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Mozart : transparence à Dieu

La musique est une énergie vibratoire partout présente et qui remplit tout. D'essence divine, elle ne
demande qu'un écouteur pour entrer en harmonie avec lui et le remplir à son tour de sa Présence. Si
l'écouteur est suffisamment transparent, la musique rayonne à travers lui. Cela se traduit par un simple
sourire, un regard lumineux, un geste habité, une présence puissamment auréolée ou encore une
symphonie de Mozart, si on possède comme lui les moyens de l'exprimer. Mais chaque être peut
interpréter la mélodie selon son degré de perception. Si l'homme est à l'image de Dieu (Gn 1,26), vivre
c'est interpréter Dieu. Chacun de nous est une manifestation divine. C'est pourquoi on ne compose pas
de musique, mais on la laisse transparaître. Jésus était totale transparence, l'interprète parfait, tout son
être, parce que transfiguré, transmettait la Lumière, chacun de ses gestes exprimait Dieu. A sa suite, la
vie de tous les saints chante la gloire de Dieu. Et si la transparence consiste à être un bon conducteur de
cette joie là, alors Mozart peut compter parmi les plus grands que l'histoire a connus. En parlant de lui,
d'illustres penseurs et artistes, de Kierkegaard à Honegger, en passant par Goethe et Voltaire,
s'enflamment d'enthousiasme et crient au miracle !

Si la musique est, alors la grandeur du musicien se mesure à sa fidélité à ce qui est, sans s'interposer.
Dès qu'il s'interpose, il manipule la musique, la fait passer par les canaux de son tempérament et
l'oriente selon les multiples donnés de sa personnalité propre. Alors on peut dire: c'est la musique d'un
tel ou tel autre. On reconnaît bien Mozart aussi, bien sûr, mais ce qui le caractérise vraiment, c'est qu'il
ne s'impose et ne s'interpose pas. On a la conviction, en l'écoutant, qu'il jouit d'un accès direct auprès
de Dieu, comme l'écrivait le grand théologien Karl Barth, et qu'il nous transmet son message,
paradoxalement, sans se mettre en intermédiaire. Voilà la transparence. Il nous donne la musique
comme un extraordinaire trésor non filtré.

Comment cela est-il possible? Je crois que l'on commence à percer un peu le mystère mozartien en se
laissant entraîner par lui dans son enfance spirituelle.

Mozart est un enfant. Le petit enfant n'a pas un ego structuré, il est totalement luimême, n'étant pas
divisé intérieurement, si bien qu'il est ce qu'il fait: quand il joue il est le jeu, quand il rit il est le rire,
quand il pleure il est pleurs... Ainsi Mozart est musique! L'enfant n'a rien, il laisse rayonner son être,
comme les lys des champs ou les oiseaux du ciel... Quand Jésus dit: Si vous ne redevenez pas comme des
petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux (Mt 18,3), on voit Mozart non seulement
y entrer mais y être à plain, et « être » se confond chez lui avec un éclatement de joie indicible, une
plénitude qui ne laisse que deviner ce qu'elle cache... Alors Mozart s'ébat dans ce Royaume intérieur, il
joue et reçoit la vie comme un jeu avec Dieu, il est heureux, divinement heureux !

Seulement voilà: il est impossible d'être heureux tout seul ! Écouter Mozart, c'est comme s'exposer au
soleil: il partage sa chaleur et illumine celui qui se met à son contact... Mais pour que les rayons
pénètrent et transforment, il faut se dévêtir. Il en est ainsi avec Mozart, s'exposer à lui, c'est se laisser
dépouiller de son «petit moi» et découvrir l'enfant qui dort encore au fond de soi. La musique de Mozart
est un enfantement à cette enfance qui n'est autre que la source originelle de notre être, là où nous
sommes réellement les enfants de Dieu dans le Royaume, c'est-à-dire totale réceptivité, point de
jaillissement de la vie divine en nous. Ceci est tellement concret que quiconque se laisse faire par cette
musique et se livre à elle, sans a priori ni idéologie, est entraîné dans l'innocence du coeur de Mozart; il
participe intimement et par expérience immédiate de sa pauvreté intérieure, sa totale désappropriation
et son état de non dépendance passionnelle. Nous sommes dans la simplicité absolue et le
détachement, la paix en plénitude.

