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La Structure Financière dans un Environnement

Inflationniste : l’Impact de la Procédure de

Réévaluation des Actifs

Version : Mai, 2007

Nizar Atrissi
Visiting Scholar, Harvard University
et
Maître de Conférences, Université Saint-Joseph
(Beyrouth, Liban)

Harvard University
38 Kirkland Street Rm 203
Cambridge MA 02138
Email: nizar_atrissi@harvard.edu

+ 1-617-384-7606 (Office)
+ 1-857-928-0853 (Mobile)
1. Introduction

Un des principaux débats en finance moderne concerne la question de structure du


capital : étant donné un certain niveau de ressources nécessaires aux activités d’une
entreprise, existe-t-il un moyen de subdivision de ces ressources, en capitaux propres et
en dettes, qui maximise la valeur de l’entreprise ? Et si la réponse est affirmative, quels
sont les facteurs cruciaux de la définition du ratio de levier financier d’une entreprise ?

Les travaux de Modigliani et Miller constituent le point de départ d’une réflexion


abondante sur la question. Après la thèse de neutralité, ces auteurs ont montré qu’en
présence d’imperfection sur le marché, due à la déductibilité des charges financières du
bénéfice imposable, les firmes préféraient l’endettement aux fonds propres. L’entreprise,
en s’endettant, va donc chercher à maximiser sa valeur en bénéficiant au maximum des
économies d’impôt. Le modèle des coûts de défaillance tempère cette théorie, en posant
le problème des coûts de faillite qui limitent l’horizon d’endettement de l’entreprise.
Celui-ci se situe au point d’égalisation entre les économies fiscales et les coûts de
défaillance.

Les modèles d’agence et d’asymétrie de l’information ont placé la problématique de la


structure du capital dans le rapport entre les différents acteurs de l’entreprise, et en
particulier entre dirigeants et actionnaires. Ils montrent ainsi que le choix entre dettes et
fonds propres vise à viabiliser ces relations en réduisant leurs coûts et en atténuant
l’asymétrie de l’information. Ces modèles, en particulier l’asymétrie de l’information, ont
été à l’origine de la pecking order theory qui situe plutôt le choix de financement dans
une perspective procédurale. Ils considèrent une échelle de financement que l’entreprise
gravit au fur et à mesure de ses besoins financiers.

La littérature empirique a introduit plusieurs variables afin de tester ces différentes


théories. En effet, en marge des travaux théoriques, un courant empirique, principalement
anglo-saxon, et dans un environnement de pays développés en général, a tenté de mettre
en évidence l’existence de corrélations entre certaines variables financières et le niveau

2
d’endettement. Toutefois, les évidences empiriques ne permettent pas d’aboutir à des
conclusions claires.

Il est à noter que les mesures de ces variables proviennent essentiellement des états
financiers des entreprises. Cependant, en période d’inflation, ces derniers subissent des
distorsions plus ou moins énormes ce qui les rendent dépourvus de toute réalité
économique. En effet, dans un environnement inflationniste, les éléments du patrimoine
d’une entreprise ne sont plus exprimés dans une unité constante.
La réévaluation des actifs est l’opération qui permet de corriger l’effet de l’inflation et
fait apparaître une plus-value, l’écart de réévaluation, dont le montant figure
simultanément à l’actif et au passif du bilan de l’entreprise.

Au delà de cet effet stricto sensu sur les états financiers, une question essentielle se pose :
Quel est l’impact de la dévaluation monétaire sur les choix financiers et la structure de
financement des entreprises ? Quel est l’effet de la procédure de réévaluation des actifs
sur la capacité d’endettement de l’entreprise ?

Notre hypothèse est que cette technique, qui ressemble aux augmentations de capital par
incorporation de réserves dans le strict sens qu’elle n’apporte pas de liquidités à
l’entreprise, affecte la politique et les choix de financement de celle-ci. En effet, nous
estimons qu’une relation positive existe entre le levier financier et la variable « écart de
réévaluation ». L’asymétrie de l’information entre banquiers et entreprises (quant aux
actifs de ces dernières et à leur valeur actuelle) fournit une explication possible à ce
phénomène. L’effet de cette variable, non traitée jusqu’alors par la littérature financière,
sera alors testé dans le cadre de nos travaux empiriques.

Le cadre empirique de notre recherche est celui des entreprises libanaises. Ce choix est
doublement motivé. Il permet non seulement d’étendre la littérature sur la structure
financière des firmes à un nouveau cadre institutionnel, celui d’un pays en voie de
développement, mais aussi de pouvoir étudier, dans un tel environnement économique,

3
l’effet de l’inflation et de la réévaluation des actifs sur la structure financière et le
comportement financier des entreprises.

En effet, nous menons nos tests sur un panel de 65 entreprises libanaises étudiées entre
les années 1994 et 1997. Il s’agit de la période d’après guerre au Liban, un pays touché
par une forte inflation. Pendant cette période, la législation en matière de financement,
d’investissement et de réévaluation des actifs des entreprises a connu un essor
considérable pour aller de paire avec les efforts de reconstruction et de relance
économique. Nous notons particulièrement l’introduction de mesures exceptionnelles et
incitatives pour le traitement des effets de la dévaluation monétaire de la valeur des actifs
des entreprises.

Ainsi, après avoir situé le cadre théorique et présenté les hypothèses et la méthodologie
poursuivie, nous analysons, dans un premier temps, les déterminants de la dette
financière des entreprises de notre panel en se basant sur les données comptables
« brutes ». Ensuite, et afin d’introduire notre nouvelle variable explicative, l’« écart de
réévaluation », et d’étudier la réalité financière avant et après la procédure de
réévaluation des bilans dans un environnement touché par une forte inflation, nous
retraitons nos données selon la méthodologie proposée et utilisons l’ensemble des
estimateurs disponibles pour évaluer l’importance relative des variables explicatives de la
fonction d’endettement des entreprises de notre échantillon.
Ces tests nous permettront également de mettre en évidence les principaux déterminants
du financement des entreprises d’un pays en voie de développement, où les marchés
financiers sont peu développés et souvent inefficients, et de comparer ces résultats à ceux
de la littérature empirique provenant essentiellement des pays développés.

4
2. Théorie et hypothèses

2.1. La théorie financière de la structure du capital

En 1958, Modigliani et Miller montrent que, en présence de marchés parfaits et sous


certaines hypothèses, toutes les formes de financement sont équivalentes. La valeur de la
firme dépend seulement des flux de trésorerie qu’elle génère et non de la manière selon
laquelle ces flux sont distribués en capitaux propres et en dettes. La structure du capital
est ainsi sans importance.

La remise en cause progressive des différentes hypothèses d’origine a permis de mettre


en évidence l’influence de plusieurs facteurs déterminants de la structure financière des
entreprises. La prise en compte de la fiscalité, et notamment de la déductibilité des frais
financiers du résultat imposable, a poussé Modigliani et Miller (1963) à reconnaître que
la valeur de la firme endettée est toujours supérieure à celle de la firme non endettée : les
entreprises tendent à recourir exclusivement au financement par dettes.

Le recours excessif à l’endettement a par contre comme effet l’accroissement du risque


de défaut de l’entreprise. La levée des hypothèses concernant la fiscalité et la faillite
conduit donc à une situation où la définition d’une structure financière optimale au
niveau de chaque entreprise est le jeu d’un arbitrage entre l’avantage fiscal de
l’endettement et les coûts liés à la détresse financière.

La maximisation de la valeur de la firme est également affirmée par le courant des


mandats. Cette théorie trouve ses fondements dans les travaux de Jensen et Meckling
(1976) qui reposent sur le principe néoclassique selon lequel chaque agent économique
cherche à maximiser son intérêt particulier avant l’intérêt général. Ils identifient deux
types de conflits qui opposent le dirigeant à l’actionnaire d’une part, et l’actionnaire au
créancier d’autre part.

5
Ces deux types de conflits d’intérêts vont induire des coûts d’agence1. Il existe donc des
coûts d’agence liés aux fonds propres (conflits entre actionnaires et dirigeants) et des
coûts d’agence liés à la dette (conflits entre actionnaires et créanciers). Avec
l’augmentation du niveau d’endettement, les premiers diminuent et les seconds
augmentent. La structure financière optimale, au regard de la théorie des mandats, est
celle pour laquelle l’ensemble de ces coûts est minimum.

