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Maléfices et superstitions en Provence, au 19e siècle http://balades.contingences.

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Les refusants d’Aigues-Mortes

Pèlerins ou conscrits
préhistoriques dans la vallée des
Masco, matagots, esconjureurs, tempestaïres, revenants, loups-garous et autres êtres mystérieux.
Merveilles
Publié par Christian Bonnet | lundi 16 novembre 2009 | Mis à jour le jeudi 28 novembre 2013
Les trois sorcières de Cassis

Les anciens étaient familiers d’un surnaturel, aujourd’hui délaissé pour notre plus grande quiétude. Les sorcières La galerie de La Madeleine
enmasquaient plantes, bêtes et gens, les morts visitaient les vifs, des esprits humains squattaient des corps animaux, La Marie-Madeleine de la Sainte
des végétaux prenaient les maladies humaines et Satan multipliait ses sabbats de délire. Du moins est-ce que l’on se Baume
racontait et à quoi l’on croyait.
Promenades et rêveries en Saint-
Les folkloristes du 19e siècle nous livrent une vaste moisson de ces croyances partagées par le plus grand nombre. Tout
Barth…
laisse à penser qu’elles viennent, au fil des générations, des débuts de la civilisation agraire. Raison pour laquelle nous
conduirons notre balade à la Vallée des Merveilles, site magico-religieux fréquenté par les paysans du troisième Le balcon de la Sainte-Baume
millénaire avant notre ère. Sur les traces de Saint Eucher

Laurent Jean-Baptiste Bérenger-Féraud* (l’astérisque renvoie en bibliographie), Médecin de Marine et ethnographe Sur le plateau d’Aubrac :
provençal a rassemblé quantité d’histoires de sorcellerie portées par la rumeur, le buzz de l’époque. randonneurs et pèlerins
En voici une, recueillie vers 1880, qui nous entraîne d’entrée de jeu au cœur du processus d’ensorcellement. Le corps de Rossolina

Comment la masco jette un sort

Monstres © Tim Burton

« Dans une bastide située entre la Ciotat et Ceyreste, il y avait la famille d’un capitaine marin, qui vivait dans une
agréable aisance et qui avait, grâce à Dieu, la santé. Chaque fois que le mari revenait de voyage, il apportait à la
maison du sucre, du café, du rhum et d’autres denrées coloniales. Un jour, une gardeuse de moutons, qui passait
habituellement toutes
les années dans les environs en conduisant son troupeau transhumant, dit à la femme du capitaine marin :
« — Vous devriez bien me donner une bouteille de rhum. »
Celle-ci répondit :
« — Nous n’en avons plus. »
La bergère s’en alla en grommelant, et lui dit :
« — Vous vous rappellerez de moi, » sous une forme de menace.
À partir de ce moment, cette femme, qui était grosse et bien portante, se mit
à maigrir et à être malade ; les médecins ne comprenaient rien à son mal et elle
finit par mourir. »

Tous les ingrédients de l’ensorcellement sont réunis dans ce cas dont le folklore international présente des centaines de
variantes. La masco hameçonne sa victime par une menace d’autant plus terrifiante qu’elle est indéterminée : elle vise
peut-être sa santé ou peut-être sa maison ou sa famille ou peut-être ses finances et plus généralement tout ce qui lui
est cher. Et l’ensorcelée se ferre elle-même en attribuant à la masco ses plus prochains ennuis. Toute la magie du
processus se trouve là, explique Jeanne Favret-Saada*, (chapitre I : « La sorcellerie c’est de la parole,… ») :
l’ensorcelée se croyant prise réalise le sort à sa convenance. Si la femme du capitaine marin s’était dit à elle-même
« cette bergère est alcoolique, elle a une folle envie de rhum, d’où sa demande incongrue et sa sortie dépitée », ou si
des proches le lui avaient suggéré, il n’y aurait eu ni sort, ni ensorcellement.
Pour que la sorcellerie fonctionne il suffit que les partenaires se prennent l’un l’autre dans un jeu dramatique qui ne
comporte que deux rôles : sorcier(e) et ensorcelé(e).
L’un jette le mal par des mots, l’autre le souffre en l’attribuant explicitement au premier. L’ensorcelé(e) fait le/la
sorcièr(e) comme le/la dévot(e) fait le/la saint(e).

Les gens qui font du mal


Dans une synthèse de ses observations, Béranger-Ferraud
rend palpable l’omniprésence du monde occulte et de la sorcellerie.

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affaire ne réussit pas, on dit volontiers autour de lui qu’il a été enmasqué. Site réalisé avec SPIP | Squelette BeeSpip
Et, d’ailleurs, il n’y a pas que les êtres humains qui peuvent subir ce maléfice, les animaux domestiques, les aliments,
les objets à usage, la terre, les récoltes, tout enfin peut avoir à pâtir du mauvais sort jeté par une masque. On croit
donc aux masques sur une vaste échelle, en Provence ; ce mot est prononcé, à chaque instant, dans la conversation
des bonnes femmes, et, en réalité, le nombre de ceux qui ont cette superstition est grand dans le pays.
Mais ce qu’il y a de curieux, c’est que malgré la croyance très répandue, malgré la crainte très accentuée des
Provençaux pour les masques, il n’est pas bien commode de spécifier ce que sont ces entités de l’imagination.
En effet, quand on demande aux bonnes gens du pays : Qu’est-ce que c’est qu’une masque ? — Que font les masques ?
— Qu’est-ce qui les caractérise ? Il vous est répondu invariablement : "Sount dè gens qué fan de maou", sans qu’il soit
possible, le plus souvent, d’obtenir quelque chose de plus précis. » (Superstitions et survivances… t.5)

« Des gens qui font du mal. » La définition paraît claire, aujourd’hui. Sorciers et sorcières sont ceux à qui le malheur est
attribué. Non pas la cause du mal comme le cholestérol est la cause de l’infarctus, mais des prescripteurs de malheur.
Pourquoi Béranger-Féraud ne l’entend-il pas ?

