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En définitive, on peut donc dire que ce dont les hommes ont besoin en société,
ce n’est pas d’un surcroît de charité, mais d’une justice satisfaite dans toutes ses
exigences. Il reste certes à définir précisément le concept de justice, c’est-à-dire
principalement le critère de détermination de ce qui est dû à chacun. Et l’on sait
que par-delà l’acceptation du principe « A chacun son dû », diverses conceptions
de la justice sont possibles. Ainsi Marx considère-t-il que la véritable justice ne
sera atteinte que lorsque « la société pourra écrire sur ses drapeaux : “De chacun
selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !”[29] ». Chacune des autres
conceptions (« A chacun selon son travail », « A chacun selon son mérite », et
ainsi de suite) prétend être celle qui explicite le plus justement le principe « A
chacun son dû ». S’il ne s’agit pas ici de prendre position en faveur de l’une ou
de l’autre, remarquons bien que dans toutes, si le principe de justice est
pleinement satisfait, la charité est inutile ou même nuisible. Si l’on considère par
exemple le principe « A chacun selon son travail », il signifie que celui qui ne
travaille pas n’a aucun dû, et que ce serait donc une injustice que de lui faire la
charité. Dans la conception marxienne, la charité n’a pas non plus sa place, mais
pour une raison exactement inverse : Marx se place ici dans la perspective de
l’avènement de la société communiste, ce qui suppose que le travail est devenu
« lui-même le premier besoin vital »[30]. Chacun recevant alors tout ce dont il a
besoin, la charité disparaît d’elle-même, faute de nécessiteux. Et c’est bien là,
selon nous, l’horizon du rapport entre justice et charité : si la justice est satisfaite,
la charité perd toute raison d’être.
Marc Anglaret