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UNIVERSITE DE POITIERS
SCIENCES HUMAINES ET ARTS
Master 2 de Philosophie
Philosophie contemporaine 2 - Métaphysique des sciences
Gérard GRIG

15/03/2021

Explication de texte

Alexandre Guay et Thomas Pradeu, Right out of the box : How to situate metaphysics of
science in relation to other metaphysical approaches.
Synthese, Springer Verlag (Germany), In press, 197 (5), pp.1847-1866. ff10.1007/s11229-
017-1576-8ff. ffhal-01673344v2f.
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Philosophie contemporaine 2 - Métaphysique des sciences
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L’article d’Alexandre Guay et Thomas Pradeu, « Right out of the box : How to situate

metaphysics of science in relation to other metaphysical approaches » a été publié

dans un numéro spécial de la revue Synthèse intitulé « Nouvelle métaphysique de la

science », édité par Max Kistler en 2020. Dans cet article, les auteurs affirment que la

philosophie et les sciences sont nécessairement liées. Néanmoins, une conception

positiviste de la science s’oppose aux prétentions métaphysiques de la philosophie.

Inversement, la métaphysique, traditionnelle ou bien du sens commun, tend à oublier

les leçons des sciences et de leur philosophie. Or, s’il est infructueux de penser la

métaphysique en surplomb de la philosophie de la science, il convient de définir une

métaphysique de la science qui soit ouverte à toutes les conceptions de la

métaphysique. Existe-t-il une méthode combinatoire qui permette de surmonter les

oppositions binaires que suscite la doctrine étroite de la métaphysique scientifique, et

de voir les rapports véritables — et parfois possibles — qu’entretiendraient la science

et la métaphysique ?

Ainsi, de manière idéale, la métaphysique scientifique se définit comme réaliste,

universaliste et réductionniste (I). D’autre part, la métaphysique scientifique, dans sa

version extrême, a procédé à des simplifications excessives (II). Enfin, par une

méthode combinatoire, la métaphysique de la science, toujours en quête de nouvelles

pistes, peut s’ouvrir à des conceptions alternatives de la métaphysique (III).


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I) De manière idéale, la métaphysique scientifique se définit comme réaliste,

universaliste et réductionniste.

La métaphysique de la science prétend délivrer une connaissance métaphysique de la

nature basée sur la science contemporaine. À l'origine, il s'agit d'une évolution de la

philosophie des sciences, qui s'est éloignée du positivisme. En effet, celui-ci excluait

toute métaphysique, et même une métaphysique de la science.

La métaphysique de la science existe sous trois versions : modeste, intermédiaire et la

plus forte. La métaphysique de la nature, dans sa version la plus forte, repose sur les

principes du réalisme et de l’universalisme, et sur celui de la centralité de la physique.

Elle résout le problème de l’intégration de la métaphysique à la science, en intégrant la

métaphysique à la science. Elle est donc scientiste.

Sous sa forme extrême, la métaphysique scientifique a un objectif ontologique, car elle

est réaliste. C’est l’étude scientifique de la réalité ultime, atteignable par la logique ou

l’observation, puisqu’elle postule que les théories scientifiques sont référentes.

D’autre part, cette métaphysique se restreint aux théories actuelles de la physique, en

excluant celles de la biologie. Cette métaphysique est universaliste, car elle repose sur

des jugements synthétiques a posteriori. Selon elle, les énoncés analytiques, qui sont a

priori et tautologiques, sont dépourvus de contenu quant à la réalité du monde.

Cette métaphysique de la nature s’oppose donc à l’instrumentalisme et à son absence

d’entités réelles. Elle diffère de l’approche analytique, qui envisage la théorie

scientifique comme un langage doté d’une syntaxe. Elle se démarque aussi de l’option

épistémique de la philosophie des sciences, qui tente d’expliquer la vérité et le succès


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des théories scientifiques. À cet égard, la métaphysique naturaliste radicale s’oppose à

l’empirisme constructiviste de Bas van Fraassen, qui suspend son jugement quant à la

réalité ultime du monde, en refusant même le terme de « métaphysique ».

