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Note préliminaire
Les années 2002 à 2004 furent une période faste pour les icônes melkites appelées aussi
arabo-chrétiennes ou tout simplement arabes. En octobre 2002 s’ouvrit au musée d’icônes
de Frankfort l’exposition «La Splendeur de l’Orient chrétien » qui connut un immense
succès. En mai 2003 les mêmes icônes et objets liturgiques augmentés d’une trentaine de
manuscrits prestigieux furent produits dans les salles prestigieuses de l’Institut du Monde
Arabe à Paris sous le titre « Icônes arabes, art chrétien du Levant ». En octobre 2004 un
nombre réduit de ces mêmes icônes complété par d’autres productions du mêmes style
ainsi que par des œuvres coptes faisaient l’objet d’une nouvelle exposition sous le titre
« des mains de votre servante » au musée de Frankfort à l’occasion de la Foire
Internationale du Livre à Frankfort dédiée à la civilisation arabe.
L’art arabo-chrétien fascine aujourd’hui à cause de valeurs esthétiques certaines mais il
faut aussi reconnaître que les évènements qui secouent le globe depuis le 11 septembre
jette une lueur singulière sur de telles œuvres. Elles sont les témoins d’une symbiose
idéale entre les civilisations qui se sont croisées dans la région du Croissant fertile. Cette
symbiose étant menacée de désagrégation à cause des conflits politiques on cherche des
références dans le passé pour dynamiser le processus d’entente et de tolérance au présent.
Les icônes arabes sont devenues un emblème reconnu, des messagères de dialogue, de
paix et d’ouverture vers l’autre.
Les propositions qui nous sont parvenues pour organiser des expositions sur le même
sujet un peu partout dans le monde ainsi que l’intérêt manifeste pour le genre nous ont
amené à produire ce grand livre des icônes melkites qui a pour objectif de réunir ce que le
style a de plus significatif compte tenu des possibilités mises à notre disposition. Si, pour
des contraintes économiques ou à cause de la volonté des propriétaires certaines icônes
ne pourront pas être reproduites on ne manquera pas de les citer afin que le lecteur aie
une connaissance globale et satisfaisante de cet art.
L’art figuratif de l’Orient est un art sacré qui appartient aux civilisations du Croissant
fertile. Des bords de la méditerranée jusqu’aux frontières de l’Iran et au-delà, du Delta du
Nil au Sinaï jusqu’à la Mésopotamie en passant par Palmyre et Doura Europos. La quête
1
Dans l’Antiquité l’orient était l’ensemble des états et villes à l’Est de la Grèce puis de Rome.
de l’homme pour Dieu a créé une zone identitaire universelle qui fut un creuset des
civilisations et devint le berceau des grandes religions monothéïstes. C’est là que - tant
dans la tradition pharaonique que dans la tradition judéo-chrétienne- l’expression
plastique sacrée a été purifiée par le feu de l’épreuve 2, et s’est développée allant de
l’aniconique au figuratif, souvent tentée de revenir à l’aniconique, comme pour se
dépasser toujours afin de refléter au mieux l’inaccessible et l’ineffable Invisible. L’art
sacré figuratif imprima sa marque sur l’art sacré juif et musulman mais trouva dans l’art
chrétien une iconographie accomplie.
Nous pouvons dire avec certitude que l’Orient est à l’origine de l’art figuratif sacré
monothéïste tel qu’il subsiste aujourd’hui dans les mosaïques, les fresques, les frappes
sigillaires, les monuments funéraires, les enluminures, les icônes. Vrai Mihrab en lignes
et couleurs, l’icône est cette fenêtre ouverte par l’homme pour contempler l’invisible
comme elle est la porte qu’utilise la transcendance divine pour s’adresser à l’homme.
Echelle à la fois transcendante et immanente reliant le ciel à la terre et la terre au ciel,
l’icône rassemble en elle toute l’histoire prestigieuse de l’Orient.
