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Et qu’en est-il des risques liés aux TICe, de leurs limites ? Il est inutile de rappeler que
ces dernières ne peuvent certainement pas répondre à toutes les questions, ni régler tous
les problèmes posés par l’enseignement des langues, et que l’espérer aveuglément serait
une grave erreur. Il faut bien prendre conscience que la technologie, aussi utile et
stimulante soit-elle, dépendra toujours du plus ou moins bon usage qu’en feront les
utilisateurs. L’illusion de la « méthode miracle », profitable partout et pour tout, risque en
effet de causer quelques dommages.
Si l’ordinateur, le logiciel, Internet, stimulent davantage la curiosité de l’apprenant et
répondent plus facilement et rapidement à ses besoins et à ses intérêts, ils peuvent aussi
créer des problèmes sur le plan de l’attention, de la compréhension, de la mémoire, et
même empêcher les processus essentiels de synthèse et d’assimilation des connaissances
ainsi acquises. Le zapping, auquel pourraient inciter les TICe, ne facilite en effet pas
toujours la construction du sens, au point où d’aucuns craignent l’apparition d’une certaine
paresse intellectuelle, voire d’une nouvelle forme d’illettrisme dans la génération exposée
davantage à l’écran numérisé qu’à la page écrite. Les interactions virtuelles, malgré leurs
incontestables opportunités, peuvent entraîner, suivant la même logique, un repli de
l’apprenant sur lui-même et lui causer ultérieurement des difficultés à mener des échanges
en contexte et en présentiel.
Enfin, d’un point de vue plus stratégique, le succès des TICe a aussi entraîné dans
plusieurs cas un renversement de perspectives, et même de priorités. Alors que les TICe
devraient rester un moyen au service des personnes concernées et des objectifs poursuivis,
elles deviennent une fin en soi : « Que vais-je pouvoir faire – en viennent à se demander
étudiants, enseignants, chercheurs – pour recourir à l’outil informatique que
prévoient/imposent mon projet, mon budget, les autorités, et qui crédibilisera mon
entreprise ? »
2. Quels rôles attribuer aux TICe
en didactique des langues ?
Cette question se pose par rapport à l’enseignement classique, qui a lieu en classe, en
« présentiel ». Il ne faut plus craindre ou espérer, comme il y a une vingtaine d’années,
que les TICe et l’enseignement en ligne remplaceront un jour le professeur et les activités
en classe, mais il est évident que le rôle de ce professeur et la nature de ces activités
doivent désormais tenir compte de ce nouvel outil pédagogique et se repositionner en
conséquence pour en tirer le meilleur parti.
On peut d’abord envisager les rapports entre enseignements présentiel et en ligne en
termes de complémentarité : soit ces activités en ligne sont enchâssées parmi les diverses
autres activités de la classe qui reste le cadre général de l’enseignement-apprentissage,
soit, au contraire, ce sont les TICe qui assurent la cohérence et le déroulement du
programme de l’enseignement-apprentissage où s’inscrivent à différents moments les
différentes activités propres à la classe (ex : tutorat, tables de conversation, projets de
groupe…).
On préfèrera à ces rapports de subordination, dans un sens ou dans un autre, la mise en
œuvre d’une réelle synergie entre les activités présentielles et les activités en ligne dans le
cadre d’une pédagogie intégrée où, en fonction des différents paramètres de cet
enseignement-apprentissage, on optera pour les répartitions et combinaisons les plus
adaptées entre le présentiel et le télématique, en se posant chaque fois la question de
savoir ce qu’il est possible, souhaitable de faire avec/sans les TICe : les différentes
compétences langagières (CO-CE-EO-EE-interactions), linguistiques (grammaire,
vocabulaire, prononciation), (inter) culture, communication,… Cette synergie doit aussi
être créative et susciter des activités pédagogiques et des apprentissages qui n’auraient pas
été possibles dans un enseignement uniquement en présentiel, ou rien que dans un
enseignement en ligne.
Bref, il faut donc prendre du recul par rapport à l’engouement dont les TICe font
actuellement l’objet et le bouleversement que certains pensent qu’elles seraient en train de
provoquer. Tout compte fait, les TICe mettent seulement de nouveaux outils à la
disposition des acteurs de l’enseignement-apprentissage des langues, et leur grand succès
représente seulement une phase à la suite de nombreuses autres innovations et mutations
dans l’histoire de la didactique des langues. On peut à ce titre établir un parallèle avec
l’époque des premières méthodes audio-orales et audio-visuelles, qui combinaient la
psychologie behavioriste et la linguistique structurale, et qui profitaient des progrès
techniques des laboratoires de langues, pour développer une pédagogie par
conditionnement, alors que nous sommes en train d’assister à l’essor d’une pédagogie
actionnelle, qui associe quant à elle la psychologie cognitive, la linguistique pragmatique
et le perfectionnement et le déploiement des TICe. Dans les deux cas, on a parlé de
révolution didactique…
En tout cas, il est indéniable que le recours intensif aux TICe en didactique des langues
– qu’on ne peut plus ignorer – provoque des rééquilibrages des différents vecteurs de
l’apprentissage par rapport à la langue, par rapport au monde (réel/virtuel ; dans/hors
classe ; culture), par rapport aux sujets (enseignant/apprenant/condisciples/tiers/natifs ;
cognitif/social/affectif), et oblige de nouvelles approches pédagogiques. Aussi, pour éviter
les risques et réduire les inconvénients évoqués plus haut, nous pensons que les
concepteurs et les utilisateurs, enseignants ou apprenants, ont de tout urgence besoin au
cours de leur formation d’une éducation aux TICe et à ses outils, non seulement sur le plan
technique, mais aussi et surtout discursif, sémiotique, éthique, idéologique… et finalement
pédagogique. Car si les TICe représentent un outil comme un autre, vu son pouvoir de
séduction, l’amplitude de son rayonnement, la multiplicité de ressources, la complexité de
son fonctionnement, il faut certainement prendre davantage de précautions pour se mettre
à l’abri d’un usage tendancieux, contraignant, aliénant.
Ces questions seront explorées plus en avant tout au long de ce numéro par le biais de
réflexions sur les nouveaux modes d’interaction et sur leurs impacts dans
l’enseignement/apprentissage du FLE (les quatre premiers articles de ce numéro),
d’analyses de pratiques visant au développement des compétences écrites (les trois articles
suivants) et de présentations de dispositifs tout aussi riches que variés (les cinq derniers
articles de ce numéro). Que la créativité et l’enthousiasme des auteurs gagnent les lecteurs
ainsi sensibilisés aux potentialités si exaltantes que nous offrent les TICe…
Bons et mauvais usages de l’interaction en ligne.
Les TICe, vecteur de motivation ou source d’ennui ?
Sandrine BAUSSAN
EF Centres Internationaux de Langues
Parmi la myriade d’outils mis à disposition des apprenants de Français Langue
Etrangère pour parfaire leur apprentissage de la langue-cible et parmi toutes les formes de
matériel pédagogique auxquelles peuvent recourir les enseignants pour construire leurs
activités et les insérer dans une progression pédagogique cohérente, raisonnée et
ordonnancée, il semble que depuis quelques années les différents outils réunis sous
l’appellation générique de Technologies de l’Information et de la Communication pour
l’Éducation (TICE) fassent l’objet d’un intérêt grandissant et que leurs différents
domaines d’activité ainsi que leurs champs d’application variés ne connaissent aucune
forme de limite. De nos jours, les Technologies de l’Information et de la Communication
sont très largement intégrées dans les usages et les pratiques de nombreux enseignants de
Français Langue Etrangère de par le monde. Elles constituent une sorte de plus-value
ajoutée à l’enseignement de la langue, de la culture et de la civilisation françaises. L’usage
de la technologie pour enseigner et pour apprendre s’impose donc comme un nouvel
eldorado pédagogique, comme une nouvelle forme de mythe technico-culturel paré de
toutes les qualités et dont il s’agit à présent d’interroger la pertinence et la portée à la fois
praxéologique et didactologique (amenant à réfléchir sur la discipline et son
enseignement). Les TICE, en perpétuelle évolution, offrent une multitude de possibilités
d’exploitation pédagogique, selon que l’enseignant recoure aux réseaux sociaux
(Facebook, Twitter), au multimédia ou aux cédéroms. L’enseignant de FLE peut donc
puiser dans une « large gamme d’activités dans lesquelles interviennent les outils
multimédia et où leur efficacité a été évaluée : la communication écrite, l’apprentissage
collaboratif, la lecture, la recherche d’information dans les documents électroniques, la
rédaction de textes, l’apprentissage des langues, la construction des connaissances
scientifiques 1 ».
Si les TICE occupent depuis une bonne dizaine d’années une place très importante non
seulement dans l’imaginaire collectif et institutionnel de toute la communauté éducative
du FLE, mais aussi dans les réflexions didactiques et les pratiques, aucune réflexion n’a
été menée collectivement pour évaluer leur apport. Il serait donc intéressant de procéder à
un bilan des réussites et des échecs liés à l’introduction des TICE (et de l’interaction en
ligne) dans la classe de Français Langue Etrangère. Cet article se donne tout d’abord pour
tâche de faire une analyse contrastive des avantages et des inconvénients relatifs à
l’utilisation des TICE et de l’interaction en ligne. Puis il tentera de déterminer si l’usage
des TICE dans les classes de langue a profondément révolutionné le processus
d’apprentissage de la langue-cible ou si cela n’est resté qu’une illusion technologiste sans
véritable fondement. Enfin, le présent article interrogera l’impact des Technologies de
l’Information et de la Communication pour l’Éducation sur la formation des enseignants
de FLE sur la base d’un renouvellement de leurs pratiques et d’une refondation de leur
conception didactique de leur métier et de son déroulement.
1. TICE et interactions en classes de langue :
des apports contrastés ?
Dans les classes de FLE, les Technologies de l’Information et de la Communication
pour l’Éducation sont très fréquemment utilisées par les enseignants et intégrées au cœur
de leurs pratiques et de leurs projets didactiques sans que les conditions de leur utilisation
n’aient fait l’objet d’une remise en question et sans qu’un examen minutieux de leurs
apports et de leurs éventuelles contre-performances n’ait été mené. C’est cet examen que
va tenter d’opérer la section ci-dessous.
1.1. Les TICE en classe de langue : tentative de bilan
Comme le rappelle Jean-Marie de Ketele, « il serait vain de faire porter à l’ordinateur
toute la richesse de la situation pédagogique, de résumer l’interaction des acteurs à
l’interactivité de la machine 2 ». Effectivement, la pédagogie n’est en rien réductible à une
simple procédure technique, elle est affaire de transmission entre un enseignant et des
enseignés qui sont déterminés par leur corps, par leurs affects, et par la place que cela
occupe dans leur apprentissage et dans leurs stratégies. Les TICE et le multimédia n’ont
de sens que s’ils sont sans cesse replacés dans un contexte clairement identifié, celui de la
communication humaine, interpersonnelle, intersubjective et interculturelle. Ces
technologies introduites dans la didactique des langues il y a déjà dix ans appellent à
présent un inventaire. Elles présentent un certain nombre d’avantages que nous allons
essayer de recenser :
Les TICE sont pour les apprenants de FLE un facteur d’évolution comportementale
(l’utilisation de ces outils contribue à activer des opérations psychiques
fondamentales). Cela implique d’avoir « la connaissance des bases cognitives de
l’apprentissage et des effets des nouvelles technologies sur l’apprentissage 3 ».
L’apprenant de classe de langue qui a recours aux TICE mobilise des connaissances,
met en place une stratégie et manipule l’ordinateur. Il doit faire preuve de rigueur et
appliquer une méthodologie scientifiquement éprouvée.
L’introduction des TICE dans le FLE permet à chaque apprenant de progresser en
fonction de ses besoins et de ses objectifs. Il y a donc respect du rythme de travail
propre à chacun même au sein d’une classe hétérogène.
En le confrontant à une série de tâches à réaliser, les TICE permettent à l’apprenant
de devenir acteur de son processus d’apprentissage : « acteur désigne donc une
personne qui joue un rôle actif dans l’acte d’ […] apprentissage. […] L’apprenant
n’est plus seulement enseigné, passif, mais participe à son apprentissage 4 ».
Un autre argument plaide en faveur de l’utilisation des TICE dans la classe de FLE,
celui de l’interdisciplinarité5 qu’impliquent ces outils. L’informatique et le
multimédia (à la fois science et technique) sont au confluent de la technologie et de la
didactique du FLE.
Afin de se situer dans une démarche de prospective, cet article va essayer de montrer de
quelle manière les TICE vont induire un renouvellement à la fois de la didactique des
langues et de la pédagogie :
Au terme de cette première section, il apparaît que les technologies réunies sous le sigle
générique TICE fourmillent de pistes d’exploitation. Une tendance nette se dessine, parmi
tous ces outils technologiques, celle qui consiste à fournir aux apprenants les moyens
d’interagir entre eux et avec des locuteurs natifs par le biais d’Internet. C’est dans cette
approche qu’une perspective interactionniste s’est développée dans le domaine de la
didactique du FLE et continue de s’étendre et de se ramifier dans diverses directions.
1.2. L’interaction en ligne : enjeux et objectifs
Les TICE recueillent de multiples manières d’inciter les apprenants à pratiquer le plus
régulièrement possible l’interaction orale en langue française, ce qui se fait, dans le
contexte de la classe de langue, soit par le biais d’activités dirigées par le professeur, soit
par le biais de plateformes de formation en ligne. L’interaction constitue l’actualisation
fondamentale de la langue. Dans le domaine de la didactique, « l’accent est mis sur les
liens entre interaction, acquisition et apprentissage : acquisition du langage, […]
développement des conduites interactives et des conduites conversationnelles, effet des
interactions sur l’acquisition du langage et l’apprentissage d’une langue, […] rôle des
interactions de tutelle ou entre pairs6 ». Les TICE favorisent l’interaction en ligne,
comme l’écrit Thierry Lancien dans Le multimédia : « le réseau […] peut permettre des
échanges de savoirs, de connaissances, d’informations 7 ». Elles favorisent aussi et
surtout la communication authentique entre des apprenants de FLE ou même entre des
apprenants et des locuteurs natifs. C’est ce qu’expose François Mangenot dans un article
intitulé « Classification des apports d’Internet à l’apprentissage des langues « paru dans la
revue ALSIC en décembre 1998 : « il existe de nombreux canaux permettant de pratiquer
le français sur Internet. On notera tout d’abord une distinction fondamentale quant au
type de discours pratiqué selon que la discussion a lieu en temps réel ou en temps différé.
[…] Les salons de bavardage sont le moyen le plus simple de communiquer en temps réel
avec d’autres personnes des quatre coins du monde. […] En ce qui concerne la discussion
en temps différé, on dispose tout d’abord du simple courrier électronique 8 ». Grâce à ces
deux médias, les apprenants ont la possibilité de pratiquer la langue en contexte. Les
possibilités techniques ont facilité la mise en place d’une expérimentation relative à
l’apprentissage des langues en tandem par courrier électronique (sur le site eTandem à
l’adresse http://tandem.uni-trier.de).
Cette expérimentation pédagogique a cependant rapidement montré ses limites. De
nombreux tandems n’ont fonctionné que très peu de temps car les participants n’avaient
plus aucun sujet de conversation et plus d’éléments à échanger. Les enseignants-
animateurs du Réseau international eTandem ont un rôle crucial à jouer en renouvelant
sans cesse le panel des thématiques abordées lors des échanges avec les apprenants. Ils
peuvent également soumettre aux enseignants des conseils sur la manière de corriger les
messages du partenaire (l’apprenant) du tandem. L’un des développements récents de la
didactique du FLE concerne plus particulièrement l’apprentissage coopératif en ligne où
l’interaction est à la fois la finalité (acquérir une compétence de communication réelle) et
le vecteur pour y parvenir. C’est sur ce plan précis que l’apport des TICE est le plus
pertinent : « le développement des réseaux de communication rend de plus en plus
fréquente la communication et / ou la collaboration entre des apprenants
géographiquement distants 9 ». En effet, la communication médiatisée par ordinateur
permet un échange écrit (à distance ou non) entre deux ou plusieurs êtres humains qui
travaillent sur des ordinateurs différents. Cela fait de l’ordinateur un objet autour duquel
les interactions s’organisent et s’actualisent : « l’ordinateur favorise les interactions dans
la classe en donnant aux apprenants des points de «référence partagée» ; […] la
communication acquiert de la «réalité» hors de la classe, avec différents partenaires, des
experts du domaine 10 ». L’interaction en ligne (par le biais de l’apprentissage
collaboratif) permet de faire travailler les apprenants en équipe et de développer des
stratégies socioaffectives. Elle met à profit « la dimension «méta» (métalinguistique,
métacognitive, méta-stratégique) des interactions qui se produisent dans les
environnements informatiques 11 ». Si l’approche communicative a veillé à créer des
situations de communication aussi vraisemblables que possible, force est de constater que
bien souvent, cette communication demeure fictive. Or les TICE permettent d’aller à
l’encontre de cette tendance à la fictionnalisation de l’échange : « c’est pourtant ce que
pratique déjà, d’une certaine façon, l’enseignement en ligne, au moyen de forums qui
permettent à des apprenants du monde entier de sortir de leur isolement et de partager,
dans la langue de la formation, leurs inquiétudes et interrogations quant aux contenus et
aux processus 12 ». C’est sur le plan de l’apprentissage coopératif (ou collaboratif) que la
didactique du FLE a le plus à gagner à se renouveler au contact des TICE. C’est
l’ensemble du processus d’apprentissage du français en tant que langue étrangère qui s’en
trouve modifié.
2. Les TICE et le processus d’acquisition-apprentissage du français en
tant que langue étrangère :
véritable révolution ou illusion technologiste ?
Pour beaucoup d’observateurs, à la fois théoriciens et praticiens de l’enseignement du
FLE, les TICE constituent une nouvelle mythologie (au sens de Roland Barthes) tant
technologique que culturelle, porteuse de tous les espoirs et de toutes les illusions d’une
discipline. Pour d’autres, au contraire, il s’agit d’une avancée sans précédents dans le
domaine de la didactique des langues. La question des TICE est importante et son
influence sur l’apprentissage du français mérite particulièrement d’être interrogée.
2.1. Les apprenants de Français Langue Etrangère et l’utilisation des TICE : vers
l’émergence de nouvelles compétences et de nouvelles stratégies
Faire changer des habitudes d’apprentissage, celles par exemple de langue maternelle,
ne va pas de soi. Pour réussir la transposition de ces habitudes dans la langue étrangère, on
doit en passer par une nécessaire médiation qui est à la fois celle de l’enseignant et celle
du support d’apprentissage retenu.
Au contact des TICE, les apprenants sont confrontés à des difficultés inédites (liées à la
multi-modalité des supports multimédias en ligne ou hors ligne) ainsi qu’à une autre
manière, résolument différente, d’envisager la situation d’apprentissage : « l’apparition de
nouveaux supports entraîne le développement d’une nouvelle conception de la relation
[…] apprenant/apprentissage 13 ». Face à la somme de connaissances qu’Internet recèle,
l’apprenant doit apprendre à effectuer des recherches ciblées sur le réseau pour ne pas voir
sa recherche annihilée. Pour qu’elle soit pleinement efficace, la recherche d’informations
doit être orientée et accompagnée par une tâche, comme l’écrit François Mangenot : « on
considérera qu’une tâche linguistique réellement profitable est celle qui part de données
riches et authentiques, qui propose des activités d’un bon niveau cognitif (liens
données/activités pertinents, situations-problème, appel à la créativité), et qui prévoit des
interactions variées […] pendant et après l’exécution de la tâche 14 ». Afin d’accomplir
la tâche, l’apprenant a à sa disposition une somme « de connaissances (des conceptions) et
de compétences avec lesquelles il va construire des connaissances nouvelles pour
résoudre des problèmes que lui pose l’environnement 15 ». Les TICE s’appuient sur une
démarche constructiviste, sommant les apprenants de développer de nouvelles aptitudes en
réponse aux difficultés rencontrées lors de la manipulation de ces différents outils. Leur
intérêt, en termes de développement des compétences, réside dans les situations-problème
qu’il engendre : « le multimédia témoigne de potentialités favorables à […] la théorie du
learning by doing 16 ». L’apprenant est ainsi obligé d’agir pour apprendre ; sa démarche
est actionnelle.
Dans cette approche, l’apprenant améliore sa maîtrise de la langue en accomplissant des
tâches. Apprendre en agissant, telle est la philosophie du multimédia pour lequel
« l’accent est mis sur l’action de l’utilisateur […. ] sur la possibilité d’effectuer des
choix 17 ». C’est donc à des tâches à réaliser que l’apprenant est confronté au cours de son
apprentissage créaTICe. Cela l’amène à : effectuer des exercices en ligne ; interagir entre
apprenants et enseignants, et avec des locuteurs natifs par le biais d’échanges synchrones
(messagerie instantanée) ou asynchrones (mails) ; pratiquer l’autocorrection (en
s’affranchissant de tout jugement). Les TICE, en proposant des situations d’apprentissage
inédites, forcent les apprenants à utiliser de nouvelles stratégies métacognitives (les
invitant à réfléchir sur la modification du processus d’apprentissage par l’hypertexte, le
multimédia et Internet), cognitives (induisant une autre manière de rechercher et de traiter
l’information par l’intermédiaire de l’outil informatique), et socioaffectives (multipliant
les interactions avec les autres locuteurs par le biais des différents outils de
communication que recèle le réseau).
Une interrogation s’impose alors : ces technologies, en modifiant le rapport des
étudiants à leur propre formation, contribuent-elles à déplacer et à renouveler leurs centres
d’intérêt ou peut-on au contraire leur attribuer certaines formes de découragement et de
démobilisation ?
2.2. Les TICE en cours de FLE : aiguillon motivationnel ou source de désaffection
pour la langue-cible ?
Si les TICE contribuent à renouveler considérablement le panel d’activités que l’on peut
proposer aux apprenants, elles ne sont malgré tout pas une solution miracle, elles ne
constituent pas la réponse parfaite à toutes les situations problématiques rencontrées en
classe de FLE. Un facteur, et non des moindres, joue également un rôle dans le bon
déroulement du processus d’apprentissage : il s’agit de la motivation de l’apprenant qui
conditionne, pour une grande part, les chances de succès d’un dispositif d’apprentissage
du FLE.
Comme l’écrit Nathalie Hirschsprung dans Apprendre et enseigner avec le multimédia :
« l’un des principaux facteurs susceptibles de favoriser l’apprentissage réside dans la
motivation de l’apprenant, puisque le plaisir qu’il éprouve à apprendre est conditionné
par l’intérêt et la variété des activités qui lui sont proposées, par la qualité des retours
qu’il reçoit, ainsi que par les encouragements qui lui sont prodigués 18 ».
La motivation détermine la réussite du processus d’apprentissage et, dans un contexte
multimédia, cette réussite dépend essentiellement du type de supports et d’activités
proposés. L’utilisation de webcams et de micros facilite le développement de liens sociaux
entre des apprenants francophones d’origines géographiques diverses. Elle est une source
incontestable de motivation pour celui qui désire pratiquer une communication sociale et
authentique au moyen d’une langue française en prise directe avec le monde. Si les TICE
manifestent un certain nombre d’intérêts pour les apprenants, elles peuvent néanmoins
présenter certains inconvénients qui sont de deux types :
Inconvénient d’ordre technique : Dans les écoles de langue où ils apprennent le
français, les apprenants ne disposent pas toujours d’un accès à Internet suffisamment
rapide et d’un nombre suffisant de postes pour l’ensemble des effectifs. Le réseau
étant par nature complexe, certains apprenants ne savent ni s’y mouvoir ni s’y
orienter.
Inconvénient d’ordre psychologique : Certains apprenants sont très peu ou pas du
tout familiarisés avec Internet et avec les TICE, même si l’évolution de notre société
et la démocratisation de l’informatique et du multimédia tend à restreindre leur
nombre. Ils peuvent donc, légitimement, être effrayés par le maniement de ces
différents outils. La peur d’être confrontés à des pannes et à des dysfonctionnements
auxquels ils ne sauraient pas faire face entraîne des errements stratégiques et des
inhibitions psychologiques.
nombreux, en définitive) ne rejettent pas en bloc les TICE, ils leur reconnaissent
même de nombreuses qualités mais ne sont pas certains d’avoir les moyens, au
quotidien, de les utiliser à bon escient. Les enseignants de cette catégorie pensent que
l’Institution n’a pas su mettre en place la politique adéquate pour intégrer l’outil
informatique aux activités de classe en FLE. Force est de constater que, si les TICE
sont utilisées souvent et dans divers lieux, leur emploi pèche néanmoins par une
absence de vision commune de leur utilité et de leur utilisation, et par une mauvaise
connaissance de leurs fonctionnalités et de leurs potentialités de la part des
enseignants.
Interactions
Interactions apprenant/enseignant Interactions apprenant/apprenant
interface
Ces résultats étonnants nous ont amenés à croiser cette étude avec les recherches de
Chouinard, Dridi & Garon (2003) qui rapportent que les adultes déjà engagés dans un
travail professionnel ne considèreraient pas les interactions comme nécessaires pour la
motivation, car ces derniers sont, dès le départ déjà fortement motivés par eux-mêmes.
Nous confirmons cette hypothèse par une absence de corrélation entre la variable
« perception de la valeur d’une activité » et « utilité des interactions ». Par contre, si nous
analysons la relation entre « le contenu de la formation répond à mes attentes » et « les
interactions entre l’enseignant (ou tuteur) et moi aident à maintenir ma motivation », nous
pouvons remarquer que le résultat est significatif. Ainsi, l’analyse des données indique
qu’il existe une relation proportionnelle faible, mais présente entre l’aide apportée par les
interactions pour maintenir la motivation et le contenu de la formation (r =, 616 et p =,
033),
Si nous revenons à nos questionnaires, au départ des commentaires déposés par les neuf
étudiants insérés dans le champ professionnel et suivant le cours analysé, nous pouvons
comptabiliser sept remarques qui mentionnent des difficultés liées aux contraintes de
temps. Ces dernières mettent en évidence la complexité pour les étudiants d’allier leur vie
professionnelle et les cours ou interactions. Quelques-unes sont reprises ci-après :
« interactions peu importantes pour moi qui ai 44 ans, travaille depuis 20 ans et n’ai
donc (malheureusement) pas de temps pour rencontrer les autres étudiants »,
« Vu les nombreuses opportunités de décrochage qui s’offrent aux étudiants de notre
type (promotion professionnelle, changements dans la vie professionnelle ou
familiale, etc.), peut-être est-il intéressant que les enseignants relancent les étudiants
quand ils remarquent qu’ils décrochent, ou leur proposent des solutions de rechange
compatibles avec leur nouvel emploi du temps »,
« Interaction et travail de groupe difficiles, car horaires différents »,
« Arriver à dynamiser encore davantage les interactions, même si les apprenants ne
disposent pas toujours de beaucoup de temps pour cela ».
(notamment les forums) ont permis de banaliser ces échanges médiatisés dans un contexte
d’enseignement. Mais ces échanges peuvent-ils favoriser l’apprentissage, notamment en
motivant les apprenants ? L’objectif de cet article est de montrer quelles sont, dans le
cadre d’un cours hybride de français langue étrangère, les conditions nécessaires pour que
des interactions en ligne sur forum soient une source de motivation pour l’apprenant mais
aussi pour l’enseignant-tuteur, dans un contexte d’enseignement-apprentissage du FLE.
Dans un premier temps, je présenterai le dispositif de cours partiellement à distance de
niveau A2 proposé par l’AFBE à des publics spécifiques, dispositif qui prévoit des
interactions écrites en ligne. J’évoquerai ensuite le cadre théorique dans lequel s’inscrit la
réflexion à l’origine de la conception de ce dispositif hybride, qui s’efforce de mettre en
œuvre une perspective actionnelle. Enfin, je tâcherai de dégager les conditions de succès
des interactions en ligne dans un objectif d’apprentissage.
1. Contexte du dispositif
1.1. Session de cours de français pour personnels diplomatiques et journalistes
Afin que les diplomates/délégués faisant partie des groupes de travail du Conseil de
l’Union européenne puissent travailler en français, des sessions de cours de français leur
sont proposées par l’AFBE. Ces sessions sont financées par l’Organisation Internationale
de la Francophonie, dans le cadre du « Plan pluriannuel d’action pour le français dans les
Institutions européennes ». Certains des personnels diplomatiques ressortissant des États
membres de l’UE, des États membres de l’OIF et des États membres du Secrétariat du
Groupe des ACP peuvent bénéficier de ces cours, ainsi que les journalistes strictement
accrédités auprès des Institutions européennes. Les sessions sont articulées en modules de
30 heures, sur plusieurs niveaux correspondant aux niveaux du Cadre européen commun
de référence pour les langues (désormais CECRL), eux-mêmes décomposés en sous-
niveaux. L’objectif des cours est notamment de permettre aux diplomates de s’exprimer en
français dans leur milieu professionnel et de pouvoir interagir avec leurs collègues
étrangers.
1.2. Du cours présentiel à un apprentissage mixte présentiel-distantiel
Les cours en présence « traditionnels » ont lieu deux fois par semaine dans les locaux
de l’Alliance française à Bruxelles, à raison de 90 minutes chacun. Cette fréquence
bihebdomadaire est structurellement difficile à respecter pour ce public aux nombreuses
obligations professionnelles. Parallèlement, le besoin de regroupements réguliers est
souligné par ce public ainsi que par l’équipe enseignante (besoin de rendez-vous fixes
pour assurer la continuité de l’apprentissage et besoin d’interaction orale pour un public
qui a peu d’occasions de parler le français au quotidien, l’anglais étant généralement la
langue véhiculaire).
La direction de l’AFBE a donc confié à une petite équipe de conceptrices la tâche de
concevoir un dispositif d’apprentissage qui permettrait de répondre à la fois aux besoins et
aux disponibilités de ce public. Le dispositif créé est une formation partiellement à
distance et couvre la totalité du niveau A2, soit un total de 180 heures d’apprentissage. La
progression linguistique est celle du manuel utilisé pour les cours uniquement présentiels,
ce qui permet un passage aisé entre les cours traditionnels et le nouveau dispositif. Le
découpage en modules de 30 heures persiste, mais l’un des deux cours hebdomadaires est
remplacé par des activités asynchrones à distance sur une plateforme en ligne (Moodle),
représentant environ 90 minutes d’apprentissage. Chaque groupe a son propre espace sur
la plateforme, et la tutrice du cours en ligne est également l’enseignante du cours en
présence (ce choix est déterminant lors des interactions écrites et fera l’objet d’un
développement ultérieur).
1.3. Le dispositif mixte
Les activités à distance sont présentées sous forme de scénarii proches de la vie réelle
de ce public, basés uniquement sur des documents authentiques sélectionnés sur des sites
Internet. Ces activités doivent être réalisées dans les cinq ou six jours suivant le cours en
présence (l’enseignante-tutrice choisit le délai en fonction de différents paramètres et ne
tutore plus le cours en ligne après l’échéance). Dans le délai imparti, l’apprenant travaille
quand et où il le souhaite, et à son rythme (le temps d’apprentissage peut donc varier). Le
rythme de 3 heures hebdomadaires est ainsi préservé, mais avec une plus grande souplesse
pour l’apprenant.
