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Développement économique

et emploi en Afrique francophone


L’entrepreneuriat comme moyen de réalisation

Sous la direction de
Brahim Boudarbat et Ahmadou Aly Mbaye

Les Presses de l’Université de Montréal


DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET
EMPLOI EN AFRIQUE FRANCOPHONE
Sous la direction de Brahim Boudarbat et Ahmadou Aly Mbaye

DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET
EMPLOI EN AFRIQUE FRANCOPHONE
L’entrepreneuriat comme moyen de réalisation

Les Presses de l’Université de Montréal


L’Observatoire de la Francophonie économique (OFE) de l’Université de Montréal a été créé en
juin 2017 en partenariat avec le gouvernement du Québec, l’Organisation internationale de la
Francophonie (OIF) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Il a pour mission de
devenir une ressource de premier plan pour ce qui est des questions liées à la Francophonie
économique et, donc, un centre de calibre international d’études, de recherche et d’activités de
liaison et de transfert sur la Francophonie économique.
L’Observatoire nourrit un intérêt marqué pour les pays en voie de développement, notamment
ceux du continent africain. Il met à la disposition des partenaires de la francophonie — gou-
vernements, entreprises et organismes publics et privés — des études de haut niveau, des données
fiables et un vaste réseau d’expertises économiques vouées à la réalisation d’analyses écono-
miques résolument ancrées dans la théorie et les faits.
Merci aux partenaires de l’Observatoire de la Francophonie économique :

Mise en page : Chantal Poisson

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et


Bibliothèque et Archives Canada

Titre : Développement économique et emploi en Afrique francophone : l’entrepreneuriat comme


moyen de réalisation / [sous la direction de] Brahim Boudarbat, Ahmadou Aly Mbaye.
Noms : Boudarbat, Brahim, 1965- éditeur intellectuel. | Mbaye, Ahmadou Aly,
éditeur intellectuel.
Collections : PUM.
Description : Mention de collection : PUM | Comprend des références bibliographiques.
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 2020007220X | Canadiana (livre numérique)
20200072218 | ISBN 9782760642027 | ISBN 9782760642034 (PDF) | ISBN 9782760642041 (EPUB)
Vedettes-matière : RVM : Entrepreneuriat—Afrique francophone. | RVM : Jeunesse—Travail—
Afrique francophone. | RVM : Incubateurs d’entreprises—Afrique francophone.
Classification : LCC HD2346.A37 D48 2020 | CDD 338/ .04096—dc23

Dépôt légal : 1er trimestre 2020


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2020

imprimé au canada
Introduction
Brahim Boudarbat et Ahmadou Aly Mbaye

L’Observatoire de la Francophonie économique (OFE) de l’Université de


Montréal consacre une partie importante de ses analyses et recherches à
l’Afrique francophone, une région du monde qui, avec sa population d’un
demi-milliard d’habitants, est très importante pour l’avenir de la
Francophonie et du monde.
Le premier volume publié en 2018 a permis de brosser un portrait de
la situation économique en Afrique francophone et de traiter de ses enjeux
et de ses perspectives. Avec une croissance démographique soutenue, les
défaillances des systèmes éducatifs nationaux, la prolifération des activités
informelles et les insuffisances sur le plan de l’assistance aux chercheurs
d’emploi et aux jeunes porteurs de projets, la question de l’emploi des
jeunes se pose avec plus d’acuité et constitue un des grands défis pour les
pays de la région.
Si la question de l’emploi est une préoccupation majeure de la poli-
tique économique pour tous les pays, elle se présente sous un relief diffé-
rent en Afrique, du fait de la jeunesse de la population et de certaines
dynamiques assez spécifiques du marché du travail africain. En particu-
lier, la question du chômage — du moins en Afrique subsaharienne —
semble moins s’y poser que celle de la qualité des emplois existants, qui
font que les taux d’emploi et de chômage ne rendent que faiblement
compte de la performance du marché du travail en Afrique. Le véritable
problème est la faible qualité des emplois.
La vaste majorité des travailleurs africains évoluent dans des activités
informelles comme l’agriculture de subsistance et le petit commerce et
les services dans les espaces urbains, sans aucune sécurité d’emploi, et un
6 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

minimum d’avantages sociaux, et souvent dans un environnement assez


dangereux.
La figure 1 met en évidence une relation forte et positive entre le taux
d’emploi et la proportion des emplois vulnérables dans les pays africains
francophones. En d’autres termes, les pays qui affichent le taux d’emploi le
plus élevé sont ceux où la qualité d’emploi est la plus problématique.
De ce fait, le principal enjeu des politiques d’emploi en Afrique
concerne la consolidation des emplois existants, qui sont presque tous
informels et largement précaires.

FIGURE 1
Taux d’emploi selon la qualité de l’emploi dans les pays de l’Afrique
francophone

85,0 Madagascar
Rwanda
Niger
Burundi
75,0 Togo
Cameroun
Taux d’emploi (%)

Guinée-Bissau Bénin
Tchad
Centrafrique
65,0 Burkina Faso
Mali
Congo
Cabo Verde RD Congo Guinée
Guinée équatoriale
55,0 Maurice Djibouti Côte d’Ivoire
Sao Tomé-et-Principe

45,0
Égypte Sénégal
Gabon Mauritanie Comores
Tunisie Maroc
35,0
15,0 25,0 35,0 45,0 55,0 65,0 75,0 85,0 95,0

Notes : Les emplois vulnérables sont ceux des travailleurs familiaux non rémunérés et ceux des
personnes travaillant à leur compte, en tant que pourcentage du total des emplois.
Le taux d’emploi est le ratio emploi-population chez les personnes âgées de 15 ans et plus (esti-
mation modélisée OIT).
Source : Banque mondiale, « Indicateurs du développement dans le monde ».

Une autre particularité du marché du travail africain est que les


notions d’emploi et d’entrepreneuriat sont intrinsèquement liées, prin­
cipalement parce que la vaste majorité des emplois correspondent à des
situations d’auto-emplois, ou des emplois dans des micro- et nano-­
entreprises, et autres entreprises familiales, toutes informelles. Toutes ces
catégories d’entreprises sont, de fait, considérées en même temps comme
des emplois, pour plusieurs raisons, en particulier, à cause de la quasi-
I n t roduc t ion • 7

absence de frontière entre le patrimoine de l’entreprise et celui des pro-


priétaires. En effet, selon les directives de la 17e Conférence internationale
des statisticiens du travail, les emplois informels comprennent :
1. les employés rémunérés de manière informelle sans sécurité sociale,
congés annuels payés ou congés maladie ;
2. les employés payés dans des entreprises non enregistrées comptant
moins de 5 employés ;
3. les travailleurs indépendants dans des entreprises non enregistrées
comptant moins de 5 employés ;
4. les employeurs dans des entreprises non enregistrées comptant moins
de 5 employés ;
5. les travailleurs familiaux.
Les employés de la première catégorie sont des travailleurs informels
du secteur formel. Dans certains pays, la proportion de ces travailleurs
peut être plus importante que dans le secteur informel. Les travailleurs
des autres catégories appartiennent au secteur informel. Dans la troisième
catégorie, beaucoup d’employés informels sont à la fois des petites entre-
prises ou des microentreprises. Une grande partie des employeurs sont
considérés comme des employés informels dans la catégorie 4, parce qu’ils
travaillent dans des unités de production informelles — plus de 80 % des
emplois sont indépendants dans la plupart des pays africains.
Parce que l’emploi informel inclut l’emploi précaire dans le secteur
formel, les politiques visant l’emploi informel affecteront également le
secteur formel. Parce que l’emploi informel inclut les employeurs et les
employés, le secteur informel est au cœur du développement du secteur
privé ainsi que de la dynamique du marché du travail.
Du fait de cette forte confusion qui existe entre l’emploi et l’entrepre-
neuriat informels, soutenir l’entrepreneuriat revient à appuyer les emplois
informels, caractérisés par une très forte précarité, et d’en améliorer la
qualité. Par ailleurs, le soutien à l’entrepreneuriat vise à développer un
secteur privé national formel, capable de porter les ambitions de crois-
sance et de réduction de la pauvreté, à travers la création d’emplois
décents, dans les sociétés africaines. Les défis qui se posent à l’exercice
d’appui à l’entrepreneuriat en Afrique sont nombreux et variés. Ils sont
liés à la formation, au financement, à l’accès aux services d’infrastructure
de base, à l’accompagnement et à la connexion aux réseaux domestiques
et internationaux des affaires.
8 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

L’autre grand défi des politiques économiques dans les pays d’Afrique
en général est d’ordre quantitatif. En effet, avec une pyramide des âges
qui a une base large (taux élevé de natalité) et qui rétrécit rapidement
(Figure 2), le nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail
dépasse largement le nombre de postes qui deviennent vacants avec les
départs à la retraite ou pour d’autres raisons. Les économies africaines
devraient donc non seulement préserver les emplois existants et améliorer
leur qualité, mais aussi en créer de nouveaux, et en grand nombre, afin
de pouvoir absorber leur jeunesse. Sans quoi, les jeunes seront relégués à
l’arrière-plan et se retrouveront cantonnées dans des activités informelles
à faible valeur ajoutée.

FIGURE 2
Pyramide des âges en Afrique francophone en 2017 (%)

100+ 0
95-99 0,01
90-94 0,04
85-89 0,14
80-84 0,36
75-79 0,66
70-74 1,05
65-69 1,55
60-64 2,13
Groupe d’âge

55-59 2,75
50-54 3,33
45-49 3,94
40-44 4,76
35-39 5,81
30-34 6,9
25-29 7,84
20-24 8,71
15-19 9,9
10-14 11,43
5-9 13,29
0-4 15,4
Pourcentage

Source : Nations unies. Perspectives de la population mondiale : la révision de 2017. Département


des affaires économiques et sociales, Division de la population.

L’entrepreneuriat peut jouer un rôle important non seulement dans


l’insertion professionnelle des jeunes et des femmes, mais aussi pour
I n t roduc t ion • 9

engager l’Afrique francophone dans une véritable transformation écono-


mique qui mènerait à un développement durable.
L’objectif principal de ce deuxième ouvrage collectif de l’OFE est
de comprendre comment les gouvernements pourraient s’y prendre pour
exploiter le potentiel entrepreneurial des jeunes et des femmes pour
contribuer au développement économique de leurs pays. Plus précisé-
ment, il s’agit d’analyser les complexes interrelations entre emplois,
informalité et entrepreneuriat en Afrique francophone, et de com-
prendre les multiples contraintes qui se posent au développement de
l’entrepreneuriat privé, souvent informel, en vue d’en proposer des
remèdes politiques efficaces.
Ce volume comprend cinq parties. Dans la première partie, intitulée
« Entrepreneuriat en Afrique : entre nécessité et opportunité », la relation
entre emplois et entrepreneuriat est analysée sous plusieurs angles et à
travers différents outils. Le premier chapitre préparé par les professeurs
Mbaye et Gueye propose une analyse très fine du profil de l’emploi et de
l’entrepreneuriat, en Afrique francophone, qui sont tous les deux infor-
mels et fortement interreliés. En partant de données d’enquêtes réalisées
dans un échantillon assez représentatif de l’Afrique francophone de
l’Ouest et centrale, les auteurs montrent que la vaste majorité des
emplois en Afrique sont aussi des formes précaires d’entreprises qui ont
besoin de soutien bien ciblé, pour se renforcer, consolidant par là même
les emplois qui leur correspondent. Au titre des mesures préconisées,
ils mettent l’accent sur des formes alternatives de formation et de finan-
cement, à l’opposé de ce qui a été appliqué depuis des décennies en
Afrique. Les auteurs analysent également les raisons pour lesquelles les
incubateurs et accélérateurs d’entreprises ont eu du mal à prospérer en
Afrique, avant de proposer une palette de mesures d’accompagnement
pouvant assurer aux microentreprises informelles, qui constituent
l’essentiel de l’écosystème entrepreneurial en Afrique, d’accéder à des
réseaux professionnels bien connectés et ainsi de se renforcer.
Le deuxième chapitre, préparé par professeur Dzaka-Kikouta et ses
collaborateurs, analyse les facteurs déterminant le succès entrepreneurial
chez les jeunes Africains, diplômés de l’enseignement supérieur, et âgés
de 18-35 ans, à partir des résultats d’enquêtes de terrain réalisées dans les
deux Congo (République démocratique du Congo et République du
Congo). Leurs résultats montrent que les principales barrières à l’entre-
10 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

preneuriat des jeunes sont liées à des facteurs socioculturels, à la faiblesse


des compétences entrepreneuriales, à l’environnement de l’entreprise
privée, notamment les barrières réglementaires, la difficulté d’accès au
crédit, et l’instabilité économique et politique. Dans leurs recommanda-
tions de politiques économiques, ils mettent l’accent sur la formation, le
financement et l’accompagnement.
Dans le chapitre 3, Bakouan Saiba et al. analysent les moyens par
lesquels l’entrepreneuriat peut constituer un vecteur de lutte contre le
chômage des jeunes, à travers une étude de cas sur le Burkina Faso. Un
résultat saillant de leurs enquêtes est l’importance de l’esprit entrepre-
neurial chez la jeunesse burkinabè avec 91,5 % des jeunes en quête d’emploi
qui ont l’ambition de créer leur propre entreprise et seulement 8,5 %
recherchant un emploi salarié. Là également, la formation et le finance-
ment constituent les obstacles les plus importants à la réalisation de
l’ambition entrepreneuriale des jeunes.
La dernière étude de cas sur la relation entre emplois et entrepreneu-
riat porte sur le Maroc. Les professeurs Laghzaoui et Sliman y analysent
à travers des données d’enquête, le phénomène de l’entrepreneuriat chez
les jeunes et ses obstacles dans le contexte marocain caractérisé par un
taux de chômage élevé, notamment chez les diplômés. Parmi les solutions
préconisées, sans surprise figurent en bonne place la solution à la sempi-
ternelle question du financement, l’accès à l’information sur les pro-
grammes d’accompagnement existants et souvent méconnus, une
meilleure connexion avec la recherche, et un meilleur ciblage des pro-
grammes d’accompagnement existants.
La deuxième partie de cet ouvrage, qui comprend trois chapitres, est
consacrée à l’accès à l’information et à l’innovation, comme facteurs de
succès de l’entrepreneuriat. Le chapitre 5, réalisé par Marie-Claude Drouin,
présente une étude de cas sur les avantages liés à la sensibilisation, l’infor-
mation et la formation des jeunes entrepreneurs sur les normes, à travers
l’expérience du Réseau Normalisation et Francophonie (RNF). Ce chapitre
insiste sur la nécessité pour les PME d’avoir un recours plus accru à la
normalisation, pour faciliter leur accès aux marchés ou pour créer de la
valeur et bonifier leur stratégie d’affaires. Il insiste également sur les
compétences et connaissances nécessaires pour trouver les normes qui
sont d’intérêt pour eux, pour les appliquer, les utiliser et, ultimement, les
influencer. Dans le chapitre suivant, les professeurs Kouty et Douzounet
I n t roduc t ion • 11

mettent l’accent sur le potentiel que représente l’économie numérique


pour l’entrepreneuriat des jeunes en Afrique. Les auteurs trouvent que le
taux d’activité entrepreneurial (TAE) est très élevé chez les jeunes de la
tranche d’âge des 25 à 34 ans qui sont plus aptes à saisir les opportunités
que leur offrent les technologies numériques. Pour transformer le potentiel
du numérique en progrès entrepreneurial, les auteurs recommandent aux
autorités politiques africaines d’assurer l’émergence d’un écosystème
numérique et notamment des infrastructures et des institutions numé-
riques, de faciliter l’accès au financement et de mettre en place les incu-
bateurs et les plateformes numériques spécialement dédiées aux jeunes et
aux femmes.
Enfin, dans le chapitre 7, qui clôt cette partie, les chercheurs Tsambou
et Kamga mettent l’accent sur les facteurs explicatifs de la propension des
jeunes entrepreneurs à adopter l’innovation, et comment cette adoption
influence la performance des petites, moyennes et microentreprises
(PMME) dans trois pays de l’Afrique subsaharienne francophone
(Cameroun, Côte d’Ivoire et Sénégal). Il ressort de leurs résultats que
l’esprit d’entrepreneuriat, représenté par la capacité managériale de l’entre-
preneur, son autonomie, sa prise de risque et sa proactivité, est positive-
ment corrélé avec l’adoption d’innovations. De plus, l’adoption
d’innovations représentée par les innovations technologiques et non
technologiques a une relation positive avec la performance économique
des PMME. Ainsi, le gouvernement gagnerait à mieux développer une
culture entrepreneuriale qui intègre l’entrepreneuriat dans le système
éducatif.
La troisième partie de ce volume regroupe différents chapitres portant
sur l’éducation et la formation à l’entrepreneuriat, à travers plusieurs
études de cas. Ainsi, dans le chapitre 8, les professeurs Yassine et Jallal
présentent un état des lieux de l’intégration de l’entrepreneuriat dans les
universités marocaines. Les auteurs y présentent une analyse détaillée des
réformes et orientations stratégiques qui ont marqué l’enseignement
supérieur au Maroc et qui ont permis l’intégration graduelle de l’entre-
preneuriat et de son enseignement dans le système universitaire national.
Ils mettent l’accent sur l’ingénierie de formation selon l’approche par
compétence (APC) comme moyen de promouvoir l’enseignement de
l’entrepreneuriat dans les universités marocaines.
12 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Dans le chapitre 9, le chercheur Ismaïla Sène analyse les enjeux de


l’éducation à l’entrepreneuriat dans la réussite des projets d’entreprise des
jeunes au Sénégal. Il montre que l’éducation à l’entrepreneuriat permet
aux jeunes qui en bénéficient d’avoir des performances meilleures que
celles réalisées par ceux qui sont à la marge de l’apprentissage entrepre-
neurial. Ce constat repose sur l’analyse de trois critères que sont la péren-
nisation de l’entreprise, l’évolution du chiffre d’affaires et la capacité à
créer des emplois supplémentaires.
Enfin, dans le chapitre 10, la professeure Ghazouani et ses collabora-
trices analysent le succès de l’éducation à l’entrepreneuriat comme moyen
de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes Marocains. Elles mettent
en évidence d’importants changements dans le profil des étudiants ayant
suivi une formation à l’entrepreneuriat par comparaison avec les autres,
dans leurs attitudes, leurs performances entrepreneuriales et leur esprit
d’initiative.
La partie 4 de ce volume regroupe une série d’études sur l’efficacité
des dispositifs d’accompagnement des PME, en mettant l’accent sur le cas
des incubateurs d’entreprises. Dans le chapitre 11, les chercheurs Tchouassi
et Tagne s’intéressent à l’efficacité des incubateurs universitaires au
Cameroun. Ils trouvent que la majorité des projets d’activités entrés en
incubation se sont effectivement transformés en véritables entreprises et
que les entreprises nées du processus d’incubation en milieu universitaire
sont viables, pérennes, croissantes et productives, contrairement à celles
non accompagnées.
Dans le chapitre 12, les doctorants Haouata et Bennane proposent une
analyse perceptuelle des incubés marocains. Ils soulèvent un certain
nombre d’insuffisances, qui limitent l’efficacité des incubateurs, et pro-
posent des solutions pour y remédier, notamment à travers une amélio-
ration conséquente du dispositif de suivi-évaluation.
Enfin, dans le chapitre 13, les chercheurs Randriamanalina et
Rakotomanana présentent le cas d’une ONG d’incubation dans une école
de commerce à Madagascar, à partir de l’analyse de laquelle sont faites
un certain nombre de recommandations pratiques concernant, par
exemple le recours aux financements innovants.
La dernière partie de ce volume s’intéresse à la question spécifique
du financement des PME en Afrique. On y retrouve trois chapitres. Le
premier (chapitre 14), présenté par les professeurs Ndione et Diouf,
I n t roduc t ion • 13

analyse le rôle des institutions de microfinance (IMF) dans le finance-


ment des PME africaines. Ils montrent que si le volume des subventions,
les fonds propres et l’endettement des institutions de microfinance ont
une influence positive sur le crédit destiné aux PME, notamment celles
dirigées par des femmes, les résultats sont plus mitigés pour la qualité
de l’indice de macro-gouvernance de chaque pays et la recherche de la
performance économique.
Dans le chapitre suivant, le chercheur Djibo s’intéresse plutôt au
financement participatif et son rôle dans la promotion de l’entrepreneuriat
jeune au Niger. Ses résultats montrent que ce type de financement a un
impact considérable sur la mise en place et le succès de l’entrepreneuriat
jeune.
Enfin, dans le dernier chapitre, la professeure Doubogan et son coau-
teur M. Aliha analysent le rôle des partenariats publics et privés (PPP)
dans la réussite de l’activité entrepreneuriale dans les pays de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). L’analyse des don-
nées recueillies auprès de plus de cent acteurs impliqués dans 15 cas de
PPP locaux relevés dans trois pays (Bénin, Burkina Faso et Sénégal) a
permis de voir que les projets de PPP ne changent pas fondamentalement
les paradigmes d’emplois-jeunes, en comparaison des projets mis en
œuvre par les États.
Ce deuxième ouvrage de l’OFE, comme ce fut le cas du premier,
s’inscrit en droite ligne avec la stratégie économique pour la Francophonie.
Les études qui y sont présentées seront, sans doute, d’un grand intérêt
pour les décideurs de politiques publiques et les organismes qui cherchent
à améliorer les perspectives économiques des jeunes et des femmes dans
les pays de l’Afrique francophone. Des rapports, sur les autres défis que
doivent relever ces pays, suivront.
PARTIE I

entrepreneuriat en afrique : entre


nécessité et opportunité
chapitre 1

Dualité du marché du travail, emplois


et entrepreneuriat en Afrique
Ahmadou Aly Mbaye et Fatou Gueye

La question de l’emploi, en particulier l’emploi des jeunes, constitue un


important enjeu de politique publique en Afrique. Une démographie
galopante contrastant avec de faibles opportunités d’emplois formels
confine la grande majorité de la population africaine en âge de travailler
dans des activités informelles, souvent caractérisées par un grand niveau
de précarité et de faibles perspectives de croissance et de consolidation.
L’informalité est le trait dominant à la fois de l’entrepreneuriat et de
l’emploi en Afrique, avec plus de 95 % de l’emploi et des entreprises évo-
luant dans l’informel. Par exemple, les recensements des entreprises
effectués au Cameroun et au Sénégal montrent que les petites entreprises
informelles représentent environ 97 % du total des entreprises privées. Or,
il y a un profond désaccord entre les économistes et les décideurs sur la
question de savoir si le secteur informel doit être réprimé ou accompagné,
comme discuté en détail dans Benjamin et al. (2017), Benjamin et Mbaye
(2012). Certains soulignent ses effets négatifs sur l’économie, tels que
l’évasion fiscale et la concurrence déloyale faite au secteur formel ; alors
que d’autres mettent davantage l’accent sur le rôle du secteur informel en
tant que pourvoyeur d’emplois de dernier recours. Bon nombre de ces
analyses ne tiennent pas compte de la nature hétérogène du secteur
informel, en particulier la distinction entre les grandes et les petites
entreprises informelles. Ainsi, Benjamin et al. (2017) sont favorables à une
stratégie ciblée avec des stratégies d’intervention différenciées à l’endroit
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 17

des grandes et des petites entreprises informelles. Dans l’ensemble, pour


le cas des grandes entreprises, il est préconisé une stratégie s’appuyant
davantage sur la répression et les sanctions pour les amener à se formaliser,
tandis que pour les petites entreprises informelles, une stratégie fondée
sur l’accompagnement et l’assistance est plus de mise. L’auto-emploi
représente plus de 80 % de l’emploi total en Afrique francophone, alors
que les entreprises familiales, les micro- et nanoentreprises, constituent
la quasi-totalité du paysage entrepreneurial en Afrique.
Dans ce chapitre, nous nous focalisons sur les politiques visant les
petites entreprises informelles, en particulier les entreprises familiales,
individuelles et les microentreprises, que l’on rencontre le plus souvent
dans les pays étudiés. Ces emplois se caractérisent par un niveau extrême
de vulnérabilité et de sous-emploi. Accompagner les petites entreprises
dans leur développement stimulera le progrès technologique, la produc-
tivité et l’emploi. Le chapitre aborde les questions suivantes concernant
les petites entreprises informelles : quelles politiques et institutions pour
soutenir l’entrepreneuriat ; le rôle des organisations professionnelles ; et
l’importance des incubateurs et des accélérateurs. Le reste du chapitre est
structuré comme suit : la section 2 s’intéresse à la croissance démogra-
phique et ses implications sur la qualité des emplois existants ; la section
3 s’intéresse plus spécifiquement à la question de l’informel et comment
il structure l’emploi et l’entrepreneuriat africains ; la section 4 s’intéresse
aux obstacles à la création d’emplois formels en Afrique, en mettant
l’accent sur l’environnement des affaires ; la section 5 s’intéresse aux poli-
tiques et institutions à développer pour un appui efficace à l’entrepreneu-
riat et à l’emploi informels en Afrique ; enfin une petite conclusion clôt le
chapitre.

1. Démographie, population en âge de travailler et qualité des


emplois en Afrique

La démographie constitue de nos jours une des contraintes de taille pour


les politiques visant la question de l’emploi en Afrique. Selon les prévisions
du World Population Prospects, la part de l’Afrique dans la population
mondiale, qui était d’environ 14 % en 2007, passera probablement à 26 %
à l’horizon 2050. Alors que le taux de croissance de la population mondiale
tourne actuellement autour de 1 %, celui de l’ASS est à 2,5 % (World
18 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Population Prospects, 2017). Il y a presque un consensus maintenant que


le continent sera le réservoir de la main-d’œuvre du monde à l’horizon
2050. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que la population en âge
de travailler suive une tendance très marquée à la hausse, contrastant avec
la faible capacité de l’économie à générer des emplois décents.
Ce phénomène démographique a des implications non négligeables
sur la qualité des emplois existants en Afrique. Lorsque nous regardons
le niveau officiel de son taux de chômage, en général, on se rend compte
que, prima facie, la situation n’est pas plus catastrophique qu’ailleurs.
Le taux de chômage paraît même plus modéré en Afrique que dans bien
d’autres régions du monde. Le taux de chômage officiel, calculé avec la
méthode du BIT, est très faible en Afrique. Par exemple, il n’était que
de 1,7 % au Bénin en 2017, et n’avait jamais dépassé 2,2 % entre 2000 et
2017. Cependant, le taux de chômage officiel n’est guère un bon indica-
teur de la performance du marché du travail en Afrique, étant donné
que, dû à la quasi-inexistence d’opportunités d’emplois décents, la
plupart des emplois correspondent davantage à des activités de subsis-
tance. Golub et Hayat (2015) proposent de considérer le taux de chômage
et le taux de sous-emploi pour obtenir une image plus réelle de la situa-
tion de l’emploi en Afrique. Leurs résultats indiquent que la somme des
deux dépasse largement les 50 % de la population active, dans la plupart
des pays. De la même manière, le BIT (OIT, 2015) confirme que le taux
de chômage à lui seul ne rend pas compte de la situation de vulnérabilité
dans laquelle se trouvent les travailleurs africains, et propose de le cal-
culer avec la proportion des travailleurs irréguliers. En effet, une bonne
partie des jeunes travailleurs irréguliers interrogés dans les enquêtes
nationales se considèrent eux-mêmes comme des chômeurs, alors même
que dans les statistiques officielles, ils sont comptés comme des employés.
Le travail irrégulier comprend : les travailleurs à leur propre compte, les
travailleurs familiaux, les travailleurs saisonniers ou à la tâche, et les
travailleurs temporaires. Malgré les taux de croissance affichés par les
différents pays depuis les années 1990, la part de l’emploi vulnérable
dans le total n’a pas significativement baissé (Mbaye et al., 2020). Si elle
a légèrement baissé au Cap-Vert, elle est restée stationnaire dans presque
tous les autres pays, sur presque trente ans. Le tableau 1.1 permet de
pousser l’analyse un peu plus loin, en regardant l’évolution de la somme
du taux de chômage et de celui de l’emploi vulnérable. À la lecture de
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 19

ce tableau, nous constatons que la somme de la part des emplois vulné-


rables et des chômeurs dans la population active qui atteint des pics qui
avoisinent les 90 % au Bénin, au Sénégal et au Togo, est comprise entre
70 et 90 % au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

TA B L E AU 1.1
Total des chômeurs et des travailleurs vulnérables en Afrique de l’Ouest,
2000-2018 (% de la main-d’œuvre)

2000 2003 2006 2009 2012 2015 2018

Bénin 90,81 90,62 90,49 90,35 89,00 88,62 88,22

Burkina Faso 95,12 94,53 94,80 92,12 89,87 90,70 89,54

Cap-Vert 46,24 40,83 36,15 32,44 30,18 28,15 29,82

Côte d’Ivoire 79,48 79,53 79,91 79,72 81,15 75,54 74,67

Gambie 77,49 77,07 76,40 76,10 75,64 75,31 74,76

Ghana 79,98 78,75 77,30 76,67 74,22 71,96 70,95

Guinée 91,84 91,68 91,51 91,38 91,09 90,92 90,31

Guinée-Bissau 80,93 80,80 80,63 80,43 80,17 79,77 79,22

Mali 94,89 97,11 99,99 99,01 97,14 98,53 99,58

Mauritanie 63,62 63,25 60,21 60,37 58,64 59,10 57,67

Niger 90,15 90,16 90,07 89,78 89,41 89,29 89,09

Nigéria 82,22 81,61 80,23 79,47 79,46 79,73 79,64

Sénégal 79,92 77,75 76,34 74,19 71,47 68,04 67,32

Togo 79,75 79,77 79,58 79,40 78,97 78,39 77,75

Source : Calcul des auteurs à partir des données de ILOSTAT, 2019.

Une autre indication de la mauvaise qualité de la plupart des emplois


existant en Afrique est le niveau élevé du sous-emploi. Beaucoup d’em-
plois, qui sont comptés en tant que tels en Afrique, sont en réalité des cas
avérés de sous-emplois. Le sous-emploi est défini par rapport à deux
aspects du travail : la durée du travail et la productivité du travail (Myrdal,
1968). On distingue par conséquent deux niveaux de sous-emploi : le sous-
emploi visible, reflétant l’inadéquation de la durée du travail, et le sous-
20 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

emploi invisible, reflétant l’inadéquation de la productivité du travail.


Dans le premier cas, la durée du travail effective est inférieure à celle
conforme aux normes de l’économie en question et à ce que le travailleur
voudrait. Dans le deuxième cas, la nature du travail exercé ne correspond
pas au niveau de qualification du travailleur ni au niveau de revenu auquel
il pourrait prétendre (ILO 1998). Ces deux niveaux de sous-emploi ne sont
pas mutuellement exclusifs, un travailleur pouvant être sous-employé
aussi bien du point de vue du temps de travail que de celui de ses quali-
fications et de son revenu. En Afrique, le sous-emploi est plus invisible
que visible. En effet, les heures de travail effectuées par les travailleurs
précaires dépassent souvent de loin les normes fixées par le Code du
travail. A contrario, les niveaux de rémunération sont très faibles par
rapport à ceux observés dans le secteur formel.
Si la situation de l’emploi en Afrique est globalement très difficile, elle
l’est davantage pour certains groupes vulnérables dans les pays considérés,
en particulier les jeunes. Du fait des dynamiques démographiques propres
aux pays de la sous-région, la frange jeune de la population gagne en impor-
tance de jour en jour et la problématique de l’emploi des jeunes devient une
préoccupation politique de premier ordre. L’emploi jeune concerne géné-
ralement la tranche d’âge des 15 à 24 ans1. L’Afrique de l’Ouest, qui concentre
les records mondiaux en termes de croissance démographique, connaît aussi
les taux de croissance les plus élevés de la population jeune. Au Sénégal par
exemple, on estime que chaque année, plus de 250 000 jeunes entrent dans
la population en âge de travailler, comme primo-entrants (Golub et Mbaye,
2015), contre seulement 200 000 dans les années 2000. Il est prévu que ce
nombre augmentera encore significativement dans les prochaines années.
Dans la plupart des autres pays, la sous-région, la croissance démographique
est largement supérieure à 2 %. Pendant ce temps, la population urbaine
augmente encore plus vite. Son taux de croissance est de 6 % au Burkina
Faso, de 5 % au Niger et de 4 % au Bénin, en moyenne annuellement. Ce qui
veut dire qu’à ce rythme, la population urbaine doublera, dans un horizon
variant entre 12 et 21 ans selon les pays de la sous-région. Les mouvements
migratoires, essentiellement des campagnes vers les villes, jouent ici un rôle
amplificateur et contribuent significativement à augmenter le nombre de

1. Certaines études (par exemple ILO 2017) considèrent l’intervalle 15-29 qui, selon
leurs auteurs, reflète mieux la durée de la transition entre l’adolescence et la vie adulte.
Cependant, la plupart des données sur l’emploi jeune retiennent l’intervalle 15-24 ans.
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 2 1

demandeurs d’emploi dans les villes. Toutes ces tendances posent des défis
énormes pour l’emploi urbain et rural, mais aussi pour l’emploi des jeunes
et des femmes.
La différence de taux d’occupation entre les jeunes et les adultes est
assez élevée, tournant autour de 20 points selon les pays. Ces chiffres
cachent cependant mal le caractère assez spécifique de l’emploi jeune qui
fait que le taux de chômage pour cette frange de la population peut baisser
sans que l’emploi correspondant n’augmente, par le simple fait qu’il y a
plus de découragés ou de jeunes qui quittent le marché du travail pour les
études. C’est également dans cette tranche d’âge qu’on retrouve les NEET,
qui concerne la population âgée de 15 à 24 ans, qui n’est ni en éducation/
formation ni dans l’emploi. Les tableaux 1.2 et 1.3 présentent la part des
NEET dans la population de cette tranche d’âge. Les niveaux atteints par
les NEET dépassent largement ce qui est observé dans les pays développés
et ceux à revenu intermédiaire, et dont les moyennes tournent autour de
15 %, en général. On observe ici des pics de 30 %, voire plus, pour certains
pays. Ce qui est aussi frappant, c’est que ce phénomène touche plus les
populations rurales qu’urbaines. Le phénomène concerne aussi davantage
les femmes que les hommes. Au Sénégal, par exemple, il touche 50,5 % des
femmes contre 35 % des hommes. Comme indiqué plus haut, les NEET
sont soit des actifs chômeurs, soit des inactifs, découragés de rechercher
un emploi.

TA B L E AU 1. 2
Jeunes de 15 à 24 ans ni étudiants, ni employés, ni stagiaires (NEET) en
proportion du nombre total de jeunes dans les pays d’Afrique de l’Ouest,
2005 et 2010 (%)

2005 2010

Pays Total Hommes Femmes Total Hommes Femmes

Bénin 8,8 7,1 10,3 3,9 2,9 5,1

Burkina Faso 9,7 4,5 14,3 17,2 11 22,3

Sénégal 43,2 23,8 60,1 nd nd nd

Guinée-Bissau 20 23 18 nd nd nd

Cameroun 10,1 6,4 13,5 10,8 4,7 16

Source : Calcul des auteurs à partir des données de ILOSTAT, 2019.


22 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 1. 3
Jeunes de 15 à 24 ans ni étudiants, ni employés, ni stagiaires (NEET) en
proportion du nombre total de jeunes par région dans les pays d’Afrique
de l’Ouest, 2005 et 2010 (%)

2005 2010

Urbain Rural Urbain Rural

Bénin 11,8 6,4 4,7 3,3

Burkina Faso 25,9 5,1 18,8 16,8

Sénégal 35,1 50,5 nd nd

Guinée-Bissau nd nd 17 23

Cameroun 15,3 6,2 14,5 7,6

Source : Calcul des auteurs à partir des données de ILOSTAT, 2019.

2. Informalité, emplois et entrepreneuriat en Afrique

Selon des estimations concordantes, la part de l’informel dans le PIB


comme dans l’emploi dans les économies africaines est prédominante
(Mbaye et Benjamin, 2015). Un important défi auquel les analystes de
l’informel et les décideurs politiques intéressés à le prendre en charge font
face est son caractère tentaculaire. Selon les directives de la 17e Conférence
internationale des statisticiens du travail, les emplois informels com-
prennent (ILO, 2003 ; Shehu et Nilsson, 2014) :
a) Les employés rémunérés en situation informelle, c’est-à-dire ne
disposant pas de sécurité sociale, de congés annuels payés ni de
congés maladie ;
b) Les employés rémunérés dans les entreprises non enregistrées,
dont le nombre d’employés est inférieur à 5 ;
c) Les employés à leur propre compte dans les entreprises non enre-
gistrées, dont le nombre d’employés est inférieur à 5 ;
d) Les employeurs dans les entreprises non enregistrées, dont le
nombre d’employés est inférieur à 5 ;
e) Les travailleurs familiaux.
Les employés de la catégorie a) constituent les travailleurs informels
dans le secteur formel. Les catégories b) et c) sont les employés du secteur
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 23

informel. La catégorie c) regroupe essentiellement les micro-, voire nano-


entreprises, et l’auto-emploi. Il apparaît, en conséquence, que l’emploi
informel dépasse les frontières du secteur informel et concerne également
les emplois précaires dans le secteur formel. Il en résulte que les politiques
concernant l’emploi informel auront forcément des implications sur le
secteur formel. Plus important, l’emploi informel concerne autant les
employés que les employeurs. En effet, la catégorie d) regroupe les diri-
geants d’entreprises informelles, considérés de fait comme employés
informels. La question du secteur informel se trouve ainsi au centre des
dynamiques du marché du travail, mais en même temps de l’entrepreneu-
riat. Une bonne partie de ceux qui sont considérés comme des employés
informels sont en même temps des petites ou des microentreprises, voire
des auto-entreprenants (Organisation pour l’harmonisation en Afrique
du droit des affaires – OHADA, 2010)2. Quant à l’entrepreneuriat informel,
la définition qui en est donnée varie énormément d’un auteur à un autre
(Benjamin et Mbaye, 2012 ; Fields, 2011 ; Heinz, 2012 ; Fu et al., 2017). La
plupart des enquêtes faites dans la sous-région considèrent comme infor-
melles les entreprises qui ne sont pas enregistrées ou ne tiennent pas une
comptabilité : « Constitue une activité informelle toute activité non
enregistrée et/ou dépourvue de comptabilité écrite formelle, exercée à
titre d’emploi principal ou secondaire » (STATÉCO, 2005).
Pour avoir une estimation plus fine de l’emploi informel au Sénégal,
Golub et Mbaye (2015), partant de la population en âge de travailler
(estimée à 9 millions de personnes), ont défalqué le nombre de personnes
dans l’emploi formel (celles ayant une couverture sociale3). En Afrique de
l’Ouest, l’emploi formel constitue l’exception, et l’emploi informel, la règle.
Le solde est considéré comme constituant l’emploi informel. Le résultat
indique qu’il n’existait qu’environ 500 000 emplois formels sur une popu-
lation en âge de travailler d’environ 9 millions, soit une proportion de
seulement 5,6 %.
Les écarts de salaire entre le formel et l’informel sont criants dans la
sous-région. Les salaires et avantages dans le privé formel ont tendance à
suivre les niveaux pratiqués dans le public, et l’informel a des niveaux de
rémunération souvent en deçà du niveau de subsistance. Le tableau 1.4,

2. Acte uniforme révisé.


3. Selon Kanbur, le seul critère robuste de définition de l’emploi informel est la cou-
verture sociale.
24 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

tiré des enquêtes menées dans les pays d’Afrique francophone de l’Ouest
comme centrale, confirme largement ces tendances (Mbaye et al., 2015).
Dans ce tableau, à côté de la séparation traditionnelle formel/informel, il
est opéré une distinction assez nette entre les grandes entreprises infor-
melles (gros informel) et les petites (Benjamin et Mbaye, 2012 ; Fu et al.,
2017). Les résultats montrent que les gains moyens dans le formel sont
largement supérieurs à ceux dans le petit informel et moins importants
que ceux dans le gros informel. Une remarque de taille qui peut être faite
à propos du tableau 1.4 concerne le Gabon. Ce pays a le niveau moyen de
salaire dans le formel le plus élevé, mais aussi le niveau de salaire dans
l’informel le plus faible. L’inégalité des revenus semble y être plus forte
que dans les autres pays.

TA B L E AU 1.4 
Salaire moyen des employés selon le statut de l’entreprise (en cfa)

Gros Petit
Formel Total
informel informel

Cotonou 324 802   62 155   79 340 140 468

Dakar 467 269 265 750 182 472 264 416

Ouagadougou 326 531 319 817 134 036 216 935

Douala 364 404 168 427 103 003 211 523

Yaoundé 272 180 541 609   85 682 182 851

Libreville 656 310 204 810   67 455 200 453

Source : Mbaye et al., 2015.

La précarité des activités informelles, par-delà le salaire, se reflète


aussi dans les conditions dans lesquelles se fait la production des Unités
de production informelles — UPI (Figure 1.1). Ce graphique montre que
la plupart des unités concernées sont exclues des services de base. Une
proportion variant entre 80 et 100 % n’a pas accès à ces services. Ces
résultats confirment Benjamin et Mbaye (2012) et Perry et al. (2007). Il s’y
ajoute que dans les localités concernées, environ 80 % des employés des
UPI n’ont ni sécurité sociale ni service médical, encore moins de congés
payés (Figure 1.2).
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 25

F I G U R E 1.1
Absence de services de base dans les entreprises informelles dans les sept
capitales économiques de l’Afrique de l’Ouest (%)

100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Cotonou Ouagadougou Abidjan Bamako Niamey Dakar Lome

Sans eau Sans électricité Sans téléphone


Source : Calcul des auteurs à partir des enquêtes 1-2-3, 2001-03.

F I G U R E 1. 2
Absence d’avantages sociaux pour les employés des entreprises informelles
dans les sept capitales économiques de l’Afrique de l’Ouest (%)
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
o
n
u

e
u

ey

r
ak

ka

m
ja
go
no

m
id

Lo
m

Da
ou
to

a
Ab

Ba

Ni
Co

ad
ag
Ou

Sans sécurité sociale Sans services médicaux Sans congés payés


Source : Calcul des auteurs à partir des enquêtes 1-2-3, 2001-03.
26 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

3. De la faible capacité des économies à générer des emplois décents


Le marché du travail, en Afrique, est marqué par un important déséqui-
libre entre l’offre et la demande. Il faut voir, derrière la faible qualité des
emplois disponibles et les importants niveaux de chômage et de sous-
emplois, la faible disponibilité des emplois formels offerts par les entre-
prises. Dans cette section, nous nous intéressons à l’environnement de
l’entreprise en tant qu’il permet d’expliquer pourquoi le secteur productif
formel a autant de mal à croître et à générer des emplois de bonne qualité.
L’analyse de l’environnement de l’entreprise a une autre implication sur
l’emploi informel, souvent insuffisamment pris en compte : les dirigeants
des entreprises informelles font partie intégrante de l’emploi informel, au
sens de la résolution de la 17e CIST. L’environnement de l’entreprise affecte
ainsi autant les grandes que les petites entreprises. Par conséquent, un
environnement des affaires favorable aux grands comme aux petits acteurs
serait un atout de poids pour la génération d’emplois décents. En effet, si
les petites entreprises informelles peuvent souvent échapper à la plupart
des régulations bureaucratiques des États, au contraire des entreprises
formelles, plus visibles, elles sont souvent exclues de la plupart des services
d’infrastructure (Perry et al., 2007, Mbaye et Gueye, 2018).
La corrélation entre la capacité d’une économie à générer des emplois
décents et la taille de son secteur privé formel est bien établie dans la
littérature. En fait, l’augmentation des revenus du travail constitue la voie
première par laquelle la croissance économique se traduit par une aug-
mentation du niveau de vie et une baisse de la pauvreté (effet de ruissel-
lement). Il faut voir dans le caractère informel des secteurs productifs et
de l’emploi en Afrique le symptôme d’une mécanique de transformation
structurelle grippée (Benjamin et Mbaye, 2020). La transformation struc-
turelle d’une économie est le processus par lequel on note une migration
sectorielle des travailleurs de l’agriculture vers l’industrie, d’abord. Et,
dans un deuxième temps, alors que la croissance du secteur industriel se
tasse, le secteur des services grossit et absorbe l’excédent de travail libéré
par l’industrie. La littérature économique sur le sujet (voir Herrendorf,
Rogerson et Valentinyi, 2013) montre que le tassement du secteur manu-
facturier survient à peu près au même niveau de log du PIB dans les pays
actuellement en développement, comme ç’a été le cas dans les pays actuel-
lement développés d’Europe et de l’Amérique. Par contraste, le tassement
du secteur manufacturier survient à un niveau beaucoup plus faible de
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 2 7

revenu par personne que ce ne fut le cas pour les pays développés (Rodrik,
2015). En Afrique, la contraction du secteur manufacturier survient à un
niveau encore plus faible du PIB par personne (Benjamin et Mbaye, 2017).
L’exode des producteurs agricoles des zones rurales vers les villes se pour-
suit à un rythme soutenu. Mais l’excédent de main-d’œuvre qui en résulte
dans les villes finit par être absorbé, presque en totalité, par le secteur
informel des services à faible productivité. Les niveaux de revenu informel
dans les villes africaines sont supérieurs à ceux observés dans l’agriculture
de subsistance, mais restent très en deçà de ceux observés dans le formel
(Benjamin et Mbaye, 2017). Toute politique de promotion de l’emploi en
Afrique devrait par conséquent d’abord viser à relancer la machine d’une
croissance soutenue et inclusive qui permettrait d’augmenter significati-
vement la demande de travail des entreprises formelles.
Un environnement des affaires défavorable est le principal facteur
expliquant pourquoi le secteur privé s’atrophie et que, parallèlement,
l’informel connaît une expansion fulgurante en Afrique. La faible qualité
de la bureaucratie qui se traduit par une régulation étouffante pour le
secteur privé est un important obstacle pour les affaires en Afrique.
Loayza (1997) considère qu’une réglementation trop rigide et des impôts
trop élevés constituent les principaux facteurs déterminant l’informel.
Dans le même ordre d’idées, Arias et al. (2005) indiquent que les distor-
sions du marché du travail réduisent la productivité et entravent la mise
en place de nouvelles technologies, affectant ainsi négativement la crois-
sance. Les coûts des services d’infrastructures publiques (transport,
énergie), le coût du financement, le niveau des taxes, le manque de trans-
parence du recouvrement fiscal et des services douaniers constituent
autant de surcoûts grevant la compétitivité des entreprises privées.
Un des paradoxes du marché du travail en Afrique, c’est que la main-
d’œuvre est très abondante sans que cela ne se traduise par un coût du
travail modéré. Le coût du travail en Afrique, rapporté à la productivité
du travail, est plus élevé que partout ailleurs dans le monde en dévelop-
pement (Celowski et al., 2015 ; Gelb et al., 2017). Gelb et al. (2017) ont
montré que pour tout niveau de revenu par personne, le coût unitaire de
la main-d’œuvre est plus élevé en Afrique que n’importe où ailleurs.
Celowski et al. (2015) ont trouvé que le salaire en dollar rapporté à la
productivité en 2010, est de 1,1 en Chine et 0,7 en Malaisie, et 0,8 au
Mexique et en Colombie, contre 6,5 au Sénégal, en 2010. En plus du coût
28 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

du travail, des régulations rigides et multiformes, de nature plus intan-


gible, affectent le marché du travail en Afrique : restrictions concernant
l’embauche et le licenciement, les congés et autres. Golub et Mbaye (2015)
ont construit un indicateur de rigidité du marché du travail, basé sur ces
différentes restrictions et régulations s’appliquant au travail. Les résultats
obtenus montrent que parmi les pays ayant un score inférieur à 0,2, il y a
un seul pays d’Afrique de l’Ouest (le Nigéria). Le Niger, le Congo et le
Sénégal ont les scores de rigidité les plus élevés.
D’autres facteurs concourent à limiter l’expansion de l’entrepreneuriat
privé et de l’emploi formel, contribuant ainsi à l’expansion de l’informel.
Alors qu’une corrélation positive assez forte est notée entre le taux d’accès
à l’électricité et le niveau du PIB par personne, beaucoup de pays africains,
pour un même niveau de revenu par personne, ont des taux d’accès rela-
tivement plus faibles que ceux de leurs homologues asiatiques (Mbaye et
Gueye, 2018). La même remarque peut être faite sur l’accès et le coût du
financement. Le niveau de financement bancaire de l’investissement privé
est plus faible en Afrique que dans les pays comparateurs. Les coûts des
différentes formes de transport et l’inefficience de la chaîne logistique
sont aussi des obstacles de poids.
D’un autre côté, élever le niveau de formation des travailleurs contri-
buerait non seulement à les rendre davantage employables, mais augmen-
terait aussi les capacités entrepreneuriales des très petites entreprises,
souvent individuelles ou familiales, qui constituent l’essentiel de l’emploi
informel et de l’auto-emploi en Afrique.

4. Appuyer l’entrepreneuriat pour améliorer la qualité des emplois


existants

L’une des principales faiblesses du secteur informel est le manque de


soutien efficace au développement des compétences et des attitudes entre-
preneuriales. Les pays africains manquent de formation professionnelle
et entrepreneuriale adéquate (Mbaye, 2002). Étant donné la part écrasante
de petites et moyennes entreprises (PME) dans le paysage entrepreneurial
africain, le soutien au secteur privé devrait comporter une stratégie cohé-
rente pour soutenir ces entreprises, presque toutes informelles. Dans le
monde, en moyenne, plus de trois PME sur cinq ne survivent pas à leur
troisième anniversaire (Zogning et Mbaye, 2015). Le taux d’échec est
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 29

considérablement plus élevé en Afrique de l’Ouest. Benjamin et Mbaye


(2012) signalent qu’au Bénin, seulement 25 % des entreprises informelles
figurant dans leur échantillon de 2007 étaient toujours en activité deux
ans plus tard. Parmi les nombreuses raisons de ce taux d’échec plus élevé
en Afrique de l’Ouest, nous constatons de manière récurrente le finance-
ment insuffisant, le manque de planification, le surendettement, la mau-
vaise gestion de la trésorerie, le manque d’expérience, le service client
médiocre, le non-respect des réglementations et l’incapacité à innover
(Mbaye et al., 2015).
Plus généralement, le taux d’échec élevé indique que la plupart des
entrepreneurs informels n’ont pas les compétences et les attitudes pour
développer, exploiter et faire croître leur entreprise afin d’atteindre les
normes d’une entreprise moderne. Une politique entrepreneuriale
réussie doit être centrée sur les points suivants : une formation profes-
sionnelle adaptée aux compétences requises ; des institutions incuba-
trices favorisant la création d’entreprises ; le financement sous forme de
prêts et de subventions à différentes étapes du cycle de vie de l’entreprise ;
et des services de soutien et d’accompagnement efficaces. Dans la suite
de cette section, nous proposons une explication détaillée de chacune
de ces composantes.

4.1 Formation professionnelle et entrepreneuriale

Pour la plupart des PME, en particulier celles du secteur informel, l’orga-


nisation des entreprises tourne autour d’une seule personne qui est à la
fois propriétaire et gestionnaire. Ce propriétaire/gestionnaire peut être
hautement qualifié dans certaines tâches techniques, par exemple la
réparation automobile ou la plomberie, mais souvent ne dispose pas des
aptitudes nécessaires pour gérer une entreprise. Les programmes de for-
mation visant l’entrepreneuriat doivent s’accompagner d’une refonte de
l’enseignement formel, qui ne fournit pas de compétences adéquates pour
l’emploi, du fait de l’inadéquation entre les compétences recherchées par
les employeurs et celles que les employés offrent. Le manque de formation
professionnelle et entrepreneuriale adéquate est un obstacle de taille au
développement des entreprises informelles en Afrique. Le tableau 1.5,
provenant des enquêtes effectuées par Mbaye et al. (2020), montre qu’entre
40 et 63 % des entrepreneurs du petit informel étaient autodidactes. Les
TA B L E AU 1. 5
Source de formation des employés et des gestionnaires selon le statut de l’entreprise (%)

Ville Statut de l’entreprise École professionnelle Grandes entreprises Petite entreprise Autodidacte Autre Total

Formelle 22,0 11,6 2,4 11,6 52,4 100

Grande informelle 28,9 4,4 6,7 33,3 26,7 100

Petite informelle 14,0 0,7 7,0 42,0 36,4 100

Libreville
Total 19,6 6,3 4,8 26,7 42,6 100

Formelle 43,6 24,0 8,4 18,8 5,2 100

Grande informelle 32,7 4,1 0,0 40,8 22,4 100

Douala
Petite informelle 12,8 2,6 24,5 55,6 4,6 100

Total 35,2 17,4 11,9 29,4 6,1 100

Formelle 38,0 17,5 5,2 35,0 4,3 100

Grande informelle 38,5 11,5 3,8 46,2 0,0 100

Petite informelle 19,9 3,5 9,9 63,7 2,9 100

Yaoundé
Total 32,1 12,6 6,7 44,9 3,6 100
30 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 31

entrepreneurs de l’économie formelle et les grandes entreprises infor-


melles avaient des niveaux de formation professionnelle plus élevés que
ceux des petites entreprises informelles. Par exemple, à Douala, seulement
13 % avaient une formation professionnelle tandis que 80 % étaient soit
autodidactes soit recevaient une formation sur le tas.
La formation professionnelle des acteurs du secteur informel doit être
très pratique et fournir les compétences propres à leur métier. Il devrait
comprendre des ateliers bien conçus qui imitent les lieux de travail réels,
une formation individualisée, des visites de coaching et de suivi et un
placement dans des stages adaptés. Les entrepreneurs pourraient ainsi
acquérir les compétences nécessaires pour lancer et gérer avec succès une
PME. La formation devrait fournir l’occasion de tester et d’affiner l’idée
d’entreprise avec l’aide de professionnels expérimentés. La formation
devrait aider chaque participant à effectuer son analyse de marché, à
développer sa stratégie marketing, sa stratégie opérationnelle, son orga-
nisation des ressources humaines et son plan financier. Chaque partici-
pant doit passer une grande partie de son temps sur le terrain à collecter
les informations nécessaires à son projet et à bénéficier d’un retour d’expé-
rience et d’un coaching dans l’analyse et le traitement de ces informations.
Des réunions et des séminaires avec des professionnels devraient être
prévus. Ces rencontres avec des spécialistes de la fiscalité, de la compta-
bilité, du notariat et du droit des affaires permettraient aux futurs entre-
preneurs de se familiariser avec les procédures et défis administratifs,
juridiques et financiers liés au démarrage d’une entreprise (Mbaye et
Zogning, 2020). Cette formation doit être accessible à un large éventail
d’entrepreneurs potentiels, y compris ceux qui ont un niveau d’éducation
minimal et une formation générale préalable. Les stagiaires doivent
repartir avec un plan d’affaires complet et bien conçu, prêt à démarrer
leur entreprise avec un projet viable.

4.2 Programmes d’incubateur et d’accélérateur d’entreprises

Si la formation professionnelle des entrepreneurs répond au manque


d’expérience et de compétence managériale des entrepreneurs, elle ne
répond pas aux sempiternelles questions de financement et de coûts
d’installation élevés. Les nouveaux entrepreneurs démarrent dans un
environnement dans lequel peu de facteurs sont sous leur contrôle. Il
32 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

faut généralement beaucoup de temps pour développer une clientèle.


Pendant la période initiale au cours de laquelle la plupart des entreprises
gagnent peu ou pas de revenus, les coûts inévitables du loyer, de la main-
d’œuvre, de la commercialisation et des capitaux peuvent entraîner de
graves problèmes de trésorerie en l’absence d’un plan financier adéquat.
Un incubateur d’entreprises peut aider les entreprises nouvellement
créées à relever certains de ces défis en leur fournissant des installations
physiques regroupées, des conseils professionnels et des outils de gestion
pour les aider à traverser cette période difficile de leur développement.
Les services offerts par les incubateurs comprennent généralement des
loyers bas avec accès à des espaces de travail avec électricité, téléphone
et Internet à moindre coût et un meilleur accès au financement.
L’incubateur est en mesure de fournir ces installations et services à des
coûts réduits pour plusieurs raisons : les gouvernements, les donateurs
ou les ONG peuvent fournir des subventions ; des économies d’échelle
découlant de la mise en commun d’un grand nombre d’entreprises ; et,
dans le cas du financement, la crédibilité de l’incubateur renforce la
confiance des banques. Les incubateurs fournissent également un sou-
tien technique utile et des services professionnels (études de marché,
tenue de comptabilité, déclarations de revenus, etc.), du mentorat
(apprentissage auprès d’entrepreneurs chevronnés) et des opportunités
de réseautage avec d’autres entrepreneurs au sein du même incubateur
(Mbaye et Zogning, 2020).
Les incubateurs d’entreprises peuvent avoir un impact significatif à
long terme sur l’économie car ils renforcent la culture entrepreneuriale,
soutiennent les nouvelles entreprises à fort potentiel de croissance, les
aident à établir des liens plus étroits avec d’autres entrepreneurs évoluant
dans les mêmes secteurs, transmettent les connaissances des centres de
recherche partenaires et des universités, et augmentent ainsi considéra-
blement le taux de survie et de réussite des PME.
Comme les incubateurs, les accélérateurs d’entreprises soutiennent
et développent de nouvelles entreprises. Alors que les incubateurs sont
généralement des entités à but non lucratif, notamment des universités,
des agences gouvernementales nationales et locales, les accélérateurs sont
des organisations de capital-risque à but lucratif qui fournissent un finan-
cement, un soutien technique et logistique et une expertise en échange
de participations dans l’entreprise (Mbaye et Zogning, 2020).
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 3 3

4.3 Améliorer l’accès au financement

Les contraintes de financement sont un obstacle important au dévelop-


pement des PME en Afrique. Mbaye, Diop et Gueye (2017) ont constaté
qu’au Bénin, seulement 15,6 % des PME avaient accès à des prêts bancaires,
contre 59,5 % des grandes entreprises4. Les chiffres correspondants sont
de 14,2 et 70,6 % au Sénégal et de 17,6 et 56,9 % au Niger. De même, les
petites entreprises sont soumises à des exigences de garantie beaucoup
plus onéreuses que les grandes entreprises. Une garantie est requise pour
95,6 % des petites entreprises contre seulement 58,8 % des grandes entre-
prises au Bénin ; au Niger, les proportions correspondantes sont de 100 et
72,4 %. Le niveau de garantie requis pour les petites entreprises est égale-
ment plus élevé. Au Bénin, il représente en moyenne 209,6 % de la valeur
des prêts pour les petites entreprises contre 127,4 % pour les grandes
entreprises. Au Burkina Faso, les proportions correspondantes sont de
127,4 et 88,4 %.
Nos données d’enquête (Mbaye et al., 2020) montrent le niveau d’accès
au crédit, en distinguant les entreprises formelles, les grandes et les petites
entreprises informelles. Une infime proportion des petites entreprises
informelles en Afrique de l’Ouest et centrale ont accès au crédit bancaire.
Par exemple, à Douala, 2 % des petites entreprises informelles ont accès
au crédit contre 5 % à Dakar (voir Figure 1.3).
Les taux d’intérêt sont élevés en Afrique de l’Ouest et centrale, et
les petites entreprises informelles font face à des taux particulièrement
élevés. Les entreprises formelles de Dakar, Cotonou et Libreville paient
généralement des taux d’environ 15 %, tandis que les entreprises for-
melles de Yaoundé et Douala sont confrontées à des taux supérieurs à
20 %. À Libreville, les entreprises informelles doivent composer avec des
taux d’environ 20 %, tandis que les taux à Yaoundé et Douala peuvent
atteindre 50 %.

4. Cette étude a utilisé les données de la Banque mondiale et les PME sont définies
comme des entreprises de 5 à 19 employés, et les grandes entreprises de 100 employés ou
plus.
3 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

F I G U R E 1. 3
Proportion d’entreprises ayant reçu un financement bancaire (%)

25

20

15

10

0
Cotonou Ouagadougou Libreville

Formel Gros informel Petit informel


Source : Mbaye et al., 2015.

4.4 Le rôle des organisations professionnelles

Les politiques gouvernementales sont principalement orientées vers le


secteur formel. L’une des raisons importantes de la négligence du secteur
informel est qu’il est difficile d’élaborer des politiques pour les activités
informelles lorsque l’on sait peu de choses sur les ventes, les caractéris-
tiques, les aspirations et les défis des entreprises informelles. L’incapacité
des gouvernements africains à mettre en œuvre des politiques adaptées
aux petites entreprises du secteur informel n’a pas été largement abordée
dans la littérature ; les quelques exceptions incluent Mackenzie (2016) et
Zogning et Mbaye (2015). Plus important encore, les agences de recouvre-
ment des impôts sont généralement les institutions gouvernementales les
plus puissantes, et elles s’intéressent généralement peu au secteur informel
au-delà de la préoccupation de l’augmentation de l’assiette fiscale. Souvent,
les autorités fiscales offrent des taux d’imposition réduits aux entreprises
informelles pour encourager le paiement. Cependant, offrir des réductions
d’impôts aux entrepreneurs qui ne paient aucun impôt semble une
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 35

approche plutôt étrange. De plus, donner la priorité à la collecte des impôts


plutôt qu’à l’accompagnement ne fait qu’ajouter à la méfiance des diri-
geants d’entreprises informelles envers le gouvernement, d’où leur faible
niveau d’implication dans les programmes de soutien aux PME.
Les organisations professionnelles peuvent jouer un rôle plus
constructif que le gouvernement à certains égards. Elles sont souvent
beaucoup moins bureaucratiques et corrompues que les fonctionnaires et
les agences qui supervisent le secteur informel et les PME.
Malheureusement, nos enquêtes montrent que très peu d’entreprises
informelles appartiennent à des associations professionnelles, notamment
en Afrique centrale où la part des entreprises membres de telles organi-
sations est d’environ 2 % à Yaoundé et Libreville et 4 % à Douala. Les
chiffres sont légèrement plus élevés en Afrique de l’Ouest, en particulier
à Dakar où la part est de 19 % (Tableau 1.6).

TA B L E AU 1.6
Proportion d’entreprises qui appartiennent à une association
professionnelle (%)

Ville Formel Gros informel Petit informel Total

Dakar 29,7 40,0 19,0 25,0

Cotonou 35,3 28,9 13,0 20,7

Ouagadougou 18,0 21,2 7,5 10,4

Douala 39,8 11,1 4,1 18,8

Yaoundé 14,8 30,0 2,2 8,5

Libreville 20,0 5,3 2,3 6,2

Source : Mbaye et al., 2015.

Comme première étape vers la conception de politiques plus ciblées,


les organisations professionnelles pourraient recenser les entreprises du
secteur informel pour vérifier leur répartition géographique et sectorielle.
D’autre part, cela serait utile pour mettre en lumière le rôle très important
que le secteur informel joue dans de nombreuses industries. Une meilleure
connaissance du secteur informel faciliterait également la conception de
politiques plus ciblées, notamment pour améliorer le contrôle de la qualité.
36 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Les registres des entreprises informelles accessibles au public permet-


traient également à ces entreprises d’étendre leur réseau, d’échanger des
informations et de collaborer avec d’autres.
Pour promouvoir la qualité et le professionnalisme dans le secteur
informel, il est impératif que des systèmes de notation des programmes
de formation professionnelle soient développés et diffusés. Les organisa-
tions professionnelles peuvent jouer un rôle clé à cet égard en favorisant
l’émergence de systèmes de formation plus modernes. Les gouvernements
devraient soutenir et, le cas échéant, financer des programmes de forma-
tion approuvés par des organisations professionnelles. L’appartenance à
une organisation ou une association professionnelle fournit un signal
positif aux partenaires potentiels des PME.

Conclusion

Le secteur informel est très divers. En particulier, les grandes entreprises


informelles pourraient assez facilement se formaliser mais choisissent de
ne pas le faire, tandis que les petites entreprises informelles ont un besoin
urgent d’assistance et fournissent un emploi de dernier recours à de nom-
breuses personnes. Dans ce chapitre, nous nous sommes concentrés sur
les politiques à l’égard de ces dernières. Ceci est d’une importance cruciale
étant donné la prédominance des petites entreprises informelles dans le
paysage entrepreneurial africain et leur statut précaire. Nous avons passé
en revue l’environnement des affaires dans les pays d’Afrique francophone
et le système juridique de l’OHADA, dont des variantes sont en vigueur
dans tous ces pays. Bien qu’il existe certaines dispositions concernant les
PME, en général, une attention relativement faible est accordée aux petites
entreprises informelles. La principale préoccupation des autorités est
simplement de les taxer davantage, avec peu ou pas d’efforts pour fournir
des services et les encourager à se formaliser.
Nous avons proposé un certain nombre de mesures pour aider les
petits opérateurs informels. Les programmes d’incubateurs et d’accélé-
rateurs d’entreprises par lesquels le gouvernement, des ONG ou des
donateurs réunissent un certain nombre de petites entreprises pour
fournir un encadrement et divers types de soutien se sont révélés efficaces
dans les pays développés. Bien que les données manquent sur leur efficacité
en Afrique, il y a des raisons de croire que ces programmes peuvent être
Dua l i t é du m a rch é du t r ava i l , e m pl ois et e n t r e pr e n eu r i at • 37

encore plus bénéfiques en raison des graves contraintes auxquelles font


face les entrepreneurs. Les associations professionnelles peuvent égale-
ment jouer un rôle plus important dans la collecte d’informations sur le
petit secteur informel et la coordination des programmes d’assistance.
Les gouvernements devraient travailler avec le secteur privé pour étudier
et mettre en œuvre de telles mesures.

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chapitre 2

Enjeux et perspectives de
­l’entrepreneuriat des jeunes en Afrique
francophone
Quelques leçons d’enquêtes dans les deux Congo

Théophile Dzaka-Kikouta, Justin Kamavuako Diwavova et


Xavier Bitemo Ndiwulu

Le taux de chômage des jeunes avoisine les 30 % dans nombre de pays,
notamment en Union européenne, dans les États arabes et en Afrique
subsaharienne (Pompa, 2016). L’étude de Boudarbat et Ndjaba (2018 :
58-65) révèle que, dans le contexte des pays africains francophones, le fort
taux de chômage des jeunes s’accompagne de la prépondérance des acti-
vités informelles. En effet, les pays où le taux de participation à la popu-
lation active est faible sont pour la plupart ceux qui ont des taux de
chômage élevés. Si on combine ces taux de chômage élevés avec des taux
d’activité relativement faibles (moins de 64,0 % en moyenne en Afrique
francophone pour les personnes de 15 ans et plus en 2017), on réalise à quel
point les pays concernés se privent de ressources humaines importantes
qui pourraient contribuer à leur développement. En outre, la prédomi-
nance des emplois vulnérables demeure une préoccupation majeure en
Afrique francophone (62 % des travailleurs occupaient un emploi vulné-
rable en 2017 contre 42,5 % ailleurs dans le monde), vu qu’elle limite les
chances d’une intégration professionnelle réussie des jeunes et d’un vrai
développement économique.
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 41

L’entrepreneuriat devra donc exploiter un vivier sans cesse croissant


des jeunes en Afrique, dont plusieurs sont de plus en plus qualifiés. En
effet, on estime que près de 29 millions de jeunes Africains entreront
chaque année sur le marché du travail d’ici 2030. Pour valoriser ce divi-
dende démographique, il est indispensable de développer des activités
entrepreneuriales qui pourraient occuper cette main-d’œuvre croissante
pour lutter efficacement contre le chômage et, partant, contribuer à endi-
guer à la source la crise de l’émigration économique vers l’Europe.
Néanmoins, la dynamique entrepreneuriale des jeunes Africains est
manifeste, vu qu’actuellement : primo, 72 % des jeunes sont attirés par
l’entrepreneuriat ; secundo, les 75 % de la population active estiment que
l’entrepreneuriat est un bon choix de carrière (OCDE, 2017) ; tertio, les
entrepreneurs d’Afrique sont en moyenne plus jeunes (l’âge médian y est
de 31 ans) qu’en Asie de l’Est (BAD/OCDE/PNUD, 2017).
En général, l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, sous réserve
de desserrer les principales contraintes qui pèsent sur lui, spécialement
le manque ou l’insuffisance des compétences entrepreneuriales, peut
constituer, y compris en contexte des pays francophones d’Afrique, un
véritable moteur de la transformation économique structurelle pour le
développement durable des pays africains (Dzaka et Mabenge, 2018).
Ainsi, cette étude a pour objet d’analyser les enjeux et les perspectives
de développement de l’esprit d’entreprise des jeunes, dans le cadre des
pays africains francophones, particulièrement dans les deux Congo où le
taux de chômage des jeunes reste élevé. Plus précisément, notre recherche
focalise l’analyse sur l’intelligibilité des facteurs relevant (i) du profil des
jeunes entrepreneurs et des caractéristiques de leurs affaires ; (ii) des
obstacles à l’entrepreneuriat jeunesse ; (iii) des déterminants de l’intention
d’entreprendre chez les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ; ainsi
que sur (iv) des politiques publiques et privées de promotion de l’entre-
preneuriat des jeunes pour le développement des pays sous analyse. Notre
problématique consiste à répondre à la principale question de recherche :
comment promouvoir l’esprit d’entreprise des jeunes, en contexte de pays
africains francophones ?
Sur le plan méthodologique, nous avons convoqué la littérature dis-
ponible sur les travaux conceptuels et théoriques et mobilisé des méthodes
économétriques (modèle logit) et statistiques. En outre, les données
empiriques analysées reposent sur deux enquêtes effectuées en 2018 dans
42 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

les deux Congo : une première enquête auprès de 200 jeunes entrepreneurs
âgés de moins de 35 ans, exerçant tant dans le formel que l’informel ; et
une deuxième auprès de 200 étudiants finalistes. En plus, deux entretiens
ont été conduits dans les institutions de l’Enseignement Supérieur et
Universitaire (ESU) et dans les incubateurs pour mettre en évidence le
rôle de ces dispositifs dans la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes.
On retient ici la définition de l’entrepreneuriat qui s’inspire des tra-
vaux de Gartner (1989) : (a) un processus qui conduit à la création d’orga-
nisation ; (b) structurée, finalisée et issue d’une démarche d’innovation
ou de création de valeur ; (c) par des individus singuliers, possédant un
certain potentiel ; et (d) évoluant dans un environnement incitatif, propice
à la croissance de la petite entreprise. À la suite notamment de Chigunta
(2002) et Schoof (2006), l’on peut retenir que l’entrepreneuriat des jeunes
est celui qui concerne des hommes et des femmes âgés de 15 à 35 ans. Il
peut être à but lucratif ou proposer des solutions à des problèmes sociaux.
Les entrepreneurs sont soit des travailleurs indépendants soit des
employeurs qui rémunèrent un personnel. Pour la suite, ce chapitre est
structuré en deux sections. La première traite de la revue de la littérature
sur l’entrepreneuriat des jeunes tandis que la seconde est dédiée à l’étude
empirique de l’entrepreneuriat des jeunes dans les deux Congo.

1. Revue de la littérature sur l’entrepreneuriat des jeunes

Dans ce qui suit, nous présentons d’abord le cadre conceptuel de l’étude


et dégageons ensuite les spécificités de l’entrepreneuriat des jeunes en
Afrique francophone.

1.1 Cadre conceptuel

Nonobstant le fait que l’entrepreneuriat constitue un choix prioritaire des


politiques publiques africaines et un domaine de formation privilégié
(Albagli et Henault, 1996), il s’affiche depuis un temps comme un champ
d’étude à part entière, au même titre que le management (Hernandez,
2010). Étudier l’entrepreneuriat en tant que processus d’émergence orga-
nisationnelle revient, selon Gartner (1989), à analyser les interactions entre
trois éléments comme le montre le cadre conceptuel ci-après :
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 43

F I G U R E 2 .1
Les déterminants de l’entrepreneuriat

Entrepreneur (Individu singulier :


entrepreneur d’opportunité)
Besoin de réussite; réalisation personnelle ;
confiance en soi; plein de motivation; autonome,
indépendant ; goût du risque ; visionnaire ; compétence
en gestion; modèle d'entrepreneur (parent).

ENVIRONNEMENT (Incitatif ) ENTREPRISE (Organisation viable)


Disponibilité des ressources ; Structurée et finalisée
structures d’aide; bon cadre (objectifs clairs); main-d’œuvre
réglementaire ; climat des affaires; qualifiée et motivée ;
proximité d’universités; innovante et créatrice de valeur;
conditions de vie système d’information de gestion;
(pouvoir d’achat). marché (demande) durable.
PROCESSUS (Son métier)
L'entrepreneur identifie une opportunité ;
il accumule des ressources (dispose du potentiel) ;
il élabore le projet ; il fabrique le produit (réalise le service) ;
il construit (impulse) l’organisation ;
il contribue à la croissance économique.

Source : Adaptée de Gartner, 1989.

Notons par ailleurs que l’ensemble des perspectives de recherche en


entrepreneuriat s’inscrivent dans le cadre du présent modèle que nous
qualifions de modèle intégrateur d’accumulation des savoirs entrepre-
neuriaux. En effet, les thèmes explorés par les chercheurs en entrepreneu-
riat se rapportent soit à l’une soit à un groupe des trois variables du
modèle.

De l’entrepreneur

On soutient que les entrepreneurs possèdent des traits de personnalité,


des attributs personnels et des valeurs qui les prédisposent à l’activité
entrepreneuriale et les distinguent des non-entrepreneurs. C’est dans ce
courant de pensée que certains chercheurs ont tenté de caractériser les
avenues entrepreneuriales (Filion, 1997), d’autres, par contre, ont proposé
des grilles de lecture de typologies d’entrepreneurs.
4 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

De l’environnement

On admet que le potentiel individuel de l’entrepreneur ne vaut rien sans


un environnement incitatif. Les travaux s’inscrivant dans ce courant
essaient de démontrer que l’environnement socioculturel, le contexte
familial, le milieu de travail, le système éducatif, les contextes économique
et politique favorisent l’apparition et le développement de comportements
entrepreneuriaux (Gasse, 1987 ; Schmitt, 2008). C’est aussi dans ce contexte
qu’il faut situer les travaux de Bakengela et Livian (2014) et de Croce (2018),
qui analysent la théorisation des pratiques managériales en Afrique.

De l’entreprise

L’entreprise (organisation), c’est le cadre mis en place pour exploiter les


opportunités. Même s’il est possible d’entreprendre dans une entreprise
de grande taille (l’intrapreneuriat), les chercheurs rapportent toutefois
que les entrepreneurs créent des micro-, petites et moyennes entreprises
(MPME). Une riche littérature existe pour caractériser ces formes d’orga-
nisations viables, fruit du processus d’émergence organisationnelle (Katz
et Gartner, 1988).

Du processus

Le processus : c’est l’enchaînement d’étapes débouchant sur une nouvelle


organisation. Dans toutes les publications récentes où il n’est plus question
de l’entrepreneur et de ses attitudes, les chercheurs en science de gestion
mettent l’accent sur l’émergence organisationnelle (Gartner, 1993 ;
Hernandez, 2008 ; Shane et Venkateraman, 2000).

1.2 Spécificités de l’entrepreneuriat des jeunes

En mobilisant le modèle conceptuel présenté ci-dessus, ce point ques-


tionne la littérature quant à la singularité de l’entrepreneuriat des jeunes
en ces termes : les jeunes entrepreneurs, qui sont-ils ? Pourquoi se lancent-
ils en affaires ? Quels types d’entreprises créent-ils ? À quels obstacles se
heurtent-ils ? Comment assure-t-on la promotion de leurs activités ?
TA B L E AU 2 .1
Grille de lecture de quelques typologies entrepreneuriales

Auteur Critères d’analyse Typologie Comportement de gestion

Smith, 1967 ; Traits personnels et * Entrepreneur artisan (EA) EA : Moins scolarisé (faible bagage en gestion) mais une forte
Lorrain et psychologiques vs objectif * E ntrepreneur opportuniste expérience technique ; il s’identifie à son métier ; il a un style de
Dussault, poursuivi et comportement ou d’affaires (EO) gestion paternaliste ; il souhaite garder le contrôle de son
1988 affiché au sein de entreprise et refuse la croissance externe.
l’organisation EO : Plus scolarisé avec expérience riche et variée ; il s’identifie à la
gestion ; son style est participatif ; il peut perdre le contrôle pour
privilégier la croissance.

Goffee et Attachement aux valeurs Entrepreneures Conventionnelles : Elles créent pour compléter le revenu du mari
Scase, 1985 culturelles vs attachement * Conventionnelles et/ou subvenir aux besoins de la famille.
aux idées * Domestiques Domestiques : D’abord la famille, ensuite le travail (elles travaillent
entrepreneuriales * Innovatrices à mi-temps).
* Radicales Innovatrices : D’abord le travail, ensuite la famille. Elles visent la
réalisation de soi.
Radicales : Perspective rare.

Letowski, Déclencheur de l’idée vs * Entrepreneurs d’opportunité EO : Ils créent pour exploiter les opportunités et visent la
1994 logiques d’action (EO) croissance.
* Entrepreneurs de nécessité EN : Ils sont devenus entrepreneurs par la force des choses
(EN) (hasard) et à la suite d’un désavantage social. Ils visent la survie.

Julien et Aspirations socioécono- * Entrepreneur PIC PIC : Vise la pérennité et l’indépendance. La croissance n’est
Marchesnay, miques (3) vs logiques * Entrepreneur CAP acceptée que si elle ne menace pas les deux premiers critères.
1996 d’action (2). CAP : Privilégie la croissance et souhaite conserver une autonomie
de décision. La pérennité ne le préoccupe presque pas.
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 45
TA B L E AU 2 .1 (suite)

Auteur Critères d’analyse Typologie Comportement de gestion

Filion, 1997 Facteurs de contingence * Bûcheron Bûcheron : Travaille dur et délègue moins, c’est donc un vrai
susceptibles d’influer sur le * Séducteur auto-entrepreneur.
profil de l’entrepreneur au * Sportif Séducteur : Un relationnel capable d’acheter, reprendre ou céder
cours d’une période * Converti une affaire.
* Missionnaire Sportif : Issu d’une famille d’affaires mais occupé par les autres
activités.
Converti : Recherche la réalisation de soi et délègue peu.
Missionnaire : Un converti mature, maître de son entreprise.

Basso, 2006 Compétences en gestion * Inventeur Inventeur : Expert en production d’idées.


vs aptitude à la créativité * Indépendant Indépendant : Entrepreneur manager.
et à l’innovation * Promoteur Promoteur : Vendeur d’idées aux autres.
* Dirigeant administrateur Dirigeant : Gestionnaire pur et simple.

Dubard Modèle de fonctionnement * Entrepreneur stratège Stratège : Il applique le raisonnement analytique pour réduire le
Barbosa, cognitif de l’entrepreneur * Entrepreneur risque d’échec.
2008 ; vs risque d’entreprendre * Entrepreneur insurrectionnel Insurrectionnel : Prêt à aller au gré des opportunités (cas des
Levy Tadjine entrepreneurs informels ou immigrés en Afrique).
et Dzaka,
2016

Source : Les auteurs, compilations de différentes sources (voir infra Bibliographie).


46 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 47

TA B L E AU 2 . 2
Caractéristiques de l’entrepreneuriat des jeunes

Variable Caractéristiques Référence

Toute personne entre 15 et 35 ans qui fait preuve d’innovation, Chingunta


d’initiative, de créativité et de prise de risque dans la mise en (2002)
route d’une activité.

Il développe et utilise pleinement ses propres compétences, Idem


seul ou en groupe : il définit ses propres problèmes, trouve des
Jeune entrepreneur

solutions et des ressources pour réaliser sa vision. Il développe


aussi son niveau de confiance et occupe un rôle actif dans sa
communauté.

Personne qui développe des attitudes, compétences et oppor- Meda Adama,


tunités depuis l’école secondaire jusqu’à l’âge adulte. Moctar et al.
(2017 : 41)

Dans les pays en développement, cette personne se lance en Pompa (2016)


affaires pour cause d’absence d’opportunités d’emploi. Sans
expérience et avec peu de ressources, elle recherche l’indépen-
dance, la flexibilité et un contrôle plus important sur sa vie.

Il crée des entreprises de petite dimension (microentreprises), Kamavuako


dépourvues d’un système d’information fiable (absence de (2009) ; Fox et
procédures, comptabilité embryonnaire, absence de contrats Sohnesen
de travail) et utilisant une main-d’œuvre sous-qualifiée. (2012)
Entreprises

Activités informelles à faible valeur ajoutée financées par les Boudarbat et


propres moyens de l’entrepreneur ou par l’argent provenant de Ndjaba (2018)
sa famille ou de ses amis.

Prédominantes dans les secteurs les plus dynamiques des Hann, 2006 ;
économies africaines, notamment le transport, la restauration, Mbaye et al.
la duplication musicale, la menuiserie, les bâtiments et travaux (2015)
publics, le commerce de détail et les services.

Un contexte légal moins incitatif qui se traduit par l’importance Bacali,


des coûts associés aux formalités administratives de création Spence,
d’entreprise (*). Dzaka et al.
(2011)
Environnement

Absence de financement au démarrage d’entreprise qui serait Schwarz


due à l’incapacité managériale des jeunes entrepreneurs qui, (2011) ; Bacali,
elle, renvoie très souvent à la non-maîtrise des informations Spence,
permettant à l’institution financière de déterminer la capacité Dzaka et al.
potentielle à rembourser le crédit. (2011) 

La faible influence, voire l’absence des structures publiques et/ Gasse et


ou privées de soutien à l’entrepreneuriat (incubateurs, écoles, Tremblay
famille). Comme le note l’OCDE (2012), « les jeunes sont (2016)
influencés par leur famille, leurs professeurs et la société ».

(*) Nonobstant la mise sur pied dans la majorité des pays africains d’un guichet unique pour les
formalités de création d’entreprise, la majorité de ces pays sont souvent mal classés (au-delà du
100e rang) dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale par rapport à ce critère.
48 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

En résumé, les jeunes entrepreneurs en Afrique francophone doivent


relever plusieurs défis à l’instar de leurs homologues dans les pays du Nord
ou dans les pays émergents (Bacali, Spence, Dzaka et al., 2011). Les enjeux
renvoient notamment aux compétences entrepreneuriales, à l’accès au
capital et aux services des structures publiques ou privées de soutien à
l’entrepreneuriat. Dans le même registre, nous soulignons, à la suite du
rapport BAD/OCDE/PNUD (2017) que les pouvoirs publics, les entre-
prises, les institutions financières et les autres acteurs de l’environnement
des affaires en Afrique devraient faciliter l’accès des femmes aux res-
sources entrepreneuriales pour garantir leur autonomisation.
De plus, sur le plan macroéconomique, la littérature insiste sur la
nécessité de mettre en place des clusters pour lever la plupart des obstacles
auxquels se heurtent les jeunes entrepreneurs. En effet, les regroupements
d’entreprises peuvent permettre aux pays à budget limité de concentrer
leurs ressources dans des infrastructures spécifiques pour rendre possibles
les interactions entre entreprises incubées ou hébergées, fournisseurs,
prestataires de services et organismes associés, grâce à l’exploitation des
économies externes.

2. Entrepreneuriat des jeunes dans les deux Congo

Dans ce qui suit, sont présentés et discutés les résultats de l’enquête réa-
lisée dans les deux Congo dans le cadre d’un projet financé par l’Obser-
vatoire de la Francophonie économique de l’Université de Montréal en
2018. D’abord, nous présentons les aspects de l’environnement macro­
économique et la méthodologie de l’étude. Ensuite, nous analysons : le
profil des jeunes entrepreneurs et les caractéristiques de leurs affaires ; les
freins à cet entrepreneuriat ; les déterminants de l’intention d’entreprendre
chez les jeunes diplômés de l’ESU ; enfin, nous dégageons les stratégies de
promotion de l’entrepreneuriat des jeunes.

2.1 Environnement macroéconomique

L’économie de la République démocratique du Congo est basée sur l’ex-


portation des produits miniers, dont le cuivre et le cobalt, tandis que celle
du Congo repose sur l’exploitation pétrolière. Ainsi, l’économie de ces
deux pays est tributaire du prix des matières premières. De 2010 à 2015,
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 49

la République démocratique du Congo a connu un taux de croissance


économique moyen de l’ordre de 7 % tandis que le Congo a connu une
croissance moyenne de 5 %. Cette forte croissance tirée par les exporta-
tions de produits miniers et pétroliers n’a pas profité à l’ensemble de
l’économie. En particulier, elle n’a pas permis de générer suffisamment
d’emplois. En conséquence, le poids du secteur manufacturier est faible
et le taux de chômage est très élevé dans les deux pays. La chute des prix
des matières premières a entraîné depuis un ralentissement de la crois-
sance dans ces deux pays. En effet, en 2016, le taux de croissance a été de
2,4 % en République démocratique du Congo et de 2,8 % au Congo (Banque
mondiale, 2018). Cette situation a exacerbé le chômage et la pauvreté.

TA B L E AU 2 . 3
Soutien des politiques publiques à l’entrepreneuriat

République démocratique du Congo Congo-Brazzaville

1973 : Création de l’OPEC pour appuyer 1986 : Création de l’Agence de Dévelop­


les promoteurs de PME. pement des PME (ADPME).
1974 : Politique de zaïrianisation : Création 1993 : Adhésion à l’OHADA pour renforcer la
d’une classe d’entrepreneurs autoch- compétitivité des entreprises et assainir
tones en expropriant les affaires des l’environnement des affaires.
étrangers.
1989 : Création du Fonds de promotion de 1995 : Création du Centre des Formalités des
l’industrie (FPI) pour couvrir les besoins Entreprises (CFE) fonctionnant tel un guichet
en investissements des PMI. unique.
2012 : Adhésion à l’OHADA pour renforcer 2000 : Création d’un ministère dédié à la PME,
la compétitivité des entreprises et assainir chargé de coordonner la politique gouver-
l’environnement des affaires. nementale en matière de promotion des
PME.
2014 : Modification de la loi-cadre natio- 2009 : Lancement de la Charte des PME du
nale de l’éducation et instauration du Congo induisant la création du Fonds de
cours d’entrepreneuriat à tous les paliers garantie et d’investissement pour accompa-
du système éducatif. gner l’accès des MPME au financement ban-
caire ; et la création du Fonds de soutien et
de suivi destiné à financer l’accès des MPME
et des porteurs de projets aux services non
financiers. Ce fonds est logé au CFE.