L.J.-B. Bérenger-Féraud, un homme de son temps


En bon rationaliste du 19e siècle, Bérenger-Féraud ne retient que la causalité physique et renvoie tout le reste au rebut
des « superstitions » ou des « survivances » pré-scientifiques, deux termes qui intitulent son ouvrage majeur, en cinq
volumes, paru en 1896 : Superstitions et survivances étudiées du point de vue de leur origine et de leurs
transformations.

Médecin de Marine, issu d’une vieille famille de propriétaires terriens, un fossé culturel et social le sépare de ceux qu’il
nomme : les « classes inférieures », le « vulgaire », les « bonnes femmes » etc.. Mais il ne faut pas se formaliser de ce
vocabulaire d’époque. Il a été élevé parmi eux, parle le Provençal et s’inquiète pour eux et pour lui. La « race
provençale » dont il se réclame hautement, serait-elle « arriérée » c’est-à-dire en retard sur les progrès scientifiques et
techniques de l’époque ?
En guise de consolation, il trouve l’origine des croyances provençales chez des auteurs du Moyen-Âge et de l’Antiquité,
suivant en cela la pente du félibrige. Mais il faut saluer la belle liberté intellectuelle de notre ethnologue lorsqu’il
rapproche les croyances recueillies chez lui de celles qu’il découvre en Afrique noire et en Tunisie, à l’occasion de ses
affectations. Distinguer les « races » ne lui interdit pas de les rapprocher.

L.J.-B. Bérenger-Féraud est né trop tôt. Tandis qu’il préparait la publication de ses « Superstitions et survivances… »,
une équipe de neurologues emmenée par Charcot à l’hôpital de La Salpétrière, décrivait et tentait de traiter des troubles
organiques dépourvus de lésion physique. Un jeune tchèque, biologiste de formation et neurologue, puisa dans les
enseignements de Charcot les prémisses de sa « psychanalyse » : Sigmund Freud.
Ce nouveau champ thérapeutique et théorique centré sur la parole se propagea alors que L.J.-B. Bérenger-Féraud
atteignait la fin de sa vie (†1900). Pourtant ses observations ne manquaient pas de pertinence :
« … on voit que le métier de la masque de nos jours, ne diffère guère de celui des oracles des temps passés ; il consiste
à faire une réponse vague que la croyance du vulgaire écoute avec une religieuse terreur, sans s’apercevoir jamais
qu’elle a été dupée par un habile, ou par elle-même. »

Cet hommage rendu à un homme trop méconnu chez lui, faisons connaissance avec ses masco, matagots,
tempestaïres, revenants et autres êtres mystérieux de Provence. Claude Seignolle* et Éloïse Mozzani* lui apporteront
quelques renforts.

"Le sorcier" - Vallée des Merveilles


Cette gravure représente pro bablement une
divinité.

1- Ceux qui lèvent le téter aux enfants

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Une femme qui donne le sein à son enfant, doit éviter soigneusement de se laisser voir et, surtout, doit prendre garde
de s’extasier sur le bon appétit de son nourrisson, lorsque quelque sorcier se trouve dans ses environs. C’est, qu’en
effet, un sorcier pourrait, dans ce cas, prononcer quelques paroles magiques, et lever le téter à l’enfant ; ce qui serait
un grand malheur, dans la très grande majorité des cas ; car on n’est jamais certain, quand un enfant se trouve dans
ces conditions, qu’on puisse lui rendre le téter par des « esconjurations ».

La conséquence de cette croyance aux mauvais sorts jetés sur les enfants, était, naturellement, la recherche des
moyens de combattre l’action des masques ; et maints moyens ont été recommandés, dans cet ordre d’idées. Ces
moyens sont très variés, comme on le devine bien. Ainsi, par exemple, un excellent moyen de détruire la puissance des
masques, c’est de faire dire les évangiles sur la tête de l’enfant. Je n’ai pas à insister sur le modus faciendi de cette
opération qui se fait à l’église, par l’intermédiaire d’un prêtre, et qui, toute gratuite qu’elle soit en apparence, entraîne la
mise au bassin de quelques sous, ainsi que la dépense d’un cierge brûlant en l’honneur d’une des puissances du
Paradis.
Le sel marin, joue aussi ici, le rôle efficace qu’on lui attribue dans un nombre immense de cas ; un grain de sel placé
dans les langes de l’enfant rend stériles les efforts des masques.
Pour éviter les mauvais sorts, il faut veiller, aussi, à ce que le maire et le curé écrivent le nom de l’enfant sur les
registres de la naissance et du baptême, d’une manière parfaitement correcte. La moindre erreur dans les noms et
prénoms, fait courir un danger considérable sous ce rapport, disent les bonnes femmes.
La femme qui veut éviter que son enfant subisse l’action des masques, doit avoir bien soin de lui cacher les pieds,
quand elle le met au sein. Cette pratique se rapproche de celle qui défend de dire le nom ou l’âge de l’enfant devant les
étrangers qu’on ne connaît pas.
(BF)

