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Recherches en finance islamique

Efficacité économique et inclusion financière

Laurent Weill
Université de Strasbourg
Présentation de travaux de recherche actuels de la
finance islamique

 Objectifs

 1. Montrer concrètement ce qu’est la recherche en finance


islamique dans le domaine économie / finance (pas en droit).
 poser des questions et apporter des réponses avec les

méthodologies adaptées.

 2. Présenter des résultats récents sur la finance islamique.

2
Trois études sur la finance islamique:
quelle efficacité économique?

Laurent Weill
Université de Strasbourg
3 études sur l’efficacité économique de la finance
islamique

 Grand débat sur l’efficacité économique de la finance


islamique: l’expansion de la finance islamique est-il favorable
ou non au développement économique?

 Ce n’est pas une question importante sur un plan religieux


(faut-il que le porc soit toxique pour justifier le fait de ne pas
en manger?) mais sur un plan économique.

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3 études sur l’efficacité économique de la finance
islamique

 Trois études qui donnent des éléments sur l’efficacité


économique des deux grands pans de la finance islamique:

 les banques islamiques.


 les sukuk.

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Do Islamic Banks Have
Greater Market Power ?
(Comparative Economic Studies, 2011)

Laurent Weill
University of Strasbourg
Introduction

 Expansion importante des banques islamiques au cours des


dernières décennies: plus de 300 banques dans 75 pays…
 … mais peu d’études scientifiques sur les implications
économiques des banques islamiques.
 Cependant, si les banques islamiques sont différentes, elles
devraient favoriser ou défavoriser le développement
économique par rapport aux banques conventionnelles.
 Question-clé: le pouvoir de marché des banques
islamiques.
 Le pouvoir de marché est la capacité d’une entreprise à
influencer le prix des produits: moins de concurrence signifie
plus de pouvoir de marché.

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Introduction

 Hypothèse:
 Les banques islamiques peuvent avoir un plus grand pouvoir
de marché que les banques conventionnelles, comme elles
bénéficient d’une clientèle avec une demande plus élastique
en raison de motivations religieuses.
 Les clients religieux peuvent être plus “captifs” aux banques
islamiques, que les autres clients des banques.

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Introduction

 Objectif de l’article: mesurer et comparer le pouvoir de


marché des banques islamiques et des banques
conventionnelles.
 Pourquoi est-ce une question importante?
 Parce que le pouvoir de marché des banques influence le
développement économique (Petersen et Rajan, 1995;
Cetorelli et Gambera, 2001).
 Une concurrence bancaire plus forte favorise l’accès au
crédit en en réduisant le coût, ce qui permet plus de
financement pour les entreprises.
 Donc, si l’expansion des banques islamiques augmente le
pouvoir de marché des banques, elle aura un impact négatif
sur le développement économique.

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Méthodologie

 La concurrence bancaire est mesurée par l’indice de Lerner.

 Indice de Lerner = (prix – coût marginal) / prix

 2 avantages sur les indices de concentration (ex: C5 qui est


la part de marché des 5 plus grandes banques):

 -mesure individuelle qui permet de comparer les deux types


de banques.
 -mesure qui ne fait pas l’hypothèse que plus de concentration
signifie moins de concurrence.

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Méthodologie

 Prix : le prix moyen de la production bancaire (approximée


par le total actifs) qui est le ratio revenu total / total actifs.

 Coût marginal : estimée sur la base d’une fonction de coût


translog avec un output (total actifs) et trois prix d’inputs (prix
du travail, prix du capital physique, prix des fonds
empruntés).

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Données

 Données de la base Bankscope couramment utilisée


dans les études sur les banques islamiques (Al-
Muharrami, Matthews et Khabari, Journal of Banking and
Finance, 2006; Viverita, Brown et Skully, Review of
Islamic Economics, 2007; Cihak et Hesse, Journal of
Financial Services Research, 2010).
 Echantillon de banques islamiques et
conventionnelles de 17 pays dans lesquels les deux
types de banques coexistent.
 Echantillon de 1301 observations pour 264 banques
(230 banques conventionnelles et 34 banques
islamiques) pour la période 2000-2007.

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Résultats : comparaison des indices de Lerner

Toutes Banques Banques Diff. Significatif?


les convent. islam.
banques
2000 18.80 18.70 20.21 -1.51 Non

2001 19.66 19.65 19.79 -0.14 Non

2002 21.62 21.65 21.29 0.36 Non

2003 24.83 25.35 19.99 5.36 Non

2004 26.87 27.53 22.10 5.43 Non

2005 27.13 26.78 30.07 -3.28 Non

2006 25.38 24.64 30.07 -5.43 Non

2007 23.78 23.55 25.35 -1.79 Non

Tout 23.71 23.64 24.37 -0.74 Non

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Résultats : comparaison des indices de Lerner
 Résultats:
-les indices de Lerner moyens sont 24,37% pour les
banques islamiques et 23,64% pour les banques
conventionnelles.
-la différence de pouvoir de marché n’est pas
significative dans tous les cas.
=> conclusion principale: pas de différence significative
de pouvoir de marché entre banques islamiques et
banques conventionnelles.