Source : Auteurs, sur la base de la documentation spécialisée et des administrations nationales.

En effet, le chômage en général et celui des jeunes en particulier sont


très élevés dans les deux Congo. Le taux de chômage des jeunes de 15 à
50 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

24 ans est de 8 % en République démocratique du Congo et de 22 % au


Congo (OIT, 2018). De plus, les jeunes qui travaillent occupent pour la
plupart des emplois précaires. Ainsi, la taille du secteur privé formel est
très faible et celui-ci est incapable de pourvoir des emplois à la population,
particulièrement aux jeunes. Cela a conduit au développement du secteur
informel pourvoyant des emplois précaires. Dès lors, l’entrepreneuriat de
jeunes constitue l’un des moyens de réduire le chômage des jeunes dans
les deux Congo, de réduire la pauvreté et de faire participer les jeunes au
développement de ces deux pays. C’est dans ce cadre qu’il convient de
situer quelques politiques visant à encourager l’entrepreneuriat comme
le montre le tableau 2.3.

2.2 Méthodologie

La présente étude repose sur des données d’enquêtes réalisées par les
auteurs dans les deux Congo en août et septembre 2018. Une enquête de
terrain a été menée auprès de 200 jeunes entrepreneurs au Congo et en
République démocratique du Congo, dont 100 jeunes entrepreneurs ont
été enquêtés à Brazzaville et 100 autres à Kinshasa. L’échantillon a été tiré
par la méthode de convenance mais en tenant compte de différents sec-
teurs d’activité, aussi bien du secteur formel que du secteur informel. Les
données ont été collectées au moyen d’un questionnaire. Celui-ci com-
prenait plusieurs modules portant sur : le profil des jeunes entrepreneurs,
leurs motivations à l’entrepreneuriat, l’appui dont ils auraient bénéficié,
ainsi que sur les barrières auxquelles ils font face. Une deuxième enquête
portant sur 200 jeunes diplômés tirés aussi par la méthode de convenance
visait à connaître l’intention entrepreneuriale des jeunes diplômés de
l’ESU. Les données collectées ont fait l’objet d’une analyse descriptive au
moyen de tableaux et graphiques, et d’une analyse économétrique avec
un modèle logistique.
Ce modèle a permis d’analyser les déterminants de l’intention d’entre-
prendre de jeunes étudiants finalistes à partir de la fonction de répartition
suivante :
Pr (Y = 1/ X1 ; X2 ; Xn) = F (b0 + b1X1 + b2X2 +………+ bnXn).
Cette équation cherche donc à expliquer l’intention de se lancer en
affaires (Y = 1) ou de ne pas se lancer en affaires (Y = 0) à partir des
variables suivantes : Attitudes et motivations personnelles (X1), Croyances
TA B L E AU 2 .4
Facteurs individuels

A un modèle
Genre Niveau d’études Filière d’études Situation professionnelle
d’entrepreneur

Éco. et
Homme Femme Nul Primaire Secondaire Sup Technique Autres Chômeur Salarié Étudiant Autres Oui Non
gestion

RDC 64 36 1 3 37 59 31 23 19 48 21 24 7 27 70

RC 60 40 0 2 29 69 30 40 25 48 17 29 5 63 37

Total 124 76 1 5 66 128 61 63 44 96 38 53 12 90 107

% 62,0 % 38,0 % 0,5 % 2,5 % 33,0 % 64,0 % 36,3 % 37,5 % 26,2 % 48,2 % 19,1 % 26,6 % 6,0 % 45,7 % 54,3 %

Notes : RDC = République démocratique du Congo ; RC = République du Congo.


Source : Nos enquêtes en République démocratique du Congo et en République du Congo, août-septembre 2018.
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 5 1
52 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

aux influences ou appuis de leur société (X2) et Croyances en leur capacité


à réussir l’acte d’entreprendre (X3).

2.3 P
 rofil des jeunes entrepreneurs et caractéristiques de leurs
entreprises

En Afrique centrale, le profil des jeunes entrepreneurs et les caractéris-


tiques de leurs affaires restent mal connus. Cette section permet de com-
bler ce vide. On se réfère à la grille de lecture de typologies d’entrepreneurs
proposée par les chercheurs développant l’approche par les traits (Smith,
1967 ; Gasse, 1987 ; Letowski, 1994 ; Filion, 2001).

Profil des jeunes entrepreneurs

Le tableau 2.4 montre que 62 % des entrepreneurs investigués sont des
hommes et 38 % des femmes. Dans le secteur de commerce de détail, la
présence des femmes est plus forte (53 %) que celle des hommes (47 %).
Concernant le niveau et la filière d’études, il ressort que les entrepre-
neurs enquêtés sont bien scolarisés puisque, selon notre enquête, 33 %
d’entre eux possèdent un niveau secondaire et 64 % un niveau universi-
taire. L’économie et la gestion sont les filières d’études les plus suivies par
les jeunes entrepreneurs visités à Kinshasa. À Brazzaville, par contre, les
entrepreneurs sont majoritairement issus des filières techniques.
Avant de créer l’entreprise, près de 50 % de ces entrepreneurs étaient
au chômage, 27 % aux études et 19 % étaient salariés ou travaillaient à leur
compte. La comparaison par genre montre qu’un faible pourcentage des
jeunes femmes (38 %) était au chômage au lancement de la nouvelle
entreprise.
Dans les deux Congo, l’entrepreneuriat des jeunes est l’archétype d’un
entrepreneuriat dit de nécessité : l’impossibilité de trouver un emploi
salarié et la satisfaction des besoins familiaux constituent les motivations
majeures de la décision d’entreprendre pour près de 60 % des jeunes
entrepreneurs. Par ailleurs, la détection d’une opportunité et/ou la valo-
risation d’une idée innovante (entrepreneuriat d’opportunité) n’ont été
avancées comme facteurs déclencheurs que par un petit groupe d’entre-
preneurs (21 %). Alors que 46 % des jeunes entrepreneurs ont déclaré avoir
dans leur famille (parent, sœurs ou frères) ou leur entourage immédiat
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 5 3

un modèle d’entrepreneur, des différences significatives existent. Si, au


Congo Kinshasa, peu de répondants (27 %) possèdent un entrepreneur
modèle, au Congo Brazzaville, par contre, la plupart des jeunes entrepre-
neurs visités (63 %) en possèdent un.

Caractéristiques des entreprises appartenant aux jeunes

Les jeunes entrepreneurs visités ont créé des entreprises dans quatre
principaux secteurs d’activité : 44 % dans le commerce de détail, 28 % dans
les services à la personne (cybercafés, maisons de communication et
transfert d’argent, transport, mode et esthétique), 13 % dans les services
aux entreprises et à la communauté (intermédiaires commerciaux, hôtel-
lerie, écoles, restauration et bars) et 10 % dans l’agriculture et l’élevage.
En croisant le secteur d’activité avec le genre, on a noté avec Goffe et Scase
(1985) que la grande majorité des entreprises (près de 80 %) appartenant
aux femmes exerce dans le secteur à faible valeur ajoutée, s’inscrivant
dans le prolongement du rôle traditionnel de la femme en famille (com-
merce de détail, agriculture et services à la personne).

FIGURE 2.2
Caractéristiques des entreprises

Secteur informel 118


cice secteur
Qualité du Temps Nature
management d’exer- du

Secteur formel 82
Mi-temps 37
Temps plein 163
Autres 8
Bonne structuration 2
Gestion par objectif 109
Système d’information 79
Autres 4
8
Secteur d'activité

Industrie/Artisanat
Service aux entreprises 25
Service à la personne 55
Agriculture/Élevage 21
Commerce de détail 87

0 50 100 150 200


Total RC RDC
5 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 2 . 5
Autres facteurs organisationnels

Nombre d’employés Chiffre d’affaires (milliers de USD)

Nul 1-5 6-10 11-20 + de 20 - de 10 11-30 31-50 + de 50

RDC 18 72 5 5 0 4 83 8 2

RC 13 53 17 8 9 3 64 21 11

Total 31 125 22 13 9 7 147 29 13

% 15,5 % 62,5 % 11,0 % 6,5 % 4,5 % 3,6 % 75,0 % 14,8 % 6,6 %

Source : Nos enquêtes réalisées en RDC et en RC, août-septembre 2018.

Ces entreprises emploient deux personnes en moyenne et ont un chiffre


d’affaires annuel moyen de près de 25 000 USD : ce sont donc des microen-
treprises qui occupent moins de cinq employés, chacune. Des différences
notables existent entre ces deux pays. En effet, l’enquête révèle que les
microentreprises du Congo Kinshasa accusent un faible niveau de crois-
sance (chiffre d’affaires annuel moyen de 21 000 USD) par rapport à celles
du Congo Brazzaville (chiffre d’affaires annuel moyen de 32 000 USD). Cet
écart pourrait s’expliquer par le fait que, selon la Banque mondiale en 2017,
la République du Congo appartient à la catégorie des pays à revenu inter-
médiaire, avec un revenu annuel par personne de 1526 USD ; alors que la
République démocratique du Congo est classée dans la catégorie des pays
à faible revenu, avec un revenu par personne de 466 USD.
Dans notre échantillon, 59 % des entreprises sont exploitées dans le
secteur informel et 41 % dans le secteur formel. Le choix de diriger dans
l’informel serait dû, pour les uns (41 %), à l’ignorance des formalités
nécessaires à la création de l’entreprise et, pour les autres (28 %), à la
recherche des bénéfices supplémentaires par le biais de l’évasion fiscale.
Enfin, 82 % des jeunes entrepreneurs investigués travaillent dans leur
entreprise à temps plein contre 18 % qui œuvrent à temps partiel.
S’agissant de la qualité de leur management, il ressort que la plupart
des entreprises appartenant aux jeunes ne disposent pas d’un système
d’information et d’une structure organique adéquats (comptabilité
embryonnaire, absence d’outils de planification et de contrôle, absence
d’organigramme), et ce, malgré le fait que 55 % d’entre elles pratiquent un
style de gestion orienté vers le résultat. Ces résultats corroborent, comme
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 55

le montre Croce (2018), l’influence de la mondialisation sur les pratiques


managériales africaines.
Renseignement 1 : Scolarisés de niveau supérieur et moins expérimentés,
les jeunes entrepreneurs investigués créent des microentreprises dans quatre
principaux secteurs d’activité : commerce de détail ; services à la personne ;
services aux entreprises et à la communauté ; agriculture et élevage.
L’impossibilité de trouver du travail bien rémunéré, la couverture des besoins
familiaux et l’auto-prise en charge constituent les déterminants majeurs de
leur décision d’entreprendre. L’inexpérience dans le métier, la modicité de
capitaux propres et le manque de vision sur l’affaire seraient, à notre avis, les
causes de l’inefficacité managériale caractérisant leur entreprise. Ceci est de
nature à rapprocher l’entrepreneuriat des jeunes des deux pays, à titre prin-
cipal, du modèle d’entrepreneur de nécessité ou conventionnel décrit par
Letowski (1994) et Goffee et Scase (1985) et de l’entrepreneur insurrectionnel
analysé par Levy Tadjine et Dzaka-Kikouta (2016) en contexte subsaharien
marqué par un environnement hautement incertain.

2.4 Les obstacles à l’entrepreneuriat des jeunes

En s’appuyant sur notre modèle conceptuel (Figure 2.1), notre enquête


auprès de 200 entrepreneurs jeunes met en exergue (i) les freins liés à
l’entrepreneur lui-même (son potentiel entrepreneurial) et (ii) ceux liés à
son environnement, à savoir : les attitudes socioculturelles ; les barrières
réglementaires ; les difficultés d’accès au crédit ; l’instabilité macroécono-
mique ; et l’absence des services d’appui et d’accompagnement.

Obstacles liés à l’entrepreneur

Le graphique ci-dessous indique que l’un des obstacles au développement


des jeunes entrepreneurs relatif au profil de l’entrepreneur est le manque
des compétences en gestion.
L’ampleur de cette barrière est particulièrement élevée au Congo
Brazzaville où plus de 50 % des jeunes entrepreneurs manquent de com-
pétences entrepreneuriales. En outre, les résultats de l’enquête disent que
les jeunes entrepreneurs en République démocratique du Congo ont un
faible goût pour le risque comparativement aux jeunes entrepreneurs de
Brazzaville. Les autres facteurs du profil personnel ne semblent pas consti-
56 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

FIGURE 2.3
Barrières liées au profil des jeunes entrepreneurs

Autres

Faible capacité de réseautage

Faible leadership

Faible expérience professionnelle RDC


Congo
Faible bagage en gestion

Faible intention d’ouvrir le capital

Faible goût pour le risque

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 %

tuer des obstacles significatifs à la promotion de l’entrepreneuriat des


jeunes dans les deux Congo.

Obstacles liés à l’environnement

L’attrait négatif du contexte légal, la difficulté d’accès au crédit, l’absence


et/ou l’inefficacité des structures d’appui et d’accompagnement, la faible
valorisation de l’entrepreneuriat par la société, l’inefficacité du système
éducatif se sont révélés comme des obstacles majeurs à l’entrepreneuriat
des jeunes dans les deux pays.
La lourdeur des procédures administratives, les coûts et formalités
de création juridique des entreprises, l’instabilité des institutions poli-
tiques ont été mentionnés comme des barrières importantes à l’entrepre-
neuriat des jeunes entrepreneurs. Il convient de relever que la plupart de
ces jeunes entrepreneurs ont démarré leurs activités bien avant la mise en
place du guichet unique de création d’entreprise en République démocra-
tique du Congo et au Congo. Toutefois, ce résultat montre qu’au-delà du
guichet unique, il est indispensable aux gouvernements des deux pays de
poursuivre et approfondir les réformes engagées en vue d’améliorer le
climat des affaires, notamment dans le domaine réglementaire, et de
s’attaquer à l’inefficacité des services publics et à la corruption des fonc-
tionnaires de l’État.
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 57

F I G U R E 2 .4
Barrières liées à l’environnement légal

Autres (difficultés d’accès au marché)

Lourdeurs des procédures adm

Corruption

Coûts et formalités de création d’Ese Congo


RDC
Instabilité gouvernementale

Fiscalité asphyxiante
Lois et législations
embarrassantes
0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 %

FIGURE 2.5
Barrières liées à l’environnement économique

Autres

Inflation et conjecture économique

Difficulté de recruter du personnel


qualifié
Faible implication des grandes Congo
entreprises
RDC
Absence des structures d’aide
(incubateurs, experts)
Infrastructure physique précaire

Difficultés d’accès au crédit

0% 20 % 40 % 60 % 80 %

L’enquête montre que les jeunes font face à d’importantes difficultés


d’accès au financement bancaire et aux services des structures d’appui à
l’entrepreneuriat. Le crédit est souvent hors de leur portée, probablement
pour deux raisons. D’abord, le sous-développement du système financier
en général et du secteur bancaire en particulier, ensuite, l’asymétrie
58 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

d’information qu’invoquent les banquiers affecte l’entrepreneuriat des


jeunes à cause notamment du manque d’historique de crédit, de l’insuf-
fisance managériale et du manque de garanties à offrir à la banque
(Schwarz, 2011). Ainsi, les gouvernements des deux pays devraient mettre
en place et encourager le développement des services de soutien à l’entre-
preneuriat des jeunes. En effet, les jeunes devraient être appuyés et accom-
pagnés dans la formation entrepreneuriale et dans tout le processus
entrepreneurial, notamment par la généralisation des incubateurs d’entre-
prises et de clusters ; y compris pour la recherche des financements. L’État
devra ici promouvoir les financements dédiés à l’entrepreneuriat des
jeunes, à l’instar des financements innovants comme le « capital-risque »,
par la mise en place des fonds de garantie, y compris par les partenariats
publics privés (PPP).
Le contexte légal défavorable, le manque de financement, l’insuffi-
sance des structures de soutien, le faible potentiel entrepreneurial ne sont
pas les seules causes de l’inefficacité de l’entrepreneuriat des jeunes fran-
cophones en Afrique. L’enquête a aussi révélé des barrières sociocultu-
relles, notamment le poids de la pression familiale, la faible valorisation
de l’entrepreneuriat par la communauté ainsi que la pauvreté et le poids
de la pression familiale sur les ressources du jeune entrepreneur.

F I G U R E 2 .6
Barrières socioculturelles

Autres

Faible pouvoir d’achat du marché

Pression de la famille sur le Congo


patrimoine (prise en charge)
RDC
Faible implication familiale
(salariat/actionnariat)
Faible valorisation
communautaire de
l’entrepreneuriat
0% 20 % 40 % 60 % 80 %
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 59

Cette situation est due principalement à deux facteurs. D’une part,


les valeurs culturelles dans les deux pays privilégient le communautarisme
à l’individualisme. Ainsi, le patrimoine de l’entreprise et les revenus de
l’entrepreneur sont considérés comme des biens communautaires qui
doivent profiter à toute la famille largo sensu. Il s’exerce alors une pression
sur le jeune entrepreneur pour partager ses ressources avec les autres
membres de la famille. D’autre part, le chômage est très élevé et l’employa-
bilité faible dans les deux pays. De même, plus de 70 % de la population
vit dans la pauvreté en République démocratique du Congo, alors que
l’incidence de la pauvreté est de 46 % au Congo. Dans ces conditions, le
taux de dépendance économique est très élevé. Ainsi, le communauta-
risme constitue un frein majeur à l’entrepreneuriat des jeunes dans les
deux pays. Mais, le communautarisme serait plus prononcé en République
démocratique du Congo qu’au Congo Brazzaville.
Renseignement 2 : L’enquête menée auprès de 200 entrepreneurs
jeunes a révélé que les obstacles auxquels font face les jeunes entrepreneurs
dans les deux pays investigués ne sont pas différents de ce que les cher-
cheurs ont observé dans d’autres pays francophones d’Afrique (Sears,
2012 ; Boateng et al., 2014), on cite : les attitudes socioculturelles, la fai-
blesse des compétences entrepreneuriales, les barrières réglementaires,
les difficultés d’accès au crédit, l’instabilité macroéconomique et l’absence
des services d’appui et d’accompagnement. Cependant, l’ampleur de ces
barrières varie d’un pays à l’autre.

2.5 La culture entrepreneuriale chez les jeunes des milieux universitaires

Réaliser une étude sur l’entrepreneuriat jeunesse, c’est aussi et surtout


s’intéresser aux personnes qui développent des attitudes, compétences et
opportunités depuis l’école secondaire jusqu’à l’université. Il s’agit de ceux
que Meda Adama, Moctar et al. (2017) qualifient d’entrepreneurs des
milieux universitaires. En mobilisant une variante du modèle de Gartner
en contexte de pré-création (modèle d’Ajzen, 1991), nous cherchons à savoir
si les jeunes en formation universitaire (créateurs potentiels) rencontrent
les mêmes freins que leurs homologues déjà en activité (créateurs révélés)
quant aux déterminants de leur intention de se lancer en affaires. Dans
ce qui suit, nous élucidons d’abord le modèle d’Ajzen en lien avec celui de
Gartner et relevons ensuite les déterminants de l’intention entrepreneu-
60 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

riale déclarés par les étudiants finalistes de l’ESU dans deux pays, en
focalisant l’attention sur le rôle crucial que joue l’école (l’université) qui,
d’après Fortin (2002), doit servir de tremplin aux attitudes et valeurs
entrepreneuriales.

Le modèle d’Ajzen : une variante du modèle de Gartner en contexte de


pré-création

Le modèle d’Ajzen postule que l’intention de créer une entreprise est


d’autant plus forte que l’acte de création est conforme aux attitudes et
motivations de l’individu (désirabilité), conforme aux normes sociales
(crédible : influence de la famille, des amis, de l’école, de la société) et
quand ce dernier se sent capable de réunir les ressources nécessaires pour
réussir l’acte : contrôle comportemental.

FIGURE 2.7
Déterminants de l’intention d’entreprendre

Facteurs liés à l’entrepreneur


(Sexe, niveau et filière d’études, expérience)

Facteurs économiques Attitudes à l’égard du comportement (désirabilité)


(Accès aux ressources
financières, matérielles, Contrôle comportemental (faisabilité)
et humaines;
Accès au marché et Création
Intention d’entreprise
à l’accompagnement)
Normes sociales (crédibilité de l’acte)

Facteurs socioculturels
(Soutien familial, école, modèle d’entrepreneur)

Source : Adaptée d’Ajzen (1991).

Déterminants de l’intention d’entreprendre des finalistes de l’ESU

Le modèle conceptuel ci-dessus a été testé auprès d’un échantillon de


200  étudiants finalistes du second cycle (toutes filières et universités
confondues) tiré par la méthode de convenance dans les deux pays inves-
tigués. Dans le modèle implémenté, la variable « Attitudes à l’égard du
TA B L E AU 2 .6
Opérationnalisation des variables

Concept
Variable Indicateur Codage
(déterminants)

Préférence à l’acte Votre préférence entre créer sa propre entreprise et devenir salarié 1. Devenir salarié
entrepreneurial 2. Créer son entreprise
Intention
entrepreneuriale Temps pour Temps pour démarrer votre entreprise si vous choisissez l’entrepreneuriat 1. Moins de 1 an
passer à l’acte 2. 1 à 2 ans
3. 3 ans et plus

Perception de Impact des facteurs propres à votre profil sur votre décision d’entreprendre ou 1. Pas du tout d’accord
l’influence des non : 2. Plutôt pas d’accord
facteurs liés au - Genre 3. Plutôt d’accord
Attitudes
potentiel de - Filière d’études 4. Tout à fait d’accord
comporte­
l’entrepreneur - Compétences entrepreneuriales
mentales
- Compétences en gestion
- Compétences techniques
- Engagement et détermination

Perception de Attrait des facteurs socioculturels suivants sur votre décision d’entreprendre ou non : 1. Faible
l’influence des - Pays de résidence 2. Moyen
facteurs liés à - Modèle d’entrepreneur (mentor) 3. Fort
Normes sociales
l’environnement - École (enseignement d’entrepreneuriat)
socioculturel - Famille (implication ou poids familial)
- Tradition familiale

Perception de sa Votre conviction à réaliser les tâches suivantes propres au métier d’un entrepreneur : 1. Pas du tout capable
capacité à réussir - Accès au marché 2. Plutôt pas capable
Contrôle
dans les affaires - Formalités juridiques et administratives 3. Plutôt capable
comportemental
- Accès aux financements 4. Tout à fait capable
- Accès aux services d’accompagnement
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 61
62 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

comportement » a été opérationnalisée à travers sept items : le genre, la


filière d’études, l’expérience professionnelle, la détermination et l’enga-
gement, les compétences entrepreneuriales, les compétences managériales,
le savoir technique ; « Normes sociales » par cinq items : la culture natio-
nale (pays), l’existence d’un modèle d’entrepreneur, les soutiens familiaux,
la tradition familiale, le rôle de l’école (avoir suivi un séminaire ou un
cours d’entrepreneuriat) ; et « Contrôle comportemental » à travers quatre
items : l’accès au marché, le fardeau administratif, l’accès aux crédits et
subventions, le rôle des dispositifs d’aide à l’entrepreneuriat (incubateurs
d’affaires et structures similaires). Enfin, la variable dépendante « Intention »
a été mesurée par 1 lorsque l’individu envisage l’entrepreneuriat et 0
lorsqu’il envisage le salariat.

TA B L E AU 2 . 7
Intention et temps de se lancer en affaires

Intention
Temps perçu pour passer à l’acte
entrepreneuriale

Oui Non Moins de 1 an 1 à 2 ans 3 ans et plus

RDC 80 20 8 44 28

RC 97 3 6 35 56

Total 177 23 14 79 84

% Total 88,5 % 11,5 % 8 % 45 % 47 %

Source : Les auteurs.

Notre étude révèle d’abord une forte intention entrepreneuriale des


étudiants à se lancer en affaires (89 %), nonobstant le fait que le passage à
l’acte ne se fera que tardivement (deux ans après). Ce passage tardif à l’acte
prouve que les jeunes des milieux universitaires seraient aussi exposés à
des obstacles qui les empêchent d’entreprendre.
Les résultats de cette régression logistique montrent que l’attitude à
l’égard du comportement est la seule variable qui explique significative-
ment l’intention entrepreneuriale des étudiants dans les deux pays inves-
tigués. Les normes sociales et le contrôle comportemental par contre ne
sont pas très déterminants. Un tel constat corrobore le propos de Bacali,
Spence, Dzaka et Cordos (2011) selon lequel les contextes politique, éco-
TA B L E AU 2 .8
Déterminants de l’intention d’entreprendre (variables dans l’équation)

FACTEURS (Étape 2) Coefficient (b) Écart-type Wald Sig. Exp (b)

Genre -1,194 ,724 2,720 ,099 ,303

Filière d’études ,320 ,591 ,292 ,589 1,376

Goût du risque, innovation** ,905 ,365 6,145 ,013 2,471

Compétence managériale -,198 ,399 ,246 ,620 ,820

Attitude
Savoir technique -,006 ,380 ,000 ,986 ,994

Engagement et détermination*** -1,136 ,300 14,327 ,000 ,321

Culture nationale (pays) -,552 ,971 ,323 ,570 ,576

Modèle entrepreneurial ,626 ,688 ,828 ,363 1,871

École (cours d’entrepreneuriat) ,165 ,850 ,038 ,846 1,180


Implication familiale -,115 ,665 ,030 ,862 ,891

Normes sociales
Traditions familiales des affaires -,691 ,995 ,482 ,488 ,501

Autres (accès au marché) -13,898 9323,577 ,000 ,999 ,000

Fardeau administratif ,412 ,240 2,944 ,086 1,509

Accès aux crédits et subventions -,273 ,213 1,641 ,200 ,761

Contrôle
comportemental
Dispositifs d’accompagnement ,149 ,253 ,347 ,556 1,161

Constante 14,239 9323,577 ,000 ,999 1527966,499


E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 63
64 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

nomique et socioculturel des pays d’Afrique seraient moins incitatifs au


développement de l’esprit d’entreprendre des jeunes. Le caractère prépon-
dérant des facteurs psychologiques dans l’intention de créer une entreprise
chez les jeunes des milieux universitaires a été aussi observé par Tchouassi
et al. (2018) auprès des jeunes Camerounais. Mais, malgré cette forte
désirabilité d’entreprendre, notre enquête a révélé aussi que le passage à
l’acte d’entreprendre n’interviendra que tardivement pour ces aspirants
entrepreneurs (au moins deux ans après l’obtention du diplôme).
Renseignement 3 : L’étude de la culture entrepreneuriale des jeunes
issus des milieux universitaires révèle que ces entrepreneurs en herbe
rencontrent les mêmes freins que leurs homologues déjà en activité quant
aux déterminants de leur intention de se lancer en affaires.

2.6 P
 romotion de l’entrepreneuriat des jeunes : quelques solutions
pragmatiques

Ce dernier point est consacré à la réflexion sur des solutions publiques ou


privées susceptibles de stimuler l’entrepreneuriat chez les jeunes dans les
deux pays sous revue. En effet, cette étude a permis de mieux connaître
les principaux freins à l’entrepreneuriat des jeunes dans les deux Congo.
Les résultats de l’enquête menée auprès de 200 entrepreneurs jeunes ont
montré que les principales barrières à l’entrepreneuriat des jeunes pro-
cèdent des freins liés au micro et au macro-environnement, à savoir : les
attitudes socioculturelles, la faiblesse des compétences entrepreneuriales,
les barrières réglementaires ; les difficultés d’accès au crédit ; l’instabilité
macroéconomique ; et l’absence des services d’appui et d’accompagne-
ment. L’ampleur de ces barrières varie cependant d’un pays à l’autre.
En conséquence, les résultats de nos enquêtes nous ont conduits à
formuler des recommandations à l’endroit des décideurs pour réduire ces
barrières et maximiser la création d’entreprise par les jeunes. En sub­
stance, les gouvernements des deux pays devraient mettre en place et
encourager le développement des services d’accompagnement entrepre-
neurial des jeunes, spécialement par la généralisation d’incubateurs
d’entreprises, à l’instar de l’expérience réussie et prometteuse de l’incu-
bateur I&F Entrepreneuriat qui fonctionne depuis 2007 en République
démocratique du Congo, avec l’appui de plusieurs partenaires techniques
et financiers du Nord (Université de Bordeaux, Incubateur régional
E n j eu x et pe r spe c t i v e s de l­ ’e n t r e pr e n eu r i at de s j eu n e s • 65

d’Aquitaine, la Wallonie-Bruxelles internationale, Fondation Roi


Baudoin…) et du Sud (Université Kongo…). Ainsi, l’expérience concluante
de l’incubateur I&F Entrepreneuriat de la République démocratique du
Congo mériterait d’être transposée dans d’autres pays d’Afrique centrale,
notamment au Congo Brazzaville, car cet incubateur contribue à lever les
obstacles majeurs à l’entrepreneuriat des jeunes, à savoir : l’accès difficile
au financement ; le manque de capital relationnel ; le manque de compé-
tences entrepreneuriales et d’expérience professionnelle ; ainsi que l’accès
difficile au marché (Dzaka-Kikouta et Mabenge, 2018 ; Masamba Lulendo,
2017).

Conclusion

Pour lever les obstacles qui hypothèquent le dynamisme et l’efficacité de


l’entrepreneuriat des jeunes dans les deux Congo en particulier et, en
général, dans la majorité des pays francophones d’Afrique, il devient
impératif de favoriser la mutation de l’entrepreneuriat de survie ou de
nécessité vers l’entrepreneuriat d’opportunités ou de croissance. Celui-ci
étant davantage créateur d’activités à forte valeur ajoutée et d’emplois
stables et mieux rémunérés dans le secteur formel, à l’inverse de l’entre-
preneuriat de survie qui se focalise dans le secteur informel et ne crée,
pour l’essentiel, que des emplois précaires et mal rémunérés. Dans cette
perspective, il nous semble pertinent de recommander à l’endroit des
pouvoirs publics des deux Congo et d’autres pays africains francophones
des mesures de politiques publiques d’appui à l’entrepreneuriat des jeunes
pour réduire ou éliminer les obstacles à cet entrepreneuriat en vue de
promouvoir la création et le développement des entreprises dirigées par
des jeunes. Dans cette veine, il conviendrait d’abord d’instaurer et de
renforcer les programmes d’éducation et de formation à l’entrepreneuriat
pour améliorer les compétences entrepreneuriales et atténuer les attitudes
socioculturelles négatives vis-à-vis de l’entrepreneuriat. Il ne s’agira pas
seulement de mettre en place des cours d’entrepreneuriat dans le système
éducatif classique mais aussi de repenser les méthodes d’enseignement
pour faire acquérir aux jeunes des compétences entrepreneuriales ; ceci
contribuerait au renforcement de leur statut préférable d’offreurs d’em-
plois au détriment de celui de demandeurs d’emploi, sur le marché du
travail. Ensuite, les gouvernements des deux pays devraient poursuivre
66 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

et approfondir les réformes engagées pour améliorer le climat des affaires,


notamment dans le domaine réglementaire, pour améliorer le classement
des deux Congo dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale.
Enfin, les gouvernements des deux pays devraient promouvoir les services
d’accompagnement entrepreneurial des jeunes. Ainsi, les jeunes devraient
être accompagnés dans la formation entrepreneuriale et dans tout le
processus entrepreneurial, spécialement par la généralisation des incu-
bateurs d’entreprises ; y compris pour la recherche des financements. Ici,
l’État devrait surtout encourager le développement des financements
dédiés à l’entrepreneuriat des jeunes, par la mise en place des fonds de
garantie par les PPP.
En définitive, au regard de l’émergence récente de l’entrepreneuriat
des jeunes dans les activités à forte valeur ajoutée comme l’économie
numérique, dans les deux Congo (Dzaka, Kamavuako, Bitemo et al., 2018),
nous suggérons une piste de recherche pour un approfondissement de la
recherche sur l’entrepreneuriat des jeunes et l’emploi en Afrique centrale
dans les secteurs stratégiques pour la Francophonie, à savoir l’économie
numérique et l’économie verte.

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chapitre 3

Entrepreneuriat au Burkina Faso : lueur


d’espoir pour une jeunesse de plus en
plus ambitieuse
Bakouan Saiba, Jérôme Rossier, Issa Abdou Moumoula et
Meda M’wambere Judith

Ce chapitre présente l’état des lieux de l’entrepreneuriat au Burkina Faso


en mettant l’accent sur des aspects relatifs au marché du travail dans ce
pays, les formes d’emploi, l’esprit entrepreneurial et les principaux défis
que doivent relever ce pays, ses décideurs politiques, sa population et
notamment sa jeunesse. Il faut noter d’emblée que les jeunes Africains en
général et ceux du Burkina Faso en particulier sont de plus en plus ambi-
tieux et développent des initiatives personnelles dans l’intention de s’auto-
employer puisque l’entrepreneuriat est perçu comme une issue au
chômage. Il suscite l’espoir d’améliorer les conditions de vie des jeunes et
donc de les sortir de la pauvreté, dans le sens de l’exploitation de nouvelles
opportunités selon l’expression de Pelletier (2004), de prise de risque,
d’innovation pour le développement économique et social du pays. À
travers une étude quantitative, il s’agit dans cette contribution de s’inter-
roger sur la conception qu’a cette jeunesse de l’entrepreneuriat, tout en
faisant une description des dispositifs d’aide à la création d’entreprise par
les jeunes pour relever leurs forces et leurs faiblesses. Il s’agit aussi de
mettre en exergue les compétences entrepreneuriales qui font défaut aux
jeunes et la façon de les développer afin qu’ils réussissent leurs projets.
Des propositions faites également à l’endroit des gouvernants pour une
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 7 1

meilleure prise en compte de l’entrepreneuriat des jeunes dans les poli-


tiques de développement au Burkina Faso concluent le chapitre.

1. Problématique

Le problème de l’entrepreneuriat doit être posé tel qu’il se présente dans


le contexte du Burkina Faso et débouchera sur les préoccupations de
création d’emploi, de l’emploi des jeunes, de la formation et des secteurs
porteurs.

1.1 Contexte, problème et questions de recherche

Avec une population de près de 20 252 523 habitants et une croissance


démographique de 2,9 % l’an (INSD, 2018), le Burkina Faso figure parmi
les pays les plus pauvres puisqu’il occupe la 47e place sur 53 pays en Afrique
et la 183e sur le plan mondial, selon l’indice du développement humain
(IDH) publié par le Programme des Nations unies pour le développement
(PNUD, 2018). Son PIB par habitant estimé à 671 USD (2017) témoigne de
l’importante précarité financière dans laquelle vit la grande majorité de
la population, caractérisée par sa jeunesse, qui représente, selon le tableau
de bord statistique 2017 du Ministère de la Jeunesse, de la Formation et
de l’Insertion professionnelle, près d’un tiers de la population burkinabè,
avec une prédominance féminine (53 %). La proportion de jeunes aug-
mente et est concentrée dans les zones urbaines. Selon l’Enquête Nationale
sur l’Emploi et le Secteur Informel (ENESI) réalisée en 2015, le taux de
chômage était estimé à 5,6 % au sens large et 2,9 % au sens du Bureau
international du Travail (BIT) dans la population jeune, et un taux de
sous-emploi de 23,7 % sur le plan national avec des disparités selon la zone
considérée (rurale, urbaine et semi-urbaine). Dans un tel contexte, le
regard de la plupart des jeunes est souvent tourné vers la fonction publique
dans l’intention de se trouver une place pour la réalisation de soi. Cette
situation est en partie due au fait que le système éducatif burkinabè est
beaucoup plus orienté vers l’enseignement général qui ne prépare pas
directement à l’emploi. À la sortie de ce système éducatif, les jeunes ont
la plupart du temps un degré d’employabilité très faible ; il leur faut donc
se faire recruter et repartir dans une école de formation professionnelle
afin d’acquérir des compétences pratiques. À cela s’ajoute le déficit d’une
72 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

culture entrepreneuriale faisant que nombre de jeunes attendent de finir


les études et de se faire embaucher par l’État. Ainsi, selon l’INSD (2018),
le Burkina Faso avait un effectif de 140 077 fonctionnaires à la date du
30 juin 2014. En 2018, les statistiques font état de plus de 173 000 fonction-
naires. On constate de façon générale que durant la dernière décennie, les
chiffres des recrutements annuels pour les concours directs de la fonction
publique se situent entre 8 000 et 12 000. Pourtant, chaque année, entre
500 000 et 1 000 000 de jeunes postulent pour des recrutements dans
l’administration publique, alors que le nombre de postes à pourvoir ne
fait que baisser (6 326 postes pour 2018 et 5 892 prévus pour l’année 2019
pour 1  247 000 postulants). On observe également une situation sécuri-
taire fragilisée, caractérisée par des attaques terroristes récurrentes,
accentuées dans certaines régions (le Nord, le Sahel, l’Est) entre 2015 et
2019 ; ce qui n’est pas un climat propice aux affaires et aux investissements.
À titre d’exemple, une association de jeunes dans le nord du Burkina Faso
fait savoir que depuis que la situation sécuritaire est devenue précaire
dans cette région du pays, leurs partenaires techniques et financiers ont
suspendu les aides financières. Ils justifient cette suspension par le fait
qu’ils ne sont plus en mesure de venir sur place pour effectuer le suivi et
l’évaluation des projets financés. On note également des manifestations,
des revendications nombreuses et diverses de la part des agents publics
qui ne sont pas sans conséquence sur le développement économique et
social du pays. Cette situation étouffe le plus souvent les efforts du gou-
vernement à soutenir la création d’emploi.
Selon Arzeni et al. (2013), pour créer de l’emploi, il faut avant tout
créer des employeurs. Or, pour le cas spécifique du Burkina Faso, l’État
reste le plus grand pourvoyeur d’emplois dans la mesure où le secteur
privé est encore assez timide en termes de création d’emploi. La faculté
d’entreprendre constitue selon les auteurs un levier de croissance écono-
mique et sociale d’une extraordinaire efficacité. Selon Philippart (2018),
« pour entreprendre, il faut être avant tout entreprenant avant d’être
entrepreneur » (p. 34). Si on aide un jeune à entreprendre, il va certaine-
ment en employer d’autres. Ainsi, l’entrepreneuriat est de nos jours au
cœur du programme des pouvoirs publics burkinabè et constitue une voie
salvatrice pour cette jeunesse de plus en plus ambitieuse et qui ne se laisse
pas aller au désespoir.
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 73

Ces constats amènent à s’interroger sur la manière dont l’entrepre-


neuriat peut contribuer à la réalisation du potentiel de développement et
de création d’emploi en Afrique francophone en général, et plus particu-
lièrement dans le contexte du Burkina Faso. Quelles sont les caractéris-
tiques des entrepreneurs et quels sont les domaines de prédilection ?
Comment dynamiser le potentiel entrepreneurial des jeunes au Burkina
Faso, au regard des défis majeurs auxquels ils font face dans le contexte
actuel de mondialisation afin qu’ils participent véritablement à la création
d’emploi et au développement économique et social du pays ? En quoi
l’entrepreneuriat constitue-t-il une lueur d’espoir pour cette jeunesse de
plus en plus ambitieuse ? À quel niveau observe-t-on les obstacles auxquels
les jeunes Burkinabè se heurtent lorsqu’ils s’engagent dans le domaine
entrepreneurial ? Quels sont les dispositifs d’aide à la création d’entreprise
mis en place par les politiques publiques ? Quelles sont leurs forces et leurs
faiblesses ? Comment peut-on repenser le rôle de l’État et de ses parte-
naires techniques et financiers pour un accompagnement plus efficace ?

1.2 Dispositifs d’aide à l’entrepreneuriat au Burkina Faso

La question de l’entrepreneuriat en Afrique a fait l’objet de nombreuses


réflexions. Selon Dialla (2004), on a très souvent parlé de l’absence d’un
véritable esprit d’entreprise en Afrique de façon générale et plus particu-
lièrement au Burkina Faso, accusant au passage certaines caractéristiques
culturelles africaines qui seraient incompatibles avec l’esprit d’entreprise.
Cependant, sur la base de témoignages d’explorateurs, de données d’ar-
chives disponibles et de recherches d’historiens et d’anthropologues
(Hien, 2002, cité par Dialla, 2004), il apparaît que les sociétés indigènes
possédaient non seulement un sens commercial aigu, mais également la
capacité de le rendre opérationnel. Au Burkina Faso, il a fallu attendre la
libéralisation opérée à travers les programmes d’ajustement structurel du
début des années 1990 pour voir se développer des initiatives de promotion
du secteur privé comme moteur de développement. À cet effet, 81 % des
personnes interrogées en 2016 lors d’une étude du Global Entrepreneurship
Monitor (GEM) trouvent que l’entrepreneuriat est un bon choix de car-
rière, contre 74 % en 2015. Cette valorisation sociale se traduit sur le plan
individuel par une volonté de se lancer dans la carrière entrepreneuriale.
Ce taux hautement appréciable va dans le sens du discours des pouvoirs
74 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

publics incitant les jeunes à considérer l’auto-emploi comme l’alternative


crédible à l’emploi salarié. C’est pourquoi de nombreuses initiatives sont
prises pour inciter les jeunes à s’auto-employer, en espérant que cela puisse
aussi déboucher sur des créations d’entreprises pouvant se développer. En
effet, l’Université Joseph Ki Zerbo possède depuis 2009 un dispositif de
formation en entrepreneuriat. Cette université dispose d’un incubateur
d’entreprise dont le slogan « innover pour bâtir l’avenir » s’adresse aux
étudiants en fin de cycle pour cultiver l’esprit d’entreprise en vue de faci-
liter leur insertion professionnelle. Ainsi, pour la 8e promotion dont
l’ouverture s’est déroulée le 12 mars 2019, quarante étudiants ont été
sélectionnés à la suite d’un entretien et formés en entrepreneuriat. La
mission de ce dispositif, en plus de développer les compétences entrepre-
neuriales, est d’offrir un espace de travail partagé, de coaching et de
plaidoyer pour le financement des meilleures idées d’entreprise.
Aussi, en vue d’atteindre l’autosuffisance alimentaire au Burkina Faso,
beaucoup d’initiatives ont été entreprises, dont l’implication du secteur
privé dans l’agriculture avec la promotion de l’agrobusiness pour moder-
niser le secteur agricole. Ainsi, la Jeune Chambre internationale organise
des journées de l’entrepreneuriat chaque année afin d’amener la jeunesse
burkinabè à s’intéresser davantage à l’agrobusiness et à saisir les occasions
de partenariat. La 8e édition de ces journées s’est tenue les 25 et 26 mai
2019 à Ouagadougou sous le thème : « Agrobusiness, l’innovation pour la
sécurité alimentaire au Burkina Faso ». Les 23 et 24 mars 2019, a eu lieu la
première édition du Forum National de l’Étudiant Entrepreneur. L’objectif
de ce forum est de transmettre aux jeunes étudiants des idées, des prin-
cipes et des mesures pour devenir entrepreneurs, à travers des conférences,
des formations et des débats.
La culture de l’entrepreneuriat chez les jeunes Burkinabè reste à être
davantage développée, même si des efforts récents ont été faits dans ce
sens en développant notamment les formations techniques et profes-
sionnelles qui constituent d’ailleurs l’un des axes prioritaires dans le
référentiel du PNDES (Plan National de Développement Économique
et Social). L’objectif global du PNDES est de transformer structurelle-
ment l’économie burkinabè, pour une croissance forte, durable, rési-
liente, inclusive, créatrice d’emplois décents pour tous et induisant
l’amélioration du bien-être social. Il s’agit dans ce volet d’augmenter le
taux d’inscription dans l’enseignement et la formation technique et
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 75

professionnelle de 15 % à l’horizon 2020, tout en encourageant les jeunes


à créer leurs propres entreprises à la fin de leur formation. On note de
ce fait un regain d’intérêt pour l’entrepreneuriat. Dans cette dynamique,
certains dispositifs d’aide à la création d’entreprise sont mis en place
par les politiques publiques de développement afin de faciliter la forma-
lisation des initiatives d’entreprise sur le plan juridique et économique.
En vue du renforcement de la création d’emploi et des revenus, le gou-
vernement a adopté depuis 2013 un certain nombre de mesures sociales,
dont l’octroi de crédits d’investissement et d’installation pour le finan-
cement de l’auto-emploi de jeunes diplômés à hauteur d’un milliard de
Fcfa ; appui financier aux trois fonds de financement des projets des
jeunes. Il s’agit du Fonds d’Appui au Secteur Informel (FASI), du Fonds
d’Appui à la Promotion de l’Emploi (FAPE) et du Fonds d’Appui aux
Initiatives des Jeunes (FAIJ).
Par ailleurs, la Chambre de Commerce et d’Industrie du Burkina
Faso dispose d’un centre de formalités des entreprises (CEFORE).
L’objectif de cette sous-section est d’aider les jeunes qui désirent entre-
prendre ou qui sont dans le secteur informel, à donner une forme juridique
à leurs activités afin de faciliter leur accès aux crédits. La formalisation
consiste en une déclaration de l’activité aux impôts. Ce qui donne droit
au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM) à une carte de
commerçant, un numéro IFU (Identifiant Financier Unique) et un numéro
CNSS (Caisse Nationale de Sécurité Sociale) qui permet à l’entrepreneur
de déclarer à la CNSS le salaire versé à ses employés. Cette formalisation
permet à l’entrepreneur de bénéficier d’une assistance juridique en cas de
problème lié à son entreprise et facilite du même coup l’accès aux crédits
octroyés par les différents fonds. Dans le cadre de la mise en œuvre de la
sous-composante 2.3 du Projet Emplois des Jeunes et Développement des
Compétences (PEJDC), la Maison de l’Entreprise du Burkina Faso
(MEBF) a lancé en 2019 une compétition des plans d’affaires (COPA),
ouverte aux jeunes bénéficiaires de la formation en entrepreneuriat et de
l’accompagnement. Cette compétition a concerné les régions du Centre,
du Plateau-Central, du Centre-Sud, des Hauts Bassins, du Centre-Ouest
et du Nord. Ce sont les jeunes ayant présenté les meilleurs plans d’affaires
qui ont vu leurs projets financés d’un montant allant de 100  000 à
2 500 000 Fcfa. Les choses semblent évoluer positivement dans le sens de
la création d’emploi, mais certaines difficultés demeurent et doivent être
76 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

considérées comme des défis à relever, d’où l’intérêt de se pencher sur la


problématique de l’entrepreneuriat au Burkina Faso.

2. Ancrage théorique et conceptuel

La littérature sur l’entrepreneuriat est riche et abondante. Certains cher-


cheurs (Bréchet et Schieb-Bienfait, 2011) appellent même à la mobilisation
d’une pluralité de regards théoriques et disciplinaires afin de mieux cerner
la question de l’entrepreneuriat dans toutes ses dimensions. Cette invita-
tion pourrait contribuer à résoudre les problèmes d’ordre épistémologique,
conceptuel, méthodologique et pratique puisque la multiplicité et la
diversité des travaux sur le sujet cachent le plus souvent un apparent
paradoxe relatif aux résultats de ces travaux, ainsi que la difficulté de la
mise en œuvre des différentes recommandations formulées à l’endroit des
politiques publiques. La particularité du contexte africain en général et
celui du Burkina Faso surtout est également à prendre en compte dans
les réflexions sur l’entrepreneuriat. Dans les lignes suivantes est décrit
l’ancrage théorique et conceptuel qui a servi de base à cette réflexion.
Toutefois, il s’agit moins de se pencher sur des aspects théoriques que sur
des pratiques auxquelles ils peuvent faire appel de façon concrète.

2.1 Théorie de l’entrepreneuriat basée sur le projet et l’ambition

La théorie de l’entreprise fondée sur le projet, ou Project-Based View (PBV)


de Desreumaux et Bréchet (2009), peut servir de point d’ancrage à cette
réflexion. Elle nourrit une façon de problématiser le phénomène entre-
preneurial compris comme le passage du projet d’entreprendre au projet
d’entreprise. La notion de projet fait appel à des notions connexes comme
l’anticipation, la vision, la planification, la capacité de création, l’aptitude
à imaginer et à concevoir des projets et l’ambition. Bréchet, Schieb-
Bienfait et Desreumaux (2009) suggèrent d’appréhender le processus
entrepreneurial dans une perspective dynamique et collective. Selon cette
approche, l’entrée par le projet dans l’action entrepreneuriale est une autre
façon d’envisager le dépassement du dualisme système-acteur qui, selon
eux, est trop réductionniste. Ce modèle pourrait permettre de comprendre
la conception de l’entrepreneuriat au Burkina Faso encore dominé par un
collectivisme traditionnel. En effet, la culture entrepreneuriale fait appel
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 7 7

à des ressources interactionnelles, puisque l’esprit d’entreprise comporte


aussi des aspects pratiques et matériels. Selon Pelletier (2004), on ne peut
rien entreprendre seul, avec uniquement l’énergie tirée de sa motivation,
avec uniquement l’intelligence de sa vision et de son projet. Le passage à
l’acte implique une action concrète et la mobilisation des ressources du
milieu, particulièrement des ressources humaines, c’est-à-dire de ceux
et celles qui vont adhérer au projet et en devenir solidairement respon-
sables. Selon Bréchet et Schieb-Bienfait (2011 : 7), « sur le plan collectif,
et notamment sur celui du passage du projet d’entreprendre au projet
d’entreprise, l’affirmation de l’agir projectif se nourrit des aspects fon-
damentaux tels que la reconnaissance de l’agir projectif à l’échelle
individuelle et nécessite parallèlement de fonder l’existence des collectifs
sur les projets par lesquels ils se construisent ». Mais à quoi renvoie la
notion même d’entrepreneuriat ?

2.2 De la notion d’entrepreneuriat en général

L’on s’accorde généralement à considérer que le terme « entrepreneuriat »


renvoie au concept anglo-saxon d’entrepreneurship qui fait référence
essentiellement à trois notions : l’entrepreneur, l’entreprise et l’esprit
d’entreprise (Marchesnay, 1996). On désigne donc par entrepreneur un
chef d’entreprise, que celle-ci soit formelle ou informelle. « L’esprit d’entre-
prise est l’aptitude créative de l’individu, isolé ou au sein d’une organisa-
tion, à identifier une opportunité et à la saisir pour produire une nouvelle
valeur ou le succès économique. » En d’autres termes, c’est cette aptitude
de l’individu ou d’un groupe social à s’engager dans une sorte d’aventure
pour créer quelque chose de neuf avec tout ce que cela peut comporter
comme risques.
Selon Arzeni et al. (2013), reprenant les termes de l’OCDE (2012 : 9),
« l’entrepreneuriat peut se concevoir comme le phénomène associé à
l’activité entrepreneuriale, action humaine consistant à entreprendre pour
générer de la valeur en créant ou en développant des activités économiques
grâce à l’identification et à l’exploitation de nouveaux produits, processus
ou marchés ». Il touche, selon Toutain et Verzat (2017), une diversité crois-
sante de jeunes, qu’ils soient sans diplôme, à l’école primaire, secondaire,
dans les centres de formation professionnelle, à l’université, dans une
grande école d’ingénieur ou de management, etc. Défini en ces termes, il
78 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

est clair que l’esprit d’entreprise ne peut que mobiliser beaucoup de res-
sources personnelles, d’où la notion d’ambition.

2.3 Entrepreneur ambitieux

Être un entrepreneur ambitieux, c’est avoir non seulement un projet


d’entreprise, mais aussi, et surtout, se donner les moyens de le réaliser et
de le maintenir. Des auteurs comme Gundry et Welsch (2001) furent
parmi les premiers à utiliser la notion d’entrepreneurs ambitieux en
considérant la mesure d’ambition comme l’augmentation effective des
ventes d’une entreprise donnée comparée à leurs homologues préférant
le statu quo. Selon ces auteurs, les entrepreneurs ambitieux sont caracté-
risés sur le plan organisationnel « par des intentions stratégiques orientées
vers l’expansion de marché et le changement technologique, une planifi-
cation précoce de la croissance, la mise en place d’un design organisa-
tionnel sous forme d’équipe, l’utilisation d’un large spectre de sources de
financement pour l’expansion de l’entreprise et un intérêt pour la répu-
tation et la qualité » (Hermans, Vanderstraeten, Dejardin, Ramdani et
Van Witteloostuijn, 2013 : 50). Sur le plan individuel, il se caractérise par
un engagement plus important vis-à-vis du succès de son activité et la
reconnaissance de capacités de leadership. Être entrepreneur, c’est avant
tout être ambitieux. En résumé, l’« entrepreneur ambitieux » est celui qui
s’engage dans le processus entrepreneurial dans le but d’atteindre des
performances qui dépassent la simple survie de l’activité créée dans un
environnement concurrentiel. Ce rappel théorique permet de déboucher
sur les hypothèses.

3. Hypothèses de recherche

En rappel, cette étude a pour objectif de faire une analyse des principaux
défis que doivent relever les jeunes entrepreneurs au Burkina Faso, des
caractéristiques de ces jeunes et de leurs entreprises. Il s’agit de décrire
les dispositifs d’aide à la création d’entreprise par les jeunes, leurs forces
et leurs faiblesses, de mettre en exergue les compétences ou connaissances
entrepreneuriales clés dont manquent les jeunes et qu’ils doivent déve-
lopper pour pouvoir réussir leur projet d’entreprise. Ce qui permettra à
terme de faire des propositions de bonnes pratiques à inclure dans une
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 79

stratégie en faveur de l’entrepreneuriat des jeunes au Burkina Faso. Pour


cela, trois postulats qui constituent le fil conducteur de la démarche
méthodologique ont été posés. On suppose donc (1) que les jeunes
Burkinabè en quête d’emploi nourrissent l’ambition d’entreprendre et de
s’auto-employer ; (2) qu’ils préfèrent l’entrepreneuriat à la fonction
publique, s’ils bénéficient d’un accompagnement efficace de la part de
l’État ; et (3) que les difficultés auxquelles ils font face quand ils s’engagent
dans le domaine de l’entrepreneuriat sont en partie dues à un déficit en
termes de formation et d’accompagnement technique et financier.

4. Approche méthodologique

Au regard des objectifs et des hypothèses à vérifier, la catégorie d’individus


à interroger dans le cadre de cette étude est un facteur important pour la
pertinence des résultats. Pour faire une analyse de la question entrepre-
neuriale des jeunes, il faut nécessairement les interroger au moyen d’une
enquête. Elle constitue une « méthode interrogative » qui permet selon
Campenhoudt, Marquet et Quivy (2017) de mesurer la perception que les
individus ont des objets sociaux. Afin de mieux appréhender la problé-
matique de l’entrepreneuriat au Burkina Faso sous les aspects pris en
compte dans le cadre de cette contribution, un échantillonnage multini-
veau a été privilégié.

4.1 Échantillon

Les données sont collectées auprès de jeunes en quête d’emploi, de ceux


qui sont dans le domaine de l’entrepreneuriat. Ainsi, une première partie
de l’échantillon est obtenue à partir d’une technique d’échantillonnage
probabiliste aléatoire simple (Dépelteau, 2010), sur la base des listes des
demandeurs d’emploi fournies par les Agences Nationales de Promotion
de l’Emploi (ANPE) de trois régions du pays. Il s’agit des régions du Nord,
du Centre, et du Centre-Ouest. Une seconde partie de l’échantillon est
constituée de jeunes qui sont déjà dans le domaine de l’entrepreneuriat,
qui exercent une activité régulière depuis au moins un mois. Enfin, une
troisième partie de l’échantillon est constituée de jeunes anciens entre-
preneurs qui ne sont plus dans le domaine de l’entrepreneuriat pour
quelque raison que ce soit, mais qui sont toujours en quête d’emploi.
80 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

4.2 Critères d’inclusion

Peuvent faire partie de l’échantillon les individus exerçant une activité


génératrice de revenu, quelle qu’elle soit, allant dans le sens d’une initiative
personnelle ou collective, les jeunes en quête d’emploi et inscrits sur la
liste des demandeurs d’emploi de l’ANPE, des jeunes ayant déjà exercé
dans le domaine entrepreneurial mais qui ont suspendu leurs activités
pour quelque raison que ce soit. La répartition de l’échantillon est indi-
quée dans le tableau 3.1. Les jeunes recrutés dans la fonction publique et
exerçant à la fois d’autres activités génératrices de revenus ont été exclus
de l’échantillon puisqu’ils ont déjà une situation financière plus ou moins
stable.

TA B L E AU 3.1
Récapitulatif de l’échantillon

Nord Centre Centre-Ouest


Régions
E11 E2 E3 E1 E2 E3 E1 E2 E3

Hommes 30 20 7 20 25 5 20 30 7

Femmes 20 20 3 20 25 5 20 20 3

Total 50 40 10 40 50 10 40 50 10

Source : Enquêtes de terrain, août 2019.

L’échantillon E 1 (130 individus) désigne les jeunes (hommes, femmes)


en quête d’emplois enregistrés dans les ANPE ; E 2 (140 individus) renvoie
aux jeunes (hommes, femmes) exerçant déjà une activité précise ; E 3
(30 individus) fait référence aux anciens entrepreneurs (hommes, femmes)
ayant interrompu leurs activités mais toujours en quête d’emploi.
L’échantillonnage est proportionné en tenant compte du genre, du type
d’enquêté et de la région. Au total, 300 jeunes ont été interrogés.

1. « E » renvoie à chaque sous-échantillon selon les caractéristiques des enquêtés


décrites plus haut.
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 81

4.3 Outils et technique de collecte des données

La technique utilisée dans cette étude est l’enquête par questionnaire. Une
recherche documentaire préalable a permis d’exploiter des ouvrages, des
documents officiels, des articles et des rapports qui font un état des lieux
de l’employabilité et de l’entrepreneuriat au Burkina Faso. La collecte des
données a été réalisée à l’aide de trois questionnaires, adressés respecti-
vement à chaque sous-échantillon.

4.4 Traitement des données

Les données collectées sont analysées sous le logiciel SPSS 24 (Statistical


Package for Social Sciences version 24) afin d’en dégager les moyennes et
les pourcentages.

5. Résultats

Les données recueillies ont subi un traitement statistique et une analyse


de contenu afin de les rendre plus intelligibles et d’éprouver les hypo-
thèses. Les statistiques descriptives ont été utilisées pour l’analyse des
questions fermées afin de dégager les indices de tendance centrale, comme
la moyenne et la fréquence d’apparition des observations.

5.1 Caractéristiques démographiques des enquêtés

Les caractéristiques démographiques considérées ici sont l’âge et le sexe. La


grande majorité des enquêtés ont entre 20 et 30 ans. Les plus nombreux
sont ceux ayant 25 ans avec une moyenne d’âge de 25,17 ans. Cette frange
de la population occupe d’ailleurs une grande partie de la population géné-
rale burkinabè. Pour un souci de mixité, les deux genres sont représentés
chez les enquêtés. Pour le premier sous-échantillon, 57,7 % d’hommes et
42,3 % de femmes ont effectivement répondu au questionnaire.
Même si la variable genre n’est pas explicitement prise en compte dans
cette étude, il était souhaitable d’avoir un échantillon mixte proportionné
prenant en compte le nombre de femmes et d’hommes en quête d’emploi.
Il a été constaté que plus d’hommes que de femmes s’étaient inscrits sur la
liste de demandeurs d’emploi dans les ANPE régionales, mais cela ne signifie
nullement pas qu’il y a moins de femmes en quête d’emploi que d’hommes.
82 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

5.2 Chômage des jeunes Burkinabè et intentions entrepreneuriales

Le questionnaire 1 adressé aux enquêtés visait à mesurer leurs intentions


entrepreneuriales ainsi que le domaine d’activité. Ce sont essentiellement
les jeunes demandeurs d’emploi inscrits sur les listes régionales des ANPE.

Ambition de créer sa propre entreprise

Les intentions entrepreneuriales des jeunes sont exprimées en termes


d’ambitions.
L’ambition de créer sa propre entreprise a été évaluée chez les jeunes
par la question 6 du questionnaire 1. Il ressort que les 91,5 % des jeunes en
quête d’emploi ont l’ambition de créer leur propre entreprise tandis que
8,5 % recherchent un emploi salarié, que ce soit dans le public ou le privé.

Choix entre entrepreneuriat et fonction publique

Pour évaluer le choix des jeunes entre entreprendre et intégrer la fonc-


tion publique, ils étaient invités à répondre à une question : si on vous
fait les propositions suivantes : vous installer à votre propre compte (cela
suppose que l’État met à votre disposition les moyens nécessaires pour
démarrer une activité génératrice de revenu) ou entrer dans la fonction
publique (pour travailler comme salarié de l’État), laquelle des deux
préféreriez-vous ?

TA B L E AU 3. 2
Choix fait entre fonction publique et entrepreneuriat

Pourcentage Pourcentage
Fréquence Pourcentage
valide cumulé

Entrepreneuriat 119 91,5 91,5 91,5

Fonction publique 11 8,5 8,5 100,0

Total 130 100,0 100,0

Source : Enquêtes de terrain, août 2019.

Si on vous proposait de vous intégrer dans la fonction publique, allez-


vous abandonner votre activité pour travailler au compte de l’État comme
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 83

salarié ? Cette question adressée aux jeunes entrepreneurs avait pour


objectif d’évaluer leur préférence entre ambitions entrepreneuriales et
une éventuelle intégration dans la fonction publique.

TA B L E AU 3. 3
Abandon de son entreprise pour la fonction publique

Pourcentage Pourcentage
Fréquence Pourcentage
valide cumulé

OUI 5 3,6 3,6 3,6

NON 135 96,4 96,4 100,0

Total 140 100,0 100,0

Source : Enquêtes de terrain, août 2019.

En interrogeant les jeunes sur le choix entre entreprendre et travailler


dans la fonction publique, il s’avère que les 96,4 % préfèrent l’entrepreneu-
riat à la fonction publique, si toutefois ils bénéficient d’un accompagne-
ment efficace de la part de l’État. Seulement 3,6 % préfèrent la fonction
publique à l’entrepreneuriat.
Au regard des données des tableaux 3.2 et 3.3, les jeunes en quête
d’emploi sont de plus en plus déterminés à créer leur propre entreprise et
préfèrent l’entrepreneuriat à la fonction publique s’ils bénéficient d’un
accompagnement efficace de la part de l’État. Les raisons les plus fréquem-
ment invoquées sont exprimées dans les verbatims suivants :
S’installer à son propre compte en créant son entreprise est une idée à saluer,
car aucune force extérieure ni aucune pression ne sera exercée sur soi, mener
mon activité en toute liberté ; avec le niveau que j’ai, la fonction publique ne
m’arrange pas ; parce que je veux être riche, car la fonction publique ne rend
pas riche ; on gagne mieux que dans la fonction publique ; l’entrepreneuriat
crée plus d’emplois que la fonction publique ; c’est ma vocation.

Ceux qui sont déjà dans l’entrepreneuriat disent n’avoir pas l’intention
de travailler dans la fonction publique même si on leur proposait l’inté-
gration. Les raisons les plus fréquemment invoquées sont entre autres :
J’ai une grande ambition pour mon entreprise, mais aussi je désire créer des
emplois pour d’autres jeunes chômeurs, j’ai opté pour la liberté financière
afin de multiplier les activités et permettre à d’autres d’avoir des revenus
additionnels ; on est habitués à avoir de l’argent journalier, on ne peut pas
84 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

attendre la fin du mois pour toucher un salaire ; le salaire brut de l’État est
très minime.

Connaissance des dispositifs d’aide à la création d’entreprise

Certains jeunes n’ont pas connaissance de l’existence de ces structures


d’accompagnement, et même chez ceux qui le savent, la grande majorité
n’a pas connaissance des démarches à entreprendre pour bénéficier de
l’aide de ces structures. Parmi ces structures d’accompagnement, on peut
retenir le Fonds d’Appui au Secteur Informel (FASI), le Fonds d’Appui à
la Promotion de l’Emploi (FAPE), le Fonds d’Appui aux Initiatives des
Jeunes (FAIJ), le Centre de Formalités des Entreprises (CEFORE) de la
Chambre de Commerce et d’Industrie du Burkina Faso.
Je n’ai pas été informé de l’existence d’une structure d’accompagnement des
jeunes. Pour moi, il faut connaître des gens pour avoir accès à ces dispositifs
d’accompagnement. Comme je ne suis pas allé loin à l’école, il sera compliqué
pour moi de comprendre le fonctionnement de ces dispositifs. Je préfère me
débrouiller seul.

5.3 Difficultés des jeunes entrepreneurs burkinabè : manque ou insuffi-


sance de formation et d’accompagnement technique et financier

Les jeunes entrepreneurs étaient invités à énumérer les difficultés qu’ils


rencontrent dans l’exercice de leurs activités. La grande majorité (92 %)
des jeunes interrogés affirment connaître des difficultés puisqu’ils ne
bénéficient pas d’un accompagnement de l’État.

TA B L E AU 3.4

Accompagnement technique et financier des jeunes entrepreneurs par l’État

Pourcentage Pourcentage
Fréquence Pourcentage
valide cumulé

OUI  12   8,6   8,6   8,6

NON 128  91,4  91,4 100,0

Total 140 100,0 100,0

Source : Enquêtes de terrain, août 2019.


E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 85

Les données du tableau 3.4 montrent clairement que les 91,4 % des
jeunes entrepreneurs interrogés n’ont pas bénéficié d’un accompagnement
technique et financier de la part de l’État, contre 8,6 % qui affirment avoir
bénéficié d’un appui de l’État. Ce qui signifie que la grande majorité de
ces jeunes entrepreneurs ont démarré leurs activités avec un financement
personnel sans aucun accompagnement, aucune formation dans ce
domaine.

Formation en entrepreneuriat

En plus du déficit en termes d’appui financier, les jeunes manquent souvent


de formation en entrepreneuriat, comme le montrent les données du
tableau 3.5.

TA B L E AU 3. 5

Formation des jeunes en entrepreneuriat

Pourcentage Pourcentage
Fréquence Pourcentage
valide cumulé

OUI  15  11,5  12,0  12,0

NON 110  84,6  88,0 100,0

Total 125  96,2 100,0

Manquant   5   3,8

Total 130 100,0

Source : Enquêtes de terrain, août 2019.

Au regard des données du tableau 3.5, la majorité des jeunes interrogés


(84,6 %) n’ont jamais suivi une formation en entrepreneuriat. Seulement
11,5 % affirment l’avoir déjà fait. Pourtant, cette formation est un élément
fondamental pour la réussite du jeune entrepreneur. Ce déficit en termes
de formation fait qu’ils n’ont le plus souvent pas connaissance des
démarches à suivre pour la création d’entreprise.
86 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Connaissance des démarches de création d’une entreprise

La création d’entreprise nécessite un minimum de connaissances relatives


non seulement à son fonctionnement mais aussi à sa formalisation.

TA B L E AU 3.6

Connaissance des procédures de formalisation d’une entreprise

Pourcentage Pourcentage
Fréquence Pourcentage
valide cumulé

Valide OUI  18  13,8  13,8  13,8

NON 112  86,2  86,2 100,0

Total 130 100,0 100,0

Source : Enquêtes de terrain, août 2019.

Parmi les difficultés des jeunes entrepreneurs figure également leur


méconnaissance des démarches à suivre pour la formalisation de leurs
idées d’entreprise. Comme on peut le constater, de l’analyse des réponses
fournies à la question relative à la connaissance des formalités de création
d’entreprise, il ressort que 86,2 % des jeunes interrogés ne savent rien de
ces démarches. Même ceux qui affirment les connaître mettent plutôt
l’accent sur la recherche de financement et évoquent rarement les aspects
d’ordre juridique (RCCM, IFU, notification à l’employeur…).

6. Discussion des résultats

Les résultats qui viennent d’être présentés montrent que les jeunes
Burkinabè en quête d’emploi nourrissent l’ambition de créer leur propre
entreprise. Ce qui corrobore bien les hypothèses émises. Il ressort de
l’analyse des résultats que ces jeunes nourrissent l’ambition de s’auto-
employer, qu’ils semblent préférer l’entrepreneuriat à la fonction publique,
s’ils bénéficient bien entendu d’un accompagnement efficace de la part de
l’État. Par ailleurs, les difficultés auxquelles ils font face quand ils s’en-
gagent dans le domaine de l’entrepreneuriat sont en partie dues à un déficit
en termes de formation et d’accompagnement technique et financier.
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 87

Ainsi, qu’ils soient en quête d’emploi ou exerçant déjà une activité


bien précise, ces jeunes ont un regard positif sur l’entrepreneuriat, qui est
considéré par certains comme « la solution aux problèmes de chômage ».
C’est pourquoi la grande majorité de ceux en quête d’emploi affirment
préférer entreprendre que d’être salariés dans la fonction publique, qu’ils
jugent « inaccessible, contraignante et peu rentable ». Selon eux, créer sa
propre entreprise permet non seulement de s’auto-employer, d’être son
« propre patron », d’avoir beaucoup d’argent, mais aussi d’embaucher
d’autres jeunes. On crée donc de la richesse et en même temps de l’emploi.
Cette conception s’inscrit dans la même logique que celle d’Arzeni et al.
(2013), dont les travaux soulignent la pertinence de la création d’entreprise,
en indiquant que pour créer de l’emploi, il faut avant tout créer des
employeurs.
Les jeunes entrepreneurs burkinabè déjà installés à leur propre
compte deviennent de ce fait des employeurs puisque, ne pouvant pas tout
faire tout seuls, ils travaillent avec d’autres jeunes. Dans son étude,
Pelletier (2004) recommande d’ailleurs d’avoir une telle vision, puisque
selon lui, on ne peut rien entreprendre seul, avec uniquement l’énergie
tirée de sa motivation, avec uniquement l’intelligence de sa vision et de
son projet. Les jeunes entrepreneurs au Burkina Faso contribuent ainsi à
faire baisser le taux de chômage puisqu’en aidant un jeune à entreprendre,
celui-ci va certainement en employer d’autres. Cette position rejoint éga-
lement celle de Philippart (2018) qui dit qu’« il faut être avant tout entre-
prenant avant d’être entrepreneur ». Cela doit être perceptible dans
l’attitude des jeunes entrepreneurs burkinabè. Ils sont conscients que l’État
à lui seul ne peut pas embaucher tous les jeunes demandeurs d’emploi,
dont le nombre est de plus en plus croissant. L’ambition de ces jeunes
entrepreneurs burkinabè est d’autant plus affichée qu’ils refusent d’ailleurs
une éventuelle proposition de poste de travail dans la fonction publique.
Ceux qui sont en quête d’emploi et enregistrés dans la base des don-
nées des ANPE semblent animés d’un désir ardent de concrétiser leur
projet d’entreprise. On peut donc les considérer comme de potentiels
entrepreneurs ambitieux, même si d’autres auteurs comme Bréchet et
Schieb-Bienfait (2011) proposent de considérer comme tels ceux qui
marquent le passage du projet d’entreprendre au projet d’entreprise. En
effet, les ambitions des jeunes entrepreneurs burkinabè vont au-delà de
simples intentions. Il est évident qu’ils ont le sens du commerce, du busi-
88 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

ness, comme l’ont révélé les travaux de Dialla (2004) en contexte burki-
nabè. Mais la capacité de rendre leur idée d’entreprise opérationnelle,
comme le suppose cet auteur, est à nuancer. En effet, certains jeunes
éprouvent des difficultés à y arriver et cela est imputable à plusieurs fac-
teurs relatifs au contexte burkinabè, dont le manque de formation en
entrepreneuriat et l’impréparation à entreprendre, qui s’expliquent par
les politiques d’orientation du système éducatif.
Il faut reconnaître qu’au Burkina Faso, certains jeunes se retrouvent
dans l’entrepreneuriat par pur hasard, après plusieurs vaines tentatives
d’insertion dans la fonction publique. C’est pourquoi, il faudrait prendre
avec du recul les propos des jeunes en quête d’emploi qui affirment préférer
l’entrepreneuriat à la fonction publique, puisque ceux-ci se font enregistrer
à l’ANPE en tant que personnes désireuses de créer leur entreprise mais,
dans le même temps, participent aux concours d’intégration dans la
fonction publique. Ainsi, peut-on observer plusieurs jeunes qui aban-
donnent leur entreprise pour intégrer la fonction publique. En revanche,
moins de jeunes quittent la fonction publique pour entreprendre. Dans
une telle situation, il devient difficile de parler de véritables projets d’entre-
prise, comme expliqué dans la théorie du Project-Based View (Desreumaux
et Bréchet, 2009), puisque dès que ces jeunes sont admis à un concours
d’entrée dans la fonction publique, ils abandonnent leur projet d’entre-
prise. Seulement ceux qui sont déjà entrepreneurs expriment une véritable
ambition d’exceller dans l’entrepreneuriat. Certains sont d’ailleurs défa-
vorisés par la limite d’âge d’entrée dans la fonction publique fixée à 37 ans
au Burkina Faso et ont l’entrepreneuriat comme possibilité de réalisation
de soi. Les résultats de cette étude montrent par ailleurs que les jeunes
éprouvent des difficultés d’accès au financement, à l’information, faisant
que certains ont l’intention d’entreprendre, mais connaissent des blocages
sur le plan financier et souvent même sur le plan juridique.
Quelle peut être l’implication de ces résultats pour l’élaboration et
l’implantation de politiques publiques favorables à l’entrepreneuriat et à
l’emploi des jeunes au Burkina Faso ? En rappel, l’un des objectifs de cette
contribution est de partir des résultats pour faire des propositions de
bonnes pratiques à inclure dans une stratégie en faveur de l’entrepreneu-
riat des jeunes. Il ressort clairement de l’étude que les jeunes entrepreneurs
ainsi que ceux qui ont des intentions entrepreneuriales au Burkina Faso
connaissent d’énormes difficultés d’ordre technique et financier. Pour
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 89

venir à bout de ces difficultés et faire de l’entrepreneuriat un véritable pôle


de création d’emploi, plusieurs actions doivent être entreprises par les
politiques publiques.
Sur le plan technique, il faut renforcer les dispositifs de formation en
entrepreneuriat et communiquer de façon adéquate l’information néces-
saire aux jeunes, puisque nombre d’entre eux ignorent encore l’existence
de ces possibilités. Il est nécessaire d’ouvrir des centres de formation en
entrepreneuriat dans les zones qui n’en disposent pas encore, en exploitant
les avantages liés aux différents contextes. Par exemple, les jeunes inter-
rogés dans le nord du pays ont beaucoup plus l’intention d’entreprendre
dans le domaine de l’élevage, du commerce, tandis que ceux du Centre
et du Centre-Ouest ont plus un penchant pour le domaine numérique et
l’informatique.
Il serait profitable d’insérer ces formations en entrepreneuriat dans
les différents programmes d’enseignement depuis l’école primaire jusqu’au
niveau supérieur et procéder ainsi à un véritable travail d’éducation à
l’entrepreneuriat à la base. Chez les jeunes interrogés dans le cadre de
cette étude, on observe un écart entre le domaine de formation et l’activité
exercée. Par exemple, des jeunes ayant fait des études littéraires se
retrouvent à faire de l’élevage, du numérique, du commerce, alors qu’ils
n’ont pas reçu de formation dans ce domaine.
Sur le plan financier, il faut une véritable politique d’accompagnement
de la part de l’État. En effet, malgré les différents projets et programmes
d’appui à l’entrepreneuriat, les contraintes financières constituent toujours
le véritable obstacle auquel les jeunes Burkinabè se heurtent lorsqu’ils se
lancent dans l’entrepreneuriat. Cette situation s’explique par plusieurs
raisons. D’abord l’insuffisance des fonds mis à la disposition des diffé-
rentes structures de financement des projets des jeunes, faisant que cer-
tains montent leurs projets et peinent à avoir un financement. Il faudrait
donc augmenter les fonds disponibles dans ces structures. Il ne faut pas
perdre de vue que les difficultés financières peuvent être dues au manque
de formation des jeunes en entrepreneuriat, faisant qu’ils n’ont souvent
pas de stratégies financières et font faillite. À ce sujet, il faut une véritable
éducation à la gestion de l’argent afin de développer chez eux une intelli-
gence financière, surtout pour ceux n’ayant pas un niveau élevé d’instruc-
tion, comme l’exemple du Youth Espoir (YE) au Togo, qui est un produit
d’appel qui aide des jeunes à s’insérer professionnellement. Les bénéfi-
90 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

ciaires sont des jeunes ayant appris un métier, mais incapables de remplir
les conditions classiques de garantie et de caution pour un prêt dans une
institution de microfinance, selon l’étude d’Adjegan (2018). Ce modèle
pourrait inspirer le Burkina Faso. S’agissant de la faillite, il serait pertinent
que les différentes structures étatiques travaillent à ce que chaque jeune
entrepreneur dont le projet est financé bénéficie d’une « assurance faillite »,
soit une sorte de caution pouvant être réutilisée pour soutenir le jeune
entrepreneur dans une telle situation. Par ailleurs, l’État doit développer
des partenariats concrets avec les établissements financiers et les banques
afin que les jeunes entrepreneurs puissent avoir des prêts auprès de ces
structures de finances, qui sont encore frileuses dans le contexte du
Burkina Faso.

Conclusion

Faisant face au problème du chômage, les jeunes Burkinabè ont de plus


en plus le regard tourné vers l’entrepreneuriat, même s’ils ne perdent pas
de vue la fonction publique. Si certains voient leurs intentions entrepre-
neuriales se concrétiser, nombre d’entre eux n’y parviennent pas encore
pour plusieurs raisons invoquées (manque de moyens techniques et
financiers, de formation entrepreneuriale, déficit en termes d’accompa-
gnement de la part de l’État…). Si les difficultés qui handicapent les
ambitions de ces jeunes sont connues, l’État, de concert avec ses parte-
naires techniques et financiers, doit travailler à les résoudre véritablement
à travers des actions concrètes, en allant au-delà des discours politiques
afin de sortir ces jeunes de la précarité. Sur le plan juridique, l’État bur-
kinabè doit travailler à accompagner les jeunes entrepreneurs, puisqu’on
note également d’énormes blocages en la matière. À titre d’exemple,
certains jeunes entrepreneurs, notamment des investisseurs en trading,
ont vu leur compte gelé depuis avril 2019. Ce gel est dû, selon les autorités
politiques, au fait qu’une telle activité (le trading en ligne) n’est pas régle-
mentée et ne respecte pas la législation en la matière au Burkina Faso.
Pourtant, ce type d’activité, qui n’en est qu’au stade embryonnaire, suscite
l’intérêt de nombre de jeunes. Ces initiatives innovantes chez les jeunes
au Burkina Faso sont censées apporter des réponses à la problématique
du chômage et à celle de la violence en découlant, qui peuvent conduire
à une désaffiliation sociale, expression d’un malaise sociétal.
E n t r e pr e n eu r i at au Bu r k i na Fa s o • 91

Cependant, il faut avant tout une éducation à l’entrepreneuriat à la


base, en s’inspirant par exemple de l’approche orientante décrite par
Pelletier (2004) et reprise par Fayolle (2004) dans ses travaux. Cela pour-
rait faire l’objet d’une étude ultérieure. Enfin, il est nécessaire d’adopter
une approche holistique lorsqu’on aborde la question de l’entrepreneuriat
au Burkina Faso afin d’avoir une vision globale et un décloisonnement
des initiatives des différents ministères.

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jeunes au Togo à travers l’offre de services financiers et non financiers adaptés »
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92 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

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sens ». Entreprendre & Innover, 33 (2), 5-9. doi : 10.3917/entin.033.0005.
chapitre 4

L’entrepreneuriat, une solution contre


le chômage des jeunes
Le cas du Maroc1

Soulaimane Laghzaoui et Mounia Sliman

En dépit du potentiel qu’il présente en matière de développement écono-


mique, le Maroc, à l’instar d’autres pays émergents, fait face à une série
de fléaux socioéconomiques. À ce titre, le chômage touchant les jeunes se
présente comme l’un des principaux problèmes rencontrés (CESE, 2018 ;
OCDE, 2019). Il a atteint un niveau 2,6 fois plus élevé que la moyenne
nationale, soit un taux de 27,5 % (HCP, 2018).
De surcroît, ce problème n’est pas sans conséquence sur la société. En
effet, dans son rapport publié en 2018, le Conseil Économique, Social et
Environnemental décrit le chômage comme un phénomène qui « contribue
à l’isolement et à un sentiment de frustration », pouvant, de ce fait, exposer
les jeunes à différents risques, notamment la délinquance, l’extrémisme,
l’immigration et la fuite des cerveaux (CESE, 2018).
Dans ce contexte, plusieurs solutions et recommandations sont pro-
posées en vue de pallier cette situation. À cet effet, prôné par de nombreux
chercheurs et professionnels, l’entrepreneuriat est considéré comme un
important levier de création d’emploi pour les jeunes. Il est d’autant plus
crucial que le climat d’affaires actuel est caractérisé par des opportunités
et une garantie d’emploi de plus en plus limitées (Boussetta, 2013).

1. Les auteurs tiennent à remercier les doctorants Jean Jeaslin DECOSSA et Safae EL
OTMANI pour leur contribution à la réalisation de ce chapitre.
94 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Ainsi, une série d’actions et de mesures ont été entreprises en vue de


faciliter l’accès aux ressources nécessaires à l’action entrepreneuriale.
L’objectif est d’inciter cette catégorie de la population à créer et/ou à gérer
ses propres projets.
Par ailleurs, en dehors de quelques statistiques globales, il faut recon-
naître que les données sur le comportement entrepreneurial des jeunes
demeurent assez restreintes. En effet, les quelques travaux existants sur
le terrain ne permettent d’avoir que peu de connaissances actualisées et
contextualisées sur le sujet. On ignore ainsi beaucoup de choses sur les
traits caractérisant les jeunes entrepreneurs, les raisons les poussant ou
les freinant d’aller vers l’entrepreneuriat, la nature des ressources dont ils
ont besoin pour entreprendre et leur degré de connaissance et d’utilisation
des programmes de promotion de l’entrepreneuriat.
Partant de là, il est plus important que jamais de mener une réflexion
en vue de comprendre davantage et mieux l’entrepreneuriat des jeunes
au Maroc. Ainsi, l’ambition de ce travail est de caractériser le phénomène
de l’entrepreneuriat chez cette catégorie de personnes. Il s’agit d’analyser
particulièrement, à partir d’une enquête de terrain, le profil des jeunes
selon la décision et l’intention d’entreprendre, leurs motivations, leurs
craintes, leur perception des ressources nécessaires à mobiliser ainsi que
leur degré de connaissance et d’utilisation des programmes de promotion
de l’entrepreneuriat.
La structure adoptée dans ce chapitre se présente comme suit : la
première partie revient sur les données de base liées au chômage et à
l’entrepreneuriat au Maroc ; la seconde partie est réservée à la présentation
et la discussion des résultats obtenus à partir de l’enquête menée sur le
terrain.

1. Chômage et entrepreneuriat au Maroc : état des lieux

Dans cette partie, seront rappelées les principales données sur le chômage
des jeunes et l’entrepreneuriat au Maroc.

1.1 Chômage des jeunes au Maroc

L’analyse des travaux réalisés sur le marché du travail au Maroc permet


de constater que les jeunes représentent la catégorie de population la plus
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 95

touchée par le chômage. Les derniers chiffres communiqués dans ce sens


montrent que les personnes entrant dans ce groupe subissent un fort
niveau de chômage, atteignant 29,3 % en 2017 et 26 % en 2018 (HCP, 2018).
Pour expliquer cette situation, les chercheurs et les professionnels
évoquent une série de facteurs. On peut citer notamment :
• L’importance de la population des jeunes en âge de travailler
comparativement au taux de création d’emploi. La croissance
économique est, en effet, jugée faible, voire insuffisante, pour
générer assez d’emplois.
• L’inadéquation entre, d’une part, le contenu et la qualité de la
formation donnée dans les systèmes scolaire et universitaire et,
d’autre part, la nature des profils demandés pour les emplois
offerts. Ce constat concerne notamment les lauréats de la forma-
tion professionnelle qui, selon le rapport du Conseil Économique,
Social et Environnemental (2018), ont plus de difficultés à intégrer
le marché du travail que les lauréats de l’enseignement général.
• Au lieu d’intégrer immédiatement le marché de l’emploi, certains
jeunes candidats au travail préfèrent attendre de meilleures
opportunités en termes de salaire et de confort dans de grandes
entreprises ou bien en termes de stabilité dans la fonction
publique2.
• La rigidité du cadre institutionnel et législatif régissant certaines
dimensions dans le Code du travail, notamment celles liées aux
contrats à durée déterminée.
• Le choix de certains offreurs d’emploi de privilégier des profils de
candidats avec plus d’années d’expérience. Cette décision a pour
conséquence d’écarter les jeunes candidats, dotés plutôt de créa-
tivité et éduqués.
Par ailleurs, il convient de souligner que le niveau d’importance de
certains facteurs ci-dessus expliquerait l’existence de différents types de
chômage au Maroc. Ainsi, on peut identifier principalement :
• Le chômage frictionnel, désignant la période d’inactivité provo-
quée par la transition et le délai nécessaire à une personne pour

2. Étude : Les métiers de demain au Maroc, réalisée par EMLyon Casablanca et


Viavoice, octobre 2018.
96 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

trouver un autre emploi. C’est la forme la plus importante. Il


affichait un taux de 33,8 % en 2015 et de 38,43 % en 2016.
• Le chômage conjoncturel, provoqué par un ralentissement de
l’activité économique. Il affichait un taux de 25,43 % en 2015 et de
25,37 % en 2016 ;
• Le chômage technique (ou partiel), entendu comme une situation
dans laquelle une entreprise décide de réduire temporairement
l’activité des salariés tout en leur assurant une rémunération. Il
accusait un taux de 17 % en 2016 ;
• Le chômage structurel, lié à une inadéquation qualitative entre
l’offre et la demande de travail. Il arrivait en dernier lieu avec un
taux de 14,97 % en 2015 et de 12,2 % en 2016.
En vue de lutter contre le chômage, notamment chez les jeunes, une
série d’actions sont mises en place. Elles visent à dynamiser le salariat
mais également à favoriser l’emploi indépendant en insistant particuliè-
rement sur l’entrepreneuriat.

