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METZ, C. - Au-Delà de L'analogie, L'image PDF
METZ, C. - Au-Delà de L'analogie, L'image PDF
Metz Christian. Au-delà de l'analogie, l'image. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 1-10;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.1212
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1212
dans
Lorsque
un premier
la réflexion
temps,
sémiologique
à mettre l'accent
se porte sur
sur Yce
image,
qui distingue
elle est forcément
le plus amenée,
manifestement cette image des autres sortes d'objets signifiants, et en particulier de la
séquence de mots (ou de morphèmes) : son statut « analogique » — son « iconicité »,
diraient les sémioticiens américains — , sa ressemblance perceptive globale
avec l'objet représenté. L'image d'un chat ressemble à un chat, alors que le
segment phonique /sa/ (ou le segment écrit « chat ») ne lui ressemble pas. On a
beau savoir que certaines images ne sont pas figuratives, comme par exemple les
diagrammes (que Charles Sanders Peirce rapprochait pourtant des « icônes
logiques »), on a beau savoir que les écritures phonétiques ne sont pas les seules
qui existent, il n'en reste pas moins difficile de ne pas lier, fût-ce provisoirement,
le problème de l'image à celui de l'analogie, d'autant que 1' « arbitraire » saussu-
rien donne à certains esprits l'impression implicite mais insistante de s'offrir
tout uniment comme le contrepoids de 1' « analogique ». (C'est oublier que
l'arbitraire, chez Saussure, ne s'oppose pas à l'analogique mais au « motivé », celui-là
n'étant qu'une partie de celui-ci * ; c'est oublier, aussi, qu'une image peut être
analogique dans son aspect global tout en contenant en elle diverses relations
arbitraires.) Pourtant, il reste vrai que la plupart des images, considérées dans
leur allure générale, « ressemblent » à ce qu'elles représentent; et le cas des arts
visuels « non-figuratifs » ne constitue en aucune façon — du moins à ce niveau du
problème — l'objection que l'on voudrait parfois y voir : car le tableau abstrait
ou le « plan » de cinéma pur, comme les autres images, ressemble à quelque chose
1
Christian Metz
(silhouette ébauchée, contour suggéré, forme géométrique, etc.); c'est le statut
de ce « quelque chose », et non le fait de la ressemblance, qui distingue l'image
non-figurative de celle où le représenté s'avoue comme un objet usuel.
Aussi est-il normal que la réflexion sémiologique sur l'image commence par
poser la notion d'analogie. Mais elle ne saurait en rester là. De plus, l'analogie
a déjà fait l'objet, dans le passé, de larges commentaires (notamment dans les
travaux des sémioticiens américains depuis Charles William Morris, et en France
dans les premiers numéros de notre revue). Ce que propose, pris dans son ensemble,
le numéro de Communications que nous présentons aujourd'hui, c'est un effort
pour porter la réflexion au-delà de l'analogie : effort explicite et « thématique »
dans la contribution d'Umberto Eco, diversement impliqué dans toutes les
autres.
Il existe en effet une attitude intellectuelle que l'on pourrait résumer comme
un arrêt sur Viconicité; elle est le propre d'un certain moment dans la sémiologie
de l'image, d'un moment initial. On sait que Charles Sanders Peirce — qui s'est
trouvé, plus qu'aucun autre dans notre champ, en position d'initiateur — avait
fait de la ressemblance (likeness) le caractère définitoire des signes iconiques;
c'est par ce trait qu'il les distinguait des deux autres catégories typologiques de
signes, les index et les symboles. A la lumière des recherches plus récentes, cette
conception appelle des aménagements et des correctifs : c'est là l'un des apports
que l'on trouvera dans les deux premiers textes de cette livraison.
Après Peirce — et souvent avec moins de nuances et de profondeur que lui — ,
beaucoup d'autres ont cédé à la tentation de trop iconiciser l'icône. Autour de
nous, pas loin de nous, se dessine tout un train de réflexions, d'impressions, de
remarques, de réflexes — toute une vulgate, épandue, multiple, à la limite de
l'anonymat — qui pousse obstinément à établir entre le « langage des images »
et le « langage des mots » une infranchissable ligne de démarcation dont le tracé
ôterait toute place aux formes intermédiaires ainsi qu'aux inclusions réciproques.