2 - La masque qui prend l’apparence d’une bête

Dans le village du Ceyreste, près de la Ciotat, il y avait une femme dont les enfants étaient
toujours malades ; lorsque l’aîné se relevait, le plus petit retombait ; bref, cette femme
était désolée ; elle ne savait à quoi attribuer ses ennuis.
Une de ses voisines, lui dit, un jour :
— Tenez, je suis convaincue que c’est votre belle-mère qui nuit à la santé de vos enfants ;
elle doit être Masque.
Cette femme en parla à son mari ; et tous deux résolurent d’exercer une surveillance
exacte autour de leurs enfants, pour savoir si, réellement, leur maladie était due à une
mauvaise influence.
Or, voilà qu’une nuit, pendant qu’ils guettaient sans en avoir l’air, ils virent tout à coup une bête qui s’approche tout
doucement et sans bruit du berceau d’un des enfants. Le mari, qui avait un bâton à sa portée, lance un vigoureux coup
sur cette bête, un chat noir, pense-t-on, pour l’assommer. Mais le coup ne porta pas suffisamment bien ; il ne fit
qu’écraser les cinq doigts de l’animal malfaisant,
qui se sauva et disparut.
Le lendemain, ni le surlendemain, ils ne voient pas venir la vieille belle-mère, qui, d’habitude, venait chaque jour
s’enquérir de l’état de santé de ses petits-fils.
La voisine leur dit alors :
« — Cela cache quelque chose ; allez donc voir pourquoi elle ne vient pas. »
Le mari suivit ce conseil et alla voir sa mère qu’il trouva avec la main empaquetée et d’une mauvaise humeur extrême ;
il n’eut pas l’air de s’apercevoir de sa blessure, et lui dit, avec l’accent le plus naturel du monde :
— Je suis venu voir pourquoi vous n’êtes plus venue à la maison.
— Que veux-tu que j’aille faire chez toi, lui répondit-elle, très aigrement, regarde dans quel état j’ai mes doigts ; si au
lieu d’un bâton, j’avais été frappée avec une hache, mes cinq doigts auraient été coupés.
(BF)

Notre contemporain, Claude Lecouteux*, analysant des sources germano-scandinaves plus


fournies et plus explicites que celles du monde gréco-latin, démontre l’universalité de la
croyance en un avatar de chaque individu, qu’il nomme son « Double ».
Du corps abandonné en catatonie, le Double se sépare sous une forme animale variable –
insecte, lézard, chat, loup, cheval ou autre – et s’en va… courir le garou.
Si, au cours de ses aventures exotiques, le Double est blessé, le corps humain en porte la
trace. Vous aurez reconnu la mésaventure de la belle-mère-masque ci dessus, et vous
apprécierez l’expertise de la voisine démasquaïre.
Autre mésaventure possible : si le corps catatonique est déplacé ou simplement retourné face contre terre, le Double ne
peut plus réintégrer son enveloppe charnelle. Il est alors condamné à finir ses jours sous la forme animale adoptée au
départ de sa course. Telle fut la mésaventure du chat matagot présenté au § 18. (Sa maîtresse l’a compris, son
comportement révérencieux le prouve.)

3 - La noueuse d’aiguillette de Toulon.

On m’a raconté, vers 1860, qu’une vieille femme, bien connue dans le quartier du cours Lafayette, appelé le Pavé
d’Amour, avait l’habitude d’aller à toutes les messes de mariage des personnes qu’elle connaissait. Or, quand elle
parvenait à bien dévisager les nouveaux mariés au moment où ils approchaient de l’autel, elle leur nouait l’aiguillette
par ses incantations ; et les infortunés passaient parfois de longues semaines sous la maligne influence.
(BF)

L’aiguillette désignait le lacet qui fermait la braguette.


Magiquement nouée, elle rendait inopérant le membre qu’elle enfermait. Sort des plus redoutés. Pierre de Soriac, le

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héros de Robert Merle dans Fortune de France, en est victime au cours de ses aventures mais
les charmes d’une dame aussi jolie qu’astucieuse l’en délivrent.
_

4 — La mort de la sorcière

Il y a deux ans que dans un hameau entre Orcière et Champoléon dans les Hautes-Alpes, on
laissa mourir presque sans secours une mendiante réputée sorcière. Restée sans asile, elle se
réfugia, malade, dans le four du lieu. On ne lui présentait des aliments qu’au bout d’une
fourche parce qu’il est constant qu’un sorcier transmet son art diabolique à la dernière personne qu’il touche avant
d’expirer.
(CS, 255, rapportant les propos du baron de Ladoucette, préfet des Hautes-Alpes de 1802 à 1809.)

5 — La sorcière qui fait pleuvoir le jour de la lessive

On m’a raconté, en 1888, qu’il a y avait, dans le Plan-de-la-Garde près de Toulon, une vieille paysanne qui se
complaisait à savoir quand ses voisines devaient couler la lessive. Quand elle avait pu se procurer ce renseignement,
elle faisait des incantations magiques et, juste au moment où il aurait fallu du beau temps pour sécher le linge lessivé,
on voyait survenir une série de jours pluvieux qui le faisaient pourrir.
(BF)

6 — Le sorcier qui fait pleuvoir le jour où l’on va au Mai

Un retraité de la Marine habitant le vieux quartier de Toulon avait, vers 1883, la réputation de faire survenir un orage,
juste le jour où ses amis allaient en pèlerinage à Notre-Dame-du-Mai, sur la montagne de Sicié. C’est au point que,
dans le quartier, on lui cachait avec le plus grand soin les projets de pèlerinage qu’on faisait en famille, soit dans un but
dévotieux, soit pour aller seulement passer une journée à se divertir dans la campagne.
(BF)

7 — Le sorcier qui fait pourrir les graines que l’on sème.

