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s’accompagner d’un approfondissement, immuable,


des compétences de celle-ci dans leur pays. Cette
Avec le Brexit, l’UE devient démontable
PAR LUDOVIC LAMANT
conception irréversible de l’intégration vient de voler
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 29 JANVIER 2020 en éclats.
Alors que le préambule du traité de Rome parlait
d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples
européens », la sortie du Royaume-Uni de l’Union
européenne, trois ans et demi après le référendum,
prouve qu’il est possible de déconstruire l’Europe.
Mais le risque de propagation est-il crédible ?
L’ample succès de Boris Johnson aux législatives Une opposante au Brexit le 17 décembre 2019 à Londres. © Reuters / Toby Melville.
britanniques de décembre a tué le suspense qui durait
« Il y a un syndrome Mowgli dans le Brexit : il est plus
depuis la victoire du Brexit en juin 2016, et empêchait
facile de sortir de la jungle, que pour la jungle de sortir
de dormir plus d’un eurocrate bruxellois : un État
du cœur de Mowgli », s’amuse, de son côté, Antoine
membre peut-il faire marche arrière et sortir de l’Union
Vauchez. Le sociologue à Paris-1 fait référence au
européenne ? On sait désormais que la réponse est
« processus de sortie coûteux et conflictuel » du
affirmative – les députés de Westminster ont enfin
Royaume-Uni, depuis 2016 : « Le Brexit montre que
adopté le « Brexit Bill » le 22 janvier. Un séisme pour
l’Europe a transformé les États, leurs élites, leur droit,
l’histoire de la construction européenne.
leur rapport aux frontières, que l’UE les a transformés
« L’Europe a longtemps été perçue comme un de l’intérieur. »
processus irréversible qui ne pouvait qu’aller de
Surtout, ces négociations sur le Brexit ont dévoilé la
l’avant. Au pire, la machine marquait un temps
nature profonde de l’Union, poursuit Vauchez. L’UE
d’arrêt. Mais il ne pouvait y avoir marche arrière
est avant tout affaire de marchés, bien plus qu’une
», avance Nicolas Leron, du Centre d’études
union politique aboutie. « Dans les négociations avec
européennes à Sciences-Po. L’UE n’a cessé d’enfler
Londres, on a vu que le point dur, la dimension non
au fil des élargissements ; le dernier remonte à 2013
négociable, portait sur l’accès au marché unique »,
avec l’arrivée de la Croatie.
relève Vauchez.
La réalisation du Brexit le 1er février marque, pour Les mois à venir devraient confirmer cette analyse. À
Nicolas Leron, une « rupture avec la méthode de
partir du 1er février s’ouvre une énième étape, à la
Jean Monnet », l’un des pères fondateurs de l’Europe,
durée incertaine, durant laquelle l’UE et le Royaume-
cet avocat des « petits pas » pour la construction de
Uni vont négocier, selon le jargon officiel, leur
l’Europe : « Plus on se liait de manière concrète entre
« nouvelle relation » – en résumé, ils vont rédiger un
États, sur le charbon ou sur les droits de douane, plus
accord de libre-échange. Londres espère aboutir au 31
un retour en arrière devenait coûteux. Tout le pari des
décembre 2020, mais ce calendrier est jugé peu réaliste
débuts était que le coût d’un retour en arrière était
à Bruxelles, vu l’ampleur de la tâche à venir.
devenu trop important. Mais ce postulat est en train
d’être falsifié. » Au lieu d’un accord de libre-échange en bonne et due
forme, Londres, qui a plusieurs fois cité en exemple
Le préambule du traité de Rome (1957) parle d’une
le CETA, l’accord de libre-échange entre l’UE et le
« union sans cesse plus étroite entre les peuples
Canada (négocié pendant près de dix ans), pourrait
européens ». La formule a crispé beaucoup de
se contenter, à court terme, d’une série d’accords
Britanniques, en amont du référendum de 2016 :
elle supposait que leur appartenance à l’UE devait

