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Michel de Certeau, jésuite, philosophe et historien des religions, participa à la création de l’École freudienne
de Paris en 1964. Il enseigna au Département de psychanalyse entre 1968 et 1971. L’exposé auquel Lacan se
réfère comporte deux développements. Le premier a trait à l’histoire sous son double aspect de légende et de processus
opératoire qui transforme le rapport de l’historien avec l’objet passé. La pointe de cette réflexion débouche sur la
dénonciation de la façon dont des concepts freudiens tels que la mort du père, l’Œdipe ou le transfert peuvent être
utilisés pour parer au défaut de savoir de l’historien.
Le second point est relatif à l’étude de 1922 que Freud a consacrée à la névrose démoniaque du peintre Chris-
toph Haitzmann. Cet artiste du XVIIe siècle avait conclu un pacte avec le diable. Après avoir été exorcisé, il se fit
religieux chez les Frères de la Miséricorde. Freud interprète sans difficulté ce cas typique de possession. À partir du
manuscrit de Mariazell conservé à Vienne relatant l’épisode, il montre que le rapport ambivalent au père rend
raison du surgissement et du destin de cette névrose. Le pacte avec le diable survint en effet après la mort du père
d’Haitzmann ; il était une solution à sa mélancolie. L’entrée à la Congrégation des Frères de la Miséricorde lui

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permit par la suite d’être un fils, un fidèle.
Si le texte de Freud considère les masques successifs du père en tant que ravalé, Michel de Certeau en vient à
demander ce qui se passe lorsqu’il n’y a plus de père à qui se vouer. C’est à cette question, entre autres, que Lacan
va répondre.
Laura Sokolowsky
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1968
NOTE SUR LE PÈRE
Il est tout à fait frappant de voir dans Freud le polymorphisme de ce qui concerne
ce rapport au père1. Tout le monde a l’air de dire que le mythe d’Œdipe, cela va de
soi ; moi, je demande à voir.
La névrose démoniaque est là-dessus très importante. La possession au XVIIe siècle
est à comprendre dans un certain contexte concernant le père qui touche les structures
les plus profondes. Mais la question que vous nous posez est de savoir où est mainte-
nant cette chose.
Je crois qu’à notre époque, la trace, la cicatrice de l’évaporation du père, c’est ce que
nous pourrions mettre sous la rubrique et le titre général de la ségrégation.
Nous croyons que l’universalisme, la communication de notre civilisation homo-
généise les rapports entre les hommes. Je pense au contraire que ce qui caractérise notre
siècle, et nous ne pouvons pas ne pas nous en apercevoir, c’est une ségrégation rami-
fiée, renforcée, se recoupant à tous les niveaux, qui ne fait que multiplier les barrières.
Ce qui rend compte de la stérilité étonnante de tout ce qui peut se passer dans
tout un champ ; je crois que c’est là qu’il faut voir le nerf de la question que vous avez
soulevée.
Jacques Lacan

1. Intervention sur l’exposé de M. de Certeau, « Ce que Freud fait de l’histoire. Note à propos de : “Une névrose
démoniaque au XVIIe siècle” », au Congrès de Strasbourg, le 12 octobre 1968 après-midi, publié dans Lettres de l’École
freudienne 1969, n° 7, p. 84.
{NDE} LCD reproduit ici ce texte avec l’aimable autorisation de Jacques-Alain Miller.

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