Ainsi donc l’icône est naît là où naît la lumière : en Orient. Ses terres d’origine qui ont vu
poindre la figuration sacrée frontale appartiennent toutes au Croissant fertile. Son
parcours est celui de la Révélation judéo-chrétienne qui affirme que Dieu est Lumière, en
Lui point d’ombre. Après avoir été interdite car elle ne pouvait dévoiler l’Invisible sans le
trahir, l’icône devint le moyen sûr d’exprimer la plus grande manifestation du Divin dans
l’histoire : l’Incarnation.
L’icône a été préfigurée par les niches des divinités sassanides ou palmyréniennes, par la
mystérieuse Dame à la fenêtre qui fait face au spectateur dans une frontalité totale, par les
masques funéraires des momies d’Egypte. Elle a été précédée par des peintures murales
et des mosaïques. L’icône portative 3 est venue combler le désir de l’homme de
transporter chez lui et avec lui la représentation du divin.
2
L’iconoclasme remonte au pharaon Akhenaton qui a régné de 1372 environ jusqu’en 1354 avant J-C. Ce pharaon, qu'on considère
comme le père du monothéisme, a déclaré le Soleil, Aton, seule et unique divinité, et a ordonné de fermer les temples des autres
divinités et de détruire leurs statues. Une inscription provenant de sa capitale Akhet-Aton (Tell Al-Amarna) dit que le Dieu Aton "se
façonne lui même avec ses mains, et aucun sculpteur ne le connaît". Le seul trait humain conservé d'Aton se manifeste par les mains
terminant les rayons du soleil, qui donnent le signe de vie au roi pour entretenir la création. Ceci n'empêchait pas la représentation du
Pharaon et de sa femme Néfertiti en compagnie du disque solaire. A sa mort, la religion d’Akhet-Aton fut abandonnée. Tout ce qui se
rapportait à ce pharaon fut détruit et le culte d’Amon et de tous les autres dieux fut rétabli. Akhenaton fut désigné par ses successeurs
comme étant le "criminel d'Akhet-Aton". Strabon (d. 21 ou 25) estime que les juifs sont originaires d'Égypte. Freud suggère que
Moïse appartenait à la famille d'Akhenaton et qu'il a quitté l'Égypte à la mort de ce dernier pour fonder son monothéisme en Palestine.
Cela pourrait-il expliquer l'attitude de la Bible à l'égard de l'art figuratif? Cf. L'ART FIGURATIF EN DROITS JUIF, CHRÉTIEN
ET MUSULMAN par Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh, publié sur le net.
3
Il s’agit le plus souvent d’une planche de bois recouverte d’un tissu (tarlatane) enduit de plusieurs couches
de poudre de marbre ou de gesso mêlées à la colle et soigneusement lissées avant la dorure et la peinture.
L’Orient qui sait maintenir la distance avec le sacré par peur de la mort croit en la
participation aux énergies divines. La lumière thaborique est la splendeur de Dieu qui ne
tue plus4 –sauf l’homme ancien- mais vivifie l’homme nouveau créé à la ressemblance du
Christ. Désormais c’est dans cette Lumière thaborique, christique que nous voyons la
lumière dont est revêtue notre humanité. Ainsi l’icône devient un signe de la déïfication
ultime de l’homme.
Les théologiens orientaux de l’icône l’affirment clairement : puisque Dieu a été vu par
des yeux de chair : on peut Le représenter. Les théologiens occidentaux diront que l’icône
sert à « nous souvenir » de la Face de Dieu. En fait l’icône n’est jamais une création mais
elle retrace ce que la mémoire de la Foi garde en elle comme un dépôt précieux. Il y a une
transmission de la Foi qui est connaissance de Dieu : La Révélation est une transmission,
une traditio ininterrompue du Christ, aux Apôtres et de ceux-là à leurs successeurs
jusqu’à nos jours. Il y a aussi une transmission de la vision. Tant que dure l’histoire
l’homme voudra se pencher sur l’icône pour contempler la Gloire du Dieu vivant à
laquelle il aspire secrètement : il verra la vision de ceux qui eurent le privilège d’être
contemporains du Christ et qui annoncèrent à l’humanité ce que leurs yeux on vu, ce que
leurs oreilles ont entendu et ce que leurs mains ont touché du Verbe de vie.
