mais Pierre Teyssier
aussi la Bibliothèque royale de France. Hébergée à l’hôtel Le plus connu d’entre eux est Pierre Teyssier. Conseiller
de Saint-Côme et Saint-Damien par la corporation personnel de Richelieu, il est resté au service
des chirurgiens, cette institution est chargée du dépôt de Mazarin. Il habite rue des Enfants-Rouges, dans
légal des œuvres publiées depuis 1537. On peut venir une officine proche de l’orphelinat du même nom,
y consulter la plus grande collection d’ouvrages et à l’ombre de la tour du Temple. Il y reçoit toujours,
de documents du royaume. dans une antichambre presque vide de meubles, dont
on ignore sur quoi elle donne.
Les librairies sont les succursales les plus accessibles En 1639, Teyssier a acquis le privilège royal d’ensei-
des collèges – car il suffit d’un peu d’argent pour y ac- gner son art et de créer un collège de magie – province
quérir un morceau de savoir imprimé. Tous les jours, de la faculté de théologie – au sein de l’orphelinat
place Maubert, rue Saint-Jacques, rue Perdue, rue des Enfants-Rouges inoccupé depuis l’incendie
de la Barillerie, au Palais, au Puits-Certain et dans de 1633. On appelle toujours le lieu l’Orphelinat, car
les ruelles voisines, une centaine de librairies et on y recrute des étudiants très jeunes qu’on loge sur
trente-neuf ateliers d’imprimerie sont pris d’assaut place, et les étudiants en magie sont dits les Enfants-
par des auteurs et des clients venus feuilleter les livres Rouges – ou les Petits Cardinaux. On craint de croiser
nouveaux, discuter des problèmes de style, régler leurs dans les rues de Paris ces gamins étranges vêtus
comptes ou mendier quelques travaux d’écriture. de bures, de houppelandes et de gants écarlates –
une tenue très proche de celle que l’on fait porter
Les maîtres de magie aux ransés.
Depuis un siècle, les maîtres de magie ont envahi
la capitale. Charlatans, véritables érudits ou sorciers
de campagne, ils fascinent les puissants et effraient Gazettes et courriers
les humbles. L’Église en condamne certains, mais sait
leur savoir indispensable pour déjouer les complots En 1631, Théophraste Renaudot crée la Gazette. Ce pé-
fomentés par les dragons. riodique de quatre pages, distribué tous les vendredis
Les maîtres de magie ont su se faire une place aux dans la capitale, informe ses lecteurs sur les nouvelles
côtés des nobles, leur prodiguant conseil en échange des cours d’Europe et de France. Le poète Voiture et
de leur protection, et il est aujourd’hui impensable l’auteur satirique Bautru – au service secret du Cardinal
pour un seigneur ou une grande dame de ne pas avoir – y commettent quelques textes, et Louis XIII lui-même
de maître de magie. y contribue parfois par amusement. On y apprend
beaucoup et c’est un organe essentiel d’information,
à tel point qu’on dit la Gazette plus fiable qu’un courrier.
La poste constitue le seul médium d’information
à travers l’Europe. Depuis plus d’un siècle, la famille
Tassis a acquis, par ordonnance royale, le privilège du
transport de courrier. Les relais de poste sont nombreux
– on en trouve toutes les quatre ou cinq lieues – et on
compte en France plusieurs milliers de maîtres de poste,
courriers et postillons.

172
Les riches seigneurs qui désirent une livraison plus sélectionnés et dressés par les soigneurs de la maison
rapide, plus sûre et plus discrète de leurs missives louent Gaget, auxquels on accroche des lettres ou de petits
des courriers personnels ou font appel aux messageries paquets à destination d’Orléans, de Rouen, de Lille,
– plus chères, mais encore plus sûres. C’est là que le bât de Rennes…
blesse : le privilège royal accordé à Urbain Gaget et Un autre bâtiment, surplombé par une énorme pierre
à ses messageries révolutionnaires entame le monopole de Bohème jaune, est le beffroi aux vyvernes. Là,
des Tassis. Entre les postes et les messageries, la guerre depuis 1634, on peut louer des montures volantes pour
est déclarée. Progressivement, Mazarin réalise que voyager en un temps record, à condition de disposer
la situation de monopole dont jouit Urbain Gaget de beaucoup d’argent, d’audace et d’un estomac solide.
donne à ce dernier un pouvoir excessif. Ne dit-on pas
qu’il critique, parfois vertement, le cardinal lorsque
l’alcool délie sa langue ?
Mazarin prend l’excuse de la formation du corps
Mes chères Lames,
Je vous sollicite, car l’ambassadeur Bolivar a
des Vyverniers royaux pour limiter le pouvoir perdu la trace de sa fille, Isabel, une jeune enfant
de Gaget. Il fait appel aux Vyverneries Dubuis, qui ransée qui l’accompagne dans tous ses déplace- © 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
fournissent montures et services avec diligence et ments. Isabel a mystérieusement disparu de l’hôtel
discrétion. d’Ancre où tous deux résidaient. Je crains que
Mais comment Gaget vit-il ce camouflet ? Nul ne saurait la pauvre enfant n’ait été forcée à porter la bure
en être certain. rouge et la crécelle des mendiants ransés,
ou qu’il s’agisse d’un enlèvement politique. Bolivar
Mais qu’est-ce qu’une messagerie ? Pour le savoir, doit en effet signer un accord important entre
étudions celle de la rue de Gaillon, à Paris – rive droite, la France et l’Espagne. Je vous invite à commencer
près des moulins à vent de la butte Saint-Roch. Ici par interroger Teyssier à l’Orphelinat. Il a été
s’élève la première des vingt messageries d’Urbain retrouvé dans la chambre de Bolivar un courrier
Gaget, détenteur du privilège du transport de courrier portant des glyphes draconiques dont il dit ignorer
aéroporté. Plusieurs bâtiments en pierre s’y dressent l’origine. En outre, Isabel semblait très attirée
autour d’une cour pavée, dont une tour mince et par les Enfants-Rouges, sur lesquels elle s’était
circulaire, coiffée d’un toit d’ardoises conique et percée renseignée avant même sa venue à Paris.
de plusieurs rangs d’ouvertures en demi-lunes. Elle
ressemble à un pigeonnier surdimensionné à l’intérieur Ne me décevez pas.
duquel on entend des créatures grogner, cracher et battre
des ailes. De là s’envolent constamment des dragonnets

173
Les académies de jeux Au théâtre ce soir
Il y avait des billards à l’étage, sur lesquels Les premières troupes de théâtre se forment sous le règne
on poussait des billes d’ivoire avec des cannes de Louis XIII, mais, au milieu du siècle, le public est
recourbées. Çà et là, des échiquiers, des damiers et encore marginal. La capitale compte un demi-mil-
des plateaux de trictrac étaient laissés à la disposition lion d’habitants et pourtant seules quelques troupes
de chacun. Des dés roulaient. Mais les cartes, surtout, permanentes parviennent à y survivre, et encore,
plaisaient. Piquet, hoc, ambigu, impériale, trente en renouvelant constamment leurs pièces pour ne pas
et un, triomphe, tous ces jeux se prêtaient à parier lasser. Des troupes itinérantes passent également sur
sur un as de cœur, un neuf de trèfle, une vyverne Paris, mais elles n’y restent jamais longtemps.
de carreau ou un roi de pique. Les salles – jeux de paume réaménagés et autres locaux
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal de fortune – sont peu adaptées au spectacle. On utilise
parfois la salle du Petit-Bourbon – trop grande – ou celle
Dans les bouchons, on vient se détendre, boire et du Palais-Cardinal – trop longue et trop étroite.
rire jusqu’à la tombée de la nuit – après quoi, ferme- L’hôtel de Bourgogne est, jusqu’en 1634, la seule
ture ! Les grands auteurs du siècle et les plus pauvres salle de théâtre permanente de Paris, et reste après
s’y retrouvent, et on dit que ces lieux ont joué un rôle cette date le haut lieu de théâtre de la ville. Il héberge
central dans la conception de plusieurs chefs-d’œuvre la troupe de la Confrérie de la Passion dans un cadre
littéraires. Ici, on prône la liberté de pensée et le liber- aussi monumental que curieux : ancienne résidence
tinage, l’expérience, la nouveauté. On chante paillard des ducs de Bourgogne tombée en désuétude et plusieurs
et on joue beaucoup. fois divisée, on y entre par la rue Pavée-Saint-Sauveur,
Le jeu, réprouvé par la morale, reste largement prati- par un porche qui ne donne plus sur une cour, mais
qué. Partout, on joue aux dés ou aux cartes, mais pour sur la rue Françoise – qui coupe le corps de logis
vraiment goûter au plaisir du jeu, il faut se rendre dans en deux. L’endroit est vétuste, mais animé ; on y donne
une académie de jeu. des tragédies de Rotrou et des farces à l’italienne.
Le théâtre du Marais, rue Vieille-du-Temple, naît en 1634
Souvent tenus par des veuves qui trouvent ainsi au cœur d’un quartier à la mode – le Marais. Cet ancien
un moyen d’entretenir leur hôtel, ces lieux sont ré- jeu de paume accueille la seconde troupe de théâtre
putés aussi plaisants que dangereux. Toutes les nuits, de Paris, la troupe du Marais, qui se targue de posséder
des héritages y disparaissent sur une levée malheureuse et les meilleurs acteurs de France et joue les pièces du
des piles de pièces d’or, des bijoux et des reconnaissances célèbre Corneille. La concurrence entre le théâtre du
de dettes y sont raflés sur les tapis. Marais et l’hôtel de Bourgogne est vive, au point que
L’académie la plus célèbre de Paris est celle de Madame fréquemment les deux troupes créent en même temps
de Sovange. Là, chaque soir, des feux et flambeaux deux pièces rivales sur le même sujet. Le roi lui-même
donnent une lumière chaude que renvoient les ors, intervient parfois pour apaiser les tensions et faire passer
les cristaux et les miroirs des salons. Hommes et des comédiens d’un théâtre à l’autre.
femmes y viennent habillés comme pour paraître En 1643 naît une troisième troupe permanente, l’Illustre
à la cour. On y entre parce qu’on est connu, ou invité Théâtre, sous l’impulsion de la famille Béjart et d’un an-
– les gardes du lieu sont intransigeants. cien tapissier, Jean-Baptiste Poquelin. On assiste à leurs
représentations au tripot de la Perle, rue de la Perle, puis,
plus tard, au jeu de paume des Métayers, rue de la Seine.

Molière

174
Réceptions et salons Les jumelles de Saint-Thomas
Les hôtels particuliers s’annoncent par un majestueux
Les hôtels particuliers sont le lieu de mille distractions et, portail qui s’ouvre sur une cour d’honneur. De là,
pour beaucoup, le centre névralgique de la vie artistique on accède aux dépendances, écuries, abris à voitures,
parisienne – plus encore que les bouchons. Ces vastes à bois ou à foin, ainsi qu’au corps de logis – un riche
et luxueux bâtiments reçoivent à toute heure dans leurs bâtiment à étages. Par-derrière se trouve un jardin et
salles, leurs appartements et leurs jardins, et certains certains, comme celui de l’hôtel de Condé, sont si
tiennent même table ouverte : les habitués peuvent vastes qu’ils sont ouverts au public pour la promenade.
s’y présenter sans prévenir, leur assiette est toujours pré- Partout, des domestiques s’affairent. Des Gardes suisses
parée au cas où – une aubaine pour les gentilshommes veillent à l’entrée, on tire de l’eau au puits, on panse
désargentés ou les auteurs impécunieux. les bêtes, on lave les carrosses, on s’occupe du linge,
Là, les grandes dames – veuves, héritières célibataires de l’approvisionnement, des lumières.
ou épouses délaissées – s’entourent de beau monde, Les maîtres y sont nombreux : les familles sont
d’artistes, de maîtres de magie et d’une véritable petite grandes et les hôtels hébergent enfants, cousins et
cour de familiers. Certaines de ces dames, comme belles-familles. Parfois, on prête des appartements pour
Madame de Sovange, transforment leur demeure plusieurs mois à un ami provincial ou à un artiste que
en académie de jeu, mais, le plus souvent, elles tiennent l’on apprécie.
plutôt des salons. Intéressons-nous à deux hôtels parmi les plus célèbres :
Les salons regroupent quelques milliers de Parisiens, Chevreuse et Rambouillet. Mitoyens, leurs portails
le plus souvent des gens de cour lorsqu’ils ne s’y trouvent donnent tous deux sur la rue Saint-Thomas-du-Louvre
pas : seigneurs, gentilshommes, grands bourgeois, gens et leurs jardins sur la rue Saint-Nicaise.
de lettres… Chaque salon a son caractère particulier, L’hôtel de Chevreuse se compose d’un corps central orné
mais tous sont réputés pour leur raffinement. Certains de niches garnies de statues, encadré de deux pavillons
sont mondains, d’autres littéraires, philosophiques carrés coiffés en pyramide et de deux longues ailes
ou savants. encadrant la cour, reliées le long de la rue Saint-Thomas-
Les familiers des salons se disent tous un peu artistes, du-Louvre par une aile basse où s’ouvre un portail
déclament des vers, chantent, jouent du luth, du violon monumental avec pilastres, trophées et figures d’Hercule
ou du clavecin, dansent. Certains s’y forgent une image et Mercure. Derrière l’hôtel, une terrasse surplombe
de précieux, d’autres de libertins – il faut dire que un grand jardin.
les intrigues amoureuses y sont courantes, ce qui y attire Le corps central est occupé sur deux niveaux par
nombre de jeunes gens. les salles de réception et les appartements, les parties
les plus intimes se situant à chaque extrémité. Son
La promenade intérieur est renommé pour le raffinement de sa déco-
Le « cours » de la porte Saint-Antoine est l’un des lieux ration, ses plafonds et ses monumentales cheminées,
de promenade préférés des Parisiens. Riches et pauvres, le tout sculpté, peint et doré.
aristocrates et roturiers, tous viennent s’y promener, L’hôtel de Chevreuse est le siège d’une société brillante
s’y distraire ou s’y montrer. Les femmes y viennent et joyeuse, obsédée par les intrigues amoureuses et
masquées, à la mode italienne, et les bourgeois politiques. On mange dans les grandes salles du rez-
ne s’y montrent qu’avec un carrosse de quatre chevaux, de-chaussée, on boit, on danse beaucoup et, souvent,
au petit pas. On bavarde, on plaisante, on chante, on on s’isole pour un discret moment d’intimité.
courtise. On joue à cache-cache ou aux quilles. Aux L’hôtel de Rambouillet est construit selon des plans spé-
beaux jours surtout, l’endroit est très couru. cialement étudiés pour faciliter les réceptions. Catherine
de Rambouillet y tient le salon de l’Incomparable
Arthénice et est l’une des personnalités féminines les plus
marquantes et les plus brillantes de son temps. Elle
reçoit allongée les plus beaux esprits et les plus grands
personnages – Richelieu lui-même fait partie de ses
familiers. Les bals et les plaisirs s’y succèdent, mais
tout y est toujours prétexte à la réflexion et à l’intel-
ligence. Ici, on n’est pas précieux : on est moderne et
féministe. Le marquis de Montausier constitue le plus
proche soutien de Catherine.

175
Paroisses et
hôpitaux
Soudain, le glas de Notre-Dame sonne.

Histoire
Notre-Dame de Paris
Notre-Dame de Paris, la cathédrale emblé-
matique de la capitale, est plantée sur l’île de la Cité.

Pierre Pevel, Le Dragon des Arcanes Dès le ive siècle, Paris devient capitale chrétienne, et
prend son essor. Au vie siècle, une première cathédrale,
Saint-Étienne, est construite sur l’île, en lieu et place
Les paroisses d’anciens temples romains dédiés à Jupiter, mais aussi
à des divinités chtoniennes. La ville prospère alors, et
Paris est divisé en une cinquantaine de paroisses gou- se déploie sur les rives autour de l’île de la Cité.
vernées par les curés et les marguilliers – des officiers Quelques siècles plus tard, les croisades et les pèlerinages
religieux chargés de tenir les registres de l’église. Les plus vers Saint-Jacques-de-Compostelle font de l’île une étape
grandes de ces paroisses sont Saint-Germain-l’Auxerrois, incontournable. Ce passage régulier de voyageurs amène
la paroisse royale où Sa Majesté assiste aux offices prestige et prospérité. Maurice de Sully, évêque de Paris,
solennels, et Saint-Eustache – sur la rive droite. On peut décide alors de débuter la construction d’une nouvelle
aussi citer Saint-Barthélemy, Saint-Germain-le-Vieux, et vaste cathédrale, un écrin titanesque pour accueillir
Saint-Pierre-aux-Bœufs, ou Sainte-Opportune. les fidèles. Les travaux débutent en 1163 et durent
Il y a des centaines d’églises, couvents, chapelles et ba- deux cents ans.
siliques à Paris, la plupart silencieux, sombres, humides En 1239, les reliques de la crucifixion du Christ sont
et vides. Un portier est chargé d’assurer la tranquillité ramenées par Saint Louis de Jérusalem et sont déposées
des lieux et chasse avec un zèle égal mendiants et chiens à Notre-Dame. Conservées dans la cathédrale, elles
errants. Les nefs des églises n’ont pas de bancs, mais attirent toujours plus de fidèles.
des chaises que l’on peut louer lors des offices. En 1250 s’achève la construction de la tour nord. La ca-
Grâce à de pieux bourgeois inquiets de leur salut éternel, thédrale est alors opérationnelle. Les étapes postérieures
les paroisses ont d’amples revenus avec lesquels elles concernent des ajouts et des embellissements, jusqu’à la fin
paient l’entretien de leurs curés, vicaires, chanoines de la construction en 1363. Le clergé parisien s’attache
et chapelains, que l’on croise parfois dans les rues, alors à garder intacte la cathédrale. Notre-Dame traverse
vêtus de longues robes dont les manches cachent les siècles sans subir de transformation majeure.
les mains et dont les tailles sont serrées par des ceintures Le xviie siècle voit le renforcement du lien entre les rois
de laine. Tous ont la tête couverte – par de simples calots de France et Notre-Dame. En 1638, Louis XIII place
pour les hommes et de grandes coiffes de laine pour son royaume sous la protection de la Vierge, afin d’ob-
les femmes. Ils ne portent que des étoffes de couleurs tenir victoires militaires, protection contre les dragons et
modestes – le gris, le brun, le blanc, le noir. un héritier mâle. Ledit héritier, Louis XIV, renouvellera
les vœux de son père en 1650.

176
┌ Le mystérieux maître d’œuvre
Pour donner vie à la vision de Maurice
de Sully et de son chapitre, un maître d’œuvre
fut engagé. Il fut chargé de l’approvisionnement,
des calculs et de l’orchestration des différents corps
Le cloître de Notre-Dame
Le cloître désigne le quartier situé sur la pointe nord
de l’île de la Cité. Le quartier, clos et accessible par
trois portes, comporte une quarantaine de logements
cossus destinés originellement aux chanoines. Dénué
de métiers. Sa compétence, étudiée a posteriori, dé- de tavernes et auberges, le quartier jouit d’une tran-
passe l’entendement. Une aura de mystère entoure quillité appréciée. Les chanoines ont progressivement
encore son identité, et il se murmure que ce génie loué leurs logements en échange de coquets reve-
de la construction n’était en fait pas humain. On trouve nus. Le cloître accueille de fait plus de séculiers que
quelques mentions du maître d’œuvre dans de vieux de religieux. L’émissaire des Gardiens à Paris y est établi.
parchemins de l’époque, où il est désigné sous le simple
nom de Petrus. Reste que dans la cathédrale peuvent Un géant balafré
être remarqués, pour celui qui sait chercher, des signes Notre-Dame atteint 130 mètres de longueur, pour
mystérieux, étranges entrelacs n’appartenant à aucune 48 mètres de large au transept et 35 mètres de hauteur
graphie connue, et dont les fonctions – dépassant sans sous voûte. Sa façade de 40 mètres de large, encadrée
doute le simple aspect décoratif – restent à ce jour par ses tours hautes de 70 mètres, est impression-
inconnues. Quels secrets se cachent dans les pages du nante. Le parvis devant la cathédrale est assez étroit,
livre de pierre ? encore bordé de bâtiments ayant souffert de l’at-
taque de 1633.
Notre-Dame et les dragons En effet, les dommages causés par l’Archéen marquent
Notre-Dame est sans doute le symbole que les dragons encore Notre-Dame. Nombre d’embellissements et
de la Griffe noire haïssent le plus. Unité de la France, de statues ont été brisés, et tout n’a pas encore été
ferveur chrétienne, toutes ces valeurs qui transcendent restauré, bien que le trône eût dépensé sans compter
leur adversaire font de Notre-Dame une cible pour effacer les traces du combat. Des ouvriers dracs
de choix. Les Châtelaines n’ont de cesse de surveiller ailés, surnommés les papillons des cloches, s’occupent
l’édifice, que l’on dit également protégé par les mys- des endroits les plus difficiles d’accès. À l’intérieur,
térieux Gardiens. des œuvres peintes par les plus grands artistes dépeignent
Certaines informations dénichées récemment par le combat entre Agnès de Vaudreuil et le dragon. Des
l’Italienne – avec toutes les réserves que cela implique vitraux en verre blanc remplacent ceux détruits par
– semblent indiquer que l’attention des dragons dépasse l’attaque, apportant une douce lumière dans l’édifice.
en fait l’aspect symbolique. Qu’il y aurait quelque chose
à Notre-Dame, ou en dessous, qui recèle un intérêt
de prime importance. Un élément que la France, sans
forcément en avoir pleinement conscience, protège
envers et contre tous.

Le bourdon de Notre-Dame
La cloche nommée Marie, située dans la tour sud, est

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
la plus vieille de Notre-Dame. Elle possède une capacité
exceptionnelle : faire résonner autour d’elle la magie que
les Châtelaines mobilisent lors de cérémonies. Cette
magie ainsi répercutée peut refouler les créatures
draconiques. En 1633, elle a repoussé l’Archéen
durant de précieuses heures, permettant aux Lames
de s’organiser.

177
┌ L’enclos du Temple
L’ordre des Templiers était un ordre militaire
et religieux fondé au xiie siècle pour protéger les pè-
lerins sur la route de Jérusalem. On les reconnaissait
à leur tabard blanc orné d’une croix rouge. Leurs
L’ancienne salle du chapitre est l’un des rares endroits
de la tour dans lequel les étrangers sont reçus. La pièce
est immense, large, haute et éclairée par des vitraux
en ogive. Au fond, une longue table recouverte
de nappes blanches s’étire parallèlement à un mur
actes de bravoure durant les croisades leur rappor- qu’orne une immense tapisserie représentant saint
tèrent des récompenses conséquentes en argent et Georges terrassant le dragon. L’enclos du Temple est de-
en terres. L’ordre posséda jusqu’à neuf mille domaines, venu au fil des affrontements entre Richelieu et la mère
nommés commanderies, dans toute l’Europe. Paris de Vaussambre, l’ancienne mère supérieure, un lieu
ne fit pas exception. Les Templiers possédaient en effet d’échanges politiques souvent houleux. On pourrait
une commanderie près de la place de Grève, mais parfois croire que le Temple est une ambassade étrangère
décidèrent de bâtir un enclos fortifié dans lequel en terre hostile, et il faut attendre la mort de la mère
ils s’installèrent. Après les défaites subies en Terre sainte, de Vaussambre en 1649 pour voir un apaisement.
le grand maître s’établit dans l’enclos avec le légendaire Enfin, dans un espace dégagé de l’enclos a été placé
trésor de l’ordre. L’histoire de la déchéance des Templiers un squelette de dragon, vaincu en Terre sainte et
est connue, et s’achève officiellement par l’exécution rapporté par les Templiers. Ce souvenir macabre est
du grand maître Jacques de Molay et la malédiction censé rappeler, si besoin est, à quel point le trône est
qu’il lança sur le roi Philippe le Bel et le pape Clément V. dépendant des Sœurs de Saint-Georges.
L’enclos du Temple aboutit alors entre les mains
des Sœurs de Saint-Georges, qui s’y établirent et
y résident depuis.
L’enclos du Temple domine le quartier des Enfants-
Rouges, au nord du Marais. Il est ceint d’une muraille
médiévale crénelée et jalonnée de tourelles. On y entre
par un pont-levis. À l’intérieur, une grande église,
un cloître, un réfectoire, des dortoirs, des cuisines,
des greniers et des celliers, des ateliers, des écuries,
des jardins, des potagers, quelques échoppes et même
des hôtels, tels l’hôtel Poirier ou de Guise. Les sœurs
ont leur propre chapelle. Un grand bâtiment aux allures
de caserne a été alloué aux Gardes noirs.
La célèbre tour du Temple, haute de cinquante mètres,
est un donjon flanqué de quatre tours d’angle plus
élevées, aux toitures coniques enrichies de poussière
de draconite. Étroit et moins élevé, un bâtiment
secondaire – la Petite Tour – est accolé à sa façade
Mes chères Lames,
nord. Les étages des deux constructions ne commu-
Je vous sollicite, car le supérieur
niquent pas, mais pour entrer dans la Grande Tour,
général des Jésuites m’a alerté d’une affaire
il faut traverser le rez-de-chaussée de la Petite. Les étages
touchant son ordre. Un assassin aurait pris
de la tour sont identiques : une salle unique bordée
l’habit d’un de ses frères et préparerait
de trois chambres, chacune dans l’une des petites tours.
un coup à Paris. Je crains que l’inauguration
La Grande Tour est un lieu essentiellement réservé aux
de l’église Saint-Louis ne soit prétexte à quelque
Châtelaines, et même les Gardes noirs – à l’exception
attentat. Déjà annulée une première fois, cette
de leur commandant – n’y sont pas admis. On la dit
cérémonie ne cesse d’être repoussée. Je vous
remplie d’artefacts draconiques et d’ouvrages impies,
invite à commencer vos recherches près de l’hôtel
mais ce n’est en réalité qu’une rumeur alimentée par
des Jésuites, rue Saint-Antoine. Par ailleurs,
les sœurs elles-mêmes. Les trésors se trouvent dans
l’ébéniste auquel le cardinal de Richelieu avait
les sous-sols du mont des Châtelaines.
commandé les portes en chêne sculpté de l’église
Saint-Louis pourrait en savoir plus qu’il ne le pré-
tend. Vous le trouverez à l’Hôtel-Dieu – où
il est soigné depuis un bien mystérieux accident
de chantier…
Ne me décevez pas.

178
Le Temple

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - plan par Gilles Widmer
Les hôpitaux
Les hôpitaux sont ouverts aux vieillards, aux malades
et aux nécessiteux qui y sont pansés, nourris, logés et
┌ Le Val-de-Grâce
En 1621, la reine Anne d’Autriche, alors âgée
de 19 ans, se met en tête de trouver un endroit où elle
pourra se réfugier loin des frasques de la cour. Elle achète
le Petit Bourbon et y installe des religieuses bénédictines
éduqués à la foi chrétienne – ils sont encore largement venues de l’abbaye du Val-Profond. En 1624 elle pose
administrés par des ecclésiastiques même si de riches la première pierre du cloître de ce monastère. Elle s’y fait
bourgeois, au prétexte d’en renflouer les caisses, se les ap- aménager une modeste résidence où elle se rend deux
proprient peu à peu. De nombreux scandales – désordres fois par semaine, en particulier le vendredi, jour où elle
financiers, travail forcé des pensionnaires, trafic d’enfants prend ses repas avec les sœurs. La reine profite de ce
et abus sexuels – en ternissent la réputation. havre de paix pour correspondre clandestinement avec sa
L’Hôtel-Dieu, sur le quai du Marché-Neuf, est le plus famille espagnole, mais aussi avec la cour de Londres et
ancien hôpital de Paris. Chacun peut y trouver refuge et la maison de Lorraine. En 1637, Richelieu, suspicieux,
soin, mais, depuis qu’il est administré bourgeoisement, on charge le chancelier Séguier de perquisitionner dans tout
y découvre des concepts comme la rentabilité médicale l’édifice. Séguier, toutefois, a des scrupules et charge
et le tri des malades : on soigne d’abord ceux qui peuvent Étienne-Louis La Fargue de prévenir la reine. Aussi,
payer, ou guérir rapidement. quand Séguier se présente, ne trouve-t-il que la corres-
L’hôpital Saint-Louis est beaucoup plus récent – sa pondance sans intérêt qu’Anne a bien voulu lui laisser
première pierre a été posée en 1607, après les graves épi- en pâture. Après la mort de Richelieu et de Louis XIII,
démies auxquelles l’Hôtel-Dieu n’avait pu faire face. Il est Anne est proclamée régente et obtient le pouvoir et
essentiellement destiné à accueillir des pestiférés et a pour les moyens de transformer le monastère du Val-de-
cela été bâti hors de Paris, sur le modèle d’une forteresse. Grâce en une magnifique abbaye. La première pierre
Les Petites-Maisons, rue de Sèvres, accueillent les per- de la chapelle est posée en 1645 par un Louis XIV encore
sonnes insensées ou faibles d’esprit. enfant et, dès lors, l’abbaye ne cesse de se transformer
L’hospice des Incurables, flambant neuf, séquestre plus sous la responsabilité de Mansard puis de Lemercier,
qu’il ne soigne les ransés en phase avancée. jusqu’à son achèvement en 1665.
Il y a enfin l’hôpital de la Trinité, rue Saint-Denis, et L’appartement d’Anne d’Autriche se trouve dans l’angle
celui de la Charité, rue Saint-Guillaume. nord-est de l’abbaye, presque entièrement séparé du
reste et d’un style tout à fait différent. L’habitation est
très simple, composée uniquement au rez-de-chaussée
d’un salon et au premier d’une chambre. Anne d’Au-
triche garde durant toute la régence ses habitudes, ce qui
ne cesse d’inquiéter Mazarin, qui voit là une exposition
trop évidente de la reine aux complots divers. Il n’est
d’ailleurs pas rare de voir rôder l’ombre de Saint-Lucq
autour de l’abbaye.

