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19e Congrès de Maîtrise des Risques et Sûreté de Fonctionnement - Dijon 21-23 octobre 2014

METHODOLOGIE D’AIDE A LA REDACTION D’UN CAHIER DES CHARGES


BASEE SUR L’USAGE
A SPECIFICATION METHODOLOGY BASED ON USE

Marsot Jacques, Fadier Elie et Daille-Lefèvre Bruno Roignot Rémy et Falconnet Elodie
Institut national de recherche et de sécurité (INRS) Pôle Innovation Conception Simulation
1, rue du Morvan 7 rue de la Presse - B.P. 802
54519 Vandoeuvre cedex 42952 Saint-Etienne cedex 9
Pôle Performance Industrielle et Durable
52, av. Félix Louat - B.P. 80067
60304 SENLIS cedex

Résumé
Faisant suite au congrès lambda mu 18, cette communication présente l’application des travaux menés de façon conjointe
entre l’INRS et le CETIM sur l’intégration des exigences de prévention des risques professionnels dans les cahiers des
charges de futurs équipements de travail.
Ainsi, après un rappel de la problématique et du contexte, une méthodologie d’expression des besoins à destination des
PME/PMI est proposée. Elle s’appuie sur l’analyse fonctionnelle du besoin et la notion de situations de travail telle que
précédemment développée à l’INRS. L’objectif final est d’amener le binôme « donneur d’ordre-concepteur » à élaborer, non
seulement le cahier des charges du système technique mais aussi celui des situations de travail associées.
Un exemple industriel illustre l’application de cette méthodologie, du point de vue du donneur d’ordre puis du concepteur, et en
montre sa simplicité et ses effets, au-delà de la prévention des risques professionnels.

Summary
This paper describes the work jointly between INRS and CETIM to take risk prevention into account in the specifications drawn
up when considering buying or designing work equipment (special machine, individual workstation, assembly line, etc.).
After a brief reminder of this problem and its context, a specification methodology based on use for SMEs / SMIs is proposed.
From the theoretical point of view, it is based on the functional analysis method and the concept of work situations as defined by
INRS during previous research work. The aim is to encourage the “order giver – designer” binomial to develop, within a dynamic
of dialogue, a specification of a work situation and not only of a technical system.
We will present a real industrial application case, showing the methodology simplicity and its effects beyond professional risks
prevention.

Problématique

Cette communication fait suite à la proposition d’une « démarche de spécification basée sur l’analyse fonctionnelle du besoin et
la notion de situations de travail » présentée lors du congrès lambda mu 18. Sur la base des principes méthodologiques
proposés alors, un deuxième cas d’application industrielle nous a servi d’une part à affiner les principes de la démarche et
d’autre part à valider sa cohérence et sa faisabilité. Il s’agit ici de présenter la totalité de la démarche, suivi d’un cas
d’application. Nous rappelons que cette méthodologie vise à intégrer l’ensemble des fonctionnalités du système, dont la
prévention des risques (santé et sécurité), au plus tôt dans le processus de conception d’une machine (ligne de production,
sous-ensemble de machine, poste de travail…).

Rappel du contexte et état de l’art


La conception est un processus complexe, son activité s’apparente à des situations de résolution de problèmes (Darses 2006).
De plus, en matière de conception, plusieurs faits sont souvent soulignés (Falzon 1994 et 2006 ; De la Garza 2005) :
- Considérer la conception comme une résolution de problèmes bien définis.
- Concevoir, c'est surtout proposer une solution.
- La phase de conception s’achève par la livraison du produit conçu.
- Le fonctionnement nominal est souvent la base de raisonnement et les décisions sont prises en se basant sur
l'efficacité du choix technique (approche fonctionnelle),
- Les concepteurs se substituent souvent aux opérateurs.
- La réutilisation des solutions anciennes ne sont pas testées en situations.
- Les mesures de prévention se limitent aux solutions normatives.
- Le retour d'expérience n'est pas systématique.
- La prévention est une prescription faible et elle n'est jamais explicitée comme un objectif de départ.

