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directeur régional de l'office annonce quelques jours


plus tard la suspension des constats de dégâts sur
Ours et pastoralisme, vingt ans de tensions
PAR EMMANUEL RIONDÉ
certaines estives.
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 29 AOÛT 2019
Le 25 juillet, un nouveau dérochement sur le mont
Rouch dans le Couserans tue 61 brebis. Dans la
foulée, la préfète autorise des tirs d'effarouchement.
Provoquant l'ire de l'association Ferus, engagée en
faveur de la défense et la sauvegarde des grands
prédateurs ours-loup-lynx, qui dans une lettre
ouverte lui reproche une « précipitation peut-être
liée à une volonté […] d’acheter la paix sociale ».
Dans le Couserans, été 2019. © ER Paix sociale loin d'être acquise : la manifestation
Dans les Pyrénées, le débat autour de la présence d'élus et d'éleveurs qui s'est tenue le 6 août devant
de l’ours est sans cesse ravivé par des attaques sur la préfecture de région à Toulouse n'a débouché
les estives. Une feuille de route rendue publique sur aucune rencontre avec les autorités. Une dizaine
en juin insiste sur la protection et la conduite des de jours plus tard, au départ d'un sentier dans le
troupeaux. Mais les tensions restent vives, entretenues Couserans, une affichette signée par d'autoproclamés
par des éleveurs anti-ours très mobilisés en Ariège, le et anonymes « défenseurs de la montagne » faisait
département où le plantigrade est le plus présent. état d'une « chasse à l'ours » en cours, invitant les
C’est désormais un classique pyrénéen : cet été encore, randonneurs à se méfier des « projectiles » pouvant
sur fond de transhumance des troupeaux, les tensions « être mortels à plus de trois kilomètres ». Ambiance.
entre pro- et anti-ours se sont rallumées, délivrant leur Rebelote le 22 août : à Ustou en Ariège, 46 brebis sont
lot de menaces, violences et annonces tonitruantes. tuées à la suite d'un dérochement imputé à l'ours, sans
Et les principaux épisodes se sont déroulés en trace directe de son passage mais du simple fait de sa
Ariège, où évoluent la plupart de la quarantaine de présence avérée dans le secteur.
plantigrades recensés dans le massif. Le 26 juin, un Cette série noire relègue au second plan la feuille de
« dérochement » (chute mortelle de bêtes d'une saillie route « Pastoralisme et ours » rendue publique le 6 juin
rocheuse) imputé à un passage d'ours (pas de prédation dernier par le ministère de la transition écologique.
avérée) coûte la vie à 260 brebis à Aston, en Haute- Le document, qui se décline en cinq objectifs, met
Ariège. notamment l'accent sur l'expérimentation d'actions
« destinées à éloigner les ours des estives » et
le « renforcement des mesures de protection des
troupeaux ».
Au 10 août, cette année, sur l'ensemble du massif, 326
dossiers de constat de « dommages ours » ont déjà
été réalisés par l'ONCFS et instruits par la direction
départementale du territoire (DDT). Ils concernent
Un berger et une partie de son troupeau sur une estive
à côté de la cabane des Cos dans le Couserans. © ER
essentiellement des brebis (798 ovins pour 14 bovins,
Le 17 juillet, alors que des agents de l'Office national 7 équins et 21 ruches). Sur la même période, c'était
de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) mènent 114 en 2016 : même si une bonne partie des dossiers
une expertise après une possible attaque d'ours dans sont « indéterminés », c'est-à-dire non « imputables
la même vallée, un de leurs véhicules est incendié. Le à l'ours » de façon certaine (108 des 262 dossiers en
2018), la courbe des prédations grimpe. Et l'Ariège

