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En Argentine, Macri passe en force pour
imposer sa réforme des retraites
PAR MARION GONIDEC
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 25 DÉCEMBRE 2017
La réforme des retraites a été adoptée le 19 décembre,
au terme de plus de douze heures de débat. La colère
des dizaines de milliers de manifestants n’a pas suffi
à faire changer de cap l’exécutif. Mais ces journées
d’opposition, marquées par des heurts violents avec
les forces de l’ordre, ont ouvert un nouvel espace pour
l’opposition au macrisme.
Buenos Aires (Argentine), correspondance.– Le
Congrès avait été bouclé par les forces de l’ordre dès
le 14 décembre. Sept députés de l’opposition avaient
même été blessés, pris dans des heurts avec des
gendarmes, au moment d’entrer dans le bâtiment du
Congrès. La session, ce jour-là, avait dû être écourtée,
malgré les réticences de Cambiemos (« Changeons
»), la coalition de droite au pouvoir, emmenée par le
président Mauricio Macri.
Le lundi 18, la tension est encore montée d’un cran.
Le rassemblement des opposants à la réforme des
retraites, dans un premier temps pacifique, a dégénéré,
non sans l’aide de groupes de casseurs venus noyauter
les cortèges. Le bon millier de policiers mobilisés
n’a pas hésité à utiliser la violence, y compris contre
les journalistes, arrosant les manifestants de gaz
lacrymogènes, tirant des balles en caoutchouc, arrêtant
arbitrairement.
En fin de journée, on dénombrait plus de 160 blessés,
pour moitié côté forces de l’ordre, pour moitié chez
les manifestants. Mais aussi quelque 70 arrestations,
selon le bilan publié par les autorités. Dans la soirée,
le son des cacerolazos spontanés (ces concerts de
casseroles, symboles du mécontentement populaire)
s’est répercuté de quartier en quartier dans la capitale.
Ces scènes ont ravivé pour nombre d’Argentins le
souvenir des chaudes journées de décembre 2001,
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alors qu’au plus fort de la crise financière le président
Fernando de la Rúa prenait la fuite de la Casa Rosada
en hélicoptère.
Affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, le 18
décembre 2017 à Buenos Aires © Reuters / Martin Aosta.
Ces journées de tensions extrêmes n’ont pas empêché
l’adoption du texte au cœur des crispations, la réforme
des retraites, mardi 19 décembre au matin, au terme de
plus de douze heures de débat. Quelque 128 députés
ont voté pour le texte (116 contre, deux abstentions),
ignorant la colère des dizaines de milliers d’Argentins
descendus dans les rues depuis plusieurs jours.
La Commission interaméricaine des droits de
l’homme (CIDH) n’a pas tardé à intervenir : elle a
rappelé à l’ordre, le 21 décembre, le gouvernement
argentin, exprimant sa préoccupation quant à un
« usage indistinct de la force » et l’exhortant à
une « adhésion stricte aux principes généraux de
la légalité » ainsi qu’à la garantie de la liberté
d’information.
En quoi consiste cette nouvelle réforme des retraites ?
Jusqu’à présent, et depuis 2008 (avec la ley de
movilidad jubilatoria votée sous Cristina Kirchner),
le mécanisme d’actualisation des pensions se fondait
sur deux paramètres : le montant des salaires des
travailleurs déclarés et les revenus de l’Administration
nationale de sécurité sociale argentine (ANSES), eux-
mêmes alimentés par des cotisations salariales et des
recettes fiscales, principalement la TVA ou l’impôt sur
les sociétés.
« Ainsi, dans les années de croissance, depuis 2009
et à l’exception notable des années de ralentissement
économique en 2014 et 2016, les recettes fiscales
augmentaient, le montant des retraites dépassant le
taux d’inflation, détaille Martín Kalos, économiste
et fondateur d’EPyCA Consultores. Selon la même
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logique, le pouvoir d’achat des retraités aurait dû
s’élever cette année et l’an prochain. C’était sans
compter sur ce nouveau mode de calcul, en vigueur
dès 2018. Les retraités ne sont plus associés à la
croissance économique du pays. »
La une du « Clarin », le 19 décembre 2017.
Désormais, le niveau des pensions sera indexé à 70 %
sur l’inflation (suivant l’indice officiel INDEC) et
à 30 % sur les salaires. « Ce n’est pas une baisse
du montant des retraites, c’est une diminution de la
hausse. Et il faut être conscient que personne ne peut
vivre avec une retraite minimum de 7246 pesos par
mois (350 euros), ce qui est pourtant le lot de plus de
60 % des pensionnés argentins. »
Ce nouveau mode de calcul s’applique non
seulement aux retraites, mais aussi à d’autres
prestations : allocations familiales, familles
nombreuses, handicapés, allocations aux anciens
combattants des Malouines… Le gel concerne au total
17 millions d’Argentins, 40 % de la population.