D’autres travaux (Hasan et al., 2003 ; Falck 2012) ont souligné le statut particulier de la prévention en phase de conception. Elle
suit une obligation réglementaire, elle se résume généralement à des phrases stéréotypées du type « doit respecter le code du
travail… », « doit être conforme à la réglementation et aux normes en vigueur… », « doit respecter les principes ergonomiques…
». De ce fait, les prescripteurs font l’économie de détailler ces aspects « Hygiène-Sécurité-Ergonomie » dans les cahiers des
charges, comparativement à ceux purement fonctionnels. Aussi, la prévention est souvent portée par un expert qui n’est pas
toujours considéré comme un véritable acteur de conception.

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Dans le cas où ces aspects sont pris en compte, ils se réalisent par opposition à la production, deviennent une contrainte à
double effets :
- pour le concepteur, les fonctions de sécurité sont greffées sur le système technique ce qui réduit le champ des
possibles pour le choix des mesures de préventions,
- pour l'utilisateur, les solutions retenues s'opposent souvent aux exigences implicites du travail qui n’ont pas été
intégrées.

En conséquence, le concepteur aborde la prévention des risques de façon secondaire, tardive et, de ce fait, dissociée par
rapport aux objectifs fonctionnels. Les mesures prises ont alors comme principal objectif de satisfaire le point de vue
réglementaire. Certes, l'équipement sera conforme mais on ne peut pas considérer qu'il s'agisse là d'une réelle intégration de la
sécurité à la conception prenant en compte les usages futurs, y compris ceux que la directive « Machines » nomme les «
mauvais usages raisonnablement prévisibles ». Ces faits sont accentués par des exemples quotidiens. Une analyse des récits
d’accidents contenus dans la base de données EPICEA 1 de l’INRS, montre que plus de la moitié des accidents impliquant des
systèmes automatisés surviennent sur des machines qualifiées de « conformes », notamment du fait d’un manque de prise en
compte des conditions de fonctionnement dégradées. Un constat similaire sur l’absence de prise en compte des usages a été
fait par Fadier et al. (2006). Par ailleurs, les travaux de Neboit et al. (2002) ont défini le concept des activités limites tolérées à
l’usage (ALU) comme le seul moyen permettant à un système dit « conforme » d’atteindre ses objectifs de production. La notion
de prévention intégrée est dans ce sens remplacée par une prévention efficace mais très fragile (Fadier et al., 2003).

Par ailleurs, bien que cette notion de « prévention intégrée» ait été largement étudiée par la communauté scientifique, peu de
travaux s’appliquent à cette phase de spécifications. En effet, selon qu’ils sont issus des sciences de l’ingénieur ou des sciences
humaines, ces travaux portent principalement sur le processus global de conception (Ghemraoui et al., 2009 ; Neumann et al.,
2012) ou sur l’activité des concepteurs (Béguin, 2008; Lamonde et al., 2010). Aussi, Martin et al. (2003) constatent que dans le
domaine de l’ingénierie de conception, les travaux de recherches s’intéressent essentiellement aux produits de grande série et
que la phase de spécifications est peu étudiée. Toutefois, l’analyse de quelques travaux qui abordent la phase de spécifications
souligne la nécessité :
- d’une élaboration itérative du cahier des charges. Ce dernier ne doit pas être considéré comme un simple document
de formalisation des besoins ou de consultation de prix mais comme un outil de communication entre le client et les
fournisseurs, qui doit pouvoir évoluer tout au long du projet (Tierno et al., 2009);
- de donner un véritable statut à la prévention (sécurité et santé) pour que ces spécifications puissent dépasser le stade
des références aux normes et autres référentiels de prévention propres à chaque domaine et équipement industriel.
- de porter une attention particulière sur les usages et les contraintes des situations « futures probables » en s’appuyant,
dans la mesure du possible, sur l’analyse des situations existantes les plus proches (Prudhomme et al., 2003 ; Sagot
et al., 2003 ; Moraes et al., 2012).

