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THEèODULFE ET BEéDE

AU SUJET DES BLESSURES DU CHRIST*


Un article récemment publié dans Gesta explore le symbolisme de la mo-

saí̈que absidiale que Théodulfe a placée, au début du ix e


siècle, dans l'ora-

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toire privé qu'il a baˆ ti à Germigny et dédié au Sauveur . L'article utilise un

poème qu'il a composé sous le titre : « Pourquoi les cicatrices de la Passion

du Christ demeurent sur son corps ressuscité? » pour expliquer que la Main

qui descend du ciel entre les teˆ tes des anges représente la main blessée du

Sauveur. Un tiré-à-part de cet article est parvenu à notre ami, George

Brown, de Stanford University, alors qu'il préparait une conférence sur la

manière dont Bède traite les blessures du Christ. Il a immédiatement re-

connu la main de Bède dans les quatre raisons que Théodulfe donne dans

son poème pour expliquer que le Christ conserve ses blessures après la ré-

surrection. Je remercie George de m'avoir autorisé à faire usage de sa dé-

couverte, car la connaissance de la source littéraire jette une lumière sup-

plémentaire sur le choix fait par Théodulfe de ce motif pour sa mosaí̈que.

La première chose à noter est que Bède utilise les meˆ mes raisons à la

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fois dans son Commentaire sur l'évangile de Luc et dans son homélie II,

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9 , ce qui soulève la question : est-ce le commentaire résumant l'homélie

qui a été composée en premier, ou celle-ci a-t-elle développé le commen-

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taire? Mais comme cette question exigerait des recherches plus précises ,

elle ne sera pas traitée ici, bien que, comme nous le verrons, il n'y a pas

de doute que Théodulfe se soit inspiré, pour son poème, non du commen-

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taire, mais de l'homélie de Bède . Il est possible, et peut-eˆ tre probable,

* Je remercie le P. Anselme Davril, de Saint-Benoíˆ t-sur-Loire, qui a traduit en

français l'article rédigé en anglais et les passages latins de Bède. Je dois la traduction

française du poème de Théodulfe, faite déjà il y a plusieurs années, à l'obligeance de

mon ami le P. Adalbert de Vogüé, de la Pierre-qui-Vire.

1. Ann F reeman and Paul M eyvaert , « The Meaning of Theodulf's Apse Mosaic at

Germigny-des-Prés », Gesta 40 (2002) 125-39; sur la main du Sauveur, cf. p. 133-135.

2. Bède , Commentaire sur l'évangile de Luc, CCSL 120, p. 420, l. 2271-2282.

3. Bède , Homélie II, 9, CCSL 122, p. 242, l. 114-139.

4. La solution de cette question demanderait une analyse détaillée de la façon dont

Bède traite tous les versets de Lc 24, 36-47, à la fois dans l'homélie et dans le com-

mentaire. Mais je laisserai cette taˆ che à d'autres.

5. Pour une vue d'ensemble sur les homélies de Bède, cf. George Harding B rown ,
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qu'il ait connu cette homélie par l'intermédiaire de Paul Diacre qui l'a in-

cluse dans l'homéliaire composé pour Charlemagne, dans les années 780,

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comme homélie pour le mardi de Paˆ ques .

`
A un certain endroit de son homélie, Bède assure que les paí̈ens ont ob-

jecté aux chrétiens au sujet de la vérité d'une résurrection générale, que

cette résurrection était difficilement croyable si le Christ lui-meˆ me n'avait

pas été capable de supprimer les blessures qu'il avait reçues durant sa pas-

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sion . C'est à cet endroit que la ligne 66 du poème de Théodulfe emprunte

les mots de Bède. La présentation ci-dessous aide à voir que Théodulfe uti-

lise l'homélie et non le commentaire sur Luc. Il faut remarquer avec quel

soin il calque ses vers sur les mots de Bède dont il utilise parfois quelques-

uns à la lettre.