Le cours en présence et le cours à distance sont complémentaires : le regroupement
désormais hebdomadaire est consacré essentiellement aux interactions orales, à
l’expression orale et à la grammaire (sensibilisation, conceptualisation et réemploi, dans
une logique spiralaire). Plusieurs compétences sont travaillées en ligne : la compréhension
orale et écrite de documents authentiques accessibles sur des sites Internet, l’interaction
écrite grâce à des échanges tutorés sur des forums intégrés à la plateforme
d’apprentissage, ainsi que l’expression écrite grâce à des devoirs, corrigés par
l’enseignante-tutrice et pouvant servir de base à une tâche ultérieure en présence.
L’apprenant peut également lors de ce cours en ligne parfaire ses connaissances
déclaratives en grammaire grâce à des exercices auto-correctifs sélectionnés sur des sites
Internet pédagogiques. Ce dispositif utilise ainsi Internet dans sa dimension d’information
et de communication.
2. Cadrage théorique
2.1. Hybridation
D’un point de vue ingénierique, cette description succincte permet de parler d’une
« formation hybride » telle que la définit Nissen (2006, 44-45), c’est-à-dire le « résultat
d’une mise à distance partielle d’une formation présentielle ». Nissen note que ce « terme
de formation hybride ou dispositif hybride semble s’imposer dans le monde francophone
comme équivalent de l’anglais blended-learning ». La notion d’hybridation, qui évoque
l’idée d’un croisement entre deux variétés complémentaires, permet en effet de
caractériser ce dispositif qui recourt aux TICE sans renoncer à la situation plus
traditionnelle du présentiel. Ni formation traditionnelle, ni formation uniquement à
distance, ce dispositif articule, selon la définition de Choplin (2002, 8) citant le Collectif
de Chasseneuil, différentes « situations d’apprentissage complémentaires et plurielles en
termes de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines et technologiques, et de
ressources » (Chopin employait alors le terme de « formation ouverte »).
C’est cette pluralité et cette complémentarité qui nous semble constituer la valeur
ajoutée de cette formation, la communication médiatisée sur forums constituant l’une des
situations d’apprentissage prévues.
2.2. Acquisition, apprentissage, enseignement
D’un point de vue didactique, la conception de ce nouveau dispositif s’inspire en partie
des théories dites constructivistes de Jean Piaget et Lev Vygotski. Dans ces théories,
l’apprenant est vu comme le sujet de son apprentissage : Piaget met l’accent sur les
facteurs psychiques internes, Vygotski sur les facteurs sociaux externes, mais dans les
deux cas, il y a construction de son savoir par le sujet, dans un va-et-vient entre le monde
et lui. Dans le domaine de la didactique des langues, Defays (2003, 15) définit
l’acquisition d’une langue comme la finalité de tout apprentissage, et l’apprentissage
comme « tout processus personnel visant l’appropriation de nouvelles connaissances,
compétences et comportements ». Il précise que ce processus peut être conscient ou non. Il
souligne que l’enseignement ne se réduit pas à l’intervention d’un professeur mais peut
être caractérisé notamment par la programmation de la présentation, le recours à des
exercices, etc. Ces définitions apportent un éclairage didactique à la notion d’hybridation
évoquée précédemment : ce dispositif hybride d’enseignement n’est pas seulement dicté
par des raisons organisationnelles, il met en place différents moyens d’apprentissage qui
ont pour objectif de faciliter l’apprentissage du français.
2.3. La langue : quel usage ?
2.3.1. La perspective retenue
Si la langue est apprise pour être utilisée, elle doit réciproquement être utilisée pour être
apprise : Defays (2003, 23) rappelle qu’une « langue ne s’apprend que si l’on s’en sert ».
Ce point de vue fait l’objet désormais d’un large consensus, la question qui se pose étant
celle de l’usage visé. L’équipe de conception du dispositif hybride a adopté la perspective
privilégiée par le CECRL (2000, 15), de type actionnel, qui « considère avant tout
l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des
tâches ». Rosen (2006, 23) explicite ainsi la spécificité de la perspective actionnelle :
« Avec la perspective actionnelle, on prépare les apprenants en classe, par une approche
fondée sur la réalisation de tâches, à pouvoir s’intégrer dans les pays d’Europe qu’ils
seront amenés à fréquenter pour une durée assez longue (pour effectuer une partie de
leurs études à l’étranger, pour y effectuer une partie de leur carrière, etc.) ». Nos
apprenants sont dans ce dernier cas : ils effectuent une partie de leur carrière à Bruxelles et
ils sont amenés, dans le cadre professionnel mais également, à des degrés divers, dans un
cadre quotidien, à devenir des « utilisateurs de la langue ».
2.3.2. Les interactions écrites dans une perspective actionnelle
Rosen (2006, 31) rappelle que pour apprendre la langue, « le CECRL distingue quatre
types d’activités : la réception, la production, l’interaction et la médiation » et illustre au
moyen d’un tableau synthétique la répartition de ces activités communicatives. Nous
retiendrons ici que les activités d’interaction écrite consistent à « correspondre (aussi par
courrier électronique), échanger des messages, participer à un forum en ligne ». Ceci
apporte une justification pratique à l’utilisation de l’outil forum dans le cadre du dispositif
hybride. On voit ici en quoi les deux modalités de cours, présentiel et distantiel, sont
complémentaires puisque par définition la participation à un forum en ligne est une
activité qui ne peut pas être réalisée en présence.
Mais la décision d’ouvrir des forums n’est pas justifiée par un seul souci d’ordre
pratique : Mangenot et Louveau (2006, 38) soulignent, dans une approche fondée sur les
tâches, « l’importance de concevoir un scénario de communication, au cas où des
interactions en ligne sont prévues ». Ainsi, de même qu’en classe l’enseignant prévoit des
interactions orales selon un certain schéma, de même le concepteur d’un scénario planifie
les échanges écrits, qui s’inscrivent au sein d’une série d’activités cohérentes entre elles.
Le forum est alors aux interactions écrites ce que la salle de classe est aux interactions
orales : un espace-temps pédagogique qui permet aux apprenants de s’entraîner à utiliser
la langue avec un filet. Il serait peut-être préférable de parler de « forum pédagogique » à
la différence d’un « forum de discussion » sur Internet, pour mettre en évidence la
différence de nature entre les échanges qui ont lieu, dans un espace plus ou moins ouvert,
entre des internautes au moyen d’une langue qu’ils maîtrisent, et ceux qui ont lieu au
moyen d’une langue-cible, dans un espace plus ou moins protégé, au sein d’une
communauté d’apprenants, c’est-à-dire littéralement de personnes en train d’apprendre
cette langue.
Dans la perspective actionnelle, l’apprenant est un acteur social : le « je » utilisé lors
des interactions ne peut donc pas être un « je » simulé, mais doit être un « je »
authentique, celui de l’apprenant dans le groupe, ou celui de la personne qu’est cet
apprenant. Selon Ellis (2003, 3), « a ‘task’ requires the participants to function primarily
as ‘language users’ in the sense that they must employ the same kinds of communicative
processes as those involved in the real-world activities ». C’est ce comportement de
l’apprenant-utilisateur de la langue « comme dans la vie réelle » que s’efforcent de
susciter les activités d’interaction proposées. On peut objecter que dans la vie réelle, les
échanges authentiques se déroulent plutôt à l’oral qu’à l’écrit. Mais c’est un contrat
didactique tacite qui va amener les apprenants à utiliser cet outil, de même qu’ils se plient
aux consignes de l’enseignant dans une salle de classe. L’utilisation du forum a d’ailleurs
plusieurs avantages dans le processus d’apprentissage : d’une part, la modalité écrite
donne aux apprenants le temps de « dire » des choses qu’ils n’auraient pas pu exprimer à
l’oral (ils peuvent lire tranquillement les messages déjà postés, chercher un mot dans le
dictionnaire, relire et corriger leur propre message avant de l’envoyer) ; d’autre part, la
formulation écrite permet de solidifier des savoirs encore instables : avoir exprimé une
idée à l’écrit peut encourager un apprenant à la formuler à l’oral plus tard, dans la vie
réelle.
3. Les interactions en ligne : choix pédagogiques
Les modalités des interactions en ligne sont expliquées aux participants en début de
session (et réexpliquées en cours de session si nécessaire) : les apprenants communiquent
au sein du groupe-classe de façon asynchrone dans les 5 à 6 jours suivant le cours en
présence et l’enseignant intervient à deux ou trois reprises dans ce laps de temps. Il
n’intervient plus une fois le délai passé (mais peut laisser le forum ouvert pour permettre
aux apprenants de continuer à le consulter ou à l’utiliser).
3.1. Les interactions prévues29
Pour que l’apprenant emploie un « je » authentique, plusieurs possibilités s’offrent au
concepteur. Les didacticiens anglo-saxons utilisent la notion de « gap » : « to find the
30
gap », que l’on pourrait traduire approximativement par « trouver la brèche », consiste à
donner aux apprenants une raison d’échanger (de colmater cette brèche, de combler un
manque). Il y a plusieurs sortes de « gap » communicatifs que nous listons et illustrons ci-
dessous.
3.1.1. Échanger des expériences
L’apprenant peut être amené à parler de lui, de son expérience (y compris de son
expérience d’apprenant), ce que les didacticiens anglo-saxons nomment
« experience gap31 ». Cet échange d’expériences est particulièrement adapté à des
apprenants installés pour une durée assez longue dans un pays étranger : il a lieu
fréquemment dans la vie réelle car il facilite l’intégration dans le pays d’accueil.
L’échange d’expériences peut se faire à différents niveaux d’apprentissage : dès le début
du niveau A2, il est possible par exemple d’expliquer brièvement comment on se rend au
travail (si on utilise le métro, la voiture, le vélo, si on vient à pied). Cet échange a
potentiellement lieu dans la vie réelle des participants (ils peuvent avoir cette discussion
avec des voisins, avec des personnes rencontrées dans une réception, etc.). Échanger des
expériences dans une perspective actionnelle, c’est parler de ce que l’on vit.
Présentez-vous rapidement sur ce forum pour les personnes qui ne vous connaissent pas.
Expliquez quand, où et avec qui vous utilisez la langue française : au travail, dans les
magasins, avec vos voisins, etc. Expliquez quel est votre objectif en français, à la fin de
cette session de 30 heures et dites quelles sont vos stratégies pour apprendre le français.
Lisez les messages de tout le monde, répondez, faites des commentaires.
N.B. Ce forum fait partie du premier cours en ligne d’une session donnée.
Est-ce que vous étiez au courant de cette information ? Comment a-t-elle été traitée par
les chaînes de télé de votre pays ? Est-ce que le reportage était intéressant ? Est-ce que
vous êtes d’accord avec toutes les informations du reportage ? Ou bien avez-vous lu des
infos différentes sur ce sujet ? Est-ce que vous voudriez des informations supplémentaires
?
N.B. Ce forum s’inscrit dans un scénario pédagogique au cours duquel l’apprenant, dans un premier temps, visualise
sur Internet un reportage d’actualité et répond à des questions de compréhension orale.
Forum Europe-Afrique
Votre pays a-t-il laissé des traces dans l’Histoire de l’Afrique ? Aujourd’hui est-ce qu’il y
a des liens entre votre pays et certains pays africains ? Échangez vos connaissances sur le
forum. Lisez les textes des autres participants, posez des questions, commentez.
N.B. Ce forum, proposé à un groupe d’apprenants tous originaires de pays européens, s’inscrit dans un scénario
pédagogique construit autour d’une thématique géopolitique abordée dans le manuel utilisé en classe : l’Union
Africaine.
Ouvrez un fil de discussion et sur le modèle de cette revue de presse, faites une revue de
presse des journaux de votre pays (avec 3 ou 4 « infos »). Puis, lisez les autres revues de
presse et commentez-les.
N.B. Ce forum s’inscrit dans un scénario pédagogique au cours duquel les apprenants ont visualisé une revue de presse
sur Internet, lu le résumé de cette revue de presse sur le même site, et répondu à des questions de compréhension orale
et écrite. Ils ont également fait un exercice de vocabulaire leur permettant de repérer les verbes introducteurs utilisés
dans les supports authentiques et plus généralement dans ce genre de discours.
Chacun d’entre vous règle les problèmes à sa manière : cela dépend de la situation.
Certains ont un syndic qui s’occupe des problèmes, d’autres ont un propriétaire à
proximité… ou le fils du propriétaire. D’autres enfin réparent eux-mêmes… ou
aimeraient pouvoir réparer eux-mêmes.
Chacun donc « se débrouille ».
Une question à vous tous : lorsque vous devez contacter une entreprise, est-ce que vous
faites appel à des entreprises francophones ou néerlandophones ? Nous en parlerons en
classe.
NB. Ce message de l’enseignante a été écrit dans un forum consacré aux problèmes éventuels rencontrés par les
participants dans leur logement à Bruxelles. Il intervient à la suite de plusieurs messages postés par les participants, et
de deux réponses précédentes de l’enseignante.
Exemple 2
Bonjour,
moi aussi, comme M…, j’adore la « Mer du Nord » et j’y amène tous les amis qui
viennent me voir à Bruxelles… même en hiver, quand il pleut et qu’il fait froid !
Ensuite, pour nous réchauffer, nous allons prendre un café chez le chocolatier Frédéric
Blondael,
c’est juste en face de la bouche de métro Sainte-Catherine. On peut aussi y manger des
desserts (et du chocolat évidemment).
J’adore marcher le week-end, comme I…, mais plutôt dans la forêt que dans le centre-
ville.
NB. Ce message de l’enseignante a été écrit dans un forum où les participants sont amenés à parler des endroits de
Bruxelles qu’ils aiment faire visiter quand des amis viennent les voir. Il intervient à la suite de quelques messages postés
par les participants.
par un ou plusieurs blogueurs s’exprimant librement, selon une périodicité définie, sous la
forme de billets ou d’articles, informatifs ou intimistes, datés à la manière d’un journal de
bord, signés et classés par ordre antéchronologique. Au sein du foisonnement
d’innovations de cette dernière décennie, les blogs sont devenus des outils offrant une
certaine interactivité fondée sur des échanges d’information. Lors d’une exploitation
didactique, un apprenant s’y trouve le plus souvent en position de « communicant », très
rarement dans celle d’« analyste ». Cette production d’un individu pour une diffusion à la
communauté relève d’une conception du réseau de type hiérarchique : un producteur
d’information partage celle-ci avec le plus grand nombre, offrant en retour des
37
permettent désormais des transmissions fluides, des réseaux stables (réseau intranet, VPN,
etc.) et un outil à la portée d’associations de centres de formation.
Le fait de pouvoir communiquer à distance peut apporter certains bénéfices à
l’apprenant : libération de la parole, entrée dans un processus de communication avec
autrui, contextualisation de sa parole. Mais on peut aussi introduire le « socio-cognitif » en
s’inspirant de la correspondance scolaire de Freinet qui avait deux caractéristiques : la
correspondance est préparée (elle a donc une temporalité propre et n’est pas immédiate)
collectivement (elle n’est pas une communication un-à-un).
En suivant ce modèle, on peut adapter la visio-conférence à des processus de formation
linguistique. Ceux-ci supposent toujours une préparation des échanges et il est moins
important de se voir que de partager des ressources. De ce fait, un phasage des opérations
est nécessaire (on prépare l’échange) et il faut la médiation d’un objet à partager
(documents, tâches, outils de recherche en vue de la résolution d’une question).
Par exemple, une tâche est donnée sous la forme de la production d’un document en
cinq phases par deux classes A et B reliées par visio-conférence. Première phase : chaque
classe réalise le résumé d’un film authentique inconnu des apprenants, résumé imaginé à
partir de documents partagés grâce à la visio-conférence, ces documents partagés étant des
extraits de la documentation disponible (biographies de personnages, extraits d’interviews
d’acteurs, affiches du film, photos extraites du film, etc.) forment une mini-banque de
données ; ce partage de documents s’accompagne de commentaires en direct. Deuxième
phase : hors connexion, chaque classe construit son résumé. Troisième phase : une fois les
résumés rédigés par chaque classe, les deux classes confrontent leur travail par visio-
conférence pour aboutir à un résumé unique. Quatrième phase : hors connexion, chaque
classe visionne le film (ce qui n’avait pas encore été fait) et élabore des commentaires.
Cinquième phase : en visio-conférence, les deux classes confrontent le résumé rédigé en
commun à l’histoire racontée par le film.
Les séquences de visio-conférence donnent lieu dans ce cas à des opérations cognitives
et langagières (négociation linguistique orale, échange d’essai de rédaction, cohérence de
la rédaction, articulation textes/images, etc.).
Le dispositif européen e-Twinning va en ce sens. Il fournit une base de données pour
mettre en relation des classes. Il est important qu’elle soit dotée de préconisations
méthodologiques fournissant des séquences pédagogiques.
2.3. La baladodiffusion
La baladodiffusion correspond à un mode de diffusion qui permet aux internautes,
40
ou vidéo) sélectionnés par l’enseignant et mis à disposition des apprenants sur un site web
ou sur une plate-forme. Ces contenus seront destinés à être transférés sur un baladeur
numérique pour une écoute ou un visionnement ultérieurs. Les atouts de ce mode de
diffusion sont identifiés : approche de la didactique différentiée et individualisée en
compréhension et production ; distanciation et dédramatisation de l’élève par rapport à sa
propre production. Une partie du contrôle de l’apprentissage revient à l’apprenant lui-
même par le choix de la temporalité, du rythme, du nombre de répétitions des écoutes, de
son jugement concernant une production aboutie à évaluer, etc.
Les « mallettes iPod » sont utilisées comme des laboratoires de langues nomades,
comprenant un ordinateur pour l’enseignant et une quinzaine de baladeurs audio-vidéo
Apple®, elles permettent une synchronisation des documents partagés par l’enseignant.
Les activités utilisant les médias supportés par ces outils servent de support pour les
travaux en autonomie et en collaboration.
Dans un réseau socio-cognitif, il y a partage d’information, de stratégies
d’apprentissage et de contenus (objets multimédias divers) destinés à un usage individuel
et collectif. Les fonctionnalités du web 2.0 permettent aux apprenants de s’emparer de
contenus, de se les approprier, de les (re) catégoriser et de les partager avec la
communauté.
Donnons un exemple. L’enseignant constitue une banque de données comprenant des
productions authentiques orales correspondant à un usage précis dans la langue cible (par
exemple, acheter un billet de cinéma), auxquelles s’ajoutent les productions des
apprenants réalisées à partir de leur iPod et qu’ils déposent eux-mêmes dans la banque de
données. En se connectant par la suite à cette banque de données, les apprenants recensent
à l’écrit les différentes façons d’effectuer un achat de billet et ajoutent ces recensements à
la banque de données à partir de laquelle l’enseignant fera un travail terminal de
négociation du sens en présentiel. La classe conserve ensuite les variantes d’usage les plus
efficaces. Pas à pas, la communauté d’apprentissage constitue une banque de ressources
utilisable tout au long de l’apprentissage. Dans ce dispositif l’iPod est principalement
utilisé dans le sens « apprenants vers l’enseignant », contrairement au sens courant
d’utilisation.
2.4. Les « réseaux sociaux » comme manifestation de co-apprentissages.
L’appartenance à une communauté de type réseau social développe évidemment la
fonction communication, mais n’implique pas automatiquement toutes les formes
souhaitables d’apprentissage. Les réseaux sociaux forment un maillage de contributions
plus ou moins égales, au sein duquel un pédagogue peut organiser des phasages contrôlés
de co-apprentissages. En manipulant et en reformulant de l’information destinée à une
communauté, un apprenant s’inscrit dans un processus socio-cognitif qui dépasse
largement le cadre de la communication. Ce processus est socialisant par l’intégration à
une communauté et individualisant en permettant à l’individu de construire ses savoirs et
savoir faire.
Dépasser une approche seulement communicative suppose donc, d’une part, des formes
d’activités cognitives liées aux aspects socialisants des outils de communication exploités
jusqu’alors, et, d’autre part, l’inscription de ces mêmes activités dans une logique de
réseaux transversaux rendue possible par l’apport des technologies du web 2.0. Mettre en
œuvre une ingénierie linguistique au service des processus d’apprentissage permet de
favoriser la participation analytique des apprenants. Dans l’approche constructiviste et
donc cognitive des réseaux sociaux que nous proposons, des opérations langagières
soutenues par les TICe cherchent à faire émerger ce qui pourrait constituer un apprenant–
analyste.
3. Ingénierie linguistique :
vers l’utilisation réfléchie de logiciels
3.1. Des problèmes à résoudre
Au début des années 1980, on se demandait quel impact pouvait avoir le traitement de
texte sur l’apprentissage de l’écrit. À présent, les débats concernant les outils
informatiques de manière réfléchie et pédagogique dans l’enseignement semblent avoir
pris le relais de ces premières interrogations. Difficile d’ignorer aujourd’hui l’existence
d’outils comme les analyseurs (morphosyntaxiques) et les correcticiels (orthographiques
ou grammaticaux). Une question se pose : quels sont leurs apports et comment les intégrer
dans un environnement d’apprentissage selon une approche cognitive ?
Nous appelons « correcticiel » tout type de logiciel de correction de texte. Distinguons
les correcticiels intégrés aux traitements de texte et les correcticiels indépendants mais
intégrables à un environnement d’apprentissage. L’efficacité des premiers étant
visiblement limitée et difficilement modifiable en fonction du public d’apprenants, il nous
semble souhaitable dans le cadre d’une exploitation pédagogique de choisir un correcticiel
indépendant comme Cordial®, Antidote®, Correcteur 101®. En fonction de l’analyse des
phrases entrées comme corpus de traitement, le correcticiel détecte des fautes, propose des
corrections et des explications contextualisées. Il existe d’autres outils intéressants à la
disposition des apprenants comme les dictionnaires (définitions, synonymes, antonymes),
les conjugueurs et les grammaires interactives en ligne (des outils comme WordNet®
seraient aussi à prendre en considération).
3.2. Pour une utilisation toujours bénéfique des outils
On s’aperçoit facilement que les correcticiels actuels sont encore insuffisants. Un
correcteur montre rapidement ses faiblesses lorsqu’on lui demande de traiter des textes
d’apprenants en français langue étrangère de niveau débutant : les structures peu lisibles
ou encore les propositions grammaticalement correctes mais sémantiquement
ininterprétables risquent de perturber l’outil même si la présence d’un paramétrage pluri-
optionnel permet d’indiquer la compétence du scripteur et le niveau d’intervention du
dispositif logiciel.
Jusqu’à présent, on trouve dans la littérature très peu de recherches ou d’expériences
menées concernant l’introduction des correcticiels dans un environnement
d’apprentissage. On peut supposer que si les résultats obtenus dans la pratique de la classe
semblent contradictoires, c’est que les activités proposées, le contexte d’utilisation, les
compétences visées et surtout l’approche pédagogique forment des bases essentielles
faisant de cet outil une aide instructive ou non. Desmarais (1994) a montré comment
l’utilisation d’un correcticiel à condition d’être véritablement intégré dans une pédagogie
appropriée, peut constituer une aide efficace à l’apprentissage de l’orthographe. Comme le
précisent Cordier-Gauthier et Dion (2003) : cet outil demande « de la part de l’utilisateur
une présence active (choix à opérer), intelligente (négociation du sens) et instruite
(connaissance de l’outil et du métalangage grammatical) ».
3.3. Utilisation des correcticiels selon l’approche constructiviste et cognitive
Nous commencerons par observer l’attitude de nos apprenants quant aux correcticiels.
Tout comme nous chercherions à amener ces derniers à utiliser de bons dictionnaires,
pourquoi ne les amènerions-nous pas à utiliser de façon raisonnée de bons logiciels ?
Les correcticiels permettent souvent d’effectuer des applications linguistiques très
variées :
correction orthographique ;
analyse et correction grammaticale, syntaxique ;
dictionnaires des synonymes et des antonymes ;
étiquetage syntaxique et grammatical ;
extraction de mots-clés et de noms propres.
Les premières utilisations doivent permettre aux apprenants de se familiariser avec les
fonctions et les différentes possibilités d’analyse du logiciel. On les amène surtout à mettre
en doute systématiquement toute proposition de correction même s’il est évident que la
capacité à évaluer correctement les signalements dépend des compétences de chacun et de
la maîtrise du métalangage utilisé par le logiciel. Il s’agira donc de stimuler l’esprit
critique de l’élève et sa compétence analytique tout en le convaincant de ne prendre en
compte les explications de l’outil et ses solutions de correction que si elles sont comprises.
Le but final n’est pas tant de corriger toutes les erreurs commises par l’apprenant que de
lui apprendre à se servir des outils de façon raisonnée et réfléchie.
Avec les analyses faites par l’outil, on pourra ainsi demander aux apprenants de repérer
certaines erreurs récurrentes et les propositions de correction (orthographique, lexicale,
syntaxique, sémantique ou stylistique, etc.) du correcticiel. Il faudra ensuite leur permettre
de travailler certains problèmes qu’ils se posent soit en groupes, soit en groupe-classe. On
distingue deux utilisations des outils informatiques au service de l’apprentissage :
l’utilisation guidée par l’enseignant et celle en autonomie des apprenants. Il s’agit donc de
montrer au cours des activités avec les logiciels supports, les différentes stratégies que
l’élève peut utiliser pour développer au fur et à mesure sa maîtrise de la langue. Dans cet
objectif, les élèves adoptent des réflexes de vérification et se familiarisent avec le
métalangage utilisé par l’outil. La prise de conscience de certaines erreurs récurrentes,
l’assimilation de formes, la clarification de certains points de grammaire, le fait d’évaluer
les solutions offertes par le logiciel, tous ces éléments sont très importants pour
l’apprentissage. L’enseignant pourra également proposer d’autres activités visant à amener
les élèves à exploiter des fonctions intégrées comme le dictionnaire de définitions, le
dictionnaire de synonymes, le module d’analyse syntaxique ou encore la grammaire
hypertexte. Partant, cette pratique devrait faciliter et mobiliser des processus cognitifs de
haut niveau afin de développer l’autonomie des apprenants.
3.5. Travail en collaboration et apprentissage assisté par ordinateur
Afin d’optimiser l’impact que peut avoir l’exploitation de ces outils informatiques sur
l’apprentissage, il est bénéfique de faire travailler les élèves en groupes. Grâce à cette
collaboration, les apprenants partagent des connaissances et notamment cogèrent la
mobilisation et la coordination d’un certain nombre de procédures cognitives. Ce travail
de négociation en vue d’un consensus, d’explications des uns aux autres, facilite
l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles stratégies de résolution de
problème. L’utilisation des outils informatiques doit permettre aux apprenants de
développer la capacité à réaliser des opérations cognitives de haut niveau, telles que
catégoriser, analyser, évaluer et ajuster. À cette étape, on doit travailler sur les
représentations que les apprenants ont à la fois de l’outil informatique et du travail de
révision. Cependant, il faut éviter que les élèves l’utilisent de façon inconsciente et
automatique même si l’outil est performant. Pour l’apprentissage de l’écrit en langue
étrangère par exemple, l’utilisation seule du correcticiel pour corriger les erreurs
orthographiques, syntaxiques, ne peut suffire. Les apprenants doivent prendre en compte
la textualité et les contenus du discours, la progression et la qualité de l’argumentation.
Les outils d’ingénierie linguistique peuvent donc jouer un rôle distinct de celui de
l’enseignant. Il ne nous semble pas pertinent de comparer la médiation informatique d’un
outil avec le travail de correction manuelle que peut faire l’enseignant sur les productions
des apprenants. L’outil informatique représente une aide efficace à condition d’être intégré
dans une pédagogie appropriée. Une approche qui met en avant la collaboration, le partage
de connaissances et qui, sur le plan didactique, propose des activités focalisées sur les
processus cognitifs de haut niveau, contribuera à faire de l’outil une aide précieuse et
permettra à l’apprenant d’atteindre un niveau d’autonomie cognitive souhaitable pour un
apprentissage plus efficace.
Conclusion
Nous avons repris et proposé certaines évolutions qui nous conduisent à passer des
TICe à un environnement informatisé complétant les TICe par l’ingénierie linguistique et
s’inscrivant dans le « web 2 ». Nous retrouvons ainsi certaines déclarations faites par
Piaget dans les années 1960, mais portant sur le présentiel : « Le développement des
opérations intellectuelles [ici à l’œuvre dans les opérations langagières, c’est nous les
auteurs qui le précisons] procède de l’action effective […] [la] coordination générale des
actions comporte nécessairement une dimension sociale » (Piaget, 1969 : 99). On retrouve
aussi des préoccupations énoncées, toujours en présentiel, par le mouvement du Language
awareness dans les années 1980 (cf. James & Garrett, 1991) qui liait remédiation des
erreurs et résolution de problème. Nous pourrions résumer notre approche en disant
qu’enseigner une langue étrangère c’est amener les apprenants à réaliser des opérations
cognitives et langagières dans cette langue étrangère. Pour nous, l’ingénierie linguistique
est le vecteur de la réalisation de ces opérations. Les deuxième et troisième parties de cet
article sont encore appelées à se développer en ce sens : d’une part, nous devons mieux
articuler les composantes d’un réseau socio-cognitif ; d’autre part, si nous avons
commencé à inclure la dimension « résolution de problème », il nous reste à intégrer
cartes conceptuelles, ontologies et représentation des connaissances.
Bibliographie
Caby-Guillet L. et al. (2009), Wiki professionnel et coopération en réseaux : Une étude exploratoire. Réseaux, 154, 195-
227.
recherche devrait permettre, d’une part, de concevoir et de mettre en œuvre des activités
visant au développement de l’écriture des étudiants et, d’autre part, d’élaborer un module
de formation en didactique de l’écriture médiée par ordinateur.
La première étape de cette recherche a consisté à recueillir, via une enquête en ligne,
des données sur les façons dont les étudiants universitaires utilisent les TIC dans le cadre
43
de leurs études et plus particulièrement dans leur processus d’écriture, que ce soit dans
leur langue maternelle ou en français langue seconde ou étrangère selon le contexte
d’études de ces étudiants.
Un peu plus de deux cents étudiants inscrits à des cours de français dans des universités
du Mexique, de Belgique et du Québec ont répondu à l’enquête . Ils sont majoritairement
44
4,3 % des répondants) sont, quant à eux, confrontés à la rédaction d’une thèse de doctorat
en français (20,7 %).
Les résultats de l’enquête montrent que la majorité des étudiants (79,9 %) déclarent
utiliser les nouvelles technologies pour écrire leurs travaux en dehors de la classe. Ils y ont
davantage recours pour la rédaction des textes les plus longs, comme un mémoire ou un
rapport de fin d’étude ou de stage, qui constituent des textes à coefficients forts en termes
d’évaluation et dont le résultat a un impact important sur la réussite de leur année ou de
leur programme universitaire. Pour la réalisation de ces productions écrites longues, ces
étudiants indiquent effectuer des recherches d’informations en ligne presqu’aussi souvent
dans leur langue maternelle (73 %) qu’en français (84 %). Notons enfin que l’enquête ne
permet pas de connaître comment les étudiants exploitent les fonctions « sociales » des
TIC (réseaux sociaux, messages-textes sur téléphones portables, discussions par
vidéoconférences) dans le cadre de leurs études universitaires et s’ils les intègrent dans
leur processus de recherche d’informations. Il ressort cependant des résultats que la langue
employée dans ce type d’échanges est principalement la langue maternelle de l’étudiant.