Pas de soutien pour l’hypothèse que les banques


islamiques aient un plus grand pouvoir de marché.

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Résultats : comparaison des indices de Lerner
 Ces niveaux sont-ils élevés?

 Comparaison avec d’autres études:

 L’indice de Lerner moyen sur la période est 23,71% avec


des moyennes annuelles qui vont de 18,8% à 27,13%.

 Les chiffres sont comparables aux autres études: entre


16,9% et 24,9% pour les banques espagnoles pour
Fernandez de Guevara et Maudos (2007), entre 11% et
22% pour les pays européens pour Carbo et al. (2009).

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Résultats : régression des indices de Lerner
 Régression avec effets aléatoires des indices de Lerner
pour contrôler les autres caractéristiques des banques.

 Variables explicatives:
 Islamic : variable muette égale à 1 si la banque est
islamique, à 0 si elle est conventionnelle.
 Loans to Investment Assets : pour prendre en compte
la structure des actifs.
 Equity to total assets : pour prendre en compte la
capitalisation.
 Bank size : log du total actif pour mesurer la taille.
 Variables muettes pour les pays.

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Résultats : régression des indices de Lerner

Variables explicatives Coefficient


Constante -11.342
Islamic -4.504*
Bank Size 2.515***
Loans to Inv. Assets 0.002
Equity to assets 71.133***
R² 0.33
Nombre d’observations 1301

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Résultats : régression des indices de Lerner
 Résultat principal: pouvoir de marché plus faible
pour les banques islamiques.

 Pourquoi?

 3 explications.

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1e explication: les objectifs différents des banques
islamiques
 Selon Zubair Hasan (2004), les banques islamiques ont
des objectifs différents des banques conventionnelles en
accord avec l’économie islamique.
 Le profit est un objectif mais les banques islamiques
doivent également contribuer à la promotion de l’aide
mutuelle et de la coopération.
 Par conséquent, une entreprise peut rechercher le profit
mais elle doit veiller à fixer des « prix justes » aux clients
 => les banques islamiques ont donc l’obligation de
facturer des « prix justes », ce qui peut limiter leur
capacité à facturer le prix maximal permis par leur degré
de pouvoir de marché.

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2e explication: les incitations économiques
différentes des déposants

 Du côté des dépôts, les déposants des banques islamiques


sont différents de ceux des banques conventionnelles comme
ils ne touchent pas un taux d’intérêt fixe mais une part des
profits de la banque (pour ceux qui touchent une
rémunération).
 => des plus grands profits de la banque obtenus via la
tarification des services pour les déposants signifient
également des prix plus importants payés par les déposants
eux-mêmes.
 => les banques islamiques peuvent avoir des incitations à ne
pas pratiquer des prix trop élevés sur les services financiers
aux déposants.

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3e explication: l’âge plus jeune des banques
islamiques

 Comme la banque islamique est une activité récente, les


banques islamiques peuvent être plus jeunes que les
banques conventionnelles.

 Existence de coûts de changement dans la banque:


temps et effort pour clôturer un compte, meilleure
information de la banque sur votre situation…

=> les banques plus jeunes peuvent avoir une clientèle
moins captive, ce qui les empêche d’avoir un pouvoir de
marché similaire aux autres banques.

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Conclusion

 Hypothèse: le pouvoir de marché des banques


islamiques est plus important comme elles bénéficient de
clients avec une demande plus inélastique.
 Nos résultats rejettent clairement cette hypothèse:
 Pas de différence significative dans les indices de
Lerner entre les banques islamiques et les banques
conventionnelles.
 Pouvoir de marché plus faible des banques islamiques
dans la régression des indices de Lerner.
 Pouvoir de marché plus faible des banques islamiques
expliqué par leurs incitations religieuses et économiques
différentes.
 Pas de soutien de cette étude sur les effets négatifs de
l’expansion des banques islamiques.
Islamic Banking Development and
Access to Credit
(Working Paper, LaRGE,
University of Strasbourg, 2016)

Florian Léon
Université de Clermont-Ferrand
Laurent Weill
Université de Strasbourg
Motivation
 Expansion de la finance islamique
 Au niveau mondial, les actifs financiers islamiques ont augmenté de
150 milliards de $ au milieu des années 1990 à 1800 milliards de $ fin
2013 (Kuwait Finance House, 2014) avec des banques islamiques
particulièrement actives au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est.