Dans les environs d’Ollioules, il y avait, vers 1875, un vieux sorcier, auquel on cachait avec soin le moment où l’on
comptait semer des haricots ou des pois ; car, disait-on, il faisait alors, aussitôt après la semaille, survenir une série
d’ondées qui détrempaient la terre outre mesure et faisaient pourrir les graines confiées à la terre.
(BF)

8 - Le sorcier qui fait éclater l’orage chez le voisin

Dans le village de Rougiers, près de Saint-Maximim, il y avait, me disait-on, un vieux paysan qui habitait une bastide
assez éloignée du bourg et placée sur un côteau près de la montagne.
Toutes les fois qu’un orage se préparait du côté de la Sainte-Baume ou de la montagne qui surmonte la
Roquebrussanne, s’il pouvait voir les nuages à temps, il leur disait quelques paroles cachées. Aussitôt, on voyait ces
nuages tourner dans le ciel, comme s’ils étaient repoussés par une force supérieure et l’orage s’en allait éclater çà ou là,
mais toujours à une certaine distance de la propriété du sorcier. Le plus souvent, lorsqu’il éclatait sur le territoire de
Rougiers, c’était la propriété de quelqu’un qui ne voulait pas de bien au sorcier qui écopait de sorte que personne
n’osait lui faire mauvaise mine.
(BF)

Le retraité de marine de Toulon et la paysanne de La Garde connaissaient-ils les pouvoirs que


la rumeur leur attribuait ?
Probablement pas. Cette mauvaise réputation aurait pourtant suffit, du 15e au 17e siècles, à
les trainer devant les tribunaux au motif de sorcellerie, comme l’ont été les trois
malheureuses brûlées à Cassis en 1614.
Les deux autres sorciers au contraire, semblent assumer leur réputation et se protègent de la
délation par la crainte qu’ils inspirent.

9 — Un bon sorcier

Le sorcier Pipète qui vivait à Domme, dans la Dordogne, au début de ce siècle, connaissait le secret de l’émigration de
la maladie en d’autres êtres et guerrissait la fièvre des marais. Le client soufflait dans un mouchoir ou une boîte en
carton et déposait avec cette expiration viciée le principe du mal. Pipète portait sur la route l’objet qui, ramassé par un

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cupide passait la fièvre à son nouveau détenteur. L’ami de Pipète était gueri. Parfois au lieu de semer la fièvre sous les
pas des piétons, Pipète accrochait le mouchoir ou la boite aux branches d’un arbre et l’arbre dépérissait. […]
( CS, 226, Périgord vers 1900)

10 — Curés esconjureurs

Pour cause de proximité professionnelle avec le Diable et le Bon Dieu, les curés de village sont
souvent mentionnés par les informateurs de Claude Seignolle et Béranger-Feraud. L’extrême
variété des modes opératoires laisse deviner la solitude de ces prêtres face à la demande
pressante de leurs paroissiens.
Pour esconjurer l’orage ou la grêle par exemple, tel curé entre en transe comme un chaman ;
tel autre au contraire, cadenassé dans une liturgie classique, invite la population à une
bénédiction du Saint Sacrement. Revient fréquemment la figure du curé colérique qui
invective les nuées menaçantes et s’emporte jusqu’à leur jeter souliers et bonnet. Lesquels
disparaissent à jamais dans les nuées.
Aux yeux des paroissiens, peu importe la méthode du moment qu’elle marche. Lorsqu’un nouvel officiant leur est
affecté, leur seule inquiétude porte sur le poudé : l’a ou l’a pas ? Et le pouvoir, le malheureux a tout intérêt à l’avoir.
Faute de quoi ses paroissiens ne seraient pas plus tendres avec lui qu’avec les saints locaux qu’ils n’hésitent pas à
invectiver ou fouetter aux orties lorsqu’ils tardent à rendre le service attendu.

11 — Démascaïres

Au cours d’une assemblée de paysans et de bergers, dans le Haut-Var, on vit un pâtre demascaire recevoir une raclée
de la part d’un masc, qui, se sentant sans cesse contrecarré par lui, lui avait voué une haine terrible. Tout le monde
était assis à table, on devisait de choses et d’autres, calmement. Soudain l’assistance, atterrée et médusée, vit le
visage du démasqueur se couvrir de coups, ses vêtments se déchirer sans que le masc qui était en face de lui ne
bougeat et que lui, qui recevait les coups, ne fit un mouvement.
(CS, 350, Provence)

12 — Gens avertis : le sel dans la robe de la mariée

On dit, en Provence, qu’un excellent moyen pour empêcher les sorciers de nouer l’aiguillette aux nouveaux mariés
consiste dans le placement d’un petit paquet de sel, dans l’ourlet de la robe de l’épousée.
Cette croyance est si généralement répandue que, dans la ville de Toulon, une des plus grandes couturières place, à
l’heure qu’il est, encore avec le plus grand soin, un peu de sel dans toutes les robes de noces qui lui sont commandées.
Je suis convaincu que toutes les autres couturières de Toulon en font autant. Or, si pareille croyance existe encore dans
une ville de cent mille âmes, ne doit-elle pas se rencontrer dans les centres de population moins importants ?
(BF)

13 — Pour nuire à une personne

Lorsqu’on veut nuire à une personne, on prend une graine de fève de marais bien sèche, on va à l’église et on dit une
prière de malédiction contre cette personne ; puis on jette cette graine dans l’huile de la lampe qui brûle auprès de
l’autel.
Lorsque la graine commence à gonfler, le malheureux tombe malade ; et le jour où elle se fend, l’individu crève comme
un chien, sans qu’aucun remède ait pu être opposé à sa maladie magique.
(BF)

La fève est l’une des plantes magiques les plus anciennement connues. Pline la cite. Le
maléfice décrit ci-dessus était si fréquemment utilisé à certaines époques, que le clergé
retirait les lampes à huiles de la niche des saints.