2. Les TIC comme sources de références
La seconde partie du questionnaire portait spécifiquement sur les fonctions attribuées à
l’usage d’Internet comme source de références lors de chaque étape de l’écriture, à savoir
la planification, la mise en texte et la révision (Hayes et Flower, 1980). Trois fonctions
d’Internet ont été explorées : Internet comme source de contenus scientifiques, source
d’exemples de bonne formulation en français et enfin source de conseils concernant la
correction de la langue (cf. Piolat, 1999) . 45
Les répondants déclarent consulter Internet en tant que source de contenus durant toutes
les étapes du processus d’écriture, avec néanmoins une nette prédominance dans l’étape de
la planification et dans celle de la mise en texte. En effet, alors que quatre répondants sur
cinq utilisent Internet pendant les deux premières étapes, seul un étudiant sur trois l’utilise
pour la révision. Ce constat met en lumière la faible importance souvent accordée par les
scripteurs à la phase de révision.
La recherche d’exemples de bonne formulation sur Internet est nettement plus présente
pendant la phase de mise en texte (76,6 %), mais elle apparaît aussi avec force lors de la
révision (53,1 %) et de la planification (50,6 %). Puisque, selon les étapes considérées, 3
répondants sur 4 – ou au moins 1 sur 2 – déclarent utiliser ce type de recherche, on peut
considérer que cette fonction d’Internet est capitale. En effet, il y a quelques décennies, il
était beaucoup plus difficile d’accéder rapidement à des exemples spécifiques de bonne
formulation.
Dans leur processus d’écriture, les étudiants soucieux de l’adaptation de leur niveau de
langue à leurs destinataires ainsi que de la correction de la langue (environ 40 % des
personnes interrogées) ont plus volontiers recours à Internet qu’à leurs pairs ou à leurs
enseignants pour accéder à un corpus d’exemples librement et aisément accessibles en
ligne. Précisons ici que trois étudiants sur cinq estiment par ailleurs que le rôle de
l’enseignant ne change pas fondamentalement dans une classe d’écriture qui intègre les
TIC. Cependant, à la lecture des données récoltées, il apparaît que l’enseignant n’est plus à
leurs yeux la référence principale pour les règles du français mais bien un guide dans le
choix des outils numériques qui leur permettront de mieux écrire en français (65,8 %).
Enfin, les réponses relatives à la fonction d’Internet comme source de conseils sur la
correction de la langue mettent en évidence que les répondants associent moins cet outil à
cette fonction, même si son usage n’est pas négligeable. Si près d’un étudiant sur deux
utilise Internet à cette fin pendant la mise en texte (49,5 %), un sur trois seulement y a
recours au cours des deux autres phases (30,9 % pour la planification et 35,9 % pour la
révision). Il faut néanmoins garder à l’esprit la formulation de l’item : il y était en effet
question de recherche de conseils « sur des forums ou des sites pour les apprenants de
français ». On pourrait alors se demander si ce ne sont pas la nature même du forum (outil
rarement utilisé par les répondants à 61,9 %) et la spécificité des sites évoqués (« pour des
apprenants de français ») qui justifient les faibles pourcentages obtenus. Les résultats
auraient pu être différents si nous avions intégré parmi les réponses possibles les moteurs
de recherche, dictionnaires en ligne ou autres sites généralistes, autant d’outils qui ont fait
l’objet d’une section spécifique de l’enquête que nous présentons dans la troisième partie
de cet article.
La variabilité d’exploitations des TIC dans les différentes phases de l’écriture est
possiblement liée aux différentes cultures académiques des répondants et aux orientations
des formations dans lesquelles ils sont engagés. Les étudiants de certaines institutions
impliquées dans cette recherche semblent peu initiés à la rédaction de textes longs et
souvent confrontés à des consignes universitaires d’écriture assez floues, surtout en ce qui
concerne les activités d’écriture qui sont imposées en dehors des cours de français eux-
mêmes, comme c’est le cas pour la rédaction de rapport de stage, d’essai ou de mémoire.
Ils sont peu sensibilisés à la « norme » du discours scientifique et aux genres pratiqués à
l’université. Les entretiens avec les enseignants, qui auront lieu dans la seconde phase de
cette recherche, vont nous permettre de cerner les pratiques d’enseignement de l’écrit dans
les différents contextes et, ultérieurement, de calibrer adéquatement les activités visant à
l’amélioration des compétences scripturales des étudiants.
3. Typologies des outils dans la rédaction
de textes longs en FLE(S)
La dernière partie de notre enquête était composée de questions ouvertes visant à
recueillir des informations sur les aides en ligne et en version papier utilisées par les
étudiants pour écrire en français.
3.1. L’usage des outils informatisés
Les outils informatisés d’aides à l’écriture sont multiples et peuvent provenir de
plusieurs sources (forums de discussion, correcteurs, dictionnaires, etc.). Afin de classifier
les outils en ligne nommés par les étudiants dans le cadre de cette recherche, nous nous
sommes inspirés de la typologie de Gerbault (2010) qui a regroupé les outils et les
dispositifs informatisés d’aide à l’écriture en neuf catégories qui nous ont semblé
particulièrement pertinentes dans le cadre de notre propre recherche : les « logiciels de
bureautique et correcteurs de traitements de texte (intégrés ou non aux précédents), les
traducteurs, les logiciels d’apprentissage de langue et leurs « aides », les ouvrages de
référence (grammaires, dictionnaires, etc.), les concordanciers et corpus, les logiciels
spécifiques d’aide à l’écriture, les dispositifs ludiques ou collaboratifs, les outils de
communication, les réseaux sociaux du Web 2.0. » (Gerbault, 2010 : 44). Au-delà de cette
typologie, il faut prendre en compte le fait que plusieurs sites ou plateformes intègrent
plusieurs de ces catégories d’outils. C’est le cas par exemple du site Word Reference.
Les outils en ligne les plus plébiscités par les étudiants interrogés sont les ouvrages de
référence tels que les dictionnaires bilingues (64 %) et unilingues (30 %), les outils de
traduction (34 %), les logiciels de bureautique et les correcteurs de traitements de texte
(28 %).
Les apprenants déclarent utiliser principalement des dictionnaires bilingues (64 %) et
dans une moindre mesure les dictionnaires unilingues (30 %) comme ressources
électroniques. Parmi les outils cités, nous retrouvons les sites suivants :
http://www.wordreference.com/fr/, http://www.le-dictionnaire.com/,
http://dictionnaire.tv5.org/, http://dictionnaire.reverso.net/, http://www.leo.org/,
http://www.lexilogos.com/, http://www.pons.eu/. Si tous ces sites comprennent des
dictionnaires (multilingues et unilingues), ils se caractérisent aussi par le fait que plusieurs
autres ressources y cohabitent. À titre d’exemple, le site de Word Reference, de loin le plus
populaire auprès des apprenants (21 %), comprend des dictionnaires mais aussi des outils
pour la conjugaison de verbes et pour la recherche de synonymes. Les internautes y
trouvent par ailleurs des forums de discussion où ils peuvent échanger sur des tournures de
phrases, des règles de grammaire, des expressions, etc. Il en va de même pour les espaces
numériques nommés plus haut où plusieurs fonctionnalités sont souvent regroupées dans
un même site afin d’offrir un maximum d’outils aux apprenants.
Parmi les autres ouvrages de référence en ligne cités, nous retrouvons également le site
de conjugaison Le Conjugueur (http://www.leconjugueur. com/) qui comprend lui aussi
plusieurs autres fonctionnalités ; l’outil « Dictionnaire des expressions », sans qu’aucun
site ne soit toutefois spécifiquement mentionné, ainsi que le « Dictionnaire des synonymes
et des antonymes en français », Synonymes.com (http://synonymes.com/).
Il est intéressant de noter que le moteur de recherche Google est cité par quelques
étudiants parmi les aides en ligne à l’écriture (7 %), dans la mesure où celui-ci donne
accès à plusieurs ouvrages de référence et permet d’avoir accès rapidement à de
l’information (par exemple, la graphie d’un mot) sans avoir à consulter de sites
spécifiques.
Un étudiant sur trois déclare aussi utiliser des outils de traduction sur la Toile. Et parmi
les outils les plus appréciés, nous retrouvons le traducteur de Google
(http://translate.google.fr/) et le site de traduction Reverso
(http://www.reverso.net/text_translation.aspx?lang=FR). Ces deux sites offrent la
possibilité de traduire aussi bien des chaînes de mots que de petites unités de texte. Si ces
outils peuvent certes donner une idée générale du contenu d’un texte écrit en langue
étrangère, ils demeurent toutefois perfectibles sous de nombreux aspects, la barrière de la
sémantique étant difficile à franchir (Doll et Coulombe, 2004).
Les logiciels de bureautique et correcteurs de traitements de texte (intégrés ou non aux
précédents), toujours selon la classification de Gerbault (2010), sont aussi déclarés comme
aides à l’écriture par les apprenants dans une proportion de 28 %. Le logiciel Word
(http://office.microsoft.com/fr-fr/word/) est le plus utilisé, suivi de près par le correcteur
commercial Antidote (http://www.druide.com/antidote.html) et le site Bon Patron
(http://bonpatron. com/). Antidote est clairement majoritaire au regard d’autres correcteurs
orthographiques et grammaticaux ; cela est très certainement lié au fait que l’Université de
Sherbrooke - d’où proviennent un quart des répondants – a acheté une licence
d’exploitation de ce logiciel et l’a installé sur tous les postes mis à la disposition des
étudiants.
Très peu d’apprenants semblent s’intéresser à l’aide apportée par la dimension
communicative des TIC lors de la production d’écrits longs. Le forum de discussion
apparaît comme étant l’outil de communication le plus utilisé mais par une très petite
minorité d’apprenants soit 3 %. Wikipédia, dans la catégorie des dispositifs collaboratifs,
est cité par une seule personne (0,6 %). Les réseaux sociaux, quant à eux, ne sont déclarés
par personne comme source d’aide potentielle en ligne pour écrire en français, pas plus
que les logiciels d’apprentissage de langue et leurs « aides », les concordanciers et les
corpus ainsi que les logiciels spécifiques d’aide à l’écriture. On peut faire l’hypothèse que
les apprenants ne citent pas ces outils parmi les aides potentielles soit par méconnaissance,
soit du fait que leurs enseignants ne les intègrent pas ou guère dans leurs cours et/ou ne les
encouragent pas à y avoir recours . On peut penser que ces outils ne sont pas uniquement
46
utilisés pour la rédaction de textes longs. Mais il faut aussi et surtout prendre en compte
les conditions d’accès aux trois types d’outils suivants : logiciels d’apprentissage, logiciels
d’aide à l’écriture et concordanciers, qui nécessitent le recours à des licences
commerciales payantes. Les outils en ligne en accès libre ou dont une licence a été acquise
par l’institution (comme c’est le cas pour Antidote) sont naturellement privilégiés par les
étudiants.
3.2. L’usage des outils « papier » 47
L’enquête comportait également une question sur les aides en version papier utilisées
par les apprenants. À l’instar des aides en ligne, les dictionnaires bilingues et unilingues
sont les ouvrages de référence les plus consultés par les étudiants. Les dictionnaires
bilingues (66 %) les plus utilisés varient selon la langue maternelle, bien entendu, et ce
sont les maisons d’édition les plus présentes dans le secteur qui se retrouvent dans les
réponses : Larousse, Harrap’s, Collins, Oxford, etc. Les dictionnaires unilingues sont aussi
consultés en assez grande proportion par les étudiants (43 %), les plus populaires étant Le
Robert, Le Petit Robert, Le Micro Robert et Le Larousse.
Les manuels de conjugaison – comme le Bescherelle et l’ouvrage 365 French Verbs –
sont majoritairement utilisés en version papier (39 % versus 8 % pour la version en ligne).
Les manuels de grammaire sont aussi fréquemment consultés (34 %), dont le Grévisse48,
la Grammaire française49 ainsi que la Grammaire progressive du français50. Il faut noter
que certains de ces outils font partie du matériel didactique que les enseignants des
institutions représentées recommandent ou imposent aux étudiants. Il est difficile de
connaître le pourcentage d’étudiants consultant une grammaire en ligne, ces derniers
n’ayant pas clairement nommé un outil informatisé à cet effet. Par contre, sachant que
plusieurs ressources cohabitent dans certains sites, nous pouvons émettre l’hypothèse que
les répondants consultent aussi certains outils informatisés de la section précédente pour
des notions de grammaire.
Outre les ouvrages en version papier cités plus haut, un faible nombre d’apprenants
déclarent aussi utiliser des dictionnaires d’expressions (6 %), de synonymes (2 %), de
prépositions (2 %) et de collocations (1 %). Par ailleurs, 5 % des répondants déclarent ne
pas utiliser d’outil papier quand ils ont accès à Internet. La très grande majorité des
étudiants ont donc actuellement encore recours aux deux types de ressources.
Notons enfin que les aides en ligne et sur papier nommées dans cette étude sont
sensiblement les mêmes que celles qui ont été identifiées dans une enquête antérieure
auprès d’étudiants au Mexique et au Québec (Cansigno et al., 2010) . 51
Conclusion
L’intégration des nouvelles technologies dans le processus d’écriture est une réalité
tangible pour un grand nombre d’étudiants de français langue étrangère ou seconde qui ont
participé à notre enquête, quel que soit leur pays d’origine et quel que soit le contexte
immersif ou non dans lequel ils poursuivent leurs études. Ils considèrent ces outils comme
un réel atout pour la réussite de leurs études et les utilisent dans leur langue maternelle et
en français pour (s’) informer et pour communiquer avec leurs pairs et leurs enseignants.
Grâce aux nouvelles technologies, la plupart d’entre eux se plongent dans le monde
francophone en parcourant des sites en français ou en utilisant des outils en français. Les
technologies sont utilisées pour la rédaction de travaux longs en langue seconde ou
étrangère mais beaucoup d’étudiants interrogés se disent parfois démunis lorsqu’ils
doivent construire et structurer des travaux universitaires longs, aux exigences parfois
méconnues et/ou peu explicitées par les enseignants. Les outils en ligne qu’ils choisissent
d’utiliser ne les aident que partiellement à pallier ces difficultés de structuration et sont le
plus souvent le pendant numérique des ouvrages en version papier traditionnellement
consultés dans les tâches d’expression écrite.
Bibliographie
Cansigno Y., Dezutter O., Silva H., Bleys F. (dir.) (2010), Défis d’écriture. Développer la compétence scripturale en
français langue seconde ou étrangère à l’université. Mexico : UAM, Université de Sherbrooke, CONACYT.
Doll F. et Coulombe C. (2004), L’avenir des correcteurs grammaticaux : Un point de vue industriel. Bulletin de
Linguistique Appliquée et Générale, 29, 33-50.
Eid C., Useille Ph. (2007), L’évolution des métiers du Génie logiciels : Usages des TIC et projet collaboratif de
formation médiatisée : quelle dynamique pour écrire ensemble à distance ? Baabda : EUPA.
Gerbault J. (2010), TIC : Panorama des espaces d’interaction et de rétroaction pour l’apprentissage de l’écriture en
langue étrangère. Revue française de linguistique appliquée, XV (2), 37-52.
Piolat A. (2006), Lire, écrire, communiquer et apprendre avec Internet. Marseille : Solal Editions.
La lecture littéraire et l’informatique :
mode d’emploi d’une (r) évolution
Martine CARTON
Centre d’enseignement et de recherches
des langues étrangères, Université Gakushûin, Tôkyô
Introduction
L’apprenant étranger est plein d’espoir lorsqu’il a en poche son livre écrit dans la langue
qu’il est en train d’apprendre, mais il se trouve vite dépourvu lorsqu’il ne lui reste que son
dictionnaire bilingue pour comprendre l’extrait que l’enseignant lui a donné à lire comme
travail à la maison. Son rôle se limite rapidement à écouter les explications du professeur,
le cours de lecture devenant un cours d’explication de textes. L’étudiant se demande alors
combien d’explications de textes il lui faudra écouter avant de pouvoir à son tour en faire
une lui-même, ou avant de pouvoir seulement lire. Le problème est que l’enseignant,
prenant le rôle de passeur obligé entre l’étudiant et le texte, par l’explication qu’il en fait,
met l’étudiant à distance du texte, l’en dépossède. Or, la lecture d’un texte littéraire ne doit
en aucun cas déboucher sur son explication, mais sur sa construction et le rôle de
l’enseignant doit plutôt être celui de médiateur entre l’étudiant et le texte, afin que celui-ci
puisse s’approprier le texte et en construire sa compréhension.
Depuis les années 80, sous l’impulsion de Jean Peytard, une réflexion est menée sur
l’enseignement de la littérature en FLE et les propositions pédagogiques se sont
multipliées, mais aucune, à notre connaissance, n’a encore envisagé la lecture autrement
que sur support papier. Or, à l’époque des médias électroniques, l’écrit sur support
électronique continue de faire évoluer les pratiques de lecture, dont certaines pourraient
être reprises pour l’enseignement de la lecture littéraire.
Les TICe sont maintenant largement utilisées dans l’enseignement de la langue et ont
participé à son renouvellement. Alors, pourquoi ne pas envisager de les introduire dans
l’enseignement de la littérature qui s’en trouverait lui aussi renouvelé, modernisé. Cela
redonnerait sa place au texte littéraire comme support à l’enseignement de la langue, mais
aussi et surtout à celui de la littérature.
1. Enseignement de la littérature française en FLE
En français langue étrangère, travailler sur une œuvre intégrale ne signifie pas en faire
l’étude synthétique, et réciproquement, l’analyse intégrale est inconcevable pour des
raisons de temps. Par conséquent, dans le cas d’une lecture/analyse sans traduction en
langue maternelle, l’enseignant est amené à choisir des séquences significatives de
l’œuvre qu’il analyse de manière plus précise en cours. Pour optimiser le travail de
lecture, Mireille Naturel (1995) préconise une lecture transversale de l’œuvre, mais au vu
du niveau linguistique des étudiants de FLE, elle paraît peu envisageable ou seulement sur
la traduction en langue maternelle si elle existe. Or, c’est la lecture des œuvres intégrales
qui est la plus à même de développer chez les élèves une démarche de lecture personnelle,
où interviennent non seulement l’esprit d’analyse mais aussi la lecture “braconnage”
(Dufays, Gemenne, Ledur, 2005, p.35).
En outre, en début d’apprentissage de la langue étrangère, la lecture est avant tout une
lecture mot à mot, de déchiffrage et les étudiants entraînent souvent l’enseignant
francophone vers l’explication linéaire de textes ou le cours de vocabulaire et l’enseignant
autochtone dans la direction de la traduction. Même si ces exercices peuvent présenter un
intérêt pour l’apprentissage linguistique, ils gomment ce qui fait la spécificité du texte
littéraire, sa littérarité, dont l’étude peut s’avérer tout compte fait profitable à
l’apprentissage de la langue étrangère.
2. Littérature et informatique
2.1. Le livre numérique et l’ordinateur
C’est principalement pour des raisons matérielles et de temps que l’enseignant, qui
connaît et apprécie l’œuvre dans son intégralité, se contente de la lecture d’extraits
assortie de rares références au reste du texte, mais avec la numérisation des textes
littéraires, l’accès à l’œuvre intégrale se trouve maintenant facilité et le livre numérisé,
déplacé de la table à l’ordinateur, offre de nouvelles formes de lecture que le livre papier
ne permet pas. En effet, le simple format PDF en mode texte permet de rechercher
rapidement les occurrences d’un mot ou d’une forme dans l’intégralité de l’œuvre et d’en
constituer le concordancier. Par ailleurs, un texte littéraire numérisé au format document
peut être plus facilement manipulé que le texte-papier, par exemple le couper-
copier/coller de Word permet d’extraire des parties d’un texte, de les recomposer afin
d’obtenir un nouveau texte plus propice à l’analyse.
La recherche de livres numériques s’effectue un peu comme celle des livres papier, dans
des bibliothèques numériques comme Gallica, Projet Gutenberg, Europeana (la
Bibliothèque numérique européenne) ou encore la Bibliothèque numérique mondiale
(UNESCO et Bibliothèque du Congrès américain) et aussi dans des sites de recherches de
livres numériques comme Wikisource ou Google livres. L’enseignant peut aussi numériser
lui-même le texte qu’il veut étudier, en prenant garde de respecter les droits d’auteurs.
D’un coût quasiment nul et d’un accès facile, le livre numérique augmente largement
l’ouverture du champ littéraire aux étudiants tributaires jusqu’à présent de la photocopie
d’extraits de textes que l’enseignant met à leur disposition.
L’environnement informatique offre aussi l’avantage de pouvoir compléter la lecture du
texte numérique par les ressources informatiques en ligne que l’enseignant consulte
souvent pour la préparation de ses cours, mais qu’il utilise rarement telles quelles en
cours. Citons par exemple les dictionnaires et encyclopédies en ligne , les sites Internet
52
dédiés au texte étudié ou à son auteur qui associent souvent écrit, image et son, ou encore
les bases de données littéraires qui permettent d’étendre les recherches à d’autres œuvres
du même auteur ou du même genre. La liste est longue et doit faire l’objet d’un choix
raisonné, mais l’utilisation de ces ressources en cours permet de proposer de nouvelles
approches du texte littéraire et de réduire l’écart entre l’enseignement universitaire de la
littérature et les nouveaux modes de communication dans lesquels baigne la génération
actuelle des étudiants.
2.2. Informatique, l’ergonomie du partage
Les salles informatiques offrent un nouvel environnement de travail et permettent de
revoir complètement la physionomie du cours de littérature, conçu jusqu’à présent autour
du livre papier et du savoir de l’enseignant.
Dans ces salles, chaque étudiant dispose d’un ordinateur, d’un espace disque dur
personnel équipé des principales applications de Microsoft ou autres et d’une connexion
Internet. L’enseignant, grâce à un logiciel de gestion de réseau de classe, garde un œil sur
la navigation Web des étudiants et surveille leur utilisation de l’ordinateur. Il peut prendre
aussi les commandes de l’ordinateur d’un étudiant pour y démarrer n’importe quelle
application ou simplement guider l’étudiant dans son travail en cours. À partir du logiciel
de gestion, l’enseignant peut montrer son ordinateur sur tous les postes de la classe,
partager tous les écrans de la salle, les programmes de démarrage, ou visiter des sites Web.
L’espace de travail est simplifié, l’objet ou le matériel du cours est contenu dans
l’ordinateur sous forme informatique (document Word, PDF, image, document MP3, etc.),
il est visible par tous les membres de la classe, ainsi que tout ce qui est fait par
l’enseignant ou un étudiant à l’ordinateur. Ce matériel rend possible une totale interactivité
entre l’étudiant, l’enseignant et l’objet du cours qui est, dans notre cas, la lecture d’un
roman dont nous présentons ci-après la démarche.
3. Parcours de lecture à l’ordinateur
L’approche informatique de la lecture littéraire que nous proposons n’est en rien un
modèle qui serait applicable à tous les textes littéraires, il s’agit plutôt d’un programme de
découvertes selon un système de séquences qui s’imbriquent les unes dans les autres
(Yerlès, Lits, 1992, p.111) et qui se déclinent selon le texte littéraire que l’enseignant et ses
étudiants/lecteurs pratiquent ensemble. Plutôt que de multiplier les exemples glanés
judicieusement dans différents textes littéraires, nous avons pris comme unique référence
la lecture de L’Aiguille creuse de Maurice Leblanc, dans un souci de clarté, mais aussi
pour montrer que notre démarche convient parfaitement à la lecture d’une œuvre littéraire
intégrale, exercice risqué avec un public étranger.
3.1. Le paratexte, auxiliaire du texte
La première étape s’intéresse au paratexte qui est un auxiliaire […] un accessoire du
texte. (Genette, 1987, pp.376-377). Souvent plus visible que celui de l’auteur lui-même, le
nom d’Arsène Lupin est un élément constant des couvertures des 19 romans de la série. La
première livraison des aventures d’Arsène Lupin commence le 15 juillet 1905 avec la
publication, dans la revue Je sais tout, du premier feuilleton, L’Arrestation d’Arsène
Lupin, qui constitue l’acte de naissance littéraire du personnage. La reproduction de
l’original de la revue téléchargée en mode PDF sur Gallica est envoyée sur le poste de
53
chaque étudiant. À la page 708, se trouve le début de la nouvelle, précédée d’un bandeau
de présentation :
Le talent, le génie des malfaiteurs modernes semble prendre à notre époque, où tout se civilise, même le mal, des
proportions grandioses. – Qui peut se vanter d’échapper aux criminelles entreprises d’un coquin de l’envergure de
celui dont le récit que nous publions expose l’extraordinaire aventure !
1909. Ces deux modes de publication ont été présentés en classe et la version numérisée
au format PDF a été déposée sur l’ordinateur de chaque étudiant. Visualiser à l’écran et
55
distribuer sur l’ordinateur des étudiants les versions numérisées des romans au programme
aide à faire prendre conscience aux étudiants qu’un livre n’est pas créé une fois pour
toutes, puis gardé en l’état, mais qu’il subit des transformations au cours du temps. Ceci
enlève un peu du caractère sacré que le livre rédigé en français revêt aux yeux des
étudiants étrangers, les encourage à le manipuler et donc à le lire avec moins de craintes et
de scrupules.
3.2. Écouter silencieusement la lecture
Après l’étude du paratexte vient la deuxième étape du parcours de lecture, celle de la
lecture proprement dite du premier extrait étudié, l’incipit qui va de « Raymonde prêta
56
l’oreille. » à « Sauf cela rien. » Ce découpage est justifié par la présence d’un blanc
57
typographique et par le fait qu’il forme une unité de sens, [correspond] à une même
concentration de l’intérêt [et forme] un tout cohérent dans le temps et dans l’espace.
(Schmitt, Viala, 1982, p.27). Le centre d’intérêt est la mise en place des lieux, des
principaux personnages et de l’énigme du crime qui a lieu dans la nuit, vers 4 heures du
matin, au château d’Ambrumésy. Dans le cours de lecture, il est de coutume de faire lire
l’extrait du livre à haute voix, mais dans le cas d’apprenants de FLE dont la lecture est
encore ânonnante, il est préférable de la remplacer par l’écoute de l’enregistrement du
texte, parce que cette lecture capte mieux [l’attention des auditeurs] et répond davantage
à l’économie de “progression” ou d’élaboration progressive du sens, dimension
fondamentale de la lecture littéraire souvent mise entre parenthèses par les démarches
critiques. (Dufays, Gemenne, Ledur, 2005, p.200).
Il est facile maintenant de télécharger sur Internet, gratuitement ou pour un prix
modique, l’enregistrement d’œuvres lues soit par l’auteur lui-même, soit par une ou
plusieurs voix. L’enseignant peut aussi enregistrer sa propre lecture sur ordinateur à l’aide
d’un dictaphone ; la synthèse vocale d’un texte numérisé donne aussi aujourd’hui des
résultats tout à fait audibles. Le fait qu’il existe un enregistrement de L’Aiguille creuse
58
lue par 22 comédiens a été décisif dans le choix de cette œuvre. Les 6 CD mis au format
MP3 peuvent être écoutés par portion à partir de l’ordinateur de l’enseignant avec le livre
numérisé affiché sur l’écran de chaque étudiant. L’écoute répétée une ou deux fois de cet
enregistrement de qualité, qui dramatise de manière juste le texte de Leblanc, guide
l’étudiant dans sa première approche du texte. Elle peut être complétée ultérieurement par
la production vocale par les étudiants.
Loin d’être un simple gadget, l’ordinateur réduit considérablement le travail proprement
matériel de l’enseignant, qui peut s’avérer important dans le cas d’un cours de littérature :
transporter le lecteur de CD, rechercher la plage sonore avec une bonne ou mauvaise
restitution du son, tourner les pages du livre, veiller à ce que chaque étudiant ait bien son
livre, ouvert à la bonne page. Souvent les enseignants, lassés de perdre du temps dans des
tâches trop matérielles, abandonnent à regret certaines activités. L’ordinateur facilite ces
tâches et l’ergonomie est un élément important dans la lecture, le narrateur de Du côté de
chez Swann aurait-il lu autant s’il ne l’avait pas fait par de beaux après-midi du dimanche
sous le marronnier du jardin de Combray (Proust, 1913) ?
3.3. Lecture non-linéaire du texte numérique
Après la lecture du texte, l’enseignant a l’habitude de donner le premier extrait du livre
à lire aux étudiants comme travail à la maison. Sans consigne particulière de lecture, les
étudiants lisent la traduction dans leur langue maternelle si elle existe ou alors [traduisent]
d’une façon méthodique et méticuleuse, […] chaque mot dans son ordre d’apparition.
(Coubard, Pauzet, 2002). Selon, Lehman (1980), cette lecture mot à mot, ou encore
linéaire, est à rejeter parce qu’elle amène celui qui la pratique à considérer isolément et
successivement chaque signe, en faisant appel à une compétence essentiellement lexicale,
laquelle n’existe pas en début d’apprentissage. C’est là une double impasse, puisqu’en
même temps la possibilité de développer des stratégies de compréhension se trouve
bloquée. À la place de cette lecture linéaire, Jean Peytard (1988, p.16) invite à lire le texte
dans sa tabularité, mais à l’époque où il écrit, la lecture du livre papier rend difficile une
lecture tabulaire ou, autrement dit, verticale. Il est plus facile de l’envisager de nos jours
grâce au livre numérique qui offre lui des modes de lecture beaucoup plus variés, comme
justement la lecture tabulaire.
La consigne de Peytard de lire le texte dans sa tabularité suivie au pied de la lettre
consiste à transformer le texte en un tableau afin d’en faciliter la lecture, c’est la troisième
étape de notre parcours de lecture. Nous avons déjà utilisé de manière ponctuelle la
méthode de lecture globale initiée par Sophie Moirand (1979), pour la lecture de
documents authentiques (Carton, 2003), mais utilisée de manière systématique, elle
permet en effet de transformer tout texte en tableau et d’initier des stratégies de lecture
autres que linéaires. Les entrées du tableau sont choisies parmi les questions dites de
Quintilien , elles varient évidemment selon le contenu et le mode d’expression du texte et
59
descriptive, le tableau fait bien apparaître les indicateurs de lieu et de temps, l’emploi des
verbes d’état et/ou de mouvement. Le lexique de la perception auditive, Raymonde prêta
l’oreille et celui sous-entendu de la perception visuelle dans la phrase, elle écarta les
battants de sa fenêtre, indiquent que c’est bien Raymonde qui entend et voit et elle aussi
qui assume la voix narrative de cette séquence.
La mise en tableau oriente la lecture, rassemble et met en relief des éléments disséminés
dans le texte sur lesquels peuvent s’appuyer une compréhension et une analyse plus
détaillées. Cette lecture critique, adaptée au public FLE, ne vise pas l’exhaustivité, mais
grâce à une lente cristallisation du procédé, à rendre les étudiants plus autonomes face à
d’autres textes.
