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Partant de ce constat, les travaux que nous présentons dans cette thèse tentent de
répondre à certaines de ces questions. Dans nos recherches portant sur ce phénomène
complexe, nous concentrerons notre attention sur deux notions fondamentales : la scalarité et
l’iconicité. Pour ce qui est de la première notion, bon nombre de travaux en phraséologie ont
montré que le figement est un phénomène scalaire dont les variations linguistiques sont
source de degré. Le second paramètre, l’iconicité attestée par la métaphore et la métonymie,
est important dans la construction du sens des expressions figées. Ces deux notions sont
centrales dans les recherches entreprises dans notre thèse dont l’objectif général est d’étudier
le figement en français et en arabe dialectal tunisien.
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Introduction générale
Le champ pluridisciplinaire se manifeste, en second lieu, dans le fait que notre travail
associe des recherches expérimentales auprès de locuteurs adultes à celles portant sur le
langage de jeunes enfants. Le premier volet expérimental est axé sur le traitement et la
connaissance des expressions figées par des adultes. Le figement présente certaines
spécificités, en l’occurrence le blocage des propriétés morphosyntaxiques distributionnelles et
transformationnelles, qui pourrait avoir un effet sur le traitement des expressions figées. Ce
phénomène convoque certaines notions comme celle de lexique mental, d’accès lexical et de
reconnaissance des mots. En psycholinguistique, le mot est conçu comme un ensemble
constitué d’entités observables (séquence sonore/ séquence écrite) et d’entités non
observables dont dispose le locuteur dans sa mémoire à long terme. Ce lexique mental est une
sorte de dictionnaire qui contient les informations d’une langue, et qui permet, à partir de ce
qui est entreposé en mémoire, d’accomplir une tâche langagière donnée. L’étude du
fonctionnement et de la structure du lexique mental est centrale pour les travaux
expérimentaux en psycholinguistique. Les objectifs de ces travaux sont de déterminer les
facteurs à l’œuvre dans le traitement et la reconnaissance des mots, et d’identifier le mode
d’accès au lexique mental, ainsi que la nature des représentations lexicales en mémoire. C’est
ainsi que, à côté des travaux qui se sont intéressés à l’étude des mots simples, d’autres mettent
l’accent sur les unités lexicales complexes. Leur but est de dégager les facteurs et les
spécificités morphologiques et sémantiques qui influencent le traitement et la reconnaissance
de telles unités, ainsi que les étapes de leur traitement. Cela a donné lieu à différents types de
modèles, selon qu’ils privilégient les modes d’accès direct (ou non compositionnel), ou qu’ils
sont en faveur d’un mode indirect (appelé compositionnel) ou mixte (le traitement dépend de
certains facteurs sémantiques et morphologiques : l’opacité, la transparence, etc.). Dans ce
contexte, notre recherche a pour but de comprendre les processus cognitifs à l’œuvre dans le
traitement de ces unités complexes dans les deux langues mises en contraste. A notre
connaissance, notre travail représente l’une des quelques études expérimentales sur le langage
figé, et l’une des seules étudiant les effets des deux facteurs linguistiques que sont le degré de
figement et l’iconicité.
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Introduction générale
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Introduction générale
incontestablement la première place parmi les autres langues. Les résultats de cette étude
seront exposés dans le chapitre III. A notre connaissance, il n’existe à ce jour pas d’études
portant sur les mécanismes cognitifs à l’œuvre dans le traitement des expressions figées du
français L2 par des arabophones tunisiens. Les travaux existants en L2 suivent une approche
didactique en s’intéressant au rôle joué par ce type d’expressions figées dans l’apprentissage
d’une langue seconde.
Les résultats obtenus dans les deux expériences et exposés dans les chapitres II et III,
ont montré que la familiarité et la fréquence ont aussi des effets sur le traitement de ce type de
séquences. Pour cette raison, nous avons réalisé une troisième expérience sur les expressions
figées en arabe dialectal tunisien. Ce test, dont les résultats seront exposés dans le chapitre IV,
cherche à déterminer l’effet des facteurs linguistiques, la scalarité et l’iconicité, ainsi que les
facteurs personnels et démographiques, l’âge et le sexe, sur la connaissance des expressions
figées par des locuteurs arabophones natifs. L’intérêt de cette recherche tient notamment à
l’absence d’études portant sur l’arabe tunisien dans ce domaine.
