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Journal d'agriculture traditionnelle

et de botanique appliquée

Parcs, réserves et structures de protection de l'environnement en


Guyane française, le point de vue d'un écologue
Pierre Charles-Dominique

Abstract
This article analyzes the distribution of biodiversity in French Guiana, demonstrating notably the existence of various gradients
in the distribution of organisms. These findings are discussed from the perspective of the biological constraints on animal and
plant species on the one hand and, on the other, the different socioeconomic pressures involved. Acceptable tradeoffs could be
found, based on a palette of complementary solutions combining a large Pare in the south and Reserves of various types along
the Department's coast and inland.

Résumé
La répartition de la biodiversité est analysée en Guyane Française, montrant en particulier qu'il existe divers gradients dans la
répartition des organismes. Ces résultats sont discutés d'une part en fonction des contraintes biologiques des espèces animales
et végétales, et d'autre part en tenant compte des différentes pressions socio-économiques. Des compromis acceptables
pourraient être trouvés sur la base de solutions multiples et complémentaires associant un grand Parc dans le Sud et des
Réserves de différents types sur la côte et dans l'intérieur du Département.

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Charles-Dominique Pierre. Parcs, réserves et structures de protection de l'environnement en Guyane française, le point de vue
d'un écologue. In: Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 40ᵉ année, bulletin n°1-2,1998. Conserver,
gérer la biodiversité : quelle stratégie pour la Guyane ? pp. 523-531;

doi : https://doi.org/10.3406/jatba.1998.3689

https://www.persee.fr/doc/jatba_0183-5173_1998_num_40_1_3689

Fichier pdf généré le 02/05/2018


JATBA, Revue d'Ethnobiologie, 1998, vol. 40 (1-2) : 523-531

PARCS, RÉSERVES ET STRUCTURES DE PROTECTION


DE L'ENVIRONNEMENT EN GUYANE FRANÇAISE,
LE POINT DE VUE D'UN ÉCOLOCUE

Pierre charles-dominique*

Résumé.- La répartition de la biodiversité est analysée en Guyane Française, montrant en


particulier qu'il existe divers gradients dans la répartition des organismes. Ces résultats sont
discutés d'une part en fonction des contraintes biologiques des espèces animales et végétales,
et d'autre part en tenant compte des différentes pressions socio-économiques. Des compromis
acceptables pourraient être trouvés sur la base de solutions multiples et complémentaires
associant un grand Parc dans le Sud et des Réserves de différents types sur la côte et dans
l'intérieur du Département.
Mots-clés.- Parc national - contraintes biologiques - économie - protection de
l'environnement - Guyane française.
Abstract.- This article analyzes the distribution of biodiversity in French Guiana,
demonstrating notably the existence of various gradients in the distribution of organisms.
These findings are discussed from the perspective of the biological constraints on animal and
plant species on the one hand and, on the other, the different socioeconomic pressures
involved. Acceptable tradeoffs could be found, based on a palette of complementary solutions
combining a large Pare in the south and Reserves of various types along the Department's
coast and inland.
Key-words.- National Park - biological constraints - economy - environmental protection -
French Guiana.

Avec une surface de près de 90 000 km2 - un sixième de la France


métropolitaine -, une forêt encore intacte pour une grande part couvrant plus de 80%
du territoire, mais aussi d'autres milieux naturels exceptionnels comme les zones de
ponte des tortues Luth, les marais côtiers de Kaw, les colonies d'oiseaux marins de
l'île du Connétable, les grandes vasières littorales accueillant des millions d'oiseaux
lors de leurs migrations, et bien d'autres encore, la Guyane représente un potentiel
écologique remarquable.
Cependant, ce « morceau » de l'Amazonie, département d'Outre-Mer
faisant partie pour des raisons historiques du territoire national français, est resté
longtemps à l'écart de toutes les grandes entreprises de création de parcs et réserves

