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Comme toutes les agences de notation financière, nous avons deux activités
principales. Celle de la notation financière, qui évalue la qualité de crédit,
c’est-à-dire la capacité et la volonté de faire face à leurs obligations
financières à court, moyen et long terme des entités et des entreprises, des
pays, ou des collectivités locales.
Cela dit, cela ne reflète pas forcément leur capacité à générer de la richesse,
ou la performance de leurs économies. Nous considérons donc cette
approche de notation financière en devises, pour les entités africaines,
comme biaisée. Avec le temps, nous avons démontré que nous sommes sur la
bonne voie et que nous permettons d’établir la véritable qualité de crédit des
entités sur le continent.
Nous avons les mêmes méthodologies que toutes les agences du monde mais
notre approche est un peu différente mais plutôt logique et appropriée. Elle
consiste à dire que la richesse des pays est établie dans leur propre monnaie.
Si vous considérez leur capacité à rembourser dans une monnaie qui n’est pas
la leur et dans laquelle ils sont faibles, ils seront forcément mal notés.
Aujourd’hui, la majorité des pays que nous notons ont une note en une devise
et une note en monnaie locale. Cela fait sens. Les entreprises qui empruntent
essentiellement dans leur environnement monétaire n’ont pas besoin de
notation en devises. Elles empruntent et elles remboursent en monnaie
locale.
Nous sommes une agence assez sérieuse. Nous avons mis l’accent sur la
qualité des analyses et des rapports, et l’indépendance de l’agence. Nous
intervenons sur tout le continent africain et nous exportons notre expertise
en Europe, notamment en France et en Angleterre.
Nous sommes agréés sur plusieurs marchés. Sur celui de l’UEMOA par son
Autorité des marchés financiers, sur celui de la CEMAC, et au Rwanda. En ce
moment, nous sommes dans un processus d’agrément européen. Ces
agréments permettent à nos notes d’être reconnues.
En réalité, je crois que nous sommes dans une bonne période pour les agences
de notation financière à cause de la crise économique postérieure à cette
pandémie. Les pays africains, à quelques exceptions, ont montré une faible
résilience vis-à-vis de cette crise sanitaire mondiale. Cela veut dire que le
marché des capitaux va sûrement devoir se remettre en branle pour financer
les économies africaines. Et il faudra montrer patte blanche pour pouvoir
accéder à tous ces financements. La logique de la notation financière devient
de plus en plus permanente sur le marché des capitaux en Afrique.
C’est aussi l’occasion pour les Africains de revoir leur modèle économique,
qui s’est révélé moins résilient. Et certainement de commencer à mettre
l’accent sur leur capacité à générer des revenus à travers le système fiscal.
C’est-à-dire, élargir leur base fiscale pour avoir beaucoup plus de revenus, ce
qui permettrait certainement de réduire la course à l’emprunt. L’endettement
est un mécanisme nécessaire et important dans la gestion budgétaire d’un
État mais ne devrait pas être sa principale source de revenus.
Aujourd’hui, il est important que les pays africains revoient la manière dont
ils s’endettent. Pour commencer, ils devraient favoriser l’endettement en
monnaie locale donc travailler sur des réformes pour développer les marchés
des capitaux locaux et régionaux et les rendre plus profonds. Deuxièmement,
ils ne devraient emprunter que lorsque c’est nécessaire et pour des projets
lucratifs. Emprunter pour investir dans du social non lucratif crée des
dépenses supplémentaires.
Non et malheureusement je pensais que cette crise allait créer un choc et une
nouvelle dynamique pour repenser le modèle économique afin d’établir un
nouveau paradigme économique. Cependant si une telle réflexion est en
cours, ce n’est pas ce qui ressort de leurs interventions. J’ai comme
l’impression que l’on reste dans la même logique en se disant que cette crise
est passagère, une sorte de mauvaise conjoncture qui passera, et que l’on
continuera le business as usual. Or, cette crise appelle de grands
changements.
La crise rappelle aux pays africains qu’ils sont encore fragiles parce qu’ils ne
sont pas encore industrialisés. Ils n’ont pas encore transformé leurs
économies et restent dans une logique de rentiers. C’est une question de
survie et non plus une question de choix de modèle économique.