180
Malheurs et miracles les filles du ruisseau ou les servantes lasses de récurer
les casseroles.
Le grand cul-de-sac désolé et presque désert en cette La prostitution la plus commune est celle du ruis-
heure s’animerait la nuit venue, quand truands et seau. Rue de Glatigny, par exemple, on trousse dans
mendiants reviendraient de leur journée de rapines l’ombre des portes cochères, ou dans les réduits minables
ou de mains tendues à Paris. que louent les filles à la semaine.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal Plus rares, plus luxueuses et moins abordables, les mai-
sons closes offrent un confort supérieur pour les pen-
sionnaires comme pour les clients. Les établissements
Misère et violence ne font pas la publicité de leur activité et il faut y être
invité. Chaque maison a ainsi ses habitués, des artistes
Paris regorge de vagabonds, de déserteurs des armées, et des gentilshommes désabusés souvent amoureux
de mendiants, de bourgeois dévoyés, de domestiques de l’une ou l’autre de ses filles.
dégoûtés de servir, d’artisans échappés de leurs métiers, Près de l’église Saint-Nicolas-des-Champs, rue du
de paysans chassés de leurs terres, de laquais, de fripons, Grand-Hurleur, se trouve la maison « le Huleu », mais
d’écoliers en rupture de collèges, de maquerelles, de filles on peut aussi citer le Champ-Gaillard, à deux pas
de joie, d’estropiés et de fainéants. Les plus à plaindre de Saint-étienne-du-Mont.
sont les malheureux au dernier stade de la maladie qui, Enfin, rue Grenouillère, il est une coquette maison que
devenus des monstres pitoyables, sont obligés de porter l’on nomme les Petites Grenouilles. Gabrielle s’en est
une bure rouge et de s’annoncer d’un grincement allée, mais ses pensionnaires sont toujours là et c’est
de crécelle. Manon – une jolie petite blonde, un peu potelée – qui
Parfois, ces miséreux se retournent contre la société a repris l’affaire. Si c’est fermé, enjambez le muret et
qui les a faits. Désordres, assassinats et voleries ont lieu passez par le jardin, vous trouverez la porte des cuisines.
de jour comme de nuit et les services de police ne suf-
fisent pas à inquiéter leurs auteurs. Les châtiments sont
exemplaires, mais pour un pendu, combien se savent Les cours des miracles
impunis ? Des milliers.
La violence est partout. Alors que la loi n’autorise que Il existe à Paris une douzaine de cours des miracles
les gentilshommes et les militaires à être armés, on trouve qui doivent leur nom aux mendiants professionnels
des laquais, des artisans et même des écoliers en pos- – faux malades et faux estropiés – qui y recouvrent
session de dagues, d’épées et de pistolets. Les hommes « miraculeusement » la santé loin des regards indiscrets,
sont caractériels et orgueilleux, les enfants turbulents, après une journée de labeur. Toutes organisées sur
les artisans prévoyants et les femmes méfiantes. le même modèle, ces cours réunissent dans des endroits
clos des communautés hiérarchisées de gueux, truands
et marginaux.
En bandes organisées On peut citer la cour Sainte-Catherine du quartier
Au port au Foin, voisin du Pont-Neuf, prospèrent Saint-Denis, la cour Jussienne, la cour du roi François,
les Frères de la Samaritaine, une république de coupe- la cour Brisset et d’autres plus ou moins redoutées.
bourses possédant sur le fleuve deux bateaux où La plus célèbre est celle de la rue Neuve-Saint-Sauveur. Elle
siègent son gouvernement et son tribunal. Leurs plus se constitue d’une grande cour couverte par une épaisse
proches rivaux sont les Chevaliers de la courte épée, couche de fange parisienne. Il y règne une odeur insou-
qui détroussent et tuent les noctambules s’aventurant tenable. Tout autour s’élèvent des bâtiments sordides,
sans escorte sur le Pont-Neuf. aux façades trouées calfeutrées à la boue. Parvenir
Plusieurs de ces bandes attirent les mauvais garçons. Leurs à la cour implique d’emprunter un réseau de ruelles
affiliés parlent entre eux un jargon incompréhensible aux tortueuses, encombrées, où la mort vous guette à chaque
non-initiés, le « narquois », et portent toujours un signe tournant. La cour est silencieuse en journée, et peut
distinctif – un habit gris pour la bande des Grisons, même paraître abandonnée, si l’on excepte les chats,
un chapeau au bord retroussé d’un côté, emplumé les rats et les dragonnets qui viennent se repaître
de l’autre pour la bande des Plumets. des restes de festins de la veille. Le soir, l’endroit voir
revenir les cohortes de mendiants, de faux estropiés,
de faux aveugles et faux malades qui se réunissent
La prostitution autour de leur chef, le grand coësre. Celui-ci prélève
une partie du butin du jour, le reste étant dépensé sans
La prostitution est interdite en France depuis 1560, mais attendre en boisson et ripaille. La loi de la cour, en effet,
elle a perduré clandestinement. Ni l’emprisonnement est de ne rien économiser pour le lendemain. Inutile
ni le fer rouge n’effraient les veuves désargentées, de dire que la plupart des occupants sont rongés par
le mauvais vin, diverses maladies vénériennes, ou l’abus

181
de matières grasses. Il règne dans la cour une forme Notre-Dame-des-Écailles
de charme, créée par ces malandrins unis par une même Il y a longtemps que, pour les Parisiens, l’île Notre-Dame
loi, un même langage. Le verbe est haut, les ribaudes est devenue Notre-Dame-des-Écailles. Quant à son
rougeaudes et enjouées et si les bagarres ne sont pas quartier, on le surnomme les Écailles avec un mélange
rares, elles empêchent rarement de retourner travailler de mépris et de crainte.
le lendemain. Les premiers dracs s’y sont installés sous le règne
La cour des miracles est paradoxalement un lieu sur d’Henri IV. Le roi a laissé faire malgré les avis de ses
lequel les dragons n’ont pas de prise. Le grand coësre ministres : il savait que les dracs posaient aux sociétés
est devenu, années après année, un contact sinon fiable occidentales un problème qui ne se résoudrait pas
du moins régulier des Lames du Cardinal. Devenu chef de lui-même, mais aussi que l’on ne pouvait pas plus
de bande très jeune, il a acquis de la maturité, mais n’a leur fermer les portes de la capitale que les frontières
rien perdu de sa férocité ni de son intransigeance. Reste du royaume. Alors, qu’on les laisse s’établir sur cette
que se rendre jusqu’à la cour ne se fait jamais de bon île marécageuse, qu’ils y vivent entre eux et qu’on
cœur, et qu’avant d’arriver au chef, les embûches sont les y contienne dans la mesure du possible.
nombreuses. Le grand coësre semble immunisé contre Le village drac a depuis prospéré, s’est mué en un quar-
les années qui passent. Son physique, au fil des ans, tier tout en bois dont les ruelles humides, les sombres
reste celui d’un adolescent espiègle. venelles, les bâtisses de guingois et les masures sur
La Cour-aux-Chiens est quant à elle un puits d’ombre pilotis recouvrent l’ensemble de l’île. Après le sac
cerné par des façades misérables auxquelles s’accroche de Paris par les dracs, en 1633, on a tenté de raser
un enchevêtrement de galeries branlantes et d’escaliers les Écailles. En vain. Toutefois, la partie orientale
pourrissants. Une vie bruyante et turbulente s’y épanouit de l’île a été reprise aux dracs. Isolée par une solide
dans la crasse. En bas, des enfants jouent, courent, dis- muraille, elle a été rasée et reconstruite sous étroite
paraissent et reviennent par des venelles obscures. Sous surveillance. Un hôtel particulier y a même élu domicile,
des toiles brunies aux creux desquelles croupissent l’hôtel de Bretonvilliers, relié aux bords de Seine par
les reliquats d’anciennes averses, des tables accueillent un pont. Il symbolise la supériorité humaine sur
des hommes condamnés à l’errance – ouvriers sans la population sauvage.
emploi, valets sans maître, soldats sans aveu – qui Le quartier drac des Écailles constitue un faubourg
vident des gobelets de vin aigre en attendant d’être en plein cœur de la capitale, exempt d’impôts munici-
rejoints par celles qui les pousseront à boire davantage paux et où le guet ne se montre pas. De jour, les humains
avant de les entraîner dans les réduits sordides où sont plus ou moins tolérés, même s’il est entendu que
elles officient. Certaines de ces femmes ne font même chacun s’y aventure à ses risques et périls.
pas l’effort de redescendre et, d’une balustrade, elles De nuit, en revanche, les Écailles deviennent le théâtre
appellent qui voudra : elles disent leurs prix, vantent d’une vie animée par une énergie primitive qui chauffe
leurs talents, moquent ceux qui hésitent. D’autres, les tempes et fouille les ventres. Des feux sont allumés,
lasses, se contentent d’attendre. Et quand personne des braseros rougeoient aux coins des rues, des flambeaux
ne vient, elles bavardent entre elles et surveillent leur crépitent aux portes des tavernes. Au hasard des venelles
marmaille depuis les hauteurs. tortueuses, les dracs se bousculent au moindre pas tant
Parfois, le guet passe et tout le monde disparaît. C’est rare. ils sont nombreux. L’air nocturne s’emplit de parfums
entêtants. Des mélodies lointaines se rencontrent et
s’entremêlent. Des chants guerriers montent de caves
enfumées. Des tambours tribaux jouent, et leur rumeur
inquiétante se porte parfois par-delà la Seine pour
troubler le sommeil de Paris.

182
Au nom du roi
L’honnêteté n’était pas un critère de sélection chez
les geôliers. Non plus que chez les archers du guet,
d’ailleurs. Ni chez la plupart des sans-grade qui
servaient la justice du roi.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Fiefs, guet et milices


Paris ne forme pas un bloc homogène : à la ville propre-
ment dite s’ajoutent de vastes fiefs jouissant de droits
de haute, moyenne et basse justice, s’administrant
L’hôtel de Bretonvilliers eux-mêmes, levant l’impôt et possédant leur propre
À la suite des émeutes de 1633, le trône police. Ils sont vingt-neuf : la Cité, la Ville, l’Université,
décide de faire tomber le couperet sur l’île des Écailles et mais aussi le Cloître Notre-Dame, le Temple, Saint-
ses dracs. Toutefois, Richelieu protège inexplicablement Germain-des-Prés, l’abbaye Sainte-Geneviève, l’Arsenal
cette population turbulente et obtient du roi que seule ou encore Saint-Lazare. Le Temple, par exemple,
une portion de l’île soit retirée aux dracs. Une muraille, ne dépend que de l’autorité des Sœurs de Saint-Georges.
coupant l’île aux deux tiers, est érigée en une journée Chaque fief est administré par un bailli, et des conflits
au printemps 1634. Pour civiliser cette portion de l’île – de juridictions ou d’intérêts – s’élèvent fréquemment
Notre-Dame, Richelieu concède la propriété à Claude entre eux et avec la ville.
Le Ragois de Bretonvilliers, secrétaire au Conseil du Les milices urbaines, ou milices bourgeoises, com-
roi Louis XIII, et financier émérite. Celui-ci fait appel prennent les troupes formées par les fiefs. Elles sont
à l’architecte Jean Androuet du Cerceau, qui donne composées d’hommes sans enfant que l’on tire au sort
naissance à un palais avec jardins et terrasses, construit chaque année, ont un rôle de police et assurent la défense
de 1637 à 1642 sur la pointe orientale de l’île. La bâtisse de leur quartier. Les milices se chicanent souvent entre
est accompagnée de six hôtels de rapport construits elles – parfois même à la demande des baillis.
par l’architecte Pierre Le Muet. La population hu- Le guet est une milice de nuit à laquelle collaborent
maine reprend pied sur l’île Notre-Dame, et l’hôtel toutes les autres, sous l’autorité de la ville et de son
de Bretonvilliers devient un haut lieu mondain, où chevalier du guet. Cette troupe de sergents chargés
le faste des réceptions s’accompagne du frisson né du de parcourir les divers quartiers pendant la nuit pour
danger dissimulé derrière « le mur ». L’hôtel devient veiller à la sécurité des habitants compte trois cents
le symbole de la supériorité de l’humain sur le drac, archers et une trentaine de cavaliers.
repoussé sans coup férir. Les archers du guet, choisis parmi les artisans qui
Claude de Bretonvilliers meurt en 1645 et laisse consentent à consacrer leur nuit à cet office pour gagner
la propriété à son épouse, Marie Accarie. Sous les traits quelque argent, sont équipés de pied en cap – casque,
de celle-ci se dissimule en réalité l’un des membres gantelets, corselets de fer, hallebardes, javelines et
de la Grande Loge, la Magicienne sous le Voile. Sa pré- piques. Ils sont répartis en plusieurs sections de huit
sence régulière sur le chantier a, semble-t-il, facilité cavaliers et dix-huit archers chacune, plus un lieutenant.
la résignation des dracs à voir leur territoire amputé Deux sections servent de huit heures du soir à minuit,
d’un tiers. deux autres de minuit à quatre heures du matin. Le guet
Sous son influence, l’hôtel se pare de sculptures aux commence et finit toujours sa ronde au pied du
contenus ésotériques soigneusement dissimulés, et Châtelet, l’une des deux sections parcourant les rues
accueille de grands rituels. L’hôtel est l’un des plus et places de la rive droite, l’autre celles de l’île de la Cité
richement aménagés et meublés de Paris. Marie impose et de la rive gauche.
son aura aux dracs des Écailles, tout en fournissant Mais le service est assez mal assuré : les archers
à des nobles encanaillés des divertissements toujours ne viennent pas et ont mille prétextes pour manquer
plus obscènes. Son compagnon, surnommé Gabriel, n’a aux rendez-vous. Alors, quand il n’y a pas assez
pas son pareil pour agiter, quand besoin s’en fait sentir, de monde présent, au lieu de deux sections, on est
les Écailles. Il est à l’origine de nombre d’émeutes dracs. obligé de n’en former qu’une, qui aura toute la ville
à parcourir.
Enfin, les coureurs de nuit entendent le guet de loin :
ils se contentent alors d’attendre son passage pour
commettre leurs mauvais coups en toute tranquillité.

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┌ Vincennes
Le site qui accueille le château de Vincennes
voit le jour au xiie siècle, quand les souverains ca-
pétiens font ériger un pavillon de chasse au milieu
des bois. Le manoir s’enrichit au xive siècle d’un donjon,
La Sainte-Chapelle de Vincennes
La Sainte-Chapelle de Vincennes a été bâtie sur le mo-
dèle de celle du palais de la Cité à Paris. Contrairement
à sa sœur parisienne, elle ne compte toutefois qu’un ni-
veau. On y trouve des oratoires, une sacristie et une salle
puis d’une enceinte. Charles V lance en 1379 le chantier du trésor.
de la Sainte-Chapelle, sur le même modèle que celle La nef est décorée de riches vitraux sur la partie haute. Sur
qui se trouve sur l’île de la Cité. Elle sera achevée la partie basse, des décors de bois peints figurent
sous le règne d’Henri II. Le château de Vincennes est des chevaliers en prière tournés vers le chœur. Ce sont
une résidence royale qui, en 1648, fait surtout office les chevaliers de l’ordre de Saint-Michel.
de prison. On y trouve des prisonniers prestigieux, Les reliques anciennement conservées à Vincennes ont
le plus renommé étant le duc de Beaufort. été transférées à Paris. Seule y est gardée, dans le plus
grand secret, la lance de Longinus, l’une des reliques
Le donjon de Vincennes majeures sur laquelle veille l’ordre de Saint-Michel.
Le donjon de Vincennes constitue une place forte
autonome au sein de l’enceinte du château. On y accède La lance de Longinus
par un châtelet orné des statues de Charles V, de Jeanne Cette relique est, dans la tradition chrétienne, la lance
de Bourbon et Saint-Christophe. Un profond fossé qui perça le flanc du Christ crucifié. Les légendes in-
à plan incliné entoure l’édifice. diquent que ce coup de lance, dont la pointe était faite
Des herses et courtines composent un dispositif de dé- de draconite, devait « tuer le dragon » niché dans Jésus.
fense redoutable, rendant toute attaque frontale impro- Au fil du temps, la lance se para d’une réputation qui
bable à moins de compter sur une armée nombreuse. en fit un artefact très recherché : des blessures causées
Une fois franchi le châtelet, on parvient dans par sa pointe, le sang ne s’arrêterait pas de couler.
une cour. Pour accéder au donjon, on gravit un escalier Lors de la mise au trésor de la lance, son porteur, proche
du châtelet qui rejoint une passerelle jusqu’à la porte du roi, se piqua au doigt et se vida de son sang, sans
du donjon. que quiconque ne pût arrêter la blessure.
Le donjon lui-même est une grosse tour carrée Effrayé par ces possibilités funestes, le roi décida
haute de 50 mètres, flanquée de quatre tourelles de confier la lance à l’ordre de Saint-Michel et de l’éloi-
d’angle. Il compte six niveaux dont les voûtes gner des autres reliques.
lambrissées reposent sur une unique colonne cen-
trale. On accède aux étages par un large escalier installé L’ordre de Saint-Michel
dans la tour sud-est. Chaque niveau possède la même Cet ordre de chevalerie fut fondé en 1469 par le roi
composition : une vaste salle centrale et des pièces dans de France Louis XI, en réponse à la fondation de l’ordre
les tourelles d’angle. espagnol de la Toison d’Or. Le roi en est le dirigeant et
Au rez-de-chaussée se trouve un puits qui capte les eaux l’ordre compte trente-six chevaliers. Le siège de l’ordre,
de la rivière voisine, la Pisse. d’abord envisagé au mont Saint-Michel, est déplacé
Le donjon est sous la responsabilité du sieur Bernouin. à Vincennes suite à l’installation des sœurs Châtelaines.
Le prestige de l’ordre s’amenuise au xvie siècle, durant
lequel la limite de trente-six membres est suppri-
mée. Y entrent divers courtisans, hâtivement nommés,
en particulier par Catherine de Médicis.
Quand Henri III fonde en 1578 l’ordre du Saint-Esprit,
il impose que ses cent membres soient issus de l’ordre
de Saint-Michel. Cet ordre tombe alors, en apparence,
en désuétude. Toutefois, Louis XIII redonne à l’ordre
ses lettres de noblesse en rétablissant la limite des trente-
six. Il installe alors l’ordre dans l’enceinte du château
de Vincennes, où il veille sur l’une des reliques les plus
secrètement gardées : la lance de Longinus.
Les chevaliers se doivent de porter les insignes de l’ordre :
« un collier d’or fait de coquilles lassées, auquel est sus-
pendu un médaillon représentant l’archange terrassant
le dragon ».

184
Une selle de vyvernier

Mousquetaires du Roi, À défaut d’être riches, tous les mousquetaires de Sa


Gardes du Cardinal Majesté ont le sang noble, et tous sont prêts à tirer

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
l’épée à la première invite. Ils sont de ceux sur qui l’on
Le roi et le cardinal ont chacun leurs gardes personnelles peut toujours compter – d’ailleurs, c’est l’une des rares
en sus des Gardes suisses. Le roi a ses Mousquetaires – compagnies que l’on ne démobilise jamais et à qui le roi
casaque bleue à croix d’argent fleurdelisée – et le cardinal confie parfois des missions délicates, secrètes.
ses Gardes – casaque rouge à croix blanche. On prétend que Richelieu créa les Gardes du Cardinal
Les Mousquetaires du Roi sont commandés par leur par jalousie envers les Mousquetaires. Ce corps militaire
capitaine-lieutenant, Jean-Armand du Peyrer, comte n’obéissait qu’au Cardinal, son seul maître. Mazarin
de Tréville – qui ne tient ses ordres que de son capitaine, hérite de cette troupe dont le quartier général se trouve
le roi lui-même. Les Mousquetaires sont tout pour au rez-de-chaussée du Palais-Cardinal.
le comte et il a fait de son hôtel de Tréville, rue du
Vieux-Colombier, un véritable camp militaire pour
ses hommes. On bivouaque dans la cour, on dort dans
les écuries, on joue aux dés dans les antichambres et on
croise le fer pour se distraire.

185
┌ Le Châtelet, la prévôté de Paris
Le Châtelet – nommé aussi le Grand Châtelet
par opposition au Petit Châtelet planté sur l’autre
rive – est un sombre bâtiment fortifié qui, à l’origine,
avait été bâti pour défendre le pont au Change. Massif,
Le Châtelet est le siège des juridictions de la prévôté
de Paris. Le prévôt de Paris est un bailli particulier
qui cumule de nombreuses fonctions et représente
le gouvernement dans la ville. Il assure les audiences,
veille à la bonne administration de la justice, organise
sinistre et assez délabré, il se dresse rive droite, sa façade le guet, remplace le roi aux jugements et confirme
principale donnant sur la rue Saint-Denis. Autour du les sentences. On le surnomme le premier juge de Paris.
Châtelet s’étale le quartier de l’Écorcherie, empuanti du Afin de s’acquitter de l’ensemble de ses tâches, le prévôt
sang des abattoirs et des tanneries. Le Châtelet compte est secondé par deux lieutenants, le lieutenant civil et
plusieurs tours rondes et un grand pavillon carré, sorte le lieutenant criminel, des avocats, des conseillers et
de donjon qui abrite une prison et une morgue – pièce une ribambelle d’enquêteurs dont on craint les questions
sordide dans laquelle on amène les corps des noyés comme une tache de ranse, dit-on.
et des personnes assassinées, pour examen. Les Filles De 1611 à 1653, le prévôt de Paris est Louis Seguier
de Sainte-Catherine venaient laver et couvrir les morts de Saint-Brisson. Ses seconds n’ont pas marqué l’histoire
avant de les inhumer au cimetière des Innocents. à part Isaac de Laffemas, son lieutenant civil, qui s’est
On entre par une voûte étroite et longue, flanquée attiré des haines tenaces lors de grands procès voulus
de deux tourelles, qui débouche sur une cour étriquée par Richelieu.
et malodorante.
Les prisons sont étagées, les plus basses, dans
les sous-sols, permettant de garder les condamnés au
secret. On frémit à l’idée de rejoindre la Fosse, le Puits,
la Gourdain ou l’Oubliette.

186
Au plus près du roi
Lorsque Sa Majesté est à Paris, il est au Louvre, un palais
qui a encore tout d’une forteresse médiévale. On l’at-
teint par la rue d’Autriche, une venelle dans laquelle
se croisent la foule qui se rend auprès du roi et celle
qui en revient. Pour ne rien arranger, des carrosses
l’encombrent, car la permission d’entrer en voiture
dans l’enceinte du Louvre n’est accordée qu’à quelques
grands personnages et dignitaires étrangers.

Lorsque le roi quitte le Louvre – pour fuir la puanteur


de Paris, s’isoler à Versailles ou partir en guerre –
des trompettes l’annoncent. Dans les rues, des gardes et
des mousquetaires le précèdent pour déblayer le passage,


chasser les voitures et les cavaliers. Ils forment ensuite
une haie sur trois rangs : piquiers, mousquetaires, puis
tambour battant leurs caisses.
Le cortège s’avance : les gardes à pied, deux par deux,
Le palais de la Cité une troupe de mousquetaires, puis les seigneurs à cheval,
Jadis siège du pouvoir royal, le palais les Gardes suisses et enfin le carrosse du roi traîné par
de la Cité est désormais celui de quatorze des vingt-neuf six chevaux. Après lui viennent d’autres voitures.
juridictions de Paris. C’est là que siège le parlement Au passage du cortège, le public regarde, silencieux, tête
de Paris, cour souveraine de justice qui juge en ap- nue. La foule et la garde se doivent d’être impassibles.
pel les décisions des baillis et du prévôt. S’y trouve
donc, entre autres, la plus importante cour judiciaire
du royaume. Lieux patibulaires
Quand on entre par la porte fortifiée de la rue Il existe cinq lieux patibulaires où les condamnés
de la Barillerie, on atteint deux cours, de part et d’autre subissent leur châtiment : place de Grève, place
de la Sainte-Chapelle. de la Croix-du-Trahoir, place Maubert, aux Halles et
La cour à gauche est celle de la chambre au marché aux Pourceaux. On peut aussi occasion-
des Comptes. Encombrée de chevaux, de voitures et nellement supplicier sur le parvis de Notre-Dame,
de boutiques débordant dans les rues avoisinantes, aux portes de Paris ou sur les ponts, dans la cour du
elle affiche sur ses murs les noms et portraits des cri- Palais de Justice, au Pré-aux-Clercs et sur la place
minels en fuite. de l’Estrapade.
La cour à droite est la cour de Mai et donne sur Les peines infligées ont une cruauté sans limite. On dé-
un escalier et une galerie menant à la salle des pas capite et on pend, mais on fait aussi subir le supplice
perdus. Celle-ci, haute, immense, poussiéreuse et de la roue, l’écartèlement, le bûcher, le bain d’huile
bruyante, grouille de monde – avocats, procureurs ou de plomb fondu.
et clients qui discutent, se disputent, crient souvent, Les Parisiens se montrent très friands de ces horribles
en viennent parfois aux mains dans une atmosphère spectacles. À l’annonce de chaque exécution, ils ac-
échauffée par la chicane. courent en masse pour ne rien perdre des souffrances
Les plaideurs et les hommes de loi ne sont pas les seuls et de l’agonie des suppliciés, les gens du peuple aussi
à fréquenter le lieu : une multitude de curieux et bien que la bonne société.
de chalands est attirée par les deux cent vingt-quatre
boutiques qui envahissent les galeries et passages
du Palais. Il se vend toutes sortes de « galanteries »
dans ces petites boutiques dont les marchands hèlent
le client : soies, velours, dentelles, bibelots, bijoux,
éventails, pierres précieuses, chapeaux, gants, rabats,
livres, tableaux. On s’y donne rendez-vous, des dames
s’y promènent et de beaux messieurs y distribuent
d’audacieuses œillades.
On nomme conciergerie la petite prison qui s’étend
dans les profondeurs du palais de la Cité.

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┌ La Bastille
La Bastille est la plus grande prison d’État
de France. Bâtie au xive siècle pour renforcer les dé-
fenses de Paris, elle se dresse près de la porte Saint-
Antoine. À l’origine la Bastille a été conçue pour être
L’entrée se fait donc par le côté sud, entre la tour
de la Bazinière côté ville et la tour de la Comté côté
champs. La cour intérieure est à présent coupée en deux
par un bâtiment utilisé par l’état-major. Il n’y a pas
de bâtiment adossé aux murailles, mis à part entre
un passage, la porte de la ville proprement dite étant les tours qui ont jadis servi d’entrée. Les cours sont
tenue fermée en temps de troubles. Côté faubourg on dominées par les courtines qui relient les plateformes
entrait par un pont donnant entre les deux tours qui des tours. Celles-ci sont toutes bâties sur le même
font face à la rue Saint-Antoine puis, après avoir traversé modèle, avec un escalier à vis desservant cinq ou six
la cour intérieure, on ressortait entre deux autres tours étages de cellules. La tour de la Bazinière a été nom-
en vis-à-vis par un pont-levis jeté sur les fossés reliés mée d’après le trésorier de l’épargne enfermé sous
à la Seine. Louis XIII. La tour de la Berthaudière et la tour
La Bastille prend son allure définitive – un quadrila- de la Liberté font face à la rue Saint Antoine. La tour
tère flanqué de quatre tours d’angle et quatre tours du Puits est réservée aux prisonniers draconiques :
de renforcement – sous Charles VI, qui ajoute quatre on y trouve nombre d’agitateurs dracs régulièrement
tours. Une troisième entrée est également aménagée soumis à la question. La tour du Coin, sur la face
entre les tours sud, du côté du chantier de l’arsenal. Cette au nord de la Bastille, est réservée aux prisonniers
porte est à présent la seule ouverte, car le passage originel de basse extraction. La tour de la Chapelle voisine
a été bouché au xvie siècle. la tour du Trésor. Cette dernière est celle où Sully avait
La forteresse se présente de la façon suivante : dans entassé les coffres du roi. La tour de la Comté referme
la rue Saint Antoine après avoir dépassé le couvent le quadrilatère au sud.
de la Visitation, on entre par un portail élevé en 1643, La forteresse de la Bastille joue son rôle défensif
pour pénétrer dans la première cour, celle de l’Avan- principalement au xive et xve siècle. Malgré quelques
cée. On y trouve la caserne et les écuries de la garnison, travaux, elle perd progressivement sa valeur militaire
ainsi que les boutiques auxquelles les prisonniers ont pour remplir celle, unique, de prison. Ni en 1648 ni
le droit de se fournir. Parmi les commerces présents, en 1652, la garnison royale ne peut rester maîtresse
citons des marchands de friandises, de spiritueux, de l’édifice et l’on sait comment la Grande Mademoiselle
d’encre ou de perruques. Puis par un pont-levis ap- pour sauver Condé fait tirer le canon contre les troupes
pelé la porte de l’Avancée, on pénètre dans la cour du du jeune roi Louis XIV.
gouvernement, dont le nom vient qu’elle voisine l’hôtel La Bastille est une prison d’État et on ne peut donc
du Gouverneur. Un pont de pierre à trois arches permet y être envoyé que sur ordre du roi, par lettre de ca-
d’accéder au pont-levis de la Bastille elle-même. À l’en- chet. Les prisonniers qu’on y enferme sont soit des per-
trée du pont se trouve la porte qui conduit au chemin sonnages illustres et influents, soit de secrets ennemis
de ronde extérieur et au bastion. Le pont-levis des pié- de la France. Pour peu qu’ils en aient les moyens,
tons est le seul abaissé en temps ordinaire. Les grillages les premiers jouissent de conditions d’incarcération
qui le défendent lui ont fait gagner le surnom de « cage ». assez confortables. Les seconds, en revanche, sont
condamnés à une longue et anonyme solitude, sans
l’espoir d’un procès ni d’un pardon.

