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An 1239, le procès des 183 cathares brûlés vifs

au Mont-Aimé
L’article qui suit provient d’un site aujourd’hui dévolu à la Fédération Française de Tennis.
J’avais, à l’époque proposé à son auteur (anonyme) de m’autoriser à le publier ici. Sans
réponse de sa part, j’avais copié le document pour l’imprimer.
Aujourd’hui, il a disparu du site en question et le maître-toile ne me répond pas quand je
l’interroge à ce sujet.
Aussi, je prends la liberté de le publier, non sans rappeler que je n’en suis pas l’auteur et
que, si ce dernier se fait connaître pour signer son travail ou pour exiger son retrait, je
respecterai son choix.

13 mai 1239. Un nuage de fumée s’élève au-dessus du Mont-Aimé, une colline perdue dans
la plaine champenoise, non loin de Vertus. Le ciel s’obscurcit. Le vent frais qui souffle en ce
mois de mai fait apparaître, entre les fumées, des flammes gigantesques. En même temps,
dans la plaine, au pied de la colline, retentissent d’atroces cris de souffrance. Comme si une
foule entière criait d’une seule voix sa terreur et sa détresse. Une rafale de vent dévoile
enfin le spectacle : attachés à des pieux plantés dans le sol, des dizaines et des dizaines de
condamnés sont en train de brûler vifs, en un énorme bûcher collectif. En bas, dans la plaine,
et sur les flancs de la colline, une foule gigantesque gronde. Et au-dessus du feu, sur un
terre-plein, se trouve un extraordinaire parterre de princes, de comtes, d’évêques et
d’ecclésiastiques qui assistent, muets, raides et impassibles, à ce “spectacle” historique. En
ce vendredi 13 mai 1239, on brûle, ” en un très grand holocauste agréable à Dieu “, 183
hérétiques, ” bougres, manichéens et cathares “. Ces éminentes personnalités se bouchent
le nez lorsque, soudain, le vent rabat sur elles des relents de chairs grillées. Elles s’éloignent,
écœurées, mais estimant que Justice a été faite. Quelle justice ? Celle qui, selon l’église
catholique, omniprésente et omnipotente en ce XIIIe siècle, consiste à réprimer sans pitié,
de manière inquisitoriale, toute hérésie.

Parmi ces notables qui se retirent lentement, le plus célèbre est Thibaud IV de Champagne.
Le poète. A-t-il eu le courage de versifier ses amours pendant que dans son château se
déroulait le terrible procès, et qu’au pied de la colline des hommes de main construisaient
l’enclos de pieux pour la combustion ? Et après le spectacle, a-t-il chanté quelques ballades
pour se changer les idées et chasser de son esprit les cris de douleur des suppliciés ? Ce bon
poète avait sans doute oublié que, quelques années auparavant, il avait prêché
énergiquement la tolérance et flétri dans ses chants ” les papelards qui laissent sermon pour
guerroyer et tuer les gens “… Thibaud avait d’ailleurs d’autres soucis pour la prochaine
croisade. il préparait ses bagages.

Le Mont-Aimé n’avait pas, en cette première moitié du XIIIe siècle, l’aspect qu’il a
aujourd’hui : une grande colline isolée que l’on découvre de loin, du bout de l’immense
plaine venant de Châlons-sur-Marne. Son sommet est couvert d’une futaie que sont venues
grignoter les vignes, alignées sur des coteaux qui descendent en pente douce vers Bergères
les Vertus.
En 1239, les arbres devaient se trouver ça et là dans la plaine, et sur le Mont-Aimé à 240
mètres d’altitude, se dressait un puissant château fort que Blanche, mère du poète et comte
Thibaud IV de Champagne, avait fait édifier en 1210, l’année où l’on décidait à Reims de
construire une nouvelle cathédrale pour remplacer celle qui venait de brûler. Ce beau
château tout neuf qui, d’après les descriptions qu’on en a faites, ressemblait comme un frère
à celui de Coucy, était de dimensions imposantes. Des fouilles méthodiques ont permis de
repérer l’enceinte qui entourait une superficie de deux hectares. A l’éperon Nord se dressait
une tour haute de 52 mètres comprenant six étages dont chacun – d’après un dessin de
Claude Chastillon fait en 1590 – débordait sur le précédent, grâce à de puissants corbeaux de
pierre et des encorbellements circulaires.

C’est sur la place du château – là où se trouve maintenant un espace très fréquenté par les
promeneurs et les pique-niqueurs du dimanche – que furent jugés, au cours d’un procès
bien monté, les hérétiques.

Nous étions sous le règne de Louis IX le Saint, et sous le pontificat de Grégoire IX. L’Eglise
avait entrepris une lutte sans merci contre les hérésies de toutes sortes, qui avaient
tendance à se répandre, en particulier contre la plus dangereuse à son point de vue :
l’hérésie manichéenne, ou cathare, qui menaçait ” la foi et l’unité chrétienne “.

Il ne s’agissait pas d’une petite secte, mais en réalité d’une religion distincte du
christianisme, et qui aurait pu devenir l’une des grandes religions du monde. Les doctrines et
pratiques des cathares étaient en partie un retour aux croyances des premiers chrétiens et à
la pauvreté évangélique, et en partie un produit d’idées manichéennes, fondé sur la dualité
de deux principes opposés, le Bien et le Mal. Le Bien étant créateur du monde spirituel, le
Mal créateur du monde matériel. Rejetant la divinité du Christ et les rites de l’Eglise
catholique, qu’ils considéraient comme des superstitions condamnables, les cathares (du
grec katharos, pur) administraient eux-mêmes un baptême de l’esprit (” consolamentum “)
qui astreignaient ceux qui le recevaient, les ” parfaits “, à une vie chaste et austère. Les
simples croyants étaient tenus à des observances moins rigoureuses et ne recevaient le
“consolamentum ” qu’à l’heure de leur mort.

Dangereux, les cathares ?

On reconnaissait les parfaits, qui étaient les prêtres et les évêques, à leurs vêtements noirs,
une sorte de manteau de laine, serré à la taille et muni d’un capuchon, ce qui les distinguait
des simples fidèles (une tenue qu’ils abandonnèrent lorsqu’ils commencèrent à être
pourchassés par les inquisiteurs. Ils s’habillèrent alors comme tout le monde. Mais ils
portaient sous leurs vêtements un cordon symbolique). Au moment de leur ordination, ils
s’engageaient acquitter parents, amis, enfants pour se consacrer à Dieu et à l’Evangile. Ils
s’abstenaient de manger de la viande et des œufs, et en général toute nourriture d’origine
animale. Ils étaient d’absolus végétariens, mais consommaient cependant du poisson, et ne
semblent pas avoir fait une interdiction de boire du vin.