14 — Pour propager le choléra

Un vieux paysan racontait à un de mes amis qu’en 1855, habitant la petite ville d’Aups, au
nord du département du Var, il avait rencontré sur la route, un soir, en revenant des champs,
un homme qui avait mauvaise mine, et qui portait une maigre besace sur le dos.
Quand la nuit fut close, ce paysan ayant eu, par aventure, besoin de sortir
de chez lui, vit la silhouette de cet étranger, se détachant sur le ciel, à l’endroit
culminant de la ville. Le sorcier, car c’en était un, regarda longuement à droite,
à gauche, devant et derrière lui ; puis, tout à coup, plongeant la main dans sa
besace, il fit le simulacre de semer quelque chose dans la direction des quatre
points cardinaux. Le lendemain matin, ajoutait le paysan, quatre habitants
d’Aups avaient déjà succombé au choléra ; et dès ce jour-là, l’épidémie fut déclarée

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dans le pays.
Je connais une dizaine d’éditions, absolument semblables ou peu différentes,
de cette aventure, pour diverses localités de la Provence.
(BF)

15 — Pour se faire aimer

En Dauphiné, pour se faire aimer quand on est garçon, le plus simple, au Villard-de-Lans, est de se rouler nu dans la
rosée de la nuit du 30 avril au 1er Mai.
Aux filles, il leur suffit de faire boire à celui dont elles veulent se faire aimer, quelques gouttes du sang de leurs règles
dans du vin et du café ; le garçon ne peut plus « se détacher ». […]
(CS, 381, Dauphiné)

16 — Pour se procurer de l’argent facilement

Pendant la veillée, on entend dire souvent, en Provence, qu’il y a un moyen très commode de se procurer de l’argent :
c’est de prendre une poule noire, mais absolument noire, sans qu’elle ait une seule plume blanche. Quand on s’en est
muni, il faut aller dans un carrefour où se croisent quatre chemins ; là, on trace un cercle sur la poussière et on se place
au centre de ce cercle, sans en sortir, sous aucun prétexte.
À minuit précis, on voit passer un cavalier noir, enveloppé dans un manteau
noir, et monté sur un cheval également noir. On lui jette la poule en lui criant :
« — Argent de ma poule noire ! »
Le cavalier attrape la poule au vol, et vous envoie, en retour, une bourse pleine
d’argent, qui tombe en dehors du cercle. Si la cupidité vous fait quitter votre
place, le diable, car c’est lui, vous saisit et vous emporte. Mais si vous avez la
patience d’attendre le premier chant du coq, vous pouvez alors aller chercher la bourse et vous en retourner, chez vous,
sans rien craindre.
(BF)

17 — Pouvoirs secrets des simples

Photo C. Mestre

On en trouvera de nombreux exemples dans le Dictionnaire des superstitions*, dont voici quelques extraits.
• La cynoglosse, placée sous le pied, dans la chaussure, fait taire les chiens méchants et les personnes médisantes.
Ndlr : Les médisants sont certainement les plus redoutables. Aux temps des chasses aux sorcières, une mauvaise
réputation rapportée à un officier de justice ou un inquisiteur, suffisait à vous mener au bûcher.

• La cuscute, instrument de divination amoureuse. Arracher le pied de cuscute et le jeter par-dessus son épaule, au
hasard. Si la cuscute reprend vie c’est que l’on est aimé en retour. (Ndlr : la cuscute est increvable.)
• La fève, symboliquement liée au processus vital chez les anciens Égyptiens et les Grecs, était interdite à la
consommation par les pythagoriciens.
• La rhubarbe chasse la colère, agit contre le venin des serpents, assure la fidélité du conjoint régalé de tartes à —.
• L’héliotrope, placé sous l’oreiller, favorise les rêves prémonitoires et, en cas de vol, permet de voir en songe le voleur ;
en occitanie il est souverain contre les verrues parce qu’il en porte le nom : berrugo ou varujo selon les parler. (Cette
médecine par l’homophonie est développée dans l’article Saint Transi ou Transit et la médecine des saints.
• Le millefeuille, entr’autres vertus, arrête les sorts si l’on réussit — c’est là le hic — à le faire toucher par un prêtre
dans l’octave de la Fête-Dieu.

Ce qui rendait dangereuse la vie des phytothérapeutes c’est que le distinguo entre les
propriétés physiques des plantes et leurs vertus magiques n’avait pas cours. D’où l’on
concluait fort logiquement, que s’ils pouvaient faire le bien magiquement, ils pouvaient tout
autant faire le mal. Les saints de la santé eux-mêmes, bien qu’en paradis, n’échappaient pas
à cette suspicion.
De plus, il n’est pas aisé de distinguer les propriétés de ces plantes. La datura stramoine
ou herbe aux sorciers (p. 571) ne se contente pas de provoquer des visions ; très toxique, elle
peut aussi entraîner la mort.
L’ergot de seigle, une moisissure qui se développe sur le
pain
provoque des hallucinations effrayantes, fréquemment attribuées à une possession diabolique. Ce fut probablement le
cas des célèbres Sorcières de Salem en 1692 dont s’inspira Arthur Miller, pour composer une pièce de théâtre dans
laquelle l’affaire est présentée comme une allégorie du maccarthysme, autre chasse aux sorcières de l’immédiat après-
guerre. On pourrait aussi évoquer
l’affaire du pain maudit
à Pont-Saint-Esprit, en 1951.

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Il faudrait parler ici des « esprits familiers » qui peuplaient les fermes. Ce serait trop long, on
se reportera à C. Seignolles. Disons seulement que, comme leur nom l’indique, ils étaient bien
intégrés à la communauté familiale malgré leur penchant aux farces. Lorsque l’on voulait s’en
débarrasser, on les piégeait par leur manie rangeuse. Il suffisait de répandre sur le plancher
des lentilles de diverses couleurs pour qu’ils s’échinent à les trier et plus, à les compter. Le
jour se levait avant que la tâche ne soit achevée et l’esprit, écœuré, quittait les lieux pour n’y
plus revenir.

On recourait rarement à cette expulsion car la place vacante était bientôt occupée par un
autre esprit. Et chacun sait que, si l’on connaît ce que l’on perd, on ne sait rien de ce que l’on gagnera.

