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19 | 2003
Le laocoon : histoire et réception
Wilhelm Vosskamp
Traducteur : Christiane Weidenfeld et Jacques Le Rider
Éditeur
CNRS Éditions
Référence électronique
Wilhelm Vosskamp, « Goethe et le Laocoon. L’inscription de la perception dans la durée », Revue
germanique internationale [En ligne], 19 | 2003, mis en ligne le 20 septembre 2011, consulté le 30
septembre 2016. URL : http://rgi.revues.org/949 ; DOI : 10.4000/rgi.949
WILHELM VOSSKAMP
LA PERCEPTION DU PARTICULIER
ET LA GÉNÉRALITÉ CONCEPTUELLE
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L'essai de Goethe, Sur Laocoon , écrit dans l'année 1797, fait partie des
textes théoriques sur l'art et les média les plus importants du « classicisme
e e 2
réflexif » de la fin du XVIII siècle et du début du X I X siècle . Ce n'est pas
seulement le paradigme de l'art qui devient réflexif à l'époque du classi-
cisme en Allemagne, mais aussi le paragone entre les arts plastiques et la lit-
térature. L'essai de Goethe occupe une position particulière dans la
mesure où ce paragone entre les deux médias différents (l'art figurai et l'art
scriptural) est un sujet qui revêt une importance primordiale dans le pro-
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gramme de l'art classique .o
C o m m e beaucoup de ses contemporains, Goethe a découvert le
groupe du Laocoon dans « la salle des antiques » à Mannheim. Les discus-
sions de Winckelmann, Herder et Lessing sur ce groupe sculpté servent de
base à l'étude « Sur Laocoon », dans laquelle Goethe répond directement
à un article d'Aloys Ludwig Hirt, publié dans la revue Die Horen en juin-
1. V o l . 11 et 12 ( r e p r i n t , D a r m s t a d t , 1959).
2. Cf. Klassik uni Klassizismus, loc. cit. (n. 2 , supra, p . 159), p . 1 2 9 .
3 . H . P f o t e n h a u e r , ibid., p . 6 1 8 .
4 . Ibid., p . 2 6 3 .
5 . É d i t i o n d e F r a n c f o r t , vol. 18, loc. cil. (n. 1, supra, p . 159), p . 4 8 9 .
d'art, toujours infinie pour notre entendement, comme une œuvre de la
nature ». L'arbitraire des mots en tant que « signes » est considéré en ana-
logie avec les signes des arts plastiques, rendus présents par la vision.
Le paradoxe réside dans le fait que Goethe fait parler les objets « indi-
cibles » des arts plastiques dans son essai. La démarcation entre les deux
médias implique le franchissement des limites qui les séparent grâce à une
opération linguistique intermédiale.
Peter Weiss a remarqué, dans son essai Laocoon ou Sur les limites du lan-
gage (1965), que : « L a langue [lui] semble être quelque chose d'impossible
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qui ne peut se déployer que par un défi lancé à cette impossibilité. » En
ce qui concerne la « traduction » de la vision en écriture, il s'agit d'un pro-
cessus de transcription dans le médium de l'écriture. Goethe parle de
« corrélats qui se cherchent en permanence, comme nous pouvons le cons-
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tater dans les tropes et les symboles » Le texte littéraire rend possible de
lire l'œuvre d'art. La lecture observe la manière dont un autre médium
crée des formes.
Voilà pourquoi Goethe, tout attaché qu'il soit à souligner sans cesse la
singularité des arts plastiques comme paradigme de l'art par excellence,
aboutit également à une réévaluation du médium du texte dans son article
Sur Laocoon. La perception sensorielle s'accomplit dans le médium linguis-
tique de constitution et de transmission du sens. La lecture est la condition
de possibilité d'une comparaison des médias artistiques et la condition
nécessaire à la constitution du sens.
Dans la première partie de son essai, Goethe - réagissant directement
à Aloys Hirt - se concentre sur une observation exacte du « corps humain
dans ses parties, ses dimensions, ses finalités intérieures et extérieures, ses
formes et ses mouvements en général » (p. 489). Ce faisant, Goethe se situe
dans la tradition d'observation de l'histoire naturelle et de l'histoire de la
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médecine qui, depuis le milieu du XVIII siècle, est passée d'un mode sta-
tique d'observation des organismes à u n mode dynamique.
La connaissance générale de la nature organique par F « anatomie
comparée » est considérée comme indispensable à la « mise au j o u r dans
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une image idéale » des particularités d'une forme (introduction aux
Propylées).
De cette façon, le discours de cette époque sur le langage du corps, qui
était déterminé au premier chef par la nouvelle anthropologie, entre en
rapport avec les représentations de l' « idéal » classique de l'art. « L'idéal »,
« la grâce » et « la beauté » constituent la triade que Goethe décline, à la
LE MOUVEMENT ET LE REPOS:
LA REPRÉSENTATION DU MOMENT DÉCISIF
Le procédé transformatif de Goethe - de la visibilité à la lisibilité -
peut s'observer le plus précisément dans la relation entre le mouvement et
le repos, entre la temporalité et le m o m e n t décisif. Goethe écrit, dans un
essai publié en 1824-1827 sur Les attraits de l'œuvre d'art plastique :
« Lorsque nous nous observons exactement, nous constatons que les sculptures
nous intéressent principalement en proportion du mouvement qu'elles présentent.
Des figures sculptées au repos nous captivent par leur grande beauté ; dans la
peinture, le même effet est produit par la qualité d'exécution et la splendeur ; mais
le sculpteur finit par recourir au mouvement, comme dans le Laocoon et le groupe
napolitain au taureau - Canova jusqu'à l'anéantissement de Lychas et à
l'écrasement du centaure. [...] Le sommet dans ce genre pourrait bien être le Lao-
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coon, où deux serpents luttent avec trois figures humaines. »