Ils s’abstenaient également de tout rapport sexuel. Les croyants, eux, étaient des adeptes
qui promettaient de prononcer les mêmes vœux que les parfaits par la suite. Il leur était
permis, en attendant, de se marier et de manger de la viande. Mais on exigeait d’eux qu’ils
renoncent à l’Eglise catholique, qu’ils progressent vers la vie “parfaite”. Ils devaient saluer
tout parfait d’une triple et respectueuse génuflexion.

L’essentiel de leur morale, les cathares le tiraient du Sermon de la Montagne. Ils étaient
invités à aimer leurs ennemis, à prendre soin des malades et des pauvres, à éviter le serment
(à jurer), et à toujours observer la paix. Pour eux, la force n’était jamais morale, même
contre les infidèles. La peine capitale était un crime… capital. En cela, ils s’opposaient à
l’Eglise catholique qui, à cette époque, brûlait allègrement les hérétiques de tous genres. Le
cathare croyait, avec une tranquille confiance, qu’à la fin Dieu triompherait du Mal, sans
employer aucune forme de mal.

Leurs rites étaient extrêmement simples. Ils comprenaient des prières, sans doute des
chants, des jeûnes prolongés et, surtout, des sermons au cours desquels la doctrine était
expliquée, et peut-être discutée. Ils n’avaient pas d’église ni de lieu de culte. Ils priaient et
prêchaient un peu partout : dans les bois, dans les châteaux ou dans les maisons des
croyants. Le seul local connu affecté aux sermons fut celui qui se trouvait au château de
Montségur. Mais ce fut une exception.

Une autre particularité des cathares : tous les sacrements de l’Eglise étaient rejetés, y
compris le mariage. Ils n’acceptaient, pour les croyants, qu’une sorte de mariage “civil”. Pour
les catholiques, qui ne considéraient comme mariés que les gens qui l’avaient été devant un
prêtre, les cathares vivaient donc en concubinage. Un péché très grave au Moyen Age !

Si les cathares s’en étaient tenus à ces pratiques qui sentaient déjà le soufre, ils auraient pu
bénéficier d’une certaine tolérance. Mais ils s’engagèrent dans une critique active et
virulente de l’Eglise catholique, ce qui causa leur perte. Ils niaient notamment que cette
Eglise fût celle du Christ. Saint Pierre, pour eux, n’était jamais venu à Rome et n’avait jamais
fondé la papauté. Les papes étaient les successeurs des empereurs, non des apôtres. ” Le
Christ n’avait pas d’endroit où reposer sa tête, affirmaient-ils, mais le pape vit dans un
palais! “. Le Christ était sans biens et sans argent, mais les prélats chrétiens vivent dans
l’opulence. ” Il est évident, disaient les cathares, que ces messeigneurs les évêques ou
archevêques, que ces prêtres mondains, que ces gros moines ne sont que les anciens
pharisiens revenus sur terre! ” Pour eux, l’Eglise romaine était certainement la ” prostituée
de Babylone “, le clergé une ” synagogue de Satan “, et le pape l’Antéchrist. Ils dénonçaient
enfin les prédicateurs des croisades comme des assassins.

C’en était trop. Ces critiques, inacceptables pour l’Eglise officielle, furent fatales pour les
cathares. La répression commença, féroce.

Un procès énorme

Le Catharisme faisant de plus en plus d’adeptes, l’Eglise décida de sévir, et c’est en


Champagne que l’Inquisition réussit son opération la plus spectaculaire. De ce dramatique
autodafé de 1239 – auquel les historiens en général et ceux du catharisme en particulier
n’ont consacré que quelques lignes – on a retrouvé plusieurs récits. Le plus précis semble
être celui d’Aubri de Trois-Fontaines, un moine de l’abbaye cistercienne de Trois-Fontaines,
dans le diocèse de Châlons sur-Marne, auteur d’une chronique universelle rédigée entre
1227 et 1241.
Aubri a certainement participé au tribunal qui siégea sur le Mont-Aimé Aussi sa chronique
est-elle forcément partiale.

”Cette année-là, écrit-il, la semaine qui précédait la Pentecôte, le vendredi eut lieu un très
grand holocauste. Pour apaiser le Seigneur, on brûla des “Bulgares”. En effet, 183 “bougres”
furent brûlés. ” En raison de l’origine bulgare de l’hérésie, les hérétiques français étaient
souvent appelés “bulgares” ou “bougres”

Plus loin, le chroniqueur ajoute, sans pitié : ” Quant à ce que croient et affirment ces
hérétiques qui tirent leur origine de Manès, quant aux pratiques auxquelles ils se livrent en
secret, il n’est pas nécessaire de le publier au grand jour tant elles sont nauséabondes et
horribles, et au milieu des autres elles ont une telle mauvaise odeur que les gens sages les
découvrent même à leur puanteur “.

Le récit d’Aubri des Trois-Fontaines est intéressant surtout parce qu’il donne la liste des
“autorités présentes” : le roi de Navarre (il s’agit de Thibaut IV de Champagne, qui portait ce
titre hérité de sa mère en 1234) et les barons de Champagne. Seize évêques, et non des
moindres, s’étaient déplacés. Ceux de Reims Soissons, Tournai, Cambrai, Arras, Thérouanne
(diocèse transféré plus tard à Saint-Omer), Noyon, Laon, Senlis, Beauvais, Châlons-sur-
Marne, Orléans, Troyes, Meaux, Verdun et Langres. A cela il faut ajouter une foule “d’autres
prélats des églises, mais aussi d’abbés, de prieurs et de doyens”. ” Toutefois, précise Aubri,
tous n’assistèrent pas au supplice. Mais au cours de la semaine, alors que se poursuivaient
les interrogatoires, les uns arrivaient, les autres repartaient “.

Il n’y eut qu’un absent de marque : l’archevêque de Sens. Etait-ce un empêchement matériel
ou une désapprobation tacite de sa part ? On peut se le demander quand on sait que
plusieurs fois au cours des années précédentes il avait prêché la tolérance et l’indulgence
auprès de Grégoire IX. Peut-être que, subodorant ce qui allait se passer, avait-il refusé la
caution de sa présence et délégué un personnage de second ordre pour le représenter.

Ce fut un procès énorme. En effet, s’il y eut 183 condamnés à mort, on peut supposer que le
nombre des accusés fut bien plus important. Dans de tels procès organisés par l’Inquisition,
ceux qui se rétractaient n’étaient en général condamnés qu’à des peines de prison, à des
pèlerinages, des confiscations de biens ou des amendes. Le nombre des réfractaires, c’est-à-
dire ceux qui courageusement préféraient le bûcher à l’abnégation devant les inquisiteurs
catholiques, oscillait entre un quart et un tiers. La masse des accusés réunis au Mont-Aimé
en 1239 devait donc être de l’ordre de 500 à 600 personnes.