 Quelles sont les implications de cette expansion ?

 Effet potentiel majeur de l’expansion des banques


islamiques: l’impact sur l’accès au crédit.
 Les pays avec des secteurs bancaires islamiques développés sont
généralement des pays émergents où l’accès au crédit est une
question majeure.

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Motivation
 L’accès au crédit est une question importante pour le
développement économique.

 Il augmente les possibilités pour les individus de monter un


business et peut ainsi contribuer à réduire la pauvreté
(Bruhn et Love, 2014).
 Il contribue à favoriser la croissance des entreprises (Beck
et Demirgüc-Kunt, 2006) et aide ainsi la croissance
économique.

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Motivation
 Question : est-ce que le développement des banques
islamiques peut contribuer à réduire les contraintes de
crédit des entreprises?

 La finance islamique propose des instruments de


financement islamiques qui peuvent influencer l’accès au
crédit.
 Ces instruments peuvent réduire les contraintes de crédit car ils
n’impliquent pas les mêmes conditions que ceux conventionnels.
 Ils peuvent aussi détériorer l’accès au crédit car ils peuvent êyre plus
chers que ceux conventionnels.

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Ce que nous faisons dans l’étude
 Pour examiner cette question, nous effectuons des
régressions de la disponibilité du crédit (au niveau de chaque
entreprise) sur un ensemble de variables qui comprend le
développpement des banques islamiques (au niveau de
chaque pays) sur un échantillon de 15309 entreprises de 52
pays pour lesquelles nous avons l’information sur les
contraintes de crédit et la présence de banques islamiques.

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Contribution
 Notre étude contribue ainsi au débat sur l’impact économique
de la finance islamique en utilisant des bases de données
uniques sur les contraintes de crédit et le développement
bancaire islamique.

 Première étude qui analyse l’effet du développement des


banques islamiques sur l’accès au crédit.

 Elle apporte ainsi de l’information sur un mécanisme


fondamental à travers lequel la finance islamique peut
favoriser le développement économique.

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Hypothèses sur la relation entre développement bancaire
islamique et accès au credit

 Pour une relation positive:


 1. La finance islamique favorise l’utilisation d’instruments de
partage des pertes et des profits au lieu des instruments de
dette.
 => les banques islamiques peuvent proposer des financements aux
emprunteurs qui autrement ne pourraient pas avoir accès au crédit, en
raison du fait que le risque de défaut de ces financements n’est pas
sur l’emprunteur mais sur le projet, ce qui réduit l’influence des
caractéristiques de l’emprunteur sur sa capacité à obtenir un prêt.
 2. Moins de contraintes d’apporter une garantie pour obtenir
un prêt pour obtenir un prêt dans une banque islamique
 => le besoin de fournir une garantie est un obstacle majeur à l’accès
au crédit

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Hypothèses sur la relation entre développement bancaire
islamique et accès au credit

 Pour une relation négative:


 1. Les financements islamiques peuvent être plus chers que
les financements conventionnels, car:
 Les banques islamiques peuvent avoir des coûts plus élevés que les
banques conventionnelles (coûts légaux plus élevés, coûts plus
importants pour sélectionner et contrôler les projets).
 => le développement bancaire islamique peut donc diminuer la
demande de financements et donc réduire l’accès au crédit.
 2. Les banques islamiques peuvent détenir une part plus
importante d’actifs liquides (titres) dans leur bilan (pas
d’accès au marché interbancaire dans un grand nombre de
pays)
 => moins de prêts

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Données
 Les données sur les entreprises viennent de la base World
Bank Enterprises Survey (WBES) de la Banque Mondiale.
 Les données sur le développement de la finance islamique
viennent d’une nouvelle base de données: IFIRST.
 Première base de données complète sur les banques
islamiques dans le monde, qui couvre actuellement la
période 2000-2005.
 Base de données exhaustive qui évite les problèmes de mauvaise
classification des banques.
 Utilisée dans deux études (Gheeraert, 2014; Gheeraert et Weill, 2015).

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Données
 L’échantillon final est limité aux pays pour lesquels nous
avons l’information sur les entreprises de WBES et
l’information sur le développement bancaire islamique
d’IFIRST.
 Uniquement les pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe pour avoir
des pays homogènes.
 Information de 2005 sur le développement bancaire
islamique utilisée pour expliquer l’information entre 2006 et
2009 des entreprises.

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Variables
 Une entreprise définie comme contrainte (en termes de
crédit) est une entreprise qui a été découragée de demander
un prêt ou dont la demande de prêt a été rejetée selon la
méthodologie de Popov et Udell (2012).
 Nous utilisons l’information sur les demandes de crédit dans
la base WBES.