Cette expérience n'est évidemment pas possible en faisant de la musique une «toile de fond»... tout en
s'occupant d'autre chose ! L'amateurisme n'est pas un Chemin et ne transforme personne... Pour
accéder à sa Sagesse, Mozart nous invite à une écoute totale, à une totale réceptivité, où tout notre être
devient une grande oreille. Dans cette immense ouverture, tout, peu à peu, s'ouvre réellement en nous,
physiologiquement : nous découvrons une capacité auriculaire autrement plus profonde, certes, mais
aussi les pores de notre peau s'ouvrent et se dilatent, la perception descend dans la chair et dans le
sang, dont «l'image» se modifie instantanément, le coeur s'harmonise avec les sons et,
mystérieusement, épouse leur rythme. Ce qui se passe alors échappe aux mots. Nous entrons en
communion avec notre corps subtil ou spirituel et accédons au toucher de l'Être, peut-être en fusion
avec Lui, mais sans confusion, car il s'agit en même temps d'un éveil toujours plus profond à soi.

L'important, c'est d'atteindre ce point d'intensité de l'écoute en écoutant très souvent le même
morceau de musique. Il agit alors comme un «mantra », c'est-à-dire qu'il développe une capacité de
pénétration en nous et, justement, de percée vers l'Être. Si la répétition est si importante, c'est qu'elle
crée en nous un état de mémoire qui, à son tour, produit une puissante concentration, au sens
d'unification de tout nous-mêmes autour d'une même réalité. Et c'est par le corps que l'on s'ouvre à ces
secrets. Il voit et il comprend, il nous donne une connaissance. Dans cette ouverture, la contagion
vibratoire de la musique ne rencontre plus de résistance. Le mantra agit comme une foreuse, pénètre
dans la matière jusque dans la conscience cellulaire, où il nous fait prendre conscience du chant du
monde, de la vibration universelle de joie, cachée au plus profond de notre être. Ce qu'on a appelé
souvent « le bonheur mozartien », trouverait-il ici un commencement de réponse ?
En réalité, ce qui compte, ce n'est pas l'explication, mais l'expérience, l'expérience profondément
transformante, la réelle mutation à laquelle nous sommes conviés. Pour cela, Mozart nous prend par la
main, la main de notre enfant intérieur, afin de nous conduire là où il est depuis toujours. Toute sa
musique l'exprime. Pendant que Platon décrypte les Lois de l'existence humaine et déploie un arsenal
d'arguments pour montrer que «la vie doit être vécue comme un jeu», Mozart nous y introduit d'emblée
en nous faisant vivre ici et maintenant notre vie comme un jeu! Sa musique extraordinairement enjouée
opère peu à peu un fantastique lâcher-prise en nous, où tous les masques de l'ego tombent un à un, ses
fortifications intérieures s'écroulent, ses stratégies de défense et ses fausses sécurités sont mises à nu...
bref: tout ce qui empêche de sauter et de danser, d'être léger comme une plume, de rire et de chanter!
Rien n'est plus sérieux! Prendre la vie au tragique, au contraire, c'est se moquer d'elle, c'est lui résister
et lui opposer notre orgueil mensonger. La création est un acte ludique du Créateur, c'est pourquoi le
jeu est au commencement de toutes choses, leur principe même. Tout ce qui sort des mains du Créateur
danse, joue et chante comme le choeur des constellations, le mouvement des planètes et des étoiles, ou
le ruisseau qui bondit d'allégresse de la source... L'homme est en continuité organique avec toute la
nature !