Le lieu avait été judicieusement choisi pour juger tous ces hérétiques. Le château permettait
de recevoir et de loger les évêques et les prélats, le comte de Champagne et sa suite. La
surveillance des prisonniers dans cette forteresse était facile, grâce à une forte garnison. Et
une partie des vastes sous-sols du château pouvait servir de prison.

Le tribunal siégea pendant au moins une semaine, peut-être plus. Du travail à la chaîne. Les
interrogatoires étaient menés tambour battant, par une armée de prêtres catholiques
devant lesquels les hérétiques comparaissaient, pieds nus et mains liés. Ceux qui, par peur
de la mort, reniaient leur foi, étaient mis de côté La première sélection. Et ceux qui
persistaient, malgré les menaces, voire les tortures, étaient entassés dans le coin des
condamnés à mort.

Parmi eux se trouvait un archevêque cathare, qui s’appelait de Moranis. Il était ” le chef et le
maître ” des ” misérables bougres ” qu’il exhortait, leur criant ” à haute voix “, selon Aubri de
Trois-Fontaines : ”Vous tous, vous serez sauvés, absous par mes mains. Moi seul suis damné,
moi qui n’ai pas de supérieur au dessus de moi pour m’absoudre“. On n’en sait
malheureusement pas plus sur cet archevêque cathare que ce qu’en a dit le moine cistercien
dans sa chronique.

Aubri de Trois-Fontaines écrit aussi que lors de l’exécution des hérétiques, ” il y eut une telle
affluence de peuple, de tous sexes, âges et conditions, que le nombre en fut estimé à 700
000 “. Est-ce le chiffre exact? Il paraît relever de la plus haute fantaisie, si l’on sait qu’à cette
époque le royaume de France n’avait qu’une dizaine de millions de sujets. Il se peut qu’un
copiste distrait ou quelque peu exalté ait ajouté un zéro… Mais l’affluence fut certainement
extraordinaire. Il ne faut pas oublier qu’au Moyen Age le supplice sur la place publique était
un spectacle à sensations fortes qu’il ne fallait pas manquer. Le grand spectacle organisé sur
le Mont-Aimé dut bénéficier dans tout le Nord de la France d’une exceptionnelle publicité si
l’on considère le concours de nombreux évêques. Et il fut mis en scène par un personnage
unique, une sorte d’agent double intelligent, rusé et sadique. On l’appelait Robert le bougre,
et il fut le chef d’orchestre du monstrueux drame du vendredi 13 mai 1239.

Le marteau des hérétiques

On ne peut s’empêcher de comparer l’holocauste de 1239 sur le Mont-Aimé en Champagne


au drame de Montségur qui, cinq ans plus tard, mit fin à la croisade des Albigeois : le 12
mars 1244, 210 hérétiques cathares furent brûlés vifs au pied de la montagne qui venait
d’être conquise par le sénéchal de Carcassonne et l’archevêque de Narbonne.

Mais la situation était différente. Si le but était le même – la lutte contre une hérésie – il faut
distinguer la nature des deux drames. Montségur, qui marque pratiquement la fin du
catharisme, représenta la répression “chaude”, s’inscrivant dans un climat exacerbé, à l’issue
d’une guerre qui fut très dure. L’autodafé du Mont-Aimé, par contre, fut organisé
consciemment, méticuleusement, en temps de paix. Il fut le fait d’une répression plus
vicieuse et plus cruelle.

Comme les juifs que l’on “ramassa” pendant la Seconde Guerre mondiale pour aller les gazer
et les brûler à Auschwitz, les cathares furent en 1239 les victimes d’une grande rafle pour
être regroupés et brûlés sur un lieu choisi parce qu’il avait été le centre et le symbole de
l’hérésie.

L’homme qui organisa la rafle et le procès aurait fait, à une autre époque, un parfait
tortionnaire de la Gestapo. Il s’agit du frère dominicain Robert, dont les origines sont
obscures. Il s’appelait Robert Lepetit. On ignore le lieu de sa naissance. On sait seulement
qu’il a fait de bonnes études et était un excellent prédicateur. Jusqu’au jour, vers 1215, où il
apostasia, jetant carrément sa soutane aux orties pour suivre jusqu’à Milan une femme dont
il s’était entiché. Comme cette femme était une adepte du manichéisme, il vécut alors au
milieu des hérétiques, et devint paraît-il un parfait. Il serait resté dans cette situation
pendant plus de dix ans.

Que s’est il passé à l’issue de ce long séjour au sein de l’hérésie ? Peut-être se fit-il prendre
et, pour emprunter le vocabulaire de l’espionnage contemporain, se laissa “retourner” par
d’habiles inquisiteurs. Il est possible qu’il soit revenu tout simplement à la foi catholique.
Toujours est-il qu’il devint le plus terrible des inquisiteurs qui sévirent alors dans le Nord de
la France. Aubri de Trois-Fontaines est clair sur ce point. Il parle déjà du frère Robert dans sa
chronique de 1234, lui donnant le titre de ” Maître qui aurait auparavant été hérétique,
revenu à la foi catholique, et recherchait avec soin les hérétiques à travers la France et par
l’autorité du pape les entraînait à la conversion en les absolvant, ou au jugement en les
brûlant “. Il semble donc que le frère Robert s’est fait la main dans d’autres régions avant
d’appliquer ses méthodes en Champagne.

De son passé d’hérétique, qui lui valut son surnom de “le Bougre”, il avait acquis un flair très
apprécié des inquisiteurs : il savait reconnaître au moindre indice ses anciens frères, qui
vivaient déjà dans la clandestinité. Il lui suffisait alors d’un geste pour les désigner à la
vindicte de l’Eglise, à l’arrestation, à la torture, à la mort par le feu. Il se lança dans sa
nouvelle mission avec une ardeur qui confina souvent à la frénésie, avec une incroyable
cruauté.

D’autres chroniqueurs ont parlé de ce curieux personnage, notamment saint Médard de


Soissons, qui écrivait à propos des événements survenus en 1236 : ”Une très grande
multitude d’hérétiques, que certains appelaient Bulgares, d’autres Patarins, à travers
diverses cités et châteaux de France, de Flandre, de Bourgogne et d’autres provinces, par les
soins d’un certain Robert, frère prêcheur, furent emprisonnés, interrogés et convaincus
d’hérésie. Enfin ils furent condamnés par les archevêques, les évêques et d’autres prélats de
différents niveaux dans la hiérarchie ecclésiastique et ils furent livrés comme hérétiques aux
puissances séculaires. Certains d’entre eux furent enfermés en prison pour y faire pénitence.
Mais d’autres qui refusèrent de renoncer aux hérésies furent brûlés et leurs biens ont été
confisqués par la puissance civile. Ceci ne se passa pas seulement cette année-là, mais trois
années consécutives…“. Ce qui nous amène en 1239.

