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Mémoires de La Société D'agriculture (... ) Société D'agriculture 1969
Mémoires de La Société D'agriculture (... ) Société D'agriculture 1969
d'agriculture, commerce,
sciences et arts du
département de la Marne
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du département
DE LA MARNE
Tome LXXXIV
ANNÉE 1969
CHALONS-SUR-MARNE
HOTEL DU VIDAMÉ
13, rue Pasteur
1969
MÉMOIRES
dela
SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, COMMERCE,
SCIENCES ET ARTS
DE LA MARNE
MÉMOIRES
dela
SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE,
du département
DE LA MARNE
(Ancienne Académie de Châlons, fondée
en 1750)
Tome LXXXIV
ANNÉE 1969
CHALONS-SUR-MARNE
HOTEL DU VIDAMÉ
13, rue Pasteur
1969
Au pays du Der
:
ses principaux affluents, en amont de Paris, entrepris depuis 1926, comporte
Clamecy) ;;
plusieurs réservoirs qui sont, de l'ouest à l'est, situés le long de l'Yonne
(quatre, tous déjà construits, 130 millions de m3, entre Château-Chinon et
de la Seine, entre Bar et Troyes, un, en construction de l'Aube,
un, en projet de la Marne, l'un Champaubert-aux-Bois,achevé, l'autre, dit
de la Marne, 350 millions de m3, en début de construction.
;
C'est sur la région occidentale de ce dernier, figurée ci-contre fig. 1,
dont les faibles reliefs limitant la dépression ou cuvette naturelle sont
complétés et renforcés par des digues-talus en terre (traits pleins qui en
soulignent l'altitude moyenne, 135-140 m), que les récoltes d'outillage
préhistorique présentées ici, essentiellement des silex et autres roches
siliceuses, taillées ou polies, ont été effectuées en surface. Les meilleures
trouvailles effectuées durant ce dernier demi-siècle, proviennent de l'en-
ceinte limitée par un tireté sur le croquis de la fig. 1 ; elles sont dues à
l'intérêt porté à la préhistoire par un agriculteur-propriétaire de la localité,
M. Augustave Moyse, maire de Chantecoq, qui bien voulu
a me les confier
pour étude, au cours d'une mission archéologique relevant de mes fonc-
tions de Directeur de la Circonscription préhistorique.
M. René Gandilhon, conservateur en chef, directeur des Services
d'Archives du département de la Marne, auteur notamment de l'étude
d'Une grotte néolithique à Bouy (Marne) (1), a bien voulu m'encourager
dans cette voie et envisager l'éventualité de publier cette brève étude dans
les Mémoires de la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts du
département de la Marne. Je l'en remercie.
et d'échanges commerciaux
de Paris surtout.
y
:
Plus de 25 habitats ont été
reconnus ainsi qu'une vingtaine de sépul-
tures, surtout répartis le long des rivières principales, voies de pénétration
Aisne, Marne, Yonne et Seine aux environs
de :
Aux alentours de la région étudiée ici, citons dans la plaine alluviale
d l'Aisne les habitats de Ciry-Salsogne, de Cys-Ia-Commune, de Soupir,
;
i
de Menneville, les inhumations
de Menneville, de Pont-Arcy et de Vailly-
sur-Aisne dans le département de la Marne : Ante, avec ses fonds de
cabanes, silos et caves (?), est interprété
d'Argonne, à 48 km
auN.de Chantecoq, au
de-bottier
nécropole qui
N.-N.-E. de Chantecoq;
comme un village de colonisation
en marge de la vague d'invasion du Rubané récent, à la lisière de la forêt
Vanault-le-Chatel, à 24 km
habitat probable qui a livré une herminette en forme-
;
serait à rapprocher de celle de Chantecoq (Pl. I, fig. 8) la
Enfin, fait d'importance majeure
marécageuse
ment
alluviale
du
N.-W. entre Arrigny et Vitry,
:
des Varennes, près Dormans.
au voisinage immédiat de la région
gault en question dans cette étude, et selon son prolonge-
sont échelonnés le long de la vallée
de la Marne, trois sites sépulcraux (respectivement sur les
communes de Moncetz-l'Abbaye, Cloyes-sur-Marne, Frignicourt).
A Moncetz, sis à 10 km
SIte
du
ballastière: sept
de Chantecoq, au S.-E. de Vitry-le-François et à 8 km au N.-W.
c'est une inhumation à même les alluvions d'une
fossile tertiaire, centaines de perles discoïdes en coquille de Cardium,
portant des d'ocre rouge, un anneau en os et quel-
ques silex taillés (A. Nicaise,traces
1886).
J-a^r^s Longnon, Les noms de lieu de la France (Paris, 1920-1929,in-8°),
•n ne„r viendrait du mot gaulois dervos, chêne.
A Cloyes-sur-Marne, voici plus de trois quarts de siècle, fut découverte
une inhumation en pleines alluvions marnaises, avec six centaines de
perles discoïdes en coquille de Pectunculus, fossile tertiaire et une lame
de silex (Coll. Morel au British Museum, décrite en 1893, Reims).
A Frignicourt enfin, sis à 2 km de Vitry-le-François, banlieue sud,
l'inhumation d'une femme, en position probablement accroupie, à 1,50 m
de profondeur dans une gravière marnaise, a fourni des ossements et un
mobilier couvert d'ocre rouge, comme à Moncetz et à Cloyes. On y a
compté 817 perles discoïdes en coquille de Cardium qui provenaient peut-
être du même bijoutier que celui des défuntes des inhumations citées
précédemment. Des perles analogues se trouvent dans les inhumations de
Vailly-sur-Aisne, Menneville, Vignely (6 km au S.-W. de Meaux). Des ateliers
étaient en effet spécialisés dans la confection de ces perles en tests de
coquilles fossiles, tel celui d'Armeau-Villevallier, près Villeneuve-sur-Yonne,
découvert avec ses perçoirs et un polissoir à rainure. Frignicourt contenait
encore six perles tubulaires, deux anneaux, l'un en schiste, l'autre en os et
;
trois autres en coquille, ainsi qu'un pendentif de collier biforé en coquille
et un Purpura lapillus perforé mais deux fléchettes à base concave, un
pic en corne de cerf à douille offrant un orifice d'emmanchement rectan-
-
gulaire, deux anneaux pendentifs en bronze et un poids en pâte de verre
sont d'âges plus récents. En 1901, L. Capitan a décrit cette trouvaille dont
les éléments sont conservés au Musée de Vitry. Gordon Childe (1929) puis
G. Bailloud (1964) ont daté Frignicourt du Rubané récent du Bassin pari-
sien.
Les squelettes des inhumations du Rubané du Bassin parisien seraient
de petite taille et plutôt dolicocéphales, donc à affinités danubiennes,
comme les Rubanés d'Europe centrale.
Ainsi, trois pièces de Chantecoq au moins (Pl. III, fig. 1 surtout, et
;
fig. 2 Pl. I, fig. 8) pourraient être référables au Rubané ancien et se place-
raient dans le contexte local évoqué à cet effet, ce qui ferait remonter à
30 ou 35 siècles avant notre ère la fondation agricole de Chantecoq et de
la région environnante du Der, à facies de clairières en cultures avec inhu-
mations à même le sol, où se révèle un goût marqué pour les parures.
A cette population de Rubanés récents émigrés des terres danubiennes
avec sa propre civilisation, très peu armée, donc pacifique, de structure
sociale simple, installée à proximité des points d'eau au hasard des cir-
constances, sans choix délibéré, succéda dans le Bassin parisien, vers
— 2800 (datation au C14 dans le Calvados), une vague d'envahisseurs mon-
tant des régions méditerranéennes (grotte de la Madeleine, Hérault), la
vallée du Rhône (Chassey) et, gagnant l'Ouest (Fort Harrouard) et le Nord
(Catenoy, le Campigny), tandis que le facies salinois (Piroutet, 1929) qui
serait en partie l'homologue du Cortaillod ancien se mêlait au Chasséen
-
de Chassey dans la région du confluent Yonne Cure.
Ces mouvements interférents se présentent comme un complexe
:
difficile à clarifier, encore en voie d'étude, dénommé Groupe Cortaillod
-
Chassey Lagozza par G. Bailloud (1955) — sigle C. C. L. — qui réserve le
-
nom de Chasséen parisien à l'association de la céramique chasséenne avec
l'outillage lithique campignien du Campigny.
Aucun site de cette époque, même Fagnières (4 km à l'ouest de Châ-
ons), n'ayant été jusqu'à jour admis
i Aisne et de la Marne, il ce
agriculture et à l'élevage semble
sans contexte dans les vallées de
que les Chasséens sédentaires voués à
dans ces vallées. n'aient pas choisi de s'implanter sérieusement
Les sites chasséens les plus proches de Chantecoq (un deux
camp,
grottes, deux ou trois habitats) sont localisés dans la région de confluence
des vallées de l'Yonne de la Cure, creusée
et ça et là de cavernes habitables.
Malgré l'incertitude de stratigraphie, perturbée au cours d'un demi-
a
lecle
.,vallée sa
de grattages inconsidérés, la petite grotte de Nermont, surplombant
de la Cure, demeure la plus valable par la richesse et la variété de
ses vestiges chasséens. Seul retenu le matériel lithique apparenté
en sera
la
aux récoltes de Chantecoq. Le matériau, jamais d'origine locale, est aussi
un silex blond ou gris dépouillé de
son cortex. Prédominance du débit en
gches, absence de microlithes, curieuse prépondérance des pointes de
ent surtout foliacées, à base droite ou courbe, ici plus élancées qu'à
Chantecoq, de haute qualité. Retouches bifaciales plates, très fines et
n'estdominantenvahissantes. Ce style très caractérisé, d'une rare beauté,
en France, comme le note G. Bailloud, que dans certains
sites de Franche-Comté
de Bourgogne, où il est daté par la poterie de
hassey. Aux fléchettes àetailerons
tucoup
nchantes triangulaires assymétriques sont associées des flèches
ou trapézoïdales, mais la facture de Chantecoq,
1 ormesplus fine, est mieux réussie. Les couteaux typiques de Nermont,
à tranchant convexe et susceptibles d'emmanchement, sont
Inconnus ici.
a les
b à
Notons que la plupart des pièces chasséennes de Chantecoq
: compa-
celles de Nermont ou de l'Islette (IV 2, 3, 6, 7, 8, 10, 11) montrent
des retouches plates
attester un polissage envahissant
quable. :
une surface résiduelle qui semble bien
préparatoire facilitant la taille c'est très remar-
Ue dizaine de pièces lithiques de Chantecoq présentent des affinités
av l'industrie chasséenne sensu lato :
avec
7),
1° avec le facies
: ;
salinois, grotte de Nermont, Yonne (I, 2 IV, 2, 5 et
2°
:
avec le chasséen style « Camp de Cora », Yonne (IV, 3),
3°avec ; ;
arrouard) le chasséen septentrional (I, 6 II, 1 IV, 8 et 11 de Fort-
,
4* avec le facies méridional originel C. C. L. de l'Islette, Hérault
(E Octobon,
t
1940) : (IV, 1, 6, 9).
Les affinités les plus remarquées concernent le facies salinois, qui
pabalement est le plus proche.
La découverte de la station chasséenne de Chantecoq
t est très impor-
Pour la connaissance des migrations des peuples ou tribus de cette
civilisation elle
comble une lacune géographique entre le facies salinois
et e facies :septentrional.
L'absence de poteries parmi les récoltes de Chantecoq est très regret-
table, car la datation des
céramique, est toujours récoltes de surface, hors stratigraphie et hors
aléatoire, mais pour les civilisations post-
chasséennes c'est plus fâcheux encore. La céramique, par les caractères
multiples de son évolution, porte la marque de son époque, elle permet de
suivre à la trace les migrations humaines, tandis que les techniques de la
révélatrices de l'époque ;
pierre taillée, étant moins différenciées, moins nuancées, sont moins
de plus, elles montrent des répétitions, des
itérations dans le temps, même dans des pays très éloignés, par-delà les
continents, ces répétitions peuvent même ne pas être des copies, mais de
véritables inventions. C'est là un piège pour les chercheurs.
D'autre part, l'explosion démographique du Néolithique — la plus
grande de tous les temps, dit-on, pour l'Europe — s'exprime par des
migrations complexes à l'échelle desquelles s'estompe et disparaît le
minuscule territoire du Der.
En conséquence, les datations des pièces référables aux civilisations
campigniennes multiples, à la civilisation Seine-Oise-Marne, au Chalco-
lithique et à d'autres, sont entachées d'incertitudes et exprimées sous de
grandes réserves.
:
Quelques objets de Chantecoq peuvent se rapporter au Campignien
:;
(III, 8, 9, 12, 13), au Post-Campignien (de l'Oise III, 10; de Claix, Cha-
rente ;
II, 1 ?, III, 5 et 6) le Chalcolithique est plus douteux (III, 2 ? et
IV, 4 ? IV, 10) encore que les définitions multiples de ces cultures demeu-
rent imprécises et controversées.
L'état défectueux des sept haches polies recueillies (I, 5, 8 et 12; II,
11; III, 9 et 2 morceaux non figurés) ne permet aucune datation certaine
d'ailleurs, en général, les haches polies des récoltes de surface méritent
;
peu de crédit.
La civilisation S.O.M., qui débute vers — 2400 et disparaît vers — 1700
ne semble pas avoir laissé de traces indiscutables, et les hypogées et
ossuaires sont bien éloignés. Notons cependant qu'aux confins occidentaux
du Der, à 14 km à l'ouest de Chantecoq, près de Lignon, fut, en 1856, décou-
Chiozé, orientée nord sud, sans revêtement ni couverture ;
verte accidentellement la sépulture en fosse (3 m X 2 m X 0,80 m) de
- elle ne fut
fouillée par Morel qu'en 1868. Sur le sol, cuit sur une épaisseur de 0,10 m,
:
reposaient les ossements brûlés et brisés de dix individus ainsi qu'un
pauvre mobilier huit haches polies dont une en silex et une en serpen-
tine, trois couteaux de silex conservés au British Museum (Morel, 1869).
C'est une espérance de découvertes ultérieures.
BIBLIOGRAPHIE
Planche 1
1
a, b. — Racloir-grattoir à retouches latérales parfois très fines. Plan de frappe
;
avec bulbe éclaté. Silex gris clair, légèrement opalescent, doré, avec taches
gris très clair à contours capricieux. Tendance à la translucidité pas de
cortex.
;
Il s'agit d'un reste de hache polie, vraisemblablement brisée acciden-
tellement la surface polie subsistante, très étroite, est indiquée en noir
sur la figure. Ce morceau inutilisable tel quel, a été transformé en grattoir-
racloir assez grossier.
Silex beige-grisâtre avec plages beiges plus claires et petites taches
circulaires blanches.
6. —
;
Silex taillé gris foncé, avec taches gris très clair, non translucides.
Face inférieure concave, à ondulations concentriques bulbe peu impor-
;
tant, et plan de frappe résiduel minuscule, en raison des chocs ou des
actions thermiques subis par cette pièce noter en effet la plaque de cortex,
épaisse de 1 mm à 1,5 mm, éclatée avec cupules thermiques ombiliquées,
au milieu de la face supérieure figurée.
Cet éclat a servi de scie à emmanchement latéral ou de couteau à tran-
chant rectiligne, visible vers le bas de la fig. 6 à droite. Il rappelle un peu
le couteau-scie de l'industrie lithique du Chasséen septentrional figuré par
G. Bailloud (1964, Gallia),p.84, fig.18, n° 12.
Planche II
1.
- Grattoir
brisé selon
son diamètre. :
discoïde ou disque-rabot en
A gauche ; :
silex gris très clair à plages blanches,
face supérieure à droite profil.
Evoquerait le Post-Campignien de Claix, Charente (Voir L. R. Nougier,
p.295,
5< fig.69, n° 6), ou encore les grattoirs du Campigny (Coll. Capitan)
recueillis
(1964, en fond de cabane (L. R. Nougier, p. 409) et qui, d'après Bailloud
p. 140), seraient référables au Chasséen septentrional. Notre spécimen
ne permet pas la décision.
2.
- Eclt de silex
gris assez clair, à tendance translucide,
trois facettes, bulbe plan
avec
éclaté, retouches remarquablement
de frappe à
fines, serrées
Surlebord opposé aunonplan de frappe.
A du servir de raclette.
3.—Silex
; ;
gris moyen clair à nombreuses taches inégales plus ou moins blan-
chatres. Longue
cassure à droite en bas, cassure par torsion à gauche,
face latérale à retouches
couteau ou de raclette.
abruptes bien marquées, à usage possible de
11
;
a, b,c. — Hache polie, très usagée, qui a été ultérieurement retaillée et rac-
courcie en servant de nucleus le silex, gris moyen, avec de très nombreuses
taches blanches opaques de contour très compliqué, était de fort mauvaise
qualité.
Noter que sur l'un des flancs du polissage (11 a) subsiste le plan poli
étroit qui supprime le tranchant latéral résultant du polissage des deux
faces.
Planche III
2 a, b. — 2 a : face supérieure
gauche, face supérieure.
; ;
2 b : vue de profil ;
à droite, face inférieure à
5 a, b. — 5 ;
a : vue d'en haut 5 b : profil.
Grattoir-robot très épais, circulaire, à face inférieure concave, en silex
gris moyen, avec cortex résiduel au sommet; retouches très abruptes, splen-
dides, rappelant celles présentées dans l'Aurignacien moyen (Cf. D. de
Sonneville-Bordes, 1967, p.93, fig.37, n° 3).
-
Grandes analogies d'ensemble, dans le contexte Post Campignien de
Claix, Charente, avec le disque-rabot (Cf. L. R. Nougier, p.295, fig.69, n° 6)
»
et surtout avec le « grattoir élevé, en patelle (L. R. Nougier, ibid., n° 11).
Pièce intéressante. Post-Campignien.
6.
— ;
Petit polyèdre de silex gris avec traînées claires région périphérique blan-
châtre du cortex conservée à l'angle inférieur gauche. Il porte de longs
enlèvements sur toutes ses faces et est probablement incomplet. Il rappel-
lerait le Post-Campignien de Claix (L. R. Nougier, p.297). Pierre de jet?
;;
cortex, évidemment cassé au cours de la taille. Outil mal venu
;
seul tranchet recueilli il indique le Campignien.
:
a, b, c. — Tranchet probable, biface, triangulaire, à biseau grossier pris sur le
c'est le
a : face inférieure b : profil c : face supérieure. Les retouches en
écailles du bord droit, en réalité plus caractéristiques sur l'original, sont
à noter.
Silex gris moyen, à taches blanchâtres, cortex épais, blanc.
11 a, b. — Burin d'angle produit sur bout de lame (= lame en bout) par tron-
cature oblique retouchée ensuite, d'où le complexe grattoir-burin.
Commun dans les fonds de cabanes ou outillage campignien du Vexin
et du Pays de Bray (M. L. Cauvin, 1960, fig.9, p. 505), mais cette technique
était déjà répandue au Paléolithique supérieur, notamment au Magdalénien
et a persisté dans le Néolithique (fonds de cabanes et sépultures par ex.
dans le Rubané récent du Bassin parisien (G. Bailloud, 1964, p. 23, fig. 4,
nos 13 à 18, considère ces grattoirs comme des éléments de faucille).
Silex gris clair, cortex dans la région gauche supérieure.
12
;
a, b. — Belle hache taillée (longueur cm) biface, épaisse, de section losan-
12
gique, à tranchant curviligne c'est la forme typique du Campignien clas-
sique, dont les meilleures pièces se trouvent notamment à Montières
(bassin de la Somme).
Silex beige opaque avec quelques taches grisâtres dont l'une enrobe
une sorte de galet siliceux couvert d'une patine blanche. Même particularité
sur le biface décrit et figuré de Morchène (Saint-Cyr près d'Orléans) par
l'abbé A. Nouel (1968).
13 a, b, c. — Pic-ciseau à pans abattus, caréné, biface, de section triangulaire, à
faces courbes, et dont le biseau d'utilisation, curviligne, est assez détérioré.
Sa morphologie évoque celle du beau pic de Montières-Acouvy (Nougier,
p. 107, fig. 16, Coll. Kelley), mais celui-ci, pic d'exploitation forestière ou
minière, a une longueur double (21 cm au lieu de 9 cm).
Le facies pétrographique de ce silex, à passées grésoïdes de couleur
mastic, avec lambeaux de cortex grossier, le tout teinté d'une pellicule
jaunâtre, est ici inhabituel.
14. — Silex à tendance translucide, jaune cire, avec cortex rugueux très déve-
loppé. Mal dégrossi, cet éclat massif est probablement un déchet de taille
:
d'un beau bloc de silex du Grand Pressigny. Il présente une protubérance
naturelle, intentionnellement dégarnie de son cortex et taillée en forme de
tarière puissante (épaisseur 1,5 cm), à extrémité déjetée, très usée. De
vrais perçoirs, en silex commun, de technique beaucoup plus fine, destinés
à assembler des peaux, sont assez fréquents dans les fonds de cabanes
-
campigniennes (Joyeux Repos, Boury-en-Vexin, Saint-Pierre-ès-Champs.
C'est encore un matériau d'importation.
Planche IV
1 a, b. — Pointe en silex gris, presque plate, losangique - ovoïde, biface à fines
retouches plates, couvrantes, excepté au milieu de la face inférieure (1b)
où subsiste l'empreinte du tenon de fabrication (Voir Octobon, 1940, p.82-
94, Chasséen, gisement de l'Islette, Hérault, C. C. L.).
3
;
a, b. — Pointe amygdaloïde, en silex beige, légèrement convexe (3 a) - concave
(3 b) sur les deux faces, retouches périphériques étalées, n'épargnant
qu'une faible surface luisante, au milieu. Peut-être est-ce un grattoir bila-
téral ?
Chasséen type « Camp de Cora », Saint-More, Yonne (Voir G. Bailloud,
1964, p.86, fig. 19, n° 8).
4.
- Grattoir en gris à larges taches blanchâtres sur lame uniface, courte,
silex
élargie, à pédoncule latéral peu individualisé. Retouches périphériques
abruptes, localisées sur les 2/3 de la longueur avoisinant l'extrémité
retouche médiane axiale foliacée. A été malencontreusement figuré en sens
:
?
inverse. Pointe de javelot Assez atypique, datation incertaine.
5.
— Pointe amygdaloïde, en silex beige clair, à retouches écailleuses couvrant
complètement les 2 faces, de convexités inégales. Facies du Chasséen de
l'Yonne.
7 a,b.—Pointe biface en triangle très allongé. Tous les enlèvements sont des
écailles minces et élargies rappelant, de même que la denticulation de part
et d'autre du sommet la technique solutréenne, comme il peut être constaté
par de nombreuses comparaisons avec le matériel de Solutréen français
bien étudié récemment, 1966, par Philip E. L. Smith, professeur à l'Univer-
sité de Toronto (Cf. p.216, fig.50, n° 7 un denticulé remarquable).
Noter la dissymétrie de la base, atténuée par un choc bien visible sur
7 a. Le bord gauche de la face inférieure 7 b est malheureusement détérioré.
Très belle pièce en silex gris ambré translucide sur les bords.
Analogies avec le Chasséen, style de l'Yonne, grotte de Nermont (Voir
in Bailloud, 1964, p.86, fig. 19, n° 4).
10 a, b. — Bout de lame en silex gris taché de beige, dont la face supérieure (10 a),
faiblement convexe, légèrement carénée, est soigneusement retouchée sur
le bord droit tandis que le bord opposé est, sur la face inférieure (10b),
retouché par larges écailles foliacées. Le tout imite la technique solutréenne,
mais la figuration est peu significative.
Racloir biface, rappelant celui de la cabane n° 2 à La Colombare
(Vérone) (M.L. Cauvin, 1963, p.287, fig.3, n° 1). Or, M. L. Cauvin, p.292,
date cette cabane n° 2 du Chalcolithique.
12. —
riques dissemblables:
Lame uniface, appointée, carénée, à encoche latérale e. Retouches périphé-
légèrement étalées du côté de l'encoche probable-
ment accidentelle, fines, serrées, abruptes sur l'autre bord. Possibilité
d'usages multiples : grattoir, racloir, perçoir. Silex blond lustré de bonne
qualité.
J. Brouillet del.
J. Brouillet dd-
J. Brouillet del.
J. Brouillet del.
Matériel lithique de la région de Chantecoq, Der.
CIMETIÈRES GAULOIS ET GALLO-ROMAINS
EN CHAMPAGNE
III -
Le cimetière de la Tempête
à Normée (Marne) (1)
par
A. BRISSON
membre titulaire
et
J.-J.HATT
membre associé
dl.Cette étude fait suite à deux articles déjà parus, sous les mêmes signatures,
dans la R. archéol. de l'Est, à Dijon :
I. Le cimetière de l'Homme-mort, à Ecury-le-Repos, dans R.A.E., t. VI,
fasc. 4, 1955, p. 313-333.
II. Le cimetière de la Fin d'Ecury, à Fère-Champenoise, dans R. A. E., t. XI,
fasc. 1, 1960, p. 7-23.
2. Voir R. archéol. de l'Est, t. XI, fasc. 1, 1960, 7.
p.
Nous avons également procédé au classement chronologique détaillé,
à l'inventaire et à la publication des céramiques et des objets recueillis,
actuellement conservés au Musée d'Epernay. Cette étude a été élaborée et
rédigée en collaboration par A. Brisson, J.-J. Hatt et P. Roualet, ce dernier
ayant bien voulu se charger d'exécuter la plupart des dessins, et de mettre
au net les illustrations et le texte définitif. Nous lui exprimons ici toute
notre reconnaissance, en regrettant qu'il n'ait pas voulu, par modestie,
signer avec nous.
La part faite aux interprétations et aux hypothèses a été réduite au
strict minimum, et nous nous sommes abstenus d'introduire des références
bibliographiques. Les éléments invoqués par J. Fromols doivent être, en
réalité, soigneusement révisés, et leur signification doit être passée au
crible d'une critique objective. Nous nous réservons de revenir sur certains
des problèmes posés dans une étude ultérieure.
*
* *
époques :
Les vestiges archéologiques découverts appartiennent à plusieurs
9,50
q
L'enclos I était de forme quadrangulaire son :
côté nord mesurait
m, son côté est 7,50 m, son côté sud 9 m et son côté ouest 8 m, lon-
",,/
une
gueurs prises au fond des fossés. Ces derniers, de section triangulaire,
r largeur de 0,50 m, et une profondeur égale (fig. 2). Ils étaient
remphs de terre végétale ordinaire.
N" Orientation Dimens. Mobilier
32 pieds vers S.-E. L 2,40 adulte, une fibule en fer sur la poitrine.
1 0,90
P 1,30
33 pieds vers S.-E. L 2,10 femme, au poignet gauche, bracelet en
1 0,70 bronze ouvert, au coude, second bracelet
P 0,60 orné de quatre motifs (pl. V).
34 pieds vers S.-E. L 2,10 adulte, sans mobilier.
1 0,80
P 0,40
35 pieds vers S.-E. L 2,00 adulte, sans mobilier.
1 0,80
P 0,60
36 pieds vers S.-E. L 1,90 adulte, au poignet gauche, un bracelet uni
1 0,80 en bronze (pl. V).
P 0,40
37 pieds vers S.-E. L 2,10 adulte, sans mobilier.
1 0,90
P 1,00
:
allaient en s'évasant vers le fond. Leur remplissage se présentait toujours
de la même façon, en forme de cône au centre une couche de terre noire
profonde recouverte par des alternances d'éboulis de craie et de terre
végétale.
:
L'enclos II, de forme quadrangulaire, était situé à cinq mètres à l'est
du premier. Ses dimensions sont côté nord 6,50 m, côté est 7,70 m, côté
sud 5,70 m, côté ouest 8 m, mesures prises au fond des fossés. Ces derniers,
remplis de terre végétale ordinaire, à section triangulaire, présentaient
une largeur et une profondeur de 0,50 m, mesures prises au niveau de la
craie (fig. 2).
Cet enclos ne contenait que trois sépultures à inhumation :
N° Orientation Dimens. Mobilier
38 pieds vers S.-E. L 1,90 adulte, une fibule en fer sur la poitrine.
10,70
P0,80
39 pieds vers S.-E. L 1,90 adulte, sans mobilier.
1 0,80
P 1,00
40 pieds vers N.-O. L 1,70 deux enfants juxtaposés, près de la tête
1 1,00 de l'un, tesson gallo-belge estampillé. près
P 0,50 de la tête de l'autre, une assiette en terre
noire gallo-romaine précoce (pl. VI).
Lestombes d'adultes paraissent dater de La Tène III, celle des enfants,
de la période gallo-romaine
précoce.
V. Enclos III
L'enclos III présentait
une
que trois côtés entièrement clos, particularité :
intéressante il ne comportait
OUvert vers l'est, le fossé
et
50 ;
:
sr des incinérations disposées à l'intérieur de l'enclos n°s 49, 51, 52
1° Le groupe
extérieur à l'enclos.
Lafosse 41, taillée sommairement, présentait
ProfonCUr comprise un fond inégal, à une
d'adult
d'adulte, entre 0,60 m et 0,80 m. Elle contenait un squelette
agit-il, icicouche sur le côté droit, les jambes repliées, sans mobilier.
encore, d'un sacrifice humain ?
L'incinération n° 83 (pl. X) contenait deux
tuables, une cruche vases ovoïdes reconsti-
à col droit, un fragment de rebord d'assiette moulurée
enterr nigra, une assiette
étaient contenus marquée gallo-belge. Les cendres et les tessons
Trois morceaux dans le grand vase C, lui-même recouvert par l'assiette B.
d'amphores ont été trouvés aux alentours (période Claude).
Latombe n° 84 comportait grand fond de
cinéraire et un vase, utilisé comme urne
de couverclerecouvert par un autre fond de vase de même type, servant
Latomben-85 (pl. X) contenait
et une boutteille intacte, un grand flacon en terre grise gréseuse,
-
Urnp (période Tibère Claude).couchée contre celui-ci, qui avait été utilisé comme
2° Les incinérations à l'intérieur des fossés.
Dans les fossés, et à l'intérieur de l'enclos, ont été trouvés des empla-
cements d'incinérations, signalés par des tessons d'amphores ou de pote-
ries, des os calcinés et des clous en fer. Mais leur faible profondeur les a
fréquemment exposées à être en partie détruites et dispersées. Nous
n'avons repéré et numéroté que les sépultures les plus importantes.
L'incinération n° 48 (pl. VI) située vers le milieu du fossé sud, conte-
nait, outre des fragments d'amphores, des os calcinés épars, un fond de
vase gallo-belge estampillé (époque Auguste-Tibère).
L'incinération n° 50 (pl. V), dans le fossé ouest, se signalait par des
fragments d'amphores, des os calcinés, les tessons d'un petit vase gallo-
belge, incomplet, jadis estampillé, imitant la forme sigillée Drag. 21 (époque
Tibère).
:
La sépulture n° 49 (pl. VI) contenait des os calcinés, des cendres, un
vase entièrement brisé, et une fibule en fer de La Tène III (époque fin de
La Tène III).
La tombe n° 51, à 45 cm de profondeur, contenait un grand vase en
terre noire lustrée, du type de La Tène III, décoré de bandes noires dépo-
lies et anciennement réparé (pl. VI). Ce vase contenait des cendres et des
:
ossements calcinés, une monnaie gauloise fruste. Une écuelle conique à
rebord rentrant, en terre grossière, servait de couvercle. A proximité a été
trouvée une anse d'amphore (époque fin de La Tène III).
L'incinération n° 52 comportait la partie inférieure d'une grande
cruche en terre blanche, ayant servi d'urne (pl. VII). Cette dernière conte-
nait des clous en fer et des ossements calcinés, mêlés à des cendres. Sur
les cendres, à l'intérieur de l'urne, trois assiettes gallo-belges rouges mou-
lurées, rigoureusement identiques, marquées OASSOS, ainsi qu'une autre
VI. Enclos IV
L'enclos IV était presque carré, et ses dimensions étaient les suivantes
côté sud 28 m, côté est 30 m, côté nord 29 m, côté ouest 29 m. Dans le côté
:
nord avait été aménagée une entrée large de 2,50 m. Les fossés sont, comme
ceux de l'enclos III, de section triangulaire et arrondis au fond, la profon-
deur variant entre 0,65 m et 0,85 m, la largeur étant en moyenne de 1,50 m,
pour atteindre 2,50 m au coin nord-est. Le remplissage des fossés est
:
analogue à celui des fossés de l'enclos III. Trois sortes de vestiges ont été
découverts
;
1° des tombes à incinération, dont la plupart ont été trouvées dans
1les fossés
18
grand bout de col, et des :
La tombe n° 92 contenait des fragments d'amphores (pl. XI),
avec un
morceaux de poteries fragment de pied de vase
d'Arezzo, rebord d'amphore augustéenne, rebord d'un flacon en
terre jaune pâle, fragment d'un
jj, vase caréné de tradition gauloise, bord
j nCOUVercle
en terre grise, un fragment de gobelet décoré de feuilles de
gèvres,un débris
augustéenne.
de rebord d'assiette gallo-belge augustéenne. Epoque
(jUn
da
La tombe n° 95 (pl. XI) contenait de nombreux
égsteenne, os calcinés, placés
grand col de cruche en terre blanche à deux anses, d'époque
égaTrent le col placé à l'envers sur la craie. Le mobilier comportait
un fragment de gobelet augustéen à paroi mince, décoré de
truIlles de fougères,
troncomque gallo-belgeun rebord de calice en terre grise gallo-belge, un vase
rouleté. Epoque augustéenne.
CONCLUSION
Lecimetière le plus ancien, dépourvu d'enclos, été installé à la fin
deLa Tène l, a
à proximité de l'emplacement jadis occupé par des fonds de
Dnes hlstattiens,
tière).,UIneurement,et non loin de puits - silos de la même époque (B, C,
é* a été aménagé l'enclos I, délimitant un petit cime-
àlanfi l'époque de La Tène II. A peu près à la même époque, ont été
tière
les deux individus ensevelis dans le puits A. L'enclos II appartient
la Période
àgallo-rornainede La Tène III, mais était encore en usage au début de l'époque
III (pnode augustéenne).
précoce. A la même époque appartiennent les enclos V et
6*
Plus ecent (Tibère Le plus grand enclos (IV) paraît nettement
néronierui -
Claude). Son utilisation semble s'arrêter à la période
Normée. — Mobilier des tombes 71, 74, 75, 76, 78, 79, 81 et 82.
Pl.X
INTRODUCTION
Le problème de la civilisation barbarisée des Lètes du Bas-Empire,
telle qu'elle apparaît dans les mobiliers funéraires de la Gaule du Nord-Est,
a Pris, au cours de ces dernières années, une importance particulière (1).
En fait, il s'agit des origines premières de la civilisation mérovingienne,
et du trait d'union entre la fin de la période romaine et le Haut-Moyen-
Age. C'est
ce qu'a clairement compris et exprimé J. Werner, dans un
article paru en 1950 sur l'apparition de la civilisation des tombes rangées
en files (Reihengräber) (2).
Plusieurs séries de textes historiques et juridiques, échelonnés de la
fin du nr
au milieu du Ve siècle, se rapportent aux installations de guerriers
germaniques en territoire gaulois (3). A comparer entre eux ces textes
successifs, dont les plus anciens remontent aux règnes de Maximien et de
Constance Chlore, les plus tardifs à l'année 465 de
notre ère, il semble bien
que la condition des Lètes ait évolué au cours du IVe siècle.
D'après le récit du Panégyrique de Constance Chlore (4), les barbares
Installés à la fin du
IIIe siècle étaient dispersés par petits groupes, dans
une condition voisine de celle des esclaves, et devaient répondre à tout
appel des autorités militaires. Au dire de l'auteur du panégyrique, leur
attitude semble avoir été toute de soumission et d'humilité.
Dès le règne de Constance II, après l'invasion de 352, la situation
semble avoir changé. Sans doute encouragés par l'arrivée en masse de
leurs congénères dans le Nord-Est de la Gaule, les barbares installés
al
a'
1.
g
Voir
beschlâge imH.belgischen
Roosens, Laeti, Federati, und andere spätrömische Bevôlkerungs-
eue Folge, Jahrgang 1967,
J- Werner,19Ï50,
erstenliâlfie des
JJannurbuu~ch.er,
Pauf.
Raum, dans Die Kunde, niedersiichsisches Landesverein,
p. 89-109.
Zur Erstehung der Reihengrâberzivilisation, dans Archaelogia
1958,
p.23-32. Voir également, du même, Kriegergriiber aus der
V. Jahrhunderts zwischen Schelde und Weser, dans Bonner
p.372-414.
PaulyCes
Wissowa,
textes se trouvent cités dans l'article Laeti, de la Real Encyclopâdie
XII, 1, XXIII, p.446447.
4. Panégyriques latins, édition Galletier, 1949, IV, VIII, IX.
relèvent la tête, et se livrent à des pillages et à des expéditions guerrières
à leur profit. C'est ainsi par exemple (Ammien, XVI, 11, 4) que, lors des
mouvements de troupes destinés à amener les deux armées romaines de
Julien et Barbation à cerner les Alamans dans la plaine d'Alsace, un fort
parti de Lètes barbares se faufile entre les lignes de Barbation, et pousse
vers la vallée du Rhône, parvenant presque à s'emparer de Lyon.
A la fin du iv* siècle (Cod. Theod., XIII, 11, 10, année 399), les Lètes
jouissent d'un statut spécial, et cultivent les terres d'Etat, avec l'autorisa-
tion de l'Empereur. D'après F. Lot (La fin du monde antique et le début du
Moyen-Age, p.122), ils avaient la jouissance héréditaire de ces terres, à
condition que leurs enfants fussent assujettis au service militaire, comme
leurs parents. Ils étaient libres, et semblent avoir été soumis à leur droit
national. En 365, une constitution de Valens et de Valentinien avait interdit
le mariage entre Lètes et Romains, et même entre Lètes et colons.
Au début du Ve siècle, d'après la Notitia Dignitatum (5), les Lètes
germaniques, tout comme les Sarmates, les Taefales et les Alains, étaient
groupés dans certaines régions stratégiques à l'intérieur de la Gaule, et
placés sous le commandement direct des préfets, dépendant eux-mêmes
du magister militum praesentalis a parte peditum.
En un mot, si les barbares les plus anciennement installés, à la fin du
IIIe ou au début du IVE siècle, semblent avoir été traités comme des esclaves,
et dispersés par petits groupes familiaux dans les propriétés privées,
qu'ils cultivaient avec l'obligation de servir l'armée en cas d'alerte, les
-
Lètes de la seconde moitié du IVe siècle sont des guerriers paysans, culti-
vant les terres d'Etat, jouissant, sous contrat, d'un statut particulier,
traités comme des hommes libres, et probablement groupés par clans ou
par tribus. Mais ils sont considérés comme des étrangers et ne peuvent
contracter mariage avec des romains, ni même d'autres colons.
Ce statut spécial, sous contrat, était déjà celui des Lètes au service de
Julien, qui, au moment où Constance voulait les envoyer en Orient, se
révoltèrent et élevèrent le César à la pourpre (Ammien, XX, 3, 4) : en effet,
:
leur engagement stipulait qu'ils ne devaient pas être employés au delà des
Alpes
:
ut illi nullas paterentur molestias, qui relictis Laribus trans rhena-
nis, sub hoc venerant pacto, ne ducerentur ad partes unquam transalpinas
verendum esse adfirmans, ne voluntarii barbari militares, saepe sub ejus-
modi legibus adsueti transire ad nostra hoc cognito deinceps arcerentur.
« Afin que ceux-ci (les soldats barbares) ne souffrissent aucune injustice,
eux qui avaient quitté leurs résidences au delà du Rhin, pour s'engager,
à condition de n'être en aucun cas transférés au delà des Alpes. Julien
affirmait en effet qu'il était à craindre que les volontaires barbares pour
l'armée, habitués à passer de notre côté sous un contrat de ce genre, en
connaissant ces faits, ne fussent rebutés ».
Prisonniers de guerre fixés au sol et astreints au service militaire,
sous Maximien et Constance Chlore, volontaires engagés sous contrat à
partir de Constance II, le statut et la condition sociale des barbares
installés en Gaule semblent donc avoir fortement changé en un demi-siècle.
5. :
Not. Dign. Oc., XLII, 33 à 44, 65 à 70. Préfectures de Sarmates Poitiers,
Chora-Paris, Rhin-Amiens, Roanne (?), Langres. Préfectures de Lètes : Chartres-
Sens, Bayeux-Coutances, Le Mans, Rennes, Langres, Epuso (?), Famars, Arras,
Noyon, Reims, Senlis, Tongres, Arvernes (Clermont-Ferrand?).
Sur le plan archéologique, est-il possible de trouver l'écho de ces
ransformations de leur statut juridique et de leur condition sociale, dans
es différences entre les mobiliers des tombes rangées en file du début et
e ?
la fin du IVe siècle La comparaison entre le cimetière d'Aulnay-sur-
Marne (6), dont les tombes
sont déjà rangées en files régulières, mais qui
appartient à la fin du Ille et à la première moitié du iv* siècle, et celui de
ert-Ia-Gravelle, daté de la fin du
conclusions partielles. Il apparaît : IVe siècle (7), permet d'aboutir à des
verre et de la céramique
20 qu'ils
;
ment sur ceux du début du siècle, par la dégénérescence de la technique
u
les seuls à contenir les armes, les équipements mascu-
r les bijouxsont
(
Jns,
erbschnitt)
féminins ordinairement considérés comme caractéristiques
la civilisation des Lètes plaques-boucles à décor profondément incisé
:
(8), fibules symétriques, ou en forme de clochette (9), etc.
L'étude du cimetière de Damery, l'une des nécropoles de la région
d, Epernay ayant fourni le plus d'objets datables de la fin de l'Empire
rOmain, sera sans doute de nature à nous apporter quelques éclaircisse-
ents supplémentaires dans ce domaine.
LE VICUS GALLO-ROMAIN DE DAMERY
Avant d'aborder l'étude du cimetière, nous jugeons utile de rassembler
s
1
quelques observations faites, pour la plupart, au cours du xix* siècle,
SUr l'agglomréation gallo-romaine de Damery.
Construite sur une riche terrasse alluviale non inondable, au pied de
eaux bien ensoleillés, cette agglomération s'étendait, en une bande assez
roite, le long de la rive droite de la Marne jusqu'au ruisseau de Brunet à
est, et à l'ouest sous
une partie du bourg actuel (fig. 1).
Le vicus était vraisemblablement relié à Reims
certains tronçons encore conservés par une voie dont
avy (10). Cette au siècle dernier ont été reconnus par
route qui passait au hameau du Radet (commune de
trU-Ia-Rivière), près de Nanteuil-la-Fosse et à Chamery, empruntait la
ouee naturelle creusée par le ruisseau de Brunet dans le rebord assez
Pas du plateau dominant la rive droite de la Marne. Nous ne savons
as si cette voie se prolongeait
Marne. La vers le sud, et s'il existait un pont sur la
seule indication dont nous disposons est la mention d'une
dé?UVerte ancienne
forati-ons d'un de « médailles, vases et haches d'armes » dans les
ancien pont, à l'emplacement du pont actuel, sans qu'il
Sojt Possible de
préciser ni la datation des objets, ni même l'époque de la
>
6.
7.
A. Brisson, J. J. Hatt, P. Roualet, Cimetière gallo romain d'Aulnay-sur-
dans M.Soc. -Agric., Com., Sc. et Arts de la Marne,- 1967, p. 30-50.
ft,
9* J-
R.Lantier, Un cimetière du IVe siècle au Mont-Augé, dans Antiquité clas-
sique, XVII,
1948, p. 373-401.
Festo.lf'r G. Behrens, Spätrömische Kerbschnittschnallen, dans Schumacher
Mayence, 1930. p. 285.
9 Werner, -
dans Archaelogia Ein reiches Laetengrab der Zeit um 400 n. Chr. aus Fécamp,
Belgica, 61, p. 145 à 154.
et
d'- §avy> dans
et 138. Congrès M. Soc. Agric., Com., Sc. et Arts de la Marne, 1859-1860, p. 92
archéol. de France, Reims, 1861, p.60.
trouvaille (11). Notons que la Marne pouvait être franchie par un très
large gué situé en amont de l'île de la Vanne (fig. 1, F).
:
Nous possédons quelques renseignements sur des découvertes faites
en trois endroits du site gallo-romain au lieudit les Terres-Saint-Hubert,
dans l'ancien parc du château, et près de la route de Cumières.
Terres Saint-Hubert
Diverses trouvailles fortuites ont été signalées en cet endroit qui forme
la partie est du vicus (fig. 1, E). La plus ancienne, au XVIe siècle, est celle
d'un trésor fabuleux, dont nous ne savons rien, si ce n'est, d'après la
tradition, qu'il aurait servi à l'édification d'une chapelle dédiée à saint
Hubert à l'endroit de la trouvaille (fig. 1, D) (12). Sur l'emplacement de
cette chapelle, alors détruite, des enfants auraient ramassé, en 1832, « une
statuette de bronze mesurant 95 mm de hauteur et représentant le dieu
Mars » (13). Diverses monnaies ont été recueillies sur le site, et l'on a
remarqué qu'aucune n'était postérieure à Constant et Constance (14).
11. M. Soc. Agric., Com., Sc. et Arts de la Marne, 1861 (2e partie), p. 132.
12. Bourgeois, Damery. Châlons-sur-Marne, 1905, p.2.
13. M. Soc. Agric., Com., Sc. et Arts de la Marne, 1859, p. 142.
14. Bourgeois, op. cit., p. 9. Voir aussi Hiver, Chronique de Champagne, t. II,
Reims, 1837, p. 229.