Dans la seconde moitié du XXème siècle, des philosophes comme Lewis, Armstrong

et Ellis ont appliqué la métaphysique à la science. Au XXIème siècle, ils ont eu des

disciples, tels Bird, Lowe, Chakravarthy, Mumford et Tugby. Ces philosophes ont

tenté d'enrichir les concepts traditionnels de la métaphysique, comme « causalité »,

« loi », « individu » à partir des résultats des sciences actuelles.

Néanmoins, selon la métaphysique scientifique dans sa version la plus forte, le

réalisme modal de David Lewis est illusoire. Il emprunterait une fausse voie réaliste,

qui est une forme d'idéalisme. Son réalisme modal soutient qu'il existe un nombre

infini de mondes possibles et causalement isolés les uns des autres. C’est pourquoi il

privilégie le contingent a priori sur le nécessaire a posteriori, et il déduit le possible

réel du possible logique. D’autre part, le réductionnisme de Lewis concerne la

psychologie cognitive, et non la physique.

Selon les métaphysiciens scientistes, les sciences physiques sont le point de départ et

le guide de la métaphysique (Cf. Readhead, Ladyman, Ross, Maudlin, Kincaid,

French).

Ainsi, la mécanique statistique conduit à supposer l’indiscernabilité des particules,

même si elles peuvent être comptées. En métaphysique, cela implique qu’il n’y a pas

d’individus, ou bien qu'il faille modifier la notion d'individualité à cause de la faible

distinction de l'individualité quantique.


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Néanmoins, dans la connaissance métaphysique de la nature, pourquoi s’interdirait-on

de faire la part de l’intuition, de la psychologie populaire et du noyau cognitif ?

II) La métaphysique scientifique, dans sa version extrême, a procédé à des

simplifications excessives.

Les métaphysiciens scientistes prennent pour cible une conception alternative de la

métaphysique naturaliste, mais cette cible n'est pas indiquée de manière précise, et

avec une argumentation suffisante. Ils excluent, sans autre forme de procès,

l’idéalisme et le pragmatisme, qui ont une riche histoire dans la tradition de penseurs

qui étaient aussi des savants.

La cible des métaphysiciens scientistes est désignée tantôt comme la métaphysique a

priori, tantôt comme la métaphysique intuitive, ou encore comme la métaphysique

académique « dans un fauteuil ». Ils produisent une caricature du métaphysicien des

sciences, qui est réaliste et universaliste, mais qui fonde son raisonnement sur

l'intuition et des considérations a priori.

Ensuite, l'approche de la métaphysique scientifique par trois principes, — le réalisme,

l'universalisme ontologique et le réductionnisme physique — est critiquable. Ceux-ci

pourraient être apparus de manière contingente, dans la construction de la science

contemporaine. D’ailleurs, certains métaphysiciens scientistes ne les admettent pas

tous les trois.

Il n’est pas évident que la métaphysique de la science soit nécessairement réaliste,

basée uniquement sur la physique, et fondée sur des considérations a posteriori plutôt

qu'a priori. S’il y a une réalité ultime, que la métaphysique étudie en s’appuyant sur
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les sciences actuelles, est-elle connaissable scientifiquement ? Y a-t-il un « réalisme

scientifique », comme le prétend Esfeld ? Ou bien ne serait-il pas supposé par une

forme particulière de représentation adéquate de la réalité ultime ? Le réalisme n’est

pas intrinsèquement erroné, mais il ne devrait pas être la seule option en métaphysique

de la science.

Kant, dans les Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, a donné

une base antiréaliste aux principes de Newton. Son concept de matière en mouvement

s'appuie sur la catégorie mathématique de la quantité, parce que la nature est

partiellement construite par nous, et que la métaphysique n’étudie pas nécessairement

un monde indépendant de l'esprit. Strawson a repris la thèse kantienne. D’ailleurs,

l’antiréalisme est aussi au cœur de l'empirisme structurel et non-métaphysique de Bas

van Fraassen, ou dans la « locavéracité » de Ruetsche.