Le frère Robert agissait alors avec l’aval du pape qui, le 26 août 1235, après s’être adressé au
provincial des dominicains en France, l’avait nommé inquisiteur général : ” Il sera envoyé
partout où il faudra découvrir et confondre l’hérésie “. Deux jours plus tard, des ordres plus
précis sont arrivés : le pape recommandait au frère Robert de s’occuper spécialement des
provinces de Sens et de Reims.

Il semble donc que, pendant plus de trois années, le frère Robert a parcouru les diocèses. Il a
enquêté, interrogé, soupçonné, repéré les nids d’hérétiques… Il a finalement engrangé une
masse de renseignements et identifié un assez volumineux troupeau de “bougres” qui
constitueront une précieuse réserve pour son beau feu d’artifice de 1239 au Mont-Aimé. La
géographie de ses activités préliminaires correspond très exactement à la liste des évêques
qui collaborèrent au “Grand Tribunal” siégeant en Champagne. C’est bien lui qui fut le
maître d’œuvre de l’opération, qui centralisa, qui prononça les sentences et les fit ratifier
par les évêques.
D’autres chroniqueurs se sont penchés sur son cas, comme un bénédictin nommé Mathieu
Paris, qui donne une autre image du frère Robert, qu’il appelle “le marteau des hérétiques”,
et dont il dit : ” Robert, avant d’avoir pris l’habit religieux, avait été “bougre”. C’est pourquoi
il connaissait tous les adhérents de ces hérétiques et il devint leur accusateur, leur marteau,
et comme leur ennemi mythique. Enfin, abusant du pouvoir qui lui avait été confié, et
dépassant les bornes de la modération et de la justice, Robert fut enorgueilli de sa puissance
et de l’effroi qu’il inspirait. Il confondit les bons avec les mauvais dans la même rigueur et
punit les simples et les innocents. Aussi l’autorité papale lui donna l’ordre précis de ne plus
fulminer ni agir si cruellement en s’acquittant de son office. Dans la suite, ses fautes que
j’aime mieux passer sous silence que de les raconter ici, ayant été reconnues d’une manière
évidente, Robert fut condamné à la réclusion perpétuelle “.

Effectivement, le frère Robert a fini par écœurer beaucoup de chrétiens et même plusieurs
évêques par sa cruauté et son sadisme. D’innombrables plaintes sont parvenues au pape, qui
finit par éliminer ce trop fidèle serviteur. Qu’est il devenu ? On ne le sait pas exactement.
Dispensé de la peine perpétuelle par le pape, il aurait été chassé de l’ordre des dominicains,
puis se serait fait expulser d’autres ordres où il se rendit indésirable. Il aurait fini des jours à
Laon, selon les uns, à Clairvaux selon d’autres sources.

Le catharisme d’Occident est-il né en Flandres ?

Une question n’a cessé d’intriguer les historiens : pourquoi le Mont-Aimé a-t-il été choisi
pour l’holocauste cathare ? Pourquoi cette colline perdue plutôt que Reims, Troyes, ou
d’autres lieux en Champagne ? Sans doute parce que, pendant des siècles, cette petite
montagne fut un repaire d’hérétiques, un abcès de fixation de la révolte cathare, une sorte
de lieu saint d’où les hérétiques diffusaient leur doctrine à travers tout le nord de la Gaule,
et se livraient à une propagande d’autant plus dangereuse pour l’Eglise qu’elle était occulte
et insaisissable.

L’implantation d’une secte manichéenne au Mont-Aimé pourrait remonter à la fin du IVe


siècle, si l’on en croit Aubri de Trois-Fontaines. Le chroniqueur des événements du Mont-
Aimé affirme que Fortunat, le prêtre manichéen chassé d’Afrique en 391 après s’être disputé
avec Augustin (saint Augustin, qui avait été lui-même manichéen dans sa jeunesse avant de
défendre ardemment la foi catholique contre les hérétiques) serait venu s’établir en
Champagne. Là il aurait rencontré un certain Widomar, un chef de brigands qui occupait le
Mont-Aimé avec ses compagnons, et les aurait tous convertis à sa secte.

S’agit-il d’un fait historique ou d’une légende ? On ne sait. ”Depuis ce temps, ajoute Aubri de
Trois-Fontaines, dans les fermes voisines, cette mauvaise graine n’a cessé de se propager“.
En l’an mil, un nommé Leutard provoqua une petite révolution dans la région de Vertus,
proche du Mont-Aimé, en mobilisant les foules avec des discours sulfureux inspirés des
grands principes du manichéisme et de la doctrine cathare : refus du mariage, des images,
refus au moins partiel de l’Ancien Testament. Il affirmait que dans les récits des prophètes,
”les uns sont bons à prendre, et les autres ne méritent aucune créance“. Autrement dit qu’il
y a “à boire et à manger” dans ce que racontent l’Église et les Écritures. A cela s’ajoutait une
contestation sociale qui fut la particularité du catharisme français : le refus de l’impôt.
Un moine bourguignon, pensionnaire de Cluny, Raoul le-Glabre, admet, dans le récit qu’il fit
de l’affaire Leutard, que ce dernier ” réussit à persuader les terribles cervelles campagnardes
qu’il n’agissait que sur la foi d’une étonnante révélation divine ” et que ” sa trompeuse
renommée d’homme de science et de piété lui gagna en peu de temps une considérable
portion de peuple “.

En d’autres termes, le mouvement déclenché par Leutard était populaire. Si populaire qu’il
entraîna l’intervention de l’évêque Jeboin de Châlons-sur-Marne et des autorités civiles. En
attaquant tous les pouvoirs, le religieux et le civil, Leutard s’était mis tout le monde à dos, et
on s’employa vite à le neutraliser. Il fut amené devant l’évêque de Châlons-sur-Marne, et
condamné comme ‘fou hérétique “.

Qu’advint-il de lui ? Il fut jeté en prison. Une prison dont il reste à Vertus un pan de mur,
près de l’église. Voulut-il s’en évader ? Préféra-t-il la mort ? La version officielle de sa fin,
transmise par Raoul le Glabre, dit que ”notre homme, se voyant vaincu et frustré dans ses
ambitions démagogiques, se donna lui-même la mort en se noyant dans un puits“.

Ce puits est connu de tous les habitants de Vertus, et constitue même une curiosité
touristique. La Berle, rivière du lieu, prend sa source sous l’église Saint-Martin elle-même. Au
pied de l’abside, il y a une vaste mare qu’on appelle “le puits de Saint-Martin”. C’est là que
Leutard se noya. Il est probable qu’on l’y a un peu aidé… Mais allez donc le prouver dix
siècles plus tard!

