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Phèdre

Phèdre est une tragédie en cinq actes et en vers de Jean Racine créée
le 1er janvier 1677 à Paris sous le titre Phèdre et Hippolyte1. Racine n'adopta le titre
de Phèdre qu'à partir de la seconde édition de ses Œuvres en 16872. La pièce comporte
1 654 alexandrins.

Phèdre est la dernière tragédie profane de Racine. Elle suit Iphigénie, écrite en été 1674.
Elle est suivie d'un long silence de douze ans au cours duquel Racine se consacre au
service du roi Louis XIV (il est son historiographe) et à la religion. Une nouvelle fois, il choisit
un sujet de la mythologie antique déjà traité par les poètes tragiques grecs et romains.

Sources
Dans la préface de 16773, Racine évoque ses sources, et principalement le poète
grec Euripide (484-406 av. J.-C.), qui dans sa tragédie Hippolyte porte-couronne (428 av. J.-
C.) avait traité le mythe de Phèdre après l’avoir traité dans Hippolyte voilé, aujourd’hui perdu.
Dans la pièce conservée, le héros est poursuivi par la déesse de l'amour, Aphrodite, qui dès
les premiers vers clame sa fureur d'être délaissée par le jeune homme au profit d'Artémis.
Dans Phèdre, Vénus s'acharne contre la famille de la reine dont l'ancêtre, le Soleil, avait
révélé les amours coupables de la déesse et de Mars. La fatalité prend ainsi la forme de
cette haine implacable attachée à toute la descendance du Soleil.

Sénèque, philosophe et poète romain du Ier siècle apr. J.-C., est également l'auteur
d’une Phèdre. Le récit de Théramène, dans toute son horreur, doit beaucoup à cette source
sur laquelle Racine insiste moins. Les ravages de la passion comme maladie de l'âme, ont
été également explorés par les Anciens. Citons encore les Héroïdes d’Ovide, et
l’Énéide de Virgile, en particulier Les Amours de Didon et Énée.

Le regard de l'auteur sur sa pièce


Racine, même s’il affecte de laisser à d’autres le soin d’en juger, laisse entendre dans sa
préface qu’il voit en cette pièce « la meilleure de ses tragédies ». De fait, Phèdre lui apparaît
comme l’héroïne tragique parfaite, l’intrigue tout à fait vraisemblable et le sujet propre à
élever la vertu des spectateurs par la condamnation des passions et des vices.

Des débuts agités


Créée le vendredi 1er janvier 1677 sous le titre Phèdre et Hippolyte sur la scène de l'Hôtel de
Bourgogne, la tragédie de Racine a aussitôt subi la concurrence d'une autre Phèdre et
Hippolyte due à Nicolas Pradon et créée deux jours plus tard sur la scène du théâtre de
l'Hôtel Guénégaud4. La pièce de Pradon sembla d'abord avoir les faveurs du public, la
confrontation tourna cependant rapidement à l'avantage de Racine, et la pièce de Pradon fut
oubliée au bout de quelques mois5, mais ce « doublage » fut l'occasion d'une querelle
littéraire qui, elle-même, déboucha sur l’Affaire des sonnets. En France, le sujet avait été
traité déjà plusieurs fois, en particulier par Robert Garnier, auteur d'un Hippolyte un siècle
plus tôt, puis par Gabriel Gilbert, qui avait écrit un Hypolite ou le garçon insensible en 1647.

Réception
Tout dans Phèdre a été célébré : la construction tragique, la profondeur des personnages, la
richesse de la versification et l’interprétation du rôle-titre par la Champmeslé. Contrairement
àEuripide dans Hippolyte porte-couronne, Racine fait mourir Phèdre à la fin de la pièce, sur
scène : elle a donc eu le temps d’apprendre la mort d’Hippolyte. Le personnage de Phèdre
est l’un des plus remarquables des tragédies de Racine. Elle est à la fois victime de ses
pulsions et coupable du malheur des autres, tout en aspirant à préserver toute son
innocence.

Certains vers sont devenus des classiques. On a tellement célébré la musicalité de


l’alexandrin « la fille de Minos et de Pasiphaé » que certains s’en sont moqués. Racine ne
fait pourtant jamais de la poésie pour la seule beauté des sons. La généalogie de Phèdre est
pleine de sens : elle a hérité de sa mère l’intensité de ses désirs et craint après sa mort le
jugement de son père, qui est juge aux Enfers.

Très vite Phèdre s'est imposée comme l’une des pièces les plus réussies de Racine et les
plus souvent représentées sur scène.

Phèdre : défense et illustration de la tragédie


En écrivant Phèdre, Racine s’inspire de la tragédie antique en illustrant les notions
de mimèsis et de catharsis tout en répondant aux exigences de la tragédie classique, qui
s’appuie sur des règles précises fixant le cadre dans lequel l’action est circonscrite et sur la
nécessité d’obéir à la bienséance.

