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Hugh Fox est thérapeute narratif et enseigne au sein de l'Institute of Narrative Therapy de

Manchester aux côtés de Sarah Walther, Amanda Redstone et Mark Hayward. Cet article
éclaire de façon simple et lumineuse comment travailler avec l'absent mais implicite dans le
contexte de trauma en évitant les risques de réactivation.
Un bon citoyen : l’utilisation de la narrative dans un contexte de trauma

Hugh Fox

Dans cet article je vais rendre compte d’un court travail que j’ai mené avec un garçon

nommé Neil. Neil avait dix ans et m’était adressé pour ce travail en particulier en raison de

son comportement perturbateur à l’école. Son comportement semblait lié à une expérience

traumatique qu’il avait traversée, et je vais faire le lien entre le travail que j’ai fait avec Neil et

les idées de Michael White concernant le développement de lignes narratives subordonnées

dans le contexte des traumas.

Je présente ce travail, non parce qu’il s’agirait d’un exemple d’école de la manière d’utiliser

ces idées, ce qu’il n’est pas, hélas. Mais je le montre plutôt parce que je trouve les idées de

Michael White concernant le trauma très passionnantes et secourables, et j’espère que ceux

d’entre vous qui sont moins familiarisés avec ces idées pourront à leur tour les trouver

passionnantes et secourables.

Ce court travail est situé dans le contexte d’un plus large travail familial avec la famille de

Neil. Je ne dirai pas grand-chose du travail avec la famille, car je souhaite me focaliser sur

ce travail spécifique avec le trauma, même si des problèmes de trauma ont pu également

apparaitre durant le travail avec la famille.

Je vais commencer par explorer l’arrière-plan de l’envoi en consultation, qui était bien

complexe. Ensuite, je parlerai un peu des idées de Michael White concernant le travail avec

les traumas avant de décrire le travail que nous avons fait ensemble, Neil et moi, et ce à

quoi il a abouti.

Arrière-plan

Neil m’a été adressé la première fois dans le contexte d’une histoire familiale troublée. Il se

situait au milieu d’une fratrie de cinq enfants, dont les trois ainés étaient des garçons (voir le

génogramme). Ils avaient été signalés aux Services Sociaux du Département à la suite d’un
incident au cours duquel leur mère, Mary, avait poignardé (sans issue fatale) le père des

enfants.

(Durant l'exportation du génogramme deux rectangles, ceux du père et du fils de 15 ans se sont
mystérieusement perdus dans un trou noir numérique, ndt)

La police était intervenue, et les enfants avaient été placés tous les cinq. A cette époque, trois ans
auparavant, ils s’échelonnaient de deux à douze ans, et Neil en avait sept.
Ils avaient été placés dans trois foyers différents. Neil avait d’abord été placé seul, puis transféré en
compagnie de ses deux frères ainés, puis de nouveau placé dans la famille d’accueil initiale. Deux ans
avant l’incident déclencheur, les deux frères ainés de Neil et les deux plus jeunes enfants étaient
retournés vivre à la maison, (pas tous d’un coup), mais Neil était resté dans la famille où il était
placé. Il y avait des raisons de circonstances à cela, mais aussi le comportement de Neil à l’école était
difficile, avec des agressions envers les autres enfants. Après l’incident au coup de couteau, Mary
avait été très dépressive et continuait à l’être, ainsi qu’on me l’a dit en me les envoyant pour un
travail familial. On sentait que ça ferait trop pour elle si Neil revenait à la maison alors qu’elle devait
déjà s’occuper des quatre autres.
De plus, il était dans une famille d’accueil appréciée, et il y avait un risque, s’il en partait et que les
choses se passaient mal ensuite, qu’on ne puisse plus lui trouver de place là. En raison de la difficulté
à trouver des lieux de placement, les Services Sociaux allaient placer un autre enfant chez les parents
d’accueil.