Quant au brave peuple qui s’était laissé influencé par cet hérétique, la chronique dit qu’on le
fit” revenir de cette folie "et qu’on ”le rendit tout entier à la religion catholique“. Quel
moyen de pression employa-t-on pour ramener ces ” faibles cervelles campagnardes ” dans
le droit chemin ? On ne le précise pas.

Après “l’affaire Leutard”, les cathares retournèrent à l’existence secrète et souterraine qui
avait été la leur avant. Mais l’Eglise ne les oubliait pas. En 1048, Roger 11, évêque de
Châlons-sur-Marne, s’inquiétait de l’importance de l’hérésie cathare en Champagne. Dans
une lettre adressée à son collège Anselme de Liège, il signala que dans une partie de son
diocèse, ”des habitants des campagnes adhèrent à la doctrine perverse des manichéens“.

La lettre décrit les activités de ces campagnards, qui tenaient des réunions clandestines, se
livraient ”à des pratiques obscènes et honteuses entourées d’une certaine solennité“. Pour
faire accréditer leur erreur, ” ils prétendent que l’esprit Saint n’a pas été envoyé à d’autres
qu’à Manès, comme si Manès était lui-même le Saint-Esprit… Ces hommes contraignent tous
ceux qu’ils peuvent à venir grossir leurs rangs. Ils ont en horreur le mariage. Non seulement
ils renoncent à manger de la viande, mais ils considèrent comme une profanation de tuer un
animal. Ils osent mettre leur erreur sous la caution du commandement du Seigneur qui, dans
l’Ancien Testament, interdisait de tuer “.

L’évêque de Châlons constate ensuite amèrement que les hérétiques, ”malgré leur
ignorance, deviennent soudain plus éloquents que les catholiques les plus savants et qu’ils
apparaissent ainsi supérieurs en sagesse par leur bavardage“. Il semble donc qu’il y avait
prédication, et que les cathares pratiquaient un prosélytisme particulièrement efficace.
En conclusion, l’évêque châlonnais demandait quelle conduite il fallait tenir. S’il fallait sévir
avec le glaive de l’autorité séculière, ou non. ”Car si ces hommes ne sont pas exterminés, ce
petit levain pourrait corrompre toute la pâte“. D’après ce qu’on sait, l’évêque de Liège
répondît au confrère de Châlons sur un plan très doctrinal, par des citations des Ecritures et
des pères de l’Eglise Il ne proposa pas de solution “sur le terrain”, et ne fut pas d’un grand
secours à Roger Il de Châlons.

Un concile tenu à Reims l’année suivante, en 1049, excommunia les hérétiques. Mais il
n’était pas encore question de bûcher… Les “erreurs”, affirmèrent les participants au concile,
sont parties d’une région de Champagne appelée Mont-Guîmar Or le Mont-Guimar n’est que
ce Moiffier, ce Montimer, ce MontWimer ou Wimar qui revient dans les chroniques de
l’époque et est devenu le Mont-Aimé.

Une lettre que l’Eglise de Liège adressa au pape, près d’un siècle plus tard, en 1144,
confirme clairement la localisation de la source, du berceau de l’hérésie La lettre fait état de
la présence à Liège d’hérétiques qui ont été ”découverts, arrêtés et ont avoué... Selon les
renseignements recueillis près de ceux que nous avons Ws, arre toutes les cités du royaume
de Gaule et du nord sont en grande partie contaminées par le poison de cette erreur“. D’où
venait cette épidémie tant redoutée par l’Eglise ? La lettre est claire à ce sujet : ” Depuis le
Mont-Guimar, qui est le nom d’un certain village de France, il est bien connu qu’une hérésie
a déferlé à travers les différentes parties des nations “. Le Mont-Guimar ? il s’agit bien du
Mont-Aimé.

La véritable répression vînt plus tard. Ce n’est que vers 1160, pense-t-on, à la suite de
l’action de saint Bernard, fondateur et premier abbé de Clairvaux, que le village cathare du
Mont-Aimé fut détruit et ses habitants dispersés. On ne possède pas de détails sur cette
première tentative de liquidation. Toute porte à croire cependant que la religion cathare fut
encore vivace, clandestinement, pendant de longues années encore en Champagne. En
1233, le pape Grégoire IX constatais que ” les ministres de Satan avaient répandu la
mauvaise semence ” dans plusieurs provinces de notre pays, notamment dans celle de
Reims. Et il avertissait les évêques et archevêques de l’ensemble du royaume de France : les
hérétiques ” qui avaient longtemps agi en secret, comme les renards qui s’efforçaient de
détruire les vignes du Seigneur “, se montraient à nouveau en public ” comme des cavaliers
prêts au combat “. A cette date, des tribunaux d’exception chargés de rechercher et de juger
les hérétiques existaient déjà. Il s’agit de l’Inquisition, don les juges étaient sans exception
des dominicains. Ces tribunaux allaient redoubler d’activité avec la mission confiée au frère
Robert. On signale pour la première fois la présence du terrible dominicain en Champagne
en 1235. A Châlons sur Marne, en présence de Philippe de Grève, chancelier de l’évêque de
Paris, qui se trouvait peut-être là à titre d’expert, plusieurs hérétiques furent brûlés. Parmi
eux, raconte Aubri de Trois Fontaines, se trouvait un barbier nommé Arnolin, ”qui était tout
imprégné du démon et faisait une très active propagande“… Ce n’était qu’un avant-goût de
ce qui allait se passer quelques années plus tard sur le Mont-Aimé.

Les curieuses légendes du Mont-Aimé

Après le drame de 1239, ce lieu fascinant a engendré au cours des siècles de nombreuses
légendes. Des générations se sont longtemps transmis des histoires où il était question de
sorciers et de sorcières aux forces mystérieuses, entraînant les vivants dans de drôles de
sabbats. Selon la croyance populaire, il ne fallait surtout pas s’aventurer sur le Mont-Aimé la
nuit, au risque de ne jamais revenir… On citait le cas de gens qui avaient disparu, engloutis
dans les nombreux souterrains qui, de toute la région, convergeaient vers l’ancien château.