L’introduction des effets de signalisation des décisions financières alimente davantage la


recherche. Se basant sur l’argument de signalisation, Myers (1984) suggère que la
structure financière d’une entreprise est tout simplement le résultat cumulé des décisions
de financement individuelles dans lesquelles les dirigeants suivent une hiérarchie. Il
s’agit de la pecking order theory (P.O.T.) de Myers et Majluf (1984) selon laquelle
l’autofinancement est préféré au financement externe et la dette est préférée aux capitaux
propres lorsque des ressources externes sont exigées.

L’hypothèse de l’existence d’une structure de capital optimale est donc rejetée par les
modèles de la hiérarchie des sources de financement. En raison des asymétries de
l’information entre les agents aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise,
celle-ci suit une hiérarchie précise dictée par la nécessité de fonds externes, et non par
une tentative de trouver le ratio de dettes sur fonds propres optimal2. Ainsi, la « pecking
order » prévoit que les entreprises ayant de grands profits ou des modestes besoins de
financement ont plutôt des ratios de dettes faibles, essentiellement parce qu’elles n’ont
pas besoin de fonds externes. Plusieurs développements récents, théoriques et
empiriques, ont cherché dans quelles conditions la hiérarchie est respectée ou violée. Les
effets de la valeur du « slack » financier ou de la taille sont notamment étudiés par Leary
et Roberts (2005), Fama et French (2002), Frank et Goyal (2003) et Watson et Wilson
(2002). D’autres travaux théoriques récents prouvent que la hiérarchie peut aussi être due
1
Premièrement, des contrôles visant à limiter les comportements opportunistes des actionnaires (en ce qui
concerne les créanciers) et des dirigeants (en ce qui concerne les actionnaires) vont être mis en place.
Deuxièmement, des coûts d’obligation seront engagés puisque les dirigeants voudront prouver la qualité de
leurs décisions aux actionnaires, et ces derniers, la conformité de leurs comportements vis-à-vis des
créanciers.
2
Cette hiérarchie s’exprime toutefois différemment et ceci en fonction de l’objectif poursuivi par le
dirigeant de la firme.

6
à des faits, autre que les problèmes liés à l’asymétrie d’information, telles que les coûts
d’agence ou les taxes par Hennessy et Whited (2005) et à l’optimisme managérial par
Heaton (2002).

Un troisième cadre théorique s’est penché sur l’étude des déterminants de la structure de
capital dans l’optique du Market Timing. Selon ce « nouveau » cadre théorique, les
firmes émettent des titres lorsque les conditions du marché en sont favorables et les
rachètent dans le cas contraire. Ainsi, Baker et Wurgler (2002) et Welch (2004) arguent
que la structure du capital est la résultante de la volonté successive de « timer » le
marché. Celle-ci résulte donc, non d'un choix conscient d'un ratio cible, mais de
l'accumulation des décisions prises dans le passé en fonction du contexte boursier du
moment.

Les cadres conceptuels proposés ont fait l’objet de tentatives multiples de validation,
parfois en les mettant en concurrence (Shyam-Sunder et Myers (1999), Hovakimian et al.
(2001) et Fama et French (2002)) mais qui ne permettent pas toutefois de tirer des
conclusions très fortes. Ainsi, Myers (1984) qualifie la question de structure de capital
entre les différentes théories de puzzle. La principale limite du progrès dans la résolution
du puzzle a été la difficulté de mettre en place des tests concluants des théories en
compétition. Ce qui rend le débat sur la structure du capital « spécialement intrigant »,
pour reprendre l’expression de Barclay et Smith (1999), est que les différentes théories
conduisent à des résultats très différents et dans certains cas à des prises de décision
diamétralement opposées.

Le puzzle de la structure du capital est d’autant plus compliqué dans les pays en voie de
développement, comme le notent Glen et Pinto (1994) et Booth et al. (2001). En effet, les
marchés financiers de ces pays ne sont pas souvent efficients et les contrôles et
contraintes institutionnels sont nombreux. Le système bancaire est également souvent
incapable de fournir les ressources nécessaires à l’expansion et la diversification du
secteur privé.

7
2.2. La dévaluation, la réévaluation et le cadre libanais

En période d’inflation, les éléments du patrimoine d’une entreprise ne sont plus exprimés
dans une unité constante. L’application de la méthode comptable du coût historique met
en cause la sincérité des bilans dans la mesure notamment où les biens immobilisés ne
sont plus représentés à leur valeur actuelle.

La réévaluation de l’actif est l’opération qui permet de répondre à cet effet de dévaluation
et consiste à modifier la valeur comptable d’un élément de l’actif de l’entreprise, pour le
porter à sa valeur actuelle.
L’écart de réévaluation correspond ainsi à la différence entre la valeur actuelle d’un actif
et sa valeur comptable. Il s’agit de la correction dans certains postes de l’actif des sous-
évaluations considérables qui proviennent ordinairement de la baisse de la valeur de la
monnaie. Les différences, ainsi reportées et qu’on appelle écarts de réévaluation, sont
incorporées au capital social.
Ainsi, l’opération de réévaluation a pour effet de dégager une plus-value représentée par
l’augmentation de la valeur d’actif des immobilisations réévaluées.
Ce besoin de réévaluation des actifs constitue un schéma classique pour les entreprises
d’un pays touché par une forte inflation, en l’occurrence le Liban dans les années 903.

Dans ce pays, la notion de réévaluation et de plus-value est réglementée par la loi n°


27/80 du 19/07/1980 qui stipule que tout contribuable exerçant une profession
industrielle commerciale ou non commerciale est autorisé à réévaluer les immobilisations
figurant à l’actif de son entreprise à condition qu’il soit soumis au régime d’imposition
fiscale sur le bénéfice réel.

3
Depuis la moitié des années 80, le Liban a souffert d’une montée rapide des prix, atteignant un maximum
en 1987. Cette tendance a été évidente jusqu’à la nomination du premier gouvernement Hariri en octobre
1992. En effet, le dernier trimestre de 1992 a vu une appréciation significative de la valeur de la livre
libanaise contre les principales devises. Cette appréciation a continué les années suivantes, de manière
graduelle, et a été accompagnée d’une baisse du taux d’inflation. Ainsi, depuis 1993, l’inflation a baissé et
ce d’une manière très substantielle pour atteindre des niveaux quasi-nuls vers la deuxième moitié des
années 90. Elle est estimée à un taux approximatif de 9% en 1996, de 8% en 1997, de 4% en 1998, de
0,25% en 1999 et de 0% en 2000 et 2001.

8
La réévaluation des immobilisations peut être effectuée une fois tous les cinq ans. Elle
doit porter sur la totalité des immobilisations, amortissables et non amortissables.
L’article 16 de la loi n° 27/80 a soumis l’opération de réévaluation des éléments de l’actif
immobilisé à la procédure prescrite par le Code de Commerce pour l’évaluation des
apports en nature dans les sociétés de capitaux. En vertu de cette procédure, les
immobilisations à réévaluer doivent être soumises à l’appréciation d’un ou de plusieurs
experts désignés par ordonnance du président du tribunal du siège social sur requête de
l’établissement.

La plus-value que fait apparaître l’opération de réévaluation est soumise à l’impôt au taux
forfaitaire de 6% 4 , et l’entreprise est allouée alors à calculer l’amortissement sur la
nouvelle valeur dégagée par la réévaluation.

A partir de ce cadre général, une nouvelle loi (n° 282/93), votée en 1993, prévoit des
mesures exceptionnelles et incitatives et vise à traiter les effets de la dévaluation
monétaire de la valeur des actifs immobilisés en raison de la dégradation du cours de
change de la livre libanaise. Elle permet aux entreprises de procéder à une réévaluation
exceptionnelle, et pour une seule fois, de ses actifs immobilisés (y compris les
immobilisations financières) afin de corriger les conséquences de l’inflation due à la
dépréciation de la valeur de la livre libanaise envers les devises étrangères et le
changement de valeurs de ces actifs à partir de l’exercice 19755.