Bède, In Lucam VI, l. 2259-2272

Sane notandum quod solent in Il faut remarquer que les paí̈ens

hoc loco gentiles calumniam struere ont coutume de faire des calomnies

et fidem speratae a nobis resurrectio- à ce sujet et de se moquer avec un

nis stulta garrulitate deridere. Si sot caquetage de notre foi en la ré-

enim ipse Deus uester, inquiunt, nec surrection. En effet, disent-ils, si vo-

sibi inflicta a Iudaeis uulnera curare tre Dieu lui-meˆ me n'a pas réussi à

praeualuit sed cicatricum uestigia guérir les blessures qui lui furent in-

caelo secum, ut dicitis, inuexit, qua fligées par les Juifs, mais, comme

temeritate putatis eum uestra de vous le díˆ tes, a emporté avec lui au

puluere membra ad integrum esse ciel les traces de ses cicatrices,

restauraturum? Quibus responden- comment avez-vous la témérité de

dum quia Deus noster qui suam per- penser qu'il pourra restaurer inté-

petua iam immortalitate glorifica- gralement vos membres réduits en

Bede the Venerable, Boston, 1987, p. 62-65. Bien qu'il accepte l'opinion que l'Homé-

liaire, comme un tout, date d'environ 730-735, Brown laisse ouverte la possibilité que

certaines pièces puissent appartenir à une période antérieure. Si on peut un jour prou-

ver que l'Hom. II, 9 a précédé le commentaire, elle doit dater d'environ 709-715, dates

limites assignées au Commentaire sur Luc.

6. Cf. Réginald G régoire , « L'Homéliaire de Paul Diacre », dans ses Home´liaires


liturgiques me´die´vaux, Spoleto, 1980, p. 423-4. Dans la seconde partie de l'Homéliaire

de Paul Diacre qui couvre de Paˆ ques à l'Avent, l'Homélie II, 9 de Bède figure comme

n° 10 (p. 45) Item in Feria III Paschalis.


7. Les mots de Bède : solent in hoc loco gentiles calumniam struere, suggèrent qu'il

utilise une source patristique. Une assez large recherche n'a pourtant pas réussi à trou-

ver un texte correspondant. Un passage de l'un des sermons d'Augustin sur le Ps 88

peut pourtant avoir suggéré cela à Bède : In nulla re tam vehementer, tam pertinaciter,
tam obnixe et contentiose contradicitur fidei christianae, sicut de carnis resurrectionem.
(PL 37, col. 1134).
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tam de sepulchro carnem resuscitare poussière? Il faut leur répondre que
quando uoluit et quomodo uoluit, notre Dieu qui a pu ressusciter du
potuit etiam qualem uoluit suscita- tombeau sa chair glorifiée dans une
[ri]. Neque enim consequens est ut immortalité perpétuelle, quand il l'a
qui maiora fecisse probatur minora voulu, et comme il l'a voulu, a pu
facere nequiuerit sed certae dispen- également la ressusciter telle qu'il
sationis gratia qui maius fecit minus l'a voulu. Peu importe donc si celui
facere supersedit, hoc est qui mortis qui a pu faire de grandes choses a
regna destruxit signa mortis oblite- voulu en faire de moindres, mais
rare noluit. par une dispensation de sa graˆ ce,
celui qui a fait plus s'est dispensé
de faire moins, et celui qui a détruit
le règne de la mort n'a pas voulu
supprimer les marques de la mort.
Bède, Homélie II, 9, l. 102-114