Elle rappelle aux pays africains que, soixante ans après leur indépendance,
ils sont encore fragiles parce qu’ils ne sont pas encore des pays industrialisés.
Ils n’ont pas encore transformé leurs économies et restent dans une logique
d’économies de rente qui exportent leurs matières premières et collectent des
fonds. Aujourd’hui, il est important de développer le marché domestique avec
les entreprises locales. Cela passera par une transformation de l’économie.
Sur le climat des affaires, quels sont les éléments qui bougent et
qui vont dessiner les tendances ?
Beaucoup de pays ont fait énormément d’efforts dans une logique d’être de
plus en plus attractifs en réformant leur code l’investissement, en
investissant beaucoup dans les infrastructures économiques pour attirer les
investisseurs, et en faisant un certain nombre de réformes. Évidemment, il
reste beaucoup à faire, surtout sur le plan de la gouvernance. Les problèmes
de la corruption et de l’efficacité administrative gangrènent l’administration
de beaucoup de pays africains. Alors que cette administration est le cœur du
dispositif d’attractivité des investissements dans un pays.
Il est important que les pays africains comprennent que les bailleurs de fonds,
que ce soient la BAD, la Banque mondiale ou d’autres, devraient être des
entités qui viennent accompagner des choses déjà établies. Elles ne devraient
pas être la base de la stratégie de développement des pays africains.
Il faut que les pays africains se concentrent à nouveau sur leur économie
domestique en essayant de développer leur secteur privé. C’est lui qui
développe un pays par la création de richesses, d’emplois et de valeurs. Il faut
revenir aux fondamentaux du développement économique et que les pays
africains apprennent d’abord à compter sur eux-mêmes. L’aide au
développement ou la dette sont des éléments complémentaires.
Il faut avoir une stratégie basée sur le développement des compétences
locales, des entreprises locales, le renforcement des capacités. Une stratégie
qui permette d’arriver à un niveau où les entreprises locales peuvent absorber
la demande publique et la demande extérieure.
L’accent doit être mis sur l’économie domestique et il est important que les
pays africains la contrôlent. Dans les pays africains, de 90% à 95% du tissu
économique est constitué de PME locales qui ne contribuent qu’à 18% à 20%
du PIB. Cette tendance doit être renversée. Pour cela, il faut une vraie volonté
politique de faire des entreprises locales les championnes de l’économie
locale.
Dans beaucoup de pays, 10% des acteurs économiques sont taxés avec une
pression fiscale énorme pendant que les 90% des autres qui sont dans
l’informel ne le sont pas. On se retrouve alors dans une situation où les gens
trouvent des mécanismes de fraude.
Il est important de réfléchir à formaliser l’économie pour l’élargir de façon
significative. Aux États-Unis, pays qui taxe le plus au monde a également les
taux de taxation les plus bas. Cela permet à tout le monde de payer sans avoir
à frauder, parce que les taux d’imposition sont faibles. Dans les pays africains,
les taux sont assez élevés et la pression est toujours mise sur ceux qui paient.
Évidemment, il n’y a aucune incitation pour ceux qui ne paient pas et qui sont
dans l’informel à entrer dans le formel. C’est quelque chose sur lequel les pays
africains disent avoir réfléchi depuis longtemps, mais il serait peut-être
temps d’agir maintenant. On sait où sont les structures informelles puisque
leurs activités sont prises en compte dans le PIB. Il s’agit de mettre en place
une gouvernance suffisamment rigoureuse pour pouvoir formaliser ces
économies.
Les marchés des capitaux, par exemple, sont cloisonnés donc tout petits et
pas assez profonds. Les monnaies Africaines ne sont pas convertibles entre
elles, ce qui constitue un frein au commerce intra-africain. Aujourd’hui, les
Africains doivent être dans une logique panafricaniste avec des marchés
globaux. Un marché africain unique serait une aubaine pour tout le
continent.
Un seul marché des capitaux, une seule monnaie, les mêmes politiques
commerciales. Évidemment, il faut des étapes pour y arriver mais il faut
commencer sérieusement à agir, et rapidement. L’Afrique est déjà trop en
retard pour prendre le temps de faire les choses. Il va falloir aller un peu plus
rapidement. Il semble y avoir de la volonté mais elle n’est pas encore
suffisamment forte pour faire tomber les barrières.
HBY et NB