Cette partie du vicus a, pendant longtemps, servi de carrière, notam-
ment en 1789, pour la construction d'une route, et en 1808 et 1809. A cette
époque furent mis
Pierre, une espèce deau jour « des restes considérables de constructions en
cirque dont la maçonnerie était extrêmement difficile
à détruire, des conduits
;»
en larges tuiles pour la direction des eaux., une
sorte de galerie précédant un bâtiment cette galerie ou péristyle était
ormée d'une série de colonnes pierre (15).
en
Une prospection en surface, sur plusieurs hectares, en novembre 1967,
après un labour très profond, nous a permis de recueillir, au milieu d'une
quantité considérable de tegulæ et de blocs de mortier, dont certains
Peints à fresque, de nombreux fragments de plaques de marbre et quelques
cubes de mosaïque. Nous n'avons trouvé, par contre, qu'une quantité
anormalement faible de tessons de céramique pouvant, pour la plupart,
se dater des IIe et Ille siècles.
Il ne fait aucun doute
ecorés
, que des monuments importants et richement
ont existé à cet endroit, peut-être un fanum et des thermes édifiés
au confluent de la Marne et du ruisseau de Brunet. Le fait est conforme à
Une tradition locale (16) rapportant qu'il là « d'abord un temple
Païen de l'époque gallo-romaine, plus tardy eut église chrétienne (17) et
une communauté de femmes une
».
Parc du château
Nous sommes mieux renseignés sur les fouilles pratiquées en cet
endroit pendant l'hiver de 1829 à 1830 (fig. 1, C).
« A une profondeur de un mètre environ, sous un amas de cendres, de
rbons et de tuiles, retrouva les ruines de constructions qui paraissent
avoir fait partie d'un on vaste édifice. La façade principale était tournée vers
le midi. On
remarquait plusieurs pièces carrées de quatre mètres de côté.
ne de ces pièces était garnie tout autour de briques creuses établies de
manière à permettre
écoulement des un courant d'air; des tuyaux avaient dû servir à
»eaux (18).
D'importantes découvertes monétaires faites à l'occasion de ces fouilles
emoignent de deux époques de destruction :
« 1° Règne de Postumus
Dans des pièces qui se touchaient, on trouva en peu de temps
2nrvîeurf vases remplis de médailles. Les premiers renfermaient moins
2JQ.000 au
•>• médailles d'argent dont plus de 1500 étaient à l'effigie de Postume
le surplus présentait la série des monnaies qui se trouvent commu-
~èrent depuis Philippe père jusqu'à
ce tyran » (20).
:
intacts dans les ruines de l'atelier., c'est à peine la dixième partie du
nombre total trois sont à l'effigie de Caracalla, quatre à celle de Philippe
père, et vingt-cinq à l'effigie de Postume, avec neuf variétés de revers (23).»
2° Règne de Constant et Constance
« Dans un endroit voisin », mais « pas précisément dans le même
»
lieu (24), fut découvert un vase contenant plus de 4000 monnaies, dont
« 3 900 pièces en petit bronze., toutes à fleur de coin, d'une belle fabrique,
et toutes aux types des mêmes empereurs Constant et Constance, et au
revers unique du phœnix sur un globe ou sur un rocher avec la légende
FELIX TEMP. REPARATIO » (25).
Route de Cumières
En décembre 1947, des travaux de terrassement effectués lors de la
construction d'une maison appartenant à M. Namur, mirent au jour, à
1,50 m au-dessous du niveau du sol, des constructions gallo-romaines qui
furent reconnues par A. Brisson. Ces constructions comprenaient
1° Une cave rectangulaire de 2 m sur 3 m, presque entièrement détruite
:
par les travaux.
2° A deux mètres au nord, les restes d'un four de potier de type gallo-
belge (fig. 2). Ce four comportait, sur 0,40 m de hauteur, une assise en
tegulae maçonnées soutenant des parois en parpaings de torchis conservés,
vers l'alandier, sur une hauteur de 0,50 m.
Cave et four peuvent se dater, par les céramiques recueillies, de la
fin du Ier siècle.
:
nent trois tombes dont nous ne possédons pas le mobilier. Les descriptions
sont conformes à ce que l'on observe habituellement dans les tombes de
la même époque fosses profondes, cercueils en planches épaisses de 4 à
5 cm fixées par de grands clous, offrandes alimentaires. On aurait décou-
vert deux cercueils en plomb, dont l'un, pesant 200 livres, aurait contenu
un enfant de 10 à 12 ans.
Plusieurs textes font allusion à des céramiques portant la marque des
potiers ELEUTHERIUS et LARIS. Peut-être y a-t-il eu réutilisation, au
Ive siècle, d'un cimetière abandonné à la fin du règne de Néron, comme
nous avons pu le constater à Aulnay-sur-Marne, Vert-la-Gravelle et Ecury-
le-Repos.
Nous savons que les objets trouvés dans les tombes ont été dispersés,
au moment de leur trouvaille, dans diverses collections particulières, à
:
Reims et à Fismes notamment. Les pièces conservées au Musée d'Epernay
proviennent de trois collections
— Collection Godart, offerte gracieusement par la famille Pol-Roger,
en 1949. C'est, de loin, la série la plus importante.
— Collection Favret.
— Collection Lefèvre, les pièces de Damery provenant de la collection
de l'abbé Bourgeois.
La plupart des pièces portent encore une étiquette, manifestement
très ancienne, indiquant « trouvé dans les sépultures de Damery », avec
parfois l'année de la trouvaille et la mention d'objets recueillis dans la
même tombe. Ces indications sont malheureusement trop vagues pour
qu'il soit possible de faire des regroupements. Nous avons éliminé systé-
matiquement toutes les pièces de provenance douteuse. Par contre, nous
avons dessiné tous les objets dont l'origine est certaine, et nous avons
reproduit le dessin de deux verreries intéressantes figurant dans le
manuscrit Schmitt F 60 des Archives de la Marne (nos 28 et 29).
2. Les monnaies. Limites chronologiques.
La collection Godart comprend un lot de quinze petits bronzes prove-
nant des tombes qui se répartissent comme suit :
—
: :
Constantin II
Valentinien
: 1
:
1
—
— Valens 8
— Gratien 5
aue,
1
repliée
que plaque (n° 2).
La plaque-boucle elle-même comporte quatre pièces assemblées
de eux pièces autour de l'axe, l'anneau de la boucle, l'ardillon composé
rivées, l'une, en forme de T, se terminant par la pointe,
: la
autre s'enroulant
fofteL'anneau est
fcn euls
autour de l'axe.
en bronze fondu, le décor étant entièrement venu de
les détails, comme les angles des oreilles, la boucle, les yeux,
repris à l'emporte-pièce, en utilisant la même matrice que pour
certains ornements de la plaque. L'ornementation est profondément inci-
olre, et
sée, suivant
quiC°Ce' et
une technique paraissant inspirée de celle du bois ou de
comporte des triangles opposés par le sommet, disposés en
côt's; Ce type séparés entre eux par des traits obliques parallèles aux
de
e/pe par le goût
ta
de décor géométrique, d'origine préhistorique, a été déve-
etnami^ent dansbarbare, dans les objets de ce genre, fabriqués en Gaule,
la vallée du Rhin, à l'usage des auxiliaires germaniques
romaine. Il remplace les dessins plus compliqués figurant
des hommes ou des animaux gravés, tantôt des courbes complexes
oùri0rrunent spirales
1
de emrams des premiers,
de la région
et rosaces, décorant les objets de type romain,
et provenant principalement de Pannonie et
de Mayence (33).
30. Pirling, Gräber des frühen V. Jahrhunderts aus Krefeld-Gellep, dans
Bonner1]Jahrbücher,
159, 1959, p. 122, fig. 7, 41.
rica,
,
rica IX,ix1937^{' DieFunde der ^unnenze^ aus Ungarn, dans Archeologia Unga-
1937, Pl. XXVII, 2.
,
schnrrmiit i1o93i0?,e^rSns' Spätrömische
schrift, 1930, 285 Kerbschnittschallen, dans Schumacher Fest-
p. à 294.
jj. -Behrens, op. cit., pl. 31, 32 et fig. 8, p.290.
Comme la plupart de ces fermetures de ceinturons comportent une
plaque-boucle dont la plaque est souvent beaucoup plus large que la boucle,
et une contreplaque faisant office d'extrémité de ceinturon et décorée de
façon symétrique à la boucle, le problème du mode de fixation de la
courroie de la ceinture se pose de façon particulièrement complexe. Il est
impossible d'admettre que la courroie ait été passée dans la boucle, comme
dans une ceinture ordinaire, de type actuel. En effet, dans ces conditions,
la contreplaque, ainsi que la plus grande partie de la boucle eussent été
invisibles. Or ces pièces sont manifestement faites pour être vues. R. Laur
Belart (34) et H. Bullinger (35) ont supposé que la fixation était assurée
par une lanière plus étroite que la ceinture. Celle-ci serait passée dans la
boucle, se serait fixée à l'ardillon, étant percée de plusieurs trous, puis
aurait pendu par devant, lestée par une languette de bronze qui existe
effectivement comme complément de ce genre de garniture dans de nom-
breux cas. En réalité, ce système de fixation n'est pas entièrement satis-
faisant, car la plus grande partie du décor de la ceinture se trouve ainsi
cachée.
-
Sur un torse du Bas Empire, conservé à Vienne, et que certains
archéologues ont daté du temps de Constant (36), est figurée de façon
particulièrement précise une fixation de ceinture, avec plaque-boucle et
contreplaque. Une courroie plus mince que le ceinturon sort du dessous
de la boucle, passe par-dessus l'ardillon, pour retomber ensuite sur
l'abdomen, et se terminer par une sorte de gland. Il semble bien que cette
courroie, attachée d'un côté au ceinturon, soit fixée d'autre part à l'ardillon
par une boucle de cuir ou une ganse cousue, l'extrémité flottante étant
destinée à faciliter la préhension de la courroie, et la manœuvre de
l'ardillon. En effet, la représentation est si réaliste et détaillée qu'on
aperçoit nettement, entre la boucle et l'ardillon, l'emplacement de deux
coutures formant une sorte de triangle.
En ce qui concerne les plaques-boucles de Damery, nous supposons
que leur fixation était assurée, suivant le même principe, soit par une
courroie relativement étroite pourvue d'une boucle ou d'une ganse, soit
par un lacet formant boucle. Nous avons des raisons de penser que tel
était le cas pour les boucles nos 1, 3, 5 et 13. En effet, nous avons observé
sur la plaque-boucle n° 5 une très forte usure qui ne peut provenir que du
frottement d'un mince lacet. A cette usure de l'ardillon par le frottement
du lacet, correspond également l'usure de la boucle par l'ardillon qui,
n'étant pas maintenu par le cuir, frottait sur la boucle en jouant du haut
en bas sur un demi-centimètre environ. Dans le cas d'une courroie aussi
large que la boucle, ce jeu eût été impossible. Moins prononcées que sur
la boucle n° 5, les mêmes traces d'usure ont été observées sur les boucles
nos 1, 3 et 13. Par contre, les boucles nos 4, 8 et 12 ne présentent aucune
trace d'usure de ce genre, et paraissent avoir été agrafées comme des
ceintures normales d'époque actuelle, l'ardillon traversant le cuir et la
34. R. Laur Belart, Ein frühchristiches Grab aus Basel, dans Urschweiz, 1959,
p.57 à 70, et particulièrement p. 60, fig. 39.
35. H. Bullinger, Punzverzierte spätkaiserliche Gürtelbronzen aus Tongeren,
dans Helinium, VII, 1968, p.46 à 56, notamment pl. 4, p.51. — Voir également
J. Heurgon, Le Trésor de Ténès, p.33, fig.7.
36. J. Heurgon, op. cit., pl. XVII, 3, et Delbrück, Antike Porphyrwerke, p.89,
pl. 32.
courroie passant sous la boucle. Nous remarquons qu'aucune de ces
boucles n'est décorée, à l'exception du n° 4, dont les ornements repoussé
au
ont été fortement usés par le frottement du cuir de la ceinture.
Mais revenons au système de fixation par lacet ou par courroie, du
genre de celui qu'il est possible de reconstituer pour la boucle n° 1 et sa
contreplaque n° 2. La forme en T de l'ardillon, qui se retrouve à Aeschen-
Vorstadt (37) et sur un assez grand nombre de plaques-boucles de ce type
w8). était destinée à faciliter la prise de l'ardillon afin de le faire jouer
d'une main, alors de l'autre la boucle du lacet était introduite sous la
que
boucle. Sur la boucle de Damery, la branche horizontale du T été décorée
e a
têtes de chiens stylisées, prolongées par des corps et des têtes de
serpents se retournant.
La plaque de la boucle n° 1, pliée autour de l'axe, est en tôle de bronze
é,paisse de 0,001 Elle présente un décor comportant un cercle oculé
m.
central placé entre deux cercles moyens, et huit petits cercles disposés
symétriquement. Le bord interne est décoré de treize motifs en forme de
nangle pointé, exécutés à l'emporte-pièce, juxtaposés le long d'une bor-
dure décoréede traits obliques. Le cuir, épais de 0,005
deux rivets. m, était fixé par
e
ocu
:
L'extrémité de la ceinture, faisant office de contreplaque (n° 2), pré-
ente un décor presque symétrique de celui de la plaque-boucle un cercle
central, accosté de deux autres cercles légèrement plus grands, et
quatre petits cercles. La bordure interne est décorée de
Pointés. La contreplaque été repliée onze triangles
It
é un espace arrondi ad'un diamètre
épaisse de 0,001
sur elle-même, laissant à son extré-
de 0,006 m. Elle est également
ait m. Le cuir, épais de 0,006 m à l'emplacement des rivets,
été aminci, pour ne plus présenter, contre l'espace arrondi, qu'une
épaisseur de 0,003
m.
L'anneau de boucle n° 13, fondu d'un seul tenant, est décoré, de chaque
c-e
Ct de l'axe de rotation, de têtes de carnassiers affrontées. Les yeux ont
été rendus
par des motifs forme de cercles oculés à l'aide d'un emporte-
ece; Ils sont entourés de quatre traits obliques obtenus par le même
en
Procédé.Le décor de l'anneau
zon est complété, sur la partie courbe, par deux
l'ardillon
de triangles incisés, séparés
par un gradin. L'emplacement où frottait
est marqué par une forte usure du métal, sur un espace de
Un centimètre environ.
Une grande plaque-boucle (n° 8) comporte également un
a
ann sans décor
Cai fondu d'un seul tenant. Les têtes d'animaux sont remplacées par
des méplats
de trois venus de fonte. L'ardillon, d'une seule pièce, décoré à la base
t traits limés, se courbe autour de l'anneau. La plaque a été pliée
ajuorde l'axe et présente
e
L'és sur l'ardillon. une échancrure très proprement limée et bien
ee
L'épaisseur Le rebord extérieur est frangé de traits à la lime.
du cuir, au niveau des trois rivets, est de 0,006 m, et au voisi-
la boucle, de 0,003 m.
et
39. G.
32.
Behrens, op. cit., p. 288, 2 et 3 ; p.290, 6
fig. et 8; p. 293, fig. 12 ; pl. 31
Werner, Spätrömische Gürtelgarnituren in Keilschnitt Technik aus
40. J.
Niederôsterreich, dans Jahreshefte der ôsterreichischen archeologischen Institutes
in Wein, t. XXVI, 1930, p.60, fig.41.
- -
La petite plaque boucle n° 6, avec son petit passe lanière n° 7, nous
semble correspondre à l'attache d'une ceinture d'enfant. L'épaisseur du
U.002
-
cuir, dans le passe lanière, était de 0,001 m, et dans la plaque boucle, de
-
m.
Les pièces de bronze nos 9, 10 et 11 faisaient partie du décor de larges
ceintures, sur lesquelles elles étaient disposées, soit
out.L'extrémité de ceinturon n° 11 est une plaque ende appliques, soit en
bronze rectangu-
laIre, décorée de cannelures horizontales, qui été pliée autour d'un
a
mandrin, afin d'aménager un espace ovale dans lequel le cuir était serti.
L"paisséur maxima de celui-ci est de 0,004
m, et son épaisseur minima, à
} entrée de
cet espace, de 0,0025 m. L'épaisseur de la plaque est de 0,001 m.
Ve n° 9 est applique de ceinturon en forme de trapèze, décorée de
emi-cercles une
alternés. Elle était attachée au cuir par trois rivets. L'épais-
seur de la plaque est de 0,002 m, celle du cuir de 0,005 m. Le n° 10 est
également
ites une applique de ceinture, chanfreinée et décorée à ses extré-
de moulures en relief. Elle est percée de trois trous de rivets. Les
rivets ont disparu.
j Le n° 16 est
une extrémité d'épingle en bronze, d'un type connu au
l et au début du Ve siècle (41). Elle
et Présente un décor de fines moulures se termine par une tête polyédrique
horizontales.
La fibule symétrique ansée n° 19 est également
de
d cette époque un objet très typique
(42) ainsi que le bracelet plat gravé n° 15, se terminant à
une extrémité par
constItué d'une un trou, à l'autre par un crochet (43). Son décor est
zone de cercles oculés entre deux zones de traits obliques.
Les bracelets nos 17 et 18 sont plus massifs. Ils sont moulurés et
(corés
d' de traits obliques incisés. Le fragment de bracelet creux n° 21
chg. 3)
rVvronsestentourant
assez richement décoré, au repoussé, de motifs en forme de
un ovale.
-elt63,
logique,A.France-Lanord,
derZ 1, p.27, fig. 15.
Cortrat (Loiret), dans R. archéo-
Un cimetière de Lètes à
— Voir également J. Werner, Ein reiches Laetengrab
um 400 n. Chr. aus Fécamp, dans Archaeologia Belgica, 61, p. 147, pl. I, 1.
fig.
42*
;
J. Werner, Ein reiches Laetengrab., ibid., pl. 1, 2 Behrens, op. cit., p.292,
de
l\:g. Dasnoy, Quelques ensembles archéologiques du Bas-Empire provenant
la rt112nno-muroise, dans Annales de la Soc. archéol. de Namur, t. 53, fasc. 2,
1966,p. 183, fig. 8 et p. 209, fig. 14.
Les poignards n" 23 et sont à soie et à lame lancéolée, d'un type
26
également courant à la fin du IVe siècle (44). Le n° 23 a conservé une partie
de sa soie, et des traces du bois du manche.
La francisque n° 22 présente des traces de damasquinure. Les deux
francisques nos 22 et 24 sont souvent représentées dans d'autres cimetières
contemporains (45).
Le n° 25 est une petite coupe de bronze ou en laiton, faite au tour. Le
petit bassin en laiton n° 27 est également d'un type de la fin de l'Empire.
4. La verrerie.
La verrerie est représentée par des spécimens de verre vert, souvent
maladroitement tournés, et recèlant dans la pâte de nombreuses bulles et
filandres (n°s30 à 38). Leur comparaison avec ceux d'Aulnay-sur-Marne
accuse une nette décadence de la technique. Les n°s28 et 29, dont les
dessins ont été conservés, appartiennent aux types Morin-Jean 60 et 9. Le
type 60 est une bouteille à panse basse tronconique, qui se rencontre,
d'après Morin-Jean, dans les nécropoles de l'Aisne au IVe siècle (46). Quant
à la forme 9, dépourvue d'anse (47), dont nous avons conservé un exem-
plaire venu de Damery (n° 35), elle appartient également au romain tardif.
Elle fait partie du mobilier de la tombe 3 de Mayen, qui est une des plus
anciennes de la nécropole (vers 360) (48). Le fait que nous la trouvons
deux fois à Damery tend à prouver que le centre de gravité du cimetière
est situé dans le troisième tiers du IVe siècle, et non au ve siècle. En effet,
cette forme n'existe plus dans le cimetière de Krefeld-Gellep.
:
Le n° 30 est un fond de cruche du type Morin-Jean 50, dont la tech-
nique est particulièrement défectueuse et décadente le verre, vert, est
épais, contient de nombreuses bulles et filandres. Morphologiquement,
cette cruche se distingue des types plus anciens du Ille et du début du
IVe siècle par son pied plus élevé, en forme de tronc de cône.
Les flacons ou ampoules n" 33, 37 et 38, type Morin-Jean 26, ne com-
portent eux-mêmes aucune valeur chronologique. Le verre à fond concave,
campaniforme, n° 31, appartient à la forme Morin-Jean 73. Cette dernière,
qui apparaît relativement tôt, à la fin du Ille siècle (49), n'a jamais cessé
d'être utilisée jusqu'à l'époque mérovingienne. Les spécimens postérieurs
à 350, comme celui-ci, se distinguent par leur poids plus considérable, leur
couleur plus verte, l'épaississement des parois et l'aplatissement de leur
bord.
La coupe n° 32 appartient à la forme Morin-Jean 72. Elle paraît
particulièrement tardive, car nous la trouvons dans les mobiliers de la
nécropole du ve siècle de Krefeld-Gellep (50). Elle est également fréquente
Figure 4.
- Molettes, en vraie grandeur, des bols n°s 56 et 61.
51. w Dasnoy,op. cit., p. 179, fig.6; p. 193, fig. 13 ; p.217, fig. 16.
52. W. Haberey,
54
53 p
°nn"Jean' ,p.
Cl >., p. 265, fig.5.
op- cit
cit., p. 143.
,g..
54. R. Pirling op.
OP• cit- P- 234, fig.
55 A. Dasnoy, p. el., p.
56 g. 23,, 21 et p. 220,, fig.
g. 5,, 2.
1941,pjenet, op. cit., p.228, planche.
,
5 - p. 7,cit.,
La céramique gallo-romaine d'Argonne au IVe siècle, Mâcon,
21Ï" A. Dasnoy,op.
p. p.181, fig.7 ; p.183, fig. 8 ; p. 193, fig. 13 ; p. 209, fig. 14 ;
R. fig. 16.
58
Pirling, op. cit., 220,
p. fig. 5.
Le n° 57 est un petit bol Chenet 319, lourd, et de forme très surbaissée.
Il est également d'époque tardive.
Le bol à bord droit Chenet 324 se distingue également des formes
reproduites par Chenet (59), par la plus grande épaisseur des parois et ses
proportions plus trapues. Il porte sur le fond, à l'extérieur, un chrisme
maladroitement gravé.
D'autre part, si la grande jatte n° 52 reproduit exactement le type
Chenet 304 a (60), les n*Il53 et 54, de plus petites dimensions, sont très
différents des vases correspondants, toujours par leur plus grande épais-
seur, par le caractère massif de leur pied tendant à devenir cylindrique,
et par leur rebord intérieur plat, et non plus arrondi. Les mêmes carac-
tères, encore plus accentués, apparaissent dans le cimetière de Krefeld-
Gellep (61).
Le flacon n° 47, non représenté dans l'ouvrage de Chenet, est une
forme traditionnelle gauloise reparue au IIIe et au Ive siècles dans la sigillée,
sous l'influence de la verrerie. Remarquons ici l'épaisseur de ses parois,
et le caractère trapu de son pied. De même, les gobelets nos 48, 50 et 51
(Chenet 333) sont très différents des types du début du Ive siècle dessinés
par Chenet (62), tant en raison de leurs proportions plus trapues, de leur
panse surbaissée, de leur pied tendant à devenir plus bas et plus cylin-
drique, que de la forme nouvelle de leurs rebords, inspirée de la céramique
commune.
La forme du gobelet sigillé n° 49, n'existant pas chez Chenet, est
également inspirée de la céramique courante.
Le curieux vase à double courbure n° 46 (vase pour oignon de tulipe),
décoré à la barbotine, mérite une mention spéciale. Il est jusqu'à présent
sans équivalent connu. D'après l'étiquette qui y est restée attachée, il était
accompagné, dans la tombe, « d'une boucle de ceinturon damasquiné, et
d'une monnaie de Constantin le Pieux ». Il s'agit peut-être de la monnaie
de Constantin II que nous avons mentionnée plus haut.
La cruche à anse et à col tronconique n° 45 appartient au type 345 de
Chenet (63), mais elle est plus trapue, et sa panse est plus régulièrement
arrondie.
Les cruches à bec tréflé nos 39 à 44 paraissent, en quelque sorte, inter-
médiaires entre les formes 348 de Chenet, du début du IVe siècle (64), et
les formes beaucoup plus bâtardes encore, de la nécronole de Krefeld-
Gellep (65), de Mayen (66), et des ensembles namurois (67). Il est difficile
de dire si ce fait présente une véritable valeur chronologique. Nous
pensons plutôt que des types d'œnochoës, relativement archaïsantes, ont
continué d'être fabriqués en Argonne et dans les régions voisines, à la fin
Damery. — Verrerie.
Pl.VI
1
deRobert réformes, parfois en restant dans l'orthodoxie, comme dans le cas
d'Arbrissel, qui se répandait cependant en propos si violents
était accusé non pas de prêcher, mais de dénigrer (2).
Mais, de là, il était facile de
éts
de consIdérations verser dans l'hérésie. Dès 1022, apparurent
sur le caractère mauvais de ce monde et des idées
étranges
d'rléans sur la Création chez les chanoines de l'église Sainte-Croix
aubrans, : après excommunication par un concile tenu dans la cathédrale
une réaction brutale de Robert le Pieux envoya les coupables
Une
Xir nouvelle impulsion fut donnée, au cours de la première moitié du
siècle, par des prédicateurs itinérants
deusanne. Ces hérétiques comme Pierre de Bruis et Henri
Chéens sont souvent désignés sous le nom de mani-
par les écrivains de l'époque, terme que l'on appliquera aussi
4. Ibid., p. 3-5.
5. Vers 1163, Eckbert de Schônau, qui passait pour avoir acquis une bonne
connaissance du catharisme rhénan, alors qu'il était chanoine à Bonn, utilisa
dans ses sermons contre les cathares des passages entiers de traités de saint
Augustin contre les Manichéens (R. Manselli, Ecberto di Schônau e l'eresie catara
in Germania alla metà del secolo XII, dans Studi in onore di Lionello Vincenti,
Torino, 1965, p.320-324).
6. J. Havet, L'hérésie et le bras séculier au moyen âge jusqu'au treizième
siècle, Paris, 1881, p. 16-17 (Extr. Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. XLI).
7. H. Maisonneuve, Etudes sur les origines de l'Inquisition, 2e éd., Paris, 1960,
p. 99-100.
8. La rédaction de la lettre suppose la vacance du siège, qui se produisit entre
le 26 mars et le 12 mai 1145, d'où la date choisie par J. Frederichs, Robert le
Bougre, premier inquisiteur général en France, Gand, 1892, p. 21. Mais comme le
pape Lucius II était décédé depuis le 15 février, l'acte des chanoines de Liège doit
dater du début de la vacance du siège.
de cette organisation, les auteurs de la lettre tiennent à toute force à
car
se trouver en présence de manichéens (9). Les juges avaient eu quelque
niai à soustraire les accusés à la fureur populaire, ils les avaient enfermés
dans les couvents du voisinage. Seul, le dénonciateur, Aimeri, avait été
envoyé, sur sa demande, auprès du Siège apostolique, pour s'en remettre
au Jugement du pape et pour accomplir le vœu qu'il avait fait de se rendre
en Pèlerinage à Rome.
une
d' :
Un point est particulièrement intéressant les erreurs étaient parties
« région de Champagne appelée Mont-Wimer » et s'étaient répandues
ans les lieux les plus divers. Il n'y a pas lieu de s'étonner que le Mont-
Anne ait servi de refuge des hétérodoxes. Cette isolée, sur le terri-
à zone
aire actuel de la commune de Bergères-lès-Vertus, devait être à peu près
eserte vers le milieu du XIIe siècle, la construction du château datant
seulement de 1210 (10). Cette situation durait peut-être depuis une assez
ongue période si les hérétiques y avaient trouvé la sécurité qui leur
manquait ailleurs.
Au XIIIe siècle, on imagina
f.us important. L'inquisiteur Robertque le Mont-Aimé avait joué un rôle encore
la tradition selon laquelle le manichéen le Bougre lui-même se fait l'écho de
Fortunat, chassé d'Afrique par
aint Augustin, émigra en Champagne, lia connaissance avec un chef de
igands nommé Widomar qui occupait le Mont-Aimé
rouva refuge, convertit à avec sa bande. Il y
cette époque, les environs ses croyances le chef et ses hommes. Depuis
jj»e,t^ues- Cette fable montre de la hauteur ne cessèrent d'être un repère
cher au que l'on cherchait à toute force à ratta-
On ignore la suite
fPltre
ch
e,
d Il ne
;
manichéisme antique toutes les dissidences religieuses (11).
que cette affaire a pu avoir au moment où le
de Liège écrivait, le pape Lucius II était mort. En raison de la
d'autant plussaurait lesêtre question de cathares, au sens précis du mot,
nombre d'années. que faits relatés avaient dû s'étendre sur un certain
En 1148, le concile de Reims
quj
q avaient longtemps sévi eut à juger Eon de l'Etoile et ses partisans
m aes en Bretagne où ils avaient commis de nombreux
ma et autres méfaits. On les accusait de manichéisme, mais aussi de
et de sorcellerie. Quittant leur pays d'origine, ils avaient pénétré
RaSlte dans le diocèse de Reims, ils
arldement Ils furent mis hors d'état dey nuire
arrêt les ;
avaient recruté des partisans.
l'archevêque Samson fit
appuyé sur
il
chefs, les autres se dispersèrent. Eon comparut devant le concile
un bâton fourchu auquel il attribuait des vertus magiques
l'impression :
s donna
de l'archevêque d'un déséquilibré. Il fut maintenu dans la prison
sesdisciples, qui au régime du pain et de l'eau, il mourut peu après. Mais
n'avaient voulu en rien renoncer à leurs doctrines, furent
sans indulgence et livrés aux flammes (12).
:
18. Sur le catharisme, voir l'exposé classique de Jean Guiraud, Histoire de
l'Inquisition, t. I, p.35-107. On doit tenir compte des découvertes faites par le
R. P. Dondaine qui ont renouvelé certains aspects de la question A. Dondaine,
Un traité néo-manichéen du XIIIe siècle, le Liber de duobus principiis, suivi d'un
fragment de rituel cathare, Rome, 1939; A. Dondaine, La hiérarchie cathare en
sopposait le sacrement cathare, le consolamentum, imposition des mains
conférée par un membre de la secte, un pur un parfait. Celui qui avait
»,
reçu l'imposition des mains devait se « soumettre à une discipline très
ion
stricte, chasteté, abstinence de viande, d'œufs, de lait, de fromage, obser-
trois carêmes. Toutefois, suivant les idées de l'époque, il n'était
Pas interdit de
rienne. consommer du poisson, la nourriture n'était pas végéta-
Cette vie austère était celle d'une petite minorité, celle des ministres
cathares ou parfaits. Aucune obligation n'était imposée simples
croyants,qui pouvaient vivre à aux
peu près comme ils l'entendaient. Ils
rendaient hommage à leurs parfaits
entum, que les sources catholiques au cours de la cérémonie du meliora-
leur prédication, appellent « adoration », ils écoutaient
de croire ils leur apportaient aide et assistance. En fait, il suffisait
que le consolamentum assurait, avec l'entrée dans la secte, le
tt
salut
te
Nous sommes très loin des formes de la religion traditionnelle. Les
la même
ere
sacrés étaient toutefois les mêmes que ceux des catholiques et dans
version, seule l'interprétation différait, parfois radicalement. La
toueaon essentielle était l'Oraison dominicale. Les hérétiques acceptaient le
VaIqU Testament, mais le rejet de l'Ancien Testament n'a pas été aussi
l'a parfois affirmé, on enregistre des différences sensibles sui-
va les époques et les lieux.
Il ne faut
gion
gio centralIsée, pas, en effet, se représenter le catharisme comme une reli-
mo- avec des dogmes trop précis. Il est indispensable tout au
PrimVfde distinguer deux grands courants. Les adeptes du bogomilisme
ceux qui se rattachaient à l'église de Bulgarie, croyaient que le
monri6 mauvais était le domaine du diable, ange déchu et révolté. Par
duaquent, ce dualisme n'était pas radical, on le qualifie généralement de
leslsrnmodéré
leseSPrits célestesou mitigé. Le dieu suprême avait créé le ciel invisible,
Seuie16111
:
qui l'habitaient et les quatre éléments. Le démon était
relégne' l'organisateur du monde sensible Satanael s'étant révolté fut
avec les esprits qui l'avaient suivi dans le domaine des éléments,
il ernprisonna
dans des corps matériels les âmes tombées avec lui.
Ma: en Thrace et Macédoine, le bogomilisme avait pris
Plus
plus ra,ICI en une forme
Pleine egahte dans l'église de Dragovitch ou de Drugunthia, admettant la
sopposait
leBi lpe
"lornrne
et
121création
le
entre le principe du Bien, créateur du monde invisible, et le
le Bien du Mal, créateur du monde matériel. Pour les dualistes absolus,
al
s'expliquait par l'action du dieu mauvais :
constituaient deux domaines distincts, au monde spirituel
le monde terrestre et visible. La création de
il s'introduisit dans
a
donnia
un
du dieu bon, parvint à entraîner des anges sur terre et leur
corps.
de srl'ensemble
desalut,le des hérétiques, il existait le même et unique moyen
rnatièr H consolamentum. Reçu avant la mort, à condition d'avoir encore
de
la Parole, il permettait à l'âme d'échapper à l'emprise de la
matière et
se libérer définitivement.
î?50>
ilt2liel
p.
dansArchivum
1950, 234-324.On Fratrum Praedicatorum, t. XIX, 1949, p. 280-312 et t. XX,
e rs le Fanjeaux.pourra consulter la bibliographie donnée par le t. III des
Cahi
Au premier abord, on peut s'étonner des succès du catharisme. Mais
il ne faut pas oublier que les gens du moyen âge vivaient dans la hantise
pensée :
du diable. Ils étaient naturellement dualistes dans l'expression de leur
le bien était opposé au mal, la lumière aux ténèbres, la continence
:
à la luxure. Il existait une conception pessimiste du monde, elle s'exprimait
dans le mépris ou contemptus mundi. Le De contemptu mundi de Bernard
;
le Clunisien en est un bon exemple Bernard voit le mal partout dans un
monde privé de lumière pour lui, qui n'est pas indigne dans un monde
?
pervers (19). A s'en tenir à un examen superficiel, comment ne pas trouver
des analogies avec les doctrines cathares, d'autant plus que les parfaits
étaient d'une extrême prudence dans leurs prédications. Ils n'exposaient
pas toute leur doctrine devant n'importe qui. Ils s'en tenaient souvent à
des considérations banales et attaquaient les vices du clergé. En réalité,
comme l'a écrit le grand médiéviste Edouard Jordan, « bien des gens ne
»
savaient pas au juste où ils en étaient et ce qu'ils croyaient (20).
*
**
Très vite, les hérétiques avaient pris pied dans la province de Sens, on
les trouvait en particulier à Nevers et surtout à la Charité-sur-Loire,
véritable nid de cathares. Ils étaient également nombreux en Flandre, où
ils recrutaient des adeptes parmi les artisans et les marchands, on accusait
aussi ces derniers d'usure. De son côté, la Rhénanie comptait de nombreux
foyers cathares (21). Carrefour de grandes routes, avec ses foires à l'ani-
mation intense qui la mettaient en relation avec les pays les plus divers,
en particulier l'Italie du Nord et le Languedoc, la Champagne ne pouvait
échapper à la nouvelle propagande. Il ne semble pas toutefois qu'elle ait
jamais constitué un foyer plus important que d'autres (22).
Les hérétiques des régions septentrionales se rattachaient tous à la
tendance dualiste modérée. L'inquisiteur Anselme d'Alexandrie, qui écrivait
»
vers 1267, déclare que les « Français se laissèrent convertir à Constanti-
nople par des Bulgares, c'est pourquoi dans toute la France [du Nord] les
hérétiques sont appelés Bulgares ou Bougres. Les chroniqueurs Aubri de
Trois-Fontaines et Robert d'Auxerre ne s'expriment pas autrement lorsqu'il
est question d'hérésie. Tous les renseignements que les diverses sources
peuvent fournir ne font que confirmer cette constatation, qui est aussi
exacte que la Rhénanie (23).
La seconde vague a seulement atteint, vers 1175, l'Italie du Nord et le
Languedoc. Elle reste donc en dehors de notre sujet.
,,qu'elle
Selon le concile réuni à Reims par l'archevêque Samson, en 1157, les
retiques faisaient grande propagande, d'autant plus dangereuse
une
était occulte et insaisissable. Cette secte impure des manichéens
- comme il se doit
isserands particulièrement — conduisait à leur perte les âmes des simples. Des
(abjectissimos textores) se déplaçaient
requemment d'un endroit abjects à l'autre en se cachant, ils changeaient fré-
4emment de noms, ils traînaient avec eux des femmes de rien perdues
e vice. Chacun était invité à
nne se saisir, en n'importe quel lieu, de la per-
des hérétiques. Les accusés, traduits devant un tribunal ecclésias-
Que, pouvaient recourir, d'une manière facultative, à l'ordalie fer
uge, autrement la culpabilité serait établie par la confession judiciaire au
Ou les preuves testimoniales. En
biens était prévue. Pour cas de contumace, la confiscation des
les chefs, les « majores », autrement dit les
rfalts, le châtiment prévu était l'incarcération à perpétuité, sous réserve
d'une peine plus
ment la mort grave que l'archevêque pourrait leur infliger, très certaine-
par le feu. Aux « sequaces », autrement dit aux simples
croyants, on laissait la possibilité de
COntraire, ils seraient marqués renoncer à l'erreur, dans le cas
au front et au visage, puis expulsés (25).
Contre un danger
mesures
m nouveau, on ne faisait guère que reprendre des
uerant,anciennes, on peut se demander avec quelle efficacité réelle. Au
faute de documents, bien des faits nous échappent. Toutefois,
un épisode, tel
6
ni PIttoresque, que le narre le chroniqueur Raoul de Coggeshal, ne manque
dagn, beau-frère duni roi d'imprévu. C'était au temps où Guillaume de Cham-
Louis VII, était archevêque de Reims (1176-1202),
du vivant du
roi, donc un peu avant 1180.
roAlorsde que l'archevêque se promenait à cheval avec sa suite, aux envi-
rons la
belle jeune ville, un jeune clerc, Gervais de Tilbury (26), remarqua une
la salua, fille qui se promenait dans une vigne. Il se dirigea vers elle,
à Un refus.entra en propos galants, cherchant à la séduire. Mais il se heurta
La
serait Pas plus jeune fille déclara que, selon la volonté de Dieu, elle ne
:
« sonItelocutrice son ami que celle d'un autre homme. Les termes employés
«secfe très impie des firent comprendre à Gervais qu'elle appartenait à la
Celf srmt l'archevêque, Publicains ». Le clerc chercha à réfuter ces propos,
Celle-1' qui fit arrêter et conduire en ville l'hérétique.
interrogée, déclara qu'elle ne pouvait avoir réponse à tout, mais
Qu'il y avait
norraitenréfuter
Quifit ville une femme âgée, une magistra, beaucoup plus instruite,
la i
Cette
mmedi.atement tous
les arguments qu'on lui opposait. L'archevêque
conduire devant lui.
clercenterprétait
femme, Qui avait une très bonne connaissance des Ecritures,
clercs mme à sa manière, réussit à tenir tête à l'archevêque et à ses
prison e on n'arriva à aucun résultat, on retint les deux femmes en
lendemain, devant l'archevêque et le clergé, en présence de
24. Manselli,
op. cit., p. 317-318.
¿:). Maisonneuve, Etudes.,
arri;' aioqu
hall.ors Il
£ya*s?e Tilbury est
était jeune.
p. 109-111.
l'auteur des Otia Imperialia. Cette aventure lui
Devenu chanoine, il en fit le récit à Raoul de Cogges-
notables, elles furent sommées de renoncer en public à l'erreur. Sur leur
refus, elles furent condamnées à périr dans les flammes. Alors, ajoute le
chroniqueur, la magistra sortit de son sein une pelote de fil, se jeta par
une fenêtre en tenant le fil par l'extrémité et disparut dans les airs « grâce
à l'assistance des esprits mauvais » (malignorum spiritum ministerio
subvecta). La jeune fille périt sur le bûcher, faisant preuve d'un courage
que tous les assistants estimèrent digne des martyrs du Christ (27).
Raoul de Coggeshal a recueilli dans sa chronique les histoires les plus
invraisemblables, ce qui laisse supposer chez lui une crédulité poussée à
un degré étonnant ou un goût peu ordinaire pour la mystification. Si la
disparition de la magistra repose sur une base historique, il faut penser
qu'on a rendu possible son évasion, ce qui laisserait supposer l'existence
d'assez nombreuses complicités.
Raoul donne ensuite un tableau des croyances de « la secte très impie»
à laquelle se rattachaient les deux femmes. Il s'agit bien de cathares et de
dualistes modérés, car c'est un ange déchu, appelé ici Luzabel, qui préside
aux destinées du monde visible (28).
Nous avons peu de chose pour l'évêché même de Reims, mais l'activité
des archevêques a débordé les limites de leur diocèse, soit en raison de
leur rôle de métropolitain, soit dans l'exercice des fonctions de légat. Il en
fut ainsi au temps de Henri (1162-1175) et de Guillaume (1176-1202),
respectivement frère et beau-frère du roi Louis VII.
Inquiet des progrès de l'hérésie en Flandre, le premier voulut, lorsqu'il
prit possession de son siège épiscopal, sévir avec l'aide du roi. Des suspects
cherchèrent à se concilier leur archevêque en lui offrant 600 marcs d'argent,
mais en vain. Ils firent ensuite appel au pape Alexandre III qui se trouvait
à Tours (29). Louis VII, en termes vifs, mit en garde le pontife contre
« des hommes dépravés, adeptes de la pire des erreurs, celle des
mani-
chéens, que l'on appelle Poplicains » et lui demanda de tout mettre en
œuvre pour détruire « cette peste avant qu'elle ne se propage ».
Alexandre III, le 23 décembre 1162, invita l'archevêque à plus de modéra-
tion, il valait mieux absoudre des coupables que de condamner des inno-
cents. Peu après, le 11 janvier 1163, il écrivit à Louis VII pour lui annoncer
qu'il prenait l'affaire en mains, mais en consultant le roi et l'archevêque,
auquel il demanda par la suite (7 juillet) de faire une enquête et de lui en
envoyer les résultats. Le pape se réserva le prononcé de la sentence, après
avoir pris l'avis de l'archevêque et des autres évêques. On ignore quel fut
ce jugement (30).
En 1172, Henri se rendit à Arras pour prendre, à la demande de
35 i*u
34.Maisonneuve, Etudes.,
P- 183-184.
h
p. 119-120.
p. 166; — Thouzellier, Catharisme et valdéisme,
Ventiondirent^ d'Arbois de Jubainville (Histoire des ducs et des comtes de
ventiondirecte
dit
rait à partir
lui.
37 C"rOlS-
**e*fterbach,
36, Aubri
1851,p.307f
pPour
cution des partisans d'Amauri de Bène à Paris. Ce fait remonte à 1210 (Guillaume
le Breton, Gesta Philippi Augusti, éd. H. Fr. Delaborde, Paris, 1882, p. 232-233). La
date de 1220, admise par J. Havet (op. cit., p.28), suivi par Haskins (Robert le
Bougre, p.203), ne semble pas correspondre à la réalité.
38. Auvray, Registres de Grégoire IX, t. II, n°s2221 et 3006. La première bulle
est adressée au prieur des Dominicains de Paris et à frère Robert, la seconde à
l'archevêque de Sens, à l'évêque de Troyes et à frère Robert (le Bougre) qui
étaient invités à faire connaître au pape les griefs qu'ils pouvaient avoir contre
l'intéressé.
39. Auvray, op. cit., t. I, n° 1253 (bulle du 19 avril 1233).
40. Y. Dossat, Les crises de l'Inquisition toulousaine au XIIIe siècle, 1233-1273,
Bordeaux, 1959, p. 325-326.
plus tard inquisitio heretice
r
des Dominicains pravitatis. Les juges, sauf exception, étaient
(41).
sans
couve
C'est
doute
en :
dans le cadre de ces mesures qu'une mission avait été confiée,
1232, pour la Bourgogne à trois Prêcheurs le prieur du
il de Besançon, frère Guillaume et frère Robert. L'acte est perdu,
mais faitl'objet d'une
mention rétrospective très nette dans la bulle du
19 avi
collèeu
io
avril 1233, par laquelle Grégoire IX donne mandat
6S à Robert et à ses
accord d'extirper l'hérésie de la Charité et des régions voisines, en
les évêques, avec l'aide, en tant
Robert avec que de besoin, du bras séculier.
aurait la possibilité d'agir avec un seul de ses associés (42). Il était
ilr
a Prév
inauic teurs que le prieur ne pourrait s'éloigner de son couvent, d'ailleurs les
étaient normalement au nombre de deux.
Ce Robert n'est autre le trop célèbre Robert le Bougre, en la
se
Person duquel résume que
le Nordde presque toute l'histoire de l'Inquisition dans
la France. Il se nommait Robert Lepetit, comme nous l'apprend
une 1:>ulled'Urbain IV, d'octobre 1263 (43). Mais
erehque, le en sa qualité d'ancien
surnom de Bougre lui est attaché. Ce sont des antécédents
t
assez xtrordinaires
avait fait de bonnespour un inquisiteur. On ignore son lieu de naissance.
et sur Sonaptitude à études, il était bon prédicateur. Sur son instruction
Aubri de Trois-Fontaines, la prédication, toutes les sources sont d'accord. Selon
de au temps du « grand concile », c'est-à-dire du
concile Latran de 1215, il apostasia et suivit à Milan
à
lanichéenne, laquelle il une femme de rien,
ne tarda pas à devenir était attaché, vécut au milieu des hérétiques,
pendant 20 ans, un parfait. Il serait ainsi resté dans cette situation
a une Impossibilité. cequi d'ailleurs, au point de vue chronologique, se heurte
i
mais
alsemblable.