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Variables
 Variable explicative majeure: the ratio of Islamic private credit
to GDP (Islamic Credit).
 Autres variables explicatives sur le développement financier:
 Total credit to GDP (Total Credit)
 The ratio of conventional private credit to GDP (Conventional Credit) is
inferred as the difference between Total Credit and Islamic Credit.
 Variables de contrôle au niveau des entreprises: Size, Age,
Export, Foreign, Government, Manufacturing, Services,
Audited, Private, Listed.
 Variables de contrôle au niveau des pays: Growth, Inflation,
Creditor rights, Information.

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Méthodologie
 Credit Constrained =  +  Total Credit
+ Control Variables

 Credit Constrained =  +  Islamic Credit


+  Conventional Credit
+ Control Variables

 Régressions probit.

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Résultats

  Modèle 1 Modèle 2 
  ME z-stat ME z-stat
-
Total Credit 0.0033*** (-3.59)
Islamic Credit -0.0094 (-0.99)
Conventional Credit -0.0029** (-2.49)
Control variables Yes   Yes  
Number of obs. 15,309 15,309
Number of countries 52 52
Pseudo R² 0.237 0.238
Wald test 1887.5***   2114.0***  

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Impact conditionnel du développement
bancaire islamique

 L’impact du développement bancaire islamique peut être


conditionnel au niveau du développement bancaire
conventionnel.

 Et ainsi l’absence d’impact au niveau global peut cacher une


influence du développement bancaire islamique mais
seulement pour certains pays.

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Impact conditionnel du développement
bancaire islamique
 Analyse graphique sur l’effet marginal du développement
bancaire islamique sur la probabilité d’être “credit
constrained” selon le niveau du développement bancaire
conventionnel.
 Nous considérons 3 cas pour calculer l’effet marginal:
 la ligne noire représente l’effet marginal du développement bancaire
islamique pour les pays sans finance islamique (ex: Maroc).
 la ligne en tirets pour les pays où le développement bancaire
islamique représente 5% du PIB (ex: Bangladesh)
 la ligne grise pour les pays où le développement bancaire islamique
représente 20% du PIB (ex: Jordanie).

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39
Impact conditionnel du développement
bancaire islamique
 Nous montrons que le développement bancaire islamique
exerce un impact positif sur l’accès au crédit quand le
niveau du développement bancaire conventionnel est
faible.
 Une hausse du développement bancaire islamique réduit la
probabilité qu’une entreprise soit “credit constrained” dans les
pays où le développement bancaire conventionnel est inférieur
à 60% du PIB.
 L’effet positif du développement bancaire islamique devient
négatif dans les pays où le développement bancaire
conventionnel est supérieur à 60% du PIB.
 => substitution entre finance islamique et finance
conventionnelle.

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Impact conditionnel du développement
bancaire islamique
 Eléments de comparaison:
 Développement bancaire conventionnel pour 2010
(importance du crédit bancaire en % du PIB)
 112% France
 104% Malaisie
 60% Tunisie
 38% Arabie Saoudite
 23% Indonésie
 14% Algérie
 (source: Banque Mondiale)

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Résultats additionnels
 Est-ce que le développement bancaire islamique favorise
l’accès au crédit pour les entreprises opaques?
 De nombreuses études montrent que le rationnement du crédit
affecte plus particulièrement les entreprises considérées
comme opaques par les banques.
 L’opacité est associée à des asymétries d’information plus
importantes entre la banque et l’entreprise.
 Les entreprises opaques peuvent potentiellement bénéficier du
développement des banques islamiques en raison des
caractéristiques spécifiques des produits financiers islamiques.
 Les instruments de partage des pertes et des profits peuvent faire que
les asymétries d’information sur l’entreprise qui emprunte sont moins
importantes, comme seul le projet financé génère le rendement.

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Résultats additionnels
 Nous examinons si les entreprises plus opaques bénéficient
plus du développement bancaire islamique pour avoir accès
au crédit.

 3 critères d’opacité: l’âge, la taille, le fait d’être audité.

43
Résultats additionnels

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Conclusion
 Le développement des banques islamiques n’a globalement
pas d’impact sur l’accès au crédit, contrairement au
développement des banques conventionnelles.

 Cependant le développement des banques islamiques


exerce un impact positif sur l’accès au crédit quand le
développement des banques conventionnelles est faible.

 => substitution entre développement des banques islamiques


et développement des banques conventionnelles

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Implications
 Favoriser le développement des banques islamiques peut
augmenter l’accès au crédit…

 … mais uniquement dans les pays où le développement des


banques conventionnelles est limité.