1.2 Entrepreneuriat au Maroc

À partir des recherches menées sur l’entrepreneuriat, on peut remarquer


que ce concept couvre des activités pouvant revêtir la forme d’une nouvelle
production de biens/services mais également des initiatives d’affaires
d’abord conçues et ensuite développées (Shane et Venkatraman, 2000 ;
Ahl, 2006). Ainsi, par entrepreneuriat, il faut entendre la création d’une
nouvelle organisation/structure ou bien la transformation d’une idée en
un produit/service avec une valeur ajoutée (Bedi, 2016).
Sur le terrain, de nombreuses actions sont proposées en vue de pro-
mouvoir l’entrepreneuriat, notamment chez les jeunes. Elles cherchent,
en général, à faciliter l’accès aux principales ressources nécessaires à
l’action entrepreneuriale.
Dans le tableau 4.1, nous avons regroupé les grands programmes que
l’on rencontre sur le terrain ces dernières années :
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 97

TA B L E AU 4.1
Principaux programmes de promotion de l’entrepreneuriat

Programme Période Parties prenantes Missions


/ Institutions

Crédits « jeunes 1987 à État marocain Encourager les jeunes


promoteurs » nos jours Établissements diplômés de l’enseignement
bancaires supérieur ou professionnel
à créer des entreprises grâce
à des conditions de
financement très
avantageuses.

Programme 2006 à État marocain + L’objectif était l’appui à la


d’appui à nos jours ANAPEC création de 30 000
l’auto-emploi entreprises, pouvant
(Moukawalati) générer entre 60 000 et
90 000 emplois entre 2006
et 2008. Respectivement, en
2016 et 2017, le programme
a profité à 1 904 et 2 425
personnes ; 1 200 jeunes en
ont bénéficié au premier
semestre de 2018.

Fondation 1991 à Banque populaire La promotion de l’entrepre-


Création nos jours neuriat et l’accompagne-
d’Entreprises ment pour la création
(FCE) d’entreprise au profit des
porteurs de projets locaux
et des investisseurs.

Centre des Jeunes 2003 à CJD. Partenaires : Partager, défendre des


Dirigeants (CJD) nos jours Maroc PME, valeurs et se former au
MENESFCRS, métier de dirigeant
MICMNE, FFN, entrepreneur.
ODE, ASI, UHII

Association des 2000 à AFEM –P  romouvoir l’entrepre­


Femmes Chefs nos jours neuriat féminin ;
d’Entreprises – Encadrer et soutenir
(AFEM) l’entrepreneure dans le
développement de son
entreprise ;
– E ncourager la création
d’entreprise par les
femmes ;
–P  romouvoir l’image de la
femme chef d’entreprise
au Maroc et à l’étranger.
98 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Innov Start 1999 à Maroc – Parrainer les jeunes


nos jours Entreprendre porteurs de projets sous
forme de prêt d’honneur.
– Assurer le suivi des projets
sélectionnés pendant
3 ans.

À partir du tableau 4.1, on peut constater que différents programmes


de promotion de l’entrepreneuriat sont à la disposition des jeunes. Reste
à voir sur le terrain comment ces jeunes se comportent en matière
d’entrepreneuriat.

2. Enquête de terrain

Dans cette partie, nous reviendrons sur les aspects méthodologiques


mobilisés dans le cadre de notre enquête ainsi que sur la présentation et
la discussion des principaux résultats obtenus.

2.1 Méthodologie de recherche et description de l’échantillon

Après la description des dispositifs utilisés pour collecter les données sur
le terrain, seront décrits dans cette section les principaux résultats relatifs
aux traits sociodémographiques des jeunes enquêtés.

Outils d’investigation et de traitement de données

Deux grands moyens d’enquête ont été adoptés pour les fins de notre
étude.

A. Enquête par entretien


Un entretien semi-directif a été conduit sur la période allant du début du
mois de mars 2019 à la fin du mois d’avril 2019. Les personnes-ressources
interrogées occupent des fonctions de responsabilité liée à l’action entre-
preneuriale au Maroc. Elles appartiennent à quatre structures :
• Agence Nationale de Promotion de l’Emploi, située à Kénitra ;
• Enactus, dont le siège est à Rabat ;
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 99

• Réseau Entreprendre Maroc, situé à Casablanca ;


• Centre Régional d’Investissement de Casablanca.
En vue de mener à bien les entrevues, un guide d’entretien a été pré-
paré. Les questions posées concernaient principalement le profil des jeunes
entrepreneurs, leurs motivations, leurs craintes, les ressources nécessaires
et les secteurs d’activité convoités.
En ce qui concerne le traitement des données, nous avons utilisé, à
l’aide du logiciel NVivo, la méthode d’analyse de contenu. Cette dernière
consiste à repérer, à classifier, à analyser et à interpréter les informations
à partir des entretiens retranscrits pour en extraire la signification.

B. Enquête par questionnaire


Une enquête par questionnaire a été conduite auprès des jeunes. Ces
derniers ont été sélectionnés sur la base du critère de l’âge. Ainsi, suivant
la définition des jeunes suggérée par l’Organisation des Nations unies
(ONU), nous avons retenu la tranche d’âge des 15 à 24 ans. De plus, et en
vue d’avoir plus de précision, nous avons subdivisé cette catégorie de
personnes en deux classes : les adolescents (15 à 19 ans) et les jeunes adultes
(20 à 24 ans).
En ce qui concerne le contenu du questionnaire, il a été réparti en
trois grandes sections :
• Les données personnelles du jeune (le genre ; l’âge ; la région de
résidence ; la catégorie socioprofessionnelle ; le domaine, le niveau
et le type de formation…) ;
• Le comportement entrepreneurial du jeune (l’intention entrepre-
neuriale, les motivations et les freins à l’entrepreneuriat ; les res-
sources entrepreneuriales nécessaires à l’entrepreneuriat ; les
secteurs d’activité attractifs…) ;
• La connaissance et l’utilisation par le jeune des programmes mis
en place pour la promotion de l’entrepreneuriat.
Quant au mode d’administration du questionnaire, nous avons pri-
vilégié la diffusion électronique en ligne. Ainsi, après sa conception à l’aide
de l’outil Google Forms, le questionnaire a été envoyé via un lien électro-
nique à des milliers d’adresses e-mail personnelles et institutionnelles des
jeunes au Maroc. L’accès aux adresses e-mail des étudiants a été facilité
100 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

par les bases de données qui nous ont été communiquées par les univer-
sités. De surcroît, nous avons partagé le lien électronique du questionnaire
avec les principaux groupes de jeunes Marocains présents sur les réseaux
sociaux, notamment Facebook et LinkedIn.
Après leur collecte du 15 octobre 2018 au 28 novembre 2018, les don-
nées du questionnaire ont subi une série de traitements statistiques. Les
analyses effectuées peuvent être classées en deux grandes familles :
• Analyse univariée où chaque variable a fait l’objet de tests spéci-
fiques (la proportion, la moyenne, etc.). Les variables concernées
relèvent aussi bien du comportement entrepreneurial (intention,
motivations, freins…) que des traits caractérisant les jeunes (âge,
formation, genre, etc.).
• Analyses croisées en cherchant à explorer des associations entre,
d’une part, les dimensions du comportement entrepreneurial et,
d’autre part, les caractéristiques des jeunes enquêtés.

Description de l’échantillon

Notre échantillon est composé de 455 jeunes ayant accepté de répondre


au questionnaire. Les principaux résultats liés à leurs données sociodé-
mographiques sont résumés comme suit :
• La quasi-totalité (91,4 %) sont de jeunes adultes (entre 20 et 24
ans) ;
• Plus de la moitié (57,4 %) sont de sexe féminin ;
• La majorité (89,5 %) réside en milieu urbain et près de la moitié
(46,2 %) vient de la région de Rabat-Salé-Kénitra ;
• La moitié (50,8 %) sont des étudiants ; le reste est réparti princi-
palement entre des salariés (20,9 %), des chômeurs (12,7 %), des
fonctionnaires (8 %) et des auto-employés (3 %) ;
• 41,6 % poursuivent (ou ont déjà) un niveau de bac +5, 17 % pour-
suivent (ou ont déjà) un bac+3 et 14,8 % détiennent (ou préparent)
un bac +4 ;
• La majorité (84 %) est passée par une formation dans les établis-
sements publics (56 % en formation initiale, 29 % en formation
continue et 6,4 % en formation professionnelle) ;
• La majorité (68,1 %) poursuit (ou a poursuivi) une formation dans
le domaine des sciences économiques et/ou de gestion. Ensuite
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 101

viennent les jeunes qui ont fait (ou qui font) des études en sciences
de l’ingénieur (12,1 %). Les domaines de formation comme les
mathématiques, les sciences des lettres, les sciences juridiques, les
sciences de la vie et de la terre représentent entre 0,9 % et 4,8 % de
l’échantillon.

2.2 Comportement entrepreneurial des jeunes

Dans cette section, il sera question de caractériser comment les jeunes


enquêtés se comportent en matière d’entrepreneuriat.

Profil des jeunes entrepreneurs et freins à l’entrepreneuriat

À partir des entrevues réalisées avec certains responsables, nous avons


fait un premier constat selon lequel les jeunes ne semblent pas être très
attirés par la création et/ou la reprise d’une nouvelle affaire.
En effet, les personnes-ressources interviewées ont noté que la tranche
d’âge des personnes s’orientant vers l’entrepreneuriat dépasse générale-
ment celle des jeunes. Ainsi, pour le responsable de Réseau Entreprendre,
l’âge des entrepreneurs varie en moyenne de 24 à 54 ans. Le responsable
à l’ANAPEC, quant à lui, estime que ce sont des personnes âgées de 28 à
45 ans qui seraient prêtes à entreprendre.
Dans le même sens, les données obtenues des questionnaires reçus
révèlent que seulement 12,5 % des 15 à 24 ans interrogés ont déclaré avoir
créé ou repris une entreprise. Le profil de ces personnes peut être décrit
comme suit :
• La part des hommes dans cette catégorie est assez élevée. Elle
représente plus des deux tiers (68,4 %) de l’ensemble des entrepre-
neurs. Ce résultat laisse supposer la présence d’une association
entre le genre et la décision d’entreprendre. À cet effet, les résultats
des tests de régression3 montrent que les jeunes hommes auraient
trois fois plus de chances que les jeunes femmes de passer à l’acte
entrepreneurial. Ces résultats rejoignent ceux du rapport de la
« dynamique entrepreneuriale au Maroc » en 20174 où on peut lire

3. Le modèle est globalement significatif au seuil de 5 % et l’indice odds ratio est égal
à 3,3.
4. La dynamique entrepreneuriale au Maroc en 2017 – Rapport GEM Morocco 2017.
102 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

qu’il y a trois fois plus d’hommes que de femmes à s’impliquer


dans le démarrage d’une nouvelle entreprise. Dans le même esprit
d’idées, le responsable de Réseau Entreprendre affirme que « les
hommes sont beaucoup plus entreprenants que les femmes, pra-
tiquement 64 % contre 36 % ».
• La majorité (93 %) des jeunes entrepreneurs enquêtés réside en
milieu urbain. Les données montrent également que la région de
Rabat-Salé-Kénitra enregistre le plus grand nombre de jeunes
entrepreneurs (45 %), suivie de la région de Casablanca-Settat
(26 %). La même tendance est relevée par les responsables des
institutions Enactus et Réseau Entreprendre. Ces personnes-­
ressources estiment que la majorité des entrepreneurs est concen-
trée au niveau de l’axe Casablanca-Kénitra du fait qu’il s’agit des
plus grands pôles économiques du Maroc. Ce résultat nous rap-
pelle celui établi par l’Office Marocain de la Propriété Industrielle
et Culturelle (OMPIC). Ce dernier, à l’aide de son baromètre de
la création d’entreprise, conclut que la majorité des entreprises
créées est concentrée dans « les poumons économiques » du
Royaume, à savoir les régions de Rabat-Salé-Kénitra et de
Casablanca-Settat (Mokhtari, 2018). En outre, dans le panorama
entrepreneurial au Maroc proposé dans le rapport du projet
SALEEM5 (2018), les régions de Casablanca-Settat et de Rabat-
Salé-Kénitra arrivent en tête en matière de création d’entreprise.
• Sur le plan de la formation, les résultats obtenus permettent de
remarquer que la majorité (68,13 %) des jeunes entrepreneurs est
issue des filières sciences économiques et science de gestion.
Toutefois, il importe de souligner que cette tendance ne peut
servir de règle étant donné que la majorité des répondants de notre
échantillon vient de ce domaine. D’ailleurs, les résultats des tests
de régression entre le domaine de formation et la décision d’entre-
preneuriat se révèlent non significatifs ; le domaine de la formation
ne saurait impacter la décision d’entreprendre.

5. Projet SALEEM – Cartographie des mécanismes d’aide et de financement de


l’entrepreneuriat des étudiants dans les villes de Rabat et de Casablanca – Maroc, réalisée
par El Aboubi et al. (2018).
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 103

Dans le même registre, il paraît que l’acte entrepreneurial n’est pas non
plus lié au niveau de formation. C’est ce qui ressort, en tous les cas, des
résultats de l’enquête quantitative. Cette dernière montre, en effet, que les
jeunes entrepreneurs viennent de niveaux de formation différents. Environ
39 % d’entre eux ont (ou encore sont en passe d’avoir) un diplôme équivalent
au bac +5, près de 22 % poursuivent ou détiennent un bac +4. Les jeunes
ayant un niveau équivalent à la licence (bac +3) de même que ceux ayant
un niveau de formation allant au-delà du master (> bac +5) représentent
chacun 16 % de l’ensemble des entrepreneurs. Toutefois, aucun des jeunes
dont le niveau de formation est inférieur au baccalauréat n’a créé ou repris
une entreprise. Ce constat nous a également été communiqué par le res-
ponsable de l’ANAPEC. Pour lui, certaines personnes avec un niveau très
faible de formation, notamment celles avancées en âge, sont parfois des
porteuses de projets plus attrayants qu’elles maîtrisent bien. Cette tendance
va de pair avec le profil type dressé par le HCP (2018) et suivant lequel la
décision d’entreprendre n’est pas forcément liée au niveau de formation et
qu’il serait même possible de trouver une proportion non négligeable
d’entrepreneurs marocains ne disposant d’aucun diplôme.
En revanche, toujours en liaison avec la formation, il convient de
souligner que 14,03 % des jeunes entrepreneurs enquêtés sont passés par
un enseignement à l’étranger. À ce titre, les résultats des tests de régression
permettent d’observer que la formation à l’étranger pourrait influer sur
la décision des jeunes à entreprendre6. Ainsi, les individus ayant suivi une
formation à l’étranger auraient deux fois plus de chances d’entreprendre
que leurs homologues sans formation à l’international. Ce constat nous
a également été affirmé par le responsable du Réseau Entreprendre. Pour
cette personne, la majorité des entrepreneurs rencontrés a suivi une partie
de leur formation à l’étranger. À cet égard, on ne peut s’empêcher
d’émettre l’hypothèse selon laquelle le contenu de la formation dispensée
ne serait être, à lui seul, le facteur jouant en faveur de l’intention entre-
preneuriale mais qu’il y a aussi l’expérience à l’étranger, et ce que cela
implique en termes d’acquisition des aptitudes à l’autonomie, à l’adapta-
tion et à la prise de risque.
Par ailleurs, en se penchant sur les raisons pouvant expliquer la fai-
blesse de la proportion des jeunes entrepreneurs, plusieurs facteurs
peuvent être relevés.

6. La variable est positive avec 0,049 % comme probabilité et un odds ratio de 2,49.
104 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Ainsi, à partir de l’enquête par questionnaire, c’est le manque de


capital de départ qui représente l’obstacle majeur dans le processus
d’entrepreneuriat pour les jeunes. Il est cité par 75,31 % des jeunes non
entrepreneurs. D’ailleurs, à la question liée à l’importance des ressources
pour entreprendre, les réponses obtenues montrent que les jeunes l’ac-
cordent davantage aux ressources financières. Ce résultat confirme les
conclusions établies lors du Forum Économique Mondial (2017). Ce der-
nier, dans son rapport « The Africa Competitiveness », montre du doigt
le manque d’accès au financement comme un des principaux obstacles à
la création d’entreprise au Maroc (Robichaud et al., 2019). Toutefois, il
convient de noter que, suivant les analyses croisées réalisées dans notre
enquête, l’importance des ressources financières peut varier selon cer-
taines catégories de jeunes. À titre d’exemple, elle diminue nettement
lorsqu’il s’agit de jeunes ayant suivi leur formation initiale dans un éta-
blissement d’enseignement privé (probablement en raison de leur situation
financière supposée généralement aisée).
À ce frein, s’ajoute le fait que les jeunes Marocains jugent qu’ils
manquent d’expérience pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Les résultats
de l’enquête quantitative montrent ainsi que le manque d’expérience
professionnelle est considéré comme un handicap important à l’entrepre-
neuriat pour 42,71 % des jeunes n’ayant pas encore entrepris.
En ce qui concerne la limitation des ressources matérielles, elle
constitue un obstacle à l’entrepreneuriat pour seulement 34,67 % des
jeunes non entrepreneurs. Les données recueillies montrent, en effet, que
beaucoup de jeunes, notamment les chômeurs depuis moins de 12 mois,
pensent que les ressources matérielles ne sont pas indispensables pour
entreprendre.
En revanche, on ne compte qu’un tiers des non-entrepreneurs affir-
mant que l’absence de compétences et de connaissances peut constituer
un frein à l’entrepreneuriat. La formation semble, en effet, être un fac-
teur assez accessible pour les jeunes. Elle est d’ailleurs la plus suivie
parmi les différents programmes mis en place pour la promotion de
l’entrepreneuriat. Après la formation, le suivi constitue le programme
le plus accordé aux porteurs de projets (soit 32,3 % des 31 jeunes en ont
bénéficié).
Pour le cas lié à la faible proportion de la gent féminine désirant
entreprendre, il convient d’ajouter les contraintes socioculturelles et le
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 105

niveau de socialisation des filles, limitant ainsi la femme à la cellule fami-


liale et à son rôle reproductif (Benazzi et Benazzi, 2016).
Ainsi, à partir de là, on constate que les principaux freins sont géné-
ralement liés à la détention de ressources estimées nécessaires à l’action
entrepreneuriale (financières, matérielles et informationnelles). Le même
constat est fait lorsqu’on analyse les entretiens conduits avec certains
responsables.
À cet effet, selon le responsable d’Enactus, les ressources dont un
entrepreneur a besoin sont en premier lieu celles « financières », en second
lieu « les idées de projets » et, en dernier lieu, les compétences, les res-
sources matérielles, le mentorat, les soft skills et le réseau.
Pour le responsable à l’ANAPEC, un entrepreneur a tout d’abord
besoin de compétences. Ensuite, viennent les réseaux, les ressources
financières et, finalement, le conseil et les ressources matérielles.
Il importe de noter que malgré la présence des différents freins à
l’entrepreneuriat, une grande part des jeunes manifestent de l’intérêt pour
cette expérience professionnelle, et ce, pour différentes raisons.

3. Motivations à l’entrepreneuriat

Les données collectées montrent que les jeunes ayant une intention
d’entreprendre dépassent largement ceux n’ayant nullement cette ambition
(49,5 % contre 6,5 %)7.
Par ailleurs, lorsqu’on s’intéresse au profil de ces personnes, on s’aperçoit
que ce sont majoritairement des femmes (57,9 %) et des étudiants (53,30 %),
et qu’une très grande part a reçu une formation dans le domaine des sciences
économiques et science de gestion (70,55 %). Cette tendance est partagée avec
les travaux de Koubaa et Eddine (2012). En effet, après l’enquête qu’ils ont
réalisée, ces chercheurs considèrent que les étudiants universitaires maro-
cains constituent un vivier d’entrepreneurs potentiels ; environ 74 % des
étudiants enquêtés avaient, en fait, l’intention d’entreprendre.
De plus, il ressort des réponses obtenues que les résidents dans la
région de Rabat-Salé-Kénitra représentent la plus grande part des jeunes
qui songent à se lancer dans l’entrepreneuriat (43,14 %), suivis de ceux de
la région de Casablanca-Settat (22,84 %). De même, l’intention des jeunes

7. Les catégories socioprofessionnelles « entrepreneurs » et « travailleurs indépen-


dants » ne seront pas concernées par cette question.
106 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

en milieu urbain est plus élevée (92,4 %) qu’en milieu rural. Les résultats
des tests de régression réalisés dans ce sens révèlent que les jeunes habitant
en milieu urbain ont six fois plus l’intention d’entreprendre que leurs
homologues en milieu rural8.
Par ailleurs, en ce qui concerne les motivations à la base de l’entrée
en entrepreneuriat, l’analyse des entretiens conduits auprès des respon-
sables permet de remarquer l’existence d’une variété de ces stimuli.
Ainsi, pour le responsable du Réseau Entreprendre, c’est la recherche
de « l’indépendance », de « la stabilité » et la « création de valeur ajoutée »
qui motive le plus les jeunes à entreprendre. Le responsable dans l’agence
ANAPEC, quant à lui, avance que ce sont principalement les subventions
qui attirent les porteurs de projets et, ensuite, le besoin de sortir du chômage.
En revanche, c’est la recherche d’une opportunité qui, d’après le responsable
du CRI, motive le plus les jeunes à aller vers l’entrepreneuriat.
S’agissant des résultats de l’enquête quantitative, le même constat de
variété des stimuli est confirmé. En effet, les résultats sur les motivations
des jeunes à entreprendre font ressortir une pluralité des facteurs à l’ori-
gine de l’intention entrepreneuriale. Les principales tendances sont
décrites comme suit :
• Pour 56,8 % des jeunes de l’étude, « avoir son propre emploi »
constitue un motif pour entreprendre.
• Dans l’ensemble, 51,2 % des jeunes se lancent dans l’entrepreneu-
riat par besoin d’autonomie dans la prise de décision.
• 40,4 % des jeunes affirment que la volonté d’augmenter les revenus
constitue la raison principale pour entreprendre.
• C’est environ 29 % des jeunes qui déclarent le besoin de flexibilité
professionnelle comme principal motif pour entreprendre.
• 27,6 % des jeunes interrogés entreprennent pour mettre en valeur
une opportunité d’affaires ou une idée d’un produit ou d’un ser-
vice nouveau.
• Sur l’ensemble des jeunes, 16,1 % trouvent leur motivation à entre-
prendre dans le besoin de sortir du chômage.
• L’insatisfaction professionnelle ou personnelle pousse 16,4 % des
jeunes à entreprendre.

8. Le coefficient associé au milieu d’habitation des jeunes est significatif au seuil de


10 %, sa probabilité est de 7 %.
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 107

• D’une manière générale, 9,1 % des jeunes sont poussés vers l’entre-
preneuriat par le sentiment d’insécurité dans leur emploi actuel.
• Le devoir de perpétrer une affaire familiale attire seulement 7,7 %
environ des jeunes à l’entrepreneuriat.
Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de classification des motivations, la litté-
rature propose une série de typologies, dont notamment celle suggérée
par Reynolds et al. (2002). Ces derniers font la distinction entre deux
grandes familles de motivations : par nécessité et par opportunité. Le
tableau 4.2 revient sur les principales caractéristiques des deux types
d’entrepreneurs.

TA B L E AU 4. 2
Caractéristiques des deux types d’entrepreneurs

Entrepreneur par Entrepreneur


nécessité par opportunité

– Coût d’opportunité faible – Coût d’opportunité élevé


– Sortir du chômage – Autonomie
– Insatisfaction – Désir d’être son propre
– Reconnaissance sociale chef
– Contrainte familiale – Découverte d’une
– Absence d’alternative opportunité de marché
Motivations et – Divorce – Indépendance
objectifs – Insécurité d’emploi – Profit
– Faible création d’emploi – Création d’emploi
– Innovation limitée – Innovation
– Faible rentabilité de – Rentabilité
l’entreprise – Croissance
– Non-intention de – Exportation
croissance

Appliquée aux résultats obtenus, la classification de Reynolds et al.


(2002) révèle que les jeunes enquêtés sont davantage motivés par l’entre-
preneuriat par opportunité que par nécessité. Ces résultats vont dans le
même sens que ceux auxquels sont parvenus Yatribi et Balhadj (2016). Ces
derniers, à partir de leur étude menée auprès d’ingénieurs marocains,
remarquent que les facteurs les plus motivants pour inciter à l’entrepre-
neuriat sont la volonté d’être autonome et le désir d’indépendance.
Toutefois, il convient de signaler que, suivant les analyses croisées
réalisées sur les données collectées, l’importance de certaines motivations
108 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

peut varier par rapport à d’autres. Ainsi, les résultats du croisement des
motivations avec la formation ont révélé que la totalité des jeunes ayant
étudié dans le domaine des sciences juridiques déclare vouloir entre-
prendre pour sortir du chômage. Il faut aussi dire que la moitié de ceux
ayant étudié les sciences de la vie et de la terre optent pour l’entrepreneu-
riat par nécessité, vu qu’ils ne se sentent pas en sécurité dans leurs emplois
actuels. Notons aussi que le besoin d’autonomie ne constitue pas un motif
d’entreprendre pour la majorité des jeunes ayant poursuivi des études
dans le domaine littéraire, soit 78 % d’entre eux.
Quant à l’analyse des secteurs d’activité convoités dans le cadre des
projets entrepreneuriaux, les résultats des analyses effectuées sur les
entretiens conduits avec les responsables montrent que les branches
recherchées varient selon l’organisme/programme d’accompagnement en
question.
Ainsi, l’agriculture, l’agrobusiness et l’environnement représentent
la plus grande part des projets effectués sous l’égide d’Enactus ; ensuite
viennent des projets qui touchent à la technologie, à la santé, à l’éducation,
au transport et au service de restauration.
Les projets pérennes selon le responsable de l’ANAPEC sont les ser-
vices de l’industrie, de l’agroalimentaire et tout ce qui est relatif à l’hygiène
qualité.
Par contre, pour le responsable du CRI, tous les secteurs d’activité se
valent ; aucun secteur d’activité en particulier ne serait plus prisé chez les
porteurs de projets.
Dans le même ordre d’idées, les réponses exprimées par les jeunes
dans l’enquête quantitative montrent que les branches les plus convoitées
sont celles liées aux industries de services (22,6 %), au secteur textile et
habillement (20,3 %), aux NTIC (14 %) et aux industries de transformation
(13,5 %). En revanche, d’autres branches d’activité, du fait de leur com-
plexité, attirent moins les jeunes et c’est le cas par exemple du secteur du
BTP9 (Reynolds et al., 2002 ; Hughes, 2006 ; Caliendo et Kritikos, 2009).
Confrontant les données que nous avons recueillies avec celles
publiées par le Haut-Commissariat au Plan en 2018, on constate quasiment
une même tendance. Selon ce dernier, le secteur qui a la cote auprès des
entrepreneurs marocains est celui des services dans lequel environ 45,1 %

9. Bâtiment et travaux publics.


L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 109

des entrepreneurs exercent leurs activités. Néanmoins, 38,9 % des entre-


preneurs marocains exercent dans l’agriculture, les forêts et la pêche selon
le HCP.

Conclusion

En dépit des efforts déployés par le Maroc en vue de promouvoir l’entre-


preneuriat des jeunes, force est de constater que l’on est encore loin des
objectifs escomptés. Les données disponibles mais aussi celles issues de
notre enquête sur le terrain montrent que seulement une très faible pro-
portion des jeunes s’oriente vers l’entrepreneuriat. Les résultats auxquels
nous sommes parvenus mettent en avant un certain nombre de handicaps
freinant l’action entrepreneuriale mais aussi des éléments pouvant motiver
cette action.
Dès lors, les différentes parties prenantes concernées par l’entrepre-
neuriat des jeunes ne peuvent rester inactives. Elles sont invitées à réfléchir
et à travailler ensemble pour apporter des solutions efficaces à cette
situation.
Partant des résultats de notre enquête, quelques recommandations
peuvent être proposées en vue d’alimenter les réflexions des preneurs de
décisions.
• Dynamiser davantage certaines régions du Maroc où l’activité
socioéconomique semble tourner au ralenti. L’objectif est d’encou-
rager les jeunes de ces régions à entreprendre. Ainsi, dans le cadre
du Programme de la régionalisation avancée lancé par le Royaume,
plusieurs projets de développement peuvent être envisageables
(décentralisation des universités, centres de formation, investis-
sements des grandes entreprises [nationales et/ou étrangères],
etc.).
• Les pouvoirs publics mais aussi les institutions financières (notam-
ment les banques) sont appelés à faire plus en matière de finance-
ment des projets des jeunes. D’ailleurs, à l’occasion du discours
royal du 11 octobre 2019, lors de l’ouverture de la première session
de la 4e année législative de la 10e législature, Sa Majesté le Roi a
demandé aux principales parties prenantes de faciliter l’accès aux
emprunts pour les porteurs de projets, notamment les jeunes
entrepreneurs.
110 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

• En ce qui concerne l’accompagnement à l’entrepreneuriat, plu-


sieurs types de programmes sont à la disposition des porteurs de
projets mais ils demeurent, toutefois, méconnus des jeunes. En
effet, ces derniers, selon les résultats de notre étude, semblent
connaître plus les formations (59,8 %) et les subventions (46,7 %),
et moins le suivi (29,9 %) et les prêts (11,2 %). Il convient dès lors
d’augmenter « la notoriété » de ces actions et d’améliorer l’image
des programmes méconnus ou sous-estimés.
• En matière de recherche d’information, les données issues de
notre enquête montrent que les sources d’informations utilisées
sont plus axées sur le web à l’aide des moteurs de recherche (79,3 %)
et les réseaux sociaux (59,8 %) que sur les relations professionnelles
(41,1 %) et la presse et les magazines spécialisés (20,4 %). De ce fait,
il ne sera pas sans importance d’adapter la politique de commu-
nication sur les programmes de promotion de l’entrepreneuriat
selon les « habitudes » des jeunes.
• Enfin, avant de proposer de nouveaux programmes de promotion
de l’entrepreneuriat, il convient d’évaluer les actions déjà mises
en place et, le cas échéant, de les adapter à la réalité du compor-
tement entrepreneurial au Maroc. En effet, à partir des résultats
de notre étude, nous avons remarqué que les jeunes entrepreneurs
ne sont pas légion à bénéficier d’une aide ou d’un quelconque
accompagnement. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de voir quel pro-
gramme est effectivement suivi ou utilisé, les résultats obtenus de
l’enquête révèlent que seuls 22,6 % des jeunes bénéficient de sub-
ventions. Pour ce qui est des prêts, on remarque qu’il y a seulement
19,4 % des 31 jeunes ayant effectivement bénéficié des programmes
de l’État. Ces résultats rejoignent le constat fait par le Global
Entrepreneurship Monitor ; leur enquête réalisée en 2018 montre
que seulement une minorité d’entrepreneurs marocains ont eu
recours à des structures d’accompagnement dans le lancement de
leurs activités.
Par ailleurs, comme pour toute recherche, plusieurs difficultés ont
atténué la parfaite réalisation de l’enquête. À titre d’illustration, on peut
citer des handicaps liés à la tranche d’âge. Il fut, en effet, difficile de trouver
des plateformes en vue de transmettre le questionnaire à des jeunes de 15
à 19 ans. En outre, malgré nos efforts pour assurer une large diffusion, la
L’e n t r e pr e n eu r i at, u n e s olu t ion c on t r e l e chôm age de s j eu n e s • 111

taille de l’échantillon retenu dans le cadre de l’enquête quantitative ne


peut prétendre à être représentative de la population étudiée.
De même, la sensibilité de certains aspects dans la promotion de
l’entrepreneuriat (par exemple les raisons d’échec ou de réussite de cer-
tains programmes, le nombre de porteurs de projets, les difficultés ren-
contrées par les jeunes) a contraint quelques responsables interviewés à
se montrer moins « bavards » en réponse à certaines questions.
En guise de perspectives futures, il serait intéressant d’intégrer
d’autres dimensions de l’entrepreneuriat, notamment celles liées aux
femmes. Ces dernières semblent, en effet, moins attirées par l’action
entrepreneuriale (Benazzi et Benazzi, 2016). « Comment inciter les jeunes
femmes à devenir des entrepreneures » pourrait, par exemple, servir de
problématique de recherche pertinente et d’actualité pour de futures
recherches.
Aussi, partant de l’idée que c’est bien d’avoir sa propre entreprise mais
que c’est encore mieux que cette entreprise soit pérenne, il nous paraît
bénéfique à ce travail de le compléter avec une étude sur « l’après » de la
décision d’entrepreneuriat. L’objectif est d’étudier les facteurs de réussite
et/ou d’échec des projets inscrits par les jeunes dans le cadre de
l’entrepreneuriat.

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112 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

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PARTIE II

création de la valeur et innovation


par l’entrepreneuriat
chapitre 5

La maîtrise des normes par les


entrepreneurs africains
Une clé essentielle pour l’accès au marché

Marie-Claude Drouin

La normalisation est un secteur d’activité encore trop méconnu et pour-


tant elle a le pouvoir d’ouvrir toutes grandes les portes à l’exportation et
à la chaîne de valeur internationale pour les entrepreneurs de la
Francophonie. L’accès des PME aux marchés internationaux est crucial
pour une croissance inclusive mondiale et pour la création d’emploi. Or,
les PME ne peuvent avoir accès à ces marchés si leurs produits et services
ne sont pas conformes aux normes.
Dans le présent chapitre, nous dresserons un portrait de la situation
pour comprendre comment les normes interfèrent dans les processus
d’affaires des PME. Nous déterminerons les enjeux et les compétences à
parfaire chez les entrepreneurs de l’Afrique francophone pour créer de la
richesse dans leur entreprise, faciliter leur accès aux marchés et gagner
en compétences et en efficacité.
Les normes représentent un actif encore sous-exploité en Francophonie
économique, alors qu’elles représentent une mine d’informations et de
bonnes pratiques dont les entrepreneurs peuvent s’inspirer dans leurs
stratégies d’affaires. En outre, il existe une multitude d’acteurs sur le
terrain — Organismes nationaux de normalisation (ONN), Instituts
d’appui au commerce et à l’investissement (IACI), chambres de commerce
et associations sectorielles — en mesure d’aider, d’accompagner et de
former les entrepreneurs et les professionnels à la normalisation.
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 115

Pour la rédaction de ce chapitre, nous nous sommes grandement


inspirés du rapport du Centre de commerce international (ITC) (2016),
lequel se penche sur l’impact majeur des normes et des réglementations
sur les PME. Ce rapport aborde le sujet sous deux angles : les stratégies
pour sélectionner et mettre en œuvre les normes et réglementations dans
les PME et un plan d’action pour les décideurs politiques et les IACI qui
souhaitent amener les PME à être compétitives sur les marchés où les
normes et les réglementations importent. Les recommandations émises
dans ce rapport sont en parfait accord avec ce que le Réseau Normalisation
et Francophonie (RNF) a pu observer et expérimenter sur le terrain depuis
2007. Nous tenons d’ailleurs à les appuyer sans réserve et à remercier l’ITC
pour ses précieux conseils lors de la rédaction de ce chapitre.
La Francophonie économique a tout le pouvoir pour faire en sorte
que les grandes entreprises, tout comme les microPME, disposent des
outils nécessaires pour avoir accès aux normes, pour les appliquer, pour
se certifier et, ultimement, les influencer. Elle doit rapidement se pencher
sur cette question d’importance et agir tant pour son économie que pour
les entrepreneurs qui l’animent.

1. Pourquoi les normes sont-elles si importantes ?

Avec la mondialisation, les normes et réglementations sont au cœur des


échanges économiques et font partie intégrante de la chaîne de valeur
mondiale. Les réseaux de production de par le monde dépendent des
normes pour communiquer efficacement entre eux. En établissant un
cadre commun de référence, les normes déterminent les standards en
matière de qualité, de performance, de connectivité, d’interopérabilité
et de sécurité à la consommation pour tous les produits, services et
processus.
À lui seul, le catalogue ISO compte plus 22  000 normes dans des
secteurs économiques aussi variés que l’économie verte, l’agriculture,
l’agroalimentaire, le numérique, l’énergie, la santé, les télécommunica-
tions, le climat, le tourisme, etc. Pratiquement tout ce qui pousse, est
produit ou échangé fait l’objet d’une norme. En somme, les normes sont
partout sans qu’on les voie et, plus elles sont invisibles, plus elles s’avèrent
efficaces. Par exemple, elles déterminent si un appareil électrique peut
être branché dans une prise murale, si nous pouvons connecter un télé-
116 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

phone portable à un autre ou si les panneaux de signalisation sont com-


préhensibles lorsque nous conduisons dans un pays étranger. Elles
établissent si l’eau est potable et propre à la consommation humaine, si
un médicament peut être mis en vente, ou si une institution financière
est autorisée à accepter des dépôts et proposer des crédits.
De plus, les normes ne servent pas qu’à faciliter les échanges écono-
miques et la production, elles servent également à rendre le commerce
accessible pour tous. Avec les accords de l’OMC sur les obstacles tech-
niques au commerce et sur l’application des mesures sanitaires et phyto-
sanitaires, si les pays signataires fondent leurs mesures techniques et leurs
réglementations sur les normes internationales de produits et de services,
ils sont présumés être en conformité avec les règles de l’OMC, c’est-à-dire
ne pas créer d’obstacles non nécessaires au commerce. Cette prescription
place les normes au cœur du commerce international : en s’y conformant,
les entreprises voient s’ouvrir les portes de tous les marchés et peuvent y
faire accepter plus facilement leurs produits et leurs services.
Selon Abdou Diouf, ancien secrétaire général de la Francophonie, la
maîtrise des normes dans les plans d’affaires des entrepreneurs africains
constitue une étape majeure pour l’inscription de l’Afrique dans la chaîne
de valeur internationale1. Toujours selon ce dernier, « pour contribuer à
un développement durable, réduire la pauvreté et limiter les inégalités,
cette insertion de l’Afrique doit se faire de façon régulée, en obtenant
l’adhésion des populations et en suscitant la confiance des clients poten-
tiels. Tel est le rôle de la normalisation : en posant à tous les niveaux du
cycle, depuis la fabrication jusqu’aux services et au traitement des litiges,
des règles claires, accessibles et opposables à tous, en fixant des spécifica-
tions explicites dans le cadre d’un processus associant experts et utilisa-
teurs, la normalisation est une des clés de la transparence et de la bonne
gestion des processus productifs et des relations commerciales. Elle est
une des bases de la confiance sans laquelle il n’existe pas de progrès
durable. »
De fait, le spécialiste des questions d’exportation Khemraj Ramful,
consultant principal, Management de la qualité des exportations à l’ITC,
expliquait dans le numéro ISO focus de mars-avril 2015 à quel point les
PME jouent un rôle essentiel dans les programmes de réduction de la

1. Discours d’Abdou Diouf lors de l’ouverture au 2e Forum international sur les


normes en Afrique, tenu en République démocratique du Congo, les 20-21 février 2014.
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 117

pauvreté du fait de leur contribution potentielle à la croissance


économique.
Les Normes internationales de l’ISO ont un rôle précis à jouer dans l’élimi-
nation des obstacles techniques au commerce et l’accompagnement des
entreprises des économies en développement qui s’inscrivent dans les chaînes
de valeur mondiales. Mettre en avant les Normes internationales peut aider
à inspirer confiance. Et plus important encore : pour l’homme de la rue, cela
veut dire que les Normes internationales comme les normes ISO peuvent
contribuer à améliorer les exportations, ce qui pourra se traduire par des
créations d’emplois et un recul de la pauvreté dans les économies en
développement 2.

À la lumière de ces exemples et témoignages, on constate l’importance


pour les PME de considérer les normes comme un outil de premier plan
pour se conformer aux normes du marché et se préparer éventuellement
à une exportation plus large.

1.1 Normes et réglementations : de quoi parle-t-on au juste ?

On peut facilement s’y perdre quand vient le temps de définir les concepts
de normes et réglementations, car ironiquement ces concepts ne semblent
pas normalisés et diffèrent d’interprétation selon que l’on se place sous la
lorgnette d’un légiste, d’un économiste, d’un professeur, d’un fonction-
naire ou même d’un normalisateur.
Mais, à l’instar de l’ITC, évitons de nous égarer et allons-y simple-
ment du point de vue de l’entrepreneur. Pour lui, les définitions et nuances
sont sans importance. Ce qu’il veut vraiment savoir se résume à ceci :
« Est-ce que l’accès à mon marché dépend de l’atteinte d’un niveau défini
de qualité, peu importe que ce niveau soit fixé par un gouvernement, un
organisme de normalisation ou mes clients ? »
Donc, sur le terrain, les normes et les réglementations sont prises au
sens large. En fait, elles définissent concrètement les exigences que l’entre-
preneur doit respecter pour vendre son produit ou son service sur un
marché donné. Mais, pour clarifier cette notion, allons-y de quelques
définitions.

2. ISO focus, mars-avril 2015, n° 109, p. 10.


118 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Dans le jargon du commerce international, les termes normes et


réglementations sont souvent regroupés sous le vocable « mesures non
tarifaires ».
Le terme réglementation se définit de manière simple comme une
règle ou une directive formulée et appliquée par une autorité, générale-
ment un gouvernement (ITC, 2016b). Sous cette appellation, nous retrou-
vons à la fois les règlements techniques et les mesures sanitaires et
phytosanitaires.
En revanche, définir le concept de norme peut s’avérer une tâche à la
fois simple et complexe. Dans sa plus simple expression, une norme est
un document qui indique précisément les caractéristiques attendues d’un
produit, d’un service ou d’un processus (ITC, 2011, p. 43). Mais la tâche
se complexifie parce que cette norme peut aussi être de nature publique
ou privée, d’application volontaire ou obligatoire, et être de juridiction
nationale, régionale ou internationale.
A priori, les normes publiques sont des normes d’application volon-
taire élaborées par un organisme de normalisation reconnu. Elles peuvent
émaner d’un organisme à vocation nationale, comme l’Association séné-
galaise de Normalisation, ou régionale, comme l’Organisation africaine
de Normalisation, ou encore internationale, comme l’ISO. Les normes
publiques deviendront obligatoires si elles sont référencées dans la régle-
mentation ou si des elles figurent dans les conditions d’achat de
l’acheteur.
Quant aux normes privées, elles sont élaborées par des associations
ou des groupes d’acheteurs. Elles sont également d’application volontaire,
à moins qu’elles ne soient référencées dans la réglementation ou dans les
conditions d’achat.
Dans tous les cas de figure, un entrepreneur qui souhaite vendre
son produit ou son service doit respecter les normes prescrites par son
marché (acheteur). Or, comme les normes varient d’un pays ou d’une
région à l’autre, en plus d’évoluer dans le temps, la tâche n’est pas simple
pour les entrepreneurs. La section qui suit présentera l’incidence des
normes dans l’exploitation d’une entreprise ainsi que les difficultés qui
risquent de surgir à chacune des étapes du processus de conformité aux
normes.
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 119

2. Les compétences à maîtriser pour trouver, sélectionner, appliquer


et influencer les normes

Les normes ouvrent la voie au commerce certes, mais s’orienter dans le


monde complexe des normes n’est pas simple et demande des compétences
et des connaissances multiples pour les entrepreneurs. C’est un champ
d’expertise en soi que les entrepreneurs ont intérêt à maîtriser pour être
plus productifs et pour se hisser au rang des meilleurs.
Pour mieux saisir les enjeux auxquels font face les dirigeants des PME
africaines en matière de normes et de réglementations, il faut d’abord
comprendre comment la normalisation interfère dans leurs processus et
stratégies d’affaires.
Dans la chaîne de valeur interne d’une entreprise, il y a des normes
spécifiques pour chaque type de produits et services et pour chaque acti-
vité primaire et de soutien. L’illustration qui suit donne d’ailleurs une
bonne idée de l’étendue et de l’influence des normes dans une entreprise.
Dans tous les cas de figure, il y a des normes ou des réglementations
applicables et chacune peut interférer avec les activités primaires ou de
soutien de l’entreprise et affecter ses relations avec les fournisseurs et les
clients.

F I G U R E 5.1
Schéma de la chaîne de valeur d’une entreprise

Source : Porter (1985).


120 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

La qualité n’est jamais le fruit du hasard,


elle est toujours le résultat d’un effort intelligent. (ITC, 2011, p. 24)
John Ruskin, écrivain (1819-1900)

Dans la prochaine section, nous verrons quelles sont les compétences


que tout entrepreneur devrait maîtriser au sein de son entreprise, non
seulement pour mettre en œuvre une démarche qualité selon les règles de
l’art, mais aussi pour devenir plus compétitif dans son secteur d’affaires.
Nous découvrirons à quel point les normes sont essentielles aux entre-
prises, tout comme la capacité des entrepreneurs à les trouver, à les assi-
miler, à les utiliser et ultimement à les influencer.

2.1 Première étape : trouver les normes

La première activité de toute démarche qualité consiste à se procurer de


l’information à jour sur les normes et règlements du marché ciblé pour
le produit ou le service visé. Pour cette première étape, l’entrepreneur a
intérêt à être exhaustif et à connaître tant les normes obligatoires que
les normes d’application volontaire. Sans pour autant s’y perdre, plus
cet exercice sera fait avec rigueur, plus l’entrepreneur aura un portrait
clair des normes et des actions à mettre en place au sein de son entre-
prise, soit pour avoir accès au marché, soit pour créer de la valeur dans
son entreprise.
Le hic, c’est qu’il existe plusieurs points de chute à consulter selon ce
que l’on cherche : règlements techniques, mesures sanitaires et phytosa-
nitaires (SPS), normes publiques ou normes privées. Chaque pays membre
de l’OMC doit créer et entretenir un point d’information national sur les
obstacles techniques au commerce (OTC), lequel est chargé de répondre
à toutes les questions sur les règlements techniques et sur les mesures SPS
en vigueur3. Le plus souvent, le point d’information national OTC sera
une personne désignée au sein de l’organisme national de normalisation
(ONN) pour les règlements techniques ou au sein du ministère respon-
sable de l’agriculture et de la santé pour les mesures SPS4. Ce point d’infor-
mation devrait être le premier contact des entrepreneurs à la recherche

3. Pour des informations plus détaillées, voir ITC (2011) p. 72 et ss.


4. Pour trouver le point d’information par pays : http://tbtims.wto.org/fr/
NationalEnquiryPoints/Search
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 12 1

de renseignements sur les règlements techniques et sur les mesures SPS


applicables à un marché d’exportation. Quant aux normes publiques,
l’ONN demeure le premier point de contact à consulter. Dans le cas des
normes privées, il faut y aller à la pièce et s’en remettre à l’organisme dont
est issue la norme en question, ou au partenaire commercial qui exige la
norme.
Enfin, si trouver les normes applicables est le point de départ, être en
mesure de suivre leurs modifications dans le temps s’avère tout aussi
important. La normalisation constitue en effet un monde en constante
évolution et l’exemple du Guatemala l’illustre bien. Le pays exportait des
baies vers le Mexique depuis longtemps quand, du jour au lendemain, ses
produits n’ont plus été autorisés à pénétrer le marché mexicain en raison
d’un changement des normes obligatoires relatives à l’importation des
baies, et cela, sans que les exportateurs guatémaltèques aient été au cou-
rant5. Les pertes ont été énormes et auraient pu être évitées si le Guatemala
avait réagi à temps.
Or, bien qu’une structure d’information nationale sur les normes
existe dans chacun des pays de l’Afrique francophone, obtenir cette infor-
mation à jour ne semble pas une tâche évidente pour bon nombre d’entre-
preneurs africains. C’est en effet la conclusion qui se dégage de l’enquête
menée par l’ITC et la Conférence permanente des chambres consulaires
africaines et francophones (ITC et CPCCAF, 2018). Cette enquête menée
en 2018 auprès de plus 9 000 entreprises de 16 pays de l’Afrique franco-
phone6 avait pour objectif de sonder l’opinion de ces dernières sur diffé-
rentes questions relatives à leurs affaires afin de mieux en comprendre le
climat économique. Les résultats indiquent que la vaste majorité des
entreprises interrogées dans ce sondage, et ce, peu importe leur taille, fait
état d’un accès limité aux informations sur les normes et les processus de
certification. Qui plus est, les deux tiers des personnes interrogées n’ont
pas été en mesure de répondre à la question sur la disponibilité de l’infor-
mation en utilisant « ne sais pas », ce qui semble indiquer que les entre-
preneurs ont une connaissance et une compréhension très limitées de la

5. Les normes, condition sine qua non pour échanger – Centre du commerce inter-
national (ITC) – Forum du commerce international – n° 3/2010 : www.forumducommerce.
org/La-qualit%c3%a9---une-condition-sine-qua-non/
6. Parmi elles, 79 % sont des microentreprises comptant de 1 à 9 employés, 16 % sont
des petites entreprises (10 à 49 employés), 4 % sont des entreprises de taille moyenne (50 à
249 employés) et 1 % sont de grandes sociétés (plus de 250 employés).
122 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

normalisation. En 2015, l’OCDE et l’OMC, sur la base d’enquêtes de suivi


de l’ITC, arrivaient également à des conclusions similaires. Les entreprises
interrogées explicitement sur les coûts du commerce ont indiqué que
l’accès aux informations sur les normes et la réglementation constituait
le troisième obstacle le plus important au commerce sur 9 (ITC, 2011, p. 40,
Figure 14).
Et ce n’est pas tout. Il semblerait aussi que la qualité des informations
laisse à désirer. En effet, toujours selon l’ITC, les entreprises signalent que
les informations sont souvent indisponibles, obsolètes et peu fiables, ou
que les processus pour accéder aux informations ne sont pas transparents
(ITC, 2015).

2.2 Seconde étape : être en mesure de sélectionner les normes à appliquer

Une fois les différentes normes applicables à son produit, son service ou son
entreprise bien déterminées, l’entrepreneur doit sélectionner celle ou celles
qu’il a intérêt à implanter dans son entreprise. Les normes abondent, d’où
l’importance de miser sur celles qui répondront à l’un ou l’autre des objectifs
poursuivis : accéder au marché, créer de la valeur ou augmenter sa compé-
titivité. Or, pour prendre des décisions éclairées, l’entrepreneur doit être en
mesure de faire une analyse coûts-bénéfices et de déterminer ce qui sera le
plus profitable pour son entreprise. Il s’agit d’un processus de décision
complexe qui nécessite de l’information, des connaissances et des compé-
tences bien précises. Mais, une fois ces connaissances acquises, il sera en
mesure de réellement tirer profit des normes et de faire les bons choix.
Évidemment, pour les normes dites obligatoires et qui relèvent soit
de la réglementation technique, soit des obligations contractuelles de
l’acheteur, la question ne se pose pas. Ce sont des normes dites d’accès au
marché et l’entrepreneur n’a d’autre choix que de les implanter dans son
entreprise s’il souhaite accéder au marché.
En revanche, la prolifération de normes privées ou publiques d’appli-
cation volontaire constitue un défi de taille pour les entrepreneurs. Ce
sont ces normes qui servent à créer de la valeur dans l’entreprise ou à en
augmenter la productivité. Et leur grand nombre rend l’opération de
sélection plus complexe.
Prenons, par exemple, le cas d’un fabricant de bavoirs pour bébé
avec des composantes en caoutchouc pour la dentition. Ce dernier
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 123

pourrait décider d’avoir recours à une certification ayant pour but de


démontrer une sécurité accrue de son produit auprès du consommateur
et ainsi de se démarquer de la concurrence. Cette certification, bien que
coûteuse, pourrait également lui permettre de positionner son bavoir
comme un produit de niche, ce qui lui permettrait de fixer un prix de
vente plus élevé. Il pourrait aussi décider de focaliser sur sa compétitivité
en choisissant d’implanter la norme ISO 9001, laquelle lui permettrait
d’avoir une meilleure gestion de la qualité de ses produits. Ainsi, en
mettant en place un système de gestion contribuant à maintenir leur
qualité dans le temps, le fabricant compterait davantage de clients satis-
faits, tout en augmentant sa productivité et en diminuant ses coûts. De
la même manière, ce fabricant pourrait plutôt choisir de diminuer ses
coûts énergétiques en implantant la norme ISO 50001 sur la gestion de
l’énergie, ce qui lui permettrait de faire des économies substantielles,
de maintenir ou d’augmenter sa productivité et, au bout du compte, de
se démarquer de la concurrence. Bref, ce ne sont pas les options qui
manquent. Toutes ces normes sont prêtes à servir. Il faut simplement les
connaître pour sélectionner les plus pertinentes et ainsi créer de la valeur
dans sa propre entreprise.

2.3 T
 roisième étape : savoir mettre en œuvre les normes et attester de
leur conformité

Une fois les normes déterminées et sélectionnées, l’entrepreneur doit les


implanter dans son entreprise. Mais, là ne s’arrêtent pas le travail et
l’investissement de l’entrepreneur, car une fois cette étape maîtrisée, il
doit également adapter son produit ou son service afin de le rendre
conforme aux normes. Cette étape, en plus d’être souvent chronophage,
peut s’avérer coûteuse en équipement, en tests, en essais et en moderni-
sation d’infrastructure. À terme, il doit également mettre en place les
procédures de gestion qui lui permettront de démontrer simplement et
efficacement qu’il respecte les normes implantées.
Or, pour réussir la mise en œuvre des normes sélectionnées, l’entre-
preneur peut toujours choisir de le faire seul ou de se faire accompagner
de consultants privés. Les associations sectorielles peuvent également
fournir des services-conseils pour l’implantation et l’adaptation des pro-
duits et services.
124 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Une fois les normes implantées dans son entreprise, l’entrepreneur


doit être en mesure de prouver sa conformité aux normes et, si telle est la
demande du client, d’aller chercher une certification par une tierce partie
indépendante. Cette certification peut se faire avec l’aide d’organismes
nationaux dans la mesure où ils sont reconnus à l’international ou par
des organismes étrangers reconnus. La certification n’est pas toujours
obligatoire, mais elle est avantageuse pour l’entreprise. Elle impose une
discipline pour assurer la continuité du processus qualité mis en place et
son amélioration continue, elle contribue à stimuler le personnel et elle
donne confiance aux clients.

2.4 Quatrième étape : influencer soi-même les normes

Pour accroître leur compétitivité et gagner des parts de marché, les entre-
preneurs peuvent influencer eux-mêmes les normes qui sont d’intérêt
pour eux en participant à leur élaboration. C’est une occasion non négli-
geable qui mérite d’être prise en compte dans leur stratégie d’affaires.
À ce titre, il est intéressant de noter que le rapport Revel (2013, p. 7)
parle de « l’influence normative », c’est-à-dire du pouvoir d’influence sur
les règles du jeu économique qu’ont les normes internationales, comme
d’une composante essentielle de la compétitivité des entreprises.
De fait, il y a plusieurs avantages à assumer son leadership dans l’éla-
boration des normes. Le premier consiste à avoir la chance d’influencer
le contenu d’une norme d’intérêt pour l’entrepreneur ou encore de faire
en sorte qu’une norme voie le jour ou, a contrario, qu’elle ne se fasse pas
(ASTM International, 2007). Ce fut le cas en Malaisie lors de la révision
d’une norme internationale où l’on souhaitait interdire le caoutchouc
naturel en raison de réactions allergiques potentiellement mortelles (ITC,
2011, p. 79). La Malaisie a proposé un nouveau procédé de fabrication du
latex de caoutchouc éliminant le composant susceptible de provoquer les
réactions allergiques. Cette proposition a empêché l’interdiction de
l’emploi du caoutchouc naturel dans la fabrication de gants chirurgicaux,
sauvant du même coup l’activité du pays dans ce domaine.
Cela illustre à quel point l’entrepreneur qui participe à l’élaboration
d’une norme a une influence directe pour promouvoir ses intérêts ou pour
empêcher l’adoption de solutions qui lui seraient néfastes. Et autre avantage
de taille, il a accès à des informations stratégiques qui pourraient façonner
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 125

l’avenir de son marché et à un lieu d’échanges avec des acteurs majeurs de


son domaine d’activité à l’échelle nationale et internationale, y compris avec
ses futurs clients et partenaires. Le fait d’être là avec ses compétiteurs lui
donne une longueur d’avance pour modifier ses stratégies d’affaires et être
prêt, avant les autres, à accueillir et à implanter la nouvelle norme.
À la lumière de ces constats, on comprend bien que pour être en
mesure d’avoir une position forte en négociation internationale, les entre-
preneurs doivent maîtriser deux compétences essentielles : des connais-
sances techniques pour bien comprendre la teneur de la norme et un solide
pouvoir de persuasion (ASTM International, 2007). Or, pour l’heure, la
participation des pays en voie de développement (PED) dans l’élaboration
des normes internationales est encore bien timide (Jansen, 2010).

2.5 Constat sur les compétences à acquérir et sur les enjeux et les défis
à relever

Dans un contexte où les PME africaines ont des ressources limitées en


argent, en temps et en effectif, il importe d’avoir, dès le départ, un portrait
global des enjeux et des défis qui ne manqueront pas de surgir au fil du
parcours d’implantation d’une norme. Il est donc primordial de savoir à
qui s’adresser pour trouver les normes qui sont d’intérêt pour son propre
secteur d’activité. Les sources d’information et les ressources d’accompa-
gnement sont nombreuses, mais encore faut-il être en mesure de déter-
miner les meilleures normes à appliquer selon qu’on souhaite avoir un
plus grand accès au marché ou créer de la valeur pour son entreprise. Or,
pour prendre des décisions éclairées, il est essentiel de développer ses
connaissances et ses compétences sur le sujet, car il existe des normes
spécifiques pour chaque type de produits et de services et pour chaque
activité primaire ou de soutien dans l’entreprise. Puis, au moment où
l’entrepreneur doit franchir la cruciale étape de l’implantation de la
norme, il doit aussi s’assurer de modifier son produit ou service pour qu’il
réponde à la norme et reçoive éventuellement sa certification.
Cela étant, on pourrait se demander — et avec raison — pourquoi un
entrepreneur s’engagerait dans un tel processus. Quels avantages pourrait-
il espérer en tirer ? C’est ce que nous verrons dans la prochaine section où
il sera question de l’impact des normes sur la compétitivité des entreprises
de l’Afrique francophone.
126 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

3. L’impact des normes sur la compétitivité des entreprises de


l’Afrique francophone

Les normes sont des outils d’intelligence économique qui, comme nous
l’avons vu dans la section précédente, sont sous-utilisés par les entrepre-
neurs de l’Afrique francophone. Et pourtant, elles représentent indénia-
blement une démarche de premier plan pour améliorer leur compétitivité.
Dans cette section, nous verrons pourquoi les entrepreneurs ont tout
avantage à recourir aux normes dans leur entreprise.

3.1 I ntérêt de s’appuyer sur une culture d’entreprise qui mise sur les
normes et la qualité

Faciliter l’accès au marché

De toute évidence, le premier avantage de l’utilisation des normes par les


entrepreneurs est l’accès au marché. D’après l’enquête ITC et CPCCAF
(2018) menée auprès de plus de 9 000 entreprises de l’Afrique francophone
citée précédemment, l’implantation des normes et la certification offrent
de meilleures chances pour une entreprise de pouvoir exporter, quel que
soit le secteur, mais en particulier dans les secteurs agricole et manufac-
turier qui sont davantage réglementés et normés.
F I G U R E 5. 2
Exportation selon le secteur d’entreprises

100 %
Parts des entreprises interrogées

90 %
80 %
70 %
60 %
50 %
40 %
30 %
20 %
10 %
0%
Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Détail Manufacture Services Agriculture Total

Entreprises certifiées Entreprises non certifiées


Source : ITC et CPCCAF (2018).
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 12 7

Toujours selon cette enquête, il est intéressant de noter que seulement


7 % des entreprises du secteur agricole exportent, mais que 70 % d’entre
elles ont implanté des normes et détiennent une certification de tierce
partie attestant de leur conformité aux normes. Cette situation s’explique
en bonne partie par le fait que la conformité aux normes sanitaires est
obligatoire pour exporter.
Toujours selon cette enquête, sans surprise, les grandes entreprises
exportent davantage que les petites et elles détiennent aussi le plus grand
nombre de certificats de qualité reconnus à l’international. Selon les
résultats de l’enquête, environ 60 % des grandes sociétés détiennent une
certification, soit de sûreté, soit de qualité, ou encore de durabilité, contre
51 % pour les moyennes entreprises, 37 % pour les petites, et 21 % pour les
microentreprises (ITC et CPCCAF, 2018).

F I G U R E 5. 3
Exportation selon la taille de l’entreprise

100 %
Parts des entreprises interrogées

90 %
80 %
70 %
60 %
50 %
40 %
30 %
20 %
10 %
0%
Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Exportateurs

Non-exportateurs

Micros Petites Moyennes Grandes Total

Entreprises certifiées Entreprises non certifiées


Source : ITC et CPCCAF (2018).

Des travaux de recherche laissent d’ailleurs supposer que les entre-


prises certifiées augmentent leur valeur à l’exportation ainsi que la diver-
sité géographique de leurs exportations (Volpe Martincus et al., 2010).
128 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Gagner en efficacité, ressources, temps et argent

Faciliter l’accès au marché, oui, mais pour le RNF, le véritable avantage


d’avoir recours aux normes pour un entrepreneur, peu importe la taille
de son entreprise, son secteur d’activité et son désir d’exporter ou non,
c’est le gain en efficacité. Comme nous l’avons mentionné, il existe déjà
un corpus de plus de 22 000 normes au catalogue ISO. Il y a fort à parier
que plusieurs d’entre elles correspondent au produit ou au service visé par
l’entreprise. La Francophonie aurait donc tout avantage à mettre en œuvre
des actions concrètes pour inciter les entrepreneurs à consulter les normes
AVANT de démarrer un nouveau projet. En effet, ceux qui ont déjà déve-
loppé ce réflexe — et ils sont malheureusement trop peu nombreux —
bénéficient d’informations de premier plan pour éviter les erreurs
d’apprentissage puisque les normes fournissent les règles de l’art et les
meilleures pratiques dans le domaine concerné. C’est une action simple
et peu coûteuse en regard de ce qu’elle peut rapporter en économie de
temps, d’argent et de ressources.
Par exemple, imaginons une entrepreneure qui souhaite fabriquer
des jus artisanaux. Peu importe son marché, sa chaîne de production sera
la même : cueillette des fruits, mesures de salubrité, transformation, mise
en bouteille, étiquetage, etc. Si elle détermine dès le départ les normes
applicables à sa chaîne de transformation, elle aura immédiatement un
portrait clair de ses enjeux et du travail à accomplir. Elle pourra hiérar-
chiser ses actions en fonction de ses moyens et des marchés visés.
En fait, la normalisation est un accélérateur d’innovations. En amont,
elle fournit des méthodes et des résultats de référence, constituant des
bases solides et un gain de temps dans le processus d’innovation. En aval,
elle facilite la diffusion des idées d’avant-garde et des techniques de pointe.
Elle donne confiance aux utilisateurs, créant ainsi les conditions favorables
à l’acceptation et au développement des innovations et de pratiques
nouvelles.

Projeter une image professionnelle et sérieuse

Les entrepreneurs qui ont implanté des normes dans leur entreprise ou
qui détiennent des certifications sont en bonne posture pour démontrer
à leur banquier, leurs futurs partenaires ou clients le sérieux de leur pro-
position. Ils établissent ainsi de manière tangible que leur entreprise est
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 129

gérée de manière professionnelle et que leur interlocuteur peut avoir


confiance en leur produit ou service.
Par exemple, au Brésil, il y a près de 500 000 salons de beauté et aucun
n’est soumis à des mesures réglementaires ou à des normes formelles.
L’organisme à but non lucratif Sebrae, dont la mission est d’améliorer la
compétitivité des PME au pays, a décidé, en collaboration avec l’Associação
Brasileira de Normas Técnicas (ABNT), membre de l’ISO pour le Brésil,
de mettre sur pied un projet pour aider le secteur de l’esthétique à déve-
lopper ses propres normes pour ainsi professionnaliser son secteur d’acti-
vité. Il y a d’abord eu une première norme intitulée Terminologie relative
au secteur esthétique puis, pour aider les PME à comprendre cette norme,
deux documents d’appui ont été publiés : Bonnes pratiques pour les insti-
tuts de beauté et Compétences des personnes employées dans le secteur de
l’esthétique. Depuis, Sebrae poursuit le travail en coordonnant la diffusion
de ces nouvelles normes techniques et des exemples de bonnes pratiques
auprès des entrepreneurs des salons de beauté du Brésil.
À la lumière des propos qui précèdent, on constate à quel point
l’implantation d’une culture de la normalisation peut être bénéfique pour
la productivité des entreprises d’un pays. Celles qui sont certifiées sont
habituellement plus efficientes et fournissent des produits de meilleure
qualité. Elles tirent également profit de l’accès à de nouveaux marchés,
attirent davantage les investisseurs et suscitent chez leurs clients une plus
grande satisfaction.

Recommandations

On étudie depuis longtemps comment mieux soutenir les entrepreneurs


de nos microPME. La question n’est pas nouvelle et bon nombre de cher-
cheurs, universitaires et économistes continuent au fil des ans à chercher
la formule gagnante, sans avoir encore trouvé la recette miracle. C’est un
long processus d’amélioration continue, comme nous avons coutume de
dire dans le jargon de la qualité.
Les sections précédentes ont permis d’établir que les normes ont un
important rôle à jouer dans la compétitivité des PME africaines. Or,
comme c’est le cas dans la plupart des autres pays dans le monde, les
PME de l’Afrique francophone tirent de l’arrière dans leur maîtrise des
normes.
130 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Alors, comment instaurer une culture de la normalisation dans la


sphère entrepreneuriale de l’Afrique francophone et faire en sorte que les
entrepreneurs utilisent les normes et participent à leur élaboration pour
créer de la valeur dans leurs entreprises ? Le défi est de taille, mais les
solutions existent. D’une part, les normes actuelles représentent d’excel-
lents outils pour diffuser la connaissance et les meilleures pratiques.
D’autre part, nous pouvons compter sur des acteurs comme les organismes
nationaux de normalisation (ONN) du Nord comme du Sud, les Instituts
d’appui au commerce et à l’investissement (IACI), les chambres de com-
merce et les associations industrielles et commerciales qui sont de puis-
sants moteurs sur le terrain pour créer l’engouement et assurer
l’accompagnement et la formation. Reste à mieux travailler ensemble et
à créer une synergie qui agira comme passerelle pour atteindre nos publics
cibles : les entrepreneurs de l’Afrique francophone.
La présente section s’inspire des recommandations du Rapport 2016
du Centre du commerce international (ITC) – Perspective de la compéti-
tivité des PME : Se mettre aux normes pour échanger. Ces recommanda-
tions rejoignent en effet ce que le RNF voit et constate sur le terrain depuis
plus de dix ans. Nous nous appuierons donc sur ces recommandations
pour lancer la Francophonie sur des pistes de réflexion et pour suggérer
des idées d’actions à mettre en place.

3.2 S outenir les entrepreneurs afin qu’ils connaissent les normes et


les appliquent

Nous avons constaté précédemment qu’encore trop peu d’entrepreneurs


sont en mesure de saisir l’importance des normes pour la réussite de leur
plan d’affaires. Et s’ils en sont conscients, ils se butent souvent à la diffi-
culté de repérer les normes qui les concernent en raison de la complexité
du domaine et de la diversité des normes (publiques, privées, obligatoires,
volontaires, etc.).
De plus, étant donné la multitude de sources d’information dispo-
nibles, cela représente souvent un défi pour l’entrepreneur qui ne sait plus
trop à qui s’adresser pour connaître les normes applicables à son secteur
d’activité dans un environnement réglementaire et commercial en mou-
vance. À cela s’ajoute le fait que le processus pour comprendre, implanter
et suivre une norme peut devenir coûteux en temps et en argent, particu-
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 131

lièrement pour les microPME qui ont moins de ressources à y consacrer


que les grandes entreprises.
Voici donc quelques recommandations parmi les plus pressantes à
appliquer.

Intéresser les entrepreneurs et faciliter l’accès à l’information

Il faut mettre en place des actions concertées en Francophonie pour que


les entrepreneurs s’intéressent aux normes, qu’ils trouvent facilement
l’information dont ils ont besoin et qu’ils utilisent les canaux de com-
munication animés par les acteurs sur le terrain que nous avons men-
tionnés plus haut. C’est le véritable point de départ de tout ce processus
d’amélioration comme en témoigne notre analyse dans la section 2 de
ce chapitre.
Les normes peuvent sembler difficiles à comprendre et à maîtriser,
d’où l’importance d’en vulgariser le contenu, de les rendre attirantes et
intéressantes et de multiplier les guides d’instructions pratiques. En effet,
pour amener les entrepreneurs à considérer les normes comme un outil
incontournable et efficace à introduire dans leur plan d’affaires, il faut les
intéresser et surtout leur faciliter la tâche en créant de nouveaux contenus
qui stimuleront leur intérêt pour les normes. En clair, pour vraiment aider
les entrepreneurs francophones, l’information diffusée devrait être simple,
claire et surtout, accessible en français.
Enfin, il faut revoir l’efficacité et l’efficience des canaux de commu-
nication déjà en place. En effet, pour qu’un maximum d’entrepreneurs
soit joint, il faudrait idéalement miser sur un centre national d’informa-
tion centralisé et performant dans chacun des pays.

Offrir un service d’accompagnement personnalisé

Si les PME ont de plus petites structures et moins de moyens, elles ont,
par contre, le net avantage d’être flexibles. Cela étant, en offrant aux
entrepreneurs de l’accompagnement personnalisé pour les mobiliser, les
outiller et les guider dans chacune des quatre étapes de leur parcours avec
les normes (voir section 2 du présent chapitre), ils peuvent y arriver. Mais,
pour être efficace et réellement personnalisé, cet accompagnement doit
répondre aux particularités des PME africaines afin qu’elles puissent
exploiter, dans leur contexte, le plein potentiel des normes. De fait, ce
132 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

service pourrait notamment être offert, en concertation et avec l’appui


des ONN, par des consultants privés formés localement, des incubateurs
d’entreprises ou des associations industrielles et commerciales.

Renforcer la participation des entrepreneurs à l’élaboration des normes

Comme le dit si bien l’adage : Qui fait la norme, fait le marché. Un des dos-
siers qui méritent de figurer dans les priorités de la Francophonie écono-
mique est celui de la participation des entrepreneurs de l’Afrique
francophone à l’élaboration des normes d’intérêt pour leurs entreprises.
Il faut donc mettre en place des actions concertées de mentorat et de
jumelage Nord-Sud pour accroître la place stratégique des entrepreneurs
dans l’élaboration des normes qui les concernent. Il faut également déve-
lopper des outils de communication et d’information adaptés à leur réalité
afin de les sensibiliser et de les intéresser à l’importance des normes dans
leurs stratégies d’affaires. Mieux encore, il faut les amener à développer
les connaissances et les compétences nécessaires pour participer active-
ment à l’élaboration des normes qui interfèrent directement avec leur plan
d’affaires.
Cela est d’autant plus impératif que, dans la normalisation interna-
tionale, les votes sont comptabilisés ainsi : un pays, un vote. On peut dès
lors imaginer l’apport et l’influence que peuvent avoir les 30 pays franco-
phones membres du RNF, dont 22 PED, sur les orientations à donner aux
normes qui ont un intérêt pour eux et sur la puissance de leur vote en
raison de leur grand nombre.

Favoriser l’enseignement de la normalisation

Lieux de transmission du savoir, les universités, écoles de commerce et


tous les autres établissements d’enseignement supérieur ont un rôle pri-
mordial à jouer dans la formation initiale et dans le perfectionnement des
entrepreneurs pour qu’ils comprennent les enjeux de la normalisation
pour leur entreprise.
Déjà, on constate plusieurs initiatives de collaboration entre les uni-
versités et les ONN pour favoriser l’enseignement de la normalisation.
Ces initiatives prennent appui sur un riche contenu créé par le milieu de
la normalisation qui vient outiller les professeurs d’université afin qu’ils
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 13 3

puissent présenter les fondamentaux de la normalisation ainsi que les


grandes normes internationales à leurs étudiants. Or, malgré des débuts
prometteurs, on constate un chaînon manquant dans ce vaste mouve-
ment : une appropriation du sujet par le milieu universitaire.
Même s’il existe beaucoup de matériel pédagogique, les professeurs
et les chercheurs qui ne sont pas familiers avec la normalisation n’auront
pas le réflexe d’inclure ces notions dans leur curriculum d’enseignement.
Et aucune approche structurée dans l’enseignement de la normalisation
ne peut être envisagée sans une maîtrise du sujet par les chercheurs et les
professeurs.
Analyser l’idée de créer une chaire internationale de leadership en
enseignement de la normalisation au profit des chercheurs et professeurs
des universités de la Francophonie (formation de formateurs) et de leurs
étudiants peut s’avérer une piste structurante d’amélioration.

3.3 Sensibiliser les décideurs publics du Nord comme du Sud

Au nord comme au sud, les décideurs publics ont un rôle important à


jouer pour épauler les PME africaines dans la maîtrise des normes et pour
faciliter leur intégration à la chaîne de valeur internationale.

Au sud…

Au fil des années et à la lumière de sa longue feuille de route avec les ONN,
le RNF est en mesure de témoigner que les gouvernements du Sud ne
mesurent pas encore toute la portée des normes comme outil d’intelli-
gence économique incontournable pour leurs entrepreneurs et leur éco-
nomie nationale. Il faut très certainement sensibiliser les décideurs
politiques à l’importance des normes pour la croissance économique de
leur pays. Il faut les amener à soutenir leurs propres ONN pour, qu’à leur
tour, ils soient outillés pour faire en sorte que leurs entrepreneurs utilisent
les normes et soient bien présents sur l’échiquier international de leur
élaboration. Nous avons sur le terrain des ONN compétents et efficaces.
Nous devons les soutenir et leur donner des ressources.
Or, pour y arriver, chaque pays doit pouvoir compter sur des plaidoyers
de haut niveau et, à ce titre, la Francophonie a un rôle important et surtout
concret à jouer. Comment ? En livrant non seulement d’éloquents plaidoyers
13 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

en faveur des normes auprès des décideurs politiques, mais aussi en les
incitant à mettre en place une action concertée pour déployer à grande
échelle les projets types qui existent déjà à petite échelle. Ces projets ont fait
leurs preuves pour épauler efficacement les entrepreneurs afin qu’ils
découvrent et maîtrisent les normes pertinentes à leur plan d’affaires. La
Francophonie peut en effet jouer un rôle déterminant et porteur de solutions
dans ce dossier, une action d’ailleurs tout à fait à sa portée et directement
en lien avec sa Stratégie économique pour la Francophonie adoptée lors du
Sommet de la Francophonie à Dakar en 2014.

Au nord…

Les pays du Nord de la Francophonie possèdent une grande expertise en


normalisation. Ils appuient déjà depuis plusieurs décennies leur dévelop-
pement économique sur de solides stratégies de normalisation nationales
élaborées par leurs ONN. Il faut donc amener les ONN du Nord à partager
avec les ONN du Sud — forces vives déjà sur le terrain — cette connais-
sance et les compétences qui l’accompagnent. Toutefois, pour y arriver,
on doit pouvoir compter sur une ferme volonté politique des pays du Nord
à soutenir leurs propres ONN pour qu’ils mettent en place une action
concertée avec leurs homologues du Sud. L’objectif : mutualiser les res-
sources Nord-Sud pour déployer des programmes de renforcement des
capacités au profit des entrepreneurs des pays de l’Afrique francophone
afin qu’ils aient les outils nécessaires pour intégrer les normes dans leur
stratégie entrepreneuriale.
D’ailleurs, cette mutualisation des ressources préconisée par le RNF
est à ce point intéressante que même le Commonwealth en a compris, lui
aussi, l’intérêt pour son espace économique. Il s’est en effet doté du
Commonwealth Standards Network (CSN)7, un réseau de normalisation
calqué sur la mission et les objectifs du RNF mis officiellement en place à
l’automne 2018. Un budget de 4,9 millions de livres lui a même été octroyé
pour mettre en œuvre son programme de renforcement des capacités.
Bref, en s’assurant que les normes sont connues des entrepreneurs et
applicables dans les pays de l’Afrique francophone, on facilite l’intégration
de ces pays à la chaîne de valeur internationale. Mieux encore, en favori-

7. www.commonwealthstandards.net/
L a m a î t r ise de s nor m e s pa r l e s e n t r e pr e n eu r s a f r ic a i ns • 135

sant la maîtrise des normes et de la qualité chez les entrepreneurs africains


francophones, on développe un climat propice aux affaires pour les entre-
preneurs du Nord qui souhaiteraient investir dans les entreprises en
Afrique francophone. De fait, plus on multiplie les passerelles et les
occasions d’affaires entre les entrepreneurs de la Francophonie, plus on
augmente le potentiel d’exportation, tous pays confondus.

Références bibliographiques

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(ITC) — Forum du commerce international — N° 3/2010 : www.forumducommerce.
org/La-qualit%c3%a9---une-condition-sine-qua-non/
ASTM International (2007). Standards : The Corporate Edge — A Handbook for the
Busy Executive. West Conshohocken, PA. Disponible à : www.astm.org/student-
member/images/Corporate_Edge.pdf
ITC — Centre du commerce international et CPCCAF — Conférence permanente des
chambres consulaires africaines et francophones, 2018, Promouvoir la compétitivité
des PME en Afrique francophone — Les normes ouvrent la voie au commerce : http://
w w w.intracen.org/publication/Promouvoir-la-competitivite-des-PME-
en-Afrique-francophone--Les-normes-ouvrent-la-voie-au-commerce-en/
ITC — Centre du commerce international, 2016a, Perspective de la compétitivité des
PME 2016 : Se mettre aux normes pour échanger, Genève : www.intracen.org/
publication/SME-Competitiveness-Outlook-Meeting-the-Standard-for-Trade/
ITC — Centre du commerce international, 2016b, Perspective de la compétitivité des
PME 2016 — Synthèse : Se mettre aux normes pour échanger, Genève : www.
intracen.org/uploadedFiles/intracenorg/Content/Publications/ExeSumm%20
SMECO%202016-FR-web-fin.pdf
ITC — Centre du commerce international, 2011, Gestion de la qualité à l’exportation
— Guide destiné aux petites et moyennes entreprises — exportatrices - deuxième
édition, Genève.
ITC — International Trade Centre (2015). How Aid for Trade Helps Reduce the Burden
of Trade Costs on SMEs. In Aid for Trade at a Glance 2015 : Reducing Trade Costs
for Inclusive, Sustainable Growth, World Trade Organization and Organisation
for Economic Co-operation and Development. Geneva and Paris. Available from
www.wto.org/english/res_e/booksp_e/aid4trade15_chap7_e.pdf
Jansen, M. (2010). Developing countries, standards and the WTO. The Journal of
International Trade & Economic Development, 19 (1), 163-185.
Porter, M. E. (1985). The Competitive Advantage : Creating and Sustaining Superior
Performance. New York : Free Press.
Revel, C. (2013). Développer une influence normative internationale stratégique pour
la France, rapport de Claude Revel remis à Nicole Brick, ministre du Commerce
extérieur (France).
Volpe Martincus, C., S. Castresana et T. Castagnino. (2010). ISO Standards : A
Certificate to Expand Exports ? Firm-Level Evidence from Argentina, Review of
International Economics, 18 (5), p. 896-912.
chapitre 6

L’entrepreneuriat à l’ère de l’économie


numérique en Afrique
Manfred Kouty et Mallaye Douzounet

En Afrique et plus qu’ailleurs dans le monde entier, les jeunes et les


femmes constituent les catégories sociales ayant d’immenses difficultés à
trouver un emploi et à gagner un revenu décent. Selon les statistiques de
l’Organisation internationale du Travail (OIT), la majorité des jeunes n’a
ni emploi stable ni perspectives d’avenir économiques. Sur les 420 millions
de jeunes de 15 à 35 ans du continent, la plupart sont soit au chômage, soit
occupent des emplois précaires ou occasionnels. Le taux de chômage des
jeunes est, en moyenne, le double de celui des adultes (BAD, 2018).
Les jeunes femmes ont tendance à être plus défavorisées que les jeunes
hommes dans l’accès au travail. En effet, 35 % des jeunes femmes n’ont ni
emploi ni formation scolaire ou professionnelle, contre 20 % des hommes
(BAD, 2018). Cette situation a de sérieux coûts économiques. Car non
seulement le taux élevé de chômage chez les jeunes freine la croissance
économique, mais il a aussi une action démoralisatrice sur les intéressés,
qui n’ont plus ni l’envie ni la capacité de mener une vie productive (Coward
et al., 2014). Par ailleurs, l’absence d’opportunités économiques pour les
jeunes alimente les conflits et l’instabilité politique des pays africains. Elle
provoque également l’émigration de nombreux jeunes qui espèrent
trouver ailleurs une vie meilleure et subvenir aux besoins de leur famille
restée dans leur pays d’origine.
Alors qu’environ 10 à 12 millions de jeunes arrivent chaque année sur
le marché du travail, seuls 3 millions d’emplois formels sont créés annuel-
L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 137

lement en Afrique (Banque mondiale, 2016). Dans ce contexte d’accès


difficile à l’emploi, les jeunes Africains apportent une réponse directe en
s’engageant dans l’entrepreneuriat. Et face à un écosystème entrepreneu-
rial inadéquat et contraint, les jeunes se lancent dans un entrepreneuriat
de subsistance et informel qui ne leur permet pas de créer des entreprises
innovantes et pérennes.
Toutefois, depuis le début de cette décennie, le développement de
l’économie numérique permet à certains jeunes Africains de surmonter
les contraintes de leurs écosystèmes entrepreneuriaux et de créer des
entreprises innovantes et à forte croissance. La pénétration remarquable
de l’économie numérique sur le continent africain a amené les dirigeants
du continent à la considérer comme l’un des leviers importants de
l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) pour bâtir une « Afrique intégrée,
prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une
force dynamique sur la scène internationale » (Union africaine, 2015).
Malgré l’existence d’une littérature abondante (Aker et Mbiti, 2010 ;
Akerman et al., 2015 ; Banque mondiale, 2016) sur les opportunités de
l’économie numérique, très peu d’études se sont intéressées aux effets de
cette dernière sur l’entrepreneuriat des jeunes en contexte africain.
L’objectif de cette étude est donc d’analyser le potentiel que représente
l’économie numérique pour l’entrepreneuriat en Afrique. D’où notre
interrogation : l’économie numérique peut-elle enclencher une dynamique
entrepreneuriale en Afrique ? En d’autres termes, quels sont les liens
conceptuels entre l’économie numérique et l’entrepreneuriat ? Comment
l’économie numérique affecte-t-elle l’entrepreneuriat des jeunes et des
femmes en Afrique ?
Pour répondre à ces interrogations, notre étude utilise une démarche
d’analyse descriptive basée principalement sur les données de Global
Entrepreneurship Monitor (GEM) (2016).
La prochaine section présente le cadre conceptuel de l’étude tandis
que la deuxième dresse l’état des lieux de l’entrepreneuriat en Afrique et,
enfin, la dernière section établit une convergence entre le développement
de l’économie numérique et l’entrepreneuriat.

1. Économie numérique et entrepreneuriat : le cadre conceptuel

Au premier abord, l’économie numérique et l’entrepreneuriat sont deux


concepts complexes et multidimensionnels. La littérature économique
138 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

récente (Aker et Mbiti, 2010 ; Coward et al., 2014 ; Akerman et al., 2015 ;
Banque mondiale, 2016 ; Hjort et Poulsen, 2017) remet en question l’impact
de la troisième révolution industrielle marquée par la pénétration des
ordinateurs, de l’Internet, des plateformes numériques et des téléphones
portables sur l’entrepreneuriat. À partir de cette littérature, nous essaie-
rons de donner une définition des deux concepts avant de dresser un
aperçu théorique du lien existant entre eux.

1.1 L’économie numérique : de quoi s’agit-il ?

D’abord connu sous le vocable de « nouvelle économie », le concept s’est


mué ensuite en « économie de l’information et du savoir » au début des
années 2000 avant son appellation actuelle d’« économie numérique »
depuis la décennie 2010. Concept très en vogue actuellement, l’économie
numérique tente de conceptualiser l’ensemble des activités qui sont liées
directement ou indirectement aux technologies de l’information et de la
communication (TIC). C’est ainsi que le MEDEF1 (2008) la définit comme
l’ensemble des secteurs basés sur les TIC, que se soit en production ou en
usage (Figure 6.1). Le secteur producteur étant constitué des technologies
numériques (Internet, téléphone mobile, logiciels informatiques, plate-
formes numériques et tous les autres outils servant à recueillir, stocker,
analyser et partager des informations sous forme numérique). Le secteur
utilisateur quant à lui comporte la santé, l’éducation, le tourisme, l’agri-
culture, la finance et les banques et la gouvernance.
L’introduction des technologies numériques dans le secteur utilisateur
a permis le développement de nouveaux services innovants (encore
appelés leapfrogging) dans plusieurs domaines : la santé (e-santé, télémé-
decine, mobile-health, healthtech), l’agriculture (agritech), le commerce
(e-commerce), l’éducation (e-learning), la banque (e-banking, mobile-­
banking, mobile-money), la finance (Fintech), l’assurance (Insurtech) et
la gouvernance (e-government), etc.

1. Mouvement des entreprises de France.


L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 139

F I G U R E 6.1
L’économie numérique

Nouveaux services
e-learning,
Agritech, e-commerce, e-banking,
e-government, e-business, Insurtecch, Fintech

Secteur utilisateur
Agriculture, transport, éducation,
santé, banque, distribution, finance,
gouvernance, assurance, tourisme, etc.

Secteur producteur
Technologies numériques,
Internet, plateformes
numériques,
téléphonie mobile,
logiciel informatique

Source : Les auteurs, sur la base de la littérature.

1.2 L’entrepreneuriat : concept multidimensionnel

Le concept d’entrepreneuriat, quant à lui, est difficile à définir au regard


du grand nombre de disciplines dont il relève (Filion, 1997 ; Chollet, 2002).
On peut néanmoins retenir, à la suite de St-Jean et Duhamel (2017), que
le concept d’entrepreneuriat englobe non seulement l’acte de création
d’une nouvelle entreprise, mais aussi celui de reprise d’une entreprise
existante. Selon la typologie proposée par Reynolds et al. (2001), on dis-
tingue l’entrepreneuriat de nécessité et l’entrepreneuriat d’opportunité.
Le premier signifie qu’un individu choisit d’entreprendre faute d’oppor-
tunité (pas de meilleur choix s’offrant à lui). Dans ce cas, l’entrepreneuriat
relève plutôt de l’auto-emploi de subsistance. En revanche, l’entrepreneu-
riat d’opportunité découle d’une vraie conviction. Il est tourné vers la
saisie d’une occasion perçue par l’entrepreneur. Dans ce cas, on parle d’un
140 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

entrepreneuriat de croissance ou d’un entrepreneuriat innovant, mu par


l’ambition d’innover et de faire croître son activité. Au fur et à mesure
que le niveau de développement économique s’accroît, la prévalence de
l’entrepreneuriat motivé par l’opportunité ou par l’innovation augmente
et le taux d’entrepreneuriat motivé par la nécessité diminue.
L’entrepreneuriat chez les jeunes est celui qui concerne les individus
de la tranche d’âge des 18 à 35 ans (St-Jean et Duhamel, 2017). Pour Meda
Adama et al. (2017), un tel entrepreneuriat implique le développement de
comportements, de compétences et d’opportunités entrepreneuriales pour
les jeunes dès l’école secondaire et jusqu’à l’âge adulte.