On
Selon Philippe Mouskes, il se rendit bien à Milan,
resta dans la loi de mescreandise pendant 10 ans, ce qui est
»
a pu se demander si certains détails n'avaient pas été
inventa
en raison même de ce surnom de Bougre (44).
Robert
l'ordre des revint ensuite à la foi catholique, prit l'habit religieux dans
naître au frères Prêcheurs. De son passé, il avait gardé l'art de recon-
moindre indice, ses anciens frères. Les jugements sur lui sont
loind'gfavorables.
.,.
religion mais Selon Aubri, il paraissait « homme de grande
»
n'aimait guère au fond ne l'était pas (45). Mathieu Paris, qui à vrai dire
dl comparé les ordres mendiants, le déclare faux et corrompu, digne
êtrecom
d'être
dece e,
carnait hypocrisi.
l'h
au chef des Pastoureaux. S'il faut en croire R. h il.1
Richer,
de ce monde, loup
1 dans la bergerie, adonné uniquement à à la 1.
1 gloire
42Eid" p.113-114.
le
le re,
^°ugre,^pé2^2H^r^e
;
à la Charité-sur-Loire, p. 328-332 — Haskins, Robert
p. 12-214.
44 J. Graud,
S le
cS R°bertRegistres
Bou*™> P-210.
d'Urbain IV, t.III, n° 1180 (bulle du 25 octobre 1263).
45. Chénon
L'hérésie à la Charité-sur-Loire, p.326.
46. askins,
Robert le Bougre, 212.
p.
surtout à la Charité-sur-Loire où de nombreuses exécutions eurent lieu (47),
mais il eut le temps de se rendre en Champagne. Il fit arrêter une femme,
Gila, surnommée l'Abbesse, et en confia la garde au comte de Champagne.
Le doyen et le chapitre de Saint-Quiriace de Provins protestèrent, car cette
femme se trouvait sous leur juridiction, affirmaient-ils. Les inquisiteurs,
frères Robert et Jacques, écrivirent, le 21 février 1234, au comte pour lui
demander de remettre la prisonnière au chapitre de Saint-Quiriace et de
lever la garde qui avait été mise sur ses biens (48). Nous n'avons pas
d'autre mention de frère Jacques, nous ignorons pendant combien de
temps il est resté en charge.
D'ailleurs les procédés de Robert provoquèrent de très vifs méconten-
tements, des plaintes ne tardèrent pas à arriver au Saint-Siège, « aliquo-
;
rum murmur » parmi ces plaintes, dont le texte est perdu, devaient
certainement figurer celles des archevêques de Reims, de Sens et de
Bourges. En dehors même des excès commis par les juges réguliers, les
prélats devaient juger excessive l'influence prise par les ordres Mendiants.
Agissant vraisemblablement à contre-cœur, Grégoire IX, le 1er février
1234, écrivit à l'archevêque de Reims et à ses suffragants, pour annoncer
qu'il mettait un terme aux pouvoirs des inquisiteurs, tout en leur recom-
mandant de faire appel aux Dominicains qui étaient particulièrement aptes
à lutter contre l'hérésie (49). De semblables mesures furent prises pour
les provinces de Sens et de Bourges (50). Le prieur provincial fut invité, le
15 février, à ne plus intervenir dans ces affaires, sauf s'il était sollicité
d'apporter son concours.
La carrière de Robert le Bougre aurait donc pu tourner court. En fait,
il dut seulement ronger son frein pendant 18 mois. Jamais la disgrâce de
l'inquisiteur ne fut totale, le pape lui écrivit les 6, 20, 23 novembre 1234 (51).
Aussi Grégoire IX se laissa-t-il sans doute persuader facilement, qu'en
raison des nouveaux progrès de l'hérésie, il était indispensable de rapporter
les mesures qu'il avait prises. Par ses bulles des 21 et 22 août 1235, il
annonça au provincial des Dominicains de la province de France et à
l'archevêque de Sens qu'il rétablissait l'Inquisition (52). Le 23 août 1235,
il rendit à frère Robert toutes ses prérogatives pour combattre les héré-
tiques dans les provinces de Sens et de Reims, ainsi que dans les autres,
autrement dit dans toute la France du Nord (53). L'archevêque de Reims
fut certainement informé, mais l'acte ne semble pas avoir été conservé.
Peu après, Robert se rendit à Châlons-sur-Marne, en cette même
année 1235, comme nous l'apprend Aubri de Trois-Fontaines. En présence
de Philippe de Grève, chancelier de l'évêque de Paris, qui se trouvait
54*Aubri de
Trois-Fontaines, Chroniques, p. 937.
55f*«***.
;
oV57
56. Frederichs Robert le Bougre, p. 14-16 — Haskins, op. cit., p.220.
iaEtude op. cit., p. 17-20.
59.Ibid.,p.7-13.
que'année 1219
60. Ibid., p. 43-46. L'acte du prieur ne peut être daté du style de Pâques, puis-
que l'année n'a pas eu de 29 mars, on doit donc admettre que le prieur faisait
usage du style de l'Annonciation.
61. François, Etude historique., p. 70-80, d'après les publications de Longnon.
62. Ibid., p. 23.
63. Ibid., p. 80-81.
64. H. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne,
t. IV, 1re partie, p.297 et note.
65. Haskins, Robert le Bougre, p. 223.
66. La meilleure source est Aubri de Trois-Fontaines, Chroniques, p.944-945.
Le récit de H. d'Arbois de Jubainville (Histoire., t. IV, 1re partie, p. 298-301) a été
;
en général suivi par les historiens locaux. On peut consulter aussi, Frederichs,
Robert le Bougre, p. 20-23 Haskins, Robert le Bougre, p. 223-224.
certains s'en allaient, alors que d'autres arrivaient seulement. Les héré-
iques avaient affublé de vieilles femmes des
orsqu'on les interrogeait, ils répondaient
ghse ou Loi Romaine c'est-à-dire
», en
:
sainte Eglise, Loi Romaine, saint Baptême,surnoms
«
de sainte Marie, de
sainte Communion, aussi
Je crois ce que croit sainte
réalité ce que croit la vieille femme
appelée sainte Eglise et ainsi de suite (67). On connaît bien d'autres
xemples de subterfuges destinés à éluder les questions posées par les
quisiteurs. Déjà, comme nous l'avons vu, les cathares de Troyes affir-
aient qu'ils partageaient les croyances de sainte Eglise et de sainte Marie.
te
e ruse assez puérile n'embarrassa certainement pas le redoutable
ominicain.
Une femme
ransportée
t reconnut, à la demande du frère Robert, qu'elle avait été
un Vendredi-Saint jusqu'à Milan pour servir à table les
;
; ougres » pendant son absence, un démon avait pris sa place, sous ses
traits, aux côtés de
Provins. La son mari. Nous retrouvons Gila, dite l'Abbesse, de
vie lui fut épargnée, selon Aubri, parce qu'elle promit de
Seeler de nombreux noms (68). On peut penser que les chanoines de
Sa"ntGnQuiriace
intervinrent d'une façon énergique en sa faveur. Etienne de
la
durbon
dont
les
nous apprend que parmi les victimes figurait un certain Thibaut
mère Albarea avait été brûlée vive peu de temps auparavant (69).
Aubri de Trois-Fontaines jugé inutile de donner des précisions
le a sur
des hérétiques et sur leurs faits et gestes accomplis en secret,
illui suffit de qualifier leurs pratiques de « fetida et horribilia » et d'affir-
mer leurs origines manichéennes.
Leebûcher
terriHi
fut dressé
lnquisiteur
le vendredi 13 mai, juste avant la Pentecôte et le
ocula" Ce livra aux flammes 183 victimes, selon Aubri, témoin
Près
0). Touschiffre est confirmé par les autres sources, à quelques unités
Thibaut IV les prélats n'étaient pas là, mais le roi de Navarre
ininie1186 était présent avec ses barons de Champagne. Une foule
était venue assister à l'autodafé. Le chroniqueur en évalue le
qu'a re, gens Ade tout âge et de toute condition, à 700000, mais on sait
qu'au moyen
hérétiques age on n'avait guère le sens des chiffres. Au moment où les
mon *5os*t*on
supérieur quiPu*,sse mains,moi : jeje
monranzs,.montaient sur le bûcher, leur chef, que l'on appelait archevêque
leur dit à haute voix « Vous serez tous sauvés, absous par
^esmains, seul
moi seul suis damné,car
suis damné, car jen'ai de
je n'ai pas
pas de
tum eUr qUI pUIsse m'absoudre (71). Tous reçurent donc le consolamen-
AUbinSi eut lieu
Aubri,qui ce très important holocauste, agréable à Dieu, assure
ajoute que ces « Bougres », pires que des chiens, avaient été
e,,terininés
S'étaieetguratIon
Pour le triomphe de la sainte Eglise. Et il raconte que jadis,
s'étaient de cet événement, des chiens venus de toutes parts
sétaient rassemblés au Mont-Wimer et au cours d'une grande bataille
entretués (72).
67*Aubri de Trois-Fontaines,
Il. rd.,p.945. Chroniques, p.945.
70 rderiChs,
Robert le Bougre, p. 22.
JeanchàVJv 23.Philippe
et
et J'an, chanoine
Aubri Mouskes donne le chiffre de
deTrois-Fontaines,
de Saint-Victor, celui de 180.
187, Etienne de Bourbon
71.
72 aski.ns, Chroniques, p. 945.
Robert le Bougre, p. 224.
Un fait est particulièrement important. Au moment de leur exécution,
les condamnés reçurent le consolamentum. Il s'agit donc de simples
croyants et c'est par conséquent un bien médiocre gibier que Robert livra
aux flammes. En celà, le bûcher du Mont-Wimer diffère d'exécutions
analogues dans le Midi où seuls des parfaits furent brûlés. On peut se
demander qui était cet archiepiscopus de Moranis. Il n'y a jamais eu
d'archevêques dans les églises cathares. Il n'existait qu'un seul évêque
pour toute la France du Nord (73). Peut-être le texte d'Aubri a-t-il été altéré.
Le chroniqueur a pu utiliser le terme d'archicatharus dont s'était servi
avant lui Eckbert de Schônau. On se trouverait en présence d'un parfait
ou ministre cathare résidant à Morains (Morains-le-Petit, canton Vertus),
selon une hypothèse formulée par l'abbé A. Millard dans son Histoire de
Sézanne. Cette solution peut être retenue, à condition de voir dans ce
maître cathare un simple parfait et non le « grand pontife des mani-
chéens ».
Le moine de Trois-Fontaines exprime le sentiment populaire. Tout le
monde n'était pas du même avis, en particulier parmi les prélats, car des
réclamations arrivèrent jusqu'au pape. Selon Mathieu Paris, on accusa
Robert d' « abuser des pouvoirs qui lui avaient été donnés, de passer les
bornes de la modération et de la justice, de se montrer hautain, autoritaire,
formidable, de confondre les bons avec les méchants, de condamner des
»
innocents (74). Mais, sur ce qui s'est passé par la suite, nous savons peu
de chose.
L'activité de l'inquisiteur fut certainement ralentie après 1239, mais
elle ne fut pas entièrement arrêtée. La chronique de Saint-Médard de
Soissons, prenant pour base l'année 1236, déclare que Robert traquait les
hérétiques trois ans auparavant, ce qui est exact, et continua ensuite
pendant cinq ans et plus. Ainsi le terme de sa carrière pourrait être
postérieur à 1241 (75). De même, la Chronique rimée de Philippe Mouskes,
qui va jusqu'en 1241, ignore la chute de l'inquisiteur.
Selon Mathieu Paris (1238), le pape suspendit le Dominicain de son
office et ordonna une enquête. Elle prouva sa culpabilité et Grégoire IX le
condamna à la prison perpétuelle. Cette version n'est pas très sûre (76),
l'œuvre de Mathieu Paris renferme pas mal de commérages. En tout cas,
l'enquête fut certainement postérieure au bûcher du Mont-Aimé. D'après
une autre source, Robert fut condamné par les Dominicains à une péni-
tence perpétuelle, toutefois, grâce à une forte somme d'argent, il se fit
dispenser de cette peine par le pape, qui lui permit de se faire recevoir
comme chanoine de Saint-Victor (77). Cette version paraît fantaisiste. Pour
le Dominicain Géraud de Frachet, il fut chassé de l'ordre à la demande de
ses frères, qui prièrent le pape de le transférer dans un autre ordre. Robert
passa à la Trinité, puis à Saint-Victor, sa mauvaise conduite le fit chaque
73.
Italie duNord.
Anselme d'Alexandrie, Tractatus de hereticis, éd. A. Dondaine, dans Archi-
vum Fratrum Praedicatorum, t. XX, 1950, p. 308. Ensuite cet évêque se réfugia en
74. Chénon, L'hérésie à la Charité-sur-Loire, p. 342.
75. Fredericq, Corpus documentorum, t. II, Gand, 1896, n° 26.
76. Frederichs, Robert le Bougre, p. 24-25.
77. Cette source est l'Abbreviatio chronicorum Anglie, qui a parfois été attri-
buée à Mathieu Paris (Haskins, Robert le Bougre, p.226).
fois expulser, il finit jours à Clairvaux, dans une condition très modeste,
ses
après y avoir été reçu avec honneur (78).
Un seul fait est sûr,
notifia, en avril 1244 comme l'a remarqué Haskins, l'évêque d'Arras
gnqUisiteur ou 1245, une sentence d'excommunication rendue par
contre un riche marchand de laine de la ville, Henri Hukedieu
9), Il est donc fort probable que Robert le Bougre n'a pas été révoqué
Par GrégoireIX, mort le 22 août 1241. Une énigme continue à peser sur
ces dernières années. Il certainement connu une disgrâce, mais il est
a
Pudent de reconnaître que nous en ignorons exactement la nature.
*
* *
Robert
l'hérésie le Bougre a imprimé sa marque personnelle dans la lutte contre
dans la France du Nord, plus particulièrement en Champagne,
n lui donnant un caractère brutal et impitoyable. La répression exercée
était sans
nvaIt commune mesure avec le danger que représentait le catharisme :
de racines, la population lui restait, dans son ensemble, très
ho+1M A pasplusieurs reprises, la foule avait arraché ou tenté d'arracher des
accusés
eVeIller à leurs juges pour les trainer au bûcher. Il était bien inutile de
le fanatisme populaire.
Avec des évêques toujours vigilants, un pouvoir civil, qu'il s'agisse du
come de Champagne
les mesures ou du comte de Flandre, n'hésitant jamais à prendre
li
cures indispensables, point n'était besoin de recourir à des procé-
counw arbitraires et de frapper des innocents en même temps que des
Le terrible Dominicain nous donne un triste exemple de cruauté
inut
ont-Aimé.catharisme se serait rapidement éteint même sans le bûcher du
d'Areltrcives
d'Argensolles de la Marne possèdent un fonds assez important de l'abbaye
ans la série H, non encore classé. Pour toutes les références, les
denotrenet
numéros du classement
provisoire sont utilisés. Nous prions Monsieur René
tout lepersonnel
qu'ilsnouProfonde des Archives de la Marne d'agréer le témoignage
s
Qu'ilsnnmouie ont gratitude pour l'aide qu'ils nous ont apportée et l'amabilité
toujours manifestée.
-4rch. Marne, H, Abbaye d'Argensolles, liasse 12, pièce 31.
cantn,feuville
caritondAy, Biauveoirs ou Beau Voir, hameau, commune de Saint-Imoges,
arrondissement de Reims (Marne).
:' Arch. Marne, fonds Hautvillers. H 1239.
plus
s Corn 1
A défaut d'
Pl, 5.cOrnPlète
comtes de rChuse
d'une monographie récente sur Blanche de Navarre, la notice la
trouve dans d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des
ampagne. Paris, H.
1865, t. IV.
Au lieu de se complaire dans sa douleur et de se laisser décourager,
elle se consacra farouchement à défendre ses intérêts et ceux de son fils,
Thibaut le Chansonnier, né quelques jours après le décès de son père.
Pendant vingt-et-un ans, elle exercera la régence avec une maîtrise
absolue. Elle administre les finances avec sagesse, édifie des citadelles aux
frontières de ses domaines, conclut des alliances notamment avec Philippe-
Auguste et l'empereur Frédéric II. Elle fait la guerre, n'hésitant pas à
marcher à la tête de ses troupes et à faire preuve parfois de cruauté,
quand elle donne l'ordre d'incendier des villes comme Nancy en 1218 et
dans notre région Sermaize en 1219.
Au terme d'une période aussi agitée, elle se tourne vers la religion et
rencontre l'ordre de Cîteaux en la personne d'Adam de Perseigne, ancien
moine de Pontigny en Champagne, qui pour lui plaire lui envoie un recueil
de ses sermons. A cette occasion il lui écrit à la manière d'un directeur de
conscience une longue lettre (6), dans laquelle il expose les quatre condi-
tions pour mériter la grâce et les modalités de l'exercice de la justice.
Selon la tradition, la comtesse Blanche aurait également reçu des
conseils du frère Arnoul, convers de l'abbaye cistercienne de Villers-en-
Brabant (7), mais c'est le mariage de Thibaut IV qui indirectement influera
sur la fondation d'Argensolles.
En mai 1220, Thibaut IV s'unit à Gertrude, veuve du duc de Lorraine,
qui parmi ses biens détenait le comté de Moha, au diocèse de Liège. Après
en avoir pris possession, le jeune Thibaut en fit hommage à l'évêque
Hugues de Pierrepont. Or dans ce comté, en bordure de la Meuse et à
proximité de la bonne ville de Huy, s'élevait l'abbaye cistercienne du
Val-Notre-Dame. Fondée par Albert, comte de Dabo, père de Gertrude, elle
reçoit des lettres de confirmation de Thibaut. Ainsi peut s'expliquer
normalement par quel enchaînement « une célèbre compagnie de filles du
»
diocèse de Liège vint se fixer à Argensolles (8).
Sous la direction de la bienheureuse Ide (9), les premières religieuses
arrivent à Argensolles en 1222. Cette fondation est reconnue et pleinement
incorporée à l'ordre de Cîteaux dans la filiation de Clairvaux lors du
chapitre général de 1223 (10). La même année Thibaut, exerçant maintenant
le pouvoir, confirme la donation de sa mère (11), qui parmi d'autres
largesses fait cadeau à la communauté naissante de deux marcs d'argent
pour en faire un calice (12).
6. Lettre 30 d'Adam de Perseigne dans Migne, Patr. lat., t. 211, col. 691-694.
7. Acta Sanctorum, junii, t. VII, p. 571.
8. « Tesmoignage extraict du livre de la vie du Serviteur de Dieu Arnulphe,
Frère convers de l'abbaye de Villars l'an 1222 », qui figurait sur un grand tableau
peint de l'église d'Argensolles et reproduit dans un factum imprimé en 1651
conservé aux Archives de l'Aube (fonds Clairvaux, 3 H 178).
9. La vie légendaire de l'abbesse Ide est rapportée par Thomas de Cantimpré,
Bonum universale de apibus, 1. II, cap. 46 et 72. — Cf. Vie manuscrite de la
:
bienheureuse Ide, première abbesse du monastère d'Argensolles, dans R. de
Champagne, 1889, p. 481-498 A. Bourgeois, Notes sur l'abbaye d'Argensolles, dans
R. de Champagne, 1908, p. 9-17.
10. Arch. Marne, Argensolles, liasse 12, pièce 964.
11. Ibid., liasse 12, pièce 15.
12. Ibid., liasse 12, pièce 2.
Ayant fondé cette abbaye « pour le salut de son âme et celle de son
Ws Thibaut,
comte palatin de Champagne et de Brie, ainsi qu'en souvenir
e
fis son »
époux et de tous ses prédécesseurs (13), Blanche obtient de son
en janvier 1224 la permission d'acheter où bon lui semble des dîmes
n
a d'augmenter les revenus d'Argensolles (14).
Avec l'approbation de l'évêque Jacques de Soissons, la comtesse
anche
B
donne à son abbaye plus de douze cents arpents de bois, des prés,
es moulins et des dîmes en divers lieux et notamment à Mancy, Faux-
Sesnay, Germinon, Trécon, Soudron, Chouilly, Oger, Grauves, Moslins,
ezanne et Provins (15).
Ide s'éteint
mmunauté,
c
le
13 janvier 1226, ayant à peine achevé l'installation de sa
pa mais suffisamment pour laisser un renom de sainteté (16).
comtesse Blanche disparaît à son tour en 1229 et sa dalle tumulaire,
Provenant d'Argensolles, est conservée dans le jardin des Archives dépar-
ttementales de
la Marne, à Châlons.
La Protection
de Thibaut le Chansonnier.
S'ilh ne fut pas un saint, Thibaut IV, comte de Champagne, marcha
grandS
cen Politique,
tout au long de son règne dans les voies de la paix. Sans être un
en ant il n'en fut pas moins un sage administrateur de domaines
de la Champagne à la Navarre en passant par le Blésois.
vienarmi les ordres religieux qui bénéficièrent de
vient au ses libéralités, Cîteaux
premier rang. La mystique humaniste et optimiste de saint Ber-
narcj a Pofondément
Thibemperament poétique imprégné la spiritualité cistercienne, qui correspond
rentsaut le et délicat de celui que la postérité appelle
Chansonnier. De part et d'autre, quoique sur des plans diffé-
rents,on retrouve
harmonieuse le même culte de l'amour courtois. Cette connaturalité
le explique la prédilection de Thibaut IV pour les cisterciens
et CIstercIennes.
chartes Argensolles lui doit le plus grand nombre de ses
Entre
donati autres actes, on trouve en rpars 1229 la confirmation de la
à
Illanche-duCosme Morel
moulin de Berthol, près de Vertus, acheté par la comtesse
droit gIte
PothieIssement du
(17), ainsi qu'un don de 15 livres de rente sur son
à Tours-sur-Marne et de 10 livres sur les censives d'Ay (18).
Cernon dans l'Aube moulin de Resson, dépendant de la ferme de Mont-
L
Cernrm (19), et diverses dotations à Barbonne, Braisne et
marquent la fin de l'année 1229.
En novembre 1233, Thibaut
de Cui,, dont IV met fin à un conflit à propos des bois
il concède les deux tiers de la dîme à Argensolles (20).
-
17, :;dh.
18 Ilasse
19.
12, pièce 42.
liasse 12, pièce 5.
td.,lIasse12,pièce42.
25mars. - La fête de
Mame, Argensolles, liasse 12, pièce 11.
1.
lbid., liasse4.
la bienheureuse Ide
d
Pencontref
ans
«ffreaux »
joursd:"e
vi te
rendre
tard les dégâts semblent réparés, les murs relevés et le
titres placé en lieu sûr dans le dortoir, mais des abus se sont
moniales disposent de chambres particulières aménagées à
leur vœu de pauvreté. On mène vie assez libre puisqu'aux
une
l'abbesse et ses religieuses s'octroient des congés et s'en vont
rendrevisite à
leurs parents et à leurs amis. Ces faits sont constatés par
34.-4rch.Marle,Argensolles,
liasse 12,pièce13.
rh. arne, liasse12,
Argensolles, pièce13.
3S*
t
en113'1.ndecy hameau,
* commune de Baye (Marne). Abbaye bénédictine fondée
37,J.Canivez,op,cit.,a.1513,n.16.
38. Arch. Marne, Argensolles,
liasse 5, pièce 146.
Jérôme de la Souchère, abbé de Clairvaux, au cours de sa visite du
1er mai 1557 (39).
Hélène Thiercelin de la Roche du Maine fut la première abbesse
d'Argensolles pourvue par brevet royal en 1534. A sa mort en 1560, sa nièce
Denise lui succédera jusqu'en 1583. L'abbaye devient ainsi l'apanage d'une
même famille pendant un demi-siècle de paix relative, demeurant à l'abri
des funestes soubresauts des guerres de religion.
Révolte et esprit d'indépendance.
Dès 1574, se manifeste à Argensolles une volonté de secouer la tutelle
de l'abbaye-mère de Clairvaux. Dans un premier temps, on s'oppose à la
visite canonique et on ferme les portes du monastère aux délégués régu-
lièrement commissionnés.
Incidemment l'abbé de Cîteaux tâche d'imposer son autorité. Ainsi, en
1578, frère Nicolas Boucherat donne des ordres en vertu de la sainte
obéissance et sous peine d'excommunication. La prieure Marie Brigard
avait abandonné l'habit de sa profession pour aller vivre avec des séculiers
dans une maison « nommée Les Boulleaux ». Il s'agit probablement d'une
résidence proche du monastère, ce qui créait doublement du scandale (40).
Paradoxalement, dans le même temps où Argensolles se décide à
embrasser l'étroite observance, le conflit atteint son paroxysme.
Après un procès en 1644 -1645 pour refus de visite, une autre procédure
voit le jour en 1647. Après quatre années d'âpres plaidoiries, Claude
Largentier, abbé de Clairvaux, obtiendra satisfaction et par sa ténacité
empêchera Argensolles de disparaître.
Un déménagement impromptu.
Le chevalier Antoine de Buade de Frontenac occupait au début du
XVIIe siècle le poste important de gouverneur de Saint-Germain-en-Laye,
résidence royale. Sa fille Madeleine est déjà abbesse d'Argensolles en 1608,
et travaille activement à l'aménagement de sa maison. Elle fut l'héroïne
d'un petit incident tragi-comique.
Un jour de 1630, alors que des maçons s'affairaient à la construction
d'un escalier joignant le dortoir à l'église, elle reçut quelques deniers de
la main de ses fermiers. La nuit venue, les ouvriers pénétrèrent sans bruit
par l'ouverture béante et n'ayant pas trouvé l'argent se contentèrent
d'emporter une petite montre. L'abbesse feignait de dormir et le lendemain
conta l'aventure en riant de la déconvenue des visiteurs nocturnes. Elle ne
voulut pas entamer de poursuites et fit promptement boucher l'ouverture.
A sa mort, survenue deux mois plus tard, la famille négocie pour conserver
ce bénéfice et parvient à y placer Claude de Buade de Frontenac, alors
âgée de 15 ans. Le 13 juin 1632, elle succède effectivement à sa tante.
Cette jeune abbesse ne s'accommode guère de ce séjour en Champagne,
qui lui pèse comme un exil. Sans consulter son chapitre, elle emprunte
16500 livres et acquiert une maison à Saint-Germain-en-Laye.Elle intrigue
-
et finit par arracher subrepticement du roi et du Grand Vicaire de
l'Exemption de Saint-Germain-en-Laye l'autorisation d'y transférer l'abbaye
e
s'élèv
gra1
6
apDiy Pour l'abbé de
rearrt 17 novembreClairvaux, Claude Largentier, qui présente une
1647 devant la Chambre du Conseil du Roi. Il
contre l'injustice de cette translation effectuée sans nécessité ni
l'Eglise
Pour ni pour l'ordre, ni pour la communauté. Il s'agit d'un
l'ore préjudice au détriment de l'état régulier, menaçant de destruction
l'ordre tout
entier de Cîteaux par le pernicieux exemple ainsi donné. La
fonIre conséquence
atIOn, ce qui est inadmissible.sera la ruine d'Argensolles, antique et vénérable
Avec
député l'aidedeLouis Quinot, abbé de Barberey, soi-disant commissaire-
tères dePour l'abbé de Châtillon en qualité de vicaire-général des monas-
01
d'Arge 1etrolte observance, et de Jean Jouault, abbé de Prières, l'abbesse
une ca
quatre POlDts cherche à se justifier et échafaude une argumentation en
;
: 1. Il est difficile de conserver et maintenir la règle dans
fonde valle, déserte et solitaire 2° L'abbaye est située dans une pro-
etgeesvillesau milieu des bois, à proximité des frontières du royaume,
et des bourgades, offrant ainsi une proie facile aux bandits
etgens d& ëuerre
divers le ; 3° Pour parer à ces dangers, désordres et inconvénients
notamurs concile de Trente ordonne la translation des monastères à l'abri
1abbe
ment de cits ; 4° La translation est licite, puisque les supérieurs et
de Prières ont accordé l'autorisation.
de u
habile ,c
Assisté Successivement par François Lalain, prieur d'Igny, et les abbés
et de la Colombe, Claude Largentier se livre à une réfutation
habile étayee
aux
3
oblque:
sur des faits précis dépouillés de toute passion.
1»T situation d'Argensolles conforme à l'esprit de la tradition
Son est
lafauteIgatons ancienneté prouve qu'on a pu jadis aisément satisfaire
f
lafaute en Incombe régulières. Si pour l'heure le recrutement laisse à désirer,
qui,en qUInze aux deux abbesses de la famille de Buade de Frontenac
novices ou ans, ont reçu une seule religieuse, renvoyant sans motif les
repoussant tout simplement les postulantes.
à deuxPeuon arler
àdeux Petites Ieues, de l'éloignement des villes quand Epernay se trouve
sUffisappropne Reims et Châlons à six ou sept. Les bois offrent un
suffîsamrnen pour la vie contemplative et les frontières ne sont pas
proches pour constituer une menace.
d'ArgensoliGS
l'abbayen'a
•
anlyse subtile des décrets du Concile de Trente amène à la
conclusior qu'ils
ne peuvent être invoqués pour légitimer la translation
la
",
est vain de parler de dangers, car pendant Ligue
une
mettreàl'abririen
décision
OUsle
des souffert et même au cas où il serait nécessaire de se
murs d'une cité, il appartiendrait aux prélats de prendre
Sous
S le
4° Quant aux
au permissions alléguées, elles sont nulles de 1. droit.
d plein d .t
L'abbé deCOt-scel de l'abbé de Prières ne se trouve aucune autorisation.
Clairvaux a refusé le
transfert et même l'a interdit expressément.
Les lettres royales ont été obtenues par ruse et grâce à des manœuvres
frauduleuses, qui les rendent caduques.
A côté de ces arguments principaux, l'abbesse Claude avance des
prétextes plus futiles, tels que l'absence de chaire de prédication et le fait
que des religieuses soient mortes faute de soins chirurgicaux.
Après avoir souligné combien l'installation à Saint-Germain-en-Laye
est précaire, les lieux ne se prêtant pas à la vie communautaire, l'abbé de
Clairvaux se plaît à décrire l'abbaye d'Argensolles : le cloître est un carré
ment réparable ;
de 20 toises de côté, trois côtés sont en bon état et le quatrième est facile-
;
la salle capitulaire, le réfectoire et deux cuisines sont
également en bon état il y a deux dortoirs nouvellement construits, garnis
;
de vitres et de grilles de fer, de 21 à 22 toises de long sur 11 et 12 de large
;
chaque dortoir comporte vingt-trois chambres avec une chapelle lambrissée
;
et voûtée l'église mesure 23 toises avec deux bas-côtés de 19 à 20 toises
dans le chœur de 8 toises il y a 17 chaises hautes et 11 basses le maître-
;
autel est bien décoré, un grand tableau surmonte le tabernacle doré. En
somme tout est convenable à Argensolles.
Un arrêt du Parlement en date du 21 juillet 1651 met un point final à
cette affaire en enjoignant aux religieuses de retourner dans leur monas-
tère (41).
;
En novembre 1675, la communauté d'Argensolles compte treize reli-
gieuses : l'abbesse Claude de Buade de Frontenac la prieure Anne Girot,
Marie Renouard, Anne Mallet, Bénédicque Gargan, Marie de la Bretesche,
Nicolle Jacquin, Marie Parchappe, Elisabeth Parfaict, Clémence de Fran-
cini, Marie de Francini, Jeanne du Chesne, Olline Collet (42).
Aucun document ne permet de décrire l'état spirituel de cette
communauté, qui semble uniquement préoccupée de baux et contrats
divers. L'une de ces religieuses, Jeanne du Chesne, deviendra abbesse de
Saint-Pantaléon à Saint-Dizier, mais en 1704 sera traduite devant l'official
de Châlons à cause de son inconduite.
L'abbesse Claude de Buade meurt le 9 décembre 1681 à l'âge de 68 ans.
Avec elle se termine une période troublée, à laquelle succède un siècle de
calme relatif.
Anne Le Bel de Brenouille.
Fille du seigneur de Brenouille, près de Pont-Sainte-Maxence, Anne
Le Bel était religieuse de Morienval, antique abbaye fondée au VIIe siècle
par Dagobert en bordure de la forêt de Compiègne. En février 1682, le roi
la nomme abbesse d'Argensolles dont elle prend possession le 30 novembre
1683.
Dès les débuts de son abbatiat, Anne Le Bel s'attache résolument à
restaurer la discipline monastique. Les visites canoniques sont effectuées
régulièrement par Thomas Chevalier, abbé du monastère voisin de la
Charmoye, qui y retrouve d'ailleurs deux de ses proches parentes. L'abbé
de Vauclair, vicaire général de la stricte observance, veille également sur
Argensolles.
-
41. Arch. Aube, Clairvaux, 3 H 178 179.
42. Arch. Marne, Argensolles, liasse 5, dossier 2, n. 17.
l1
Despostulantes
nauté double
M. de la Charmoye
arppe Conférences
achetés à Paris
le
1698
1699
10553
1701
ParJeSf
deLédigu,
minérâle
-
49 ans Un
Louisele
1
Sachsc XV1er
:;
Puisque les différents
10.216
7354
8.458
sollesvirespect des
chichement
de leurs depenses,
Argensolles
Anrie
31 maMe LeBel
se présentent et en une douzaine d'années la commu-
effectifs. Pour leur formation religieuse, on achète
M.deiapîyres sesHistoire
;
est vrai que la situation
fréquentsvoyages
d' d
---
Irahon
rnoIgne
Année
163251
1.
1.
1. s.
6-888 1.
évangélique; Essais sur les petits prophètes, par
Maximes chrestiennes en deux tomes par M. l'abbé de
de M. la Trappe, en quatre tomes quelques livres
par dom Jacques Novel, docteur en Sorbonne.
soucid'Anne Le Bel
observances
4
en matière intellectuelle n'eut aucune suite,
inventaires ne mentionnent aucune bibliothèque. Il
matérielle n'était guère brillante, malgré les
l'aide de la familledes procureurs de l'abbaye à Brenouille pour solliciter
tt de l'abbesse.
D 167 à 1702, le registre des
8S. 8d.
comptes a été tenu avec un soin digne
par la cellerière Perrette Chevalier. Ce tableau récapitulatif
des difficultés de l'abbaye.
Recettes
18 s. 8 d.
9S. 8d.
17 s. 1 d.
15 S. 11 d.
Sa charge le 16
de
44. Arch.
45*
novembre
une
15928
10.010
7.721
10.120
Dépenses
1 8s.
8.6171.10
7.512
1.
1.
5 s.
1. 8s. 4d.
1. 1
s.
19
s.
s.
1d.
7 d.
1 d.
::riené-Antoinette
deParis,maîtrerir9u?tes
;
+3971.
+ 196 1. 13
-1661.18s.8d.
+ 433
-1651.
-
1.
6s.
s.
s.
3 s.
7d.
1
1
d.
d.
de vendre du vin. Permission accordée, moyennant une redevance de
48 livres par an, « à condition que lesdites dames relligieuses ne pourront
faire ladite vente en détail que dans leurdite maison pour y être ce vin bu
et non emporté hors d'icelle par bouteilles, cruches et barils ni autre-
ment » (46).
-
Après Madeleine de la Bretesche, décédée le 8 novembre 1734, arrive
le 23 février suivant Suzanne Edmonde d'Isarne de Montjeu de Villefort,
dernière abbesse de Saint-Pantaléon de Saint-Dizier. Cette abbaye venait
d'être supprimée et absorbée par Saint-Jacques de Vitry.
Avec Madame de Villefort, Argensolles devient une pension de famille
où semble régner une certaine prospérité. Entre autres pensionnaires, on
rencontre la sœur de l'abbesse, la marquise de Pelleport, veuve d'un
-
lieutenant général des armées du roi, et demoiselle sa fille.
Voici comment un visiteur de cette époque découvrit les lieux :«
On
:
entre dans une cour où sont les écuries, puis on passe sous une porterie,
qui est un gros bâtiment ayant bas et haut (en marge pour 100 religieuses
et au dehors 20 religieux et domestiques en proportion). Grande cour,
l'apartement des confesseur et procureur, celui de madame l'abbesse
; ;
au-dessus, l'église sur la gauche, l'entrée du cloître à droite. Cette maison
est réformée on y vit bien elles se lèvent à 2 h, portent la serge sur elles
et leurs couches. L'église est large, voutée, ancrée au haut d'espace en
espace par des longues barres de fer qui percent les murailles de part en
;
part, et sont un peu façonnées en rozettes au dedans de l'église. Le chœur
;
est beau, parqueté, il a au-devant 2 autels la porte de la cloison fermée
est au milieu au-dessus d'icelle est le presbytère où est enterré dom
Arnolphini, religieux de Clairvaux, visiteur de la réforme. Plus haut et au
pied du 1er degré du sanctuaire on voit la tombe de dom Lopin, élu abbé
de Cisteaux, mort au lieu de Vertus. L'on nous dit dans cette abbaye que
l'on y tenoit par tradition que le dit dom Lopin fut empoisonné par un de
ses religieux qui lui donna un breuvage » (47).
Cette description témoigne des capacités de l'abbesse de Villefort pour
organiser le temporel et présider à la reconstruction de son monastère. A
son arrivée, elle avait trouvé les caisses vides. Peu auparavant, il avait fallu
vendre à Reims pour 1426 livres 16 sols des pièces d'argenterie hors
d'usage, provenant de l'infirmerie, afin de parer aux besoins les plus
pressants et payer l'exploitation de la coupe de bois ordinaire.
Moins de dix années furent nécessaires pour édifier des bâtiments
claustraux dont la première pierre avait été bénie et posée le 10 juin 1734
(48).
Madame de Villefort, au cours des dix-sept années de son abbatiat,
reçut dix religieuses à la profession dont six converses. Une rente annuelle
était exigée pour les religieuses de chœur tandis que les converses devaient
apporter en entrant au monastère un présent de 603 livres (49).
e ,
Jean DIscourt, curé de Chouilly, décimateur
décllnateur de Hautvillers
d'Argensolles
pour un tiers, et Paul Baudin,
pour deux tiers, assignent Nicolas Jolly, fermier
par devant les juges d'Epernay pour l'obliger à payer la
d'une pièce de pré.
Hautvillers avance trois allégations
revendications: Argensolles est situé
sur ;
pour asseoir le bien-fondé de ses
la paroisse de Chouilly l'abbaye
l'ordrété fondée en 1222, donc après le concile de Latran de 1215 qui exclut
ayant
Leautvllers,
de Cîteaux de toutes exemptions futures, ne peut en exiger
en donnant les terrains d'Argensolles, s'est réservé la dîme.
;
Les defenseurs
qUernt que leurd'Argensolles réfutèrent aisément ces prétentions et répli-
abbaye avait toujours été considérée comme bâtie sur la
Paroisse de Mancy.
Ce procès se termina le 25 avril 1742 à l'avantage des religieuses
gensolles (50).
émentarguerite
prés aux destinées
Maupas, appartenant déjà à la communauté en 1736,
d'Argensolles à partir de 1752. L'absence de docu-
empêche d'en tracer le portrait. Le dernier acte où figure sa signa-
ture date de 1768.
En 1773, Marie-Thérèse
débat
déb de la Mock, dernière abbesse d'Argensolles, se
au milieu de difficultés financières de plus en plus grandes. Les
etIlteurs
et le recours
se multiplient, les arrérages des fermiers ne cessent de croître
àCes maires aux poursuites s'avère nécessaire. La correspondance relative
exprime les sentiments humanitaires de l'abbesse, qui exige
qu'on OCcasIOnne
sations Barenger, à ces gens le moins de frais possible. Malgré les malver-
la SQeet les accusations mensongères touchant de prétendues menaces,
cellerière, écrit le 30 novembre 1772 au nom de sa
volonté
»(51).
Supérieure à Monsieur
àia patIence: Fortier, procureur du roi à Epernay, pour l'exciter
* Ces gens me paraissent bien pauvres, mais d'assez bonne
CemessIdor
les
sont derniers échos de la vie à Argensolles avant sa disparition.
dem
demeura Epernay.
:
corps lOgIs. :
an IV, le domaine est vendu au citoyen Lochet Duchainet
Pour 43.254 francs, il lui est adjugé « Eglise, un
10 arpen
»(52).
autrefois abbatiale, trois autres corps de logis, une grange,
hangard buene,
enclos composé de vergers, jardin, légumier, prairie et
64perches de terrain inculte, le tout fermé de murs contient 25 arpens
li; aU
sit
Des carreaux vernissés
ayant été trouvés fortuitement dans un champ
limitee
a été
S30Lafoui!le.
:
de Orbais-l'Abbaye (Marne), lieudit Heurtebize, une fouille
entreprise, qui a donné les résultats suivants
5.30environ"—Elle Une pièce carrée a été dégagée, qui mesure 3,20 m sur
j
535 et bien
d'une
;
trouvaient mélangés était entourée de murs, dont les crépis détruits se
J),"Ilcôté (nprd-ouest),à la terre ces crépis étaient peints de couleur ocre.
;
un mur, ou plutôt une murette, plus épais (0,40 m X
construit, longe la salle sa hauteur est de 23 cm. Il s'agit
sorte de marche ou de séparation plutôt que d'un mur.
brûl ( long
brûlée leu)des murs de la salle ont été trouvés des morceaux de vitrail
et des plombs de vitraux.
sort 1ieu de la salle et environ au premier tiers vers le sud-est, une
hauteura
hauteure banquette
Quatre bases étéde
de terre de 1,60 m X 0,95 m et de 30 cm environ de
decouvert, qui pourrait marquer l'emplacement d'un autel.
f
étaient sItuees scellement de ciment de 0,30 X 0,30 percées d'un trou
nord-ou
emr
de part et d'autre de la banquette, deux le long du mur
et deux vers l'est à la hauteur de la partie sud-est de la ban-
guette Ils servaIent
doute à maintenir des poteaux de bois destinés
a sans
le toit de l'édifice.
peu
des toits partout ont été rencontrés de grandes tuiles de 0,40 X 0,19 et
du
ddu toit;
morceaud'os
,
nombreux;
toit • les autres les uns à grande tête servaient à maintenir les tuiles
plus fins. Il a été trouvé au milieu de la fouille un
individu jeune. de Il cm qui pourrait être un morceau de fémur d'un
c'est,d'après Enfin, une pièce de monnaie a été recueillie près d'un mur.
double emer le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale, un
de billon de Jean III de Namur (1418-1421).
Descar,elages.
carreauxdeterre "T" La pièce était pavée de carrelage. Il s'agit soit de
rant1250 2 cuite émaillée de couleur noire ou parfois verte, mesu-
dessins soit de carreaux vernissés de même surface avec des
Les ocre jaune sur fond d'ocre
Piècesre^r^s®ntent rouge. Certains avaient été réemployés.
carreaux font souvent partie d'un ensemble de 4, de 8
ou de
dragons des motifs ornementaux, certains avec des
ou des damiers. D'autres reproduisent l'image d'un joueur de
cornemuse, d'un château, d'un chevalier, d'un cerf, etc. Un ensemble
incomplet de 4 carreaux reproduit l'inscription (Lorant) « d'Auviller me
fit », connue dans la région.
»
Le carrelage était en bon état derrière l' « autel et en état médiocre
ou mauvais ailleurs. Il se prolongeait de l'autre côté de la « marche »
située au nord-ouest où, comme en d'autres endroits, il s'arrêtait brusque-
ment pour faire place à la terre.
Tous ces beaux spécimens de céramique ont été déposés chez M. Jean
Fourmon, maire d'Orbais-l'Abbaye, propriétaire du champ.
Origine de propriété. — La pièce de Heurtebize, de dix hectares, avait
appartenu à M. Frérot, qui la tenait de son aïeul, M. de Leymarie, avocat
au Parlement. Celui-ci l'avait acquise comme bien national (1). Les procès-
verbaux mentionnent « une masure appelée la masure d'Heurtebize,
contenant 2 arpents 46 perches, actuellement en bois, brocailles et labou-
rages ».
Auparavant la pièce de Heurtebize dépendait de l'abbaye d'Orbais.
;
Elle est mentionnée dans les archives des notaires d'Orbais (2) : « la
ferme de Heurtebize (1762) la ferme de Heurtebize, qu'il faut réparer
1.Arch. Aisne, Q 373. Procès-verbaux de vente des biens nationaux des 4 avril
et 7 avril 1791 au district de Château-Thierry.
2. Bail par Nicolas de la Croix, abbé d'Orbais. Il est demandé aux preneurs,
Alpin le Huval et autres, de « faire batir une bonne maison manable, grange,
»
estable, sur la dicte masure (Arch. Marne, 4 E 5173).
(1687, non.
laisséesla une grande masure, court, jardin, assin, terres et prez.
desrestpacensede Heurtebize (1566) ». D'autre part, d'après des notes
desreste deM. Morel vers 1820 (3) : « Il y avait à Saint-Thibault encore
chapelle il y a 50 ans. De ce couvent, on voyait la lumière de
celuideHeurtebize
queles religieuxde situé sur l'autre versant du ru d'Orbais. On prétend
chaque soir ces deux couvents se saluaient en éteignant la lumière
^eUrS'
fontégalement des notes laissées
par M. Léonard (4) à la même époque
Peut-être mention de Heurtebize : « Enfin., les ruines qu'on voit
encore des Couvents. Heurtebize, près de la ferme des Angloux,
S
3. Morel
Louis-Sébastien n758-182fiV
COllège L'Y!,d,
collègeLo à
Ul.s-le-Grand ,----
né Montmirail en----" 1768, maître de conférence de physique au
n'
ayan
"émissairedu r^?,toire (1791), commissaire national près le district de Châlons,
mirail (an v\ près l'administration municipale du canton de Mont-
age à conseIller
de paix M{ontmirailgénéral
IIlent d'Epern ëénérai de la Marne et maire de Montmirail (an VIII),
(an X), du Collège électoral de l'arrondisse-
XIII), notaire président
à Montmirail (1811).
paroisse d'Orbais. prouvent que la guerre aux couvents n'a pas été moins
acharnée dans nos environs que dans ceux de Châtillon ».