Mimèsis et vraisemblance
La tragédie repose sur la mimèsis, telle qu’Aristote la concevait, à savoir non pas une simple
imitation du réel, mais un réel retravaillé par la création poétique : il importe donc de rendre
l’histoire crédible au spectateur tout en veillant à « l’intrigue, les caractères, l’expression, la
pensée, le spectacle6 . » Pour ce faire, il est nécessaire de respecter la règle dite des « trois
unités ». Unité d’action : la pièce doit reposer sur une seule intrigue. Dans Phèdre, l’intrigue
est essentiellement amoureuse et porte sur la passion interdite de la reine. L’intrigue
politique – l’amour d’Hippolyte pour Aricie que le roi ne saurait accepter – et les péripéties
telles que la mort annoncée de Thésée et son retour inattendu, nourrissent la première. La
présence de Thésée donne ainsi à l’action son unité. Unité de lieu : toute l’histoire se déroule
à Trézène. Unité de temps : « La tragédie essaie autant que possible de tenir dans une
seule révolution du soleil 7.», en l’occurrence du matin où Hippolyte décide de se lancer à la
recherche de son père et Phèdre de se donner la mort, jusqu’au soir où Hippolyte et Phèdre
meurent.

Catharsis et édification
La tragédie a une vocation morale en ceci qu’elle doit aider le spectateur à se libérer de ses
passions par l’effet d’une purgation ( catharsis ): cela ne sera possible que s’il éprouve pitié
et terreur devant le comportement excessif et funeste des personnages, comme c’est le cas
lorsqu’il se retrouve témoin de la passion coupable de Phèdre et de ses conséquences
désastreuses.

Grandeur et bienséance
Selon Aristote, « La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète8. » La tragédie
classique se doit donc d’être un genre noble qui met en scène la vie de nobles devant des
nobles. Elle se nourrit du Sublime, c’est-à-dire qu’elle a à voir avec la grandeur, l’exaltation,
le pathétique ou le lyrisme, le dépassement des contingences humaines, les forces de la
nature et la puissance des Dieux. L’auteur de tragédies veille à ne jamais heurter le bon goût
et les sentiments élevés. Aussi la représentation de la mort sur scène doit-elle être évitée, et
la vue du sang bannie : les décès d’Œnone et d’Hippolyte nous sont rapportés ; Phèdre se
donne une mort « propre » en s’empoisonnant. En outre, les personnages de rang supérieur
ne sauraient se livrer à des actes infâmes, aussi Racine a-t-il pris soin, comme il l’indique
dans sa préface, de mettre « quelque chose de trop bas et de trop noir » tel que la calomnie,
dans la bouche de la servante Œnone plutôt que dans celle d’une princesse.

Fatalité : Le sang et les dieux


Le héros racinien est d'abord l'héritier et le prisonnier tragique d'un sang familial.

Hippolyte et Aricie s'aiment mais comment imaginer qu’Aricie (« reste d'un sang fatal »)
épouse le fils du meurtrier de ses frères, en l’occurrence Thésée ? Le sang versé réclame
que l’honneur familial soit vengé et trouve réparation dans celui d’Hippolyte : « De son
généreux sang la trace nous conduit:/Les rochers en sont teints ; les ronces
dégouttantes/Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes. » (V,6, v.1556-1558).

Quant à Phèdre, nous savons que son demi-frère, le Minotaure, a été tué par Thésée et sa
sœur Ariane abandonnée par le même Thésée qui est devenu son époux.

Le héros racinien voit également son libre-arbitre considérablement restreint par la volonté
des dieux.

Phèdre, « la fille de Minos et de Pasiphaé » (I,1,v.36), petite-fille du dieu-soleil Hélios, ne


saurait échapper à la colère que Vénus voue à son grand-père pour avoir jeté la lumière sur
ses amours coupables avec Mars, dieu de la guerre. Déjà, la passion que sa mère Pasiphaé
avait conçue pour un taureau blanc lui avait été inspirée par Neptune souhaitant se venger
de son époux Minos. Puis sa sœur Ariane fut tuée par Artémis sur ordre de Dionysos jaloux.
C’est Neptune encore qui fera périr Hippolyte sur les prières de Thésée.

Les dieux se jouent donc des hommes et s'en servent pour accomplir leurs desseins, « Ces
Dieux qui se sont fait une gloire cruelle/De séduire le cœur d'une faible mortelle. » (II, 5, 681-
682). Ils punissent celui qui les néglige, tel Hippolyte qui longtemps préféra la chasse à
l'amour, la déesse Artémis à Vénus. Malheur également aux hommes dont les ennemis
trouvent l'oreille des dieux, car ils ont tout à craindre : Thésée ne pourra empêcher Neptune
de faire périr Hippolyte.

