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Aïe, Juanita 

!
Samedi 31 mars 2001
(LE MONDE TELEVISION)

VOYAGE AVEC LA CUMBIA. Plongée dans une musique issue de la rencontre


entre des esclaves noirs, des Indiens et les conquistadors

C'EST un de ces bars de campagne comme on en voit dans les Caraïbes - baraque en bois,
auvent. On entend le battement des tambours qu'accompagnent un accordéon et des
quacharacas. Une voix nasale lance un thème que le choeur reprend. Bientôt la pulsation
est telle qu'elle arrache les habitués de leur banc. Ils avancent, genoux fléchis, épaules
immobiles, le buste se balance tandis que les jambes tricotent furieusement.

La cumbia est à la Colombie ce que le gro'ka est à la Guadeloupe, le reggae à la Jamaïque,


la samba au Brésil, la salsa à Cuba. Mêmes racines - noires - que le jazz, le blues, le rock,
métissées selon les abus de l'histoire. Ici les Indiens et les Espagnols ont ajouté leurs
instruments aux tambours, donnant ce rythme particulier, syncopé sur un demi-temps.

"La cumbia se danse en traînant les pieds, pour rappeler les chaînes des esclaves,
explique Yvan Benavides. Comme pour dire : même attachés, quand on danse, on est
libres." Le leader du groupe Bloque, qui joue un rock métissé de cumbia, reprit le premier
le rythme ancestral pour exprimer sa rage urbaine. D'autres ont suivi, mariant rap et
cumbia, cumbia et funk, comme Manguala, qu'on peut entendre dans les rues de Bogota - 
"immense banlieue d'une ville qui n'existe pas" . Benavides connaît la violence de son
pays, mais ne croit pas à l'efficacité des discours.

Le groupe chante, avec une hargne électrisante : "Mon Dieu, Ma Patrie, Ma Famille, Ma
Maison, Mon Club, Ma Voiture, Ma Femme, Ma Brosse à dents, Ma Vie, Mon Cancer,
Mes Vers : ça sent mauvais !" devant des jeunes en liesse. "On fait la fête et le monde
s'écroule. Le pays sombre et nous on danse sur les ruines", analyse-t-il. Il sait que sa
musique ne fait pas la révolution, mais "danser ou chanter nos rages, nos peines, ça nous
nettoie, ça nous rend meilleurs".

Il y a du feeling dans ce film sur la cumbia. Carmen Castillo et Sylvie Blum ont parcouru
le pays, à la rencontre des grands interprètes et des gardiens de la tradition. De
Carthagène, où la cumbia est née il y a trois siècles et est encore jouée par des musiciens
noirs comme El Diablo, à Bogota, de Barranquilla à Maracaïbo, ce documentaire tourne
un peu à l'inventaire. Mais quel plaisir d'écouter les vieux maîtres, les orchestres tropicaux
qui ont connu la gloire avec des stars comme Nelson Henriquez ou Pastor Lopez.
D'entendre : "Tu es bien jolie mais menteuse" ou "Recouds mon pantalon, Juanita/Aïe
Juanita, on voit mon caleçon" .
C. H.
"Danser ou chanter nos rages, nos peines, ça nous nettoie, ça nous rend meilleurs"

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