La plus-value que fait apparaître cette opération de réévaluation exceptionnelle est


soumise à l’impôt à un nouveau taux forfaitaire de 1,5% seulement. L’opération de

4
Elle n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu dans les deux cas suivants :
- si la plus-value reste distincte dans un compte spécial parmi les comptes du bilan (à l’actif et au
passif),
- ou bien, si elle est utilisée à amortir des pertes encore apparentes et inscrites au bilan, dans la limite où
elle est utilisée à amortir ces pertes.
5
Le taux de change USD/LL était de l’ordre de 2,3 en 1973 pour atteindre un niveau dépassant les 2500 en
1992 à la sortie de la guerre. Le taux de change s’est stabilisé à un niveau avoisinant les 1500 dans la
seconde moitié des années 90.

9
réévaluation se base sur la valeur nette comptable (après déduction des amortissements
cumulés) des éléments inscrits aux comptes de l’entreprise, en prenant en compte :
- le changement du taux de change de la livre libanaise entre la date d’acquisition de
l’actif réévalué et la date de réévaluation, et
- le changement intervenu à la valeur du bien réévalué entre ces deux dates,
à condition que la nouvelle valeur donnée au bien réévalué suite à cette procédure ne
dépasse pas sa valeur vénale.

En définitive, cette procédure vise à remplacer la valeur d’un actif inscrit au bilan à son
prix historique par sa valeur vénale6, afin d’éliminer les effets de la dévaluation de la
livre libanaise survenue depuis l’exercice 1975, avec le début de la guerre.
Cette opération de réévaluation exceptionnelle prévue par la loi de 1993, qui peut être
opérée par un cabinet d’audit ou de comptabilité ou un expert (ou plus) près les tribunaux
choisi par l’entreprise concernée7, comporte un délai maximal avec comme date limite le
31/12/1997.

2.3. Hypothèses

L’opération de réévaluation a pour effet de dégager une plus-value des actifs immobilisés
(représentée par l’augmentation de la valeur d’actif des immobilisations réévaluées) dont
la contrepartie sera comptabilisée au crédit du compte n° 103 intitulé « écarts de
réévaluation » dans les capitaux propres du bilan de l’entreprise. L’effet sur la structure
financière de l’entreprise d’une augmentation du capital par rectification des évaluations
des éléments d’actif peut être assimilé à un apport en nature dans le strict sens que ces
deux formes augmentent simultanément l’actif et le passif du bilan de la même manière et
du même montant, ou encore à l’apport en numéraire si celui-ci a été investi en
immobilisations corporelles ou financières. En revanche, les réévaluations d’actif

6
Selon la loi précitée, un escompte doit être opéré sur la nouvelle valeur donnée au bien réévalué et qui
s’élève à 15% pour les titres, les créances et les participations financières, et à 20% pour les autres actifs et
immobilisations corporelles.
7
La cellule chargée de l’impôt sur le revenu peut, après l’accord du ministre des finances, recourir à une
contre-expertise au frais de l’entreprise concernée.

10
ressemblent aux augmentations de capital par incorporation de réserves et par conversion
de dettes dans le sens qu’elles n’apportent pas de liquidités à l’entreprise.

Notre hypothèse est que cette technique, qui n’implique pas de flux financiers et qui se
traduit par un simple jeu d’écritures comptables, affecte la politique et les choix de
financement des firmes. En effet, nous estimons qu’une relation positive existe entre le
levier financier et la variable « écart de réévaluation ». L’asymétrie de l’information entre
banquiers et entreprises (quant aux actifs de ces dernières et à leur valeur actuelle) fournit
une explication possible à ce phénomène.

Ainsi, l’apparition d’un écart de réévaluation devrait affecter l’endettement et devrait se


traduire par un recours supplémentaire à la dette par « prise de garantie » d’actifs plus
conséquents en valeur comptabilisée (mais qui économiquement n’ont subi aucun
changement). La capacité d’endettement de la firme se trouve ainsi renflouée par la
simple procédure de réévaluation de ses actifs. Une augmentation de capital (par
réévaluation) s’accompagnerait alors par une augmentation de la dette. Une telle relation
va donc dans le sens de la théorie des ratios cibles.

Par ailleurs, il est à noter le caractère entrepreneurial des entreprises de notre champ
d’étude. En effet, à quelques rares exceptions près, le marché libanais ne connaît pas
l’existence de firmes managériales. La mentalité de l’entrepreneur libanais et la structure
du marché financier n’ont pas permis l’apparition de telles formes de structures géantes,
fréquemment rencontrées dans les pays occidentaux, dans lesquelles la propriété est
dispersée entre les mains d’un grand nombre de détenteurs de titres8. Les raisons de la
réticence des dirigeants à l’ouverture du capital social sont notamment la volonté de
conserver le statut familial, la crainte de perdre le contrôle, mais aussi la taille de
l’entreprise9.

8
La plus grande exception à cette « règle » est la société de reconstruction du centre ville de Beyrouth
« Solidere », de part son statut et son objet social.
9
Voir Atrissi (2006). Pour une description la taille des entreprises libanaises voir CAS (1997), « les
Résultats du Recensement des Immeubles et des Etablissement ».

11
La concentration de la propriété du capital social chez les dirigeants-entrepreneurs induit
généralement une grande proximité entre le patrimoine social de l’entreprise et le
patrimoine familial des dirigeants-entrepreneurs. C’est ce dont témoignent le statut
juridique des firmes ainsi que les garanties fréquemment prises par les établissements de
crédits sur les biens personnels de l’entrepreneur10.

Le caractère entrepreneurial a plusieurs conséquences importantes dont la proximité entre


patrimoines sociaux et familiaux, la concentration des pouvoirs et des responsabilités, un
management spécifique, mais aussi des relations d’agence particulières11.

Les entreprises de notre étude sont donc susceptibles de présenter des relations d’agence
spécifiques que les tests empiriques nous permettrons de mettre en évidence. En effet,
compte tenu du cadre institutionnel et des caractéristiques des entreprises libanaises, nous
nous attendons à ce que nos tests empiriques mettent l’accent sur les conflits d’agence
entre actionnaires et créanciers au détriment de celles entre actionnaires et dirigeants
salariés.

3. Base de données, méthodologie et spécification


économétrique

3.1. L’échantillon et la période d’étude

Les données utilisées dans la présente étude sont issues d’une base de données que nous
avons personnellement créée à partir des informations comptables, bilans et comptes de
résultat de 65 firmes étudiées sur la période allant de 1994 à 199712.

10
Un rapport du Ministère de l’Industrie et du Pétrole Libanais souligne que « en considérant le
financement à moyen et long terme du secteur industriel, on remarque que les banques sont limitées par la
prise de maximum de garanties effectives de l’entrepreneur qu’ils financent ».
11
Voir Mahérault L., Comportement financier des entreprises familiales : approche théorique et empirique,
Thèse de Doctorat en Sciences de Gestion, Université de Grenoble II, 1996, p. 20.
12
Les données ainsi recueillies ont été établies en langue arabe, anglaise ou française selon le fournisseur
de celles-ci.

12
Nos principales sources de données ont été la Bourse de Beyrouth pour les firmes cotées
(5 entreprises non-financières seulement), les intermédiaires financiers pour les grandes
entreprises cotées de gré à gré, les experts comptables et cabinets d’audit, les
départements de crédit de banques ainsi que le service de déclaration des impôts du
Ministère des Finances pour les autres13.

Les entreprises retenues sont celles pour lesquelles nous disposons du bilan et du compte
de résultats pour la même année (durant notre période d’étude). Les institutions
financières, banques et sociétés d’assurance ne rentrent pas, bien entendu, dans notre
champ de recherche. Aucune information concernant la répartition des titres de propriété
et la structure de contrôle n’a pu être collectée, du moins pour la plupart des firmes
retenues.
Notre échantillon cylindré présente la répartition sectorielle et par classe de taille
suivante14:

Tableau 1 :
La composition sectorielle et par classe de taille de l’échantillon cylindré :

t.1 t.2 t.3 t.4 Total


Industrie 2 6 6 5 19 29,23%
Commerce 12 8 6 8 34 52,31%
Services 3 2 4 3 12 18,46%
17 16 16 16 65 100,00%

La période d’étude est de l’année 1994 à 1997. Cette période revêt un intérêt particulier.
En effet, il s’agit de la période d’après guerre au Liban, caractérisée par la reconstruction
et le recours massif des entreprises au financement pour rétablir leurs moyens de
production, de commercialisation … Pendant cette période, la législation en matière de
financement, d’investissement et de réévaluation des actifs des entreprises a connu un

13
Les informations provenant de ces trois dernières sources impliquent sans doute la suppression du nom
de certaines entreprises (ou la communication de prête-noms) compte tenu des mesures légales qui
empêchent ces derniers de divulguer de telles informations.
14
Après subdivision de l’échantillon en 4 quartiles en fonction de la taille (chiffre d’affaires croissant).