Il y avait aussi les ametto, les petites âmes des nourrissons morts avant baptême, pour qui les enfants survivants
laissaient un peu du gâteau de Noël sur la table familiale. (Voir Saint Transi, § Des bébés morts-nés)

18 — Le matagot

Un habitant de Toulon, me racontait, vers 1875, qu’une de ses amies possédait un chat sorcier. Ce chat écoutait, le
soir, la conversation pendant la veillée ; et, lorsque le sujet l’intéressait, il disait son opinion d’un mot, qui,
généralement, terminait la discussion. Quand la maîtresse de ce chat projetait de faire quelque chose, elle le consultait,
lui exposant les raisons qui la poussaient vers telle ou telle solution ; après avoir bien écouté le pour et le contre, le
chat répondait par oui ou par non, si ce qui était été projeté devait être accompli.
Ce chat parlait, aussi, pour demander qu’on lui achetât, soit du poisson, soit
de la viande, et il savait dire, sur un ton de mépris :
« — Es qué dé poutigne ! [1] » ou bien « — Es qué dé léon ! » quand on ne lui apportait pas du poisson ou de la viande
de choix.
De temps en temps, ce chat disparaissait pendant quelques jours et on était
convaincu, dans la maison, qu’il prenait une forme humaine pendant ses absences ; il parlait, d’ailleurs, avant de partir
et en revenant.
Quand ce chat fut sur le point de mourir, il manifesta le désir de ne pas être
jeté à la voirie :
« — Mi jittès pas oou vallat, [2] » dit-il à sa maîtresse, sur le ton de la prière.
Elle lui promit des funérailles convenables ; et, en effet, on enferma son cadavre
dans une boîte qu’on alla enterrer derrière le mur du cimetière. On n’aurait
pas osé l’ensevelir dans la fosse où étaient les humains, parce que c’était une bête,
mais on voulut le mettre au voisinage de la tombe des chrétiens. L’inhumation se
fit même en recommandant l’âme de ce chat au Créateur.
(BF)

19 – Les âmes du Purgatoire

La prière pour les âmes du Purgatoire était une dévotion très populaire. En témoigne la peinture murale ci-dessous,
ornant une pauvre maison de village dans le Piémont.

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Prière pour les âmes du Purgatoire


Pho to Catherine
Mestre. Tallo rno , 2008.

En bas, les âmes en purgation. En haut, le paradis.


Entre les deux, le prône. Il se lit dans le sens indiqué par l’ecclésiastique, soit de droite à gauche pour le spectateur : 1)
La prière du vivant « purge » l’âme du mort ; 2) St Michel archange, peseur d’âmes (muni d’une balance) en prend acte
et lève la main ; 3) à ce signal, St Gabriel archange, passeur d’âmes, tire l’élu par le bras, l’extrait du Purgatoire.

Cette dévotion demeure l’un des fondamentaux de la théologie catholique. [3]. Tout laisse donc penser que le récit
ci-dessous ait été entendu en chaire.

« Une femme d’Éourres, dans les Hautes-Alpes, allait tous les soirs et de nuit, passer la veillée dans une ferme amie et
devait pour cela traverser des bois épais. Deux jeunes gens de 18 ans lui ayant demandé si elle n’avait pas peur, elle
leur répondit : « Non, je dis mon chapelet et je demande aux âmes du Purgatoire de me garder. » Les deux jeunes
allèrent se cacher dans un buisson sur le trajet de la vieille femme pour lui faire peur. Bientôt, elle apparut au tournant
en psalmodiant son chapelet… mais les deux jeunes, épouvantés, aperçurent, devant et derrière elle, l’encadrant
parfaitement, de nombreuses personnes habillées de blanc. »
(CS, 490, Provence)

Telle que rapportée par Claude Seignolle, l’histoire édifiante probablement entendue de la
bouche du curé, est totalement vidée de son contenu théologique et ramené à une histoire de
revenants.
On pourrait parler de détournement de la signification voulue par l’Église si l’origine de ce
thème ne se trouvait dans la culture populaire, antérieurement à l’invention du Purgatoire au
13e siècle. Le cheminement serait plus probablement un retour à la signification initiale :
revenant de la culture populaire > âme du Purgatoire > revenant de nouveau.

20 — Le loup-garou de Brignoles

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Gravure du 18e siècle


So urce : w ikipédia

En 1893, la ville de Brignoles fut très émotionnée par des apparitions d’un loup-garou. On m’a raconté que le Procureur
de la République fit appeler un habitant du pays et lui dit :
« Si on voit encore une seule fois le loup-garou, je vous fais arrêter. »
À partir de ce moment, on ne vit ni entendit plus rien d’insolite. Ce qui explique la nature de l’apparition d’une manière
suffisante.
(BF)

21 — Le sabbat en Provence

À l’heure de minuit, on voit, tout à coup, dans certains carrefours, des petites
lumières qui apparaissent et des animaux de formes diverses qui s’agitent dans
l’ombre ; de temps en temps, on voit s’abattre dans le voisinage un oiseau de nuit
qui se transforme tout à coup en individu de l’espèce humaine. On voit aussi
arriver des hommes et des femmes nus, ou plus ou moins vêtus, chevauchant à
travers les airs sur des balais, des bâtons, des fagots de sarments ou des oiseaux
de nuit.
Des sorciers qui viennent au sabbat, se réunissent, parlent avec des cochons,
des chiens, des chats, des loups, des crapauds, qui ne sont autre chose que d’autres
sorciers ; et, chose curieuse, ces individus divers prennent successivement les formes
les plus différentes.
À un moment donné, il se fait un grand silence ; on voit arriver le diable sous
la figure d’un bouc, d’un chien, d’un porc, ou d’un homme.
Le détail de la figure humaine placée sous sa queue est toujours signalé. Tout
le monde s’incline ; et les favorisés sont admis à baiser la bouche de la face postérieure
du diable. Une messe diabolique est célébrée par le diable, puis un festin
de cervelles, de coeurs, d’intestins de victimes humaines, est dévoré en orgie.
Les maladies mortelles, que les sorciers donnent aux pauvres gens qui les entourent
dans la vie ordinaire, sont engendrées pour fournir les victuailles du
sabbat.
Après le festin, il y a une danse diabolique, une promiscuité horrible des âges,
des sexes, etc. Le diable se repaît de toutes les femmes et filles qui lui plaisent ;
puis il prend congé de l’assemblée en la bénissant par une aspersion d’urine ; et,
au premier chant du coq, tout le sabbat s’évanouit, sans laisser de traces.
(BF)