Méthodologie proposée
Afin de répondre à cette problématique, il nous est apparu nécessaire de formaliser une démarche permettant aux PME-PMI
d’intégrer différemment les aspects santé et sécurité dans leurs cahiers des charges en vue de l’acquisition, ou de la réalisation,
d'un nouvel équipement de travail (machine spéciale, poste de travail individuel, ligne d'assemblage, etc.). L’objectif est
d’amener le binôme « donneur d’ordre - concepteur » à définir, dans une dynamique de dialogue, l’ensemble des données
nécessaires, notamment celles liées aux usages (actuels et futurs).
Pour faciliter l’appropriation de cette démarche par les acteurs de conception, il convient de s’appuyer sur les outils couramment
utilisés par les industriels, tels que l’analyse fonctionnelle du besoin.

En effet, l’analyse fonctionnelle du besoin (AFB) est un outil couramment utilisé en conception et, notamment, pour l’étape de
spécifications.
Si plusieurs travaux mettent en avant les apports de l’AFB vis-à-vis de la démarche de prévention intégrée (Marsot et al., 2004 ;
L’Huillier et al., 2010), du fait de son caractère pluridisciplinaire et participatif, en revanche d’autres en montrent les limites
(Fadier et al., 1998), notamment sur sa capacité à spécifier les différents contextes d’utilisation et l’activité future des utilisateurs.
Faisant ce même constat, Houssin et al. (2012) et Sun et al. (2013), proposent de compléter l’AFB par une spécification explicite
des tâches, manuelles ou techniques, accomplies par les fonctions.
Nous rappelons que le fonctionnement nominal est souvent la base de ce raisonnement, et les décisions sont prises en se
basant sur l'efficacité du choix technique. De ce fait, l’activité future des opérateurs est une sortie de conception et n’est jamais
prise comme entrée dans les spécifications.

Les exigences de prévention peuvent être intégrées à l’AFB sur plusieurs niveaux avec les résultats nuancés suivants :

1
EPICEA : Etude de Prévention par Informatisation des Comptes rendus d’Enquêtes d’Accidents du travail

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Niveaux Atouts Limites


er
1 - contraintes le formalisme de l’AFB tel que décrit dans la Elles conduisent à spécifier les exigences de
générales norme NF X 50-151 amène le groupe de travail à prévention de façon dissociée des exigences
définir des contraintes générales dans lesquelles fonctionnelles alors que c’est justement l’écueil
figurent de façon explicite des questions sur les que l’on cherche à éviter.
exigences en matière de sécurité, d’ergonomie,
sur le respect de standards, de normes.

2ème - en tant que La prévention est exprimée sous forme de Dès lors qu’il s’agit de spécifier un équipement de
fonctions spécifiques, fonctions spécifiques. Ceci n’est pertinent que travail complet, cette approche peut conduire les
dites « de lorsque le système à concevoir a effectivement concepteurs à privilégier la mise en place de
prévention » comme finalité de satisfaire une (des) fonction(s) moyens de protection (solutions techniques
de sécurité, ce qui est souvent le cas s’il s’agit de répondant aux fonctions de prévention) au
développer des systèmes de protection, par détriment de mesures de prévention intrinsèques
exemple la conception d’un protecteur de scie à comme préconisées par la directive « machines ».
ruban. Là encore, les concepteurs auront tendance à
aborder la prévention de façon dissociée des
objectifs fonctionnels.

3ème - en tant que Il s’agit de définir, pour chaque fonction, les Dans cette approche, la santé et la sécurité ne
caractéristiques de paramètres ayant un impact sur les aspects santé- sont pas décrites explicitement, ce qui les rend
chaque fonction sécurité. Cela revient à spécifier que chaque invisibles et, de ce fait, peut amener à penser
fonction doit être sûre. qu’elles ne sont pas prises en compte comme une
obligation de moyen par exemple.

Table 1. Apports et limites des différents niveaux d’intégration de la prévention dans l’analyse fonctionnelle du besoin

Ce troisième niveau d’intégration de la prévention dans l’AFB a été retenu car il répond davantage aux objectifs du concept de «
prévention intégrée ». En effet, les aspects santé-sécurité sont dans ce cas imbriqués dans la décomposition fonctionnelle du
futur équipement de travail. Ils ne sont plus dissociés comme dans les autres niveaux.