CNRS-UMR 8571, Laboratoire d'Ecologie générale du MNHN, 4 av. du Petit Château,


91800 Brunoy.
P. CHARLES-DOMINIQUE

qui s'organisaient dans le monde entier depuis plusieurs décennies. L'argument était
simple : la forêt étant vaste, quasiment inhabitée, inaccessible dans sa plus grande
partie, la protection existait de fait sans qu'il soit nécessaire de légiférer. Ce faux-
fuyant basé sur une vision statique des sociétés n'est plus acceptable de nos jours. La
Guyane change, sa situation choque les visiteurs étrangers qui ne comprennent pas
les raisons de ce laxisme, et il y a encore peu d'années, la France était critiquée par
la communauté internationale, d'autant plus que les pays limitrophes, Brésil et
Surinam, étaient déjà dotés de réserves et de parcs. Les nations développées, souvent
« donneuses de leçons », doivent être exemplaires dans ce domaine. Depuis une
quinzaine d'années, le développement croissant des activités agricoles, forestières,
minières, hydroélectriques, l'ouverture de pistes et de routes, la chasse et les
collectes incontrôlées, s'étendent de plus en plus loin et de plus en plus rapidement,
sans qu'aucune disposition légale ne permette d'en amoindrir les effets néfastes ou
de limiter les abus. Laisser cet état de fait ne serait pas responsable, d'autant plus
que les zones encore non atteintes se réduiront rapidement comme une peau de
chagrin. La conservation et la gestion du patrimoine naturel ne se font pas n'importe
où et n'importe comment, et surtout pas après le passage d'une exploitation
incontrôlée. Elles se basent sur une analyse scientifique des espèces et des
écosystèmes, de façon à dégager des priorités pour la localisation des zones les plus
sensibles et pour adapter des dispositions de gestion et de conservation des espèces.
D'autre part, elle exige un dialogue avec les différents utilisateurs de ces milieux et
avec les instances politiques régionales, dans le but d'obtenir le meilleur compromis.
Une protection efficace ne peut être imposée à tous, et il faut veiller à bien expliquer
les arguments et à faire un effort d'information tout particulier de façon à ce que les
futures réglementations soient comprises et acceptées par le plus grand nombre.
Divers projets sont en préparation, en particulier un parc national qui
couvrirait près de 29 000 km2 dans le Sud. Pourquoi un tel choix ? Quelles en sont
les justifications ? Quelles sont les zones les plus fragiles et les plus menacées et
quelles autres dispositions doivent être prises ? Les recherches menées par les
différentes équipes françaises permettent de faire un premier bilan et de proposer des
mesures adaptées à la situation de la Guyane.

LA RÉPARTITION DE LA BIODIVERSITÉ

Tout d'abord, même si la forêt forme la majeure partie des écosystèmes, les
savanes côtières, les marais, mangroves, plages, vasières, îlots rocheux représentent
des milieux naturels qu'il faut également préserver. Beaucoup d'entre eux sont le
plus souvent très localisés, comme les lieux de pontes des tortues (Fretey 1986 ;
Fretey & Lescure, ce volume ; Chevalier et al, ce volume), les zones de nidification
des Ibis rouges et des oiseaux marins (Condamin, 1975, 1979 ; Dujardin, 1986 ;
Ouellet & McNeil, 1986 ; McNeil & Ouellet, 1986), ou bien encore celles ne
couvrant que des surfaces inférieures à quelques dizaines de km2 (certains marais
côtiers, vasières), ce qui, dans la majorité des cas, facilite plutôt l'identification des
zones à protéger. Il n'en va pas de même pour la forêt qui recèle un très grand