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189
┌ Le Louvre
Quand Philippe Auguste fait bâtir l’enceinte
de Paris en 1190, le rempart se termine sur la rive droite
par une grosse tour ronde, nommée tour du Coin, pen-
dant de la tour de Nesle érigée sur la rive gauche. La fin
En même temps que les Tuileries, Catherine de Médicis
fait tracer un immense jardin proposant diverses essences
végétales, mais aussi une ménagerie proposant quelques
créatures draconiques uniques, tel le dragonnet-jusquiame,
aux écailles dorées. Henri IV fait ajouter une orange-
du rempart est plantée sur un endroit désert nommé raie. L’espace situé entre l’enceinte érigée par Louis XIII
Louvre. L’origine de ce mot est encore inconnue. et le jardin est donné à un nommé Regnard, qui y crée
Paris est alors vulnérable aux attaques venant un jardin surnommé « Garenne de Regnard », un lieu
de la rivière, et Philippe Auguste décide de renforcer de rendez-vous galant et de jeux d’argent, largement
le rempart jouxtant la Seine par une forteresse dotée fréquenté par la noblesse de Paris.
d’un solide donjon. Louis XIII poursuit sur cette voie, et entame un grand pro-
La forteresse perd une partie de ses fonctions straté- jet devant quadrupler la surface du Louvre. C’est Lemercier
giques sous Charles V, qui élargit l’enceinte ceintu- qui est chargé du projet. Le Louvre se transforme.
rant Paris. Le château se trouve dès lors à l’intérieur En passant par la porte de Bourbon, une voûte obscure
de la ville, et le souverain décide d’en faire un lieu flanquée de deux vieilles tours et cernée d’un fossé
d’habitation. Reste que le Louvre n’a pas la faveur nauséabond, on atteint la cour du palais, qui n’a aucune
des monarques français, qui lui préfèrent des résidences autre issue publique.
plus cossues, tel l’hôtel royal des Tournelles. Au centre de la cour trône le donjon, ou Grosse tour,
C’est François Ier qui entame véritablement le processus souvenir massif des temps médiévaux. Cette tour circulaire
de restauration et de modernisation du Louvre. Il hésite fait 30 mètres de haut, pour un diamètre de 15 mètres. Elle
à raser le vieux donjon, mais s’abstient finalement au est entourée par un large fossé sec qui se franchit par
vu de la menace draconique. Le château, toutefois, un pont-levis. Les étages les plus hauts sont remplis
se fait palais, même si sa fonction militaire reste pré- de matériel militaire, en particulier de grosses arbalètes
gnante. La silhouette du donjon domine la Seine et dont les carreaux peuvent percer les écailles d’un dra-
Paris, rassurant la population. gon. Deux soldats surveillent constamment le ciel. Dans
En 1564, la reine mère Catherine de Médicis fait bâtir les étages inférieurs, le trône dissimule des artefacts et
une résidence indépendante du palais, tout en restant des secrets devant être impérativement protégés des ap-
à proximité. Le palais des Tuileries voit ainsi le jour, pétits des intrigants et de la Griffe noire. Louis XIII a
d’abord indépendant puis relié au Louvre par la Grande fait poser de nombreuses portes et serrures, dont il avait
Galerie, ou Galerie du bord de l’eau, un long bâti- seul les clés. Celles-ci sont à présent entre les mains
ment de communication suivant le tracé de l’enceinte de la régente.
extérieure jusqu’au fossé ouest du Louvre. La Petite Le Louvre est perpétuellement en travaux et, en 1648,
Galerie est ensuite construite sous Henri IV pour relier ses façades sont masquées par les échafaudages des bâ-
totalement les deux palais. Henri IV accueille dans tisseurs. Le pavillon de l’Horloge et l’aile Lemercier sont
la Grande Galerie de nombreux artistes et leurs familles, en train de sortir de terre tandis que l’on finit d’effacer
le tout générant un brouhaha permanent. On y trouve les traces de l’incendie de 1633.
également la Monnaie où sont frappées les pièces et L’intérieur du Louvre n’a rien d’exceptionnel par rapport
l’Imprimerie royale. à celui d’autres hôtels et le luxe n’y est pas prégnant :
des salles de réception, des antichambres et des apparte-
ments en enfilade.
Citons tout de même la salle des Caryatides, lumineuse
et luxueuse, qui intimide le visiteur.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - plan par Olivier Sanfilippo
┌ Le Palais-Cardinal
En 1624, Richelieu fait l’acquisition
de l’hôtel de Rambouillet, situé rue Saint-Honoré,
composé de plusieurs corps de bâtiments avec cour et
de jardins, ainsi que de terres situées entre l’hôtel et
L’art est aussi présent au Palais-Cardinal par le biais
d’une salle de spectacle, la salle de comédie. Dès
1635, Richelieu avait fait construire une salle de spec-
tacles, car il avait un goût prononcé pour le théâtre. Elle
accueille les comédiens du Marais du Temple. En 1638,
l’enceinte médiévale de Paris. En 1628, Richelieu fait plusieurs représentations y célèbrent la naissance
appel à Jacques Lemercier pour transformer l’hôtel de Louis XIV. Mais la salle souffre de ses dimensions ré-
en palais. L’architecte édifie une aile percée d’arcades duites. Lemercier affecte donc l’aile droite sur l’anti-cour
à l’ouest, puis, six ans plus tard, une autre aile à l’est à une grande salle de comédie rectangulaire, inaugurée
qui dissimule les communs. L’installation de Richelieu en présence du roi et de la cour en 1641. Vingt-sept
au nord du Louvre marque le début du développement degrés de pierre dotés de gradins de bois peuvent ac-
des quartiers ouest de Paris, avec la création d’un lotis- cueillir près de trois mille personnes. La salle est étroite,
sement, et de grands travaux pour combler les fossés. et contraint Lemercier à implanter des balcons droits
Lemercier allonge ensuite le corps de logis côté rue, et superposés de chaque côté. La scène est surélevée
afin d’y placer le grand escalier qui dessert les apparte- et inclinée.
ments du Cardinal au premier étage. D’autres ajouts Après la mort de Richelieu, une place est aménagée
aboutissent au plan actuel en H, avec anti-cour et devant l’anti-cour. L’immense palais termine sa
cour d’honneur. mue. Le Palais-Cardinal compte un splendide corps
Richelieu entreprend en 1642 la construction de logis principal, deux longues ailes, deux cours et
d’un corps de bâtiment perpendiculaire à la rue pour un immense jardin étiré entre la rue de Richelieu et celle
abriter sa bibliothèque. Cet édifice devient le corps des Bons-Enfants. La façade avant percée d’un portail
d’un nouvel hôtel de Richelieu que le Cardinal destine majestueux ouvre sur une anti-cour, au fond de laquelle
à son petit-neveu, qui toutefois se refusera toujours on trouve le corps de logis principal. Un passage couvert
à occuper les lieux. Si l’édifice souffre parfois, dans permet d’accéder à la cour d’honneur. De là, on accède
ses dimensions, des impératifs liés à sa situation ur- par un portique aux immenses jardins.
baine, les appartements sont dignes de la splendeur Le 6 juin 1636, le Cardinal fait à Louis XIII donation
d’une résidence royale. Citons parmi les pièces les plus de sa demeure. Toutefois, la situation politique et la me-
emblématiques la Galerie des hommes illustres, à l’étage nace draconique incitent Anne d’Autriche à demeurer
de l’aile ouest, sur la cour d’honneur. C’est une longue au Louvre, considéré comme plus sûr. Anne d’Autriche
pièce de 50 mètres de longueur sur 6 de large qui abrite est néanmoins une visiteuse régulière du Palais-Cardinal.
vingt-cinq portraits des hommes les plus méritants Mazarin reçoit et loge au Palais-Cardinal, auquel on
du royaume, ainsi que diverses statues. Une dent du accède par le portail de la rue Saint-Honoré.
squelette de l’Archéen vaincu en 1633 est exposée On y est d’abord reçu dans la salle des gardes – cent
au centre de la salle, à côté d’une sculpture d’albâtre quatre-vingts mètres carrés, une cheminée monumen-
représentant Richelieu affrontant le dragon. tale, de hautes fenêtres orientées au sud et des mousquets
partout le long des murs. Puis, si le cardinal accepte
de recevoir, on est conduit dans la grande bibliothèque
ou le bureau personnel de Son Éminence.
En dépit de sa grandeur, le Palais-Cardinal ne suffit
pas à Mazarin, qui s’empresse de louer aussi l’hôtel
de Chevry, à l’angle de la rue Vivienne et de celle
des Petits-Champs. Il y constitue une bibliothèque
monumentale.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - plan par Gilles Widmer
En ambassade Alliés & ennemis
des Lames
L’usage veut que les ambassadeurs soient les hôtes du
roi durant les trois premiers jours après leur arrivée
à Paris. On ne les loge toutefois pas au Louvre, mais
à l’hôtel d’Ancre, que l’on nomme parfois hôtel
des Ambassadeurs extraordinaires. Les Sœurs & les Gardes de Saint-Georges
Superbe et magnifiquement aménagé, l’hôtel d’Ancre L’ordre religieux des Sœurs de Saint-Georges fut
est idéalement adapté à accueillir des invités de marque fondé au xive siècle, à Poitiers, par sainte Marie
et leur suite, et on y tient des réceptions qui sont autant de Chastel. Également connues sous les noms de Dames
de fêtes somptueuses. L’hôtel se trouve de surcroît blanches, parce qu’elles ne portent que du blanc,
dans un quartier agréable, rue de Tournon, dans ou de sœurs Châtelaines, d’après leur fondatrice, elles
le faubourg Saint-Germain. À un jet de pierre du palais protègent fidèlement le royaume de France des dra-
du Luxembourg, résidence de Marie de Médicis puis gons et de leurs sortilèges, et prennent en charge tous
de Gaston d’Orléans. les dangers que le courage et l’acier ne suffisent pas
à affronter. Initiées aux arcanes de la magie draconique
dès leur noviciat, les Sœurs de Saint-Georges sont
un adversaire redouté par la Griffe noire et un allié
Mes chères Lames, reconnu et estimé par le peuple français dans son
ensemble, du plus nécessiteux des mendiants au plus
Je vous sollicite, car Monsieur Bornère, jugé au
Palais pour une triste et banale histoire, s’est argenté des nobles.
entouré des meilleurs avocats de Paris – chose Bénéficiant jusqu’alors de la reconnaissance de Richelieu
assez étonnante pour un homme de sa condition. Pire, et de Louis XIII, leur tâche a été terriblement compli-
il semblerait que sa défense soit si mal faite que quée par la mort du roi et du Cardinal, ainsi que par
l’homme pourrait finir ses jours en prison, ou même l’instauration de la régence. En effet, la reine Anne
roué. Une faute considérable pour des avocats qui d’Autriche les déteste profondément depuis les examens
vantent habituellement les mérites des procédures auxquels elle fut soumise peu avant son mariage. Elle
longues et onéreuses. Je crains que quelque ne leur pardonne pas non plus le vol de son second
complot ne soit à l’œuvre, que Bornère ne soit enfant, jumeau draconique de Louis XIV. Profitant
qu’un pion. Je ne comprends pas si l’on veut faire de son nouveau pouvoir, elle s’oppose presque ou-
emprisonner Bornère pour qu’il entre en contact vertement aux sœurs et ne les excuse d’aucun faux
avec un détenu, ou si l’on veut le faire taire au pas. Elle voue tout particulièrement une haine féroce
plus vite par un jugement disproportionné. À moins à l’encontre de la mère supérieure générale Thérèse
qu’il ne s’agisse d’un piège pour ternir la réputation de Vaussambre, qu’elle estime responsable des épreuves
d’un de ses avocats. Mais lequel, et pourquoi ? Je qu’elle a dû subir. La mort de la mère de Vaussambre
vous invite à prendre contact avec Maître Sicard, apaise les relations.
l’ancien avocat de Bornère, et de rester sur Les Sœurs possèdent un petit nombre d’abbayes
vos gardes : à l’hôtel de Châteauneuf, on parle réparties sur le territoire français. Chacune abrite sa
beaucoup de cette affaire. congrégation et est administrée par une abbesse, ou mère
supérieure, désignée par le roi de France. Seuls l’enclos
Ne me décevez pas. du Temple, l’abbaye du mont des Châtelaines et celle
de Saint-Loup échappent à cette règle.
L’enclos du Temple, situé dans la rue du même nom
à Paris, est placé sous l’autorité directe de la mère
supérieure générale. Il représente le centre décisionnel
politique de l’ordre.
Le mont des Châtelaines, anciennement mont
Saint-Michel, est la place forte des Sœurs de Saint-
Georges. En son sein sont gardés les trésors les plus
précieux et les armes les plus mortelles possédées
par les Châtelaines. Il est le cœur fortifié de l’ordre,
le dernier refuge.
Enfin, l’abbaye de Saint-Loup, anciennement château
de Saint-Loup, située non loin de Poitiers, est le quartier
général des Louves, les chasseresses qui traquent et
tuent les dragons, et des Gardes de Saint-Georges,
les chevaliers chargés de les protéger. Elle constitue
le fer de lance de l’ordre.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
├ Dramatis personae
• Thérèse de Vaussambre, cousine de feu
le cardinal de Richelieu, est la mère supérieure générale
des Sœurs de Saint-Georges. Âgée d’une soixantaine
d’années, elle est grande, mince, droite et impas-
• La mère Béatrice d’Aussaint est la mère supérieure
de l’abbaye du mont des Châtelaines. Ancienne louve
redoutée, elle devint à à peine trente ans la mère
supérieure de l’abbaye de Saint-Loup. Désormais
en charge du mont des Châtelaines, elle en a renforcé
sible. C’est une ancienne louve, la seule dont l’âme la sécurité et dirige d’une main de fer les garnisons
fut séparée de son dragon spectral, la première aussi de louves et de Gardes noirs qui s’y trouvent. Sur
à avoir accédé au rang de mère supérieure générale. Elle ordre de la mère de Vaudreuil, la mère Emmanuelle
possède un sens inné de la politique qui lui a permis de Cernay, ancienne mère supérieure générale évincée
de se hisser à la tête son ordre, mais qui a aussi servi par la mère de Vaussambre et âgée de presque soixante-
celui-ci lors des événements de 1633, lorsque les sœurs dix ans, a été affectée à l’abbaye du mont des Châtelaines
durent reconnaître leur impardonnable erreur à propos afin d’assumer le rôle de bibliothécaire. Très proche
de la reine. L’arrivée d’Anne d’Autriche à la régence a de la mère Béatrice d’Aussaint, qu’elle eut autrefois
fortement affaibli la mère de Vaussambre, lançant dans comme novice, elle assume la direction du mont lorsque
son dos la bataille de succession au sein de l’enclos celle-ci est absente.
du Temple. Les sœurs Catherine d’Aubrac et Marie-
Anne de Saint-Lieu, les deux assistantes de la mère • La mère Agnès de Vaudreuil est la mère supérieure
de Vaussambre, respectivement en charge de la direction de l’abbaye de Saint-Loup. Seule louve à être associée
de l’enclos et de l’administration de l’ensemble des ab- à l’âme d’un Dragon Ancestral, nulle autre qu’elle
bayes châtelaines de France, se livrent une lutte d’in- ne peut prétendre à ce titre. Mais, obsédée par la traque
fluence féroce, chacune cherchant à supplanter l’autre des dragons, elle demeure rarement au château. Elle
auprès de la mère supérieure générale. Celle-ci trouve en délègue la direction à sœur Marie-Bénédicte,
la mort en 1649, aux côtés de Catherine d’Aubrac. de quinze ans sa cadette, suivante fidèle autant que
redoutable gestionnaire.
• Marie-Anne de Saint-Lieu : assistante de Thérèse Si les mères d’Aussaint et de Vaudreuil sont liées par
de Vaussambre et responsable de l’administration une amitié qui remonte à leur noviciat commun,
de l’ensemble des abbayes châtelaines de France, elle les relations entre la mère supérieure générale et la mère
a perdu la bataille pour la succession à la supérieure supérieure des Louves sont très tendues. Refusant
générale de l’ordre au profit de Catherine d’Au- les compromissions que la mère de Vaussambre a
brac. Favorable à l’action plutôt qu’aux manœuvres parfois dû concéder afin de préserver la place poli-
politiques, Marie-Anne de Saint-Lieu regrette tique des sœurs, Agnès de Vaudreuil a secrètement eu
amèrement que le destin ne lui ait pas permis de de- recours à des aides extérieures à l’ordre pour agir plus
venir louve. Âgée d’une quarantaine d’années, elle a concrètement contre les dragons, provoquant la colère
assisté en personne à l’affrontement entre l’Archéen de la mère supérieure générale. Ces méthodes bien plus
et Agnès de Vaudreuil sur le parvis de Notre-Dame directes, héritées de son passé de Lame, pourraient
en 1633. Sœur Marie-Anne lui voue depuis lors une ad- se répandre rapidement parmi les Châtelaines si la sœur
miration indéfectible. La mort conjointe de Thérèse Marie-Anne de Saint-Lieu accède au poste de mère
de Vaussambre et de Catherine d’Aubrac en 1649 supérieure générale. Elle assista, en effet, à l’affrontement
la propulse au poste de mère supérieure, au moins pour entre l’Archéen et Agnès de Vaudreuil sur le parvis
un temps. Consciente de l’urgence et de l’importance de Notre-Dame et, depuis lors, voue une admiration
du danger, elle est bien décidée à tout faire pour que indéfectible à la mère supérieure des Louves.
les Châtelaines surmontent ces événements dramatiques.

• La mère Hélène de Tarre est la vénérable


de l’ordre. Si la mère supérieure dirige les Sœurs de Saint-
Georges, la vénérable les guide sur le plan spirituel. Elle
est choisie pour son expérience et sa sagesse. Elle n’exerce
plus aucune fonction officielle et son autorité repose
sur la pertinence de ses avis. Son influence morale est
immense. Elle réside dans un château isolé.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
Les Louves
Un très petit nombre de soeurs de Saint-Georges sont
marquées par le destin et associent leur âme à celle
d’un dragon protecteur. Le rituel nécessaire pour y par-
venir, nommé l’Épreuve, met en présence la prétendante
au titre de louve et l’âme d’un dragon emprisonnée
dans une Sphère d’Âme. Si la sœur parvient à dompter
le dragon tout autant qu’à gagner son respect, leurs âmes
sont associées à jamais, et la louve a accès à la toute-puis-
sance draconique. Mais si l’Épreuve échoue, la folie,
ou même la mort peuvent frapper la sœur.
Bénéficiant d’une dispense papale, les Louves portent
l’épée et utilisent la magie afin d’affronter les dragons. Fer
de lance de la lutte des Sœurs de Saint-Georges contre
la Griffe noire et les autres organisations draconiques,
elles sont redoutées autant que reconnues.
Dirigées depuis quinze ans par Agnès de Vaudreuil, elles
sont devenues sous son influence des chasseresses insa-
tiables, privilégiant parfois trop l’action à la réflexion.
François Reynault d’Ombreuse
Certaines futures louves, dont l’importance historique
sera forte, sont annoncées aux sœurs par des visions François Reynault d’Ombreuse en fut désigné comman-
prophétiques. Dès leur naissance, ces enfants portent dant par Louis XIII en 1633, suite à sa participation
une marque distinctive, une rune étrange que toute héroïque à la défense de Notre-Dame. Stationné à l’en-
châtelaine sait reconnaître, et sont recherchés active- clos du Temple, il accompagne depuis quinze ans la mère
ment par l’ensemble des sœurs de Saint-Georges. Bien supérieure générale dans tous ses déplacements. Il est
qu’ayant pour la plupart tenté de fuir leur destin, ces néanmoins totalement dévoué à la mère de Vaudreuil,
jeunes filles ont pour l’instant toutes intégré l’ordre et qu’il a aimée en secret dans sa jeunesse.
assumé leur rôle dans l’histoire. La dernière d’entre elles,
Agnès de Vaudreuil, sauva in extremis Paris d’un enfer
de flammes draconiques. Tenues vestimentaires
Les Châtelaines sont vêtues de la robe blanche, portent
une guimpe et sont coiffées d’un voile.
Les Louves portent des bottes hautes et beiges dont
le rabat couvre le genou, des chausses de monte, une robe
blanche aux manches amples, solidement doublée et
fendue pour la monte, un lourd ceinturon de cuir
enserrant la taille, des gants épais, une guimpe dont
la toque encadre le visage dans un ovale, et un voile. Sur
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

le cœur sont brodés de noir la croix latine et le dragon


héraldique de l’ordre. À leur côté, elles portent une épée
à la lame et au pommeau faits d’une draconite noire
et luisante.
Les Gardes de Saint-Georges portent la demi-cui-
rasse. Ils arborent un feutre à large bord et un panache
noir, un pourpoint et des chausses, des bottes et des gants
de cuir noir, un ceinturon, un fourreau et une épée,
noirs également. Une pierre de draconite façonnée
orne le pommeau de leur rapière. Afin de marquer
leur rang, les officiers ceignent une écharpe de soie
Les Gardes de Saint-Georges blanche. Le commandant porte un panache rouge.
Les Gardes de Saint-Georges, ou Gardes noirs, sont
une compagnie exclusivement constituée de gentils-
hommes. Bretteurs émérites et totalement dévoués aux
Châtelaines, ils ont fait serment de les protéger quel
qu’en soit le prix. Leur compagnie de chevau-légers est
l’une des plus prestigieuses du royaume et est entretenue
à grands frais par le roi lui-même.

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Les Mousquetaires du Roi de la Maison militaire. Ils ne servent par conséquent que
la personne du roi, qu’ils accompagnent lorsque celui-ci
Les mousquetaires à cheval de la garde du Roy quitte son palais. Celui-ci, attaché à ses mousquetaires,
ne font garde que quand le Roy sort ; alors ils les envoie au front avec parcimonie. Ainsi, la compagnie
marchent à cheval devant tous les autres gardes, deux subit peu de pertes, et l’âge moyen de ses membres
à deux. Ils ont tous la casaque bleue avec la croix augmente. Les jeunes gens désireux de rejoindre le corps
d’argent ; leur capitaine est monsieur de Tréville, que doivent donc intégrer d’autres compagnies.
le défunt Roy a avancé à cette charge à cause de son
grand courage. Ils sont au nombre de cent trente et ont
quarante sols par jour. Histoire officielle
Félix Danjou, Archives curieuses de l’histoire de France En 1646, Mazarin, qui n’apprécie pas les mousquetaires,
trop indisciplinés à son goût, fait dissoudre la compa-
Le corps des Mousquetaires du Roi de France est créé gnie. Elle ne sera reformée qu’en 1657.
en 1622, lorsque le roi Louis XIII dote de mousquets
une compagnie de chevau-légers de la Garde, appelée
compagnie des Carabins, elle-même créée par son père,
Henri IV. En 1634, Louis XIII décide d’en prendre Les Trois Mousquetaires
officiellement la tête en en devenant le capitaine. Ceci lui Que sont devenus les plus célèbres
permet de doter cette compagnie prestigieuse d’une au- des Mousquetaires du Roi ?
torité plus grande encore. Pour la diriger, il nomme
Jean-Armand du Peyrer, comte de Tréville, au grade Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds s’est
de lieutenant et, dès lors, le commandant de la compa- retiré dans ses terres, s’y est marié et coule des jours pai-
gnie ne porte plus que le titre de capitaine-lieutenant. sibles. Trop paisibles à son goût. Il reste fidèle au trône.
Les mousquetaires sont recrutés uniquement René d’Aramis, abbé d’Herblay, avance ses pions
parmi les gentilshommes ayant déjà servi dans à la cour. Cynique, calculateur, il a foi dans la noblesse
la Garde. D’Artagnan, le plus illustre d’entre eux, de robe et délaisse quelque peu les armes et ses compa-
ne fait pas exception et sert un temps dans la compagnie gnons. Il est l’un des principaux opposants à Mazarin
des Essarts. Le passage aux Mousquetaires est une pro- et soutient Beaufort.
motion et permet de rejoindre un corps d’élite, proche
du roi. De plus, il est prévu que les hommes qui quittent Athos – Olivier, comte de la Fère – a raccroché sa
ses rangs soient nommés enseigne ou lieutenant dans casaque. On dit qu’il a traversé une période difficile au
les Gardes, ou officiers dans les régiments réguliers. cours de laquelle il a notamment courtisé la duchesse
de Chevreuse. Les deux anciens amants ont d’ailleurs
Un lignage gascon ou béarnais tend à ouvrir plus faci- un enfant ensemble, le petit Raoul, futur vicomte
lement les portes de la compagnie des Mousquetaires, de Bragelonne.
la tradition remontant à Henri IV de recourir à des fils
du Béarn et de Navarre se maintenant pendant le règne D’Artagnan, enfin, a vieilli et n’est pas monté
de son fils. en grade. Il est resté fidèle aux Mousquetaires, mais
s’est aigri. Il n’apprécie pas Mazarin, aussi est-il surpris
Les mousquetaires ont la particularité de combattre de voir celui-ci faire appel à lui pour reformer les Lames.
indifféremment à pied ou à cheval. Ils forment la garde
habituelle du roi quand celui-ci se déplace, celle
à l’intérieur des appartements royaux étant assurée
par des gardes du corps et des Gardes suisses.

C’est au cours du siège de La Rochelle que


les Mousquetaires se font remarquer du cardinal
de Richelieu qui, dès lors, n’hésite pas à les employer là où
une petite troupe est plus efficace qu’une lourde armée.
Louis XIII, à son tour, les mobilise, en Savoie. Une vic-
toire éclatante leur revient, tandis que M. de Tréville
se signale par sa bravoure. Le corps des Mousquetaires
gagne alors en prestige et attire de nombreux gentils-
hommes, en particulier gascons, désireux de graver
en lettres d’or leur nom au champ d’honneur.
Les mousquetaires – dont le nombre s’élève à cent
trente – font partie de la Maison du Roi, et non

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Organisation du corps des Mousquetaires Logis
La cour de son hôtel, situé rue du Vieux-Colombier,
ressemblait à un camp, et cela dès six heures du
Les grades matin en été et dès huit heures en hiver. Cinquante
Capitaine lieutenant à soixante mousquetaires, qui semblaient s’y relayer
Il est le commandant de la compagnie pour présenter un nombre toujours imposant,
des Mousquetaires. C’est actuellement Monsieur s’y promenaient sans cesse armés en guerre et prêts
de Tréville qui, en sus d’être le commandant à tout. Le long d’un de ses grands escaliers sur
de la troupe, accueille celle-ci au sein de son hôtel l’emplacement desquels notre civilisation moderne
particulier, sis rue du Vieux-Colombier, dans le fau- bâtirait une maison tout entière, montaient et
bourg Saint-Germain. descendaient les solliciteurs de Paris qui couraient
Sous-lieutenant après une faveur quelconque, les gentilshommes
Il est l’assistant direct du capitaine-lieutenant. de province avides d’être enrôlés, et les laquais
Cornette et enseigne chamarrés de toutes couleurs, qui venaient apporter
C’est également un grade d’officier, particulièrement à M. de Tréville les messages de leurs maîtres
important, car sa charge principale est de rallier ou de leurs maîtresses. Dans l’antichambre, sur
les hommes de rang lors des batailles. de longues banquettes circulaires, reposaient les élus,
Maréchal des logis c’est-à-dire ceux qui étaient convoqués. Un bourdon-
Ce grade de sous-officier est le plus élevé parmi nement durait là depuis le matin jusqu’au soir, tandis
les hommes du rang. que M. de Tréville, dans son cabinet contigu à cette
Brigadier antichambre, recevait les visites, écoutait les plaintes,
Un grade de sous-officier, directement placé au-dessus donnait ses ordres, et, comme le roi à son balcon du
des hommes du rang. Louvre, n’avait qu’à se mettre à sa fenêtre pour passer
Les mousquetaires la revue des hommes et des armes.
Les mousquetaires peuvent également être nommés Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires
chevau-légers.

Vêture Autres grands corps


Bien qu’on les identifie sans mal grâce à leur uniforme,
il convient de préciser que les Mousquetaires du Roi
n’ont pour seule obligation que de revêtir la casaque Les Gardes du Cardinal
bleue qui couvre leurs vêtements. Richelieu crée aussi un corps de mousquetaires à son
La casaque est courte, atteignant le bas du dos, et service. Il possède ainsi sa propre garde, dont la casaque
possède de larges manches ouvertes. De grandes croix arbore la couleur de l’église, le rouge. Les Gardes du
blanches ornent le vêtement : une devant, une derrière, Cardinal dépendent directement de celui-ci. Les rixes
une sur chacun des bras. entre Mousquetaires du Roi et Gardes du Cardinal sont
Les mousquetaires étant tous d’extraction noble, régulières, pour ne pas dire quotidiennes.
l’accoutrement est généralement soigné. Les hommes
portent le chapeau, orné de plumes, généralement Les Gardes suisses
rouges et blanches. C’est en 1616 que le roi Louis XIII donne à un régiment
d’infanterie suisse d’élite, appelé jusque-là Cent-Suisses,
Armement le nom de Gardes suisses. Il ne s’agit pas officiellement
Les mousquetaires portent le mousquet à mèche, moins d’un corps de l’armée du roi de France, mais il en as-
fragile que le modèle – plus moderne – doté d’une pla- sume toutes les fonctions. Les Gardes suisses assurent
tine à rouet. Ils portent également une paire de pistolets la surveillance intérieure du palais et veillent jour et nuit
et une épée. Cette épée est une arme à lame large, sur le roi. Ils sont également dépositaires des sceaux du
pouvant sans peine être utilisée à cheval (de type sabre roi et gardiens des joyaux de la couronne de France.
ou forte épée). Toutefois, au sein du corps, des épées De 1632 à 1641, les Gardes suisses sont commandés par
différentes tendent à apparaître, chacun développant César du Cambout, marquis de Coislin, comte de Crécy
son escrime personnelle. et surtout neveu de Richelieu, ce qui ne manque pas
d’attirer certaines réflexions désobligeantes. Après
la mort de Cambout, âgé seulement de 28 ans, c’est
Edmé de La Châtre qui obtient le titre de colonel
général des Suisses et des Grisons.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais
Les Vyverniers royaux
Les Vyverniers royaux constituent un corps d’élite Le corps compte douze vyverniers, qui possèdent
directement rattachée à la garde du roi. Elle est chargée une maîtrise sans égale de leur monture. Il est placé
de la surveillance des cieux aux alentours de Paris, sous le commandement de Lars Svensson, un officier
mais est également mobilisée dans certains cas épineux suédois rallié au trône de France. Les vyverniers
(les sièges étant le cas le plus courant). C’est une troupe ont depuis quelques années échappé au monopole
peu nombreuse, composée avec une grande patience par de Gaget. La moitié des montures est à présent sous
le cardinal de Richelieu et Urbain Gaget après les événe- la responsabilité des Vyverneries Dubuis. Un autre ca-
ments de 1633. Leurs casernements sont d’ailleurs acco- sernement a été implanté près de la porte Saint-Honoré.
lés à la tour Gaget et ce sont les employés de ce dernier
qui s’occupent des précieuses montures. Les Vyverniers
royaux arborent une casaque blanche ornée d’une fleur
de lis azur. Ils portent régulièrement une lourde cuirasse
et un casque de métal. Bien que comptant essentiel-
lement sur leurs terrifiantes montures, les vyverniers
sont également armés de longues lances, de pistolets
et de grenades.

201
Chez les Lames
1647. Tandis que les tensions se multiplient à son
encontre, le cardinal Mazarin décide de reformer
une troupe de Lames du Cardinal. Pour loger ces
agents d’élite, il pense tout d’abord à l’hôtel de Chevry,
qu’il loue depuis son investiture et qui a accueilli les an-
ciennes Lames. Mais l’hôtel, malgré ses avantages, n’est
plus sûr. L’ordre du Saint-Esprit, qui y est installé, est
gangréné par les opposants au trône et, plus nombreux,
à ceux qui veulent la chute du cardinal.
C’est alors que Mazarin se souvient d’un bâtiment usé,
vestige du Moyen Âge, planté au bord de la Seine, non
loin de l’île des Écailles…

Vestige des temps passés


L’hôtel des Archevêques de Sens, plus communé-
ment appelé hôtel de Sens, est un bâtiment massif
planté à l’angle de la rue du Figuier et de la rue luxueuse, mais appartenant aux archevêques de Sens,
de la Mortellerie. Nommé à l’origine hôtel d’Hesto- déclenche une vague de moqueries et de satires. Cet
menil, il a été donné en 1381 à Guillaume de Melun, isolement dans une demeure ecclésiastique résolument
archevêque de Sens, par Charles V en échange d’un do- austère, loin du Louvre auquel elle peut prétendre,
maine jouxtant l’hôtel Saint-Pol. L’évêché de Paris accentue le caractère fantasque de la reine Margot.
dépend à cette époque de l’archevêché de Sens, et Les refrains populaires, les chansons salaces et
l’importance du diocèse parisien incite les archevêques les libations débridées remplacent dès lors les attitudes
à résider régulièrement dans la ville. Les successeurs pieuses et la douce harmonie des cantiques. La galerie
de Guillaume de Melun perpétuent cette habitude. archiépiscopale résonne d’une musique profane, tandis
En 1475, le siège épiscopal de l’archevêché advient que les amants de la reine déchue remplacent les prêtres
à Tristan de Salazar. Cet archevêque amateur de faste fait et les théologiens. Les salles de l’hôtel sont pendant
alors reconstruire le bâtiment vétuste. Salazar est le fils ces quelques mois le refuge de bals et fêtes débridés.
d’un capitaine espagnol devenu chambellan du roi pour Après cet épisode, les métropolitains de Sens continuent
services rendus. Sa mère, Marguerite de Saint-Fargeau, à habiter leur hôtel à Paris, lorsque les affaires de la pro-
est la fille naturelle de Georges de la Tremoille. vince ecclésiastique ou celles du diocèse réclament leur
Salazar, aidé de l’architecte Martin Champignes, élabore présence dans la capitale. Toutefois, lorsqu’en 1622,
les plans du nouvel hôtel avec un soin particulier. En ré- l’église de Paris est érigée en archevêché, ces habitudes
sulte un bâtiment à l’allure étrange, mélange d’architec- changent du tout au tout. D’habitat de dirigeants,
ture militaire et civile, symbolisant la double juridiction l’hôtel devient le refuge de visiteurs n’ayant plus aucun
des métropolitains et évêques de Sens, à la fois seigneurs pouvoir à Paris. De fait, ils abandonnent cette habitation
et évêques. Salazar, avant d’entrer dans les ordres, a devenue le symbole d’un pouvoir perdu, et en tirent
embrassé une carrière militaire. Il en conserve le goût un revenu considérable par la location à de riches
toute sa vie durant et on le voit par exemple guerroyer bourgeois, des gens d’affaires, ou même de simples
à la bataille de Gênes en 1507. En tant qu’homme marchands.
d’Église, il prend quelque importance, en officiant De 1624 à 1628, quelques salles du rez-de-chaussée
par exemple comme commissaire lors du divorce du accueillent même des réunions publiques, et se trans-
roi Louis XII et Jeanne de France. Il officie également forment sinon en tripot, au moins en taverne et
lors des obsèques d’Anne de Bretagne et de Louis XII. en salle de jeu.
Il meurt avant de voir l’hôtel achevé.
Par la suite, l’hôtel de Sens est renommé pour sa L’érection de l’évêché de Paris en archevêché, quoique
magnificence. Ses ornements intérieurs et le luxe qui par le concours des deux puissances souveraines, le pape
y règnent sont dignes d’un roi. Toute la puissance de ses Grégoire XV et le roi Louis XIII, ne laisse pas de soulever
occupants transpire dans leur habitat. plusieurs grands procès entre les archevêques de Sens et
Un des hôtes les plus célèbres de l’hôtel de Paris. Ces différents durent jusqu’à ce que Louis XIV,
de Sens est Marguerite de France, dite de Valois, pour mettre fin à toutes leurs contestations, donne
reine de Navarre. Elle y demeure huit mois, d’août à Louis-Henri de Gondrin, archevêque de Sens et à ses
1605 à avril 1606. Sa présence dans une bâtisse certes successeurs, la riche abbaye de Saint-Martin.

202
En 1633, l’hôtel souffre largement des affrontements qui V isite guidée
éclatent non loin et qui aboutissent à la destruction par-
tielle de Notre-Dame. Sa proximité avec l’île des Écailles, L’hôtel s’élève sur un plan en trapèze, dont les angles
ainsi que sa réputation de demeure associée au trône sont garnis de tourelles. L’ensemble se compose
(à moins que ce ne soit le nombre important de tonneaux d’une large cour, entourée de bâtiments des quatre
de vin présents dans la cour), en font une cible privilégiée côtés et d’un jardin situé derrière la bâtisse principale.
pour les dracs, qui y déclenchent un incendie après avoir L’entrée de l’hôtel se compose d’une grande arcade
pillé les lieux. L’architecture intérieure de l’hôtel en est ogivale. La pointe de l’ogive est évidée dans l’épaisseur,
bouleversée et la demeure tombe en désuétude pendant et anciennement dotée d’un assommoir, disparu depuis
de nombreuses années. Richelieu achète le bâtiment, des années.
sans y accorder une grande attention. Un marchand Cette grande entrée est fermée par une porte en chêne
de vin voisin y entrepose sans vergogne ses tonneaux renforcée de clous, à deux vantaux, noircie par l’incendie.
vides, attirant dans son sillage une copieuse troupe Cette entrée constituait la porte d’honneur par la-
de désœuvrés plus qu’à moitié ivrognes, qui s’établissent quelle ne pénétraient dans l’hôtel que les personnages
dans les anciennes écuries. les plus éminents.
Quand Mazarin accède au pouvoir, il retrouva dans Sur la droite de cette porte se trouve une entrée plus
les papiers de son prédécesseur l’acte de cession de l’hô- petite, dans un cadre en ogive. Le passage se fait
tel. Il remise le document, mais garde en tête l’existence majoritairement par cette porte.
de cet endroit stratégique, en bord de Seine et non loin À chaque angle se trouve une tourelle encorbellée, percée
du principal foyer drac de Paris. Toutefois, quand vient de petites fenêtres. Une troisième se trouve à l’arrière
le moment de trouver un quartier général pour les Lames du bâtiment, côté jardin. Une quatrième s’est effondrée
du Cardinal reformées sous le commandement d’Arnaud lors du passage de l’Archéen sur Paris. On distingue
de Laincourt, c’est Chevry qui s’impose pour son confort, sur la façade deux gargouilles par lesquelles s’écoule
les ressources qu’il offre par le biais de la collaboration l’eau de pluie. L’une représente un quadrupède à tête
de l’ordre du Saint-Esprit, et la proximité avec le Louvre. de lion. L’autre figure un dragon à oreilles de loup.
Les années passent, et la popularité de Mazarin ne fit que Le bâtiment principal fait face au portail d’entrée. Il com-
chuter. De fil en aiguille, le cardinal en vient à soupçonner prend un rez-de-chaussée, un étage avec combles doté
la noblesse de saper son autorité et de fomenter des com- de sept larges fenêtres. La troisième, une croisée cintrée,
plots à son encontre voire à celle du roi. Ses soupçons est pratiquée dans un pavillon en saillie, aussi à deux
se font suffisamment précis pour qu’il décide, en 1647, étages. Elle éclaire la chapelle privée des archevêques
de reformer les Lames du cardinal. Mais Chevry ne lui de Sens, dont l’autel se trouvait ainsi isolé de toute
semble pas alors un refuge fiable. Certains de ses soupçons, habitation domestique. Au-dessous de cette croisée
en effet, mènent droit à des membres éminents de l’ordre de la chapelle s’ouvrait au rez-de-chaussée une porte
du Saint-Esprit, et il décide de garder la reformation à deux ventaux, surmontée d’un auvent.
des Lames secrète. Il se souvient alors de l’existence Comme toutes les maisons princières du Moyen Âge,
de l’hôtel de Sens. Une visite sur site de Saint-Lucq le ren- la distribution des pièces est simple. Les salles sont
seigne sur l’état de délabrement de la bâtisse (et débarrasse de belles dimensions. Une pièce plus grande que
les lieux des mendiants installés). Mazarin décide de louer les autres fait office de salle de réunion. Une vaste
le bâtiment, sous couvert d’un faux nom. Il y fait effectuer cheminée y forme un chauffoir commun. C’est là que
quelques travaux pour rendre sa dignité à la bâtisse, mais, les archevêques recevaient leurs visiteurs de marque, et
comme à son habitude, sans forcer sur la dépense. Aussi sans doute là que les Lames se réuniront autour de leur
l’hôtel ressemble-t-il plus à l’austère hôtel de l’Épervier capitaine. Les autres pièces sont dotées de cheminées
qu’au fastueux Chevry. Il n’empêche que les lieux sont à chambranles.
nettoyés, même si certains plafonds portent encore Au rez-de-chaussée, dans la cour, se trouve une ancienne
la marque du passage des flammes. Un mobilier succinct salle des gardes. Elle a été largement abandonnée, puis
est acheté. Le marchand de vin est pour cela mis à contri- recyclée en écurie et dortoir à ivrognes, mais avec un peu
bution, s’acquittant ainsi d’arriérés de loyers, sans oser de nettoyage, elle fera une salle d’entraînement des plus
protester auprès de Saint-Lucq que Mazarin n’a aucun adaptées aux Lames.
droit de les percevoir. Au fil des mois, Saint-Lucq décide Dans l’angle sud-ouest de la cour s’élève une haute
qu’il constitue un bon élément et il est autorisé à conti- tour servant de cage à l’escalier qui donne accès aux
nuer à utiliser la cour de l’hôtel. Il profite à présent de ses logements des étages.
allées et venues pour donner aux Lames des informations Des caves spacieuses et profondes, dont la distribution
sur le quartier. Mazarin engage une vieille cuisinière et est fonction des murs qu’ils soutiennent, couvrent
son fils, qui fait office de gardien, de palefrenier et, quand quasiment toute la surface des bâtiments.
le cœur lui en dit, de jardinier. Le jardin est en friche. Des arbres chétifs veillent sur
Ainsi l’hôtel des Archevêques de Sens retrouve- des parterres d’herbes folles.
t-il un usage d’importance.