Concrètement, la démarche d’AFB, qui comporte classiquement trois étapes, comme le montre la table 2, est enrichie au niveau
de la phase de caractérisation. Classiquement, les critères d’appréciation sont laissés à la libre expression du commanditaire
(utilisateur). Il est proposé ici d’élaborer un ensemble de questions structuré permettant d’identifier judicieusement les critères
d’usage associés à chaque fonction. Cette deuxième phase devient alors la « charnière » de la méthodologie proposée.

Etapes de l’analyse fonctionnelle du besoin Outils habituels Proposition


Recherche et ordonnancement des fonctions attendues « bête à corne », diagramme Idem
du futur équipement de travail dans les différentes étapes « pieuvre »
de son cycle de vie.
Caractérisation des fonctions identifiées ; elle vise à Pas d’outil : expression libre des Adaptation du QQOQCPC pour
préciser les critères d’appréciation de chaque fonction. caractéristiques souhaitées identifier les critères d’usages de
chaque fonction.
Hiérarchisation et valorisation des fonctions. Comparaison des fonctions deux idem
à deux ; analyse de la valeur

Table 2. Les trois étapes de l’analyse fonctionnelle et les outils associés

Sur ce point, cette méthodologie est innovante dans le domaine de la conception, car elle caractérise chaque couple « fonction
technique - usage » dans l’analyse fonctionnelle du besoin en lien avec le modèle de situations de travail « MOSTRA » issu de
précédents travaux de recherche menés par l’INRS sur l’intégration de la prévention à la conception (Houssin et al., 2006). En
facilitant la prise en compte des données multipoints de vue et multi-métiers, notamment au travers de la notion de risque, ce
modèle a comme objectif d’amener les « technologues » que sont les ingénieurs et techniciens de bureaux d’études à passer de
la conception de systèmes techniques à celle de situations de travail.
Comme le montre la figure ci-dessous, en plus des items technologiques (système, fonctions, solutions techniques,
consommables) habituellement exploités par les concepteurs, ce modèle MOSTRA les incite à prendre en compte ceux traitant
de l’Homme, de la tâche prescrite et de la notion de risque (zone, phénomène, événement dangereux, mesures de sécurité…).

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Figure 1. Modèle de situations de travail (MOSTRA) (Houssin et al., 2006)

Questionnaire proposé par la méthodologie


Il existe de nombreuses techniques basées sur l'approche ergonomique pour collecter les données traitant de l’usage (entretiens
semi-directifs des personnes concernées, observations des activités, recueil par voie de questionnaires, analyse des tâches,
réunions participatives…). Ces analyses, perçues comme chronophages par les concepteurs (chef de projets, ingénieurs et
techniciens de bureau d’études), dissuadent ces derniers de les mettre en œuvre compte tenu des diverses contraintes des
projets (financières, délais…). De plus, les critères issus de ces analyses, malgré leur intérêt, n’ont jamais été intégrés de
manière efficiente dans les spécifications.
En réponse, nous avons donc recherché un mode de questionnement simple et structuré pour permettre d’associer les données
liées à l’usage à chaque fonction identifiée. Nous avons pour cela retenu et adapté l’outil QQOQCPC (Qui, Quoi, Où, Quand,
Comment, Pourquoi et Combien) bien connu des industriels et souvent utilisé en résolution de problèmes (Tapan, 2010). A
l’usage, lors des cas d’application industrielle, les informations quantitatives, telles que longueur, épaisseur, durée, quantité, sont
exprimés pour l’ensemble de ces questions, rendant redondante ou inutile la dernière question : combien.
La constitution d’un groupe de travail impliquant concepteurs, utilisateurs, ergonomes, équipes de maintenance, etc., permet de
réaliser cette phase de façon participative. Il est bien entendu important d’adapter le groupe à la complexité du projet et aux
caractéristiques de l’entreprise (ressources, taille…). La présence des opérateurs finaux est encouragée car ce sont eux les
premiers détenteurs des éléments d’usage réels. Dans le cas de conception innovante, il conviendra de rechercher des
similitudes avec des éléments existants pour bénéficier de ces informations sur l’usage.
Le groupe est sollicité pour répondre aux questions suivantes, répétées pour chaque fonction :