Au lieu des 14 % attendus selon l’ancien mécanisme,
l’augmentation des retraites en mars prochain devrait
atteindre les 5,7 %, l’inflation avoisinant actuellement
les 23 %. En guise de compensation et pour faire passer
la pilule, le gouvernement a négocié une allocation
unique de 750 pesos (37 euros) pour les retraités qui
perçoivent moins de 10 000 pesos par mois (500 euros)
et qui totalisent trente ans de cotisations.
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« À la place du gouvernement, j'aurais peur »
Les annuités nécessaires pour percevoir la retraite
constituent un autre point de crispation. « Macri vient
également d’éliminer le moratoire sur les retraites,
institué par Cristina Kirchner, reprend Martín Kalos.
Il donnait la possibilité d’accéder à la retraite
minimum de 7 246 pesos, y compris pour ceux qui
n’avaient pas cotisé trente ans. En Argentine, où
un tiers de l’économie est informelle, où le taux de
chômage peut atteindre des sommets, 25,5 % en 2003
par exemple, où il existe de nombreux travailleurs
au noir ou au “gris”, dont seule une partie du
salaire est déclarée, il semble difficile de réunir les
conditions. » La nouvelle loi remplace ce moratoire
par un « minimum vieillesse » équivalent à 80 % de la
pension minimum.
La une du 'Pagina 12' le mardi 19 décembre 2017.
Pour compléter le dispositif, l’âge du départ à
la retraite devient plus flexible. De 60 ans, il
passe à 63 ans pour les femmes, et de 65 à 70
ans pour les hommes, sur la base du volontariat.
« L’entreprise ne pourra plus mettre à la porte ceux
qui souhaitent travailler plus longtemps pour cotiser
plus longtemps », précise Martín Kalos.
Au pouvoir depuis 2015 et grande gagnante des
législatives de mi-mandat en octobre dernier, la
coalition gouvernementale de droite Cambiemos a
choisi de profiter de cette légitimité par les urnes pour
accélérer, juste avant la trêve estivale, le rythme des
réformes qu’elle entend mener avant 2019.
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Elle s’est notamment fixé comme objectif la réduction
drastique du déficit primaire public (avant paiement
des intérêts de la dette), à hauteur de 5 milliards
d’euros par an. Il doit ainsi passer de 4,2 % du
PIB à 3,2 l’an prochain. « Macri veut réduire les
dépenses publiques afin de réduire les impôts et
d’attirer l’investissement privé, qui est le moteur
du développement selon sa conception », écrit le
journaliste économique Alejandro Rebossio dans
la revue en ligne Anfibia, créée en 2012 par
l’université de San Martín. Afin d’attirer la « pluie
d’investisseurs » tant promise, Cambiemos entend
faire adopter très bientôt une réforme fiscale, ainsi
qu’une réforme en profondeur du code du travail. Les
discussions devraient commencer dès mars prochain,
après l’été.
Toutes ces réformes font partie d’un ensemble.
Pour Alexandre Roig, sociologue à l’université de
San Martín, « il s’agit d’une réorientation de
l’action publique vers l’accumulation financière. Ils
souhaitent que la croissance soit tirée par la finance
et ne dépende pas de la production ou du processus
industriel ».
« Les 144 articles de la nouvelle loi sur le travail
à l’agenda sont pensés à partir des demandes du
monde entrepreneurial, selon Martín Kalos. S’il est
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Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa,
Société des Amis de Mediapart.
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adopté, ce texte signerait, par exemple, la fin de
la coresponsabilité entre une entreprise et ses sous-
traitants, mais aussi une plus grande tolérance pour
les entreprises qui emploient des travailleurs au noir,
une réduction des indemnités de départ… Cela va être
un coup très dur porté aux travailleurs et aux syndicats
du pays. »
Reste à savoir si les mouvements sociaux nés ces
jours-ci dans la rue vont s’organiser et prendre
de l’ampleur face aux réformes à l'agenda en
2018. « Nous avons assisté selon moi à un début
d’articulation de l’opposition, permise aussi par un
effacement de la figure de Cristina Kirchner, ce
qui a favorisé le dialogue entre différents acteurs
de l’opposition et réintégré une classe moyenne qui
se tenait en marge du conflit social. En Argentine,
ce type de situation est imprévisible et très rapide.
D’autant que pourrait s’ajouter la désillusion de
ceux qui ont voté Macri sans voir le véritable
visage de cette formation politique. Et on le sait, la
désillusion peut conduire à une amertume plus grande
qu’une opposition des premiers jours. À la place
du gouvernement, j’aurais peur », assure Alexandre
Roig.
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