Il convient de noter enfin qu'à la différence du cadastre actuel qui ne
;
comporte qu'un numéro pour la pièce de Heurtebize, l'ancien cadastre en
comporte deux le numéro supprimé délimitait un enclos au centre de la
pièce. Cet enclos se retrouve, avec le tracé des anciens bâtiments de
Heurtebize, sur un plan du XVIIIe siècle conservé aux Archives de la Marne.
Conclusion. — Terminer la fouille nécessiterait beaucoup de temps et
de moyens. Dès maintenant, on peut conclure qu'on se trouve en présence
d'une ancienne chapelle ou d'un ancien prieuré et des restes d'une maison
d'habitation, où des moines convers cultivaient les terres de la ferme de
Heurtebize, appartenant à l'abbaye d'Orbais. La chapelle a été brûlée,
comme de nombreux bâtiments religieux en Champagne et notamment
dans la région d'Orbais, sans doute par les Anglais en 1420 (5). La pièce
de monnaie trouvée dans la fouille semble confirmer la date.
tLa présentation
terons de rappeler de cette nouvelle série sera brève. Nous nous conten-
décrite® que sous la rubrique des saints y figurant n'ont pas été
la arne, toutes les statues actuellement encore existant dans les églises de
uependant ayantle
même:retenu seulement les plus typiques. Notre but reste
une surveillance conserver au moins le souvenir d'objets qui, malgré
encore denoséglises.
accrue de la part du clergé et des fidèles, disparaissent
d
Trononcées :f«
ente Soyez
défendez1
Que tous aient à cœur de se souvenir des paroles
la veille de Noël par le pape Paul VI dans la cathédrale de
des gardiens jaloux et fiers de la tradition du passé et
contre ceux qui ne montrent pas pour elle la considération
qui lui est due » (1).
DeSAINTE AVOYE,
Devenuechrétienne — Sa vie est légendaire. Elle serait née en Sicile.
prétends11 et s'enfuitet voulant rester vierge, elle refusa la main d'un
Bretagne OÙelle du domicile paternel. Elle se réfugia en Grande-
Cologne
ft fut accueillie par sainte Ursule. Elle se trouve ensuite à
Huns elleavec les onze mille vierges où ayant échappé au massacre des
envoyée captive à Boulogne. Là des Barbares lui crèvent les
yeux pUIS lUI tranchent
la tête.
où nage,
OùuDautres traits
légendaires nous la montrent enfermée dans une tour
pour la nourrir, lui apporte des pains blancs. La Sainte Vierge
luiaurait également
répandite n donné la communion dans sa prison. Son culte se
Ile-de-France, en Champagne,
en Normandie et en Bretagne.
d'écCONOGRAPHIE.
d'ér-hauguettes, — la
sainte
10 Eglise de Talus-Saint-Prix. Dans
une tour flanquée
Au Pied de la apparaît à une fenêtre, nu-tête, les mains jointes.
à
fait vis-à-vis tour, la Vierge, debout, tenant de la main droite une hostie,
----
h 1m» xvr un ange portant de la main droite un calice. Objet en bois,
-
1.
siècle. A été dérobé
Le Monde,
vers le 20 juin 1964 (2).
M. STA
fication
LeLégard,
Manche,
-
avaitpasétécnArts n° 7450, 26 décembre 1968.
1 -.RnéGandilhon, Le
patrimoineartistique
de la Marne en péril, dans
de la Mame, t. LXXXIII, 1968, p. 69-79. L'identi-
effectuée à l'époque et je remercie bien vivement M. l'abbé
conservateur des Antiquités et Objets d'art du département de la
de me aVOIr indiquée.
2° Eglise de Troissy. Statue, pierre, h = 1,15 m, XVIIIe siècle. Sainte
Avoye debout, la tête légèrement de profil, revêtue d'une vaste robe à plis,
avec ceinture à la taille, tient de la main gauche une palme.
SAINT ELOY.
tiaqUlt dans la — D'après sa Vie écrite par son ami saint Ouen, il
tissae chez villa de Chaptelat près Limoges, vers 588. Mis en appren-
PuisDagobert un orfèvre de Limoges, il devint monétaire sous Clotaire II,
Ordonnerprêtreen fit son trésorier. A la mort de ce dernier roi, il se fit
devint evequede fonda en 632 le monastère de Solignac près Limoges, puis
l'églisedes Dunes,Noyon-Tournai en 640. Il passe pour avoir fait construire
Orfèvre berceau de Dunkerque. Il mourut le 1er décembre 660.
àTours le on lui attribue diverses œuvres telle que la châsse de saint Martin,
Crépinie n' calice de l'abbaye de Chelles et la châsse des saints Crépin et
C'est aInSI de Soissons, mais la légende veut qu'il ait été maréchal-ferrant.
leferra puis que devant ferrer un cheval rétif, il lui coupa l'antérieur droit,
fille de joie, lelui greffa miraculeusement. Tenté par le diable déguisé en
Il lui pinça le
Sonculte nez avec des tenailles portées au rouge.
enfaeembr
1er se répandit de France en Italie. Il était honoré en hiver le
le s
p atteIntset d'entérite,
en été le 25 juin. Invoqué pour obtenir la guérison des
lepatron des orfèvres, il était également le protecteur des chevaux et
tierset des des forgerons, des maréchaux-ferrants, des charre-
à cheval> voituriers. Ses attributs sont notamment une enclume, un fer
un marteau et une tenaille.
ICONOGRAPHIE.
chroO,NOGRAPHIE.
chrorlle, - l' Eglise de la Ville-sous-Orbais. Statue, bois poly-
h = 0,98 m, XVIe siècle. Saint Eloi, debout, chevelu, coiffé d'un
maincirvetu
10
j
ciensis.Series
Parisiis,
sanctorlWum et beatorum ac illustrium virorumsacri
illustriumvirorum ordiniscister-
sacriordinis cister-
A: ISlIS, 1666, in-4°.
n. 135
At. AVril, I, 967. 4
in-80, :'i5rches
Sur Vitry-en-Perthois (Vitry ancien). Châlons-sur-Marne, 1927,
2° Eglise de Merfy. Statue, bois, h = 0,95 m, XVIe siècle. Saint Eloi,
debout, vêtu d'une aube, d'une dalmatique et d'une chasuble, coiffé d'une
mitre à fanons, bénit de la main droite et tient de la gauche un marteau.
A ses pieds une enclume.
3° Eglise de Somme-Tourbe. Statue, bois, h = 1,10 m, xvir siècle.
Saint Eloi, debout, barbu et chevelu, vêtu d'une aube, d'une dalmatique et
d'une chape aux vastes plis, coiffé d'une mitre, tient un livre de la main
droite et de la gauche une crosse.
4" Eglise de Hans. Statue, bois, h = 1,20 m, XVIIe siècle. Saint Eloi,
debout, chevelu, vêtu d'une aube, d'une dalmatique et d'une chape à
orfrois, une croix pectorale pendant sur la poitrine, bénit de la main droite
et tenait de la gauche fort probablement une crosse. A ses pieds une
enclume sur laquelle repose l'antérieur d'un cheval.
5° Eglise de Brugny-Vaudancourt. Peinture toile, h = 1,23 m; 1 =
1,23 m, XVIIIe siècle. Tableau ex-voto. Saint Eloi et saint Loup vêtus l'un et
l'autre d'une aube, d'une dalmatique et d'une chape à vastes plis. Un enfant
au maillot, tendant les bras vers les deux saints, est couché à leurs pieds.
La mère, à genoux, les yeux levés vers eux, offre son enfant.
6° Eglise de Saint-Vrain. Bâton de confrérie, bois, h = 0,40 m, XVIIIe
siècle. Dans une niche, saint Eloi en évêque tient à deux mains devant lui
une petite monstrance où se trouvaient des reliques. A ses pieds un fer à
cheval, une enclume et fichée debout une crosse. Au-dessous les mots
St ELOI priez pour nous.
:
7° Eglise de Matougues. Peinture toile, h = 1,90 m, 1 = 0,95 m, XVIIIe
siècle. Saint Eloi, barbu et chevelu, revêtu d'une aube fort longue, d'une
dalmatique et d'une chape aux vastes plis, coiffé d'une mitre, étend la
main droite vers le sol et tient de la gauche une crosse. A sa gauche, une
enclume et un marteau.
8° Eglise Saint-Loup de Châlons-sur-Marne. Buste reliquaire, bois doré,
h = 0,75 m, XVIIIe siècle. Saint Eloi en buste, chevelu et barbu, coiffé d'une
mitre où apparaissent en relief des épis de blé et des grappes de raisin liés
par un ruban. Au-dessous du buste, boîte pour la conservation des reliques.
9° Eglise de Sézanne. Bâtons porte-cierge, bois, h. totale = 2,15 m,
h. des panonceaux = 0,27 m, 1 = 0,22 m. Sur chaque panonceau, saint Eloi,
;
debout, en évêque, tenant sa crosse de la main gauche et bénissant de la
droite à sa droite une enclume.
te
Saint Eglise de Vanault-le-Châtel. Statue, bois, h
Plis
= 1,22 m, XVIIIe siècle.
surLibaire, debout, revêtue d'un vaste manteau dont elle relève les
du corps,Son bras gauche, tient une palme. Le bras droit est étendu le long
comme en un geste de présentation.
SAINT NICOLAS.
d
du IIlonde — Bien que saint Nicolas soit le saint le plus honoré
entier, l'étant tant dans l'Eglise latine que dans l'Eglise ortho-
doxe onignore
en Asie Mineure pratiquement tout de sa vie. Il aurait vécu au IV siècle
les divers traits mais c'est la Légende dorée qui, au XIIIe siècle, a inventé
sa rs,aurait étédeévêque
son existence. C'est ainsi qu'il serait né en Grèce à
de Myre, aurait combattu contre l'arianisme et
Fnf
serrait mort
en342.
;
il refusait de têter le sein de sa nourrice, le vendredi devenu
évêque Il auraIt
filles au]eUr sauvé du déshonneur, en les dotant et les mariant, trois
trois petItsenfants
père impécunieux voulait prostituer. Quant à l'histoire des
et
saloir que le qui avaient été coupés en morceaux et mis dans un
saint aurait ressuscités, c'est fort probablement la déforma-
tion d'une légende
trois offilerS antérieure où saint Nicolas passe pour avoir sauvé
Plausibles condamnés à mort sous Constantin. Des explications fort
luisontattribués,
°:t;ltété fournies de cette mutation. De nombreux autres miracles
il prend la tous se rapportant à la mer. Invoqué lors des naufrages,
plce de Poséidon et de Neptune. Ses reliques (?) furent trans-
féréesenItalie-,
Particuliè
Nicolas
à Bari, en 1087. Son culte se répandit en France et plus
en Lorraine, ainsi qu'en Allemagne. Les mérites de saint
se confondent également avec
ceux du bonhomme Noël.
fillettron de la Grèce
à
filles
?anr, et de la Russie, il fut invoqué par les écoliers, les
les charpentiers de bateaux, les tonneliers, les marchands
de vin II
était également le saint tutélaire des marins et des bateliers.
1,02 m,
1,02
28 mai
-
ONOGRAPHIE.
1943 1,83
Eglise du Mesnil-sur-Oger. Rétable, pierre, h =
1°
siècle. Classé parmi les objets d'art par arrêté du
rt!' XIve
àtête d'an
1943 Histoire de saint Nicolas. Au centre, le saint assis
sur un siège
droite ettient revêtu des ornements pontificaux, bénit de la main
: ;
miracles Cote de la gauche une crosse. De chaque côté, ses principaux
lejeune denfaItgauche, en haut les trois enfants dans le saloir au-dessous,
Parlesaint :
sermon de saintébouillanté dans son bain pendant que sa mère assiste au
Nicolas. Côté droit, en haut les trois jeunes filles dotées
tombé à llaa Pour les Protéger du deshonneur. Au-dessous, le jeune garçon
mer et protégé par saint Nicolas.
2° Eglise de Larzicourt. Statue, bois, h = 1,02 m, XVIe siècle. Saint
Nicolas, debout, chevelu mais imberbe, vêtu de l'aube, de la dalmatique et
de la chasuble, coiffé de la mitre, bénit de la main droite et tient de la
gauche sa crosse. A ses pieds les enfants dans le cuveau.
y Eglise de Lhéry. Statue, bois, h = 1,07 m, XVIe siècle. Saint Nicolas
assis sur un siège à têtes d'animaux, vêtu de l'aube, de la dalmatique, de
la chasuble et, semble-t-il, d'une étole (?) et coiffé d'une mitre. Il bénit de
la main droite et tient de la gauche probablement une crosse dont il ne
subsiste que peu de chose. A ses pieds les enfants dans le cuveau.
4° Eglise de Corroy. Statue, pierre, h = 1,40 m, XVIe siècle. Saint Nico-
las, debout, imberbe, vêtu de l'aube, de la dalmatique et d'une chape à
fermail, coiffé d'une mitre, devait bénir de la main droite actuellement
disparue. On ne peut assurer s'il tenait une crosse de la main gauche. A
ses pieds les enfants dans le cuveau.
5° Eglise de Toulon-la-Montagne. Statue, bois, h = 1,05 m, xvr siècle.
Saint Nicolas, debout, imberbe, vêtu de l'aube, de la dalmatique et de la
chasuble, coiffé de la mitre, bénit de la main droite et tenait fort proba-
blement de la gauche une crosse. A ses pieds les enfants dans le cuveau.
6° Eglise de la Ville-sous-Orbais. Statue, bois, h = 1,20 m, XVIIe siècle.
Saint Nicolas, debout, imberbe, vêtu de l'aube, de la dalmatique et d'une
chape à fermail, coiffé de la mitre, bénit de la droite et tient sa crosse de
la gauche. A ses pieds les enfants dans le cuveau.
7° Eglise de Hans. Statue, bois, h = 1,30 m, XVIIe siècle. Saint Nicolas
chevelu, mais imberbe, vêtu de l'aube, de la dalmatique et d'une chape à
fermail, la croix pastorale pendante sur la poitrine, bénit de la main droite
et tenait probablement sa crosse de la gauche. A ses pieds le cuveau, mais
les enfants ne subsistent plus.
-
8° Eglise de Barbonne Fayel. Statue, bois, h = 1,15 m, XVIIe siècle.
Saint Nicolas, chevelu, mais imberbe, vêtu de l'aube, de la dalmatique et
d'une chape à fermail, coiffé de la mitre. A ses pieds les enfants dans le
cuveau. Les mains du saint ont disparu.
9° Eglise de Cheppes-la-Prairie. Statue, bois, h = 1,14 m, XVIIIe siècle.
Saint Nicolas, debout, chevelu et barbu, coiffé d'une mitre, vêtu de l'aube,
de la dalmatique, d'une chape et d'une étole, bénit de la main droite et
tient de la gauche sa crosse. A ses pieds les enfants dans le cuveau.
10° Eglise du Mesnil-sur-Oger. Statue, bois, h = 0,93 m, XVIIIe siècle.
Saint Nicolas, debout, chevelu et barbu, coiffé d'une mitre, vêtu de l'aube,
de la dalmatique et d'une chape à orfroi, bénit de la main droite et tenait
de la gauche une crosse qui a disparu. A ses pieds les enfants dans le
cuveau.
11° Eglise du Chemin. Peinture toile, h = 1,60 m, 1 = 1,45 m, XVIIIe
siècle. Le Christ ressuscitant du tombeau. A droite, saint Nicolas, barbu et
chevelu, coiffé d'une mitre, vêtu de l'aube, de la dalmatique et d'une chape
à orfroi, tient de la main gauche une crosse et porte à sa poitrine la main
droite. A ses pieds les enfants dans le cuveau. A gauche, saint Claude, vêtu
de l'aube, de la dalmatique et d'une chape à orfroi, imberbe, coiffé d'une
mitre à fanons, bénit de la main droite et tient de la gauche sa crosse.
A ses pieds, en buste, le jeune enfant que saint Claude ressuscita. — Cf.
saint Claude.
Coulomme-la-Mon
Claire
s.)
XVe
Sainte statue,
de
(Eglise
Saint-Prix,
Saint-Prix,
Avoye s.)
-
TalusXVIe
Saintede statue,
de
(Eglise
commune
statue,
Avoye
Troissy,
S.)
XVIIIe
Sainte
de
(Eglise
Pl.II
Sainte Claire
mettant en fuite les Sarrazins
(Eglise de Sezanne, Saint Claude
toile peinte, XVIIe s.) (Eglise du Chemin, statue, XYII" s.)
SaintClotaire
(Eglise de -
statuette: s.)
Vitry-ell-13ei-thois,
XVIIe Saint Eloi
(Egl. de la Ville-sous-Orbais,
Saint Eloi
(Eglise de Hans, statue,
statue, XVIeS.) xvjies.)
(Eglise de Matougues,
Saint Eloi
SaintEloi peinturetoile,XVIIIes.)
(EglisedeBrugny-Vaudncourt,
et saint Loup
(Egl. de St-Vrain,bâton de con frérie,
Saint Eloi
XVIIIe s.)
Peintul'e toile, (Eglise Saint-Loup de Châlons-sur-Marne,
XVIII" s.) buste reliquaire, XVIIIeS.)
Pl. IV
Sainte Libaire
(Eglise
-s.)
de Sainle
statue,XVIIe Livière,
Saint Gildard
(Eglise deFèrebrianges,
Saint Nicolas
(Egl.delaVille-sous-Orbais,
bâtondeconfrérie,XVIIIeS.) statue,XVIIeS.)
Saint Nicolas
(Eglise du Mesnil-sur-Oger, rétable. XIVC s.)
Pl.V
Saint Nicolas
(EglisedeLhéry, Saint Nicolas Saint Nicolas
statue, (Eglise de Soudron, (Eglise de Giffaumont,
XVIe s.) statuette, XVIIIeS.) bâton de confrérie, XVIlle s.)
Saint Nicolas
(egi.du Mesnil-sul'-Oger, Saint Nicolas Saint Nicolas
statue,XYIIIeS. ) (Eglisede Barbonne- Fayel, (Eglise d'Outines,
statue, XVIIe s.) bâton de confrérie, XVIIIe s.)
Pl.VI
Saint Nicolas
(EglisedeVitry-le-François,
bâton decolifi'ériv,xvilleS.)
Saint Nicolas
(Eglise de Pogny,
bâton de confrérie, Saint Nicolas et saint Claude
s.)
XVIIIe (Eglise du Chemin, peinture toile, XVIIIe s.)
Pl.VII
Saint
(EgliseNotre-Dame Nicolas
de Cliàlons-sur-Marne,
Peinturetoile,XVIIIes.)
Saint
de
(Eglise Sébastien
Saint Sébastien, saint Roch
et un autre personnage
Suizy-Ie-Franc,
statue, XVIe s.) (Eglise de Champguyon, peinture bois, XVIe s.)
Pl.VIII
Saint Sébastien
(Egl. Saint-Martin Saint Sébastien Saint Sébastien
de Courtisols, (Eglise de Somsois, (Eglise de Baslieux-lès-Fismes,
statue, s.)
XVIe
statue, XVIC s.) statue, XVIIe s.)
Saint Sébastien
(Eglise de Lucy, Saint Sébastien Saint Sébastien
a^Ue»XVIIeS.) (Eglise de Granges-sur-Aube, (Eglise de Bussy le-Château,
t - statue, XVlle s.) statue,XVIIe s.)
12, Elise de Verrières. Peinture toile, h = 1,92 m, 1 = 1m, XVIIIe siè-
cle,
el A droite, saint
Nicolas,
vêtu del'aube, de la dalmatique, debout, chevelu et barbu, coiffé de la mitre,
béISSant de la droite tenant de la main gauche une crosse et
deh les enfants dans le cuveau. A gauche, saint Eloi,
chevelu et barbu, coiffé de la mitre, vêtu de l'aube, de la dalmatique
et d'une chape, tenant de la main droite
gauche (sic). A sa crosse et bénissant de la main
ses pieds, à gauche, une enclume surmontée d'un marteau.
13° Eglise Notre-Dame
de Châlons-sur-Marne. Peinture toile, h = 3 m,
-
1~= 2
m, XVIII" siècle. Saint Nicolas en évêque, apparaissant dans une nuée
etOIînarît à la mer de s'apaiser. Quatre marins surnageant sur les flots
ontes où on aperçoit les débris d'un navire, une balle de marchandises
et un tonneau.
d,14°AEglise du Bas-Village, à Vitry-le-François. Statuette provenant
d'un baton de
dalout,. chevelu confrérie, bois, h = 0,50 m, XVIIr siècle. Saint Nicolas,
damtIque, mais imberbe, coiffé d'une mitre, vêtu d'une aube, d'une
dans
le d'une étole et d'une chape, bénit de la main droite les enfants
cuveau et tient de la gauche une crosse.
15° Eglise de
bois, h
bo' Soudron. Statuette provenant d'un bâton de confrérie,
= 0,35 m, XVIIIe siècle. Saint Nicolas, debout, chevelu et barbu,
chaedune
pe, , mitre, vêtu d'une aube, d'une dalmatique, d'une étole et d'une
la croix pastorale
sur la poitrine. Les mains ont disparu.
16° Eglise de Cuis. Statuette du tabernacle d'un
h - _6
tiou
autel latéral, bois,
m, XVIIe siècle. Saint Nicolas, debout, vêtu de l'aube, d'une dalma-
droiteles
et d'une chape, la croix pastorale sur la poitrine, bénit de la main
enfants dans le cuveau et retient de la gauche un pan de sa chape.
atuett
ride7°
h s Eglise de0,34Giffaumont. Bâton de confrérie, bois, h. totale = 0,70 m ;
rideaux,
uVeausaint
=
;
m, XVIIIe siècle. Sous un dais, apparaît entre deux
Nicolas, debout, chevelu et barbu, en évêque à ses pieds
en
h.
18,
statUCtte
veque
s9;
=et les enfants.
Eglise d'Outines. Bâton de confrérie, bois, h. totale
= 0,88 m,
m, XVIIIe siècle. Saint Nicolas, debout, chevelu et barbu,
; à ses pieds le cuveau et les enfants.
Eglise de Pogny. Bâton de confrérie, bois, h. totale
h.
h. statuette = 0,81 m,
à
évêque; ses=pieds 0,25 m, XVIIIe siècle. Saint Nicolas, debout, imberbe, en
le cuveau et les enfants. —La statuette a été volée le
3 mai
1967.
1.40
1,40 h.Eglise de Vitry-le-François. Bâton de
statuette
confrérie, bois, h. totale =
d'unque, = 0,55 m, XVIIIe siècle. Saint Nicolas, debout, imberbe,
Confrpeauayant à ses pieds une barque portant, outre un rameur coiffé
Fran re conique, un autre petit personnage. — Ce bâton de l'ancienne
François, desmariniers appartenait à l'église du Bas-Village, de Vitry-le-
1964 dans is. il fut détérioré et le motif sculpté volé vers le 28 octobre
l'église Notre-Dame de Vitry-le-François, où il avait été déposé.
SAINT
il
il devint SEBASTIEN. — Il serait né à Narbonne, mais élevé à Milan,
de
ayant deetuno
e la garde impériale sous Dioclétien. Devenu chrétien,
d'abjurer,
servir de il fut condamné à être attaché à un poteau pour
cible à des archers. Ayant survécu à
ses blessures et ayant repro-
ché à Dioclétien sa conduite vis-à-vis des chrétiens, il fut flagellé et assom-
mé et son corps jeté dans un égout.
Considéré comme le troisième patron de Rome après saint Pierre et
saint Paul, ses reliques auraient été transférées à Saint-Médard de Soissons.
Patron des archers et des arbalétriers, dont les confréries étaient nom-
breuses dans les villages champenois (6), il était également invoqué contre
les épidémies de peste.
ICONOGRAPHIE. — 1° Eglise de Champguyon. Peinture sur bois, h =
1,40 m, 1 = 1,25 m, xvr siècle. Au centre, saint Sébastien, nu, imberbe, tête
nue, attaché à un arbre par le bras droit élevé et par les deux jambes, est
transpercé de flèches. A sa gauche, saint Roch, debout, dont un ange montre
du doigt la plaie de la cuisse. A sa droite, personnage nu-tête, tenant de la
main gauche un livre et de la droite une crosse.
2° Eglise de Saint-Martin de Courtisols. Statue, pierre, h = 1,56 m,
XVIe siècle. Saint Sébastien, chevelu, est attaché à un tronc d'arbre par les
deux bras relevés au-dessus de la tête, et par les jambes. Les flèches le
transperçant ont disparu.
3° Eglise de Suizy-le-Franc. Statue, bois, h = 1,40 m, XVIe siècle. Saint
Sébastien, chevelu, est attaché à un tronc d'arbre par le bras droit élevé
au-dessus de la tête, le bras gauche replié derrière le dos, et par les jambes.
Il porte le collier de l'Ordre de Saint-Michel, insigne des confréries
d'archers. Le fait mérite d'être signalé, étant une particularité champe-
noise. Son corps est transpercé de trois flèches.
4° Eglise de Somsois. Statue, pierre, h = 0,95 m, XVIe siècle. Saint
Sébastien, chevelu, est attaché à un tronc d'arbre par le bras droit proche
du corps et par le bras gauche replié derrière le dos. Les flèches qui le
transperçaient ont disparu.
5° Eglise de Bussy-le-Château. Statuette, bois, h = 0,54 m, XVIIe siècle.
Saint Sébastien, debout le long d'un poteau, le bras droit replié derrière
le dos, tenant de la main gauche élevée un vase de fleurs. Quatre flèches le
transpercent.
6° Eglise de Baslieux-lès-Fismes. Statue, bois, h = 1,07 m, XVIIe siècle.
Saint Sébastien, chevelu, debout contre un tronc d'arbre, est attaché par
le bras droit allongé près du corps et par le bras gauche replié. Il est
transpercé de flèches.
7° Eglise de Lucy. Statue, bois, h = 1 m, XVIIe siècle. Saint Sébastien,
chevelu, est attaché à un tronc d'arbre par le bras droit relevé, le bras
gauche allongé le long du corps, et la jambe gauche. Les flèches ont disparu.
8° Eglise de Granges-sur-Aube. Statue, bois, h = 1,40 m, XVIIe siècle.
Saint Sébastien attaché à une colonne les bras repliés derrière le dos. A
ses pieds un carquois contenant des flèches.
9° Eglise Saint-Jean de Châlons-sur-Marne. Peinture toile, h = 1,55 m,
1
= 1,08 m, XVIIe siècle. Saint Sébastien secouru par un ange qui extrait du
corps du martyr une flèche. Le saint est attaché à un arbre par les deux
bras élevés et se tient semi assis.
6. Comme nous l'avons déjà indiqué, nous ne donnons ici la description que
des statues les plus typiques, laissant par exemple de côté celles conservées dans
les églises de Bussy-aux-Bois, Bussy-Lettrée, Corroy, Courthiézy, Cuchery, Romi-
gny, Soudron, Treslon.
Enfance de Vitry., le., François
par
René CROZET
Donc,
deaçolS comme il a été rappelé dans un précédent article (1), Vitry-le-
est née d'une décision royale prise par François Ier sous le coup
Ch a dramatique
de
quarles-QInt expérience de l'invasion poussée par les Impériaux de
au cours de l'été 1544. Ayant fait sauter les modestes verrous
que constItuaIent
Saulx les Saint-Dizier la Marne
sur Vitry-en-Perthois
et la sur
Groupes impériales ont pu s'avancer sans rencontrer grande
résistanCe Jusque
mand
Consein
'Ct
- vers Meaux. Une armée plus homogène, mieux com-
moins lourde aurait pu, peut-être, menacer directement Paris.
parl'italien
Parmilesquels plusieurs capitaines, ingénieurs et experts en fortifications,
revêaslOn Girolamo Marini, le roi a voulu placer sur une voie
toujours menacée un verrou mieux adapté aux formes nouvelles
revêtueS l'attaque ou la défense des villes fortes. De là, les décisions
°fficiell6SPar
d abandonner Vitry-en-Perthois à son sort de modeste bourgade
rurale
'Volonténedefaire
coservant, de son appareil guerrier, que des ruines. De là, la
placedu
Place village de surgir, au voisinage du confluent Marne - Saulx, en regard
»
aerce que la Marne s'est ouverte dans la « côte crayeuse, à la
etd'in
susceotiv
Maucourt, une ville neuve dotée de défenses modernes
administratives, judiciaires, économiques et fiscales
:
UnPeuPlusqu'on
d'y attirer quelques milliers d'habitants.
un vra dire, ceci résume l'aspect
le officiel des choses en le schématisant
Pastellei116111 ferait dans un chapitre de manuel d'histoire, mais
j
encore seulePlus. Un examen plus attentif des sources (2) et, mieux
réflexion conduisent à penser que les choses ne se sont pas
neseraie1
recherche
f
nesers.aUSSI simplement.
Vitry-en-Perthois, Maucourt, Vitry-le-François
que des entités abstraites si nous ne prenions pas la peine de
verronimpemet leursles documents ce qui en faisait la substance vivante,
3v travers
issance
Il
Marne, t.deVitry-le-François,
1. Naissanc
dI, V.
LLXAXXVXTITIT dans M. Soc. Agric., Com., Sc. et Arts de la
p.99-106, 2 pl. hors-texte.
1968,
au Sujet de celles-ci, voir la
note 1 de cet article.
nelles et par un sentiment fort défendable d'attachement au terroir ou à
la maison même incendiée au cours de la bagarre.
Tournons-nous d'abord vers les gens de Vitry-en-Perthois, les premiers
et les plus directement intéressés. On les évalue à 1200 ou 1300. Ils se
partagent évidemment en diverses catégories sociales. Il y a de petites
gens, en particulier des vignerons qui doivent tirer parti des pentes
»
crayeuses de la « côte voisine du bourg. Il y a des laboureurs de la
plaine. Il y a aussi des artisans et, selon le langage du temps, des « gens
mécanicques » dont le métier manuel n'est pas autrement précisé (3). Il
nornbÇOI
nà breT.*
iUj
o
arcontre,celui-ci ne paraît pas très empressé à accueillir le chapitre.
d'hérétiques,
ne semble pas très soucieux de se transporter à Vitry-
prétexte que la nouvelle ville compte un assez grand
ce à quoi on aurait pu lui objecter que sa mission,
rOYauxv ouvle e
precIsément de limiter les progrès de l'hérésie. Les habitants
aux
e
auxrn Hem°htionsemblent disposés à interpréter largement les ordres
mur,1 de la ville ancienne s'en prenant à la tour du château,
très attdevilleaux portes et aux ponts tendant ainsi à la ramener à la
ouverte. Les « vignerons, artisans et autres mécanicques »
très attah
eS
aVant1 Pourrait au sol et au métier résistent. Ils cherchent à démontrer que
avantaee être rapidement remise en état de défense et jouir des
général des vlles closes. Ils ont pour eux le sieur Raulet, lieutenant-
.l^age
datee
Henri de Châlons-sur-Marne. A en croire une décision de
PIUsieuer,leur de Joinville, 18 juin 1548, décision qui, il convient de le
Plusieurs est défavorable, ils ont commis, à l'encontre de leurs voisins,
».
etautre * coures et insultes Raulet les a convoqués en « assemblée
8
etautres ^1°noP°lieuse
lastons d'armes, » où on les a vus « garnis d'espées, fourches, fer
suivreRaul usant de grandes menasses ». Le roi fera pour-
et
7.
Catalogudmm.
Archcomm.
es
Vitry-le-François,AA2,pièces2et
e
4; 2
Vitry-le-François, AA 2, pièces 2 et 4 ; Arch. dép. Marne, E 101
8 Arch actes de François [es t. VII, n° 389.
<
comm. Vitry-le-François, AA2, pièces 5 et 6.
?
Mais ce roi, n'avait-il rien à se reprocher On est confondu d'avoir à
enregistrer ses propres contradictions. Au lendemain de son avènement,
le 3 mai 1547, il a révoqué la création de Vitry-le-François et les privilèges
accordés à ses habitants. Le 10 novembre 1547, il est revenu sur sa décision.
Le 11 avril 1548, ordre a été donné de reprendre les travaux. Le 24 avril de
la même année, Vitry-en-Perthois est déclarée ville ouverte. En mai, nou-
veau revirement contraire à Vitry-le-François. En octobre, une sentence
royale laisse entendre que les rapports sont toujours tendus entre les
frères ennemis. Il faut attendre 1555 pour voir le roi décider de la reprise
des opérations d'arpentage et de répartition des lots à bâtir confiées, le
comte de Nanteuil étant mort dans l'intervalle, au lieutenant-général du
bailliage Antoine Lignage et au mesureur Etienne Marchant (9).
Cette fois, le stade de la première enfance de Vitry-le-François est
dépassé et, avec lui, celui des petites crises de santé. Les menus faits que
;
nous venons de rapporter ne dépassent pas le niveau des querelles locales,
reflet de facteurs psychologiques relativement aisés à expliquer mais il
était dit que, du fait des circonstances même de sa naissance, la cité
nouvelle serait appelée à vivre dangereusement. Dès son adolescence, les
troubles de la Ligue, puis, plus tard, 1814, 1870-1871, 1914-1918 et 1941-1944
devaient en apporter la tragique démonstration.
6e
pcca.sion à Châlons-sur-Marne. Il nous donne ainsi
Parls de confirmer les conclusions que de récentes études nous ont
de tirer avec assez de certitude sur la chronologie des poinçons de
Paris aU
VIle siècle et d'apporter quelques précisions sur cette œuvre
dontl'origine
ne peut laisser de doute.
°blie^?e^°ns que depuis le XIVe siècle l'usage du poinçon de maître était
bonrnautes, Pour les orfèvres français et que dès le XVe, dans de nombreuses
fi
bon 01 les gardes, élus théoriquement chaque année, attestaient le
des ouvrages d'or et d'argent en apposant leur contremarque.
»
àchaIt encore « poinçon de jurande ou « de communauté », celle-ci
à cu
se generalement une lettre qui changeait suivant l'ordre alphabétique
chaque mutation
Sedifférenciait selon desdits gardes, variait de forme à chaque alphabet et
ïnarauGS
- les communautés. Ainsi la configuration de ces
piededassurJurande et Maître — permet leur identification, et leur concor-
Pied dU calIceune datation exacte. Celles que porte la plaque vissée sous le
uneesentent de Notre-Dame-en-Vaux n'échappent pas à cette règle et
une «
Fleur d'une part un « C surmonté d'une couronne », d'autre part
de lys couronnée, deux grains, les lettres A C, un trèfle ».
et
entre ce «. couronné» correspond exactement dans ses formes fleuron-
nées
etses dimensions aux diverses lettres de l'alphabet employé à Paris
h
national et 1643. Grâce
s'-
déce6
Çue furet
règlement
1.
sa période
dans Calice
aux
aux procès-verbaux conservés aux Archives
d'utilisation peut être située avec précision du
re 623 au 11 décembre 1624. C'est donc entre ces deux dates
les divePrésentés
gardes de la communauté des orfèvres de Paris
elernents composant le calice, à l'état d'ébauche suivant les
pour être essayés et contremarqués.
CI.Arch.Phot.
Calice de la cathédrale de Tours.
Pl.III
par
Dom Jacques HOURLIER, O. S. B.
VGodefroy, en
eanne,et publiait son étude sur Les bénédictins de Saint-
1918,
a Révolution (1). Son objet était de présenter les religieux de la
Congrégation
6
radical montrer des Saints Vanne et Hydulphe aux prises avec une épreuve
tesimnf
e
les auses, leurs options au cours des années cruciales, en chercher
suivre les conséquences. L'auteur reconnaissait les limites,
sévère sur l'état de son travail, tout en maintenant, alors, son verdict
moral de la Congrégation en 1789.
peutn
qu' pourrait aujourd'hui élargir l'enquête. Le résultat brut serait
-etre
^u'apne^tGralt
plus optimiste; il serait certainement plus nuancé. Aux précisions
du
cauanclees une méthode statistique, s'aj outeraient les appréciations
causes a
Que lsuerent
comportement des hommes, en lui-même et dans ses
méthode d'investigation bénéficierait des perspectives nouvelles,
que le
Serge
de bonnes monographies individuelles, celles par exemple
dere
(3),oudesenquêtes, Bonnet consacre à un Génovéfain (2) et à un Trappiste
Profonde à la fois menées sur une large surface et conduites en
abdicataires, comme celle que Monsieur Reinhard dirige sur les prêtres
ou celle que publie Dom Gaston Charvin sur les Mauristes (4).
Vanne
Vannistesmeilleure connaissance du milieu permet de ne plus traiter nos
nsrex
de causes comme des isolés, placés devant des cas de conscience indivi-
déter
de
des options apparaissent aujourd'hui conditionnées par
plusmInaton facteurs, où le social joue tout autant que le spirituel et la
plusPoussées. ces causes elles-mêmes bénéficie des études actuellement
;
Pour ne prendre qu'un exemple, il faudrait réviser le rôle
attribué par Godefroy
ciser' le au Jansénisme dans l'orientation des Vannistes en
----
ciser ce gros travail de M. Taveneaux pour la seule Lorraine invite à pré-
auest alors ce Jansénisme, et à le distinguer du Richérisme (5).
J?,1?-L&eur5°defr°y'
Chérests'eura,par
Q Sor
2. A4. d
et
Les bénédictins de Saint-Vanne et la Révolution, Paris,
Ser la suite, nuancé son jugement sur les Vannistes, M. Gilbert
porte garant (R. Mabillon, t. L, 1960, p. 156, note 2).
t.
dans
LXXIV1959, p., -
bibliothèque janséniste de Joseph Antoine Demeaux.,
t. LXXIV, 1959, p.114-132.
Corn., Sc. et Arts de la Marne, t. LXXIII, 1958, p. 103-120 ;
1960,-'. p.
196°, Le1224526
mA
P. 122-152. et Ch. Santini, Le magazin spirituel de René Adam., ib., t. LXXV,
dair
saVantesLétepubliés premiers dépouillements de l'enquête sur les abdica-
dans les Actes du LXXXIXe Congrès
l
sa-vantes,LYon,
la RévOlutiotodn
éQvolution 1964,
D Gasto Charvm,
n ru
national des Sociétés
Section d'histoire moderne et contemporaine. Paris, 1965,
Les religieux de la Congrégation de Saint-Maur pendant
dans R. Mabillon,
5-
théRené
thè.cille
quede lala
deT ouueté Le
Sociétédhistoire t. LV, 1965, p.45 sq.
-
Jansénisme en Lorraine, 1640 1789, Paris, 1960 (Biblio-
ecclésiastique de France).
Après ce préambule esquissant quelques principes de méthode, on
attendrait un travail qui les mette en œuvre. Il n'en est rien malheureuse-
ment, car nous ne pouvons ici apporter qu'une très mince contribution à
un très vaste sujet, à propos du seul monastère d'Hautvillers.
;
L'abbé Manceaux a publié un gros ouvrage sur ce monastère (6). On
y trouve beaucoup de choses et de très bonnes choses plus d'un ne s'est
;
pas privé d'y puiser largement. Le gros défaut de Manceaux est de ne pas
assez dominer la matière il utilise, il cite de nombreux documents, noyant
souvent le lecteur sous l'abondance des pièces d'archives, qu'il ne reproduit
pas toujours exactement, qu'il combine à l'occasion, glose, ou complète.
L'ordre chronologique ne préside pas nécessairement à la composition de
son livre, qui prend volontiers l'allure d'une suite de monographies, quand
il ne se borne pas à livrer des séries de notes. Ouvrage précieux, on
l'apprécie mieux lorsqu'on a vu, soi-même, les pièces d'archives, pièces
qu'il indique très loyalement, mais de façon elliptique.
Une portion importante du chartrier d'Hautvillers est aujourd'hui
déposée à Châlons (7), quoique les procédures du XVIIIe siècle aient conduit
aux Archives nationales une bonne partie des papiers, concernant surtout
les offices claustraux (8). En outre, Archives nationales et Archives de la
Marne conservent dans diverses autres séries des renseignements précieux,
en particulier dans les fonds de la Révolution, fonds si utiles, non seule-
ment pour la période qui les a constitués mais aussi pour l'époque
antérieure (9).
Toutes ces pièces d'archives, qui nous renseignent avant tout sur le
temporel, intéressent, occasionnellement ou indirectement, la vie spiri-
tuelle et proprement monastique. Celle-ci apparaît plus clairement dans ce
qui nous reste des œuvres architecturales ou picturales, dans la documen-
tation relative au pèlerinage de Sainte Hélène, et dans les écrits des moines
d'Hautvillers. Ces écrits, imprimés ou manuscrits, ont été inventoriés par
Godefroy (10) : il n'y a pas à y revenir, si ce n'est pour dire qu'ils n'ont pas
benedictinum) ; ;;
Germain-des-Prés) ;
-
:
9. Archives nationales, L 1002 A G8 156, 160, 634. —
-
G 286 et 287 ; G 12, 481, 841 ; H 1059 1378 ; J 1637 1661
Archives de la Marne,
; L 1704, 1550, 2014 ; Q,
Hautvillers. — Ajouter, à la Bibliothèque nationale ms. latin 12658 (Monasticum
ms. fr. 18817 (e 187 VO ; livres donnés à Hautvillers par Saint-
20894 (Gaignières) les correspondances des Mauristes : fr.
17708 (fos205, 207) fr. 19653 (f 183).
10. Jean Godefroy, Bibliothèque des Bénédictins de la Congrégation de Saint-
Vanne et Saint-Hydulphe, Ligugé - Paris, 1925 (Archives de la France monastique,
XXIX). — Gilbert Chérest, Supplément à la Bibliothèque., dans R. Mabillon,
tous été exploités autant qu'ils le méritent. Enfin, à
ces diverses sources
on ajouterait des textes narratifs, en particulier les récits de voyages
derudits.
Malgré trop de pertes regrettables, l'histoire d'Hautvillers est
nous
onnue assez en détail, surtout pour certaines périodes, parmi lesquelles
les temps du monastère vanniste font belle figure. Centré
du R. P. Dom Pierre Pérignon, sur la personne
un gros travail évoquera prochainement la
vie des premières générations de religieux, entre 1635 et 1715. Une étude,
oins spectaculaire, mériterait de s'appliquer au XVIIIe siècle, de Pierre
engnon à Jean-Baptiste Grossard (11); et elle s'achèverait sur la fin du
monastère d'Hautvillers.
A ce chapitre ultime nous voudrions ici apporter quelques fiches, très
Incornplètes. Elles concernent la préparation aux années 1789 -1791 la
communauté en 1790; les options des religieux à la fermeture du monastère.
;
1
Réparation
aux années 1789 -1791
En ce qui concerne les préparations lointaines à 1790,
une première
ge niuete. Porte sur les effectifs. Depuis l'entrée d'Hautvillers dans
sg't'l)" Ils n'avaient cessé de monter jusqu'à la fin du XVIIe siècle
19lex
en 1634, une douzaine à partir de 1667; puis la communauté
caccroIt jusqu'à
:
la Congré-
huit
vingt-quatre membres en 1689. En 1711, elle n'en
cOrnpte plus que compter
ie
c respondent auxvingt-deux. Tous ces chiffres, exacts à un ou deux près,
signataires des actes capitulaires. C'est d'après la
source probablement que Manceaux donne ses propres listes (12).
1721avait
oscll
1790A
montré un relèvement, à vingt-six. Entre 1756 et 1788, le chiffre
de seize à dix-huit, avec une baisse lente et constante de 1780 à
cette dernière date, il n'y aura plus que quatorze religieux en tout
à autvIllers.
Il serait intéressant de connaître la courbe de l'âge
moyen, afin de
rnesurer la répercussion éventuelle des décisions de la Commission
rn
peAlers. Mais des
les erreurs de transcription des noms par Manceaux,
Peut"trC
Port"eraItaussi des lacunes de la Matricule rendent le calcul mal aisé. Il
pQ que la Congrégation ait maintenu sensiblement la même pro-
Qu'autrefois, de moines âgés et de jeunes par rapport aux hommes
en P,leine force.
Le recrutement baisse
novonastere
Ce pourtant. On le constate à Hautvillers même,
sixICIal.1757
six profes.
que souvent le chapitre général choisit comme maison
marque la dernière année où le noviciat est florissant :
E.
e
Plusieurs't
E.Co ravaux
Cove(
Il n'yen a plus que deux ou trois en 1758,
importance : ;:
singulier, irremplaçable. Après sa mort, l'ère de l'expansion s'achève
bientôt, au temporel et au spirituel. Deux facteurs pourtant gardent une
le pèlerinage à sainte Hélène, la fabrication des vins de
Rivière de Marne mais à cet égard comme aux autres, les religieux vivent
sur l'élan antérieur il n'y a plus à créer. Il ne reste plus qu'à entretenir
les bâtiments, réparer les dégâts causés par des orages, améliorer les
adductions d'eaux, etc. A peine retiendra-t-on deux transformations nota-
bles, celle des orgues et celle des stalles. Peut-être la courbe descend-elle
-
lentement, pour marquer un creux maximum vers 1750 1760, suivi d'une
remontée qui s'amorcerait vers 1760-1770. Cette évolution se vérifie en
plusieurs monastères, mais la reprise est trop faible et trop tardive pour
faire pièce aux forces extérieures qui vont bientôt ruiner le monachisme.