Un an après le retour à la maison de ses frères et sœur, Neil demeurait dans sa famille d’accueil, et
revenait dormir deux nuits par semaine à la maison. Le frère plus âgé qui le précédait avait un
comportement difficile et agressif à la maison à l’égard de Mary et de ses frère et sœur plus jeunes.
Le frère ainé s’efforçait de le contrôler en utilisant la force physique, ce qui provoquait de sérieuses
difficultés. On redoutait fortement qu’un retour de Neil à la maison fasse trop de choses à gérer
pour Mary, et que la situation craque totalement. La situation à la maison était considérée comme
fragile et une aide familiale s’y rendait trois fois par semaine en plus des visites d’un éducateur.
Plus tard, quand j’ai rencontré Neil, j’ai pu entendre quelle amère injustice il ressentait à avoir été le
seul des enfants à ne pas être autorisé à rentrer à la maison, et comment il construisait cette
situation comme un acte délibéré des services sociaux pour l’empêcher de rentrer chez lui.
La demande de thérapie familiale venait d’une collègue d’une équipe de la Santé Mentale des
Enfants et Adolescents dont le travail consistait à s’occuper spécifiquement d’enfants. Elle avait été
consultée par l’éducateur social qui suivait la famille d’accueil de Neil. Ma collègue exprimait l’espoir
que je puisse améliorer suffisamment les relations au sein de la famille pour que les Services Sociaux
arrivent à renvoyer Neil à la maison.
Un autre arrière-plan dont j’avais entendu parler était que le père avait été significativement et
continuellement violent à l’égard de Mary, la mère. Il avait également dressé les enfants à se battre
les uns contre les autres, les encourageant à chercher à dominer par la violence. A la suite du coup
de couteau, il avait quitté les lieux et n’avait plus pris contact.
La famille avait la chance d’être suivi par un travailleur social très consciencieux et impliqué, et c’est
lui qui plus tard m’a appelé pour me demander si je pourrais faire un travail individuel avec Neil.
L’école était préoccupée de constater que Neil dessinait beaucoup d’images de couteaux, de sang
d’agressions au poignard. Elle était également préoccupée de voir que son travail ne progressait pas
de façon satisfaisante. Et récemment il s’était mis à courir le long des couloirs de l’école, le visage
livide, et sans répondre aux questions de l’équipe. Ils avaient fini par le contenir, et appelé
l’éducateur spécialisé qui à son tour m’avait appelé. La demande était que je reçoive Neil seul.
Quand j’ai rencontré Neil comme on me l’avait demandé, il a rapidement été clair qu’il réagissait au
souvenir de l’agression au couteau avec ce qu’il appelait lui-même des flashbacks.
J’avais la chance d’avoir lu des articles de Michael White (2003, 2004, 2005) concernant le travail
avec les traumas, et les idées tirées de ces articles ont alimenté ma réflexion durant la conversation
qui a suivi, et façonné mes réponses à ce que Neil me disait.
Trauma et développement d’une histoire de vie subordonnée
Michael White (2005) parle de l’importance de « repositionner » les enfants de manière à s’assurer
qu’en parlant du trauma, ils ne se replongent pas simplement dans l’expérience traumatique avec le
résultat de revivre le trauma dans le présent et de se trouver ainsi re-traumatisés. Ce
repositionnement est lié à l’idée de trouver un territoire identitaire qui soit différent de l’identité
racontée par le trauma. Il s’agit souvent d’une identité d’impuissance et de victime, ou peut-être
d’échec.
Dans ce type de contexte, où l’enfant peuvent voir son sentiment de qui il est impacté négativement
par le trauma, nous devons chercher à développer richement les histoires subordonnées dans la vie
de l ‘enfant. L’idée de White est que, une fois que nous avons réussi à trouver des lignes narratives
alternatives, et que ces lignes narratives ont été décrites de façon suffisamment riche, cela produira
alors un « territoire identitaire alternatif» dans lequel l’enfant pourra se tenir. Se camper fermement
sur ce territoire identitaire alternatif lui permettra de parler du trauma sans que la mémoire du
trauma ne le replonge dans une identité à problème.
En se demandant où trouver ces territoires identitaires, White dit :
« Aucune enfant n’est le réceptacle passif d’un trauma... Entre autres, les enfants agissent pour
diminuer leur exposition au trauma et faire décroître leur vulnérabilité en modifiant les épisodes
traumatiques auxquels ils sont soumis, ou en trouvant le moyen de modifier l’effet du trauma sur leur
vie. »
Il poursuit :
« Ces réactions au trauma et leurs conséquences se fondent sur ce à quoi les enfants donnent de la
valeur ; sur ce à quoi ils tiennent de précieux dans leur vie » (White, 2005)
La question est : comment parvenir à trouver ces réactions ; et comment parvenir à trouver ce qui a
pu modeler ces réactions : ce à quoi l’enfant donne de la valeur et tient pour précieux.