1.3 L’économie numérique : une révolution dans l’entrepreneuriat

Sur le plan conceptuel, l’économie numérique affecte l’entrepreneuriat de


manière directe et indirecte (Thurik et al., 2002 ; Chollet, 2002 ; Williams
et Morawczynski, 2017 ; St-Jean et Duhamel, 2017).

L’économie numérique : un effet direct sur l’entrepreneuriat

De manière directe, l’économie numérique accroît les opportunités entre-


preneuriales en facilitant l’intégration dans la chaîne de valeur mondiale
(CVM). En effet, l’économie numérique modifie le processus de produc-
tion classique de biens et services, à travers la sous-traitance ou le partage
de la production. Grâce aux plateformes numériques, des activités à forte
intensité de compétence, autrefois effectuées dans les pays développés,
sont aujourd’hui réalisées dans les PED. C’est ainsi que les géants de la
technologie comme Google, Intel, Microsoft, Nokia, IBM et Vodafone
sont de plus en plus présents en Afrique et y délocalisent certaines de leurs
activités.

L’économie numérique : un effet indirect sur l’entrepreneuriat

D’un autre côté, l’économie numérique est pourvoyeuse de ressources


nécessaires à l’essor de l’entrepreneuriat. De nos jours, l’entrepreneur y a
accès en un seul clic. En effet, l’économie numérique permet aux jeunes
entrepreneurs de surmonter les contraintes à l’entrepreneuriat en leur
fournissant deux types de ressources : (i) les informationnelles, qui par-
ticipent à l’identification de l’opportunité entrepreneuriale (les idées sur
L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 141

les produits/services, les informations sur le marché et les procédés de


fabrication, etc.) ; et (ii) les risquées, au sens où elles impliquent une prise
de risque pour ceux qui les fournissent (financement, équipements, main-
d’œuvre, première commande, etc.). En diminuant les coûts d’acquisition
de l’information et en rendant un plus grand nombre d’informations
disponibles en toute transparence et en temps réel, les technologies numé-
riques ouvrent la voie à de nouvelles transactions.
Outre les ressources informationnelles, la création d’une entreprise
nécessite aussi des ressources financières et humaines. Dans ces condi-
tions, l’économie numérique, grâce au développement des services ban-
caires (e-banking, mobile-banking, mobile-money) et financiers (Fintech,
Insurtech, crowdfunding)2 en ligne, permet aux jeunes entrepreneurs
d’avoir accès aux ressources financières. Par ailleurs, grâce aux nombreux
réseaux d’aide à la création d’entreprise en ligne, le jeune entrepreneur
peut renforcer ses capacités et apprendre de nouveaux métiers.

F I G U R E 6. 2
Économie numérique, entrepreneuriat et croissance économique

Écosystème Économie Entrepreneuriat


entrepreneurial numérique d’opportunité
- Infrastructures - Secteur Croissance
- Capital humain producteur Activité économique
- Culture - Secteur entrepreneuriale - PIB
- Marché utilisateur - Emploi
- Institutions - Nouveaux Entrepreneurs
services établis

Source : Les auteurs, sur la base de la littérature.

2. État des lieux de l’entrepreneuriat en Afrique

Les données utilisées dans cette étude proviennent essentiellement de


Global Entrepreneurship Monitor (GEM). Le GEM mène des enquêtes
auprès de la population adulte (de 18 à 64 ans) dans plusieurs pays, afin
de décrire l’activité entrepreneuriale à travers le monde. Plus précisément,
ces enquêtes rendent compte des différences dans les attitudes et l’activité

2. Désigne respectivement des start-up qui fournissent des services financiers et


d’assurance grâce à des solutions innovantes.
142 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

à divers stades du processus entrepreneurial, ainsi que dans les aspirations


(voir l’annexe pour la définition des variables utilisées par GEM).
Une caractéristique importante de l’entrepreneuriat en Afrique est la
jeunesse. Selon les données de l’Organisation des Nations unies (ONU,
2017), l’Afrique apparaît incontestablement comme le continent le plus
jeune du monde avec une population constituée essentiellement de jeunes
de moins de 25 ans. En effet, ces derniers représentent 60 % de la popula-
tion africaine (Figure 6.3).

F I G U R E 6. 3
Répartition de la population jeune dans le monde

70 %

60 %
de la population totale

50 %
En pourcentage

40 %

30 % Population
de -25 ans
20 %

10 %

0% Afrique Amérique Asie Océanie Amérique Europe


latine et du Nord
Caraïbes
Source : Les auteurs, à partir des données des Nations unies (2017).

Cette jeunesse de la population est un atout pour le continent car elle


participe fortement à la dynamique entrepreneuriale. Étant la principale
source de création des nouveaux emplois et le principal stimulant de la
croissance économique, l’entrepreneuriat est un moyen efficace de lutte
contre le chômage et la pauvreté en Afrique.
En effet, les données de GEM (2016) nous révèlent bien que l’activité
entrepreneuriale en Afrique est très poussée tant auprès des jeunes que
des seniors. En effet, le groupe d’âge des 25 à 34 ans est celui qui enregistre
la plus forte activité entrepreneuriale (Tableau 6.1). Ainsi, les entrepreneurs
d’Afrique sont en moyenne plus jeunes qu’en Europe, en Asie et en
Amérique du Nord.
L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 143

TA B L E AU 6.1
Taux d’activité entrepreneuriale émergente (TAE) par groupe d’âge et par
région (en %)

18 - 24 25 - 34 35 - 44 45 - 54 55 - 64

Afrique 16,3 20,8 18,9 15,6 11,4

Asie et Océanie 8,5 13,6 12,5 10,5 7,5

Amérique latine et Caraïbes 15,7 22,4 22,2 17,6 12,8

Europe 8,2 11,3 9,7 7,6 4,8

Amérique du Nord 12,7 19 18,1 14 9

Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).

Par ailleurs, le continent africain est classé deuxième, après l’Amé-


rique latine, comme la région du monde où le taux d’activité entrepre-
neuriale (TAE) est très élevé (Figure 6.4).

F I G U R E 6.4
Taux d’activité entrepreneuriale dans le monde

20 18,8
17,6
TAE en % de la population adulte

18
16
14,7
14
12 11
10
8,4
8
6
4
2
0
Amérique Afrique États-Unis Asie et Europe
latine et Océanie
Caraïbes
Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).

Le classement selon les pays place l’Afrique en tête avec l’Uganda


(Figure 6.5). Cependant, tous les pays africains n’évoluent pas à la même
vitesse. Le TAE est plus élevé en Afrique de l’Est et du Sud avec 74 % de
14 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

start-up créées entre 2010 et 2015, contrairement à 14 % en Afrique du


Nord et 6 % en Afrique centrale et de l’Ouest.

F I G U R E 6. 5
Taux d’activité entrepreneuriale par pays
30
TAE (en % de la population adulte)

25

20

15

10

0
a

il

la

ili
és
nd

an
nd

qu
ou

Ch
go
na
Br

w
ga


la

er

An
et

ts
m

m
Ou

Vi

Bo
Th

Ja
Ca

Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).

Cette dynamique entrepreneuriale chez les jeunes Africains se


manifeste aussi à travers la culture entrepreneuriale et l’engagement
entrepreneurial. La culture entrepreneuriale est définie par la mesure
de désirabilité des individus de faire de l’entrepreneuriat un choix de
carrière valorisant (St-Jean et Duhamel, 2017). Elle précède l’engagement
entrepreneurial et affecte la création d’entreprise. Trois principaux
indicateurs permettent d’appréhender la culture entrepreneuriale :
l’entrepreneuriat en tant que bon choix de carrière, l’attention des
médias envers l’entrepreneuriat et le statut élevé accordé aux entrepre-
neurs qui réussissent.
L’activité d’entrepreneur est plus valorisée en Afrique que dans
toutes les autres régions du monde (Tableau 6.2). En effet, 74,6 % de la
population considère l’entrepreneuriat comme un bon choix de car-
rière. Ce qui signifie que les populations envisagent l’entrepreneuriat
comme un projet de carrière fiable et bénéfique. Par ailleurs, 76,7 %
des personnes accordent un statut élevé aux entrepreneurs qui
réussissent.
L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 145

TA B L E AU 6. 2
Les attitudes entrepreneuriales (%)

Entrepreneuriat Le statut élevé Attention des


comme un bon accordé aux médias envers
choix de carrière entrepreneurs l’entrepreneuriat

Afrique 74,6 76,7 64,9

Asie et Océanie 65,2 72,7 68,3

Amérique latine et Caraïbes 63,7 63,2 61

Europe 57,2 74 72,5

Amérique du Nord 64,6 74 72,5

Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).

Tout comme la culture entrepreneuriale, l’engagement entrepreneu-


rial a aussi un effet sur la création d’entreprise. Il compte trois dimensions :
les opportunités perçues, la peur de l’échec et l’intention d’entreprendre.
Comme le démontre le tableau 6.3, l’Afrique est l’une des régions au monde
où les populations perçoivent le plus d’opportunités, soit 51,8 % de la
population, derrière l’Amérique du Nord (58,1 %). Les intentions entre-
preneuriales sont supérieures à toutes les autres régions (41,6 %). Il s’agit
d’un résultat très prometteur à l’égard du potentiel de création d’entreprise
sur le continent. Les jeunes Africains ont une perception assez élevée de
leurs capacités (58,6 %) avec une faible peur de l’échec (26,5 %).

TA B L E AU 6. 3
L’engagement entrepreneurial

Opportunités Capacités Intention Peur de


perçues entrepreneuriales d’entreprendre l’échec

Afrique 51,8 58,6 41,6 26,5

Asie et Océanie 42,8 47,1 24,3 39,1

Amérique latine et
46,2 62,6 31,9 27,5
Caraïbes

Europe 36,2 43,5 11,9 40,1

Amérique du Nord 58,1 54,6 12,9 36,2

Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).


146 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Les opportunités perçues renvoient au pourcentage des individus qui


estiment qu’il y a de bonnes occasions d’affaires pour eux dans les six
mois à venir dans la région où ils habitent. Cet indicateur est particuliè-
rement important dans les économies tirées par l’innovation, où les
opportunités sont à la base de la plupart des créations d’entreprises.
Même si l’Afrique est devenue le premier continent de l’entrepreneu-
riat féminin, il existe un grand écart entre l’entrepreneuriat masculin et
le féminin (Figure 6.6). Le taux d’activité entrepreneuriale (TEA) des
femmes africaines est désormais le plus élevé au monde (24 %). Ce qui
montre que les femmes prennent davantage de place dans le tissu
entrepreneurial.

F I G U R E 6.6
L’entrepreneuriat par sexe

20,5
la population adulte
En pourcentage de

20
TAE
19,5

19

18,5
Hommes Femmes
Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).

L’entrepreneuriat se développe dans de nombreux secteurs. Un aperçu


des profils sectoriels illustre l’importance des secteurs des connaissances
et des services en Afrique. En effet, le secteur des services est celui qui
génère le plus grand nombre de nouvelles entreprises, notamment avec le
développement dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la finance,
du commerce et de la télécommunication.
L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 147

F I G U R E 6. 7
Profil sectoriel de l’entrepreneuriat

60

50
En pourcentage du TAE

40

30

20

10

0
ice

e
rie

or
r

in
tu
rv

sp

M
tu
ul
Se

an
ac
ric

uf

Tr
Ag

an
M

Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).

3. L’économie numérique : catalyseur de l’action entrepreneuriale

L’économie numérique portée par les technologies numériques révolu-


tionne l’entrepreneuriat dans le monde et en Afrique en particulier. De
façon générale, les données empiriques montrent une forte convergence
entre l’activité entrepreneuriale et les performances numériques dans un
pays. En effet, sur la figure 6.8, on observe une forte corrélation entre
l’Indice global d’activité entrepreneuriale et l’indice de performance
numérique (IPN)3. Cela traduit l’existence d’un lien étroit entre la dyna-
mique entrepreneuriale et les technologies numériques.

3. L’IPN est un indicateur qui permet de mesurer la transformation numérique d’un


pays en prenant en compte quatre critères : la fourniture de réseaux, l’intérêt des consom-
mateurs pour les technologies numériques, l’environnement institutionnel et l’innovation.
Plus un pays a un IPD élevé, plus sa performance numérique est forte.
148 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

F I G U R E 6.8
Corrélation entre l’évolution numérique et l’entrepreneuriat

PIB par personne


0,8
0,7
0,6
0,5
Paix 0,4 Coefficient de GINI
0,3
0,2
0,1 Indice global d’activité
0
entrepreneuriale
Indice de
Indice de liberté
performance
économique
digitale

Indice de
performance
environnementale
Source : Les auteurs, à partir des données de GEDI4 (2016).

De nombreuses études (entre autres GSMA5, 2018 ; Hjort et Poulsen,


2017 ; AFD6, 2017) soulignent en effet que le développement rapide des
TIC, et notamment la pénétration croissante d’Internet et du téléphone
mobile, est la principale locomotive de l’entrepreneuriat dans le monde.
C’est principalement le cas en Afrique où, selon les données de la Global
System Mobile Association (GSMA), en 2018, le nombre d’abonnés à
l’Internet mobile a doublé pour atteindre 435 millions, soit un taux de
pénétration de 34 % (GSMA, 2018). De la même source, le nombre d’uti-
lisateurs d’Internet mobile en Afrique va passer à 500 millions d’ici 2020.
Cette pénétration rapide d’Internet mobile offre des opportunités
immenses aux jeunes entrepreneurs africains et est à l’origine de la montée
de l’entrepreneuriat émergent d’opportunité. Ainsi que le montre la figure
6.9, l’entrepreneuriat émergent d’opportunité (67,5 %) domine l’entrepre-
neuriat émergent poussé par la nécessité (28,9 %). Ce qui confirme l’argu-
ment selon lequel les individus empruntent la voie de l’entrepreneuriat
lorsqu’ils perçoivent les opportunités (St-Jean et Duhamel, 2017 ; Williams
et Morawczynski, 2017).

4. Global Entrepreneurship and Development Institute.


5. Global System Mobile Association.
6. Agence française de développement.
L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 149

F I G U R E 6.9
Types d’entrepreneuriat en Afrique

70

60
En pourcentage du TAE

50

40
67,5 Types d’entrepreneuriat
30
émergent
20
10 28,9
0
Opportunité
Nécessité
Source : Les auteurs, à partir des données de GEM (2016).

L’émergence des start-up en Afrique est la preuve que les jeunes


Africains saisissent les opportunités offertes par le numérique. Partout
en Afrique, les jeunes s’efforcent d’imiter les succès de la Silicon Valley
aux États-Unis. Les exemples les plus connus sont : l’Afrique du Sud avec
la Silicon Cape, le Kenya avec la Silicon Savannah, le Nigéria avec la Silicon
Lagoon et le Cameroun avec la Silicon Mountain.
Grâce aux technologies numériques, ils peuvent contourner les
contraintes à l’entrepreneuriat et lever les ressources financières qui leur
font tant défaut. D’après les résultats de l’étude de l’AFD (2017), l’accès
aux financements reste une difficulté majeure pour l’entrepreneuriat en
Afrique. Les raisons évoquées sont : l’absence d’options de financement
dédiées aux start-up ; la lourdeur des garanties bancaires exigées ; la forte
aversion au risque des banques africaines ; et les taux d’intérêt élevés. Dans
ces conditions, l’économie numérique à travers le développement des
financements numériques permet aux jeunes entrepreneurs africains
d’avoir accès aux ressources financières. Ce financement numérique se
fait soit par l’octroi de crédits directement sur les plateformes en ligne ou
par téléphone mobile (e-banking, mobile-banking, mobile-money), ou soit
indirectement en facilitant l’accès au crédit (Fintech, crowdfunding7).

7. Financement participatif, il désigne respectivement des start-up qui fournissent


des services financiers et d’assurance grâce à des solutions innovantes.
150 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Comme le montre la figure 6.10, les services de prêt en ligne ont fait
un véritable bond en Afrique. Ils sont passés de 1 en 2011 à 39 en 2016, et
se sont répandus dans 11 pays (GSM, 2016).

F I G U R E 6.10
Services de prêt en ligne en Afrique subsaharienne

2011 2016

6 services 39 services

1 pays 11 pays

Kenya Cameroun
Ghana
Kenya
Malawi
Nigéria
$ Rwanda
Sénégal
Tanzanie
Ouganda
Zambie
Zimbabwe

Source : GSM (2016).

Conclusion

Cette étude avait pour objectif d’analyser le potentiel que représente


l’économie numérique pour l’entrepreneuriat en Afrique. Après avoir
établi les liens conceptuels entre l’économie numérique et l’entrepreneu-
riat, l’étude aboutit au résultat selon lequel le développement de l’éco-
nomie numérique stimule l’entrepreneuriat chez les jeunes Africains. En
effet, le taux d’activité entrepreneuriale (TAE) est très élevé chez les jeunes
de la tranche d’âge des 25 à 34 ans qui saisissent bien les occasions que
leur offrent les technologies numériques. L’entrepreneuriat émergent
d’opportunité domine l’entrepreneuriat émergent poussé par la nécessité.
Même si les femmes prennent davantage de place dans le tissu entrepre-
neurial africain, le TAE des femmes demeure faible comparé à celui des
hommes.
L’e n t r e pr e n eu r i at à l’è r e de l’é c onom i e n u m é r iqu e e n A f r iqu e • 15 1

Ainsi, pour transformer le potentiel du numérique en progrès entre-


preneurial, les autorités doivent mettre en place des politiques favorisant
l’accès aux technologies numériques, notamment la téléphonie et l’in-
ternet mobile. Car malgré la forte pénétration d’Internet mobile en
Afrique, de nombreux jeunes Africains n’y ont toujours pas accès et sont
par conséquent exclus de la société numérique. Les autorités peuvent
également apporter une contribution décisive, en facilitant l’émergence
d’un écosystème entrepreneurial propice, par la réglementation ou par
des incitations fiscales, et en facilitant l’accès au financement. En outre,
pour ce qui est de la promotion de l’entrepreneuriat des femmes et compte
tenu des contraintes particulières auxquelles elles font face, les autorités
peuvent mettre en place des structures d’accompagnement, telles que les
incubateurs et les plateformes numériques spécialement dédiées aux
femmes.
C’est seulement en mettant en œuvre ces politiques que les techno-
logies numériques pourront permettre aux pays africains de s’affranchir
du processus de développement traditionnel pour sauter des étapes et
accélérer leur croissance économique.
152 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

ANNEXE
Définition et mesure des variables de l’entrepreneuriat

Processus entrepreneurial
Entrepreneur naissant Personne qui a créé une entreprise et versé jusqu’à
3 mois de salaires
Entrepreneur nouveau Personne qui a créé une entreprise et versé entre 4 et
41 mois de salaires
Entrepreneur établi Personne qui a créé une entreprise et versé au moins
42 mois de salaires

L’activité entrepreneuriale
TAE (Total de l’activité Toutes les personnes engagées dans le processus
entrepreneuriale émergente) entrepreneurial, soit les entrepreneurs naissants et les
nouveaux entrepreneurs
TAE opportunité TAE regroupant les personnes qui déclarent s’être
engagées dans l’entrepreneuriat après la découverte
d’une opportunité d’affaires
TAE nécessité TAE regroupant les personnes qui déclarent s’être
engagées dans l’entrepreneuriat parce qu’elles n’ont
pas pu trouver une meilleure proposition d’emploi

Les attitudes à l’égard de


l’entrepreneuriat
Intentions entrepreneuriales Personnes qui déclarent avoir l’intention de démarrer
une entreprise dans les trois prochaines années
Opportunités perçues Personnes qui déclarent avoir trouvé, dans leur loca-
lité, des opportunités pouvant déboucher sur une
création d’entreprise dans les six prochains mois
Compétences perçues Personnes qui déclarent disposer des compétences
requises pour démarrer une entreprise
Peur de l’échec Personnes qui ont perçu des opportunités mais qui
déclarent ne pas s’engager dans l’entrepreneuriat par
peur de l’échec

Source : St-Jean et Duhamel (2017).

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PME, Université du Québec à Trois-Rivières, Trois-Rivières, QC (Canada).
Thurik, R., S. Wennekers et L. M. Ulhlaner. 2002. Entrepreneurship and Economic
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Union africaine. 2015. Document-cadre de l’Agenda 2063 : L’Afrique que nous voulons,
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Versen, J., R. Jorgensen, N. Malchow-Moller et B. Schjerning. 2005. Defining and
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Williams, T. et O. Morawczynski. 2017. Digital Commerce and Youth Employment in
Africa, Mastercard Foundation.
chapitre 7

Adoption d’innovation, esprit


­d’entrepreneuriat et PMME en Afrique
subsaharienne francophone
André Dumas Tsambou et Benjamin Fomba Kamga

Au cours du xxe siècle, l’innovation et l’entrepreneuriat ont été considérés


comme des moteurs essentiels du progrès technique et du développement
de la productivité. Ces moteurs ont fait apparaître des changements qui
ont influencé la vie quotidienne des populations. Conscients de ce fait, les
gouvernements ont fait valoir que le processus de changement novateur
et d’entrepreneuriat devait davantage être mis en œuvre sur le plan micro
et macro de la société. Si ce phénomène était un privilège des économies
développées et était considéré comme une fin de développement, il n’était
pas perçu comme un moyen pour parvenir au développement dans les
pays africains. Il a fallu attendre au lendemain des indépendances pour
voir émerger des politiques d’innovation et d’entrepreneuriat telles que
la création en 1977 de l’Organisation africaine de la Propriété intellectuelle
(OAPI) et ses démembrements sur le plan national. Ces derniers sont
accompagnés par des politiques nationales1 visant la création des minis-
tères responsables de l’innovation et de la promotion scientifiques, des
décrets et lois liés à l’amélioration de la création d’entreprise, de l’incita-

1. Le Décret n° 2005/091 créant une cellule d’élaboration et du suivi de la politique


nationale d’innovation au Cameroun ; la Loi 2004-06-du 06 février 2004 portant code
d’investissement au Sénégal ; le Décret n° 2004/320 créant un ministère responsable des
PME au Cameroun ; le Décret n° 2013-298 créant l’Agence de Gestion et de Développement
des Infrastructures Industrielles en Côte d’Ivoire.
156 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

tion à l’investissement, de l’accompagnement des petites entreprises et de


la formation des entrepreneurs.
Certes, les gouvernements ont mis en œuvre de nombreuses politiques
pour relancer l’innovation et l’entrepreneuriat ; toutefois, le tissu écono-
mique des pays africains en général et de l’Afrique subsaharienne fran-
cophone en particulier reste fragile. Il est constitué en majorité des petites,
moyennes et microentreprises (99 % au Cameroun, 98 % en Côte d’Ivoire
et 78 % au Sénégal) (Chameni et Fomba, 2015). Malgré leur faible création
de richesse et d’emploi, ces types d’entreprises sont considérés comme les
cellules substantielles du tissu industriel de l’économie. Les petites,
moyennes et microentreprises (PMME) ne contribuent que faiblement au
produit intérieur brut (PIB), à hauteur de 28,5 % au Cameroun (INS, 2009),
de 20 % en Côte d’Ivoire (PND, 2015) et de 24,1 % au Sénégal (PSE, 2014).
Cet état de fait peut être dû au peu d’innovations et investissements en
recherche et développement (R&D).
Bien que 70 % des pays africains reconnaissent que l’innovation est
d’une importance fondamentale pour leur développement, aucun d’eux
n’investit 1 % de son PIB respectif pour le financement de la R&D, source
d’innovation (0,34 % au Cameroun ; 0,51 % au Sénégal ; 0,53 % en Côte
d’Ivoire) ; alors que l’innovation contribue à hauteur de 31 % à la produc-
tivité des entreprises africaines (NEPAD, 2010).
De nombreuses politiques sont en train d’être mises en œuvre pour
renverser la tendance, mais les efforts sont dispersés et les centres de
recherche travaillent en vase clos. Pour contourner la difficulté, les entre-
prises adoptent les innovations développées ailleurs (Zanello et al., 2016).
Selon la Banque mondiale, cette adoption a permis à 45 % d’entreprises
au Cameroun d’introduire de nouveaux produits ou des produits sensi-
blement améliorés sur le marché (de même qu’à 43 % de celles enquêtées
au Sénégal et à 28 % de celles enquêtées en Côte d’Ivoire) (Banque mon-
diale, 2016). Cette adoption d’innovations fait référence à la décision de
mettre en œuvre de nouvelles propositions techniques dans des systèmes
de production existants et d’améliorer progressivement leur utilisation,
conduisant ainsi à un changement radicalement nouveau ou progressif
dans les idées, les produits, les processus ou les services (Mabah et al.,
2013). Cette approche est cohérente avec la définition de l’innovation qui
serait, selon Schumpeter (1934), l’introduction d’un nouveau bien ou d’un
bien amélioré, d’une nouvelle méthode de production, l’ouverture d’un
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 157

nouveau marché, la quête d’un nouvel approvisionnement en matières


premières ou la réalisation d’une nouvelle organisation. Cette innovation,
qui va de l’origine d’une idée à sa mise en œuvre, est un moteur de la
dynamique économique, rendant l’entrepreneuriat digne d’intérêt (Lee
et al., 2016).
L’entrepreneuriat est l’acte d’être un entrepreneur qui s’engage dans
une activité entrepreneuriale en réponse à une opportunité (Low et
MacMillan, 1988), un processus de conception, de lancement ou commer-
cialisation d’un nouveau produit. Cette activité peut remplacer les pra-
tiques inférieures dans l’entreprise ou sur le marché tandis que de
nouveaux produits ou processus et de nouvelles méthodes d’organisation
ou de commercialisation sont créés simultanément. Cet esprit d’entre-
prendre est souvent associé à des incertitudes, surtout lorsqu’il s’agit
d’innovations. Que ce soit un processus séquentiel linéaire ou un phéno-
mène changeant, parallèle, en réseau ou ouvert, il joue également un rôle
important dans le développement des entreprises (Drucker, 2014).
Dans les PMME, les entrepreneurs, par leurs conceptions, leurs
idées et leurs capacités d’adoption d’innovations, influencent la stratégie
de l’entreprise, provoquant un accroissement de sa productivité et de sa
compétitivité (Karimi et Zhiping, 2016). Dans ces entreprises, l’inno-
vation est le moteur de la performance (Lee et al., 2016 ; Lin et al., 2013).
Cette performance est le fruit d’un entrepreneur dynamique qui, par la
perception des opportunités et possibilités, met en œuvre de nouvelles
idées pour avoir accès à de nouveaux marchés (Schumpeter, 1934). En
reconnaissant les opportunités que les acteurs en place ne voient pas et
en développant les technologies et les concepts qui vont donner nais-
sance à de nouvelles activités économiques, l’entrepreneur adopte et
adapte les innovations qui peuvent renverser le processus de création
de la valeur. Ces initiatives étant liées à de nombreux risques (techno-
logique, de commercialisation, imitation, contrebande/contrefaçon), on
se pose la question suivante : quels sont les effets de l’adoption d’inno-
vations et de l’esprit d’entrepreneuriat sur la performance des PMME
en Afrique subsaharienne francophone ? Le principal apport de notre
travail est d’effectuer une analyse économétrique de l’effet de l’esprit
d’entrepreneuriat sur l’adoption d’innovations, et de montrer comment
cette dernière influence la performance des PMME au Cameroun, au
Sénégal et en Côte d’Ivoire.
158 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

La section 2 de ce document contient une revue de la littérature, la


section 3 la méthodologie et les données, la section 4 les résultats statis-
tiques et économétriques, et la dernière section la conclusion.

1. Revue de la littérature

Loin d’être seulement les formes d’entreprises les plus courantes dans les
économies en développement, les PMME sont également une source
importante d’innovation.

1.1 Activité d’innovations dans les entreprises

En mettant l’innovation au cœur du caractère cyclique de l’économie,


Schumpeter (1934) distingue trois activités dans le processus d’innovation :
l’étape de l’invention, qui relève de la logique de la science avec les décou-
vertes scientifiques ; l’étape de l’innovation, appartenant à l’entrepreneu-
riat avec la figure de l’entrepreneur innovateur capable d’exploiter une
découverte scientifique, et l’étape de la mise sur le marché et de la diffusion
dans le système productif à travers la dynamique de la concurrence. En
distinguant cinq types d’innovations (les nouveaux objets de consom-
mation, les nouvelles méthodes de production, les nouveaux marchés, les
nouveaux types d’organisation industrielle), Schumpeter montre que le
porteur de l’innovation est l’entrepreneur qui introduit dans le processus
économique l’invention livrée par le progrès technique. Pour l’OCDE
(Oslo, 2005), l’innovation est la mise en œuvre d’un produit ou d’un
procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de
commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les
pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations
extérieures. L’OCDE (Oslo, 2018) distingue deux catégories d’innovations :
les innovations technologiques qui se concentrent sur un produit et un
procédé ; les innovations non technologiques qui se concentrent sur les
innovations organisationnelles et de commercialisation. Ces différents
types d’innovations jouent un rôle central dans l’entrepreneuriat.
La pratique qualifiée de destruction créatrice par Schumpeter (1952)
s’observe dans les PMME où les entrepreneurs, par leur esprit d’entrepre-
neuriat, introduisent des produits innovants sur le marché. Lin (2013),
évaluant l’influence des innovations sur le rendement des entreprises de
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 159

services, montre que la mise en œuvre de nouvelles structures de gestion


et de nouvelles technologies pour améliorer l’efficacité opérationnelle
permet à l’entreprise d’être compétitive en ce qui a trait au prix. En
approximant la performance par la productivité, Griffith et al. (2006)
montrent que la productivité d’une firme peut dépendre de la présence
simultanée de divers facteurs, incluant l’effet différencié de l’innovation
de produit et de procédé. Robin et Mairesse (2008) indiquent que l’effet
de l’innovation de produit l’emporte sur celui de l’innovation de procédé,
alors que Hall et al. (2009) soulignent plutôt un effet complémentaire de
ces deux types d’innovations sur la performance des entreprises.
Contrairement à ces auteurs, Taveira et al. (2019) constatent dans le cas
du Brésil l’absence d’effet de l’innovation sur la performance et le profit.
Tsambou et Fomba (2017) précisent que dans le cas du Cameroun, l’inno-
vation a un effet sur la performance si elle est accompagnée par l’utilisa-
tion des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ce
manque d’effet direct peut être lié à l’esprit d’entrepreneuriat ou à l’auto-
efficacité de l’entrepreneur. La capacité managériale des activités d’inno-
vation permet la mise en œuvre des techniques et dispositifs de gestion
destinés à créer les conditions les plus favorables au développement des
activités entrepreneuriales.

1.2 Capacité managériale de l’entrepreneur

S’opposant à la théorie néoclassique, les partisans de la théorie évolution-


niste de la firme (Nelson et Winter, 1982) expliquent l’évolution de la firme
par le biais d’un capitalisme cognitif. En mettant l’accent sur la rationalité
et l’appréhension des problèmes économiques, l’entrepreneur devient une
personne qui reflète l’image héroïque de l’entreprise créée. Par son esprit
d’entrepreneuriat, sa capacité managériale, il fait preuve de créativité et
d’innovation (nouvelle idée) en tout temps pour assurer la survie et la
pérennité de sa structure. La complexité de ses tâches (déceleur d’occa-
sions d’affaires, créateur d’entreprises, preneur de risque, informateur du
marché, organisateur ou coordonnateur de ressources) implique qu’il ait
une multitude de compétences pour atteindre ses objectifs en termes de
maximisation du profit de son entreprise (Penrose, 1959 ; Hagen, 1960).
Dans le cadre des PMME où les entrepreneurs sont les dirigeants de
leurs entreprises, de nombreuses études ont évalué le lien possible entre
160 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

l’entrepreneur et la croissance de son entreprise. En considérant la


microentreprise comme un prolongement de l’individu responsable,
Hallak et al. (2011), dans l’analyse de l’auto-efficacité entrepreneuriale,
avancent que les entrepreneurs ont une influence majeure sur les orien-
tations, les stratégies et le rendement des petites entreprises. La capacité
managériale de l’entrepreneur est importante dans la réussite de ses tâches
entrepreneuriales. La dynamique de cette capacité managériale selon
Teece et al. (1997) est la capacité de l’entrepreneur à intégrer, à construire
et à reconfigurer les compétences internes et externes pour résoudre les
problèmes environnementaux. Pour Giniuniene et Jurksiene (2015), cette
capacité est un processus stratégique spécifique et opérationnel qui permet
à l’entrepreneur de détecter et de saisir de nouvelles occasions dans un
environnement dynamique. Cette capacité permet, comme l’illustre la
théorie de l’auto-efficacité entrepreneuriale, d’organiser et d’exécuter les
plans d’actions nécessaires pour atteindre des résultats donnés. Cette
capacité managériale de l’entrepreneur influence ses motivations (Segal
et al., 2005) et permet la coordination et le déploiement des processus
stratégiques du management, ce qui mène à la performance en termes de
rentabilité, de ventes, de croissance et de succès commercial (Hallak et
al., 2011).
Hallak et al. (2011) montrent ainsi que l’auto-efficacité entrepreneu-
riale des petites entreprises est régie par la capacité managériale de l’entre-
preneur qui permet de saisir les occasions, de persister, de surmonter les
échecs et d’être plus confiant face aux chocs. Cette capacité managériale
qui permet de créer la vision et les valeurs de l’entreprise mesure l’aptitude
de l’entrepreneur/manager à poser des actes de gestion qui permettent à
l’entreprise de croître (Tsambou et Ndokang, 2016). Elle est observée en
termes de gestion des ressources humaines, de gestion des procédures au
sein de l’entreprise, de la gestion financière et de la gestion de l’environ-
nement de l’entreprise (Lee et al., 2016). La théorie de l’innovateur-­
entrepreneur de Schumpeter (1942) suggère que les entreprises
entrepreneuriales grandissent et survivent grâce à la capacité managériale
de l’entrepreneur et à sa capacité d’innover continuellement pour diriger
ou réagir face aux chocs ou à la dynamique des besoins des clients
(O’Dwyer et al., 2009). Ainsi, la capacité de l’entrepreneur des PMME à
développer et gérer les nouveaux produits et opportunités de marché
pourrait être un facteur clé de la performance de son entreprise. De ce
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 161

fait, le rôle de l’entrepreneur chef d’entreprise en ce qui concerne les


PMME n’est plus de donner des ordres et de veiller aux faits et gestes de
ses subordonnés, mais d’avoir une maîtrise des différents processus
d’innovation. L’innovation devient, comme l’affirment Chen et al. (1988),
une activité entrepreneuriale clé de l’entreprise pour être performante.
Hallak et al. (2015) montrent que la capacité managériale du propriétaire/
dirigeant influe sur cette innovation. Cette capacité devrait accroître,
selon Schumpeter (1952), les activités entrepreneuriales ou la propension
à introduire des innovations.

2. Méthodologies

Le cadre méthodologique de ce travail repose sur trois piliers : la source


des données empiriques, la spécification du modèle économétrique et la
mesure des variables.

2.1 Source de données

Les données utilisées dans ce travail proviennent de l’enquête sur les


déterminants de la performance des entreprises en Afrique subsaharienne
francophone : le cas du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal,
réalisée en 2014 par le Centre de recherche pour le développement inter-
national (CRDI). L’objectif de cette enquête était de trouver les facteurs
explicatifs de la performance des entreprises exerçant dans ces pays. Elle
a concerné au total 1897 entreprises dans les trois pays. Pour ce travail,
nous avons dénombré 700 PMME au Sénégal, 513 PMME au Cameroun
et 405 PMME en Côte d’Ivoire.
Le choix des pays d’analyse est lié à leur poids économique dans la
Communauté économique et monétaire en Afrique centrale (CEMAC)
et l’UEMOA. Le Cameroun, avec son économie la plus forte, la plus diver-
sifiée et la plus résiliente de la CEMAC, contribue à hauteur de 31 % au
PIB de cette sous-région (FMI, 2018). La Côte d’Ivoire et le Sénégal, en
tant que première et deuxième économie de l’UEMOA, contribuent res-
pectivement à hauteur de 33 % et 19,55 % au PIB de cette sous-région (BAD,
2018). Le tableau 7.1 présente les statistiques de l’échantillon des données
collectées.
162 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 7.1
Répartition de l’échantillon suivant le pays

Pays Effectif Fréquence

Cameroun 513 31,71

Sénégal 700 43,26

Côte d’Ivoire 405 25,03

Total 1 618 100,00

2.2 Spécification du modèle

Par l’esprit d’entrepreneuriat, l’entrepreneur décide d’adopter les innova-


tions nécessaires pour l’accroissement de sa structure. Cette décision
d’adoption d’innovations et ses implications en termes de productivité
peuvent être modélisées en deux étapes comme le montrent les études
antérieures (Wu et Huarng, 2015 ; Karimi et Zhiping, 2016 ; Pedeliento et
al., 2018 ; Douglas et Prentice, 2019).
Étape 1 : Au vu de la nature des intrants d’innovations qui sont dicho-
tomiques (variantes non linéaires) et imposent l’utilisation d’un modèle
qualitatif, nous estimons premièrement l’équation (1) d’adoption d’inno-
vations par la méthode du probit bivarié. Ayant deux types d’innovations
(l’innovation technologique et l’innovation non technologique), la spéci-
ficité d’un modèle probit bivarié est de prendre en considération non
seulement le fait que les différents types d’innovations peuvent être
adoptés de manière simultanée, mais aussi de tenir compte de la corréla-
tion qui peut exister entre les termes d’erreur de ces équations.

1 si I _ tech i* > 0
I _ techi = avec I _tech i* = X 1i 1 + 1i
O Sinon
Innov (1)
*
1 si I _ Ntech i > 0
I _ Nte c hi = ave c I _ Nte c hi* = X 2i 2 + 2i
O Sinon

Avec, i = 1,..., n, Innˆov est l’instrument de l’innovation, X1i et X2i les


I _ tech * = Y1i + 1 ENV1i + 1 CAP1 i + 1 i
vecteursi des 1variables i et I_Ntech
explicatives, I_tech(2) Avec i l’innovation tech-
I _ Ntechi* = Y +
2 2i 2 ENV2 i + 2 CAP2 i + 2i

= + µ1i 1 1,2
1i i 1i
où var(0, ) avec =
2i = i + µ2 i 2i 2 ,1 1
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 163

nologique et l’innovation non


1 si I _ tech *
>technologique,
0 β et β les vecteurs des
I _ techi = i
avec I _tech *1 = X 1i 2 1 + 1i
paramètres à estimer et E
O Sinon1i et E 2i les termes d’erreur supposés distribués
i

conjointement
Innov selon une loi normale. I_techi et I_Ntechi* les variables
*
(1)
latentes d’adoption 1d’innovations
si I _ Ntech > 0 * qui sont expliquées par le profil de
*
I _ N te c
l’entrepreneur (Y), hi = a ve c I _
les attributs de la capacité managériale
i
Nte c hi = X 2 ide +
2 l’entrepre-
2i
O Sinon
neur (CAP), les variables liées à l’environnement socioéconomique de
l’entreprise (ENV) et les variables liées au TIC.

I _ techi* = 1Y1i + 1 ENV1i + 1 CAP1 i + 1i


(2) Avec
I _ Ntechi* = 2Y2 i + 2 ENV2 i + 2 CAP2 i + 2i

= + µ1i 1 1,2
1i i 1i
où var(0, ) avec =
2i = i + µ2 i 2i 2 ,1 1

Les erreurs de ces deux équations sont constituées d’une partie (ηi)
qui leur est commune et d’une partie unique à chaque équation (µ1i et µ2i) ;
µ1i et µ2i sont supposées de moyenne nulle, indépendantes entre elles,
indépendantes des variables explicatives du modèle et normalement dis-
tribuées, alors que ηi est une variable inobservée qui influe linéairement
les deux variables dépendantes. Les E1i et E2i liés l’un à l’autre présentent
une distribution normale bivariée qui cache plusieurs choix simultanés :
(I_techi, I_Ntechi) e {(1,0) ;(0,1) ;(1,1) ;(0,0)}. Chaque chiffre correspond à un
type d’innovation, dans l’ordre suivant : innovation technologique et non
technologique. Les termes (1,0) et (0,1) désignent respectivement l’adoption
d’innovation technologique et non technologique, tandis que (1,1) repré-
sente l’adoption conjointe de l’innovation technologique et non techno-
logique. Selon la même logique, le terme (0,0) désigne l’absence
d’innovation puisqu’il vaut zéro pour toutes les entreprises. L’estimation
de ce modèle probit bivarié permet d’obtenir les valeurs ajustées de l’ins-
trument d’innovation (P(I_ˆtech), P(I_ˆNtech) et P(I_tech);ˆI_Ntech)) qui
seront introduites dans l’équation (3) de la performance pour contrôler
l’endogénéité.
Étape 2 : Nous modélisons ici l’effet de l’adoption d’innovation sur la
performance approximée par la productivité en termes de valeur ajoutée.
Après avoir exploré plusieurs formes fonctionnelles, nous présentons la
plus robuste.
164 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

(3)
Avec cette spécification, l’approche la plus simple pour examiner
l’effet de l’adoption d’innovations sur la productivité des PMME serait
d’inclure dans l’équation de la productivité des variables muettes égales
à 1 si la PMME a adopté une innovation, puis d’appliquer les moindres
carrés ordinaires (MCO). Toutefois, cette approche pourrait donner des
estimations biaisées parce qu’elle suppose que l’activité d’innovation est
déterminée d’une manière exogène, alors qu’elle est potentiellement
endogène. L’adoption ou non d’une innovation est volontaire et peut être
fondée sur l’esprit d’entrepreneuriat de l’entrepreneur/dirigeant. Les
entrepreneurs qui ont adopté au moins une innovation peuvent posséder
des caractéristiques systématiquement différentes de celles des entrepre-
neurs qui n’ont adopté aucune innovation. Ils peuvent l’avoir fait en
fonction des gains escomptés ou de leur capacité entrepreneuriale. Ainsi,
les caractéristiques non observées des entrepreneurs, de leur PMME et
de leur capacité managériale peuvent influer à la fois sur la décision
d’adoption d’innovations et sur la productivité des PMME, d’où des
estimations biaisées de l’effet de l’adoption d’innovations sur la produc-
tivité des PMME.
Nous tenons compte de l’endogénéité de l’adoption d’innovations en
estimant un modèle d’équations simultanées de cette adoption et de la
productivité des PMME avec commutation d’endogène. Pour que le
modèle soit identifié, il est important d’utiliser comme instrument de
sélection les valeurs ajustées de l’adoption d’innovation générées automa-
tiquement par la non-linéarité du modèle d’adoption d’innovation (équa-
tion 1). Ainsi, on estime l’équation de la productivité approximée par la
valeur ajoutée par les doubles moindres carrés (DMC). En présence des
variables instrumentales, cette méthode d’estimation est plus explicite et
donne des estimateurs efficaces (Di Falco et al., 2011 ; Khanal et al., 2018).

2.3 Mesure des variables

Au sens large du thème, l’innovation en tant qu’introduction de nouveaux


produits, procédés, processus organisationnels et commerciaux, de nou-
velles idées sur le marché ainsi que de l’invention de nouvelles idées
constituent « l’ingrédient essentiel » de la performance des entreprises.
Ces innovations dans les pays en développement sont des améliorations
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 165

marginales des produits et procédés, une adoption significative des tech-


nologies ou imitations de la nouveauté étrangère. Selon (Mabah et al.,
2013), l’adoption d’innovations fait référence à la décision de mettre en
œuvre des propositions techniques nouvelles dans des systèmes de pro-
duction existants et d’améliorer progressivement leur utilisation.
L’innovation technologique est une variable binaire qui vaut 1 unité si la
PMME a mis sur le marché un nouveau produit, un nouveau processus
de production ou sensiblement amélioré, et 0 sinon. Alors que l’innovation
non technologique est une variable binaire qui prend la valeur 1 si la
PMME a adopté de nouvelles méthodes d’organisation, de commerciali-
sation, ou s’est sensiblement améliorée, et 0 sinon.
L’auto-efficacité entrepreneuriale est approximée par la capacité
managériale de l’entrepreneur qui mesure l’aptitude de ce dernier à poser
des actes de gestion permettant aux PMME d’assurer leur croissance et
leur pérennité. Ces capacités sont observées en gestion des ressources
humaines, gestion des procédures au sein de l’entreprise, gestion finan-
cière et gestion de l’environnement de l’entreprise. Les capacités en gestion
des ressources humaines intègrent le système de recrutement, les critères
de promotion, l’implication du personnel, la délégation des pouvoirs et
l’octroi des gratifications. La gestion financière et de la performance sont
captées par l’existence d’un business plan et d’un tableau de bord ou des
outils de contrôle de gestion. La capacité en gestion de l’environnement
de l’entreprise et des employés est mesurée par les actions mises en œuvre
pour améliorer l’image de marque de l’entreprise et le fait que les employés
expriment leurs préoccupations au manager.
La performance des PMME est liée au rapport valeur-coût que les
dirigeants cherchent à optimiser. Pour la plupart des chercheurs (Neely
et al., 2005), une PMME est performante lorsqu’elle est innovante et
pérenne, qu’elle défie ses concurrents et crée de la valeur. Ces auteurs
mesurent la performance par des indicateurs financiers (chiffre d’affaires,
marge brute, excédent brut d’exploitation), les indicateurs internes (pro-
ductivité, efficacité) et des indicateurs externes (part de marché).
Contrairement à ces derniers, Lee et al. (2016) suggèrent d’utiliser les
mesures subjectives plutôt qu’objectives du rendement de l’entrepreneur
portant, entre autres, sur la croissance des ventes, la rentabilité, le rende-
ment des investissements, les flux de trésorerie, le bénéfice net, la part de
marché et le rendement global. Pour la présente étude, la performance de
166 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

l’entreprise est opérationnalisée par la valeur ajoutée (VA). Cette mesure


intègre au moins l’un des trois volets suivants : la quantité et l’assortiment
des produits vendus, les prix de vente des biens vendus et les coûts d’acqui-
sition des biens vendus. Chacun de ces volets peut être affecté par le profil
managérial, la capacité managériale de l’entrepreneur et la capacité
d’innovation des entreprises.

3. Résultats et discussion

Cette section résume les résultats, incluant l’analyse des facteurs explica-
tifs des activités entrepreneuriales et l’analyse de la performance des
PMME.

3.1 Analyse statistique variable

Le tableau 7.2 présente quelques résultats descriptifs des entreprises par


pays. Dans l’ensemble, les activités entrepreneuriales varient en fonction
du pays. En moyenne, une entreprise sur deux adopte une innovation
technologique. Ce ratio est quasiment le même pour les entreprises qui
introduisent une innovation non technologique. Suivant la logique entre-
preneuriale, quel que soit le pays, les entreprises du Cameroun sont plus
susceptibles que celles du Sénégal et de la Côte d’Ivoire d’avoir introduit
de nouvelles activités entrepreneuriales en termes d’innovation techno-
logique (55 %) et non technologique (62 %).

3.2 A
 nalyse des facteurs explicatifs de l’activité entrepreneuriale des
PMME

Cette section analyse les facteurs explicatifs des innovations technolo-


giques et non technologiques. Selon les résultats du tableau 7.3, les
variables liées au profil de l’entrepreneur, à la capacité de l’entrepreneur
et à l’environnement socioéconomique des PMME influencent la capa-
cité d’adoption d’innovation. L’âge des entrepreneurs est prépondérant
à l’innovation en générale et particulièrement à l’innovation technolo-
gique. La tranche d’âge des 22 à 31 ans est plus susceptible d’innover,
car elle influence significativement la propension d’innovation techno-
logique. Ce qui laisse croire que les jeunes en âge de travailler sont plus
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 167

actifs dans l’entrepreneuriat et sont plus incités à innover par rapport


aux personnes âgées. En plus, le fait pour un entrepreneur d’avoir suivi
une formation technique avant la création de son entreprise lui permet
d’être plus prompt à s’engager dans des activités d’innovation. Cette
variable influence significativement la probabilité d’adoption d’innova-
tion technologique au Sénégal au seuil de 1 %. Ce résultat reflète celui
de Lee et al. (2016) montrant une relation positive entre le capital humain
des restaurateurs et la capacité d’innovation de leur petite entreprise.
Cette forte significativité statistique laisse croire que la formation tech-
nique prédispose les entrepreneurs aux initiatives liées à l’innovation.
Pour les PMME, la stratégie d’innovation entrepreneuriale est le reflet
des caractéristiques du propriétaire/dirigeant qui est généralement le
seul preneur de décision au sein de la PMME. Certes, la stratégie entre-
preneuriale est adaptée à la structure des PMME, mais la dynamique
entrepreneuriale résulte du processus de prise de décision en fonction
des initiatives du dirigeant/propriétaire des PMME. En plus, les variables
liées à l’environnement socioéconomique influencent significativement
la propension d’adoption d’innovation. La coopération entre les entre-
prises, l’impulsion par la demande ainsi que la bonne perception de
l’environnement des affaires sont en relation positive avec l’engagement
des PMME dans les activités innovantes ou entrepreneuriales.
L’auto-efficacité entrepreneuriale approximée par la capacité mana-
gériale est positivement liée à l’adoption d’innovations entrepreneuriales
des PMME. La création de nouvelles activités au sein des petites entre-
prises peut considérablement transformer la firme grâce à une variété
d’initiatives entrepreneuriales liées à la capacité de gérer des ressources
humaines, les finances et l’environnement de l’entreprise. La forte signi-
ficativité statistique de la capacité en gestion des ressources humaines au
seuil de 5 % pour les innovations technologiques et la significativité de la
capacité de gestion financière pour la propension d’innovations techno-
logiques et non technologiques au seuil de 1 % pour les PMME exerçant
au Sénégal s’expliquent par le fait que la capacité managériale permet
d’examiner les interactions dynamiques entre les choix des employés pour
les activités à faire et l’environnement dans lequel ils évoluent. Ce résultat
rejoint celui de Bandura et Locke (2003) montrant l’importance de l’auto-
efficacité entrepreneuriale dans le management des interactions dyna-
miques entre les individus et l’environnement socioéconomique. La
168 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 7. 2
Statistiques descriptives des variables explicatives

Côte
Cameroun Sénégal Ensemble
Variables Désignation d’Ivoire
Moyenne Moyenne Moyenne Moyenne
Valeur ajoutée VA 99624,17 2,89e+08 6461155 1,91e+08
(1086392) (3,34e+09) (1,10e+07) (2,71e+09)
Capital CPT 73727,16 7,4e+08 2898171 3,21e+08
(546611,6) (1,03e+10) 2,90e+07 (6,81e+09)
Travail TRL 11,304 13,114 0,323 9,8393
(74,766) (97,499) (3,555) (76,824)
Innovation I_tech 0,5497 0,43142 0,43703 0,47033
technologique (0,4980) (0,49562) (0,4966) (0,49927)
Innovation non I_Ntech 0,6237 0,40714 0,52345 0,50494
technologique (0,4849) (0,49165) (0,5000) (0,50013)
0,6530 0,8928 0,7209 0,77379
Genre Sexe masculin
(0,47647) (0,30951) (0,4490) (0,41850)
0,0058 0,01428 0,0469 0,0197
[15 – 21]
(0,07632) (0,1187) (0,21171) (0,13927)
0,36257 0,2000 0,3506 0,28924
[22 – 31]
Âge de (0,48121) (0,4002) (0,4777) (0,45355)
l’entrepreneur 0,4463 0,5157 0,5604 0,50494
[32 – 55]
(0,4976) (0,5001) (0,4969) (0,50013)
0,18518 0,2700 0,0419 0,18603
56 ans et plus
(0,3888) (0,44427) (0,2008) (0,38925)
Statut 1 = marié 0,6939 0,7971 0,6148 0,71878
matrimonial 2 = célibataire (0,46129) (0,4024) (0,4872) (0,44973)
Formation 1 = oui 0,50877 0,5900 0,3802 0,5117
technique 0 = non (0,50041) (0,49218) (0,4860) (0,50001)
0,20273 0,51714 0,70617 0,46477
Primaire
(0,4024) (0,5000) (0,45607) (0,49891)
0,51851 0,2085 0,1802 0,2997
Niveau d’études Secondaire
(0,5001) (0,4065) (0,3848) (0,45829)
0,2280 0,2671 0,1136 0,2163
Supérieur
(0,4199) (0,4427) (0,3177) (0,4118)
Utilisation de 1 = oui 0,1384 0,2057 0,04444 0,1440
l’Internet pour 0 = non (0,34565) (0,40451) (0,20633) (0,3512)
les affaires
0,8109 0,5157 0,60494 0,6316
Capital social ksocial
(0,3919) (0,5001) (0,48947) (0,48250)
Impulsion par la Demand pul 0,6569 … 0,09629 0,2323
demande (0,4752) (0,2953) (0,42248)
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 169

TA B L E AU 7. 2 (suite)

Coopération Coop 0,32163 0,16142 0,09136 0,1946


interentreprise (0,46756) (0,36818) (0,28847) (0,39608)

Capacité en 0,5251 0,6400 0,5614 0,5839


gestion des (0,26311) (0,3029) (0,2802) (0,2894)
ressources
humaines
Capacité
Capacité en 0,2768 0,1093 0,2061 0,1866
managériale de
gestion (0,3223) (0,2067) (0,2772) (0,2753)
l’entrepreneur
financière

Capacité en 0,4727 0,5046 0,5746 0,5120


gestion de (0,2968) (0,2961) (0,2778) (0,29426)
l’environnement

Environnement 1 = bonne 0,7387 … 0,8437 0,8780


des affaires 0 = mauvais (0,4397) (0,3636) (0,32727)

capacité de gestion de l’environnement socioéconomique est statistique-


ment pertinente pour la probabilité de s’engager dans les activités entre-
preneuriales pour tous les pays. Cette forte significativité positive
s’explique par le fait que les propriétaires-dirigeants qui font une veille
concurrentielle, qui sont à l’écoute des consommateurs ou des clients
potentiels sont plus disposés à s’engager dans des activités entrepreneu-
riales ou des activités d’innovation.
En impliquant le processus cognitif, motivationnel et affectif de cet
entrepreneur dirigeant dans sa décision de s’engager dans les activités
d’innovation, on peut conclure que l’activité d’innovation est liée au profil
de l’entrepreneur. Ce résultat rejoint celui de Randerson et al. (2011) mon-
trant que l’efficacité entrepreneuriale est liée à la croyance (façon de
penser, d’agir, de percevoir et la maîtrise des défis) que l’entrepreneur a
de sa capacité à réussir des tâches spécifiques, à relever des défis et à
introduire de nouveaux produits sur le marché. La forte corrélation posi-
tive entre la capacité d’innovation technologique et non technologique
montre une présomption de complémentarité entre ces deux types d’acti-
vités entrepreneuriales.
TA B L E AU 7. 3
Résultat d’estimation du modèle probit bivarié

Cameroun Sénégal Côte d’Ivoire Ensemble


Variables Désignation Coef Coef Coef Coef Coef Coef Coef Coef
I_tech I_Ntech I_tech I_Ntech I_tech I_Ntech I_tech I_Ntech
-0,0983 0,1075 -0,0375 -0,1844 -0,2722* -0,0519 -0,1263 -0,0605
Genre Sexe masculin
(0,1588) (0,1451) (0,1654) (0,1668) (0,1568) (0,1525) (0,0886) (0,0877)
0,4395 0,0263 0,4603 0,1616 0,4411* 0,0162
[22 – 31 ans] …0, …
(0,4933) (0,4889) (0,3449) (0,3304) (0,2626) (0,2514)

Âge de -0,1378 0,1622 0,6133 0,0778 0,0906 0,0619 0,3762 0,1195


[32 – 55 ans]
l’entrepreneur (0,1597) (0,14764) (0,4898) (0,4858) (0,3429) (0,3285) (0,2626) (0,2503)

0,0723 0,2748 0,4409 -0,1134 -0,1884 -0,0368 0,2920 0,0386


Plus de 55 ans
(0,2161) (0,2005) (0,4961) (0,4925) (0,4825) (0,4608) (0,2722) (0,2613)

0,1347 -0,391*** -0,1853 -0,0906 0,1157 -0,1397 -0,0631 -0,234***


Statut matrimonial Marié
(0,1570) (0,1496) (0,1434) (0,1470) (0,1477) (0,1419) (0,08364 (0,0828)

0,1283 -0,1121 0,3040*** -0,0969 -0,0943 0,1508 0,1346* -0,0317


Formation Technique
(0,1453) (0,1354) (0,1114) (0,1150) (0,1484) (0,1458) (0,0735) (0,0737)

-0,1423 -0,2597 -0,3307** 0,2457** -0,0295 -0,0265 -0,1608* 0,0281


Secondaire
(0,1790) (0,1631) (0,1466) (0,1442) (0,1789) (0,1751) (0,0898) (0,088)
Niveau d’études
0,0239 0,08114 -0,1486 0,1850 0,0770 0,1931 0,0055 0,2439**
Supérieur
(0,2249) (0,2099) (0,1505) (0,1527) (0,2478) (0,2450) (0,1042) (0,1038)
Utilisation de -0,0117 0,3737 -0,424*** -0,471*** -0,0131 -0,0698 -0,2500 -0,414***
Internet
l’Internet (0,2312) (0,2419) (0,1431) (0,1476) (0,3463) (0,3458) (0,1103) (0,1137)
0,2388 0,4278** -0,1804* 0,0256 0,1735 0,4636*** -0,0039 0,2387***
170 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Capital social ksocial


(0,1819) (0,1710) (0,1077) (0,1103) (0,1407) (0,1362) (0,0749) (0,0747)
TA B L E AU 7. 3 (suite)

Impulsion de la 20,244*** 10,417*** -0,1128 0,0446 10,353*** 0,8514***


Demand pull … …
demande (0,1695) (0,1422) (0,2238) (0,2155) (0,1270) (0,1194)

0,3373** 0,6566*** 0,4864*** 0,7645*** 0,4522* 0,4816** 0,4159*** 0,6437***


Coopération Coop
(0,1551) (0,1530) (0,1604) (0,1694) (0,2425) (0,2423) (0,0978) (0,1010)

0,3331 0,3628 0,2393 0,4341** 0,3715 0,2957 0,1616 0,3116**


Gestion RH
(0,3568) (0,3284) (0,2156) (0,2239) (0,2821) (0,2733) (0,1502) (0,1503)
Efficacité
-0,0325 -0,2306 0,6024** 0,7859*** 0,4177 0,0952 0,2106 0,0797
personnelle de Gestion financière
(0,2503) (0,2369) (0,2717) (0,2804) (0,2617) (0,2615) (0,14563) (0,1456)
l’entrepreneur
Gestion de 0,6428** 0,4710* 1,390*** 1,182*** 1,430*** 0,7243*** 1,341*** 0,9752***
l’environnement (0,2991) (0,2792) (0,2218) (0,2260) (0,2784) (0,2641) (0,1449) (0,1432)

Environnement -0,0427 0,1111 0,5905*** 0,3813** 0,1070 0,1391


Env … …
d’affaires (0,1625) (0,1511) (0,2054) (0,1895) (0,1217) (0,1188)
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d

-0,384*** -0,2269*
Cameroun
(0,1340) (0,1254)
Dummy pays
0,15699* -0,283***
Sénégal
(0,0971) (0,0970)
-2,13*** -1,32*** -0,7729 -0,3494 -1,962** -1,093 -1,137 -0,1916
Constante
(0,3103) (0,2744) (0,5894) (0,5891) (0,8021) (0,7898) (0,3769) (0,3697)
0,6613*** 0,5360*** 0,6920*** 0,6124***
rho
(0,0654) (0,0545) (0,0547) (0,0330)
LR test rho = 0 58,2256*** 61,2632*** 82,374*** 213,041***
Wald chi2 281,16 263,72 86,35 533,77
Prob> chi2 0,0000 0,0000 0,0000 0,0000
Number of obs 513 700 402 1550
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 17 1

Note : Les écarts-types sont entre parenthèses ; *** p <0,01, ** p <0,05, * p <0,1 ; I_Ntech = innovation non technologique ; I_tech = innovation technologique.
172 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

3.3 Analyse de la performance des PMME

En approximant la performance économique des PMME par la produc-


tivité comme l’indique la littérature récente (Taveira et al., 2019), les
résultats d’estimation sont présentés dans le tableau 7.4. Dans cette
régression, nous introduisons les valeurs ajustées d’instrument d’inno-
vation obtenues à partir du modèle probit bivarié, dont les résultats sont
présents dans le tableau 7.3. Dans cette équation, il a été démontré que
les éléments de la capacité managériale ont un effet indirect sur la per-
formance des PMME à travers les activités entrepreneuriales. Ceci
justifie l’absence de ces éléments (capacité en gestion des ressources
humaines, en gestion de l’environnement et en gestion financière) et
certaines variables liées à l’environnement socioéconomique (impulsion
par la demande, coopération interentreprise et l’usage de l’Internet)
dans l’équation de la performance. Suivant les résultats du tableau 7.4,
l’innovation technologique et l’innovation non technologique ont des
effets différenciés plus ou moins significatifs sur la productivité des
entreprises selon le pays.
L’innovation technologique [P (I_tech)] contribue significativement
à une productivité élevée pour l’ensemble des entreprises. Ainsi, l’intro-
duction de produits et procédés nouveaux ou sensiblement améliorés
conduit à une amélioration de la productivité des PMME. Cette variable
est toutefois non significative dans les autres pays. En outre, l’innovation
non technologique [P (I_Ntech)] influence positivement la productivité
des entreprises du Sénégal. Cette influence statistiquement significative
au seuil de 1 % laisse suggérer que les changements organisationnels
et commerciaux au sein de l’entreprise contribuent à l’augmentation
de la productivité. Ces changements instaurés dans le fonctionnement
font apparaître une amélioration « patente » au regard de la réduction
des coûts et de l’amélioration de la qualité de production et, par consé-
quent, les gains de productivité. Ce résultat corrobore ceux d’Antonioli
et al. (2013) et Aboal et Tacsir (2017) montrant l’influence positive des
innovations non technologiques sur la productivité des entreprises de
services.
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 173

On observe aussi dans le tableau 7.4 que la combinaison d’innovation


technologique et innovation non technologique [P (I_tech ; I_Ntech)]
contribue positivement à la productivité totale. Au Cameroun, l’innova-
tion technologique n’a pas d’effet positif sur la productivité lorsqu’elle est
réalisée isolément, comme c’est le cas lorsqu’elle est combinée avec une
innovation non technologique. Ce résultat est cohérent avec l’idée théo-
rique de complémentarités possibles entre l’innovation technologique et
l’innovation non technologique. Ainsi, l’innovation technologique favo-
rise mieux la productivité de l’entreprise lorsqu’elle est accompagnée par
l’innovation non technologique. Par exemple, l’introduction de nouveaux
produits et l’intégration de nouveaux modèles de production contribuent
mieux à la productivité lorsque l’entreprise réunit l’ensemble des processus
en élargissant son initiative à l’organisation et à la commercialisation. Ce
résultat rejoint celui de Brouillette (2014) montrant un effet de complé-
mentarité entre les innovations technologiques et non technologiques sur
la productivité des entreprises.
Enfin, certaines variables (âge, genre et statut matrimonial) ont des
effets contraires, ayant tendance à agir favorablement dans l’améliora-
tion de la performance, ce qui n’est pas le cas pour la motivation de
l’adoption d’innovations. En outre, l’effet non significatif de la variable
« travail » pour les PMME du Cameroun est lié à la faible qualification
des promoteurs/dirigeants de ces structures qui sont en majorité des
entreprises individuelles. De même, la non-significativité de la variable
« capital » pour les PMME du Sénégal serait liée à la faiblesse du capital
d’investissement de ces structures qui se financent généralement par les
fonds propres, les transferts, les aides familiales et les tontines. Le cas
de la Côte d’Ivoire avec plusieurs variables non significatives est très
atypique puisque l’enquête s’était réalisée au lendemain d’une décennie
de crise. Ce qui s’observe au niveau de la constante qui a un effet négatif
et significatif sur la productivité des PMME en Côte d’Ivoire. Ce résultat
négatif s’explique par le fait que certaines variables (exemple : conflit)
expliquant la performance des PMME n’ont pas été prises en compte
par le modèle.
174 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 7.4
Résultats d’estimation de la performance des PMME
Cameroun Sénégal Côte d’Ivoire Ensemble
Variables Désignation
Coef Coef Coef Coef
Innovation -3,49 1,53 3,626 2,33**
[P (I_tech)]
technologique (1,036) (1,90) (14,51) (10,82)
Innovation non -2,945 4,73*** 4,687 3,84***
P (I_Ntech)]
technologique (16,573) (18,696) (9,072) (8,945)
Innovation
technologique et [P (I_tech ; 4,574* -0,1258 0,2452 5,286***
Innovation non I_Ntech)] (2,818) (2,260) (0,9849) (1,126)
technologique
0,3151 0,9307*** 1,254*** 0,9882***
Travail
(0,3787) (0,3125) (0,3761) (0,2121)
Facteur standard
0,5159*** 0,0613 0,5383*** 0,1119***
Capital
(0,0964) (0,0395) (0,0454) (0,0287)
0,2288 0,9358 -0,3715 0,8511**
Genre Sexe
(0,5972) (0,8722) (0,3263) (0,3983)
-0,6807 -1,534 0,1134 -1,123
[22 – 31]
(3,333) (2,352) (0,7254) (1,137)
Âge de -0,8838 -3,015 0,1600 -1,520
[32- 55]
l’entrepreneur (3,325) (2,359) (0,7070) (1,131)
Plus de -1,089 -2,103 0,4727 -0,9884
55 ans (3,361) (2,368) (0,9840) (1,166)
0,3122 20,443*** -0,0071 1,078***
Statut matrimonial Marié
(0,7178) (0,8003) (0,3443) (0,3907)
Formation -0,4940 1,140* -0,0992 0,4352
Formation
technique (0,6089) (0,5887) (0,3184) (0,3249)
-1,072 -0,6343 0,3300 -0,5269
Secondaire
(0,7304) (0,7632) (0,3918) (0,4111)
Niveau d’instruction
-0,2788 0,3785 1,177** 0,4397
Supérieur
(0,8829) (0,8841) (0,5976) (0,5105)
Environnement des -0,4121 -0,0623 0,1725
Env …
affaires (0,6421) (0,3970) (0,5204)
6,801***
Cameroun
(0,5664)
Dummy pays
15,99***
Sénégal
(0,5685)
1,740 1 -6,597** -14,85***
Constante
(7,236) ,764) (3,080) (3,014)
Fisher 9,20 5058 26,84 133,99
Prob> F 0,0000 0,0000 0,0000 0,0000
R-squared 0,2291 0,0609 0,4944 0,5708
Adj R-squared 0,2042 0,0431 0,4761 0,5663
Number of obs 448 700 402 1,550

Note : Les écarts-types sont entre parenthèses, *** p <0,01, ** p <0,05, * p <0,1 ; P (I_tech) probabilités
prédites d’innovation technologique ; P (I_ntech) probabilités prédites d’innovation non techno-
logique ; P (I_tech et I_ntech) probabilités prédites d’innovation technologique et non
technologique.
A d op t ion d’i n novat ion, e spr i t d
­ ’e n t r e pr e n eu r i at et Pm m e • 175

Conclusion
Ce chapitre met en relief l’effet des attributs de l’esprit d’entrepreneuriat
sur l’adoption d’innovations et comment cette dernière influence la per-
formance des PMME dans trois pays en développement (Cameroun,
Sénégal et Côte d’Ivoire). Nous avons utilisé une méthodologie constituée
de deux blocs d’équations à structure récurrente. Le premier bloc, estimé
par la méthode du probit bivarié, a permis non seulement d’obtenir les
valeurs ajustées des deux types d’innovation, mais aussi de déterminer la
corrélation existante entre elles. Ensuite, par instrumentalisation des
variables explicatives de l’innovation, nous avons introduit les valeurs
ajustées des deux types d’innovations dans l’équation de la performance.
Cette dernière, approximée par la valeur ajoutée (VA), est estimée par la
méthode des doubles moindres carrés en fonction du pays. On y trouve
les résultats qui suivent.
L’esprit d’entrepreneuriat approximé par la capacité managériale de
l’entrepreneur est en relation positive avec l’adoption d’innovations. Cette
capacité managériale a une relation indirecte avec la performance des
PMME qui est entièrement portée par les activités d’innovation. Observée
en termes de gestion des ressources humaines, de gestion financière et de
gestion de l’environnement de l’entreprise, la capacité managériale de
l’entrepreneur a un effet statistiquement significatif sur les activités entre-
preneuriales en termes d’adoption d’innovations technologiques et non
technologiques. En plus, le profil de l’entrepreneur en termes de formation
technique, âge et statut matrimonial influe de manière marquée sur la
performance. En outre, l’engagement dans les activités entrepreneuriales
représentées par les innovations technologiques et les innovations non
technologiques concourt significativement à l’amélioration des gains de
productivité des PMME. Mais les activités entrepreneuriales technolo-
giques contribuent mieux à l’amélioration de gains de productivité
lorsqu’elles sont accompagnées par les activités entrepreneuriales non
technologiques.
Les politiques d’innovation et d’entrepreneuriat doivent être soute-
nues et fermement ancrées dans la société. L’entrepreneuriat étant un
levier de la croissance économique, le gouvernement gagnerait à déve-
lopper une culture entrepreneuriale qui intègre l’entrepreneuriat dans le
système éducatif, en encourageant la prise de risque dans les entreprises
en démarrage, par des campagnes nationales intéressant le public à l’entre-
176 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

preneuriat. En plus, en articulant une réflexion autour des enjeux straté-


giques et en prenant en compte l’environnement socioéconomique, les
économies en développement gagneraient à promouvoir et renforcer les
capacités entrepreneuriales des PMME.

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PARTIE III

formation et éducation à
l’entrepreneuriat : analyses et
études de cas
chapitre 8

L’intégration graduelle
de l’entrepreneuriat dans l’université
marocaine
Sara Yassine et Nour Eddine Jallal

La population des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur au Maroc


semble la plus touchée par le chômage, avec un taux de 24 %, contre 15 %
pour les diplômés de niveau moyen1. Aussi, le chômage est de plus en plus
présent chez les diplômés des grandes écoles et instituts à accès limité et
dont l’insertion dans le marché du travail est censée être plus facile par
rapport aux établissements à accès ouvert2.
En substance, cette situation peut s’expliquer par deux principaux
facteurs. Le premier est la non-adaptation des formations données dans
les universités aux besoins du marché du travail. Le deuxième facteur est
la faible densité des entreprises du tissu économique marocain qui limite
le potentiel du marché de l’emploi à absorber les nouveaux diplômés, dont
le nombre ne cesse d’augmenter.
D’ores et déjà, le constat nous invite à chercher de nouvelles solutions
pour relever ce défi. L’entrepreneuriat se présente comme un outil straté-
gique, parmi d’autres, pour agir sur ce déséquilibre et permettre aux
jeunes diplômés de créer leur propre emploi et s’insérer dans la vie active.
Il va sans dire que la création d’entreprise est une source de création de

1. Haut-Commissariat au Plan pour le troisième trimestre 2018.


2. Les facultés des Sciences Juridiques, Économiques et Sociales, les facultés des
Sciences, les facultés des Lettres
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 181

valeur, d’emploi et d’innovation. C’est le moteur même de la croissance


économique.
C’est dans ce sens que l’université, comme composante du système
éducatif, peut jouer un rôle déterminant dans la promotion et le dévelop-
pement des compétences entrepreneuriales, sans prétendre, évidemment,
faire de tous les diplômés de l’enseignement supérieur des entrepreneurs.
Ainsi, l’objectif de ce travail est de proposer une analyse de la relation
entre l’université et l’entrepreneuriat au Maroc. Il s’agit de présenter une
ébauche de l’état de l’intégration graduelle de l’entrepreneuriat et de son
enseignement au sein de l’université marocaine.
Il est question, in fine, d’effectuer un diagnostic de cette relation entre
l’université et l’apprentissage de l’entrepreneuriat. Dans ce sens, ce dia-
gnostic résultera de la combinatoire entre des analyses documentaires et
qualitatives et sera présenté en deux sections.
La première section dresse un aperçu général de l’évolution de l’ensei-
gnement supérieur. Ainsi, elle présente ses composantes, ses spécificités
et sa contribution au développement du pays. À cet effet, elle mettra en
évidence les principales réformes et orientations stratégiques qui ont
marqué l’enseignement supérieur au Maroc et qui ont permis l’intégration
graduelle de l’entrepreneuriat et de son enseignement dans le système
universitaire national.
Dans la seconde section, il est question de recenser les principaux
programmes de formation dispensés dans le contexte universitaire. Elle
tentera de cerner leur niveau d’intervention dans le processus entrepre-
neurial, les méthodologies adoptées, et d’identifier les bénéficiaires. En
somme, ce chapitre présente une étude à portée descriptive de l’enseigne-
ment de l’entrepreneuriat dans l’université marocaine.

1. Construction de la relation entre l’université et l’entrepreneuriat

1.1 Une relation inexistante entre l’université et l’entrepreneuriat

L’enseignement a, depuis longtemps, constitué une préoccupation majeure


au Maroc à travers plusieurs réflexions sans cesse renouvelées. Le dispo-
sitif universitaire marocain est passé, depuis des lustres, par plusieurs
phases, depuis la création de la première université au monde Al
Quaraouiyine (Vermeren, 2007 : 21) jusqu’à aujourd’hui, où la numérisa-
tion semble devenir un impératif stratégique à la fois pour améliorer la
182 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

qualité des apprentissages et rattraper le retard enregistré en matière


d’introduction des technologies de l’information et de la communication
(TIC) à l’université3.
Le constat est sans appel, les réformes se succèdent, mais le nombre
des étudiants de l’enseignement supérieur ne cesse d’augmenter. Ainsi,
en 2018-2019, le nombre des nouveaux inscrits a atteint 864 287 contre
745 441 en 2017-20184, soit une augmentation de 13,75 %.
La répartition des étudiants de l’enseignement supérieur fait ressortir
un déséquilibre entre l’enseignement élitiste des établissements à accès
régulé5 et des établissements à accès ouvert. En effet, les établissements
élitistes n’accueillent que 9 % des effectifs estudiantins totaux et l’ensei-
gnement de masse des Facultés des lettres, de droit et des sciences qui en
accueillent plus de 89 %.
De même, ce déséquilibre entre les différents établissements d’ensei-
gnement supérieur est dû à la faiblesse des dotations budgétaires qui ont
eu un impact direct sur les conditions de travail dans ces établissements
et sur la qualité de l’enseignement. Ces derniers sont marqués par l’encom-
brement, la faiblesse des taux d’encadrement, le maigre rendement, le
nombre de déperditions des effectifs d’étudiants élevé, le peu de capacité
de former les étudiants dans les durées de formation prévues et la pro-
duction de diplômés chômeurs.
Par ailleurs, ce manque d’allocation budgétaire a eu une incidence
négative sur la recherche scientifique. De plus, cette dernière souffre de
plusieurs dysfonctionnements, notamment la prédominance de la
recherche fondamentale, le nombre limité des équipes de recherche, la
faiblesse des publications, etc. En d’autres termes, la recherche scientifique
a été longtemps considérée, par plusieurs acteurs, comme hors de portée
de l’université (Skouri, 2012).
D’ailleurs, l’université a longtemps fonctionné comme une entité
cloisonnée et fermée par rapport à son environnement. La relation uni-
versité-entreprise a enregistré une défaillance en matière de communi-
cation et d’organisation, à l’exception des écoles d’ingénieurs et des écoles

3. www.leseco.ma/economie/76094-enseignement-une-politique-de-digitalisation-s-
impose.html (Consulté le 23/08/2019.)
4. Ministère de l’Éducation Nationale, de la Formation Professionnelle de l’Ensei-
gnement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Direction des Stratégies et de l’Infor-
mation. 2019.
5. Les grandes écoles.
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 183

de commerce qui réussissaient à tisser des liens durables avec les


entreprises.
Au total, les différentes entraves rencontrées par l’université témoignent
de l’essoufflement du modèle d’organisation de l’université marocaine.
Elle est devenue « génératrice de chômeurs ».

1.2 Une relation en construction entre l’université et son environnement


entrepreneurial

La remise en cause du rôle et de la place de l’université s’est avérée néces-


saire pour une meilleure insertion de cette dernière dans son environne-
ment. Dans ce sens, le Maroc a entamé une série de réformes pour adapter
l’enseignement supérieur aux exigences actuelles.

Structuration de l’enseignement supérieur 2000-2009

L’année 2000 a enregistré un vrai tournant dans l’histoire de l’enseigne-


ment supérieur par l’adoption de la Charte Nationale d’Éducation et de
Formation (CNEF) élaborée par la Commission Spéciale Éducation-
Formation (COSEF) en collaboration avec des experts nationaux sur la
base d’un diagnostic du système éducatif marocain. La CNEF a proposé
une vision novatrice de l’enseignement à travers une série de changements
et d’actions touchant l’ensemble des aspects du système de l’éducation et
de la formation au Maroc.
Dès lors, un arsenal de lois6 a été adopté pour donner un nouveau
souffle au système de formation et d’éducation supérieur au Maroc. Les
orientations de la réforme ont touché le système éducatif dans son
ensemble. Elles ont concerné l’organisation pédagogique, la qualité de
l’offre de formation, les ressources humaines, la gouvernance, le partena-
riat et le financement (Skouri, 2012).
Les orientations stratégiques de la CNEF ont défini les principes
fondamentaux de liaison entre l’enseignement supérieur et son environ-
nement socioéconomique, le développement de l’esprit d’initiative, la
créativité, l’innovation et la création d’entreprise. Conscient du rôle que
peuvent jouer les instances universitaires et professionnelles pour atteindre
les objectifs stratégiques fixés par la CNEF, le Ministère de l’Éducation

6. Il s’agit notamment du Dahir n° 1-00-1999 du 19/05/2000.


184 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Nationale, de l’Enseignement Supérieur, de la Formation de Cadres et de


la Recherche Scientifique (MNESFCRS) a tenté de les impliquer pour
apporter des solutions au contexte défavorable qui règne dans le milieu
universitaire public marocain.

Plan d’urgence (PU) 2009-2012

À partir de 1999, la COSEF a été constituée afin d’élaborer un projet de


réforme de l’école marocaine. Les travaux de ladite commission sont
parvenus à l’adoption de la CNEF par consensus général7. Le lancement
de la réforme en 2000 avait comme objectif la mise en œuvre des orien-
tations de la charte dans une durée de 10 ans. Nonobstant, la réalisation
des objectifs fixés par la charte a connu des entraves malgré les efforts
déployés.
Face à ses réalisations nuancées de la réforme, le Roi Mohammed VI
a fait part dans son discours prononcé à l’occasion de la session parlemen-
taire à l’automne 2007 de ses directives pour l’élaboration du PU.
Dès lors, le MNESFCRS a élaboré une feuille de route du PU NAJAH
2009-2012, qui a arrêté les directives d’activation de la mise en œuvre de
la réforme telle que préconisée par la CNEF. Le PU a été considéré comme
« une bouée de sauvetage » de la réforme. Il visait à donner un nouveau
souffle aux orientations de la CNEF. Il se veut, ainsi, un programme
d’accélération des réformes éducatives.
Les directives du PU sont le prolongement du 1er rapport (2008) du
Conseil Supérieur de l’Enseignement Supérieur. Dans ce cadre, 23 projets
ont été arrêtés afin d’accélérer la mise en place de la réforme comportant
quatre champs d’action, à savoir : rendre la scolarité obligatoire jusqu’à
l’âge de 15 ans ; stimuler l’initiative et l’excellence au lycée et à l’université ;
aborder les problématiques transversales du système ; et se donner les
moyens pour réussir.
Nonobstant, le PU est venu pour « réformer la réforme » ; ce plan a
mobilisé des sommes d’argent importantes pour l’université marocaine,
ayant trop longtemps souffert d’une carence de moyens financiers. Mais
l’université a peiné pour remplir ses engagements, et ce, pour plusieurs

7. Ministère de l’Éducation Nationale, de la Formation des cadres et de la recherche


scientifique. 2009. « Pour un nouveau souffle de la réforme : Présentation du Programme
NAJAH 2008-2012 ». Agadir.
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 185

raisons. La lourdeur administrative et le contrôle a priori ont été une


entrave pour les dépenses des universités. Par ailleurs, la montée en flèche
des effectifs d’étudiants, la législation inadaptée, le personnel (adminis-
trateurs et professeurs) mal préparé ont eu un impact négatif contribuant
à l’échec du PU.
Toutefois, malgré les résultats mitigés de ces deux réformes, c’est dans
ce contexte que l’entrepreneuriat a marqué son entrée au sein du système
universitaire marocain. En effet, la charte a mis l’accent sur le rôle de
l’université marocaine dans le développement socioéconomique du pays,
la promotion de l’innovation et le transfert technologique.

1.3 Réforme de l’enseignement 2015-2030

En dépit des réalisations enregistrées, depuis l’adoption de la CNEF en


2000 (actualisation du cadre juridique et institutionnel, réorganisation,
gouvernance décentralisée, restructuration de l’enseignement, etc.), l’uni-
versité marocaine souffre, toujours, de dysfonctionnements chroniques.
Dans ce contexte, la COSEF a élaboré une nouvelle vision stratégique
2015-2030 de la réforme éducative8.
Le premier axe d’intervention de cette stratégie vise à trouver des
solutions de rechange au problème de massification de l’enseignement
supérieur à travers la modernisation des espaces et la révision de la carte
universitaire. L’élargissement de l’offre de l’enseignement supérieur
implique bien évidemment la qualité de l’enseignement à travers une
formation axée sur l’apprentissage, l’accréditation des filières de forma-
tion, le système d’évaluation, etc. Ainsi, cette stratégie a l’ambition d’amé-
liorer l’employabilité des diplômés dans le marché du travail.
Le deuxième axe est la gouvernance de ce secteur. Ainsi, la stratégie
vise à organiser et à structurer le secteur avec une vision anticipative qui
en améliore la gestion des ressources humaines pédagogiques et admi-
nistratives. Cette organisation est tributaire, entre autres, de la mise en
place d’un système d’information global intégré et cohérent pour pro-
mouvoir la place des technologies dans l’enseignement supérieur.
Par ailleurs, cette vision a la prétention de consolider l’autonomie des
universités par la diversification des sources de financement.

8. Vision stratégique de la réforme 2015-2030 ». 2015. Rabat : Conseil Supérieur de


l’Éducation, de la formation et de la Recherche Scientifique.
186 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Le troisième axe est la recherche scientifique. Ce volet bénéficie


d’une attention spécifique dans la présente stratégie. À cet égard, la
vision aspire à pallier les ambiguïtés et à favoriser l’opérationnalisation
de la stratégie de la recherche scientifique. Cette stratégie vise aussi à
consolider le financement de cette recherche et valoriser les partenariats
universités-entreprises.
Le quatrième axe concerne le cadre législatif et réglementaire. La
vision a participé à réviser la Loi n° 01.00 et à parachever les textes régle-
mentaires nécessaires pour la mise à niveau et le développement de l’ensei-
gnement supérieur et la recherche scientifique9.
Ainsi se présentent les principaux axes d’intervention de la vision
2015-2030 dans l’enseignement supérieur. Toutefois, la réussite de cette
stratégie est bien évidemment tributaire de l’implication effective des
intervenants dans sa mise en œuvre.
Au demeurant, cette vision marque l’intégration officielle de l’entre-
preneuriat dans l’enseignement supérieur en particulier. Ainsi, cette
réforme considère l’université comme un acteur incontournable dans la
promotion de l’acte entrepreneurial, le renforcement de la dynamique
entrepreneuriale et le développement économique du pays. Il va sans dire
que l’ambition est de renforcer l’ouverture de l’université sur le marché
du travail et le monde économique, et ainsi maintenir des liens durables
avec ces derniers par le biais d’un ensemble d’actions comme :
• La décentralisation des décisions, à travers la mise en place d’une
gouvernance territoriale pour une meilleure adaptation à la
demande du monde économique ;
• La promotion de la recherche scientifique, technique, de l’inno-
vation et l’exploitation des résultats de la recherche ;
• Le renforcement des partenariats et des coopérations entre l’entre-
prise et les différentes instances de recherche par la création de
nouveaux pôles économiques et technologiques et l’encourage-
ment de nouvelles spécialités dans les domaines scientifique,
technologique, industriel et culturel ;

9. Le projet de loi modifiant et complétant la Loi 01.00 relative à l’enseignement


supérieur.
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 187

• Le renforcement de la coopération entre les centres de recherche


et les organismes nationaux chargés des brevets, de leur commer-
cialisation et de la protection intellectuelle.
Ce renforcement se manifeste aussi par l’intégration des modules de
sensibilisation dans l’ensemble des établissements de l’enseignement
supérieur, à partir de l’année universitaire 2020-2021.
Il est pertinent aussi de mentionner que cette réforme a déjà permis
l’émergence de quelques instances d’accompagnement à la création
d’entreprise, en balbutiement, notamment dans l’Université Hassan II,
axée principalement sur le volet sensibilisation à l’entrepreneuriat.
La présente section a permis une analyse de l’évolution de l’offre de
formation en entrepreneuriat au Maroc. L’analyse s’est basée sur une revue
historique de l’enseignement supérieur marocain et des principales
réformes qui ont marqué le secteur. La deuxième section propose une
analyse plus approfondie de l’offre de la formation en entrepreneuriat
dans le contexte universitaire, par un examen des différents programmes
de formation qui y sont dispensés.