3.5. Le texte, un organisme explosant
L’approche globale, puis l’approche textuelle et discursive sont des étapes obligées du
parcours de lecture de tout texte, mais le texte littéraire invite le lecteur vers une étape
supplémentaire, afin de faire accéder au signifiant, au jeu du signifiant, à l’écriture, de
faire accéder à la symbolisation. (Barthes, 1971, p.181). Barthes encore invite
l’enseignant à se servir du texte comme d’un organisme explosant, c’est-à-dire d’y pointer
le signifiant-détonateur, de déclencher l’explosion et d’en suivre les éclats dans le texte et
à l’extérieur du texte. Concrètement pour Jean Peytard (1982, p.145), il s’agit par
l’analyse de faire voir, de pointer l’endroit où l’effet polysémique a chance (possiblité) de
se manifester ; de signaler les lieux du texte susceptibles de produire des pistes de lecture
variables et différentes et nous ajoutons, de faire jouer entre elles les diverses
significations qui s’en dégagent.
La description de la 1 séquence assumée par la voix narrative de Raymonde comprend
ère
difficile à utiliser. Alors, c’est souvent le professeur qui fait office de dictionnaire (vivant)
et qui explique les différentes significations d’une expression, les étudiants devenant des
récepteurs [du] texte, mais nous pensons comme Barthes (1971, p.185) qu’il serait bon de
[…] tenter une sorte de ré-élaboration très profonde des idées, des pratiques du texte, de
l’écriture de façon que lire soit vraiment en quelque sorte écrire et qu’on puisse au fond
amener les adolescents à une espèce de pratique de l’écriture, une pratique du signifiant,
une pratique symbolique, si vous voulez, qui soit un véritable travail.
4. Dictionnaire et texte numérisé
Sur le terrain, le véritable travail de cette pratique constructiviste consiste à déceler les
endroits du texte susceptibles d’ouvrir sur des sens multiples et de les soumettre à
l’examen du dictionnaire pour les faire exploser.
La consultation en ligne et en direct du TLFI – plus commode que les 16 volumes de la
62
version papier – indique que le mot silhouette s’applique aussi bien à une personne qu’à
un objet. La définition de l’adjectif tragique donne les acceptions suivantes :
1) Qui appartient, qui est propre à la tragédie ; 2) Propre à la tragédie, à une situation conflictuelle, dramatique,
douloureuse, dans laquelle une personne est prise comme dans un piège dont elle ne peut s’échapper, par analogie,
une personne sur qui s’acharne le destin ; qui choisit un destin contraire à ses propres désirs ; 3) Qui est marqué
par quelque événement effroyable, désastreux ; qui émeut, qui bouleverse par son caractère effroyable, désastreux
et par métonymie, Forêt, mer, paysage, plaine, ville tragique ; date, lettre tragique ; 4) Qui exprime la terreur,
l’angoisse, une émotion violente.
Tragique s’applique principalement aux personnes, sauf dans son emploi métonymique,
par conséquent l’expression silhouettes tragiques tendrait plutôt à désigner des silhouettes
de personnes – tragiques. Il est alors aisé de demander aux étudiants de faire des
hypothèses, dans un premier temps, en croisant les différentes définitions, puis en les
soumettant, non pas à la lecture cursive du texte puisqu’elle est impossible dans le cadre
d’un cours de FLE, mais à la lecture des contextes des occurrences de silhouette et
tragique. Les étudiants font eux-mêmes cette recherche dans l’édition PDF de L’Aiguille
creuse, les occurrences du mot silhouette confirment que le mot s’applique aussi bien à
une personne (4 occurrences) qu’à un objet (2 occurrences). C’est donc le mot tragique
qui peut aider à lever l’ambiguïté, il compte 5 autres occurrences :
Et il y avait quelque chose d’impressionnant et de tragique à savoir que, dans quelque refuge ténébreux, gisait à
même le sol, sans secours, fiévreux, épuisé, le célèbre aventurier. (p.45)
Un peu d’émotion tout de même les envahit à l’aspect de ce livre que la reine avait touché en des jours si
tragiques, que ses yeux rougis de larmes avaient regardé… (p.140)
Cette double signature, ces deux noms accouplés, découverts au fond du livre d’heures, cette relique où dormait,
depuis plus d’un siècle, l’appel désespéré de la pauvre reine, cette date horrible, 16 octobre 1793, jour où tomba la
tête royale, tout cela était d’un tragique morne et déconcertant. (p.141)
– Allez-vous-en, murmura-t-il [Herlock Sholmès], on nous regarde… c’est dangereux… Mais rappelez-vous mes
paroles : le jour où Lupin et moi nous serons l’un en face de l’autre, ce sera… ce sera tragique. (p.167)
Spectacle pitoyable ! Beautrelet ne devait jamais en oublier l’horreur tragique, lui qui savait tout l’amour de Lupin
pour Raymonde, et tout ce que le grand aventurier avait immolé de lui-même pour animer d’un sourire le visage
de sa bien-aimée. (pp.216-217)
Le travail final est alors de vérifier la validité des hypothèses émises auparavant, ce qui
permet aussi d’établir une sorte de résumé du roman : l’expression silhouettes tragiques de
l’incipit annonce la fin tragique de l’histoire. L’Aiguille creuse, rangé dans la catégorie
roman policier, est aussi une tragédie : le décor de la première scène est un décor de
tragédie, où apparaissent des silhouettes d’acteurs tragiques qui viennent de l’ombre et y
retournent à la fin du roman. Ils sont pris dans le piège de leur destinée, fatale pour
Raymonde qui replonge dans le profond sommeil (n’a-t-elle pas rêvé toute cette histoire ?)
dont l’avait tirée Lupin qui, lui, est condamné à la solitude fondamentale du voleur. La
liste des interprétations n’est pas close et l’ambiguïté subsiste parce qu’elle est dans le
texte : y sont encodées à la fois l’indication qu’un choix est possible entre plusieurs
interprétations, et l’impossibilité de décider de ce choix. (Riffaterre, 1971, p.340).
Les récits, même ceux qui ne semblent susciter aucun questionnement, aucune lecture
diagonale, sont riches en expressions subjectives ou suggestives qui ouvrent la voie à la
lecture. L’expression silhouettes tragiques n’avait pas particulièrement retenu l’attention
des étudiants qui avaient trouvé son équivalent dans leur langue grâce à leur dictionnaire
ou dans différentes traductions. Mais son analyse a donné lieu à un véritable travail sur la
polysémie, sur le jeu des signifiants, parce que, comme Peytard (1988, p.11), nous
pensons que l’écriture [instaure] le texte comme un prodigieux et étonnant laboratoire
langagier, où l’on a la chance d’observer et de comprendre ce que c’est qu’une langue.
Concevoir la littérature [et son enseignement] comme le produit du langage au travail
devrait permettre de [ré] concilier enseignement de la langue et littérature.
5. L’informatique, ouvroir de littérature
Si l’incipit ouvre la voie à l’intégralité du roman, l’expression silhouettes tragiques est
peut-être aussi une des clés qui ouvre la voie au vaste champ de la littérature. En effet, au
terme de l’étude de cette expression devenue fameuse dans la classe, les étudiants ont posé
la question : Maurice Leblanc est-il le seul à avoir utilisé l’expression silhouettes
tragiques ? Il est certain qu’ils n’auraient pas osé poser cette question s’ils avaient
seulement eu le livre sous sa forme papier, mais depuis plusieurs séances qu’ils maniaient
les textes numériques et Internet, ils se demandaient si ceux-ci ne pouvaient pas aussi
répondre à cette question.
Depuis la mise en ligne des bibliothèques électroniques et des bases de données
littéraires, il n’est plus insensé de poser ce genre de question, en se servant par exemple du
moteur de recherche avancée de Google livres, qui indique en quelques secondes les 20
références dans lesquelles figurent cette expression. Parmi ces références, 18 sont des
revues, deux seulement sont des œuvres littéraires, L’homme qui rit de Victor Hugo : Il
63
ne voyait que l’éclair hideux de cette épée. Le reste, Josiane, la chambre des lords, était
derrière, dans un monstrueux clair-obscur plein de silhouettes tragiques. (c’est nous qui
soulignons) et L’Aiguille creuse de Maurice Leblanc ! La même recherche effectuée sur
Frantext , base de données littéraires à laquelle de nombreuses universités sont maintenant
64
abonnées, indique une seule référence, celle de L’Homme qui rit de Victor Hugo, en effet,
les œuvres de Maurice Leblanc ne sont pas encore répertoriées dans la base.
Cette découverte soulève une autre question : Maurice Leblanc s’est-il inspiré de Victor
Hugo ? Comme source d’inspiration, on cite souvent Joseph Rouletabille, le héros de
Gaston Leroux , mais jamais Gwynplaine, le héros tragique de L’Homme qui rit. Pourtant,
65
les deux romans et leurs héros, Arsène Lupin et Gwynplaine, présentent de nombreuses
similitudes qui invitent à relire L’Aiguille creuse sous un autre angle. Il est alors possible
de comparer les deux romans en cherchant sur le Web des résumés de L’Homme qui rit,
mais aussi en mettant les index hiérarchiques et alphabétiques des formes des deux romans
en correspondance grâce à un logiciel de lexicométrie, comme Lexico3 . Ce travail
66
réserve encore bien des surprises aux étudiants et ne manquera pas de leur donner envie de
lire le roman de Victor Hugo, plus connu en général comme l’auteur des Misérables que
de L’Homme qui rit.
Ce travail final est un moyen de montrer que la littérature est un réseau de textes qui se
répondent les uns aux autres et qu’un texte est toujours la réécriture d’autres textes et ainsi
de suite, autrement dit un moyen pour l’étudiant étranger d’entrer dans le champ littéraire
de la langue de l’autre.
Conclusion
Nous pensons comme Seymour Papert, qu’« apprendre à communiquer avec un
ordinateur a toutes les chances de modifier la façon dont se déroulent les autres
apprentissages » (1981, p.16) et que, par conséquent, le dispositif informatique,
fonctionnalités des salles informatiques, Internet et texte numérique, modifie le mode
d’apprentissage de la lecture littéraire et la distribution des rôles que chacun, enseignant,
apprenant et texte/savoir, joue. En effet, la salle de cours fonctionne comme une
machinerie informatique où l’enseignant fait la même chose que les apprenants, au même
endroit, avec les mêmes moyens et travaille en relation avec eux, et tout cela
réciproquement. Grâce au texte numérique qui permet une lecture multiple et
multidirectionnelle et aux ressources documentaires sur le Web, l’étudiant se trouve – ou
se pense – doté quasiment des mêmes moyens que l’enseignant et peut participer
activement au processus de lecture dans lequel l’enseignant joue alors le rôle de
médiateur.
Si le dispositif informatique nous paraît incontournable pour l’apprentissage de la
lecture littéraire, il est d’abord un ensemble de matériaux et d’outils (Ibid., p.215) pour
faire lire, libre à l’étudiant de l’abandonner lorsqu’il sait lire, ou de l’adopter.
Bibliographie
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Carton M. (2003), Une autre façon de travailler l’écrit : la compréhension-production de documents authentiques,
Enseignement du français au Japon, Société japonaise de didactique du français, 31, 39-49.
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Genette G. (1987), Seuils. Paris : Seuil.
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Papert S. (1981), Jaillissement de l’esprit : Ordinateurs et apprentissage. Paris : Champs-Flammarion/210, trad. Rose-
Marie Vassallo-Villaneau.
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Peytard J. (1988), Des usages de la littérature en classe de langue. Le français dans le monde, Littérature et
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Proust M. (1913), À la recherche du temps perdu. Du côté de chez Swann.
Riffaterre M. (1971), L’explication des faits littéraires. In Doubrovsky S., Todorov T., L’Enseignement de la littérature :
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Schmitt M.-P., Viala A. (1982), Savoir-lire Précis de lecture critique. Paris : Didier.
Yerlès P., Lits M. (1992), Pour une didactique de la littérature. Dialogues et cultures (Québec), 36 : 107-118.
Pour une pratique créaTICe de la lecture ou du bon usage
des TIC en classe de français langue étrangère
Alexandre EYRIES
Université de Nice Sophia Antipolis
L’histoire et le développement des Technologies de l’Information et de la
Communication pour l’Éducation (TICE) sont parallèles aux mutations profondes du
système scolaire français dans son ensemble. Très tôt, l’école a caressé l’idée d’inclure les
médias et les dispositifs techniques dans son projet pédagogique et éducatif, qu’il s’agisse
de la radio à vocation scolaire dans les années 1930, de la télévision dans les années 1950,
de l’informatique à partir de 1970, du magnétoscope (dans les années 1980) ou encore du
multimédia à partir de 1990. Un imaginaire techniciste précoce sous-tendant les
programmes et certaines orientations pédagogiques, la question des TIC (Technologies de
l’Information et de la Communication) est rapidement devenue importante en France et en
Europe : « l’acronyme TIC […] renvoie bien aux deux principales potentialités des
systèmes informatiques : l’accès, de manière délocalisée, à une grande quantité
d’informations […] sous forme numérique, et la communication à distance selon diverses
modalités […], la plus populaire étant la toile mondiale67 ».
À cette époque, on n’envisage pas encore les énormes potentialités d’exploitation
pédagogique que recèlent Internet et les différents outils technologiques favorisant
l’information et la communication. Il faudra attendre le milieu des années 1980 pour que
l’institution commence à s’intéresser aux ressources des TIC et à leurs apports
pédagogiques dans le contexte scolaire français. Le Plan Informatique pour tous présenté
le 25 janvier 1985 par Laurent Fabius à la presse a constitué la première initiative étatique
pour tenter d’initier les 11 millions d’élèves du pays à l’usage de l’outil informatique et
d’assurer la formation de plus de cent mille enseignants pour leur permettre d’utiliser ce
matériel. Malgré les vives critiques subies, ce plan a permis à de nombreux élèves et
professeurs de s’initier à l’informatique. Vingt-quatre ans plus tard, le Plan de
développement des usages du numérique à l’école dévoilé par Luc Chatel en novembre
2009 entend faciliter l’accès à des ressources numériques de qualité, former et
accompagner les enseignants, généraliser les espaces numériques de travail et enfin former
les élèves à l’usage des technologies de l’information et de la communication. Ces deux
exemples montrent que, depuis plus de vingt ans, une préoccupation constante mobilise
les milieux institutionnels : celle de donner aux apprenants des compétences techniques et
des outils pour produire, traiter, classer des informations, lire des documents numériques
dans une perspective d’apprentissage. La didactique des langues étrangères n’a pas
échappé à cette révolution des Technologies de l’Information et de la Communication pour
l’Éducation qui a induit non seulement une révolution des pratiques pédagogiques, mais
aussi une métamorphose profonde des stratégies d’apprentissage. C’est ce qu’on peut lire
dans l’article « TIC-TICE » du Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et
seconde : « la didactique des langues, plus que d’autres disciplines, s’est toujours
intéressée aux technologies, ne serait-ce que parce que celles-ci permettent de faire entrer
le monde extérieur dans la salle de classe. À ce niveau aussi, il est classique de distinguer
la fonction d’information […] et la fonction de communication, qui permet aux acteurs
(enseignants, apprenants) d’entrer en contact à distance […], de collaborer à des projets
(apprentissages collaboratifs assistés par ordinateurs) 68 ». Les TICE ont induit de
profonds changements dans les stratégies d’apprentissage, mais aussi dans les pratiques de
lecture. Au contact des Technologies de l’Information et de la Communication pour
l’Éducation, l’acte de lecture s’est transformé en profondeur. Le présent article
s’intéressera dans un premier temps à l’évolution et à la refondation du concept de lecture
à l’aune du développement des Technologies de l’Information et de la Communication
pour l’Éducation. Il analysera ensuite la rencontre des textes littéraires et des TICE
comme une révolution problématique.
1. La lecture (en ligne) : une pratique et
un concept en évolution
Le développement des outils informatiques et des systèmes multimédias, ainsi que
l’essor des aides logicielles de toute sorte a engendré une si nette évolution du concept de
lecture que je me propose de clarifier celui-ci et son acception dans le champs de la
didactique des langues étrangères : « en didactique des langues, on aborde généralement
la lecture par trois voies différentes : le choix des textes à lire, la nature des activités
pédagogiques, et l’accès au sens des messages écrits 69 ». La lecture est une opération
métalinguistique essentielle lorsque l’on apprend une langue étrangère. Quelles sont donc
les principales différences existant entre la lecture traditionnelle et la lecture recourant à
des aides logicielles, à des outils technologiques de facilitation de la compréhension
écriture ? Y a-t-il une influence notable du support sur la définition de nouveaux objectifs
de lecture et sur l’acquisition de compétences lectorales suffisantes ? C’est ce que je vais
tenter d’aborder dans la section ci-dessous.
1.1. Du papier à l’écran : à nouveau support, nouveaux objectifs
La lecture, selon qu’elle se déroule à partir d’un livre papier ou sur un support
informatique ou numérique, s’appréhende selon des procédures radicalement différentes.
Les livres numériques (e-books) modifient le rapport du lecteur au livre, le papier (son
grain et son odeur) étant remplacé par l’écran tactile. Comme le disent Béatrice Pudelko,
Jacques Crinon et Denis Legros dans le chapitre intitulé « Lecture et compréhension de
textes » de l’ouvrage Psychologie des apprentissages et multimédia : « la présentation du
texte sur écran est traditionnellement signalée comme un handicap pour la lecture 70 ».
De nombreux didacticiens et enseignants ont accompagné de leurs réflexions
l’introduction des TICE dans la classe de langue et fait part de leurs inquiétudes relatives à
la question de la lecture en Français Langue Etrangère. Toute lecture véritable doit être
située, assortie d’un paratexte et d’une situation de communication spécifique. Or, comme
on le constate aisément, de nombreux logiciels de lecture se caractérisent par une absence
totale de contextualisation ce qui en rend l’utilisation difficile pour les étudiants. Le propre
de l’acte de lecture, selon les psychologues cognitivistes, est d’opérer, un constant aller-
retour entre le code et le sens et c’est bien ce que permettent les supports informatiques et
les aides logicielles à la lecture : « la compréhension d’un texte est un double processus
d’intégration d’informations et de confrontation de ces informations avec les
connaissances générales du lecteur, qu’elle dépend donc autant de la cohérence du texte
que de sa plausibilité par rapport à l’expérience préalable du sujet 71 ». Il n’est donc pas
entièrement exact de relier certaines difficultés de lecture d’apprenants de FLE à la nature
particulière du document télématique. L’écran d’ordinateur formate par conséquent l’acte
de lecture. Il fait appel aux « capacités d’inférence du lecteur, ses habitudes de
localisation d’unités significatives (typographie, organisation textuelle, lexique, données
grammaticales), [à] sa facilité à développer des formes de lecture différentes selon la
nature des textes et ses intentions (lecture sélective, lecture de survol, lecture rapide,
lecture approfondie accompagnée ou non de prise de notes, lecture savante […]) 72 ». Si
une lecture classique fait intervenir la culture du lecteur et se situe à la conjonction de
données conceptuelles, d’aptitudes comportementales et de capacités pragmatiques, la
lecture « écranique » diffère par une faculté à mobiliser sans cesse des informations
annexes permettant d’éclairer le texte. Comme l’écrit Thierry Lancien dans son ouvrage
Le multimédia (Clé International, 1998) : « l’hypertexte permet de mettre en rapport un
premier texte, présent à l’écran, avec d’autres textes qui sont appelés et apparaissent
alors à leur tour sur un même écran 73 ». La dimension hypertextuelle transforme la
lecture sur un écran en une activité d’exploration qui engendre de la signification par la
mise en concordance d’opérations manuelles (cliquer sur des icônes, faire défiler des
pages, mettre en relation des documents), visuelles (couleurs, image fixe ou animée) et
auditives (sonorité produite par l’action des doigts sur les touches de l’ordinateur,
sonorisation du document, insertion de divers documents audio). Cela induit une
transformation significative de la posture du lecteur qui est simultanément spectateur,
intervenant, auteur et explorateur. La lecture sur écran permet de réactiver certaines
opérations cognitives qui ont été autrefois à l’origine de l’apparition de l’écriture : mise en
relation d’éléments épars pour créer du sens, communication à distance avec des
interlocuteurs physiquement absents, ramener l’inconnu au connu ou (pour mieux dire)
rendre visible l’invisible. L’ordinateur permet ainsi de faire entrer en résonance le lecteur
avec le monde extérieur au moyen de la multiréférentialité propre aux documents
multimédias : « la multiréférentialité intra et intertextuelle […] permet sur un support
multimédia de mettre en rapport une œuvre (littéraire, musicale ou plastique) avec ses
sources, sa genèse, ses différentes versions 74 ».
La transformation des habitudes de lecture par le multimédia constitue un enjeu
didactique de premier plan et définit, pour l’enseignant, de nouveaux objectifs
pédagogiques. Elle appelle aussi une nécessaire refondation de la didactique de la lecture
(et pas seulement littéraire) en classe de langue.
1.2. Quels textes pour quel projet didactique ?
Les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education ont induit
une véritable révolution copernicienne dans la manière de penser l’utilisation de
documents authentiques de nature textuelle. Qu’il s’agisse ou non de lecture médiatisée
par ordinateur, en didactique des langues, « les activités de lecture ont aussi pour fonction
de restaurer, chez le lecteur rendu malhabile par la méconnaissance de la langue
étrangère, des stratégies de lecture automatiques en langue maternelle, mais
occultées 75 ». Lorsque l’enseignant de Français Langue Etrangère désire faire lire à ses
étudiants des textes linguistiquement riches et syntaxiquement intéressants, il n’a que
l’embarras du choix. Le premier choix à opérer réside dans la sélection d’un certain
nombre de sites fonctionnant comme des bibliothèques numériques ou des catalogues
d’œuvres en ligne. Je ne donnerais ci-dessous que quelques exemples de sites qui sont le
résultat d’une rapide recherche. Cette brève navigation sur Internet a permis de trouver en
quelques minutes des textes et des œuvres littéraires sur Internet :
Le professeur peut au choix exploiter les ressources du site ABU.cnam.fr (qui permet
depuis 1993 l’accès libre au texte intégral de nombreuses œuvres françaises et
francophones du domaine public disponibles sur Internet. Ce site se définit comme
une bibliothèque universelle).
Le site algérien Oasisfle.com propose une sélection d’œuvres littéraires françaises et
francophones (en format Word ou PDF) utilisables en classe de Français Langue
Etrangère.
La Médiathèque Départementale du Haut-Rhin (à l’adresse suivante :
http://www.mediatheque.cg68.fr/livrenum.html) fournit un accès à des livres
numériques majoritairement de littérature de langue française mais aussi de littérature
anglaise et même latine.
Le site FLE.NET (rattaché à l’Université de Léon en Espagne) propose trente-sept
textes littéraires lus accessibles en fichiers audio et faisant entendre non pas la voix
de l’auteur, mais la voix du texte.
Enfin et surtout, le site belge Internet Actuel (http://www.internetactuel.be/) offre une
base de données dynamique de textes authentiques actuels exploitables dans le cadre
de l’apprentissage du Français Langue Etrangère.
Une fois repérées les pages web offrant un libre accès à de très nombreux textes
(authentiques ou littéraires) écrits en langue française (ou même en francophonie),
l’enseignant de FLE doit ensuite élaborer un projet didactique permettant d’exploiter les
configurations techniques imposées par le développement de l’informatique dans la
société contemporaine. Les œuvres littéraires intégrales présentent un incontestable intérêt
pour les apprenants dans la mesure où elles leur imposent un effort soutenu de lecture et
de concentration et les obligent à développer des stratégies à propos desquelles O’Malley
et Chamot ont proposé le classement suivant :
les stratégies métacognitives (amenant à réfléchir sur le processus d’apprentissage) ;
les stratégies cognitives (correspondant au traitement de la matière à étudier, en
l’occurrence la langue française) ;
les stratégies socio-affectives (impliquant une interaction avec une autre personne,
qu’il s’agisse d’un autre apprenant ou du professeur lui-même).
Les œuvres intégrales peuvent constituer des ressources de choix mais, en fonction de la
progression de l’enseignant, de la durée de chaque séance (qui est en générale édictée par
l’institution au sein de laquelle il exerce), il sera plus judicieux d’avoir recours à des
extraits choisis pour leurs qualités linguistiques, stylistiques et esthétiques. L’enseignant
pourra donc puiser dans la banque d’extraits de textes littéraires disponibles sur les sites
suivants :
AD LITTERAM (http://membres.multimania.fr/adlitteram/titres) propose de cours
extraits de textes littéraires qui seront plus adaptés pour des apprenants débutants de
niveau A0/A1. L’enseignant pourra également exploiter ces textes comme des
embrayeurs d’activités de repérage d’unités de la langue ou de composants
syntaxiques.
CLICNET (http://clicnet.swarthmore.edu) met à disposition des enseignants de
Français Langue Etrangère des textes littéraires classiques ou contemporains, des
textes émanant de chercheurs en littérature ou en didactique. Ce site très riche offre
de multiples possibilités d’exploitation en classe de langue.
Pour mener à bien un atelier d’écriture recourant aux TICE en classe de Français
Langue Etrangère, l’enseignant doit s’assurer préalablement qu’un certain nombre de pré-
requis sont réunis :
Le principal intérêt d’un atelier d’écriture informatique réside dans la possibilité, pour
l’apprenant, de travailler soit en autonomie devant son écran d’ordinateur, soit de manière
collaborative. Dans ce cas précis, le texte de l’un des apprenants est proposé à tout le
groupe par l’intermédiaire du vidéo-projecteur. Il est ensuite commenté oralement,
amendé par le groupe, soit sur le fichier informatique lui-même qui est alors envoyé par
mail à chaque participant ou mis à disposition sur un wiki. Ce système, qui sert à gérer le
contenu d’un site web, permet de créer un espace de travail accessible à un groupe
d’étudiants précis. Les étudiants peuvent accéder sur le wiki, qui leur est réservé par leur
professeur, à un texte produit par l’un d’entre eux qu’ils pourront amender, compléter,
prolonger ou au contraire synthétiser. Le texte ainsi réécrit collectivement peut à son tour
être mis à disposition sur le wiki collaboratif et suivre la même phase de réécriture. De
cette manière, le résultat de la création d’un texte – même rédigé en autonomie – sera le
produit d’un effort collectif. Cet aspect du wiki, particulièrement motivant pour les
apprenants, permet à chacun d’être valorisé au sein même de la réussite collective d’une
activité.
Au terme de cet article, nous tenons à signaler que si les Technologies de l’Information
et de la Communication pour l’Éducation constituent un formidable vecteur de
développement et de renouvellement de la didactique en général et de la didactique des
langues étrangères en particulier, il faut tout de même se garder, soit de céder au chant des
sirènes de l’illusion technologiste, soit de rejeter violemment une série d’outils qui
peuvent être utiles aux apprenants dans leurs parcours d’apprentissage, et aux enseignants
dans l’élaboration de leur projet didactique et de leur programmation pédagogique
intégrant aussi bien des activités de compréhension orale et écrite, que des exercices de
production orale et écrite. De nombreuses voix se font entendre qui clament « à juste titre,
que l’enseignement n’est pas affaire de machines, mais d’hommes, et que la relation
pédagogique est à réinventer à chaque instant, avec chaque élève 84 ». C’est d’ailleurs
tout le propos de Jacques Crinon et de Denis Legros dans la présentation de leur ouvrage
Psychologie des apprentissages et multimédia. Si effectivement la pédagogie est une
relation qui se noue entre des êtres humains afin que le détenteur d’un savoir (le
professeur) puisse le transmettre à ses apprenants au moyen d’une démarche adaptée à leur
niveau, à leurs besoins langagiers et à leurs objectifs. Les TICE contribuent largement au
développement de nouvelles compétences lectorales et scripturales et les apprenants, au
premier chef, sont confrontés à ces évolutions et doivent, en retour, s’adapter et bâtir de
nouvelles stratégies d’acquisition-apprentissage. Dans la perspective d’une tension vers
toujours plus d’autonomie dans les apprentissages en Français Langue Etrangère, les aides
logicielles à la lecture et à l’écriture (qu’il s’agisse du multimédia hors ligne ou en ligne,
des cédéroms, ou des méthodes télévisées) intègrent une part non négligeable
d’autodidaxie : « l’autodidaxie se caractérise par la responsabilité totale de la personne
sur son apprentissage, depuis la conception du projet lui-même, en passant par la
définition des objectifs, le choix des contenus et des ressources 85 ». Dans cet appel
grandissant à la responsabilité et à l’autonomie, les Technologies de l’Information et de la
Communication pour l’Éducation jouent un rôle considérable car elles stimulent à la fois
la sphère psycho-cognitive, mais aussi la créativité et l’inventivité des apprenants.
Enfin, si trop d’analyses relatives aux rapports entre le multimédia et l’éducation
relèvent d’une vision déterministe des effets de ces technologies (regroupées sous
l’acronyme TICE), c’est parce qu’elles méconnaissent une dimension importante dans
toute didactique (et plus particulièrement celle des langues étrangères) : la créaTICIté
contribue à élaborer sans cesse de nouvelles manières d’enseigner le Français Langue
Etrangère, de mettre au jour des relations inédites entre la langue-cible, la culture et la
technique. C’est à cette seule condition qu’on peut être un enseignant créaTICE.
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Lancien Thierry (1998), Le multimédia. Paris : Clé International.
Lebrun Marcel (1999), Des technologies pour enseigner et apprendre. Paris-Bruxelles : Editions De Boeck.
Legros Denis et Crinon Jacques (dir.) (2002), Psychologie des apprentissages et multimédia. Paris, Armand Colin.
Le FLE et le potentiel de créativité
des applications Google
Jean-Marcel MORLAT
Institut Graybridge-Malkam, Canada
Jérôme RAMBERT
Institut français Milano, Italie
Introduction
De nos jours, nombreux sont ceux et celles qui animent un site pédagogique lié au
Français Langue Etrangère, le plus souvent sous la forme d’un blog. Ces blogs prennent
en général différentes formes : le blog peut ainsi être pédagogique ou parfois il est lié à
une formation universitaire, l’outil lui-même permettant un retour sur sa formation
professionnelle. Plus rares sont les sites pédagogiques animés par des enseignants
individuels. Sous une forme payante, les contraintes sont multiples et impliquent une
logistique qu’un enseignant seul a du mal à assumer. Notre propos est de montrer qu’il est
possible de mettre en place un site WEB gratuit, en utilisant les applications offertes par
Google. En effet, ce géant de l’Internet propose depuis quelques années différentes
applications qui nous semblent incontournables dans le cadre de l’enseignement du
Français Langue Etrangère. Malheureusement, ces applications n’ont pour l’instant pas
suffisamment retenu l’attention des acteurs du FLE, quels que soient leurs horizons et
nous sommes convaincus qu’il serait regrettable de passer à côté d’un outil puissant et
prometteur d’un point de vue pédagogique. Dans cet article, nous aimerions donc
présenter les applications gratuites offertes par Google et montrer dans quelle mesure ces
outils favorisent un certain renouveau pédagogique chez les enseignants qui décident de
les utiliser. Il nous semble également intéressant d’interroger certains usages et pratiques
pédagogiques : comment peut-on mettre en place un projet de création de sites, mutualiser
les ressources disponibles et surtout dans quelle mesure la créativité des enseignants est-
elle encouragée ?