Ainsi, il apparaît que le héros tragique ne pourra échapper à son destin, car il est soumis à
une force funeste dénommée fatalité. Phèdre sait que sa passion lui vient des Dieux qui
« ont allumé le feu fatal à tout [son sang] » (II,5,v.680). Thésée comprend que faire entrer les
Dieux dans le jeu des hommes a des conséquences souvent néfastes : « Inexorables Dieux
qui m'avez trop servi ! » (V,6,v.1572) Aricie, devant le corps mort de l'homme qu'elle aimait,
lève les yeux au ciel et « par un triste regard elle accuse les Dieux. » ( V,7,v.1584)

Les Dieux sont muets quand les hommes parlent, car les Dieux n’ont pas besoin de paroles
pour agir. Les hommes, quant à eux, qu’ils parlent ou se taisent, ne peuvent rien contre la
volonté divine et la fatalité. Notons que dans la pièce, la parole tue tout autant que le silence.
Phèdre qui avoue son amour enclenche une suite qui mène à la mort ; les propos qu’elle
tient à son époux à qui elle laisse entendre que sa vertu et l’honneur de Thésée ont été
bafoués, annoncent l’issue fatale. Quand Thésée s’adresse à Neptune, il est entendu, et les
mots proférés ont un pouvoir inexorable. Quant au silence d’Hippolyte et d’Aricie, bien que
tout à leur honneur, il les précipite dans la tragédie.

Autres thèmes
Amours et Monstres
Les amours qui naissent dans les familles mythologiques engendrent des monstres, parce
que les membres en sont eux-mêmes souvent monstrueux. La mère de Phèdre aura une
relation avec un taureau blanc dont naîtra le Minotaure : Phèdre a donc un monstre pour
demi-frère. Hippolyte, ce « monstre, qu’a trop longtemps épargné le tonnerre » (IV, 2,
v.1045), s’exclame Thésée, périt devant un monstre marin, que l’on peut voir comme
l’instrument du châtiment imposé à Phèdre. Notons, d'ailleurs, que le monstre envoyé par
Neptune rappelle étrangement le Minotaure avec "son front large [...] armé de cornes
menaçantes." (V, 6, 1517)Phèdre, parlant d'elle-même implore Hippolyte : « Délivre l’univers
d’un monstre qui t’irrite » (II, 6, v. 701), pour qualifier ensuite l’homme qu’elle aime de
« monstre effroyable (III, 3, v.884) », quand Aricie tente de faire comprendre à Thésée que
parmi les « monstres sans nombre » (V, 4, v.1444) dont il a débarrassé le monde, il ne doit
pas oublier sa propre épouse. Même un personnage secondaire comme Œnone a sa place
dans cette galerie sinistre : « Va-t-en, monstre exécrable » (IV, 6, v. 1317), lui intime sa
maîtresse.

Hybris et Némésis
La conception grecque du monde reposait sur l’idée que celui-ci est régi par des lois, par un
ordre universel. Or celui-ci est bafoué par certains humains coupables d’hybris, c’est-à-dire
de démesure, d’oubli de leurs limites fixées par leur nature, par leur destin ou par les dieux.
L’hybris, qui conduit à la faute, à l’erreur (hamartia) et mène à l’égarement (até) , est puni
parnémésis. Némésis, fille de la Nuit et du Chaos – ou, selon de très nombreuses autres
versions, d’Océan, symbolise la colère divine et le châtiment qui rappelle à l’homme ses
limites. Phèdre, égarée par sa passion, enfreint l’ordre moral, familial ainsi que social et paye
les fautes commises à l’égard des divinités. Notons comment Némésis, fille d’Océan, se
manifeste dans la pièce par le déferlement des eaux marines.

A l’évidence, Racine, auteur chrétien et qui plus est janséniste, donne à némésis les
couleurs du péché.

On rejoint alors la pensée exprimée par l’auteur dans sa préface. Le théâtre doit être « une
école où la vertu n’est pas moins enseignée que dans les écoles des philosophes. » Racine
nous assure que dans cette pièce « la seule pensée du crime y est regardée avec autant
d’horreur que le crime même »[…] que « les passions n’y sont présentées […] que pour
montrer tout le désordre dont elles sont causes. » De même il importe que le poète fasse
« connaître et haïr la difformité » – ce dernier mot fait écho bien sûr à la notion de monstre.