Questions Raisons du questionnement


Pourquoi cette fonction, cette intervention…? Le fait de le noter explicitement permettra de remettre éventuellement
en cause ce besoin lors de la négociation entre le « client » et le «
fournisseur »,
Sur Quoi agit cette fonction, cette intervention… ? Cette question permet de préciser le produit, le processus, la partie de
machine concernée, en indiquant son état, sa quantité, son poids…
Qui ou qu’est-ce qui intervient pour réaliser cette Quel (s) opérateur(s) va (vont) intervenir (nombre, qualifications…) ?
fonction, cette intervention… ? Quelle partie de machine, dans le cas de fonctionnement « en
automatique » ?
Comment se déroule la fonction, l’intervention… ? Ici, il sera question de mode opératoire, de procédé, et également de
moyens, d’outillages nécessaires ou exclus.
Où se déroule la fonction ? Dans quel environnement, dans quelle zone a lieu la fonction ou
l’intervention ?
Quand se déroule la fonction? A quelle étape, à quelle fréquence, se produit la fonction ou
l’intervention ?

Table 3. Enumération des questions et leurs raisons d’être

Pour vérifier la capacité de ce questionnaire à décrire l’usage, une comparaison avec le modèle de situation de travail
(MOSTRA) a été menée. Intégrer ce mode de questionnement (cf. Table 3) dans le modèle MOSTRA permet d’instancier
complètement les différents objets en lien avec la fonction, selon les caractéristiques des situations de travail (cf. Figure 2). Cela
valide le questionnaire proposé dans son objectif de décrire les usages du futur équipement de travail.

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Figure 2. Illustration des liens entre le questionnement proposé et le modèle de situations de travail MOSTRA

Applications industrielles et résultats


Deux cas industriels ont été menés. Le premier concerne l’accompagnement d’un concepteur dans la réalisation d’une machine
spéciale (usinage de profilé métallique). Ce cas a fait l’objet d’une présentation au lambda mu 18 (Daille-Lefèvre et al., 2012). Il
en résulte un intérêt manifeste, tant du point de vue de la prévention des risques que du point de vue opérationnel, d’avoir un
cahier des charges basé sur une décomposition fonctionnelle intégrant les usages futurs prévisibles.
Le deuxième cas industriel concerne l’accompagnement d’un commanditaire pour formaliser un cahier des charges. Ce fabricant
de panneaux isolants souhaitait augmenter sa capacité de production par l’achat d’une nouvelle ligne de fabrication automatisée.
Cette entreprise avait des difficultés à comparer et choisir parmi quatre réponses de fournisseurs qui ont répondu à un appel
d’offre succinct (tenant sur un format A4). Le commanditaire exprimait le besoin de s’appuyer sur une démarche d’appel d’offres
plus structurée.
Lors de la mise en œuvre de cette méthodologie à l’ensemble des fonctions de la future ligne de production, les bénéfices de la
démarche sont apparus au chef d’entreprise et au groupe de travail associé. Ainsi, par exemple, pour la fonction intitulée : «
approvisionner une bobine d’aluminium », le groupe de travail a répondu à la question « Comment ? » : « avec un chariot
élévateur », ce moyen étant le seul à sa disposition. Or, toutes les offres « catalogues » précédemment obtenues supposaient
l’utilisation d’un pont roulant. Le groupe a compris alors la nécessité de mieux définir les usages prévus et les moyens existants
afin d’éviter soit des investissements supplémentaires (achat et implantation d’un pont roulant), soit des risques d’accidents du
fait de moyens de manutention des bobines inadaptés à l’accès vertical de ce poste de chargement.
L’application de l’AFB a permis d’identifier 33 fonctions qui ont ensuite été caractérisées selon la méthode proposée (8 réunions
sur 2 mois pour un total de 50 heures environ) (cf. Table 4).