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PARCS, RÉSERVES !..], LE POINT DE VUE D'UN ÉCOLOGUE

nombre d'espèces dont beaucoup sont rares et distribuées de façon très irrégulière.
Pour le profane qui la survole, cette forêt semble uniforme sur des centaines de
kilomètres. Pourtant sa principale caractéristique est d'être hétérogène. Seul un petit
nombre d'espèces de plantes et d'animaux sont communes, représentées par un assez
grand nombre d'individus, alors que le reste des peuplements est composé d'espèces
rares, donc particulièrement difficiles à préserver. Par exemple, sur divers
recensements d'arbres, le tiers des individus est formé par seulement 2% des espèces
présentes, le reste étant constitué d'espèces rares à très rares (Sabatier & Prévost,
1989). Il en va de même pour les faunes : par exemple, sur les 88 espèces de
chauves-souris recensées en Guyane, 47 correspondent à seulement 3% des contrôles
(Brosset et al, 1996). Les raisons de cette rareté sont diverses : certaines plantes et
certains animaux sont tout simplement adaptés à des biotopes peu communs
(cascades, grottes, pitons rocheux dénudés, etc.), d'autres sont distribués dans
l'ensemble de la forêt, mais en faibles densités pour la simple raison que la
production primaire d'un écosystème est toujours limitée : plus grand est le nombre
d'espèces se partageant l'espace et les ressources, plus faibles seront les densités de
leurs population respective, tout au moins pour la majorité d'entre elles. Dans
d'autres cas, les espèces sont rares car elles sont cantonnées à une région, ou bien
encore parce qu'elles sont réparties en micro-populations largement séparées les
unes des autres.
Cette imbrication de systèmes complexes s'explique autant par les
mécanismes de fonctionnement propres aux espèces que par les événements subis
par la forêt amazonienne au cours des quelques dizaines de milliers d'années
passées. En effet, pendant les périodes glaciaires qui bouleversèrent les climats et les
paysages des régions tempérées, les forêts tropicales subirent dans le même temps de
grandes perturbations, disparaissant sur de vastes surfaces au profit des savanes
(Haffer, 1969 ; Vanzolini, 1972 ; Prance, 1973, 1982 ; Van der Hammen, 1974). Les
reconquêtes forestières, relativement récentes à l'échelle géologique - une dizaine de
milliers d'années - se firent à partir de plusieurs refuges où les conditions
microclimatiques leur avaient permis de se maintenir, cette progression se faisant à
des vitesses variables en fonction des modes de propagation propres à chaque espèce
et selon l'éloignement des refuges (Granville, 1982 ; Ledru et al, 1997 ; Charles-
Dominique et al, 1998). L'histoire récente des forêts est donc restée partiellement
inscrite au travers de la distribution des espèces, encore faut-il pouvoir décrypter ces
informations.
En Guyane, les peuplements faunistiques et floristiques montrent des
éléments issus des reliefs de l'intérieur du pays, qui auraient hébergé des refuges
forestiers, d'autres éléments issus de la région de l'embouchure amazonienne, et
enfin d'autres provenant de refuges localisés dans la région Surinam-Guyana-
Venezuela. Ainsi, certains groupes ne sont présents que dans la partie Est de la
Guyane, vers les fleuves Oyapock et Aprouague, alors que d'autres sont localisés
dans la partie Ouest, vers le Maroni et le Sinnamary, selon deux gradients
indépendants Est-Ouest et Ouest-Est (Granville 1988 ; Boujard et al, 1990 ;
Planquette et al, 1996). Il faut savoir que tous les grands fleuves de Guyane se jettent
dans l'Atlantique en coulant du Sud vers le Nord, délimitant entre eux des zones

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floristiques et faunistiques de plus en plus différentes au fur et à mesure que l'on


progresse le long de ces gradients. En outre, les différences de pluviométrie
(décroissantes de la côte vers l'intérieur, Boyé et al, 1979) correspondent à un
troisième gradient Nord-Sud de distribution des espèces, superposé aux deux
précédents.
A l'inverse des forêts hautes, les « savanes roches » et les forêts basses sont
actuellement concentrées dans de tout petits refuges, principalement localisés dans le
Sud du département. Il existe donc un quatrième gradient, Sud-Nord, d'espèces
adaptées aux conditions relativement sèches qu'il faut également prendre en
considération.

OÙ ET COMMENT PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ ?