Eros et son double


Eros et Thanatos

Eros, selon la Théogonie d’Hésiode, est né du Chaos. Né du chaos, il engendre, dans les
premiers temps de l’amour, le chaos. « Érôs, […], qui rompt les forces, et qui de tous les
Dieux et de tous les hommes dompte l’intelligence et la sagesse dans leur poitrine 9. »
Phèdre fait l’aveu impudique de ses sensations : « Un trouble s’éleva dans mon âme
éperdue ;/Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;/Je sentis tout mon corps et
transir et brûler. » (I, 3, v. 273-276) Quand elle s’adresse à sa confidente, elle s’écrie : « Sers
ma fureur, Œnone, et non point ma raison. » (III, 1, 792). En cela, elle rappelle les paroles
de Socrate dans le Phèdre : « Les amants eux-mêmes avouent qu’ils sont malades plutôt
que sains d’esprit ; ils ont conscience de leurs sentiments insensés, mais ils ne peuvent pas
se rendre maîtres d’eux-mêmes 10. » Notons que l’amour n’a pas besoin d’être entaché
d’immoralité pour opérer ses ravages. Hippolyte aussi avoue : « Je vois que la raison cède à
la violence » (II, 2, 525). Tous ses efforts pour résister à Eros ont été vains et il finit par
reconnaître : « Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus. » (II, 3, 548) Toutefois, au
désordre initial, la société – famille et cité – fait succéder l’ordre par le biais des alliances et
des mariages, de sorte que la raison reprend ses droits. En revanche, si la raison ne peut
dominer Eros, alors la tragédie ne voit d’autre issue que la mort. Il ne faut également garder
à l’esprit qu’Eros est le principe primordial de vie et qu’il est indissociable de son opposé
Thanatos. Phèdre n’ignore pas que sa passion pour Hippolyte est porteuse de mort et
pourtant, elle ne peut s’empêcher d’y succomber, mais elle sait qu’il lui faut mourir et ne
diffère cette mort que sur les instances d’Œnone. En outre, on peut se demander si ce n’est
pas Thanatos, pulsion de mort, qui pousse Hippolyte à unir son sang à celui d’Aricie alors
qu’il est conscient qu’elle est la survivante d’une famille marquée par un destin funeste.
Peut-être croit-il qu’en épousant Aricie, il préviendra le chaos, mais il se trompe car la fatalité
et les dieux ne l’entendent pas ainsi.

Eros et Antéros

La mythologie grecque nous apprend qu’Eros a un frère méconnu, appelé Antéros. Selon
l’occurrence, celui-ci revêt plusieurs visages. Il peut être l’amour réciproque, ce qui fait dire à
Socrate dans le Phèdre que l’amour que ressent l’être aimé « est l’image réfléchie de
l’amour (antéros) qu’a pour lui son amant. » Mais Antéros est aussi celui qui venge Eros
lorsqu’il est dédaigné et devient ainsi, paradoxalement, l’opposé d’Eros, à savoir le
désamour, la froideur, l’éloignement, l’antipathie, voire la haine. Rappelons-nous les paroles
de Phèdre : « Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux. » (III, 3, 884) Il faut
comprendre que les deux frères travaillent à préserver l’ordre du monde : Eros, en
rapprochant les êtres ; Antéros en empêchant le rapprochement de ceux dont l’union serait
source de désordre. Tous deux préviennent donc le retour du Chaos primitif. Or, l’amour de
Phèdre pour Hippolyte, comme celui d’Hippolyte pour Aricie introduisent le chaos dans
l’ordre familial, social, politique. Relisons la préface de Racine : « Les passions n’y sont
présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause. »

Eros et Antéros les conduiront tous deux à une mort certaine (thanatos) qui seule pourra
rétablir l’ordre.

Le mal et les mots


La faute partagée

Dans sa préface, Racine assure qu’il n’y a aucune de ses pièces « où la vertu soit plus mise
à jour » que dans Phèdre. Non seulement la faute, mais l’idée même de la faute y sont
punies et les errements de la passion amoureuse y sont présentés dans toute leur horreur. Il
conçoit sa pièce comme le champ clos où vertu et culpabilité s’affrontent, champ clos dont
les bornes sont fixées par l’idée d’innocence, appliquée au couple Hippolyte-Aricie, qui ouvre
et ferme la pièce : « Et devez-vous haïr ses innocents appas ? » (I, 1, 55) ; « Le ciel, dit-il
m’arrache une innocente vie. » (V,6, 1561)

Les deux personnages centraux sont parfaitement conscients que leur amour est porteur
d’une faute, c’est-à-dire étymologiquement, d’un manquement aux prescriptions, qu’elles
soient morales , sociales, politiques, familiales. Phèdre prévient Œnone : « Tu frémiras
d’horreur si je romps le silence. » (I, 3, 238), ainsi qu’Hippolyte : « Ne pense pas qu’au
moment que je t’aime,/Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même. » (II, 5, 673-674)
Elle sait que l’amour qui l’attire vers Hippolyte et celui qui rapproche Hippolyte d’Aricie ne
sont pas de même nature et n’encourent pas le même jugement : « Le ciel de leurs soupirs
approuvait l’innocence. » (IV, 6, 1238) Mais Hippolyte, lui aussi, voit bien « l’obstacle
éternel » qui le sépare d’Aricie et qu’il devrait se plier aux « lois sévères » de son père qui
interdit à quiconque de donner une descendance à Aricie. (I, 1, 104-105).