Table 4. Extrait d’un cahier des charges, fonction F 1.4 « permettre la production en continu sur deux bobines consécutives »

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Sur la base des spécifications ainsi établies une seconde consultation a été réalisée avec, en retour, des offres proposant, pour
chaque fonction, des solutions techniques et une description de l’usage par les opérateurs (cf. Table 5).

Table 5. Extrait de la réponse à l’appel d’offre, fonction F 1.4

La table 5 illustre le cadre de réponse utilisé par un des fabricants. Ce dernier, en plus des justifications techniques pour chaque
fonction, a pris en compte l'usage prévu. Ainsi, l’exemple cité dans la table 4 suppose une production en continu, ce qui implique
une activité de chargement par un opérateur dédié (appelé ici "chargeur"), avec un mode opératoire bien défini (« la bande
s’applique manuellement » ; « contrôler la position des 2 couches en acier »), utilisant des consommables (« avec du ruban
adhésif »), et prenant en compte l'évolution future de la machine (« système prêt pour la future application du mode automatique
»).

De plus, pour cette fonction «permettre la production en continu », à la question « qui ?» notre partenaire industriel (le client)
souhaitait un changement de bobines entièrement automatisé pour produire deux séries consécutives sans arrêt (cf. Table 4).
Au regard des réponses des fabricants, le coût de cette fonction n’était pas compatible avec le budget prévisionnel. Après
négociation, le client et le fournisseur retenu se sont accordés sur une nouvelle caractérisation de cette fonction tant du point de
vue des fonctionnalités techniques que des usages. La solution retenue pour le changement de bobine nécessite un arrêt de la
ligne et le client a pris en compte le surcroit de charge de travail que cela implique au niveau de ses opérateurs.
Cet exemple montre également l'intérêt du mode de questionnement proposé pour soutenir le dialogue entre le client et les
fournisseurs tout en prenant en compte les modifications des choix des futurs usages que cela implique.

Suite à l'appel d'offre ainsi formulé et négocié, la commande de la nouvelle ligne a été engagée par le « client » auprès de ce
fournisseur en juillet 2013 et la livraison de l'équipement est prévue vers la mi 2014.

Conclusion
Les industriels « clients » qui ont utilisé la méthodologie proposée ici ont été satisfaits des résultats obtenus et de l’utilité de la
méthode pour bâtir un cahier des charges en vue de l’achat d’une nouvelle machine de production. En effet, la méthodologie leur
est apparue simple et son appropriation ne leur a pas posé de problème, notamment lors des phases de travail avec les
opérateurs entre deux réunions. Au-delà des bénéfices reconnus de l’analyse fonctionnelle du besoin (AFB) pour structurer
l’élaboration d’un cahier des charges, le mode de questionnement proposé pour caractériser chaque fonction leur a
effectivement permis l’enrichir par des données issues du retour d’expérience des équipes de production sur les usages
envisagés des futures machines. Cette description des usages, des habitudes et moyens de travail facilite l’intégration de la
sécurité en évitant des situations à risques (exemple cité de la manipulation des bobines d’aluminium)
De plus, le sérieux et la complétude de l’analyse du besoin aboutissant à un document structuré et argumenté ont facilité
l’accompagnement de l’industriel par les partenaires financiers (banques, fonds d’investissement…).

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Du point de vue des « fournisseurs », le cahier des charges obtenu par cette méthodologie a permis non seulement une
meilleure compréhension des besoins du client, mais aussi une identification des fonctions réclamant un développement
particulier du fait des usages attendus, prenant en compte de manière explicite le travail de l’opérateur ou les risques industriels.
De ce fait, les machines « catalogues » proposées ne peuvent plus suffire pour répondre aux besoins exprimés. Enfin, cette
expression des usages, fonction par fonction, a offert un cadre de réponse permettant une comparaison des offres à la fois du
point de vue technique, des usages et bien sûr financier.

Ces points issus du cas d’application industrielle permettent de conclure positivement sur l'intérêt et l'efficacité pour la prévention
et pour les PME de la méthode proposée, tout en la replaçant dans son contexte plus global de l'appel d'offre lors de l'achat d'un
équipement de travail.

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