Solent autem gentiles hoc in loco Les paí̈ens ont coutume de tendre
simplicitati fidei nostrae deceptio- des pièges à la simplicité de notre foi
num tendere laqueos dicendo : en disant : « Par quelle témérité es-
« Qua temeritate confiditis quia pérez-vous que le Christ soit capable
Christus quem colitis uestra de pu- de rendre incorruptibles vos corps ré-
luere corpora possit incorrupta re- duits en poussière, alors qu'il n'a meˆ -
ducere, qui nec suorum uulnerum, me pas pu effacer les cicatrices qu'il
quae in cruce suscepit, potuit cica- a reçues sur la croix, mais après avoir
trices obducere , sed resuscitato, ressuscité son corps d'entre les morts,
ut dicitis, suo corpore a mortuis, à ce que vous dites, il n'a pas caché
signa adhuc mortis inesse non ce- les traces encore visibles de la mort. »
lauit? » Quibus respondemus quia À ceci nous répondons que le Christ,
Christus, cum omnipotens sit Deus, qui est Dieu tout-puissant, a promis
et nostra, ut promisit, corpora de de ressusciter les corps de la corrup-
corruptione ad incorruptionem, de tion à l'incorruption, de la mort à la
morte ad uitam, de terrae puluere vie, de la poussière de la terre à la
ad caelestem suscitauit gloriam, et gloire du ciel, et il a rappelé à la vie
suum quod moriendo exuerat corpus son propre corps qu'il avait dépouillé
quale uoluit reuocauit ad uitam. en mourant tel qu'il l'a voulu. Et
Quod cum abolitis passionis indiciis alors qu'il aurait pu se montrer à ses
ostendere discipulis posset, certe disciples après avoir aboli les traces
utique dispensationis gratia passio- de sa passion, il est certain qu'il a
nis in eo maluit indicia reseruare. préféré, par une dispensation de sa
graˆ ce, conserver sur lui les traces de
sa passion.
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Théodulfe, Carmen XI, l. 1-10

Namque cicatrices domini pro no- C'est que les cicatrices reçues pour

mine factae le nom du Seigneur

Martyribus sanctis causa decoris Par les saints martyrs, seront

erunt. pour eux une cause d'honneur à la

Sic Phlegetontaeis redit ut saluator résurrection.


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ab umbris , C'est ainsi qu'il revient des ombres

Signa refert eius pes, latus atque du Phlégéton comme Sauveur;

manus. Son pied, son coˆ té, sa main por-

Non quod non poterat cunctas ob- tent des traces.

ducere plagas, Ce n'est pas qu'il ne pouvait effacer

Saepe ut gentilis somniat error toutes ses plaies,

hebes, Comme l'imagine souvent l'erreur

Qui potuit cunctos mortis deuincere stupide des paí̈ens,

casus, Celui qui a pu vaincre tous les

Gesta sed officiis sunt quia plena maux de la mort,

piis. Mais parce que son histoire est

Quattuor ista uehunt celebres mys- remplie d'actes de bonté.

teria causas, Les quatre mystères que voici ap-

Hoc quod uitae auctor stigmata portent des causes patentes

mortis habet. Du fait que l'Auteur de la vie


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porte les stigmates de la mort .

1) Nous rencontrons alors la première des quatre raisons pour lesquelles le

Christ a conservé ses blessures après sa résurrection :

Bède, In Lucam VI, l. 2272-2273

Primo uidelicet ut per haec disci- D'abord pour affermir par ses

pulis fidem suae resurrectionis as- blessures la foi de ses disciples en

trueret. sa résurrection.

Bède, Homélie II, 9, l. 114-119

Primo uidelicet ut discipuli qui D'abord pour que les disciples, en

haec uidebant manifeste possent di- voyant ses blessures, puissent com-

noscere non spiritum sine corpore prendre avec évidence qu'ils ne voy-

sed corpus esse spiritale quod uide- aient pas un esprit sans corps, mais

bant, certamque fidem peractae re- un corps spirituel, et que, dans la

8. Prudentius, Cathem. III, 199 : De Phlegetone... ad superos remeasse deum.


9. Traduction du P. Adalbert de Vogüé, ainsi pour la suite du poème de Théo-

dulfe.
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surrectionis eius certam spem futu- certitude de la foi en la résurrection
rae omnium hominum resurrectionis accomplie en son corps, ils puissent
mundo praedicarent. preˆ cher au monde l'espérance cer-
taine de la résurrection future de
tous les hommes.
Théodulfe, Carmen XI, l. 11-14

Primum ut discipuli corpus, non fla- D'abord il fallait que les disciples
minis auram, sachent bien et se mettent en teˆ te
Se vidisse sciant, cordis et arce Qu'ils avaient vu un corps, non
locent un souffle aérien.
Certa fides ut eos domini surgentis Ainsi seraient-ils pourvus d'une foi
adornet, solide au Seigneur ressuscité,
Spemque resurgendi saecla par Et ils chanteraient l'espérance de
ampla canant. la résurrection au long des siècles.