13
essor considérable pour aller de paire avec les efforts de reconstruction et de relance
économique.

En particulier, notre période d’étude coïncide avec la période d’application de la loi n°


282/93 exposée ci-dessus et qui prévoit des mesures exceptionnelles et incitatives pour le
traitement des effets de la dévaluation monétaire de la valeur des actifs des entreprises en
raison de la dégradation du cours de change de la livre libanaise. Cette procédure rend
ainsi particulièrement intéressant l’introduction de notre nouvelle variable explicative
« écart de réévaluation ».

Ainsi, dans le cadre de notre base de données, 21 entreprises ont procédé à la


réévaluation de leurs actifs en application de cette loi et sont toutes présentes dans notre
échantion cylindré (constituant ainsi près du tiers de celui-ci).

Quant aux retraitements comptables recommandés par les analystes financiers et que
nous avons effectué, ils concernent :
- les opérations de crédit-bail ;
- les effets portés à l’escompte et non échus ;
- les non-valeurs ;
- la répartition du bénéfice lorsque le bilan est présenté avant son affectation.

Cependant, ces retraitements ont été opérés lorsqu’une information les concernant a été
disponible. En effet, restreindre l’étude aux seules entreprises communiquant de telles
informations aurait réduit considérablement notre échantillon.
Par ailleurs, il est à noter que les entreprises présentant des capitaux propres négatifs ou
une valeur ajoutée négative ont été exclues de l’étude.

14
3.2. Méthodologie et principes de réévaluation des données

Afin d’introduire notre nouvelle variable explicative de la dette, nous retraitons nos
données en réintégrant le poste « écart de réévaluation » aux capitaux propres ainsi
qu’aux actifs des années précédentes à l’année où la procédure de réévaluation a eu lieu.

Concrètement, nous remplaçons dans nos tableurs la valeur de l’« actif immobilisé » et
des « capitaux propres » au bilan de l’entreprise ayant procédé à la réévaluation de ses
actifs, et ce pour les années antérieurs à cette procédure, par une valeur corrigée intégrant
la valeur des « écarts de réévaluation ». Par conséquent, la valeur totale du bilan de ces
années, souvent utilisée comme dénominateur des ratios des variables à expliquer et
explicatives de notre modèle, se trouve également modifiée et augmentée du montant des
écarts constatés.

Ce retraitement permet en particulier de mesurer l’effet de l’apparition d’un écart de


réévaluation sur l’endettement des firmes sans que cette mesure soit biaisée par la
dilution de la valeur de la variable à expliquer. En effet, lors de la réévaluation des bilans,
nos données brutes feront apparaître des ratios d’endettement (variable dépendante
DFi/AT) dilués par l’effet de l’augmentation de l’actif total AT (dénominateur du ratio)
suite à la procédure de réévaluation.
Ainsi, immédiatement après la réévaluation des actifs, l’entreprise verra son levier
financier diminuer sans que son endettement ait subit de modification ou de
remboursement. Une entreprise ayant eu recours à l’endettement pendant l’année où la
procédure de réévaluation a eu lieu, toutes choses égales par ailleurs, pourrait voir son
ratio de dettes diminuer. Ceci aura comme conséquence de cacher et de fausser la réalité
de l’effet de notre nouvelle variable explicative de la dette. En effet, d’après ce qui
précède, le traitement économétrique sur données non-réévaluées tendra à faire apparaître
une relation inverse pour l’« écart de réévaluation », contraire à celle attendue entre cette
variable et l’endettement des firmes.

15
En définitive, le retraitement de nos données tel que décrit ci-dessus permet de savoir si
l’apparition d’un écart de réévaluation affecte l’endettement des firmes et se traduit par
un recours davantage à la dette. Ce retraitement fera également en sorte de mesurer d’une
manière plus fiable et plus exacte l’effet des autres variables explicatives de la dette.

Par ailleurs, et comme la réévaluation consiste à modifier la valeur comptable d’un


élément de l’actif de l’entreprise pour le porter à sa valeur actuelle, le retraitement ainsi
décrit de nos données répond en quelque sorte à la recommandation de retenir une
présentation financière du bilan. La théorie financière faisant référence aux valeurs de
marché et non aux valeurs comptables, nombre de recherches empiriques remplacent les
fonds propres par la capitalisation boursière et les dettes cotées par leur valeur de marché.
Les entreprises de notre panel étant en leur grande majorité non cotées (et la dette de
marché rare), ce remplacement n’a pu être opéré. Cependant, la réévaluation des bilans et
l’intégration des écarts aux comptes des années antérieurs à cette procédure, rendent la
valeur au bilan des capitaux propres proche théoriquement de la valeur de marché.

3.3 Modèle et spécifications économétriques

Les données sur les firmes libanaises dont nous disposons sont doublement indicées. En
effet, il s’agit de données individuelles temporelles – plus couramment appelées données
de panel – permettant de mesurer à partir du même corps de données des estimations en
15
coupe et en série. Selon Dormont (1989) , celles-ci « constituent une source
d’information extrêmement riche permettant d’étudier les phénomènes dans leur diversité
comme dans leur dynamique ». Elle précise que : « c’est à Nerlove (1965) 16 que
Mazodier (1971) 17 attribue la vogue économétrique du modèle à erreurs composées,
spécification dont l’emploi généralisé a accompagné l’utilisation croissante des données
de panel ». De nombreux développements théoriques en la matière ont suivi dont les plus

15
Cf. Dormont (1989), p. 3.
16
Nerlove M., "Estimation and Identification of Cobb-Douglas – Production Functions", Amsterdam,
North Holland, 1965.
17
Mazodier P., "L’Estimation des Modèles à Erreurs Composées", Annales de l’INSEE, n° 7, 1971.

16
récents permettent l’utilisation de modèles dynamiques, de variables instrumentales et de
la méthode des moments généralisés sur données de panel18. Toutefois, nous ne faisons
pas appel à l’utilisation de ces méthodes dans cet article pour la simple raison que ces
dernières nécessitent la mise à disposition d’un échantillon plus large (en nombre
d’années en particulier)19.

Dans le cadre de notre base de données, nous disposons d’un panel de N entreprises
suivies sur T années. Les données étant doublement indicées, un premier indice, i,
caractérise l’entreprise considérée et un deuxième indice, t, indique le moment dans le
temps où l’observation a été réalisée, le modèle s’écrit ainsi :
yit = Xit b + uit i = 1, 2, … N
(1,k) (k,1) t = 1, 2, … T

Notre échantillon est cylindré : T observations sont disponibles pour chacune des N
entreprises. D’autre part, on suppose que : E(uit) = 0 ∀ i, t, que Xit est indépendant de uit,
et qu’il n’y a pas de colinéarité entre les variables explicatives.

Afin de tirer parti de la double dimension, individuelle et temporelle, de l’information


disponible, le choix le plus fréquemment effectué en économétrie des données de panel
consiste à adopter une spécification en terme de modèle à erreurs composées :

yit = Xit b + uit avec uit = αi + εit


où αi et εit sont des perturbations aléatoires non corrélées.
Il n’y a pas de comportement spécifique à un individu (entreprise) ou à une période :

l’observation pour l’individu i à l’année t des variables explicatives Xit suffit à


caractériser, par rapport aux autres observations de y, l’observation yit de la variable
expliquée.
18
On peut trouver une bonne synthèse de ces développements dans l’ouvrage de Baltagi B., Econometric
Analysis of Panel Data, 3e édition, Wiley, 2005.
19
En effet, l’estimation de ces modèles repose sur l’utilisation de variables retardées. Ceci nécessite des
panels longs : par exemple, l’estimation d’un modèle dynamique sur une période de cinq ans exige que l’on
dispose de données sur huit ans. Le choix de se limiter dans cette étude à un échantillon cylindré et
d’utiliser des modèles statiques ne constitue donc pas tant une restriction qu’une nécessité dictée par le
souci de tester le modèle sur plusieurs années tout en traitant différentes questions économétriques.