2. Cartographie de l’offre de la formation en entrepreneuriat dans


l’université marocaine

2.1 Méthodologie de collecte des données

Afin de circonscrire d’une manière précise et complète la substance de


l’offre de formation en entrepreneuriat dans l’université marocaine, un
travail d’investigation s’est avéré nécessaire. Ce dernier s’est fixé l’objectif
de recenser les programmes dispensés de même que les méthodologies
empruntées pour l’enseignement de l’entrepreneuriat. En d’autres termes,
l’ambition de ce travail d’investigation est de dresser une cartographie de
l’offre de formation dans l’université marocaine.
Le recueil des données s’est déroulé en deux étapes. La première s’est
basée sur une analyse documentaire consistant en une revue des descrip-
tifs de formation, des rapports et des circulaires. La deuxième a été la
réalisation d’une étude de terrain conduite (entretiens directs) auprès des
coordonnateurs des filières, des intervenants et des personnes-ressources
dans les établissements d’enseignement supérieur. Les investigations ont
concerné en moyenne trois personnes-ressources en entrepreneuriat dans
188 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

les universités suivantes : Université Mohammed V (Agdal, Souissi),


Hassan II (Casablanca, Mohammadia), Sidi Mohammed Ben Abdellah,
Cadi Ayyad, Mohammed Premier, Abdelmalek Essaâdi, Hassan I, Moulay
Ismail, Ibn Tofail, Ibn Zohr.
Il est pertinent de préciser que la présentation de la cartographie
des programmes de formation et son analyse se sont basées sur une
grille de lecture dégagée à partir des différents angles de vue de la litté-
rature de l’enseignement de l’entrepreneuriat (El Ouazzani, K., Koubaa,
S. et Yassine, S., 2014), à savoir le niveau d’intervention des programmes
de formation, le contenu des programmes, les méthodes d’enseignement
et les valeurs éducatives.

2.2 Résultats des investigations

Il est pertinent de préciser que la cartographie présentée dans ce travail


n’a retenu que les programmes conçus et préparés selon une approche
« curriculaire »10. Il s’agit des programmes qui ont été développés par les
partenaires de l’université. En effet, les programmes de formation qui ont
été élaborés au sein de l’université n’ont pas été retenus pour la présente
analyse.
Il est opportun de souligner que la majorité de ces programmes ont
été mis en place par des professeurs universitaires et non pas par des
praticiens qui ont eu l’occasion de vivre l’expérience de chefs d’entreprises
ou d’acteurs ayant aidé à la création et/ou au développement des structures
entrepreneuriales. Ils sont donc basés sur la connaissance, à l’instar des
autres modules de formation, sans aucune particularité.
Autrement dit, la totalité de ces programmes a été axée, en priorité,
sur la connaissance et sur les aspects théoriques. Ainsi, ces corpus négli-
gent l’aspect pratique et essentiellement les mises en situation nécessaires
à l’apprentissage de l’entrepreneuriat. De plus, la méthode d’enseignement
demeure elle aussi à l’image de celle utilisée dans les autres modules.
L’enseignement est conçu dans un sens unique par le biais d’un professeur,
détenteur de la connaissance, telle une « vérité absolue ». Dans ce sens,
l’apprenant joue un rôle passif dans le processus d’apprentissage. Il est
aussi indiqué de préciser que cet apprentissage est donné à des étudiants

10. Une approche globale qui consiste à définir les objectifs d’une formation ainsi
que les stratégies et les moyens permettant de les atteindre et les évaluer.
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 189

entassés dans des amphithéâtres11. Cette situation ne permet ni échanges


ni interactions.
Il va sans dire que ces remarques ont conduit à la banalisation de ces
programmes, devenus des programmes comme les autres. L’évaluation
étant axée sur la restitution, par conséquent, l’influence escomptée de ces
programmes sur les étudiants pour les sensibiliser à l’autonomisation et
à l’esprit d’entreprendre est quasi incertaine.

Les principaux programmes dispensés en entrepreneuriat dans l’université


marocaine

Les principaux programmes retenus pour ce travail et qui respectent une


approche « curriculaire » sont Tempus p@lms (TP), Compagny Program
(CP), Entrepreneurship Development Program (EDP), Entrepreneurial
Spirit Program (ALEF) et Programme de formation en création d’entre-
prises innovantes (INNOVA Project).

Projet Tempus
Le projet Tempus est un programme de la Communauté européenne (CE).
Sa mission est de promouvoir le développement des systèmes d’enseigne-
ment supérieur et de faciliter le processus de réforme économique, sociale
et de développement. Il vise à développer les systèmes d’enseignement
supérieur à l’aide de la coopération des établissements des États membres
de la CE12.
Ainsi, plusieurs projets ont été financés par ce projet, notamment le
projet TP. Le projet TP est un passeport numérique de compétences. Il
vise à améliorer l’employabilité des lauréats de l’enseignement supérieur
marocain. Il s’agit d’un programme de certification des compétences
transversales. Ce programme a pour objectif principal l’amélioration de
l’employabilité des lauréats des établissements à accès ouvert. Dans ce
sens, son ambition est d’apporter une réponse susceptible de réduire le
faible taux d’insertion des lauréats de ces établissements et qui couvrent
80 % des diplômés des établissements de l’enseignement supérieur13. Ainsi,

11. Principalement dans les établissements à accès ouvert.


12. Moroccan Foundation for Advanced Science Innovation and Research.
13. Le Cadre National Marocain de Qualification des Compétences Transversales,
2015, Rabat.
190 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

ce programme vise à développer l’ensemble de référentiels des compé-


tences transversales pour assurer une reconnaissance par les entreprises
du niveau d’employabilité des étudiants.
Ce projet, à caractère national, associe tous les établissements de
l’enseignement supérieur sous l’égide du Ministère de l’Enseignement
Supérieur, à travers une commission nationale. Cette dernière est chargée
d’élaborer un ensemble de référentiels communs par le biais des propo-
sitions faites par les équipes pédagogiques impliquées dans la formation
et l’évaluation des domaines d’action arrêtés par le projet à savoir : l’entre-
preneuriat, TIC, langue et communication.
Le chef de file de ce projet est l’Université Savoie Mont Blanc en col-
laboration avec le Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement
Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique,
toutes les universités publiques marocaines, la Confédération Générale
des Entreprises du Maroc (CGEM) et le Ministère de l’Emploi et des
Affaires Sociales14.
Le projet TP a permis de développer quatre programmes de formation
dispensés en ligne et sanctionnés par des certificats en entrepreneuriat,
gestion de projet, technologie de l’information et de la communication,
communication.
L’outil pédagogique utilisé pour dispenser ces programmes est la
plateforme Environnement Malléable d’Évaluation (EMaÉval). Il s’agit
d’une application métier qui offre un service de gestion des évaluations
parfaitement intégré au système d’information d’un établissement d’ensei-
gnement supérieur. Cette plateforme permet ainsi une scénarisation de
l’évaluation à travers plusieurs modalités comme la remise d’un travail
personnel, la passation d’un questionnaire en ligne, l’autoévaluation ou
la notation directe d’un entretien.
Toutefois, la mise en œuvre de ce projet a connu plusieurs entraves
(communication, contenu du programme, gestion de la plateforme) et en
faire bénéficier les étudiants de l’université, notamment les établissements
à accès ouvert.

14. Brochure du projet Palmes qui décrit le Cadre National des Compétences
Transversales.
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 191

Programme INJAZ Al-Maghrib


En association avec le monde de l’entreprise, l’association Injaz Al-Maghrib
dispose d’une panoplie de programmes de sensibilisation à l’entrepreneu-
riat, conçus par des experts en éducation de JA (Junior Achivement)
Worldwide15. Parmi ces programmes, on trouve le Compagny Program
(CP) qui est dispensé en université. Ce programme était destiné à la base
pour les jeunes collégiens et lycéens des établissements d’enseignement
public, a été adapté et utilisé par la suite dans le contexte universitaire
pour promouvoir l’entrepreneuriat et l’acte entrepreneurial auprès des
étudiants des universités marocaines. C’est le cas par exemple de l’Uni-
versité Hassan II et l’Université Abdelmalek Saadi qui ont intégré l’action
de sensibilisation de INJAZ Al-Maghrib, dans le cursus académique.
Ainsi, le CP est dispensé dans le cadre du module de fin d’études (à titre
facultatif).
Le programme est dispensé par deux intervenants. Le premier est un
conseiller de INJAZ Al-Maghrib, issu du milieu professionnel, ayant plus
de cinq ans d’expérience en entreprise. Il s’agit d’un cadre conseiller
bénévole16. Le deuxième est un professeur ou un chargé de cours, issus de
l’établissement où le programme est dispensé. Ce programme est dispensé
en 16 séances de 1 ½ heure ou 8 séances de 3 heures. Il privilégie la méthode
du learning by doing.
L’enseignement de ce programme se base sur des activités variées,
guidées par l’animateur (un cadre d’entreprise) tout au long du pro-
gramme. Dans ce sens, l’étudiant est censé développer l’esprit d’entreprise
et renforcer son niveau dans des matières académiques telles que l’écri-
ture, la lecture, le français.
Ce programme est dispensé à l’aide d’un kit de formation, contenant
un guide du conseiller, un cahier pour les étudiants (entrepreneur), un
DVD de présentation du programme, des certificats d’actions, bordereaux
de vente et autres outils pédagogiques complémentaires.
Le programme CP est clôturé par une série de compétitions, réunis-
sant toutes les microentreprises créées grâce au programme, en présence
de professionnels et de représentants du monde de l’entreprise et de

15. http://injaz-morocco.org
16. L’association fait appel à des experts issus d’entreprises publiques et privées
comme Acima, Agma Lahlou Tazi, Attijariwafa Bank, CDG, etc.
192 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

l’éducation. Les compétitions se passent dans un premier temps sur le


plan local, ensuite sur le plan national et enfin sur le plan international.
Il est opportun de préciser que la mauvaise répartition du rôle de
chacun des intervenants dans l’animation du programme constitue une
entrave majeure. En effet, l’expert INJAZ apporte, principalement l’aspect
pratique et son regard sur le monde professionnel. Quant au professeur
ou chargé de cours, il apportera sa contribution en matière de connais-
sance académique et surtout en organisation pédagogique pour effectuer
le travail de l’expert INJAZ. Par ailleurs, le nombre important des étu-
diants par groupe impacte négativement les conditions de la formation,
sans oublier les critères d’évaluation.

Formation Entrepreneurship Development Program et Entrepreneurial Spirit


Program : Projet ALEF – USAID –
Le programme ALEF est un projet de développement éducatif financé par
l’organisme United States Agency for International Development17 (USAID).
Sa mise en œuvre a été assurée par un consortium composé de plusieurs
organisations dont l’Academy for Educational Development18 (AED) est la
principale exécutante. Il intervient dans trois différents domaines com-
plémentaires à savoir l’éducation, l’emploi et la formation. Seule la der-
nière composante concerne le présent travail, en particulier le programme
Entrepreneurship Spirit (ESPro), développé par le cabinet Management
Systems International (MSI)19.
Ce programme a été créé dans le but de développer le potentiel des
participants pour devenir des entrepreneurs ou pour améliorer leurs
compétences entrepreneuriales. En d’autres termes, l’objectif de ce pro-
gramme de formation est de stimuler le lancement des entreprises, d’aug-
menter le nombre d’emplois qu’elles peuvent offrir et d’améliorer leur
rentabilité.
Le programme ESPro a été assuré par le Centre des Jeunes Dirigeants
(CJD) à la suite d’une convention avec l’USAID. Ainsi, plusieurs établis-

17. USAID est une agence indépendante du gouvernement des États-Unis chargée
du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde.
18. AED est une organisation indépendante sans but lucratif engagée à résoudre les
principaux problèmes sociaux et à renforcer les capacités des individus, des collectivités
et des institutions afin qu’ils deviennent autosuffisants.
19. www.msiworldwide.com
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 193

sements universitaires ont bénéficié de ce programme, notamment l’Uni-


versité Hassan II. Cette formation a été dispensée aux étudiants du Master,
suite à une sélection. Elle a porté sur la motivation des participants, ainsi
que sur leur aptitude à créer ou à développer une entreprise.
L’atelier de formation des entrepreneurs ALEF selon la méthodologie
MSI est un programme intensif qui se déroule sur cinq jours pour l’iden-
tification et le renforcement de la capacité des participants à créer ou à
améliorer les entreprises. Les bénéficiaires de cette formation ont eu
l’occasion d’autoévaluer leurs compétences entrepreneuriales, de com-
prendre et de développer les attitudes et savoir-être nécessaires pour
intégrer le monde professionnel (esprit d’initiative, compréhension de
l’environnement, autonomie, esprit d’équipe, confiance en soi, planifica-
tion, etc.).
À l’issue de la formation, les participants ont présenté devant un
groupe de professionnels (chefs d’entreprise, banquiers, etc.) leur plan
d’affaires finalisé.
Il est pertinent de préciser que cette formation a été assurée de
manière occasionnelle à un nombre très limité d’étudiants.

Formation Programme CLE


Le programme Comprendre l’entreprise (CLE) / Know About Business
(KAB), en anglais, est un programme développé par le Bureau interna-
tional du Travail (BIT). L’objectif assigné à ce cours est de développer,
auprès des bénéficiaires de la formation, la possibilité d’emprunter la voie
entrepreneuriale, en mettant l’accent sur les opportunités et les avantages
du travail indépendant et sur le rôle qu’ils peuvent jouer dans le dévelop-
pement socioéconomique du pays.
Le contenu du programme CLE est dispensé selon une méthodologie
hybride20. L’hébergement du cours sur la plateforme électronique est le
fruit d’un travail collaboratif entre plusieurs universités en Tunisie, au
Maroc, en Algérie et en Égypte.
À vrai dire, ce cours est conçu selon une approche pédagogique propre
à la formation transversale. Le matériel didactique permet d’adopter une
démarche d’apprentissage axée sur la collaboration, la communication et

20. En ligne et en présentiel.


194 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

le travail individuel. Ces méthodes pédagogiques amènent les étudiants


à gérer leur temps de manière flexible, mais structurée, et ce, afin de res-
pecter le rythme du cours.
Le cours comprend neuf modules de formation. Les étudiants sont
amenés à effectuer des lectures et à consulter des éléments multimédias.
Ils sont amenés également à mettre en pratique leurs connaissances dans
le cadre d’exercices et d’analyse de cas. Certaines activités demandent un
travail en équipe tandis que d’autres sont orientées vers une démarche
d’analyse individuelle.
Ci-dessous la liste des principales activités d’apprentissage qui sont
utilisées durant les sessions de formation :
• Lectures : Une série de lectures seront proposées afin de permettre
d’assimiler les concepts en lien avec la matière.
• Présentations PowerPoint : Afin de synthétiser la matière, une
série de présentations PowerPoint est disponible.
• Capsules vidéo : Des vidéos d’experts permettent de faire des liens
concrets entre les concepts théoriques et les expériences de diffé-
rents entrepreneurs.
• Forums de discussion : Que ce soit pour poser une question sur
la matière, participer à un débat ou partager des informations, les
étudiants sont invités à participer régulièrement aux forums.
• Quiz sommatifs : Des « quiz » permettront d’aider les étudiants à
se situer par rapport à la compréhension de la matière et évaluer
leur cheminement.
• Travaux, exercices pratiques et analyse de cas : Différentes activités
d’apprentissage permettront d’évaluer la capacité des étudiants à
intégrer les concepts théoriques dans des situations d’affaires et
à connaître et développer leur potentiel entrepreneurial.
• Examen en salle et/ou à distance : À la fin de la session, les étu-
diants auront à effectuer un examen.
La formule d’enseignement à distance utilisée amène les étudiants à
gérer leur temps de manière flexible, mais structurée, et ce, afin de res-
pecter le rythme du cours. En effet, elle permet d’adopter une démarche
d’apprentissage individualisée et autonome. L’étudiant demeure bien sûr
le seul gestionnaire de son temps, mais il devra s’engager à remettre les
travaux notés aux moments prescrits.
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 195

L’enseignant fournit des rétroactions sur les travaux notés par l’entre-
mise du forum de discussion ou par courriel. Évidemment, les étudiants
peuvent communiquer avec leur enseignant par courriel.
En d’autres termes, la pédagogie de formation en ligne du programme
CLE se manifeste par un ensemble d’activités d’apprentissage (individuelles
et en groupe) à forte dimension collaborative. La caractéristique de ce type
d’apprentissage est les échanges asynchrones entre les apprenants et leur
tuteur. Ce qui veut dire que l’accès à la plateforme ne se fait pas en même
temps et c’est ce qui la différencie de la formation en présentiel.
Ainsi, les commentaires et les réactions du tuteur sont mis en ligne
et lus par la suite par les bénéficiaires de la formation en différé. Le tutorat
exige une disponibilité du tuteur et une bonne gestion de son emploi de
temps afin de répondre aux attentes des apprenants. Par ailleurs, ce type
de formation exige une certaine autonomie des apprenants dans la gestion
de leurs apprentissages.
Le programme CLE est dispensé dans certains établissements en
présentiel, soit une durée approximative estimée à 120 heures. Cependant,
dans d’autres établissements la formation est dispensée en ligne. La durée
de ce mode d’enseignement n’est pas bien précise.
Cependant, il est pertinent de préciser que le nombre d’étudiants,
principalement, dans les établissements à accès ouvert, constitue une
entrave au bon déroulement du programme CLE. En effet, le nombre
d’étudiants entrave le recours aux pédagogies actives dans les cours en
présentiel et complique la tâche d’encadrement pour les cours dispensés
en ligne. En effet, pour ce dernier, l’encadrement en ligne est destiné à un
groupe restreint qui ne dépasse pas 25 étudiants. Dans ce sens, les établis-
sements d’enseignements supérieurs, notamment les établissements à
accès ouvert manquent de ressources pour assurer l’encadrement en ligne.
De ce fait, la mobilisation d’une équipe de tuteur s’avère indispensable
pour assurer ce tutorat.

Programme Formation en Création d’Entreprises Innovantes (Innova


Project)
Ce programme de formation a été lancé dans le cadre de la stratégie
« Maroc Innovation », impliquant le Ministère de l’Industrie, du
Commerce et des Nouvelles Technologies (MICNT), en partenariat avec
196 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

le Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur, de


la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique, et de la
Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM). Il s’agit d’un
programme de formation dédié à la diffusion de la culture entrepreneu-
riale dans les universités et les écoles d’ingénieurs. Ce programme est
assuré par la mise en place du module (Innova Project).
La méthodologie d’enseignement adoptée par ce programme est celle
du learning by doing qui se base sur une logique de montage de projet, un
esprit de compétition permanent entre les étudiants. Cette approche de
montage de projets est appuyée par des interactions permanentes avec les
acteurs du système innovation et entrepreneuriat.
Dans cette optique, la structure du module se compose des éléments
suivants :
• Actions d’organisation et d’animation ;
• Sessions de cours avec une approche pratique et interactive ;
• Séminaires thématiques ;
• Approches de travail sur le terrain et d’implication des acteurs de
l’écosystème innovation et entrepreneuriat.
Ainsi l’approche du programme Innova Project se veut un programme
qui met de l’action le point focal de sa méthodologie. Il priorise ainsi les
actions suivantes : le travail de terrain pour la réalisation du business plan,
le monitoring par les chefs d’entreprises, le coaching et l’accompagnement
par les associations d’aide à la création d’entreprise, les visites de salons
et de foires relatives aux principaux secteurs d’activité et le témoignage
d’entrepreneurs.

TA B L E AU 8.1
Périodes désignées pour l’enseignement du programme Innova Project

Filière Période

Licence professionnelle et nouvelle Semestre 6


génération

Masters spécialisés et masters Semestre 9

Doctorants Premier semestre de la troisième année

Étudiants des écoles d’ingénieurs et de Premier semestre de la troisième année


commerce
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 197

Le programme dans son design a pris en considération les contraintes


pédagogiques imposées par le système de l’enseignement supérieur,
comme l’explique le tableau 8.1.
À la fin de la formation, une sélection du meilleur projet d’entreprise
innovante est organisée dans le but de créer un esprit de compétition entre
les différentes équipes projet. En effet, ce système d’évaluation adopté par
le programme Innova Project vise à reconnaître l’effort des meilleures
équipes qui se sont sérieusement investies pour la réussite du montage de
leurs projets avec assiduité, respect des engagements et application des
concepts enseignés. Ainsi, l’approche de sélection des meilleurs projets
est organisée sur deux volets : un concours organisé par l’établissement
de formation qui prime les trois meilleurs projets et un concours national,
baptisé Moroccan Innovative Project Award (MIPA), piloté par le MICNT.

2.3 A
 nalyse des programmes de formation en entrepreneuriat dans l’université
marocaine, selon la grille de la littérature en entrepreneuriat

L’analyse des différents programmes que nous avons relevés nous a permis
de dresser une cartographie de ces derniers, que nous présentons dans le
tableau 8.2. Il récapitule les principaux constats ressortis de notre analyse.
Il présente les niveaux d’intervention des programmes, les méthodologies
d’enseignement mobilisées et les bénéficiaires.
L’analyse des programmes de formation de l’entrepreneuriat trouvés
dans le contexte universitaire selon les angles relevés de la littérature de
l’enseignement de l’entrepreneuriat a permis de faire un nombre de
constats (El Ouazzani et al., 2015), à savoir : niveau d’intervention (Fayolle
et Filion, 2006), contenu des programmes (Schieb-Bienfait, 2000 ; Carrier
2009 ; Bechard et Gregoire, 2009), méthodes d’enseignement (Neunreuther
1979 ; Bouslikhane, 2011), valeurs éducatives (Béchard et Grégoire 1997 ;
Schmitt 2012), contenu des programmes (Schieb-Bienfait, 2000 ; Carrier,
2009), méthodes d’enseignement (Neunreuther, 1979 ; Bru, 2012), et valeurs
éducatives (Béchard et Grégoire,1997).

Niveau d’intervention des programmes de formation

L’analyse fait ressortir que les programmes de formation dispensés dans


l’université marocaine couvrent un maillon du processus de formation
TA B L E AU 8. 2
Tableau récapitulatif des programmes / des niveaux d’intervention / méthodologie d’enseignement

Niveau d’intervention du programme


Programme Niveau Bénéficiaires Méthodologie
Pré- Post-
Sensibilisation Création
création création

Les établissements qui ont


retenu le module entrepreneuriat
CLE Licence X E-learning
dans leur cahier des charges de
formation

ALEF Master Sélection X Learning by doing*

Licence,
INNOVA
master, Sélection X Learning by doing
Project
doctorat

Licence
(projet
CP Sélection X Learning by doing
de fin
d’études)

TP Licence Sélection X E-learning

* Apprentissage expérientiel.
198 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone
L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 199

de l’entrepreneuriat, à savoir la sensibilisation (Fayolle et Filion, 2006).


Dans ce sens, ces programmes visent, en grande partie, à stimuler les
facultés comme la créativité et l’esprit d’initiative pour aider les étudiants
à développer leur autonomie et à acquérir quelques notions spécifiques à
la création d’entreprise. Il va sans dire que cette formation ne couvre pas
l’ensemble du processus entrepreneurial.

Contenu des programmes

La revue des contenus des programmes de formation ressort que le plan


d’affaires constitue le point focal de l’enseignement de l’entrepreneuriat.
Toutefois, il n’y a pas de lien direct entre la réalisation d’un bon plan
d’affaires et la réussite de l’action entrepreneuriale. Dans ce sens, l’action
devrait être mise sur le développement des compétences entrepreneuriales
qui rapproche le bénéficiaire de la formation de la réalité de l’action de
l’entrepreneuriat. De ce fait, ces compétences développées pourraient
alimenter le sentiment d’auto efficacité pour se lancer dans l’action et être
outillé pour confronter la réalité entrepreneuriale.
Aussi, nous souhaitons attirer l’attention que l’analyse des pro-
grammes relève une confusion dans les formulations entre les compé-
tences, les habiletés, les connaissances et les attitudes. Cette confusion,
bien évidemment, influence les modes d’évaluations. À vrai dire, le niveau
taxonomique et la formulation des compétences visées sont censés condi-
tionner le mode d’évaluation, ainsi que les critères d’évaluation.

Les méthodes d’enseignement

Les méthodologies pédagogiques utilisées pour l’exécution de ces pro-


grammes de formations sont des méthodes axées sur l’apprentissage
expérientiel. Elles constituent un terrain propice pour développer les
aptitudes, les attitudes et la créativité des participants. Cependant, la
réussite de ce mode d’enseignement est conditionnée par le rôle de l’ensei-
gnant (formateur). Dans ce sens, ce dernier doit maîtriser les techniques
d’animation et les aspects de la pédagogie d’enseignement.
En outre, il est opportun de mentionner que les personnes-ressources
enquêtées ont proposé plusieurs méthodes d’enseignement de l’entrepre-
neuriat dans le contexte universitaire. Nous citons à titre d’exemple :
méthodologies d’enseignement ludique, études de cas, visites d’entre-
200 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

prises, témoignages, rencontres avec les créateurs et gestionnaires d’entre-


prise, conférences-débats, jeux de simulation sur ordinateurs, etc.
Toutefois, les enquêtés ont précisé que le nombre élevé des étudiants
constitue une entrave pour faire appel à ce type de méthodologies actives
dans l’enseignement de l’entrepreneuriat.

Les valeurs éducatives

L’enseignement de l’entrepreneuriat invite à utiliser des pédagogies


ouvertes. L’utilisation de ses dernières exige une implication des établis-
sements d’enseignement supérieur, notamment les enseignants. Ces
derniers sont invités à remettre en cause les méthodologies classiques21
pour ouvrir la voie aux méthodologies dites nouvelles.
Par ailleurs, l’entrepreneuriat ne figure pas dans les curriculums de
la majorité des établissements de l’enseignement supérieur, notamment
les établissements à accès ouvert, à l’exception d’une minorité d’établis-
sements, comme la Faculté des Sciences Juridiques et Économiques de
Casablanca. Toutefois, la réforme 2015-2030 de l’enseignement supérieur
a intégré l’entrepreneuriat dans les curriculums des universités. Ces der-
niers seront mis en place, à partir de l’année universitaire 2020-2021.
En résumé, nous pouvons avancer que la formation à l’entrepreneuriat
dans l’université marocaine est dans la phase d’initiation selon la catégo-
risation proposée par Christophe Schmitt (2012). Cette formation ne
couvre pas l’ensemble du processus entrepreneurial. Elle est focalisée
principalement sur le business plan et ne concerne qu’une partie minori-
taire d’établissements et d’étudiants, principalement dans les établisse-
ments à accès ouvert.

Conclusion

L’analyse de l’intégration graduelle de l’entrepreneuriat dans l’enseigne-


ment supérieur marocain a fait appel à une approche historique qui vise
à sonder la trajectoire du système universitaire marocain. Il est opportun
de rappeler que le dispositif de l’enseignement supérieur est devenu inca-
pable de répondre à la demande croissante des diplômés de l’enseignement
secondaire qui s’orientent de plus en plus vers les établissements de l’ensei-

21. Enseignement à sens unique basé sur les connaissances.


L’i n t é gr at ion gr a du e l l e de l’e n t r e pr e n eu r i at • 201

gnement supérieur. Aussi, le cloisonnement de l’université marocaine


pendant longtemps et l’absence de vase communicant avec le monde
socioéconomique ont fait d’elle une « fabrique de chômeurs ».
Conscient des défaillances du secteur, les instances gouvernementales
ont entamé une série de réformes pour améliorer l’offre de formation et
permettre à l’université de s’ouvrir sur son environnement socioécono-
mique. Les réformes ont touché l’aspect pédagogique, organisationnel et
financier. La Charte Nationale de l’Éducation élaborée en 2000 constitue
l’ossature d’une série de réformes qui ont touché l’enseignement supérieur
de manière générale. Ces différentes réformes, malgré leurs résultats
nuancés, ont permis à l’université de s’ouvrir sur son environnement
socioéconomique.
Cette ouverture a permis une intégration graduelle de l’entrepreneu-
riat dans l’université, qui a pris plusieurs formes, citons par exemple :
l’intégration de plusieurs programmes d’enseignement en entrepreneuriat
et la signature de nombreuses conventions avec le secteur privé, notam-
ment en matière de recherche et d’innovation.
Cependant, en dépit de cette avancée en matière d’enseignement de
l’entrepreneuriat, il faut noter que la plupart de ces formations ne ciblent
qu’un maillon du processus entrepreneurial, à savoir la motivation pour
emprunter la voie entrepreneuriale et l’aspect technique à travers le mon-
tage du business plan.
Nonobstant, la rentabilisation de ce maillon par des créations effec-
tives d’entreprises à forte valeur ajoutée pour l’économie nationale ne
peut être assurée qu’avec la mise en place de programmes qui couvrent
l’ensemble des composantes du processus entrepreneurial.
En d’autres termes, la formation en entrepreneuriat exige d’adopter
une ingénierie de formation spécifique à travers une planification globale
et à intégrer l’ensemble des besoins de formation en liaison avec les situa-
tions entrepreneuriales complexes.
Dans ce sens, l’ingénierie de formation selon l’approche par compé-
tence (APC) pourrait se présenter comme une voie à emprunter pour
l’enseignement de l’entrepreneuriat dans l’université marocaine. En effet,
plusieurs chercheurs affirment que les approches constructivistes (Aouni,
2012) de l’apprentissage constituent la philosophie même de l’enseigne-
ment de l’entrepreneuriat. Cette approche prend en compte le processus
cognitif pour résoudre des problèmes à caractère complexe dans leur
202 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

globalité. Par ailleurs, elle peut aider à mieux définir et traduire l’acte
entrepreneurial en programme de formation contextualisé, à travers un
ensemble d’outils d’ingénierie de formation.

Références bibliographiques

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chapitre 9

L’éducation à l’entrepreneuriat :
enjeux dans la réussite des projets
entrepreneuriaux des jeunes au
Sénégal
Ismaïla Sène

Au Sénégal, l’inefficacité des politiques d’emploi a poussé les pouvoirs


publics à prendre une option résolument tournée vers l’entrepreneuriat.
Celle-ci se matérialise à travers les orientations du Plan Sénégal Émergent
(PSE), dont l’atteinte des ambitions en matière d’emploi repose sur la
promotion de l’entrepreneuriat, afin d’en faire un véritable projet de car-
rière pour les jeunes.
C’est ce qui a motivé la conduite de cette recherche qui entend
apporter un éclairage scientifique sur l’un des facteurs du succès de
l’investissement entrepreneurial. En effet, souscrivant à l’idée développée
par les tenants de l’approche de l’apprentissage entrepreneurial (Chell,
1985 ; Bruyat, 1993 ; etc.), notre réflexion se propose de démontrer que
l’éducation à l’entrepreneuriat est un levier de succès entrepreneurial. En
dépit des efforts de promotion de l’entrepreneuriat chez les jeunes au
Sénégal, rares sont les recherches locales qui se sont intéressées à cette
thématique.
Dès lors, notre travail s’inscrit dans une problématique innovante
qui s’articule autour de la question suivante : quels sont les enjeux de
l’éducation à l’entrepreneuriat dans la réussite des projets entrepreneu-
riaux des jeunes au Sénégal ?
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 205

La méthodologie utilisée est de type qualitatif. Elle est basée sur la


recherche documentaire, la conduite d’entretiens individuels et l’usage de
la méthode des récits de vie.
Ce chapitre est structuré en plusieurs sections qui présentent les
cadres théorique, conceptuel et méthodologique de la recherche, un
diagnostic du dispositif public d’éducation à l’entrepreneuriat ainsi
qu’une analyse des avantages comparatifs de cet apprentissage. Il révèle,
enfin, quelques défis que les pouvoirs publics devront relever pour favo-
riser un accès plus démocratique à l’éducation à l’entrepreneuriat au
Sénégal.

1. Les approches théoriques de l’entrepreneuriat

L’étude de l’entrepreneuriat est marquée par l’apparition d’approches


multiples et contradictoires. Ces approches, qui ont été majoritairement
mobilisées dans les pays occidentaux, ont essayé de cerner l’entrepreneu-
riat à travers plusieurs réflexions qui traitent successivement des caracté-
ristiques des entrepreneurs, des enjeux de l’entrepreneuriat, des obstacles
sociaux, politiques et institutionnels de l’entrepreneuriat, des logiques
entrepreneuriales, des catégories d’entrepreneurs ou encore de l’appren-
tissage entrepreneurial.

1.1 L’approche des traits

C’est dans les années 1960 que les premières approches ont été dévelop-
pées. Parmi celles-ci, on peut citer l’école par les traits qui, sous l’impul-
sion de McClelland (1961), a conçu une approche psychologique de
l’entrepreneuriat. Selon cette approche, les entrepreneurs présentent des
caractéristiques psychologiques qui déterminent leur comportement. Il
s’agit, entre autres, de l’ouverture à l’innovation et à la prise de risque,
le leadership, le dynamisme, la flexibilité, la confiance en soi, l’esprit
d’initiative, la créativité, etc. Cette réflexion repose sur l’idée que la
réussite entrepreneuriale est déterminée par une série de paramètres
individuels qui définissent la personnalité entrepreneuriale. Cette pers-
pective minimise l’influence des facteurs exogènes au profit des carac-
téristiques psychologiques relevant de l’inné. Ce faisant, elle s’inscrit
dans une visée statique et néglige la possibilité d’une évolution des
206 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

compétences et des chances de réussite entrepreneuriale en fonction des


stratégies d’empowerment et des présentateurs environnementaux. C’est
pour cette raison qu’elle sera remise en cause par plusieurs chercheurs,
dont les tenants de l’approche environnementale.

1.2 L’approche environnementale de l’entrepreneuriat

Rejetant systématiquement l’approche psychologique, des auteurs


comme Freeman et Medoff (1984) ont été à la base d’une réflexion qui a
insisté sur l’impact de l’environnement sur la réussite entrepreneuriale.
Pour eux, les dynamiques sectorielles, les politiques gouvernementales
et la concurrence constituent des facteurs exogènes qui peuvent
influencer la vie de l’entreprise. Cet argument repose sur l’idée que
l’entrepreneur exerce ses activités dans un environnement où les évo-
lutions contextuelles, les conjonctures socioéconomiques et les systèmes
politiques continuent d’impacter sur le monde des affaires. Cette
approche aura une forte résonance en Afrique où les analyses sur l’entre-
preneuriat se sont largement focalisées sur les obstacles socioculturels
et politiques auxquels se heurtent les entrepreneurs. Nous pouvons citer,
en guise d’exemple, les travaux de Sarr (1998), selon qui des contraintes
sociales et les rapports sociaux de genre jalonnent le parcours des
femmes entrepreneures. Parmi ces obstacles, elle cite l’aliénation cultu-
relle, les rapports hommes-femmes dans le monde des affaires, les
pratiques discriminatoires ainsi que les charges familiales et sociales
que les femmes supportent. D’autres contraintes d’ordre politique sont
nommées par Dia (2011). Pour lui, l’absence d’une politique nationale
clairement formulée dans le domaine de l’entrepreneuriat, l’absence
d’un cadre législatif et réglementaire propice, l’insuffisance de structures
publiques chargées spécialement d’accompagner la création d’entreprise,
l’absence de véritables politiques publiques dans le domaine industriel
ou de l’emploi… sont autant d’obstacles qui démontrent que des efforts
restent à faire en matière de promotion de l’entrepreneuriat au Sénégal
(Dia, 2011 : 29). Pour leur part, Simen, Tidjani et Diouf (2015) ont relevé
deux obstacles qui affectent les initiatives de sa promotion au Sénégal.
Il s’agit de l’environnement institutionnel, qui est souvent perçu comme
contraignant et la concurrence des grandes entreprises qui laissent peu
de marge de manœuvre aux petites entreprises.
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 207

1.3 L’approche catégorielle de l’entrepreneuriat

Parallèlement aux approches précédemment évoquées, d’autres réflexions


ont porté sur l’analyse des catégories d’entrepreneurs. Ces réflexions qui
s’inscrivent dans une approche catégorielle sont portées par des auteurs
tels que Miner et Coste.
Selon Miner (1996), il existe quatre catégories d’entrepreneurs (per-
formant, gestionnaire, empathique et créatif) qui se distinguent les uns
aux autres par leur style de management, leur posture et les besoins qu’ils
expriment.
Par contre, la typologie proposée par Coste (2011) insiste particulièrement
sur les motivations intrinsèques comme élément de différenciation. De cette
typologie, ressortent également quatre types d’entrepreneurs : expert-connais-
seur, militant convaincu, opportuniste-malin et créateur-pionnier.

1.4 L’approche de la motivation entrepreneuriale

Cette approche porte la marque des auteurs comme Estay, Durrieu et


Diop (2011). Ces derniers estiment que les chemins de la motivation
conduisent à des logiques d’action liées à des projets innovants et éclairent
le phénomène de reproduction (ou mimétisme) que l’on observe parfois
chez les créateurs d’entreprise.
Les travaux de Bounouh (2017) s’inscrivent aussi dans cette approche.
Selon cet auteur, la motivation entrepreneuriale est liée à trois désirs : celui
d’accomplissement de soi, celui de création et d’innovation, et celui de
l’exercice de responsabilité. En revanche, Filion et Fayolle (2006) pensent
que les déclencheurs de l’entrepreneuriat peuvent être la formation, l’expé-
rience, la disponibilité de fonds, le réseau environnemental, la détection
d’une opportunité d’affaires, l’envie de devenir son propre patron, la perte
d’un travail, etc.
Sur le plan local, Kane et al. (2014) se sont également intéressés à la
motivation entrepreneuriale. Pour eux, la création d’entreprise répond
beaucoup plus à une nécessité économique qu’à un besoin d’accomplis-
sement ou de réalisation. En clair, les besoins d’améliorer leur existence,
de lutter contre la pauvreté grandissante et de subvenir aux charges
familiales constituent les principales raisons de la création d’entreprise
chez les jeunes.
208 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

1.5 L’approche de l’apprentissage entrepreneurial

L’approche de l’apprentissage entrepreneurial repose, pour sa part, sur


l’idée que l’éducation à l’entrepreneuriat est un levier de la réussite entre-
preneuriale. Développée par Chell (1985) et reprise par Bruyat (1993), cette
approche accorde un intérêt particulier à l’acquisition de compétences
entrepreneuriales en ce sens qu’elle suggère qu’être entrepreneur exige
l’acquisition de savoirs qui confèrent à l’individu les qualités et le succès
entrepreneurial (Chell, 1985). En effet, elle repose sur l’idée que les com-
pétences qui déterminent le comportement et les performances entrepre-
neuriales sont acquises grâce à un processus d’apprentissage dynamique
et évolutif qui permet à l’entrepreneur de passer par les différentes étapes
de la croissance de son entreprise : le déclenchement, l’engagement et la
survie-développement. En d’autres termes, chaque étape de ce processus
nécessite la mobilisation de compétences spécifiques, dont l’acquisition
passe par l’apprentissage entrepreneurial. Selon Omrane, Fayolle et Zeribi-
Benslimane (2011), ces compétences vont des aptitudes émotionnelles aux
compétences stratégiques en passant par la capacité à percevoir les occa-
sions d’affaires, les habiletés en gestion entrepreneuriale ou en dévelop-
pement de projet. En un mot, l’apprentissage entrepreneurial permet aux
jeunes de réussir leurs projets d’auto-emploi, car il développe, en eux, des
compétences et des attitudes entrepreneuriales qui les aident à penser et
à agir convenablement (Champy-Remoussenard, 2018).
Dès lors, dans un contexte local marqué par la promotion à grande
échelle de l’entrepreneuriat, son apprentissage s’avère tout à fait primor-
dial. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Global Entrepreneurship
Monitor (2009) a insisté sur l’importance de l’éducation à l’entrepreneu-
riat pour promouvoir une culture entrepreneuriale orientée vers l’inno-
vation et la reconnaissance des occasions d’affaires par les jeunes.
C’est donc par la prise en compte de la dimension éducative de l’entre-
preneuriat que s’opère le rapport entre l’approche de l’apprentissage
entrepreneurial et notre problématique, qui se propose d’explorer la
relation entre l’éducation à l’entrepreneuriat et les performances entre-
preneuriales. En d’autres termes, le but de notre travail est d’analyser les
enjeux de l’éducation à l’entrepreneuriat dans la réussite des projets
entrepreneuriaux des jeunes au Sénégal. Cela est d’autant plus pertinent
que cette problématique est traitée de manière marginale par les recherches
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 209

sur l’entrepreneuriat au Sénégal malgré les efforts consentis en faveur de


sa promotion auprès des jeunes.

2. Discussion des concepts

2.1 L’entrepreneuriat

Avec l’évolution de la pensée sur l’entrepreneuriat, le concept a été présenté


sous plusieurs acceptions. Nous pouvons citer à ce propos la définition de
Shane et Venkataraman, selon qui l’entrepreneuriat désigne le « processus
par lequel des opportunités à créer des produits et des services futurs sont
découvertes, évaluées et exploitées » (Shane et Venkataraman, 2000 : 18).
Chez Fayolle (2004), l’entrepreneuriat fait référence à une situation
reliant de façon concomitante un individu caractérisé par un engagement
personnel fort et un projet ou une organisation émergente ou « stabilisée »
de type entrepreneurial. C’est donc un processus par lequel des personnes,
prenant conscience que le fait de posséder leur propre entreprise constitue
une option ou une solution viable, se lancent dans la création et le démar-
rage d’une entreprise (Filion et Fayolle, 2006).
Chez Tounès (2003), par contre, le concept fait référence à un pro-
cessus dynamique et complexe qui est le fruit de facteurs psychologiques,
socioculturels, politiques et économiques. Il prend la forme d’attitudes,
d’aptitudes, de perceptions, de normes, d’intentions et de comportements
qui se manifestent dans un contexte donné. Selon cet auteur, la création
d’entreprise constitue la manifestation la plus visible de l’entrepreneuriat.
Elle prend le sens de la concrétisation d’une opportunité avec les risques
y afférant.
Toutefois, pour les besoins de notre recherche, nous allons nous ins-
pirer de la définition de Laviolette et Loue (2006). Pour eux, l’entrepre-
neuriat est « une dynamique de création et d’exploitation d’une opportunité
d’affaires par un ou plusieurs individus via la création de nouvelles
organisations à des fins de création de valeur » (Laviolette et Loue, 2006 :
5). Cette définition insiste sur la finalité économique de l’entrepreneuriat
et repose sur l’idée qu’à la base de l’entrepreneuriat, il y a toujours un
entrepreneur. C’est-à-dire une personne qui conçoit et réalise un projet
d’entreprise, quelqu’un qui entreprend une activité pour créer de la
richesse.
2 10 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

2.2 L’éducation à l’entrepreneuriat

L’éducation à l’entrepreneuriat est un concept novateur qui a vu le jour sous


l’impulsion de pensées nouvelles. C’est peut-être pour cette raison qu’il n’a
pas fait l’objet de plusieurs débats conceptuels contradictoires, en ce sens
que l’essentiel des réflexions souscrit à une définition évolutive.
Dans une définition relayée par Asli et El Manzani (2015), l’éducation
à l’entrepreneuriat se réfère au processus pédagogique impliqué dans
l’encouragement des activités entrepreneuriales, des comportements et
des mentalités. Ce processus consiste à développer chez les jeunes des
compétences et des attitudes entrepreneuriales dans le but d’inculquer et
de développer le sens de l’initiative, la créativité, l’autonomie et le travail
d’équipe (Bounouh, 2017).
Une autre définition suggère que l’éducation à l’entrepreneuriat est
« une activité de transmission des mentalités et des compétences spéci-
fiques associées à l’entrepreneuriat (…). Celle-ci représente soit l’éducation
académique ou les interventions formelles de formation qui partagent
l’objectif général de développer chez les individus l’esprit d’entreprise et
les compétences entrepreneuriales pour appuyer la participation et la
performance dans une gamme d’activités entrepreneuriales » (World Bank
Studies, cité par Asli et El Manzani, 2015 : 10).
Par sa dimension englobante, cette définition correspond bien à notre
conception de l’éducation à l’entrepreneuriat. Celle-ci passe nécessaire-
ment par trois grands champs éducatifs (savoir, savoir-faire et savoir-être)
qui permettent le développement de l’esprit d’initiative et l’esprit d’entre-
prise. Sous cet angle, elle permet de développer la culture entrepreneuriale
chez les jeunes, soit un ensemble de dimensions, de facteurs et de carac-
téristiques qui définissent la personnalité d’un entrepreneur à succès. C’est
pourquoi, selon notre conception, l’éducation à l’entrepreneuriat désigne
des activités de formation et d’accompagnement en entrepreneuriat ou
d’apprentissage entrepreneurial. Ces activités ne relèvent pas forcément
d’une formation de type académique.

3. La méthodologie de recherche

Le travail d’investigation empirique a été effectué grâce à la méthode


qualitative. Les instruments de collecte utilisés sont l’entretien individuel
et la méthode des récits de vie. Notre terrain d’enquête est constitué des
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 2 11

régions de Dakar, Thiès et Diourbel qui abritent plus de 60 % des unités
économiques recensées au Sénégal, dont 39,5 % à Dakar, 11,43 % à Thiès et
9,39 % à Diourbel (ANSD, 2017).
L’absence d’une base de sondage nous a conduit à utiliser un échan-
tillonnage non probabiliste. Ainsi, la technique de la boule de neige a été
utilisée comme méthode d’échantillonnage qualitatif. Cette méthode
consiste, grâce à un schéma de désignation successive, à ajouter, à un
noyau d’individus déjà interrogés, d’autres individus désignés par les
informateurs de départ (Beaud, 2016). Dans chaque région, les premiers
entrepreneurs interrogés nous ont orienté vers leurs pairs, que nous avons
intégrés dans notre échantillon.
Comme le démontre Dépelteau (2010), cette technique s’avère très
pratique lorsqu’on ne dispose pas d’une base de sondage. Grâce à cette
technique, nous avons interrogé dans les trois régions de l’étude (Dakar,
Thiès et Diourbel) un total de 53 jeunes qui ont vécu leur première expé-
rience entrepreneuriale (création ou gestion d’une entreprise individuelle)
il y a deux ans au moins. Cet effectif est réparti comme suit : 26 à Dakar,
15 à Thiès et 12 à Diourbel. Par ailleurs, il faut préciser qu’environ 40 % de
ces jeunes (21 sur 53) ont une fois bénéficié d’un service d’éducation à
l’entrepreneuriat (formation ou coaching) alors que 60 % (32 sur 53) n’en
ont pas bénéficié.
Nos enquêtes ont également ciblé des acteurs publics cités dans la
mise en œuvre de services d’éducation à l’entrepreneuriat de notre
milieu d’étude. Il s’agit notamment de l’Agence Nationale pour la
Promotion de l’Emploi des Jeunes (ANPEJ), l’Agence de Développement
et d’Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADEPME), le
Programme Sénégalais pour l’Entrepreneuriat des Jeunes (PSEJ) et le
Projet d’Appui à la Promotion de l’Emploi des Jeunes et des Femmes
(PAPEJF).
Cet échantillon de taille réduite a été constitué selon le principe de la
diversification et de la recherche de la saturation empirique. Ces deux
principes constituent des critères de validité d’un échantillon qualitatif.
Bien qu’elle ne garantisse pas une représentativité absolue, cette démarche
permet néanmoins de tirer des conclusions solides.
Par ailleurs, nous avons également eu recours à des données de
sources secondaires qui sont essentiellement des rapports d’activités que
nous avons pu consulter.
2 12 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Les informations collectées dans la phase d’investigation empirique


ont porté sur des variables relatives au lien entre l’éducation à l’entrepre-
neuriat et les attitudes et performances entrepreneuriales des jeunes.

4. Le dispositif public d’éducation à l’entrepreneuriat au Sénégal :


acteurs et pratiques éducatives

Au Sénégal, l’État a mis en place des structures qui œuvrent à la promotion


de l’emploi des jeunes. Ces acteurs offrent des services d’accompagnement
dont l’essentiel porte sur la formation et l’encadrement de jeunes entre-
preneurs ou porteurs de projets. Selon les entrepreneurs qui en ont béné-
ficié, ces services sont assurés par l’ADEPME, l’ANPEJ, le PSEJ et le
PAPEJF. Ces acteurs forment donc le dispositif public d’éducation à
l’entrepreneuriat ; ils peuvent être répartis en deux catégories : les institu-
tionnels de l’emploi et les services d’opérationnalisation du PSE.

4.1 Les acteurs institutionnels

Dans cette catégorie d’acteurs, on retrouve notamment les agences de


promotion de l’emploi telles que l’ADEPME et l’ANPEJ. Leurs pratiques
s’appuient sur des mécanismes d’intervention et sur des approches assez
similaires même si leurs cibles sont plus ou moins différentes.
Par exemple l’ADEPME, qui œuvre exclusivement dans l’encadrement
des entrepreneurs, cible aussi bien les jeunes que les adultes. Ses interven-
tions s’appuient sur un diagnostic préalable et un plan d’accompagnement
qui définit les actions prioritaires parmi lesquelles il y a le renforcement
des capacités des porteurs de projets et des dirigeants de petites et
moyennes entreprises (PME).
De manière concrète, ce renforcement concerne la formation sur des
modules choisis en fonction de la situation des entrepreneurs et du niveau
de développement de leurs entreprises respectives. D’une part, les porteurs
de projets et les entrepreneurs informels bénéficient d’une formation sur
l’esprit entrepreneurial, la comptabilité, le marketing et la fiscalité, alors
que les dirigeants de PME sont principalement formés sur des modules
tels que la gestion comptable, la gestion de la trésorerie et les techniques
de soumission aux appels d’offres. Ces formations sont assurées par des
prestataires recrutés par l’ADEPME sur la base de leur expertise. De plus,
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 2 13

des ateliers thématiques sur les produits financiers (cautionnement, assu-


rance-crédit, affacturage) permettent de renforcer l’éducation financière
des entrepreneurs.
Aussi la formation sur l’élaboration de business plan ainsi que le
coaching renforcent les services d’éducation à l’entrepreneuriat offerts
par d’ADEPME à ses diverses cibles.
Contrairement à l’ADEPME, l’ANPEJ offre des services d’encadre-
ment exclusivement aux jeunes. La plupart de ses activités sont orientées
vers la promotion de l’entrepreneuriat. Elle offre des services d’éducation
à l’entrepreneuriat grâce à une stratégie d’intervention qui, à l’image de
l’ADEPME, est axée sur la formation et le renforcement de capacités. Elle
s’appuie également sur la sélection de prestataires qui bénéficient d’une
formation de première main afin d’assurer la formation des jeunes entre-
preneures et porteurs de projets dans des domaines tels que la culture
entrepreneuriale, le marketing, la création d’entreprise et la gestion admi-
nistrative et financière. Ces prestataires assurent, en outre, l’encadrement
des bénéficiaires dans leur parcours entrepreneurial (montage de business
plan, suivi de la comptabilité et coaching personnalisé).
Ces pratiques éducatives respectives contribuent au renforcement de
la culture entrepreneuriale des jeunes et de leurs compétences
managériales.

4.2 Les services d’opérationnalisation du PSE

L’introduction de la logique programme, dans le cadre du PSE, a poussé


l’État du Sénégal à mettre en œuvre des programmes et projets exclusi-
vement dédiés à la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes. C’est ainsi
qu’il a été lancé par le Plan d’actions prioritaires 2014-2015, la mise en
place du Projet d’Appui à la Promotion de l’Emploi des Jeunes et des
Femmes (PAPEJF) et du Programme Sénégalais pour l’Entrepreneuriat
des Jeunes (PSEJ).
Ces derniers constituent donc des services d’opérationnalisation du
PSE en ce sens qu’ils s’inscrivent dans la logique de ce référentiel. En effet,
contrairement aux acteurs institutionnels qui couvrent des métiers variés,
les actions du PSEJ et du PAPEJF ciblent particulièrement les secteurs
prioritaires du PSE. Ces secteurs sont l’agriculture, la pêche, l’élevage, le
numérique, les industries culturelles et créatives et les mines (pour le
2 14 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

PSEJ), et exclusivement les chaînes de valeurs agricoles et de services (pour


le PAPEJF).
La composante 1 du PAPEJF poursuit de manière concrète une
mission d’éducation à l’entrepreneuriat dans la mesure où elle s’emploie
au renforcement des compétences techniques et managériales des jeunes
et des femmes à travers des formations et la mise en place de centres
d’incubation pour faciliter le coaching. Cette approche est également
développée par le PSEJ dont les services d’éducation à l’entrepreneuriat
portent également sur la formation et le coaching. Les formations déve-
loppées par ces acteurs couvrent l’essentiel des compétences nécessaires
à la création et le développement d’une entreprise (éducation financière,
esprit entrepreneurial, formation technique, gestion administrative et
financière, etc.).
En définitive, les divers acteurs publics qui alimentent le dispositif
d’éducation à l’entrepreneuriat au Sénégal développent des stratégies
d’intervention similaires (formation et coaching) même si leurs cibles et
les statuts qui les définissent sont divers et variés.
De manière générale, on s’aperçoit que, dans la pratique, les forma-
tions sont assurées grâce à une méthodologie qui tient compte du niveau
hétérogène des participants et qui privilégie l’utilisation des outils adaptés
aux contextes et aux cibles. Ainsi, les séances de brainstorming, les témoi-
gnages d’entrepreneurs, les travaux de groupe, les partages d’expériences
et les jeux de rôle ont été décrits comme étant les principales techniques
d’animation utilisées.

5. Les avantages comparatifs de l’éducation à l’entrepreneuriat

5.1 Étude comparative des performances entrepreneuriales

Bien qu’ayant profité à une minorité de jeunes parmi ceux que nous avons
interrogés, l’accès à l’éducation à l’entrepreneuriat constitue un facteur
décisif du succès entrepreneurial.
Il suffit d’observer les critères tels que la pérennisation des entreprises
au-delà d’un seuil de deux ans1, l’évolution du chiffre d’affaires et la capa-

1. Nous avons choisi deux ans comme seuil de pérennité car l’essentiel des jeunes
que nous avons interrogés ont vécu leur première expérience dans l’entrepreneuriat il y a
deux ans au moins.
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 2 15

cité à créer des emplois supplémentaires pour comprendre que le taux de


réussite noté chez les jeunes qui ont bénéficié des services d’éducation à
l’entrepreneuriat dépasse largement celui observé chez leurs pairs qui
n’ont pas eu accès à ces services. En effet, parmi les 21 jeunes qui ont profité
d’un apprentissage entrepreneurial, 16 ont pu pérenniser leurs entreprises
respectives. Seulement cinq d’entre eux ont échoué à le faire. Ce constat
nous donne au taux de pérennisation de plus de 76 % chez les jeunes
Sénégalais ayant bénéficié d’une formation en entrepreneuriat et d’un
coaching.
Au contraire, plus de la moitié des entreprises créées ou gérées par
des jeunes qui n’ont bénéficié d’aucune forme d’éducation à l’entrepre-
neuriat ont connu une espérance de vie de moins de deux ans. Chez
cette catégorie d’entrepreneurs, le taux de pérennisation tourne autour
de 40 % (soit 13 entreprises individuelles sur 32). Ces chiffres suffisent à
démontrer le lien qui existe entre apprentissage entrepreneurial et succès
entrepreneurial.
Ce déséquilibre s’observe également si on s’intéresse aux revenus
générés par les entreprises ayant survécu. En effet, l’estimation du chiffre
d’affaires montre que ceux qui ont bénéficié d’un service d’apprentissage
entrepreneurial réalisent un chiffre d’affaires constant ou évolutif. Ce
constat est valable chez plus des deux tiers d’entre eux (11 entreprises sur
16, soit 68 %).
Par contre, leurs collègues qui n’ont pas bénéficié de ces services
éducatifs éprouvent des difficultés à maintenir un rythme d’évolution
constant du chiffre d’affaires. Dans cette catégorie, presque deux tiers des
entrepreneurs (8 sur 13, soit 61 %) réalisent un chiffre d’affaires marqué
par une baisse régulière.
En sus des performances économiques et financières, les entreprises
gérées par les personnes ayant bénéficié d’une éducation à l’entrepreneu-
riat pourvoient plus d’emplois que les autres entreprises. La moyenne des
emplois créés par chacune de ces entreprises est d’environ quatre, alors
que celle des emplois créés par chacune des entreprises des jeunes non
« éduqués » est d’environ de deux.
En un mot, sur la base de ces trois critères, on note que les perfor-
mances entrepreneuriales réalisées par les entrepreneurs « éduqués »
dépassent largement celles de leurs pairs qui n’ont pas bénéficié d’une
éducation entrepreneuriale.
2 16 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Ces arguments confortent la position de Champy-Remoussenard


(2018) selon qui l’éducation à l’entrepreneuriat permet aux jeunes de bien
réussir leur projet d’auto-emploi.

5.2 La valeur ajoutée de l’éducation à l’entrepreneuriat

Dans les arguments développés par les entrepreneurs performants, il


ressort une multitude de discours mettant en exergue les compétences et
les attitudes apprises grâce à l’éducation entrepreneuriale. Pour la majorité
des jeunes « éduqués », la formation et l’accompagnement offerts ont été
des facteurs décisifs de leur succès, en ce sens que ces services éducatifs
leur ont permis de gagner en confiance et en capacités organisationnelles.
Brefs, ils ont développé en eux une culture entrepreneuriale qui se lit à
travers l’état d’esprit, les attitudes et les comportements qu’ils
développent.
L’exemple de M. D., un jeune entrepreneur agricole formé et suivi par
le PSEJ peut servir d’illustration :
J’ai compris grâce à la formation que l’entrepreneuriat est un parcours de
combattant. C’est pour avoir pris conscience de ça que je n’ai jamais baissé les
bras. Au début, c’était difficile mais à chaque fois que je voulais me résigner,
je me souvenais de la vidéo passée en formation et où on disait qu’un bon
entrepreneur n’abandonne jamais. C’est grâce à cet état d’esprit que j’ai pu
atteindre mon objectif car j’ai créé quelque chose qui m’est utile.

D’autres témoignages montrent que l’éducation à l’entrepreneuriat a


permis à certains jeunes d’être réalistes et d’éviter des risques démesurés.
Ce réalisme s’aperçoit chez certains à travers le redimensionnement de
leurs projets et leurs capacités à progresser de manière graduelle. C’est ce
qui ressort des discours recueillis auprès de plusieurs jeunes, dont B. S.
Celui-ci gère une entreprise de multiservice grâce à l’encadrement de
l’ANPEJ.
J’ai eu la chance de participer à une formation en entrepreneuriat grâce à
l’ANPEJ. Cette formation m’a réveillé et m’a servi de déclic. J’avais voulu
entreprendre mais je me disais qu’il faut avoir beaucoup d’argent pour
démarrer. J’avais évalué mon projet à hauteur de plusieurs millions alors que
je n’avais que 200 000 F. L’encadrement dont j’ai bénéficié m’a aidé à m’orga-
niser et à procéder étape par étape. Le conseiller m’a convaincu de démarrer
avec 200  000. (…) Je ne suis pas millionnaire mais mon business marche bien.
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 2 17

La prise de conscience générée par l’apprentissage entrepreneurial a


permis à ce jeune de s’inscrire dans une culture entrepreneuriale qui lui
a servi de levier pour atteindre les différentes étapes du processus de
développement de l’entreprise. Ces processus décrits par Bruyat (1993)
sont le déclenchement, l’engagement et la survie-développement.
Il faut aussi préciser que la formation a également permis aux jeunes
de développer des compétences relationnelles qui constituent une res-
source non négligeable pour un entrepreneur. Beaucoup s’accordent sur
le fait que celle-ci leur a permis de s’inscrire dans une bonne approche
marketing, de découvrir des partenaires potentiels et de s’insérer dans
des réseaux de relations qui ont contribué à la réussite de leurs projets.
Des attitudes telles que l’esprit d’initiative, la prise de risque, le sens des
responsabilités, la solidarité et le leadership sont également des atouts qui
émanent de l’encadrement.
Toutefois, il semble que les apports les plus décisifs restent liés à
l’éducation financière. En effet, en plus d’avoir permis aux jeunes de
développer le réflexe de l’épargne, elle a doté ces derniers de compétences
utiles en gestion. Ces compétences ont été la clé du succès entrepreneurial
de P. S., un tapissier qui exerçait dans l’informel à ses débuts.
J’ai fait presque 10 ans dans l’entrepreneuriat avant de bénéficier des services
de l’ADEPME. Au début, j’étais dans l’informel mais je gagnais beaucoup
d’argent sans pour autant m’en rendre compte car je faisais des dépenses inu-
tiles. Celui qui me suivait m’a conseillé d’enregistrer les opérations financières
dans ce carnet qu’il m’a fait acheter. Il m’a aussi convaincu d’avoir une caisse
spéciale pour l’entreprise et d’éviter d’utiliser cette caisse pour des dépenses
qui n’avaient rien à voir avec le fonctionnement de l’entreprise. Quand j’ai
commencé à le faire, j’ai compris que mon business générait de l’argent. Le
problème, c’était la manière de le gérer. Il m’a aussi demandé de me procurer
un salaire fixe qui me permet de gérer mes besoins personnels. J’ai respecté ses
consignes, c’est pourquoi je fonctionne actuellement sans crédit alors qu’au
début j’étais obligé de demander du crédit pour assurer le fonctionnement de
l’entreprise. Je peux même dire que c’est grâce à lui que j’ai commencé à
épargner.

L’intérêt de l’éducation financière s’aperçoit également à travers


l’exemple d’A. G., une avicultrice qui a bénéficié d’une formation en
entrepreneuriat à la suite d’une recommandation d’un de ses amis. Cette
femme qui a sollicité le PAPEJF pour acquérir du crédit a su profiter des
services non financiers pour améliorer son management.
2 18 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Je n’étais pas suffisamment motivée à l’idée de participer à une formation car


j’avais bénéficié d’un module de formation sur l’entrepreneuriat quand j’étais
étudiante. Mais puisque je voulais du crédit, j’ai dû en faire malgré moi (…).
La formation et les rencontres qui ont suivi m’ont permis de comprendre que
je n’avais pas forcément besoin de crédit. Le problème, c’est que j’étais malade
financièrement. Je faisais des rentrées d’argent mais je gérais mal mes dépenses,
je faisais des dépenses inutiles et j’achetais souvent [au] détail. Ils m’ont appris
à planifier les dépenses et à enregistrer de manière très simple les rentrées et
sorties d’argent pour avoir une idée nette de ce que l’activité me rapporte. J’ai
aussi pu limiter les dépenses inutiles grâce à leur sensibilisation. J’ai dû faire
face aux railleries de certains proches qui me taxaient d’être devenue pingre,
mais c’est grâce à ça que j’ai augmenté mon bénéfice.

Les divers exemples cités montrent que l’éducation à l’entrepreneuriat


contribue à développer les valeurs et démarches entrepreneuriales en
encourageant et en valorisant le potentiel des jeunes entrepreneurs pour
les rendre capables de rendre viables et rentables leurs entreprises. C’est
donc une valeur ajoutée qui, comme le soutient Chell (1985), procure un
certain nombre de savoirs qui confèrent aux jeunes les qualités et le succès
entrepreneurial.

5.3 Les obstacles liés à l’absence d’une éducation à l’entrepreneuriat

Contrairement aux jeunes « éduqués », les promoteurs qui n’ont pas


bénéficié des services d’éducation à l’entrepreneuriat vivent un parcours
entrepreneurial marqué par des échecs et des difficultés plus accrues.
Les récits que nous avons pu recueillir auprès de certains d’entre eux
montrent que ces difficultés sont liées au non-accès à ces services. Le
cas de B. D. illustre bien la situation de ces jeunes qui procèdent par
essais et erreurs.
C’est en 2015 que j’ai connu ma première expérience entrepreneuriale. J’avais
fait des études poussées mais je n’ai jamais bénéficié d’une formation en entre-
preneuriat. Mon oncle m’a financé parce qu’il voulait m’aider à sortir du
chômage. J’ai ouvert une boutique de vente d’habits prêts à porter. Ça me
rapportait beaucoup mais au lieu d’épargner, je dépensais sans réfléchir.
J’accordais du crédit à des personnes sans les noter et parfois quand tu oublies,
les gens font comme si de rien n’était. Au bout de quelques mois, j’ai commencé
à avoir des soucis pour couvrir les frais de fonctionnement avant de faire faillite
en moins d’un an (…). Bien sûr que si j’avais été encadré, j’aurais pu m’en sortir
car je n’avais aucune expérience en gestion d’une entreprise.
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 2 19

L’expérience de B. D. est à l’image de celle de plusieurs jeunes qui


n’ont pas bénéficié de service d’éducation à l’entrepreneuriat. Les consé-
quences d’un tel état de fait sont le manque de compétences managériales
et le déficit de culture entrepreneuriale. Ces derniers font face à plusieurs
problèmes récurrents. Il s’agit, entre autres, d’une incapacité à saisir les
occasions d’affaires, d’une mauvaise gestion financière, les difficultés dans
l’accroissement du marché, des erreurs dans le choix des investissements,
la prise de risques démesurés et aussi le manque de confiance en soi. Ce
manque de confiance s’aperçoit notamment dans l’incapacité de certains
d’entre eux à établir une stratégie marketing efficace. Ils souffrent égale-
ment d’un manque d’aptitudes à persévérer et à faire face aux obstacles
au démarrage. Pour certains, cela est le résultat d’une perception erronée
de l’entrepreneuriat, perçu parfois comme un parcours aisé où la réussite
est présumée facile.
Le cas de S. N. renseigne bien sur cette perception erronée de
l’entrepreneuriat :
J’ai travaillé pendant un an pour le compte d’un grand magasin de vente de
pièces détachées. Le magasin faisait un bon chiffre d’affaires mais j’étais mal
payé. Alors, j’ai décidé de créer une petite entreprise de vente de pièces déta-
chées. J’ai demandé et obtenu un crédit de 600  000 F dans une institution
financière grâce à mon frère que j’ai convaincu d’être mon avaliseur. J’ai loué
un local et j’ai acheté de la marchandise. Mais j’ai été déçu de ne pas avoir de
clients. Il m’arrivait de travailler toute une journée sans vendre une seule pièce.
À la fin du mois, j’avais des difficultés pour payer le loyer et pour rembourser
l’échéancier. J’ai vécu trois mois de galère avec mon entreprise car je ne m’atten-
dais pas à une telle situation. Je pensais qu’il suffisait d’avoir son propre
business pour être riche. Au final, j’ai été obligé d’arrêter et de vendre la mar-
chandise au rabais à un concurrent pour rembourser le crédit.

On s’aperçoit à travers ces exemples que l’échec du projet est, en


partie, la conséquence d’un manque de préparation et de sensibilisation
aux réalités de l’entrepreneuriat. Ces manquements, qu’un apprentissage
entrepreneurial pourrait combler, poussent certains jeunes à s’investir
dans l’entrepreneuriat sans prendre le soin de faire une étude de marché
et sans se rendre compte de ce qu’il va leur en coûter pour développer leur
capacité à faire des ajustements ou à persévérer.
Tous ces facteurs influencent négativement les attitudes des jeunes
qui, faute de formation et de suivi, réalisent un parcours entrepreneurial
marqué par le tâtonnement et le pilotage à vue. Une telle situation affecte
220 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

le développement de leurs entreprises qui, à l’image de celle de S. N.,


connaissent généralement une fin précoce ou réalisent des performances
mitigées.
Les divers résultats présentés plus haut démontrent alors la nécessité
de faire de l’éducation à l’entrepreneuriat un levier pour soutenir la dyna-
mique entrepreneuriale au Sénégal.
Cela suppose dès lors un engagement politique et l’adoption de
plusieurs stratégies pour relever le défi de l’accès à l’éducation à
l’entrepreneuriat.

6. R
 elever le défi de l’accès à l’éducation à l’entrepreneuriat
au Sénégal

Compte tenu de tout ce qui précède, il s’avère nécessaire d’améliorer l’accès


aux services d’éducation à l’entrepreneuriat. Pour ce faire, trois stratégies
principales peuvent être envisagées.

6.1 Intégrer l’éducation à l’entrepreneuriat dans les programmes


éducatifs

L’esprit d’entreprendre est devenu une compétence dont la promotion à


grande échelle passe nécessairement par l’introduction des modules de
formation en entrepreneuriat dans les établissements d’enseignement. Ce
constat part du principe que l’entrepreneuriat n’est pas une activité ano-
dine, elle nécessite des compétences sociales et managériales qui consti-
tuent le socle de la réussite des projets d’entreprise. Ainsi, un programme
de formation en entrepreneuriat serait la réponse adéquate pour aider les
jeunes à développer des perspectives de carrière, la vocation et la
conscience entrepreneuriale en bas âge. Comme le soutient Fayolle (2004),
plus l’éveil à l’entrepreneuriat est précoce plus les chances de concréti-
sation du projet d’entreprise sont élevées. Toutefois, l’effectivité de cette
solution exige la modification des curricula de l’éducation et le recours à
des experts pour conduire des activités de formation.
Ceci passe nécessairement par le recours à une approche pédagogique
innovante articulée autour d’objectifs pédagogiques ambitieux et réalistes.
Ce qui, en d’autres termes, requiert l’introduction de nouveaux processus
d’apprentissage.
e n j eu x da ns l a r éus si t e de s proj et s e n t r e pr e n eu r i au x • 22 1

6.2 Faire de l’éducation à l’entrepreneuriat une étape clé du processus


de création d’entreprise

Pour augmenter la couverture de l’éducation à l’entrepreneuriat, il serait


judicieux d’intégrer les services de formation en entrepreneuriat et d’édu-
cation financière dans le processus de délivrance des pièces administra-
tives (registres de commerce et NINEA). Cela permet de renforcer l’esprit
entrepreneurial des jeunes qui optent pour l’entrepreneuriat comme choix
de carrière. Cependant, une telle approche suppose de doter les chambres
de commerce et les services techniques chargés de diligenter les dossiers
de reconnaissance d’entreprises de compétences suffisantes pour leur
permettre d’assurer de manière efficace ce rôle.
Elle suppose également de mettre en place des ressources financières
par l’intermédiaire de différentes sources de financement pour faciliter
l’offre de service de qualité. Ces formations devraient notamment tenir
compte des projets des jeunes afin de les mettre en situation à partir de
projets concrets. À ce propos, le recours à une approche pédagogique
situationnelle et adaptée serait un défi majeur.

6.3 Renforcer le déploiement des acteurs éducatifs à l’échelle locale

Offrir une seconde chance aux jeunes qui n’ont pas eu accès à l’éduca-
tion à l’entrepreneuriat est une option réaliste. Cela passe par un travail
de communication auprès de ces promoteurs dont la plupart ne sont
pas informés de l’existence du dispositif. Selon nos enquêtes, 75 % des
entrepreneurs (soit 24 sur 32) qui sont à la marge de l’apprentissage
entrepreneurial estiment ne pas connaître les acteurs qui offrent des
services d’éducation à l’entrepreneuriat. Cependant, l’efficacité de cette
stratégie tient à un meilleur déploiement des acteurs qui forment le
dispositif d’éducation à l’entrepreneuriat afin de réduire la distance
géographique qui les sépare de certains jeunes entrepreneurs ou por-
teurs de projets. Cette stratégie permettra à ces acteurs d’être visibles
et de comprendre les pratiques entrepreneuriales ainsi que les pro-
blèmes auxquels se heurtent les jeunes. Elle permettra, en définitive de
développer des actions éducatives de proximité adaptées aux contextes
et aux situations.
222 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Conclusion

L’éducation à l’entrepreneuriat constitue un important levier de la réussite


entrepreneuriale des jeunes au Sénégal. En effet, notre étude montre que
les services d’éducation financière, de formation (en techniques de gestion
entrepreneuriale, en marketing, en comptabilité, etc.) et d’accompagne-
ment développés par des acteurs structurels (ANPEJ et ADEPME) et des
services d’opérationnalisation du PSE (PSEJ et PAPEJF) offrent une valeur
ajoutée aux entrepreneurs qui en bénéficient.
Cet avantage comparatif repose sur trois constats. D’une part, l’espé-
rance de vie des entreprises gérées par ces derniers est plus élevée que
celle des entreprises détenues par les jeunes non « éduqués ». D’autre part,
le chiffre d’affaires réalisé par les jeunes « éduqués » est marqué par une
hausse constante, contrairement à celui réalisé par leurs camarades qui
n’ont pas eu accès aux services éducatifs. Enfin, le nombre d’emplois créés
par les entreprises qui sont gérées par les bénéficiaires de l’éducation à
l’entrepreneuriat fait le double de ceux créés par leurs camarades qui se
situent à la marge de l’apprentissage entrepreneurial.
Ces différents constats démontrent l’importance de l’éducation à
l’entrepreneuriat dans la réussite des projets entrepreneuriaux des jeunes
et rendent légitime la nécessité, pour les pouvoirs publics, d’élargir les
services d’éducation à l’entrepreneuriat à d’autres jeunes qui, faute de
formation et d’encadrement, réalisent des performances assez mitigées.
En somme, l’éducation à l’entrepreneuriat constitue un levier à déve-
lopper pour améliorer l’efficacité des politiques publiques de promotion
de l’entrepreneuriat des jeunes.

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chapitre 10

L’éducation à l’entrepreneuriat à
l’université
Une voie pour l’insertion professionnelle des
jeunes au Maroc

Karima Ghazouani, Meryem Chiadmi, Sanae Solhi et


Jalila Ait Soudane

L’auto-emploi et le développement d’activités entrepreneuriales sont des


voies importantes de sortie du chômage. Les politiques publiques des pays
développés les intègrent depuis plusieurs années comme instruments
d’employabilité. Au Maroc, l’insertion professionnelle des jeunes diplômés
est plus que jamais d’actualité. Chaque année, plusieurs centaines de
milliers de diplômés arrivent sur un marché du travail saturé. Selon le
Haut-Commissariat au Plan (HCP, 2016), près d’un tiers (33,5 %) des chô-
meurs détiennent un diplôme d’enseignement supérieur, les plus désa-
vantagés (25,3 %) sont les titulaires d’un diplôme de l’enseignement
supérieur public. Un taux deux fois et demie plus élevé que la moyenne
nationale (9,9 %).
Devant cette situation alarmante, l’entrepreneuriat apparaît comme
une issue de création d’emploi et d’amélioration de la croissance écono-
mique (Benredjem, 2010). Des mesures et politiques étatiques ont été
déployées au Maroc afin d’instaurer un environnement favorable aux
affaires et encourager l’auto-emploi des jeunes lauréats par la création de
leur propre entreprise.
226 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Inciter les lauréats universitaires à se lancer dans la création d’entre-


prise requiert un pont entre l’esprit d’entreprendre et leur domaine
d’études. D’ailleurs, le rapport de Global Entrepreneurship Monitor (2009)
a insisté sur l’importance de l’éducation à l’entrepreneuriat au niveau des
universités. Dans ce sillage, l’université marocaine a un rôle primordial
à jouer. Elle doit renforcer la culture et l’esprit entrepreneurial chez les
jeunes diplômés en intégrant les programmes de l’éducation à l’entrepre-
neuriat dans les cursus de l’enseignement général et professionnel.
L’objectif de ce chapitre est d’évaluer les acquis des étudiants en matière
entrepreneuriale. Les résultats de cette analyse devraient être de nature à
répondre à notre problématique : dans quelle mesure les programmes et
actions entrepreneuriales dans l’université marocaine contribuent-ils au
développement des compétences et capacités entrepreneuriales et encou-
ragent-ils l’intention entrepreneuriale chez ses diplômés ?
La réponse à cette problématique passe par une clarification de la
relation entre les intentions entrepreneuriales et l’éducation en entrepre-
neuriat. Selon Tkachev et Kolvereid (1999) : « Les intentions entrepreneu-
riales sont déterminées par des facteurs qui peuvent évoluer au fil du
temps… Les cours d’entrepreneuriat, les programmes de formation sur
la gestion des PME ou encore sur les réseaux, visant le changement des
valeurs, des attitudes et des normes sociales sont susceptibles d’avoir un
impact positif. » Il en découle que la vérification de cet impact passe par
la formulation de deux hypothèses de travail :
H1 : L’intention entrepreneuriale s’acquiert par un enseignement
spécifique en entrepreneuriat
H2 : Un enseignement en entrepreneuriat agit favorablement sur
l’esprit d’entreprendre des étudiants.
La démarche empruntée est une vérification empirique de cette rela-
tion à travers les données fournies par l’enquête menée auprès de 500 étu-
diants de l’Université Mohammed V de Rabat (UM5R). Les étudiants de
notre échantillon ont été soumis à une évaluation avant d’intégrer le
programme et à la fin de la formation afin d’évaluer le changement de
leur profil, de leurs attitudes et aptitudes entrepreneuriales. Ensuite, nous
avons procédé à une vérification empirique de cette relation en croisant
des résultats par une analyse selon le modèle de l’événement entrepre-
neurial de Shapero (Shapero 1975 ; Shapero et Sokol, 1982), inspiré de la
théorie du comportement planifié de Ajzen (1991).
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 22 7

La deuxième section présente les soubassements théoriques de l’entre-


preneuriat dans le domaine éducatif, puis son enseignement dans les
universités marocaines dans une troisième section. Avant la conclusion,
la quatrième section expose les données de notre échantillon et le modèle
empirique d’analyse, ainsi que les résultats et leur discussion.

1. Entrepreneurship dans le champ de l’enseignement : débats


théoriques

Honig (2004) a déclaré que la pédagogie traditionnelle est souvent en


contradiction avec les besoins d’une éducation entrepreneuriale. Dans ce
sillage, Kirby et al. (2006) et Cronin (2007) ont précisé que la pédagogie
par l’action dans l’enseignement de l’entrepreneuriat est la plus appropriée,
puisqu’elle est conçue dans un environnement développant chez les étu-
diants des compétences entrepreneuriales.
Par tradition ou par action, l’entrepreneuriat n’a jamais été considéré
comme une discipline relevant du champ éducatif. Ce n’est qu’à partir
des années 1990 que son enseignement dans les universités joue un rôle
incontournable de diffusion de la culture entrepreneuriale. Il est désor-
mais admis que le système d’enseignement améliore les aptitudes entre-
preneuriales chez les individus.

1.1 Opportunité entrepreneuriale

La poursuite d’opportunité est au cœur de la dynamique entrepreneuriale.


La littérature, dans les années 2000, a été marquée par une production
abondante autour du paradigme de l’opportunité (Verstraeste et Fayolle,
2005 ; Chabaud et Messeghem, 2010 ; Stevenson et Jarillo, 1991)1. Ces
auteurs définissent l’entrepreneuriat comme étant « la poursuite de l’op-
portunité sans tenir compte des ressources actuellement contrôlées » et
reconnaissent l’idée de l’opportunité comme l’élément central dans le
processus d’entrepreneuriat. Ils affirment en outre que la présente situa-
tion d’une entreprise, y compris ses ressources actuelles, ne constitue pas
un obstacle pour l’entrepreneur dans sa poursuite d’une opportunité
entrepreneuriale.

1. Cité par Austin, Jane Wei-Skillern (2006).


228 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Désignant dans son sens le plus strict l’activité de l’entrepreneur,


c’est-à-dire la capacité à faire émerger des opportunités de valeur en jouant
sur plusieurs espaces (Zalio, 2005), ce terme est aussi utilisé de manière
plus équivoque pour désigner une attitude professionnelle, voire existen-
tielle, qui serait faite de créativité, d’initiative, de prise de risque ou encore
de capacité à rebondir après un échec. Dans un sens plus large, l’entre-
preneuriat englobe entre autres l’esprit d’entreprise, terme se rapportant
davantage à une activité spécifique, qui est la création d’entreprise, qu’à
un caractère ou à une attitude.
Pour Krueger et Carsrud (1993), étudier un comportement futur de
création d’entreprise est inséparable des intentions qui animent les indi-
vidus quant à la manifestation de ce comportement. En amont, l’intention
représente le meilleur catalyseur de l’acte d’entreprendre (Kolvereid, 1997 ;
Krueger et Brazeal, 1994 ; Krueger et al., 2000).

1.2 Éducation et formation à l’entrepreneuriat

L’entrepreneuriat n’est pas une aptitude innée. C’est une discipline qui
peut s’apprendre par l’éducation et la formation (Béchard, 1998 ; Fayolle,
2000 ; Sénicourt et Verstraete, 2000) et se renforcer à l’université (Schieb-
Bienfait, 2000). Il est possible d’enseigner des aptitudes à entreprendre,
de former les individus à être plus autonomes et de les encourager à
prendre des initiatives (Krueger et Brazeal, 1994). L’éducation entrepre-
neuriale prépare l’apprenant aux pratiques entrepreneuriales (Laukannen,
2000). Elle concerne tout programme pédagogique dont la finalité est le
développement des attitudes et compétences entrepreneuriales (Fayolle
et al., 2006).
L’éducation à l’entrepreneuriat inspire trois systèmes de valeurs
(Béchard et Grégoire, 1997) : l’éducation entrepreneuriale (utilisation de
pédagogie ouverte) ; l’éducation à l’entreprise (identification des compé-
tences nécessaires pour mener à bien un projet entrepreneurial) ; et la
culture entrepreneuriale (conviction qu’ont des individus d’être les acteurs
de leur devenir).
L’enseignement de l’entrepreneuriat a pour principal objectif d’initier
et de sensibiliser les étudiants à l’esprit d’entreprendre et à l’esprit d’entre-
prise (Fayolle, 2005 ; Gaujard et Verzat, 2011 ; Pepin, 2011). Selon Champy
Remoussenard (2012), la formation à l’entrepreneuriat vise le développe-
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 229

ment de deux attitudes : la première (esprit d’entreprendre), liée à la prise


d’initiative, n’implique pas nécessairement la création d’entreprise. Elle
consiste à observer son environnement, à être sensible à ses besoins non
satisfaits, à analyser ses compétences et à améliorer sa formation, à avoir
l’expérience du travail en équipe et de la participation à des groupes de
projets, à créer des réseaux et à les animer, à être prêt à s’investir et être
conscient qu’il faudra toujours se remettre en question et s’améliorer
(Hernandez, 2000). Il s’agit donc de développer des compétences de vie
utiles dans la vie personnelle et professionnelle. La deuxième (esprit
d’entreprise) implique la capacité d’une personne à reconnaître et à saisir
les occasions, à passer de l’idée à la réalisation, et à planifier et gérer des
processus pour atteindre des objectifs (Ghazouani et al., 2019). L’esprit
d’entreprise fait référence à l’acte de créer une entreprise qui est précédé
par l’intention entrepreneuriale « volonté à essayer, l’effort que l’on est
prêt à consentir pour se comporter d’une certaine façon » (Ajzen, 1991).
Si l’on s’intéresse à l’esprit entrepreneurial, l’université a un rôle fon-
damental à jouer, exprimé dans le document COM (2011) p. 567, qui
consiste à « Encourager le développement des compétences entrepreneu-
riales, créatives et innovantes dans toutes les disciplines et dans les trois
cycles ». Et pour promouvoir cet esprit entrepreneurial chez les étudiants,
les programmes de formation à l’entrepreneuriat proposés par les univer-
sités répondent à trois niveaux d’apprentissage selon le modèle de Fayolle
et Filion (2006)2 :
a) La sensibilisation et l’initiation à l’entrepreneuriat : à cet effet, il
s’agit de sensibiliser les étudiants à la création d’entreprise et de leur
indiquer l’existence d’autres voies professionnelles exploitables au cours
de leur carrière. Ce type de programme permet de stimuler les facultés
comme la créativité et l’esprit d’initiative. De plus, il aide les étudiants à
développer leur autonomie.
b) La formation à la création d’entreprise, à la gestion de projet, à la
PME : l’objectif escompté, dans ce type de formation, est de transmettre
des connaissances favorables à la création d’entreprise. Ce type de pro-
gramme prépare également les bénéficiaires de la formation aux diffé-
rentes situations professionnelles auxquelles ils devraient faire face. Il va
sans dire que ce niveau d’intervention vise la spécialisation des étudiants

2. Cité par K. El Ouazzani Ech Chahd et al. (2014).


230 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

dans les domaines d’activités de l’entrepreneuriat et leur incitation à la


création d’entreprise.
c) L’accompagnement des porteurs de projets : La finalité de ce niveau
d’intervention est l’accompagnement et le suivi des porteurs de projets.
Il s’agit d’une formation personnalisée, orientée vers les besoins du projet
de création d’entreprise :
• aide à la recherche des partenaires et des financements nécessaires ;
• encadrement sur le plan scientifique, technique et technologique ;
• soutien psychologique, etc.