La seconde remarque pose la question de savoir si l'on peut parler de
la vie d'une communauté, alors que les membres qui la composent varient
; ;
presque tous les trois ans, et par conséquent de savoir s'il existe « un esprit
d'une maison », une tradition locale ou doit-on chercher une orientation
régionale, par province ou même se contenter de tendances communes à
?
la Congrégation La question n'est pas oiseuse si l'on veut apprécier le
comportement des religieux en 1790. Au temps du Père Pérignon, plusieurs
religieux, par de longs séjours ou par des venues successives, avaient
totalisé un nombre notable d'années de présence à Hautvillers, plus d'une
dizaine d'années. Une enquête trop rapide laisserait penser que la com-
13. Renseignements relevés dans la Matricule (éd. Gilbert Chérest, Paris, 1963),
laquelle fournira encore nombre de renseignements à notre étude.
14. Cf. Gilbert Chérest, Congrégation de Saint-Vanne. Catalogue des religieux
en charge. I. Province de Champagne, dans M. Soc. Agric., Com., Se. et Arts de la
Marne, t. LXXXI, 1966, p. 136-151 ; t. LXXXII, 1967, p. 175-188.
munauté devient plus fluctuante à partir de 1711. Cinq ou six prieurs
cependant ont vu leur charge renouvelée, et certains ont pu marquer
avantage la maison, tel Dom Alexis Lombal Dom Louis Tiroux. Lombal
fait son noviciat à Hautvillers, où il émet ou
ses
;vœux en 1758 ;
sous-prieur
en 1777 -1778, il y devient prieur en 1780 -1782 on y trouve Tiroux sous-
Prieur en 1744-1750, puis prieur
en 1762-1765, moine ou sous-prieur en 1769,
sous-prieur en 1769 et en 1770-1774, prieur en 1774-1780.
Entre 1780 et 1788, la communauté se voit entièrement renouvelée ce
sera donc un personnel nouveau qui rencontrera les problèmes de la
évolution. Tous cependant s'y trouvent
:
alors comme des nouveaux-
Venus.
ne pas
11
"a communauté 1790
en
En 1790, la liste des religieux est celle de 1788 à deux exceptions près
SI
(
convers à Mouzon.
co
(quatrePères
;
ce qui n'indique pas nécessairement une origine paysanne.
Un Père, le doyen
d'âge, a fait son noviciat à Saint-Urbain un frère
Le reste de la communauté a été formé à Hautvillers
peut
s et un convers) ou à Saint-Vanne (sept pères). Il y aurait
ent Aproesseurs
e"ntt,r-am-erait
;
lieu à chercher quels prieurs et maîtres des novices, et aussi
de théologie, ont façonné les esprits mais le travail
trop loin.
15* Cf. le tableau annexe.
Il serait pourtant capital de savoir comment tous ces religieux com-
prenaient leur vie monastique. On ne peut guère aller plus loin que poser
des questions. De quel crédit jouissaient les classiques de la spiritualité
?
vanniste, à commencer par Dom Philippe François Les séjours de Robert
Desgabetz, un père du cartésianisme dans la Congrégation, ou de Thierry
de Viaixnes, ce janséniste conspirateur, avaient-ils laissé quelque souvenir
à Hautvillers? Parlait-on encore de l'académie, fondée par Dom Barthé-
lemy Senocq, de son programme d'études, de ses travaux de philosophie,
?
théologie, exégèse Lisait-on les livres écrits par les anciens et leurs notes
manuscrites, conservés à la bibliothèque, les travaux d'exégèse et de
mystique de Dom Joseph Caillet, de philologie latine, grecque, hébraïque
de Dom Rupert Regnault ? Ou se contentait-on de chanter les hymnes
composées par Dom Jean-Jérôme Huvely à l'honneur de sainte Hélène ?
Toujours est-il que ces religieux vivaient dans leur monastère, ce n'est
pas si mal, et qu'ils y menaient leur vie monastique, selon les constitutions
et coutumes de la Congrégation. Si leur ferveur nous reste inconnue, aucun
scandale n'a été signalé. Pour être mieux informés, il faudrait retrouver
les papiers des visiteurs de la province, compulser les archives épiscopales.
Des indices permettent de se faire une idée de l'orientation des esprits.
Deux exemples sont fournis, l'un sensiblement antérieur, par le monastère
;
nous arrêterons pas ici au sort des bâtiments après le départ des religieux (Arch.
de la Marne, L 1704, et J 1659* plan dans Manceaux, t.I).
12 pieds et quelques pouces, les cellules du couchant ont 9 à 12 pieds de
long; celles du midi environ 18 pieds
sur 8,6; celles des frères 14 sur 8,6.
La description du mobilier laisse
de misère, à tel point qu'on une impression de pauvreté, presque
se demandera si une partie des meubles n'a
Pas été enlevée. Il ne semble pourtant pas, car la liste des objets trouvés
dans chaque cellule suffit
aux
mobilier dont dispose Jean Lambert
de deux matelas, d'un traversin
:
besoins journaliers. Voici, par exemple, le
« Un lit en forme d'alcove composé
et un oreiller de plume, une couverture et
un tapis de serge rouge et deux rideaux semblables, une commode en
Placage sans dessus,
un petit secrétaire, une petite table rouge et quatre
chaises foncées de paille
». Semblable description se répète de cellule en
cellule.
Les bâtiments d'exploitation donnent une impression de misère. Aux
écuries,
,
l'un et l'autre hors d'âge ;
les commissaires trouvent deux chevaux de trait et de labour,
un cheval de bât, également hors d'âge un ;
Petit cheval de selle. Le matériel agricole se limite à un chariot monté sur
Quatre roues, une charrette sur deux roues, deux charrues et un cabriolet.
ans ces conditions, comment effectuer les charrois des vendanges Les
ignés auraient-elles été affermées, alors
que
?
dix ans plus tôt le couvent
servait de modèle pour exploiter les vignes de M. l'Abbé (18) et pour
?
i ?
vendre les vins Ou bien les commissaires rédigent-ils un inventaire de
complaisance Ce qui est fort improbable.
Que le bûcher soit à peu près vide, on le comprend à la fin de l'hiver.
ans
D
ré
Vin
8, :
les caves dorment des réserves non méprisables (19) : 6000 bouteilles
blanc, se décomposant ainsi 2500 de la récolte 1786, 3500 de la
en majorité non mousseux, 400 bouteilles de vin rouge de
enfin 32 pièces de vin rouge de 1788 et 50 de 1789.
Lelivres,
bilan se révèlerait légèrement favorable, avec un bénéfice dépassant
2 OTJnU
si les constitutions sur gens de mainmorte n'imposaient pas
un effroyable tribut de 80000 livres. La disproportion est telle
que, là
encore, on voudrait réviser le plan comptable de l'inventaire. La prospérité
a aquelle le Père
Pérignon avait conduit son monastère n'a pu s'évanouir,
sque
me
au
les terres sont toujours exploitables, les vignes toujours en état.
à supposer une gestion moins experte, même
en tenant compte des
arrerages d'emprunts et des autres charges, il doit rester,
un bon an mal an,
eVeateur,
marge bénéficiaire. L'emprunt de 82826 livres, effectué en 1778, en est
puisqu'il devait compenser le « défaut de récolte et de recette
en vin qui fait l'objet principal du des religieux (20).
revenu »
En attendant les travaux qui préciseraient la situation économique du
a
rn onatre
en 1790, il est permis de dire qu'Hautvillers, au temporel comme
cj^^Plrituei» reste dansunepositionéquilibrée,
position équilibrée, ni
ni très
très prospère
prospère ni
ni trop
trop
inéit
défavorable. Cette
condition moyenne n'impose pas une détermination
Manceaux, III,
18.
p. 234 (lettre de l'abbé à son régisseur).
tn --
Uncertain
uncertaindé^orcf1^' III, p. 333, où les données de l'inventaire sont jetées dans
uie désordre.
comDtahîJe?taire- Renseignement
produit par Manceaux, III, p. 330, où la partie
ae l'inventaire est transcrite.
La comparaison avec les autres monastères vannistes de la Province
de Champagne, tels que la Commission des Réguliers les cote en 1768,
confirme la position d'Hautvillers dans un juste milieu. Quatorze religieux
constituent alors une bonne communauté, dépassée seulement par Saint-
- - -
Pierre aux Monts de Châlons et Saint Vincent de Metz, qui comptent
16 religieux, Mouzon et Saint-Arnould, qui atteignent 18. Le revenu, estimé
à 9 821 livres, se place à mi-distance entre les plus pauvres, comme
Villenauxe (4200) et les plus riches, comme Saint-Vincent (18050). La
s'avère satisfaisante:
proportion entre les revenus et le personnel, sans être des plus florissantes,
Mouzon, plus peuplé, n'arrive qu'à 10769 livres,
tandis que Novy a 9000 livres pour 10 religieux; Villenauxe doit entretenir
9 personnes avec ses 4000 livres, tandis que Beaulieu ne compte que
7 personnes pour plus de 16000 livres (21).
Au temporel comme au spirituel, le bilan en 1789 situe Hautvillers
parmi les monastères dont l'état s'avère satisfaisant, légèrement au-dessus
de la moyenne.
III
Les options à la fermeture du monastère
Les options affirmées les 27-28 avril 1790 sont nettes:
religieux savaient que leur avenir était condamné ; elles n'ont
certainement pas été données à l'improviste. Depuis trop longtemps les
la seule défense
d'accueillir des postulants et de recevoir des professions montrait la
profondeur de la crise, alors même qu'on l'espérait passagère. L'obligation
de déclarer les biens du monastère faisait comprendre ce que signifiait
cette mise des biens du clergé à la disposition de la Nation. La suppression
des ordres et congrégations réduisait les religieux à la condition de pen-
sionnés, qu'en attendant leur mort on rassemblerait dans quelque maison,
s'ils ne consentaient pas à retourner dans le monde. Lois, décrets, lettres
patentes, modèles des états à fournir, arrivent à Hautvillers. Lorsque les
:
commissaires municipaux se présentent officiellement, chacun des religieux
sait ce qu'il doit dire les déclarations vont se succéder, formulées la
plupart en termes similaires (22).
Huit prêtres sur dix, prieur en tête, déclarent chacun que « pour se
conformer aux dits décrets et lettres patentes, son intention est de rester
dans une des maisons de son ordre et de sa congrégation, en tant qu'elle
près. Dom Prieur, Mathieu Manuel, précise :
lui sera saine et agréable ». Chacun reprend la formule, à peu de variantes
« dans la ferme confiance
que les départements auxquels est confié le pouvoir de déterminer les
maisons qui doivent subsister seront assez justes pour donner la préfé-
rence à celles qui sont les plus saines et les plus agréables ».
Ces Révérends Pères envisagent donc un regroupement des commu-
nautés, dans le cadre du département. Le souci de salubrité ne doit pas
âgé de
qui
Nationale et se retirer dans sa famille.
deux religieux, le sous-prieur, Dom Jean-Etienne Menestré,
quarante-huit ans, et Dom Jean Lambert, âgé de cinquante-deux,
affir1611
eeNatIOnale, pour
sernblm tous deux leur se decloître,
retirerdu
intention jouir de de liberté où
la l'ordre, bonleur
accordée par
semblera ~t~onale, pour se retirer du cloître, de l'ordre, où bon leur
Toutes les déclarations, même les deux dernières, semblent avoir été
concertées (23). Il n'y a pas de doute pour les huit qui veulent rester dans
une maison de l'ordre. Si la chose paraît moins évidente pour les autres,
on est cependant frappé de noter qu'elles correspondent à des catégories
d'âge ou de condition monastique.
Il faudrait les comparer à celles des autres monastères pour savoir
d'où venaient les consignes éventuelles, quelles elles étaient, comment elles
furent appliquées. Resterait à interpréter les décisions, soit en utilisant
des sources jusqu'ici négligées, soit en tenant compte du comportement
ultérieur. Loin de s'exclure, les deux méthodes se complètent, la première
garantissant la seconde, laquelle offre toujours quelque danger de transpo-
sition illégitime. Le comportement ultérieur peut en effet révéler un
caractère, mais il peut tout aussi bien résulter des circonstances nouvelles,
qui s'imposent bon gré, mal gré.
En l'absence d'un dépouillement méthodique des sources originales,
nous devons nous contenter de quelques renseignements reçus de seconde
main. Les religieux demeurent d'abord dans l'expectative, se bornant à
envoyer l'argenterie à la Monnaie, célébrant avec toute la population
d'Hautvillers la fête nationale, au cours de laquelle leur cloître abrite le
banquet patriotique. La municipalité demande l'église du monastère, pour
être affectée à l'usage de la paroisse, au lieu et place de l'église paroissiale
en mauvais état (24). A la fin de l'année 1790, plusieurs religieux demeurent
encore dans la maison, à titre précaire. Quatre sont probablement partis.
Les deux minorés ont dû retrouver leur pays d'origine, l'un à Metz, l'autre
à Rarécourt (25). Lambert, de même, aura regagné Brévilly, dans l'Ardenne
natale, où, après novembre 1791, il sera arrêté comme suspect, du fait qu'il
?
n'exerce aucune fonction (26). Comment interpréter ce chef d'accusation,
qui le tient pour insermenté Menestré, lui, semble bien être un pusilla-
nime. Il prêtera les serments le 7 octobre 1791 et le 1er octobre 1792 avec ;
le scandale et se rétractera devant la municipalité de Châlons ;
une ci-devant religieuse il contractera un mariage blanc, dont il regrettera
absous, il
se verra rétabli dans le ministère paroissial, et finira ses jours dans les
Ardennes, à La Granville (27).
Le directoire du département ne désigne la maison de réunion que le
13 avril 1791. Mathias Manuel et Michel George y font partie de la nouvelle
communauté de Saint-Pierre-aux-Monts (28), Nicolas Marion les accom-
pagne peut-être. Les autres ont dû se disperser. Le valétudinaire Pierre
Lemaire aura regagné Verdun, où il s'éteindra en 1795. Jacques-André
Lemoine est retourné à Metz, où il aurait prêté serment dès le 23 janvier
:
à Messieurs René Gandilhon et Gilbert Chérest pour leur aide amicale et dévouée.
Depuis ces Journées, a paru le travail annoncé p. 107 : René Gandilhon, Naissance
du champagne Dom Pierre Pérignon, Paris, 1968.
---
1
2
S* Mathias MANUEL
Prieur
Jean-Estienne
MENESTRE
sous-prieur
Profession
a
2390
2306
Décès
etdiocèse Profession
*3o
ANNEXE
LES RELIGIEUX D'HAUTVILLERS EN 1790
(Châlons)
4*
Décès
Lieu de naissance
Montierender
10 juillet 1751
Châlons
(Châlons)
4 sept. 1742
,g
Hautvillers
23 février 1768
S. Vanne
6octobre 1761
Pierry
30 dec.
1834
La Granville
15 janvier 1819
6
j
39
48
8
r
J--André LEMOINE
théologie
2502
27
Metz
(Metz)
octobre 1755
28
S. Vanne
octobre 1776
Munich
1817 ?
35
13
14
Louis ARNOULD
minoré
Pierre BABLOT
convers
André LEMAIRE
convers
suivantes:
-
-d-
;:$
.SH
::
a
2624
132
162
L.d
Lieudenaissance
et diocèse
Rarécourt
(Verdun)
4 mars 1767
Boult-sur-Suippe
(Reims)
1er mars 1711
Moulins
(Reims)
2 sept. 1721
5
rof,eSSlOn
Pnro
S. Vanne
mars
Hautvillers
ession
2 février 1733
6
Mouzon
juin
1788
1751
Dé
Châlons
p.
1795
Hautvillers
1791
Sanctorum Vitoni et Hydulphi, éd. Gilbert Chérest, Paris, 1963, sauf les exceptions
9. Rousseaux. Rectifier :
cette partie de la Brie appartient aujourd'hui au diocèse de Châlons.
Linay. La Matricule de Paris (Bibl. nat., n. a. lat.
407) indique le diocèse de Trèves.
13. Bablot. La Matricule (éd. Chérest) indique Moulin, p. Mouzon. Nous
préférons Boult-sur-Suippe d'après Millard, Le clergé du diocèse de Châlons
(Cf. à la note 27).
14. Lemaire. La Matricule porte : Moulins (M. et M.). Ne trouvant pas cette
localité en Meurthe-et-Moselle, nous pensons à Moulins (Meuse), à la limite du
diocèse de Reims, près Mouzon.
?
è
'tS
D
23
si
70
-
de Châlons sur Marne -
La Société populaire
C'est le 1er avril 1790 qu'avait été constituée à Châlons une Société des
-
Amis de la Constitution, filiale du Club des Jacobins de Paris (1). Le
;
médecin journaliste Bablot en avait publié le règlement dans L'Observa-
teur du département de la Marne (2). Lors de sa fondation la société
comptait 14 membres elle en avait 48 au mois d'août 1791. Mais à la suite
de la scission des Feuillants à Paris, par contrecoup, la société châlon-
naise tombait à 38 participants. Moignon, maire de Châlons et président-
fondateur de la Société des Amis de la Constitution, hésita d'ailleurs à
suivre les Feuillants dans leur retraite. Cependant l'effectif remonta ensuite
et dut approcher de la centaine de membres. Mais la chute des Girondins,
Pour qui les notables marnais penchaient en grande majorité, amena des
remous profonds dans le département. On parla d'insurrection fédéraliste,
ce qui est trop dire. Moignon et ses amis se désolidarisèrent en tout cas
de l'action parisienne. Les Jacobins châlonnais furent longs à envoyer
une motion de satisfaction. Les 64 signataires, qui avaient eu de la peine
à se trouver, expliquaient qu' ils avaient voulu recueillir plus de faits
«
Pour rendre leur hommage plus complet » (3). C'est autour de ces 64 que
se reforma la Société qui s'appela désormais « Populaire et Républicaine ».
Un certain nombre de fonctionnaires, de magistrats, de militaires
leurs fonctions amenaient à Châlons s'y firent admettre. Plusieurs d'entre que
eux désignés par les représentants en mission avaient des positions
Politiques fort avancées. Il n'est pas sûr cependant que le procureur
syndic du département, Beaucourt, qui avait fondé à Reims la société
17. J. S. P. C., n° 24, p.5, n° 17, p.4. (On déplore l'absence des élèves de l'Ecole
d'Artillerie), n° 26, p.3.
18. Arch. Marne, L 2561.
19. Claude Ignace Depinteville associé à son beau-frère Simon Bouchard était
libraire - imprimeur dans la rue de Marne à l'enseigne A la Bible d'or. Cette
imprimerie appartenait à la famille Bouchard depuis cinq générations (A. Lhote,
Histoire de l'Imprimerie à Châlons. Châlons, 1894, in-8°, p. 116-120; G. Lepreux,
Gallia typographica, série départementale. Paris, 1911, t. II, p.300-302).
Or ce papier est signé de trois noms, Depaquit, président en exercice
de la Société, Josse et Bourdon, les secrétaires. Deux de ces personnages
au moins ne manquent pas d'intérêt. Jean-Baptiste Depaquit, né à Reims
en 1757, était cordonnier de son état (20). Ce n'était pas le savetier ignare
que présenteront les réactionnaires d'après thermidor. Car Depaquit, qui
-
était un notable de la communauté des maîtres cordonniers, avait été
chargé en 1789 de rédiger le cahier de doléances de la corporation. Son
écriture est élégante et les détracteurs des Jacobins, qui s'en prendront
sans peine à l'orthographe et au style d'Armonville (21), se garderont bien
de moquer Depaquit de la même façon. Il avait adhéré tôt à la Société des
Jacobins rémois, très bourgeoise à l'origine, mais s'était aussi lié d'amitié
avec Armonville. Et l'influence de celui-ci a pu être déterminante dans la
désignation de Depaquit à un poste d'administrateur départemental qui
amène celui-ci à Châlons en brumaire an II. Il allait bientôt présider
l'Assemblée départementale. Aussitôt arrivé au chef-lieu, il se fait admettre
à la Société populaire locale (22 brumaire -12 novembre 1793). Dès germinal
il la présidait. Demeuré en rapport avec celle de Reims, il savait certaine-
ment que depuis le 2 ventôse (20 février 1794) sortait tous les deux jours
un Journal des Jacobins de Reims. On peut penser qu'il a été de ceux qui
;
ont incité les Jacobins châlonnais à en faire autant. Depaquit pouvait
adhérer pleinement aux idées du prospectus on peut le ranger parmi ces
hommes qui pensent qu'au printemps de 1794, la Révolution est loin d'être
terminée, que son œuvre précédente a été surtout négative, qu'il lui reste
à fonder une société nouvelle et que celle-ci doit commencer par l'éducation
d'un citoyen nouveau. Mais il a dû laisser le soin de la rédaction aux
secrétaires de la Société.
L'un est Jean-Baptiste Bourdon, dont on sait peu de choses (22). Nè à
Gigny-aux-Bois, bailliage de Vitry, en 1741, il était établi comme homme
»
de loi à Châlons avant la Révolution. Celle-ci en avait fait un «
officier
municipal et un Commissaire national auprès du tribunal de district. Il
avait adhéré à la Société des Amis de la Constitution dès le 16 novembre
1791. Sa personnalité
ne semble pas avoir été exceptionnelle. Plus impor-
tant est Claude Josse (23). Il était notaire en même temps que propriétaire
:
ouvriers du textile. Le 3 septembre 1792, il était élu à la Convention où il fut
d'abord un fidèle de Marat. Son influence sur le département de la Marne paraît
;
alors importante ses amis Coutier-Marion et Depaquit deviennent l'un maire de
FelInS, l'autre président de l'administration départementale. Mais le 9 thermidor
Parait
e désempara on le ridiculisa. Poursuivi pour Jacobinisme, il sera acquitté. Il
avoir été mêlé de loin au complot Babouviste. Sous l'Empire, il obtint un
VInplOI
Voir G. de fonctionnaire des Ponts et Chaussées, puis revint au travail de la laine.
Laurent, J.-B.Armonville, député ouvrier, dans A. hist. révol., 1924, p. 217-
249 et 313-355.
22. Arch. Marne, L 2561.
d 23. Ibid., et J 562 (Papiers G. Laurent). Par la suite Josse sera commissaire
d Gouvernement pour le canton de Verrières en l'an IV, puis auprès du canton
de Gizaucourt. Il continua d'exercer sa charge notariale jusqu'à sa mort en 1823.
i
Il était demeuré
un ami de J.-B. Drouet, sous-préfet de Sainte-Menehould à
époque napoléonienne.
S'
f''!JÍi il S f
à Gizaucourt, bailliage de Sainte-Menehould,où il était
né en 1759. Sans doute avait-il été un de ces tabellions remuants capables
d'insuffler aux campagnes plutôt apathiques le désir du changement. Mais
1792. Le canton de Verrières le désignait comme électeur ;
sa personnalité n'apparaît au grand jour qu'avec les événements d'août
le secteur était
assez manipulé par Drouet pour qu'on puisse en déduire que ses opinions
étaient fort avancées. Le 5 septembre 1792, il était désigné à Châlons
comme premier député suppléant à la Convention et il allait être admi-
nistrateur, puis membre du Directoire du département depuis le 11 novem-
bre 1792 jusqu'au 7 germinal an III (27 mars 1795). Mais il n'avait pas
attendu d'être porté par les suffrages à une fonction officielle au chef-lieu
pour se faire admettre à la Société jacobine châlonnaise : son inscription
date en effet du 27 janvier 1792, c'est le signe évident de l'intérêt porté à
la politique par ce notaire résidant à sept lieues de Châlons. Qu'il ait de
l'entregent, il n'en faut pas douter, et peut-être même des relations à
Paris. En juillet 1793, on l'envoie en mission dans la capitale avec le
magistrat Oudart (24), pour apaiser la colère des Montagnards contre le
département :
département qui avait manifesté trop de sympathie pour les Girondins.
Dans l'hiver 1793-1794, il est manifestement l'un des hommes en vue du
il organise la fête de la Raison, ce qui ne l'empêchera pas
d'exprimer un peu plus tard sa satisfaction lors de la liquidation des
Hébertistes. Au printemps 1794, il est l'un des leaders de la Société popu-
laire, il intervient dans toutes les discussions et on se rallie le plus souvent
à ses avis. Il pourrait être le rédacteur du prospectus du Journal qui nous
occupe.
**
Le Journal des séances de la Société populaire et républicaine de
Châlons-sur-Marne est rare. Nous n'en connaissons que 16 numéros conser-
vés à la Bibliothèque municipale de Reims (25). Cependant E. de Barthé-
lemy, dans un bref article publié en 1889, a recopié les sommaires des
vingt-huit numéros de la collection complète (26). Le dernier numéro a
bien été le vingt-huitième du 5 vendémiaire an III (27 septembre 1794),
comme l'atteste la facture de l'imprimeur (27). La fréquence de la parution
? :» —
»
ara (32), les autres mêlés dans « un pot-pourri patriotique (33). Notons
encore une annonce la commune de Juvigny, non loin de Châlons, cherche
instituteur et il y a dans cette commune une société populaire et
excellents citoyens«
(34). Contrairement au programme tracé par le
Prospectus, le journal n'a été
celui de l'administration. que l'organe de la Société populaire et non
Le Journal parfaitement impersonnel. La commission de rédaction
estd'ailleurs si est
nombreuse qu'il ne saurait en être autrement. Les Jacobins
de Châlons s'étaient
aUn Journal. N'était-ce inquiétés du rôle que pouvaient prendre les rédacteurs
aPour pas un moyen pour les intrigants de se mettre en
?
capter les suffrages du peuple (35). Le 19 floréal (8 mai 1794),
il avait été adjoint
Quillet, Drouot, aux deux secrétaires Bourdon et Josse, cinq sociétaires,
dernier. Quillet Regnauld, Ostome et Depaquit (36). On sait qui est ce
; était
r'lullicipal Drouot, un géographeRegnauld,
de administration un avocat (38) ;
des Ponts et Chaussées (37), officier
un employé dans les bureaux
départementale (39); Ostome, un rentier aisé (40).
28.
29.
T « P C01
.., no 2, 3,10,11,17
J. S
30 T»P"C"n°13<P-6et7.
, , ,
3iTr Ie P.
r33.
36 T
J-Z jJ-
P.C.,n*26P.7et8.
S.P.C
32.J.S. C" n°13
34 n° S.p. 7C.,
5o-IP.
et
commChâlons,
37'Ch
8.
19,
P-
P. C" n° 4, p. 3.
I 8.
198.
epUlS -
Société depur Alexandre
Quillet était né à Amiens en 1752. Il était inscrit à la
le 18 mai 1791.
39
admisàiaqcesP^°uot
39. u
a à
M
était né à Châlons en 1767. Il était avocat et avait été
Société le 8 octobre 1790.
avait
il
Marne
40FIl
po
pour
Marne. devaitir Victor Regnauld était né à Paris en 1760. Avant la Révolution,
musIcIen.
ur. Puis il était entré à l'Ecole d'Artillerie. Il avait quitté
comme commis dans l'administration du département de la
y rester longtemps et achever sa carrière comme chef de division
était entré à la Société populaire le 21 juillet 1793.
aiséeen^7c?ls' Théodore
Révolutionr'^Yait Ostome, né à Châlons d'une famille bourgeoise et
Révolutionl'avait été jadis marin, puis contrôleur des Fermes du Roi. La
a la Soci^tii des ramené à Châlons, où il vivait de son bien. Il avait été admis
Amis de la Constitution le 6 juillet 1791.
Cette équipe cependant ne devait pas donner toute satisfaction. Le
19 prairial, Josse estimait que le journal était trop mince et proposait
»
qu'il fût créé un « Comité d'exécution du Journal composé de membres
appartenant aux différentes autorités constituées (41). Ceux-ci seraient
chargés de fournir des matériaux propres à étoffer le journal, de manière
à le rendre intéressant à un grand nombre de lecteurs. Regnauld en pro-
fitait pour demander que les caractères d'impression fussent réduits et
que le journal fût porté à douze pages. Les caractères furent effectivement
plus petits désormais, mais le nombre des pages ne fut pas augmenté.
Six noms furent proposés, avec l'agrément du Comité de surveillance (42),
ceux de Simon, Lejeune, Le Chauve, Jesson, Lescuyer et Huttier, et la
proposition fut ratifiée. Simon, ancien avocat, était juge de paix et commis
au district de Châlons, et il avait été nommé à l'administration départe-
mentale (43). Jesson, ancien professeur au Collège, était maintenant secré-
taire de la Municipalité (44). Lejeune, procureur à Châlons avant la
Révolution, était greffier au Tribunal criminel du département (45). Le
Chauve, huissier à Châlons, était en même temps greffier du Tribunal de
commerce, et Lescuyer, greffier du Tribunal correctionnel. Le chirurgien
Huttier (46), qu'on ne pouvait dire attaché à une quelconque autorité ou
juridiction, céda finalement la place à Hennequin, cultivateur dans un
village voisin et qui était membre de l'Assemblée du district (47). En fait,
les membres de cette seconde commission devaient seulement glaner des
informations et les transmettre à un rédacteur unique, le citoyen Alaise,
professeur à l'Ecole d'Artillerie (48). On ne sait si ce système fut exempt
de critique, mais on ne trouve pas de récriminations dans les quelques
numéros que nous possédons. Et entre le premier et le dernier numéro,
la dimension des caractères d'imprimerie et par conséquent le volume du
de son programme ;
opine négativement pour que tous les indécis se rangent à son avis (51).
On sait le rôle qu'il a joué dans la naissance du journal et dans la rédaction
c'est encore lui qui critique le contenu des premiers
numéros et cherche à améliorer les suivants.
Un autre sociétaire actif, c'est Langelin. C'est un ancien huissier au
Présidial, né à Vertus en 1759, fixé à Châlons peu avant la Révolution. Il
paraît qu'en 1789 il n'appartenait pas à l'opinion patriote. En tout cas, il
s'est bien rattrapé depuis lors. Huissier au Tribunal criminel de la Marne,
il avait adhéré à la Société des Amis de la Constitution le 6 mars 1791,
et en 1793, il est l'un des plus ardents révolutionnaires du département,
« le plus vil de tous les hommes et le plus dangereux de férocité », pensait
tout bas un de ses collègues à la Société, Ducret (52), « le plus persécuteur
des hommes sages et modérés », dira-t-on après thermidor (53). Le
23 frimaire an II, il devenait administrateur du département. On le voit
accompagner les représentants en mission, leur indiquer les hommes à
exclure des fonctions publiques. C'est à son instigation que les Sociétés
populaires de Châlons, Reims et Montagne-sur-Aisne (Sainte-Menehould)
se virent inviter à désigner des commissions de six membres pour sur-
veiller les municipalités et tous les fonctionnaires publics, et qu'un comité
révolutionnaire central fut chargé de contrôler tout le département. De
nombreuses arrestations s'ensuivirent. Le 2 frimaire, il fut à l'origine
d'une célébration de la Sainte Guillotine sur la place de la Liberté à
Châlons, tandis que l'on brûlait des symboles catholiques. Cette terreur
de l'hiver fut apaisée par le passage du représentant Pflieger en ventôse
(54); mais Langelin la relançait en floréal et peut-être la parution du
journal faisait-elle partie de ce nouvel accès d'activisme révolutionnaire.
Il se rendait d'ailleurs à ce moment à Paris, assistait à une séance de la
le journal du 30 thermidor ;
Convention, sous la pression de l'opinion. Une chanson célébrant les jour-
nées des 9 et 10 thermidor, envoyée par un certain Balthazard, parut dans
Langelin, qui n'avait pas été consulté, mani-
festa son mécontentement (57). Quand Battelier, le conventionnel vitryat,
vint exposer la loi qui prescrivait une réorganisation du Comité révolu-
tionnaire, il maugréa qu'il était impossible de trouver d'autres compé-
tences. Et le 24 fructidor, il fit renouveler la confiance au Comité existant
de formuler des critiques s'ils le désiraient :
par un vote sur appel nominal, avec invitation aux assistants des tribunes
la procédure ne pouvait
qu'amener d'unanimes applaudissements (58). Deux mois après le 9 ther-
midor, Langelin s'oppose tant qu'il peut à un affaiblissement du courant
révolutionnaire. Comme les séances de la Société sont de plus en plus
désertées, il réclame la destitution des tièdes et obtient que les jours des
séances soient décalés pour ôter toute excuse aux membres de la munici-
palité constamment défaillants. En vendémiaire an III, il faisait encore
nommer deux commissaires pour enquêter sur les élargissements qui se
multipliaient. D'un bout à l'autre des journaux que nous possédons,
Langelin est demeuré aussi ardent. Cet exalté était jugé un peu plus tard
par ses adversaires comme un « être immoral, enclin au vin, capable de
»
tout (59).
A côté de Josse et de Langelin, les autres paraissent plus pâles. Se
détachent néanmoins Blanchin, ancien avocat, devenu président du Tribu-
55. J. S. P. C., n° 6, p. 1.
56. J. S. P. C., n° 11, p. 5. Il s'agissait d'un lieutenant de carabiniers de 19 ans,
qui, ivre, avait tenu des propos inciviques le 5 germinal à Châlons. Déféré au
Tribunal criminel de la Marne, il fut condamné à la détention jusqu'à la paix.
Il se peut que Langelin, lors de son voyage à Paris, ait amené Charlier, député
de la Marne, à intervenir pour faire casser le jugement par la Convention. Menou
fut alors rejugé par le Tribunal révolutionnaire, condamné à mort et exécuté.
(Voir R. Demogue, Le Tribunal criminel du département de la Marne (1792-an IX),
dans R. Champagne, 1911, n° 19, p.214-215.
57. J. S. P. C., n° 24, p. 1. La chanson avait paru dans le n° 22.
58. Ibid., p. 4.
59. Ce rapport de Debranges, commissaire du Directoire auprès de l'adminis-
tration tration départementale (Arch. nat., F lb II Marne) correspond à l'appré-
de boire ». Bablot au contraire dit de lui :
ciation de l'accusateur public Chaix (d'Est-Ange) : « On lui reprochait l'habitude
« Tous les talents et la moralité
nécessaire ». Les opinions politiques de Bablot, le frère du médecin-journaliste,
sont voisines de celles de Langelin, les autres sont des modérés. Cf. Demogue,
loc. cit. Langelin à la fin de la Révolution était employé dans les bureaux de
l'administration départementale. Le préfet Bourgeois de Jessaint se débarrassa
vite de lui. Il se retira au village de Bassuet (arrondt de Vitry, canton d'Heiltz-le-
Maurupt) et y devint juge de paix.
nal criminel de la Marne (63), Léonard, agent national du district de
Châlons (61), Ménestré, ancien bénédictin, bibliothécaire du district (62),
ou Regnauld, Depaquit, Ostome, ou Quillet déjà cités. Après Thermidor,
on parlera davantage de Marchai, suppléant du secrétaire du département
(63), et de Oudart, substitut du procureur général syndic du département
qui venait d'être élargi (64).
*
**
Quelles ont été les principales questions débattues à la Société
populaire ?
Leproblème religieux est à placer au premier plan. Il semble que la
Société n'ait suivi qu'avec réticences l'orientation donnée par Robespierre.
Le 26 floréal (15 mai), l'acteur Duperron demandait que la prière à
l'Etre Suprême composée par Robespierre fût lue dans le Temple
décadaire à la cérémonie du décadi, la proposition fut ajournée (65). Le
30 (19 mai), le même personnage demande que sur la porte des cimetières
soit placée l'inscription « A l'Eternel, par la Raison », il n'a pas davantage
de succès. Mais voici que, dans une commune toute proche, à Matougues,
le Fanatisme provoquait de graves incidents. Des femmes avaient obligé
!
un jeune homme à chanter l'office Sans doute faut-il comprendre que
l'ancien chantre s'était laissé aller à chanter une messe blanche. Léonard
se rendit sur place avec un de ses collègues et conclut à la nécessité
d'organiser dans les campagnes la célébration du décadi. Et Langelin de
renchérir sur l'incivisme des Châlonnaises qui se parent les jours de
dimanche et de fête de l'ancien calendrier (66). Le 25 prairial (13 juin),
Mézières, meunier et jardinier de son état, commente le décret de la
américaine:
alors que le reste de la ville s'en désintéresse (73). Le 5 fructidor (22 août
1794), une cérémonie à la Maison Commune rappelle l'amitié franco-
la Société reçoit solennellement deux drapeaux qui orneront
la salle de ses séances (74). Le 23 fructidor, on parle des prochaines Sans-
culottides. Il est hors de doute qu'à Châlons, à ce moment, l'ambiance
révolutionnaire fait défaut. La Municipalité a prévu quelques discours
c'est peu coûteux, mais pas réjouissant. La Société s'associe au conven-
:
:
tionnel Battelier qui recommande aux orateurs d'être brefs et énergiques,
mais insiste pour qu'un bal soit organisé la danse est le « symbole de la
gaieté et du plaisir », elle seule attire le peuple à ce culte civique. (75).
:
lité (86). Le commerce paraît d'ailleurs faussé par des quantités inquié-
tantes de faux assignats le journal publiera une lettre du vérificateur des
assignats sur le moyen de les distinguer (87).
Il est question aussi à la Société et dans le journal d'Enseignement.
Dans le numéro 12 du 5 messidor, le chirurgien Huttier annonce l'ouverture
:
par Josse ou Langelin, présidée par Léonard, défendait des positions
particulièrement dures. Elle demanda des précisions le patriotisme de
ces fabricants de Suippes qui s'adonnaient au Jacobinisme était discuté.
L'affiliation de la Société de Saint-Mard-sur-le-Mont posa moins de pro-
blèmes : il y avait là-bas des militants convaincus bien connus à Châlons
(98).
*
**
Une Société populaire est d'abord une société de vigilance révolution-
naire. On devait y dénoncer les faiblesses ou les fautes, défendre aussi les
victimes d'injustices. Celle de Châlons, dont a dit la fermeté des positions,
n'a pas failli à cette tâche. Le 28 floréal (17 mai), on fait état de la
démission d'un sociétaire, Bourdon dit de Saint-Pierre, qui s'en va parce
qu'il ne veut pas payer sa quote-part des dettes de la Société. Il est
vivement pris à partie. Depaquit pense que cet ancien élève des moines
est pour le moins à surveiller et devrait même être arrêté si le Comité de
surveillance était bien composé (99). Mais un autre membre, le commer-
çant Bonnard, avait été convaincu de vendre au-dessus du maximum, une
enquête fut ordonnée en vue d'une probable exclusion (100) .Quant au
marchand de bois Ducret, président du jury d'accusation, on l'invita
d'abord à ne plus se nommer Ducret-Libre, car cela paraissait insultant
Pour ses collègues. Il avait déjà eu à se justifier au sujet de la mise en
liberté d'une ci-devant, « la femme »
Tarade. Envoyé au village de Courti-
sols pour y recenser les stocks de grains, il avait choqué les paysans par
ses propos. On s'aperçut alors qu'il s'était rendu coupable de diverses
malversations et abus de pouvoir. Il fut alors expulsé et dénoncé au
Tribunal révolutionnaire. Mais l'affaire dut en rester là. Heureusement
:
(1er septembre) est consacré entièrement à
un éloge de la vertu par
Mausserat. Ces discours ont selon les circonstances un rôle stimulant ou
apaisant les derniers détournent peut-être l'esprit des lecteurs des
questions politiques — sur lesquelles la Société a du mal à faire le point —
et les incitent à penser à autre chose, aux victoires exaltantes ou aux
réalités touchantes de l'existence.
Car le journal dont on a noté la multiplicité des collaborateurs est
bien l'organe collectif d'une Société populaire. Société qui, aux jours
dramatiques de 1794, devait sentir la relative faiblesse de son enracine-
ment dans le milieu châlonnais et que les événements de Paris déconcer-
taient. Les Jacobins châlonnais avaient suivi en maugréant la voie reli-
gieuse du Robespierrisme, mais il est à remarquer que la Société elle-même
a débattu longuement avant de prendre position sur les événements des
9 et 10 thermidor. Dans le numéro 19 daté seulement et
par exception de
impression :
cimetières (J. S. P. C., n° 6, p.6) et le rejet brutal, manifestement antireligieux.
Or la lecture du registre (Arch. Châlons, 1 198, f° 20) ne donne pas la même
le rejet ne paraît motivé que par l'inopportunité.
Le 21 messidor (9 juillet 1794), « un monstre avait eu la sacrilège audace de
profaner le sanctuaire de la Liberté » — la salle des séances de la Société — en
écrivant en gros caractères sur le bureau du président « Vive le Roi ». L'incident
n'est pas rapporté dans le Journal (Registre, f° 43).
115.Arch. Châlons, 1 198.
116. En germinal an III, la Société devait à l'imprimeur, à qui elle n'avait
jamais versé qu'un acompte de 1.000 livres, la somme de 1.296 livres. Le règlement
fut fait sans trop de difficultés. Mais la publication du Journal avait été arrêtée
en vendémiaire, elle dépassait les faibles moyens de la Société.
a été sans doute échangé avec les feuilles analogues publiées par d'autres
sociétés, mais le fait n'est attesté que pour celle de Reims (117). Dans le
département, la société de Sézanne qui ne publiait pas de journal avait
Souscrit un abonnement (118).
Certes à Châlons, il demeurait, pour le moment muette, une bourgeoisie
dont les sympathies n'allaient pas à la République de 1793, mais il faut
noter que par la suite un journal de gauche, le Journal du département de
la Marne, a paru de 1796 à 1803, sans problème financier apparent, étouffé
seulement à la fin par un acte de l'autorité administrative. Sans qu'il se
soit développé dans la ville chef-lieu une industrie, il y a tout de même
nombre d'artisans et de petites gens qui ont été attirés par le Jacobinisme
égalitaire. On peut penser que le Journal des Séances de la Société popu-
laire et républicaine a eu plus de lecteurs que d'abonnés et que, malgré
son apparence austère et son faible intérêt, il a circulé dans les échoppes
des artisans, a été commenté dans les auberges et dans les boutiques des
perruquiers (119). La rareté des numéros conservés, son absence dans les
collections d'imprimés rassemblés par les collectionneurs et les érudits
montreraient seulement que la bourgeoisie en a fait peu de cas (120).
eemy).
BarthéiArch. Châlons, I 198. Reg. de la Soc.
118.Ibid.
;
pop. P 104 J.S.P.C., n° 2 (Sommaire
t'à a
PetdliLe. journal était porté à domicile
qui on paya à la fin 6 livres Dour sonpar une distributrice, la citoyenne
f
1Ions.
Soignés
saires
120 parution -
ayant
On ne saitpour
cessé
&
avant terme
le
travail (Reg. 82).
des
-, - - ,
abonnements, deux commis-
proposer un parti à prendre en face d'éventuelles
si les abonnés furent remboursés (Reg. f° 86).
L'exercice illégal de la médecine
dans la Marne
de 1803 à 1868
par
Jacques NOUVEL, S. J.
membre associé
la -
sa loi Ivfnte
grâc:
habitants du département de la Marne au XIXe siècle devant
»
anormal des guérisseurs. Ceux-ci sont en effet — théori-
10.en des* hors-la-loi
permanents susceptibles d'être pourchassés par
grâcea v"
ressenti des
que sont gendarmes et juges. Ils ne peuvent survivre que
a complicité de leurs concitoyens, grâce à un obscur besoin
officielle par la Population, lorsqu'elle n'est pas satisfaite par la médecine
deleouche médecins et pharmaciens. La chose est d'importance, car
deleursanté
t :
nos concitoyens dans une part importante de leur vie il y va
mort.En certainesnous les atteignons dans leur attitude devant le péril de
circonstances, ils ont recours aux guérisseurs. Pourquoi
vont-ils les voir
? ?
aParu quétudIer Qu'est-ce qui les y pousse Qu'en attendent-ils Il nous
mobiles etleur ces personnages parfois étranges, leurs procédés, leurs
la Population clientèle nous permettait de découvrir quelques traits de
de
ladescription qUI fait appel à eux. Ce qui nous intéresse, donc, plus que
relations qu'ils Pittoresques charlatans ou somnambules, ce sont les
donnerontpeut-être pouvaient entretenir avec leur société sur laquelle ils nous
trèsfacile de des indications intéressantes. Bien sûr, il n'est pas
demystère parhr à la découverte des guérisseurs; ou bien ils s'entourent
seuls les initiés en parlent, ou bien ce sont au contraire des
Personnagese familiers
f comme l'épicière ou le rémouleur, et l'on n'éprouve
les archives judiciaires nous renseignent ;
alors aucun besoin d'en parler. Cependant, ils agissent dans l'illégalité et
tout notre travail s'est fait à
partir de comptes rendus de procès-verbaux, de dossiers de procédure
concernant les tribunaux de première instance de Châlons-sur-Marne et de
Sainte-Menehould que nous avons pu consulter pour la période 1803-1868
aux Archives de la Marne.
change :
dire, dans les campagnes où la faculté n'allait guère s'installer. Mais tout
avec la Révolution vient la suppression de tout ce qui concourait
:
adoptée. Désormais la médecine et la chirurgie ne pourront être exercées
que par les docteurs en médecine, les docteurs en chirurgie et les officiers
de santé. La distinction absolue entre médecins et chirurgiens est abolie,
:
un officier de santé pourra exercer aussi bien l'une que l'autre, jusqu'à
un certain point cependant. La grande innovation que présente la loi,
c'est la distinction faite entre deux ordres de médecins les docteurs et
les officiers de santé. Seuls les premiers pourront exercer la totalité de la
médecine et de la chirurgie; les officiers de santé, aux termes de la loi, ne
pourront pratiquer de « grandes opérations », sans d'ailleurs que l'on
:
définisse ce terme avec exactitude. Leur instruction est moins poussée,
et ils obtiennent leur diplôme d'une manière toute nouvelle ils n'ont pas
à passer un examen devant la Faculté, mais devant le « Jury médical du
département », composé de quelques médecins et présidé par un délégué
de l'une des trois grandes Facultés, Montpellier, Paris et Strasbourg. Les
;
autorités locales n'étaient pas très exigeantes et accordaient assez facile-
;
ment le diplôme d'officier de santé aussi va-t-il se créer en France un
personnel médical composé en majorité de praticiens de ce type en 1830,
s'il y a dans la Marne 37 docteurs en médecine, dont un certain nombre
ont obtenu leur diplôme avant la Révolution, il y avait d'autre part
74 officiers de santé
reçus après 1803. Cette organisation avait le mérite
de mettre à la disposition de la population un nombre assez grand de
médecins qui — en général — n'hésitaient pas à s'établir à la campagne.