1. Présentation des applications principales
« Communiquer, publier et partager » : telle est la devise de Google quant à ses
applications. Pour y accéder, il suffit en fait de se créer un compte Google gratuitement à
partir de la page d’accueil, ce qui permet ensuite d’avoir accès aux différentes
applications. L’une d’entre elles, Google Documents, est une suite bureautique
extrêmement riche et articulée, un véritable outil de travail collaboratif en ligne aux
nombreux avantages. Les caractéristiques les plus pertinentes sont les suivantes :
C’est sur ce dernier point que nous souhaiterions insister. En effet, chaque document
créé peut être partagé avec un ou plusieurs utilisateurs, dans la mesure où le propriétaire
du document peut inviter des collaborateurs, lesquels obtiennent un droit de consultation
ou de modification. En effet, c’est à partir de cette dernière option qu’il est possible de
développer un travail collaboratif, étant donné que tous les collaborateurs peuvent
modifier le document. Enfin, il est possible de tout simplement partager le lien, afin que
tout un chacun puisse le consulter, sans pour autant être autorisé à effectuer une
quelconque modification. Afin d’illustrer notre propos, il est possible de consulter un
document « Présentation » qui reprend les principales caractéristiques de Google
Documents ainsi que des vidéos. 86
Google Groups : cet outil propose de créer (ou de rejoindre) un groupe, en fonction
de ses propres centres d’intérêt. Il est par exemple possible de créer des discussions
pour garder le contact avec les autres membres du groupe, de mettre des pages en
ligne, de personnaliser son groupe et de partager des fichiers. Google Groupe est
donc bel et bien un Wiki que l’on peut personnaliser et partager, ce qui extrêmement
utile pour mettre en place un travail collaboratif et en assurer son suivi ;
Google Talk : il s’agit d’une messagerie instantanée audio et vidéo, qui est un outil
idéal pour les rendez-vous synchrones ;
Google Agenda : cette application permet de coordonner aisément son agenda en
fonction de son groupe de travail ;
Blogger : il s’agit d’un blog en évolution constante, que l’on peut personnaliser et
partager et qui permet avant tout de publier en ligne. Sa prise en main est simple et
les aides sont nombreuses. Cette plate-forme est très utilisée par les enseignants de
FLE. 87
Enfin, Google Sites offre différentes fonctionnalités qui sont des plus intéressantes dans
la mesure où elles permettent de créer un site WEB facilement. En effet, il est très facile
de personnaliser l’interface de son site afin de lui donner l’identité voulue, selon le groupe
que l’on souhaite atteindre ou le projet que l’on désire mettre en place, en ayant tout
simplement recours à une gamme variée de modèles : il est facile de créer une sous-page,
de choisir un modèle précis dans une liste de types de pages, l’offre déjà pléthorique
évoluant sans cesse (modèle vierge, projet Wiki, Site familial, Site de classe, etc.). Ces
fonctionnalités permettent ainsi de créer, selon ses besoins, l’intranet d’une entreprise, le
site d’un projet, des mini-sites destinés à des employés, le site d’une association, mais
surtout le site d’une classe ou d’un groupe d’étudiants, ou encore un site qui permet à des
apprenants de Français Langue Etrangère de suivre un programme ou d’avoir accès à des
ressources en ligne. De même, il est possible d’avoir accès à un wiki (avec flux RSS) et
l’on peut aussi intégrer des documents à partir de Google Documents (traitement de texte,
tableur, calendrier, photos, vidéos tirées du site YouTube, etc.). De plus, il permet
d’intégrer de nombreux gadgets iGoogle, de créer un blog, de gérer des fichiers en
téléchargement et de faire des listings de produits. On peut ainsi rassembler un ensemble
de documents, ajouter des pièces jointes et surtout autoriser leur accès ou leur
modification à un groupe restreint ou encore l’ouvrir à tous.
En ce qui concerne l’étape initiale de la création de site, il est regrettable de constater
qu’il n’existe pas de version française de la vidéo de présentation officielle de Google
Sites, tandis que la version francophone de ce site est vraiment pauvre : les traductions des
commandes sont souvent remplies de coquilles et les copies d’écrans offertes aux novices
sont tirées de la version anglaise, alors que les explications sont en français. De plus,
lorsque l’on colle des textes à partir de certains documents, il est souvent malaisé de
changer le format ou la police du texte. Sans nul doute, l’équipe de Google Sites
améliorera son service très bientôt et planche déjà sur ces problèmes. Il faut tout de même
préciser que les points positifs l’emportent sur les côtés négatifs, l’essentiel étant que
Google offre aux enseignants qui veulent mieux intégrer les TIC dans leurs projets
pédagogiques des outils dont la prise en main ne pose pas de difficulté majeure. Il nous
semble important de souligner le fait que Google continue d’innover et que ses
applications, susceptibles de s’améliorer et de s’adapter aux besoins des utilisateurs, sont
en évolution permanente. Cette vérité est d’ailleurs illustrée par la création récente d’une
nouvelle application, Google Shared Spaces, qui permet de créer très rapidement des
espaces de collaboratifs jetables, cela à partir de gadgets (widgets), qui étaient déjà
proposés par Google Wave. Ainsi, une cinquantaine de gadgets (Google Maps, dessins,
sondages, jeux) sont mis à disposition des internautes, lesquels apparaissent sur une page
où se trouvent le gadget ainsi qu’une messagerie instantanée, l’URL de votre espace et des
liens vers Buzz et Twitter. 88
mieux remettre à plat le projet initial, le site étant actuellement en train d’évoluer et
de devenir un site qui d’adresse exclusivement aux enseignants de FLE : nous
pensons utiliser ce site un peu comme un blog en offrant des pages thématiques de
manière régulière où seraient partagés idées, documents et manières de faire ;
avoir recours à des personnes qui ont des compétences différentes d’un point de vue
pédagogique et technique ;
déléguer le travail et assurer un rôle de webmestre ;
rendre le site plus homogène, le standardiser.
D’un point de vue didactique et pédagogique, il reste beaucoup à faire :
bien aligner les activités sur le Cadre Européen Commun de Référence pour les
langues ;
didactiser davantage de documents authentiques et offrir différents types de
scénarisation pédagogique ;
multiplier les aides et les corrections offertes aux apprenants ;
systématiser la création de fiches pédagogiques ;
mettre en place un forum pour les enseignants ;
développer la partie langue et grammaire sous un aspect plus structuré.
Nous pensons que la collaboration de quelques acteurs du FLE opérant dans différents
pays et dans des structures variées (universités, Alliance Française ou Institut français à
l’étranger ou encore dans les écoles secondaires en tous genres) serait intéressante. Des
enseignants en formation initiale (Master de FLE) trouveraient dans un tel projet le moyen
d’acquérir une expérience de terrain en proposant des séquences pédagogiques. Nous
pensons poursuivre dans cette direction : un noyau permanent de professeurs-
collaborateurs auxquels pourraient s’ajouter des collaborations ponctuelles dont la
modalité reste à définir. Le projet n’en est finalement qu’à ses balbutiements. Depuis la
mise en place de l’outil statistique Google Analytics, nous avons reçu pour une période qui
s’étale du 12 février au 23 février 2010, la visite de 218 internautes de 41 pays différents,
ce qui est très encourageant. Cet outil, qu’il nous reste à apprivoiser, devrait permettre
d’en apprendre davantage sur les internautes qui fréquentent notre site et d’améliorer notre
formule, tout en tirant des conclusions utiles à son amélioration. Il est intéressant de
constater que, sur cette même période, 31, 73 % des personnes qui ont visité le site
l’avaient déjà fait auparavant. Sachant que l’outil statistique n’est en place que depuis peu
et que le site existe depuis bientôt un an et demi, on peut imaginer que le site a été visité
de nombreuses fois.
2.2. Expériences pédagogiques à l’Institut français Milano
Nous avons mené trois expériences, encore en cours aujourd’hui La première à partir du
Formulaire Google, proposé dans Google Documents. Il s’agit de détourner l’utilisation
usuelle du fichier Google Formulaire, notre intention n’étant pas d’obtenir des données
dans le cadre d’un sondage, mais bien de proposer une didactisation de document, audio
en l’occurrence. Il est possible de présenter un questionnaire en ligne décliné en items
91
tout les apprenants de l’Institut français Milano qui bénéficient ainsi d’un site de référence
pour leur préparation au Dalf, qui est très utile pour approfondir les sujets évoqués en
cours ou la méthodologie. Le site a par ailleurs également connu une rapide diffusion
internationale, comme le démontre Google Analytics, l’instrument qui permet d’évaluer la
diffusion de son site (le 10/2/11, plus de 7200 visites dans 125 pays).
Enfin, la présentation Google permet de structurer rapidement et avec simplicité un
cours sur Tableau Blanc Interactif. Il est en effet très aisé de préparer un cours sur une
présentation Google en intégrant des vidéos, des écoutes, des chansons, des images pour
préparer par exemple un parcours thématique, ou bien un point grammatical, une
préparation à la compréhension orale. En classe, grâce à un TBI relié à Internet,
l’enseignant doit simplement se connecter à son compte et peut alors présenter son
parcours sur une présentation Google, sans clef USB, car le compte Google est accessible
de partout, tout le temps. 93
De fait, c’est à partir de telles expériences qu’il est possible d’imaginer un travail
collaboratif, puisque sans exemples concrets de pratiques utiles pendant et après le cours,
il est vraiment difficile de former puis d’impliquer une équipe pédagogique dans un projet.
Les applications Google fournissent aux enseignants de FLE un outil simple, clair,
exploitable immédiatement et surtout capable de soutenir leur progression professionnelle
en matière de TICe. C’est uniquement à partir de cette prise en main technique que les
enseignants pourront projeter leurs connaissances, leurs idées, leurs savoir-faire en classe
de FLE. Et c’est seulement alors qu’interviendra la créativité, l’envie de créer pour
partager des découvertes, des parcours, des images. Le cap technique à surmonter n’est
jamais à négliger et représente souvent un véritable blocage, qu’il est aujourd’hui possible
de dépasser grâce à la mise en place d’un plan de formation pour les enseignants, lequel
implique un réel travail collaboratif sur les applications Google et une réflexion
professionnelle de leur part : cette réflexion se fait dans une optique de formation
professionnelle, autour d’un réel projet pédagogique. Il est toutefois certain, que les
applications Google, de par leur flexibilité, permettent aux enseignants de prendre leur
temps et de se les approprier.
3. Perspectives pédagogiques
Mises à part les expériences que nous venons de présenter et l’exception notable de la
plate-forme Blogger, il faut reconnaître que les outils proposés par Google sont encore peu
utilisés dans le monde du Français Langue Etrangère. On notera quelques cas isolés qui
illustrent le potentiel de l’outil. Ainsi, Carmen Véra propose un site intéressant aux
enseignants de Français Langue Etrangère, Ressources pour les professeurs des DNL
francophones, tandis que l’Institut français Milano propose un site dédié au DALF ;
94 95
site par le biais de Google Sites. Toutes ces réalisations illustrent d’ailleurs les différentes
97
potentialités des outils proposés par Google, puisque selon les besoins, l’on vise à
informer et recruter des enseignants, à les former aux TIC, ou encore à offrir un service à
des apprenants en les informant ou en les formant. L’on remarquera que d’un côté, l’on a
une approche professionnelle et aboutie de la création de sites, tandis que de l’autre il
s’agira d’une approche plutôt novice. Force est de constater que du côté de la création de
sites aboutis se trouvent des praticiens, en contact direct et quotidien avec des apprenants
et dont les créations font ressortir la passion et le dévouement au quotidien, et surtout le
sens de la créativité.
En effet, le maître-mot qui devrait nous guider dans notre compréhension du potentiel
des outils Google et de leur utilisation est bien le mot “créativité”. Selon Le Trésor de la
langue française, la “créativité” est la “capacité, [le] pouvoir qu’a un individu de créer,
c’est-à-dire d’imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau.” Un enseignant qui
intégrait autrefois la chanson dans son enseignement en créant toutes ses séquences de A à
Z pourra ainsi mettre à profit les fiches pédagogiques de TV5 Monde et utiliser YouTube
pour créer une séquence en ligne. Une fois qu’il se sera aguerri, il pourra didactiser lui-
même des chansons et proposer ses propres séquences en les mettant sur son site créé par
le biais de Google Sites. Ce n’est pas tant l’utilisation de la chanson en classe de langue
qui a changé, mais la manière de l’intégrer dans une séquence pédagogique. Le problème
est abordé sous un angle différent, en s’adaptant à des situations techniques nouvelles,
mais surtout en décuplant les possibilités, tant pour l’enseignant que pour l’apprenant.
Ainsi, cette créativité, c’est aussi cette “Capacité de découvrir une solution nouvelle,
originale, à un problème donné.” La nouveauté réside aussi dans le fait que l’enseignant
n’est pas le seul détenteur du savoir, dans la mesure où les apprenants sont tout à fait à
même de suggérer des ressources en ligne à l’enseignant qui ne les aura peut-être pas
repérées ! Par conséquent, Google Sites permet aux enseignants d’enseigner autrement et
aux apprenants d’apprendre d’une autre manière, à leur rythme, seuls ou ensemble. On
peut réellement parler en reprenant une partie de la définition du mot “créativité” d’une
“Mise en œuvre collective de ce pouvoir par un ensemble d’individus.” Il s’agit en effet à
98
par les concepteurs d’@LTER , qui est assez intuitif et limite les complications
102
fichiers et/ou de leur organisation qui se sont avérées nécessaires pour une bonne
accessibilité aux modules, nous avons pris conscience qu’il était nécessaire de demander
aux étudiants des années futures de prendre intégralement en charge le processus de mise
en ligne de leurs cours interactifs, de leur conception à leur importation sur la plateforme,
afin de les rendre autonome pour les importations à venir.
L’année suivante, nous avons définitivement abandonné l’idée de travail collectif en
grands groupes pour donner aux participants l’occasion d’exploiter plusieurs macro-
compétences en utilisant les documents authentiques de leur choix (avec au moins un
texte, une image et une vidéo), seul ou à deux, avec Hot Potatoes©. Comme l’année
précédente, la manipulation de cet outil s’est avérée assez compliquée tant au niveau de
l’encodage des questions et des feed-backs que de l’insertion de médias et de la gestion
des différents fichiers. L’utilisation de ce logiciel demande en effet une extrême rigueur
dans l’organisation et l’enregistrement des sources. Un média classé au mauvais endroit
et/ou mal intitulé et votre questionnaire n’est pas généré…
Cette difficulté technique s’est accrue au moment où les étudiants ont importé – ou tenté
d’importer – pour la première fois leurs modules « mashés » . Certains d’entre eux ont
105
finalement dû faire appel à un informaticien et ont passé plus de temps à régler des
problèmes techniques qu’à peaufiner leur parcours pédagogique. Cet agacement face aux
problèmes techniques s’est ressenti dans le questionnaire de satisfaction mis en ligne à la
fin de l’année puisque 60 % des répondants ont affirmé qu’ils ne souhaitaient pas
réexploiter ce logiciel à l’avenir.
Nous devions admettre que, bien qu’ils aient été formés aux outils choisis, informés et
guidés tout au long de la conception de leur module, les étudiants sortaient de ce cours
avec un petit goût de frustration, voire de méfiance par rapport aux TICe… Nous devions
donc remettre en question nos pratiques et proposer une alternative plus simple mais tout
aussi « créaTICe »…
3. Vers une meilleure exploitation de la plateforme
Ces quatre années d’expériences et d’expérimentations ont ouvert la voie d’une
nouvelle intégration des TICe dans l’enseignement/apprentissage du FLE dans le cadre de
nos enseignements. Au cours de ces années, nous avons dû admettre qu’il était peu réaliste
de demander à des professeurs inexpérimentés de concevoir non seulement une leçon ou
une séquence complète (ce à quoi ils n’avaient, pour la plupart, jamais été confrontés)
avec de surcroît de lourdes contraintes techniques supplémentaires.
C’est pourquoi, pour l’année 2011-2012, nous avons décidé d’opter pour une utilisation
des TICe davantage tournée vers la pédagogie et les échanges entre enseignants et
enseignants/apprenants. Ainsi, la partie pratique du cours fraîchement rebaptisé « Les
TICe pour l’enseignement/apprentissage du FLE » portera sur l’élaboration d’un scénario
d’exploitation pédagogique tel que l’entendent François Mangenot et Élisabeth Louveau 106
Les réponses obtenues ont également fait l’objet d’une analyse qualitative visant, à
partir des réponses aux questions ouvertes et grâce aux commentaires faits en parallèle aux
réponses aux questions fermées, à évaluer le dispositif hybride.
2. Planification et articulation des tâches
Les tâches sont généralement conçues par des enseignants dans le cadre d’un
établissement éducatif et elles peuvent être réalisées par les étudiants soit en présentiel,
soit à distance (communication entre enseignant ou tuteur et étudiants via chat et forum),
soit en hybride (accompagnement en présentiel et à distance). Selon les contraintes
institutionnelles, la liberté donnée aux enseignants de langue au Maroc dans la conception
des tâches a varié : lorsque les enseignants utilisent le manuel « Cap Université », les
étudiants scientifiques sont amenés à se conformer aux thèmes de ce manuel réduisant
donc l’ouverture des sujets potentiellement intéressants.
L’organisation des contenus est un préalable à la planification des activités. Comme le
souligne DEMAIZIERE F., DUBUISSON C. (1992) . « Il convient d’abord dans une
109
première étape d’examiner avec soin le domaine que l’on va couvrir, et également, en
corollaire, ce que l’on ne va pas introduire ». Le tableau ci-dessous et les commentaires
qui suivent explicitent une description d’une macro tâche.
Compétence
Utilisation de l’approche par tâche
langagière
Composante Adapter le message au destinataire/culturel : Faire appel à des stratégies discursives pour réaliser le
pragmatique tract.
Notons que la macro tâche vise une pratique de la langue en situation. Les exercices
structuraux ou les enseignements théoriques doivent offrir des clés d’accès à l’univers
socioculturel véhiculé par la langue. Étant donné le nombre important d’étudiants au
niveau de la formation, les activités orales sont privilégiées en classe et les activités écrites
(exercices et productions) à distance.
Ainsi, en présentiel, l’enseignant de langue commence par la présentation d’un
document témoin. L’étudiant à travers une série de questions portant sur l’observation du
texte est amené à identifier la thématique ou le type de texte. Les deux étapes suivantes se
concentrent sur la découverte et l’analyse des éléments linguistiques nouveaux.
A travers une activité de repérage des éléments contextualisés et à l’aide de ses
connaissances antérieures, l’étudiant doit expliciter les règles (méta-apprentissage) de
fonctionnement de la langue. Les exercices « Je m’entraîne », permettent à l’étudiant de
fixer les structures grâce à des exercices structuraux (principalement oraux). Par exemple :
remettre dans l’ordre un dialogue, associer questions et réponses. La production demandée
est ensuite de moins en moins guidée pour terminer la séquence pédagogique par un projet
à présenter oralement, permettant le réinvestissement et une appropriation des éléments du
dossier. En effet, certaines activités orales se déroulent face au groupe-classe et font
l’objet d’une évaluation formative à laquelle le groupe-classe est amené à participer. Ainsi
pour l’activité décrite ci-dessus, les étudiants devront être attentifs au respect de la
consigne et veiller à la bonne utilisation du lexique. Ils donneront ensuite leur feedback
que l’enseignant de langue complètera ou ajustera.
Par ailleurs, selon la manière de présenter la tâche, les apprenants s’investissent plus ou
moins dans la tâche proposée. Des exercices de réflexion et de conceptualisation seront
prévus pour chaque point important du dossier du manuel et la rubrique évaluation
présentera des quizz vérifiant l’acquisition des connaissances.
En présentiel ou à distance, l’étudiant doit donc à la fois collaborer avec ses pairs,
négocier avec un collègue ou se pencher sur ses pratiques d’apprentissage. La variété des
méthodes d’enseignement (individualiste, collaborative, transmissive) maintient l’intérêt
et la motivation des étudiants. Nous avons signalé que les activités de systématisation (c.-
à-d s’exercer davantage sur les composantes linguistiques nécessaires à la réalisation de la
tâche ciblée) sont principalement réalisées à distance pour permettre une plus grande
interaction en présentiel. Il convient toutefois de varier les types d’exercices à distance
afin d’impliquer les apprenants dans leur apprentissage et de favoriser ainsi un climat
propice au développement de l’auto-apprentissage. Car, « les apprenants ont assez souvent
une réaction de résistance vis-à-vis de l’auto-apprentissage parce que c’est une nouveauté
un peu traumatisante et qu’il est beaucoup plus sécurisant d’être pris en charge » (Pothier,
p. 114) .
110
qu’elle soit, correcte ou erronée, reçoit une réponse avec une version exacte de la réponse
et un commentaire expliquant la règle et la faute éventuelle de l’étudiant. En pratique,
c’est un professeur électronique qui dirige le travail de l’étudiant, met en évidence les
lacunes, lui donne des conseils personnels. Le kit contient plus de 1350 questions de ce
type. Les devoirs proposés sont souvent traditionnels : des réponses aux questions, des
substitutions, des questionnaires à choix multiples, des transformations différentes, des
traductions du russe, etc. La majorité des tests est consacrée aux sujets de grammaire tels
que la conjugaison des verbes à des temps différents, l’utilisation des formes différentes
des pronoms, les formes de l’article, les degrés de comparaison des adjectifs et des
adverbes etc. Cependant de nombreux tutoriels servent à mémoriser et à apprendre à
utiliser la terminologie de la correspondance commerciale, certains clichés des lettres
d’affaires. Le cursus de la correspondance commerciale (près de 30 heures) est destiné aux
étudiants possédant déjà un niveau avancé de français. Les devoirs proposés dans ces tests
lexicaux sont à peu près les mêmes. Après la lecture d’une lettre d’affaire dans le Manuel
électronique, l’étudiant travaillant avec le tutoriel doit soit répondre aux questions d’après
la lettre étudiée, soit trouver un équivalent français d’un terme commercial russe, soit
traduire une phrase, soit déchiffrer une abréviation commerciale, etc.
Les critères d’évaluation des réponses des étudiants sont les suivants : 100 à 90 % de
réponses correctes – la note « très bien », 89 à 70 % de réponses correctes – la note
« bien », 69 à 50 % de réponses correctes – la note « satisfaisant », moins de 49 % de
réponses correctes – la note « mauvais, à refaire ». Ces critères tiennent compte de
l’échelle d’évaluation existant en Russie. La dactylographie en français présente une
certaine difficulté pour les étudiants russes car le clavier des ordinateurs russes correspond
à la langue anglaise. En outre le logiciel considère comme erreur même l’absence d’un
signe diacritique ou d’un signe de ponctuation, même si toute la réponse est tout à fait
correcte. Cela nous a fait prévoir une marge de 10 % d’erreurs pour la meilleure note. La
note finale est formée automatiquement par le logiciel. Si l’étudiant n’est pas satisfait du
commentaire du logiciel et/ou de la note, il peut demander au professeur de lui faire des
commentaires et/ou changer la note si nécessaire.
Chaque test contient de 25 à 30 questions, régénérées à chaque nouvelle connexion de
l’étudiant, puisque la banque de questions comporte un nombre suffisant pour chaque
nouvelle présentation. Si l’étudiant fait la même question plusieurs fois, le logiciel prévoit
un système d’amendes (des fractions décimales de la note peuvent en effet jouer sur la
note finale).
En 2008 les éléments principaux du Kit de langue française ont été terminés, ce qui a
permis d’entrer dans la phase d’expérimentation globale. Y ont participé pendant cinq
semestres des étudiants de 2 , 3 et 4 année parmi lesquels des débutants, mais aussi
ème ème ème
des étudiants d’un niveau avancé. Les étudiants étaient tenus de faire des tutoriels en
régime d’entraînement ou de contrôle. Pour les faire correctement, ils étaient souvent
obligés de consulter les « contenus » respectifs du manuel électronique ; ce qui leur était
recommandé par les professeurs et ce qui leur donnait la possibilité de comprendre plus
profondément le sujet mais aussi grâce aux nombreuses répétitions des exercices (à
chaque tentative l’étudiant recevait de nouvelles questions), et au développement des
compétences écrites. C’était surtout important non seulement pour l’apprentissage de la
grammaire, mais aussi pour l’orthographe française qui est particulièrement difficile pour
les étudiants russes.
Comme le travail avec les tutoriels se faisait en régime de contrôle hors classe, leur
utilisation a permis d’économiser le temps d’étude et de consacrer plus de temps en classe
à la communication orale, à la compréhension orale etc. Malgré tout, l’ordinateur peut
compléter le cours donné en classe, assurer l’entraînement des étudiants à la maison, leur
proposer des itinéraires de travail individuel (autonomie), mais il ne doit pas et ne peut pas
remplacer le professeur et l’interaction intellectuelle entre l’enseignant et l’apprenant.
Un avantage évident de l’utilisation du télé-enseignement consiste en ce que même les
étudiants qui ont manqué les cours sont en mesure d’étudier le sujet, de s’entraîner sous le
contrôle du « professeur électronique » et d’atteindre un niveau nécessaire des savoir-faire
écrits et théoriques. En outre, l’utilisation du « Kit pédagogique informatique du français »
assure une validation de connaissances et évaluation plus objectives.
D’autre part, l’utilisation du « Kit pédagogique informatique du français » montre les
perspectives de son perfectionnement : dans sa forme actuelle ce logiciel interactif est
destiné plutôt à l’apprentissage de savoirs sur un thème ou un domaine donné que de
savoir-faire (surtout à l’oral). Il serait intéressant d’y introduire davantage de supports
audio. Certains problèmes de son utilisation sont dus à l’orthographe française spécifique
avec ses signes diacritiques qui ne sont pas tout à fait adaptés aux logiciels russes. Et enfin
on pourrait proposer aux étudiants des devoirs plus créatifs, de faire dans MOODLE des
mémoires, des versions etc.. , mais les étudiants manifestent déjà une certaine lassitude de
travailler trop de temps dans l’espace virtuel.
Cette expérience de la mise en pratique des TICE assistées par ordinateur en mode e-
learning tutoré à l’apprentissage du français prouve sans aucun doute qu’elles permettent
de dispenser un enseignement plus efficace, d’intensifier le processus d’études et
d’organiser d’une manière plus rationnelle le travail des étudiants hors classe grâce aux
outils et pratiques innovants et performants. Ce qui est très important vu le nombre limité
des heures de classe octroyées pour l’apprentissage d’une langue étrangère par les
programmes des instituts économiques en Russie.
Les TICe et le public peu qualifié
Dao MERCIER
Université de Fribourg
Introduction
La présence de l’outil informatique dans notre vie quotidienne est devenue
incontestable, et ce, dans toutes les sphères : personnelle, professionnelle ou plus encore
(il suffit de penser à l’utilisation des TIC – Technologies de l’information et de la
communication - dans les récents événements en Tunisie et en Égypte). Et c’est
presqu’une évidence aussi de signaler la présence des TICe dans les cours de langues
(langue première, langue seconde ou langue étrangère, dans le cadre d’une salle de cours
ou en auto-apprentissage), surtout dans les pays développés ou dans les grandes villes des
pays en voie de développement. En ce qui nous concerne (les enseignants de français
langue étrangère – désormais FLE), les TICe font partie intégrante de l’enseignement du
français – effet de mode ou pas - même si leur utilisation n’est pas toujours reconnue
comme une « évidence » par tous les acteurs impliqués dans cet enseignement, pour des
raisons administratives, financières ou encore didactiques.
Le domaine du FLE tel que nous le comprenons, implique aussi bien le public avec une
scolarité dite « normale » : cursus scolaire ou universitaire que des adultes migrants y
compris des apprenants souvent qualifiés de « faible niveau », de « peu
scolarisés/qualifiés ». Si pour les publics scolarisés, la question n’est plus au stade de
l’utilité des TICe mais se situe plutôt au niveau de « comment » les utiliser pour les rendre
vraiment efficaces, il en est tout autre pour la deuxième catégorie. Nous pouvons constater
le problème en faisant une recherche sur Internet : la littérature concernant ce public (peu
ou pas qualifié) reste encore peu abondante par rapport à celle concernant les autres
113
pionnier dans le domaine, parle d’approche hybride dans la formation en alphabétisation , 115
la Suisse ne semble pas pour l’instant s’investir dans des recherches d’envergure pour
l’intégration des TICe auprès de ce même public malgré des prises de conscience au
niveau fédéral . Le pays se situe pourtant au 4e rang mondial dans le développement des
116
Certes, l’utilisation des TICe s’est généralisée dans l’enseignement obligatoire et, dans
une moindre mesure, au niveau de la formation professionnelle ; elle figure parmi les
premières préoccupations des instances publiques responsables. Cette pratique reste
néanmoins peu exploitée dans le domaine de la formation continue qui relève pour
l’instant de la responsabilité des cantons. On pourrait espérer une prise en compte plus
118
importante de cette démarche TICe une fois la loi sur la formation continue adoptée par le
Conseil Fédéral (prévue en 2013, après consultations et validation des projets de loi).
Les cantons adoptent pour la formation des migrants allophones en situation d’insertion
sociale et professionnelle un chemin linéaire, long donc coûteux. Avant de pouvoir
commencer un cours en technique de recherche d’emploi qui requiert la maîtrise des outils
informatiques ou en bureautique afin d’augmenter leur chance de (re) trouver un emploi,
les participants dont le niveau en langue n’atteint pas le B1 (du CECR : cadre européen
commun de référence pour les langues) doivent passer tout d’abord par la formation
linguistique. Avec les équipements informatiques dont dispose la Suisse, nous pouvons
raisonnablement nous poser la question de savoir si nous ne devons pas profiter des
moyens existant pour créer un « raccourci » afin d’économiser du temps et de l’argent ?
C’est pour toutes les raisons évoquées ci-dessus que nous ne nous intéresserons ici qu’à
l’intégration des TICe dans des cours de français pour le public faiblement qualifié , en 119
phase de test dans un centre de formation continue du canton de Neuchâtel. Ces cours de
français sont réservés aux demandeurs d’emploi migrants dans une démarche de
réinsertion sur le marché du travail . Pour pouvoir bénéficier de cette formation d’une
120
durée maximale de 360 heures, tous les apprenants ont cotisé à l’assurance chômage,
c’est-à-dire qu’ils ont travaillé en moyenne 18 mois sur une période de 2 ans.
1. État des lieux de l’utilisation des TICe dans les classes de français
L’utilisation des TICe (telles que nous le concevons aujourd’hui, à savoir des outils
multimédia avec une connexion Internet) est assez récente dans l’ensemble des cours de
français. Pendant la période de 1990 à 2005, l’EAO gardait une place prépondérante : la
collaboration entre formateurs en bureautique et en français a donné naissance à un
logiciel basé sur MS-DOS, le ProfExpert qui visait l’amélioration du français et des
mathématiques . 121
Ces quatre points sont classés par ordre de priorité, même si les deux premiers sont
abordés presque en parallèle.
Face à des adultes peu à l’aise en formation pour diverses causes (échec scolaire,
situation précaire, intégration difficile, etc.), toute démarche doit être explicitée selon
Guichon (2006, p.16) sur la base de la construction des connaissances dans le cadre du
constructivisme. C’est la raison pour laquelle les objectifs de la séance TICe sont exposés
et parfois même négociés avec les apprenants à chaque début de module (une fois par
mois) en tenant compte du brassage ; en effet, l’arrivée de nouveaux apprenants change la
constitution du groupe et demande une nouvelle analyse des besoins.