Parmi les légendes du Mont-Aimé, la plus tenace a été celle d’un trésor caché dans les flancs
de la colline. Elle parle d’un carrosse d’or, ou d’un chariot d’or, sans préciser s’il s’agit du
contenant ou du contenu. Ce chariot se trouve t il dans la mystérieuse cité souterraine qui
fait l’objet d’une autre légende, fort tenace elle aussi, à laquelle beaucoup croient encore. A
propos du Mont, de vieux manuscrits parlent en effet de ”caves et de chemins sous terre“.
Un chanoine de la cathédrale de Châlons, ancien curé de Ferbrianges, l’abbé Boitel, donna
même dans un livre intitulé Les beautés de l’histoire de la Champagne une description
précise de cette ville souterraine, qu’il affirmait tenir d’un témoin : ”Une salle immense,
taillée dans le roc et dont les profondeurs sont effrayantes… C’est là que se réfugiaient la
population et la garnison quand la place était prise d’assaut“. Mais ce récit enjolivé a
toujours laissé sceptiques les historiens et les chercheurs. Personne n’a encore trouvé
l’entrée de cette fameuse cité souterraine !

A cette légende est rattachée une autre fort curieuse, relative aux rendez-vous d’amour que
le comte Thibault IV de Champagne aurait eus, dans un appartement secret creusé dans les
entrailles du Mont-Aimé, avec Blanche de Castille, la reine de France, mère de Saint Louis.
C’est la légende des “mules ferrées à rebours”. Prudente et roublarde, Blanche aurait fait
ferrer sa mule à l’envers pour faire croire, lors de ses rendez-vous avec son amant, qu’elle
arrivait quand elle s’en allait, et vice versa. Pure légende. On est à peu près certain que la
rigide dame Blanche de Castille ne mit jamais les pieds dans le somptueux château de
Thibault IV, au Mont-Aimé.

La légende la plus étrange est sans doute celle du “congrès des chiens”, que rapportent trois
chroniqueurs du XIlle siècle : Philippe Mousket, Etienne de Bourbon et Aubri de Trois-
Fontaines. Vers 1230 une multitude de chiens venus de cent lieues à la ronde, c’est-à-dire
des quatre coins de la Champagne, se seraient rassemblés sur le Mont-Aimé. Là il se son
battus à mort, se sont entre-déchirés et ont tous succombé. Etienne de Bourbon fait un
rapprochement avec l’autodafé de 1239 auquel il dit avoir assisté : ”Et peu après furent pris
là de nombreux manichéens, environ 180. Leur examen fut fait par les prélats de France, et
là même ils furent jugés, condamnés et brûlés“. Quant à Aubri de Trois-Fontaines, il fait le
même parallèle en présentant cette guerre de chiens comme un présage des événements
futurs : ”Ces bougres plus mauvais que des chiens furent exterminés en un seul jour, pour le
triomphe de l’Eglise“.

Il ne faut pas prendre cette légende au pied de la lettre. Mais il y a dans le récit d’Aubri une
indication intéressante. Le Mont-Aimé fut un “lieu de chiens” et un “lieu de convergence”.
Or nous savons que le terme de chiens était à cette époque appliqué ordinairement à ceux
que l’on considérait comme hérétiques, les cathares en particulier.

Une autre légende affirmait que le traître Ganelon, celui de la Chanson de Roland, se serait
établi dans un château construit sur le Mont-Aimé. Mais Aubri de Trois-Fontaines lui-même
estima que ce n’était que pure invention.
Albert Mathieu, un Champenois qui a fait de longues et patientes recherches sur le
catharisme et l’histoire du Mont-Aimé, a découvert il y a une vingtaine d’années, un
document bizarre intitulé “La jument au diable”. Un drôle d’histoire, où il est encore
question du Mont-Aimé… Le Diable était parti de Normandie sur une jument qui, mal ferrée,
“clochait” et lui donnait beaucoup de soucis. Il se demandait s’il arriverait avant minuit à
Moïmer (le Mont-Aimé).

Le texte précis que sur Moïmer se trouvait un château appartenant au comte de


Champagne. Et qu’Imer, qui donna son nom au mont, était un “bougre” que saint Augustin
chassa, ”par soir et matin pour sa très grande papelardise”. Que ce même Imer mit grand
entendement à enseigner sa loi en ce lieu et mena son peuple à sa perte. “A cause de lui et
de ses artifices furent brûlés plus de bougres… Pour voir cela, le peuple vint de maints pays
et plaines pour avoir le très grand pardon dont frère Robert leur fit don. Sachez qu’on en
donna 30 ans à chacun pour la bonne action d’être venu voir la très grande justice des
bougres brûlés dedans la lice. Celle-ci était faite de pieux nouveaux. Cette grande
condamnation eut lieu en l’an de l’Incarnation 1239“. Détail nouveau : le Grand Inquisiteur
aurait promis généreusement des indulgences à tous ceux qui assistèrent au spectacle qu’il
avait monté.

Après ce passage qui est un condensé de l’histoire du Mont-Aimé jusqu’à l’exécution des
cathares, on apprend pourquoi le Diable voyage sur sa jument. Il va chercher la “prêtresse
de Vertus”, qui est sur le point de mourir, pour la porter en enfer… Mais la jument est de
plus en plus déferrée. Le Diable s’arrête chez un maréchal ferrant, qui lui demande : ”Je
voudrais bien savoir votre nom à vous qui chevauchez une jument pareille” – ”Monsieur,
répond le Diable, j’ai nom querelle. Je suis souvent en douleur mal et peine sur cette jument
que je mène car elle porte peines et tourments pour ce qu’elle a fait de mal en sa jeunesse “.
Et le récit continue, sur le même ton : ”Honnie soit la prêtresse qui se dénude et en
découvre pour porter le prêtre à pêcher. On ne peut plus clairement se souiller“. Car la
prêtresse que va chercher le Diable sur sa jument pour la porter en enfer n’est autre que la
concubine du curé.

Ces légendes si variées ne doivent, bien entendu, pas être considérées comme des
documents historiques. Elles forment cependant une sorte d’auréole autour du Mont-Aimé.

Cette colline est-elle un lieu de perversion, de mystères et de secrets, fréquenté par le


Diable ou tous ses affidés, un lieu maléfique et maudit ? Est-elle au contraire une terre
privilégiée, anoblie par le sang des martyrs de 1239, un lieu de ”gloire et de lumière” pour
ceux qui se considèrent maintenant encore comme les héritiers des cathares ?
” Un lieu qui est l’objet de tant de légendes, pense Albert Mathieu, est forcement un lieu où
il s’est passé quelque chose. Il n’y a pas de fumée sans feu… Nous rêverons encore
longtemps sans doute devant les énigmes du Mont-Aimé. “

Le tsar de Russie sur le Mont-Aime

L’une de ces énigmes est celle que pose un événement survenu près de six siècles après le
drame : en 1815, à la fin de l’épopée napoléonienne, après la retraite de Russie et la défaite
de Waterloo, Alexandre ler, le tsar de toutes les Russies, qui avait élu domicile dans le Palais
de l’Elysée, décida, à la suite d’une inspiration qu’il disait venir “d’en haut”, de rassembler
ses valeureuses troupes pour célébrer la victoire en une fête grandiose. L’étonnement fut
grand quand il indiqua que cette fête solennelle devait se dérouler en Champagne, et très
précisément au Mont-Aimé. Lorsque la nouvelle arriva à Châlons-sur-Marne, ce fut la
panique.