Si Mozart nous « donne sa main », c'est en réalité son coeur et tout son être qu'il nous offre. Sa musique
n'étant pas une idéologie ou un message, saisit l'homme dans sa totalité et l'ouvre à l'innocence. Nous
reconnaissons en cela le saint, dont l'émerveillement est devenu un état, comme chez l'enfant. Libéré
du moi, les masques et les écrans culturels tombent, puis des horizons infinis se déploient devant son
regard de simplicité. La musique de Mozart nous lave littéralement les yeux et nous transfuse la capacité
qu'a l'enfant de voir au-delà du réel, la face invisible des choses et des personnes, et bien plus: la
capacité par ce regard, de transformer ce qui est regardé. C'est pourquoi rien ne résiste au regard de
l'enfant; son étonnante intensité et sa lumière profonde, son mystérieux pouvoir de transpercer, sont
difficilement soutenables pour l'adulte endormi et rêveur !

Pour Mozart, comme pour tout enfant, rien n'est séparé, tout vit dans une immense harmonie musicale,
tout est en résonance, comme si une même conscience se communiquait au travers des reflets
multiples. On comprend qu'en approchant un saint, nous recevons toujours un choc, on comprend aussi
pourquoi un petit enfant nous attire avec autant de puissance: auprès d'eux nous découvrons qu'il y a
une autre manière d'exister. Leur émerveillement constant est désappropriation de soi et
transfiguration par la lumière qui les habite, adhésion totale à ce qui est. Pour l'enfant, il n'y a pas de
passé ni d'avenir, seul vit l'immédiateté de l'instant, réservoir inépuisable d'espérance et de joie. Chaque
note de Mozart nous plonge dans cet «ici et maintenant», car c'est seulement là qu'il peut exercer
l'abandon et la confiance, qui sont les leviers de l'enfance spirituelle. Qu'on écoute, par exemple, « Cosi
fan tutti » pour entrer par expérience dans ce qu'on vient de dire, dans ce regard extralucide de Mozart
où on a l'impression qu'il sait tout, qu'il a regardé par-dessus le mur; pas étonnant alors d'entendre
cette gaieté enfantine et si communicative du «Regina Coeli » (K 108) ou l'extraordinaire bonheur qui se
dégage du « finale » de la symphonie Jupiter !
C'est cet abandon confiant, dans la joie indéracinable et l'éblouissante beauté, qui fait que l'homme
peut rester debout et ne jamais désespérer quand Mozart nous fait descendre dans les profondeurs de
nos passions humaines, ou lorsqu'il nous fait sentir les abîmes possibles de la souffrance et de la
solitude. Là, aussi, il nous fait entrer en partage avec son propre destin et nous donne sa main. Accablé
de soucis, proie des créanciers, en butte à de monstrueuses ingratitudes, terrassé par la maladie,
affronté violemment à la mort des plus proches, sa propre mère lors d'un voyage à Paris, puis son père
qui meurt au loin, enfin son propre fils Hans mort à l'âge d'un an..., on a l'impression par moments que
c'est une conspiration de tous les malheurs contre lui !

Alors Mozart pleure... Il ne pleure pas sur lui-même ou sur la souffrance, mais sur cette autre capacité
dans l'homme: rompre avec Dieu, Source de tout bonheur. La tristesse de Dieu renié par sa propre
créature, voilà cet abîme qui donne le vertige à Mozart. Il découvre la profondeur du mal, qu'on appelle
le péché et qui est le vrai nom de la mort. Ainsi l'authenticité de son regard d'enfant et le sérieux de son
enjouement permanent se vérifient sans cesse par la fascination de la mort qui accompagnera Mozart
jusqu'au bout. Toute sa musique est habitée par cette grande interrogation de tout homme: peut-on
être heureux alors qu'on est en train de mourir? Comment la mort et la vie vont-elles ensemble? La clé
du bonheur ne serait-ce pas ici la coïncidence des contraires ?