22 — Méfiez-vous de la jolie masco

C’est une histoire à faire peur que B. F. nous livre maintenant. Construite comme un conte en
dessus (sopra) / dessous (souto), elle devait se raconter à la veillée. Elle dévoile néanmoins
tout le détail des préparatifs des sorcières se rendant au sabat, tels que les décrivaient les
démonologues des 15e – 16e siècles.
Méfiez-vous de la
jolie sorcière
Laurent Jean-Baptiste
Bérenger-Féraud

D’avoir parcouru le champ des « superstitions » [4] de nos anciens nous rapproche des protagonistes de l’affaire des
trois sorcières de Cassis. Nous pouvons maintenant dire clairement ce qui n’était qu’évoqué dans la représentation
théatrale.

Le fantastique de nos anciens n’était pas au cinéma ou dans les livres, mais dans leur tête. Il leur venait à l’esprit à
chaque évènement du jour et de la nuit : un orage, un cauchemar ou un rêve jouissif, la maladie, un animal vaguant,
un inconnu, le voisin qui vous envie, tout enfin était vécu comme une manifestation du monde occulte.
Pas aussi « arriérés » que ne le craignait Béranger-Ferraud, ils n’y croyaient pas sans quelques réserves, mais quand
même, c’est ainsi qu’ils expliquaient leur monde et espéraient éviter le malheur. C’est pourquoi les croyances que nous
qualifions de « superstitieuses » se transmettaient au fil des générations, quoi qu’en aient gens d’Église, lettrés et
puissants.

La transmission familiale et sociétale est proprement irrépressible, on le redécouvre aujourd’hui avec l’internet. On ne
s’étonnera donc pas d’apprendre que les « superstitions » prennent leur premières attaches à l’aube de l’histoire (des
auteurs de l’antiquité gréco-romaine en attestent : Pline l’Ancien, Théophraste, Diodore de Sicile, …). Il est aujourd’hui

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admis qu’elles charriaient des éléments des premières religions, apparues plusieurs siècles,
si ce n’est plusieurs millénaires, avant notre ère. Les roches du Valcamonica et de la Vallée
des Merveilles conservent la trace de ces lointaines origines.
On ne s’étonnera pas non plus de les retrouver au 19e siècle, quasiment indemnes d’une
longue et sévère répression. D’ailleurs, à l’heure actuelle, elles poursuivent leur cours dans
quelques terroirs… Et des têtes plus nombreuses que l’on ne croit.

L’Église ne se trompait donc pas d’adversaire en combattant cette « religion populaire » [5]
qui détournait ses sacrements et ses fidèles. Lorsqu’il nous rapporte les précautions à
prendre lors du baptême, Béranger-Ferraud illustre le traitement « superstitieux » de ce
Valcam onica
sacrement crucial. Le voici traité comme un secret de magie blanche : la forme prime la
The bo ulder Bagno lo 1
co nserved in Natio nal signification. Les bandits Corses, chrétiens sincères par ailleurs, ne connaissaient pas de
Engravings Park,
meilleur talisman contre la mort violente que l’hostie consacrée, dérobée et portée à même
Naquane, Capo di Po nte
(BS) - (pho to CCSP, by la peau. On pourrait multiplier les exemples.
ANATI 1982)
On comprend donc, même si on ne l’admet pas, que la papauté ait voulu imposer son pré
carré spirituel ; que la royauté, légitimée par le Dieu de l’Église, lui ait apporté son concours, on le comprend aussi.
Ce qui intrigue et épouvante c’est le processus intellectuel sous-jacent à la répression de la religion populaire. Étalé sur
plusieurs siècles, il aboutit à une redéfinition de la sorcière. [6] Ce n’est plus une magicienne, ni même une hérétique
banale, c’est une engagée volontaire dans l’armée secrète constituée par Satan, en vue de détruire le royaume et
l’Église, comme le soutien le juge Curet dans les trois sorcières de Cassis.

Deux conclusions s’imposent au bon sens.


1. Cette définition légitime la persécution à grande échelle et l’emploi de la torture. Il semble bien que ce soit là son
unique fonction.
2. Pour asseoir cette définition, les lettrés n’ont pas hésité à tirer contre leur camp. Ils ont validé les « superstitions »
qu’il s’agissait initialement d’éradiquer et, spécialement, celle concernant les pouvoirs occultes des sorciers. Mieux : ils
ont créé de toutes pièces un Super-Satan qu’ignorait la religion populaire, doté d’un corps physique et donc capable
d’actions physiques. Autrement dit des Super Sorciers, armant leurs suppôts de pouvoirs occultes étendus.

Tant d’imaginations et d’errements chez des intellectuels brillants, fera frêmir les antennes des psys. Si nous ne
sommes pas en pleine démence nous n’en sommes pas loin. C’est ce qu’évoque le final des Trois sorcières de Cassis,
avec la partie de délire consécutive à l’irruption d’Asmodée. Le diable, avant d’être médicalisé, était en effet le grand
trompeur, celui qui jette le trouble dans notre capacité de discernement et nous entraine dans des actions collectives
diaboliques.
Sous cet angle, les chasses aux sorcières pourraient bien être un coup du diable. Il en a fait d’autres depuis, et il
recommencera à chaque laisser-aller de notre vigilance.

Sur ce, nul n’ignorant que des jambes actives conservent la vigueur du corps et du bon sens, nous pourrions entamer la
traditionnelle balade. On en proposera deux, une gentille que nous connaissons déjà et une nouvelle, plus engagée.