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Josselin Grange

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Josselin Grange
Gervaise Delattre Gros Georges Delattre Hubert Chalençon

Les bals de la reine Margot Hubert C halençon


Si la présence de Marguerite de Valois entre les murs Le sieur Chalençon est un marchand de vin d’origine
de Sens fut courte, en définitive, elle laissa une trace bordelaise établi rue du Figuier. Il possède en outre
bien plus importante qu’il est communément admis. un quai de chargement sur la Seine, non loin de l’hô-
En effet, en plus de ses libations habituelles, la reine tel. Chalençon est un homme en apparence inoffensif,
répudiée, affligée de diverses maladies, décida de s’ad- sans âge, à l’air maladif et au front dégarni. Il a pourtant
joindre les services d’un maître de magie. Ce besoin l’esprit fin et le regard aiguisé, ce qui en fait un relais
attira l’attention d’une dragonne appartenant au groupe intéressant pour les Lames, d’autant plus qu’il connaît
mystérieux des Parques. Elle plaça aux côtés de la reine le quartier et ses habitants comme sa poche. Sa peur
un homme de confiance, qui se chargea de faire de Saint-Lucq assure pour l’instant sa loyauté, mais
les quatre volontés de Marguerite. Dès lors, en plus on ne saurait s’y fier tout à fait. Son vin, par ailleurs,
du vin et des divers autres spiritueux, la jusquiame dorée est fort buvable.
se mit à couler à flots entre les murs de Sens. De fil
en aiguille, la reine se mit à éprouver le besoin irré-
pressible de faire appel à la magie draconique pour Ressources
retrouver son allure d’antan. Devenue obèse et chauve,
elle sentait la fin se rapprocher, mais malgré ses écarts, Les ressources dont disposent les Lames du Cardinal
ne pouvait s’y résoudre. à l’hôtel de Sens se rapprochent bien plus de l’époque
de l’hôtel de l’Épervier que du faste de Chevry. Soyons
clairs : comme dit précédemment, le logis est grand,
Les occupants de Sens mais chichement meublé. Le bois pour se chauffer
ne manque pas, et la nourriture pourvue en quantité
raisonnable, qui plus est transcendée par le talent
Gervaise Delattre culinaire de Gervaise et le vin de Chalençon.
Gervaise est une femme chétive de petite taille, aux Quant au matériel de mission, il reste modeste. Les écu-
cheveux gris et à la parole rare. C’est une femme très ries accueillent un cheval par Lame, ainsi qu’un vieux
organisée, fine cuisinière, qui règne sur son logis comme carrosse – datant de la reine Margot – auquel Gros
un général d’armée. Malgré son caractère en apparence Georges a procuré une deuxième jeunesse. L’armurerie
revêche, elle a le cœur sur la main, et se montre aux petits renferme quelques mousquets et pistolets, ainsi que
soins pour ses hôtes, pour peu qu’ils lui montrent un peu des pourpoints en cuir de buffle pour qui souhaite
de reconnaissance. Fille d’un rebouteux de Picardie, en porter. On n’y stocke pas de poudre, eu égard
elle connaît en outre quelques remèdes et tisanes qui à la propension qu’ont les dracs à mettre le feu à la bâtisse
peuvent alléger les peines et contrôler les fièvres. à la moindre révolte. En revanche, une arbalète sur
pied, massive, a été installée dans la tourelle donnant
Gros Georges Delattre sur les Écailles.
Gros Georges est le fils de Gervaise. Il est aussi haut et Enfin, une cassette est rangée dans une cache
lourd que sa mère est petite et fine. Son esprit n’est pas de la chambre qu’occupe Rochefort quand il est
des plus fins, et il n’est pas des plus travailleurs, mais sa à Sens. Elle renferme quelques dizaines de livres pour
mère ne saurait s’en séparer. Outre son appétit légen- les frais divers.
daire, il excelle à s’occuper des chevaux, qu’il semble
comprendre mieux que les hommes. C’est par ailleurs
un doux rêveur, qui peut passer des heures à contem-
pler ce qu’il trouve beau. Cela peut aller d’une fleur
à un coucher de soleil, en passant par une bouse fraîche
ou un cadavre de rat joliment gonflé par la putréfaction.

206
La chevalière des Lames
Toujours à la fenêtre, elle jouait rêveusement avec la chevalière qu’elle
portait accrochée autour du cou – le bijou, en acier terni, était frappé
d’une croix grecque fleurdelisée que traversait une rapière.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Les Lames portent comme emblème une chevalière en acier ornée de leur
blason. Si certains agents (en particulier féminins) préfèrent la garder atta-
chée à une chaîne passée autour du cou, cette bague se porte généralement
à l’annulaire de la main faible (pour ne pas gêner la tenue de l’épée), blason
à l’intérieur de la main, afin de cacher les armoiries à moins de présenter sa © 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
paume ouverte.
Pour certaines missions, en particulier à l’étranger, les Lames remisent ce signe
de reconnaissance un peu trop évident.
La chevalière des Lames est connue de nombreuses personnes – sans doute
trop. Les corps d’élite du roi, du cardinal et certains membres de la noblesse
peuvent l’identifier d’un coup d’œil. Les agents de la Griffe noire en connaissent
aussi le dessin, depuis que l’une des Lames a trahi le groupe et fait une publicité
excessive aux agents du cardinal.
Montrer la chevalière peut faciliter certains passages dans des endroits protégés
de Paris (le Louvre, le Châtelet…), mais les consignes de Mazarin sont claires :
le nouveau groupe des Lames doit rester dans l’ombre, rendant l’utilisation
de ce laissez-passer très déconseillée. Aussi la chevalière sert-elle essentiellement
à marquer le sceau d’un courrier important, voire à être confiée à un messager
pour prouver son origine.
Reste qu’en cas d’urgence absolue, la montrer pourra faire gagner
un temps précieux.

207
LesAnciennes Lames,
secrets et destinées
Étienne-Louis La Fargue
C’était un gentilhomme blanchi sous le harnais
de la guerre. Grand, vigoureux, encore solide malgré
les années, il avait des bottes hautes aux pieds,
le chapeau à la main et la rapière au côté. Il portait
un pourpoint ardoise à petits crevés rouges et
des chausses assorties dont la coupe était aussi austère
que l’étoffe. Sa barbe rase était du même gris argenté
que ses cheveux. Soigneusement taillée, elle couvrait
les joues d’un visage sévère creusé par les combats et
les longues chevauchées sans doute, par les regrets et
les tristesses peut-être. Son port était martial, assuré,
fier, presque provocant. Son regard n’était pas de ceux
que l’on fait baisser.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Étienne-Louis La Fargue fut, durant des années, le com-


mandant des Lames du Cardinal, dont il choisit – Saint-
Lucq mis à part – la totalité des membres. Échaudé par
le désastre de La Rochelle et la disgrâce qui suivit, il hésita
à reformer sa troupe cinq ans plus tard. Finalement,
les Lames permirent de sauver Paris et le trône de France,
une nouvelle fois au prix du sang. Usé, le capitaine dissout
une nouvelle fois le groupe pour retrouver sa fille Anne
aux Amériques. Depuis, nul n’a entendu parler de lui.

Et à présent ?
Étienne-Louis La Fargue est toujours en vie. Il sillonne
les mers depuis des années, luttant à bord de son navire
contre les expéditions mises en place par les dra-
gons. On ne compte plus les cargaisons de jusquiame
dorée qui ont fini au fond de l’océan suite à ses at-
taques. Sa fille Anne, qu’il a retrouvée, endosse son rôle
dans un navire identique plus près des côtes de France,
renforçant la réputation de pirate insaisissable de son
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

père. Elle a un lien privilégié avec les corsaires malouins.

Certaines destinées semblent parfois prendre un virage inattendu, parfois


contraire au caractère profond que l’on attribue aux gens. J’avais toujours
considéré le capitaine La Fargue comme chef des Lames avant même
d’être homme. De fait, le voir prendre la mer vers le Nouveau Monde
pour rejoindre sa fille n’avait pas manqué de me surprendre. Mais
il y a quelques jours, alors que le cardinal et moi-même nous affairions
à la reformation des Lames, il fit mention, sans même s’en rendre
compte, d’un allié de valeur qui, depuis les côtes des Caraïbes, avait déjà
sauvegardé à maintes reprises le trône de France en envoyant par le fond
des caravelles chargées de jusquiame dorée.

Arnaud de Laincourt, Recherches et notes prospectives

208
Arnaud de Laincourt
Mince et souple, Arnaud de Laincourt
pouvait approcher la trentaine. Il avait le sourcil
sombre, l’œil d’un bleu cristallin, le nez droit,
les joues glabres et le teint pâle. Ses traits fins étaient
empreints d’un charme étrange, à la fois sage et
juvénile. On l’imaginait plus volontiers étudiant
la philosophie à la Sorbonne que revêtu de la tenue
ordinaire des gardes à cheval du Cardinal.
Il était intelligent, cultivé, calme et réser-
vé. Certains le trouvaient distant, ce qu’il était
d’une certaine manière. D’autres jugeaient
que sa réserve était une manifestation d’arro-
gance. Ils se trompaient. La vérité était que Laincourt
ne méprisait personne, mais n’appréciait pas outre
mesure ses contemporains, ne leur demandait que
de le laisser en paix et n’estimait pas nécessaire de leur
plaire. Il détestait les propos creux, les attitudes
convenues, les sourires de circonstance. Il n’aimait pas
qu’on lui fasse la conversation.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Arnaud de Laincourt, dernier membre intégré au


groupe des Lames du Cardinal, a été chargé par Mazarin
de recruter de nouvelles Lames. Il a refusé de devenir
le capitaine de ces dernières. Usé, malade, Laincourt a
encore gagné en sagesse et en perspicacité. Il se montre
froid et distant, aime la solitude, et il n’est pas rare
de l’entendre parler seul.
Il garde auprès de lui un vieux dragonnet, maigre et
loqueteux, rusé et malicieux. Il le nomme Maréchal et
a pour lui beaucoup d’affection.

Et à présent ?
Après avoir dirigé les Lames pendant quelques
mois, Laincourt a abandonné sa chevalière et rejoint
la Lorraine. Il y mène une existence mouvementée,
en zone de guerre, auprès de son épouse Aude.

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

pe. Il y a
Le jeu ne Lai nco urt me préo ccu
, et il semble
longtemps que je le vois parler seul
. Il mai grit , il pâlit,
de plus en plus soucieux
. J’ai ente ndu des chos es à son
et il s’assombrit
com mér ages . Je ne sais pas trie r le vrai
sujet. Des
me, on dit
du faux. On parle d’un vieil hom
tif. On dit qu’i l était
qu’il était son père adop
on pou r Sa Ma jest é. On dit
musicien, et espi
tort uré et tué par des drag ons. On dit
qu’il fut
et que le fan tôme
aussi que Laincourt est maudit,
Bah , je m’i nqu iète
du vieu x le han te.
rais pas prêt er l’or eill e
trop . Je ne dev
à ces inepties.
e
Journal de Bertaud, librair 209
Antoine Leprat, chevalier d’Orgueil
Grand, bien bâti, les joues râpeuses et l’œil sévère,
il jouissait d’un charme viril que renforçait son
accoutrement guerrier de cavalier harassé. On devi-
nait qu’il souriait peu, parlait moins, ne se souciait
pas de plaire. Il devait avoir quelque chose comme
trente-cinq à quarante ans. Son visage aux traits
marqués trahissait la volonté des hommes d’honneur et
de devoir, et que rien ou presque n’émeut parce qu’ils
savent tous les maux du monde.
(…) l’épée qui pendait à son côté. On ne pouvait
en voir que la poignée et la garde dépassant
du fourreau, mais elles semblaient être taillées
d’un bloc dans une matière qui avait l’éclat de l’ivoire
poli. Une rapière blanche.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Antoine Leprat, chevalier d’Orgueil, était un mousque-


taire du Roi avant d’être une Lame du Cardinal. Au sein
de celles-ci, il occupait officieusement la fonction
de lieutenant auprès du capitaine La Fargue. Pendant
les derniers mois de sa vie, il aida à empêcher la Malicorne
de fonder une loge de la Griffe noire à Paris, à démasquer
le complot des Arcanes et à protéger le roi et la reine
contre les machinations des dragons. Rongé par la ranse,
il se savait condamné. Il mourut héroïquement en 1633,
sous les yeux de Marciac, en combattant des dracs noirs
qui tentaient de pénétrer dans Notre-Dame de Paris.

Les renseignements que j’ai pu glaner concernant


le chevalier d’Orgueil semblent peu fiables. Ils relèvent
plus de la légende que de la vérité historique. Ses
compagnons mousquetaires racontent volontiers qu’il a,
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

dans sa prime jeunesse, combattu un dragon. Au cours


du combat, son épée se serait brisée dans la gueule
de la bête, mais aurait par la même occasion arraché
une dent à l’animal. Il aurait alors saisi celle-ci et percé
avec sa pointe l’épaisse carapace de la bête, suffisamment
profondément pour la terrasser. A-t-il fait sculpter
sa rapière dans ce croc ? En tous cas, les maîtres
de magie que j’ai interrogés m’ont confirmé qu’il est
fort probable que l’épée l’ait contaminé. L’arme qui
devait le protéger l’aurait, en fait, tué à petit feu par
le biais de la ranse. Quelle ironie !

Arnaud de Laincourt,
Recherches et notes prospectives

210
Saint-Lucq
L’inconnu était vêtu en cavalier, avec l’épée au côté
et d’étranges bésicles aux verres incarnats cachant ses
yeux. Quelque chose de sombre et menaçant émanait de lui.
Puis, impassible, il fit glisser de l’index ses bésicles rouges
sur son nez, et coula un regard par en dessous à la jeune
fille… qui se figea en découvrant des yeux reptiliens.
Mince et souple, les joues lisses et les cheveux aux épaules,
il devait à cette ascendance de jouir de sens aiguisés,
de capacités athlétiques supérieures et d’un charme qui
séduisait autant qu’il inquiétait. Il avait de l’allure,
certes. Mais quelque chose de ténébreux émanait de lui,
de ses silences, de ses longs regards, de ses gestes lents et
mesurés, de son orgueilleuse réserve. Pour faire bonne
mesure, il ne s’habillait qu’en noir et, sur lui, cette couleur
était plus que jamais celle de la mort. Il n’admettait que
deux exceptions : la fine plume rouge à son chapeau et
les verres – rouges également – des petites bésicles rondes
derrière lesquelles il cachait des yeux reptiliens. Sinon, même
l’admirable garde en panier de sa rapière était noire.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Saint-Lucq est celui qui rappelle, si besoin est, que


les missions auxquelles participent les Lames ne sont
pas toujours reluisantes. Le sang-mêlé est un assassin,
un être individualiste sans morale, ne goûtant que fort

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
peu les joies du groupe. Malgré ces traits de caractère peu
engageants, on lui prête une véritable loyauté au Cardinal
et à La Fargue. Les Lames, à bien des reprises, ont su
se féliciter d’avoir en leur sein le sang-mêlé aux bésicles
rouges. Après leur dissolution, il est resté dans l’ombre
de Richelieu, qu’il a continué à servir, puis de Mazarin,
bien qu’il n’appréciât que modérément l’Italien.

Et à présent ?
Saint-Lucq reste Saint-Lucq. Individualiste, insaisissable,
il œuvre dans l’ombre, assassin et espion, et fait basculer
de loin en loin des batailles par sa seule présence. Tandis
que commencent les troubles de la Fronde, il se rapproche
de Paris pour suivre la trajectoire des Lames reformées.

Il ne susbsiste aucune trace dans aucun document de l’existence d’un sang-mêlé répondant au nom de Saint-Lucq, pas
même dans les registres secrets du Cardinal. Le fantôme aux bésicles rouges, à plus d’un titre, appartient à la nuit. Mais
c’est cachées dans la plus profonde obscurité que les rumeurs sont les plus vivaces. Si on les écoute assez longtemps, certaines
se croisent, se lient, se répondent, et parfois même racontent des histoires. Ainsi, une châtelaine aurait eu une vie avant son
noviciat, et un enfant serait né, un enfant sang-mêlé dont le père servirait les Sept. Cette châtelaine, qui devint louve, ne dut
la disparition de son passé qu’à la redoutable influence de son cousin, qui l’aida ensuite à se hisser au rang le plus élevé de son
ordre. Quant au père, il devint plus tard le contact et le guide du capitaine La Fargue. Leur fils fut abandonné sur le parvis
d’une cathédrale. Et sur le parvis d’une cathédrale fut retrouvé un sang-mêlé qui, des années plus tard, devenu adolescent,
serait clandestinement entré au service d’un futur grand de France, servant au besoin de garde du corps, de messager, d’espion
et même parfois d’assassin.

Arnaud de Laincourt, Recherches et notes prospectives


211
Agnès de Vaudreuil
Assez grande et de loin plus mince et musclée que
ses contemporaines (…), elle n’était pourtant pas sans
charme (…). Elle avait de l’élégance dans le geste,
de la noblesse dans l’allure, et une forme de beauté
sévère et farouche, presque hautaine, volontiers pro-
vocante, qui semblait promettre l’échec à quiconque
prétendait la conquérir. Alourdis d’amples boucles,
ses longs cheveux noirs encadraient un visage mince
et volontaire dont ils soulignaient la pâleur. Ses lèvres
pleines et sombres souriaient rarement. Non plus
que ses yeux vert émeraude, où brûlait une flamme
froide. Il n’aurait pourtant fallu qu’un peu de joie
pour que tout, en elle, resplendisse.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

La baronne Agnès de Vaudreuil est la fille d’un officier


ayant servi sous les ordres d’Henri IV. Sa mère morte
en couche, elle fut élevée par Marion, une servante, et
Ballardieu, un vieux soldat qui lui enseigna la bonne
chère, l’art du combat et qui la suivit toute sa vie. Novice
chez les Sœurs de Saint-Georges, elle refusa longtemps
de prendre le voile chez les Châtelaines et préféra la vie
d’aventures offerte par les Lames du Cardinal. L’attaque
de Paris par l’Archéen la força cependant à accepter
son destin. Elle devint louve en jumelant son âme avec
celle d’un Dragon Ancestral, et écrasa le dragon noir
sur le parvis de Notre-Dame.

Et à présent ?
Agnès est devenue mère des louves. À plus de quarante
ans, et malgré son statut de religieuse, Agnès possède
encore une beauté sauvage. Depuis quinze ans, elle
ne quitte plus son habit de louve. Seule distinction,
la croix et le dragon qu’elle porte sur le cœur, écarlates
alors qu’ils sont brodés en noir pour les autres. Elle
partage son temps entre le Temple, l’abbaye de Saint-
Loup et le mont des Châtelaines. Ses relations avec
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

Mazarin sont souvent houleuses.

C’est Ballardieu qui, un soir d’ivresse, me conta ce qui avait été pour lui les heures
les plus longues de sa vie. Alors âgée de cinq ans, Agnès disparut subitement du
château familial et ne reparut que trois jours plus tard. Le vieux soldat avait, au
mépris de la fatigue, remué ciel et terre pour la retrouver et, malgré la joie que lui causa
son retour, cela n’occulta pas nombre de questions qui, depuis ce jour, lui martelèrent
l’esprit. J’ai toujours eu un grand respect pour le bon sens de Ballardieu, quand
bien même celui-ci se perdait parfois dans les brumes de l’alcool. De fait, quand
il me soutint avec force insultes et vociférations que c’étaient les louves elles-mêmes
qui avaient soutiré l’enfant à cause de la marque étrange sur son omoplate, je me
surpris à le croire. Et je ne puis, plus tard, m’empêcher de repenser à cet épisode
tandis que je m’interrogeais sur la rancœur tenace qu’Agnès vouait à la mère
de Vaussambre. Qui vingt ans plus tôt appartenait aux louves.

Arnaud de Laincourt, Recherches et notes prospectives


212
Nicolas Marciac
Marciac était blond, bel homme et charmeur. Ses
cheveux avaient toujours besoin d’un coup de peigne,
ses joues d’un coup de rasoir, ses habits d’un coup
de fer et ses bottes d’un coup de brosse, mais il jouissait
d’une élégance naturelle qui s’accommodait parfai-
tement de cette nonchalance. Il était plus ou moins
gascon, plus ou moins gentilhomme et plus ou moins
médecin. Il était surtout un redoutable escrimeur,
un joueur acharné et un séducteur impénitent qui
ne comptait pas plus ses duels que ses dettes ou ses
conquêtes.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Nicolas Marciac a toujours été considéré par les autres


Lames comme un jeune frère turbulent. Exaspérant
et attachant à la fois. Ses frasques mirent maintes fois
les Lames dans des positions délicates, et sa faculté
à s’attirer les foudres des maîtres des bas-fonds avait le don
de déclencher la colère du capitaine La Fargue. Après
les événements de 1633, Marciac annonça à ses frères
d’armes survivants son intention de se ranger des car-
rosses pour s’établir, avec sa compagne Gabrielle, célèbre
tenancière de maison close, dans une maison de Touraine.

Et à présent ?
L’infortune n’a cessé de poursuivre Nicolas Marciac,
jusqu’à l’épisode tragique qui vit la maladie emporter
sa chère épouse Gabrielle et leurs enfants. Défait,
rongé, Marciac a alors regagné Paris, errant comme
un fantôme dans les cercles de jeu, gagnant de quoi
miser ou éponger ses dettes en participant à des combats
clandestins. Jusqu’à ce qu’un beau jour, l’une de ses
vieilles connaissances, le comte de Rochefort, le sorte du
ruisseau. Le comte a acheté l’auberge de Meung et en a
confié la gérance à Marciac. Celui-ci semble apaisé. Mais
peut-on jamais jurer de quoi que ce soit avec le Gascon ?

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais

Tout bon compagnon qu’il fût, il reste que Nicolas,


du temps où je n’étais pas encore membre des Lames,
ne se gêna pas pour trahir ses compagnons au bénéfice
de Rochefort. Et bien qu’on le dise retiré des affaires,
et des rues de Paris, on m’a rapporté qu’à quelques
reprises, il aurait été aperçu chez le vicomte d’Orvand,
ainsi que dans certains cercles de jeu parisiens pour
gentilshommes désireux de discrétion. Tout cela
reste, bien entendu, de l’ordre de la conjecture, voire
de la malveillance, mais ces deux informations me
laissent à penser que nous pourrions croiser très bientôt
son chemin.

Arnaud de Laincourt,
Recherches et notes prospectives
213
AnibalAntonioAlmadès di Carlio
Il était grand, sec, d’une maigreur naturelle sans
doute, mais que de trop longues privations subies
avaient accrue. Il avait le poil et l’œil noirs, le teint
hâve, la moustache grisonnante et bien taillée. Son
pourpoint, sa chemise et ses chausses étaient propres,
bien que discrètement rapiécés. La dentelle
de ses manches et de son col avait vécu ; il manquait
la plume à son chapeau ; le cuir de ses bottes
à entonnoir manquait de cirage. Mais quand bien
même n’aurait-il été vêtu que de guenilles, Almadès
portait beau. Un vieux sang andalou coulait dans ses
veines, nourrissant tout son être d’une fierté austère
qui irradiait.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Anibal Almadès fut, à bien des égards, le compagnon


le plus proche du capitaine La Fargue. Inégalé, épée
en main, au sein des Lames, son caractère peu dé-
monstratif le cantonnait à l’ombre, pour des tâches
exécutives. Son passé semblait nimbé de mystère, mais
nul n’a jamais osé aborder le sujet avec lui. Il trouva
la mort dans la prison du Châtelet, par les flammes
d’un dragon, et sauva ainsi ses compagnons en sacrifiant
sa propre vie.

Durant mon séjour en Espagne m’est parvenue


une histoire prononcée à demi-mot, narrant les affres
d’un gentilhomme disparu depuis. Le sieur, connu
pour ses talents d’escrimeur, aurait été le seul
à affronter et vaincre un émissaire des dragons
connu sous le sobriquet du Guerrier. Ce dernier,
en représailles, aurait passé la famille du bretteur
par le feu. Femme. Fils. Fille. Ce n’est que
plusieurs années plus tard que je rencontrai Anibal
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

Almadès. Dont l’une des manies était de répéter


chaque mouvement trois fois. Hommage constant
à ses proches disparus ou extrapolation de ma part ?

Arnaud de Laincourt,
Recherches et notes prospectives

214
Ballardieu
L’homme portait des bottes à entonnoir avachies,
des chausses de cuir brun et un pourpoint de velours
rouge largement ouvert sur son torse nu. Son
corps était solidement charpenté, mais alourdi
de graisse – cuisses larges, épaules puissantes, cou
épais. Il pouvait avoir cinquante-cinq ans, peut-être
plus. Sous une barbe rase, son visage buriné de vieux
soldat s’était empâté au cours de ces dernières années,
et les entrelacs pourpres d’une couperose naissante
ornaient désormais ses pommettes. L’œil, néanmoins,
restait vif. Et l’impression de force qui se dégageait du
personnage n’était pas trompeuse.
Pierre Pevel, Les Lames du Cardinal

Ballardieu était un vieux soldat sans éducation, mais


dont la loyauté et le sens pratique avaient peu d’équi-
valents. Attaché à Agnès de Vaudreuil depuis l’enfance
de cette dernière, il veilla constamment sur sa protégée
comme sur sa propre fille, quitte à briser quelques
os au passage. Son efficacité à la bataille fit maintes
fois merveille. Il trouva comme il se doit une mort
glorieuse. En protégeant Agnès.

Ballardieu… Sa présence parmi les Lames


n’a eu de cesse de m’étonner. J’ai toujours vu son
appartenance au groupe comme une faveur faite
à Agnès par le capitaine La Fargue, mais
de récentes découvertes m’ont poussé à douter de mes
premières conclusions. C’est lors de mon retour à Paris
à la demande du cardinal que je retournai à l’hôtel
de l’Épervier. Rongé par les flammes, celui-ci
semblait encore plus sinistre que dans mes souve-
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
nirs. J’arpentai toutefois les étages, promenant mon
regard sur divers objets ayant appartenu à mes anciens
compagnons. Un dé de Marciac. Une main
gauche rouillée d’Almadès. Et, au milieu des dé-
combres, tombé d’une cache aménagée dans un mur
écroulé, un miroir brisé d’étrange facture. Un miroir
qui ressemblait à s’y méprendre à celui qu’utilisait le ca-
pitaine La Fargue pour communiquer avec le groupe
de dragons qu’il nommait les Sept. Un miroir qui
semblait plus qu’incongru près du lit de Ballardieu.

Arnaud de Laincourt,
Recherches et notes prospectives

215
Chronologie
de l’époque des Lames
Afin de vous permettre de saisir tout le sel de l’univers Par la suite, Gondi multiplie les interventions et gagne
uchronique des Lames du Cardinal, une chronologie non l’estime des membres du bas clergé. Il administre
exhaustive des principaux événements des années 1644 le diocèse en l’absence de son oncle, archevêque en titre.
à 1653 est proposée ici. L’Histoire y cède partiellement
le pas aux mythes. E Février : Les troupes suédoises, menées par
le général Gustav Horn, occupent la majeure partie
La chronologie indique pour chaque année les événe- du Danemark. La cavalerie ailée suédoise remporte
ments se déroulant en France et ceux ayant lieu dans un grand nombre de victoires, tandis que les Naos leur
le reste du monde. Des icônes permettent de situer apportent une aide discrète et efficace, tout en lorgnant
d’un coup d’œil où se situent les différentes entrées. ouvertement sur la forteresse danoise de Malmö – pour
À partir de 1648, la Fronde prend une part prépon- une raison inconnue.
dérante dans les missions des Lames. Aussi les entrées
de la chronologie de cette période sont-elles développées E Avril : Charles II Stuart, prince héritier d’Angle-
de façon plus poussée. terre, est envoyé à Jersey, sous protection du gouverneur
Carterets.
F France, E m
Europe, As Amérique, Am s
Asie, Af Afrique

L’année 1644
E Janvier : Début de la première guerre civile
en Angleterre. Durant toute l’année, les troupes
parlementaires, menées par Cromwell et Fairfax,
affrontent les royalistes de Charles Ier. L’issue du conflit
est incertaine.

F 27 janvier : Le contrôleur des finances, Michel


Particelli d’Emery, instaure l’édit du toisé afin de mettre
en place un impôt foncier. S’appuyant sur des inter-
dictions de construire dans les faubourgs de Paris, cet
Charles II
édit oblige les propriétaires des immeubles à payer
un impôt de cinquante sous par toise. La mesure
déclenche l’hostilité des propriétaires, au grand plaisir E Mai : Défaite espagnole à la bataille de Montijo,
de Particelli – lequel est, en réalité, un membre influent face au Portugal. Pour la première fois depuis le début
de la Griffe noire. de la guerre de Trente Ans, aucun régiment drac irskehn
ne participe à la bataille.
F 31 janvier : Sacre de Jean-François Paul de Gondi
à Notre-Dame de Paris. La cérémonie le voit prononcer F Juin : Gaston d’Orléans, après trois semaines
un discours enflammé incitant à l’éradication des créa- de campagne, assiège Gravelines, aux mains
tures draconiques impies. S’ensuivent plusieurs émeutes des Espagnols. Malgré une épidémie de ranse frappant
opposant les dracs et la population locale désireuse les soldats français, la ville tombe en juillet.
de mettre à feu et à sang le quartier des Écailles. L’armée,
envoyée par Mazarin, met fin aux troubles après deux F Juillet : L’édit du toisé provoque des émeutes
jours de bataille. Gondi, lors de l’un de ses prêches à Paris. Le retour du roi ramène finalement
ultérieurs, confère à Mazarin le titre ironique de « pro- le calme. Particelli se fait discret.
tecteur des dragons ».

216
Mes chères Lames, L’année 1645
J’ai besoin que vous vous rendiez sans délai à Saint-
A m 11 février : En Chine, éclipse lunaire prévue par
Malo pour y embarquer à destination de l’île
de Crète. Des informations venues de l’ordre le jésuite allemand Adam Schall von Bell. Celui-ci est
de Malte m’apprennent qu’une invasion de cette île nommé codirecteur du service astronomique en Chine
par les Ottomans est en cours, et je crains que et se voit donner accès à certains documents occultes
la recherche d’artefacts légendaires datant du roi chinois ancestraux. Les Jésuites pénètrent les secrets
Minos soit la raison qui pousse le sultan à envoyer de la cité interdite.
ses troupes.
Je vous invite à vous rapprocher de notre contact F 5 mai : Défaite de Turenne à Marienthal, ce

à Saint-Malo, Léonard Lenfer, qui a affrété qui empêche l’invasion de la Bavière par les troupes
un galion à votre intention. Vous rejoindrez ensuite françaises.
le chevalier Oleynik, de l’ordre de Malte, au
large des côtes crétoises. F 26 mai : À l’Assemblée du clergé, Gondi prononce
un discours enflammé dont les cibles sont les défunts
Ne me décevez pas. Louis XIII et Richelieu, coupables selon le futur
cardinal de Retz d’avoir « donné les clés de Paris aux
dracs ». Anne d’Autriche s’insurge avec vigueur. Le clergé
soutient Gondi.
E Juillet : Apparition en Écosse d’un groupe de com-
battants d’élite surnommé Lames du Roi. Favorables E Juin : La Crète, alliée de la république de Venise,
à Charles Ier Stuart, ils s’opposent à l’armée parlementaire est en grande partie conquise par les Turcs, accueillis
par des manœuvres d’espionnage et d’escarmouche. en libérateurs par une population tyrannisée par
le descendant du roi Minos.
E 31 juillet : L’armée espagnole reprend Lérida. Après
deux années de siège, la population de cette ville E Juillet : En Crète, une troupe turque pénètre dans
de Catalogne aux mains des Français disparaît entiè- une caverne du mont Dicté, lieu supposé de la naissance
rement en une nuit. On observe au-dessus des remparts de Zeus. Elle n’en ressort pas. Les Turcs assiègent la cité
de la ville, alignée avec la Lune, une sphère luminescente de Cnossos, siège du tyran crétois connu sous le nom
de grande taille et de couleur sang. de Roi du Labyrinthe.