Dans la perspective antique, une grande part de la responsabilité des personnages se dilue
dans la fatalité et la volonté divine. C’est ainsi que l’entend Racine : « Phèdre n’est ni tout à
fait coupable ni tout à fait innocente. » Phèdre sent qu’elle n’a plus toute sa raison, mais, dit-
elle, c’est que « les Dieux m’en ont ravi l’usage. » (I, 3, 181) ; plus loin, elle s’exclame :
« Plût aux Dieux que mon cœur fût innocent […] ! (I, 3, 222). Elle connaît la coupable qui
s’acharne contre elle : « O haine de Vénus ! O fatale colère ! » (I, 3, 249) et encore :
« Puisque Vénus le veut » (I, 3, 257), « Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,/D’un
sang qu’elle poursuit tourments inévitables. » (I, 3, 277-278). Enfin, elle ne peut retenir sa
douleur : « Cruelle destinée ! » (I, 3, 301) et se présente à Hippolyte comme l’ « objet
infortuné des vengeances célestes. » (II, 5, 677) Jusqu’au bout, Phèdre et Hippolyte se
regardent comme les victimes car le mal qu’ils commettent leur a été inspiré par les dieux.
Ce sont les divinités et Œnone que Phèdre accuse : « Le ciel mit dans mon sein une flamme
funeste ;/La détestable Œnone a conduit tout le reste. » (V,7, 1625-1626). Hippolyte, quant à
lui, ironise sur le dessein des dieux lorsqu’ils favorisent Phèdre et son fils : « Dieux, qui la
connaissez,/Est-ce donc sa vertu que vous récompensez ? » (II, 6, 727-728). Avant d’être
confronté à son père, il se convainc que « l’innocence n’a rien à redouter » (III, 6, 996) et au
moment de mourir il désigne les responsables tout en se disculpant : « Le ciel, dit-il,
m’arrache une innocente vie. » (V, 6, 1561)

Nous savons Racine proche du jansénisme. Or pour un janséniste, Phèdre et Hippolyte sont
condamnés d’avance, non par la fatalité antique et la volonté des dieux mais parce que la
grâce divine ne leur a pas encore été accordée ; quoi qu’ils fassent, ils ne pourront rien
changer à leur destin tant qu'ils n'auront pas reçu la grâce divine. Le héros de la tragédie ne
voit plus son libre arbitre limité par la faute attachée à une famille mais par le péché originel
dont Adam et Eve se sont rendus coupables. Chateaubriand exprime la conviction, en
entendant le cri de Phèdre : « Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit » (IV, 6, 1291)
que « cette femme n’est pas dans le caractère antique ; c’est la chrétienne réprouvée, c’est
la pécheresse tombée vivante entre les mains de Dieu : son mot est le mot du damné.

La faute indicible

Nous disions plus haut que la scène circonscrit le duel de la culpabilité et de l’innocence.
Elle est en même temps le champ clos de la parole et du silence. Dans la pièce, la parole
coupable se dissimule, se travestit ou se rétracte, et lorsqu’elle s’exprime, il est trop tard.

Les deux héros sont contraints à « un silence inhumain », pour reprendre les propos
d’Œnone. (I, 3, 227), « un silence/Qui de vos maux encore aigrit la violence » dit-elle à sa
maîtresse. (I, 3, 185-186). Hippolyte n’y tient plus : il déclare à Aricie qu’il lui faut révéler « un
secret que [son] cœur ne peut plus renfermer (II, 2, 527-528), et face à son père : « c’est
trop vous le celer » (IV, 2, 1119). Le mal est une torture mais son aveu en est une plus
grande encore car ils savent qu’ils ne seront pas compris : « Tu frémiras d’horreur si je
romps le silence » (I, 3, 238) prévient Phèdre et les mots d’Hippolyte à Thésée : « ma
véritable offense […] malgré votre défense » portent les raisons qui l’ont amené à se taire
jusque-là.

L’amour fautif est à ce point pesant qu’Hippolyte choisit l’éloignement plutôt que de devoir
l’avouer à celle qu’il aime : « Hippolyte en partant fuit une autre ennemie:/je fuis, je
l’avouerai, cette jeune Aricie. » (I, 1, 49-50), quand Phèdre prend, elle, le parti du suicide :
« Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste. » (I, 3, 226). Elle laisse d’abord à d’autres
la responsabilité des mots coupables : « C’est toi qui l’as nommé. » (I, 3, 264) Ensuite, elle
impose le silence à son entourage car entendre le nom d’Hippolyte, c’est entendre sa faute
et son aveu : « J’ai même défendu, par une expresse loi,/Qu’on osât prononcer votre nom
devant moi. » (II, 5, 603-604)

Les figures de style viennent également au secours des personnages en leur épargnant
l’expression brutale de la vérité. Ainsi, dans la bouche de Phèdre avouant son amour,
Hippolyte devient, dans une périphrase « ce fils de l’Amazone,/Ce prince si longtemps par
moi-même opprimé. » (I, 3, 263) Lui aussi use du même procédé avant d’oser, seulement en
fin de tirade, prononcer le mot « amour ». (II, 2). Il a déjà eu recours à la litote « Si je la
haïssais, je ne la fuirais pas » (I, 1, 56) qui revient à dire : « Je la fuis parce que je l’aime. »