Pour ces apprenants débutants aussi bien en langue qu’en informatique, les explications
se font grâce aux tutoriels en image créés par le formateur : de la mise en marche de
l’ordinateur (avec session et mot de passe) à la création de l’adresse électronique en
passant par l’accès au site d’apprentissage du français.
Si apprendre le français avec des exercices sur le site Le point du FLE semble une
évidence à tous les apprenants, utiliser la messagerie ou faire des recherches sur Internet
leur demandent un travail d’abstraction bien plus compliqué. Des situations concrètes de
la vie quotidienne sont mobilisées pour faire le lien avec ce monde virtuel : l’image d’un
immeuble collectif avec des appartements pour introduire la notion des sessions et du mot
de passe est l’exemple le plus parlant.
En plus, l’application des TICe doit être concrète, les apprenants peuvent demander
pourquoi créer une adresse électronique alors qu’ils ont une vraie adresse et un numéro de
téléphone. Le fait de constater que la messagerie raccourcit l’attente quand il s’agit du
contact classique avec leur conseiller de l’ORP (Office Régional de Placement) est en
général un premier pas vers le nouveau statut d’usager numérique (Merzeau, 2010), même
s’ils sont seulement au stade de récepteur (de messages) et d’utilisateur (de sites).
La séance TICe est placée en milieu de semaine, ce qui permet de travailler les points
grammaticaux ou lexicaux introduits en début de semaine. Elle peut aussi servir
d’évaluation formative qui exigerait, si nécessaire, un réajustement du contenu du
programme.
Par ailleurs, l’hétérogénéité du groupe peut se transformer en avantage. En effet les
personnes ayant suivi une scolarité « normale » ou les « anciens » deviennent rapidement
des personnes-ressources pendant ces séances TICe.
La durée maximale de 360 heures exige une rigueur certaine dans la construction du
programme et la séance TICe peut devenir une perte de temps si elle est utilisée comme
simple occupation (certains apprenants du niveau le plus avancé de ces groupes trouvent
qu’ils peuvent faire des exercices de compréhension écrite et orale à la maison ou ne
voient pas l’utilité d’écrire un texte sur Word…).
4. Le rôle du formateur
Pour se sentir relativement à l’aise avec les TICe, le formateur se doit, en premier lieu,
d’avoir des connaissances de base dans l’utilisation technique des ces outils (du simple
magnétophone ou lecteur de disque au vidéoprojecteur relié à un ordinateur), sans compter
une aisance dans la navigation sur le réseau interne (Intranet). Si la mise en marche d’un
ordinateur personnel pose peu de problème aux utilisateurs novices, l’utilisation d’un
ordinateur relié en réseau peut relever parfois du parcours de combattant.
Le deuxième point, le plus important aux yeux de tous, réside dans ses « compétences
andragogiques » pour introduire ces TICe dans le cours sans trahir ou dévier de la ligne
des objectifs tracée. Les questions « pourquoi ? », « pour quoi ? » et « comment ? »
reviennent souvent, tout comme celle de l’évaluation, tant de la démarche que du contenu.
C’est souvent cette difficulté que redoutent les formateurs débutants peu désireux de se
frotter aux nouvelles technologies.
Le formateur, face aux différents publics de ce centre de formation, assure deux rôles
différents.
4.1. Avec le public des cours de (re) mise à niveau
Il peut proposer des tâches spécifiques à réaliser (un dossier sur le projet professionnel
avec une présentation détaillée de la profession choisie : fiche de poste, compétences
requises, formation, débouché ou encore un tableau récapitulatif des homophones usuels)
comme laisser l’apprenant choisir librement le sujet d’actualité qui l’intéresse et établir un
dossier pour tout le groupe. Certes, la partie préparation de ces parcours individualisés et
parfois différenciés exige une plus grande énergie de la part du formateur que l’animation
en elle-même, mais ce dernier se retrouve rarement devant des questionnements d’ordre
didactique.
Le traitement de texte (Word, dans notre cas) apporte peu d’assistance : de nombreux
apprenants préfèrent écrire leur texte à la main pour ne pas être corrigés et perturbés par
les propositions de correction du logiciel.
L’autocorrection prend une part importante : même les exercices à trous (qui, en
général, contribuent peu à améliorer l’auto-apprentissage) procurent l’occasion de
vérification systématique des règles sur Internet.
Avec ces apprenants « normalement » scolarisés et qualifiés, l’ordinateur multimédia
joue pleinement son rôle d’outil dans le processus d’apprentissage.
De plus, les informations sont toujours croisées : entre apprenants, avec le formateur et
sur la Toile. Le formateur ne détient plus le statut omniscient, mais garde toujours le rôle
de guide et parfois de balises par rapport aux « égarements » possibles.
4.2. Avec le public « faiblement » qualifié
Si un enseignant du secondaire peut avoir des inquiétudes face à des jeunes férus
d’informatique, le formateur face à des apprenants peu scolarisés peut être rassuré : la
plupart d’entre eux n’ont jamais touché un ordinateur. Dans le cas contraire, ils le
pratiquent dans leur langue première et plutôt pour communiquer avec la famille (même
dans ce cas, on ne peut parler de maîtrise de l’outil informatique, car une seule application
de cet outil est exploitée). Pourtant, cette assurance ne constitue pas une motivation assez
forte pour inciter les formateurs à se lancer dans l’introduction des TICe auprès de ce
public. La tâche est rude car initier des (quasi) -novices à l’informatique dans une langue
non maîtrisée peut s’avérer périlleux, sans compter que l’enseignement/l’apprentissage du
français peut toujours se faire d’une manière plus « traditionnelle », c’est-à-dire sans
TICe.
La première barrière à surmonter est celle des explications : le vocabulaire et les
tutoriels utilisés pour guider les apprenants doivent être simples, imagés (session,
utilisateur, mot de passe, messagerie, etc.) et surtout reliés au concret de la vie
quotidienne. L’organisation logistique devient aussi une étape primordiale : les places sont
assignées suivant une certaine logique pour laisser fonctionner les binômes (les
« connaisseurs » en informatique avec les débutants) tout en évitant la même langue
première au sein du groupe.
Par rapport aux cours de (re) mise à niveau, avec ces apprenants, le formateur joue à la
fois le rôle du détenteur ou transmetteur des savoirs (linguistique et informatique) mais
aussi celui de la personne-ressources, de l’accompagnateur dont l’aide est sollicitée à tout
moment, de l’entraîneur qui doit motiver sans arrêt « ses troupes » et parfois même du
médiateur (corrélation entre le langage de l’ordinateur, du clavier et du français). En
résumé, la présence du formateur (afin de guider, encourager, commenter, développer,
évaluer, etc., Gerbault, 2008) est pleinement exigée de la préparation des tutoriels, des
parcours individualisés jusqu’à l’animation des séances. C’est un travail chronophage et
harassant qui demande un investissement complet de la part du formateur. Certes, un
formateur n’appliquant pas les TICe jouent aussi les mêmes rôles face à ce public, mais,
de nouveau, le but ultime de cette expérience reste celui d’offrir aux personnes en
situation d’insertion professionnelle, dans un temps relativement court, les deux
compétences de base : langagière et informatique.
5. Les apports des TICe
Introduire les TICe auprès des apprenants peu qualifiés peut sembler prématuré car ils
sont confrontés comme nous l’avons précisé, à la double difficulté langagière et
informatique. Cette observation nous a néanmoins permis de dresser un premier bilan qui
nous paraît encourageant.
5.1. Au niveau de l’apprentissage
L’informatique annule le problème posé par l’écriture liée (attachée) que rencontrent
beaucoup d’apprenants venant des pays comme l’Iran, l’Irak, ou l’Afghanistan qui tracent
des traits et des courbes pour former les lettres et négligent souvent les lignes et la
ponctuation.
Les gestes d’animation, d’information (Tellier, 2008, 40-41) ou d’explication passent
aussi par le canal numérique : clavier, souris, vidéo projecteur. L’apprenant devient acteur,
il participe à l’explication ou à l’animation du cours (à tour de rôle, les apprenants
prennent l’ordinateur du formateur qui est relié au projecteur).
Pourrait-on dire que cette séance TICe contribue au développement de la compétence à
écrire (Bédard, 2005) ? Avec des apprenants qui découvrent le français écrit en même
temps que le clavier, la réponse est plus proche du « non, mais.. ». Le correcteur
automatique de Word est inutilisable à ce niveau, aussi bien dans le choix du mot que dans
l’application des règles grammaticales ou de la ponctuation. Nous dirions que la séance
TICe participe plutôt à une prise de conscience des problèmes liés à l’écrit (les majuscules
et la ponctuation par exemple) et au français écrit (le « ne » elliptique).
L’appropriation du vocabulaire se fait en général de deux manières, les exercices QCM
ou à trous, suivis d’une reproduction à la main dans le cahier.
La séance TICe permet aussi des parcours individualisés tout en respectant les mêmes
objectifs, ce qui n’est pas facile à appliquer en salle de cours normale pour ce public « peu
qualifié ».
5.2. Au niveau des apprenants
La totalité des apprenants participant à la phase de test ont approuvé la séance TICe.
80 % d’entre eux ont découvert l’informatique même si les apprenants-parents en
possèdent un à la maison (l’outil est le domaine réservé ou des enfants ou du mari…).
L’utilisation des TICe favorise incontestablement une certaine autonomie, même guidée
(grâce aux tutoriels) mais aussi le travail en équipe, elle stimule l’initiative et développe
parallèlement une prise de confiance (« Je me débrouille bien, pour quelqu’un qui n’a
jamais touché un ordinateur ! J’ai dit à mes filles que je vais aller sur Facebook, elles sont
restées sans voix ! »). A côté du français, ce sont des qualités-clés qui pourront augmenter
les chances des apprenants à retrouver un emploi.
En passant du statut de « non-initiés » à celui d’usagers, les apprenants se sentent
valorisés, on peut dans ce cas parler de la plus-value des TIC dans le processus
d’apprentissage, surtout avec ce public.
La plus grande difficulté pour ces apprenants semble se concentrer dans l’utilisation de
la messagerie. Comme nous a fait remarquer Verdier (2008), ce n’est pas le logiciel de
messagerie (Yahoo dans notre cas) qui invente le correspondant. La mise en pratique par
des petits messages entre apprenants (qui se trouvent dans le même espace) rend plus
difficile la compréhension de l’utilité immédiate de cet outil. Par contre, la réponse des
conseillers de l’ORP (Office Régional de Placement) à leur message de vœux à l’occasion
des fêtes de fin d’année a été le déclic salutaire, tout comme le rajout de l’adresse
électronique sur leur CV.
Ils sont d’ailleurs nombreux à estimer qu’ils peuvent améliorer leur français avec l’aide
de l’ordinateur mais préfèrent quand même le support papier pour l’écrit (ce qui est tout à
fait compréhensible).
Conclusion
Les TIC ont apporté un changement indéniable dans l’enseignement/l’apprentissage du
FLE comme dans tous les domaines de la vie quotidienne. D’un outil technique
d’accompagnement à l’enseignement au début de son introduction dans les salles de cours,
l’ordinateur multimédia fait maintenant partie intégrante de la panoplie « didactique » du
formateur/enseignant. « L’outil ne fait pas naître l’artisan, il ne peut que servir son talent »
(Bibeau, 2006). Il est évident que le formateur doit être formé (en formation initiale) et
continuer à se former (une mise à jour en informatique mais aussi en didactique est
indispensable). Certes, les multiples recherches sur le sujet concernent principalement les
enseignants comme celles de Charlier, Daele, Deshryver (2002), ou d’autres auteurs qui
ont collaboré à l’ouvrage « Pratiquer les TICE, Former les enseignants et les formateurs à
des nouveaux usages » (Guir, 2002). Nous pouvons néanmoins mettre à profit une grande
partie de ces recherches, en gardant à l’esprit les caractéristiques de notre public : des
adultes « faiblement qualifiés ».
Il s’agit, bien entendu, de donner à chaque forme d’apprentissage un sens, car « dans
une perspective socioconstructiviste, faire apprendre signifie faire construire ou faire
réaliser des apprentissages de « contenus ». L’adulte est l’acteur central de sa formation et
il est en interaction avec son environnement » . 122
Comme dans toute expérience, la question à poser sera « Et après ? ». Si tous sont
d’accord sur l’importance de l’utilisation des outils informatiques, combien parmi les
participants à cette phase de test vont continuer à l’utiliser après la fin de leur formation
(80 % ont répondu oui) ? Cette observation avec les mêmes participants devrait être
poursuivie au-delà de ce groupe (ou même au-delà de la période de formation) afin de
mesurer l’impact de cette introduction qui peut être jugée de « trop hâtive » donc peu
efficace.
Une suite de parcours est à envisager (avec des financements à trouver) qui demande
l’implication de tous les acteurs (apprenants, formateurs, l’institution et les financeurs et, à
un autre niveau non moins important, les employeurs) pour que ces personnes faiblement
qualifiées puissent un jour se débarrasser de cette étiquette peu glorieuse et
discriminatoire.
Bibliographie
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français, 137, 67-69.
Bibeau Robert (2006), La vie avec les TIC, la vie après les TIC. Revue de l’association EPI.
Charlier Bernadette, Daele Armaury, Deschryver Nathalie (2002), Vers une approche intégrée des technologies de
l’information et de la communication dans les pratiques d’enseignement. Revue des sciences de l’éducation, 28/2,
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Depover Christian, Marchand Louise (2002), E-learning et formation des adultes en contexte professionnel. Bruxelles :
Éditions De Boeck Université.
De Serre Linda (2004), Le multimédia en classe de langue : un effet de mode ? Québec français, 132, 62-65.
Ferone Georges (2008), Mettre les TICE au service des apprentissages. Paris : Delagrave Edition.
Gerbault Jeanine (2008), Interaction et aides : potentiel, pertinence et personnalisation. In Anne-Laure Foucher, Maguy
Pothier, Christine Rofrigues, Véronique Quanquin, TICE et Didactique des langues étrangères et maternelles : la
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Guichon Nicolas (2006), Langues et TICE – Méthodologie de conception multimédia. Paris : Editions Ophrys.
Guir Roger (2002), Pratiquer les TICE – Former les enseignants et les formateurs à de nouveaux usages. Bruxelles :
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Magenot François, Louveau Elisabeth (2006). Paris : CLE International.
Merzeau Louise (2010), L’intelligence de l’usager. In Lisette Calderan, Bernard Hidoine, Jacques Millet, L’Usager
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Tardif Jacques (1998), Intégrer les nouvelles technologies de l’information – Quel cadre pédagogique ? Issy-les-
Moulineaux : ESF Editeur.
Tellier Marion (2008), Dire avec des gestes, Du discours de l’enseignant aux pratiques de l’apprenant. Le français dans
le monde, 44, 40-50.
Verdier Pascale (2008), Utiliser un logiciel d’orthographe : quel étayage, quelle régulation des tâches ? In Anne-Laure
Foucher, Maguy Pothier, Christine Rofrigues, Véronique Quanquin, TICE et Didactique des langues étrangères et
maternelles : la problématique des aides à l’apprentissage. Clermont-Ferrand : Presse Universitaires Blaise-Pascal,
385-402.
Sitographie
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http://www.crfc.ch/fileadmin/Documents/Atelier5-FC-Insertion-Compte_rendu.pdf
http://doc.rero.ch/lm.php?url=1000, 41,2, 20081112093526YE/MemoireLicence_MarieLambert_juin2007.pdf
http://alpha-et-ntic.over-blog.net/
http://www.febisp.be/ressource/static/files/PeriodiqueInsertion/Insertion_73.pdf
http://recit.qc.ca/
http://www.robertbibeau.ca/
Varia
Nouvelle perspective
de l’enseignement littéraire
en philologie romane
en Pologne
Beata KĘDZIA-KLEBEKO
Université de Szczecin
Sous l’inspiration de la pensée du philosophe américain Charles Sander Peirce, et en
opposition aux théories définissant l’acte de lecture comme un acte de communication
entre le texte et le lecteur, les chercheurs du Groupe de recherche sur la lecture au Québec
ont abordé la lecture comme processus dynamique, « comme une activité mettant en
présence un lecteur singulier et un texte singulier » . Selon Bertrand Gervais et Rachel
123
Bouvet, la lecture met en jeu un ensemble de processus et doit toujours viser à un certain
équilibre négocié entre « ses diverses composantes, qu’elles tiennent à la manipulation, à
la compréhension ou à l’interprétation des textes » . 124
La lecture est un acte singulier, individualisé, certes. Pourtant, les résultats de la lecture
peuvent donner lieu à un travail collectif, se construire progressivement durant les
activités en classe. Il est important de souligner que les recherches sur la lecture ne cessent
de se développer depuis les années 1970. De nombreuses théories sont loin de fournir un
aperçu homogène sur l’acte de lire, à part une certaine vision du texte qui « demeure une
pure virtualité, actualisée lors de la lecture, acte par lequel il acquiert une signification » . 125
Les années suivantes ont vu un déplacement de l’intérêt des théoriciens du texte vers le
lecteur et la relation qu’il maintient avec le texte.
L’ouverture vers le lecteur s’est opérée avec le post-structuralisme qui prenait en
compte les situations de production et de réception, d’écriture et de lecture. La théorie du
langage, les effets de la langue sur l’interlocuteur ont renoué avec l’herméneutique écartée
par le structuralisme. Ce qui devient important, c’est non seulement l’interprétation du
texte ayant une structure, mais aussi la transmission du sens et sa concrétisation. Le texte
devient par le lecteur. Les théories de la lecture cherchent à décrire la façon dont l’acte de
lecture se déroule, elles prennent l’allure sémiotique (saussurienne mais aussi peircéenne).
Voient le jour les concepts de narrataire (Gerald Prince), d’archilecteur (Michel
Riffaterre), de lecteur implicite (Wayne Booth), de plaisir (Roland Barthes), de lecteur
modèle (Umberto Eco). On peut constater cependant que la perspective d’analyse de ces
théories reste orientée vers le texte et non sur la situation de la lecture. Un important
courant de la critique littéraire qui porte sur le lecteur seul et non sur le lecteur et ses
lectures est connu sous l’appellation reader–oriented criticism américain. L’objet de
l’analyse – un texte littéraire – est considéré dans la perspective d’un point de vue. « C’est
ce type de pratique que recouvre l’expression : poétique de la lecture ; or la poétique est
d’abord une affaire de production, une discipline liée à des propriétés textuelles, soit à des
modes de production. Associée à la lecture, elle actualise le postulat d’une équivalence
simple entre les exigences du texte et les réactions du lecteur qui permet de définir l’acte
de lecture selon l’idéal représenté dans le texte. » Les chercheurs susmentionnés
126
proposent une théorie de la lecture qui ne prend pas en considération uniquement les
propositions du texte mais aussi le mode d’intervention d’un lecteur sur le texte. Les
processus de lecture qui agissent sur le lecteur sont d’ordre neuropsychologique, cognitif,
argumentatif, affectif et symbolique.
Dans la même perspective, les textes littéraires constituent l’objectif d’un intérêt
particulier des didacticiens du français langue étrangère (FLE) en tant que source des
savoirs linguistiques et culturels. Le vaste mouvement de centrage sur l’apprenant et de
l’accent mis sur le développement de la compréhension du texte est observé dès les années
soixante-dix, et fait aussi « amorcer la réflexion sur le rôle de l’écrit » . La littérature
127
avantages que l’univers de la littérature apporte à l’apprenant sont bien connus, malgré les
discussions que l’objet littérature suscite en général. Les didacticiens contemporains ont
aussi constaté que le mouvement communicatif littéraire devient unidirectionnel, à cause
d’autres médias jouant sur l’image et le son et plus aisément accessibles. Le message
littéraire est transmis au lecteur passif qui, dans la plupart des cas, ressent des difficultés
réelles pour découvrir le sens sacralisé de l’œuvre littéraire. Celui-ci demeure accessible à
un petit nombre d’initiés. Le côté techniciste des analyses littéraires pratiquées durant
l’apprentissage de la littérature est-il suffisant pour inciter l’apprenant à prendre goût au
dialogue avec le texte et, par le biais de celui-ci, avec la culture de sa propre nation et celle
d’un autre pays ? Comment enseigner la littérature en philologie romane pour satisfaire à
un double besoin de la formation spécialisée au niveau des études supérieures et de l’éveil
du plaisir de lire, qui seul constitue une garantie de volonté de découvrir plus, de créer des
liens entre différentes cultures, dans l’esprit de respect et de compréhension mutuels ?
La réalisation des projets des ateliers littéraires paraît répondre à ces exigences. Les
étudiants deviennent lecteurs attentifs aux « communiqués » des auteurs et y répondent en
créant leurs propres textes. Ils lisent pour écrire. L’importance de l’écrit a été soulignée
par de nombreux chercheurs préoccupés par le développement des fonctions psychiques
supérieures, caractérisées par la conscience, l’intentionnalité et la systématisation. Lew
Vygotsky précise à ce sujet : « Le langage écrit est une fonction verbale tout à fait
particulière qui, dans sa structure et son mode de fonctionnement, ne se distingue pas
moins du langage oral que le langage intérieur ne se distingue du langage extériorisé…
[…] C’est l’algèbre du langage, la forme la plus difficile et la plus complexe de l’activité
verbale intentionnelle et consciente. » 129
littéraire écrite de l’apprenant favorise une construction des savoirs qui exploite des
composantes structurelles de l’écrit telles que : fixer/inscrire, abstraire et rendre visible.
Ces usages fondamentaux s’incarnent dans la pratique qu’en cas d’apprentissage scolaire
constituent les micro-pratiques de l’écriture . 131
L’analyse explicative des textes littéraires pratiquée habituellement pendant les études
philologiques pourrait être accompagnée d’activités créatives qui encouragent les
étudiants à entreprendre un effort d’écriture littéraire menant ainsi au dialogisme dont
Bachtin écrivait qu’il constitue « une propriété la plus importante de l’œuvre littéraire.
Chaque œuvre étant une réplique dans un dialogue linguistique qui dure depuis longtemps
annonce une nouvelle expression » . 132
Les étudiants des philologies étrangères — il s’agit dans notre cas des étudiants de
philologie romane — se trouvent généralement au moins embarrassés au moment où
l’enseignant leur pose la question du style d’expression littéraire de tel ou tel auteur, c’est-
à-dire lorsqu’il s’intéresse à la manière dont l’auteur arrive à faire comprendre au lecteur
sa part du sens voulu, « ce sens qui, selon Michel Mougenot, n’est pas une donnée mais
une fonction à deux arguments : le signifiant d’une part et les compétences du récepteur
d’autre part » .
133
« structure horizontale » et si ses « secrets sont sur la même ligne que ses mots » où « tout
est offert, destiné à une usure immédiate » , [….] l’expression au contraire n’a qu’une
135
dimension verticale, qui plonge dans le souvenir clos de la personne, compose son opacité
à partir d’une certaine expérience de la matière ; dont [….] « le style n’est jamais que
métaphore » et son secret est « enfermé dans le corps de l’écrivain » . 136
l’enseignement littéraire, présentée dans les textes officiels, est explicite et d’une grande
constance. C’est ainsi que les instructions de 1890 affirment que le fond même de
l’éducation, c’est « fréquenter les grands écrivains de tous les temps, apprendre d’eux
d’abord ce que l’esprit humain a pensé, senti, voulu aux siècles passés, ensuite apprendre
l’art de penser, de sentir, de vouloir soi-même, à leur exemple, avec toute la raison, toute
la vertu dont on est capable ».
137
« expliqués », c’est-à-dire « traduits » selon le sens qui est donné au mot « explication »
dans le Littré. Ainsi, une épreuve orale de français est introduite au concours de
l’agrégation de grammaire en 1843, « épreuve spéciale sur des auteurs français ». En
1854, le ministre Fortoul précise comment le professeur doit procéder : « il faut qu’il
détermine la valeur des mots et la propriété des termes, leurs rapports, leurs acceptions
diverses ; qu’il rende sensible la liaison des idées ; qu’il distingue les idées principales et
les idées accessoires ; qu’il montre dans quel ordre elles sont disposées, quelle forme leur
donne le raisonnement ou l’imagination, quels sentiments elles éveillent, quelle
physionomie leur prête le génie particulier de l’écrivain. » 138
L’analyse des œuvres littéraires mène ainsi à une activité créatrice de l’étudiant en cours
et constitue une motivation pour entreprendre un effort d’écriture. Comme exemple, on
peut citer les ateliers littéraires durant lesquels les étudiants écrivent des nouvelles
criminelles. Le genre du roman et de la nouvelle criminelle vit un renouveau d’intérêt de
nombreux lecteurs et des écrivains de grande renommée. À partir des années 70 du 20 e
siècle, une nouvelle génération d’écrivains français – parmi lesquels Hervé Jean, Bernard
Pouy, Thiery Jonquet, Didier Daeninckx, Jean-Michel Naudy, Daniel Pennac et d’autres –
contribue à la popularisation de la nouvelle criminelle.
Elle devient alors de plus en plus souvent le terrain où se croisent des tendances
traditionnelles et plus novatrices, à partir de la description d’une enquête classique jusqu’à
l’expression des contestations sociales ou politiques. La nouvelle criminelle est alors un
genre engagé, et le lecteur peut y trouver, outre les éléments littéraires et culturels, ceux
qui sont de nature philosophique, sociologique ou scientifique. Reste toujours une énigme
– fascinante, changeante, manipulatrice – qui inspire les étudiants à entreprendre des
efforts de lecture et d’écriture durant les ateliers.
C’est donc dans cet esprit de prise de conscience, de lecture et d’analyse que voient le
jour les écrits des étudiants, des nouvelles qui suivent les contraintes du genre. Le travail
d’écriture permet aux étudiants d’approfondir leurs connaissances sur la théorie du genre,
du mode de construction des significations, d’effets explicites et implicites, des règles qui
gouvernent la structure linguistique et littéraire de l’expression écrite.
La nouvelle criminelle se caractérise par une unité de lieu d’action. La brièveté de la
nouvelle est destinée à permettre qu’elle soit lue en une seule fois. Cette brièveté impose
la concentration de la part du lecteur qui ne peut pas être distrait. Elle vise aussi une
perfection de récit. C’est pourquoi le genre paraît tellement prisé par les écrivains.
Dans le texte de la nouvelle, les personnages sont facilement reconnaissables :
coupable, victime, un ou deux suspects, un détective. Dès la première page, l’auteur sait
attirer l’attention du lecteur sur les événements qui se déroulent dans le monde imaginaire
du crime. Le dénouement est surprenant – « c’est une rupture ». Le texte propose la
concentration de temps et de lieu. L’action se passe en une journée à l’endroit vibrant de
tension, dans une superficie close qui peut se changer en piège.
De plus, le genre de la nouvelle criminelle emprunte quelques caractéristiques au
cinéma : une intense dynamique des événements, des effets d’ellipse ou de flash-back ; un
titre suggestif, des dialogues amusants ou un style accompagnent ce jeu intellectuel que
sont les récits mystérieux à clé.
L’art d’écrire consiste à garder en éveil l’attention et la curiosité qui devient le moteur
de l’acte de lecture. Ce phénomène est visible tout particulièrement dans le cas de
nouvelles criminelles.
En voulant écrire des nouvelles, il est nécessaire de prime abord de bien connaître leur
fonctionnement et leur structure formelle. Selon Christian Poslaniec, « généralement, dans
le récit criminel c’est le crime » qui ouvre le récit : le cadavre est retrouvé. Si on arrive à
identifier la victime, une enquête commence. En examinant la vie privée de la victime, le
détective essaie de trouver des motifs valides du crime. Il devrait prendre en
considération : heure, temps, lieu, alibi des personnes suspectes, arme utilisée, rapport
d’expertise du médecin légiste etc.
L’enquêteur essaie définitivement de cibler un meurtrier potentiel parmi les suspects. Le
dénouement final consiste à reconstruire les événements et les relations existant entre la
victime et le meurtrier.
On peut aussi préparer les descriptions de comportements typiques pour différents
métiers, par exemple dentiste, médecin, chimiste, pilote, cuisinier etc. Tous ces préparatifs
aident les étudiants à recueillir les informations-outils qui s’avéreront très utiles durant la
création du texte de la nouvelle. En résultat des démarches entreprises et qui prennent en
considération les textes de nouvelles existant, les étudiants savent définir les traits
caractéristiques du genre de la nouvelle, qui par sa forme courte se distingue du roman et
par l’application de la narration des autres textes dits fonctionnels, tels qu’articles de
presse, instruction ou autres.
La brièveté de la forme et l’ellipse pratiquée de façon systématique ont pour objectif de
créer chez le lecteur l’impression d’un univers représenté aussi riche en événements que
dans le texte du roman. Comme nous le savons, le nombre de personnages dans la
nouvelle est limité. Les lieux d’action de deuxième plan : hôtel, maison, tribunal sont
présentés de façon référentielle, le lecteur doit reconstruire leur image dans son
imaginaire. Les lieux de l’action du point culminant : cabinet, salle de théâtre – sont
présentés plus précisément. Les péripéties sont désignées de façon allusive.
Comme on voit, la lecture de la nouvelle exige une forme de coopération de la part du
lecteur. Pour mieux comprendre la spécificité de la nouvelle, l’enseignant peut proposer
aux étudiants d’élaborer des éléments qui transformeront la nouvelle en roman : il s’agirait
alors de personnages plus nombreux, de descriptions de lieux et de personnages,
d’explications etc.
L’écriture commence par le tirage au sort de deux cartes de visite des personnages.
L’objectif premier est la construction de l’intrigue entre les personnages de façon logique,
cohérente et prenant en compte les caractéristiques des personnages. Il ne faut pas oublier
le motif ni le mode d’action.
Le travail sur le texte narratif est lié au perfectionnement du style d’expression
littéraire. Les étudiants analysent les effets stylistiques et sémantiques et la lisibilité du
texte. On peut leur soumettre à l’analyse les règles d’écriture proposées par Georges
Orwell :
Finalement les versions des nouvelles sont lues devant le groupe et ensuite affichées au
bénéfice des lecteurs francophones. Les étudiants apprennent ainsi à prendre en
considération le lecteur, ses goûts, ses intérêts et ses expériences culturelles. Si la nouvelle
est trop longue, le lecteur fatigué abandonnera la lecture, si elle est trop courte, elle
devient incompréhensible et illisible ; trop ornée, elle devient prétentieuse, trop simple –
facile et inintéressante.
Le texte écrit existe dans une relation constante avec le lecteur et en tant que compromis
entre tradition, nouveauté, information et divertissement, entre simplicité et complexité,
entre lisibilité et style individuel, unification et diversification.
Réaliser ce compromis devient dès lors un vrai enjeu pour les étudiants écrivant.
Fanta Regina Nacro :
une écriture filmique au féminin singulier
Georges SAWADOGO
Université de Koudougou
L’image, des peintres rupestres aux vignettes des bandes dessinées est pour l’homme un
précieux moyen d’expression artistique. Elle a aussi été, bien avant l’écriture et demeure
encore un moyen visuel de communiquer du sens, ainsi que le montre Odin (1991). Parmi
les formes de langages, le cinéma apparaît comme l’une des plus importantes de notre
temps. Son langage n’a rien de naturel, ni a fortiori d’éternel. Il a une histoire et en est
même le produit, ainsi que le démontre Noël Burch (1990). Le propre du langage
cinématographique n’est-il pas de transformer l’agencement des signes linguistiques,
visuels et sonores en une série d’énoncés signifiants, tels qu’analysés par Metz (1973) ?