E Septembre : Les chevaliers de Malte s’emparent E Août : Victoire des troupes suédoises et françaises
d’un galion transportant une sultane turque pour un pè- (menées par Turenne et le duc d’Enghien) à la bataille
lerinage. Le sultan Ibrahim Ier déclare la guerre à Venise, d’Alerheim, en Saxe. Le duc d’Enghien revient malade
protectrice des chevaliers, qui assurent avoir intercepté et délirant de sa collaboration avec les mystérieux
ce convoi, car il transportait un ouvrage draconique commandants suédois.
d’une valeur inestimable. Il prépare l’invasion de l’île
de Crète, alliée de Venise. E Août : Paix de Brömsebro entre la Suède
et le Danemark, imposée par le chancelier
E Septembre : Conférence de Tyrnau entre la maison Oxenstierna. La Suède y gagne une flotte importante.
d’Autriche et la Transylvanie. Avec l’aide de la France
et, plus étrange, de la Suède, le prince transylva- E Août : Exécution d’un groupe de sorcières à Bury
nien Georges Rakóczi a envahi la Haute-Hongrie Saint Edmunds (Suffolk, Angleterre) après une enquête
qu’il a décrétée « terre non draconique ». L’empereur minutieuse menée par les Lames du Roi. Dix-huit
Ferdinand III se voit contraint de céder. Les émissaires sorcières liées aux dragons sont exécutées.
suédois des Naos prennent pied en Haute-Hongrie.

Am Novembre : Couronnement du jeune empereur


Shunzhi, de la dynastie Qing après le renversement
de l’empereur Ming. Trois grands dragons sont aperçus
dans les cieux le jour du sacre.

E 18 décembre : Christine de Suède atteint la majorité


et prend possession du trône. Le chancelier Oxenstierna
perd officiellement de l’influence, mais continue à régner
sur les affaires stratégiques du pays.

Gondi 217
Mes chères Lames, L’année 1646
J’ai besoin que vous réfléchissiez
à un plan d’attaque destiné à mettre à bas
la forteresse de La Mothe-en-Bassigny, place
forte de Lorraine. L’échec du siège mis
en place par nos troupes ne saurait être imputé
à des manquements de notre part, et je crains que
la résistance surnaturelle de la citadelle porte
la marque de la Griffe noire.
Je vous invite à vous rapprocher de nos contacts
à Saint-Avold, qui vous fourniront toutes
les informations pertinentes dont nous disposons sur
La Mothe-en-Bassigny.
Ne me décevez pas.
Zongo Ondedei

F Août : Emprisonnement de Molière pour dette et


faillite de l’Illustre Théâtre.
F Mars : Mazarin est nommé intendant de l’éduca-
E Septembre : Torstenson et les troupes suédoises tion du roi. Le mystérieux Zongo Ondedei, de l’ordre
envahissent la Bavière grâce à l’action de troupes aé- des Théatins, arrive à Paris et devient l’éminence grise
riennes montées sur des vyvernes blanches d’une taille de Mazarin. Il s’oppose régulièrement aux Lames du
monstrueuse. Cardinal, dont l’utilisation amorale lui déplaît.

E Septembre : Le prince Rupert, général, artiste et E Mars : Décès du prince Balthazar-Charles


alchimiste, perd Bristol. Les parlementaires contrôlent d’Espagne, héritier du trône, deux ans après sa mère
toute l’Angleterre. Élisabeth de France. L’infant Juan José d’Autriche,
progéniture du roi et de l’actrice Maria Calderon, est
F Octobre : Gondi refuse à l’évêque polonais un temps accusé d’avoir empoisonné son demi-frère,
de célébrer à Notre-Dame le mariage par procuration avant d’être innocenté.
de Marie-Louise de Gonzague, fille du duc de Nevers,
avec le roi de Pologne Ladislas IV. Ce refus entraîne F Avril : Gondi s’oppose à Gaston d’Orléans,
un conflit diplomatique entre la France et la Pologne. l’oncle du roi.

F Novembre : Malgré l’utilisation de bombes, le froid E Avril : Paix entre la Suède et la Saxe.
et la famine, la citadelle de La Mothe-en-Bassigny,
en Lorraine, résiste devant les troupes françaises lors E Avril : Début des exactions commises par une troupe
d’un siège ayant duré plus de deux cents jours. Libérée de brigands menée par Maria Calderon, au nord
en 1642 par Charles IV de Lorraine, la citadelle résiste de Valence. La région est surnommée Sierra Calderona
grâce à un réseau de ravitaillement par voie aérienne et on y rapporte une activité draconique intense.
mis en place par les généraux lorrains dont certains
n’hésitent pas à se compromettre avec des magiciens E Avril : Charles Ier quitte Oxford et demande asile
de la Griffe noire. Les troupes françaises abandonnent en Écosse.
le siège et La Mothe-en-Bassigny devient le symbole
de la résistance lorraine. A m Mai : Visite à Paris d’une délégation envoyée
par l’empereur du Japon, Go-Komyo, âgé de treize
F Décembre : La rumeur d’une infection du duc ans. Celui-ci a chargé son homme de confiance et cer-
d’Enghien par la ranse commence à se répandre. tains de ses plus fidèles samouraïs de trouver en France
de quoi lutter contre les dragons qui complotent
F Décembre : Premier opéra en France, au contre lui.
Petit-Bourbon. La finta pazza est représentée à l’ini-
tiative de Mazarin, qui fait venir les acteurs italiens F Juin : Gaston d’Orléans prend Courtrai puis
à la cour. Un certain Nicolas Machiavel se trouve parmi poursuit l’armée de Charles IV de Lorraine.
ces acteurs.

218
Mes chères Lames, L’année 1647
J’ai besoin de vous pour veiller à accueillir
avec les honneurs qui leur sont dus les membres E Janvier : La Suisse se dote d’un Conseil de guerre

de la délégation impériale venue du lointain fédéral qui assure la neutralité du pays dans la guerre
Japon. Je crains que cette visite, loin de Trente Ans.
d’être inspirée par une simple courtoisie, soit
motivée par d’obscures raisons, et que la présence E Janvier : Charles Ier d’Angleterre est livré au
de ces guerriers d’élite soit plus à redouter Parlement par les Écossais.
qu’à apprécier.
Je vous invite à vous rapprocher discrètement E Mars : Armistice d’Ulm entre la France, la Suède

de cette délégation, dont le père Esteban Suarez et la Bavière suite aux succès de Turenne. L’électeur
sera l’interprète à Paris. Et même si l’on dit que de Bavière déclare sa neutralité.
les samouraïs sont les plus fines lames du monde, je
vous prierai de mettre de côté votre orgueil pour F Avril : Turenne est de retour en France et prend

le bien du royaume. la tête de l’armée de Flandres. De nombreuses désertions


frappent l’armée française. Un mystérieux individu
Ne me décevez pas. surnommé « fantôme aux yeux rouges » exécute un grand
nombre de déserteurs, ce qui dissuade quelque peu
les velléitaires.

E Juillet : Turenne rejoint les Suédois, à présent F Juin : Après plusieurs mois de siège, le Grand Condé
commandés par Wrangel, et envahit la Bavière. abandonne l’attaque contre Lérida, en Espagne. Il affirme
publiquement que Mazarin est responsable de cet échec.
E 29 juillet : Mort du pape Urbain VIII, que l’on
retrouve dans ses appartements le visage portant F Juillet : Michel Particelli d’Emery, membre
« les marques d’une terreur absolue ». de la Griffe noire, devient surintendant des finances.

F Août : Le fort de Mardyck, près de Dunkerque, E Juillet : Révolte de Naples contre l’Espagne. Gennaro
cède grâce à l’action conjuguée des troupes françaises Arnese proclame la République napolitaine et demande
et hollandaises. Toutefois, les renforts espagnols venus l’aide de la France.
de Dunkerque, en particulier des régiments de dracs
noirs, causent des pertes effroyables dans les régiments m As Août : Les Espagnols évacuent l’île de Saint-Martin,
français. Le duc d’Enghien se couvre de gloire. frappée par une épidémie de ranse sans précédent. Des
colons français et hollandais prennent possession de l’île.
E Août : Mazarin, retardé par les manigances
des Arcanes, échoue à empêcher l’élection papale F Août : Au plus fort de l’été, des dracs surgis des maré-
d’Innocent X. cages de Camargue envahissent le Languedoc. Narbonne
tombe et est atrocement pillée. La légende du Blafard
E 15 septembre : Début du pontificat d’Innocent ressurgit.
X. Le nouveau pape est très vite victime de l’influence
de la dragonne des Arcanes Olimpia Maidalchini, E Septembre : Traité entre Ferdinand III et
veuve de son frère aîné, décédé dans des circonstances Maximilien de Bavière contre la Suède. Dénonciation
troublantes. Ainsi s’ouvre l’ère des dragons du Vatican. de l’armistice d’Ulm.

m As Octobre : Au Québec, des Indiens Agniers F Septembre : Arrivée à Paris de Laure Mancini,
exécutent des pères jésuites accusés d’avoir propagé nièce de Mazarin et érudite ayant étudié les secrets
la ranse parmi les tribus indiennes. draconiques antiques à Londres. Son arrivée, conco-
mitante avec celle de précieux ouvrages, déclenche
F 26 décembre : Mort de Henri II de Bourbon- une opposition sanglante entre les émissaires de la Griffe
Condé. Son fils, le duc d’Enghien, devient le quatrième noire et les troupes de Mazarin.
prince de Condé, le Grand Condé.
E Octobre : Début d’une épidémie de ranse
en Espagne. Elle se poursuit jusqu’en 1652.

219
Mes chères Lames, L’année 1648
J’ai besoin que vous embarquiez pour l’Angleterre
afin de porter assistance au cousin de notre 1648 marque les débuts de la période connue sous
roi, Charles Ier, injustement emprisonné par le nom de Fronde. Cette année est également celle du
le parlement de Londres. Je crains que des ennemis retour des Lames du Cardinal.
de la couronne profitent de sa captivité pour À partir de 1648, cette chronologie suit une présentation
l’éliminer, et je vous charge de l’extraire au plus un peu différente : les événements du monde y sont
tôt de sa prison. exposés comme ceux des années précédentes, tandis que
Je vous invite à vous rendre à Londres et la Fronde se voit dédier une sous-partie plus développée.
à y rencontrer le prince Rupert, un fidèle du
roi, en la taverne du Swimming dragonnet. Il sera F Janvier : Lit de justice auquel s’oppose le Parlement.
susceptible de vous mettre en contact avec
des agents d’élite de Charles Ier, les Lames du Roi. E Janvier : Paix de Münster. L’Espagne reconnaît
l’indépendance des Provinces-Unies.
Ne me décevez pas.
m As Mars : Traité de Concordia entre les Français
et les Néerlandais pour le partage de l’île de Saint-
Martin. Découverte de champs de jusquiame dorée
au centre de l’île.
F Novembre : Louis XIV contracte la petite vé-
role. On trouve sous son lit un fuseau brisé. Grâce à l’in- E Mars : Début de la seconde guerre civile
tervention des Châtelaines, le roi survit miraculeusement. en Angleterre. Charles Ier et les Écossais envahissent
l’Angleterre.
E Novembre : Le roi Charles Ier parvient à s’en-
fuir. On accuse des émissaires du roi de France d’avoir F Mars : Mazarin et Anne d’Autriche mettent
organisé cette évasion. en place des mesures disciplinaires, telles que la sup-
pression de la paulette, qui permet la transmission
F Décembre : Les troupes françaises arrêtent les dracs des offices en échange d’un paiement mensuel.
à Carcassonne. Condé est nommé commandant de l’armée de
Flandres.
E Décembre : Ranse à Londres.
E Avril : Fin de la république de Naples, proclamée
en 1647. Henri II de Guise, qui a participé activement
à la révolte, est capturé par les Espagnols. Il disparaît
lors de son transfert vers Madrid.

F Avril : À Paris, le Parlement s’oppose aux mesures


financières du gouvernement.

F Mai : Arrêt d’Union. Le Parlement réunit les trois


autres chambres (le Grand Conseil, la chambre
des Comptes et la cour des aides) pour créer la Chambre
Saint-Louis et réformer l’État.

E Mai : Après avoir rompu l’armistice et franchi


le Rhin, Turenne écrase les impériaux et ravage
la Bavière.

F 28 Mai : Victoire de Condé à Ypres.

F 1er juin : Évasion de Vincennes du duc de Beaufort.

F Juin : Offensive lorraine sur les territoires de


l’Est. Mazarin est contraint d’envoyer des renforts vers
les frontières.
Omer Talon

220
F Juillet : La Chambre Saint-Louis, profitant Mes chères Lames,
de la faiblesse militaire de Mazarin, impose une or- J’ai besoin, une nouvelle fois, que vous preniez
donnance royale octroyant la gestion des provinces à ses la mer. Je crains en effet que le dirigeant
gouverneurs. Le pouvoir royal absolu est mis à mal. de la Griffe noire connu sous le nom de Marchand
ait posé un pied ferme sur les plages de Saint-
E Août : Le sultan Ibrahim Ier est déposé puis assassi- Martin, dans les Antilles, profitant du partage
né. Son fils, Mehmed IV, âgé de sept ans et ayant passé de l’île avec les Hollandais. Comme le capitaine
une partie de son enfance en Crète, prend le pouvoir La Fargue nous l’a signalé, cette île est riche
et dirige l'Empire ottoman d’une main de fer. Des de champs de jusquiame dorée et se trouve être
révoltes, tant de l’armée que du peuple, embrasent la cible de pirates et marchands sans moralité.
le pays. Plusieurs villes sont découvertes entièrement Je vous invite à vous adresser au représentant du
carbonisées. De vieilles légendes ressurgissent. roi à Concordia, le chevalier Robert de Lonvilliers.
F Août : Le Grand Condé vainc les Espagnols Ne me décevez pas.
commandés par le gouverneur des Provinces-Unies
à la bataille de Lens.

E Août : Les troupes écossaises sont écrasées par


l’armée de Cromwell à Preston.
L ’année 1648:
F 27 août : Le gouvernement procède à une vague la Fronde parlementaire
d’arrestations et conteste l’ordonnance de juillet. Cela
provoque la journée des barricades à Paris et le début
de la Fronde parlementaire. Janvier
Anne d’Autriche convoque un nouveau lit de justice
F 13 septembre : La famille royale se réfugie à pour enregistrer de nouveaux édits, mais le Parlement fait
Rueil. Condé la rejoint une semaine plus tard. des remontrances. Mazarin tente de gagner les faveurs
politiques des quatre cours souveraines (le Parlement,
E 24 octobre : Paix de Westphalie. L’Allemagne la chambre des Comptes, la cour des aides et le Grand
en est la grande perdante. Le pays est divisé en trois Conseil) en accordant un renouvellement de leurs
cent cinquante États souverains. La Diète devient charges pour neuf ans contre un renoncement à quatre
perpétuelle. ans de gages. Mazarin tente de diviser les cours en épar-
gnant sur ce point le Parlement, mais celui-ci se joint
F 31 octobre : Le roi revient à Paris. quand même à la protestation des trois autres cours.
Une réunion dans le palais de la Cité amène à un arrêt
m As Novembre : Le Marchand, membre de la Première d’union des quatre cours, auquel la Régente s’oppose
loge de la Griffe noire, assoit ses positions à Saint-Martin avec fermeté avant de baisser pavillon. Le Parlement
et au Brésil. Le trafic de jusquiame vers l’Europe est conteste clairement le pouvoir et, soutenu par le peuple,
florissant. repousse les tentatives de conciliation. Celles-ci sont
menées par Gaston d’Orléans, l’oncle du roi. Le mé-
E 19 novembre : Sous l’influence des Naos, contentement se propage dans tout le royaume et
Fréderic III est élu roi du Danemark et le Parlement prend le parti du peuple.
de Norvège. Les Naos règnent sur toute
la Scandinavie. Certains émissaires suédois prennent
de l’importance en France.

F Décembre : La Rochefoucauld délaisse Mazarin


et entre en relation avec Condé.

221
Organisation du pouvoir et lit de justice Paris, mars 1648
À l’origine, le lit de justice désigne l’endroit
de la chambre royale dans lequel le roi recevait de façon
Mes chères Lames,
officielle. Au fil du temps, le lit de justice désigne le trône
Il a été porté à mon attention que le contrôleur
du roi au parlement de Paris, quand le souverain assiste
général d’Emery aurait été en affaire avec
à une séance, mais aussi la séance elle-même.
des émissaires de la Griffe noire durant les années
Au xiiie siècle est créée une cour de justice qui reçoit
où il fut ambassadeur de France à Turin. De plus,
le nom de Parlement. Le roi délègue dès lors à cette
certains bruits courent sur des irrégularités
juridiction l’exercice de sa justice, mais aussi des pré-
étranges dans les affaires bancaires dont il a
rogatives législatives et politiques. Le Parlement est
hérité. Je vous demande de vous rendre prestement
chargé d’enregistrer les ordonnances royales, et peut
à Lyon puis en Italie afin d’enquêter sur ces
à cette occasion formuler des remontrances – que le roi
rumeurs. L’urgence de la situation demandant
est en droit d’ignorer – si les décisions royales semblent
une rapidité exemplaire, mon secrétaire personnel
aller à l’encontre des intérêts de la nation.
tient à votre disposition une missive officielle
Un lit de justice est tenu quand le roi est présent au
qui vous permettra de réquisitionner l’aide
Parlement. Au-delà de la simple solennité qu’il apporte,
des Vyverneries Dubuis afin de vous déplacer
le souverain – ou ceux qui œuvrent à son contact
le plus rapidement possible.
– peut ordonner l’enregistrement des ordonnances,
sans délibération. Le roi impose ainsi son autorité aux
Ne me décevez pas.
magistrats, ce qui n’empêche nullement ces derniers
de formuler des remontrances.
Durant la minorité de Louis XIV, les lits de justice La Fronde et l’hôtel de Chevry
sont régulièrement utilisés par sa mère, la régente, sur Si vous avez connu la version précédente des Lames
les conseils de Mazarin. Ils constituent des moments du Cardinal, vous avez certainement connu l’hôtel
d’opposition politique extrêmement tendus entre de Chevry comme quartier général des Lames. Voici
l’autorité royale (qui se réclame du droit divin) et quelques informations permettant de faire le lien avec
les représentants des intérêts de la nation (et des leurs, la nouvelle situation. Vous pouvez également ignorer
en passant). Le trône invoque régulièrement la menace la période précédente et initier la reformation des Lames
draconique comme justification à ces pratiques : s’il n’est en 1648, à l’hôtel de Sens, sans même évoquer Chevry,
nullement possible de s’assurer que la voix du Parlement sinon comme un bâtiment loué par Mazarin.
est exempte de souillure draconique, celle du roi l’est La disgrâce de Mazarin durant la Fronde a une influence
assurément. certaine sur le quotidien des Lames du Cardinal. L’hôtel
de Chevry, ancien quartier général des Lames, est
Le marquis de Cinq-Mars et la conjuration très tôt placé sous surveillance par les ennemis du
des Silencieux décident d’exploiter la situation. Par cardinal qui n’ignorent pas l’existence de ses agents
l’entremise de Marion Delorme et Ninon de l’Enclos, d’élite. Les membres de l’Ordre du Saint-Esprit, dans
les Silencieux se rapprochent des négociateurs royaux, la même veine, ne sont pas tous favorables au ministre, et
en particulier Gaston d’Orléans, tandis que le marquis s’efforcent de couper les vivres à ses hommes. Voire pire.
de Fontrailles prend contact avec les parlementaires Mazarin, dès 1648, sauvegarde les apparences en laissant
les plus populaires. Leurs efforts au sein de chacun officiellement les Lames stationnées à Chevry. Toutefois,
des camps et leurs conseils pernicieux ne font qu’aviver c’est à l’hôtel des archevêques de Sens que ses agents
les troubles, provoquant l’échec des négociations entre s’installent réellement, tandis qu’à Chevry prennent
Mazarin et le Parlement, la destitution du contrôleur place des doublures plus ou moins crédibles.
général d’Emery, au grand mécontentement du Dès lors que Mazarin est exilé (à compter de février
Marchand, et l’arrestation de magistrats populaires. 1651), Chevry est confisqué. Les Lames perdent alors
l’accès à sa bibliothèque. À moins bien sûr qu’elles
Juin n’aient fait preuve de prévoyance…
Le 30 juin, une conférence comprenant des députés
des quatre chambres souveraines s’ouvre à la Chambre
Saint-Louis. Des propositions sont émises, concernant Août
le contrôle des impôts par le Parlement et les libertés En août 1648, Condé terrasse à Lens les troupes
individuelles. Le trône cède encore : l’immense majorité espagnoles. Ces dernières étaient pourtant épaulées par
des intendants de province est révoquée, limitant la pré- une compagnie composée de cinq cents irskehns. Condé
sence des représentants du trône en Province. Particelli écrase les dracs noirs grâce à son artillerie et met ainsi
d’Emery est définitivement destitué. Pour valider fin à la guerre de Trente Ans avec le Saint Empire
les déclarations, un nouveau lit de justice est tenu, romain germanique. À l’annonce de cette nouvelle, Paris
fraîchement accueilli.

222
est en liesse, et Mazarin en profite pour faire arrêter Paris, août 1648
les parlementaires meneurs de la Fronde. Mes chères Lames,
Fontrailles, prévenu par Marion Delorme de l’immi- Hier midi mes gardes ont mené une opération afin
nence de l’opération, cache dans le quartier de Notre- de faire cesser les troubles qui secouent la capitale
Dame-des-Écailles son ami le conseiller Pierre Broussel, depuis trop longtemps déjà. Les conseillers Broussel
l’un des favoris du peuple et principal meneur et Novion-Blancmesnil ont été arrêtés après avoir
de la Fronde. trouvé refuge, l’un dans Notre-Dame-des-Écailles
Les troupes de Mazarin entrent en force dans le quartier et l’autre rue de l’Arbre-Sec. Le conseiller
drac pour le débusquer et provoquent des émeutes com- Charton, le troisième parlementaire qui
parables à celles de 1633. Broussel est capturé. La capitale devait être emprisonné, est cependant parvenu
se couvre de barricades, les Parisiens protestant contre à s’esquiver. L’ordre ne règne plus dans la capitale
les arrestations tout autant qu’ils se protègent des dracs. qui s’est couverte de barricades, mais j’ai besoin
C’est le moment que choisit Jean-François Paul que vous retrouviez ce conseiller. Je le soupçonne
de Gondi, coadjuteur de l’archevêque de Paris, pour en effet de travailler en secret avec
entrer en scène. Cet intrigant aux mœurs dissolues les Espagnols.
tente de se poser en médiateur entre la rue et le pou-
voir, mais Anne d’Autriche se méfie – à juste titre Ne me décevez pas.
– de ce personnage ambigu. Gondi devient chef du
parti d’opposition. Le Parlement demande la libération
de Broussel, mais ne l’obtient pas, déclenchant l’ire du
peuple à son encontre. La régente veut faire arrêter Châteauneuf et Chavigny,
deux anciens ministres. Le Parlement envoie de nouveau
Septembre des remontrances à la reine qui, cette fois, ne cède pas
et menace ouvertement les parlementaires.
Alors que le calme semble revenir, une bande de dracs
noirs, agités par Marie et Gabriel depuis l’hôtel
de Bretonvilliers, surgit de Notre-Dame-des-Écailles
dans la nuit du 22 septembre 1648 et attaque sans dis-
cernement tous ceux qui croisent son chemin. Les morts
se comptent par centaines et, le lendemain, le Parlement
vote l’édit de la nuit des dragons qui autorise le bour-
geois parisien à se tenir en armes pour assurer sa sécurité
et l’exempt de toute responsabilité en cas de mort
d’un drac dans ces circonstances.

Paris, août 1648


Broussel Mes chères Lames,
Les ministres Châteauneuf et Chavigny se sont
montrés coupables de trahison envers la couronne
Utilisant le désordre à leur avantage, les Vyverneries en excitant volontairement les parlementaires, et
Dubuis s’imposent auprès du roi, mettant à disposition la reine a ordonné leur incarcération. Cependant
leurs montures, pendant que les Silencieux alimentent il a été porté à ma connaissance que Monsieur
en armes les frondeurs et attisent la colère des dracs, de Chavigny était possiblement en affaires
tout en écorchant la réputation d’Urbain Gaget, dont avec l’organisation des Gardiens, et il serait
le trône vient à se méfier. fort fâcheux qu’il soit inquiété si cela s’avérait
La promesse de rendre Broussel au peuple ne suffisant le cas. J’ai besoin que vous vérifiiez cette
pas, le conseiller est finalement libéré fin août et information et m’informiez dans les plus brefs délais
rentre à Paris, acclamé par une foule en liesse. Pour des résultats de votre enquête. Le cas échéant,
plus de sécurité, la famille royale part s’installer il sera peut-être nécessaire de soustraire Monsieur
à Rueil. Et ce sont à nouveau les Vyverneries Dubuis qui de Chavigny aux mousquetaires et gardes qui seront
sont choisies par Sa Majesté pour maintenir le lien avec envoyés pour l’arrêter.
la capitale. Pendant ce temps, les Silencieux soutiennent
discrètement Paul de Gondi, sur qui se cristallisent Ne me décevez pas.
les attentions de Mazarin.

223
Paris, septembre 1648
Mes chères Lames, Octobre
Depuis quelques mois maintenant d’ignobles pamphlets Finalement la paix ne revient vraiment dans Paris
inondent les rues de Paris. Ces publications traînent qu’en octobre 1648 quand Mazarin accepte de ratifier
mon nom dans la boue et dressent le peuple contre une vingtaine de propositions supplémentaires du
moi. Si je n’ai aucun doute sur le commanditaire Parlement visant à démettre la royauté d’une partie
de ces salissures, le coadjuteur Gondi, mes gardes de ses pouvoirs financiers et judiciaires, marquant
ne parviennent pas à découvrir qui imprime et diffuse la fin de la Fronde parlementaire. Les propositions
ces prospectus. J’ai besoin que vous découvriez de la Chambre Saint-Louis deviennent articles
quelles sont les personnes qui se chargent de ces de loi. Le Parlement met la main sur l’administration
tâches pour Gondi. En aucun cas vous ne devez financière et judiciaire du royaume.
vous faire remarquer ni démanteler ce réseau, je
désire seulement savoir quels sont les gens qui
L’année 1649
le composent. Je vous invite à contacter le libraire
Bertaud, qui est toujours une bonne source
d’informations.
F 6 janvier : Fuite de la cour à Saint-Germain.
Ne me décevez pas.
F 12 janvier : Prise de l’Arsenal et de la Bastille par
les Frondeurs.

F 14 janvier : Crue extraordinaire de la Seine. Paris


Paris, septembre 1648
Mes chères Lames, est inondé.
Il y a trois nuits les dracs sont sortis en force
E 30 janvier : Le roi Charles Ier d’Angleterre
de Notre-Dame-des-Écailles et ont assailli
les citadins. S’il s’agit bien d’une révolte qui est exécuté.
semble spontanée, plusieurs rapports font aussi état
F Février : Profitant d’un déplacement entre Paris
d’une action par endroit coordonnée, un mousquetaire
du roi et un lieutenant de ma garde mentionnant et le mont des Chatelaines, Los Cazadores attaquent
même tous deux un drac rouge donnant des ordres une délégation de Sœurs de Saint-Georges et assassinent
aux dracs noirs émeutiers. J’ai besoin que vous la mère de Vaussambre.
enquêtiez sur ce drac. Si son existence est réelle, A
retrouvez-le et identifiez ses commanditaires. m Mars : Fondation de la Compagnie générale
du commerce du Brésil, qui gagne le monopole du
Ne me décevez pas. ravitaillement du Brésil. Cette compagnie bénéficie
de l’influence du jésuite Antonio Vieira auprès du
roi portugais Jean IV. Sa flotte de galions sert en fait
les intérêts du Marchand, membre de la Première Loge.

F 12 mars : Paix de Rueil entre le roi et la Fronde.


Rueil, décembre 1648
Mes chères Lames, E Août : Oliver Cromwell envahit l’Irlande et
Pour le bien du royaume je dois rencontrer confisque les terres. Les résistants à l’occupant trouvent
le prince Condé et discuter avec le général refuge dans la région du Connemara, où ils peuvent
de l’avenir du royaume. Cependant l’organisation compter sur le soutien d’une ancienne magie druidique.
draconique connue sous le nom des Gardiens m’a
prévenu qu’elle n’autoriserait pas cette entre- F 18 août : Retour du roi à Paris.
vue. J’ai donc besoin que celle-ci soit organisée
dans le plus grand secret. Votre contact sera E Septembre : Sous l’influence d’Olimpia
la maîtresse du prince Condé, Ninon de l’Enclos, Maidalchini, les armées papales détruisent totalement
que vous trouverez dans la maison de Madame la ville de Castro, propriété de la puissante famille
Delorme, place Royale. La discrétion la plus totale Farnese. Le duc Ranuce Farnese doit prendre la fuite.
est impérative.
Ne me décevez pas.

224
L ’année 1649 : la Fronde des nobles Le Parlement déclare alors Mazarin perturbateur du
repos public et entre en résistance. Le prince de Conti
prend la tête des forces de la ville. Gondi, qui n’a pu
Janvier suivre la famille royale, se range aux côtés des opposants.
Mazarin ne saurait se satisfaire de la situation et Partout en France, des parlements suivent
prépare sa contre-attaque. Perdre la main sur le Trésor l’exemple parisien.
est une défaite cuisante et le cardinal a conscience que La France s’embrase et des troupes affluent de pro-
les enjeux financiers sont un point crucial dans la lutte vince. Poitiers, Angers, Le Mans… de nombreuses
contre ses adversaires humains et draconiques. villes envoient des troupes au secours du peuple
Le cardinal décide de délaisser la négociation et plutôt de la capitale. Et dans les troupes tourangelles Cinq-
de recourir aux armes. Cependant, opposés à une so- Mars enrôle ses spadassins qu’il peut ainsi déplacer
lution militaire qui menacerait Paris, les Gardiens font vers Paris sans attirer l’attention. Mais ces hommes ont
parvenir au cardinal une missive l’informant qu’ils s’op- pour ordre de ne pas affronter Condé et se dérobent
poseront à toute action de ce type de sa part. au tout début de la bataille de Charenton, provoquant
Mazarin, toutefois, fait la sourde oreille à cet ordre la défaite des frondeurs.
étrange. Il a besoin d’un chef d’armée. Le prince Des affrontements entre frondeurs et troupes
de Condé, fort de ses victoires et de sa popularité, royales se multiplient, cependant que Condé étouffe
semble tout désigné, mais Mazarin doute de ses sym- Paris. La capitale plonge dans la disette et son or-
pathies. Dans le même temps, Paul de Gondi œuvre ganisation est défaillante. Les généraux frondeurs
à son complot. Il tente lui aussi de rallier Condé à sa font défaut. Turenne est abandonné par ses soldats
cause. Des seigneurs rejoignent le coadjuteur : le prince allemands. Le duc de Longueville est assiégé à Rouen.
de Conti et la duchesse de Longueville, respectivement Malgré le soutien de villes de province, le Parlement
frère et sœur du prince de Condé, le prince d’Elbeuf, comprend que la partie est mal engagée. Qui plus est,
le duc de Beaufort, le duc de Longueville, Monsieur des rumeurs persistantes sur des accointances de certains
de Marcillac. Loin de se satisfaire de ces ralliements, généraux frondeurs avec les Espagnols, voire avec
Gondi fait pleuvoir sur Paris des pamphlets contre les dragons, préoccupent les magistrats. Le Parlement
le pouvoir que l’on désigne à partir de 1651 sous le nom se résout à négocier. Le roi, inquiet depuis l’exécution
de « mazarinades ». en Angleterre du roi Charles, le 30 janvier 1649, sur
ordre du parlement anglais, envoie alors un émissaire
Mazarinades pour échanger avec le Parlement.
Au cœur des années de la Fronde apparaissent
des milliers de textes, majoritairement burlesques, Février
dont la plupart prennent pour cible Mazarin. L’un de ces Broussel, poussé par Fontrailles, œuvre pour que
pamphlets, écrit par Scarron en 1651, porte le titre le Parlement refuse de recevoir l’émissaire du roi. Paris
de Mazarinade. Ce nom se propage à l’ensemble assiégé commence à manquer de vivres, et les dracs
des œuvres produites. Une mazarinade se présente des Écailles, agités par Marie et Gabriel, membres
généralement sous la forme d’un texte de quelques des Arcanes, manifestent à nouveau un désir de révolte
pages (huit le plus souvent), imprimé durant la nuit et et embrasent les bords de Seine.
vendu à la sauvette sur le Pont-Neuf et dans les quartiers
des imprimeurs.
Très répandues à Paris, les mazarinades sont également Mars
présentes dans d’autres villes lettrées comme Aix-en- Le 4 mars, le Parlement envoie des émissaires négocier
Provence ou Rouen. avec le roi à Rueil.