Ces recherches portant sur une population d’adultes sont complétées par une étude
exploratoire sur l’émergence des expressions figées ou semi-figées chez les enfants. Ce
travail, faisant l’objet du chapitre V, a pour objectif d’identifier et de recenser les différents
types de séquences figées ou partiellement figées présentes dans la production précoce et de
quantifier leur développement (entre 1 et 4 ans). Il suit la double problématique de
l’émergence et de la comparaison interlangue. Nous comparons les productions de deux
enfants : un enfant arabe tunisien et un enfant français. Des analyses systématiques de ces
corpus seront présentées dans ce chapitre associant l’optique comparative et
développementale.
Une conclusion tentera d’envisager les suites possibles de cette recherche sur les aspects
linguistiques et psycholinguistiques du phénomène de figement.
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Approche Linguistique : Expressions figées en français et en arabe dialectal tunisien
Chapitre I :
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Chapitre I
Introduction
Le figement occupe une place de choix dans la recherche actuelle. Il s’agit « d’un
processus dynamique qui s’installe grâce à l’usage et qui finit par fixer des séquences de toute
sorte dans le lexique » (Mejri, 2003a). Les études actuelles montrent qu’il s’agit d’une donnée
de base incontournable dans la description des langues et d’un fait hautement économique
pour le fonctionnement du système. L’emploi des expressions figées constitue un véritable
outil de communication pour les locuteurs de tous les âges et de tous les niveaux de
compétence dans une langue donnée. Cependant, chaque langue possède ses propres
mécanismes de figement. L’étude comparative se révèle importante et permet de dégager
certains universaux et différences qui sont d’un grand intérêt pour l’activité d’acquisition et
permettraient de prédire les difficultés d’apprentissage.
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Approche Linguistique : Expressions figées en français et en arabe dialectal tunisien
mis à part la polylexicalité (elles sont formées de plus d’un mot), les expressions figées
présentent d’autres spécificités linguistiques qui accordent à ces suites de mots « une
existence autonome » (Gross, 1996, p. 9). Cette autonomie, liée à la notion de « discours
préfabriqué », présente des propriétés spécifiques sur le plan morphosyntaxique, lexical et
cognitif favorisant l’ancrage de ces expressions dans le stock lexical d’une communauté
linguistique.
Le changement du temps verbal est aussi inacceptable dans certaines séquences telles
que la locution verbale prendre une veste qui s’emploie au passé il a pris une veste et non au
futur ou au présent. En arabe tunisien, ٛ[ وال ساعkla: ra:su:] « il a mangé sa tête, c'est-à-dire
mourir » s’emploie au passé. Nous ne pouvons pas dire * ٛ ساعٟاوً ف٠ [ لاعذqa:ʔid ja:kil fi
ra:su:*] « il est en train de manger sa tête ».
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Chapitre I
Le blocage des propriétés syntaxiques est également une caractéristique des séquences
figées. L’approche fonctionnelle envisage le phénomène de figement par opposition à la
liberté combinatoire et définit la fixité comme un « certain degré de contrainte sur l’ordre des
constituants et de blocage des propriétés transformationnelles d’une séquence donnée » par
opposition à la syntaxe libre des séquences dites « flexibles » (Bolly, 2008a, p. 28). Le
figement syntaxique, appelé également « blocage des propriétés transformationnelles »
(Gross, 1996) est assuré, en premier lieu, par l’impossibilité de permutation des éléments
coordonnés sur l’axe syntagmatique. Dans sain et sauf, nous ne pouvons pas dire *sauf et
sain. Le blocage syntaxique se manifeste aussi par l’impossibilité d’effectuer des insertions
dans la suite figée. Par exemple, mettre les bâtons dans les roues et non *mettre de grands
bâtons dans les roues du train, sans mot dire et non *sans un mot dire ou *sans un seul mot
dire. En arabe tunisien, nous disons ُالتظ خاذٚ ْا١[ زفħifja:n wla:bis ϰa:tim] « il n’a pas de
chaussures et porte une bague pour désigner quelqu’un dont le comportement est
contradictoire » et non * ْا١زفٚ ُ[ التظ خاذla:bis ϰa:tim w ħifja:n] « il porte une bague et il est
sans chaussures »; ou encore ال عؾشج دخاخحٚ نٚاس عشدٙٔ [nha:r sardu:k wla ʕaʃra: dʒa:ʒa] « un
seul jour coq mieux que dix jours poule pour désigner une personne qui vit le jour au jour) et
non * نٚاس عشدٙٔٚ [ ال عؾشج دخاخحla ʕaʃra: dʒa:ʒa w nha:r sardu:k] « non pas dix jours poule et
un seul jour coq ». Le blocage grammatical pourrait être aussi déterminé en soumettant le
syntagme à des transformations syntaxiques comme la passivation, la pronominalisation,
l’interrogation, la relativation, que nous expliquerons en détails lors de la présentation des
différentes catégories de séquences figées.