 Cela peut donc être positif dans les pays émergents ou en


voie de développement mais pas dans les pays développés.

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Sukuk vs. Conventional Bonds:
A Stock Market Perspective
(Journal of Comparative Economics, 2013)

Christophe J. Godlewski
Université de Strasbourg
Rima Turk-Ariss
IMF
Laurent Weill
Université de Strasbourg
Objectif de l’article
 L’expansion des sukuk soulève plusieurs questions:
 Jusqu’à quel niveau les sukuk diffèrent-ils des obligations?
 Les sukuk sont-ils une forme de financement qui va
progressivement remplacer les obligations?
 Quel est l’impact de l’expansion des sukuk?

Objectif de l’étude : répondre à ces questions en


analysant la réaction des marchés boursiers à
l’émission de sukuk et d’obligations.

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Comment répondre à ces questions?

 Analyse fondée sur la méthodologie des études


d’événements qui mesurent l’impact d’un événement sur le
cours boursier d’une entreprise.

 Etude effectuée sur un échantillon d’entreprises cotées


malaisiennes qui ont émis des sukuk et des obligations entre
2002 et 2009.

 La Malaisie est de loin le pays le plus dynamique pour


l’émission de sukuk d’entreprises dans le monde.

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Contribution de l’étude

 De 2 perspectives:

 1. Information sur l’opinion des marchés boursiers sur


les différences entre sukuk et obligations.
 Grand débat pour savoir si les sukuk diffèrent réellement des
obligations: Miller, Challoner and Atta (2007) and Wilson
(2008) vs. Cakir and Raei (2007)
 => ici nous apportons l’opinion des investisseurs sur les
marchés boursiers.

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Contribution de l’étude

 2. Information sur l’évolution possible du marché des


sukuk
 Est-ce que les sukuk vont remplacer les obligations?
 Les sukuk sont motivés par des raisons religieuses mais
aussi par des raisons financières (comme l’accès à une
nouvelle classe d’investisseurs).
 Par conséquent, une meilleure (plus mauvaise) valorisation
des sukuk par rapport aux obligations serait en faveur d’une
vue optimiste (pessimiste) de l’expansion des sukuk.

51
Données et statistiques

 Nous avons extrait un échantillon d’émissions de sukuk et


d’obligations de la base de données Bloomberg (2002 -
2009).

 170 émissions: 77 sukuk, 93 obligations.

 77 entreprises qui émettent des sukuk et des obligations.

52
Données et statistiques
 Statistiques par émetteur
Variable N Moyenne Ecart-type
Obligations
Total actifs (mn Ringgit) 47 4 719.99 10 772.23
Valeur de marché totale (mn Ringgit) 47 4 558.93 12 121.02
Dettes / Total actifs 47 32.16 15.39
Ebit / dépenses financières 43 3.60 5.63
ROA 46 1.73 6.45
Sukuk
Total actifs (mn Ringgit) 30 3 057.78 5 437.40
Valeur de marché totale (mn Ringgit) 29 2 944.87 5 507.26
Dettes / Total actifs 30 52.62 96.67
Ebit / dépenses financières 29 3.27 5.87
ROA 28 -3.10 33.25

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Méthodologie
 Méthodologie d’étude d’événement
 Nous identifions les dates des événements (jour 0=date de
l’annonce) et utilisons un modèle de marché standard pour
mesurer les rendements anormaux autour de la date
d’événement pour une émission.
 Les paramètres du modèle de marché estimés avec les
estimations des MCO (moindres carrés ordinaires) sur la
période (-100, -10).
 Mesure du rendement anormal (AR) = actual ex-post return
for the security over the event window minus the expected
return of the firm over the event window
 Nous considérons 3 fenêtres d’événement : 1 jour [0,0], 3
jours [−1,+1] et 5 jours [−2,+2]

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Résultats
 Rendements anormaux moyens cumulés (CAAR)
Event Type of debt CAAR Std. CAAR Positive Prob. > |t| Prob. > |t|
window CAAR for CAAR for Std.
(%) CAAR

[0,0] Conv. bonds 0.01426 0.34058 0.41860 0.46865 0.46057

Sukuk -0.00388 -0.09743 0.43421 0.28957 0.39266


[-1,1] Conv. 0.01828 0.12773 0.44086 0.26698 0.57526

Sukuk -0.00858 -0.19963 0.42857 0.18531 0.15673


[-2,2] Conv. bonds 0.01904 0.14915 0.47312 0.29123 0.46663

Sukuk -0.01552** -0.28522*** 0.36364 0.01303 0.00812

55
Résultats
 Tests de significativité de différence par type d’émission
Kruskal-Wallis
Student test Wilcoxon test
test
Prob. >
Event window t Prob. > |t Z Prob. > |Z| Chi²
Chi²