Pourtant, Condé reste sourd aux appels du pied du Avril


coadjuteur. Le 2 avril, une amnistie générale est décrétée (Turenne,
Car, informée des intentions de Mazarin par ses contacts en particulier, est pardonné). Les généraux de la Fronde,
à la cour, Ninon de l’Enclos suggère à Condé, son menacés, sont aidés par une invasion de la Picardie
amant, d’accepter de se rapprocher du cardinal afin par les troupes espagnoles, mise en œuvre par Cinq-
de lui apporter son aide. Sa fidélité au trône lui vaut Mars et ses alliés. Cette attaque exige une union
de recevoir le commandement de l’armée du roi. Dans nationale, et les nobles frondeurs conservent leurs
le plus grand secret, toujours grâce à l’assistance privilèges. Le Parlement est ébranlé, mais pas abattu.
des Vyverneries Dubuis, Mazarin et Condé organisent
le déplacement de la cour à Saint-Germain durant
la nuit du 5 au 6 janvier 1649. Le lendemain le prince
de Condé met le siège devant Paris.

225
Mes chères Lames,
Il est impératif qu’un envoyé de la cour puisse
rencontrer sans délai les représentants modérés du
Parlement afin d’arriver à une paix salutaire.
Je crains que l’opposition féroce des parlementaires
ultras ne cache une influence pernicieuse
des dragons.
J’ai besoin que vous vous rendiez à Paris pour
y rencontrer le président Henri de Mesmes, afin
de le convaincre de ramener le calme au Parlement.
Ne me décevez pas.
Le Grand Dessein de Saint-Germain
Si les Arcanes ne sont pas contrariés, leur Grand
Dessein se concrétise lors du séjour du roi au château
Le 12 avril, en catimini, la duchesse de Chevreuse de Saint-Germain, dont les Arcanes ont infiltré
revient de son exil et s’installe à Paris. l’intendance. Dans ce cas, le roi Louis XIV est
Le 30 avril, la cour quitte Saint-Germain pour le château échangé avec son jumeau draconique. Il est alors
de Compiègne. transféré et gardé captif au château d’If.
Gondi se rapproche de la duchesse de Chevreuse. Durant les mois qui suivent, les proches du souverain
La première période de la Fronde s’achève. La tension le trouvent changé, étrangement mature.
semble retomber dans la capitale, même si des troubles La suite des aventures des Lames pourra dès lors
subsistent encore en province. La Provence et les voir s’opposer directement au roi.
la Guyenne sont toujours en proie à des troubles Si le MJ le souhaite, ce complot peut être éventé par
sanglants. Dans le Languedoc, les dracs embrasent les Lames du Cardinal voire par le seul Saint-Lucq.
régulièrement la Camargue. En outre, les difficultés Les Arcanes cherchent alors une autre opportunité
financières ne s’arrangent pas, et la guerre avec l’Espagne d’opérer la substitution.
continue de faire rage.

Août - Novembre Décembre


La cour rentre à Paris le 18 août 1649. Le climat devient Tandis que la tension politique est à son comble, Cinq-
propice aux intrigues et tractations diverses. Mars tente de mettre le feu aux poudres et de soulever
Ninon de l’Enclos œuvre dans l’ombre. Elle convainc le peuple contre Mazarin. Sur son ordre, François
peu à peu le prince de Condé de réclamer pour lui de Vendôme (duc de Beaufort) organise le 11 décembre
l’amirauté et pour ses amis tous les postes à respon- un faux attentat contre Condé, faisant tirer des coups
sabilité dans l’armée pour rétribution de ses services de mousquets par des mercenaires dracs contre son
rendus au royaume. carrosse vide. Mais la mise en scène est grotesque, et
Mazarin est pleinement conscient de l’importance l’action a l’effet opposé.
de Condé, mais les deux hommes ne savent s’en- Le cardinal lance ses hommes à la poursuite
tendre. Mazarin confie l’armée royale au comte d’Har- des agitateurs et cette fois parvient à remonter la piste
court au lieu de la donner à Condé. Et quand Mazarin des Silencieux jusqu’à François de Vendôme qu’il fait
refuse une faveur destinée au duc de Longueville, arrêter le 22 décembre. Marion Delorme, comprenant
le prince et le cardinal se déchirent. Mazarin tente que la conjuration est en danger si Vendôme parle
le rapport de force, mais la raison le contraint à céder d’elle, se suicide.
face aux exigences du prince, qui obtient même un droit Mais Mazarin n’a en réalité pas conscience du complot
de regard sur l’attribution des places les plus impor- et poursuit d’autres objectifs. Manipulant les preuves,
tantes. Mazarin est affaibli et envisage de se tourner il fait aussi inculper Gondi, Beaufort et Broussel afin
vers les anciens meneurs de la Fronde : Paul de Gondi d’obtenir une prise sur les meneurs de la fronde. Contre
et François de Bourbon-Vendôme. leur liberté, il échange leur accord pour arrêter le prince
Madame de Longueville, de son côté, se rapproche de Condé devenu trop influent.
du prince de Condé, son frère, et tente de le pous- Mazarin joue habilement sur les rivalités entre les mai-
ser vers le coadjuteur. Ninon de l’Enclos conseille sons de Condé et de Vendôme. Pour s’attacher cette
à son amant de ne pas repousser trop ouvertement dernière, il échafaude un projet de mariage entre le duc
les avances. Pendant que le chaos subsiste, la fortune de Mercœur, frère de Beaufort, et Laure Mancini, sa
des Silencieux continue de croître. propre nièce. Quant au coadjuteur Gondi, la pro-
messe du chapeau de cardinal suffit à faire changer
ses sympathies.

226
Saint-Germain, janvier 1649 Rueil, décembre 1649
Mes chères Lames, Mes chères Lames,
Mon maître de magie n’a pu me suivre lorsque nous Mes gardes ont arrêté François de Vendôme il y a
avons transféré la cour à Saint-Germain. Mais son quelques jours pour complot contre la couronne. Son
conseil m’est aujourd’hui impératif. De fines écailles simulacre d’attentat contre le prince de Condé n’a
de dragons ont été retrouvées dans les oreillers dupé personne et m’a permis d’en finir avec les me-
de plusieurs couches des dortoirs des Mousquetaires neurs de la Fronde. Cependant le duc de Beaufort
du Roi et je crains qu’une sombre sorcellerie vient de s’évader de la prison de Vincennes et
soit à l’œuvre. J’ai besoin que vous entriez dans reste introuvable. La rumeur dit qu’il aurait fui
Paris assiégé en esquivant toute confrontation avec la capitale en direction du Vendômois. J’ai besoin
les milices mises en place par le prince de Conti que vous le retrouviez, identifiiez où il compte
pour protéger la ville, et que vous rameniez Pierre trouver refuge et qui sont ses complices.
Teyssier ici, à Saint-Germain, au plus vite.
Ne me décevez pas.
Ne me décevez pas.

L’année 1650 E Octobre : Christine est couronnée reine de Suède.

F Novembre : Les princes sont amenés au Havre.


F 18 janvier : Arrestation des princes.
E Novembre : Guillaume II d’Orange meurt
E Février : Mort de René Descartes en Suède, éliminé de la petite vérole. On trouve sous son lit de mort
par les Naos pour espionnage. un fuseau brisé. Les Provinces-Unies se retrouvent sans
stathouder. Un régime républicain se met en place.
F 20 avril : À Stenay, guidés par Fontrailles,
Turenne et la duchesse de Longueville négocient avec A m Décembre : Une flotte envoyée par Cromwell
les Espagnols et un émissaire de la Griffe noire au nom obtient la capitulation de la population royaliste
des frondeurs. de la riche Barbade. L’aventurier Anthony Rowse prend
la fuite avant l’invasion et fonde Fort Willoughby, sur
m As Juin : Au Japon, mort du Shogun Tokugawa. Son les côtes de la région du Suriname. Il fait commerce
fils, âgé de 10 ans, lui succède. avec les indigènes d’une espèce inconnue de dracs,
d’une taille monstrueuse, mais au cerveau atrophié.
E Juin : Le stathouder Guillaume II d’Orange marche
sur Amsterdam après que la Hollande s’est opposée
à sa décision de reprendre la guerre contre l’Espagne L ’année 1650 : la Fronde
et d’intervenir dans le conflit britannique.
Les anciens frondeurs ont baissé pavillon. Mais une nou-
F Juin : Le parlement de Bordeaux soutient la prin- velle opposition leur succède très rapidement. À la tête
cesse de Bordeaux, qui soulève la Guyenne pour libérer de celle-ci se trouve le prince de Condé, entouré de ses
les princes. Dans les autres provinces, c’est un échec. partisans : le prince de Marcillac, le duc de Bouillon,
le maréchal de Turenne. Les frondeurs, par l’intermé-
F Août : Les princes sont transférés à Marcoussis. diaire de la duchesse de Longueville, se rapprochent
des Espagnols. Des troubles agitent la province,
A m Septembre : Jacques Dyel du Parquet rachète en particulier en Normandie et dans le bordelais.
à la Compagnie des îles d’Amérique la Martinique, Paul de Gondi manœuvre alors à son avantage. Mazarin
Grenade et Sainte-Lucie. Tout en obtenant des charges lui avait promis le chapeau de cardinal qu’il n’a pas
du roi de France, il accueille pour le compte du Voleur obtenu ? Trahissons le Mazarin ! Le coadjuteur rallie
sans Mémoire des colons hollandais et se lance dans les anciens frondeurs aux nouveaux. Le duc d’Orléans
la course aux champs de jusquiame dorée. prend fait et cause pour les princes. Mazarin fait face
à une hostilité de plus en plus forte.
E Septembre : La flotte anglaise de Robert Blake s’em-
pare de navires portugais de retour du Brésil. La quantité Janvier
de jusquiame dorée dans la péninsule ibérique en souffre La reine fait arrêter, le 18 janvier 1650, Condé,
considérablement. Conti et Longueville. Les trois hommes sont
enfermés à Vincennes. Les meneurs de la Fronde,

227
Février 1650 Juillet 1650
Mes chères Lames, Mes chères Lames,
J’ai besoin que vous vous rendiez à Stenay le plus Ce matin du 8 juillet deux frégates et
rapidement et discrètement possible. Un lieutenant une pinasse espagnoles ont accosté dans
des Gardes de Saint-Georges affirme avoir le port de Bordeaux. De leurs soutes sont sortis
croisé en Hollande la duchesse de Chevreuse et des coffres emplis d’argent, livraison de la couronne
la duchesse de Longueville déguisées en homme, espagnole pour les frondeurs bordelais. Cependant
qui se rendaient vers ce bastion de la famille une cassette de plus petite taille a discrètement été
Condé. Or j’ai reçu un rapport d’Espagne livrée au chef du tout nouveau parti de l’Ormée,
m’informant que deux membres de la Griffe noire un avocat du nom de Vilars, farouche opposant
y séjourneraient eux aussi, deux jeunes dragons à la couronne, par un Espagnol de grande taille
se faisant nommer Marie et Gabriel. J’ai besoin entièrement dissimulé sous une cape et une capuche
de savoir quelles sont les forces en présence sombre. J’ai besoin de savoir ce que contenait cette
et si les dragons ont décidé de s’impliquer plus cassette et quel mauvais coup les Espagnols nous
ouvertement dans nos luttes actuelles. réservent encore.
Ne me décevez pas. Ne me décevez pas.

Gondi et Beaufort en tête, retrouvent grâce aux Le lendemain, le 9 mai, le roi déclare la duchesse
yeux du trône. L’arrestation des princes provoque de Longueville, le duc de Bouillon, le maréchal
l’opposition de quelques Grands, dont Turenne et de Turenne, le prince de Marcillac, et tous leurs
La Rochefoucauld. Ces derniers tentent de mobiliser complices, perturbateurs du repos et coupables
les gouvernements de province. de lèse-majesté.
Pour Mazarin l’arrestation de Condé doit mettre un coup
d’arrêt aux troubles, ses opposants politiques majeurs Juin
étant désormais soit détenus, soit contrôlés. Mais Conformément à leurs accords, Turenne et son armée
la révolte gagne la province. Le Poitou, le Limousin, rejoignent les troupes espagnoles promises afin d’ouvrir
la Guyenne, la Normandie, la Bourgogne sont agités un nouveau front au nord de la France, en vain. Durant
et nécessitent l’envoi de l’armée royale, le plus souvent des mois, les spadassins de Cinq-Mars vont servir
menée par le roi et la cour. Paris est confiée à Gaston d’éclaireurs au maréchal, mais cela ne suffit pas pour
d’Orléans, qui subit les manœuvres de Gondi et être décisif.
Beaufort. Pour Cinq-Mars le moment est idéal pour Durant l’été 1650, la Guyenne se soulève sous l’action
créer une nouvelle alliance contre le cardinal. de la duchesse de Longueville conseillée épistolairement
Grâce à l’action de la duchesse de Chevreuse il met par Ninon de l’Enclos. L’armée royale est envoyée
en contact des Grands du royaume et forme une nou- pacifier la région. Bordeaux, dont le parlement sou-
velle Fronde. Celle-ci compte Condé et ses partisans, tient la révolte, est assiégé, mais le renfort des troupes
le prince de Marcillac, le duc de Bouillon, et le maréchal espagnoles rend la tâche de l’armée royale plus difficile
de Turenne lui-même. La situation semble désormais que prévu. Le siège s’enlise.
tellement en faveur du cardinal que Cinq-Mars réussit Les troubles au nord et au sud du royaume servent
à leur faire accepter l’idée d’une alliance avec l’Espagne. en réalité de diversion à Cinq-Mars, dont le but est
de faire entrer dans la capitale un envoyé de la Griffe
Mai noire, un assassin sang-mêlé nommé don Gabriel
Cinq-Mars se sent en position de force et décide de Tolède.
de tenter un coup d’éclat. Sous son commandement, La Guyenne reste au final un phénomène isolé.
François de Vendôme organise l’évasion des trois princes Les Grands échouent à rassembler une force militaire
du château de Vincennes. Mais celle-ci échoue grâce d’importance. L’armée royale n’est jamais vraiment
à la présence inattendue d’un régiment de Gardes menacée et Turenne est même battu à Rethel en
noirs et deux châtelaines qui avaient emprisonné pour décembre 1650.
la nuit un personnage important au plus profond du
donjon du château.

228
L’année 1651 un immense incendie qui ravage la rive sud du pont
Saint-Michel.
F 13 février : Mazarin libère les princes et fuit à Brühl. Le lendemain, Mazarin, épuisé et désorienté, perd son
calme devant le Parlement et insulte publiquement
E Juin : Oliver Cromwell envahit l’Écosse, où frondeurs et parlementaires.
le fils de Charles Ier, Charles II, s’est proclamé
roi. Il se heurte aux Lames du Roi, mais vainc à la bataille Février
de Dunbar. Charles II trouve refuge en France. Comprenant qu’il est personnellement menacé par
de très puissants ennemis dont il ne connaît pas l’iden-
E Juillet : Victoire des Vénitiens sur les tité, Mazarin demande à la reine d’accéder à la demande
Ottomans à la bataille de Paros, lors de la guerre du Parlement qui, en réparation des insultes, exige son
de Crète. Les Ottomans échouent à mettre la main exil. Il fuit Paris dans la nuit du 6 février et part libérer
sur les trésors de Minos. les trois princes au Havre. En apparence, la reine choisit
de sacrifier Mazarin et accorde leur liberté aux princes
F 6 septembre : Condé quitte la cour pour mener qui sont rétablis dans leurs droits. Mais en réalité le car-
sa propre insurrection. dinal entre en clandestinité afin d’échapper à ses ennemis
et pouvoir tenter de les identifier. Cinq-Mars, apprenant
F 7 septembre : Lit de justice pour la majorité de le départ du cardinal, sait qu’il tient enfin l’occasion
Louis XIV. de l’atteindre et d’exercer sa vengeance. Commence
alors une longue chasse qui va durer une année en-
F 22 septembre : Condé à Bordeaux. tière et pendant laquelle le marquis déchu, à la tête
de ses troupes de spadassins, va écumer le royaume
m As Septembre : Au Japon, un mystérieux personnage à la recherche de la cachette de Mazarin. Dès lors,
parvient à rallier les rônins, samouraïs sans maître, et la conjuration des Silencieux va se retrouver sans chef,
déclenche une vague d’assassinats. Certains hommes et ses agents abandonnés, sans coordinateur, agissant
de pouvoir sont décrits comme changés à la suite de ces parfois l’un contre l’autre sans même le savoir.
attaques, en particulier à Kyoto et Osaka. Mazarin, seulement accompagné de Saint-Lucq, charge
les Lames de traquer ses ennemis. Une course contre
F 12 décembre : Rappel de Mazarin. Soutien la montre effrénée est lancée.
des frondeurs parisiens à Condé.
Les Lames… de la reine ?
Lors de son exil, Mazarin laisse derrière lui ses plus
L ’année 1651 : la Fronde fidèles agents, les Lames du Cardinal, avec consigne
de veiller aux intérêts de la couronne et sur la personne
de la reine.
Janvier Cette situation inédite sera à coup sûr très intéres-
Une à une, les révoltes sont matées par l’armée royale, sante. Comment vont-elles évoluer dans un Paris
et le pays retrouve le calme. Mais les tractations, hostile ? Quelles sont les relations des Lames avec
intrigues et complots alimentés par Cinq-Mars et son la famille royale ? Quelle réputation les Lames ont-
habile nouvel allié draconique renversent la donne elles auprès de la régente ? Si Anne d’Autriche a pour
politique. Les Grands du royaume s’allient en secret les Lames une méfiance ou une inimitié, en fonction
en une union des deux Frondes et demandent offi- des missions précédant le départ de Mazarin, elle pourra
ciellement la libération des trois princes et le renvoi être tentée de les envoyer sur des missions sans intérêt
du cardinal. ou au contraire dangereuses à l’excès. De quoi tester
La nuit du 30 janvier, don Gabriel de Tolède entrevoit en profondeur la loyauté et le sens du devoir des Lames.
une vulnérabilité dans la protection habituellement sans
faille de Mazarin. Il ordonne à François de Vendôme Anne d’Autriche pense avoir obtenu un répit, mais l’exil
de ralentir l’escorte de Gardes du cardinal qui devait de Mazarin ne fait qu’empirer les choses. De retour
le rejoindre dans Paris en utilisant des montures à Paris, Condé retombe sous l’influence de Ninon
fournies par les Vyverneries Dubuis, et le sang-mêlé de l’Enclos qui aiguise à nouveau son ambition. Son
et ses spadassins attentent à sa vie. arrogance et son avidité pour le pouvoir poussent ses
anciens alliés à se rapprocher à nouveau de la reine
Heureusement Saint-Lucq, sur la piste de l’Espagnol et le pouvoir politique se scinde à nouveau. Anne
draconique depuis son entrée dans la capitale, surgit d’Autriche est excédée.
et parvient à protéger Mazarin. L’affrontement entre
les deux sang-mêlé dure une nuit entière et provoque

229
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais
La duchesse de Longueville s’oppose au mariage Novembre
de son frère, le prince de Conti, avec Mademoiselle Le comte d’Harcourt délivre la ville de Cognac puis,
de Chevreuse, maîtresse de Gondi. Condé se lance soutenu par les habitants de La Rochelle, il en chasse
dans une nouvelle révolte, en s’arrogeant certains les troupes frondeuses du comte du Daugnon. Condé
privilèges royaux : il lève des impôts dans le Berry et est contraint de se replier. Dans le même temps,
le Bourbonnais. Mais les partisans de Condé restent en Champagne, le lieutenant de Condé, Tavannes, est
prudents, de peur de voir tous leurs privilèges partir repoussé par le maréchal de La Ferté.
en fumée. Condé se retrouve, peu ou prou, seul. Il fait
jouer ses relations et ses liens de clientèle, et assemble Décembre
une armée de quinze mille hommes. La reine fait parvenir au Parlement une déclaration
de lèse-majesté contre les princes, tandis que le duc
Juin d’Orléans tente une négociation avec Condé. Dans
Mazarin n’étant plus là, la régente se tourne vers le même temps, Mazarin revient en France. Mais
Jean-François Paul de Gondi. Elle lui promet le titre le parlement met sa tête à prix, confisque ses biens
de cardinal s’il lui apporte son concours. L’effet est et sa bibliothèque, qui doivent être vendus aux en-
immédiat : une alliance de la vieille Fronde se retourne chères. Le duc d’Orléans est chargé de l’exécution
contre Condé. des sanctions.
L’armée royale, menée par le jeune roi en personne,
Juillet s’installe à Poitiers et repousse Condé sous la Charente
Le prince de Condé se tourne de nouveau vers puis sous la Dordogne. Mais Paris est aux mains des par-
les Espagnols. Craignant d’être arrêté, il quitte Paris lementaires et fin 1651 François de Vendôme parvient
dans la nuit du 5 au 6 juillet. Il revient à Paris pour à nouveau à créer des troubles dans la capitale. Le nord
se justifier devant le Parlement. de la France est quant à lui sujet aux raids espagnols
qui finissent par s’emparer de Dunkerque.
Août
Les tensions sont telles que fin août une session du

L’année 1652
Parlement dégénère en affrontement armé durant
lequel Condé manque d’être assassiné par François
de Vendôme.
E Février : Sous l’influence d’Olimpia Maidalchini,
Septembre en relation étroite avec le doge, le vénitien Pietro
Un virage étonnant survient. Le 7 septembre, durant Ottoboni est fait cardinal. Il deviendra le pape
la séance où est proclamée la majorité du roi, Anne Alexandre VIII. Olimpia en profite pour missionner
d’Autriche reconnaît l’innocence du prince et confirme des agents en Crète.
le bannissement de Mazarin.
Mais Condé se méfie, pense que la reine tente de le pié- s Af Avril : Jan Van Riebeeck fonde un comptoir
ger et décide de fuir Paris pour la Guyenne. Sous commercial au Cap pour la Compagnie des Indes
l’influence de Ninon de l’Enclos, il déclare la guerre orientales. Il lance des expéditions vers l’intérieur
au royaume depuis Bordeaux, sûr de sa force et de ses des terres.
appuis espagnols.
Condé compte prendre Paris en étau entre deux E Juillet : Guerre entre l’Angleterre et les Provinces-
armées, l’une venant de la Champagne, l’autre avan- Unies. Les combats se multiplient. Les expéditions du
çant depuis la Guyenne. Il trouve des alliés : le duc Voleur sans Mémoire en souffrent.
de La Rochefoucauld et le prince de Tarente embrasent
le Poitou, le duc de Richelieu agite l’Anjou, le duc F 2 juillet : Bataille du faubourg Saint-Antoine. Condé
de La Force et le seigneur de Bourdeilles tentent entre dans Paris.
de soulever le Périgord.
Cinq-Mars reprend la main. Tout en mettant en œuvre F 4 juillet : Massacre de l’Hôtel de Ville par les par-
tous ses réseaux pour fournir armes et munitions aux tisans de Condé. Les frondeurs modérés s’éloignent
deux parties, il pousse Pierre Lenet à renouer le contact du prince.
avec Condé. Cela fonctionne à merveille : Condé envoie
ce vieux conseiller de son père à Madrid, afin de négocier F 20 juillet : Gaston d’Orléans devient lieutenant
un soutien avec l’Espagne. général du royaume. Paris est contrôlé par un pouvoir
Anne d’Autriche ne reste pas inactive. La famille royale, insurrectionnel.
à la tête de troupes, rejoint Bourges puis Poitiers.
Condé fait de Cognac une cible prioritaire, et envoie F 31 juillet : Le roi appelle le Parlement à Pontoise.
La Rochefoucauld et le prince de Tarente l’assiéger. Scission entre les modérés et les jusqu’au-boutistes.

232
F 19 août : Départ de Mazarin. L ’année 1652 : la Fronde
F 26 août : Amnistie des princes frondeurs, qui crée
une scission. Janvier
Mazarin ne recule pas. Il rejoint la cour à Poitiers
Am Septembre : Arrivée à Cayenne de l’expédition le 30 janvier. Le duc d’Orléans s’allie finalement
de la Compagnie des Douze Seigneurs (les propriétaires avec Condé.
de la Guyane : de Bragelonne, de Vertamont, d’Es- En janvier 1652 l’Anjou cède à l’armée royale, et en mars
manville, Isambert, de Ferrari, de Bar, de Villeneuve, Turenne en prend le commandement. Le rapport
de Bezou, du Plessis, deux frères de Nuisemans et de force change et les troupes des frondeurs sont épui-
Ilebert) commandée un temps par le général de Roiville, sées. Condé, toujours conseillé par Ninon de l’Enclos,
assassiné par les Douze. L’expédition se heurte aux tente une dernière manœuvre. Après une victoire sur
attaques des tribus locales ainsi qu’à une épidémie Turenne, il revient à Paris, alors que la cour est à Gien,
de ranse fulgurante. pour prendre le contrôle du Parlement. Mais il doit
au final fuir la capitale en juillet. Et il la fuit seul, car
E Octobre : Prise de Barcelone par Juan José Ninon de l’Enclos a rencontré son grand amour et a
d’Autriche, fils légitimé de Philippe IV et Maria changé de camp.
Calderon. Les Castillans reprennent pied en Catalogne, Le comte d’Harcourt reste en Guyenne pour affronter
profitant de la désorganisation des troupes françaises. Condé. La cour se rend à Saumur sous la protection
de Turenne, puis à Blois. Mazarin confie le comman-
E Octobre : Le pape Innocent X réforme le clergé dement de l’armée du roi à Turenne et au maréchal
régulier en Italie. Il supprime de nombreux couvents, d’Hocquincourt. Le premier affronte les troupes
et tente en particulier de plonger les ordres pauvres de Condé, le second celles du duc d’Orléans.
dans la crise, eux qui se montrent critiques envers Condé rentre contre toute attente à Paris et tente
la papauté. De nombreux moines entrent en résistance de gagner le soutien des cours souveraines. Celles-ci,
et deviennent brigands. tout en continuant de condamner Mazarin, prennent
le parti du roi.
s Af Octobre : Des explorateurs missionnés par Jan Turenne revient vers Paris.
Van Riebeeck découvrent une variété inconnue de jus-
quiame dorée lors d’un périple dans les montagnes
du sud de l'Afrique. Leur expédition est décimée, et
les survivants échouent à donner des informations
fiables sur la localisation des plantes.

F 13 octobre : Fuite de Condé aux Pays-Bas.

F 21 octobre : Le roi à Paris. Rappel de Mazarin.

F 21 octobre : Dans la nuit, toute la population drac


des Écailles disparaît sans laisser de traces. Le quartier
est envahi par les syles.

F 19 décembre : Arrestation de Gondi. Olimpia Maidalchini

Juillet
Condé est finalement mis en déroute sur le faubourg
Saint-Antoine. Mademoiselle de Montpensier, fille du
duc d’Orléans, obtient alors de son père de faire ouvrir
les portes de la ville pour recueillir les restes de l’armée
de Condé, et fait donner du canon depuis la Bastille
sur les armées du roi, le 2 juillet.
À Paris, l’union des frondes vole en éclats. Condé,
ulcéré par la trahison de Ninon de l’Enclos, se montre
tyrannique. Les cours et les notables refusent leur
soutien aux princes. En représailles, l’Hôtel de Ville,
où se tient leur assemblée, est incendié par les condéens.

La Grande Mademoiselle 233


234
235
New Amsterdam

à couper les ponts reliant l’île aux berges. La population


Ninon de l’Enclos rencontre Louis de Mornay, jeune y voit un signe du retour du roi de droit divin.
petit seigneur de Villarceaux. Ils tombent tous deux Condé s’exile aux Pays-Bas. Le duc d’Orléans doit
éperdument amoureux et le Tout-Paris ne parle alors quitter Paris et se retire à Blois. Mlle de Montpensier
plus que de leur liaison. Mais Ninon sait cet amour est exilée à Saint-Fargeau.
impossible, car elle est empêtrée dans la conjuration
des Silencieux que Cinq-Mars a délaissée au profit de son Décembre
obsession et qui court désormais à sa perte. Elle prend Paul de Gondi, devenu cardinal de Retz, est arrêté et
alors contact avec l’Italienne, qui fait l’interface avec emprisonné à Vincennes.
le cardinal Mazarin, et rencontre ce dernier en secret.
En échange de sa protection, Ninon livre tout ce qu’elle
sait : la mort feinte du marquis, les manipulations
de la Fronde, les élevages Dubuis… Mazarin lui ordonne
Mes chères Lames,
alors de s’installer au domaine de Villarceaux avec son
J’ai reçu ce jour une proposition étonnante de l’Ita-
amant, et de ne plus quitter ces lieux, ordre qu’elle
lienne, qui dit détenir des informations capitales sur
suivra durant trois ans.
mes ennemis. Je crains que la Signora de Santi
nous joue encore l’un de ses vilains tours, mais sa
Août proposition me semble difficile à repousser. Je vous
Mazarin repart en exil sous prétexte de faciliter les récon-
demande de vous rendre au point de rendez-vous,
ciliations entre le roi et le Parlement venu le rencontrer
avec la plus élémentaire prudence.
à Pontoise. Mais la réalité est tout autre. Le cardinal
connaît désormais le nom et les motivations de son
Ne me décevez pas.
adversaire. Le gibier devient chasseur, et sur la trace
du marquis de Cinq-Mars, Mazarin lance ses Lames.
Paris réclame le retour du souverain. Condé, aidé par
le duc de Lorraine, résiste quelques semaines à Turenne,
mais, malade, il finit par se retirer. Mes chères Lames,
J’ai reçu ce jour un rapport inquiétant de mes
Octobre espions de Bordeaux. L’Ormée, un groupe opposé au
Le roi fait son retour triomphal à Paris le 21 oc-
roi et favorable à la famille Condé, a envoyé deux
tobre. Une grande partie du réseau des Silencieux est
émissaires par bateau vers Londres afin d’y né-
démantelée. Ninon de l’Enclos a désormais changé
gocier un soutien auprès de Cromwell. Je crains
de camp, Fontrailles est tombé, Basile Valentin a
que cette manœuvre n’attire les convoitises
fui Effiat…
de cet individu sanguinaire et ne déséquilibre notre
Durant la nuit suivant le retour du souverain,
front ouest. Je vous demande de vous rendre
un événement déroutant survient : tous les dracs
en Angleterre afin de discréditer sans tarder
de l’île des Écailles disparaissent mystérieusement, sans
les émissaires. Et laisser ainsi l’Anglais sur
qu’un quelconque mouvement de population puisse être
ses rivages.
observé. Les Écailles sont envahies par les syles, obligeant
Ne me décevez pas.
236
L’année 1653 Juillet
En province, la Fronde perdure. La Guyenne, toujours
Am Février : fondation de New York par le Néerlandais ralliée aux meneurs de la Fronde, se soulève à nou-
Pieter Stuyvesant, sous le nom de Nouvelle-Amsterdam, veau. L’armée royale doit être envoyée pour reprendre
pour le compte de la Compagnie des Indes orien- Bordeaux. Et dans la ville, les espions du cardinal
tales. Le Voleur sans Mémoire jubile. découvrent la présence du marquis de Cinq-Mars
aux côtés de la duchesse de Longueville et du prince
E 18 février : Bataille de Portland qui voit s’affron- de Conti qui ont pactisé avec les Espagnols. L’armée
ter les flottes anglaises et néerlandaises. Les Anglais du roi assiège la ville.
de l’amiral Robert Blake repoussent la flotte hollandaise Prise en tenaille entre le duc de Candale qui mène
et regagnent la Manche, mettant un coup d’arrêt aux l’armée royale et l’armada de l’amiral duc de Vendôme
affaires du Voleur sans Mémoire. arrivée à la rescousse, la ville de Bordeaux plie et est
tout près d’ouvrir ses portes fin août.
E Mai : Le prince de Moldavie Vasile Lupu est vaincu Mais des renforts espagnols, constitués en partie
en Valachie et déposé par les boyards. La Moldavie est de régiments d’élite dracs noirs, surgissent et enfoncent
livrée au pillage des Grecs de Constantinople. Le prince les troupes au sol. Le duc de Candale reflue. L’Espagnol
est emprisonné à Constantinople. Il sera mystérieuse- s’installe en Aquitaine, tandis que le conflit s’enlise.
ment libéré l’année suivante.
Août
F Juin : L’Ormée, un groupe antimonarchiste Les Lames sont dépêchées à Bordeaux, pour une mission
de Bordeaux, envoie deux émissaires négocier sa d’infiltration éclair. Mais Cinq-Mars est déjà parvenu
protection auprès d’Oliver Cromwell. à fuir en direction de son ancien repaire de la Tour
de Vesone. Et c’est à Périgueux que se livre le combat
E Décembre : En Suède, des paysans s’opposent final entre le marquis de Cinq-Mars et les meilleurs
au Naos et au pouvoir en place, suite à de mauvaises agents du cardinal Mazarin.
récoltes. Ils tentent d’imposer un roi, mais la magie Mue à ses débuts par une volonté d’évolution politique,
des Naos étouffe la révolte. La Griffe noire est suspectée la Fronde s’est peu à peu enferrée dans des querelles
d’avoir déclenché le mouvement. personnelles et des intérêts particuliers. Après des années
de guerre civile et d’instabilité, le peuple accueille
E Décembre : Cromwell est proclamé Lord Louis XIV avec le soulagement de voir revenir sur
Protecteur d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, élu à vie et le devant de la scène des valeurs monarchiques au
soutenu par un système militaire et dictatorial. Une ère final rassurantes.
sombre s’ouvre. Mais le roi a changé. Depuis sa retraite forcée à Saint-
Germain, on le dit transformé. Il apparaît plus mûr,
plus adroit, plus charismatique. À ses côtés, le dénommé
L ’année 1653 : la fin de la Fronde Colbert se positionne comme un soutien fiable et
habile. Une ère solaire s’ouvre pour le trône.
Pourtant, qui sait comment les Arcanes ont profité
Février de ces troubles ?
Malgré les efforts des meilleurs enquêteurs au service
du cardinal, personne ne parvient à retrouver le déchu
marquis de Cinq-Mars. Mazarin le soupçonne d’avoir
suivi Condé dans son exil en Espagne et de s’être mis
au service de la Griffe noire. Confiant, le cardinal rentre
alors à Paris rejoindre le roi le 3 février.