Ces réactions seront probablement restées relativement inaperçues de l’enfant qui a été traumatisé.
Souvent, l’agresseur a systématiquement tenté de minimiser ou dénigrer ce type de réactions. Les
définitions identitaires à problèmes peuvent rendre ces réactions invisibles aux yeux de l’enfant.
White s’en approche de préférence en cherchant ce à quoi l’enfant donne « de la valeur... (et) ce à
quoi il tient précieusement dans sa vie » (White, 2005) pour ensuite explorer comment ces valeurs
ont pu modeler ses réponses au cours du/ des trauma.
White évoque trois approches pour trouver ce à quoi on donne de la valeur ou à quoi on tient
précieusement :

● Identifier l’absent mais implicite


● Réfléchir sur les activités de résolution de problème
● Observer directement les interactions spontanées

Dans ce qui suit, je vais me concentrer sur la première des trois approches. Pour en savoir davantage
sur les autres, merci de lire l’article de White (2005).

L’absent mais implicite

L’idée de l’absent mais implicite est que pour distinguer une expérience de vie d’une autre, il faut la
distinguer de ce qu’elle n’est pas. « Brûlant » ne peut être distingué sans une expérience du « froid »
(ou peut être « tiède » etc.) ; L’« échec » ne peut être distingué sans une expérience de ce que serait
le « succès » ; le « désespoir » ne peut être distingué sans une idée de l’ « espoir » ; etc. White
s’inspire des travaux de Bateson et Derrida (White, 2003) pour développer ces idées. Il s’inspire de
l’idée de Derrida suivant laquelle « les mots sont des signes qui ont pour principale fonction de
cadrer, enclore et délimiter ». Les mots ont pour fonction de « construire des limites entre des
concepts spécifiques et ce que ces concepts ne sont pas ».

Suivant cette définition, toute description est relationnelle, car elle n’est possible qu’en relation avec
ce qu’elle n’est pas. Par exemple si une personne se dit désespérée, elle parle alors d’un espoir
qu’elle a connu avant. Ou si elle dit qu’elle ne fait plus attention maintenant, cela nous dit qu’il fut
un temps où elle faisait attention, et qu’il ne lui est pas étranger de faire attention. Cela mène à
l’idée de double écoute –quand nous écoutons une histoire de souffrance et de détresse nous
écoutons aussi ce qui permet, en lien avec elle, de percevoir l’expérience de la souffrance et de la
détresse.

White développe ces idées dans le contexte de traumas afin de repenser la manière de comprendre
la souffrance et la détresse associées au trauma. Il s’éloigne de l’idée que c’est juste naturel de
ressentir de la souffrance et de la détresse liées à un trauma, et considère plutôt celles-ci comme
des réactions à la violation de ce qui a de la valeur pour la personne ou ce qu’elle tient pour
précieux.
Suivant cette perspective, on peut comprendre la souffrance psychologique ou émotionnelle comme
:
« ...un témoignage de la signification de ce à quoi la personne tenait précieusement et qui a été violé
lors de l’expérience traumatique. Cela peut comprendre les idées de la personne concernant :

a. Des buts de vie qu’elle chérit


b. Des valeurs et croyances qu’elle apprécie concernant l’acceptation d’autrui, la justice

et l’équité

c. Des aspirations, espoirs et rêves qu’elle conserve précieusement

d. Une vision morale de la manière dont les choses devraient se passer dans le monde

e. Des promesses, des serments et des engagements qu’elle a pris pour sa vie ; etc.

(White, 2003)