CAAR 0.91 0.3650 -0.1091 0.4566 0.0123 0.9118


[0,0]
Std. CAAR 0.93 0.3570 0.0990 0.4606 0.0101 0.9198

CAAR 1.53 0.1293 -0.4696 0.3193 0.2220 0.6375


[-1,1]
Std. CAAR 1.23 0.2214 -0.1033 0.4589 0.0110 0.9165

CAAR 1.82* 0.0708 -1.1489 0.1253 1.3235 0.2500


[-2,2]
Std. CAAR 1.89* 0.0605 -1.3304* 0.0917 1.7742 0.1829

56
Résultats

57
Discussion des résultats

 Résultat 1 : absence d’une réaction significative des


marchés boursiers à l’annonce d’obligations:
 Ce résultat peut être interprété comme la conséquence de

deux effets opposés :


 la dette est un signal coûteux de la qualité de
l’entreprise => résout les problèmes d’antisélection
entre emprunteurs et prêteurs (+)
 la dette augmente le risque de faillite de l’emprunteur (-)

 Résultat 2 : différence significative dans les réactions


des marchés boursiers aux émissions de sukuk et
d’obligations.

58
Discussion des résultats

 Résultat 3 : réaction négative des marchés boursiers aux


émissions de sukuk

 Pourquoi?

 Deux explications.

59
Discussion des résultats

 1. L’antisélection: seuls les emprunteurs qui anticipent un


rendement faible sont incités à émettre un sukuk.
 Les emprunteurs peuvent choisir entre l’intérêt (obligation)

et le partage des pertes et des profits (sukuk).


 Si un entrepreneur attend un profit faible, il a une

préférence pour le partage des pertes et des profits pour


minimiser sa perte en cas d’échec.
 Si un entrepreneur attend un profit élevé, sa préférence est

pour l’intérêt pour maximiser son gain en cas de succès.


 Ainsi les plus mauvais emprunteurs choisiront le sukuk, et

les investisseurs sur les marchés boursiers savent cela.


Ainsi une émission de sukuk est considérée comme un
signal négatif.

60
Discussion des résultats

 Explication similaire fournie par Timur Kuran (2004) pour


expliquer pourquoi beaucoup de banques islamiques n’offrent
pas plus d’instruments de financement fondés sur le partage
des pertes et des profits (musharaka, mudaraba)

 Antisélection qui résulte de la coexiste de banques islamiques


et de banques conventionnelles dans la plupart des pays :
 En proposant uniquement des instruments fondés sur le

partage des pertes et des profits, les banques islamiques


font face à un problème d’antisélection et risquent d’attirer
en particulier les emprunteurs avec des perspectives faibles
de succès.

61
Discussion des résultats

 2. La demande excédentaire de sukuk


 Toutes les banques sont incitées à détenir un portefeuille d’actifs
d’investissement (titres) pour des raisons de liquidité.
 Les besoins de liquidité sont exacerbés pour les banques islamiques
puisqu’elles ne peuvent pas emprunter sur le marché interbancaire.
 Ainsi elles ont une demande de sukuk.
 Cette demande forte associée à une offre limitée de sukuk conduit à une
demande excédentaire de sukuk.
 Cela rend plus facile le fait de vendre un sukuk qu’une obligation pour une
entreprise.
 => les entreprises avec une mauvaise situation financière qui ne peuvent
pas émettre une obligation peuvvent avoir accès à un financement via un
sukuk.
 => le marché anticipe cela et ne réagit pas positivement à une émission de
sukuk.

62
Discussion des résultats

 Les deux explications sont confortées par les différences


observées dans les caractéristiques des émetteurs entre les
deux catégories de titres.

 Les entreprises qui émettent des sukuk ont une plus


mauvaise situation financière que celles qui émettent des
obligations.

 Ces entreprises peuvent avoir des incitations économiques à


préférer un titre fondé sur le partage des pertes et des profits
plutôt qu’un titre à revenu fixe, ou peuvent avoir uniquement
accès aux émissions de sukuk.

63
Conclusion

 Cette étude sur la réaction des marchés boursiers aux


émissions de sukuk et d’obligations montre deux grands
résultats:
 Les marchés boursiers réagissent différemment aux deux

types d’émissions.
 Pas de réaction significative aux émissions d’obligations

vs. réaction négative aux émissions de sukuk.

64
Conclusion

 Résultats importants pour deux débats en finance islamique


sur ce que la finance islamique (ne) change (pas).

 1. Débat sur la réalité des différences entre finance


islamique et finance conventionnelle.
 Critique majeure contre la finance islamique sur l’absence de
différences et l’hypocrisie (Ayub, 2007).
 Au contraire, nous observons que les marchés boursiers

sont capables de distinguer entre sukuk et obligations.