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sectoriels, de la santé aux banques. Les Européens notamment, d’un budget propre à la zone euro, comme
sont particulièrement inquiets de voir le Royaume-Uni le réclame Paris (voir les avancées très mesurées sur le
jouer la carte du dumping fiscal, dès l’an prochain. sujet ces derniers mois ici ou là).
Dès septembre 2016, la déclaration de Bratislava,
adoptée par les vingt-sept capitales en réaction au
Brexit, écartait toute réécriture des traités. Elle
évoquait tout au plus la nécessité de durcir le ton
sur les migrations, et de renforcer la coopération sur
la sécurité intérieure face aux terrorismes. Depuis,
peu d’actions ont émergé. La nouvelle commission
d’Ursula von der Leyen, qui aimerait tourner au plus
vite la page du Brexit, a fait du « green deal » et du
marché unique du numérique ses deux priorités.
À l’automne, Emmanuel Macron a rejeté,
bruyamment, l’ouverture de discussions en vue de
l’adhésion de la Serbie et de la Macédoine à
l’UE – une position très critiquée à Berlin, mais
assumée par Paris, qui veut donner la priorité à l’«
À ce stade, une question reste grande ouverte : si le approfondissement », plutôt qu’à l’« élargissement »
Brexit prouve que l’Europe peut faire marche arrière, de l’Europe. Surtout, les contours d’une convention
s’agit-il du début d’un processus de désintégration sur l’avenir de l’UE, qui serait lancée le 9 mai
plus vaste ? Après soixante ans d’élargissements prochain, jour de l’Europe, se précisent, sans qu’on
successifs, allons-nous passer les décennies suivantes connaisse le statut des travaux qui y seront formalisés.
à détricoter le continent, en commençant par l’Est et
les pays de Visegrad ? « Je ne le pense pas », répond L’enceinte, qui pourrait être présidée par l’ex-premier
Nicolas Leron, qui ne croit pas à l’hypothèse d’une ministre belge Guy Verhofstadt, devrait permettre au
« méthode Monnet inversée ». parlement européen de défendre la constitution de
listes transnationales pour les prochaines élections
« L’appartenance à l’UE n’est pas une simple question européennes, ou encore de réclamer le droit
d’intérêts. Il se joue quelque chose de plus profond, d’initiative. « Tout cela, c’est très bien, juge Nicolas
qui touche au pacte politique européen, insiste Leron. Leron, mais c’est très en deçà de la puissance de la
Regardez les Grecs, qui avaient intérêt à sortir de marée montante du populisme, on n’est pas du tout sur
l’euro, mais ne l’ont pas fait [en 2015 – ndlr], parce les mêmes échelles… »
que la majorité de la population n’en voulait pas. »
Lui ne croit pas que la solution soit institutionnelle :
Comment mesurer ce risque de propagation du Brexit « C’est un problème de puissance publique. Un
à d’autres pays ? La réponse est en partie liée à la sentiment d’impuissance publique démonétise le
capacité de l’Europe à répondre aux défis posés par bulletin de vote des citoyens. Il faut reconfigurer les
la victoire du Brexit – poussée des inégalités sur le coordonnées du débat européen, et la seule façon de
continent, manque de transparence des institutions de le faire, passe par un véritable budget. »
l’UE, montée des discours racistes… Depuis 2016,
il n’y pas eu de sursaut particulier au cœur des Antoine Vauchez reste, lui aussi, prudent, face à
institutions – qui passerait par exemple par une cette Convention sur l’avenir de l’Europe : « Chaque
réforme des traités et un « approfondissement » institution va injecter son agenda dans les tuyaux.
de l’intégration européenne, via la mise en place, Cela va clarifier l’agenda des joueurs. Mais cela ne
va pas changer le jeu, comme semble le confirmer

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l’hypothèse d’une présidence Verhofstadt », insiste Et de résumer l’impasse actuelle : « Nous sommes dans
Vauchez, qui plaide, lui, pour un traité visant à une situation où la raison du maintien de l’UE réside
démocratiser le fonctionnement de l’UE (« TDem »). davantage dans la peur des coûts engendrés par la
désagrégation, que dans le fait d’être pris dans une
dynamique commune. »

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