Par contre, elle avait l'inconvénient de ne pas exiger une instruction très
Poussée de la part des candidats et cette médiocrité de la qualification
des officiers de santé sera ressentie pendant tout le XIXe siècle. Les docteurs
s'en plaindront et l'on parlera sans cesse de réformer le système des
études médicales. On le fera, mais timidement, en 1854; la grande question
qui portait sur l'existence en France de deux ordres de médecine ne sera
le statut d'officier de santé :
Pas résolue à cette date. Il faudra attendre 1892 pour que soit supprimé
il aura vécu un siècle. On peut penser que,
grâce à lui, la France n'aura pas souffert d'un manque trop flagrant de
;
de malades reflètent leur manque de confiance à l'égard de l'officier de
santé local certains avouent leurs déceptions, d'autres proclament « avoir
été condamnés par les médecins ». Cette insuffisance d'instruction, à
laquelle l'expérience ne pouvait suppléer, incitait la population à se tour-
ner assez facilement vers les guérisseurs, surtout quand la médecine
?
officielle n'avait pas répondu à leur attente. Qu'en attendent-ils Ou leur
: ;
maladie est évidente, et ils ne veulent alors qu'un traitement précis pour
lequel le guérisseur est réputé nous aurons alors affaire à ce que nous
:
appellerons un « guérisseur spécialisé» ou bien leur mal est obscur, mal
identifié dans ce cas, ils auront recours à un « guérisseur polyvalent»
;;
pour qu'il leur formule le diagnostic et leur prescrive des remèdes. Ce
second type en impose plus que le premier son autorité provient surtout
de sa capacité à faire un diagnostic précis il doit « dire le mal », rapide-
ment et de préférence sans observer trop le patient, sans que celui-ci lui
expose de quoi il souffre. C'est une sorte de devin, on lui accorde un
pouvoir mystérieux que le commun des mortels ne peut détenir, il suscite
souvent la contradiction, l'hostilité profonde comme l'admiration béate.
»
L'originalité qui lui est propre, son secret réside autant dans sa façon
de formuler un diagnostic que dans «le remède qu'il ordonne.
;
Mais il nous faut maintenant décrire le visage de chacun de ces
;
guérisseurs, tel qu'il se manifeste dans la Marne. Nous négligerons le
premier, « le faux guérisseur» certes, il exerce illégalement, car il n'a
pas de diplôme convenable mais en réalité il fait presque partie du corps
médical, dont il utilise les méthodes. Entre médecins et guérisseurs, il y a
;
une zone indéterminée où l'on n'est plus tout à fait médecin sans être
véritablement guérisseur c'est l'une des ailes des illégaux de la médecine,
l'autre étant constituée par les charlatans. Le faux guérisseur tire sa
respectabilité de la médecine légale, à laquelle il essaye de se rattacher
lorsque la population découvre qu'il n'est pas en règle, elle s'en détourne
;
souvent.
Le guérisseur infirmier
Le guérisseur infirmier se livre, dans la localité où il réside, à une
activité de bienfaisance qui découle souvent de sa profession, ou de la
place qu'il occupe. Mais, peu à peu, pour des motifs variés, il prend de
l'assurance et en vient à agir en médecin. Cependant il ne désire pas
s'opposer à la médecine, il ne prétend pas remplacer le docteur ou l'officier
de santé, auquel il lui arrive fréquemment de renvoyer le malade, lorsqu'il
le juge gravement atteint. Néanmoins il se croit capable d'accomplir
certains actes, de déceler certains maux et d'y remédier adroitement. Les
neuf cas que nous avons rencontrés ne représentent à coup sûr qu'une
infime minorité d'une multitude de « bonnes personnes éclairées
quelles on a souvent recours pour de petites plaies ou pour des maux
» aux-
:;
bénins, tout au moins apparemment. Cette activité du guérisseur est liée
directement à la place sociale qu'il occupe dans la société sur les neuf,
l'un est herboriste, le second dentiste, le troisième pédicure trois sont
sages-femmes, deux ont constitué dans leur commune un dépôt de médi-
caments, le dernier est curé de son village. C'est de leur activité « légale»
que provient en droite ligne l'autre face de leur physionomie, celle du
guérisseur. Mais décrivons maintenant quelques-uns d'entre eux :
Né en 1792, marié et ayant sept enfants, W. a le diplôme d'herboriste.
Il est poursuivi en 1824 pour exercice illégal de la médecine, sans être
condamné. En 1840, le Tribunal correctionnel de Sainte-Menehould lui
de Châlons, et à nouveau en 1861 par celui de Sainte-Menehould ;
inflige 15 francs d'amende. Il est jugé en 1841 par le Tribunal correctionnel
il est
certain que cet individu n'a pas cessé de se livrer à cette industrie, sans
:
doute par nécessité. Il habite à Servon, mais, curieusement, ne paraît pas
exercer dans cette localité il va dans des communes assez éloignées (de
14 à 34 km). Comme la plupart du temps il se rend lui-même chez les
malades, il devait parcourir des distances assez considérables. La majorité
de ces localités se situent dans la Champagne pouilleuse, peu peuplée,
mais qui avaient cependant un chirurgien sur place. Dans l'ensemble, les
clients manifestent à son égard une certaine reconnaissance, sauf lorsqu'il
s'agit de maladies incurables qu'il ne peut évidemment guérir en dépit de
:
;
ses promesses (épilepsie, surdité, cécité). C'est qu'il a la promesse facile
il affirme à la mère dont l'enfant est atteint de surdité de le guérir dans
«
l'espace de trois semaines» à la mère de l'épileptique, il assure « que si
Je voulais y consentir, il guérirait en moins de deux mois ma fille ». Il
Promet à une jeune fille affligée de douleurs dans la jambe droite de la
guérir en trois mois « si elle lui paye 20 francs, dont 10 à l'instant ». Il se
fait payer, parfois fort cher, comme dans ce cas. Cet homme avait certai-
nement quelques bonnes recettes d'herboriste; mais il va très au delà de
ses compétences et en arrive à proposer ses services pour des maladies
?
incurables. Est-il de mauvaise foi Pas nécessairement. Il s'est constitué
un personnage de médecin et agit maladroitement à la fois en fonction de
ses connaissances et de ce qu'il a vu et entendu de la médecine. C'est un
homme assez misérable, qui exerce ses activités pour subsister, lui et
sa famille, en dépit de nombreuses condamnations qui sont portées contre
lui- Il doit aller chercher
ses malades au loin, est prêt à leur promettre
monts et merveilles, et même à soigner des incurables en leur faisant
niiroiter une impossible guérison. Il n'est pas mal vu de la population,
sauf lorsqu'il la dupe par trop. L'on n'est pas mécontent de le voir venir,
car il a quelques bonnes spécialités.
Notre second exemple sort bien davantage des limites imposées à son
art; femme étrange, au tempérament vigoureux, aux ressources innom-
brables, tour à tour sage-femme, médecin, charlatan, rebouteuse, voire
meme un peu sorcière, connue dans la région le loup blanc, estimée
comme
Par certains, crainte par d'autres, elle a déjà été condamnée, en 1848, à un
an de prison et 10 ans de surveillance pour exercice illégal de la médecine
mais la chose devait être de taille pour mériter un tel châtiment, tout à fait
;
inhabituel. Il difficile de faire une idée de ses activités, car les
témoignages à est sujet sontsecontradictoires, et ce qu'affirme l'un sera
Péremptoirement son
nié par l'autre :
j,art des
ddans l'art accouchements ;
«C'est une sage-femme que tout le monde s'accorde à dire très habile dans
;
malheureusement pour elle, elle est aussi très habile
des
sae-femme, oncancans
les°? la détestel'emploie
les classesdu
; ;
et de la médisance et si à cause de son habileté comme
assez généralement en cette qualité, cela n'empêche pas
aussi pour ses cancans et ses médisances elle a. dans toutes
pays, des amis comme des ennemis de là, je conclus qu'il ne faut
eut-etre pas prendre tout à fait au sérieux ce que l'on dit contre elle.
«Voici, du reste, ce que disent ses ennemis et ce que démentent ses amis
que passe
ell :
que l'on n'est
e
Je n'ai pu recueillir »
Elle est
femElle
femme, est solide,
solide,
af-sur:Tourbe,
dans
dans sesamitiés
:;
aucun fait qui vienne accréditer ces bruits divers (5).
rancunes : une jeune
ses amitiés comme dans ses rancunes
sur le point d'accoucher, demeurant à Laval (juste à côté de
;
Saint-
l'aide où habite la sage-femme), la fait appeler elle vient,
et la soigne pendant la maladie qui suivra
ses couches mais.
lasage-fernrnede Saint-Jean-sur-Tourbe être bonne. Je
men voulait, ainsi qu'à
ne passe pas pour
ma femme, pour ne pas l'avoir invitée à
S. Arch. Marne,
11 U ; rapport du
882 Commissaire de police.
notre noce. 5 ou 6 mois avant que ma femme n'accouchât, elle l'avait rencontrée
chez mon beau-père, elle lui avait dit en la menaçant qu'elle lui gardait une dent.
: ; ;
Quand elle est venue pour soigner ma femme en couches, entre autre propos elle
a dit qu'on n'était plus à la noce., elle lui a donné une potion ma femme,
après l'avoir prise, a été paralysée d'un bras et d'une jambe je ne sais si c'est
l'effet de la médecine ou de la maladie. Elle n'a rien voulu prendre à la maison
et elle a été se faire nourrir chez la voisine. On a beaucoup causé dans le village
de la mort de ma femme. » (6).
De telles aventures feront que des villages entiers craindront ou
:
détesteront notre sage-femme. Par contre, des cures sensationnelles lui en
dévoueront d'autres
« Ma nièce se trouva subitement atteinte, sur le doigt, d'une espèce de
rougeur et d'engorgement que le docteur. prit d'abord pour une engelure. Mais
quelque temps après, ayant visité la plaie, il reconnut. qu'elle donnait du pus et
qu'au lieu d'une engelure, c'était le résultat d'une humeur froide. Il sonda la
plaie, nous dit que l'os se cariait, et que s'il avait eu affaire à son fils, il lui
couperait le doigt sans attendre davantage.
« Peu de temps après, on fit visiter la plaie par le docteur. qui nous dit
qu'il était temps de couper la main de la malade.
« Enfin le docteur
fille y fut conduite par son grand-père;
de Sainte-Menehould fut consulté à son tour. La jeune
le docteur dit que le sang était vicié,
que l'humeur se répandait dans le bras, et qu'il faudrait faire l'amputation du
bras.
« (On consulta la sage-femme) elle dit qu'elle pouvait la guérir. (Un onguent
appliqué pendant quatre mois, une bonne nourriture, du bon vin, des tisanes
qu'elle compose elle-même font que la jeune fille guérit et peut se servir de son
doigt malade aussi bien que des autres). » (7).
Elle est considérée aussi comme une bonne rebouteuse. Un instituteur
primaire de Moivre (20 km de Saint-Jean-sur-Tourbe) ayant entendu parler
de son talent, va la consulter pour une entorse. Il avait « auparavant
recouru inutilement à plusieurs médecins ». Là « pendant que deux
hommes me tenaient la jambe, cette femme m'a remis le pied ou peut-être
;
quelques tendons déplacés. Je me suis trouvé instantanément soulagé ».
Mais elle fait aussi de grossières erreurs elle brûle ainsi à la « pierre
infernale » :
la chair d'un orteil, sans reconnaître qu'il ne s'agissait que
:
d'un ongle incarné. On lui prête aussi d'assez sinistres procédés
serait allée soigner à Tahure un homme atteint d'un cancer à la face, et
aurait employé pour ce faire le venin d'un crapaud
elle
application d'un
crapaud vivant dans la plaie béante, crapaud que l'on irrite en le piquant
avec une aiguille ou en lui coupant le bout des pattes. La chose est
rapportée par un garde champêtre scandalisé, mais tous les proches du
malade, qui succombe assez vite en dépit de ce traitement de choc,
démentent cette histoire. La chose n'est peut-être pas tout à fait impossible,
; ;
«Dans le principe, je n'avais que très peu de médicaments petit à petit,
j'ai été obligé de les accroître, par suite du nombre de personnes qui venaient
m'en demander mais c'était toujours d'après les ordonnances, soit écrites, soit
»
verbales, des médecins. Ces médicaments ne consistaient qu'en sels et sirops (9).
Néanmoins, les gens prennent l'habitude de venir lui demander médi-
caments et conseils pour des maladies sans gravité. Il aura même l'occa-
sion d'ouvrir un panaris, « avec son couteau de poche ». Et lorsque le
docteur en question devra aller à Reims pour un temps, il se fera plus ou
moins remplacer par cet homme auprès de sa clientèle du pays. Il devient
ainsi une sorte d'infirmier à demeure et, à certains moments, davantage.
;
C'est en 1834 que la justice va enquêter sur les activités du curé de
Bergères-les-Vertus
:
Pour que nous ayons trace dans les archives judiciaires de ce type de
guérisseur. Laissons tout d'abord le maire nous le décrire
;
curé
il sera particulièrement difficile de savoir les activités médicales du
les témoins refusent de parler ou nient avoir été soignés par lui.
Une pétition signée par 170 habitants et tous les membres du conseil
municipal « ancien et nouveau », moins le maire évidemment, sera adressée
au Procureur du Roi, demandant que le curé ne soit pas poursuivi. Quel-
ques témoignages permettent cependant d'affirmer qu'il a saigné quelques
personnes, ordonné des tisanes, soigné un panaris, une blessure, une loupe.
de la charité ». Quant au chirurgien, il reconnaît :
Le curé, quant à lui, affirme avoir agi « plutôt comme infirmier ou sœur
«avoir visité clandestinement des malades confiés aux soins (du docteur de
Vertus), mon confrère ayant porté un funeste pronostic., d'autres déclarés par
lui incurables ont été guéris radicalement par un traitement opposé à celui de
mon confrère., j'ai supplié monsieur le curé de Bergères de vouloir bien commu-
niquer mes ordonnances, par l'administration de mes médicaments, de voir
exactement tous mes malades, de s'assurer positivement si l'on exécutait ponc-
tuellement mes ordonnances, et d'observer attentivement tous les phénomènes
et les symptômes qui se présenteraient ou qui auraient échappé à mes recherches
et de m'en instruire. » (13).
-
C'est donc véritablement un guérisseur infirmier que le curé de
Bergères. Il est probable que, n'eût été cette affaire d'église, personne
dans la commune ne se serait opposé avec violence à ses activités. Il y
l'animosité ;
aurait eu certainement de la méfiance chez certains, voire même de
le docteur de Vertus, voyant ses malades lui échapper, ne
pouvait le considérer qu'avec hostilité. Mais, dans l'ensemble, il aurait pu
exercer dans une relative tranquillité, en dépit de ses imprudences dont
nous avons eu un exemple plus haut.
;
lité
;
Tels sont ces guérisseurs-infirmiers chacun a son visage, son origina-
l'un est respectueux de la médecine officielle, l'autre la considère
avec une certaine liberté. L'un est d'une grande conscience professionnelle,
l'autre verse dans le charlatanisme. L'un exerce dans son seul village,
l'autre voyage ou voit venir de loin ses malades.
Tous ont cependant deux traits communs :
d'être estimés par au
moins une partie importante de la population, soit pour leurs talents, soit
pour leur dévouement. Et surtout de ne pas se situer délibérément en
marge de la médecine officielle, qu'ils respectent tout en abusant. C'est la
place qu'ils ont dans la société qui les incitent à faire leur médecine, ils
ne font que déborder, largement il est vrai parfois, les limites qu'a assi-
gnées la société à leur activité première.
Le guérisseur spécialisé
Après avoir considéré deux types de guérisseurs qui exerçaient leurs
fonctions tout en conservant, peu ou prou, un certain lien avec l'organisa-
tion officielle de la société, même s'ils le faisaient d'une manière qu'elle
condamnait, il nous faut maintenant nous tourner vers ceux qui le font
d'une façon absolument autonome, sans jamais se soucier de la légitimité
12.Ibid..8U1629.
13. Ibid., ;
8 U 1629 déposition du chirurgien de Fère-Champenoise.
;
de leur action. Vivant au sein d'une collectivité, ils veulent guérir les
malades qu'ils ont l'occasion de rencontrer et cela de leur propre initia-
tive, sans en avoir jamais demandé l'autorisation à ceux qui s'estiment
pendants ;
responsables de la santé publique. Ce sont, avant toute chose, des indé-
au mieux, ils feront en sorte qu'on ne les pourchasse pas. Mais
si l'organisation de la société s'oppose à leurs agissements, la société, elle,
guérisseurs indépendants :
aura, plus ou moins, selon les circonstances, recours à eux. C'est la raison
de leur survie. Mais il faut distinguer deux types assez différents dans ces
ou bien on a affaire à un homme réputé pour
le traitement d'un mal précis, le guérisseur spécialisé, ou bien on ne sait
au juste qu'entreprendre pour vaincre la maladie, dont on ignore la nature,
et on s'en remet alors au bon vouloir de celui dont la rumeur publique
;
proclame, en termes aussi vagues que dithyrambiques, les cures merveil-
leuses : le guérisseur polyvalent voyons d'abord le premier. Parmi les
cinq cas que nous avons rangés sous cette dénomination, deux d'entre eux
nous paraissent illustrer assez bien l'activité du guérisseur spécialisé les
voici.
;
Le premier demeure à Châlons, et est connu « depuis bien des années
pour recevoir chez lui quantité de personnes qui ont recours à lui, après
avoir été mordues par des animaux attaqués de la rage, pour obtenir ce
que l'on appelle vulgairement sérépie ». Cela consiste essentiellement en
« Je crois que personne ne peut obtenir sa guérison par ces moyens (ceux
du guérisseur), à moins qu'il n'ait point de virus introduit dans les pores de la
peau, ce qui arrive toutes les fois que l'animal fait une morsure à travers une
partie laine ou autre vêtement propre à absorber l'humidité de la gueule de
l'animal et à essuyer la dent avant qu'elle ne pénètre dans la peau, ou que la
gueule de l'animal soit desséchée. » (14).
;
Aussi croira-t-il de bonne foi avoir guéri par son traitement, alors qu'il
n'en est rien cela lui donne de l'assurance, cela lui assure sa réputation ;
:
on en vient à l'opposer au médecin, qui préconise des méthodes bien plus
douloureuses que les siennes
« J'ai cru de mon devoir de vous informer qu'une femme de 70 ans a été
:
le 5 août dernier (1811) mordue au poignet droit par un chien enragé. On m'appela
aussitôt l'accident, ma première proposition fut d'amputer le membre la malade
et les assistants s'y opposèrent., je me contentais de cautériser le tour de
les parties environnantes de la morsure ;
l'avant-bras et de la plaie, voulant fixer le virus de cette terrible maladie dans
puis, par un traitement convenable,
détruire la portion qui aurait pu déjà être passée dans les vaisseaux absorbants ;
14. Ibid., 33 X 28 ; lettre du chirurgien de Juvigny au Procureur impérial.
le lendemain j'allais pour voir ma malade, je trouvais mon appareil levé et mes
remèdes ôtés, je lui en demandais la raison, elle me dit qu'elle était allée voir
M. (le guérisseur) et qu'il avait mis ce qui était nécessaire. Je cessais donc de
lui donner mes soins, M. prétendant guérir les personnes enragées à la faveur
des prières, du régime et de l'eau salée pour pansement. Le fait est que la
veuve. est morte 24 jours après la morsure de l'animal, dans les accidents de la
rage, victime de la crédulité et de l'ignorance du sieur. » (15).
Cette femme demeurait à Vraux, petit village à 12 km de Châlons. Le
;
chirurgien, lui, habitait à un kilomètre de Vraux. Néanmoins, elle préfère
faire venir le guérisseur, ou l'aller voir c'est dire quelle était sa réputa-
;
tion ! Et pourtant son traitement ne pouvait avoir aucun effet sur la
maladie. Cette femme avait 70 ans sans doute son entourage, ébloui par
quelque guérison due à un heureux hasard, l'a-t-il poussée à consulter ce
guérisseur.
C'est à Berzieux, petite localité située à 12 km de Sainte-Menehould,
sur la route de Vouziers, qu'est poursuivi en 1850 notre second guérisseur
spécialisé, pour exercice illégal de la médecine. Agé de 50 ans, il a été déjà
condamné pour ce motif, aussi craint-il une nouvelle condamnation et se
montre-t-il discret dans l'exercice de ses talents. Il se fait même tirer
;
l'oreille lorsque l'on a recours à lui. Et pourtant sa réputation est solide-
ment établie, dans le village comme dans les environs il passe dans le
Pays pour guérir différentes maladies, mais essentiellement la goutte on
le considère aussi un peu comme sorcier, et on le craint. Selon le maire de
;
Berzieux, beaucoup de personnes de la commune atteintes de maux ou de
douleurs vont le voir, il reconnaît d'ailleurs avoir soigné plusieurs doigts
atteints de panaris. On lui prête la capacité de traiter la goutte, par des
cataplasmes d'herbes chaudes. Ainsi un brasseur de Termes, à 18 km au
nord de Berzieux, affligé d'une goutte qui l'empêchait de marcher et pour
laquelle il avait vu nombre de médecins et dépensé beaucoup d'argent,
après avoir beaucoup tergiversé, ira voir le guérisseur de Berzieux :
« Le sieur. a commencé à midi à lui mettre des compresses d'herbages sur
les deux jambes. Il a renouvelé les compresses trois fois jusqu'à 6 heures du
soir. Le sieur. était couché (on lui avait appliqué des tuiles chaudes sur le
corps)., l'opération se termina à 6 heures. Le lendemain, il est revenu seul de
chez le sieur. » (16).
Le malade est très satisfait et ne souffrira plus de ses jambes ; mais
trois semaines après, atteint d'une fièvre cérébrale, il mourra. Il avait une
quarantaine d'années.
;
lisé dans le traitement des rhumatismes, et de la goutte, par des cata-
;
plasmes d'herbes il est désintéressé et refuse toute rémunération ;
Ce guérisseur, même s'il a d'autres activités à côté, est surtout spécia-
il ne
Paraît pas chercher la notoriété et la clientèle il tient son procédé secret,
;
Qui consiste en l'application de certaines herbes, cueillies à une époque
déterminée de l'année un gendarme venu lui demander ses secours se
verra répondre « qu'il n'a plus d'herbes pour l'instant, mais il le soignera
plus tard sans rien lui demander ».
La caractéristique essentielle de tous ces guérisseurs que nous venons
de présenter est de traiter un genre de maladies particulier par un procédé
;
femme à son service. Un nombre considérable de personnes vient la voir,
et cela depuis longtemps, au moins dix ans et sans doute davantage, et de
très loin (30 km assez fréquemment) un agent de police en civil compte
dix-huit personnes venant la consulter entre 11 h 30 et 14 h. En général,
on doit patienter assez longtemps dans la salle d'attente, puis, lorsque l'on
est introduit, on s'asseoit à côté de la femme en question, qui pose sa main
sur le bras. Elle est théoriquement endormie, dans un fauteuil, le dos à la
;
fenêtre. Le mari est dans la pièce et fait office de secrétaire. Parfois elle
interroge un peu le malade mais le plus souvent la somnambule dit elle-
même l'affection dont il souffre; puis elle prescrit un traitement ; le
scénario est toujours le même. Le mari écrit les prescriptions sur une
feuille qui n'est jamais signée et conseille vivement au malade d'aller se
;
fournir en médicaments chez un certain pharmacien de Châlons. On peut
consulter par personnes interposées il suffit de donner à celui du village
qui va à Châlons une mèche de cheveux et la somnambule, la tenant dans
ses mains, pourra tout aussi bien formuler son diagnostic. Plusieurs
coquetiers (marchands et collecteurs d'œufs) qui doivent aller tous les
huit jours à Châlons sont ainsi fréquemment requis. Une femme consulte
années ;
même par correspondance de Troyes. La réputation grandit avec les
bien souvent les témoins déclarent « avoir appris qu'il y avait à
Châlons une somnambule qui avait la réputation de guérir toutes sortes
de maladies », comme dit l'un, « toutes les maladies en général », selon
:
un autre. Cette réputation vient surtout de sa capacité qu'aurait la
somnambule de déceler immédiatement la nature du mal
« Sans me faire aucune question, elle m'a dit que j'avais un grand échauffe-
»
ment qui datait de loin (18).
Le malade est impressionné, il croit se trouver devant une sorte de
sont méfiants :
devin et suivra avec confiance le traitement prescrit. Néanmoins certains
;
nombreuses questions, afin de savoir quelle était la maladie de mon beau-frère
et à quel degré elle pouvait être. Je n'avais pas confiance en la somnambule.
;
J'avais cherché à l'embarrasser j'avais même eu l'intention de ne pas lui dire
s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, mais après plusieurs questions, le
mari comprit qu'il s'agissait d'un homme quoique paraissant endormie, la
femme. avait l'air très mécontente de ce que j'ai cherché à l'embarrasser. » (19).
;
une idée qu'il devait y avoir un trésor caché dans son habitation, il croyait même
que ce prétendu trésor avait été enfoui dans les temps d'Attila. il fit d'abord
escroqués ;
retournent après aux médecins, sans pour autant considérer qu'ils ont été
cela nous amène à penser que les malades, sauf lorsqu'ils ont
le sentiment très net d'avoir été floués, ne font pas très bien la différence
entre médecins et guérisseurs. Pour eux, il s'agit de deux formes de l'art
de guérir, l'une étant simplement plus « normale »
que l'autre, et selon
les besoins, ils n'hésiteront pas à consulter aussi bien les uns que les autres.
La médecine officielle ne paraît pas revêtir le prestige qu'elle a de nos
jours, et l'opposition médecine légale - médecine illégale ne semble pas
bien tranchée.
du guérisseur polyvalent ;
Avec le « diseur d'oraisons », nous abordons un aspect tout différent
?
mais de quoi s'agit-il Le diseur d'oraisons
— ou « panseur de secret », comme on dit dans certaines régions — tient
d'une personne amie ou apparentée un certain nombre de « prières », ou
d'« oraisons », valables chacune pour une certaine maladie. C'est à lui et
»
à lui seul, qu'il appartient de les « dire lorsque l'on vient lui demander
aide. Lorsqu'il ne veut plus les dire, ou lorsqu'il sent sa fin prochaine, il
est de son devoir de communiquer ce qui est à la fois un don et une
formule, à une personne de sa famille ou à un ami intime, qui pourra, à
son tour, « guérir par prière conjuratoire », comme le dit Mlle Bouteiller.
Ces prières seront parfois imprimées et colportées à travers la campagne
mais ce commerce se faisait de telle manière que l'aspect ésotérique soit
;
gardé, on ne devait ni prêter la brochure ni la montrer à personne. A la
vérité, le public exige le secret de ces prières, car les vulgariser, c'est les
20. Ibid., ;
8 U 1715 procès-verbal de gendarmerie.
déprécier ; cette action bienfaisante que l'on prête à la récitation de
certaines formules se fera d'autant mieux qu'elle est le monopole d'un
homme en qui on aime à reconnaître un aspect mystérieux, presque
;
surnaturel. C'est ainsi que se répandent discrètement en France au début
du xixe siècle des recueils de très vieilles prières mais ces recueils restent
entre les mains des acheteurs qui ne les utilisent qu'à bon escient, de peur
de voir l'efficacité des prières diminuer. Voici le contenu de l'un de ces
recueils :
« Prière pour arrêter le mal de dent,
Prière pour arrêter le sang de telle coupure que ce soit,
Oraison pour guérir rhumatisme ou douleur quelconque,
Prière pour la teigne,
Oraison pour guérir et couper toutes sortes de fièvres,
Oraison pour guérir promptement la colique,
Oraison pour guérir et arrêter toutes sortes de brûlures,
Oraison pour l'épine,
Oraison pour nous préserver des ennemis qui nous environnent,
comme voisins ou alliés, et qui nous persécutent,
Mesure de la Plaie de Notre Seigneur Jésus-Christ (avec les faveurs
pour celui qui la portera sur lui),
Oraison précieuse pour dissiper les nuées, en la répétant trois fois,
comme ayant trois propriétés différentes,
Oraison pour le mal d'yeux,
Lettre miraculeusement trouvée dans un lieu nommé Arois, à
3 lieues de Saint-Marcel, écrite
en lettres d'or, par la main de notre Sauveur
et Rédempteur Jésus-Christ. » (21).
Et voici deux exemples de prières conjuratoires :
« Oraison pour guérir rhumatisme ou douleur quelconque :Madame Sainte
Anne, qui enfanta la Vierge Marie; la Vierge Marie qui enfanta Jésus Christ,
Dieu te bénisse et te guérisse, pauvre créature N., de renouvre, blessure,
rom-
Pure et d'entraves, et de toutes sortes d'infirmités quelconques, en l'honneur de
Dieu et de la Vierge Marie, messieurs Saint Côme et Saint Damien. Amen.
« Dites 3 pater et 3 ave pendant 9 jours, en l'honneur des angoisses qu'a
souffert NSJC sur le Calvaire ».
«
:
Oraison pour guérir et arrêter toutes sortes de brûlures. Par trois fois
différentes, vous soufflerez dessus en forme de croix, et direz Feu de Dieu, perds
ta chaleur, comme Judas perdit sa couleur, quand il trahit Notre Seigneur au
Ainsi soit-il» (22).
Voyons maintenant notre homme :;
Jardin des Olives, sans oublier la neuvaine à l'intention des 5 plaies de NSJC.
Moult ; ;
les maladies d'animaux et d'hommes. On a retrouvé chez lui les « Prophé-
ties perpétuelles très anciennes et très certaines » de Thomas Joseph
une oraison contre les rhumatismes un cahier avec des oraisons
contre le chancre, le mal du sang, les tranchées, la gale, le mal de dent ;
;
un cahier de 18 feuillets contenant prières et oraisons, écrites de la main
du guérisseur il est réputé comme conjureur dans tous les environs
« J'ai fait la connaissance de. il y a deux ans environ, à l'occasion de la
:
maladie d'un cheval que j'avais et auquel je tenais beaucoup. Il avait les tran-
chées. Le maréchal était depuis 4 heures après lui. Mais la pauvre bête souffrait
;
de plus en plus et était couchée les quatre fers en l'air. Le maréchal, à bout de
:
ressources, m'envoya trouver. il était 11 heures du soir, il était couché, sans
;
se déranger et tout en causant avec moi, il me dit va-t-en, ton cheval est guéri.
Je m'en retournai mon cheval était guéri et depuis lors il n'a plus eu de mal.
Le sieur. n'avait prescrit aucune drogue. S'il a prononcé quelques paroles, je
ne les ai pas entendues. Je ne suis pas le seul auquel il ait rendu un pareil service.
Et je vous assure qu'il est un homme bien utile. C'est à la suite de ce service
qu'il m'avait rendu que je m'adressai à lui pour faire tirer un bon numéro à
mon fils. » (25).
On trouve effectivement dans ses prières une conjuration des tran-
chées des chevaux. Mais il pense guérir aussi les hommes de la gale, des
fièvres, du chancre, surtout du charbon. Beaucoup le tiennent pour sorcier.
:
Ainsi le chirurgien de Fère-Champenoise se plaint de l'opinion favorable
qu'ont de lui plusieurs maires des communes avoisinantes
23.Ibid.,8U1711.
24.Ibid.
25.Ibid.,8U1711.
« Quand je vois un ex-maire de Coligny croire à son concitoyen le sorcier,
comme disent certains, le diseur d'oraison plutôt, qui se flatte d'avoir des confé-
;Mais notre homme a encore une corde à son arc, pourtant déjà si bien
tendu il connaît bien des genres de remèdes. Soit des « remèdes de bonne
femme », que lui a légué la tradition, soit encore des remèdes préconisés
par la vulgarisation médicale. On a trouvé chez lui le Manuel des dames
de Charité, fort connu dans le genre, destiné au grand public, le Manuel
annuaire de la santé, par F. X. Raspail, la Nouvelle médecine domestique
ou l'art de conserver la santé, et le Traité de l'origine des glaires d'un
certain Guillié.
Tel est ce guérisseur aux multiples facettes, haut en couleur, fort
populaire, auquel devaient ressembler bien d'autres guérisseurs inconnus.
Il nous paraît rassembler bien des caractéristiques des « guérisseurs
polyvalents »
de cette époque, vers qui allait une nombreuse population
confiante. Guérisseur de type traditionnel, il est semblable à bien d'autres
qui ont dû exister tant au XIX° siècle qu'à ceux qui l'ont précédé.
:
Tous les guérisseurs polyvalents, dont les aspects sont si divers, ont
cependant un point commun qui nous semble d'importance leur person-
nalité. On a recours à eux plus qu'à leurs remèdes, à leur « don plus »
qu'à leurs connaissances ou à leur expérience. Le guérisseur agit en grande
partie grâce à l'emprise psychologique qu'il a sur ses clients. C'est une
sorte de mage, familier, bienfaisant, mystérieux et craint. On lui reconnaît
une dimension que le vulgaire n'a pas, on en attend une sorte de « salut ».
Et s'il déçoit, on s'en sépare avec colère, avec le sentiment d'avoir été
trompé. Si, au contraire, on estime en avoir reçu des bienfaits, on proclame
bien haut ses vertus, on le défendra de toute son âme contre l'envie des
jaloux ou les attaques des mesquins qui n'ont pas su reconnaître les
talents merveilleux dont la nature l'avait doté. On se confie à lui, car l'on
a besoin, surtout lorsque la maladie frappe, de remettre les clés de son
destin entre les mains d'un « sauveur ». A la limite, on l'attend tellement,
on en a tellement besoin, on l'évoque si souvent, qu'on le fabrique, parfois,
d'une argile fort commune.
Le charlatan
Il nous faut terminer cette description par la présentation des charla-
qu'il avait traité Napoléon à Ratisbonne, ainsi que plusieurs maréchaux et géné-
;
raux, qu'il ne fallait pas se fier aux médecins des environs, qui leur demandaient
beaucoup d'argent sans pouvoir les guérir qu'il tentait de faire croire aux
personnes qu'il rencontrait qu'elles étaient malades, et qu'il s'était rendu chez
diverses personnes malades de la commune.
« Le sieur., cultivateur au dit Ecury, atteint de paralysie, nous a déclaré
que cet individu était entré chez lui le 13 courant à midi, disant qu'il venait pour
;
le consulter sur sa maladie. Avant d'entrer en consultation, il avait demandé du
vin après en avoir bu un verre qui lui avait été donné, il avait dit qu'il n'en
;
avait pas assez, et alors on avait été lui en chercher une cruchée qu'il s'était
versée lui-même jusqu'à ce que tout fut bu enfin, étant dans un état d'ivresse
;
le plus complet, il avait ordonné pour sa maladie un remède composé du fiel de
bœuf, sucre candi, et d'une bouteille de vin après consultation il avait demandé
25 centimes, on ne lui en avait donné que 15, il était parti ensuite.
« Le sieur. fermier à Ecury nous a déclaré qu'un individu se disant Baron
de., ancien chirurgien major au deuxième régiment de lanciers, était arrivé chez
eux le 12 courant à 9 heures du soir, pendant qu'ils étaient à souper; qu'à son
arrivée il leur avait demandé s'il y avait des malades à la maison, que le sieur.
lui avait répondu que sa femme était atteinte, depuis fort longtemps, de mal
d'estomac et lui de mal de reins, et enfin qu'après quoi il avait soupé et couché
chez eux et qu'hier au matin, après les avoir consultés, il leur avait donné des
dictée de cet individu ;
médicaments et remèdes, par une ordonnance qu'il avait lui-même écrit sous la
cette ordonnance nous ayant été remise sur notre
demande, par le dit sieur., nous nous en sommes saisis pour être jointe à notre
procès-verbal, malgré les mécontentements qu'éprouvait ce dernier, qui, par les
paroles séduisantes de son médecin, paraissait avoir confiance en lui.
« Le sieur. nous a déclaré en l'absence de son père que l'individu que nous
lui représentions était arrivé chez eux le 12 courant à 7 h 30 du soir, en deman-
dant du vin, que sur cette demande son père avait répondu qu'il ne donnait pas
de vin à un homme en état d'ivresse., que sur ce refus il avait traité son père
de canaille, et qu'en feignant porter la main à sa poche, il avait menacé son père
de lui brûler la cervelle, et qu'il avait dit de plus à ce dernier qu'il avait couché
à côté d'un voleur et qu'il s'en sentait très fort, qu'il était ensuite parti sur
Ecury en menaçant de son bâton.
« Nous signalons ici le nommé., comme ayant injurié les français, comme
ayant menacé de trouver, tôt ou tard, l'auteur de son arrestation, comme nous
ayant outragé dans l'exercice de nos fonctions, en nous traitant de chevaliers de
la ficelle et autres mots, et de plus à moi brigadier en me traitant de lâche en
n'acceptant le duel qu'il me proposait. » (27).
Ces longs extraits d'un procès-verbal de gendarmerie nous dépeignent
;
bien le personnage, vagabond pittoresque qui parle haut pour en imposer
à ceux qu'il rencontre ses prétentions médicales sont pour lui une manière
efficace de grandir son personnage. Au demeurant, elles ne vont pas loin,
:
comme en témoigne cette ordonnance saisie chez l'un de ses clients
« Pour le mal de rains : Pois de Bourguogne, essence térébentine, verveine
rouge réduite en poudre, extrait de saturne, fiel de bœuf, bien mêlé ensemble,
en frotter les rains avec une pièce de toille neuve.
« Grainette de faux avec un litre de vin rouge.
« Une bouteille d'uille d'olive, 40 vert de terre, passé dans trois pinte d'eau,
faire infuser dans la bouteille d'uille, mettre pendant neuf jours dans le crotin
de cheval mâle pour les rhumatismes ».
?
Qu'était-il en réalité Un vagabond assez misérable né à Ufel (Eure-et-
Loir), qui n'avait donc pas grand chose à voir avec la noblesse polonaise.
Ancien enfant de troupe, puis herboriste, on ne sait rien de son passé
sinon que le cours de ses périgrinations s'est arrêté à Angoulême pour
deux mois en 1839. Peut-être a-t-il servi d'une manière ou d'une autre dans
la grande armée, toujours est-il que, comme plusieurs charlatans, il
s'appuie sur le mythe napoléonien qui paraît vivace à cette époque
anciens soldats de l'Empire en imposent à la population et se permettent
aisément de railler la maréchaussée, ce qui n'était d'ailleurs peut-être pas
: les
de passage ; ;
Les autres charlatans ressemblent tous, peu ou prou, à celui que nous
venons de présenter tous sont, sinon des vagabonds, du moins des gens
tous dupent habilement leur monde, mais chacun à sa façon
ils singent souvent les guérisseurs, qui eux-mêmes imitent parfois les
;
Que leur succès auprès de la foule n'est pas durable ;
médecins. La différence essentielle qui les séparent des guérisseurs, c'est
: et par là nous
sommes amenés à une énigme le guérisseur, même si la société organisée
le rejette, y a cependant sa place. Il n'est pas vagabond; on a confiance
en lui, on l'estime. Aussi devrons-nous maintenant, après avoir vu sa cari-
cature, le charlatan, revenir vers lui et nous interroger sur les relations
qu'il entretient avec la société.
Médecins et guérisseurs
: ;
Il faut tout d'abord noter qu'il existe d'assez nombreux cas de collabo-
ration entre médecins et guérisseurs, pour des motifs variés nous pou-
vons les ramener à trois types l'utilisation par un médecin des talents
d'un guérisseur infirmier, l'intérêt porté par un médecin aux méthodes
d'un guérisseur, enfin l'association financière.
; ;
que de maux bénins, soit qu'il compte sur elle pour lui signaler les cas
graves. Mais ce guérisseur infirmier, n'ayant reçu aucune formation, n'est
guère semblable à nos infirmières modernes ils ont leurs propres recettes,
sont souvent aussi « panseurs de secrets », et agissent d'une manière
d'où d'ailleurs parfois des imprudences. Ainsi ce
assez indépendante
propriétaire de 69 ans, qui s'était constitué dans sa localité un dépôt de
:
médicaments avec l'agrément du docteur, qu'il est d'ailleurs chargé de
faire venir lorsqu'il y a un malade
« Dans le principe, je n'avais que très peu de médicaments. Petit à petit, j'ai
été obligé de les accroître par suite du nombre de personnes qui venaient m'en
demander, mais c'était toujours d'après des ordonnances, soit écrites, soit
verbales, des médecins. Ces médicaments ne consistaient qu'en sels et sirops. »
(28).
;
Néanmoins, petit à petit, les gens prennent l'habitude de venir lui
demander conseils et médicaments pour les petites maladies c'est ainsi
;
Parfois le médecin demande lui-même à un guérisseur infirmier de
l'aider c'est le cas, nous l'avons vu, du chirurgien de Fére-Champenoise
nous voyons donc que la collaboration entre un médecin et un guérisseur
;
infirmier est chose courante, et que tout le monde la voit d'un bon œil. Le
seul danger est à coup sûr l'indépendance excessive de ces guérisseurs qui
;
les amène à utiliser parfois des procédés traditionnels, ou même à verser
dans la superstition mais aussi à se croire compétent dans des cas graves
où il faudrait aller chercher le médecin au plus vite. Néanmoins la collabo-
ration qui existe avec lui, l'honnêteté et le bon sens de ces guérisseurs font
que ces travers sont assez rares.
Sans collaborer à proprement parler, un médecin peut avoir la curio-
sité de s'enquérir des méthodes des guérisseurs. Sans être fréquent, ce cas
existe. Cela l'amène à fréquenter le guérisseur, souvent avec bienveillance,
en tout cas sans parti pris. Ainsi celui-ci :
28. Ibid., 11 U 863.
29.Ibid.,8U1629.
« Je suis médecin (de la somnambule de Châlons). Je me suis beaucoup
occupé de magnétisme au point de vue scientifique, et j'ai cherché à me rendre
compte de certains phénomènes en magnétisant et en consultant la femme. Les
expériences auxquelles je me suis livré m'ont prouvé qu'elle ne rendait pas tou-
jours la vérité. » (30).
Enfin, il existe certains médecins qui collaborent sans scrupules avec
des guérisseurs pour en tirer des avantages financiers. Des pharmaciens
;
aussi d'ailleurs, car les patients doivent bien se fournir en médicaments.
Parmi les médecins, nous en avons rencontré trois pour le premier, on
ne sait pas très bien s'il s'agit d'une véritable association, comme tendrait
à le prouver certains témoignages, ou plutôt d'un apprentissage auquel se
serait soumis le médecin auprès du guérisseur. Voyant les succès rempor-
tés par le guérisseur, notre médecin admiratif aurait fait un stage auprès
de lui, afin de pouvoir mettre en pratique ces méthodes. Le second méde-
cin a établi une sorte de contrat avec le guérisseur somnambule, selon
lequel il contresignera les ordonnances de ce dernier. En réalité, il ne
regarde jamais le patient lui-même, et donc fait totalement confiance à la
perspicacité de l'autre :
Il y a 15 mois que je suis en rapport avec. C'est lui qui est venu me trouver
«
;
et qui m'a proposé de contresigner les consultations qu'il donnerait comme
somnambule à ses malades je consentis à ces propositions en me réservant de
;
vérifier si les dites consultations ne présentaient pas de danger pour les malades
le sieur. me paie régulièrement le prix convenu de 1 franc par signature que
J'appose sur ses consultions., je ne vois pas les malades., je signe environ une
demi-douzaine de consultations par semaine. » (31).
Le guérisseur ira jusqu'à aider ce médecin lors d'une opération d'un
cancer de la bouche, opération qui d'ailleurs échouera. Il avait droit à la
moitié de la somme versée par le malade (60 francs). Ce genre de collabo-
ration est évidemment des plus contestables; mais nous verrons mieux
encore avec le troisième médecin qui, avec un compère italien, a sévi
pendant la foire de Reims de 1854; il donnait à ce charlatan qui prétendait
« opérer la cataracte en plein vent » la caution de son diplôme et vendait
avec lui une pommade miraculeuse, composée à la vérité de suif et
;
d'essence de térébenthine. Ces deux nomades réalisèrent ainsi un bénéfice
fort appréciable mais ils constituent une exception.
Il nous apparaît donc que non seulement les médecins ne poursuivaient
Pas avec acharnement les guérisseurs, mais encore que certains ne dédai-
gnaient pas de travailler avec eux, surtout, cela va sans dire, avec les
guérisseurs infirmiers. Quelques médecins faisaient-ils appel, comme cela
se voit encore, aux talents particuliers d'un rebouteur pour remettre une
?
épaule ou réduire une fracture C'est très possible, mais nous n'en avons
Pas trouvé trace dans nos documents.
Quelle était, d'autre part, l'opinion des guérisseurs au sujet des méde-
cins? Les guérisseurs infirmiers, et plus particulièrement ceux qui colla-
borent avec un médecin, ont, et c'est assez compréhensible, un grand
respect pour le corps médical en général. Ils s'en veulent un peu les
francs-tireurs, mais reconnaissent les limites de leur compétence et
dirigent les cas graves vers les médecins.
30.Ibid.,8U1715.
31.Ibid.,8U1640.