Préserver la majeure partie de cette biodiversité revient à prendre en compte


à la fois les différents gradients de distribution des espèces, tout en réservant des
surfaces suffisamment étendues pour héberger des populations animales et végétales
représentatives de leur diversité génétique. Mais ces exigences doivent aussi être
conciliables avec les réalités économiques de la région et avec les aspirations de ses
habitants qui veulent, de façon légitime, profiter du développement. Il apparaît
évident qu'une solution unique est impossible à trouver. Une partie du problème
pourrait être cependant résolue par la création d'un vaste parc dans le Sud du pays,
partie la moins peuplée, donc la plus à même d'accueillir un tel dispositif qui, en
contrepartie, pourrait apporter un appui économique à des communautés isolées, tout
en leur garantissant de pouvoir poursuivre un mode de vie basé sur l'usage de
l'écosystème forestier (Sanite & Granville, 1993 ; Thiollay, 1993). Ainsi, près de 60
à 80 % des espèces animales et végétales guyanaises y seraient préservées, et la
nécessité d'avoir une vaste surface non fragmentée, d'Est en Ouest, pourrait être
satisfaite. En outre, cette localisation donnerait la possibilité d'y adjoindre des parcs
contigus aux frontières, par des accords avec les pays voisins, ce qui en accroîtrait
l'intérêt de façon considérable.
D'autres dispositions complémentaires resteraient bien entendu à mettre en
oeuvre pour les espèces non représentées dans le Sud, grâce à des structures de
protection fortes dans des régions inhabitées comme les Nouragues, la Trinité, les
massifs Lucifer et du Dékou-Dékou qui, depuis peu, forment un chapelet de réserves
naturelles ou domaniales de plus de 2 500 km2, distribuées d'Est en Ouest à mi-
chemin entre la côte et le Sud du département. Enfin, sur la côte, d'autres réserves et
arrêtés préfectoraux de biotopes plus spécialisés, accompagnés de législations
adaptées, devraient pouvoir contribuer à la préservation de milieux forestiers
particuliers mais aussi des marais, des plages, des sommets rocheux, des zones de
ponte, de repos, ou d'alimentation d'espèces sensibles. Après la Réserve du
Connétable, principalement dévolue à la protection des oiseaux marins, la Réserve
de Kaw (près de 1 000 km2 recouvrant largement les marais côtiers) et celle de la
basse Mana (lieux de ponte des tortues) viennent d'être créées. Ainsi, la plus grande

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PARCS, RÉSERVES [..], LE POINT DE VUE D'UN ÉCOLOGUE

partie de la biodiversité pourrait être représentée dans ces divers parcs, réserves et
arrêtés de biotopes.

LES CONFLITS ENTRE PROTECTION, USAGES ET DÉVELOPPEMENT

Si la notion de protection commence à être largement acceptée, de


nombreux « utilisateurs » de la forêt, qu'ils soient exploitants forestiers, agriculteurs,
miniers, chasseurs, etc., considèrent qu'il faut leur laisser le champ libre et ne
protéger la forêt que là où elle ne présente pas d'intérêt économique pour eux. Les
arguments développés plus haut montrent bien que la répartition de la biodiversité
impose une logique de protection qui, malheureusement, se heurte à d'autres intérêts.

Les exploitants forestiers

En Guyane, c'est l'Office National des Forêts qui attribue les concessions
forestières. Les problèmes de protection des ressources en bois sont pris en compte
par cet organisme qui est de plus en plus attentif au maintien de la biodiversité
(Valeix, 1993). Par exemple, les plans forestiers prévoient des zones en réserve,
intercalées entre les concessions, de façon à « réalimenter » les parcelles mises en
coupe. Mais la gestion de ces parcelles par les exploitants forestiers est très inégale :
rappelons qu'en Guyane il est extrait en moyenne 2 billes à l'hectare, avec cependant
une détérioration affectant 20 à 60% des surfaces exploitées (Thiollay, 1992). Ce qui
est le plus à craindre, après la coupe, c'est la pénétration d'une agriculture
« sauvage », favorisée par les pistes forestières nouvellement ouvertes.
Normalement, après une première coupe, les parcelles dévolues à la foresterie
doivent être laissées en recrus pour un passage ultérieur, 40 ou 50 ans plus tard. Un
énorme travail d'information, couplé à une législation plus précise et bien appliquée,
restent à faire pour minimiser l'effet de la foresterie sur la biodiversité.
Actuellement, pour des raisons économiques, le plan d'exploitation de l'ONF est
localisé sur la frange côtière, jusqu'à environ 80 km de la côte.