Quand enfin Phèdre parle, elle exprime en même temps le regret de l’avoir fait : « Je n’ai
que trop parlé », « J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre. » (III, 1, 740-742) « Ah !
cruel, tu m’as trop entendue » (II, 5, 671), ce dernier mot pouvant prendre son sens premier
et celui de « comprendre ». Elle essaie de s’emparer de l’arme d’Hippolyte pour se
transpercer le cœur. Et si Hippolyte n’en vient pas à de telles extrémités après sa déclaration
à Aricie, il est dans la crainte de n’être pas compris : « Ne rejetez pas des vœux mal
exprimés. » (II, 3, 559), ou la certitude de ne pas l’avoir été après avoir essayé de
convaincre son père : « Vous me parlez toujours d’inceste et d’adultère ? » (IV, 2, 1149)

Notons aussi que chacun des deux personnages parle des fautes de l’autre à demi-mot et
par insinuations : « Je me tais », dit Hippolyte à son père, mais ajoute aussitôt que Phèdre
l’accuse d’une horreur dont sa propre famille est pleine. (IV, 2, 1150/1152). Phèdre, quant à
elle, confie à son époux, en présence d’Hippolyte (III, 4) : « Vous êtes offensé », paroles
dont Thésée comprend les sous-entendus lorsqu’ Hippolyte lui annonce sa décision de le
quitter (III, 5).

Si l’on admet que la tragédie est la mise en scène de personnages contraints de livrer un
combat où quelle que soit l’issue ils sont perdants, alors on dira que dans Phèdre, la parole
est elle-même un enjeu de tragédie : entre parler et se taire, dissimuler ou confesser, Phèdre
et Hippolyte sont prédestinés à une alternative qui les condamne.

Personnages
 Thésée fils d'Égée roi d'Athènes
 Phèdre, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé. Le personnage de Phèdre
a souvent été interprété par des femmes d'âge mûr. Or, une analyse approfondie de la
pièce suggère qu'il s'agit d'une jeune femme.
 Hippolyte, fils de Thésée et d’Antiope, reine des Amazones
 Aricie, princesse du sang royal d'Athènes, sœur des Pallantides, clan ennemi
 Œnone, nourrice et confidente de Phèdre
 Théramène, gouverneur d'Hippolyte
 Ismène, confidente d'Aricie
 Panope, femme de la suite de Phèdre
 Gardes

La scène est à Trézène, ville du Péloponnèse.

Résumé
ACTE I. Morts et aveux : le tragique exposé

Scene 1 – Hippolyte annonce à son gouverneur, Théramène, qu’il s’apprête à quitter


Trézène afin de se lancer à la recherche de son père, le roi Thésée. Il lui confie également
son amour interdit pour Aricie.

Scène 2 – Tandis que Phèdre apparaît, Hippolyte s’enfuit.


Scène 3 – Phèdre déclare à Œnone, sa nourrice, son souhait de mourir né de son amour
coupable pour Hippolyte, fils que son mari, Thésée, a eu d’un premier lit.

Scène 4 – La mort de Thésée est annoncée : elle ouvre la succession à trois prétendants :
Hippolyte, Phèdre et une descendante de Pallante, Aricie, princesse déchue.

Scène 5 – Cette mort donne à Œnone l’occasion d’essayer de détourner Phèdre de ses
projets de suicide en lui faisant entendre que son intérêt politique la lie à Hippolyte.

ACTE II. Une double déclaration d’amour.

Scène 1 – Aricie avoue à sa confidente, Ismène, qu’elle aime Hippolyte, tandis


qu’Ismène assure Aricie qu'elle est aimée d’Hippolyte.

Scène 2 – Hippolyte déclare à Aricie qu’il est prêt à lui laisser le trône puis lui avoue son
amour.

Scène 3 – Théramène annonce la venue de Phèdre qui souhaite le rencontrer.

Scène 4 – Hippolyte, prêt à partir, ordonne à Théramène de revenir sans tarder afin de lui
donner l’occasion d’écourter son entretien avec Phèdre.

Scène 5 – Phèdre en proie à une « folle ardeur » déclare son amour à Hippolyte, auquel elle
arrache son épée pour se tuer, avant qu’Œnone n’arrête son geste et l’entraîne.

Scène 6 – Théramène revient, annonce que les navires n’attendent qu’un ordre pour mettre
à la voile, qu’à Hippolyte les Athéniens préfèrent Phèdre et pensent que Thésée n’est peut-
être pas mort.

ACTE III. Le retour du roi Thésée.

Scène 1 – Phèdre sent qu’ayant franchi les bornes de la pudeur, elle ne peut revenir en
arrière et ne peut non plus renoncer à son amour. Elle espère encore et charge sa
confidente de tout faire pour lui gagner l’amour d’Hippolyte.

Scène 2 – Phèdre invoque Vénus et l’engage à venger l’indifférence qu’Hippolyte a toujours


témoignée à la déesse.

Scène 3 – Œnone revient pour annoncer à sa maîtresse que Thésée vient de rentrer. Elle lui
conseille de prévenir les accusations en dénonçant calomnieusement les tentatives
d’Hippolyte à son encontre.