White poursuit en indiquant que d’après lui, l’intensité de la souffrance ressentie en lien avec le
trauma peut être considérée comme un reflet du degré auquel ces buts, valeurs, etc. sont tenus
pour précieux.
Del même manière, la détresse (l’expression d’une souffrance psychologique au quotidien) peut se
comprendre comme :
« ... un tribut rendu à leur capacité à maintenir une relation constante avec tous ces buts, valeurs,
croyances, aspirations, espoirs, rêves, visions et engagements conservés précieusement –à leur refus
de renoncer ou de se trouver séparées de ce à quoi on a si puissamment manqué de respect, qui a été
avili dans le contexte du trauma, et qu’elles continuent de vénérer »
Suivant cette perspective, l’intensité de la détresse reflète l’importance durable de ces valeurs, etc.
dans le présent des personnes qui expriment cette détresse, et elle reflète la force de leur constante
relation à ces valeurs etc.
Ce sont quelques idées que je gardais présentes à l’esprit quand j’ai rencontré Neil et quand j’ai
entendu parler de ses actuelles souffrances et détresse et de leur relation au trauma passé.
Revenons donc à Neil et à nos conversations ensemble.
Le travail avec Neil
Quand j’ai rencontré Neil seul à seul, il m’a rapidement dit qu’il souffrait de flashbacks (son
expression) durant lesquels il se souvenait d’avoir descendu les escaliers et vu sa mère frapper son
père avec un couteau. Il a particulièrement mentionné la grande quantité de sang qu’il a vue. Il m’a
dit que ces flashbacks étaient vraiment persistants et envahissaient son temps à l’école, où il
n’arrivait pas à se concentrer sur ses leçons. Ils pouvaient durer, m’a-t-il dit, jusqu’à quatre heures
de suite. Ils lui donnaient des maux de tête et l’amenaient à se sentir très mal.
En écoutant ce récit, j’ai pensé à l’absent mais implicite et à ce qui pouvait être absent mais implicite
dans cette histoire. Il me semblait que Neil replongeait totalement dans son expérience traumatique
à l’école au quotidien, et ne souhaitait pas reproduire ça encore dans notre entretien. J’ai donc
commencé à déplacer notre conversation loin des évènements actuels, et bientôt Neil s’est mis à
parler de son père qu’il n’avait pas vu depuis.
Il a d’abord dit qu’il l’aimait, que son père lui manquait, et qu’en grandissant il avait voulu lui
ressembler. Ça m’a un peu inquiété, étant donné ce que j’avais entendu au sujet de son père, et je
lui ai demandé ce qu’il aimait chez son père et de quelle manière il voulait lui ressembler.
Il m’a répondu que son père était un poivrot et un une brute qui avait l’habitude de frapper sa mère,
qu’il le détestait et avait peur de devenir comme lui en grandissant, même s’il exprimait sa volonté
que ça ne se passe pas comme ça. Ça me paraissait plus prometteur, je lui ai demandé ce qu’il
voulait devenir quand il grandirait, et il m’a répondu qu’il voulait être « un bon citoyen ». J’ai
demandé à Neil de me donner une description plus détaillée de ce qui ferait un bon citoyen, et il m’a
répondu que ça serait quelqu’un qui « resterait en ligne ». J’étais un peu désorienté, mais en
poussant l’enquête, il est apparu qu’il espérait devenir quelqu’un qui resterait solidaire avec les
autres quand ils rencontreraient des difficultés.
Je continuais à penser à l’absent mais implicite. J’imaginais que ce désir de rester en ligne avec
d’autres pouvait être une valeur précieuse pour Neil, qui n’avait pu protéger sa mère lors de
l’incident au coup de couteau et se voyait à l’âge de sept ans comme quelqu’un qui n’avait pas réussi
à se montrer à la hauteur. Ayant entendu comment le père avait dressé les enfants les uns contre les
autres en cherchant à les dominer physiquement et émotionnellement, je me suis dit que l’incident
au coup de couteau ne devait pas être la seule occasion où il s’était senti échouer à demeurer dans
la solidarité avec les autres.
J’ai continué à explorer avec Neil le thème d’être un bon citoyen et l’ai invité à me donner davantage
de détails concernant la façon dont il l’envisageait. Neil m’a alors dépeint un tableau dans lequel il
travaillait dur à l’école, obtenait un bon travail, puis se mariait et fondait une famille. Dans le
contexte de sa propre famille, il ne boirait pas et prendrait soin de sa femme et de ses enfants, les
protégeant du danger.
Nous avons prolongé la conversation sur son père et Neil a supposé qu’il avait connu des temps
difficiles dans sa famille lorsqu’il était enfant, et que cela pouvait expliquer pourquoi son père était
comme il était.
Nous avons clôturé cette première séance en invitant sa mère à se joindre à nous, puis en lui
résumant ce que j’avais entendu de la bouche de Neil durant notre conversation. J’ai invité Mary à