2) Seconde raison :
Bède, In Lucam VI, l. 2273-2275

deinde ut patri pro nobis suppli- ensuite pour que, suppliant le


cans quale genus mortis pro morta- Père pour nous, il lui montre tou-
lium uita pertulerit semper osten- jours quel genre de mort il a subi
dat; pour la vie des mortels.
Bède, Homélie II, 9, l. 119-127

deinde ut ipse dominus et deus ensuite (il fallait) que notre Dieu
noster Iesus Christus qui in humani- et Seigneur Jésus-Christ lui-meˆ me
tate patrem interpellat pro nobis os- qui, dans son humanité prie son Père
tensis uulnerum suorum cicatricibus pour nous, lui montre les blessures de
quantum pro humana salute labo- ses cicatrices; qu'il lui montre perpé-
rauerit ei perpetuo demonstret mi- tuellement comment il avait souffert
roque et ineffabili nobis ordine eum pour le salut du genre humain, et
qui numquam potest obliuisci qui que, d'une manière admirable et inef-
semper misereri paratus est absque fable, il rappelle à celui qui ne peut
intermissione ammoneat quam iuste jamais oublier et qui est toujours
hominibus misereatur quorum parti- preˆ t à pardonner, combien il est juste
ceps natura doloris et passionis ipse qu'il ait pitié des hommes dont lui, le
filius Dei effectus sit pro quibus ipse Fils de Dieu, a voulu partager la na-
confligens mortis imperium morien- ture dans la douleur et la passion, et
do prostrauerit. pour lesquels lui-meˆ me, subissant
l'empire de la mort, a été terrassé
par la mort.
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Théodulfe, Carmen XI, l. 15-24

Proximum, ut humana pro nobis Ensuite il fallait que, priant pour

sorte precando nous en tant qu'homme

In se demonstret uulnera nostra Il montre à son Père nos blessu-

patri, res en son propre corps,

Quosque sit humana passus pro Et que les tourments subis par lui

gente labores, pour le genre humain

Adsiduo clemens monstret et offi- Soient offerts à la vue par sa clé-

cio, mence en un continuel hommage.

Ut reminiscatur, retinent quem Ainsi Celui que l'oubli n'atteint ja-

obliuia nunquam, mais se souviendrait

Et miserescatur semper id almus Et le saint qui ne cesse d'agir

agens. ainsi obtiendrait la miséricorde.

Admonet instanter, hominum ut Il l'avertit instamment de bien vou-

meminisse per aeuum, loir se souvenir des hommes à tra-

Et misereri almo amore uelit, vers les siècles

Quorum naturae sit consors unica Et de les prendre en pitié sans

proles, cesse dans son saint amour,

Pro quibus et uoluit uulnera tan- Eux dont son Fils unique partage la

ta pati. nature

Et pour lesquels il a voulu subir

de telles blessures.