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Approche Linguistique : Expressions figées en français et en arabe dialectal tunisien
Dans la locution prendre le taureau par les cornes, le mot taureau ne peut pas être
remplacé par vache, bouc, chèvre, etc. En arabe dialectal tunisien, dans une séquence
comme ُ[ تاب إٌداس إِسطba:b ʔinnaʒʒa:r ʔimħattam] « la porte du menuisier est cassée pour
désigner quelqu’un qui est spécialiste d’un domaine mais qui ne le maîtrise pas », le mot تاب
[ba:b] « porte » ne peut pas être remplacé par [ ؽثانʃubba:k] « fenêtre », ش٠[ عشsri:r]
« lit », [ خضأحϰza:na] « armoire », etc. Aussi, le terme [ إٌداسʔinnaʒʒa:r] « menuisier » ne peut
pas être remplacé par [ خضاسʒazza:r] « boucher », [ عطاسʕatta:r] « épicier », etc. Cette
contrainte pourrait être de différentes natures : synonymique, antonymique ou
hyperonymique. La substitution d’un mot par un synonyme aurait pour conséquence de
dénaturer l’expression figée. Dans l’exemple c’est une monnaie courante, si nous remplaçons
le terme monnaie par devise ou courante par fréquente (*c’est une monnaie fréquente), le
caractère idiomatique de l’expression se perd. Dans la séquence arabe ر ٌٍّشاوة٠ع فاٌش١١٠ [ʔibi:ʕ
firri:ħ lilmra:kib] « il vend du vent aux barques pour parler de quelqu’un qui ne fait rien », le
terme ر٠[ سri:ħ] « vent » ne peut pas être remplacé par son synonyme اءٛ٘ [hwa:] « vent ». Le
mot [ ِشاوةmra:kib] « barques » aussi n’est pas remplaçable par اسبٛ[ لqwa:rib] « bateaux »
ou ٓ[ عفsufun] « navires ».
Les variations antonymiques ne sont pas également admises dans certaines expressions
figées. Nous admettons ainsi les expressions avant-première et non après-première, monte
charge et non *descend charge. Nous admettons ًٛ ِٓ صثاذٙ[ أخʔaʒhal min sabba:tu:] « plus
ignorant que ses chaussures pour désigner une personne têtue » et non * ٛ[ أروا ِٓ صثاذʔaδka:
min sabba:tu:] « plus intelligent que ses chaussures ». Le phénomène de blocage peut se
présenter dans d’autres relations paradigmatiques où nous nous attendons à ce qu’il soit
possible de remplacer un mot par un autre de la même catégorie grammaticale appelée la
commutation hyponymique. Tel est le cas de la phrase : j’ai un animal domestique où un
animal domestique peut être remplacé par un hyponyme, ce qui donne j’ai un chat, j’ai un
chien, j’ai un caniche, j’ai un teckel (Svenson, 2004). Pour l’expression figée avoir un chat
dans la gorge, le mot un chat ne peut pas être remplacé par un hyperonyme. Nous ne pouvons
pas dire *avoir un animal domestique dans la gorge, *avoir un teckel dans la gorge. Le mot
chat ne se laisse pas remplacer par d’autres mots (Svenson, 2004).