Ce partage un peu mythologique ouvre le danger d'une sorte d'antagonisme : il
propose des rôles, et l'investissement psychodramatique est toujours sur le point
de s'en emparer : l'image devient proprement un enjeu, et c'est contre le « mot »
qu'on a tendance à la jouer. Ainsi voyons-nous telles ou telles exaltations de
1' « art cinématographique » créditer leur objet d'une puissance et d'un efficace
qui sont conçus comme directement proportionnels à sa non-linguisticité supposée.
Ainsi voyons-nous certaines tentatives de la pédagogie audiovisuelle — qui ne
représentent pas, heureusement, le tout de son effort — vouloir évacuer le mot
des lieux mêmes dans lesquels sa présence demeure le recours éducatif le plus
indispensable en même temps que le plus simple. Ainsi voyons-nous, un peu
partout, des auteurs proposer gravement à leur public l'un de ces « schémas » qui
se réduisent à deux points reliés par une flèche, de telle sorte que la phrase la plus
courte et la plus simple aurait dit la même chose. Ainsi voyons-nous des
professionnels de l'image — pas tous, et pas toujours — qui en arrivent à dénigrer le
mot de façon explicite (c'est-à-dire par des mots!) : « Laïus, nous disent -ils, bla-
bla-bla, délayage! Parlez-moi d'un bon croquis, d'une bonne photo! » : comme
s'il n'existait pas des images oiseuses 1
II n'y a, en vérité, aucun sens à être « contre » la langue ou pour elle, « pour »
l'image ou contre elle. Notre tentative procède de la conviction que la sémiologie
de l'image se fera à côté de celle des objets linguistiques (et parfois en intersection
avec elle, car bien des messages sont mixtes : il ne s'agit pas seulement des images
Au-delà de l'analogie, l'image
dont le contenu manifeste comporte des mentions écrites, mais également des
structures linguistiques qui sont souterrainement à l'œuvre dans l'image elle-
même, ainsi que des figures visuelles qui, en retour, contribuent à informer la
structure des langues). Il n'est pas question, pour nous, de rejeter la notion
d'analogie; plutôt de la circonstancier, et de la relativiser. L'analogique et le
codé ne s'opposent pas de façon simple 1. L'analogique, entre autres choses, est
un moyen de transférer des codes : dire qu'une image ressemble à son objet « réel »,
c'est dire que, grâce à cette ressemblance même, le déchiffrement de l'image
pourra bénéficier des codes qui intervenaient dans le déchiffrement de l'objet :
sous le couvert de l'iconicité, au sein de l'iconicité, le message analogique va
emprunter les codes les plus divers. En outre, la ressemblance elle-même est chose
codifiée, car elle fait appel au jugement de ressemblance : selon les temps et selon
les lieux, ce ne sont pas exactement les mêmes images que les hommes jugent
ressemblantes, et des travaux comme ceux de Pierre Francastel l'ont fort bien
montré.
L' « image » ne constitue pas un empire autonome et refermé, un monde clos
sans communication avec ce qui l'entoure. Les images — comme les mots, comme
tout le reste — ne sauraient éviter d'être « prises » dans les jeux du sens, dans les
mille mouvances qui viennent régler la signification au sein des sociétés. Dès
l'instant où la culture s'en empare — et elle est déjà présente dans l'esprit du
créateur d'images — , le texte iconique, comme tous les autres textes, est offert
à l'impression de la figure et du discours. La sémiologie de l'image ne se fera pas
en-dehors d'une sémiologie générale.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, et non pas seulement de la linguistique. Dans
certains des débats confus qui entourent l'image, celui qui fait appel à des notions
1. C'est ici (notamment) que l'on touche au point où nos remarques, autant que
critiques, sont auto-critiques et voudraient marquer une évolution. Dans les premiers
numéros de Communications, certains articles relatifs aux messages visuels (et en
particulier les nôtres!) avaient le tort d'établir une opposition trop forte entre 1' «
analogique » et le « codé », au point de suggérer parfois que l'analogique, de plein droit,
exclurait tout code. Cet exemple, comme bien d'autres, montre que l'arrêt sur
l'iconicité fait peser sur toute tentative de sémiologie visuelle le risque permanent d'une
sorte de maladie de jeunesse.