Puisque nous venons des « Trois sorcières de Cassis » nous pourrions reprendre l’itinéraire assorti (à la fin) dont j’ai eu
de bons échos. Les lecteurs qui prennent le temps de me communiquer leur appréciation me rendent service et je les en
remercie en espérant qu’ils fassent des émules. Un « Réagir à cet article » vert, en bas de chaque article n’attend qu’un
clic.

L’autre balade nous conduira à l’un des berceaux de la pensée religieuse occidentale, d’où dérivent les mascos,
matagots, tempestaïres, revenants et autres êtres mystérieux dont nous venons de faire connaissance. C’est la Vallée
des Merveilles, un peu plus loin, un peu plus haut, un peu plus difficile à découvrir.

Vallée des Merveilles

La Vallée des Merveilles recèle quelques 40.000 gravures rupestres dues aux éleveurs-
cultivateurs qui fréquentaient les lieux au troisième millénaires avant notre ère. Ils y
ont gravé « des concepts et des croyances en gestation » (E. M.) à la source de la
« religion populaire » évoquée dans plusieurs balades (saint Transi, Ganagobie, La
Madeleine) et en arrière-plan de celle qui s’achève ici.

La gravure ci-contre en donne un avant-goût. Elle représente un laboureur tenant une


charrue attelée à deux bœufs. Sexe apparent, il est nu, car le travail de la terre était
assimilé à un accouplement cosmique. Du moins est-ce une interprétation possible ! On
a le droit d’en avoir d’autres, les graveurs n’étant plus joignables, ne contrediront
personne.

Itinéraires, interprétations du paysage et des gravures, renseignements pratiques, bref


tout ce qu’il faut pour entreprendre l’aventure en cliquant ici.

Christian Bonnet
Août 2009

Folklore et superstitions, recueils.

BÉRANGER-FÉRAUD, L.J.-B,

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Maléfices et superstitions en Provence, au 19e siècle http://balades.contingences.com/Des-gens-qui-font-du-mal

•Superstitions et survivances étudiées du point de vue de leur origine et de leurs transformations, Paris : E. Leroux,
1896, 5 t.
•Traditions de Provence, Laffitte reprints, Marseille, 1983.
•Contes populaires des Provençaux de l’Antiquité et du Moyen Âge, 1887.

SEIGNOLLE, CLAUDE,

• Les évangiles du diable, Le grand et le petit Albert, Bouquins, Robert Laffont, 1998. (Citations et références
mentionnées dans l’article proviennent de cet ouvrage. Il s’agit d’ une compilation à laquelle on pourra préférer
l’ouvrage qui suit.)
• Traditions populaires de Provence Maisonneuve et Larose, 1996. (Paru antérieurement sous le titre : "Folklore de la
Provence".)

ELOÏSE MOZZANI, Le livre des superstitions, Bouquins, Robert Laffont, 1995

Histoire et anthropologie, analyses.

- EMMANUEL LE ROY LADURIE, Montaillou, village occitan : De 1294 à 1324, Poche 2008.
(Nourri par les minutes d’un procès inquisitorial du début du 14e siècle en Ariège, l’ouvrage offre un vrai bonheur de
lecture. Les chapitres XIX — Le sentiment de la nature et du destin — et XXVIII — La maison et l’au-delà — sont plus
particulièrement en rapport avec notre sujet.)

JEAN-CLAUDE SCHMITT, Les Revenants : les vivants et les morts dans la société médiévale, Gallimard, 1994
(Une analyse de textes et d’images datant du Moyen Âge qui rapporte l’apparition de morts, et où le spirituel se mêle au
corporel, l’individuel au collectif, la personne à la parenté, le jour à la nuit, le merveilleux à l’ordre social. Ce livre, qui
juxtapose les récits à leur interprétation, ajoute un chapitre à l’histoire de l’imaginaire occidental.)

LECOUTEUX, CLAUDE, Fées sorcières et loups-garous au Moyen-Âge, Imago 2001


(Cet auteur prolixe a livré plusieurs titres en rapport avec notre sujet. Notamment : Mondes parallèles : l’univers des
croyances du Moyen-Âge, 1994 ; Fantômes et revenants au Moyen-Âge, 1996.)

SALMAN J. M., Les sorcières Fiancées de Satan, Coll. Découvertes, Gallimard, 1989.
(Vers le milieu du 15e siècle, l’Occident s’embrase. Un incendie monstrueux, en forme d’épidémie. On brûle des
hommes mais surtout des femmes. Les sorcières sont les fiancées du diable. La rumeur le dit, les juges civils et
religieux le prouvent. […] Jean-Michel Sallmann analyse en historien le mode de représentation que fut la sorcellerie
[…]. Extrait de la quatrième de couverture.)

FAVRET-SAADA Jeanne, Les mots, la mort, les sorts. Folio/essais, 2007


(Une enquête sur la sorcellerie contemporaine dans le Bocage de l’Ouest. Comment on se trouve pris dans les sorts,
dans la mort, dans les mots qui nouent les sorts ou les détournent. L’ouvrage fit grand bruit lors de sa première
parution en 1985.)

Si cet article vous rappelle des souvenirs d’enfance ou des expériences récentes, faites-les nous partager svp en
utilisant le bouton "Réagir à cet article" ci-dessous en vert. Merci.

[1] petite friture

[2] ravin

[3] Le frère A. Dumouch, de l’Ordre des Prêcheurs, l’explique on ne peut plus clairement sur son site

[4] Les « » indiquent que ce mot est à prendre avec des pincettes. Renan le qualifiait de concept polémique par lequel
on condamne la religion de l’autre, voire toute religion.

[5] Entendre : 1) du plus grand nombre et, 2) par opposition à la religion officielle.

[6] Décrire, même sommairement, comment les ecclésiastiques puis — à partir du 16e siècle — les juges laïcs ont
élaboré cette démonologie savante et conduit la répression, dépasse les limites de cet article. On se reportera à
l’ouvrage de J.-M. Sallmann*.

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