réagir à ce qu’elle entendait, et elle nous a dit à Neil et à moi qu’elle n’était pas surprise d’entendre
ce que Neil disait concernant ce qui était important pour lui, car cela faisait un moment qu’elle le
savait. Elle a mentionné la façon dont il jouait avec son jeune frère de cinq ans et s’occupait de lui, et
comme il se précipitait toujours pour l’aider à la maison.
J’ai revu Neil deux semaines plus tard et il m’a dit que depuis notre dernier entretien il n’avait plus
été perturbé par les flashbacks. Ils ne s’étaient tout simplement plus manifestés, et il m’a dit qu’il
pouvait maintenant s’en sortir de façon satisfaisante avec son travail à l’école.
Puis notre conversation a suivi les mêmes lignes qu’au cours de notre précédent entretien,
explorant comment la façon dont il se voyait comme un bon citoyen pourrait influencer ses actes
durant les semaines à venir s’il la gardait présente à l’esprit. Neil a parlé de s’occuper de ses jeunes
frère et sœur et d’être « sympa » avec sa mère. Il a également parlé des efforts qu’il faisait pour être
un bon camarade et travailler dur à l’école pour être bon élève. De nouveau nous avons clôturé la
séance en compagnie de la mère de Neil qui a joué un rôle de témoin extérieur (White, 2009a). Neil
m’a dit qu’il ne ressentait pas le besoin de nouvelles séances individuelles, mais qu’il serait heureux
de se joindre aux entretiens familiaux qui se poursuivaient.
Je suis resté en contact avec cette famille pendant à peu près un an à la suite de cela. Actuellement
Mary se montre une mère très présente et un modèle dans sa façon de faire face aux difficultés avec
ses deux fils plus âgés (Mary appelait cela « écouter avec patience »). Toute mention du fait qu’elle
était déprimée a disparu des conversations entre professionnels pour faire place à des descriptions
d’elle comme « calme », « confiante », « ferme », etc. Durant les entretiens familiaux, quand
j’entendais que Neil faisait des choses comme rappeler à son grand frère de rester respectueux avec
sa mère, je lui demandais si c’était un exemple où il se montrait bon citoyen, et il me confirmait que
c’était bien le cas. A la longue, il racontait un épisode, et sans attendre que je lui pose la question, il
commentait « bon citoyen ! » et me faisait signe en levant le pouce.
Je suis heureux d’indiquer que les services sociaux se sont laissé persuader d’oublier toute
inquiétude concernant le retour de Neil à la maison, et que ses séjours chez lui se sont allongés
durant une brève période, jusqu’à ce qu’il y demeure en permanence.
Théorie et pratique
Quand je me retourne sur le travail accompli avec Neil je suis frappé de ce que je n’ai pas fait autant
que par ce que j’ai fait. Mais ce qui me frappe surtout, c’est de voir à quelle vitesse les flashbacks ont
été réglés sans revisiter l’incident traumatique.
La manière dont je m’explique cette remarquable récupération est fondée sur les idées exposées
plus haut concernant le riche développement de lignes narratives subordonnées.
Ici la ligne narrative subordonnée parlait d’ « être un bon citoyen » et de « rester dans la solidarité ».
D’après moi, Neil s’était trouvé séparé de cette définition de lui-même au cours de l’expérience
traumatique qui a été mentionnée. Il en était venu à croire que les situations qu’il avait rencontrées
signifiaient qu’il était incapable de vivre sa vie en accord avec cette vision qui lui était précieuse.
Durant notre conversation, il avait mis en avant cet aspect de ce qui lui était précieux. A entendre la
manière dont il vivait maintenant sa vie, et qui s’accordait à ces aspirations, il pouvait réoccuper ses
territoires identitaires préférés. Et à l’intérieur de ce territoire identitaire l’expérience traumatique
ne pouvait plus s’exprimer d’autorité au sujet de son identité ; de ce fait ces souvenirs perdaient leur
pouvoir de re-traumatiser Neil.
A la réflexion, je note que je n’ai pas du tout exploré comment ces aspirations pour sa vie avaient pu
modeler ses réactions d'alors, au moment du coup de couteau, et dans le cadre des façons de faire
que son père avait imposées à la famille. Peut-être que ça aurait encore plus aidé Neil que je le
fasse.
Je pense aussi que d’autres personnes auraient pu être sollicitées en tant que témoins extérieurs de
l’identité préférée de Neil.
Ici la ligne narrative subordonnée parlait d’ « être un bon citoyen » et de « rester dans la solidarité ».
Je pense que du fait des expériences traumatiques qui ont été mentionnées, Neil s’est trouvé séparé
de cet aspect de lui-même. Il en était venu à croire que les problèmes qui s’étaient invités dans sa
vie signifiaient qu’il était incapable de vivre en harmonie avec cette représentation qui lui était
précieuse. Durant nos conversations il avait mis en avant cet aspect de ce qui lui était précieux. En