;
Il n'en va plus de même lorsqu'il s'agit des guérisseurs spécialisés ou
des guérisseurs polyvalents sachant que leurs activités sont illégales, ils
se sentent un peu sur du sable mouvant. Certains ont un réel respect
pour la médecine, et beaucoup reconnaissent sa valeur. D'ailleurs, bien
souvent, ils veulent attirer sur leurs procédés la renommée de la « Méde-
médecin ;
cine », et c'est pourquoi ils se targuent souvent d'avoir père, oncle ou ami
;
leur faiblesse, ils sont méfiants ainsi cette somnambule :
mais en même temps, peut-être par un obscur sentiment de
;
« Je ne puis me soumettre à cette expertise parce que j'ignore quels moyens
emploieront les médecins pour se convaincre de mon sommeil ainsi que je vous
l'ai dit, je suis très impressionnable et je craindrais qu'il m'arrivât quelque
chose. » (32).
Ces guérisseurs sentent très profondément l'originalité de leurs pro-
cédés et répugnent à toute analyse critique à laquelle est habituée la
:
science médicale. Certains, persuadés de l'efficacité de leurs remèdes, ont
été poursuivis en justice le corps médical en est responsable à leurs yeux
et ils le regardent avec tristesse ou avec fureur. Beaucoup aussi ont un
certain mépris pour la médecine officielle, car leurs patients sont très sou-
à la médecine :
vent des cas incurables ou désespérés, « abandonnés par les médecins »,
comme ils disent. Et leur méthode procède d'un esprit tout à fait étranger
intuition, prescience, foi, tradition, prières conjuratoires,
etc., aussi se sentent-ils perdus dans une discussion de caractère scienti-
fique. Attaquant leurs procédés, on attaque la tradition, on les attaque
eux-mêmes, et ils se défendent désespérément. Et pourtant ils sont
extrêmement curieux de choses médicales, mais à la manière d'autodi-
dactes. Très souvent, une perquisition fait découvrir chez eux des livres
de vulgarisation médicale, qu'ils lisent avec passion. Leurs sentiments à
l'égard des médecins sont donc extrêmement mêlés, faits de respect,
d'envie, d'autonomie farouche, de curiosité enfantine, de défense sauvage.
Parfois même, mais c'est très rare, on voit l'un d'entre eux utiliser la
:
méfiance du public à l'encontre des médecins et se répandre en injures
contre eux, espérant ainsi attirer la clientèle
« Ainsi qu'il me l'a dit, tous les médecins sont jaloux de moi et devant le
tribunal, l'année dernière, je les ai tous remis à leur place, ils ont été obligés de
reconnaître que j'étais plus capable qu'eux. » (33).
Quant aux charlatans, sachant qu'ils n'ont aucune qualité médicale,
ne se faisant aucune illusion sur ce sujet, ils sont en guerre avec le corps
médical qu'ils accablent souvent d'injures, ou bien ils se donnent titres,
compétences médicales, mais en sachant pertinemment qu'ils sont à la
merci du corps médical. Finalement, ils ont la même opinion que tout un
chacun sur la médecine, c'est-à-dire qu'ils savent que l'on en a besoin. Mais
leur opinion profonde est assez différente de ce qu'ils proclament au
dehors, qui varie selon l'individu, le genre qu'il se donne, le bagout dont
il dispose.
On peut donc dire d'une manière générale que les relations entre
médecins et guérisseurs sont assez lâches, et prennent rarement la forme
d'un conflit violent. Le monde des guérisseurs ne nocs paraît pas dange-
reusement attaqué par le monde médical, qui s'en désintéresse, ou qui
l'utilise.
32.Ibid.,8U1715.
33. Ibid., 8 U 1708.
Les guérisseurs et l'opinion publique
Avant de dépouiller les témoignages du public, pour autant qu'il se
;
manifeste, il nous paraît intéressant de décrire l'attitude vis-à-vis des
guérisseurs des ecclésiastiques et des instituteurs ces deux personnages
avaient au XIXe siècle une certaine importance dans les villages, et consti-
tuaient avec le médecin, comme le dit aimablement le président Bonjean
dans son rapport au Sénat, « la bienfaisante Trinité de nos hameaux ».
Ils formaient, représentaient et exprimaient tout à la fois la pensée tradi-
tionnelle des villages où ils résidaient.
documents :
Certes, nous n'avons qu'un seul guérisseur curé de campagne dans nos
le curé de Bergères-les-Vertus, qui était un excellent exemple
;
de guérisseur infirmier. En dépit de ce cas unique, nous pensons qu'il se
trouvait certainement nombre de prêtres qui exerçaient illégalement la
médecine le gouvernement tolérait que les prêtres soignent et aident
ainsi les médecins, surtout là où ils faisaient défaut. Il est normal qu'un
prêtre, qui dispose de loisirs, surtout à la campagne, qui a à visiter ses
ouailles pour les besoins de son ministère, et particulièrement les malades
et les personnes âgées, qui se fait un devoir d'assister les plus pauvres et
les plus misérables, en vienne à donner son avis sur la fièvre ou l'alimen-
tation du malade qu'il vient voir. Il semble assez vraisemblable que
beaucoup de prêtres de la campagne étaient simultanément, à des titres
divers, des guérisseurs infirmiers, et comme tels, appréciés et reconnus
par la population. Nous le prouve cette pétition signée par 180 habitants
et presque tout le conseil municipal de Bergères, demandant que l'on ne
poursuive pas leur curé pour les soins qu'il avait prodigués. Il nous
semble aussi qu'au moins un certain nombre d'entre eux devaient être
complexe:
Mais perpétuellement se produit une retombée dans le domaine obscur
elle est, dans son ensemble, opposée au charlatanisme
rable par contre aux guérisseurs infirmiers. Méfiante à l'égard des
;
de l'irrationel. L'attitude de l'Eglise vis-à-vis des guérisseurs nous paraît
favo-
;
guérisseurs polyvalents, elle est divisée en ce qui concerne les « diseurs
d'oraison»
:
les prêtres cultivés, qui ont une théologie solide, ou bien les
;
condamneront, ou tenteront de purifier ces rites ambigus de tout élément
superstitieux ce sont les prêtres résidant en ville ou exerçant une
responsabilité pastorale d'importance ou bien les autres les utiliseront
:
sans penser à mal, tel qu'ils se présentent, répondant ainsi à la demande
de certains de leurs fidèles ce sont généralement des prêtres vivant en
milieu rural. On retrouve à ce sujet la différence, mais déjà considérable-
ment atténuée, qui existait entre haut et bas clergé. Le haut clergé serait
plutôt hostile aux formes populaires, parfois très mêlées de superstition,
de la religion. Le « bas clergé », en contact quotidien avec la réalité
multiforme de la religiosité populaire, en prend certaines dimensions, aux
couleurs parfois un peu magiques.
Une certaine forme de pensée logique ne peut être que défiante lors-
qu'il s'agit de guérisseurs; leurs procédés sont empiriques, contestables,
invraisemblables parfois; certains, comme les prières conjuratoires, font
appel à une dimension surnaturelle dont on ne peut rien dire scientifique-
ment. C'est dire qu'un esprit cultivé aura du mal à être tolérant à leur
égard. Nous pensions que les instituteurs, qui représentent dans un village
;
une certaine mentalité scientifique, leur devaient être assez résolument
opposés
;
en réalité nos documents ne sont pas venus confirmer cette idée.
Aucune attaque de guérisseur n'a été le fait d'un instituteur nous avons
au contraire cinq dépositions émanant d'instituteurs primaires, qui toutes
concernent des guérisseurs polyvalents, ce qui est encore plus étonnant
il n'y aurait rien eu d'extraordinaire en effet à ce qu'ils consultent des
;
guérisseurs infirmiers, ou, pour un mal bien déterminé, un guérisseur
spécialisé, un rebouteur par exemple. Mais aller consulter un guérisseur
polyvalent — somnambule dans un cas — c'est accepter de lui faire con-
fiance entièrement au point de départ sans avoir d'autre garantie que sa
réputation. Dans l'ensemble, ils semblent conserver de l'estime et de la
reconnaissance; l'un d'entre eux écrira même une lettre de remerciement
où il ne tarit pas d'éloges.
Le public, quant à lui, considérait les guérisseurs comme des méde-
cins. Leurs démêlés avec la justice est une affaire juridique qui ne concer-
nait pas les clients, qui ne s'y intéressaient que fort médiocrement.
En ce qui concerne les guérisseurs infirmiers, le public les regarde
;
comme des personnes bienfaisantes et leur voue une réelle reconnaissance.
Il sera étonné, voire même mécontent lorsqu'on les poursuit le sentiment
aux médecins ;
qu'il leur porte est même plus confiant, plus familier que celui qu'il porte
d'autant plus que nombre de ces guérisseurs sont des
personnes désintéressées qui ne craignent pas de soigner les indigents. La
seule petite nuance sera parfois une attitude sarcastique de certains esprits
forts, lorsque le guérisseur infirmier sera un prêtre comme c'est le cas
pour le curé de Bergères-lès-Vertus. Mais même le maire, qui l'attaque
parce qu'une animosité violente s'est créée entre les deux hommes pour
des histoires de clocher, reconnaît son désintéressement et sa bienfaisance.
On pardonne même au guérisseur infirmier de commettre des bévues,
d'avoir des connaissances médicales limitées. On va le voir volontiers, et
on lui fait confiance au delà de ses mérites, à tel point qu'il en est parfois
gêné. Il faudrait que ses clients aillent consulter le médecin, alors que
ceux-ci n'en éprouve pas le besoin, le trouvant bien assez savant pour
leurs maux.
Quant aux guérisseurs spécialisés, on les juge à leurs résultats. S'ils
guérissent, cela se dit, et on accourt. S'ils échouent, on les abandonne.
Mais on n'a pas cette confiance naïve que l'on éprouve à l'égard des
:
précédents, qui étaient des personnalité importantes et vénérées dans les
;
villages. Cela se voit à la clientèle le guérisseur infirmier soigne ceux qui
vivent autour de lui, ceux qu'il voit tous les jours c'est un ami, un fami-
lier, une personne que tous respectent. Le guérisseur spécialisé voit
accourir des gens de fort loin, mais n'a pas dans son village le rang social
dont jouit le guérisseur infirmier. Parfois son succès est fondé sur un
malentendu, tel ce guérisseur de la rage, qui donnait des médicaments
anodins, pour une maladie irrémédiable; mais il arrivait que le virus ne
Pénétrât pas, aussi pouvait-il se targuer de prétendues guérisons pour
lesquelles il n'avait en réalité rien fait. Aussi le célébrait-on à des lieues à
la ronde.
Les guérisseurs polyvalents, eux, sont l'objet de sentiments mélangés,
de haine comme de confiance aveugle. Dans l'ensemble, on les craint, car
on voit en eux quelqu'un auquel la « Nature » a confié un don, qui se
manifeste d'ordinaire d'une façon extraordinaire, soit dans le procédé,
soit dans les résultats. Le somnambule, par exemple, étonne par la justesse
;
de son diagnostic (il est vrai qu'il a soin d'employer des termes généraux,
qui ne le compromettent pas trop) l'opinion qu'on a de lui, résulte bien
du traitement;
davantage de l'impression qu'on a retiré de la consultation que des suites
;
encore qu'une déception fasse basculer de la vénération à
l'exécration. Dans l'ensemble, les gens le redoutent l'étrangeté du per-
sonnage, sa façon de découvrir le mal (somnambulisme, analyse d'urines,
etc., parfois seulement le regard) ou de le guérir (remèdes de bonne femme,
souvent peu ragoûtants, gestes magiques, prières miraculeuses) suscitent
la curiosité. Quelques personnes font les fortes têtes, les autres ne savent
Pas et s'interrogent. Mais, dans l'ensemble, on en reste à ce sentiment
préalable tant qu'on n'a pas besoin concrètement de ses services. C'est
alors qu'on va le voir, et on est souvent conquis ou tout au moins subjugué.
Parfois c'est l'échec complet, mais c'est rare, tout simplement parce que
gement;
l'on peut difficilement le constater, surtout quand il n'y a pas eu de chan-
mais, dans un tel cas d'échec, la personne devient violemment
hostile, ou simplement méprisante. Quelquefois aussi, il y a des réussites
:
totales le guérisseur devient à ce moment bien davantage qu'un bon
médecin, car il a « donné la santé ». Surtout si la maladie avait été pro-
clamée auparavant incurable, ou la personne « abandonnée des médecins ».
Dans l'ensemble, il y a de « légères améliorations », imputables à toutes
sortes de causes, mais imputées au seul guérisseur qui voit son prestige
grandir.
Les « diseurs d'oraison » »
ou « panseurs de secret sont considérés
avec plus de crainte encore et d'admiration. Ils font partie de tout ce
vieux fond de sorcellerie, de jeteurs de sorts qui n'existe plus guère en
France que dans certaines provinces. On a vu ainsi un homme hésiter à
témoigner dans l'un de nos procès, car il craignait les représailles du
« sorcier ».
: ;
Nous voyons donc que l'opinion du public à l'égard du guérisseur
varie beaucoup, selon d'abord sa qualité mais aussi selon que l'on a besoin
de lui ou non une personne affligée d'une grave maladie frappera à bien
des portes, alors qu'en bonne santé elle aurait adopté une attitude bien
campagne;
Une autre différence importante est que les guérisseurs ont quitté la
nous avons
;
remarqué qu'au XIX. siècle leur clientèle en était
issue pour la majeure partie or, de nos jours, les guérisseurs vivent à la
;:
ville. Cette évolution est à mettre en parallèle avec l'abandon progressif
de l'aspect traditionnel, abandon dont nous venons de parler
l'exode rural n'a pas tué pour autant l'exercice illégal de la médecine
mais
les
guérisseurs se sont transformés à tel point qu'il n'y a guère de ressem-
blance entre les magnétiseurs parisiens et les diseurs d'oraison. Il semble
donc qu'à côté de la médecine légale demeure toujours une catégorie de
Personnes dont la raison d'être est de soigner les gens, mais d'une manière
telle qu'elle ne puisse qu'être rejetée par la médecine officielle. Nous pen-
sons que, dans toute société, si évoluée soit-elle, demeure, tout au moins
jusqu'à présent, un aspect irrationnel, aspect parfois voilé dans la vie
banale, mais qui se révèle avec force lorsque l'individu est touché dans
son intégrité physique. Mais puisque nous vivons en un temps où le progrès
émerveille les esprits, le guérisseur devra prendre de la science sinon ses
méthodes auxquelles il est étranger, du moins la fascination qu'elle exerce
sur le public. Cela nous semble bien illustré par le développement actuel
du magnétisme et de la radiesthésie parmi les guérisseurs.
illégale,
, ;
Il faut noter maintenant qu'entre la médecine légale et la médecine
une certaine relation peut s'instaurer par bien des aspects, la
la médecine légale;
médecine illégale n'est qu'une vulgarisation et aussi une déformation de
;
réciproquement, la médecine légale peut découvrir
de nouveaux procédés dans les pratiques des guérisseurs ainsi la méde-
cine des herbes, pratiquée depuis fort longtemps, n'est pas sans rapport
avec certaines thérapeutiques comme l'homéopathie.
La médecine moderne a découvert que bien des affections n'ont pas
une origine simplement organique, mais qu'elles s'enracinent dans le
Psychologie:
Psychisme, et l'on sait qu'il est nécessaire, tout en remédiant à une infir-
mité physique, d'agir simultanément par un traitement approprié sur la
c'est tout le rôle de la médecine psychosomatique. On
découvre alors que la relation entre le médecin et le malade est chose
dimportance, et que ce dernier a besoin de trouver dans le médecin une
sorte d'appui, de réconfort. Cela peut d'ailleurs avoir pour effet aussi bien
un esclavage qu'une libération. Il nous semble que le rapport entre le
malade et le guérisseur est fréquemment
— surtout chez le guérisseur
polyvalent — d'un type analogue, et souvent les malades cherchent en celui
qui peut guérir leur corps une personnalité capable de leur communiquer
»
la « force qui leur fait défaut. C'est peut-être cet aspect, qui dépasse
très largement le rôle scientifique du médecin, que les clients recherchent,
plus ou moins obscurément chez les guérisseurs. C'est sans doute la raison
pour laquelle ils sont nécessaires à la société. Chez bien des médecins, on
trouve cet aspect qui les apparente aux somnambules, magnétiseurs et
;
autres « bienfaiteurs ». S'en remettre pour sa santé, c'est-à-dire pour les
choses de la vie et de la mort, à un homme, est grave et difficile on peut
le faire sur des critères scientifiques et raisonnables, et reconnaître en tel
:
ou tel une longue expérience et des succès certains; mais obscurément on
lui demande aussi autre chose on lui demande une assurance sur l'avenir,
on peut pouvoir se reposer sur lui de ses angoisses. On est porté, de ce
fait, à le grandir, afin que celui-ci en retour puisse vous communiquer la
certitude. En définitive, l'homme cherche plus ou moins consciemment à
faire de son médecin un guérisseur.
Albert Gratieux
(1874.1951)
et Nicolas Nicolaiévitch Népluyev
(1851-1908)
par
Etienne PAILLARD
Président
René Gandilhon,
de la Marne, conservateur conservateur
1. M. en chef, directeur des Services d'Archives
régional des Archives de l'Est, en a souhaité la publi-
cation et M. le chanoine Foillot a demandé que le souvenir de N. N. Népluyev
fût spécialement évoqué. Qu'ils en soient remerciés.
M. et
rendus
desarticels
M. le chanoine d'information
Foillot,
des articles
pour sa part, a donné sur Albert Gratieux des comptes
biographique et bibliographique dans la
Semaineetreligieuse et dans la revue Foi et Vie du diocèse de Châlons-sur-Marne,
en 1939, 1947, 1951, 1952, 1953 et 1954.
Son premier texte imprimé est son discours à la Distribution des prix
l'Unité Chrétienne :
du Petit Séminaire, en 1903, sur La Poésie de l'Evangile. La dernière confi-
dence sur ses travaux est celle du Père Congar dans son article Vers
« Il a laissé d'abondantes notes où l'on voit qu'il
reprenait sans cesse, par un travail original et personnel, la vie de Notre-
Seigneur et l'explication de l'Evangile (2).»
L'empressement qu'il mettait à composer soit une œuvre de circons-
tance, soit une pièce demandée par des élèves ou des paroissiens, était un
aspect de la conscience qu'il apportait à l'accomplissement de son minis-
tère (3). Sa valeur n'était pas là cependant. Certes, il avait composé en
réthorique un poème de quatre-vingt vers latins, mais son aîné, le ratio-
naliste Alfred Loisy (1857-1935), lorsqu'il était élève de quatrième au
collège ecclésiastique de Saint-Dizier, faisait aussi en vers latins le com-
pliment pour la fête du professeur. La prosodie latine était alors au
programme des études.
Albert Gratieux rimait sans prétention dans une forme simple et,
:
comme pour prévenir les critiques de sa sensibilité soumise à sa foi, il
répétait, lorsqu'on lui parlait de ses vers « Les plus beaux ne seront
même, en 1939, un bien modeste livret sur lequel on peut lire Petite
Messe grégorienne, par M. l'abbé Gratieux, docteur ès lettres, aumônier
:
jamais écrits ». Aux déshérités que son évêque lui avait confiés il distribua
:
du Centre d'Istina, 45, rue de la Glacière, Paris 13e, n° 45, juillet 1952, p.6.
3. Une liste du chanoine Foillot cite ces œuvres en vers ou en prose Miriam
ou la Fille du Pharisien, drame en 3 actes sur la Passion. Imp. Martin frères, s. d.
(avant 1906, l'auteur étant professeur au Petit Séminaire). — Cœur de Mère,
drame biblique en 4 actes, Haton, Paris, 1907. — Jeanne d'Arc à Châlons, récit en
vers, 5 tableaux, 8 p. Extr. Semaine religieuse du 17 avril 1909 ou du 5 juillet 1929.
— Le miracle de Lagny, récit en vers, 2 p. chez Martin frères, s. d. — L'Argonne
et ses héros, un chapitre du volume de Mgr Tissier, La Guerre en Champagne,
Champagne.
Paris, Téqui, 1915. — Entre Argonne et Pèlerinage de guerre, une
brochure de 30 p., extr. de Sem. rel. de Châlons, 1917, imp. Martin frères. — Les
-
Nous ajouterons :
Grandes Heures de la cathédrale et du diocèse de Châlons, récit rythmé, 13 p.
dans la brochure programme du centenaire, 22 mai 1949, Journal de la Marne.
Noël, la Passion, Pâques, poème de 58 p. dactylogr. desti-
nées à accompagner des projections lumineuses, s. d. — Cantiques de Guerre,
pour les soldats de la 40e division d'infanterie dont il était l'aumônier, Châlons-
sur-Marne, imp. Robat, 1915, 32 p. — L'Ame de la 40e division, discours du 17 mai
1916 au service funèbre célébré pour les morts de la 40e division, 14 p., imp.
Guillote à Gournay. — L'Ame russe et la chanson populaire russe, conférence -
audition, imp. de 8 p. en vers, s. 1., n. d. — Recueil de prières, en vers, contenant
71 pièces pour la Messe, l'Année liturgique et une prière pour la Russie, avec une
préface qui les présente comme le fruit de trente ans d'expérience. 82 p. dactylo-
graphiées, 6 d. et enfin, L'Entrevue du pape Etienne II et de Pépin le Bref à
s.janvier
Ponthion, 6 janvier 754, pièce en 5 actes, 69 p. dactylographiées, s. d. (Archives de
la Marne, J 3124) où l'auteur fait intervenir des moines peintres chassés de
Byzance par les iconoclastes, hypothèse faite aussi par Jean Porcher à propos
du renouveau de l'art dans les manuscrits carolingiens (J. Hubert, J. Porcher et
W. F. Volbach, L'Empire carolingien, Paris, 1968, p.71-72).
ses dons exceptionnels et l'orienta dans le mouvement intellectuel
;
naissant (4) comment il l'accueillit à Paris lorsqu'il vint y préparer sa
-
licence de lettres, durant les années scolaires 1897 1899, lui confiant plus
tard la traduction de deux apocryphes de l'Ancien Testament, L'Apocalypse
d'Abraham et les Secrets d'Enoch qui parurent dans la Revue Catholique
des Eglises (1904-1908); comment enfin il lui demanda, en 1906, de
se
consacrer aux études russes pour remplacer l'abbé Morel qui venait de
mourir accidentellement en Russie (11 août 1905). L'acceptation de cette
vocation exceptionnelle était à ce point sentie et réfléchie qu'elle résista
aux traverses les plus pénibles et qu'elle nous a valu une œuvre dont on
commence seulement à apprécier la portée.
A peine avait-il passé une année à étudier la langue russe que M. Portal
demandait à un grand seigneur de passage à Paris, Nicolas Nicolaïévitch
Népluyev, de recevoir protégé, durant les vavances, dans son domaine
son
de Vozvijensk, à l'est de Kiev.
Ce boyard n'était pas un chrétien routinier ni ordinaire. Il présidait
1, œuvre de formation religieuse d'éducation sociale qu'il avait fondée
et
dans son domaine de près de 20000 hectares et qui s'appelait la Confrérie
ouvrière de l'Exaltation de la Croix. Il avait commencé par ouvrir une
école, en 1877, village de Iampol pour des fils d'ouvriers agricoles. Il
au
avait si bien entraîné ses élèves de plus en plus nombreux qu'il avait pu,
en 1901, leur confier la confrérie et leur abandonner la propriété de ses
terres.
C'est dans ce milieu qu'Albert Gratieux prit une conscience profonde,
orniidable,
f de la Russie, de sa langue et de sa pensée, de ses problèmes
sociaux et religieux, de son âme, cette âme russe à la connaissance et à
amour de laquelle il
se voua.
Cinq semaines durant, des premiers jours d'août au 17 septembre 1907,
Il Partagea la vie de la confrérie dans l'intimité de Nicolas Nicolaïévitch
qu'il quittait seulement le dimanche matin
la Petite église catholique polonaise de Gloukhov. pour célébrer la messe dans
Il écoutait les récits, les
spoirs, les confidences de Népluyev. Il gagna sa confiance. Une lettre
qu'il reçut en France,
leurs relations.
Elle débutait par ces mots
»; :
en réponse à ses remerciements, donne le ton de
:
Monsieur l'abbé, cher et
cellent ami et frère en Jésus-Christ elle s'achevait ainsi « Je vous
«
voie ci-joint votre brevet de membre adhérent et, sous banderolle,
appel adressé par notre confrérie à la Russie, croisade que nous propo-
ns. Nous vous aimons bien tous, croyez-le. Priez pour nous. Votre bien
1evue. Népluyev Mais celui-ci tomba gravement malade de l'influenza,
le >!|novembre 1907,».
alors qu'il était à Pétersbourg. Il put rentrer à
Vvijensk mois après
un et c'est là qu'il mourut le 21 janvier 1908.
d'Albert
d'A
s
: : :
Cette année-là, la Revue catholique des Eglises publia
sous la signature
Gratieux un article intitulé Nicolas Nicolaïévitch Népluyev. Une
uvre russe la Confrérie fondée
par N. N. Népluyev (p. 88-138) et un
ote Lettres de Russie. A Vozdvijensk après la mort de N. N. Népluyev.
second
sur la philosophie de N. N. Népluyev.
Albert Gratieux restait profondément attaché à la Confrérie et il devait
ni
Co rresPondre
er, avec les deux sœurs de Nicolas Nicolaïévitch, avec l'aumô-
le P. Alexandre Sékoundov
et avec les autres membres jusqu'en 1917.
4. P. Congar, loc. cit., p. 4.
Aux grandes vacances de 1908, il put retourner dans cet oasis et y
rester du 4 au 25 août. Il y fut reçu par la mère de Nicolas Nicolaïévitch
et par les deux filles de celle-ci qui avaient pris la direction de l'œuvre. Il
se rendit ensuite à Bogoutcharovo, près de Toula, chez Dmitri Alexéïévitch
Khomiakov, cette fois dans un but d'études littéraires et philosophiques
défini. Le P. Portal, en effet, avait attiré son attention sur Alexis Stépano-
vitch Khomiakov, le chef du mouvement slavophile contemporain du
Romantisme, et son travail devait être grandement facilité par le propre
fils de Khomiakov, lui-même intellectuel de valeur et éditeur des œuvres
de son père. En séjournant chez lui, Albert Gratieux ouvrait la longue
série de recherches qui devaient le conduire au doctorat ès lettres.
La conférence qu'il donna à l'Institut catholique de Paris, publiée en
1909 dans la revue de cet Institut, « Un poète slavophile, A. S. Khomiakov,
1804-1860 », est révélatrice de son attrait pour les impressions, les élans de
l'âme qui garantissent la loyauté des analyses et la sincérité des théories.
Une autre conférence au même établissement,parue en 1911 dans la Revue
»
du Clergé français, « Les Icônes chez les Russes (15 août), se rattache à
la même façon de voir, car il y considère l'icône comme l'expression la
plus haute de la sainte Russie, Swiataïa Rouss. Le peintre Claude Stépanof,
après avoir cherché sa voie pendant vingt-cinq ans en France et en Italie
à l'école des peintures individualistes, lui avait communiqué sa flamme
pour cet art populaire.
C'est dans sa brochure Mes impressions religieuses de Russie, destinée
à ses amis de France et de l'étranger, qu'il livre la première synthèse de ce
qu'il avait appris et éprouvé en Russie. L'accueil facorable et unanime de
ce fascicule de 24 pages in-4° lui valut, au début de 1912, des lettres pleines
de gratitude et d'encouragements. Après avoir abordé la pensée russe en
lisant d'abord les romans de Tolstoï, il raconte sa découverte de Népluyev,
« cet autre chercheur de Dieu plus heureux que Tolstoï », puis celle
d'Alexis Stépanovitch Khomiakov à l'œuvre immense et profonde duquel
il s'attache. Il appuie ses jugements de citations de Nadson, de Dostoïevski,
de l'abbé Morel, de Tourguéniev, de Rozanov, de Soloviev, mais c'est à
Népluyev qu'il revient, car c'est à la confrérie ouvrière qu'il a compris ce
qu'était le véritable amour.
« Tolstoï, écrit-il, sentit vivement le besoin d'appeler de la lettre à
l'esprit. Mais sa protestation ne procédait pas du véritable amour qui seul
donne aux paroles du prophète une fécondité créatrice. Son action est
restée une œuvre de critique, de doute, finalement de destruction (5).
Dans sa conclusion, il projette le faisceau des pensées, des critiques
aussi car il n'est pas un admirateur béat, qui éclairera le cheminement de
son esprit jusqu'à la fin :
« Alexis Tolstoï croyait à l'amour, Népluyev croyait à l'amour, Kho-
miakov croyait à l'amour, le Russe croit à l'amour. Dans notre monde
;
occidental nous croyons à l'ordre, à la logique, à l'organisation, à la
discipline savons-nous faire crédit à l'amour, partant à la liberté Ordi-
nairement nous ne sommes tranquilles que lorsque nous avons pris contre
?
leurs écarts prévus ou imprévus, les plus strictes précautions. Il faut,
6. Ibid., p. 23.
7. P. Congar, loc. cit., p.6. Le P. Congar n'avait fait la connaissance de l'abbé
Gratieux qu'aux grandes vacances
G de 1937, au Quiou, en Bretagne.
7 bis. Georges Gurvitch, professeur en Sorbonne, est mort en décembre 1965.
Ses
S amis Georges Balandier, Roger Bastide, Jacques Berque, Pierre George et
:
une vingtaine d'autres, ont publié en 1968, aux Presses Universitaires de France,
un livre collectif Perspectives de la sociologie contemporaine (470 p.) qui est un
hommage à ce savant et qui donne, en même temps, sa biographie et la biblio-
graphie de ses œuvres.
Un prêtre distingué, M. Hemmer, curé de la Trinité, qu'il avait connu
à Paris avant 1914, rêvait de son côté d'une vie de M. Portal et il avait
demandé à Albert Gratieux de l'aider. Ils avaient renoué lorsqu'après sa
lectuelle et dans la Vie spirituelle, en 1937, deux articles :
rencontre avec le P. Congar, Albert Gratieux eût publié dans la Vie intel-
L'Apostolat
intellectuel de M. Portal et M. Portal, apôtre de l'Union. M. Hemmer les
avait remarqués. Il mourut trop tôt pour réaliser son projet et c'est son
:
exécuteur testamentaire, M. Lemarié, qui publia en 1947 les documents
rassemblés sous le titre Monsieur Portal, prêtre de la Mission, 1855-1926
(8). Six chapitres de ce volume portent la signature d'Albert Gratieux. Au
vrai, il n'était qu'à demi satisfait de cette solution, aussi écrivit-il :
L'Amitié au service de l'Union, Lord Halifax et l'abbé Portal, que le
P. Merklen publia, à la Bonne Presse, au début de 1951. Ces deux apôtres
de l'Unité, lord Halifax et l'abbé Portal, étaient connus depuis longtemps
d'Albert Gratieux. Il était allé chez le premier en Angleterre en 1913 et il
les avait reçus tous les deux à Saint-Amand-sur-Fion en 1921 (9).
Quand il mourut le 19 juillet 1951, plusieurs manuscrits restaient
inédits, le premier sur Le Mouvement slavophile à la veille de la Révolu-
tion (10), le second sur Nicolas Nicolaïévitch Népluyev (11), le troisième
sur ses Missions en Russie (1917) et en Sibérie (1919) (12). Le premier a
été publié par le P. Congar en 1953 dans la collection Unam Sanctam,
tome 25; une circulaire qui l'annonçait portait entre autres les signatures
:
du chanoine Foillot et de l'abbé Antoine d'Halluin. Le livre est divisé en
deux parties Dix ans de relations avec Dmitri Al. Khomiakov (1907-1917),
et l'Œuvre de Dmitri Al. Khomiakov. Cette division, parallèle à celle de la
thèse de doctorat, a permis à Albert Gratieux de donner de larges extraits
des lettres qu'il avait reçues du fils d'Alexis Stépanovitch Khomiakov.
II
Nicolas Nicolaïévitch Népluyev et son œuvre :
la Confrérie ouvrière
de l'Exaltation de la Croix. — Vie à la Confrérie. — Les succès de Népluyev
;
dus à sa profonde culture et à l'importance de ses réalisations. — Conti-
nuation de la Confrérie son rayonnement après la mort de Népluyev.
;
La maison de maître, ousabda, résidence, était construite en bois, en
rondins superposés et joints aux extrémités, à la mode russe élevée sur
un soubassement de pierre et couverte de tôle. De dimensions modestes,
;
elle n'avait qu'un rez-de-chaussée mais elle était agréablement située au
milieu de la verdure et des fleurs de là, des allées bien entretenues con-
duisaient aux différents bâtiments de la Confrérie.
L'intérieur était simple. On entrait dans le vestibule par le balcon,
une sorte de véranda. On accédait à gauche à la chambre de Nicolas
Nicolaïévitch. Ce qui attirait tout de suite le regard, c'était le coin des
icônes avec un haut crucifix où le corps du Christ était non pas sculpté
mais peint. A droite du vestibule, on entrait dans une pièce plus grande
qui servait à la fois de salon et de salle à manger.
;
On pénétrait ensuite dans une autre salle récemment construite et
qu'on appelait la terrasse elle était toute vitrée d'un côté, vaste et décorée
de plantes vertes, lumineuse et gaie. On pouvait y tenir des réunions.
Quelques chambres, destinées
au secrétaire et aux hôtes, complétaient ce
logis qui n'avait rien de seigneurial.
;
les enfants, une cuisine et un réfectoire. Cette pièce communiquait avec la
véranda qui servait de salle à manger l'été entre de longs rideaux de
dentelle se trouvait le coin des icônes, la petite chapelle domestique.
Les vérandas, qui sont comme des serres à la mauvaise saison, isolent
les habitants dans leurs chambres pendant les étés torrides et remédient
à la rigueur du climat.
Ordinairement, dans cette partie de l'Ukraine, les paysans obsédés par
la fréquence des incendies, habitent de frêles maisons blanchies à la chaux.
Elles s'alignent au bord des chemins tour à tour boueux ou poussiéreux
sauf en hiver lorsqu'ils sont gelés et enneigés.
L'acte d'émancipation de 1861 qui avait aboli le servage en Russie
n'avait qu'une trentaine d'années. L'affranchissement vrai des paysans, la
plupart analphabètes, ne pouvait se faire du jour au lendemain. Pour
transformer le village misérable, obatchina, en un groupe de familles
libres, il fallait s'en donner la peine. La Confrérie était privilégiée.
;
Nicolas Nicolaïévitch avait voulu dans tous les détails de la vie :
mobilier, costume, cuisine même, une « simplicité distinguée» c'était son
expression. Il avait réglé la forme et la qualité des vêtements aussi bien
que l'ordonnance des repas. A ceux-ci on servait habituellement du borstch,
un pot-au-feu au bœuf et au jambon, et de la kacha faite de sarrazin
assaisonné au lard, au beurre et au lait. Le matin on donnait une soupe
aux travailleurs, aux autres du thé. Chaque famille pouvait dresser et
varier ses menus, à condition de ne pas dépasser le prix fixé.
L'habillement uniforme comprenait pour les hommes des pantalons
noirs et de courtes blouses noires serrées à la taille par une ceinture, l'été
; ;
des blouses légères de couleur. Par dessus la blouse, ils portaient une
kourtka, sorte de veston, et en hiver une pelisse comme coiffure une
casquette en été, un bonnet fourré en hiver comme chaussures des bottes
qui retenaient le bas des pantalons. Cet ensemble leur donnait un air
;
aisément dégagé. Les femmes avaient en hiver des robes bleu foncé, de
couleur claire en été par dessus, des manteaux de drap noir bon marché,
et l'hiver des pelisses ouatées. Elles se couvraient la tête de mouchoirs
d'étoffe blanche en été, de drap en hiver. Le blanc était la couleur de fête,
blouses blanches pour les hommes, robes blanches pour les femmes.
;
Les enfants ne connaissaient guère de chaussures durant la belle
saison ils étaient charmants avec leurs petites blouses serrées à la taille
et, en bandoulière, le minuscule sac destiné à garder le mouchoir.
;
baiser renouvelé de l'antiquité chrétienne n'était pas une vaine formalité
on se le donnait énergiquement sur la bouche, à la russe beaucoup le
;
répétaient jusqu'à trois fois pour mieux affirmer leurs sentiments » (13).
On se représente sans peine Albert Gratieux, dans ce milieu où il
bénéficiait de la sympathie de tous, tant il était simple, indulgent, capable
de tout comprendre. Son extérieur ne pouvait rebuter les russes, car il
ressemblait à nombre d'entre eux, grand, large d'épaules, la tête couronnée
d'une abondante chevelure noire, le regard doux et profond, tellement
qu'un jour de 1943, alors qu'il était en Bretagne, des officiers allemands
qui revenaient du front russe l'avaient pris pour un pope.
Népluyev, de même taille que lui, avec un vaste front complètement
chauve, une barbe grisonnante taillée en pointe, non moins calme et maître
de lui, faisait au premier abord l'impression d'un diplomate mais à
Vozdvijensk il était vêtu
comme tout le monde avec, sur sa poitrine, une
croix en signe de sa dignité (14).
Les deux hommes, pendant cinq semaines, furent pour ainsi dire en
conversation continuelle, participant aux réunions de prières, se trouvant
aux mariages et aux baptêmes. Albert Gratieux eût la chance d'assister à
la fête annuelle de la Confrérie. Il
en
les titulaires des différentes fonctions étaient renouvelés
de discours, dit-il, de remerciements
déchanges de sympathie et de vœux entre
:
décrit avec complaisance la liturgie
U matin qui dura trois heures et la séance de l'après-midi, « l'acte », où
« cinq heures
aux bienfaiteurs et aux maîtres,
ceux qui sortaient et ceux qui
entraient. L'assistance écoutait, inlassable, ce débordement de paroles qui
répétaient les mêmes pensées. Je compris la première fois à quel
pour
Point les slaves méritaient d'être appelés les peuples de la parole (slovo)
».
ean
J :
Une autre fois, il décrit sa visite avec Népluyev à « la famille Saint-
». Ce soir-là
On Pria pour
« la prière était déjà entrain quand nous arrivâmes.
mes amis et pour moi. On chanta mnogaïa liéta (nombreuses
années), le chant de souhaits qui
accompagne
atlons. Puis ce fut l'accolade fraternelle, le thé
Jouer
;
avec des pommes
un gramophone, l'orchestre des ballalaïkas et des mandolines fit
entendre sa musique nerveuse deux frères exécutèrent des danses russes,
;
les fêtes, les vœux, les félici-
on fit
:
Lorsqu'il prit définitivement congé de son hôte, les adieux touchants
se firent à la mode russe « on s'assit d'abord quelque temps, puis on
Pria, chacun exprimant les sentiments
que
moment, les souhaits que l'on formait, soit
pouvait suggérer un pareil
amour fraternel, pour le développement de
soit pour le triomphe de l'Union entre les hommes et
dans l'Eglise du Christ
».
:
de Nicolas Nicolaïévitch. Une seule avait été publiée en français à Paris,
en 1930, La Confrérie ouvrière et ses écoles (Alcan). Il a prouvé que tout
était relié par une pensée fondamentale la prédication de la grande loi
d'amour et sa réalisation. Il a souligné le caractère d'autobiographie de
ces pages « non que Népluyev ait pris un vain plaisir à se raconter mais
il considérait ses expériences personnelles et celles de la Confrérie comme
un document humain utile à faire connaître et comme un exemple à
proposer ». C'est pourquoi cette autobiographie se mélange sans cesse
avec la prédication de l'idée et des exemples de l'œuvre.
Sans vouloir résumer Albert Gratieux, on tire facilement de son
;
immense enquête les raisons de l'audience de Nicolas Nicolaïévitch auprès
des Russes ce sont essentiellement sa profonde culture et ses réalisations
:
Jésus-Christ « Ne me parlez pas de cet homme désagréable ».
Dostoïevski ne l'avait pas satisfait non plus « Dostoïevski, comme
Tolstoï, met les questions religieuses sous une forme littéraire qui les
rapproche de l'intelligentsia (la classe intellectuelle), mais on trouve dans
;:
sa théologie plus de sentiment que d'exactitude. Au bagne, il a senti la
grandeur de la religion dans l'âme russe sa prédilection s'adresse à une
forme particulière de cette religion l'humilité compatissante, qui
s'exprime notamment par le culte des iourodivis, les saints benêts, simples
d'esprit, qui éprouvent une joie presque maladive des humiliations. Cette
conception était à l'opposé de celle de Nicolas Nicolaïévitch qui voulait,
au contraire, montrer que le Christianisme n'était pas avant tout un
ascétisme sombre et rebutant, mais un esprit de joie et de lumière dans
l'amour. C'est pourquoi il reprochait à Dostoïevski de défigurer l'idéal
religieux ».
Quant à Soloviev, il fut pour Népluyev la cause de soucis d'un autre
ordre. Nicolas Nicolaïévitch avait prêté 25000 roubles à l'éditeur de ses
œuvres et, comme il ne pouvait en obtenir le remboursement, il dut le
Poursuivre pour obtenir au moins 10000 roubles.
Albert Gratieux gardait une documentation sur Soloviev en vue
d'écrire sa vie. Il a exprimé son opinion sur lui à la fin du second volume
de sa thèse sur A. S. Khomiakov (p. 252). Il espérait exposer le point de
vue de ses amis russes sur sa conversion au catholicisme et sur sa mort à
Moscou lorsqu'il demanda, en toute bonne foi, à ses derniers moments,
l'assistance d'un prêtre orthodoxe. Albert Gratieux avait rencontré à la
Confrérie ouvrière, après la mort de Népluyev, une jeune fille catholique
dont la situation spirituelle lui rappelait celle de Soloviev : « Maria
;
Ludvigovna Naoumovitch aimait la Confrérie où elle trouvait le plus bel
idéal de vie morale et religieuse qu'elle pût rêver mais elle ne voulait pas
quitter le catholicisme ». Elle avait profité du dernier passage d'Albert
Gratieux à Vozdvijensk, en 1909, pour se confesser et communier à
Gloukhov, à l'église polonaise. En décembre 1910, « les prêtres polonais
très intolérants en général à l'égard de tout ce qui touchait à la Russie »,
lui refusèrent les sacrements parce qu'elle était à la Confrérie
«
»
l'écrivit à Albert Gratieux. En 1912, il reçut d'elle encore deux lettres
et elle
douloureuses. Elle continuait à se débattre dans son drame intérieur
incomprise non seulement des prêtres polonais mais aussi du P. Alexandre,
l'aumônier de Vozdvijensk.
En dépit de ce sectarisme, le grand rayonnement de Népluyev lui
survivait parce que son enseignement s'était appuyé sur la pensée russe,
traditionnellement idéaliste et universaliste, mais aussi grâce au don
évident d'organisateur qu'il tenait de sa mère allemande. Qu'on en juge
Par l'exposé chronologique de sa carrière.
Elle le montre ouvrant, dès 1877, à 27 ans, son école de Iampol, puis
reprenant des études pendant deux ans comme auditeur libre à l'Académie
agronomique de Pétrov, à Moscou, créant en 1884 la Confrérie ouvrière de
Vozdvijensk, autorisée
l'organisation des cercles par le Ministère en 1885, et sanctionnant, en 1886,
fraternels et de la hiérarchie intérieure dont ses
élèves avaient
eu l'idée.
La mort de son père, en 1890, avait été suivie de l'arrivée à la Confrérie
en 1891 de sa mère et de ses deux sœurs, l'une Maria Nicolaïevna, Madame
veuve Oumanetz, l'autre restée célibataire, Olga Nicolaïevna, dont la pré-
sence lui avait permis d'ouvrir une école de filles.
En 1894, la Confrérie avait établi ses statuts mais, en 1900, alors qu'il
était
,
en voyage pour la propagation de ses idées, des dissensions avaient
éclaté, attisées des fréquentations hostiles venues de l'extérieur. C'était
par
une crise de croissance. Elle fut résolue par sa patience, par son respect
de la liberté individuelle, foi aussi. Partirent ceux qui le voulurent,
par sa
restèrent ceux qui continuaient à croire à l'amour et à prier avec lui. A
ceux qui s'en allèrent fut versée leur part des profits réalisés par la
onfrérie car, ainsi
que le montrent les statuts, le but de Nicolas Nico-
laïévitch était de libérer les paysans de toute servitude en les faisant
accéder à la propriété soit collective, soit individuelle.
En 1901, il donna son héritage paternel à la Confrérie se réservant
l'usufruit d'une partie. Le mouvement révolutionnaire de 1904-1905, qui
causa de grands dommages dans les campagnes, ne le troubla pas.
A cette activité s'ajoutent ses nombreux voyages de propagande à
l'Etranger. Il croyait, c'est une pensée slavophile, qu'en faisant connaître
une réalisation russe, il faisait œuvre éminemment humaine. « Travailler
pour l'idée russe, c'était préparer, pour l'humanité entière, le triomphe de
l'universel amour ».
On le vit en Allemagne en 1892, chez le comte Maximilien de Lüttichau,
organisateur de plusieurs unions chrétiennes et, en 1896, visitant quantité
de sociétés de religion et de bienfaisance. Il était à Reims en 1896 aux fêtes
du quatorzième centenaire du baptême de Clovis, à Paris en 1900 au
Congrès de l'Humanité et dans les Balkans en 1901. Il en rapportait des
;
encouragements mais aussi des déceptions. Le Congrès de l'Humanité lui
avait donné l'impression d'une Tour de Babel il n'y avait cependant pas
que des notabilités de la Belle Epoque (15).
Pour remédier aux mouvements révolutionnaires de 1905, il voulut
:
une transformation politique. Il créa un nouveau parti et publia en 1936,
à Gloukhov : Le parti du Progrès pacifique ses bases idéales et son pro-
gramme vital. Son dernier rêve, La Confrérie de toutes les Russies, entra
dans la voie des réalisations. Il fit approuver les statuts de cette nouvelle
fondation par la Confrérie ouvrière. En 1907, ses conférences à Kiev et à
l'Académie de Moscou furent suivies avec intérêt mais les auditeurs en
Gouvernement mais aussi les ecclésiastiques ;
jugèrent les réalisations difficiles. Il fallait non seulement intéresser le
pour ceux-ci on éditerait
une revue mensuelle sous le titre de Foi et Vie, pour ceux-là et pour les
;
diverses catégories de gens une gazette quotidienne avec des éditions
spéciales. Ces rêves ne furent pas réalisés en 1908, il mourait comme un
homme de Dieu.