2. Enseignement de l’entrepreneuriat à l’université marocaine

Depuis l’indépendance du Maroc, ses universités ont répondu à un besoin


croissant de formation des cadres de la fonction publique mais, au fil du
temps, cette mission traditionnelle a connu ses limites avec le gel des
recrutements, l’accroissement des effectifs estudiantins et la faiblesse du
taux d’encadrement. L’université a été qualifiée de « producteur » de
diplômés chômeurs disposant d’une formation théorique sans qualifica-
tion en adéquation avec les exigences du marché de travail.
En 2000, la Loi 01.00 portant sur l’organisation de l’enseignement
supérieur va redéfinir les missions et les fonctions de l’université, lui
permettant de se positionner comme acteur principal dans la préparation
des jeunes à l’insertion professionnelle, notamment par le développement
des savoir-faire (article 3 de la loi citée supra).
La formation à l’entrepreneuriat fait ainsi son entrée dans le sys-
tème éducatif universitaire par l’intégration d’un module en entrepre-
neuriat dans le cursus de filières d’établissements à accès régulé de
l’enseignement supérieur, et quelques années plus tard, par la généra-
lisation du module entrepreneuriat dans les curricula avec un caractère
obligatoire pour tous les établissements universitaires, et dans toutes
les disciplines de licences fondamentales et professionnelles de 2010 à
2014. Ce changement s’est opéré dans le cadre du plan d’urgence, et de
la filière de nouvelle génération, intégrant les modules transversaux,
entrepreneuriat, gestion de projet, langue et communication, usages
des TIC, piloté par le Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Ensei-
gnement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche
Scientifique (MESFCRS).
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 231

Les prémisses d’une mutation pédagogique étaient perceptibles dans


les contenus mais également dans les pratiques d’enseignement. Les par-
tenariats noués avec les organismes internationaux, tel le BIT avec le
programme comprendre l’entreprise (CLE/KAB), la Commission euro-
péenne avec les projets financés par le programme TEMPUS ou les pro-
grammes mis en œuvre avec l’USAID, ont accompagné les universités
marocaines dans l’intégration de cet enseignement dans les cursus de
formation par la mise à disposition de contenus et de leur adaptation au
contexte socioéconomique, juridique et fiscal, et des formations de for-
mateurs en entrepreneuriat ont été organisées ainsi que l’initiation à des
approches pédagogiques actives innovantes.
En parallèle au cours et pour stimuler la création effective des entre-
prises, les universités marocaines se sont lancées dans un processus de
formation, de sensibilisation et d’accompagnement à l’entrepreneuriat
auprès des étudiants en partenariat avec le monde socioéconomique. Ce
processus se concrétise généralement par des compétitions et des chal-
lenges entrepreneuriaux (création des Junior-Entreprises, programme
INJAZ Al-Maghrib dans les établissements universitaires, programme
Project Innov, Startup Weekend Maroc, sensibilisation à l’entrepreneuriat
social et développement de projets à fort impact social, Hackathon, Rallye
de l’étudiant entrepreneur innovant) incitant les jeunes à valoriser et à
concrétiser les idées. Ces étudiants sont accompagnés de la phase d’idéa-
tion à la réflexion sur le modèle économique. Ce processus est en lui-même
une occasion de développer leurs capacités et aptitudes entrepreneuriales
en plus des compétences disciplinaires acquises.
Récemment, ces efforts ont été couronnés par l’institutionnalisation
du nouveau Statut National de l’Étudiant Entrepreneur (SNEE), qui
permet à tout étudiant universitaire qui le souhaite d’être étudiant et
entrepreneur durant ses études universitaires et de bénéficier de soutien
et d’accompagnement pour formaliser son projet. L’apport novateur de
ce statut est la prise en compte du projet de l’EE dans son cursus univer-
sitaire par la substitution possible du projet de création d’entreprise au
projet de fin d’études (PFE) ou au stage.
Étant donné que l’enseignement de l’entrepreneuriat (programmes
ou formations de sensibilisation et accompagnement) a des effets décalés
sur la création d’entreprise, l’objectif n’est pas d’évaluer le nombre d’entre-
prises créées par les bénéficiaires mais d’apprécier si cet enseignement a
232 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

changé les attitudes et les perceptions de l’étudiant par rapport à l’entre-


prise, a développé son sentiment de capacité et a suscité des aptitudes
entrepreneuriales (Tounés, 2003). Notre étude empirique tentera d’ap-
porter des éléments de réponse à ces préoccupations.

3. Acquisition des compétences entrepreneuriales suite à une


formation par action : Analyse empirique

L’UM5R s’est engagée depuis l’an 2000 dans des actions visant à renforcer
les compétences entrepreneuriales et le développement de l’esprit d’entre-
prendre de ses étudiants par l’adhésion à plusieurs programmes. Dans ce
cadre, des centaines d’étudiants ont bénéficié d’une formation au pro-
gramme Comprendre l’entreprise (CLE) /Know About Business (KAB) du
BIT dans le cadre d’un partenariat.

3.1 Choix méthodologiques et population cible

Les études qualitatives menées par plusieurs chercheurs3 montrent que


les enseignants, les amis, les professionnels rencontrés au cours des études
exercent une influence importante sur les orientations professionnelles et
le désir d’entreprendre chez les futurs diplômés. Par ailleurs, en amont
du processus entrepreneurial, l’intention d’entreprendre peut être menée
sur la base de deux modèles théoriques issus de la psychologie. Le premier
se fonde sur la théorie du comportement planifié (TCP) d’Ajzen (1991) qui
prédit l’intention à partir d’attitudes favorables, de normes subjectives et
de perceptions de contrôle du comportement. Le second est celui de
Shapero et Sokol (1982) sur l’événement entrepreneurial, où l’intention
est expliquée par les perceptions de désirabilité et de faisabilité de la
création d’entreprise. La conjonction d’une intention favorable avec des
« déplacements » positifs ou négatifs vécus par la personne conduit à
l’événement entrepreneurial.

3.1.1 Spécification du modèle : Modèle de Shapero

L’objet de notre recherche empirique est l’évaluation des acquis entrepre-


neuriaux après une formation en entrepreneuriat, où l’on s’est efforcé de

3. Voir les travaux de Frugier, D. et C. Verzat, 2005.


L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 23 3

développer l’esprit d’entreprise chez les étudiants. Théoriquement, le cadre


de référence de cette étude est constitué par la théorie du comportement
planifié (TCP) d’Ajzen (1991) et le modèle de l’événement entrepreneurial
de Shapero et Sokol (1982). Ce cadre théorique nous permet de mettre en
exergue les principaux facteurs déterminants qui influent sur le passage
de la désirabilité à la concrétisation de l’intention entrepreneuriale.
Le modèle de Shapero (1975 ; Shapero et Sokol, 1982) vise à étudier les
éléments explicatifs du choix de l’entrepreneuriat plutôt que d’une autre
voie professionnelle. Il appréhende les dimensions sociales de l’entrepre-
neuriat et pose un paradigme qui décrit la formation de l’événement
entrepreneurial. Cet événement entrepreneurial résulte de la combinaison
de quatre variables :
• une situation précipitant l’acte entrepreneurial (déplacements
négatifs, positifs ou situation intermédiaire) ;
• les perceptions de désirabilité de l’acte (système de valeurs
individuel) ;
• la faisabilité de l’acte (accès aux ressources nécessaires financières,
humaines et techniques) issu de l’environnement culturel, poli-
tique, économique et social ;
• une disposition psychologique (propension à l’action).
Le modèle proposé par Shapero ne fait pas explicitement référence à
l’intention de créer une entreprise. Ce qui cadre avec l’objectif de notre
recherche qui n’est pas de recenser le nombre d’entreprises créées par les
bénéficiaires mais de se demander si cet enseignement a développé les
aptitudes entrepreneuriales des futurs diplômés.

3.1.2 Caractéristiques de l’échantillon

Les données de base sont tirées du questionnaire administré aux étudiants


ayant bénéficié d’une formation en entrepreneuriat. Cette approche
contribue à comprendre la réalité telle qu’elle est vécue par les répondants,
comme elle convient à la nature exploratoire de notre recherche (Miles et
Huberman, 2003).
Pour évaluer le programme de formation à l’entrepreneuriat sur
l’émergence de l’esprit d’entreprendre chez l’étudiant et le développement
de ses compétences entrepreneuriales, nous avons mené une enquête basée
sur l’administration d’un questionnaire fermé (Entrée-Sortie) auprès d’un
23 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

échantillon de 500 étudiants. La population cible est constituée principa-


lement d’étudiants relevant de l’UM5R.

TA B L E AU 10.1
Caractéristiques de l’échantillon

Données de base Données d’enquête

Population totale 1000 étudiants

Mode d’échantillonnage Aléatoire

Échantillon 500

Sexe
Femmes 60 %
Hommes 40 %

L’objectif est de scruter les nouveaux acquis chez la population cible


en matière de compétences entrepreneuriales. Elles peuvent être person-
nelles (sens de l’organisation, gestion du temps, efficacité, etc.) ; commu-
nicationnelles (savoir écouter et entamer une discussion, capacité à
convaincre, tisser un réseau social, etc.) ; interpersonnelles (sens de la
responsabilité, esprit d’équipe, etc.) ; et sollicitées dans le domaine
entrepreneurial.

3.2 D
 étermination des indicateurs d’études des acquis entrepreneuriaux
de l’échantillon

Le programme auquel cette population a été soumise est KAB dont le


contenu est scindé en neuf modules. Le questionnaire a pour objectif
d’apprécier la progression de l’étudiant (e) bénéficiaire du programme
autour de cinq indicateurs. Et pour suivre de près l’évolution des acquis
entrepreneuriaux, nous avons retenu trois principaux indicateurs (sur un
total de cinq). Ces derniers sont axés sur trois types de compétences.
La différence entre les réponses de chaque étudiant (e) pour chacune
des affirmations constituera la mesure de ce changement. L’analyse des
réponses des étudiants aux questionnaires Entrée-Sortie nous renseigne
sur l’effet du programme KAB sur ladite cible.
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 235

Indicateur 1 : Aptitudes à la communication, au travail d’équipe et à la


résolution de problèmes
• Au sein d’un groupe, je prête attention aux opinions des autres.
Je suis toujours curieux de découvrir et comprendre les idées et
points de vue différents des miens ;
• J’ai la capacité de convaincre et d’obtenir l’adhésion de mes parte-
naires et collaborateurs, ou autres, à mes idées et propositions ;
• Je sais être à l’écoute des personnes avec qui je collabore ;
• Je suis capable d’exprimer mes idées de façon claire et concise ;
• Je sais prendre l’initiative de régler les malentendus dès qu’ils
surviennent et d’explorer des pistes de solution de manière
adéquate ;
• Je prends l’avis des autres avant de prendre des décisions ;
• Je sais trouver ma place dans un groupe de manière adéquate.

Indicateur 2 : Aptitudes entrepreneuriales


• Je sais tout ce qu’il faut savoir pour créer une entreprise ;
• En sachant que la probabilité de réussite n’est pas élevée, je pren-
drais le risque de lancer ma propre entreprise ;
• Je prendrai le risque de lancer ma propre entreprise, même si je
n’ai pas une bonne idée de projet ;
• Là où les autres voient des problèmes, moi je vois des
possibilités ;
• En général, la peur de l’échec ne m’empêche pas d’entreprendre
de nouveaux projets.

Indicateur 3 : Perception/attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat et/ou de


l’entreprise
• Réussir avec une petite entreprise relève plus de la planification
que de la chance ;
• J’admire les gens qui ont une entreprise et qui la gèrent avec
succès ;
• Les petites entreprises sont aussi importantes que les grandes
entreprises pour le pays ;
• Être un entrepreneur signifie qu’on n’a pas été capable de trouver
un emploi salarié ;
236 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 10. 2
Qualité de la représentation pour chacun des critères retenus

Variance en %
Indicateurs et critères Coefficients
Réelle Interne

Indicateur 1 : Aptitudes à la communication, au travail d’équipe et à la


Critères
résolution de problèmes

Au sein d’un groupe, je prête attention


aux opinions des autres. Je suis toujours
1.1 curieux de découvrir et comprendre les 0,413
idées et points de vue différents des
miens.

J’ai la capacité de convaincre et d’obtenir


l’adhésion de mes partenaires et
1.2 0,684
collaborateurs, ou autres, à mes idées et
propositions.

Je sais être à l’écoute des personnes avec


1.3 0,648
qui je collabore.
10,65 % 18,41 %
Je suis capable d’exprimer mes idées de
1.4 0,435
façon claire et concise.

Je sais prendre l’initiative de régler les


malentendus dès qu’ils surviennent et
1.5 0,682
d’explorer des pistes de solutions de
manière adéquate.

Je prends l’avis des autres avant de


1.6 0,645
prendre des décisions.

Je sais trouver ma place dans un groupe


1.7 0,464
de manière adéquate.

Indicateur 2 : Aptitudes entrepreneuriales

Je sais tout ce qu’il faut savoir pour créer


2.1 0,798
une entreprise.

En sachant que la probabilité de réussite


2.2 est élevée, je prendrais le risque de lancer -0,426
ma propre entreprise.

Je prendrai le risque de lancer ma propre


2.3 entreprise, même si je n’ai pas une bonne 0,703 35,75 % 61,272 %
idée de projet.

Là où les autres voient des problèmes, 0,7175


2.4
moi je vois des possibilités.

En général, la peur de l’échec ne


2.5 m’empêche pas d’entreprendre de 0,600
nouveaux projets.
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 237

Indicateur 3 : Perception/attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat et/ou


de l’entreprise
Réussir avec une petite entreprise relève
3.1 0,671
plus de la planification que de la chance.
J’admire les gens qui ont une entreprise et
3.2 0,626
qui la gèrent avec succès.
Les petites entreprises sont aussi
3.3 importantes que les grandes entreprises 0,644
pour le pays.
Être un entrepreneur signifie qu’on n’a pas 15,7 % 20,318
3.4 0,469
été capable de trouver un emploi salarié.
Les gens qui possèdent une petite
3.5 entreprise et qui la gèrent jouent un rôle 0,719
très important dans la société.
Les propriétaires des petites entreprises
créent de l’emploi et par conséquent
3.6 0,769
jouent un rôle important dans l’économie
nationale.
TOTAL : 62,10 % 100 %

Source : Réalisé par nos soins.

• Les gens qui possèdent une petite entreprise et qui la gèrent jouent
un rôle très important dans la société ;
• Les propriétaires des petites entreprises créent de l’emploi et, par
conséquent, jouent un rôle important dans l’économie nationale.

3.3 Analyses et discussions

Tests et validité de l’approche

Avant d’analyser et d’interpréter la structure de notre échantillon, des


tests préliminaires de l’étude sont requis. Ces derniers s’avèrent concluants,
le déterminant de la matrice de corrélation est égal à 0,001, ce qui est
acceptable. De même, le test de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO), qui est une
mesure de la corrélation partielle entre les variables de l’étude, est égal à
0,826 ; la validité est donc grande. Parallèlement, le test de sphéricité de
Bartlett4 étant nul, nous pouvons donc poursuivre l’étude de l’évolution
des acquis des étudiants.

4. Permet de juger la sphéricité du modèle mentionné. Si le modèle s’avère sphérique,


on peut présumer que les corrélations entre les variables sont voisines de zéro et donc qu’il
n’y a pas intérêt à remplacer les variables par les composantes.
238 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Dans le but d’aboutir à des analyses de regroupements par une famille


d’indicateurs, il s’avère essentiel de regrouper les variables en un nombre
limité de composantes. À cet égard, une analyse à la fois qualitative et
quantitative des variables a été effectuée. Cette décomposition s’est ins-
pirée de la distribution des données. Ainsi, l’ensemble des variables a été
catégorisé en fonction de la répartition des données autour de la moyenne.
En conséquence, l’ensemble des variables a été réduit en un nombre limité
d’indicateurs pour rendre le croisement entre eux plus facile.

Analyse et discussion

Une analyse des variables a été effectuée afin de mesurer le degré d’amé-
lioration de l’intention entrepreneuriale auprès de notre échantillon. Dans
un premier temps, nous avons évalué les nouveaux acquis en matière
entrepreneuriale par l’évolution des trois indicateurs retenus. Dans un
second temps, et en référence au modèle de Shapiro, nous avons déterminé
les variables influençant les comportements entrepreneuriaux.

Analyse des critères retenus


Les trois axes retenus sont en cohérence avec l’acquisition des compétences
entrepreneuriales. Les résultats obtenus sont la compilation des réponses
aux questions afférentes et dont la moyenne arithmétique est reproduite
dans les figures 10.1, 10.2 et 10.3. Les trois indicateurs choisis font ressortir
une multitude de critères retenus pour leur analyse.

F I G U R E 10.1
Évolution de l’indicateur 1 : aptitude à la communication, au travail
d’équipe et à la résolution de problèmes

20,52 %

Pas d’accord du tout


52,13 %
Ni pour ni contre
27,35 % Tout à fait d'accord
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 239

F I G U R E 10. 2
Évolution de l’indicateur 2 : aptitudes entrepreneuriales

45,55 %
53,38 % Pas d’accord du tout
Ni pour ni contre
Tout à fait d'accord

1,07 %

F I G U R E 10. 3
Évolution de l’indicateur 3 : perception/attitude vis-à-vis de l’entrepre-
neuriat et/ou de l’entreprise

22,18 %
47,29 % Pas d’accord du tout
Ni pour ni contre
32,40 % Tout à fait d'accord

Source : Résultats du questionnaire Entrée-Sortie auprès de 500 étudiants.

On constate que le programme de formation KAB a poussé les étu-


diants à avoir plus confiance en leurs qualifications. La gestion des conflits,
le travail d’équipe et le réseautage sont primordiaux dans la pérennisation
de l’entreprise (57,44 % de notre échantillon). Grâce à ces nouveaux acquis,
plus de 70 % de l’échantillon préconise l’entrepreneuriat comme première
option d’emploi, et 90 % considèrent l’entreprise comme levier de crois-
sance économique et que la réussite d’une entreprise relève non d’un coup
de chance mais d’un ensemble de compétences requises.
Les aptitudes entrepreneuriales, particulièrement la prise de risque,
sont inhérentes à l’initiative privée, et tout échec est une nouvelle oppor-
tunité qu’il faut saisir (14,2 %).
240 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Résultats de l’analyse par le modèle de Shapero


On déduit que la formation entrepreneuriale a agi favorablement sur
l’intention d’entreprendre chez les étudiants. Les ambitions et les compé-
tences déterminent l’intensité d’entreprendre (Birley, 1985 ; Hambrick et
Crozier, 1985 ; Carland et al., 1984 ; Filley et House, 1969). La personnalité
des individus, les besoins psychologiques spécifiques (contrôle
[McClelland, 1961]), l’accomplissement (Brockhaus, 1982) ou les soft skills
prédisposent les individus à l’intention d’entreprendre. Pour mieux saisir
ce lien de causalité entre tous ces critères, et en nous alignant sur les
travaux de Shapero (Shapiro, 1975 ; Shapero et Sokol, 1982 ; Krueger, 1993)
relatifs aux intentions entrepreneuriales, nous procédons dans cette partie
au croisement des critères des trois indicateurs précités. Par cette approche,
nous expliquons le rôle direct de renforcement des capacités entrepreneu-
riales, par un enseignement approprié, dans la construction des intentions
entrepreneuriales, de façon équivalente à celle proposée par Shapero.
La lecture théorique des différentes approches nous a permis de cerner
quelques variables susceptibles d’influer sur les intentions entrepreneu-
riales et de conditionner le passage à l’acte de concrétisation. Pour plus
de clarté, nous avons effectué une codification des différentes questions
par critères pour faciliter le croisement5. Aussi, nous avons retenu uni-
quement celles dont le pourcentage est significatif selon la définition de
l’indicateur :
• Indicateur 1 : Aptitudes à la communication, au travail d’équipe et
à la résolution de problèmes : Esprit d’équipe, Leadership,
Réseautage, Écoute, Gestion de conflit ;
• Indicateur 2 : Aptitudes entrepreneuriales : Prise de risque,
Opportunité, Ambition ;
• Indicateur 3 : Perception/Attitude vis-à-vis de l’entrepreneuriat et/
ou de l’entreprise : Planification, Engagement, Courage, Attention.
La validité du construit des aptitudes et atittudes entrepreneuriales
est vérifiée, sauf pour quelques critères comme Écoute (Indicateur 1),
Ambition (Indicateur 2), et le Courage et la Gratitude (Indicateur 3). Le
construit vérifie le critère de validité convergente.

5. Pour simplifier la figure, les coefficients de causalité sont insérés avec les commen-
taires dans le corps du texte.
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 241

Les corrélations entre deux facteurs étant inférieures au critère de


validité convergente de ces mêmes facteurs, en conséquence, le construit
vérifie le critère de validité discriminante. Les coefficients de cohérence
interne étant supérieurs à 0,7, on peut donc affirmer que les compétences
entrepreneuriales sont un construit fiable.

F I G U R E 10.4
Croisement des trois blocs de renforcement des intentions entrepreneuriales
après un programme d’enseignement, selon le modèle de Shapero

Aptitudes à la Perception/
Aptitudes communication, au Attitude vis-à-vis
entrepreneuriales travail d’équipe et la de l’entrepreneuriat
résolution de problèmes et/ou de l’entreprise

Prise
de risque Planification

Leadership

Courage
Opportunité
Réseautage

Engagement
Ambition Confiance

Gestion
Attention
de conflit

Source : Réalisé par nos soins.

Il existe un lien fort entre les nouveaux acquis et l’intention entrepre-


neuriale6. Cette relation indique que l’acquisition de nouvelles compé-
tences est de nature à encourager la création d’entreprise chez nos

6. Pour plus de détails, voir Ghazouani et al., 2019.


242 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

étudiants. Cette volonté de développer de nouvelles compétences conduit


à l’engagement dans un projet de création d’entreprise, engagement qui
en entraîne à son tour un plus grand dans la sphère économique.
Comme le suggère le modèle de Shapero, les aptitudes à la commu-
nication, au travail d’équipe et à la résolution de problèmes, ainsi que les
aptitudes entrepreneuriales et enfin, l’attitude vis-à-vis de l’entrepreneu-
riat ont un impact important sur les intentions entrepreneuriales. Ces
variables sont elles-mêmes influencées par le trait de caractère de l’indi-
vidu (Courage, Ambition…). La propension à agir joue ici un rôle direct
dans la construction des intentions entrepreneuriales, de façon équiva-
lente à celle proposée par Shapero.
Plusieurs liens sont constatés entre les critères retenus. L’esprit
d’équipe est un atout dans une dynamique collective de création d’entre-
prise (0,27). On peut expliquer la relation par l’idée qu’une recherche
d’un engagement collectif conduit à développer un réseau qui l’accom-
pagnera dans la maîtrise de son projet (0,17). Le besoin d’appartenance
à un groupe (Esprit d’équipe et Réseautage) réduit le risque de conflit
(0,21). La confiance en soi et aussi dans son équipe renforce l’esprit
entrepreneurial.
Le critère d’attention renvoie au besoin de réflexion et d’observation
chez l’entrepreneur. Cette dimension est associée négativement au besoin
de prendre des risques (-0,39) et à celui de saisir les opportunités (-0,19).
Le besoin de patienter limite l’entrepreneur dans l’engagement dans des
projets hasardeux (risqués ou occasionnels).
La dernière relation entre le leadership et l’engagement réunit la
dimension destinée à l’expérience maîtrisée (0,26). La croyance dans un
avenir déjà écrit vient renforcer le besoin de contrôle de son affaire. La
confiance que l’entrepreneur a dans son projet le pousse à penser que la
voie de la réussite est tracée. Dans ce contexte, l’individu éprouve le besoin
de maîtriser son projet afin de ne pas dévier du chemin qu’il pense d’ores
et déjà déterminé.
Les trois indicateurs de renforcement de compétences entrepreneu-
riales requièrent de la personne une action collective (0,29), de l’attention
(0,23) et la capacité de saisir les occasions (0,25). La création d’entreprise
conjugue des besoins complémentaires reposant sur trois axes : la
confiance, la prise de risque et l’engagement. En effet, bien que l’analyse
statistique ne parvienne pas à cette typologie, on peut penser que les
L’é duc at ion à l’e n t r e pr e n eu r i at à l’u n i v e r si t é • 243

besoins d’entreprendre, de maîtrise et d’engagement sont associés à la


notion de prise de risque et d’opportunité. Cette intention renforce le
besoin de partager son projet avec son équipe, laquelle peut être la famille,
le clan ou un ensemble de personnes d’horizons différents dans le but de
réussir son projet entrepreneurial.

Conclusion

L’enseignement de l’entrepreneuriat dans les universités est un outil de


sensibilisation aux solutions alternatives de l’emploi. N’étant pas juste
limité au transfert des connaissances conceptuelles et techniques sur la
création d’entreprise, l’enseignement de l’entrepreneuriat repose aussi sur
le développement de l’esprit d’entreprendre, qui permet de révéler chez le
jeune des aptitudes et des capacités cachées de créativité, de confiance en
soi, d’esprit d’équipe, d’accès aux réseaux indispensables à la réussite de
tout projet, quelle que soit sa finalité.
Le programme KAB suivi par notre échantillon est un programme
basé sur une pédagogie active et sur l’interaction plaçant l’étudiant au
centre du processus d’apprentissage. Pendant la formation, l’étudiant se
trouve dans des mises en situation où il doit à chaque fois faire appel à
des compétences nouvelles pour effectuer des choix, solutionner des
problèmes et prendre des décisions. L’enseignant tient le rôle de facilitateur
et guide la construction des savoirs. Cette pédagogie a permis aux étu-
diants de notre échantillon de développer des compétences entrepreneu-
riales, la clé de voûte de l’intention d’entreprendre.
Certes, les hypothèses de travail portent sur le renforcement des
capacités entrepreneuriales par un enseignement par action en entre-
preneuriat ; toutefois, cela ne garantit pas la création d’entreprise chez
les bénéficiaires. En revanche, ils ont acquis un ensemble de compé-
tences leur facilitant l’insertion dans le monde professionnel. Ce modèle
d’enseignement est susceptible d’inciter les décideurs à repenser les
modèles d’apprentissage et les pratiques pédagogiques dans l’ensemble
des modules et programmes de formation et, en particulier, ceux dédiés
à l’entrepreneuriat. Les modèles permettant le développement de l’esprit
et des compétences entrepreneuriales chez les étudiants doivent dépasser
le modèle classique de transfert des connaissances et reposer sur des
modèles préconisant le learning by doing, l’apprentissage par résolution
24 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

de problèmes, l’apprentissage sur le terrain, etc. Les équipes pédago-


giques doivent élaborer les syllabus des formations en entrepreneuriat
en ayant comme objectif principal le développement des facultés entre-
preneuriales chez les étudiants, condition sine qua non pour le passage
à l’acte d’entreprendre.
Sur le plan institutionnel, un engagement fort et pérenne et de véri-
tables stratégies en faveur du développement de l’éducation et de la for-
mation à l’entrepreneuriat doivent être mis en place. La création des
structures dédiées à l’entrepreneuriat et l’intégration des modules entre-
preneuriaux dans les cursus universitaires sont certes importantes et
influencent la dynamique entrepreneuriale au sein des groupes d’étu-
diants bénéficiaires, mais pour atteindre l’effet escompté de l’éducation
à l’entrepreneuriat comme vecteur d’insertion professionnelle, il faut créer
une synergie entre tous les acteurs et décideurs ; atteindre toutes les dis-
ciplines et des effectifs en bas âge par la mise en place d’une approche
progressive de la formation à l’entrepreneuriat depuis le primaire et nouer
des partenariats effectifs avec le monde socioéconomique pour faire
bénéficier le plus grand nombre de jeunes de missions sur le terrain pour
les rapprocher le plus possible du monde de l’entreprise.

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PARTIE IV

efficacité des dispositifs


d’accompagnement : le cas
des incubateurs
chapitre 11

Les incubateurs universitaires pour


les jeunes entrepreneurs
Gérard Tchouassi et Joel Stephan Tagne

L’entrepreneuriat est aujourd’hui considéré comme une source de créa-


tion d’emploi, de richesse et de valeurs. L’accompagnement entrepre-
neurial est un dispositif indispensable à l’augmentation de la
productivité, à la croissance des entreprises et au développement éco-
nomique (Julien et Marchesnay, 1988 ; Briey et Janssen, 2004).
L’entrepreneur, le destructeur-créateur-innovateur, est au centre de
l’économie entrepreneuriale nécessaire au développement. Cette notion
recouvre de nombreuses significations singulières n’ayant parfois que
peu de liens entre elles (Cunningham et Lischeron, 1991). Incuber une
entreprise revient à accélérer son processus de développement au sein
d’une structure d’accompagnement de projets de création d’activités
entrepreneuriales. L’incubateur apporte un soutien en termes d’héber-
gement, de conseils et de financement, pendant les premières phases de
la vie de l’entreprise.
Si l’on s’en tient aux résultats du deuxième recensement effectué par
l’Institut National de la Statistique, on peut affirmer que le tissu écono-
mique du Cameroun ne cesse de s’étoffer. En effet, le nombre d’entreprises
modernes répertoriées en 2016 sur le territoire est de 28 872 unités contre
23 427 en 2015, 18 597 en 2014. On note donc une volonté manifeste d’entre-
prendre chez les jeunes Camerounais ; cependant, on observe un faible
développement des structures de coaching ou d’accompagnement de
l’entrepreneuriat. L’accompagnement entrepreneurial universitaire des
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 249

jeunes est-il favorable au développement et à la densification du tissu


d’activités entrepreneuriales ?
Les jeunes entrepreneurs constituent-ils une part grandissante des
promoteurs, des créateurs d’entreprises, des dirigeants de petites et
moyennes entreprises qui prolifèrent et établissent de nouveaux créneaux
ou secteurs innovants pour l’entrepreneuriat ? Tchouassi et al. en 2018 ont
conduit une recherche dans ce sens. Soutenir le développement du coa-
ching de l’entrepreneuriat des jeunes devient l’une des politiques écono-
miques prioritaires au Cameroun. L’accompagnement des jeunes
entrepreneurs (Sammut, 2001, 2003 ; Berger-Douce, 2003 ; Meddeb et
Lakhal, 2014) dès l’âge juvénile dans leurs écoles et centres de formation
devient stratégique pour le développement économique.
L’accompagnement entrepreneurial désigne l’ensemble des relations
et/ou des médiations apportant les ressources matérielles et immatérielles
utiles dans l’entrepreneuriat (Pluchart, 2013). Ces relations font intervenir
l’accompagnant qui fournit à l’accompagné les outils nécessaires dans le
déploiement du processus entrepreneurial (Sammut, 2001, 2003). Hackett
et Dilts (2004) présentent les incubateurs comme étant des organisations
facilitant l’émergence et le développement d’entreprises, en fournissant
des bureaux, des services partagés et de l’assistance entrepreneuriale. Les
premiers incubateurs sont apparus aux États-Unis dans les années 1950
et c’est à partir les années 1970 qu’on a assisté à un fort développement
des incubateurs dans d’autres pays.
À la suite des différents résultats obtenus par Bruyat (2001) et Fayolle
(2008), selon lesquels les diplômés du supérieur s’orientent rarement vers
l’entrepreneuriat, les dispositifs de formation à l’entrepreneuriat se sont
fortement développés dans les universités, les écoles de management et
d’ingénierie (Verzat, 2012). Si ces dispositifs ont pour objectif d’améliorer
l’esprit entrepreneurial des étudiants, certains auteurs envisagent l’atteinte
de cet objectif par la mise sur pied des incubateurs universitaires (Condor
et Hachard, 2014). Ainsi, les incubateurs universitaires ont pour objectif
de favoriser le développement de la relation entre l’université et l’entre-
preneuriat (Cuby, 2001).
Dans les universités et grandes écoles camerounaises, plusieurs incu-
bateurs ont vu le jour ces dernières années. Il s’agit premièrement du
Centre d’Appui à la Technologie, à l’Innovation et à l’Incubation de
l’Université de Dschang (CATI²-UDs) ; deuxièmement, du Technipole
250 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Sup Valor de l’École Nationale Supérieure Polytechnique ; troisièmement,


de la Sup’ptic Business Academy de l’École Nationale Supérieure des
Postes, Télécommunications et TIC ; quatrièmement, du Centre d’incu-
bation des entreprises de l’École Supérieure des Sciences Économiques et
Commerciales ; et cinquièmement, d’Ongola Fablab de l’Agence univer-
sitaire de la Francophonie.
Au Cameroun, très peu de travaux empiriques (Tchouassi et al., 2018)
se sont penchés sur les incubateurs d’entreprises en milieu universitaire.
Pourtant, l’enjeu que représente l’instauration d’une véritable culture entre-
preneuriale chez les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur repose, en
bonne partie, sur une systématisation de l’implémentation des incubateurs
universitaires. C’est dans cette perspective que s’inscrit cette contribution.
Ainsi, la question suivante mérite d’être posée : les incubateurs universitaires :
quel accompagnement pour les jeunes entrepreneurs au Cameroun ?
Pour répondre à cette question, nous nous fixons un double objectif :
• Comprendre comment les incubateurs universitaires au Cameroun
accompagnent les jeunes porteurs de projets ;
• Connaître ce que sont devenus les incubés après leur passage dans
les incubateurs d’entreprises en milieu universitaire.
La suite de ce travail est organisée de la manière suivante : la section
1 présente la revue de la littérature, la section 2 expose la méthodologie et
présente les cas (incubateurs et incubés), et la section 3 analyse les diffé-
rents résultats.

1. Accompagnement entrepreneurial par les incubateurs universitaires :


une revue de la littérature

Après une présentation de l’évolution de la littérature sur l’accompagne-


ment entrepreneurial, nous mettrons en avant les travaux relatifs aux
incubateurs universitaires entendus comme un modèle spécifique d’ac-
compagnement entrepreneurial des jeunes.

1.1 Accompagnement entrepreneurial : outil de développement


des entreprises

Depuis trois décennies, on assiste à une forte augmentation des structures


d’accompagnement entrepreneurial dans la majorité des pays du monde
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 25 1

(Bruneel et al., 2012 ; Vanderstraeten et Matthyssens, 2012). Cette forte


croissance se justifie par le fait que ces structures non seulement aident
les jeunes entreprises à surmonter les risques et les obstacles liés aux
premières étapes de leur développement mais également contribuent
fortement à l’accélération du processus entrepreneurial (Allen et Rahman,
1985 ; Hansen et al., 2000).
Accompagner signifie « aller avec ». Il s’agit d’un processus qui
consiste à faire passer une personne d’un état à un autre, voire à l’in-
fluencer pour qu’elle prenne des décisions (Leger-Jarniou, 2008). Appliqué
dans le domaine de l’entrepreneuriat, l’accompagnement est présenté
comme une pratique d’aide à la création d’entreprise, basée sur une rela-
tion qui s’établit entre un entrepreneur et une personne externe au projet
de création (Cuzin et Fayolle, 2006). Dans ce sens, certains auteurs consi-
dèrent la pépinière d’entreprises comme des institutions soucieuses
d’accélérer la croissance et la stabilité des entreprises en démarrage en
leur offrant des services et un soutien ciblés (Mendoza, 2009). Cependant,
selon Audet et Couteret (2012), le succès ou l’échec de l’accompagnement
est déterminé par quatre variables : la structure d’accompagnement, les
caractéristiques du coach, les caractéristiques du coaché et la relation
coach/coaché.
La structure d’accompagnement semble profiter à la sélection des
bons coachs, en fonction des besoins réels des entrepreneurs (Graham et
O’Neill, 1997). Ainsi, elle a la mission de programmer les rencontres et le
plan de coaching (Smallbone et al., 1998). Campbell et al. (1985) sont les
premiers à avoir développé un modèle de processus d’incubation d’entre-
prise. Leur modèle est constitué de trois activités de base qui commencent
par le diagnostic des besoins. Lorsque le diagnostic est réussi, les entre-
prises retenues pour l’incubation sont contrôlées. Elles obtiennent ensuite
leur diplôme du programme d’incubation en tant qu’entreprises ou
entreprises prospères. Ce modèle reste limité parce qu’il considère que
toutes les entreprises incubées survivront. En outre, il ne tient pas compte
des obstacles liés à l’environnement. Smilor (1987) a essayé d’améliorer ce
modèle en mettant l’accent sur l’environnement externe. Il conceptualise
l’incubateur en tant que système conférant une « structure » et une « cré-
dibilité » aux incubés tout en contrôlant un ensemble de ressources d’assis-
tance. Un peu plus tard, Hackett et Dilts (2004) ont mis au point un
modèle d’incubation d’entreprises fondé sur le concept de « boîte noire ».
252 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Pour ce modèle, les incubés sélectionnés entraient dans une boîte noire
d’incubation reliée à son environnement.
En tant que professionnel, le rôle de l’accompagnant (coach) consiste
à transmettre des connaissances spécifiques (M’Chirgui, 2012). Comme
le précisent Barès et Sylvain (2014), l’accompagnant contribue à la défini-
tion des critères qui serviront de fondations à la décision de l’entrepreneur
et à la distinction de l’information fiable et pertinente pour la poursuite
du projet entrepreneurial. Il se doit d’adapter sa posture afin de cerner la
personnalité de l’entrepreneur, ses compétences et son savoir-faire, mais
aussi comprendre sa situation particulière, ses enjeux. Pour réussir l’ac-
compagnement, le coach doit essentiellement être à l’écoute (Fayolle,
2002). L’accompagnant doit progressivement rendre autonome le créateur
d’entreprise. Il devient dès lors un acteur stratégique dans l’accompagne-
ment entrepreneurial (Leger-Jarniou, 2008).
En ce qui concerne les caractéristiques du coaché, la littérature men-
tionne qu’un entrepreneur réceptif au changement peut être à l’origine
du succès d’une relation de coaching. En effet, l’entrepreneur doit être
ouvert à son coach, prêt à changer ses attitudes, son comportement et son
savoir-être pour pouvoir acquérir de nouvelles connaissances, un nouveau
savoir-faire et aider son coach à lui transmettre facilement les informa-
tions et l’expérience dont il a besoin (Clutterbuck et al., 1991). Il choisit le
mode d’apprentissage qui s’adapte le mieux à ses besoins (Matlay et al.,
2012).

1.2 Incubateurs universitaires : mode d’accompagnement des jeunes


entrepreneurs

Le rôle des universités a évolué au fil du temps. En effet, depuis quelques


années, les universités sont sorties progressivement de leur mission tra-
ditionnelle d’enseignement et de recherche pour participer plus active-
ment au développement économique (Grimaldi et Grandi, 2001 ;
Verstraete, 2003) en coopérant avec les entreprises. Elles ont de ce fait
délaissé la recherche fondamentale et se présentent aujourd’hui comme
des organisations génératrices de profits (Audretsch, 2014).
Afin de transférer les connaissances en encourageant l’innovation et
l’esprit d’entreprise, les universités ont pris plusieurs initiatives, notam-
ment la création d’incubateurs (Amezcua, 2010). Ceux-ci sont comme un
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 25 3

système de couveuses parrainé par une université avec une offre d’espace
au sein de l’établissement. Un grand nombre d’incubateurs à travers le
monde sont soutenus par des universités et les autres prennent également
des initiatives pour fusionner avec des universités afin de tirer profit de
leurs recherches et de leurs connaissances (Jamil et al., 2015).
Apparus il y a une vingtaine d’années dans quelques rares universités
aux États-Unis, en Angleterre ou dans de grandes écoles françaises, les
incubateurs universitaires ou scientifiques ont une double finalité, ils ont
la particularité d’avoir un objectif pédagogique et en même temps une
visée pratique qui est celle d’aider les entrepreneurs à lancer leurs entre-
prises et réaliser une étude de marché (Condor et Hachard, 2014). L’intérêt
suscité par les incubateurs universitaires découle du potentiel important
du concept, qui offre la possibilité de lier la technologie, le capital et le
savoir-faire afin de tirer parti des nouveaux talents d’entrepreneurs et
d’accélérer la commercialisation de la technologie en favorisant les nou-
velles entreprises fondées sur la connaissance (Grimaldi et Grandi, 2001).
Ainsi, plusieurs dimensions semblent être des facteurs de succès des
incubateurs universitaires, à savoir les infrastructures, les réseaux, le
soutien technique et humain et la réputation institutionnelle (Todorovic
et Suntornpithug, 2008 ; Somsuk et al., 2012). En effet, ces incubateurs
fournissent des infrastructures et des ressources permettant aux nouvelles
entreprises de haute technologie de surmonter les obstacles liés à la com-
plexité de l’environnement et du processus d’innovation (Mian, 1996).
Plusieurs auteurs ont ainsi essayé de promouvoir l’avantage de l’ac-
compagnement par les incubateurs universitaires. Lasrado et al. (2016)
ont fondé leur analyse sur un modèle de production de type Cobb-Douglas
(Douglas, 1976). Dans leur analyse, au lieu de modéliser la fonction de
production, ils se sont plutôt concentrés à modéliser l’effet des incubateurs
universitaires sur la performance des entreprises naissantes. Ainsi, ces
auteurs suggèrent que l’influence de l’incubation sur la viabilité d’une
nouvelle entreprise peut dépendre du type de soutien offert par un incu-
bateur et des caractéristiques environnementales et commerciales dans
lesquelles les services d’incubation sont fournis.
Dans ce sens, ils ont essayé de voir si les entreprises qui sortent d’incu-
bateurs universitaires atteignent des niveaux plus élevés de rendement
après incubation par rapport aux entreprises incubées dans des incuba-
teurs non universitaires ou encore par rapport aux entreprises non incu-
25 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

bées. Ils constatent en fin de compte que le rendement des entreprises


incubées par les universités s’améliore continuellement au-delà de la
période d’incubation. En plus, ils observent que non seulement ce rende-
ment est supérieur à celui des entreprises non incubées, mais également
que les entreprises incubées dans les universités connaissent une crois-
sance plus rapide que les entreprises non incubées au-delà de la période
d’incubation.
De même, Becker et Gassmann (2006) comparent les incubateurs
universitaires aux autres incubateurs et montrent que les premiers favo-
risent la réduction des coûts de recherche et développement ainsi que des
investissements à risque, en partant du principe que la technologie puisse
provenir des laboratoires ou des universités. Même si les incubateurs
universitaires ont été élaborés pour promouvoir l’intensité de la recherche,
des idées novatrices, des activités de commercialisation et de développe-
ment des entrepreneurs (Lee et Osteryoung, 2004), leur rôle n’est pas tant
de fournir des services aux entreprises nouvellement créées que d’adopter
une attitude positive à l’égard du leadership et du développement insti-
tutionnel, en favorisant la pensée et la culture entrepreneuriales (Todorovic
et Suntornpithug, 2008).

2. Méthodologie : présentation des incubateurs et des incubés

Pour atteindre l’objectif fixé, une approche exploratoire et interprétative est


retenue. Si l’on s’en tient aux travaux de Yin (1994), cette méthode est utilisée
lorsqu’il s’agit de trouver des réponses aux « pourquoi » et « comment ». C’est
une approche qualitative basée essentiellement sur une étude de cas.
Les données analysées dans cette contribution sont de type primaire,
collectées auprès d’une part des incubateurs universitaires et d’autre part
auprès des incubés sortis du processus d’incubation. L’interview (en face
à face) réalisée auprès des incubateurs universitaires camerounais portait
essentiellement sur la définition de la démarche d’accompagnement, les
besoins des entrepreneurs durant le démarrage de l’entreprise. Par contre,
l’interview administrée auprès des incubés a été basée essentiellement sur
les besoins de l’entrepreneur et aussi sur les performances organisation-
nelles et financières de son entreprise.
Pour cette contribution, cinq incubateurs universitaires ont été sélec-
tionnés de manière ad hoc. Il s’agit du Centre d’Appui à la Technologie,
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 255

à l’Innovation et à l’Incubation (CATI²-UDs), du Technipole Sup Valor,


Sup’ptic Business Academy, du Centre d’incubation des entreprises de
l’École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales et de
l’Ongola Fablab de l’Agence universitaire de la Francophonie. De la même
manière, six entreprises sorties du processus d’incubation ont été sélec-
tionnées. Il s’agit de HIMORE MEDICAL, GIFTEDMOM, CAYST,
INFIUSS, PNEUPUR et THAMANI HEALTH.

2.1 Présentation des incubateurs universitaires camerounais

Le Centre d’Appui à la Technologie, à l’Innovation et à l’Incubation de


l’Université de Dschang, en abrégé CATI²-UDs (cas A.1) est un centre qui
non seulement sert d’incubateur pour les étudiants de l’Université de
Dschang et les jeunes des environs de la ville de Dschang mais, également,
il a pour mission de permettre aux innovateurs de la communauté uni-
versitaire d’avoir accès à des prestations locales de service d’information
technologique de qualité et d’autres services connexes.
L’incubation au CATI²-UDs se déroule en plusieurs phases.
Premièrement, la phase d’identification ou d’éligibilité qui permet à partir
d’une idée plus ou moins élaborée de sélectionner une réelle opportunité
entrepreneuriale qui pourra devenir pertinente pour construire un plan
d’affaires. Deuxièmement, la phase d’orientation qui prend en compte les
menaces et opportunités de l’environnement, les forces et faiblesses de
l’équipe entrepreneuriale et qui détermine les facteurs clés de succès du
projet et une stratégie de réussite sur le marché. Troisièmement, la phase
de renforcement des capacités de l’entreprise en création (humaine-­
technique-financière). Quatrièmement, la phase de développement de
l’entreprise, une phase consacrée à la mobilisation des ressources.
Cinquièmement, la phase de consolidation de l’entreprise qui vise à
déterminer les autres éléments indispensables au démarrage du projet et
à finaliser/réviser le plan d’affaires.
Le Technipole Sup Valor (cas A.2) est un incubateur d’entreprises créé
à l’École Nationale Supérieure Polytechnique de l’Université de Yaoundé
I en 2009. Sa mission essentielle est de contribuer au développement
socioéconomique du Cameroun, par la sélection et l’accompagnement
des jeunes porteurs de projets économiques innovants ou à fort potentiel
de croissance. Cet incubateur accompagne le créateur d’entreprise à tra-
256 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

vers la formation en entrepreneuriat, le conseil, le coaching, le financement


et l’hébergement des entreprises en création. Pour ce qui est du processus
d’incubation, le candidat à l’incubation remplit un formulaire qui est
analysé par le comité de sélection des projets. Ensuite, il passe le test du
profil entrepreneurial qui permet de déterminer ses forces et ses faiblesses.
Si le test est concluant, il signe une convention d’accompagnement qui
définit de manière claire les obligations des deux parties. Il est ensuite
inscrit au premier séminaire sur l’esprit d’entreprise et le comportement
d’un entrepreneur. À la suite de ce séminaire, il est accompagné par un
expert avec lequel il formule son projet d’affaire. Suivra un second sémi-
naire sur le business plan, qui aidera le candidat à l’incubation à élaborer
un plan d’affaires, selon le canevas du technopole.
Pour être admis au technopole, il faut être un créateur d’entreprise
avec un projet ou une idée de projet, avoir un projet innovant ou à forte
valeur ajoutée, signer une convention d’accompagnement et en respecter
les clauses. Parmi les obligations du créateur d’entreprise figurent en
bonne place le paiement de ses frais d’incubation, la participation aux
formations obligatoires, à celles qui lui sont requises de manière spécifique
et la participation aux activités prescrites dans le cadre de l’animation du
technopole. La durée de l’hébergement des candidats à l’incubation est
de deux ans, dont trois mois en incubation et vingt et un mois maximum
en pépinière, sauf cas exceptionnel qui exigerait un prolongement du
séjour dans la pépinière ou un départ avant terme.
La Sup’ptic Business Academy (cas A.3) s’inscrit en droite ligne avec
la volonté du gouvernement camerounais de développer l’économie
numérique, perçue aujourd’hui comme un vecteur de croissance, de
productivité et de compétitivité des entreprises et des États. C’est le pre-
mier incubateur public dédié aux jeunes entrepreneurs en TIC. Son
objectif étant d’outiller les incubés afin qu’ils puissent, à terme, s’installer
en tant qu’entrepreneurs et devenir à la fois créateurs d’emploi et de
richesse. Il accueille, forme, héberge et accompagne sur le plan technique,
organisationnel et financier des porteurs de projets innovants dans le
secteur de l’économie numérique. Il encadre ainsi les jeunes porteurs de
projets numériques pour qu’ils soient maturés et arrivent au niveau de
l’entreprise numérique.
Ses activités comprennent des conférences, des sessions de coa-
ching, de mentoring, etc. Les responsables de cet incubateur comptent
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 257

mettre l’accent sur sa visibilité, sur toute chose qui passe par l’établis-
sement de partenariats nationaux et internationaux. Ce qui va per-
mettre de mettre en place une boutique pour créer un marché national
d’applications logicielles. Cet espace accueille des experts, des entre-
preneurs, des mentors, des coachs qui viennent accompagner et enca-
drer les incubés. Peuvent bénéficier de l’accompagnement de la Sup’ptic
Business Academy, les étudiants de l’École Nationale Supérieure des
Postes, des Télécommunications et TIC et aussi d’autres porteurs de
projets.
Le Centre d’incubation des entreprises de l’École Supérieure des
Sciences Économiques et Commerciales (ESSEC) de l’Université de
Douala (cas A.4) est une structure dédiée à la diffusion de la culture
entrepreneuriale auprès des jeunes diplômés universitaires du Cameroun
porteurs de projets de création d’entreprise. Il y a quelques années, le
projet de création de ce centre était lancé par le ministre des Petites et
Moyennes Entreprises ; 150 millions de Fcfa étaient alors mis à la dispo-
sition de cet établissement avec, entre autres objectifs, de former et de
subventionner les jeunes porteurs de projets.
Ongola Fablab de l’Agence universitaire de la Francophonie (cas
A.5) est un incubateur qui offre la possibilité aux jeunes qui auront
développé des prototypes viables d’être accompagnés par des spécialistes
ou des coachs dans la maturation de leurs projets en vue de les conduire
vers la création d’entreprise. Par ailleurs, un programme d’encadrement
des étudiants des filières technologiques, leur permettant de réaliser des
prototypes des programmes informatiques ou électroniques et autres
logiciels pensés dans le cadre de leurs travaux de recherche, est égale-
ment en gestation. Cet incubateur est donc spécialisé dans les métiers
du web.
À côté de l’incubateur Ongola Fablab, l’Agence universitaire de la
Francophonie a également procédé à la mise en place de Fab Lab mobile.
Ce dernier offre la possibilité aux jeunes de bénéficier d’un apprentissage
dans le domaine de la fabrication numérique. Ainsi, la création d’Ongola
Fablab et d’un Fab Lab mobile permet d’attirer jeunes innovateurs por-
teurs de projets, startuppeurs, étudiants, jeunes défavorisés et en quête
d’emploi qui viennent ainsi développer leurs compétences et réaliser leurs
idées au moyen de la conception et la production de prototypes qui pour-
ront faire l’objet de projets.
258 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

2.2 Présentation des incubés

Himore Medical d’Arthur Zang (cas B.1) est la toute première entreprise
d’un jeune étudiant à avoir créé une tablette médicale africaine. Cet
appareil appelé Cardiopad permet de relever et de transmettre à distance
les paramètres cardiaques d’un patient. Selon le promoteur, c’est en 2009,
lors de son stage de fin d’études dans le service de cardiologie du profes-
seur Samuel Kingue, à l’Hôpital Général de Yaoundé, que l’idée du
Cardiopad est née. Le professeur lui explique la difficulté de son service
à suivre les patients vivant dans les zones éloignées du pays. Conscient du
travail nécessaire, il décide de se former en ligne grâce au Massiv Open
Online Course (MOOC) sur le site de l’Indian Institute of Technology.
Huit années plus tard, il a gagné plusieurs prix, dont l’Africa Prize, et son
invention est certifiée et déjà commercialisée au Cameroun.
Gifted Mom de Alain Nteff (cas B.2) est la première plateforme numé-
rique destinée aux femmes enceintes et aux nouveau-nés vivant dans des
régions rurales du Cameroun et d’autres pays d’Afrique. Gifted Mom
permet de rappeler aux femmes enceintes et nouvelles mères les dates des
vaccins ou des consultations à faire pendant et après la grossesse. Grâce
à cette application, le nombre de décès à la suite d’accouchements a consi-
dérablement diminué dans les zones où le projet est implémenté. Grâce à
ce service, le promoteur de Gifted Mom s’est classé parmi les jeunes
innovateurs du monde entier. En effet, en 2014, il est nommé meilleur
entrepreneur social d’Afrique par la Fondation MasterCard et reçoit le
prix Anzisha. En 2015, il est le plus jeune participant au Forum écono-
mique mondial (FEM) en tant que global shaper, ce qui lui vaut d’être l’un
des 60 jeunes entrepreneurs du Commonwealth invités à Londres par
Élisabeth II. Il se voit décerner le Queen’s Young Leaders Award. Il a
également décroché le Prix de la jeune entreprise africaine décerné à
l’occasion du New York Forum Africa (NYFA) en 2015. Il remporte un
prix dans la catégorie santé du concours Digital Africa lancé par l’Agence
française de développement en 2017.
CAYSTI (Cameroon Youth School Tech Incubator) d’Arielle Kitio
(cas B.3) est une start-up dédiée à la conception et la promotion d’outils
technologiques visant à faciliter l’accès égalitaire à une éducation de
qualité aux enfants en bas âge. Tout enfant devrait avoir d’égales chances
d’accès à l’éducation de qualité dans cette ère portée par la révolution
numérique. Depuis la mise sur pied de CAYSTI jusqu’à ce jour, sa pro-
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 259

motrice ne cesse d’obtenir des prix, par exemple : meilleur projet d’édu-
cation et d’apprentissage aux World Summit Awards (2017) ; lauréate du
Prix Orange de l’Entrepreneuriat Social (2017) ; vainqueure du Grand Prix
d’Innovation PMExchange (2017) ; finaliste au Pitch Hub Africa (2018) ;
actuelle ambassadrice du Next Einstein Forum au Cameroun 2017-2019 ;
classée en 2016 dans le top 4 % des femmes leaders dans le domaine scien-
tifique technologique par le programme TechWomen du Département
d’État des États-Unis ; Prix d’Excellence Femme Digitale par CEFEPROD
et ONU Femmes Cameroun.
Infiuss de Melissa Bime (cas B.4) est une plateforme qui relie les éta-
blissements de santé à une vaste base de données de banques de sang dans
d’autres établissements de santé pour les aider à avoir plus d’options pour
les transfusions sanguines. Cette plateforme facilite aux hôpitaux l’accès
aux réserves de sang. Par ailleurs, la structure offre une éducation sani-
taire aux populations et encourage les dons de sang de particuliers. En
effet, grâce à un simple message envoyé à la plateforme, un hôpital peut
se faire livrer une ou des poches de sang correspondant aux caractéris-
tiques requises pour sauver un malade donné. En effet, alors qu’elle se
formait en soins infirmiers, la jeune Melissa vit une expérience drama-
tique dans un hôpital où un enfant y décède d’une anémie, faute de dis-
ponibilité de sang, alors qu’un hôpital situé juste à côte disposait dans sa
banque du précieux liquide correspondant au groupe sanguin requis.
Marquée par cette expérience, la jeune infirmière s’est mis en tête
d’œuvrer pour que plus aucun malade ne décède parce qu’il n’avait pas
été possible de lui trouver à temps du sang pour lui sauver la vie. La pro-
motrice a obtenu plusieurs prix internationaux, parmi lesquels le prix
pour l’Afrique subsaharienne aux Cartier Women’s Initiative Awards 2018.
Pneupur de Benjamin Belibi et Frédéric Belibi (cas B.5) est une struc-
ture créée en 2018 et permettant de traiter les pneus aux conditions locales.
En effet, elle s’occupe de la gestion intégrale du pneumatique usagé non
réutilisable, depuis la collecte jusqu’à la vente du produit recyclé. Lors du
passage des promoteurs dans les concessions automobiles, ils ont remarqué
la difficulté qu’avaient les employés travaillant dans les ateliers à se débar-
rasser des pneus arrivés en fin de vie. C’est de là qu’est né le projet Pneupur.
Effectivement, dans de nombreux pays, des tonnes de pneus trop usés ne
sont ni collectés ni valorisés, causant ainsi des problèmes environnemen-
taux et sanitaires. Certains de ces pneus sont brûlés, entraînant une
260 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

pollution atmosphérique. Pneupur, par ses activités, répond à ces problé-


matiques en apportant des solutions de rechange innovantes. Les promo-
teurs ont été lauréats du Prix de l’Entrepreneur Africain 2019.

3. Analyse des résultats

L’analyse des résultats obtenus peut nous permettre de donner une appré-
ciation du type d’accompagnement qu’accordent les incubateurs univer-
sitaires aux jeunes entrepreneurs camerounais ainsi que des performances
des entreprises sorties du processus d’incubation. Onze cas ont été ana-
lysés, donc cinq structures d’accompagnement et six accompagnés. Nous
avons constaté que certains incubateurs (cas A.1 ; cas A.2 ; cas A.4) ont été
créés il y a plusieurs années et ont donc facilité le démarrage de plusieurs
entreprises tandis que d’autres (cas A.3 ; cas A.5) ont été nouvellement
mises sur pied et n’ont pas encore fait leurs preuves.
Dans l’ensemble, les incubateurs universitaires accompagnent essen-
tiellement les jeunes en cours de scolarisation ou les jeunes fraîchement
sortis du système éducatif. Le type de projet accompagné dépend des
objectifs et des caractéristiques de l’incubateur. Ainsi, alors que certains
incubateurs (cas A.2 ; cas A.3 ; cas A.5) accompagnent les projets dans les
domaines à fortes utilisations technologiques, d’autres incubateurs (cas
A.1 ; cas A.4) se concentrent dans les domaines à faible utilisation tech-
nologique. De même, la durée de l’accompagnement dépend non seule-
ment de la nature du projet mais aussi de la mission de l’incubateur. De
ce fait, certains incubateurs universitaires accompagnent les porteurs de
projets sur une longue durée alors que d’autres les accompagnent sur une
courte durée.
Dans la logique de Laviolette et Loue (2006), nous avons constaté que
les incubateurs universitaires au Cameroun favorisent le processus entre-
preneurial à deux niveaux. D’une part ces incubateurs encouragent les
potentiels créateurs à développer leurs compétences et à accroître leur
employabilité par un processus d’apprentissage individuel comprenant la
formation, le coaching et l’action. Cette idée rejoint celle de Dupouy
(2008), selon laquelle les incubés ayant généralement peu d’expérience en
matière de création d’entreprise, les incubateurs mettent l’accent sur la
nécessité de faire progresser le porteur de projet dans la maturation de sa
réflexion et le développement de ses compétences. D’autre part, ces incu-
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 261

bateurs accompagnent les créateurs dans le développement d’une orga-


nisation par un processus d’apprentissage organisationnel comprenant
l’accès aux réseaux de connaissances et de ressources, le conseil en stra-
tégie et la dynamique de groupe.
Dans le processus d’incubation universitaire au Cameroun, figure en
bonne place la formation des incubés. En effet, réussir à entreprendre est
un processus qui dépend non seulement de la capacité du potentiel entre-
preneur mais également des conseils et des soutiens extérieurs. C’est dans
cette perspective que Laviolette et Loue (2006) mentionnent que les
entrepreneurs ayant reçu une formation pendant le processus de création
sont plus performants. Ainsi, dans l’optique de contribuer au démarrage
et au développement du projet d’un incubé, l’incubateur universitaire au
Cameroun est devenu un centre d’ingénierie et un espace qui propose
plusieurs consultations à l’incubé : par exemple, la formation aux procé-
dures administratives de création, la formation au montage des plans
d’affaires.
Dans tous les cas, l’idée ou le projet de création ne vient pas de l’incu-
bateur mais de l’accompagné lui-même. L’incubateur n’est qu’un guide
pour le porteur de projet qui l’accompagne dans la concrétisation de son
propre projet. Cependant, pour qu’un projet soit retenu par un incubateur
universitaire, il faut qu’il soit réaliste, innovateur, spécifique et même
bancable. Dans certaines situations, un biais de sélection des incubés peut
naître (Bergek et Norman, 2008). En effet, les incubateurs mettent géné-
ralement en place des processus pour ne sélectionner et incuber que des
projets présentant un fort potentiel de développement. Hackett et Dilts
(2004) défendent l’idée que les incubateurs ne devraient sélectionner que
les projets qui sont « faibles, mais prometteurs ». Cependant, avec la pres-
sion à la performance que subissent les incubateurs, la tentation est réelle
pour ne sélectionner que les meilleurs projets afin de présenter des résul-
tats aussi élevés que possible.
Au Cameroun, les incubateurs universitaires agissent également
comme conseillers financiers mais sont parfaits comme intermédiaires
financiers entre l’incubé et d’autres organismes de financement. Nous
avons ainsi constaté que la formation associée au coaching et aux moyens
financiers obtenus des incubateurs universitaires et/ou des bailleurs de
fonds externes a facilité le passage du projet de l’incubé à une entreprise
viable.
262 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Contrairement aux travaux de Kamdem (2011) qui révèlent que les


entrepreneurs camerounais ont une perception négative des réponses
apportées par les structures d’accompagnement à leurs demandes, nous
avons constaté que les incubateurs universitaires sont un levier pour la
culture entrepreneuriale des jeunes diplômés. L’accompagnement par les
incubateurs universitaires a contribué à la définition des critères qui ont
motivé la décision de l’entrepreneur et contribué à sa reconnaissance d’une
information fiable et pertinente pour la poursuite du projet entrepreneu-
rial, qui a abouti au démarrage effectif de l’entreprise. Cet accompagne-
ment a également contribué grandement au développement, à la
productivité et à la pérennisation de l’activité des entreprises incubées à
travers l’amélioration des ventes, des bénéfices et des investissements. Ce
résultat est en phase avec ceux de Mian (1997) ou de Colombo et Delmastro
(2002) qui montrent que les entreprises incubées connaissent générale-
ment une croissance de leur chiffre d’affaires et de leur nombre d’em-
ployés, ou encore qu’elles ont tendance à être plus actives en termes
d’innovation que des entreprises similaires non incubées. Un débat s’est
cependant engagé sur la validité de ces résultats en raison des difficultés
méthodologiques rencontrées pour constituer des échantillons de contrôle
ayant exactement la même localisation, la même activité et le même âge
que les entreprises incubées (Mian, 1996). C’est la raison pour laquelle il
existe des études aux résultats contradictoires qui présentent une absence
de lien significatif entre les incubateurs et la réussite des incubés (Tamasy,
2007).
En définitive, même si nous avons constaté que les start-up ayant
séjourné dans les incubateurs universitaires camerounais sont les plus
performantes, il semble très difficile de démontrer l’existence d’un impact
intrinsèque des incubateurs sur les résultats des entreprises incubées. C’est
pourquoi ce débat doit être délaissé en admettant qu’un effet positif existe,
même s’il n’est pas toujours nettement mesurable.

Conclusion

Cette contribution avait pour objectif de comprendre comment les incu-


bateurs universitaires au Cameroun accompagnent les jeunes porteurs de
projets et de connaître ce que sont devenus les incubés après leur passage
dans les incubateurs d’entreprises en milieu universitaire. Nous avons
L e s i nc u bat eu r s u n i v e r si ta i r e s • 263

constaté en revisitant la littérature que l’accompagnement par les incu-


bateurs universitaires est reconnu comme jouant un rôle important de
catalyseur du processus entrepreneurial.
Pour vérifier cela au Cameroun, nous avons utilisé les données obte-
nues à partir d’une interview (en face à face) administrée à cinq incuba-
teurs universitaires et à six incubés sortis du processus d’incubation. Nous
avons constaté que les incubateurs universitaires sont un levier pour la
culture entrepreneuriale des diplômés. Nous avons aussi remarqué, d’une
part, que la majorité des projets entrés en incubation se sont effectivement
transformés en véritables entreprises et, d’autre part, que les entreprises
nées du processus d’incubation en milieu universitaire sont viables,
pérennes, croissantes, productives et novatrices.
De ce fait, nous pouvons recommander à l’État camerounais et aux
promoteurs d’institutions universitaires privées de doter chaque campus
universitaire d’un incubateur afin de rehausser la culture entrepreneuriale
des diplômés pour qu’au sortir du système éducatif, ces derniers ne soient
plus des chercheurs d’emploi mais plutôt des offreurs d’emploi.

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266 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

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chapitre 12

La performance de l’accompagnement
entrepreneurial dans le contexte
marocain
Sanaa Haouata et Younes Bennane

L’incubation est devenue un phénomène omniprésent à travers le monde


(Albert et al., 2003), c’est un moyen adopté par un grand nombre de pays
comme dispositif à travers lequel on cherche à redynamiser le tissu socio­
économique des territoires.
Compte tenu de l’évolution de cette industrie (Albert et al., 2003 ;
Messeghem et al., 2013), l’incubation se développe continuellement et se
présente d’ores et déjà en différentes catégories (Albert et al., 2003 ;
Messeghem et al., 2011, 2013). Elle fédère une panoplie d’acteurs et déve-
loppe des voies et outils d’accompagnement multiples, et ce, en vue
d’apporter aide et appui à la fragilité naturelle des projets entrepreneu-
riaux émergents (Albert et al., 2003).
Au moment où la question de la performance des incubateurs se pose
avec acuité, la multitude des politiques, des acteurs, des objectifs, des
pratiques et des logiques d’accompagnement fait de l’appréhension de la
performance une question complexe, envisagée selon des approches très
variées. Selon une approche normative, qui s’intéresse aux bonnes pra-
tiques, ou suivant une approche externe pour répondre à des attentes plus
globales d’ordre économique et social. Cette deuxième approche a été
développée en une approche stratégique multidimensionnelle en tenant
compte de la satisfaction des principaux acteurs de l’incubateur (Bakkali
et al., 2013).
268 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Pour le cas particulier du Maroc, qui renvoie à notre terrain d’inves-


tigation, l’accompagnement entrepreneurial peine à assurer pleinement
sa mission. Bien que, selon l’étude du Global Entrepreneurship Monitor
Morocco1 (GEM, 2017), l’accompagnement entrepreneurial soit considéré
comme un préalable pour dynamiser le tissu entrepreneurial marocain,
et son amélioration permet d’intensifier cette dynamique et de favoriser
le passage de l’intention à l’acte entrepreneurial. En effet, l’écart constaté
entre l’intention et le passage à l’acte est très élevé et reflète une situation
problématique de l’accompagnement entrepreneurial au Maroc (37,2 %
est le taux des personnes ayant exprimé leur souhait de créer une entre-
prise contre 5,6 % qui concrétisent leur souhait). Un écart qui appelle à
interpeller la performance des acteurs d’accompagnement, dont les incu-
bateurs ; un axe qui représente bel et bien une défaillance mais reste
perfectible (GEM, 2017).
Afin de contribuer à l’amélioration de la prestation des incubateurs
dans le contexte marocain, nous nous interrogeons par le biais de ce
chapitre sur la perception des incubés vis-à-vis de la performance des
incubateurs à travers le questionnement suivant : quelle est la perception
des incubés à l’égard de la performance des incubateurs ? Les incubés
estiment-ils que l’accompagnement a répondu favorablement à leurs
attentes ? Quelles seraient, selon les incubés, les mesures d’amélioration
à envisager par les incubateurs pour une meilleure satisfaction ?
Afin de répondre à ces questions, notre chapitre sera structuré en
deux temps : d’abord, nous procéderons à une analyse de la revue de la
littérature sur l’évolution des approches et méthodes autour de la perfor-
mance des incubateurs et, dans une seconde partie, nous mènerons une
exploration, à travers des entretiens réalisés auprès de 13 incubés issus des
incubateurs marocains de différentes catégories en vue d’analyser leur
perception de la performance des incubateurs et afin de mieux cerner
leurs attentes vis-à-vis de ces derniers.

1. Global Entrepreneurship Monitor, Morocco, études réalisées successivement en


2016, 2017 et 2018 sur la dynamique entrepreneuriale au Maroc, par le Laboratoire de
Recherche en Entrepreneuriat et Management des Organisations — Université Hassan II,
FSJES de Casablanca.
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 269

1. Un éclatement d’approches et méthodes d’appréciation de


la performance des incubateurs

1.1 À quoi correspond la performance des incubateurs ?

Depuis son apparition comme thématique de recherche, la mesure de la


performance des incubateurs demeure un sujet controversé (Paturel, 2010)
et une question complexe (Vedel et Stéphany, 2011), et ce, par la multitude
d’indicateurs et d’approches qui l’appréhendent.
Selon une vision chronologique, les études taxonomiques ont fait
l’objet des premières voies d’appréciation de la performance des incuba-
teurs (Hamdani, 2006) qui reposent sur trois aspects principaux : les
services dispensés par l’incubateur, les incubés et leurs projets, ainsi que
l’analyse des indicateurs de mesure, principalement de nature économique
et financière.
Cette évolution a donné lieu à une thématique riche mais hétérogène,
et traite la performance des incubateurs de multiples façons (Tableau 12.1).
Afin de simplifier la lecture, Bakkali et al. (2013) ont présenté un état
synthétique de l’évolution de la littérature autour de la question de la
performance des incubateurs :
Toutefois, des travaux sur l’élaboration des modèles de mesure et de
pilotage de la performance ont tenté d’articuler des indicateurs de diffé-
rente nature pour une meilleure appréciation de la performance. On en
cite l’exemple du modèle de Bakkali et al. (2013) qui combine les dimen-
sions stratégiques et entrepreneuriales de même que le contrôle de la
gestion.

1.2 Les approches d’appréciation de la performance des incubateurs

En termes d’approches d’appréciation de la performance, la voie unilaté-


rale a fait l’objet de critiques à cause de son incapacité à elle seule de
couvrir la performance globale des incubateurs (Laitinen, 2002), pour
céder la place à une approche à orientation plutôt stratégique (Neely et Al
Najar, 2006).
Dans la même visée, des auteurs comme Brignall et al. (2002), Neely
et al. (2000) et Neely (2005) précisent que la recherche sur la performance
des incubateurs a dépassé le stade d’évaluation axée sur des mesures
traditionnelles et unilatérales inspirées des principes de la comptabilité
2 70 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 12 .1
L’évolution des indicateurs de mesure de la performance au sein des
incubateurs

Types d’indicateurs Indicateurs

Nombre de projets incubés


Indicateurs centrés Taux de réalisation des projets
sur les résultats Emplois induits par la création
Survie des entreprises

Indicateurs centrés Satisfaction de l’incubé


sur l’incubé Sélection des incubés

Indicateurs centrés Accès à des ressources financières


sur les ressources Accès facilité à des partenaires économiques et commerciaux
financières Diminution des coûts de fonctionnement

Identification des acteurs du réseau et des ressources à


Indicateurs centrés
mobiliser
sur la mise en réseau
Insertion de l’incubé dans des réseaux professionnels

Capacité de la structure à apporter une réponse sur mesure


Maîtrise de la législation
Indicateurs centrés
Participation active
sur les processus
Mise à disposition d’outils
Services proposés

Innovation et qualité du management de l’incubateur


Système d’information adapté à la structure
Échange de bonnes pratiques
Indicateurs centrés
Expérience des accompagnants
sur le management
Formation continue des accompagnants
Repérage d’acteurs ressources disposant de compétences clés
Insertion dans les réseaux

Source : adapté de Bakkali et al., 2013.

analytique, et mobilise des indicateurs financiers, avec des approches


beaucoup plus intégratives et équilibrées. Nous présenterons, dans ce qui
suit, un survol sur l’évolution des approches d’appréciation de la
performance.

A. L’approche normative vs l’approche positiviste

Deux voies d’appréciation de la performance des incubateurs ont été


déterminées par Arlotto et al. (2011), il s’agit de l’approche normative et
de l’approche positiviste.
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 2 7 1

Développée par Smilor (1987), l’approche normative est basée sur les
bonnes pratiques et sur l’émission de recommandations en vue d’amé-
liorer le processus d’incubation. Ces dernières ont été critiquées vu leur
nature irréalisable sur le terrain (Abetti, 2004). Cette approche a enregistré
certaines limites étant donné qu’elle n’a pas tenu compte de la diversité
des objectifs des incubateurs, de leurs parties prenantes ainsi que de
l’éventuelle influence des facteurs environnementaux sur la performance
(Arlotto et al., 2011).
Par ailleurs, l’approche positiviste s’est fort répandue. Elle s’intéresse
à l’identification et à l’analyse des déterminants d’une incubation réussie,
et s’interroge sur le processus d’incubation et sur son rôle dans la création
de la valeur pour les incubés.

B. L’approche externe vs l’approche interne

L’évolution de l’appréciation de la performance a donné lieu à deux autres


voies qui s’opposent : l’approche externe et l’approche interne (Paturel,
2010 ; Vedel et Stephany, 2011).
À la base, les incubateurs ont été créés à la suite des motivations
locales financées par des fonds publics, ce qui fait que l’approche externe
est l’une des premières approches d’appréciation de la performance des
incubateurs (Vedel et Stephany, 2011). Cette approche a pour finalité de
légitimer les fonds investis, à travers l’analyse de l’impact des incubateurs
sur la communauté (Paturel, 2010) et sur l’environnement à la fois écono-
mique et social (Albert et al., 2003). Pour ce faire, Paturel (2010) a eu
recours à des indicateurs de nature quantitative (ou économique) tels que
le nombre d’entreprises créées ou les emplois créés, alors que Vedel et
Stephany (2010) distinguent entre les indicateurs d’ordre économique tels
que le nombre des entreprises créées, le taux de survie, les subventions
obtenues et les taxes récupérées, et des indicateurs d’ordre social, à l’instar
de l’évolution des mentalités au regard de la création des entreprises.
L’approche interne, quant à elle, vient appréhender la pertinence du
fonctionnement de l’incubateur (Vedel et Stephany, 2011) par le biais des
indicateurs de mesure de l’efficacité et de l’efficience du processus d’incu-
bation (Paturel, 2010).
2 72 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

C. L’approche individuelle vs l’approche collective

L’évolution des travaux sur la performance des incubateurs a démontré


que l’adoption des critères financiers uniquement dans son appréhension
éprouve d’une grande insuffisance, une perspective qui a laissé place à
une approche beaucoup plus équilibrée, qui envisage la performance dans
sa conception globale (Paturel, 2010 ; Matthyssens et al., 2012 ; Messeghem
et al., 2014 ; Paturel et Maalel, 2016). Dans ce sens, Daft (2009) souligne
que la performance globale est appréhendée à travers quatre approches
distinctes avec des caractéristiques singulières : l’approche des objectifs,
l’approche des parties prenantes, l’approche par les ressources et l’ap-
proche du processus interne.
En effet, les tendances actuelles soulignent l’importance de l’adoption
d’un système global de pilotage de la performance des incubateurs (Yu et
Nijkamp [2009)] ; Matthyssens et al. [2012] ; Messeghem et al. [2010] ;
Bakkali et al. [2014] et Paturel [2010]). Il s’agit d’un cadre global qui fédère
l’ensemble des approches individuelles (Matthyssens et al., 2012) et qui a
donné lieu par la suite à plusieurs tentatives de modélisations spécifiques
ou générales.

2. La performance des incubateurs vue par des incubés marocains

L’accompagnement entrepreneurial met en scène différents acteurs à


l’instar des porteurs de projets, des financeurs et des structures d’accom-
pagnement. Dans sa conception individuelle, cet accompagnement a pour
rôle de révéler le potentiel des porteurs de projets et entrepreneurs (GEM,
2018), et dans ce registre, Bakkali et al. (2014) soulignent que les incubés
représentent le noyau de la sphère d’accompagnement dans la mesure où
les structures d’incubation sont censées jouer un rôle grandissant dans
leur réussite.
Par ailleurs, les incubés sont considérés comme des clients dont la
satisfaction doit être prise en compte par les structures d’incubation qui
se trouvent en concurrence entre elles2 et essaient d’attirer des porteurs
de projets en mobilisant des indicateurs tels que « le taux d’encadrement,

2. Notamment en présence de certains fonds étatiques à l’instar des fonds de la Caisse


Centrale de Garantie (CCG), et qui met aussi en place un dispositif de labélisation.
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 2 73

le taux de réussite, les services proposés, des réseaux professionnels


étoffés » (Messeghem et Sammut, 2013).
Pour aboutir à cette fin, et pour une meilleure performance, il est très
important que les structures d’incubation prennent en compte la percep-
tion qu’ont les incubés de la réussite de la prestation d’incubation ; une
approche qui privilégie l’implication des incubés comme l’une des parties
prenantes dans la définition des indicateurs d’appréciation de la perfor-
mance globale des incubateurs.

2.1 Le cadre méthodologique

L’objectif de notre partie empirique étant d’analyser la perception des


incubés de la performance des incubateurs ainsi que leur satisfaction au
regard de la prestation dont ils ont bénéficié, nous inscrivons notre
recherche dans une démarche exploratoire ; un choix qui nécessite la
mobilisation d’une étude qualitative, à travers laquelle nous envisageons
d’approcher, par le biais des entretiens semi-directifs, 13 incubés issus
d’incubateurs marocains de différentes catégories.
Relativement à la carence qu’enregistre la recherche sur l’accompa-
gnement entrepreneurial dans le contexte marocain, la voie de l’explora-
tion constitue une piste légitime afin de faire un premier balisage du
terrain de recherche et constituer, par conséquent, une base de formula-
tion d’hypothèses pour les recherches futures.
Notre analyse ayant résolument une visée exploratoire, nous avons
estimé important de nous adresser à des incubés issus des quatre catégo-
ries d’incubateurs qui caractérisent le contexte marocain, à savoir les
incubateurs de développement de l’économie locale (DEV), ceux d’inves-
tissement privé (Invest. Pr.), les universitaires (Univ.) et les sociaux
(Social). Le choix des incubés a aussi pris en compte le niveau de maturité
des projets qui appartiennent à différentes phases d’incubation, un critère
qui permet de mettre en avant des attentes et des besoins différents au fur
et à mesure de l’évolution des projets.
Toutefois, une recherche qualitative à visée exploratoire n’exige pas
un échantillonnage aléatoire comme dans le cas des études quantitatives.
Dans cette perspective, Miles et Huberman (2003) précisent que l’échan-
tillonnage doit plutôt être « orienté », et c’est dans ce sens que nous avons
fixé comme critère de choix les différentes catégories d’incubateurs maro-
TA B L E AU 12 . 2
Les caractéristiques des incubés interviewés
Code Ville Nature de Durée de
Genre* Secteur d’activité Phase d’incubation
incubé incubée** l’incubateur l’entretien***
Incubé 1 H Informatisation dans le domaine touristique Fès Univ. Pré-incubation/ Incubation 1 h 00
Incubé 2 H Solution de rééducation oculaire Fès Univ. Pré-incubation/ Incubation 1 h 30
Incubé 3 H Solution numéralisée destinée aux ménages Fès Univ. Pré-incubation/ incubation 1 h 15
Pré-incubation/ Incubation/
Incubé 4 H Fabrication de produits métallurgiques Casa. DEL 1 h 30
Post-incubation
Pré-incubation/ Incubation/
Incubé 5 H Fabrication de produits en aluminium Casa. DEL 1 h 30
Post-incubation
Incubé 6 F E-commerce Casa. DEL Post-incubation 1 h 30
Pré-incubation/ Incubation/
Incubé 7 H Découpage laser Casa. DEL 1 h 35
Post-incubation
Pré-incubation/ Incubation/
Incubé 8 H Communication et création WEB Casa. DEL 1 h 20
Post-incubation
Incubé 9 H Insertion professionnelle de jeunes qualifiés Rabat Social Pré-incubation/ Incubation 1 h 10
Corporate volunteering à travers l’intermédia-
Incubé 10 H Casa Social Post-création 50 min
tion entre associations et entreprises privées
Incubé 11 H Gestion des déchets solides Oujda Invest. Pr. Pré-incubation 1 h 15
Réinsertion socioprofessionnelle des
Incubé 12 F Casa Invest. Pr. Pré-incubation/ Incubation 1 h 30
ex-détenus
Incubé 13 H Éducation pour tous Rabat Invest. Pr. Pré-incubation/ Incubation 1 h 30

* Le genre n’a pas été pris en considération en tant que critère qui aurait une influence sur la perception de la performance des incubateurs.
** Certains résident dans des villes autres que celles où ils sont incubés, certains participent à des programmes d’incubation organisés sous forme de camp et à
2 74 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

partir desquels sont sélectionnés les meilleurs projets.


*** La durée moyenne des entretiens est de 1 h 20.
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 2 75

cains, ainsi que le niveau d’avancement des projets. Par ailleurs, nous
précisons l’absence d’une règle universelle qui permet de définir le nombre
de cas exacts dans le cadre d’une étude qualitative. Miles et Huberman
(2003) soulignent même que dépasser une quinzaine de cas expose le
chercheur à des difficultés de traitement.
Aussi, le choix de l’entretien semi-directif semble le plus approprié
pour mener une étude de nature exploratoire qui envisage une analyse
perceptuelle. Zagre (2013) explique dans ce sens que « l’interview renvoie
à une situation de face-à-face, à un échange au terme duquel l’interlocu-
teur exprime ses perceptions d’un événement ou ses expériences ». Par les
questions que nous posons, nous parvenons à aider l’interviewé à s’ex-
primer sans dispersion, tout en lui accordant une marge d’authenticité et
de profondeur, sur son vécu, son expérience et sa perception personnelle
de la performance des incubateurs. Ainsi, le tableau 12.2 récapitule les
caractéristiques des incubés interviewés.

2.2 Analyse de la perception des incubés de la performance des incubateurs


dans le contexte marocain

A. L a description des incubés, des projets et les motivations pour le choix de


la structure d’incubation

Comme annoncé précédemment, le choix des incubés s’est fait en fonction


de la diversité des catégories de structures d’incubation. Les incubateurs
de développement de l’économie locale, les incubateurs sociaux, les incu-
bateurs universitaires ainsi que les incubateurs d’investissement privé
sont ainsi les quatre catégories qui caractérisent le contexte marocain. De
la même façon, les projets sélectionnés pour notre étude relèvent de
niveaux de maturité différents, ils sont soit en phase de pré-incubation,
d’incubation proprement dite ou encore de post-incubation. Le choix des
projets ayant des niveaux de maturité différents est important pour
l’appréhension des besoins des porteurs de projets en évolution continue.
À l’analyse des résultats des entretiens, nous constatons que les projets
accompagnés appartiennent à des secteurs d’activité divers (fabrication
des produits métallurgiques, e-commerce, insertion professionnelle,
solution de rééducation oculaire, solution pour le domaine du tourisme,
etc.), et ce, quelle que soit la catégorie de l’incubateur (Tableau 12.2). Ce
constat pourrait être expliqué par le fait que les incubateurs marocains
2 76 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

en sont encore au stade d’accompagnement généraliste, qui porte princi-


palement sur des aspects transversaux de l’accompagnement entrepre-
neurial. GEM (2018) appuie ce constat en soulignant que les entreprises
accompagnées dans le contexte marocain en sont majoritairement au
stade de pré-création et « les principaux services non financiers sollicités
sont le conseil (36,4 %), la formation (20,5 %), le networking (18,2 %), l’infor-
mation et la sensibilisation (11,4 %), ainsi que l’hébergement (10,2 %) ». En
effet, les entretiens menés relèvent que les incubés recourent à des struc-
tures d’incubation par besoin d’encadrement concernant différents
aspects génériques de l’entrepreneuriat, pour accéder à des réseaux pro-
fessionnels ou encore au financement (c’est le cas d’un incubé qui a déjà
créé son entreprise et arrive à commercialiser son produit, mais a eu
recours à une structure d’incubation afin d’acquérir une légitimité auprès
des investisseurs et accéder aux fonds). Dans ce sens, l’incubateur devra
intervenir pour renforcer la capacité du porteur de projet afin qu’il soit
reconnu et crédible en vue de faciliter son insertion dans son environne-
ment ; ceci étant, l’incubateur est censé assurer le rôle de légitimateur du
porteur de projet (Chabaud et al., 2005 ; Messeghem et Sammut, 2010).
Cependant, les incubés n’ont pas assez de marge pour le choix de
l’incubateur, et ce, à cause du nombre réduit de structures d’incubation
au Maroc3 ; aussi, ces dernières procèdent généralement par concours pour
la sélection des incubés.

B. Le processus d’incubation

La sélection des porteurs de projets


Pour l’ensemble des incubateurs auxquels appartiennent les incubés
interviewés, l’accompagnement proposé couvre tous les projets, quel que
soit leur statut (accompagnement « pré- ou post-création »). Autrement
dit, les incubateurs ne tiennent pas compte si l’entreprise est juridiquement
créée ou pas, car le statut juridique n’a aucune incidence sur la maturité
des projets. On peut par contre distinguer divers niveaux de maturité, en
différenciant un porteur d’idée, de projets ou d’entreprise (au moment où
cette dernière commence à décrocher quelques clients sur un marché).

3. Dans l’absence d’une cartographie d’incubateurs marocains, nous avons relevé


environ une trentaine d’incubateurs marocains, mais seulement 15 parmi eux entre-
prennent des actions d’accompagnement.
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 2 7 7

La revue de la littérature nous permet de distinguer principalement


deux approches d’incubation. D’abord, une première approche en deux
étapes : l’étape ante-création, qui couvre la phase de détection de l’idée et
de l’opportunité d’affaires ainsi que celle de la construction du modèle
entrepreneurial et du business model, et puis l’étape de post-création
relative à une phase d’exploitation et de construction du business plan
(Messeghem et Sammut, 2011). La deuxième approche d’incubation
compte trois étapes (Paturel et Masmoudi [2005] ; Paturel [2010]) : la pré-
incubation qui correspond à la phase de détection, de sensibilisation,
d’orientation et de sélection ; la phase d’incubation qui correspond à une
période d’accompagnement, de formation et du coaching ; puis la post-
incubation, une phase relative à l’hébergement, au suivi, à l’expertise et à
la mise à niveau des jeunes entreprises (Masmoudi, 2007). Toutefois, il est
important de souligner que les frontières entre les phases d’incubation
ne sont pas étanches dans le cas des incubateurs marocains, ce qui donne
lieu à des recoupements possibles entre les différentes phases d’incubation.
En effet, nous pouvons citer à titre d’illustration des incubateurs qui
consacrent la phase de pré-incubation aux compétitions de sélection et à
la sensibilisation préalable à l’entrepreneuriat, tandis que d’autres struc-
tures dépassent ce stade pour exiger une première ébauche du prototype
afin de pouvoir passer à la phase d’incubation.
De façon générale, pour accéder aux structures d’incubation, les
incubés doivent répondre à un appel à candidatures et passer une batterie
d’entretiens. De la même façon, le passage d’un niveau de maturité à un
autre suit généralement un processus d’évaluation. Le choix des incubés et
de leurs projets se fait sur la base d’un ensemble de critères qui prennent en
compte le profil de l’entrepreneur et la cohérence du projet. Aussi, les incu-
bateurs mettent en place, pour la sélection des incubés, des critères qui
s’alignent sur leurs objectifs globaux et les catégories d’incubateurs (projets
à caractère social ou environnemental, solutions innovantes, porteurs de
projets issus du milieu universitaire ou encore de milieux vulnérables).