Le préfet, le baron de Jessaint, et les autorités locales de l’arrondissement tentèrent de


démontrer qu’il ne leur était pas possible de recevoir toute l’armée russe, avec son tsar,
dans leur région dévastée par la guerre. On proposa au tsar des sites proches de Paris, mieux
adaptés pour l’organisation d’une telle cérémonie, notamment le mont Valérien. Mais tout
fut inutile. Alexandre ler fit répondre que sa décision était irrévocable. La cérémonie devait
avoir lieu au Mont Aimé, à environ 140 kilomètres de Paris, et nulle part ailleurs!

La revue eut lieu le 10 septembre 1815, dans la plaine qui s’étend au pied du Mont-Aimé. Un
spectacle fantastique, auquel participaient 350 000 hommes et 85 000 chevaux, et dont les
habitants de la région de Vertus parlèrent pendant au moins trois générations. Au sommet
du mont, Alexandre 1er avait à sa gauche l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse. A sa
droite, il y avait le duc de Wellington, le prince royal de Bavière et, derrière, un groupe
compact de princes et de généraux. Le tsar, qui avait tenu pendant cinq jours une table de
300 couverts, célébra sa fête le lendemain de la revue. Dans le camp de l’armée russe,
l’atmosphère était aussi euphorique. On y chanta beaucoup, on y dansa et on y fit une
consommation de vin tellement énorme qu’elle devint le thème d’une chanson populaire qui
eut à l’époque son petit succès

Buveurs de la Moscovie Quand partirez-vous? Avez-vous encore envie D’avaler tout notre
vin ? C’est je crois l’unique affaire Qui vous retient parmi nous Mais soit dit sans vous
déplaire Nous le boirons bien sans vous.

Les souverains de Prusse et d’Autriche quittèrent Vertus le 11 septembre. Mais Alexandre


premier, poursuivit pendant deux jours encore sa méditation sur le Mont-Aimé avant de
regagner la capitale française. Et les troupes russes, peu à peu, regagnèrent leur base : Paris,
Metz, Strasbourg, Lille et Rouen notamment.

Les historiens de la chute de Napoléon et de la présence étrangère en France qui a suivi


cette chute ne se sont jamais posé la question : pourquoi Alexandre l er, a-t-il voulu et le lieu
et la manifestation sur le Mont-Aimé ? Comment le tsar de Russie, résident ordinaire de
Saint Petersburg, pouvait connaître, à plus de 2 500 kilomètres, l’humble colline
champenoise au pied de laquelle, malgré les multiples objections qui lui furent faites, il tint
absolument à faire défiler ses troupes? Le château qui s’y dressait au Moyen Age n’existait
même plus, à part quelques vestiges guère plus importants que ceux que l’on peut y voir
aujourd’hui.

Le Mont-Aimé n’était même pas sur sa route quand il est entré en France.

Une explication à l’étrange décision d’Alexandre premier peut être trouvée dans la
personnalité de ce tsar, personnage mystique, qui était passionné par toutes les formes de
sociétés secrètes, tant dans ses états que dans les autres nations. Il se prenait volontiers
pour l’élu de Dieu. Il avait des révélations, des illuminations. Et il appliquait la doctrine
dualiste – qui fut celle des cathares – à son cas personnel, conformément à une curieuse
géographie manichéenne qui voulait que l’empire du Mal soit au sud. Lui-même était l’ange
de lumière venu du Nord, donc de la partie du Bien, et il combattait l’ange noir venu du Sud
(Napoléon)…

Albert Mathieu, après ses recherches, est persuadé que le tsar de Russie connaissait le passé
du Mont-Aimé. Il savait qu’il représentait une valeur cathare. Il était au courant de choses
que nous ignorons, et qui ont déterminé son “pèlerinage”. Quels sont ces secrets ? Ils se
trouvent peut-être enfouis, et oubliés, dans les archives de Saint Petersburg, la cité des tsars.

Le drame, lorsque l’on veut étudier l’histoire du catharisme, est l’absence quasi totale de
documents d’origine cathare. Ils ont été détruits systématiquement par les inquisiteurs, qui
voulaient anéantir même le souvenir et les témoignages de l’hérésie qu’ils combattaient. On
ne possède que les récits laissés par leurs ennemis et leurs juges. Dommage!

Des fouilles ont été entreprises sur le Mont-Aimé, non par un organisme officiel mais, avec
des moyens limités, par une équipe de bénévoles animée par Albert Mathieu. On a retrouvé
des vestiges du château construit en 1210, ce qui représente peu de choses.

On peut voir, envahi par les broussailles, le trou du donjon et la base sud de celui-ci, faite en
très belles pierres assemblées par des gens qui, rappelons-le, vivaient à l’époque des
bâtisseurs de cathédrales; quelques vestiges de la muraille, notamment dans le secteur de la
porte d’entrée; enfin une galerie souterraine de 25 mètres environ qui se divise en deux
branches: celle de droite, agrémentée de courtes alvéoles, débouchait dans la cour du
château, l’autre s’enfonçait dans la terre, et on ignore où elle menait. Jusqu’à présent, ces
investigations n’ont rien apporté de nouveau sur la présence d’une cité cathare aux environs
de l’an 1000. La raison principale de cet échec réside peut-être dans le fait que les
recherches se sont jusqu’à présent concentrées sur la partie nord du Mont-Aimé, là où se
trouvait le fameux château. “L’antique ville”, et sans doute auparavant la cité cathare, se
seraient situées à côté, dans la partie sud de la colline, qui n’a jamais été vraiment étudiée et
fouillée, faute de moyens.

En conclusion de ses recherches, Albert Mathieu affirmait, dès 1975: comme absolument
certain que le Mont-Aimé fut un centre cathare pendant près de 250 ans, peut-être plus.
Comme une grande évidence que le Mont-Aimé fut le lieu saint cathare du Nord de la France
bien avant 1239, et encore plus après cette date. Et comme une très grande probabilité que
le Mont-Aimé fut le berceau du catharisme d’Occident, comme Montségur en fut le
tombeau.

Le mystère des cathares et du Mont-Aimé continue à passionner de nombreux chercheurs.