La continuation et les progrès de son œuvre après sa mort restent sa
meilleure justification.
On en suit les développements dans la dernière partie du manuscrit
d'Albert Gratieux où il rend compte de ses deux derniers voyages à
Vozdvijensk en 1908 et 1909, et où il relate sa correspondance avec ses
amis russes jusqu'en 1917.
Il connut les détails des derniers jours et des funérailles de Népluyev
par les membres de la confrérie, Vasili Mikaïlovitch Proparko et André
:
Grigoriévitch Kolomeitchenko, le directeur de l'école de filles, qui lui
envoyèrent une brochure souvenir N. N. Népluyev, le Saint de la Terre
Russe.
Les lettres les plus intéressantes furent évidemment celles des sœurs
de Népluyev, Olga Nicolaïevna et Maria Nicolaïevna qui passa le voir en
1911 au presbytère de Couvrot, dans la Marne, où il était en disgrâce.
Il sut par le P. Alexandre que le P. Opotzki, homme fort cultivé qu'il
avait rencontré plusieurs fois, avait fondé à Vélébitsy, en 1909, une confré-
rie sur le modèle de Vozdvijensk en commençant avec cinq familles.
III
Attitude réciproque d'Albert Gratieux et de Népluyev dans leurs
relations.
— Leur aspiration à vivre dans l'union d'un seul Credo et de
l'Eglise rénovée.
;
démonstration, mais on peut en tirer des exemples. Nous les grouperons
:
sous ces deux rubriques qui semblent répondre à un besoin de notre
temps leur attitude réciproque dans leurs conversations leur aspiration
commune à vivre ensemble dans l'union d'un seul Credo et de l'Eglise
rénovée.
Entre les deux interlocuteurs l'habitude s'était vite établie d'écouter
l'autre en cherchant, suivant la recommandation de Pascal, à saisir le côté
par lequel il avait raison.
; :
Dès leurs premiers entretiens, Albert Gratieux le justifie « Il eût été
maladroit de provoquer des controverses le moindre essai de discussion
apologétique pour démontrer la primauté de Rome sur toutes les églises
chrétiennes eût immédiatement détruit la confiance et l'amitié. Aussi bien
ce n'était pas là mon but. Apprendre à se connaître et à s'aimer, vivre
l'union avant de la mettre en formules et d'en dresser le protocole, me
semblait le meilleur des procédés, la seule action efficace ».
Sans prendre de part active aux offices de la Confrérie autrement que
dans sa prière intérieure, Albert Gratieux étudiait et goûtait la liturgie
orientale, décrivant par exemple un baptême en notant que les formules
de l'Eglise orientale sont en général plus déprécatoires, moins impératives
qu'en Occident (où l'autorité s'est affirmée de plus en plus). Il subissait
l'emprise des splendeurs des offices de l'Eglise russe.
Mais il lui fallait retrouver une ambiance de polémique lorsqu'il allait
le dimanche à Gloukhov. Il y célébrait la messe en latin et ne manquait
pas de défendre l'œuvre de Népluyev auprès des catholiques polonais
« Ceux-ci lui servaient les objections qui couraient alors, non seulement
:
:
dans la société polonaise, mais aussi parmi les russes. On contestait la
sincérité même de l'œuvre son fondateur, disait-on, cherchait à se faire
; :
valoir, ou bien il voulait trouver des ouvriers à bon compte pour l'exploi-
tation de ses biens. On en contestait aussi les résultats les Népluyev se
faisaient illusion sur les membres de la Confrérie ceux-ci auraient tôt
fait, quand l'occasion viendrait, de se partager la propriété. ». Il peut
paraître étonnant qu'un prêtre catholique français ait défendu un ortho-
doxe mais Albert Gratieux avaitcompris, et il l'a expliqué, qu'en petite
Russie où il était « il avait fallu lutter pour maintenir l'Orthodoxie contre
les Polonais ».
Dans l'espoir d'entamer quelque discussion irènique avec Nicolas
Nicolaïévitch, il lui avait un jour proposé de remonter aux temps anciens
et de prendre comme point de départ de leur conversation l'époque où
l'Eglise n'était pas encore divisée. Il en avait reçu cette réponse
« Monsieur l'abbé, l'histoire ne prouve rien, seul compte l'amour » et une
:
autre fois « l'histoire ne prouve rien, elle est la justification du présent»
(17).
;
guide
Au fond, leur volonté de résoudre les difficultés était leur meilleur
c'était affaire de bon sens. Ensemble, et Dmitri Alexéïévitch
17.
:
Cette réflexion est caractéristique de la pensée russe. On en retrouve le
sens sous la plume de la fille de Staline L'important n'est pas ce qui fut mais
ce que tu en penses aujourd'hui. Svetlana Alliluyeva, Vingt lettres à un ami.
Paris, 1967, p. 15.
Khomiakov s'affirma plus tard avec eux, ils se tenaient délibérément à
l'écart de ce qu'on appelait de plus en plus le modernisme et ils regrettaient
que beaucoup de théologiens occidentaux ne parvinssent pas à distinguer
l'orientalisme du modernisme.
Népluyev se plaisait à faire connaître à son ami les auteurs qui
:
l'avaient aidé lui-même à préciser ce qu'il éprouvait, les saints évêques
russes du XIX. siècle comme Platon de Kiev disant « l'amour seul est
capable de détruire les barrières que nos dissentiments n'ont pu encore
élever jusqu'au ciel ». Il arriva aussi qu'à une réunion chez le P. Alexandre,
le P. Opotzki leur exposât sa philosophie de l'Union. S'inspirant d'une
formule que les prêtres orthodoxes emploient volontiers entre eux :
:
Christos posrédi nas, « le Christ est au milieu de nous », il prononça ces
belles paroles qui frappèrent ses auditeurs « Allons tous au Christ, plus
nous serons près de lui, plus aussi nous serons près les uns des autres.
Il est au sommet de la montagne, nous sur les côtés opposés nous ne nous
voyons pas. Elevons-nous vers le sommet et nous nous rencontrerons ».
Les mentalités sont en effet différentes entre russes et français et
peuvent nuire à leur volonté d'union si on n'y prend garde. Népluyev, en
dépit de ses qualités d'organisateur, avait une tournure d'esprit orientale
Qui aurait choqué plus d'un catholique. Il était attentif aux songes, aux
siens propres et à ceux des membres de la Confrérie. Il laissait même les
superstitieux et les spirites venir à lui et il n'avait pas refusé d'être leur
Président bien qu'il se moquât ouvertement de leurs craintes et se défendît
de croire à leurs pratiques et à l'occultisme.
:
Albert Gratieux admirait sa fermeté dans ce milieu rural où restait
mainte survivance des invasions mongoles et tartares « Népluyev luttait
contre l'ignorance des chrétiens orthodoxes et leur manière toute maté-
rialiste de comprendre la religion. Il s'opposait à la circulation de légendes
stupides comme celle de la Force céleste et de la Nourriture du Diable
Qui couraient dans les districts voisins et dans le sien. Il disait des démons
qu'ils ne peuvent avoir d'influence sur nous que si nous-mêmes le leur
Permettons. Il reprochait aux adeptes de l'ascétisme manichéen d'avoir
Partagé la création divine en pure et impure et, par cette voie, d'en être
venu à la conviction que le monde n'avait pas un seul créateur.
La droiture de jugement de Népluyev ne parvint pourtant pas à
éveiller
, l'intérêt de la hiérarchie de son église propre à l'égard de son
æuvre. Lorsqu'il voulut étendre le rayonnement de celle-ci en créant
dautres confréries que la sienne, les zélateurs de l'Orthodoxie officielle
Prirent ombrage de ses initiatives. Le puissant procureur du Saint-Synode,
le fameux R. P. Pobiédonotsvev, le faire rentrer dans l'ordre, était
a,JIe jusqu'à lui
proposer
pour
:
de le faire évêque de Tchernigov, chose qui
noffrait pas de difficulté puisqu'il n'était pas marié « Il aurait eu, en
; ;
cette qualité, juridiction sur la Confrérie. Nicolas Nicolaïévitch avait
refusé ce n'était pas sa vocation c'était comme laïque et non comme
membre du clergé qu'il devait faire du bien. C'était cette attitude anti-
que, chez le haut procureur et chez certains membres du clergé russe,
qu'il qualifiait de tendances catholicisantes au sein de l'Eglise orthodoxe
».
Albert Gratieux avait supporté pour sa part autant d'incompréhen-
sions. Il les avait surmontées à Vozdvijensk, sa foi vivante et une
spiritualité également ouverte et,
au mysticisme l'avaient rapproché de
epluyev.
Celui-ci croyait au monde invisible. Il était homme de prière et s'élevait
à la contemplation des âmes et des anges. C'est sous cet angle, et non
sous celui d'un paternalisme étroit, qu'il faut regarder le cadeau qu'il fit
à la Confrérie de la généalogie de sa famille, c'est-à-dire de la liste des
personnes qui lui avaient transmis son héritage moral et matériel, et qui,
du Ciel, approuvaient son œuvre. Il s'était senti soutenu par elles dans la
crise qui l'avait secouée en 1900.
Cette année-là, quand tout fut apaisé, il y eut une fête qui se termina
:
on lisait Cinquante ans de vie, de foi et d'amour !
le soir « par une riche illumination avec un grand transparent sur lequel
Autour d'une grande
croix, un tableau vivant montrait une foule d'anges et, en bas, des groupes
d'élèves garçons et filles, et frères et sœurs en vêtements blancs ».
La présence mystérieuse des anges dans le monde est populaire en
Russie. Elle témoigne d'un grand amour de ce pays pour la beauté morale.
Albert Gratieux aimait comme Népluyev les touchantes évocations des
poètes russes à propos des anges, celle d'A.S. Khomiakov, celles de
Lermontov (18). Le peintre André Roublev n'a-t-ilpas réalisé, vers 1427, sa
plus belle icône, un chef-d'œuvre de tous les temps, dans le tableau conser-
vé à la galerie Trétiakov, à Moscou, où la Sainte Trinité est représentée
:
par trois archanges assis à la table d'Abraham sous le chêne de Mambré
car, dit l'Ecriture
qu'un seul.
Abraham vit trois personnages mais il n'en adora
Les élans de l'âme étaient pour eux le support de leur réflexion sur
ce qui les séparait, non une forme d'évasion. Il ne leur suffisait pas de se
connaître, de s'aimer et d'avoir trouvé les voies de la fraternité en Jésus-
Christ. Il fallait aussi en faire vivre le monde qui les entourait en com-
mençant par ceux qui portent le nom de chrétien. Leur zèle pour cette
cause reste le témoignage de leur commune aspiration.
Ils s'étaient arrêtés d'abord à la définition de l'Eglise dans le Credo
:
de Nicée. La traduction de leur croyance en l'Eglise une, sainte, aposto-
lique, variait sur le quatrième terme la catholicité chez les romains, la
sobornost chez les orthodoxes. Ces derniers voient dans le saint Sobor
l'assemblée, la plénitude, plus encore que la conciliarité, mot que les
slavophiles avaient adopté mais qui est une traduction insuffisante de la
Sobornost. Cette question a fait de tels progrès depuis la convocation du
concile de Vatican II par le pape Jean XXIII qu'elle ne saurait être traitée
ici même. A défaut d'une dissertation sur ce sujet, on se contentera d'un
aperçu de ce qu'on avait dit à Vozdvijensk du concile que les Russes
espéraient et dont la convocation était réclamée avec une insistance de
plus en plus vive. Il s'agit, bien entendu, du Concile de l'Eglise orthodoxe
car l'idée même d'un Concile romain était alors impensable.
Népluyev, pour sa part, n'attendait pas le salut de sa patrie par la
Révolution mais d'un retour à l'amour de tous les chrétiens, prélude de la
fraternité universelle. Il souhaitait des réformes et ce qu'il avait fait pour
son village en particulier devait encourager à tenter de grandes actions
pour le relèvement général de la Russie. Ille voulait pour le gouvernement
annihilé par le poids de son administration; ille réclamait pour l'Eglise.
Le
Le L'icone du Saint Sobor ou du saint concile du Ciel et de la Terre.
Qualificatif de l'Eglise sobonnaïa, en russe, qui tient lieu de catholique dans le Credo
n français, n'est
pas interprété exactement de la même façon dans les deux langues.
:
En 1906, dans un long article qu'il publia à Kiev sous ce titre « Voix
d'un laïque à propos du futur Concile », il lance un appel à la pénitence.
Il parle comme un héraut de l'Ancien Testament. Il pressent des heures
de drame pour son pays et il se tourne vers le Ciel pour que l'Eglise
redevienne le lien de l'universel amour.
;
« Dans l'Eglise comme dans l'Etat, a écrit Albert Gratieux, la critique
trouvait belle matière à s'exercer deux cents ans de routine et de bureau-
cratie avaient fait leur œuvre. Les conditions matérielles aussi bien que
les conditions spirituelles, les diocèses et les paroisses, le clergé noir (les
moines) et le clergé blanc, les études et le ministère, l'administration tout
entière, y compris le Saint-Synode, institué sur des bases que tout le monde
:
s'accordait à trouver non canoniques, tout était mis en question.
« Deux points surtout attiraient l'attention
:
croire, avec eux, en la Russie qui mérita le beau titre de Sainte Russie,
Sviata Rouss. Le proverbe portugais que lord Halifax citait à ses amis
revient à l'esprit toujours chargé d'espérance « Dieu écrit droit avec des
lignes courbes ».
CONCLUSION
Une dernière confrontation servira de conclusion à ces pages.
Albert Gratieux, issu d'un milieu rural intelligent et distingué, connut
une vie exaltante avec les apôtres de l'Union pendant une douzaine
d'années seulement et cela explique sa carrière littéraire où les œuvres
reprennent les mêmes pensées autour de personnages différents. Ses livres,
publiés ou encore inédits, se complètent mais leur forme de « souvenirs »
peut laisser aux critiques une impression de répétition, parfois de lon-
gueur. On peut dire qu'il avait assimilé à ce point la pensée slavophile
qu'il serait compris des lecteurs russes jamais lassés d'écouter des heures
durant — c'est encore vrai en régime communiste — les paroles qui les
concernent.
Son plus beau titre est celui de son amour profond de la Russie. Non
seulement il a concacré sa vie intellectuelle à la découverte de ce qu'il
appelait l'âme russe, mais il l'a exprimé dans ses œuvres mieux qu'aucun
autre. Et il l'a fait sans en tirer de profit ni de gloire personnelle.
Il s'est bien gardé de faire du prosélytisme pour détacher quelque
russe que ce fût de l'orthodoxie. Une seule fois, et il s'en excusait presque,
son aide fut sollicitée par un orthodoxe qui désirait passer au catholicisme.
:
Il s'agissait du fils de l'ancien ambassadeur à Paris, Maklakoff, qui devint
professeur à l'Institut catholique de Lille « Réfléchissez, lui avait-il
répondu, et demandez-vous si, plus tard, vous ne le regretterez pas ».
:
Dans l'intimité, vers la fin de sa vie, il confiait à ses amis « Chacun
de nous trouve dans l'Evangile une phrase qu'il s'applique de préférence
:
aux autres. La mienne est en saint Luc [17, 10] : Quand vous aurez fait
tout ce qui vous est prescrit dites Nous sommes des serviteurs inutiles
nous n'avons fait que ce que nous devions ».
;
Nicolas Nicolaïévitch Népluyev, grand représentant de l'intelligentsia,
attaché à la terre de ses ancêtres, voyait le salut du monde au travers de
19. A. Gratieux, En Mission, Russie 1917, ch. V, p. 37-41 (Arch. Marne, J 3123).
la promotion des pauvres gens de son domaine auxquels il consacra toute
sa vie. De son clocher, pourrait-on dire, il s'adressait à l'humanité. Il
cherchait l'affranchissement vrai des hommes dont il se sentait responsa-
ble. Pour les libérer et pour se libérer en même temps des passions
mauvaises, il n'avait rien trouvé d'autre que la Bible et il en vivait.
Sans descendant direct, il s'était voué à l'éducation et à la formation
;
de ses ouvriers en vue de leur accession à la propriété collective puis
individuelle les statuts de la Confrérie en font foi. Il avait réussi à asso-
cier ses sœurs à son œuvre. Les Népluyev s'étaient adonnés à cette noble
tâche et ils ne désespéraient pas d'en étendre le bienfait à toutes les
Russies et au delà.
Nicolas Nicolaïévitch n'ignorait pas cependant les dangers qui mena.
çaient la société russe. Sans prédire l'avenir ni la bonne aventure, il
Prêchait la pénitence tout en s'efforçant de montrer en paroles et en actes
la beauté du royaume de Dieu. De la phrase de saint Jean dans première
sa
épître [4, 12], il avait fait la devise de Vozdvijensk : Où est l'amour, là
aussi est Dieu.
Aujourd'hui, après soixante années, à la lumière des événements, on
se représenterait volontiers Albert Gratieux comme un précurseur et son
grand ami comme un prophète. Dans les soirées d'août et de septembre
attendaient. Mieux !
1907, lorsqu'ils devisaient ensemble
;
IV. Les trois catégories de membres de la Confrérie peuvent à tout
moment en sortir mais durant tout le temps qu'ils en font partie, ils sont
tenus de prendre part personnellement à son action, conformant toute
leur vie à son caractère.
V. Les frères jouissant de tous les droits sont comme les maîtres de
la Confrérie. Vivant dans les limites de la propriété possédée ou louée par
la Confrérie, administrant ses biens et ses revenus, ils conforment soigneu-
sement toute leur vie avec ses statuts, ils tendent sans défaillance à
réaliser ses fins, et prennent part à l'organisation de la vie de la Confrérie.
VI. Les frères agrégés sont soumis à une probation. Tout comme les
membres de plein droit, ils vivent dans les limites des domaines de la
Confrérie, ils jouissent comme eux de la participation aux revenus, mais
ne prennent point part, ni aux élections, ni à l'organisation de la vie de la
Confrérie, se soumettant en tout à l'ordre fixé par les frères de plein droit.
VII. Les membres adhérents, vivant en dehors, sont obligés, chacun
dans sa position et dans la mesure possible, de coopérer, hors de la
Confrérie, à l'éducation chrétienne des enfants dans l'esprit de l'orthodoxie
et à l'accord de la vie avec la doctrine de la Sainte Eglise orthodoxe.
;
IX. La Confrérie peut recevoir des dons, non seulement des membres
adhérents, mais aussi de personnes étrangères mais ces dons, si grands
qu'ils soient, ne confèrent en aucun cas le droit d'être élu, même comme
membre adhérent, si le donateur ne s'engage à conformer sa vie personnelle
avec les statuts de la Confrérie.
XI. La Confrérie veille aux besoins des frères de plein droit ou agré-
;
gés, quand ils sont malades ou vieux, ainsi qu'à ceux de leurs femmes ou
de leurs enfants tant que par leur mauvaise conduite ou leur refus de se
;
Soumettre à l'ordre commun de la vie dans la Confrérie, ils ne se font pas
renvoyer ou ne s'en vont pas eux-mêmes volontairement mais, dans ce
cas, on leur donne la part de propriété et des revenus qui leur revient,
conformément à leur apport et à leurs gains.
XV. Les femmes peuvent aussi bien que les hommes être membres
de la Confrérie, jouissant en tout de droits égaux aux leurs.
XVII. Le Président est élu à vie par les membres de plein droit il ;
veille au parfait accord de la vie de la Confrérie, avec les présents statuts
et les dispositions arrêtées par le Conseil. Il est le principal représentant
de la Confrérie dans ses rapports avec les institutions ecclésiastiques et
civiles.
Remarque: Cette fonction est incompatible avec toute autre fonction,
soit dans la Confrérie, soit en dehors d'elle.
Remarque
réduit.
:
confesseur des membres de la Confrérie.
Le traitement, une fois assigné au prêtre, ne peut être
XXII. Le Conseil est réuni par le Président, suivant les besoins, sur
le désir des frères de plein droit, et
sur
teur. Sa compétence s'étend aux affaires suivantes
1° Election du Président, du candidat
:
la proposition de l'Evêque protec-
;
f rere de plein droit, élu
pour cette seule séance, en l'absence du Président,
Pour apprécier sa gestion les décisions du Conseil, sous forme d'appendice
au rapport du Président,
Assemblée générale. sont communiquées à l'Evêque protecteur et à
1
res
b
XXIV. Le Conseil économique
se compose d'un président et de mem-
élus par le Conseil (Douma) indistinctement parmi les frères de plein
les frères agrégés et même les personnes étrangères, pour un temps
Indeerminé,
son jugement.
Remarque
fi es.
fix
:et toujours susceptibles d'être changés par le Conseil, suivant
;
b) Le reste du revenu net est partagé également entre tous les frères
de plein droit et agrégés, mais ne leur est pas remis en mains on l'inscrit
à leur compte personnel.
Remarque I : En établissant le revenu net, on n'évalue pas les travaux
de la Confrérie.
Remarque II : La détermination du revenu net et des sommes inscrites
aux comptes personnels dépend entièrement du Conseil, à la décision
duquel les frères agrégés doivent, sur cette question, se soumettre avec
une pleine confiance.
;
XXIX. Le capital foncier s'accroît de tous les intérêts qu'il rapporte
et de tous les revenus des fermages il est destiné exclusivement à l'achat
de nouvelles terres au compte de la Confrérie et à l'érection de nouvelles
sections de la Confrérie.
Remarque I : Les questions concernant la dépense du capital de fonds,
ou d'une partie de ce capital dans les buts indiqués, sont décidés par le
Conseil à la majorité des neuf dixièmes des voix présentes.
Remarque II : Dans les sections de la Confrérie, les membres de plein
droit forment une section du Conseil, sous la présidence d'un vice-président
élu avec l'assentiment du Président de la Confrérie.
:
Remarque III Une section, d'accord avec la Confrérie qui l'a fondée,
peut se transformer en Confrérie indépendante, avec des statuts sembla-
bles aux présents statuts.
;
Remarque I : A sa sortie de la Confrérie, le membre sortant reçoit,
en pleine propriété, toute somme portée à son compte déduction faite
de l'argent qu'il a retiré avec l'assentiment du Conseil durant son séjour
à la Confrérie.
Remarque II : En cas de mort, les membres de la Confrérie ont le
droit de disposer de cette somme par testament, s'ils ne laissent pas de
famille à la charge de la Confrérie.
Remarque III : Si un membre de la Confrérie meurt sans faire de
testament et sans laisser ni femme ni enfants, on regarde la somme
inscrite à son compte, comme léguée au capital foncier de la Confrérie.
S'il laisse une veuve ou des enfants, ils reçoivent à leur gré, la somme
entière, ou bien restent à la charge de la Confrérie, gardant le droit de
recevoir, en tout temps, ce qui reste après les dépenses faites pour leur
entretien.
:
XXXIII. La Confrérie a son sceau avec l'effigie de son emblème et
l'inscription
« Sceau de la première Confrérie de l'Exaltation de la Croix ».
Sur l'authentique est écrite la décision de sa Sainteté Monseigneur
:
Antoine, évêque de Tchernigov et de Riéjine, à la date du 23 décembre 1893,
en ces termes « approuvé ».
Cette copie, faite le 9 novembre 1894, concorde avec l'original, en foi
de quoi le Consistoire ecclésiastique a apposé sa signature et son sceau.
:
Les premières publications de N. N. Népluyev furent quatre brochures
;
éditées à Moscou et à Saint-Pétersbourg Rôle historique du propriétaire
russe, 1879; La conscience, 1880; Le pain quotidien, 1881 Pensées et
conseil d'un ami sincère, 1882.
?; ; ;
Dix ans après, parurent à l'étranger, à Leipzig et à Berlin :
Qu'est-ce
;
que la vérité 1892 La Prière dominicale, 1892 Le 5e chapitre de saint
Mathieu, 1892 La Bible (résumé chapitre par chapitre), 1892 Les Psaumes
;
(résumés), 1892; Confréries ouvrières, Conception chrétienne du monde,
1893 Harmonie de l'âme, 1893.
;
Viennent ensuite, publiés à Saint-Pétersbourg
Confrérie ouvrière, 1895 Vers le mieux, 1899.
: Le Berceau de la
;; ;
différents articles se rapportant à l'activité de Nicolas Nicolaïévitch : Vers
un meilleur avenir Le Congrès de l'Humanité (à Paris 1900) La Confrérie
;
de toutes les Russies
d'instruction Amour ou égoïsme? ;
Les Unions fraternelles dans les établissements
Le rôle historique du propriétaire
; ; ;
russe; La Conscience; Pensées et conseils d'un sincère ami; Le pain
quotidien Le Mouvement religieux en Occident des lettres à des rédac-
;
teurs de journaux un Appel à tous ceux qui comprennent la nécessité de
réaliser le christianisme sur la base de l'amour fraternel enfin des projets
de statuts et la rédaction définitive des statuts de la Confrérie.
: ; :;
Le tome IV (1903) est aussi un recueil de même genre que le tome III.
Il contient Causeries sur la Confrérie ouvrière Extraits du livre L'Ecole
;
de Vozdvijensk, berceau de la Confrérie ouvrière (édité en 1893) La
Confrérie ouvrière et ses écoles Projet de principes directeurs pour les
membres zélateurs; La solennité ecclésiastique de l'ouverture de la pre-
mière Confrérie ouvrière de l'Exaltation de la Sainte Croix, le 22 juillet
1895.
:
Un certain nombre de brochures, publiées de 1900 à 1907, ne sont pas
encore entrées dans l'édition complète L'école de filles Bréobrajenskaia
(1900); Brefs renseignements sur l'école de Vozdvijensk (1904); Brefs
;
renseignements sur la Confrérie ouvrière (1905); La guerre ou la paix?
Conférence publique pour les non croyants (1905) La Foi et la Vie. Confé-
rence publique pour les croyants (1905); Le 19 février et la commune
paysanne (1905); Le rôle vivant des confréries ouvrières (1905); Lettre à
la population rurale (1905); Lettre au Clergé (1905); Voix d'un laïque
croyant à propos du futur Concile (1906). En cette année, Népluyev fit
:; ;;
paraître à Paris, chez Fisbacher, quatre brochures françaises, dont deux
traduites du russe Appel aux amis de la paix et de la liberté Appel à
tous les croyants Appel à tous les chrétiens (traduit du russe) Lettre
:;
ouverte à la jeunesse étudiante (traduit du russe). En 1906, encore, il
publia Debout ma Patrie, rapport au Congrès de l'union des hommes
On reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez
russes
les uns les autres, rapport à la conférence de Kiev sur la question de
:
l'union des forces du bien pour l'œuvre de construction pacifique Le
parti du progrès pacifique ses bases idéales et son programme vivant.
;
Enfin, en 1907, N. N. Népluyev fit imprimer, peu avant sa mort, des
documents concernant la Confrérie de toutes les Russies : appels, projets
de statuts et appendices.
Il avait aussi préparé le tome V de ses œuvres, qui parut après sa
mort (1908) et comprend les trois comptes rendus de la vie de la Confrérie,
composés par le Président en 1897, 1898 et 1901 ; ensuite La Voie de la Foi:
sept conférences faites à l'Académie ecclésiastique de Moscou (25-31 jan-
vier 1907).
N. N. Népluyev avait composé un gros ouvrage, resté manuscrit, sur
la généalogie de sa famille. Ce travail a été utilisé par V. N. Vitebski, dans
la monographie consacrée par lui à Ivan Ivanovitch Népluyev, ancêtre des
Népluyev (Riazan, 1897).
Aux ouvrages de N. N. Népluyev, il faut joindre ses compositions
musicales. Il avait écrit, pour piano à deux mains, 237 chansons sans
paroles, et mis en musique sept poésies de Khomiakov, à une voix, avec
:
accompagnement de piano, ainsi que quelques prières. Enfin, il avait édité
un album de luxe La Confrérie ouvrière de Vozdvijensk avec des vues et
des groupes de membres de la Confrérie.
Quelques membres de la Confrérie publièrent aussi des brochures
ment au pamphlet d'Ivan Abramov, ancien membre de l'œuvre Dans un
skite cultivé. Parmi les Népluyéviens, Saint-Pétersbourg, 1902.
:
destinées surtout à répondre aux attaques dont elles étaient l'objet, notam-
:;
professeur Exemplaroki : A la mémoire de N. N. Népluyev, tirage à part
de la revue Travaux de l'Académie ecclésiastique de Kiev, Kiev, 1908. Tel
un chapitre du professeur Tareiev, dans son livre Ames vivantes, Serguiev
Posad, 1906 il y relate une visite faite à Vozdvijensk et ses impressions.
Telle une brochure de Nicolas Kontsevitch : Un hôte de marque de l'Aca-
démie, Serguiev Posad, 1907 (tirage à part de la revue Khristianine).
Il a paru aussi quelques travaux dans la presse française, entre autres
Bonet-Maury : L'Association ouvrière de Vozdvijensk, Picard, Paris, 1896,
:
et dans la Revue catholique des Eglises, tome V, 1908 : Nicolas Nicolaïé-
vitch Népluyev, une œuvre russe et A Vozdvijensk après la mort de N. N.
Népluyev par A. Gratieux, et Note sur la philosophie de N. N. Népluyev,
par un anonyme.
:
Après la mort de Nicolas Nicolaïévitch, le Khristianine publia une
série d'articles sur la Confrérie édités dans un recueil intitulé N. N. Né-
pluyev, le saint de la terre russe, Serguiev Posad, 1908. On y trouve le récit
complet des funérailles de Népluyev, les impressions de quelques amis,
et d'intéressants souvenirs de ses anciens élèves. Les listki (tracts) publiés
par la Confrérie donnent un beau récit de la mort de Nicolas Nicolaïévitch
et plusieurs pièces de vers, œuvre de sa sœur, Olga Nicolaïévna.
Souvenirs de la guerre de 1914-1918
par
Paul DESANLIS
membre associé
I. — Mon incorporation.
Né le 5 avril 1898 à Bignicourt-sur-Saulx, je me suis présenté au bureau
de recrutement de Châlons-sur-Marne en 1916 pour y signer un engagement
de quatre ans dans l'artillerie lourde. Il n'y avait plus de places disponibles.
A cette époque, rares étaient les volontaires pour l'infanterie, tous
étaient pour l'artillerie d'où il y avait plus de chance de revenir. Ce n'était
plus l'élan patriotique de 1914.
J'ai attendu le départ de ma classe et n'ai pas été étonné de me voir
affecté dans l'infanterie. J'ai pu constater que c'était l'enfer sur terre.
Mon incorporation comme appelé au 154e date du 4 mai 1917 à Saint-
Brieuc (Côtes-du-Nord). J'y ai fait mes classes jusqu'au 17 décembre 1917,
ensuite au centre de Mesnil-Sellières (Aube).
Dans l'armée, il faut peu de choses pour être considéré. Au 154*, le
premier jour d'exercice concernant le garde à vous, repos, à droite, droite,
demi-tour à droite, droite, un gradé ayant décomposé devant nous ce
demi-tour avait remarqué que je m'exécutais parfaitement. L'adjudant
me fit sortir du rang pour faire l'exercice devant la section. J'avais fait
partie d'une société de gymnastique avant guerre. Cela a suffi pour être
dans l'estime des gradés.
II. — Transfert au 358e R. I.
Le 18 juin 1918, je fais partie d'un renfort destiné au 358e R. I. à desti-
nation de Bergues (Nord), au dépôt divisionnaire. Dès mon arrivée à la
compagnie, le lieutenant nous passe en revue et je lui dis mon nom
Desanlis, mon lieutenant.
— Un joli nom, me dit-il — il le croyait sans
:
doute avec particule. Cela a suffi encore pour qu'il me reconnaisse et m'en
:
donne la preuve quand, un jour, lui ayant demandé une permission, il me
;
dit « Viens avec moi au commandant du bataillon ». Il inscrivit très bon
soldat et le commandant fit de même avec avis favorable mais le colonel
refusa. Nous étions en cantonnement d'alerte !
1. Le texte du présent article a été remanié par M. l'abbé A. Kwanten auquel
nous adressons nos bien vifs remerciements.
Le 24 juin, nous embarquons à Bergues pour Cassel (Nord).
Le 25, nous sommes répartis dans les compagnies. Je suis désigné pour
: :
Tant pis, je prends à droite. 530 mètres plus loin, je vois un poilu. Je lui
dis la 17 c'est ici ? Il me dit Non, c'est la 18. Mon agent de liaison va
arriver et vous y conduire. C'était le capitaine de la 18e compagnie.
Le lieutenant des Sénégalais avait un peu de repos, il n'a rien objecté.
Nous sommes arrivés à ma section avec dix minutes de retard. Je me
suis fait agonir par les copains, que toutes les autres sections étaient
parties, etc. Je leur ai dit : « Vous n'aviez qu'à y aller ». Nous laissons la
place aux Sénégalais.
Nous avions à peine fait 500 mètres qu'un tir de barrage allemand se
déclenche. La terre voltige de tous côtés.
Des Sénégalais fatigués étaient restés dans le boyau. Ils nous criaient
« Moussi, pas marcher sur moi ». Tant pis, on n'a qu'une idée, se sauver
:
au plus vite de cet enfer. On a fait la pose près d'un pont de pierre enjam-
bant la voie ferrée. On repart, des obus à gaz éclatent, il faut mettre le
masque et courir. Enfin voici Thuisy, l'air devient respirable.
Nous pensions aller au repos, déception. Arrivés au canal, nous
empruntons la route de Sept-Saulx que nous traversons pour aller loger
dans un bois de sapins, 2 km plus loin.
:
Le 25 juillet, le lieutenant Berni me fait appeler et me dit « Je te
Propose caporal ». Je refuse, prétextant mon inexpérience. N'ayant que
deux mois de front, je n'étais pas assez aguerri pour commander des
anciens ayant quatre ans de front. J'avais d'ailleurs refusé au 154e de
suivre les cours d'élèves caporaux.
IV.
— Retour en ligne.
Le 30 juillet 1918, nous partons en deuxième ligne, au nord de Prosnes
et le 5 août nous relevons la 20e compagnie en première ligne.
Le 11 août, nous sommes relevés par le 115e R. I. et arrivons au repos
le 13 à Juvigny. Le 17, à 9 heures du soir, départ en camions pour La
Neuville-au-Pont. Le 23, nous montons en deuxième ligne à Vienne-le-
Château et nous logeons dans de solides abris creusés dans la Côte.
En vue d'une offensive, le commandant organisa des reconnaissances.
C'est au cours de l'une d'elles, la nuit du 5 au 6 septembre 1918, que je fus
blessé par une grenade allemande. Mon caporal, plus grièvement atteint,
fut pris par les Allemands et mourut huit jours plus tard à Vouziers.
V.
— Evacuation.
Transporté à l'ambulance de Moiremont et ensuite à l'H. O. E. d'Auve,
J'y fus opéré. Le 14 septembre, départ en train sanitaire et arrivée au
matin du 16 à Foix (Ariège).
» :
:
Le 4, visite au major. Je crois qu'il me demande « Qu'est-ce que vous
avez? — N'étant pas sûr, je ne réponds pas. Il se lève, met ses mains en
?
porte-voix à mon oreille et hurle « Qu'est-ce que vous avez — Les tym-
pans perforés, M. le Major. — Vous m'avez répondu, vous entendrez les
obus, bon pour le service. — Merci, M. le Major ». Un cheval eut été mieux
:
examiné par le vétérinaire. Le 4, j'ai le plaisir de revoir mon commandant
de compagnie, le lieutenant Berni, qui me dit « Je monte ce soir avec le
?
ravitaillement rejoindre le régiment, tu viens avec moi — Mon lieutenant,
:
j'ai les tympans perforés, ne comptez plus sur moi comme avant, je suis
à moitié sourd ». Sachant qui j'étais, il me dit « La division va être
relevée, tu viendras nous rejoindre plus tard ».
Le 8, départ du dépôt divisionnaire pour Somme-Tourbe, le 9 pour
Somme-Vesle, le 10 pour la Cense des Prés, le 11 je quitte le dépôt divi-
sionnaire faisant partie du renfort qui va rejoindre le régiment. En pas-
;
sant à Soulanges, les cloches sonnent annonçant l'armistice. Nous arrivons
au régiment à Loisy-sur-Marne en fin d'après-midi il venait d'arriver au
pays venant par étapes du secteur des Ardennes pour se reformer, ayant
perdu 1200 hommes du 27-9-18 au 3-11-18. Si l'armistice n'avait été signé,
nous devions ensuite embarquer pour participer à l'offensive sur Metz qui
était envisagée.
Notre renfort forme les faisceaux sur la place de Loisy. Durant une
heure, nous attendons. Les pianos mécaniques se font entendre aux cafés.
Enfin, un sergent major vient prendre contact et nous désigne notre nou-
:
velle affectation. Je demande à rejoindre ma compagnie et le sergent me
dit « Va dans la rue aux vaches, ils sont là ». Je vois l'inscription
:
6e escouade, 17e compagnie à l'entrée d'une maison. J'entre dans le corridor,
je vois les propriétaires qui me disent « Entrez dans la chambre en face,
ils sont là fêtant la victoire ». J'entre, ils chantaient en compagnie de la
fille des propriétaires. Après avoir trinqué comme il se doit, grande
déception, pas un poilu de l'ancienne escouade. A ma demande, aucun ne
peut me dire ce qu'ils sont devenus, ce sont tous des étrangers pour moi.
Ayant monté mon barda au grenier, je me dirige vers la roulante pour
:
avoir à manger et obtenir des renseignements. Je vois Ducellier de Mour-
melon qui me dit « Ne cherche pas, ils ont été tués à Grand Ham, le
13 octobre, dans un abri allemand par un obus. J'ai été avec le fourrier les
identifier ».
:
Cambel me remet la croix de guerre avec la citation suivante qui avait été
envoyée à mes parents durant mon séjour à l'hôpital « Soldat brave et
courageux. S'est particulièrement distingué lors de la reconnaissance du
5 septembre 1918. Se trouvant dans la position ennemie, blessé et cerné,
a
réussi à se dégager et à rentrer dans nos lignes ».
VII.
— Epilogue.
Quittant Loisy le 25 novembre, nous nous rendons par la route à
Colmar (Haut-Rhin) où nous restons jusqu'au 4 février et le 13 de ce mois
nous sommes à Monthureux-sur-Saône en vue de la réception et de l'orga-
nisation de contingents polonais, à savoir 1500 hommes à encadrer et à
dresser.
Le 15 avril 1919, le colonel fait ses adieux au drapeau et le lendemain
le régiment est dissous. A partir de ce moment, nous faisons partie du
9e bataillon de chasseurs polonais. Les volontaires français qui
accompa-
gnèrent ces hommes en Pologne percevaient double solde et progressaient
d'un grade.
Les non-volontaires de la classe 1918 ont été incorporés à l'armée
d'occupation en Allemagne à Landau à la 47e division alpine. J'ai vécu ma
dernière année militaire au 12e bataillon de chasseurs alpins.
En partant au régiment, j'avais pris la décision de n'accepter aucun
grade. Il a fallu qu'un jour, au rapport, on demande les noms des chasseurs
ayant la croix de guerre pour devenir chasseur de 1re classe. L'avantage
étant de 0 F 10 de prêt par jour, le prix d'un journal, et d'être exempt de
corvée, j'ai accepté.
En guise de conclusion, je dirai qu'habitué au lycée de Bar-le-Duc à
une discipline rigide, j'ai trouvé celle du régiment bien plus souple. et
puis il y avait le système D !!!
Folklore. «
Note n" 3
Le chou. Deux mille ans d'histoire
par
René GANDILHON
Conservateur en chef,
Directeur des Services d'Archives du département de la Marne,
Membre titulaire
:
9. Pochon (Les règles de la santé ou le véritable régime de vivre que l'on doit
observer dans la santé et dans la maladie, Paris, 1688, in-12, p. 62) écrit « un gros
10. Avec prudence cependant !
de sel de choux mis dans un pot de vin empêche l'yvrognerie ».
L'Encyclopédie, t. XVI, p.683. — Un auteur
moderne, le docteur Jean Valnet (Thérapeutique journalière par les légumes et
les fruits, Paris, 1967, in-8°, p. 104), fait état des études du Dr W. Shive, chercheur
de l'Université du Texas, sur le chou. Ce dernier « a extrait du chou un produit
qu'il a appelé « glutamine • et qu'il a utilisé dans le traitement de l'alcoolisme ».
Comme dans divers cas similaires, il y a probabilité pour que le Dr Shive se soit
inspiré des documents des siècles antérieurs en le présentant au moyen de
méthodes modernes.
leurs maisons, boutiques ou caves (12). Le chou désigne alors une maison
mal famée et par dérivation on comprendra que l'apposition de deux têtes
!
de choux à la porte d'une honnête hôtelière, notre contemporaine, puisse
être considéré comme une insulte Tant il est vrai que les traditions,
!
lorsqu'elles peuvent être expliquées, ont des racines profondes dans le
subconscient des peuples (13).
COMPOSITION DU BUREAU
Président-né :
::
M. LE PRÉFET DE LA MARNE.
M. l'abbé KWANTEN.
:
Vice-Président
*
* *
*
* *
Membres honoraires
MM.
ARBOUET (Bernard d'), ancien élève de l'Ecole Polytechnique, ancien maire de
Châlons, 1, rue Saint-Lazare — 29-1-54.
Membres titulaires
ABELÉ (Edouard), 23, rue de Talleyrand, Reims (c. 12-7-45) — 24-4-52.
BOUFFET (Roger), professeur honoraire, 37, allées Voltaire (c. 15-11-27) — 1-12-28,
président 1942-1944, 1964-1966.
BRISSON (André), archéologue, Ecury-le-Repos — 15-2-54.
BRODIEZ (Henri), président honoraire du Tribunal de Grande Instance de Laon,
39, rue Pierre-Bayen (c. 25-3-29, t.r. 15-1-31, président 1948-1949).
CLAUSE (Georges), agrégé d'histoire, maître-assistant à la Faculté des Lettres de
Reims, 88, rue du Clair-Logis (c. 5-4-51) — 244-52, président 1962-1964.
FOILLOT (Abbé), chanoine titulaire, 10, rue Juliette-Récamier (c. 15-1-27)
— 1-3-29,
président 1946-1948.
GANDILHON (René), docteur ès-lettres, directeur des Services d'Archives du dépar-
tement de la Marne, 1, rue Just-Berland (c. 17-11-41) — 30-9-42, président 1956-
1958, 1966-1968.
GÉRARD (Robert), professeur au Lycée Turgot, 45, rue de Vouillé, Paris 15*
(c. 26-12-28, t. r. 18-11-32).
GUYOT (André), bibliothécaire adjoint honoraire, 8, rue Léopold-Frison (c. 18-1-39)
— 13-1-43.
HÉGLY (J.-L.), ingénieur, rue du Bassin, Maubert-Fontaine (Ardennes) (c. 26-12-53)
— 15-3-56.
HUBERT (Abbé), chanoine honoraire, 5, place Notre-Dame (c. 7-2-49) — 28-12-50.
JEULIN (Mme Paul), conservateur de la Bibliothèque de la Ville, 71, rue Kellermann
(c. 3-1046) — 17-2-47.
JONQUET (Michel), docteur en droit, diplômé de l'Ecole des sciences politiques,
notaire, 21, boulevard Aristide-Briand (c. 28-1-54) — 15-3-56.
KWANTEN (Abbé), curé d'Heiltz-l'Evêque, par Sermaize-les-Bains (c. 28-1-54) —
28-4-66.
LEJEUNE (Xavier), avoué honoraire, 2, rue de l'Arquebuse (c. 15-1-23) — 8-2-46,
président 1954-1956.
MAILLET (Mlle Germaine), diplômée d'études supérieures d'histoire, 2, rue Joseph-
Servas (c. 17-12-31) — 11-5-46.
MANSON (Mlle), professeur à l'Institution Notre-Dame, 1, rue Saint-Joseph (c. 17-2-
47) — 28-12-50.
MIELLE (Georges), 1, rue de Terline (c. 19-11-47) — 24-4-52.
MILLET, inspecteur honoraire de l'Enseignement primaire, 12, rue du Marc, Reims
(c. 1-2-38, t. r. 5-11-38) — 5-4-51.
NEUVILLE (Robert), château d'Etoges (c. 27-7-50) — 22-2-53.
PAILLARD (Etienne), 40, rue Aristide-Briand, Vitry-le-François — 16-3-37.
PITHOIS (Marcel), ancien négociant, 27, rue Pasteur (c. 30-9-42) — 22-11-44, prési-
dent 1952-1954.
ULRICH (Abbé), chanoine honoraire, 1, rue Saint-Alpin (c. 16-12-29) — 24-4-52,
président 1960-1962.
VION (René), notaire honoraire, 7, rue Garinet (c. 3-4-33) — 9-10-58.
ZUIŒR -
(Roger), maître assistant à la Faculté des Lettres de Reims, 62, rue de
Sillery, Reims — 22-2-62.
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
Pages
Au pays du Der. Rétrospective du peuplement aux temps néoli-
thiques d'après les trouvailles préhistoriques récentes de la
région de Chantecoq, par Eliane BASSE DE MÉNORVAL, directeur
scientifique de recherches au Centre national de la Recherche
scientifique 7-20
S.
L'hérésie en Champagne aux XII. et xnr siècles, par Yves
professeur agrégé, maître de recherches au C. N. R.
DOSSAT,
57-73
CROZET.
B.
Enfance de Vitry-le-François, par René 99-102