Les services d’incubation offerts


La durée d’incubation pour les incubateurs de notre cible diffère d’une
structure à une autre. Le schéma ci-après illustre les périodes minimales
et maximales par phase d’incubation, selon les interviews menées auprès
des incubés.
2 78 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

F I G U R E 12 .1
Périodes d’incubation pour des incubateurs marocains

3 à 6 mois 6 à 24 mois 6 à 18 mois


Pré-incubation Incubation Post-incubation

Concernant le processus d’incubation, il est important de souligner


que 9 des 13 incubés interrogés estiment que l’incubation au Maroc n’en
est qu’à un stade précoce : « accompagnement early stage, même après la
création juridique d’une entreprise ; la notion de la post-incubation n’existe
pas ; absence d’accompagnateurs…4 », et ce, malgré le fait que certains
incubateurs prétendent assurer un accompagnement qui couvre toutes
les phases du processus entrepreneurial. Ainsi, une autre caractéristique
a été soulevée : les services qu’offre un incubateur pour une phase donnée
pourraient correspondre aux services offerts par un autre incubateur pour
une autre phase. Par conséquent, dresser une liste exhaustive de services
par phase d’incubation nous semble une voie sans issue. Afin de remédier
à cette situation, nous optons pour la présentation d’une cartographie qui
permet d’avoir une vue panoramique des différents services dont nos
incubés ont bénéficié pour l’ensemble des phases et les outputs y afférant.
Dans ce cas de figure, nous pouvons constater une répétition d’un service
ou d’un output dans des phases différentes.
Le tableau 12.3 nous permet de lire que les outputs par phase d’incu-
bation sont très disparates d’une structure à une autre. En effet, pour la
phase de pré-incubation, nous pouvons faire la distinction entre les
structures d’incubation qui se contentent des actions de sensibilisation à
l’entrepreneuriat ou de définition des pistes de solution pour la problé-
matique traitée, alors que d’autres structures réservent cette phase à la
réalisation d’une première ébauche de business plan, du business model,
ou encore du prototype. D’autres incubateurs vont jusqu’à la création
juridique de l’entreprise, et procèdent à l’affectation des accompagnateurs
et des locaux personnels pour la production et la commercialisation de la
solution proposée (c’est le cas d’un seul incubateur appartenant à la caté-
gorie Développement économique local [DEL]).

4. Les citations entre guillemets renvoient aux propos des incubés interviewés.
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 2 79

TA B L E AU 12 . 3
Cartographie des services et outputs éventuels des incubateurs
marocains

Pré-incubation Incubation Post-incubation

Formation : Le développement Formations sur les différents Espace équipé pour


personnel, les différents aspects de l’entrepreneuriat, le travail collectif
aspects de l’entrepreneuriat, aspects techniques des projets ; (coworking space) ;
la comptabilité, les formalités Financement éventuel ; Participation à tous les
administratives et juridiques événements et
Mise à disposition des moyens
de la création de l’entreprise, formations organisés
logistiques (espace commun de
la gestion commerciale et par l’incubateur ;
travail, fournitures, matériels…) ;
le marketing, les aspects
Suivi des états d’avancement des Mentoring et conseil ;
managériaux ;
projets (business plan, business Mise en relation avec
Mise à disposition de la
model, prototype…) ; des partenaires
méthodologie et les outils à
Nomination d’accompagnateur éventuels (associés,
mobiliser sur le terrain ;
pour chaque incubé ; financeurs, experts,
Affectation du local personnel clients, etc.), partage
de commercialisation et achat Choix de la forme juridique,
d’expérience entre les
des équipements et machines création de l’entreprise et
entrepreneurs ;
de travail ; brevetage du projet ;
Accompagnement
Affectation de Participation à des événements
pour l’installation à son
l’accompagnateur ; et communication sur les
propre compte (en
projets ;
Espace équipé pour le travail dehors de l’incubateur,
collectif (coworking space) ; Suivi du plan d’évolution des pour être sûr de la
entreprises selon les objectifs viabilité de
Services de conseil, d’assistance
fixés (CA, recrutements, etc.) ; l’entreprise).
et de coaching, ateliers de
brainstorming et d’échange Mise à disposition des
entre les incubés ; spécialistes métiers ;
Réunions de suivi des états Accompagnement éventuel sur
d’avancement (à distance et/ le terrain (accompagnement de
ou en direct) ; l’incubé pour effectuer des
rencontres avec certains
Mise en relation avec des
acteurs) ;
partenaires éventuels
(investisseurs, associés, clients, Disponibilité du local de travail
experts métiers, etc.). individuel et du matériel ;
Espace équipé pour le travail
collectif (coworking space).

Les différents outputs possibles par phase

Définition des pistes de Élaboration du business plan et Hébergement avec


solution pour la problématique du business model ; tarif préférentiel au
traitée ; Réalisation du prototype ; sein des locaux de
Étude préliminaire du marché ; l’incubateur ;
Création juridique de
Réalisation d’une première l’entreprise ; Accès éventuel à des
ébauche du business plan et financements ;
Évolution du chiffre d’affaires,
du business model ; recrutements, etc. Installation à son
Création d’une première propre compte.
ébauche du prototype ;
Création juridique de
l’entreprise.
280 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Pour la phase d’incubation, si certaines structures se concentrent sur


l’élaboration ou la finalisation du business plan, du business model et du
prototype, d’autres exigent la création juridique de l’entreprise, alors que
d’autres encore assurent un accompagnement et un suivi du chiffre
d’affaires des entreprises déjà créées lors de la phase de pré-incubation
afin de les préparer à être plus autonomes à la sortie de l’incubateur.
La phase de post-incubation est la phase la moins élaborée pour les
incubateurs de notre cible. Certaines structures qui prétendent assurer
cette phase, ne font que proposer un service d’hébergement à un tarif
préférentiel, font bénéficier les incubés de certaines formations, leur per-
mettent d’accéder à des événements, et de profiter du networking et de
l’échange avec les autres entrepreneurs. À la seule exception d’un incu-
bateur du DEL qui, durant la phase d’incubation, amène les incubés à être
plus autonomes, en les aidant dans la recherche d’un bail commercial et
dans le choix d’un emplacement et d’équipements, leur faisant bénéficier
par la suite d’un accompagnement post-incubation d’une période d’une
année et demie afin de s’assurer de leur viabilité et de l’évolution de leur
activité.

C. La satisfaction des incubés

Concernant la satisfaction des incubés interrogés, l’analyse menée a


permis de mettre en avant des avis divergents vis-à-vis de la prestation
proposée. Cependant, il est important de noter que parmi les 13 incubés
rencontrés, 9 déclaraient une forte insatisfaction, surtout lorsqu’il s’agis-
sait d’un accompagnement en aval du processus entrepreneurial. Ce
constat est confirmé par les résultats du rapport sur la dynamique entre-
preneuriale au Maroc, qui souligne que l’accompagnement entrepreneu-
rial s’avère un soutien dans le difficile passage de l’intention à l’acte
d’entreprendre (GEM, 2017), ce constat invite à approfondir la réflexion
sur les conditions d’incubation au Maroc.
Dans cette perspective, l’analyse menée relève une certaine satisfac-
tion à mettre sur le compte des phases de la sensibilisation et de l’accom-
pagnement en amont du processus entrepreneurial. Ainsi, la majorité des
incubés, soit 10 sur 13, affirment que la phase de pré-incubation leur a été
d’une très grande valeur ajoutée. Dans ce sens, un incubé déclare que
l’incubation lui a permis de profiter d’une formation intéressante « mais
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 281

adéquate aux porteurs de projets au stade en amont du processus entre-


preneurial », un autre estime que la phase de pré-incubation lui a permis
de « bénéficier de plusieurs orientations et de corriger certains prérequis ».
Cette phase est aussi profitable par la légitimité qu’accorde l’incubateur,
que ce soit à l’incubé débutant ou à son projet. Par ailleurs, l’incubateur
représente un espace d’échange, de réseautage, de partage d’expérience
et aussi d’entraide.
Si les incubés expriment globalement une satisfaction vis-à-vis de
l’accompagnement en amont du processus entrepreneurial, la plupart
d’entre eux (10 sur 13) ont connu des déboires dans les phases d’incubation
proprement dite et de post-incubation, allant jusqu’à considérer que « la
notion de post-incubation n’existe pas ! », bien que l’incubateur prétende
l’assurer. Beaucoup d’insuffisances de nature organisationnelle, géogra-
phique ou financière, et aussi en termes d’accompagnement, de formation
ou d’assistance sur le terrain, ont été relevées.
Des accompagnateurs qui se contentent d’assurer un rôle adminis-
tratif, de communiquer sur les événements ou sur les objectifs à atteindre,
voilà une situation qui relève notamment des incubateurs universitaires.
D’autres incubés soulignent le manque de compétences des mentors et
des conseillers, notamment pour la phase de post-incubation « accompa-
gnateurs en mode d’apprentissage » ; cependant, cela ne remet aucunement
en cause leur bonne volonté qui se traduit par un très bon relationnel entre
les accompagnateurs et les incubés : « très bon contact, écoute active des
propositions et des besoins d’incubés, très grande ouverture d’esprit ». Le
manque d’expertise métier et d’assistance sur le terrain, ainsi que la ques-
tion récurrente pour laquelle il y a besoin de multiplier les efforts est celle
du financement ; ce besoin est même soulevé durant la phase de pré-­
incubation où les incubés réclament « la nécessité de seed-fund » (fonds
de démarrage) afin de les aider à faire les premiers pas sur le terrain.
Les heures d’ouverture de l’incubateur sont une autre question sou-
levée par les incubés dans la mesure où elles sont inadéquates vu le rythme
rapide du travail d’un entrepreneur. La question de l’accessibilité des
clients à l’incubateur a été aussi mentionnée, notamment pour les centres
d’innovation universitaires qui se situent généralement au sein des uni-
versités qui, elles, se trouvent en général à la sortie des villes.
L’analyse menée permet de prendre connaissance des insuffisances
de l’incubation dans le contexte marocain, telles que soulevées par des
282 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

incubés. Ces derniers sont considérés comme l’un des acteurs clés dont
la perception doit faire l’objet d’une attention particulière.

D. La performance des incubateurs perçue par les incubés

L’importance du rôle d’un accompagnement performant dans la réussite


des projets et des entreprises n’est plus à prouver (Chabaud et al., 2003 ;
Sammut, 2003 ; Lasch, 2004). Quant à la question de la performance des
incubateurs, qui se pose avec le plus d’acuité, ceux-ci sont invités à mul-
tiplier leurs efforts pour répondre aux besoins et attentes des incubés,
acteurs clés de la sphère d’accompagnement.
L’analyse de la perception des incubés vis-à-vis de la performance des
incubateurs a permis d’émettre certaines pistes d’amélioration envisagées
selon différents aspects :
• La sélection des incubés : La sélection doit tenir compte principa-
lement de « la volonté et l’énergie » du candidat à mener un projet
d’affaires, l’incubateur étant appelé par la suite à développer ses
capacités entrepreneuriales et de leadership ;
• L’attitude des incubateurs : « Les incubateurs doivent eux-mêmes
se comporter avec un esprit entrepreneurial », et ce, en termes des
horaires de travail, et l’accessibilité à l’espace en soirs et week-
ends. Un incubateur est tenu d’améliorer les compétences de ses
accompagnateurs, il doit « appliquer un modèle d’incubation
adapté au contexte marocain » et s’inscrire dans une logique
d’apprentissage organisationnel. Un incubateur doit apprendre
de ses erreurs ou de celles de ses incubés, ou encore à partir des
expériences des autres structures, d’où la nécessité d’appartenir à
un réseau.
• L’organisation interne : Les incubateurs sont amenés à établir et
communiquer des procédures de travail traçant le passage d’une
étape d’incubation à une autre et décrivant les objectifs assignés
pour chaque étape.
• Accompagnement sur le terrain : Les incubateurs ont pour rôle de
faciliter l’accès au terrain et aux partenaires clés pour la réussite
des projets. Ils doivent d’abord eux-mêmes « s’inscrire dans une
logique de confrontation théorie-terrain », et assurer une assis-
tance des incubés sur le terrain, en leur accordant la légitimité
L a pe r for m a nce de l’ac c om pagn e m e n t e n t r e pr e n eu r i a l • 283

nécessaire afin de véhiculer une bonne image des projets dans la


sphère entrepreneuriale. Dans cette perspective, les incubés inter-
viewés ont émis certaines propositions permettant de mettre en
avant cet aspect, telles que « l’organisation de compétitions natio-
nales et internationales permettant aux incubés de communiquer
sur les projets », la mise en place « de show-rooms des produits et
services des incubés », ainsi que « la mise en place d’une zone indus-
trielle au profit des incubés à la fin de la période d’incubation ».

Conclusion et principales implications

L’approche multidimensionnelle est une voie adoptée par une panoplie


d’auteurs pour le pilotage et la mesure de la performance au sein des
incubateurs. Cette approche envisage le pilotage de la performance selon
un cadre global qui fédère l’ensemble des approches individuelles et repose
sur la prise en compte de la satisfaction des acteurs clés de la structure
d’incubation (Paturel, 2010 ; Messeghem et al., 2010 ; Bakkali et al., 2014).
Notre analyse perceptuelle menée auprès des incubés vient contribuer à
cette finalité, et a permis de cerner certains de leurs besoins et attentes.
Appréhender ces besoins est donc nécessaire pour aller de l’avant et
approfondir la réflexion autour des dispositifs dispensés actuellement par
les structures d’accompagnement entrepreneurial.
Si l’accompagnement est essentiel pour impulser la dynamique entre-
preneuriale d’une région (GEM, 2018), les insuffisances soulevées ainsi
que les pistes d’amélioration proposées par les incubés sont d’une impor-
tance capitale et invitent à mener une réflexion afin de mieux penser la
prestation et les services offerts par les structures d’incubation.
Notre analyse invite les incubateurs à sortir de leur zone de confort
et à considérer des indicateurs de performance qui, parfois, peuvent leur
sembler inappropriés pour refléter leur situation réelle ; des indicateurs
comme le nombre de formations et d’événements proposés, ou encore le
taux de remplissage tel que soulevé par Albert et al. (2003) ; des indicateurs
de moyens et non de résultats, à notre sens, et donc insuffisants à repré-
senter à eux seuls un sujet aussi épineux que la performance globale des
incubateurs. Cette dernière appelle à relever le défi de la mobilisation
naturelle des critères d’efficacité et d’efficience, en tant qu’indicateurs de
moyens court-termistes, et des critères d’effectivité qui permettent de faire
284 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

une lecture de la satisfaction globale de toutes les parties prenantes de la


structure d’incubation.

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chapitre 13

Le Centre d’excellence en
entrepreneuriat (le CEENTRE)
Tsoavina Randriamanalina et Riveltd Rakotomanana

En 2015, à la suite d’une réorientation stratégique de l’institut, une nou-


velle structure d’incubation d’entreprise a été mise en place au sein de
l’ISCAM, Business School, Madagascar : le Centre d’Excellence en
Entrepreneuriat (CEENTRE). L’objectif étant de fournir aux créateurs et
potentiels créateurs d’entreprise l’accompagnement nécessaire à leur
processus de création. En presque cinq ans d’existence, le centre a connu
différentes modifications aussi bien sur le plan de sa structure que des
activités d’accompagnement proposées.
Un des outils permettant actuellement de rendre compte de l’état de
la structure et des activités d’une organisation est le concept de business
model (Verstraete et Jouison-Laffite, 2009). S’il en existe plusieurs défini-
tions (Arlotto et al., 2011), une conception commune émerge actuellement,
le considérant comme « la façon avec laquelle l’entreprise crée de la valeur »
(Loilier et Tellier, 2001). Mais si ce concept semble restrictif aux seules
entreprises, son utilisation s’est élargie à toutes sortes d’organisations
(Lecocq et al., 2006) et la valeur proposée n’est pas seulement économique
mais peut aussi être sociétale, culturelle… (Jouison-Laffite et Verstrate,
2008).
Le concept d’accompagnement d’entreprise, quant à lui, a vu le jour
il y a plus de 30 ans (Albert, 2003). Issues de la fusion d’un concept né
dans les entreprises dans un objectif de rénovation urbaine et de déve-
loppement communautaire, et d’un autre, conséquence de l’objectif de
288 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

commercialisation des résultats de la recherche scientifique fondamentale,


les structures d’incubation ont connu une évolution palpable au cours
des dernières années pour disposer aujourd’hui de trois douzaines de
définitions et connaître des formes variant d’une localité à une autre
(Hamdani, 2006).
Jeune incubateur à la recherche de son identité, le CEENTRE est
encore actuellement à la phase d’exploration du modèle d’affaires qui
correspond à ses objectifs et qui répond aux besoins de ses différentes
parties prenantes. Étant un incubateur académique à sa conception, le
CEENTRE devrait pouvoir assurer sa pérennité sur le plan interne de son
institution d’appartenance (Arloto, Pacito et Saingre, 2015). Pourtant,
après quelques années de fonctionnement, les dirigeants se sont rendu
compte que cette pérennité ne pouvait être assurée s’il restait un dépar-
tement faisant partie de l’organisation interne de l’ISCAM (cf. en annexe
les différents business models). D’où la décision de modifier son modèle
économique, entraînant ainsi une évolution considérable des autres élé-
ments de son business model. Une question de recherche d’importance
apparaît alors : quelles sont les contraintes ayant amené l’évolution du
business model du CEENTRE ?
L’objectif principal de ce chapitre est ainsi de mettre en évidence les
différentes contraintes ayant poussé le CEENTRE à modifier son busi-
ness model, et, ce faisant, nous pouvons tirer des bonnes pratiques
pouvant inspirer les autres incubateurs se trouvant dans une situation
analogue à la sienne. Il cadre ainsi avec l’axe 3 de l’appel à proposition
de cet ouvrage collectif : « une description des dispositifs d’aide à la
création d’entreprises par les jeunes, leurs forces et leurs faiblesses » et
avec l’axe 5 : « une proposition de bonnes pratiques à inclure dans une
stratégie en faveur de l’entrepreneuriat des jeunes ». Puisqu’il s’agit d’une
étude de cas unique (Yin, 2008), le modèle de la théorisation ancrée
(Glaser et Strauss, 1999) semble le mieux indiqué pour modéliser cette
structure et cette activité d’accompagnement du CEENTRE. Cette
modélisation va se concevoir avec des informations issues d’entretiens
semi-directifs avec le Directeur exécutif du CEENTRE (en même temps
coauteur de ce chapitre) et de la technique d’observation participante
(Gavard-Perret et al.), puisque l’auteur est lui-même conseiller non
permanent au sein du CEENTRE. (C’est pour cette raison que le premier
entretien qui a eu lieu au mois de mai avait comme principal objectif de
L e Ce n t r e d’e xce l l e nce e n e n t r e pr e n eu r i at (l e CE E N T R E) • 289

se réapproprier des activités du CEENTRE. Quant au coauteur, la plu-


part du temps submergé par les activités au quotidien, il ne disposait
pas forcément de temps pour effectuer cet exercice.) Il s’agira donc
d’appliquer la méthodologie de l’abduction (Hallée, 2013) vu que nous
ne partons pas d’un vide théorique ni d’une pure induction, et que nous
ne nous sommes pas non plus imposé une hypothèse théorique de départ
pour nous orienter vers l’analyse hypothético-déductive. L’article se situe
ainsi dans le courant interprétatif de la recherche qualitative, « se carac-
térisant par la volonté de mettre à jour les perspectives de sens qu’une
personne ou un groupe de personnes confère à son expérience » (Dionne,
2009).
Ainsi, dans une première partie de l’article, nous passerons en revue
la littérature et ferons l’analyse critique des concepts d’accompagnement
entrepreneurial et de business model. Dans une deuxième, nous expose-
rons la méthodologie de réalisation de l’article, détaillant le cadre théo-
rique, les outils d’analyse et l’obtention des résultats empiriques. Ensuite,
nous décrirons l’évolution du business model du CEENTRE en procédant
à une analyse comparative des deux modèles dans une troisième partie.
Puis nous procéderons à la discussion de ces résultats par rapport aux
différentes théories annoncées et, enfin, nous conclurons en proposant
de bonnes pratiques issues de cette recherche afin de disposer d’un modèle
économique adapté aux structures d’accompagnement dans les pays se
trouvant dans la même situation que Madagascar.

1. Revue de la littérature

Mobilisant des concepts assez nouveaux dans la littérature économique


contemporaine, une recherche sur le business model et les incubateurs
mérite une revue de la littérature la plus exhaustive possible.
Dans un premier temps, le concept de business model sera analysé en
tant qu’outil stratégique pour les entreprises à l’aide des différentes défi-
nitions qui peuvent être données et ses diverses utilisations. Le concept
central de proposition de valeur, commun à tout business model, sera
étudié de manière plus détaillée pour montrer son importance dans le
processus de modélisation économique d’une affaire.
Ensuite, le sujet de l’accompagnement entrepreneurial, notamment
à travers les incubateurs, va évoquer les différents concepts d’accompa-
290 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

gnement dans l’écosystème entrepreneurial ainsi que les différentes


formes que peut prendre cet accompagnement.
Faisant suite à ce concept, la notion de performance des incubateurs
sera étudiée plus en détail, notamment ses différentes mesures et surtout
la non-prise en compte de la pérennité de l’incubateur dans ces
dernières.

1.1 Le business model

Défini par Verstraete comme étant un buzzword (Jouison-Laffite et


Verstraete, 2008), le concept de business model s’est quand même frayé
un long chemin avant d’arriver à sa forme actuelle telle que nous la
connaissons aujourd’hui. En effet, apparu dans les années 1990 avec
l’émergence de la bulle internet, le concept a surtout été utilisé à l’époque
pour faciliter la lecture des nouvelles affaires qui apparaissent grâce à
Internet, le phénomène de start-up (Verstraete et Jouison-Laffite, 2009).
Ainsi, s’« il n’existe pas de définition claire et stable du business model »
(Dahan, 2010), certains auteurs en relèvent plus de 50 dans la littérature
sur une période de 15 ans (Moingeon et Lehman-Ortega, 2010 ; Arlotto et
al., 2011). Actuellement, il est utilisé de différentes manières et certains
auteurs n’hésitent pas à en faire un outil stratégique parmi d’autres
(Lecocq, Demil et Warnier, 2006) alors qu’auparavant, c’était un concept
presque ignoré par la littérature en management du fait de son manque
de fondement théorique. Une définition commune émerge actuellement,
comme étant « la façon dont l’entreprise crée de la valeur » (Loilier et
Tellier, 2001). Mais si cette définition semble restrictive aux seules entre-
prises, l’utilisation du concept s’est élargie à toutes sortes d’organisations
(Lecocq et al., 2006) et la valeur proposée n’est plus seulement économique
mais peut aussi être sociétale, culturelle… (Jouison-Laffite et Verstrate,
2008). Un travail sur la typologie des business models nous enseigne, par
ailleurs, que d’autres types d’organisations peuvent être concernés par le
concept (Yunus, Sibieude et Lesueur, 2012) (Yaziji et Doh, 2010).

1.2 La proposition de valeur

Si un business model compte plusieurs éléments (Osterwalder et Pigneur,


2011) (Verstraete et Jouison-Laffite, 2009), le concept de « proposition de
L e Ce n t r e d’e xce l l e nce e n e n t r e pr e n eu r i at (l e CE E N T R E) • 291

valeur » est reconnu universellement comme son point central (Berthélot,


Croissard et Maher, 2012).
Pour Osterwalder et Pigneur (2011), dans le business model canvas, la
proposition de valeur se trouve au centre avec, à sa gauche, les éléments
déclencheurs de coûts, et, à sa droite, les éléments pouvant apporter des
revenus. Pour Verstraete (2009), par contre, la proposition de valeur est
vraiment le fondement même de l’élaboration d’un business model. Avec
son modèle GRP où G représente la génération de valeur, R la rémunéra-
tion de la valeur et P le partage de la valeur, il semble évident que le
concept de « valeur » s’avère le point central de la modélisation. En plus,
la notion de « proposition de valeur » doit être mise en exergue dans la
partie « génération de valeur ».
Si, au début, le concept de valeur créée concernait seulement le client
(Berthélot, Croissard et Maher, 2012), il a connu une grande évolution et
doit désormais prendre en considération toutes les parties prenantes. Ces
auteurs ont même proposé une formulation mathématique du rôle des
parties prenantes dans la proposition de valeur avec l’équation
suivante :
BM = SVP = f (S1VP, S2VP, …, SnVP)
Où SVP est la proposition de valeur et SiVP, les valeurs proposées à chaque
partie prenante de l’organisation.

1.3 L’accompagnement entrepreneurial

Le sujet de l’accompagnement entrepreneurial est apparu dans la littéra-


ture économique il y a presque 30 ans (Albert, 2003). D’après lui, « en
30  ans, les incubateurs on fait leurs preuves, se sont répandus dans le
monde entier, et depuis quelques années ont été créés par un nombre
croissant d’acteurs économiques (des collectivités locales et des universités
aux grandes entreprises). Leurs modèles économiques ont évolué, leurs
objectifs se sont diversifiés, et, avec l’expérience, un métier spécifique
d’accompagnateur-développeur de jeunes entreprises est né. » Issues de
la fusion hybride d’un concept né dans les entreprises dans un objectif de
rénovation urbaine et de développement communautaire, et d’un autre,
conséquence de l’objectif de commercialisation des résultats de la
recherche scientifique fondamentale, les structures d’incubation ont
connu une évolution palpable au cours des dernières années pour disposer
292 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

aujourd’hui de trois douzaines de définitions et connaître des formes


variant d’une localité à une autre (Hamdani, 2006).
Toujours selon Hamdani (2006), il n’y a pas de définition standard
du concept d’incubation d’entreprise. Il a pu recenser plus de trois dou-
zaines de définitions dans ses recherches. Par contre, le consensus semble
se mettre en place quant aux activités censées être exercées par les incu-
bateurs. Selon plusieurs auteurs, dont, entre autres, Chabeaud et al. et bien
avant lui Merrifield, les incubateurs fournissent des locaux abordables et
sûrs, des services de soutien facilement accessibles, l’accès à des capitaux
et à un fonds de roulement, créent une communauté interactive
d’entrepreneurs…
Un consensus aussi semble se dessiner par rapport aux différents
types d’incubateurs (Chabaud et al., 2004). Nous n’allons pas trop nous
focaliser sur les différences sémantiques entre incubateurs, pépinières,
accélérateurs, puisque leur objectif est le même : accompagner l’entreprise.
C’est sur le plan des cibles qu’il y a nuance. Par contre, il est judicieux de
bien mettre en évidence les différences en termes d’origine des structures
d’accompagnement. Ainsi, plusieurs auteurs (Albert, 2003 ; Chabaud,
2004 ; Hamdani, 2006 ; Verstraete, 2009 ; etc.) font souvent la nuance entre
incubateurs de développement économique, incubateur académique ou
universitaire, incubateur d’entreprise (corporate) et incubateur d’initiative
privée. Et cette distinction permet d’avoir une première idée de la péren-
nité de l’incubateur que nous allons analyser dans la section suivante.

1.4 La performance des incubateurs

L’étude sur la performance des incubateurs est un domaine qui intéresse


beaucoup d’auteurs spécialistes de l’entrepreneuriat. Des outils pour
mesurer la performance des incubateurs ont été proposés par Bakali et
par Messeghem et al., qui allaient dans le même sens que ceux déjà avancés
par Vedel et Gabarret. Ce qui caractérise toutes ses recherches, c’est
qu’elles mettent toujours en avant les performances centrées sur les résul-
tats, sur les incubés, sur les ressources financières, sur la mise en relation,
sur le processus ou encore sur le management (Allen et McCluskey, 1990).
Le point commun de toutes ces recherches sur la performance, c’est
qu’elles sont orientées vers la réussite des projets accompagnés ou le
déblocage des financements recherchés. Quand elles évoquent l’incuba-
L e Ce n t r e d’e xce l l e nce e n e n t r e pr e n eu r i at (l e CE E N T R E) • 293

teur lui-même, elles parlent plutôt du système de management et des


processus appliqués par ce dernier pour accompagner ces clients. Rares
sont ainsi celles qui se penchent sur la pérennité des incubateurs et pour-
tant, c’est une question cruciale pour la survie même des projets à accom-
pagner (Lamine, Fayolle et Dealnoé-Gueguen, 2015). Il n’y a pas que la
recherche menée par Garreau et al. sur le modèle des 4 C (continuité,
communauté, connexion et commandement), par exemple, qui évoque
cette question de pérennité avec l’analyse de la continuité des structures
d’accompagnement. Ce sujet a aussi été abordé par Maucuer dans sa thèse
de doctorat sur le changement de business model des incubateurs à la
recherche de pérennité. Et c’est ce même auteur qui traite du rôle impor-
tant des ONG et de leurs relations avec les entreprises dans ce processus
de changement de business model. Notre travail va donc s’appuyer sur
cette thèse, en changeant juste d’échelle puisqu’il traite des grandes
entreprises alors que, dans notre cas, il s’agit d’une petite structure
d’accompagnement, initialement un incubateur académique, qui a dû
abandonner ce statut pour devenir une ONG locale, classée dans les
incubateurs d’initiative privée.
Ainsi, si l’objectif est de faire du business model un outil de stratégie
(Lecocq, Demil et Warnier, 2006), il n’en est pas toujours ainsi puisqu’il
y a des situations où, à cause de différentes contraintes de l’environnement
(Martinet et Renaud, 2015), la stratégie est mise en place avant le business
model. L’objectif de création de valeur est alors guidé par cette stratégie
définie préalablement. Et c’est dans cet exercice de création de valeur que
les incubateurs doivent faire très attention pour assurer leur pérennité,
sinon ils risquent de devoir faire face au paradoxe du « cordonnier mal
chaussé ». L’intérêt de ce chapitre réside dans sa mise en valeur des rela-
tions entre tous ces concepts en réponse à la problématique d’évolution
d’un business model.

2. Méthodologie

Puisqu’il s’agit d’une étude de cas unique (Yin, 2008), le modèle de la


théorisation ancrée (Glaser et Strauss, 1999) semble le mieux indiqué pour
modéliser cette structure et cette activité d’accompagnement du
CEENTRE. Cette modélisation va se concevoir avec des informations
issues d’entretiens semi-directifs avec le Directeur exécutif du CEENTRE
294 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

et de la technique d’observation participante (Gavard-Perret et al.), étant


donné que l’auteur est lui-même conseiller non permanent au sein du
CEENTRE. (C’est pour cette raison que le premier entretien qui a eu lieu
au mois de mai avait comme principal objectif de se réapproprier des
activités du CEENTRE. Quant au coauteur, la plupart du temps submergé
par les activités au quotidien, il ne disposait pas forcément de temps pour
effectuer cet exercice.) Il s’agira donc d’appliquer la méthodologie de
l’abduction (Hallée, 2013) vu que nous ne partons pas d’un vide théorique
ni d’une pure induction, et que nous ne nous sommes pas non plus imposé
une hypothèse théorique de départ pour nous orienter vers l’analyse
hypothético-déductive.
Le cas étudié sera donc le Centre d’Excellence en Entrepreneuriat
(CEENTRE), un incubateur qui fonctionne actuellement comme une
ONG essaimée par l’ISCAM, Business School (cf. l’historique en annexe).
Pour pouvoir modéliser les contraintes ayant motivé le changement de
business model du CEENTRE, nous allons utiliser la méthode de la théo-
risation ancrée de Glaser et Strauss (1999), dont le détail, inspiré des tra-
vaux de Melliani, se présente comme suit.
• L’échantillonnage théorique
L’échantillonnage théorique est composé d’une série de trois entre-
tiens semi-directifs, du mois de mai au mois d’août 2019, avec le Directeur
exécutif, et d’un exercice régulier d’observation participante, étant donné
que l’auteur lui-même est conseiller non permanent au sein du CEENTRE.
(C’est pour cette raison que le premier entretien qui a eu lieu au mois de
mai avait comme principal objectif de se réapproprier des activités du
CEENTRE. Quant au coauteur, la plupart du temps submergé par les
activités au quotidien, il ne disposait pas forcément de temps pour effec-
tuer cet exercice.)
Le second entretien ayant lieu aux mois de juin et juillet a permis de
recueillir les informations et de formaliser les business models et leur
évolution dans deux formats chacun : en business model canvas (selon le
modèle de Pigneur et Osterwalder) et en modèle GRP (selon de modèle
de Verstraete).
Enfin, le troisième entretien, accompagné des différentes séances
d’observation participante, a permis d’effectuer une analyse du fonction-
nement au quotidien du CEENTRE ainsi que des raisons d’être de son
changement de business model.
L e Ce n t r e d’e xce l l e nce e n e n t r e pr e n eu r i at (l e CE E N T R E) • 295

• La codification qui est une « Reformulation de la réalité vécue ou


exprimée par l’acteur : “opération intellectuelle du chercheur qui
consiste à transformer des données brutes (faits observés, paroles
recueillies…) en une première formulation scientifique” »
(Mucchieli, 1996). Pour le CEENTRE, l’essentiel de la codification
issue des entretiens et de l’observation participante se résume
ainsi : une organisation à but non lucratif à l’origine qui a dû
changer de statut puisque les subventions de l’ISCAM ne lui per-
mettaient pas d’atteindre ses objectifs. Le statut d’incubateur
académique n’est donc pas viable.
Les questions que l’on se pose pendant cette phase sont : qu’est-ce qu’il
y a ici ? De quoi parle-t-on ? Qu’est-ce que c’est ? De quoi est-il question ?
Le CEENTRE exerce ses activités d’accompagnement depuis 2015. Il
s’agit d’une structure d’incubation qui, initialement, devait accompagner
les étudiants (actuels et anciens) dans la mise en place de leurs projets
entrepreneuriaux en mettant à leur disposition les outils nécessaires pour
ce faire. Mais au fur et à mesure de l’évolution des activités, le CEENTRE
a dû modifier plusieurs fois son modèle d’affaires, notamment par l’adop-
tion du statut d’ONG et la reformulation des valeurs offertes en s’intéres-
sant à des parties prenantes autres que les étudiants.
• La catégorisation : Une catégorie est un mot ou une expression
désignant, à un niveau relativement élevé d’abstraction, un phé-
nomène culturel, social ou psychologique tel que perceptible dans
un corpus de données. Les catégories qui sont sorties de l’analyse
après codifications sont : le changement de statut, l’essaimage,
l’évolution du modèle de revenu, les propositions de valeur, l’évo-
lution des autres cases du business model et la visibilité du
CEENTRE.
Les questions que l’on se pose pendant cette phase sont : qu’est-ce qui
se passe ici ? De quoi s’agit-il ? Je suis en face de quel phénomène ?
Le changement de statut en ONG locale de développement apparais-
sait comme le meilleur moyen pour le CEENTRE de mener durablement
ses activités. La question que l’on se pose et à laquelle ce chapitre va s’ef-
forcer de répondre, c’est quelles sont les contraintes qui ont amené le
CEENTRE à adopter ce statut.
296 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Avec ce nouveau statut, Le CEENTRE ne pouvait plus être une struc-


ture interne au sein de l’ISCAM, Business School. Mais étant donné son
statut et la place de l’entrepreneuriat qui devient de plus en plus impor-
tante dans les business schools (Bourcieu et Léon, 2011), et ne voulant pas
se défaire d’une telle structure, les deux organismes ont décidé que l’essai-
mage était la meilleure forme de coopération possible (Laviolette et
Everaere-Roussel, 2008).
Ainsi, avec ce détachement par rapport à ISCAM, il va de soi que le
CEENTRE se devait de chercher d’autres sources de revenus que la sub-
vention de l’institut. C’est de cette manière qu’il s’est ouvert à d’autres
parties prenantes et a cherché ainsi à proposer de nouvelles valeurs. Ce
qui, logiquement, aboutit à l’adoption de nouveaux business models, objet
du présent article.
• La mise en relation : La méthode de la théorisation ancrée
recherche des liens entre les régularités tout en tenant compte des
pluralités, et ce faisant, comporte de brefs moments de déduction
logique qu’il serait plus juste de lier à une démarche déductive.
Pour notre cas, il s’agit donc de procéder à une première mise en
relation, pour une meilleure intellectualisation des différentes
catégories citées ci-dessus.
Les questions que l’on se pose pendant cette phase sont : ce que j’ai
ici est-il lié avec ce que j’ai là ? En quoi et comment est-ce lié ?
• L’intégration : Il s’agit de dépasser les phénomènes observés pour
voir émerger un nouveau phénomène. C’est à cette phase que
survient la vraie problématique. Dans notre cas, il s’agit de
connaître les contraintes qui ont motivé le changement de business
model au CEENTRE.
Les questions que l’on se pose pendant cette phase sont : quel est le
problème principal ? Je suis devant quel phénomène en général ? Sur quoi
mon étude porte-t-elle en définitive ?
• La modélisation : Le travail consiste à reproduire le plus fidèle-
ment possible les relations structurelles et fonctionnelles caracté-
risant le phénomène principal cerné au terme de l’opération
d’intégration Il s’agit dans la pratique d’une représentation sché-
matique des processus mis à jour au cours des opérations précé-
L e Ce n t r e d’e xce l l e nce e n e n t r e pr e n eu r i at (l e CE E N T R E) • 297

dentes. Dans notre cas, il s’agit d’expliciter les relations à travers


un modèle schématique.
Les questions que l’on se pose pendant cette phase sont : comment le
phénomène se dévoile-t-il ? Quelles sont les propriétés du phénomène ?
Quels sont les antécédents et les conséquences du phénomène ? Quels sont
les processus en jeu autour dans ce phénomène ?
• La théorisation : Elle doit permettre de saisir la complexité du
phénomène tant sur le plan conceptuel qu’empirique des mises en
relation.
L’analyse cherche à découvrir des processus. La théorisation à laquelle
le chercheur parviendra est temporaire et relative à l’observation ; c’est
pourquoi les partages de bonnes pratiques issues du travail ne seront pas
forcément transposables dans d’autres structures, mais il s’agit juste
d’avoir de premières hypothèses sur le phénomène. Des hypothèses qui
peuvent être reprises dans une recherche plus quantitative basée sur la
méthode de l’hypothético-déductive.
Notons aussi que, dans la pratique, ces différentes étapes de la théo-
risation ancrée ne s’effectuent pas de manière linéaire mais sont le fruit
d’un travail itératif qui exige du chercheur une grande flexibilité dans les
traitements des données analytiques.

3. Résultats et discussion

À l’issue de tout ce processus, nous sommes parvenus aux résultats sui-


vants, avec comme problématique principale les contraintes ayant motivé
le CEENTRE à modifier régulièrement son business model en seulement
cinq ans d’existence.
L’opération de codification a mis en évidence que le premier souci du
CEENTRE, et ce, dès sa création, concerne sa pérennité. En effet, créé au
sein de l’ISCAM, Business School comme étant l’incubateur censé accom-
pagner les étudiants dans la réalisation de leurs projets entrepreneuriaux,
les ressources financières, premier gage de cette pérennité, posent pro-
blème. Les frais de scolarité sont calculés pour le fonctionnement et les
opérations d’investissement de l’institut ; donc, il n’est pas prévu d’en
réaffecter une partie pour le fonctionnement de la nouvelle structure.
Imposer de nouveaux frais aux étudiants pour ce faire n’est pas pertinent
298 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

puisque l’institut fait déjà partie des établissements où les frais de scolarité
sont les plus chers dans le pays (données internes de l’institut).
Ensuite, en poussant l’analyse, l’opération de catégorisation a permis
de mettre l’accent sur les mots clés suivants :
• Le changement de statut : Il s’agit de passer du statut de dépar-
tement fonctionnant sous les ailes de l’ISCAM, Business School,
une SARL (société à responsabilité limitée), à une organisation
essaimée ayant le statut d’ONG locale ;
• Essaimage : C’est le fait pour le CEENTRE de sortir de la couver-
ture de l’ISCAM Business School pour voler de ses propres ailes,
sans toutefois rompre définitivement les liens avec son organisme
d’origine.
• L’évolution du modèle de revenu : Puisque le problème concerne
la pérennité de l’organisation, la question du revenu reste cruciale
pour le CEENTRE. En analysant ses business models et en nous
appuyant sur l’observation participante, nous avons pu déter-
miner les différents modèles de revenus suivants : subvention de
l’ISCAM, Business School, frais d’incubation, frais de conseils
pour les entrepreneurs avancés, frais de domiciliation, frais de
formation et participation à des camps, royalties, subventions des
organismes de développement.
• Les propositions de valeur : Au cours de ces cinq années d’exis-
tence, le CEENTRE a connu aussi pas mal de modifications de ses
propositions de valeur. L’analyse des différents business models
nous donne les résultats suivants : si « le service d’accompagne-
ment tout-en-un » proposé dès le lancement est toujours en place,
de nouvelles propositions de valeurs sont apparues et d’autres ont
été abandonnées. En tout cas, la base dans sa situation actuelle,
c’est de s’appuyer sur la notoriété et l’intégrité (une de ses valeurs)
de l’ISCAM, Business School et de diversifier les partenariats pour
donner plus de choix aux clients.
• Évolution des autres cases du business model : La théorie sur le
business model nous rappelle que lorsque nous remanions une
case de la matrice, il est fort probable que des changements appa-
raissent dans les autres cases (Lecocq, Demil et Warnier, 2006).
Ces modifications sont d’autant plus apparentes quand c’est la
L e Ce n t r e d’e xce l l e nce e n e n t r e pr e n eu r i at (l e CE E N T R E) • 299

case proposition de valeur qui est modifiée (Verstraete et Jouison-


Laffite, 2009). Or, dans le cas du CEENTRE, comme évoqué
précédemment, la proposition de valeur a beaucoup évolué depuis
son lancement.
Si notre analyse se base sur le business model canvas (BMC), les prin-
cipales modifications issues de cette évolution de la proposition de valeurs
sont les partenaires clés, les ressources clés, les structures de coûts et les
flux de revenus. Par contre, avec l’analyse du modèle GRP, les principaux
changements concernent la fabrication de valeur et toutes les cases de la
partie « partage de la valeur » : les parties prenantes, les conventions et
l’écosystème.
• La visibilité : Avec ces évolutions, des propositions de valeur
entraînant des modifications de son écosystème, le CEENTRE a
dû s’adapter à une nouvelle situation : l’apparition de plusieurs
concurrents directs, comme les incubateurs d’initiative privée, ou
indirects, comme les incubateurs corporate. La question de sa
visibilité devient une question cruciale puisque désormais, les
clients et les potentiels clients disposent d’un éventail de choix
pour les accompagner dans leurs aventures entrepreneuriales.
L’opération suivante, c’est la mise en relation de toutes ces catégories.
Et les principaux résultats sont les suivants : la recherche de pérennité a
obligé le CEENTRE à changer de statut puisque l’ISCAM, Business
School, l’organisme mère, ne peut pas lui assurer le financement adéquat
de ses activités. Aussi, le CEENTRE s’érige-t-il ainsi en ONG locale, pui-
sant ses principales ressources de ses propres activités mais aussi des
organismes de développement s’intéressant à l’émergence de l’entrepre-
neuriat. La première conséquence de ce changement de statut, ce sont des
modifications de la proposition de valeur qui, selon la théorie et constaté
empiriquement, entraînent automatiquement des changements dans les
autres cases du business model. Et toujours dans cette quête de pérennité,
mais aussi pour faire face à des concurrents qui commencent à proliférer
dans l’écosystème, le CEENTRE doit faire l’effort de se rendre visible à
ses clients actuels et potentiels.
Nous pouvons ainsi modéliser toutes ces relations avec le schéma
suivant :
300 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

F I G U R E 13.1
Modélisation de l’évolution du business model du CEENTRE

Modèle initial
non adapté

Changement de statut

Besoin de visibilité
sur le plan de
son écosystème
Évolution des valeurs proposées
Diversification des activités

Diversification des modèles de revenu


et des modes de financement

Évolution des autres cases du BM


Source : Auteurs, avec application de la méthode de la théorisation ancrée.

Après ces phases donnant lieu à ces différents résultats, l’intégration


et la théorisation seront donc les sujets de discussion de la recherche.
Deux questions se posent après catégorisation et modélisation :
La première : comment se passe le financement des projets de déve-
loppement dans les pays en développement ? Problème crucial pour ces
pays puisque le financement des projets fait naître beaucoup de débats
théoriques, que ce soit sur le plan microéconomique ou macroécono-
mique. Maucuer (2013) en a donné un aperçu en insistant sur le rôle des
organismes et ONG internationaux pour ce financement. Et c’est préci-
sément dans le but d’en bénéficier que le CEENTRE a décidé de changer
de statut juridique. Quid donc des questions d’autonomie après ? En effet,
selon les études menées par Elbers et Ars, il y a une grande asymétrie
d’informations entre les ONG locales en quête de financement et les
bailleurs de fonds, ces derniers exerçant un grand pouvoir sur les décisions
des premières.
La deuxième : les incubateurs académiques sont-ils viables dans les
business schools des pays en voie de développement ? En effet, si les incu-
bateurs universitaires ou académiques sont censés être des organismes de
soutien des établissements universitaires (Chabaud, Ehlinger et Perret,
2004), leurs besoins en termes de fonctionnement font en sorte qu’ils
L e Ce n t r e d’e xce l l e nce e n e n t r e pr e n eu r i at (l e CE E N T R E) • 301

deviennent des contraintes, alors qu’ils sont censés valoriser sur le terrain
les résultats de recherches universitaires (Arloto, Pacito et Saingre, 2015).
Cette question soulève beaucoup plus de problèmes quand on sait que la
recherche n’est pas la principale vocation des business schools dans les
pays en développement (Rapport CAMES 2018 sur les établissements
universitaires en Afrique).
Ainsi, si l’objectif est de faire du business model un outil stratégique
(Lecocq, Demil et Warnier, 2006), ce n’est pas encore le cas pour le
CEENTRE à cause surtout de l’environnement dans lequel il évolue
(Martinet et Renaud, 2015). Son business model reste ainsi en phase de
stabilisation, ce qui fait que c’est plutôt la stratégie définie au préalable
qui l’oriente, donnant raison aux auteurs « classiques » de stratégie qui
n’accordent pas au business model la capacité de devenir un outil straté-
gique. C’est plutôt l’inverse qui se passe en ce qui concerne le CEENTRE ;
aussi, pour assurer sa pérennité, il doit tout le temps adopter son business
model en fonction de sa stratégie qui, elle, dépend de l’environnement.

Conclusion

Ce chapitre nous a donc permis de mettre en évidence les contraintes qui


ont motivé les modifications du business model du CEENTRE. Il s’agit en
premier lieu de la contrainte de pérennité, matérialisée par l’insuffisance
des ressources financières, dans l’éventualité où le CEENTRE restera un
incubateur académique sous l’aile de son organisme de rattachement,
l’ISCAM, Business School. La seconde raison, qui est en fait une consé-
quence de la première, est la contrainte de visibilité. En effet, vu la proli-
fération de la concurrence en ce qui a trait à son écosystème, le CEENTRE
se doit d’être visible pour fidéliser ses actuels clients et en attirer d’autres.
Et cette visibilité n’est pas assurée tant qu’il reste un département au sein
de l’ISCAM, Business School avec des ressources financières insuffisantes,
d’où, encore une fois, l’essaimage de celui-ci pour bénéficier des subven-
tions des bailleurs de fonds. Ce changement de statut a entraîné des
modifications majeures dans le fonctionnement du CEENTRE. Ces évo-
lutions sont patentes dans l’analyse des business models qui, d’outil stra-
tégique, deviennent outil analytique permettant d’étudier les effets de
phénomènes exogènes ou endogènes sur les structures et le fonctionne-
ment d’une organisation.
302 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Les leçons pratiques que nous pouvons tirer de cette étude de cas sont
donc les suivantes : les incubateurs sont des organismes utiles pour le
développement de l’entrepreneuriat dans les pays en développement ; ces
incubateurs doivent s’adapter aux contextes locaux et ne pas s’appuyer
simplement sur les différentes théories occidentales concernant le concept
d’accompagnement des entreprises ; le financement des organismes locaux
de développement reste une difficulté majeure dans les pays en dévelop-
pement et il faut chercher des solutions innovantes pour sortir du pro-
blème classique d’asymétrie d’informations entre ONG locales et bailleurs
de fonds occidentaux.
Ainsi, des politiques claires en termes de développement de l’entre-
preneuriat, notamment des activités d’accompagnement entrepreneurial,
doivent être rapidement établies. Pour les questions concernant le finan-
cement, notamment, pourquoi ne pas s’inspirer des travaux de Le
Pendeven et al. qui affirment « à entrepreneuriat innovant, financement
innovant ». Pour cela, ils misent beaucoup sur les nouvelles approches de
la finance entrepreneuriale, notamment les business angels, les crowdfun-
ding… Ce qui rejoint un travail de thèse préparé par l’auteur principal de
ce chapitre traitant du rôle de la diaspora africaine pour l’émergence de
l’économie entrepreneuriale (Randriamanalina, 2020 [thèse en cours]).

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PARTIE V

contraintes de financement
et entrepreneuriat
chapitre 14

Rôle des institutions de microfinance


dans le financement de l’entrepreneuriat
féminin
Mamadou Ndione et Diéne Ousseynou Diouf

L’entrepreneuriat est considéré comme un moteur de la croissance, il


permet l’exploitation d’un potentiel économique et réduit la pauvreté
(BAD, 20151 ; Dzaka-kikouta et Mabenge, 2018). Sous l’impulsion des
organisations internationales et des politiques de développement local,
l’entrepreneuriat, jadis réservé aux hommes (Bernard et al., 2013), est
devenu une activité avec une forte présence de femmes. Conscientes de
leur situation économique difficile, les femmes mettent en place des projets
de développement afin d’améliorer leur bien-être et de promouvoir l’acti-
vité économique (Cornet et Constantinidis, 2004). Ainsi se dégage un
profil d’entrepreneur qui est exposé à des problématiques de société
comme la pauvreté. Dans cette logique, notons que les entrepreneures
peuvent être typées en fonction de leurs réalités économiques.
D’après l’Agenda 2063 de l’Union africaine, les gouvernements, les
bailleurs de fonds et les ONG partagent unanimement l’idée selon laquelle
il n’y a pas de développement possible et durable sans la collaboration des
femmes. Leurs engagements, leurs motivations et le respect des contrats
leur ont valu d’être la visée en matière de création et de développement
d’entreprise (Dzaka-kikouta et Mabenge, 2019). Toutefois, il faut signaler

1. www.afdb.org
Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 307

que les femmes rencontrent d’énormes difficultés dans la réalisation de


leurs projets, dont l’accès aux sources de financement (Bernard et al., 2013),
ce qui constitue une entorse à l’entrepreneuriat féminin.
Le financement demeure problématique pour les entrepreneures des
pays en développement, ce qui s’explique par le caractère informel d’une
grande partie de leurs activités. Dans l’UEMOA par exemple, le secteur
informel demeure important et le secteur financier classique est incapable
de répondre à toutes les demandes de crédit. Parmi les acteurs financiers
à leur disposition, il y a les IMF. Ces dernières, malgré leurs exigences de
rentabilité et une clientèle sujette à de multiples tensions, s’organisent en
mettant des financements à la disposition des entrepreneures. Ces finan-
cements de projets productifs concourent à l’amélioration du bien-être de
la population (Cull et al., 2007 ; Ayayi et Sene, 2010 ; Luzzi et Weber, 2006).
C’est dans ce contexte que nous nous intéressons à l’ensemble des straté-
gies destinées à accroître l’offre de crédits destinée aux femmes, afin de
favoriser l’entrepreneuriat féminin. Si celui-ci a donné lieu à plusieurs
travaux, peu l’ont analysé sous cet angle. C’est fort de ce constat que nous
nous intéressons à la question suivante : Quels sont les déterminants de
l’offre de crédits des IMF destinée à l’entrepreneuriat féminin : le cas de
l’UEMOA ?
L’objet de cette contribution est de savoir par quels moyens les IMF
peuvent parvenir à mettre à la disposition des femmes un volume de crédit
convenant au développement de leurs projets dans un environnement
concurrentiel, où les sources de financement deviennent rares. Ce travail
s’inscrit dans une démarche hypothético-déductive. Après une première
partie qui s’intéresse au cadre théorique avec une revue de la littérature
et une modélisation, une deuxième est consacrée à la partie empirique.
Cette dernière porte sur les pays de l’UEMOA et s’intéresse aux finance-
ments consacrés aux entrepreneures par les IMF.
L’UEMOA est une organisation intergouvernementale qui regroupe
huit États d’Afrique subsaharienne. En 1993, le Bénin, le Burkina Faso, la
Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo ont signé le traité de
l’UEMOA à Dakar, et celui-ci est entré en vigueur au 1er janvier 1994. En
1997, la Guinée-Bissau a, elle aussi, signé le traité et rejoint les premiers
États membres.
Le secteur financier de l’UEMOA a connu des difficultés dans les
années 1980, notamment avec les effets des politiques d’ajustement struc-
308 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

turel. Les banques d’État, qui étaient les principales sources de finance-
ment, ont échoué à cause d’une hausse notoire des impayés. Les
conséquences de cette situation ont causé un rationnement du crédit
bancaire et un durcissement des conditions d’accès aux financements. Ce
qui a entraîné une exclusion financière d’une grande partie de la popula-
tion locale ne disposant pas de garanties suffisantes et de revenus pério-
diques durables. Le nombre d’IMF est chiffré à environ 601 et l’accès des
populations aux services financiers proposés a augmenté de 14,6 %
(BCEAO, 2018).

1. Revue de la littérature et modélisation

D’après l’OIT2 (20163), « Investir dans les femmes est l’un des moyens les
plus efficaces d’accroître l’égalité et de promouvoir la croissance écono-
mique inclusive et durable. Les investissements réalisés dans les pro-
grammes spécifiques aux femmes peuvent avoir d’importantes
répercussions sur le développement, puisque les femmes consacrent
généralement une plus grande part de leur revenu à la santé, à l’éducation
et au bien-être de leurs familles et de leurs communautés que les hommes. »
De surcroît, les femmes respectent leurs engagements, valorisent les liens
sociaux, facilitent une information symétrique, réduisent le comporte-
ment opportuniste, s’impliquent davantage dans le développement de
microprojets et font face à leurs remboursements (Montalieu, 2002 ; Hunt
et Kasynathan, 2002).
Les IMF ont intérêt à mettre en place des politiques spécifiques visant
à donner beaucoup plus de légitimité aux femmes afin qu’elles s’impliquent
davantage dans le développement de microprojets et réduisent le risque
de non-remboursement (Observatoire de la microfinance, 2009 ; Cull et
al., 2007). Le non-remboursement est dû à l’incapacité de certains entre-
preneurs à tirer des bénéfices suffisants de leurs projets. Ainsi, un choix
doit être porté sur le type d’entrepreneurs, notamment les femmes, afin
d’optimiser le volume de fonds prêtable des IMF (Hunt et Kasynathan,
2002 ; Cheston et Kuhn, 2002). Ceci est confirmé par les statistiques de
l’année 2017 qui avancent que les femmes représentent 84 % des clients
des IMF.

2. Organisation internationale du Travail.


3. www.ilo.org
Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 309

Le non-remboursement des crédits défavorise le développement de


l’entrepreneuriat féminin, sape les perspectives attendues (Morduch,
2000) et augmente les crédits en souffrance. Les crédits en souffrance se
définissent comme le montant restant dû de tous les crédits présentant au
moins un paiement en retard (Schreiner, 2004). Selon le CGAP4 (20095),
« la norme internationale pour évaluer l’importance des impayés sur les
prêts est le portefeuille à risque (PAR) ». Nous pouvons ainsi formuler
l’hypothèse : une augmentation du risque de non-remboursement des
crédits octroyés par les IMF défavorise l’entrepreneuriat féminin.
Les fonds propres reposent sur les apports des sociétaires, des réserves
constituées lors du partage de la richesse créée. Ils participent en partie
à financer des activités afin de favoriser l’entrepreneuriat, l’émergence de
nouvelles activités (Commission des Communautés européennes, 2006),
et à respecter la vision cognitive des dirigeants (Charreaux, 2002).
Étant donné que leurs relations avec les entrepreneurs sont risquées,
dues notamment à l’incapacité de fournir des sûretés réelles, les IMF, dans
leurs relations avec leurs partenaires financiers, devront trancher sur le
financement par endettement dans le but d’accroître l’offre de fonds prê-
tables ou limiter la dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds. Ainsi, les
IMF doivent privilégier le financement par fonds propres plutôt que
l’endettement afin de mieux accompagner, du démarrage à la maturité,
les projets entrepris par les femmes sans la pression des bailleurs de fonds
(Granger, 2010 ; Ramboarison-Lalao, 20156).
Dans cette logique, en présence d’asymétrie d’information, Myers et
Majluf (1984) privilégient le financement par fonds propres pour une plus
grande efficacité. D’où l’hypothèse suivante : Les IMF, dans leurs volontés
de stimuler la croissance économique par le financement de l’entrepre-
neuriat, devront favoriser le financement par fonds propres.
Cette hypothèse générale fait appel aux hypothèses spécifiques :
• Plus les IMF disposent de fonds propres, plus elles ont les possi-
bilités de développer l’entrepreneuriat féminin ;

4. Le Consultative Group to Assist the Poorest a été créé en 1995. Il regroupait à


l’époque 10 organismes bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. Il compte aujourd’hui
plus de 30 organismes qui contribuent à l’inclusion financière des personnes les plus
pauvres.
5. www.cgap.org/sites/default/files/CGAP-Annual-Report-Dec-2009.pdf
6. www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2015-2-page-35.htm
310 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

• L’endettement agit négativement sur les crédits octroyés aux


entrepreneures.
Si le poids de la microfinance dans le financement des micro-­
entrepreneurs est si important, il faut signaler l’impact des facteurs de
contingence tels que la macro-gouvernance (environnement légal par
exemple) sur le fonctionnement des IMF et, par conséquent, sur l’entre-
preneuriat féminin. Ils renvoient à la capacité qu’a chaque État en tant
qu’institution :
• d’établir et de faire appliquer un cadre légal visant le développe-
ment des IMF ;
• de faciliter le développement de projets par une information fiable
et pertinente sur la situation économique du pays.
Notre argumentation renvoie aux théories de la macro-gouvernance7
et leurs liens avec les organisations (Gourevitch et Shinn, 2005).
Les entrepreneures, à travers la macro-gouvernance, ont plus de
possibilités de réaliser leurs projets car l’Agenda 2063 de l’Union africaine
ainsi que les politiques de développement économique leur accordent une
attention particulière (Pierret et Doligez, 2005). Nous pouvons formuler
l’hypothèse suivante : il existe une relation positive entre la qualité de la
gouvernance d’un pays et la réussite des projets entrepris.
Les sources de financement sont rares et certains investisseurs ne sont
pas intéressés par les IMF, qui présentent une clientèle hétéroclite
(Armendariz et Morduch, 2010 ; Boyé et al., 2006). Elles sont obligées de
s’orienter vers d’autres sources de financement telles que les subventions
étatiques qui constituent une opportunité. Les subventions sont des
sommes non remboursables ou à faible coût souvent versées aux IMF par
l’État ou les ONG.
Pour Ledgerwood (1999), il existe trois types de subventions :
• Les subventions d’exploitation, qui sont des subventions directes,
permettant de couvrir les coûts opérationnels ;
• Les prêts concessionnels, qui sont des prêts reçus par l’IMF avec
les plus bas taux d’intérêt du marché ;

7. C’est une théorie qui, en plus de s’intéresser aux parties prenantes qui ont une
influence sur la création de richesse, met l’accent sur les politiques de régulation des mar-
chés et la cohérence institutionnelle des nations.
Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 311

• Les subventions en fonds de capital.


À travers les subventions, les IMF pourront accroître l’offre de fonds
prêtable destinée aux entrepreneures. D’où l’hypothèse : Les subventions
reçues des pouvoirs publics ont une influence positive sur l’entrepreneuriat
féminin.
Au-delà des sources de financement et de la collecte de l’offre de fonds
prêtables, la performance économique des IMF doit être une préoccupa-
tion majeure. Afin de garantir un service à un nombre important d’entre-
preneurs, les IMF doivent consolider leurs activités (Gloukoviezoff et
Rebière, 2014). La consolidation fait appel au savoir-faire et à l’efficacité
du système de gestion, elle passe par une gestion efficace afin de faire face
à l’exigence du secteur et met aussi l’accent sur la rentabilité des fonds
investis. Plus l’IMF est performante, plus les entrepreneurs peuvent dis-
poser d’un service de qualité (Lapenu et al., 2004). Nous formulons l’hypo-
thèse que la rentabilité des fonds investis par les IMF a une incidence
positive sur l’entrepreneuriat féminin.

2. Méthode de validation empirique

2.1 Données et échantillonnage

Notre étude empirique porte sur des données quantitatives relatives aux
différents pays de l’UEMOA8, collectées sur la période 1999-2014 dans la
base de données du MIX (Microfinance Information Exchange). Les don-
nées fournies par le MIX ont été obtenues en faisant la somme des données
comptables de toutes les IMF présentes dans un pays. Le MIX est une
organisation créée en 2002 pour faciliter l’accès aux informations, assurer
la transparence et la rencontre entre les différents acteurs de la microfi-
nance. Le MIX offre actuellement des informations comptables sur plus
de 1 000 organisations de microfinance dans le monde. Nous utilisons les
données de panel qui seront traitées par le logiciel Stata. Nos tests portent
sur les données macroéconomiques, et nous raisonnons sur des données
par pays et non par IMF, et ce, pour éviter un biais de sélection ; en d’autres
termes, seules sont présentes dans notre échantillon les IMF rentables et
pérennes, du moment où les plus faibles disparaissent à court terme. Le

8. Certaines de ces données sont normalisées afin de faciliter la comparaison entre


les différents pays de l’UEMOA.
312 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

nombre d’IMF a évolué, entre 1999 et 2014, de manière différente dans


chaque pays de l’UEMOA.

F I G U R E 14.1
Évolution du nombre d’IMF par pays entre 1999 et 2014

100
90
80
70
60
50
40
30
20 Nombre d’IMF
10
0
go
ée
re
n
o

l
i

ga
al

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in

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M

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Ni
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te
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Bu

2.2 Choix et mesure des variables

Distinguons dans notre présentation les variables dépendantes et


indépendantes.

Variables dépendantes

Rappelons l’objectif de ce chapitre : mettre en évidence les déterminants


de l’offre de crédit des IMF à l’entrepreneuriat féminin. Compte tenu de
la nature des informations publiées par le MIX, nous utilisons l’encours
de crédits9 octroyés aux femmes pour mettre en place des activités géné-
ratrices de revenus ou développer leurs activités comme variable dépen-
dante parce que la microfinance apporte des services financiers aux
populations exclus du système bancaire par défaut de sûretés réelles
(Morduch, 1999 ; CGAP, 1997), particulièrement aux femmes (Yaron et al.,
1997 ; Lafourcade et al., 2005). Ainsi, pour relancer l’entrepreneuriat

9. L’encours de crédits femmes représente les fonds alloués aux entrepreneures et aux
femmes, à titre personnel, susceptibles de développer aussi une activité génératrice de
revenus, le plus souvent dans l’informel.
Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 313

féminin, la question de l’accroissement des crédits destinés aux femmes


mérite une attention particulière.

Variables indépendantes

Notre modélisation a fait ressortir, parmi les variables10 les plus à même
de contribuer à relancer l’offre de crédit des IMF destinée aux femmes :
• Les subventions reçues de l’État et les collectivités territoriales
(H1) ;
• Les fonds propres et l’endettement des IMF (H2 : H2.1 et H2.2,
respectivement) ;
• La pérennité des IMF qui repose sur une performance écono-
mique (H3) ;
• Le risque de non-remboursement du crédit octroyé aux entrepre-
neures par les IMF (H4) ;
• La gouvernance du pays (H5).

TA B L E AU 14.1
Mesure des variables explicatives

Variables Mesures

Subventions Subventions / Actif total

Fonds propres Fonds propres / Actif total

Dettes Dettes / Actif total

Rentabilité économique Résultat net / Actif total

Crédit en souffrance de moins de 30 jours / Encours de


Portefeuille à risque
crédit total

Gouvernance Indicateur de la Banque mondiale

10. La variable gouvernance est celle de l’indicateur de gouvernance mondiale (World


Governance Indicator- WGI) qui résume les points de vue sur la qualité de la gouvernance
des pays développés comme en développement. En dehors des variables « performance
économique » et « risque de non-remboursement », que le MIX nous donne directement,
les autres variables voient leur mesure standardisée par l’actif total du bilan.
314 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

2.3 Résultats et discussion

TA B L E AU 14. 2
Statistiques descriptives

Variables à
Variables explicatives Mean Max Min N*
expliquer

Encours de
0,314 0,899 0,0002 106
crédits femmes

Subventions 0,03 0,463 0,00000012 94

Fonds propres 0,2746 0,9251 0,0050 97

Dettes 0,412 0,962 0,0006 100

Rentabilité économique 0,412 0,07 -0,9194 94

Risque de
0,0581 0,34 0,0042 132
non- remboursement

Gouvernance 0,2761 0,58 0,0243 136

Les statistiques descriptives reportées dans le tableau 14.2 montrent


que le volume de crédit moyen octroyé par les IMF de notre échantillon
aux femmes est inférieur à celui des hommes (31,4 % du crédit total) avec
un taux minimal très faible qui tire la moyenne vers le bas. Les fonds
destinés à l’entrepreneuriat féminin sont largement inférieurs aux fonds
destinés aux hommes. Les principales sources de financement sont l’endet-
tement, les fonds propres et les subventions reçues. Mais ces moyennes
sont à nuancer car nous voyons, selon les cas, ces différentes sources de
financement représenter soit une part infime, soit l’essentiel, voire la
quasi-totalité des ressources nécessaires au financement des actifs des
IMF de l’UEMOA. Cette différence peut s’expliquer par les statuts, les
tailles ou les sources de financement des IMF selon les pays. Le portefeuille
à risque est relativement égal à la norme internationale (5 %). Enfin, la
variable de gouvernance montre un score assez faible : 27 % en moyenne,
avec un maximum de 58 % seulement. Ainsi, la capacité des pays de
l’UEMOA à mettre en place et à faire appliquer un dispositif légal visant
le développement de l’entrepreneuriat féminin mérite une attention
particulière.
TA B L E AU 14. 3
Matrice des coefficients de corrélation

Encours de Fonds Rentabilité Portefeuille


Subventions Dettes Gouvernance
crédits femmes propres économique à risque

Encours de crédits femmes 1,0000

0,2477 1,0000
Subventions
0,0173**

0,2213 0,3676 1,0000


Fonds propres
0,0247** 0,0003***

0,0879 0,0347 -0,0189 1,0000


Dettes
0,3943 0,7541 0,8539

-0,0469 -0,0325 0,0263 -0,0695 1,0000


Rentabilité économique
0,6552 0,7733 0,8032 0,5272

-0,2029 -0,0330 -0,0459 -0,2702 -0,2520 1,0000


Portefeuille à risque
0,0379 ** 0,7532 0,6423 0,0071*** 0,0143**

-0,1674 -0,1181 -0,0269 0,0774 0,1014 -0,3259 1,0000


Gouvernance
0,0878* 0,2594 0,7844 0,4465 0,3337 0,0001***

Seuils de significativité : *** p <0,01, ** p <0,05, * p <0,1.


Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 315
316 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Les corrélations bivariées11 montrent d’ores et déjà que l’encours de


crédits femmes est positivement corrélé avec le volume des subventions
et les fonds propres, montrant ainsi malgré le niveau relativement faible
ou élevé souligné précédemment, que les IMF financent davantage les
femmes que leurs sources de financement augmentent. En revanche, la
gouvernance des pays de l’UEMAO constitue un frein pour l’entrepre-
neuriat féminin avec un niveau relativement faible. La rentabilité écono-
mique des IMF et l’endettement apparaissent sans incidence sur
l’entrepreneuriat féminin.
Ensuite, plusieurs des variables explicatives sont corrélées entre elles,
ce qui nous conduira à ne pas systématiquement les introduire ensemble
dans les tests multivariés12.

3. Modèles de régression et analyse des résultats

Pour rappel, notre modèle vise à étudier les déterminants de l’offre de


crédit des IMF destinée aux femmes. Le modèle empirique générique
(modèle estimé sur les données de panel) s’écrit alors :
Yit = Xitb +eit
Avec i = caractéristique de l’individu étudié ; t = les années de la période
étudiée ; eit = perturbation aléatoire et centrée (E (eit) = 0 ;  i et t) ; les
variables Xit sont indépendantes de eit ; les variables explicatives sont non
colinéaires.
Compte tenu des corrélations entre variables explicatives soulignées
dans la matrice des corrélations, nous allons effectuer plusieurs régressions.
Ce, dans le but d’éviter le problème de multicolinéarité13 (Bourmont, 2012).
Nous avons conduit plusieurs régressions sur toutes les variables
explicatives, en excluant :
• les subventions ;
• les dettes ;
• la rentabilité économique ;
• le portefeuille à risque.

11. Corrélation entre deux variables.


12. Un test multivarié permet de contrôler simultanément plusieurs variables.
13. Il y a multicolinéarité lorsqu’une ou plusieurs variables explicatives de notre
modèle forment une combinaison linéaire d’une ou de plusieurs des autres variables
explicatives.
TA B L E AU 14.4
VIF des modèles avec la variable dépendante

Modèle à effets Modèle sans Modèle sans performance Modèle sans risque
Modèle sans dettes
Variables fixes subventions économique de crédits
VIF
explicatives VIF VIF VIF VIF
1/VIF
1/VIF 1/VIF 1/VIF 1/VIF

1,08 1,07 1,09 1,08


Subventions
0,924 0,933 0,915 0,924

1,18 1,05 1,08 1,14 1,12


Fonds propres
0,845 0,950 0,9281 0,87 0,890

1,11 1,07 1,09 1,04


Dettes
0,901 0,932 0,919 0,962

Rentabilité 1,12 1,09 1,09 1,03


économique 0,896 0,914 0,918 0,971

Portefeuille à 1,36 1,26 1,23 1,27


risque 0,734 0,794 0,814 0,786

1,33 1,14 1,19 1,27 1,12


Gouvernance
0,750 0,875 0,814 0,784 0,890

VIF moyen 1,20 1,17 1,13 1,17 1,08


Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 317
318 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Les Variance Inflation Factors (VIF) ont également été calculés pour
chaque régression, afin de vérifier l’absence de multicolinéarité entre les
variables explicatives, ce pour toutes nos régressions. Il y a un problème
de multicolinéarité :
• lorsqu’un VIF est supérieur ou égal à 10 (Chatterjee et Hadi, 2006) ;
• lorsque la moyenne des VIF est supérieure ou égale à 2 (Bourmont14,
2012).
Pour nos différentes régressions, aucun des VIF ne dépasse 1,30 et les
VIF moyens de nos modèles sont tous inférieurs à 1,20. Ainsi, nous pou-
vons affirmer l’absence de multicolinéarité dans notre étude empirique.
Nous avons également réalisé un test de Hausman15, qui montre que
le modèle à effet fixe est accepté dans nos régressions, ce qui signifie qu’il
donne une explication plus correcte des déterminants de l’offre de crédit
destinée aux femmes. Du point de vue économique, nous avons le droit
de supposer que le modèle économique étudié est le même dans les pays
de l’UEMOA.
Le tableau 14.5 met en évidence les résultats de toutes nos régressions.
Ainsi, le modèle sans les dettes donne la meilleure spécification avec un
R² de 23 %. Dès lors, il semble que les coûts d’opportunités liés aux recours
à l’endettement sont inférieurs aux coûts de transactions. Les résultats
obtenus montrent que les subventions agissent positivement sur l’encours
de crédits femmes pour tous les modèles de notre étude. Notre hypothèse
H1 est donc corroborée et les subventions destinées aux IMF ont pour but
de participer au développement de l’entrepreneuriat féminin. Toutefois,
il faut souligner que certaines IMF utilisent les subventions pour com-
penser les pertes réalisées.
Les résultats obtenus pour les fonds propres sont contrastés, notre
hypothèse H2.1 est corroborée pour quatre des cinq modèles de notre
étude. Les fonds propres agissent positivement sur le volume de crédit
octroyé aux femmes des pays de l’UEMOA. Ce qui peut signifier que les
propriétaires sont plus intéressés par le développement de l’entrepreneu-
riat féminin ou la réduction de la pauvreté que par l’efficience. Ces résul-
tats se vérifient partiellement avec le recours à l’endettement. En effet, sur

14. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00691156/document
15. Le test de Hausman (1978) permet de statuer entre les effets fixes et les effets
aléatoires.
TA B L E AU 14. 5
Synthèse des résultats

Modèle sans perfor- Modèle sans risque


Modèle à effets fixes Modèle sans subventions Modèle sans dettes
Variables mance économique de crédits
t-stat t-stat t-stat
explicatives t-stat t-stat
(Prob) (Prob) (Prob)
(Prob) (Prob)
0,538*** 0,597*** 0,564 ** 0,524 ***
Subventions
(0,006) (0,005) (0,0185) (0,004)
0,386 0,393** 0,412*** 0,309 * 0,431*
Fonds propres
(0,116) (0,066) (0,009) 0,10 (0,071)
0,204 0,218* 0,219 0,240 *
Dettes
(0,142) (0,059) (0,118) (0,060)

Rentabilité -0,184 ** -0,11 -0,210 ** -0,115*


économique (0,015) (0,284) 0,011 (0,072)
Portefeuille -0,62* -0,265 -0,837** -0,932
à risque (0,10) (0,402) (0,012) (0,152)
-0,15 0,454 -0,295** -0,198 -0,118
Gouvernance
(0,336) (-0,113) (0,048) (0,286) (0,331)
-0,188 0,163 0,310 *** 0,254 * 0,117
Constante
(0,174) (0,113) (0,000) (0,065) (0,263)
Observations 71 81 80 85 71
R² (within) 0,2136 0,1532 0,23 0,1197 0,1950
Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 319
320 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

deux des quatre régressions, le recours à l’endettement permet d’accroître


l’offre de fonds prêtables destinés aux femmes. Notre hypothèse H2.2 n’est
vérifiée que partiellement. Cela s’explique par le fait qu’une partie des
apporteurs de capitaux est animée par la volonté de rentabiliser des fonds
alors qu’une autre partie cherche à atteindre un objectif social. Nos résul-
tats confirment l’opposition entre l’approche institutionnaliste et l’ap-
proche sociale de la microfinance. De plus, la performance économique
agit négativement sur l’offre de crédit destiné aux femmes sur trois des
quatre modèles. Notre hypothèse H3 n’est donc pas corroborée. Ces résul-
tats confirment que l’équilibre n’est pas toujours simple à trouver entre
l’objectif social et économique (Rock et al., 1998) et que les IMF matures
qui cherchent à diversifier leurs activités s’intéressent davantage à la ren-
tabilité des fonds investis. Ces résultats sont confirmés par Mersland et
Strom (2007).
En revanche, le portefeuille à risque n’apparaît pas jouer de rôle
significatif dans deux des quatre modèles. Notre hypothèse H4 n’est
vérifiée que partiellement. Cela s’explique par le fait que les femmes res-
pectent davantage leurs engagements contractuels (Montalieu, 2002) et
constituent une clientèle moins risquée que les hommes.
De manière plus surprenante, la gouvernance étatique agit négative-
ment sur l’offre de crédit octroyée aux femmes sur un des cinq modèles
de notre étude. Elle reste sans incidence sur les autres modèles. Les pays
membres de l’UEMOA ne se sont donc pas donné les moyens de faire
appliquer un cadre réglementaire visant le développement de l’entrepre-
neuriat féminin. Notre hypothèse H5 n’est pas corroborée.

Conclusion

L’activité économique a besoin de la présence des entrepreneurs pour


développer et rendre productif le tissu économique. Apte à saisir ce poten-
tiel, l’entrepreneuriat dans les pays membres de l’UEMOA reste néan-
moins caractérisé par de multiples problèmes qui sont un frein à leur
viabilité financière. Parmi ces problèmes, il y a l’accès aux sources de
financement. Les contraintes financières sont l’un des principaux obstacles
à la création et au développement de microprojets. Une couche de la
population généralement rurale est exclue par défaut de garanties pouvant
entraîner des risques d’impayés. Face à cette situation, la microfinance a
Rôl e de s i nst i t u t ions de m icrof i na nce • 32 1

fait ses preuves en mettant à la disposition des exclus des systèmes clas-
siques sa capacité à fournir des services financiers afin de favoriser l’entre-
preneuriat, notamment féminin, dans les pays de l’UEMOA.
La microfinance est caractérisée par deux approches que sont la
poursuite d’une mission sociale et l’atteinte de la viabilité financière. La
première consiste à réduire la pauvreté en touchant une couche de la
population qui est vulnérable ou ne disposant pas d’un certain pouvoir
financier, la seconde s’intéresse à la pérennité financière dans la mesure
où pour continuer de manière durable à jouer le rôle d’intermédiaire
financier, les IMF doivent avoir une autonomie financière et consolider
leur présence, surtout face à la concurrence. Les institutions de microfi-
nance présentent plusieurs caractéristiques qui ont une incidence sur leur
fonctionnement. Cependant, leur fonctionnement démocratique et leurs
particularités constituent un atout important susceptible d’entraîner une
complexification de leurs systèmes, surtout en période de croissance. On
remarque une multitude d’acteurs qui présentent des intérêts différents.
Nous pouvons citer les créanciers, les dirigeants, les bailleurs de fonds,
l’État, etc.
Cette contribution étudie les déterminants de l’offre de crédit des
IMF destinée à l’entrepreneuriat féminin (fonds propres, subventions,
gouvernance, risque de non-remboursement, endettement…) afin de
mettre en exergue le rôle des institutions de microfinance dans le finan-
cement de l’entrepreneuriat féminin. Notre échantillon porte sur les pays
de l’UEMOA de 1999 à 2014.
L’offre de crédit aux femmes est appréhendée à partir l’encours de
crédits, c’est-à-dire le pourcentage de crédit qui leur est octroyé.
Les résultats obtenus sur les subventions montrent qu’elles agissent
positivement sur l’encours de crédits femmes sur tous les modèles de nos
études. Tel n’est pas le cas pour le volume des fonds propres et de l’endet-
tement. Ce résultat pourrait signifier qu’une partie des apporteurs de
capitaux (fonds propres et créanciers) seraient davantage intéressés par le
développement de l’activité productive de ces IMF que par leur degré
d’efficience, et qu’une autre partie est rémunérée à leur prix d’opportunité
(cf. Charreaux et Desbrières, 1998) et n’exerce en conséquence aucune
contrainte significative sur le volume crédits femmes des IMF qu’elle
contribue à financer.
322 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Ceux obtenus pour la performance économique confirment en partie


l’incompatibilité de l’objectif social et de l’objectif économique des IMF.
Si l’importance du risque de crédit est grande, conformément à nos
attentes, une corrélation négative sur l’entrepreneuriat féminin n’est notée
que sur un modèle. Par conséquent, la clientèle féminine ne présente pas
beaucoup de risque. Enfin, il apparaît que plus la gouvernance des États
de l’UEMOA est reconnue, moins l’entrepreneuriat féminin est développé.
On peut donc supposer que les États membres de l’UEMOA n’ont pas su
mettre en place un écosystème favorable à l’émergence des activités éco-
nomiques des femmes. Ce dernier résultat, contraire aux antérieurs,
mériterait une investigation plus poussée au sein des IMF de l’Afrique de
l’Ouest.
De futures recherches de nature qualitative sont à encourager, notam-
ment pour mieux comprendre le rôle des entrepreneures dans la gouver-
nance des IMF et des États en tant qu’institutions.

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chapitre 15

Microfinance et promotion
de l’entrepreneuriat des jeunes ruraux
au Niger
Oumarou Faroukou Djibo

L’emploi constitue l’une des préoccupations majeures dans les pays en


voie de développement. L’accès à un emploi est souvent régi par une cer-
taine qualification. Dès lors, le diplôme, et plus généralement le capital
humain, est un facteur important pour obtenir un emploi qualifié et
stable. Le chômage et le sous-emploi ont une incidence négative sur le
bien-être économique, la stabilité sociale et la dignité humaine tandis que
l’emploi est la meilleure assurance contre la pauvreté et la vulnérabilité
avec un impact bien au-delà du revenu qu’il procure. La direction des
statistiques révèle un taux d’alphabétisation faible qui est de 19 % pour la
population globale, dont 27,3 % pour les hommes et 11 % pour les femmes
en 2016 (MEP, 2016). Si, par le passé, des initiatives éparses et des propo-
sitions ont été développées sous des tutelles distinctes pour traiter la
délicate et cruciale question de l’insertion sociale et professionnelle des
jeunes, le chômage et le sous-emploi ne cessent d’augmenter. Notons
toutefois que, dans un autre contexte, des recherches ont montré l’inadé-
quation entre les formations reçues et les besoins réels des entreprises ou
encore la faiblesse du tissu économique (ANP, 2018). Aussi, les études sur
l’emploi au Niger s’intéressent aux personnes alphabétisées (Djibril, 2010 ;
INS, 2016a). En effet, le décret n° 98-086 du 6 juin 1998 fixe les objectifs
spécifiques de la politique nationale de la jeunesse. L’État prévoit pour
326 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

cette dernière l’insertion professionnelle, la promotion du plein emploi


et de l’entrepreneuriat, la stabilisation des ruraux afin de limiter l’exode
rural, le renforcement des organisations des bras valides. Les jeunes
ruraux ont des difficultés à avoir un revenu stable vu leurs incapacités
technique et financière d’une part et d’autre part la faible capacité insti-
tutionnelle de création et de promotion d’emploi. De ce fait, quelles sont
les motivations à la promotion de l’entrepreneuriat et à l’employabilité des
jeunes ruraux non scolarisés ou déscolarisés au Niger ? S’il faut être qua-
lifié et posséder un diplôme pour pouvoir entreprendre, il sera extrême-
ment difficile pour le pays de stimuler la création d’emploi.
Dans ce chapitre, nous allons surtout faire l’analyse de la compo-
sante jeune en lien avec le marché de l’emploi. Pour cela, deux échan-
tillons sont étudiés de façon séparée, le premier est composé de 800
jeunes soutenus par un programme et le deuxième de 850 jeunes non
encadrés et non soutenus par un quelconque projet. L’étude a pour
objectifs de comprendre et de mesurer l’impact de la politique d’inter-
vention du projet sur la création d’emploi puis de connaître le mobile
des jeunes à la créativité et à l’innovation entrepreneuriale. En d’autres
termes, cette analyse vise à faire ressortir les possibilités de promotion,
de consolidation et de vulgarisation des emplois par les jeunes, avec
comme terrain d’étude le Niger, qui capitalise déjà une certaine expé-
rience dans le financement participatif à travers plusieurs programmes
de développement. Différentes variables agissant sur la réussite entre-
preneuriale des jeunes sont définies et le modèle logit a été utilisé pour
les régressions économétriques. Les résultats de l’analyse sont assez
intéressants. Ils montrent dans quelle mesure la promotion de l’emploi
par la jeunesse accroît le potentiel de développement.

1. Absence du financement bancaire propre aux sans-emploi et


orientation vers la microfinance participative

1.1 Formes de financement dans le milieu (in) formel

Il est nécessaire de définir ce qu’on entend par informel. Deux définitions


nous paraissent pertinentes. La première décrit le secteur informel comme
l’ensemble des activités économiques qui se réalisent en marge de la
législation pénale, sociale et fiscale ou qui échappent à la comptabilité
nationale. La seconde considère le secteur informel comme l’ensemble
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 32 7

des activités qui échappent à la politique économique et sociale, et donc


à toute régulation de l’État (Benjamin et al., 2012). En d’autres termes,
l’économie informelle couvre essentiellement les activités économiques
qui se déroulent en dehors des structures réglementées formellement.
Généralement, les entreprises informelles sont petites et souvent fami-
liales. Les travailleurs ne paient pas d’impôt sur le revenu et ne bénéficient
pas de protection sociale1. La seule offre de services financiers visant les
jeunes et les plus pauvres (Djibo, 2012) était alors le fait de projets de
développement dotés d’un volet crédit.
À côté du système financier institutionnel s’est développée une finance
informelle qui permet aux populations exclues du système bancaire
d’avoir accès au crédit. Elle se caractérise essentiellement par une grande
souplesse sur le plan organisationnel, de faibles coûts et repose sur des
formes traditionnelles très anciennes. Les études sur les sources de finan-
cement sont nombreuses (Soko, 2011). Beaucoup d’entre elles cherchent à
établir une comparaison entre le financement du secteur formel et le
financement des activités informelles. Ces sources formelles sont en
général les banques et les partenaires au développement. Les entreprises
du secteur informel, quant à elles, doivent en permanence faire face aux
difficultés d’accès à ces sources de financement. Elles se trouvent obligées
de développer leur propre système de financement basé sur l’entraide et
les mutuelles (Soko, 2011). Ces systèmes ont des ressources limitées et
n’arrivent pas à assurer le niveau optimal de financement recherché. En
dehors de la microfinance qui assiste les entrepreneurs informels par des
microcrédits de proximité, souvent à échéances courtes, plusieurs sources
de financements s’offrent aux promoteurs. Ce financement informel
pourra se faire auprès de la famille mais aussi d’amis, de connaissances.
On peut citer les programmes d’aide, le capital amical qui provient le plus
souvent des parents, l’apport personnel, la tontine qui est la forme la plus
connue et la plus répandue de finance informelle ; c’est une association
rotative d’épargne et de crédit (Aliber, 2002).
Le jeune qui entreprend dans le secteur informel est souvent dans
une situation marginale et de pauvreté. Il exerce seul ou en groupe une
activité génératrice de revenus (AGR), menée hors du cadre réglementaire
officiel, qui utilise peu de capitaux, de technologies et de compétences.

1. Décret n° 2017-682/PRN/MET/PS du 10 août 2017 portant partie règlementaire du


Code du travail.
328 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Ces jeunes ne sont pas qualifiés et habitnet très loin des réseaux profes-
sionnels qui caractérisent le secteur formel (Djibril, 2010). Ils opèrent le
plus souvent dans un rayon très limité ou sur un marché local, avec un
faible profit (Dia et Bonnet, 2017 ; Deaton, 2015).

1.2 Financement par un programme participatif

Pour soutenir la création d’emploi de façon générale, malgré les différentes


contraintes, l’Agence Nigérienne de Promotion d’Emploi (ANPE) accom-
pagne les demandeurs d’emploi dans leur quête d’insertion profession-
nelle à travers un programme qui a pour objectif d’améliorer l’employabilité
des jeunes et la promotion de leur insertion dans la vie active.
L’ANPE a conçu et mis en exécution plusieurs programmes dont cinq
sont encore opérationnels. Ce qui permet de développer l’entrepreneuriat
des jeunes, de renforcer les dynamiques de développement local en matière
d’emploi décent et de faciliter l’accès des jeunes au crédit.
Les jeunes n’ayant pas la qualification ne peuvent pas profiter de ce
soutien de l’ANPE. Ils se tournent alors vers des projets à volets crédits.
Dans leurs formulations, certains projets comportent des composantes
microfinance. Le Niger, conscient de sa jeunesse analphabète, cofinance
un Programme d’Alphabétisation et d’Apprentissage des Métiers pour la
Lutte contre la Pauvreté (PALAM)2. Le but étant d’améliorer les conditions
de vie des populations pauvres en répondant aux insuffisances rencontrées
par les familles pauvres illettrées. C’est un projet financé par la Banque
Islamique de Développement et l’État du Niger. Ainsi, ces jeunes qui sont
analphabètes ou déscolarisés et qui n’ont pas un emploi ou qu’ils évoluent
dans l’informel, sans qualifications ni diplômes sont soutenus par le
projet. À part la formation professionnelle (en apprentissage des métiers)
qu’ils reçoivent, ils sont soutenus par un programme de microfinance. Il
s’agit d’une microfinance participative. À la différence de la microfinance
conventionnelle, elle est basée sur le business avec le partenaire. Il ne s’agit
pas de donner un crédit, mais plutôt de faire affaire avec celui qu’on
finance. C’est une approche totalement différente. Dans ce partenariat,
non seulement les partenaires engagés en tirent profit, mais la société
aussi. La microfinance participative est appelée aussi microfinance isla-

2. Nous parlerons de ce programme dans les paragraphes suivants.


M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 329

mique. Ses objectifs sont la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, la pro-


motion de l’entrepreneuriat et le plein emploi. Elle vise également à la
promotion de l’équité et du bien-être de toutes les composantes de la
société.