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est la plus concernée : depuis 2016, entre 66 et 79 cela s'ajoutent, depuis 2015, des aides de la PAC,
% des dossiers « dommages ours » concernent ce historiquement favorable aux céréaliers, qui ont été
département. un peu rééquilibrées en faveur de l'élevage. « Ce
Dans cette situation, la feuille de route est jugée rééquilibrage a fait que certains éleveurs, mais pas
insuffisante par les éleveurs. Campée sur des tous, sont hyper bénéficiaires », souligne François
positions anti-ours virulentes et très liée à la Thibaut, éleveur de 200 brebis et membre du groupe
chambre d'agriculture du département dirigée par de travail prédation à la Confédération paysanne.
Philippe Lacube, soutenu par la FNSEA, l'Association « Jusqu’en 2018, un simple flash dans la
de sauvegarde du patrimoine d’Ariège-Pyrénées gueule de l’ours, c’était interdit ! »
(ASPAP) est l'une des actrices les plus bruyantes Pour lui, l'essentiel réside cependant dans l'obligation
du débat. Son porte-parole Rémi Denjean, secrétaire où est l'État de protéger les troupeaux contre les
adjoint de la chambre d'agriculture, éleveur de 1 200 prédateurs, selon l'article L-113-1 du code rural.
brebis et condamné en 2017 à 10 000 euros d'amende « Aujourd'hui, notre demande concerne les mesures
avec sursis pour écobuage sauvage, dit vouloir « un de gestion de la prédation, insiste-t-il. C'est l'État qui
plan de gestion concret et réel » sans réellement en a réintroduit l'ours, il doit faire monter des brigades
préciser les contours. « L'an dernier, à la fin de l'estive, d'agents pour protéger les troupeaux. Ce n'est pas la
il me manquait 80 bêtes, assure-t-il. J'en ai eu 29 solution ultime, mais ce serait une vraie avancée qui
en prédation ours. Même si j'en ai une vingtaine ou introduirait le fait qu'on demande clairement à l'ours
un peu plus en perte normale [accident ou maladie – de partir... » Dans cette optique, l'éleveur syndicaliste
ndlr], où sont les autres ? Pour une bête indemnisée, se félicite des premiers effarouchements de niveau 2
il m'en manque 1,5 de plus... » Un décret et un arrêté (tirs non létaux) autorisés fin juillet. Mais peste contre
du 9 juillet dernier détaillent « l’indemnisation des la lenteur des autorités : « Jusqu'en 2018, un simple
dommages causés aux troupeaux domestiques par le flash dans la gueule de l'ours, c'était interdit ! »
loup, l’ours et le lynx ». Les montants sont précisés
Du côté de l’ONCFS et des associations pro-ours, on
selon l'espèce, la qualification et la valorisation des
préfère miser sur la hausse du niveau de protection des
bêtes. « Cela correspond à la vente des brebis en
troupeaux : conduite des bêtes regroupées, éventuelle
septembre, reconnaît l'éleveur. Sauf que l'ours, il
augmentation des chiens de surveillance patous et des
bouffe aussi des brebis qui font de la génétique, des
bergers, mise en place de parcs clôturés et électrifiés,
bêtes qu'on ne comptait pas forcément vendre... »
renoncement aux « couchades » (lieux où les brebis
La question de l'argent est récurrente dans le dossier passent la nuit) escarpées favorisant les dérochements.
ours, dont la présence dans le massif génère une « Les éleveurs connaissent la vulnérabilité de leurs
microéconomie assez disparate (que nous avions estives, résume Olivier Tartaglino, chef d'équipe à
documentée dans un article publié en septembre l'ONCFS de Foix. Et il y a des moyens disponibles, il
2017 par Mediacités). Les différentes aides au faudrait un cahier des charges précis permettant de
pastoralisme (financement de bergers, de cabanes, de déployer les outils de protection les plus adaptés sur
moyens de protection, en plus des indemnisations des chaque estive... » Une injonction balayée par François
bêtes « prédatées ») en constituent un volet important Thibaut, dont le troupeau est sur une estive de 800
et articulé : en respect des « lignes directrices agricoles bêtes : « Le diagnostic est vite fait : moi, je me
européennes », les indemnisations sont conditionnées suis donné les moyens : j'ai un berger qui fait du
« à la mise en œuvre de mesures de protection » des regroupement, cinq chiens de protection, des parcs, et
troupeaux. La feuille de route prévoit cependant des malgré cet équipement-là, on a déjà eu sept ou huit
« mesures transitoires » jusqu'en 2020, permettant attaques cette année. Et ce n'est pas fini. Alors, les
aux éleveurs de toucher ces indemnisations, même conseils de l'ONCFS... »
s'ils n'ont pas encore pris les mesures nécessaires. À

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Le 19 août, la chambre d'agriculture de l'Ariège monde pastoral est indispensable pour faire baisser
publiait un communiqué accusant la Pastorale les pre#dations sur les estives ». La feuille de route
pyrénéenne, une association fournissant des appuis du ministère prévoit bien la mise en place dans l'année
aux éleveurs et aux bergers, plutôt classée dans d'un groupe « pastoralisme et ours » et de « comités
le camp « pro-ours », de couardise pour avoir départementaux » réunissant tous les acteurs du
refusé de se rendre sur une estive. Dans sa réponse, dossier. Les espaces d'une « coopération » espérée qui,
circonstanciée, la Pastorale conclut en rappelant que vingt-deux ans après les premières réintroductions,
« la coope#ration de l’ensemble des acteurs du demeure un vœu pieu.

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