17
La mise en œuvre de l’ensemble des techniques présentées dans cet article, à savoir la
régression sur les variables prises en moyenne, la régression sur les variables prises en
écarts à leurs moyennes et celle des moindres carrés quasi-généralisés, est opérée selon
les macro-commandes issues des programmes SAS.

Les variables explicatives de la dette que nous testons dans le cadre de notre modèle
comprennent la tangibilité des actifs (AI), la profitabilité (EBIT), la taille (LnCA), le
risque de défaillance (CP), l’économie fiscale non liée à la dette (NDTS), les autres dettes
(ADET) définies comme une mesure des prêts accordés par les agents mieux informés
sur la firme (prêts des associés et participations de la société mère…), ainsi que, dans une
deuxième étape, la nouvelle variable explicative que nous introduisons, l’écart de
réévaluation (ER). Le modèle théorique estimé comprend alors les variables explicatives
auxquelles on ajoute dans le cadre de panels, un effet individuel fixe δi et un effet
temporel λt :

DFiit = α0 + α1 AIit + α2 EBITit + α3 Ln(CA) it + α4 CPit + α5 NDTSit + α6 ERit + α7


ADETit + δi + λt + εit

Sur le plan pratique, la prise en compte du temps est réalisée par l’introduction
d’indicatrices temporelles annuelles tandis que la transformation en différences premières
élimine l’effet individuel fixe, le terme εit représente le vecteur des résidus.

4. Résultats des tests empiriques

Cette section présente les résultats de nos tests économétriques. Tout d’abord, nous
analysons les déterminants de la dette financière des entreprises du panel en se basant sur
les données comptables non réévaluées. Ainsi, les résultats des estimateurs « moindre
carrés ordinaires », « between », « within » et « moindre carrés quasi-généralisés » sont
présentés. Ensuite, et afin d’introduire une nouvelle variable explicative non traitée

18
jusqu’alors par la littérature financière, l’« écart de réévaluation », nous retraitons nos
données en réintégrant le poste « écart de réévaluation » aux capitaux propres ainsi
qu’aux actifs des années précédentes à l’année où la procédure de réévaluation a eu lieu.
Comme précédemment, nous utilisons l’ensemble des estimateurs disponibles pour
évaluer l’importance relative des variables explicatives de la fonction d’endettement des
entreprises de notre échantillon. Mais dans un premier temps, et comme le conseille la
pratique économétrique, nous analysons la structure de la variance des observations.

4.1. Structure de la variance des observations

La structure de la variance de nos observations qui mesure l’importance relative des


dimensions inter et intra dépend du fait que la variable considérée est appréhendée en
niveau (logarithme népérien pour la variable « taille ») ou en ratio. Ainsi, la variance
totale de la variable quelconque X, V(Xit) peut être décomposée en deux éléments
distincts, la variance inter-temporelle [V(X.t)] d’une part, et la variance intra-temporelle
[V(Xit – X.t)] d’autre part.

La variance inter-temporelle [V(X.t)] reflète un mouvement moyen commun à l’ensemble


des observations sur la période considérée. La variance intra-individuelle, quant à elle,
reflète l’information due au caractère proprement individuel et peut être elle-même
décomposée en une variance intra-individuelle-temporelle [V(Xit – X.t – Xi.)] et une
variance inter-individuelle [V(Xi.)].

Ainsi, on a : V(Xit) = V(Xi.) + V(X.t) + V(Xit – X.t – Xi.).

Le tableau suivant présente pour l’ensemble de notre échantillon les moyennes, les
écarts-types et les structures de variance des variables utilisées dans les régressions
économétriques.

19
Tableau 2 : Statistiques descriptives des variables utilisées

Variable Moyenne Ecart-type Part de la variance totale


% de la variance % de la variance Variance totale
Inter-individuelle Inter-temporelle
V(Xi.)/V(Xit) V(X.t)/ V(Xit)
Constante 0.13694 0.19625 90.59 9.41 0.2947896
AI 0.14258 0.14100 96.6 3.4 0.2724776
EBIT 0.03703 0.09040 85.73 14.27 0.0461094
Ln(CA) 0.63006 2.05234 89.27 10.73 29.40155
CP 0.04013 0.37132 64.33 35.67 0.3603584
NDTS 0.01412 0.03888 86.97 13.03 0.0091405
ER 0.022158 0.11192 90.68 9.32 0.0965004
ADET 0.10242 0.35064 86.16 13.84 0.7100422

La structure de la variance de nos observations en ratios et en niveau (pour la variable


taille) montre la prédominance de la dimension inter-individuelle ou « between ». Ainsi,
la variance inter-individuelle représente en moyenne plus de 85 % de la variance totale
des observations. L’essentiel de l’information contenue dans nos données est d’ordre
individuel permanent.

4.2. Analyse des estimations sur la base de données non réévaluées

Dans un premier temps, nous analysons les déterminants de la dette financière des
entreprises du panel en se basant sur les données comptables non réévaluées. Ainsi, les
résultats des estimateurs « moindre carrés ordinaires », « between », « within » et
« moindre carrés quasi-généralisés » sont présentés dans le tableau ci-dessous :

20
Tableau 3 : Résultats de l’analyse sur données non-réévaluées

Variables Coefficients Coefficients Coefficients Coefficients


explicatives MCO Between Within MCQG

Résultats de
l’analyse

Constante 0.149*** 0.214*** 0.04***


(0.02) (0.029) (0.002)

AI 0.088*** 0.094*** 0.121** 0.05***


(0.005) (0.007) (0.05) (0.006)

EBIT -0.08 -0.339*** -0.157*** -0.159***


(0.07) (0.082) (0.04) (0.05)

Ln(CA) -0.013* -0.007 0.027*** 0.023***


(0.007) (0.006) (0.006) (0.006)

CP -0.008* -0.084*** 0.07*** 0.037***


(0.004) (0.005) (0.005) (0.006)

NDTS -1.23*** -0.519*** -0.345*** -0.844***


(0.069) (0.08) (0.06) (0.06)

ADET 0.233*** 0.087*** 0.153*** 0.089***


(0.04) (0.001) (0.009) (0.0001)

Qualité de
l’analyse

R² Corrigé 0.1951 0.2783 0.2238 0.2969

Statistique de Fisher 4.90*** 1.63** 3.97*** 3.66***

Statistique
d’Hausman 17.54***

Seuils de significativité : *** 1%, ** 5%, * 10%, écarts-type entre parenthèses.

21
Contrairement à l’hypothèse de Modigliani et Miller (1958) et Miller (1977), la plupart
des variables ont des coefficients significatifs et leurs signes peuvent être expliqués par
les théories financières. Leur hypothèse nulle qui prédit qu’il y a indifférence quant au
choix de la structure du capital est donc rejetée par les données.

Le coefficient de la variable « profit » (EBIT) est toujours négatif, et significatif au seuil


de 1% selon les modèles between, within et MCQG. Cette corrélation négative met en
évidence le fait que les firmes hautement profitables ont besoin de moins de fonds
externes, ce qui est conforme à la théorie de la hiérarchie du financement.
Ce résultat vient également à l’appui de l’hypothèse selon laquelle les dirigeants préfèrent
se financer en premier lieu par les ressources internes afin de contrôler les coûts d’agence
résultant du financement externe. Dans notre cas d’étude, il s’agit plus particulièrement
des coûts d’agence de la dette, le recours au financement par capitaux propres se faisant
essentiellement par appel aux anciens actionnaires déjà présents dans le capital de la
firme.

Ces résultats confirment donc nos hypothèses quant à l’existence de problèmes d’agence
essentiellement entre actionnaires et banquiers plutôt qu’entre actionnaires et dirigeants
d’une part, et au caractère non transparent et non ouvert aux capitaux étrangers des
entreprises libanaises d’autre part.