Histoire officielle
La ville de Bordeaux, aux prises avec la flotte royale
et les troupes au sol, tombe en juillet. Mais Bordeaux
constitue un point stratégique trop important pour que
les dragons laissent passer l’opportunité de s’y instal-
ler. De fait, le prince de Conti livre à la Griffe noire
la ville, qui exigera une campagne longue et coûteuse
pour être reprise.
Sauf si, bien entendu, quelques Lames décidées venaient
à s’en mêler.

237
Noms et prénoms
les plus répandus dans la France des Lames

Noms
ABAT DARQUIERT LE BELLEGUIC LEVESQUE
ADELISE DARRAS LE BIHAN LHORTIE
ALLANO DECHANGE LEBOEUF LHOSTE
BAIVEL DEFLANDRE LE BOT LOGNON
BARBIER DELTE LE BOTLAN MAILLE
BEHEN DENAMPS LE BOTMEL MALARDE
BELETRE DETRE LE BOURLAGAT MALET
BELZIC DIU LE BRIS MASSE
BERTEAUX DOMART LE BRUCHEC MELRAND
BEUGER DOMONT LE CARFF MERCIER
BIGOIN DOURLE LE CARRER MOYE
BIHAN DROUART LE CLAINCHE PEDIC
BILZIC DUCOROT LE CLERC PEDRIC
BOCHER DUTERNE LE CLOIREC PEURON
BOGARD FLAMENT LE CORR PHILIPPE
BOIDIN FOUACHE LE CORRONC PORCHEL
BOTLAN FRERE LE DELAIZIR POULAIN
BOTMEL GODISSART LE DEVEDEC QUERVAZO
BOTREL GOURGUECHON LE DEVEHAT QUEVEN
BOULANGER GUIDON LE DIAGON RAMBOUR
BOSQUET HAMONT LE DORZE RAVIN
BOURGHEOIS HARVENGT LEFEBVRE RIO
BRAILLY HAUMONT LE FRANC ROBIC
BRANDICOURT HAVELETTE LE FUR ROUILLARD
BREGENT HELLEC LE GALLIC ROUZAUT
BRONSART HERVOT LE GARF ROVIC
CABEDOCE HORVILLE LE GOVIC ROY
CADORET HULOT LE GUEL RETHORE
CALEDAN JONEAUX LE HEMONET SAGUIER
CALVE JOREZ LE HOMONET SAILLY
CAMELAN JOSSE LEJEUNE SAVOIE
CANO KERFANTO LE LINDREC SOREL
CARADEC KERJAN LE LOUEDEC TEXIET
CAROT KERMABON LE MAGUERES THOMAS
CARPENTIER KERSUZAN LE MAGUEREZ TRENCART
CAUCHIE KERVAZO LE MAGUET TUAL
CHENADEC KERVINIO LE MAHEU VASSEUR
CORREC KERVIO LE MANOUR VINCHENEUX
CORRIGNAN LE BAIL LE MAREC VUIET
CUMEL LE BELICARD LE MISSARD
DAOUST LE BELLE LE NAIR
DAGNELIE LE BELLEC LE NEAL

238
Prénoms
Achilleus Clarissa Hippolythe Nicolaus
Achille Claudia Hortensia Noémie
Adalbertus Cunégonde Hortense Otto
Adalbert Cyprien Hubertus Patricius
Adamus David Hubert Paula
Adam Désirée Hugo Paulina
Adelais Diana Hugues Paulinus
Adélaïde Diane Hugues Paulus
Adelhaidis Eléonore Huguette Paul
Adélaïde Elisabeth Ignatius Perpetua
Adelina Emilia Ignace Pierre
Adeline Emmanuel Isaac Philippus
Adrianus Eugénie Isabella Philippe
Adrien Eustache Jacques Raphael
Agatha Felix Jeremias Regina
Agathe Flora Joachim Romaric
Agnes Florent Joseph Rosa
Alexandra Florentia Joséphine Rose
Alexander Francisca Juliette Sabina
Alix Franciscus Katarina Sabine
Anatole Gabriel Leo Sara
Angèle Gabriella Léon Silvia
Ariane Gabrielle Léonard Simon
Arthurus Gaspard Louis Sophia
Arthur Grégoire Lucas Stanislaus
Augustin Gregorius Lucia Thérèse
Aurelia Guillaume Marcelin Théodore
Aurore Guy Marcus Thomas
Beatrix Helena Marguerite Timothée
Benjamin Hélène Maria Titus
Blandine Heloisa Marina Valentina
Camilla Héloïse Martha Veronica
Camille Henrica Martin Victor
Capucine Henricus Matheus Victoria
Carolina Henriette Mathieu Violaine
Caroline Henri Melchior
Carolus Hermanus Michael
Clara Herman Nicola

239
Arcanes Majeurs

J’Hall de Vorondil Aramon, chevalier de Barjac-Castelmard

Antonin Dumont, dit « le Lorrain » V ivienne « Pinson » Cotterre


© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy

240
Erwan de Plouaret GillesArnaud Julien de Talleyrand-Périgord

Guillaume de Mont-Maudit Louis-Nicolas de Gully

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loïc Muzy
Archibald Nogaret Amélia Gallot

241
J’Hall de Vorondil
J’Hall est né quelque part en France, mais considère
qu’il est né partout. Son étrange patronyme vient du
fait que, abandonné dès sa naissance, il est recueilli par
un vieux drac itinérant qui lui donne le nom de son
fils disparu. Le drac est considéré par les membres de sa
race comme une anomalie. C’est un solitaire, proche
de la nature, qui parcourt le monde en suivant les astres
et son instinct. Poète et musicien, il entraîne J’Hall dans
sa vie de vagabondage. Leur chemin les mène sur l’île
de Bretagne, ainsi que dans les landes irlandaises. Là,
J’Hall fait la connaissance d’un nommé Vorondil, héritier
des traditions séculaires des bardes celtes. Le jeune garçon
apprend auprès de lui la beauté des mots et les chants
murmurés par les feuillages des grands arbres. À la mort
du vieux drac, J’Hall continue sa vie d’errance. Il passe
quelques années en Angleterre, où il fait la rencontre
du poète et dramaturge John Ford, auteur de la pièce
The Witch of Edmonton. Marqué par cette œuvre qui
traite de l’injustice, J’Hall se lance lui-même dans
l’écriture poétique, encouragé par John Ford. Ses
thématiques sont inspirées de celles de son mentor :
la défense des opprimés et la vindicte contre l’autorité
aveugle. Il égratigne certains Grands du royaume et doit
s’attacher les services d’un maître d’armes, grâce auquel
il allie l’art de l’escrime à celui des bons mots. Il rencontre
un certain succès et adopte comme nom de plume
J’Hall de Vorondil. Mais J’Hall s’attire les foudres
des bien-pensants partisans de Cromwell. Il retourne
alors en France et s’établit à Paris. Il y fréquente
les milieux littéraires et se lie d’amitié avec le libraire
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - J'hall de Vorondil d'après Jérémy Hallé

Bertaud, avec le concours duquel il publie une traduction


française d’œuvres de Ford. Il est également invité
à quelques reprises au salon de Rambouillet. J’Hall
perfectionne sa poésie, qui mêle la richesse de la langue
française aux sonorités naturelles des récits celtiques
et à la discipline britannique. Il continue de publier,
ce qui lui vaut une série de provocations en duel dont
il se sort sans dommage. Érigé en défenseur des pauvres et
des laissés-pour-compte, il acquiert une belle réputation
à Paris. Un beau jour, lors d’une visite à Bertaud, il est
abordé par le nouveau capitaine des Lames du Cardinal,
le comte de Rochefort. Les deux hommes ont une longue
conversation, et le vieux comte parvient à convaincre
Et si l’Arcane… J’Hall que la défense des opprimés passe par la lutte
contre les dragons. Le poète intègre les Lames et égaye
les repas parfois lugubres des agents du cardinall.
J’Hall a passé sa vie à défendre ceux qui
ne peuvent le faire eux-mêmes. C’est naturellement
qu’il s’oppose à l’autoritarisme d’Anne d’Autriche
et Mazarin. Sa voix est entendue dans tous
les milieux, et sa poésie est citée jusque dans les discours
qui agitent le Parlement. N’ayant d’autre camp
que celui de la justice, J’Hall se pose en esprit
libre. Adulé par certains, détesté par d’autres, mais
en tout cas ignoré de personne.
242
Aramon, chevalier de Barjac-Castelmard
Aramon naît en 1604 sur les terres familiales de Barjac, au cœur
du pays gascon. Son enfance et son adolescence suivent le chemin
classique d’un deuxième fils au sein d’une famille noble. Sa destinée
est celle des métiers des armes et il ne s’en plaint jamais. Très jeune,
il rejoint les cadets de Gascogne et intègre la Garde française,
au sein de la prestigieuse compagnie des Essarts, antichambre
des Mousquetaires du Roi.
Toutefois, au vu des guerres qui embrasent l’Europe, il préfère
embrasser une carrière militaire qui l’amène à se frotter aux conflits
militaires et politiques qui perdurent dans les Flandres, la Lorraine
et le Saint Empire.
Prompt à honorer ses serments quand il en fait, il se montre ardent
défenseur de la maison royale et de ses intérêts, pour lesquels il risque
maintes fois sa vie au cours de sa carrière. Il ne fait d’ailleurs pas
mystère de cet engagement pour la personne du roi, allant au combat
avec un plastron de métal sur lequel est apposée une fleur de lys au
niveau du cœur.
C’est dans ce cadre et avec son expérience de terrain qu’il est
repéré et recruté au sein des Lames, un groupe dont il comprend
l’importance, même si servir directement sous les ordres du cardinal
de Richelieu contrarie quelque peu son goût de la hiérarchie militaire
classique. Intégré aux Lames, Aramon continue de mener bataille
aux frontières du Saint Empire, tout en effectuant des missions plus
politiques dans les cours d’Europe.
De cette expérience des Lames et de ses séjours dans le Saint Empire,
Aramon ne tire aucune gloire publique, mais la satisfaction de servir

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Aramon de Barjac-Castelmar d'après Jaufré Brusson
le roi. Cependant, il en rapporte une fille, qu’il nomme Madeleine,
fruits de ses amours illégitimes avec une aristocrate rhénane. Ne pou-
vant se résoudre à envoyer son enfant dans un couvent, il décide
de pourvoir de son mieux à son éducation à Paris. Il se retire des Lames
du Cardinal et intègre la compagnie des Mousquetaires.
Les années passent et Madeleine grandit. Elle devient une belle
jeune femme. Mais son statut de bâtarde d’un chevalier de petite Et si l’Arcane…
noblesse empêche sa progression sociale. Madeleine décide finalement
d’elle-même de mettre à profit les atouts que la nature lui a offerts,
en intégrant la maison de charme les Petites Grenouilles sous le surnom
Si Aramon échoue jusqu’à présent à mettre
affectueux de Paupiette. la main sur l’un des hommes de confiance
Aramon sent le poids des années commencer à peser sur ses de l’Architecte des Mondes, c’est pour la simple
épaules. Toutefois, il se refuse à quitter le service, principalement raison que ce contact… n’existe pas ! La raison
car il ne se voit pas faire quoi que ce soit d’autre de sa vie. Il en vient en est simple : c’est en réalité Madeleine qui
assez naturellement à entrer dans un rôle d’aîné, de conseiller pour est entrée au service des dragons, lasse d’avoir
les jeunes recrues. Proche de d’Artagnan et de Tréville, il remplace à supporter le regard méprisant des nobles
régulièrement ce dernier au sein de la caserne des Mousquetaires français. De fait, c’est Aramon lui-même qui,
quand le comte est appelé sous d’autres cieux. Si son corps n’est en se confiant à sa fille avec toute la sincérité
plus aussi ferme que dans ses jeunes années, l’esprit d’Aramon reste d’un père, lui livre des informations qui font le jeu
toujours affûté. C’est grâce à lui qu’est découverte la présence parmi
des dragons. Habilement influencé par sa fille,
les Mousquetaires de l’un des neuf silencieux, les relais privilégiés du
dragon connu sous le titre d’Architecte des Mondes. Aramon sait
Aramon parcourt à pas feutrés le chemin qui
à présent qu’un traître se cache sous la casaque qu’il chérit plus que le mènera jusqu’au capitanat des Mousquetaires,
tout, et il ne saurait le tolérer. Depuis des mois, il traque le moindre une fois Tréville écarté. En signalant la présence
signe pouvant le mener au silencieux, mais le coquin est rusé ! d’un traître, Aramon s’est affranchi des soup-
Secrètement, il lui arrive d’espérer que les Lames le rappellent pour çons. Son amitié avec d’Artagnan est une carte
un dernier coup d’éclat qui le ferait rentrer dans la légende. Mais n’est- majeure dans sa manche. Le nouveau capitaine
ce pas là le rêve de tout soldat devenant, avec le temps, un brin amer ? des Lames ne lui a-t-il pas livré en avant-première
la nouvelle de la reformation ?
243
Antonin Dumont, dit « le Lorrain »
Antonin Dumont naît en 1603 au château d’Haroué,
en Lorraine. Sa mère, prénommée Charlotte, est la sœur
illégitime du marquis François de Bassompierre, futur
colonel général des Suisses et maréchal de France. Quand
le nouveau-né se révèle être un sang-mêlé, sa mère
honteuse prend la fuite, laissant l’enfant aux bons soins
de son frère. Bassompierre recueille l’enfant, mais,
absent la plupart du temps pour accomplir ses devoirs
envers le pays, il ne peut lui donner qu’une éducation
fragmentaire.
De fait, Antonin est en partie élevé par les serviteurs
de Bassompierre, en particulier le vieux maître
d’armes, un Toscan de grande compétence prénommé
Milo. Son talent pour les armes est très vite évident,
tout comme son goût un peu trop prononcé pour
l’affrontement. Milo lui enseigne l’escrime, mais
également le contrôle de soi. La nature de sang-mêlé
d’Antonin, ainsi que son comportement volontiers
bravache, le conduisent à affronter nombre de duellistes
en herbe venus le provoquer, et qu’il neutralise sans
jamais tuer ni même blesser gravement son adver-
saire. En 1629, Bassompierre épouse Louise-Marguerite
de Lorraine. Antonin se rapproche de cette femme qui
compense l’absence de son père adoptif, lui enseigne
les bonnes manières et le met en contact avec certaines
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Antonin Dumont, dit « Le Lorrain » d'après Anthony Giraud

personnalités du grand monde, dont sa belle-sœur,


Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse. Antonin
est brièvement l’amant de la duchesse, avant que
celle-ci ne soit exilée pour conspiration. Son dernier
cadeau, un dragonnet aux écailles dorées, ne quitte pas
Antonin depuis.
Un beau jour, Antonin se met en quête de ses pa-
rents. Il retrouve sa mère à Reims, mariée et heureuse
et, ne voulant pas bouleverser sa vie, préfère s’éclipser
sans se présenter à elle. Dès lors, la recherche de son père
occupe tout son temps. La tâche se révèle ô combien
fastidieuse ! Personnage énigmatique, dragon insaisis-
sable, le père d’Antonin évite le contact, échappant
à son fils à de nombreuses reprises. Ce jeu du chat et
Et si l’Arcane… de la souris dure plusieurs mois, avant que le dragon
ne disparaisse tout à fait. Il laisse à Antonin, comme
Antonin parvient à rencontrer son père. Celui-ci un ultime héritage, une épée à la lame étrange que
se révèle être un agent d’élite lié à l’un des Arcanes le sang-mêlé porte au côté. Lors de la traque de son
dissidents, le Voleur sans Mémoire. Traqué par père, Antonin se fait repérer par un autre individu, lui
la Griffe noire et les hommes du Marchand, le rival aussi en chasse du dragon : le sang-mêlé Saint-Lucq,
du Voleur sans Mémoire, le dragon entraîne son fils membre des Lames du Cardinal. Après l’avoir longue-
dans sa lutte. Parvenus à Paris, les deux hommes ment observé, Saint-Lucq décide de glisser son nom au
cardinal Mazarin. Quand ce dernier reforme les Lames,
se heurtent à une autre opposition : les Lames du
Antonin est recruté. Ses liens passés avec la duchesse
Cardinal. Le dragon est tué, mais Antonin parvient de Chevreuse sont une aubaine pour pénétrer les cercles
à prendre la fuite. Il se rapproche alors d’une vieille de conspirateurs qui œuvrent à renverser Mazarin.
connaissance, l’intrigante duchesse de Chevreuse, qui
l’utilise à présent pour des missions d’importance, grâce
auxquelles Antonin peut s’opposer aux agents qui ont
causé la mort de son père.
244
V ivienne « Pinson » Cotterre
Vivienne est née en 1623 à La Rochelle, fille d’un marchand
de voilures, Louis Cotterre. Sa prime jeunesse est une longue
litanie de règles à respecter, de bienséance et de conformité
aux us et coutumes qui permettent à une jeune fille d’espérer
un bon mariage. Vivienne est pendant longtemps l’image par-
faite de la jeune bourgeoise docile, parfaitement éduquée. Mais
ce n’est qu’apparence. Dès son adolescence, Vivienne préfère
la compagnie des gens du peuple à celle des nantis. Menant
une double vie, elle compose son personnage respectable
en journée avant de s’extraire de la demeure familiale pour aller
courir les tripots et les tavernes du port. Elle fait la rencontre
d’une troupe d’acteurs itinérants et se prend de passion
pour Le Pinson, un individu charismatique qui la persuade
de quitter sa morne existence pour une vie d’errance. Vivienne
intègre la troupe de comédiens et fait rapidement montre
d’un talent inné pour l’imitation et la comédie. Elle devient
l’une des pièces maîtresses de la troupe, incarnant avec autant
de brio la jeune soubrette ou la vieille noble, endossant même
parfois des rôles masculins. Son charme lui attire nombre
de prétendants. Vivienne croque dans la vie avec gourmandise.
En 1646, le chemin de sa troupe croise celle de Charles
Dufresne, qui a récupéré les acteurs issus de l’Illustre Théâtre,
dont Molière et Madeleine Béjart. La troupe, sous la protection
du duc d’Epernon, sillonne le sud et l’ouest de la France pen-
dant deux ans. Durant ce périple, Vivienne est amenée à entrer

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Vivienne « Pinson » Cotterre d'après Amaury Herbay
en contact – parfois charnel – avec des intrigants notoires. Elle
commence à vendre certaines informations et réalise que
cette activité est bien plus lucrative que le théâtre. Elle décide
de quitter la troupe et de rejoindre Paris, où elle se présente
sous l’identité d’une noble ayant fui la guerre, la marquise
d’Harfleur. Elle s’installe dans un hôtel particulier et continue
à vendre des informations. Elle permet d’identifier, sans
même le vouloir, des espions étrangers et des sympathisants
de la Griffe noire.
Vivienne fréquente à Paris les milieux libertins, au sein desquels
elle se trouve parfaitement à l’aise. Elle obtient une belle
notoriété sous le sobriquet de « la Pie volage », une aventurière
friande des plaisirs de la vie, parmi une galerie de personnages
qu’elle s’amuse à composer grâce à des tenues et maquillages
variés. Durant ses soirées de libations, elle fait la rencontre
d’un libertin sympathique, le Vicomte d’Orvand, qui lui
confie sur l’oreiller ses liens avec un groupe d’espions d’élite,
les Lames du Cardinal.
La destinée de Vivienne bascule quand des assassins venus
d’Espagne retrouvent sa trace. Elle leur échappe de justesse, Et si l’Arcane…
mais doit renoncer aux fastes de son hôtel. La marquise
d’Harfleur doit disparaître. Isolée, traquée, elle repense alors Vivienne est une redoutable séductrice, pour
aux Lames du Cardinal et se présente hardiment devant
qui la vie doit être croquée à pleines dents. Ses
Mazarin. Contrarié par cette jeune femme possédant bien
trop d’informations sur sa troupe supposée secrète, le cardinal
sympathies évoluent au gré de ses humeurs et, si elle
la fait tout d’abord embastiller. Mais quelques jours plus tard, aide les Lames un jour, c’est pour mieux les trahir
elle est acheminée jusqu’au Palais-Cardinal pour y entendre le lendemain sous une autre apparence. Créature
une proposition lui permettant d’embrasser une nouvelle vie protéiforme, experte en déguisement et en séduction,
sous le sobriquet du « Pinson ». la comédienne est une ressource aussi sensationnelle
que dangereuse.
245
Erwan de Plouaret
Erwan naît en 1602, second fils du chevalier Jean
de Plouaret. Il est destiné dès son plus jeune âge
à une carrière dans les ordres. Son esprit vif et son
caractère assidu procurent de grands espoirs à son père,
qui l’envoie à Rouen étudier dans une communauté
jésuite. Tolérant mal la discipline, Erwan fait souvent
le mur pour déambuler dans les rues de Rouen. Il y fait
la rencontre d’Allan R. Gisbot, un érudit irlandais
à l’esprit ouvert, ayant des accointances avec les com-
munautés dracs de Normandie et de Bretagne. Ses
études s’intéressent particulièrement à l’aspect tragique
de l’existence des dracs, créés par les dragons pour
les servir, traqués et méprisés par les humains pour
s’être arrachés à cette servitude. Tout en continuant
ses études théologiques, durant lesquelles il s’attache
à mettre en lumière – en s’attirant parfois les foudres
de ses enseignants – le lien entre Dieu et les dracs, Erwan
emboîte le pas à Gisbot, et rencontre des esprits éclairés
comme Blaise Pascal, avec qui il noue des liens. Erwan
s’intéresse de près aux communautés dracs installées dans
le Marais poitevin, et finit même par se faire accepter
dans un village pendant quelques mois, après avoir
survécu à une série de rites initiatiques pour le moins
exigeants. Il est d’ailleurs « marqué » par un drac noir
d’une tribu ennemie, qui l’a ainsi désigné comme sa
proie. Durant son séjour, il apprend, outre le goût
de la viande crue, l’escrime drac auprès de Dr’aamar,
un vieux drac rouge bretteur émérite. Lorsque le village
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Erwan de Plouaret d'après Mikael Lechopier

drac est attaqué par des mercenaires engagés par Pierre


Siette, nouvel ingénieur chargé de l’assèchement des ma-
rais, Erwan tire l’épée aux côtés des draconiques. Mais
les humains ont le dessus et Erwan, grièvement blessé,
est fait prisonnier et soumis à la question. Obstinément
silencieux, il est finalement rapatrié à Paris, à la demande
du cardinal de Richelieu lui-même. Il échange avec
Pierre Teyssier, le maître de magie du roi, mais celui-ci
Et si l’Arcane…
ne goûte pas les vues progressistes du Breton. Erwan
est embastillé comme prisonnier sensible. Durant sa
Erwan est libéré grâce à l’influence du comte captivité, il fait la connaissance du comte de Rochefort,
de Rochefort, mais refuse de s’engager dans avec qui il échange de loin en loin. Une estime réciproque
la troupe des Lames du Cardinal, pour qui les dracs s’installe entre le vieux noble et Erwan. Quand le comte
restent essentiellement une engeance à contrôler voire est libéré pour prendre la tête des Lames du Cardinal
à supprimer. Erwan demeure toutefois à Paris, reformées, il pense immédiatement à cet étrange per-
où il entre en contact avec la communauté drac sonnage qu’il a côtoyé à la Bastille. Il s’attache à recruter
des Écailles. Il réalise que les dracs parisiens Erwan, tout en gardant à l’esprit que c’est une lame
constituent un enjeu majeur à la fois pour le trône et à double tranchant qu’il intègre à sa troupe. Le Breton
pour les dragons de la Griffe noire qui noyautent s’installe dans une chapelle en bord de Seine, carbonisée
par l’Archéen en 1633, et prêche en faveur des dracs,
la communauté. Il met dès lors un point d’honneur
malgré l’opposition des autorités religieuses. Il gagne
à combattre les dragons, faisant parfois cause commune le surnom de l’abbé Dragon.
avec les Lames. Ses prêches sont souvent des at-
taques virulentes contre le traitement des dracs par
le pouvoir en place, et Erwan s’attire les sympathies
d’un autre agitateur, l’intrigant Jean-François
Paul de Gondi.
246
GillesArnaud Julien de Talleyrand-
Périgord
Gilles Arnaud Julien de Talleyrand-Périgord est né
en 1616, le 15 mars, jour des Ides de Mars. Il est le second
fils du chevalier Jean de Talleyrand-Périgord, descendant
de la branche cadette des comtes de Périgord. Très proche
de son frère aîné, Guillaume, il passe son enfance et
son adolescence à idéaliser ce dernier. Toutefois, année
après année, il devient évident que les qualités des deux
garçons, tant sur le plan physique qu’intellectuel, ont été
mal équilibrées en faveur du cadet. Guillaume vivant mal
la proximité de ce frère trop brillant, Gilles fut envoyé
à Bordeaux pour y intégrer un corps de cavalerie. L’armée
est l’occasion pour Gilles d’honorer sa famille, et
il se montre à la fois brave et efficace, deux qualités
que l’on trouve souvent l’une sans l’autre. En Guyenne,
il attire l’attention de proches de Louis II de Bourbon-
Condé, duc d’Enghien, celui qui deviendra quelques
années plus tard le Grand Condé. Gilles accompagne
le duc durant plusieurs campagnes contre l’Espagne, et
fait montre d’un talent sans égal dans le combat mon-
té. Il participe à des batailles célèbres, battant notamment
les légions d’élites de dracs irskehns à Rocroi. Pour fêter
cette victoire, le duc d’Enghien lui offre une arme prise
à un officier en chef espagnol : une rapière magnifique

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Gilles Arnaud Julien de Talleyrand Périgord d'après Cedric Giroux
taillée dans une corne de narval. Il gagne également
son surnom, « Ide », grâce à un poème qui l’associe au
dieu de la guerre, Mars. Au fil du temps, toutefois, son
opinion sur Condé vient à changer. L’immense arrogance
et la compétence limitée du général conduisent finale-
ment Gilles à quitter les rangs pour rejoindre Paris. Là,
il met à profit ses qualités de cavalier pour s’engager
comme vyvernier au sein des Messageries Gaget. Il fait
ainsi transiter des messages et des personnes de grande
importance durant la guerre de Trente Ans. Un jour,
il achemine un agent de Mazarin amené à effectuer
une mission secrète, capitale et urgente, à Madrid. Mais,
pris en embuscade par des émissaires des dragons, l’agent
est grièvement blessé et ne doit la vie qu’à la bravoure
et la compétence de Gilles. Il n’a d’autre choix que
de confier à son cavalier la tâche de le remplacer. C’est
ainsi que le cavalier périgourdin se retrouve, presque
contraint par les enjeux de l’Histoire, infiltré à la cour
d’Espagne. Il s’y découvre des talents pour la politique Et si l’Arcane…
et l’intrigue qu’il ne soupçonnait pas. Il y associe un sens
stratégique aigu, développé sur les champs de bataille et Quand débutent les troubles politiques de la Fronde,
aux tables de jeu de tripots urbains, son éducation noble c’est le Grand Condé lui-même qui vient chercher
et un physique somme toute passe-partout. La combi-
Gilles pour défendre Paris, le roi, le cardinal. Le jeune
naison fait des merveilles. Quelques semaines plus tard,
sa mission accomplie, Gilles rentre à Paris et ramène son
duc d’Enghien a bien changé, et l’amitié qui liait
agent à Mazarin. Il apprend à cette occasion l’existence les deux hommes est reforgée. Quand Condé tourne
des Lames du Cardinal. Son recrutement n’est toutefois le dos à Mazarin et au roi, Gilles, naturellement,
pas immédiat, et il intègre, sur recommandation du reste fidèle à son frère d’armes. Sa place au sein
cardinal, le corps des Vyverniers royaux. Mais son nom des peu nombreux vyverniers royaux est une aubaine,
n’a pas été oublié. Quelques mois plus tard, le comte et si Condé n’est toujours pas un maître tacticien,
de Rochefort vient toquer à sa porte. Gilles de Talleyrand, lui, a affûté ses stratégies.
247
Guillaume de Mont-Maudit
Guillaume est né en 1605, dans les terres du
Minervois. Il est le troisième fils d’une famille de petite
noblesse, son père possédant des terres rocailleuses ayant
la réputation d’être difficiles à cultiver (d’où le nom
de Mont-Maudit). La prospérité relative de sa famille
repose sur des vignobles, la cuvée Mont-Maudit ayant
acquis au fil des ans une solide réputation. Guillaume
quitte la famille en 1625 pour s’engager dans l’ar-
mée tandis que la révolte des protestants bat son
plein. Guillaume prend part au siège de La Rochelle
aux côtés du cardinal de Richelieu, et fait la connaissance
à cette occasion d’Etienne-Louis La Fargue, capitaine
des Lames du Cardinal, à qui il rend modestement
service, en particulier en tentant de soigner Bretteville,
une Lame mortellement blessée. Son échec à le sauver
incite Guillaume à étudier la médecine auprès de barbiers
de l’armée et d’aumôniers, et il vient en aide à de nom-
breux soldats grâce à une pratique assez expérimentale
de la médecine. Par la suite, il parcourt la France au
service du roi, gravissant progressivement les échelons
de l’armée pour atteindre le grade de lieutenant au
sein du régiment de Guyenne. Il participe à nombre
de batailles et de sièges contre les Espagnols, subit
plusieurs blessures, dont une sérieuse lors de la bataille
de Barcelone en 1642, qui le laisse salement balafré
à la joue gauche. Durant ce combat, il fait preuve
d’un héroïsme qui permet de renverser une situation
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Guillaume de Mont-Maudit d’après Lucas Nivesse

compromise. Il arrive à la conclusion que la bataille a failli


mal tourner en raison de trahisons internes. Il s’en ouvre
à sa hiérarchie, qui balaie les accusations, entraînant
le départ de Guillaume. Après sa convalescence dans
un monastère pyrénéen, il retourne chez lui après
vingt ans de campagnes. Il trouve le domaine familial
dévasté, un village passé au feu, et sa famille massacrée,
à l’exception de sa plus jeune sœur, enlevée. Après trois
ans d’enquête, il découvre que des membres de la Griffe
noire, Los Cazadores, sont responsables du crime, et que
leur véritable cible était Guillaume lui-même. Conscient
d’avoir déclenché l’ire de personnes haut placées, et sans
doute trop puissantes pour lui, Guillaume se dirige vers
Paris, pour se présenter au Palais-Cardinal en invoquant
le nom d’Etienne-Louis La Fargue. Le vieux capitaine
Et si l’Arcane… des Lames a depuis longtemps quitté Paris, mais la mère
des Louves, Agnès de Vaudreuil, se souvient de ce jeune
Guillaume est aveuglé par la vengeance. Il traque soldat courageux qui avait aidé son bien-aimé Bretteville.
les membres de la Griffe noire à la recherche
de sa jeune sœur. Ses actions sont souvent pleines
de panache, mais dans le seul but d’avancer vers
la vérité, encore et toujours. Qu’importe si des plans
et des manœuvres secrètes, longuement préparés, sont
effectués par les Lames au même moment. La vague
scélérate n’infléchit pas sa route pour éviter le ba-
teau. Mais qui sait ce qui pourrait se passer si sa
sœur réapparaissait ?
248
Louis-Nicolas de Gully
Louis-Nicolas de Gully est né sur les terres d’Alsace,
dans le village de Kaysersberg, près de Colmar,
en 1610. Il est le fils puîné du baron de Gully et
se destine dans ses jeunes années à une carrière dans
les ordres. La guerre de Trente Ans met fin à cette
trajectoire. Mû par un profond sens du devoir,
Louis-Nicolas décide de prendre les armes. Il fait
rapidement montre d’une aura et d’un sens tactique
remarquables, alliés à un souci permanent de la sécurité
des hommes sous son commandement. Il sert durant
de longues années, affrontant les troupes du Saint
Empire et les mercenaires dracs espagnols. À la tête
d’une compagnie de mercenaires qu’il a lui-même
financée, il participe auprès du général suédois Bernard
de Saxe-Weimar à la prise de Brisach, un lieu hautement
stratégique. Mais, blessé au cours d’une bataille, il est
éloigné du front et rejoint son foyer. Sa convalescence
est longue. Il la met toutefois à profit pour perfec-
tionner ses qualités d’artisan, s’adonnant à sa passion
pour les mécanismes de précision, en particulier
d’horlogerie. Il devient une référence dans sa région,
et sa réputation l’amène même à visiter des maîtres
artisans à Genève, Paris ou dans les Provinces-Unies, où
il rencontre et conseille pendant quelques mois le jeune
Christian Huygens. C’est à l’occasion d’une visite à Paris
qu’il attire l’attention des Lames du Cardinal. Son
profil d’artisan doué, allié à son passé militaire et
un sens aigu de l’honneur et de la patrie, ne manque

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Louis-Nicolas de Gully d’après Léo Schmitt-Gully
pas d’intéresser le cardinal Mazarin. Louis-Nicolas
repousse toutefois son offre, convaincu que son devoir
se trouve près du front, en Alsace. Mais en revenant sur
les terres familiales, Louis-Nicolas réalise que la guerre
n’a pas épargné son domaine, quelques semaines
avant le traité de Münster qui met fin officiellement
à la guerre de Trente ans. Il trouve le château incendié
et sa famille décimée par une troupe de maraudeurs
dracs missionnée par les Lorrains. Après avoir enterré
ses morts, Louis-Nicolas décide de rejoindre Paris et
Et si l’Arcane…
de renouer le contact avec la troupe d’élite assemblée
par le cardinal Mazarin. Véritable meneur, il y impose
son charisme naturel. Il aménage progressivement Louis-Nicolas impute la tragédie de la perte de sa
un atelier de pointe, qu’il met à profit pour innover famille au manque d’engagement politique et militaire
dans les domaines de l’horlogerie, mais aussi, plus par du cardinal Mazarin. Celui-ci, qui se targue d’être
nécessité que par goût, dans l’armement. cardinal sans même être homme d’Église, montre
de l’indifférence, voire du mépris pour les terres d’Alsace
qu’il ne voit que comme un tampon entre la France et
le Saint Empire. Fidèle au roi, Louis-Nicolas
en vient toutefois à considérer avec sympathie la cause
de la Fronde, non pour renverser le trône, mais pour
débarrasser la France de l’Espagnole et de son
Mazarin. Il devient dès lors un relais efficace
de la famille de Bourbon-Condé en Alsace, où
il s’installe dans les ruines de son château, sentinelle
lugubre d’un passé tragique.