Une association, l’association Galaad, a été fondée récemment pour poursuivre l’action
entreprise par Albert Mathieu. Animée par Francis Leroy, chargé de la promotion du
patrimoine de la ville d’Epernay, elle a pour objet l’étude et la recherche sur les cathares et
les Templiers en Champagne. Une pétition a été lancée pour demander le classement en site
historique du Mont-Aimé, qui n’est actuellement qu’un site protégé au titre de
l’environnement. Une telle procédure de classement avait déjà été entreprise dans les
années 70 par la préfecture de la Marne, mais le ministère de la Culture n’avait pas cru bon
de donner suite, sous le prétexte qu’il n’existait pas de vestiges, ni de témoignages
historiques conséquents sur le Mont-Aimé!…

Anonyme
Mont Aimé, haut-lieu mystérieux…
Voici un article trouvé sur un blog et publié avec l’autorisation de son auteure. Ce
sujet est très mal connu et cet article apporte de bonnes informations et d’excellentes
photographies. Publié le 30/09/2008.

Un havre de paix où le calme règne en maître.*

Sous un ciel bleu-marine, le Mont Aimé s’élève à 240 mètres, noyé sous la
végétation. Une colline perdue au milieu d’une vaste plaine qui s’étend à perte de
vue.

Un endroit qui fut stratégique aux temps moyenâgeux.

C’est là, que Blanche de Navarre, mère du comte de Champagne Thibaut IV, fit
ériger un puissant château fort en 1210. De ce château ne restent que quelques
vestiges, dont ceux du donjon, imposante et unique tour de six étages, qui s’élevait à
52 mètres de hauteur, surplombant les vignes et les plaines alentour en offrant une
vision panoramique sur 40 kilomètres à la ronde.

Le Mont Aimé est un haut-lieu de l’histoire : en 1239, 183 cathares, pourchassés et


jugés par les inquisiteurs, y ont péri sur le bûcher. Leurs cris de douleur résonnent
encore sur les coteaux des environs…

Les légendes racontent qu’une cité souterraine cathare existerait, cachée dans les
flancs du mont.
Plusieurs entrées de souterrains et de grottes, comblés par des éboulis et par la
végétation, laisseraient à penser que les entrailles du mont seraient truffées de
passages secrets.

L’on raconte que le Mont Aimé aurait été depuis des siècles un repaire d’hérétiques,
un lieu saint d’où les « bougres » diffusaient leur doctrine dans tout le nord du pays,
voire le berceau du catharisme d’Occident…
D’autres légendes parlent de trésor caché dans une ville souterraine qui se trouverait
dans le ventre de la colline. Il est aussi question de sorcières aux forces maléfiques,
de disparitions de promeneurs engloutis dans les souterrains qui de toute la région
convergeaient vers le château, de diable qui chevauchait une jument, de la régente,
Blanche de Castille, qui se rendait en cachette au Mont Aimé pour des rendez-vous
galants avec Thibaut IV, le chansonnier…

Sans nul doute, le Mont Aimé est un lieu de mystères et de secrets mais personne
n’a encore trouvé l’entrée de la cité souterraine…

Mais un lieu qui fait l’objet de tant de légendes, est un lieu où il s’est forcément passé
quelque chose…Il n’y a pas de fumée sans feu !

En 1815, le tsar de Russie, Alexandre 1er, a fait des pieds et des mains pour venir au
Mont Aimé afin de fêter la déroute de Napoléon. Il arriva avec une armée de 350 000
hommes et 85 000 chevaux qui paradèrent dans la plaine qui s’étend au pied du
mont. Ce fut une fête grandiose et…solennelle, à laquelle avaient été conviés
empereurs, rois et princes, et qui ne pouvait se passer qu’au Mont Aimé car le tsar
de toutes les Russies avait reçu une « inspiration » venue « d’en haut ». Encore une
énigme…Comment le tsar de Russie avait-il eu connaissance de cette colline
perdue ? Personnage mystique, – il se prenait pour l’élu de Dieu -, Alexandre
1er venait-il en pèlerinage, sachant que le Mont Aimé avait été durant plusieurs
siècles un haut-lieu cathare ?

Quelques fouilles ont été entreprises sur le Mont Aimé, dans les années 1970, par
une équipe de bénévoles, mais jamais par un organisme officiel, donc elles ont été
arrêtées, faute de moyens suffisants…

Elles ont permis de découvrir quelques vestiges de l’ancien château des comtes de
Champagne, et quelques galeries que l’on n’a pas pu creuser bien loin. Toute la
partie méridionale du mont n’a jamais été étudiée ni fouillée…Peut-être se trouve là
l’antique ville, la fameuse cité cathare ?…

Le Mont Aimé n’est que classé comme site protégé au titre de l’environnement…
Devrons-nous attendre longtemps encore que d’autres fouilles plus importantes
soient consenties ? Sûrement…à moins qu’un jour le mont soit enfin classé en site
historique ! Malheureusement, le ministère de la culture n’a jamais jugé bon de
donner suite à cette demande, prétextant l’inconsistance des témoignages
historiques et le peu de vestiges du Mont Aimé…

Le peu de vestiges…bien sûr qu’il y a peu de vestiges, puisque l’on n’a pas de
moyens pour continuer les fouilles…La cité souterraine restera donc un mystère !

Toujours est-il qu’il règne sur ce mont une atmosphère mystérieuse…Lorsque l’on
s’aventure au gré des chemins envahis par la végétation, on s’attend toujours, à
chaque pas, à tomber dans quelque chausse-trappe…qui mènerait tout droit à
l’entrée de la cité antique !

Et quand la bise légère frémit dans les arbres, on croit entendre les fantômes du
Mont Aimé qui ont tant à raconter !
Je m’y suis encore baladé sur le Mont Aimé, pas plus tard que Dimanche dernier, et
j’en ai rapporté quelques photos pour vous les faire partager !

Le Mont Aimé vu de la plaine.

Une des entrées de l’ancien château…


Une partie du fossé qui faisait à l’époque 18 mètres de large et qui entourait le
château.

Un passage…qui ne mène pas bien loin…


Les vestiges du donjon, tour de 52 mètres de hauteur et de six étages.

Le trou de l’ancien donjon et une ouverture…fermée par des éboulis…Où pouvait-


elle mener?
Apparemment, la place du château…

La vue sur les plaines alentour depuis la place du château : imaginons cette vue
depuis le 6ème étage du donjon!
La ballade se termine : vue prise au milieu des vignes, en redescendant du Mont
Aimé !

Une bien jolie balade, sous un temps très ensoleillé!


* Le château fort des comtes
de Champagne en 1412, sur le Mont Aimé : dessin de Claude Chastillon exécuté en
1590

Pour en savoir plus sur le Mont-Aimé, il vous faut lire (malheureusement, il me


semble que ces livres sont épuisés…) “la Champagne mystérieuse” d’Alexandra
Schreyer ainsi que l’incontournable ouvrage d’Odile François ‘Le Mont-Aimé”

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