L’incarnation divine proclamée par la foi chrétienne a ouvert la voie à un dialogue des
cultures, creuset fécond où se sont mêlées diverses civilisations pour donner naissance à
un art nouveau.
Suivre l’itinéraire de cet art c’est remonter aux origines mêmes de l’expression iconique,
c’est retrouver des schèmes et des symboles qui font désormais partie de l’universel.
C’est apprendre à mieux apprécier l’autre qui a expérimenté le frémissement sacré devant
la représentation de l’ineffable. Des pièces maîtresses qui témoignent de ce dialogue des
cultures, ce rendez-vous de la beauté qui a permis le développement de l’art iconique.
Imprégnées du classicisme gréco-romain mais développant leur génie propre, de grandes
civilisation orientales avaient préparé le terrain à l’expression iconique. Lorsque cette
dernière surgit, elle influença les grandes religions monothéïstes qu’elle rencontra. Si
Rome, avec ses catacombes, demeure un témoin incontournable de l’itinéraire primitif de
l’art chrétien c’est en Orient qu’il faut chercher les prodromes de cet art. Dès les premiers
siècles du christianisme nous relevons un courant iconophile dans les communautés
juives d’Alexandrie, de Syrie Première et de Syrie Seconde. Plus tard avec la conquête
islamique les dynasties arabes et musulmanes se laissèrent fasciner et influencer par l’art
figuratif chrétien. Nous pouvons repérer dans l’histoire des moments bénis et
civilisateurs sous les Omeyyades en Syrie, les Abbassides en Mésopotamie ou les
Almoravides en Espagne où chrétiens, musulmans et juifs, existaient pacifiquement côte-
à-côte et se laissaient enrichir les uns par les autres, en un formidable croisement
civilisateur.
Nous ne pouvons contempler une icône et l’apprécier à sa juste valeur tout en ignorant
l’environnement culturel prestigieux qui la sous-tend. Pour comprendre l’icône et « lire »
4
A Moïse qui le suppliait : « Laisse-moi voir ta Gloire » Dieu répondit «Tu ne pourras pas voir ma face car
l’homme ne peut me voir et vivre » Exode 33, 18-20
dans ses lignes, ses couleurs, ses symboles il est utile d’entreprendre un itinéraire
initiatique qui mène vers les bas reliefs greco-romains, les frappes sigillaires sassanides,
les portraits mortuaires égyptiens, les représentations funéraires palmyréniennes, les
fresques et les mosaïques juives et islamiques pour arriver aux enluminures judaïques,
selkjoukides, tulunides ou persanes.
Mais par-delà le plaisir esthétique et le surcroit de culture qu’on retirera de cette aventure
il ne faut pas oublier de mentionner un bienfait fondamental qu’elle est appelée à
apporter : manifester ce qui, dans le passé de l’héritage commun, représente aujourd’hui
un message pour l’avenir à savoir comment les cultures se fécondent mutuellement en
sélectionnant le meilleur d’elles-mêmes sans jamais se renier ou se dissoudre les unes
dans les autres, mais contribuant –au contraire- à leur enrichissement mutuel.
On entrera ainsi, esthétiquement et intellectuellement, dans un monde insoupçonné où,
dans l’arrière-fond culturel abyssal , n’existe aucun cloisonnement mais une ouverture
aux dimensions du temps et de l’espace, voire de l’éternité puisqu’il s’agit, pour l’art
sacré, de manifester l’invisible dans son mystère de proximité
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L’art Arabo-chrétien
Avant d’aborder le côté esthétique de l’art arabo-chrétien arrêtons-nous sur une question
de terminologie.
Pourquoi identifier certaines icônes comme étant arabes et l’art dont elles émanent
comme étant « arabo-chrétien » ?