D’autre part, la métaphysique scientiste soutient l’exclusivité de la physique, sans

envisager toutes les difficultés suscitées par l’unification des théories, modèles et lois

de la science contemporaine sous l’égide de la physique et de ses protocoles de

vérification et confirmation. De plus, les métaphysiques de la nature négligent

l'importance des pratiques scientifiques, en se concentrant sur les théories.

La réduction à la physique s’explique par le fait que d'autres disciplines doivent tenir

compte des lois physiques, lesquelles ne s'appuient pas sur d'autres résultats

scientifiques. Sans exclure absolument le physicalisme ontologique, selon lequel tout

est composé d'entités physiques, il faut reconnaître qu’indépendamment de la

physique, la biologie et la chimie posent le problème capital de l'émergence

ontologique (Cf. Humphreys, Morrison, Guay et Sartenaer). En effet, une forme de


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finalité réapparaîtrait en biologie, car il y aurait des propriétés non aléatoires de

structures ordonnées produites par le hasard, par exemple les propriétés auto-

programmables du cerveau humain et les propriétés auto-transformables liées à sa

plasticité neuronale. Les biologistes constatent également le fait des propriétés auto-

réparatrices et auto-reproductives de la vie.

En outre, la métaphysique de la biologie s’interroge de façon pertinente sur la nature

métaphysique des individus et des espèces (Cf. Godfrey-Smith, Dupré, Pradeu,

Bouchard et Huneman). D’ailleurs, la métaphysique d’Aristote, philosophe orienté

vers les sciences, était fondée sur la biologie.

Cependant, la notion d'exclusivité est critiquable, car elle postule une seule approche

unificatrice de la métaphysique et de l'ontologie. Il existe des approches pluralistes ou

« promiscues » de la métaphysique de la science (Cf. Cartwright, Mitchell, Wimsatt,

Ruphy, Dupré).

III) Par une méthode combinatoire, la métaphysique de la science, toujours en

quête de nouvelles pistes, peut s’ouvrir à des conceptions alternatives de la

métaphysique.

La métaphysique de la science, envisagée par Guay et Pradeu, n'est pas la

métaphysique scientiste de Ladyman et Ross, car elle se veut plus large et ouverte

d'esprit. Elle prend en compte l'ensemble des sciences d'aujourd'hui, en mettant

l'accent sur leur pratique réelle, en termes de modélisation, simulations et mesures (Cf.

Hacking, Radder, Chen).


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L’état de la science retenue est bien celui de la science actuelle, et non celui de la

science du passé ou du futur. D'autre part, la métaphysique scientifique de Guay et

Pradeu n'admet pas l'évidence de théories comme le réalisme scientifique, le

réductionnisme, le physicalisme ou le matérialisme, car elles sont toujours en débat. Il

est permis d'être réaliste, ou antiréaliste, à condition d'argumenter sa thèse.

La méthode de Guay et Pradeu est la conciliation. Selon eux, il n'y a pas d'exclusivité

de la physique dans les sciences de la nature. En ce sens, le principe anthropique leur

donnerait raison, car il postule que les paramètres de l'univers physique sont réglés par

une forme de finalité, en ce qu'ils permettent la naissance et la survie d'observateurs

dans cet univers à un certain stade. D'ailleurs, des physiciens comme Stephen

Hawking ont affirmé que le principe anthropique conduit à l'antiréalisme, puisque la

réalité ultime restera cachée à l'observateur afin qu'il ne la modifie pas, et donc qu'il

survive.

Néanmoins, nous pourrions objecter que la conciliation peut aboutir à des conclusions

philosophiques hasardeuses, comme celles déduites de la théorie du gène égoïste de la

sociobiologie, qui met en parallèle l'évolution biologique et l'évolution des idées.

Il reste que la conciliation est féconde, lorsqu’elle combine localité et généralité, en

cherchant à généraliser les observations locales d'une science, par unification

intrascientifique et unification interscientifique. Cependant, cette unification n'est pas

réductrice, mais combinatoire, et elle a le mérite de dépasser les divisions

disciplinaires, qui sont contingentes et vouées à évoluer. Cette conception générale,

inclusive et ouverte de la métaphysique des sciences implique qu'elle puisse se

rapporter aussi à d'autres approches métaphysiques.