Jamais Mozart n'a lâché la quête de cette expérience fondatrice, encore sur son lit de mort il demandera
à ses amis qui l'entourent de chanter avec lui le début du «Lacrymosa» de son «Requiem». On pense à
saint François d'Assise qui, lui aussi, voyant sangloter ses disciples au moment de sa mort, chantait avec
eux son «Cantique des Créatures». C'est d'ailleurs cette pédagogie initiatique que l'on propose au tout-
venant à tous les enterrements : chanter sa joie alors même que l'on pleure ! Oui, comment
transformer, à cet instant même où je vis, la mort en joie? C'est sans doute la seule vraie question !

Mozart ne va pas réfléchir sur elle, mais l'explorer par expérience, comme toujours. Là, dans l'écoute
totale, il reçoit tout! C'est grâce à la musique, donc avec un pied au ciel, qu'il peut descendre dans
l'enfer de la mort pour la regarder en face. La musique lui permet non seulement de vivre l'inacceptable,
de voir ce qu'il y a de plus hideux, de traverser la frayeur et l'épouvante, le démoniaque, fut-ce sous les
larmes, mais, suspendu dans ce vide, ce «rien», sa musique se fait alchimie, elle transforme les ténèbres
en Lumière et la mort elle-même en vie. Mozart nous fait toucher sa propre désolation et nous
communique l'expérience, intérieure à chacun, du vide horrible devant la mort, en particulier dans les
Quatuors (K 589 et K 590). L'extraordinaire «Adagio» de K 458 plonge dans l'angoisse et apprend, à
travers elle, à regarder la mort droit dans les yeux. Cependant, pour Mozart, il ne s'agit pas d'affronter la
mort ou de l'écraser, mais de l'apprivoiser en l'intégrant à la vie.
Le combat commence donc au plus profond de chacun de nous, en déracinant nos passions mortifères
qui empêchent ce travail et tuent cette vie même. Le mot « travail » est pris au sens d'une femme « en
travail » : il s'agit de la mise au monde de l'être réel que nous sommes et de la mise à mort du « vieil
homme ». Sous ce regard, la vie entière se révèle comme une instance initiatique, ou un long processus
de transfiguration se déploie d'étape en étape. Dans sa «Musique Funèbre Maçonnique » (K 477),
Mozart traduit clairement ce Chemin et donne à sa pensée toute son ampleur. Il donne libre cours à la
plénitude de sa foi : le Christ, par sa mort sur la Croix, fait pénétrer dans la mort la Présence Divine, la
Lumière et la Joie de la Résurrection. Dès lors, toutes les données sont inversées : la mort est libératrice.
Mozart va encore plus loin: c'est le Christ lui-même qui vit notre mort-résurrection en chacun de nous.
Alors, comme dit encore le théologien Karl Barth la joie dépasse la douleur sans l'anéantir, le « oui »
retentit plus fort que le « non », qui pourtant n'a pas cessé de subsister.

Tout reste à sa place mais se trouve profondément métamorphosé par l'abandon à la volonté de Dieu.
Ên elle, tout s'unifie, par elle tout devient chant d'amour.

Mozart, en franchissant les portes de l'enfer et de la mort, qui est devenu « sa plus grande amie », ne
fait pas de tri dans l'existence: il loue Dieu pour tout et en toutes circonstances, indifféremment. Cette
intention rayonne partout dans l'oeuvre de Mozart. Dans les «Noces de Figaro», on est littéralement
emporté par un immense bonheur terrestre. Là on apprend que la vie a du goût, il faut y mordre à
pleines dents, quoi qu'il arrive.