Scène 4 – Thésée se présente à son épouse qui lui réserve un accueil glacial et laisse
entendre que leur union a été souillée.

Scène 5 – Hippolyte, questionné par son père, garde le silence, et lui annonce son départ
imminent.
Scène 6 – Hippolyte se laisse d’abord aller à « de noirs pressentiments » pour finalement se
convaincre que son innocence le protègera et que son amour pour Aricie ne pourra être
ébranlé.

ACTE IV. Calomnie et malédiction.

Scène 1 – Œnone calomnie Hippolyte et le rend odieux aux yeux de Thésée.

Scène 2 – Hippolyte se retrouve face à Thésée qui le maudit malgré ses dénégations et le
chasse en priant Neptune de se faire l'instrument de sa vengeance. Hippolyte accusé ne
dénonce pas Phèdre.

Scène 3 – Resté seul, Thésée clame la nécessité qu'il soit vengé malgré l'amour qu'il portait
à son fils.

Scène 4 – Phèdre accourt auprès de Thésée pour retenir la vengeance qu'il s'apprête,
pense-t-elle, à accomplir sur son fils, lorsqu'il lui apprend qu'Hippolyte aime Aricie.

Scène 5 – Dans un monologue, Phèdre se refuse à défendre celui qui la dédaigne pour une
autre.

Scène 6 – Phèdre, perdue de désespoir, maudit Œnone qu'elle accuse de l'avoir détournée
de ses projets pour la mettre en présence d'Hippolyte qu'elle a ensuite calomnié.

ACTE V. Morts et expiation : le tragique dénoué

Scène 1 – Hippolyte prie Aricie de fuir avec lui afin qu'ils se trouvent des alliés pour défendre
leur cause, non sans s'être unis auparavant par les liens du mariage.

Scène 2 – Thésée vient chercher des éclaircissements auprès d'Aricie.

Scène 3 – Il essaie de ternir l'amour qu'elle professe pour Hippolyte, mais Aricie insinue que
le "monstre" n'est pas celui qu'il croit.

Scène 4 – Le doute s'est insinué en Thésée qui décide d'interroger à nouveau Œnone.

Scène 5 – Thésée est informé du suicide d'Œnone par noyade et de l'égarement de Phèdre.
Il ordonne alors qu'on informe son fils qu'il souhaite le voir et l'entendre et prie Neptune de
ne pas exaucer son voeu de vengeance à l'égard d'Hippolyte.

Scène 6 – Théramène rapporte à Thésée la mort de son fils dans le combat qui l'a opposé à
un monstre marin précipité sur la terre ferme.

Scène 7 – Phèdre, qui vient d'absorber une dose de poison, avoue sa faute à Thésée avant
de mourir. Le père annonce qu'il va rendre les derniers honneurs à son fils et adopter celle
qu'il aimait.
Racine : résumé de Phèdre (1677)

Phèdre, seconde femme de Thésée, roi d’Athènes, éprouve un amour criminel pour
Hippolyte, le fils de son époux ; tel est le fatal secret que lui arrache, après bien des
prières, Œnone, sa nourrice. Au moment où elle vient de faire ce cruel aveu, Thésée
est absent et bientôt le bruit de sa mort se répand dans Athènes. C’est Phèdre elle-
même qui vient annoncer cette triste nouvelle à Hippolyte ; dans cette entrevue, sa
tête s’égare et elle lui fait l’aveu de ses coupables sentiments. Hippolyte, épouvanté,
la repousse avec horreur et Phèdre, humiliée, jure de se venger de cet affront.
Cependant avant de le faire, elle essayera encore une fois de fléchir Hippolyte ;
maintenant qu’elle est veuve et libre, elle lui fait offrir la couronne pour prix de son
amour. Tout à coup le bruit se répand que Thésée n’est point mort ; il arrive même et
Hippolyte l’accompagne. Que va faire la reine déshonorée aux yeux de son époux ?
Elle est résolue à se donner la mort ; en attendant, loin d’aller à sa rencontre, elle fuit
la vue de celui qu’elle redoute. Thésée, interdit de cet accueil, interpelle la reine, et
la nourrice de Phèdre ne trouve d’autre moyen de sauver la vie de sa maîtresse, que
d’accuser Hippolyte. Que l’on juge de la colère du malheureux père, lorsque son fils,
après ces révélations, ose se présenter devant lui ! Il l’accable de malédictions, le
chasse loin de sa présence et conjure même Neptune de punir le
coupable jeune homme. Celui-ci se tait et s’éloigne. La vengeance paternelle ne
tarde pas à s’accomplir. Peu après, Théramène, accourt pour annoncer la mort
d’Hippolyte. Neptune a fait sortir du sein de la mer un monstre menaçant ; les
chevaux effrayés se sont emportes et l’infortuné jeune homme est mort de ses
blessures en protestant de son innocence. À l’ouïe de cette nouvelle, Phèdre,
accablée de remords, vient aussitôt tout dévoiler à Thésée ; mais déjà elle s’est
fait justice elle-même, car, à peine a-t-elle achevé déparier, qu’elle tombe
empoisonnée aux pieds de son époux.