Le coefficient associé à la variable mesurant l’avantage fiscal non lié à la dette (NDTS)
est de signe négatif et statistiquement significatif, ce qui confirme la thèse de substitualité
de DeAngelo et Masulis (1980). C’est un résultat également obtenu par Long et Malitz
(1985) et Biais et al. (1995) pour les entreprises françaises. Mais il est en opposition avec
les résultats présentés par Titman et Wessels (1988) et Bradley et al. (1984).

La variable « structure de l’actif » (AI) influence positivement et de façon significative


l’endettement des firmes libanaises. En effet, lorsque les créanciers sont peu informés sur
la qualité des projets, l’octroi de financements dépend souvent de la capacité de

22
l’entreprise à fournir des garanties ce qui est en cohérence avec les prédictions théoriques
de Myers (1977), ainsi que la théorie de l’agence de Jensen et Meckling (1976).
Cependant, la valeur des coefficients est relativement faible. D’après Rajan et Zingales
(1995) 20 , la tangibilité des actifs doit prendre moins d’importance dans les pays à
orientation bancaire. En effet, Berger et Udell (1995) montrent que les entreprises qui
tiennent des relations étroites avec leurs créanciers ont besoin de fournir moins de valeurs
de nantissement. Ils argumentent que cela est dû à cette relation particulière (et un
contrôle plus informé des créanciers) qui remplace les valeurs physiques. Cependant, une
autre explication plus spécifique au cadre libanais, et relative à la valeur réelle des actifs
fixes qui s’est appréciée (et l’appréciation n’a pas été reflétée dans les comptes de la
firme), pourra être à l’origine de cette relation. Cette thèse sera testée et mise en évidence
par la suite sur les données retraitées de la réévaluation des actifs.

Le coefficient de la variable représentant les dépenses salariales (CP) présente des effets
contradictoires sur la dette selon le modèle retenu. Le coefficient négatif s’interprète
comme une conséquence des règles de priorité en vigueur. Cependant, celui-ci est positif
d’après les estimateurs within et MCQG. Ces résultats ne permettent donc pas de
conclure quant à la pertinence de l’effet des dépenses salariales sur le levier financier des
entreprises de notre échantillon.

Ainsi, d’après les résultats mitigés des variables « structure de l’actif » et de « dépenses
salariales », la mise en évidence de la théorie selon laquelle le risque de faillite est un
déterminant important de l’endettement n’est pas claire.

Le coefficient de la variable « autres dettes » (ADET) définie comme une mesure des
prêts accordés par les agents mieux informés sur la firme (prêts des associés et
participations de la société mère) est positif et statistiquement significatif à un degré de
confiance de 99% quelque soit le modèle retenue. La théorie de signalisation se trouve
ainsi confirmée par le fait que les dettes d’origine interne influencent positivement les

20
Cf. Rajan et Zingales (1995), p. 1455.

23
dettes financières. Cette relation positive est également trouvée par Biais et al. (1995) sur
des données françaises, avec un coefficient estimé de 0,45521.

La variable « taille », Ln(CA), n’est statistiquement significative qu’avec les modèles


within et MCQG (et présente un coefficient qui s’approche de zéro selon les autres
estimateurs). Selon ces estimateurs, la taille influence positivement l’endettement des
entreprises. Les grandes entreprises ont les ratios de dette les plus élevés.

4.3. Test univarié de la variable « écart de réévaluation »

Avant d’entamer les études de modèles sur données de panel réévalué et incluant la
variable explicative « écart de réévaluation », nous allons tester les relations univariées
« déterminant-structure financière » de cette variable.
Ainsi, la variable « écart de réévaluation » est régressée à la dette financière sur l’actif
total (DFi).

Tableau 4 : Test des relations univariées – Ecarts de réévaluation

Ecarts de réévaluation DFi


Coeff. Prob.

ER/AT 0,4693 0,0012

Les résultats univariés montrent que la constatation au bilan des écarts de réévaluation
qui correspondent à de simples écritures comptables lors d’une réévaluation des éléments
d’actif, s’accompagne par un recours davantage à la dette. Cette technique, qui n’apporte
pas de liquidités à l’entreprise, semble donc affecter la politique et les choix de
financement des entreprises et ce en cohérence avec nos prédictions quant aux effets de
cette procédure.

21
Cf. Biais, Hillion et Malécot (1995), p. 23.

24
4.4. Analyse des estimations sur la base de données réévaluées

Comme précédemment, nous utilisons l’ensemble des estimateurs disponibles pour


évaluer l’importance relative des variables explicatives de la fonction d’endettement des
entreprises de notre échantillon. Les résultats sont présentés ci-dessous.

Tableau 5 : Résultats de l’analyse sur données réévaluées

Variables Coefficients Coefficients Coefficients Coefficients


explicatives MCO Between Within MCQG

Résultats de
l’analyse

Constante 0.343*** 0.415*** 0.157**


(0.025) (0.02) (0.07)

AI 0.101 0.012*** 0.327*** 0.191***


(0.07) (0.01) (0.01) (0.02)

EBIT -0.46*** -0.628*** -0.513*** -0.458***


(0.101) (0.03) (0.06) (0.07)

Ln(CA) -0.006 -0.002 0.008*** 0.008***


(0.01) (0.01) (0.002) (0.001)

CP -0.019*** -0.03*** -0.065*** -0.032***


(0.001) (0.001) (0.008) (0.005)

NDTS 0.793*** -0.182*** 0.418*** -0.26***


(0.005) (0.06) (0.088) (0.018)

ER 0.296*** 0.409*** 0.116*** 0.117**


(0.02) (0.026) (0.002) (0.052)

ADET 0.121 0.07*** 0.076*** 0.076***


(0.07) (0.001) (0.01) (0.0001)

Qualité de
l’analyse

R² Corrigé 0.2370 0.2910 0.3091 0.3225

Statistique de Fisher 7.45*** 1.73** 8.42*** 7.14***

Statistique
d’Hausman 24.54***

Seuils de significativité : *** 1%, ** 5%, * 10%, écarts-type entre parenthèses.

25
Tout d’abord, nous constatons une amélioration du R2 corrigé qui est de l’ordre de 30 %.
Le test d’Hausman montre l’absence de corrélation entre l’effet individuel et les variables
explicatives. L’hypothèse H0 d’absence de corrélation est donc vérifiée.

Quant aux autres résultats des déterminants de la dette des firmes libanaises (hormis
celles de la nouvelle variable explicative l’« écart de réévaluation ») constatés après le
retraitement comptable opéré par rapport aux résultats obtenus avec le modèle non-
réévalué, nous distinguons essentiellement la mise en évidence d’une manière plus claire
ou plus accentuée (selon le cas) de la « valeur collatérale » des actifs immobilisés, de
l’effet du « risque de défaut », et du comportement hiérarchique tel que décrit par la
théorie du pecking order.
En revanche, d’autres variables ont perdu de leur importance en tant que déterminants des
décisions de financement des firmes avec le modèle réévalué. La variable « taille »
mesurée par le logarithme du chiffre d’affaires présente des coefficients presque nuls. Le
coefficient associé à la variable mesurant l’avantage fiscal non lié à la dette (NDTS)
change de signe et est statistiquement significatif (au seuil de 1 %) avec le modèle MCO
et within, ce qui remet en question la thèse de DeAngelo et Masulis (1980).

Premièrement, notons le résultat de la nouvelle variable explicative introduite : l’« écart


de réévaluation ». La relation observée avec l’endettement des entreprises de notre
échantillon est positive et significative. Ces résultats corroborent nos prédictions quant
aux effets de cette procédure visant à rectifier des sous-évaluations provenant
ordinairement de la baisse de la valeur de la monnaie. Notre hypothèse que cette
technique comptable, qui n’apporte pas de liquidités, affecte la politique et les choix de
financement des entreprises se trouve ainsi confirmée.

La constatation au bilan des écarts de réévaluation qui correspondent à l’enregistrement


de plus-values sur des éléments d’actif constatées lors d’une réévaluation de ces derniers,
permet donc à l’entreprise de recourir davantage à la dette.

26
En effet, une relation positive existe entre le levier financier et la variable « écart de
réévaluation ». Ce lien montre l’asymétrie de l’information qui existe entre banquiers et
entreprises quant aux actifs de ces dernières et à leur valeur actuelle.