Cette découverte d'un bonheur durable au sein même des vicissitudes de l'existence quotidienne n'est
possible précisément que pour celui qui fait de sa vie une offrande de soi. S'offrir à la volonté de Dieu,
devenir un avec elle, c'est consentir à la mort de moment en moment. Chez Mozart, il n'y a pas d'autre
bonheur pour l'homme que d'être uni à Dieu, mais c'est aussi le bonheur de Dieu que d'être uni à
l'homme. Et voilà: dans cette réciprocité d'amour fou gît le secret que nous cherchons, la source même
du bonheur non affecté par les circonstances extérieures, futce la mort! Mozart en fait l'expérience
stupéfiante tout en créant ce chef-d'oeuvre de beauté bouleversante: «La Grande Messe en ut mineur»
(K 427). Ce qu'il savait déjà depuis longtemps par sa foi, se révèle ici à lui comme une Rencontre : Jésus
Christ, plénitude réalisée de l'union entre Dieu et l'homme. Par la musique, la contagion est sans bornes
: Mozart nous entraîne dans sa propre stupéfaction devant la figure resplendissante du Christ qui se
manifeste dans le «Gloria». La mélodie vous arrache les entrailles et vous plonge dans une louange
extatique, tandis que le saint Nom «Jesu Christe» est répété comme dans la Prière du Coeur... Pour
deviner à quel point le coeur de Mozart était un centre incandescent de cette Divine Présence, il suffit
d'écouter le célèbre «Et incarnatus est», chant d'amour et d'adoration inouï devant l'événement qui a
changé la face du monde ! On comprend alors l'émerveillement de Mozart devant l'amour rédempteur
du Christ qui, par son Incarnation, porte le poids du monde et descend dans les profondeurs du mal. Le
«Qui tollis peccata mundi » et « l'Agnus Dei » nous emmènent dans un frémissement de reconnaissance
et de gratitude, au-delà de toutes les leçons de catéchisme !

Ainsi illuminés à l'intérieur même de nos ténèbres par le Christ mort et ressuscité, nous saisissons
l'ampleur du mal dont nous sommes possédés et la formidable miséricorde qu'exerce Dieu à notre égard
par le pardon. C'est pourquoi le Visage miséricordieux du Christ est sans doute le thème majeur qui
irradie toute l'oeuvre mozartienne. Si Mozart est si heureux, c'est que dans ce Visage qui l'envisage,
dans ce face à face, il trouve la source de tout bonheur. Dieu envisage l'homme et c'est un acte créateur
incessant: Il regarde avec amour l'homme, dont le visage de misère se transforme en ressemblance avec
Dieu. C'est cette miséricorde et ce pardon qui bouleversent Mozart. Encore tout jeune, il écrivait: J'ai
toujours Dieu devant les yeux...

Je connais aussi son amour, sa compassion et sa miséricorde envers ses créatures... Mozart sait ce dont
il parle, car il était d'une extrême fragilité et avait bien conscience des dons de Dieu. A travers son être
même, il connaît toutes les facettes de la miséricorde et de la tendresse infinies de Dieu. Il ne peut donc
faire autrement que d'être toujours l'interprète de cet amour. Mozart ne fait qu'entendre et goûter cela.
Pour lui, il n'y a rien au-delà de l'amour. Comme petit enfant déjà, il ne se mettait au clavier qu'après
avoir reçu une réponse à son éternelle question : « M'aimezvous, m'aimez-vous vraiment?» Jamais il ne
renoncera à cette question, comme toute sa musique le montre, jusqu'à sa dernière oeuvre, la «Flûte
enchantée», chant d'amour extraordinaire s'il en fût ! Mais «l'Ave Verum » nous avait déjà mis à genoux
devant ce haut lieu, de même que le « Concerto pour clarinette ». Mozart est tellement ivre d'amour
qu'il le laissera comme testament dans son dernier chant maçonnique: «Proclame bien fort notre joie! »
(K 623).