Ce qui frappe d'abord, et la chose se comprend, c'est que les significations analogiques
diffèrent beaucoup de celles qui ont été le plus souvent et le plus précisément analysées,
c'est-à-dire des significations linguistiques. Cet écart est bien réel, il est considérable;
mais on a tendance à le voir encore plus grand que nature lorsqu'on en est aux débuts
d'une réflexion iconique et que l'on s'attache surtout, dans les images, à leur aspect
perceptif global. (C'est seulement en allant plus loin que l'on retrouve la langue, en
fonction d'ailleurs partielle : autour de l'image, dans la légende ou le texte
d'accompagnement; dans l'image, comme l'un de ses systèmes, parmi d'autres; par-dessus l'image,
comme ce qu'on en dit, et donc, jusqu'à un certain point, ce qu'elle veut dire.)
Tant qu'on ne l'a pas retrouvée, ce qu'on remarque le plus est son absence (absence
réelle et absence imaginaire). On court alors le risque d'une triple « réaction » en chaîne :
1° confondre langue et code, alors que la langue n'est qu'un des codes qui existent;
privilégié par l'importance considérable de sa fonction sociale, mais pas forcément
privilégié dans une typologie des codes;
2° de l'absence de langue, conclure à l'absence de code;
3° par mouvement de retour, rejeter tous les codes du côté de la langue.
Christian Metz
1. Pour ce qui est des langues naturelles, la notion de « niveau sémiologique » par
opposition au « niveau sémantique » (cf. Sémantique structurale). — Pour ce qui est des
messages visuels, l'ensemble des « Conditions d'une sémiotique du monde naturel »
(in Langages, n° 10, 1968).
Christian Metz
Dans ce sens-là du moins: insistons bien sur cette réserve. Car on- n'entreprend
pas un numéro de revue consacré à l'image si l'on estime que l'image n'a, au
fond, rien qui lui soit propre. Ce serait aussi, il ne faut pas l'oublier, une position
possible; simplement, ce n'est pas la nôtre. Se refuser à créer un domaine fermé,
comme on nous y invite trop souvent — une place forte en état perpétuel de
guerre larvée contre tout ce qui n'est pas elle, et notamment contre le « verbe » —,
c'est une chose; dénier toute importance au fait que l'on trouve des messages
qui revêtent la forme d'images et des messages qui ne le font pas (sans oublier
ceux qui le font à moitié, comme les diverses sortes de schémas) — , ce serait
autre chose.
Simplement, on s'abstiendra d'opposer l'image et le mot de façon
obsessionnelle et simpliste, on s'abstiendra de tout irrédentisme de l'image. Le travail,
aujourd'hui, consiste bien plutôt à replacer l'image parmi les différentes sortes
de faits de discours; c'est sans doute cela, « étudier l'image » : et il est vrai qu'il
faut l'étudier.
Ce qui est aussi en cause, à travers tout cela, c'est la notion même de « domaine ».
Qu'est-ce qui nous prouve que, au sein de l'entreprise sémiologique, les divisions
les plus essentielles sont celles des domaines? Qu'est-ce qui nous prouve que le
travail sémiologique doit se répartir en une série de « secteurs » alignés les uns à
côté des autres et entretenant uniformément, les uns avec les autres, ce type de
rapport que les logiciens appellent l'extériorité (= absence de toute zone
commune, de tout « produit logique ») : domaine-de-1'image, domaine-de-la-musique,
domaine-de-la-littérature, etc.? N'y a-t-il pas, dans cette façon de voir, le danger
d'un passage à la métaphysique? Car les domaines — dans un autre sens, beaucoup
plus littéral — ont bien une réalité : ils représentent des commodités de travail,
des secteurs de bibliographie, des invites pratiques à la « spécialisation », des
frontières expédientes pour une indispensable répartition des tâches; ils
correspondent à des compétences ; on ne saurait traiter de tout à la fois. Mais à partir
de là, on n'est pas obligé d'anticiper sur des partages plus profonds, plus
essentiels : ces derniers, lorsqu'ils auront été mieux étudiés, ne passeront pas
forcément par les lignes dont le tracé paraît aujourd'hui si évident à beaucoup d'esprits.