3) Troisième raison :

Bède, In Lucam VI, l. 2275-2279

tertio ut sua morte redemptis troisièmement, (il fallait) qu'à

quam misericorditer sint adiuti pro- ceux qui ont été rachetés par sa

positis semper eiusdem mortis in- mort il rappelle avec quelle miséri-

nouet indiciis ideoque misericordias corde ils avaient été secourus, en

domini in aeternum cantare non leur montrant toujours les traces de

cessent, sed dicant qui redempti sa propre mort, afin qu'ils ne ces-

sunt a domino quoniam bonus quo- sent jamais de chanter dans l'éter-

niam in aeternum misericordia eius. nité les miséricordes du Seigneur,

mais qu'ils disent, eux qui ont été

rachetés par le Seigneur, combien il

est bon et combien sa miséricorde

est éternelle.
P. MEYVAERT & A. DAVRIL 77

Bède, Homélie II, 9, l. 127-132

tertio ut omnes electi perpetua troisièmement, (il fallait) que


beatitudine suscepti uidentes in tous les élus reçus dans la béatitude
Deo ac domino suo signa passionis éternelle, voyant les marques de la
numquam illi gratias agere desistant passion en leur Dieu et Seigneur,
per cuius mortem se uiuere cognos- ne cessent jamais de rendre graˆ ce à
cant sicque fieri ualeat quod uoce celui dont la mort leur a valu la vie.
totius ecclesiae cantat propheta in Et qu'ainsi soit réalisé ce que le pro-
psalmis : Misericordias tuas domine phète chante dans les psaumes par
in aeternum (Ps. 88,2)
cantabo. la voix de toute l'Église : Je chante-
rai éternellement tes miséricordes,
Seigneur.
Théodulfe, Carmen XI, l. 25-30

Tertio, ut electi desistant reddere En troisième lieu, que les élus ne


numquam cessent jamais
Laudis opus, tua dum, passio, de faire monter leurs louanges, à
signa uident, la vue des marques laissées par toi,
Eius et astra suam cernentes flagra oˆ Passion,
salutem, Car ils voient que les sombres coups
Ad Styga concursus eius ad astra reçus par lui sont leur salut,
suos, Que sa marche vers le Styx est
Eius morte suam pollere per omnia leur propre marche vers les astres,
uitam, Que sa mort leur apporte en tout la
Et tribui spinis aurea serta sibi. vie,
Et que ses épines leur valent des
couronnes d'or.
4) Quatrième raison :
Bède, In Lucam VI, l. 2279-2281

Postremo ut etiam perfidis in iu- Enfin qu'au jugement il montre


dicio quam iuste damnentur ostensa aux perfides combien justement ils
inter alia flagitia etiam uulnerum sont condamnés, en leur faisant
quae ab eis suscepit cicatrice denun- voir, outre leurs autres infamies, les
tiet. cicatrices qu'il a reçues de leur part.
Bède, Homélie II, 9, l. 132-139

Ad extremum ut etiam reprobi in Enfin que meˆ me les réprouvés


iudicio signa eiusdem passionis aspi- voient au jugement les marques de
ciant sicut scriptum est Videbunt sa passion, comme il est écrit :
in Ils

quem transfixerunt(Jo 19,37), ac se verront celui qu'ils , et


ont transperce´
´ ´
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iustissime damnandos intellegant qu'ils comprennent que sont très

non solum hi qui ei impias intulere justement condamnés, non seule-

manus sed et illi qui uel suscepta ment ceux qui ont porté sur lui

eius mysteria pro nihili contemnunt leurs mains impies, mais aussi ceux

uel sibi oblata numquam suscipere qui, ayant reçu ses saints mystères,

curarunt uel etiam maiori impietate les tiennent pour rien, ou qui ont re-

in eis qui susceperant odiis et perse- fusé de les recevoir quand ils leur

cutionibus extinguere aut corrum- étaient offerts, ou qui, par une en-

pere laborant. core plus grande impiété, ont tra-

vaillé à les éteindre ou à les corrom-

pre en ceux qui les avaient reçus.

Théodulfe, Carmen XI, l. 31-46

Quarto, ut extremo reproborum Quatrième raison : pour que, à la fin

hunc tempore cernens des temps, la bande des répouvés

Factio tristetur pressa dolore S'attriste à sa vue et soit prise

graui. d'une douleur aigüe.