 L’information fondée sur les marchés montre l’existence de

différences entre les instruments de la finance islamique et


ceux de la finance conventionnelle.

65
Conclusion

 2. Débat sur les effets économiques de l’expansion de la


finance islamique.
 En-dehors des aspects religieux, la question se pose de

son impact sur le développement.


 Nous montrons que l’émission d’un sukuk peut détruire de

la valeur alors que l’émission d’une obligation est neutre


sur la valeur de l’entreprise.
 L’utilisation croissante des sukuk peut être négative pour la

valeur des entreprises.

66
Islamic Finance and Financial Inclusion:
Measuring Use of and Demand for
Formal Financial Services among Muslim Adults
(World Bank Working Paper, 2013)

Asli Demirguc Kunt


Leora Klapper
Douglas Randall
World Bank
Objectif de l’étude

 Bénéfice économique souvent avancé pour la finance


islamique: elle favoriserait l’inclusion financière.
 Fondé sur l’hypothèse que les musulmans préfèrent les
produits financiers qui sont en accord avec leurs croyances
religieuses.

 Il n’y a cependant pas de travaux avant cette étude sur:


 (1) le niveau de non-accès des musulmans au système
financier conventionnel.
 (2) le niveau de leur demande et de leur utilisation des
produits financiers “Sharia-compliant”.

68
4 questions répondues dans ce papier

 1. Est-ce qu’il est moins probable pour un musulman que


pour un non-musulman d’utiliser les services bancaires dans
leur forme actuelle?
 2. Est-ce que les musulmans non bancarisés diffèrent des
non-musulmans non bancarisés dans les raisons pour
lesquelles ils ne sont pas bancarisés?
 3. Quelle est l’importance de la connaissance et de
l’utilisation des produits financiers islamiques?
 4. Jusqu’à quel degré les musulmans sont prêts à payer un
supplément pour des produits financiers “Sharia-compliant”?

69
Bases de données

 Première base de données:


 World Bank’s Global Findex Database, une base de données
mondiale pour 2011.
 150 000 adultes dans 148 pays.
 Comme l’objectif est de comparer musulmans et non-
musulmans, l’étude exclut les pays avec moins de 1% ou
plus de 99% de musulmans: 66 000 répondants de 64 pays.
 Information sur le comportement bancaire et personnel, dont
la religion des répondants (un musulman est une personne
qui se définit comme tel).

70
Bases de données

 Seconde base de données:


 Gallup / World Bank dans 5 pays (Algérie, Egypte, Maroc,
Tunisie et Yémen) pour 2012.
 1000 interviews pour chaque pays.
 Information sur la connaissance, l’utilisation et les
préférences pour les services bancaires islamiques.
 Seulement pour 5 pays, on peut donc distinguer entre
services financiers islamiques et conventionnels.

71
1. Est-ce qu’il est moins probable pour un musulman que
pour un non-musulman d’utiliser les services bancaires
dans leur forme actuelle?

 Résultats obtenus pour la grande base de données en


régressant une variable égale à 1 si le répondant:
 A emprunté de l’argent dans une banque.

 A un compte dans une banque.

 A épargné de l’argent dans une banque dans les 12

derniers mois.
 Sur un grand nombre de variables dont:
 Le fait d’être musulman.

 Age, sexe, revenu.

 Pays.

72
1. Est-ce qu’il est moins probable pour un musulman que
pour un non-musulman d’utiliser les services bancaires
dans leur forme actuelle?

 Results
 Pas de preuve empirique qu’il est moins probable pour
un musulman que pour un non-musulman à utiliser les
prêts bancaires.
 Mais preuve empirique qu’il est moins probable pour un
musulman que pour un non-musulman d’avoir un
compte en banque ou d’épargner dans une banque.

73
2. Est-ce que les musulmans non bancarisés diffèrent des
non-musulmans non bancarisés dans les raisons pour
lesquelles ils ne sont pas bancarisés?

 Résultats obtenus sur la grande base de données en


régressant une variable égale à 1 si le répondant répond qu’il
n’a pas de compte en banque “pour des raisons religieuses.”

 Sur un grand nombre de variables dont:


 Musulman.

 Age, sexe, revenu.

 Pays.

74
2. Est-ce que les musulmans non bancarisés diffèrent des
non-musulmans non bancarisés dans les raisons pour
lesquelles ils ne sont pas bancarisés?

 Résultats:
 Les musulmans déclarent plus souvent que les non-
musulmans la religion comme un obstacle pour être
bancarisé.
 Mais ce résultat est uniquement observé pour l’Afrique
subsaharienne. Il n’est pas observé pour les pays d’Afrique
du Nord et du Moyen-Orient.