Cinéma documentaire, cinéma vérité, film de fiction, tout film est une forme parmi
d’autres de communication. Il met en relation un émetteur et un récepteur et transmet une
information au moyen de messages codés, puis transférés par un canal tel que décrit par
Roman Jakobson (1963) dans son schéma général relatif à l’acte de communication. Tout
discours cinématographique, dans sa totalité, s’adresse donc au public et fonctionne sur le
mode de ce que Kerbrat-Orecchioni (1981) désigne sous le concept de « trope
communicationnel ». A l’instar des autres moyens de communication, le cinéma sera
utilisé, en tant que langage spécifique, dans la lutte des peuples africains pour leur
émancipation politique, culturelle et économique.
Dans le cadre de la lutte des femmes pour leur émancipation, trois principaux éléments
pourraient expliquer et légitimer le recours au septième art, notamment par les femmes,
comme l’une des formes d’expression les plus efficaces. D’abord, au regard des travaux
de Clerc (1985 et 1993), le cinéma apparaît aujourd’hui, à côté de la littérature et des
autres moyens de communication, comme un des outils les plus précieux et les plus
efficaces dans la conscientisation des peuples. De plus, les images cinématographiques
imprègnent notre imaginaire et constituent de sérieux supports dans la perspective d’une
meilleure sensibilisation de nos populations. Enfin, comme l’estime Françoise Demougin
(1996), le cinéma constitue un objet didactique (au sens de Rollet 1996) de première
importance, au regard de la richesse des codes culturels qu’il contient. C’est un fait, l’art
cinématographique apparaît comme la synthèse de tous les autres arts, en raison de son
caractère polyphonique dans la mesure où, au code linguistique se superposent les codes
de l’image tels que décrits par Barthes (1964), de la scénographie, de la musique, etc.
Le Burkina Faso, du fait de sa position centrale en Afrique de l’Ouest et en dépit de son
enclavement, est devenu au fil des années, grâce au cinéma et notamment par le Festival
panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), le carrefour des
cultures et des peuples du monde. Cet intérêt pour le cinéma et plus généralement pour la
culture s’explique d’abord par la reconnaissance de leur rôle dans la sauvegarde de
l’identité nationale et le renforcement de la cohésion sociale. Elle se fonde ensuite sur leur
intérêt dans le développement endogène et intégral du pays, dans un contexte international
largement marqué par la mondialisation et par une prise de conscience de la part de la
femme, de ses droits inaliénables.
Parmi les grandes figures du cinéma africain, émergent de plus en plus des artistes
femmes parmi lesquelles, la scénariste et réalisatrice Burkinabè Fanta Regina Nacro. Elle
pourrait être considérée pour diverses raisons, comme la représentante, à l’échelle
continentale, de la « nouvelle vague » des cinéastes femmes, d’où notre thème de
réflexion autour de sa double originalité : thématique et esthétique.
1. Problématique
Notre réflexion part de quelques constats bien décevants : les sociétés africaines dans
leur ensemble, restent encore très largement dominées par des conceptions rétrogrades,
notamment à l’endroit des femmes qui en sont les premières victimes. De plus, dans le
cercle très fermé des artistes et notamment des cinéastes, les femmes, seulement tolérées,
sont de loin les moins nombreuses. Partant de là, les questions suivantes pourraient aider à
la formulation de notre problématique : comment, dans une société africaine dont la
mentalité du point de vue du statut et du rôle de la femme reste encore marquée par une
approche féodale du concept « genre », la femme et particulièrement la femme artiste
peuvent-elles affirmer sereinement leur identité féminine et assumer pleinement leur rôle
d’artiste ? Dans un milieu comme celui du cinéma, encore très fortement dominé par les
hommes, la femme peut-elle exercer librement son métier dans une société burkinabè et
africaine aux pesanteurs socioculturelles toujours vivaces ?
On pourrait le noter, notre propos voudrait s’interroger de façon plus large, sur le statut
et le rôle des femmes artistes dans nos sociétés en pleine mutation et singulièrement ceux
des femmes cinéastes, au regard de la spécificité de ce métier. Il tentera donc de dire d’une
part, si l’on peut, dans nos sociétés, être femme et artiste et particulièrement être femme et
cinéaste et d’autre part, s’il existe une spécificité féminine qui influe sur l’esthétique et /
ou la thématique des œuvres artistiques, notamment cinématographiques, faites par des
femmes. C’est à cette question centrale qu’il voudrait répondre en prenant appui sur la
scénariste et réalisatrice Burkinabè Fanta Regina Nacro, une des figures montantes de la
jeune génération des cinéastes femmes au plan national et continental.
2. Fanta Regina Nacro, femme et cinéaste
La scénariste et réalisatrice Burkinabè Fanta Regina Nacro est née en 1962 à
Tenkodogo. A l’instar de plusieurs des grands noms de la cinématographie africaine, elle
fréquente la grande école africaine des métiers du cinéma de Ouagadougou à savoir,
l’Institut Africain d’Études Cinématographiques (INAFEC). Quelques années plus tard,
elle fait une entrée remarquée dans le monde très fermé du septième art en effectuant, dès
1986, un stage en tant que scripte, auprès d’un des géants du cinéma africain, Idrissa
Ouédraogo, à l’occasion de la réalisation de son film Yam Daabo (« Le Choix »). Fanta
Regina Nacro est titulaire d’une licence en Sciences et techniques de l’audiovisuel, d’une
maîtrise et d’un Diplôme d’Études Approfondies obtenus en 1986 à Paris IV, ainsi que
d’une licence de cinéma de l’Université de Paris I Sorbonne, obtenue en 1989. En 1993,
elle crée sa propre maison de production, Les Films du Défi dont le siège social est à
Ouagadougou. Femme, cinéaste et intellectuelle engagée, Fanta Regina Nacro s’est lancé
un autre défi qu’elle est en passe de remporter : un Doctorat en Sciences de l’éducation.
Sa filmographie se compose de plusieurs courts métrages auxquels s’est ajouté depuis
2004, « La nuit de la vérité », son premier long métrage. Parmi les courts métrages, on
pourrait retenir de façon chronologique, « Un certain matin », première fiction dirigée par
une femme au pays des Hommes intègres. Réalisé en 1992, ce court métrage remporta un
Tanit d’argent à Carthage et constitua par la même occasion, une consécration pour sa
réalisatrice. Cette reconnaissance internationale s’accentua et s’accéléra avec la sortie de
« Puk nini » en 1995. Avec ce court métrage, Fanta Regina Nacro fut propulsée dans la
cour des grands du cinéma africain.
En 1998, un autre court métrage, « Le truc de Konaté » vint renforcer ce palmarès, avec
notamment l’obtention de plusieurs prix dans de nombreux festivals internationaux dont le
prestigieux Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou
(FESPACO) en 1999 et le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. Pour cette
réalisatrice engagée, convaincue et surtout convaincante, ce coup d’essai fut un coup de
maître, ce qui se confirma quelques années plus tard avec un moyen métrage de fiction,
« Bintou », réalisé dans le cadre de la série Mama Africa et qui remporta plus de vingt prix
spéciaux. Consécration suprême, le film fut sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du
Festival de Cannes 2001 et remporta le prix du meilleur court métrage au FESPACO de la
même année. Enfin, avec « Vivre positivement », réalisé en 2003, Nacro confirme ses
talents d’artiste et de femme engagée.
Son premier long métrage, « La nuit de la vérité » qui vient d’être présenté au dernier
FESPACO, est le lieu d’une révolution dans le milieu du cinéma burkinabè. Déjà reconnue
comme l’une des premières femmes africaines cinéastes et comme la plus prolifique des
réalisatrices Burkinabè, Nacro signe ici le premier long métrage réalisé par une femme au
Burkina Faso, donnant par la même occasion, un tournant décisif à sa carrière
cinématographique déjà exceptionnelle au regard de la spécificité du métier et surtout de
ses exigences. Fanta Regina Nacro s’affirme de plus en plus dans ce milieu, non seulement
comme l’une des valeurs sures du cinéma burkinabè et africain, mais surtout comme une
femme cinéaste dont l’originalité thématique et esthétique n’a rien à envier à celle de ses
collègues hommes ou femmes qu’ils soient originaires du Burkina ou du reste de
l’Afrique.
3. Une cinématographie doublement originale
Tout comme la littérature négro-africaine, le cinéma africain, depuis sa naissance, a
toujours privilégié, au nom d’une certaine originalité et / ou « africanité », une thématique
et une écriture proches des réalités socioculturelles du monde noir. Cette particularité lui a
été, tantôt reprochée, tantôt reconnue. Avec les nouvelles mutations que subissent les
sociétés africaines et avec surtout le phénomène de la mondialisation, les artistes africains,
notamment les cinéastes, jetteront tout leur dévolu dans la lutte contre les maux qui
entravent le développement endogène, intégral et durable des jeunes États africains. Au
regard des guerres et des conflits qui rythment la vie quotidienne de la plupart des
populations africaines, Nacro, la femme et la cinéaste engagée, aurait-elle pu rester
insensible face à ces réalités du continent ? Certainement pas et c’est pourquoi elle s’est
résolument inscrite dans une lutte pour une véritable émancipation de la femme Burkinabè
et Africaine, en affichant son engagement, ce qui n’entache en rien l’originalité
thématique et esthétique de ses films.
3.1. Originalité de la thématique filmique de Nacro
Fidèle à ses principes et à ses engagements, Fanta Regina Nacro aborde dans la
thématique de ses films, des sujets aussi complexes que sensibles. Il en est ainsi de la
thématique de la famille, notamment dans « Un certain matin » et dans « Puk nini » où il
est question de la tranquillité et de la stabilité des familles africaines et particulièrement
des couples africains. Des sous-thèmes comme ceux de la violence conjugale et de
l’infidélité sont abordés. En dénonçant dans « Puk nini » l’infidélité conjugale, Fanta
Nacro milite pour la stabilité familiale, socle de base de toute société. Dans la plupart de
ses courts métrages, elle interroge les traditions africaines dont elle décrit les relations
complexes avec la modernité. Le poids de ces traditions sur la société et les hommes
modernes constitue aussi un des foyers thématiques les plus importants dans sa
cinématographie. Ces traditions sont tour à tour épinglées dans « Le truc de Konaté » puis
dans « Bintou ». Dans « Le truc de Konaté », le pari de Fanta Regina Nacro a été de traiter
d’un sujet aussi grave comme celui de la problématique du port du préservatif. Pari osé,
dans le cadre global de la lutte contre le sida, surtout dans un contexte africain dominé par
certaines conceptions culturelles et religieuses encore vivaces pour lesquelles cette
problématique relève encore du tabou.
Dans « Bintou » où Fanta Nacro avoue avoir été inspirée par la lutte de sa propre mère,
il est particulièrement question de l’émancipation de la femme Africaine par rapport à des
sociétés qui nient son statut et son rôle en leur sein. Plaidoyer techniquement appuyé et
thématiquement argumenté, ce film appelle à une émancipation totale de la femme
Africaine. Le rôle de « Bintou », taillé sur mesure pour l’excellente Alimata Salouka
Koné, donne à voir une femme au cœur d’or et à la volonté d’acier qui, malgré les
réticences de son macho de mari, veut mettre sa fille à l’école. Pour cela, elle doit gagner
de l’argent, même au détriment de la stabilité de son couple. Dans ce film particulièrement
poignant, la réalisatrice Burkinabè met en scène l’itinéraire d’une mère combative et
intrépide qui, seule contre tous, se bat pour l’émancipation de sa fille. Il s’agit en fait d’un
clin d’œil à toutes les femmes Africaines qui, jour et nuit, se battent pour leur
émancipation sociale, culturelle, politique et économique. En tant que mère, femme
Burkinabè et Africaine, Fanta Regina Nacro rend ici un vibrant hommage à toutes ses
sœurs du continent et du monde qui, avec courage et abnégation luttent, même au prix de
leur vie, contre les pesanteurs socioculturelles en vue de la reconnaissance de leurs droits
fondamentaux. La plupart des thèmes sociaux prennent dans la filmographie de Nacro une
connotation hautement politique au sens noble du terme, même si de façon générale, la
réalisatrice se préoccupe du quotidien des populations.
Comme dans « Le truc de Konaté », Nacro aborde dans « Vivre positivement » la
prévention du sida et d’une manière plus globale, la lutte contre ce fléau dans les pays
africains. Dans ce film, Nacro dénonce la discrimination et le rejet dont les personnes
vivant avec le VIH font l’objet. Elle en appelle à plus de tolérance et d’humanité à leur
endroit, tout en insistant sur la responsabilité des gouvernants dans leur prise en charge et
dans leur insertion dans la société. Il s’agit véritablement d’un émouvant manifeste contre
le rejet et pour l’affirmation de soi. Ce film franchit le pas ultime du vécu pour lutter
contre l’exclusion des sidéens sous toutes ses formes. L’appel à la tolérance du leader
religieux qui ouvre le film donne le ton. En centrant son film sur le droit de vivre et de
procréer, Nacro développe une vision positive, dépouillée de tout misérabilisme et de tout
pessimisme.
Mais contrairement à cet ensemble de films où la famille, les traditions et la lutte contre
le sida occupent une place prépondérante, dans son tout dernier film, « La nuit de la
vérité », les conflits et les guerres fratricides en Afrique constituent l’une des thématiques
les plus développées. Ce premier long métrage de Fanta Nacro épouse les réalités d’une
Afrique déchirée par une cruelle guerre à l’issue de laquelle on songe enfin à la
réconciliation sur fond de méfiance et d’intrigues. Complots, vengeance et haine
constituent la toile de fond de ce film. C’est dans cette atmosphère que le chef rebelle
Théo, issu du clan des Bonandé, va proposer l’Armistice au président qui, lui, appartient à
l’ethnie des Nayaks. Une réception est organisée et les deux camps ennemis y prennent
part avec pour objectif, la recherche d’une paix véritable et durable, mais visiblement, les
plaies ont du mal à se cicatriser ainsi que le montre la réticence de la première dame qui
répugne à serrer les mains qui ont assassiné son fils. Ainsi se construit la douloureuse
expérience de la paix entre frères ennemis. Pour Fanta Nacro, « La nuit de la vérité » est
un film qui dénonce les atrocités, les conflits ethniques, la cruauté et la haine de l’Homme.
Au regard de ce qui précède, Fanta Nacro s’inscrit en droite ligne des préoccupations
des autres artistes Africains, musiciens, littéraires, peintres, etc., qui veulent faire de leur
art, un viatique pour une dénonciation et une critique constructives en vue d’un meilleur
devenir des sociétés africaines. Dans cette perspective, sa cinématographie sera consacrée
pour l’essentiel, à faire du septième art, un moyen privilégié de lutte contre la pauvreté, les
maladies, la mauvaise gouvernance, l’analphabétisme, les injustices, les guerres ethniques,
etc. À cet effet, elle accordera dans l’ensemble de son œuvre cinématographique, une
place de choix à l’information et à la sensibilisation des populations. Nacro veut ainsi
briser les clichés tabous et faire des propositions concrètes et réalistes pour un monde plus
juste et empreint d’humanisme.
En définitive, l’originalité thématique de Nacro réside moins dans les thèmes abordés
(ceux-ci sont le plus souvent des lieux communs pour la plupart des artistes Burkinabè et
Africains) que dans la manière très particulière de les traiter, c’est-à-dire de les porter à
l’écran. Toutefois, dans son ensemble, cette thématique semble privilégier les questions
relatives à la famille (infidélité conjugale, émancipation de la femme, lutte contre la
propagation du sida, etc.) et par conséquent, relatives à la femme, à la mère et à l’épouse
qu’est Fanta Regina Nacro. Même si son statut de femme et de mère ainsi que son origine
burkinabè et / ou africaine semblent influencer consciemment ou inconsciemment ses
choix thématiques et esthétiques, Fanta Nacro se veut avant tout une artiste et une cinéaste
au sens plein des termes. Elle veut titiller les consciences et susciter la réflexion autour des
thématiques abordées, mais elle reste avant tout une cinéaste, c’est-à-dire une artiste
exploitant les ressources esthétiques du langage filmique, telles que décrites par Lotman
(1977).
3.2. Une esthétique filmique originale
L’originalité de l’esthétique filmique de Fanta Regina Nacro pourrait être envisagée en
fonction de la catégorie des films (court ou long métrage). Il est bien entendu qu’une telle
classification n’obéit pas à une règle absolue dont les frontières seraient étanches. Elle
permet tout simplement, à l’aide d’une vision globale, de dessiner les grands traits
caractéristiques de l’esthétique filmique de la réalisatrice Burkinabè. Ainsi par exemple,
au niveau des courts métrages, on peut noter une prédominance de l’humour, même dans
l’évocation de certains sujets à la gravité reconnue. On peut donc dire que l’humour fait
partie de l’originalité des films de Nacro qui s’inspire de la parole traditionnelle orale,
bien connue dans nos sociétés. L’exploitation de l’oralité au cinéma est une des stratégies
de communication chez Nacro et plus particulièrement dans son film « Un certain matin ».
Dans « Le truc de Konaté », fiction superbement menée, Nacro joue sur l’humour pour
faire passer un message (celui du port du préservatif) dans une société burkinabè et
africaine où ce sujet est encore tabou, en dépit du démantèlement du tissu social et
économique dû au sida. Comme dans « Le truc de Konaté », dans « Bintou », la
réalisatrice récidive avec le recours presque systématique à l’humour et à l’ironie, comme
en atteste la manière dont le personnage principal est filmé : délicatesse et humour.
L’humour est encore présent dans « Vivre positivement » où la maîtrise du cadrage et
des techniques d’éclairage permet de magnifier et d’humaniser les personnages, d’autant
plus que dans ce court métrage, la parole, libérée, est donnée à de simples citoyens. Cette
simplicité du scénario et du montage donne à voir un film proche des préoccupations
quotidiennes des populations, mais surtout un film qui restitue la parole première. Le
spectateur suit sans ennui et avec une réelle émotion, les témoignages de personnes qui lui
sont proches et auxquelles il s’identifie.
Si l’ironie et la liberté de ton et de parole parcourent les films de Nacro, il est établi que
l’humour constitue l’une des principales caractéristiques de son esthétique filmique,
notamment pour ce qui est des courts métrages. Il permet de mieux communiquer avec le
spectateur. Une telle communion entre personnages et spectateurs ne peut s’instaurer sans
une certaine maîtrise de l’esthétique filmique qui se conjugue ici avec une certaine dose
d’humour dont Nacro seule a le secret et qu’elle a depuis longtemps et à plusieurs reprises,
largement démontrée.
Cependant, contrairement à la prédominance de l’humour dans ses courts métrages,
dans son dernier film, « La nuit de la vérité », Nacro joue, du point de vue de l’esthétique
filmique, sur un autre registre, celui du suspens à couper le souffle. En effet, dans ce long
métrage, plus que l’humour auquel elle nous avait habitué, ce qui frappe, ce sont les
images poignantes et déchirantes causées par la guerre. En phase avec l’actualité du
continent qui charrie cadavres, blessés et déplacés de guerre, ce film voudrait interpeller
les hommes politiques sur l’urgence et la nécessité de promouvoir la paix au sein de nos
populations pour un meilleur développement de nos États. Forte de cette conviction, Fanta
Nacro aboutit à une conclusion : les guerres ethniques avec leurs cortèges de désolations,
de rancœurs et de privations, n’apportent rien, ni à l’Afrique ni aux Africains. Mieux vaut
s’atteler à cultiver dans les esprits et les cœurs de nos populations, des valeurs plus
humanistes et plus responsables. Pour Nacro, accepter la haine comme composante
intrinsèque de tout homme, c’est commencer à pouvoir s’en défaire. C’est seulement à ce
prix et par cette thérapie collective que les populations africaines pourraient désormais
envisager l’avenir avec plus de sérénité.
On comprend alors que dans un tel contexte et au regard de la thématique développée
dans ce premier long métrage, les suspenses, les temps d’angoisse, les silences évocateurs,
le recours aux symboles, etc., contribuent à asseoir une esthétique filmique au service
d’une thématique aussi grave que celle des conflits armés qui minent le continent.
L’atmosphère du film est alourdie par la thématique et le contexte, tandis que l’angoisse
va crescendo. D’un point de vue esthétique, ce film témoigne d’une plus grande
professionnalisation. Il en est ainsi selon les terminologies de Bessalel et Gardiès (1992),
du jeu des acteurs, du cadrage, du décor, du montage, du son, etc. Le scénario quant à lui,
est l’un des plus réussis de toute la cinématographie de Nacro. Quoi d’étonnant alors qu’il
ait obtenu, lors du dernier FESPACO, le « Prix du meilleur scénario ». Pour qui connaît
l’importance du scénario dans la réalisation d’un film, ce prix vient consolider une carrière
déjà riche et c’est tant mieux pour cette réalisatrice engagée.
En dehors de ces grandes tendances du point de vue de l’esthétique des films de Nacro
(prédominance de l’humour dans les courts métrages et priorité au suspens et à l’angoisse
dans son long métrage), on note chez elle, une certaine liberté de parole et de ton qu’on lui
reconnaît dans sa vie personnelle. Pour elle, la parole libère parce qu’elle est libre. Dans
« Vivre positivement » par exemple, cette liberté du ton et de la parole permet, avec un
grand respect pour les personnages, de réaliser un émouvant manifeste contre l’exclusion
et pour une meilleure affirmation de la dignité humaine. À cela s’ajoute un meilleur
traitement des dialogues, devenus plus incisifs. Certes, en fonction de la thématique, du
contexte, des objectifs visés et de bien d’autres critères, certains traits esthétiques sont plus
ou moins privilégiés par rapport à d’autres. Tout ceci atteste de la maturité et de la
professionnalisation du cinéma de Nacro qui, en signant son premier long métrage, signe
du même coup, son entrée dans la cour des grands, celle de l’histoire du cinéma burkinabè
et africain.
4. Le cinéma, instrument de lutte pour
une artiste engagée
L’histoire littéraire négro-africaine a été marquée par la lutte des « épigones », selon le
terme consacré de Chevrier (1984). Ceux-ci ont, à travers l’historique mouvement
négritudien mené par ses chantres comme Senghor, Damas et Césaire, fait de la poésie une
arme de combat en vue de l’affirmation de l’identité noire. À leur suite, des artistes
Africains de tous bords, musiciens, peintres, cinéastes, etc., feront de leurs différents arts,
des instruments de lutte contre les maux qui entravent le développement économique,
politique et culturel du continent. C’est le cas parmi tant d’autres, de Med Hondo, de
Sembene Ousmane, de C. Oumar Sissoko, avec respectivement « Lumière noire », « La
noire de… » et « Guimba ». Parmi les cinéastes qui considèrent que la lutte contre le sous-
développement de nos pays n’est pas seulement une affaire d’hommes, figure Fanta
Regina Nacro. Pour elle, cette lutte incombe aussi et pour diverses raisons, aux femmes
Africaines, notamment aux intellectuelles et aux artistes. Celles-ci doivent, du fait de la
spécificité de leur combat, mettre l’accent sur la lutte pour la quête voire la reconquête de
leur dignité bafouée au sein d’une société africaine sinon misogyne, du moins rétrograde
dans ces conceptions liées à la question du genre.
C’est entre autres dans la perspective de cette lutte contre toutes les pesanteurs
socioculturelles que voudrait s’inscrire Fanta Regina Nacro, artiste, cinéaste, militante et
femme engagée. Dans ce sens, le cinéma pour elle est non seulement un moyen
d’expression mais surtout un précieux instrument de lutte. Elle s’inscrit de ce fait en droite
ligne du combat pour une véritable émancipation de la femme Burkinabè et Africaine. Au
Burkina Faso, ce combat prend la forme d’une lutte permanente contre l’hostilité de la
nature et les pesanteurs socioculturelles. Mère, éducatrice, épouse, la femme Burkinabè, à
l’instar de ses sœurs du continent, est au gré de certaines vicissitudes. Sa place dans la
société, elle la doit à son propre combat et elle en est consciente. À l’heure de la
mondialisation, cette lutte prend une autre tournure et une autre envergure, du fait de la
tendance à l’effacement des frontières et surtout du fait de la mondialisation de
l’économie. La femme Africaine qui vivait déjà dans sa chair les conséquences d’une
pauvreté jamais égalée, devrait encore aujourd’hui plus que hier, se montrer à la hauteur
des nouveaux défis imposés par la mondialisation.
Conclusion
Notre question de départ était de savoir si, dans les sociétés africaines en pleine
mutation certes, mais encore dominées par des pesanteurs socioculturelles dignes d’un
autre âge, l’artiste et particulièrement la femme artiste pouvaient encore affirmer
sereinement leur identité tout en évoluant dans un contexte généralement peu favorable.
Pour répondre à une telle question, nous sommes parti de quelques constats relatifs d’une
part à la présence dans la société africaine, de conceptions rétrogrades encore très vivaces
et d’autre part à la spécificité du milieu des artistes, notamment celui des cinéastes où la
présence de la femme relève encore d’un fait exceptionnel.
Tous ces constats conduisent à la même conclusion : la femme Africaine a encore du
chemin à parcourir, afin que son combat quotidien contre l’adversité de la nature et surtout
contre certains préjugés, aboutisse à une véritable reconnaissance de sa place et de son
rôle dans une société où la tendance générale est à la négation de sa dignité. Face à ce
constat, Fanta Regina Nacro a voulu faire de son art cinématographique, un des meilleurs
instruments dans sa lutte contre l’injustice, la discrimination et les pratiques dégradantes
exercées à l’encontre de la femme Burkinabè et Africaine.
À cet effet, elle s’appuie sur une thématique et une esthétique filmiques des plus
originales pour informer, sensibiliser et conscientiser ses contemporains sur les risques de
dérapages qui guettent nos sociétés, si rien n’est fait pour semer et entretenir la paix dans
les cœurs. Avec abnégation et détermination, Fanta Regina Nacro qui en est à son premier
long métrage, compte prendre appui sur le septième art pour mener un combat qui est non
seulement le sien, mais aussi celui de toutes les femmes du monde, victimes de toutes
sortes de discriminations. Elle en a la volonté et les talents nécessaires, il lui manque sans
doute des moyens qui soient à la hauteur de ce combat.
Bibliographie
Barthes Roland (1964), Rhétorique de l’image. In Recherches sémiologiques, Communication, 4.
Bessalel J. et Gardies André (1992), 200 mots-clés de la théorie du cinéma. Paris : Cerf.
Burch N.(1990), La lucarne de l’infini : naissance du langage cinématographique. Paris : Nathan.
Chevrier Jacques (1984), Littérature nègre. Paris : A. Colin.
Clerc J.M. (1985), Écrivain et cinéma. Metz : P.U. Metz.
Clerc J.M. (1993), Littérature et cinéma. Paris : Nathan.
Demougin F. (1996), Adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires. Paris : CRDP /Midi-Pyrénées.
Gardies André (1993), L’espace au cinéma. Paris : Méridiens Klincksieck.
Jakobson Roman (1963), Essais de linguistique générale. Paris : Minuit.
Kerbrat-Orecchioni Catherine (1981), Décrire la conversation. Lyon : P.U.L..
Lotman I. (1977), Esthétique et sémiotique du cinéma. Paris : Éditions sociales.
Metz Christian (1973), Essais sur la signification au cinéma. Paris : Klincksieck.
Odin R. (1991), Cinéma et production du sens. Paris : A. Colin.
Rollet S. (1996), Enseigner la littérature avec le cinéma, Nathan pédagogie,.
Vanoye Francis (1992) et Goliot-Lete A., Précis d’analyse filmique. Paris : Nathan.
L’enseignement du français
par compétences :
la culture de l’effort
Hortensia LÓPEZ LORCA
Universidad de Murcia
Introduction
La valeur est quelque chose qui vaut, qui a une valeur. Les valeurs sont l’ensemble de
croyances, la charpente qui donne sens et cohérence à notre conduite (Ortega y Gasset,
1973).
La valeur se réfère à une perfection, par exemple, dire la vérité, être honnête, travailleur.
Les valeurs ne sont pas créées par l’homme mais elles ont besoin de sa collaboration pour
devenir une expression. Elles sont au-dessus de l’opinion, elles ne laissent que peu ou pas
de place au doute (Bourassa, Serre et Ross, 2000).
Les personnes donnent une valeur quand elles préfèrent, estiment, choisissent une chose
au lieu d’autres, quand elles fixent des buts et font des projets personnels. Quand les
valeurs sont pratiquées, elles deviennent une habitude. Quand elles ne le sont pas, elles
s’affaiblissent.
Nous nous trouvons avec ce paradoxe : ce qui est le plus valable n’occupe pas le
premier rang dans notre société. Il cède la place à d’autres valeurs moins fondamentales
mais, sans doute, plus effectives et gratifiantes pour l’individu. Ce sont les valeurs
économiques, esthétiques ou ludiques : gagner de l’argent est plus important que travailler,
avoir du succès coûte que coûte, ne pas souffrir. Par contre, le don solidaire, l’amitié, la
compréhension, la courtoisie, la poursuite de l’excellence dans le travail, etc. ne rapportent
aucun résultat quantifiable (López Lorca, 2005).
Díaz et Rodríguez (2008) affirment que la qualité de l’éducation est déterminée par la
dignité, la profondeur et l’extension des valeurs que nous avons été capables de susciter et
d’actualiser chez eux qui se trouvent dans un processus de maturation personnelle, du
point de vue cognitif, volitif et émotionnel. Il s’agit de créer des conditions adéquates pour
que les personnes soient capables d’assimiler des valeurs de façon singulière dans des
situations d’interaction sociale.
La plupart de nos élections se forgent dans la famille, grâce à l’exemple de nos parents,
à des comportements acquis depuis l’enfance, à l’entourage personnel, à l’école. À côté de
l’exemple, le dialogue, l’affection et l’autorité sont des éléments indispensables pour que
la transmission des valeurs soit efficace.
Il est également vrai que cette acquisition des valeurs devient plus profonde si elle
reçoit un appui complémentaire dans le cadre scolaire et universitaire par le moyen des
recours didactiques. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’effectuer une
recherche au cours de français langue étrangère sur la hiérarchie des valeurs des jeunes
universitaires et en spécial de la culture de l’effort.
À travers un travail comparatif, les étudiants de première année de Traduction et
Interprétation (Français) de l’Université de Murcia devaient atteindre ces objectifs dans la
matière Lengua BI (Français) : atteindre les compétences orales et écrites en français
correspondantes au Niveau BI du Cadre Européen Commun de Référence pour les
Langues (en utilisant les technologies de l’information et de la communication) et
approfondir dans la culture de l’effort : étude, travail, rapports humains, solidarité,
austérité.
1. La valeur de l’effort
C’est dans la famille que les enfants découvrent en premier lieu les valeurs. Les
modèles des parents -père et mère- et ceux qui apparaissent dans les moyens de
communication exercent une grande influence dans l’apprentissage des styles de vie et
dans la façon d’assumer les conséquences des comportements personnels. La plupart des
personnages adolescents des films, des séries télévisées, etc. ne sont pas de modèles
d’esprit de dépassement et de recherche de l’excellence professionnelle. Ils transmettent
une primauté des sentiments sur la raison, un manque de respect de la dignité de la vie
humaine (violence, emploi d’un vocabulaire grossier, fausse liberté, sarcasme ou absence
totale de transcendance, etc.).