Le personnage de Phèdre, tel que l’a créé Racine, est le plus beau, le plus poétique,
le plus complet qui soit au théâtre. Phèdre n’est point la victime de cette fatalité
aveugle et impitoyable du paganisme qui chargeait souvent la plus rigide vertu d’un
crime abominable dont elle n’avait pas plus la conscience que la volonté. La fatalité
qui pousse Phèdre au crime en lui laissant la conscience da sa faute, et qui la punit
de la mollesse de sa résistance et de l’insuffisance de sa vertu, nous parait
renfermer un enseignement dont il n’est personne qui ne puisse saisir le sens. Aussi,
après la lecture de Phèdre, les solitaires de Port-Royal, et entre autres le célèbre
Arnauld, pardonnèrent à leur ancien disciple la gloire qu’il s’était acquise par ses
œuvres théâtrales ; leur sévérité fut désarmée, ils ouvrirent les bras au pécheur.

Le sujet de cette tragédie est pris d'Euripide. "Quand je ne devrais, dit Racine, que la
seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j'ai peut-
être mis de plus raisonnable sur la scène." Il aurait pu ajouter aussi, le plus beau
rôle et le plus fortement tracé de tous ceux qu'il a mis au théâtre. Il s'est servi avec
une merveilleuse adresse de cette idée de fatalisme qui formait le sujet de la plupart
des tragédies chez les Anciens, et qui, chez les Modernes, et surtout chez les
Français, qui attachent une si grande importance à ce qu'on
nomme convenances du théâtre, n'aurait pu que paraître révoltant.

Racine est le seul qui ait risqué un tel rôle sur la scène française, et le Macbeth de
Shakespeare est peut-être le seul du théâtre moderne qu'on puisse comparer à
cette belle production du tragique français. Ces deux personnages, poussés vers le
crime par une fatalité irrésistible, inspirent un intérêt d'autant plus fort qu'il est plus
naturel, et qu'il résulte, non du crime qu'ils ont commis, mais du malheur qui les y
pousse. Racine était si fortement convaincu de cette vérité, qu'il observe dans sa
préface : "J'ai même pris soin de rendre Phèdre un peu moins odieuse qu'elle n'est
dans les tragédies des anciens, où elle se résout d'elle-même à accuser Hippolyte."

Racine a aussi fait quelque changement au personnage d'Hippolyte, qu'on


reprochait à Euripide d'avoir représenté comme un philosophe exempt de toute
imperfection. Il doit à l'auteur grec l'idée du sujet, la première moitié de cette belle
scène de l'égarement de Phèdre, celle de Thésée avec son fils, et le récit de la mort
d'Hippolyte.
C'est d'après la Phèdre de Sénèque que notre auteur a conçu la scène
où Phèdre déclare son amour à Hippolyte, tandis que dans l'Euripide c'est la
nourrice qui se charge de parler pour la reine. C'est aussi au poète latin qu'il doit la
supposition que Thésée est descendu aux enfers pour suivre Pirithous, et l'idée de
faire servir l'épée d'Hippolyte, restée entre les mains de Phèdre, de témoignage
contre lui, idée bien supérieure à celle de la lettre calomnieuse inventée par
Euripide. C'est aussi à l'exemple de Sénèque que Racine amène Phèdre à la fin de
la pièce pour confesser son crime, et attester l'innocence d'Hippolyte en se donnant
la mort.

Le personnage d'Aricie n'est pas non plus de l'invention de Racine. Virgile dit
qu'Hippolyte l'épousa et en eut un fils.

On a écrit des volumes pour et contre le récit du cinquième acte où Théramène


annonce à Thésée la mort de son fils. Tel qu'il est, c'est un des plus beaux morceaux
de poésie descriptive qui soient dans notre langue. C'est la seule fois que Racine
s'est permis d'être plus poète qu'il ne fallait, et d'une faute il a fait un chef d'œuvre.

Dans le rôle de Phèdre, le plus beau peut-être qu'on a jamais vu sur le scène, on
admire surtout l'art avec lequel Racine a évité les défauts de ses prédécesseurs.
Mais c'est surtout dans le quatrième acte, quand la honte et la rage d'avoir une rivale
jettent Phèdre dans le dernier excès du désespoir, c'est surtout alors que notre
poésie s'éleva sous la plume de Racine à des beautés vraiment sublimes, et c'est
après avoir déclamé cette scène avec tout l'enthousiasme que lui inspiraient les
beaux vers, que Voltaire s'écria un jour : "Non, je ne suis rien auprès de cet homme-
là."

[D'après Daniel Bonnefon. Les écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la


littérature française depuis l'origine de la langue jusqu'au XIXe siècle (7e éd.), 1895,
Paris, Librairie Fischbacher et L.T. Ventouillac.]

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