Comme l'amour risque d'être un vain mot ou un sentiment pieux, Mozart l'incarne dans le pardon et la
miséricorde qui en sont les vraies pierres de touche, «le pain quotidien » de l'amour, car celui-ci se «
mange », s'assimile, jusqu'à ce que l'on devienne amour en chair et en sang. Il n'y a qu'en musique que
l'on puisse faire rentrer cela, elle est une connaissance par vibration où la mise en résonance met le
récepteur sur la même longueur d'ondes. C'est un chemin de transfiguration. On peut laisser vivre ce
«travail» en soi en écoutant activement «L'enlèvement au sérail», qui fait éclater tout à coup le pardon
d'une façon inespérée. Mozart montre la surprise miraculeuse au sein d'une situation humainement
inextricable. Êt quand enfin le pardon est accordé entre les protagonistes de l'opéra, il faut entendre
comme Mozart fait jouer la musique du pardon, comment il le magnifie dans une gratitude éperdue !
Mais Mozart n'oublie pas le mystère du mal et l'atroce réalité de l'homme qui a la capacité de refuser le
pardon, donc de se condamner lui-même. C'est ce que met en scène «Don Giovanni», où la musique
s'affronte à l'insondable, depuis les sommets de l'amour jusqu'aux abîmes du péché et de la rupture. Le
Mal, ou plutôt le Malin, peut se revêtir du masque de l'amour même, et dans sa perversité le manipuler
ou le tourner en dérision. Ce combat entre Dieu et Satan est à l'arrière-plan de l'Histoire, personnelle et
universelle. Mozart nous transperce alors par de prodigieux accords et des intervalles musicaux
extraordinaires qui font pressentir quelque chose de ce duel. Notre liberté reste sauve, elle est
constamment sollicitée; la musique l'implore, lui tend la main et cherche à la tirer du gouffre enférique
qui l'attire...

Jamais l'homme n'est aussi grand que lorsqu'il se convertit, lorsqu'il se tourne vers l'Amour Divin et
découvre la liberté inouïe de ne pas répondre à la haine par la haine, de faire du bien à celui qui lui fait
du mal et de demander pardon à ceux qu'il a blessés... Certains passages des «Noces de Figaro»
descendent souvent dans le tréfonds de notre coeur pour y puiser le meilleur. L'expérience concrète de
la Vie Divine au fond de notre être nous libère de tout conditionnement. C'est pourquoi la Joie peut
coexister au sein de la souffrance. L'univers de l'amour est pure gratuité, alors que le refus d'aimer et de
pardonner vampirise la personne et la tue de l'intérieur. Dire « non » au pardon, c'est dire « non » à la
vie qui, par essence, est don sans limite, par-don, don parfait. La personne humaine ne se réalise
pleinement que par le don total. Ici la vie et la mort se rejoignent à nouveau dans l'acte créateur à son
plus haut niveau : le pardon.

Mais cet «avant-goût de l'éternité» n'est possible à l'homme que par le Christ, qui nous a littéralement
inoculé cet amour en mourant pour nous sur la croix et en versant tout son sang. En communiant à Lui,
nous devenons chair de sa chair, sang de son sang, souffle de son souffle. C'est le grand et ultime
mystère révélé par Mozart dans cette oeuvre unique dans l'histoire de la musique: «L'Ave verum». Ici il
nous fait pénétrer dans l'intimité de sa propre foi et de ce qui fait toute sa vie, et donc le secret de sa
musique. C'est l'absolu de l'Amour qui nous dit un peu d'où viennent tant de beauté et de lumière. Pour
Mozart, il n'y a pas d'autre bonheur que de vivre le Christ. Tout ce qui nous rapproche de Lui nous rend
heureux, tout ce qui nous en éloigne nous rend malheureux, malades et moribonds. Le mal radical, c'est
d'être possédé par soi-même: à l'absence de Dieu se substitue la présence d'un moi obsédé de soi-
même, une « autolâtrie ».

C'est pourquoi, dans sa dernière oeuvre, la plus parfaite et celle qu'il préfère entre toutes, la « Flûte
enchantée », Mozart nous plonge au sens propre dans l'amour, c'est-à-dire dans la dimension divine,
libre de toutes conditions, où l'on ne dépend de plus rien ni de personne, où l'on n'attend rien de qui
que ce soit, ni demande de pardon, ni réparation... Parce que le Christ m'a saisi tout entier pour me
rapporter à Dieu seul, me recevant que de Lui dans une grâce surabondante, je suis un être libre,
submergé de gratitude et inondé par la joie. Chaque note de la « Flûte enchantée » est une jubilation
d'amour, les accords épousent les battements de notre coeur pour les mettre au diapason de l'Inouï...

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