Nous pouvons dire que les jeunes atteignent la maturité plus tard qu’avant. Des facteurs
qui expliquent ce fait peuvent être la permissivité dans l’éducation et dans la société, le
manque d’intérêt pour tout ce qui suppose un effort, l’incorporation tardive au travail, etc.
Selon Camps et Giner (2000), les jeunes d’aujourd’hui sont habitués à obtenir de façon
immédiate ce qu’ils demandent et croient avoir tous les droits.
Il est nécessaire de d’éduquer les enfants dans l’importance de l’accomplissement de
leurs devoirs plutôt que dans la revendication de leurs droits (Flaquer, 2001).
Bruckner (1995) appelle innocence à la maladie qui consiste à essayer d’échapper aux
conséquences des propres actes, à jouir des bénéfices de la liberté sans subir aucun de ses
inconvénients.
Une étude réalisée avec des parents et élèves d’un centre scolaire montre que certains
parents ont une conception erronée de leur tâche éducative : ils pensent qu’ils doivent
éviter des souffrances à leurs enfants, assouvir leurs besoins le plus vite possible ; ils sont
plus préoccupés de leurs résultats académiques que des connaissances réelles des enfants
et de leur comportement en classe, de sorte qu’ils agissent comme des clients exigeants
envers les professeurs. Ils leur reprochent de ne pas savoir éduquer leurs enfants (Cervera
et Alcázar, 1995). Mais, par contre, ces parents ne sont pas capables de s’occuper de façon
constante de l’étude de leurs enfants à la maison, de s’intéresser pour l’emploi de leur
temps libre, des programmes (films, publicités, etc.) qu’ils regardent à la télé quand ils
sont seuls (Landwerlin, 2006).
Pour ce qui fait référence à l’excellence dans le travail, avant d’arriver à l’exercice
d’une profession, une formation devrait être donnée concernant la capacité d’apprendre, la
façon de réaliser le travail en général, la promotion de la responsabilité et des habiletés
sociales. À travers le travail, nous mettons en jeu des valeurs telles que la justice, la
constance, le service aux autres, etc., perfectionnant ainsi la personne qui le réalise.
D’après Ruiz (1999), le système est injuste envers les élèves qui étudient et qui
travaillent. Il leur apprend que l’étude et l’effort n’ont aucune valeur puisqu’ils obtiennent
le même objectif que leurs collègues sans rien faire (passer dans la classe supérieure). Cela
fait tomber les bons étudiants dans l’ennui, la routine, le manque de motivation et
provoque l’arrogance de l’ignorant face à l’humilité du travailleur.
À côté de cela, dit González-Pienda (2002), l’absence de discipline dans notre système
scolaire laisse ses traces dans les classes. La discipline et l’ordre garantissent l’efficience
scolaire et favorise l’estime de soi. Il faut apprendre les élèves à attribuer leur succès ou
échec à leur effort dans le travail et pas au professeur. L’important ce n’est pas
l’intelligence de l’élève mais comment il l’utilise.
Ce que l’on fait est important, mais surtout la façon dont on le fait. Nous devenons
heureux ou malheureux plutôt que par l’effort que nous y mettons pour l’attitude que nous
adoptons face à ces obligations (Fernández Aguado, 2002).
Pour que le goût du travail devienne attirant, Altarejos, Buxarrais et Bernal (2004)
conseillent d’éduquer les enfants dans la contrariété. Dans une société qui montre des
modèles de vie fondés sur la loi du moindre effort, il est indispensable que dans la famille
et à l’école on prête une attention spéciale à l’éducation de la volonté.
Le manque de volonté peut être conséquence de l’absence d’entraînement (manque de
force) caractéristique des personnes paresseuses qui évitent systématiquement ce qui exige
un effort. Ce qui est le plus important c’est de bien travailler, indépendamment des
résultats. Agir avec liberté, sans peur d’échouer, accomplir nos obligations avec un désir
de perfection et en même temps assumer les petites erreurs, les limitations sans se fâcher
et sans se décourager (Sarráis, 2011).
Et Kolf (1996) ajoute que les résultats scolaires sont habituellement meilleurs chez les
jeunes dont les parents s’efforcent d’enseigner des valeurs : respecter un horaire pour aller
au lit, pour se réveiller, pour manger, jouer, étudier, etc., réaliser des tâches dans le foyer
(mettre la table, faire la vaisselle, ranger les affaires, etc.), une action solidaire, un sport en
équipe, etc.
2. Objectifs
Étant donné que le progrès dans l’apprentissage d’une langue apparaît le mieux dans la
capacité de l’apprenant à s’engager dans une activité langagière observable et à mettre en
œuvre des stratégies de communication (CECRL, 2005), il était très important de fixer
avec les étudiants de Traduction et Interprétation les objectifs de ce travail et les bénéfices
qu’ils allaient retirer de leurs efforts.
Objectifs généraux de cette pratique pédagogique :
a) Acquérir des compétences communicatives linguistiques, sociolinguistiques et
pragmatiques.
b) Promouvoir des compétences générales (savoir, aptitudes, savoir-faire, savoir-être,
savoir-apprendre).
c) Apprendre à exécuter des tâches (TIC, recherche, travail en équipe).
Avec les objectifs particuliers nous poursuivions :
a) Développer l’expression écrite et l’expression orale des étudiants (travail écrit,
exposé oral et débat final). Assimiler le vocabulaire précis appartenant au domaine des
valeurs.
b) « Utiliser simultanément une information auditive et une information
visuelle » (CECRL, 2005, p. 59) pour mettre en pratique la tâche de réception et de
compréhension d’un texte oral en français (documentaires, informations, films, etc.).
c) Réaliser une synthèse des textes écrits en français sur la thématique du travail.
d) Approfondir et réfléchir sur la culture de l’effort et les valeurs s’y rapportant.
e) Promouvoir les compétences de recherche et de travail en équipe.
Ces objectifs coïncident avec les directives de l’Espace Européen de l’Enseignement
Supérieur (1998) en ce qui concerne l’apprentissage de compétences telles que la maîtrise
des langues vivantes, les technologies de l’information et de la communication et
l’engagement éthique (les valeurs).
3. Méthodologie
En suivant Sawadogo (2010 : 175) « L’apprenant doit être associé et responsabilisé dans
tout le processus avec des méthodes plus dynamiques et plus participatives », nous avons
établi les phases suivantes pour la réalisation de ce travail :
1. Utilisation en classe des textes en français en rapport avec les valeurs : lecture,
traduction, débat (López Lorca, 2011).
2. Exposé des objectifs (linguistiques et des valeurs), correspondants au Niveau BI du
CECRL, à atteindre avec ce travail.
3. Remise d’un formulaire avec les points à inclure dans le document à rédiger en
français :
a) Fondements théoriques en relation avec la culture de l’effort dans ses différentes
manifestations.
b) Développement pratique : documents audiovisuels à l’appui (en langue française).
c) Réalisation d’un questionnaire personnel anonyme.
d) Ce test ferait l’objet d’une étude comparative sur la hiérarchie des valeurs des
membres du groupe concernant la thématique de la culture de l’effort.
2- L’effort est-il bien orienté (culte du corps, travail excessif, nuits sans dormir
pour obtenir des entrées pour un concert, etc.) ?
Épargne, austérité.
1. Importance du travail
bien fait.
2. Exemple
(famille, amis, collègues).
3. Moyens de communication
(informations, films, publicités, modes,
tendances).
4. Système éducatif
(exigence, discipline en classe, etc.).
CONCLUSIONS
OBSERVATIONS
(3) (E - 2.0.8 – Est prête à se rendre à la fête d’anniversaire d’un petit ami) 142
M : Ça, c’est la clé de quoi ?
E : Fon fon
M : De la voiture ? Jolies, les clés de Cécile, toutes vertes.
E : Ici, l’enfant répond par une production énigmatique ou étrange :
Laisse moi, vu’ér.
Cette production peut avoir un rapport avec le mot vertes, que la mère vient de prononcer, mais pourrait signifier
aussi : Laisse-moi voir. Et l’enfant enchaîne :
Pas vrai, c’est brun.
M : C’est brun ?
E : Oui
M : Non, c’est vert.
Le chercheur, mis en présence de la production infantile vu’ér, qui fait partie de la
chaîne laisse moi, v’uér – au lieu du terme attendu voir –, hésiterait entre les signifiés des
mots voir et verte sans pouvoir se décider pour l’un ou pour l’autre. On peut donc dire que
cette impossibilité d’interprétation univoque consiste en un effet, produit par la
manifestation singulière d’un enfant, comme les exemples antérieurs (1 et 2) nous l’ont
montré. De son côté, l’effet provoqué par cette chaîne (laisse moi, v’uér) a une résonance
sur d’autres productions de l’enfant (de supposés noms de couleurs), même sur celles qui
ne laissaient pas de marques visibles d’opacité, comme, par exemple Couvercle jaune et
Voiture jaune, dans les épisodes ci-dessous :
(4) (E – 1.10.8 et M parlent de la couleur des couvercles)
E : Quelle couleur ?
M : Le couvercle ?
E : Couverc.
M : Le couvercle bleu.
E : Couverc’ haune.
M : Le couvercle n’est pas jaune. Il est bleu.
(…)
E : Ici c’est bleu, ici c’est bleu.
M : Oui. Ça, c’est un couvercle bleu, et ça, un tout blanc.
Il faut remarquer que, même dans le cas de l’épisode 4, où jaune aurait été employé
incorrectement par l’enfant, ce terme avait été conçu – ou écouté – par le chercheur
comme étant un nom de couleur, c’est-à-dire, comme un mot qui ferait référence à la
couleur des objets, bien qu’il s’agisse d’une erreur dans cette relation référentielle.
Le chercheur, a ce moment, suspend le signifié de couleur qu’il avait attribué aux
signifiants vert, bleu, blanc, jaune, etc, produits par l’enfant, à différents moments de
l’enregistrement du discours avec la mère. Autrement dit, le chercheur commence à se
douter que, à plusieurs moments, ces termes n’étaient pas employés par la fillette comme
des noms de couleurs, comme il l’avait d’abord supposé ou écouté.
Nous pouvons par conséquent suggérer que le doute du chercheur a remis en question
certains points de la classe (ou de la représentation) dénommée discours de l’enfant.
Autrement dit, le soupçon en question aurait dispersé ou dilué, dans cette classe, la
représentation ou la sous-classe des noms de couleurs conçue par le chercheur, au moment
où il a écouté les données du discours d’une enfant.
De la sorte, la singularité ou hétérogénéité des manifestations verbales infantiles, dans
l’état de changement, aurait été perçue grâce à une suspension de l’apparente solidarité
entre ces manifestations, c’est-à-dire grâce à une dispersion ou dilution de leur
représentation en ce qui concerne spécifiquement ce que l’on appelle noms de couleurs.
3. Considérations finales
Soulignons que les épisodes analisés ne cherchent qu’à montrer une possibilité de
changement dans la classe constituée par les dites données de discours de l’enfant. Il ne
semble pas inutile de répéter que, dans la proposition adoptée, cette classe aurait son axe
déplacé de l’attribut (apparent) de solidarité ou communauté de ces données vers leur
dispersion ou dilution. Cette proposition de déplacement n’aurait cependant pas la
prétension de dévoiler le mystère qui entoure l’investigation de l’enfant, dans la
singularité de son venir-à-être parlant. En ce qui concerne cette singularité, reste alors la
question suivante : quels changements théoriques-méthodologiques pourraient-ils
survenir, dans la recherche de l’acquisition du langage, comme conséquences du
déplacement proposé ?
Et à son tour, cette question nous indique peut-être un long chemin, qui exigera pour
commencer que l’on mette en discussion la naturalité avec laquelle le chercheur a conçu
sa relation avec les manifestations verbales infantiles – ou la naturalité avec laquelle le
chercheur a conçu la reconaissance des intentions communicatives –, dans les études de la
trajectoire linguistique de l’enfant.
À partir de la discussion antérieure, dans le cadre de l’étude du parcours de l’acquisition
du langage, on attribuerait donc à l’interprète (dans ce cas-ci l’investigateur) le statut d’un
sujet qui n’a pas de contrôle sur l’effet de sens provoqué par le discours de l’enfant. Il faut
rappeler que le manque de contrôle sur le sens devient plus évident quand il s’agit d’un
effet d’opacité, provoqué notamment par certains énoncés infantiles. D’autre part, la
constatation de ce manque lance rétroactivement un soupçon sur la sécurité avec laquelle
un sens déterminé est attribué au discours infantile, même quand il s’agit de productions
verbales qui ne laissent pas de traces visibles d’opacité.
Pour terminer, nous reprendrons la proposition de Grice (1975), en nous souvenant que
cet auteur s’est retrouvé dans une impasse, créée par l’effet d’ambiguïté sous-tendu par
son Principe élémentaire de coopération. En nous fondant sur les discussions qui
précèdent, nous pouvons déduire que s’il avait tiré la leçon de cette confrontation, il aurait
dû raisonnablement remettre en question la conception de sujet auquel est attribué, comme
noyau, la reconnaissance d’intentions communicatives.
Les conséquences de cette confrontation nous montreraient alors un sujet dont le statut
de manque de contrôle sur le sens, sur le terrain de l’investigation de la trajectoire
linguistique de l’enfant, a été imaginé par De Lemos à partir de la lecture de Saussure
(1916/1972), Jakobson (1963) et Lacan (1966, notamment), et entériné par le groupe
d’investigateurs, dans la ligne de recherche produite par cette auteure (par exemple,
Andrade, 2003 ; Figueira, 2005 ; Lier-De Vitto, 2005 ; Pereira de Castro, 2005 ; Fonseca,
2005 ; Arantes, 2006). Il convient de souligner que, chez ce type de sujet, la
reconnaissance occupe une position fondamentale. Mais il s’agit d’une reconnaissance
qui surprend, selon la colocation wittgensténienne.
Enfin, le caractère de surprise a mis en cause la prévisibilité de l’acte de reconnaître, ou
plutôt la reconnaissance de l’intention communicative comme condition pour que
survienne la signification. De sorte que, dans le domaine de l’Aquisition du Langage, le
sujet de la signification serait un sujet de reconnaissance auquel on attribue le statut de
surprise qui met en question – du point de vue théorique-épistémologique aussi bien que
du point de vue empirique – un type de représentation, c’est à dire, un corpus.
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La bande dessinée/œuvre littéraire en classe de français
langue étrangère :
étude de cas en Grèce
Marianna MISSIOU
Enseignante de FLE
et Diamanti ANAGNOSTOPOULOU
Université de l’Egée, Rhodes, Grèce
Les œuvres théoriques sur l’apport de la bande dessinée à l’éducation sont abondantes
et datent déjà de plusieurs années. Caractérisée de langage libératoire (Baron-Carvais,
1994 : 79), à la fois support et objet d’apprentissage, la bande dessinée a aujourd’hui sa
place dans les principales finalités de l’enseignement des langues (Les Langues
Modernes 2006). En outre, de nos jours, on souligne les atouts du littéraire en didactique
des langues étrangères (Cuq & Gruca 2005).
Le travail sur lequel s’appuie cet article est le résultat d’une expérimentation conduite
dans une classe de FLE en Grèce. La problématique sur laquelle il repose est centrée sur la
possibilité de relier la familiarisation de la langue étrangère, en occurrence la langue
française, avec la lecture littéraire, par le biais de la bande dessinée. L’élève qui apprend le
français ne maîtrise pas suffisamment la langue, ce qui fait obstacle à sa compréhension.
Or, les théories de la réception postulent que chaque texte n’est pas un objet fini, ayant le
sens voulu par l’auteur, mais qu’il est composé de l’ensemble des lectures proposées.
C’est le lecteur actif qui dynamise la lecture et construit du sens, toujours pluriel.
Découlant de ces théories, les dernières tendances de la didactique de la littérature
postulent la formation à la lecture littéraire , qui stimule la créativité et les démarches
143
interprétatives (Rouxel 1996, Tauveron 2006, Dufays 2005). Notre hypothèse de départ est
d’envisager la bande dessinée comme une possibilité pour mettre en relation les entraves
des élèves qui sont en situation d’apprentissage d’une langue étrangère avec les entraves
d’une lecture littéraire . Les élèves seraient conduits alors à faire leurs premiers pas vers
144
leur autonomie en lecture, en langue étrangère, c’est-à-dire vers leur capacité à lire et leur
envie de lire seuls une œuvre en français. La lecture d’une œuvre intégrale en français
constitue donc à la fois l’objectif général et le dispositif pédagogique. L’intérêt didactique
devrait permettre de répondre à la question de savoir comment se met en place la lecture
littéraire dans la classe de FLE et devrait conduire à expliciter le rôle de la lecture littéraire
dans la familiarisation de la langue française.
Les variables didactiques, susceptibles de modifier les rapports des élèves à la lecture
d’une œuvre authentique et intégrale en langue étrangère, puisent dans les pratiques de la
didactique de la littérature. Notre hypothèse s’inscrit dans un cadre théorique constitué
autour des pôles suivants :
Le sens d’une BD, comme chaque texte littéraire, n’est jamais complètement donné.
Il laisse une place à l’interprétation personnelle du lecteur/spectateur qui doit avancer
en vertu de ses propres inférences. D’autant plus que la BD est caractérisée par des
ellipses narratives et des laconismes.
En classe, pour aider les élèves à aller au-delà de la compréhension littérale et les
conduire vers une attitude interprétative, il faut privilégier l’aptitude au
questionnement et à la problématisation (Tauveron 1999, Rouxel 1996).
Le texte littéraire est un espace privilégié où « la langue travaille et est travaillée ».
Dans la perspective de l’exploitation du littéraire dans une classe de langue, les
stratégies de compréhension devraient faciliter la construction d’un sens pluriel et
induire des interprétations, en proposant des entrées dans le texte et en favorisant des
retours sur le texte (Cuq & Gruca, 2005 : 420-421).
D’une durée de 40 minutes, les séances ont été réalisées au long du premier trimestre,
dans un collège public de Rhodes (Grèce). La classe comprend 5 filles et 3 garçons, âgés
de 14-15 ans, ayant un niveau de compétences élémentaire (A1-A2) . Chaque séance se 146
questionnement et le débat oral constituent l’axe principal de travail. Or, un débat oral en
langue étrangère exige des compétences de niveau avancé. Le but principal étant de
promouvoir la posture de lecteur, la phase du questionnement et du débat a donc souvent
eu recours à la langue maternelle . Ce qui importe c’est l’engagement dans des
148
hypothèses, des questions, des doutes, outre l’entretien de l’intérêt et du suspens, qui
éveille aux élèves-lecteurs la lecture active. Nous n’intervenons que pour lancer ou
relancer la discussion, demander des précisions, en évitant d’influencer la compréhension
des élèves, mais en proposant des points de repère qui « émanent du texte et qui emmènent
au texte » (Anagnostopoulou, 2006 : 10). Les fragments lus et le débat oral sont suivis de
fiches de travail que les élèves doivent compléter. Ces activités écrites sont conçues pour
faire émerger les éléments de compréhension et/ou d’interprétation . Il s’agit d’un travail
149
individuel, mais qui souvent exige la coopération des élèves entre eux pour pouvoir
s’exprimer en français, aussi bien qu’une aide minimale de la part de l’enseignante. Faute
d’espace, nous nous limiterons à donner les points les plus représentatifs de ce projet.
En amont du projet, nous avons annoncé aux élèves qu’ils auraient l’occasion de lire un
livre entier en français. Pour cette raison, nous avons établi un protocole de lecture , pour 150
régler les interventions. Nous nous sommes mis d’accord pour que chacun soit l‘interprète
du « texte » et pour que chacun ait le droit d’exprimer son opinion, tant que celle-ci est
justifiée par les mots et/ou les images. Par le protocole nous avons essayé de contribuer à
ce que la classe change d’état pour passer de l’élève/apprenant passif au lecteur actif et
producteur de sens.
Le choix de la BD à lire a été laissé aux élèves. Cette pratique présente certains
avantages majeurs. Ils puisent dans leur expérience non scolaire, ce qui permet d’établir
des ponts entre la vie dans et en dehors de l’école . Leurs expériences lectorales sont ainsi
151
exonérées. En plus, choisir c’est être actif, c’est être responsable, c’est un acte de prise de
décision qui conduit à l’implication . Enfin, l’élève trouve le livre qui puisse l’inciter et
152
l’accompagner dans son mouvement intérieur (Anagnostopoulou, 2007 : 175). Entre les
BD citées, la classe a décidé de lire Tintin. Cependant, les élèves ont dû procéder à un
deuxième choix, celui de l’aventure qui serait lue, en approchant simultanément de la
notion et de l’importance du péritexte. Les élèves observent la couverture, face et dos,
échangent des opinions, puisent dans leurs connaissances hors texte. L’album Les bijoux
de la Castafiore a été retenu. Il parait que la présence d’une star et de ses bijoux a offert
aux yeux des élèves l’attente d’une aventure intéressante.
L’histoire est présentée selon la technique du dévoilement progressif, c’est-à-dire le
texte est présenté en livraisons successives. Dans la BD, les vignettes à la fin des pages de
droite doivent inciter le lecteur à tourner la page (Grœnsteen, 1999 : 44). Donc les
coupures provoquées par ces vignettes forment un découpage stratégique et une pause
notée comme telle, qui permet de fragmenter la lecture en classe d’une manière naturelle
au « texte ». A partir de chaque fragment, les élèves exposent oralement ou par écrit leurs
attentes. Cette technique permet de faire émerger les interprétations spontanément.
Simultanément, le découpage a permis aux élèves d’appréhender les étapes du récit.
L’album dans les mains, tous les éléments du péritexte ont été observés, puisque chaque
détail s’avère important à la lecture d’une BD, les titres des albums de BD étant parfois
très suggestifs. Ainsi, les élèves découvrent l’auteur Hergé. Ils se posent la question sur la
substance du créateur. Ils décident correctement que le dessinateur et le scénariste sont la
même personne, abordant ainsi la notion d’« auteur complet » et s’étendant sur les
différentes formes du créateur de BD (Peeters, 2003 : 155-178). La deuxième de
couverture qui comprend les pays de circulation de Tintin révèle aux élèves le sentiment
d’appartenir à une communauté lectorale mondiale. Les noms des éditeurs leur fait
prendre conscience du rôle des éditions dans la circulation d’une bande dessinée, dans son
succès et même dans sa production, car souvent sa dimension commerciale entraîne des
lois éditoriales sévères (p.ex. exigences formelles particulières, thèmes privilégiés, coûts
disproportionnés). Les élèves forment l’horizon de leurs perspectives, émettent des
hypothèses, s’introduisent dans le genre de l’histoire, dans les caractères, ils forment déjà
des prévisions sur leur classification typologique et leurs relations. Par exemple, ils ont
supposé que les bijoux appartiennent à Bianca Castafiore, qui est une chanteuse très
célèbre et très riche, et qu’ils vont être volés par les figures restées dans l’ombre. Quant à
la typologie des personnages (Bal, 1999 : 132, Nikolajeva, 2002 : 112), ils ont pensé
correctement que Tintin est le protagoniste, en arrivant à justifier leurs arguments en
termes littéraires. Selon eux, Tintin figure au premier rang et son nom est inscrit sur le titre
de la série. À l’opposé, Bianca Castafiore, dont le nom est aussi indiqué sur le titre de
l’album, tient un rôle primordial mais pas celui de protagoniste, puisque sur l’image elle
se trouve sur un deuxième plan. Ils ont pu ainsi évaluer le rôle du plan. Une élève a même
relevé l’importance du rôle déterminant de Tintin dans l’histoire, anticipant ainsi la suite et
fortifiant les idées de ses camarades en ce qui concerne la typologie. Cette activité prouve
que les enfants peuvent détecter le rôle et les fonctions des personnages dans une histoire
et qu’ils peuvent en parler. La face de la couverture s’ouvre aussi sur l’intericonicité. La
plupart des élèves croient connaître le nom du chien de Tintin (Milou), qu’ils appellent
Idéfix. Ce fait montre à quel point les bandes dessinées sont passées dans la mémoire
collective.
Suit le passage au texte. Les entraves lexicales d’un texte authentique a quelque peu
déstabilisé les élèves au départ. Le seul phylactère qu’ils prétendent comprendre est celui
qui comporte les paroles d’une tzigane. Pour rendre l’altérité, la langue française est
déformée. Ainsi, la tzigane utilise de façon erronée les verbes à l’infinitif. Son langage
d’étrangère devient alors un élément de démarcation entre le moi et l’autre, les élèves
s’identifiant à l’autre. Ils se posent des questions qui dérivent, naturellement, du
vocabulaire non connu, aussi bien que des questions qui concernent l’histoire, les
personnages, leurs relations. Nous essayons de maintenir cette ambiance de
questionnement continu et les incitons à échanger leurs idées et à rechercher des éléments
signifiants pouvant les aider à décoder le texte. Nous donnons cependant la traduction
d’un minimum de mots, ceux qui sont vraiment indispensables à la compréhension. La
discussion se fait mi-français mi-grec, et les élèves les plus avancés expliquent ce qu’ils
ont compris à leurs condisciples. Nous les laissons faire car le plus important à nos yeux,
c’est la participation, l’intérêt des élèves, les échanges collectifs. Peu à peu, ils entrent
dans l’ouvrage à l’aide des indices de l’image, des bulles, des récitatifs qui sont à leur
portée.
Il a fallu trois séances pour qu’ils prennent conscience que la compréhension de chaque
mot n’est pas une nécessité et que le repérage de mots clés permet d’obtenir une
compréhension globale du texte. D’autant plus que le support visuel peut dévoiler de
nombreux indices qu’on ne détecte pas au premier regard. En outre, ils ont été conduits à
faire confiance à leur culture littéraire, qui suppose la capacité à retrouver des motifs plus
ou moins familiers, puisés dans leur « répertoire d’histoires » (Nodelman, 1992 : 64).
Par la suite, nous présenterons quelques uns des points représentatifs de notre
expérimentation didactique. Dès la lecture des premières pages, la relation du Capitaine
Haddock et de Castafiore a mobilisé l’intérêt des élèves. L’attitude ambivalente du
Capitaine envers la diva, mise en valeur par l’image et par les mots, a déclenché des
questions. La plupart des élèves y ont vu une histoire d’amour en progression. Plus tard,
ils ont pu revoir et reformuler leur première idée, ce qui leur a permis de tracer la trame de
cette relation, tout en devenant attentifs aux indices du texte. Les caractéristiques des
personnages ont aussi formé un champ de débat. Par exemple, le physique, le caractère,
les habitudes de Castafiore ont été mis en scène, chaque élève exprimant sa propre idée, en
se basant sur l’image et les dialogues. Ils ont tracé la personnalité des figures en écrivant
librement leur avis ou en choisissant et en associant des qualificatifs donnés aux
personnages. Le travail sur le vocabulaire, qui d’habitude constitue une tâche ingrate et
stérile, est ainsi abordé d’une manière intéressante pour les enfants, s’inscrivant beaucoup
plus facilement dans leur mémoire, comme le montrent d’ailleurs leurs écrits.
Une activité traditionnelle d’un travail sur une bande dessinée consiste à retrouver le fil
de la narration en remettant toutes les vignettes dans l’ordre séquentiel afin de rétablir la
cohésion textuelle. Ce travail a été repris avec notre classe sur les pages qui constituent le
point culminant de l’histoire : Bianca Castafiore est en train de chanter pour une émission
à la télévision, quand a lieu une coupure d’électricité, qui provoquera un nouveau
rebondissement dans l’histoire. Les élèves sont incités à faire un travail de réflexion pour
envisager la suite de l’histoire. À la difficulté de mettre les morceaux du puzzle ensemble,
il faudrait ajouter les contraintes du vocabulaire. Les élèves ont proposé des ré-
assemblages selon leur propre interprétation, différents de l’original mais assez
raisonnables. Ce qui est important, ce n’est pas de trouver l’ordre correct, mais de leur
faire prendre conscience de leur pouvoir de producteur de sens, vivant ainsi une première
sensation du statut d’écrivain. D’autres techniques caractéristiques de la BD, comme les
ellipses narratives et les ruptures temporelles ont aussi offert l’opportunité de contribuer à
la formation d’une posture d’auteur, tout en travaillant sur la langue. Par exemple, le blanc
inter-iconique de deux vignettes a inspiré l’imagination des élèves qui ont inventé des
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Soulignons tout d’abord que si cette œuvre a été considérée comme un apport à la
littérature nationale, -et plus spécialement aux activités du Bicentenaire de l’Indépendance
du Chili (2010)- c’est sans doute parce qu’elle met singulièrement en évidence une
sagesse ancestrale, celle qui rend (littéralement) « capable de transformer en visage
humain le cœur du prochain ». Et à la lumière des écrits de cette auteure, on sait que cela
veut dire : « l’éducation doit nous servir à apprendre à être plus humains ».
Une chanson (Adaptation française, extrait)
Comme il n’y a pas de nuit sans aube,
Il n’y a pas de cœur sans amour,
Je sais qu’un matin revient
Et luira dans le ciel le soleil.
Le soir commence à mourir
Le soleil se couche déjà.
Et au chapelet du souvenir
La même prière reviendra.
En somme l´écriture poétique, vécue comme une expérience plus personnelle, tend
d’abord vers un apprentissage idiomatique à travers la construction de la propre vision de
l’apprenant, qui naturellement expérimente une satisfaction qu’il désire exprimer. C’est
pourquoi l’apprentissage peut s’organiser sans surcharger la mémoire qui cependant
trouve facilement une forme de mémorisation (par la répétition normale d’une chanson par
exemple). Nous avons également noté que les stratégies de verbalisation contextualisées
autour des textes poétiques dans les classes du primaire, se rapportent principalement à
trois types de situations : celles directement ancrées dans la vie des enfants, celles de type
plus académique, et celles qui sollicitent l’imaginaire . À ce sujet, on notera que les
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travaux de lecture et d’écriture qui ont habituellement fait l’objet d’une mise en commun,
ont pu devenir des « lieux » de mutuelle compréhension à travers un apprentissage qui
présente sa propre logique. Le fait de partager socialement la lecture/écriture est toujours
apparu comme un moment privilégié dans le sens où cela rend favorable l’acquisition de
nouveaux savoirs. L’ensemble de ces exercices trouve, à la source, un désir implicite qui
bientôt se transformera en un certain « réveil » : ce qui était enfermé dans un monde de
rêves entre dans la réalité d’une vérité commune…
3. Relevons à présent quelques impressions sur le travail interdisciplinaire dont on a
parlé au début. Si nous sommes d’accord pour dire que c’est une rencontre vivante qui doit
caractériser la présence de la poésie en classe de langue, alors nous ne serons pas surpris
de voir, (cf les documents joints) qu’il faut qu’elle soit non seulement lue, et expliquée,
mais aussi illustrée, peinte, imprimée, travaillée en affiches, théâtralisée, musicalisée,
enfin, il faut qu’elle circule constamment d’une forme ou l’autre dans la salle de classe.
C’est ce que Jean-Pierre Siméon résume parfaitement lorsqu’il affirme : « Pour moi, la
poésie devrait être au cœur de toutes les classes, quotidiennement. J’ai proposé que les
enseignants commencent la journée par la lecture d’un poème… » . 156