parlant de la façon dont il vivait sa vie maintenant en accord avec ses aspirations, il pouvait se
positionner de nouveau dans son territoire identitaire préféré. Et à l’intérieur de ce territoire
identitaire l’expérience traumatique ne pouvait plus avoir autorité concernant son identité ; et ainsi
ses souvenirs perdaient leur capacité à re-traumatiser Neil.
A la réflexion, je remarque que je n’ai pas du tout exploré comment ses aspirations pour sa vie
avaient modelé sa réaction d’alors, au moment du coup de couteau comme dans les situations où
son père imposait ses manières d’être à sa famille. Peut-être que ça aurait encore plus aidé Neil si je
l’avais fait.
Je pense aussi que d’autres personnes auraient pu être recrutées en tant que témoins extérieurs de
l’identité préférée de Neil. Ces autres personnes auraient pu comprendre un oncle dont j’avais
entendu parler et aussi un éducateur. Ça aurait pu aboutir à un récit encore plus riche concernant le
« bon citoyen ».
Mais en fait ça n’était pas nécessaire, et autant que je sache, les flashbacks n’ont plus causé de
troubles dans la vie de Neil.
Je suis également bien conscient que la confiance avec laquelle j’ai relativement laissé de côté
l’exploration de l’incident originel, et suis totalement passé sur les détails concernant la violence du
père était sous tendue par la manière dont j’envisageais la souffrance et le trauma comme un
témoignage et un hommage rendu à ses espoirs, valeurs et engagements absents mais implicites. Et
c’est cette manière de voir qui m’a conduit à me focaliser sur ce qui était important pour Neil quand
il réfléchissait à la façon dont il voulait vivre sa vie.
Pour un exposé plus complet de ces idées et pratiques, je conseille les références à Michael White
qui figurent ci-dessous, et particulièrement la dernière (2005).
*Il est intéressant de mentionner que la mère d’accueil qui s’était occupée de Neil la plupart du
temps durant plus de trois ans avait compris que si Neil retournait chez lui, les Services Sociaux
placeraient immédiatement un autre enfant chez elle. De ce fait, si quelque chose tournait mal, Neil
ne pourrait pas revenir vivre chez elle. C’était la raison principale avancée par les Services Sociaux
pour éviter le retour de Neil chez lui. La mère d’accueil les a libérés de ce problème en annonçant que
si Neil devait retourner chez lui, elle projetait de faire un break pour une période indéterminée. J’ai
admiré la finesse qu’elle mettait dans sa relation avec la bureaucratie !
Depuis 1980, j’ai pratiqué la thérapie en utilisant une approche incroyablement stratégique dans
laquelle le thérapeute agit sur la famille pour la changer, qu’elle le veuille ou non (on voyait les
familles comme venant demander de l’aide, mais sans vouloir changer). Mes collègues et moi
observions que même si les familles changeaient souvent, elles ne paraissaient pas particulièrement
ravies de l’expérience. Nous étions de plus en plus insatisfaits de cette approche et cherchions
quelque chose de plus ouvert et collaboratif. En automne 1989 trois d’entre nous avons participé à
un atelier animé par John Burnham fondé sur les idées d’un certain Michael White dont nous
n’avions jamais entendu parler. Mais le texte présentant l’atelier avait l’air intéressant. Cette
approche nous a immédiatement attirés et dès le lendemain nous avons commencé des
conversations externalisantes et pour redevenir auteur. Nous avons vu que les familles appréciaient
cette approche, et qu’il y avait beaucoup de rires, d’amusement et de poésie. Nous avions
l’impression de travailler maintenant avec les familles au lieu de le faire contre elles. Depuis, je n’ai
cessé de ma passionner pour ces idées. Nous avons acheté un recueil d’articles de Michael White, qui
n’est plus édité, et peu après avons pu obtenir une copie de Moyens narratifs au Service de la
Thérapie. Et quel voyage depuis !
Références
White. M. (2000a) Reflecting team work as definitional ceremony revisited, in White. M, Reflections
on Narrative Practice: Essays and interviews, Dulwich Centre Publications, Adelaide
White, M. (2000b) Re-engaging with history: the absent but implicit , in Reflections on Narrative
Practice,Dulwich Centre Publications, Adelaide
White, M. (2003) Narrative practice and community assignments, in The International Journal of
Narrative Therapy and Community Work, 2, p 31
White, M. (2004) Working with people who are suffering the consequences of multiple trauma: A
narrative perspective, The International Journal of Narrative Therapy and Community Work, 1
White, M (2005) Children trauma and subordinate story line development, in The International
Journal of Narrative Therapy and Community Work, 3 & 4, p 12

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