D’autre part, le modèle de panel sur données réévaluées révèle des coefficients plus
élevés pour la variable représentant l’actif immobilisé sur le total de l’actif (AI). Etant
donné les relations d’agence que nous avons souligné entre les entreprises et les
banquiers en particulier, des garanties importantes sont donc requises pour l’octroi des
fonds. A cet effet, les banquiers se basent effectivement sur la valeur de marché (valeur
vénale) des actifs de l’entreprise et non pas sur la valeur historique figurant au bilan de
celle-ci.

Le fait de réévaluer le bilan des firmes libanaises avec effet rétroactif sur les années
antérieures à cette opération tel qu’on a procédé, a permis de capter la réalité de cette
variable et de son effet sur l’endettement des entreprises, ce qui se manifeste par des
meilleurs résultats.

Cependant, à l’extrême, ceci suppose l’inexistence d’asymétrie de l’information entre


banquiers et entreprises quant aux actifs de ces dernières et à leur valeur actuelle, l’autre
extrême étant la non prise totale en considération de la valeur additionnelle due à la
réévaluation. Notre hypothèse est qu’en moyenne la réalité se situe quelque part au milieu
de ces deux positions.

En supposant que la réévaluation s’effectue d’une manière fiable et qu’elle reflète donc la
valeur actuelle d’un actif, soit une banque qui pratique une politique de prêt très prudente
et basée exclusivement sur la prise de garanties réelles avec des prêts accordés
constituant au plus 80% de celles-ci. Soit une entreprise qui dispose des actifs tangibles
susceptibles d’être donnés en garantie pour les emprunts et dont la valeur au bilan est
100. La valeur de marché de ces actifs est réellement de 300 et en cas de réévaluation, et
sous les conditions précitées, c’est cette valeur qui sera retenue pour les actifs réévalués.

27
Un compte « écart de réévaluation » va apparaître au bilan de cette entreprise, au passif,
de valeur de 200, et les actifs seront appréciés du même montant.
Avant réévaluation, et en cas d’asymétrie totale de l’information entre entreprise et
banquier, la capacité d’endettement de l’entreprise sera de 80 (contre une garantie de 100
représentant la valeur bilancielle de l’actif). En cas d’inexistence totale d’asymétrie de
l’information entre entreprise et banquier, la capacité d’endettement de l’entreprise sera
alors de 240 (contre une garantie de 300 représentant la valeur réelle de l’actif). La valeur
de l’emprunt accordé sera donc comprise entre un minimum de 80 et un maximum de
240. Si l’emprunt accordé est de 180, il pourra être décomposé de la manière suivante :
80 représentant 80% de la valeur au bilan et le reste de 100 représentant 50% de l’écart
entre la valeur de marché et la valeur bilancielle de l’actif pris en garantie.

Cet exemple illustre l’existence d’asymétrie de l’information entre banquier et entreprise.


L’écart de 60, représentant la différence entre le maximum qui peut être potentiellement
accordé et le montant effectivement accordé, est dû à l’existence d’asymétrie de
l’information entre banquier et entreprise quant à la valeur des actifs de cette dernière ou
à la politique plus prudente du banquier à l’égard du différentiel de valeur (représentant
l’écart de réévaluation) impliquant l’application d’un taux plus stricte (50% contre 80%
initialement).
Par ailleurs, le fait de réévaluer l’actif permet à l’entreprise de bénéficier d’une capacité
d’emprunt additionnelle (égale à 160 dans notre exemple), toute chose égale par ailleurs.
En effet, lors de la réévaluation des actifs, l’asymétrie de l’information relative à la valeur
de ces actifs diminue. C’est ce phénomène qui explique la corrélation entre l’écart de
réévaluation et la dette de l’entreprise.

En définitive, et contrairement à thèse qui prédit que la tangibilité des actifs doit prendre
moins d’importance dans les pays à orientation bancaire, la valeur collatérale des actifs
joue un rôle essentiel dans la détermination du levier financier des entreprises de notre
échantillon. Ly (1998) conclut, sur des données françaises, que la valeur de nantissement
de la firme est la variable qui explique le mieux les différences d’endettement22. Booth et

22
Cf. Ly (1998), p. 250.

28
al. (2001), sur leurs données de pays en voie de développement, concluent également que
la tangibilité des actifs affecte les décisions de financement de manière comparable aux
résultats trouvés par Rajan et Zingales (1995).

Par ailleurs, la relation négative entre la variable représentant les dépenses salariales (CP)
et le levier d’endettement est mise en évidence par notre modèle réévalué par rapport au
modèle initial où les résultats ne permettaient pas de la déterminer clairement. D’après les
estimateurs utilisés, les coefficients sont négatifs et statistiquement significatifs. Il
apparaît que le montant des salaires à verser est susceptible de peser sur la valeur de
liquidation des firmes. En effet, plus le montant des salaires à verser est important, plus
faible sera la valeur de liquidation de l’entreprise pour les autres créanciers.

Ainsi, d’après les résultats des variables « structure de l’actif » et de « dépenses


salariales », il apparaît que le risque de faillite est un déterminant important de
l’endettement des firmes libanaises. En effet, le coefficient de signe positif de l’actif
tangible immobilisé et le coefficient de signe négatif du poids des salaires sont cohérents
avec la théorie selon laquelle le risque de défaillance est un déterminant important de
l’endettement. Ce résultat est également trouvé par Biais et al. (1995) dans le cadre
institutionnel français. Dans un cadre économique moins développé, Ndoume Essingone
(1997) déduit que la crainte de faillite explique le choix de financement des firmes
gabonaises. Il note que « le risque de faillite guide les firmes dans leur choix de
financement, notamment les conduit vers le désendettement. On a remarqué que le risque
financier des entreprises est assez élevé, dans un environnement où les banques subissent
l’encadrement du crédit et répugnent à accorder des crédits aux entreprises à cause du peu
de crédibilité dont elles disposent à la suite de nombreux impayés »23.

Un autre déterminant de l’endettement dont l’importance est rendu plus évidente et plus
significative est la profitabilité (EBIT). En effet, la relation négative entre cette variable
et la dette des firmes de notre échantillon est caractérisée par des coefficients élevés (de
l’ordre de 50%) et hautement significatifs avec tous les estimateurs utilisés. Plus

23
Ndoume Essingone (1997), p. 287.

29
l’entreprise est profitable, le moins est son ratio d’endettement. Ces résultats sont
consistants avec les hypothèses de la Pecking Order. Ils confirment aussi l’existence
significative d’asymétrie de l’information. Cela suppose que le financement externe est
coûteux et donc évité par les entreprises.

Cependant, une explication plus directe de cette relation est que les entreprises profitables
ont moins de demande pour le financement externe tel que décrit par Donaldson (1963).
Cela va à l’encontre du modèle du trade-off statique, selon lequel les entreprises
hautement profitables utilisent plus de dettes afin de réduire leur facture d’impôt.

Par ailleurs, on peut supposer que ces entreprises les plus profitables possèdent de larges
opportunités de croissance et ont des ratios market-to-book élevés. Dans ces conditions,
les coûts d’agence de la dette imposeraient des ratios d’endettement faibles (la corrélation
négative entre la profitabilité et la dette serait un proxy de la difficulté d’emprunter contre
des opportunités de croissance intangible). Cependant, cette possibilité dépend de
l’hypothèse d’après laquelle les ratios market-to-book élevés sont associés à des niveaux
élevés de profitabilité actuelle, ce qui n’est pas nécessairement vrai.

Cette relation négative entre la profitabilité et la dette est largement vérifiée par les tests
empiriques portant sur les données des firmes des pays développés. Ainsi, Titman et
Wessels (1988) pour les Etats-Unis, Biais et al. (1995) pour la France, Miguel et Pindado
(2001) pour l’Espagne, ou Rajan et Zingales (1995) pour les pays du G-7 dans leur
ensemble, confirment cette relation négative entre la variable de profitabilité et
l’endettement des entreprises.

S’agissant des pays en voie de développement, notre résultat est également en ligne avec
celui de Booth et al. (2001) qui, à l’exception de l’échantillon réduit du Zimbabwe,
trouvent une relation constamment négative et hautement significative pour l’ensemble

30
de leurs données appartenant à 10 pays en voie de développement, ce qui les amène à
conclure que la profitabilité est la variable indépendante la plus « réussie »24.