2. Difficultés et défis de l’entrepreneuriat des jeunes

2.1 État des lieux de l’entrepreneuriat et difficultés rencontrées par les


jeunes

Selon le rapport sur le développement dans le monde (Rama, 2013), la


pauvreté recule lorsque le travail permet aux êtres humains d’améliorer
leurs conditions de vie et lorsque l’emploi des femmes donne à ces der-
nières les moyens d’investir davantage dans leurs enfants.
Le cas du Niger est cependant inquiétant. En effet, plusieurs défis sont
à relever. On peut citer par exemple l’incidence de la pauvreté qui est de
54,6 % en milieu rural contre 17,9 % en milieu urbain ; elle est de 53,9 %
pour les sans-emploi et de 12,8 % pour les salariés (INS, 2018c). La majorité
des entreprises sont informelles et de petite taille. La part de l’informel
dans le PIB est de 65,9 % en 2018 (INS, 2018c). Le pays n’échappe pas au
constat selon lequel (Hann, 2006, Adams, 2008) les secteurs les plus
dynamiques des économies africaines sont caractérisés par le transport,
la restauration, la menuiserie, les bâtiments et travaux publics, le com-
merce de détail et les services. La longévité des microentreprises qui sont
souvent informelles est très limitée. Si elles sont créées, elles manquent
d’expérience professionnelle (METPFQE, 2014), de compétences ou de
connaissances entrepreneuriales. Aussi, à la faiblesse du capital relationnel
(INS, 2016b ; INS, 2018b), s’ajoutent des difficultés notoires d’accès au
crédit. Les services d’appui et de conseil ne sont pas toujours consultés
compte tenu de la petitesse et des activités informelles qui se pratiquent
sur le marché de l’emploi (INS, 2016a ; INS, 2017).
Le pays est caractérisé par un taux faible3 d’embauche (Mounkaila,
2018) dans le secteur public et une incapacité du secteur privé moderne à
créer pour l’instant des emplois suffisants (DARES, 2000). En effet, 70 %

3. La faible capacité institutionnelle de création d’emploi s’explique ainsi : 70 % des


15 000 entreprises enregistrées en 2016 sont de petite taille, la restructuration des entre-
prises du secteur moderne et le manque d’organisation du secteur informel.
3 30 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

des 15 000 entreprises enregistrées en 2016 sont de petite taille (INS, 2018a ;
DPEJ, 2016 ; François, 1999).

2.2 Aperçu sur l’entrepreneuriat

De nos jours, beaucoup de pays adoptent des stratégies qui requièrent à


la fois les approches multisectorielles et thématiques dans leur lutte pour
la réduction de la pauvreté à travers la valorisation de l’emploi. C’est le
cas du Niger avec un projet novateur qui combine la formation en alpha-
bétisation pour soutenir l’apprentissage des métiers et le programme
d’appui à la microfinance.
L’économie nationale reste dominée par le secteur informel représen-
tant plus de 60 % du PIB. Il est constitué d’entreprises de petite (voire très
petite) taille. La prolifération des microentreprises informelles favorise
un climat d’affaires pour ceux qui n’ont pas de gros capitaux et contribue
à résorber le chômage. Dans la littérature économique (Roubaud, 2014),
trois approches ont dominé les origines et les causes de l’informalité. Une
première, « dualiste », est basée sur un modèle de marché du travail dual,
où le secteur informel est considéré comme une composante résiduelle
de ce marché et donc incapable d’offrir des emplois en nombre suffisant.
Une deuxième, « structuraliste », soulève les interdépendances entre les
secteurs informel et formel et, selon cette approche, l’informel accroît la
flexibilité et la compétitivité de l’économie. Une troisième, « légaliste »,
considère que le secteur informel est constitué de micro-entrepreneurs
qui préfèrent opérer de manière informelle pour échapper à des régula-
tions publiques dues aux coûts excessifs de légalisation associés au statut
formel et à l’enregistrement.

3. La finance participative comme modèle du financement de


l’entrepreneuriat

3.1 Une application au programme jeune

Le Niger a été choisi comme l’un des pays bénéficiaires du programme


PALAM. Ce programme devrait en soi atteindre plus de 13 000 enfants
déscolarisés de 9 à 15 ans, 14 000 adolescents et jeunes adultes de 16 à
24 ans et 18 000 femmes travailleuses. Le coût total du programme est
estimé à 88,2 millions USD et il est cofinancé par la BID et le gouverne-
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 31

ment du Niger. Dans cette phase pilote, ce programme intervient dans


quatorze communautés rurales de deux des régions les plus pauvres du
Niger, à savoir Maradi et Tillabery. Sur la base des résultats obtenus et les
enseignements tirés de la phase pilote, le programme sera élargi et
reconduit.
Pour financer cette population, une convention a été signée entre le
gouvernement du Niger à travers deux ministères, dont celui des Finances
et celui du Plan, le PALAM, qui est l’unité de gestion du projet et quatre
institutions de microfinance (Asusu, Kokari, Taanadi et Mecat), retenues
en fonction de leurs performances économiques et financières. Ces acteurs
de la microfinance servent d’interfaces entre le projet et la population. Ce
sont des institutions classiques mais qui effectuent des transactions
charia-compatibles séparées de leurs activités conventionnelles à travers
des fenêtres islamiques. La loi bancaire permet ce type d’opération (Djibo,
2019). Dans la convention, le PALAM rétrocède les fonds aux institutions
de microfinance et, à leur tour, elles sont responsables de la sélection, du
financement et du suivi des bénéficiaires jusqu’au dénouement du prêt.
L’institution islamique devient un véritable partenaire de l’entrepreneur-
emprunteur tout en respectant les principes cités dans le paragraphe
suivant.
Les jeunes financés sont exclusivement ceux formés par des opéra-
teurs qui sont des organismes évoluant dans différents secteurs d’activité.
Ces opérateurs sont sélectionnés par le projet en fonction de leurs expé-
riences dans les AGR à enseigner. Le mode islamique de financement
appliqué est défini dans le paragraphe suivant.

3.2 Les modes de financement des activités

Les financements participatifs sont basés sur un certain nombre de prin-


cipes afin de prévenir l’injustice. Les transactions usurières nuisent au
principe de la solidarité au sein de la société. L’institution de microfinance
islamique doit se reposer sur un partage plus équitable du risque entre le
bénéficiaire et elle. Cette pratique découle de cinq piliers (principes)
majeurs sur lesquels se base le modèle financier islamique. Il s’agit de
l’interdiction de l’usure4 (Riba), de l’obligation de partage des profits et

4. Nous avons donné les équivalents en français des termes utilisés en arabe dans les
parenthèses.
3 32 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

des pertes, de l’interdiction de la spéculation (Gharar) et de l’incertitude


(Maysir) dans les opérations financières, de l’exigence d’investissement
dans les secteurs licites, et enfin, de l’adossement des investissements à
des actifs tangibles de l’économie réelle.
Deux classifications de ces modes de financement sont établies. La
première est liée aux opérations de participation de pertes et de profits
soutenues par des produits financiers appelés moudaraba et mousharaka.
La seconde est liée aux opérations commerciales (de vente de marchan-
dises ou de services) soutenues par des produits financiers appelés mou-
rabaha, ijara et istinaa. Il s’agit de quelques produits financiers islamiques
parmi tant d’autres5. Dans ce chapitre, nous définissons les deux produits
qui sont jusque-là utilisés pour le financement des activités des jeunes. Il
s’agit de la mourabaha et de la moudaraba.
La mourabaha est un contrat d’achat et de revente. L’institution de
microfinance (IMF) achète des biens, des matériaux de base pour les
activités puis les revend à son client moyennant une marge négociée
supérieure. La marge à payer n’est pas fonction du temps (intérêts calculés
sur le temps de remboursement). Elle est une entente entre le vendeur et
l’acheteur et la marge ne doit pas excéder 15 % du montant du bien, quelle
qu’en soit la durée de paiement6.
La moudaraba est un contrat par lequel l’IMF fournit le capital pour le
microprojet du jeune, tandis que lui, il fournit le travail et la gestion. Le
partage des bénéfices est convenu entre les parties moyennant une clé de
répartition définie à l’avance. Le monitoring est assuré par l’IMF. En
d’autres termes, l’IMF apporte son capital et le jeune apporte son
savoir-faire7.

3.3 Un exemple des métiers et la durée de la formation de chacun

Une fois que le ciblage des bénéficiaires est terminé pour le projet, l’enca-
drement se fait en fonction des zones et des métiers. Dans chaque com-
mune, sept villages sont retenus. Dans ceux-ci, les bénéficiaires sont

5. Pour plus de détails sur ces produits, voir « la science de la charia pour les
économistes ».
6. Pour plus de précisions, voir annexes au cadre de gestion de crédit du PALAM
élaboré par Djibo, O. F., 2016.
7. Idem.
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 3 3

repartis en centres de formation et chaque centre compte 40 jeunes. Le


regroupement en centres se fait en fonction du métier à apprendre. Ainsi,
des contrats sont signés entre les opérateurs et le projet d’une part et
d’autre part entre les opérateurs et les propriétaires des ateliers, les pro-
priétaires des garages, des services techniques d’élevage, des maîtres
artisans ou maîtres maçons, suivant les métiers à enseigner et la durée de
la formation. Les kits de démonstration et de toute la formation sont pris
en charge par le projet. Le tableau 15.1 présente les métiers enseignés et la
durée de formation.

TA B L E AU 15.1
Les filières et la durée de formation

Sexe et durée
Filières
Sexe Durée
Électricité bâtiment Hommes 6 mois
Mécanique Hommes 6 mois
Embouche ovine Hommes et femmes 4 mois
Embouche ovine Hommes et femmes 4 mois
Construction métallique Hommes 6 mois
Menuiserie Hommes 6 mois
Artisanat Hommes et femmes 6 mois
Maraîchage Hommes et femmes 3 mois
Transformation agroalimentaire Hommes et femmes 3 mois
Coiffure Hommes et femmes 3 mois
Maçonnerie Hommes 6 mois
Couture / tricotage Hommes et femmes 6 mois

Source : Le programme PALAM.

Les métiers sont définis en fonction des activités principales de la


région. Une étude du milieu menée par le projet a catégorisé les métiers
et les acteurs. On constate qu’il y a des métiers uniquement réservés aux
femmes. Selon le rapport de cette étude, les jeunes filles villageoises sont
réticentes à certains métiers qu’elles considèrent comme masculins. Il
s’agit par exemple de la maçonnerie, de la menuiserie, de la construction
métallique, de la mécanique auto et de l’électricité bâtiment. Les forma-
tions varient en général trois à six mois. La transformation agroalimen-
3 3 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

taire comporte une grande diversité d’activités. On peut citer la fabrication


du pain, du yaourt, la production d’huile d’arachide, la fabrication du
savon liquide et solide, etc.

4. Outils économétriques

4.1 Données

Dans cette analyse, il y a deux catégories de jeunes adolescents enquêtés.


Il y a d’une part des jeunes qui sont bénéficiaires du programme d’inser-
tion économique, comme nous l’avons déjà souligné, notamment le
programme d’alphabétisation et d’apprentissage des métiers pour la lutte
contre la pauvreté et d’autre part des jeunes qui ne sont pas concernés par
ce programme. Ces jeunes sont soit non scolarisés ou ont abandonné
l’école avant la fin de leur cycle primaire. Ils sont âgés de 16 à 24 ans. Les
caractéristiques des jeunes étudiés sont définies dans le document du
projet. Le champ de l’enquête aurait été élargi avec d’autres composantes
de jeunes plus alphabétisés et/ou diplômés si le projet n’avait pas déjà
catégorisé la cible. Une enquête de terrain a été menée afin de collecter
les données quantitatives. Le premier échantillon des personnes enquêtées
est constitué des jeunes pris en charge par le programme et le second
échantillon est témoin8.

TA B L E AU 15. 2
Les effectifs des jeunes enquêtés par région

Catégorie des jeunes Région Garçons Filles Total

Concernés par le Maradi  262 180  442


programme d’insertion Tillabéry  250 108  358

Non concernés par le Maradi  330 150  480


programme Tillabéry  270 100  370

Total 1112 538 1650

Source : Notre recherche.

8. La deuxième catégorie de jeunes n’est pas concernée par le programme d’insertion


et de création d’emploi.
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 35

Leur nombre est respectivement de 800 et de 850 jeunes (garçons et


filles). Les échantillons sont issus de deux régions du Niger, à savoir
Maradi et Tillabéry, qui sont les deux zones d’intervention du projet. Selon
le document du projet, le choix des sites d’intervention du projet est basé
sur l’extrapolation des cartes de la pauvreté, de l’intervention des bailleurs
de fonds et de l’analphabétisme. Les régions avec le plus haut taux de
pauvreté sont Maradi (79,7 %), Zinder (71,0 %), Tillabéry (68,9 %), Tahoua
(45,9 %) et Agadez (45,9 %). En ce qui concerne les taux d’analphabétisme,
Tillabéry occupe la première place avec 77,6 % d’analphabètes, la deuxième
place revient à Tahoua avec 77,4 %, suivie de Maradi avec 73,9 %. Aussi, à
Maradi et Tillabéry, plus de deux personnes sur trois sont pauvres. Cette
population est très jeune, l’âge moyen est de 20,4 ans et la moitié de la
population a moins de 15 ans. Selon les estimations démographiques, la
population croît à un rythme annuel de 3,3 %. Cette croissance concomi-
tante à la jeunesse de la population entraîne une forte demande en offre
de travail.
Les deux échantillons seront étudiés séparément afin de comprendre
et de mesurer l’impact de la politique d’intervention du projet sur la
création d’emploi, et de connaître ce qui motive des jeunes à la créativité
et à l’innovation entrepreneuriale. Les facteurs démographiques et les
caractéristiques socioéconomiques sont pris comme variables agissant
sur la réussite entrepreneuriale des jeunes. Ce sont des facteurs importants
de l’économie sociale et solidaire. Ces variables sont définies dans le
paragraphe qui suit.

4.2 Variables de l’étude

Dans la littérature, on peut distinguer trois groupes de facteurs concernant


la décision entrepreneuriale sur le plan individuel (Affane et Kyaoui, 2011) :
socioenvironnementaux ; démographiques et économiques ; et perceptuels
(Arenius et Minniti, 2005 ; Himrane, 2018).
L’environnement entrepreneurial est une combinaison de facteurs
qui jouent un rôle dans le développement de l’entrepreneuriat (Himrane,
2018). L’environnement se réfère alors à l’ensemble des facteurs écono-
miques, socioculturels et politiques. Ceux-ci influencent la volonté et
la capacité des individus à entreprendre. Gnyawali (1991) et Affane et
Kyaoui (2011) ont exposé cinq catégories de variables, qui peuvent
3 36 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

développer ou décourager l’acte entrepreneurial : les ressources finan-


cières ; les moyens non financiers ; les politiques des pouvoirs publics ;
les facteurs socioéconomiques ; le savoir-faire existant en matière
d’entrepreneuriat. Parmi les caractéristiques personnelles (internes),
on peut citer la motivation, l’appartenance à un groupe et les informa-
tions démographiques telles que le sexe, l’âge, le niveau d’instruction,
l’expérience, la situation de famille. L’âge et le niveau d’instruction ne
sont pas utilisés comme variables dans le modèle spécifié. En effet, la
fourchette d’âge des jeunes est connue d’avance et se situe entre 16 et
24 ans. Quant au niveau d’instruction, il est précisé que ces jeunes sont
non scolarisés mais bénéficient d’un programme de formation de
seconde chance.
En ce qui concerne les facteurs externes, nous retenons le revenu, la
durée de vie du microprojet, réalisé antérieurement ou en cours d’exécu-
tion, la variable migratoire pour connaître le statut transitoire ou perma-
nent du jeune (variable qui rejoint la durée de vie du projet), la catégorie
de métiers — formelle ou informelle —, la taille du microprojet en fonc-
tion du chiffre d’affaires, le secteur d’activité, l’accès au crédit, l’assistance
des partenaires.
Toutes les variables citées ne sont pas prises en compte. Nous avons
choisi celles qui semblent apporter, dans le cas du Niger, plus d’impact
sur la chance de succès ou d’échec du jeune dans l’acte entrepreneurial
(Sarma, 1989). Une trop forte corrélation entre deux variables explicatives
nuit à la qualité de la régression (Desjardins, 2005 ; Afsa, 2016 ; Pascal,
2015). Les matrices de dépendance nous ont permis d’affiner le choix des
variables explicatives. Le tableau 15.3 présente les variables exogènes,
censées déterminer la réussite entrepreneuriale.
La variable migratoire qui caractérise le statut transitoire ou perma-
nent du jeune rejoint la durée de vie du projet ; cette variable est exprimée
par le nombre d’années d’expérience du jeune. Le revenu issu de l’activité
est corrélé à la taille du microprojet exprimée par le chiffre d’affaires ;
nous avons retenu ici la variable revenu. Pour la catégorie de métiers et le
secteur d’activité, la variable dichotomique — type de travail — est
retenue. Il en va de même pour le sexe et la situation conjugale, afin de
trouver une relation genre et emploi d’une part et statut matrimonial et
création d’emploi d’autre part.
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 37

TA B L E AU 15. 3
Facteurs déterminant le développement de l’entrepreneuriat des jeunes

Variables/Caractéristiques Fréquences

Masculin 67,4
Sexe du jeune
Féminin 32,6

Avec conjoint (e) 23,3


Situation conjugale
Sans conjoint (e) 76,6

Moins de 50 000 37,1


50 000 à 100 000 24,3
Revenu
100 000 à 150 000 22,6
1500 00 et plus 16

Jamais travaillé 35,2


Entre 0 et 1 28,5
Année (s) d’expérience
Entre 2 et 4 21,3
5 et plus 15

Employé 51,5
Type de travail
Travailleur autonome 48,5

Oui 43,3
Accès au crédit
Non 56,7

Matérielle 21,5
Assistance des partenaires Financière 31,1
Renforcement des capacités 37,4

Source : Notre recherche.

4.3 Spécifications du modèle et estimation

Modèle d’analyse

Dans la littérature, l’estimation de la probabilité de réalisation d’un évé-


nement, étant donné certaines caractéristiques associées à cette éventua-
lité, peut se faire à partir d’un certain nombre de modèles, dont celui de
régression linéaire et celui de régression logistique (Mingat et Lassibille,
1977 ; Afsa, 2016).
Nous utilisons dans cette analyse le modèle logit, ce qui nous permet
d’isoler les effets propres. L’estimation se fait par la méthode du maximum
de vraisemblance. La particularité de la régression logistique est qu’elle
n’exige pas que les prédicteurs soient distribués normalement, linéaires
ou qu’ils possèdent une variance égale entre chaque groupe. Cette tech-
nique s’applique uniquement à de grands échantillons comme c’est le cas
3 38 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

de nos deux cibles. Les prédicteurs (variables indépendantes) peuvent être


des variables dichotomiques ou continues (Afsa, 2016 ; Pascal, 2015).
Si l’on considère la création d’emploi par la jeunesse, la variable
dépendante prend ici deux valeurs possibles : 1 si le jeune réussit à déve-
lopper une entreprise, 0 autrement.
La probabilité de développer une entreprise est déterminée par un
ensemble de variables indépendantes qui peuvent être dichotomiques ou
continues (Sarma, 1989 ; Desjardins, 2005). Une régression logistique est
utilisée pour mesurer l’impact de ces variables.
De nombreux travaux ont établi des liens entre éducation et offre
de travail (Ben Porath, 1967 ; Blinder et Weiss, 1976 ; Olivier, 2005). Les
contributions de ces auteurs mettent en évidence que l’inactivité devrait
être concentrée aux deux extrêmes de la vie, c’est-à-dire la jeunesse
et la vieillesse. Or, Becker (1964) montre que chaque travailleur a un
capital propre, qui lui vient de ses dons personnels innés et de sa for-
mation. Son stock de capital immatériel peut s’accumuler ou s’user. Il
augmente quand il investit, ce qui détermine les différences de produc-
tivité, et, par hypothèse, de revenu. Les investissements engagés par
l’État et les différents projets de développement au Niger dans la jeu-
nesse devraient pouvoir faciliter les perspectives d’emploi. Cette assis-
tance exerce non seulement un effet positif sur les revenus des jeunes,
mais également un effet bénéfique sur leur durée d’employabilité. Les
résultats de l’analyse nous informeront plus sur les effets de leur créa-
tivité entrepreneuriale.

Estimation du modèle

Nous disposons, dans la source de données, de sept variables qui sont le


sexe, la situation conjugale, le revenu, le nombre d’années d’expérience,
le type de travail, l’accès au crédit et l’assistance des partenaires.
Le sexe est une variable binaire. On crée la modalité « féminin », qui
vaut 1 si le jeune est une femme, et 0 sinon. La situation de la jeune femme
sera évaluée en référence à celle du jeune homme. Cela signifie qu’on
retient « masculin » comme modalité de référence de la variable sexe, de
même que pour la situation conjugale. La modalité « av_conjoint » équi-
vaut à 1 si la personne a un (e) conjoint (e), et à 0 sinon (c’est-à-dire sans
conjoint (e)).
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 39

Le revenu est une variable numérique que nous avons transformée


en une variable polytomique ordonnée (Rev [0,50 [, …, Rev [150,300 [). À
ces quatre tranches sont associées quatre variables indicatrices. Le nombre
d’années d’expérience (Jamais travaillé ; Entre 0 et 1 ; Entre 2 et 4 ; 5 et
plus) est aussi une variable numérique à laquelle sont associées quatre
variables indicatrices. Le type de travail compte ici deux modalités. La
modalité « trav_aut » vaut 1 si le jeune correspondant exerce un travail
autonome, et 0 sinon. De la même façon, accès au crédit est binaire avec
deux indicatrices : oui ou non. Enfin, « Assistance des partenaires » est
une variable polytomique, ordonnée à trois modalités, dont nous avons
choisi le « Renforcement des capacités » comme modalité de référence. En
rappel, nous précisons que les deux autres indicatrices, représentant les
modalités assistance matérielle et assistance financière de la variable
assistance des partenaires, s’interprètent en regard de la modalité (Pascal,
2015 ; Desjardins, 2005) de référence (assistance en renforcement des
capacités). Nous allons revoir dans le tableau des résultats, la modalité de
référence de chaque variable qualitative (binaire ou polytomique) par la
mention (réf = …) attachée au libellé de la variable.

Résultats et discussion

Nous présenterons les résultats des estimations produits sous SAS. Ces
résultats seront commentés en fonction des objectifs. Le tableau 15.4
résumera les estimations fournies par le modèle logit ; le tableau 15.5 pré-
sentera le poids des variables sur la variable d’intérêt à travers la déter-
mination de l’odds ratio ; avant de procéder à la discussion.
Dans la procédure logistique, les 800 jeunes concernés par le pro-
gramme d’insertion sont pris en compte (partie gauche du tableau 15.4).
La valeur de Wald chi2 est de 1336 et la probabilité Prob> chi2 est nulle
avec un pseudo R 2 de 0,2971. La partie droite du tableau 15.4 présente les
résultats des 850 jeunes composant la cible témoin. La valeur de Wald
chi2 est de 1541 et la probabilité Prob> chi2 est nulle avec un pseudo R2 de
0,272. Avec ces valeurs, les modèles, tels que spécifiés, sont globalement
significatifs. Les résultats de la première catégorie des jeunes montrent
que les valeurs estimées des variables sexe du jeune, situation conjugale,
revenu intermédiaire, nombre d’années d’expérience, accès au crédit ainsi
qu’assistance des partenaires sont significatives au seuil de 1 %. La variable
3 40 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

TA B L E AU 15.4
Résultats de la régression de deux catégories des jeunes

Cible non prise en


Cible concernée par
compte par le
le programme
programme
d’insertion
(témoin)
Paramètre Écart- Paramètre Écart-
Codes
estimé type estimé type
Constante -0,176 0,125 0,193** 0,090
Sexe (réf = masculin)
féminin -0,523*** 0,046 -0,305 0,604
Situation conjugale (réf = sans conjoint)
av_conjoint 0,485*** 0,071 -0,861*** 0,14
Revenu (réf = Rev [0,50 [)
Rev [50,100 [ 0,374** 0,186 1,574*** 0,501
Rev [100,150 [ 0,643*** 0,157 -0,459 0,248
Rev [150,300 [ -1,275 0,064 -0,051*** 0,211
Années d’expérience (réf = Anex_0-0)
Anex_0-1 0,445*** 0,145 0,553*** 0,138
Anex_2-4 0,067*** 0,003 -1,525** 0,712
Anex_5+ 0,063*** 0,003 -3,001** 1,19
Type de travail (réf = employé)
trav_aut 0,243* 0,141 -0,968*** 0,191
Accès au crédit (réf = non)
oui 1,603*** 0,197 -0,263** 0,103
Assist. des partenaires (réf =
renf-capacité)
Ass_mat 1,814*** 0,167 0,161** 0,065
Ass_fin -1,010*** 0,139 -1,457** 0,591

Seuils de significativité : *** = 1 % ; ** = 5 % ; * = 10 %.


Source : Nos calculs.

type de travail n’est significative qu’au seuil de 10 %. Des résultats de la


deuxième catégorie des jeunes, il ressort que la situation conjugale, les
revenus extrêmes, le type de travail sont significatifs au seuil de 1 % ; tandis
que le nombre d’années d’expérience, l’accès au crédit ainsi qu’assistance
des partenaires sont significatifs au seuil de 5 %. La situation conjugale
n’est pas du tout significative. Le signe d’un paramètre bj associé à une
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 41

variable xj indique dans quel sens influe cette variable sur la variable
d’intérêt Yi.
Les valeurs des paramètres, bien qu’elles nous renseignent sur les
orientations des jeunes, ne nous donnent pas une idée immédiate (Afsa,
2016) de l’importance du facteur en tant que telle. Notamment, on ne sait
pas mesurer l’influence de notre variable principale (son poids) sur la
création d’emploi. Nous allons pour cela nous intéresser à la significativité
pratique des différents facteurs, à partir de l’odds ratio (Tableau 15.5).

TA B L E AU 15. 5
Rapport des chances ou odds ratio

Rapport des cotes ou Odds Ratio Estimates

Cible concernée par le Cible non prise en compte par


programme d’insertion le programme (témoin)

95 % Wald 95 % Wald

Point Confidence Point Confidence


Effect
Estimate Limits Estimate Limits

féminin 1,679 1,531 1,850 1,357 1,007 1,707

av_conjoint 1,628 1,412 1,876 2,366 1,916 2,816

Rev [50,100 [ 1,434 1,012 2,071 4,826 4,676 4,976

Rev [100,150 [ 1,901 1,405 2,573 1,582 1,362 1,802

Rev [150,300 [ 0,278 0,248 0,323 1,052 0,702 1,402

Anex_0-1 1,562 1,170 2,074 1,738 1,598 1,918

Anex_2-4 1,064 1,055 1,071 4,595 4,245 4,945

Anex_5+ 1,068 1,062 1,074 20,106 19,756 20,456

trav_aut 1,279 0,968 1,687 2,633 2,283 2,983

crédit_oui 3,486 2,324 5,235 1,301 0,951 1,651

Ass_mat 6,071 4,430 8,318 1,175 0,825 1,525

Ass_fin 2,740 2,052 3,670 4,293 4,123 4,483

Source : Nos calculs.

Pour la population non soutenue, le coefficient n’étant pas significatif,


nous nous réservons de donner une interprétation. Par contre, dans la
catégorie des populations assistées, le fait d’être une jeune fille est péna-
3 42 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

lisant pour ce qui est de la disposition à entreprendre, comparativement


aux garçons. La probabilité de succès entrepreneurial chez ces filles rurales
est environ 1,7 fois moindre (bj = -0,523) que chez les garçons. Nos résultats
montrent que ces derniers ont plus de chances de gérer un emploi s’ils
sont soutenus sur une longue durée. La femme, avec le mariage et les
charges familiales, n’a pas la possibilité de pérenniser son activité géné-
ratrice de revenu de la même manière que l’homme (Pacaut et al., 2007).
La place de la femme dans les activités économiques mérite d’être garantie.
En effet, avec le chômage soutenu que traverse le pays, l’indépendance
constitue un refuge que les dispositifs publics ou privés doivent encourager
(Badia et al., 2013). Par la même occasion, ces femmes doivent bénéficier
d’un accompagnement à moyen et long terme afin de garantir et de sécu-
riser leur potentiel.
La variable situation conjugale influence significativement et positi-
vement la disposition à entreprendre chez les jeunes concernés par le
programme d’insertion avec un paramètre de 0,485. En revanche, la
probabilité d’obtenir un succès d’entreprendre diminue chez les jeunes
non concernés par le programme avec un paramètre de -0,861 (Tableau
15.4). De l’analyse du rapport de chances, il ressort que l’odds ratio attaché
à la variable situation conjugale est égal à 1,628, avec [1,412 ; 1,876] comme
intervalle de confiance à 95 %. Cela signifie précisément que la chance
relative de monter un microprojet est environ 1,6 fois plus élevée pour un
jeune marié que pour un jeune célibataire dans le groupe soutenu par le
programme. Au contraire, pour le groupe témoin, cette chance diminue
d’environ 2,4 fois pour un jeune marié comparativement à un jeune céli-
bataire. Ceci peut s’expliquer par le fait que, contrairement à un céliba-
taire, le marié a la responsabilité d’une famille (Tessier-Dargent, 2014), et
ce, pour le groupe cible. Il a intérêt alors à créer, à gérer, à faire fructifier
son revenu et à conserver son emploi une fois soutenu. Pour le second
groupe, le jeune marié n’a pas les moyens nécessaires de prendre en charge
sa famille avec la faible ressource provenant d’autres activités aléatoires.
De ce fait, il est moins disposé à devenir entrepreneur que le célibataire,
du fait qu’il n’a pas de partenaires sur qui compter pour la stabilisation
de son emploi (Mundeke, 2010). On remarquera que le jeune marié sou-
tenu a plus de chances de réussir son métier et que le jeune marié non
soutenu est davantage plongé dans la vulnérabilité. Mais pour les femmes,
la jeune mariée soutenue a d’autant plus de chances de persévérer dans
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 43

son projet entrepreneurial. Elle bénéficie du soutien de ses proches, du


mari et du projet. En l’absence de conjoint, la gestion simultanée de la vie
domestique et entrepreneuriale se révèle complexe (Badia et al., 2013). Les
compétences entrepreneuriales peuvent également être développées en
dehors du système éducatif. Par exemple, le cas pratique traité dans ce
chapitre peut être vulgarisé. Le gouvernement pourrait également établir
des partenariats avec des organisations professionnelles et communau-
taires afin de permettre aux jeunes mariés non scolarisés ou déscolarisés
de bénéficier de soutiens multiples dans leurs domaines d’activité, à
commencer par des formations professionnelles de courte durée et d’allo-
cations des fonds de roulement au démarrage.
Deux des trois indicatrices, représentant les modalités du revenu
compris entre 50 000 et 100 000 Fcfa (soit 90 et 180 USD) et du revenu
compris entre 100 000 et 150 000 Fcfa (soit 180 et 270 USD) par mois, sont
positives. Les résultats indiquent que le fait de gagner un revenu intermé-
diaire accroît la probabilité du jeune à monter et à bien gérer son entreprise
dans le milieu rural, qu’il soit soutenu ou pas. Cette chance est environ
4,8 fois plus élevée chez les jeunes témoins et 1,4 fois chez le groupe cible.
Ceci indique que le jeune, qui se débrouille seul et qui parvient à mettre
en place sa propre entreprise, a une probabilité de réussite plus importante
que celui qui a bénéficié d’un soutien. Le fait aussi d’être soutenu par un
programme d’insertion a un avantage comparatif sur le niveau de vie du
jeune et donc de la promotion d’emploi, mais d’une façon moins propor-
tionnelle. Il est plus expérimenté et plus stable dans sa zone.
En intégrant le nombre d’années d’expérience dans l’analyse, les
résultats révèlent que, comparé au groupe témoin, le fait d’être appuyé
par un programme augmente la probabilité de devenir entrepreneur
d’environ 1,56, 1,06 et 1,07 fois respectivement pour ceux qui ont entre 0
et 1 année, entre 2 et 4 années et plus de 5 années d’expérience. En occur-
rence, pour le groupe témoin, cette probabilité diminue au-delà de 1 an
d’expérience. L’encadrement et l’accompagnement sont des outils précieux
pouvant aider les jeunes à développer leurs compétences et à surmonter
leur manque d’expérience. Cette remarque est aussi prouvée par l’Orga-
nisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
(Commission européenne, 2012). En effet, les jeunes qui souhaitent créer
leur propre entreprise ont besoin d’informations, de conseils, d’un enca-
drement et d’un accompagnement pour les aider à surmonter leur manque
3 4 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

de connaissances, surtout pour ceux qui ne possèdent aucune expérience


entrepreneuriale. Pour inciter le jeune à créer son propre emploi, il est
important de lui offrir une assistance technique pendant et après la phase
de démarrage. Les autorités devraient orienter la jeunesse rurale, qui est
exposée du jour au lendemain à d’importants agissements sociaux, vers
une utilisation rationnelle de son propre potentiel.
Pour la variable type de travail, les jeunes assistés valorisent le travail
autonome environ 1,3 fois plus que celui d’employé, compte tenu du fait
qu’ils ont reçu diverses formations et un fonds de roulement leur servant
à gérer leur propre activité. Les résultats indiquent pour cette même
variable que les jeunes non soutenus sont moins indépendants et plus
utilisés comme employés (bj = - 0,968) dans des secteurs moins rentables.
Ils ne trouvent pas d’autres solutions de rechange et leur chance relative
d’exercer un travail indépendant est environ 2,6 fois moindre que ceux
qui sont soutenus. Ces observations correspondent à celles de certains
auteurs (Tessier-Dargent, 2014 ; Trembley et Genin, 2008) pour qui les
travailleurs indépendants, qu’on appelle entrepreneurs de nécessité,
s’avèrent des individus qui créent leur entreprise car ils ne voient pas
d’autre façon de subvenir aux besoins de leur foyer.
Au Niger, les politiques publiques, bien qu’elles soutiennent ces ini-
tiatives, ont intérêt à inciter et à encourager ces entrepreneurs qui se
trouvent sous fortes contraintes et très peu motivés. Afin d’endiguer le
chômage, les décideurs doivent adopter des mesures structurelles fortes,
capables d’améliorer les processus entrepreneuriaux permettant l’inser-
tion des jeunes fragilisés.
L’accès au crédit est facile (bj = 1,603) et favorise la promotion de
l’entrepreneuriat chez les jeunes encadrés par le projet. Ils ont environ
3,5 fois plus de chances d’être financés que les jeunes sans soutien. Au
contraire, la chance de créer un emploi pour les jeunes dépendants est
1,3 fois moindre (bj = -0,263). Ces résultats montrent qu’il est difficile pour
cette population de lutter contre la précarité de la pauvreté. Ces constats
rejoignent ceux de Verbeeren et Lardinois (2003). En effet, de jeunes exclus
porteurs d’un projet intéressant à finalité économique ont très souvent de
la peine à réunir le capital de départ parce qu’ils n’ont pas accès au crédit
aux conditions du marché. Il revient à l’État de mettre en place des méca-
nismes d’appui plus soutenus avec les institutions de microfinance afin
de stimuler les activités en faveur des jeunes isolés, à qui un réseau rela-
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 45

tionnel fait défaut. Le microcrédit pour les jeunes sans emploi peut être
une innovation louable leur permettant d’affiner leur idée et de surmonter
les innombrables problèmes durant la phase de lancement.
Enfin, les modalités de la variable assistance des partenaires s’inter-
prètent en regard de la modalité de référence (assistance en renforcement
des capacités) : l’assistance financière est, par rapport au renforcement
des capacités, pénalisante pour la promotion de l’emploi (le paramètre
de l’indicatrice ass. fin est négatif) ; en revanche, l’assistance matérielle
est un avantage, toujours par rapport au renforcement des capacités (le
paramètre de l’indicatrice ass. mat. est positif). L’analyse des coefficients
estimés indique que cette variable a un impact positif sur la probabilité
de devenir entrepreneur dans les zones rurales au Niger. L’assistance
matérielle a un effet positif pour les deux catégories de jeunes (bj = 1,814
pour la cible et bj = 0,161 pour le groupe témoin). Ceci signifie que
lorsque l’assistance matérielle augmente d’une unité, l’individu a
environ 6,07  fois et 1,2 fois plus de chances de devenir entrepreneur,
respectivement dans le rang des jeunes soutenus et dans le rang des
jeunes non soutenus. Les associations de jeunes constituent une clientèle
privilégiée pour les ONG, appelées à leur fournir l’assistance technique
et financière dont elles ont besoin. Le développement des ONG à voca-
tion rurale qui devrait s’ensuivre apportera également des perspectives
d’emploi pour les jeunes diplômés dans un éventail assez large de com-
pétences (DPEJ, 2016). Il est nécessaire pour les décideurs de trouver les
méthodes d’assistance à la jeunesse les plus pertinentes et efficaces.
Pendant longtemps, la microfinance a été citée comme la meilleure
politique de soutien à la création d’entreprise (Trembley, 2008 ; Kanté,
2001 ; Mundeke, 2010 ; Ousmane Ida, 2015). C’est aussi ce qu’a révélé cette
recherche avec ces probabilités calculées. Le ministère de la Jeunesse, le
ministère de l’Entrepreneuriat et celui des Finances doivent œuvrer
ensemble afin d’améliorer les compétences de la jeunesse rurale nigé-
rienne en matière d’auto-entrepreneuriat. Cette frange de la population
moins qualifiée, analphabète et opérant bien souvent dans le secteur
informel, sera déterminante pour promouvoir une croissance équitable
et l’inclusion sociale au Niger. La formulation d’un programme national
pour l’emploi des jeunes et les coopérations avec des partenaires d’appui
peuvent faciliter la promotion de l’emploi.
3 46 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Conclusion
Le secteur informel occupe une place importante dans les pays en déve-
loppement. Le Niger n’est pas exclu avec une population majoritairement
jeune. Les entreprises sont en général de petite taille et les autorités
publiques appuient surtout les personnes diplômées. Ceux qui n’ont pas
la formation requise sont laissés pour compte et vont vers la déperdition,
et/ou empruntent la voie migratoire. Le chômage et l’analphabétisme
continuent de gagner la sphère sociale. Pour les quelques jeunes diplômés,
le déphasage entre les formations et les compétences recherchées sur le
marché du travail contribue à aggraver leur situation. Ce phénomène
retarde la transition de beaucoup de jeunes vers l’autonomie financière,
familiale et résidentielle. Si l’entrepreneuriat contribue à stimuler la créa-
tion d’emploi et la participation au marché du travail, les initiatives et les
propositions développées en faveur de l’insertion sociale et professionnelle
des jeunes devraient accroître le potentiel de développement. Ce chapitre
a tenté d’apporter des réponses à la question du succès entrepreneurial et
de l’employabilité des jeunes ruraux non scolarisés et/ou déscolarisés. Des
deux échantillons de jeunes étudiés, sept variables clés ont été retenues.
Les estimations économétriques à l’aide d’un modèle logit binaire ont fait
ressortir les effets de ces variables sur les dispositions à entreprendre pour
le jeune.
Il ressort que les jeunes de sexe masculin ont environ 1,7 fois plus de
chances de créer et de gérer un emploi stable que les jeunes filles, surtout
quand ils sont assistés. Il est nécessaire de garantir l’autonomie écono-
mique des jeunes femmes afin de contribuer activement à la réduction de
la pauvreté. Le mariage favorise la création et le maintien de l’emploi. Les
garçons célibataires ont environ 1,6 fois moins de chances de réussir dans
leur emploi que les mariés. Dans le cas des jeunes filles, la disposition à
devenir entrepreneure est encore plus complexe (Badia et al., 2013).
L’analyse révèle que la possibilité de monter sa propre microentreprise
dans le milieu rural varie selon qu’on ait du soutien ou pas. Quand un
jeune non soutenu réussit dans un travail indépendant rémunérateur, il
prend de l’assurance et conserve mieux son métier qu’un jeune qui a eu
de la facilité lors du montage de son affaire. Bien qu’ils soient soutenus,
ces jeunes ne gardent l’emploi qu’ils ont créé rarement plus d’une année.
Les jeunes promoteurs ont besoin d’un marché capable d’absorber leur
production. Les jeunes employés travaillent comme ouvriers dans des
M icrof i na nce et promo t ion de l’e n t r e pr e n eu r i at • 3 47

filières moins rentables avec tous les risques possibles. Leur chance relative
d’exercer un travail indépendant s’avère d’environ 2,6 fois moindre que
ceux qui sont soutenus. Ils sont quasiment exclus du système de finance-
ment bancaire. En filigrane, le soutien d’un partenaire technique et
financier a un avantage sur le niveau de vie du jeune et donc sur la pro-
motion d’emploi. En effet, l’appui du projet favorise la productivité et la
promotion du potentiel de développement à travers l’amélioration du
niveau de vie de ces jeunes. Il existe, de ce fait, une relation entre les
changements des conditions de vie par la réduction de la vulnérabilité et
la création de nouveaux emplois. Nous affirmons aussi qu’à des degrés
divers, l’acquisition d’un emploi stable et durable contribue à la rétention
des jeunes dans leurs sphères sociales, dans leurs milieux naturels.

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chapitre 16

Recours croissant aux PPP en Afrique


francophone
Quelles opportunités pour l’entrepreneuriat ?

Yvette Onibon Doubogan et Géoffroy Aliha

Boutillier et Uzinidis (2016) trouvent que l’entrepreneuriat constitue le


moteur du développement économique parce qu’il est capable de
contribuer à la croissance économique. Pour son développement, l’Afrique
francophone doit relever un réel défi de croissance économique soutenue.
Pour le relever, le partenariat public privé (PPP) fait partie des nouveaux
moyens de financement empruntés par plusieurs pays du continent.
Qualifié de pourvoyeur de souffle budgétaire pour accroître les investis-
sements, le PPP est générateur d’emplois aussi bien nouveaux que durables.
Ce qui semble répondre à l’objectif du développement durable (ODD) n° 8
« travail décent et croissance économique », qui met l’accent sur la lutte
contre le chômage des jeunes. En effet, « 470 millions d’emplois par an
seront nécessaires dans le monde pour les nouveaux venus sur le marché
du travail entre 2016 et 2030 ». L’une des mesures phares de lutte contre le
chômage est la promotion de l’entrepreneuriat. L’entrepreneuriat renvoie
à un état d’esprit ou une dynamique d’action qui réside dans sa capacité
à faire advenir quelque chose de nouveau (Schumpeter, 1939). Dans son
travail sur les motivations à entreprendre, Shapero (1975) démontre que
la décision d’entreprendre est corrélée au contexte dans lequel l’entrepre-
neur se situe. Le contexte dont il s’agit ici est celui du recours croissant
des gouvernements de l’UEMOA aux partenariats publics privés.
352 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Représentant 12 % des marchés publics de l’espace, leur croissance a été


soutenue au cours des 15 dernières années, au point de dépasser l’inves-
tissement traditionnel composé des aides publiques au développement et
de l’investissement public (Banque mondiale, 2018). Mais l’un des
reproches faits à ce mode de financement dans le contexte africain est
qu’il semble résoudre le problème d’emploi des multinationales et non
des entreprises locales qui sont les plus sollicitées par le marché du travail
sur le plan local. Ce constat a conduit à la directive d’incitation aux
emplois locaux dans les marchés PPP dans l’UEMOA. Elle préconise qu’au
moins 10 % des tâches soient confiées aux entrepreneurs locaux. Plusieurs
travaux de recherche se sont focalisés sur la contribution des PPP à la
croissance économique en Afrique mais il n’en existe quasiment pas qui
analysent l’apport de ces PPP à l’entrepreneuriat dans cet espace. Ce travail
s’inscrit dans cette démarche en ciblant le niveau local qui est le plus
impacté par le chômage de masse. En effet, les initiatives de PPP créées
sur ce plan constituent des cibles mouvantes pour les collectivités locales,
souvent dépourvues de ressources pour conduire leur politique de déve-
loppement local. Ce qui offre une occasion unique d’étudier son effet sur
la dynamique entrepreneuriale régionale. C’est l’un des objectifs des
acteurs publics en recourant aux PPP (Hauck et Street, 2006 ; Mazouz,
2016), c’est-à-dire se focaliser sur les fonctions régaliennes. Plusieurs
travaux et rapports ont aussi montré la prépondérance d’un secteur
informel qui est aujourd’hui le plus grand pourvoyeur d’emplois et contri-
buteur à hauteur de 42 %1 à l’économie de l’espace. Mais la plupart de ces
emplois sont dits de nécessité. Ce terme est employé pour décrire une
création par défaut, sans projet préalable, répondant à la nécessité pure-
ment économique d’obtenir un revenu, faute de solution de rechange
professionnelle perçue (Tessier-Dargent et Fayolle, 2016). Ainsi, les auto-
rités publiques cherchent à résoudre la dichotomie qui existe entre l’entre-
preneuriat par nécessité et l’entrepreneuriat par opportunité (Shapero,
1975 ; Fayolle, 2010). Ce dernier est caractérisé par un projet bien ficelé,
source d’emplois durables (Reynolds et al., 2001) que l’on retrouve dans
les partenariats publics privés en cours dans cet espace. Même si on
constate des initiatives de PPP sur le plan local, on se pose la question de
savoir si des entreprises locales sont suffisamment impliquées pour créer

1. Selon le rapport 2018 de la Commission de l’UEMOA.


R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 35 3

une dynamique entrepreneuriale durable. Autrement, quelles opportu-


nités constituent les PPP pour l’entrepreneuriat dans l’espace francophone
ouest-africain ?
En vue d’apporter une réponse à cette question, ce travail passe par
la présentation de l’état de l’art sur l’entrepreneuriat, en lien avec le par-
tenariat public privé. Ceci a permis de dégager un cadre conceptuel
d’analyse des données empiriques issues d’une étude multicas de 15 PPP
dans trois pays de l’espace. L’analyse des résultats révèle que les PPP gérés
sur le plan local certes favorisent l’entrepreneuriat, mais pas assez pour
inverser la tendance d’un entrepreneuriat de nécessité dominant.

1. De l’entrepreneuriat au partenariat public privé

Dans la littérature, plusieurs déterminants permettent d’apprécier


l’entrepreneuriat. Parmi les plus cités, on retient : le taux de création de
nouvelles entreprises, les changements majeurs dans les entreprises
existantes, la croissance économique ou l’application d’opportunités
(Julien et Marchesnay, 1996). L’entrepreneuriat est une pratique relevant
de la sphère privée ou de la sphère publique, ou d’une combinaison des
deux (Messeghem et Verstraete, 2009). Ce qui permet de faire la jonction
avec le partenariat public privé, qu’on peut assimiler à une forme d’entre-
preneuriat. Polysémique, on retiendra cette définition de Verstraete et
Fayolle (2005) : « initiative portée par un ou plusieurs individus construi-
sant ou saisissant une occasion d’affaires dont le profit n’est pas forcé-
ment d’ordre pécuniaire, par l’impulsion d’une organisation pouvant
faire naître une ou plusieurs entités, et créant de la valeur nouvelle pour
des parties prenantes auxquelles le projet s’adresse ». Selon le Global
Entrepreneurship Monitor (GEM), le contexte est aussi important dans
la littérature entrepreneuriale qui fait référence à l’écosystème entre-
preneurial qui comprend neuf dimensions d’analyse : la finance entre-
preneuriale, la politique gouvernementale, l’éducation à l’entrepreneuriat,
le transfert de la recherche et développement, le dispositif commercial
et légal, l’infrastructure physique, les normes sociales et culturelles,
l’ouverture et la dynamique du marché intérieur, et la promotion de
l’entrepreneuriat. Les deux dernières composantes permettent de cerner
notre problématique.
35 4 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

1.1 Les déterminants de l’entrepreneuriat francophone africain

Du fait de son organisation, le contexte africain est généralement reconnu


comme hostile en prenant en compte des freins qui caractérisent toute
activité économique. Même avec un taux de croissance économique en
moyenne supérieur à 5 %, le contexte africain n’est pas pourvoyeur
d’emplois décents (Mbaye et Gueye, 2018). La prépondérance de l’emploi
informel avec tous ses corollaires explique bien cette vulnérabilité du
marché de l’emploi en Afrique. Paradoxalement, le coût de la main-
d’œuvre reste étonnamment plus élevé, comparativement à celui des pays
développés (Mbaye et Golub, 2015 ; Onibon Doubogan, 2019), malgré la
jeunesse de la population. Conscients que des réformes publiques étaient
nécessaires pour rendre attractif l’environnement des affaires, plusieurs
pays du continent se sont lancés dans sa restructuration en vue de favo-
riser l’entrepreneuriat formel. Nonobstant ces réformes, l’entrepreneuriat
africain est caractérisé par des millions de nano-entreprises (familiales,
individuelles) qui emploient la quasi-totalité de la population africaine
(Mbaye et al., 2015).
Selon le rapport (2018) de la Banque africaine de développement
(BAD) sur l’accès des PME à la commande publique, de manière générale,
les structures entrepreneuriales définies sous le vocable PME en Afrique
de l’Ouest sont beaucoup plus petites qu’en Europe, en Amérique ou en
Asie. Pour cette raison, il est apparu nécessaire de distinguer les PME de
la sous-région en deux sous-groupes : les moyennes entreprises (ME) et
les petites et très petites entreprises (TPE/PE). Les moyennes entreprises
disposent de fonds propres et d’un chiffre d’affaires significatif (en
moyenne de 200 à 500 millions de Fcfa) ; il s’agit essentiellement d’entre-
prises familiales pour les plus grosses. Elles sont particulièrement actives
dans l’acquisition de biens, les travaux et les prestations intellectuelles.
Les très petites entreprises ou petites entreprises sont les plus nombreuses
mais hétéroclites. Ces entreprises sont faibles financièrement en termes
de fonds propres et de fonds de roulement. Elles ont une trésorerie fragile
et sollicitent souvent les banques, établissements financiers, institutions
de microfinance (IMF), sociétés d’assurances, sociétés de garantie inter-
bancaire. Le rapport stipule que les ME sont naturellement mieux armées
dans l’accès à la commande publique et vont chercher à se former et créer
des partenariats avec les pouvoirs publics, tandis que les TPE/PE, moins
bien organisées, auront plus de difficultés. C’est déjà un premier palier
R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 355

d’exclusion de certaines catégories d’entreprises à ces marchés. La com-


mande publique est tout d’abord source d’activité significative pour les
PME et une opportunité dont elles ne doivent pas se détourner. Par ail-
leurs, les avantages retirés d’une plus grande participation des PME aux
marchés publics sont économiquement vitaux pour les pays de l’UEMOA.
La forte demande des États offre un levier de croissance appréciable aux
PME locales, créatrices d’emplois. Les marchés publics constituent un
important facteur de développement et de renforcement de la compétiti-
vité des PME ouest-africaines. Sources d’innovation, de recherche et de
développement, ils peuvent aussi être un instrument de transformation
d’une partie du secteur informel. De même, une approche sociologique à
travers la théorie de la contingence qui explique que l’environnement, tel
que celui socioculturel, est important pour expliquer les divergences dans
l’impact des autres facteurs de création d’une entreprise durable (Katz et
Khan, 1966, cités par Boukar et al. 2009).

1.2 Pourquoi le partenariat public privé ?

Les ajustements structurels des années 1990 ont favorisé la libéralisation


des conditions de production et d’échange par un démantèlement des
régimes de protection et la révision profonde du cadre institutionnel en
Afrique. Le paradigme était conçu de telle sorte que les entreprises privées
étaient au cœur de la création des richesses nationales, ainsi érigées en
support d’une croissance nouvelle. Mais ce paradigme du « tout privé » a
produit des effets incontestables, hormis le rétablissement des grands
comptes publics. L’impact récessif sur le niveau de vie moyen des ménages
urbains (Winter, 2001) a été à la hauteur de la réduction du salariat d’entre-
prise, de la compression des revenus réels dans le secteur public, de la
hausse du coût des biens de consommation et des tarifs des services
publics à la suite de l’élimination des subventions gouvernementales. Il
s’en est suivi une augmentation du taux de pauvreté et des conséquences
sur le secteur privé national : peu de dynamisme des marchés intérieurs,
démultiplication des microactivités de survie, auto-emploi, activités
génératrices de revenus, pluriactivité domestique. Elle a favorisé la proli-
fération du segment inférieur de l’informel urbain. Loin de régler le
problème de développement économique, les mesures d’ajustements
structurels ont créé un fossé qui justifie de nos jours le besoin en inves-
tissements dans ces pays. Selon les Perspectives régionales africaines (2018)
356 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

de la Banque africaine de développement, le continent a besoin d’investir


entre 130 et 170 milliards de dollars par an dans les infrastructures, alors
que ces investissements n’ont atteint que 62 milliards de dollars en 2016.
Une solution parmi tant d’autres est le recours au PPP, qui constitue un
mode de financement au service de l’autorité publique.

1.3 L a dynamique du marché intérieur et la promotion de


l’entrepreneuriat
Le développement des petites et moyennes entreprises est étroitement lié
à la croissance économique (Ghanem, 2016), c’est pourquoi il faut mettre
l’accent sur l’expansion de l’entrepreneuriat. Ainsi, les interventions
pourraient viser principalement à aider les PME locales à mieux se
connecter, à se moderniser et à se relier aux marchés nationaux et inter-
nationaux. Pour Ghanem (2016), la réussite de cette approche passe par
le partenariat avec de grandes entreprises privées internationales capables
de fournir l’assistance technique et l’accès au marché. Selon le GEM, ce
sont les critères qui éloignent les entrepreneurs locaux des opportunités
d’emploi dans le secteur formel. Ce qui entraîne des taux plus élevés de
création d’entreprise et de travail indépendant informel fondés sur la
nécessité (Lewis et Gasealahwe, 2017). Cette situation est aussi causée par
l’ampleur de l’intervention des États dans le secteur productif et marchand
(Banaon, 2018). Ces États entrepreneurs ont aussi été les premiers four-
nisseurs d’emplois salariés, protégés et rémunérés à un niveau plus élevé
en moyenne que ceux du secteur privé, et conçus en débouchés automa-
tiques pour les diplômés. Dans plusieurs pays, les politiques d’ajustement
et la réduction des ressources contrôlées par la puissance publique ont
incontestablement limité la part de l’économie directement administrée.
Parallèlement, divers obstacles ont été levés dans la réglementation des
activités privées et dans l’environnement des entreprises : fiscalité et tari-
fication douanières simplifiées, allégement des contraintes et des rigidités
du droit du travail. Par ailleurs, les démarches de création d’entreprise et
d’investissement ont connu une refonte par transfert à des institutions
professionnelles publiques ou au profit d’opérateurs privés, etc. Mais ces
mesures sont pourtant restées sans réelle emprise sur les coûts de tran-
saction, les frais d’accommodement et de fonctionnement supportés par
les opérateurs privés dans le cours de leurs relations avec les agents des
administrations. Les prélèvements indus sur l’activité, notamment dans
R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 357

le transport, le bâtiment et les travaux publics, lors d’attributions de


marchés d’État et de collectivités territoriales, restent des facteurs de
blocage fondamentaux pour les entrepreneurs (Banaon, 2018). L’auteur
trouve que le désengagement du secteur public n’a pas débouché, comme
dans un jeu à somme nulle, sur l’essor symétrique des activités entrepre-
neuriales. Ainsi, constatons-nous malheureusement que la diminution
des pesanteurs étatiques est allée de pair avec la reproduction, sur des
bases nouvelles. Par conséquent, les comportements de rente créent des
alliances et collusions entre élites publiques et privées peu compatibles
avec l’autonomisation attendue d’un secteur entrepreneurial. Aussi, la
nouvelle donne libérale tend à favoriser l’informalisation des moyennes
entreprises, soucieuses d’éviter l’impact de l’élargissement de l’assiette
fiscale et du meilleur recouvrement des recettes d’État. Sans doute est-il
possible de voir, dans l’essor de l’entrepreneuriat, une mutation majeure
dans la structuration des activités privées (Banaon, 2018).

2. Méthodologie

En cherchant à analyser les opportunités induites par le recours de plus en


plus croissant au PPP en Afrique francophone, l’UEMOA, qui est le regrou-
pement des huit pays francophones de l’Afrique de l’Ouest est le terrain
choisi. Ne pouvant parcourir tous les pays de cet espace, le choix des pays
repose sur une recherche très récente qui les regroupe en trois catégories
selon leur pratique PPP : plus organisée, organisée et moins organisée
(Aliha, 2017). Un pays est choisi par catégorie pour une plus grande repré-
sentativité de l’ensemble. Le choix de l’UEMOA se justifie par le fait qu’il
représente en Afrique la plus grande zone d’attractivité des investisseurs
dans les PPP (Banque mondiale, 2018 ; Deloitte, 2015). Pour une analyse plus
pointue de la corrélation PPP et entrepreneuriat, nous avons opté pour les
PPP sur le plan local, où s’observe plus de chômage ou de sous-emploi, et
qui s’avère non viable économiquement dans la plupart des pays.

2.1 Étude de cas multiples

Notre approche qualitative s’est basée sur les études de cas multiples. Ainsi
avons-nous relevé 15 cas de PPP locaux, soit 8 au Bénin, 4 au Burkina et 3
au Sénégal, en tenant compte de la disponibilité des informations sur ces
cas et des répondants.
358 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

2.2 Collecte des données


L’étude de cas multiples repose sur un accès à de nombreuses sources de
données (Yin, 1994). Il s’agit des données d’entrevues, des observations in
situ et des documents d’archives sur l’emploi et les PPP dans les pays de
l’UEMOA. Ceci a été complété par un examen systématique des données
secondaires (articles de journaux). Elle fait référence aux nouvelles initia-
tives de PPP ou celles mises en œuvre. Nous avons mené une centaine
d’entrevues auprès de quatre types d’acteurs : les politiques, ceux de la
société civile, les entrepreneurs et les structures d’appui à l’entrepreneuriat.
Leur choix est fait selon les critères qui garantissent l’obtention de données
pertinentes issues du vécu des acteurs engagés dans des projets PPP. Il s’agit
de leur ancienneté et de leur connaissance éprouvée du secteur d’interven-
tion, du degré de responsabilité et de la capacité à pouvoir utilement ren-
seigner sur les besoins en informations exploitables. Notre guide d’entretien
a l’avantage de prendre en compte des aspects transversaux tels que le genre,
le changement climatique et la pauvreté. De nombreuses conversations
informelles avec des membres des cellules chargés des PPP ont permis de
confirmer certaines réponses reçues sur le plan local (collectivités). Ce qui
a permis d’évaluer la valeur des renseignements et des données secondaires
pendant le processus de codage des données. La triangulation des données
permettra de conclure si la croissance de recours aux PPP est une source
d’opportunité ou de menace à la promotion de l’emploi.

2.3 Traitement et analyse des données


Le traitement des entretiens est fait avec le logiciel NVivo. La triangulation
entre les transcriptions, les trois catégories de documents d’archives
consultés (rapports, documents de projet et textes de lois) et les données
littéraires ont permis de produire un résultat original. En termes de
recherche littéraire, nous avons utilisé la base de données EBSCO pour
extraire les articles mentionnant « entrepreneuriat et PPP, entrepreneuriat
dans l’UEMOA, croissance des PPP, UEMOA » sur la période 2005-2019
des principales sources d’information de langues française et anglaise. Les
informations collectées, selon les besoins des analyses faites, ont été regrou-
pées en bloc de textes et en tableau, pour alimenter cette recherche. Comme
éléments d’analyse, les initiatives de PPP dans chacun des pays concernés
ont été analysées non seulement sur le plan de leur contribution à la création
d’emploi mais aussi sur les plans juridico-institutionnel, organisationnel,
TA B L E AU 16.1
Récapitulatif des PPP locaux béninois
Nom du PPP Partenaires Type Emplois induits
Gestion du secteur eau potable en Agence Nationale d’Approvi- Paiement par 243 délégataires pour 716 ouvrages simples dans 6 communes,
milieu rural sionnement en Eau Potable en les usagers employant plus de 4000 acteurs regroupés en AEV, 52 ouvrages
Milieu Rural (ANAEP-MR) complexes dans 6 communes, 12 fermiers.
Projet de construction et de Agence Nationale d’Appui au Achat de Centrales solaires photovoltaïques d’une puissance totale de 50
gestion de quatre centrales Développement Rural services MW dans les communes de Bohicon (15 MW), Parakou (15 MW),
photovoltaïques dans 4 communes (ANADER) et PIE Djougou (10 MW) et Natitingou (10 MW). Plus de 2000 emplois
durables générés au sein des PIE.
Programme National d’Alimenta- Commune/ Circonscription Cogestion 3179 écoles, pour un budget annuel moyen de 47 353 893 USD.
tion Scolaire Intégré (PNASI) Scolaire/ Associations des Plus de 9000 producteurs locaux fournisseurs des cantines, avec
Parents d’Élèves (APE) l’appui du PAM et de la FAO, environ 32 000 femmes employées
dans ces écoles.
Gestion des parkings gros porteurs SOGEP SA, filiale de l’AGETIP- Paiement par Concession d’un montant initial d’environ 11 milliards de Fcfa,
de KIKPARE et de GUEMA dans la BÉNIN SA les usagers contractée pour 25 ans, elle emploie environ 1500 agents,
commune de Parakou sous-traite une vingtaine d’entreprises pour la maintenance et la
propreté des sites.
Gestion des parkings gros porteurs SEIB-Bénin Paiement par Répartition des revenus perçus auprès des usagers : 65 % au
de PREKETE dans la commune de les usagers promoteur et 35 % à la mairie. Difficile quantification du nombre
Bassila d’emplois générés par ce PPP.
Gestion des Infrastructures et Pôles d’Entreprises Agricoles Paiement par PPP d’un coût global de plus de 3 milliards de Fcfa, image d’une
Équipements Marchands (IEM) (PEA) / Communes les usagers dynamique entrepreneuriale inclusive. Plus de 3500 producteurs,
dont 40 % sont des femmes. Il améliore le commerce transfronta-
lier avec le Nigéria.
Projet de modernisation de la SGDS-GN regroupant des GIE/ Cogestion Projet d’un budget annuel de 10 milliards de Fcfa, à forte
gestion des déchets solides Communes et le COVED potentialité d’emplois (plus de 100 000 emplois directs et
ménagers dans le Grand Nokoué indirects), reconductible tous les 10 ans. Le Grand Nokoué est
composé des communes d’Abomey-Calavi, de Cotonou, de
l’Ouidah, de Porto-Novo et de Sèmè-Kpodji.
Gestion des déchets solides Commune de Parakou/ ONG et Cogestion D’un coût de plus de 7 milliards de Fcfa, avec 7000 abonnés en
ménagers dans la municipalité de sociétés de collecte 2018, il permet d’employer plus de 1200 personnes réparties
R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 359

Parakou dans 6 ONG et 4 sociétés de traitement.

Source : Données de terrain.


360 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

financier, et en matière de renforcement de capacités sur la base des lois sur


les PPP, des expérimentations de PPP dans les pays parcourus.

3. Résultats et discussion

3.1 Des dynamiques encore embryonnaires

Dans cette partie, quelques résultats ont fait l’objet d’une analyse aussi
bien théorique que managériale. Les caractéristiques des 15 PPP étudiés
sont récapitulées dans les tableaux 16.1, 16.2 et 16.3.
Le tableau 16.1 montre les huit cas de PPP locaux qui présentent une
dynamique en termes d’emplois induits sur le plan local. Il montre un
couplage intelligent des instruments de développement des territoires et
de définition de pôles régionaux de développement. Le portage de tout
ceci devrait être prioritairement l’œuvre de l’État central sans faire
ombrage au leadership des communes. Des initiatives doivent être soute-
nues pour structurer la participation citoyenne : mise en place de cadres
intégrateurs, gestion transparente des données de l’exploitation, renfor-
cement des compétences en matière de communication et de gestion des
données, sensibilisation des autorités concédantes et des promoteurs sur
le droit à l’information des usagers, promotion des mécanismes innovants
d’implication des usagers, etc. Le transfert de connaissances à lui seul ne
permet pas aux acteurs locaux de s’approprier les compétences. Les effets
sont plus profonds et durables si le promoteur et/ou les agences d’appui
au développement accompagnent les acteurs locaux dans le processus
d’appropriation des connaissances. Gueye et Mbaye (2018) ont souligné
que la continuité et la consistance dans les actions sont cependant cru-
ciales pour la construction de compétences institutionnelles, le maintien
d’un climat de confiance et la promotion d’une dynamique entrepreneu-
riale qui se réduit à l’entrepreneuriat de nécessité.
Dans le tableau 16.2, les quatre PPP locaux du Burkina Faso montrent
une faible dynamique dans le pays avec un cadre organisationnel et ins-
titutionnel lourd et non générateur d’emplois durables. Les projets étudiés
ne suivent pas nécessairement les principes contenus dans la loi régissant
les PPP. De même, la plupart des projets n’ont pas respecté le processus
d’élaboration des projets prévu par la réglementation en cours. La faible
adhésion de certains acteurs locaux aux PPP s’explique par leur mécon-
naissance des PPP et l’environnement des affaires au Burkina Faso qui ne
TA B L E AU 16. 2
Récapitulatif des PPP locaux burkinabè

Nom du PPP Partenaires Type Emplois induits

Gestion du Centre affermé de ONEA, qui assure Affermage Gestion du service public d’eau potable de la ville de Houndé
la commune de Houndé l’exploitation depuis 2007. Plus de 200 emplois directs et 2500 indirects créés par
sous-affermage. Elle a réalisé plus de 1750 branchements
subventionnés à hauteur de 20 000 Fcfa par branchement.

Gestion partagée des AEPS Fédération des Cogestion 17 ans de fonctionnement, plus de 3000 acteurs regroupés dans
dans la commune de Houndé Associations d’Usagers trois régions, 500 Fcfa/m3 payés par les usagers. Mobilisation faible
de l’Eau (FAUE) des finances qui fragilise le PPP.

Gestion des services urbains Mairie de Cogestion 3000 femmes issues des couches sociales vulnérables de la ville,
dans la ville de Ouagadougou Ouagadougou/ GIE/ regroupées en « Brigade verte » (GIE/PME), qui assurent la propreté
PME/ EBTE et SONAF quotidienne des espaces et lieux publics. En 2018, 146 000 m3 de
déchets sont collectés pas ces groupements.

Gestion des cantines scolaires COGES, CEB et DPCE Cogestion Dotation annuelle moyenne de 24 milliards de Fcfa, plus de
55 000 producteurs fournisseurs des vivres dans les cantines.
Appuis financiers du PAM et de la FAO estimés à 4 milliards de Fcfa,
5000 entreprises locales engagées.

Source : Données de terrain.


R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 361
362 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

leur est pas totalement favorable. Aussi, les organisations de la société


civile (OSC) au Burkina Faso ne sont pas encore impliquées dans le pro-
cessus des PPP, bien qu’elles soient très actives dans le contrôle citoyen de
l’action publique. Sur le plan local, le cadre institutionnel de mise en
œuvre des PPP (communaux ou régionaux) paraît très lourd. Dans la
réalité de l’application des textes de promotion des PPP, le niveau local de
gouvernance publique du Burkina Faso est aux prises avec la question des
compétences des cadres et des capacités financières pour l’aide aux entre-
preneurs locaux. Ce qui corrobore les affirmations de Banaon (2018), qui
énumère les freins étatiques au développement entrepreneurial.
Une analyse approfondie du tableau 16.3 montre que des initiatives
de PPP sénégalais sur le plan local sont satisfaisantes, même si dans cer-
tains cas l’effet reste mitigé. Ainsi, les expériences sénégalaises sont
pourvoyeuses d’emplois en majorité stables.
L’analyse successive de ces tableaux révèle qu’en termes d’emploi, le
PPP sur le plan local est une source d’opportunités. Certes, les PPP contri-
buent à la promotion de l’entrepreneuriat mais une analyse qualitative est
nécessaire pour mieux apprécier cette opportunité. En soi, la création ou
même la reprise d’une entreprise est génératrice d’emploi. Ainsi, notre
travail aura un avantage à plutôt présenter la différence induite du fait de
l’option PPP de la mise en œuvre d’un projet.

3.2 Quelle est la contribution des PPP à l’entrepreneuriat local ?

Si le niveau local est privilégié, c’est parce que toute croissance émane
d’abord de celui-ci. Indéniablement, les PPP pris dans leur globalité sont
porteurs de croissance économique (BM, 2018). En effet, selon le dernier
rapport de la Banque mondiale sur cette question, la zone UEMOA a
connu une croissance économique de 3 % émanant des formes hybrides
d’organisation de type PPP. Mais dans ce même rapport, les recomman-
dations sont en faveur d’une décentralisation du processus PPP actuel-
lement très centralisé dans les huit pays. Cette flexibilité de recours a
favorisé le succès des PPP dans les pays qui l’ont adopté Ainsi, en France
et au Royaume-Uni, les pionniers en Europe, on assiste à des commandes
PPP par les ministères centraux et, mieux, par les collectivités territo-
riales ou locales. Même si l’on a remarqué une remise en cause de cer-
tains PPP, il n’en demeure pas moins qu’ils ont permis d’améliorer la
R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 363

TA B L E AU 16. 3
Résultat récapitulatif des PPP locaux sénégalais

Nom du PPP Partenaires Type Emplois induits

Relookage des MADS2 Cogestion Ce sont des stands à ossature


marchés hebdoma- SARL métallique légère et démontable
daires avec des utilisés par 2 500 commerçants
stands à ossature dans l’ensemble des marchés
métallique légère et hebdomadaires de Dakar.
démontable

Production Techno Achat de Centrale photovoltaïque d’une


d’énergie solaire à Solaire3 service et capacité de 22 MW, d’un coût
partir d’une centrale SEM de 22 milliards de Fcfa, à
photovoltaïque Malicounda, dans le département
d’une capacité de Mbour. Ce PPP a généré plus
de 22 MW à de 2000 emplois directs et
Malicounda indirects.

« Carré d’or » dans Société BOT de PPP de 1,5 milliard de USD,


la commune de IMMOSEN4 25 ans comprenant : études, financement
Rufisque-Est (PPP et construction d’ouvrages
de type SEM) destinés au commerce et aux
plateaux de bureau portant sur
les assiettes foncières de la
commune de Rufisque-Est,
capables d’abriter plus de
5000 entreprises.

Source : Données de terrain.

qualité des services : soins, transport, logements et même défense publique


offerts aux populations. Mais le réel problème est que contrairement aux
pays développés, on assiste à une sorte d’amateurisme ou de mimétisme en
ce qui a trait à certains pays africains. Les principaux reproches portent sur
l’absence de compétences managériales nécessaires à la conduite de com-
plexes processus PPP sur tous les plans mais beaucoup plus sur le plan local.
Aussi, le taux élevé des PPP spontanés dans les pays montre, tant bien que
mal, la menace qui plane sur différents gouvernements qui ne sont pas

2. La société MADS, composée de Sénégalais ayant vécu plus de 20 ans en Europe, a


été créée en 2003.
3. La société Techno Solaire a été créée par la Chemtech Group, qui détient 65 % du
capital, et par des privés à hauteur de 35 %.
4. IMMOSEN SARL qui détiendra 80 % des revenus servant à l’amortissement de
l’investissement contre 20 % destinés aux recettes municipales.
364 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

outillés pour combattre les pratiques de surestimation ou de renégociation.


Mais l’aspect qui nous intéresse ici est l’emploi des ressources humaines
dans la mise en œuvre des projets PPP. Dans la plupart des cas, on assiste
à la présence prépondérante des travailleurs expatriés au détriment des
nationaux. Ce qui justifie la directive PPP de l’UEMOA de « sous-traitance
d’au moins 10 % des travaux avec des entreprises locales ».
Si, dans la forme, les multinationales respectent cette directive, dans le
fond, ce n’est pas le cas. Généralement, les tâches de conception et de mana-
gement ne sont pas externalisées et restent aux mains des travailleurs
expatriés ou sont réalisées dans l’organisme mère de ces groupes ou mul-
tinationales. Les autres tâches qualifiées de secondaires sont celles confiées
en partie aux entrepreneurs locaux. Si elles sont très demandeuses de main-
d’œuvre, elles ne sont pas pour autant rémunérées ou exercées durablement.
Ces emplois sont ainsi qualifiés de nécessité parce que répondant à une
logique purement économique d’obtenir un revenu, faute d’alternative
professionnelle, comme l’affirment Tessier-Dargent et Fayolle (2016). C’est
le cas du projet de « gestion partagée des AEPS » et le projet de « Relookage
des marchés hebdomadaires », dans lesquels les emplois générés ne
demandent pas une compétence pointue mais plutôt une forte main-
d’œuvre. Plusieurs travaux se sont avérés des réponses au chômage de masse
et sont généralement porteurs de peu de croissance économique. Même si
aujourd’hui on constate un degré élevé d’engouement à devenir entrepre-
neur dans la plupart des pays de l’UEMOA, la part d’emplois durables ou
d’opportunité est encore insignifiante, laissant prédominer l’emploi de
nécessité. Cette situation trouve aussi son explication dans les multiples
dispositifs d’aide à l’entrepreneuriat. Malheureusement, non seulement
l’environnement des affaires n’est pas propice mais aussi le jeune Africain
francophone n’est pas en lui-même convaincu de sa réussite. En général, les
compétences managériales sont faibles et l’environnement social ne facilite
pas une confiance en soi et le développement d’un leadership entrepreneu-
rial adéquat. Autrement, un travail d’encadrement au développement
personnel peut être utile pour changer les mentalités d’aversion au risque.

3.3 Pour une amélioration du modèle entrepreneurial dans l’UEMOA

Au Sénégal comme dans la plupart des pays, le processus PPP jouit d’une
cohérence interne assez appréciable. En tant que mécanismes innovants
R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 365

de financement du développement global et territorial, les PPP sont


encadrés par une loi spécifique et leur structuration repose sur une
batterie de dispositifs institutionnels et organisationnels qui en facilitent
le financement et la mise en œuvre. En matière d’emploi, on peut remar-
quer l’apport des PPP sous deux angles. Le premier est celui de l’emploi
massif de la main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée en abondance par
les entreprises responsables de l’exécution des travaux dans le secteur
des infra­structures de tout genre. Pour ce qui est des PPP gérés par les
multinationales, on serait tenté de conclure que les PPP ne représentent
aucunement une opportunité pour l’entrepreneuriat parce que non géné-
rateurs d’emplois décents et durables. Mais quand on pousse l’analyse plus
loin, cette situation fait apparaître plutôt l’épineux problème de l’inadéqua-
tion de l’offre de formation au marché de l’emploi dans tous ces pays.
L’angle favorable à l’entrepreneuriat est celui où des entreprises créées
par des jeunes ou qui emploient des jeunes se voient confier des missions
entrant dans l’exécution du PPP. Souvent, il s’agit dans le cadre des infras-
tructures, des missions de maintenance, d’approvisionnement ou de
contrôle, comme le cas dans le PPP « Carré d’or ». En outre, en matière de
renforcement de capacités des parties prenantes centrales et décentrali-
sées, des ressources considérables sont mises à disposition pour en
garantir l’effectivité.
Un autre constat est lié au fait que le cadre juridico-institutionnel ne
responsabilise pas vraiment les institutions déconcentrées pour l’assistance-
conseil sur le plan local. La pratique consiste beaucoup plus en une respon-
sabilisation des agences gouvernementales sur des prérogatives pouvant
être exercées par des structures publiques de niveau déconcentré.
Par ailleurs, la qualité des services délivrés reste approximative parce
que les capacités des quelques entrepreneurs locaux impliqués restent
limitées, rendant difficile leur maîtrise des processus de structuration des
transactions PPP.
Pour s’améliorer et devenir source de création d’entreprises durables,
la stratégie de mise en œuvre des PPP doit intégrer une dimension d’aide
aux start-up pour accompagner la dynamique entrepreneuriale qui
s’observe dans l’UEMOA. Les autorités peuvent ainsi revoir le cadre
réglementaire en s’inspirant des meilleures pratiques de la Côte d’Ivoire,
du Sénégal et d’autres pays développés tels que la France et le Canada.
L’accent pourrait être mis sur l’environnement juridique et financier, en
366 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

introduisant des dispositifs d’information, de communication et de


contrôle citoyen des processus PPP.

Conclusion

L’analyse des 15 cas de PPP locaux a permis de constater que des oppor-
tunités d’emplois sont induites, malgré tous les dispositifs d’encadrement
des PPP, beaucoup reste à faire par le recours de plus en plus croissant au
partenariat public dans l’UEMOA. Toutefois, malgré les dispositifs d’enca-
drement des PPP à géométrie variable dans la région, beaucoup reste à
faire pour optimiser les effets socioéconomiques pour les jeunes. Ainsi,
pour rendre bénéfiques à l’entrepreneuriat local les multiples projets
exécutés en mode PPP, l’accent doit être mis sur l’inclusivité des processus.
Les propositions managériales vont ainsi dans le sens d’une amélioration
du modèle de développement entrepreneurial dans l’espace UEMOA. En
tant que mécanismes innovants de financement du développement et de
l’attractivité des territoires, les PPP mobilisent l’attention soutenue des
gouvernements centraux mais pas des locaux. Dans la plupart des pays
de l’UEMOA, plusieurs avantages incitatifs sont offerts aux investisseurs
privés qui recourent à l’emploi d’entreprises nationales et de l’espace
communautaire. L’articulation des lois PPP avec les politiques nationales
de développement de l’entrepreneuriat est une réalité. Ce qui offre une
sécurité et une garantie aux investisseurs privés étrangers mais beaucoup
moins aux entrepreneurs locaux. En matière de création d’emplois par les
PPP, le constat est disparate d’un pays à l’autre, si bien qu’on peut conclure
à une corrélation entre l’évolution des emplois créés et le nombre de PPP
mis en œuvre. L’analyse a montré que sur le plan local, des efforts signi-
ficatifs d’accompagnement sont nécessaires pour l’appropriation du cadre
normatif et une structuration des transactions de PPP expérimentales.
En termes de perspectives, cette étude sert de cadre de référence métho-
dologique pour la recherche-action et la capacitation en général. En plus
d’offrir un aperçu du cadre juridico-institutionnel et organisationnel
encadrant les PPP dans chacun des pays, elle enrichit les problématiques
de réflexion stratégique et opérationnelle à travers les cas pratiques pré-
sentés et, surtout, leur benchmarking. Par ailleurs, contrairement aux
pratiques des collectivités sur le plan local, il est souhaitable qu’un accent
soit mis sur le renforcement de la capacité des élus et cadres en matière
R e c ou r s crois sa n t au x ppp e n A f r iqu e f r a nc ophon e • 367

de gestion du partenariat public privé. Loin d’être une solution de


rechange à la portée des gouvernements pour régler durablement le pro-
blème de l’entrepreneuriat local, les PPP constituent un réel enjeu d’inves-
tissement à maîtriser sur tous les plans (local, central et régional).

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Les collaborateurs

Jalila Ait Soudane, Université Mohammed V de Rabat, Maroc


Géoffroy Aliha, Université Jean Moulin Lyon 3, France
Younes Bennane, Kalmyk State University, Russie
Xavier Bitemo Ndiwulu, Université Kongo, République démocratique du Congo
Meryem Chiadmi, Université Mohammed V de Rabat, Maroc
Diéne Ousseynou Diouf, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal
Oumarou Faroukou Djibo, Université de Tahoua, Niger
Mallaye Douzounet, Université de N’Djaména, Tchad
Marie-Claude Drouin, Secrétaire générale de l’Association Réseau normalisation et
Francophonie
André Dumas Tsambou, Université de Yaoundé II, Cameroun
Théophile Dzaka-Kikouta, Université Marien Ngouabi de Brazzaville et Université
Kongo, République démocratique du Congo
Benjamin Fomba Kamga, Université de Yaoundé II, Cameroun
Karima Ghazouani, Université Mohammed V de Rabat, Maroc
Fatou Gueye, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal
Sanaa Haouata, Université Hassan II de Casablanca, Maroc
Nour Eddine Jallal, Université de Sidi Mohamed Ben Abdallah, Fès, Maroc
Meda M’wambere Judith, Université Norbert Zongo, Burkina Faso
Justin Kamavuako Diwavova, Université Kongo, République démocratique du Congo
Manfred Kouty, Institut des Relations internationales du Cameroun et Université de
Yaoundé II, Cameroun
Soulaimane Laghzaoui, Université Ibn Tofail (Kénitra), Maroc
Ahmadou Aly Mbaye, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal
Issa Abdou Moumoula, Université Norbert Zongo, Burkina Faso
Mamadou Ndione, Université de Bourgogne Franche-Comté, France
Yvette Onibon Doubogan, Université de Parakou, Bénin
Riveltd Rakotomanana, Directeur exécutif du Centre d’Excellence en Entrepreneuriat
370 • Développement économique et emploi en Afrique fr ancophone

Tsoavina Randriamanalina, ISCAM, Business School, Madagascar


Jérôme Rossier, Université de Lausanne, Suisse
Bakouan Saiba, Université Norbert Zongo, Burkina Faso
Ismaïla Sène, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal
Mounia Sliman, Université Ibn Tofail (Kénitra), Maroc
Sanae Solhi, Université Mohammed V de Rabat, Maroc
Joel Stephan Tagne, Université de Ngaoundéré, Cameroun
Gérard Tchouassi, Université de Yaoundé II, Cameroun
Sara Yassine, Université Hassan II, Casablanca, Maroc
Table des matières

Introduction 5

PARTIE I
entrepreneuriat en afrique :
entre nécessité et opportunité

CHAPITRE 1
Dualité du marché du travail, emplois et entrepreneuriat en Afrique 16

CHAPITRE 2
Enjeux et perspectives de l­ ’entrepreneuriat des jeunes en Afrique
francophone 40

CHAPITRE 3
Entrepreneuriat au Burkina Faso : lueur d’espoir pour une jeunesse de
plus en plus ambitieuse 70

CHAPITRE 4
L’entrepreneuriat, une solution contre le chômage des jeunes 93

PARTIE II
création de la valeur et innovation par l’entrepreneuriat

CHAPITRE 5
La maîtrise des normes par les entrepreneurs africains 114

CHAPITRE 6
L’entrepreneuriat à l’ère de l’économie numérique en Afrique 136

CHAPITRE 7
Adoption d’innovation, esprit ­d’entrepreneuriat et PMME
en Afrique subsaharienne francophone 155
PARTIE III
formation et éducation à l’entrepreneuriat :
analyses et études de cas

CHAPITRE 8
L’intégration graduelle de l’entrepreneuriat dans l’université
marocaine 180

CHAPITRE 9
L’éducation à l’entrepreneuriat : enjeux dans la réussite des projets
entrepreneuriaux des jeunes au Sénégal 204

CHAPITRE 10
L’éducation à l’entrepreneuriat à l’université 225

PARTIE IV
efficacité des dispositifs d’accompagnement :
le cas des incubateurs

CHAPITRE 11
Les incubateurs universitaires pour les jeunes entrepreneurs 248

CHAPITRE 12
La performance de l’accompagnement entrepreneurial dans
le contexte marocain 267

CHAPITRE 13
Le Centre d’excellence en entrepreneuriat (le CEENTRE) 287

PARTIE V
contraintes de financement
et entrepreneuriat

CHAPITRE 14
Rôle des institutions de microfinance dans le financement
de l’entrepreneuriat féminin 306

CHAPITRE 15
Microfinance et promotion de l’entrepreneuriat
des jeunes ruraux au Niger 325

CHAPITRE 16
Recours croissant aux PPP en Afrique francophone 351
Les collaborateurs 369
La question de l’emploi est cruciale pour tous les pays en déve-
loppement et, en particulier, pour les pays africains. Poussée par
une démographie galopante, la population en âge de travailler
augmente à un rythme exponentiel ; celui des économies à
générer des emplois décents est beaucoup plus lent. De manière
générale, l’Afrique est un endroit où il est difficile de trouver un
poste de qualité et la situation peine à s’améliorer. Les jeunes et
les femmes font face à des problèmes d’employabilité, à de longs
délais et à la précarité du travail disponible.
L’entrepreneuriat peut jouer un rôle important non seulement
dans l’insertion professionnelle des jeunes et des femmes, mais
aussi dans l’essor économique de l’Afrique francophone. D’où
l’intérêt grandissant porté à cette question tant par le monde
universitaire que politique.
Si les États savaient comment mettre à profit la volonté entre-
preneuriale des jeunes et des femmes, ils pourraient s’engager
dans une véritable transformation économique qui mènerait
à un développement durable. Pour y arriver, ils doivent s’attaquer
aux obstacles à l’initiative privée. Cet ouvrage présente des études
à la fois descriptives et analytiques pour aider à comprendre
ce que les gouvernements peuvent faire pour améliorer la
situation de l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes en
Afrique francophone.

Brahim Boudarbat est professeur titulaire et directeur de l’Observatoire de la 


Francophonie économique de l’Université de Montréal.
Ahmadou Aly Mbaye est professeur d’économie et directeur du Laboratoire 
d’analyse des politiques de développement à l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar.

isbn 978-2-7606-4202-7
44,95 $ • 40 e
Couverture : © michaeljung/Shutterstock.com

Disponible en version numérique


www.pum.umontreal.ca

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