75
3. Quelle est l’importance de la connaissance et de
l’utilisation des produits financiers islamiques?

 Base de données sur les 5 pays: Algérie, Egypte, Maroc,


Tunisie, Yémen.

 Connaissance: 48% en moyenne des individus sur ces 5


pays “have heard about Islamic banks” (de 35% en
Algérie à 57% en Tunisie).

 Utilisation: très faible utilisation des produits bancaires


islamiques avec 2% en moyenne des individus qui
“currently uses an Islamic banking service” (de 1% à 3%
selon le pays).

76
3. Quelle est l’importance de la connaissance et de
l’utilisation des produits financiers islamiques?

 La connaissance et l’utilisation sont positivement


influencés par:

 Revenu: faire partie des 20% des revenus les plus élevés
augmente la connaissance et l’utilisation des produits
bancaires islamiques.

 Accès à l’information: avoir accès à internet et à une


télévision augmentent la connaissance et l’utilisation des
produits bancaires islamiques.

77
4. Jusqu’à quel degré les musulmans sont prêts à payer un
supplément pour des produits financiers “Sharia-
compliant”?

 Base de données sur les 5 pays


 Scénario hypothétique sur la préférence entre un prêt d’une
banque islamique et un prêt moins cher d’une banque
conventionnelle.
 45% des répondants report a preference for the Islamic loan.
 Cependant 37% des répondants préfèrent un produit
conventionnel ou n’ont aucune préférence.
 => préférence hypothétique pour les produits financiers
islamiques.
 => mais cela indique également que la demande de ces produits
est influencée par les questions de coût.

78
Conclusion

 Très intéressante étude qui utilise faits et estimations pour


analyser le lien entre finance islamique et inclusion financière.

 Elle suggère notamment que l’expansion de la finance


islamique dépend de :
 facteurs de demande: information et revenu.

 facteurs d’offre: coûts.

 Pas uniquement des facteurs religieux, mais est-ce une


surprise?

79
Pour conclure, quelques chiffres sur la finance
islamique (la réalité de la finance islamique)
 Parts de marché des banques islamiques pour 2014:
 Source: World Islamic Banking Competitiveness Report
2016, Ernst and Young.

 9 “core markets”:
 Arabie Saoudite : 51,2%
 Malaisie: 21,3%
 UAE: 21,6%, Koweit: 45,2%, Qatar: 25,8%, Bahrein: 29,3%
 Turquie: 5,5%, Indonésie : 3,7%, Pakistan: 10,4%.
 Au niveau mondial pour la banque islamique, les plus grands
marchés sont: l’Arabie Saoudite (33%) et la Malaisie (15,5%).

80
Quelques chiffres sur la finance islamique

 Royaume-Uni:

 Source: CityUK, Islamic Finance Report 2015.

 21 banques proposent des produits financiers islamiques.


 5 banques islamiques
 16 banques conventionnelles qui offrent des produits financiers
islamiques.

 Le Royaume-Uni a une population de 2 millions de


musulmans.

 Combien de clients?

81
Quelques chiffres sur la finance islamique

 100 000

 Combien de banques islamiques avec un réseau d’agences?

 1 seule: Al Rayan Bank avec 5 agences et 50 000 clients.

82
Quelques chiffres sur la finance islamique

 France:

 La Banque Chaabi propose des produits de finance islamique


en France depuis 2011.

 Elle propose:
 1. Un compte dépôt “Shari’a compliant” depuis 2011.
 2. Un produit de financement immobilier (murabaha) depuis
janvier 2013.

83
Quelques chiffres sur la finance islamique

 Combien de clients?
 (Source: le directeur de la Banque Chaabi en décembre
2014)

 Pour les comptes de dépôt:

84
Quelques chiffres sur la finance islamique

 Combien de clients?
 (Source: le directeur de la Banque Chaabi en décembre
2014)

 Pour les comptes de dépôt:


 2000

85
Quelques chiffres sur la finance islamique

 Combien de clients?
 (Source: le directeur de la Banque Chaabi en décembre
2014)

 Pour les prêts:

86
Quelques chiffres sur la finance islamique

 Combien de clients?
 (Source: le directeur de la Banque Chaabi en décembre
2014)

 Pour les prêts:


 La banque a reçu 250 demandes, et 142 demandes ont
abouti à un prêt.
 Seuls 18 de ces clients ont un compte de dépôt à la

Banque Chaabi.

87
Quelques chiffres sur la finance islamique

 Que veulent dire ces chiffres?

 Il y a une demande de produits de finance islamique, mais


elle ne doit pas être surestimée.

88

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