L'agriculture

A part des zones restreintes comme la basse Mana, où le développement de


la riziculture pose des problèmes écologiques, l'agriculture est peu développée en
Guyane, localisée pour l'essentiel autour des zones déjà habitées. Cependant,
l'existence de certains « fronts pionniers », principalement localisés dans la région de
Saint-Laurent-du-Maroni, pourrait devenir préjudiciable à l'environnement si aucune
législation n'était mise en place pour en contrôler le développement. En Guyane, la
majorité des agriculteurs utilisent une technique très proche des modes traditionnels,
si ce n'est l'introduction des tronçonneuses. La rotation des cultures, avec mise en
jachère, permet la reconstitution forestière, avec cependant une forte érosion de la
diversité spécifique. En outre, la chasse, qui accompagne systématiquement
l'agriculture, fait disparaître la plupart des grands vertébrés.

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P. CHARLES-DOMINIQUE

La chasse et la pêche en rivière

Traditionnellement, la chasse et la pêche ont représenté l'essentiel des


ressources en protéines animales. L'introduction des fusils et des filets, associée à la
sédentarisation des villages et à l'expansion des bourgades et des villes a fait
quasiment disparaître ces ressources dans un rayon de plus de 10 km autour des
zones habitées. L'utilisation des pirogues à moteurs et des congélateurs à gaz permet
actuellement à des chasseurs professionnels d'aller à un ou deux jours de navigation
collecter le gibier qui est vendu le plus souvent à des restaurateurs spécialisés
installés en ville. Dès qu'une nouvelle route est ouverte (Counami, route Régina -
Saint-Georges, route de Bélizon, etc.), les chasseurs convergent, arrivant en voiture
ou en mobilette, jusqu'à épuisement de cette nouvelle ressource qui ne durera que
quelques années. Cette évolution rapide des mœurs est inquiétante et les derniers
décrets interdisant la chasse et/ou la commercialisation de certaines espèces sont
encore très peu appliqués. Rappelons qu'en Guyane il n'existe pas de permis de
chasse, ni de période de fermeture pendant la saison de reproduction du gibier. La
constitution de réserves naturelles prend tout son sens devant la situation actuelle et,
si l'on veut conserver un potentiel cynégétique acceptable, une législation de la
chasse s'impose, tout au moins dans les secteurs de la côte.
Dans l'intérieur, la situation est différente, du moins tant que les routes qui
sont en projet n'en permettront pas un accès facile. Le même phénomène de
raréfaction, voire de disparition des espèces gibier s'est produit autour des villages,
ce qui oblige les chasseurs à exploiter des zones de plus en plus éloignées.
Néanmoins, il reste de vastes espaces qui pourraient, à condition d'être gérés de
façon rationnelle, continuer à alimenter les populations qui en dépendent. Des
discussions avec les représentants du village wayampi de Trois Sauts, en 1996, et
plus récemment avec les « relais du Parc » (délégués des différentes communautés du
Sud), il ressort que la préservation du gibier est une préoccupation majeure, et que
ces communautés sont ouvertes à une gestion rationnelle de leurs ressources. Cette
gestion pourrait être basée sur la présence de zones en réserve, alimentant d'autres
zones contiguës où les usagers détermineraient et contrôleraient eux-mêmes les
quotas à prélever. Cette solution, qui demanderait des études approfondies avant
d'être mise en oeuvre, permettrait de concilier le maintien de la biodiversité animale
sur de grandes parties du Parc national, tout en assurant aux populations concernées
la continuité de la pratique de la chasse. Cependant, pour qu'une solution de ce type
puisse être efficace, il faudrait que la pratique de la chasse soit strictement réservée
aux habitants des villages concernés, et que l'exportation du gibier ne soit pas
autorisée.