249
Archibald Nogaret
Archibald Nogaret naît des amours savamment calculées
d’un dragon Dernier-Né affilié aux mystérieux Gardiens,
le chevalier d’Eauprofonde, et d’une humaine, Linette
Nogaret, choisie pour sa docilité et son physique
robuste. La jeune femme ne survit que le temps que
l’enfant arrive à maturité. Eauprofonde choisit le nom
d’Archibald pour son fils. Ce prénom, vu plus tard
comme un trait d’esprit de mauvais goût de la part du
futur Architecte des Mondes, sera une croix à porter
pour le sang-mêlé, mais dont il refusera toujours
de se départir.
Archibald est très tôt un projet plus qu’un fils pour
Eauprofonde. Il préside à la formation du jeune garçon,
en particulier à l’art de l’escrime qu’il apprend directe-
ment de François Dancie. Les tentatives pour donner
à Archibald une éducation de lettré et d’occultiste
se soldent en revanche par un échec cuisant. Impatient,
volontiers querelleur, le sang-mêlé peine à se concentrer
en dehors de ses entraînements d’escrime. Quelque peu
déçu par sa progéniture, Eauprofonde n’abandonne
toutefois pas ses ambitions pour lui. Grâce à l’influence
des Gardiens, il parvient à faire intégrer Archibald dans
le corps des Gardes du Cardinal. Là, tout en faisant
merveille à maintes occasions pour protéger le cardinal
de Richelieu, Archibald procure des informations à son
père, sans se douter que celui-ci joue en réalité un double
jeu. Quand Eauprofonde trahit les Gardiens pour
reformer la loge des Arcanes, l’existence d’Archibald
© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Archibald Nogard d’après Gérôme Gaudel

tourne au cauchemar. Il tente de retrouver la trace


de son père, n’hésitant pas à s’enfoncer épée en main
dans l’île des Écailles, mais son géniteur a disparu,
sans même lui laisser un mot. Comprenant qu’il n’a
été qu’un pion sur l’échiquier des Arcanes, Archibald
se lance dans une traque insensée pour retrouver les neuf,
Et si l’Arcane… des personnages hauts placés dans les cours d’Europe, où
ils servent Eauprofonde et les dragons. Sans succès pour
l’instant. Depuis la trahison de son père, les Gardiens
Le choc de la trahison d’Eauprofonde et son départ
gardent un contact prudent avec Archibald, plus pour
soudain restent une cicatrice pour Archibald. Il sup- surveiller le bouillant sang-mêlé que dans l’espoir
porte les regards suspicieux, les mises à l’écart, les réflexions de voir l’Architecte pris d’un subit retour de sentiment
désagréables sans ciller. Enfin, jusqu’à un certain paternel. Les Gardiens font en sorte qu’Archibald soit
point, car son caractère bouillant ressurgit souvent, et éloigné du service direct du cardinal, et la carrière
il fait la fortune des barbiers-chirurgiens. La haine du sang-mêlé reste au point mort jusqu’à ce que
évidente qu’il voue à son père le rend précieux aux le Capitaine d’Artagnan entre en contact avec lui pour
yeux des Gardiens et des Lames, car Archibald intégrer les Lames du Cardinal. Archibald accepte, sans
est l’un des seuls liens connus avec l’Architecte trop savoir si ce recrutement est un piège tendu à son
des Mondes. Surveillé, Archibald reste identifié père, un moyen de le surveiller ou la reconnaissance
comme une arme face aux Arcanes. Mais cette de ses mérites.
arme est à double tranchant. Le sang-mêlé, en effet,
n’a fait qu’obéir aux volontés de son père, qui a prévu
la moindre de ses réactions. Son fils est certes plein
de rancune, mais il reste son enfant. Et l’Architecte
sait qu’indubitablement, le vœu le plus cher d’un enfant
est de rendre fier son père.
250
Amélia Gallot
Amélia Gallot est née à Florence en 1626, fille unique
du peintre et sculpteur reconnu Giambattista Rezzani
et d’une mère française originaire d’Auvergne. Dans sa
prime jeunesse, Amélia suit un enseignement artistique
de grande qualité, auprès d’artistes italiens, mais aussi
français, tels que Simon Vouet. En 1643, elle se rend
à Rome avec son père, qu’elle assiste lors de travaux
pour le Saint-Siège. Elle est approchée par une Lame
du Cardinal, car Mazarin craint à raison que la Griffe
noire manigance pour mettre la main sur la papau-
té. Une relation intime se noue entre l’espion de Mazarin
et Amélia, qui devient les yeux et les oreilles des Lames
au Vatican. Durant cette période, elle fait la connais-
sance de l’espionne connue sous le nom de l’Italienne,
Alessandra Di Santi. Cette dernière la perce à jour, mais
garde le silence. À la mort d’Urbain VII, Amélia laisse
imprudemment entendre que les dragons manipulent
le pape en place. Les représailles de la Griffe noire sont
sanglantes : son père, que les dragons pensent à l’origine
de la rumeur, est assassiné par des condottieri, tout
comme son amant en essayant de le défendre. Amélia
est contrainte de prendre la fuite à la hâte, n’emportant
avec elle que l’épée de son amant abattu. Elle quitte
Rome avec sa mère et se réfugie au cœur de l’Auvergne,
chez des cousins. Là, elle se cache quelques années et
change de nom. Elle choisit Gallot, surnom que l’on
donnait à Rome à son père en raison de son mariage avec
une Française. Amélia apprend l’escrime auprès de son

© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Johann Blais - Amélia Gallot d’après Manon Coquerelle
cousin germain, maître d’armes à Clermont, Roland
Sauvade. Elle décide ensuite de se rendre à Paris pour
informer Mazarin des circonstances de la mort de son
agent, et pour offrir ses services pour expier ce qu’elle
estime être sa faute. Mazarin refuse de prime abord,
mais le comte de Rochefort la surveille discrètement,
jusqu’à découvrir les ressources intellectuelles et sociales Et si l’Arcane…
dont la jeune femme est dotée. Il l’intègre finalement
aux Lames du Cardinal, qui gagnent là une espionne
Amélia, refusée par Mazarin, rumine sa ran-
de premier plan, bretteuse émérite, capable de croquer
parfaitement un visage en deux coups de fusain. Amélia
cune. Hantée par la mort de son amant, dont elle
profite depuis de son statut d’artiste pour visiter les cours s’estime responsable, elle se réfugie dans l’art et se rap-
d’Europe et tisser un réseau qui rend de nombreux proche d’artistes parisiens. Au cours d’un déjeuner chez
services à Mazarin. le peintre Simon Vouet, elle retrouve Alessandra
Di Santi, l’Italienne. Celle-ci connaît ses infor-
tunes et entrevoit la possibilité d’utiliser les capacités
que Mazarin a ignorées. L’Italienne, que l’âge
commence à rattraper, prend Amélia sous son aile et
en fait sa disciple. La jeune Amélia, que l’on sur-
nomme parfois… « l’Italienne », devient une espionne
de tout premier plan, qui intègre les milieux artistiques,
le salon de Rambouillet, et collecte des informations
sensibles qu’Alessandra vend au plus offrant. Amélia
n’impose qu’une règle : le prix pour le Mazarin et sa
troupe doit être systématiquement surévalué.

251
Index
Afrique 111, 128, 130, 233 Châteauneuf (Marquis de) 67, Eauprofonde (Chevalier d’, voir
Almadès 8, 57, 103, 214, 215 166, 194, 223 aussi Architecte des Mondes) 46, 47, 51,
Ambitieux (L’) 42, 44, 57 Châtelaines 13, 19, 29, 30, 40, 44, 52, 57, 250
Amériques 11, 16, 29, 38, 81, 90, 92, 46-49, 52, 53, 60, 61, 62, 71, 72, 73, Écailles (Les) 26, 27, 55, 57, 79, 81, 86,
102, 111, 129, 159, 208 85, 91, 117, 135, 139, 177, 178, 184, 165, 182, 183, 202, 203, 206, 216, 223,
Ancestral (Dragon) 10, 11, 13, 14, 16, 194, 196, 198, 212, 220, 224 224, 225, 233, 236, 246, 250
17, 18, 20, 22, 29-34, 38, 39, 53, 62, Châtelet 86, 162, 164, 165, 168, 169, El Viento 42, 58, 60
65, 73, 76, 84, 85, 86, 88, 91, 196, 212 186, 207, 214 Enluminueur aveugle (L’) 51,
Ancien (L’) 34, 40, 42 Chevalier au Dragon (Le) 47, 48, 58, 86, 87
Anne d’Autriche 46, 49, 65, 67, 119, 50-56, 57, 59- 63 Ferdinand III du Saint Empire 102,
134, 135, 136, 138, 139, 147, 157, Chevreuse (Duchesse de) 65, 67, 121, 122, 217, 219
165, 169, 180, 192, 194, 196, 217, 73, 79, 81, 115, 166, 175, 199, 226, Fontrailles (Louis Astarac de) 64,
220, 221, 223, 229, 232, 242 228, 232, 244 65, 67, 72, 77, 79, 81, 222, 223,
Antilles 111, 129, 147, 221 Chine 130, 131, 217 225, 227, 236
Aramis 67, 199 Christine de Suède 101, 126, Fouquet (Nicolas) 70
Arcanes (Loge des) 13, 29, 32, 38, 40, 127, 217, 227 Gabriel de Tolède (Don) 69, 79, 81,
41, 42, 43, 46, 47-63, 93, 110, 111, Coeffier de Ruzé d’Effiat (Henri) 64, 65 82, 228, 229
113, 137, 210, 219, 225, 226, 237, Coeffier de Ruzé d’Effiat (Jean) 72 Gaget (Urbain) 70, 137, 173, 201, 223
244, 250, Coësre (Grand) 94, 181, 182 Gagnière (Marquis de) 41, 137
Archéen (Dragon) 8, 10, 11, 12, 13, Colbert 51, 52, 237 Gardiens (Les Sept) 14, 29, 38, 42, 46,
14-17, 27, 29, 30, 32, 34, 38, 42, 46, Concini 8, 52, 114 49, 51, 52, 57, 92, 121, 127, 177, 211,
53, 84, 88, 103, 165, 177, 192, 196, Condé (le Grand) 66, 67, 77, 78, 79, 215, 223, 225, 250
203, 212, 246 81, 82, 101, 102, 106, 107, 122, 125, Gaston de France 64, 65, 79, 134, 194,
Architecte des Mondes (L') (voir 135, 136, 137, 138, 169, 188, 219-222, 216, 218, 221, 222, 228, 232
Eauprofonde) 224-229, 232, 233, 236, 237, 247 Gentilhomme au Corbeau (Le) 31,
Artagnan (D’) 123, 138, 141, Conseiller sans nom (Le) 42, 49, 40, 47, 50, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 61,
199, 243, 250 58, 60, 61 63, 86, 87
Asie 111, 127, 129, 130, 131 Conti (Prince de) 137, 138, 225, Glaive ardent (Le) 43, 47, 61, 63, 93
Astrologue en Prière (L’) 21, 24, 47, 227, 232, 237 Gondi 77, 137, 216, 217, 218, 223-
50, 53, 54, 56, 59, 60, 62, 63 Courtisane amoureuse (La) 32, 37, 228, 232, 233, 236
Athos 67, 199 55, 62, 86, 87 Griffe noire 8, 10, 11, 12, 24, 29, 38,
Aura draconique 16, 32 Cramoisy (Sébastien) 41 ,93 40, 42, 43, 44, 46, 47, 49, 50-58, 60,
Ballardieu 8, 212, 215 Cromwell (Oliver) 122, 123, 216, 221, 62, 63, 64, 72, 79, 88, 89, 91, 92, 93,
Bastille 162, 165, 188, 224, 224, 227, 229, 236, 237, 242 104-108, 111-114, 120, 121, 124, 126,
233, 246, 255 Delattre 206 127, 137, 159, 170, 177, 190, 194, 198,
Beaufort (Duc de) 67, 136, 142, Delorme (Marion) 64, 67, 76, 77, 78, 207, 210, 216, 218, 219, 221, 222,
184,199, 220, 225, 226, 227, 228 (voir 79, 169, 222, 223, 224, 226 227, 228, 237, 244, 245, 246, 248, 251
aussi Vendôme) Dernier-Né (Dragon) 11, 16, 17, 29, Guerrier (Le) 41, 44
Bergh (Eléonore de) 65 34, 38-42, 44, 46, 51, 58, 85, 95, 250 Guerrier immortel (Le) 52, 55, 58,
Blafard (Le) 24, 219 Descartes (René) 110, 127 59, 63, 87
Bordeaux 69, 81, 82, 138, 141, 227, Di Santi (Alessandra) 86, 115, 126, Guise (Henri de) 67, 118, 220
228, 229, 232, 236, 237, 247 251 (voir aussi L’Italienne) Hérésiarque couronné (L’) 13, 14, 41,
Bourgogne (Hôtel de) 170, 174 Drac gris 21 42, 46, 48, 53-58, 63, 86, 87
Brésil 103, 107, 111, 129, 130, Drac noir 21, 24, 25, 41, 44, 79, 82, Hydre 30, 31, 34, 36
221, 224,227 103, 210, 219, 222, 223, 224, 237, 246 Illuminé (L’) 40, 62
Bretonvilliers 182, 183, 223, 255 Drac rouge 21, 31, 79, 224, 246 Innocent X 47, 57, 62, 68,
Broussel (Pierre) 77, 79, 223, 225, 226 Draconite 11-14, 18, 30, 62, 88, 89, 113, 219, 233
Cazadores (Los) 43, 44, 73, 224, 248 91, 93, 94, 103, 116, 117, 178, 184,198 Intrigante (L’) 32, 42, 44, 46, 53, 54,
Charles Ier Stuart, roi d’Angleterre 106, Dragonnet 8, 10, 14, 15, 18, 30, 34, 55, 57, 60, 61, 81
118, 122, 123, 216-220, 224, 229 40, 58, 76, 94, 122, 144, 145, 147, 149, Irskehns 22, 24, 27, 41, 44, 63, 103,
Charles II Stuart 123, 216, 229 154, 164, 170, 173, 181, 190, 209, 244 216, 222, 247
Charles IV de Lorraine 115, Dubuis (Jean) 65, 66, 67, 68, 69, 70, Italienne (L’) 42, 49, 82, 122, 126,
116, 119, 218 72, 77, 78, 79 177, 236, 251
Duquin (Hector) 170 Japon 111, 131, 218, 219, 227, 229

252
Joramund 119, 125, 126, 127 Olivarès 64, 65, 100, 104, 105, Sang-mêlé 28, 34, 37, 43, 81, 141
Jusquiame dorée 11, 12, 16, 17, 22, 106, 107, 108 Sangre oscura 37, 43, 60, 61
36, 37, 38, 41, 55, 56, 72, 75, 76, 85, Ondedei (Zongo) 218 Sans-Reflet 44, 81
86, 88, 90, 92, 111, 129, 131, 206, Orateur (L’) 40, 43, 46, 51, 55, 57, 81 Sassh’Krecht 14, 31, 42
208, 220, 221, 227, 233 Orvand (Vicomte d’) 213, 245 Saaskir 20, 21, 22, 24, 26, 27, 41, 46,
Kr’esj-o-S’ark 79, 81 Ottoman (Empire) 113, 121, 51, 52, 73, 85, 95
L’Enclos (Ninon de) 67, 69, 70, 71, 128, 221, 229 Savelda 42, 57
75, 76, 77, 78, 79, 222, 224, 225, 226, Oxenstierna 119, 125, 126, 127, 217 Séguier 135, 181, 186
228, 229, 232, 233, 236 Palais-Cardinal 8, 135, 136, 162, 164, Seigneurs et Maîtres 44
La Fargue (Louis-Etienne) 8, 14, 46, 166, 174, 185, 192, 193, 245, 248 Sens (Hôtel des Archevêques de)
49, 50, 92, 164, 180, 204, 208, 210, Papauté 46, 47, 49, 51-56, 61, 62, 67, 202-206, 222
211, 213, 214, 215, 221, 248 73, 114, 233, 251 Sorcière 41, 42, 43
Laincourt (Arnaud de) 8, 103, 105, Particelli d’Emery 136, 137, Sovange (Madame de) 174, 175
118, 138, 148, 203, 208, 209, 210-214 216, 219, 222 Sphère d’Âme 12, 13, 14, 34, 52,
Lask’sesch 46, 51, 52 Pèlerin immobile (Le) 43, 47, 50, 51, 88, 139, 198
Leprat (Antoine) 8, 118, 210 54, 56, 59, 61, 63, 86, 87 Suzerain (Dragon) 16, 17, 29, 34, 37,
Leviathan 30, 34 Philippe IV 39, 40, 64, 67, 100, 104, 38, 39, 40, 42, 43, 47, 54, 55, 57, 58,
Loge des Arcanes (voir Arcanes) 105-108, 169, 233 60, 61, 110, 128
Longueville 66, 67, 78, 137, 225- Porthos 199 Syle 14, 15, 20, 73, 76, 233
228, 232, 237 Poussiéreux (Les) 44 Tarasque 20
Louis XIV 46, 50, 121, 134, 135, Première loge 34, 39, 40-43, 46, 49, Temple (L’enclos du) 78, 162, 164, 165,
137, 138, 139, 145, 146, 159, 165, 55, 57, 58, 60, 93, 221, 224 172, 178, 179, 183, 194, 196, 198, 212
171, 176, 180, 188, 192, 194, 202, Princes (Loge des) 43 Teyssier (Pierre) 17, 27, 31, 33, 85, 89,
220, 222, 226, 229, 237 Rambouillet 166, 175, 192, 242, 251 172, 173, 227, 246
Louves (de Saint-Georges) 8, 19, 42-45, Ranse 28, 30, 32, 36, 41, 44, 65, 67, Thou (Auguste de) 64, 65
85, 194, 196, 198, 212, 248 68, 69, 73, 75, 79, 85, 88, 93, 95, 114, Tour d’Auvergne (Frédéric-Maurice
Louvre 104, 106, 121, 135, 137, 140, 115, 116, 119, 129, 131, 140, 155, de la) 64, 113
162, 166, 169, 175, 187, 190, 191, 156, 172, 173, 180, 186, 210, 216, Tréville (Monsieur de) 185,
192, 194, 200, 202, 203, 207, 254 218, 219, 233 199, 200, 243
Maidalchini (Olimpia) 62, 68, 113, Rantzau (Joseph) 70, 71, 72, 75, 81 Turenne 81, 101, 113, 137, 138, 217,
219, 224, 232, 233 Richelieu 8, 18, 26-28, 38, 64-67, 79, 219, 220, 225, 227, 228, 233, 236
Magicienne sous le Voile (La) 40, 41, 100, 101, 105, 107, 112, 113, 115, Urbain VIII 46, 47, 62, 112,
47, 50, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 61, 63, 117, 118, 120, 121, 129, 134, 135, 113, 125, 219
72, 81, 87, 183 137, 138, 140, 141, 142, 152, 156, Val-de-Grâce 180
Maître d’armes aux flambeaux (Le) 164, 172, 175, 178, 180, 183, 185, Valentin (Basile) 69, 73, 75, 76, 82, 236
42, 47, 50, 53, 54-61, 63, 87 186, 192, 194, 196, 199-203, 211, 217, Valombre (Chevalier de) 14, 29, 86
Marchand (Le) 67, 72, 82, 111, 221 232, 243, 246, 248, 250 Vaudreuil (Agnès de) 8, 29, 46, 120,
Marcheurs (Les) 43 Rochefort 141, 206, 213, 242, 154, 177, 196, 198, 212, 215, 248
Marciac (Nicolas) 8, 210, 213, 215 246, 247, 251 Vaussambre (Thérèse de) 28, 44, 78,
Marcillac (Prince de) 225, 227, 228 Reynault d’Ombreuse 198 178, 194, 196, 212, 224
Masque de fer (Le) 46, 47, 48, 49, 50, Saaskir 20, 21, 22, 24, 26, 27, 31, 41, Vendôme (François de) 67, 77, 78, 79,
52-56, 58, 60, 63, 141 46, 51, 52, 73, 85, 86, 95 136, 137, 142, 226-229, 232, 237
Malicorne 14, 42, 210 Saint-Esprit (Ordre du) 222, Vesone 69, 81, 82, 237
Mazarin 8, 47, 51, 62, 64, 66, 67, 68, 184, 202, 203 Vestale de Pierre (La) 47, 50, 52, 56,
69, 70, 71, 73, 75, 78, 79, 81, 92, 100, Saint-Georges (Gardes de) 59, 59, 61, 62, 63, 68, 87
101, 107, 113, 114, 116, 121, 134, 194, 198, 228 Vincennes 11, 67, 184, 220,
135, 136, 137, 138, 152, 156, 172, Saint-Georges (Sœurs de) (voir aussi 227, 228, 236
173, 180, 185, 192, 199, 202, 203, Louves) 13, 43, 49, 52, 53, 54, 78, Voleur sans Mémoire (Le) 37, 41, 48,
207, 216-237 91, 139, 154, 178, 183, 194, 196, 87, 93, 107, 110, 111, 127, 129, 130,
Molière 71, 174, 218, 245 198, 212, 224 131, 227, 232, 237, 244
Molin (Francesco) 113, 114 Saint-Germain 81, 135, 137, 139, Vyverne 14, 19, 32, 44, 54, 59, 68, 69,
Mornay (Louis de) 78, 236 162, 176, 183, 194, 200, 224, 225, 70, 75, 82, 94, 125, 137, 154, 173, 218
Naos 40, 51, 61, 63, 71, 102, 107, 226, 227, 237 Vyverneries Dubuis 66, 67, 68, 69, 70,
125-128, 216, 221, 227, 237 Saint-Loup (Abbaye de) 42, 72, 73, 75, 77, 79, 81, 82, 173, 201,
Naples 102, 103, 107, 111, 219, 220 194, 196, 212 222, 223, 225, 229
Nicole de Lorraine 118 Saint-Lucq 8, 27, 65, 67, 71, 81, Wallenstein 100, 101, 126
Notre-Dame de Paris 176, 177, 82, 92, 180, 203, 206, 208, 211,
210, 216, 226, 229, 244

253
Page, Œuvre,Auteur, Provenance
8, Cardinal de Richelieu, Robert Nanteuil, courtesy Art Institute of Chicago
10, Saint George and the Dragon, Bernat Martorell, courtesy Art Institute of Chicago
31, Hercules and the Lernaean Hydra, Gustave Moreau, courtesy Art Institute of Chicago
41, Harmonie Universelle, Library of Congress
52, Jean-Baptiste Colbert, Philippe de Champaigne, courtesy Metropolitan Museum of Art
56, Portrait d'une jeune femme, école anglaise, court. Musée Cognac-Jay
59, Portrait of an Officer, Wybrand de Geest, courtesy Rijkmuseum, Amsterdam
64, Exécution de Cinq-Mars et de de Thou, inconnu, court. Musée Carnavalet
66, The Alchemist, Cornelis Bega, courtesy National Gallery of Art, Washington
67, Portrait de François de Vendôme, Robert Nanteuil, courtesy Philadelphia Museum
70, Soldiers in a Guardroom, Anthonie Palamedesz, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
71, Scène de pillage, Jacques Callot, courtesy National Gallery of Art, Washington
77, Portrait de femme, att. à Voet Jacob Ferdinand, Petit Palais, court. Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
78, Portrait présumé de Ninon de Lenclos, école française, court. Musée Cognac-Jay
79, Steenwyck, Anton Van Dyck, Petit Palais, court. Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
84, A Witches' Sabbath, Cornelis Saftleven, courtesy Art Institute of Chicago
93, Vanitas still life, Edwaert Collier, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
96, Ratification du traité de Munster, Gerard Ter Borch, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
102, Battle of the Combined Venetian and Dutch Fleets against the Turks in the Bay of Foya, 1649, Abraham Beerstraten,
courtesy Rijkmuseum Amsterdam
104, Philippe IV, King of Spain, Paul Pontius, courtesy Art Institute of Chicago
106, Don Gaspar de Guzman, Juan Bautista del Mazo, courtesy Metropolitan Museum of Art
109, Dutch Ships in a lively Breeze, inconnu, courtesy National Gallery of Art, Washington
110, Portrait of Willem II, Gerard van Honthorst, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
113, The Grand Canal,Venice, looking south toward the Rialto Bridge, Canaletto, courtesy Metropolitan Museum of Art
113, Pape Innocent X, d'après Velazquez, courtesy National Gallery of Art, Washington
117, Siège de la Mothe, en Lorraine, Abraham Bosse, courtesy Metropolitan Museum of Art
118, Vue de Nancy, Jacques Callot, courtesy National Gallery of Art, Washington
119, Portrait de Ferdinand III, Shutterstock
120, Portrait d'Oliver Cromwell, Shutterstock
120, London viewed from the Thames River, Wenceslaus Hollar, courtesy Art Institute of Chicago
126, Christine, reine de Suède, Robert Nanteuil, court. Musée Carnavalet
127, Portrait of Axel Oxenstierna, Jeremias Falck, courtesy Philadelphia Museum
128, L'Afrique, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
129, L'Amérique, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
130, Landscape in Brazil with Sugar Plantation, Jansz Post, SMK Museum, Copenhague
131, L'Asie, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
131, Southern Barbarians, inconnu, courtesy Art Institute of Chicago
135, Portrait de Louis XIII, Philippe de Champaigne, court. Musée Carnavalet
136, Le cardinal Jules Mazarin, portrait enchassé dans le manteau de la cheminée des boiseries, jadis dans l'hôtel
Colbert-de-Villacerf, situé 23 rue de Turenne, actuel 4ème arrondissement, Pierre Mignard, court. Musée Carnavalet
137, Portrait d'Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, inconnu, court. Musée Carnavalet
138, Portrait de Louis II de Bourbon-Condé, Robert Nanteuil, courtesy Philadelphia Museum
142, Famille de Paysans, Louis Le Nain, courtesy National Gallery of Art, Washington
144, Les cris de Paris : le marchand d'huîtres, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
144, Un laquais range des habits dans une malle, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
145, Le courtisan suivant le dernier édit, Abraham Bosse, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
146, Dame semblant chanter, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
148, Hôtel d'Angoulême au coin des rues Pavée et Grenier Sainte-Catherine, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
152, Recrutement des troupes, Jacques Callot, courtesy National Gallery of Art, Washington
153, Cavalry Attack at Sunset, Jan Asselijn, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
153, Taking the Firing Position with the Musket, plate eight from The Military Exercises, Jacques Callot, courtesy Art Institute
of Chicago
155, The Doctor, Gerard Dou, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
156, Les Caprices, Le Duel à l'épée et au poignard, Jacques Callot, Petit Palais, court. Musée des Beaux-Arts
de la ville de Paris
158, Pièces d'époque, court. Musée Carnavalet
162, Profil de la ville de Paris, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
163, Septième plan de la ville de Paris, M. Merian, court. Musée Carnavalet
164, La Grande Galerie du Louvre, avec la porte Neuve, le Pont-Neuf, la Cité, la tour de Nesle et le quai Malaquais, inconnu,
court. Musée Carnavalet

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164, Vue de la Porte Sainct Denis de la ville de Paris par le dehors, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
165, Vue et Perspective du Pont-Neuf et du pont au Change, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
168, Les cris de Paris : le porteur d'eau, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
169, Livre de diverses Veües, Perspectives et Paysages faicts sur le naturel, Jean Marot, court. Musée Carnavalet
170, Tour de l'hôtel de Bourgogne, anonyme, court. Musée Carnavalet
171, Portrait of a Man, Jan Mijtens, courtesy Art Institute of Chicago
174, Molière dans le rôle de Cesar, Nicolas Mignard, court. Musée Carnavalet
176, Vue de la place de Grève, et de l'Eglise nostre Dame, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
178, Veüe de la Maison et Jardin de Monr. le Grand Prieur du Temple, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
180, L'Infirmerie de l'hospital de la Charité de Paris, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
180, Le monastère royal du Val-de-Grâce, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
182, Le Joueur de vielle, Jacques Callot, Petit Palais, court. Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
183, Vue et Perspective de la Maison appartenant a Madame de Bretonvilliers du costé du Jardin dans l'isle Nostre Dame, Israel
Silvestre, court. Musée Carnavalet
184,Vue du Chasteau de Vincennes, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
186, Le Grand Chastelet de Paris, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
187, Représentation du palais royal en la citté, Jean Boisseau, court. Musée Carnavalet
188, Chasteau de la Bastille du costé de la rue Sainct Antoine, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
189, Plan de la bastille, Laurent Guyot, court. Musée Carnavalet
190, Les Galeries du Louvre, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
191, Le Palais Royal que le Cardinal de Richelieu fit bastir, Adam Perelle, court. Musée Carnavalet
198, Portrait of a Man with a Breastplate and Plumed Hat, école hollandaise, courtesy Metropolitan Museum of Art
200, Matchlock musket, courtesy Art Institute of Chicago
201, Hôtel de Sens, actuelle Bibiliothèque Forney, anonyme, court. Musée Carnavalet
202, Head of a Woman, Michael Sweerts, court. Musée Getty
202, Laughing Young Man, Rembrandt van Rijn (circle of), courtesy Rijkmuseum Amsterdam
202, Portrait of a Man, Niccolo Cassana, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
216, Charles II, Anton Van Dyck, Petit Palais, court. Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
217, Jean-François-Paul de Gondi, le cardinal de Retz, Robert Nanteuil, courtesy Metropolitan Museum of Art
218, Portrait of a Man, école française XVIIe, courtesy National Gallery of Art, Washington
220, Portrait d'Omer Talon, Philippe de Champaigne, courtesy National Gallery of Art, Washington
223, Portrait de Pierre Broussel, école française, court. Musée Carnavalet
224, Vue de l'entrée du vieux Chasteau de Saint Germain en Laye, Israel Silvestre, court. Musée Carnavalet
233, Portrait de Anne-Marie-Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, anonyme, court. Musée
Carnavalet
233, Portrait of a Noblewoman Dressed in Mourning, Jacopo Chimenti, courtesy Art Institute of Chicago
236, Nieuw Amsterdam, anonyme, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
238, Plan de la bataille de St. Antoine, donnée le 5 Juillet 1652, Antoine Coquart, court. Musée Carnavalet
240-241, cartes,
• Dame assise travaillant sur une tapisserie, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Peintre à son chevalet, Michel Lasne d'après Bosse, courtesy Metropolitan Museum of Art
• L'automne, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• The French Forces : Louis XIII and Gaston d'Orléans, Abraham Bosse, courtesy Metropolitan Museum of Art
• Le marchand de vinaigre, Abraham Bosse, courtesy Metropolitan Museum of Art
• The Gallery of the Palace of Justice, Abraham Bosse, courtesy Metropolitan Museum of Art
• Le courtisan suivant le dernier édit, Abraham Bosse, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
• Cérémonie observée au contrat de mariage passé à Fontainebleau, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Franse edelman op de rug gezien, gekleed volgens de mode van ca, Abraham Bosse, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
• Un hallebardier, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Le feu, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Loger les pélerins, Abraham Bosse, Petit Palais, court. Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
• L'acteur Jodelet, Jacob Ettling, court. Musée Carnavalet
• Le toucher, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Les gardes françaises, un capitaine, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• La terre, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Les métiers, le clystère, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• L'imprimerie, Abraham Bosse, courtesy Rijkmuseum Amsterdam
• Le marchand d'oublies, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Un laquais range des habits dans une malle, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• Un soldat en faction, Abraham Bosse, court. Musée Carnavalet
• La noblesse française à l'église, Abraham Bosse, courtesy Rijkmuseum Amsterdam

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© 2023 Elder Craft / Les Lames du Cardinal - Illustration par Loic Muzy et Josselin Grange

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