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Chapitre I
Nous mentionnons aussi le cas de certains vocables qui n’existent pas en dehors de la
séquence figée comme affilée dans d’affilée, aloi dans de bon aloi, bric ou broc dans de bric
ou de bric, emblée dans d’emblée, fur dans au fur et à mesure, insu dans à l’insu, lurette dans
il y a belle lurette, etc. (Martin, 1997, p. 295). Ces « mots à contexte unique » (Svenson,
2004) sont employés exclusivement dans des expressions figées. Ces idées pourraient se
résumer dans l’affirmation de Gonzàlez (2002, p. 54) : « les constructions phraséologiques
sont figées par opposition aux constructions libres, c'est-à-dire que leurs constituants suivent
un ordre interne pratiquement inaltérable. Leur structure demeure généralement invariable,
quelle que soit leur place dans la phrase ou le discours (…) ». La fixation est d’autant plus
évidente que ces constructions subissent d’ordinaire un blocage des propriétés
distributionnelles. Dans l’espace imparti à ce travail, nous ne pouvons que pointer la question.
Nous n’insistons pas sur tous les détails de ces transformations qui sont largement étudiées
dans les travaux cités en bibliographie. Cette fixité formelle nous sert de point de départ pour
nous interroger sur les caractéristiques cognitives des expressions figées.
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Approche Linguistique : Expressions figées en français et en arabe dialectal tunisien
Comme l’affirme Dalmas (2000) « la fixité permettrait une fixation mémorielle et une
transmission plus aisée ». Cette idée de mémorisation est un objet d’étude de nombreux
psycholinguistes qui axent leurs recherches expérimentales sur les mécanismes cognitifs
d’activation. Les caractéristiques cognitives représentent dans ce sens un critère important
dans l’approche psycholinguistique et expérimentale que nous exposons dans les chapitres
suivants. Les critères d’identification des expressions figées sont multiples. Cependant, l’idée
de contrainte est liée à celle de variation. La distinction entre les suites libres et les suites
figées ne se réduit pas en une dichotomie mais en différents degrés (Mathieu-Colas, 2008).
Cette notion de degré de figement sera exposée dans ce qui suit.
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Chapitre I
Sur le plan syntaxique, le blocage « […] peut être représenté sur une échelle »,
(Svenson, 2004). Il est ainsi possible d’établir une hiérarchie et de classer les expressions
figées en catégories selon leur flexibilité. La variation pourrait être traduite par l’introduction
de certains modifieurs. Dans l’exemple battre la breloque, l’ajout de tellement est tolérée il
battait tellement la breloque ou encore dans prendre le pli qui donne il a pris un mauvais pli
en ajoutant l’adjectif mauvais. Certaines transformations impossibles à effectuer dans nombre
de locutions se révèlent admissibles pour d’autres. Dans ce contexte, Klein (2007) a montré
comment la dislocation, la passivation, l’expansion relative sont praticables avec la locution
prendre le pli: c’est le pli qu’il a pris, le pli a été pris depuis longtemps, le pli qu’il a pris est
détestable. Les mêmes opérations restent, en revanche, impossibles pour prendre la fuite. A
ceci s’ajoute tout ce qui touche aux modalités négatives et interrogatives qui peuvent être
bloquées ou tolérées par certaines séquences. Ce même phénomène a été révélé par Ouerhani
(2003, p. 65) qui montre que pour certaines locutions verbales de l’arabe tunisien, des
transformations morphosyntaxiques sont possibles ; tel est le cas de l’exemple de طٛ[ وال وثkla:
kabbu:t] « il a mangé un manteau, qui veut dire il a essuyé une perte, une défaite ».
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Approche Linguistique : Expressions figées en français et en arabe dialectal tunisien
contraire, nous nous trouvons face à des combinaisons paradigmatiques dans la même
expression et pour désigner le même sens. Pour dire de quelqu’un qu’il est mort, nous
employons ٛ[ وال ساعkla: ra:su:] « il a mangé sa tête » ou ٚ[ وال عّشkla: ʕumru:] « il a mangé
son âge ». Ces variations paradigmatiques attestent du degré de figement, remarquable aussi
au niveau sémantique.
L’objectif de cette partie est de présenter un cadre général afin de déterminer les
caractéristiques générales du figement. Les études mentionnées ont mis en évidence certaines
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