L'exploitation minière

Après la ruée vers l'or (de 1860 jusqu'avant la dernière Guerre mondiale),
cette activité avait considérablement diminué et ce n'est que depuis 15 ans que
Porpaillage a repris son essor, passant d'une production de 300 kg/an à 3 000 kg/an.
L'exploitation de l'or alluvionnaire, qui peut se faire avec des moyens relativement

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PARCS, RÉSERVES [..], LE POINT DE VUE D'UN ÉCOLOCUE

modestes, a entraîné une très forte immigration, le plus souvent clandestine, associée
à des problèmes sociaux et une inquiétante pollution des rivières par le mercure. En
outre, l'utilisation des « monitors », appareils permettant de projeter des jets d'eau
très puissants sur les berges des rivières, détruit de nombreux sites et crée une
turbidité des eaux préjudiciable à la faune.
L'exploitation de l'or primaire ne peut être faite que par de grosses
compagnies, car elle nécessite d'énormes moyens logistiques qui, pour diverses
raisons, sont susceptibles d'entraîner de graves préjudices sur l'environnement
(ouverture de routes, barrages, concentrations humaines, deforestation sur certaines
zones ...). Néanmoins, si cette activité est réalisée dans le respect des lois en vigueur,
et avec une réelle volonté de minimiser les impacts, elle est moins nocive que
l'exploitation de l'or alluvionnaire qui, du fait de la dispersion des exploitants, est
beaucoup plus difficilement contrôlable.
Les principaux gisements de Guyane (or, mais aussi argent et diamants) sont
situés le long de deux petites chaînes de reliefs étendus d'Est en Ouest, l'une
subcôtière (incluant la montagne des Trois Pitons, les Montagnes Tortues, la
montagne de Kaw, Cacao, Saint- Elie village, les Monts Atachi Baka), l'autre plus au
Sud, le long de l'axe Camopi - Sattl - Maripasoula. Dans la mesure ou ces reliefs ont
joué le rôle de refuges forestiers durant les époques glacières, et que c'est là que l'on
trouve les plus forts taux d'endémismes et les plus grandes richesses spécifiques, les
conflits entre miniers et protecteurs de la nature sont importants. Les meilleurs
compromis devraient être fondés sur une délimitation du parc et des futures réserves,
conciliant les impératifs économiques d'exploitation et la réalité biologique, en
particulier la distribution des espèces et la nécessité de conserver des zones en
continuité. Pour certaines zones « sensibles » il serait sage que les planificateurs de
ressources minières ne se précipitent pas et laissent aux génération futures le soin de
réfléchir sur d'autres solutions techniques.

LA POLITIQUE DE CONSERVATION EN GUYANE FRANÇAISE

La conservation du patrimoine naturel ne pourra être menée à bien que par


un ensemble de dispositifs complémentaires et réalistes, le Parc National constituant
un élément important, mais pas unique, avec la nécessité de les perfectionner et de
les faire évoluer en fonction du progrès des recherches et des connaissances. Chaque
année, ne serait-ce que pour les espèces végétales, une bonne dizaine d'espèces
nouvelles pour la science, et plusieurs dizaines d'espèces nouvelles pour la Guyane
sont encore découvertes, parfois dans des sites inattendus qui doivent être aussi
préservés. L'information et l'éducation devraient faire partie de ces outils de
protection qui pourrait inclure l'écotourisme. Les zones proposées pour la
conservation sont en effet assez grandes pour que certaines portions soient ouvertes à
cette activité génératrice d'emplois locaux. La forêt guyanaise est encore largement
méconnue. Il est prévisible qu'au fur et à mesure que le public, local et extérieur,
aura eu l'occasion d'en découvrir ses richesses et ses beautés, les notions de respect
et de protection ne feront que progresser. Ce respect de l'environnement ne devra

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P. CHARLES-DOMINIQUE

pas être limité aux réserves et aux parcs, mais bien à l'ensemble du département, y
compris dans les zones dévolues au développement.
Au cours de leur histoire, les forêts tropicales ont toujours été soumises à
des bouleversements importants, mais ceux qu'elles subissent actuellement le sont à
des échelles de temps très courtes, sans précédents. Il est certain que les
changements globaux du climat prévus pour les prochaines décennies aggraveront la
situation et rendront de plus en plus nécessaire que l'homme gère son
environnement. La protection et la conservation des espèces, qui semble encore pour
beaucoup être un luxe de pays riches ou un fantasme d'intellectuel, deviendront un
enjeu économique. Il est encore temps de prendre les devants en Guyane.

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