Concernant l’hypothèse des économies fiscales, il est à noter que le coefficient associé à
la variable mesurant l’avantage fiscal non lié à la dette (NDTS) change de signe et est
statistiquement significatif (au seuil de 1 %) avec le modèle MCO et within, ce qui remet
en cause la thèse de DeAngelo et Masulis (1980).

Dans le cadre des pays en voie de développement, Booth et al. (2001) concluent que le
taux d’imposition moyen empiriquement estimé ne paraît pas affecter les décisions de
financement des firmes des 10 pays en voie de développement de leur échantillon. De
même, les résultats de Shabou (1995) sur des données tunisiennes contredisent la thèse de
substitualité de DeAngelo et Masulis (1980) où une relation positive et statistiquement
significative est mise en évidence pour l’avantage fiscal non lié à la dette.

Ndoume Essingone (1997) écarte également l’hypothèse de la recherche des économies


fiscales pour expliquer les choix de financement des entreprises gabonaises. Il note que le
modèle des économies d’impôts est valable dans un contexte où les entreprises peuvent
librement s’endetter. Or, dans le cadre d’un environnement financier tel que le Gabon, il
remarque que « d’une part la situation difficile des banques, ce qui les amène à
restreindre les crédits aux entreprises, et d’autre part, les règles de politiques monétaires
(encadrement du crédit) conduisent vers une limitation de l’endettement »25.

Dans le cadre de notre recherche, cela s’expliquerait également par la restriction des
crédits aux firmes libanaises. Il s’agit en particulier de l’effet d’éviction dont souffre le
secteur privé libanais et qui résulte du fait que l’Etat mobilise la plus grande part de
l’épargne interne pour financer ses projets et ceci au détriment du secteur privé.

En effet, l’Etat a procédé à des émissions massives de bons du Trésor qui permettait
d’assurer le financement nécessaire pour soutenir la politique de reconstruction et de
24
Cf. Booth et al. (2001), p. 105 : “The most successful of the independent variables is profitability, as it is
consistently negative and highly significant”.
25
Cf. Ndoume Essingone (1997), p. 229.

31
redressement économique. Ainsi, le niveau des taux d’intérêt appliqué est tel qu’il a créé
un effet d’éviction important, n’offrant pas d’autres alternatives de placements26.

Il semblerait de ce qui précède, que la recherche de réalisation de gains fiscaux ne se


place pas comme une motivation principale du recours des firmes des pays en voie de
développement au financement par dette. La nature des marchés financiers de ces pays et
la limitation des produits et outils financiers permettant le financement des entreprises
sont en mesure d’expliquer ce constat.

5. Conclusion

L’apport de cet article réside tout d’abord dans le fait d’étendre la littérature financière
moderne issue essentiellement du cadre des pays développés à un nouveau cadre
institutionnel, celui d’un pays en voie de développement qu’est le Liban.

Par ailleurs, nous contribuons à la recherche théorique sur les déterminants de la structure
de financement des firmes et, à cet effet, introduisons dans la discussion théorique et
empirique une nouvelle variable explicative de la dette, l’« écart de réévaluation », qui
correspond à l’enregistrement de plus-values sur des éléments d’actif constatées lors
d’une réévaluation de ces derniers. En effet, nous émettons l’hypothèse que cette
technique comptable, n’apportant pas de liquidités à l’entreprise, affecte la politique et les
choix de financement de celle-ci. Notre thèse prédit une relation positive entre le levier
financier et la variable « écart de réévaluation ». Cela s’expliquerait par l’asymétrie de
l’information qui existe entre banquiers et entreprises quant aux actifs de ces dernières et
à leur valeur actuelle nette.

Nos résultats montrent que la constatation au bilan des écarts de réévaluation permet à
l’entreprise de recourir davantage à la dette. Cette procédure comptable qui n’apporte pas

26
Fin 1998, les concours au secteur privé en livre libanaise ne représentaient que 13% des concours à
l’économie.

32
de liquidités, affecte donc la politique et les choix de financement des entreprises. Les
résultats trouvés corroborent ainsi nos prédictions quant aux effets de cette technique
visant à rectifier des sous-évaluations provenant ordinairement de la baisse de la valeur
de la monnaie. En effet, une relation positive et hautement significative existe entre le
levier financier et la variable « écart de réévaluation ».

Etant donné les relations d’agence que nous avons noté entre les entreprises et les
banquiers en particulier, des garanties importantes sont alors requises pour l’octroi des
fonds, comme le montre les résultats de la variable représentant l’actif immobilisé sur le
total de l’actif. A cet effet, les banquiers tendent à se baser sur une valeur se situant entre
la valeur comptable (valeur historique figurant au bilan) et la valeur de marché (valeur
vénale) représentée par la réévaluation. Le fait de réévaluer le bilan des entreprises
libanaises avec effet rétroactif sur les années antérieures à cette opération a permis de
capter l’impact réel de cette variable sur l’endettement des entreprises. Ainsi, la valeur
collatérale des actifs joue un rôle de premier plan dans la détermination du levier
financier des entreprises de notre échantillon et ce contrairement à la thèse qui prédit que
la tangibilité des actifs doit prendre moins d’importance dans les pays à orientation
bancaire. Il apparaît d’après les résultats de cette variable et celles de « dépenses
salariales », qui sont cohérents avec les prédictions théoriques, que le risque de faillite est
un déterminant important de l’endettement des firmes libanaises.

Les prédictions de la théorie de la hiérarchie du financement sont également confirmées


par les résultats de nos tests économétriques. En effet, la corrélation négative de la
variable « profit » met en évidence le fait que les firmes hautement profitables ont besoin
de moins de fonds externes, ce qui est conforme à la Pecking Order Theory.

En somme, à l’issue de cette recherche, nous pouvons conclure qu’une entreprise dans un
environnement touché par une dévaluation monétaire, toute chose égale par ailleurs, et
avant de procéder à l’opération de réévaluation, a un endettement plus faible et une
capacité d’endettement inférieure à celle d’une entreprise ayant exactement les mêmes
caractéristiques mais dans un cadre non-inflationniste. La première jouirait donc d’une

33
structure financière effective 27 (non comptable) plus solide que celle de la deuxième
entreprise.
Cependant, il serait particulièrement intéressant de généraliser ces résultats et d’étendre
les tests empiriques à d’autres pays et cadres institutionnels. Une analyse cross-country
permettrait en effet de mieux cerner l’effet de la réévaluation et de la variable « écart de
réévaluation » sur le comportement financier et la relation banque-entreprise. Une telle
question se place donc comme un axe de recherches futures.

27
Après l’intégration de la plus-value issue de la réévaluation des actifs (même avant que cette procédure
ait lieu fiscalement et comptablement).

34
Annexe 1 : Liste des variables

DFiit Le ratio de la dette financière sur le total actif (variable dépendante)

ERit Le ratio retardé de l’« écart de réévaluation » sur le total actif

AIit Le ratio de l’actif immobilisé sur le total actif

EBITit Le résultat d’exploitation sur le total actif

Ln(CA) Le logarithme du chiffre d’affaires

NDTSit Mesure des économies fiscales non liées à la dette définie par Titman et
Wessels (1988) comme suit :
NDTSi = EBITi – Ii – Ti/τ
EBITi, Ii et Ti, représentent respectivement le résultat d’exploitation, le
montant des charges d’intérêts déductibles et le montant de l’impôt sur
les sociétés pour la firme i. τ indique le taux d’imposition sur les
bénéfices, soit un taux de 10 % en vigueur au Liban sur notre période
d’étude.

CPit Le ratio des charges de personnel sur le chiffre d’affaires

ADETit le ratio des autres dettes (prêts des associés et participations de la


société mère…) sur le total actif

Annexe 2 : Matrice des Coefficients de Corrélations

AI EBIT Ln(CA) CP NDTS ER ADET


AI 1.00
EBIT -0.14 1.00
Ln(CA) -0.08 0.13 1.00
CP 0.20 -0.11 -0.04 1.00
NDTS 0.33 -0.09 0.03 -0.04 1.00
ER 0.09 -0.15 0.05 0.41 -0.13 1.00
ADET 0.04 -0.25 -0.20 0.08 0.18 -0.09 1.00

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