Chaque domaine constitue une unité traditionnelle, une unité léguée aux
chercheurs par les classifications usuelles et « naïves » qui ont cours dans la société
à laquelle appartiennent ces mêmes chercheurs. Le domaine représente, dans le
sens le plus strict du terme, une unité pré-scientifique.
Certains domaines correspondent en quelque sorte à des genres, c'est-à-dire
à des pratiques sociales plus ou moins stabilisées : ainsi la publicité, qui peut
faire appel aussi bien à la langue parlée qu'à l'écriture, à l'image fixe, à l'image
mouvante, etc. (mais qui demeure la publicité par ses intentions et fonctions
sociales); ainsi le roman (le roman classique), lointain avatar de l'épopée; ainsi
tels ou tels « genres littéraires » dont la répartition remonte à l'ancienne
rhétorique. D'autres domaines doivent leur unité à ce que Louis" Hjelmslev appellerait
la matière de l'expression — , ou alors (mais le cas n'est guère différent) à une
combinaison spécifique de plusieurs matières de l'expression. C'est en ce sens-là
que la peinture est un domaine ; elle a en propre — la peinture « classique », du
moins — une matière de l'expression : l'image obtenue à la main, unique et immo-
Au-delà de V analogie, V image
systèmes, mais son organisation propre. L'article de Louis Marin met l'accent
sur les jeux de la figure et du discours au sein de la « peinture » : un tableau
est une image, mais il n'est pas que cela; ou plutôt, l'image, en lui, est
intimement « traversée » par mille configurations qui, tout à la fois, nous
mènent très loin d'elle et nous introduisent en son cœur; jusqu'à un certain
point, le tableau n'est rien d'autre que la lecture qui en est faite : narration,
description, mise en scène. La contribution de Jean-Louis Schefer s'en prend à la
notion même d' « image », dont elle propose de déplacer très sensiblement la
définition : l'image n'est plus image d'un objet, mais image du travail de
production de l'image (= idée des systèmes majeurs qui sont extérieurs à la
représentation au sens courant du mot, et eux-mêmes multiples).
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Au-delà de V analogie, Vintage
Ce numéro ne prétend pas à plus d'unité qu'il n'en a. Ce que chaque auteur a
voulu dire, il l'a lui-même dit, sans attendre ces quelques lignes de présentation,
qu'a inspirées à l'un d'entre eux la lecture des autres, ainsi que la considération
plus générale des différentes recherches « sémio-visuelles » disponibles ou engagées
(et surtout de l'état actuel des attentes qui s'affirment en cette matière). A plus
d'un égard, les textes qui sont ici rassemblés demeurent divers, dans le sens
fort que ce mot tient de son origine. On n'a pas voulu qu'il en soit autrement.
Ce numéro est incomplet, et même par rapport à son propos. Le « monde des
images » est considérablement plus vaste, considérablement plus complexe
qu'il ne le laisse supposer. Pour certaines sortes d'images, pour certains des
Christian Metz
systèmes (proprement iconiques ou plus généraux) qui sont susceptibles
d'apparaître à l'image, les circonstances et l'état fortuit des disponibilités n'ont pas
permis de trouver la contribution qu'il aurait fallu.
Mais si cet ensemble, tel qu'il nous faut enfin le livrer au lecteur, pouvait du
moins contribuer à relativiser (sans l'évacuer) la notion d'analogie iconique,
s'il pouvait éveiller l'idée, aujourd'hui peu répandue, que l'analogie elle-même
(et de plusieurs façons) est chose codée, s'il pouvait détendre quelque peu le
traumatisme intellectuel dans lequel est parfois vécue l'opposition de 1' «
arbitraire » et du « motivé » (outil de travail qui ne doit pas devenir un outil de
blocage), s'il pouvait introduire à une façon plus complexe — mais peut-être
plus claire, et en tout cas moins inhibante — de comprendre l'apport que la
linguistique peut fournir à la théorie de l'image (et qui n'est intelligible que
dans une perspective sémiologique plus générale, débordant l'image sans l'exclure,
comme elle déborde la langue sans l'exclure) : alors, simplement — alors
seulement... — , nous pourrions dire que cette livraison, en tant que telle, a en quelque
mesure atteint son objet, et qu'elle a été autre chose qu'une addition de plusieurs
textes dont chacun, de toute façon, devra être lu suivant son propre fil.
Christian Metz
École Pratique des Hautes Études, Paris.