´
Ut scriptura canit Quem transfixere Comme le chante l'E criture : Ils ver-

uidebunt (Jo 19,37) ront celui qu'ils ont crucifie´. Et un

Alteriusque loci pagina rursus ait autre passage dit encore :

Omnis cernet eum uisus, quae et turba Tout œil le verra, celui qu'annonce

pupugit, aussi la trompette,

Se et super hunc planget omnis in Et toute tribu à travers le monde se

10
orbe tribus (Ap. 1,7) lamentera à son sujet.

Et se damnandos noscent examine Et ils sauront qu'ils seront condam-

iusto, nés en toute justice,

Proque suis meritis ignea flagra Et qu'ils ont bien mérité de subir

pati. les morsures du feu.

Non haec salua manus quae iniecit Elle ne sera pas sauvée, la foule qui

turba malignas a porté ses mains cruelles

In dominum, seu quae temnere Sur le Seigneur, ou qui aspire à

iussa cupit, rejeter ses ordres,

Aut suscepta premens, aut suscep- Soit en faisant fi de ceux qu'elle a

tare recusans. reçus, soit en refusant de les rece-

Aut in eos, cernit quos retinere, voir,

furens. Soit en s'emportant contre ceux

qu'elle voit les garder.

10. Ap 1,7 : Et uenit cum nubibus, et uidebit eum omnis oculus. Et quieum pupuger-

unt, et plangent se omnes tribus terrae. Bien que Bède ne cite pas ce verset dans son

homélie, il est intéressant de noter que les versets d'ouverture de l'Apocalypse se lisai-

ent dans la liturgie de la période après Paˆ ques.


P. MEYVAERT & A. DAVRIL 79

O crudele nefas hominum, o vesania Oˆ cruelle méchanceté des hommes,


demens, oˆ folie furieuse,
O furor inmanis, o satanile ma- Oˆ raˆge énorme, oˆ mal satanique!
lum! Que Dieu ne soit pas honoré, ou meˆ-
Quod vel non colitur deus, aut quod me qu'on l'honore
crimine grandi En commettant un grand crime,
Impune hoc non est, quin etiam cela ne reste pas impuni.
colitur.

Il est clair que Théodulfe connaissait toute cette homélie de Bède et


nous pouvons soupçonner qu'un passage placé immédiatement avant ce
qu'il a emprunté dans son poème avait particulièrement attiré son atten-
tion. Bède y traite des paroles du Christ à ses apoˆtres : Pourquoi vous trou-

blez-vous et me posez-vous des questions ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est

bien moi (Lc 24,38), et il fait ce commentaire :

Non autem sine causa manus Ce n'est pas sans raison qu'il leur
suas potius ac pedes quam uultum demande de regarder et de recon-
quem aeque nouerant eos uidere ac naíˆ tre ses mains et ses pieds plutoˆt
recognoscere iubet sed ut uisis que son visage qu'ils connaissaient
clauorum signis quibus cruci erat également, mais c'est pour que, en
adfixus non solum corpus esse quod voyant les marques des clous par
uidebant sed ut ipsum domini sui lesquels il avait été fixé à la croix,
corpus esse quod crucifixum noue- ils puissent comprendre que c'était
rant intellegere possent. non seulement un corps qu'ils voy-
aient, mais bien le corps de leur Sei-
gneur qui, ils le savaient, avait été
crucifié.

Bien que Théodulfe n'aurait jamais pu envisager de mettre dans son


11
église une image représentant la figure du Christ, il a pu lui apparaíˆ tre
alors que l'image d'une main blessée serait tout à fait appropriée dans un
édifice dédié au Sauveur de l'humanité. Ainsi, les mots de Bède pourraient
bien avoir contribué à façonner l'image que nous contemplons aujourd'hui
à Germigny, montrant une main blessée descendant du ciel.

Cambridge, MA Paul M eyvaert


et Abbaye de Fleury et Anselme Davril

11. Cf. A. Freeman-P. Meyvaert, « The Meaning », 40 (2001) p. 127, col. B.


Gesta

Sur la main blessée du Sauveur représentée dans la mosaí̈que, cf. p. 133-135. ibid.

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