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Pour articuler la métaphysique scientifique avec d’autres projets traditionnels, les

auteurs imaginent donc une figure métaphysique tridimensionnelle, ou boîte

métaphysique. Sur trois de ces faces, les auteurs dessinent un axe. Sur la face du bas,

ces axes séparent respectivement la « métaphysique descriptive » de la « métaphysique

révisionniste », puis sur la face du fond la métaphysique a posteriori de la

métaphysique a priori, et enfin sur la face du dessus la « métaphysique de la science »

de la « métaphysique du sens commun » et de la « métaphysique traditionnelle ».

Toutefois, sur ce dernier axe, le trialisme de Wiggins parvient à combiner

métaphysique traditionnelle (logique d’Aristote) et métaphysique du sens commun

(étude du langage ordinaire).

Cette boîte permet de comparer les projets philosophiques et d’imaginer des projets

possibles à partir d’autres combinaisons. Nous constatons que la métaphysique de la

nature pourrait être a priori et descriptive, au lieu d’être a posteriori et révisionniste, et

qu’elle pourrait aussi bien se combiner avec la métaphysique traditionnelle. De même,

Strawson élabore une métaphysique descriptive, a priori et fondée sur le sens

commun, mais sa métaphysique descriptive aurait aussi bien pu être a posteriori et/ou

basée sur la science. En tant qu’il est descriptif et a priori, Strawson est kantien, mais

Kant n’a pas une métaphysique du sens commun, et il dialogue avec l’histoire de la

philosophie comme avec la science newtonienne. Certains auteurs ont alterné l’a

priori et l’a posteriori dans leur méthode.

La boîte de Guay et Pradeu classe Kant et Aristote dans les métaphysiciens descriptifs.

Descartes, Leibniz et Berkeley sont des métaphysiciens révisionnistes. Quant à la

métaphysique du sens commun, l’« image manifeste » de Wilfrid Sellars la définirait


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parfaitement, ou encore la tradition phénoménologique. Cependant, la métaphysique

du sens commun n’est pas obligatoirement descriptive, et elle est révisionniste dans le

cas de Berkeley. D’autre part, la métaphysique traditionnelle se base sur l’histoire

comme type d’autorité, et sur l’intuition et l’analyse conceptuelle, ainsi qu’on le voit

chez Aristote et Leibniz.

La métaphysique de la science, en s’appuyant sur les neurosciences, la biologie et les

sciences sociales, serait alors descriptive a posteriori, et révisionniste sans

contradiction si elle révèle l’existence de structures mentales stables et universelles.

Elle est également a priori, quand elle se base sur la réforme de notre structure

conceptuelle à partir de l’étude des sciences formelles comme les mathématiques, ainsi

que le fait Descartes. Nous voyons que la boîte de Guay et Pradeu évite les

simplifications.

L’ennemi de la métaphysique scientiste est la forme de métaphysique descriptive, a

priori et basée sur le sens commun. Or, il n’est nullement exclu que la métaphysique

réussisse à faire un équilibre entre la science, le sens commun et la métaphysique

traditionnelle. En effet, dans les sciences expérimentales, la notion d’individu reste

indissociable de la structure conceptuelle de la métaphysique traditionnelle.

Pour que la métaphysique scientifique ne soit pas une métaphysique scientiste, il

faudrait élargir son champ. Les auteurs de cet article privilégient donc une approche de

la métaphysique scientifique dans sa version intermédiaire ou modeste, car elle tient

compte de l'interprétation de la métaphysique appliquée à la science, sur laquelle elle

prime traditionnellement. Il reste que la métaphysique de la science doit être en


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cohérence avec les sciences actuelles, dans leur pratique autant que dans leurs théories.

C'est ainsi qu'il faudrait envisager le problème de l'intégration de la métaphysique à la

science. Cette conception de la métaphysique de la science, riche et ouverte, est loin de

la métaphysique scientiste et radicale de Ladyman et Ross. Elle est celle de l’avenir.

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